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Full text of "Oeuvres en vers et en prose"

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ôe  ,  Sin^s   rat   ^iiTrn    J'e/nvrT^nf,  azf^'e  mis  si  mirrynant; 
MAILZAJiD    &rz/ia.   sia-  le  Ta^Tuzsse  ; 


^  ^.Ji.'UJVM. 


Z-V:-     /<7//.".     J- 


OEUVRES 

EN  VERS  ET  EN  PROSE 

D  E 

M^  DESFORGES  -  MAILLARD  , 

Des  Académies  Royales  des  Sciences  &  Belles-Lct» 
«es  d'Angers,  Caen,  la  Rochelle,  des  Socié- 
tés Littéraires  d'Orléans  fcChalons  fur  Mai- 
ne ,  de  la  Société  Royale  de  Nancy ,  &  des 
Académies  des  Ricovrati  dePadoiic, 
&i  des  Rinnovati  d'Afolo. 

DÉDIÉES 

A  M.  DE  Machault,  Garde  des  Sceaux , 
Minijire  Général  de  la  Marine. 

TOME    PREMIER* 


A     AMSTERDAM^ 

Chez    JEAN   SCHREUDER, 

(j>  PIERRE  MORTIER  lejeuw. 

MDCCLlXé 


f  C^  r-. 


a 


P  R   E,  F   A  C  E 

'^■'igX  MEMOIRES    HISTORIQUES 

DE   UAUTEUR. 


JE-fçais  bon  gré  à  Mr.  l'Abbé  d'Aubignac 
d'avoir  fuivi  les   régies  d'Ariftote,  difoit 
le   grand  Prince  de  Condé  ,  imis  je  ne 
pardonne  point  à  Arifloie  d'avoir  donné  des 
régies ,  qui  ont  fait  faire  une  fi  mauvaife  tra- 
gédie à  M.  l'Abbé  d'Aubignac. 

Ces  ingénieufes  paroles  du  Céfar  des  Fran- 
çois, peuvent  s'appliquer  à  plufîeurs  des  Ecri- 
vains de  notre  tems.  Si  l'un  d'eux  met  au- 
jour  un  recueil,  un  livre  d'Ode,  il  ne  man- 
que pas  de  placer  à  la  tête  du  volume  un  dif- 
cours  fur  l'Ode,  afin  que  le  Public  prévenu 
décide  du  mérite  de  fes  Ouvrages,  par  les 
connoifTances  qu'il  afFefle  dans  ce  genre,  qui 
lui  promet  des  moiffons  de  lauriers;  fi  le  gé- 
nie d'un  autre  s'efi:  exercé  dans  la  brillante  & 
difficile  carrière  du  Poëme  héroïque,  il  com- 
mence par  tacher  d'ébranler  le  thrône  fublime 
où  les  fuffrages  de  tous  les  fiécles  ont  élevé 
Homère  &  Virgile;  il  fait  en  fui  te  ie  procès 
aux  Poètes  en  toute  langue,  qui  les  ont  fui- 
vis,  deforte  qu'il  n'eft  pas  mal  aifé  de  fentir, 
quelle  efi  la  place,  que  fans  l'ofer  dire,  il 
prend  en  fécret  pour  lui-même.  Si  l'hiftoire 
a  été  l'objet  de  fes  recherches  &  de  fes  veil- 
les ,  il  débute  par  i)n  long  traité  fur  h  vraye 
*  2  ma- 


îv  P    R    Ë    F    A    C    E.  f  r      d 

manière  de  l'écrire,  &  pafr;int  en  revue  tous 
]es  Hiftoricns  qu'il  a  lus,  l'un  s'eft  égaré  dans 
Ix  Clironologie  ;  l'autre  a  nwl  rapporté  les 
fiiiis ,  ou  par  llatcrie,  ou  par  ignorance,  ou 
par  intérêt;  celui  ci  a  trop  d'abondance  defti- 
je; -celui  là  trop  de  précifion,  fi  bien  qu'a- 
près avoir  fait  l'admiration  de  Tes  contempo- 
rains, il  fera  le  feul  que  les  Jrliftoriens  à  ve- 
nir prendront  pour  modèle.  S'il  s'efl:  engagé 
par  caprice  dans  un  Ouvrage  de  caractères  & 
tic  réflexions  ;  ici  c'efl  un  Miflionnaire  qui 
tonne  en  furieux  contre  les  vices  quil  paroît 
déttfler  ;  là  c'eft  un  élégant  Panégirifte,  qui 
peint  avec  art  les  vertus  qu'il  connoît  peu,  ne 
les  ayant  jamais  pratiquées ,  &,  démentant  par 
fa  conduite  les  fages  maximes  qu'il  reflaffe  & 
dont  il  fait  réloge.  Plntarqus,  Sénéque  A  la 
JSrwym  ,r  n'étoicnt  que  des  novices  auprès  de 

A  îa  lefture  de  ces  fçavans  préambules,  où 
l'Auteur  inCnue  ,  que  les  plus  célèbres  qui 
l'ont  devancé  ,  avoicnt  manqué  à  quelques- 
unes  des  conditions  néceflaires  à  la  perfection; 
il  n'efl:  perfonne  qui  ne  fe  perfuade  qu'il  va 
lire  des  chofes  merveilleufes.  Mais  on  de- 
meure très  étonné  ,  en  voyant  que  plus  on 
lit,  plus  il  faut  rabattre  de  lopinion  avança- 
geufe  qu'on  avoit  conçue. 

Comme  je  me  crois  avec  raifon  fort.au. 
defibus  de  ces  célèbres  difcoureurs ,  je  me  garde- 
rai bien  de  rien  dire  des  ouvrages  qui  forment 
ce  Recueil,  de  crainte  qu'on  ne  retorque  con- 
tre moi  avec  plus  de  jultice,  la  faillie  de  M. 

le 


.PREFACE.  V 

le  Prince  de' Condé  au  fujet  de  la  Tragédie  de 
M.  riibbé  d'Aubignac. 

,  C'efl:  pourquoi ,  lailTant  à  part  des  réflexions, 
.qui  neiervirpient  peut-être  ,  qu'à  raprocber 
des  yeixK  du  I^e^teur  les  défauts  de  wes  vers 
&  de  ma  profe,  l'e  lui  plairai  peut-être  d'a- 
vantage en  lui  faifant  un  vrai  récit  des  caufej 
&  des  fuites  de  ma  métamorphofe  en  Made- 
moifelle  de  Malcrais  du  la  Fi^ne  ,  dont  la 
Scène  Originale  a  fi  longtemps  amufé  le  Pu- 
blic. .  .  •- ■^ 
II  y  a  plufieurs  années ,  que  cette  avantu- 
ra  comique  parut  dans  le  X-Tome  des  -^m»- 
Jemens  du  Cœur  ^  de-  PEjprit.  Je'Pécrix'is  par 
complaifance  pour  un  homme  en  place,  à  qui 
je  ne  pouvois  rien  refufer.  Mais  j'en  déj^uifai 
les  motifs ,  &  je  fubflituai  le  badinage  à  la  vé- 
rité, pour  ne  point  mettre  de  mauvaife  hu- 
meur le  Chevalier  de  laEoque,  Auteur  dU 
Mercure  de  France  ,  qui  devoi.t  y  Jouer  le 
principal  roUe  ,  ^'dont  mon  re^otir  à  mo?î 
premier  fexe  ne  hi'ipta  point  l'amitié.,  A  Dieu  np 
plaife,  que  j'aye  deflein  de  déprimer  fes  tai 
îens ,  ia  probité  &  fa  candeur.  C'étoit  un  hom- 
îiie  d'un  vrai  mérité.  Je  refpefte  fa  mémoire; 
&  notre  ■  ïlémêlé  Poétique  demetireroit  enfé^ 
v^'i  dsiis  les  ombres '  d'tin' éternel  oubli;  iî 
je' rie  me  féntois  engagé  "t5ar  Honneur  de  me 
défçndré'd'lufie  note  ^uffi  fau^é  gué  desobU^ 
géante',- dont '^^-Tv  de''V'oîtdire,'''a  'jugé  à  pro» 
pos  de  décorer  toutes  lès  éditions  'de  fes  œu- 
vres.   Je  prie  le  Leéteur  de  vouloir  bien  me 

-      -  *  3  fai- 


ri  PREFACE. 

faire  grâce  des  Préliminaires  qui  vont  pfépi- 
rer  le^  récit  de  ma  fortuite  Mafcarade.  .  .  . 
,:  Arrêté  prefque  toute  ma  vie  fur  unecôte, 
■pii  le  trafic  du  fel  marin  eft  plus  en  crédit 
que  le  commerce  des  mufes,  j'y  naquis  pour 
elles  avec  une  paflion  que  je  n'ai  jamais 
pu  vaincre,  ni  fatisfaire;  à  peine  avois  je  paf- 
(é  mon  premier  luftre,  que  j'avois  toujours  à 
Ja  main  les  fables  du  charmantla Fontaine, el- 
les faifoient  la  plus  douce  récréation  de  mon 
enfance.  .:ji'.j 

II 

a*  mîh't  charta  nuetSf  /mc  tjï  m'xhi  charta  liireiiiitg.i 
Jitea  netdamr.uniy  nce  facit  ijla  lucrum»   \;.,^, 

J'allai  faire  mes  humanités  à  Vannes,  a^ 
collège  des  Jéfuites ,  fous  ces  excellens  maîtres 
de  Religion ,  de  Science  &  de  PoUtefle  ,  à 
cjui  Je  vouai  dès  mes  plus  jeunes  années  des 
ientimens  d'eftime  &  de  reconnoiffîmce,  que 
le  temps  &  la  diflance  âes  lieux  n'ont  jamais 
afFoiblis.  J'avois  une  extrême  envie  d'entrer 
dans  leur  Société.  Mon  Père  pour  m'en  dé- 
tourner m'envoya  faire  mon  cours  de  Philo- 
fophie  à  Nantes  fous  les  Pérès  de  l'Oratoire. 
J'y  fréquentois  les  écoles  du  Droit.  De-U 
j'^allai  à  Rennes  où  je  fus  reçu  Avocat  au  Par; 
lement.  Mais'  mon  averfion  décidée  pour 
tout  ce  qui  s'appelle  chicajie  ou  procès ,  me 
fit  renoncer  à  cette  profçfllon.  J'en  cher- 
chois  une  qui  fut  plus  tranquille,  &  qui  put 
s'accommoder  par  iatervalle  avec  mon  goûc 

pour 


PREFACE.  vu 

pour  la  Littérature.  Mais  dans  nn  Siècle  où 
tout  eft  à  prix  d'argent ,  je  n'étois  point  en 
état  d'acheter  de  la  protection: 

&•  gtKus  b*  vîrtus  nîfi  cum  re  vilior  alg»  tjl. 

^Condamné  par  la  loi  de  ma  deftinée  à  m'exi- 
1er, dans  le  lieu  de  ma  naiflance.j'y  retrouvai 
M.  Bouguer,mon  compatriote.  L'Amitié  qui 
nous  avoit  unis  dès  l'enfance  s'étoit  fortifiée 
avec  l'âge.  Nous  devînmes  inféparables.  Mais 
fçavant  prefque  au  berceau ,  illuftre  quand  les 
autres   commencent   à  paroître  ,    couronné 
trois  fois  par  l'Académie  Royale  deç  Scien- 
ces ,  qui  lui  devoit  une  place  au  rang  de  fes 
membres  les  plus  diftingués,  la  Renommée 
me  l'enleva;  &  je  me  vis  abandonné  à  la  dou- 
leur du  plus  trifte  veuvage.  Mes  parens  avoient 
tiré  mon  horofcope.    lis  s'étoient  convain- 
cus fuivant  leurs  jufles  remarques ,  que  laPoe- 
fîe  ne  me  conduiroit  â  rien  d'utile;  dans  cette 
idée  qui  les  défoloit,  ils  n'épargnoient  ni  m.e- 
naces,  ni  remontrances  ,   pour  me  dégoûter 
de  cette  débauche  d'efprit  qui  devenoit  une 
habitude  invincible.     S'il  étoit  quelque  choie 
au  furplus ,  qui  dût  me  déterminer  à  renon- 
cer aux  mufes,  ce  devoit  être  les  avis  ten- 
dres &   paternels  que  me  donna  M.  de  VoU 
taire  dans  une  Lettre  que  je  vais  rapporter; 
On  verra  qu'il  connoiftbit  d'ancienne   datte 
cet  homme  de  Bretagne^    dont  il  fait  mention 
dans  fa  note,  fans  laquelle  je  n'aurois  jamais 
entrepris  d'écrire   cette    Piéface  Hiftorique. 
*  4.  Sc§ 


VIII  P    R    E    F    A    C    E. 

Ses  confeils  étoient  judicieux  ;  mais  par  mal- 
heur les  louanges  qu'il  me  prodiguoit  avec  u'rt 
air  de  franchife  &  de  bonté,  me  lappelloiJsnt 
à  mon  premier  penchant,  &  c'étoit  là  préci- 
fement  tacher  de  me  guérir  en  me  faifhnt  bèi- 
le  l'antidote  avec  le  poifon.  Sa.  Lettre  fut 
occafionnée  par  une  LCpître  en  vers  Maroti- 
ques,  que  je  lui  envoyai  &  que  j'ai  perdue. 
J'y  prenois  fa  défenfe  contre  les  critiques  de 
la  Henriade.  Ce  n'eft  pas  la  feule  fois  que 
la  fimpathie  qui  m'attiroit  à  lui,  m'a  fait  en- 
trer en  lice;  foit  dans  la  converfation,  foit 
par  écrit ,  contre  tous  ceux  à  qui  la  jaloufie 
ou  la  malice  mettoit  les  armes  à  la  main  ,con. 
tre  un  des  plus  grands  &  des  plus  beaux  Ef- 
prits  que  le  monde  ait  jamais  eu.  C'efl  ce 
dont  il  eft  facile  de  fe  convaincre  par  une  de 
mes  Lettres  en  profe  inférée  dans  le  Mercu- 
re de  Décembre  1724.  Voici  celle  dont  il  vou- 
lut bien  m'honorer.  ,,  De  longues  &  cruel- 
.,  les  maladies ,  dont  je  fuis  depuis  long-tems 
„  accablcL ,  Monfieur  ,  m'ont  privé  jufqu'à- 
„  préfent  du  plaifir  de  vous  remercier  des 
„  Vers  ,  que  vous  me  fîtes  l'honneur  de  m'en- 
„  voyer  au  mois  d'Avril  dernier.  Les  louan- 
,,  ges  que  vous  me  donnez,  m'ont  infpiré  de 
,,  la  jaloufie,  &  en  même  temps  bien  de  l'ef- 
5,  time  &  de  l'amitié  pour  l'Auteur.  Je  fou- 
„  haite,  Monfieur,  que  vous  veniez  à  Paris 
„  perfcétionner  l'heureux  talent ,  que  la  Na- 
,,  ture  vous  a  donné.  Je  vous  aimerois  mieux 
„  Avocat  à  Paris,  qu'à  Rennes,  Il  faut  de 
„  grands  Théâtres  pour  de  grands  talens,  & 

la 


PREFACE.  IX 

j,  la  capitale  eu.  le  féjour  des  gens  de  lettres. 
„  S'il  m'étoit  permis,  Ii'lonfieur,  d'ofer  join- 
j,  dre  quelques  confeils  aux  remerciinens  que 
,,  je  vous  dois  ,  je  prendrois  h  liberté  de 
„  vous  prier,  de  regarder  la  Poë fie  comme 
„  un  amufement,  qui  ne  doit  pas  vous  déro- 
„  ber  à  des  occupations  plus  utiles.  Vous 
,,  paroifl'ez  avoir  un  efprit  aufll  capable  du 
„  folide  que  de  l'agréable.  Soyez  fur  que  fi 
,,  vous  n'occupiez  votre  jeunefle ,  que  de. 
„  l'étude  des  Poètes ,  vous  vous  en  repenti- 
„  riez  dans  un  âge  plus  avancé-  Si  vous  avez: 
„  une  fortuné  digne  de  votre  mérite,  je  vous 
,,  confeille  d'en  joiiir  dans  quelque  cbarge„ 
„  honorable.  Et  alors  laP'oëfie,  l'Eloquence, 
,,  l'HiCloire  &  la  Philofophie  feront  vos  dé« 
„  laflemens.  Si  votre  fortune  eft  au-deflbus 
„  de  ce  que  vous  méritez ,  &  de  ce  que  JQ 
„  vous  fouhaite,  fongez  à  la  rendre  meilleti- 
,,  re;  priîno  vivere;  deindé  Pbilofopbarî.  Vous 
,,  ferez  furpris  qu'un  Poëte  vous  écrive  de 
,.  ce  ftile:  mais  je  n'eftime  la  Poëfie,  qu'au- 
„  tant  qu'elle  efl:  Pornement  de  la  raifon.  Je 
„  crois  que  vous  la  regardez  avec  les  mêmes 
„  yeux.  Au-refte,  Monfielir,  fi  je  fuis  ja- 
„  maïs  à  portée  de  vous  rendre  quelque  fer- 
„  vice  dans  ce  pays  ci,  je  vous  prie  de  ne 
,,  me  pas  épargner,  vous  me  trouverez  tou- 
„  jours  difpofé  à  vous  donner  toutes  les 
,,  marques  de  l'eftime  &  de  la  reconnoiflan- 
,,  ce,  avec  lefquelles  je  fuis,  Monfîeur, 
„  Votre  &c.  Voltaire. 
La  morale  de  M.  de  Voltaire  ëtoit  admira- 
*  5  ble. 


X  PREFACE. 

ble.  Ses  leçons  me  revenoient  à  tout  mo- 
ment dans  l'efprit;  fi  bien  que  pendant  plus 
de  deux  mois,  dès  que  je  me  fentois  tour- 
menté de  la  demangeaifon  de  faire  des  Vers , 
je  relifois  la  Lettre  de  mon  Mentor ,  &  je 
me  trouvois  fouL'gé.  Je  fis  même  des  adieux 
aux  mufes,  dont  je  n'ai  pu  déchifrer  dans 
mes  brouillards ,  que  les  fragmens  qui  fuivent, 

Junefie  &  doux  plaifir,  dont  je  fis  mon  étude. 

Cruel  préfent  des  Dieux, 
JMufes,  que  j'adorai  dans  cette  folimde 

Recevez  mes  adieux. 


Seize  fois  à  mes  yeux  Flore  avoit  fur  la  plaine 

Ranimé  fes  couleurs  ; 
Quand  j'ofai  me  glifTer  aux  bords  de  l'hipoctcrie, 

.    Et  chercher  les  neuf  fœurs. 
J'y  ébonus  de  Virgile  &  d'Homère  &  d'Horace"' 

La  manière  &  la  voix. 
Tous  trois  fous  Apollon  prcfidoient  au  Parnaflè , 

£t  nous  di^oient  fes  lois. 


Jy  vU  Anacréon  ,  comme  dans  fa  jeunefle  , 

Léger,  tendre,  badin, 
il  fcVoit  d'un  coté  fa  riante  Maitrefle , 

Et  de  l'autre  du  vin. 


Que 


•PREFACE.  XT 

Que  de  fois  mes  Païens  d'une  étude  inutile 

Ont  murmuré  fans  fruit! 
Difairt  que  ï'art  des  Vers  eft  un  art  infertile 

^e  la  pauvreté  fuit.' 


Laiflè  Horace,  mon  Fils,  pour  Cujas  &  Bartole, 

Mets  à  profit  ton  temps. 
Apprend  d'eux  le  fécret  de  vendre  ta  parole 

A  de  riches  Cliens.     ... 
le  Soldat  pour  Thémis  fuit  lé  fort  de  iaguéric,-  , 

Le  nocher  fend  les  flots..  , 

Le  Colon  pour  Thémis  redemande  à  la  téue 

Le  fruit  dé  fes  tfa\'aux. 


Quel  dégoût  au  furplus  d'avoic  fait  un  ounagef 

Sans  efpoir  d'intérêt, 
Don.t  le  faux  préjugé,  la  cabale  volage, 
,    ;    :^  (Prononceront  rarxêt? 


Je  fis  connoiffance  avec  le  Père  du  Cer- 
ceau au  fortir  du  Collège, par  rentremife  d'un 
âtitre  Jéfuite.  Cet  Auteur  enjoué  avec  lequel 
j'entretins  jufqii'à  fi  mort  un  commerce  de 
Littérature  &  d'Amitié,  quoique  nous  ne  nous 
ftifÏÏons  jamais  vus ,  difoit  fort  agréablement, 
&  il  avoit  raifon , 

Qui 


XU  PREFACE. 

Qui  £t  des  Vers,  toujours  dçs  Vers  fera,    , 
C'eft  le  moulin  qui  moulut  ôc  moudia. 
Contre  l'étoile  il  n'eft  d«pit  qui  tienacj,        ; 
Et  je  vne  cabre  ea  vain  contre  k  mienne. 

Je  pris  donc  congé  de_s  Mufes  fuivant  la 
coutume  de  Meflîeur?  mes  confrères,  b  en  af- 
fur'é  comme  eux ,  que  je  ne  tarderois  point  à 
manquer  à  mn  proméfle.  Eu  effet  la  preuvç  ■ 
la  plus  certaine,  que  quelque  chofe  qu'ils  di- 
fent,  ils  n'ont  qa'un'e  foible  $:  paUagère  yç^ 
leilé  de  quitter  ces  déeiîes,  qu'ils. ch^viffent; 
c'eft  qu'ils  leur  font  toujours  des.  adTeux.en  V.ex^ 
On  peut  donc  appliquer  à  lâ  Polfie  ces  deux 
vers  de  Properce, 

Onfncs  humanoi  fanât  medicina  dolofes , 
;  -      Solus  Amor  mtrbi  non  amat  artifistm. 

Cependant  je.  ne  ceffâi  pas  d'aimer  M.  de 
Voltaire  ,  que  je  regârd;ri  dans  mon  cœur, 
comme  un  ami  fur  lequel  je  po^vois-  compter^ 

Flaté  de  voir  mon  nom  imprimé, .émulation 
ordinaire  à  mon  âge;  j'avois  envoyé  de  bonne 
heure  mes  petites  pièces  aux  différens  Au- 
teurs du  Mercure  de  France.  M.  le  Chev, 
de  la  Roque  parut  à  Ton  tour  dans  cet  em» 
ploi ,  &  je  continuai  de  lui  faire  part  de  me^ 
bagatelles.        '  .,,,/  \.  ■.  j 

L'Académie  Françoife  propofa  pour  fuieicfti 
prix  de Poëfie,  les  progrés  de  i'Art  delaNaViT 
gation  fous  le  régne  de  Louïs  XIV.  je  voulus 
tenter  l'avanture.  Je  fis  un  Poëme  qui  ne  fut 
!  y  point 


PREFACE.         xiit 

point  couronné,  on  y  lifoit  entr'autres,  ces 
quatre  Vers,  où  l'art  de  la  Navigation  étoît 
délini. 

Art  immenfe,  où  des  mers  les  routes  Ignoiées, 
Sur  un  papier  étroit  fe  trouvant  mefure'es, 
Cbfetvant  la  boufible  ,  employant  le  campas. 
On  airive  pu  de^  Ueux^u'An  oefauAoiilbit  pas. 

.  Pique  de  n'avoir  point  remporté  le  prix , 
effet  de  la  préfomption  naturelle  aux  jeûnes 
gens  qui  croyent  avoir  toujours  le  mieux 
ïéuflî,  j'envoyai  mon  Poème  à  M,  l'Abbé  de 
Morinay  mon  parent,  étudiant  alors  ■en  Sor- 
bonne,  &  je  le  priai  de  le  remettre  lui-même 
à  M.  de  la  Roque.  J'avois  mis  en  tête  quel- 
ques remarques  critiques  fur  eelui  qu'on  avoit 
couronné.  L'Abbé,  aujourd'hui  Vicaire  Gé- 
néral de  M.  de  Gouyon  Evoque  de  St.  Pol  de 
Léon  ,  &  Frère  du  Gentilhomme  ordinaire 
de  la  chambre  du  Roi ,  s'acquitta  de  ma  cora- 
miflion.  M.  de  la  Roque  le  reçut  poliment.  Il 
étoit  auprès  du  feu  ;  mais  à  peine  eut-il  lu  le 
préambule  de  la  pièce ,  qu'il  la  jetta  dans  le 
brafîer  allumé,en  difant;M,  des  Forges  a-t-i[ 
cru  que  je  me  brouillerois  avec  l'Académie 
par  rapport  à  lui?  l'Abbé  faifit  le  papier, 
comme  il  voltigeoit  fur  la  flamme,  il  fit  à  M. 
de  la  Roque  les  reproches  que  méritoit  fa  vi- 
vacité. La  querelle  s'échauffa  de  part  &  d'au- 
tre; &  mon  ami  fortit,  peiidant  qu'il  lui  ju- 
roit,  que  je  pouvois  Gompter  qu'il  n'impri- 
me- 


XIV.  P:   R,    E    i\    A    C    E, 

meroit  jamais  rien  -de  ma  façon.  M.  l'Abbé 
de  Morlnai  ne  tarda  point  à  me  faire  part  de 
cette  catallrophe,  qui  me  mortifia  à  caufe  de 
l'arrêt  prononcé. 

Le  mois  d'Avril  çomjnençoit.  J'étois  à 
ma'petite  café  champêtre  de  Brédérac,  dont 
dépend 'une  vigne  qui  fe  nomme  Malcrais^ 
cabane  ruftiqne,  auiîî  fimple  que  fon  maître, 
&  dont  le  meilleur  revenu  confiée  dans  la 
tranquilité  ,  qu'elle  lui  rapporte  quand  il 
trouve  le  temps  de  s'échapper  dans  cette  fo- 
litiide. 

E/l  aliquid  quoeumque  loto  ^  quecuntque  rectjfut  " 
Uniusfe  fe  dominum  feciffe  lacer ti. 

J'^y  revois  au  procédé  de  M.  de  la  Roque, 
quand  il  me  vint  en  fantaifie  de  le  forcer, 
pour  ainfi  dire,  à  m'imprimer  malgré  fon  fer- 
ment, en  me  féminifant  fous  le  nom  de  Mlle. 
de  Mnlcrais.  Je  fis  part  de  mon  idée,  quand 
je  fus  de  retour  au  Croific,  à  une  Dame  d'ef- 
prit,  a  laquelle  j'étois  attaché  par  le  lien  de 
la  parenté  ,  mais  bien  plus  encore  par  les 
nœuds  de  la  plus  pure  &  de  la  plus  fidelle 
amitié.  Ces  nœuds  charmant  n'ont  point  été 
coupés  par  le  cifeau  de  la  parque,  &  mes  lar- 
mes coulent  encore,  lorsque  je  me  rappelle 
fon  caradére  aimable,  &  fon  commerce  plein 
de  douceur  &  d'aménité.  Cette  Dame  à  qui 
l'idylle  du  voyage  de  V  Ammir  ^  de  'i Hymen  elt 
adreffée,  approuva  mon  deflein.  Elle  s'offrit 
de  me  fervir  de  Secrétaire,  &  tranfcrivit  ré- 


PREFACE.     "      X7 

guUérement  tout  ce  qui  parut  fous  le  nom 
de  Mlle,  de  Malcrais.  Nous  nous  addreffa- 
mes  d'abord  au  commis  du  Mercure.  Notre 
innocente  fupercherie  nous  réuflit.  M.  de  la 
Roque  ne  nous  laifla  pas  long-temps  attendre 
laréponfe,  qu'il  nous  fit  lui-même.  Je  vais 
en  rapporter  des  extraits,  ainfl  que  d'une  par- 
tie de  Tes  autres  Lettres. 

:A  Paris  le  6  Maiîj^i,  ■ 

„  Je  n'ai  garde,  Mademoifelle.de  laifTer  à 
„  mon  commis  le  foin  de  répondre  à  la  Let- 
„  tre  dont  vous  l'avez  honoré  ,  le  29  du 
„  mois  dernier.  J'avois  trop  d'impatience 
„  de  trouver  roccafion  de  vous  marquer  le 
„  cas  que  je  fais  de  vos  heureux  talens ,  coi,n- 
„  bien  je  vous  honore,  &  combien  les  gens 
„  du  meilleur  goût, les  plus  délicats,  &  les 
„  plus  difficiles ,  admirent  vos  ouvrages.  Tours 
„  ingénieux,  penfées  brillantes,  belle  fimpli- 
„  cité  &c.  tout  s'y  trouve.  C'eft-Ià,  Made. 
„  moifelle,  une  partie  des  chofes ,  que  j'a- 
„  vois  fur  le  cœur,  &  qu'il  me  tardoit  d'a- 
„  voir  l'honneur  de  vous  dire ,  me  voilâ  bien 

„  foulage. 

........ 

„  On  doit  vous  regarder  comme  la  Des- 
„  houlieres  de  nôtre  Siécle,puiflîons  nous  vous 
„  voir,  comme  nous  l'avons  vue,  tssus  faire 
„  comme  elle ,  l'ornement  de  la  Capitale  du  Ro- 
„  yaume ,  qui  enviera  fans  cefle  au  Croific  une 

,,  cho- 


XVI  f    RE    F'  A    C    E. 

„  chofe  ,  qui  lui  ferolt  tant  d'honneur  &c. 

la  Roque. 

Les  charmes  d'une  Dalila  imaginaire  triom- 
phèrent ainfi  de  la  réfolution ,  &  de  la  pro- 
mefle  de  ce  Sanfon.  Il  continua  comme  un 
autre  Hercule  ,  de  filer  le  parfait  amour  pour 
fon  Omphale.  Ne  pourrois-je  point  obferver 
en  pafTant,  que  c'eft  peut-être  àia  quenouille 
&  au  fufeaa  d'Hercule,  que  l'exprelîîon  vul- 
gaire de  filer  le  parfait  Amour,  a  dû  fa  premié- 
le  origine? 

L'Idylle  des  Tourterelles  acheva  de  lui 
tourner  la  tête.  Je  fuis  fâché  d'avoir  perdu 
fiir-tout  un  de  fes  billets  doux;  dans  lequel  il 
difoit.en  donnant  carrière  à  fon  imagination 
amoureufe ,  Je  vous  aime ,  ma  chère  Bretoiie , 
pardonnez  moi  cet  aveu; mais  le  viot  ejl  lacbé,  ^c. 

à  Farts  le  4  Novembre  1731. 

,,  Vous  êtes  trop  polie  &  trop  bonne,  Ma- 
„  demoifelle ,  de  vouloir  bien  defcendre  à 
„  me  fiiire  des  excufes.  Je  ferois  bien  plus 
,,  difpofé  à  les  recevoir,  fi  elles  étoient  fon- 
5,  dées  fur  quelque  chofe  de  moins  trîfle  que 
„  la  perte  que  vous  avez  faite.  Mais  â  mon 
„  tour  j'en  ai  bien  d'autres  à  vous  faire  de 
„  répondre  fi  tard  à  deux  Lettres  que  vous 
„  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire.  De  mau- 
„  dites  vapeurs,  dont  je  fuis  incommodé, en 
,,  font  la  caufe.  Je  tremble  que  quelque 
„  nuage  ténébreux  ne  vienne  ra'«npécher  de 

„  finir 


r    R    E    B'    A    C    E.         xvîi 

,,  finir  cette  Lettre.  Belle  difpofition  pour 
„  répondre  à  une  aimable  perfonne,  à  qui  on 
,s  jvoudroit  dire  de  jolies  chofes  !  .  .  .  . 
^■;;f'  .-   '    .         ... 

,,'Plufieurs  perfonnos  d'efprit  &  de  goût,  qui 
,-,  lifcnt  vos  produclions  avec  avidité,  &  qui 
,,"  y  trouvent  mille  ngrémens ,  feroient  bien 
,^  aifes  de  connoître  plus  particulièrement  vo- 
5,  tre  caraftére  ;  on  s'adrefle  à  moi  pour  ce- 
„  la,  &  je  ne  puis  les  fatisfaîre  qu'imparfai- 
„  tement.  Plufieurs  même  ont  écrit  en  Bre- 
,,  tagne,  pour  avoir  votre  portrait,  afin  de 
i,  pouvoir  fixer  les  idées  avant;igeufes  qu'oit 
„  a  de  vos  talens  ;  ayez  je  vous  prie  ,  la 
„  complaifance  de  nous  donner  quelque  cho- 
„  fe  làdeflus  &c. 

On  voit  par  cette  Lettre  de  M.  de  la  Ro- 
que, combien  u  eft  fingulier,  qu'on  cherchât 
de  toute  part  à  fçavoir,  ce  que  c'étoit  que 
cette  Mlle,  de  Malcrais,  Ôc  qu'on  ignorât  le 
fujet  de  la  Comédie  dans  le  lieu  de  la  Scène. 
On  s'étoit  donc  inutilement  promis  qu'en  é. 
crivant  au  Croific,  on  fe  mettroit  au  Fait  du 
mot  de  l'énigme,  il  n'étoit  connu  qu'à  la  pof- 
te,  où  j'avois  expreffément  recommandé  le 
fecret.  On  reçut  pour  toute  réponfe ,  qu'on 
ne  Gonnoifîbit  point  au  Crofic  de  Dlle.  Mal- 
crais ,  &  qu'on  n'y  avoit  jamais  entendu  par-? 
1er  de  fille,  ni  de  femme,  qui  fiflent  ni  vers, 
ni  profe.  Cependant  il  étoit  vraifemblable 
qu'on  y  devroit  du  moins  avoir  vu ,  le  nom  de 
Mlle,  de  Malcrais  ,  dans  quelques-uns  des 
Journaux,  qui  font  la  Bibliothèque  &  la  ref- 
-  Tme  J.  ♦*  four- 


xvrn        PREFACE. 

foiirce  de  ceux  qui  craignent  le  travail  de  l'é- 
tude, ou  qui  n'ont  pas  le  temps  de  s'y  appli- 
ouer.  Mais  dans  ce  pays  où  i'efprit  eft  uq 
don  de  la  nature,  où  les  parties  déliées  qui 
s'exhalent  des  Salines, lui  communiquent  au- 
tant de  pointe  &  de  finefle  que  par  tout  ail- 
leurs ,  on  fe  contentoit  de  l'acquifition  de  la 
Gazette;  &  l'on  ne  faifoit  aucune  dépenfe  eu 
brochures  périodiques.  ., 

L'embarras  des  perfonnes  dont  la  curiofîté 
recourroit  à  M.  de  la  Roque,  fera  connoî* 
trc  combien  il  y  a  peu  de  vérité  dans  la  note 
que  M.  de  Voltaire  a  mife  en  marge  de  fon 
Épitre.  Il  en, a  déguifé  le  titre,  c'eft  à  une 
Dame  fait  clifant  telle,  qu'il  l'adrefle,  après  en 
svoir  retranché  pluficurs  vers ,  comme  fi  elle 
étoit  fortie  fraîchement  de  fon  porte- feuille, 
£<.  qu'elle  ne  fut  point  imprimée  toute  entière 
ailleurs  que  dans  le  Recueil  de  Tes  Oeuvres. 
On  s'étonnera  avec  raifon  que  le  plus  célèbre 
héros  du  Parnafle  François ,  brave  comme  fon 
Pbiloctete,  généreux  comme  fon  Brutus,  réli- 
i^ieux  comme  fon  Nerejîan,  prefque  desinte- 
relTé  comme  fon  Enfant  prodigue  ,z\t  été  capa- 
ble d'une  infidélité  lï  marquée,  &  d'une  peti- 
telfe  fi  peu  réfléchie.  Je  continuerai  de  rei 
vaincre  la  fauficté  de  fa  note  dans  la  fuite  dt 
cette  Préface  HiÛorique,  quoiqu'elle  le  foit  àéy< 
en  partie  dans  la  2e.  Lettre  de  M.  de  la  Ro- 
que. Ce  Journalifle  s'étoit  fait  une  loi  de  m 
lien  laifler  ignorer  à  fon  héroine  de  tout  c< 
qui  pouvoit  l'intérefiTer.  L'Idylle  des  coquil 
lages  parut.    Elle  avoit  été  faite  à  l'occafior 

d'UQti 


P    R    E    F    A    C    E.  xïX 

d'une  boette  pleine  de  Coquilles,  que  j'avois 
envoyée  à  M.  de  la  Roque ,  &  que  nous  crû- 
mes perdue.  Un  nouveau  foupirant  compofa 
fur  ce  fujcc  un  Madrigal,  dont  la  galanterie 
un  peu  trop  nue,  balança  l'envie  que  M.  de  la 
Roque  avoit  de  le  mettre  au  jour.  Mais  la 
modeflie  timide ,  qui  le  porta  à  le  fuprimec 
pour  le  Public,  ne  l'empêcha  pas  d'en  faire 
part  à  fa  nouvelle  conquête.  11  eft  vrai  qu'il 
couvrit  l'endroit  gaillard  d'une  gaze;  mais  (i 
claire  &  fi  mince,  qu'il  fe  lifoit  auflî  diflinc- 
tement  que  s'il  n'eût  point  été  rayé.  Mqmim 
ejl  dit  Pétrone  ,  Induere  Nuptam  ventum  tex- 
tilem,  palamque  proflare  in  nebula  linea.  Voici 
le  Madrigal, 

DoCte  Malcrais,  Reine  des  filles, 

Ah  !  que  le  vol  de  tes  Coquilles 
Vient  à  mes  fens  charmés  e'taler  de  beautés  ! 
Quelle  légèreté  !  quelle  délicatefle  ! 
Tes  tours  ingénieux,  ou  règne  la  fineflè. 

Enchantent  mon  cœur  tour  à  tour» 

Mais  fî  l'on  te  voloit  un  jour 


Que  de  vers  immortels  traceroit  ton  pinceau! 
Heureux  qui  jouïroit  d'un  Ouvrage  fi  beau! 
ïlus  hemeiix  mille  fois  l'Auteur  de  la  Rapine. 
Par  M.  de  St.  Pr, 

Parts  ce  8  Mai  1733- 
**  2  »,  J« 


XK  P    R    E    r    A    C    E, 

,,  Je  vous  envoyé,  Madcmoifclle,  ce  inor- 
„  ccau  que  je  fuppriinc  à  regret.  Car  j'aime 
„  beaucoup  entendre  dire  du  bien  de  vous, 
,,  fur-tout  quand  on  en  dit  avec  quelque  for- 
„  te  d'efpnt.  Mais  api  es  avoir  voulu,  com- 
„  me  vouî  le  verrez,  raccoinmoder  &  fauver 
j,  une  idée  un  peu  trop  gùllarde,  j'ai  enfin 
5,  pris  le  parti  de  n'en  point  faire  ufage  ,  & 
,,  je  crois  que  vous  m'approuverez. 

,,  Dans  ce  moment  on  m'apporte  votre 
„  Lettre  du  2,  de  ce  mois.  Je  vous  rends 
„  grâces  de  toutes  vos  politeiîes  &  de  vos 
„  fentimens  favorables  à  ma  mutilation.  * 
5,  Vraiment  j'accepte  bien  la  conjeflure  que 
„  je  pourrois  n'en  point  valoir  moins  pour 
„  cela.  Il  eu  même  établi,  qu'à  certains  é- 
,,  gards  ou  en  vaut  un  peu  mieux.  Et  voyez 
'„  l'outîeruidance  d'un  vieux  reitre.  Je  Ce- 
„  rois  au  défefpoir  de  détromper  perfonne  là- 
„  deifiis.    .•    .        .        .  .  .        . 

,,  11  ne  merede  que  le  temps  de  vous  aflurer 
,,  mon  illuftre  &  très -aimable  Demoifelle , 
,s„  avec  le  plus  finj;ére,&  !e  plus  refpeflueux 
„  attachement. qui  fqt  jamais,  Votre  &c. 

De  la  'Roque,' 

On  voit  que  M.  de  la  Roque  en  étoit  déjà 

par  de  là   les   petits   foins  avec   fa  Dlle,  de 

ÎMalcrais  ,  &  qu'il  devoit  croire,     fes  affaires 

avancées,    autant  qu'elles  le  pouvoient  être, 

"  11  avoir  perdu  une  jambe  à  la  guene. 


P    R    E    F     A      CE.  nr 

en  lui  faifant  des  cageolleries  de  plus  de  cent 
lieues. 

Pendant  qu'il  s'enivroit  des  douceurs  d'un 
fi  tendre  commerce,  un  Quidam  s'avi.ia  d'at- 
taquer Mlle,  de  Malcrais  daijs  une  Lettre  cri- 
tique. C'étoit  un  de  ces  hommes  privilégié?, 
qui  croyent  qu'une  longue  vefte  à  menus  dé- 
tails ,  avec  un  Livre  à  pages  quotidiennement 
ordonnées,  a  h  force  de  répandre  fur  leurs 
individus  l'uni- erfalité  des  talens.  )Mlle.  de 
Malcrais  écrivi^iit  à  fon  amant  le  fujct  de  fa  mé- 
lancolie. AufTi-tcjt  voilà  le  Champion  le  pôt 
entête,  couvert  de  fon  antique  cuiraffe.  Il 
defcend  fur  l'arène  ,  6c  défie  au  combat  le 
^ant  orgueilleux,  dont  l'audice  s'étoit  éle- 
vée jufqu'à  vouloir  ab'oaifler  le  mérite  &  la 
vertu  de  la  iVIaitrefle  de  fon  ame,  de  la  Da- 
me de  fes  penféeSjde  la  Souveraine  de  fon 
cœur;  &  c'efi;  ce  qu'il  exprime  en  d'autres 
termes  dans  l'extrait  de  la  Lettre,  qu'on  va 
lire. 

Paris  le  20  Juin  1733. 

„  Il  étoit  impoflîble  ,    mon  illufîre  &  in- 

„  comparable  Bretonne,  de  faire  occuper  une 

-^^■place  honorable  à  votre  Ode    dans  le  I"^. 

•y,  rvolume  de  Juin  ;  mais  elle  eft  aftuellemens 

-„  iînprimèe  à  la  tête  du  fécond.     Je  fuis  au 

„  retîe  bien  loin  de  blâmer  votre  fenfibilité 

„  fur  cet  Ouvrage;  &  fe  la  partage  au  point 

„  que  j'en  fuis  très  piqué  ,  &  que  s'il  ne  fal- 

„  loit  que  houspiller  vos  juges  fans  goût  & 

**  3  ,,  fans 


xxii         PREFACE. 

„  fans  probité,  que  mordre  ôc  égratigner, 
,,  vous  pouvez  hardiment  me  prendre  pour 
,,  votre  fécond.  .... 

,,  M.  Titon  du  Tiilet  mon  ami  &  l'ami  de 
„  tous  les  gens  de  Lettres ,  dont  le  caradèie 
j,  de  bonté  &  l'amour  pour  les  arts  font  fans 
,,  bornes,  m'a  chargé  d'une  Lettre  ci  jointe. 
„  Je  m'acquitte  de  fa  commiflîon  d'autant  plus 
5,  volontiers,  que  je  ne  crois  pas  que  vous 
,,  y  trouviez  rien  qui  ne  puifle  vous  plaire, 
j,  Je  fuis  très  refpedueufement  ce  de  toute 
„  mon  ame  ,  Mademoifelle ,  V^otre  &c. 

,.    ,  La  Roque. 

i\  s'en  falloit  bien  que  la  Lettre  de  M.  Ti- 
lon  du  Tiilet  eut  rien  de  defobligeant.  Elle 
étoit  au -contraire  pleine  de  témoignages 
d'eftime  ,  &  d'offres  de  fervices.  Il  ajouto.it 
oue  je  recevrois  inceffamment  fon  Parnafle  m 
folio  ,  qu'il  avoit  chargé  à  la  Meflagerie  de 
Nantes,  après  en  avoir  affranchi  le  port.  Je 
]e  remerciai ,  comme  je  le  devois ,  dans  la 
ïéponfe  que  je  lui  fis  fous  le  nom  de  Mlle,  de 
Malcrais.  Il  eft  le  feul,  quoiqu'ait  avancé 
M.  de  Voltaire  dans  fa  note,  à  qui  j'aye  é- 
crit  fous  ce  nom  dire<flement ,  à  l'exception 
de  l'Auteur  du  Mercure,  dont- mon  unique 
&  premier  deffein  avoit  éié  de  me  venger,  en 
;  me  travefliflant  fqus  j'enveloppe  d'un  autre 
Sexe.  ,    .   '      ■  - 

Je  reçus  une  féconde  Lettre  de  M.  Titon. 
Son  efprit ,  fa  candeur,  fon  amabilité  m'en- 
gagèrent à  lui  révékr  mon  fécret.  La  vérité  de 

cœur 


PREFACE.        xxnr 

cœur  qu'il  retrouva  dans  mes  Lettres, lui  plut. 
Il  m'en  aima  d'avantage,  &  me  demanda  la 
raifon  qui  m'empêchoit  de  venir  à  Paris ,  le 
l'éjour  des  mufes  &  des  talêns.  Je  lui  répon- 
dis avec  la  franchi  fe,  dont  ie  ne  me  fuis  ja- 
mais départi ,  que  mes  facultés  trop  bornées 
ne  me  permettoient  pas  de  faire  cette  dépen- 
fe  voluptueufe ,  &  de  fatisfaire  l'envie  que 
j'avois  de  le  voir  &  de  le  connoître  pcrfon- 
nellement.  il  me  repondit  avec  cette  gêné, 
rofité,  dont  il  a  donné  tant  de  preuves,  que 
je  n'avois  qu'à  me  rendre  à  Paris,  fans  m'eni- 
barrafler  du  refte,  qu'il  m'ofFroit  fa  maifon, 
que  nous  vivrions  enfemble,  que  fes  Domef- 
tiques  feroient  les  miens,  &  qu'il  me  produi- 
roit  dans  la  bonne  Compagnie,  auffi  tôt  que 
je  ferois  arrivé.  Je  n'avois  garde  de  réfifter^ 
des  propofitions,  que  l'eflime  &  le  cœur  a- 
voient  diftées.  Je  pris  la  MelTagerie  à  Nan- 
tes, d'où  je  l'informai  du  joiu-,  que  je  de- 
vois  arriver  à  Paris.  J'y  trouvai  dans  le  lieu 
où  defcend  le  Meflager,  fon  valet  de  cham- 
bre qui  m'attendoit  avec  un  caroffe.  Je  fus 
donc  conduit  chez  mon  ami,  je  devois  dire 
mon  Père  ;  puifqu'il  me  régénéra  dans  fon 
fein  par  fa  tendre  amitié,  fes  feges  infiruc- 
tions  ,  fes  complaifances  affidues  pour  quel- 
qu'un, qui  pétillant  de  fa  vivacité  Bretonne, 
-n'avoit  ni  cet  air  prévenant,  ni  cette  poli- 
telFe  façonnée ,  dont  on  ne  fait  l'apprentiirage 
•qu'à  Paris. 

Nous  allâmes  faire  vifite  enfemble  à  M.  de 
Voltaire,  H  fut  à  l'abord  étonné  de  cette  ap- 
-'■  »*  4  pa- 


XXIV         PREFACE. 

parition.  Mais  revenu  de  fn  furprifé.il  m'ac- 
cueillit avec  gaité  ;  &  m'honora  d'autant  de 
marques  d'eliime  &  de  confidération  ,  que 
j'en  pouvois  attendre  du  plus  bel  efpritdc  l'Iiu- 
•rope.  11  plailanta  lui-même  fur  fon  erreur 
amoureufe,  avec  cette  grâce  &  cette  légèreté, 
qui  paflent  de  fes  écrits  lumineux  dans  fa  con- 
vcrfation  agréable,  fçavante  &  variée.  Il  me 
dit  môme  que  fans  s'égarer  dans  le  formofum 
pajior  Coridon ,  fa  tendrelTe  pour  moi  alloit  fe 
changer  en  amitié. 

Ma  métamorphofe,  dont  le  fecrct  n'étoît 
point  encore  publiquement  dév'oilé,  occafion- 
nz  plufieurs  fcènes.  On  en  trouve  quelques 
unes  dans  le  Xe.  Volume  des  ylmtijemens  du 
Cœur  ^  de  VEfprït.  Je  me  contenterai  d'en 
rapporter  une  à  caufe  de  la  fingularité  du  fait, 
tel  à  peu  près  qu'il  eft  imprimé  dans  le  vo- 
lume que  je  viens  de  citer. 

Mon  Frère  avoit  un  procès  au  parlement 
de  Bourdeaux  contre  des  armateurs  deBayon- 
ne,  dont  il  avoit  commandé  le  vailTeau  pour 
Ja  code  d'Afrique.  Il  m'écrivit  de  la  capitale 
de  Guyenne,  que,  quelque  jufle  que  fut  fon 
affaire ,  il  courroit  rifque  de  fuçcomber ,  fi 
fon  bon  droit  n'étoit  point  etayé  de  quelque 
protedtion,  M.  Titon  du  Tillet,  &  le  Père 
Brumoy  notre  ami  commun ,  me  préfentérent 
au  Père  Cartel.  Ce  célèbre  Mathématicien, 
cet  Auteur  ingénieux  du  clavecin  des  cou- 
leurs, connoiflbit  particulièrement  M.  de  Mon- 
tefquieu ,  Préfident  au  Parlement  de  Bourdeaux. 
Il  me  donna  une  Lettre  pour  lui.    Ce  Sça- 

vant 


PREFACE.  sxv 

vnnt  du  premier  ordre, ce  Génie  profond,  a» 
gréable  &  délicat,   ce  Legiflateur  immortel, 
•  dont- le   code  iramenfe  en  peu  d'efpace,   û 
l'efprit  de  fes  Loix  étoit  écouté,  formeroit 
du  monde  entier  une  République  plus   pofG- 
ble  &  mieux  difpoféeque  ctlle  de  Platen;  en 
un  mot,  M.  le  Prefident  de  Montefquieu,  me 
fit  une  très  joyeufe  &  très  honnête  réception. 
Il  me  fit  prêtent,   pourgnge  de  fon  amitié, 
d'un  exemplaire  de  fes  Confidéraiions  fur  les 
caufes  de  la  grandeur  des  Romains  &  de  leur 
décadence.     Le  Père  Cartel  m'avoit  aufli  don- 
né des  Lettres  pour  Mrs.  Beléc  Melun,  Con- 
feillers  au  même  Parlement  ,    &    renommés 
l'un  à  l'autre  par  des  Ouvrages  de  Politique 
&  de  Littérature.    Ces  trois  ÏUufbes  me  don- 
nèrent pour  le  Parlement  deBourdeaux,  tou- 
tes les  Lettres  de  reconimandition  qui  m'é- 
toient  néceflaires.    Elles   furent  fuivies  d'un 
fuccès  aufiî  favorable  ,  qu'il  étoit  dû  à  la  jufti- 
ce  de  la  caufe  pour  laquelle  ils  s'étoient  inter- 
reiïés.    Le  haznrd  quelques  jours  enfuite,  me 
condulfit  au  Caffé  de  Gradat,  à  la  defcentcdii 
Pontneuf.  J'y  rencontrai  M.  Melun.  J'appro- 
chai de  lui.    Je  lui  parlai  à  l'oreille.    11   me 
demanda,  fi  je  voulois  qu'il  m'annonçât  fous 
mon  nom  de  fille.    Ménagez  ma  cornette  , 
lui   repondis  -  je.    La  déclaration    que  vous 
voulez  faire,  pourroit  nuire  à  mon   étabUlfe- 
ment  dans  le  monde.    Quelque  prière  que  je 
lui  fis ,  il  me  nomma  pour  Mlle,  de  Malcrais. 
Cette  manière  de  me  démasquer,  me  décou- 
**  S  cer 


xxyi         PREFACE. 

-eerta.    Je  pris  la  fuite  &  je  fus  à  peine  re- 
marqué. 

Comme  il  badina ,  &  qu'il  eut  la  précau- 
tion de  ne  point  avouer  francliement  qui  j*é- 
tois;  le  bruit  courut  bientôt  que  Mlle,  de 
Malcrais  étoit  à  Paris,  fous  un  habit  d'hom- 
,,me.    On  régala  de  cette  nouvelle  M.  Hérault 
Lieutenant  Général  de  Police,  dont  la  fagef- 
fe  &  la  vigilance  faifoient  régner  le  bon  or- 
dre dins  la  capitale.    On  lui  dit  que  j'étois 
■une  jeune  fille  que  le  goût  du  plaifir  &  de  l'é- 
bat  avoit  éloigné  de  la  niaifon  paternelle ,  ha- 
billée en  homme,  pour  fe  livrer  fans  gêne  à 
.,fon  inclination  pour  le  libertinage.    C'en  fut 
affés  pour  allarmer  l'humeur  fcrupuleufe   de 
M.  Hérault.  Il  ne  parloît  de  rien  moins,  que 
d'envoyer  prendre  Mlle,  de  Malcrais  par  un 
CommilTaire   &  par  lés  eftafiers  chez  M.  Ti 
ton  du  Tillet,  qui  en  fa  qualité  d'hôte  bien- 
faifant,devoit  fans  doute  avoir  cueilli  les  pi4- 
mices  de  fes  faveurs  parifienncs  6tc. 

J  i  ►;    .  .     '  ■  ■   ■ 

liC  Fort  l'EvêqUe  étoit  la  trifte  réfidence, 
•  O"        l'Etroit,  le  terrible  Couvent, 
-Çîi  Malcrais  à  l'abri  du  Soleil  &  du  Vent , 

Devoit  leiler  en  pe'nitence. 
Po'ur  avoir  eu  le  cœur  trop  fènfible  &  tenté 

De  goûter  par  cxpéiience 

Les  douceurs  de  la  volupté. 

Là  fous  la  garde  d'un  Cerbère 
^Bootla  gueule  en  vaut  trois ,  quand  elle  eft  en  colère 

Jxa 


PREFACE.       xxvic 

Piatiqucr  nuit  &  jour  &  la  dure  aufteritc 

D'une  abftinence  involontaire, 
Manger  dans  la  langueur  &  dans  l'obfcuntc',. 

Du  pain  fec  arrofe'  d'eau  claire. 

En  pleurant  fa  virginité. 

J'avois   diné  le  jour    précèdent  chez  M. 
Fraiilt  Père,  Libraire  fur  le  Qiiay  de  Gêvres 
avec  une  demie  douzaine  de  Mrs.  les  Beaux- 
efprits   du  nombre  defquels  étoient  Mrs.  de 
Boilly,  Gueulette,   Eeauchamps  &c.  On  les 
nomma  à   M.  Hérault.     Il  crut  que  tous  a- 
voient  tiré  parti  de  l'avanture.    M.  de  Beau- 
champs,  auteur  de  l'Hifloire  des  Théâtres  & 
de  quelques  Comédies  qiii  ont  eu  du  fuccès, 
deuoit  la  douceur  de  la  vie  à    fa  traduftiort 
en   vers  de  quelques  Lettres  d'Héloïfe  Ôf^'A- 
baillart.    Elle  plut  à  M.  de  Barcos  ,   qui  le 
plaça  auprès  de  M.  le  Maréchal  de  Villeroi. 
Peauchamps  étoit  fort  connu  de  M.  le  Lieu- 
tenant Général  de  Police,  qui  l'envoya  cher- 
cher pour  s'aflurer  de  la  vérité  de  mon  féxe. 
11  fe  rendit  à  Tes  ordres,  &  lui  protefla,  que 
bien  loin  de  reflembler  à  une  fille,  je  portois 
au  bas  du  vifage  une  livrée  mâle,  qui  dévoie 
me  comprendre  dans  la  régie  de  Je^n  Defpau* 
tere,   omne  viro  joli  ^c.    Mr.   Hérault  s'en 
rapporta  à  fa  dépofition ,  &  la  Comédie  finit 
fans  dénouement. 

On  me  demandera  peut-être  les   motifs, 

qui  m'engagèrent  à  faire  imprimer  le  premier 

Recueil  de  mes  Poëfîes,  fous  le  nom  deMlle.de 

Malciais  de  la  Vigne  ;  c'étoit  par  le*  confeils  de 

**  (5  mes^ 


xxviii       PREFACE 

mes  amis.  Us  m'objeflerent  qu'il  ne  convenoit 
pas  de  faire  dirparoîtrefibrufquement  aux  yeux 
du  Public  une  chimère  ,  dont  il  s'étoit  agréa- 
blement amufé  ,  que  ma  fidion  ne  faifoit  tort 
à  perfonne ,  6:  qu'enfin , 

Quand  la  légère  Dangeville 
Joignant  avec  facilité, 
Les  grâces  d'Adonis  à  fa  vivacité  » 
Ravit  fur  le  théâtre  &  la  cour  &  la  ville 
Sous  l'habit  emprunté  d'un  jeune  chevalier: 
Le  public  fe  plaint  il ,  que  la  métamorphofe 
Ait  en  foi  même  quelque  chofc 
De  rebutant,  d'irrégulier ? 
Ce  fin  déguifement  lui  plait,  &  l'interefTè  , 
lîu  denoument  prochain,  jufqu'au  bout  occupé  , 
Et  la  pièce  finie;  il  approuve  l'adrefTe  , 
Avec  laquelle  on  l'a  trompé. 

Je  me  rappelle  une  nutre  avanture  omife 
dans  le  volume  dont  j'ay  parlé  ,  6i  pour  le 
moins  aufli  comique,  que  celle  qui  commença 
au  CafFé  de  Gradot, 

Je  fus  invité  avec  M.  Titon  du  Tillet  à  fou- 
per  chez  M.  le  Févre,  Intendant  des  menus 
plaifirs  de  la  Reine.  C'ctoit  un  vieux  garçon, 
qui  dans  un  agréable  célibat  ,  jouifToit  au 
moins  de  foixante  mille  livres  de  rente.  Un 
Capitaine  de  Dragons ,  chevalier  de  St.  Louis 
devoit  être  du  foupé  ,  on  lui  avoit  promis  de 
lui  faire  connoître  ]\îlle,  de  Malcrais,  j'arri- 
vai avant  lui.  Mlle,  de  B**.  fille  fort  aima- 
ble, &  parfaite  dans  l'art  de  toucher  Je  clavef- 

fin  , 


P    R    E    F    A    C    e;  rsiï 

fin,  demeuroit  chez  M.  le  F^vre.  Ellemepro* 
pofa  pour  rendre  la  fcéne  complette ,  de  me 
donner  un  de  Tes  habits.  Ce  fut  elle  même 
qui  fit  ma  toilette  avec  toute  l'élégance  &  la 
linefle  qu'on  employé  pour  plaire  ;  le  rouge  & 
les  mouches  ne  furent  point  oubliés,  &  mes 
appas  écoient  fous  les  armes ,  quand  le  raiU> 
•taire  parut.  Son  premier  foin  en  entrant  fut  de 
promener  fes  regards  fur  toute  la  compagnie 
qu'il  falua.  Ils  s'arrêtèrent  fur  fa  belle  incon- 
nue, &  pour  fixer  ce  qui  lui  reftoit  d'incertitu- 
de ,  on  fe  prit  à  chanter  en  Chorus  cet  en- 
droit d'un  des  chef  d'œuvres  de  Quinaut  &  de 
Lully. 

Armide  cft  encor  pliisaitxiable. 
Qu'elle  n'eft  redoutable  &c. 

Cet  Officier  s'approcha  de  moi  d'un  air  ga- 
lant &  refpeflueux  ,  il  me  demanda  fi  la  vie  de 
Paris  étoit  plus  de  mon  goût  ,  que  celle  de 
Province;  il  me  conta  mille  tendres  fleurettes, 
me  dit  que  ma  réputation,  la  beauté  de  mon 
efprit ,  les  grâces  de  ma  figure  dévoient  m'a- 
voir  fait  bien  des  amans  ,  &  me  pria  avec  in- 
llances  de  lui  accorder  le  privilège  de  venir 
■auflî  me  faire  fa  cour.  Je  lui  repondis  qu'étant 
la  pupille  de  M.  Titon  du  Tillet  je  ne  devois 
avoir  d'autre  volonté  que  la  fienne.  Alors  il 
fe  tourna  du  côté  de  mon  tuteur  qui  fit  d'a- 
bord le  diiBcile.  Il  lui  rcpréîenta  combien  de 
ménagemens  exige  la  réputation  d'une  filte 
bien  née;  que  c'eft  une  fleur  délicate  &  brillan- 
:  .■  1  **  7  te. 


3ntx  PREFACE. 

te  ,  que  le  foufle  malin  d'un  homme  a  fouveiit 
ternie  pour  toujours.    Cependant  il  fe  lendit  à 
Tes  proteftacions  pathétiques ,   en  lui  difant 
qu'il  feroit  charmé  que  cette  occafîon  lui  pro- 
curât à  lui  même  le  plaifir  de  le  voir  quelque- 
fois chez  lui.  Les  douceurs  du  Capitaine conti- 
nuoient  encore  au  deflert  ;  quand  après  avoir 
longtemps  ri  fous  cape  ,  on  ne  put  s'empêcher 
d'éclater.    Il  fe  défia  de  la  tromperie  ;  &  re- 
gardant l'infante  parnaiîique  avec  plus  d'atten- 
tion ,    il  s'apperçut  que  fon  menton  quoique 
fraichement  dépouillé  de  fon  annonce  mafcu- 
line  ,  en  laiflbit  voir  dans  fon  efpace  rembru- 
ni ,    quelques  indices ,    qui   n'appartenoient 
point  au  fexe  dont  elle  avoit  arboré  le  pavil- 
lon.   Mlle,  de  Mâlcrais ,    dit- il,  a  bien  de 
l'air  d'un  joli  Dragon  que  j'ai  ^ns  ma  com- 
pagnie :   à  ces  mots  les  ris  redoublèrent ,  Ci 
comme  il  pïit  la  chofe  en  galant  honllne, 
ainfi  que  notre   Virgile  l'eût   dû  faire  avec 
moins  d'humeur  qu'il  n'en  paroît  dans  fa  note 
chagrine,  le  fouper  fe  prolongea  lîgaimcnt , 
que  nous  demeurâmes  à  table  jufqu'à    deux 
heures  du  matin.    Après  avoir  paflé  quatorze 
ou  quinze  mois  fort  agréablement  à  Paris;  je 
me  fis  fcrupule  d'importuner  fi  long  temps  M. 
Titon  du  Tillet ,  &  je  quittai  mon  cher  bien- 
faiteur malgré  les  inllances  qu'il  me  fit  pour 
m'arrêter  ,    &   le  plaifir  que  j'aurois  eu  d"y 
confentir.  Je  partis  pour  la  Province  du  Foreft 
en  rêvant  au  confeil  que  le  fage  M.  de  Vol- 
taire m'avoit  donné  dans  ma  première  jeuneflfe, 
JrJfKÔ  viveri,  deinde  philofopbari. 

Mont- 


PREFACE.  xxxt 

Montbrifon  devoit  être  le  lieu  de  ma  réfi- 
dence;  &  j'allois  y  remplir  une  occupation  u- 
tile  à  la  vérité  ,    mcris  embarraflante  ,  &  peu 
compatible  avec  le  badinage  des  mufes.    Le 
Lignon  arrofe  cette  belle  contrée  de  fon  onde 
tranfparente  &  poiffonneufe.    Les  arbres  en* 
trelaffés  d'une  rive  à  l'autre ,  y  forment  un  riant 
berceau  ,    qui  s'élève  fur  la  croupe  des  mon- 
tagnes ,  &  qui  fe  précipitant  du  haut  des  col- 
lines ,  ferpente  à  travers  l'émail  des  prairies  , 
que  la  nayade  de  cette  rivière  embtllit  &  ferti- 
life.    Le  Roman  de  l'Aftrée  étoit  la  carte  du 
pays ,    qui  m'accompagnoit  dans  mes  courfes. 
Je  vis  la  maifon  du  Druide  Adamas  ,  la  mon- 
tagne où  fut  jadis  la  grande  ville  de  Marfilly  j 
dont  le  fiége  renommé  par  d'incroyables  faitfe 
d'armes,  ne  coûta  pas  moins  de  travaux  &  <te 
fatigues  ,  que  le  fiege  de  Troj'e.    11  ne  refte 
plus  de  tant  de  grandeur  &  de  puifTance  ,   qtie 
la  maifon  du  receveur  des  Tailles  de  Montbri- 
fon ,    qui  s'élève  entre  quelques  cabanes  cou^i 
vertes  de  chaume  &  de  rafeaux.    Ma  curiofité 
fe  devoit  fur- tout  au  château  de  la  Baftie,  la 
principale  demeure  des  Seigneurs  de  la  maifon 
d'Urfé.     J'y  vis  la  fontaine  enchantée  ;   l'en- 
droit où  Céladon  parut  aux  yeux  d'Aftrée  dans 
l'appareil   de  nature  ,  plus  magnifique  que  la 
broderie  &  le  brocard;  &  Venus  en  étoit  bien 
perfuadée  ,   quand  elle  s'offrit  avec  cette  pré» 
cieufe  (implicite  aux  regards  du  Berger,  qui 
lui  adjugea  la  viftoire  fur  fes  deux  rivales.  On 
me  conta  qu'un  Prélat  de  cette  maifon,  avoit 
fait  enlever  du  château  plufieurs  Hatues  de 

marbre 


xx3ir         PREFACE. 

tnarbre  &  de  bronze ,  après  qu'elles  eurent 
.été  mutilées  par  Ton  ordre  ;  parce  que  pour 
.  être  belles ,  elles  n'attendoient  pas  la  chute 
des  feuilles.  On  me  fit  remarquer  aufîi  fur  le 
faite  du  bâtiment,  la  ftatue  en  bronze  de  Cé- 
ladon ,  majeftueufement  armée,  malgré  le  re- 
proche d'infufBfance  que  la  tradition  ofe  lui 
faire. 

Ce  pays  natal  des  grâces  &  des  amours,  ce 
fejour  enchanté  où  les  Bergères  n'ont  rien 
.perdu  des  agrémens,  &  de  la  légère  vivacité, 
qu'elles  avoient  fous  lerégned'Allrée,  deman- 
doit  de  moi  quelques  grains  d'encens  ,  en 
l'honneLir  du  Dieu  que  d'Urfé  célébra  dans  fes 
chroniques  amoureufes.  J'y  fis  donc  quel- 
ques chanfons  galantes,  qui  parurent  dans  le 
Mercure  fous  le  nom  d'une  Nimpbe  de  la  mer 
métamorphojée  en  Berger  du  Pays  d'^Jîrée.  Ce 
nomm'avoit  plû.parceque  je  le  tenois  de  M. 
de  Voltaire  ,  qui  me  l'avoit  donné  dans  cette 
Lettre  qu'il  m'écrivit  de  Vafly  en  Champagne. 

à  Vajfy  en  Champagne  ce  23  Juillet. 

„   Dona  puer /olvh  f  ^u£ /«mina  voverat  Iphis- 

,,  Votre  changement  de  fexc,  Monfieur  ,  n'a 
„  rien  altéré  de  mon  eftime  pour  vous.  La 
„  phifanterie  que  vous  avez  faite,  eft  un  des 
„  bons  tours  ,  dont  on  fe  foit  avifé  ;  &  cela 
„  fcul  feroit  auprès  de  moi  un  grand  mérite. 
„  Mais  vous  en  avez  d'autres,  que  celui  d'at- 
„  îrapper  le  monde.  Vous  avez  celui  de  plaire 

M  foit 


PREFACE.        xxxiri 

,,  foit  en  homme  ,  foit  en  femme.  Vous  êtes 
„  actuellement  fur  les  bords  du  Lignon,  &àc 
„  Nimphe  de  la  mer,  vous  voilà  devenu  ber- 
j,  ger  d'Aftrée.  Si  ce  pays  là  vous  infpire 
,,  quelques  vers  ,  je  vous  prie  de  m'en  fairs 
„  part  ;  pour  moi  j'ai  un  peu  abandonné  la 
„  poëfie  dans  la  campagne  où  je  fuis. 

,,  Non  eadem  ejl  £tas ,  non  vis. 
,,  Olim  poteram  eantando  ducere  no&es. 

„  Mais  à  préfent  je  fonge  à  vivre. 

„  Quûd  verum  at'jue  decens  euro  y  (yrogty  Çyemr.ts^H 
hoe  Jum, 

:  „  Un  peu  de  philofophie  ,  l'hiftoire  ,  la 
converfation ,  partagent  mes  jours. 

,>  DuM  fsUicta  jucunda  oblivîa  vît*, 

„  Cette  vie  fera  plus  heureufe  encore ,  fi 
„  vous  me  donnez  part  des  fruits  de  votre 
„  loifir.  Je  fuis  fâché  que  la  Champagne  foit 
^,  fi  loin  du  Lignon,  Mais  c'efl  véritablement 
„  vivre  enfemble  ,  que  de  fe  communiquer 
„  les  produdlions  de  fon  efprit ,  &  les  fenti* 
,,  mens  de  fon  ame     Je  fuis  &c.  Voltaire. 

,,  P.  S.  J'ai  reçu  votre  lettre  fort  tard  après 
,,  un  voyage  en  Lornàne, 

Mon  féjour  dans  le  Foret  fut  d'environ  trois 
années  La  fociété  des  plus  aimables  femmes, 
qui  foient  au  refte  du   monde  ,    le  caraftere 

hon- 


XXXIV         PREFACE. 

honnête  ,  le  commerce  facile  des  citoyens  de 
Montbrifon  ,  y  corrigeoient  le  dégoût  de  mes 
occupations  tumultueufes.  Elles  ceflerent, 
quand  la  paix  de  retour  me  donna  mon  con- 
gé ,  &  me  renvoya  dans  ma  Patrie.  Je  devois 
m'embarquer  fur  la  Loire  ,  &  je  promis 
une  relation  de  mon  voyage  à  M.  le  Coratie  de 
Rivarol  Maréchal  de  Camp  ,  avec  lequel  j'é- 
tois  extrêmement  lié.  Auiîitôt  que  .l'ennui  de 
la  VilLe  commençait  à  me  gagner ,  je  courrois 
diflîper  avec  lui  ma  mélancolie  dans  fon  châ- 
teau ,  tranfporté  par  art  de  féerie  fur  le  lonsmet 
d'une  montagne.  Là  ,  quand  la  nége  6c  la 
glace  difparues  permettoient  à  Flore  d'y  réta- 
blir fon  empire  ,  des  caifTes  d'orangers  fe  mê- 
Joient  alternativement  avec  des  caiffes  d'oeil- 
lèts,  quis'élevoient  fur  des  cannes  de  rofeaux 
au  delà  des  bornes ,  .  que  la  nature  leur  avoit 
prefcrites  ;  &  leurs  fuaves  odeurs  ,  qui  parfu- 
moient  le  lever  de  l'aurore  ,  me  retraçoient  la 
peinture  des  Ifles  fortunées.'  Je  viens  de 
m'appercevoir,  que  j'ai  lailTé  giifler  une  étour- 
derie  en  tranfcrivant  mon  voyage  adrelTé  à 
M.  de  Rivarol  ;  elle  fe  trouve  dans  la  ti- 
Tade  de  vers ,  où  fe  décris  la  vifite  que  je  Qfi 
au  Roi  d'Yvetot  »  qui  nous  montra  dans  le 
•fond  d'un  antique  plat  de  fayance  ,  qu'il  con.- 
fervoit  auffi  chèrement  ,  que  s'il  eut  été  de 
pur  or,  les  vrais  portraits,  difoit  il,  de  Céla- 
don &  d'Aflrée.  Or  j'ai  dit  dans  les  vers  in- 
diqués ci-defTus,  quelque  chofe  de  femme  & 
d'enfans  ,  quoique  je  ne  me  fois  marié  que 
plufieurs  années  après  avoir  écrit  ce  voyagé  ; 

mais 


PREFACE.         xxxy 

mais  comme  je  l'étois  quand  je  le  relus ,  j'a- 
joutai cinq  ou  fix  vers  fur  mon  état  préfent, 
fans  fonger  qu'il  s'agiflbit  de  mon  état  paffé, 
où  ne  me  fouciant  pas  de  me  reproduire  , 

Je  vivois  libre  &  fans  ennui. 
Sans  foin,  fans  defir  du  ménage; 

Et  m'e'tonne  que  Mariage  , 
Ce  bon  homme  qui  m'avoit  fui , 

Daigna  fonger  à  moi  volage. 
Qui  ne  fongeai  jamais  à  lui. 

Il  eu.  facile  de  s'appercevoir  que  ces  vers  ne 
font  qu'une  penfée  de  Régnier  le  fatirique^ 
tournée  fur  un  autre  fujet  &  différemment  ha- 
billée. Auflî  y  avoit-il  trois  bons  mois  quej'é- 
tois  engagé  dans  le  facré  bien  ,  fans  pouvoir 
me  le  perfuader  qu'en  certaines  rencontres  dé- 
cifîves.  S'il  m'arrivoit  par  cas  fortuit  de  dire 
ma  femme.  Je  demeurois  à  la  moitié  du  mot, 
Improvifum  a/pris  veltlti  qîdfentibus  ànguein  preffit 

'ifiifmi  nitens  ; 

Je  ne  doute  pas  que  mon  ami  M.  Néricaut 
Deftouches,  s'il  eût  eu  connoiflance  de  quel- 
ques unes  de  mes  folies  Ôc  de  mes  diftraétions,, 
n'en  eût  fait  ufage  dans  fon  Pbilojopfjie 
Marié.  '  ■-.-J.- 

Lz  compagnie  des  gens  de  lettres  que  i'Sr 
vois  connuf  à  Paris,  &  celle  de  tant  de  per- 
fonnes  aimables  des  deux  fexes ,  qui  fans  être 
■auteurs ,  ont  un  goût  infini  en  tout  genre  de 
littérature  ;  cette  fociété  que  je  ne  retrouvois 
plus ,  ne  tarda  point  à  jetter  de  l'ennui  fur 

.  .  ma 


xxxvi       P    R    E    F    A    CE". 

ma  folitude  natale.  M.  Titon  qui  s'en  apper- 
çut  dans  mes  lettres,  m'invita  à  venir  repren- 
dre chés  lui  mon  premier  domicile.  Mais  au 
bout  de  quelques  mois ,  il  fut  appelle  loin  de 
Paris,  pour  des  affaires  ;  &  j'allai  m'hébcrger 
h  rhotel  de  Brie.  Je  m'y  refTouvins  encore 
de  l'axiome  de  M.  de  Voltaire,  primo  vivere, 
deindè  philofopbari  ;  &  moi ,  qui  ne  fçus  jamais 
faire  ma  cour  aux  Grands  ,  parce  que  je  les 
crois  peut-être  trop  faits  comme  les  autres 
hommes,  je  m'attachai  à  l'un  d'eux,  &  je  me 
fiai  à  fes  promefîes , 

Prometteurs  ,   qui  font  luire  à  nos  yeux  refpérancCj 

Coquette  au  doux  regard  ,  brillante  à  peu  de  frais  , 

Dont  le  fouris  excite  à  la  perfévérance , 

Et  qui  n'atteint  prefque  jamais 

L'objet  léger  qui  la  devance, 

Quoiqu'un  la  cioye  tout  aupiès« 

A  force  de  courrir  après  cet  effet,  qui  ref- 
fembloit  auxphofphores,  tout  ce  que  j'y  gag- 
nai ,  fut  une  pleuréfie  ,  qui  me  porta  fur  le 
bord  du  tombeau,  &  dont  la  guérifon  me  coû- 
ta plus  de  cent  pilloles.  Mais  qu'efl  ce  que 
l'argent  au  prix  de  la  fanté,  qu'un  Roi,  que 
la  maladie  con Juit  à  fon  terme ,  acheteroit  de 
l'échange  de  fes  états  avec  la  place  &  la  fanté 
d'un  gros  &  gras  fubdelegué  d'Intendant; 
comme  le  Cardinal  du  Perron  difoit,  quand  il 
étoit  maiade  ,  qu'il  eût  troqué  fon  chapeau  & 
tous  fes  bénéfices  avec  la  fanté  du  Curé  de 
Bagnolet. 

La 


PREFACE.       xxxvit 

La  citation  que  j'ai  faite  de  l'embonpoint 
d'un  fubdélégue  ,  fur  tout  dans  les  villes  des 
Provinces,  où  l'on  pnye  la  taille,  me  remet 
en  mémoire  l'avanture  de  M.  de  M***.  Lieu- 
tenant Général  des  armées  du  Roi.  Il  étoit 
en  chemin  avec  un  feul  domeftique ,  quand 
ils  fe  trouvèrent  au  bord  d'une  petite  rivière, 
dont  le  gué  étoit  facile  en  été  ,  mais  il  étoit 
devenu  profond  tout  à  coup  par  l'abondance 
d'une  pluye  d'orage  ;  deforte  qu'alors  pour  le 
pafler  fnns  péril  ,  il  falloit  bien  connoître  l'é- 
troit fentier  qui  fe  cachoit  fous  l'eau.  Le  do- 
meftique  s'avança  le  premier,  M.  de  M***. 
le  fuivoit ,  mais  s'étant  un  peu  écarté  de  la 
route  qu'il  lui  traçoit  ,  il  tomba  dans  un 
creux  ;  &  le  courant  l'emportoit  avec  fon  che- 
val ,  qui  déjà  perdoit  haleine.  Le  domeftique 
n'ofoit  aller  à  fon  fecours.  Son  cheval  étoit 
chargé  de  la  valife-,  &  craignant  de  périr  avec 
fon  maître  il  fe  contentoit  de  crier  de  toute 
fa  force  à  des  payfans  ,  &  à  quelques  pe- 
fcheurs  qui  écoient  au  bord  de  la  rivière  dans 
leurs  fragiles  nacelles ,  fauvez  Mr.  de  M***. 
Lieutenant  Général  des  armées  du  Roi.  Tous 
fgifoient  la  fourde  oreille,  perfonne  ne  bran- 
loit  ;  lorfque  ]\îr,  de  M***  qui  avoit  l'ef- 
prit  préfent  même  dans  le  danger,  lui  dit;  eh, 
mon  ami  ,  crie  plutôt  fauvez  le  fubdélégue  de 
.Mgr.  l'Intendant.  Le  Domeftique  obéit,  &  fe 
mit  à  crier  tant  qu'il  put  quoique  d'une  voix 
tremblante  ,  fauvez  ,  Jauvez  le  fubdélégue  de 
Mgr.  l' Intendant.  A  ces  mots  les  pefcheurs  fe 
■faiSûent  de  leurs  rames  ,  les  bateaux  quittent 

le 


XXXVIII       PREFACE. 

le  rivage  ,  les  payfans  fe  jettent  dans  l'dau 
jufqu'à  la  gorge  ;  &  ils  s'expédièrent  fi  bien , 
&  avec  tant  de  promptitude  ,  qu'ils  tirèrent 
Mr.  de  M***,  &  fon  cheval,  du  naufrage. 

Celui  où  Mr.  Titon  du  Tillet  trouva  mes 
jours  expofés,  le  pénétra  de  l'affliftion  la  plus 
fenfible.  Il  n'en  laiflbit  point  échaper  ua 
feul ,  fans  pafler  avec  fon  cher. malade  deui 
ou  trois  heures.  Souvent  il  mangea  debout 
un  peu  de  pain  &  de  viande  froide ,  pour  don- 
ner à  fes  domeftiques  tout  le  temps  de  me 
fuivre  ,  &  de  me  fecourir  dans  le  danger, 
qu'il  craignoit  comme  pour  lui  même. 

Dés  que  mes  humeurs  commencèrent  à  ren- 
trer dans  l'équilibre,  il  me  fit  trànfporter  dans 
fa  maifon. 

Ghet  Titon,  ô  belle-ame!  ô  cœiu  noble  8c  fîncète! 

Grand  homme ,  vraiment  homme ,  &  le  dofte  Voltaiie 

Sans  doute  en  ce  fens  l'entendit 

Dans  fa  fiere  note ,  qui  mit 

Tout  notre  Parnaflè  en  colère , 

Que  fon  air  dédaigneux  avec  raifon  furprit. 

Oui,  cher  Titon,  que  j'aime,  &  que  malgré  la  Parque 

Confervant  en  tous  lieux  ton  fouvenir  vainqueur. 

J'aimerai,   quand  mon  ombre  aura  pafle  la  barque. 

.   On  conte,  que  le  Ciel  ayant  formé  ton  cœur. 

Jaloux  de  fon  ouvrage  il  en  brifa  le  moule , 
Craignant  qu'à  tes  pareils  tous  les  autres  Mortels 

Ne  vinflent  préfenter  en  foule. 
L'encens  dont  le  parfum ,  n'e  ft  du  qu'à  fes  autels. 

J'ai  toujours  admiré  cette  fîmpathie,  que 

pro 


PREFACE.       XXXIX 

produit  entre  les  hommes  dans  les  pays  les 
plus  éloignés  ,  le  hazard  qui  les  fit  naître  non 
feulement  dans  la  même  ville,  mais  encore 
dans  la  même  province  ,  &  dans  le  même 
Royaume,  Deux  perfonnes  qui  fe  faluoient  à 
peine  dans  leur  patrie ,  fe  rencontrent  elles  à 
cent  lieues ,  elles  fe  recherchent  &  s'unîflenc 
d'une  amitié  qui  n'eût  jamais  pris  entre  elles 
dans  leur  ville  ;  &  cette  inclination  ne  fe  ma- 
nifefte  pas  feulement  enQ-e  les  hommes  du 
même  rang,  elle  opère  encore  malgré  l'inéga- 
lité des  conditions.  Auiîi  n'eil  il  perfonne, 
ce  me  femble,  pour  peu  qu'il  ait  voyagé,  qui 
n'ait  remarqué,  que  l'air,  la  manière,  la  cou- 
tume, l'accent,  l'habit,  la  diverficé  de  lan- 
gue &  de  religion  font  paroître  une  nation  à 
une  autre  d'une  efpéce  difFerente,  à  peu, près 
comme  les  chardonnerets  &  les  fauvettes  peu- 
vent le  paroître  aux  linottes  &  aux  pinçons, 
par  la  différence  du  chant  &  du  plumage* 
C'efl:  pourquoi  on  doit  en  cela,  comme  en  tou- 
te chofe ,  adorer  la  fagefle  &  la  providence  du 
Créateur ,  qui  voulut  que  le  fenciment  ,  que 
la  patrie  imprime  dans  Le  cœur  humain ,  re- 
doublât de  force  dans  l'éloignement,  &  qu'un 
homme  ,  qui  périroit  peut  être  dans  l'aban» 
don ,  retrouvât  au  bout  du  monde  un  pa- 
triote pour  l'accueillir,  le  protéger,  le  fecou- 
rir ,  &  quelque  fois  même  le  faire  heureufe- 
ment  fortir  d'une  mauvaife  affaire ,  où  il  ne 
s'agit  de  rien  moins  que  de  fa  vie. 

C'efl:  ainfi  qu'une  idée  de  patrie,  me  fit  de» 
mander  au  commencement  de  ma  maladie; 

s'il 


xt  P    R    E,.F    A    C    E. 

s'il  n'y  a  voit  point  à  Paris  quelque  médecin 
Breton  ;  &  que  fur  ce  qu'on  m'eût  apris  que 
M.  Huniud  Profefleur  au  Jardin  Royal,  é- 
toit  de  Saint  Maîo  ville  de  Bretagne ,  je 
renvoyai  prier  à  l'Hôtel  de  Richelieu  ,  où 
il  demeuroit,  de  me  venir  voir.  Il  ne  différa 
point  de  Te  rendre  à  ma  requête.  Ma  fitua- 
tion  l'affligea,  &  il  conçut  pour  moi  une  telle 
afFeftion  ,  qu'il  ne  manquoit  jamais  ,  quei- 
qu'affairé  qu'il  fut ,  de  me  faire  deux  vifites 
par  jour.  Dès  que  fes  foins  m'eurent  tiré  de 
danger,  &  qu'il  me  fut  poffible  de  prendre  un 
peu  d'eflbr  ;  j'allai  à  l'Hôtel  de  Richelieu, 
pour  y  remercier  mon  libérateur.  Mais  le 
Suiffe  m'ayant  afluré  qu'il  étoit  abfent ,  je  le 
priai  de  me  donner  une  carte  ,  fur  la  quelle 
j'écrivl^is  les  vers  fuivans ,  qui  lui  furent  ren- 
dus 1 

Maillard  convalefcent,  à  Hunaud  qu'il  vient  voir, 

Pait  des  remercî mens  fans  nombre; 

Jeune  fit  dode  Efculape  ,  héhs.'fans  ton  fçavoir. 

Tu  ne  pourrois  aujourd'hui  recevoir. 

Que  la  vifîte  de  fon  ombre. 

J'y  retournai  quelques  jours  après  »  &  je 
k^ trouvai  dans  fa  chambre.  C'eft-là,  que 
nous  liâmes  une  amitié  fincère  &  durable.  Je 
voulus  le  payer  de  fes  peines  &  de  fes  atten- 
tions. Mçs  efpeccs  ne  lui  parurent  pas  de 
bon  aloi;  11  les  refufa  obftinément.  Cepen- 
dant je  laiffai  fur  fa  table ,  en  le  quittant ,  une 
petite  bourfe  ,   dans  la  quelle  il  y  avoit  dix. 

louis 


PREFACE.  xu 

louis  d'or,  il  s'en  apperçût,connit  après  moi, 
nie  força  de  les  reprendre ,  &  me  die  en  m<; 
faifant  les  reproches  les  plus  obligeans  du 
moudev  qu'il  étoic  plus  que  fatisfait  davoir 
reniu  fervice  à  deux  compatriotes  à  la  fois,  à 
M.  de  Forges  &  à  Mlle  de  Malcrais;  11  ajou- 
ta qu'il  avoit  des  amis  utiles  &  qu'il  m'ofFroit 
tout  Ton  crédit  auprès  d'eux. 

Il  étuit  Médecin,  &  commenHil  ,  û  je  ne 
me  trompe,  de  Mr.  le  Duc  de  Richelieu,  ce 
héros  que  le  Mirthe  &  le  laurier  couronnent,- 
aufTi  charmant  avec  la  lire  d'Anacréon ,  que 
redoutable  avec  l'epée  du  Dieu  Mars ,  célèbre 
par  les  exploits  les  plus  brillans,  &  récem- 
ment par  la  prife  de  cette  fortereOe,  qui  peut- 
être  inacceflîbîe  à  toute  autre  valeur  que  la 
fienne,  conferveroit  encoie  fans  lui  le  titre 
d'inexpugnable,  que  la  nature  &  l'art  lui  a- 
voient  alTuré.  J'efpére  que  le  Lefteur  ne  def- 
approuvera  pas  le  léger  tribut  d'admiration , 
que  je  rends  fur  ma  route  à  ce  grand  Général. 

Mr.  Hunaud  étoit  doux  de  caraétére  ,  ha- 
bile dans  fon  art,  &  fon  efprit  étoit  orné. 
Mais  il  aimoit  trop  fes  plaifirs ,  &  pendant  qu'il 
ordonRoità  fes  malades  la  difette  &  le  régime, 
il  ne  faifoit  rien  de  ce  qui  étoit  nêceflairepour 
conferver  fa  foible  fanté.  Son  peu  de  ména- 
gement pour  lui-même,  l'enleva  au  public  & 
à  fes  amis,  à  la  fleur  de  fon  âge. 

Le  rare  defintéreflement  de  fon  ame  le  ren- 
doit^bien  différent  d'un  grand  nombre  de  Mrs. 
fes  confrér^.  A  peine  ont  ils  guéri  leurs  ma- 
des ,  qu'ils  donnent  la  fièvre  de  frayeur  par  les 

Zfiîn,  /.  ***  fom- 


xi.it  PREFACE. 

fommes  prodigieures  qu'ils  en  exigent,  defor- 
tc  que  ]es  convîiltTcens  peuvent  dire  avec 
Martial ,  qui  fut  glacé  par  toutes  les  mains 
froides  diis  Médecins}  qui  vinrent  lui  tater  le 
pouls, 

2iùn  habul  fehrlm  ,  Vontkcy  r.unc  habco. 

Le  mien  qui  voyoit  que  malgré  Tes  efforts, 
mn  fanté  ne  revenoit  qu'à  pas  lents,  me  con- 
fc^illa  d'aller  refpirer  l'air  natal  pour  la  réta- 
blir parfiitement.  J'étois  encore  û  foible  & 
Il  exténué,  que  je  pouvois  à  peine  monter 
dans  le  carofle.  Telle  étoit  à  peu  près  la  fi- 
jîure  du  Poëte,  avec  lequel  ma  refpeftable 
amie  feue  Madame  la  Comtefle  de  Verteillac 
fe  rencontra  par  hazard  en  voyage.  Je  tiens 
les  pariicularités  de  cette  rencontre  fingulière 
•de  la  bouche  même  de  cette  Dame,  qui  mé- 
rite une  place  honorable  parmi  les  perfonnes 
de  fon  fe}!0  ,  les  plus  didinguées  par  les  ta- 
lens  de  refprit.  Elle  avoit  plus;  un  cœur  ad- 
mirable, &  fon  éloge  n'a  été  que  légèrement 
ébauché  dans  le  Mercure. 

Madame  de  Verteillac  me  conta  que  des  cir- 
conftances  preflées  l'ayant  obligée  de  profiter 
fur  le  champ  d'une  voiture  publique,  elle  s'y 
trouva  en  compagnie  d'un  jeune  homme,  dont 
le  teint  jaune  &  amaigri  n'annonçoit  point 
une  fanté  parfaite.  II  lâcha  quelques  paroles 
après  un  long  filence,  &  la  fuite  de  fon  dif- 
cours  lui  fit  comprendre  ,  qu'il  fe  mêloit  de 
verlifier,  Elle  le  prefla  par  beaucoup  de  com- 

pli- 


PREFACE.        XLïu 

pllmens,  de  lui  faire  part  de  quelques-unes  de 
les  produ6tions.  Notre  Poëte  fe  fit  long-temps 
prier  ,  comme  il  arrive  à  tant  d'autres  qui 
fouvent  ont  plus  d'envie  de  les  réciter  &  de 
les  lire,  qu'on  n'en  a  de  les  entendre.  Mada> 
nie,  lui  dit  celui-ci,  je  vais  fous  le  fecret  (& 
vous  fçavez  combien  il  ell  indécent  à  un  gen- 
tilhomme de  fe  donner  pour  Auteur)  vous  ré- 
galer d'une  petite  pièce  de  vers  que  j'ai  com- 
pofée  moi-même  fur  ma  dernière  maladie  , 
c'eft  une  Epître  que  j'adrefle  à  une  femme  de 
qualité;  qui  s'y  connoît,  que  j'aime,  ÔC  qui 
me  fait  l'honneur  de  m'écouter; 

Dans  le  temps  de  la. vendange, 
Je  fus  prefque  vendange  , 
Et  mon  teint  couleur  d'Orange 
En  eft  encor  tout  changé. 

Madame  la  ComtefTe  de  Verteillac  ,  ne  put 
s'empêcher  de  rire  à  ce  début.  Elle  voulut 
s'en  excufer  fur  le  plaifir  que  lui  avoit  caufé 
fa  penfée  auflî  jolie  en  elle-même,  qu'elle  lui 
paroiffoit  élégamment  exprimée;  &  comme  el- 
le fçavoit  du  Latin,  Monfieur  ,  ajouta-t-elle 
vous  aviez  fans  doute  dans  l'efprit ,  quand 
vous  avez  rimé  un  exorde  fi  pathétique ,  ce 
bel  endroit  d'une  des  lamentations  du  Prophè- 
te Jérémie,  vindemîa  eos^ftcut  vmdemiajîi  me. 
Pour  moi  je  fuis  fort  étonnée  de  l'adrefleavec 
laquelle  vous  avez  raflemblé  tout  ritbos  &  le 
Fathos  en  fi  peu  de  paroles. 

Le  rimeur  demeura  déconcerté  par  cette 


\uv  PREFACE. 

érudition  ,  qu'il  ne  comprcnoit  guères  ,  & 
à  "laquelle  il  ne  s'actenJoit  pas,  fur -tout  de 
la  part  d'une  Dame:  Èc  ne  jugeant  pas  que 
fcs  lo,uanges  fuiTent  de  bonne  foi,  il  lui  ré. 
pondit  quelque  cbofe  d'affez  plat,  &  s'enve« 
îoppa  d'Aits  Ton  premier  filence,  qui  dura  pen- 
duii:  tout  le  refle  du  voyage. 

La  préoiction  de  Mr.  Hanaud  fe  vérifia.  Je 
ictïouvai  toute  ma  fanré  dans  ma  Patrie.  Une 
enviée  s'écoula  dans  cette  retraite: 

IpTs  cavî  falar.s  Agrum  tefludine  amoretUy 
L'ttore  d-:fertOy  dile&a  Lutetia  y  micum  ^ 
Te ,  ver.lente  die ,  if  ,  decsr.der.te  car.ebam. 

Je  m'éfoignai  encore  de  mes  Dieux  Péna- 
tes. Ma  defnnée  m'appclla  dans  une  Provin- 
ce.  où  je  devins  la  victime  de  la  plus  noire 
trahifon  qui  fut  au  monde,  de  la  part  d'un 
homme  .  qui  paroiflbit  m'airaer  comme  lui- 
même.  Cette  hvAe  avanture  répandit  un  fom- 
bre  nua;ie ,  qui  devoit  couvrir  toute  la  féré- 
nité  de  ma  vie,  &  je  vis  s'évanouïr  rapide- 
ment jufqu'à  ridée  même  de  la  tranquili- 
té  commode,  que  j'avois  fi  long-temps  atten- 
due. 

Cependant  l'amitié  de  M.  le  Marquis  deRo- 
bien  .  Préfident  à  Mortier  au  Parlement  de  Bre- 
tagne, de  l'Académie  de  Berlin,  vint  me  cher- 
cher dans  le  lieu  de  ma  naifiance  ,  où  j'é- 
tois  de  retour.  Il  me  propofa  de  partager  fa 
chaife  de  pofte,  &  de  faire  avec  lui  le  voyage 
de  Paris.  Cette  occafion  me  parut  trop  agréa- 
ble 


PREFACE.  XLV 

ble  pour  la  manquer.  Je  volai  en  arrivant 
dans  la  capitale ,  chez  mes  anciens  amis  Mrs. 
Titon  du  Tillet  &  Bonguer,  qui  furent  d'au- 
tant  plus  charmés  de  me  revoir,  qu'ils  ne  s'y 
étoîent  point  attendus.  Je  vifitai  mes  autres 
connoiitances.  J'en  fis  de  nouvelles,  &  fur- 
tout  celle  de  l'ingénieux  &  fçavant  M.Fréron  , 
Breton  comme  moi.  M.  le  Marquis  de  Ro- 
bien  fe  fit  une  fête  de  le  connoître.  11  l'invi- 
ta à  dîner,  &  je  puis  dire  que  ce  fut  un  des 
hommes  de  Lettres,  qui  eut  le  plus  de  part 
au  chagrin  que  je  relFentis  en  quittant  fi 
promptement  la  patr'e  des  Mufes  S:  des  Arts. 
Il  m'arriva  pendant  nôtre  féjour  qui  n'y  fut 
que  de  quatre  m.ois  ,  une  Scène  fi  comique 
en  fait  de  Littérature  ,  quelle  mérite  d'être 
confervée.  J'allai  voir  un  de  nos  plus  fa- 
meux Poètes  Tragiques.  Je  lui  dis  en  con- 
ver fan r,  avec  lui,  que  la  vie  turbulente,  à 
laquelle  j'avoiâ  été  invinciblement  ^ffujetti, 
ne  m'avoit  point  encore  permis  d'entrepren- 
dre des  ouvrages  de  longue  haleine,  que  ce- 
pendant j'avois  en>7ie  de  me  tourner  défor- 
mais du  côté  de  la  Tragédie.  Il  me  pria  en 
m'interrompant,  de  lui  dire  quel  âge  j'avois, 
comme  s'il  eût  été  queftion  de  m'unir  par  les 
nœuds  du  mariage  à  quelque  riche  héritière. 
Je  lui  répondis  que  j'achevois  mon  huitième 
ïuftre.  Oh,  oh,  me  dit-il,  à  quarante  ans 
commencer  à  faire  fa  cour  àlafougueufc  Mel- 
poméne,  c'efi:  s'y  prendre  de  beaucoup  trop 
tard.  Il  faut  pour  ce  travail  tout  le  feu,  & 
tout  le  nerf  de  l'efprit,  qui  s'elt  trop  ramoj- 

o  11, 


XLVi        PREFACE. 

li ,  quand  on  a  pafle  fon  printemps  de  fi  loin, 

Melpoméae  ScrAmoui;,  veulent  de  jeunes  gens. 

mais  exercez-vous  aux  comédies.  Il  ne  faut 
à  Thalie  que  du  gracieux,  du  léger,  du  plai- 
fant,  le  tout  finement  parfemé  d'.un  peu  de 
morale  travaillée,  &  je  vous  répons  du  fuccès. 
Je  crus  fcs  avis  de  bonne  foi.  Cependant  je 
jugeai  que  pour  ne  rien  faire  avec  trop  de 
précipitation,  je  ferois  bien  d'aller  confulter 
aufîî  un  célèbre  comique  avec  lequel  j'avofs 
eu  quelque  relation  de  littérature  &  d'ami- 
tié. Celui-ci  me  demanda  à  fon  tour  le  comp- 
te de  mon  âge.  Je  lui  avouai  a^c^lus  de 
facilité ,  que  je  n'eufle  fait  il  y  -«rquelques 
années ,  en  ma  qualité  de  ftUe ,  que  j'avois 
mes  quarante  ans  paiTés.  Il  n'eft  plus  temps, 
me  dit-il  d'un  ton  grave  &  décifif,  il  n'eft  plus 
temps  de  chercher  à  coquetter  avec  la  jeune, 
&  fringante  Thalie.  On  n'a  plus  à  vôtre  âge 
l'enjoûment  &  la  légèreté  nécelFaires  pour  ce 
genre  d'écrire.  Mais  choififlez  le  Tragique. 
Vos  odes  ont  de  la  force  &  de  l'élévation. 
Deux  ou  trois  belles  tirades  fuffifent  dans  une 
tragédie  pour  enlever  les  applaudifiemens  du 
Parterre. 

Ces  confeils  fi  dift'érens  de  part  &  d'autre,  à 
la  manière  des  confukations  de  panurge,  ne 
fervirent  qu'à  me  rendre  plus  indécis  ;  les  ef- 
fais  dramatiques  inférés  dans  ce  nouveau  re- 
cueil ,  ayant  été  'faits  dans  ma  jeunefle  ,  ainfi 
que  quelques  autres,  long-temps  avant  qu'il 

me 


PREFACE.        XLVjr 

me  vint  en  fantaifie  d'aller  confulter  mes  dcuK 
oracles.  Je  pouvois  toutefois  leur  répondre , 
qu'étant  plus  âgés  que  moi,  l'un  &  l'autre, 
l'obftacle  qu'ils  m'avoient  oppofé,  étoit  fans 
fondement.  Ils  m'auroient  répliqué  fans  dou- 
te, que  leur  efprit  ayant  plus  d'ufage,  dans 
le  genre  auquel  il  s'étoit  livré,  en  avoit  con- 
traéé  l'habitude  ;  à  quoi  j'aurois  pareillement 
répondu,  que  s'il  avoit  plus  d'ufage  il  étoit 
plus  ufé  &  qu'après  avoir  richement  doté  des 
filles  ainées ,  il  ne  reftoit  pas  très-fouvent  aux 
pères  de  quoi  établir  les  cadettes  avec  le  mê- 
me avant-ige.  En  efFet  \e  parierois,  que  fi 
Corneille  &  Defpreaux  écoient  en  étdt  de  dé- 
cider la  gageure,  ils  av'oûroient  que  ce  qui 
leur  coutoit  le  plus  dans  leurs  dernières  pro- 
ductions, c'étoit  la  peine  defe  fuir  eux-mêmes, 
pour  s'empêcher  de  paroître  leurs  propres 
imitateurs. 

Je  ne  voulus  point  partir  de  Paris ,  fans  al- 
ler demander  mon  audiance  de  congé  à  M. 
de  Voltaire.  Je  le  trouvai  dans  fon  cabinet. 
I  me  reçût,  comme  il  l'avoit  touiours  fait, 
îvec  les  marques  d'une  véritable  afFeftion.  II 
Tie  fit  des  offres  de  fervices,  &  m'affura  qu'il 
î.'omettroft  rien  de  tqut  ce  qu'il  pourroit  fai- 
rî  pour  m'obliger. 

Je  partis  le  lendemain  avec  M.  le  Marquis 
de  Robien  ;  &.  quelques  mois  après  mon  arri- 
vé? en  Bretagne  j'écrivis  à  Mr.  de  Voltaire, 
qu  m'honora  de  la  réponfe  qu'on  va  lire. 

,  Les  fréquentes  maladies  ,  dont  je  fuis 
"„  accablé,    Monfieur  ,   m'ont    empêché   de 


♦  *♦ 


4  5.  re- 


XLViii        PREFACE. 

,,  rc\noncire  plutôt  à  votre  profe  &  à  vos  vers. 
,,  M;.is  elles  ne  m'ôtcnt  rien  de  ma  fenfibilité 
,,  pour  tout  ce  qui  vous  regarde.  Je  nie  fou- 
,,  viens  toujours  des  coquetteries  de  Mile,  de 
5,  Malcrais  malgré  votre  barbe  &  h  mienne, 
',,  &  s'il  n'y  a  pas  moyen  de  vous  faire  des 
,,  déclarations,  je  cherche  celui  de  vous  rcn- 
,,  dre  fervice.  Je  compte  voir  cet  été  M.  le 
,,  Contiô'cur  Général.  Je  chercherai  mollia 
,,  fîindi  lemp  ra,&.  je  me  croirai  trop  heureux, 
,,  fi  je  puis  obtenir  quelque  chofe  du  Plutus 
j,  de  Veifailles,  en  faveur  de  l'Apollon  de  Brc- 
-rt.  tagine.  Pardonnez  à  un  pauvre  malade  de 
„'"ne  pouvoir  vom;  écrire  de  fa  main,  |e 
„  fuis  &c.  Voltaire. 

Je  ne  produis  ce  nouveau  titre,  qu'afln  de 
prouver  plus  clairement  la  fidélité  de  ces  mé- 
moires.   Je  ne  fuis  point  aifés  vain  pour  ne 
point  fentir,  qu'il  y  a  plus  de  compliment  & 
de  politeiTe,  que  de  vérité  dans  les  louanges, 
que  M.  de  Voltaire  me  prodigue.    Je  fçais  ê- 
tre  équitable  pour  moi   même;  &  je  connois 
en  me  les  appropriant,  le  tort  que  je  fero!s 
à  quantité  de   Gens  de  Lettres  de  cette  Pro- 
vince ,  dont  je  refpefte  la  fupériorité  de  l'ef 
prit,  &  le  mérite  de  l'érudition.    Mais  après 
de  telles  affurances  il  me  f^mble,  qu'il  ne  de- 
voft  pas  me  traitter  comme  un  inconnu  dans 
fa  note,  que  je  vais  rapporter  tou'e  entiéie. 
//  y  eût  un  homme  de  Bretagne  qui  s'avifn  d'écrù 
re  dus  Lettres  à  plufienrs  gens   d'ejh'h  de  Pars , 
fous  le  nom  d'une  femme.     Chacun  y  fut  attrapé, 
^  cette  méprife  attira  atte  réponfe. 

L'2- 


PREFACE.        XLix 

LTÎpître,  dont  il  s'agit,  efl  tronquée  dans 
ks Oeuvres  de  M.  de  Voltaire,  &  très-diffé- 
rente de  celle  qu'il  irt  mettre  lui  iwéaic  dans 
le  Mercure  de  Septeiiibre  1732.  Elic  fut  im- 
prin^ée  fur  ce  modèle  dans  le  recueil  des  poë- 
lies  de  Mlle,  de  N'alcrais  en  1735-.  Cette  Kpî- 
tre  dé  Mr..  de  Voltaire  étoit  effeftiveraent  une 
réponfe,  mais  â  quelques  vers  que  je  lui  avois 
adreflees  par  !a  voye  du  Mercure,  &  non  à 
une  feule  litine  que  je  lui  eulfe  direétcinent 
écrite  à  lui  même.  Ainfi  il  n'y  a  point  de  (in- 
cérité  dans  fon  npofîille. 

Les  louanges ,  que  je  lui  donnai  dans  cette 
occafion  ,  furent  l'cnet  d'un  renouât ilemenç 
d'eftime  ,  que  j'éprouvai  en  lifant  fon  hiftoi- 
re  de  Charles  XII.  mais  fans  attendre  de  lui, 
m  réponfe  ,  ni  préfent.  Mille  autres  avant 
moi  ont  donné  dans  les  brochures  périodi- 
ques, de  jufles  éloges  à  des  hommes  illullres, 
fans  avoir  d'autre  but  que  le  plailir  de  louer 
ou  des  lalens  fuperieurs,  ou  d'éminentes  vet- 
tus. 

Je  n'étois  point  encore  forti  de  ma  Provin" 
eè,  dans  le  temps  ,  que  je  jouois  le  roi  le  de 
Mlle,  de  Materais  ,  &  ne  connoiflant  Paris  , 
que  de  nom  ,  je  devois  probablement  igno 
rer  ,  les  quartiers  &  les  rues  ,  où  logeoient 
tous  ces  Mrs.  les  beaux  efprits ,  qu'il  cite  fans 
les  nommer.  Je  ne  pouvois  donc  leur  écrire 
fans  fçavoir  leurs  adreffes ,  qui  n'étoienC  afru" 
rément  point  aufîi  connues  à  la  pofle,  que 
celles  de  Mrs.  ks  Fermiers  généraux.  Je  ne. 
içùs  même  autre  fois  celle  de  M.  deVokai- 
***  5  re, 


L  PREFACE. 

re  ,  que  fur  le  récit  de  la  renommée  qui  m'ap' 
prit  l'efpéce  de  culte  ,  qu'il  rendoit  au  por- 
tail de  S.  Gervais  fon  voifin. 

On  addreflbit  dans  le  Mercure  aune  De- 
moifelle  de  Malcrais ,  qui  n'avoitjamois  exis- 
té ,  des  complimens  rimes  que  je  recevois. 
J'y  répondois  par  la  même  voye  ,  &  dans  le 
même  ftile.  Cela  n'étoit  il  pas  dans  l'ordre? 
Je  demande  à  M.  de  Voltaire  ,  &  à  tout  au- 
tre ,  s'il  n'eût  point  agi  comme  moi  ,  en  pa- 
reil cas.  Je  me  voyois  honoré  dans  ma  foli- 
îude  d'ingénieufes  politefles  ,  de  préfens  de 
livres ,  qui  me  venoient  de  tous  côtés  ,  & 
dont  mon  petit  cabinet  étoit  enrichi.  De- 
vois-je  donc  crier  la  trompette  à  la  main ,  du 
ron  du  Prophète  de  l'ifle  des  Orcades  dans  les 
Lettres  Perfannes  ; ,,  Citoyens  tant  de  la  capitale 
j,  que  des  villes  de  Provinces,  vous  êtes  tous 
,,  dans  l'erreur  ;  cette  Demoifelle  de  Malcrais 
,,  que  vous  aimez ,  n'efl  qu'une  chimère  ;  le  vé- 
,,  ritable  auteur  des  hirondelles  &  des  tourte- 
,,  velles,c'en:  des  Forges  Maillard".  Jecrois, 
qu'il  eiit  été  ridicule  de  prendre  ce  parti ,  & 
qu'il  étoit  bien  plus  fimple  de  jouir  du  plaifir 
xi'une  illufion  ,  qui  ne  faifoit  tort  à  per- 
fonne. 

Le  mécontentement  que  j'ai  du  procédé  de 
M.  de  Voltaire  ne  m'empêchera  jamais,  je  le 
répète,  d'admirer  les  prodigieux  talens  de  fon 
efprit;  &  de  dire  que  c'efl  lui  qu'on  doit  ap- 
pelier  ocuhnn  orhk  tirra  &  non  pas  Amplement 
oceltum  ,  titre  que  donnoit  par  vénération  un 
^rand Prince àFraPaolo,  ainfi  que  l'a  rappor 

ti 


P    R    E    F    A    C    E.  Lî 

té  l'auteur  de  la  vie  de  ce  célèbre  Vénitien. 
Dira  quejîo  folo  ,  ch'  un  grau  Prencipe  inandan- 
do  unjuo  fi^liuolo  in  Italia ,  f^li  commijj'o  nel  l'in- 
jîmuione,  chs  non  facejje  failo  di  vifitarc  oihis 
terrœ  ocelhun  :  dando  quejîo  titolo  al  Fadre. 

Je  n'ai  point  fait  comme  M.  de  Voltaire. 
Je  n'ai  rien  retranché  dans  cette  édition  ,  des 
éloges  que  j'ai  donnés  à  Tes  grans  talens.  Il 
dira  que  ma  petite  réputation  y  trouve  Ton 
compte.  J'en  conviens  ;  mais  on  remarque 
des  taches  au  foleil  même;  &la  Huire,  Tutel- 
le hazardée  ,  plait  fouvent  au  lefleur  ,  pki3 
que  ne  le  pourroient  faire  les  louanges  les 
plus  judement  méritées. 

La  manière  méprilanteque  Mr.  de  V.  affec- 
te dans  fa  note  ,  devroit  m'être  moins  fenfi- 
ble,  puifque  dans  un  endroit  de  fes  hiftoires, 
il  l'a  pour  ainfi  dire  copiée  contre  le  célèbre 
&  refpeaable  M.  liton  du  Tillet.  Nous 
fommes  des  hommes  fans  doute  ,  mais  vrais, 
fmcéres  ,  definterreffés  ,  reconnoiflans  , 
pleins  de  refpecl:  pour  les  têtes  couronnées, 
fidelies  pour  nos  amis  ,  indulgens  pour  nos 
ennemis;  nous  lui  fouhaitons  la  même  hu- 
manité ,  &  à  tous  ceux  ,  qui  comme  lui , 
nous  defobiigeront  degaité  de  cœJr. 

Il  me  relie  à  dire  fur  ce  qui  me  regarde 
perfonnellement  dans  ces  mémoires ,  que  non 
feulement  je  n'éprouvai  aucune  diminution 
dans  l'ellime  des  perfonnes  illuflres  ,  qui 
m'en  avoient  honoré  ,  tels  que  Mrs.  de  Fon- 
tenelle  ,  le  Cardinal  Querini,  RoulTeau,  Né- 
ricaut  Deftouches  ,  Réaumur  ,  Racine,  la 
***  6  Graa- 


LH  PREFACE. 

Grange  chancel  ,  les  Préfidens  Bouhier  &  de 
Montefquieu,  le  Marquis  de  St.  Aubin,  les 
Abbés  du  Refncl  6c  Goujet ,  Mrs.  Dcflnn- 
des  ,  Taneror,  Peflelicr  ,  &  plufieurs  autres 
perfonnes  de  grand  mérite,  mais  même  qu'ils 
parurent  tous  ajouter  à  leur  précieufe  eftime 
pour  moi,  après  qu'ili m'eurent  connu. 

Comme  le  chagrin  ridicule  ,  qu'après  M. 
de  Voltaire  on  a  principalement  fuppofé  à  M. 
Deftouches,  ne  doit  fon  origine  qu'à  certains 
railleurs,  efpéce  légère  &  folâtre  ,  qui  fourit 
avec  complaifance  à  Tes  premières  idées  , 
qu'elle  débite  enfuite  pour  des  certitudes:  & 
comme  on  a  vu  par  les  Lettres  du  premier, 
que  Ton  amitié  pour  D.  M.  égala  fon  précè- 
dent amour  pour  Mlle,  de  Malcrais  ,  Je  vais 
entre  plufieurs  Lettres  de  M.  Néricaut  Der- 
touches  en  rapporter  une  ,  qui  appartient  à 
ma  caufe.  Elle  prouvera  que  ce  grand  Comi- 
que n'eût  jamais  contre  moi  le  moindre  reflen- 
timent  d'une  tromperie,  qui  ne  fut  concertée 
ni  pour  M.  de  V.  ni  pour  lui ,  &  qu'au  con- 
traire elle  occafionna  entre  nous  une  union 
folide  ,  un  commerce  de  cœur  &  de  Littéra- 
ture, qui  n'a  point  eu  d'autre  terme  ,  que  ce- 
lui que  la  nature  prefcrit  aux  liaifons  les  plus 
intime?. 

„  Je  vous  félicite  ,  Monfieur  ,  de  votre 
jj'Tnifïïon,  mais  elle  vous  a  conduit  dans  dé- 
j,  franges  pays.  Je  fui?  ravi  que  vous  vous*/ 
„  foyczfouvenu  de  moi,  &  je  vous  en  remer- 
„  cie  de  tout  mon  cœur.  Votre  Lettre  m'a  fait 
,5,  d'aut  mt  plus  de  plaifîr,  que  je  commençols 

■  ,,  à 


PREFACE.  irrr 

à  me  perfiiader  que  vous  m'aviez  tout  à 
fait  oublié.  En  quelque  lieu  que  votrâ 
fortune  vous  conduife ,  ou  vous  fixe  ; 
comptez  que  vou;;  aurez  toujours  en  mai 
un  ami  très  dévoué,  &  prêt  par  conféquent 
à  vous  en  donner  1rs  preuves  les  plus  ef- 
fentielles  ,  f\  elles  font  £n  mon  pouvoiV. 
Ne  m'épargne?,  point,  je  vous  prie,  quand 
vous  aurez  occaflon  de  me  mettre  à  l'épreu- 
ve, &  croyez  qu'on  ne  peut  être  plus  fenfî- 
ble  que  je  le  fuis  aux  vœux  que  vous  faites 
en  ma  faveur  ;  fi  les  miens  pouvoient  être 
exaucés,  la  fortune  ne  vous  conduiroitpas 
fi  loin  de  nous.  Elle  vous  écabliroit  à  Pa- 
ris comme  vous  le  méritez;  &  je  iouirois 
du  plaifir  tant  dcfiré  d'y  avoir  un  illufîre  , 
&  excellent  ami,  avec  qui  je  ferois  char- 
mé de  pnlTer  une  partie  de  ma  vie.  Voilà 
très  fincérement  comme  je  penfe  fur  votre 
fuiet.  Si  je  ne  vous  ai  pas  répondu  plu- 
tôt ,  c'efl  que  votre  Lettre  efl  arrivée  à 
Fortoifenu,  depuis  que  j'en  fuis  parti,  pour 
venir  palfer  ici  quatre  ou  cinq  mois  ,  & 
qu'on  ne  me  l'y  a  envoyée  ,  que  depuis 
quelques  jours.  Il  eft  vrai  ,  Monfieur , 
que  mon  defi'ein  étoit  de  donner  cette  an- 
née Vbomme  fiiigîtlier ,  mais  l'indifpofition  de 
Mlle,  Gauffin  ,  qui  y  devoit  jouer  un  rÔIe 
confidérable  ,  a  retaidé  jufqu'à  préfent  la 
répréfentation  de  cette  pièce,  &  félon  l'ap- 
parence  m'obligera  de  la  remettre  à  l'année 
prochaine  ,  de  forte  que  je  me  propofe  de 
m'en  retourner  dans  ma  folitude,  où  mes 
***  7  ,,  écii. 


tiv  PREFACE. 

„  études  me  rappellent.  Si  vous  voulez  m'y 
„  donner  de  temps  en  temps  de  vos  nouvel- 
„  les  ,  vous  m'obligerez  infiniment.  Car  je 
5,  vous  protefte  qu'on  ne  peut  être  avec  plus 
„  d'efiime,  de  paflîon  &  d'attachement,  que 
„  j'ai  l'honneur  d'être,  Monfieur,  votre  &c. 
,,  Deflouches. 

Si  je  ne  craignois  de  faire  un  gros  volume 
d'une  préface,  je  tranfcrirois  ici  pluficurs  let- 
tres de  beaux  efprits  &  de  favans  ,  dont  les 
témoignages  honorent  mon  retour  à  mon  pre- 
mier féxe.  Je  ne  dois  point  oublier  qu'étant 
allé  ,  avec  M.  Titon  du  Tillet  ,  faire  ma 
première  vifite,  à  M.  de  Fontenelle,  qui  me 
reçût  avec  cet  air  de  politefle  ,  ces  manières 
d'honnête  homme  ,  qui  peignoient  fi  bien  fa 
belle  arae ,  nous  lui  fimes  mille  inftances  en 
[^quittant  ,  affin  qu'il  ne  prît  pas  la  peine  de 
defccndre  pour  nous  conduire.  Que  penfe- 
roit  on  de  M.  de  Fontenelle  ,  dit- il  en  fe 
tournant  vers  moi ,  fi  l'on  fçavoit  dans  le 
monde,  qu'ayant  été  honoré  de  !a  vifite  d'u- 
ne iilufire  demoifelle  ,  il  l'eût  laiflee  defcen- 
dre  fans  lui  donner  la  main  jufqu'à  la  porte? 

M,  Piron  dont  il  n'efl:  perfonne  qui  ne  con- 
noifleles  talens  fubliines,  enjoués  &  naturels, 
nefe  mit  point  au  nombre  des  amans  de  Mlle. 
de  Makrais  ,  mais  ce  déguifement  fournit  à 
fon  imagination  le  fujet  de  fa  A'jétromanie, 
comédie  admirable  ,  dans  la  quelle  il  me  met 
.  en  fort  bonne  compagnie.  J'étois  dans  le 
Parterre  à  la  première  repréfentation  de  cette 
-pièce.  On  s'entrenoit  de  moi  &  de  mes  ou- 
vra- 


PREFACE.  LV 

vrages,  fans  me  connoître,  les  uns  en  bonne 
part  les  autres  difFéremment.  Je  les  écoutois 
avec  un  phlegme  philofophique  ,  chacun 
ayant  la  liberté  de  fe  façonner  à  fon  gré  uii 
fentiment,  qu'il  eft  pareillement  le  maître  de 
produire.  Il  y  avoit  d'un  autre  côté  un  hom- 
me d'efpric  de  la  ville  de  Nantes  ,  avec  le 
quel  i'avois  été  lié  dés  le  collège.  II  prêtoit 
l'oreille  à  ce  qu'on  difoit  de  moi  ;  &  fe  mê- 
lant à  la  converfation  ,  Meffieurs ,  leur  dit- 
il  ,  je  fuis  fort  ami  de  cette  DHe.  Malcrais» 
dont  vous  parlez,'  nous  avons  même  couchés 
enfemble  plus  d'une  fois.  Mlle,  de  Malcrais, 
répondit  un  d'eux  ,  efi:  donc  une  fille  d'une 
Vertu.;.,  arrêtez,  reprit  mon  ami;  nos  nuits 
ont  été  aufïï  chaftes ,  que  celles  que  paflbienc 
enfemble  Socrate  &  Alcibiade;  quand  le  mê- 
me Ht  recevoit  le  maître  &  le  difciple  ,  &  le 
bien  heureux  Robert  d'ArbriiTel  ne  fut  jamais 
plus  continent ,  quand  pour  s'éprouver  dans 
un  nouveau  genre  de  martire,  ilcouchoit  en- 
tre deux  jeunes  nonains  fraîches  comme  Hébe 
&  belles  comme  Venus. 

C'ell  ainfl  qu'on  jouoit  à  la  fois  deux  co- 
médies, l'une  fur  le  théâtre,  &  l'autre  dans 
le  parterre.  Cependant  il  s'éleva  une  tempê- 
te de  battemens  de  mains,  la  toile  tomba,  & 
le  moucheur  de  Chandelles  achevoit  fon  offi- 
ce ,  quand  le  Nantois  fe  féparant  de  fes  in- 
connus, les  laiflTa  courrir  après  le  mot  de  l'é- 
nigme ,  beaucoup  plus  embnrrafTés qu'ils  ne 
l'étoient  avant  cette  rens  ontre  &  cette  farce 
d'autant  plus  rifible  ,  qu'elle  n'efl  point  ima- 
ginée. J'ai 


LVi  PREFACE. 

J'ai  compofé  «  comme  on  le  voit ,  grand 
nombre  de  pièces  détachées  en  tout  genre, 
foit  en  vers ,  foit  en  prore.  L'ennui  de  ma  re- 
traite, le  caprice  ,  l'idée,  le  plaifir  de  faire 
ma  cour  à  des  perfonncs  d'un  rang  diflingué, 
d'entretenir  leur  connoilTance  ,  &  celle  de 
mes  amis ,  les  occafions  les  ont  fait  naître 
dans  les  intervalles  de  loifir  que  me  laifToient 
des  occupations  néceflaires  &  d'autant  plus 
pénibles  ,  qu'elles  éioient  plus  étrangères  à 
mon  goût.  Mais  peu  fortuné  fans  ê;re  avare 
je  n'ai  jamais  fait  trafic  ni  de  profe  ni  de  ver?. 
Mes  Libraires  m'ont  fait  préfent  de  quelques 
exemplaires ,  dont  j'ai  été  fatisfait ,  les  plai- 
gnant des  périls,  où  les  expofoit  une  douteu- 
fe  efpérance  ,  en  imprimant  mes  amufemens 
à  leurs  frais. 

J'aurois  fort  fouhaité,  qu'il  m'eût  é'é  pofîî- 
ble  d'èire  prefent  à  cette  édition  ,  avantage 
que  je  n'eus  pas  non  plus  ,  pendant  que  ia 
précédente  fe  faifoit  à  Paris  en  i"50.'  on  a  la 
vue  meilleure  dans  ce  moment  décifif,  &  l'on 
découvre  dans  cette  fituation  critique  des  dé- 
fauts échappés  à  la  chaleur  ou  à  î  indolence 
de  la  coTpofition.  Quelque  légers  qu'ils 
puiffent  être,  ils  refTemblent  aux  graviers, 
qui  le  rencontrant  fur  un  terrain  applani  où 
l'on  joue  ,  empêchent  les  globes  roulans  de 
couler  avec  la  même  facilité  ,  &  les  détour- 
nent même  du  but ,  où  l'œil  &  la  main'vou- 
loient  les  diriger. 

11  efl  des  chofes  qu'on  répète  fans  y  penfer , 
quand  on  traite  les  mêmes  matières  de  loin  à 

loin; 


P     R        E    F    A     C    E.  Lvii 

loin;  c'efl:  ce  que  j'ai  fait  en-e^tant  un  paHage 
de  l'EccIéfiafte  dans  les  remr.rques  fur  Owen, 
fans  me  reflbuvenir  que  je  Tavois  déjà  placé 
dans  une  Lettre  de  littéiature  à  M.  de  Vol- 
taire. 

La  diflance  des  lieux  ,  &  mes  affaires  qui 
demandent  refidence  ,  m'ayant  retenu  dans 
ma  Patrie  ,  je  chargeai  de  mes  manufcrits  M. 
de  la  Mwque  ,  fils  d'un  riche  négociant  de 
cette  ville  ,  jeune  homme  de  beaucoup  d'ef- 
prit  qui  s'embarquoit  pour  Amfttrdam,  Je 
le  priai  de  les  remettre  à  M.  d'Orvilie  qui  y 
profelToit  avec  célébrité  l'éloquence,  &  l'hif. 
toire.  M.  le  préfident  Bouhier  m'avoit  au- 
trefois procuré  fa  connoiffance;  mais  la 
nouvelle  de  fa  mort ,  dont  je  fus  très 
affligé  ,  me  fit  écrire  à  M.  de  la  Marque, 
pour  ie  prier  de  confier  mes  manufcrits  à  Mrs. 
Schreuder  &  Mortier,  Libraires  très  eflimés, 
&  qui  font  honneur  à  leur  profefîion.  Je  les 
JaifTai  maîtres  de  choifir  ce  qu'ils  trouveroient 
le  plus  de  leur  goût ,  parce  qu'ils  avoient  un 
intérêt  réel  à  plaire  à  celui  du  public. 

Je  fens  qu'en  cet  endroit  j'allois  céder  à 
l'envie  de  dire  quelque  chofe  des  ditFérens 
ouvrages  qui  font  entrés  dans  ce  volume,  û 
je  ne  m'apperce\^0!s  à  propos  que  ce  feroic 
tomber  dans  le  défaut  que  j'ai  reproché  aux 
fiiifeurs  de  préfaces ,  car  enfin  écrire,  &  placer 
à  la  tête  de  fes  ■icr<f<:a^<;  cbs  livres  ,  des  dif- 
cours  ,  des  diflftrtations  académiques  fur  la 
nature  ,   &  le  genre  des  Ouvrages  qu'on  mec 

au- 


Lviii  PREFACE. 

au  jour.  N'efl  ce  pas  dire  fccreteinent  à  cha- 
que Lefteur ,  Voulez  vous  décider  avec 
équité,  iincne  &  precifion  ?  Faites  le  d'après 
les  régies  que  je  vous  trace.  C'eft  de  là  que 
vous  devez  partir,  pour  airiver  furemeat  au 
temple  du  goût. 

Cependant  je  prie  le  le£leur  de  vouloir 
bien  me  pafler  deux  chofes.  Premiercincnc 
les  détails  dans  lefquels  je  me  fuis  cugagé 
pour  donner  de  la  fuite  à  ces  mémoires ,  où 
tout  eft  vrai  ,  &  pour  me  rendre  au  but  que 
j'ai  d'abord  eu  en  vue.  Secondement  l'habi- 
tude que  j'ai  ,  &  dont  le  principe  eft  dans  la 
nature,  de  ne  manquer  jamais  roccrifîon  de 
rendre  jufticeau  mérite  de  mes  amis.  11  n'eft 
point  de  fatisfadion  plus  touchante,  te  plus 
douce  pour  mon  ame  ,  que  celle  de  publier 
leurs  bienfaits ,  la  reconnoiflance  eft  le  Dieu 
de  mon  cœur. 

J'efpère  auffi  que  M,  de  Voltaire  ,  que  je 
îie  ceiFerai  jamais  d'efhimer ,  &  dont  l'ancien- 
ne amitié  me  fera  toujours  bien  chère  ne  s'of- 
fenfera,  ni  de  ma  fenfibiiité  à  fon  indifférence 
marquée ,  ni  de  ma  rétiftance  à  foufcrire  à 
fonapoftille.  S'il  étoit  pofiible  qu'il  en  con- 
çut quelque  refTentiment,  la  fupériorité  de  fon 
génie  l'étoufFeroit  bientôt  ,  content  de  dire 
avec  noblefle  comme  Alexandre  dans  Quinte 
Curce  ,  bellum  cum  fceminis  gerere  nonfoieo ,  ar- 
matusfit  oportet  qiiem  oderim. 
!"  Cette  préface ,  &  ces  mémoires ,  reflemblent 
à  une  converfation  dans  laquelle  un  fujet  en 

^  amène 

-s 


PREFACE.  Lix 

amène  un  autre  ,  &  dont  un  mot  qui  s'en 
écarte  par  hazard  ,  fournit  matière,  comme 
dans  les  EfTais  de  Montagne  ,  à  des  propos 
tout  à  fait  difFérens  de  ceux  qui  les  avoient 
précédés.  Achevons  donc  une  fingullère,  (k. 
longue  bigarure,  dont  i'étendue  fera  plus  iuf- 
tement  mefurée  par  le  plaifir  ou  l'ennui  qu'el- 
le aura  caufé  à  mes  leéleurs. 

Et  j*m  tempui  equum  fumatiiia/olvere  colla. 
Virg.  Georg.  a. 


TA- 


T       A      B       L      E 

Des  Pièces  contenues  dans.lc 

T  O  M  E     PREMIER. 


E  Pitre    DcJicatoire  à.  Mgr.  de  Machault, 
Garde  des  Sceaux  de  PVance,  &c.  Pag,  x. 

L'jhis  XiF. ,     ou   la  Gloire  de  Louis  XIV. 
perpiituée  dans  le  Roi  ibn  fuccelPeur.       5. 

ODES. 

Ode  I.  L&  ParmJJe  François  y  à  M,  Titon 

du  Tillet.  13. 

— — .  II.  .      à.  M.  de  Voltaire  ,  fur  fa  Hen- 

riadc.  18. 

— —   III.^    Au  Roi  de  Prufle  ,  fUrfes  premie- 

res  Conquêtes.  20. 

•  IV.    La  Beauté,  à  Madem.  *•".    25. 

— —  V.      à  la  Venu.  29. 

— —  VI.     Sur  la  Maladie  ^  la  Convalefcence 

du  Roi.  41. 

■ VII.    V Jjlrologîe  Judiciaire ,  àM.Def^ 

landes ,  &c.  45. 

■i—     VIII.  L'Orgueil.  49. 

— •  IX.       Sur  l' Immortalité  chimérique  qu'on 

attend  des  Ouvrages  d'efprît  ,  ^  fur  l' Incon- 

fiance  des  Grands.  55, 

. X.       à  Mr.  Bertrand,  &c,  59. 

XI.     La  Fièvre,  à  M.  Chevaye.     63. 

Ode 


TABLE.  LXi 

Ode  XII.        La  Mort.  Pag.  68. 

XIII.     Sur  la  Mort  de  S.  A.  Mgr.  le. 

-Comte  de  Touloufe,  &c.  73.' 

XIV.     à  M,  de  Lizardais,  &c,      78. 
Les  Mufes  à  l'ombre  de  Rouf' 

82. 

Le  Tabac.  88. 

ù  M.  Tiion  du  Tillet.          90. 
Remerciment  à  Mrs.  de  l'Aca- 
•   demie  Royale  des  Belles-Lettres  de  la  Ro- 
chelle.    •  93^ 

XIX.     Le   Retour  d'AJlrée  ,  à  M.   le 

Maréchal  de  Lowendal.  96. 

_         XX.       à    M.   Deflandes  ,    &c.  fur  la 

mort  du  Père  de  V Auteur.  io5. 

XXI.      à  M.  le  C.  ***  de  M  ***.,  &c. 

fur  rufage  des  Rîchejfes.  m. 

—  XXII.  en  profe  ,  à  M.  Houdart  de 
la  Mothe,  de  l'Académie  Françoije.  116. 

— —  XXIII.  en  flrophes  libres,  faite  par  un 
défi,  ^c.  à  M.  Meyiiot,  120. 

■  I  I  XXiV.  Qîi'un  autre  afpire  aux  dons  ché- 
riSf  ^c.   _  125. 

E  P  I  T  R  E  S. 

Epitre  l.  à  S.  A.   Mgr.    le  Prince  de 

Conti.  127. 

..            II.  à  M.  le  Marquis  deRobien, 

&c.  132. 

III.  à  M.  Bouguer,  de  l'Académie 


Royale  des  Sciences  de  Paris,  &c.        135. 
I  iV.     En  réponfe  à  M.  de  la  Sori- 

niere, 


LXII 


TABLE. 


niere ,    de  l'Académie  Royale    d'Angers. 

Pag.  139. 

EriTRE  V.  Au  R.  P.  du  Cerceau  ,  Jé- 

fuite.  I5<^« 

. VI.        àM.  Greflet,  &c.  152. 

— VII.       à    M.    d'Arquiftade    de    St. 

FulgeiK,  Confeiller  au  Parlement  de  Paris. 

ISS- 
.— — -  VIII.      à  Mercure.  158. 

.  IX.         à  M.  Titon  du  Tillet.     164. 

. .  X.         Au  même  par  Madame  Des- 
forges Maillard.  170. 
XI.        Au  même  par  Madame  Des- 


forges Maillard.  172. 

XII.      à  M.  de  Morinay  ,  Gentil- 


homme ordinaire  de  la  Chambre  du  Roi. 

173. 
-—  XIII.  à  M.  d'Aiguillon  ,  &c.  fur 
fon  Cordon  Ueu.  174. 

.  XIV.    à  Madame  la  DuchefTe  de  L. 

176. 
XV.      de  l'Auteur  à  fa  Femme  le 


premier  jour  de  l'an.  i33' 

XVI.     à  M.  le  Comte  de  la  Motte- 

Jacquelot,  Confeiller  au  Parlement  de  Bre- 
tagne. 187. 

XVII.    à  M.  de  Mont-Luçon,  Fer- 
mier-Général. 191. 

XVlIi.  Philofophique  à  M.  de  Vol- 


taire. 197' 

XIX,     Philofophique    à    M.    Neri- 

caut  Destouches,  de  l'Académie  Françoi- 
fe.  21  s. 

Eh- 


TABLE.  LXiii 

Epitre  XX.  à  M.  le  Chevalier  de  Solignac, 
Secrétaire  du  Cabinet  du  Roi  de  Pologne , 
&c.  Pag.  226. 

-^ XXI.  à  M.  Ganeau  ,  Libraire  de  Pa- 
ris. 230. 

îv'oNUMENT  d'Ejîme  ^  de  Vénération  à  la  Mé- 
moire du   Préj'ident  de  Montefquieu  ,    &c. 

232. 

Vers  fur  la  Mort  de  M.  de  Fontenelle,  &c. 

^33. 

.  fur  la  NoUeffe  dont  le  Roi  a  honoré  les 
fervices  de  IHlluflre  M.  Morand ,  premier  Cbî- 
nirgien  de  la  Reine,  ^c.  235. 

.  .  ■  fur  ce  que  M.  de  S  échelles  a  remplacé 
dans  la  Charge  de  Contrôleur  Général  des  Fù 
«awcw  M.  de  Macliault,  &c.  235. 

■I  fur  ce  qite  le  Roi  envoya  le  Bâton  de  Ma- 
réchal de  France  à  M.  le  Comte  de  Coetlogon. 

ibid. 

CONTES. 

Le  Menteur  ^  fou  Valet.  239. 

Le  feint  Organifle.  240. 

Le  Peintre  Efclave.  244. 

Les  franches  Repues.  245. 
Confultation  pour  la  Migraine,  246. 

Claudine  malade.  ibid. 

Les  Crochets.  247. 

VIII.  Le  Serment.  ibid. 

IX.  Le  Cierge  béni.  248. 

X.  La  Bannière.  ibid. 

XI.  Le  Tefîament  du  Curé,  251. 

CON- 


LXIV 


TABLE. 


Conte    XII    Les  Dindom  &  Epiute  Dédica- 
toire  à  Jéroboam  Malchus ,  Capitaine  desOa- 
Pag.  252.  254. 
Les  Forfanteries,  258. 

Le  Muet  jiijlifié.  260. 

Le  Tombeau  de  la  Virginité.  26:. 
L'Habit  verd.  262. 

Le  Paradis  terrejlre.  ibid. 

XVIII.  Le  Coup  defujil  ma?2qué.      263. 

XIX.      Mépris  de  l' y^rcbiteÙure  ancien- 
ne. 2(54. 

——XX.       L'Oraifon  pour  la  brûlure,     ibid. 

—  XXI.     jugement  de  Peinture.  265. 
— —  XXII.    La  Force  du  Naturel.  ibid. 

—  XXIII.  Le  Difficile.  266. 

IDYLLES. 


Jdylle  I.  Le  Paradis  Perdu ,  à  Madame 
de  Bocage.  267. 

■  II.  Le  premier  Age  du  Monde ,  ou 
le  Siècle  d'Or;  à  M.  de  Montandouin  de  la 
Touche.  273.- 

«'  III.    Les  Arbres,  à   M.  de   Perard, 

Chapelain  du  Roi  deVruJfe,  ^c.  277. 

■  ■  V.       Le  Printems.  283. 
»—      .  IV,  Les  Tourterelles,  à  Madame Des- 

houlieres.  286. 

'  "  VI.   Les  Hirondelles  ,   à  Madame  la 

Comtefle  de  Verteillac.  289. 

■  VII.  Les  Coquillages,  à  M.  de  la  Ro- 
que ,  Chevalier  de  l'Ordre  Militaire  de  St. 
Louis,  ^c.  294, 

Idyl- 


T   A    B    L-^    Ev  Lxv 

liîTLLE  miL\'MktU  è^,:Aly!',.kM.  de  F^m- 
•  ciielle,  &c..'Mi  ;;>   ^.ni:;.  :  '  :.  ;~-2g9.< 

•  'i^_>  LèVvyàfie  (kr  Amour  Ci  dLL.U-jt. 

.-mn^  à  Madame' de  Mondoret  du  Croific. 

Elégie.  Te/  qu'aux  bords  du  Méaudre^c  305. 

io  E S 1 E  S  A  N  A  C  R E  O  N  T I Q U  E  S.  ' 

f^'Ai.  :"  -..'J  ".■■■/.  r    .'/'.:     ■'''.:  .)P'.0,...    :-iC)    .^.- ..,, 

I-.Vi  ^  /-l^^oariittsii  MademoifeUé  &*,■>  :..  %Q(). 
Ilis:;  A  Madame  de  Hallay.  .-31*0. 

Hf.il. ^j^Mademoifelle  Salle,  ■.P^ftmmixM 

LV:?.  A  Mademoifelle  G3î(i7î«.      ^.        i^i^. 

V.  53'/^)^V,  au  fond  d'un  bccage ,  çj'c.  "   312. 

VI.  Ddux  Maiieanx.,  tui  heaîijs/ur,  ^c,  ibid^ 

VII.  L  Amour ,  m  badinant  ^  l^c.  313. 
VUL  ?^rtwf  éiiour  de: ldimaQ'<Çlim^Jie-., ^c- ih' 
iX-:  .Cocf  irsportoi],  ^c.^/}      M   -„    SU».- 
X.C-.  Chanfon  fiir  les  Vidouîes  ,du.  B.oi,  par 

-  -I^âïame  Desforges  Maillàrdh    :\  315* 

XI..-;  Suf  l'air /?i/ie>'^eri  cie noire  F2//r7g5  31.3. 
Xlli    Sur  l'air  Aimable  Vainqueur  .,,^c.      3 1 9* 

XIII.  Sur  l'air  Iris  ports  le.Diîu  du  vin,  (^ 
'  aM-d^  Oyibîre.  .,  .        ,  320, 

XIV.  Sur  l'air /e  Pare  Daminîque.  (s'£.  .      321. 

XV.  A.  M.  Titon.  du  Tilles,  pair  Madame 
.  Deêfô'rges  Maillard;  fur  l'air  Aimable  Vain- 
.'  qùewt^  ^c,  -  322. 

SON^NET. 

Sonnet  I  La  Défaite  de  la  Paiisnce  de  Job.  323. 
Tom.  I,  ♦♦"*=*  So:<- 


Lxvi  T    A    B    L    E; 

Sonnet  II.  à  M..TitoQ  du  Tillet.  Pag. 324. 
■  III.  à  Madame  du  H**..-         ,  .3?;5. 

■  M.  IV.  à  M.  lé  Marquis  de ,  Ver-teillac. 

ODES. 

Ode  à  M.  Titon  du  ïillet/«r  la  mort  du  Perc 
Vaniere,  Jèfui^e.  -..3*Z» 

1  en  ftrophes  libres  à  M.  Titon  du  Tillet, 
■'fur  la  mon  de  M.  de  Largiliere,  Peintre  cé-i 
•'  letre.  i'      \      .1  .  \  32^^' 

i:.: —  en  (irophes  libres  <  à  VoccafianÂe^a  morti, 

■  de.  M.  le  Préftdent  Bouhier  ,  de  T yJcadànie 
Franpije.  ''-.-:'':■      ■    330.' 

E  P  I  T  A  P  H  E  S. 

,    .  -v     .A'J 

EriTAPHE  I.      du  P.  Brunioy ,  Jéfoite.    33X»' 
X  II.      du  Maréchal  de  Berwick.  ibîd.: 

,-.      ,  -  IlL    du  Maréchal  de  Vil lars. .  332. 
.,  IV.    de  Mad.  l'Héritier  de  Villîn- 

don,  de  V  Académie  de  Touloufe  y  ^c.      333. 
V.     du  Frère  Hilarion  Capucin,  à 


M.  deP.  .  .  A.  .  .  Conjeiller  du  Roi,  ^c, 

, I  VI.    d'un  prétendu Bel-Erprit.'337. 

VII.  d'un  Singe.  338.: 

:—  VIII.  d'un  Lion.  ibid._ 

— — — .  IX.  xi'uaMarquis  Petit  maître, 339, 
_...—  X.  d'un  Comédien  François.  340. 
— —  XI.      d'un  Comte.  iùid. 

XII. .  d'une  Dame  de  la  Cour.  341. 

■  XIII.  d'une  Coquette.  ibid. 

i  XIV.    d'un  Homme  univerfel.  342. 

Epi- 


TABLE.  Lxvii 

Epitaphe  XV^  d'un  Abbé.                    342. 

■  XVI.  d'un  riche  Prometteur,  343. 
■■  ■  ■  XVII.  d'un  Seigneur  très-glorieux. 
'-.i;s  .    :  •  i'     •           "                  ibid... 

m  XVIII.  d'un'Mari  qui  avoît  eu  cinq 

Femmes.  •  34<3« 

»^  XIX.     d'un  Parafite.  344» 

I  XX.     d'un  mari  &  de  fa  Femme.  344. 

FABLES. 

Fable    >     I.  Le  ^Soleil  Êf  les  ■  Nuages , .  à  M. 

■  dé  la  Tour,  &c.  •    345. 
i*— t         II.  Le  Soleil-^  ie  Manant ,  à  M. 

Bonamy ,  Médecin.  -■34<î. 

— —        III.  Les  Lapins.  347. 

_        IV.  Le-Cbat  ^  le  Singe.  •    ,  •  1345^^ 

I.                 V.  Les  deux  Chiens.  .  35  r. 

.    ■-        VI.  .La  Qiitue  du  Cheval.  352. 

■  "  '  ■        VII.  La  Mk  du  Setruïier  ^fon 

Ffere.  -/-    '  .     :  353.- 

.  V m.  La  Femme  S  l(^  Mouche.  354. 

■        IX.  Le  Mécontent.  .  '  355. 

»—..»         X.  LesEnfans  ^  l'OJier.  355. 

■  XI.  Le  Loup,  Gouverneur.  .  357. 
I   ;  '>■  XII.  Le  Fleurijîe,^  les  Curieux.  359. 

—  XIII.  Les  Rats  ^  le  ISfavîre.  260, 
,—  •  XIV.  L'Hoimne,  la  Mouche  ^  l'A'. 

'  rai'gnêe.  364. 

■— XV.  Le  Blanc  ôf  le  Nmr.         •  3(55.- 

—  XVI.  L'Aigle  ^  la  Pie.  ibid. 
••  XVII.  L'Alouette,  devenue  veuve.  365 
— —  XVIII. ,  L'EcreviJJè  ^  Ja  Fille.  Pag.  367. 
*— r  XIX.  .  Le  Moineau^  la  Fareuette.s6g, 

^  <¥  ^  ^    2,  17* 


l:xviii  T.i  A.I  B    L    E. 

EXBtE  XX.        Le.Çbmquitp^rnflai^ifQ^be.^ù^, 

.-.ittnx.   .        .:  vjr:='   :  !r/ij    .i.  ...    — 37Qi 
J. ,'.,",•  XXir.     Le  Lion,  à  qui  on^ aruirle  une  - 

dent;  à'M.  le  G!oin!;e;de  Ço/nuliçr  da.YiX-, 
•nay,  &c.  ,     .    372. 

^  XXIII.  Le  Shtgeis^  le  M.rroir.          3.75. 

— -XXiV.  Le  JP<îe«,,  h.^Dindm  fef  JflU^^fflU. 
toe.  ..,.,.  ■  377. 
XXV.  La  Fauvette  ^^Hes  Oifeatix  ja- 
.'louk  ,ràM,  àe  Bourn  **,..ceielri'!Cbiru}^ienà- 
.-Nnntes.  .:  ■  .  :  riTcl  âT)8. 
Vers  à  Mv  (te  Morinày ,  Gentilbomme  OrdinaL^ 
.  re,de  la  Chambre  du  Rci.          %i  ,vn::j:  380. 

GANTAT  ELSiiT 
Cat^ate   \.  .fwdct  NaiJJance  de  Mgr.  le  Mue, 
.  de  Bourgogne;.   •'-■  '  \  .'i  -3^1- 

,,m~m l\.  Uirciik  ^  Omphhle.r  ;         32 j« 

II»   .     ■■■  ■  ML  IIypefm?ici(ire.      '    .;;  /        386- 
■>■     '■    ■  ■  IV.  L'Hyyer.  3S9, 

^ "  V.    L'EpbiiX  moiimik  392.. 

1^  VI.  La  Rofe.  394, 

Voyage  i/5.Pa»?i  £72  Bretagy^e^'à  M.  le  Mar-- 

quis  de  Robien,  Piéfidentà  Mortier  au  ■Far- 

.\kvieiitde  BretognSf^c,^  -\  .  .'/.       -^6, 

,-'■ -^^         /li    '.  -  j^  \::>  -.  A  i;A  .]]-  '      -    - 

Les  Libraire?  demandent  de UndHlgence  pour  . 

quelques  fautes  d'impreflîon    qui  fe    font 

glîffëes  par  ci  par-là ,  &  prient  le  ledeur  de 

■  vouloir  confuUer  l'^rrata,  qui  eftàia  Un  du 

«  fécond  Tomeï  -■>  '   •  *^'^       -  -    "• 

'*^*  A    MON- 


A    MONSEIGNEUR. 

DE    MACHAULT, 

GARDE  DES   SCEAUX  DE  FRANCE, 

MINISTRE  GENERAL  DE  LA  MARINE. 

TVi"  1 N I  s  T  R  E  que   Tljémîs   a  formé   dans  foiî 
^^^  Temple,  _         ' 

Pour  fervir  aux  mortds  ^ de  t^uUle  ^  d'exemple'. 
Et  dont  les  grands  talens  font .  dans  Jon  jnjle  choix  , 
Admirer  le  plus  grand  (^  le  meilleur  des  Rois; 
M  A  c  H  A  u  L  T ,  quand  ta  bonté ,  par  nn  fecours 

propice , 
Vient  d'un  ajlre  ennemi  corriger  le  caprice , 
li  s\'kve  en  mon  ame  un  femiment  vainqueur 
Qui  m'excite  à  louer  ton  Efprit  (jf  ton  Cœur. 
Mais  en  vain ,  poiir  répondre  autranfport  qui  m'anime. 
Ma  Mufe  te  prépare  nn  tnbm  légitime; 
Tant  de  rares  vertus  fufpeudant  fou- defir , 
Elle  admire  enfilence,  ^  ne  fçait  que  choifir, 
jiinfi  dans  nos  jardins  l'Abeille  vigilante 
Rencontrant  dès  l'Aurore  unémail  qui  l'encbantùi 
On  la  voit  au-deffus  lo?ig  tems  fe  balancer. 
Voltiger  tout  auprès,  fans  pouvoir  fe  fixer. 
Pénétré  toutefois  du  beau  feu  qui  m'infpire, 
M  A  c  H  A  u  L  T ,  en  ton  honneur ,  je  voudrois  fur 

ma  Lys 

A  -        £.v- 


f  E     P     I     T     R     E 

JExprîmer  des  accwds  qnon  n'eût  point  enteiidus.y 
Et  qu'un  fiielle  Echo  neîa  pas  dc-jà  rendus. 
Mais  quand  Apollon  même ,  échauffant  mon  génie^ 
M'eût  en  naijjant  comblé  des  dons  qu'il  me  dénie  ^ 
Gravé  dans  tous  les  cœurs  ton  Eloge  fans  fard  y 
Efî  riche  de  fou  fond,  plaît  ^brille  fans  art. 
Croirai-je  cependant  que  mn  Mufc  attentive 
Se  taifefans  retour  fur  ta  Sageffe  aclive? 
Oii  n'a  point  éclaté,  par  d'illufires  effets^ 
Ton  zèle  pour  ton  Roi,  tes  foins  peur  fes  Sujets  f 
Le  Hainault^  à  jamais  refpe&ant  ta  mémoire. 
Portera  jufqu'aux  deux  ton  mérite  ^  ta  gloire; 
Et  de  fou  Bienfaiteur,  un  H-jmne  folemnel 
Vantera  la  fageffe  ^  l'amour  paternel.  (  i  ) 

Le  Monarque  des  Lys  foudroyoit  dans  la  Flandre  ^ 
Renverfoit  les  Cités,  mettoit  les  Forts  en  cendre  ; 
Vainqueur  à  Fontenoy,  des  nombreux  bataillons 
Dont  le  limon  fanglant  engraiffa  les  filions^ 
Ce  Héros  t'envoya  mille  illuftres  vi&imes. 
Dignes  du  nom  Fratipis ,  Combattons  magnanimes^ 
Qiù  revenoient  percés  de  cent  coups  glorieux 
f)uepaya  chérejnent  le  Germain  furieux. 

Là 

(i)  M.  deMachauU  etoit  Intendant  du  Hainault, 
en  I74Î ,  lorfque  le  Roi  gagna  la  fameufe  bataille 
de  Fontenoy,  Se  s'empara  de  plufieurs  Villes  confi- 
dérables  de  la  Flandre.  Après  cette  bataille,  on 
envoya  à  valenciennes,  Lieu  de  la  réfidence  de  M.  de 
Machault,  un  grand  nombre  d'Officiers  &  de  Soldats 
-blefles.  Il  apporta  tous  fes  foins  pour  leur  foulage- 
ment  &leur  guérifon,  &  y  fut  vciitablemenc  i'ami 
dt  l'Offiiitr  b'  ie  pert  du  Si/ldat» 


D  E  D  I   C  A  T   0  I  R  E.  J 

■Là  tufervis  ton  Prince,  aitt  mit  que  dans  laguc-rre 
Le  fervoient  nos  Céjars,  affrontant  le  totmerre. 
Tu  prêtas  aux  blejès  tous  les  divers  jecours 
Qiii  poiivoieitt  renouer  la  trame  de  leur:  jours 
Et  le  Sûkil  jamais  ne  borna Ja  carrière 
Que  ton  zèle  autour  d'eux,  ne  portât  la  lumière. 
J^mi  de  l'Officier,  ^  père  du  Soldat; 
Honnête-homme  par  goût,  ^  fans  chercher  Véclat^ 
Là  tes  mains  aiiffi-tôt  s'oîivroicnt  à  l'indigence  ^ 
Ici  de  ta  maifon  s' épandoit  l'abondance , 
Trévenante ,  féconde ,  au  gré  de  leurs  befoins: 
Etfouvent  tes  faveurs  échappoient  aux  témoins. 

Le  récit  de  tes  faits  vint  charmer  le  Monarque: 
Le  haut  rang  qu'il  t'offrit  en  fut  l'illujire  marque: 
Mais  il  fçut  qu'à  fin  choix  tu  voulais,  t'excufant^ 
Oppofer  le  défaut  d'un  fçavoirfuffifant. 
O  noble  viodejîie!  Oii  trouver  l'homme  rare 
Qu'enfes  détours  fuhtils  l'amour  propre  n'égare^ 
Et  qui,  de  tes  talensfe  pouvant  honorer, 
Machault,  à  ton  exemple  ofe  les  ignorer  ? 
LOUIS  te  connoijfoit  :  fajufie  confiance 
S'accrut  ^s'affermit  par  cette  expérience; 
Et  pour  te  l'exprimer  par  un  gage  certain, 
'Ce  Roi  victorieux  t'écrivit  de  fa  main  : 
Témoignage  éclatant ,  où  le  Ciel  fit  paraîtra 
Tout  le  prix  du  Sujet  dans  les  bontés  du  Maître, 
Qji'ilfçut  bien  s'applaudir  d'avoir  jette  les  yeux 
Sur  un  Miniflre  aimé,  fçavant,  judicieux! 

Mais  quel  charme  puijjant  a  fait  couler  ma 
veine?... 
Cédant  avec  tranjport  au  pe7ic}Mnt  qui  m'entraîne , 
A  2  J'ai 


/Ç     Epître  dedîcatoire. 

J'iii  commencé,  Machault,  à  tracer  dans 

mes  Fers 
Une  efqui[Je ,  un  crayon  de  tes  talens  divers. 
Mécène  bienfaifant ,  pardonne  à  mon  audace  : 
Favorable  à  mon  cœur ,  «  mon  ejprit  fais  grâce. 
La  Candem ,  doux  lien  de  la  Société  ; 
La  Science,  toujours  fidelle  à  l'Equité; 
La  Grandeur  fans  orgueil ,  rhéroïque  Confiance 
Tiennent  dans  ta  Maifon ,  des  droits  de  la  Naiffance  : 
Et  fi  je  n'ai  rien  dit  de  tes  nobles  ^yeux^ 
C'ejî  que ,  pour  te  parer ,  tu  n'as  pas  befoin  d'eux. 

"Je  t'offre  mes  Ecrits  ;  accepte  leurs  hommages  : 
Un  fenl  de  tes  regards  vaut  mille  autres  Juffrages. 
yîu  Temple  de  Mémoire,  é  mon  plus  grand  SojUien  ! 
Mon  mm  ne  peut  voler  guefur  l'aile  du  Tien.  1 


LOUIS 


LOUIS    QUINZE, 

o  u 

LA    GLOIRE  DE  LOUIS    XIV, 

Perpétuée  dans  le  Roi/on  SiicceJJeiir. 

F     0    E    M    E. 

QUAND    LOUIS,  rempliflant  l'arrêt  des  Dc- 
ftinées. 
Eut  achevé  le  cours  de  fes  nobles  années , 
Et  que  par  mille  exploits,  ce  Héros  glorieux 
Eut  été  dans  l'Olympe  admis  au  rang  des  Dieus; 
Xfi  France  avec  effroi ,  de  fa  perte  touchée , 
Sa  lance  à  fon  côté,  fur  fes  palmes  couchée. 
Serrant  fon  bouclier  qu'elle  arrofa  de  pleurs, 
Aux  rives  delà  Seine  exhala  fes  douleurs. 

Je  ne  le  verrai  plus,  il  eft  mort,  difoit-elle, 
C«  Roi ,  que  l'Equité  propofa  pout  modèle  ; 

As  Louis,. 


(5      LOUIS  Q^UINZE, 

louis,  fous  qui  Turenne  ég.ila  le  Dieu  Mars,, 
Qiii  fit  fleurir  les  Loix,  ]e  Commerce  &  les  Arts; 
Dont  le  bras,  terrafiànr  la  Difcorde  8c  la  Guerre, 
Aamena  l'heureux  calme  attendu  fur  la  terre  : 
Me  rendrez-vous  jamais  ce  c]ue  je  perds  en  lui , 
Dieux  cruels?.. .  En  ces  mots  éclatoit  fon  ennui. 
Quand  l'air  brille  autour  d'elle,  &  lui  montre  la  Gloire 
Qui  defcend  fur  un  char  conduit  par  la  Viâoiic. 

Prance,  ditlaDéeflè,  e'catte  tes  foupirs. 
Et  celTe  de  former  d'inutiles  delîrs  ; 
Tes  murmures  plaintifs,  tes  cris,  ta  défiance. 
Des  Dieux,  tes  Protecteurs ,  outragent  la  puifTance. 
Viens,  prends  place  avec  moi  dans  ce  char  lumineux,, 
ït  tu  verras  bien-tôt  qu'ils  ont  comble'  tes  vœux. 

La  France ,  à  fon  afpeft ,  d'un  doux  tranfport  émûc  : 
Ift-ce  vous  ?  ou  les  pleurs  ont-ils  troublé  ma  vue  ? 
Non,  mon  cœur  me  raffUie;  &  je  vous  rcconnois, 
Aftre,  qui  pre'fidczau  bonheur  des  François  : 
J'accepte  votre  augure.  Elle  dit.  Le  char  vole 
ïlusTÎteque  la  foudre  &  les  courfiers  d'Eolc; 
la  roue  ouvre  la  nuë,  &  les  globes  divers 
Semblent  fuir  après  lui  dans  la  plaine  des  airs. 

Un  rare  objet  fufpend  fon  vol  fur  l'Arabie. 
le  Phénix,  fatisfait  de  cinq  fiécies  de  vie, 
S'y  dreflbit  dans  un  bois,  fur  l'arbre  le  plus  grand. 
De  caiielle  &  de  mirrhe  un  bûcher  odorant. 
De  fa  touchante  voix  les  accens  agréables 
Invoquoient  du  Soleil  les  rayons  favorables; 
Et  du  vent  de  fon  aîle,  en  regardant  les  cicux. 
Se  pieûîuit  d'allumei  ce  bûclici  piccieux*. 

Cet 


F    0    Ê    M    E.  r 

Ctt  Oifeau  magnanime ,  unique  en  Ton  efpece, 
Termina  dans  Ja  iîimme  une  illuftre  vieii'eflè. 
Quand  de  fa  cendre  vive  il  fort  un  autre  Oifeau: 
11  e'gaîe  fon  Père,  eh  fortart  du  berceau, 
Dit  la  France.  L'un  d'eux  peint  l'objet  de  tes  larmeSj 
Ae'pond  la  Gloire;  ôcl'autre  appaife  tes  allarmes. 

A  ces  mots  le  char  fuit,  lancé  vers  les  climats 
Ou  Califto  réi^and  la  neige  &  les  frimats. 

Là,  d'une  tour  d'airain  le  redoutable  faîte 
Brave,  au  milieu  des  flots  ,  la  foudre  &  la  tempête," 
L'immenfe  Eternité,  mère  &  fille  du  Temps, 
Creufa  jufqu'aux  Enfers  fcs  premiers  fondemens. 
Cet  édifice  altier,  noirci  par  les  orages, 
Eft  couvert  au-dehors  d'un  rempart  de  nuages. 
Défendu  tout  autour  par  un  affreux  rocher 
Dont  (amais  les  mortels  n'oferent  approcher. 
D'un  dur  &  triple  acier  la  porte  renforcée. 
Par  Saturne  &  la  Mort  richement  hérilTée 
De  diamans  infciits,  &  par  Vulcain  douéî, 
lait  gronder,  en  s'ouvrant,  cent   verroux  enroues. 

On  voit  dans  ce  Palais  des  talifmans  antiques. 
Des  anneaux  conftellés,  des  tableaux  fymboiiques  , 
Cylindre,  horloge,  prifme,  aftrolabe,  cerceaux. 
Des  oflemens  de  fphinx ,  des  crânes  de  corbeaux. 
C'eft  là  que  le  Deftin  foule  aux  pieds  fceptres,  mitres. 
Deux  livres  effrayans  fur  deux  vaftes  puj)îtrcs, 
Dans  un  tas  monftrueux  d'innombrables  feuillets. 
Des  fortunes,  des  noms  font  les  recueils  complets. 
Ici  s'offrent  aux  yeux  &  la  honte  &  la  roue , 
Là  lesmarqcies  d'honneui>  que  la  Juâice  avoue; 
A4  Les 


't      LOUIS   QUINZE, 

Les  flcriles  Vertus  &  les  Vices  féconds. 

Et  lis  plaifirs  fi  courts,  !k  les  ennuis  fi  longs. 

Sufpendue  à  la  voû-e  une  aâive  Bslancc, 

Péfe  de  l'Univers  tous  le*  forts  par  avance  .• 

Dépendant  f!e  lui  ftul,  ce  qu'il  a  compaflc, 

Wcme  par  Jupiter  ne  peut  être  effacé. 

Da  fommet  d'un  donjon  il  fait  parler  les  Aftres, 

Des  bonheurs  apparens,  des  effeflifs  défaftres; 

Et  cent  &  cent  flarnSeaux  qui  ne  s'ufent  jamais, 

'éclairent  au-dedans  ce  terrible  Palais. 

JMais  ce  n'eft  point  aflez  de  Neptune  qui  tonne 

Dans  les  écueils  profonds,  que  l'horreur  environne. 

Deux  Dragons  immortels  que  Python  mit  au  jour. 

Satellites  bruyans ,  font  la  garde  à  l'entour- 

La  Gloire  cependant,  courageufe,  affùrtc. 
Les  arrête  ,  éblouis  de  fa  fplendeur  facrée. 
Elle  entre  avec  la  France,  aborde  le  Deftin, 
Et  lui  tient  ce  difcours  plein  d'un  charme  divin  : 
Maître  abfolu  du  Sort,  rallumez  l'efpe'rance, 
Qui  languit  &  s'éteint  dans  le  corur  de  la  France. 
Son  Sceptie  dans  ce  temps ,  vous  nous  l'aviez  piomis^ 
Au  plus  grand  de  fes  Rois  devoit  être  remis. 

L'infaillible  Deftin,  qui  fçavoit  leur  venue. 
Branle  fa  longue  barbe  Sx.  fa  tête  chenue. 
Sous  des  fourcis  épais  roule  des  yeux  perçans. 
Et  commence  en  ces  mots  fes  Oracles  puifTans. 

Mes  fecrets  enfoncés  dans  une  nuit  profonde, 
lufqu'à  l'événement  dorment  pour  tout  le  monde; 
Mais  la  France  m'eâ  chère.  Il  découvre  un  miroir: 
î>.egaide,  En  eft-cc  aflez  pour  te  rcndxe  i'efpoir  ? 

De 


p   0   E   M  e:       -p 

De- mille  clairs  rayons  la  France  eft  cblouîe. 
O- grand  Prince  !  ô  Sageflè!  ô  Valeur  inouie! 
Elle  voit  la  Chicane,  écumante,  aux  abois; 
La  Police  afTcrvii  la  Licence  à  Tes  Loix; 
ie  fertile  Commerce  enfanter  l'Abondance; 
Les  beaux  Arts  &  la  Paix  fignaler  leur  puiflance  ;• 
La  Guerre  lui  livrer  Philisbourg  furieux, 
Sur  les  rives  du  Pô  fes  Lts  viilorieux. 

Forte  ici  tes  regards,  dit  la  Gloire  charme'e, 
louis  veut  à  lui  feul  devoir  fa  renommée 
11  attaque,  il  foudroyé  Ypres,  Furne? ,  Menin  ,* 
Fait  voler  la  terreur  fur  l'Efcnut  &  le  Rhin. 
Mais  qu'apperçois-ie?  ô  Dieux  !  dit  la  France  fiific: 
JLl  expire...  O  grand  Roi  !..  Ne  crains  rien  pour  fa  vie. 
Interrompt  le  Deftin:  le  mal  fi<  fes  accès 
Ne  feront  que  prouver  l'amour  de  fes  Sujets. 
Confiderc  l'accord  qui  règne  entre  les  Parques, - 
Pour  filer  d'heureux  jours  au  Phénix  des  Monarques-. 

Elle  jette  de-là  les  yeux  vers  Fontcnoy: 
Gloire,  en  Soldat,  dit-elle  , as-tu  changé  mon  Roi? 
Sa  valeur  pour  te  plaire  affronte  la  tempête. 
Le  tonnerre,  Louis,  gronde  autour  de  ta  tête;' 
Mars  feroit  effrayé  des  périls  que  tu  cours. 
Ton  fang  efi  à  ton  Peuple;  ah  !  ménage  tes  joufs* , 

France,  méconnois-tu,  dit  la  Gloire  attentive. 
Une  Divinité,  qui  fît  naître  l'Olive, 
Pallas ,  qui  près  de  lui ,  fon  Egide  à  ls,main. 
En  écarte  la  mort  &  les  foudres  d'airain  ? 

Mais  quel  jeune  Lion  fuit  fa  noble  furie? 
C-'eft,  apiès  lui,  l'efpoir,  l'amour  de  fa  Putiic,, 

A  î  Rc- 


lo    LOUIS   QUINZE, 

Répond  le  fier  Deftin  ;  c'eft  le  digne  Héritier 
Du  Trône  le  plus  beau  qui  foit  au  monde  entier  ;- 
Les  délices,  le  foin  de  fon  augufte  Mère, 
L'Elève ,  6c  quelque  jour  le  Rival  de  fon  Père. 

Tournay ,  Btuxelle,  Oftende,    Ath,  Oudenarde,, 
Gand, 
La  Flandre  cède  enfin:  Louis  eft  un  torrent. 
A  Raucoux  ,  à  LawfFeIt,  fon  feul  Nom  vous  renvcrfe, , 
lîatave,Anglois  ,  Germain  ;  h  frayeur  vous  difperfe. 
Vous,  qui  gonfles  de  fiel,  enflammés  de  couroux. 
Du  bonheur  des  François  fûtes  toujours  jaloux, 
Vous  fuyez  ,  oubliant  votre  audace  perfide, 
Comme  un  troupeau  de  cerfs  fait  le  chafleur  rapide. 

Vois-tu,  reprit  la  Gloire ,  au  grand  arc  des  Héros 

Son  Exemple  former  ces   nombreux  Généraux; 

Et  tels  que  de  hauts  Pins,  leur  Confeil  formidable 

L'entourer,  comme  un  Cèdre  aux  vents  inébranlable  ? 

Chartres,  Clerraont,  Conti,  Dombe,  £u,Penthie* 

vre,  Harcourt, 

Noailles,  Villeroy,  Soubife,  Balincourt,. 

Belle-ifle,Maillebois,  Coigny,  Brancas,  Tonnerre, 

Ifenghien,  Richelieu,  Luxembourg,  Scnefterre, 

Ions,  Mirepoix,  laFarre,  Houdancoutt ,  Langeron, 

Duras,  Gramraont,  Eouffleis,  Chaxoft,  Chaulnei,. 

Eiron;  * 

Et 

*  Parmi  les  PetPinnes  illafttes  qui  font  nommées  dans  ce 
loëme,  ou  y  voit  tous  les  noms  de  iVIelTieuis  les  JMaréchaux 
de  France  vivans  en  1749,  ceux  de  Meflîcurs  les  quatre  Ca- 
pitaines des  Gardes-dii-Cotps ,  deMeffieurs  les  Capitaines  des 
Gendarmes  &  des  Chevaux- Légers  de  la  Garde  ,  &  de  M.  Ic 
Gdo&d,  du  ftégimeat  dçt  Gardes  Ftançoifv:. 


POEME.  II 

Et  cent  autres  encor ,  que  la   valeur  fîgnaïe. 
Mais  que  de  Morts  fameux  dans  la  barque  fatale  ! 
Caron  avec  regret  les  pafle  à  l'autre  bord. 
Ne  plaignez  point  leur  fang,  leur  dit  le  Dieu  du  Sort; 
Sous  le  fer  ennemi  chaque  goutte  épanchée, 
Eft  d'un  fleuve  fumant  aufll-tôt  revenchée. 

La  France  les  admire  ,  &  dans  fon  embarras , 
En  comptant  les  Héros ,  compte  jufqu'aux  Soldats. 

Mais  qui  font  ces  deux  Chefs,  dit-elle  avec  fiiiprife? 
Ils  femblent  étrangers.  Tu  ne  t'es  pas  méprife  ,. 
Liii  répond  le  Deftin.  C'eft  Saxe  &  Lowendal  ;        y 
Ils  ont,  loin  de  chez  toi,  rcfpiré  l'air  natal  ; 
Mais  François  de  defir,  le  cœur  qu'ils  font  paroître, 
L'éclat  de  leurs  exploits  les  rend  dignes  de  l'être. 
Kaucoux  enfanglanté,  Bergopzom  abattu. 
Rendront  dans  tous  les  temps  hommage  à  leur  vertu. 

Dans  fon  cœur  toutefois  ton  Monarque  s'atHige 
D'employer  les  rigueurs ,  ou  fon  Sceptre  l'oblige  ; 
Mais  ces  jours  teints  de  fang,  néceflàires  horreurs, 
D'un  temps  plus  fortuné  font  les  avant-coureut». 
Regarde  dans  ce  fond  fe  lever  cette  Aurore; 
Elle  annonce  un  Soleil  plus  agréable  encore; 
riore,  en  lafaluant,  exhale  fes  parfums, 
Eole  met  aux  fers  fes  Sujets  importuns. 
Vois  fe  fuivre,en  tournant , ces  Colombes  légeies, 
Sans  craindre  des  Vautours  les  griffes  fanguinaires, 
Et  s'entredécocher  des  baifers  ,  dont  les  jeux 
Rendent  même  jaloux  ces  Moineaux  amoureux? 
Venus,  avant  le  temps,  règne  fur  la  Nature; 
Ce*  Arbres  étonnés  ont  repris  leur  parure  : 

Ai  En. 


12    L^UIS   Xr,  POEME. 

Entends  ces  Roflîgnols ,  voltigeans,  réjouis^ 
Chanter  les  jours  heureux  du  fiécle  de  Louis; 
Et  Tois  enfin  la  Paix,  dans  fes  dons  libre  8c  jufte,, 
Xe  couvrir  des  Lauriers  d'Alexandre  &  d'Augufte.. 

La  France  eftconfolée  à  ces  objets  rharmans,. 
Et  fes  regrets  font  place  à  fes  raviiTcmens. 

Là  fc  tut  le  Deftin  ,  &  les  céleftes  Sphères 
Applaudirent  enfcmblc  à  des  faveurs  fi  chères. 
Alors  le  rideau  tombe  ;  de  roulant  fur  fes  gonds,. 
La  porte  fait  mugir  la  mer  aux  environs. 

Le  char  eft  déjà  loin;  &  la  trace  qu'il  laiflc,. 
Imite  le  fin  on  ,  qu'une  illuftrc  De'eflè, 
D'une  goutte  de  lait  e'chappé  de  fon  (ein  , 
Dans  les  Cieux  blanchiflans  imprima  fans  deflèin. 
De  fon  retour  heureux,  tirant  un  fûrprefage^ 
Xa  Seine  le  revoit  fondre  fur  fon  rivage. 
Ses  Nymphes,  à  l'afpe^  de  ces  objets  nouveaux, 
Qiùttent,  en  fe  jouant,  leurs  palais  de  rofeaux. 
Se  tiennent  parla  main,  bondiflcnt  fur  i'arêne  ; 
Saf  cet  éTcneraent  interrogent  leur  Reine  : 
Et  d|un  commua  accord,  du  nom  de  Bien-aime',, 
Ce  Roi  viâoricux  cft  par  elles  nommé. 
E  RANGE,   auprès  de  L.OUIS  mon  penchant 
me  rappelle, 
Xui  dit  enfin  la  Gloire;   &  fi,  toujours  fidelle, 
]e  fus  du  grand  Eoukbon  la  lumière  &  l'appui,. 
So.n  SuçceiTeui  partout  me  verra  devant  Lui. 


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ODES. 

O  D  E    I. 

LEPARNASSE    FRANÇOIS.. 
A  M.   TITON  DU  TILLET.  ♦ 

.XxRcHiTECTE  famciiXjdont  la  fjavante  main 
£leve  un  Monument  en  l'honneur  de  la  France;. 
La  ma/eftc  pompeufe ,  l'exqulfe  élégance. 
Se  prêtant  à  l'effort  <fe  ton  Art  fouverain , 
Ont  poli  la  matière,  &  réglé  l'ordonnance 
De  ton  Edifice  divin. 


Sans  avoir  épuifé  lies  deux  bords  de  l'Hydafpej 
Ton  adreflê  a  charmé  notre  goût  &  nos  yeiuc  ; 

•  Voyez  la  note  à  la  £d  de  cette  04e  >  E3g.  I?- 
Tm,  J.    '       -  A  7 


Et 


14  ODES. 

Et  ton  Ouvr.ige  précieux 
Ternit  l'éclat  divers  du  porphyre  8c  du  jafpe. 

Ce  monument  tranfmis  à  la   poftcrite'. 

Des  temps  impétueux  bravera  les  outrages; 

Delà  flamme  &  du  vsnt  il  fera  refpcfté; 

Et  jufqu'aux  derniers  jours  qu'auront  les  derniers  âges. 

Ton  nom  vi6lorieus  fsra  par-tout  vante.     ;         : 

Jupiter  même  en  vain  voudtoM  re'diùK  en  poudre 
Ces  coteaux -triomphans  des  ligueurs  des  hyvers; 
Les  durables  lauriers,  dont  tu  les  as  couverts. 
Les  garantiront  de  la  foudre. 

L'ingénieufé  Antiquité 
fit  palTet  /ufqu'à  nous,  d'un  ratnaflè, Invente 
L'image  ambitieufe  eii  (on  cerveau  tracée. 
TlTON,  j»ar  un  fecret  qu'qn  «'avoit  point  tente,. 

iSçait  faire  à  la  fable  étlipfée, 

Succédei  la  le'alité. 

Lcshabitans  du  Pindc  écartent  l'ombre  noire, 
Qiii  des  terreftrcs  demi- Dieux    ' 

Tâche  à  couvrir  les  noms  d'un  voile  injurieux; 

Et  des  dents  de  l'Envie  arrachant  leur  tneaioire'. 
Leur  ouvrent  la  porte  àes  Cicux. 
TlTON ,  quel  honneur  doit  donc  fiùV4fr 
Tes  incomparables  travaux?,  c  :;*:,},:.    . 

Tu  redonnes  la  vie  à  ceux  qui  foiit  revivre 

Les  humains  qui,  bravant  les  dangers  &  les  maux. 
Ont  eu  la  ?alem  pour  Egide, 

Et 


ODE    S.  îS: 

Et  que  le  mérite  folide 

Donne  aux  Dieux  mêmes  pour  Rivaux. 

Mais  quel  charmant  Tpeftacle  eft  offert  à  ma  vue? 
Un  Groupe  incrufté  d'or  fe  forme  d'une  nue  , 
Des  cignes  argentés  t'eiilevant  dans  les  aiis,. 

T'y  font  un  trône  de  leurs  ailes  ; 
Le  Ciel ,  la  Terre  en  feu  répètent  leurs  concerts. 
Tout  s'anime  aux  doux  fons  de  leurs  voix  immoitellcs» 

j'entends  des  inftrumens  divers  > 

Je  vois  la  Mufique  &  les  Vers, 
S'.iccorder  à  l'envi  pour  célébrer  ta  gloire  ; 
Et  du  brillant  fommet  du  Temple  de  Mémoire^  . 
La  répandre  aux  deux  bouts  de  ce  vaile  Univers. 

Le  puiffant  Proteéleur  des  Boileaux,  desCtorneilIes,, 
Du  Fils  du  Grand  HENUi  le  vaillant  Rejetton, 
Qui  toujours  attentif  aux  fçavantes  merveilles,  , 
Anima  les  Auteurs,  récompenfa  leurs  veilles. 
De  ton  Parnaffe  eft  l'Apollon. 

Sou  Royal  Héritier,  ni  moins  grand  ni  moins  bo»,  , 
Formé  du  même  fang,  fuit  fon  augufte  trace; 
A  peine  a-t'il  parlé,  que  le  cruel  Démon, 
Dont  le  fceptre  de  fer  épouvante  la  Thrace, 
Baiffe ,  épris  de  refpeft ,  fon  fanglant  pavillon,. 
Je  vois  de  fiers  Géans  que  fa  force  terraffej 
Et  le  Vice  infolent ,  à  fes  pieds  abbattu , 
Implorer ,  plein  d'effroi ,  la  modefte  Vertu. 

Sous  fon  Régne  fécond  les  beaux  Aits  fruftifient; 
A  déàichei  letu  champ  lui>mcme  il  prend  plailir, 

TobS 


\txs         0  D  E  s: 

Tous  les  Sçavans  s'en  glorifient. 
Le  Ciel  en  le  créant  couronna  leur  defir: 
îi  eft  l'honneur,  l'exemple  &:  l'amour  de  la  terres 
Les  Peuples  différcns  que  fon  contour  enferre. 
Sont  jaloux  du  bonheur  qu'on  goûte  en  nos  climats. 

Minerve  cft  fon  fîdcle  guide; 
Et  portant  fon  grand  nom  gravé   fur  fon  Egide,,. 

L'annonce  en  précédant  fes  pas. 

Du  cœur  de  fes  Sujets  il  a  fait  la  conquête. 
Trataillez,  des  neuf  Soeurs  dlligens  NourrilTons  5^ 
Célébrez  fes  vertus;  fa  main  cft  route  prête 
A  répandre  fur  vous  la  douceur  de  fes  dons. 
Cioiflez  fur  la  double  colline. 
Jeunes  &  tendres  Arbriflsaux  : 
Le  fleuve  fe  déborde,   &  fa  fource  divine,, 

Qiii  fait  reverdir  vos  rameaux  , 
Vous. inonde  déjà  du  tréfor  de  fes  eaux. 

Ah ,^  Ciel!  fi  tu  daignois  féconder  mon  envie», 
On  verroit  fe  mêler  le  feu ,  l'air  &  les  flots , 
Et  tomber  aveceuxla  Terre  enfévclie 

Dans  les  entrailles  du  Cahos  , 
Avant  que  le  cifeau  de  l'affreufe  Atropos 
'       Coupât  la  trame  de  fa  vie. 
Mais  fi  l'inclémence  du  Sort 
S'attache  obftinément  à  brifer  la  barrière 
Que  notre   jufte  zèle  oppofe  à  fon  effort; 
Dieux!  permettez  qu'avant  de  perdre  la  lumière, , 
11.  fomniflc  deu.x  fois  l'éclatante  cairietc 

Dr 


O    D    Et  17 

De  ce  Roi  conc[uir?nt  (t)  dont  la  rapidité  ;• 

Surprit  dans  fes  marais  le  Batave  indompté  ; 
Qi^ii  pouvoir  dominer  du  Couchant  à  l'Aurore,. 
S'il  n-'eût  enfin  lui-même  arrêté  fes  progrès;--' 

Et  que  nous  pleurerions  encore, 
Si  de  fou  Succefleur,  que  l'Univers  adore. 
Les  talens  infinis  n'étoufFoicnt  nos  regrets. 

Alors,  maigre  la  Farque,  au  Temple  de  Mémoire, 

Entre  les  bras  de  la  Viftoire, 
Très  de  fon  Bifayeul  notre  Roi  volera  ; 
Aflls  au  même  rang,  fur  ce  Mont  il  verra 
Ce  Valois  renommé  ,  2 } ,  qui ,  chaflant  de  la  Fiance 

L'orgueilleufc  &  folle  Ignorance, 
fut  le  père  Se  l'appui  des   Arts  qu'il  illaftra , 

"Et  qu'excita  la  récompenfe. 
Que  ne  pcux-'tu ,  Titon,  vivre  encor  Jufqiics-Ià!! 

Sultan  magnifique  ParnafTe, 
Tu  lui  décemerois,  de  cette  infigne  place, 
L'honneur  dont  l'Equité  par  ta  Toix  ralïijra. 

:         .     ,     ..  ODE" 

Le  ramafle  François:  élevé  en  bropzc,  a  la  eltire  de  la 
France,  de  Louis  le  Grand,  &  des  illuftres  Poètes  &  fameux: 
MiiGciens  François,  déctié  an  Roi ,  pàrîM.  Titoh  du  Tillet, 
Maître  d'Hôtel  de  feu2, Madame  la  paqphijie  mère  du  Koi; 
a.idei».  Capitaine  d''I.!fnntetie  &''de  .  Uragonç,  ComnrifT.iire 
Pî'^vincial  dcs,GueiTes;  desi.Acadëmies  dos  Jci» Floraux  de 
Tuuloiifc,  d'Angers,  de  M:.rlèi]le,  es  la  Rùthclie,  ds  Bori 
dcaux,  de  Lyon,  (5e  Caën,  de  Rouen,  de  iMontaulian,  ^ 
de  celles  dellft  Cnsfa  &  des^U  ^ircadi.  M.  Titorr,  qui  a.  fait 
exécuter  ce  bel  Ouvrage  à  fts  dépens,  en  a  douni  la  Detiip- 
tion  en  un  vol.  in-fol.  d'environ  looo  pa^.  crue  de  plufieurs 
Vignef-tes  &  Eftampes,  qui  contient  l'Hifloire  des  Poètes  & 
des  Muficiens  F ran.;ois  ;  avec  des  Reinarques  fur  la  Poi-lie, 
jc  la  Muilque,  &  fur  l'origine  &  le  piogrés  des  Speitncie» 
tii  France.  „ 

(;r)  Louis  XIV.  (2)  Françofs  Pxeffiieiv     "     "^   . 

■Tm.  1. 


iS  ODES, 

O  D  E    IL 

^    M.    DE    VOLTAIRE^ 

Sur  sa  Henkiade. 

For  fit  an  fi  fe  levibus  fufurrU 
Vana  viElricem  fore  turha  crédit  ^ 
Crédit  incaJJ'um;   tua  na^iq^ue  Udi 
Nejcia  fama. 

Pind.  Pith.  Od.  2. 

I  vE  laurier  le  pîus  beau.  Volt  aire,  ceint  ta  tête: 

Ta  veine  à  couler  toujours  prête  ,^ 
Dans  UQ  fentier  fcabreux  s'épanche  avec  fuccès. 
Ta  féconde  jeunefle  enfante  une  œuvre  imnienfe^ 

Achevant  un  Art,  dont  la  France 

Ke  vit  que  de  foibles  eflais. 
Du  Chantre  d'ilion  la  fuperbe  Patrie  > 

L'antique  &  moderne  Italie^ 
ÎJous  vantent  des  Auteurs  qui  revivent  en  toi. 
Partes  foins  immortels,  par  ton  illnftre  audace» 

HENRI,  le  grand  Henri  furpaflè 

Achille,  Ene'e»  &  Godefroi. 
Tel  qu'un  large  torrent,  dont  la  vague  indomptée; 

A  bonds  fougueux  précipite'e. 
Dans  les  champs  étonnés  porte  au  loin  la  terreur; 
Tel  y  tu  peins  la  Difcorde  irritant  les  allarmes, 

Paiis  cédant  au  fort  des  armes. 

Le  feu,  la  faim,  la  mort,  l'horreur. 
Tel  qu'un  charmant  ruiflèau  dont  l'onde  vive&pure,^ 

£xcitatu  un  iîmple  muiiDuie, 

Se 


ODES,  If 

Se  gViGe  à  flots  légers  fur  un  tapis  de  fieurs  ; 
Tel,  tu  peins,  vaiie',  les  tranfports,  la  tendreflcj 

D'un  Amant  &  d'une  Maîtrelle, 

Enyvtés  de  folles  douceurs. 

De  quel  vif  fcntiment  mon  ame  eft-elle  cmnCj 
Lorfque  tes  portraits  à  ma  vue 

Se  montrent  dans  deux  vers  cadences  &  précis  ? 

C'eft  ainH  quelquefois  que  l'adroite  PeintufS 
Sçait  dans  l'exaâe  Mignature, 
De  fon  Art  renfermer  le  prix. 

Sublime,  ingénieux,  un  jugement  folide 
Eft  par-tout  ton  fidèle  guide. 

On  te  voit  en  fon  lieu  placer  la  Fittioni 

Et  prudent,  tu  retiens  dans  les  juftes  limites 
Qu'Horace  &c  Boileau  t'ont  prefaices,. 
La  (implicite  d'a(fbion. 

Cependant  contre  toi  la  Critique  animée. 
Veut  jufques  fur  ta  renommée 

Etendre  les  rigueurs  de  fes  injuftes  loix  ; 

Quoiqu'en  fes  noirs  defleins  fa  haine  perfe'verej. 
Tu  feras  toujours,  tel  qu'Homère > 
VainquCHi  des  Zoïtes  François, 

Leurs  efforts  contre  toi  deviendront  inutiles; 
Méprife  ces  Rimeurs  ferriles , 

Dont  l'Apollon  craintif  mefure  tous  fes  pas;. 

Stdont  l'efprit  berné,  croit  que  la  Poëlîc 
Doit,  comme  la  Géomctiie, 
î^allex  jamais  fans  ua  compa;» 

^. 

ODE 


20  0  'D    E    S. 

ODE    III. 
AU    ROI    DE    PRUSSE, 

SCR   SES    PRBMIERF.S    C  O  N  Q^XJE  STX  Si- 
Si  tltults  tr.Hofque  tues  numerare  veîimui  y 
TaHa  prémuni  anr.cs:  Pro  tt,  ftiriijfuve y-Jita. 
Puhlica  fufcipimus 

V^Uel  eft  donc  ce  psmpeux  fpeftade. 
Qui  fur  la  terre  &  dans  les  Cieux». 
Tar  l'éclat  d'un  nouveau  miracle 
Enchante  les  cœurs  &  les  yeux  ? 
L'Olympe  s'allume  &  fe  dore 
Bes  feux  de  la  plus  belle  Aurore 
Qu'on  vit  fortir  du  fein  des  flots; 
Apollon,  Mars  &  la  Viftoire, 
Sur  un  char  conduit  par  la  Gloire,. 
Couronnent  un  jeune  Héros. 

Voilà  ton  Ange  tutélaire, 
Reconnois  fon  illuftre  Appui , 
Prufle:  ton  Aiglon  fort  de  l'aire. 
Et  tout  fuit  d'abord  devant  lui. 
Dans  les  Etats  de  Tes  Ancêtres, 
Aflervis  fous  d'injufles  MaitreS  , 
Rétabliflant  fcs  premiers  droits, 
FREDERIC  armé  du  tonnerre, 
Eait  voir  que  Thcmis  fur  la  terre 
Soutient  U  cvii%.  des  grands  I\.ois. 

Gou« 


0    D    E    S,  21 

CoHvcrt  de  fumée  &  de  flamme, 
Valcain ,  dans  les  antres  d'Etna  j 
Forgea  la  redoutable  lame 
Que  Mais  lui-même  te  donna. 
Ton  Nom ,  tr-.  marche  triomphant* 
Glaccnc  l'ennemi  d'épouvante. 
Pallas  devance  tes  drapeaux; 
Et  roder j  le  long  de  les  rives, 
Laiffe  fuir  fes  Nymphes  cr.iintiveS) 
Et  t'admire  dans  fcs  lofeaux. 

rias  fort  qu'Alcide  5c  !a  Fortune, 
Et  dédaignant  un  nombre  égal , 
Il  te  faut  deux  palmes  en  une,. 
Et  plus  d'un  Héros  pour  rival, 
ïar-tout  oïl  ton  glaive  étincelle, 
La  Mort  combat,  le  iang  ruifielle. 
Tout  tombe  au  devant  de  tes  pas; 
Et  le  Hongrois  qui  mord  la  poudre. 
Croit  que  tes  yeux  lancent  la  foudre, 
Et  qu'ils  enfantent  des  Soldats 

Mais  la  Victoire  cil  hors  d'haleine; 
Le  Temps  s'étonne  dans  les  airs 
Qiie  fcj  ailes  puiiïent  à  peine 
Suffire  à  tes  exploits  divers. 
Peuples,  que  Frédéric  tcrralR, 

Neméfis  contre  votre  audace 

Sert  les  loix  que  vous  méprifez; 

Et  vous  reproche,  e'chévelée, 

En  Te  jettant  dans  la  mcice, 


Le 


:22 


ODES. 

le  fang  dont  vous  vous  épuifct. 

De  l'antique  Métempricofe 
Dois-je  embraflei  les  fentimens. 
Et  l'expérience   qu'oppofe 
Pithagore  aux  raifonneinens?  (i) 
Xes  ans  à  l'humaine  machine 
Livrant  une  guerre  inteftine. 
Et  brifant  fes  fubtils  reflbrts, 
L'ordre  établi  par  fon  fyftême 
Veut  quel'amue,  toujours  la  même^ 
Ke  faflè  que  changer  de  corps. 

Eft-ce  donc  du  Vainqueur  d'Atbelie 
L'efprit  qui  te  vint  animer? 
Ou  celui,  dont  Cinna  rebcle, 
Vit  la  colère  fe  calmer? 
Ou  plutôt  l'un  Se  l'autre  enfemblt, 
Dans  ton  ame  qui  les  alTemble , 
B.épandent-ils  un  feu  nouveau? 
Mais  que  dis-je  ?  exemt  de  leurs  vicCJ, 
Tune  fais  voir  dans  tes  prémices, 
■Que  ce  qu'ils  eurent  de  plus  beau. 

Souvent  un  Trintemps  agréable 
Eft  fuivi  d  un  Eté  fangeux  ; 
£t  fouvent  Ceiès  plus  aimable^ 

fi^  ï^fe  *go  C"""  metnini)  Trojani  tempore  belU 
Paotboïdes  £ufhoibus  eiam. 

Ovid.  Mc6 


ODES.  2$ 

Remplace  un  Printemps  orageux. 
Ombre  changeante  Sx  fugitive, 
L'honame  de  cette  alternative 
Eprouve  le  bifarre  effet. 
Prenez  divers  temps  de  leur  vie; 
Ncron\&  l'Epoux  de  Livie 
Formeront  un  Prince  parfait. 

L'un,  en  commençant  fa  carrière^ 
Annonçoit  (îes  Soleils  heureux; 
Et  parricide  ,  incendiaire , 
Devint  bientôt  un  monftre  affreux. 
1,'autre,  effaçant  de  durs  préfages.. 
Fit  fucceder  aux  noirs  orages 
La  plus  douce  férenité. 
Héros,  fans  douteux  intervale, 
La  Vertu  d'une  courfe  c'gale 
Te  porte  à  l'immoitalite. 

Loin  du  fentier  des  Rois  timides. 
Que  la  molle  indolence  endort. 
Et  des  Ty-ans  de  fang  avides. 
Cruels  miniftres  de  la  mort  ; 
Tu  penfes  que  le  Berger  fage 
Reçut  la  houlette  en  partage. 
Pour  conferver  fon  cher  troupeau; 
Et  non  pour  aller  à  toute  heure 
Chercher  au  fond  de  leur  demeure 
Les  Loups  en  paix  loin  du  hameau. 

Défends  doqc,  Ptince  magnanime, 

L'Hc- 


24  ODES. 

L'Héritage  de  tes  Ayeiix. 
De  la  vengeance  légitime 
La  Caurcc  eft  même  chez  les  Dieux. 
Mais  (le'daigne  ce  Roi  d'Lpire, 
Qui,  non  content  de  fon  tmpire. 
Et  brûlant  d'ctendie  fon  nom, 
pletrit  follement  fa  mémoire, 
Et  n'a  mérite  dans  l'Hiftoirc 
Que  le  titre  de  Vagaoond. 

Soit  que  fur  le  char  de  Bellonne 
La  Vaillance  expofe  les  jours , 
Ou  que  l'Olivier  te  couronne, 
L'amour  des  Arts  te  luit  toujours. 
Cliriftine,  fous  un  ciel  de  glace. 
Fit  fleurir  1  s  dons  du    ParnalVe , 
Sa  cour  fut  ouverte  aux  neuf  Soeurs. 
Doué  des  talens  les  plus  rares, 
Tu  les  pre'viens,  &  leur  prépares 
A  Berlin  les  mêmes  douceurs. 

Dans  leurs  Archives  immortelles, 
LesMufcs,  fur  le  diamant. 
Gravent  des  images  fidelles. 
Qui  durent  ctetnellement. 
Le  grand  LouiS.'à  fes  Orphces, 
Doit  les  rayons ,  donc  fes  trophée* 
Erapperont  nos  derniers  Neveux;. 
Et  fa  juftc  munificence 
Signala  fa  reconnoiflaiice 
Et  l'cftiine  qu'il  faifoit  d'eux. 

ïJen- 


I 


ODES.  t^ 

Bien-tôt  s'éclipfe  le  mérite 
D'un  ConqucrsHt  dans  le  tombeau, 
Si  Phe'bus  qui  le  reflfulcite, 
N'en  retrace  un  vivant  tableau. 
Tes  lumineufes  deftinées 
N'ont  point  des  jaloufes  années 
A  craindre  les  obfcurs  retours  : 
Nouvel  Achille,  dans  Voltaire, 
Tu  trouveras  un  autre  Homère; 
Et  vos  deux  Noms  vivront  toujours. 

ODE     IV. 

L  //    BEAUTE. 

A       MADr.    M01SELX.E**. 


^_  Eaute',  fubtil  poifon  de  l'ame. 

Qui  nous  enchantes  8c  nous  perds, 

Tifon  dont  la  rapide  flamme 

Embrafa  cent  fois  l'Univers; 

Quel  Dieu  vengeur,  quel  coup  de  foudre 

Réduira  les  Autels  en  poudre 

Oîi  ton  Fantôme  eft  encenfc; 

Et  déchirant  ton  diadème, 

T'abattra  de  ce  rang  fuprême 

Oîi  t'éleva  l'homme  infenfé  ? 

Aux  yeux  furpris ,  toujours  mafquée  , 
Tu  montres  d'aimables  dehors; 
7«w.  /,  £  Vne 


26  ODE    S. 

Une  ame  interdite,  offufque'c, 
t  Cède  fans  peine  à  tes  efforts. 
Mais  par  quelles  lâches  foiblcffcs, 
Jar  quelles  indignes  baflefles , 
Faut-il  acheter  tes  fivcurs  ! 
Impéiieufe,  tu  ne  donnes 
Le  prix  honteux  de  tes  couronnes 
■Qu'à  des  captifs  &  des  flateurs. 

Tourment  des  cœurs ,  trompeufe  raere 
Des  dangereux  &  faux  plaifirs, 
Vaine  6c  féduifante  chimère^ 
Ta  nous  confumes  en  dciîrs. 
L'impatiente  Jaloufie, 
L'Efpoir  craintif,  la  Fanta'fie, 
L'Audace  aux  projets  efFtcnés, 
L'Effroi,  la  Guerre  à  l'œil  funefle; 
L'Adultère,  &  l'infâme  Incefte, 
Sont  tes  cnfans  infonunës, 

•    Que  de  batailles,  que  d'allarnjes. 

Quels  maus,  quels  crimes  enfanta 

Le  coupable  encens,  qu'à  tes  charmes 

Le  Fils  de  Priam  préfenta! 

Sa  Patrie  aux  flammes  en  prove, 

Sous'rheibe  la  faraeufe  Troye 

Vit  anéantir  fon  orgueil  ; 

Et  Pyrrhus  bouillant  de  colère. 

Du  meurtre  du  fils  &  du  père. 

Paya  ton  infidèle  accueil. 

A  tongrè,  ton  pouvoir  perfide 

Pro- 


O    D    ES. 

Troduit  des  changemens  divers; 
Le  Héros  le  plus  intrépide 
Languit,  amolli  dans  tes  fers. 
Annibal  marche  au  Cap  tole. 
De  viftoire  en  vicloiic  il  vole; 
Rome  fe  livre  à  la  terreur. 
Tu  parois,  ton  afpeil  l'arrête; 
Il  abandonne  fa  conquête. 
Et  tu  triomphes  du  Vainqueur,  * 

Par  toi  la  Raifon  rcTolte'e 
S'emporte  en  excès  odieux. 
Quelquefois,  lionne  indompte'e. 
Ses  mouvemens  font  furieux  : 
Qiielquefois  rampante,  captive. 
Elle  eft  languiflante  Se  [ilaintive. 
Toujours  yvre  de  ton  po,fon. 
Ainfi,  de  toi  feule  obfcdée. 
De  fon  trône  elle  eft  dégradée. 
Et  celTe  d'être  la  Raifon. 

Un  feul  homme  en  renverfe  mille, 
Par  toi  feule  il  eft  abbattu; 
David  te  voit ,  David  fragile 
T'immole  toute  fa  vertu. 


Son 


*  On  regrettoit  l'abondance  de  Capoue.  On  fengeoit  aux 
Maîtrefles,  lorfiju'il  f.iUoit  aller  aux- Ennemis.  On  languiT- 
foit  des  tendrefTcs  de  l'Amour,  quand  il  falloit  de  l'aftion  & 
de  la  fierté  pour  les  combats.  .9.  F.zremond,  Réflexions  fur  lu 
i/ivers  génies  du  l'étiolé  Roinain ,  cb.  VlU 

--"■  B  z 


28  ODES, 

5on  Fils  trompé  par  ton  adrcfle. 
Tombe,  du  fcin  de  la  SagefTe, 
Eu  des  égareriiens  honteux; 
Et  de  Jean,  qj'enfiamme  un  faiat  zèle 
Contre  une  chaîne  criminelle, 
La  tête  eft  le  prix  de  tes  jeux. 
Confulte-t'on  le  goût  folide. 
En  formant  d'amoureux  projets  ? 
C'eft  le  caprice  qui  dccide 
Du  prix  des  differens  objets. 
Tel  de  fon  ame  irapétueufc 
Suivant  l'ardeur  vo'uptueufe, 
Croit  te  trouver  dnis  la  laideur; 
Et  cette  difforme  Rivaie, 
Qui  te  brave  &  qui  te  rrivale. 
Sur  toi  remporta  plus  d'un  cœur. 

Amas  de  pouffiere  Se  de  boue  , 
De  quoi  peux-tu  t'enorgjeil.it  ? 
On  t'adora;  mais  on  te  joue. 
Quand  tu  commences  à  vieillir: 
Au  moindre  mal  s'e'vanouiflcnt 
Les  faux  charmes  qui  t'embelliffeutj 
Tu  n'es  p'us  comparable  à  toi: 
De  ta  fierté  la  Mort  fe  vange. 
T'enlève  à  tout  âge  ,  &  te  change 
En  objet  d'horreur  &:  d'effroi. 
Volage  &  folle  Coutiifane, 
Qii'accompagne  la  Vanité  , 
Cefle ,  Siwulacie  prophaiic  > 

D'u» 


ODES.  2p 

D'iifurpet  le  nom  de  Beautc*. 
L'ame  feule  a  droit  d'être  belle, 
Pure,  huiîible,  à  Tes  devoirs  fidelie; 
Voiià  fes  folides  appas. 
C'eft  par-ià  qu'à  jamais  virante. 
Sa  beauté  refte  triomphante 

Du  temps,  du  fort  &  du  trepaSr 

'*» 
Enfin  vous  êtes  ohéif  ^ 
Cleoeuline;  b"  mon  pinctau 
De  la  Beauté  qu'il  humilie  ^ 
yous  expofe  un  triJU  tableau. 
Mais  fi  la  Beauté  q^e  j'ojfenft^ 
Fit  fur  vous  couler  l'excellence 
J)e  fes  dons  les  plus  gracieux  i 
L'efprit  divin  qui  vous  anime  y 
Change  en  homynagc  légitime 
Celui  qu'on  rend  à  vos  beaux  yeux. 

O  D  E     V. 

A     LA     VERTU. 

Nohititas  fota  efl  atque  unica  virtm  .• 
PauluSy  vel  CoJfuSy  vel  Dru/us  moriius  efto. 

Juv.  Sat.  g. 

V  Ei^TU,  dont  la  fource  de  flamme 

Coule  de  Ja  Divinité'  ; 
Toi ,  qui  conduis  une  belle  ainfr 

3  3  Pans 


3.cf  ODE    S. 

Dans  le  fentier  de  l'Equité  r 
I      Defcends  de  la  voûte  azurée  ,. 

Viens  de  ton  haleine  facrcc,  » 

Souffler  la  force  dans  mon  cçeur; 
]e  vais  confondre  ta  Rivale, 
Dont  la  bouche  aux  humains  fatale  ,, 
Les  charme  fous  un  nom  tiorapcur. 

rat  toi  la  Noblefïe  enfantc'e, 
.Ne  pouvoit  fubfifter  fans  toi  ; 
fat  elle  toujours  confulte'e. 
Tu  la  voyois  fuivre  ta  loi  : 
Mais  depuis,  fiers  d'un  vaia  titre  « 
Elle-même  devient  l'arbitre 
De  fes  plus  injuftes  projets; 
Et  fon  audace  qui  t'affronte, 
Dédaigne  ton  joug,  &  te  compte 
Au  rang  de  fes  moiadres  fujets. 

Enflés  d'une  coupable  gloire, 

Qiii  n'appartient  qu'à  vos  Ayeux, 
Offrez-vous   tous  à  ma  mémoire. 
Mortels,  qui  vous  croyez  des  Dieux, 
Examinons  fur  quoi  fondée, 
Une  ptéfomptueufe  idée 
A  tendu  vos  efprits  G.  vains. 
Efclaves  infenfés  du  Vice, 
Peut-il,    au  gré  d;  fon  caprice, 
Vous  mettre  au-defTus  des  humains? 

Qti'entends-jc  ?  à  mes  regards  la  Terre 
Va't'elle  eiitr'ouvrir  les  Enfers? 


Le 


ODES.  31 

te  Ciel  lance-t'il  le  tonnerre, 
Qiii  doit  ernbrafer  l'Univers  ? 
Non,  c'eft  un  char  qu'à  toute  bride 
Fait  voler  un  fou  qui  le  guide. 
Tout  s'ébranle  au  loin  fous  nos  toits. 
Ou  cours-tu,  jeunefic  effrénée?' 
Le  Dieu  qui  punit  Salmonée , 
N*eft-il  plus  jaloux  de  fès  droits  ? 

Se'pulchre  au  dehors  magnifique,- 
Dtfpouille  ce  riche  appareil; 
Et  qu'un   Pauvre  à  l'efprit  Stoïque 
Prenne  un  habit  au  tien  pareil. 
Sans  démentir  fou  caraftére. 
Il  fe  conferve  un  coeur  fincére, 
Un  noble,  un  modefte  maintien. 
Fût-il  couvert  du  Diadème, 
Un  fage  en  tout  temps  eft  lui-même; 
Et  toi  fans  l'habit  tu  n'es  tien. 

Mais  qu'encor  rampant  dans  la  fange, 
Cet  efclave  à  l'air  impudent, 
Avec  toi  falTe  un  tel  échange, 
Et  qu'il  devienne  indépendant; 
En  un  inftant  il  s'approprie 
Ta  fierté,  ton  effronterie, 
Son  front  altier  brave  les  Cieux. 
Les  fleurs  fous  fes  pas  vont  édore,. 
Il  croit  que  la  Terre  s'honore , 
Sous  un  fardeau  fi  gloxiecx. 

B  4  '        Dars 


3^  ODES. 

Bans  le  honteux  excès  qu'il  loue  ,. 
Indignement  enfeveli, 
Un  autre  à  Bacchus  fe  dévoue. 
Et  met  tout  le  refle  en  oubli. 
Ses  débauches  n'ont  point  de  trêTe> 
Les  vignes  épuifen:  leur  fève 
Tout  fournir  à  fes  longs  repas. 
Semblables  à  ceux  du  Lapiihe, 
lis  traînent  fouvent  à  leur  fuite 
Le  noir  defoidre  &  les  combats. 

Le  vin  fut  le  matbre  luiflelle  , 
Tout  devient  armes  fous  leurs  mains ^ 
La  rage  impudente  étincelle 
Sur  leurs  vifages  inhumains  ;  ^ 
D'affreux  débris  couvrent  la  terre; 
Vidimes  d'une  folle  guerre, 
L'un  de  l'autre  attaque  le  flanc; 
Er  deux  fois  expofant  fa  vie, 
Le  Duel  court  à  l'infamie, 
Qii'il  acheté  au  prix  de  fon  fang. 

Yvreflè ,  ô  toi  qui  d'Alexandre 

Souillas  les  brillantes  vertus. 
Tu  mis  Perfépolis  en  cendre; 
C'eft  toi  qui  poignardas  Clitus. 
Ton  Ombre  ténébreufe  égare 
L'efprit  fans  bouflbie  &  fans  phare; 
La  Rai  fon  pâle  a  difparu. 
A  tes  flots  pefans  l'homme  en  butte 
De  l'obfcur  iiiftinft  de  la  brute 


Se 


ODES,  33 

Se  trouve  à  peine  fecouru. 

Paroiflèz,  Ombre  magnanime. 
Du  tiiomphanc  Fabricius. 
Paflez  le  Stix,  Ame  fublime- 
Du  fobre  &  vaillant  Curiuy. 
Montrez-vous,  Diftateur  féve're,  *■ 
Vous  qui  d'un  fils  qui  dégénère,- 
Punîtes  les  dcbordcmens  : 
Venez  aux  Nobles  de  notre  âge. 
Apprendre  combien  leur  langage 
Diffère  de  vos  fentimcns. 

Cet  autre  qu'un  penchant  extrême-" 
Aiïervit  au  Démon  du  jeu, 
Maudit  le  fort,  le  Ciel,  foi-même;. 
Roule,  ctonné,  des  yeux  en  feu. 
Le  foir  linfortuné  protefte 
De  quitter  le  jeu  qu'il  dctefte; 
Serment  par  la  fureur  didé  I 
Le  jeu  qu'il  hait  8c  qu'il  adore, 
DP.main  voit  fes  Autels  encore 
Eumer  d'un  encens  infedé. 

Sa  pertes  fans  ceflê  entalTées,  ^ 

Comme  en  des  abîmes  profonds. 
Des  Terres  pat  les  fiens  laiflees, 
Engloutiflent  bien^tôt  les  fonds. 

Il 

*■  Le  fils  de  Q.  Ciiicinnatns  ayant  ^té  {bavent  repris  pat 
les  Ceofeuis ,. pour  la  mauvaiie  vie,  fun  peie  le  Ueibé{ita.- 

B  S 


34  ODE    S. 

Il  prend  par-tout  à  ttiple  ufurè,. 
^Epuife  un  Vafla!  qui  murmure 
D'un  fnng  dont  il  eft   altéré; 
Tant  qu'enfin  vendant  fon  Domaine,, 
En  proye  au  Démon  qui  Icntiaine, 
11  meurt  pauvre  Se  dcfcfpéié. 

De  cent  chiens  les  voix  confondues 
Au  bruit  des  Trompes  &  des  Cors, 
Font  au  loin  retentir  les  nues; 
Les  Fctcs  tremblent  dans  leurs  forts, 
Rcpindant  par-tout  les  allannes. 
Ce  fou,  de  fes  Vaflîux  en  larmes 
Gâte  les  chr.mps  enfemencés: 
Dans  les  filions  l'herbe  cft  foulée; 
,  Et  Cérès  pleure  échéveice 
Des  travaux  mal  lécompenfés. 

Toi  qu'engendra  l'impure  écume,, 
parmi  les  flots  tumultueux. 
Venus,  combien  ton  feu  confume 
De  ces  Paris  voluptueux  ! 
Efféminés  Saidanapales, 
Trodigues  Héliogabales, 
-Ils  t'obéiflent  fans  effort. 
Vils  Flateurs,  brfilans  Idolâtres 
Des  dévorantes  Cléopàtres, 
Le  crime  en  fon  fcin  les  endort. 


Leur  âge  s'écoule  dans  l'ombirej 
Leurs  biens  entiexs  font  envahis, 


?ÛVUt: 


ODE    S,  35. 

Tour  fournir  aux  befoins  fans  nombre  , 
Des  Glyccres  &  des  Laïs. 
Souvent  un  hymen  deshonncte 
Les  joint  en  une  affreufe  fête.  1 

Noirs  fermens,  exécrables  nœuds? 
L'amour  bien-tôt  fc  change  en  haine, 
Et  voit  de  leur  indigne  chaîne 
Naître  des  monftres  dignes  d'eux. 

Vainqueur  de  l'importune  flamme 
Dont  il  fe  vit  fol'ici:e, 
Xe'nocraee  au  lit  d'une  iufame 
Fit  briller  la  pudicité. 
Ah  !  fi  du  Monde  en  fon  enfance- 
Nous  imitions  la  tempc'ranee , 
Chafiant  le  Luxe  fuborneur, 
Banniflant  l'Intérêt  tenace,  \ 

Nous  verrions  re'gner  à  leur  place 
La  Continence  avec  l'Honneur. 

La  fource  eft  tranfparente  &  faine'. 
D'où  forcent  ces  charmans  ruiflcaux. 
Qui  roulent  une  eau  fouveraine 
Sur  un  fond  pur  comme  fes  flots. 
Celui  dont  la  fource  eft  bourbeufe, 
En  vain  dans  le  fable  qu'il  creufe. 
Tâche  de  fe  clarifier  ; 
Si  fa  couleur  paroît  plus  belle, 
Son  goût,  fon  odeur  naturelle 
Ne  peuvent  fe  purifier, 

B  é  Des 


36  ODES, 

Des  faims  Vieillaids  qui  le  formèrent  j 
Le  nom  de  Sénat  fut  tire'. 
De  la  Juftice  qu'ils  aimèrent,, 
L'intérêt  Lui  leur  fut  facrc. 
Bravant  quelquefois  ces  exemples, 
Thémis  laifle  entrer  dms  fes  Temples 
Des  Enfans  fans   capacité  ; 
Du  bon  fens  obftinés  transfuges. 
Tous  leurs  titres,  four  être  Juges ^ 
C'eft  que  leurs  Ajeux  l'ont  été. 

Dignités,  Charges  faftueufe» 
Que  méconnoiflent  les  Vertus  ; 
Tnbunau;:,  Banques  tortueufcs.. 
Où  préfide  le  feul  Pîutus; 
L'Avarice  aux  mains  infernales^, 
Dans  fes  Balances  inégales 
^  Pefe  le  farg  &  la  faveur; 
Et  fouvent  d'ime  Courtifanft 
La  boucTie  obfcéne  fur  l'organe 
lai  où  parla  k  Sénateur. 


Cependant  il  eft  à  tout  âge 
Des  Héros  chez  Mars,  chez  Thémis; 
Dont  on  voit  Tame  &  le  courage 
Par  les  obftacles  affermis. 
Aftres  brillans  de  leur  lumière. 
Dès  qu'ils  entrent  dans  la  carrière. 
Leurs  clartés  enchantent  nos  yeux: 
JLa  Vertu, les  caia£lérife  ; 


Et 


ODES,  37 

Et  fa  conftance  immortalife 
Le  incrite  de  leurs  Ayeux. 

Que  vois  je?  mon  ame  furprife 
S'a'krme  à  ce  fpedlacle  affreux; 
C'eft  vous,  fiers  aînés  dans  l'Eglife,. 
Autrefois  cadets  malheureux. 
Peu  defireux  du  Sacerdoce, 
Ce  neft  que  la  Mître  &  la  Croflè 
Que  cherche  votre  ambition; 
Et  les  chaftes  Agneaux  pàtiflent. 
Tandis  que  les  Loups  engloutiffcnt 
Les  pâturages  de  Sioa. 

Vous  qui ,  pour  parer  vos  familles^ 
D'Aînés  brillans  ôcfomptueux, 
Contraignez  vos  Fils  &  vos  Filles,, 
A  prononcer  d'horribles  vœux  ; 
Qii'offrez-vous  au  Dieu  du  toanerre? 
Des  Enfans,  vil  poids  de  la  Terie^ 
Avec  peine  avoues  de  vous. 
Mais  frémiffez,  Gains  fuperbes; 
Il  voit  l'offrande  de  vos  gerbes. 
D'un  œil  de  haine  &.  de  courroux. 

Foibles  Mortels,  vafes  d'argile,. 
Que  colore  un  frivole  orgueil , 
Qu'êtes-vous  ,  qu'une  chair  fragile 
€i.u'attendent  les  vers  du  cercueil? 
De  ce  Noble  qui  s'idolâtre , 
De  ce  pauvre  &  malheureux  Pâtre, 

B  7  Oe. 


ODES. 

Ouvrons  les  veines  un  momcnr. 
Regardons  fi  ce  fang  qu'on  vante,. 
Eft  d'une  couleur  différente  , 
Ou  s'il  prend  fon  cours  autrement. 

Les  Races  humaines  entre  ellesj> 
Produites  d'un  mcme  limon, 
Au  fortir  dûs  mains  éternelles, 
N'etoient  diftindes  que  de  nom. 
Miis  bien-tôt  l'or  tire  de;  mines. 
Le  fer,  le  ineurtrc  ,  les  rapines, 
Ufurperent  d'affreux  autels. 
Imoges  de«  Dieux  de  la  Pab!e,  . 
Souvent  un  crime  abominable 
Commença  l'honneur  des  Mortels. 

En  naiffant  prefque  inanimée, 
Touviez-vous  donc  à  votre  gré, 
Maffe  grofllere,  être  fo.-mée. 
D'un  fang  plus  ou  moins  honoré? 
Heureux,  qui  ne  doit  qu'à  lui-même 
L'éclat  de  la  grandeur  fuprême 
•Dont  l'Equité  l'a  revêtu  ! 
On  hérite  de  la  Nob'efle  ; 
Mais  il  faut  un  cœur  fans  foiblefle. 
Pour  être  fils  de  la  Vertu. 

Et  quoi!  ces  feuilles  fijrannées. 
Que  n'ont  point  épargné  les  vers, 
Devront  à  vos  mœurs  effrénées 
Aitùer  des  lefpeds  divers  ! 


J« 


ODES.  sp 

Je  lis  de  vos  Ayeux  antiques 
Les  Vertus,  les  faits  autentiqucs, 
Par  vous  fans  cefTe  démentis; 
Ayeux  qui  n'ont  d'autres  fupplices,. 
Quand  on  leiir  raconte  vos  vices, 
Que  d'avoir  eu  d'indignes  fils. 

Q!_ie  vois-je?  Dragons ^Hjpogryphesj. 
Lions,  Seipcns,  Aigles,  Hiboax, 
ObfcuTs  fymboles,  hiéroglyphes. 
Que  le  peuple  adore  à  genoux. 
Suis-Jc  arrivé,   Dieux!  quels  prodiges !' 
Sur  ces  bords,  lejour  de  preffigcs,. 
Ou  les  Moniires  font  encenfts? 
Erreur,  ce  font  des  Armoiries,.- 
Qui  nouriiflent  les  rêveries 
De  tant  d'iiluftres  infenfés. 

Quand  ta  Naiflance  te  fugge'rç 
Ces  vanités  &  ces  hauteurs, 
•Souviens-toi  que  la  Mort  févérç 
Egale  les  Rois  aux  Pafieurs. 
L'inftant  vient:  l'implacable  efl  prête 
A  trancher  ta  fuperbe  tête. 
Nul  effort  ne  t'en  garantit; 
Tu  gémis,  ton  orgueil  fuccombe; 
Le  mal,  l'efFroi  creufent  ta  tombe; 
L'abîme  s'ouvre  S<  t'engloutit. 

Mais  ne  crois  pas  qu'au  Sang  illuftre,. 
Ma  Mufe  veuille  avec  mépris . 

Ha-» 


4<>  ODES. 

Ravir  un  légitime  luftre, 
Dont  elle  connoît  tout  le  prix. 
Oui ,  marqué  d'un  tel  caradtcre  ,, 
Tu  mérites  qu'on  te  révère. 
Si  la  Vertu  fait  ton  bonheur: 
Wais,  fi  le  Vice  te  domine. 
Ton  nom,  ta  brillante  origine», 
Eciaiicront  ton  deshonneur. 

La  Noblefle  ayant  l'avantage 
D'avoir  la  Vertu  pour  appui,- 
Ce  Titre  cft  un  riche  appanage, 
L'Or  eft  moins  précieux  que  lui. 
Eianche  en  tout  temps  verte  6c  fleurie,, 
Le  Tronc  dont  le  fuc  l'a  noiune. 
En  paroit  même  glorieux; 
Les  fruits  merveilleux  qu'elle  étale , 
Les  divins  parfums  qu'elle  exhale,. 
Embaument  la  Terre  fc  les  Cleux. 

TJn  vrai  Noble  expofe  8c  prodigue 
Tout  fon  fang  pour  ferrir  Ton  Roi;; 
C'eft  alors  que  rompant  la  digue. 
Son  cœur  exerce  fon  emploi  ; 
Mais  quand  d'Olive  couronnée, 
La  Paix  fertile  eft  ramenée, 
n  revient  chez  lui  fouhaité; 
Jufte,  honnête,  afFat>le,  fincere. 
De  fes  Vaflaux  il  eft  le  Peie, 
Et  aon  le  Tyran  ledoutc. 


Les 


ODES.  41 

Les  Livres  des  Doâes  d'Athenès 
Serviront  à  rég'er  vos  moeurs  : 
Les  Exploits  des  grands  Capitaines 
Rendront  la  vaillance  à  vos  cœurs.- 
Prêtez-vous  aux  confeils  des  Sagea; 
Cinéas  calmoit  les  orages 
Qui  troubloient  l'ame  de  Pyrrhus: 
Et  Néron  vivroit  dans  l'hiftoire  ,, 
Couvert  d'une  folide  gloire. 
S'il  eût  toujours  aiine  Ëurrbus. 

Fleuri,  Mîntjlre  plus  habile 
Et  pius  prudent  que  Cl  NE  A  S, 
Forraa  la  jeuneffe  décile 
D'un  Roi  l'amtur  de  fes  Etats. 
Cejî  fon  aUive  prévoynnce  , 
Dont  l'iffort  retint  la  vaillance 
Qui  i'cmporttit  aux  bords  du  Rhin  i 
Il  le  dérobe  à  la  tempête , 
Et  /fait  de  quel  prix  ejl  la  tête 
D'un  équitable  Souverain. 

O  D  E     V  1. 

Sur  la  Maladie  ^  la  Co7xmkfcence  du  Roi. 

LORsq^UE  l'Aftre  du  jour,  dont  l'ardente  li». 
mi  ère 

Faille  bonheur  du  Monde  &  l'ornement  des  Cieu», 

Au  plus  brillant  de  fa  carrière 

Vient  à  s'cclipfeï  à  nos  yeux. 

Tout 


42  ODE    S. 

Tout  languit  ici-bas;  &  la  Nature  entière 

Appieiid  aux  Mortels,  par  fon  deuil ,- 
Qiie  fans  l'éclat  de  ce  bel  ocil , 

L'Univers  revicndtoit  à  fa  mafle  première. 

Ainfi,  Prince,  à  nos  vœux  defirable  à  jamais. 
Qui  comptes,  non  tes  jours,  comme  Titus  put  faire,. 

Mais  tes  momens  pat  tes  bienfaits; 
Quand  d'un  coup  de  fa  faux  la  Parque  fanguinairc 
S'apprétoit  à  trancher  de  tes  préc'eux  jours 
L'utile,  l'éclatant,  le  trop  rapide  cours. 
Sur  le  front  de  la  France,  une  |iâleur  foudaine 

Exprim^fon  faifîfièment; 

Et  dans  ce  morne    accablement. 
Chacun  ofFioit  pour  Toi  fa  tête  à  l'inhumaine,. 
Et  u'avoit  dans  le  cœur  qu'un  même  fentiment. 

Mais  fi  fa  cruauté  confomroant  nos  allarmes , 
Re'fiftant  à  nos  cris,  t'eût  range'  fous  fa  loi. 
Sur  fes  Pôles  le  Monde  eût  fenti  notre  effroi  ; 
Et  même  l'Ennemi,  qui  dompté  par  tes  charmes,. 
Te  redoute  tout  haut,  &  t'adore  en  fecret, 
Témoin  de  ta  valeur,  Ce  fçachant  qu'à  regret 
L'intérêt  de  ton  Nom  te  fît  prendre  les  armes, 

Mouillant  les  lionnes  de  fes  pleuis. 
En  eût  mê'é  les  flots  au  torrent  de  nos  larmes. 
Comme  s'il  eût  gémi  de  fes  propres  malheurs. 

Ji'Olyrape  t&  dévoilé  :  bel  Aftre  de  nos  vies  , 
Au  gré  de  nos  tendres  envies. 
Tu  tcparois  fur  Thoriloni 

Et 


ODES,'  43 

Et  nos  ;uftcs  douleurs  fe  font  évanouies 
A  l'ifpeft  de  ta  gucrifon. 

2Wais  arrête,  Louis,  où  t'emporte  la  Gloire? 
N'expofe  plus  ton  Sang  aux  fureurs  des  ha&tds: 
Ton  Courage  a  fixé  le  vol  de  la  Viftoire , 
Qiii  devance  tes  Etendards. 

]e  la  vois,  &  quels  yeux  la  pourroient  méconnoître  y. 
A  fon  armure,  ou  l'or  féme  &  forme  de  Lys? 
Le  fond  blanc  de  re'toffc  aux  regards  cblouis. 
Peint  la  noble  Candeur  de  notre  augufte  Maître; 

Et  déformais  elle  ne  veut  paroitre, 

Que  couverte  de  ces  habits. 

D'un  cifeau  délicat  les  traits  inimitables,. 
Sur  le  luifant  acier  de  fon  Cafqiie  divin, 
Repréfenterent  Nice,  Ypres,  Furnes,  Menin,, 
Citadelles,  Châteaux,  Colofles  effroyables, 
Sous  ta  foudre  abbattus,  déplorant  leur  deftin; 
Et  Charles,  des  Germains  Sx.  la  force  &  l'Alcide^ 

Qui  marchoit  tel  qu'un  Tigre  avide 
Au  dangereux  appas  d'un  fuperbe  butin. 
Au  feul  bruit  de  ton  Nom,  d'une  courfe  rapide, 

Forcé  de  repafTer  ie  Rhin. 

Le  bruit  de  tes  Tambours,  le  fon  de  tes  Timbales, 

Oh  brillant  tes  mirques  royales. 
Sont  le  fignal  fliteur  qui  la  mène  au  Combat. 
Monarque  craint,  chéri,  Tcre ,  Héros,  Soldat, 
Ton  grand  Ca'uj:  s'eft  allez  diftingué  daiis  la  Guerre: 

Laif. 


44  ODES: 

LaifR  repofer  ton  tonnerre, 
Et  viens  te  rétablir  au  fein  de  ton  Etat. 

Tu  vettas  en  chemin  tes  Provinces  tranquilics; 
Et  malgic  les  volcans,  par  Bellonne  allumés. 
L'abondance,  l'honneur  êc  l'ordre  dans  tes  Villes»' 
Montre-toi  danj  Paris  à  tes  Peuples  charme's  ; 
Regarde  avec  tranfport,  dans  les  airs  enflammés,- 
Les  ferpenteaux  crtans  &  les  ccrbes  que  lance 
L'amour  qu'inftruit  le  zèle  aftif ,  ingénieux; 
Et  fa  jufte  réjouiflance 
Aller  jufqu'au  trône  des  Dieu-V 
Leur  témoigner  notre  reconnoiflânce. 

Délices  des  François,  le  Vainqueur  de  De'mont, 
Ce  jeune  &  fier  Rival  du  Héros  de  Carthage;  * 
Auffi  fage,  aulli  grand,  l'intrépide  C'ermont, 
Qii'au  foutien  de  tes  droits  la  même  ardeur  engager 
Penthiévre,  ambitieux  de  marcher  fur  leurs  pas, 
Aimé  de  tes  Bretons,  Gouverneur  des  Climats 
Oîi  le  Ciel  me  fît  don  de  l'air  que  je  refpire  , 
Sçauront  bien  en  ta  place  animer  tes  Soldats, 
Sut  la  trace  du  feu,  que  ton  Sang  leur  infpire» 

Lailïè  à  tes  Généraux,  à  ces  braves  Graerriers, 

Le  foin  d'achever  tes  Conquêtes; 
Et  leur  ayant  coupé  des  raoiflbns  de  Lauriers , 
Cédes-leut  le  plaiût  d'en  couronner  leurs  têtes. 

ODS 

•  Monfsigneur  le  Prince  de  Coiitî  s'ouvrit,  comme  Anul* 
M,  un  cbemio  diiScile  h  travers  les  Alpes» 


ODES.  45 

ODE    VII. 

L'ASTROLOGIE  JUDICIAIRE, 

A     M.     D  E  S  L  A  N  D  E  s  , 

Commijjaire  général  ^  Ordonnateur  de  la 
Marine  à  Rochifort, 

Jr  UNESTE  &  vaine  Aftrologie, 
Qui  dans  les  ténébreux  replis 
-   De  ta  féduifante  Magie, 
Tiens  tant  de  cœurs  enfêvelis  ; 
Reflc  à  jamais  dans  la  Clialdec. 
Une  coupable  6c  faiifle  idée 
Nous  a  trop  long-teir.ps  égaras. 
Ses  peuples,  qu'à  toit  en  crut  ù^cs, 
Rendront  bien  fans  nous  leurs  hommages 
Aux  Ailres  pat  eux  adore's. 

Fantôme  que  mit  en  lumière 

L'avide  curiofité , 
Tu  ne  dûs  ta  grandeur  première 
Qti'à  l'humaine  crédiilité; 
Tu  profitas  de  nos  foiblefles  : 
L'apnas  trompeur  de  tes  proraeflès 
Mafqua  tes  menfonges  divers: 
La  peur  fit  valoir  ton  audace. 
Et  ta  chime're  prit  la  place 
X>u  Souverain  de  runivers, 

Mor- 


46  ODE     S. 

Mortels,  dont  les  cctvcUes  folles 
Changent  les  Aftres  en  me'taux. 
Vous  voulez  que  des  noms  frivoles 
Opèrent  nos  biens  ou  nos  mnux? 
Vous  ftcmini:2,  Payens  impies. 
De  voir  ptéfider  fur  nos  vies 
Saturne,  ou  Mars  à  l'œil  de  fer; 
Garants  d Lne  heureufe  aôiuence. 
Pour  ceux  qu'anima  l'influence 
De  Venus  ou  de  Jupiter. 

Votre  caprice  prête  aux  Afties 
Pc  bifarres  averfions, 
Ciuels  Meflagets  des  defaftres. 
Par  Iciirs  triffès  conjonctions. 
Le  Scorpin  me  pronoftique  , 
Si  dans  ma  Planète  il  s'implique, 
L'Exil,  le  D.-fefpoir,  la  Mort; 
Et  ma.  trame  eft  infortunée. 
Si  de  fa  queue  empoifoane'e 
le  Dragon  infefte  mon  fort. 

'  .Qiioi  !  cette  mnlTs  e'tinceIJante, 
Qui  dans  l'air  xoule  loin  de  moi. 
Rendra  mon  ame  chancelante 
Entre  l'elpcrancc  &  l'effroi  ? 
Prêt  à  m'en  louer  ou  m'en  plaindre ^ 
J^aurai  la  baflelle  de  craindre 
Un  corps  privé  de  fenti nient, 
Q<ù  n'a  jamais  connu  Ton  êtie» 


£t 


O    D    E    S.  47 

Et  n'cft  pas  lui-même  le  maître  - 
De  régner  fur  fou  mouvement? 

Croiiai-je,  étrange  extravagance! 
Qiie  le  Ciel  à  votre  Ait  fournis. 
Au  point  qu'il  fut  à  ma  naiffànce, 
Puifle  à  vos  yeux  être  remis? 
Seul  de  fon  compas  infaillible. 
Dieu  marque  du  temps  infcnlible 
Tous  les  efpaces  ecoute's. 
Eternel  Torrent!  Cours  immenfe! 
Pendant  que  mon  efpàt  y  penfe. 
Mille  inftans  fe  font  envoles. 

Si,  fuivant  votre  abfurde  fable, 
La  même  étoile  au  même  afped, 
D'un  bonheur,  ou  malheur  femblable. 
Porte  un  préfage  non  fulpoSi:; 
Pourquoi  ne  font-ils  pas  infignes. 
Tant  d'hommes  nés  fous  mêmes  lignes 
Qiie  les  Rois  &  les  Conquérans  ? 
Ou  pourquoi  le  même  naufrage 
Perd-t'il  cent  Nochers  à  tout  âge. 
Nés  fous  des  Signes  différens  ? 

Celui-;à  vit  &  meurt  infâme^ 
Cet  autre  eft  porté  vers  le  bien; 
Et  l'Aftre  feul  ca4)tive  une  amc, 
Sous  ce  doux  ou  fatal  lien. 
Maudis  ton  fort,  miféroble  Homme j 
Ta  liberté  n'efî  qu'un  fantôme; 

N'at- 


48  ODES, 


M'attends  plus  rien  des  Immoieels; 
Tes  vœux  font  déformais  ftériles: 
Détruis  des  Temples  inutiles  , 
Ravage  6i  biùk  leurs  Autels. 

Non,  la  ronde  5c  vafte  Machine, 
Du  feul  vrai  Dieu  connoît  les  Loix. 
Le  Ciel  à  (on  afpeft  s'incline  ; 
Il  parle  &  tout  tremble  à  fa  voix. 
Toujours  unie  à  fa  juftice, 
Sa  volonté  n'eft  point  complice 
De  l'iniquité  des  humains. 
Le  libre  arbitre  qu'il  leur  donne, 
De  la  honte  ou  de  la  Couronne 
LaifTc  le  choix  entre  leuis  mains. 

Mais  par  de  criminels  preftigcs. 
N'allons  pas,  Efprits  iudifctets. 
Chercher  dans  les  airs  les  veftigcs 
De  Tes  immuables  décrets. 
Auroit-ii  de  fa  Providence 
Fait  aux  Aftres  la  confidence? 
L'idée  en  re'volte  mes  fens: 
H  créa  ces  corps  que  j'admire. 
Pour  éclairer,  non  pour  pie'dir», 
î^i  pour  recevoir  mon  cnccns« 


^ 


O  D  £ 


ODES.  4a 

ODE     VIII. 

V    O    R    G    U  E    î  U 


G 


Rand  Dieu!  qoelle  force  inconnue. 
Guidant   une  invifibie  main  , 
JDccouTre  à  ma  ttemblante  vue, 
Les  noirs  replis  du  cœur  humain  ! 
Que  de  détours!  Quel  labyrinthe! 
Que  de  monftres  dans  fon  enceinte 
.  Compofent  une  horrible  cour! 
î)e  n'entends  que  foudres,  qu'orages." 
1,'cdair  entr'ouvrant  les  nuages 
A  peine  y  répand  un  faux  jour. 

Arrête,  troupe  impitoyable; 
Que  fais-tu,  peifîde  ?  &  pourquoi 
Pourfuis-tu  cette  Vierge  aimable 
*Qui  doit  ici  donner  la  loi? 
La  rtiajeflc,  qui  briile  en  elle, 
Eft  une  grâce  naturelle 
Que  le  fard  ne  change  jamais; 
Et  l'Equité'  pure  5c  fincere 
frc'fide  fur  fon  cmCttrc^ 
Qui  ne  refpire  que  la  paix. 

Ces  Monftres  affreux  font  les  Vices: 
Cette  humble  Vierge  cfl  Ja  Vertu 


S<i  ODE    S, 

Qni ,  s'echappant  à  leurs  malices. 

Pleure  Ton  empire  abbattii. 

Le  Ciel  l'ctablit  Souveraine 

Du  cœur  de  i'Homme,  qui  fans  peine 

J^épondit  d'abord  à  fes  Toeux  : 

Mais  ces  cruels  la  détrônèrent; 

Et  dans  fa  place  ils  élevèrent 

.Un  Monarque  plus  méchant  qu'eux. 

Je  te  vois,  fier  tyran  d.'s  âmes. 
Appuyé  fur  ton  fceptre  d'or, 
Orgueil ,  qui  d'horreurs  Se  de  tramfts 
Amafles  un  fatal  tréfor. 
L'Indépendance  à  l'œil  finiftrc, 
Eft  le  farouche  &  dur  /.liniftre 
Qui  te  confeille  &  te  conduit. 
Autour  de  toi  fifle  l'Envie, 
Sanglante  Euménide,  aflcrvic 
A  la  Colcre  qui  te  fuit. 

Ta  naiflance  aveugla  ton  pete^ 
-Qui  pir  toi  dcs-lors  infpiré. 
S'égala,  Rival  témérsire, 
A  l'Etre  qui  l'avoir  créé. 
Mille  &  mille  Anges  dans  fa  ligue. 
Entraînés  par  ta  folie  intrigue. 
Suivirent  fes  drapeaux  flotans. 
Dieu  parla:  les  Cieux  s'entr'ouvtirent. 
Et  les  Enfers  enfevelirent 
Ce$  innombrables  Combattans. 

Miis 


ODES.  5-1 

Mais  fertile  en  forfaits  çe'kbras, 
DccJul  de  fon  premier  état, 
'Leur  Chef  crut ,  du  fcin  des  ténèbres  j 
Signaler  un  refte  d'e'clat. 
Dieu  formant  l'Iiomme  à  fon  image. 
Il  s'élève  écumant  de  rage, 
A  travers  des  torrcns  de  feux; 
Et  contre  le  Ciel  qu'il  menace. 
Soutenant  fon  énorme  audace. 
Tu  lui  diâas  ces  mots  affreux. 

Je  tombe,  dit-il,  Dieu  terrible. 
Percé  de  tes  traits  ennemis; 
Mais  ton  bras,  ce  bras  invincible 
JM'a  vaincu  fans  m'avoir  fournis. 
Tranfports,  fureurs,  èien  qui  me  rcfiej 
Seivez  mon  défcfpoir  funefte, 
Qi^i'irrite  le  bonheur  d'auttui, 
Faifons-nous  d'illuilres  Complices; 
Subornons  pat  nos  artifices 
Deux  cœurs  qu'il  a  créés  pour  lui. 

Jufqu'à  toi  ne  pouvant  atteindre. 
Tes  coups  ne  font  que  m'animer. 
Trop  fier ,  Dieu  ciuel ,  pour  te  craindïC^ 
Plus  incaj;able  de  t'aimer  ; 
Eve  par  mes  levons  inftruite, 
Me  foûmettra  l'ame  fédu'tc 
De  fon  lâchd  5c  crédule  époux; 
Tu  favoiifcs  ma  vengeance; 

-    G  3,  Coa- 


52  ODES. 

Contre  toi-même  leur  naiflànce 
Eft  l'inftrument  de  mon  co-jrroux. 

Ainfî ,  dilSpant  leurs  allarmes, 
ie  Corrupteur  qui  les  perdit, 
Suppofa  de  ccleltes  charmes 
Au  fruit  que  Dieu  leur  défendit. 
Toifon  de  leur  douce  innocence. 
Son  goût  porta  dans  leur  cflence 
Les  Maux,  la  Vieilleffe  &  la  Mort. 
Le  même  fang  qui  nous  anime, 
Jait  en  nous  circuler  le  crime 
Qui  nous  condamne  au  même  foit. 

Orgueil,  impoftenr  exécrable, 
L'Ange  &  l'Homme  que  tu  trompas, 
«.  D'une  vanité  déteftable 

S'abandonnèrent  aux  appas. 
Enchante  de  ton  faux  fyftême 
■  L'Ange  crut  être  un  Dieu  Iui-mêa;e  ; 
Dellr  que  l'Homme  ôfa  former. 
De  là  ces  fupcrbes  idées, 
Que  dans  nos  âmes  obfedées 
Ton  fouffle  ardent  vient  r'allumer. 

Brillant  ccueil,  fource  fatale 
Des  vœux  outrés,  des  projets  vains, 
Toti  afcendant,  pefte  infernale, 
Dom  ne  fur  tous  les  Humains. 
SÔus  d'autres  noms  &  d'autres  formCJ, 
Tu  mafques  des  vices  énormes.' 
•«■^  L'En- 


ODES,  5a 

LTBvie  eft  Emulation; 
Et  du  titre  de  noble  Gloire  y 
Tu  revêts  l'horrible   viâoirc 
Que  remporte  l'Ambition. 

Qiiand,  fe  livrant  à  fa  furie  ^ 
Sylla,  l'implacable  Sylia, 
Bourreau  de  fa  trifte  Patrie, 
Le  fer  en  main  la  défola  : 
Eft-ce  ailleurs,  qu'en  ton  fein  perfide 
Qu'il  puifa,  de  maflacre  avide. 
Cette  fangiante  volupté  ; 
Volupté,  dont  ton  noir  capiicfi 
Ofoit  du  faux  nom  de  juûicc 
Colorer  la  férocité? 

Qu'on  ouvre  les  Faftes  du  Monde  ; 
Et  frappé  de  juftes  terreurs. 
On  verra  ta  rage  féconde 
Enfanter  par-tout  mille  horreurs. 
Sceptre  des  Rois,  Pourpre,  Tiarre..,, 
Grand  Dieu  !  quel  déluge  barbare  ! 
Quel  fouffle  infecte  tes  Autels! 
Mais  refpedons  l'honneur  des  Temples;. 
Et  par  d'incroyables  exemples 
•  N'épouvantons  pas  les  Mortels. 

Qiiand  on  n'a  que  fcs  yeux  pour  guidejy 
L'Amour-propre  facilement, 
En  leur  cachant  où  tu  réildes, 
Empoi  Tonne  Je  "Jugement, 

C  i  Slus 


s*  ODES, 

rlus  fatisfait,  plus  il  te  dupe. 
Tu  veux  qu'à  te  peindre  il  s'occupe> 
Et  ta  raiin  conduit  fon  pinceau. 
Traits  flateurs  que  le  Fouibe  loue  ,. 
Et  dont  rnquitc  defavoue 
L'infîdele  &  honteux  tableau. 

Tu  fais  accroire  à  Poliphèrae, 
Dont  tu  redoubles  les  foucis  , 
Que  pour  plaire  à  l'objet  qu'il  aimc^ 
11  a  plus  de  charmes  qu'Acis. 
Homère  eft  jugé   par  Zoïle. 
Lé  vil  Tcrfite,  auprès  d'Achile 
S'élance  par  tes  fe-ols  fecours. 
Et  dans  la  Brute  la  plus  lourde, 
La  fortune  à  mes  vœux  fi  fourde 
Te  fait  triompher  tous  les  jours. 

On  t'éleve  fans  te  connaître , 
Et  fans  le  crcire  on  te  chérit. 
Le  cœur,  dont  tu  t'es  rendu  maître,. 
Te  fcrt  à  féduire  refptit. 
Ta  fombre  &  changeante  impofturej 
De  la  Sagefle  la  plus  pure 
Emprunte  même  les  attraits; 
Et  plein  des  vapeurs  du  Termeflè, 
l'eut-être  aujourd'hui  ton  yvrefle 
^'ezicite  à  te  lancer  des  traits. 


ODE 


ODES.  55 

ODE    IX. 

Siir  Vhmnortaliié  chîfnériiiie  ,  qu'on  attend  des- 
Ouvrages  d'efprit ,  ^  Jur  l'iuconjlance  des 
Grands*  * 

J.  O I ,  dont  les  Nymphes  du  Permeflè- 
Enchantenc  la  cicdulitc, 
Infenfé ,  qui  fur  leur  promcfTe 
ïonJes   ton  immortalité; 
Jufqu'à  quand  ton  ame  enflamme'C 
D'uae  frivole  renommée. 
S'y  Iaiflcra-t"elle  ébloiiix  ? 
Et  pourquoi,  comme  un  fre'nitique»' 
Préfc'rer  un  bien  chimérique 
Aiu  vrais  biens  dont  tu, peux  joiiii? 

Dans  foti  audace  illimitée» 
Ton  efpiit  fupetiicicl 
Croit,  tel  qu'un  autre  Promethce, 
Avoir  ravi  le  feu  du  Ciel, 
Ton  fang  bouc:  la  fièvre  confiime 
Tes  jouis  qu'enyvrc  d'amertume 
Le  penchant  qui  te  fait  la  loi. 
Et  peut-être,  ô  fùnefte  augure  J 

U'é- 

•  Envoyée  à  Meflîeurs  de  l'Académie  Royale  des  Scien-^ 
ces  &  Belles -Lettres  d'Angers,  à  la  fuite  de  fou  Rettieicie* 
aent  de  Réception  à  la  dite  Académie. 


^^  ODE     S. 

L'e'cfat  dont  ton  orgueil  t'aflurCp. 
Difparoîtra  même  avant  toi. 

Combieâ  Sophocle,  Homère,  Orphe'Cj. 
Auroient-ils  de  dodcs  Rivaux, 
Pont  la  mémoire  eft  étouffée 
Avec  leurs  fublimes  trayaux? 
Au  furplus,  pour  un  feul  Dédale ,_ 
Qui  franchit  l'immeafc  intervale. 
Porté  fur  l'aile  du  bonheur; 
A  de  honteux  périls  en  bute, 
Combien  d'Icares,  par  leur  chute 
i^ternifent  leur  deshonneur  ? 

Mais  je  veux  que  la  Parque  donne 
Le  prix  qui  manquoit  à  tes  Vers; 
Que  dès  que  le  jour  t'abandonne , 
Ton  nom  vive  dans  l'Univers. 
Quelle  voix,  jufqu'aux  noirs  rirages. 
Fera  retentir  les  fufFrages 
Qu'on  t'accorde,  quand  tu  n'es  plus? 
Fruit  tardif,  Palme  illégitime. 
Souvent  acquife  par  le  crime. 
Et  que  déteftent  les  Vertus. 

Je  t'entends;  &  la  folle  envie 
D'immortalifer  tes  talens, 
N'a  point  au  calme  de  ta  vie 
Mêle  fes  tranfports  tutbulcns. 
Tes  foins  ne  cherchent  qu'un  Mécène, 
ïar  qui  tes  jouis,  exempts  de  peine, 

CCHi- 


ODES.  57 

Coulent  fans  crainte  &  fans  défit: 
Ou  crois-tu  ,  dans  ce  fiécle  avare, 
Trouver  le  Protefteur  fi  rare. 
Qui  te  procure  ce  loilir? 

Quand  le  Sort,  à  tes  vœux  propice,. 
T'offriroit  un  pareil  fecours, 
Te  promets-tu  que  fon  caprice 
T'en  faffe  joiiir  pour  toujours? 
Les  Grands  aiment  fans  connoiflance,. 
Et  rejettent  par  inconftance 
L'objet  de  leur  empreflenient. 
Amfi  fous  une  heuieufe  étoile  ,. 
Ton  vaifTeau  vogue  à  pleine  voile, 
£t  £ait  naufrage  en  un  moment. 

Que  peuvent  ces  Grands  fecourables,- 
T'accorder  pour  te  rendre  heureux? 
Quelques  honneurs,  dons  périflables. 
Des  biens  auflî  fragiles  qu'eux 
Quand  dans  ryvrefle  qui  les  trompe, 
Le  rang,  l'opulence  8c  la  pompe. 
Les  environnent  de  flateurs  : 
La  Fortune,  en  un  tour  de  roue, 
Brife  &  renverfe  dans  la  boue 
L'Idole  èi  fes  Adorateurs^ 

Regarde  la  cc'lcfte  voûte. 
Oïl  ton  Dieu  t'offre  un  vrai  thrcTor. 
Regarde  le  peu  qu'il  te  coûte. 
Et  picnds  vers  elle  un  prompt  cflbt. 

C  s  Po«r 


5^  ODES. 

rbur  mériter  cet  héritage, 
Rends  à  lui  letïl  an  jafic  hommage  j. 
/^léprife  des  phantômes  vains. 
A  quelque  prix  que  tu  prétendes, 
Ell-il  de  plus  belles  guirl;indes, 
Que  celles  qu'il  donne  à  fes  Saints? 

Heureux  qui  dans  la  foîitude, 
A  foi-même  enfin  rCTenti, 
lait  de  fon  cœur  l'utile  étude, 
Se  connoît,  &  n'eft  point  connu!; 
Sa  confcience  pure  ôc  libre 
L'entretient  dans  un  équilibre 
Incapable  de  chanceler. 
Muni  de  fa  rertu  profonde. 
Il  vcrroit  s'écrouler  le  monde 
Sans  pâlir  &  fans  s'ébranler. 

Son  ame  n'eft  jamais  en  proie 
A  rinfolence  des  excès: 
Les  vains  Soijcis,  la  folle  Joie 
N'y  peuvent  pas  trouver  d'accèJ. 
Afiîs  fur  la  rive ,  il  déplore 
La  Cupidité  qui  dévore 
Tant  de  Mortels  ambitieux; 
Et  plein  du  vrai  Dieu  qui  l'attire. 
Si  quelquefois  fon  cœur  foupire. 
Ce  n'eft  jamais  que  pour  les  Cieux, 

QjansI  toutefois  pat  la  Sagefle, 
Les  Mufcs  réglant  ieai  emploi , 


6    D    Ë    S,  S9 

Piempliflent  le  loifîr  que  laifls 
le  devoir,  dont  on  fuit  la  loi; 
Quand  la  Science  &  le  Génie, 
Comme  dans  votre  Compagnie, 
Parent  les  fentimcns  du  cœur. 
On  peut  aÏHier  la  belle  gloire  , 
Qui  fait  au  Temple  de  Mémoire 
Voler  le  Mérite  vainqueur. 

ODE    X 

^    M.    BERTRAND, 

AJJccié  de  l"  Académie  Royale  des  Belles  A  Lettres 
d'Angers,  qui  ne  'cit  gue  de  lait. 

O  I  la  Science  &  l'Etude, 
Bertrand,  prolongeoit  nos  jours. 
Content  de  ma  folitude. 
Je  m'y  livrerois  toujours. 

Mjis  fi  ma  vie  ëpuifée, 
S'abrège  dans  ces  efforts , 
Une  route  plus  aife'e 
Me  conduira  chez  les  Morts. 

D'un  Lîurier  froid  8c  flétile 
La  vaine  Immortalité, 
Ne  touche  pas  plus  Virgile , 
Que  ceux  qui  n'ont  point  cté. 

Ami,  laiffons  notre  TeinCj- 
Ou  ferpentcï ,  ou  jaillii  ; 

G  6  C6 


€o  ODES. 

Ce  Laurier  vaut-il  la  peine 
Q_ic  l'on  prend  à  le  cueillir? 

"     Arrangez-vous,  doux  Caprice^ 
Au  gré  du  premier  momenr; 
Ne  changeons  point  en  fupplice 
Ce  qui  n'eft  qu'amufement. 

Séduis,  folle  Renommée, 
Les  Mortels  ambitieux  ; 
Un  corps  qui  vit  de  fumée , 
De  boonc  heure  devient  vieuK^ 

Ombre  fnnsyeux,  fans  orcillcfj 
EufTai-je  égalé  Roufleau, 
Les  éloges  de  mes  veilles 
rerceroni-ils  mon  tombeau? 

L'Ame  la  plus  imbécile,. 
Au  fortir  de  fa  prifon 
Auffi-tôt  devient  habile. 
Comme  Bouguer  &  Newton. 

O  Gloire  !  à  fon  apogée  , 
Dans  des  chiffons  on  revit; 
Et,  d'une  brute  égorgée , 
On  a  la  peau  pour  habit. 

llfaut  que  l'arc  fe  détende. 
Et  donner  à  fcs  plaifirs 
U9  tems  que  l'orgueil  demande 
?our  de  fiivolci  defirs, 


SiM» 


ODES,  <St 

Saive  donc,  qui  voudra  fuivre 
Un  chimérique  intérêt: 
Ami ,  l'agrément  de  vivre ,, 
C'eft  de  vivre  quand  on  eft. 

Rase,,  en  vingt  luftres  à  naître,     . 
Et  qui  pour  moi  n'êtes  rien  ; 
Il  doit  peu  m'importet  d'être 
Un  jour  dans  votre  entretien. 

Eh!  que  fais- je,  fi  du  Mondé 
Jupiter  pefint  le  fort, 
L'Air,  le  Feu,  la  Terre  &  l'Onde^ 
Boivent  furvivre  à  ma  mort  ^ 

Monde ,  ou  tout  meurt  &  s'aaime 
Par  des  retours  fi  conftans. 
Que  feras- tu   dans  l'abime 
De  rctcmité  des  Temps  ; 

Un  jour,  qu'un  obfciir  nuage 
Enveloppa  le  matin, 
Et  dont  la  foudre  &  l'orage 
Auront  annoncé  la  fin  ? 

KTon,  coi»me  à  grand  btuit  totnbcé 
De  la  région  des  airs, 
L'eau  difparoit ,  abforbc'e 
Dans  le  vafte  fein  des  mers; 

Ta  ruine  &  ta  naiffance , 
Moraçtts>.rttn  à  l'autre  uni, 

C  7  €on. 


62  ODES. 

Confondus  dans  leur  diftaucci 
Se  perdront  dans  l'infini. 

Mais  oïl  m'ccarte  Pinclareî 
Reparois ,  Aiiacréon  : 
Rends  nK>n  aine  qui  s'égare 
A  fon  véritable  ton. 

C'efl  pour  moi  que  je  refpire,, 
Non  pour  la  poftéritc. 
Tout  ce  qu'elte  pourra  dire 
Ne  fait  rien  à  ma  fanté. 

Entretiens,  clier  Liâiphage,) 
L'Hôte  de  ton  bel  efprit, 
Ehi  blanc  Nedar,  donj  l'ufagç; 
Te  conierre  &  te  nouirit. 

Le  Lait  à  ton  caraftere, 
Renèmble  par  fa  douceur; 
Et  de  ton  amc  fincere 
Reprcfcnte  la  candeur. 

Oui,  le  talent  defirable, 
C'eft  d'unir  à  fon  emploi 
Le  foin  d'un  commerce  aimable  j. 
Et  de  vivre  comme  toi. 

Les  Mufes  par  leurs  carefïès, 
Te  dérobent  à  Tiiémis , 
Et  te  tiennent  les  promeflTes 
Qu'ailes  font  à  leurs  amis. 


Aifl* 


ODES.  6^ 

Ainfi   du  grave  Barthole 
Secouant  l'air  téncbieiix,: 
11  femble  que  fon  école 
Soit  pour  toi  celle  des  Jeus. 

Ainfi  d'une-  étude  triftc, 
Adouciflanr  l'âpretc' , 
Tu  fais  voir  en  quoi  confiftc 
La  parfaite  Volupté. 

Amalthc'c ,  ô-  Nyitiphe  pure  ! 
Tour  Bertrand  quitte  les  Cieuxj. 
Rends -le,  par  ta  nourriture. 

Immortel  comme  les  Dieux. 

/ 

O  D  E    X  I. 

-  L   ^     FIEVRE. 

A     M.     C  H  E  r  A  Y  E. 

Jus  Q^u'  A  quand ,  Fièvre  ennemie  a , 
Veux-tu  prolonger  ton  cours? 
Dans  ta  fureur  affermie, 
M'aflaillira$-tu  toujours? 
Comme  on  voit  la  jeune  Rofe 
A  peine  un  moment  éclofe. 
Qu'elle  commence  à  mourir  : 
Tu  riens  borner  ma  carrière, 
Quand  mes  yeux  à  la  lumière 
Ne  commeacent  qu'à  s'o«viu» 

'  En 


^         odes: 

En  vain  la  Terre  Atlantique 
Offre  fiu-  fcs  riches  bords 
L'n   pre'tendu  Spécifique, 
Pour  repouflèr  tes  efforts. 
Par  des  routes  inconnues^ 
Tu  trouves  des  avenues 
Qui  te  mènent  jufqu'au  cœur; 
Plante,  e'corce,  tout  cchoue  ; 
Et  le  plus  expert  avoue, 
Qn'ici  fon  Art  n'eft  qu'erreur. 

Le  fer  captif  qui  s'élance 
Des  fljncs  du  bronze  avec  bruir^ 
Vole,  atteint,  le  coup  devance 
L'affreux  fon  que  l'air  produit: 
C'eftainfî,  Fièvre  perfide. 
Que  ton  haleine  homicide 
Répand  un  poifon  foudain; 
Et  le  mal,  fans  que  je  voie 
D'où  ta  fureur  me  l'envoie, 
S'eft  emparé  de  mon  fein. 

Quel  fouffle,  exe'crab!c  Pefte,, 
Dans  l'Univers  t'apporta? 
Mbn  corps  infedé  détefte 
Le  Démon  qui  t'enfanta. 
Tant  que  ta  tage  s'éguife 
Sut  un  Mortel  qu'elle  épuife,. 
On'  languit,  on  ne  vit  pas. 
L'accès  de  tetoui  [ars  ccW^, 
»1  US 


ODES. 

Eft  pour  celui  qu'il  opprefle 
Toû/ours  un  nouveau  ttépas. 

L'inexorable  Juftice 
Du  Monarque  des  Enfers, 
Punit  d'un  pareil  fupplice 
Un  Géant  chargé  de  fers  ; 
Ses  entrailles  "évorées, 
Sontaulïi-tôt  réparées, 
Sous  les  ferres  d'un  Vautour;. 
Sa  faim  n'eft  point  aflbuvie;, 
JEt  de  la  mort  à  la  vie  , 
11  le  mené  tour  à  tour. 

Déeflè  la  plus  lîniftre. 
Dont  l'autel  cft  un  cercueir, 
Et  le  terrible  Miniftre, 
La  Mort  couverte  de  deuil  ; 
Crainte,  &  non  pas  adorée  j 
Si  Rome  t'a  confacrée, 
C'eft  qu'elle  crut  te  toucher. 
Divinité  furprenante , 
Que  prioit  Rome  tremblante. 
De  ne  jamais  l'approcher. 

Oîi  fuis-je  ?  Ah  !  Fièvre  cruelle  , 
C'eft  toi ,  déjà  je  te  fens. 
Mon  corps  engourdi  chancelle. 
Le  froid  cativc  mes  fens. 
A  ton  abord  je  friflbnne; 
î>a  nuit,  l'iioueuc  m'einironne^ 


3« 


^6  ODES. 

Je  fuccombe  fous  l'effroi. 
Ma  voix  rauque  s'embarrafle,. 
Mon  fang  parefleux  fe  gL'.cc,. 
Tout  frémit  autour  de  moi. 

Quel  Dieu  caufe  en  la  nature 
Ce  dérangement  affreux? 
Le  fioid  qu'à  l'inftant  j'endure^ 
Devient  un  chaud  douloureux. 
Un  brader  fecret  rgite 
Mou  pouls  qui  fe  précipite  ; 
Tous  mes  membres  font  fumans. 
Ciel!  que  vois- je?  un  bras  barbare 
Me  plonge  au  fond  du  Tartaie,- 
Dans  un  gouffre  de  tourmens. 

Les  vents,  la  mer,  la  tempête, 
Prappent  mes  cTprits  troublés; 
Un  lourd  marteau  fur  usa  tête 
Torte  cent  coups  redoublas. 
Quel  forfait  fi  grand,  quel  crime 
Me  rend  enfin  la  viâime 
De  ces  horribles  Bourreaux? 
L'Ours,  le  Lioti,  la  Panthère, 
Tournent  fat  moi  leur  colère, 
£t  me  mettent  par  morceaux. 

"Un  Spe(fire  vers  moi  s'avance, 
l'œil  en  feu,  les  bras  fanglans: 
Oii  fuir  ?  c'eft  fur  moi  qu'il  laace 
.  Ses  regards  étincellans. 


Uac; 


ODES.  62 

Une  Euménide  enflammée, 
Roulant  fa  tordic  allumée, 
De  fes  cris  remplit  les  airs: 
La  Mort  vient;  &  l'inhumaine 
Me  prend,  m'enlève,  &  m'entiaine 
Parmi  la  poudre  &  les  vers. 

Sourd  à  ma  trifte  prière, 
Jaaiais  le  Dieu  du  Repos 
N'appefantit  ma  paupière  ^ 

Sous  fes  humides  pavots. 
Mes  entrailles  altérées. 
En  vain  des  eaux  defirées 
Cherchent  le  fecours  fatal  ; 
Un  feu  dévorant  m'obfede  : 
]e  m'abreuve;  5c  le  remc'de 
Ne  fait  qu'augmentet  le  mal. 

Souvent  d'un  obfcur  nuage,. 
L'éclat  du  Ciel  fenoiïcit: 
Si-tôt  qu'on  voit  fuir  l'orage,. 
Il  s'épure,  il  s'éclaircit. 
L'accès  fuit:  la  lièvre  p^Iè. 
Je  vis;  mes  fcns  ont  Jeur  place. 
Mais,  hélas.'   calme  cruel! 
îûifqu'encore,  à  la  mêmeheurCj. 
Il  faut  demain  que  je  meure, 
Joiiet  d'un  mal  imœonel. 

Ami,  ton  œil  craint  cU  lirif 
Et  ce  tilrt  t'a  furprkt 


f«  ODES. 

Touché  dti  for.i  de  ma  Lyrty 
Tu  me  plains,  tu  t'/ttiendrit, 
O   charmante  fympath'te  ! 
Jllais  tu  fais  fue  Kotre  vît 
N'ejl  qu'un  tljfu  de  malheurs  f 
lit  qu'en  ouvrant  la  paupUre 
Aux  rayons  de  la  lumière. 
L'homme  ejl  né  pour  les  doulfurù 

ODE     XII. 

LA      MORT, 


T: 


EXEBREUsE  Reine  du  monde ^ 
O  MOKT,  dont  le  vol  furieux, 
Enveloppant  la  Terre  &  l'Onde, 
Epouvante  l'Homme  en  tous  lieux; 
Implacable  &  fourde  Ennemie, 
Ton  foufle ,  de  fa  foible  vie 
Uiè  fans  ceffe  le  flambeau  : 
Et  foit  qu'il  fuie,  ou  qu'il  s'anête, 
Ta  faulx  fanglante  eft  toujours  prête 
-A  le  plonger  dans  le  tombeau, 

.     Cependant  il  femble  à  toute. heure^ 
Par  nos  defus  impatiens. 
Que  pour  nous  dans  cette  demeure, 
Le  Temps  s'avance  à  pas  trop  lents. 
i,a  faifon ,  que  le  Ciel  fait  naître , 
N'eft  poiut  celle  oii  l'on  voudioit  être: 

lit 


ODES,  69 

JPar  fes  ennuis  l'Homme  cft  vaincu; 
Et  la  chimère  qui  l'enyvre. 
Lui  cache  cju'il  a  moins  à  vivre 
De  chaque  inftant  qu'il  a  vcca. 

Si,  raifonnables  5c  niodefles. 
Nous  favions  joiiir  des  faveurs 
Dont  les  influences  celeftes 
Répandent  fur  nous  les  douceurs; 
Nous  verrions,  contens  Si  tranquiles, 
La  fuite  6c  les  retours  utiles 
Des  doux  printemps  ,  des  froids  hyvets; 
Et  par-tout  une  clané  pare 
Nous  ofFiiroit  dans  la  Nature, 
le  Créateur  de  l'Univers. 

>Iîis  d'un  efpoir  qui  le  dévore 
En  proie  aux  fii voles  appas. 
L'homme  cherche  ce  qu'il  ignore. 
Et  n'aime  que  ce  qu'il  n'a  pas. 
On  ne  fent  le  prix  des  journées, 
Qiie  quand  à  leur  terme  amenées. 
Elles  font  prêtes  à  finir. 
Alors  de  toute  fa  fortune, 
On  voudroit  en  achetet  une. 
Et  rien  ne  la  peut  obtenir. 

On  envifnge  avec  envie, 
Le  trifte  fort  de  Job  fouffrant; 
On  voucîroit  conferver  fa  vie, 
Fût-on  toujours  piuvre  &  mouiant. 
•L'éclat  de  l'or  ôc  de  la  gloire 


Ne 


70 


ODES. 

Ne  s'offre  plus  à  la  mémoire 
Que  comme  un  effroyable  écueil; 
Et  l'avejlir  vient  s'y  dépeindre 
Sous  des  traits  cent  fois  plus  à  ciaindre 
•Que  la  poufliete  du  cercueil, 

Xes  vains  Oracles  du  Portique 
Preffes  des  maux  les  plus  cuifans^ 
Au  gré  d'un  phlegme  chimérique 
Paroiflbieiu  maîtriler  leurs  fens; 
Mais  quand  leurs  étranges  maximes 
S'appuyoicnt  des  dehors  fublimes 
D'une  trompeufe  fermeté. 
En  fecret  leur  ame  troublée 
Souffroit  fous  le  mafque  accablée. 
Et  démentoit  leur  vanité. 

Ah  !  fi  les  yeux  avoient  pu  lire 
Dans  l'ame  de  ces  fiers  Romains, 
Qiii  de  la  Mort ,  dans  leur  délite , 
S'ouvroient  eux-mêmes  les  chemins^ 
On  eût  vu,  fous,diverfe  face. 
L'effroi  lutter  contre  l'audace. 
Toujours  ou  vaincus,  ou  vainqueurs; 
Si  l'honneur  brillant  &  frivole 
N'eût  aux  rayons  de  fcn  idole 
Ebloui  leurs  crédules  cœurs. 

Le  Héros  même,  qu'il  excite, 
Qu'eft-il  dans  fcs   fougueux  accès. 
Qu'un  fing,  que  le  courroux  agite. 
Ou  qu'anime  un  premier  fuccès  ? 


O    DES.  yî 

■II  croit  que  cueilli  par  Eellonne , 
X.e  vevd  Laurier  qui  l'environne. 
Ecarte  la  foudre  &  les  feux; 
A  peine  un  trait  mortel  Je  frappe^ 
Aufli-tôt  l'homme  qui  s'échappe, 
Dilfipe  le  Héros  fameux. 

Ce  bras,  dira-t'il,  ce  vifage.. 
Devant  qui  trembloit  l'Univers, 
Demain  fera  donc  le  partage 
De  !a  pourriture  &  des  vers? 
Ce  corps ,  qu'une  foule  fufpede^ 
Sert  à  l'envi,  flate  &  refpede. 
Sera  bien-tôt  abandonne: 
Et  mes  conquêtes  céle'brées. 
Vont  être  pour  moi  reflcrrées 
Dans  un  lépulcre  infortuné. 

Mais  en  quels  lieux  ira  cette  ame, 
Et  que  je  fens  mieux  que  jamais  ? 
Iftice  dans  un  torrent  de  flamme. 
Ou  dans  le  féjour  de  la  paix? 
Si  les  flateurs  loiioient  mes  crimes. 
Que  de  titres  illégitimes. 
Leur  adrefiè  avoir  revêtus; 
Grand  Dieu!   ta  haute  intelligence 
îefe-t'elle  dans  leur  balance  , 
Et  les  forfaits  &  les  vertus? 

Le  fcul  Chrétien  ,  docile  &  ferme. 
Se  fait  un  rempart  de  fa  foi  ; 
Et  regardant  Ton  dernier  terme, 

Eft 


1%  0    D    E  .IS. 

Eft  exempt  d'audace  &  d'effroi; 

Il  fe  prépare  à  ce  voyage , 

Armé  d'un  modefte  courage, 

Dont  la  Grâce  aide  fa  raifon  ; 

'Et  ne  voit  dans  la  Mort  prochaine, 

Q^i'un  fecours,  qui  brifant  fa  chaîne, 

Sappe  les  muxs_de  fa  prifon. 

'    Alors,  différent  d'Epicure, 

Il  elt  confiant  &  refolu , 

Autant  qu'à  l'infirme  Nature 

Xe  permet  fon  Maître  abfolu: 

Et  comme  il  fut  dans  fa  carrière, 

Tel  qu'il  fe  montre  à  la  barrière, 

ridele  su  Dieu  de  vérité  ; 

Sa  Loi,  qu'il  n'a  point  tranfgrefféc, 

Confole  &  flatc'fa  penfée 

D'une  heureufe  immortalité. 

Dieu,  que  chercha  divers  fyft'ême 
Des  Philôfophes  pointil'eux, 
Jaloux  de  fe  montrer  lui-même, 
Fuyoit  les  regards  orgueilleux. 
Comme  il  eft  la  Ve'rité  pure, 
Xe  droit  chemin,  La  clarté  fûre, 
f  immenfe  &  folidc  grandeur; 
Leurs  vertus  n'étant  qu'arrogance  i 
Sa  haute  6c  terrible  puilTance 
Les  aveugla  de  fa  fplendeiir. 


* 


ODE 


ODES.  73 

O  D  E     X  1 1  I. 

Sur  la  Mort  de  S.  A,  S.  MsnfeigHtur  h  Comte  DE 
Toulouse,  Amiral  de  France}  Gouverneur 
Ée  la  Province  de  Bretagne, 

/^Uand    Toulouse    expira,    la  prompte 
V^  Meffigere , 

Errante  en  cent  climats  divers. 
Interdite,  &  volant  d'une  aile  moins  légère. 
De  fa  Alort  à  regret  inflruifit  l'Univers. 
Neptune,,  fur  un  roc  environné  de  l'onde, 
Sufpendit  à  Tindant  le  mouvement  des  flots; 
Et  donnant  ua  paflage  à  fa  douleur  profonde,  ' 
Sa  voix  fur  l'Océan  fit  entendre  ces  mots: 

TOULOUSE  ne  vit  plus:  la  Vertu  foupirante 
Frémit  ôc  fe  couvre  de  deuil; 
La  £delle  Amitié,  la  Douceur  expirante 
Se  jettent  avec  lui  dans  l'ombre  du  cercueil. 
Soutien  des  malheureux,  il  prenoit  leur  défcnfc; 
Tendre,  compatiffant,  prompt  à  les  foulage:  ; 
Ses  bontés  prévenoient  la  timide  iiidigence. 
C'étoit  pour  fon  grand  cœur, s'enrichir,  qu'obliger» 

Le  Deflin,  difoit-il,  laiffa  dans  la  mifcrc 
L'Innocence  &  la  Pauvreté. 
Faifons  rougir  le  Sort,  &  d'un  Aftre  contraire 
Corrigeons  l'injufticc  &  la  malignité, 

Tuo,  /,  D  .  Voi- 


74  ODES. 

Voilà  les  vrais  talens,  qui  confervant  aux  Homme» 
Les  premiers  traits  qu'en  eux  la  Nature  a  tracés. 
Les  laprochent  de  nous,  les  font    ce  que    nous 

fommes. 
Quand  des  liens  mortels  ils  font  dcbarraflës. 

Mais  un  Bourbon  peut  tout:  fa  valeur  Hgaalce 

Tar  des  exploits  laboiieux, 
A  travers  les  écueils  de  la  Plaine  falée 
Fit  triompher  des  Lys  l'étendard  glorieux.  * 
Epouvante  moi-même  au  bruit  de  fon  tonnerre. 
Dont  les  feux  redoublés  imitoient  les  éclairs. 
Je  crus  que  Jupiter  me  dcclaroit  la  guerre. 
Et  venoit  me  ravit  le  Royaume  des  Mers, 

Quel  .tranfport  différent  s'empara  de  mon  arae. 

Quand  de  mon  vain  trouble  remis. 
Je  vis  enveloppé  de  fume'e  ôc  de  flamme 
Son  VailTeau,  foudroyant  deux  Flottes  d'ennemis  !t 
Leurs  poupes  en  défordre  évitoient  fa  pourfuite. 
Comme  on  voit  l'Aquilon  ,  de  fes  antres  glace's 
S'élançant  avec  fougue,  écarter,  mettre  en  fuit» 
Les  nuages  dans  l'ait  vainement  amalles. 


L'intérêt  de  fon  Roi  l'arrêta  fur  la  rive. 
La  ,  pat  de  matuels  tcflbrts. 


Dî- 


'  *  Combat  N»»9l,  à  la  hauteur  ^e  Mzhga ,  où  S.  A.  S, 
battit  les  Flottes  des  Anglois  &  des  HoUandois,  &  les  mit 
wi  fuite  le  24  Août  i-'>4. 

j-  U  montoit   li  F„Himyant  ^  VaiûTcau    qui  portoit    IC4  pii" 
Cïs  <ie  'i^snoii  &  950  iiommcs. 


O    D    E    S,^  75 

Ditigeant  les  projets  de  la  Marine  aiâive. 
Une  égale  harmonie  aflbrtit  fes  accords. 
Au  commerce  en  tous  lieux  il  ouvrit  une  voie. 
Sa  prudence  e'tonna  fes  Rivaux  impuiflans. 
Dans  mon  Empire  enfin  je  le  Tis  avec  joie 
Commandai  en  ma  place,  &  punir  ks  brigans. 

O  toi!  Peuple  intrépide,  ôcqui  rendis  les  armes 

Moins  à  la  force  qu'à  l'îmour  ;  * 
PLdéle  pour  ton  Roi,  mais  infenfible  aux  charmes 
Qu'offrent  aux  vils  flateurs  la  rufe  &  le  détour, 
A»ois-tu  droit  d'attendre  un  deftin  plus  profpcre? 
Peuple  fier  des  tributs  que  t'apporte  The'tis, 
Dans  ce  Prince  adoré  tu  retrouvois  un  Père  : 
Tu  montres  par  tes  pleurs  les  fentimens  d'un  Fils» 

La  Fiance  inconfolable  a  tremble'  pour  la  Tic 

Du  Héros  qui  fut  fon  appui. 
Il  fembla,  par  l'effroi  dont  fa  mort  fiit  fui  vie. 
Que  chacun  au  tombeau  dût  defcendre  avec  lui. 
Fantômes  de  grandeur,  qu'illuftre  la  richeffe, 
D'infolence  &  d'orgueil  coloffes  animes. 
Ouvrez  vos  foibles  yeux:  par  l'exemple  qu'il  laiûCa 
Apprenez  à  fentii  Is  bonheur  d'être  aimés. 

De  Ton  rang  jufqu'à  lui  franchiffant  l'intcrvale. 

Son  Maître  l'alla  confoler.  t 
On  vit,  malgré  les  ans  &  l'automne  inégale, 

Sm 

t  •  ie  GouverBemcnt  de  Bretagne, 

t  Le  Roi,  qui  étoit  à  Fontainebleau,  l'alla  voir  à  Raa» 
bouillet  pendant  ii  maladie. 

D  z 


7(5  ODES. 

Sur  fes  pas  avec  zèle  un  Miniftre  voler.  * 
Louis,  un  tel  honneur  rejaillit  fur  toi-même. 
Payer  d'un  prix  fi  beau  l'amour  qu'il  eut  pour  toi, 
C'eft  unir,  fans  blefler  la  Majeftc  fuprcme, 
Les  fenrimens  de  l'homme  à  la  grandeur  d'un  Roi, 

La  plus  rare  vertu  n'eft  donc  point  un  obftacle 
Aux  traits  de  la  Parque  en  courroux. 
Les  Hommes  tels  que  lui,  par  un  jufte  miracle. 
Ne  devroient-ils  pas  être  immortels  comme  nous? 
IVien  ne  put  ébranler  fon  courage  invincible: 
Il  vécut,  il  foufFrit,  il  mourut  en  Héros. 
Li  Neptune,  appuyé  fur /on  Trident  terrible  f 
(Jémit ,  rejîa  muet ,  pre/fé  par  les  far.ghts. 

Alors  les  yeux  en  pleurs  ,  les  pâles  Nére'ides, 

Le  cœur  vivement  attendri, 
Biifercnt  l'ornement  de  leurs  trèfles  humides  ; 
Les  Tritons  allarme's  ne  formèrent  qu'un  cri  : 
Lne  funèbre  horreur  fur  les  Ondes  tranquilcs, 
j'cifnit  affreufement  l'image  de  la  Mort; 
L-:s  Syrenes  fans  voix,  furprifei,  immobiles,         s 
N'eurent  que  des  foupirs  pour  accufer  le  Sort. 

Ilots  qui  m'êtes  fournis ,  reprit  le  fier  Neptune» 

Servez  mon  courroux  furieux; 
Vengez  avec  éclat  cette  perte  commune  : 
Eo!e,  ouvre  la  porte  aux  Vents  féditieux: 
Mers,  enfeveliflez  dans  un  v«ite  naufrage, 


Les 


*  S.  E.  le  CardiiKil  de  Fleury, 


ODES.  77 

tes  VaifTeaux,  les  Nochers  fur  mon  Empire  épars  j 
Faites  fentir  par-tout  les  efforts  de  ma  rnge; 
Et  de  la  Parque  même  effrayez  les  regards. 

Mais  (jue  fais-|c?  où  m'emporte  un  barbare  délire? 

Diffipez-vous,  nuage  obfcur; 
Flots  émus ,  calmez-vous  ;  revenez,  douxZéphire; 
Voguez ,  Vaifleaux ,  coulez  furie  liquide  afur. 
Toulouse  dans  fon  Fjls  laiffc  un  autre  lui-même. 
Won  œil  perce  du  Sort  le  fein  myftéricux. 
Généreux,  équitable,  on  le  révère,  on  l'airae. 
Et  la  Vertu  fur  lui  defcend  du  haut  des  Cieux. 

AinC,  quand  fur  la  rive,  à  la  tempête  en  bute. 

Un  Oranger  cède  à  fes  coups, 
Les  Nymphes  &  l'rothée  affligés  de  fa  chute. 
De  r Aquilon  cruel  détefteut  le  courroux. 
Mais  un  beau  Rcjètton,  qui  crôiflbit  fous  fon  ombre 
Déployant  dans  les  airs  fon  feuillage  fleuii, 
Les  confole,  s'élève,  &  par  des  fruits  fans  nomb;c 
Promet  de  remplacer  cet  arbre  lî  chéri. 

Tendre  &  fîdelle  Epoufc ,  appaifez  vos  aÙarmes, 

Modelez  de  juftes  regrets. 
La  main  de  votre  Fils  doit  eflliyer  vos  larmes; 
De  votre  Epoux  en  lui  reconnoiflez  les  traits. 
Vous  l'inftruifeZjPaiNOESSE,  aux  vertus  pacifiques. 
NOAiLLES,  s'uniffant  à  fon  il  uftre  Sœur, 
Et  rinllm;iant  d'exemple  aux  Vertus  héroïques 
Yous  guiderez  foa  ame  au  Temple  de  l'Honneur. 
ï>  3  Ai»- 


7^  ODES, 

Ainfi  paila  Neptune;  &fa  Cour  raffûrce 

Le  fuivit  dans  le  fein  des  eiux. 
Vn  Breton  qui  voguoit  fur  la  plaine  afurce» 
Fut  le  hardi  témoin  de  ces  objets  nouveaux. 
C'eft  lui  ,  dont  l'Apollon  exempt  de  flaterie, 
Princesse,  offre  à  vos  yeux  Ton  hommage  en 

ce  jour  ; 
£t  qui  vient  à  vos  pieds,  de  fa  tiifte  Patrie 
Appoitei  les  regrets  y  l'efpéiance ,  de  l'amouc. 

^^^^'^^^'^^^^^^^^^'^'^^^^'^ 
ODE    XIV. 

^  M.  DE  LIZARDAIS, 

Capitaine  du  VaiJJiaux  du  Roi  y  Chevalier  de  l'Of' 
ire  iîilitAÏre  de  Saint  Louis ,  fe-  ci-devant  Gou» 
verneur  de  S.  A.  S,  Mtnfeigneur  le  Due  de  Ptik» 
tbitvre. 

i  ANDis  qu'un  Sommeil  Ictargique 
Endort  ma  trifte  Oifivetc', 
Au  bord  d'un  rivage  e'carté. 
Ou  la  Fortune  tyrannique 
iA.t  retiens  en  captivité  ; 

Je  vois  par  ta  Miffive  dmaUe, 
Qu'au  milieu  du  fafte  des  Coun, 
Où  Cloto  file  tes  beaux  jours. 
Tu  fçais,  Philofophe  agréable, 
Unix  U  ^^ifk  aux  Amouis. 


ODES.  79 

K'éloignons  pas  la  jouiflânce 
ï)u  prcfent  qui  nous  eft  donn^. 
Si  notre  cœur  n'eft  deftiné 
Que  pour  la  fombre  prévoyance'^ 
N'eft-ce  pas  vivre  infortuné? 

L'Homme  ignorant  ce  qui  l'anime  « 
Sent  en  lui  d«ux  êtres  divers; 
L'un  veut  l'élever  dans  les  air»: 
Mais  dès  qu'il  prend  fon  vol  fublime. 
L'autre  l'entraîne  au  fond  des  mets. 

Cependant  c'eft  un  attelage 
Qu'il  faut  conduire  habilement; 
Et  pour  vivre  paifiblement. 
Tous  deux  amis  dans  le  voyage 
Doivent  marcher  également. 

Raifbn ,  corrige  la  Nature  f 
Et  toi ,  Nature  ,  la  Raifon  : 
Nature,  écoute  fa  leçon; 
Raifon  ,  pour  elle  fois  moins  dule. 
Servez-vous  de  contrcpoifon. 

Ahl  fuyons  les  erreurs  brutales; 
C'eft  la  Noirceur,  la  Cruauté, 
Les  Vices  de  malignité. 
Que  dans  fes  balances  fatale» 
Jlilinos  pefe  avec  équité. 

C'cft-là  qu'il  fait  bouillir  l'Afiie  ^ 
Dans  un  Océan  d'oi  fofidu, 

P  4  lÀ» 


B6  ODE    S. 

Là,  le  Superbe,  horrible,  nû, 
Couvert  du  foufFre  du  Tartare, 
Frémit  d'y  brûler  inconnu. 

Là,  tant  d'Amis  froids,  infide'Ics, 
GémifTent  au  milieu  des  feux. 
C'eft-là  qu'en  des  gouffres  affreux, 
Sont  brûlés  tant  de  coeurs  rébéles 
£t  fourds  aux  cris  des  malheureux. 

Mais  dans  un  féjour  plein  de  charmes» 
L'Amitié,  la  Foi,  la  Candeur, 
Trouveront  l'éternel  bonheur; 
Et  fans  dégoût  6c  fans  allarmes , 
S'abreuveront  de  fa  douceur. 

C'eft-là  ,  qu'auprès  de  Fontenelle, 
Tu  verras  le  cher  du  Tillet, 
Dont  le  coeur  généreux,  difcrct, 
Piopofe  aux  Amis  un  modèle 
Aufli  rare  qu'il  eft  parfait. 

En  ces  lieux  les  Jsfmins,  les  Rofes», 
Mêlés  aux  Myrtlies  toujours  vetds. 
Parfument  la  Terre  &  les  Airs  ; 
Et  volant  fur  les  fleurs  éclofes, 
Zéphir  n'y  craint  pas  les  Hyvers. 

Sous  ces  berceaux,  d'illuftres  Dames, 
Accordant  leurs  voix  aux  doux  fons 
Des  Chaulieux  &  des  Pavillons, 
Charmeront  les  heureufes  ame« 
Actçmives  4  Uu;$  çliaafoas. 

C-2v 


ODES.  %i 

Cependant  ,■  fans  compter  les  heure* , 
Songe,  en  bannifTant  tout  fouci , 
Que  l'efpoir  qu'on  te  donne  ici 
Du  plaifir  des  autres  demeures ,. 
Ne  doit  point  troubler  celui-ci. 

Suis  donc  le  penchant  qui  t'engage,- 
Et  n'attends  pas  pour  t'y  livrer, 
QirAtro[io5  vienne  t'en  févrer: 
Xes  plaifirs  font  faits  pour  le  Sage , 
Qui  les  goûte  fans  s'enyvrer. 

Dans  an  climat  oîi  tout  abonde, 
Sous  des  lambris  d'or  &  d'alur. 
Tu  fçais  refpirer  un  air  pur  ; 
Et  moi,  je  vis  au  bout  du  monde, 
Où  je  traîne  un  loifir  obfcur. 

Ainfi ,  dans  le  fein  d'Amphitrite, 
Les  grands  Poiflbns  fendent  les  flots. 
Quand ,  folitaire  au  bord  des  eaux , 
L'cfpéce  timide  &  petite 
Serpente  parmi  les  rofeaux. 

Infpire  ta  vertu  fuprême. 
Au  Prince  commis  à  ta  foi  ;• 
Pais-le  reflbuvenir  de  moi  : 
U  fera  digne  de  lui-même. 
Dès  qu'il  fera  digne  de  toi. 


P  f,  ODE 


82  ODES. 

ODE    XV. 

LES    MUSES, 

A     L'O  MBRE     de     B-OUSSEAtr. 

MUSES,  ceignez  nvon  fiont  d'une  palme  nou» 
velle. 
Secondez  les  tranfports  d'un  Dlfciplc  fidèle 

A  vos  divines  loix. 
Je  renx»  en  publiant  votre  Uluftre  louange ^ 
Que  fut  les  boids  du  Nii  »&  fut  les  boids  du  Gangr^ 
On  entende  ma  voix. 

Je  titomphe  avec  vous  de  la  foule  importune  ; 
Je  commande  à  mes  vœux»  maîcie  de  la  loitune» 

Et  libre  dans  fcs  fers. 
l)'abotd  que  de  vos  feus  mon  ame  eft  échauffée  ,, 
Je  monte  dans  l*Olyaape  ^  &  fur  les  pas  d'Otphée 

Je  defcens  aux  Enfers. 

Qu'on  baifle  la  barrière,  &  qu'on  m'ouvre  la  llcej. 
Que  la  Terre  s'ébranle ,  &  qu'Atlas  trcflàilliflc 

lai  mes  chants  foulage. 
Vous-mêmes  diftez-moi,  Mufcs,  votre  oiigine;; 
faites-la  par  vos  foins  fur  vivre  à  la  ruine 

Du  Monde  ravagé. 

Quand    l'Arbitre    des    Cieux    débrouillant    toutes^ 

chofes , 
Sagement  difpetlà  les  feraences  édofe* 

Su 


0    D    E    s:  53 

Du  Cahos  odieux, 
De  Ion  centre  faillit  la  puiflànjte  Harmonie, 
£t  (les  neuf  do£^es  Soeurs  la  troupe  étoit  unie 
Dans  fon  fein  tadieux. 

De  fes  nombreux  accords  l'Intelligence  adUre 
iéncttCt  communique  à  la  Matière  oifîve 

Ses  fouples  mouvemens  ; 
Sa  fubtiie  douceur  Tamollit,  la  remue, 
£t  met  un  frein  durable  à  la  Difcotde  émue 

Entre  les  Elemens. 

La  Terre  alors  s'aflîed  par  fon  poids  condenfce; 
H'Air  s'élève  &  bondit  ;  fa  fubftance  élancée 

Des  Cieux  forme  l'afur. 
Les  Eaux  forment  la  Mer;  chaque   Gorps  dans  û 

Spheie, 
Soumis  à  l'Harmonie,  attentif  à  lui  plaire ,■ 
Conferve  un  Ordre  fût. 

le  Soleil  luit,  la  Lune  au  milieu  des  Etoiles 
S'iannonce,.  &  de  la  Nuit  vient  éclairer  les  voiles. 

Dans  le  Jour  &  la  Nuit 
La  Matière  s'agite,  &  produit  fon  cfpcce: 
■Un  Etre  en  aime  un  autre;   un  Etre  fuit  fans  ce/fe 

Un  autre  qui  le  fuit. 

les  Bois,  les  Fruits,  les  Fleurs,  les  Ruiflcaux,  la 

Verdure  , 
S'échappent  en  riant  du  fèin  de  la  Nature  ; 

L'Air  excite  le  Vent; 
le  N«age  cft  produit  des  Vapeurs  de  la  Terre  ; 

D6  Le 


u 


O.   DE    S, 


Le  Tourbillon  rapide  enfante  le  Tonnerre 
Du  Nuage  brillant. 

Tout  naît,  tout   aoît;  l'Humide  cvec  le  Sec  s'af^ 

femble, 
Le  Chaud  avec  le  Froid  ;  &  compofent  enfemble 

Les  Animaux  divers. 
Mais  tout  tombe,  auflîtôt  que  la  vive  Haimonift 
Ceflè  de  foutenir  par  fa  force  infinie 
Leurs  intimes  concerts. 

Alors  ouvrant  Ton  fein,  fa  puiflànce  fe'conde, 
îlufcs,  vous  met  au  jour  pour  le  bonheur  du  Monde, 

Et  pour  charmer  fes  maux. 
Le  Plaifir  naît  de  vous;  l'Horreur  fuit,  elle  expire;; 
l'Haxmonie,  elle-même,  à  votre  doéie  empire 

Soumet  tous  fes  travaux. 

La  Lyre  avec  le  Luth ,  Nymphes  ingénieufer. 
Accompagnent  bien-tôt  vos  voix  mélodieufes,. 

Et  vos  nobles  chanfons; 
Les- Antres  les  plus  fourds  hautement  retcntiflènt  j. 
les  Sphères,  en  roulant,  hautement  applaudiflent. 

Au  pouvoir  de  vos  fons. 

le  Ciel  à  votre  afpeft  jette  des  étincelles; 
La  Terre  fe  revêt  de  fes  fleurs  les  plus  belles; 

La  Mer  couvre  fes  bords; 
Le  froid  Poiflbn  bondit;  la  Brute  perd  fa  rage; 
l'Oifeau  qui  fend  les  airs,  apprend  fon  doux  rs- 
mage 

De  vos  tendres  aecords, 

Tout 


O    D    E    S.  ts 

Tout  s'embellit  par  vous;  mais  ce  n'cft  que  dans 

l'Homme, 
Que  votre  ame  tranfpire,  où  l'œuvre  fc  confommc 

Par  vos  dons  précieux: 
v^pollon  vient  l'inftruire  à  bâtir  fes  afyles; 
Et  l'Art  Se  la  Natuie  à  vos  leçons  dociles. 
Le  rapprochent  des  Dieux. 

Apollon,  châftes  Sœurs,  vous  donna  fa  tendre/Te^ 
Vous  choillt  un  féjour  qu'il  fixa  dans  la  Grèce 

Sur  des  coteaux  fleuris: 
De  Lauriers  immortels  ce  Di su  couvrit  leurs  cimesj 
Et  là,  vous  enyvcez  de  vos  tranfports  fublimes 

Vos  plus  chers  Favoris. 

Comme  un  torrent  fuperhe  inonde  les  Campagnes^ 
Trctres,  Légillateurs,  du  haut  de  vos  Montagnes 

Fondent  chez  les  Humains  : 
Les  Eeuplcs  étonnes  au  bruit  de  leurs  miracles. 
Viennent  des  quatre  vents  écouter  les  Oracles 

Du  Dieu  dont  ils  font  pleins. 

L'Univers  rend  hommage  à  leurs  taîens  infignes: 
Mais  parmi  les  Mortels  peu  vous  ont  femblé  dignes 

De  vos  plus  grands  fecrets. 
Saifis  de  votre  efprit  ils  font  marcher  la  Pierre ,. 
Commandent  aux  Poifïbns,  aux  Vents,   aux  flots, 
en  guerre, 

Aux  Lions ,  aux  Forêts. 

Aux  accens  de  Tirtée  un  cœur  craintif  s'élève; 
riiîdaie  au^haut  des  Airs,  ou  fa  Verve  l'enlevé,. 

D  7  Ceint 


tS  0    D    E    ^. 

Ceint  la  tête  des  Rois: 
Homère  par  fes  chants  dcrobe  à  l'Ombre  noire  ^ 
Ces  Héros  dont  y  fans  lui,  les  grands  noms  8t  le 
gloire 

Fuflènt  morts  à  la  foisr 

leurs  fons  chalTent  la  Pefte,  &  diffipent  la  Foudre 
Dont  Jupiter  vengeur    s'armoit  pour  mettre    en 
poudre 

Les  Peuples  effrayes. 
Des  foucis  afHigeans  ils  charment  l'amertume  ^ 
£t  rappellent  l'efpoir,  dont  la  flamme  s'allume 

Dans  les  cœurs  égayés. 

Heureux  qui  de  vous  plaire  a  fait  fa  feu'e  envie  T 
Mufes,  vous  prcfervez  fes  talens  &  fa  vie 

Des  atteintes  du  Sortr 
Simonide  fuit  feul  des  malheurs  raanifeftes,, 
Au  milieu  des  Serpens  &  des  Montres  funefies^ 

Le  jeune  Horace  dort. 

Aftres  du  facré  Mont ,  préfidez  fur  ma  Veine ,, 
Je  furmonte  avec  vous  les  clameurs  Se  la  haine 

Des  Jaloux  ralliés. 
Nouveau  Ilellérophon ,  je  fends  les  Airs,  je  vole;. 
Et  je  vois  tous  les  traits  de  leur  rage  frivole 
Se  perdre  fous  mes  pieds. 

lllujirt  b"  cher  B. O  U  5S  E  A U ,  dont  la  Veir.t  fertile , 
S'tuvrant  dans  tous  les  coeurs  un  chemin  fi  facile  ^ 

Charme  les  geHis  divers; 
Rtiariti-mti  du  Pinde ,.  ak  ton  a»t  advré^ 

T 


O    D    E    S.  t7 

Y  jouît  et  Jamais  d'unt  Palme  /ocrée  ^ 
Et  refais- y  mes  Vers» 

On  Ht  qu'a  ton  ahord ,  ks  doEfes  Immortelles  ^ 
Dent  les  mains  te  trejjoitnt  des  guirlandes  nottvtllet* 

Vinrent  te  recevoir;. 
Et  ça'en  te  carej/ant ,  on  vit  Pindarey,  Heract^ 
A  câté  d'Aptllon,  tous  deux  t'tffrir  leur  place  ^ 

Enchantés  de  te  voir» 

Cpi,  t^tft  toiy  grand  ROUSSEAU,  dtnt  le  /o»Wt 

m'in/pire  ; 
Je  te  fins  dans  mon  ame  emhrafer  mon  délire 

De  mille  train  de  feu, 
Né  dans  les  froids  rochers  d'un  dé/crt  maritime^ 
C'efl  de  toi  que  j'appris  le  bel  art  de  la  Rimt  i 

Et" j'en  eus  ton  aveu. 

Voici  les  Vers  qiie  Rouflèau  met  dans  une  ttt» 
îre  écrite  à  M.  Titon  du  Tillet,  au  fujet  de  M. 
Desforges,  qui  s'ctoit  caché  quelque  tcms  fous  Ift- 
nom  de  Madiemoifelle  Malcrais. 

Et  je  prife  fur  -  tout  ton  noble  attachement 

Four  un  eflimable  Ctnie^ 
Qui  fous  un  nom  d'emprunt ,  autrefois  fi  charmant^. 
Sous  le  /un  /e  produit  enctr  plus  dignement  » 


«r% 


ODE 


SZ  0    D    E    S:'' 

ODE     XVI. 

LE     TABAC. 


D 


Es  ennuis  accab'.ans,  de  la  morne  triileflè, 
Ô    Tabac,  l'unique  enchanteur! 
Des  plaifirs  ingénus ,  de  l'aimable  allégrcHe, 
O  Tabac,' la  fource  &  l'auteui! 

Ssns  toi,  Tabac   chéri,  mon  efprit  eft  Tans  joie,. 

Dans  les  chagrins  il  eft  plongé: 
De  leurs  efforts  frequens  il  deviendroit  la  proie. 

S'il  n'ctoit  par  toi  foulage. 

En  dlveifes  façons  on  connoit  ton  mérite; 

Il  eft  d'un  piix  toujours  nouveau. 
Tu  fais  à  flots  aifes  s'écouler  la  Pituite, 

Et  tu  dégages  le  Cerveau. 

L'Efprit,  quand  au  travail  fa  force  eft  languiflànte. 

Par  ta  poudre  eft  reCTufcité. 
Ton  odeur  évertue  une  ame  croupiffantc 

Dans  upe  molle  oiiiveté» 

Lefang  eft  étanchc,  la  bleîTute  eft  guérie,. 

Quand  on  t'applique  fur  le  mil  ; 
Dans  leurs  climats  féconds,  le  Pérou,  l'AlTtie 

N'ont  point  de  baums  au  tien  égal. 


Tu  joins  prefque  toujours  l'agréable  à  l'utile. 
Que  j'aime,  en  ton  ctioit  foyer, 


Du 


ODES,  8s> 

Du  bout  d'un  long  tuyau  mettre  en  cendt*  ma  bilCj 
Et  dans  les  airs  la  renvoyer! 

Aufli-tôt  dans  un  cœur  la  tempête  eft  calmée. 

Mon  ame  avec  raviflèment 
S'occupe  à  voir  fortir  de  la.  Pipe  allume'e 

Un  petit  nuage  fumant. 

Tes  charmans  tourbillons  dans  la  tête  e'chauffe'e 
^  Font  glifler  l'appas  du  repos  ; 

Et  volant  après  toi  le  docile  Morphe'e 
Se'me  tes  traces  de  pavots. 

Cupidon  ,  d'un  Fumeur ,  à  fes  chaînes  honteufe^     ' 

N'attache  guère  le  deftin. 
Tu  n'as,  divin  Tabac,  dans  tes  Fêtes  joycufes,. 

D'autre  compagnon  que  le  Vin, 

La  moarante  Vieillefîè  eft,  par  toi  rajeunie 
Mieux  que  par  les  mcdicamens. 

Ta  Vertu  merveilleufe,  en  prolongeant  U  vie, 
Re'pare  les  tempetaniens. 

A  ton  propice  afpcft  les  vapears  de  la  Feflc 
Ceflènt  d'infefter  les  maifons.- 

Ton  odeur  faUuaire  eft  une  odeur  funefle 
A  fes  triftes  exhalaifons. 

Celui  qui  le  premier  nous  apprit  ton  ufage, 
Eft  digne  du  Neftar  des  Dieux  : 

A  aos  neveux  tranfmis ,  fon  bienfait  d'âge  cn  xgt 
Doit  rendre  fon  nom  prccieux. 

0  D  5 


pô  ODES.  Au 

ODE    XVII. 

ji  M.  TITON  DU  TILLE  T. 


TOI ,  dont  le  nom  doit  êtie  à  jamais  mémoxa- 
ble, 

TiTONi  dont  la  main  recouiablé. 
Vint  m'arradier  des  bords ,  où  mes  jours  cnchainiî  , 
A  d'éternels  ennuis  paroifToient  condamnés: 
Toi,  qui  fçais,  à  l'ami  délicat  Se  fidcle. 

Allier  des  foins  paternels. 
Que  ne  puis- je,  à  l'cclat  de  ta  gloire  immortelle. 

Donner  une  fplendeur  nourelle^ 

Par  mes  hommages  folemnels! 

Uns,  *  avec  Apollon,  partagea  tes  années ^ 

Les  /leurs  de  ton  jeune  printemS}. 

Furent  au  premier  dedinées; 

L'autre  fe  rcferva  les  ans 
Oà  l'Homme  réfléchit,  oîi  l'efprit  eft  plus  fage. 

Sans  perdre  rien  de  fa  vivacité; 

Et,  p«ur  entreprendre  an  Ouvrage, 

Unit  au  feu  qui  l'encouiage, 

La  prudente  matutité. 

Ton  rarnaflè  élevé ,  fut  l'éclatante  marque. 
Par  oîi  tu  fîgnalas  ton  amour  pour  les  Arts  ; 
£t  fur  ce  mont^vainqueui  du  Temps  Se  de  la  Parque^ 

Ta 

*  n  ï  été  Capitaùc  d'In^ntedc*  ii  Çis^vùat  de  Dra-r 


I 


ODES.  pi 

Tu  fçus  rendre  à  LOUIS,  cet  illuftre  Monarque ,  (x) 
L'honneur  qu'on  eût  dû  tendre  au  meilleur  des  Ce' 
fats. 

Ce  Monument,  futvi  d'un  chef-d'œuvre  d'Hiftoire, 
Où  ta  main  ralTembla  les  débris  de  la  gloire  (2) 
Des  Poètes  fameux,  que  la  France  a  produits» 
jApprcnd  à  l'Univers,  que  ton  vafte  gcnie. 
Dans  tous  les  fujets  qu'il  manie, 
Joint  le  fjavoir  profond,  au  goût  le  plus  exquis. 

Qçjc  vois-j'e?  tes  fertiles  teilles  (3) 
Enfantent  à  mes  yeux  de  nouvelles  merveilles  î 
Ta  plume  nous  décrit  les  divers  Monumens^ 

Dont  la  Science  eft  honotée,  j 

Depuis  que  la  Terre  afTûrée 

Sut  fes  immenfes  fondemens^ 
A  pool  bafe  les  airs ,  dont  elle  c&  entoiu^e* 

Dans  tes  Ecrits  laborieux, 

La  vire  flamme  de  ton  zèle  , 
A  travers  mille  traits  fjavans  &  curieux» 
S'élève,  fe  fait  jour»  noblement  étincelle. 

Tu  veux  forcer  nos  demi  •Dieux» 
l^e  leur  rang,  leur  pouvoir,  leuts  biens  rendent 
fiupides , 

A 

(0  Louis  XIV  tient  la  place  d'^Apollon  flir  le  PamaŒë  e« 

bronze. 

fa)  La  Defcription  du  Parnaflè  François,  Ouvrage  in  fol, 
es)  Nouvel  Ouvrage  intituH  :  Effais  fur  Us  honiKurt  aSiOT" 

étt  aux  iUuflrti  Sf.avims  ^  pendant  la/ùiu  det^  Si^tin, 


92  ODES. 

A  prendre  les  He'ros  pour  guides, 
Qui  ,  de  nos  célèbres  Ayeux, 
B.ccompenfoient  les  talens  précieux: 
Mais  tes  confeiJs  font  inutiles, 

fignorance  a  fur  eux  répandu  fa  noirceur; 
Ils  ont,  fuperbes  imbéciles. 

L'or  fur  leurs  vétemens,  8<  du  fer  dans  le  cœur. 

Combien  crois-tu  qu'il  foit  au  monde, 
D'Humains  comparables  à  toi? 
Ton  ame  a  recueilli  l'honneur,  la  bonne  foi, 
Et  des  autres  vertus  la  troupe  vagabonde. 

Protecieur  généreux,  tu  fers  d'exemple  aux  Grands  j 
L'ingénieux  LaiJtf.z,  *  heureux  de  te  cornoitre,. 
Autrefois  éprouva  tes  fecours  obligeans: 
Ta  liante  maifon  eft  ouverte  aux  Sçavans, 

MECENE,  autant  que  tu  peux  l'être ^    . 
Et  digne  de  jouir  des  biens  prodigieux 
'Qu'à  d'avares  Mortels  ont  accordé  les  Cieux. 

Un  cœur, tel  que  le  tien,  dans  le  Cécle  d'AuGusTî^ 
Dans  ce  lîécle,  où  des  Grands  Apollon  fiit  chéri,' 
Fût  parvenu  fans  doute  au  fort  du  Favori 
Que  combla  de  biçnfaits  un  Monarque  fi  ;uf^e. 

'  O  tr^ 

-    *  Le  Foëte  Lainez  a  demeuré  du  tems  diez  M.  TitoD  du 
liUeu 


ODES.  93 

ODE    XVIII. 

Rtmcreiement    à    Mejteurs   de    L'Académie     Koyalg 
des  Belles  -  Lettres  de  la  Ro:helle. 

TOUS  mes  fens  agités  des  tranfports  de  la  Gloi- 

S'enyvrent  dans  les  flots  d'une'  noble  vapeur. 
Mon  efprit  étonné,  doute  s'il  s'en  doit  croire j 
Et  craint  d'être  féduit  pat  un  Songe  trompeur. 

Non,  vos  brillans  Lauriers,  jufques  fur  ce  iivage> 
Viennent  ceindre   mon  front    de  leurs  dodes  ra- 
meaux ; 
Et  du  flérile  fein  de  cette  aride  plage, 
L'Hipocrênc  pour  moi  fait  bouillonner  fes  eaux, 

A  vos  ordres  fournis ,  Tegafe  fur  fes  allés 
M'enlève  dans  les  airs,  me  place  parmi  vous. 
Cil  charme  des  accords  de  vos  voix  immortelles, 
La  mieime  cherche  en  vain  des  accens  auflî  doux. 

Qu'entends-je  ?  l'Unirers  fond  &  fè  de'veloppe, 
Votre.  Art  ingénieux  décompofe  les  corps  : 
L'Ouviage  des  fix  jours,  à  votre  Mycrofcope 
De  fon  arrangement  découvre  les  reflbrts.      - 

Votre  Sçavoir  divers  embraffe  la  Nature: 
Lynx  fubtils,  vous  liiez  dans  l'abîme  des  mers, 

Vous 


94  ODES. 

Vous  parcourez  la  terre  ;  &  d'une  aile  moins  fiire 
L'Oifeau  du  Roi  des  Cieux  ftnd  l'erpace  des  airs, 

Saturne  vainement  à  vos  recherches  vaftcs, 
Refuferoit  d'offrir  les  âges  reculés  ; 
Votre  travAil  le  force  à  vous  ouvrir  fes  Faites, 
Et  fes  obfcuts  fecrets  vous  font  tous  dévoilés. 

Mais  avec  quel  fucccs  votre  fou£fle  m'infpire! 
L'cfpoLr  enfle  mon  cœur  qu'élevé  votre  choix. 
Je  vois ,  je  fens  déjà  que  vos  mains  fur  ma  Lyre 
Forment  mes  mouvemens,  &  font  parler  mes  doigts» 

Avec  pea  de  talens,  c'cft  donc  un  cœur  docile 
Qlic  j'apporte  pour  prix  de  mon  adoption  : 
Mais  la  docilité,  dans  (a  aainte  fertile. 
Dut  fouvent  fes  progrès  à  fa  précaution. 

Uaiffbns  nos  efforts,  &  que  votre  Patrie, 
Pat  l'amour  des  beaux  Arts  éclatante  aujourd'hui. 
Goûte  plus  de  douceurs,  qu'autrefois  fa  furie, 
Dans  les  affauts  de  Mars ,  ne  lui  caufa  d'ennui. 

Surpayons  les  concerts  des  Cignes ,  que  la  Seine 
De  fes  bords  renommés  a  rendus  amoureux; 
Difciples  d'Apollon,  pour  guider  notre  veine, 
N'avoQS-nous  point  Horace  &  findare  comme  eus? 

Ainfi  propofons-nous  des  exemples  fublimes; 
C'eft  par  de  longs  efforts,  conftaramcnt  redoublé*. 
Qu'en  voulant  furpaffer  des  Rivaux  magnanimes. 
Leurs  chefs- d'oeuvres  fameux  peuvent  eue  égalés. 

CON. 


ODES,  Ç)S 

CoNTY,  le  grand   Conty  nous  aime  &  nous 

protège , 
Sous  Tes  Lauriers  féconds  notre  fort  cft  charmant; 
Conferve-nous,  ô  Ciel!  un  (i  cher  privilège; 
Et  que  ce  Marcellus  *  vive  e'teinellement. 

Le  Soleil  brilla  moins  que  fa  première  aurore: 
Mars  le  reçut  des  mams  de  la  dofte  Pallas. 
Ccft  l'Emule  des  Dieux:  le  Soldat  qui  l'adore, 
S^ait  qu'il  vole  à  la  Gloixe,  en  courant  aux  Com« 
bats. 

Sur  le  double  fommet  cueillons  les  fleurs  nouvelles. 
Dont  même  les  neuf  Sœurs  font  choix  pour  fe  pa- 
rer : 
!    Pormons-en  pour  Conty  des  guirlandes  fi  belles, 
J    Que  nos  derniers  Neveux  les  puifTent  admirer. 

j         •  Egregium  forma  juvtnem  (S  fuls^tmibus  armis. 

j  Virg.  Mn.  1.  6. 

!  Tous  les  Auteurs  qui  parlent  de  Marcellus,  fils  d'OiSavîe 
four  d'Augufte,  s'accordent  à  dire  (ju'il  fut  l'amoui  &  les 
délices  du  Peuple  Romain. 


ODE 


ç)6  ODES. 

ODE     XIX. 

LE   RETOUR  D' ASTRE  E. 

A    M.    LE    MARECHAL    DE    LOWENDAL. 

V^Ue  vois-je?  le  Ciel  s'en  «'ouvre; 

QMielle  foudaine  clarté 

S'allume  en  l'air,  fe  découvre 

A  l'Univers  enchante'  ? 

Une  De'eflè  inconnue. 

Sur  une  éclatante  nue. 

Détend  du  fé/our  des  Dieux: 

La  Candeur  brille  autour  d'elle. 

Et  la  Vérité  fidel'e. 

Guide  Ton  char  glorieux. 

Les  Jeux,  les  Amours,  les  Grâces, 
Les  vrais,  les  chatmans  Plaifirs, 
Tour  voltiger  fur  fes  traces. 
Se  transforment  en  Ze'phirs. 
En  vain  le  fiel  fur  la  bouche. 
Et  roulant  un  œil  farouche, 
La  Difcorde  mord  fes  fers: 
Son  pied  la  foule  &  l'itritc, 
L'ccrafe  &  la  précipite 
Dans  l'abîme  des  Enfcn. 

Quels  fons  dans  l'air  retentiffent  î 
Ces  grands,  ces  céleflcs  Corps, 

SiU 


a    D    E    S^.  9^7 

Sur  leurs  axes  treflailliflent 
Et  forment  de  doux  accords. 
Leur-,pompcux  concert  attire 
Ce  que  le  Suprême  Empire 
A  d'auguftes  Immortels. 
Mars  même  aflls  fur  les  Armes, 
S'humanife  par  ces  charmes. 
Et  rcnon;e  à  fes  Autels. 

> 
Mes  yeux,  conr.oifTez.  Aftréej 
C'cfî  elle,  dont  en  ce  jour. 
Vers  la  terrcftre  Contrcc, 
On  célèbre  le  retour. 
La  Paix,  l'Honneur,  la  Droiture, 
La  Foi  fimple,  a-mablc  &  fùre, 
Vont  par.tout  à  fes  côtés  j 
Et  la  fertile  abondance. 
Qui  les  fuit  &  les  devance, 
Ye^fe  fes  dons  fouhaités. 

Son  char  tiré  par  des  Cignes 
Purs  &  blsncs  comme  fou  cœur. 
S'arrête  en  des  lieux  infignes 
Par  les  faits  d'un  Roi  vainqucnr. 
Du  fommet  d'une  montagne. 
Elle  voit  dans  îa  campagne 
S'avancer  mille  Efcadrons. 
X'ajirain,  le  fer  ctincellent; 
Au  bruit  des  tambours  fe  mêlent 
Les  tons  aigus  des  clairons. 
.'  Toœ.  /.  E  De- 


pg  ODES. 

Déjà  la  puifiTante  vue 
De  la  Fille  de  Thémis, 
Retient  l.i  mnin  fufpendue 
De  ce  monde  d'Eimcmis. 
Tout  le  tait  dans  la  Nature, 
Les  niifleaux  fur  la  verdure 
Ofent  à  peine  couler. 
P-ois,  Peuples,  prêtez  l'oreille: 
C'eft  la  voix  qui  vous  icveille, 
C'cft  elle  qui  va  parler. 

Princes  trop  fouvent  prodigues 
Du  fang  des  nombreux  Sujets» 
Que  Bcllone  &  Tes  fatigues 
Immolent  à  vos  projets; 
Songez,  bornant  vos  envies, 
<^'aux  Dieux  maîtres  de  vos  vies 
Il  appartient  plus  qu'à  vous; 
Qu'une  goutte  à  tort  verfée> 
De  Ne'méfis  offenfée 
Peut  embrafcr  le  courroux. 

Qiie  de  fois  l'Orgueil  avare, 
L'Honneur  mal  interprête. 
Parent  un  m.otif  bifarre, 
Des  couleurs  de  l'Equitc'! 
Et  fi  la  Raifon  modefte 
Vous  montre  l'e'cucil  fuae/le 
Oii  vous  jettent  vos  erreurs; 
De  l'oblique  flaterie 


la 


ODES.  pp 

ta  fcélérate  induftrie 
Bien-tôt  le  couvre  de  flîurs. 

Le  Dieu  qui  dans  fa  balance 
ïefe  le  vafie  Univers , 
rlace  l'ame  ,  à  fa  naiflance. 
Entre  deux  chemins  divers. 
L'un  la  iiune,  détrompée, 
Par  une  route  efcarpee , 
Au  Temple  de  la  Vertu  ; 
L'autre,  dans  l'antre  des  Vices j 
Par  un  fentier  de  délices, 
Plus  facile  &  plus  battu. 

Maître  de  fixer  les  doutes, 
Qui  fuCpcndent  ion  defir, 
L'Homnie  connoit  ces  deux  routes, 
U  les  voit,  &  peut  choifir. 
Sans  cette  faculté  libre. 
Il  feroit  fans  équilibre , 
Forcé  dans  fon  mouvement; 
Et  dans  ce  qu'il  exécute. 
Indigne,  tel  que  la  Crute, 
De  prix  ,  ou  de  châtiment. 

Peuples ,  que  le  trouble  ceflè. 
Fuyez,  trop  longues  horreurs;  " 
Que  le  calme  reparoiflè 
A  la  place  des  fureurs. 
Quelque  gloire   qu'cnvifage 
L'intrépide  &  fier  courage» 

E  i  Dans 


ïOo  ODE    S. 

Dans  les  lauriers  triomphansj 
Un  Peie  les  abandonne, 
Q^iand  il  faut  qu'il  les  moiflbnne 
Dins  le  fang  de  fes  Enfans. 

Audî  l'amour  de  la  Terre, 
Louis  comblé  de  fuccès , 
A  Uïoins  cherché  dans  la  Guerre 
La  Victoire,  que  la  Taix.  ' 
S'il  voloit  à  la  Vengeance, 
L'aftivc  &  tendre  Clémence, 
Bientôt  défarmoit  fa  main; 
Et  dans  fon  Ennemi  même. 
Toujours  fa  Bonté   fuprêmc 
Rcfpeda  le  Sang  humain. 

'        X'amitic'  fucceJe  aux  hainc-^; 
Et  les  Reines  S:  les  Rois 
Vont  au-devant  de  les  chaînes, 
Et  reconnoiflent  fes  loiî. 
O  B-ois!  ô  noble  Ennemie! 
Puiffc  la  Paix  affermie 
Vous' unir  de  fentimens; 
Comme  après  nne  rupture. 
On  voit  une  ardeur  plus  fûre 
î^ejoindte  d'heureux  Amans. 

Eelle  &  fuperbe  Amafonne, 
Ta  Naiflance  &  ta  Vertu 
Fontcclatcr  la  Couronne, 
DontTtOTi  front  eft  revêtu. 


Cou- 


Ô    D   -K    s.  loi 

Coiirngeufe,  ton  eftime 
Eft  due  au  Génois  qu'anime 
L'amour  de  la  Liberté  : 
Rends-lui  donc  ta  bienveillance. 
Et  fais  céder  fa  vaillance 
A  ta  générofitéi 

SiiCis  d'une  noble  audace, 
Dor.nnnt  l'exemple  aux  Soldats^ 
AiTez  les  Rois  &  leur  Race 
Ont  brille'  dr.ns  les  combats. 
Allez,  invincibles  Trinces, 
Allez,  Afties  des  Provinces,. 
Y  ripand  e  vos  bienfaits; 
Allez  apprendre  à  la  Terre, 
Que, la  Paix  comme  la  Guerre 
FQxme  des  Héros  parfaits. 

Charley,  Lowendal,  Maurice, 
DeGcge,  illuflres  Rivaux, 
Q^ie  de  Héros  dans  la  lice,. 
Ont  imité  vos  travaux! 
L'Immortalité  s'étonne 
De  la  foule  que  Bellone 
Préfeme  à  fes  yeux  charmés. 
Et  doute  que  de  Ton  Temple 
L'enceiate  foit  afTez  ample 
Pour  tant  d'Hommes  renommc's. 

^ue  le  Loifir  dans  les  Villes 
Se  promène  en  fûretc; 

E  3  COtt- 


102  0    D-  E     S. 

Coule  fur  fes  pas  faciles» 
Innocente  Volupté'. 
Janus,  rends  depolîtaire 
Des  clés  de  ton  ^anftuaire 
La  Paix  nourrice  des  Arts. 
Dcfcends,  ô  Paix  fugitive! 
Ceins  fon  double  front  d'olive^ 
Au-lieu  des  laiiriexs  de  Mars. 

Douces  &  tendres  Mufettes» 
Qiii  raifonnez  jour  &  nuit. 
Des  effrayantes  trompettes 
Paites  oublier  le  bruit; 
Et  vous,  aimables  Bergères, 
Porniez  des  dan  fes  légères 
Sous  les  voûtes  des  ormeaux; 
Tandis  qu'au  bord  des  rivageî, 
fertiles  en  pâturages, 
îan  veille  fur  vos  troupeaux. 

Vaiflèaux,  déployez  vos  ailes: 
Vous  n'avez,  hardis  Nochers, 
A  craindre  après  ces  nouvelles 
Que  les  vents  &  les  rochers. 
Non,  fur  la  plaine  afurée. 
Ne  redoutez  plus  Nérée, 
Ki  l'orageux  Dieu  du  Nord: 
Croira-t'on  qu'ils  voudroient  iltt 
Xes  feuls  des  Dieux  à  patoitre 
lixltés  de  votre  accoid  l 


C2U0*. 


ODES.  103 

Qiioiqu'Agens  indifpenfables 
r>c  l'obfcur  ik  fier  Defiin, 
Soumis  à  les  lois  durables^ 
Ils  en  refpsâcnt  la  fin; 
L'Ame  du  Ciel  répandue, 
S'intéreûe ,  s'inûnue 
Tour  les  Peuples  vertueux  ; 
Et  par  fes  forces  fécondes. 
Souvent  aux  caufes  fécondes 
Tait  prendre  un  cours  plus  heureux. 

Le  Texesl  &  la  Tamife  , 
Voyent  déjà  fur  leurs  eaut, 
La  Foi,  l'Amour,  la  Franchile, 
Voler  avec  leurs  vaiflèaux. 
Erançois,  Belge,  Angiois  s'uniflenr. 
Voguent  enfemble,  applaudiflênt 
A  leur  doux  &  nouveau  fort; 
Et  l'airain  qui  leiir  renvoie 
De  tonnans  concerts  de  joie,^ 
Cefle  de  vomir  la  mort. 

Tous  de  la  poupe  à  la  proue,. 
De  paTillons  font  parés, 
_Dont  l'étoffe  en  l'air  fe  joue 
Au  gré  des  vents  modérés. 
Leurs  nuances  différentes, 
Dins  les  ondes  tranfparentes. 
Teignent  un  email  divers. 
A  ce  fpeciacle,  l'Aurore,- 

£  «  Cioit 


104-  ODES. 

Croit  que  Venus  donne  à  ilore 
Une  fête  fur  les  mers. 

Refleuris,  brillant  Commerce, 
Ame:&  foûtien  d'un  Etat; 
Va  "dans  l'Inde  &  dans  la  Perfe 
Chercher  ton  premier  éclat. 
Pais,  chez  les  Peuples  paifibles, 
Par  cent  canaux  invifibles, 
''       Couler  les  dons  apportés;: 
Comme  les  foarces  lointaines 
Vont,  par  de  fecretcs  veines, 
Défaltérer  les  Cités. 

Aftre'e  alors  rend  les  refncs 
,         A  fes  courfiers  vagabonds  , 

Qui  s'abaiflent  fur  les  plaines,, 
Et  s'élèvent  fur  les  monts. 
Chaque  l'eup'e  en  fon  langage 
L'a.ppellant  à  fon  p:fljge, 
Cuvre  les  bras  à  la  Paix  : 
Aimables  Enchantcrefles , 
Venez,  difent-ils,  Déefles,    . 
Et  ne  nous  quittez  jamais. 

HîROS,  qu'adopta  la  France-^ 
Pour  fa  gltire  ^  fon  bonheur  ^ 
Jouis  de  la  récompenfe  ^ 
Qui  cturonne  ta  valeur. 
Et  fi  tu  trouvas  des  charmes , 
Au  rniUeu  du  huit  det  armera 


ODE    S.  105 

A  mts  fidèles  accords  y 
Daigne  dans  ces  jours  plus  calmes  y 
Sous  l'nm^rage  de  tes  palmes  y 
Applaudir  à  mes  tranjports. 

Bergflpzoom  y  le  plus  terrible  t 
Et  le  plui  fort  des  remparts  ^ 
Sur  un  mont  inacce£iblt  y 
Bravait  les  foudres  de  Mars, 
Ce  Coloffe  fi  fuperhe  y 
Que  ta  renverfas  fous  l'herbe  y 
Ecrafa  mille  jaloux ^ 
Et  ta.  demie re  conquête 
Trancha  la  dernière  tête 
Que  leva  l'Hydre  en  courroux. 

De  quelque  éclat  dont  l'ijomre 
L'équité  du  plus  grand  Boij 
Songe  qu'il  en  efi  encore 
JJn  plus  durable  pour  toi: 
C'efi  celui  que  fur  le  Pir.de 
Cherchait  le  Vainqueur  de  l'inle^ 
Prfffé  d'un  illujlre  ennui  ; 
Et  grondant  le  Ciel  févere^ 
Qui  fit  plutôt  naître   Homère  ^ 
Pour  Achille  qui  peur  lui. 

L'immortelle  Renommée ^ 
Publiant  dans  l'Ur.ivers 
Ta  louange  ,  parfumée 
De  l'encentdei  plus- beaux  Vers  ^ 

E  5  -Di- 


10(5  O    D    E    51 

Dira  y  montrant  ton  imagt: 
Ces  traits  brillans  de  courage 
La  Vertu  les  a  traces  ; 
Ces  traits,  ô  Teins  efFioyable! 
Sous  ta  faulx  impitoyable 
Ne  pourront  être  effaces^ 

o  I>  E    XX. 

A    M.    DESLANDES, 

Commijjaire  Général ,  ^  Ordonnateur  de  la  Ma-- 
fine  à  Rochefort, 

Sur  la  mort  du  Père  de  L'Auteur. 

CE  n'eil  point  en  ces  Veis>  cher  Ledieur,  que 
j'afpire 
Aux  applaudiflemens. 
J'ea  veux  à  ta  pitié;  plains  avec  moi,  foupire 
L'excès  de  mes  tourraens. 

Que  du  Scythe  inhumain  la  iîerté  s'adouciflè. 

En  entcndaat  mes  cris  : 
Rendons,  comme  autrefois  fit  l'Epoux  d'Euridice». 

Les  rochers  sttendris. 

Sortez  fanglots,  enfans  de  ma  picufe  flâme; 

Parlez  vives  douleurs , 
.Et  laiflêz  à  mes  yeux,  pour  foulager  mon  ame,. 
«^2<a  liberté  des  pleins.. 

ilOÎÎ 


ODES.  107 

Mon  P«re  eft  mort . . . .  ô  ;our  !  ô  déplorable  aurore 

D'un  Soleil  malheureux  ! 
Il  eft  mort,  fort  barbare!  &  je  refpire  encore 

Après  ce  coup  affreux  ! 
* 
Frappe,  ô   Mort,  qu'attends- tu?  quoi!   ton  brae 
s'intimide  , 

Et  recule  aujourd'hui? 
Ne  pourrai-je  forcer  ta  rigueur  parricide 

A  me  rejoindre  à  lui  ? 

Mais  oîi  vais-je  ?  oîi  m'emporte ,    en   forçakt  tout 
obftade. 

Un  vol  prodigieux? 
Qii'appctçois-je?  Oii  fuirai-je  ?  un  terrible  fpeâiaclc 
Se  dévoile  à  mes  yeux. 

J'erre  à  pas  charicelans  dans  une  forêt  forabre; 

Tout  m'y  glace  d'effroi  : 
Des  fpedlres  mutilés,  des  fantômes  fans  nombre 

Marchent  autour  de  moi. 

Le  terrain  n'y  produit  que  de  nuifibles  plantes  > 

Que  d£  triftes  cyprès  ; 
De  pleurs  mêlés  de  fang,  les  branches  dégoûtantes 

l'oulïènt  de  longs  regrets. 

Des  flambeaux  attachés  à  ces  arbres  funèbres. 

Font  le  jour  qui  me  luit; 
Baraôeaiix  donf  la  vapeur  epaifljt  les  ténèbres  ; 

Jour  plus  noir  que  la  nuit, 

E  6  Vn 


io<î  ODES. 

Vn  fleuvâ  empoifonné  roule  fes  eaux  plaintives     * 

Sur  de  froids  offcniens: 
I)es  corbeaux  affamés  font  retentir  fcs  rives 

De  leurs  aoafTcmens. 

Que  crobjêts  efFrayans!  Des  dragons  à  trois  têtes^ 

Des  lions  eu.  fureur; 
Accourez,  hâtez- vous;  vos  dents  font-elles  prêtes. 

A  de'chirer  mon  cœur;' 

Faites,  MoJiftres  cruels,  d'horribles  fune'raillcs 

A  mon  corps  par  morceaux: 
Que  vos  ongles  tranchans  cherchent  dans  mes  en*    |i 
tiailLes 

La  iburce  de  mes  maux. 

Qu'ai-je  dit?  ô  difcours!  ô  douleur  criminelle! 

O  trsnfpoit  furieux  ! 
Coupable  deTefpoir  î  ma  volonté  tend-t'ellc 

A  réfifter  aux  Dieux? 

Admis  dans  ces  Palais  d'éternelle  ftruaurc  j^ 

Au  nombre  des  Elus^ 
U  voit  avec  dédain  des  pleurs  que  la  Nature. 

A  f  OUI  lui  répandus. 

Chère  Ombre,  excufe  moi  j  mes  pleurs,  s'ils  foot: 
des  crimes , 

Sont  dignes  de  pitié: 
Ouvre-toi  toute  entière  aux  tributs  légitimes 
De  ma  pute  amifié. 

Peut- 


ODES.  105 

Feut-on  bannir  fi-tôt  de  fa  perte  fubite 

Le  louvenir  cuifant  ? 
j€  le  vois,  je  lui  parle,  &  fon  rare  mcrlte 

Nuit  5c  jour  m'eft  prefent. 

La  plupart  de  les  fils  font  en  bute  à  Neptune 

Sur  les  flots  en  couiroux. 
Sans  être  encore  inflruifs  de  la  dure  infortune 

Qui  nous  accable  tous. 

Combien  à  leur  retour  tu  paroîtras  déferte, 

Maifon  de  nos  ayeux! 
Quel  déluge  de  pleurs,  apprenant  notre  perte 3. 

Va  couler  de  leurs  yeux  ? 

Je  les  vois.. . .  les  voilà  . . .  quel  abord. , .  quel  fî» 
lence 

A  l'afp^ft.  de  ce  deuil! 
Qiiels  regaids !  quels  baifcrs!  mon  Tere.  ••  ah!  lem 
préfence 
;  Nous  l'ouvre  ton  cercueil. 

De  1*  Mort  en  fureur,  rentre  terrible  épe'C' 

Dans  ton  fan^lant  fourreau. 
Ah!  du  fang  le  plus  cher  elle  eft  aflcz  trempe'Cj 

Sans  un  meurtre  nouveau. 

Hâtfr-toi,  Pieu  puiflant,  hélas!  ma  Mcre  expire^. 

Si  tu  ne  la  foutiens  ; 
Sa  douleur  la  confume ,  &  fon  cœur  ne  defire 

De  fecours  que  les  tiens. 

E.  7  Moit^ 


;rio  ODE    S. 

JMort,  veux-tu  la  ravir?  tout  notre  efpoit  fuccombft 

Sous  tes  coups  accablans. 
Achevé,  entérine  encor  en  une  même  tombe 

La  Mère  ôc  les  En  fans. 

Non,  mes  ctîs  ont  percé  l'étincelante  voûte. 

Ou  s'aflled  le  Seigneur. 
D'un  regard  piroiable  il  me  voit;  il  ccoute 

Ma  finceie  douleur. 

3Les  jours  qu'il  lui  promet,  longs,  fcrains  &  traa» 
^iles. 

Sont  l'objet  de  nos  vœux. 
Il  flfait,  lui  qui  f^ait  tout,  combien  ils  font  utilas 

A  fes  Enfans  nombreux. 

Ses  brebis  répondront ,  autour  d'elle  amaflVcs  ^ 

A  fon  tendre  travail  ; 
Et  le  pafteur  f:appe',  loin  d'être  difperfc'es, 

Kefteront  au  bercail. 

nsLANDES,  je  t'appris  le  fujet  de  mes  larmes; 

Tu  fçus  les  partager. 
Et  le  poids  douloureux  de  mes  ;ufles  allaimes 

M'en  parut  plus  léger. 

Ton  efprit  délicat,  poli,  dofte,  fublime,.*' 

A  ton  nom  fair  honneur; 
Kais  fur-tout,  cher  Ami,  je  cultive  ôc  j'eilime 

Les  takns  de  ton  cceui. 


ODE 


ODES.  III 

ODE    XXI. 

A  M.  LE   C***  Z)£M***. 

Mînîjlre  6f  Secrétaire  d'Etat  de  la  Marines 

Sur  l'ufage  des  Richefles. 

O  I  le  Soleil  dans  fa  coutfe 
N'épanchoit  que  la  clarté^ 
Et  ceflbit  d'être  la  foiuce 
D'oîi  naît  la  fécondité  ; 
Prefqiie  infenfîble  à  î'es  charmeSj, 
La  Nature  fans  alarmes 
Veiroit  s'éclipfei  fes  feux;. 
Et  feioit  plus  éblouie. 
Que  contente  &  réjouie 
De  fon  retour  lumineux. 

Mais  auffi  brillant  qu'utileV 
Il  re'pand  fur  les  objets 
La  chaleur  douce  &.  fertile 
Qui  reproduit  fes  bienfaits. 
Tout  à  fon  abord  végète: 
Et  cette  vafte  Planette , 
Agiffant  pour  nos  befoins. 
Hommes,  Brutes,  Fleurs,  Verdure> 
Sous  leur  diverfe  figure. 
Vantent  l'effet  de  fes  foies. 

l'O 


112  0    D    E    S, 

L'Opulence  revêtue 
Du  plus  pompeux  appareil. 
Enchante  d'abord  la  vue; 
C'cft  l'image  du  Soleil. 
•  Mais  l'utilité  publique 
De  cet  Aftte  magnifique 
N'animant  pas  Taéîion, 
Ce  n'eft  plus,  quoii^it'il  s'allume, 
Qii'un  fl.irnbifau  qu'on  s'accoiitumc 
A  voir  ians  attention. 

Ecoutez,  Orgueil  farouche. 
Avarice ,  cruauté  ; 
<La  Juftice  par  ma  bouche 
Annonce  fa  vérité. 
Pui/Tema  voix  entendue» 
De  la  dureté  fondue 
Humanifcr  la  rigueur; 
Et  de  votre  Ictargie 
Puifle  ma  vive  éncïgic 
Itherrompre  la  longueur. 

Plutus  s'alîîed  fur  un  thtôr.e. 
Qui  chancelle  dans  les  airs; 
Le  tonnerre  renviroime, 
Sa  bafe  touche  aux  Enfers  : 
Les  Clrcés  enchantereflls, 
Les  cœurs  féconds  en  fouplcdês 
S'y  promettent  des  fuccès. 
ilais  la  plaintive  lanocence, 


Dânt 


ODES,  113 

Bans  ce  féjour  de  licence 
Trouve  rarement  accès. 

J'7  vois  des  flateurs  à  gages, 
Lâchement  humilie's, 
Ramper,  coler  leurs  vifages 
fliir  la  trace  de  fes  pies. 
Mais  leurs  faux  cœurs  en  impofent; 
Et  û  leurs  yeux  qu'ils  compolent, 
Lînçoient  d'homicides  feux, 
La  foudre,  au  rang  qu'ils  envient, 
Sur  les  corps  qu'ils  déifient, 
Teroit  un  chemin  pour  eux. 

O  vous!  qui  dans  l'abondance. 
Toujours  foigneux  d'obliger, 
N'éK  aimez  la  jouiflance, 
Qu'afin  de  la  partager. 
De  tel  qui  cherche  à  vous  plaire. 
Pénétrez  le  caraâére , 
Sans  vous  arrêter  au  front  ; 
Et  que  vos  eaux  bienfaifantes 
CeïTènt  d'arrofer  des   plantes  , 
Qiie  le  ver  ronge  &  corrompu 

Ghoififlez  ces  belles  âmes».  - 
En  qui  les  réflexions 
N'entretiennent  que  les  flammes 
Des  plus  nobles  paflîons. 
Leur>reconnoiflance  aciive. 
De  la  fplendcur  la  plus  vive 


114  ODE    S, 

Pare  vos  dons  cclatana; 
Et  Iç  foit  changeant  de  face  y 
Vous  avez  dans  la  difgrace, 
Des  amis  vrais  6c  conftans. 

Mais  ^ue  de  vils  mercenaives^ 
Dont  vous  prolongez  les  jourSj, 
Payent  vos  dons  falutaires 
Des  plas  perfides  rctouis  ! 
Qiicl  bifarre  attrait  vous  fiatô 
Dans  un  volage  automate 
Que  le  caprice  conduit, 
Et  qui  fent  pour  feul  principe > 
L'inftinft  dont  il  participe 
Avec  la  brute  qu'il  fuit. 

la  richefle  donne  au  fage 
les  légitimes  moyens 
De  faire  ua  célefle  iifage 
De  fon  cœur  &  de  fes  biens» 
La  Science  rébutée» 
La  Vertu  petfécutce, 
N'implorent  que  fon  appui; 
Et  d'une  voix  unr.nime, 
Le  refped,  l'amour,  Peftime, 
Ne  font  des  vœux  que  poui  lui. 


Par  une  route  inconnue  ^ 
Le  Sort  chemine  à  fon  gré; 
L'un  eft  de  la  fange  nue, 
L'autte  du  limou  doic; 


îtlli 


.0    D     E    S.  Tjij 

Mfiis  fi  les  hommes  font  freifs , 
Doux,  compatiflins,  iînceieS)^ 
Ils  doivent  s'entr'afilûer. 
Comme  diverfes  parties. 
Au  mêin,e  Corps  aflbrties. 
Qui  l'aident  à  fubCfier. 

L'œil  fécond  de  la  Riclieflè 
'        Prévenant  la  Pauvreté  ; 

La  Force  aidant  la  FoibleflcB. 
Que  vexe  l'Autorité  ; 
La  Charité  familière. 
De  l'Ignorance  groflîére. 
Eclairant  le  trifte  fein  : 
Tous  du  Créateur  augufte^ 
Par  une  conduite  jufte, 
Exécutent  le  deûèin. 

M*"^*  dont  la  fortune 
Admitoit,  en  te  quicant» 
L'Egalité  non  commune. 
Sur  ton  front  fage  &  confiant; 
De  fes  faveurs  les  plus  chères , 
Pendant  tes  deftins  profpères. 
Toi,  qui  comblas  tes  amis; 
Dis-nous,  quand  le  Ciel  t'éprouve^ 
Si  chez  eux  ton  cœur  retrouve 
Ce  qu'il  s'en  ctoit  promis. 

Tarn.  l.  ODE" 


11(5  ODE    S, 

ODE     XXII. 
EN    PROSE. 

ji.  M.  HOUDART  DE  LA  MOTHE\ 

De  l'Académie  Françoife.- 

Sur  ce  qttîl  a  prétendu,  contre  le  fentiment  de 
M.  de  Foliaire,  qu'on  pouvoit  faire  d'aujji 
beaux  Ouvrages  de  Poëfie^  en  I^roje  qu'en 
Vers. 

VJ  K  A N D  5c  fameux  LA  M o T H E  ,  Aigle  rapi- 
de,dont  1  œil, noblement  audacieux,  va  défier  les 
regards  même  du  Pciè  brûlant,  par  qui  l'a  lumière 
eft  engendrée;  foûtien  le  vol  timide  d  un  foible 
Tiercelet,  &  vjen,  d'un  coup  de  ton  aile  fecoura- 
ble ,  le  pouflei  avec  toi  julqu'au  dévorant  fe'joui 
du  feu. 

Je  pars,  fe  quitte  la  tene  bourbcufe,  je  traverfe^ 
je  fens  les  iminenfes  campagnes  de  l'air.  La  vio- 
lence qui  rrt'enirorte  me  fait  perdre  haleine.  Quel 
bras  puiflant  m'arrête  au-delTus  du  double  fommet 
de  la  àûOiQ  Montagne  ?  Un  merveilleux  fpeftacle 
s'y  défoile  à  mes  yeux  enchantes.  La  majeftueufe 
Melpomene,  la  vive  &  galante  Poihymnie,  la  tête 
panthee,  U  fiéchiïïant  devant  toi  un  genou  refpec- 
tueux,  te  rendent  des  nommages  qui  te  comblent 
d'honneur. 

Comme  l'indomptable  Hercule  purgea  autrefois 
l'EubU  lûfeftce  du  riche  &  fuiperbc  Augias ,  aiafi 


0    DES. 


M  7 


tes  travaux  innoiubrables  ont  de'gngé  rotrc  Poëfiç 
affreuicmenc  accablée  fous  le  joug  tyiaiin'quc  de 
la  Rime.  Tu  l'as  tirée  de  la  ;  ri  fou  obfcine  &  étroi- 
te, dans  laquelle,  plongée  depuis  fi  kng-tems, 
eliC  pouffoii:  des  plaintes  aufll  touchantes  que  ftéti- 
îes.  Ta  main  kborieufe  a  biifc  fes  entraves  cruel- 
-les;  Se  dcJivrée  du  poicls  lionteux  de  fes  chaînes-, 
elle  refpire  l'air  tianquile  &  lercin  de  la  liberté  de- 
iirée  cJejmis  tant  de  liéclcs. 

Je  te  vois  aujourd'hui ,  harmon'eufe  Fille  de  l'aî- 
inable  Souverain  de  l'Hélicon  ;  je  te  vois,  ô  divine 
locûc!  te  promener  çà  &  là  librement  avtc  les  Ca- 
lites  ,  qui  dinfent  6c  folâtrtnt  autoiiX  de  toi,  en 
te  failant  cent  ciielTis  naïves. 

Lenrs  blonds  cheveuîf' voltigent  négligemment  é- 
pirs  lur  leurs  épaules  blanches  à  la  fois  &  vermeil- 
les, femblables  à  de  l'ivoire  qu'une  femme  de  Cane 
teint  en  pourpre.  Ennemies  de  la  gêne,  elles  ont 
jette  loin  délies  leurs  chaufluireâ  de  drnp  d'or,  & 
fautent  fi  légèrement  fur  l'email  de  ia  liante  praî-' 
rie  ,  qu'à  peine  s'apperço;t-on  qu'elles  aient  des 
J'ies. 

Toi-même,  ô  Pocfie  !  toi-même  tou'e  écheve- 
lée,  tu  t'es  défaite  de  l'embarras  ajuflé  de  ta  coëf- 
fure  précieufe.  Tes  doigts  délicats  ne  paroillent 
plus  enchaînés  dans  des  cercles  de  diamnns,  &  tu 
dédaignes  la  pompeufc  parure  de  tes  braflélets  tif- 
fii5  avec  un  art  admirable. 


La  Profe  qui  s'avance,  a  le  port  d'une  Reine; 
plie  te  tend  les  bras,  t'embrafle,  t'appelle  fa  fœur, 
&  te  jurant  une  amitié  éternelle,  te  ferre  avec 
tant  de  force,  qu'il  fcmble  que  vous  ne  fafïîez  plus 
«jue  le  même  coips.  Les  coquillages  dorés,  atta- 
chés aux  rochers  limoneux;  la  Vigne  flexible  ma; 
idée  à  l'Otnijeau  qui  l'appuie  ,  ne  font  pas  liés  par 

des 


iig  ODE    S. 

des  nœuds  plus  étroits,  que  ceux  qui  vous  uniflènt 
maintenant  enfenible. 

Un  ris  modefie  &  gracieux  s'echappant  de  tes  lè- 
vres cntr'ouvertes  ,  t'ait  e'cLiter  fur  ton  vifage  les 
étincelles  d'une  joie  inaltérable.  L'éclair  part  de 
tes  yeux  flamboyans  :  &  tu  répons  à  la  Pxofe  par 
tous  les  témoignages  d'une  ridclité  réciproque. 
•Ciel!  que  l'air  ailé  dont  tu  marches,  t'a  rendue 
différente  de  ce  que  tu  étois  autrefois. 

Chante  à  jamais  ta  liberté  recouvrée.  Chante  la 
pe'nible  défaite  de  la  j\.iine  orgueilleufe  qui  t'a  dé- 
tenue dans  les  fers.  Mais  cé'ebre  fur- tout,  par  des 
produirions  plus  durables  que  le  marbre  î<  le  bron- 
ze ,  l'invincible  LA  Mothe,  &  fais  pleuvoir 
les  lauriers  ôc  les  rôles  fur  la  tête  de  ton  valeureux 
Libérateur. 


l 


Lui  feul  s'eft  armé  pour  ta  défenfe  ;  &  les  traits 
u'ont  lancés  des  bras  de  Gtans,  fc  font  émoufles 
ur  fa  poitrine  invulnérable.  Il  paioît ,  il  combat, 
il  frappe  ,  il  foudroyé.  C'eft  Tancredc  qui  fait 
mordre  la  poudre  à  Clorinde  ;  c'eft  Renaud  qui 
triomphe  d'AimicIe  ,  &  des  vaillans  &:  nombreux 
Chevaliers  ,  qui  dévoient,  au  prix  du  fang  de  ce 
Héros ,  conquérir  à  l'envi  le  cœur  de  cette  Héroïne 
inhumaine. 

Tes  yeus  ternis  fe  chargent  de  pleurs,  ô  Rime 
malheureufe  !  La  honte  fait  pâlir  tes  joues  amai- 
gries ;  une  fueur  froide  coule  de  tous  tes  membres, 
<)ui  paroiflent  pétrifiés.  Mais  tout  à  coup  la  dou- 
Icjr  fe  chargeant  en  rage,  tes  derniers  foupirs  font 
d'horribles  blafphèmes. 

Tes  ftrophes  gravement  philofophiques ,  ô  pru- 
dent La  Mothe!  ô  Poëte  fagement  iublime! 
nous  avoient  toujours  prélagé  ton  penchant  infur- 

mou- 


ODES.  119 

montabic  pour  ta  chère  Profe;  &  qu'il  viendroitun 
iciiir,  cîi  tu  prcndrois  le  caf^ue  &  la  cuirafle ,  pour 
ui  conquérir  l'etrpire  abfohi  de  notre  Langue  te» 
;:ommée  de  l'un  à  l'autre  Hémifphere. 

Mais  Ciel!  qu'apperçois-je  encore?  Quelle  foule 
de  raviflans  objets  frappent  à  l'inftant  mes  avides 
regards  ?  L'Ombre  glorieufe  du  fçavaiit  l'oëtc ,  à 
qui  feptVi'lcs  fe  difputerent  l'honneur  d'avoir  don- 
ne la  naiffance  ;  l'Ombre  non  ii  oins  célèbre  de  ce- 
lui qui  a  porté  jufqu'aux  nues  le  nom  de^Iantoue; 
l'Ombre  rivn'e  des  deux  autres,  cette  Ombre  dont 
le  Godcfroi  Se  l'Aminte  ont  illuftré  la  moderne  1- 
lalie  ;  toutes  trois  te  donnent  de  pures  marques 
d'une  amitié  non  fufpede. 

Je  les  cntens  qui  te  foUicitent  en  leur  faveur  pat 
les  exprefilons  les  plus  vives.  Us  te  prient  avec  in- 
fîance  de  brifer  la  mefure  inutile  de  leurs  vers,  d'é- 
carter loin  de  leur  ftyle  ces  nombres  ridiculement 
réguliers ,  qui  ne  répètent  que  les  mêmes  fons  à 
l'oreille  fitiguée,  5c  par  le  moyen  dont  tu  es  l'in» 
vetiteur,  de  prêter  à  leur  Poëfie  cette  même  beau. 
te,  dont  tu  viens  d'enrichir  la  nôtre. 

Continue  ,  ô  géne'reux  Vainqueur  de  la  Rime  î 
moiflonnc  à  plein  poing  les  précicu'es  javelles  des 
lauriers  iinmouels;  chemine  à  pas  hardis  au  Tem- 
ple rayonnant  de  la  Gloire,  en  dépit  de  tes  Rivaux 
confiâmes.  Cours  y  (ufpendre  les  dépouilles  que  tu 
îcur  cfs  arrachées ,  encore  fouillées  d'une  poufiîere 
honorable;  6c  qu'eux-mêmes  fè  trouve»:t  enfin  for- 
ces de  couronner  ton  front  triomphant,  de  leurs 
piopres  mains. 


ODE 


rso  ODES. 

ODE     XXIII. 

EN   STROPHES   LIBRES, 

Faite  par  défi  dans  un  après-Joupé  : 

A  M.  METNOT,  de  Libourm  près  Bordeaux; 
Sur  fon  excellent  Vin  de  St.  Emilion.     ' 

V^UELLE  prompte  vapeur  vient  agiter  mes  fens? 

Je  travciTe  les  airs  fur  une  aile  divine  ; 

je  te  connois,  Bacchus  ,  à  ces  charmes  puiflàns; 

Ta  voix,  au  pied  d'une  colline, 
Raflèmble  à  mes  regards  les  Syl vains  bondiflans. 

Dont  !a  troupe  vive  &  mutine 
Se  joue,  en  retenant  clans  des  chaînes  d'ozier. 

Que  le  jonc  flexible  entielafle, 

L'Amour  qui  leur  demande  grâce. 

Et  veut  en  vain  Te  délier. 

Ton  feu  m'a  péne'tré;  tu  ceins  mon  front  de  rofes. 
Les  unes  en  boutons ,  les  autres  prcfque  éclofcs; 

Les  Mcnides  d'un  pas  joyeux, 
Branlant  chacune  un  Sceptre  où  ferpente  le  lierre, 
panfent  autour  de  moi,  me  verfent  à  plein  verre 
D'un  neftar  fi  piquant,  fi  doux,  fi  gracieux. 

Qu'après  que  fa  liqueur  fu.jtile, 
Parfumant  l'odorat,  a  réjoui  les  yeux. 

Le  palais  le  plus  d.fficile 
Sç  plait  à  favourer  fon  goût  délicieux. 
'      -J}  Qrie 


ODES.  121 

Qiie  vois-je  ?  Du  Mogol  on  vient  m'offtir  l'Empire, 
Fuiez  loin  de  ces  bords,  députes  fédu(îeuis; 
Portez  en  d'autres  lieux  vos  préfcns  impofteurs: 
Mon  cœur  jouit  de  tout,  ayant  ce  qu'il  de'fiic. 
Eh  !  que  m'importe  d'être  Roi , 
Si  je  fuis  heureux  fans  couronne  ? 
Les  foucis  inquiets  volent  autour  du  Thrône, 
Je  dois  quand  je  fuis  las,  lorfque  j'ai  foif,  je  boisj 

Que  j'eûime  le  fort  du  fage, 
Qui  du  faftfe  &  du  rang  dédaigne  l'efclavage, 
Et  qui ,  fans  commander  ,  ne  dépend  que  de  foi  ! 

Des  bords  de  la  Garonne  ,  ô  toi ,  l'honneur  infîgne! 
Meynot  ,  qui  fut  les  mers  fais  pafler  jufqu'à  nous 
Le  baume  fouverain ,  ce  jus  vermeil  &  doux, 

Tre'for ,  dont  t'enrichit  ta  vigne  ; 
Admire  les  effets  qu'en  mon  cœur  tranfporté 

Ton  Saint-Emilion  enfante, 
Quand  fes  flots  pctillans  bercent  la  volupté 

Dans  la  fougère  tranfparente , 
Qu'environnent  les  ris,  les  jeux  &  la  fantf. 

Le  vin  qu'au  rivage  du  Rhône 
L'œil  du  jour  carefle  &  rôtit. 
Sous  une  écorce  qui  bouillonne. 

Et  dont  l'afpea  riant  chatouille  l'appétit. 

Le  Champagne  fumeux,  le  Bourgogne  amiable. 
Ces  vins  que  l'on  fert  à  la  table 

ÎDcs  enfans  de  la  terre  &  des  Seigneurs  pompeux; 

Le  Falerne  vante',  le  précieux  Tokaye, 

Tum.  I.  F  Ne 


122  ODE    S. 

Ne  valent  pas  ton  vin  fameux, 
Dont  la  louange  noble  &  vraye 
Failèra  dans  mes  vers  à  jios  derniers  neveux. 

Il  produit  les  tranfports,  dont  la  lyre  héroïque 
Enflûmmoit  .par  fes  tons  le  Vainqueur  duGranique; 
Les  Albains  (♦)  généreux,  nos  l'uperbes  voifins, 
Dai2s  l'ombre  de  la  nuit,  excités  par  tes  charmes, 
Quitteient  leurs  maifons  &  couiurent  aux  armes. 
Comme  fi  l'ennemi  ravageoit  leurs  confins. 

De  ces  nouveaux  Ajax  la  Cohorte  guerrière, 
M.«rchant  fous  l'étendart  du  plus  hardi  courroux. 
Et  de  fes  battions  franchiflant  la  barrière , 
S'écria  mille  foisj  Jupiter,  Dieu  jaloux.' 
Commande  au  Dieu  du  jour  d'apporter  la  lumière. 
Et  fi  tu  veux,  combats  loi-irême  contre  nous. 

La  fille ,  l'cpoufe ,  l'amante , 
Se  jettent  ,  en  pleurant,  au  devant  de  leurs  pas; 
Ici  le  jeune  Hymen,  déployant  fes  appas, 
D'une  démarche  trifte,  &  d'une  main  tremblante 
Relevé  du  berceau,  remet  entre  leurs  bras 
Ses  fruits ,  fes  tendres  fruits  ,  que  faifit  d'épouvante 
Des  cafques  cizelés  l'acier  étincclant. 
Wars  dans  toute  leur  ame  allume  un  feu  brûlant. 
Ah!  celTez,  di!ent-ils,  fexe  foible  &  timide; 
Lalffez-nous  obéir  au  tranfpoit  qui  nous  guide. 

A- 

(*)  Araoture  arrivée  peadant  la  demicre  jaerre. 


ODES.  123 

Avnnt  que  ie  foleil  brille  fur  l'horifon. 

Vous  nous  verrez  couverts  de  gloire, 
Ou  nous  irons  dins  l'onabre  noire 

Achever  cette  nuit  chez  l'horrible  Pluton. 

Dans  tin  fragile  efquif ,  fans  frayeur  de  l'orage. 
Des  pêcheurs  qui  tâchoient,  à  la  lueur  du  feu. 
D'attirer  le  poiiTou  volage  , 
Les  avoient  trompes  par  le  jeu 
De  cette  éblouïlfante  image; 
Mais  leur  impatiente  ardeur 
A  chercher  l'ennemi  fjt  la  fimple  apparence, 
Prouve  éternellement  que  fa  fiere  prefence 
N'eût  fait  que  redoubler  leur  louable  fureur." 

Digne  d'être  chanté  par  Virgile,  ou  Voltaire, 
Meynot,  <}ue  jeftime  &  révère, 
Prends  part  a  des  exploits  fi  beaux. 
Quoique  toujours  conft-nte  &  ferme, 
La  vaillance  ait  d'abord  Ion  principe  &  fon  germfi 

Dins  le  ceeur  des  parfaits  Héros; 
Une  pointe  de  vin  fait  reverdir  encore 
Les  lauriers  qu'Apollon  &  Bellonne  ont  plantés. 
Témoin  ce  qu'en  a  dit  dans  fes  vers  refpeftés. 
L'aveugle  lumineux,  dont  le  Pinde  s'honore, 
Et  que  cinq  fupeibes  Cités 
Prétendent  avoir  fait  éclore. 

ïl  dit  dans  fes  granc!s  airs,  ce  Cygne  Ionien, 
Dont  Bacchus  rec'naufFa  la  Mufe  infortunée. 
Que  de  tout  combattant ,  fût-il  Grec  ou  Troyen, 

F  s  U 


124     ,       ODES. 

La  brillante  valeur  de  pampre  couronnée. 
Se  vit  foutent  cnlumine'e 
D'un  doux  ncâar  pareil  au  tien. 

Ouï,  fans  être  ofFufquc  par  de  trompeurs  prefliges, 
J'ai  vu,  Meynot  ,  j'ai  vu  fur  ces  bords  glorieux 
Ta  liqueur  opérer  d'incroiables  [irodiges; 
j'ai  vu  nos  Citoyens,  le  plaifir  dans  les  yeux. 
Livrés  à  leurs  eflors  fuprcmes, 
Surpris  de  leurs  talens  eux-mêmes, 
A  table,  fans  effort,  fans  étude,  fans  art, 
Sur  le  coude  appuyés  ,  parier  divcifes  langues; 
Et  par  l'enthoufiafme  emportés  au  hazard. 
Enfin  je  les  ai  vus  prononcer  des  harangues. 
Dignes  de  faire  envie  au  favant  Tullius, 
Et  déclamer  des  vers  avec  la  force  aftive, 
Ce  gefte  aifé,  brillant,  cette  voix  fouple  &  vive. 
Qu'on  admira  dans  Kofcius. 

Et  moi  qui,  chériflant  une  illuflre  manie. 
Eprouve  d'Apollon  l'aimable  tyrannie, 
Pouvois-Je  du  fouper  au  tems  d'entrer  au  lit. 
Des  Strophes  franchiflant  la  mefure  incommode. 

Concevoir,  enfanter  cette  Ode, 
Si  ton  vin  gcaéicux  n'eût  aide  xaoa  elpiit  S 


ODE 


ODES.  12$ 

ODE    XX IV. 

V^U'un  autre  afpire  aux  dons  chéris  y 
.  Que  ceux  qui  portent  la  couronne, 
Ke'pandent  fur  leurs  favoris; 
Que  d'un  frivole  honneur  épris  , 
AmSnt  enflamme'  pour  Eellonne-, 
Un  autre  remporte  le  prix 
Que  fa  fureur  ambitionne  ; 
Que  pour  de  folles  dignités 
Un  autre  rampe  &  s'abandonne 
A  de  ferviles  lâchetés; 

Que  fur  la  mer  Orientale 
Un  autre  aillé  afFionter  le  fort; 
Que  foupirant  après  le  port, 
Sa  vie,  à  deux  doigts  d'intervale,. 
rlotte  fans  celle  fur  la  mort. 

L'Ambition  Se  l'Avarice, 
Patentes  d'inclination, 
Vautours,  que  nourrit  l'InjuAice 
Enyvrés  d'exécration  , 
En  proye  au  plus  dur  exercice  ,. 
Vomiflent  l'ame  dans  la  lice, 
Vidimes  de  leur  paffion. 

L'une  infolente  &  magnifique,- 
leitile  en  termes  fuboineuis, 

ï  3  In- 


126  ODE    S. 

Infatiable  de  grandeurs, 
Par  un  tiflu  de  politique 
Afpire  à  de  nouveaux  honneurs; 
L'autre  par  une  route  inique, 
Pleine  8c  vuiile,  a£iive,  hydropique, 
S'cpuife  en  araafTant  de  l'or  , 
Et  fe  fait  un  Dieu  Domeûique 
De  fon  déteftable  tréfor. 

Tout  moi,  que  le  fot  monde  bicffe, 
Des  Grands  &  des  fats  rebute , 
Sincère  ami  de  la  pareffe. 
Je  cours  après  roifivetc. 
Nul  autre  bien  ne  m'intérefle  , 
Que  l'amour  de  la  liberté , 
Et  fans  éclat  &  fans  tichefle  » 
Une  konaêtc  commodité. 


%a£» 


£th 


E  P  I  T  R  E  s. 


E  P  I  T  R  E     I. 
AS.  A.   S.   MONSEIGNEUR 

LE    PRINCE    DE    CONTI,- 

Sur  Ton  retour  de  la  Campagne  d'Allemagne  1734. 

fenite  igitur  in  maKus  r.ojlras  frofprra  fiareniurit 
vota  f  feiicibui  aufpiciis  propagatdjêbcles  qus.  e;ffi' 
citis  ut  Çy  genuij/e  Juvtt  {y  generart  iiécat.  Val.- 
Max.  Liv.  5.  c.  4. 

X  Rince,  que  la  Vertu  dès  l'âge  le  plus  tendre^ 
A  trouvé  docile  à  fa  voix, 
C  o  N  T  I ,  vos  glorieux  exploits 
Ont  charme'  tous  les  cœurs,  &  devioicnt  nous  fur- 
prendre , 
Si  nous  n'étions  en  droit  de  tout  attendre 
D'un  ?iince  iiiu  du  fang  des  Héros  Se  des  Rois. 

F  4  Le 


;i'28  EPITRES. 

Le  Ciel  vous  récompenfe;  à  nos  vœux  favorable. 
Il  vous  ofFre ,  à  votre  retour , 
Le  préfcnt  le  plus-âgréable 
Q^i  puiflè  flîter  votre  amour. 

les  Jeux  en  voltigeant  vô^s  enlèvent  vos  armes; 
Le  plaifir  {accède  aux  alarmes, 
Le  repos  aux  travaux  guerriers: 
L'Hymen  tendrement  voas  embrafle  , 
Et  fa  main  le'gere  entrelaflé 
'Ses  myrrhes  parmi  vos  Javniers, 

]e  le  voi  cet  Hymen  ;  peut-on  le  méconnoître 

A  fon  air  noble  6c  vertueux, 
A  fon  port ,  à  fon  œil  chaftement  amoureux  ? 

L'Amour  confiant  qui  le  fit  naître. 
Accompagne  fes  pas  :  &  par  des  nœuds  nouveaux 
Ces  Dieux  unis  ceffent  d'être  rivaux. 

L'un  5i  l'autre  animés  de  tendrefle  &  de  zele. 
Avec  empreÛement  vous  prcfentent  un  Fils , 
Le  feu  des^'ORLEA vs  alliés  aux  Contis 

Déjà  dans  fes  yeux  étincelle; 
Que  d'appas  dlfférens  dont  les  cneurs  font  épris! 
La  vive  imprelHon  d'une  flateufe  joie 
Sut  fon  front  gracieux  fc  montre  &  fe  déploie; 
Il  reconnoit  fon  Père  arec  un  doux  fouris. 
llluftre  Enfant,  ce  foùris  eft  l'augure 
D'un  fort  dont  le  bonheur  filera  les  momen?. 
Le  fçavant  Apollon  pénètre  l'ombre  obfcure. 

Qui  couvre  la  fuite  des  ans: 
Et  lui-même  aujouid'lmi  par  fa  voix  il  m'aflUre- 

Qu'à 


EP ITRES.  129 

Qu'à  la  table  d'un  Dieu  vous  brillerez  lo«g-tems 
Dîett  vous-même;  &  qu'enfin  une  jeune  Deefle^ 
Digne  par  fes  vertus  de  combler  tous  vos  vœux. 

Vous  enchaînera  dans  les  nœuds 

D'une  légitime  tendrefle  ; 

Et  que  goûtant  un  calme  heureux  ,• 

Charges  Se  d'honneurs  &  d'années  ,- 
Les  Auteurs  de  vos  /ours  verront  de  leurs  ncveur 

fleurir  les  longues  deftine'es. 
Vous  regardez  ce  Fils ,  vous  l'embraflez  cent  fois,  . 
Vous  donnez  cent  baifers  à  fon  aimable  Mère  : 
Que  je  vois  bien  le  cœur  d'un  Epoux  &  d'un  Père  ? 
Mais ,  Prince,  file  Ciel  raflembloit  à  fa  voix 

Ce  que  le  monde  a  de  PrincefTes, 
Et  que  laiiTant  vos  volontés  maîtitfles- 

De  faire  un  agréable  choix, 

H  vous  permît  de  prendre  de  chacune 

I^s  plus  rares  talens,  pour  en  compofer  uno- 

Au  gré  de  vos  fages  defirs  ; 
■*'-  Cette  Princcfie  pourroit-elle 

Etre  plus  parfaite  que  celle 
4^vec  qui  vous  paflèz  vos  jours  dans  les  plaifirs"? 

Mais  quel  fombrc  &  trifle  nuage  (*) 
Jette  dans  mes  efjirits  fes  voiles  odieux! 
Ma  voix  trouve  à  peine  paflàge, 
Les  pleurs  s'échappent  de  mes  yeux. 
Arrêtez ,  fier  Trépas ,  arrêtez. . ,  ah  !  grands  Dieux  î' 

C'eft 

Ç*')  L'accouchement  de  Madame  la  Priacefle  de  Couti  ».•' 
voit  mis  fa  vie  en  danger. 

F   c 


130  E  P  I  T  R  E  S. 

C'eft  votre  pitié  que  j'implore. 
Sauvez  (es  jours...  Que  dls-je?  ô  fatal  fouvenirî 

Pourquoi  vicn-tu  m'entretenir  ? 
Ah!  pardonnez,  Princefle;  hélas  .'j'en  tremble  encore. 
Quand  je  penfe  au  pcril  ou  vos  jours  fe  font  vus. 
O  dcftins!  m'écriai- je,  ô  malheurs  imprévus! 
Paut-il  que  poar  l'Hvmcn  l'Amour  fe  faciifie? 

Et  que  la  fource  de  la  vie 
D'un  fils  à  qui  le  Ciel  doit  le  plus  heureu.x  fort. 
Soit ,  charmante  C  o  N  t  i ,  celle  de  votre  moit  ? 

Cependant,  attendvis  par  d'innombrables  plaintes, 

Les  Dieux  diilTperent  nos  craintes. 

Et  vous  rendirent  la  fanté. 
Ce  n'eft  point  fans  douleurs  qu'on  enfante  un  AI- 

cide  : 
ïlus  le  bienfait  eft  grand ,  &  plus  le  Ciel  rigide 

Demande  qu'il  foit  acheté. 
Mais  en  étoit-ce  affeijpour  nous  rendre  trani^uiles? 
Tandis  que  votre  Epoux,  ému!e  des  Achiles, 

Voloit  à  travers  les  hafards. 
Et  que  pour  aborer  nos  Lys  fur  les  remparts 

Des  Fortereflès  &  des  Villes, 
II  biavoit  le  courroux  êc  les  foudres  de  Mars  ? 

Kell  vit  avec  effroi  fon  invincible  épée. 

Dans  le  fang  du  Germain  trempée, 

Cttidet  nosConquérans  fous  les  armes  vieillis; 
Et  fur  fes  ailes  la  Vitèoire 

Porta  fon  noble  Elevé  au  fo m  met  de  la  g'oire,. 

Couronné  d»s  lauriers  que  lui-mime  a  cueillis. 

Or. 


E  P  I  T  R  E  s.         131 

Orgueilleux  rhilisbourj ,  ou  triomphent  nos  armes. 

Vous  avez  éprouvé  jufqu'oii  va  fa  valeur; 

Et  le  Rhin  dans  fes  flots  le  voyant  fans  alarmes, 

Frémit  en  admirant  fa  belliqueufe  ardeur. 

Ces  Grecs  &  ces  Romains,  dont  les  noms  d'âge  en 

âge 
Ont  été  préfetvc's  des  horreurs  du  tombeau , 
Du  métier  de  Héros  faifoient  l'apprentiflage , 
La  guerre  étoit  pour  eux  d'abord  un  art  nouveau: 
Les  CONTi  s  font  Héros  au  fortir  du  berceau, 

Et  la  femence  du  courage 
Germe,  éclot  à  la  fois,  brille  en  un  fang  Q  beau. 

CONTi,  que  n'ai-je  alTez  d  haleine  ,. 

Pour  pouvoir,  au  gré  de  ma  veine  , 
Célébrer  vos  vertus,  Se  vos  exploits  divers? 
j'cxpoferois  aux  yeux  de  l'Univers 

Ce  cœur  noble,  cette  ame  humaine: 
On  TOUS  verroit,  en  fortant  du  combat. 
Voler  dans  tous  les  Camps,  vifiter  le  Soldat, 

Raccourcir  l'extrême  diftance 
Qiie  met  entre  eux  &  Vous  la  plus  haute  Naiiïhnce; 

Confoler  celui  que  le  fort 
A  choifi  dans  la  foule  ,  &  dont  l'aiFieufe  Mort,'   , 
Secondant  du  Dieu  Mats  les  rigueurs  meurtrières. 
Va  fermer  pour  jarnais  les  tremblantes  paupières; 

Veiller  vous-même  à  leurs  bcfoinî, 
Leur  partager  vos  bontés  &  vos  foins; 
Et  comme  un  Pélican  que  la  tendre  nature, 
Pour  nourrir  fes  petits,  porte  à  s'ouvrir  le  flanc,. 

Prôt  à  leur  donnet  votre  fang , 
S'il  leur  pouvoir  fervir  de  aounituie, 

E  «  C  0  N- 


132         E  P  I  T  R  E  s. 

eoNTl,  vous  imitez  vos  illiiftres  Ayeujt,  "^ 

Votre  Fils  marchera  fur  vos  pas  glorieux. 
Le  Lion  toujours  intrépide 
N'engendre  point  un  Cerf  timide, 
Et  les  Dieux  engendïcnt  des  Dieux. 

E  P  I  T  R  E     II. 

A.    M.    LE    MAR(^UIS    de    R  obi  en-, 

îréfident  à  Mortier  au  Parlement  de  Bretagne  Se 
de.  l'Acadcmie  Royale^  des    Sciences  &  Belles- 
Lettres  de  Berlin. 

Le  Jour  de  falnt  Chrijlopht  fa  Fête. 

JL   R  e'  s  I D  E  N  T ,  qui  régnez  dans  cette  folitudc 
îlus  charmante  pour  moi  que  toutes  les  cités, 

J'y  goûte,  exempt  d'inquiétude  , 
lîes  plaifîrs  que  j'avois  fi  long-tems  fouhaite's. 

Coûtent  auprès  de  vous,  je  puis  dans  cet  afyle. 
Tantôt  errant  au  bord  des  eaux. 
Tantôt  à  l'ombre  des  ormeaux. 
Mêler  l'agréable  à  l'utile; 

Et  fïiîvant  pas  à  pas  votre  goût  toujours  fur ,, 
AfTcmbler  Socrate  ?i  Virgile  , 

jSlaupertuis  5c  Rouffeau,  Rollin  &  Rc'aumur. 

Que  j'aime  ce  loifir  tranquile  ! 
^te  pour  moi  vos  difcours  ont  de  touchans  appas .' 

Et 


E  P  I  T  R  E  s,  133. 

Et  qu'ils  font  au-deflus  du  frivôte  embarras 
De  tous  les  cercles  de  la  ville  ! 

Votre  fçjvoir  prodigieux 
M'emporte  par  delà  le  fëjour  du  tonnerre  ; 
La  foudre  &  les  éclairs  fe  forment  fous  mes  yeux> 
Les  élcmens  armes  fc  declaient  la  guerre; 
Sous  vos  habiles  mains,,  mes  regards  curieux 
Pénètrent  des  oifeaux  le  fein  myftérieux  ; 
Et  par  un  nouveau  jour ,.  qu'un  cercle  c'troit  enferre,. 
D'invifibles  objets,  foibles  ,  vils,  odieux, 
Me  faifillènt  d'eiFtoi ,  devenant  fous  un  verre 
Crocodiles,  ferpens,  dragons  audacieux, 
De-là  changeant  la  fcène,  Adeur  inge'nieux. 
Je  defcends  avec  vous  au  centre  de  la  terre; 
Et  plus  heureux  qu'Icare  ébloiii  dans  les  airs  ,, 

Vous  me  guidez  au  fond  des  mers. 

Vous  me  développez  dans  ces  divers  voyages  3. 

Les  fofliles  cache's ,  le  tilTu  des  métaux , 
Des  plantes  6c  des  animaux. 
Des  poiflbns  8c  des  coquillages. 

Dont  le  beau  cabinet  que  vos  foins  ont  acquis. 

Nous  étale  avec  choix  les  monurnens  exquis; 
Tiibuts  des  plus  lointains  rivages. 

Votre  efptit  lumineux  s'étend  fur  tous  les  âges; 
Un  mot ,  un  carafterc ,  un  trait , 
Rappellent  à  votre  mémoire  , 
Et  lui  découvrent  le  portrait. 
Les  tcms  reculés  Se  l'hiftoirc 

£  7  Dôâ 


134 


E  P  I  T  R  E  S. 


Des  Rois,  des  Empereurs,  des  Hcros  S<  dcsDieujr, 
Comment  avez- vous  pu,  mortel  chéri  des  Cieux, 

Aflbcier  tant  de  fciences  , 

Tant  de  fublimes  connoiflances 
Aux  périlleux  détours  du  dédale  des  lois, 
Dont,  fans  vous  égarer  parmi  leur  nuit  obfcure. 
Vous  tenez  conftarament  le  ûl  d'une  main  fiiie. 

Capable  de  tout  à  la  fois  ? 
"Il  faut  pour  y  fournir,  Ptéfident  admirable, 
Qiie  dans  votre  efprit  vif,  exaifl  &  pénétrant. 
Vous  ayez  aujourd'hui  la  force  incomparable 

Que  votre  Patron  mémorable  , 
Saint   Chriftophe  ,    eut   jadis    dans    fon  corps   de 

géant. 
Quoiqu'in formé  trop  tard  qu'on  célèbre  fa  fcte, 
Je  voulois  vous  fleurir;  mais  je  n'apperçois  rien 
Pour  offrir  à  celui  qui  maître  d'un  grand  bien, 
D'ailleurs  porte  lui  feul  l'Univers  dans  fa  tête. 

Tout  répond  à  vos  vœux  ;  alîis  au  plus  haut  rang. 
Vous  avez  une  Epoufe  en  qui  de  votre  fasg 

Circula  l'illuftre  Nobleffe, 
Le  fang  des  Robiens,  fourcc  de  fa  clarté. 
N'en  efl  que  plui  biillant  fans  éclat  emprunté. 
Cette  tendre  moitié,  que  la  blonde  jeunelTe 
Doiia  de  raille  attraits  dont  les  yeux  fpnt  charmés, 

A  réuni  Vénus  ôt  la  SagclTe; 
Et  chcriffant  des  noeuds  que  l'Amour  a  forme's, 

Vous  aime  autant  que  vous  l'aimez. 
Ses  grâces  à  propos  nobles  îc  familières 
Impriment  dans  un  cœw  l'cflimc  Ô4  le  rcfpeft. 


E  P  I  T  R  E  s.         135 

1,'efptît  pour  ce  qu'elle  eu,  à.  fon  air,  fes  maaie- 
res, 

La  connoît  au  premier  arped. 

Puifle  Lacliélls  favorable 
Sans  calculer  vos  jours  en  groffir  fes  fufeaux. 
Et  retenir  la  main  de  fa  fœur  Atiopos, 

Qui  celïant  d'être  inexorable  , 

Doit  tefpe<Ser  des  nœuds  fi  beaux, 
luiiïîcz-vous  en  fanté  voir  votre  fils  grand  perej 
Ce  Marquis  occupe  de  l'amour  de  vous  plaire  j 

Imitateur  ingéaieux 

De  vos  talens  fi  précieux, 
£t  des  vertus  de  fon  aimable  luere. 

Four  moi  Je  joiiirai  du  deftin  le  plus  doujc^ 
Si  recevant  mon  homm.ige  fincere, 
Votre  amitié,  qui  m'honore  &  m'eft  chère. 

Dure  autant  que  les  vœux  que  je  forme  pour  vous. 

E  P  I  T  R  E    III. 

A     M.      BOUGUER, 

Mon  Compatriote,  derAcadcmie  Royale  des  Scien- 
ces de  Paris  &  de  celle  de  Bordeaux. 

Sur  fon  retour  d'un  voyage  de  neuf  ans  dans  les  Payt 
méridionaux,  entrepris  par  les  ordres  du  Roi. 


T 


U  finis,  cherBouguer,  tes  travaux  Si  mes  pei- 
nes, 

Par  toc  se  toux  heureux; 


1^6 


Ê  P  I  T  R  E  S. 


Neptune,  dont  j'ai  crainr  les  fureurs  inhumaines ^ 

Te  redonne  à  mes  vœux. 
J'ai  tremble  que  fur  toi  fa  funefte  vengeance 

Ne  fit  tomber  fes  coups  ; 
Voj'ant  tant  de  Nochers  qu'inftr;iifit  ton  enfance 

A  braver  fon  courroux. 
Leurs  agiles  vaifTeaux  du  Midi  jufqu'à  l'Ourfe , 

Firent  voler  ton  nom  ; 
Et   ta    main  ,   quoiqu'abfente  ,  au  milieu  de  leiif 
courfc, 

Dirigea  leur  timon. 
A  l'âge  oïl  follement  la  jeuneflfè  enivrée 

S'endort  dans  les  plaifirs  ; 
La  tienne  plus  folide,  à  l'étude  livrée^ 

Y  borna  fes  defîrs. 
Ne  t'avons-nous  pas  vu  fuir  la  foule  inquiette  j 

Au  fominet  de  nos  tours , 
Et  d'Aftres  prefqi'éteints  au  bout  de  ta  lunette 

Rallumer  les  contours  ? 
De-là  tu  comparois  la  grandeur  des  nuage»' 

Sur  la  rive  imprimés  ; 
Abrs  tu  méditois,  dans  tes  remarques  fages,. 

Tes  écrits  renommes. 
Mais  dé  ton  Orient  c'étoit  les  étincelles, 

Les  jeux  &  les  elTais. 
Aiglon,  tu  préparois  à  l'efTor  de  tes  aîles- 

De  plus  hardis  fuccès. 
Qaels  chef-d'oeuvres  depuis  n'as  «tu  point  fait  é- 
clore, 

S^avant ,.  fwbtil ,  piçfond  ] 
i'.  ■■  Ton 


E  P  I  T  R  E  s.  137 

Ton  Pays,  le  Royaume:  oui,  l'Univers  s'honore 

Des  lauriers  de  ton  front. 
Que  l'immortel  Honneur ,  pour  les  âmes  bien  née» 

A  de  traits  chatouilleux? 
C'eft  lui  dont  le  confeil  fia  tes  deftine'es 

Aux  hafards  périlleux. 
Tu  quittas,  pour  complaire  aux  defits  du  Monarque, 

Des  jours  purs  5c  ferains  ; 
Aident  à  t'expofer,  au  mépris  de  la  Parque, 

Sur  les  flots  incertains. 
Paflànt^e  ton  vailTeau  fur  des  Mornes  (*J  terribles, 

De  glaçons  hérifles, 
Là  des  pc'rils  plus  grands ,  par  des  retours  horribles» 

Succédoient  aux  partes. 
Sur  ces  monts  fourcilleux,  redoutables  afyles 

D'un  hyver  éternel , 
Tu  n'avois  pour  rempart  que  des  tentes  fragiles. 

Contre  le  froid  cruel. 
Tes  doues  Compagnons,  qu'un  zèle  égal  infpire. 

Ont  partagé  tes  maux, 
II5  partagent  ta  gloire,  &  l'Univers  va  lire 

Et  vanter  vos  travaux., 
D'autres  ont  avant  vous ,  pouflcs  par  l'efpérance ,   ^ 

Couru  fur  l'Océan  ; 
Mais  leur  art  s'ébahit,  &  l'on  vit  leur  confiance 

LafTée  au  bout  d'un  an. 
D'autres  ont  avant  vous,  pendant  plulleurs  années. 

Soutenu  leur  eTpcir; 

Mais 

(*)  Montagnes  d'Aniériq,ue  ,  fort  élcviîes,  où  pêndaut  U 
ttuît  le  froid  eft  exceflTf, 


138         E  P  I  T  R  E  S. 

Mais  pour  mettre  à  profit  leurs  rapides  journées. 

Ils  manquoient  de  fçavoir. 
Ta  dis,  mon  cher  Bouguer,  quau  plus  fort  de  te» 
peines , 

J'ctois  à  ton  côté, 
Et  qu'en  parlant  de  moi  fut  ces  rires  lointaines, 

Tu  te  fentois  flatc. 
Crois  auffi  que  par-tout  j'ai  porté  ton  Image 

Empreinte  dans  mon  cœur, 
Et  que  dans  mes  revers  ton  aimable  vifage 

Fut  mon  confolateur. 
Mais  pour  peu  qu'en  neuf  ans  la  Mer  parût  c'mue  j 

J'en  perdois  le  repos; 
Mon  amour  effrayé  groflifloit  à  ma  vue 

Les  dangers  &  les  flots. 
Neptune,  épargne,  dis- je,  une  tête  fi  chère; 

Exauce  un  malheureux: 
Sinon  porte  la  mienne  au  gré  de  ta  colère , 

Et  rejoins-nous  tous  deux. 
Tu  reviens  ;  &  mes  jours  n'auront  plus  d'amertume  : 

Je  revois,  enchanté. 
Sur  ton  teint  refleuri,  dans  ton  œil  qni  s'allume} 

Renaître  la  fanté. 
Ralentis  toutefois  d'une  étude  aûîdue 

L'ufage  immodéré: 
£lle  fait  ton  plaifir;  mais  le  plaiHr  nous  tue. 

S'il  n'eft  pas  tempéré- 
La  Mort  dont  le  compas  n'adîgne  au  plus  grand 
homme , 

Qii'un  tiifte  ii  court  teiteinj 
/  la 


E  P  I  T  R  E  s.  139 

La  tcte  dans  les  Cieux,  renveife  l'Aftionome, 

San  telefcope  en  main. 
Jouis  d'un  doux  loifir,  fi  tu  veux  bien  en  croire 

Ma  tendrefTe  &  ma  foi. 
Après  aroir  vécu  pour  autrui,  pour  ta  gloire, 

Cher  ami,  vis  pour  toi. 

M.  DE  LA  SoRiNiERE  ayant  fait  inférer 
dans  le  Mercure  de  Juin  1746  les  Fers  fui- 
vans  , 

Nouveau  CatulIc,  organe  dC  Apollon  t 
Enfant  gâté  fur  le /acre  vallon  f 
yivez  les  Jours  de  Sophocle  dy  d'Homère; 
Et  dans  un  coin  de  ce  va/le  Hémifphtre, 
SoUmis  aux  lois  de  la  faine  raifon  , 
CoUtez  les  fruits  d'une  utile  retraite  ; 
Et  Phihfophe  autant  qu'Anachorette^ 
Forgez  des  Vers  dignes  de  votre  nom. 

M.  Desforges  Maillard  y  répondit 
par  cette  Epitre. 

EPITRE    IV. 

A  M.   BELA  SORINIERE, 

De  l'Académie  Royale  des  Sciences  &*  Belles-Lettres 

d'Angers, 

V^  Ui ,  le  talent  des  Vers  eft  beau ,  cher  Soriniere, 
Quand  on  r<^ait  l'ait  d'unix  aa  brillant  coloris , 

L'é- 


140        E  P  I  T  R  E  S. 

L'clégance,  l'accord,  le  goût  &  la  manière  ,• 
Que  j'admire  dans  tes  écrits. 

Mais  je  prife  encor  plus  ton  cœur  droit  &  fincerc^ 
Cette  candeur  &  cette  probité , 

Qui,  comme  on  me  l'a  raconté  y 
forment  ton  rare  caradlere. 


Voilà  pour  toi  fans  compliment, 
Ami,  les'vrais  motifs  de  mon  attachement; 
Car  de  Londre  à  Paris,  de  Congo  jufqu'à  Rome, 
On  tiouveroit  plus  aifément 
Cent  beaux    Efprits  ,    qu'un    honnête 
homme. 
En  difFc'rens  états,  comme  en  divers  pays, 

Je  me  fuis  fait  ce  que  l'on  nomme 
En  flyle  commun,  des  Amis. 
Ainfi  qu'un  Papillon  qui  voltige  &  s'immole 
A  l'éclat  qui  feduit  fa  crédulité  folle , 
J'ai  fuivi  quelques  Grands,  Fantômes  refpeiftésj. 
Avares  de  réalités, 
Prodigues  d'un  efpoir  frivole. 
Geux-ci  dans  mes  chanfons  en  héros  e'rigés,. 
Yvres  de  mon  encens,  de  mes  palmes  charge's,. 

M'ont  afpergé  de  certaine  Onde, 
Eau- bénite  appellée,  &  m'ont  fort  polimetu 
Promis  à  tout  éve'ncment 
La  moitié  de  la  terre  ronde. 
Les  autres  qu'infpiroit  une  veine  féconde. 
Bans  leurs  chiffres  tracés  de  la  main  du  Zcphir, 
M'ont  juré  de  m'airaer  jufqu'au  dernier  foupii. 

Leuz» 


E  P  I  T  R  E  s.  141 

Leurs  fons  étoient  fi  doux, leur  voix  etoit  û  tendre, 
Q!_i'il  fembloit  que  l'Amour  aux  rives  du  Lignon, 
Sous  un  inirthe  fleuri  leur  eût  fait  la  leçon. 

Comme  il  la  faifoit  à  Sylvandre, 

Au  jeune  Hilas,  à  Céladon. 
Cette  foule  d'amis,  fi  vrais  à  les  entendre. 

Ne  l'étoient  pourtant  que  de  nom. 
J'ai  vu  fe  diflîper  leur  volage  fequelle, 
Comme  on  voit  dans  les  airs  un  timide- efcadron 

Se  rompre  devant  l'Aquilon, 

Et  s'cchaper  à  tire-d'aî'e. 
Deux  ou  trois,  &  fur-tout  le  célèbre  Titon, 
Et  l'illuftre  Bouguer,  dont  le  peuple  Triton 
Fait  Tonner  fur  les  flots  la  louange  immortelle, 
Qnc  la  terre  à  l'envi  répète  à  l'uniflbn; 
Ceux-là,  fans  démentir  leur  bonté  naturelle. 
M'ont  conftamment  payé  d'une  foi  mutuelle. 
Telle  écoit  au  furpius  l'étrange  illufion, 

La  téméraire  opinion 
D'un  homme  fimple  &  franc,  qui  n'avoît  pour  fyf. 

tême, 
Qtie  de  fe  figurer  les  fentimens  d'autrui , 

Suivant  ce  qu'il  fentoit  en  lui. 

Dans  mon  aveuglement  extrême, 
Iflfenfé  j'cubliois  ce  que  Pétrone  a  dit. 

Comme  dans  le  quatrain  qui  fuit 
]e  l'ai  paraphrafé  moi  même. 

On  prône, on  vante  aflez  fon  cœur, f'') 

(*)  Nomen  amiciti»,  fi  çiuatenus  expetfit,  liîeret. 
fttr.  SaijrU: 


142         E  P  I  T  R  E  s. 

De  promettre  beaucoup  on  fe  fait  un  mérite; 
Mais  l'.imi   qu'on  éprouve,  heGte 
S'il  s'agit  d'employer  Tes  l'oins  i<  la  faveur. 

Hc'las!  c'eft  de  tout  tcms  q  ic  la  Fortune  adverfc. 

Cette  Divinité  perverfe,     - 
Des  amis  inconftans  a  fait  rougir  le  front. 
Ceux  du  galant  Ovide  exilé  dans  le  Pont, 
En  foiii  ime  preuve  éternelle. 
Mais  que  quc'qj'un  des  miens  par  une  rrahifon 
M'ait  lâchement  rendu,  viftime  trop  fidelle. 
Un  fi  grand  coup  de  foudre  étonne  ma  raifon  ; 
J'ai  long-tems  lelTenti  fon  atteinte  cruelle, 
Dont  pour  moi  la  penfée  eft  encore  un  poifoni 

Auflî  j'ai  fait  une  liallc 
Des  lettres,  des  billets  de  tout  ce  monde-là  j 
Et  pour  inicription  fur  cette  papernfTc, 
Dans  ma  mauvaife  humeur  j'ai  mis,  à  qui  liray 
Lettres  de  faux  amis ,  trompeurs  ,  £>*  cetera. 

Enfin  pcrféve'rant  dans  fa  longue  colère, 

Souflant  toujours  le  vent  contraire, 
La  Fortuné  m'a  confine 
Dans  le  climat  oîi  je  fuis  ne'» 
Sur  une  côte  folitaire. 

C'cft-là  qu'en  imprantptu  l'Hymen  vint  me  lier; 
Sur  quoi  !e  Préfident  IJouhier, 

Ce  ffavant  renommé,  que  le  Pinde  regrette. 
M'écrivit  aflez  plaifamment, 
Qu'il  étoit  juAe  ^u'ua  foëte 


E  P  I  T  R  E  s.  143 

Eût  tout  fait  poétiquement. 
Mais  puis-je,  Ami  tiès  cher,  te  faire  en  aflutance. 

Une  certaine  confidence? 
Tu  me  promets  du  moins  de  ne  pas  l'c'venter; 

Mets  la  main  fur  ta  confcience. 
La  femme  que  j'ai  prife  aitne  tant  coqucter. 
Que  nulle  autre  en  ce  point  ne  l'égale,  je  penfe. 
Sairailn,  diras-tn,  dans  un  fort  besu  Sonnet, 

Nous  apprend  que  l'efprit  coquet 

Des  femmes  fut  toujours  l'attrait. 

Et  la  rocambole  ordinaire , 
D'accord  r  m^-is  j'ai  furpris  la  mienne  fur  le  fcait. 
Sur  le  fait!  Avec  qui?  De  cet  autre  fecict. 

Si  tu  m'.ilTùres  de  te  taire, 

Je  te  ferai  depofitaire. 
He'  bien,  je  l'ai  trouTce  ,  .    écoute,  &  fois  diTcrct» 
Je  l'ai  trouvée  ,  Ami ,  fur  un  lit  de  fougère, 

Qi^ie  parfumoit  le  ferpolet. 
Et  les  rideaux  tirés,  même  en  fon  cabinet> 
Couverte  feulement  d'une  gafe  légère. 
Tête  à  tète,  en  commerce  avec  Virgile,  Homère, 
Horace,  Anacréon ,  5c  tel  autre  Muguet, 
Tu  comptois ,  conviens-en,  que  la  fin  du  myftcre, 

Feroit  allonger  moiT  bonnet  ; 
Noa,  d'une  fage  époufe,  &  très- digne  de  plaire 

Par  fes  appas  8c  fès  talens, 
Euterpe  fur  le  Pinde,  Euphrofine  à  Cythere, 
Voilà  les  Favoris ,  les  aimables  Gslans. 
Sans  ce  rapport  de  goût,  ferois-je  aujourd'hui  père» 

JP ete  de  deuji  £ls  en  deux  ans  ? 

Moif 


144  E  P  I  T  R  E  S. 

Moi,  qui  bravant  d'Hymen  le  pénible  efclavage, 
Ne  cdnnoiîîbis  l'Amour  que  pour  un  Dieu  vol.ige, 
Et  qui  ra'etois  voué  pour  toujours,  à  l'état 

D'un  volontaire  Célibat  ; 
Moi  qui  ne  prétendois  dans  mon  petit  ménnge, 
Qu'être  père  d'enfans  qu'il  ne  faut  point  bercer, 
Qui  ne  courent  pas  plus  à  nourrir  que  mon  Ombre, 
Mafculins, féminins,  toujours  piéts  à  danfer. 

Qui  ne  coûtent  point  à  chauffer, 

Quoique    leurs   pies    foient  en   grand 
nombre; 
rnfin  moi  qui  n'avois  d'autre  cupidité, 

Agiffant,  penfant  à  ma  mode,  , 

Que  d'être  le  père  d'une  Ode, 

Ou  telle  autre  poftérité, 
Bamille  qui  fe  joue,  &  n'eft  point  incommode. 

Agréable  paternité. 
Suivant  certain  Difton,  dont  îa  date  eft  antique. 
Et  qu'en  tou^  lieux  l'ufage  a  rendu  fort  commun  , 
On  dit,  lorfque  l'on  voit  fourmiller  chez  quelqu'un 

L'ne  enfantine  République, 

Qu'il  n'eft  pas  trop  de  gens  de  bien  ; 

Sans  doute;    &  commp,  un   bon  Chic- 
tien, 

Ce  bien  fi  vanté,  je  fouhaite 

Qu'il  abonde  chez  mes  voifins, 
Et  in  Uteribus^  comme  le  Roi  Prophète 

L'exprime  dans  fes  Chants  divins. 

Le  Dieu  qui  règle  mes  deftins , 
Weft  pourtant,  Soriniere,  en  un  point  favorable, 

£o 


:E'P  ir  R  E  s.         1,4-5 

Ett-re  que  fa  bonté  me  confer»e  un  thréfbr, 
A  mon  cœur,  à  mes  yeux  thréforplus  eftimabliî 

Que  la  perle,  l'argent  &  l'or. 
Je  n'ai  point  voyagé  de  contrée  en  contrée. 
Et  n'ai  point  fillonné  ,  Marchand  ambitieux. 

Sur  la  foi  du  fougueux  Borée  > 

L'Empire  inconftant  de  Nérée  , 
j  Pour  chercher  ce  bien  précieux: 

Il  eft  en  ce  réduit  maritime  &  champêtre. 

Et  je  ne  puis  le  trouver  qu'en  ces  liçux. 
Ce  thréfor,  cher  Ami,  c'eft  celle  à  qui  les  DieuS 

,  Ont  voulu  que  je  dulîè  l'ctre, 

A  qui  je  dois  bien  plus;  l'amour  de  la  vertu. 
Le  deCr  d'obliger,  &  la  crainte  de  nuire. 
Ce  cœur,  que  les  méchans  ont  en  vain  combattu,  ' 

Que  le  clinquant  n'a  pu  féduire, 
Qyi  fjait  diftingucr  l'homme ,   6c  du  titre  8c  dn 

rang  , 
Les  talens  pcrlonnels  des  chimères  du  fang. 
Veilletdonc  fur  fes  jours,  ô  PuifTance  éternelle.' 
Aecotdez-lai  ,   grands  Dieux  ,  par  clémence  poiu 

nous, 
la  vieilîeffe  d'Hécube,  &  des  deftins  plus  dotw^ 
Affenrive  à  vos  lois,  fa  charité,  fbn  zele. 

Et  l'innocence  de  fes  mœurs, 
'Y.a  rendent  à  jamais  digne  de  vos  faveurs, 
D'im  petit  patrimoine  économe  fidelle, 
Laiflez-la  partager  entre  nous  fes  douceurs. 
Et  cinquante  ans  encore  aflc  mbler  fous  fon  aîle  ^ 
Cinq  Frères  tendrement  unis  à  quatre  fœws. 
...  ITem.  I,  G  Tj3 


14(5         E  P  I  T  R  E  S. 

Ju  goûtes,  cher  Ami ,  ces  plaifirs  enchanteurs. 

Dans  ta  retraite  pacifique; 

Maître  d'un  Château  magnifique, 
Ta  femme ,  tes  enfans  te  forment  une  cour  , 

Où  fans  fadeur,  fans  flaterie, 
La  fincere  Amitié'  par  la  Vertu  nourrie. 

Naquit  du  plus  parfait  Amour. 
La  Fottune.pour  toi  moins  fauvage ,  moins  dure, 

Et  moins  quintcufe  que  pour  moi. 
T'a  ttahfmis  de  fes  dons  une  jufte  raefure. 
Pour  vivre  indépendant,  &  pour  être  ton  Roi. 
Tu  plais  à  ton  Epoufc,  elle  te  plaît  de  même, 

,  Tu  l'aimes  autant  qu'elle  t'aime. 

Du  foin  de  vos  enfans  vous  faites  votre  cmploij 

Et  tout  autour  de  votre  table , 

Vous  voyez  d'un  œil  amoureux, 
!^BQm«  plans  d'oliviers,  cette  troupe  agrc'able. 

S'élever  &  combler  vos  vœux. 

Ainfi  coulent  tes  jours  heureux, 
Ainfi  ,  cher  Ami,  tu  t'amufes, 
Affidu  ménager  d'un  loifir  fludieux; 
Et  dans  ce  beau  féjour,  PaïnalTè  glorieux. 
Le  perc  eft  l'Apollon  ;  &  les  neuf  doftes  Mufes 
Ce  font  Ç&s  neuf  enfans,  polis,  ingénieux. 
Qui  forment  fur  fcs  tons  leurs  chants  harmonieiUf» 

Tu  te  plains,  que  troublant  le  repos  de  ta  vie 
La  Chicàhe  contre  elle  ôfe  lancer  fcs  traits; 
EHe  m'atta;*ae  bien,  cette  fombrc  ennemie, 
7»loi  ,  dont  le  «venu  ne  doit  point  faire  envie 
i  -  Aux 


E  F  I  T  R  E  s.         147 

Aux  noirs  amateurs  des  procès. 
Ami,  n'ayons  dans  nos  projets 
Qiie  la  feule  e'quité  pour  guide, 
Banniflons  l'intéiét  avide; 
Et  l'exade  The'mis  nous  repond  du  fuccès. 

Le  Ciel  en  te  faifant  poflèflèur  d'une  terre. 
Comme  aux  autres,  mon  cher,  t'a  donné  des  V(H<« 

fins. 
Si  leur  cupidité  te  déclarant  la  guerre. 

Cherche  à  reculer  tes  confins , 
Pour  e'tendre  les  leurs  fur  un  aûe  équivoque. 

Ou  fur  un  vieux  titic  baroque , 
Dont  le  chifre  effacé  rend  Je  tems  incertain; 

Chex  Sorinicre,  je  te  plain. 

Je  penfe  toutefois  qu'il  vaut  mieux  fe  défendrâj 

Et  réfuter  ce  qu'ils  ôfent  prétendre. 

Que  de  n'avoir  point  de  terrein. 

Ou  ramafler  allez  de  grain 

Tour  fournir  au  cours  du  rae'nag;?. 
De  l'avoine  &  du  foin  pour  nourrir  l'équipage, 
{9Ut  égaler  la  veine  un  peu  d'excellent  vin» 

Ofeille  &  laitue  au  jardin 
■-  Ponr  en  couronner  le  potage. 

Quant  au  fruit  de  la  vigne,  il  t'eft  indifférent^ 

Tes  vert  font  le  pane'gyrique 

De  l'eau  froide,  qui  ne  te  rend. 

En  revanche,  que  la  colique, 
îourquoi  dire  à  l'un  d'eux  un  éternel  adieu» 
Et  ne  point  marier  la  Nayade  &  le  Dieu? 
Le  Crcatêui;  de  tour,  &  qui  pax-tout  léUde, 

G  a  Bé» 


•148         E  P  I  T  R  E  S. 

Dcbrouillant  le  cahoi,  tempera  fagement 
Le  chaud  avec  le  froid,  le  fec  avec  rkumide, 

^oui  en  former  chaque  élément. 

Ce  qui  nous  prouve  évidemment. 

Que  de  notre  frêle  machine 
L'Onde   claire  &  le  Vin,  mélangés  fobrcmen*. 

Peuvent  retarder  la  ruine. 

Et  le  fameux  Roi  d'ifracl. 

Ce  Botanifte  uaiverfcl , 
Qui  connut  herbe,  fruit,  &  la  Nature  en  fomme, 

N'enfeignoit-ii  pas  que  VinMm 
'■  Lonura 

Réjoiiiflbit  le  caur  de  l'homme? 
Si  le  Ncftar  d'Anjou ,  pareil  au  vin  Breton , 

Ne  valoit  pas  du  jus  de  pomme. 
Te  te  pardonnerois;  mais  c'eft  un  divin  baume,  ' 
Sur-tout  lorfque  le  tems  le  meurit  en  flacon. 
Homère,  Théognis  *,  Horace,  Anactéon 
Ont  chanté  du  bon  vin  la  puiflance  &  la  gloire  , 
"    '  Et  fa  vertu,  nous  dit  l'Hiftoire, 

*  Réchauffa  celle  de  Caton. 

Et  Mathutin  Régnier,  ce  cynique  garçon. 

Du  mordant  Defpréaux  ce  maître  à  rouge  ttogns, 

N'a.t'il  pas  dit  auffi ,  d'un  facétieux  ton , 

^  '  Qu'«« 

*  Tlicognis,  Poe  te  Grec,  dont  les  Po'efies  font  morales  & 
fententieuVes.  Il  a  dic  en  parlant  du  vin,  fuivant  cette  tta- 
duftion,;.  ; 

ViKUm  potare  multam  ,  ma'.um  efl  ,  p  «'"•"  !7«"  'tf""* 
Poinrit  /<niitsit:er ,  non  ma^iim ,  fia  bomm  'fl» 


E  P  I  TR  E  s.  ï49^ 

Qa'an  jeur.e  Médecin  vit  moins  qu'un  vii'.l  TvrogKe  ? 
Ah  .'  le  corps  cft  à  l'homme  un  joug  aflez  pefant  j 
N'afFaiflbns  point  notre  ame ,  en  le  tyrannifant» 

De  tout  un  peu,  c'eft  ma  philofophie; 
Toutefois,  cher  Ami,  puifqu'avec  énergie 
La  tienne  dans  tes  vers  s'en  explique  autrement, - 
Et  que  <ie  ta  fanté ,  contre  mon  argument 

Le  foin  prudent  te  juftifie, 
Boi  de  l'eau ,  fi  l'eau  duit  à  ton  tempérament: 
Lorfque  lé  préjugé  n'eft  point  fon  truchement  ,• 

Sa  leçon  doit  être  fuivie. 
Ne  l'importune  point,  écoute  ce  qu'il  veut,- 
Et  fais  lui  feulement  fupporter  ce  qu'il  peut. 
La  perte  de  nos  biens  n'eft  pas  dans  cette  vie , 
Le  plus  grand  des  malheurs  qui  puiflent  l'affliger:' 
C'eft  la  crainte  du  mal,  c'eft  l'efFioi  du  danger, 
rius  cruels  que  la  chofe,  ôc  que  la  maladie. 
De  tous  nos  accidens,  le  dernier  c'eft  la  mort: 
Et  quoi  qu'en  fes  écarts  le  vain  Orgueil  publie 
Tandis  que  la  fanté  féconde  fa  folie  , 
Contre  la  mort  prochaine  il  n'eft  plus  d'efprit  fort. 

Je  n'ai  pu  profiter  de  ton  offre  polie, 

"^         Par  mes  affaires  arrêté. 
Quoique  jufques  chez  toi  mon  defir  m'ait  porté. 

Mais  fi  tôt  que  flore  embellie 
Ramené:^  Zéphir  fur  fon  chai  argenté. 
Ami,  je  t'irai  voir,  comme  ces  bons  Hetmites 
AUoient  de  temps  en  temps  fe  faire  des  vifitesj- 
Afin  d'entietenir  la  coofraternitéi 

Gj  EPI- 


\5o 


E  P  I  T  R  E  S. 


E  p  I  T  R  E     V. 

j4U  r.  p.  du  cerceau,  JESUITE, 

JL/'An  Mcomnience,  Ne  pourra  plus 

Cher  du  Cerceau;  En   faire  ufSge. 

Vers  fou  tombeau  Soins  fuperflus, 

Chacun  avance.  Où  l'on  fe  livre  ! 

Com'iie  un  VaiiTeau,  Pompeux  c'tat ,  v 

Que  mainte  Etoile  Honneur,  éclat. 


Guide  fur  l'Eau, 
Vogue  à  la  voile. 
Tant  que  l'effort 
Du  Sud  au  Nord 
Le  mette  au  Poit; 
Ainfî  les  Hommes 
Vont  à  la  mort. 
Puifque  nous  fommes 
Soumis  au  Sort, 
Du  Temps,  qui  vole 
Plus  promptemcnt 
Q_ae  la  parole , 
LTous  gaîment. 
L'inftant  nous  prelTe: 
Quand  aujourd'hui. 
Avec  viteflc. 
Il  aura  fui; 
L'Homoiç  peu  fage 


Dont  on  s'enivre  l 
Faut-il  vous  fuivre  , 
Mourir  &  vivre 
Comme  un  Forçat  f 
Celui  qui  crie 
La  Mort-aux-Rats, 
Et  l'Eau- de- vie. 
Le  Riche  aux  facs 
Pleins  de  Ducats 
Qui  font  envie. 
Les  Potentats, 
Lis  Fièrabtas, 
Ici  célèbres , 
Zéros  là-bas. 
Tous  vont,  hélas! 
Aux  lieux  fune'ores 
D'an  même  pas: 
£t  l'Ombie  iliuftie 


Voit 


E  P  I  T  R  E  s. 


Voit  dans  l'oubli 
Tomber  Ton  luftrc 
Enféveli. 

Qaoi  qu'il  arrive  , 
Vive,  ami,  vive. 
Je  veux ,  ma  foi  , 
Dans  un  afjle 
Doux  Se  tranquile. 
Goûter  la  loi 
D'un  coçur  à  Soi, 
Franc  de  conuainte. 
Libre  de  craiate 
Et  de  fouci. 
Jvlais  quoi,  mon  Père 
A  ce  mot-ci , 
Votre  fourci 
S'eft  de  coîeie 
Tout  rétréci! 
Ah  !  je  l'augure  ; 
Vous  me  croyez 
ies  fens  noye's 
Dans  Epicure. 
Lorfque  je  jure 
Ata  foi ,  vouloir 
De  rien  n'avoir 
Souci,  ni  cure  ; 
J'èntens  des  biens 
De  ce  bas  inonde , 


Biens  que  je  fronde,' 
Qtii  font  des  riens. 
Mais  la  Morale 
Ici  s'e'tale 
Trop  amplement:- 
Et  mon  affaire 
Uniquement, 
Etoit  de  faire 
Un  compliment 
De  bonne  Année, 
Nombreufement 
Accompagnée. 
Ça ,  buveur  d'Eau 
!     Caftalienne, 
Voici  l'Antienne 
De  l'An  nouveau. 
Dieu  vous  conferve^^ 
Alegre  ôc  fain, 
Avec  la  verve 
Toujours  en  train  ; 

Que  le  matin 
La  blonde  Aurore 
Faifant  éclore 
Les  plus  beaux  jours, 
Lorfqu'ils  finilTent,, 
Le  foir  ils  puiflent 
Vous  fcmblct  court»; 


EPI- 


G  4 


152  E  P  I  T  R  E  s. 

EPITRE     VI. 

A    M.     G  R  E  S  S  E  T: 

Sur  'le  Perroquet  de  AUdame  d'ArquiJîade. 


D 


I  s  c  I  p  L  E  ingénieux  du  tendre  Anacieon  , 
O  vous.'  dont  les  pinceaux  fidèles 
Raflèmblent  avec  choix  les  grâces  naturelles 
De  Chapelle,  Chaulieu,  la  Fare /Pavillon; 
Doux  Chantre  de  Ver- vert,  j'habite  près  de  Nantes 
Une  aimable  campagne,  &  dont  il  eft  trop  long 
De  peindre  dans  mes  vers  les  beautés  différentes.    '■ 

C'eft-là  que  de  ^ts  dons  Flore  étale  l'éclat. 
Dont  l'Amante  d'Atys  fe  pare  &  fe  couronne  » 
Tandis  que  s'ébattant  avec  un  vin  mufcat, 
Bacchus  garde  du  froid  la  vigne  qui  bourgeonne  :     .' 
C'eft-là  que  Vettumne  &  Tomone  \ 

Réjoiiiflent  les  yeux ,  le  goût  &  l'odorat ,  r 

Pendant  que  dans  les  bois  la  fauvette  fredonne, 

C'eft-là,  qu'en  s'amufant  d'un  fpedacle nouveau , 

On  voit  plonger  &  reparoirre 
'  Entre  les  flots  d'une  belle  eau. 

Qui  eirculc  autour  du  Château, 
Le  ftoid  poiflbn,  qu'on  peut  pêcher  de  la  fenêtre^  . 
Quand  la  chaleur  défend  de  fe  mettre  en  bateau,     , 

Pour  épargner  la  modeftie 
Pu  Maîtic  de  cette  maifbn, 


E  P  I  T  R  E  s,  153 

Qui  par  amour  pour  fa  Patrie 
Voulut  bien  de  fa  barque  accepter  le  timon , 
Mes  vers  n'en  diront  rien ,  rflalgre'  la  jufle  envie 
Que  ;"ai  de  le  loiier  fur  le  plus  noble  ton , 

Ainfi  que  fa  moitié  chérie; 
Obforvez  feulement  que  celle-ci  marie 
La  beauté,  la  vertu,  l'efprit  Se  la  raifont 

t  • 

Je  me-  borne  au  panégyrique 
Du  gentil  Perroquet,  l'ouvrage  de  fes  foins;. 
Et  eoas  nous  avoûrez,  je  m'en  flate  du  moins,; 

Que  dans  fon  cours  de  rhétorique. 

Votre  difcoureur  mirifique. 

Quoique   connu  depuis  Paris 

Jufqu'aux  climats  de  l'Amérique,. 

Ne  fut  jamais  fi  bien  appris^ 

Le  riant  plumage  du  rôtre 
Le  fit  nommer  Ver-vert;  le  nôtre' 
rcut  à  caufe  du  fien  être  appelle  Criigris, 

S.  f . . . .  c'eft  le  nom  du  fils  de  cette  Daiue',. 
S.  F. . . . .  dit  l'oifeau  mignon , 
Qui  s'inte'roge  ôc  fe  re'pond. 
Sans  manquer  d'un  feul  mot  fa  gâofe  j- 

ye*i(z-v«as  de  Paris  ?  Oui  y  ma  mère.  Mon  fils  y 

Avez-vous  va  le  Roy  ?  Vraiment  j'^ai  va  Louis. 

SJl-il  beau i  Comment  beau?  C'ejl  le  Dieu  de  Clthiref 
'  Et  Mars ,  quahd  il  ejl  en  colère. 

Ke  croyez  pas,  Greflet,- que  j'en  impofe  ici; 
Le  fait  eft  vrai,  fol  de  foétc^ 

G  i  Et 


15*4         F,  P  I  T  R  E  S, 

Etl'oëte  d honneur.  Eh  bien/  après  ceci, 
Ces  cloquens  oifeaux  éloquent  interpiete, 

Q^xc  direz-vous  de  celui-ci? 
Va  Perroquet  qui  parle,  &  d'un  Etre  q«i  pei>fc 

Témoignant  toute  la  raifon, 
Dans  fes  difcours  naïfs  s'accorde  avec  la  France,, 

N'eft-il  pas  fans  comparaifon  ? 
lift  Perroquet  d'Ovide,  &  cet  autre  dont  Rome> 

Parce  qu'il  dit.  Bon  jour,  CcTar, 

Hautement  encor  fe  renomme. 
Ne  font  près  du  Nantois  dignes  d'aucun  égatdi 

Le  vôtre  vint  en  cette  Ville  ,. 

Et  dans  le  voyage  qu'il  fit 
Oublia  fes  leçons,  &  prit  un  mauvais  ûyle, 
N'importe  à  quel  propos,  jurant  comme  un  profcrit». 
Jourquoi  ?  c'eft  qu'il  avoir, quoiqu'il  parût  liabilc 

Plus  de  mémoire  que  d'efprit. 

Grifgris  qui  comprend  ce  qu'il  dit. 

Ne  changera  point  de  langaire. 

En  quelque  lieu  qu'il  foit  conduit. 

Sa  Maîtrefle  dès  fon  jeune  oge 
A  fçù  trop  bien  l'infttuire,  &  lui  faire  goûter 
Des  leçons  que  fans  ceflc  elle  aime  à  répéter. 
Alais  toi,  pafle  le  Styx,  rare  &  vafte  génie. 

Célèbre  Defcartes ,  viens  voir 

"Un  Perroquet  dont  le  fçavoii 

Renvcifc  ta  Philofophie. 


E.P  I« 


E  P  I  T  R  E  s,  155 

E  r  I  T  E.  E     VII. 
A     M,    D'A  RQ^Ul  STADE    DE    S.     FULGENT, 

Confcillei  au  Parlement  de  Pans, 


Sur  la  naijfance  de  fa,  Fillt, 


c 


Ou  s  IN,  dont  la  vertu  fçait  faire, 
U'un  beau-pere  un  a/cul,  un  oncle  d'un  beau- ficre, 
Ami ,  reçois  mon  compliment 
Sur  les  fruits  de  ton  mariage. 
Par  le  flambeau  d'Hymen  c'eût  été  grand  dommnge 
Que  tendre  &  jeune  cpoufe ,  en  qui  tout  eft  ch«- 
mant, 
Efprit,  maintien,  difcours,  corfage, 
Ne  lailTât  poiat  de  fon  lignage. 

Mais  croirai-;e  ce  qu'on  m'a  dit? 
On  m'a  raconté  que  ta  iîUe 
Eft  fi  refaite,  fi  gentille, 
Et  marque  déjà  tant  d'efprit. 
Que  fes  cris  font  de  la  Muiique, 
Et  que  dans  fon  berceau  dégoifant  fon  jargon, 
Elle  paroît  bégayer  la  laifon 
D'un  goût  joliment  laconique. 

I5é|à  dans  fes  beaux  yeux  modeftes  &  mutins 

Que  de  traits  de  fubtile  flame  ! 
Qaelle  foule  de  dons  va  couler  dans  fon  ame .' 
El  que  pour  être  iaftruite  elle  eft  en  bonnes  mains  ! 
G  6  Ta 


is6  Ë  PITRE  s: 

Ta  mère  en  qui  la  ;oie  aujourd'hui  fait  revivre 
Les  rofes  &  les  lis  de  fon  jeune  printems, 
ridelle  à  Tes  devoirs  qu'elle  aima  toujours  fuivrc^ 
Trendca  foin  de  fes  premiers  ans» 

Ouvriroit-n  encor  les  yeux  à  la  lumière , 
Le  raie  Perroquet  que  mes  vers  ont  chanté , 
Q^jand  je  paflai  chez  toi  les  beaux  jours  d'un  Etc 
Au  Château  de  la  Maillatdi«re  *  i 

Ta  mère  fe  faifoit  un  plaifir  fingulier 
D'élever  cet  oifeau,  qui  fous  fa  main  fçavante 
Fit  de  il  grands  progrès,  qu'un  Bachelier  de  NartO 
N.'eûi  été  près  de  luj.qu'un  petit  écolier. 

Or  s'il  eft  vrai  qu'en  fon  école 
TTn  oifeau,  qui  ne  peut  d'ordinaire  imiter 
Que  quelques  fons  tronqués  de  l'humaine  parole^ 

y  fçitt  à  tel  point  profiter  ; 

Que  fera-ce  donc  de  ta  fille, 
Qui,  l'efprir  éclairé  des  rayons  les  plus  purs,- 
Et  portant  fes  regards  fut  toute  fa  famille,   ■ 
N'y  vçna  quetalens,  mérite,  exemples  fors?' 

]e  difois,  l'an  dernier^.dans  mon  humeur  chagrine, 
S.  F....  n'aura-t'il  point  de  poftérité? 

Sa 

*  Maifon.  &  Teire  Seigneuriale  fort  belle  &  feit  bien  pei-- 
piée,  appartenante  à  3M.  d'Arquiftade ,  père  du  Ccinfcillsr, 
fituée  à  une  lieue.  &.  demie  de  Nantes,  OÙ  l'Auteur  fit  k- 
jl^  giécédente  fiu  hb  Peno<^iet,, 


ÉPI  TRES.  157 

Sa  femme  ^  lui  pourtant  font  de  fort  bonne  mine;' 
Quelqu'un  me  répondit:  Tai-toi,  pauvre  hébété ;> 

Qu'il  ait  de  moins  une  eounne,, 
La  fièvre  quelque  jour  à  fon  hérédité. 

Peut  t'appeller  en  compagnie 
Se  maints:  collatéiaux  d'appétit  afSlé. 


Vadi  r«fr^, mauvais  ge'nle, 
Répondis-je  en  courroux  à  cet  enforcelél 

Je  donnerois  mon  patrimoine  , 
Quoique  fimple,  fans  fard,  &  me  laiflànt  leurer. 
Le  Ciel  ne  m'ait  point  fait  fort  âpre  8c  fort  idoine  ^ 
Quelque  mince  qu'il  foit,  à  le  récupérer: 
Oui,  je  le  donnerois,  prude  &  fage  Lucine, 

(Ecoute,  ô  Alatrône  divine, 
Un:  parent ,  un  ami  qui  te  vient  implorer)" 
Pourvu  que  par  tes  foins,  dans  la  prochaine  amicS;,. 
L'cimable  S.  F put  fe  régénérer. 

Enfin  l'affaire  eft  terminée  , 
Dont  grand  merci  foit  dit  à  la  haute  bonté. 
Qui  rend  à  mes  defirs  les  effets  fi  conformes. 

Te  voilà  père  dans  les  formes, 
,  Et  fans  qu'il  m'en  ait  rien  coûté. 
Que  quelques  vœux  founés   avec  fincérité. 
Je  me  flate  du  moins  que  le  pouvoir  céleAe,, 
Satisfait  de  mon  coeur,,  m'exemptera  du  refle 
Et  fe  contentera  d'ui»  cierge  préfenté. 
Adieu,  très-cher  Coufin;  que  toujours  favorable, 
Il  ajoute  en  neuf  mois  à  la  fiUe  un  garjon,. 

G  7  Qai 


I5S  E  P  I  T  R  E  S, 

Qui  puifle  tel  que  toi,  noble,  honnête ,  équitable >■ 
Etie  l'appui  de  ta  maifonl 

Buiflè,  s'cternifant  ta  vertu  prolifique. 
Tromper  nur.s  &-  in  facula^ 
Mille  ans  &  bien  loin  par-delà, 

ï)es  vains  collatéraux  l'attente  chimenquc! 

Re'joiii-toi  :  pour  le  furplus  , 
IJt  tu  fortur.am ,  dit  Horace,    * 
Sic  Kos  tty    CelJ'e ,  feremus, 

les  Dieux,  pour  des  fecrets  qui  nous  font  inconnus,. 
Aux  uns  rendent  juftice  ,  aux  autres  ils  font  grâce. 
B.crpe£èons-les  par- tout;  bon  foir;  &  fouvien-toi 
D'aroir  dans  tous  les  tems  le  même  cœur  pour  moi. 

'  E  P  I  T  R  E    VIII. 

A    MERCURE, 

Tour  le  premier  jour  dt  tanntt  1747." 


Vous,  Seigneur  Mercure ,  à  vous 
Bonjour,  beau  Meflager  à  la  verge  dorée; 
Bonjour,  le  plus  fubtil  des  céleftes  fîloux; 
Bonjour,  fin  difcoureur  au  langage  fi  doux, 
Pont  la  politeSfe  admirée 

Efi* 
•  Hor.  Uv.  X,  Epîft.  t^ 


E  P  I  T  R  E  s,  155^ 

Engagea  les  humains  à  fortir  de  leurs  trous, 
Où  feuls  au  fond  des  bois  ils  vivoient  en  hiboux. 
Eh  bien,  courier  aili,  qui  tout  d'une  haleine'c, 
Laiflànt  d'aftres  nombreux  la  voûte  illuminée. 
Volez  jufqu'au  manoir  où  Ceibere  en  courroux 
Epouvante  des  morts  la  troupe  infortunée; 

Quelle  nouvelle  appiendrons-nous 

En  ce  commencement  d  année? 

Minos,  Rhadamante,  Eacus, 

Font-ils  toujours  horrible  mine 

Aux  Mânes  là-bas  defcendus? 
Du  Tyran  des  Enfers  comment  va  la  Cuifîne? 
Cet  époux  mifantrope  ,.au  teint  de  Rameneury. 

Vit-il  bien  avec  l'rofer,  ine  ? 
Quelque  Pirithoiis ,  à  refprit  fuborneur,. 
A-t'il  encor  voulu  fur  fa  tcte  divine 

Planter  la  commune  racine  ? 
Et  là-haut  dans  les  Cieux  que  fait-on  ?  que  dit-on  ?' 
Voue  Papa  Jupin  &  Madame  Junon 

font-ils  à  la  fin  bon  ménage  ? 

Car  quand  il  tonne  dans  ces  lieux. 

Le  peuple  fuperftitieux, 

Qui  s'effraye  au  premier  nuage. 

S'imagine  que  ce  font  eux 
Q^ii  font  en  chamaillant  ce  terrible  tapage. 

Et  Mars,  ce  garçon  vigoureux 

£n  dépit  du  Dieu  qui  clopine, 

Cajole-t'il  toujours  Cyprine? 
A  ptopos,  dans  les  champs  plantés  des  mains  des 
Dieux,. 

La 


150         Ê  P  ï  TK  E  S\ 

La  douce  récolte  d'Automne  ^ 

L'an  dernier  a-t'elle  été  bonne? 
A- t'en  bien  vendangé  du  neftâr  dans  les  Cieux?' 

Pour  nous,  qu'en  ces  triftes  contrées, 
A  de  cruels  revers  le  fort  a  condamnés  > 

TOUS  nos  coteaux  ont  été'  ruinés; 

Des  eaux  toujours  immodérées. 
Ont,  en  tombant  des  airs,  fait  couler  nos  lailîns; 

Et  de  nos  Vignerons  chagrins 

Les  troupes  pâles  ,  égarées , 

Dans  leurs  paniers  n'ont  ram.iflc, 
Qje  des  grapes  au  loin,  rarement  parfcméeS, 

Courtes ,  claires  5c  mal  formées. 
C'eft  ainfi  qu'ils  ont  vu  leur  foin  récompenfé. 
A  ce  fatal  malheur  plus  d'un  Peuple  eft  fenfiblc,, 

Mais  fur-tout  les  pauvres  Bretons , 
A  qui  le  Ciel  donna  des  gofiers  fi  profonds. 

Dont  la  foif  eft  inextinguible. 
Ces  bonnes  gens  frappés  de  ce  défaftre  horrible. 
Ne  trouvent  .t  leurs  maux  aucun  foùlagement; 
Ah!  celle ,  difent-ils  au  fort  de  leur  tourment, 
Ccffe,  brillant  Soleil,  de  luire  fur  nos  côtes] 
Il  n'eft  pour  nous  nul  efpoir  de  guérir, 
Et  il  le  Ciel  fâché  nous  veut  rendre  hiJropotes  y- 
II  norus  vaudroit  autant  mourir. 

Cependant  dites-moi,  noble  progéniture. 

De  l'aimable  fille  d'Atlas, 
Le  Soleil  &  Bacchus,  Dieux  à  bonne  aventurre. 
Cachés  en  quelque  coin  prenoicnt-ils  Icuis  ébats? 


E  P  I  T  R  E  s.         ï6i 

Le  premier  de  Climene  étoit-il  dans  les  bras? 

Et  le  gros  fiU  à  rouge  trogne , 
N'avoit-il  point  auflî  quelque  tendre  embarras? 
Et  par  quel  accident,  &  pour  quelle  befogne. 
Du  foin  de  nos  coteaux  n'ont-ils  fait  aucun  cas? 
Mais,  galant  Meflager,  ma  Mufe  y  penfe-t'die  j 
De  demander  que  des  divins  Etats 

Vous  me  contiez  maintes  nouvelles. 

Comme  fi  je  ne  fçavois  pas 
Qiie  depuis  fort  long-tems  tout  entier  à  la  Prance  j 
Vous  exercez  ici  votre  célefte  emploi  ? 

Ah!  fouverain  de  l'éloquence, 

Que  pour  faire  ici  rcfidence 
Vous  prenez  un  bon  tems  !  nous  vivons  fous  un  Rof 

Qui  dès  fa  tendre  adolefcence. 

Joignit  à   mille  autres  vertus 

Le  fage  amour  de  la  fcience: 
It  fi  ce  n'étoit  point  termes  trop  rebattus, 
]e  dirois  qu'il  raflemble  Alexandre  &  Titus. 
Car  n'eil-ce  point  affez  qu'ingénu,  ve'ritable, 

Charmé  de  fes  faits  inoiiis, 
Sans,  aller  m'enfoncer  dans  l'Hiftoire  &  la  Fable, 
Je  difc  fimplement  &  fans  fard,  que  Loiiis 

A  Loiiis  Jeul  eft  comparable  i^ 

Mais,  divin  Meflàget  des  Dieux, 
Inventeur  de  la  Lyre ,  apprenez-nous  l'ufagc 

De  fes  accords  mélodieux, 
Et  comme  on  adoucit  l'inftiumenc  gracieux, 

Qiii  d'Argus ,,  fous  lui  veid  feuillage, 

Pas 


102  E  P  ï  T  R  E  s: 

lit  fes  tons  raviffans  endormit  tous  les  yeux. 

Que  les  Arcs  de  votre  préfence 

Reffentent  les  puifTans  attraits! 

Mais  vous  comblez  notre  efpciancc; 

Oui,  nous  leconnofflbns   vos  traits. 

Avec  combien  de  diligence 
Des  lieux  toujours   biûlans ,  &  des  lieux  toujours" 
froids , 

Vous  nous  apportez  des  nouvelles 

Intéreflantes  &  fidelles  ! 
Dans  tous  les  bouts  du  monde  on  croit  être  à  la  fois. 
I)e  Paris  à  Pe^cin  rien  n'échappe  aux  François; 
Au  vrai  fcul  vous  prêtez  le  fecouis  de  vos  aîfes. 
Combien    dans  vos    extraits  on  voit  d'oidte  Se  de 
cjioix  î 

Que  de  bon  fens  5c  de  juftefle  ! 

Quel  vernis  de  delicateflê! 
Vous  nous  développez  les  teros  &  les  endroit* 

Les  plus  embrouillés  dans  THiûoire, 
Et  dans  quelques  feuillets  utilement  remplis,  ..  irj, 

De  gros  volumes  font  compris, 
Dont,  fans  s'embarrafler  vainement  la  mémoiiey 
Où  peut  facilement  retenir  le  prc'cis. 
La  Médecine  &  la  Philofophie, 
La  prévoyante  Aftrologie, 
Ces  Arts  auJaciemc,  qui  dierchent  les  replis, 
Qu'entrefafle  en  fon  fcin  la  nature  infinie, 
Y  viennent  fous  nos  yeux  étaler  leurs  fecrets; 
Et  Thémis,  des  méchans  capitale  ennemie, 

ï  dépole  fes  faints  Axièts. 


E  P  I  T  R  E  s.  i6s 

Enfin  pour  délafler  l'efprit  qui  s'étudie 

A  des  Traités  fçavans  &  féricax, 
Melpomene  y  paroit,  fur  Ces  pas  rient  Thalie 

Au  ris  feint  &  malicieux- 
La  Mufe  qui  préfîde  à  la  noble  Harmonie, 
Animant  fes  aimables  Sœurs, 
De  fon  pathétique  génie 
y  répand  auflî  les  douceurs. 
Ainfi  par  un  talent,  qu'en  tous  lieut  on  admire, 
Mercure,  en  nous  plaifant,  vous  fçavez  nous  inf» 

truire: 
Ainfi  vous  réchauffez  l'ardeur  des  nourrilTons 
Que  les  neuf  dodes  Soeurs  fur  le  Parnafle  élèvent. 
Pour  avoir  votre  aveu ,  tous  nos  Cignes  achèvent 
De  polir  arec  foin  leurs  diverfes  chanfons, 
Q.ue  les  Nymphes  de  Seine  à  leurs  voix  attentives  ^ 
Font  redire  aux  échos  de  leurs  charmantes  ilves. 
Tous  les  Arts  cultivés  font  un  pareil  progrès. 
Si  vous  continuez  vos  agréables  peines» 
Dont  on  voit  chaque  jour  s'étendre  le  fuccès. 
De  toutes  nos  Cités  voas  ferez  des  Athènes, 

APOSTILLE. 

rils  de  Maya ,  ipcevrez-vous  les  Vers 
Qii'ân  des  fuivans  d'Apollon  tous  envoie? 
Jà  longtems  eft,  qu'au  bout  de  l'Univers 
Il  vit  tapi,  dont  n'a  beaucoup  de  joie. 
G'eft  bien  raifon,  a-t'il  dit,  qu'une  fois 
U  fjachc  au  moins  vous  donner  vos  Etrennes,   .. 

Puif. 


ï54  E  F  I  T  R  E  S. 

Puifqu'attentif  à  foûlager  le  poids 

De  fes  ennuis,  gentiment  tous  les  mois, 

Jufqu'au  Croinc  vous  lui  donnez  les  fiennes. 

E  P  I  T  R  E    IX. 
.4  M.   TITON  DU  TILLET: 

Le  premier  de  [An  1746. 

IS/X  On  cher  Titon,ran  recommence. 
Et  nous  finiflbns  tous  les  jours  : 
Le  Temps  rapide,  dans  fon  cours. 
Eteint  pour  moi  fans  que  j'y  pcnfe,. 
Les  feux  paiTagers  des  amours  ; 
Et  ne  me  laiflè  pour  partage 
Que  le  fouvenir  &  l'image 
Ses  Jeux  envolés  pour  toujours. 

J'ai  vu  dans  mon  adolefcence,. 
Que  pe'tillant  d'impatience-. 
Je  me  defolois  quelquefois. 
Que  les  femaincs  terminées 
Tatdoienr  trop  à  former  les  mois  » 
Les  mois  à  former  les  années. 
Un  fentiment  de  vanité 
Me  faifant  obferver  que  l'âge 
Qu'accompagne  la  gravité, 
Sonnoit  dàas  la  fociétc 

Plu» 


EPITRES.  i6s 

Plus  de  poids  &  plus  d'avantage," 

Et  certain  air  de  dignité, 

A  qui  chacun  lendoit  hommage. 

Aujourd'hui  que  l'âge  viril 
Vers  mon  de'clin  me  pre'cipitej 
Plus  J'y  rêve,  &  plus  j'y  médite; 
Et  plus  le  tems  d'un  vol  fubtil 
Me  femble  redoubler  fa  fuite,  r 
Mon  inutile  plainte  imite 
Celle  que  fait  dans  fcs  caits 
L'élégant  Catulle;  &  je  dis, 
Brillant  Soleil ,  tu  meurs  dans  l'Onde, 
Pour  y  renaître  avec  le  jour; 
Mais,  hélas!  en  fortant  du  monde 
Il  n'eft  perfonne  qui  fe  fonde 
Sur  refpérance  du  retour. 
Roi  des  Amis ,  oii  font  les  rofes 
Que  tu  voyois  l'autre  Printemps,  > 
Couvertes  d'appas  cclatans. 
Dans  tes  rians  jardins  éclofes? 
Un  limon  vil  &  croupiflant 
Les  a  toutes  enfévelies; 
-  Tel  eft  l&  fort  qui  nous  attend 
Au  terme  fatal  de  nos  vies. 

Tu  me  répondras,  qnt  je  purs, 
En  comptant  avec  la  nature. 
Me  flater  qu'à  l'âge  oii  je  fuis 
Je  n'ai  pas  comblé  fa  mefuie; 


:i66  E  P  I  T  R  E  s. 

,  Mais  tu  fçais  que  dans  fes  beaux  Veri, 
Malherbe ,  dont  les  divins  airs 

■  Enchanteroicnt  un  cœur  de  roche. 
Dit  que  le  jour  eft  refroidi , 
Et  que  la  nuit  eft  déjà  proche. 
Dès  que  l'on  a  paiTc  midi. 

C'eft  ainfi  que  l'aimable  Flore, 
Venant  de  fes  dons  deiirés 
Rajeunir  nos  bois  &  nos  prés  , 
On  s'applaudit  de  voir  l'Aurore 
Prefler  fa  courfe  le  matin , 
(  S'atteiidant  à  la  voir  demain. 

Un  peu  plus  diligente  encore. 
Semer  l'ambre  fur  fon  chemin. 

Mais  quand  prccurfeur  de  l'Automne , 
Le  froid  retour  des  Aquilons 
Fle'trit  la  dernière  anémone, 
Quoique  les  jours  foient  encor  longs. 
On  fent-en  foi  fes  efprits  fombres. 
De  voir  le  Soleil  parefleux 
Céder  de  fon  tour  lumineux. 
Soir  &  matin  aux  triftes  ombres: 
Et  l'on  regrette  vainement 
Les  beaux  yeux  de  Flore  cplorée, 
.Qui  perd  de  moment  en  moment, 
Chancellante  &  décolorée. 
Ce  qui   lui  refte  d'agrément. 
Et  qui  s'en  va  languiflàinmem 

chetn 


E  P  I  T  R  E  s,  lôj 

chercher  dans  une  autre  contre'c 
Une  faifon  plus  tempérée, 
Où  de  fon  teint  vif  Se  charmant 
La  douce  fiaîcheur  réparée, 
Plaife  à  Zéphire  Ion  Amant. 

Le  Ciel  dans  une  nuit  profonde 
Nous  cache  fes  arrêts  conftans 
Et  c'eft  moins  pour  vivre  long-tems. 
Que  fa  boute'  nous  mit  au  monde  ^ 
Que  pour  y  répandre  l'odeur 
Qu'exhalent  l'aimable  fageffè. 
L'amour  du  prochain,  la  candeur. 
Et  que  leur  fouvenir  vainqueur 
Long-tems  après  la  mort  y  laifle, 

,     V 

Mais  à  la  rerit^  qui  luit 
L'incrédule  a  livré  la  guerre  ; 
Et  publiant  que  le  Tonnerre 
N'eft  qu'un  accident  &  du  bruit. 
Le  Vice  règne  fur  la  terre. 
D'où  la  pâle  Vertu  s'enfuit. 

J'ai  vu  fous  des  toits  magnifiques. 
Temples  confacre's  a  Vénus, 
S'endormir  les  itiafles  lubriques 
Des  riches  &  lâches  Créfus; 
Et  dms  leurs  douceurs  létargiques. 
Ces  Dieux  terreftres  éperdus. 
Frappés  ds  maux  inattendus, 

PaC 


i68  E  P  I  T  R  E  S, 

Pafler  aux  effrois  tyran  niques 
De  Dahhazar,  d'Anciochus. 

J'ai  vu  fous  des  formes  humaines , 
Nourrir  des  Tigres  &  des  Ours, 
Des  Crocodilles,  des  Vautours, 
Des  Monfttes  à  voix  de  Sirènes, 
Dont  les  faux  &  tendres  difcours 
Nous  payant  d'efpcrances  vaines , 
,  •  Dans  un  dédale  de  détours 
.--   N'ont  fait  que  redoubler  nos  peines. 

l'Enfer  avide  &  te'nebreux 
Les  enfcvelit  dans  fa  flame. 
Leur  pouvoir,  dont  l'ufage  affreux 
Souilla  leur  odieufe  trame. 
Leurs  vains  monts  d'or,  le  prix  infâme 
Des  entrailles  des  malheureux , 
Corrompent  leurs  fîls  après  eux; 
Et  fe  gliifant  de  race  en  race, 
'  Leur  fanglante  injuftice  pafTe 
jufqu'à  leurs  troifiemes  r.eveux. 
Aiiili  leur  mémoire  abhorre'e 
I/€ur  furvit  pendant  quelque -tems, 
Horribleirxent  régénérée 
lUns  des  fuccefTeuts  plus  méchans. 

Mais,  pour  toi,  Titon,  cœui  fidèle/ 

Ami  Cncere  &  plein  de  zcle, 

Adice  exprès  quittant  les  Cieux> 

Vint 
\ 


E  P  I  T  R  E  S.         i6p 

Vint  allaiter  ta  fage  enfance; 
Et  s'en  retourna  chez  les  Dieux, 
Voyant  peu  d'hommes  en  ces  lieux. 
Propres  à  fuivte  avec  confiance 
Ses  avis,  purs  &  précieux. 

Auflî  quelque  longue  dure'e. 
Que  le  tenr;  promette  à  l'airain. 
Du  beau  monument  dont  ta  main 
Eleva  la  cime  facre'e; 
rius  folidciiient  revêtu, 
L'cdifice  de  ta  vertu. 
Que  ie  dofte  Apollon  couronne» 
Ne  fera  jamais  abattu. 

Ta  gloire  qui  par- tout  reTonne, 
Bravera  la  faulx  qui  moifibnne 
Les  vains  noms  dont  l'éclat  fsduit; 
pol  éclat,  lueur  paflagere, 
Q^ie  loin  du  calme  qui  la  fuit, 
La  fortune  allume  &  détruit 
Du  vent  de  fon  aîle  légère. 

Titon,  nos  Maîtres  éternels, 
Ces  Dieux  puiflans,  dont  l'urne  enferre, 
Et  dans  fes  flots  continuels 
Roula  les  forts  univerfels, 
'  <         Te  doivent  long-tems  à  la  terre. 
Pou:  fervir  d'exemple  aux  moitels. 

Tom.  L  H  E  P  ^ 


Ï70        E  P  I  T  R  E  S. 

E  P  I  T  R  E     X. 

^     M     TJTON    DU    TILLET, 

Le  Premier  de  l'An  1745. 

Par  Madame  DEsroRGES   Maillard. 


T. 


ITON,  mon  mari  raoxalife; 
Moi  qui  fonge  moins  creux  que  lui, 
3'cvite,  en  penfant  à  ma  guife. 
Tout  ce  qui  caufe  de  Tennui. 

t    Les  plaifirs  vont  bien  à  tout  âge  : 
Et  lorfque  réglant  fes  défits 
On  fçait  en  tirer  avantage, 
L'âge  ne  nuit  point  aux  plaifirs. 

Le  froid  Janus  ouvre  l'anne'e 
Par  les  glaçons  &  les  frimats; 
Dans  fon  incle'mence  obftine'e. 
Tâchons  de  trouver -dés  appas. 

Que  nous  font  les  fleurs  printanicres? 
Eft-il  des  momens  plus  heureux, 
Q^ie  ceux  que  l'on  paCTe  aux  lumières, 
ifariuides  fêtes  &  les  jeux? 

Le  Printems  n'cft  pas  fans  ftoidure, 
L'Eté  brûle,  en  Automne  il  pleut: 

L'Hy. 


E  F  I  T  R  E  s:         Ï71 

L'Hyver,  ai^près  d'un  feu  qui  dure. 
On  fe  fait  la  faifon  qu'on  veut, 

Horace  dans  fes  vers  funèbres. 
Nous  jette,  couverts  de  cyprès. 
Dans  des  royaumes  de  téncbres. 
Oh  la  nuit  ne  finit  jamais. 

D'oïl  fçavoit-il  qu'il  y  fit  Nombre? 
D'ailleurs  y  devant  tous  aller. 
Le  plaifir  d'êtie  en  fi  grand  nombre. 
Dût  fervic  à  l'en  confoler. 

Ami  plus  cher  que  tous  les  autres, 
Rare  exemple  de  piobité, 
Le  Ciel  ne  feroit  pas  des  nôtres* 
S'il  ne  prolongeoit  ta  fanté. 

Je  ne  brigue  point  une  place 
(Je  ne  l'autois  que  par  faveur) 
Sut'  ton  magnifique  Parnaflè: 
Je  n'en  demande  qu'en  ton  cœur. 

R    E'    P     O    N    s    E 
De  M.    Desforgls    Maillard, 


M 


A  DAME,  pour  Titon,  vos  vers  ingc'nleui 
Me  charment,  loin  de  me  de'plaiie; 
Qtioiqu'il  foit  peu  d'Epoux  que  puiffent  fatisfaire 
Hz  De» 


172         E  P  I  T  R  E  S. 

Des  complimens  fi  gracieux. 
Et  qui,  fe  dégageant  du  préjuge  vu'gaire,. 
Dont  tant  d'aut  ss  font  aliarinés, 
A  ce  rituel  débonniire 
Confentent  d'être  nccouturae's. 
Ivlais  comme  vous  fçavcz  que  j'aime 
Titon  tout  autant  que  moi-même, 
Je  penfe  qu'en  l'aiiuanr,  c'eft  moi  que  vous  aimez 

E  P  I  T  R  E    XI. 

De  Madame  DESFORGES  MAILLARD 
^    M.    TITON    DU    T  IL  LET, 

Peur  le  remercier  de  fon  Portrait, 


T 


ITON,  votre  Portrait  charmant 
Où  reluifent  l'cfprit ,  la  candeur,  la  noblefle. 

Ce  Portrait,  dont  très-humblement 

Je  vous  fais  mon  remerciment, 
Flate  mon  amour  propre  autant  que  ma  tendrefle; 
Prouvant  de  mon  mari ,  dans  fon  attachement 

Le  goût  &  la  délicstefle. 
Je  vois  pat  les  bienfaits  dont  vous  l'avez  combicj 
Que  le  bon  cœur  répond  à  la  belle  figure; 

Et  que  le  Ciel  &  la  nature 
N'ont  jamais  fait  d'ouvrage  aulll  bien  aflèmblc. 

Mon  Mari  me  voit  vous  écrire: 

Il  voudra  bien  s'accoutumer 

A  m/entendre  fouvent  lui  dire. 

Que 


E  P  I  T  R  E  S'.  173 

Que  je  vous  aime  autant  qu'il  fçauroit  vous  aimer. 
Nous  ferons  donc  rivaux,  mais  rivaux  volontaires. 

Rivaux  d'eftime  &  d'amitié; 
Et  vous  partagerez  vos  fentimens  Cnceres,' 

Entre  Tune  &  l'autre  moitié. 

E  P  I  T  R  E     XII. 

A   M.    DE    M  O  R  I  N  A  Y, 

Gentilhomme   Ordinaire  de  la   Chambre  lîu  Roi. 

J     EndaNT  que  ce  ttifle  iiv,ig;c,. 
Environné  d'écueils,  funeftes  aux  Vailleaux, 
JEft  battu  tout  l'Hyver  des  fureurs  de  l'orage,. 
Et  qu'émus  fous   nos  toits  nous  craignons  le  nau- 

frage, 
Comtne  fi  nos  maifons  voguoient  au  gré  des  eaux  • 
Ghcr  Ami,  que  doua  la  Nature  fertile. 
D'un  air  noble,  d'un  cœur  propre  à  te  faire  aimer 
D'un  efprit  gracieux,  du  don  de  l'exprimer 
D'un  tout  léger,  vif  &  facile. 
Tu  vas  chercher  loin  de  ces  lieu.v 
Lcs  doux  araufemens,  dont  Paris  eft  l'ifyle 

.    Malgré  l'Hyver  ic  les  vents  furieux.  ' 

Profite  bien  des  jours  que  la  Parque  te  lailîe. 
Le  tertiS  fuit  .comme  un  trait  il  cchape  à  nos  yeux. 
'Les  plaiiirs  dirigés  pat  l'aimable  fageflè, 

H  3  Sans 


174-         E  P  I  T  R  E  S. 

Sans  fadeur,  fans  dégoût, fans  retour  ennuycu.v, 
Aflaifonnés  pat  la  delicatefle, 
Eux  feuls  rendent  délicieux 
Et  le  moufleux  Champagne ,  Se  le  Net^ar  des  Dieux. 

E  P  I  T  R  E    XIII. 
J    M.    LE   DUC    D'AIGUILLON, 

Commandant  en  chef  en  Bretagne, 

Sur  fon  Cordon  bleu. 

i3  Ueltme  Scdoéle  appui  des  filles  de  mémoire. 
Héros  dont  la  vaillance  égale  la  bonté, 

D'Aiguillon,   vous  ne  fçauriez  croire. 
Combien  daiis    tout  mon  cœur  j'ai  pris  part  à  U 

gloire, 
Qui  fur  vous  de  Louis,  ce  Monarque  vanté. 
Signale  la  fagefie  &  la  noble  équité. 

J'avoûrai  toutefois,  s'il  faut  être  fincére. 

Que  pour  d'autres  que  vous,  cet  augufte  lien  - 

Scroit  en  les  parant,  un  fignal  néceflaire 

Dont  l'éclatant  afpeft,  le  fccret  entretien 

Parlant  au  cœur  flaté,  lui  fit  par-tout  connoître 

Quel  cft  l'engagement  qui  l'attaclie  à  fon  Maître, 

Mais  je  dis  que  pour  vous  il  rï'étoit  nul  befoin 
De  cette  attaciie  ilmbolique. 

Son 


E  P  I  TR  E  s.         T75 

Son  fervice  en  tous  lieux  étant  l'objet  unique. 
Qui  remplit  vos  défixs,  &  fixe  votre  foin. 

Auflî  notre  puiir<int  Mcnarque 
N'exprime  point  par  cette  marque. 
Le  zèle  que  vous  lui  devez; 
Ce  Cordon  bleu,  ce  gage  infigne, 
^  N'eft  que  le  refpeftable  figne 

Du  zèle  ardent  que  vous  avez. 

Notre  peuple  Breton  vaillant,  invariable. 

Qui  vous  vit  dans  la  guerre  affronter  les  hazards. 

Admira  dans  la  paix,  ainfl  qu'aux  champs  de  Mat^ 

Votre  courage  infatigable  : 
Mais  malgré  la  tempête  Se  malgré  les  hyvers, 
Tel  qu'un  nouveau  Cefar,  vous  voyant  fat  les  mers 
Commander  à  l'orage,  aux  vciîîs,  à  l'onde  émue. 
Et  prefque  au  même  inftant  reparoîtte  k  fa  vue 
ïour  fon  propre  intérêt  en  c«nt  endroits  divers; 
Ohl  dit-il,  pénétré  de  furprife  &  de  j'oye, 

Eft-ce  un  héros  magicien, 
Qii'en  ces  lieux  reculés  le  Deftin  nous  envoyé  ? 
Magicien...  leur  dis-je?  il  cft  moibleu  Chrétien, 
Et  bon  Chrétien,  mais  pour  vous  dite 
Ce  que  ma  franchife  m'infpire. 
Cependant  Janfénifte  outré 
En  fait  d'amour  pour  le  grand  Prince  j 
Dont  le  choix  dans  votre  Trovince 
L'envoya  pour  être  adoré. 
Etoit-ce  aux  EJémens  de  paroitrc  rebelles, 

H  4  Quand 


176         E  P  I  T  R  E  S. 

Q^uand  d'Aigaillon  vaquoit  à  fon  illuflre  emploi? 
Tout  eft  poflible  aux  cœurs  fidelles , 
Dès  que  l'on  vole  fur  les  aîles 
De  l'amour  qu'on  a  pour  fon  Roi. 
Commandant  brave,  aâif,  intelligent,  affable. 
Héros  autant  aimé  qu'aimable, 
Dont  l'empire  cil  fi  plein  d'attraits, 
Louis  vous  remet  fon  tonnerre; 
D'Aigtiilion  »  revenez,  à  vous  fuivre  tout  prêts^ 
Nous  aimons  avec  vous  les  périls  de  la  guerre, 
Plus.qu'cîoigne's  de  vous  le  calme  de  la  paix. 

EPITB.E    XIV. 

A  MADAME  LA  DUCHESSE  DE  L***^ 

Sur  ce  qu'elle  avoir  dit 
J    M.    LE   DUC    D'AIGUILLON, 

Qu'elle  eût  bien  voulu  connoUre  M.  Desforges 
Maillard,  c{ui  avoit  joué  pemlatjt  plufieurs  aur^ 
nées  un  râle  Jî  fnmulier  fous  le  nom  de  Mlle,  dç 
Malerals  de  la  Vigne. 


B 


E  L  LR  &  fage  Ducheflê  ,  en  qui  la  Renommée 
Vante  avec  mille  attraits  un  cœur  plein  de  bonte'> 
Et  dont  en  fes  re'cits  la  voix  eft  confirmée 
Par  celle  d'un  Seigneur,  ami  de  l'Equitc^ 
Ce  Seigneur,  notre  appui,  notre  félicité. 
Qui  des  rivages  de  la  Seine, 


Ê  p  ir  R  E  s.        177 

dcnéreux,  bicnfaifant,  fur  les  nôtres  ramené 

La  joye  &  la  tianquilite; 
-ï5ont  l'aimable  moitié,  comme  voiis,cft  Duchefiè", 
Réunit,  comme  vouî, mille  agremens  divers, 
Ec  penl'c,  comme  voiiï,fuiant  un  vieux  travers. 
Qu'on  peut,  fans  dérober  à  l'illuftre  Ni^biefle , 

Ainrer  les  Lettres  ôc  les  Vers. 
ïï  m'a  dit,  ce  Seigneur,  eft-ce  un  raport  iîdeCe, 
Et  l'euffai-je  jamais  cru  fans  témérité. 
Que  vous  auriez,  Duchelle,  une  velléité 
De  connoltre  Msillard,  qui  fous  un  nom  femelle 
S'annonçint  d'un  air  tendre,  avec  un  ton  il  doux, 

rend:t  amoureux  &  jaloux 
Voltaire,  Nericaut,  Saint- Aubin  ,  FontenelICj 

Efla  longue  &  doâe  fequelle 

De  tant  d'autres  rivaux  flatturs, 
Qui  firent  à  l'envi  pour  la  Sapho  nouvelle 
Eumer  de  leur  encens  les  parfums  enchanteurs'?' 

Je  fuis  bien  facile  à  connoître: 

Celui  qui  me  voit,  m'a  connu, 

Et  fçait  ce  qu'au  fond  je  puis  être. 
Joyeux,  trille,  diftrait,  fouvent  trop  ingénu, 
ïeu  complaifant,  trop  vif;  je  n'ai  pu  me  refaire. 

Je  cède  à  mon  tempérament. 
Le  fripon  va  fon  train,  la  raifon  vainement 

Moraiife,  &  veut  au  contraire 

En  diriger  le  mouvement. 
AiiiR  du  même  tour  la  clé  faus  réfiftancc 

Julqu'àf extrême  décadence  3 

H  s  fait 


178         E  P  I  T  R  E  S. 

paie  mouvoir  les  rciïbrts,  tels  qu'ils  font  difpofcs 
Par  riinbile  artifan  qui  les  a  coinpofés, 
Qii'ils  foient  neufs   &  brillans   du   travail  de  l'en- 
clume, 

Ou  que  le  temps  qui  les  confume, 
Les  ait  avec  la  roiiille,  ou  plus  ou  moins  ufe's. 

Ces  Lieux,  oii  l'on  connoît  moins  Apollon  qu'EoIe, 
M'ont  vu   naître,  j'y  vis  fouvent  pour  m'ennuyer. 

Sans  cefle  obligé  d'eflliyer 

Un  dur  tracas  qui  me  défoie. 
Quelques  livres  clr>ifis  font  ma  fociétc  ; 
Sans  qu'un  chemin  trop  long  me  lafle  ou  me  ruine. 
De  Londres  à  Madrid  5c  de  Turquie  en  Chine, 
ï;t  malgré  les  rayons  du  Croiflant  redoute  > 
J'entre  dans  le  Serrail  avec  tranquilité. 
Avec  eux  je  puis  voir  le  Mogol  à  mon  aifc. 
Sans  attendre  le  jour,  plaifant  jour,  ou  l'on  pefe 

Si  morgue  &  fa  rotondité  ; 

Etonnante  fatuité , 

Comme  cent  mille  autres  qu'encenfe 

La  timide  Crédulité , 
Pille  du  préjuge  qu'enfanta  l'Ignorance. 

AinG  la  foible  humanité , 

Au  mépris  de  l'ame  avilie. 
Se  redoît,  fans  fêntir  fa  ridiculité. 
Dans  tous  les  lieux  du  monde  un  tribut  de  folie. 

Mes  Livres,  ces  amis  qui  ne  m'ont  point  quitté, 
fat  lents  liantes  bagatelles 

Dif- 


E  P  I  T  R  E  s.         179 

DifTprnt  mon  ennui,  me  rendent  la  gsité; 
Et  dans  leur  féiicux,  finement  aprèté 

Des  mains  des  Grâces  naturelles,. 

je  retrouve  l'utilité. 
Aux  bords  de  l'Océan ,  oii  le  fort  m'a  Jette , 
Duchefle,  enfin  voilà  mes  compagnons  fidellcs. 

Bien  qu!à  ma  liberté  dans  l'état  où  je  fuis, 
La  fortune  ait  rogne  les  ailes. 
J'en  conferve  autant  que  je  puis; 
Et  fi  notre  grand  Roi  Louis, 
Payant  de  trop  d'égards  quelques  jeux  de  ma  veine,. 
A  Veifailles  daignoit  m'oflfiir  un  logement, 
Bien  couché,  bien  nourri,  vêtu  fiiperbement. 
Pour  peu  qu'il  y  fdliût  de  contrainte  8t  de  gêne, 

Je  dirois  à  fa  Majeftc, 
Invincible  Hétos  en  cour.ige,  en  clémence, 
j'adore  vos  vertus,  votre  magnificence. 

Et  votre  générofité; 
Ce{^dinc  rendez-moi,  sire,  à  ma  pauvreté: 
Au  plaiili  d'être  à  foi  tout  autre  plaiGr  cède.. 

Heureux  le  cœur  qui  te  poflede  ! 
O  tréfor  des  tréfors,  ô  chère  liberté! 

j^mi  vrai,  tendre  amant  plus  qu'on  n'efl  d'ordinaiie,. 
A  mon  âge  oîi  l'amour  d'une  aile  paffagèrc 
Eteint  plus  qu'il  n'allume  un  feu  toujours  charmant, 

Qui  voudrait,  en  fe  ranimant, 
Eixer  du' temps  qui  fuit,  la  courfe  trop  légère. 
Ah!  dis-je  quelquefois  re'veur  involontaire, 
A  peine  un  jour  nous  luit,  qu'il  nous  eft-échapé. 


i8o  E  P  I  T  R  E  S. 

Amufemens  dliier,  n'ctiez-vous  que  chimère? 
Vous  goùcois-jc  ?  vivois-je  ?  ou  me  fuis-je  trompé  ? 

Cependant  quoiqu'il  fiiye  ,  Sccommeonvoit  encore 
JE,n  certains  jours  d'Automne  un  Zéphire  badin 
Se  jouer  fur  le  front  d'une  agréable  aurore. 
Je  tâche  de  cueillir,  profitant  du  matin, 
Quelques  refles  épars  que  l'obligeante  Flore 
Renouvelle  fur  mon  chemin, 
£t  que  le  plaifir  fait  e'dore. 

'  Hélas!  l'homme  fur  fon  déclin 

Eft  femblable  au  flimbeau,  dont  la  flame  à  fa  fin  , 
Vive  6c  morte  cent  fois,  vagabonde,  inquiète, 
Se  reprend,  fe  détache,  &  dont  en  ce  combat 
Les  fuites,  les  retours,  difent  qu'elle  regrette 
Les  rapides  inftans  de  fon  premier  éclat: 
Re'fiftance  inutile!  elle  meurt  confuméc. 
Et  ne  laifle  à  mes  yeuz  frapés  de  fon  deftin , 
Qu'un  triftc  moucheron ,  dont  un  peu  de  fumcc 
S'évapore  dans  l'air  qui  l'abîme  en  fon  fein. 

Il  faut  donc  pour  durer  que  tout  fe  décompofe. 
Tout  renaît  &  périt,  cil  enfemble  &  n'eil  plus. 
rJambeau,  dont  la  lueur  fut  un  temps  quelque  chofe,. 
Tes  petits  corps  de  feu,  que  font-ils  devenus? 

O  pour  l'efprit  humain  labirinthe  confus! 
O  d'un  profond  mélange  invifible  harmonie  ! 
O  foible  entendement!  O  p.iiflance  infinie! 
Captiye  fous  ta  loi  les  ccciirs  irréfolus. 
C'eA  ainû  que  le  noir  rcHus 

De 


E  P  I  T  R  E  s.         i8i 

De  ma  vague  mélancolie 
Me  furprend  quelquefois,  fe  répand  fur  ma  vie. 
Mais  un  éclair  foudain,  que  décochent  les  ris, 
D'un  jour  faillant  &  pur  égayant  mes  efprits , 

Je  vois  au  gré  da  badiaag'e 
Dans  un  groupe  doré,  porté  fur  un  nuage. 
Le  folâtre  Bacchus,  qui  careflè  Cypris; 

Taadis  qu'une  troupe  volage 
De  Cupidons  ailés  &  de  jeunes  Zéphirs 
Voltige  tout  autour,  &  voile  leurs  plaifirs 
D'une  gaze  de  fleurs  qu'enlaffe  un  vetd  feuillage; 
Et  dans  leurs  yeux  de  feu  portant  la  vive  image. 
L'empreinte  du  brafîer  de  ces  cœurs  amoureux. 
Leurs  mains  font  à  l'envi  neiger  un  doux  orage 
De  feuilles  de  jafmins  &  de  rofes  fur  eus. 

Philofophe  alors  moins  févèrc , 

Je  crois  que  le  Ciel  débonnaire, 
!f    En  nous  donnant  des  goûts,  nous  permet  d'en  jouir; 

Goûts  que  le  dévot  Solitaire, 
I    Dans  fon  ame  difcrette  innocent  léfraftaire, 
Reflent  malgré  l'efpoir  qui  le  vient  éblouir. 

Je  n'attaque  perfonne,  &  penfe  voir  mon  fiére 
Dans  chaque  homme,  ici  bas  tous  nés  poux  vivre  amis» 

Si  l'intérêt,  ce  mercenaire, 
N'ctoufoit  les  penchans  que  notre  bonne  mère 

La  Nature  en  eux  avoir  mis. 

Simple  ôc  fans  fard  je  cherche  à  plaire 
Plus  aux  bons,  aux  vrais  cœurs,  qu'aux  nommés 
beaux  Efprits, 

De  qui  le  commerce  n'cft  guèie 

H  7  Qu'un 


i%2  E  P  I  T  R  E  S, 

Qu'un  fol  écho  fans  ame  Je  qu'un  faux  coloris. 

Ah!  s'ils  étoicnt  du  caraûéte 
De  l'i'.Iuftre  Titon  que  le  Tinde  le'vere, 
Cet  immortel  futur,  le  niÊilleur  des  Mortels, 
Dont  puiflè  le  Deftin  prolonger  la  catiière; 
Alors  ces  beaux  Efprits,  qui  ne  font  que  manière,. 
Me  verroient  à  leur  gloire  élever  des  autels. 

Voilà  de  mon  portrait  une  efquiflè  fincère^ 
JMa  finance  un  peu  trop  légère 
M'empêchant  d'aller  à  Paris, 

Vous  me  retrouverez  cncor  dans  mes  écrit?. 

Divinité  des  cœurs,  agréez-en  l'hoirm  ge. 
Ah!  fi  j'avois  votre  fufrage. 
Dont  j'aime  &  connois  tout  le  prix,. 
Je  ferois  de  cet  avantage 

Cent  fois  plus  glorieux,  que  quand  je  reccvois- 
Lcs  Poétiques  ambaflades , 
Et  les  tendres  fanfaronnades 
De  tous  les  amans  que  j'avois. 


w;!^ 


m 


Efl-^ 


E  P  I  T  R  E  s.         ig3 

E  p  I  T  R  E     XV. 
DE    L'AUTEUR  A   SA    FEMME, 
Le  premier  Jour  de  VAn  1752.  &■  envfjée 

A  M.  LE  MARQUIS  DU  C*** 

Capitaine  des  Gendarmes-Dauphins. 

J.  Ntime  moitié  de  moi-même. 
Toi  qui  naquis  pour  m'enflammer^ 
Peut  on  aimer  plus  que  je  t'aime» 
Et  pourrois-je  te  moins  aimer? 

Il  fembîe,  à  te  voir  entourée 
Des  ris  Se  des  jeux  ingénus , 
Qtie  la  Sagefle  s'efl:  parée 
De  la  ceinture  de  Vénus. 

Ta  volonté  clicrche  la  mienne , 
Et  fuit  mon  goût  &  mes  déflrs , 
Ma  volonté  prévient  la  tienne , 
Et  ne  connoit  que  tes  plaifirs. 

Quand  tu  parles,  c'eft  la  Nature 
Inftruiie  par  le  fentiment; 
C'eft  l'élégance  la  plus  pure, 
C'eft  la  railon  &  l'cnjoument. 


184  E  P  I  T  R  E  S. 

si  f«r  les  rives  da  Permeflè 
Nous  allons  moi  (Ton  lier  des  fleurs: 
Du  Boccage  avec  plus  d'adiefle» 
Sjait-ellc  afi'ortir  les  couleurs. 

C'eft-là  qu£  ta  jufte  ciitique- 
Refpire  la  fagacicé, 
Er  joint  au  piquant  fcl  attire 
La  douceur  de  l'urbanité. 

Nous  foraines  délicats  fans  gêne, 
Et  de  notre  étroite  union 
Nous  recueillons  les  fruits  fans  peine,. 
Con(lans  par  inclination. 

Mais  quoi  !   funcfte  à  toutes  chofes  », 
Le  Temps  même,  loin  de  flétrir. 
Semble  avoir  oublié  tes  rofes. 
Ou  fe  plaire  à  les  embellir. 

Par  quelques  filtres  efficace»- 
£ntrctiens-tu  ma  vive  ardeur? 
Non,  tout  ton  art  eft  dans  tes  grâces,- 
Et  tout  le  charme  eft  dans  ton  cœur. 

Oui,  ma  Chloé,  tout  renouvelle 
Les  tendres  feux  de  mon  amour, 
Etje  te  trouve  encor  plus  belle 
Ce  premier  de  l'an ,  que  le  jour 
Qu^un  Miniftre  en  une  chapdle , 
Sirivi  de  notre  parentelle. 


Ah 


E  P  I  T  R  E  s.         185 

Au  bord  du  liquide  élément. 
Prononça  pathétiquement 
Une  formule  folemnelle, 
Qui  nous  permit  publiquement 
D'avouer  qu'une  ardeur  fidellc- 
Nous  embrafoit  également. 

Les  Tritons,  les  Nymphes  de  l'onde^ 
Jouoient  enfemble  fur  les  flots, 
Comme  le  [our  que  vint  au  monde 
La  belle  Reine  de  Paphos; 
Et  la  cohorte  qui  défoie 
Les  plus  habiles  matelots. 
Captive  dans  l'antre  d'Eole, 
Au  gré  d'une  fage  bouflbie. 
Les  laifla  voguer  en  repos. 
Mais  le  fublime  Miniftère  , 
Que  la  raifon  doit  refpe<aer. 
Et  que  l'honneur  fage  Se  fcvere 
Eut  intérêt  d'aaéditer  ; 
S'il  confacra  nos  pures  fixâmes. 
Et  l'atachement  de  nos  âmes. 
Il  ne  put  y  rien  ajouter. 

Ce  jour,  quelque,  beau  qu'il  pût  être,. 
N'eft  pour  nous  que  le  même  jour. 
Que  feront  à  jamais  renaître 
La  foi ,  les  talens  ,  &  l'amour. 


Louer  fa  femme  fut  la  mode 
Au  bon  fiécl«  des  Amadis: 


Je 


186         E  P  I  T  R  E  S. 

Je  fuis  cette  antique  méthode  , 
Et  j'aime  comme  au  temps  jadis,' 

„  Aimable,  s'il  en  eft  en  France, 
„  Marquis,    l'exemple  des  Epoux, 
„  A  qui  le  Ciel,  pour  récompc^ife, 
„  Donne  une  femme  comme  vous  ; 
„  Je  vois  que  de  mon  mariage 
„  Faifant  ici  mon  entretien , 
„  J'ai  peint  votre  charmant  me'nagc, 
,,  Ne  croyant  peindre  que  le  mien. 
„  Pulfle  pour  vous  deux  fans  viteflè 
„  Lachéfis  tourner  fes  fufeaux, 
„  Et  fur  votre  heureufe  vieilleflè 
,,  Sa  fœur  fufpendre  fes  cifeaux. 
„  Alors  dans  vos  douceurs  fuprêmes ,. 
„  Du  froid  dégoût  vos  yeux  vainqueurs, 
„  Vous  trouveront  toujours  les  mêmes, 
„  Vous  retrouvant  les  mêmes  caurs; 
,,  Et  d'une  coutfe  fortunée 
„  Libre  de  foucis  fuperflus, 
„  Pour  l'un  8c  l'autre  chaque  anne'e 
j,  N'aura  fait  qu'un  nombre  de  plus  '*» 


«r% 


EPI- 


E  P  I  T  R  E  s.        187 

EPITRE    XV r.   ' 

J  M.  LE  COMTE  DE  LA  MOTTE 
JACQUELOT, 

ujron  de  Camprllîôn,  CotifeUkr  au  ParlemeJit 
de  Bretagne. 

V^  Omte,  avec  qui  dès  ma  jeuncfle 

Mon  cœur  fut  tendrement  lié 

D'un  doux  commerce  d'amitié, 

Vous,  dont  je  chérirai  fans  ceflè 

L'efjuit,  l'honnenr,  la  probité, 

Vrais  attributs  de  la  Noblellè, 

]'aurois  bien  dû,  je  le  confede. 

Vous  avoir  plutôt  vifité; 

Oui  vifité,  revifité; 

Mais  procès,  famille,  ménage. 

Et  pour  certaine  hérédité 

Un  inutile  &  long  voyage. 

Et  cent  trains  divers  ont  été 

Caufe  de  ma  morofité. 

Toujours  prêt  à  troulTer  bagage 

Pour  voler  à  votre  château. 

Et  par  quelque  incident  nouveau 

Toujours  arrêté,  dont  j'enrage. 

Cependant  Monlîear  Saint  Martin 

Sur  les  ailes  du  Noid  aiiive 

Gre- 


m  E  P  I  T  R  E  s, 

Grelotant  fous  fon  cafiquin, 
Et  bientôt  à  Maître  Saint  Yvc, 
Vous  cnvoira  loin  d'une  rive, 
Où  fur  fes  courfiers  nébuleux 
Eole,  la  terreur  du  monde. 
Commence  à  galoper  fut  l'onde,. 
Où  des  Tritons  tumultueux 
Le  cor  bruyant  &  tortueux 
llcveille  la  vague  qui  gronde 
Dans  le  fond  de  fes  antres  creux  ; 
Mais  où  votre  moitié  dirine, 
Supléant  à  TAftre  de»  cieux. 
Adoucit  l'air  de  la  marine. 

Cependant  les  jeux,  les  appas. 
Vont  imiter  les  hirondelles; 
Je  les  vois  déployant  leurs  ailes, 
voler  enfemble  fur  fes  pas. 
Nos  cœurs,  chagrins  de  cette  abfencc, 
feront  réduits  aux  fculs  défirs,. 
Entretenus  de  refpéiance 
Qui  nous  afliîre  leur  préfcnce 
Quand  l'eflain  des  jeunes  Zépbirs 
Viendra  les  lèvres  demi-clôfes,. 
Dans  le  fein  des  premièies  tofes 
Soufler  fes  amoureux  foupirs. 

Ainfi  donc  piiifque  pour  la  ville 
Vous  quitterez  en  peu  de  jours 
Votie  champêtre  &  noble  aûle. 
De  CCS  momçns,  hélas!  trop  courts, 


j:^- 


E  F  I  T  R  E  s.        189 

J'irai  m'approprier  le  refte; 

Et  grâce  à  la  bonté  célefte, 

y  vivre  de  foins  délivré 

Avec  un  auffi  galant  honvme 

Que  Dieu  jamais  en  ait  créé 

JDes  climats  Bretons  jufqu'à  Rome, 

Et  du  féjour  du  V  tican 

Jufqu'aux  Lieux,  ou  le  frêtre  Jean, 

Prêtre,  l'époux  d'une  Negreflè, 

A  peu  près  vêtu  comme  Adam, 

Chante  à  fa  mode  la  graml'mefle. 

Mais  n'ayant, à  vous  parler  net, 
Qiie  mon  Pégafe  pour  monture. 
Cheval  bon  pour  le  cabinet. 
Dont  l'avoine  eft  dans  mon  cornet, 
D^'ailleurs  quinteux  dans  fon  allure. 
Qui  cheminant  quand  il  lui  plait, 
Qiiand  on  le  veut  n'eft  jamais  prêt, 
Qui  craint  qu'au  fortir  de  ma  chambre. 
En  tricotant  fon  traquenart. 
Le  ténébreux  &  froid  Novembre 
Ne  l'enrhume  de  fon  liroiiillard; 
Vous  me  rendrez  un  bon  office. 
De  m'en  envoyer  un  qui  foit 
Doux  &  facile  de  fervice, 
Qualen  tne^   tel  qu'eu  demandoit 
A  d'Hocquincourt  un  dodc  Térc, 
Man/uetum  effe  decet. 
Après  le  calcul  que  j'ai  fait, 


I90  E  P  I  T  R  E  S. 

Ami,  n'allez  pas  vous  complaire 
A  me  jouer  au  berniquct, 
Comme  on  fie  le  Millionnaire, 
Qui  fur  les  arçons  treniblotoit 
Avec  raifon  l'ame  aliarraée, 
Quand  tout  au  travers  de  l'armce 
Le  Bucëpbsle  l'Cmpcirtoit, 
Et  comme  un  Daim  toujours  fnutoit. 
Surpris  de  fa  charge  légère. 
Afourchez-moi  tout  au  contrai;e 
Sur  un  docile  &  franc  courfier. 
Qui  foit,  comme  fon  cavalier, 
.ïaiiîble  &  fur  de  caraâèie. 

J'atends  donc  ce  cheval  moreau, 
Aléfan,  bai,  brun,  ilabelle. 
Et  ferai  fans  ferment  nouveau 
Avec  une  ardeur  éternelle, 
Profond  refped,  ou  fans  façon. 
Votre  ferf  jufques  chez  Caton  , 
Et  votre  ami  le  plus  fidelle. 
Par  delà  même  fa  nacelle. 


^^f0 


BPI- 


EPITRES^,  igi 


E  P  I  T  R  £    XVII. 

jil   M.    DEMON  T-l  UÇON^ 
Fermier  Général. 


Ont-Luçon,  votre  voyage 
Eft  bien  long  aflûrement. 
Quel  fl  doux  amiifement 
Sur  ces  côtes  vous  engage; 
Et  comment  du  grand  village 
Oubliez-vous  l'agrément  ? 
Epris  d'un  nouveau  langage, 
ferlez-vous  en  ce  canton, 
l)u  délicat  bas  Bieton 
L'agi éable  apreiitiflage? 
Daignez  donc  me  faire  part 
De  la  caufe  magnétique, 
Qi^ii  depuis  votre  départ 
Vous  attache  à  l'Armorique. 
La  preflante  m.Tin  du  Ciel 
Vous  a-t'elle  à  Saint  Michel 
Conduit  en  pèlerinage 
Sur  ce  monr  qu'on  vante  tant. 
Qui,  s'il  étoit  feulement 
Plus  élevé  d'un  étage  , 
Touchetoit  au  firmament? 
Et  là,  i^ouvel  Encelade, 
Touché  du  défir  pieux 
De  dreflerune  efcaiade. 


Pouî 


192 


E  P  I  T  R  E  s. 

Pour  vous  emparer  des  deux, 
Auriez-vous  du  Eenoit  Père  » 
Benoit  d'effet  Se  de  nom. 
Fris  rliabit,  le  fcapulaite 
De  ce  dcvot  Solitaire, 
Dont  les  Eufans ,   ce  dit-on , 
pondateurs  de  confrairies, 
rirent  maintes  loteries 
Du  domaine  du  Soleil, 
Et  dans  le  léjour  vermeil 
Vendoient  fiefs  &  métairies. 
Biens  celeftes  qu'ici  bas 
Ils  iroquoient  avec  les  nôtres, 
Difant  dans  leurs  patenôtres. 
Que  le?  gens  n'entendoicnt  pas. 
Qu'un  tiens  vaut  cent  tu  l'auras; 
Rufés  &  fubtils  apôtres, 
Dont  on  conte  plaifammcnt 
Qu'en  prêchant  le  jugement. 
Ils  le  firent  perdre  aux  auties  ? 
Ces  fie'cles  furent  vraiment 
Une  efquiire  de  l'image 
Du  fameux  MiffiflTpi, 
Et  cet  antique  prcfagc 
De  nos  jours  s'eft  accompli. 
Que  vous  auriez  bonne  mine, 
"Vêtu  d'un  long  habit  noir! 
De'jà,  je  me  l'imagine, 
Oui ,  je  crois  déjà  vous  voiï 
Cette  fa^on  comparée 


Que 


E  P  I  T  R  E  s.  193 

Qiae  tout  Moine  doit  avoir, 
£n  balayant  un  dortoir 
De  votre  robe  pltflce; 
Xe  matin  comme  le  foir. 
Occupant  votre  penfée. 
Loin  des  bords  délicieux 
De  la  Seine  &  de  la  Marne, 
D'Oremus  mi  îerieux , 
•    La  tête  en  une  lu.ar/.e; 
Cnr  en  lucarnes  font  faits 
Frocs  de  Moines  5c  d'hermites. 
D'où  Icuis  yeux  fins  &  difcicts 
Font  maintes  tendres   vilîtes 
A  maints  dclica:5  objets. 
Que  ces  dévots  cîiatemites 
Voudroier.t  bien  en  leurs  guérites 
Tenir  &  lorgner  de  près. 
Cependant  j'ai  peine  à  croire. 
Qu'à  fuivre  un  pareil  parti, 
Votre  cœur  ait  confenti. 
Un  moment  au  léfecioire, 
Chanter  au  Chœur  tout  le  ioiir 
Matines,  Vêpres,  Complies; 
Eternelles  Pfalmodies 
Se  fuccédant  tour  à  tour. 
Etre  toujours  à  la  gêne, 
S'abflenir  de  toute  chair, 
Et  ne  pouvoir  qu'avec  peine 
Mettre  le  Diable  en  Enfer, 
Dans  le  goût  de  la  Ponuine  ; 
^em.  I,  I  Cet 


194 


E  P  I  T  R  E  S, 

Cet  état  eft  bien  amer. 

M***  je  me  rétraftc. 

Ma  Mufe  allant  le  galop, 

N'eft  pas  toûjouis  fort  exaâe: 

Vous  vous  lepentiriez  trop , 

Si  vous  failîez  un  tel  adc  ; 

Et  Novice  de'gcuté , 

Reprenant  la  Liberté 

pont  vous  fevroit  un  vain  paûe. 

On  vous  verroit  à  cheval 

Bien -tôt  fcanchir  la  ban-licue 
Pu  fépulae  monacal, 
Ou  fur  rélcment  naval 
Fendre  la  Campzgne  bleue, 
Ayant  laiffe  fur  les  choux. 
Pendre  en  forme  de  tiophe'e. 
Le  froc  mal  taillé  pour  vous. 
Quelque  Rémora  plus  doux^ 
Peut-être  une  aimable  Fée 
Vous  retient  en  ces  climats 
Enchaîné  par  fes  apas. 
Une  Arraide  au  beau  vifage  , 
Aus  yeux  noirs ,  grands  &  malins  , 
Et  dont  entre  les  deux  rnain» 
On  peut  ferrer  le  corfage , 
Vous  dorlptte  en  fon  palais , 
Vous  cajole,  vous  adore. 
Et  vous  enyvre  à  longs,  traits 
Pe  plaiGrî  plus  grands  encore 
Q^e  tout  ceux  i^ue  Hahqfiaft, 


** 


E  P  I  T  R  E  s,  ip^ 

Aux  bons  Mufulmans  promet. 
Le  prorapt  defii  s'infinue 
Dans  le  coeur  d'Armide  émue, 
Pour  fon.hôte  gracieux. 
La  volupté  toute  nue 
Brille  &  nage  dans  Tes  yeux. 
Hébé  qui  fort  de  la  nue , 
De'couvre,  offre  à  votre  vûç 
Du  mouffeux  nedlai  des  Dieux 
La  coupe  mi&érieufe , 
Et  vous  favourez  enfin, 
Au  gré  du  plaifir  badin. 
Demi-mort,  demi-lutin, 
L'yvrclTe  délicieufe. 
Non  ,  dit-elle,  en  vous  voyant, 
Renaud  n'eut  point  cet  air  mâle, 
Ces  yeux,  ce  ris  attrayant. 
Cette  démarche  royale, 
Cet  efprit  rare  &  charmant. 
De  qui  l'abondance  e'tale 
La  finefle  &  l'enjouement. 
Ah  l  cette  amante  ravie 
Voudroit  couler  avec  vous 
Dans  un  commerce  fi  doux 
Tous  les  momens  de  fa  vie. 
Contre  des  charme?  fi  forts 
Que  votre  cœur  fe  loidUIè, 
Réfiftez  à  fes  efforts. 
Le  fils  du  prudent  Vlifiè 
leite  fes  regards  ailleuis^ 

I  s  Quaai 


iç6        E  P  I  T  R  E  S. 

Quand  Calypfo  fond  en  larmes; 
Une  amante  dans  Tes  pleurs  ^ 

Trouve  de  puilTantis  armes. 
Poli,  galant,  fait  au  tour. 
Vous  avez  dû  chez  l'Amour 
Avoir  an  accès  facile; 
Miis  de  fonger  au  retour 
La  chofe  eft  plus  dificilc  ; 
Et  pour  peu  qu'un  cotur  vacille. 
Ce  n'eft  pas  l'a-uvre  d  un  jour. 

Venez  par  votre  préfence 
Rendre  la  ferénite' 
A  mes  jours ,  dont  votre  abfcnce 
Trouble  la  fé!icité.    ' 
Erifez  le  nœud  qui  vous  lie, 
■  Profitez  de  la  faifon. 
Bien-tôt  l'époux  d'Orytliie 
A.vec  fon  frcre  Aquilon, 
Des' cavernes  de  Scythie 
raflant  fur  notre  horifon, 
Viendra  brûler  le  gazon 
Dont  fe  couvre  encor  la  plaine; 
Zéphir,  Pomone  &  Cloiis 
Vous  attendent  à  Paris 
Sur  les  rives  de  la  Seine; 
rt  fous  un  riant  berceau, 
Oii  fferpente  un  clair  ruifleau, 
Baccus  qui  les  accompagne  , 
Vous  prépare  le  Champngne 
Du  pluï  excellent  Coteau. 


EPI- 


E  P  I  T  R  E  s.  19J 

E  p  I  T  R  E     X  V  1  1 1. 

PHILOSOPHIQUE, 

^      M,     DE      VOLTAIRE, 

de  i' Académie  Françoîje,  ck  celle  de  Berlin  ^c. 

X.  Re's  de  cette  onde  fameufc  , 
Ou  Céladon  trop  confiant 
Crut ,  en  fe  pre'cipitant , 
Noicr  fa  flanie  amoureufe  ; 
Habitant  de  ces  climats, 
J'ai  viî  deux  fois  les  frimats 
Décolorer  les  rivages  ; 
Et  vainqueur  des  noirs  orages 
Deux  fois  le  Dieu  des  faifons, 
Adouciflanr  les  haleines 
Des  nuifibles  Aquilons, 
Faire  ondoyer  fur  les  plaines 
L'or  mobile  des  moilTons. 

Intime  Dépo^taîre 
De  la  plus  pure  amitié,. 
Dans  ces  lieux  oij  m'a  lie 
Un  caprice  volontaire  , 
Tu  me  plaindrois,  cher  Voltaire  , 
Au  récit  de  l'embarras 
Peu  conforme  au  caradlere 
D'un  Difciple  de  Pallas. 
Ttnie  r.  1  î  Mais 


193'  E  P  I  T  R  E  S. 

Mais  enHn  dans  la  finance , 
Qui  m'occupe  utilement. 
Le  fort  veut  qu'un  fuple'ment 
S'ajufte  à  rinfuffifance 
D'un  patvimoine  trop  court,. 
Pour  paflèr.avec  aifance 
Des  jours,  dont  le  temps  qui  court. 
Vient  preffer  la  jouiflance. 

Tour  toi ,  fortuné  Mortel , 
La  bénigne  main  du  Ciel, 
Au  moment  de  ta  naiflance  , 
Te  carcfTa  ,  t'accueillit. 
Te  donna  ce  qui  fuffit 
Pour  vivre  dans  l'abondance,. 
Et  refpirer  en  tous  lieux 
L'air  ttanquile  &  précieux 
De  l'aimable  Indépendance. 
Au  moment  qu'elle  y  joignit 
Le  feu  de  ton  rare  cfprit ,. 
Elle  fut  fi  libérale  , 
Que  je  m'étonne  comment 
Il  put  trouver  logement 
Dans  ta  glande  pinéale. 
Il  manquoit  à  ton  bonheur, 
Qu'un  tempérament  meilleui 
Eût  étayé  ta  machine  ; 
Mais  de  ton  fragile  corps 
L'.hôtefle  riche  !k  divine 
Habite  en  une  caâme,, 


Dojit 


E  P  I  T  R  E  s.  1$©. 

Dont  à  juger  pat  dehors, 
li'nrchitedhjre  eft  fi  fine  , 
Qu'il  femble  qu'au  moindre  vent 
Tout  ce  frêle  bâtiment 
Devroit  tomber  en  ruine. 

C'eit  pour  eux,  &  non  pour  nous,. 
Que  les  Immortels  jaloux  '   '■ 

Ont  fait  la  béatitude; 
Nous  n'avons  que  les  deiîrs. 
Et  fouvent  l'inquiétude 
Naît  du  centre  des  plaifirs. 
Quelque  peine  que  l'on  mette 
Pour  enduire  le  tonneau, 
Par  quelque  fente  fecrette 
Il  perd  toujours  un  peu  d'eau, 
BruIé  par  l'impatience, 
le  plus  content  fait  des  vœux. 
Heureux  le  Mortel,  qui  penft 
Etre  le  moins  malheureux  J 
Chacun  habille  à  fa  guife 
La  raifon  qui  le  conduit; 
Le  goût  la  caraftérife, 
La  volupté  la  féduit; 
Et  plus  efclave  que  Heine- 
De  fes  inclinations,  " 

L'ame  inquiète,  incertaine,, 
Eft  une  éternelle  Arène 
Oîi  luttent  les  paffions 
Contre  le  joug  &  la  gêne- 
Des  fages  réflexions. 
Tome  I,  1, 4  XA' 


2C50         E  P  I  T  R  E  S, 

Le  vice  qui  la  domine , 
A  fa  première  origine 
Dans  un  certain  fond  d'humeur. 
On  réforme  peu  Ton  cœur; 
l'efprit  en  vain  s'en  afflige. 
Il  gronde,  il  prouve^  il  féiig» 
En  folide  Dire<Sieur>    .,   j  ;i(  ;-,-)(} 
Mais  c'eft  beaucoup  i'il  corrige  .r> 
Quelquefois  l'exterieut. 

Et  fous  l'epaifleur  du  cafque 

On  s'éronne  avec  eflFroi 

Qu'on  ne  fut  vraiment  qu'un  MaCquc  , 

A  qui  l'orgueil  fit  la  loL 

Ce  n'eft  point  encot  rétude. 
Qui  fait  germer  dans  un  cœur 
La  Sagellè  &  la  Candeur; 
C'eft  le  goût  ,  c'eft  l'habitude: 
Il  en  eft  à  qui  les  Cieux 
Font  une  ame  fimple  &  douce. 
Sans  contrainte  &  lans  fecouflc,. 
Loin  des  doutes  captieux, 
Vers  le  bien  l'indina  les  poufle  : 
Nul  tranfport  impétueux. 
Nul  defir  tumultueux 
Ne  les  trouble  dans  leur  fphe're. 
Et  tout  mouvement  contraire 
Seroic  un  tourment  pour  eux. 

Sous  la  pointe  des  Cilices  » 
Dans  nos  plaiHis  &  nos  jeux  > 


jyiM 


E  P  I  T  R  E  s.         201 

Dans  nos  vertus  &  nos  vicei 
Nous  fommes  voluptueux. 
Libres  &  flotaus  complices 
Du  mal  qui  nous  fait  la  loi , 
Un  certain  je  ne   fçai  quoi 
Doucement  nous  follicite. 
Nous  appelle,  nous  invite. 
Et  produit,  comme  l'aimanf',, ', 
l'a  puiflante  fimpatie , 
Qui  loin  d'être  ralentie , 
S'acrôît  par  le  fentimenr, 
Et  dure  éternellement. 

Le  peiichant  a  plus  de  force 
Dans  la  faifon  des  beaux  jours; 
Quand  la  fuite  des  Amours        I"^  - 
Ne  nous  laiflè  que  l'amorce 
Des  jeux  qu'on  trouva  trop  courts. 
On  fait  fur  foi  des  retours  ; 
On  ne  change  que  l'écorceî 
La  féverefte  toujours. 

Toutefois  dans  mon  déKre 
Dieu  me  préferve  de  dire 
Qiie  l'homme,  efclave  abfo!u' 
Dans  les  entraves  du  vice, 
Par  de  vrais  efforts  ne  puifle 
Ce  qu'il  a  bien  réfolu. 
Mais  ces  efforts  font  plus  rares 
Qu'un  Phénomène  dans  l'air,    ■ 
Eî  'pour  mille  Se  mille  Icaxes,  *' 

I  i  Que 


£02  E  P  I  T  R  E  S, 

Que  des  bonds  vains  &  bizarea 
Précipitent  dans  la  mer, 
Je  vois  à  peine  un  Dc'daic , 
Qui ,  fans  détourner  les  yeux^ 
Volant  d'une  force  e'gale , 
Tienne  la  route  des  Cieux. 

Egaré  dans  ce  pafTage, 
L'homme  eft  femblablc  au  Nocher, 
Qui  s'écartant  du  rivage  » 
Au  fond  d'un  efquif  léger, 
Yvre  d'un  fatal  breuvage. 
Va  de  rocher  en  rocher 
Heurter  au  gré  de  l'orage. 
Et  qui  loin  de  rapeller 
Le  falutaire  courage  , 
Que  le  Ciel  dans  fon  ouvta^ 
Tâche  de  renouveller, 
S'aflbupit  près  du  naufrage, 
ïareflèux ,  &  diflFérant 
De  fe  faifir  d'une  rame  , 
Défefperant  dans  fon  ame 
De  refouler  le  courant. 

Combien  de  fois  d;îns  ma  vi* 
]'ai  dit.  Renonçons  mon  CœiK 
A  la  terre ftrc  Folie  ? 
Le  monde  eft  un  fédwiteur; 
Boiras-tu  jufq'a'à  la  lie 
Sa  vaine  &  faufle  douceur? 
Daoi  mon  faint  enthoiiflafoie 


I* 


E  P  I  T  R  E  s,         203 

Je  crois  être  refondu  , 
Et  mon  dévot  pléonafme 
Gémit  fur  le  tems  perdu. 
Le  moment  eft-il  propice, 
Auffitôt  le  pied  me  glifle , 
Tout  mon  zè'.e  eft  morfondu. 
Dans  mon  cerveau  Confondu 
tes  mêmes  efprits  s'épanchent. 
Et  mon  cœur  vole  éperdu 
Ou  mes  ailiîâions  panchcnr. 

Trop  cruel  &  trop  charmant  j. 
L'Amour  invinciblement 
M'edt  vil  languir  dans  fcs  chaînes  , 
Si  je  n'avois  craint  fes  peines , 
Et  lî  le  raifonnement 
N'eût  un  peu  ferré  les  rênes 
A  mon  vif  tempérament. 
Les  péril»,-  où  l'on  s'expofe,. 
^n  efpoir  fou  vent  trompeur. 
Et  l'épine  m'a  fait  peur , 
La  main  même  fut  la  rofe. 
Moins  retenu ,  j'en  conviens, 
Mon  regret  en  çft  extrême. 
Par  le  defir  des  vrais  biens , 
Qye  par  l'amour  de  moi-même. 

Né  mifantrope  &  rêveur. 
Je  fuis  de  ma  folle  humeur 
Le  reflux  périodique  ; 
Mon  cfprit  philofophique 

I  6  Sa- 


104         E  P  I  T  R  E  s: 

S'jjet  aux  abftraftions  , 
Se  conflime ,  s'alembique^ 
S'cgare  en  réflexions. 


Le  long  (!es  bords,  oîi  fcrpente 
L'onde  claire  du  Lignon, 
J'allois,  &  mon  ame  errante, 
S'afFrancliiflant  du  limon, 
Perçoit  la  voûte   brillante. 
De  la  haute  Région;. 
Et  l'iiiiagination , 
O'gne.lleufe,  indépendante, 
Wenlevoit,  fier  Ixion, 
Sur  fon  aile  triomphante. 

Là  d'un  reg.ud  curieux-, 
Dans  mon  vol  audacieux, 
Parcourant  le  fort  des  hommes,- 
•  J'admirois  comme  nous  lomme* 
Suc  ce  globe  raboteux  ; 
Les  uns  maîtres  faftueux. 
Nés  au  fein  de  l'opulence; 
Les  auties  dans  l'indigence, 
Efclaves  nécefllteux» 

Je  cherchois  dans  lemciite-  . 
Sur  cette  ine'galité, 
Qnelqne  probal  ilité  : 
Vain  travail,  folle  pourfuite. 
]e  trouvois  qi:e  les  plus  grans, 
K'ctoient  que  des  noms  .inCgnes; 


A«l 


É  P  I  T  R  E  s:  2ot 

Au  furplus  fameux  brigaiis. 
Traîtres,  fuperbes,  méchanS» 
Fiiiieux,  trompeurs,  &  dignes 
Dfe  ramper  aux  derniers  rangs. 

Dans  un  burlefque  Siftême,-- 
Dont  je  détefte  &  combats 
L'erreur  &  l'audace  extrême  , 
Certain  que  l'Etre  fuprême 
Régie  feul  tout  ici  bas,. 
Que  du  Monde  qu'il  embrafle 
Il  modère  le  timon,. 
Qu'il  voit  tout  ce  qui  fe  paflfe 
Dans  l'invifible  Ciron, 
Que  dans  la  natuie  entie're  , 
Au  Dieu  qui  fit  la  lumière, 
L'homme  ne  peut  rien  cacher,. 
Et  qu'enfin  ,  s'il  ne  l'arrête , 
Va  feul  cheveu  de  ma  tête 
N'ôferoit  fe  de'tacher; 
Dans  le  tiffu  ridicule 
Do  Siflême  peu  fenfé 
Que  mes  Vers  ont  annonce'. 
Et  par  qui  le  plus  crédule 
Ne  fçaùroit  être  de'çu, 
Cher  Voltaire,  j'ai  donc  lu 
Que  le  Dieu  puifTant  qu'adore,  ■ 
Sous  des  emblèmes  facre's 
Diverfement  figure's , 
Chrétien,  Chinois,  Turc  ou  Moie, 

I  7  Qu'en- 


2o6         E  P  I  T  R  E  s. 

Qu'enfin  des  erres  divers  ^ 
L'Auteur  fouflè,  fait  e'clore. 
Comme  infeâcs  dans  les  airs  y 
Mille  eifains  d'ames  nouvelles, 
Qiii  volent  à  tiie-d'aîles 
Pour  repeupler  l'Univers, 
Elles  errent  difpetfées 
Inquiètes  &  preflees 
De  dciirs  impatiens 
De  fe  voir  bientôt  placc'es 
Dans  les  embrions  re'cens. 

Le  hazard  fait  entrer  l'une 
Dans  le  fétus  d'un  Seigneur;. 
L'autre  va  d'un  Laboureur 
Animer  la  chair  commune; 
L'une  occupe  par  bonheur. 
L'enveloppe  d'un  Hermite  , 
Ou  de  tout  homme  d'honoeur. 
Qui ,  libre  dans  fa  conduite  ^ 
N'a  pour  régie  que  fon  cœur; 
L'autre  affreufement  habite 
Le  fombre  étui  d'un  Voleur,, 
Ou  d'un  perfide  Hipocrite,. 
Selon  que  font  comporés. 
Leurs  organes  difpofcs 
Au  me'rite  ou  démérite. 
Et  telle  a  trouvé  fon  gîte 
Dans  le  corps  de  quelque  Grand, 
Qui  Ic^eoit  plus  taid  veaae ,, 


E  P  I  T  R  E  s.         207 

Ou  plutôt  d'un  feul  inftant. 
Sous  ia  fangeufe  éiendue 
De  la  malTe  individue. 
Oïl  s'emboiie  fon  valet. 
Ou  dans  un  moindie  fajeu 

Mais  dans  ce  conte  frivole 
Quelle  étrange  abiurvlitc  î 
Songe  qu'une  ficvrc  .bile 
reut  avoir  feule  inventé. 
Dieu  par  fon  imracnfité 
Peut,  à  chaque  inftant  qui  voie. 
Enfanter  d'une  parole 
Plus  d'smes  &  plus  de  corps 
Que  l'Océan  variable 
Ne  roule  de  grains  de  fable 
Dans  fon  lit  &  fur  fes  bords. 

Dans  ce  tableau  chimérique  y 
Toutefois  la  fîdion 
Petit  bien  être  allégorique 
A  la  révolution , 
Que  par  la  permiflîon 
De  Dieu  le  Seigneur  unique, 
La  fortune  fantaftiquc 
Caufe  dans  fa  marche  oblique 
£n  chaque  condition. 

Ainfi  bravant  de  Lucrèce 
Les  prediges  impofteuis, 
Plutôt  Enfans  que  Dodeurs,. 

Quand 


2o8  Ê  P  I  T  R  E  ^. 

Quand  nous  voyons  que  Dieu  lififle- 
Aa  gré  d'un  toffent  fatal 
Circuler  entre  des  frères 
Et  les  biens  &  les  miféres 
Par  un'  partage  inégal , 
Songeons  que  de  ce  partage. 
Sans  cefie  prêt  à  finir, 
Sa  juftice  doit  punir , 
Ou  récompenfir  l'ufage , 
Qui  par  les  chemins  divers. 
Où  nous  promené  la  vie, 
îîous  donne  enfin  pour  Tatrie, 
Ou  les  Cieux,  ou  les  Enfers. 

Dites- moi  donc,  Grands  du  Monde ,  • 
Atomes  impérieux-, 
L'inconnu  motif  qui  fonde 
Votre  org^ueil  injurieux  ? 
Comme  les  hommes  vulgaires,' 
Vous  TOUS  devez  à  la  mort  ; 
Vous  tenez  des  mains  du  fort 
Les  gcandîurs  imaginaires. 
Dont  vous  vous  enflez  fi  fort, 
Sans  que  la  juftice,  due 
Au  méiite  perfonne! , 
Dans  votre  carrière  influe 
Sur  cet  éclat  temporel. 

Infenfés,  juges  iniquesi 
>Î9 us  ôfôns  des' animaux- 


Ë  P  1  T  R  E  s.        20^ 

Méprifet  les  Républiques. 
Amis,  compagnons,  égaux. 
Le  cœur  les  unit  enfemble  : 
Entr'eux  nul!e  primauté  ; 
Le  goût  de  la  liberté 
Les  difperre,  ou  les  affemble. 

De  femblables  alimens 
Servent  à  leur  nourriture. 
Et  la  prudente  nature 
Pourvut  à  leurs  vêtemeiis. 
Le  gai  retour  du  Printems , 
Qui  tapiffe  de  verdure 
Les  bois ,  les  prez  tous  les  ans  ^ 
Leur  rend  leurs  amcublcmens, 

La  mode,  capric-eufe 
Bizarre  dans  Tes  apaî. 
Ne  les  aflujetiit  pas 
Sous  fa  main  luxurieule  ,. 
Qui ,  vaiîant  à  nos  yeux 
D'ébloiiiflTantes  chimères. 
Nous  a  mis  au-deflbus  d'eux» 
Et  révèle  nos  miféres. 

Les  Lions  impétueux 
Ne  quittent  point  la  parure 
De  leurs  crins  majeftueux 
Pour  une  autre  chevelure. 
Les  antmaux,  fans  murmure, 
Sans' examiner  les  traits 
Qyi  compofcKt  leur  figure. 


*io         K  P  I  T  R  E  s. 

Vivent  tous  à  l'avanture 
Tels  que  le  Ciel  les  a  faits; 
£t  la  Biche  à  la  nature 
Doit  feulement  Tes  attraits. 
La  voit-on  dans  les  forets. 
Mécontente  de  fa  tête , 
Et  paroilTant  accufcr 
le  Créateur  qui  l'a  faite, 
>  La  peindre  ,  la  déguifet 

Et  la  métamorphofer, 
Semant  des  couleurs  vermeille» 
Sur  du  plâtre  préparé? 
Voit-on  les  triftes  Corneille», 
Dans  un  ciment  coloté 
Engloutir,  comme  nos  Vicilîef  » 
Leur  vifage   délabré, 
Couvrir  leurs  rcftes  funèbres 
Des  plus  pompeux  ornement» 
Et  faire  avec  les  ténèbres 
V         Contrafter  les  diamans? 
Vit-on  jamais  la  Tigreflè 
Chez  un  Singe  bijoutier, 
Efdave  par  gentillefle. 
Paire  emplette  d'un  collier. 
Et  dès  fa  tendre  jeuneflè, 
Soigfteufe  de  s'émaillei 
De  tout  ce  qui  peut  briller. 
Se  déchirer  les  oreilles 
Pour  les  accabler  du  poids 
De  peudeloques  paieilles 


Aut 


E  P  I  T  R  E  s.  211 

Aux  nœuds  qui  gênent  nos  doigts? 

Chacun  plaît  à  Ton  efpéce 
Sans  dgrément  emprunté» 
Etl'Afne  charme  rAfneflè, 
Malgré  fa  ruflicité. 

lis  fcntent  que  ptfur  l'afnge 
le  Ciel  leur  donha  des  pies, 
ïoibles  humains]  qui  croycï 
Avoir  chacun  en  partage 
Le  Cens  de  l'Aréopage, 
Si  dans  un  bois  vous  voyez 
Sur  des  branchages  liés 
Deux  Loups  en  porter  un  autre, 
Quel  émnnement  au  vôtre 
Pourroit  être  comparé? 
Cenfèut  inconfidéiré,  "" 

Qi^ie  œ  fpe(aacle  fait  rîre, 
Mocque-t'cn,  mais  fi  tu  peux, 
Conçoi  qu'en  te  mocquant  d'eux. 
Tu  fois  ta  propre  Satire. 

Les  Animaux,  dégagés 
Des  craintes,  des  préjugés. 
Vivent  dans  un  doux  commerce. 
Et  leur  tenJre  inftimfî:  exerce 
Des  foins  par  nous  négligés. 
Nous  en  dépeuplons  la  terre; 
Nos  befoins  accumulés. 
Nos  apétits  d»régle« 

Lettr 


212         E  P  I  T  R  E  S. 

Leur  ont  déclaié  la  guerre. 

Nous  égorgeons  les  taureaux 

Nés  pour  fillonner  la  plaine, 

Nous  dépouillons  de  leur  laine 

Les  nourrices  des  agneaux. 

Nous  ôtons  aux  vermifleaux 

La  toifon  renouvelles 

Que  leur  adreffe  a  filée. 

C'cft  à  des  vers  de  parer, 

Et  de  faire  révérer 

Ce  corps  qu'on  aime  &  qu'on  loue  , 

Et  que  des  vers  plus  affreux, 

Dès  que  lame  fe  dénoue , 

Dans  un  antre  ténébreux 

Rongent  fur  un  tas  de  boue. 

Les  Daims,  les  Cerfs,  les  Caflors, 
Attaqués  dans  leurs  tanières, 
De  nos  fureurs  rneurtriéies 
Ont  éprouvé  les  efforts. 
Qiie  ne  pouvons-nous  entendre 
Le  Cerf  réduit  aux  abois! 
Homme,  qui  viens  nous  furprendre 
Dans  le  filence  des  bois, 
\    D'où  part,  diroit-il,  la  rage 
Qui  t'anime  contre  nous? 
T'avons-nous  fait  quelque  outrage 
Qiii  mérite  ton  couroux? 
Nous  n'allons  point  dans  tes  villes, 
De  tes  volupté»  tranquilles 

In* 


E  P  I  T  R  E  s.  213 

Interrompre  les  fccrets  ; 
Pourquoi  troub!e-tu  la  paix 
Qiii  icgne  dans  nos  aziles? 
Notre  mort  fert  à  tes  jeux  ; 
Un  amufement  bizirre 
Contre  nos  jouis  malheureux 
Arme  ta  rigueur  barbare. 
Grans  t^;  merveilleux  loifirs, 
Dignes  d'ane  ame  immortelle  .' 
Ah  !  ta  raifou  ,  fi  c'eft  elle 
Qiii  te  dide  ces  plaifirs, 
Zû  bien  folle,  ou  bien  cruelle. 
Tu  te  nommes  notre  Roi  ; 
C'cft  ta  main  qui  te  couronne. 
Eft-ce  à  des  Tirans  qu'on  donne 
Un  nom  qui  porte  avec  Coi 
La  clémence,  la  juftice, 
La  verfu,  l'horreur  du  vice, 
La  candeur,  la  bonne  foi? 
lourquoi  ton  cœur,  plus  fauvagc. 
Que  le  Tigre   dont  l'image 
Te  tranfit  même  d'effroi; 
Pourquoi  donc  ce  cœur  peu  ùge. 
Dont  le  fuperbe  langage 
Veut  que  nous  vivions  fans  loi, 
Fait-il  d'un  cruel  carnage 
Son  unique  &  cher  emploi  ? 
Laifle  au  fond  de  leurs  retraites 
3Iourir  d'innocentes  bêtes. 
Qui  n'ont  pas  befoin  de  toi. 

Ain- 


214  E  P  I  T  R  E  s, 

Ainfi  la  Philofophie 
Me  dc'robs  des  momcns , 
Et  dans  la  raifantropie. 
Trouve  fes  amufemens. 
Si  d'une  pliis  douce  vie 
je  goutois  la  HbTté, 
J'aurois  autrement  monté 
Les  rcflbrts  de  mon  génie  , 
Et  fur  un  graciçux  ton 
Réjoui  cette  contiée 
Du  récit  d:s  feux  d'Aftrée 
Et  du  berger  Céladon. 

Le  Roflîgnol  fous  l'ombrage 
S'entretient  de  leurs  plaifirs: 
Tout  en  retrace  l'image  ; 
Et  les  folâtres  Zéphirs, 
Qui  badinent  avec  Plore , 
y  font  échaufés  encore 
Du  braûcr  de  leurs  foupirs. 

Le  lit  de  fleurs  qu'ils  foulèrent, 
Y  conferve  tous  les  ans 
L'empreinte  qu'ils  y  laiflerent. 
Quand  les  jeux  les  relevèrent 
Toujours  tendres  &  conftans. 

L'infendble  Célimene 
Vit  l'autre  jour  S<  baifa 
Leurs  noms  gravés  fur  un  chcnes 

£t  fga  ABSLC  i'Ç9^k&, 


réÈt 


E  P  I  T  R  E  s.         tis 

Tout  refpire  la  tendreflè 
Sur  ces  rivages  chéris. 
Et  la  fringante  jeunefle 
T  fait  voltiger  Tans  ceflè 
Les  jeux,  la  danfe  &  les  lis. 
Jamais  l'Amour  n'y  fommeille; 
Sa  vivacité  réveille 
X^es  coeurs  les  plus  adbupls. 

Vien,  Voltaire,  fur  ces  livcsj 
A  la  douceur  de  tes  fons 
Les  Bergères  attentives 
Y  rediront  tes  chanfons. 
Là  dans  un  ioifir  champêtre, 
.Par  des  beaux  yeux  échaufé. 
Ton  goût  y  fera  lenaîtxe 
Les  jours  charmans  de  d'Urfé* 

EPITRE     XIX. 

PHILOSOPHIQUE, 

J  M.  NE'RICJULT  DES    TOUCHES, 

De  l'Académie  Franpîfe ,  Gouverneur  de  Melun. 


D 


Es  TOUCHES,  dans  le  mois  ou  FloïC 
Ranimoit  fes  belles  couleurs. 
Je  t'écrivis ,  malade  encore  , 
Mes  dépkifiis  Ôi  sacs  douleucs* 


2i6         .E  P  I  T  R  E  s. 

Sai-tu  maintenant  où  j'exiûe? 
]e  vis  folicaiie,  ignoré, 
Au  bout  du  monde  transfère 
Dans  un  ciimat  fauvagc  &  triûe. 

Le  croirois-tu ,  que  mon  exil 
Fut  dans  le  fein  de  ma  Patrie, 
Où  la  plus  fombre  rêverie 
Epuife  le  germe  fubtil 
Qui  reflufciioit  mon  génie, 
Oii  je  n'entends  d  autre  harmonie 
Que  celle  dès  vents  &  des  flots, 
Oîi  je  n'ai  d'autre  compagnie 
Que  les  rochers  &  les  échos? 

Tantôt  errant  fur  le  rivage, 
J'y  vo!S  de  pâles  matelots 
Nuds,  ou  couverts  d'afFrcux  lambeaux. 
Que  roule  l'effort  de  l'orage, 
Et  que  leurs  bras,  fendant  les  eaux, 
Ne  purent  fauver  à  la  nage. 

Quoi  !  m'écriai-je  épouvante  , 
Voilà  donc  ce  célefte  ouvrage, 
L'homme  que  la  Divinité 
Créa  conforme  à  fon  image? 
Jouet  des  élcmens  dive.s, 
Hôte  étr:nger  dans  l'univers, 
Le  mal  le  fuit,  le  fort  l'outrage. 
Ses  jours  font  tifliis  par  l'ennui, 
Sç  raifon  mèoïc  efl  fa  foxtmc,. 


tt 


EPI  T  R  E.S,         2Î7 

Et  mort  il  devient  là  patuie 
Des  animaux  créés  pour  lui. 

Tantôt  de  ce  fpeftaclc  horrible  , 
Qui  confond  les  flots  &  les  airs. 
Je  palîe  à  la  douceur  pailible 
Qui  change  la  face  des  mers. 
L'onde  plus  verte  e(l  tranfparente  > 
3'aperçois  même  jufqu'au  fond 
Jouer,  .bondir  le  froid  poiflbn , 
Et  clierciier  dans  l'algue  gliCante 
Un  azile  contre  l'efFoit 
D'un  poiffon  plus  grand  &  plus  fort 
Qui  vient  lui  donner  l'épouvante. 

Le  Gai  me  H  tôt  xevenu 
Me  furprend ,  £c  mon  ei^rit  fonde 
Ce  que  peut  être  devenu 
Ce  qui  troubloit  l'ordre  du  nionde. 
Où  font  ces  Titans  furieux,.  ;  ï. 
Ces  Aquilons  audacieux,'  j;  j>' 
De  qui  la  rage  anéantie 
Rend  le  repos  à  l'univers  ? 
Le  fier  ra-ifieur  d  Orithie 
Dans  les  cavernes  de  Scithie 
S'eft-il  laiiTé  mettre  des  fefs,?,,.  ;. 

Les  vents  font-ilS  ame y  oti  matière^ 
Ou  fimplement  air  agité  i 
Pourquoi  les. uns. dans  leur. caxiière 
Tm.  /,  K  No»i5 


2i8  E  P  I  T  R  E  s. 

Nous  portent-ils  l'humidité , 
Et  les  autres  l'aridité  ? 

Si  par  fa  chaleur  attraftive 
Le  foleil  du  centre  des  monts 
Fait  fortir  les  exhalaifons , 
Dont  la  vertu,  long-tems  captive» 
S'irrite,    &  des  noirs  Aquilons 
Engendre  la  cohorte  aftive  ; 
Pourquoi  donc,  après  un  beau  joui 
Qui  brilla  fans  un  feul  nuage,  / 
Voit-on  naître  un  fubit  orage, 
fendant  que  la  nuit  fait  fon  tour? 

Chacun  en  cherche  l'origine. 
Nul  n'en  pénétre  les  fccrets. 
Pour  moi  ,  je  juge  &  j'imagine 
Que  ce  font  des  efprits  folets  , 
Des  Sylphes,  armés  de  fouflets, 
Qui  livxent  aux  Gnomes  la  guerre^^ 
Lorfque  ce  peuple  terrien 
Veut  au  féjour  aérien 
Pafler  dès  ancres  de  la  terre. 

Ainfi  fans  occupation , 
je  cherche  dans  ma  folitude» 
A  tromper  mon  inquiétude 
(  "      Pat  diverfe  réflexion  ; 

It  fans  roifer  chaque  penfée, 
J'cciis  fans  affsdiation 


-Et 


E  PI  T  R  E  S.         :ii9 

Je  laiflè  une  carrière  aifce 
A  mon  imagination. 

De  mon  loiiîr  involontaixe, 
Etayé  de  fort  peu  de  biens, 
Je  fais  deux  parts  ;  Se  mon  affaire 
Eft  d'en  paflèr  Tune  à  tien  faire, 
t'autre  à  ne  faire  que  des  riens. 

La  liberté  fut  (oujourj  çhere  ' 
A  ceux  dont  Tctude  eft  de  plaire 
Au  dofte  &  puiflant  Souverain  , 

Du  double  mont  de  Thcflàlie; 
Ce  Dieu ,  que  nous  fervons  en  vain , 
Mêle  avec  l'eau  de  Caftalie, 
Qu'il  nous  fait  boire 'à  veire  plein, 
La  nonchalance  &  la  folie 
D'éviter  tout  ce  qui  nous  lie. 

Mais  il  faut  que  la  liberté 
Soit  en  tout  temps  accompagne'e 
D'une  honnête  commodité. 
Douce  &  facilement  gagnée. 

Heureux  qui,  fans  compter  fès  joii/î. 
Met  à  profit  l'inflant  qui  pafTe! 
Heureux,  qui  fans  peine  entrelaflè 
Avec  le  miithe  des  Amours 
Les  brillans  lauriers  du  Parnafle! 
'  Heureux  qui  badine  avec  grâce 
Au  milieit  des  jeux  Se  des  lis» 

K  2  St 


220         .    E  P  I  T  R  E  S. 

Et  qui  fl€  craint  d'autre  difgrace 
Que  celle  des  beaux  yeux  d'Iri»! 
Heureux  qui,  fage  avec  Horace, 
Mcprife  du  Vieillard  Caron 
L'importune  5c  trifte  menace,: 
Et  de  qui  la  Stoïque  audace 
Eiave  le  bruit  de  l'Achéion  ! 

Heureux  qui ,  toujours  fain  ,  fe  paffe 
De  Quinquina,  Rhubarbe,  CalTe! 
Heureux ,  qui  trouve  dans  fon  cœut 
Le  fondement  de  fon  boiiheui! 

Heureux,  que  nul  foin  n'^mbarraflê, 
*        Ni  charge,  ni  grandeur,  ni  train. 
Ni  femme,  ni  fàcheufe  racjC, 
*^    Et  qui  n'attend  le  lendemain. 
Que  comme  s'il  étoit  terrain 
Que  le  Soleil,  prenant  la  fuite, 
Dût  pour  lui  du  feiu  d'Amph.itritC 
Sortir  toujours  clair  &  lerain. 

O;!  fi  la  fortune  ennemie 
M'eût  laifle  mon  fort  à  choidr. 
Que  dans  l'yvrefle  du  loifir 
l'aurois  aimé  pailcr  ma  vie. 
Du  bruit  du  fafte  &  de  l'envie 
Riant  dans  les  bras  du  plaiGr, 
îpris  des  beaux  yeux  de  Silvic, 
Conftanf  jufqu'au  dernier  foupir, 
£t  dans  mon  ame  cbatouillçe, 


£  P  ï  T  R  E  s:  221 

Oarcffaiit  un  doux  fouvenir, 

Sous  fa  main,  de  larmes  mouillce, 

Fermer  les  miens  à  l'avenir! 

Ainfi  mon  heureufe  vicillefle. 
Marchant  fans  crainte  5c  fans  foibleffC} 
Comme  le  feu  fans  aliment 
S'e'teint  imperceptiblement 
Sous  une  cendre  qui  s'afaifTê) 
Ou  comme  naturellement 
Le  fruit  mûr  à  l'abri  du  vent 
Echapc  à  la  branche  qu'il  laifle,-' 
Dans  mon  innocente  pareflè 
J'aurois  fini  tranquillement. 

Jilais  hélas!  fiinefles  viâimes 
Cu  plus  fatal  des  apétits» 
Lés  Cieux  Jious  ojlt  aflujettis 
A  payer  toujours  pour  des  crimes 
Q^ii  fans  nous  ont  été  commis; 
EÉ  la  Loi,  qui  nous  a  fouirtis 
Aux  fuieuïs  de  la  mort  craclle. 
Veut  qu'on  ne  retarde  fon  aîle 
Qu'en  fatisfaifant  au  Befoin, 
Dont  une  effrayante  fentence 
Au  dur  Travail  commit  le  foin; 
Befoin,  que  btave  l'Abondance 
Afiîfe  en  un  palais  doté. 
Auprès  de  fa  Sœur  l'Opulence", 
Oii  cet  arrêt  fut  ignoré 
De  la  molle  &  fixe  lodolence;' 

^  3  Maif 


222         ^  ?  I  r  R  E  S, 

Mais  pâle,  afFreux,  défefperé, 
Sous  le  toit  humble  &  délabie' 
Ou  loge  la  maigre  Indigence, 
Pans  un  lieu  fombre  ôc  leflêrré. 


Ce  font  nos  befoins  tiranniques. 
Dont  le  confeil  perfécuteur. 
Fait,  infidèle  conduâeur, 
Errer  nos  cœurs  mélancoliques 
Loin  de  la  route  du  bonheur; 
Befoins,  artifans  faméliques 
De  l'idole  du  fol  honneur, 
Et  des  reflburccs  politiques; 
Eux,  qui  jamais  raffafiés, 
N'ont  dit  à  ces  cœurs  hidtopiqucs, 
A  mille  excès  factifiés, 
Jettcz  des  yeux  philofophiques 
Sui  tant  de  tréfors  entafles. 
Repofer-voHS ,  c'en  eft  aflez. 
Bornez  des  defirs  chimériques; 
Le  temps  vous  prcfle,  jouïflez; 
Vous  touchez  aux  momens  critiques; 
Vos  jours  font  aux  trois  quarts  pafles. 
Vous  alhz  être  terraffés. 
Comme  un  Géant  la  mort  s'avance. 
Regardez  vos  traits  effacés, 
Vos  rides,  vos  yeux  enfoncés,   . 
Ne  fentez-vous  pas  l'impuiflance 
De  vos  elprits  lents  &  glaces. 
Et  de  vos  meinl)res  afaifles 


L'ir. 


E  P  I  T  R  E  s.  223 

L'irréparable  défaillance? 

Le  temps  vous  preÛe  ;  jouilTcr. 

Ces  befoins,  infultant  la  Par<jue, 
Nous  ont  fur  une  frêle  barque 
Expofés  aux  périls  des  mers. 
Et  dans  les  mines  tortucufes. 
Tu  des  foutetrains  entr'ouveits , 
Fravc  le  chemin  des  Enfers 
A  nos  cupidités   homeufes. 

Ils  ont  détruit  l'égalité', 
Aflujetti  la  liberté 
Qui  dans  les  bras  de  l'innocence 
Jouoit  avec  la  volupté, 
Dcguifé  la  faufle  apparence 
Sous  les  traits  de  la  vérité. 
Au  coin  trompeur  de  l'excellencft 
Marqué  des  Speftres  menforgeis; 
Eux  feuls  cet  mis  la  différence:- 
Entre  les  Rois  &  les  Eergèrs../.> 

Cependant  ma  Philofophie 
îlcchit,  s'humanifc,  &  je  fens 
Qu'il  faut,  pour  conferver  fa  vie. 
Nourrit  le  commerce  des  fens. 
Ménager  jufqu'à  la  folie 
De  ceux  que  le  fort  a  fait  grans, 
Et  fe  taire  j  quand  Polymnie 
Ne  veut  pas  leur  donner  d'encens. 

Quelqu'un,  qui  fait  ici  le  prude. 
Me  conreilloit  tout.téccuime:iit  . 

K+  De 


^24  EPI  T  R  E  S. 

De  fuer  mon  incertitude 
Ssus  les  loiz  d'un  himen  charmant. 
Le  fardeau,  dic-il,  efl  moins  lude 
Quand  on  eft  deux  à  le  poitei  ; 
Tâchez  de  l'expctimenter. 
Oa  joint  cnfemble  fa  fortune, 
JDeux  corps  font  identifies. 
Leurs  âmes  fe  fondent  en  une  : 
Dans  ces  liens  purifiés 
Si  l'un  fe  plaint,  l'autre  s'afl!ge. 
Si  l'un  eft  gai,  l'autre  eft  content. 
Et  deux  cœwrs,  qu'un  cfprit  dirige, 
Jouiflent  d'un  bonheur  confiant. 

Mais  ce  charmant  himcn ,  repris- je , 
Lft-il  facile  à  rencontrer? 
Qui  poutroit,  grand  Dieu!  p^n^tiei 
Le  labirinthe  d'une  femme, 
Il  pat  la  douceur  de  fes  yeux. 
Ces  finges  artificieux, 
Connoitre  à  fond  ce  qu'eft  fon  ame? 
Que  de  malice  &  de  détour 
Sous  cette  charmante  envelope,^ 
■  Et  combien  l'Himcn  &  l'Amour 
Ont  un  diflFctent  microfcopc! 

t      Cependant  je  pouirois  rifquet 
De  me  roir  enfin  coHoquet 
Dans  l'infini  martirologe , 
Dont  Buiïi  commença  l'éloge. 
Si  la  coi)tusie  du  fais 


Ac< 


I 


M  PITRES.  225 

Accordoit,  après  qu'on  s'ell  pris, 
L»  faculté  de  fe  dépiendrc  , 
Et  convaincu  qu'on  s'eft  mépris , 
De  quitter  fa  femme  &  lui  rcndic 
lia  propriété  des  apas , 
Dont  i'ufufruit  galant,  aimable, 
Parut  un  bien  fi  defiiablc 
Quand  on  ne  fe  connoifloit  pas. 

Pour  toi ,  dont  l'erprit  aflbcie 
li'himen  &  la  Philofophie, 
Et  que  l'eftime  fie  l'amitié 
Ont  joint  à  ta  chère  moitié, 
Destouches,  délicat  génie. 
Du  cœur  humain  peintre  excellent  j 
Qyi  de  la  belle  Comédie 
Confctvas  le  g»ût  chancelant; 
Tûi,  qui  ne  dois  le  cours  tranqailc 
Des  jours,  que  la  Parque  te  file. 
Qu'à  ton  mérite,  à  ton  talent. 
Plains  mes  fatales  deAinées, 
Qui  n'ont  pu  s'afTàtcr  un  port 
Contre  les  vagues  mutinées, 
Et  goûte  en  paix  ton  heureux  fort 
Pendant  un  long  cercle  d'années. 

Mais  dans  ton  loifir  fouvicntoi 
D'un  coeur  qui  t'aime ,  fie  dont  la  foi 
N'eft  ni  fauûe,  ni  colorée. 
Et  dont  la  fiére  probité 
Ne  put  jamais  êtie  altérée 
P^r- les  coups  de  l'adverfité* - 

-  -  K  5  EPI- 


226         E  P  I  T  R  E  S, 

E  P  I  T  R  E    X  X. 

A  M.  LE  CHEVALIER  DE  SOLIGNAC, 

Secrétaire  du  Cabinet  ^  des  Commandemens  du 
Roi  de  Pologne ,  Duc  de  Lonaine  ^  de  Bar; 
Secrétaire  perpétuel  de  la  Société  Royale  des 
Sciences  ^  Belles-  Lettres  de  Nancy,  ^  de 
r Académie  Royale  de  la  Rochelle. 

r*,  Ll  GANT  Solignac,  dont  les  talens  acquis. 
Le  goût  2c  l'uibanité  pare 
Que  vous  verfez  fui  vos  écrits, 
Embcliflènt  les  rfons  exquis 
Qii'en  vous  aflcmbla  la  Nature  ; 

D'un  conftc're,  que  fixe  en  ces  Hcux  €cart«s 
Le  fort,  cet  inflexible  maître. 
Agréez  dans  ces  Vers,  que  le  cœur  a  difte's, 

La  preuve  du  defir  qu'il  a  de  vous  connoitre. 

Vous  cohnoître . . .  ceci  foufFte  explication. 

J'entends . . .  écoutez  que  j'exprime 
L'objet  de  mon  intention  , 
J'entends  quelque  cbofe  d'intime  > 

Ce  qu'opère  fogvent  une  relation 

De  la  voix  f<  de  la  pre'fence, 
À  JLcs  lettres ,  qu'cm  s'écrit,  faifant  la  fondion,   • 
Quand  on  n'écrit  que  ce  qu'on  penle, 

Cax 


4 


E  P  I  T  R  E  s,        227 

Car  pour  vous  coïinoître  de  nom , 
La  gloire  en  cft  par-tout  femc'e , 
Comme -chez  le  Lorrain,  chez  le  peuple  Breton, 

'         Par  la  voix  de  la  Renommée. 
Mais  je  fçais  ou'unc  Epître  a  ijuelquefois  produit 
Un  lien  mutuel ,  dont  la  vertu  féconde 
^.approcha  la  diftance  &.  fît  naître  avec  fruit 
La  empathie  au  bout  du  monde. 

Témoin  ce- Cardinal,  jufïe  objet  de  mes  pleurs, 
Ce  cc'lcbre  Prélat  qui  défendit  l'Eglife, 

L'appui  des  lettres  &  des  mœurs, 
QUERINI,  qui,  non  loin  de  la  côte  oîi  Venife 
Aux  regards  étonnés  femble  flotter  fur  l'eau , 
Ennemi  des  détours  &  de  la  fourbe  oblique, 
Chercha  «ion  cœur  faiy  fard  an  fond  de  l'Armo-" 

rique. 
Et  qui,  fans  m'avoir  vu,   m'aima  jufqu'au  tom- 
beau. 

Que  votre  fort  eft  doux,  &  qu'il  me  fait  envie  1 
Libre  des  embarras,  dont  ma  trame  eft  fuivie. 
Content  tous  vivez  à  la  Cour 
D'un  Roi  qui  fçait  rendre  juftice 
A  votre  mérite,  à  l'amour 
^      Que  vous  avez  pour  fon  fervice  ; 
Auflî  bon  qu'autrefois  le  plus  grand  des  Henris, 
Ou  que  l'eu  notre  Roi  fon  Gendre, 
Pour  qui  fon  cœur  eft  auflî  tendre 
Que  ii  c'e'toit  fon  propre  fils. 

K  <  C'ea 


228         E  P  I  T  R  E  S. 

C'eft   lui  .qui   nous  donna  cette   £fther^  dont  le» 

chaim«s  > 
l'ardente  pieté,  fon  amour  pour  fbn  Dieu, 
Intéreflent  le  Ciel,  font  autant  pour  nos  arme» 

Que  la  valeur  de  Richelieu. 

Fille  d'un  fi.  vertueux  père, 
ïeut-elle  avoir  le  cœur  forme  différemment? 
^TANi$LA.S  fait  au  Isin  chérir  fon  caraâère, 
Qiie  vous  adorez,  vous  qui  pouvez  aifémcnt 

Le  voir,  l'entendie  à  tout  moment. 

De  fon  peuple,  Se  des  atts>.  qu'il  cultive.  Se  qu'il 

aime, 
11  eft  l'honneur,  le  peie  &  le  ferme  foutien;. 
Le  Ciel  ne  l'cût-il  fait  que  fimple  citoyen, 
ïlcùi  d'une  intelligence  &  d'un  f^avoir  fuprcme,. 

En  tout  état,  en  tout  emploi 

Il  eût  été  fans  Diadème 

Grand  homme  comme  il  eft  giand  Roi. 

Exilé  de  l'Olympe  Apollon  chez  Admete, 
Fut  réduit  au  vil  foin  de  garder  les  troupeaux; 
Stanislas,  s'il  prenoit  fon  palais  pour  retraite^ 
Le  coanoîtroit  bientôt  au  fon  de  fa  mufette. 
Et  lui  feioit  des  jours  plu<  beaux. 

Là  goûtant  à  longs  trairs  les  douceurs  diî  la  vi»^ 
Dan»  cette  Cour  charmante  Apollon  glorieux 
ehoifitoit,  ôc  fon  choix  feroit  judicieux, 
Stanislas  pour  fon  Roi,  Nancy  pour  fa  Patrie». 
£t  se  peafeioir  plus,  à  ietourn,ex  aux  Cieux* 


E  P  I  T  R  E  3.        229^ 

O  vous!  qui  connoiflêz  les  momenjs  farorables,, 
SOLiGNAC,  fur  ces  Vers,  nés  fans  gène  Si  fans  art» 
De  ce  Prince  indulgent  attirez  un  regard; 

De  mes  fentiraens  véritables 
Dites-lui  qu'ils  ne  font  t]ue  la  plus  foible  part. 

Vous  lui  direz  enfin,  fi  votre  amitié  l'ôfe, 

Qiie  quand  j'ctois  Malera'n y  fi  ma  métamorphofc 

Avoitct^ réelle,  &  qu'un  heureux  hazatd 

M'eût  chez  les  Sabcens  promue  au  fort  de  Reine,. 

J'en  ïurois  imité  i'illuftre  Souveraine 

Qu'à  Solyme  avec  pompe  attira  le  gtand  nom 

D'un  Roi  fage,  équitable,  à  qui  le  Ciel  fit  doa. 

De  la  fcience  plus  qu'humaine 
Des  êtres  difFérens,  de  leurs  propriétés. 
Leurs  rapports  inégaux,  leurs  contrariétés. 
Du  cèdre  du  Liban  jufqu'à  la  marjolaine. 

De  l'éléphant  jufqu'au  ciron: 

Qa'aiiifi  de  mon  Royaume  en  prenant  le  timoa,. 
3'aurois  exprès  d'abord  fait  voyage  en  Lonaine 
Jour  voir,  pour  admirer  un  autre  Salomon, 
je  l'aToûrai  teçamxa ,  moins  puifiant  en  licheifi^: 
Que  ne  fut  le  premier  qui  raflembla  tant  d'or. 

Mais  ce  qui  vaut  bien  mieux  encor», 

£lus  afluié  dans  fa  fa^elTe. 


«f% 


K7  iJH* 


srso         E  P  I  T  R  E  S. 

EPITRE     XXI. 

^     ■  M.        G      A     N     E      J      U, 

Libraire  de  Paris, 

Sur  ce  qu'il  a  imprimé  dans  l'Epître  de  l'Au- 
feur  à  Mr.  le  Duc  n'A  i  g  u  i  l  l  o  n  fur  Ton 

Cordon  bleU ,  Combien  dans  tmd  mon  corps, 
au-lieu  de,  Combien  dans  tout  mon  cœur. 

AL'-LiEU  de  tout  mon  ccriir,  qui  dit  toute  mon 
a  me. 
Vous  pbcez  tout  mon  corps ,  Moiifieur  notre   Im- 
primeur, ^ 
Ma  foi ,  vous  m'avez  mis  en  gaijie  , 
Ce  qui  veut  dire  auflî  de  très  mauvaise  humeur. 
^■:      Voulez-vous  me  taxer  de  matérialifme. 
De  Hobbifme,  de  Spinofifme? 
Vous  vous  trompez  bien  fort  dans  votre  opinion. 

Gomme  une  oiiailk  fimple  &  bonne  , 
Je  me  (atrge  au  bercail  avec  foitmilllon , 
Et  j'écoute  avec  fruit  la  prédication 
De  notre  bon  Tafteur,  dont  la  voix  monotone 
N'empêche  pas  Ton  onftion. 
Ainfi  que  mon  Dieu  me  le  donne, 
Je  joiiis  de  mon  être  ,  8c  tâche  de  mon  mieux 

D'exécuter  ce  qu'il  ordonne, 
Sins  vouloix  m'ciigei,  Lucrèce  audacicuz, 

\  ,  En 


E  P  I  T  R  E  s.         231 

En  arbitre  du  fort  de  là  terre  &  des  cieux. 
Comme  tant  de  Dodeurs,  dont  la  France  foifonne, 
PerToquets  de  Satan,  quoiqu'ils  n'y  croient  pas, 
Qoi  ne  connoiflènt  rien  au-delà  du  trépas, 
t)ont  la  plume  orgueilleuse  infolemmcnt  fermonne 

Que  dans  les  Cieux,  comme  ici  bas, 
C'eft  la  loi  du  hazard  <]ui  gouverne  &  qui  tonne: 
r)e  Perieur  &  du  crime  ,  ô  déplorable  effet  ! 
Quelle  paix  léthargique,  homme  aveugle  t'engage 

D'aimer  mieux  t'avouar  l'ouvrage 
D'un  hazard  infenfé  que  d'un  Etre  parfait! 
Qacl  Dieu  tu  te  choifis  dans  ton  fatal  délire  ! 
Un  douteux  accident  fans  juftes  attributs. 
Et  qui  dans  fon  frivole  8c  ridicule  empire. 
Après  l'événement  perd  fon  titre  &  n'eft  plus. 
Athée,  ouvre  les  yeu3|,  &  confultc  ton  ame; 
Parle  du  fond  du  cœur,  répons  de  bonne  foi; 
N'as-tu  jamais  fenti  combattre  contre  toi 
Son  immortelle  &  vire  flamme  ? 

Wais  revenons  au  point,  dont  m'avoit  écarte 
Mon  tendre  8:  vrai  refpeâ:  pour  la  Divinité, 
Que  le  libertinage  en  ce  fîécle  détrône. 

De  l'incrédulité  qu'il  prône, 
S'applaudiflant  par-tout  avec  fécurité. 

Si  mettant  tout  mon  corps  fous  prefle. 
Très  fubtil  Imprimeur,  vous  avez  entendu 
Exprimer  clairement,  par  cette  do^e  adteflè. 
Que,  de  tout  le  pouvoir  de  mon  individu, 
je  veux  fervii  mon  Duc,  qui  fcit  û  bien  fon  Prince, 

Et 


:23» 


E  P  I  T  R  E  S. 


Et  qui  fait  Ton  plus  cher  emploi 
^  Du  bonheur  de  notre  Province  ; 

5u^  non  zèle  pour  lui  vous  penfez  comme  moi* 

Monfieur  Ganeau,  que  Dieu  conferve,- 
J^aignes  donc   faire  grâce   aax    tranfports   de  QM 
verve  ; 

Je  rends  juAice  à  vos  talens, 
A  ceux  de  votre  Pxote,  &  de  tous  les  Galan»,- 
Qui  pouffent  de  concert  nos  œuvres  en  luiriiéte. 
Miis  fouvenez-vous  bien  qu'il  faut,  quand  on  cait- 
Au  brave  d'Aiguillon,  tout  cœur  &  toutefpiit»^ 

Etre  autre  chofe  que  matière. 


MONUMENT 

(, 

D'ïftime  5t  de  Vene'ration  à  la  Méaioire  ia. 
célèbre  fréfidcnt 

DE      M  O  N  T  E   S  Q^  U  I  E  U,. 

De  r  académie  Françoife  ^  de  celle,  de  Berlin,. 

^3  UR  des  ailes  de  feu  Lc'giflàfeut  divin  y 

Ici  dans  les  œuvres  fublimes, 
Dont  l'Univers  refpeâe  8t  vante  les  maiimer, 
L'illuftxe   MONTEsquiEU,  que  mon   œil  Ibitca. 

vain, 
S'e'leve  Aigle  rapide  &  franchit  les  limites, 
Qu'à  l'ejOToi  des  moicels  pu  uo  lempait  d'airain 

La 


VERS.  235 

La  loi  du  Gel  jalm»  femblolt  avoir  prcfciitcs. 
Là  naïf,  délicat,  léger,  tendre,  badin, 
J.l2is  toujours  avec  choix,  fentiment , élégance , 
Les  grâces  5c  les  jeux,  pour  peindre  ce  qa'il  peiile^ 
A;>prêtent  fes  couleurs  &  conduifent  fa  main. 
Montesquieu,  que   la   fiance  admire,  aime  flc 
regrette  , 

Chacun,  en  foupirant,  répète 
£n  tous  lieux,  à  l'envi,  ton  éloge  &  ton  nom, 
£t  ne  fçnit ,  étonné  d'un  fi  rare  afTemblage  , 
A-  tes  vafies  talens  lequel  doit  davantage. 

De  l'efprit  ou  de  la  raifon, 

V   ri  R   s 

Sur  la  mort  de 

M.    D  E    FONTENELLE, 

De  V Académie  Françoîfe  ^  de  celles  des  Sciences , 
des  Jnfcriptions  ^  Belks-Leures  ^c. 

J\_  MouRs,  Beaux  Arts,  fondez  €0  plcuis» 
Gemiflez  vallons  folitaiies. 
Lits  de  gazon,  vertes  fougères. 
Où  le  fiont  couronné  de  fleurs. 
Conduit  par  les  grâces  légères, 
ÏONTENELLE,  loin  dcs  fadeurs, 
lorma  fes  biillantes  Bergères. 


234-  VER    S. 

Polymnie,  Emerpc,  Apollon, 


ill 


In.fpiroicnt  fur  différent  ton. 

Tantôt  d'aimables  bagatelles 

A  fon  coeur  ne  tccdie  &  fripon. 

Tantôt  au  fommet  d'Hélicon 

Uranie,  étendant  fes  aiies, 

L'enlcvoit  rival  de  Newtont  Jl 

Gai,  galant  comme  Anacréon,  "j 

]]  conferva  des  étincei.es 

De  fa  jeune  &  verte  failbn  , 

Quand  des  amours  les  plus  fidelles 

Tout  le  feu  fe  change  en  glaçon. 

Hélas!  à  tout  âge  cruelles, 

Les  Parques  ont  borne  le  cours 

De  fes  ans  nombrf  ax ,  mais  trop  courti 

Pour  les  Beaux  Arts,  &  pout  les  Belles, 

Qui  retrouvoient  dans  fes  difcours 

les  autres  dons  perdus  pour  elles. 

CouTrez-vous  d'ambres  ctcinclies, 

Jlcuxez,  Beaux  Arts;  pleurez,  Amours. 


wirn: 


m 


VERS 


VERS,  i^f 

VERS 

Sur  la  nobleffe  dont  le  Roi  a  honoré  les 
fervices  de  l'illullre 

M       MORAND, 

Premier  Chirurgien  de  la  Reine,  de  r académie' 
Royale  des  Sciences,  ^  de  la  Société  iîoya- 
ie  de  Londres. 


N 


Ous  voyons  de  guemcrs  la  nalfTance  annoblie' 
Pour  avoii  immolé,  rou|  leurs  fanglantcs  niains,     . 

Les  jours  de  ilille  &  mille  humains; 
Par  un  trait  immortel  de  fagcflc  infinie. 
Un  Roi  cher  à  la  France ,  &  né  pour  fon  bonheur,, 
Louis  recompenfa  Morand  du  même  honneac 
Pour  avoir  dans  fon  art,  utile  à  fa  patrie. 
De  plus  d'humains  encoi  fjû  confeivei  la  vie» 


^^ 


,  ^f^ 


VERS 


23<5  VER    S. 

VERS 

Sur    ce    que 

M.     DE     SECHELLES 

j$r  remplacé  dans  la  Charge  de  Contrôleur  général 
des  Finances  M.  ne  Machault,  Garde  des 
Sceaux,  Mmijlre  général  de  la  Marine. 

QUEL  Aôre  bienfaifant  TcUIe  au  fort  de  la  Fran* 
ce? 
Ai-je  dit  plein  d'efpoir,  aurîtôt  que  j'ai  fçû 
Ce  choix  d'un  Prince  aimé,  dont  la  haute  prudence 
Fait  qu'en  changeant  de  mains,  la  royale  finance, 
Séckelles,  ne  forrpas  des  mains  de  la  vcrfU.     „ 

VERS 

Sur  ce  que  le  Roî  envoya  le  Bâton  de  Maréchal  de 
France  à  M.  le  Comte  de  Coetlogox,  âgé 
de  plus  de  quatre -vingt  ans,  quelques  jours  a- 
vant  fa  nott. 

V^'ANO  COFTLOGON,  pout  Ics  Champs  Elifec*,. 
Vieux  Promenoiiï  des  Hcftors,  des  Thèfces, 
Xà  fembla  prêt  à  ttoul&t  foa-baldt;. 

Par 


VERS.  2^"^ 

Par  Ville  5c  Bourg  la  nouvelle  au  grand  trot 
Çà,  là  courut,  dont  la  France  en  allarmes 
Grand  deuil  mena,  fit  couler  force  lannes.  ' 

Notre  Monarqt3C  en  eut  même  le  cœur 
Ouircpercé  d'une  vive  douleur. 
Bien  eft  il  vrai ,  qu'à  fa  belle  Couronné, 
Cettui  mcfhef  nuifoit  plus  qu'à  perfonne, 
Pors  aux  prêtons  grevés  de  déconfort. 
De  voir  crouler  leur  appui  ie  plus  fort. 
l'Ouïs  pour  lors  fe  oiit  en  la  mémoire, 
-De  fou  Aycul  la  tiiervcilleufe  hiftoixe.  -, 

Là  COETLOGON,  par  mille  aftes  guerriers. 
S'offre,  à  plein  poing  moiflbnnani  des  lauriers. 
Quand  triomphant  fur  les  ondes  ameres, 
La  foudre  en  main,  il  guidoit  nos  Galères. 
Quoi!  dit  LOUIS,  de  /Js  exploits  t«uchc  ^ 
Cetrui  n'eft  point  un  Héros  ébauché  ; 
Et  fa  valeur  tant  de  fois  effayée, 
One  ne  fe  vit  à  beaucoup  près  payée. 
Ah!  Qiie  ne  puis-je,  en  rognant  de  fcs  ans. 
Le  faire  au  moins  polTeflèur  plus  long-tcms 
-  Du  prix  loyal  que  ma  main  lui  dcftine! 
Ce  nonobftant,  fi  Mort  qui  mord  &  mine, 
Au  ciciw  tombeau  fait  dévaler  fon  corps 
(Quant  à  fon  loz  il  brave  fcs  efforts  ); 
S'il  faut  qu'enfin,  dans  les  fombres  Royaume», 
Il  s'aille  joind.e  à  tant  d'autres  grands  Hommes; 
Qii' auparavant  a  Kâton  précieux 
De  fa  vertu  foit  le  fruit  glorieux; 
Sâton  R.oyal ,  dont  l'afpeâ  fcui  fait  taire 

--    -  ^  les 


•2.q8 


VERS. 


Les  trois  gôfiers  du  terrible  Cerbère; 
Jufqu'ea  fon  antre ,  épouvante  Aledon; 
Que  Minos  craint,  que  rerpefte  Pluton. 
Au  demeurant,  ce  Bâton,  à  fon  âge. 
Pourra  1  aider  à  faire  le  voyage: 
Car  ,e  brgit  court,  que  des  lieux  Terriens, 
Longue^eft  la  traite,  aux  Champs  Elifiens, 
Là  fa  grande.  Ombre,  en  triomphe  lejûe. 
Sujet  n'aura  de  fe  dire  déçiie; 
Ni  d'objcfter  le  mérite  oublié, 
A  mon  Aye«l,  pai  moi  juftifîé. 


C  0  N- 


no 
CONTE    S. 

CONTE    1. 

LE    MENTEUR 

ET    SON    VALET. 

LJ  N  Habitant  des  bords  dc-Ia  Garonne, 
A  tout  propos  effrontément  vantoit 
,Ses  biens  en  l'air,  c'étoit  toujours  fon  prône  j 
Mais  fon  valet,  fimple  &  ruftre  perfonne. 
Qu'à  chaque. infiant  le  cjiqueur  atteftoit. 
Sans  y  penfer  toujours  le  démentoit  ; 
Tant  qu'il  lui  dit  ;  Si  fur  ce  que  j'avance 
Tu  n'cnche'ris  toi-même  de  moitié, 
Prens  pour  certain  que  fur  ta  corporance 
Coups  de  bâtons  vont  pleuvoir  faus  pitié. 
le  drôle  eut  peur,  &  jura  fur  fa  vie 
De  n'y  manquer.    Le  Maître  en  compagnie 
Dit  que  la  foudre  a  brûlé  fon  Château, 
Vous  en  avej  par  bonheur  un  plus  beau. 
Dit  le  Valet,  fécondant  fa  manie. 
1,'inftant  d'après  on  parla  de  bateau  ; 
Trifte  voiture,  où  l'on  trouve  un  tombeau. 
Quand,  fur  les  flots  ,  les  vents  fe  font  la  guerre. 
Le  Maître  dit:  Je  fuis  poltron  fur  l'eau. 
Oui,  repond  l'autre  :  &  même  fur  la  terre. 

Tum.  I.  CON- 


240 


CONTES. 


^^^^'^^^^^^^^^^c^i^^r^^^^^^ 


CONTE      II. 


LE  FEINT  ORGANISTE. 


\   vis  coqs  d'un  bourg  voifin  de  l'Armorique 
rirent  achapt,  non  pas  d'un  Tympanon , 
Mais  bien  d'un  orgue  :  &  dans  leur  Bafilique 
Difpofé  fut  vis-à-vis  du  Patron, 
Pour  éjouïr,  rinftrumentCiarmonique, 
Un  e'grillard  de  métier  cartouchique 
Leur  vint  offrir  fon  prétendu  talent. 
Moult  dégoifa,  moult  piêcha  le  galant. 
Moult  par  le  nez  de  fleurs  de  Rhétorique 
leur  envoya  ,  tant  qu'à  la  voix  publique 
Il  fut  d'abord  jugé  maître  excellent, 
Dont  la  trouvaille  étoit  de  conféquence: 
Bien  plus  fut-il,  fans  autre  ajournement. 
Sans  examen,  gtace  à  fon  impudence. 
Reçu  par  eux  ce  dofteur  foi-difant; 
Et  l'on  conclut  que  dès  l'rnftant  prcfent, 
Seroient  audit  payés  fix  mois  d'avance; 
D'autant  qu'il  fçut  faire  entendre  fous  main» 
Que  tout  exprès  d'un  des  bouts  de  la  France  > 


tPodtl'C 


CONTES.      241 

Pour  les  feivit  s'ctant  mis  en  chemin,  < 

La  route  avoir  dcvorë  fa  finance. 

A  pas  comptes  le  Dimanche  su  matin , 

A  la  Grand'-Meflc  arrivent  par  centaine 

Les  curieux,  dont  l'Eglife  fut  pleine. 

Voulant  joiiir  du  fpeftade  nouveau, 

Ces  gens  s'étoient  fouré  dans  le  cerveau 

Qu'ils  s'en  alloient  au  Ciel  par  les  oreilles 

Portes  tous  droits.  C'ctoient  les  fept  meiveillej 

Tout  à  la  fois,  que  de  voir  ameutés. 

Ces  gros  patauts,  comme  cierge  plantc's, 

Leurs  grands  chapeaux  (  car  telle  eft  la  coutume) 

Sur  leurs  deux  mains  pendus  dévotement, 

La  gueule  ouverte  à  pafler  une  enclume; 

D'autre  côte'  Magiflrat?jgiavement, 

La  barbe  çn  pointe,  aulli  fiers  que  Bartole, 

GrefiBers,  Sergents,  Gibiers  de  protocole. 

Et  Marguilliers  fe  montroient  fur  leurs  bancs. 

Et  pour  beaucoup  n'auroient  perdu  leurs  rangs. 

A  donc  voici  que  notre  hardi  drôle  , 

Qui   d'oipanum  n'avoit  hanté  l'école, 

pair,  préludant,  rouler  fur  les  claviers, 

Sans  choix,  fans  bnt,  fes  doigts  lourds  &groflîers' 

Puis  tout-à-coup  le  Bourdon,  la  Cimbale, 

Le  Larigot,  le  Cornet,  le  Nalnrd, 

Clairon,  Régale,  &  Cromorne  &  Pédale, 

Se  décochant  à  la  fois,  au  hafard , 

Tèt  il  s'élève  une  telle  tourmente. 

Qu'à  ce  fracas  le  peuple  en  épouvante. 

Croit  fui  fon  dos  voûte  &  murs  ectoulcs. 

Î'^K».  /.  L  Chats, 


«42         CONTE    S. 

Chats ,  Chiens ,  Corbeaux ,  Haudets,  Loups  alTemblc» 

Au  fond  d'un  bois,  pour  huiler  avec  rage, 

Sur  d'affreux  tons  de  concerts  endiablés , 

One  ne  fçiuroient  imiter  le  tapage 

De  l'Organifte  ainfi  carillonnant, 

Sans  aux  tuyaux  donner  la  moindre  trêve; 

Avec  tumulte  à  la  parfin  s'achève, 

Huilu,  berlu,  cet  office  étonnant. 

Départ  Ce  d'autre  en  foule  incontinent 

Des  plus  hupés  la  cohorte  s'approche, 

Daragouinans  autour  du  compagnon , 

Q_i'i!s  tutovoient,  maint  &  maint  gros  reproche. 

Moitié  François  &  moitié  bas  Breton. 

Mais  celui-ci ,  qui  craignoit  le  bâton  ,' 

Sans  perdre  terre  en  forw  ^>ne  rufée , 

Bien  démêla  le  fil  de  la  fufée  : 

Mcflieurs,  dit-il,  je  vous  prie,    oyee-moi, 

Déjàf  m'avez  condamné  fans  m'entendre; 

Et  m'appellant  vaurien,  homme  fans  foi. 

Vous  opiniez  prefque  à  me  faire  pendre. 

Partant  eft-il  très-vrai  qu'en  ccttui  cas 

Point  n'ai  failli;  car  dites-moi  de  grâce, 

■Que  voulez-vous  qu'un  Organifte  faffe  ? 

Votre  Souficur,  que  Lucifer  là-bas 

Puifle  emporter,  ci  vilain  ,  ce  ftupide, 

Qui  me  regarde  5c  ne  répond  motus. 

Ce  biêche-dentj  quand  je  joiie  un  SaK&us, 

Prefto,  prefto  ,  me  foufle  à  toute  bride 

Un  Glofiii'ÎK  excflfis  k  coup. 

Pax  ces  pfopos  nos  Seigneurs  s'appaiferent, 


C    0    N    T  ^E    S.      '243 

Xeur  front  ri.de  s.'appl,an.it ,  Çç  beaucoup, 

Et  de  cœur  franc  envers  lui  s'excufetenc 

De  leur  courroux  trop  inconfideic. 

Quand  au  foufleur,  Véne'rable  Meflîre 

Dom  Guinolay,  Prêtre  &.de  pJus  Curé, 

Dit  qu'il  falloit  le  prier  qu'à  fon  gre'. 

Lui-même  il  prît  la  peine  de  l'élire 

Bon  8c  loyal,  &  qu'il  daignât  l'inftruire: 

Oui,  dit-il,  toppe.  A  tout  il  confentit 

Bien  volontiers;  mais  auifi-tôt  fans  bruit,  ,, 

Le  jour  v«nu,  l'argent  dans  l'efcarcelle. 

Son  havrefac  troufle  fous  fon  ailTçlle, 

II  délogea  comme  fit  le  valet 

Qne  feu  Marot  nomma  Nif>il  valet; 

Mais  du  logis  ne  voujjt  par  fctupule 

Voler  la  clé,  qu'il  cacha  fous  l'ufcet  * 

Bien  poliment;  &  depuis  même  on  fjajt 

Qu'il  dit  n'avoir  donné  cette  pilule 

Aux  villageois,  que  pour  les  mettre  au  fait. 

Qu'un  carabin  de  Wufique  ou  de  danfe, 

Par  ville  5c  bourg  voltigeant  fans  brevet. 

Ne  doit  jamais  être  payé  d'avance; 

Autrement  garre,  on  lifque  le  paquet. 

CON- 

•  Vfcrt  mot  Breton  qui  vient  de  l'Italien  u/ch,  tniïée,  Gst» 
Ue,  porte. 


L  1 


244-        CONTES. 

CONTE       III. 

LE   PEINTRE    ESCLAVE. 

yj  N  Peintre  voyageur  fut  pris  par  un  Corfaire , 

Et  conduit  aii  R(.i  de   S^lié. 
Cî ,  dit  le  fier  Tyran  au  Captif  défolé, 
iâtard  du  Titien,  voyons  ce  que  fçait  faire 

Le  pinceau  dont  tu  t'es  vante; 

Si  tu  rcuflis  à  me  plaire 

Je  te  promets  ta  liberté: 

Peins,  pour  orner  ma  galerie, 
Toutes  les  Nations,  &  quE^ton  iiiduûrie 
FalTe  en  forte  que  l'œil,  dés  le  premier  moraifnt,  ' 
En  d:ftingtie  chacune  à  l'air,  au  vêtement. 
Le  Peintre,  qiie  d'Jjà  fatiguoit  l'efclavage,  ' 

Dreffe-fon  chevalet;  &  pinceau  d  imiter 

Si  bien,  qu'à  n'en  pouvoir  douter 
On  les  reco-nnoiflbit  à  l'habit,  au  vifage. 

Mais  chaque  Peuple  c'tant  vêtu 

Suivant  fa  diverfc  manière; 

Dans  fa  figure  ilnguliere 

Le  feul  François  étoit  tout  nû , 
Ponant  uniquement  fur  fon  bras,  qu'il  replie, 
L'rc  pièce  d'étoffe-  Ou  font  donc  tes  cfprits , 
Dit  le  M  onarque  au  Peintre  ?  &  par  quelle  folie 

Feins-tu  le  Frinçois  fans  habits  ? 
Seigneur,  lui  répond-t'il,  n'en  foyez  point  furpris : 

11 


CONTES,      245 

Il  change  fi  fouvent  de  mode, 
Q_i(t  mon  Art,  ne  fçachant  ou  fe  déterminer, 
Lui  donne  de  l'éttfFe,  afin  qu'il  s'accommode 

Comme  il  voudrî  l'imaginer. 

CONTE       IV. 

LES  FRANCHES    REPUES. 

KJ  N  Marié,  devant  fon  Epoufée, 
Put  vifité  de  maint  8c  maint  tendron  ; 
Et  le  baifant  chacun  lui  faifoit  don 
D'une  fouace  *.  Eh  quoi  !  dit  la  tufe'c  , 
Sur  mon  paillieJf  Ce  font  tendre  rofée, 
Képond  l'Epoux,  des  adieux  fans  façon. 
La  Femme  dit:  B'cn  étoit  de  raifon 
Que  je  le  fçuflb,  &  j'aurois  tout  de  fuite 
De  leur  devoir  mes  amans  avertis, 
Qui  tous  m'auroient,  en  me  faifant  vifite. 
Porté  du  vin  ;  fi  que  bien  aflortis , 
Aurions  de  quoi  boiie  &  manger  gratis. 

CON. 

•  Efpece  de  Gâteau, 


L  9 


246       CONTES. 


CONTE      V. 

CONSULTATION'     POUR     LA 
M  IG  R  AINE. 


U 


N  gros  Prieur  à  face  fcraphique. 
Depuis  trente  ans  de  migraine  attaqua, 
ïit  aflcrtibler  la  Gcnt  Hippocratique. 
Enfuite  il  dit  au  Sénat  convoqué; 
Vous  dont  l'efprit  s'eft  aux  Arts  applique, 
tourriez-vous  faireà  mon  mal  quelque  chofe? 
Mais  je  ne  veux  faignée,  eflence,  onguent, 
Boiflbn,  remède  aucir' ,  petit,  ni  grand. 
Tous  fur  ce  point  demeurant  bouche  clofe. 
Le  vieux  Doyen  dit  :  A  donc  je  ne  fçai 
Ce  que  voulez  qu'à  votre  mal  on  fafle. 
Ce  que  je  veux?  Faites  par  votre  grâce. 
Qu'il  dure  autant  qu'il  y  a  que  je  Vtu 

CONTE      VI. 

CLAUDINE      malade: 

JVL  AlADE  au  lit,  Claudme  oyoit  un  Prêtte, 
Qui  lui  difoit  :  Vous  mourrez  pour  renaître 
Avec  les  Saints.  Attendez,  s'il  vous  plaît, 

Re. 


CONTES,      247 

Repart  la  fille;  il  n'eft  rien  tel  que  d'être. 
.  Avec  le  monde  qu'on  connoit. 

CONTE      VU. 

LES     CROCHETS. 


U 


N  Avocat,  changeant  de  domicile, 
Accumuloit  livres,  timbres,  procès-, 
F.n  un  fagot,  fur  l'ëchine  docile 
I>'un  Crochetcur  tiébachant  fous  Je  faix. 
Ouais,  dit  Cujas,  vous  pliez  les  jarrets? 
J'en  porte  moi  bien  d'autres  dans  la  tête. 
Le  gars  répond;  J|b  fçai  comme  elle  eft  faite. 
Mais  fi  faut-il  qu'elle  ait  de  beaux  crochets. 

CONTE      VIII. 

LE     SERMENT. 

X.  OuR  acheter  trois  boifleaux  de  froment, 
Mace'  prêtâ.doaze  écus  à  Gsjégorre. 
Cettui  prié  de  rendre  ce  comptant, 
•  Nia  le  fait,  non  qu'il  n'en  eût  mémoire. 
Pat  quoi  cité  fut-il  à  l'Auditoire 
Tour  afiitmer  fon  dire  par  ferment, 
L^  le  fciupule  aâàillit  le  galant, 

L+  Il 


hs     contes. 

Il  balançoit.  Mais  toute  endemenée 
Derrière  étoit  fon  époufe  au  loûrien 
Qui  'e  poufîbit,  en  lui  difant,  Payen, 
Jure  donc,  jure;  eh,  cent  fois  la  journe'e 
Jurc-tu  pas,  fans  y  profiter  rien  ? 

CONTE       IX. 

LE    CIERGE    B  E   JSI  I. 


D- 


'ans  les  douleurs,  dont  l'imprudente  femme 
Subit  l'effort  pour  avoir  écouté 
Le  vieux  Serpent,  une  galante  Dame 
riaignoit  d'hymen  le  plaifir  acheté 
Trop  chèrement  ;  tandis  qu'"*  fon  côte 
Très-bien  flamboit  de  Sainte  Marguerite 
Cierge  béni.  Mais  dès  qu'elle  fut  quitte , 
Elle  appella  fa  fervante  Catin  : 
pille,  dit-elle,  éteins  &  ferre  vite 
Ce  luminaire;  il  eft  d'un  grand  mérite. 
Et  peut  fervir  encor  pour  l'an  prochain. 

CONTE      X, 
LA     BANNIERE. 

\^V  EB.TAIN  Tailleur, qui  d'antique  habitude 
Voloit  de, drap  toujours  quelque  lopin. 

Tons- 


CONTES.      249 

Tomba  malade,  &  d'un  accès  trop  rude 
L'effort  fembloit  l'emporter  vers  fa  fin. 
Comnie  il  avoit  fon  efprit  en  écharpe. 
Dans  fes  écarts  notie  joiieur  de  harpe 
Crut  voir  un  Ange,  une  Bannière  en  main. 
Que  coinpofoientjdrefTés  en  Jvlofaïqiie, 
Mille  morceaux  de  drap,  bleu,  gris  de  lin, 
Blanc ,  pourpre,  noir,  verd,  jaune,  incarnardin  , 
Et  ceterétf  me'lange  fymbolique. 

L'Ange  lui  dit:  Vois  dans  ce  pavillon, 
Homme  fans  foi,  vaurien,  pendarr, brouillon. 
Des  tours  nombreux  de  ta  rapinerie 
Les  vrais  témoins  en  maint  écbantillotr. 


Ce  nonobftant  lP|Cicl  veut  à  la  vie 
Te  renvoyer  ;  raaii'à  condition 
(  Et  dans  ton  cœur  fais-m'en  jufte  cédule) 
De  ne  cc'der  à  la  tentation , 
Qui  jufqu'ici  gagna  ton  cœur  crédule. 
11  le  promet,  &  reprend  fa  famé. 

Or  redoutant  l'amorce  coutumiere, 
MelTcr  Tailleur  avec  Cncérité , 
A  tel  garçon ,  que  fa  capacité 
Faifoit  traiter  de  façon  familière, 
Dit  en  fccret:  O!  de  mon  ame  entière 
Cher  confident,  quand  par  fatal  oubli 
Tu  me  verias  fourrer  fous  l'c'tabli. 
Ou  par  hafard  mettre  en  ma  gibecière 
Coupon  d'étoffe;  auffi-tôt,  à  propos. 


250      CONTES. 

Avei'ti-moi  feulement  pat  cç»  mots: 
Maître,  alte-làf  ptnfez  à  lA  Bannière» 

Ce  qui  fut  dit,  fut  de  même  maniejc 
Exécuté:  fi  bien  que  le  garçon, 
Soit  que  le  jour  parût  fur  l'horifon. 
Soit  que  la  nuit  commençât  fa  carrière, 
N'avoit  jamais,  au  bout  de  fa  chanfon  , 
Que  ce  refrain,  gent  &  gaillard  fredon. 
Maître^  alte-là,  penfez  à  la  Bannière^' 
Dont  celui-ci  goboit  feul  la  leçon. 

Advint  pourtant,  qu'ayant,  pour  mariage. 
D'un  Fiancé  de  fuperbe  patage 
Levé  Thabit,  du  drap  d'or  le  plus  beau 
Habit  complet,  à  cet  aanât  nouveau 
Le  Magifter  oublia  fa  pfemefle; 
Et  promenant  fon  agile  cifeaa. 
Conformément  à  fa  première  adreffe. 
Met  à  profit  en   féqueftre  un  chanteau. 
Le  Garçon  crie,  Alte-là,  Maître.  Qu'eft-ce? 
Oh!  qu'eft-ce  donc?  ne  vous  fouvient-il  pas 
De  l'Etendard?  Cettui  n'eft  dans  le  cas. 
Dit  le  matois;  8c  j'ai  bonne  mémoire. 
Que  dans  l'Enfeigne,  où,  du  drap  défendu 
L'Ange  aflembla  l'efFiayant  répertoire, 
N'étoit  morceau  pareil  à  ce  tiflu. 


C  O  N. 


CONTES.       25Î 

^^^-^^^^^^^^^^^^^^■^^^^^^^^ 

CONTE      XI. 

LE      TESTAMENT    DU     CURE'. 

JL  Re's  du  trépas,  le  vieux  Pafteur  Macé, 
Qiii  fît  tant  bien  valoir  le  Presbytère  , 
Qu'en  bourfe  avoit  maint  ccu  ramafle. 
Son  Teftanient  à  fon  tout  .voulut  fjire. 
Griffait  s'en  vient,  Griffait  hardi  Notaiie, 
A  fon  C9té  fon  ccritoire  ayact. 
Dom  Côme  ctoit  Vicaire;  &  tournoyant 
Autour  du  lit,  penfoit  que,  pour  falaire 
De  Ton  tracas,  peutjcre  du  gâteau 
Bien  lui  pourioit  éciroir  joli  chanteau. 
Notaiie,  écris,  dit  le  trifte  bonhomme: 
A  mon  Vicaire,  écris  que,  pour  fon  foin. 
Devoirs  tendus,  jour  &  nuit  au  befoin, 
]c  donne  en  propre,  &  lui  lègue  la  femme 
De...  de...  là.  L'autre  en  pleurant,  du  en  foi 
joyeufement,  Voici  certes  pour  moi 
De  guérifon  le  plus  gaillard  fyraptônie; 
Pafleur,  courage.  Alors  le  moribond, 
Pâle  &  hâté  d'entrer  au  clair  Royaume, 
Ecris,  dit-il,  écris.  Tabellion, 
je  meurs,  mets  donc,  mets  que  par  moi  la 

Somme. . 
ï>e  Saint  Thomas,  eft  léguc'c  à  Dom  Côme. 

l 6  '      hES 


252       CONTES. 

LES     DINDONS. 

E  P  I  T  R  E     DE'DICJTOIRE 

A  très  refpe^aUe ,  très  vaillant,  très  judicifvx, 
très  hahik  ç^  très  juUïl  Jéiobonm  Malchus, 
Capitaine  des  Gabelles  de  ***  en  P***. 

SAGE   &  galant  Malchus,   dont  le  cœur  fi  fi- 
«   délie , 
Xai  l'appât  du  métal  vainement   combattu. 
N'a  jamais  fraudé  la  Gabelle 
Dins  le  chemin  de  la  Vertu, 


Otoi!  dont  l'effmt  prophétique. 
Elevé  dans  les  bras  de  la  lagacité , 

Sçait  diftinguer  le  (el  Attique 

De  tout  fel  faux  &  mal  noté  ; 
Noble  jéroboam,  fans  chagrin,  fans  envie. 
Ta  coules  dans  le  fcin  de  la  félicité 

Les  jours  d'une  agréable  vie  , 
Et  goûtant  à  longs  traits  la  médiocrité 

Dont  la  douceur  t'cft  aflûrce, 
,  Tu  prouves  qu'avec  équité 

Horace  l'appelle  dorée. 
Car  on  eft  riche  aH'ez,  dès  que  l'avoir  fufît 
A  contenter  gaiment  &  le  corps  &  l'efptit. 
Affable  &  pur  Mortel,  Chevalier  fans  reproche. 

Si  quelqu'un  t'offre  un  petit  bien 
.       -  ,    .  Daju 


CONTES.      253 

Dans  l'efpoir  d'échapper  au  péril  qui  l'acroche , 
Jettant  les  yeux  ailleurs,  loyal  dans  ton  maintien j 
Aimable  Malchus  ,  ta  main  gauche 
S'allonge  &  rcTient  dans  ta  poche. 
Sans  que  la  droite  en  Tache  rien. 
On  croit  même,  ou  l'on  s'imagine, 
Pour  peu  qu'alors  on  examine 
L'honête  indifférence  écrite  en  ton  rcgaid. 
Que  cette  manière  badine 
N'eft  qu'un  afte  de  la  machine, 
A  quoi  la  rolonte'  ne   prend  aucune  part. 
Oui,  fublimc  Officier,  les  fentimens  qu'infpire 
Aux  gens  de  ton  état  l'unique  foif  du  gain, 
N'appartiennent  chez  toi  qu'à  l'amour  duProchaî», 

Qui  te  foumet  à  Ton  empire , 
Et  tu  reçois  d'un  airl|i  fin,  fi  dégagé. 
Que  le  donneur  joyeux  t'eft  encore  oblige; 
Et  plein  de  la  piquante  yvrefle. 
Dont  la  reconnoilTance  enflamme  fes  efprits. 
Il  voudrolt  en  chemin  te  rencontrer  fans  cefTe 
Toux  te  donner  au  même  prix. 

Tour  du  bâton,   graiffèr  la  patte, 
Proverbes  fi  connus  dans  tout  le  Régiment, 

Allez,  termes  de  vieille  date. 
Vous  ne  fûtes  admis  dans  aucun  rudiment. 
Pour  qui  doane  avec  grâce  &  reçoit  noblement. 

Jéroboam  Malchus,  de  qui  l'ame  eft  fi  belle, 
Capitaine  juré,  Commandant  généreux. 
Digne  oinement  de  la  Gabelle, 

L  7  Dii» 


254      CONTES. 

Daigne  lire  ces  Vers  &  répandre  fur  eux 
Q^ielques  grains  du  minot,  que  les  ris  &  les  ;cua 
Comblent  en  ta  faveur  de  leur  main  nature.' le  ; 
.  .Mortel  j  auflî  charmant  qu'heurenx. 
Sais  propice  à  ma  Dédicace: 
Fais,  pour  charmer  l'ennui  de  mes  fombres  loifirs. 
Que  les  Salorges  du  Parnaflè 
.S'ouvrent  au  gré  de  mes  defirs. 

CONTE       XII. 

,L    E    S       DINDONS, 


H 


EuREUX  Mortels,  Magift^  ts  de  Paroiffè, 
Honnêtes  gens,  terrefïres  demi-Dieux, 
Que  votre  état  eft  doux  &  glorieux  ! 
Il  n'eft  iii  monde  emploi  que  je  connoiffe, 
Pfus  agréable  &  plus  pécunieux. 
Rois  d'Yvetot,  fi  fiers  de  leut  Royaume, 
Auprès  de  vous  ne  font  que  Roitelets. 
Votre  renom  va  flairant   comme  baume  , 
On  vous  adore;  oifons,  lièvres,  poulets. 
Dindons  charnus  ,  uourris  dans  l'abondance. 
Sans  debourfer  ,  pendent  à  vos  crochets  ; 
Beurre  à  coup  fur  fait  à  la  Prévalais, 
Avant  Iç  tems  pois,  afperges,  fans  frais. 
Tout  pleut  chez  vous  :  en  outre  révérence , 
Emolument  de»  Seigaems  du  Palais. 


]« 


CONTES,      2S5 

Je  vais  pourtant  déduire  en  ceitui  conte. 
Comme  un  de  vous  fut,  par  fubtil  engin. 
Pris  dans  la  nafîe,  &  trouva  du  mécompte 
A  Ton  calcul  fait  &  refait  envain. 

Chez  maître  Yvon,  ce  moderne  Barthole, 
Cent  fois  Guillot  par  humbles  complimens 
Vint  fupplier  qu'on  le  mit  fur  le  rôle 
A  moindre  fomme,  attendu,  dit  le  drôle. 
Que  Boreas  avec  fîs  ouragans 
Faifoit  toujours  main  balTc  fur  fes  champs. 

Il  y  perdoit  fes  pas  &  fa  pirole. 
Comme  il  alloit  toujours  les  bras  pendans 
Sans  rien  au  bout,  on  répondoit  qu'Eole 
Et  fes  courfiers  étoiént  ^es  infolens; 
Adieu,  bon  foir:  &  foi  Ire,  pauvre  Diable, 
Souffre  ,  Manant,  que  la  mifèie  accable. 

Comme  il  fortoit,  advint  qu'il  vit  un  jout 
Da  coin  de  l'œil ,  en  lorgnant  dans  la  cour. 
Maints  gros  Dindons  à  mouftache  vermeille. 
Se  pavanant:  L'affaire  eA  dans  ton  fac, 
Se  dit  Guillot,  qu'un  prompt  efpoir  réveille; 
Le  fort  te  rit ,  tu  fortiias  du  lac. 

Le  lendemain  le  voilà  fur  la  voye 
Avant  l'aurore.     Il  arrive  au  logis 
De  Maître  Yvon.     Le  Manant  ouvre  l'huis 
Sans  fonner  mot.    Ruminant  fur  fa  proye» 
11  entre j  il  mixe,  il  aaint  d'ccie  aperçu, 

n 


25(5      C    0     ^T    T    E    S, 

11  s'encourage,  il  av.ince,  il  recule; 
Pauvre  Guillbt,  lî  ru  vas  être  vu , 
N  eft  de  méfier  qu'on  te  le  difllmule: 
C'eft  l'ait  de  toi;  la  hart  te  faute  au  cou. 
Et  tu  feras  guindé'  coma.e  un  filou. 

Comme  un  filou?  Soit.  Brufquons  l'avanture; 
U  n'eft  plus  temps  de  faire  le  poltron. 
Aufll-tôt  dit,  il  hape  un  gros  Dindon, 
Et  va  grater  d'une  main  douce  &  fûre 
Au  Cabinet  de  Monfeigneur  Yvon. 
Cettui  voyant  bouffir  ious  Ion  aifl'elle 
Ce  grand  gibier,  ce  guerdon  fucculeiit, 
Guillot,  dit-il,  d'une  voix  naturelle. 
J'ai  cette  nuit  eu  votre  cas  préfent. 
Et  vous  m'avez  peine  terriW'ment  ; 
Je  m'atHigeois,  jufte  étant  vitre  affaire. 
De  vous  avoir  renvoyé  fi  fouvent. 
Vos  Egailleurs  agiflent  par  compèse 
Et  par  commère,  ils  font  fourds  à  l'honneur. 
Et  parpaillots  font  de  leur  miciftcre 
Honteux  trafic.  Allez  6c  portez-leur 
Ce  mien  Mandat,  afin  qu'en  confcience 
A  fon  vtai  taux  votre  impôt  foit  réduit  ; 
Allez  Guillot.     Il  fe  levé  5c  conduit 
Le  fuppliant,  non  par  reconnoiflance, 
Ki  par  égard  pour  ledit  Compagnon; 
ilais  pour  le  voir  décharger  fon  dindon. 


Deux  jours  après,  Yvon  pafle  en  reviie 
Sa.baHe-cour,  fait  le  dcnombiemonc 


Ce 


CONTES.     257 

De  fes  dindons,  croit  aveir  la  berlue. 
Et  n'avoir  fait  fon  compte  exaftement. 
Il  m'en  manque  un:  Dieu  de  l'Aiithme'tique, 
Plutus,  dit- il,  répands  fur  mes  efprits 
Un  jour  plus  clair;  me  fcrois-je  mépris? 
Le  girs  Guillot  entend-t'il  l'Art  magique? 
Eft-il    Sorcier?  &  ce  fubtil  faquin 
M'eût-il  fait  voir  feulement  en  peinture 
Un  faux  dindon?  Je  le  crois,  car  enfin 
Si  j'ai  du  fens,  fi  ma  mémoire  eft  fûre, 
Pour  me  fleurir ,  Robert  m'en  donna  trois  ; 
Mathurin  deux;  Claude  quatre  à  ma  femme, 
(Morte  depuis,  Dieu  veuille  avoir  fon  ame) 
Pour  fon  bouquet  le  jour  de  Saint  François; 
Le  grand  Colas  avec  un  fac  de  noix 
Un  à  mon  fils  le  jour  '%  fa  naiflance; 
Roch  m'en  porta  fix  bons  pour  la  Sentence 
A  fon  profit  rendue  en  tapinois  ; 
Silveftre  fept  pour  le  marché  d'un  bois. 
Fait  &  conclu  par  moi  fur  les  Domaines 
Du  Roi  Louis  :  tout  quoi ,  joint  au  dindon 
Dudit  Guillot,  fait  un  compte  tout  rond. 
Et  patfambleu  juftement  deux  douzaines. 
Quelque  voleur  eft-il  entré  céans  ? 
Non  ,  Eergopzom ,  dogue  alerte  &  fidelle , 
Le  jour  aux  fers,  la  nuit  en  fentinelle. 
Comme  un  Céfar  de'jà  brave  à  deux  ans. 
Garde  ma  cour  comme  fa  propre  écuelle. 
Un  tel  gibier  auroit-il  pris  l'eflbr? 
Suis-je  endormi  ?  cette  lourde  volaille 

Pren. 


258       CONTES. 

Prendre  fon  vol  &  franchir  ma  muraille 
Egale  aux  tours  que  défendit  H^Aor! 
Non,;:'eft  chimère.  Il  recompte,  il  travaille. 
Croit  fe  tromper,  peut-être  compte  encot. 

CONTE       XI  II. 

LES      FORFANTERIES. 


G 


Kand£  tueurs  de  lapin?,  cinq  ou-fix  hobereaux 

S'entretenoicnt  de  leur  nobleflc; 
C'étoit- de  ces  Cadets  qui  font  les  tiranneaux, 
Dont  nature  à  fon  dam  fait  provigner  l'efpèce. 
Grugeant  à  petit-bruit  payfan  malheureux, 
Qui  murmure  derrière  &  trc-nble  devant  eux. 
Ecoutej-les  /afer  dans  leur  bfjllefque  yvreUe , 
leur  cabane  champêtre  eft  toujours  man  châetau  , 
Toujours  une  mazute  eft  mon  hdttl  en  ville; 
Et  tant  du  Btichelet,  que  du  Trévoux  nouveau 
Il  faut  oter  Mai/on  cortime  un  terme  inutile, 
Suranné',  trivial  &  de  mauvais  aloi, 

Ou  pour  la  populace  vile 
X'y  laifTer ,  après  tout, en  marquant  fon  emploi» 
Les  fufdits  Kodomons ,  fe  coupant  la  parole 

Four  s'encenfei  à  tour  de  rôle, 
Se  traitoient  de  Barons,  de  Comtes,  de  Marquis. 
Aujourd'hui  Gentilhomme  eft  un  nom  de  bas  ,'irix 
Bon  pour  ces  champignons,  qu'une  brume  amene'c 
Des  lacs  marécageux,  au  retour  du  Printemps, 

Fioduit  en  une  matinée. 

rcu 


CONTES.      259 

Feu  mon  fextisayeul,  difoit  un  de  ces  gens. 

Fut  Ecuyer  de  Charlemagne; 
Le   Monarque  avec  lui  vivoit  en  compagnon. 
Et  ce  brave  à  trois  poils ,  quand  le  vin  de  Cham» 
pagne 

Avoit  mis  fa  verve  en  campagne, 
r.iifoit  parbleu  la  barbe  aux  quatre  fils  Aimon. 
L'autre,  élevant  la  voix,  difoit,  Lorfque  je  penfc 

A  la  déconfiture  immenfe 
Que  fit  à  Tolbiac,  fous  le  grand  Roi  Clovis, 
Un  des  miens  fi  vanté  dans  nos  chartes  antiques. 
J'en  frémis  étonné.  J'ai  lu  dans  ces  chroniques 
Qu'il  tua  de  fa  main  mille  &  deux  ennemis  ; 
II  en.  eût  ventrebleu  tué  bien  davantage. 
Si  fan  fabre  fumant,  par  le  fang  émouifé. 
De  fortune  pour  eux  ne  fe  fût  fracafle  : 
lUuftre  &t  terrio!e  carnage. 
Rares  prodiges  de  valeur, 
Que  de  ce  Moreri,  qui  fait  tant  le  doâeuj. 
Toutefois  l'ignorance  omet  en  fon.  ouvrage. 
Les  autres  à  l'envi ,  fans  rien  lifquer  du  leur , 

Eattoient,  mâfnicroient ,  faifoient  tage. 
Enfin  tous  nos  Cadets  avec  même  talent. 
Ayant  pris  des  dégrés  de  licence  en  Gafcogne, 
Décochoient  à  l'cquipolent, 
!^iaint  &  maint  conte  à  la  Cigogne. 
Pendant  que  ces  hâbleurs  fe  /îitoient  galamment^ 

Un.  nourgeois  ctoit  là  préfent. 
Qui  riotoit  fous  c»pe  &  levoit  les  épaules 

Au  récit  de  leurs  fariboles. 
Un  d'eux  l'examinoit,  &  die  d'un  ton  plaifant, 

Hc' 


26o       CONTES. 

Hé  quoi  !  vous  feul ,  plus  droit  qu'un  Sénateut  de 

Rome  , 
De  vos  nobles  Ayeux  vous  ne  nous  dites  rien. 
Moi? reprit-il,  mon  pe''e  étoit  un  honnête  homme, 

II  en  dfoit  autant  du  fien. 
Sans  avoir  déconfi  Huguenot,  ni  Chre'tien, 
Bon  ami,  bon  parent,  il  fçut  à  ce  qui  biille 
Préférer  la  raifon,  la  candeur  &  la  foi, 

Et  s'il,  plait  à  Dieu,  ma  famille 
'     En  pourra  dire  autant  de  moi. 

CONTE      XI  Y. 

LE    MUET   JUSTIFIE. 

Ky  N  Bûcheron  s'en  alloirpar  la  ville 
Vendant  du  bois,  dont  les  bouts  s'allongean* 
Hors  des.  crochets  d'un  baudet  ma!-habi!e. 
Qui  çà  qui  là  pouvoient  heurter  les  gens; 
Voilà  pourquoi  le  Ruftre  crioit  gire 
Tant  qu'il  pouvoit.  Un  Poupin,  qui  fe  quatre 
Et  n'eft  qu'un  fot,  ne  d lignant  fe  ranger, 
Dans  Ton  habit  use  bûche  pointue 
vient,  en  pafTant,  fe  prendre  &  le  franger. 
Le  Damoifeau  fur  le  champ  dans  la  rue 
Irend  des  témoins,  &  cite  le  Manant 
Devant  le  Juge,  afin  qu'il  le  condamne, 
Sans  nuls  délais,  à  vendre  fa  pauvre  âne, 
Bâts  &  panneaux,  ôc  tout  l'acoutrement. 
Pour  lui  payer  fon  bel  habillement. 

Le 


CONTES.      261 

Le  Demandeur  ayant  plaidé  fa  caufe , 
N'avez-vous  rien,  dit-il,  à  l'Accufé, 
A  ces  railbns  qui  puifl'e  être  oppofé  ? 
Cettui  toujours  demeurant  bouche  clôfe, 
Quoi  .'dit  le  Juge  au  Galant  étonné, 
M'avez-vous  donc  un  muet  amené? 
Muet?  Monfieur ,  lui  répond  le  Jocrire, 
Si  vous  l'aviez,  tantôt  le  faifant  lice. 
Oui  crier  gare  a  gozier  déployé  .  .-.  . 
Que  dites-vous?  Ceci  change  la  tht^fè 
Repart  le  Juge;  il  vous  a  donc  crié 
Gare  bien  haut?  Allez,  j'en- fuis  fort  aife, 
Allez,  Monfieuï ,  votre  habit  eft  payé. 

C     O     îsJ    T    E       XV. 

LE  TOMBEAU  DE  LA  VIRGINITE', 


I 


-Resse'  de  faire  un  voyage. 
Je  m'étois  rifqué  fur  l'eau; 
Une  Cloris  de  villrge, 
A  qni  je  donnois  paflTage, 
Etoit  au  fond  du  bateau, 
Jeune,  &  de  gentil  corfage, 
Elanche,  &  délicate  peau. 
Et  n'ayant  Brin  l'aie  fauvage. 
Je  crois,  Nymphe  aux  doux  apas, 
Dis-je  en  riant,  qu'à  votre  âge 
lillette  n'en  mouiroit  pas. 
Monfieur,  reprit-elle,  hélasî 


2(52      CONTE    S. 

Cachant  en  foi  fa  malice, 
Quand  d  un  leirtblablc  trépas 
Meurt  chez  nous  fille  novice; 
'Loi,  qu'on  ne  ;eut  lelâchcr. 
Prétend  qu'on  l'enfcveliflb 
Sur  la  pointe  du  clocher. 

CONTE       XVI. 
L  H    A    B     I    T        F    E    R    D. 

JL  Smenk  y  à  qui  l'on  donne  à  bon  titre  le  nom 

De  Reine  ;de  Mauritanie, 
Dans  un  gros  damas  verd  faifoit  la  rencheric; 
Comme  fi  cet  habit  devoi'  avoir  le  don 
De  changer  fa  couleur  &  la- rendre  jolie. 

Un  Plaifant  de  la  compagnie 
Tire  un  autre  Railleur  à  l'écart,  &  lui  dit: 
Que  vous  femble  d'ifmène  &  de  fon  bel  habit? 
Celui-ci  fur  le  champ,  d'un  ton  de  badinage, 

Repart  fans  fe  faire  prier; 
11  me  femble  qu'lfmène  avec  fon  équipage. 

Son  habit  verd  &  fon  vifage, 

£ft  un  merle  dans  un  laurier. 

CONTE       XVII. 

LE    PARADIS     TERRESTRE. 


A 


l'Etat  monaftique  un  Eéat  confacré, 
jEtoit  dans  un  Banquet  aflîs  pat  avanture, 

P.  es 


CONTES,      253 

J*iès  d'ua  objet  charmant,  à  l'œil  vif  &  madré; 
Q^iand  un  Deflert ,  où  l'Art  égaloit  la  Nature, 
Offrit  à  fes  regards  la  riaiite  impofture 
D'un  Parterre  avec  choix  de  cent  fleurs  émaillc. 
A  cet  afpeft,  dit-il,  fe  crois  émerveillé. 
Et  cédant  au  plaifir  d'une  erreur  paflàgcre. 
Qu'au  Paradis  terreftre  un  fort  inattendu 
Avec  la  Compagnie  aujourd'hui  m'a  rendu. 
Quelqu'un  lui  répondit,  N«n  doutez  pas,  mon  Per^ 
liOin  d'être  dans  l'erreur,  vous  avez  fi  bien  cru. 
Que  même  vous  voilà  près  du  fruit  défendu. 

C     O     N     X    E       XVIII. 

LE  COUP   DE  FUSIL   MANQUE\ 


H^ 


Ors  des  prifons,  un  fraudeur  que  la  rufe 
Avoit  tire,  rencontre  trois  Sergens, 
Les  met  en  joue,  6<  de  fon  arquebufe 
Renverfe  deux  de  ces  honnêtes  gens.  ^ 

le  tiers,  tioublé,  fuit  à  pas  diligens. 
Ivlorbleu,  dit- il.  navré  dans  fon  courage, 
IJrilant  fon  arme  Se  s'emporrani  beaucoup  ; 
De  cet  ontil  onc  ne  veux  faire  ufage , 
Puifqu'il  m'a  fait  manquer  un  fi  beau  coup. 


CON- 


2<54       CONTES. 

CONTE      XIX. 

ME'PRIS  DE  L'/}RCHITECTURE 

ANCIENNE. 

LJ  N  amateur  de  la  liqueur  fubtile, 
Q^ie  nous  donna  le  fils  de  SéHiélé, 
Tant  &  fi  bien  en  avoir  avalé , 
Que  pour  monter  un  efcalier  facile 
Le  pauvre  yvrogne  étoit  embarnfle. 
S'étant  en  vain  fort  longtemps  tracaffe. 
Enfin  finale  il  enjambe  une  marche. 
Morbleu,  dit-il,  plus  fier  qu'un  Patriarche, 
On  bâtilToit  bien  mal  au  'Çmps  pafl'é. 

C     O     N     T    E      XX. 

L'ORAISON  POUR  LA  BRULURE. 

_/"V  Ss  I  s  en  un  banquet  un  moderne  Prélat 
Galamment  à  quelqu'un  voulut  fervir  d'un  plat;    , 
Mais  trouvant  le  bord  chaud.  Que  le  Diable  t'eni* 

porte, 
Ch^en  de  plat,  cria-t'il  avec  un  air  fâché. 
Fichu  plat,  ôc  le  mot  tout  outre  fut  lâche. 
Oyant  un  Oremus  t;ringoté  de  la  forte. 
Une  Dame  appella  fon  Laquais,  &  lui  dit, 
ïorte-moi  l'ccritoire  ,  oh  là,  oh,  la  Verdure; 
Monféigneur  voudra  bien  me  donner  par  éait 
Son  oraifon  pour  la  £tuluic. 

CON- 


CONTES.      265 

CONTE       XXI. 

JUGEMENT  DE    PEINTURE, 


U. 


N  Frère  Lay,  quêteur  de  fon  me'tier. 
Bon  nez,  bon  œil,  lur  de  la  randonnée, 
D'Amarillis,  pourfuivant  fa  tournée. 
Vit  ie  portrait   forti  de  l'atelier 
Tout  fraîchement      Le  Peintre  l'avoit  mile 
Sur  un  Sopha ,  jouant  avec  fon  chien. 
Frère  très  cher ,  dit-elle ,  en   qui  je  prife 
L'efprit,  le  goût  5c  fur-tout  la  fr.inchife, 
A  votre  avis,  mon  portrait  eft-il  bien? 
Qu'en  penfcz-vous?    L •Frère  l'examine,. 
Va,  vient,  recule  après  s'erre  aproché. 
Cherche  fon  jour ,  fur  la  hanche  penché. 
Quand  il  eut  fait  mainte  burlefque  mine. 
Quoique ,  dit-il ,  des  Maîtres  du  pinceau 
J'aye  en  mon  te:iips  peu  fréquenté  l'école; 
A  ce  chien,  la  pentille  beftiole , 
Pourtant  je  trouve  en  mon  petit  cerveau. 

Qu'il  ne  manque  que  la  parole. 

CONTE       XXI  T. 

LA    FORCE    DU    NATUREL, 

_L   ANDis  qu'un  Rccolet  d'une  voix  e'ioquente, 
Exhortoit  avec  force  un  voleur  qui  moutoit 
Tome  I.  M.  Traji  - 


2(5-5      CONTE     S. 

Tranquile  en  fa  maifon  contre  fa  pro()re  attente. 
Il  s'éleva  dans  l'air  une  horrible  tourmente. 
Il  tonnoit,  il  ventoit,  &  le  Larron  piemoit; 

Dont  en  fon  ame  triomphante,  ' 

Et  lûi-mcme  en  pleurant,  l'homme  faint  s'admiroH. 
Bon,  courage,  mon  £ls>  difoit-il^  patience. 
Vous  joiiirez  .  .  .  Hélas!  après  un  long  filencc  , 
Repart  le  moribond  qui  toujours  foupiroit , 
Et  Innnoyoit  encore  avec  plus  d'abondance. 
Le  beau  temps  pour  voler,  mon  Perc,  a  qui  pourroit! 

CONTE       XXIII. 

LE      D    I    F    I     C    I    L    E. 

>\- 
N  Quidam  d  Humeur  libertine. 

Atteint  &  convaincu  d'avoir  contre  les  lois 
Cinq  ou  fix  femmes  à  la  fois. 
Devant  le  Juge  de  Mefline 
Par  les  Sbirres  fut  amené. 
Là  fur  le  fait  queftionné , 
Signor ,  re'pond  le  poligarae. 
Je  cherchois  une  bonne  femme. 
Et  voulois  dans  mon  cmbnrras, 

En  avoir  à  l'eflai ,  pour  ne  m'y  tromper  pas. 

Sur  quoi  le  Barigel ,  prononçant  fa  fentence. 

Lui  dit.  Comme  en  ce  monde  ou  tu  ptens  tes  ébats, 
L'efpéce  n'en  eft  pas  commune. 
Va-t'en  dans  l'autre  en  chercher  une; 
Peut-être  tu  l'y  trouveras. 

I  D  Y  L- 


U. 


IDYLLES. 

L  E    P  A  R  4^D  JS    PERDU. 

IDYLLE       L 

A  Madame   du    Bocage. 

Chasse'   des  lieux  charmans,  oii  le  Ciel  le 
fit  naître 
Pour  joiiir  d'un  bonheur  qu'il  fçut  trop  tard  con» 

noître, 
Adam ,  couvert  de  honte  &  noyé  de  fes  pleurs  , 
Exprimoit  en  ces  mots  fes  premières  douleurs; 

Jardin  délicieux,  oîi  mon  amc  ravie 
Devoir  paflcr  les  jours  d'une  innocente  vie, 
Dont  la  mort  n'eût  jamais  allarmé  les  plaifirs. 
Oïl  la  Terre  &:  le  Ciel  prcvenoient  mes  defirs  ; 
Demeure  qui  charmoit  &  mon  cœur  &  ma  vue, 

M  2  Eft. 


2(58        1  D  r  L  L  E  S, 

Eft-ce  donc  pour  toujours  qu'Adam  vous  a  perdue?' 
Mes  pas  failbienr  éclore  &  ge  mer  tous  Jet  dons 
Q^'a  mes  bras  fatigués  refervent  les  faifons  ; 
Les    iuifleaux    à  ma   foif    prcfentoient  leurs  eaux 

laines, 
Les  vents  bifloient  régner  leszéphirs  fur  les  plaines; 
Sans  crainte  autour  de  moi  milie  efpéces  d'oifeaux 
Cliantoienr,  &  voltigeoient  de  rameau.v  en  rameaux; 
Et  le  Ciel  avec  joie  approuvant  notre  flamme. 
En  deux  corps,  live  &  moi,  nous  ne  lentions  qu'u- 

ne  ame. 
M  lis,  ô  bonheur  pnfle  !  fouvenir  pénétrant. 
Qui  m'abandonne  en  proie  au  regret  dévorant! 
Mon  divin  Créateur,  toudié  de  complaifancc. 
Me  daignoit  enivrer  de  fa  f  'nte  prefence: 
Sa  haute  Majefté  s'abbaifToit  jnfqu'à  moi. 
Lui-même  il  me  parloir,  il  m'enfeignoit  fa  loi. 

Mais  mon  efprit  s'ofFufque ,  &  des  vapeurs  trom* 
peufes 
N'y  laiflcnt  déformais  que  des  clartés  douteufes. 
Dieu  !  comment  fuis-je  nu?  Sauve-moi  de  mes  yeux; 
Je  rougis ,  je  deviens  à  moi-même  odieux. 
Etois-je  ainG  formé?  Suis-je  ton  même  ouvrage? 
Figuier,  pour  me  couvrir,  prête-moi  ton  feuillage. 
Et  puifTe-tu  de  fleurs  jamais  n'être  embelli , 
l'oiir  prix  de  ton  bienfait  par  ma  honte  avili. 

Quel  fpeâracle  d'horreur.'  tous  mes  membres  frif. 
fonnent .' 

Où 


IDYLLES,  269 

où  fuir?  l'Enfer,  la  mort,  cent   monflres  m'envi- 
ronnent. 
L'air  eiiibrafé  mugit,  les  vents  enflent  les  mers. 
Vagabond,  ctonne  dans  ces  vafles  deferts, 
Quels  antres  creux,  quels  bras  m'offriront  un  afylcf 
Mes  cris  fonf  fupeiflus,  ma  plainte  eft  inutile; 
L'Univers  indigné  s'arme  contre  mes  jours. 
Eve,  rafliue-moi ,  prête-moi  ton  fecours. 

Mais  que  vois-je?  elle-même,  effrayée,  éperdue, 
Me  regarde  en  tremblant,  fe  dérobe  à  ma  vue; 
Ah  !  la  coupable  craint  que  je  m'aille  venger 
Du  crime  oU  les  confeils  ont  ôfé  ra'engager. 

Barbare,  que  crains- tijld'un  cœur  foible  &  timide. 
Qui  n'a  pu  réfifter  à  ion  appas  perfide? 
]e   devois  fuir  alors,  &  ne  t'écouter  pas; 
Tu  m'as  fait  dévorer  l'arrêt  de  mon  trépas. 
Le  feu»  l'air  &  les  eaux,  ligués  avec  la  terre, 
Vengent  leur  Créateur,  en  nous  livrant  la  guerre; 
Les  Lions,  que  j'ai  vu  foûmis ,  obéiffàns. 
Viennent  fondre  fur  moi ,  de  courroux  rugiflans. 

Tu  tardes.  Dieu  terrible,  à  nous  réduire  en  poudre. 
Sur  un  couple  infolent  précipite  ta  foudre; 
Fais  rentrer  au-plûtôt  deux  monftrcs  abhorrés. 
Dans  le  premier  néant,  dont  tu  les  as  tirés. 
Falloit-il,  pour  la  perdre  animer  la  pouffiére. 
L'enrichir  des  rayons  de  ta  propre  luuiie'te? 
Ton  image,  livrée  au  Démon  furieux. 
Dut-elle  être  le  prix  d'un  ftuic  contagieux  ? 

M  3  Les 


270         I  D  T  L  L  E  s. 

Les  divers  animaux  qui  peuplent  ce  bas  monde  ^ 
Qui  refpirent  dans  l'air,  fur  la  terre,  Se  dans  l'onde  ^ 
Dévoient  être  aux  humains  affervis  par  ta  loi  ; 
Le  Serpent  feul  combat,  &  les  terrafle  en  moi. 
Tu  dis,  que  de  ma  chair  ma  Compagnie  tirée. 
Pour  ra'aider,  me  chérir,  avoir  été  créée; 
Et  je  vois  que  tes  mains  ont  formé  de  mon  fanç 
le  bras,  le  cruel  bras,  qui  me  perce  le  flanc. 
Dans  ce  féjour  de  paix  Adam,  placé  fans  elle, 
A  tes  ordres ,  Seigneur ,  feroit  cncor  fidèle. 

14ais,qaoi!  tu  pouvois  bien,  d'un  contrc-poidï 
égal,  : 

Soutenir  un  penchant  qui  me  portoit  au  mal. 
Mon  ame,  par  ta  grâce  à  la-uîrtu  conduite  j 
Auroit  aflujetti  ma  volonté  féduite: 
J'euiîe  avec  ton  fecours  du  Serpent  triomphé. 
Sous  ton  bras  foudroyant  il  fût  mort  étouffé. 
Que  dis- je?  ô  Ciel!  épargne,  excufe  un  cœur  p»r<. 

jure: 
Tu  m'aimdis.  Dieu  trop  bon,  ta  Grâce  vive  &pure. 
Pour  me  rendre  à  moi-même  a  fans  cefle  infifté; 
JMais  à  tous  fes  efforts  mon  cœur  a  léfifte. 

Adam,  tu  vas  mourir,  crioit-elle  ;  ah!  détefte 
Un  fruit  à  tes  enfans,  autant  qu'à  toi,  funefte. 
Tu  m'as  parlé,  Seigneur,  &  je  ne  t'ai  pas  cru;  , 
Tu  voulois  me  fauver ,  &  je  me  fuis  perdu. 

Mais,  quel  éclatj  vainqueur  de  ces  horreurs  fu- 
nèbres ) 

Dif. 


IDYLLES.  271 

Diflîpe  la  tempête,  en  choflant  les  ténèbres! 
Mon  Dieu  s'ofniroit-il  à  mes  fcns  enchantés? 
Non,  c'eft  Michel,  l'eflFioi  des  Anges  révoltes; 
Son  vilage  eft  brillant,  Se  fes  aîles  dorées 
Sont  d'éclatans  rubis  &  de  perles  parées. 

Eve ,  approche  ;  écoutons  les  décrets  éternels. 

„  Du  fort  qui  vous  accable,  artifans  criminels  , 
„  Dieu  lit  jufqu'en  vos  cœurs  un  injufie  murmure: 
„  Ce  n'eft  point  pour  périr  qu'il  fit  la  Créature. 
„  Père  &  Maître,  il  vouloir  qu'à  fes  ordres  fournis^ 
„  On  reconnût  les  biens  &  donnés  &  promis  ; 
„  Et,  maigre'  les  cojjifeils  infpirés  par  la  Grâce, 
„  Vous  avez  du  Serpent  fait  réuflîr  l'audace. 

,,  D'une  autre  Eve  fans  tâche  un  pur  Adam  naît:  a: 
„  Cet  Adam  eft  fon  Pils,  qu'il  vous  immolera. 
„  Du  Serpent  en  fureur  la  tête  eft  e'crafee: 
„  6n   Dieu   meurt  ;    des   Enfers  la    puiiTance    eft 

„  brifée  ; 
j.  Son  fang  fumant  fans  celle  enfante  des  Soldais , 
„  Qui  le  font  en  tous  lieux  régner  par  leur  trépas. 
,,  Hélas  !  tronc  malheureux,  tes  branches  condam- 

„  nées , 
„  Sont,  fl  ton  Dieu  n'expire,  aux  fiammes  defti- 

„  nées;     , 
„  De  fes  tendres  bienfaits,  voilà  quel  efl:  le  prix 
,,  Adieu, fa  voix  m'appelle  aux  céleftes  lambris^'. 

Meflàger  du  Très -Haut,  daigae  au  luoins  nous 
apprendre 

M  4  Q.uel 


372        IDYLLES. 

Quel  pardon,  Eve  &  moi,  pouvons  un  jour  attcn» 

dre  : 
Mais  il  fuit.  Travaillons,  &:  tâchons, par  nos  pleurs. 
De  rendre  l'Eternel  fenfible  à  nos  malheurs. 

Délicat  &  charmant  génie, 
Kouveile  Scudery,  Rivale  des  neuf  Sœurs  f. 

Quune  fçavànit  Cempagnie 
Jl  Roiien  couronna  de /es  premières  fieurs  ; 
Du  Bocage ,  aujourd'hui  ta  rapide  harmonie 

S'élève  aux  plus  fublimes  fons ^ 
Crayonne  de  grands  traits,  peint  avec  énergie ^ 
Iran/porte  nos  efprits  par  la  noble  magie 
Et  les  pajjages  de  /es  tons. 
y  étais  au  Printew  dt  mon  âge  y 
Lorfque  le  Dieu  des  Vers  m'injpira  le  courage 
De  tracer  cet  ejfaiy  qui  n'a  pas  vA  le  jour, 
^e  ne  connoijfois  pas  ^  captif  dans  ce  Jéjour  ^ 
Ce  Milton  plus  fougueux  que  la  foudre.  &"  l'oragt^ 
Et  ne  pouvais  prévoir  que  ton  efprit  plus  fage 
Dans  la  même  carrière  entrerait  à  /on  tour. 
Ain/  ,  /ans  m' effrayer  du  brillant  avantage 
j^ue  va/ur  tous  les  coeurs  emporter  ton  ouvrage ^, 
Si  j'ô/e  publier  le  mien  y 
Ce  n'efl  qu'a/n   qu'il  rende  hommagf 
Aux  ttuthantes  beautés  du  tien. 


"^ 


I  E 


I  D  T  L  L  E  s:         273 

LE  PREMIER  AGE  DU  MONDE, 

o  u 

LE    SIECLE    D'O  R, 

IDYLLE     IL 
A    M.     MONTAUDOUIN    DE     LATOUCHC. 


V^UE  le 


les  humains  du  premier  âge 
Vivoient  contens    &  fortunés  .' 
A  de  vrais  plîtfrs  deftincs, 
Leurs  jours  s'e'couloient  fans  nuage, 
La  douce  Me'diocrite , 
La  modeOe  Frugalité, 
Des  Jeux  l'innocenr  badinage,' 
S'employoient  de  concert  à  leur  fclicité. 

Du  nom  de  fîe'clc  d'or,  dans  l'antique  langage. 
Cet  heureux  tems  fut  honoré  ; 

Non  pas  que  ce  métal  y  fût  confidéré  ; 

C'eft  que  les  mœurs,  fans  alliage, 
Faifoient  coafifter  leur  beauté', 
Comme  l'or,  dans  la  pureté. 

ils  n'avoient  ni  Palais ,   ni  pompeux  c'qnipage. 
La  Juflice  n'^e'toit  que  la  fimple  équité', 
Sans  art  Se  fans  apprentiffage. 

M  ;  L«s 


274  I  D  T  L  L  E  S. 

Les  fuppôts  de  Th^mis  n'avoient  point  invente 
Ces  mots  prodigieux,  dont  robfcur  étalage 

Embarrafle  la  vérité'. 
On  ne  reconnoiflbit  charge  ai  dignité; 
Dans  les   rangs,   entre  humains,  il  n'ctoit  point 
d'étage. 

leurs  defirs  fe  bornoient  au  terrein,dont  les  Dieux 

Leur  faifoient  im  jufte  partage. 
Du  luxe  féduifant  l'éciat  pernicieux 
N'avoit  point  jufqu'alors  pris  le  cœur  par  les  yeux<  • 
De  tant  de  mets  mal-fains  le  divers  afièmblage 
N'ofFroit  point  à  leur  goût  d'homicides  appas. 
Des  bois  voifins  le  fruit  fauvage, 
Uh  pcH  de  lait  &  de  fromage 
Compofoic  leurs  petits  repas. 
te  miel,  dont  les  ruiflcaux  ferpcntoient  fous  l'om- 
brage. 
Ne  confondoit  pas  fa  douceur  f 
Avec  le  bachique  breuvage; 
Et  des  vers  artifans  l'induftrieux  ouvrage, 
N'empruntoit  point  à  Tyt  d'étrangère  couleur, 

La  terre  oiFroit  au  Voyageur 
Un  lit  de  verdure  au  paflage. 
Pour  y  dormir  à  la  fraîcheur. 

Pour  éteindre  la  foif,  fut  fon  charmant  rivage j. 
Un  Fleuve  étaloit  fa  liqueur; 
Pour  garantir  de  la  chaleur. 
Un  arbre  étendoit  fon  feuillage. 

©aphné  j  fc  deAinant  à  l'emploi  du  ménage , 


I  D  T  L  L  E  s.  275 

Ne  mettoit  point  fon  cœur  &  fes  appas  à  prix. 

Entre  elle  &  ion  Ecrger,  de  fes  charmes  épris. 
L'amour,  laiis  vouloir  d'autre  gage. 
Sans  examen  du  parentage  , 
Dreffbit  le  contrat  ;  &  les  Ris, 

Les  Grâces  &  les  Jeux  fîgnoicnt  au  mariage. 

Le  Nautonnier,  malgré  l'orage, 
Ne  fendoit  point  encor  le  vafte  lein  des  mers. 
Le  Marchand ,  qu'aujourd'hui   le  gain  fordid:  en- 
gage 

A  parcourir  tout  l'Univers,. 

Craignant  alors  les  flots  amers. 

Ne  s'cjspofoit  point  au  naufrage. 

Les  clairons,  les  tambours  n'cbranloient  point  les 
airs; 
La  Haine  au  funefte  vifage, 
La  Fureur  à  l'œil  irrité, 
La  Guerre  au  bras  enfanglanté, 
Ces  cruels  auteurs  du  carnage , 

Ne  s'étoient  point  encore  échappés  de  l'Enfer. 
On  n'avoir  point  encor  l'ufage 
De  donner  des  aîles  au  fer. 
Il  ne  fervoit  qu'au  labourage: 
Et  l'homme  fociable  &  fagc,  «. 

De  la  nature  en  lui  fentant  l'étroit  lien, 

Perçant  le  flanc  d'un  autre ,  eût  cru  percer  le  fîen. 

Al»  refte  qui  d'entre  eux,  des  tranfports  de  la  rage 
Soudain  fe  laiflant  enflammer. 

Eût  le  pxemiei  conçu  le  deiTein  de  s'armer  ? 

hi  é  L« 


27^        I  D  r  L  L  E  s. 

Le  Meurtie ,  monftre  né  de  l'avide  Pillage, 
Du  fantô'.iie  d'Honneur,  &  du  Libertinage, 
Eût  été  détefté ,  s'il  eût  été  connu. 
Chacun  fui  voit  fans  crainte  un  penchant  ingénu: 
Et  pouvoit-on  enfin  redouter  quclqu'outragc 
Sous  les  ailes  de  la  vatu? 

Ah!  fiécle  pervers!  que  n'és-tu 
De  ce  fie'cle  innocent  la  plus  parfaire  image! 
Le  fordide  Intérêt,  frère  du  Brigandage  y 
Dans  les  coeurs  corrompus  a  mis  un  germe  affreux; 
L'ardente  foif  du  gain  fait  un  plus  grand  ravage. 
Que  l'jîLthna  vomiflant  un  déluge  de  feux. 

A  rOr  on  rend  par.  tout  hommage. 

Enfin  les  avares  mortels 
A  Plutus  dans  leur  ame  éleWïit  des  autels. 
Ah!  qui  fut  le  premier,  qui  pour  notre  dommage 

Barbarement  officieus,, 

Creufa  la  terre  avec  courage 
Pour  tirer  les  métaux  qui  fe  cachoient  aux  yeux. 

Et  tria  fur  les  bords  du  Tage 
Les  Tablons  d'or  qu'il  roule  en  fon  fein  radieux? 

C'eft  ce  métal  trop  précieux 
Qui  change  en  jours  de  fei  les  beaux  jours  de  cet 

âge, 
Qu'on  n'eût  point  nommé  d'Or,  fi  nos  fobres  ayeux 
En  avoient,  comme  nous,  recherché  l'efclavage. 
Ah!  qui  fut  le  premier,  l'humain  ambitieux, 
Qui  dans  les  maux  publics  trouvant  fon  avantage,. 
Vit  briller,  &  bientôt  fit  voir  aux  curieux 
Xe  feu  des  diamans,  ces  biens  contagieux! 

A» 


I  D  r  L  L  E  s.  277 

Ami  du  lin  vieux  terni  ,je  vous  dois  fa  peinture  ,♦ 
ui  vous  de  ijui  la  foi ,  fi  conJiaKte  ^  f.  pure  y 
Dans  ce  fiécle  ir.fiiéU  eft  uk  rare  thrifor  ; 
A  vou^  ,  de  qui  l'efprit  fi  brillant  &*  fi  Julie  f 
SfaitaJJemblerlegOHtdu  beau  règne  d'Augu/le 
Avec  les  mœurs  de  l'Agé  d'or. 

LES    /2  R  B  R  E  S. 

IDYLLE     in.     (*) 

A'M.  DE  Pekard  ,  Chapelain  du  Roi  de  Prujfe y 
des  académies  des  .Sciences  de  Berlin,  Peler S' 
bourg  ^  Stockholm,  de  l'injliîut  de  Bologng, 
de  la  Société  de  Lomres ,  des  Sociétés  Royales 
AUemaivles  de  Goé'ttingen  ^  Greifswald. 

JLX.  IMABLES  orneiîiens  de  la  llmple  Nature, 
Beaux  arbres ,  que  j'aime  à  vous  voit 
Etaler  dans  nos  bois  votre  jeune  verdure. 
Quand,  avec  le  Zéphir  qui  vous  vient  émouvoir. 
Le  blond  Soleil  fe  joue  à  travers  le  feuillage , 
Dont  l'ombre  qui  s'agite  aux  yeux  peint  votre  image 
Sut  le  gazon  naiflant  qui  vous  fert  de  miroir. 

Là  , 

(*)  Cette  Idylle ,  traduite  en  Vers  Latins  par  le  Cardinal 
Quirini ,  l'eft  en  Vers  Italiens  j^ar  le  Comte  Cafiiregi  &  par  un 
Anonyme;  ce  qui  forme  une  brochure  très  bien  imprimée  à 
Florence  en  17s  T.  De  plus  cette  pièce  a  eu  aullî  deux  tra- 
duftibns  en  Vers  Allcmans,  dont  l'une  eft  de  Mr.  Cuiio,Négo- 
ciaiu  h  Amflrerdara.  Quelques  perf innés ,  qui  entendent  l'Al- 
lemand ,  m'ont  afTùic  qu'elle  étoit  écrite  avec  beaucoup  de 
fuice,  d'élégance  &  de  douceur. 

M  7. 


278        IDYLLES. 

Là>  dégagé  du  foin  frivole > 

Et  des  pénibles  embarras, 

Qu'inventa  l'avarice  folle 
Pour  faifir  à  la  hâte  un  métal  qui  s'envole. 
Et  qui  voit  les  humains  ramper  pour  fes  appas,. 
Si  j'ai  quelque  chagrin,  rot.e  ombre  me  confolc 

Vous  me  tendez  toujours  les  bras. 

Ah  !  quelle  extrême  différence 
Des  amis  de  ce  fiécle,  à  vous!  . 

Tandis  que  la  fortune  avec  perfévérance 
Se  plait  à  nous  combler  de  fes  dons  les  plus  doux,. 
Ils  ne  font  prévenans ,  attentifs  que  pom  nous.      ^ 
Mais  au  preipicr  moment  que  fa  faveur  chancelle,. 
Ils  font  prêts  à  changer  comme  elle. 

Le  Ciel  répand  fur  vous  fa  libéralité; 
Vous  l'aimez:  &  vers  lui  vos  branches  élancées,. 
Paroiflent,  entr'ouvant  leurs  ecorces  preflees. 
Demander  de  la  voix  la  prompte  faculté. 
Tour  rendre  grâce  à  fa  bonté. 

A  l'exemple  du  Ciel ,  la  terre  eft  bienfaifante  : 
De  fon  fcin  ramolli  la  vertu  nourriflante 

Vous  comble  de  fes  dons  chéris  ; 

Et  de  fa  vive  humeur  imbue, 
Votre  fève  à  longs  traits  s'enyvre ,  &  diftribue 
De  rameaux  en  rameaux  l'aliment  qu'elle  a  pris. 

Ingrats,  infenfes  que  nous  fommes! 
Qije  nous  me'ritons  peu  rex.ellent  titre  d hommes! 
Dénués  de  vertus,  par  le  vice  obfcurcis! 
Xe  Ciel  tâche  d'agi:  fm  aos  cœuis  endurcis , 

Toû. 


I  D  T  L  L  E  s.  2ro 

Toujours  de  fes  faveurs  prodigue; 
Mais  ces  cœurs  re'voltés,  lepoulTant  fes  avis, 
AlTemblem  conire  lui  l'imperieufe  ligue 
Des  folles  paffions  qui  les  ont  affervis. 

La  terre  à  chaque  iiiftant  fent  avec  complaifancc. 
Que  de  fon  fuc  bénin  doucement  altérés  > 

A  le  filtrer  fans  réfiftance 
Vos  canaux  amoureux  font  toujours  pre'parés. 
Avec  quelle  chaleur  vos  racines  profondes. 

De  plus  en  plus  s'entrelaflant 
•  Parmi  fes  entrailles  fécondes, 

Paroiffent  lui  marquer,  d'un  cœur  reconnoiflânt. 
Le  retour  qu'on  n'a  point  dans  le  fiécle  ptéfcnt  ! 

Le  Ciel  nous  a  formés,  fon  fouffle  nous  anime; 

Et  fi  le  fecours  de  fon  bras 
Ceflbit  un  feul  inftant  d'affermir  tous  nos  pas. 
Nous  tomberions  en  poudre, engloutis  dans  l'abîme, 

La  Grâce  ne  nous  quitte  pas. 
PrcfTe  ,  exhorte ,  &  voudroit  rappeller  des  ingrats 
Du  penchant  féduâreur  qui  les  conduit  au  crime. 
On  l'ccoute  avec  peine,  on  fe  ferme  les  yeuxj 
On  combat  avec  goût  fon  effort  falutaire; 
Et  du  monftre  infernal  viftime  volontaire , 
L'homme  voit  fans  regret  fon  poifon  futicux 
De  la  Gface  étouffer  le  germe  précieux. 
Cependant  tourmenté  par  un  obfcur  myflcre  , 
11  raifonne,  il  murmure,  &  prétend  l'accufer 
D'avoir  fruftré  fes  vœux  du  fecours  nécefTaiiû 

Qu'il  a  voulu  lui-mcme  lefufcr, 

Ten. 


2iro       I  D  r  L  L  E  ^. 

Tendres  nourriflbns  de  la  terre, 
Qiie  vous  avez  pour  c'Ie  un  louable  retour! 
Q^iand  le  Soleil  biûiant  lui  déclare  la  guerre. 

Vous  lui  témoignez  votre  amour. 
Au  moyen  de  voire  ombre  agréable  ôc  fleurie. 

Vous  foiîlagez,  à  votre  tour 

La  mère  qui  vous  a  nourrie. 

Que  les  enfans  font  éloignés 

De  marquer  la  même  tendrefle 
Et  les  mêmes  égards  à  ceux  dont  ils  font  nés  J 
Leurs  parens,   pour  fournir  au   foin  de  leur  jeu» 

nèfle, 
Ont  tout  facrifié,  leur  repos  &  leur  bien, 
Se  promettant  qu'un  jour  ils  feroient  leur  foûtien  : 

Mais,  ô  longue  Se  vainc  efpérance! 
O  des  plus  doux  bienfaits  amere  récompcnfeî 
Combien  n'en  voit-on  pas,  de  ces  fils  monftrueuXj 
A  peine  revêtus  d'un  emploi  faftufux. 
Oublier  leurs  parens  au  fein  de  l'indigence. 

Et  comme  d'un  afFont  honteux. 
Rougir  infolcmment  de  fe  dire  ncs  d'eux? 

Arbres  ^  vieux  babitans  de  ces  -lieux  folitaircs , 

Dans  l'épaifleur  de  vos  rameaux 
Vous  offrez  un  hofpice  aux  timides  oifeaux: 
C'eft  dans  vos  bras  touffus, que  ces  amans  linceres, 

CJui  badinent  fous  vos  rideaux, 
Qiiand  le,  Printems    revient,  forment  des    nœuds 

nouveaux. 
Au-lieu  que  pawni  nous,  qu'on  dit  être  tous  frère?  » 

II 


I  D  T  L  L  E  s.  281 

Il  n'eft  plus  d'hofpitalité , 
Toint  de  candeur,  point  d'ingénuité. 
La  pauvreté  craintive,  en  lambeaux  gémiflànte, 
N'eft  plus  qu'un  fpeftre  affreux,  des  riches  abhouéf 

La  charité  compatiflante, 
Qu'une  morne  langueur ,  qu'un  nom  deshonoré. 

Qlie  de  vos  voluptés  la  fource  eft  pure  &  faine  ! 
Un  aliment  égal ,  fagement  tempéré , 

Par  la  nature  préparé , 
Vous  entretient   long -teins    fans  douleur  &  fan» 
peine , 

Dans  un  équilibre  affûté. 
Au-lieu,   que  pour  flater  notre  ame  fenfuelle. 
Tant  de  mets,  où  le  gcmt  fe  confond  égaré. 

Ont  appris  à  la  mort  cruelle 
Un  chemii)  que  fans  eux  elle  auioit  ignoré. 

Le  terrein,qui  vous  a  vus  naître^ 
Tous  voit  paifiblement  mourir. 
Inquiets  voyageurs,  nous  voulons  toujours  êti£,. 

Ailleurs  qu'oii  nous  a  fait  courir 
te  chagrin  qu'on  ne  peut  écarter  ni  guérir; 
Qui  de  la  ville  aux  champs  ,&  du  féjour  champêtre 
Nous  ramené  à  la  ville,  &  vient  par- tout  s'offrir. 
On  voudioit  tout  fçaroir;  on  s'applique  à  paroître 
Par  l'éclat  orgueilleux  de  fes  talens  divers; 
On  fe  fait  avec  bruit  connoîtrc  à  l'Univers, 
Et  vuide  &  mécontent  on  meurt  fans  fe  connoître. 

Chênes,  Ormeaux,  Tilleuls,  vous  craignez  les  hy- 
vers  ; 

Les- 


282         IDYLLE  s: 

Les  furieux  Tyrans  des  airs , 
La  neige  t\-  les  fiimats  vous  viennent  faire  outrage. 

Mais  les  baibares  pallions, 
Pont  ramorce  corrompt  nos  inclinations, 
Exercent  fur  notre  ame  un  plus  affreux  ravage. 

Cependant,  comme  nouf,  on  ne  peut  vous  blâmer; 
Vous  ne  pouvez  des  vents  fuir  l'inflexible  rage: 
Il  vous  faut, en  pliant,  les. attendre  à  calmer. 
Ou  fuccomber  enfin  fous  l'effort  de  l'orage. 
Au-lieu  que, pour  fauver  les  humains  du  naufrage, 
La  Grâce  à  tout  moment  veut  les  poufler  au  port; 
Mais  plutôt  qi:e  d'entrer  où  fa  voix  les  engage. 
Eux-mêmes  choififlent  la  mort. 

Sous  un  règne  fameux ,  oit  l'on  voit  le  Dieu  Mari 
Protéger  dans  le  Nord  les  talens  Çy  les  arts  y 

PerARD,  dont  le  charmant  génie 
Sur  les  bords  de  l'-Oder  attira  les  neuf  Sxurs , 
Et  dont  la  voix  brillante  y  au  gré  de  l'harmonie  ^ 
T  calme  C Aquilon  par  /es  fins  enchanteurs  y 
Crois-tu  ^ue  de  Stettin  la  cruelle  diflance 
A  ce  coin  de  Bretastr.e  y  ok  le  fort  m'a  lié  y 

Ait  rien  été  de  la  confiance 
D'un  cœur  qu'unit  au  tien  la  ftncere  amitié  ? 
JVtf  « ,  des  parfaits  Ar,  is  lesjjrais  cœurs  ont  des  allés  j 

Pour  frar.chir  les  monts  Êc  les'  mers  ; 
Et  malgré  la  tempête  &•  les  verts  infidèles  y 
Sont  préfer.s  l'un  à  l'autre ,  aux  bouts  de  l'Univers. 
Ce  r.'ejl  donc  point  y  PeraRD,  l'efiime  pour  mes  vers  y 
Qui  me  frejfe  aujourd'hui  de  t' offrir  cet  euvraje. 

Mais 


IDYLLES.  283 

Mais  par  et  nouveau  témoignage  y 
Je  veux  te  prouver  feulement 
Que  fous  quelque  climat  que  t'enfporte  la  Gloire  y 
Tu  vivras  éternellement 
Dans  mon  ame  Cr  dans  ma  mémoire, 

LE      P   R    I   N   T   E    M  S. 
1  D  Y  L  L  E    I V. 

QUE  le  Printems  eft  beau!  Tout  lit  dans  la  Na- 
ture, 
Nos  Près  font  verds.nos  Ilgis  ont  repris  leur  parure; 
Les  Ruifleauj:  ranimés,  fur  un  gravier  d'argent. 

Promènent,  d'un  pas  diligent, 

Une  Onde  claire  qui  niurmure. 
Les  Oifeaux  amoureux,  fous  les  rameaus  fleuris, 
Cele'brant  à  l'envi  de  petits  mariages, 
îont  parler  de  leur  mieux,  dans  leurs  tendres  ra- 
mages, 
les  feux  dont  l'un  pour  l'autre  ils  ont  le  coeur  épris. 

Amintat,  que  l'amour  dévore. 
Ne  pouvanit  fermer  l'œil,  abandonne  le  lit; 
U  fort  comme  en  délire,  &  court  au-lieu  prefctit. 

Attendre  Cloris-  qu'il  adore  ; 

Le  jour  ne  paroît  point  encore, 
Mille  foupçons  jaloux  agitent  fon  efprit. 
Du  parefleux  Titon  l'Epoufc  matinale, 
s'aitctc  en  le.  voyant,  &  le  piend  pour  Céphale; 

L» 


584        r  D  r  L  L  E  S. 

La  beauté  du  Berger  la  charme  &  l'cblouif  : 
Mais  découvrant  l'erreur  dont  Ton  aine  joiiit, 
La  lionte  peint  fon  front  du  vermeil  de  l'opale: 
Et  hien-tôt  les  regrets  la  rendant  rtifîe  &  pâle,. 
Dans  les  airs  blanchilïàns  elle  s'évanoiiit. 
Mille  frilkufes  Hirondelles, 
Traverfant  les  Mers  à  la  fois. 
Ramènent  Zephirc  avec  elles. 
Et  fe  repofent  fur  nos  toîts; 
Se  becquetant,  battant  des  aîles. 
Volant,  &  revolant,  fe  fuivant  tour  à  tour,, 
Leur  caquet  enjoiié  réveille 
La  jeune  Cloris  qui  fommeille. 
Et  l'avertit  d'aller  oîi  l'attend  ftm  amour. 
Le  foleil  careflè  ia  Terre, 
Il  la  confole  de  la  guerre 
D'un  long  Hyvcr  armé  de  frimats,  de  glajons. 
La  Terre,  rajeunie  ouvre  fon  fein  fertile 
Aux  doux  ccoulemens  dés  célcftes  rayons  ; 

Et  Flore  à  leurs  ordres  docile. 
S'apprête  avec  Pomone  à  répaiidie  fes  dons.    - 
Nos  Brigantins  Se  nos  Frégates 
Fendent  le  liquide  Elément, 
Et  ne  craignent  que  les  Pirates, 
Garantis  de  l'effroi  de  la  Mer  5c  du  Vent. 

Les  PoilTons,  fous  un  mur  de  glace 
Depuis  trop  long-tems  retenus. 
Dans  leur  froide  prifon  ne  fe  captivent  plus* 
Thctis  les  voit  bondir  fur  fa  verte  futtace. 
L'Amour ,  que  nul  efifoxt  n'a  jamais  arrêté , 

Picnd 


IDYLLES.  285 

P.cnd  fon  vol ,  &  fe  glifle  avec  agilité 

Dans  leurs  demeures  tranfparentes: 

Ses  flammes  dans  l'eau  pétillâmes,. 

En  pénètrent  l'humidirc; 

Et  leurs  écailles  palpitantes 
Expriment  les  accès,  coup  fur  coup  rcp^és. 
Du  plailir  dont  ils  font  doucement  tourmentés» 

Le  beau  Mirtil  (ous  la  fcuillée, 
Danfe  au  clair  de  la  Lune  au  fon  du  flageolet. 
Avec  la  blonde  Iris  leftement  habillée. 

Il  voudioit  dins  un  coin  fecrct 

L'entretenir  de  fon  martyre; 

Il  a  cent  chofes  à  lui  dire  : 
Mais  Corifque  &  Daphné  ,  d'un  regard  inquiet. 

Semblent  les  djlerver  fans  ceflè. 

Vi(âime  du  relpeâ:  humain, 
Mirtil  lui  dit  tout  bas ,  en  lui  ferrant  la  main: 
Adieu,  Tunique  (  bjet  de  ma  vive  tendreiTe; 
Trompons  des  yeux  malins  la  curieufe  adrefle, 

Nous  nous  retrouverons  demain. 

Jours  charmans,  faifon  fortunée  , 

Que  vos  beautés  auroient  d'appas. 
Si,  quand  vous  revenez,  vous  ne  nous  difiez  pas. 

Qu'en  nous  vieilliflant  d'une  Année, 
Vous  nous  faites  marcher  vers  la  nuit  du  trépas i 

LES 


2S6         IDYLLES. 
LES    TOURTERELLES. 

IDYLLE     V. 
A  Madame     Deshouli ères. 


1 


H 


E'las!   confiantes  Tourterelles, 
Que  vos  carcffes  &  vos  jeux 
Ont  des  attraits  touchâns  pour  un  cœur  amoureux! 

Redoublez  ,  s'il  ie  peut,  vos  flammes  mutuelles; 
Pâmez- vous ,  languiflez,  mourez  dans  les  plaifirs. 

Ah!  j'entens  vos   petits  Ibupirs, 
Pe  vos  traiifports  lecrets  interprctes  fidelles. 
Vives  afFeftions  !  naïfs  ttémouflemens  ! 
Mais  qu'apperçois-je?ô  Ciel!  dans  les  raviflcmens 

Vous  vous  cnyvrez  fans  mefure; 
Vos  becs  entrelafl'és,  qui  font  un  doux  murmure, 
Humedent  la  chaleur  de  vos  embrafiemens. 
Ah!  je  me  meurs  moi-même,  ah!  que  fens-jc  !  ah! 

mon  ame 
Cède  au  tendre  brader  qui  me  brûle  au -dedans: 
Errante  fur  ma  lévrc  elle  eft  toute  de  flamme. 
Profitez  de  la  vie ,  heureux  couple  d'Amans  , 
Joiiifiez  d'un  bonheur  dont  la  fource  eft  fi  pure; 
L'inftinâ:,  que  vous  donna  la  prudente  nature. 

Vaut  mieux  que  tous  nos  fentimens. 
Saas  vous  cmbarrafler  dans  d'inutiles  peines. 

Le  fang,  qui  coule  dans  vos  veines. 

Vous 


I  D  r  L  L  E  s.        287 

Vous  infttuit  cent  fois  mieux  que  tout  l'art  des  Ro- 
mans. 
Tlus   votre   ardeur   vieillit,   plus    vous  la   trouvez 

belle  ; 
Malgré  l'efFort  des  ans  vos  cœurs  font  enflamrac's  : 

Et  pour  une  autre  Tourterelle, 
Vous  ne  quittez  jamais  celle  que  vous  aimez. 

Si  les  Amans  &  les  Amantes 
Avoient,  pour  s'envoler,  des  ai'es  comme  vous. 

On  verroit  encor  pnrmi  nous 

Plus  dmcon  flans  &  d'inconi  antes. 

C'eft  vous  que  l'on  do:t  a  ipeller 

De  vrais  modèles  de  tendrefle; 
Vous  avez  feulement  des  ailes  pour  voler 
Après  le  cher  objet  quiji'ous  charme  fans  celle. 

Dans  votre  commerce  amoureux,     * 

La  défiante  Jaloufie 
Ne  répandit  jamais  le  poifon  dangereux. 

Qui  parmi  nous  brife  les  nœuds 

De  l'amitié  la  plus  unie. 

Si  vous  paroiflèz  quelquefois 

Difputer  &  haufler  la  voix. 
Je  n'y  découvre  rien  que  la  loiiable  envie 

De  deux  Amans  ambitieux 

Du  prix  de  s'entr'aimer  le  mieux; 
Et  de  pareils  débats  toute  aigreur  eft  bannie. 

Vous  fréquentez  les  mêmes  lieux-; 
Vous  ne  cherchez  jamais  une  aurre  compagnie; 

Vous  buvez  au  iiiêmc  ruilleau; 
Vous  vous  perchez  toujours  fur  le  même  rameau. 


2SS  I  D  T  L  L  E  S. 

Quand  vos  paupières  font  forcées 
De  céder  aux  pavots  que  le  fommeil  répand  ; 
Vous  craignez  de  vous  perdre ,  &  vos  plumes  prel- 
fées , 

Paroîffent  être  entrelaflees. 

ÇJ_ije  votre  langage  eft  charmant! 
Qii'il  a  je  ne  fçai  quoi  d'aimable  &  d;  galant!    . 
Que  vos  accens  plaintifs  font  poufles  d'un  air  ten« 
dte! 

Ce  n'eft  qu'aux  coeurs  comme  le  mien, 

Q^ie  Venus  a  permis  d'entendre 

Et  de  goûter  votre  entretien. 

Depuis  le  lever  de  l'aurore. 
Vous  fçavez  vous  donnei  >  julques  à  fon  tetour. 

Différentes  m.uoues  (l'amour. 
Recommencez  vos  jeux,  recommencez  encore, 
Hôtes  légers  des  bois;  il  n'eit  lien  fous  les  Cieux, 
Qui  puifl'c  tanc.flater  &  mon  cœur  &  mes  yeux: 

_Mais  fi  le  Berger,  que  j  adore. 
N'avoir  plus  aujourd'hui  pour  moi  le   même  cœur. 

Si  l'Amour  avoir  foit  éclore 
Dans  fon  ame  changée  une  nouvelle  ardeur; 

Tounnens  affreux!  douleurs  cruelles! 
Soupçons  periuafifs  !  doutes  impérieux! 
CeCfez,  hélas!  cefl'ez,  confiantes  Tourterelles: 
N'oft'rez  pas  déformais  ces  plaifirs  à  mes  yeux. 
S'ils  leur  doivent  coûter  des  larmes  éternelles. 

Du  beau /exe  Franpois^  6  la  gloire  &*  l'honneur! 

DESHOULIERES,  dont  le  génie 
Sfut  chanter  des  Amans  la  douce  maladie  , 

Et 


IDYLLES,  28^ 

Et  des  Héros  guerriers  célébrer  la  valeur  ; 
Du  Pinclet  oà  tu  jouis  d'urtf  meilleure  vie ^ 

Regarde  ici-l>as ,  &'  reçois 

V  Idylle  que  je  te  dédie  j  j 

C'ejl  à  ton  goût  que  je  la  dois. 
Si  je  puis  aujourd'hui  mériter  ton  Suffrage  y 
Pbibus  £»•  lei  neuf  Sœurs ,  s'uniffant  avec  tti, 

Avoiirent  ce  galant  Ouvrage. 

LES    HIRONDELLES, 
IDYLLE     VI. 

ji  Madame  la  CoikeJJe  de  Verteillac. 


V 


Os  petits  becs,  Hiiondelles  badines j 
Donnent  à  ma  fenêtre  en  vain  cent  petits  coups; 
Vous  croyez  m'éveiUer,  moi  qui  dois  moins  que  vous; 
Mais  vous  allez  partir,  aimables  Pèlerines. 
Hélas!  votre  dépait  annonce  à  nos  climats 
Le  retour  des  glaçons,  des  vents  &  des  frimats. 

(^and  on  aime,  dort-on  ?  Non  ,  non  j  j'en  interroge 
Tout  ce  qu'Amour  peut  bleffet  de   fes  traits. 
Dans  le  coeur,  dans  les  yeux  ce  Dieu  fubtil  fe  loge. 
Et  quelque  part  qu'il  aille,  il  en  bannit  la  paix. 
Ah!  que  j'aime  à  vous  voir,  l'une  à  l'autre  fidelleSj 
Vous  donner  en  partant  cent  baifers  favoareiix  ; 
Et  d'un  le'get  battement  d'ailes, 
Tcw.  /.  N  Es. 


290        I  D  r  L  LES. 

Exprimer  à  l'envi  les  ardeurs  mutuelles, 

Qui  brûlent  vos  cœurs  amoureux. 

Raifon  vainement  attentive, 
îourquoi  viens-tu  mciet  aux  plus  charmans  plaifits 
De  tes  fâcheux  confeils  l'amertume  tardive? 
Nous  fuivons  malgré  toi  la  pente  des  dcfirs, 
Oii  nous  porte  en  naiflant  l'humeur  qui  nous  domine; 
Et  ta  trifte  lueur,  cette  lueur  divine, 

N'éclaire  que  nos  repentirs. 

Habitantes  des  airs.  Hirondelles  légères, 

Qu'à  bon  droit  les  mortels  devroient  être  jaloux 

De  l'inlHnft  qui  vous  rend  plus  heureufes  quenousî 

Du  déchirant  remords  les  bleflures  ameres. 

Du  fcrupule  inquiet  les  fray.  urs  populaires. 

Les  foupçons  délicats,  les  volages  dégoûts. 

Ne  corrompent  jamais  vos  unions  fmceres; 

Ce  n'eft  pas  l'or  qui  joint  l'Epoufe  avec  l'Epouï, 

De  ces  parens  atrabilaires , 
Par  caprice  à  nos  vœux  le  plus  fouvent  contraires, 

Vous  ne  craignez  point  le  courroux. 
L'Amourfeul,  dont  les  loixne  font  pas  mercenaires, 

Préfide  à  vos  tendres  raylléres; 
C'eft  le  cœur  qu'il  confulte,  en  agiffant  fur  vous: 

Et  vos  nœuds,  toujours  volontaires, 
Joiment  l'enchaînement  d'un  fort  tranquile  &  doux. 

Al»  yeux  de  fon  Amant  l'Hirondelle  à  tout  âge  , 
A  de  jeunes  beautés  &  des  appas  dateurs. 
La  vieilleflè ,  fur  nous  déployant  fes  rigueurs  , 
^Tiop  foitunes  Oifeaux,ne  vous  fait  point  d'outrage; 

^C5 


I  D  T  L  L  E  s.  2pi 

Ses  doigts  lourds  Se  glacés,  fur  votre  beau  plumage. 
Ne  viennent  point  coucher  d'odieufes  couleuis. 

Sexe  infortuné  que  nous  fommes  ! 
Quatre  luftres  complets  font  à  peine  écoule's. 

Que  le  caprice  ingrat  des  hommes 
Croit  les  Jeux  &  les  Ris  loin  de  nous  envolés» 

A  trente  ans  on  eft  furannée  ; 

A  quarante  il  devient  honteux. 

Qu'on  pcnfe  qu'une  ame  bien  née        ♦ 
f  uiflè  encot  de  l'Amour  fentir  les  moindres  feux. 

Cependant  cet  amour  peureux. 

Qui  veut  ?{  ne  peut  point  édore, 

En  eft  toujours  plus  allumé  ; 
Un  brafier,  trop  long-tems  fous  la  cendre  enfermé  j 

Soi-même  à  11  fin  fe  dévore; 
Et  c'eft  ainfi  qu'un  cœur  en  fecret  enflammé. 
Après  avoir  langui ,  meurt  en  vain  confumé. 
D'un  defordre  pareil  la  Nature  affligée, 
Murmure  avec  l'Amour  de  fe  voir  négligée; 
Et  qu'un  Honneur,  fondé  fur  de  bifarres  loir, 
ILetrancKe  impunément  la  moitié  de  fes  droits. 

Inflexible  Raifon,  qui  nous  tiens  à  la  gêne. 
Faite  pour  les  humains,  tu  parois  inhumaine; 
Kos  cœurs,  tyrannifés  pat  tes  reflexions. 

Ne  font  qu'aller  de  peine  en  peine* 
Gouverne,  j'y  confens,  les  autres  paffions; 
Tu  peux  les  opprimer  fous  ta  loi  la  plus  dure» 

Semblable  à  l'honible  Vautour, 
Qui  ronge  Promcthée  &  la  nuit  &  le  jour: 

N  a  Mai* 


292        I  D  r  L  Z  ES: 

Mais  kiflè  au  moins  à  la  Nature  '' 

A  rég'er  celle  de  l'Amour. 

Cherchez  un  autre  Ciel ,  aima!>Ies  Hirondelles, 
Oîi  le  Soleil,  chaflànt  les  parcffetix  Hyveis, 
Entretienne  en  vo-  coeurs  des  chr.leurs  éternelles. 

Hélas!  que  n'ai-je  aufli  des  ailes, 

Pour  vous  luivte  au  milieu  des  airs  ! 
ruifllez-vous  fans  perd  paflèr  les  vaftes  mers! 

Piiifle  Eole,  a  votre  paflage, 
Ainfi  qu'aux  jours  heureux  ou  règne  l'Alcion  , 
Dans  fes  antres  profonds  em;>rironner  la  rage 

Des  Enfans  du  Septentrion. 
Maisjli  malgré  mes  vœux  les  cflForts  de  l'orage. 

Dans  les  flots  corrsre  vous  armés 
Vous  ouvroicnt  un  tombeau;  vous  auriez  l'avantage  - 

D'embrafler,  en  taifant  naufrage, 

l'Hirondelle  que  vous  aimez.      ^  - 

Le  plus  charmant  mortel  qui  fût  jamais  au  monde,^     ï 
Et  dont  j'adore  les  liens. 
Le  beau  Clidamis  eft  fur  l'onde; 

En  expofant  fes  jouis ,  il  a  rifque  les  miens. 

Si  fur  ces  rl.iines  inconftantes  '- 

Vous  Voyez  le  vaiffeau  qui  porte  mon  Amant, 
Allez  fur  fes  voi'es  'flottantes 
Prendie  haleine  au  moins  un  moment. 
Si  par  vous,  chères  confidentes-,  -^ 

Le  fecoiirs  de  ma  voix  pouvc.it  être  emprunté,       • 

Vous  lui  raconteriez  les  peines  que  j'enduxe; 
Vous  lui  feriez  une  peinture 

De 


I 


TDTLLES^         293 

De  mon  efprit  inquiète. 
Vous  diriez  qu'aiifli-tôt  qu'un  vaiflfeau  nou«  arrive. 

Je  vais  d'un  pas  précipité, 
De' mon  cTjer  Clidamis  tn'jnformer  fur  la  rive. 
Le  cœur  entre  la  crainte  d*.  l'efpoir  agite'; 

Que  vers  l'El  ment  redouté, 

Je  tourne  incefl'ammf  nt  la  vue  ; 
Que  pour  peu  qu'à  mes  yeux  l'ond"  paroifle  émue, 

je  fuis  prête  à  mourir  d'effroi  ; 
^u'il  peut  par  Ion  retour  terminet  mon  fupplice; 

Et  qu'en  attendant  Ton  Uiyflê, 
Pénélope  jâttiais  ne  fouffrit  tant  que  moi. 

AimàHe  T^erttUlae ^mei  tendres  HirondelUsy 
A  vos  pies,  m  trtmhlaiJl ^  apportent  leurs  ftùpirsi 
Pour  un  fidèle  Epoux  auji  fenfih'.e  qu'elles , 
yotre  cœur  plus  confiant  n'a  point  d'autres  defrs, 
C'efi'tn  vain  que  j'ai  vu  cette  Idy.lie  applaudie  ; 

En  vain  de  célèbres  Auteurs 
y'antent  de  mon  pinceau  les  naïves  couleurs. 
Si  votre  délicat  génie 
Ife  Joint  pas  /on  Suffrage  aux  leurs. 


Kj     .  LES 


Î94        ID  r  L  L  E  S. 
LES     C  O  Q^U  I  L  L  A  G  E  S. 

IDYLLE     VII. 

A  M.  DE  LA  Roque,  Chevalier  de  V Ordre 
Militaire  de  Saint  Louis ,  Auteur  du  Mercure 
de  France  ;  à  qui  l'auteur  de  l'Idylle  envoya 
une  boé'te  pleine  de  Coquillages ,  qui  ne  lui  fut 
rendue  qu'au  bout  de  deux  mois. 


A 


Uteur  ingénieux,  qui  par  le  Jufte  choix 
Que  ton  habile  nuin  fçait  faire. 
Trouve  dans  ton  Journal  le  vrai  fccret  de  plaire 

Aux  goûts  diffe'rens  à  la  fois; 
Pat  quel  fâcheux  hafard  mes  jolis  Coquillages, 
Choills  fur  les  fablons  qui  bordent  nos  rivages. 
Ne  font-ils  point  encor  dans  tes  mains  parvenus  t. 

'Tu  n'en  reçois  point  de  nouvelle: 
Sans  doute  le  Courrier,  ce  porteur  infidèle. 
Qui  s'en  ctoit  chargé,  les  aura  retenus;' 
Hélas  î  que  de  foins  affidus. 
Fendant  la  Canicule  même. 
Pour  un  fçavant  ami  que  l'eftime  &  que  j'aime. 
Doucement  employés,  &  triftement  perdus! 
Quand  Diane  ,  du  haut  de  la  voûte  étoilée 
LaiiToit  aller  Thétis,  après  l'onde  écoulée,     ^ 
Entre  les  bras  de  fon  Epoux, 
Le  v^illatu,  le  tendre  Fêlée, 

Dans 


IDYLLES.  ^9S 

Dans  une  grotte  reculée  , 
Oh  de  leurs  doux  motnens  les  Tritons  font  jaloux  : 
Alors  par  un  fentier,  dont  la  route  eft  fcabreufc  , 
Wappuyant  d'une  main  chancelante  &  peureufe, 
Marchant  à  pas  ferrés,  je  dc-fcendois  au  fond 

D'une  retraite  fablonneufe; 
Et  puis  par  un  détour  j'entrois  dans  un  falon. 

Dont  la  naïve  Aichitei^ure, 
Eli  uniquement  due  à  la  fimple  Nature. 
Là,  le  toc  inégal  fait  naître  des  portrai(s 

D'une  finguliere  ftru6ture, 
^ui  s'échappent  à  l'ail,  Se  perdent  tous  leurs  traits, 
_  Quand  on  les  regarde  de  prés. 

L'herbe  d'autre  côté,  diverferoent  fleurie, 
Avec  le  Ga pilaire  enltfce'e^iu  hafard  , 

Produit,  fana  le  fecours  de  l'Ait, 

Un  verte  tapiflèrie. 
t        îéjour  des  Rois  ,  riches  Palais, 
Attrayantes  prifons  d'efclaves  magnifiques, 
Heureux  qui  fut  admis  fous  vos  brillans  portiques  ! 
Plus  heureux  mille  fois  qui  n'y  parut  jamais? 
Ce  qu'on  voit  travaillé  fur  vos  murs  à  grands  frais 
^  Se  préfente  ici  de  foi-même  j 

Et  la  Nature,  qui  nous  aime, 
S^it  au  gré  de  nos  vœux  fî  bien  fe  façonner, 

Qiie  notre  oeil  d'abord  trouve  en  elle 

Ce  qu'il  nous  plaît  d'imaginer. 
Dans  ces  iieux,cher  la  RoquE,  à  moi-même  fidelCj 

Je  m'étois  impofé  la  loi 

De  cueillir  chaque  jour  pour  toi 

N+  De 


2ç6        I  D  T  L  L  E  S. 

De  Coquillage  un  certoin  nombre. 
Je  n'en  fortois  jamais  que  le  Ciel  ne  fut  fombre^ 
Tant  mon  efprit  rêveur  m'einportoit  loin  de  moi» 

Quelquefois  l'onde  revenue, 

Me  fur^ircnoit  en  ce  trayail , 
Amenant  à  mes  pies  la  lichefle  menue , 
Dont  nos  bords  fortunés  compofent  leur  émail. 
Coquillages  chéris,  quand  la  Mer  fur  l'arenc 
Promenant  à  fon  gré  des  floti  impétueux,. 
Qu'elle  étend  &  retire  en  les  pliant  fous  eux. 
Vous  biflbit  aux  graviers  échapper  avec  peine; 
M  fembloit  qu'en  ces  mots  tout  bas  vous  murmuriez, 
riots  cruels,  dilîez-vous,,  dont  h  rage  fougueufe 
"Vient  de  nous  fépater  de  la  Roche  amoureufe  y 
Avec  qui  nous  étions  tendrement  mariés; 
Hâtez- vous,  hâtez-vous  d'anc'antir  des  reftes. 
Déformais  confacrés  aux  plus  vives  douleurs; 
Vous  avez  commencé  des  deflins  trop  funeftes. 

Mettez  le  comble  à  nos  malheurs. 

Qi^iand  on  a  perdu  ce  qu'on  aime> 

La  vie  eft  un  tourment  extrême. 

Et  le  tre'pas  a  des  douceurs. 
It  vous,  Rochets  conftans,  prenez  part  aux  outrages  », 
Que  nous  ont  faits  les  flots  de  ja'oude  craûs; 

Brifez-les  fur  vos  coins,  aigus  ; 
Rendez-leur,  chers  Rochers,  ravages  pour  ravages. 
Vengez- vous,  en  vengeant  les  extrêmes  dommage* 
Que  nsus  avons,  heias!  injuftement  rejûs, 

Joiiets  des  flots  Se  des  otages, 
CoqiHllages,   calmez  ce  violent  courroux. 

Nous 


I  D  T  L  L  E  s,         297 

Nous  fommes  mille  fois  plus  à  plaimîre  que  vouj  ; 

Ce  font  les  heureux  mariages. 
Sur  qui  îa  Mort  barbare  aime  à  lancer  fes  coups. 
Admirables  thréfors  du  tranfparent  abîme, 
Vos  defljns,  ('es  Mortels  devroient  être  envies. 

Quoique  tout  comme  eux  vous  perdiez 

La  fubftance  qui  vous  anime  , 
Vous  coflfervez  pourtant  des  attraits,  des  beaute's, 

De  diverfes  proj)riétés, 

Et  des  couleurs  ctincelantes  : 
On  vous  recherche  après  avec  empieflement, 
On  vient  vous  arracher  aux  vagaes  écumantes; 
Et  même  vos  morceaux  font  gardés  chererrent. 
Pour  nous, quand  fous  nos  corps  nos  âmes  éclipfc'es, 
rat  le  mal  deftruâeur  en  ont  été  chaffees , 
Et^Vi'Atropos  nous  m*  dans  la  lifte  des  Morts  ,  ' 
-j-  ,-.:  ;;      Que  refte-t'il  de  nous  alors? 
Qu'en  refte-t'il  ?  grands  Dieux  !  les  terribles  penfe'es  ! 
Tout  mon  fang  en  frémit  :  plus  d'appas, aucun  trait... 
La  beauté  qu'engendroit  le  foiJtfie  de  la  vie, 
,Et  qui  d'Adorateurs  étoic  toujours  fuivie  , 
N'eft  de  foi  tout  aa  plus  qu'un  difforme  portrait;. 
On  le  craint, pn  l'éloigné,  &  la  tombe  dévoie 
Un  amas  corrompu  que  la  Nature  abhorre. 
Mais  tirons  le  lideau  l'ut  des  objet5  d'effroi. 
Dont  l'afpeft  fait  p;\lir  le  Berger. &  le  Roi. 
Plaignez-  vous,  foûpirez, Humains,  fondez  en  larmes. 

M.iis  Ciel .'  mon  oreille  n'entend 
Que  plaintes,  que  courroux,  que  umrmuies,  qu'ai» 

larmes  ; 
Tout  l'Univers  déclame  d<  paioit  mécontent; 

N  s  Et 


îp^s 


IDYLLES. 


Et  par  fa  plainte  circulaire , 
Torme  un  concert  horrible  à  mon  entendement. 

Un  Elément  eft  en  colère. 

Et  fe  plaint  d'un  autre  Elément: 
La  Terre  e'tant  plus  baflè,  &  moins  en  mouvement» 
Eft  de  leurs  fiers  combats  la  vidime  ordinaire. 
Coquillages  dore's,  fur  le  fable  mouvant. 

Vous  vous  plaig-ncz  de  l'Onde  amere, 
L'Onde  à  fon  tour  fe  plaint  des  Rochers  8c  du  Vent, 
Le  Vent  du  prompt  Eole,  Eole  de  Neptune, 

Neptune  blâme  le  Deftin 
l'homme  à  charge  à  lui-même-,  inquiet,  incertain^ 
Accufe  à  chaque  inftant  les  Dieux  &  la  Fortune; 
Il  croit  que  tout  s'oppofe  à  fon  moindre  fouhait;. 
Le  Monde  entier  le  blefle  :  il  fe  fuit,  il  fe  hait. 
Il  devient  fon  Vautour,  &  lui-même  il  fe  longe; 
Il  femble  qu'il  s'y  plaife ,  &  que  fans  ceflè  il  fonge 
A  creufer  dans  fon  cœur  pour  chercher  des  chagrin*. 
Et  moi, j'ai  beau  gémir  pour  mes  bijoux  marins. 
Ma  plainte  eft  inutile  ,  8e  le  voleur  s'en  mocque. 
Confolons-nous  pourtant,  dofte  ami,cher  la  RoquS». 
Et  le  Ciel  à  jamais  nous  préferve  tous  deux 

Pc  tout  accident  plus  fâcheux. 


MIR' 


I  D  r  L  L  E  s,     \299 
M  I  R   T  I  L     ET    A  T  T  S. 

I  D  V  L  L  E     VIII; 

jê.  M.    DE  FOTÎTENELLE, Doy^j  de  ï" A' 

cadémie  Françoife ,  de  celle  des  Infcriptions  (j 
Belles- Lemes,  ^  de  celle  des  Sciences. 


M   I   R  T   1   L. 


V. 


Eux-tu,  crédule  Atys,  aimer  toujours  Ifmene? 
N-'es-tu  point  ennuyé  de  répandre  des  pleurs  ? 
Tes  jours,  ift'las!  font  une  chaîne 
D'inquiétude  ôc  de  douleurs. 


ATYS. 


Et  toi,  de  ta  Daphné,  qui  brave  ta  confiance, 
Mittil ,  mon  cher  Mirtil ,  tu  n'es  pas  mieux  traite. 
L'amour  par  i'eftime  commence  : 
Qu'a-t'elle  fait  qui  t'ait  flacé? 


M  I  R  T   I  !.. 


Ta  Maîtreflê  a  l'air  vif,  c'eft  une  aimable  brune; 
Mais  fon  cœur  trop  fouvent  cliange  de  favori. 

AtyS  aujourd'hui  l'importune; 

Hiei  il  étoit  l'amant  cheti» 


N  tf  A- 


300         /  D'  TL  L  E  Si 

A  T  y  s. 

Daphné  fait  honte  aux  lys,  mais  fes  couleurs, la»» 
guiffcnt. 

C'eft  une  onde  glacée,  un  Sel  oifcau  fans  voix. 
Ses  biens  fur- tout  l'enorgueilliflent, 
Peus-tu  te  flater  de  fon  choix! 

M   I  K   T   1  L. 

©her  Atys>c*eneft  fait  ;  ton  confeil  me  décelé 
L'eireur  où  trop  longtems  mo:!  cœ.ir  s'elt  engage. 

Doris  m'aime,  elle  eft  jeune  5c  belle  ; 

Je  l'aime,. 8c  me  voilà  change. 

A  T  Y-S. 

Clori5  m'a  plaint  cent  fois,  &  tout  bas  fembloit  dire;. 
Vengez-vous,  en  m'aimsnt,  de  fes  derniers  refus,. 

C'eft  pour  Cloiis  que  je  foupire; 

ifmene,  je  ne  t'aime  plus. 

M  1   R   T  I   L. 

Mais  Daphné  ... .  •  que  d'attraits  î . . . .  a  Ciel  !...,. 
mon  cœur  fidèle 

Se  dédit  des  fermens  qu'Atys  m'avoit  furpris. 
Ali.'  j'aime  mieux  mourir  pour  elle, 
Qiie  vivre  mille  ans  pour  Doris. 

A  T  y  s. 

Mais  Tfmene  a  des  yeux  qui  commandent  qu'on  raiirC; 
Ton  entretien,  Mirtil,  eft  un  poilbn  fatal. 

.     ,  Oui. 


I  D  T  L  L  E  s.         301 

Gui  jeTaimerois,  fut-ce  mcma 
Entre  les  bras  de  mon  rival. 

FONTENELLE  ,  la  gloire  b"  l'honneur  de  nttre  %?,, 

Toi  qui  f  psr  des  talens  divers  ,. 
As  fait  vtir  de  nos  jours  que  la  Proje  &■  les  Vers 
Sur  Us  fiéclcs  pajfés  remportent  l'avantage  y- 

Sufpens  tes  illujîres  emplois. 
Pour  entendre  un  moment  mon  ruftique  hautbois» 
3t-lii  ^  je  relis  tes  Egltgues  fans  ceffe^. 

Et  les  admire  à  chai/ue  fois. 
Lti Bergers  y  qu^ a  produits  ta  Mufe  enchantereffe y. 

Sont  moins  fardéi  ,  moins  pointilleux  f. 
Que  ceux  dont  en  f es  Vers  doux  ,  faciles  y  heureux  ^  , 

Racan  fit  parler  la  tenireffe  : 
Quoique  ceux  de  Segra'^/o.ent  galùns y  inginus^^ 
Us  font  trop  copiés  (y  de  Rome  Çy  dn  Grèce  ^ 

Leur  Jî  y  le  un  peu  rude  me  bUffe  ^  . 
Et  leurs  difcours  par-tout  ne  font  pas  foittenus. 

Des  tiens  je  prife  beaucoup  plui. 

L'originale  po'iteffe. 
N\ont-ils  pas.  réuni  tous  les  fuffra^ei  dûs  • 

A  leur  douce  délicateffef 

Les  miens  y  dépourvus  d'agrément  ^. 

N'entreront  point  en  oarallele  : 

Heureux  !  s'ils  pouvoient  feulement 
jS.Uirer  Us  regards  du  fs avant  fONTENEUUE.. 


N7  IDYL- 


502         I  D  Y  L  L  E  S. 


IDYLLE     IX. 

Le  Feyage  de  l'amour  S'  de  V  Hymen. 

J   MADAME     DE    MONDORET 
DU    C  ROI  SIC. 


L 


/Amoua  avec  l'Himen,  compagnons  de  voyage» 
Vivoient  en  bons  amis,  ôc  n'avaient  pour  tous  deux 
Que  la  charmante  Iris,  dont  le  cœur  jeune  &  fage 
îaitageoit  fci  faveurs  également  entre  eux. 

Jamais  tant  d'amitié  n'avoit  uni  deux  frères^ 
A  l'Himen  volontiers  rAmiàr  prêtoit  fes  traits» 
L'Himen  adouciflbit  fes  préceptes  févexes  , 
£t  faifoit  de  l'Amour  réulfir  les  fouhaits. 

Les  ombres  delà  nuit  par  malheur  les  furprirent,. 
Dans  un  lieu  folitaire,  éloigné  des  hameaux: 
L'air  étoit  calme  fie  pur,  à  terre  ils  s'étendirent; 
Un  buiflbn  arrondi  leur  fervit  de  rideaux. 

Iris  nonchalamment  tomba  fur  la  fougère. 

Ses  amans  au  hazard  fe  mirent  à  côté. 

Quelque  part  qu'on  fe  trouve  auprès  de  fa  bergère  > 

Le  lieu  le  moins  commode  eit  un  lit  enchanté. 


L'aimable  &  petit  Dieu  que  révère  Amathonte, 
Xiompé  pai  k  foauueille  picmiei;  s'cudu;mit; 

L'an- 


I  D  T  L  L  E  s.  303 

L'autre  entretint  Iris,  &  fît  fi  bien  Ton  compte. 
Qu'il  la  perfuada  par  ce  qu'il  lui  promit. 

Quitte  un  marmot,  dit-il  :  Tes  jeux ,  fa  folle  enfance,, 
Sa  malice  en  a  dû  détacher  ta  raifon  ; 
Vien  ,  ma  Belle ,  avec  moi ,  ma  durable  coaflancc,. 
Mes  palaiij.mes  trçfors  font  toujours  de  faifon. 

Gn  le  croit,  on  s'enfuit,  l'Amour  avec  l'aurore,. 
Ouvrit  fes  triftes  yeux  pour  répandre  dés  pleurs  j: 
Vainement  unZéphit,  volant  autout  de  Flore, 
Fit  plei(voir''dans  fon  fein  des  parfums  Scdes  fleurs» 

Le  roflîgnol  plaintif  foupira  fes  allarmes , 
L'onde  fur  le  gravier  murmura  fes  tourmens; 
Les  rochers  attendris  fe  fondirent  en  larmes,. 
Et  l'écho  répéta  fes  longs  gémilTemens. 

L'Himen  fier  &  pompeux  fit  ce'le'brer  la  fête 
Qui  devoir  enchaîner  fon  dcftin  pour  toujours^ 
Imprudent  qui  croyoit  jouir  de  fa  conquête. 
Sans  que  rien  traverfât  le  bonheur  de  fes  jours^ 

liis  ne  tarda  point  à  fentir  fa  tendreflfe 
LanguilTante  &  changée  en  d'éternels  de'gouts;: 
Le  devoir  gâta  tout  ;  &  la  délicatcfTc 
Chercha  l'amour  en  vain  dans  les  bras  d'un  £pous« 

L'ennui  la  dévora ,  fon  ardeur  infenfée 
lilaudii  un  importun  &  s'en  plaignit  cent  fois; 
Heureufe  !  en  l'enlevant ,  s'il  eût  eu  la  penfée 
Te  lui  lavii  aulli  fes  traits  &  fon  carquois. 

L'En* 


304         IDYLLE  S. 

L  Enfant  conta  Tes  maux  à  fa  charmante  Mère; 
Qui  le  piit  dans  Tes  bras,  ^  pour  fécher  fcs  pleurr,. 
Lui  dit  en  le  baifant;  qu'elle  alloit  de  Cithcre 
Exiler  le  cruel  qui  caufoit  fes  douleurs. 

IMui  promit  auflî  de  fuir  fa  compagnie^ 
Et  de.juis  que  l'Himen  lui  fît  ce  lâche  tour. 
Les  plus  rcndres  am.ins ,  aufli-tôt  qu'il  les  lie. 
Ont  vu  voler  loin  d'eux  lé  gaL.nt  Dieu  d'"amour. 

Ainiable  Mondoret ,  îngénùufe  amie  y 
C'eft  parmi  vos  jardins  vtrdoynr.s  Çr  fleuris  y- 
Que  vnir.queur  des  broiiilliurdi  de  tna  méltzr.iolie  ^. 
Le  Dieu  des  yèrs  cent  fors  éclaira  mes  efprits. 

Quand  le  fidèle   Himtr,  fous  la  plus  douce  chcir.e 

Entrel«Jfolt  vos  Jours  gui  coùloient  fans  tnnui^ 

L'/lMOur  p/2rut  alors  rcncn:er  à  fa  haine  y 

Et  vouloir  déformais  s'accorder  avec  lui. 

•) 
Mats  votre  Epoux  pajfant  dans  la  h  arque  fatale  ^, 

L'Amour  contre  l'Himen  r'alluina  fon  courroux  f. 

Irrité  de  voui  voir  ,  Epnufe  far.s  égale  , 

là  un  Gr  l'autre  à  jamais  les  bannir  loin. de  vous, 

y  aï  tardé  trop  long^iemps  à  parer  mes  ouvrages 
D'un  rom.cbèr  à  mon  cotur  pendant  que  je  vivrai  i 
*j4h\  ft  je  quitte  un  jour  ces  maritimes  pliiges y 
Ct  fera  veui  fur^tout  que  je  regretterai. 

£LE. 


50S 


ELEGIE. 

J.  El  qu'aux  Bords  du  Méandre  unCigne  languiflanç 
Annonce  fon  trépas  par  un  Jugubrc  chant  ; 
Tel,  prêt  à  terminer  une  importune  vie. 
Déchu  de  mon  bonheur,  oublie  de  Sylvie, 
Aies  toutmens  aujourd  hui ,  pour  la  dernière  fois. 
Dans  ces  lieux  defolés  font  entendre  ma  voix. 
Tout  eft  changé  pour  moi:  je  vis  hier  l'ingrate,, 
I<.'uni«]ue  objet,  hélas!  aont  la  beauté  me  flate. 
Elle  qui  me  juroit  mille  fois  chaque  jour 
Qu'elle  brûloit  pour  moi  d'un  immuable  amoat. 
Je  la  vis:  pnr  l'Amour  la  belle  alors  conduite, 
M'npper^ut,  &  foudain  voulut  prendre  la  fuite» 
^'ignore  quel  hazard,  en  retenant  fes  pas, 
La    tourna  vers  celui  qu'elle  ne  chetchoit  pas» 
L'infîdell-  a»ffi-tôt,  à  mon  abord  émue, 
Rougit,  pâlit,  me  paile  en  détournant  la  vue; 
Enfin,  m'envifageant,  femble  ,  à  fon  air  gêné. 
Plaindre  un  léger  moment  autre  part  deftiné. 
Dans  fes  yeux  inquiets  fon  rnconftance  eflr  peinte;'* 
Alors  du  dérefpoir  Tentant  la  vive  atteinte,  * 

Confus,  m'abandonnant  aux  plus  juftes  douleurs,' 
Serrant  fes  belles  mains,  que  je  mouille  de  pleurs. 
D'un  fi  prompt  changement  je  demande  la  caufe:- 


306      E    L    E    G    I    E. 

Ma  flamme,  à  fa  froideur  eft  tout  ce  que  j'oppofcf 
Mais  l'ingrate,  éludant   des  propos  fuperflus: 
Non,  dit-elle,  Tirois,  non,  je  ne  t'aime  plus; 
Je  fuis  lafle,  à  la  fin,  de  vivre  en  efclavagc. 
Puis ,  donnant  un  pre'texte  à  fon  humeur  volage  : 
jRetoariie  ou  Ton  t'a  v6;  retourne  chez  Gloris,. 
Vanter  le  nouveau  feu  dont  ton  coeur  eft  épris. 
A  «s  mots,  de  mes  bras  elle  s'eft  échappée.  , 
Ce  difcours  me  furprend ,  mon  ameen  eft  frappe'e. 
Je  frémis;  &  ma  voix,  étouffée  en  mon  fein, 
Kefufe  de  m'aider  à  plaindre  mon  deftin. 
Semblable  au  malheureux  effleuré  par  la  foudre; 
Quoiqu'il  vive,  il  fe  croit  déjà  re'duit  en  poudie; 
Il  demeure  immobile  ;  &  fon  oeil  ne  fçait  pas 
Si  c'eft  le  jour  qu'il  voit,  f  u  la  nuit  du  trépas. 
L'ai-je  bien  entendu?  Quoi  !  d'un  amour  fi  terdre 
C'éfoit  donc  là  le  fruit  que  je  devois  attendre  f 
Aflez,  cre'dules  cœurs,  trop  fidèles  amans. 
Fiez- vous  déformais  aux  tranfports  ,aux  fermcns: 
On  vous  joue  à  la  fin  pat  une  indigne  rufc; 
C'eft  vous  que  l'on  trahit,. &  c'eft  vous  qu'on  accufc. 
Ah!  puifque  vers  Sylvie  il  n'eft  plus  de  retour,. 
Mourons,  fermons  les  yeux  à  la  clarté  du  jour. 
Un  amant  plus  aimable  occupe  fa  penfe'e; 
Elle  lit  avec  lui  de  ma  flamme  infenfée. 
Mais  toi,  cruel  Amour,  d'une  inutile  ardeur 
Veux-tu  toujours  brûler  mon  déplorable  cœur  ? 
Non  ,  barbare  tyran,  Vénus  n'eft  point  ta  mère: 
Sur  ies  rives  du  Styx  un  Dragon  fut  ton  perc; 
Une  H^die  té  poita  dans  fon  hoitible  flanc; 

Alec. 


ELEGIE.      307 

Alefton  te  nourrit  de  poifon  &  de  fangj 
Et  contre  les  Humains  s'armant  à  guerre  ouverte. 
Le  Tartare  béant  te  vomit  pour  leur  perte... 
Mais  que  fais-je  ?  Et  pourquoi  ces  outrageiix  propos? 
Servent-ils  à  calmer  la  rigueur  de  mes  maux? 
Veux-je  encor  de  l'Amour  initer  la  colère? 
Aimable  &  puiflànt  Dieu,  que  l'Univers  révère, 
Pardonne ,  Amour,  pardonne  à  mes  cruels  tourmens 
1,'excès  injurieux  de  mes  emportemens. 
Tu  fçais  le  trifte  état  ou  l'on  eft  quand  on  aime  ; 
De  tes  traits  autrefois  tu  t'es  blefle  toi-même; 
La  beauté  de  Pfyché  fut  le  brillant  Hambeau 
Dont  l'éclat  fe  fit  voir  à  travers  ton  bandeau: 
Tu  l'aimas  tendrement ,^  &  tu  fentis  pour  elle 
Ce  qu'aujourd'hui  je  Ç?g.s  pour  Sylvie  infidelle  ,. 
Tu  n'as  qu'à  commander,  Dieu  d'Amour;  &  les  feus 
Dans  fons  cœur  refroidi  revivront,  fi  tu  veux. 
A  tes  divines  loix  mon  ame  eft  afletvie: 
Mais  s'il  te  plaît,  enfin,  de  conferver  ma  vie. 
De  mon  cœur  malheureux  vien  brifer  le  lien. 
Ou  par  un  jufte  effort  y  réunir  le  fien* 

Cétoit  dans  la  faifon  qui  rajeunit  la  plaine  ^ 

Que  la  folitaire  Malcraisy 
Près  d'un  buijfon  cachée  ,  était  a£ifc  au  frais  : 
Sur  le  penchant  d'un    roc  y    une  claire  fontaine 
Qui  partageait  fon  onde  en  differens  ruijfeaux  , 
Les  folâtres  Zépbir s  ,   &<  le  chant  des  Oi/eaux  , 
Réveillaient  la  Nature  y  ^  ranimaient  fa  veine  ; 
Quand  la  voix  d'un  Berger  Jur  le  champ  la  frappai 

ienfibli  »  j'on  cruel  martyre  ^ 


So8      ELEGIE. 

Elle  éicuta^  gémit  ^  voulut  en/aite  écrire  t 
Maïs  f on  faible  crayon  de /es  doigts  s'échappa» 
Cependant ,  de  ce  trouble  y  oà  la  piiii  l' engage  f 
La  févert  raifnn  ri-.ppellant  fon  efprit  > 

E.llt  s'apprmha  davantage  ^ 
Pour  tracer  ce  fiiile  (y  douloureux  récit. 

L'Auteur  a  donné   quelques-unes   de   feJ  plc'cc» 
fbus  k  nom  de  Mademoilelle  Malciais, 


POE. 


509 


POESIES 

ANACRE'ONTIQUES. 

I. 

HIPPOMENE. 

A  Mademoifelle  B. 

Il  y  avoit  une  fort  belle  Statue  d" Hippomene  dans 
les  ''Jardins  d'une  Maijon  de  Campagne,  cîi 
cette  DeiiwiJeUe  a  pajjé  une  partie  de  la  belle 
~faiJ'on.  La  tête  de  cette  Statue ,  étant  tombée  ^  a 
donné  occajton  aux  Fers  juivms. 


A 


Ffkanchi  des  liens  de  la  fiere  Atalante, 
pans  ceï  Jaiduis  fleuris  j'avois  fixé  mes  pas: 
J'y  taifois  mon  bonheur  d'adorer  vos  appas. 
Je  vous,trouv,ois  toujours  plus  belle  &  plus  ch;irmante« 
Doux  2c  frivole  efpoir,  dont  je  fus  trop  épris J 

Defirs,  qui  fçûtes  trop  me  plaire! 

Autrefois  d'un  objet  févere 
La  Pomme  d'Or  fit  triompher  Paris: 
Méprifant  les  dangers,  d'Ataïaure,  s  ce  prix. 

J'obtins  la  Tupeibe  conquête, 
•   -  Maïs 


Srq  POESIES 

Mais  de  cet  Or  brillant,  en  tous  lieux  fouhaité. 
Votre  cœur  vertueux  ne  fut  jamais  tenté  : 
Nul  amour  ne  lui  plaît,  nul  effort  ne  l'arrête. 
Tous  les  miens  près  de  vous, hélas!  ont  été  vainJ. 
Vos  yeux  m'ont  confumé;  j'en  ai  perdu  la  tcte. 
Combien  d'Amans  ont  eu  le  fort  dont  je  me  plains! 

II. 

j4  Ma4a7ne  du  H  alla  y. 

X5  EI.LE&  jeune  Hallay,  qumd  fur  le  Clavecin 

Vos  mains  enfantent  l'harmonie, 
Enyvré  de  plaifir ,  un  charme  tout  divin 
Me  pénètre,  m'émeut,  maitrife  mon  génie. 

Je  vois  vos  doigts  légers  transformes  en  Amours, 
Doux  tyrans,  enchanteurs  agiles. 

Errer,  courir,  voler,  fur  les  claviers  dociles, 
£t  faire  mille  jolis  touts. 

Qu'ils  font  vifs  5c  touchans,  ces  Enfans  de  Cythère  ï 
Mais  pour  ravir  les  cœurs,  c'eft  bien  affez  fans  eux» 
Qu'avec  leur  frère  aine ,  leur  triomphante  mère 
Regac  fur  rotre  lèvre  &  brille  dans  vos  yeui. 


nu 


ANACREONTIQUES.    31Ï 

m. 

Four  le  Portrait  de  Madev:oîfelle  Salle',  Pen- 
formaire  du  Roi  ^our  les  Ballets  de  S.  M. 

I  /  E  s  Senti  mens  avec  les  Grâces 
Animent  fon  talent  vainqueur; 
Les  jeux  voltigent  fur  fes  traces; 
L'Amour  eft  dans  fes  yeux,  la  Vertu  dans  fon  cœur* 

y. 

A  Mademoîfelle  Gaussin. 


Q. 


JtlAND,  fous  l'habit  de  Melpomène> 
Attirant  tous  les  cœurs  à  vous, 
L'Amour  vous  voit  verfer  des  larmes  fur  la  Scène, 

Il  vous  croit  tendre ,  Se  vole  à  vos  genoux 
Pour  vous  entretenir  du  récit  de  fa  peine. 
Mais ,  bien  loin  de  flater  fon  amoureux  tourment. 
Vous  ne  daigneriez  pas  l'écouter  feulement. 
Ah  !  dit  ce  petit  Dieu,  fondant  en  pleurs  lui-même. 
Vous  feignez  de  pleurer ,  charmant  objet  que  j'aime  ; 
£t  je  pleuce  ilncérement. 


j 
T. 


312         POESIES 

V. 

O  Yltie,  au  fond  d'un  bocage 
Me  failoit  de  deux  Moineaux 
Remarquer  le  badinnge 
Sous  les  feuillages  nouveaux. 
L'un  d'eux  quitta  la  partie. 
.  Ah!  dit  l'aimable  Sylvie 
Avec  un  air  deiolé, 
Regarde  un  peu,  je  te  prie; 
C'eft  le  mâle,  je  parie, 
C'cft  lui  qui  s'ell  envole. 

VI. 

DEUX  Moineaux,  un  beau  jour,  fur  un  tas  de 
froment, 
S'£nyvroient  des  douceurs  d'un  rendre  mariage; 
Ils  alloient  &  venoieiTt,s'embrafibient  gentiment: 
Et  puis,  interrompant  l'amoureux  badinage, 
Detems  en  tems  croquoient  du  grain  gaillardement 

Par  forme  de  delaflement. 
Ah  !  dit  Mirtil ,  aflls  fur  la  verte  fougère 
Avec  Amarillis  fon  aimable  Bergère, 
Hymen,  que  tes  plaifirs,  à  mon  grc,  feroient  dour , 

Si,  comme  ces  ;etits  époux, 
On  étoit  fur  apics  de  faixe  bonne  cheie  ! 
V?  VII. 


à 


JNJCRKONTI^UES.    313 
vu. 

J_v'AMOUK,  en  badinant,  voloit  fut  un  Preffoir. 

La  couleur  du  Ne^ar,  fon  odeur  le  charmèrent. 

Et  tenté  d'en  goûter,  le  Dieu  s'y  laiffa  cheoir. 

Soncarquois  s'en  remplit.  Tes  traits  s'en  abreuvèrent. 

De  là  vient  qu'aujourd'hui  l'on  voit  tous  les  Amans, 
Saifis  d'une  double  tendrefle. 
Entre  le  Vin  &  leur  Maîtrefle 
rartager  leurs  plus  doux  momcns. 

V^  1 1. 

Sur  un  homme  qui  fuit  par-tout  une  Demoljellet 
dont  il  n'ejî  point  aimé. 

V  Olant  autour  de  la  jeune  Climeae, 
L'Amour  s'alla  pofer  fur  fon  chignon  : 
Fuis,  empêtré  dans  maint  5c  maint  fiifon. 
Pour  en  furtir  le  pauvret  fe  démené  ; 
Sembloit  qu'il  fût  tombé  dans  un  buifibti» 
Tircis  paflànt,  A  l'aide,  Compagnon, 
Cria  l'Amour,  vien  me  tirer  de  peine. 
L'autre  approcha:  mais,  en  tendant  la  main. 
Le  Dieu  l'attrape  8c  l'enchaîne  foudain] 
Voilà  pourquoi,  par-tout  où  la  Cruelle. 
Porte  fes  pas,  Tircis,  qui  l'aime  en  vain. 
Soir  ôc  matin  va  toujours  après  elle, 
Xcm.  J,  O  IX. 


314-          POESIES 

IX. 


C 


Oci_ importun,  qui  vous  faites  entendre 
Dins  ces  lieux  éloignés  de  la  Ville  &  du  bruit, 
Pourquoi  m'arrachez- vous  au  rêve  le  plus  tendre? 
M'envici-vous ,  hélas!  un  moment  dans  la  nuit, 
OU  le  fommeil  etoit  venu  fufpendre 

Le  noi;   chag.in  qui   me  pourfuit, 
Et  qui  même,  aufll-tôt  que  le  Soleil  nous  luit. 

Au  fond  de  nos  bois  va  m'attendie? 
Impérieux  Oifeau,  que  je  trouve  en  vos  chants 

De  vanité,  de  folle  gloire! 

Vous  faites  comnr-  les  Amani  ; 
Et  fans  avoir  vaincu,  vous  chantez  la  viftoire. 
Mais  ne  pourriez- vous  pas  contenter  vos  defirs. 
Sans  en  faire  éclater  la  fupcrbe  nouvelle? 

Ah!  rindifaétion  cruelle 

Augmcnte-t'clle  les  plaifits? 

#% 


X. 


ANACREONTIQUES.    315 


X. 

C     H     A     N     S      O      Ny 

Notée  dans  un  des  Mercures  de  France , 

Sur  les  Vi6loires  du  Roi; 

Par  Madame  DESFORGES  MAILLARD. 


A 


UTEURS,  dont  abonde  Patis« 
Rej-ttons  Pindariques, 
Faites  en  l'honneur  de  LOUIS, 
Des  Odes  m^nifiques. 
Chacun  ici  dans  ia  chanfon, 
Qu'arnnie  un  zèle  extrême. 
Dit,  s'il  eft  vaillant,  il  eft  bon, 
Voilà  pourquoi  je  l'aime. 

Ypres,  Fumes,  Fribourg,  Menin, 
Soumis  par  fa  vaillance, 
Vous  n'étiez  que  l'éclair  prochaia 
De  la  foudre  qu'il  lance. 
Chacun  ici  &c. 

François,  arrêtez  votre  Roi 
De  fon  fang  trop  prodigue. 
Et  que  vos  coeurs  à  Fontenoi 
Au  fien  fervent  de  digue. 
Chacun  ici  &c. 

o  2  Soa 


i6         P,0  E  S  1  E  S 

Son  Dauphin  reflèmble  à  l'aiglon 
Brave  au  fortir  de  l'aire, 
Et  fuit,  tel  qu'un  jeune  Lion;J 
La  valeur  de  fon  Père. 
Chacun  ici  &c. 

Mars  le  prend  pont  le  Dieu  d'amom. 
Aux  traits  de  fon  vifage  ; 
Et  l'Amour  le  prend  à  fon  tour 
ppur  Mars  à  fon  courage. 
Chacun  ici  &c. 

Chaque  Soldat  eft  un  Cefar, 
Que  iianfporte  la  gloire; 
Pour  eux  le  péril  eft  un  fard 
Qui  pare  la  Viâoip5. 
Chacun  ici  ôcc. 

Toutnay,  ce  colofle  orgueilleux, 
Défioit  Je  tonnerre; 
Louis  d'un  legatd  de  Ces  yeux 
L'a  brifc  comme  un  verre. 
Chacun  ici  &c. 

La  Paix  commence  à  s'annoncer 
Dans  le  fein  de  nos  Villes; 
Le  Plaifir  vient  la  de'vancer 
Dansles  hameaux  tranquiles. 
Chacun  ici  &C. 

Sans  avoir  peur  que  l'Etranger 
lUIe  fa  bergerie» 

Clo. 


JN.^  CKEO  N  TIQUE  S.    3 1:7, 

Cloris  joue  avec  Ion  Ecrgei 
Sur  la  verte  prairie. 
Chacun  ici  &c. 

te  Villageois ,  frais  &  nourri , 
Les  Dimanches  va  mettre 
Au  pot  la  poule  que  Henri 
Né  fit  que  lui  promettre. 
Chacun  ici  Sic. 

Louis  dit,  comftie  ce  Vainqu^m 
De  la  Ligue  rebelle, 
Je  fuis  riche  affcz,  j'ai  le  cœut 
De  mon  peuple  fidelle. 
Chacun  ici  S^. 

Si  de  tout  iiluftre  Guerrier 
Le  nom  devoir  s'écrire, 
L'Àiivergne  avec  tout  foa  pjpiej: 
Pourroit-elle  y  fufire? 
Qye  chacun  dife  en  fa  chanfon 
Avec  un  zèle  extrême. 
Que  le  cœur  du  François  repond 
Au  cceiu  du  Roi  ^ui  l'aime. 


o  i  XI. 


3i8  POESIES 

XI.  •* 

Sur  l'air  (  Les  Bergers  de  notre  Village.) 

J^  Ous  n'avons  pour  philofophic 
Que  l'amour  de  la  liberté  ; 
Ilaiflrs,  douceurs  faiis  jaloufîe. 

Volupté, 
Poitez  dans  notre  compagnie 

La  gayté. 

Nous  bravons  la  fotte  critique 
J^es  Hipocritcs  en'tourouxj 
l,a  moiale  mélancolique 

De  ces  foux 
Ne  trouvera  point  de  pratique 
Parmi  nous. 

Le  Nocher ,^  qui  prévoit  l'orage, 
Craint  même  quand  le  vent  eft  bon; 
Ëternifons  du  badinage 

La  faifon; 
On  manque,  à  force  d'être  fage^ 
De  raifon. 

Le  fier  Caton  ,  quand  il  Ce  perce  , 
Se  livre  à  de  noires  fureurs; 
naeréon  •  oui  fait  commerce 


Anacréon ,  qui  fait  commerce 
De  douceurs, 


At- 


A]<1ACRF0NTIQVES.     319 

Attend  le  trépas,  &  fe  berce 

Sur  des  fleurs.  ' 

Beautés,  dont  mon  amc  eft  ravie. 
Vos  yeux  enflamment  te  féjour; 
Bacchus  fûûrit,  &  s'alTocie 

A  l'Amout; 
Tous  deux  à  l'aimable  folie 
Font  la  coui. 

Q^ie  chacun  boive  à  fa  conquête. 
Ne  vous-en-fâchez  point,  Epoux, 
Le,  fort  que  la  nuit  vous  aprcte, 

Eft  plus  doux; 
Mais  vos  femjiies  dans  cette  fête 
Sont  à  nous. 

XII. 

Sur  l'air  {Aimable  VaîtKimur y  ^c.) 


L 


A  Socic'té, 
Fine  Volupté, 
Vous  apelle  à  table, 
Pille  agréable 
De  roifiveté. 
Délicateflè, 
Chatouillez  (ans  cefl[è 
Mon  cœur  enchante. 
Quittez,  cher  Cornus, 

o  4  ta 


320         POESIES 

La  Gour  immortelle, 
Portez  fur  votre  aîle 
Le  riant  Momas. 
Venus  defcend, 
Baccbus  vous  attend. 
Troupe  fortunée  , 
Que  ma  deftinée 
.Me  piait  à  prcfent  ! 
Un  jour  n  doux 
Vaut  mieux  qu'une  année 
Qu'oa  pafle  faas  vous. 

XI  I|^ 

Sur  l'air  (/r»V  porte  le  Dieu  du  vin ,  Êf  celui  dt 
Cythere.  ) 

I  £  crains  moins  ce  jus  pétillant , 
^  Qii'un  minois  qui  fait  plaire; 

Sans  façon,  quand  la  foi f  me  prent, 

Uacchus  me  defaltere , 
Au-Iieu  qu'on  n'ôfe  expliquer  fon  tourment 

Chez  le  petit  Dieu  de  Cythère, 

Si  le  Champagne  enyvre  Hn  jout 

Ma  nifon  réjouie, 
Je   vois   reparoîcre  à  fon  tour 

M.T  fagefle  embellie; 
Mais  quand  un  coeur  eil  enyvie'  d'Amour, 

C'eft  fouvept  p.our  toute  la. vie.. 

Je 


ANACREONTIQUES.    321 

je  bois  à  vous,  cercle  d'amis, 

Parti  fans  de  la  table; 
Je  bois  ,  Nannette ,  à  ton  foiuis , 

A  ta  bouche  adorable. 
Bacchus....  Nannette....  Amour,  me  voilà  pris, 

Nannette  !  ô  Dieux  !  qu'elle  eft  aimable  ! 

^  '.  .  XIV. 

Sur  l'air  (Le  Tère  Dominique  ^c.) 


Çb 


'u'uN  repas  eft  aimable! 
Quc'tout  y  paroit  bon! 
Quand  le  coeur  eft  à  table  , 
Comme  en  ces  lieux, A'une  fête  agréable^ 
Le  Maître  Si.  l'JEchanfon. 

Que  vingt  peuples  en  guerre 
Se  battent  fans  pitié { 
Loin  du  bruit  du  tonetrCy 
Kions,  amis,  faifons  à  coups  de  vcrrC 
Des  combats  d'a^nitié! 

Oublions  du  dixième 
Les  fâcheux  embarras; 
Tâchons  par  ce  Syftême  , 
Que  nos  plailîrs  foient  le  feul  bien  fuptSmej 
Qu'on  ne  décime  pas.  j 

Charmante  Compagnie, 
Pourquoi  nous  quittons -nous? 
Politeflè,  génie, 

rrv-*«  i;  o  $'  font 


322     ^  ]P  0  E  S  I)E^^':.^c; 

Tout  ce  qui  fait  ]a  dou(C^m,d^.^-,vie:^  ,  .^  .;  ^  ^^ 

se  icncontie  chç6jr<)fis^^  éncJinsî      •     - 

'  '    ■ XV.    "  •    '    ■    ■•  ■''— 

ji  M.  TITON  RU  Hkl^.Ti. .   >■ 

Par  Madame  DESFORGES-MAILLARD, 
^ti'^vi. (^Aimable  Vainqiieuty  '^cj^ 

\j^  lî  jrompfe  te»  jours 
Qu'avec  les  Amours  , 
Les  jeu.\^  les  Gwcçs,  -^t 

q^i  fui  tes  traces  j  na  iiuta  :D 

Voltigent  louJQUlSwl  i  i^  ii::;!'.  oJL 
A  ton  génie 

TiTON>  ^*' 1*  vie  .0 

Livre  l'heureiix  cours.  - 

Sui  de  teédefirs  oJ[ 

La  pïnte  facile:  ,  Àr.vt  «tnoi.l 

pour  toi  Clotb-âle,.  L>  c^Miiao)  esd 
Au  gré  des  plaifirs^ 
l'iaifirs  charmanf/--^'^^^  îf-oiJdyCÎ 
Vos  amufenréiis;'''^-^  v..-2ib£i  «aJ 
Leur  di,licatcHe  '  ''  ^^  icq  jnoibiT 
♦  TroiT>pent  la  vitefle'  '•";'■'  "«^'/^-l  20«  ^'i^ 
De  l'aile  du  tiempr ;    --^  ^-  ""'^ 

Tout  eft  printfirpi  .  ,. .^ 

Et  toaÇiçft'jçuneflTe       ,  .  .    ~  . 

Pour  les  cœurs  contcn,?.       r.^,.    j 


323 

SONNETS. 

SONNET     I. 
LA   DE'FAITE   de  la   PATIENCE  DE  JOB. 

J  Aloux  des  moeurs  de  job,  dont  l'ame  étoit  fi  pure , 
Et  que  divers  attraits  n'avoient  pu  d;-ranger, 
Le  Diable  avec  la  femme  autrefois  fit  g-igeuic, 
A  qui  viendroit  à  bout  de  le  décourager. 

Le  premier,  aflîftc  d^a  paavreté  dure  , 
Cou'vic  Ton  corps  d'horreurs,  met  Tes  jours  en  danger;. 
L'autre"  gronde,  l'agace,  &  l'excite  au  murmure, 
Sur  fa  confiance  même  habile  à  l'outrager. 

Satan  l'exerce  en  vain;  mais  par  ergoteric 
Sa  Rivale  le  force  à  détefter  fa  vie. 
Et  fait  en  fourinnt  les  cornes  au  Malin. 

Contre  Pons  les  maris  ce  ri  eux  défi  fubfifte; 
Et  quoiqu'à  triompher  tourç  femme  perfifle,      , 
Le  Diable  a  du  pari  le  profit  à  la  fiii. 


O  6  SON- 


524:        SONNETS. 

s  ON  NE  T    IL 

y/  M.   TITON  DU  TILLET,. 

X  OVK  preuve, cher  Titou, qu'il  n'eft  pas  difficile 
D'obtenir  des  emplois  &  d'cire  aime  des  Grands, 
Tik  vois  fin  le  Pinacle  une  troupe  imbécile 
Qui  fans  mœurs, fans  efpritjmcconnoît  lebonfens. 

Mais  le  bonheur  me  fuit:  la  Fortune  iadocile 
Regarde  avec  racptis  ma  vertu,  rnes  talens: 
Tour  s'attache  à  me  nuire;  &  d'un  ePpoi-r  ftcrile 
L'injul^ice  a  payé  mon  travail  &  mon  tems. 

Le  jour  de  ma  nainânce,  un  aftre  redoutable, , 
Dcplo/ant  dans  les  airs  fa  crinière  effroyable, 
Pxéfagea  la  fureur  de  mon  ctuel  deftin. 

Ecoute  encor:  je  mets  un  bas  ne«f  ce  matin; . 
\lne  maille  s'c'chappe,  &  J'ouvrage  eft  au  Diable, 
Biifé. depuis  le.  haut  jufqu'à  mon  efcarpin. 


SON- 


s  0  N  N  E  T  S.        325 

s  O  N  N  E  T     III. 

A'  Madame  du  H**. ,  dont  un  des  yeux  e{l  privé- 
de  la  vue  par  la  petite  vérole^  fans  être  défiguré. 


L 


/'Effroi  de  la  beauté,  ce  mal  contagieux^ 
Monftre  ne  de  l'Enfer  &  de  la  Jaloufie, 
K^  pu  défigurer  les  attraits  d'Afpafie, 
De  la  claité  du  jour  privant  uu  de  Tes  yeux. 

C'eft  toujours  cet  objet,  pour  qui  la  main  des  Dieur, 
Dans  le  corps  le  plus  beau,  mit  une  ame  choifie; 
Sous  un  crêpe  fatal  fa  prunelle  obfcurcie , 
Laifle  encore  e'chapj«r  mille  traits  gracieux. 

Largiliere,  Rigaut, grands  Peintres  de  notre  âge. 
Imitez ,  à  l'envi ,  de  fon  charmant  vifage 
L'utt  &  l'autre  côté,  de  profil,  tour  à  tour; 

Faites-en  deux  tableaux  ;  8c  que  votre  Art  fidèle  j 
Parles  efforts  vainqueurs  des  chef- d'œuvresd'AppellCa 
Dans  l'un  peigne  Vénus,  dedans  l'autre  l'Amout. 


Or  SON. 


32d 


SONNETS. 

SONNET     IV. 

ji  Monfmir  le  Marquis   de    Vekteillac, 

qui  je  trouva  reiiverfé  ^  dangereufement  cm- 
barrajfé  fûUi  J'on  cbtval  tué  fur  le  champ  de  ha- 
taille. 

Ir.gtnîts  animas  an^u/lb  in  ccrpore  verfaKt. 
Virg.  +.  Georg. 

y   ERTriLLAC,  digne  Fils   d'Ancêtres  généreux, 
La  Nature  à  dciïei!)  te  fit  pnr  le  corfage. 
Petit  comme  Alexandre,  &  grand  par  le  courage. 
Pour  rendre  au  naturel  ce  Héros  valeureux. 

L'honneur ,  à  fon  exemple  ,  e'^  l'objet  de  tes  vœux  ; 
le  laurier  de  nellonc  cft  le  prix  qui  t'eng-ge; 
Et  de  loin ,  comme  lui,  dévançaîit  ton  jeune  âge. 
On  te  voit  t'annonccr  par  des  exploits  fameux. 

Te  prefTant  fous  fon  cor))?  ?;  te  chargeant  de  gloire. 
Ton  Cheval  perd  la  vie  aux  champs  de  la  viâoire. 
Mais  par  ie  Dieu  des  Vers  il  eft  reirufcitc; 

Et  Fegafe  nouveau,  fon  aud.^ce  fidvl'e  , 
Au  Temple  radieux  de  l'hmmortalite , 
Nouveau  Beilerophon ,  remporte  fur  fon  aîle, 

Magnus  AUxander  ctrpore  parvus  erat. 

ODE 


.0    D    E    S.  327 


^  ODE 

A  M.  TITON   DU  TILLET.     ' 

Sur  la  mort  du  Père  V  a  N 1  e  a  E ,  Jéfuite ,  ci» 
lebre  Poète  Latin. 

y   A  N  I  F.  R  E  ne  vit  plus  :  le  talenr  le  plus  rare 
Ne  retient  pas  la  main  de  la  Parque  barbare; 

Tout  cède  à  fes  rigueurs. 
Le  Parnafle  cft  en  deuil  ;  Euterpe  fond  en  pleurs  ; 
Et  les  échos  des  bois,  oîi  fon  repret  l'égaré,. 

Répètent  fes  douleurs. 

# 

Rapin  la  confola  du  trépss  de  Virgile; 

Yaniere,  dont  la  veine  étoit  douce  &  facile. 

Du  trépas  de  Rapin. 
Qui ,  pour  la  conloler  de  ce  coup  du  deftin , 
Joindra,  comme  Vaniere,  &  !e  goût  ôclc  ftyle 

Du  beau  S.écle  Latin  i 

Les  hommes,  cherTiton,  tour-à-tour  difparoiflènt. 
Comme  dans  les  Jardins  on  voit  les  fleurs  qui  naiflent 

Se  flétrir  promptenient; 
L'une  feche  au  Soleil,  l'autre  s'cfeuille  au  vent^ 
Et  toutes  en  limon  fous  les  herbes  s'afFailTent 

De  moment  en  monient 

Un  bras  cache'  de'truit  &  repeuple  le  Monde. 
La  Terre  eA  U  marâtre  2c  la  mère  féconde', 
2.      J  Qiii, 


528  ODES. 

Qui,  formant  le  berceau 
De  tout  ce  qui  rcfpire,  en  devient  le  tombeau. 
Pour  l'un  ,  l'inftant  qiji  paflo  eft  une  nuit  profonde; 
Pour  l'autre,  un  jour  nouveau. 

B-uilTeau,  que  déformais  fur  les  herbes  mourantes, 
Vn  murmure  plaintif,  de  tes  ondes  erra:ntcs 

Accompagne  le  cours; 
Bois,  colines,  valons,  renoncez  aux  beaux  jours» 
Celui,  qui  célébra  vos  beautés  différentes, 

Vous  quitte  pour  toujours. 

Mais,. que  dis-je  !  brillez,  jardins ^  bois  &  verdure î - 
B-uiffeau,  qii'un  bruit  dateur  à  ton  trifle  muimuic 

Succède  déformais. 
.Celui,  qui  fcut  chanter  vos  b'*ns  &  vos  attraits, 
Va  joiiir  d'un  Printems,  dont  la  volupté  pure 

Ne  finira  jamais. 

Et  toi ,  Titon ,  &  toi ,  la  moitié  de  moi-même,  . 
Quitte  la  folitude,  où  ta  douleur  extrême 

Trouve  à  s'entretenir. 
Veuï-tu  que  cet  ami,  cher  à  ton  fouvenir, 
K,snaiirc  pour  te  voir;  &  de  la  Coût  fuptêine 

Coafentc  à  fc  bannir  ? 

Quoique  de  ton  amour  le  noble  témoignage. 
Qui  déjà  fur  le  bron?^  a  gravé  fon  vifage ,  , 

Soit  d'un  affez  haut  prix; 
Par  ta  plume  immortelle  au  rang  des  beaux  Efprits  , 
V>iniete  doit  encor  revivre  en  ton  ouvrage , 

Comme  dan»  Tes  .écrits, 

ODE 


odes:        329 


OHE 

EN  STROPHES  LIBRES, 

A    M.    TITON     DU     T  I  L  L  E  T. 

Sur  la  mort  de  M.  deLa^giliere,  Pein- 
tre célèbre. 

X-zARCrLiEREdefcend  dans  l'ombre  du  tombe»u. 
Cher  Titon;  tu  verfes  des  larmes: 

Apollon,  comme  toi,  dans  de  vives  allaimei, 
Gémit  fui  lejftouble  coteau. 

En  proie  à  fa  douleur  funèbre. 
Ce  Dieu  fe  retraçant  tant  d'ouvrages  parfaits, 
Veut  que  le  chevalet  de  ce  Peintre  célèbre 

Soit  fan  pupitre  déformais* 

De  fon  côté  Vénus  enrichit  fa  toilette 
Bu  coloris  brillant  que  produit  fa  palette. 

Et  rAmoiii ,  qui  puifa  dans  fes  rians  tableaux', 
Le  goût,.  Je  naturel,  la  douceur,  la  de'cence; 
Poux  foiîmettre  à  coup  fur  les  cœurs  à  fa  puiffancc > 
fait  des  flèches  de  fes  pinceaux^ 


ODE 


330  ODES. 

ODE 

EN  STROPHES   LIBRES, 

A  Voccafmx  de  la  mort  de  M.  le  Préjident  B  o  u- 
HiER,  de  l'Académie  Frartçoije. 


R. 


.OussEAU,  Rollin  Bouhier,  fi  la  Parque  cruelle 
B.efpeaoit  le  tncritc  &  les  talens  diver?, 
Les  vôtres,  dont  l'éclat  vole  pat  l'univers, 
Devroient  avoir  fléchi  fa  rigueur  criminelle. 

C'eftàinfi,  chers  amis,  qu'î,^vos  mânes  fîdelle, 
Ma  Mufe  commençoit,  en  peignant  Tes  douleurs. 
A  couvrir  vos  tombeaux  de  parfums  Se  de  fleurs. 

Mais,  brades  fçavans,  que  vainement  rappelle         •■ 

La  voix  de  mes  tendres  defirs  ; 
Vos  noms  préconifes  pat  l'eflime  [lublique, 
îaifant,  mieux  que  mes-  Vers ,  votre  panégyrique. 
Contentez-vous  de  mes  ibûpirs. 

Hélas!  aveugles  deftinées. 
Six  Siècles  rendront-ils  jamais  à  nos  neveux. 
Ce  qu'en  nous  enlevant  ces  trois  hommes  fameux. 

Vous  nous  âtez  en  ûx  années? 

* 


EPI. 


331 

E  P  I  T  A  P  H  E  S. 

E  p  I  T  A  F  H  E     I. 

Du  P.  BîiuMOY  Jéjiiite,  Auteur  du  Théâtre 
des  Grecs ,  ^  de  pUifteurs  Ouvrages  en  Profs 
^  en  Vers. 

\  Ette  fur  ce  Tombeau  des  fleurs  à  pleines  mains, 
Paflant;cy  gitBROMOY."  Les  Vers,  que  tu  vas  lire. 
Seront  en  peu  de  mots  fnffifans  pour  t'inftruire 
Dés  mœurs  &  des  taleiff  du  meilleur  des  humains; 
Critique,  Hiftorien ,  Poëte,  amifincerc, 
Sxns  relâche  appliqué  dans  le  champ  Littéraire, 
Sous  le  poids  des  travaux  il  mourut  abattu; 
Ayant  fçu  réunir  l'amitié,  la  confiance, 
La  douce  modeflic  5c  la  haute  Science, 
Le  bel  efpTit  &  la  vertu. 

,  E  P  I  T  A  P  H  E    II. 

DU  MARKCH4L   DE  BEKWICK, 

BEbwick,  d'un  coup  funeftc  atteint  dans  la 
tranchée , 
Tu  dcfcens  au  tombeau,  le  front  ceint  de  lauriers, 
La  Fiance,  vivement  touchée, 
-■  .  ,  Fond 


333     EPITJPHES, 

Fond  en  pleurs,  au  milieu  de  Tes  trïAes  Gueriieis.    I 
Ta  mort,  d'un  nouveau  luilre  orne  encor  ta  me'moire  ; 
C'eft  à  nous  feulement  de  nous  plaindrfr  aujourd'hui  : 
Intrépide  Berwick,  m  volois  à  la  gloire 
Sur  les  pas  de  Turenne  ,  &  tu  meurs  comme  lui. 

E  P  1  T  Aï  HE     III. 

nu  MARECHAL  DE  VILLA RS, 

Que  pluftews  maladies  dangereufes  obligèrent  dé 
Je  retirer  à  Turin,  où  il  ejl  mort. 


L 


/EXF.MPLF  des  Gnerrier^^le  vengeur  de  nos  Rois, 

ViLLABS,  l'honneur  de  fa  Patrie, 
VlLLARS  eft  mort  :  Ton  nom  fameux  par  fes  exploits, 

"         Fait  feul  l'cloge  de  fa  vie. 
Sous  les  armes  blanchi,  meprifant  le  trépas. 
Ce  Héros,  que  fuivoit  en  tous  lieux  la  viéloire. 

Couvert  des  rayons  de  fa  gloire, 
Prenoit  un  peu  d'haleine,  après  dveri  combats. 

Mais  hélas!  la  Parque  perfide. 
Qui  n'ôfa  l'attaquer,  quand  fon  bras  enflammé 
Foudroyoit  l'ennemi ,  vainement  animï'  ; 

Le  perça  d'un  trait  homicide, 
Dins  le  fatal  moment  qu'il  s'ctoit  dcfarmé. 


EPI- 


E  ?  IT  A  F  H  E  s.    333 

EPITAPHE     IV. 

De  Mademmfelk  l'Héritier  de  Vil- 
la n  d  o  n  ,  de  r Académie  de  Tonlouje  ^  de 
celle  des  Rîcovrati  d'Jtalie. 

1   j  E  corps  de  l'Héritier  lepofe  dans  ces  licux;; 

Son  ame  au  Ciel  s'eft  envolée. 
Sa  tombe  n'ofire  rien  de  magnifique  aux  yeux; 
Mais  fes  rares  vertus ,  fes  talens  prccTcux , 
Lui  font  dans  tous  les  cœurs  un  vivant  Maufolc'e, 

Niccc  d'un  grand  Magiftrat,  (*) 
Dont  le  goût  excellent  (^ns  la  littérature. 
Le  fit  autant  brillcr'que  fon  illuûre  état. 

Elle  reçut  de  la  Nature 
L^  nobicfle  du  fang;  Se  le  Ciel  y  joignit 
Une  ame,  que  fon  fouffle  aufli-tôt  annoblit. 
Par  vos  Tournois  Floraux  fameufe  Académie , 

Vous ,  Ricovrati  d'Italie, 
Gémiflcz;  vous  perdez  en  elle  un  ornement, 
Dont  l'avenir  va  faite  une  eftime  infinie. 
Que  de  fçavoir,  d'efprit  &  d'agrément! 

J^angucs,  Philofophie,  Hiftoire, 
Anecdotes,  cent  traits  curieux  &  divers, 
Compofoient  un  thrcfor  dans  fa  vafte  mémoire. 

Mais  fes  Ouvrages,  pour  fa  gloire. 

Parleront  bien  mieux  que  mes  Vers, 

En 
Ç*)  "Elle  ctoit  petite-njéce  du  Garde  des  Sceaux,  Du  Vair. 


334    EFITJPHES. 

En  ma  place,  il  faudroit  que  fa  célebie  amie,  (*) 
L'habile  Scudéi^  retournât  à  la  vie, 
Tour  couvrir  aujourd  hui  fon  Tombeau  réve'rc 
De  parfums  aufll  fins,  &  de  fleurs  auflî  belles 
Que  celles  dont  le  Hen  fit  par  elle  honoré. 
Les  neuf  Sçavantes  immortelles 
La  comblèrent  de  leurs  faveurs. 
Mais,  hclas  !  ô  dons  infidèles. 
Dont  la  poffefTîon  fit  languir  mille  Auteurs! 
Elle  vécut ,  ô  tems  !  ô  mœurs .' 
Dofte,  Vierge  ,  &  pauvre  comme  elles, 

EPITAPHE    V. 

DU  FRERE  HILARION  CAPUCIN. 

A  M.  di  P...  A...  Confeiller  du  Roi,  Père  fpî-_ 
rituel  des  Capucins  de  ***. 


C 


T  gît  le  Frère  H  i  l  A  R  i  o  N  : 
C'étoit  un  digne  perfonnsge  ; 
Nu!  autre  avec  tant  d'avantage 
N'honora  fa  Profenibn.  :l 

Encloîtré  dès  fon  plus  jeune  âge. 
Ce  fut  dans  l'Ordre  Capucin 
Qu'il  mit  fes  talens  en  ufage. 
Sans  impudence  il  fut  badin. 

Sans 

(*)  Elle  a  fait  une  Pièce  intitulée  :  J^otbiofi  de  Madmtifiilt 
mt-Seudcrj,  qui  cft  très  eftitnée. 


EPITAPHES.     335 

Sans  être  cafard  il  fut  fage. 
Mérite  airârément  divin 
Chez  le  capuchonc  lignage. 
Il  ne  fit  jamais  du  Latin 
Le  long  &  dur  apprentiflagc: 
Mais,  à  l'aide  de  maint  lopin 
Qu'il  goboit  par  fois  au  palTage, 
Et  qu'il  citoit  fans  jaigonage. 
On  l'eûf  pris  pour  un  Calepin. 
Pour  peu  qu'il  eut  feu -davantage. 
Pu  Couvent  on  l'eût  fait  Gardien; 
Et  certes  plus  homme  de  bien. 
Ne  méritoit  ce  haut  e'tage. 
Il  attiroit,  par  beau  langage. 
Froment,  or^^,  avoine  au  inoulin: 
Et  la  cloche,  au  premier  drelin. 
Lui  difoit ,  fi  c'étoit  du  pain  , 
Qu'on  apportoit,  ou  du  fromage; 
fût-il  à  manger  fon  potage, 
A  la  porte  il  voloit  foudain. 
Et  froc  à^bas,  d'un  front  ferain, 
Recevoir  le  friand  meflage; 
Puis  demandoif ,  d'un  air  humain  , 
Comment  fait-on  dans  le  ménage  ? 
Le  monde  au  logis  eft-il  fain  ? 
Votre  Procès  va-t'il  fon  train  ? 
Que  dit-on  dans  le  voifinage? 
O  le  beau  teins  l  point  de  nuage; 
Le  Soleil  le  levé  matin  ; 
L'Almanach  Nantois ,  pour  certain, 

Pro- 


336    EPIT^PHES. 

Promet,  s'il  ne  vient  point  d'orage. 

Un  Eté  fertile  en  tout  grain. 

Un  Automne  abondant  en  vin; 

Le  Printems  l'eft  en  pâturage: 

D'ailleurs  le  Proverbe,  ou  l'Adage, 

Dit,  que  gras  Avril  &-  chaud  Mai  (*) 

Mever.t  le  froment  au  balai, 

Mais,  mon  Dieu.'  qu'à  notre  dommage., 

S'eft  change  le  tems  ancien  ! 

Le  Peuple  eft  devenu  Payen  ; 

Et  de  la  Ville  &  du  Village 

Il  ne  nous  vient  prefque  plus  licn , 

Ni  provifion,  ni  chauffage. 

Aujourd  hui  nous  mourrions  défailli, 

5i  votre  bienfaifante  main 

N'avoir  apporté  ft'i  fuffrage. 

"Puis,  adieu,  bon  jour,  grand  merci; 

Le  Donneur  retoutnoit  ainfî, 

Trcs-fatisfait  de  fon  voyage. 

Il  étoit  Portier ,  Cuifinier, 

Sommelier,  Quêteur,  Jardinier; 

Tous  les  Ans  furent  fon  partage. 

Sa   mort  m'a  caufé  des  regrets; 

Je  l'aimois  pour  Ton  caraâere. 

Et  de  mes  intimes  fecrets 

Il  fut  fouvent  dépofitaire. 

Combien,  de  notre  HiLAKiON, 

A  tous  ceux  de  fa  Nation, 

La  perte  a  dû  paioitre  amere! 

Quoî- 
Ç*)  Dtîlou  de  Campagne. 


Ê  P  I  T  J  P  H  E  s.    337 

Quoique  cet  excellent  Garçon 
Dans  l'Ordre  n'ait  été'  qu'un  Frère-, 
Il  pouvoic  être ,  avec  raifon  , 
Des  autres  appelle  le  Père. 

Cher  Oncle,  Père  &  D'fenfeur 
Des  Capucins  de  -notre  Ville, 
Toi  qui,  d'une  aumône  fertile ■, 
Fais  Jur  eux  pleuvoir  la  douceur  i 
Examine,  fi  dans  mon  flyle, 
J'^i  ffà  faire  un  portrait  naif 
Du  Frère  aimable,  à  qui  la  vie 
Par  le  fort  fut  trop  tôt  ravit, 
y  ai  laiffé  le  genre  plaintif. 
Et  fuivi  le  récréatif 
Peur  bannir  ta  mélancolie, 

EPITAPHE     VI. 

D'UN  PRETENDU  BEL  ESPRIT. 


C 


fY  gît,  qui  s'eflimoit  l'Arbitre  des  Arbitres î 
De  la  Langue  au  hazard  il  décidoit  les  cas; 
Qui  le  contredifoit  ne  s'y  connoilToit  pas; 
Des  livres  il  fçut  tous  les  titres  j 
Et  ne  lut  que  des  Almanachs. 


# 


TtjBt  7.  P  ^  EPI, 


338     EBITAPHES. 

EPITAPHE       VII. 

DU  N    SINGE; 


Tirée  de  l'Italien. 


c 


y  gît    un  plaifaat  animal; 

Jamais  il  ne  reftoit  en  place. 
Fourbe,  agile,  matois,  failant  mainte  grimace. 

Et  s'occupant  toujours  au  mal. 

PafTant  curieux,  s'il  te  fâche 

De  tarder  à  fçavoir  fon  nom , 
Regarde  en  un  miroir  ton  .minois  de  Guenon; 
Tu  le  verras  écrit  au  long  lur  ta  mouftache. 

EPITAPHE     VIII. 


D'U  N    LION; 


Titrc'e  de  l'Italien. 


C 


Y  gît,  <]ui  fut,  par  excellence, 
(Des  Bêtes  furnommé  le  Roi. 
Paflant,  fi  ce  titre  t'Qffenfe, 
Tu  n'as  qu'à  le  prendre  pour  toi. 
Es-tu  content?  paflè  en  lllcncé. 


t?I. 


EPITJPHES.    339 

EPITAPHE     IX. 

D'un  Homme  qui  vécut  ^  mourut  en  MarquU 
petit-maître. 

^  O  u  s  cette  Pierre  eft  enterre 
Un  Marquis  digne  qu'on  le  note  ; 
Pour  porter  un  habit  dore 
Il  alloit  vivre  à  la  Gargote  ; 
Et  puis  fon  curedent  en  main , 
Petit-Maître  à  l'air  vif  &  fade. 
Quoique  fon  ventre  ne  fût  plein 
Que  de  merl'Ahe  ou  de  falade. 
Nous  regardoit  avec  dédain. 
Se  quarrant  à  la  promenade. 
Ce  miférable  trépaflc 
Ne  feroit  point  fitôt  paffe. 
Si,  renonçant  à  la  dorure. 
Son  corps  eût  c'tc  mieux  panfc. 
Paflant,  qui  vois  fa  fépulture. 
N'imite  pas  cet  infenfe: 
'■     Mieux  vaut ,  fons  un  habit  de  bure. 
Vivre  muni  d'un  bon  dîne. 
Qu'épargnant  fur  fa  nourriture, 
Mouiit  de  faim  tout  galonné* 


340    E  P  I  T  A  p  H  E  S. 

E  P  I  T  A  P  H  E    X. 

D'UN    CO ME' BIEN  FRANÇOIS. 

1  j  An.s  ce  chantier  en  tapinois 
B-cpoIe  le  plus  grand  Afleur 
Qui  fut  au  Tliéâtre  François, 
Enterre  fjns  Cierge,  ni  Croix 
Près  le  Cheval  d'un  Crocheteur, 
ïn  fon  vivant  fut  Didateur , 
Empereur,  Soudan,  Roi,  Sophi, 
Prince  Chrétien  ou  Me'créant. 
Or,  admirez  tous^'j  néant 
Des  grandeurs  de  ce  monde-ci. 

E  p  I  T  A  P  H  E     XI. 

D'  U  N    COMTE. 

\_j  Y  gît,   à  la  voix  de  tonnerre. 
Un  Comte  qui,  de  fon  vivant, 
fier,  glorieux,  n'étoit  que  vent, 
Et  qtji  n'eft  plus  qu'un  peu  de  terre. 


EPI. 


E  P  I  T  J  P  H  E  s.    341 

E  PI  T  A  P  H  E     Xn. 

D'UNE   DAME  DELA   COUR. 

V^  Y  gîr,    qui  fréquenta  la  Cour  dès  fon  enfance, 
Haute  &  puiffante  Dame,  au  cœur  noble  Scdifcrct, 
Qui  mourut  tout  debout ,  grofle  d'impaùcncCs 
En  attendant  le  Tabouret. 

E  P  I  T  A  P  H  E    X 1 1 1. 

D'U  N  E    Cto  2,U  E  T  T  E. 


D 


Ans  ce  joli  tombeau  fait  en  colifichet. 
Habite  epars  le  froid  fquelètte 
D'une  pétillante  Coquette,, 
S'aimant,  s'idolâtrant  jufqu'au  dernier  hocquet. 
On  la  vit  tous  les  jours  arranger  fa  toilette 
Sur  îe  lit,  d'oïl  jamais  elle  ne  releva; 
D'un  fagot  de  rubans  charger  fa  folle  tête , 
Et  fes  yeux  piefqu'éteints  aller  encor  en  quête, 
A  Timprovifte  enfin,  la  Mort  pâle  arriva; 
Et  la  trouvant  parée  à  la  mode  nouvelle, 
L'inhumaine  aigrement  foûrit,  &  voulut  voir 

Quel  air  elle  pourroit  avoir 
Avec  fes  affiquets  S<  fa  cocffe  à  dentelle. 

P  3  En- 


342     E  P  I  T  A  P  H  E  S, 

E  P  I  T  A  P  H  E    XIV.  I 

D'UN  HOMME  UNIVERSEL» 

X.   HiLOSOPHE  Caïtcfien , 
Orateur,  Médecin,  Chymifte, 
Pocte,  Aftronôme,  Algébiifte, 
Parfait  Mathe'maticien, 
Et  même  Théologien  ; 
Luc,  pendant  le  cours  de  fa  vie  y 
S'appliquoit  à  tout,  excepté 
Au  foin  de  fon  éternité. 
O  U  fotte  philofo->hie  ! 

E  P  1  T  A  P  H  E    XY. 

D'U  N    A  B  B  E'. 

V_>/Y  gît,  dont  le  métier  fut  de  n'en  point  avoir, 
Plus  léger  qu'un  moineau,  plus  caufeur  qu'une  pic. 
Se  couchant,  fe  levant,  carcflant  fon  miroir, 
De  dormir,  de  manger  faifant  bien  fon  devoir. 

Et  toujours  ayant  la  pépie. 

Sçavez-vous  qui  c'eft ,  Domine  1 

C'eft  un  Abbé  je  le  parie; 
ranknt,  du  premier  coup  vous  l'avez  deviiç. 

EPI- 


EPITAFHES,      343 

EPITAPHE    XVI. 
D'UN   RICHE   PROMETTEUR, 


C 


(  y  gîf ,  qui  de  Cmple  Commis 
Devint  grand  fuppôt  de  finance. 
Et  qui,  m'ayant  beaucoup  promis, 
INe  .ra'entretiiy:  que  d'efperançe; 
De  quoi  je  vis  en  fouflFrance. 
Aujourd'hui  pourtant  j'enrichis 
Son  ame  dont  tous  fes  amis 
.   N'ont  plus  aucune  fouvenance. 
D'un  généreux  de  profandis. 

EPIT|i.PHE     XVII. 

■••  È'UN  SEIGNEUR  TRE'S  GLORIEUX. 


G 


_y  Y  gît  l'komme'le'  plus"  hautain 
Qui  fut  jamais  dans  la  Kature.  '--    - 

Comme  il  enrageroit,  ce  phantôme  iï  vain! 

S'il  te  voyoit,  Paflantjqui  vas  cherchant  ton  pain, 
Fouler  aux  pieds  fa  fépulture. 

E  P  I  T  A  P  H  E    XVÎII. 

D'UN   MâRI    qui   AVOIT   EU 
CINQ^  FEMMES. 


C 


y  gît  le  mari  de  cinq  femmes; 
Soupçonneux,  avare  Scbiutal, 
Tm,  I.  P  4  II- 


344-      E  P  IT  A  P  H  E  S. 

Il  les  traita  toutes  fi  mal. 
Que  fi  là-bas',  ces  bonnes  Da:nes 
Ont  un  proc39 ,  ce  ne  fêta  -  -' 
Sûrement  point  à  qui  l'aura.  ^    ^'^  \J    ' 

EPITAPHE    XIX. 

D'  U  N   PARASITE. 


\^  Y  gît  de  mémoire  gloutone 
Sylveftre ,  qui  n'aimoit  que  les  gros  Potentats, 

Dont  la  cuifine  efl  fine  Se  bonne. 

Son  aine  n'aimera  perfonne , 
A  préfent  qu'elle  habite  ou  l'on  ne  mange  pas. 

EPITAPHE     XX. 

D'UN  MARI  ET  DE  SA  FEMME, 

\_  Aflànt ,  la  rigueur  des  deftins 
A  renfermé  fous  cette  lame 

Un  tendre  époux  Se  fa  Femme , 
Et  celle  de  tous  fes  voilins. 


F  A- 


345 

FABLES. 

LE   SOLEIL    ET   LES    NUAGES. 

I     A     B    L     E       I. 

A  M.  DE  LA  Tour,  Intendant  ^  Fremkr 
Fréfident  du  Farlement  de  Proveîica. 


J 


A  L  o  u  X  de  la  lueur  féconde , 
Que  répanH  en  tous  V$ux,  fur  la  terre  Scdans  l'onde. 

Le  brillant  Afîie  des  Saifons, 
Ifes  Nuages  un  jour,  contre  lui  fe  ligueren^j 
Réfolus  d'obfcurcir  à  jamais  Tes  rnyons. 

Au  jour  prefcrit  en  foule  ils  arrivèrent 

Des  différentes  régions. 

Alors  dans  les  hautes  campatrnesj 
Ces  efcndrons  épais,  s'élevant  en  montagnes, 
formant  des  Bsftions,  des  Remparts  &  des  Forts,  - 

S'entailerent ,  fe  condenfercnt, 
Au-devant  des  raj'ons  de  leur  mieux  fe  [ilacercnt. 
Mais  qu'en  arriva-t'il  ?  après  tous  leurs  efforts, 

Pour  trops'enfler ,  les  uns  crevèrent,. 
D'autres  furent  fondus,  les  autres  prompteraent 

A  bâtons  rompus  s'échappèrent, 

Portés  fur  les  ailes  du  ve^iti- 

S  S  II- 


34^       FABLES. 

Illuftre  Mâgiftrat,  dont  le  rare  mérite. 
D'un  Emploi  fouverain  foûtient  la  dignité. 

Qui  fçais  conformer  ta  conduite 

Alix  règles  de  la  probité'; 
Ton  efprit  obligeant,  humain,  dode,  c'quitable  ,  . 
Doit  trouver  en  tous  lieux  des  cœurs  reconnoiflàns. 

LA  Tour,  je  t'adrefle  ma  Fable; 
Mieux  qu'un  autre  tu  peux  en  péne'trei  le  fcns, 

LE   SOLEIL   ET  LE    MANANT^ 
(FABLE      IL 


A    M.    B  0  N  A  J\I  r,    Médscin. 


A. 


^Fpir?f/  fur  fa  bêche  un  Manant  dans  la  plaine , 
Après  s'être  long-temps  au  travail  exercé , 
Sur  le  déclin  du  jour  prcnoit  un  peu  d'haleine; 
Quand  fous  un  voile  épais  le  foleil  cclipfé , 
S'échapant  du  nuage,  à  travers  la  vifiéte 
Lui  darde  btufquement  un  trait  vif  de  lumière. 
Ebloiii  des  couleurs ,  dont  le  mobile  éclat 
A  fes  regards  errans  peint  un  nouveau  combat. 
Notre  Manant  s'ébranle  en  frotant  fa  paupière. 
Mais  élevant  fa  bêche  au  devant  de  fes  yeux. 
Avec  un  peu  d'efprit,  dit-il  tout  glorieux. 
On  >vicnt  à  bout  de  tout;  eh  bien  mon  camarade, 
]e  défie  à  préfent,  ô  bel  Aftre  des  cieux  ! 
1^  tuhifcu  foudaine,  îc  ta  fiére  boutade. 

Cet 


FABLES,      347 

Cet  étroit  rempart,  le  y  ois- tu  ? 

Suffit  pour  t'offiifquer  &  te  faire  bravade. 

C'eft  ainfi  qu'en  ce  monde  il  ne  faut  qu'un  fe'tu 

four  obfcurcit  fouvent-ia  plus  grande  vertu. 

BONAMV,  maître  expert  dans  l'art  hippocratique , 
A  qui  de  fes  fecrets  découvrant  les  tréfots , 

La  profonde  Nature  explique 
Les  fluides,  les  fels  &  les  obfcurs  reflbrts , 
t)ont  l'enfemble  entretient  le  commerce  harmonique 
Des  humeurs  &  du  fang,  &  de  l'ame  &  du  corps: 
De  là  vient,  tu  le  fçais,  la  fcène  variée 
De  nos  mœurs,  nos  penchans,  Se  nos  avcifions  ; 

Scène  toujours  multipliée 

Au  grc'  de  nos  complexions. 
Toi,  qui  connois  enfin^ombien  mon  cœur t'eftime , 
Sur  cette  fable,  ami,  porte  ton  jugement; 
Mais  n'y  pourrions-nous  pas  joindre  ce  fuplémcnt. 
Que  de  ceux  nomme's  Grands,ri  la  fplendeuï  opprime 
Ceux  qu'appelle  petits  la  folle  vanité. 
Ces  petits ,  d'un  brocard  dans  le  public  jette , 
Et  qui  de  bouche  en  bouche  en  pafiant  s'envenime, 
Serevenchent  fouvent  de  leur  haute  fierté? 

LES     L    y!    P    I    N    S. 

TABLE       III. 


N- 


O  u  R  R  1  de  choux  &  de  laitue  , 
Un  Lapiu  par  hazard  du  clnpicr  le  fauva; 

•p  6  Et 


348      FABLES, 

Et  delà  courant,  arriva 
Dans  une  Garenne  touffue. 

Là  vivoient  en  tranquilitc 
Des  Lapins  qu'aflembloicnt  la  concorde  &  la  Joiç, 
Rarement  le  Renard,  l'avide  Oifeau  de  proie, 
Un  Chafll'ur,  un  Ballet  par  fon  maître  excite. 

Troublèrent  la  fércnité 
De».iours  que,  loin  du  bruit,  paflbient  nos  folitaires; 
Solitaires. bénins,  mais  fans  airafifefté, 

Sans  fophiftique  gravité, 

r.t  fur-tout  vivant  en  bons  frères. 
Dont,  ni  l'ambition,  ni  tant  d'autres  affaires,. 
Ne  nuiluent  jamais  à  la  fociété. 

O  fiécle!  O  mœurs!  Qui. Je  Communauté,. 
Quel  Couvent  fourniroit  des  unions  pareilles? 

Seigneur  Clapier,  liffé,  dodu, 
Troprement  fur  fon  dos  étendant  fes  oreilles,. 
Ainfi  le  capuchon  d'un  Alpine  eft  rabatu , 
Du  Peuple  Garennier  fut  poliment  reçu. 
Chacun,  pour  vifiter  le  charmant  inconnu, 
Soiîit  de  fa  celuUe,  Se  vint  en  diligence 

Tirer  fon  humble  révérence. 
En  lui  difant,  Soyez  le  bien  venu.- 
Mais  comme  un  compliment  ne  remplit  pas  la  panfe , 

Fùt-il  puifé  dans  Richelet, 
On  lui  fcrvit  enfin  un  plat  de  Serpolet. 
Meffieurs,  leur  dit  l'Externe,  en  faifant  la  grimace, 
Jeimettez ,  s'il  vous  plaîr,  que  je  n'en  tâte  pas  ; 


FABLES.      349 

J'aime  les  choux,  j'en  mange  à  mes  repas; 
Faites-en  moi  fervir  de  grâce. 
Tout  de  bon  f  direnr-ihs,  de  l'entendre  furprisj 
Ppur  Lapin  de  Garenne  ici  Ton  vous  a  pxis. 
Décampez-au  plûrôt  de  notre  folitude 
Qu'infeiîte  déjà  votre  odeur; 
Comme  nous  différons  de  goût  5c  d'habitude. 
Nous  différons  fans  doute  auffi  d'humeur. 

Que  de  Clapiers  en-  ce  monde  foifonnent, 

Qiii  pour  Lapins  de  Garenne  fc  donnent! 

Mais,  pour  ce  qu'ils  font  tous,  on  les  connoît  bientôt 

A  certain  air,  au  premier  mot. 

LE    CHAl^ ET  LE  SINGE. 


FABLE       IV. 


u. 


N  gros  Matou,  fier  de  fa  peau  tigte'Cj 
Et  foi-difant  de  Raminagrobis 
iffii  tout  droit  par  fa  mère  Mitis, 
rit  amitié  matoife  &  colorée 
Avec  Bertrand,  Singe  dans  le  logis. 
Méchante  bête,  alerte,  efpiégle,  aftive, 
Mortlanttoûjours ,  &  ne  pouvant ,  hormis 
Le  fufdit  chat,  fouffrir  ame  qui  vive. 
Frère  très  cher,  lui  dit  le  patelin,^ 
L'amadoiiant  avec  fon  air  bénin, 
Heuieux  Leitrand ,  je  fçais  combien  l'on  t'aime 

p  7  DaHS 


350      FABLES. 

Dans  ces  lieuï-ci.  Si  tu  veux,  tu  pouria* 
Si  bien  tramer,  que  mes  jours  de  carême 
Se  changeront  en  jours  de  Mardi  gras. 
Il  t^eft  donné  de  rôder  dans  l'Office, 
D'y  gambader,  le  tout  à  ton  vouloir. 
Attrape-moi  quelques  liefs  du  foir, 
Lopins  de  rot  j  point  n'importe  aile  ou  cuillè  , 
Et  porte-les  dans  mon  petit  manoii. 
Rempli  d'amour  pour  fon  cher  camarade , 
îîertrand  dérobe;  6c  le  Maître  d'Hôtel, 
De  s'étonner  que  pâté  ,  marinade ,  . 
figeon  ,  poulet,  decroiflbient  d'un  lambel. 
Après  maint  tour,  que  pour  fon  faux  Piladc 
Eut  fait  ncrtrand,  cet  Orefte  nouveau, 
X'Ecuyei  vient ,  furprend  le  larronneau  ; 
Puis  vous  le  pend  haut  &  cor-t  par  la  queue  j 
Et  vous  l'e'trille ,  ôc  fi  bien  &  fi  beau , 
Qu'on  l'eût  oUi  crier  d'un  quart  de  lieuCi 
Pendant  qu'ainfi  l'on  traitoit  le  fripon  , 
Dans  l'abondance,  à  l'écart,  le  Minon, 
Paifiblcment  retiré  fous  les  tuiles , 
Frotoit  de  lard  fes  babines  agiles. 
Riant  tout  bas  du  pauvre  compagnon»      ' 
Qui  l'accufoit  dans  iss  plaintes  ftérilcs. 

Vifer,  fans  le  paroître,  à  fes  feuls  intérêts, 
Expofer  fon  ami,  l'abandonner  après, 
Le  perdre,  s'il  le  faut,  par  cent  rufes  fertiles; 
Voilà  des  amitiés  du  jour 
L'ordinaire  &  cruel  ictour. 


LES 


F    A    B    LE    S.       35-1 

LES    DEUX    CHIENS. 
FABLE      V. 


P 


Atira  ,  brave  chien ,  gardoit  la  baflè-cout. 
Sans  lui  la  maifon  même  auroit  cté  pillée; 
La  martre  &  les  voleurs  en  vain  xôdoient  autoui; 

Sa  vigilance  redoublée 
Ne  dormoit  que  d'un  œil.  An  contraire  Médorj 
Epagneul  délicat ,  animal  inutile  , 
Vivoit  en  fainéant;  &  fon  maître  imbécile 
L'aimoir,  ôcle  prifoit  au  moins  fon  pefant  d'of. 
Pâtira  pâtiflbit;  &  jamais  la  cuiline 
K'offroit  ^ue  du  pain  noir  &  des  os  à  fa  faim^ 

Et  fouvent  M  coups  de  houffine. 
Vertement  à  deflèrt  pleuvoient  fur  fon  échine. 
L'autre  ctoit  à  gogo ,  mangeoit  du  maflepain  , 
Des  morceaux  de  poulet,  de  perdrix,  de  lapin 3 

Et  faifoit  toujours  chère  fine. 
Si  pendant  un  repas  il  manquoit  d'appétit, 
La  crainte  s'esiparoit  des  âmes  défolces; 

Et  confitures  &  gelées 
Tiotoicnt  pour  rétablir  la  fanté  du  petit. 

Que  conclurre  de  ce  récit? 
Que,  bifarre  en  fes  jeux,  fécond©  en  injuûiccs, 
La  Fortune  fouvent  traite  avec  cruauté 

Le  Travail  &  la  Probité; 
Quand  la  Licence  oifive ,  au  milieu  des  délices  , 
i^age  dans  l'abondance  &  la  profpéiitéi 


LA 


352      FABLE    S. 

LA  QJJEUE  DU  CHEVAL. 

FABLE       VI. 


D 


Ans  la  faifon  oîi  la  neige  fonduei 
Change  en  bourbieis  profonds  &  dangereux 
Sentiers,  chemins;  un  Procureur  d'Evrcux, 
pjiand  déçus,  la  volonté  tendue 
Vers  l'intérêt,  le  plus  grand  de  Tes  Dieus, 
Alloit  fongcant  d'exploits  litigieux. 
Chemin  faifant,  fon  chétif  quadrupède,, 
A  l'étourdie,  avec  lui  dans  un  creux 
S'alla  jetter  ;  de  façon  que  tous  deux 
Pour  eu  fortir  ne  vovoi',  nt  nul  remède. 
Un  Manant  pafle  :  Hélas,  dit-il,  à  l'aide j 
Si  du  prochain  tu  prens  quelque  fouci. 
De  par  Saint  Yve ,  arrache-moi  d'ici.- 
Le  Villageois,  fenûble  à  la  mifere. 
Pour  mieux  agir  fe  met  à  la  légère , 
Prend  par  la  queue  &  tiie  avec  effort- 
Le  Roffinante  (  il  avoit  bonne  ferr&). 
Il  tira -donc;  bref  il  tira  il  fort. 
Qu'à  quatre  pas  il  culbuta  par  terre. 
Et  que  la  queue  à  la  mnin  lui  refta. 
Par  la  douleur  la  Mazette  excitée, 
Se  travaillant,  hors   du  bourbier  faut»* 
Le  Procureur  la  voyant  écouitée. 
Dit  qu'il  étoit  un  lourdaut,  un  brutal. 
Et. le  loipmade  payer  fou  Cheval. 


Le 


FABLES.      353 

Le  paya-t'il?  je  n'ai  point  fçû  la  chofe: 
Mais  je  fçai  bien  que  fouvent  on  s'expofe 
Au  repentir,  quand  on  ne  connoît  pas 
Les  gens  qu'on  feit  ;  le  monde  efl  plein  d'ingrats* 

LA   FILLE  DU   SERRURIER 
ET   SON  FRERE. 

FABLE      VII, 

Jr  I L  L  E  d'un  pauvre  Serrurier , , 

La  Blanchiflèufe  Colinette  y 
Jeune ,  à  la  taille  fine ,  &  toujours  propre  &  nette  » 
Sçut  donner  droit  au  «sTir  d'un  opulent  Fermier. 
Au  bout  de  quelques  inois  elle  alla  chez  fon  pcre. 
Couverte  de  damas,  galon  fur  le  foulier, 

Et  magnifique  en  tablier. 

Ah!  dit-elle,  en  voyant  fon  frère. 

Mon  Dieu  que  Jeannot  eft  crafleux! 
Je  le-  méconnoiffois  ;  Quelles  mains  !  Quelle  facel 

Comme  il  eft  fait  !  Qu'il  eft  hideux  l 

Dans  la  même  f.imille  ainfi  l'un  fe  décraflè^ 
L'autre  demeure  ce  qu'il  eft, 
Et  bien-tôt  on  fe  méconnois. 


lA- 


354      FABLES. 
LA  FEMME  ET  LA  MOUCHE. 

FABLE      VIII. 


G. 


"ROVDEUSE  en  fon  vivant,  babillatde  fans  fin , 
La  Marquife  Grognac,  de  chagrine  mémoire, 
Vit  dans  fon  cabinet  comme  une  tâche  noire 

Sur  fa  lobe  de  blanc  fatin 
Pcndae  à  li  bergame.  A  l'inftant  elle  appelle 

Sa  chambrière  Perronnelle, 
Et  fon  valet  François.  Qui  de  vous ,  grand  nigaut. 

Ou  de  vous,  lête  fans  cervelle, 
A  tâche  mon  habit?  Tous  les  deux  aufli-tôt, 
Ce  ii'eft  ni  moi,  ni  moi.  PéConne,  repiit-elle? 

Perfonne  caffe  ma  vaifïêlle  ; 
Perfonne  ouvre  l'office  &  vient  manger  le  rot; 
Perfonne  boit  mon  vin,  dérobe  ma  chandelle; 
Perfonne  fait  ici  tout  le  mal.  Et  d'aller 

Maint  bon  fouffiet  par  la  mouûache. 
Quand,  lorgnant  de  plus  près,  elle  voit  s'envoler 
Une  Mouche;  &  c'étoit  tout  juilement  la  tàcli:. 

Maîtres,  Régens,  Préfets,  qui  ne  pardonnez  rien. 
Ne  puniûez  jamais  fans  y  tegaidet  bien. 


lîîSp^ 


iW^ 


LE 


FABLES.        335 

LE    MECONTENT. 
FABLE      IX. 

LJ  N  de  CCS  trafiquans  qui  vont  de  ville  en  ville. 
Debout  vivant  i'aurore,  étoit  par  les  chemins  ; 
^  voyant  fur  l'égail  folâtrer  les  lapins. 
Et  d'arbufte  en  arbufte  errer  la  volatile. 

Que  leur  fort,  dit-il,  eft  heureux! 

Et  que  le  nôtte  eft  peu  tranquile  ! 
^  quoi  fongeoit  Je  Ciel  ,  qui  fait  tout  pour  l'utllCj 
IJ'avoii  aflcrvi  l'homme  à  cent  befoins  fâcheux? 
Ils  n'ont  qu'à.fecoiier  Je  matin  leurs  oreilles; 
Au  lieu  que  tous  les  jours  il  faut  faire  nos  lits  , 
Nous  lever  ,  nous  coucher,  reprendre  nos  hubits* 

Cependant  voilà  les  merveilles 

Dont  nous  fommes  enorgueillis. 
Mon  Cheval ,  par  exemple ,  entrant  à  l'éciuiê 

De  la  première  Hôtellerie  ^ 

Sans  hennir  même  trouvera 
Son  foin  au  râtelier,  fon  avoine  crible'c» 

^Et  quelqu'un  qui  le  frotera; 
Il  n'a  point  du  futur  la  cervdle  troublée  i 

Faflè  les  vignes  qui  pourra. 

Après  cela  nous  ôfons  dire  en(fOn!, 
Que  nous  fommes  les  Rois  des  hôies  des  forêts. 
Et  de  tout  ce  qu'orgueil  a  fumommé  pécore; 
N&ti  f  '  tien ,  nous  fommes  moins  leurs  Rois  que  leiûs 

■Sujets,  - 

t.  3>«e  /,  Pen- 


336        F.   ALLE    S. 

Pendant  qu'il  raifonne,  une  bufe 
Tombe  fur  un  lapin ,  qu'elle  enlevé  à  l'inftant. 
Mais  derrière  la  haie  un  Chafleur  la  furprend , 

£tlui  tire  un  coup  d'arquebufe. 
Notre  homme  ,  allantfon  train  toujours  philofophant, 
Tiouve  un  fentier  fcabreux  qui  l'arrêre;  il  dcfccud 

Four  monter  à  pié  la  colline; 
t  Oblige' ,  pour  comWe  d'ennui , 

De  traîner  fou  Cheval  par  la  bride  après  lui , 
Quand  il  fat  au  fommet ,  fouftlant ,  courbant  l'échiné. 
Je  crois  pourtant,  dit-il,  afFourchant  fon  Cheval, 

Qiie  de  ce  fervile  animal , 

Propre  pour  l'homme  qui  le  monte, 

Ct  des  autres  qui  n'ont  quel'inftind  pouttout  bien, 

JLe  fort  n'eft  &  ne  fut,  luivant  le  ptéfent  compte, 

Audi  commode  que  Je  mien, 
o 

LES   ENFJNS  ET  L'OSIER, 

TABLE      X. 

l^  N  Ofier  fe  trouva  planté  dans  un  Jardio 

Des  mains  de  la  feule  nature; 
Les  enfans  du  logis  faifoient  de  fa  culture 
Leur  unique  plaifir.  Il  fera  grand  demain, 
Difoient-ils  tous  les  jours;  &  des  flots  d'une  Câu pure 

Ils  l'arrofoient  foir  &  matin. 
Quand  par  hazaid  contre  «us  leur  mère  foxt  aigrie 
loui  bifcuits,  macarons  &c  idle  fueieùe 

Qu'i^ 


FABLE    S,      357 

Qu'ils  âvoient  dérobés,  rencontra  l'arbriflèau, 
.Dont  elle  coupa  maint  rameau. 
Pour  dauber  Ja  pauvre  marmaille , 
Qui  connut,  mais  trop  tard ,  aux  dépens  de  fa  peau  , 
Que  fouvcnt  contre  foi,  fans  le  croire,  on  travaille, 

LE   LOUP  GOUFERNEUR. 

FABLE      XI. 

X  Etits  humains,quife  plaignent  des  Grands, 
Sont  trop  heureux  de  payer  les  dépens. 
Seigneur  Lion  convoquant  fes  Provinces, 
Nomma  Confuls,  .gouverneurs,  Intcndans, 
Diftribua  divers  départemens. 
Suivant  l'efptit,  &  la  force  &  les  pinces. 

A  méfier  Loup  pour  fon  lot  il  échut 

L'économat  d'une  plaine  fertile 

En  francs  moutons  &  fine  volatile; 

Si  que  pourtant  recommandé  lui  fut 

Que  chaque  mois,  pour  dépens  &pour  gages. 

Tant  feulement  il  prît  la  dixme  au  vingt, 

Afin  qu'en  cas  que  famine  furvînt, 

Gn  pût  avoir  recours  à  fes  villages. 

Dans  fon  diflrid  vivoit  un  Renardeau, 
Bon  Procureur,  furnommé  Friponneau, 
Friand  de  gueule,  avide  de  pillages. 


358      FABLES. 

A  donc  l'habile  &  rufé  difcoiireur, 
S'iatroduîfaat  auprès  de  fa  Grandeur, 
La  peifuade;  &  fi  bien  l'endodrine. 
Qu'en  peu  de  tems  au  palais  du  Prêteur 
S'accumuloit  rapine  fur  rapine  ; 
Tout  abondoit  ;  même  dans  la  cuifine, 
îcur  la  parade,  on  vit  pendre  au  crochet. 
Et  fe  gâter,  brebis,  agneau  de  lait, 
Oifon,  levraut.  La  gent  qu'on  extermine, 
Avec  raifon,  fe  plaint,  écrit  en  Cour. 

Monfeigneut  Loup,  appelle  pour  rc'pondre, 
Fait  devant  lui  marcher  de  bafTc-cour 
Baudet  chargé ,  poules  qui,  chaque  jour. 
Oeufs  de  fanté  ne  nianquoient  point  à  pondre. 

Sire,  dit-il,  ce  font  tous  cabaleurs, 
Qui  parlent  haut,  filous,  traîtres,  voleurs: 
Les  coqs ,  les  coqs  même  ont  eu  l'infolence 
De  fe  vanter  que  leur  chant  valeureux 
Mettroit  en  fuite  un  Lion  devant  eux. 

Sur  ce  rapport,  appuyé  d'impudence. 
Les  pauvres  gens  font  condamnés  aux  frais 
Sans  être  oiiis  :  Et  la  Juftice  après 
Leur. fait  fçavoir,  que  le  moindre  reprocIiC 
Etant  contre  eux  fait  en  Cour  déformais. 
Sans  autre  forme  ils  iroient  à  la  broche. 
Et  le  Pfêteur,  fon  arrêt  dans  fa  poche. 
Revint  vainqueur  ,  avec  permiflïon 
De  les  croquer  tout  à  difcrction. 

LE 


FABLES.      359 

LE   FLEURISTE  ET  LES  CURIEUX. 
FABLE       XII. 


L 


A  Fontaine  l'a  dit,  eft  bien  fou  du  cerveau. 
Qui  prétend  contenter  tout  le  monde  &  fon  peie. 
Sans  me  flater  d'atteindre  à  la  touche  légère. 
Aux  grâces,  aux  accords  de  fon  riant  pinceau. 

Je  repréfente,  à  ma  manière, 
La  même  vérité  dans  un  autre  tableau. 
Qui  fe  peuple  d'aâeurs  d'un  divers  caraflere. 
Dans  TElope  François,  c'eft  pour  le  fentiment. 
Ici  c'eft  pour  le  goût,,|ne  l'on  peut  voir  comment 
En  ce  monde  chacun  l'un  de  l'autre  diffère. 

Un  Fleurifte  faifoit  fon  unique  plaifir 
D'un  Parterre  enrichi  des  larmes  de  l'Aurore, 
Embelli  des  regards  de  Cloiis  6c  de  Flore, 
Mollement  careffé  des  ailes  du  Zéphir. 
Uombre  de  curieux  s'en  vinrent  à  la  file 
Voir  les  beautés  de  ce  riant  afyle. 
L'un  dit,  O  la  charmante  fleur! 
L'autre ,  ]e  ne  vois  pas  fur  quoi  l'on  fe  récrie, 
Qu'a-t'elle  de  fi  beau?  Moi,  j'aime  la  coulent 

De  celle-ci  ;  moi ,  je  hais  fon  odeur. 
Après  quoi  du  parterre  on  fuit  la  fimétrie. 

Chacun  félon  fon  goût  parla. 
Ici  l'on  admiroit,  on  defaprouvoit  là. 
L'un  loiioit  k  gafoji ,  l'autre  la  broderie. 

l'un 


3(5o      FABLES.     ' 

L'un  vouloir  un  triangle   oii  l'on  fit  un  quatre; 
iSuivant  l'autre,  un  ovaie  eût  bien  mieux  figuré. 
Le  Fleurifle  attentif,  /ufqu'alors  bouche  clofe. 
Leur  dit:  Ainfi ,  Meffieurs ,  ce  qiii  ne  plaît  à  l'uA 
Plaît  à  l'autre;  &  <lii  bon  tel  eit  le  fort  commun, 
De  n'avoir  rien  en  foi,  quoique  d'ailleurs  on  glofe. 

Qui  ne  foit  du  goût  de  quelqu'un. 
Car  qu'un  tout,  compofe'  de  diverfes  parties, 
faites  par  la  nature,  &  par  l'homme  aflbrties, 
Puifle  à  tous  &  par-tout  plaire  dans  le  de'tail  ; 
En  quel  tems,  en  quel  lieu  fut-il  jamais  perfcrnne. 

Quelque  mérite  qu'on  lui  donne, 
Dont  un  fuccès  pareil  couronna  le  travail  ? 

LES  RATS    ET  LE   NAVIRE. 

FABLE      XIII. 

X_yA  folitude  a  tant  d'appas. 
Quand  chez  elle  la  vie,  exempte  d'embarras. 
Trouve  pour  chaque  jour  fa  reflburce  aflurée  > 
Solitude,  pourquoi  ne  te  cherche-t'on  pas, 
Au-lieu  d'aller  courant  de  contrée  en  contrée! 

:   Ol  fi  les  Dieux  m'avoient  donné 
Le  peu  qui  m'eût  fuffi  pourn'être  qu'à  moi-même} 
Dépendant  de  moi  feul  Se  de  celle  que  j'aime. 
Je  ne  changerois  pas  cet  état  fortuné. 
Pour  les  biillans  d'un  diadème! 
Je  ne  vous  aurois  point  quitte', 

Ri. 


FABLES.      3^1 

Rivage,  qui  m'avez  vu  naître. 
Peu  curieux  de  me  faire  connoître  ; 

Une  aimable  fociété , 
Oii  fans  ambition,  fans  folle  vanité, 

Chacun  n'eft  que  ce  qu'il  doit  être  , 
Eût  fait  toute  ma  joie  &  ma  félicite'. 

Dans  le  fond  d'un  VaifTeau  vivoit  en  république 
Un  peuple  de  gros  Rats,  ils  dormoient  tout  le  jourj 
Mangeoient  toute  la  nuit:  Tel  eft  certain  féjour, 
Que  décrit  Rabelais  dans  l'on  Oeuvre  gothique. 
On  n'avoit  point  encor  la  prudente  pratique 
De  joindre,  en  navigeant,  au  rôle  des  marins. 
Les  mortels  ennemis  de  la  gent  famélique, 
Pirate  des  greniers,  peftc  des  migafins. 
Tranquileraent  éparsKans  cette  fombrecage. 
Nos  Rats,ruivant  leurs  goûts,  s'adrelïoient  tout  de  go  j 

L'un  au  ris,  &  l'autre  au  fromage; 
Enfin  pour  faire  court,    ils  vivoient  à  gogo, 

A  la  barbe  de  l'équipage. 
MaiSjhélas  !  dans  ce  monde  on  n'efl  jamais  content  J 

Ils  s'enimyoient  de  cette  vie. 
Un  jour  Grifemouftache,  orateur  irajioitant. 

Et  renommé  pour  fon  génie. 
Les  ayant  alTemblés;  Cette  trifte  patrie, 
Compagnons,Ieurdit  il,n'eft  qu'un  tombeau  flotant; 
Nos  pères  y  font  morts  de  trillcfle,  &  fans  gloire. 
L'inflexible  Atropos  nous  en  réferve  autant. 

Le  mien  m'a  fait  de  fon  hiftoire 
Ce  précis,  à  jamais  gravé  dans  ma  me'moire; 
Champêtre  citoyen  d'un  abondant  grenier, 

Tom.  I.  Q_  X.  „c 


3^2      FABLES. 

Une  femme  inquiète,  alerte  en  fon  ménage. 
Me  fie  fuivre  en  fureur,  pour  un  tour  du  métier. 

Par  tous  les  chats  du  voifinage. 

Je  m'échapai  jufqu'au  rivage. 
D'où  courant  je  grimpai  fur  le  bord  d'im  VaiiTcau. 

Qiielques  amis  me  villterent 

D.'ins  mon  domicile  nouveau; 
Et  fans  crainte  d'Eole,  au  caprice  de  l'eau. 
Argonautes  vaillans,  avec  moi  s'expoferent. 
Combien  chacun  de  nous  s'eft  depuis  repenti 

D'avoir  pris  ce  fr.tal  parti  ? 
Si  tu  voyois,  mon  fils,  le  gafon,  la  Terdure, 
Le  vif  email  des  fleurs,  les  vergers,  la  moiffon; 

Enfin  tout  ce  que  la  nature  ' 

Etale  dans  chaque  faifoni 
Si  dans  ces  jours  charmans  tu  goûtois  les  délices 
J)e  joiiir  du  grand  air  Se  de  la  liberté; 

Et  pour  le  bien  de  ta  fanté, 
De  faire,  exempt  d'ennui,  difFcrens  exercices. 
Comme  d'aller  par  fois  des  champs  à  la  cité, 
Yifiter  un  ami  qui  nous  fait  large  chère 
De  fins  morceaux  de  ror,  qui  ne  lui  courent  guère... 
Là,  voyant  que  ma  plainte  alloit  prendre  fon  cours. 
Ces  mots  fcntentieux  finirent  fon  difcours. 
„  Nous  fommes  dèftinés  à  l'état  folitaire , 
„  Banniflbns  aujourd'hui  des  regrets  fuperflus; 
,,  Mon  fiiSjle  feul  remède  aux  maux  qui  n'en  ont  plu*, 

,,  C'eft  de  fouffiir  &  de  fe  taire. 
Cependant,  ajoute  l'orateur,  feu  mon  père, 
Quoiqu'il  eût  de  l'efprit  en  mainte  occafion , 

,  Soif 


FABLES.      363 

Soitentte  nous,  Meflîeurs,  dit  arec  révérence , 

N'y  faifoit  pas  attention. 
Et  ne  raifonnoit  point  en  Rat  d'expe'rience. 
Se  fauver  de  ces  lieux ,  oîi  l'on  eft  confiné , 

Eft  plus  facile  qu'on  ne  penfe. 

Amis,  le  Ciel  nous  a  donne 
Des  griffes  &  des  dents,  raettons-Jes  en  ufage^ 
Travaillons  de  concert,  perçons  ce  mur  de  bois, 
L'ivis  fut  approuve  d'une  commune  voix, 
La  troupe  avec  ardeur  exécute  l'ouvrage  : 
Mais  ce  fut  à  fon  dam.  L'eau  trouvant  un  pailàge 
Au  travers  de  cent  trous,  le  Navire  coula 

Au  fond  de  la  mer;  Se  voilà 

Tous  nos  ouvriers  à  la  nage. 
La  terre  par  malheur  étoit  trop  loin  de  là» 
>     Aucun  n'évita  fc  naufrage. 

Joiiet  d'un  efpoir  incertain, 
■  L'un  court  après  un  Bénéfice, 

La  fièvre  l'arrête  en  chemin  ; 
L'autre,  loin  du  féjour  ou  le  Ciel  le  fit  naître  » 
Amoureux  de  Paris,  à  la  Cour  veut  paroître, 
La  difgrace  l'y  trouve,  il  y  meurt  de  chagrin. 


<Lî  VHOM- 


v^ 


S54      FABLES. 

L  HO  MME,     LA    MOUCHE     ET 
L'ARA  IGNE' £, 


FABLE      ï  I  V. 


u. 


Ne  Mouche  de  peur  ctoit  morteà  n-.oitic, 
Dans  ia  toile  avec  art  par  Arachns  tendue. 
Qoelqu'un  l'nppeicevant ,  fe  Tentic  l'amc  craue. 
Et  des  cruels  filets  la  tira  par  pitié. 
Des  qu'à  la  liberté  Madame  fut  rendue, 

La  voiîà  tout  en  bourdonnanr, 
Comme  fi  la  viékoire  à  fa  force  étoit  due, 
Q^ii  d'un  vol  orgueilleux  tou^:aj:t  &  retournant. 
Se  jette  fur  la  viande  au  crochet  fufpendue. 
Son  bienfaiteur  la  fuit,  elle  echapç  à  fa  vue, 

Et'puis  la  voilà  revenue. 
Il  la  chafTe  vingt  fois  du  vent  de  fon  chapeau; 
Mais  du  coin  qu'elle  attaque  à  peine  elle  cil  fortie, 
Qje  l'ingrate  à  fes  yeux  fe  montre  de  nouveau. 
Sans  daigner  fe  refoudre  à  quitter  la  partie. 
Ahl  fi  jamais,  dit-il,  en  faifant  tes  cent  tours. 
Ta  tombes  dans  les  rets  de  l'habile  Araignée, 

Ne  compte  plus  d'être  épargnée. 

En  m'appcllant  à  ton  fecours. 


L  E 


FABLES.      :,6s 
LE    BLANC    ET    LE    NOIR. 

FABLE      XV. 

.L/  A  malice  eft  fouvent  la  dupe  de  fon-  arr. 
Le  Noir  difoit  au  Blanc,  fur  un  ton  goguenaid,. 
Innocente  couleur,  tu  riie  parois  bien  fieie 
De  ton  p-etit  éclat,  préfent  de  la  lumière. 
Mais-je  veux  t'ofFufquer:  attends,  ?<tuva$  voirv 

Qu'airiva-t'il  de  fon  ouvrage? 

Il  en  parut  encor  plus  noir; 

Et  Tautre  en  brilla  davantage, 

L\A  I  G  L  E    E  T   L  A     P  I  E^ 
FABLE      XVr. 

I   y  E  Monarque  régnant  fur  la  gent  à  plumage,, 
Voulut  choilir  un  Précepteur 

A  fon  fils,  bel  Aiglon,  déjà  de  certain  âge» 
Les  plus  Iiabiles  du  bocage, 

Bevant  fa  Majefté  difputant  cet  honneur, 

La  Pie  en  ce  concours  remporta  Tavantage. 

Je  poflede ,  dit-elle ,  Se  fçais  même  par  cœur 
Les  fept  Arts,  &  bien  davantage. 

Le  grand  Albert  qu'on  vante  au  plus  lointain  rivage,. 

I Soit  dit  fans  vanité,  car  je  fuis  humble  &  fage, 

1  •  Q>J  >      N'eAt 


%(>6      FABLE    S. 

N'eût  ëtc  près  de  moi  qu'an  petit  c'colier. 
Et  pour  prouver  fon  dire  avec  plus  d'étalage. 

Elle  récita  maint  paflage. 

Cet  Oifeau  chez  un  Savetier 

Avoit  été  jadis  en  cage. 
Ce  ce  qu'on  apprend  jeune,  on  fe  fouTicnt  longtems»,  i 

Là  de  jurer  à  tous  inûans> 

Il  avoit  fait  rapprcntiflàge. 

Sur  fes  espreffions  de  foldatefque  ufage, 
L'Aigle  fit  à  la  Pie  une  admonition. 
Devant  mon  fils,  dit-il ,  ne  tiens  plus  ce  langage, 
£c  mets  à  t'obferver  un  peu  d'attention. 

Mais  à  lui  voler  du  fromage 

Le  joue  fuivant  il, h  furprit» 
Ohî  pour  le  coup,  dit-il,  tu  m'outres  de  dépit,    ' 

Toi,  les  fcpt  Arts,  fans  plus  attendre, 
Sortez  tous  de  ma  Cour,  oîi  je  vous  ferai  pendre»    | 
De  qui  n'a  point  de  mœurs  je  méprife  l'efprit.        j 

L ALOUETTE  DEVENUE  VEUFE. 
FABLE      XVII. 

\J  Ne  Alouette  aimable,  jeune  8c  face. 
Et  veuve  depuis  quelques  jours, 

Vivoit  loin  du  tumulte  &  du  bruit  du  bocage; 

Quand  un  Oifeau  fringant,  dans  fon  tendre  ramage, 
Vi«t  lui  parler  de  fes  anvours. 

L'»b- 


FABLES.      367 

L'objet  en  étoit  pur ,  c'étoit  de  mariage. 
Votre  chant,  lui  dit-elle,  cft  doux  &  gracieux, 

Vous  êtes  joli  de  corfage  ; 

Mais  laiffez-nioi  dans  mon  vcava;;c  ; 
Pour  une  autre  gardez  vos  fons  mélodieux. 
J'ai  pu  perdre  une  fois  ma  liberté  chérie , 
Ou  pour  fuivre  l'exemple, ou  par  une  autre  envie; 
Mais  puifque  je  retrouve  un  bien  fi  précieux, 

C'eft  pour  le  refte  de  ma  vie. 

L'ECREFJSSE  ET  SA  FILLE.    ' 
FABLE      XVIII. 

\^ 'Etoit  un  jour  d'Eté,  qu'une  jeune  Ecrcvifiê, 

Sotte  pour  fon  âge,  ôc  novice, 
Apperçut,  allongeant  le  nez  hois  de  fon  trou, 
Eclater  dans  un  plat  dames  de  fon  efpéce  , 
Se  côtoyant  en  rond  d'un  air  de  gentillcilè. 

Tircis  au  bord  de  l'onde,  amoureux,  prefque  fow, 
Le  ce  cadeau  vermeil  régaioit  fa  maîtrelTe. 

L'Ecrevifle  auffi-tôt,  avec  raviflement, 

Dit ,  appellant  fa  merc:  Approchez  doucement. 
Et  vous  verrez  mes  fœurs  parées 
D'un  louge  &  noble  habillement; 

C'eft  écarlatte  fine;  apprenez-moi  vraiment 
Oii  l'on  vend  ces  belles  livre'es. 

La  bonne, à  reculons  s'avanjant,  répondit; 


3(58      FABLES. 

Que  ton  fcns  eft  petit! 
le  brillant  cjui  te  /lite,  eft  d'un  fi  noir  prcTage, 
Que  pour  en  teindre  Ion  corfage. 
Il  faut  avoir  rendu  l'elprir. 

]e  ne  reux  point  ici  doiier  la  Teftacce  ,  (*) 

D'ame  immortelle  Si  de  penfe'e; 
Mais  la  Fable  en  fes  jeux  met  tout  à  l'unifTon; 

Et  fans  tirer  à  confe'quence, 
Quelquefois  au  nom  propre  ajoutant  un  furnom, 

Fait  parler  avec  éloquence 
Mâtic're,  oifeau,  ferpent,  quadrupède,  poinbn. 
L'Ectevifle  ne  peut  rendre  refprit  fans   doute, 
C'eft  façon  de  conter.  Mais  il  eft  force  gens, 
Vêtus  d'habits  pompeux,  fous  la  ce'lefte  voûte: 
(  Et  je  vois  tous  les  jours  nor^^re  de  ces  pimpans; 

Efpèce  rare,  à  les  entendre) 

Qui  n'auroient  point  d'efprit  à  rendre. 

Si  l'on  faifoit  comparaifon 
De  rinllinii  de  la  brute  à  leur  foiblc  raifon, 
Moralifons  encor:  Fafle  &  magnificence 
Ne  peuvent  ebloiiir  que  les  cœurs  infenfés  ; 

Au-Iieu  que  tout  homme  qui  penfe. 

Se  rit  de  1?.  folle  efpérance 
Qui  les  tient  dans  fes  nœuds  toûjouis  embartafTe's; 

LE 

(*)  Nos  Naturaliftes  donnent  ce  nom  «ux  Poiûbos  à  coquille. 


■KÎF 


Fables.    3^9 

LE  MOINEAU  ET  LA  FAUl^ETTE. 

FABLE       Xlî.. 

I  E  ne  parlerai  point  de  nos  amours,  FauYette^ 
Lui  difoit  un  Moineau.  La  belle  etoir  jeunette;. 
Elle  crut  fes  fermens,  avec  lui  s'espofa, 
Et  fous  la  verte  épine  écouta  fa  fleurette. 
Le  trompeur  n'en  dit  mot,  mais  il  la  méprifa:.': 
Plus  n'eût  fait  fa  langue  indifcrette. 

Le  chien  q^ui  Tourne  i,.\  broch*. 


FABLE      XX. 


Q. 


Uoi!  dans  ma  tournante  raachinff"^ 
Sifiphe  impatient,  malheureux  Ixion, 
Il  faut  donc  que  je  fois  toujours  en  ailion, 
Sufpendu  dans  une  cuifine,. 
Très  du  feu,  dans  le  mois  de  Juin,, 
Ardent  voyageur  qui  chemine 
Sans  jamais  avancer  chemin  ? 
Pour  qui,  dans  ces  travaux,  tracaflai-je  ma  vie?*' 
four  vous ,  cruels  humains ,  amis  de  gloutannie^ 
Dent  les  creux  eAomacs  deviennent  les  tombeau» 

De  mille  innocens  animaux. 
Eh!  «^ue  me  revient-il  de  ma  peine  infinie-?. 


370      FABLE    S, 

Hélas!  prefque  tien;  quelques  os. 
Que  me  difputent  mes  confrères. 
Qui,  joiiiflànt  d'un  doux  repos, 
Partagent  avec  moi  le  fruit  de  mes  miferei. 
C'eft  ainfi  qu'en  foi-même,  accufant  le  deftin, 
Laiidon  tournebroche  exprimoit  fon  chagrin. 
Jl  vous  enveloppoit  dans  fa  plainte  commune. 
Laboureurs  ,  qui  des  champs  que  vous  enfemencez  > 
Kapportez  le  plus  clair  à  la  taille  importune, 
£t  vous  petits  Commis,  vagabons,  harraflës. 
Qui  par  monts  &  par  vaux  pourfuivez  la  fortune. 
Jour  des  patrons  oififs  que  vous  enrichilTez. 

LÀ  BOUILLIE,LE,DOGUE,  LES 
CHATONS. 

FABLE      XXI. 

_L    I1.LEK,  voler  adroitement, 

'■  Ufage  univerfellcment 
Reçu  fur  la  terre  &  fur  l'onde , 
Tu  dureras ,  tant  que  le  monde 
Aura  pour  fon  lambris  l'ctoilé  firmament. 

Comment  pourroient  faire  autrement 
Tant  de  gens,  dont  Paris  abonde, 
Qui  mangent  trois  &  quatre  fois 
Plus  que  n'aporrent  leurs  emplois  ? 
Eh  !  qui  ne  connoît  point  tel  que  fon  Diable  prefle, 
Qiii  pour  ua  fia  louper  fait  avec  fa  Maitreflè, 


FABLES,       371 

®e  fes  ftpointemens  de'penfe  fix  bons  mois.        ,       i 
Et  le  refte  du  temps ,  comment  vivre  ?  l'oa  pi!Ie, 
Eh  qui  donc?  le  demandez-vous?. 
Le  Prince,  Je  Peuile,  nous  tous.  ■ 
Et  voilà  comme  l'homme  brille, 
A  fa  barbe  des  Dieux  trop  lents  dans  leur  courroux. 
La  BoiiilJie  hors  du  feu,  fur  fa  bafe  pofe'e, 
AttendoJt  la  Servante  en  fe  refroidiflant,   . 
La  fottc  sétoic  amufée. 
Un  Dogue  arrive  cependant, 
Qiii  vous  lappe  en  trois  coups  toute  la  bnflTnce  ; 
If  puis  avec  un  air  prude,  honnête  &  difcrer. 
Se  retire  à  l'écart,  comme  s'il  n'eût  rien  fait. 
Deux  Chats  adolefcens,  qui  de  la  cheminée, 
Avoient,  du  coin  de  ^oeil  ,  obfervé  le  repas. 
Crurent  qu'ils  pouvoient  bien  prendre  part  à  Taubeii.* 
Et  profiter  des  reliquats , 
La  pnnfe  du  dogue  étant  pleine. 
S'étant  donc  à  leur  tour  apiochés  du  bafTiii , 
Ils  lêcboient  fur  le  bord-  quelque  goûte  écliap,;e 

A  l'avidité  du  matin, 
Et  tâchoient  d'arracher  quelque  peu  dcgstln. 

Le  Maître,  l'oreille  occupée 
Du  bruit  aigu  que  font  leurs  langues  fur  l'aitain  j 
Vient  voir  ce  qu'il  entend  du  cabinet  prochain. 
Oh!  je  vous  prends  h  1r  pipée  , 
Dit-il,  beaux  petits  Nouriflbns; 
Tour  TOtre  .âge,  raa  foi,  vous  êtes,  m.eï  MlgnoHS- 
lien  fournis  d'eftomacs,  vous  aviez,  male-^jefle , 
Encoie  4u  legret  au  refte. 

'l    Ttm.  L  Q^s  Ta- 


37î^      FABLES. 

Ripons  dès  le  berceau!  quels  Jolis  rudimens? 

Q.ie  l'on  me  jette  à  la  ttviére 

Cette  race  de  garnemens; 

On  ne  peut  trop  tôt  s'en  défaire. 
Dans  ce  monde  ,  peuple  de  voleurs  diiFérens, 
"Lct  Petits  tous  les  jours  pâtiflcnt  pour  les  Grand». 

FABLE    XXII. 

LE  LION ,  À  qui  l'on  arrache  une  dait , 

A  M.  le  Comte  DE  CORNULIER  DU 
VERNIT. 

De  rjcadémie  Royale   de^  Sciences  £?  BelleS' 
Lettre!  d  Angers. 

CORNULiF.R ,  dont  mon  cœur  aime  le  caur  fin» 
cère , 

Ce  cœur  folide  qui  préfère 
A  la  pompe  des  Cours  le  plaifir  d'être  à  foi , 
Xis  ces  Vers,  tu  verras  dans  leur  allégorie, 
Qiie  fur  l'ambition,  les  Grans ,  la  flatcrie, 
je  me  fais  gloire,    ami,  de  pcnfer  comme  toi. 
Quand  on  vent  obliger:  on  doit  entr'autre  chofe, 
Avec  ce  qu'on  promet,  voir  à  <]Uoi  l'on  s'expofe. 
Haut  &  puiffant  Seigneur  un  Lion  radoutc 

Regnoit  fur  un  lointain  rivtge; 
D'un  cruel  mal  de  dents  il  ctoit  tourmente'; 
Retiré  jour  &  nuit  dans  fon  antre  fauvaje, 
Rugiflant ,  l'œil  <n  feu ,  de  fureur  ttanfporté , 

Secouant  fa  «inière  hoixiblCj 


FABLES.      373 

Il  fe  battoit  les  flancs,  &  fa  voix  terrible,  i,i» 

Dans  les  redoublemens  de  fes  fougueux  accès. 
Il  e'frayoit  l'écho  des  monts  ôc  des  forêts. 
Les  divers  animaux,  (]us  fous  fon  fîer  domaine 
Par  la  Loi  du  plus  fort  il  avoir  pour  fujets, 
N'ôfant  point  e'iever  leur  plainte  trifte  &  vaine, 
Par  d'humides  regards  &  des  geftes  difcrets. 
Autour  de  lui  ranges,  prenoient  part  à  fa  peine. 

Le  Singe  &  le  Renard,  opérateurs  fubtils. 
Renommé  Capperon ,  célèbre  Carmeline 
Arrivent  à  fa  cour.     Sire,  lui  difent-ils. 
Ayant  vu  de  fon  mal  le  fiége  &  l'origine. 
Un  fang  noir  &  boUillant,  bu  par  avidité. 

De  fa  béniene  majefté 
A  corrompu  la  dent  jufques  dans  la  racine; 
Mais  de  fon  râtelier  fe  trouvant  au  milieu, 
*  Q^jand  l'inftruraent  l'aura  tirée  , 

Sa  belle  Se  noble  gueule  en  fera  déparée. 
Il  n'cft  d'autre  fecret  que  de  mettre  en  fon  lieu 

La  dent  d'un  animal  en  vie. 

On  croit  qu'il  n'eft  pcrfonne  ici, 
à  gui 

Un  tel  honneur  ne  faflè  envie. 

L'honncureftbel&bon,quaid  il  coûte  thoins  cher. 
Dit  en  foi  chacun ,  à  fan  air , 
AufÏÏ-bien  qu'à  fon  froid  fileuce , 
Se  renvoyant  la  préférence. 
Et  prifant  de  fon  râtelier 
La  faine  &  libre  jouiiTance  I 

Plus  qu'un  emploi  de  chancelief. 
Tm.I,  Ci.  7  Aw- 


374      FABLE    &. 

Aucun  ne  difant  met;  un  Afnô  bonne  bête. 
Et  cjui  ne  fçipoit  rien  de  rien , 

S'imaginant  déjà  que  fa  foitunç  eft  faite. 
Vient  biavement  offrir  le  iien. 

Au-deffus  du  Renard  ,  piife  pour  la  fouplefie  , 
Le' singe  fut  choifi  pour  ce  beau  tour  d'adrefle. 
La  dertt  du  Lion  faute  après  quelque  douleur , 

Qj^ioiqu'cût  alFuré  l'arracheur 
Qu'on  n'en  fentiroit  rien.     G'eû  le  ftile  ordinaire,, 
^lentir  éft  du  métier,  fur-tout  de  celui-ci. 

Dans  les  autres  rae'tiers  aufll 
Vendroiton  fon  droguet,  fi  l'on  e'toit  finccreî 

En  ouvrage  enfin  l'on  fe  met, 
Pour  remplacer  la  dent  du  Sire  , 
Notre  Smge  d'abord  en  tire  ur'îau  Bau(îet; 

Elle  eft  trop  étroite  ,  il  en  tire 
Une  autte  ;  elle  eft  trop  large  :  une  autre  ;  fa  rondeur ,. 

Sa  petitefle ,  fa  longueur, 
Alloitmal,  fortoit  trop,  flottoir  djns  l'alvéole. 
Le  'Baudet  crie  au  meurtre,  &  pour  mille  quinraux 

D'avoine,  ou  de  chardons  nouveaux, 
Eut  vonlii ,  mais  en  vain ,  dégager  fa  parole. 
11  n'en  étoit  plus  temps,  le  mot  ctoit  lâché. 
Une  dent  fuit  une  autre;  8c  quoiqu'il  fe  défole, 
Par  trois]' forts  compagnons  de  branler  empêché  y 

Tant  &  tant  en  fut  arraché , 

Qu'il  n'en  refta  pas  une  feu'c  ; 
Mais  nulle  ne  convint      Le  Monarque  cbrèché 
^e  ledrefle,  &  lui  dit,  horriblement  fâché, 

Coquin:  qui  n'avois  dans  ta  gueule 
ïas  une  dent  qu'on  put  aux  miennes  aflbrtir. 

On 


FABLES,       375 

On  me  l'avoit  bien  dit,  &  j'ai  fçii  le  fentir 
Qaetun'es  qu'un  butor,  qui  veux  t'en  faire  accroire. 

Je  ne   fçais,  pour  te  bien  payer, 
Qui  me  retient,  Maraut,  qu'après  ton  ratclict 
Je  ne  te  faiTe  encore  arracher  la  mâchoire. 
Aprentis  Courtifans,  profitez  de  ceci  : 
La  bonne  volonté  fe  rc'compenfe  ainfi, 
Sur-tout  auprès  des  Grans,quand  la  chofe  qu'on  tentC}. 
Au  gré  de  leur  fuperbe  attente 
Par  malheur  n'a  point  réuflî. 

LE    SINGE  ET  LE  MIROIR. 

F    A     B  J-    E       XXIII. 


u. 


N  Singe  ayant  trouve  fous  fa  pâte  un  Miroir^ 
Ce  fanfaron ,  que  la  Nature 
rit  aflcz  curieux,  s'arrêta  pour  y  voir 
Comment  il  avoit  la  figure  ; 
Mais  en  voyant  fon  mufle  noir. 
Son  front  ridé,  fa  mine  grimacière. 
Ses  petits  yeux,  &  fon  menton  pointu, 
Enfin  tout  fon  individu, 
Aufiltôt  fumant  de  colère. 
Qui  m'empêche,  infolent,  dit-il, 
De  te  mettre  en  cent  &  cent  pièces  ? 
CL'eft  à  quelque  vivant ,  novice  &  moins  fubtil  y 

Aux  Badauts  des  autres  efpèces 
Que  tu  peux  t'adielTer,,  &  leur  joiier  des  pie'ccs. 

JVIais 


^j6      FABLES. 

Mais  a  moi  ?  ventrebJeu. . . .  Seigneur  Beitiaud,  tour 
beau, 

Dit  le  Miroir  d'un  ton  tranquile , 

Ne  vous  éi.haufez  pas  la  bile, 

Et  ménagez  votre  petit  cerveau. 
Je  ne  fuis  point  flateur,  ami,  je  repréfente 

Les  chofes  tout  au  naturel  ; 

Qu'on  s'en  fâche, ou  qu'on  s'en  content&f 
Si  vous  étiez  gentil,  chez  moi  vous  feriez  tel. 

Q^ie  cet  Epagneul,  par  exemple. 
Plus  aimable  que  vous  Sx.  de  mine  &  d'humeur,, 

Dans  ma  glace  un  peu  fe  contemple,. 

Il  dira  fi  je  fuis  nienteur. 
Il  s'y  verra  coëffé  d'une  paire  charmante 

D'oieilles  faites  au  pinceau; 
Et  vêtu ,  fans  parler  de  fou  ioiî  mufeau  , 
D'une  robe  de  foye  avec  grâce  flotante. 
J»lais  enfin  je  ne  puis,  diiflîez-vous  me  biifet^       ; 

Faire  un  Adonis  d'un  Therfite. 
Sur  un  mérite  en  l'air  on  aime  à  s'abufer,. 
Et  nul  n'en  croit  avoir  une  doze  petite; 
2>Iais  qui  veut  qu'on  le  fiate,  avec  grand  foin  m'e'vitc,. 

Ainfi  fous  diverfes  couleurs, 

L'ingénieufe  Comédie 

Sans  aflfedation  copie 
De  l'homme  en  ge'néral,  les  défauts  &  les  raocurî» 
Son  fel  réjouiflant,  fa  morale  ingénue, 
îlait  à  l'efprit,  l'émeut,  l'inftruit  à  chaque  trait, 

Et,  fans  qu'elle  ait  perfonne  en  vue,. 

Chacun  y  trouve  fon  portrait. 

F  Ar 


FABLES,      377 

FABLE      XXIV. 

LE  FAON,  LE  DINDON,  ET  LA 
POULETTE. 


D 


E  fa  fupeibe  queue  étalant  k  beauté'. 
Un  Paon  faifoit  la  roue:  un  gros  Dinde  à  côté 
L'iiuitoit  gravement.  Le  premier  dit  à  l'autre > 
Je  vous  trouve  ma  foi  plaifant, 
Quand  je  vous  vois  vous  enorgueillir  tant 
D'un  plumage  comme  le  vôtre. 

Mon  beau  Monfieur!  eh  pourquoi  non? 

N'ai-je  pas ,  j|cpond  le  Dindon 

Une  loutane  magnifique? 
Sans  doute,  &  fa  livrée  eft  aelle  de  Pluton, 

Lui  repart,  l'Oifeau  de  Junon, 
Commentjdit  l'Oifeau  noir,qui  fe  gourme  &  fe  pIquc^- 
Médecins  renommés,  Magiftrats  fouvera-ns, 
5ont  comme  moi  vêtus,  &  peut-être  audi  vains,. 
Dit,  en  l'interrompant,  une  Poulette  vive. 

Qui  prêtoit  à  leur  entretien , 
Sans  en  faire  femblant,  une  oreille  attentive. 
Fanchon ,  lui  dit  le  Paon,  relevant  fon  maintien. 
Vous  avez  décide'  fi  jullement,  Maraie, 
Que  vous  mériteriez  place  à  l'Académie 
Pour  ce  foui  trait  d'efprit  ;  mais  regardez-moi  Iiien^ 
Pourdiit-  il,  fe  tournant,  déployant  fcs  richeflès, 
Le  ciel  a  fur  ma  queue  épuifé  fes  largcfles. 


378      FABLES. 

3'ai  tous  les  yeux  d'Argus.  Je  n'en  difconvienspas, 

Dit-elîe  en  fouriant,  Marquis  de  Carabas: 

Le  mal  cft ,  félon  moi ,  que  tu  les  as  derrière  , 

Comme  les  ont  tant  d'autres  fats. 
Mais  fi  le  bîuit  qui  court,  eft  un  bruit  ve'iidiqac , 
Tu  joins  à  ta  beauté  le  mérite  du  chant; 
Toi,  qui  fçais  pour  le  fexe  être  fi  complaifant, 
Redis-moi  donc  un  peu  ton  éloge  en  mufique. 

Il  m'en  paroitra  plus  charmant. 
Le  Dindon  y  revenché  par  ce  trait  fatirique , 
Tout  Dindon  qu'il  étoit,  en  rit  malignement, 

Mais  étonné  du  compliment, 
Le  Paon  baifle  la  queue  ;  &  fermant  fa  boutique, 
Il  allonge  un  pas  lent,  &  va  ttifte  &c  capot 
Se  cacher  dans  un  coin  fans  repliquei  un  mot. 

r 
La  ticheflè,  qu'e'tale  une  arrogance  extrême, 
Eft  comme  la  naiflanca  un  effet  du  hazaid  ; 

La  feule  gloire  ou  l'homme  ait  part, 
C'eft  celle  des  talens  qu'il  fe  doit  à  lui-même. 

PABLE      XXV. 

LA  FAUVETTE   ET  LES   OISEAUX 
JALOUX, 

A      M.      B    O    U    R    N  *  *. 

Célèbre  Chirurgien  à  Nantes. 


D 


E  S  oifeaux  négligeoient  l'étude  du  ramage 
Foui  le  ioiili:  ftéùle  &  fes  amufemens, 

(Ain- 


FABLES.      37f> 

(  Ainfl  font  la  plupart  de  ca  honnêtes  gens 
Qu'un  certain  célibat....  mais ,  Mufe,  foyez  C:igQi 
Ne  marchez  pas  pies  nus  fur  des  charbons  ardens  ) 
Un  jour  que  ces  oifeaux  prenoient  leur  paflètems. 

Ils  rencontrèrent  fous  l'ombrage 
Une  Fauvette  habile  à  former  d'heureux  fons. 

Charmés  de  fon  joli  ramage. 
Ces  petits  cœurs  pourtant  fe  laiffcrent  piquer 
Aux  traits  noirs  que  contre  eux  lança  la  jaloulle, 

£t  de  l'aimable  me'lodie, 
Aigrement,  auhazard,  on  les  vit  fe  moquer. 
Va  l\ofl]gnoI ,  préfent  à  cette  comédie ,  j 

Leur  dit;  Amis,  vous  dénigrer 

Cette  Fauvette  enchanterefîe , 

Que  dans  l'ame  vous  admirez; 

L'unique  clitgrin  qui  vous  predê , 
yous  voulez,  mais  en  vain  vous  le  diflimulcrj 

C'eft  de  ne  pouvoir  l'égaler. 

Eh!  ne  deviez-vous  pas  comprendre 

Que  notre  Confraternité 
Participe  à  l'honneur,  qu'un  feul  a  mérité? 
Trofitcz  avec  moi  du  plaifir  de  l'entendre. 
Et  réformez  vos  tons  fur  des  accens  fi  doux  : 

Il  eft  honteux  d'être  jaloux, 

Mais  il  eft  glorieux  d'apprendre. 
Dans  cette  allégorie ,  où  j'exprime  pour  toi 

Ma  gratitude  légitime. 

Célèbre  Boum'*,  reçoi 

Ce  v.iai  tribut  de  mon  eûime. 

VERS 


38a 

VERS 

A    M.   DE    M  O  RIN  A  Y, 
Gentilhomme  Oïdinatre  de  la  Chaïubie  du  Roi» 

iJ ^S' b"  charmant  Mortel ,  dont  la.  P,hHofcphii 

Confervc  fon  air  pur  &■ /*«  aménité 

At*  milieu  des  douceurs  d'une  agréable  vie  ^ 

Oh,/aK%  crg'ùiil  ^  far.%  envie f 
£t  de  toute  vertu  Parti/an  refpiUê  ^ 
*Tu  paffes  les  beaux  Jours  que  la.  Parque  ttfiUt 

Toi  y  dint  la  charité  fertile ^ 

A  l'indigent  perféiuti' 
AJfUre  dans  fes  bras  un  fulutaire  afylt 

Comme  dans  /es  heureux  rameaux.^ 

Un  arbre  étalant  fon  feuillage  y    - 

Préfente  y  à  l'abri  de  Forage  y 
Une  douce  retraite  aux  innocent  oifeaux. 
Cher  Parent  y  lis  ces  F'irs ,  que  dans  ma  folituie  y 
Les  vertus  y  approuvant  ma  poétique  étude  f 
Ont  di&és  à  mon  eœur  ,  amoureux  du  vrai  bien  ; 

Ceji  un  hommage  légitime. 
Que  dtit  à  la  nobltffe ,  à  la  bonté  du  tien  ^ 

La  vive  amitié  qui  m'anime^ 


«r% 


CAS* 


CANTATES. 

Sur  la  Naiflance 

DE  MONSEIGNEUR  LE  DUC  DE 
BOURGOGNE. 

CANTATE     I. 

_r  II  LE  s  de  Jupiter,  ingénieiifes  Fc'cs, 
Nymphes  qui  préfidez  fur  le  facré  Coteau, 
Animez  da  feu  le  plus  beau 
Vos  Amphions  8c  vos  Orphe'es. 
Célébrez  ce' grand  [onr,  où  nos  vœux  accomplis 
Ont  vu  fur  ce  rivage  édore.  un  nouveau  Ljs. 

Prinrefle,  que  l'Amour  engage 
Au  fils  d'un  Roi  toujours  vainqueur. 
Par  un  tendre  &  précieux  gage 
Vous  couronnez  fa  vive  ardeur, 

Et 


382       C  A  N  T  A  T  ES. 

Et  le  Ciel  par  ce  témoignage 
Vient  affermir  notre  bonheur. 

Et  vous  Reine ,  ô  chafle  Cybèîe , 
Contemplez- vous  dans  vos  enfansj 
Comme  une  Rofe  aimable  St  belle. 
Du  haut  de  fes'  rameaux  brillans , 
Voit  s'épanoLiir  autour  d'elle, 
£t  naître  des  boutons  chacmans. 

-  Ptincefle  que  l'amour  engage  &c. 

Les  temps  font  arrive's,  l'avenir  fe  dévoile, 
Le  livre  du  Deflin  eft  ouvert  à  mes  yeux  ; 
Né  d'un  divin  Soleil ,  un  Soleil  radieux 

Enfante  une  brillante  Etoile, 
Dont  l'éclat  éb'oiiit  Se  la  tene  &  les  cieur. 

Tous  les  Aftres  leur  font   hommage, 
La  Nature  obéit  à  leurs  fupremes  loix. 
Le  Printemps  éternel,  les  jours  du  premier  âge 

Reviennent  encore  une  fois. 

Naiflfez , Bourbons ,  croiflez,  augufte  Race, 
Et  ii.ontrez  -  vous  digne  de  vos  ayeux  ; 
Les  imiter  &  marcher  fur  leur  trace, 
C'eft  imiter ,  c'eft  égaler  les  Dieux. 

Rameaux,  iflîîs  d'une  tige  féconde 
Etendez-vous  en  cent  climats  divers: 
Que  triomphans  fur  la  terre  &  fur  l'onde 
Lés  feu's  Bourbons  régnent  dans  l'Univers. 

Kaiflèz,  Bourbons,  &c. 


Sut   ! 


CANTATES.      383 

5iui  le  front  de  Louis,  ce  Monarque  adorable, 
Aulïï  vaillant  que  Mars,  aiiffi  beau  que  l'Amour, 
Ls  doux  Flaifir  répand  un  calme  inaltérable; 
Du  fils  de  Ton  Dauphin  dans  un  tumulte  aimable» 

Le  nom  fait  retemir  fa  Cour. 
Que  de  feux  allumés!  le  falpètre  raifonne, 
Cent  chifres  enflammés,  que  la  gloire  couronne. 

Voltigent  tracés  dans  les  airs. 
La  naît  s'arrête,  admire,  un  nouveau  jour  l'étonue. 
Et  ftir  fon  char  d'azur  la  fuperbe  Thétis, 

Voguant  en  paix  au  gré  de  l'onde, 
Aprcnd  que  le  Deflin  fait  renaître  fon  fils. 

Du  ûng  du  plus  grand  Roi  du.  monde* 

La  paix  lamene  en  tous  lieux  l'abondance. 

Enfin  lf|  Dieux 

Ont  exaucé  nos  vœux. 

Afmables  cœurs  ,  Epoux  chers  à  la  France,. 

Vous  afluicz  fa  plus  douce  efpérancej 

Son  fort  heureux 

£ft  le  fruit  de  vos  jeux. 

Jeunos  Amours,,  volezi  d'une  aile  agile;; 
Tendres  plaifirs, 
Secondez  nos  defir^. 
Régnez,  Amours,  la  France  eft  votre  afficj 
Yolea,  plaiiïrs,  ici  tout  eA  tranquile. 
Les  feuls  Zéphirs, 
Y  pouffent  dc$  foupks» 

La  Faix  tamene  en  tous  lieux  l'abondance  Sec.- 


3S4       CANTATES, 

HERCULE    ET  OMPHALE. 
C.A  N  T  A  T  E    II.     ' 

Xy'UNivERS,  délivré  de  cent  monftres  terribles. 
Dans  l'indomptable  Hercule  admiroit  le  héros, 

Dont  les  exploits  &  les  travaux 
Lui  faifoient  efpérer  les  biens  fûrs  &  paifibles , 
Qu'offre  après  les  combats  l'agréable  lepos. 

Des  Cieus  la  mafle  chancelante 
En  lui  trouve  un  fécond  Atlas } 
Les  géants,  faifis  d'épouvante. 
Tombent  éciafés  fous  Ton  bias. 

Drngons,  Serpens,  remparts,  muraiUcs, 
Tout  cède  à  fes  moindres  efforts; 
La  terre  ,  à  travers  fes  entrailles, 
Le  voit  franchir  les  fombres  bords. 

Des  Cieux  la  maflè  chancelante 
En  lui  trouve  un  fécond  Atlas; 
Les  géants,,  faifis  d'épouvante. 
Tombent  écrafcs  fous  fon  bras. 

Pendant  qu'accumulant  conquête  fur  conquête. 
Semant  par-tout  l'éclat  de  fon  nom  glorieux. 
Du  tonnant  Jupiterle  fils  ambitieux 

De  nouveaux  lauriers  ceint  fa  tête, 
Que  lui  feiil  il  fc  croir  plus  fort  que  tous  les  D'ivjt. 


CANTATES,      385 

■Il  voit  Omphale;  &  fa  défaite 
Eft  l'ouviage  de  deux  beaux  yeux. 

L'aimable  jeuneffe , 
La  feinte  douceur, 
La  délicateïïe, 
Le  foûris  trompeur , 
ta  molle  langueur. 
Joignent  leur  adieflê 
Tour  charmer  fon  cœur; 
Lui-même  il  fe  laifle 
£n  proie  au  vainqueur. 

11  s'enyvre  à  longs  traits  du  poifon  qui  le  tue; 
Le  traître  Amour,  fur  lui  fecoiiant  fon  flambeau. 
Avec  un  ris  amer  luijvole  fa  mafliie; 
Et,  pour  comble  d'infuite  à  fa  valeur  vaincue. 
Met  dans  fes  nobles  mains  un  indigne  fufeau. 
Très  d'Omphale  occupé  d'un  travail  ridicule. 
Il  foûpire,  il  gémit:  interdit  &  confus , 

Il  cherche  dans  le  tendre  Hercule , 
Le  grand,  le  fier  Hercule,  &  ne  le  trouve  plus. 

En  vain,  guerriers  magnanimes 5 
Vous  vantez  vos  actions , 
Si  vos  courages  fublimes 
Sont  foumis_aux  pafïîons. 
C'eft  des  plus  illuftres  âmes 
Qu'Amour  cherche  à  triompher. 
Malheur  au  cœur  que  fes  flammes 
Ont  la  force  d'échauff'ei;! 


38(5       CANTATES. 

En  vain,  guerriers  magnanimes. 
Vous  vantez  vos  avions , 
Si  vos  courages  fublimes 
Sont  fournis  aux  paflîons. 

n  I  P  E  R  M  N  E  S  r  R  E. 

CANTATE       m. 

JL*  Il  LE  S,  cruellement  fidelles 
A  leur  père  aveuglé  d'un  perfide  courroux. 

Les  Danaïdes  criminelles 
Dans  les  bras  du  fommeil  immoloient  leurs  époux. 

La  feule  Amante  r*";  Lince'e 
Ecoutoit  fon  amour,  &  confuitoit  fa  loi; 
Mais  Danaiis  vengeur,  s'offiant  à  fa  penfée. 
En  excitant  fon  bras,  la  rempliffoit  d'effroi. 

,  Pour  moi,  pour  mes  fœurs,  au  Tartarô 
■  L'Hymen  alluma-t'il  fes  feux? 
Qu'a  fait  mon   époux,  fort  barbare, 
Q.iii  mérita  un  trépas  affreux  ? 

Soleil,  demeure  au  fein  de  l'onde. 
Frémis  d'éclairer  nos  forfaits  ; 
Epargne  ce  fpeclacle  au  monde. 
Eteins  tes  rayons  peur  jamais. 

Tour  moi,  pour  mes  fœurs,  au  Tartare 
L'Hymen  alluma-t'il  fes  feux? 


CANTATES.      387 

Qii'a  fait  mon  époux,  fort  barbare. 

Qui  mérite  un  trépas  affreux  ?  ^ 

Sa  main,  pour  Je  percer,  trois  fois  eft  fufpendue. 
Trois  fois  ne  fçachant  oîi  frapper. 
Sa  main,  d'elle-même  abbatue, 
Laifle  le  poignard  échapper. 
Pâle,  tremblante,  irréfoluc. 
Retombant  fur  fon  lit,  qu'elle  arrofe  de  pleurs. 
Elle  adiefle  ces  mots  à  l'objet  qui  la  tue , 
Auprès  d'elle  endormi ,  fans  prévoir  fes  malheurs. 

Tendre  époux,  moitié  trop  chérie. 
Quelle  eft  la  rigueur  de  mon  fort? 
]e  meurs,  fi  j'épargne  ta  vie, 
Ou  je  mourra^du  regret  de  ta  mort.  j 

Ah!  plutôt,  inflexible  père. 
De  cent  coups  ouvre-moi  le  flanc; 
Que  feule  au  moins  je  dégénère 
De  ta  fureur  à  t'abreuver  de  fang. 

Tendre  époux,  moitié  trop  clicrie. 
Quelle  eft  la  rigueur  de  mon  fort  ? 
]e  meurs,  fi  j'épargne  ta  vie. 
Ou  je  mourrai  du  regret  de  ta  mort. 

Mais,  ô  tranfport,  dit-elle,  ô  difcours  inutile! 

Que  je  tarde  à  délibérer  ! 
Ouvie  les  yeux ,  fuis ,  cours ,  cherche  au  loin  quelque 
afyle , 
Profite  de  la  nuit  tranquilCj 

R  1  Nou» 


388       CANTATES. 

Nous  nous  perdons  tous  deux  à  différer  : 
Devançant  le  retour  de  la  rapide  aurore, 
Mon  père  furieux ,  &  mes  pnrjures  fœurs 

Viendront,  c^e^  crimes  que  j'abhorre 
Confommer  dans  ton  lang  les  infâmes  noirceurs. 
Qu'attcnds-iUjcher  époux?  pars,  adieu,  prens  encore 
Ces  avides  baifers,  ces  trop  courtes  douceurs. 
Pars  donc;  &  pour  faveur  dernière. 
Pour  prix  de  t'avoir  conlervé, 
Soiivien-toi  d'une  époufe,  à  toi  feul  toute eatieie^ 
Qui  s'expofe  au  péril,  dont  elle  t'a  lauvé. 

Hymen,  combien  ti  pnifTance, 
Produit  de  nobles  effets. 
Quand  l'amour  d'intelligence 
Serre  les  noeuds  q(  :  tu  fais! 

Mais  quand,  dans  tes  nœuds  coupables. 
Le  cœur  ne  fuit  pas  la  main,, 
A  quels  crimes  effroyables 
N'ouvres-tu  pas  le  chemin  ? 

Hymen,  combien  ta  puiflancc 
Produit  de  nobles  effets , 
Quand  l'amour  d'intelligence 
5eïre  les  nœuds  que  tu  faisî 


L'H  r- 


CANTATES.      3.S9 

V  H  r  F  E  R. 
CANTATE      IV.' 


rTATi 


'E-toi,  cher  Bacchus,  précipite  tes  pas,- 
L'Hyver  fiiivi  des  vents,  des  glaçons,  des  frimatSj 
Exerce  fon  courroux  fur  la  vigne  mourante. 
Hàte-toivcher  Bacchus,  précipite  tes  pas, 
Vien  voir  de  tes  enfans  la  troupe  languifTante  ; 
Un  fâcheux  avenir  nous  glace  d'épouvante, 
I.e  prenant  défefpoir  nous  conduit  au  trépas. 

Cruels  Auteurs  dés  Ofages, 
T(5nnez,  /jufflcx  dans  les  airs: 
Aquilons,  que  vos  ravages 
FafTent  trembler  l'univens. 

Fondez  avec  violence 
Sur  nos  champs  &  nos  jardins; 
Mais  laiflez-nous  l'efpérance 
Be  vendanger  des  raifins. 

Cruels  Auteurs  des  Orages , 
Tonnez,  foufflez  dans  les  airs; 
Aquilons,  que  vos  ravages 
Faflent  trembler  l'univers. 

Dieu  du  vin ,  prends  foin  de  ta;  gloire , 
Tu  n'entends  déjà  plus  ces  brillans  airs  à  boire. 
Ces  chorus  altçrans ,  jufqu'au  Ciel  élances. 

A  }  Tans 


3po      C  J  N  T  yl  T  E  S. 

Dans  tous  les  cabarets  règne  un  morne  fîlence. 
On  voit  par-tout  les  pots  triftement  renvcrfts. 
A  la  vivacité  fuccéde  l'indolence. 

Les  buveurs  oififs  tout  le  jour , 
Vagabons  ,  éperdus ,  doutent  de  ta  puiflancc , 

Et  font  prêts  de  quitter  ta  cour 
Pout  cbetchei  les  plailirs  dans  celle  de  l'amoui. 

Atnts,  quel  caprice  étrange 
Vous  entraîne  chez  Vénus? 
Ah  !  que  vous  perdrez  au  change  ! 
Ketournez  vite  à  Bacchus. 

Le  Dieu  du  vin  dédommage 

Auflî-t9t  un  pauvre  amant; 
Pour  un  buveur  qui  s'engage, 
Vénus  en  fait-elle  aiicant? 

Amis,  quel  caprice  étrange 
Vous  entraîne  chez  Ve'nus? 
Ah  !  que  vous  perdrez  au  change  I 
Retournez  vite  à  Bacchus. 

Ciel!  qu'apperçoi-je !  un  Dieu!  c'çft  Bacchus , ç'eft 

lui-même  : 
Des  pampres  verdoyans,  découpés  en  feflons, 
Compofent  fur  fa  tête  un  joyeux  diadème. 
Il  a  fon  Tyrfe  en  main;  mais  il  parle,  écoutons; 
La  vigne  eft  à  l'abri  de  l'horrible  furie 

De  la  plus  rude  des  faifons. 

Nez  boutonne's ,  teints  rubicons , 
Ké veillez  à  ma  voix  votie  aideui  endotxnie. 


C  J  N  T  J  T  E  s.      391 

Epuifez  vos  tonneaux,  remplifle?-  vos  flaccons. 

L'Hyver  s'irrite  en  vain;  fon  infolente  audace. 
Quoi  qu'il  tente,  ne  fer.vira 
Qii'à  vous  faire  boire  à  la  glace. 
D'excellent  vin,  quand  l'été  reviendra. 

puyez,  pénible  tendrefle. 
Livrons  nos  cœurs  à  Bacchus. 
Chantons,  répétons  fajis  ceflê 
Que  rien  n'égale  Ion  jus. 

l'uifqu'il  prend  foin  de  nos  treilles  >^ 
Bravons  l'Hyver  en  courroux; 
Amis,  Tablons  cent  bouteilles; 
Ah!  que  ce  commerce  ell  doux! 

Si  >  jaloux  de  notre  gloire, 
L'Amour  trouble  nos  exploits, 
Il  faut  l'obliger  à  boire 
Kafade  dans  fon  carquois. 

Mais,  s'il  afïefte  un  air  grave. 
Ce  beau  petit  Damoifeau, 
Faifons-Ie  aller  à  la  cave 
Tirer  lui-même  au  tonneau. 

Quand  cette  liqueur  puiflàntc      ' 
Aura  fournis  le  mutin  , 
Il  faut  qu'à  fon  tour  il  chante 
L'éloge  du  Dieu  du  vin, 

R4  l^'E. 


392       CANTATE  S. 

LE  P  O  U  X    MOURANT. 

CANTATE     V. 


U. 


N  pauvre  Epoux  déjà  touchoit  aux  fombres  portes- 
Qui  mènent  les  humains  au  royaume  des  morts. 
Sa  femme  e'toit  en  pleurs  :  les  douleurs  les  plus  fortes 
N'étoiem  qu'un  vain  crayon  de  Tes  cuifans  tranfports. 
Son  rnouchoir  à  la  main ,  fa  coëfFe  rabatue , 
Elle  e'toit  fur  fon  lit  déplorant  fes  malheurs. 
Et  levant  vers  le  Ciel  fa  languiflante  vue, 
Accufoit  en  ces  mots  les  fatales  rigueurs. 

Mort  barbare ,  e'pargne  la  vie 
Du  plus  pre'cieux  des  Epoux; 
Sur  moi,  plutôt  fur  moi,  de  ta  faux  ennemie 
Hâte-toi  de  tourner  les  coups, 

■Uaifs  comme  deux  tourterelles 
L'un  pour  l'autre  nous  étions  faits, 
Npir  décret  du  Deftin!  pourquoi  donc  Lois  cruelles 
Nous,réparez-vous  pour  jamais  ? 

Semant  fur  fes  pas  l'épouvante, 
La  mort  roulant  fa  faux  fanglante. 
Se  montre  à  fes  regards;  &  d'un  ton  furieux 
Qu*entcnds-je  ?  que  veut-on  f  me  voici,.qui  m'apellc? 
Pardonnez-moi ,  c'eft  mon  Epoux,  dit-elle. 
Avec  fes  belles  mains  eflUiant  fes  beaux  yeux. 

Hé- 


CANTATES.      zn 

Hélas!  vous  l'allez  voir,  redoutable  Déefle, 
Pâle,  mourant,  en  proye  aux  maux  les  plus  affrcuy, 

0^1  i  foupire  après  vous  fans  cefTe, 
Fatigué  de  tiainer  des  inftans  douloureux. 

Aflèz  de  femmes  font  la  mine, 
Quand  elles  perdent  un  mari  ; 
Mais  il  n'en  eft  point  qui  s'obftine 
De  courir  au  trépas  pour  lui. 

Qiielle    Euridice  fi  fidelle  , 
Malgré  mille  périls  offerts, 
Paflànt  dans  la  nuit  éternelle. 
Chercha  fon  Orphée  aux  Enfers? 

A  la  matrone  on  fit  connoître. 
Après  qu'eje  eut  long-temps  pleuré,  , 
Que  l'homme  mort  ne  doit  point  être 
A  l'homme  vivant  préféré. 

Aftémife  but  de  Maufole 
Lés  reftes  chéris  dans  du  vin. 
Pourquoi?  c'eft  que  le  vin'confole 
Et  fait  oublier  le  chagrin. 


R  j  LA 


394       CANTATES. 
LA     R    O    S    E,  (*) 

CANTATE     VI. 

V  Ous  voulez  me  cueillir,  difoit  laRofeen  pleay. 

Au  jeune  Corilas  qui  l'avoit  cultivée; 
Hélas  !  m'aviez-vous  réfervce 
Au  plus  funefte  des  malheurs? 

Voilà  donc  oti  tendoient  vos  perfides  douceurs' 
Par  ces  mors  la  Rofe  vermeille 
Croyoit  convaincre  Corilas, 
Mais  il  ne  prctoit  pas  l'oreille, 
Ou  feignoit  de  n'entendre  pas. 

Cent  fois ,  pourfuivoit  -  elle  encore , 
Vous  avez  prévenu  l'aurore 
Pour  me  voir,  &  pour  m'arrofer  ; 
Vous  n'ôfiez  pourtant  me  baifer. 

De  craint;  d'altérer  l'éclat  qui  me  colore. 
Souffrez  au  moins  que  j'achève  d'éclore; 

Arrêtez,  cher  Berger,  cruel!  que  faites-vous?  ' 

Arrêtez...   un    moment.,,   quand    vous  m'aurer 
cueillie, 

Quelques  inftans  après,  vous  me  venez  flétrie. 

Et 

Ç*)  Cette  Cantate  que  l' Auteur  donna,  il  y  a  nombre  d'an-, 
nées ,  tant  dans  le  Mercure  que  dans  l'édition  des  Poëfies 
Ibus  le  nom  de  Mlle,  rfc  Malemis,  a  été  inlerée  depuis  dans 
le  Recueil  de  celles  de  l'Abbé  de  Giicourt.  Il  n'a  aucune 
part  à  cette  j-iiéce.  Il  en  efl:  de  même  de  beaucoup  d'autres  > 
que  leurs  .-Vuteurs  pourvoient  auili  juAcmenc  tiivendii^uct. 


CANTATES,      395 

Et  vos  vives  ardeurs  faifant  place  aux  dégoûts. 
Je  perdrai  les  attraits  dont  vous  étiez  jaloux. 

C'eft  ainfi  que  la  Rofe  exprimoit  fes  allarmes  ; 

Mais  fes  cris  furent  fupeiflas  r 
Dès  qu'elle  fut  cueillie,  elle  n'eut  plus  de  charmes , 

Et  Corilas  ne  l'aima  plus. 

Amans,  fous  les  plus  douces  chaînes 
Contraignez  vos  brulaiis  defirs  ; 
Le  comble  des  tendres  plaifirs 
M  fouvent  le  comble  des  peines» 


R  6 


sot- 


VOYAGE 

DE    PARIS    EN    BRETAGNE.. 

jî  M.  LE  MARQUIS  DE  ROBIEN, 

Fréfiflent  à  Moitisr  au  Parlement  de  Bretagne, 
^  de  V  Académie  Royale  des  Sciences  ^BeU- 
les  Littrss  de  Berlin, . 


P 


E  R  s  o  N  N"  E  au  monde ,  Mdnfiéur ,  n'a  jamais  > 
plus  pefté  que  moi  coiitie  les  Intendances,  Pré- 
feftures  &-aucres  dignités ,  faites,  dit-on,  pour  le 
peuple  plus  que  pour  l'homme;  &  chacun  fait  que 
cela  devroii  être.  Le  Rappc'teur  de  votre  procès,, 
ayant  été  nommé  Intendant'^  vous  vous  vîtes  ren- 
voyé aux  Kalendes  Grecques,  &  moi  par  confé- 
quent,  puifque  le  lignai  de  fa  gloire  fut  celui  de 
notre  départ.  J'allai  la  veille  dire  adieu  au  très 
cher  &  très  illuftre  M.  Titon  du  Tillet;  la  goûte 
«voit  charge'  fes  pieds  de  pefantes  entraves.  Je  lui 
témoignai  le  chagrin  que  j'avois  de  le  voirfoufftir; 
à  quoi  il  me  répondit  d'un  air  riant  que  la  patience 
étant  le  feul  remède  que  la  Médecine  eût  enco. 
re  trouvé  pour  la  goûte,  il  tâchoit  de  fe  familiari- 
1er  avec  elle.  Enfuite  il  fe  traîna  jufqu'à  fon  cla- 
vecin £c  joiia  les  plus  joyeufes  Ritournelles,  laiflanc 
éclater  fur  fon  vifage  cette  noble  &  mâle  indépen-. 
dance  du  fort,  qui  manquoit  au  Favori  d'Augufte. 
En  effet  les  belles  qualités  de  Mécénas,  fi  recom- . 
mandab'e  d'ailleurs,  ont  été  en  quelque  manière 
deshonorées  par  les  Vers  qu'il  a  laifles  à  la  poftéri- 
té  fur  fon  attachement  à  la  vie,  debilem  facito  manu  . 
fsfe  ,  &  dont  j'ai  tâché  d'e?:primer  le  fens  dans  cet- 
te traduftion ,  fans  m'affavix  fcrupuleufement  aux 
itinisi  de  roxigiaal: 

Que 


V    O    TA    G    E.       397 

Que  fur  mes  pieds  &  fur  mes  mains 
La  goûte  la  plus  douloureufe 
Déployé  avec  fureur  fes  efforts  inhumains; 

Que  la  tumeur  la  plus  affreufe 
Accable  de  mon  corps  la  machine  hideufe;  , 

Que  mille  élancemens  aigus , 
Sans  relâche   frappjnt  mes  gencives  enflées, 

Pénétrent  mes  dents  ébranlées; 
Qiie  livres  aux  bourreaux,  mes  membres  étendus 
"Soient  au  haut  d'une  croix  dans  les  airs  fufpendus: 
Grands  Dieux  !  dans  ces  tourmens  faites  durer  ma  vie, 
,  Plutôt  que  de  borner  mon  fort  ; 

Les  horreurs,  dont  Je  puis  voir  fa  courfe  fuivie  ^ 
N'offrent  rien  à  mes  yeux  de  fî  dur  que  la  mort. 

Saint-Evremont ,  mt  Sarrazin  ont  raifon  de  dire 
dans  un  difcours  de  Morale,  qui  fe  trouve  dans  les 
Ouvrages  de  l'un  &  de  l'autre ,  qu'ils  voudroient, 
s'il  étoit  polTible ,  qu'on  eût  effacé  ces  Vers  qui 
nous  refient  de  Mécénas ,  &  qu'il  ne  nous  eût  point 
appris  qu'il  étoit  plus  attaché  à  la  vie  que  ne  doit 
l'être  un  PhilofophCjôc  même  un  homme  qui  pen- 
fe  raifonnablement. 

Titon ,  doiié  d'une  ame  aufîî  ferme  que  rare  ^ . 
Me  parloit  des  Neuf  Sœurs,  répétoit  leurs  chanfons. 

Et  n'en  vouloit  qu'à  la  fortune  avare , 
Qui  recompenfe  mal  leurs  plus  chers  nourilTons, 

Deux  Dames  furvinrent,  dont  la  vue  éteignit  en 
lui  tout  reCTentiment  de  douleur,  &  il  oublia  fa  gou» 
te,  pour  aller  plus  légèrement  au-devant  d'elles. 
Four  moi  j  je  le  laijTai  avec  cette  compagnie,  après 
l'jgvoir  embialK  trois  ou  quatre  fois. 

B,  7  ]'au- 


398      V    0    r    A    G    E. 

J'aurois  bien  aufll  fouhaité  que  le  temps  m'eut 
permis  d'aller  dire  adieu  au  célèbre  M.  de  Voltaire, 
à  qui  j'avois  fait  viCte  les  derniers  jours  de  la  fe- 
maine  précédente.  Son  ame  n'cft  point  afFaiflee  fous 
l'épaifleur  de  l'embonpoint.  On  ne  voit  en  lui  que 
des  yeux  pleins  du  beau  feu  qui  anime  fes  l'oëfies 
Se  fa  Proie.  Il  femble  que  comme  Horace,  il  foit 
prêt  à  s'envoler  transformé  en  Cigne.  Sa  conver- 
lation  eft  aufli  varice  que  fes  ouvrages,  6c  l'on  y 
trouve  l'homme  du  Monde,  le  Pocte  &  le  Philofo- 
phe. 

Te  vous  ai  promis,  Monfieur,  de  vous  amufet 
d'une  relation  de  notre  voyage;  mais  quels  mémoi- 
res eft-il  poffible  d'écrire,  quand  on  court  la  porte 
tout  le  jour  &  la  moitié  de  la  nuit?  Toutefois  vous 
le  Youlezjcela  me  fuffir.  Ecrivons  comme  nous  avons 
voyagé,  &  faifons  une  relation  en  pofte,  quoique 
vous  en  fâchiez ,  auûi  bien  que  moi ,  toutes  les  par- 
ticularités. 

IL 

Mufe,  à  la  face  rubiconde, 
Q^ii  du  vineux  Chapelle  entretenois  refprit. 
Et  verfois  l'enjoûment  fiu  fa  veine  féconde, 
Vien  d'un  grain  de  fon  fel  animer  ce  récit, 
fais  voltiger  les  ris  &  les  jeux  fur  ma  lire. 

Et  t'acquitant  de  cet  emploi. 
Que  mon  iiluftre  Ami  prenne  plaifir  à  lire 
Divers  évenemens,  qu'il  a  vus  comme  moi' 

Je  dirai,  après  cet  exotde,  que  déjà  notre  chaife 
nous  emportoit  hors  des  remparts  de  Paris,  quand 
mettant  la  tête  à  la  portière,  les  yeux  long-tems 
tournés  vers  une  ville  dont  je  m'éloignois  à  regret, 
je  lui  fis  tout  bns  ces  triftes  adieux,  dont,  comme 
vous  favez,  je  vous  régalai  tout  haut,  fur  ce  que 
vous  me  demandâtes  fi  c'étoit  le  chagrin  de  quit- 
ter quelque  jolie  farifienne,  qui  me  faifoit  ainfi 
lever, 

A- 


F    0    T    J    G    E.       399 

Adieu,  ville  enchantée;  adieu  Reine  des  Artsj 

Adieu  CafFés  &  promenades  ; 
Come'dic,  Ope'ra,  ballets,  Pantalonades; 
Adieu  climat  chéri  des  fuivans  du  Dieu  Mars; 
Adieu  brillant  féjout  des  amoureufes  fiâmes;  ...., 
Adieu  Rivage  d'or;  retraite  des  filoux 
Des  bourfcs  &  des  cœurs  ;  écueil  des  jeunes  amcs  ^ 
Adieu  riant  Berceau  des  commodes  époux  ; 
Adieu  beau  Paradis  des  plus  aimables  femmes  ; 
Adieu  noirs  papillons,  finges  des  jolis  airs. 
Equivoques  Abbés;  adieu  Sçavans  divers; 
Adieu  Cite  célèbre,  oii  l'effort  de  la  prefle 
Enfante  en  gémiffant  plus  de  profe  &  de  VerSj 
Qu'en  aucun  lieu  de  l'univers, 
Marchandife  de  toute  efpéce  ; 
Adieu  Paris, jjbon  jour,  bonfoirj 
Adieu  vous  dis  jufqu'au  revoir. 


Nous  paffâmes  à  Verfailles ,,  oli  je  fus  fort  éton- 
né qu'on  nous  fit  payer  double  pofte.  Je  m'étois  ima» 
gine  qu'en  approchant  du  féjour  des  grâces,  &  fur- 
tout  dans  un  tems  de  réjoiiilTance  Royale ,  nous 
eufllons  paffe  gratis. 

Vous  ne  vous  attendez  pas,Monfieur,  que  je  vous 
fiafle  la  defcription  typographique  d'une  route  que 
vous  avez  courue  du  moins  vingt  fois.  Je  ne 
vous  parlerai  donc  que  de  nos  gîtes.  En  galoppant 
2c  trottant  tout  au  moins,  je  vis  s'échaper  fous  mes 
yeux  des  Villes,  des  Villotes,  des  Villages,  des 
Hameaux,  des  prairies.  La  nuit  déployant  fes  voi- 
les,  tous  les  objets  prirent  une  livrée  de  la  même 
couleur,  &  je  ne  vis  plus  rien,  malgré  les  deux 
gros  yeux  de  verre  de  notre  chaife,  qui  éclairoient 
ceux  de  nos  couiliers.    Nous  mîmes  pied  à  terre  à 

Ou- 


40O      F    0    r    A    G    E, 

Ouàin,  oîi  nous  fûmes  hébergés  à  la  pofte,-  8e  ié-- 
gés  dans  une  chambre, . 

Où  lits  de  damas,  trumeaux,, 
Chaifes  àz  point,  haute  lifle. 
Tables  de  maibie,  tableaux,  . 
Sont  une  légère  efquifle 
Des  mngniiiques  lambris. 
Sous  lefquels  fraîche  &  noutie . 
Repole  la  Seigneurie 
Des  Financiers  de  ,£aris. 

Vous,  n'aurez  point  oublié  qu'on  nous  fit   parfai- 
tement payer  la  vue  de  ce  beau  gite ,  l'hôtefle  noas 
ayant  tiré    (  comme  on  nous  prévint  qu'elle  avoit 
coutume  de  le  faire)  un  écu  en  ligne  de  compte,, 
uniquement  pour  la. chambre: 

Si  Chapelle  avec  vous  s'étoit  mis  en  campagne. 
Il  vous  eût  dit.  Prenons  un  autre  appartement. 
Et  nous  boirons  par  fuppiément- 
Une  bouteille  de  Champagne. 

"VOUS  ne  buvez  que  de  l'eau,  MonCeur,&  je  bois 
très  peu  de  vin  pur.  Sobriété  très  rare  autrefois 
dans  notre  Province,  oîi  parler  d'aller  à  Fsris,  c'é- 
toit  entreprendre  'e  pèlerinage  de  lérufalem  ;  mais 
on  s'y  eft  infenfiblement  fuivi  à  la'  file,  8c  c'eft  au 
commerce  des  Parilrens  que  nous  devons  lufage  de 
tremper  notre  vin.  Il  n'y  a  plus  que  quelques  reitt» 
mes,  quijfe  fermant  pour  boire  de  giands  banaps, 
qu'eues  appellent  culottes  de  Suiffet ,  continuent  i 

De  foutenir  avec  cfpiit. 

Que  bien  fait  câ  ce  que  Dieu  £t , 

Pât 


(À, 


F    0     Y    J    G    E.      40Ï 

Par  quoi  ne  le  faut-i!  défaire  ; 
Qu'aux  noces  une  fois  l'eau  fut  changée  en  vin 
Par  l'efFet  merveilleux  d'un  prodige  divin. 
Et  que  jamais  le  vin  ne  le  fut  en  eau  claire. 

On  dit  qu'un  Cadet  de  Gafcogne ,  la  petite  trelTè 
d'or  fur  l'habit,  le  demi -point  d'Efpagne  fur  lu 
chapeau,  l'e'pée  damafquinée  au  côté,  arrivant  à 
Oudan  auffi  tard  que  nous,  on  le  plaça  dans  le  mê« 
me  appartement.  Il  fe  mit  à  fon  aife  &  fe  chau* 
foit,  quand  l'hôteflè  paflànt  dans  la  chambre  ,  il  la 
complimenta  fur  fon  riche  ameublement.  Il  eft 
vrai  qu'il  eft  propre,  répondit  -  elle ,  &  nous  n'y 
logeons  que  des  perfonnes  de  diftinftion  comme 
vous;  mais  ce  meuble  nous  ayant  coûté  beaucoup, 
nous  tâchons  de  retirer  peu  à  peu  notre  debourfé , 
au  moyen  d'un  écu  que  l'on  paye  pour  y  pafier 
une  nuit,  fans  préjudice  des  autres  frais.  Le  Cadet, 
qui  ne  s'attendoit  poirj  à  cette  ripofte,  réfléchit  un 
moment  fur  l'avanture ,  &  puis  appellant  une  fer- 
vante,  Faites  mon  lit,  s'il  vous  plnit,  lui  dit-il. 
Eft-ce  que  vous  ne  louperez  point,  dit  la  fille  ?  Ca« 
dédis,  reprit -il,  mes  yeux  vont  fouper  pour  tout 
mon  corps.  Laiffez  feulement  les  rideaux  du  lit 
ouverts  tout  au  grand,  &  mettez  une  lumière  de 
chaque  côté  de  mon  chevet,, afin  que  mes  regards 
fe  raflaïîent  de  ce  fuperbe  fpeftacle.  Alors  il  fe  cles- 
habilla  au  plus  vite,  ôc-  quand  il  fut  couché,  'A  ie 
mit  à  chanter, le  coude  appuyé  fui  fon-oreiller,cet« 
te  parodie  du  Sommeil  d'IlTé  ; 

Que  d'éclat  !  que  d'attraits  !  contentez-vous  mes  yeuJt  j 
Parcourez  ces  efpaccs  ; 
Vengez,  s'il  fe  peut,  dans  ces  glaces 
Mon  eftomac  d'un  jeune  affreux. 

Nous  devançâmes  l'aurore  d'environ  trois  heures, 
&  comme  il  étoit  jour  de  fête ,  nous  nous  arrêtâ- 
mes 


402       V    O    r    J    G    E, 

mes  à  Verneiiil,  ou  nous  entendîmes  la  meffe  aux  \i) 
Cordelieis.  Leur  Couvent  eft  extrêmement  délabre. 
Nous   aprîmes  d'un  d'eux  qu'il  avoit  été  bâti  fous 
les  yeux  de  St.  François ,  &  que  c'étoit  le  (econd 
du  Royaume  qui  avoit   eu  cet  honneur;  pourquoi  \m 
l'on  fc  faifoit  i'crupule  de  defaraigner  les  murailles     té 
&  d'en  abattre  la  poufïïère,  de  crainte  d'en  enlever   [vit 
un  enduit  que  fon  antiquité  &fes  citconftances  leur   jajc 
lendoient  a'ufli  précieux  que  tout  l'or  du  Temple  de   | 
Saloinon.     Le  hazard  nous  procura  auffi  l'avantage 
d'entretenir  un  moment  le  Gardien,  qui  portoit  la 
perruque.     Nous  lui  en  demandâmes  un  peu  mali- 
cieuferaent  la  caufe,  &  s'il  y  avoit  un  chapitre  des 
perruques  dans  la  règle  de  St.  François.    A  cela  il 
répondit  en    plaifaatant>  comme  un    homme  qui 
entend  la  raillerie,  par  un  argument  conçu  comme 
il  fuit  ;     Omne  animal  rationabile  perrucatum  ejt  na- 
turaliter  aut  artificialiter  y  porrà  artificium  fuccur. 
rttr,atur£:  attjui   iliius  épis   mea  indiguit  naiuraf 
ergo  perrucatui  exifto  irreproihabiliter.  Après  lui  a» 
voir  demandé  auffi  tout  en  liant,   fi  c'étoit  nr.tura 
lapfa:  voilà,  lui  dis- je,  mon  très  Révérend,  ce  qu'oa 
appelle  arguinentavt  cornutum  uîrinque  feritns.   Et  il 
n'y  a  plus  le  petit  mot  à  répliquer, 

J'cfpére  auflî  que  par  la  fuite 
Simples  Moines  auront  perruques  à  bonnets,. 
Et  ceux, qu'aux  dignités  élevé  leur  me'rite» 

Grandes  perruques  de  Palais. 

Mous  nous  arrêtâmes,  en  repaflant,  vis-à-vis  l'E», 
glifc  paroifliale  de  Verneiiil  pour  en  examiner  l'ar- 
chiteâure,  quand  nous  fûmes  interrompus  dans  nos 
obfervations  par  un  artifan  qui  nous  dit,  Meffieurs  ,. 
s'il  en  faut  croire  nos  chroniques ,  cette  tour  à  fî« 
ligramme  a  été  conftruite  par  le  Diable;  mais  elle 
n'étoit  pas  encore  bénie.  Vraiment,  mon  ami,  lui 
diraes-nous,  ce  dernier  point  eft  inconteftable.    U. 

n'y 


V    0    r    A    G    E.      403 

n'y  avoit  pas  de  moyen  de  bénir  ce  qui  n'cxiftoit 
point  encore.  Le  conte  de  cet  homme  m'a  depuis 
remémoré  ce  qu'on  rapporte  du  pont  de  St.  Ca- 
do,  qui, fi  je  ne  me  trompe,  eft  bâti  dans  l'e'ten- 
idue  de  vos  domaines.  Voici  comme  me  l'a  racon- 
té à  moi-même  un  de  vos  vaflaux ,  que  vous  m'a- 
fviez  donné  pour  me  conduire  à  l'Orient,  je  n'y  ai 
I  ajouté  que  des  limes: 

Solitaire»  humble  &  fidelle, 
Cado  qu'un  large  marais 
Séparoit  de  fa  chapelle. 
Lieu  pour  lui  fi  plein  d'attraits, 
Etoit  obligé  de  prendre , 
Dans  le  temps  le  plus  mauvais , 
Un  loun;  détour  pour  s'y  rendie , 
Dont  le  pénible  chemin 
Etoit  un  ol){li)le  au  zèle 
De  maint  dévot  Pèlerin. 

L'Eftafier  de  Saint  Martin, 
Tenant  en  main  fa  truelle  , 
A  Cado,  que  fon  chagrin 
Tenoit  toujours  en  cervelle^. 
Aparut  ua  beau  matin. 

Je  fai  le  mal  qui  t'altère  g 
Lui  dit  l'AixhipateJin , 
Et  m'oblige  de  te  faire 
Un  pont  qui,  comme  j'efpére», 
Sera  bâti  pour  demain  , 
Pourvu  que  ton  cœur  s'engage , 
Tour  ma  peine  &  mon  loyer, 

De 


404      F    0    Y    J    G    E. 

De  me  donner  le  premier, 
Dont  il  fera  le  paflage. 

Il  comptoit  le  Maupiteux, 
Selon  fes  remarques  fines , 
Qiie  pour  chanter  fes  matines 
Cado  feroit  matineux, 
Et  feroit  avant  tout  autre 
L'expérience  du  pont , 
Allant,  comme  hermites  font. 
En  difant  fa  patenôtre, 
L'efprit  au  ciel  attache. 
Sans  fonger  à  fon  marché. 

Cado  de  l'Ange  fuperbe 
Voyoit  le  Catimini; 
A  trompeur,  c'eft  le  proverbe, 
Dit-il,  trompeur  Se  demi.. 

C'étoit  un  jour  de  Dimanche 
Il  atrappe  dextrement, 
A  l'infçîi  du  Negromant ,  . 
Un  chat  qu'il  met  dans  fa  mandie. 

Fuis  le  porraiu  tour  au  rss 
Du  pont  fait  par  Satanas, 
Il  l'épouvante ,  il  le  chalTe- 
En  agitant  fon  manteau. 
Et  lui  fait  franchir  l'efpace 
D£  l'édifice  noureau. 


I 


F    0    r    A    G    E.      405 

Yvre  d'une  horrible  joye. 
Le  Diable  étoit  aux  aguets,  ^ 

Quand  voyant  une  autre  proye 
Se  prendre  dans  Tes  filets  j 
De'chu  de  fon  efpérance 
A  la  honte  des  Enfers, 
Sur  l'animal  il  fe  lance 
Et  l'étrangle  dans  les  airs. 

Cado  foiirit  en  filence. 
De  la  fureur  du  Pervers; 
Qui,  retombant  fur  l'ouvrage, 
L'acroche,  en  emporte  un  coin. 
Dont  l'échancruie  eft  témoin 
D'un  marché  dont  il  enrage. 

Xa  fuperftition  cft  le  poifon  de  tous  les  peuples  , 
chacun  dins  la  poluion  où  i!  fe  trouve.  Elle  pafle 
Ses  plus  fimples  aux  plus  habiles;  5c  quand  elle  eft 
une  fois  enracinée,  il  faut,  pour  l'extirper ,  tous 
les  efforts  d'une  raifon  viftorieufe. 

Les  miracles  avères  des  hommes,  qui  ont  exem- 
plairement vécu,  ne  fuflîfcnt-ils  point  à  leur  gloi- 
re ,  fans  qu'on  cherche  encore  à  l'étayer  par  des 
fables?  Ceux,  qui  font  prépofés  à  la  conduite  des  a- 
mes  jdevroient  tâcher  de  détruire  ces  chimères  dans 
la  mémoire  des  peuples.  Mais  l'avarice  de  quel- 
ques particuliers  eft  intéreflee  à  faire  durer  l'illufioa 
générale. 

Les  chemins  font  fort  beaux  de  Verneiiil  jufqu'à 
Alençon,  grâces  à  Mr.  l'intendant  de  cette  Ville, 
(*)  qui  fait  régner  le  bon  ordre  dans  l'étendue  de 
fa  Généralité. 

Si' 

(*)  C'éteit  alors  Mr.  l'Allemaiit  de  Setz. 


4o5     V    0    T    A    G     E. 

Digne  Intendmt  que  chacun  loue, 
Vous  qui  nous  préfervez  &  de  choc  &  de  boue , 
Puifle  le  vrai  Seigneur  de  vous  autres  Seigneurs, 

Ainfi  nommés  dans  les  requêtes. 

Que  l'on  adrefle  à  vos  Grandeurs, 

Sur  papiers  à  marges  honnêtes; 

ruifl'e  donc  le  Seigneur,  pour  prix 
Des  grans  chemins  que  vous  avez  unis , 
Après  cent  ans  coules  fur  un  fleuve  de  joye, 

Vous  applanir  l'heureufc  voye 

Qui  mené  droit  en  Paradis. 

La  nuit  la  plus  fombre  avoit  envelo;>pé  notre 
hémifphere,  quand  nous  de'.ccndiires  a  la  porte 
d'Alençon.  L'hôte  s'en  vint  gracieufement  au-de- 
vant de  nous,  en  nous  difanr,  Meilleurs,  faites- 
moi  l'honneur  d'entrer,  voLs  (erez  choies  ici  com- 
me le  corps  du  Koi.  Nous  le  crûmes  fur  fa  parole, 
fans  faite  attention  que  nous  étions  en  bafle  Nor- 
mandie, où  les  hommes  en  ont  deux.  Je  jie  puis, 
fans  en  rire  encore,  vous  retracer  la  peinture  de 
ce  buriefque  Cabaret  ;  je  me  bornerai  toutefois  à 
vous  ra.ipeller  la  magnificence  6c  la  commodité  de 
la  chambre  oii  nous  fûmes  logés. 

La  fenêtre  e'toit  étayce 

Sur  deux  antiques  foliveaux; 

Les  chaifes  e'toient  deux  traiteaus 
Côtoyant  une  table  allez  mal  apuyée; 

Et  qui  danfoit  la  mariée 

Sur  trois  pieds  tour  à  tour  boiteux. 

Les  chenets  rouilles  &  poudreux. 
Différemment  conftruits,  mal  rivés  dans  leur   baft," 
Revenant  en  fautoir  fur  le  feu  qui  s'embrafe, 

Fai- 


V    0    r    A    G    E.      407 

Faifoicnt  un  bruit  pareil  à  celui  des  Grillons, 

Dont  au  foyer  des  blnncs  Mitrons 

Toute  la  nuit  h  troupe  ja!"c. 
Notre  hôte  cependant  difoit  que  ces  chenets. 
Autrefois  cifelés ,  bien  fourbis  &  bien  nets , 
Furent  au  plus  offrant  vendus  pas  déshérence, 

A  l'encan  àc  Richard  fans  peur, 
Qiiatre  deniers  tournois,  fomme  dont  la  valeut 
Dans  ces  temps  recules  étoit  de  conféquence. 
Mes  lits,  ajoutoit-il,  n'ont  point  de  matelats. 

Mais  on  s'embourbe  dans  la  plume; 

Ainfi  ne  craignez  pas  le  rhume, 
Qrioique  les  courts  rideaux  ne  s'entre-touchent  pas. 

Je  m'imagine,  Monfieur,  que  malgré  la  cherté 
de  la  chnmbie  d'Oudan^  vous  euflîez  été  bien-aife 
d'erre  loge  à  pareil  prix  à  la  pofte  d'Alençon.  En 
un  mot  il  me  femble  que  l'on  pourroit  comparer  le 
réduit  grotefque,  oii  nous  étions  refferres,  nos 
deux  Lits  le  rempliflant  aux  trois  quarts , 

A  cette  cellule  galante , 
Dont  on  pâme  de  rire  en  voyant  dans  Régnier, 

La  peinture  divertiflante , 
Ce  Régnier,  de  Loileau  le  malin  de'vancier. 

Au  refte,  Afcflîeiirs,  continua  l'hôte,  Tirre'guliec 
arrangement  de  cette  chambre  ne  doit  point  vous 
faire  de  peine.  J'ai  une  tapiflerie  de  Eergame,  que 
j'y  ferai  tendre  cet  été ,  &  j'efpère  qu'en  fix  mois , 
cette  maiibn  fera  différemment  attournée.  Voila 
qui  fera  à  merveille,  réponditcs-vous;  mais  fi 

Nous  vous  difions,  Monfieur  notre  hôte, 
Aflurez-vous  qu'à  jour  préfix 

Vous 


4o8      V    0    r    A    G    E. 

Vous  aurez  votre  argent  fans  faute 

La  femaine  des  trois  Jeudis, 
Ou  bien  accourciflant  le  terme  de  la  dette. 

Quand  le  grand  Turc  &  les  Dervis 
Porteront  leur  offrande,  amplement  convertis, 

A  notre  Dame  de  Lorette, 
Je  gage  gri'à  ces  mots  rcfrognant  le  minois. 

Vous  diriez  en  votre  patois, 
Dieu  me  damne,  Monfieur,  délai  n'eft  point  lecette. 
Et  ma  femme  au  marciié  ne  va  point  fans  argent. 

Monfieur  notre  hôte  cependant 
Ce  n'eft  pas  mon  delTein  que  pour  cet  incident 
Votre  face  s'allonge,  &  que  votre  œil  s'affligf  ; 
Vous  ferez  foudoyé:  moi,  qui  fuis  Prefident, 

Plutôt  que  d'avoir  du  litige 

Av£c  un  hôte  ba!f  Normand, 
J'aimerois  beaucoup  mieux  le  payer  doublement. 

La  récréation,  que  nous  prîmes  avec  cet  homme, 
nous  dédommagea  en  quelque  manière  du  mauvais 
gîte,  d'autant  mieux  que  ce  qu'il  nous  fervit  à 
loqper.,  étoit  d'r.flez  bon  goût.  Nous  comptions  ar- 
liver  à  Rennes  le  lendemain  ,  mais 

On  éprouve  qu'en  mainte  chofe 
L'homme  propofe  &  Dieu  difpofc. 

L'ertleu  de  la  chaife  fe  brifa  à  trois  quarts  de 
lieue  de  Laval  fur  les  quatre  heures  de  l'après-mi- 
di. Il  lurvint  de  la  pluye.  Nous  eûmes  beaucoup  de 
peine  à  trouver  une  charette  où  charger  notre  voi- 
ture ,  &  notre  embarras  fut  prolongé  jufqu'à  neuf 
heures  du  foir.  Votre  Philofophie  ne  perdit  point 
contenance  pendant  tout  ce  tumulte. four  moi, qui 

trou- 


r    0    T    J    G'E.        409 

troiivois  fur-tout  que  la  pluye  ctoit  un  hois-d'ocuvrc 
fort  incommode,  je  jutois  fous  cape  très  fiiffifam- 
ïncnt  pour  nous  deux ,  &  le  Diable  n'y  perdoit  rien. 
Je  vis,  en  entrant  dans  l'auberge  de  Laval,  un  Ca- 
valier de  fort  bonne  mine.  Il  étoit  vêtu  d'un  hnbit 
verd  ,  garni  d'un  salon  d'or.  La  vefle  etoit"fort 
courte  ,  &  fon  grand  feutre  ,  relevé  d'un  large  point  /' 
d'Efpagne,  lui  donnoit  un  air  martial. 

A  fon  habillement  d'abord 
Je  crus  que  le  harard  in'offroit  dans  ce  voyage 
Un  he'ros  Suédois ,  de  ceux  dont  le  courage 
Suivît  aux  champs  de  24ars  l'Alexandre  du  Nord, 

Je  l'examinois  attentivement.  Il  me  regardoit  de 
même;  nous  nous  reconnûmes.  G'étoit  un  Avocat 
de  votre  Parlement  de  Rennes ,  homme  d'efprit  & 
de  mérite  ,  avec  qui  iUvois  autrefois  fréquenté  les 
écoles  du  Droit,  Il  ai'oit  à  Paris  en  chaile  de  pof- 
te.  Au  reflc  fon  ajuftement  n'avoitriende  fort  con- 
traire à  l'ufage  de  Mrs.  de  la  Robe  en  pareille  occa- 
llon  ;  S:  l'on  fçait  qu'ils  ne  font  point  de  façon  de 
prendre  des  habits  de  couleurs ,  galonnés  ou  brodés, 
chacun  fuivant  fes  moyens  ou  fa  fantaifie  ,  quand 
ris  voyagent  ,  ou  que  la  faifon  des  vacances  leur 
permet  de  retourner  d:ins  leurs  terres ,  ou  d'aller 
s'égayer  dans  les  villes  voifincs. 

Ils  font  en  ces  momens ,  femblables  aux  oifeaux , 

Qui ,  s'échapant  de  la  volière , 
Pour  jouir  d'un  grand  air,  qu'embellit  la  lumière^ 

Vont  fe  percher  fur  les  ormeaux. 
Ils  liflent  leur  plumage,  ils  étendent  leurs  ailes 
Peintes  du  riche  émail  des  plus  vives  couleurs  , 
S'enyvrant  à  longs  traits  des  fuaves  odeurs 
Qu'exhale  aux  environs  le  fein  des  fleurs  nouvelles.. 
Temt  I.  S  L£» 


4T0        r  0  r  Â  G  E. 

Les  Confeillets  de  Montbrifon  ,  cnpitale  du  Foreflf» 
ou  j'ai  demeuré  ,  font  encore  moins  reguHeis  ,  8e 
moins  uniformes  dans  leur  habillement.  Je  les  ai 
vu  porter  au  barreau  des  habits  d'e'carlate  fous  leurs 
noires  caracalles,  difant,  pour  s'autorifer  dans  cette 
coutume  ,  que  le  noir  étoit  le  ligne  de  la  gravite' ,  ?c 
Je  rouge  i'cmblême  du  glaive  de  la  Juftice.  Nous 
fûmes  fort  honnêtement  loges  à  Lava!  ;  mais  com* 
me  il  y  a  toujours  quelc^ue  chofe  qui  cloche  dans 
une  auberge  ,  on  nous  fervit  en  revanche  un  chapon, 
dont  le  blanc  des  ailes  étoit  fi  dur^  qu'il  émouflbit 
]e  fil  de  nos  couteaux. 

]1  falloit  que  ce  fût  le  premier  des  chapons. 

Dont  le  vol  arpenteur  mefura  l'héritage  , 

Q^ii  des  nobles  Monceaux  entourant  les  maifons,. 

Des  Aîne's  grolTît  le  partage. 
Ce  chapon  par  refpeft  pour    fon  antiquité,' 
Au-lieu  d'être  à  la  broche,  auroit  bien  mérité 
D'avoir  pour  Maufolée  un  fuperbe  potage.  " 

La  fille  de  l'auberge,  qui  n'étoit  point  de  figure 
defngréahle,  nous  fit  beaucoup  d'excufes,  en  nous 
difant  qu'il  n'y  avoir  point  de  fa  faute  file  chapon-- 
étoit  dur;  que  bien  d'autres  avant  elle  avoient  été 
ïiompt'es  par  des  chapons,  &  qu'enfin,  fuivant  uA. 
certain  didon, 

l'ius  d'un  chapon  en  plus  d'un  lieu 
A  bonne  raine  &  mauvais  jeu. 

Les  Ciclopes  de  Laval  travaillèrent  route  la  nuit 
à  teforger  8c  à  renforcer  i'cffieu  brifé  de  votre  chai- 
fe ,  &  toutefois  nous  ne  fûmes  en  tiat  de  partir 
que  fur  les  onze  heures.  L.z  chemin  de  Laval  juf- 
qu'à  Rennes  eft  extrêmement  mauvais ,  fur-tout  à 
quelques  lieues  de  cette  capitale  de  Bretagne.  La 
l^iofonde  obrcuiitc  de  la  nuit  le  rendit  encore  plus 


VOTA    G'  E.     411 

îinpraticaNe  ;  8c  prêt  à  me  voir  fubmergé  dans  un 
déluge  de  boue,  j'avois  prefque  en\ie  de  m't'crier 
du  ton  d'Enee  dans  la  tempête,  0  terque  ^ijuaier'iue 
èeati  &'f. 

Bienheureux  trois  &  quatre  fois 
Ceux  que  devant  les  murs  de  Prague, 
Occirent  les  vilains  Hongrois 
A  coups  de  moufquets  6c  de  dague  ! 

Nous  arrivâmes  à  Rennes  fort  tard;  ce  qui  ne 
nous  empêcha  pas  de  trouver  à  l'hôtel  de  Robien 
grand  feu,  bonne-chére  6<  tout  ce  qui  peut  feivit 
à  delaflèr  &  reftaurer  des  voyageurs.  Je  paflai  diX 
jours  avec  vous,  quelquefois  appliqué  à  lire  le  cu- 
rieux manufcrit  de  l'Hiftoirc  de  Drecigne  que  voua 
avez  compofee ,  quelquefois  occupe  à  parcouiis 
avec  TOUS  votre  rare  fie  magnifique  cabinet. 

On  l'air,  le  ^%u,  la  terre  &  l'onde 
Semblent  s'être  rendus  à  contribution , 
Pour  vous  mettre  en  pofleiïlon 
Du  plus  beau  cabinet  du  Monde, 

Oceanum  interea  furgens  A-ursra  reliquit.  L'oîr- 
zième  aurore  fe  levé.  Stat  fcnipes  Çy  frétna  fcrux 
Jpumanùa  mandit.  j'entends  claquer  le  foiiet  du 
Muletier,  dont  le  bruit  aigre  m'annonce  qu'il- eit 
teras  de  me  diCpofer  au  départ. 

Alors  en  m'éloignant  d'un  Ami  trop  aimable. 

Je  fentis  tome  la  douleur 
Que  fait  naître  dans  l'ame  un  regret  véritable. 
Ce  qui  peut  to'itefois  en  calmer  la  rigueur, 
C'eft  que  je  ne  fuis  point  éloigne'  de  fon  cœur. 

L'habituda  de  vivre  avec  vous,  Monfieur,afi  fort 

enlaidi  ma  A'iitude,  que  je  ne  fais  comment  jepour- 

S  z  lai 


412      r    0     T    J    G    E. 

rai  faire  déformais  pour  m'y  l'accoutumer.  L'amitié- 
d'un    célèbre  Compatriote  loutagcou  autrefois  l'en- 
nui de  cette   trilie  rcfidence.     Vous  devinez,  fans 
que  je  vous  le  nomme,  notre  favant  ami  Mr.  Bou- 
guer   de  l'Acadéuiie   Royale   des    Sciences.     L'em- 
preflemcnr  de  lui  renouveller  mes  embraflèmens  5c 
de  recevoir  les  lîens  dans  la  capitale   du  Koyauine 
avoir  beaucoup  ajouté  à  l'idée  des  plailirs  dont  l'a- 
bondance  y  laifle  le  choix,    foit   à  la  délicatefle , 
foi t  au  caprice.  Vous  l'avez  accueilli  à  l'Hôtel  d'En- 
tragues  avec  les  juftes  te'moignages  d'eftime  qu'on 
lie  peut  refufer  à  fes  talens  fupérieurs,  ôc  à  la  nro- 
dcftie  dont  ils  font   accompagnés.     La    fympathie 
aiTembla  nos    cœurs  dès  l'enfance,  8c  cette  aminé 
fe  fortifia  enfuitc  par  le  goût  décide  que  nous   eû- 
ines  l'un  &  l'autre  pour  l'étude,  quoique  d.iiis  un 
genre  différent.     Je  vous  avoue,  Monfieur,  que  je 
n'aî  jamais  vu  perfonne  s'y  livrer  avec  autant  de 
paflîon  que  cet  illuftre  ami.     C'eû  ce  qui  fut  caufe- 
qu'une  Batelière,  qui  l'avoir  ("affe  de  Nantes  à  An- 
gers  fur  la    Loire  ,   à   fon  «tour    de    fon  fameux 
voyage  du  Pérou,  s'en  vint  remercier  le  Négociant 
de  Nantes  qui  lui  avoir  procuré  ce  pafTager,  en  lui 
difant;  ,,  Qtie  je  vous  fuis  obligée,  Monfieur,  de 
)>  m'avoir  donné  un  fi  faint  homme  !  11  fera  la  bc- 
ff.  nédidiion  de  rna  nacelle,  &  il  lui  portera   chan- 
„  ce.     Il  n'a  pas  cefl'c  de    prier   Dieu  pendant  le. 
r,  voyage.  Non,  je  ne  doute  pas  que  ce  ne  foit  par 
„  rapport  à  lui  que  nous  avons  eu  fi  bon   vent." 
C'eft  qu'il  n'avoit  pis  ceûe  de  lire ,  6c  que  les  gens 
du  peuple,  dont  phifieuis  ne  connoiflent  pas  même 
l'Alphabet,,   s'imaginent  que  tous  les  livres  qu'ils 
voycnt  font  un  bréviaire,  ou  des  heures,  Mr.  Bou- 
guer  reflemble  par  cette  habitude  à  feu  Mr.  Hutt, 
Èvêque  d'Avranches.    On  raconte  qu'un  Particulier 
de  fon  Diocéfe,  qui  l'étoit  venu  demander  plufieurs 
fois,   s'impatientant    qu'on    lui  répondit   toujours 
que  Mor.feigncur  étudiait ,  il  répliqua,  DiVa  nsus  don' 
r^e  bientôt  un  autre  Evé'^ue  qui   du  moins  ait  achevé 
Jii  études. 

Jours 


V    O    r    A    G    E.      41S 

:ourS  heureux!  Siècle  d'or  !  combien  de  nos  P***. 
3  exemptent  aujourd'hui  de  tant  d  inquiétudes! 
CraiF:nauE  avec  raifon  les  erreurs,  les  débats, 
Les  damnables  incertitudes. 
On  trop  fouvent  s'expofent  ceis 
Qu'égare  follement  un  fçavoir  orgueilleux, 
lis  donnent  de  bonne  heure  un  terme  à  leurs  études. 

Je  ne  vous  quitterai  pas,  Monfieur,  fans  vous  di- 
re que  j'ai  placé  dans  le  lieu  le  plus  apparent  de- 
ma  chambre  de  compagnie  votre  Eftampe  à  côté 
de  celle  de  mon  ami  Mr.  Titon  du  Tillet.  Soiez 
perfiiadé  que  parmi  les  Saints  du  Calendrier  vous 
êtes  l'un  &  l'autre  du  nombre  de  ceux  que  je  ré- 
vère le  p'us.  j'ai  foin  fur  toutes  chofes  de  faire  lire 
aux  perionnes,  qui  me  viennent  voir,  I;i  légende 
rimée  que  vous  avez  fait  graver  au  bas  de  votr» 
portrait  : 

Magiftrat  équitable,  ami  fur  &  fincere, 

Digne  de  fes  nobles  ayeux; 
La  probité,  l'honneur  forment  fon  caradlere  » 
Et  fon  beau  Cabinet  a  de  quoi  fatisfaire 

Les  fçavans  8c  les  Curieux. 

Vous  n'avez  pas  oublié  que  je  vous  ai  donné  l'Ef^ 
tampe  de  Mlle  Salé  ^ette  AStûcé  de  l'Opéra,  en 
tous  points  fi  merveilleufe  en  fon  genre.  Vous  y 
aurez  lu  fans  doute  les. Vers  que  j'ai  faits  pour  cet- 
te fingulic'rc  Veftale,  qui,  malgré  le  foufle  féduc- 
teur  des  plus  hupés  Coquets  de  Paris,  ne  laifla  ja- 
mais éteindre  le  feu  facré.  Mais  je  ne  vous  ai  pas 
conté  peut-être  que  notre  très  cher  Mr.  Titon  du 
Tillet ,  ay.mt  eiivoié  mes  Vers  à  Bruxelles  au  cé- 
lèbre Rouflean,  qui  voulut  bien  les  trouver  de  fou 
goût,  il  mit  dans  fa  répenfeàfa  lettre,_««  voieipour- 
tMit  ^ue  J'ai  aj étais  dans  mon  camn 

Ses 


414      V    0    r    A    G    E, 

Ses  talens,  fes  traits  vainqueurs. 
Que  nul  défaut  ne  pro,:hane. 
Tous  les  jours  font  dans  les  cœurs 
Naître  toutes  les  ardeurs 
Que  fon  exemple  condamne. 

Ces  Vers  e'toient  doublement  fliteurs  pour  Mlle. 
Sale  par  le  nom  du  Toëte  qui  coiifacroit  à  la  pof- 
téritc  la  mémoire  de  fa  veftalité  miriculeufe,&  par 
le  tribut  de  tendres  fentimens  que  rendoit  à  fcs grâ- 
ces un  homme  à  l'âge  d'environ  foixante- douze  ans. 
_  Il  eft  tems  enfin  que  j'achève  cette  longue  rela- 
tion d'un  voyage  de  trois  jours,  fait  en  pofte  avec 
vous,  qui  n'ttes  ni  ménajjec  de  chevaux,  ni  de 
cochers.  Je  devois,  fuivant  l'uTage  ,  nouiuier  les 
cochers  les  premiers;  mais  au  vilnge  près,  cela  ne 
fait  guères  qu'une  même  efpéce.  M.i  relation  ,  que 
j'ai  étendue  à  force  d'inciaens  5c  de  tranfitions, 
vous  paroîtroit  plus  courte  fi'i'avois  eu  l'art  d'y  fe- 
mer  les  grâces  vives  &  légères,  dont  l'agréable  va- 
riété  fait  le  mérite  de  ces  fortes  d  Ouvrages.  Mais 
je  me  flatte  que  vous  rendrez  juftice  à  mon  ami- 
tié, perfuadé  que  vous  deve?  erre,  qu'en  tâchant 
de  vous  amufer,  j'ai  voulu  vous  donner  une  nou«. 
velle  preuve  de  l'eftime,  de  l'attachement  &  du 
lefpeâ  avec  lefquels  j'ai  l'honneur  d'être  ckc. 

Au  Croillc,  le  ij.  Février   J74J. 
FIN  du  Tmi  JPremisr, 


ih 


'J, 


-3    > 


^ 


PQ  Desforge s -Maillard,  Paul 

1977  Briand 

^^2  Oeuvres  en  vers  et  en  % 

1759  prose                 g 

t.l  1 


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