ôe , Sin^s rat ^iiTrn J'e/nvrT^nf, azf^'e mis si mirrynant;
MAILZAJiD &rz/ia. sia- le Ta^Tuzsse ;
^ ^.Ji.'UJVM.
Z-V:- /<7//.". J-
OEUVRES
EN VERS ET EN PROSE
D E
M^ DESFORGES - MAILLARD ,
Des Académies Royales des Sciences & Belles-Lct»
«es d'Angers, Caen, la Rochelle, des Socié-
tés Littéraires d'Orléans fcChalons fur Mai-
ne , de la Société Royale de Nancy , & des
Académies des Ricovrati dePadoiic,
&i des Rinnovati d'Afolo.
DÉDIÉES
A M. DE Machault, Garde des Sceaux ,
Minijire Général de la Marine.
TOME PREMIER*
A AMSTERDAM^
Chez JEAN SCHREUDER,
(j> PIERRE MORTIER lejeuw.
MDCCLlXé
f C^ r-.
a
P R E, F A C E
'^■'igX MEMOIRES HISTORIQUES
DE UAUTEUR.
JE-fçais bon gré à Mr. l'Abbé d'Aubignac
d'avoir fuivi les régies d'Ariftote, difoit
le grand Prince de Condé , imis je ne
pardonne point à Arifloie d'avoir donné des
régies , qui ont fait faire une fi mauvaife tra-
gédie à M. l'Abbé d'Aubignac.
Ces ingénieufes paroles du Céfar des Fran-
çois, peuvent s'appliquer à plufîeurs des Ecri-
vains de notre tems. Si l'un d'eux met au-
jour un recueil, un livre d'Ode, il ne man-
que pas de placer à la tête du volume un dif-
cours fur l'Ode, afin que le Public prévenu
décide du mérite de fes Ouvrages, par les
connoifTances qu'il afFefle dans ce genre, qui
lui promet des moiffons de lauriers; fi le gé-
nie d'un autre s'efi: exercé dans la brillante &
difficile carrière du Poëme héroïque, il com-
mence par tacher d'ébranler le thrône fublime
où les fuffrages de tous les fiécles ont élevé
Homère & Virgile; il fait en fui te ie procès
aux Poètes en toute langue, qui les ont fui-
vis, deforte qu'il n'eft pas mal aifé de fentir,
quelle efi la place, que fans l'ofer dire, il
prend en fécret pour lui-même. Si l'hiftoire
a été l'objet de fes recherches & de fes veil-
les , il débute par i)n long traité fur h vraye
* 2 ma-
îv P R Ë F A C E. f r d
manière de l'écrire, & pafr;int en revue tous
]es Hiftoricns qu'il a lus, l'un s'eft égaré dans
Ix Clironologie ; l'autre a nwl rapporté les
fiiiis , ou par llatcrie, ou par ignorance, ou
par intérêt; celui ci a trop d'abondance defti-
je; -celui là trop de précifion, fi bien qu'a-
près avoir fait l'admiration de Tes contempo-
rains, il fera le feul que les Jrliftoriens à ve-
nir prendront pour modèle. S'il s'efl: engagé
par caprice dans un Ouvrage de caractères &
tic réflexions ; ici c'efl un Miflionnaire qui
tonne en furieux contre les vices quil paroît
déttfler ; là c'eft un élégant Panégirifte, qui
peint avec art les vertus qu'il connoît peu, ne
les ayant jamais pratiquées , &, démentant par
fa conduite les fages maximes qu'il reflaffe &
dont il fait réloge. Plntarqus, Sénéque A la
JSrwym ,r n'étoicnt que des novices auprès de
A îa lefture de ces fçavans préambules, où
l'Auteur inCnue , que les plus célèbres qui
l'ont devancé , avoicnt manqué à quelques-
unes des conditions néceflaires à la perfection;
il n'efl: perfonne qui ne fe perfuade qu'il va
lire des chofes merveilleufes. Mais on de-
meure très étonné , en voyant que plus on
lit, plus il faut rabattre de lopinion avança-
geufe qu'on avoit conçue.
Comme je me crois avec raifon fort.au.
defibus de ces célèbres difcoureurs , je me garde-
rai bien de rien dire des ouvrages qui forment
ce Recueil, de crainte qu'on ne retorque con-
tre moi avec plus de jultice, la faillie de M.
le
.PREFACE. V
le Prince de' Condé au fujet de la Tragédie de
M. riibbé d'Aubignac.
, C'efl: pourquoi , lailTant à part des réflexions,
.qui neiervirpient peut-être , qu'à raprocber
des yeixK du I^e^teur les défauts de wes vers
& de ma profe, l'e lui plairai peut-être d'a-
vantage en lui faifant un vrai récit des caufej
& des fuites de ma métamorphofe en Made-
moifelle de Malcrais du la Fi^ne , dont la
Scène Originale a fi longtemps amufé le Pu-
blic. . . •- ■^
II y a plufieurs années , que cette avantu-
ra comique parut dans le X-Tome des -^m»-
Jemens du Cœur ^ de- PEjprit. Je'Pécrix'is par
complaifance pour un homme en place, à qui
je ne pouvois rien refufer. Mais j'en déj^uifai
les motifs , & je fubflituai le badinage à la vé-
rité, pour ne point mettre de mauvaife hu-
meur le Chevalier de laEoque, Auteur dU
Mercure de France , qui devoi.t y Jouer le
principal roUe , ^'dont mon re^otir à mo?î
premier fexe ne hi'ipta point l'amitié., A Dieu np
plaife, que j'aye deflein de déprimer fes tai
îens , ia probité & fa candeur. C'étoit un hom-
îiie d'un vrai mérité. Je refpefte fa mémoire;
& notre ■ ïlémêlé Poétique demetireroit enfé^
v^'i dsiis les ombres ' d'tin' éternel oubli; iî
je' rie me féntois engagé "t5ar Honneur de me
défçndré'd'lufie note ^uffi fau^é gué desobU^
géante',- dont '^^-Tv de''V'oîtdire,'''a 'jugé à pro»
pos de décorer toutes lès éditions 'de fes œu-
vres. Je prie le Leéteur de vouloir bien me
- - * 3 fai-
ri PREFACE.
faire grâce des Préliminaires qui vont pfépi-
rer le^ récit de ma fortuite Mafcarade. . . .
,: Arrêté prefque toute ma vie fur unecôte,
■pii le trafic du fel marin eft plus en crédit
que le commerce des mufes, j'y naquis pour
elles avec une paflion que je n'ai jamais
pu vaincre, ni fatisfaire; à peine avois je paf-
(é mon premier luftre, que j'avois toujours à
Ja main les fables du charmantla Fontaine, el-
les faifoient la plus douce récréation de mon
enfance. .:ji'.j
II
a* mîh't charta nuetSf /mc tjï m'xhi charta liireiiiitg.i
Jitea netdamr.uniy nce facit ijla lucrum» \;.,^,
J'allai faire mes humanités à Vannes, a^
collège des Jéfuites , fous ces excellens maîtres
de Religion , de Science & de PoUtefle , à
cjui Je vouai dès mes plus jeunes années des
ientimens d'eftime & de reconnoiffîmce, que
le temps & la diflance âes lieux n'ont jamais
afFoiblis. J'avois une extrême envie d'entrer
dans leur Société. Mon Père pour m'en dé-
tourner m'envoya faire mon cours de Philo-
fophie à Nantes fous les Pérès de l'Oratoire.
J'y fréquentois les écoles du Droit. De-U
j'^allai à Rennes où je fus reçu Avocat au Par;
lement. Mais' mon averfion décidée pour
tout ce qui s'appelle chicajie ou procès , me
fit renoncer à cette profçfllon. J'en cher-
chois une qui fut plus tranquille, & qui put
s'accommoder par iatervalle avec mon goûc
pour
PREFACE. vu
pour la Littérature. Mais dans nn Siècle où
tout eft à prix d'argent , je n'étois point en
état d'acheter de la protection:
&• gtKus b* vîrtus nîfi cum re vilior alg» tjl.
^Condamné par la loi de ma deftinée à m'exi-
1er, dans le lieu de ma naiflance.j'y retrouvai
M. Bouguer,mon compatriote. L'Amitié qui
nous avoit unis dès l'enfance s'étoit fortifiée
avec l'âge. Nous devînmes inféparables. Mais
fçavant prefque au berceau , illuftre quand les
autres commencent à paroître , couronné
trois fois par l'Académie Royale deç Scien-
ces , qui lui devoit une place au rang de fes
membres les plus diftingués, la Renommée
me l'enleva; & je me vis abandonné à la dou-
leur du plus trifte veuvage. Mes parens avoient
tiré mon horofcope. lis s'étoient convain-
cus fuivant leurs jufles remarques , que laPoe-
fîe ne me conduiroit â rien d'utile; dans cette
idée qui les défoloit, ils n'épargnoient ni m.e-
naces, ni remontrances , pour me dégoûter
de cette débauche d'efprit qui devenoit une
habitude invincible. S'il étoit quelque choie
au furplus , qui dût me déterminer à renon-
cer aux mufes, ce devoit être les avis ten-
dres & paternels que me donna M. de VoU
taire dans une Lettre que je vais rapporter;
On verra qu'il connoiftbit d'ancienne datte
cet homme de Bretagne^ dont il fait mention
dans fa note, fans laquelle je n'aurois jamais
entrepris d'écrire cette Piéface Hiftorique.
* 4. Sc§
VIII P R E F A C E.
Ses confeils étoient judicieux ; mais par mal-
heur les louanges qu'il me prodiguoit avec u'rt
air de franchife & de bonté, me lappelloiJsnt
à mon premier penchant, & c'étoit là préci-
fement tacher de me guérir en me faifhnt bèi-
le l'antidote avec le poifon. Sa. Lettre fut
occafionnée par une LCpître en vers Maroti-
ques, que je lui envoyai & que j'ai perdue.
J'y prenois fa défenfe contre les critiques de
la Henriade. Ce n'eft pas la feule fois que
la fimpathie qui m'attiroit à lui, m'a fait en-
trer en lice; foit dans la converfation, foit
par écrit , contre tous ceux à qui la jaloufie
ou la malice mettoit les armes à la main ,con.
tre un des plus grands & des plus beaux Ef-
prits que le monde ait jamais eu. C'efl ce
dont il eft facile de fe convaincre par une de
mes Lettres en profe inférée dans le Mercu-
re de Décembre 1724. Voici celle dont il vou-
lut bien m'honorer. ,, De longues & cruel-
., les maladies , dont je fuis depuis long-tems
„ accablcL , Monfieur , m'ont privé jufqu'à-
„ préfent du plaifir de vous remercier des
„ Vers , que vous me fîtes l'honneur de m'en-
„ voyer au mois d'Avril dernier. Les louan-
,, ges que vous me donnez, m'ont infpiré de
,, la jaloufie, & en même temps bien de l'ef-
5, time & de l'amitié pour l'Auteur. Je fou-
„ haite, Monfieur, que vous veniez à Paris
„ perfcétionner l'heureux talent , que la Na-
,, ture vous a donné. Je vous aimerois mieux
„ Avocat à Paris, qu'à Rennes, Il faut de
„ grands Théâtres pour de grands talens, &
la
PREFACE. IX
j, la capitale eu. le féjour des gens de lettres.
„ S'il m'étoit permis, Ii'lonfieur, d'ofer join-
j, dre quelques confeils aux remerciinens que
,, je vous dois , je prendrois h liberté de
„ vous prier, de regarder la Poë fie comme
„ un amufement, qui ne doit pas vous déro-
„ ber à des occupations plus utiles. Vous
,, paroifl'ez avoir un efprit aufll capable du
„ folide que de l'agréable. Soyez fur que fi
,, vous n'occupiez votre jeunefle , que de.
„ l'étude des Poètes , vous vous en repenti-
„ riez dans un âge plus avancé- Si vous avez:
„ une fortuné digne de votre mérite, je vous
,, confeille d'en joiiir dans quelque cbarge„
„ honorable. Et alors laP'oëfie, l'Eloquence,
,, l'HiCloire & la Philofophie feront vos dé«
„ laflemens. Si votre fortune eft au-deflbus
„ de ce que vous méritez , & de ce que JQ
„ vous fouhaite, fongez à la rendre meilleti-
,, re; priîno vivere; deindé Pbilofopbarî. Vous
,, ferez furpris qu'un Poëte vous écrive de
,. ce ftile: mais je n'eftime la Poëfie, qu'au-
„ tant qu'elle efl: Pornement de la raifon. Je
„ crois que vous la regardez avec les mêmes
„ yeux. Au-refte, Monfielir, fi je fuis ja-
„ maïs à portée de vous rendre quelque fer-
„ vice dans ce pays ci, je vous prie de ne
,, me pas épargner, vous me trouverez tou-
„ jours difpofé à vous donner toutes les
,, marques de l'eftime & de la reconnoiflan-
,, ce, avec lefquelles je fuis, Monfîeur,
„ Votre &c. Voltaire.
La morale de M. de Voltaire ëtoit admira-
* 5 ble.
X PREFACE.
ble. Ses leçons me revenoient à tout mo-
ment dans l'efprit; fi bien que pendant plus
de deux mois, dès que je me fentois tour-
menté de la demangeaifon de faire des Vers ,
je relifois la Lettre de mon Mentor , & je
me trouvois fouL'gé. Je fis même des adieux
aux mufes, dont je n'ai pu déchifrer dans
mes brouillards , que les fragmens qui fuivent,
Junefie & doux plaifir, dont je fis mon étude.
Cruel préfent des Dieux,
JMufes, que j'adorai dans cette folimde
Recevez mes adieux.
Seize fois à mes yeux Flore avoit fur la plaine
Ranimé fes couleurs ;
Quand j'ofai me glifTer aux bords de l'hipoctcrie,
. Et chercher les neuf fœurs.
J'y ébonus de Virgile & d'Homère & d'Horace"'
La manière & la voix.
Tous trois fous Apollon prcfidoient au Parnaflè ,
£t nous di^oient fes lois.
Jy vU Anacréon , comme dans fa jeunefle ,
Léger, tendre, badin,
il fcVoit d'un coté fa riante Maitrefle ,
Et de l'autre du vin.
Que
•PREFACE. XT
Que de fois mes Païens d'une étude inutile
Ont murmuré fans fruit!
Difairt que ï'art des Vers eft un art infertile
^e la pauvreté fuit.'
Laiflè Horace, mon Fils, pour Cujas & Bartole,
Mets à profit ton temps.
Apprend d'eux le fécret de vendre ta parole
A de riches Cliens. ...
le Soldat pour Thémis fuit lé fort de iaguéric,- ,
Le nocher fend les flots.. ,
Le Colon pour Thémis redemande à la téue
Le fruit dé fes tfa\'aux.
Quel dégoût au furplus d'avoic fait un ounagef
Sans efpoir d'intérêt,
Don.t le faux préjugé, la cabale volage,
, ; :^ (Prononceront rarxêt?
Je fis connoiffance avec le Père du Cer-
ceau au fortir du Collège, par rentremife d'un
âtitre Jéfuite. Cet Auteur enjoué avec lequel
j'entretins jufqii'à fi mort un commerce de
Littérature & d'Amitié, quoique nous ne nous
ftifÏÏons jamais vus , difoit fort agréablement,
& il avoit raifon ,
Qui
XU PREFACE.
Qui £t des Vers, toujours dçs Vers fera, ,
C'eft le moulin qui moulut ôc moudia.
Contre l'étoile il n'eft d«pit qui tienacj, ;
Et je vne cabre ea vain contre k mienne.
Je pris donc congé de_s Mufes fuivant la
coutume de Meflîeur? mes confrères, b en af-
fur'é comme eux , que je ne tarderois point à
manquer à mn proméfle. Eu effet la preuvç ■
la plus certaine, que quelque chofe qu'ils di-
fent, ils n'ont qa'un'e foible $: paUagère yç^
leilé de quitter ces déeiîes, qu'ils. ch^viffent;
c'eft qu'ils leur font toujours des. adTeux.en V.ex^
On peut donc appliquer à lâ Polfie ces deux
vers de Properce,
Onfncs humanoi fanât medicina dolofes ,
; - Solus Amor mtrbi non amat artifistm.
Cependant je. ne ceffâi pas d'aimer M. de
Voltaire , que je regârd;ri dans mon cœur,
comme un ami fur lequel je po^vois- compter^
Flaté de voir mon nom imprimé, .émulation
ordinaire à mon âge; j'avois envoyé de bonne
heure mes petites pièces aux différens Au-
teurs du Mercure de France. M. le Chev,
de la Roque parut à Ton tour dans cet em»
ploi , & je continuai de lui faire part de me^
bagatelles. ' .,,,/ \. ■. j
L'Académie Françoife propofa pour fuieicfti
prix de Poëfie, les progrés de i'Art delaNaViT
gation fous le régne de Louïs XIV. je voulus
tenter l'avanture. Je fis un Poëme qui ne fut
! y point
PREFACE. xiit
point couronné, on y lifoit entr'autres, ces
quatre Vers, où l'art de la Navigation étoît
délini.
Art immenfe, où des mers les routes Ignoiées,
Sur un papier étroit fe trouvant mefure'es,
Cbfetvant la boufible , employant le campas.
On airive pu de^ Ueux^u'An oefauAoiilbit pas.
. Pique de n'avoir point remporté le prix ,
effet de la préfomption naturelle aux jeûnes
gens qui croyent avoir toujours le mieux
ïéuflî, j'envoyai mon Poème à M, l'Abbé de
Morinay mon parent, étudiant alors ■en Sor-
bonne, & je le priai de le remettre lui-même
à M. de la Roque. J'avois mis en tête quel-
ques remarques critiques fur eelui qu'on avoit
couronné. L'Abbé, aujourd'hui Vicaire Gé-
néral de M. de Gouyon Evoque de St. Pol de
Léon , & Frère du Gentilhomme ordinaire
de la chambre du Roi , s'acquitta de ma cora-
miflion. M. de la Roque le reçut poliment. Il
étoit auprès du feu ; mais à peine eut-il lu le
préambule de la pièce , qu'il la jetta dans le
brafîer allumé,en difant;M, des Forges a-t-i[
cru que je me brouillerois avec l'Académie
par rapport à lui? l'Abbé faifit le papier,
comme il voltigeoit fur la flamme, il fit à M.
de la Roque les reproches que méritoit fa vi-
vacité. La querelle s'échauffa de part & d'au-
tre; & mon ami fortit, peiidant qu'il lui ju-
roit, que je pouvois Gompter qu'il n'impri-
me-
XIV. P: R, E i\ A C E,
meroit jamais rien -de ma façon. M. l'Abbé
de Morlnai ne tarda point à me faire part de
cette catallrophe, qui me mortifia à caufe de
l'arrêt prononcé.
Le mois d'Avril çomjnençoit. J'étois à
ma'petite café champêtre de Brédérac, dont
dépend 'une vigne qui fe nomme Malcrais^
cabane ruftiqne, auiîî fimple que fon maître,
& dont le meilleur revenu confiée dans la
tranquilité , qu'elle lui rapporte quand il
trouve le temps de s'échapper dans cette fo-
litiide.
E/l aliquid quoeumque loto ^ quecuntque rectjfut "
Uniusfe fe dominum feciffe lacer ti.
J'^y revois au procédé de M. de la Roque,
quand il me vint en fantaifie de le forcer,
pour ainfi dire, à m'imprimer malgré fon fer-
ment, en me féminifant fous le nom de Mlle.
de Mnlcrais. Je fis part de mon idée, quand
je fus de retour au Croific, à une Dame d'ef-
prit, a laquelle j'étois attaché par le lien de
la parenté , mais bien plus encore par les
nœuds de la plus pure & de la plus fidelle
amitié. Ces nœuds charmant n'ont point été
coupés par le cifeau de la parque, & mes lar-
mes coulent encore, lorsque je me rappelle
fon caradére aimable, & fon commerce plein
de douceur & d'aménité. Cette Dame à qui
l'idylle du voyage de V Ammir ^ de 'i Hymen elt
adreffée, approuva mon deflein. Elle s'offrit
de me fervir de Secrétaire, & tranfcrivit ré-
PREFACE. " X7
guUérement tout ce qui parut fous le nom
de Mlle, de Malcrais. Nous nous addreffa-
mes d'abord au commis du Mercure. Notre
innocente fupercherie nous réuflit. M. de la
Roque ne nous laifla pas long-temps attendre
laréponfe, qu'il nous fit lui-même. Je vais
en rapporter des extraits, ainfl que d'une par-
tie de Tes autres Lettres.
:A Paris le 6 Maiîj^i, ■
„ Je n'ai garde, Mademoifelle.de laifTer à
„ mon commis le foin de répondre à la Let-
„ tre dont vous l'avez honoré , le 29 du
„ mois dernier. J'avois trop d'impatience
„ de trouver roccafion de vous marquer le
„ cas que je fais de vos heureux talens , coi,n-
„ bien je vous honore, & combien les gens
„ du meilleur goût, les plus délicats, & les
„ plus difficiles , admirent vos ouvrages. Tours
„ ingénieux, penfées brillantes, belle fimpli-
„ cité &c. tout s'y trouve. C'eft-Ià, Made.
„ moifelle, une partie des chofes , que j'a-
„ vois fur le cœur, & qu'il me tardoit d'a-
„ voir l'honneur de vous dire , me voilâ bien
„ foulage.
........
„ On doit vous regarder comme la Des-
„ houlieres de nôtre Siécle,puiflîons nous vous
„ voir, comme nous l'avons vue, tssus faire
„ comme elle , l'ornement de la Capitale du Ro-
„ yaume , qui enviera fans cefle au Croific une
,, cho-
XVI f RE F' A C E.
„ chofe , qui lui ferolt tant d'honneur &c.
la Roque.
Les charmes d'une Dalila imaginaire triom-
phèrent ainfi de la réfolution , & de la pro-
mefle de ce Sanfon. Il continua comme un
autre Hercule , de filer le parfait amour pour
fon Omphale. Ne pourrois-je point obferver
en pafTant, que c'eft peut-être àia quenouille
& au fufeaa d'Hercule, que l'exprelîîon vul-
gaire de filer le parfait Amour, a dû fa premié-
le origine?
L'Idylle des Tourterelles acheva de lui
tourner la tête. Je fuis fâché d'avoir perdu
fiir-tout un de fes billets doux; dans lequel il
difoit.en donnant carrière à fon imagination
amoureufe , Je vous aime , ma chère Bretoiie ,
pardonnez moi cet aveu; mais le viot ejl lacbé, ^c.
à Farts le 4 Novembre 1731.
,, Vous êtes trop polie & trop bonne, Ma-
„ demoifelle , de vouloir bien defcendre à
„ me fiiire des excufes. Je ferois bien plus
,, difpofé à les recevoir, fi elles étoient fon-
5, dées fur quelque chofe de moins trîfle que
„ la perte que vous avez faite. Mais â mon
„ tour j'en ai bien d'autres à vous faire de
„ répondre fi tard à deux Lettres que vous
„ m'avez fait l'honneur de m'écrire. De mau-
„ dites vapeurs, dont je fuis incommodé, en
,, font la caufe. Je tremble que quelque
„ nuage ténébreux ne vienne ra'«npécher de
„ finir
r R E B' A C E. xvîi
,, finir cette Lettre. Belle difpofition pour
„ répondre à une aimable perfonne, à qui on
,s jvoudroit dire de jolies chofes ! . . . .
^■;;f' .- ' . ...
,,'Plufieurs perfonnos d'efprit & de goût, qui
,-, lifcnt vos produclions avec avidité, & qui
,," y trouvent mille ngrémens , feroient bien
,^ aifes de connoître plus particulièrement vo-
5, tre caraftére ; on s'adrefle à moi pour ce-
„ la, & je ne puis les fatisfaîre qu'imparfai-
„ tement. Plufieurs même ont écrit en Bre-
,, tagne, pour avoir votre portrait, afin de
i, pouvoir fixer les idées avant;igeufes qu'oit
„ a de vos talens ; ayez je vous prie , la
„ complaifance de nous donner quelque cho-
„ fe làdeflus &c.
On voit par cette Lettre de M. de la Ro-
que, combien u eft fingulier, qu'on cherchât
de toute part à fçavoir, ce que c'étoit que
cette Mlle, de Malcrais, Ôc qu'on ignorât le
fujet de la Comédie dans le lieu de la Scène.
On s'étoit donc inutilement promis qu'en é.
crivant au Croific, on fe mettroit au Fait du
mot de l'énigme, il n'étoit connu qu'à la pof-
te, où j'avois expreffément recommandé le
fecret. On reçut pour toute réponfe , qu'on
ne Gonnoifîbit point au Crofic de Dlle. Mal-
crais , & qu'on n'y avoit jamais entendu par-?
1er de fille, ni de femme, qui fiflent ni vers,
ni profe. Cependant il étoit vraifemblable
qu'on y devroit du moins avoir vu , le nom de
Mlle, de Malcrais , dans quelques-uns des
Journaux, qui font la Bibliothèque & la ref-
- Tme J. ♦* four-
xvrn PREFACE.
foiirce de ceux qui craignent le travail de l'é-
tude, ou qui n'ont pas le temps de s'y appli-
ouer. Mais dans ce pays où i'efprit eft uq
don de la nature, où les parties déliées qui
s'exhalent des Salines, lui communiquent au-
tant de pointe & de finefle que par tout ail-
leurs , on fe contentoit de l'acquifition de la
Gazette; & l'on ne faifoit aucune dépenfe eu
brochures périodiques. .,
L'embarras des perfonnes dont la curiofîté
recourroit à M. de la Roque, fera connoî*
trc combien il y a peu de vérité dans la note
que M. de Voltaire a mife en marge de fon
Épitre. Il en, a déguifé le titre, c'eft à une
Dame fait clifant telle, qu'il l'adrefle, après en
svoir retranché pluficurs vers , comme fi elle
étoit fortie fraîchement de fon porte- feuille,
£<. qu'elle ne fut point imprimée toute entière
ailleurs que dans le Recueil de Tes Oeuvres.
On s'étonnera avec raifon que le plus célèbre
héros du Parnafle François , brave comme fon
Pbiloctete, généreux comme fon Brutus, réli-
i^ieux comme fon Nerejîan, prefque desinte-
relTé comme fon Enfant prodigue ,z\t été capa-
ble d'une infidélité lï marquée, & d'une peti-
telfe fi peu réfléchie. Je continuerai de rei
vaincre la fauficté de fa note dans la fuite dt
cette Préface HiÛorique, quoiqu'elle le foit àéy<
en partie dans la 2e. Lettre de M. de la Ro-
que. Ce Journalifle s'étoit fait une loi de m
lien laifler ignorer à fon héroine de tout c<
qui pouvoit l'intérefiTer. L'Idylle des coquil
lages parut. Elle avoit été faite à l'occafior
d'UQti
P R E F A C E. xïX
d'une boette pleine de Coquilles, que j'avois
envoyée à M. de la Roque , & que nous crû-
mes perdue. Un nouveau foupirant compofa
fur ce fujcc un Madrigal, dont la galanterie
un peu trop nue, balança l'envie que M. de la
Roque avoit de le mettre au jour. Mais la
modeflie timide , qui le porta à le fuprimec
pour le Public, ne l'empêcha pas d'en faire
part à fa nouvelle conquête. 11 eft vrai qu'il
couvrit l'endroit gaillard d'une gaze; mais (i
claire & fi mince, qu'il fe lifoit auflî diflinc-
tement que s'il n'eût point été rayé. Mqmim
ejl dit Pétrone , Induere Nuptam ventum tex-
tilem, palamque proflare in nebula linea. Voici
le Madrigal,
DoCte Malcrais, Reine des filles,
Ah ! que le vol de tes Coquilles
Vient à mes fens charmés e'taler de beautés !
Quelle légèreté ! quelle délicatefle !
Tes tours ingénieux, ou règne la fineflè.
Enchantent mon cœur tour à tour»
Mais fî l'on te voloit un jour
Que de vers immortels traceroit ton pinceau!
Heureux qui jouïroit d'un Ouvrage fi beau!
ïlus hemeiix mille fois l'Auteur de la Rapine.
Par M. de St. Pr,
Parts ce 8 Mai 1733-
** 2 », J«
XK P R E r A C E,
,, Je vous envoyé, Madcmoifclle, ce inor-
„ ccau que je fuppriinc à regret. Car j'aime
„ beaucoup entendre dire du bien de vous,
,, fur-tout quand on en dit avec quelque for-
„ te d'efpnt. Mais api es avoir voulu, com-
„ me vouî le verrez, raccoinmoder & fauver
j, une idée un peu trop gùllarde, j'ai enfin
5, pris le parti de n'en point faire ufage , &
,, je crois que vous m'approuverez.
,, Dans ce moment on m'apporte votre
„ Lettre du 2, de ce mois. Je vous rends
„ grâces de toutes vos politeiîes & de vos
„ fentimens favorables à ma mutilation. *
5, Vraiment j'accepte bien la conjeflure que
„ je pourrois n'en point valoir moins pour
„ cela. Il eu même établi, qu'à certains é-
,, gards ou en vaut un peu mieux. Et voyez
'„ l'outîeruidance d'un vieux reitre. Je Ce-
„ rois au défefpoir de détromper perfonne là-
„ deifiis. .• . . . . . .
,, 11 ne merede que le temps de vous aflurer
,, mon illuftre & très -aimable Demoifelle ,
,s„ avec le plus finj;ére,& !e plus refpeflueux
„ attachement. qui fqt jamais, Votre &c.
De la 'Roque,'
On voit que M. de la Roque en étoit déjà
par de là les petits foins avec fa Dlle, de
ÎMalcrais , & qu'il devoit croire, fes affaires
avancées, autant qu'elles le pouvoient être,
" 11 avoir perdu une jambe à la guene.
P R E F A CE. nr
en lui faifant des cageolleries de plus de cent
lieues.
Pendant qu'il s'enivroit des douceurs d'un
fi tendre commerce, un Quidam s'avi.ia d'at-
taquer Mlle, de Malcrais daijs une Lettre cri-
tique. C'étoit un de ces hommes privilégié?,
qui croyent qu'une longue vefte à menus dé-
tails , avec un Livre à pages quotidiennement
ordonnées, a h force de répandre fur leurs
individus l'uni- erfalité des talens. )Mlle. de
Malcrais écrivi^iit à fon amant le fujct de fa mé-
lancolie. AufTi-tcjt voilà le Champion le pôt
entête, couvert de fon antique cuiraffe. Il
defcend fur l'arène , 6c défie au combat le
^ant orgueilleux, dont l'audice s'étoit éle-
vée jufqu'à vouloir ab'oaifler le mérite & la
vertu de la iVIaitrefle de fon ame, de la Da-
me de fes penféeSjde la Souveraine de fon
cœur; & c'efi; ce qu'il exprime en d'autres
termes dans l'extrait de la Lettre, qu'on va
lire.
Paris le 20 Juin 1733.
„ Il étoit impoflîble , mon illufîre & in-
„ comparable Bretonne, de faire occuper une
-^^■place honorable à votre Ode dans le I"^.
•y, rvolume de Juin ; mais elle eft aftuellemens
-„ iînprimèe à la tête du fécond. Je fuis au
„ retîe bien loin de blâmer votre fenfibilité
„ fur cet Ouvrage; & fe la partage au point
„ que j'en fuis très piqué , & que s'il ne fal-
„ loit que houspiller vos juges fans goût &
** 3 ,, fans
xxii PREFACE.
„ fans probité, que mordre ôc égratigner,
,, vous pouvez hardiment me prendre pour
,, votre fécond. ....
,, M. Titon du Tiilet mon ami & l'ami de
„ tous les gens de Lettres , dont le caradèie
j, de bonté & l'amour pour les arts font fans
,, bornes, m'a chargé d'une Lettre ci jointe.
„ Je m'acquitte de fa commiflîon d'autant plus
5, volontiers, que je ne crois pas que vous
,, y trouviez rien qui ne puifle vous plaire,
j, Je fuis très refpedueufement ce de toute
„ mon ame , Mademoifelle , V^otre &c.
,. , La Roque.
i\ s'en falloit bien que la Lettre de M. Ti-
lon du Tiilet eut rien de defobligeant. Elle
étoit au -contraire pleine de témoignages
d'eftime , & d'offres de fervices. Il ajouto.it
oue je recevrois inceffamment fon Parnafle m
folio , qu'il avoit chargé à la Meflagerie de
Nantes, après en avoir affranchi le port. Je
]e remerciai , comme je le devois , dans la
ïéponfe que je lui fis fous le nom de Mlle, de
Malcrais. Il eft le feul, quoiqu'ait avancé
M. de Voltaire dans fa note, à qui j'aye é-
crit fous ce nom dire<flement , à l'exception
de l'Auteur du Mercure, dont- mon unique
& premier deffein avoit éié de me venger, en
; me travefliflant fqus j'enveloppe d'un autre
Sexe. , . ' ■ -
Je reçus une féconde Lettre de M. Titon.
Son efprit , fa candeur, fon amabilité m'en-
gagèrent à lui révékr mon fécret. La vérité de
cœur
PREFACE. xxnr
cœur qu'il retrouva dans mes Lettres, lui plut.
Il m'en aima d'avantage, & me demanda la
raifon qui m'empêchoit de venir à Paris , le
l'éjour des mufes & des talêns. Je lui répon-
dis avec la franchi fe, dont ie ne me fuis ja-
mais départi , que mes facultés trop bornées
ne me permettoient pas de faire cette dépen-
fe voluptueufe , & de fatisfaire l'envie que
j'avois de le voir & de le connoître pcrfon-
nellement. il me repondit avec cette gêné,
rofité, dont il a donné tant de preuves, que
je n'avois qu'à me rendre à Paris, fans m'eni-
barrafler du refte, qu'il m'ofFroit fa maifon,
que nous vivrions enfemble, que fes Domef-
tiques feroient les miens, & qu'il me produi-
roit dans la bonne Compagnie, auffi tôt que
je ferois arrivé. Je n'avois garde de réfifter^
des propofitions, que l'eflime & le cœur a-
voient diftées. Je pris la MelTagerie à Nan-
tes, d'où je l'informai du joiu-, que je de-
vois arriver à Paris. J'y trouvai dans le lieu
où defcend le Meflager, fon valet de cham-
bre qui m'attendoit avec un caroffe. Je fus
donc conduit chez mon ami, je devois dire
mon Père ; puifqu'il me régénéra dans fon
fein par fa tendre amitié, fes feges infiruc-
tions , fes complaifances affidues pour quel-
qu'un, qui pétillant de fa vivacité Bretonne,
-n'avoit ni cet air prévenant, ni cette poli-
telFe façonnée , dont on ne fait l'apprentiirage
•qu'à Paris.
Nous allâmes faire vifite enfemble à M. de
Voltaire, H fut à l'abord étonné de cette ap-
-'■ »* 4 pa-
XXIV PREFACE.
parition. Mais revenu de fn furprifé.il m'ac-
cueillit avec gaité ; & m'honora d'autant de
marques d'eliime & de confidération , que
j'en pouvois attendre du plus bel efpritdc l'Iiu-
•rope. 11 plailanta lui-même fur fon erreur
amoureufe, avec cette grâce & cette légèreté,
qui paflent de fes écrits lumineux dans fa con-
vcrfation agréable, fçavante & variée. Il me
dit môme que fans s'égarer dans le formofum
pajior Coridon , fa tendrelTe pour moi alloit fe
changer en amitié.
Ma métamorphofe, dont le fecrct n'étoît
point encore publiquement dév'oilé, occafion-
nz plufieurs fcènes. On en trouve quelques
unes dans le Xe. Volume des ylmtijemens du
Cœur ^ de VEfprït. Je me contenterai d'en
rapporter une à caufe de la fingularité du fait,
tel à peu près qu'il eft imprimé dans le vo-
lume que je viens de citer.
Mon Frère avoit un procès au parlement
de Bourdeaux contre des armateurs deBayon-
ne, dont il avoit commandé le vailTeau pour
Ja code d'Afrique. Il m'écrivit de la capitale
de Guyenne, que, quelque jufle que fut fon
affaire , il courroit rifque de fuçcomber , fi
fon bon droit n'étoit point etayé de quelque
protedtion, M. Titon du Tillet, & le Père
Brumoy notre ami commun , me préfentérent
au Père Cartel. Ce célèbre Mathématicien,
cet Auteur ingénieux du clavecin des cou-
leurs, connoiflbit particulièrement M. de Mon-
tefquieu , Préfident au Parlement de Bourdeaux.
Il me donna une Lettre pour lui. Ce Sça-
vant
PREFACE. sxv
vnnt du premier ordre, ce Génie profond, a»
gréable & délicat, ce Legiflateur immortel,
• dont- le code iramenfe en peu d'efpace, û
l'efprit de fes Loix étoit écouté, formeroit
du monde entier une République plus pofG-
ble & mieux difpoféeque ctlle de Platen; en
un mot, M. le Prefident de Montefquieu, me
fit une très joyeufe & très honnête réception.
Il me fit prêtent, pourgnge de fon amitié,
d'un exemplaire de fes Confidéraiions fur les
caufes de la grandeur des Romains & de leur
décadence. Le Père Cartel m'avoit aufli don-
né des Lettres pour Mrs. Beléc Melun, Con-
feillers au même Parlement , & renommés
l'un à l'autre par des Ouvrages de Politique
& de Littérature. Ces trois ÏUufbes me don-
nèrent pour le Parlement deBourdeaux, tou-
tes les Lettres de reconimandition qui m'é-
toient néceflaires. Elles furent fuivies d'un
fuccès aufiî favorable , qu'il étoit dû à la jufti-
ce de la caufe pour laquelle ils s'étoient inter-
reiïés. Le haznrd quelques jours enfuite, me
condulfit au Caffé de Gradat, à la defcentcdii
Pontneuf. J'y rencontrai M. Melun. J'appro-
chai de lui. Je lui parlai à l'oreille. 11 me
demanda, fi je voulois qu'il m'annonçât fous
mon nom de fille. Ménagez ma cornette ,
lui repondis - je. La déclaration que vous
voulez faire, pourroit nuire à mon étabUlfe-
ment dans le monde. Quelque prière que je
lui fis , il me nomma pour Mlle, de Malcrais.
Cette manière de me démasquer, me décou-
** S cer
xxyi PREFACE.
-eerta. Je pris la fuite & je fus à peine re-
marqué.
Comme il badina , & qu'il eut la précau-
tion de ne point avouer francliement qui j*é-
tois; le bruit courut bientôt que Mlle, de
Malcrais étoit à Paris, fous un habit d'hom-
,,me. On régala de cette nouvelle M. Hérault
Lieutenant Général de Police, dont la fagef-
fe & la vigilance faifoient régner le bon or-
dre dins la capitale. On lui dit que j'étois
■une jeune fille que le goût du plaifir & de l'é-
bat avoit éloigné de la niaifon paternelle , ha-
billée en homme, pour fe livrer fans gêne à
.,fon inclination pour le libertinage. C'en fut
affés pour allarmer l'humeur fcrupuleufe de
M. Hérault. Il ne parloît de rien moins, que
d'envoyer prendre Mlle, de Malcrais par un
CommilTaire & par lés eftafiers chez M. Ti
ton du Tillet, qui en fa qualité d'hôte bien-
faifant,devoit fans doute avoir cueilli les pi4-
mices de fes faveurs parifienncs 6tc.
J i ►; . . ' ■ ■ ■
liC Fort l'EvêqUe étoit la trifte réfidence,
• O" l'Etroit, le terrible Couvent,
-Çîi Malcrais à l'abri du Soleil & du Vent ,
Devoit leiler en pe'nitence.
Po'ur avoir eu le cœur trop fènfible & tenté
De goûter par cxpéiience
Les douceurs de la volupté.
Là fous la garde d'un Cerbère
^Bootla gueule en vaut trois , quand elle eft en colère
Jxa
PREFACE. xxvic
Piatiqucr nuit & jour & la dure aufteritc
D'une abftinence involontaire,
Manger dans la langueur & dans l'obfcuntc',.
Du pain fec arrofe' d'eau claire.
En pleurant fa virginité.
J'avois diné le jour précèdent chez M.
Fraiilt Père, Libraire fur le Qiiay de Gêvres
avec une demie douzaine de Mrs. les Beaux-
efprits du nombre defquels étoient Mrs. de
Boilly, Gueulette, Eeauchamps &c. On les
nomma à M. Hérault. Il crut que tous a-
voient tiré parti de l'avanture. M. de Beau-
champs, auteur de l'Hifloire des Théâtres &
de quelques Comédies qiii ont eu du fuccès,
deuoit la douceur de la vie à fa traduftiort
en vers de quelques Lettres d'Héloïfe Ôf^'A-
baillart. Elle plut à M. de Barcos , qui le
plaça auprès de M. le Maréchal de Villeroi.
Peauchamps étoit fort connu de M. le Lieu-
tenant Général de Police, qui l'envoya cher-
cher pour s'aflurer de la vérité de mon féxe.
11 fe rendit à Tes ordres, & lui protefla, que
bien loin de reflembler à une fille, je portois
au bas du vifage une livrée mâle, qui dévoie
me comprendre dans la régie de Je^n Defpau*
tere, omne viro joli ^c. Mr. Hérault s'en
rapporta à fa dépofition , & la Comédie finit
fans dénouement.
On me demandera peut-être les motifs,
qui m'engagèrent à faire imprimer le premier
Recueil de mes Poëfîes, fous le nom deMlle.de
Malciais de la Vigne ; c'étoit par le* confeils de
** (5 mes^
xxviii PREFACE
mes amis. Us m'objeflerent qu'il ne convenoit
pas de faire dirparoîtrefibrufquement aux yeux
du Public une chimère , dont il s'étoit agréa-
blement amufé , que ma fidion ne faifoit tort
à perfonne , 6: qu'enfin ,
Quand la légère Dangeville
Joignant avec facilité,
Les grâces d'Adonis à fa vivacité »
Ravit fur le théâtre & la cour & la ville
Sous l'habit emprunté d'un jeune chevalier:
Le public fe plaint il , que la métamorphofe
Ait en foi même quelque chofc
De rebutant, d'irrégulier ?
Ce fin déguifement lui plait, & l'interefTè ,
lîu denoument prochain, jufqu'au bout occupé ,
Et la pièce finie; il approuve l'adrefTe ,
Avec laquelle on l'a trompé.
Je me rappelle une nutre avanture omife
dans le volume dont j'ay parlé , 6i pour le
moins aufli comique, que celle qui commença
au CafFé de Gradot,
Je fus invité avec M. Titon du Tillet à fou-
per chez M. le Févre, Intendant des menus
plaifirs de la Reine. C'ctoit un vieux garçon,
qui dans un agréable célibat , jouifToit au
moins de foixante mille livres de rente. Un
Capitaine de Dragons , chevalier de St. Louis
devoit être du foupé , on lui avoit promis de
lui faire connoître ]\îlle, de Malcrais, j'arri-
vai avant lui. Mlle, de B**. fille fort aima-
ble, & parfaite dans l'art de toucher Je clavef-
fin ,
P R E F A C e; rsiï
fin, demeuroit chez M. le F^vre. Ellemepro*
pofa pour rendre la fcéne complette , de me
donner un de Tes habits. Ce fut elle même
qui fit ma toilette avec toute l'élégance & la
linefle qu'on employé pour plaire ; le rouge &
les mouches ne furent point oubliés, & mes
appas écoient fous les armes , quand le raiU>
•taire parut. Son premier foin en entrant fut de
promener fes regards fur toute la compagnie
qu'il falua. Ils s'arrêtèrent fur fa belle incon-
nue, & pour fixer ce qui lui reftoit d'incertitu-
de , on fe prit à chanter en Chorus cet en-
droit d'un des chef d'œuvres de Quinaut & de
Lully.
Armide cft encor pliisaitxiable.
Qu'elle n'eft redoutable &c.
Cet Officier s'approcha de moi d'un air ga-
lant & refpeflueux , il me demanda fi la vie de
Paris étoit plus de mon goût , que celle de
Province; il me conta mille tendres fleurettes,
me dit que ma réputation, la beauté de mon
efprit , les grâces de ma figure dévoient m'a-
voir fait bien des amans , & me pria avec in-
llances de lui accorder le privilège de venir
■auflî me faire fa cour. Je lui repondis qu'étant
la pupille de M. Titon du Tillet je ne devois
avoir d'autre volonté que la fienne. Alors il
fe tourna du côté de mon tuteur qui fit d'a-
bord le diiBcile. Il lui rcpréîenta combien de
ménagemens exige la réputation d'une filte
bien née; que c'eft une fleur délicate & brillan-
: .■ 1 ** 7 te.
3ntx PREFACE.
te , que le foufle malin d'un homme a fouveiit
ternie pour toujours. Cependant il fe lendit à
Tes proteftacions pathétiques , en lui difant
qu'il feroit charmé que cette occafîon lui pro-
curât à lui même le plaifir de le voir quelque-
fois chez lui. Les douceurs du Capitaine conti-
nuoient encore au deflert ; quand après avoir
longtemps ri fous cape , on ne put s'empêcher
d'éclater. Il fe défia de la tromperie ; & re-
gardant l'infante parnaiîique avec plus d'atten-
tion , il s'apperçut que fon menton quoique
fraichement dépouillé de fon annonce mafcu-
line , en laiflbit voir dans fon efpace rembru-
ni , quelques indices , qui n'appartenoient
point au fexe dont elle avoit arboré le pavil-
lon. Mlle, de Mâlcrais , dit- il, a bien de
l'air d'un joli Dragon que j'ai ^ns ma com-
pagnie : à ces mots les ris redoublèrent , Ci
comme il pïit la chofe en galant honllne,
ainfi que notre Virgile l'eût dû faire avec
moins d'humeur qu'il n'en paroît dans fa note
chagrine, le fouper fe prolongea lîgaimcnt ,
que nous demeurâmes à table jufqu'à deux
heures du matin. Après avoir paflé quatorze
ou quinze mois fort agréablement à Paris; je
me fis fcrupule d'importuner fi long temps M.
Titon du Tillet , & je quittai mon cher bien-
faiteur malgré les inllances qu'il me fit pour
m'arrêter , & le plaifir que j'aurois eu d"y
confentir. Je partis pour la Province du Foreft
en rêvant au confeil que le fage M. de Vol-
taire m'avoit donné dans ma première jeuneflfe,
JrJfKÔ viveri, deinde philofopbari.
Mont-
PREFACE. xxxt
Montbrifon devoit être le lieu de ma réfi-
dence; & j'allois y remplir une occupation u-
tile à la vérité , mcris embarraflante , & peu
compatible avec le badinage des mufes. Le
Lignon arrofe cette belle contrée de fon onde
tranfparente & poiffonneufe. Les arbres en*
trelaffés d'une rive à l'autre , y forment un riant
berceau , qui s'élève fur la croupe des mon-
tagnes , & qui fe précipitant du haut des col-
lines , ferpente à travers l'émail des prairies ,
que la nayade de cette rivière embtllit & ferti-
life. Le Roman de l'Aftrée étoit la carte du
pays , qui m'accompagnoit dans mes courfes.
Je vis la maifon du Druide Adamas , la mon-
tagne où fut jadis la grande ville de Marfilly j
dont le fiége renommé par d'incroyables faitfe
d'armes, ne coûta pas moins de travaux & <te
fatigues , que le fiege de Troj'e. 11 ne refte
plus de tant de grandeur & de puifTance , qtie
la maifon du receveur des Tailles de Montbri-
fon , qui s'élève entre quelques cabanes cou^i
vertes de chaume & de rafeaux. Ma curiofité
fe devoit fur- tout au château de la Baftie, la
principale demeure des Seigneurs de la maifon
d'Urfé. J'y vis la fontaine enchantée ; l'en-
droit où Céladon parut aux yeux d'Aftrée dans
l'appareil de nature , plus magnifique que la
broderie & le brocard; & Venus en étoit bien
perfuadée , quand elle s'offrit avec cette pré»
cieufe (implicite aux regards du Berger, qui
lui adjugea la viftoire fur fes deux rivales. On
me conta qu'un Prélat de cette maifon, avoit
fait enlever du château plufieurs Hatues de
marbre
xx3ir PREFACE.
tnarbre & de bronze , après qu'elles eurent
.été mutilées par Ton ordre ; parce que pour
. être belles , elles n'attendoient pas la chute
des feuilles. On me fit remarquer aufîi fur le
faite du bâtiment, la ftatue en bronze de Cé-
ladon , majeftueufement armée, malgré le re-
proche d'infufBfance que la tradition ofe lui
faire.
Ce pays natal des grâces & des amours, ce
fejour enchanté où les Bergères n'ont rien
.perdu des agrémens, & de la légère vivacité,
qu'elles avoient fous lerégned'Allrée, deman-
doit de moi quelques grains d'encens , en
l'honneLir du Dieu que d'Urfé célébra dans fes
chroniques amoureufes. J'y fis donc quel-
ques chanfons galantes, qui parurent dans le
Mercure fous le nom d'une Nimpbe de la mer
métamorphojée en Berger du Pays d'^Jîrée. Ce
nomm'avoit plû.parceque je le tenois de M.
de Voltaire , qui me l'avoit donné dans cette
Lettre qu'il m'écrivit de Vafly en Champagne.
à Vajfy en Champagne ce 23 Juillet.
„ Dona puer /olvh f ^u£ /«mina voverat Iphis-
,, Votre changement de fexc, Monfieur , n'a
„ rien altéré de mon eftime pour vous. La
„ phifanterie que vous avez faite, eft un des
„ bons tours , dont on fe foit avifé ; & cela
„ fcul feroit auprès de moi un grand mérite.
„ Mais vous en avez d'autres, que celui d'at-
„ îrapper le monde. Vous avez celui de plaire
M foit
PREFACE. xxxiri
,, foit en homme , foit en femme. Vous êtes
„ actuellement fur les bords du Lignon, &àc
„ Nimphe de la mer, vous voilà devenu ber-
j, ger d'Aftrée. Si ce pays là vous infpire
,, quelques vers , je vous prie de m'en fairs
„ part ; pour moi j'ai un peu abandonné la
„ poëfie dans la campagne où je fuis.
,, Non eadem ejl £tas , non vis.
,, Olim poteram eantando ducere no&es.
„ Mais à préfent je fonge à vivre.
„ Quûd verum at'jue decens euro y (yrogty Çyemr.ts^H
hoe Jum,
: „ Un peu de philofophie , l'hiftoire , la
converfation , partagent mes jours.
,> DuM fsUicta jucunda oblivîa vît*,
„ Cette vie fera plus heureufe encore , fi
„ vous me donnez part des fruits de votre
„ loifir. Je fuis fâché que la Champagne foit
^, fi loin du Lignon, Mais c'efl véritablement
„ vivre enfemble , que de fe communiquer
„ les produdlions de fon efprit , & les fenti*
,, mens de fon ame Je fuis &c. Voltaire.
,, P. S. J'ai reçu votre lettre fort tard après
,, un voyage en Lornàne,
Mon féjour dans le Foret fut d'environ trois
années La fociété des plus aimables femmes,
qui foient au refte du monde , le caraftere
hon-
XXXIV PREFACE.
honnête , le commerce facile des citoyens de
Montbrifon , y corrigeoient le dégoût de mes
occupations tumultueufes. Elles ceflerent,
quand la paix de retour me donna mon con-
gé , & me renvoya dans ma Patrie. Je devois
m'embarquer fur la Loire , & je promis
une relation de mon voyage à M. le Coratie de
Rivarol Maréchal de Camp , avec lequel j'é-
tois extrêmement lié. Auiîitôt que .l'ennui de
la VilLe commençait à me gagner , je courrois
diflîper avec lui ma mélancolie dans fon châ-
teau , tranfporté par art de féerie fur le lonsmet
d'une montagne. Là , quand la nége 6c la
glace difparues permettoient à Flore d'y réta-
blir fon empire , des caifTes d'orangers fe mê-
Joient alternativement avec des caiffes d'oeil-
lèts, quis'élevoient fur des cannes de rofeaux
au delà des bornes , . que la nature leur avoit
prefcrites ; & leurs fuaves odeurs , qui parfu-
moient le lever de l'aurore , me retraçoient la
peinture des Ifles fortunées.' Je viens de
m'appercevoir, que j'ai lailTé giifler une étour-
derie en tranfcrivant mon voyage adrelTé à
M. de Rivarol ; elle fe trouve dans la ti-
Tade de vers , où fe décris la vifite que je Qfi
au Roi d'Yvetot » qui nous montra dans le
•fond d'un antique plat de fayance , qu'il con.-
fervoit auffi chèrement , que s'il eut été de
pur or, les vrais portraits, difoit il, de Céla-
don & d'Aflrée. Or j'ai dit dans les vers in-
diqués ci-defTus, quelque chofe de femme &
d'enfans , quoique je ne me fois marié que
plufieurs années après avoir écrit ce voyagé ;
mais
PREFACE. xxxy
mais comme je l'étois quand je le relus , j'a-
joutai cinq ou fix vers fur mon état préfent,
fans fonger qu'il s'agiflbit de mon état paffé,
où ne me fouciant pas de me reproduire ,
Je vivois libre & fans ennui.
Sans foin, fans defir du ménage;
Et m'e'tonne que Mariage ,
Ce bon homme qui m'avoit fui ,
Daigna fonger à moi volage.
Qui ne fongeai jamais à lui.
Il eu. facile de s'appercevoir que ces vers ne
font qu'une penfée de Régnier le fatirique^
tournée fur un autre fujet & différemment ha-
billée. Auflî y avoit-il trois bons mois quej'é-
tois engagé dans le facré bien , fans pouvoir
me le perfuader qu'en certaines rencontres dé-
cifîves. S'il m'arrivoit par cas fortuit de dire
ma femme. Je demeurois à la moitié du mot,
Improvifum a/pris veltlti qîdfentibus ànguein preffit
'ifiifmi nitens ;
Je ne doute pas que mon ami M. Néricaut
Deftouches, s'il eût eu connoiflance de quel-
ques unes de mes folies Ôc de mes diftraétions,,
n'en eût fait ufage dans fon Pbilojopfjie
Marié. ' ■-.-J.-
Lz compagnie des gens de lettres que i'Sr
vois connuf à Paris, & celle de tant de per-
fonnes aimables des deux fexes , qui fans être
■auteurs , ont un goût infini en tout genre de
littérature ; cette fociété que je ne retrouvois
plus , ne tarda point à jetter de l'ennui fur
. . ma
xxxvi P R E F A CE".
ma folitude natale. M. Titon qui s'en apper-
çut dans mes lettres, m'invita à venir repren-
dre chés lui mon premier domicile. Mais au
bout de quelques mois , il fut appelle loin de
Paris, pour des affaires ; & j'allai m'hébcrger
h rhotel de Brie. Je m'y refTouvins encore
de l'axiome de M. de Voltaire, primo vivere,
deindè philofopbari ; & moi , qui ne fçus jamais
faire ma cour aux Grands , parce que je les
crois peut-être trop faits comme les autres
hommes, je m'attachai à l'un d'eux, & je me
fiai à fes promefîes ,
Prometteurs , qui font luire à nos yeux refpérancCj
Coquette au doux regard , brillante à peu de frais ,
Dont le fouris excite à la perfévérance ,
Et qui n'atteint prefque jamais
L'objet léger qui la devance,
Quoiqu'un la cioye tout aupiès«
A force de courrir après cet effet, qui ref-
fembloit auxphofphores, tout ce que j'y gag-
nai , fut une pleuréfie , qui me porta fur le
bord du tombeau, & dont la guérifon me coû-
ta plus de cent pilloles. Mais qu'efl ce que
l'argent au prix de la fanté, qu'un Roi, que
la maladie con Juit à fon terme , acheteroit de
l'échange de fes états avec la place & la fanté
d'un gros & gras fubdelegué d'Intendant;
comme le Cardinal du Perron difoit, quand il
étoit maiade , qu'il eût troqué fon chapeau &
tous fes bénéfices avec la fanté du Curé de
Bagnolet.
La
PREFACE. xxxvit
La citation que j'ai faite de l'embonpoint
d'un fubdélégue , fur tout dans les villes des
Provinces, où l'on pnye la taille, me remet
en mémoire l'avanture de M. de M***. Lieu-
tenant Général des armées du Roi. Il étoit
en chemin avec un feul domeftique , quand
ils fe trouvèrent au bord d'une petite rivière,
dont le gué étoit facile en été , mais il étoit
devenu profond tout à coup par l'abondance
d'une pluye d'orage ; deforte qu'alors pour le
pafler fnns péril , il falloit bien connoître l'é-
troit fentier qui fe cachoit fous l'eau. Le do-
meftique s'avança le premier, M. de M***.
le fuivoit , mais s'étant un peu écarté de la
route qu'il lui traçoit , il tomba dans un
creux ; & le courant l'emportoit avec fon che-
val , qui déjà perdoit haleine. Le domeftique
n'ofoit aller à fon fecours. Son cheval étoit
chargé de la valife-, & craignant de périr avec
fon maître il fe contentoit de crier de toute
fa force à des payfans , & à quelques pe-
fcheurs qui écoient au bord de la rivière dans
leurs fragiles nacelles , fauvez Mr. de M***.
Lieutenant Général des armées du Roi. Tous
fgifoient la fourde oreille, perfonne ne bran-
loit ; lorfque ]\îr, de M*** qui avoit l'ef-
prit préfent même dans le danger, lui dit; eh,
mon ami , crie plutôt fauvez le fubdélégue de
.Mgr. l'Intendant. Le Domeftique obéit, & fe
mit à crier tant qu'il put quoique d'une voix
tremblante , fauvez , Jauvez le fubdélégue de
Mgr. l' Intendant. A ces mots les pefcheurs fe
■faiSûent de leurs rames , les bateaux quittent
le
XXXVIII PREFACE.
le rivage , les payfans fe jettent dans l'dau
jufqu'à la gorge ; & ils s'expédièrent fi bien ,
& avec tant de promptitude , qu'ils tirèrent
Mr. de M***, & fon cheval, du naufrage.
Celui où Mr. Titon du Tillet trouva mes
jours expofés, le pénétra de l'affliftion la plus
fenfible. Il n'en laiflbit point échaper ua
feul , fans pafler avec fon cher. malade deui
ou trois heures. Souvent il mangea debout
un peu de pain & de viande froide , pour don-
ner à fes domeftiques tout le temps de me
fuivre , & de me fecourir dans le danger,
qu'il craignoit comme pour lui même.
Dés que mes humeurs commencèrent à ren-
trer dans l'équilibre, il me fit trànfporter dans
fa maifon.
Ghet Titon, ô belle-ame! ô cœiu noble 8c fîncète!
Grand homme , vraiment homme , & le dofte Voltaiie
Sans doute en ce fens l'entendit
Dans fa fiere note , qui mit
Tout notre Parnaflè en colère ,
Que fon air dédaigneux avec raifon furprit.
Oui, cher Titon, que j'aime, & que malgré la Parque
Confervant en tous lieux ton fouvenir vainqueur.
J'aimerai, quand mon ombre aura pafle la barque.
. On conte, que le Ciel ayant formé ton cœur.
Jaloux de fon ouvrage il en brifa le moule ,
Craignant qu'à tes pareils tous les autres Mortels
Ne vinflent préfenter en foule.
L'encens dont le parfum , n'e ft du qu'à fes autels.
J'ai toujours admiré cette fîmpathie, que
pro
PREFACE. XXXIX
produit entre les hommes dans les pays les
plus éloignés , le hazard qui les fit naître non
feulement dans la même ville, mais encore
dans la même province , & dans le même
Royaume, Deux perfonnes qui fe faluoient à
peine dans leur patrie , fe rencontrent elles à
cent lieues , elles fe recherchent & s'unîflenc
d'une amitié qui n'eût jamais pris entre elles
dans leur ville ; & cette inclination ne fe ma-
nifefte pas feulement enQ-e les hommes du
même rang, elle opère encore malgré l'inéga-
lité des conditions. Auiîi n'eil il perfonne,
ce me femble, pour peu qu'il ait voyagé, qui
n'ait remarqué, que l'air, la manière, la cou-
tume, l'accent, l'habit, la diverficé de lan-
gue & de religion font paroître une nation à
une autre d'une efpéce difFerente, à peu, près
comme les chardonnerets & les fauvettes peu-
vent le paroître aux linottes & aux pinçons,
par la différence du chant & du plumage*
C'efl: pourquoi on doit en cela, comme en tou-
te chofe , adorer la fagefle & la providence du
Créateur , qui voulut que le fenciment , que
la patrie imprime dans Le cœur humain , re-
doublât de force dans l'éloignement, & qu'un
homme , qui périroit peut être dans l'aban»
don , retrouvât au bout du monde un pa-
triote pour l'accueillir, le protéger, le fecou-
rir , & quelque fois même le faire heureufe-
ment fortir d'une mauvaife affaire , où il ne
s'agit de rien moins que de fa vie.
C'efl: ainfi qu'une idée de patrie, me fit de»
mander au commencement de ma maladie;
s'il
xt P R E,.F A C E.
s'il n'y a voit point à Paris quelque médecin
Breton ; & que fur ce qu'on m'eût apris que
M. Huniud Profefleur au Jardin Royal, é-
toit de Saint Maîo ville de Bretagne , je
renvoyai prier à l'Hôtel de Richelieu , où
il demeuroit, de me venir voir. Il ne différa
point de Te rendre à ma requête. Ma fitua-
tion l'affligea, & il conçut pour moi une telle
afFeftion , qu'il ne manquoit jamais , quei-
qu'affairé qu'il fut , de me faire deux vifites
par jour. Dès que fes foins m'eurent tiré de
danger, & qu'il me fut poffible de prendre un
peu d'eflbr ; j'allai à l'Hôtel de Richelieu,
pour y remercier mon libérateur. Mais le
Suiffe m'ayant afluré qu'il étoit abfent , je le
priai de me donner une carte , fur la quelle
j'écrivl^is les vers fuivans , qui lui furent ren-
dus 1
Maillard convalefcent, à Hunaud qu'il vient voir,
Pait des remercî mens fans nombre;
Jeune fit dode Efculape , héhs.'fans ton fçavoir.
Tu ne pourrois aujourd'hui recevoir.
Que la vifîte de fon ombre.
J'y retournai quelques jours après » & je
k^ trouvai dans fa chambre. C'eft-là, que
nous liâmes une amitié fincère & durable. Je
voulus le payer de fes peines & de fes atten-
tions. Mçs efpeccs ne lui parurent pas de
bon aloi; 11 les refufa obftinément. Cepen-
dant je laiffai fur fa table , en le quittant , une
petite bourfe , dans la quelle il y avoit dix.
louis
PREFACE. xu
louis d'or, il s'en apperçût,connit après moi,
nie força de les reprendre , & me die en m<;
faifant les reproches les plus obligeans du
moudev qu'il étoic plus que fatisfait davoir
reniu fervice à deux compatriotes à la fois, à
M. de Forges & à Mlle de Malcrais; 11 ajou-
ta qu'il avoit des amis utiles & qu'il m'ofFroit
tout Ton crédit auprès d'eux.
Il étuit Médecin, & commenHil , û je ne
me trompe, de Mr. le Duc de Richelieu, ce
héros que le Mirthe & le laurier couronnent,-
aufTi charmant avec la lire d'Anacréon , que
redoutable avec l'epée du Dieu Mars , célèbre
par les exploits les plus brillans, & récem-
ment par la prife de cette fortereOe, qui peut-
être inacceflîbîe à toute autre valeur que la
fienne, conferveroit encoie fans lui le titre
d'inexpugnable, que la nature & l'art lui a-
voient alTuré. J'efpére que le Lefteur ne def-
approuvera pas le léger tribut d'admiration ,
que je rends fur ma route à ce grand Général.
Mr. Hunaud étoit doux de caraétére , ha-
bile dans fon art, & fon efprit étoit orné.
Mais il aimoit trop fes plaifirs , & pendant qu'il
ordonRoità fes malades la difette & le régime,
il ne faifoit rien de ce qui étoit nêceflairepour
conferver fa foible fanté. Son peu de ména-
gement pour lui-même, l'enleva au public &
à fes amis, à la fleur de fon âge.
Le rare defintéreflement de fon ame le ren-
doit^bien différent d'un grand nombre de Mrs.
fes confrér^. A peine ont ils guéri leurs ma-
des , qu'ils donnent la fièvre de frayeur par les
Zfiîn, /. *** fom-
xi.it PREFACE.
fommes prodigieures qu'ils en exigent, defor-
tc que ]es convîiltTcens peuvent dire avec
Martial , qui fut glacé par toutes les mains
froides diis Médecins} qui vinrent lui tater le
pouls,
2iùn habul fehrlm , Vontkcy r.unc habco.
Le mien qui voyoit que malgré Tes efforts,
mn fanté ne revenoit qu'à pas lents, me con-
fc^illa d'aller refpirer l'air natal pour la réta-
blir parfiitement. J'étois encore û foible &
Il exténué, que je pouvois à peine monter
dans le carofle. Telle étoit à peu près la fi-
jîure du Poëte, avec lequel ma refpeftable
amie feue Madame la Comtefle de Verteillac
fe rencontra par hazard en voyage. Je tiens
les pariicularités de cette rencontre fingulière
•de la bouche même de cette Dame, qui mé-
rite une place honorable parmi les perfonnes
de fon fe}!0 , les plus didinguées par les ta-
lens de refprit. Elle avoit plus; un cœur ad-
mirable, & fon éloge n'a été que légèrement
ébauché dans le Mercure.
Madame de Verteillac me conta que des cir-
conftances preflées l'ayant obligée de profiter
fur le champ d'une voiture publique, elle s'y
trouva en compagnie d'un jeune homme, dont
le teint jaune & amaigri n'annonçoit point
une fanté parfaite. II lâcha quelques paroles
après un long filence, & la fuite de fon dif-
cours lui fit comprendre , qu'il fe mêloit de
verlifier, Elle le prefla par beaucoup de com-
pli-
PREFACE. XLïu
pllmens, de lui faire part de quelques-unes de
les produ6tions. Notre Poëte fe fit long-temps
prier , comme il arrive à tant d'autres qui
fouvent ont plus d'envie de les réciter & de
les lire, qu'on n'en a de les entendre. Mada>
nie, lui dit celui-ci, je vais fous le fecret (&
vous fçavez combien il ell indécent à un gen-
tilhomme de fe donner pour Auteur) vous ré-
galer d'une petite pièce de vers que j'ai com-
pofée moi-même fur ma dernière maladie ,
c'eft une Epître que j'adrefle à une femme de
qualité; qui s'y connoît, que j'aime, ÔC qui
me fait l'honneur de m'écouter;
Dans le temps de la. vendange,
Je fus prefque vendange ,
Et mon teint couleur d'Orange
En eft encor tout changé.
Madame la ComtefTe de Verteillac , ne put
s'empêcher de rire à ce début. Elle voulut
s'en excufer fur le plaifir que lui avoit caufé
fa penfée auflî jolie en elle-même, qu'elle lui
paroiffoit élégamment exprimée; & comme el-
le fçavoit du Latin, Monfieur , ajouta-t-elle
vous aviez fans doute dans l'efprit , quand
vous avez rimé un exorde fi pathétique , ce
bel endroit d'une des lamentations du Prophè-
te Jérémie, vindemîa eos^ftcut vmdemiajîi me.
Pour moi je fuis fort étonnée de l'adrefleavec
laquelle vous avez raflemblé tout ritbos & le
Fathos en fi peu de paroles.
Le rimeur demeura déconcerté par cette
\uv PREFACE.
érudition , qu'il ne comprcnoit guères , &
à "laquelle il ne s'actenJoit pas, fur -tout de
la part d'une Dame: Èc ne jugeant pas que
fcs lo,uanges fuiTent de bonne foi, il lui ré.
pondit quelque cbofe d'affez plat, & s'enve«
îoppa d'Aits Ton premier filence, qui dura pen-
duii: tout le refle du voyage.
La préoiction de Mr. Hanaud fe vérifia. Je
ictïouvai toute ma fanré dans ma Patrie. Une
enviée s'écoula dans cette retraite:
IpTs cavî falar.s Agrum tefludine amoretUy
L'ttore d-:fertOy dile&a Lutetia y micum ^
Te , ver.lente die , if , decsr.der.te car.ebam.
Je m'éfoignai encore de mes Dieux Péna-
tes. Ma defnnée m'appclla dans une Provin-
ce. où je devins la victime de la plus noire
trahifon qui fut au monde, de la part d'un
homme . qui paroiflbit m'airaer comme lui-
même. Cette hvAe avanture répandit un fom-
bre nua;ie , qui devoit couvrir toute la féré-
nité de ma vie, & je vis s'évanouïr rapide-
ment jufqu'à ridée même de la tranquili-
té commode, que j'avois fi long-temps atten-
due.
Cependant l'amitié de M. le Marquis deRo-
bien . Préfident à Mortier au Parlement de Bre-
tagne, de l'Académie de Berlin, vint me cher-
cher dans le lieu de ma naifiance , où j'é-
tois de retour. Il me propofa de partager fa
chaife de pofte, & de faire avec lui le voyage
de Paris. Cette occafion me parut trop agréa-
ble
PREFACE. XLV
ble pour la manquer. Je volai en arrivant
dans la capitale , chez mes anciens amis Mrs.
Titon du Tillet & Bonguer, qui furent d'au-
tant plus charmés de me revoir, qu'ils ne s'y
étoîent point attendus. Je vifitai mes autres
connoiitances. J'en fis de nouvelles, & fur-
tout celle de l'ingénieux & fçavant M.Fréron ,
Breton comme moi. M. le Marquis de Ro-
bien fe fit une fête de le connoître. 11 l'invi-
ta à dîner, & je puis dire que ce fut un des
hommes de Lettres, qui eut le plus de part
au chagrin que je relFentis en quittant fi
promptement la patr'e des Mufes S: des Arts.
Il m'arriva pendant nôtre féjour qui n'y fut
que de quatre m.ois , une Scène fi comique
en fait de Littérature , quelle mérite d'être
confervée. J'allai voir un de nos plus fa-
meux Poètes Tragiques. Je lui dis en con-
ver fan r, avec lui, que la vie turbulente, à
laquelle j'avoiâ été invinciblement ^ffujetti,
ne m'avoit point encore permis d'entrepren-
dre des ouvrages de longue haleine, que ce-
pendant j'avois en>7ie de me tourner défor-
mais du côté de la Tragédie. Il me pria en
m'interrompant, de lui dire quel âge j'avois,
comme s'il eût été queftion de m'unir par les
nœuds du mariage à quelque riche héritière.
Je lui répondis que j'achevois mon huitième
ïuftre. Oh, oh, me dit-il, à quarante ans
commencer à faire fa cour àlafougueufc Mel-
poméne, c'efi: s'y prendre de beaucoup trop
tard. Il faut pour ce travail tout le feu, &
tout le nerf de l'efprit, qui s'elt trop ramoj-
o 11,
XLVi PREFACE.
li , quand on a pafle fon printemps de fi loin,
Melpoméae ScrAmoui;, veulent de jeunes gens.
mais exercez-vous aux comédies. Il ne faut
à Thalie que du gracieux, du léger, du plai-
fant, le tout finement parfemé d'.un peu de
morale travaillée, & je vous répons du fuccès.
Je crus fcs avis de bonne foi. Cependant je
jugeai que pour ne rien faire avec trop de
précipitation, je ferois bien d'aller confulter
aufîî un célèbre comique avec lequel j'avofs
eu quelque relation de littérature & d'ami-
tié. Celui-ci me demanda à fon tour le comp-
te de mon âge. Je lui avouai a^c^lus de
facilité , que je n'eufle fait il y -«rquelques
années , en ma qualité de ftUe , que j'avois
mes quarante ans paiTés. Il n'eft plus temps,
me dit-il d'un ton grave & décifif, il n'eft plus
temps de chercher à coquetter avec la jeune,
& fringante Thalie. On n'a plus à vôtre âge
l'enjoûment & la légèreté nécelFaires pour ce
genre d'écrire. Mais choififlez le Tragique.
Vos odes ont de la force & de l'élévation.
Deux ou trois belles tirades fuffifent dans une
tragédie pour enlever les applaudifiemens du
Parterre.
Ces confeils fi dift'érens de part & d'autre, à
la manière des confukations de panurge, ne
fervirent qu'à me rendre plus indécis ; les ef-
fais dramatiques inférés dans ce nouveau re-
cueil , ayant été 'faits dans ma jeunefle , ainfi
que quelques autres, long-temps avant qu'il
me
PREFACE. XLVjr
me vint en fantaifie d'aller confulter mes dcuK
oracles. Je pouvois toutefois leur répondre ,
qu'étant plus âgés que moi, l'un & l'autre,
l'obftacle qu'ils m'avoient oppofé, étoit fans
fondement. Ils m'auroient répliqué fans dou-
te, que leur efprit ayant plus d'ufage, dans
le genre auquel il s'étoit livré, en avoit con-
traéé l'habitude ; à quoi j'aurois pareillement
répondu, que s'il avoit plus d'ufage il étoit
plus ufé & qu'après avoir richement doté des
filles ainées , il ne reftoit pas très-fouvent aux
pères de quoi établir les cadettes avec le mê-
me avant-ige. En efFet \e parierois, que fi
Corneille & Defpreaux écoient en étdt de dé-
cider la gageure, ils av'oûroient que ce qui
leur coutoit le plus dans leurs dernières pro-
ductions, c'étoit la peine defe fuir eux-mêmes,
pour s'empêcher de paroître leurs propres
imitateurs.
Je ne voulus point partir de Paris , fans al-
ler demander mon audiance de congé à M.
de Voltaire. Je le trouvai dans fon cabinet.
I me reçût, comme il l'avoit touiours fait,
îvec les marques d'une véritable afFeftion. II
Tie fit des offres de fervices, & m'affura qu'il
î.'omettroft rien de tqut ce qu'il pourroit fai-
rî pour m'obliger.
Je partis le lendemain avec M. le Marquis
de Robien ; &. quelques mois après mon arri-
vé? en Bretagne j'écrivis à Mr. de Voltaire,
qu m'honora de la réponfe qu'on va lire.
, Les fréquentes maladies , dont je fuis
"„ accablé, Monfieur , m'ont empêché de
♦ *♦
4 5. re-
XLViii PREFACE.
,, rc\noncire plutôt à votre profe & à vos vers.
,, M;.is elles ne m'ôtcnt rien de ma fenfibilité
,, pour tout ce qui vous regarde. Je nie fou-
,, viens toujours des coquetteries de Mile, de
5, Malcrais malgré votre barbe & h mienne,
',, & s'il n'y a pas moyen de vous faire des
,, déclarations, je cherche celui de vous rcn-
,, dre fervice. Je compte voir cet été M. le
,, Contiô'cur Général. Je chercherai mollia
,, fîindi lemp ra,&. je me croirai trop heureux,
,, fi je puis obtenir quelque chofe du Plutus
j, de Veifailles, en faveur de l'Apollon de Brc-
-rt. tagine. Pardonnez à un pauvre malade de
„'"ne pouvoir vom; écrire de fa main, |e
„ fuis &c. Voltaire.
Je ne produis ce nouveau titre, qu'afln de
prouver plus clairement la fidélité de ces mé-
moires. Je ne fuis point aifés vain pour ne
point fentir, qu'il y a plus de compliment &
de politeiTe, que de vérité dans les louanges,
que M. de Voltaire me prodigue. Je fçais ê-
tre équitable pour moi même; & je connois
en me les appropriant, le tort que je fero!s
à quantité de Gens de Lettres de cette Pro-
vince , dont je refpefte la fupériorité de l'ef
prit, & le mérite de l'érudition. Mais après
de telles affurances il me f^mble, qu'il ne de-
voft pas me traitter comme un inconnu dans
fa note, que je vais rapporter tou'e entiéie.
// y eût un homme de Bretagne qui s'avifn d'écrù
re dus Lettres à plufienrs gens d'ejh'h de Pars ,
fous le nom d'une femme. Chacun y fut attrapé,
^ cette méprife attira atte réponfe.
L'2-
PREFACE. XLix
LTÎpître, dont il s'agit, efl tronquée dans
ks Oeuvres de M. de Voltaire, & très-diffé-
rente de celle qu'il irt mettre lui iwéaic dans
le Mercure de Septeiiibre 1732. Elic fut im-
prin^ée fur ce modèle dans le recueil des poë-
lies de Mlle, de N'alcrais en 1735-. Cette Kpî-
tre dé Mr.. de Voltaire étoit effeftiveraent une
réponfe, mais â quelques vers que je lui avois
adreflees par !a voye du Mercure, & non à
une feule litine que je lui eulfe direétcinent
écrite à lui même. Ainfi il n'y a point de (in-
cérité dans fon npofîille.
Les louanges , que je lui donnai dans cette
occafion , furent l'cnet d'un renouât ilemenç
d'eftime , que j'éprouvai en lifant fon hiftoi-
re de Charles XII. mais fans attendre de lui,
m réponfe , ni préfent. Mille autres avant
moi ont donné dans les brochures périodi-
ques, de jufles éloges à des hommes illullres,
fans avoir d'autre but que le plailir de louer
ou des lalens fuperieurs, ou d'éminentes vet-
tus.
Je n'étois point encore forti de ma Provin"
eè, dans le temps , que je jouois le roi le de
Mlle, de Materais , & ne connoiflant Paris ,
que de nom , je devois probablement igno
rer , les quartiers & les rues , où logeoient
tous ces Mrs. les beaux efprits , qu'il cite fans
les nommer. Je ne pouvois donc leur écrire
fans fçavoir leurs adreffes , qui n'étoienC afru"
rément point aufîi connues à la pofle, que
celles de Mrs. ks Fermiers généraux. Je ne.
içùs même autre fois celle de M. deVokai-
*** 5 re,
L PREFACE.
re , que fur le récit de la renommée qui m'ap'
prit l'efpéce de culte , qu'il rendoit au por-
tail de S. Gervais fon voifin.
On addreflbit dans le Mercure aune De-
moifelle de Malcrais , qui n'avoitjamois exis-
té , des complimens rimes que je recevois.
J'y répondois par la même voye , & dans le
même ftile. Cela n'étoit il pas dans l'ordre?
Je demande à M. de Voltaire , & à tout au-
tre , s'il n'eût point agi comme moi , en pa-
reil cas. Je me voyois honoré dans ma foli-
îude d'ingénieufes politefles , de préfens de
livres , qui me venoient de tous côtés , &
dont mon petit cabinet étoit enrichi. De-
vois-je donc crier la trompette à la main , du
ron du Prophète de l'ifle des Orcades dans les
Lettres Perfannes ; ,, Citoyens tant de la capitale
j, que des villes de Provinces, vous êtes tous
,, dans l'erreur ; cette Demoifelle de Malcrais
,, que vous aimez , n'efl qu'une chimère ; le vé-
,, ritable auteur des hirondelles & des tourte-
,, velles,c'en: des Forges Maillard". Jecrois,
qu'il eiit été ridicule de prendre ce parti , &
qu'il étoit bien plus fimple de jouir du plaifir
xi'une illufion , qui ne faifoit tort à per-
fonne.
Le mécontentement que j'ai du procédé de
M. de Voltaire ne m'empêchera jamais, je le
répète, d'admirer les prodigieux talens de fon
efprit; & de dire que c'efl lui qu'on doit ap-
pelier ocuhnn orhk tirra & non pas Amplement
oceltum , titre que donnoit par vénération un
^rand Prince àFraPaolo, ainfi que l'a rappor
ti
P R E F A C E. Lî
té l'auteur de la vie de ce célèbre Vénitien.
Dira quejîo folo , ch' un grau Prencipe inandan-
do unjuo fi^liuolo in Italia , f^li commijj'o nel l'in-
jîmuione, chs non facejje failo di vifitarc oihis
terrœ ocelhun : dando quejîo titolo al Fadre.
Je n'ai point fait comme M. de Voltaire.
Je n'ai rien retranché dans cette édition , des
éloges que j'ai donnés à Tes grans talens. Il
dira que ma petite réputation y trouve Ton
compte. J'en conviens ; mais on remarque
des taches au foleil même; &la Huire, Tutel-
le hazardée , plait fouvent au lefleur , pki3
que ne le pourroient faire les louanges les
plus judement méritées.
La manière méprilanteque Mr. de V. affec-
te dans fa note , devroit m'être moins fenfi-
ble, puifque dans un endroit de fes hiftoires,
il l'a pour ainfi dire copiée contre le célèbre
& refpeaable M. liton du Tillet. Nous
fommes des hommes fans doute , mais vrais,
fmcéres , definterreffés , reconnoiflans ,
pleins de refpecl: pour les têtes couronnées,
fidelies pour nos amis , indulgens pour nos
ennemis; nous lui fouhaitons la même hu-
manité , & à tous ceux , qui comme lui ,
nous defobiigeront degaité de cœJr.
Il me relie à dire fur ce qui me regarde
perfonnellement dans ces mémoires , que non
feulement je n'éprouvai aucune diminution
dans l'ellime des perfonnes illuflres , qui
m'en avoient honoré , tels que Mrs. de Fon-
tenelle , le Cardinal Querini, RoulTeau, Né-
ricaut Deftouches , Réaumur , Racine, la
*** 6 Graa-
LH PREFACE.
Grange chancel , les Préfidens Bouhier & de
Montefquieu, le Marquis de St. Aubin, les
Abbés du Refncl 6c Goujet , Mrs. Dcflnn-
des , Taneror, Peflelicr , & plufieurs autres
perfonnes de grand mérite, mais même qu'ils
parurent tous ajouter à leur précieufe eftime
pour moi, après qu'ili m'eurent connu.
Comme le chagrin ridicule , qu'après M.
de Voltaire on a principalement fuppofé à M.
Deftouches, ne doit fon origine qu'à certains
railleurs, efpéce légère & folâtre , qui fourit
avec complaifance à Tes premières idées ,
qu'elle débite enfuite pour des certitudes: &
comme on a vu par les Lettres du premier,
que Ton amitié pour D. M. égala fon précè-
dent amour pour Mlle, de Malcrais , Je vais
entre plufieurs Lettres de M. Néricaut Der-
touches en rapporter une , qui appartient à
ma caufe. Elle prouvera que ce grand Comi-
que n'eût jamais contre moi le moindre reflen-
timent d'une tromperie, qui ne fut concertée
ni pour M. de V. ni pour lui , & qu'au con-
traire elle occafionna entre nous une union
folide , un commerce de cœur & de Littéra-
ture, qui n'a point eu d'autre terme , que ce-
lui que la nature prefcrit aux liaifons les plus
intime?.
„ Je vous félicite , Monfieur , de votre
jj'Tnifïïon, mais elle vous a conduit dans dé-
j, franges pays. Je fui? ravi que vous vous*/
„ foyczfouvenu de moi, & je vous en remer-
„ cie de tout mon cœur. Votre Lettre m'a fait
,5, d'aut mt plus de plaifîr, que je commençols
■ ,, à
PREFACE. irrr
à me perfiiader que vous m'aviez tout à
fait oublié. En quelque lieu que votrâ
fortune vous conduife , ou vous fixe ;
comptez que vou;; aurez toujours en mai
un ami très dévoué, & prêt par conféquent
à vous en donner 1rs preuves les plus ef-
fentielles , f\ elles font £n mon pouvoiV.
Ne m'épargne?, point, je vous prie, quand
vous aurez occaflon de me mettre à l'épreu-
ve, & croyez qu'on ne peut être plus fenfî-
ble que je le fuis aux vœux que vous faites
en ma faveur ; fi les miens pouvoient être
exaucés, la fortune ne vous conduiroitpas
fi loin de nous. Elle vous écabliroit à Pa-
ris comme vous le méritez; & je iouirois
du plaifir tant dcfiré d'y avoir un illufîre ,
& excellent ami, avec qui je ferois char-
mé de pnlTer une partie de ma vie. Voilà
très fincérement comme je penfe fur votre
fuiet. Si je ne vous ai pas répondu plu-
tôt , c'efl que votre Lettre efl arrivée à
Fortoifenu, depuis que j'en fuis parti, pour
venir palfer ici quatre ou cinq mois , &
qu'on ne me l'y a envoyée , que depuis
quelques jours. Il eft vrai , Monfieur ,
que mon defi'ein étoit de donner cette an-
née Vbomme fiiigîtlier , mais l'indifpofition de
Mlle, Gauffin , qui y devoit jouer un rÔIe
confidérable , a retaidé jufqu'à préfent la
répréfentation de cette pièce, & félon l'ap-
parence m'obligera de la remettre à l'année
prochaine , de forte que je me propofe de
m'en retourner dans ma folitude, où mes
*** 7 ,, écii.
tiv PREFACE.
„ études me rappellent. Si vous voulez m'y
„ donner de temps en temps de vos nouvel-
„ les , vous m'obligerez infiniment. Car je
5, vous protefte qu'on ne peut être avec plus
„ d'efiime, de paflîon & d'attachement, que
„ j'ai l'honneur d'être, Monfieur, votre &c.
,, Deflouches.
Si je ne craignois de faire un gros volume
d'une préface, je tranfcrirois ici pluficurs let-
tres de beaux efprits & de favans , dont les
témoignages honorent mon retour à mon pre-
mier féxe. Je ne dois point oublier qu'étant
allé , avec M. Titon du Tillet , faire ma
première vifite, à M. de Fontenelle, qui me
reçût avec cet air de politefle , ces manières
d'honnête homme , qui peignoient fi bien fa
belle arae , nous lui fimes mille inftances en
[^quittant , affin qu'il ne prît pas la peine de
defccndre pour nous conduire. Que penfe-
roit on de M. de Fontenelle , dit- il en fe
tournant vers moi , fi l'on fçavoit dans le
monde, qu'ayant été honoré de !a vifite d'u-
ne iilufire demoifelle , il l'eût laiflee defcen-
dre fans lui donner la main jufqu'à la porte?
M, Piron dont il n'efl: perfonne qui ne con-
noifleles talens fubliines, enjoués & naturels,
nefe mit point au nombre des amans de Mlle.
de Makrais , mais ce déguifement fournit à
fon imagination le fujet de fa A'jétromanie,
comédie admirable , dans la quelle il me met
. en fort bonne compagnie. J'étois dans le
Parterre à la première repréfentation de cette
-pièce. On s'entrenoit de moi & de mes ou-
vra-
PREFACE. LV
vrages, fans me connoître, les uns en bonne
part les autres difFéremment. Je les écoutois
avec un phlegme philofophique , chacun
ayant la liberté de fe façonner à fon gré uii
fentiment, qu'il eft pareillement le maître de
produire. Il y avoit d'un autre côté un hom-
me d'efpric de la ville de Nantes , avec le
quel i'avois été lié dés le collège. II prêtoit
l'oreille à ce qu'on difoit de moi ; & fe mê-
lant à la converfation , Meffieurs , leur dit-
il , je fuis fort ami de cette DHe. Malcrais»
dont vous parlez,' nous avons même couchés
enfemble plus d'une fois. Mlle, de Malcrais,
répondit un d'eux , efi: donc une fille d'une
Vertu.;., arrêtez, reprit mon ami; nos nuits
ont été aufïï chaftes , que celles que paflbienc
enfemble Socrate & Alcibiade; quand le mê-
me Ht recevoit le maître & le difciple , & le
bien heureux Robert d'ArbriiTel ne fut jamais
plus continent , quand pour s'éprouver dans
un nouveau genre de martire, ilcouchoit en-
tre deux jeunes nonains fraîches comme Hébe
& belles comme Venus.
C'ell ainfl qu'on jouoit à la fois deux co-
médies, l'une fur le théâtre, & l'autre dans
le parterre. Cependant il s'éleva une tempê-
te de battemens de mains, la toile tomba, &
le moucheur de Chandelles achevoit fon offi-
ce , quand le Nantois fe féparant de fes in-
connus, les laiflTa courrir après le mot de l'é-
nigme , beaucoup plus embnrrafTés qu'ils ne
l'étoient avant cette rens ontre & cette farce
d'autant plus rifible , qu'elle n'efl point ima-
ginée. J'ai
LVi PREFACE.
J'ai compofé « comme on le voit , grand
nombre de pièces détachées en tout genre,
foit en vers , foit en prore. L'ennui de ma re-
traite, le caprice , l'idée, le plaifir de faire
ma cour à des perfonncs d'un rang diflingué,
d'entretenir leur connoilTance , & celle de
mes amis , les occafions les ont fait naître
dans les intervalles de loifir que me laifToient
des occupations néceflaires & d'autant plus
pénibles , qu'elles éioient plus étrangères à
mon goût. Mais peu fortuné fans ê;re avare
je n'ai jamais fait trafic ni de profe ni de ver?.
Mes Libraires m'ont fait préfent de quelques
exemplaires , dont j'ai été fatisfait , les plai-
gnant des périls, où les expofoit une douteu-
fe efpérance , en imprimant mes amufemens
à leurs frais.
J'aurois fort fouhaité, qu'il m'eût é'é pofîî-
ble d'èire prefent à cette édition , avantage
que je n'eus pas non plus , pendant que ia
précédente fe faifoit à Paris en i"50.' on a la
vue meilleure dans ce moment décifif, & l'on
découvre dans cette fituation critique des dé-
fauts échappés à la chaleur ou à î indolence
de la coTpofition. Quelque légers qu'ils
puiffent être, ils refTemblent aux graviers,
qui le rencontrant fur un terrain applani où
l'on joue , empêchent les globes roulans de
couler avec la même facilité , & les détour-
nent même du but , où l'œil & la main'vou-
loient les diriger.
11 efl des chofes qu'on répète fans y penfer ,
quand on traite les mêmes matières de loin à
loin;
P R E F A C E. Lvii
loin; c'efl: ce que j'ai fait en-e^tant un paHage
de l'EccIéfiafte dans les remr.rques fur Owen,
fans me reflbuvenir que je Tavois déjà placé
dans une Lettre de littéiature à M. de Vol-
taire.
La diflance des lieux , & mes affaires qui
demandent refidence , m'ayant retenu dans
ma Patrie , je chargeai de mes manufcrits M.
de la Mwque , fils d'un riche négociant de
cette ville , jeune homme de beaucoup d'ef-
prit qui s'embarquoit pour Amfttrdam, Je
le priai de les remettre à M. d'Orvilie qui y
profelToit avec célébrité l'éloquence, & l'hif.
toire. M. le préfident Bouhier m'avoit au-
trefois procuré fa connoiffance; mais la
nouvelle de fa mort , dont je fus très
affligé , me fit écrire à M. de la Marque,
pour ie prier de confier mes manufcrits à Mrs.
Schreuder & Mortier, Libraires très eflimés,
& qui font honneur à leur profefîion. Je les
JaifTai maîtres de choifir ce qu'ils trouveroient
le plus de leur goût , parce qu'ils avoient un
intérêt réel à plaire à celui du public.
Je fens qu'en cet endroit j'allois céder à
l'envie de dire quelque chofe des ditFérens
ouvrages qui font entrés dans ce volume, û
je ne m'apperce\^0!s à propos que ce feroic
tomber dans le défaut que j'ai reproché aux
fiiifeurs de préfaces , car enfin écrire, & placer
à la tête de fes ■icr<f<:a^<; cbs livres , des dif-
cours , des diflftrtations académiques fur la
nature , & le genre des Ouvrages qu'on mec
au-
Lviii PREFACE.
au jour. N'efl ce pas dire fccreteinent à cha-
que Lefteur , Voulez vous décider avec
équité, iincne & precifion ? Faites le d'après
les régies que je vous trace. C'eft de là que
vous devez partir, pour airiver furemeat au
temple du goût.
Cependant je prie le le£leur de vouloir
bien me pafler deux chofes. Premiercincnc
les détails dans lefquels je me fuis cugagé
pour donner de la fuite à ces mémoires , où
tout eft vrai , & pour me rendre au but que
j'ai d'abord eu en vue. Secondement l'habi-
tude que j'ai , & dont le principe eft dans la
nature, de ne manquer jamais roccrifîon de
rendre jufticeau mérite de mes amis. 11 n'eft
point de fatisfadion plus touchante, te plus
douce pour mon ame , que celle de publier
leurs bienfaits , la reconnoiflance eft le Dieu
de mon cœur.
J'efpère auffi que M, de Voltaire , que je
îie ceiFerai jamais d'efhimer , & dont l'ancien-
ne amitié me fera toujours bien chère ne s'of-
fenfera, ni de ma fenfibiiité à fon indifférence
marquée , ni de ma rétiftance à foufcrire à
fonapoftille. S'il étoit pofiible qu'il en con-
çut quelque refTentiment, la fupériorité de fon
génie l'étoufFeroit bientôt , content de dire
avec noblefle comme Alexandre dans Quinte
Curce , bellum cum fceminis gerere nonfoieo , ar-
matusfit oportet qiiem oderim.
!" Cette préface , & ces mémoires , reflemblent
à une converfation dans laquelle un fujet en
^ amène
-s
PREFACE. Lix
amène un autre , & dont un mot qui s'en
écarte par hazard , fournit matière, comme
dans les EfTais de Montagne , à des propos
tout à fait difFérens de ceux qui les avoient
précédés. Achevons donc une fingullère, (k.
longue bigarure, dont i'étendue fera plus iuf-
tement mefurée par le plaifir ou l'ennui qu'el-
le aura caufé à mes leéleurs.
Et j*m tempui equum fumatiiia/olvere colla.
Virg. Georg. a.
TA-
T A B L E
Des Pièces contenues dans.lc
T O M E PREMIER.
E Pitre DcJicatoire à. Mgr. de Machault,
Garde des Sceaux de PVance, &c. Pag, x.
L'jhis XiF. , ou la Gloire de Louis XIV.
perpiituée dans le Roi ibn fuccelPeur. 5.
ODES.
Ode I. L& ParmJJe François y à M, Titon
du Tillet. 13.
— — . II. . à. M. de Voltaire , fur fa Hen-
riadc. 18.
— — III.^ Au Roi de Prufle , fUrfes premie-
res Conquêtes. 20.
• IV. La Beauté, à Madem. *•". 25.
— — V. à la Venu. 29.
— — VI. Sur la Maladie ^ la Convalefcence
du Roi. 41.
■ VII. V Jjlrologîe Judiciaire , àM.Def^
landes , &c. 45.
■i— VIII. L'Orgueil. 49.
— • IX. Sur l' Immortalité chimérique qu'on
attend des Ouvrages d'efprît , ^ fur l' Incon-
fiance des Grands. 55,
. X. à Mr. Bertrand, &c, 59.
XI. La Fièvre, à M. Chevaye. 63.
Ode
TABLE. LXi
Ode XII. La Mort. Pag. 68.
XIII. Sur la Mort de S. A. Mgr. le.
-Comte de Touloufe, &c. 73.'
XIV. à M, de Lizardais, &c, 78.
Les Mufes à l'ombre de Rouf'
82.
Le Tabac. 88.
ù M. Tiion du Tillet. 90.
Remerciment à Mrs. de l'Aca-
• demie Royale des Belles-Lettres de la Ro-
chelle. • 93^
XIX. Le Retour d'AJlrée , à M. le
Maréchal de Lowendal. 96.
_ XX. à M. Deflandes , &c. fur la
mort du Père de V Auteur. io5.
XXI. à M. le C. *** de M ***., &c.
fur rufage des Rîchejfes. m.
— XXII. en profe , à M. Houdart de
la Mothe, de l'Académie Françoije. 116.
— — XXIII. en flrophes libres, faite par un
défi, ^c. à M. Meyiiot, 120.
■ I I XXiV. Qîi'un autre afpire aux dons ché-
riSf ^c. _ 125.
E P I T R E S.
Epitre l. à S. A. Mgr. le Prince de
Conti. 127.
.. II. à M. le Marquis deRobien,
&c. 132.
III. à M. Bouguer, de l'Académie
Royale des Sciences de Paris, &c. 135.
I iV. En réponfe à M. de la Sori-
niere,
LXII
TABLE.
niere , de l'Académie Royale d'Angers.
Pag. 139.
EriTRE V. Au R. P. du Cerceau , Jé-
fuite. I5<^«
. VI. àM. Greflet, &c. 152.
— VII. à M. d'Arquiftade de St.
FulgeiK, Confeiller au Parlement de Paris.
ISS-
.— — - VIII. à Mercure. 158.
. IX. à M. Titon du Tillet. 164.
. . X. Au même par Madame Des-
forges Maillard. 170.
XI. Au même par Madame Des-
forges Maillard. 172.
XII. à M. de Morinay , Gentil-
homme ordinaire de la Chambre du Roi.
173.
-— XIII. à M. d'Aiguillon , &c. fur
fon Cordon Ueu. 174.
. XIV. à Madame la DuchefTe de L.
176.
XV. de l'Auteur à fa Femme le
premier jour de l'an. i33'
XVI. à M. le Comte de la Motte-
Jacquelot, Confeiller au Parlement de Bre-
tagne. 187.
XVII. à M. de Mont-Luçon, Fer-
mier-Général. 191.
XVlIi. Philofophique à M. de Vol-
taire. 197'
XIX, Philofophique à M. Neri-
caut Destouches, de l'Académie Françoi-
fe. 21 s.
Eh-
TABLE. LXiii
Epitre XX. à M. le Chevalier de Solignac,
Secrétaire du Cabinet du Roi de Pologne ,
&c. Pag. 226.
-^ XXI. à M. Ganeau , Libraire de Pa-
ris. 230.
îv'oNUMENT d'Ejîme ^ de Vénération à la Mé-
moire du Préj'ident de Montefquieu , &c.
232.
Vers fur la Mort de M. de Fontenelle, &c.
^33.
. fur la NoUeffe dont le Roi a honoré les
fervices de IHlluflre M. Morand , premier Cbî-
nirgien de la Reine, ^c. 235.
. . ■ fur ce que M. de S échelles a remplacé
dans la Charge de Contrôleur Général des Fù
«awcw M. de Macliault, &c. 235.
■I fur ce qite le Roi envoya le Bâton de Ma-
réchal de France à M. le Comte de Coetlogon.
ibid.
CONTES.
Le Menteur ^ fou Valet. 239.
Le feint Organifle. 240.
Le Peintre Efclave. 244.
Les franches Repues. 245.
Confultation pour la Migraine, 246.
Claudine malade. ibid.
Les Crochets. 247.
VIII. Le Serment. ibid.
IX. Le Cierge béni. 248.
X. La Bannière. ibid.
XI. Le Tefîament du Curé, 251.
CON-
LXIV
TABLE.
Conte XII Les Dindom & Epiute Dédica-
toire à Jéroboam Malchus , Capitaine desOa-
Pag. 252. 254.
Les Forfanteries, 258.
Le Muet jiijlifié. 260.
Le Tombeau de la Virginité. 26:.
L'Habit verd. 262.
Le Paradis terrejlre. ibid.
XVIII. Le Coup defujil ma?2qué. 263.
XIX. Mépris de l' y^rcbiteÙure ancien-
ne. 2(54.
——XX. L'Oraifon pour la brûlure, ibid.
— XXI. jugement de Peinture. 265.
— — XXII. La Force du Naturel. ibid.
— XXIII. Le Difficile. 266.
IDYLLES.
Jdylle I. Le Paradis Perdu , à Madame
de Bocage. 267.
■ II. Le premier Age du Monde , ou
le Siècle d'Or; à M. de Montandouin de la
Touche. 273.-
«' III. Les Arbres, à M. de Perard,
Chapelain du Roi deVruJfe, ^c. 277.
■ ■ V. Le Printems. 283.
»— . IV, Les Tourterelles, à Madame Des-
houlieres. 286.
' " VI. Les Hirondelles , à Madame la
Comtefle de Verteillac. 289.
■ VII. Les Coquillages, à M. de la Ro-
que , Chevalier de l'Ordre Militaire de St.
Louis, ^c. 294,
Idyl-
T A B L-^ Ev Lxv
liîTLLE miL\'MktU è^,:Aly!',.kM. de F^m-
• ciielle, &c..'Mi ;;> ^.ni:;. : ' :. ;~-2g9.<
• 'i^_> LèVvyàfie (kr Amour Ci dLL.U-jt.
.-mn^ à Madame' de Mondoret du Croific.
Elégie. Te/ qu'aux bords du Méaudre^c 305.
io E S 1 E S A N A C R E O N T I Q U E S. '
f^'Ai. :" -..'J ".■■■/. r .'/'.: ■'''.: .)P'.0,... :-iC) .^.- ..,,
I-.Vi ^ /-l^^oariittsii MademoifeUé &*,■> :.. %Q().
Ilis:; A Madame de Hallay. .-31*0.
Hf.il. ^j^Mademoifelle Salle, ■.P^ftmmixM
LV:?. A Mademoifelle G3î(i7î«. ^. i^i^.
V. 53'/^)^V, au fond d'un bccage , çj'c. " 312.
VI. Ddux Maiieanx., tui heaîijs/ur, ^c, ibid^
VII. L Amour , m badinant ^ l^c. 313.
VUL ?^rtwf éiiour de: ldimaQ'<Çlim^Jie-., ^c- ih'
iX-: .Cocf irsportoi], ^c.^/} M -„ SU».-
X.C-. Chanfon fiir les Vidouîes ,du. B.oi, par
- -I^âïame Desforges Maillàrdh :\ 315*
XI..-; Suf l'air /?i/ie>'^eri cie noire F2//r7g5 31.3.
Xlli Sur l'air Aimable Vainqueur .,,^c. 3 1 9*
XIII. Sur l'air Iris ports le.Diîu du vin, (^
' aM-d^ Oyibîre. ., . , 320,
XIV. Sur l'air /e Pare Daminîque. (s'£. . 321.
XV. A. M. Titon. du Tilles, pair Madame
. Deêfô'rges Maillard; fur l'air Aimable Vain-
.' qùewt^ ^c, - 322.
SON^NET.
Sonnet I La Défaite de la Paiisnce de Job. 323.
Tom. I, ♦♦"*=* So:<-
Lxvi T A B L E;
Sonnet II. à M..TitoQ du Tillet. Pag. 324.
■ III. à Madame du H**..- , .3?;5.
■ M. IV. à M. lé Marquis de , Ver-teillac.
ODES.
Ode à M. Titon du ïillet/«r la mort du Perc
Vaniere, Jèfui^e. -..3*Z»
1 en ftrophes libres à M. Titon du Tillet,
■'fur la mon de M. de Largiliere, Peintre cé-i
•' letre. i' \ .1 . \ 32^^'
i:.: — en (irophes libres < à VoccafianÂe^a morti,
■ de. M. le Préftdent Bouhier , de T yJcadànie
Franpije. ''-.-:'':■ ■ 330.'
E P I T A P H E S.
, . -v .A'J
EriTAPHE I. du P. Brunioy , Jéfoite. 33X»'
X II. du Maréchal de Berwick. ibîd.:
,-. , - IlL du Maréchal de Vil lars. . 332.
., IV. de Mad. l'Héritier de Villîn-
don, de V Académie de Touloufe y ^c. 333.
V. du Frère Hilarion Capucin, à
M. deP. . . A. . . Conjeiller du Roi, ^c,
, I VI. d'un prétendu Bel-Erprit.'337.
VII. d'un Singe. 338.:
:— VIII. d'un Lion. ibid._
— — — . IX. xi'uaMarquis Petit maître, 339,
_...— X. d'un Comédien François. 340.
— — XI. d'un Comte. iùid.
XII. . d'une Dame de la Cour. 341.
■ XIII. d'une Coquette. ibid.
i XIV. d'un Homme univerfel. 342.
Epi-
TABLE. Lxvii
Epitaphe XV^ d'un Abbé. 342.
■ XVI. d'un riche Prometteur, 343.
■■ ■ ■ XVII. d'un Seigneur très-glorieux.
'-.i;s . : • i' • " ibid...
m XVIII. d'un'Mari qui avoît eu cinq
Femmes. • 34<3«
»^ XIX. d'un Parafite. 344»
I XX. d'un mari & de fa Femme. 344.
FABLES.
Fable > I. Le ^Soleil Êf les ■ Nuages , . à M.
■ dé la Tour, &c. • 345.
i*— t II. Le Soleil-^ ie Manant , à M.
Bonamy , Médecin. -■34<î.
— — III. Les Lapins. 347.
_ IV. Le-Cbat ^ le Singe. • , • 1345^^
I. V. Les deux Chiens. . 35 r.
. ■- VI. .La Qiitue du Cheval. 352.
■ " ' ■ VII. La Mk du Setruïier ^fon
Ffere. -/- ' . : 353.-
. V m. La Femme S l(^ Mouche. 354.
■ IX. Le Mécontent. . ' 355.
»—..» X. LesEnfans ^ l'OJier. 355.
■ XI. Le Loup, Gouverneur. . 357.
I ; '>■ XII. Le Fleurijîe,^ les Curieux. 359.
— XIII. Les Rats ^ le ISfavîre. 260,
,— • XIV. L'Hoimne, la Mouche ^ l'A'.
' rai'gnêe. 364.
■— XV. Le Blanc ôf le Nmr. • 3(55.-
— XVI. L'Aigle ^ la Pie. ibid.
•• XVII. L'Alouette, devenue veuve. 365
— — XVIII. , L'EcreviJJè ^ Ja Fille. Pag. 367.
*— r XIX. . Le Moineau^ la Fareuette.s6g,
^ <¥ ^ ^ 2, 17*
l:xviii T.i A.I B L E.
EXBtE XX. Le.Çbmquitp^rnflai^ifQ^be.^ù^,
.-.ittnx. . .: vjr:=' : !r/ij .i. ... — 37Qi
J. ,'.,",• XXir. Le Lion, à qui on^ aruirle une -
dent; à'M. le G!oin!;e;de Ço/nuliçr da.YiX-,
•nay, &c. , . 372.
^ XXIII. Le Shtgeis^ le M.rroir. 3.75.
— -XXiV. Le JP<îe«,, h.^Dindm fef JflU^^fflU.
toe. ..,.,. ■ 377.
XXV. La Fauvette ^^Hes Oifeatix ja-
.'louk ,ràM, àe Bourn **,..ceielri'!Cbiru}^ienà-
.-Nnntes. .: ■ . : riTcl âT)8.
Vers à Mv (te Morinày , Gentilbomme OrdinaL^
. re,de la Chambre du Rci. %i ,vn::j: 380.
GANTAT ELSiiT
Cat^ate \. .fwdct NaiJJance de Mgr. le Mue,
. de Bourgogne;. •'-■ ' \ .'i -3^1-
,,m~m l\. Uirciik ^ Omphhle.r ; 32 j«
II» . ■■■ ■ ML IIypefm?ici(ire. ' .;; / 386-
■>■ '■ ■ ■ IV. L'Hyyer. 3S9,
^ " V. L'EpbiiX moiimik 392..
1^ VI. La Rofe. 394,
Voyage i/5.Pa»?i £72 Bretagy^e^'à M. le Mar--
quis de Robien, Piéfidentà Mortier au ■Far-
.\kvieiitde BretognSf^c,^ -\ . .'/. -^6,
,-'■ -^^ /li '. - j^ \::> -. A i;A .]]- ' - -
Les Libraire? demandent de UndHlgence pour .
quelques fautes d'impreflîon qui fe font
glîffëes par ci par-là , & prient le ledeur de
■ vouloir confuUer l'^rrata, qui eftàia Un du
« fécond Tomeï -■> ' • *^'^ - - "•
'*^* A MON-
A MONSEIGNEUR.
DE MACHAULT,
GARDE DES SCEAUX DE FRANCE,
MINISTRE GENERAL DE LA MARINE.
TVi" 1 N I s T R E que Tljémîs a formé dans foiî
^^^ Temple, _ '
Pour fervir aux mortds ^ de t^uUle ^ d'exemple'.
Et dont les grands talens font . dans Jon jnjle choix ,
Admirer le plus grand (^ le meilleur des Rois;
M A c H A u L T , quand ta bonté , par nn fecours
propice ,
Vient d'un ajlre ennemi corriger le caprice ,
li s\'kve en mon ame un femiment vainqueur
Qui m'excite à louer ton Efprit (jf ton Cœur.
Mais en vain , poiir répondre autranfport qui m'anime.
Ma Mufe te prépare nn tnbm légitime;
Tant de rares vertus fufpeudant fou- defir ,
Elle admire enfilence, ^ ne fçait que choifir,
jiinfi dans nos jardins l'Abeille vigilante
Rencontrant dès l'Aurore unémail qui l'encbantùi
On la voit au-deffus lo?ig tems fe balancer.
Voltiger tout auprès, fans pouvoir fe fixer.
Pénétré toutefois du beau feu qui m'infpire,
M A c H A u L T , en ton honneur , je voudrois fur
ma Lys
A - £.v-
f E P I T R E
JExprîmer des accwds qnon n'eût point enteiidus.y
Et qu'un fiielle Echo neîa pas dc-jà rendus.
Mais quand Apollon même , échauffant mon génie^
M'eût en naijjant comblé des dons qu'il me dénie ^
Gravé dans tous les cœurs ton Eloge fans fard y
Efî riche de fou fond, plaît ^brille fans art.
Croirai-je cependant que mn Mufc attentive
Se taifefans retour fur ta Sageffe aclive?
Oii n'a point éclaté, par d'illufires effets^
Ton zèle pour ton Roi, tes foins peur fes Sujets f
Le Hainault^ à jamais refpe&ant ta mémoire.
Portera jufqu'aux deux ton mérite ^ ta gloire;
Et de fou Bienfaiteur, un H-jmne folemnel
Vantera la fageffe ^ l'amour paternel. ( i )
Le Monarque des Lys foudroyoit dans la Flandre ^
Renverfoit les Cités, mettoit les Forts en cendre ;
Vainqueur à Fontenoy, des nombreux bataillons
Dont le limon fanglant engraiffa les filions^
Ce Héros t'envoya mille illuftres vi&imes.
Dignes du nom Fratipis , Combattons magnanimes^
Qiù revenoient percés de cent coups glorieux
f)uepaya chérejnent le Germain furieux.
Là
(i) M. deMachauU etoit Intendant du Hainault,
en I74Î , lorfque le Roi gagna la fameufe bataille
de Fontenoy, Se s'empara de plufieurs Villes confi-
dérables de la Flandre. Après cette bataille, on
envoya à valenciennes, Lieu de la réfidence de M. de
Machault, un grand nombre d'Officiers & de Soldats
-blefles. Il apporta tous fes foins pour leur foulage-
ment &leur guérifon, & y fut vciitablemenc i'ami
dt l'Offiiitr b' ie pert du Si/ldat»
D E D I C A T 0 I R E. J
■Là tufervis ton Prince, aitt mit que dans laguc-rre
Le fervoient nos Céjars, affrontant le totmerre.
Tu prêtas aux blejès tous les divers jecours
Qiii poiivoieitt renouer la trame de leur: jours
Et le Sûkil jamais ne borna Ja carrière
Que ton zèle autour d'eux, ne portât la lumière.
J^mi de l'Officier, ^ père du Soldat;
Honnête-homme par goût, ^ fans chercher Véclat^
Là tes mains aiiffi-tôt s'oîivroicnt à l'indigence ^
Ici de ta maifon s' épandoit l'abondance ,
Trévenante , féconde , au gré de leurs befoins:
Etfouvent tes faveurs échappoient aux témoins.
Le récit de tes faits vint charmer le Monarque:
Le haut rang qu'il t'offrit en fut l'illujire marque:
Mais il fçut qu'à fin choix tu voulais, t'excufant^
Oppofer le défaut d'un fçavoirfuffifant.
O noble viodejîie! Oii trouver l'homme rare
Qu'enfes détours fuhtils l'amour propre n'égare^
Et qui, de tes talensfe pouvant honorer,
Machault, à ton exemple ofe les ignorer ?
LOUIS te connoijfoit : fajufie confiance
S'accrut ^s'affermit par cette expérience;
Et pour te l'exprimer par un gage certain,
'Ce Roi victorieux t'écrivit de fa main :
Témoignage éclatant , où le Ciel fit paraîtra
Tout le prix du Sujet dans les bontés du Maître,
Qji'ilfçut bien s'applaudir d'avoir jette les yeux
Sur un Miniflre aimé, fçavant, judicieux!
Mais quel charme puijjant a fait couler ma
veine?...
Cédant avec tranjport au pe7ic}Mnt qui m'entraîne ,
A 2 J'ai
/Ç Epître dedîcatoire.
J'iii commencé, Machault, à tracer dans
mes Fers
Une efqui[Je , un crayon de tes talens divers.
Mécène bienfaifant , pardonne à mon audace :
Favorable à mon cœur , « mon ejprit fais grâce.
La Candem , doux lien de la Société ;
La Science, toujours fidelle à l'Equité;
La Grandeur fans orgueil , rhéroïque Confiance
Tiennent dans ta Maifon , des droits de la Naiffance :
Et fi je n'ai rien dit de tes nobles ^yeux^
C'ejî que , pour te parer , tu n'as pas befoin d'eux.
"Je t'offre mes Ecrits ; accepte leurs hommages :
Un fenl de tes regards vaut mille autres Juffrages.
yîu Temple de Mémoire, é mon plus grand SojUien !
Mon mm ne peut voler guefur l'aile du Tien. 1
LOUIS
LOUIS QUINZE,
o u
LA GLOIRE DE LOUIS XIV,
Perpétuée dans le Roi/on SiicceJJeiir.
F 0 E M E.
QUAND LOUIS, rempliflant l'arrêt des Dc-
ftinées.
Eut achevé le cours de fes nobles années ,
Et que par mille exploits, ce Héros glorieux
Eut été dans l'Olympe admis au rang des Dieus;
Xfi France avec effroi , de fa perte touchée ,
Sa lance à fon côté, fur fes palmes couchée.
Serrant fon bouclier qu'elle arrofa de pleurs,
Aux rives delà Seine exhala fes douleurs.
Je ne le verrai plus, il eft mort, difoit-elle,
C« Roi , que l'Equité propofa pout modèle ;
As Louis,.
(5 LOUIS Q^UINZE,
louis, fous qui Turenne ég.ila le Dieu Mars,,
Qiii fit fleurir les Loix, ]e Commerce & les Arts;
Dont le bras, terrafiànr la Difcorde 8c la Guerre,
Aamena l'heureux calme attendu fur la terre :
Me rendrez-vous jamais ce c]ue je perds en lui ,
Dieux cruels?.. . En ces mots éclatoit fon ennui.
Quand l'air brille autour d'elle, & lui montre la Gloire
Qui defcend fur un char conduit par la Viâoiic.
Prance, ditlaDéeflè, e'catte tes foupirs.
Et celTe de former d'inutiles delîrs ;
Tes murmures plaintifs, tes cris, ta défiance.
Des Dieux, tes Protecteurs , outragent la puifTance.
Viens, prends place avec moi dans ce char lumineux,,
ït tu verras bien-tôt qu'ils ont comble' tes vœux.
La France , à fon afpeft , d'un doux tranfport émûc :
Ift-ce vous ? ou les pleurs ont-ils troublé ma vue ?
Non, mon cœur me raffUie; & je vous rcconnois,
Aftre, qui pre'fidczau bonheur des François :
J'accepte votre augure. Elle dit. Le char vole
ïlusTÎteque la foudre & les courfiers d'Eolc;
la roue ouvre la nuë, & les globes divers
Semblent fuir après lui dans la plaine des airs.
Un rare objet fufpend fon vol fur l'Arabie.
le Phénix, fatisfait de cinq fiécies de vie,
S'y dreflbit dans un bois, fur l'arbre le plus grand.
De caiielle & de mirrhe un bûcher odorant.
De fa touchante voix les accens agréables
Invoquoient du Soleil les rayons favorables;
Et du vent de fon aîle, en regardant les cicux.
Se pieûîuit d'allumei ce bûclici piccieux*.
Cet
F 0 Ê M E. r
Ctt Oifeau magnanime , unique en Ton efpece,
Termina dans Ja iîimme une illuftre vieii'eflè.
Quand de fa cendre vive il fort un autre Oifeau:
11 e'gaîe fon Père, eh fortart du berceau,
Dit la France. L'un d'eux peint l'objet de tes larmeSj
Ae'pond la Gloire; ôcl'autre appaife tes allarmes.
A ces mots le char fuit, lancé vers les climats
Ou Califto réi^and la neige & les frimats.
Là, d'une tour d'airain le redoutable faîte
Brave, au milieu des flots , la foudre & la tempête,"
L'immenfe Eternité, mère & fille du Temps,
Creufa jufqu'aux Enfers fcs premiers fondemens.
Cet édifice altier, noirci par les orages,
Eft couvert au-dehors d'un rempart de nuages.
Défendu tout autour par un affreux rocher
Dont (amais les mortels n'oferent approcher.
D'un dur & triple acier la porte renforcée.
Par Saturne & la Mort richement hérilTée
De diamans infciits, & par Vulcain douéî,
lait gronder, en s'ouvrant, cent verroux enroues.
On voit dans ce Palais des talifmans antiques.
Des anneaux conftellés, des tableaux fymboiiques ,
Cylindre, horloge, prifme, aftrolabe, cerceaux.
Des oflemens de fphinx , des crânes de corbeaux.
C'eft là que le Deftin foule aux pieds fceptres, mitres.
Deux livres effrayans fur deux vaftes puj)îtrcs,
Dans un tas monftrueux d'innombrables feuillets.
Des fortunes, des noms font les recueils complets.
Ici s'offrent aux yeux & la honte & la roue ,
Là lesmarqcies d'honneui> que la Juâice avoue;
A4 Les
't LOUIS QUINZE,
Les flcriles Vertus & les Vices féconds.
Et lis plaifirs fi courts, !k les ennuis fi longs.
Sufpendue à la voû-e une aâive Bslancc,
Péfe de l'Univers tous le* forts par avance .•
Dépendant f!e lui ftul, ce qu'il a compaflc,
Wcme par Jupiter ne peut être effacé.
Da fommet d'un donjon il fait parler les Aftres,
Des bonheurs apparens, des effeflifs défaftres;
Et cent & cent flarnSeaux qui ne s'ufent jamais,
'éclairent au-dedans ce terrible Palais.
JMais ce n'eft point aflez de Neptune qui tonne
Dans les écueils profonds, que l'horreur environne.
Deux Dragons immortels que Python mit au jour.
Satellites bruyans , font la garde à l'entour-
La Gloire cependant, courageufe, affùrtc.
Les arrête , éblouis de fa fplendeur facrée.
Elle entre avec la France, aborde le Deftin,
Et lui tient ce difcours plein d'un charme divin :
Maître abfolu du Sort, rallumez l'efpe'rance,
Qui languit & s'éteint dans le corur de la France.
Son Sceptie dans ce temps , vous nous l'aviez piomis^
Au plus grand de fes Rois devoit être remis.
L'infaillible Deftin, qui fçavoit leur venue.
Branle fa longue barbe Sx. fa tête chenue.
Sous des fourcis épais roule des yeux perçans.
Et commence en ces mots fes Oracles puifTans.
Mes fecrets enfoncés dans une nuit profonde,
lufqu'à l'événement dorment pour tout le monde;
Mais la France m'eâ chère. Il découvre un miroir:
î>.egaide, En eft-cc aflez pour te rcndxe i'efpoir ?
De
p 0 E M e: -p
De- mille clairs rayons la France eft cblouîe.
O- grand Prince ! ô Sageflè! ô Valeur inouie!
Elle voit la Chicane, écumante, aux abois;
La Police afTcrvii la Licence à Tes Loix;
ie fertile Commerce enfanter l'Abondance;
Les beaux Arts & la Paix fignaler leur puiflance ;•
La Guerre lui livrer Philisbourg furieux,
Sur les rives du Pô fes Lts viilorieux.
Forte ici tes regards, dit la Gloire charme'e,
louis veut à lui feul devoir fa renommée
11 attaque, il foudroyé Ypres, Furne? , Menin ,*
Fait voler la terreur fur l'Efcnut & le Rhin.
Mais qu'apperçois-ie? ô Dieux ! dit la France fiific:
JLl expire... O grand Roi !.. Ne crains rien pour fa vie.
Interrompt le Deftin: le mal fi< fes accès
Ne feront que prouver l'amour de fes Sujets.
Confiderc l'accord qui règne entre les Parques, -
Pour filer d'heureux jours au Phénix des Monarques-.
Elle jette de-là les yeux vers Fontcnoy:
Gloire, en Soldat, dit-elle , as-tu changé mon Roi?
Sa valeur pour te plaire affronte la tempête.
Le tonnerre, Louis, gronde autour de ta tête;'
Mars feroit effrayé des périls que tu cours.
Ton fang efi à ton Peuple; ah ! ménage tes joufs* ,
France, méconnois-tu, dit la Gloire attentive.
Une Divinité, qui fît naître l'Olive,
Pallas , qui près de lui , fon Egide à ls,main.
En écarte la mort & les foudres d'airain ?
Mais quel jeune Lion fuit fa noble furie?
C-'eft, apiès lui, l'efpoir, l'amour de fa Putiic,,
A î Rc-
lo LOUIS QUINZE,
Répond le fier Deftin ; c'eft le digne Héritier
Du Trône le plus beau qui foit au monde entier ;-
Les délices, le foin de fon augufte Mère,
L'Elève , 6c quelque jour le Rival de fon Père.
Tournay , Btuxelle, Oftende, Ath, Oudenarde,,
Gand,
La Flandre cède enfin: Louis eft un torrent.
A Raucoux , à LawfFeIt, fon feul Nom vous renvcrfe, ,
lîatave,Anglois , Germain ; h frayeur vous difperfe.
Vous, qui gonfles de fiel, enflammés de couroux.
Du bonheur des François fûtes toujours jaloux,
Vous fuyez , oubliant votre audace perfide,
Comme un troupeau de cerfs fait le chafleur rapide.
Vois-tu, reprit la Gloire , au grand arc des Héros
Son Exemple former ces nombreux Généraux;
Et tels que de hauts Pins, leur Confeil formidable
L'entourer, comme un Cèdre aux vents inébranlable ?
Chartres, Clerraont, Conti, Dombe, £u,Penthie*
vre, Harcourt,
Noailles, Villeroy, Soubife, Balincourt,.
Belle-ifle,Maillebois, Coigny, Brancas, Tonnerre,
Ifenghien, Richelieu, Luxembourg, Scnefterre,
Ions, Mirepoix, laFarre, Houdancoutt , Langeron,
Duras, Gramraont, Eouffleis, Chaxoft, Chaulnei,.
Eiron; *
Et
* Parmi les PetPinnes illafttes qui font nommées dans ce
loëme, ou y voit tous les noms de iVIelTieuis les JMaréchaux
de France vivans en 1749, ceux de Meflîcurs les quatre Ca-
pitaines des Gardes-dii-Cotps , deMeffieurs les Capitaines des
Gendarmes & des Chevaux- Légers de la Garde , & de M. Ic
Gdo&d, du ftégimeat dçt Gardes Ftançoifv:.
POEME. II
Et cent autres encor , que la valeur fîgnaïe.
Mais que de Morts fameux dans la barque fatale !
Caron avec regret les pafle à l'autre bord.
Ne plaignez point leur fang, leur dit le Dieu du Sort;
Sous le fer ennemi chaque goutte épanchée,
Eft d'un fleuve fumant aufll-tôt revenchée.
La France les admire , & dans fon embarras ,
En comptant les Héros , compte jufqu'aux Soldats.
Mais qui font ces deux Chefs, dit-elle avec fiiiprife?
Ils femblent étrangers. Tu ne t'es pas méprife ,.
Liii répond le Deftin. C'eft Saxe & Lowendal ; y
Ils ont, loin de chez toi, rcfpiré l'air natal ;
Mais François de defir, le cœur qu'ils font paroître,
L'éclat de leurs exploits les rend dignes de l'être.
Kaucoux enfanglanté, Bergopzom abattu.
Rendront dans tous les temps hommage à leur vertu.
Dans fon cœur toutefois ton Monarque s'atHige
D'employer les rigueurs , ou fon Sceptre l'oblige ;
Mais ces jours teints de fang, néceflàires horreurs,
D'un temps plus fortuné font les avant-coureut».
Regarde dans ce fond fe lever cette Aurore;
Elle annonce un Soleil plus agréable encore;
riore, en lafaluant, exhale fes parfums,
Eole met aux fers fes Sujets importuns.
Vois fe fuivre,en tournant , ces Colombes légeies,
Sans craindre des Vautours les griffes fanguinaires,
Et s'entredécocher des baifers , dont les jeux
Rendent même jaloux ces Moineaux amoureux?
Venus, avant le temps, règne fur la Nature;
Ce* Arbres étonnés ont repris leur parure :
Ai En.
12 L^UIS Xr, POEME.
Entends ces Roflîgnols , voltigeans, réjouis^
Chanter les jours heureux du fiécle de Louis;
Et Tois enfin la Paix, dans fes dons libre 8c jufte,,
Xe couvrir des Lauriers d'Alexandre & d'Augufte..
La France eftconfolée à ces objets rharmans,.
Et fes regrets font place à fes raviiTcmens.
Là fc tut le Deftin , & les céleftes Sphères
Applaudirent enfcmblc à des faveurs fi chères.
Alors le rideau tombe ; de roulant fur fes gonds,.
La porte fait mugir la mer aux environs.
Le char eft déjà loin; & la trace qu'il laiflc,.
Imite le fin on , qu'une illuftrc De'eflè,
D'une goutte de lait e'chappé de fon (ein ,
Dans les Cieux blanchiflans imprima fans deflèin.
De fon retour heureux, tirant un fûrprefage^
Xa Seine le revoit fondre fur fon rivage.
Ses Nymphes, à l'afpe^ de ces objets nouveaux,
Qiùttent, en fe jouant, leurs palais de rofeaux.
Se tiennent parla main, bondiflcnt fur i'arêne ;
Saf cet éTcneraent interrogent leur Reine :
Et d|un commua accord, du nom de Bien-aime',,
Ce Roi viâoricux cft par elles nommé.
E RANGE, auprès de L.OUIS mon penchant
me rappelle,
Xui dit enfin la Gloire; & fi, toujours fidelle,
]e fus du grand Eoukbon la lumière & l'appui,.
So.n SuçceiTeui partout me verra devant Lui.
QDJE^..
mm
î> *ï
^ — '
—
^ ^^^^
tt?^
t
X
1
•>
f§
i
k
X
^
^
4
^
V^JL
ODES.
O D E I.
LEPARNASSE FRANÇOIS..
A M. TITON DU TILLET. ♦
.XxRcHiTECTE famciiXjdont la fjavante main
£leve un Monument en l'honneur de la France;.
La ma/eftc pompeufe , l'exqulfe élégance.
Se prêtant à l'effort <fe ton Art fouverain ,
Ont poli la matière, & réglé l'ordonnance
De ton Edifice divin.
Sans avoir épuifé lies deux bords de l'Hydafpej
Ton adreflê a charmé notre goût & nos yeiuc ;
• Voyez la note à la £d de cette 04e > E3g. I?-
Tm, J. ' - A 7
Et
14 ODES.
Et ton Ouvr.ige précieux
Ternit l'éclat divers du porphyre 8c du jafpe.
Ce monument tranfmis à la poftcrite'.
Des temps impétueux bravera les outrages;
Delà flamme & du vsnt il fera refpcfté;
Et jufqu'aux derniers jours qu'auront les derniers âges.
Ton nom vi6lorieus fsra par-tout vante. ; :
Jupiter même en vain voudtoM re'diùK en poudre
Ces coteaux -triomphans des ligueurs des hyvers;
Les durables lauriers, dont tu les as couverts.
Les garantiront de la foudre.
L'ingénieufé Antiquité
fit palTet /ufqu'à nous, d'un ratnaflè, Invente
L'image ambitieufe eii (on cerveau tracée.
TlTON, j»ar un fecret qu'qn «'avoit point tente,.
iSçait faire à la fable étlipfée,
Succédei la le'alité.
Lcshabitans du Pindc écartent l'ombre noire,
Qiii des terreftrcs demi- Dieux '
Tâche à couvrir les noms d'un voile injurieux;
Et des dents de l'Envie arrachant leur tneaioire'.
Leur ouvrent la porte àes Cicux.
TlTON , quel honneur doit donc fiùV4fr
Tes incomparables travaux?, c :;*:,},:. .
Tu redonnes la vie à ceux qui foiit revivre
Les humains qui, bravant les dangers & les maux.
Ont eu la ?alem pour Egide,
Et
ODE S. îS:
Et que le mérite folide
Donne aux Dieux mêmes pour Rivaux.
Mais quel charmant Tpeftacle eft offert à ma vue?
Un Groupe incrufté d'or fe forme d'une nue ,
Des cignes argentés t'eiilevant dans les aiis,.
T'y font un trône de leurs ailes ;
Le Ciel , la Terre en feu répètent leurs concerts.
Tout s'anime aux doux fons de leurs voix immoitellcs»
j'entends des inftrumens divers >
Je vois la Mufique & les Vers,
S'.iccorder à l'envi pour célébrer ta gloire ;
Et du brillant fommet du Temple de Mémoire^ .
La répandre aux deux bouts de ce vaile Univers.
Le puiffant Proteéleur des Boileaux, desCtorneilIes,,
Du Fils du Grand HENUi le vaillant Rejetton,
Qui toujours attentif aux fçavantes merveilles, ,
Anima les Auteurs, récompenfa leurs veilles.
De ton Parnaffe eft l'Apollon.
Sou Royal Héritier, ni moins grand ni moins bo», ,
Formé du même fang, fuit fon augufte trace;
A peine a-t'il parlé, que le cruel Démon,
Dont le fceptre de fer épouvante la Thrace,
Baiffe , épris de refpeft , fon fanglant pavillon,.
Je vois de fiers Géans que fa force terraffej
Et le Vice infolent , à fes pieds abbattu ,
Implorer , plein d'effroi , la modefte Vertu.
Sous fon Régne fécond les beaux Aits fruftifient;
A déàichei letu champ lui>mcme il prend plailir,
TobS
\txs 0 D E s:
Tous les Sçavans s'en glorifient.
Le Ciel en le créant couronna leur defir:
îi eft l'honneur, l'exemple &: l'amour de la terres
Les Peuples différcns que fon contour enferre.
Sont jaloux du bonheur qu'on goûte en nos climats.
Minerve cft fon fîdcle guide;
Et portant fon grand nom gravé fur fon Egide,,.
L'annonce en précédant fes pas.
Du cœur de fes Sujets il a fait la conquête.
Trataillez, des neuf Soeurs dlligens NourrilTons 5^
Célébrez fes vertus; fa main cft route prête
A répandre fur vous la douceur de fes dons.
Cioiflez fur la double colline.
Jeunes & tendres Arbriflsaux :
Le fleuve fe déborde, & fa fource divine,,
Qiii fait reverdir vos rameaux ,
Vous. inonde déjà du tréfor de fes eaux.
Ah ,^ Ciel! fi tu daignois féconder mon envie»,
On verroit fe mêler le feu , l'air & les flots ,
Et tomber aveceuxla Terre enfévclie
Dans les entrailles du Cahos ,
Avant que le cifeau de l'affreufe Atropos
' Coupât la trame de fa vie.
Mais fi l'inclémence du Sort
S'attache obftinément à brifer la barrière
Que notre jufte zèle oppofe à fon effort;
Dieux! permettez qu'avant de perdre la lumière, ,
11. fomniflc deu.x fois l'éclatante cairietc
Dr
O D Et 17
De ce Roi conc[uir?nt (t) dont la rapidité ;•
Surprit dans fes marais le Batave indompté ;
Qi^ii pouvoir dominer du Couchant à l'Aurore,.
S'il n-'eût enfin lui-même arrêté fes progrès;--'
Et que nous pleurerions encore,
Si de fou Succefleur, que l'Univers adore.
Les talens infinis n'étoufFoicnt nos regrets.
Alors, maigre la Farque, au Temple de Mémoire,
Entre les bras de la Viftoire,
Très de fon Bifayeul notre Roi volera ;
Aflls au même rang, fur ce Mont il verra
Ce Valois renommé , 2 } , qui , chaflant de la Fiance
L'orgueilleufc & folle Ignorance,
fut le père Se l'appui des Arts qu'il illaftra ,
"Et qu'excita la récompenfe.
Que ne pcux-'tu , Titon, vivre encor Jufqiics-Ià!!
Sultan magnifique ParnafTe,
Tu lui décemerois, de cette infigne place,
L'honneur dont l'Equité par ta Toix ralïijra.
: . , .. ODE"
Le ramafle François: élevé en bropzc, a la eltire de la
France, de Louis le Grand, & des illuftres Poètes & fameux:
MiiGciens François, déctié an Roi , pàrîM. Titoh du Tillet,
Maître d'Hôtel de feu2, Madame la paqphijie mère du Koi;
a.idei». Capitaine d''I.!fnntetie &''de . Uragonç, ComnrifT.iire
Pî'^vincial dcs,GueiTes; desi.Acadëmies dos Jci» Floraux de
Tuuloiifc, d'Angers, de M:.rlèi]le, es la Rùthclie, ds Bori
dcaux, de Lyon, (5e Caën, de Rouen, de iMontaulian, ^
de celles dellft Cnsfa & des^U ^ircadi. M. Titorr, qui a. fait
exécuter ce bel Ouvrage à fts dépens, en a douni la Detiip-
tion en un vol. in-fol. d'environ looo pa^. crue de plufieurs
Vignef-tes & Eftampes, qui contient l'Hifloire des Poètes &
des Muficiens F ran.;ois ; avec des Reinarques fur la Poi-lie,
jc la Muilque, & fur l'origine & le piogrés des Speitncie»
tii France. „
(;r) Louis XIV. (2) Françofs Pxeffiieiv " "^ .
■Tm. 1.
iS ODES,
O D E IL
^ M. DE VOLTAIRE^
Sur sa Henkiade.
For fit an fi fe levibus fufurrU
Vana viElricem fore turha crédit ^
Crédit incaJJ'um; tua na^iq^ue Udi
Nejcia fama.
Pind. Pith. Od. 2.
I vE laurier le pîus beau. Volt aire, ceint ta tête:
Ta veine à couler toujours prête ,^
Dans UQ fentier fcabreux s'épanche avec fuccès.
Ta féconde jeunefle enfante une œuvre imnienfe^
Achevant un Art, dont la France
Ke vit que de foibles eflais.
Du Chantre d'ilion la fuperbe Patrie >
L'antique & moderne Italie^
ÎJous vantent des Auteurs qui revivent en toi.
Partes foins immortels, par ton illnftre audace»
HENRI, le grand Henri furpaflè
Achille, Ene'e» & Godefroi.
Tel qu'un large torrent, dont la vague indomptée;
A bonds fougueux précipite'e.
Dans les champs étonnés porte au loin la terreur;
Tel y tu peins la Difcorde irritant les allarmes,
Paiis cédant au fort des armes.
Le feu, la faim, la mort, l'horreur.
Tel qu'un charmant ruiflèau dont l'onde vive&pure,^
£xcitatu un iîmple muiiDuie,
Se
ODES, If
Se gViGe à flots légers fur un tapis de fieurs ;
Tel, tu peins, vaiie', les tranfports, la tendreflcj
D'un Amant & d'une Maîtrelle,
Enyvtés de folles douceurs.
De quel vif fcntiment mon ame eft-elle cmnCj
Lorfque tes portraits à ma vue
Se montrent dans deux vers cadences & précis ?
C'eft ainH quelquefois que l'adroite PeintufS
Sçait dans l'exaâe Mignature,
De fon Art renfermer le prix.
Sublime, ingénieux, un jugement folide
Eft par-tout ton fidèle guide.
On te voit en fon lieu placer la Fittioni
Et prudent, tu retiens dans les juftes limites
Qu'Horace &c Boileau t'ont prefaices,.
La (implicite d'a(fbion.
Cependant contre toi la Critique animée.
Veut jufques fur ta renommée
Etendre les rigueurs de fes injuftes loix ;
Quoiqu'en fes noirs defleins fa haine perfe'verej.
Tu feras toujours, tel qu'Homère >
VainquCHi des Zoïtes François,
Leurs efforts contre toi deviendront inutiles;
Méprife ces Rimeurs ferriles ,
Dont l'Apollon craintif mefure tous fes pas;.
Stdont l'efprit berné, croit que la Poëlîc
Doit, comme la Géomctiie,
î^allex jamais fans ua compa;»
^.
ODE
20 0 'D E S.
ODE III.
AU ROI DE PRUSSE,
SCR SES PRBMIERF.S C O N Q^XJE STX Si-
Si tltults tr.Hofque tues numerare veîimui y
TaHa prémuni anr.cs: Pro tt, ftiriijfuve y-Jita.
Puhlica fufcipimus
V^Uel eft donc ce psmpeux fpeftade.
Qui fur la terre & dans les Cieux».
Tar l'éclat d'un nouveau miracle
Enchante les cœurs & les yeux ?
L'Olympe s'allume & fe dore
Bes feux de la plus belle Aurore
Qu'on vit fortir du fein des flots;
Apollon, Mars & la Viftoire,
Sur un char conduit par la Gloire,.
Couronnent un jeune Héros.
Voilà ton Ange tutélaire,
Reconnois fon illuftre Appui ,
Prufle: ton Aiglon fort de l'aire.
Et tout fuit d'abord devant lui.
Dans les Etats de Tes Ancêtres,
Aflervis fous d'injufles MaitreS ,
Rétabliflant fcs premiers droits,
FREDERIC armé du tonnerre,
Eait voir que Thcmis fur la terre
Soutient U cvii%. des grands I\.ois.
Gou«
0 D E S, 21
CoHvcrt de fumée & de flamme,
Valcain , dans les antres d'Etna j
Forgea la redoutable lame
Que Mais lui-même te donna.
Ton Nom , tr-. marche triomphant*
Glaccnc l'ennemi d'épouvante.
Pallas devance tes drapeaux;
Et roder j le long de les rives,
Laiffe fuir fes Nymphes cr.iintiveS)
Et t'admire dans fcs lofeaux.
rias fort qu'Alcide 5c !a Fortune,
Et dédaignant un nombre égal ,
Il te faut deux palmes en une,.
Et plus d'un Héros pour rival,
ïar-tout oïl ton glaive étincelle,
La Mort combat, le iang ruifielle.
Tout tombe au devant de tes pas;
Et le Hongrois qui mord la poudre.
Croit que tes yeux lancent la foudre,
Et qu'ils enfantent des Soldats
Mais la Victoire cil hors d'haleine;
Le Temps s'étonne dans les airs
Qiie fcj ailes puiiïent à peine
Suffire à tes exploits divers.
Peuples, que Frédéric tcrralR,
Neméfis contre votre audace
Sert les loix que vous méprifez;
Et vous reproche, e'chévelée,
En Te jettant dans la mcice,
Le
:22
ODES.
le fang dont vous vous épuifct.
De l'antique Métempricofe
Dois-je embraflei les fentimens.
Et l'expérience qu'oppofe
Pithagore aux raifonneinens? (i)
Xes ans à l'humaine machine
Livrant une guerre inteftine.
Et brifant fes fubtils reflbrts,
L'ordre établi par fon fyftême
Veut quel'amue, toujours la même^
Ke faflè que changer de corps.
Eft-ce donc du Vainqueur d'Atbelie
L'efprit qui te vint animer?
Ou celui, dont Cinna rebcle,
Vit la colère fe calmer?
Ou plutôt l'un Se l'autre enfemblt,
Dans ton ame qui les alTemble ,
B.épandent-ils un feu nouveau?
Mais que dis-je ? exemt de leurs vicCJ,
Tune fais voir dans tes prémices,
■Que ce qu'ils eurent de plus beau.
Souvent un Trintemps agréable
Eft fuivi d un Eté fangeux ;
£t fouvent Ceiès plus aimable^
fi^ ï^fe *go C""" metnini) Trojani tempore belU
Paotboïdes £ufhoibus eiam.
Ovid. Mc6
ODES. 2$
Remplace un Printemps orageux.
Ombre changeante Sx fugitive,
L'honame de cette alternative
Eprouve le bifarre effet.
Prenez divers temps de leur vie;
Ncron\& l'Epoux de Livie
Formeront un Prince parfait.
L'un, en commençant fa carrière^
Annonçoit (îes Soleils heureux;
Et parricide , incendiaire ,
Devint bientôt un monftre affreux.
1,'autre, effaçant de durs préfages..
Fit fucceder aux noirs orages
La plus douce férenité.
Héros, fans douteux intervale,
La Vertu d'une courfe c'gale
Te porte à l'immoitalite.
Loin du fentier des Rois timides.
Que la molle indolence endort.
Et des Ty-ans de fang avides.
Cruels miniftres de la mort ;
Tu penfes que le Berger fage
Reçut la houlette en partage.
Pour conferver fon cher troupeau;
Et non pour aller à toute heure
Chercher au fond de leur demeure
Les Loups en paix loin du hameau.
Défends doqc, Ptince magnanime,
L'Hc-
24 ODES.
L'Héritage de tes Ayeiix.
De la vengeance légitime
La Caurcc eft même chez les Dieux.
Mais (le'daigne ce Roi d'Lpire,
Qui, non content de fon tmpire.
Et brûlant d'ctendie fon nom,
pletrit follement fa mémoire,
Et n'a mérite dans l'Hiftoirc
Que le titre de Vagaoond.
Soit que fur le char de Bellonne
La Vaillance expofe les jours ,
Ou que l'Olivier te couronne,
L'amour des Arts te luit toujours.
Cliriftine, fous un ciel de glace.
Fit fleurir 1 s dons du ParnalVe ,
Sa cour fut ouverte aux neuf Soeurs.
Doué des talens les plus rares,
Tu les pre'viens, & leur prépares
A Berlin les mêmes douceurs.
Dans leurs Archives immortelles,
LesMufcs, fur le diamant.
Gravent des images fidelles.
Qui durent ctetnellement.
Le grand LouiS.'à fes Orphces,
Doit les rayons , donc fes trophée*
Erapperont nos derniers Neveux;.
Et fa juftc munificence
Signala fa reconnoiflaiice
Et l'cftiine qu'il faifoit d'eux.
ïJen-
I
ODES. t^
Bien-tôt s'éclipfe le mérite
D'un ConqucrsHt dans le tombeau,
Si Phe'bus qui le reflfulcite,
N'en retrace un vivant tableau.
Tes lumineufes deftinées
N'ont point des jaloufes années
A craindre les obfcurs retours :
Nouvel Achille, dans Voltaire,
Tu trouveras un autre Homère;
Et vos deux Noms vivront toujours.
ODE IV.
L // BEAUTE.
A MADr. M01SELX.E**.
^_ Eaute', fubtil poifon de l'ame.
Qui nous enchantes 8c nous perds,
Tifon dont la rapide flamme
Embrafa cent fois l'Univers;
Quel Dieu vengeur, quel coup de foudre
Réduira les Autels en poudre
Oîi ton Fantôme eft encenfc;
Et déchirant ton diadème,
T'abattra de ce rang fuprême
Oîi t'éleva l'homme infenfé ?
Aux yeux furpris , toujours mafquée ,
Tu montres d'aimables dehors;
7«w. /, £ Vne
26 ODE S.
Une ame interdite, offufque'c,
t Cède fans peine à tes efforts.
Mais par quelles lâches foiblcffcs,
Jar quelles indignes baflefles ,
Faut-il acheter tes fivcurs !
Impéiieufe, tu ne donnes
Le prix honteux de tes couronnes
■Qu'à des captifs & des flateurs.
Tourment des cœurs , trompeufe raere
Des dangereux & faux plaifirs,
Vaine 6c féduifante chimère^
Ta nous confumes en dciîrs.
L'impatiente Jaloufie,
L'Efpoir craintif, la Fanta'fie,
L'Audace aux projets efFtcnés,
L'Effroi, la Guerre à l'œil funefle;
L'Adultère, & l'infâme Incefte,
Sont tes cnfans infonunës,
• Que de batailles, que d'allarnjes.
Quels maus, quels crimes enfanta
Le coupable encens, qu'à tes charmes
Le Fils de Priam préfenta!
Sa Patrie aux flammes en prove,
Sous'rheibe la faraeufe Troye
Vit anéantir fon orgueil ;
Et Pyrrhus bouillant de colère.
Du meurtre du fils & du père.
Paya ton infidèle accueil.
A tongrè, ton pouvoir perfide
Pro-
O D ES.
Troduit des changemens divers;
Le Héros le plus intrépide
Languit, amolli dans tes fers.
Annibal marche au Cap tole.
De viftoire en vicloiic il vole;
Rome fe livre à la terreur.
Tu parois, ton afpeil l'arrête;
Il abandonne fa conquête.
Et tu triomphes du Vainqueur, *
Par toi la Raifon rcTolte'e
S'emporte en excès odieux.
Quelquefois, lionne indompte'e.
Ses mouvemens font furieux :
Qiielquefois rampante, captive.
Elle eft languiflante Se [ilaintive.
Toujours yvre de ton po,fon.
Ainfi, de toi feule obfcdée.
De fon trône elle eft dégradée.
Et celTe d'être la Raifon.
Un feul homme en renverfe mille,
Par toi feule il eft abbattu;
David te voit , David fragile
T'immole toute fa vertu.
Son
* On regrettoit l'abondance de Capoue. On fengeoit aux
Maîtrefles, lorfiju'il f.iUoit aller aux- Ennemis. On languiT-
foit des tendrefTcs de l'Amour, quand il falloit de l'aftion &
de la fierté pour les combats. .9. F.zremond, Réflexions fur lu
i/ivers génies du l'étiolé Roinain , cb. VlU
--"■ B z
28 ODES,
5on Fils trompé par ton adrcfle.
Tombe, du fcin de la SagefTe,
Eu des égareriiens honteux;
Et de Jean, qj'enfiamme un faiat zèle
Contre une chaîne criminelle,
La tête eft le prix de tes jeux.
Confulte-t'on le goût folide.
En formant d'amoureux projets ?
C'eft le caprice qui dccide
Du prix des differens objets.
Tel de fon ame irapétueufc
Suivant l'ardeur vo'uptueufe,
Croit te trouver dnis la laideur;
Et cette difforme Rivaie,
Qui te brave & qui te rrivale.
Sur toi remporta plus d'un cœur.
Amas de pouffiere Se de boue ,
De quoi peux-tu t'enorgjeil.it ?
On t'adora; mais on te joue.
Quand tu commences à vieillir:
Au moindre mal s'e'vanouiflcnt
Les faux charmes qui t'embelliffeutj
Tu n'es p'us comparable à toi:
De ta fierté la Mort fe vange.
T'enlève à tout âge , & te change
En objet d'horreur &: d'effroi.
Volage & folle Coutiifane,
Qii'accompagne la Vanité ,
Cefle , Siwulacie prophaiic >
D'u»
ODES. 2p
D'iifurpet le nom de Beautc*.
L'ame feule a droit d'être belle,
Pure, huiîible, à Tes devoirs fidelie;
Voiià fes folides appas.
C'eft par-ià qu'à jamais virante.
Sa beauté refte triomphante
Du temps, du fort & du trepaSr
'*»
Enfin vous êtes ohéif ^
Cleoeuline; b" mon pinctau
De la Beauté qu'il humilie ^
yous expofe un triJU tableau.
Mais fi la Beauté q^e j'ojfenft^
Fit fur vous couler l'excellence
J)e fes dons les plus gracieux i
L'efprit divin qui vous anime y
Change en homynagc légitime
Celui qu'on rend à vos beaux yeux.
O D E V.
A LA VERTU.
Nohititas fota efl atque unica virtm .•
PauluSy vel CoJfuSy vel Dru/us moriius efto.
Juv. Sat. g.
V Ei^TU, dont la fource de flamme
Coule de Ja Divinité' ;
Toi , qui conduis une belle ainfr
3 3 Pans
3.cf ODE S.
Dans le fentier de l'Equité r
I Defcends de la voûte azurée ,.
Viens de ton haleine facrcc, »
Souffler la force dans mon cçeur;
]e vais confondre ta Rivale,
Dont la bouche aux humains fatale ,,
Les charme fous un nom tiorapcur.
rat toi la Noblefïe enfantc'e,
.Ne pouvoit fubfifter fans toi ;
fat elle toujours confulte'e.
Tu la voyois fuivre ta loi :
Mais depuis, fiers d'un vaia titre «
Elle-même devient l'arbitre
De fes plus injuftes projets;
Et fon audace qui t'affronte,
Dédaigne ton joug, & te compte
Au rang de fes moiadres fujets.
Enflés d'une coupable gloire,
Qiii n'appartient qu'à vos Ayeux,
Offrez-vous tous à ma mémoire.
Mortels, qui vous croyez des Dieux,
Examinons fur quoi fondée,
Une ptéfomptueufe idée
A tendu vos efprits G. vains.
Efclaves infenfés du Vice,
Peut-il, au gré d; fon caprice,
Vous mettre au-defTus des humains?
Qti'entends-jc ? à mes regards la Terre
Va't'elle eiitr'ouvrir les Enfers?
Le
ODES. 31
te Ciel lance-t'il le tonnerre,
Qiii doit ernbrafer l'Univers ?
Non, c'eft un char qu'à toute bride
Fait voler un fou qui le guide.
Tout s'ébranle au loin fous nos toits.
Ou cours-tu, jeunefic effrénée?'
Le Dieu qui punit Salmonée ,
N*eft-il plus jaloux de fès droits ?
Se'pulchre au dehors magnifique,-
Dtfpouille ce riche appareil;
Et qu'un Pauvre à l'efprit Stoïque
Prenne un habit au tien pareil.
Sans démentir fou caraftére.
Il fe conferve un coeur fincére,
Un noble, un modefte maintien.
Fût-il couvert du Diadème,
Un fage en tout temps eft lui-même;
Et toi fans l'habit tu n'es tien.
Mais qu'encor rampant dans la fange,
Cet efclave à l'air impudent,
Avec toi falTe un tel échange,
Et qu'il devienne indépendant;
En un inftant il s'approprie
Ta fierté, ton effronterie,
Son front altier brave les Cieux.
Les fleurs fous fes pas vont édore,.
Il croit que la Terre s'honore ,
Sous un fardeau fi gloxiecx.
B 4 ' Dars
3^ ODES.
Bans le honteux excès qu'il loue ,.
Indignement enfeveli,
Un autre à Bacchus fe dévoue.
Et met tout le refle en oubli.
Ses débauches n'ont point de trêTe>
Les vignes épuifen: leur fève
Tout fournir à fes longs repas.
Semblables à ceux du Lapiihe,
lis traînent fouvent à leur fuite
Le noir defoidre & les combats.
Le vin fut le matbre luiflelle ,
Tout devient armes fous leurs mains ^
La rage impudente étincelle
Sur leurs vifages inhumains ; ^
D'affreux débris couvrent la terre;
Vidimes d'une folle guerre,
L'un de l'autre attaque le flanc;
Er deux fois expofant fa vie,
Le Duel court à l'infamie,
Qii'il acheté au prix de fon fang.
Yvreflè , ô toi qui d'Alexandre
Souillas les brillantes vertus.
Tu mis Perfépolis en cendre;
C'eft toi qui poignardas Clitus.
Ton Ombre ténébreufe égare
L'efprit fans bouflbie & fans phare;
La Rai fon pâle a difparu.
A tes flots pefans l'homme en butte
De l'obfcur iiiftinft de la brute
Se
ODES, 33
Se trouve à peine fecouru.
Paroiflèz, Ombre magnanime.
Du tiiomphanc Fabricius.
Paflez le Stix, Ame fublime-
Du fobre & vaillant Curiuy.
Montrez-vous, Diftateur féve're, *■
Vous qui d'un fils qui dégénère,-
Punîtes les dcbordcmens :
Venez aux Nobles de notre âge.
Apprendre combien leur langage
Diffère de vos fentimcns.
Cet autre qu'un penchant extrême-"
Aiïervit au Démon du jeu,
Maudit le fort, le Ciel, foi-même;.
Roule, ctonné, des yeux en feu.
Le foir linfortuné protefte
De quitter le jeu qu'il dctefte;
Serment par la fureur didé I
Le jeu qu'il hait 8c qu'il adore,
DP.main voit fes Autels encore
Eumer d'un encens infedé.
Sa pertes fans ceflê entalTées, ^
Comme en des abîmes profonds.
Des Terres pat les fiens laiflees,
Engloutiflent bien^tôt les fonds.
Il
*■ Le fils de Q. Ciiicinnatns ayant ^té {bavent repris pat
les Ceofeuis ,. pour la mauvaiie vie, fun peie le Ueibé{ita.-
B S
34 ODE S.
Il prend par-tout à ttiple ufurè,.
^Epuife un Vafla! qui murmure
D'un fnng dont il eft altéré;
Tant qu'enfin vendant fon Domaine,,
En proye au Démon qui Icntiaine,
11 meurt pauvre Se dcfcfpéié.
De cent chiens les voix confondues
Au bruit des Trompes & des Cors,
Font au loin retentir les nues;
Les Fctcs tremblent dans leurs forts,
Rcpindant par-tout les allannes.
Ce fou, de fes Vaflîux en larmes
Gâte les chr.mps enfemencés:
Dans les filions l'herbe cft foulée;
, Et Cérès pleure échéveice
Des travaux mal lécompenfés.
Toi qu'engendra l'impure écume,,
parmi les flots tumultueux.
Venus, combien ton feu confume
De ces Paris voluptueux !
Efféminés Saidanapales,
Trodigues Héliogabales,
-Ils t'obéiflent fans effort.
Vils Flateurs, brfilans Idolâtres
Des dévorantes Cléopàtres,
Le crime en fon fcin les endort.
Leur âge s'écoule dans l'ombirej
Leurs biens entiexs font envahis,
?ÛVUt:
ODE S, 35.
Tour fournir aux befoins fans nombre ,
Des Glyccres & des Laïs.
Souvent un hymen deshonncte
Les joint en une affreufe fête. 1
Noirs fermens, exécrables nœuds?
L'amour bien-tôt fc change en haine,
Et voit de leur indigne chaîne
Naître des monftres dignes d'eux.
Vainqueur de l'importune flamme
Dont il fe vit fol'ici:e,
Xe'nocraee au lit d'une iufame
Fit briller la pudicité.
Ah ! fi du Monde en fon enfance-
Nous imitions la tempc'ranee ,
Chafiant le Luxe fuborneur,
Banniflant l'Intérêt tenace, \
Nous verrions re'gner à leur place
La Continence avec l'Honneur.
La fource eft tranfparente & faine'.
D'où forcent ces charmans ruiflcaux.
Qui roulent une eau fouveraine
Sur un fond pur comme fes flots.
Celui dont la fource eft bourbeufe,
En vain dans le fable qu'il creufe.
Tâche de fe clarifier ;
Si fa couleur paroît plus belle,
Son goût, fon odeur naturelle
Ne peuvent fe purifier,
B é Des
36 ODES,
Des faims Vieillaids qui le formèrent j
Le nom de Sénat fut tire'.
De la Juftice qu'ils aimèrent,,
L'intérêt Lui leur fut facrc.
Bravant quelquefois ces exemples,
Thémis laifle entrer dms fes Temples
Des Enfans fans capacité ;
Du bon fens obftinés transfuges.
Tous leurs titres, four être Juges ^
C'eft que leurs Ajeux l'ont été.
Dignités, Charges faftueufe»
Que méconnoiflent les Vertus ;
Tnbunau;:, Banques tortueufcs..
Où préfide le feul Pîutus;
L'Avarice aux mains infernales^,
Dans fes Balances inégales
^ Pefe le farg & la faveur;
Et fouvent d'ime Courtifanft
La boucTie obfcéne fur l'organe
lai où parla k Sénateur.
Cependant il eft à tout âge
Des Héros chez Mars, chez Thémis;
Dont on voit Tame & le courage
Par les obftacles affermis.
Aftres brillans de leur lumière.
Dès qu'ils entrent dans la carrière.
Leurs clartés enchantent nos yeux:
JLa Vertu, les caia£lérife ;
Et
ODES, 37
Et fa conftance immortalife
Le incrite de leurs Ayeux.
Que vois je? mon ame furprife
S'a'krme à ce fpedlacle affreux;
C'eft vous, fiers aînés dans l'Eglife,.
Autrefois cadets malheureux.
Peu defireux du Sacerdoce,
Ce neft que la Mître & la Croflè
Que cherche votre ambition;
Et les chaftes Agneaux pàtiflent.
Tandis que les Loups engloutiffcnt
Les pâturages de Sioa.
Vous qui , pour parer vos familles^
D'Aînés brillans ôcfomptueux,
Contraignez vos Fils & vos Filles,,
A prononcer d'horribles vœux ;
Qii'offrez-vous au Dieu du toanerre?
Des Enfans, vil poids de la Terie^
Avec peine avoues de vous.
Mais frémiffez, Gains fuperbes;
Il voit l'offrande de vos gerbes.
D'un œil de haine &. de courroux.
Foibles Mortels, vafes d'argile,.
Que colore un frivole orgueil ,
Qu'êtes-vous , qu'une chair fragile
€i.u'attendent les vers du cercueil?
De ce Noble qui s'idolâtre ,
De ce pauvre & malheureux Pâtre,
B 7 Oe.
ODES.
Ouvrons les veines un momcnr.
Regardons fi ce fang qu'on vante,.
Eft d'une couleur différente ,
Ou s'il prend fon cours autrement.
Les Races humaines entre ellesj>
Produites d'un mcme limon,
Au fortir dûs mains éternelles,
N'etoient diftindes que de nom.
Miis bien-tôt l'or tire de; mines.
Le fer, le ineurtrc , les rapines,
Ufurperent d'affreux autels.
Imoges de« Dieux de la Pab!e, .
Souvent un crime abominable
Commença l'honneur des Mortels.
En naiffant prefque inanimée,
Touviez-vous donc à votre gré,
Maffe grofllere, être fo.-mée.
D'un fang plus ou moins honoré?
Heureux, qui ne doit qu'à lui-même
L'éclat de la grandeur fuprême
•Dont l'Equité l'a revêtu !
On hérite de la Nob'efle ;
Mais il faut un cœur fans foiblefle.
Pour être fils de la Vertu.
Et quoi! ces feuilles fijrannées.
Que n'ont point épargné les vers,
Devront à vos mœurs effrénées
Aitùer des lefpeds divers !
J«
ODES. sp
Je lis de vos Ayeux antiques
Les Vertus, les faits autentiqucs,
Par vous fans cefTe démentis;
Ayeux qui n'ont d'autres fupplices,.
Quand on leiir raconte vos vices,
Que d'avoir eu d'indignes fils.
Q!_ie vois-je? Dragons ^Hjpogryphesj.
Lions, Seipcns, Aigles, Hiboax,
ObfcuTs fymboles, hiéroglyphes.
Que le peuple adore à genoux.
Suis-Jc arrivé, Dieux! quels prodiges !'
Sur ces bords, lejour de preffigcs,.
Ou les Moniires font encenfts?
Erreur, ce font des Armoiries,.-
Qui nouriiflent les rêveries
De tant d'iiluftres infenfés.
Quand ta Naiflance te fugge'rç
Ces vanités & ces hauteurs,
•Souviens-toi que la Mort févérç
Egale les Rois aux Pafieurs.
L'inftant vient: l'implacable efl prête
A trancher ta fuperbe tête.
Nul effort ne t'en garantit;
Tu gémis, ton orgueil fuccombe;
Le mal, l'efFroi creufent ta tombe;
L'abîme s'ouvre S< t'engloutit.
Mais ne crois pas qu'au Sang illuftre,.
Ma Mufe veuille avec mépris .
Ha-»
4<> ODES.
Ravir un légitime luftre,
Dont elle connoît tout le prix.
Oui , marqué d'un tel caradtcre ,,
Tu mérites qu'on te révère.
Si la Vertu fait ton bonheur:
Wais, fi le Vice te domine.
Ton nom, ta brillante origine»,
Eciaiicront ton deshonneur.
La Noblefle ayant l'avantage
D'avoir la Vertu pour appui,-
Ce Titre cft un riche appanage,
L'Or eft moins précieux que lui.
Eianche en tout temps verte 6c fleurie,,
Le Tronc dont le fuc l'a noiune.
En paroit même glorieux;
Les fruits merveilleux qu'elle étale ,
Les divins parfums qu'elle exhale,.
Embaument la Terre fc les Cleux.
TJn vrai Noble expofe 8c prodigue
Tout fon fang pour ferrir Ton Roi;;
C'eft alors que rompant la digue.
Son cœur exerce fon emploi ;
Mais quand d'Olive couronnée,
La Paix fertile eft ramenée,
n revient chez lui fouhaité;
Jufte, honnête, afFat>le, fincere.
De fes Vaflaux il eft le Peie,
Et aon le Tyran ledoutc.
Les
ODES. 41
Les Livres des Doâes d'Athenès
Serviront à rég'er vos moeurs :
Les Exploits des grands Capitaines
Rendront la vaillance à vos cœurs.-
Prêtez-vous aux confeils des Sagea;
Cinéas calmoit les orages
Qui troubloient l'ame de Pyrrhus:
Et Néron vivroit dans l'hiftoire ,,
Couvert d'une folide gloire.
S'il eût toujours aiine Ëurrbus.
Fleuri, Mîntjlre plus habile
Et pius prudent que Cl NE A S,
Forraa la jeuneffe décile
D'un Roi l'amtur de fes Etats.
Cejî fon aUive prévoynnce ,
Dont l'iffort retint la vaillance
Qui i'cmporttit aux bords du Rhin i
Il le dérobe à la tempête ,
Et /fait de quel prix ejl la tête
D'un équitable Souverain.
O D E V 1.
Sur la Maladie ^ la Co7xmkfcence du Roi.
LORsq^UE l'Aftre du jour, dont l'ardente li».
mi ère
Faille bonheur du Monde & l'ornement des Cieu»,
Au plus brillant de fa carrière
Vient à s'cclipfeï à nos yeux.
Tout
42 ODE S.
Tout languit ici-bas; & la Nature entière
Appieiid aux Mortels, par fon deuil ,-
Qiie fans l'éclat de ce bel ocil ,
L'Univers revicndtoit à fa mafle première.
Ainfi, Prince, à nos vœux defirable à jamais.
Qui comptes, non tes jours, comme Titus put faire,.
Mais tes momens pat tes bienfaits;
Quand d'un coup de fa faux la Parque fanguinairc
S'apprétoit à trancher de tes préc'eux jours
L'utile, l'éclatant, le trop rapide cours.
Sur le front de la France, une |iâleur foudaine
Exprim^fon faifîfièment;
Et dans ce morne accablement.
Chacun ofFioit pour Toi fa tête à l'inhumaine,.
Et u'avoit dans le cœur qu'un même fentiment.
Mais fi fa cruauté confomroant nos allarmes ,
Re'fiftant à nos cris, t'eût range' fous fa loi.
Sur fes Pôles le Monde eût fenti notre effroi ;
Et même l'Ennemi, qui dompté par tes charmes,.
Te redoute tout haut, & t'adore en fecret,
Témoin de ta valeur, Ce fçachant qu'à regret
L'intérêt de ton Nom te fît prendre les armes,
Mouillant les lionnes de fes pleuis.
En eût mê'é les flots au torrent de nos larmes.
Comme s'il eût gémi de fes propres malheurs.
Ji'Olyrape t& dévoilé : bel Aftre de nos vies ,
Au gré de nos tendres envies.
Tu tcparois fur Thoriloni
Et
ODES,' 43
Et nos ;uftcs douleurs fe font évanouies
A l'ifpeft de ta gucrifon.
2Wais arrête, Louis, où t'emporte la Gloire?
N'expofe plus ton Sang aux fureurs des ha&tds:
Ton Courage a fixé le vol de la Viftoire ,
Qiii devance tes Etendards.
]e la vois, & quels yeux la pourroient méconnoître y.
A fon armure, ou l'or féme & forme de Lys?
Le fond blanc de re'toffc aux regards cblouis.
Peint la noble Candeur de notre augufte Maître;
Et déformais elle ne veut paroitre,
Que couverte de ces habits.
D'un cifeau délicat les traits inimitables,.
Sur le luifant acier de fon Cafqiie divin,
Repréfenterent Nice, Ypres, Furnes, Menin,,
Citadelles, Châteaux, Colofles effroyables,
Sous ta foudre abbattus, déplorant leur deftin;
Et Charles, des Germains Sx. la force & l'Alcide^
Qui marchoit tel qu'un Tigre avide
Au dangereux appas d'un fuperbe butin.
Au feul bruit de ton Nom, d'une courfe rapide,
Forcé de repafTer ie Rhin.
Le bruit de tes Tambours, le fon de tes Timbales,
Oh brillant tes mirques royales.
Sont le fignal fliteur qui la mène au Combat.
Monarque craint, chéri, Tcre , Héros, Soldat,
Ton grand Ca'uj: s'eft allez diftingué daiis la Guerre:
Laif.
44 ODES:
LaifR repofer ton tonnerre,
Et viens te rétablir au fein de ton Etat.
Tu vettas en chemin tes Provinces tranquilics;
Et malgic les volcans, par Bellonne allumés.
L'abondance, l'honneur êc l'ordre dans tes Villes»'
Montre-toi danj Paris à tes Peuples charme's ;
Regarde avec tranfport, dans les airs enflammés,-
Les ferpenteaux crtans & les ccrbes que lance
L'amour qu'inftruit le zèle aftif , ingénieux;
Et fa jufte réjouiflance
Aller jufqu'au trône des Dieu-V
Leur témoigner notre reconnoiflânce.
Délices des François, le Vainqueur de De'mont,
Ce jeune & fier Rival du Héros de Carthage; *
Auffi fage, aulli grand, l'intrépide C'ermont,
Qii'au foutien de tes droits la même ardeur engager
Penthiévre, ambitieux de marcher fur leurs pas,
Aimé de tes Bretons, Gouverneur des Climats
Oîi le Ciel me fît don de l'air que je refpire ,
Sçauront bien en ta place animer tes Soldats,
Sut la trace du feu, que ton Sang leur infpire»
Lailïè à tes Généraux, à ces braves Graerriers,
Le foin d'achever tes Conquêtes;
Et leur ayant coupé des raoiflbns de Lauriers ,
Cédes-leut le plaiût d'en couronner leurs têtes.
ODS
• Monfsigneur le Prince de Coiitî s'ouvrit, comme Anul*
M, un cbemio diiScile h travers les Alpes»
ODES. 45
ODE VII.
L'ASTROLOGIE JUDICIAIRE,
A M. D E S L A N D E s ,
Commijjaire général ^ Ordonnateur de la
Marine à Rochifort,
Jr UNESTE & vaine Aftrologie,
Qui dans les ténébreux replis
- De ta féduifante Magie,
Tiens tant de cœurs enfêvelis ;
Reflc à jamais dans la Clialdec.
Une coupable 6c faiifle idée
Nous a trop long-teir.ps égaras.
Ses peuples, qu'à toit en crut ù^cs,
Rendront bien fans nous leurs hommages
Aux Ailres pat eux adore's.
Fantôme que mit en lumière
L'avide curiofité ,
Tu ne dûs ta grandeur première
Qti'à l'humaine crédiilité;
Tu profitas de nos foiblefles :
L'apnas trompeur de tes proraeflès
Mafqua tes menfonges divers:
La peur fit valoir ton audace.
Et ta chime're prit la place
X>u Souverain de runivers,
Mor-
46 ODE S.
Mortels, dont les cctvcUes folles
Changent les Aftres en me'taux.
Vous voulez que des noms frivoles
Opèrent nos biens ou nos mnux?
Vous ftcmini:2, Payens impies.
De voir ptéfider fur nos vies
Saturne, ou Mars à l'œil de fer;
Garants d Lne heureufe aôiuence.
Pour ceux qu'anima l'influence
De Venus ou de Jupiter.
Votre caprice prête aux Afties
Pc bifarres averfions,
Ciuels Meflagets des defaftres.
Par Iciirs triffès conjonctions.
Le Scorpin me pronoftique ,
Si dans ma Planète il s'implique,
L'Exil, le D.-fefpoir, la Mort;
Et ma. trame eft infortunée.
Si de fa queue empoifoane'e
le Dragon infefte mon fort.
' .Qiioi ! cette mnlTs e'tinceIJante,
Qui dans l'air xoule loin de moi.
Rendra mon ame chancelante
Entre l'elpcrancc & l'effroi ?
Prêt à m'en louer ou m'en plaindre ^
J^aurai la baflelle de craindre
Un corps privé de fenti nient,
Q<ù n'a jamais connu Ton êtie»
£t
O D E S. 47
Et n'cft pas lui-même le maître -
De régner fur fou mouvement?
Croiiai-je, étrange extravagance!
Qiie le Ciel à votre Ait fournis.
Au point qu'il fut à ma naiffànce,
Puifle à vos yeux être remis?
Seul de fon compas infaillible.
Dieu marque du temps infcnlible
Tous les efpaces ecoute's.
Eternel Torrent! Cours immenfe!
Pendant que mon efpàt y penfe.
Mille inftans fe font envoles.
Si, fuivant votre abfurde fable,
La même étoile au même afped,
D'un bonheur, ou malheur femblable.
Porte un préfage non fulpoSi:;
Pourquoi ne font-ils pas infignes.
Tant d'hommes nés fous mêmes lignes
Qiie les Rois & les Conquérans ?
Ou pourquoi le même naufrage
Perd-t'il cent Nochers à tout âge.
Nés fous des Signes différens ?
Celui-;à vit & meurt infâme^
Cet autre eft porté vers le bien;
Et l'Aftre feul ca4)tive une amc,
Sous ce doux ou fatal lien.
Maudis ton fort, miféroble Homme j
Ta liberté n'efî qu'un fantôme;
N'at-
48 ODES,
M'attends plus rien des Immoieels;
Tes vœux font déformais ftériles:
Détruis des Temples inutiles ,
Ravage 6i biùk leurs Autels.
Non, la ronde 5c vafte Machine,
Du feul vrai Dieu connoît les Loix.
Le Ciel à (on afpeft s'incline ;
Il parle & tout tremble à fa voix.
Toujours unie à fa juftice,
Sa volonté n'eft point complice
De l'iniquité des humains.
Le libre arbitre qu'il leur donne,
De la honte ou de la Couronne
LaifTc le choix entre leuis mains.
Mais par de criminels preftigcs.
N'allons pas, Efprits iudifctets.
Chercher dans les airs les veftigcs
De Tes immuables décrets.
Auroit-ii de fa Providence
Fait aux Aftres la confidence?
L'idée en re'volte mes fens:
H créa ces corps que j'admire.
Pour éclairer, non pour pie'dir»,
î^i pour recevoir mon cnccns«
^
O D £
ODES. 4a
ODE VIII.
V O R G U E î U
G
Rand Dieu! qoelle force inconnue.
Guidant une invifibie main ,
JDccouTre à ma ttemblante vue,
Les noirs replis du cœur humain !
Que de détours! Quel labyrinthe!
Que de monftres dans fon enceinte
. Compofent une horrible cour!
î)e n'entends que foudres, qu'orages."
1,'cdair entr'ouvrant les nuages
A peine y répand un faux jour.
Arrête, troupe impitoyable;
Que fais-tu, peifîde ? & pourquoi
Pourfuis-tu cette Vierge aimable
*Qui doit ici donner la loi?
La rtiajeflc, qui briile en elle,
Eft une grâce naturelle
Que le fard ne change jamais;
Et l'Equité' pure 5c fincere
frc'fide fur fon cmCttrc^
Qui ne refpire que la paix.
Ces Monftres affreux font les Vices:
Cette humble Vierge cfl Ja Vertu
S<i ODE S,
Qni , s'echappant à leurs malices.
Pleure Ton empire abbattii.
Le Ciel l'ctablit Souveraine
Du cœur de i'Homme, qui fans peine
J^épondit d'abord à fes Toeux :
Mais ces cruels la détrônèrent;
Et dans fa place ils élevèrent
.Un Monarque plus méchant qu'eux.
Je te vois, fier tyran d.'s âmes.
Appuyé fur ton fceptre d'or,
Orgueil , qui d'horreurs Se de tramfts
Amafles un fatal tréfor.
L'Indépendance à l'œil finiftrc,
Eft le farouche & dur /.liniftre
Qui te confeille & te conduit.
Autour de toi fifle l'Envie,
Sanglante Euménide, aflcrvic
A la Colcre qui te fuit.
Ta naiflance aveugla ton pete^
-Qui pir toi dcs-lors infpiré.
S'égala, Rival témérsire,
A l'Etre qui l'avoir créé.
Mille & mille Anges dans fa ligue.
Entraînés par ta folie intrigue.
Suivirent fes drapeaux flotans.
Dieu parla: les Cieux s'entr'ouvtirent.
Et les Enfers enfevelirent
Ce$ innombrables Combattans.
Miis
ODES. 5-1
Mais fertile en forfaits çe'kbras,
DccJul de fon premier état,
'Leur Chef crut , du fcin des ténèbres j
Signaler un refte d'e'clat.
Dieu formant l'Iiomme à fon image.
Il s'élève écumant de rage,
A travers des torrcns de feux;
Et contre le Ciel qu'il menace.
Soutenant fon énorme audace.
Tu lui diâas ces mots affreux.
Je tombe, dit-il, Dieu terrible.
Percé de tes traits ennemis;
Mais ton bras, ce bras invincible
JM'a vaincu fans m'avoir fournis.
Tranfports, fureurs, èien qui me rcfiej
Seivez mon défcfpoir funefte,
Qi^i'irrite le bonheur d'auttui,
Faifons-nous d'illuilres Complices;
Subornons pat nos artifices
Deux cœurs qu'il a créés pour lui.
Jufqu'à toi ne pouvant atteindre.
Tes coups ne font que m'animer.
Trop fier , Dieu ciuel , pour te craindïC^
Plus incaj;able de t'aimer ;
Eve par mes levons inftruite,
Me foûmettra l'ame fédu'tc
De fon lâchd 5c crédule époux;
Tu favoiifcs ma vengeance;
- G 3, Coa-
52 ODES.
Contre toi-même leur naiflànce
Eft l'inftrument de mon co-jrroux.
Ainfî , dilSpant leurs allarmes,
ie Corrupteur qui les perdit,
Suppofa de ccleltes charmes
Au fruit que Dieu leur défendit.
Toifon de leur douce innocence.
Son goût porta dans leur cflence
Les Maux, la Vieilleffe & la Mort.
Le même fang qui nous anime,
Jait en nous circuler le crime
Qui nous condamne au même foit.
Orgueil, impoftenr exécrable,
L'Ange & l'Homme que tu trompas,
«. D'une vanité déteftable
S'abandonnèrent aux appas.
Enchante de ton faux fyftême
■ L'Ange crut être un Dieu Iui-mêa;e ;
Dellr que l'Homme ôfa former.
De là ces fupcrbes idées,
Que dans nos âmes obfedées
Ton fouffle ardent vient r'allumer.
Brillant ccueil, fource fatale
Des vœux outrés, des projets vains,
Toti afcendant, pefte infernale,
Dom ne fur tous les Humains.
SÔus d'autres noms & d'autres formCJ,
Tu mafques des vices énormes.'
•«■^ L'En-
ODES, 5a
LTBvie eft Emulation;
Et du titre de noble Gloire y
Tu revêts l'horrible viâoirc
Que remporte l'Ambition.
Qiiand, fe livrant à fa furie ^
Sylla, l'implacable Sylia,
Bourreau de fa trifte Patrie,
Le fer en main la défola :
Eft-ce ailleurs, qu'en ton fein perfide
Qu'il puifa, de maflacre avide.
Cette fangiante volupté ;
Volupté, dont ton noir capiicfi
Ofoit du faux nom de juûicc
Colorer la férocité?
Qu'on ouvre les Faftes du Monde ;
Et frappé de juftes terreurs.
On verra ta rage féconde
Enfanter par-tout mille horreurs.
Sceptre des Rois, Pourpre, Tiarre..,,
Grand Dieu ! quel déluge barbare !
Quel fouffle infecte tes Autels!
Mais refpedons l'honneur des Temples;.
Et par d'incroyables exemples
• N'épouvantons pas les Mortels.
Qiiand on n'a que fcs yeux pour guidejy
L'Amour-propre facilement,
En leur cachant où tu réildes,
Empoi Tonne Je "Jugement,
C i Slus
s* ODES,
rlus fatisfait, plus il te dupe.
Tu veux qu'à te peindre il s'occupe>
Et ta raiin conduit fon pinceau.
Traits flateurs que le Fouibe loue ,.
Et dont rnquitc defavoue
L'infîdele & honteux tableau.
Tu fais accroire à Poliphèrae,
Dont tu redoubles les foucis ,
Que pour plaire à l'objet qu'il aimc^
11 a plus de charmes qu'Acis.
Homère eft jugé par Zoïle.
Lé vil Tcrfite, auprès d'Achile
S'élance par tes fe-ols fecours.
Et dans la Brute la plus lourde,
La fortune à mes vœux fi fourde
Te fait triompher tous les jours.
On t'éleve fans te connaître ,
Et fans le crcire on te chérit.
Le cœur, dont tu t'es rendu maître,.
Te fcrt à féduire refptit.
Ta fombre & changeante impofturej
De la Sagefle la plus pure
Emprunte même les attraits;
Et plein des vapeurs du Termeflè,
l'eut-être aujourd'hui ton yvrefle
^'ezicite à te lancer des traits.
ODE
ODES. 55
ODE IX.
Siir Vhmnortaliié chîfnériiiie , qu'on attend des-
Ouvrages d'efprit , ^ Jur l'iuconjlance des
Grands* *
J. O I , dont les Nymphes du Permeflè-
Enchantenc la cicdulitc,
Infenfé , qui fur leur promcfTe
ïonJes ton immortalité;
Jufqu'à quand ton ame enflamme'C
D'uae frivole renommée.
S'y Iaiflcra-t"elle ébloiiix ?
Et pourquoi, comme un fre'nitique»'
Préfc'rer un bien chimérique
Aiu vrais biens dont tu, peux joiiii?
Dans foti audace illimitée»
Ton efpiit fupetiicicl
Croit, tel qu'un autre Promethce,
Avoir ravi le feu du Ciel,
Ton fang bouc: la fièvre confiime
Tes jouis qu'enyvrc d'amertume
Le penchant qui te fait la loi.
Et peut-être, ô fùnefte augure J
U'é-
• Envoyée à Meflîeurs de l'Académie Royale des Scien-^
ces & Belles -Lettres d'Angers, à la fuite de fou Rettieicie*
aent de Réception à la dite Académie.
^^ ODE S.
L'e'cfat dont ton orgueil t'aflurCp.
Difparoîtra même avant toi.
Combieâ Sophocle, Homère, Orphe'Cj.
Auroient-ils de dodcs Rivaux,
Pont la mémoire eft étouffée
Avec leurs fublimes trayaux?
Au furplus, pour un feul Dédale ,_
Qui franchit l'immeafc intervale.
Porté fur l'aile du bonheur;
A de honteux périls en bute,
Combien d'Icares, par leur chute
i^ternifent leur deshonneur ?
Mais je veux que la Parque donne
Le prix qui manquoit à tes Vers;
Que dès que le jour t'abandonne ,
Ton nom vive dans l'Univers.
Quelle voix, jufqu'aux noirs rirages.
Fera retentir les fufFrages
Qu'on t'accorde, quand tu n'es plus?
Fruit tardif, Palme illégitime.
Souvent acquife par le crime.
Et que déteftent les Vertus.
Je t'entends; & la folle envie
D'immortalifer tes talens,
N'a point au calme de ta vie
Mêle fes tranfports tutbulcns.
Tes foins ne cherchent qu'un Mécène,
ïar qui tes jouis, exempts de peine,
CCHi-
ODES. 57
Coulent fans crainte & fans défit:
Ou crois-tu , dans ce fiécle avare,
Trouver le Protefteur fi rare.
Qui te procure ce loilir?
Quand le Sort, à tes vœux propice,.
T'offriroit un pareil fecours,
Te promets-tu que fon caprice
T'en faffe joiiir pour toujours?
Les Grands aiment fans connoiflance,.
Et rejettent par inconftance
L'objet de leur empreflenient.
Amfi fous une heuieufe étoile ,.
Ton vaifTeau vogue à pleine voile,
£t £ait naufrage en un moment.
Que peuvent ces Grands fecourables,-
T'accorder pour te rendre heureux?
Quelques honneurs, dons périflables.
Des biens auflî fragiles qu'eux
Quand dans ryvrefle qui les trompe,
Le rang, l'opulence 8c la pompe.
Les environnent de flateurs :
La Fortune, en un tour de roue,
Brife & renverfe dans la boue
L'Idole èi fes Adorateurs^
Regarde la cc'lcfte voûte.
Oïl ton Dieu t'offre un vrai thrcTor.
Regarde le peu qu'il te coûte.
Et picnds vers elle un prompt cflbt.
C s Po«r
5^ ODES.
rbur mériter cet héritage,
Rends à lui letïl an jafic hommage j.
/^léprife des phantômes vains.
A quelque prix que tu prétendes,
Ell-il de plus belles guirl;indes,
Que celles qu'il donne à fes Saints?
Heureux qui dans la foîitude,
A foi-même enfin rCTenti,
lait de fon cœur l'utile étude,
Se connoît, & n'eft point connu!;
Sa confcience pure ôc libre
L'entretient dans un équilibre
Incapable de chanceler.
Muni de fa rertu profonde.
Il vcrroit s'écrouler le monde
Sans pâlir & fans s'ébranler.
Son ame n'eft jamais en proie
A rinfolence des excès:
Les vains Soijcis, la folle Joie
N'y peuvent pas trouver d'accèJ.
Afiîs fur la rive , il déplore
La Cupidité qui dévore
Tant de Mortels ambitieux;
Et plein du vrai Dieu qui l'attire.
Si quelquefois fon cœur foupire.
Ce n'eft jamais que pour les Cieux,
QjansI toutefois pat la Sagefle,
Les Mufcs réglant ieai emploi ,
6 D Ë S, S9
Piempliflent le loifîr que laifls
le devoir, dont on fuit la loi;
Quand la Science & le Génie,
Comme dans votre Compagnie,
Parent les fentimcns du cœur.
On peut aÏHier la belle gloire ,
Qui fait au Temple de Mémoire
Voler le Mérite vainqueur.
ODE X
^ M. BERTRAND,
AJJccié de l" Académie Royale des Belles A Lettres
d'Angers, qui ne 'cit gue de lait.
O I la Science & l'Etude,
Bertrand, prolongeoit nos jours.
Content de ma folitude.
Je m'y livrerois toujours.
Mjis fi ma vie ëpuifée,
S'abrège dans ces efforts ,
Une route plus aife'e
Me conduira chez les Morts.
D'un Lîurier froid 8c flétile
La vaine Immortalité,
Ne touche pas plus Virgile ,
Que ceux qui n'ont point cté.
Ami, laiffons notre TeinCj-
Ou ferpentcï , ou jaillii ;
G 6 C6
€o ODES.
Ce Laurier vaut-il la peine
Q_ic l'on prend à le cueillir?
" Arrangez-vous, doux Caprice^
Au gré du premier momenr;
Ne changeons point en fupplice
Ce qui n'eft qu'amufement.
Séduis, folle Renommée,
Les Mortels ambitieux ;
Un corps qui vit de fumée ,
De boonc heure devient vieuK^
Ombre fnnsyeux, fans orcillcfj
EufTai-je égalé Roufleau,
Les éloges de mes veilles
rerceroni-ils mon tombeau?
L'Ame la plus imbécile,.
Au fortir de fa prifon
Auffi-tôt devient habile.
Comme Bouguer & Newton.
O Gloire ! à fon apogée ,
Dans des chiffons on revit;
Et, d'une brute égorgée ,
On a la peau pour habit.
llfaut que l'arc fe détende.
Et donner à fcs plaifirs
U9 tems que l'orgueil demande
?our de fiivolci defirs,
SiM»
ODES, <St
Saive donc, qui voudra fuivre
Un chimérique intérêt:
Ami , l'agrément de vivre ,,
C'eft de vivre quand on eft.
Rase,, en vingt luftres à naître, .
Et qui pour moi n'êtes rien ;
Il doit peu m'importet d'être
Un jour dans votre entretien.
Eh! que fais- je, fi du Mondé
Jupiter pefint le fort,
L'Air, le Feu, la Terre & l'Onde^
Boivent furvivre à ma mort ^
Monde , ou tout meurt & s'aaime
Par des retours fi conftans.
Que feras- tu dans l'abime
De rctcmité des Temps ;
Un jour, qu'un obfciir nuage
Enveloppa le matin,
Et dont la foudre & l'orage
Auront annoncé la fin ?
KTon, coi»me à grand btuit totnbcé
De la région des airs,
L'eau difparoit , abforbc'e
Dans le vafte fein des mers;
Ta ruine & ta naiffance ,
Moraçtts>.rttn à l'autre uni,
C 7 €on.
62 ODES.
Confondus dans leur diftaucci
Se perdront dans l'infini.
Mais oïl m'ccarte Pinclareî
Reparois , Aiiacréon :
Rends nK>n aine qui s'égare
A fon véritable ton.
C'efl pour moi que je refpire,,
Non pour la poftéritc.
Tout ce qu'elte pourra dire
Ne fait rien à ma fanté.
Entretiens, clier Liâiphage,)
L'Hôte de ton bel efprit,
Ehi blanc Nedar, donj l'ufagç;
Te conierre & te nouirit.
Le Lait à ton caraftere,
Renèmble par fa douceur;
Et de ton amc fincere
Reprcfcnte la candeur.
Oui, le talent defirable,
C'eft d'unir à fon emploi
Le foin d'un commerce aimable j.
Et de vivre comme toi.
Les Mufes par leurs carefïès,
Te dérobent à Tiiémis ,
Et te tiennent les promeflTes
Qu'ailes font à leurs amis.
Aifl*
ODES. 6^
Ainfi du grave Barthole
Secouant l'air téncbieiix,:
11 femble que fon école
Soit pour toi celle des Jeus.
Ainfi d'une- étude triftc,
Adouciflanr l'âpretc' ,
Tu fais voir en quoi confiftc
La parfaite Volupté.
Amalthc'c , ô- Nyitiphe pure !
Tour Bertrand quitte les Cieuxj.
Rends -le, par ta nourriture.
Immortel comme les Dieux.
/
O D E X I.
- L ^ FIEVRE.
A M. C H E r A Y E.
Jus Q^u' A quand , Fièvre ennemie a ,
Veux-tu prolonger ton cours?
Dans ta fureur affermie,
M'aflaillira$-tu toujours?
Comme on voit la jeune Rofe
A peine un moment éclofe.
Qu'elle commence à mourir :
Tu riens borner ma carrière,
Quand mes yeux à la lumière
Ne commeacent qu'à s'o«viu»
' En
^ odes:
En vain la Terre Atlantique
Offre fiu- fcs riches bords
L'n pre'tendu Spécifique,
Pour repouflèr tes efforts.
Par des routes inconnues^
Tu trouves des avenues
Qui te mènent jufqu'au cœur;
Plante, e'corce, tout cchoue ;
Et le plus expert avoue,
Qn'ici fon Art n'eft qu'erreur.
Le fer captif qui s'élance
Des fljncs du bronze avec bruir^
Vole, atteint, le coup devance
L'affreux fon que l'air produit:
C'eftainfî, Fièvre perfide.
Que ton haleine homicide
Répand un poifon foudain;
Et le mal, fans que je voie
D'où ta fureur me l'envoie,
S'eft emparé de mon fein.
Quel fouffle, exe'crab!c Pefte,,
Dans l'Univers t'apporta?
Mbn corps infedé détefte
Le Démon qui t'enfanta.
Tant que ta tage s'éguife
Sut un Mortel qu'elle épuife,.
On' languit, on ne vit pas.
L'accès de tetoui [ars ccW^,
»1 US
ODES.
Eft pour celui qu'il opprefle
Toû/ours un nouveau ttépas.
L'inexorable Juftice
Du Monarque des Enfers,
Punit d'un pareil fupplice
Un Géant chargé de fers ;
Ses entrailles "évorées,
Sontaulïi-tôt réparées,
Sous les ferres d'un Vautour;.
Sa faim n'eft point aflbuvie;,
JEt de la mort à la vie ,
11 le mené tour à tour.
Déeflè la plus lîniftre.
Dont l'autel cft un cercueir,
Et le terrible Miniftre,
La Mort couverte de deuil ;
Crainte, & non pas adorée j
Si Rome t'a confacrée,
C'eft qu'elle crut te toucher.
Divinité furprenante ,
Que prioit Rome tremblante.
De ne jamais l'approcher.
Oîi fuis-je ? Ah ! Fièvre cruelle ,
C'eft toi , déjà je te fens.
Mon corps engourdi chancelle.
Le froid cativc mes fens.
A ton abord je friflbnne;
î>a nuit, l'iioueuc m'einironne^
3«
^6 ODES.
Je fuccombe fous l'effroi.
Ma voix rauque s'embarrafle,.
Mon fang parefleux fe gL'.cc,.
Tout frémit autour de moi.
Quel Dieu caufe en la nature
Ce dérangement affreux?
Le fioid qu'à l'inftant j'endure^
Devient un chaud douloureux.
Un brader fecret rgite
Mou pouls qui fe précipite ;
Tous mes membres font fumans.
Ciel! que vois- je? un bras barbare
Me plonge au fond du Tartaie,-
Dans un gouffre de tourmens.
Les vents, la mer, la tempête,
Prappent mes cTprits troublés;
Un lourd marteau fur usa tête
Torte cent coups redoublas.
Quel forfait fi grand, quel crime
Me rend enfin la viâime
De ces horribles Bourreaux?
L'Ours, le Lioti, la Panthère,
Tournent fat moi leur colère,
£t me mettent par morceaux.
"Un Spe(fire vers moi s'avance,
l'œil en feu, les bras fanglans:
Oii fuir ? c'eft fur moi qu'il laace
. Ses regards étincellans.
Uac;
ODES. 62
Une Euménide enflammée,
Roulant fa tordic allumée,
De fes cris remplit les airs:
La Mort vient; & l'inhumaine
Me prend, m'enlève, & m'entiaine
Parmi la poudre & les vers.
Sourd à ma trifte prière,
Jaaiais le Dieu du Repos
N'appefantit ma paupière ^
Sous fes humides pavots.
Mes entrailles altérées.
En vain des eaux defirées
Cherchent le fecours fatal ;
Un feu dévorant m'obfede :
]e m'abreuve; 5c le remc'de
Ne fait qu'augmentet le mal.
Souvent d'un obfcur nuage,.
L'éclat du Ciel fenoiïcit:
Si-tôt qu'on voit fuir l'orage,.
Il s'épure, il s'éclaircit.
L'accès fuit: la lièvre p^Iè.
Je vis; mes fcns ont Jeur place.
Mais, hélas.' calme cruel!
îûifqu'encore, à la mêmeheurCj.
Il faut demain que je meure,
Joiiet d'un mal imœonel.
Ami, ton œil craint cU lirif
Et ce tilrt t'a furprkt
f« ODES.
Touché dti for.i de ma Lyrty
Tu me plains, tu t'/ttiendrit,
O charmante fympath'te !
Jllais tu fais fue Kotre vît
N'ejl qu'un tljfu de malheurs f
lit qu'en ouvrant la paupUre
Aux rayons de la lumière.
L'homme ejl né pour les doulfurù
ODE XII.
LA MORT,
T:
EXEBREUsE Reine du monde ^
O MOKT, dont le vol furieux,
Enveloppant la Terre & l'Onde,
Epouvante l'Homme en tous lieux;
Implacable & fourde Ennemie,
Ton foufle , de fa foible vie
Uiè fans ceffe le flambeau :
Et foit qu'il fuie, ou qu'il s'anête,
Ta faulx fanglante eft toujours prête
-A le plonger dans le tombeau,
. Cependant il femble à toute. heure^
Par nos defus impatiens.
Que pour nous dans cette demeure,
Le Temps s'avance à pas trop lents.
i,a faifon , que le Ciel fait naître ,
N'eft poiut celle oii l'on voudioit être:
lit
ODES, 69
JPar fes ennuis l'Homme cft vaincu;
Et la chimère qui l'enyvre.
Lui cache cju'il a moins à vivre
De chaque inftant qu'il a vcca.
Si, raifonnables 5c niodefles.
Nous favions joiiir des faveurs
Dont les influences celeftes
Répandent fur nous les douceurs;
Nous verrions, contens Si tranquiles,
La fuite 6c les retours utiles
Des doux printemps , des froids hyvets;
Et par-tout une clané pare
Nous ofFiiroit dans la Nature,
le Créateur de l'Univers.
>Iîis d'un efpoir qui le dévore
En proie aux fii voles appas.
L'homme cherche ce qu'il ignore.
Et n'aime que ce qu'il n'a pas.
On ne fent le prix des journées,
Qiie quand à leur terme amenées.
Elles font prêtes à finir.
Alors de toute fa fortune,
On voudroit en achetet une.
Et rien ne la peut obtenir.
On envifnge avec envie,
Le trifte fort de Job fouffrant;
On voucîroit conferver fa vie,
Fût-on toujours piuvre & mouiant.
•L'éclat de l'or ôc de la gloire
Ne
70
ODES.
Ne s'offre plus à la mémoire
Que comme un effroyable écueil;
Et l'avejlir vient s'y dépeindre
Sous des traits cent fois plus à ciaindre
•Que la poufliete du cercueil,
Xes vains Oracles du Portique
Preffes des maux les plus cuifans^
Au gré d'un phlegme chimérique
Paroiflbieiu maîtriler leurs fens;
Mais quand leurs étranges maximes
S'appuyoicnt des dehors fublimes
D'une trompeufe fermeté.
En fecret leur ame troublée
Souffroit fous le mafque accablée.
Et démentoit leur vanité.
Ah ! fi les yeux avoient pu lire
Dans l'ame de ces fiers Romains,
Qiii de la Mort , dans leur délite ,
S'ouvroient eux-mêmes les chemins^
On eût vu, fous,diverfe face.
L'effroi lutter contre l'audace.
Toujours ou vaincus, ou vainqueurs;
Si l'honneur brillant & frivole
N'eût aux rayons de fcn idole
Ebloui leurs crédules cœurs.
Le Héros même, qu'il excite,
Qu'eft-il dans fcs fougueux accès.
Qu'un fing, que le courroux agite.
Ou qu'anime un premier fuccès ?
O DES. yî
■II croit que cueilli par Eellonne ,
X.e vevd Laurier qui l'environne.
Ecarte la foudre & les feux;
A peine un trait mortel Je frappe^
Aufli-tôt l'homme qui s'échappe,
Dilfipe le Héros fameux.
Ce bras, dira-t'il, ce vifage..
Devant qui trembloit l'Univers,
Demain fera donc le partage
De !a pourriture & des vers?
Ce corps , qu'une foule fufpede^
Sert à l'envi, flate & refpede.
Sera bien-tôt abandonne:
Et mes conquêtes céle'brées.
Vont être pour moi reflcrrées
Dans un lépulcre infortuné.
Mais en quels lieux ira cette ame,
Et que je fens mieux que jamais ?
Iftice dans un torrent de flamme.
Ou dans le féjour de la paix?
Si les flateurs loiioient mes crimes.
Que de titres illégitimes.
Leur adrefiè avoir revêtus;
Grand Dieu! ta haute intelligence
îefe-t'elle dans leur balance ,
Et les forfaits & les vertus?
Le fcul Chrétien , docile & ferme.
Se fait un rempart de fa foi ;
Et regardant Ton dernier terme,
Eft
1% 0 D E .IS.
Eft exempt d'audace & d'effroi;
Il fe prépare à ce voyage ,
Armé d'un modefte courage,
Dont la Grâce aide fa raifon ;
'Et ne voit dans la Mort prochaine,
Q^i'un fecours, qui brifant fa chaîne,
Sappe les muxs_de fa prifon.
' Alors, différent d'Epicure,
Il elt confiant & refolu ,
Autant qu'à l'infirme Nature
Xe permet fon Maître abfolu:
Et comme il fut dans fa carrière,
Tel qu'il fe montre à la barrière,
ridele su Dieu de vérité ;
Sa Loi, qu'il n'a point tranfgrefféc,
Confole & flatc'fa penfée
D'une heureufe immortalité.
Dieu, que chercha divers fyft'ême
Des Philôfophes pointil'eux,
Jaloux de fe montrer lui-même,
Fuyoit les regards orgueilleux.
Comme il eft la Ve'rité pure,
Xe droit chemin, La clarté fûre,
f immenfe & folidc grandeur;
Leurs vertus n'étant qu'arrogance i
Sa haute 6c terrible puilTance
Les aveugla de fa fplendeiir.
*
ODE
ODES. 73
O D E X 1 1 I.
Sur la Mort de S. A, S. MsnfeigHtur h Comte DE
Toulouse, Amiral de France} Gouverneur
Ée la Province de Bretagne,
/^Uand Toulouse expira, la prompte
V^ Meffigere ,
Errante en cent climats divers.
Interdite, & volant d'une aile moins légère.
De fa Alort à regret inflruifit l'Univers.
Neptune,, fur un roc environné de l'onde,
Sufpendit à Tindant le mouvement des flots;
Et donnant ua paflage à fa douleur profonde, '
Sa voix fur l'Océan fit entendre ces mots:
TOULOUSE ne vit plus: la Vertu foupirante
Frémit ôc fe couvre de deuil;
La £delle Amitié, la Douceur expirante
Se jettent avec lui dans l'ombre du cercueil.
Soutien des malheureux, il prenoit leur défcnfc;
Tendre, compatiffant, prompt à les foulage: ;
Ses bontés prévenoient la timide iiidigence.
C'étoit pour fon grand cœur, s'enrichir, qu'obliger»
Le Deflin, difoit-il, laiffa dans la mifcrc
L'Innocence & la Pauvreté.
Faifons rougir le Sort, & d'un Aftre contraire
Corrigeons l'injufticc & la malignité,
Tuo, /, D . Voi-
74 ODES.
Voilà les vrais talens, qui confervant aux Homme»
Les premiers traits qu'en eux la Nature a tracés.
Les laprochent de nous, les font ce que nous
fommes.
Quand des liens mortels ils font dcbarraflës.
Mais un Bourbon peut tout: fa valeur Hgaalce
Tar des exploits laboiieux,
A travers les écueils de la Plaine falée
Fit triompher des Lys l'étendard glorieux. *
Epouvante moi-même au bruit de fon tonnerre.
Dont les feux redoublés imitoient les éclairs.
Je crus que Jupiter me dcclaroit la guerre.
Et venoit me ravit le Royaume des Mers,
Quel .tranfport différent s'empara de mon arae.
Quand de mon vain trouble remis.
Je vis enveloppé de fume'e ôc de flamme
Son VailTeau, foudroyant deux Flottes d'ennemis !t
Leurs poupes en défordre évitoient fa pourfuite.
Comme on voit l'Aquilon , de fes antres glace's
S'élançant avec fougue, écarter, mettre en fuit»
Les nuages dans l'ait vainement amalles.
L'intérêt de fon Roi l'arrêta fur la rive.
La , pat de matuels tcflbrts.
Dî-
' * Combat N»»9l, à la hauteur ^e Mzhga , où S. A. S,
battit les Flottes des Anglois & des HoUandois, & les mit
wi fuite le 24 Août i-'>4.
j- U montoit li F„Himyant ^ VaiûTcau qui portoit IC4 pii"
Cïs <ie 'i^snoii & 950 iiommcs.
O D E S,^ 75
Ditigeant les projets de la Marine aiâive.
Une égale harmonie aflbrtit fes accords.
Au commerce en tous lieux il ouvrit une voie.
Sa prudence e'tonna fes Rivaux impuiflans.
Dans mon Empire enfin je le Tis avec joie
Commandai en ma place, & punir ks brigans.
O toi! Peuple intrépide, ôcqui rendis les armes
Moins à la force qu'à l'îmour ; *
PLdéle pour ton Roi, mais infenfible aux charmes
Qu'offrent aux vils flateurs la rufe & le détour,
A»ois-tu droit d'attendre un deftin plus profpcre?
Peuple fier des tributs que t'apporte The'tis,
Dans ce Prince adoré tu retrouvois un Père :
Tu montres par tes pleurs les fentimens d'un Fils»
La Fiance inconfolable a tremble' pour la Tic
Du Héros qui fut fon appui.
Il fembla, par l'effroi dont fa mort fiit fui vie.
Que chacun au tombeau dût defcendre avec lui.
Fantômes de grandeur, qu'illuftre la richeffe,
D'infolence & d'orgueil coloffes animes.
Ouvrez vos foibles yeux: par l'exemple qu'il laiûCa
Apprenez à fentii Is bonheur d'être aimés.
De Ton rang jufqu'à lui franchiffant l'intcrvale.
Son Maître l'alla confoler. t
On vit, malgré les ans & l'automne inégale,
Sm
t • ie GouverBemcnt de Bretagne,
t Le Roi, qui étoit à Fontainebleau, l'alla voir à Raa»
bouillet pendant ii maladie.
D z
7(5 ODES.
Sur fes pas avec zèle un Miniftre voler. *
Louis, un tel honneur rejaillit fur toi-même.
Payer d'un prix fi beau l'amour qu'il eut pour toi,
C'eft unir, fans blefler la Majeftc fuprcme,
Les fenrimens de l'homme à la grandeur d'un Roi,
La plus rare vertu n'eft donc point un obftacle
Aux traits de la Parque en courroux.
Les Hommes tels que lui, par un jufte miracle.
Ne devroient-ils pas être immortels comme nous?
IVien ne put ébranler fon courage invincible:
Il vécut, il foufFrit, il mourut en Héros.
Li Neptune, appuyé fur /on Trident terrible f
(Jémit , rejîa muet , pre/fé par les far.ghts.
Alors les yeux en pleurs , les pâles Nére'ides,
Le cœur vivement attendri,
Biifercnt l'ornement de leurs trèfles humides ;
Les Tritons allarme's ne formèrent qu'un cri :
Lne funèbre horreur fur les Ondes tranquilcs,
j'cifnit affreufement l'image de la Mort;
L-:s Syrenes fans voix, furprifei, immobiles, s
N'eurent que des foupirs pour accufer le Sort.
Ilots qui m'êtes fournis , reprit le fier Neptune»
Servez mon courroux furieux;
Vengez avec éclat cette perte commune :
Eo!e, ouvre la porte aux Vents féditieux:
Mers, enfeveliflez dans un v«ite naufrage,
Les
* S. E. le CardiiKil de Fleury,
ODES. 77
tes VaifTeaux, les Nochers fur mon Empire épars j
Faites fentir par-tout les efforts de ma rnge;
Et de la Parque même effrayez les regards.
Mais (jue fais-|c? où m'emporte un barbare délire?
Diffipez-vous, nuage obfcur;
Flots émus , calmez-vous ; revenez, douxZéphire;
Voguez , Vaifleaux , coulez furie liquide afur.
Toulouse dans fon Fjls laiffc un autre lui-même.
Won œil perce du Sort le fein myftéricux.
Généreux, équitable, on le révère, on l'airae.
Et la Vertu fur lui defcend du haut des Cieux.
AinC, quand fur la rive, à la tempête en bute.
Un Oranger cède à fes coups,
Les Nymphes & l'rothée affligés de fa chute.
De r Aquilon cruel détefteut le courroux.
Mais un beau Rcjètton, qui crôiflbit fous fon ombre
Déployant dans les airs fon feuillage fleuii,
Les confole, s'élève, & par des fruits fans nomb;c
Promet de remplacer cet arbre lî chéri.
Tendre & fîdelle Epoufc , appaifez vos aÙarmes,
Modelez de juftes regrets.
La main de votre Fils doit eflliyer vos larmes;
De votre Epoux en lui reconnoiflez les traits.
Vous l'inftruifeZjPaiNOESSE, aux vertus pacifiques.
NOAiLLES, s'uniffant à fon il uftre Sœur,
Et rinllm;iant d'exemple aux Vertus héroïques
Yous guiderez foa ame au Temple de l'Honneur.
ï> 3 Ai»-
7^ ODES,
Ainfi paila Neptune; &fa Cour raffûrce
Le fuivit dans le fein des eiux.
Vn Breton qui voguoit fur la plaine afurce»
Fut le hardi témoin de ces objets nouveaux.
C'eft lui , dont l'Apollon exempt de flaterie,
Princesse, offre à vos yeux Ton hommage en
ce jour ;
£t qui vient à vos pieds, de fa tiifte Patrie
Appoitei les regrets y l'efpéiance , de l'amouc.
^^^^'^^^'^^^^^^^^^'^'^^^^'^
ODE XIV.
^ M. DE LIZARDAIS,
Capitaine du VaiJJiaux du Roi y Chevalier de l'Of'
ire iîilitAÏre de Saint Louis , fe- ci-devant Gou»
verneur de S. A. S, Mtnfeigneur le Due de Ptik»
tbitvre.
i ANDis qu'un Sommeil Ictargique
Endort ma trifte Oifivetc',
Au bord d'un rivage e'carté.
Ou la Fortune tyrannique
iA.t retiens en captivité ;
Je vois par ta Miffive dmaUe,
Qu'au milieu du fafte des Coun,
Où Cloto file tes beaux jours.
Tu fçais, Philofophe agréable,
Unix U ^^ifk aux Amouis.
ODES. 79
K'éloignons pas la jouiflânce
ï)u prcfent qui nous eft donn^.
Si notre cœur n'eft deftiné
Que pour la fombre prévoyance'^
N'eft-ce pas vivre infortuné?
L'Homme ignorant ce qui l'anime «
Sent en lui d«ux êtres divers;
L'un veut l'élever dans les air»:
Mais dès qu'il prend fon vol fublime.
L'autre l'entraîne au fond des mets.
Cependant c'eft un attelage
Qu'il faut conduire habilement;
Et pour vivre paifiblement.
Tous deux amis dans le voyage
Doivent marcher également.
Raifbn , corrige la Nature f
Et toi , Nature , la Raifon :
Nature, écoute fa leçon;
Raifon , pour elle fois moins dule.
Servez-vous de contrcpoifon.
Ahl fuyons les erreurs brutales;
C'eft la Noirceur, la Cruauté,
Les Vices de malignité.
Que dans fes balances fatale»
Jlilinos pefe avec équité.
C'cft-là qu'il fait bouillir l'Afiie ^
Dans un Océan d'oi fofidu,
P 4 lÀ»
B6 ODE S.
Là, le Superbe, horrible, nû,
Couvert du foufFre du Tartare,
Frémit d'y brûler inconnu.
Là, tant d'Amis froids, infide'Ics,
GémifTent au milieu des feux.
C'eft-là qu'en des gouffres affreux,
Sont brûlés tant de coeurs rébéles
£t fourds aux cris des malheureux.
Mais dans un féjour plein de charmes»
L'Amitié, la Foi, la Candeur,
Trouveront l'éternel bonheur;
Et fans dégoût 6c fans allarmes ,
S'abreuveront de fa douceur.
C'eft-là , qu'auprès de Fontenelle,
Tu verras le cher du Tillet,
Dont le coeur généreux, difcrct,
Piopofe aux Amis un modèle
Aufli rare qu'il eft parfait.
En ces lieux les Jsfmins, les Rofes»,
Mêlés aux Myrtlies toujours vetds.
Parfument la Terre & les Airs ;
Et volant fur les fleurs éclofes,
Zéphir n'y craint pas les Hyvers.
Sous ces berceaux, d'illuftres Dames,
Accordant leurs voix aux doux fons
Des Chaulieux & des Pavillons,
Charmeront les heureufes ame«
Actçmives 4 Uu;$ çliaafoas.
C-2v
ODES. %i
Cependant ,■ fans compter les heure* ,
Songe, en bannifTant tout fouci ,
Que l'efpoir qu'on te donne ici
Du plaifir des autres demeures ,.
Ne doit point troubler celui-ci.
Suis donc le penchant qui t'engage,-
Et n'attends pas pour t'y livrer,
QirAtro[io5 vienne t'en févrer:
Xes plaifirs font faits pour le Sage ,
Qui les goûte fans s'enyvrer.
Dans an climat oîi tout abonde,
Sous des lambris d'or & d'alur.
Tu fçais refpirer un air pur ;
Et moi, je vis au bout du monde,
Où je traîne un loifir obfcur.
Ainfi , dans le fein d'Amphitrite,
Les grands Poiflbns fendent les flots.
Quand , folitaire au bord des eaux ,
L'cfpéce timide & petite
Serpente parmi les rofeaux.
Infpire ta vertu fuprême.
Au Prince commis à ta foi ;•
Pais-le reflbuvenir de moi :
U fera digne de lui-même.
Dès qu'il fera digne de toi.
P f, ODE
82 ODES.
ODE XV.
LES MUSES,
A L'O MBRE de B-OUSSEAtr.
MUSES, ceignez nvon fiont d'une palme nou»
velle.
Secondez les tranfports d'un Dlfciplc fidèle
A vos divines loix.
Je renx» en publiant votre Uluftre louange ^
Que fut les boids du Nii »& fut les boids du Gangr^
On entende ma voix.
Je titomphe avec vous de la foule importune ;
Je commande à mes vœux» maîcie de la loitune»
Et libre dans fcs fers.
l)'abotd que de vos feus mon ame eft échauffée ,,
Je monte dans l*Olyaape ^ & fur les pas d'Otphée
Je defcens aux Enfers.
Qu'on baifle la barrière, & qu'on m'ouvre la llcej.
Que la Terre s'ébranle , & qu'Atlas trcflàilliflc
lai mes chants foulage.
Vous-mêmes diftez-moi, Mufcs, votre oiigine;;
faites-la par vos foins fur vivre à la ruine
Du Monde ravagé.
Quand l'Arbitre des Cieux débrouillant toutes^
chofes ,
Sagement difpetlà les feraences édofe*
Su
0 D E s: 53
Du Cahos odieux,
De Ion centre faillit la puiflànjte Harmonie,
£t (les neuf do£^es Soeurs la troupe étoit unie
Dans fon fein tadieux.
De fes nombreux accords l'Intelligence adUre
iéncttCt communique à la Matière oifîve
Ses fouples mouvemens ;
Sa fubtiie douceur Tamollit, la remue,
£t met un frein durable à la Difcotde émue
Entre les Elemens.
La Terre alors s'aflîed par fon poids condenfce;
H'Air s'élève & bondit ; fa fubftance élancée
Des Cieux forme l'afur.
Les Eaux forment la Mer; chaque Gorps dans û
Spheie,
Soumis à l'Harmonie, attentif à lui plaire ,■
Conferve un Ordre fût.
le Soleil luit, la Lune au milieu des Etoiles
S'iannonce,. & de la Nuit vient éclairer les voiles.
Dans le Jour & la Nuit
La Matière s'agite, & produit fon cfpcce:
■Un Etre en aime un autre; un Etre fuit fans ce/fe
Un autre qui le fuit.
les Bois, les Fruits, les Fleurs, les Ruiflcaux, la
Verdure ,
S'échappent en riant du fèin de la Nature ;
L'Air excite le Vent;
le N«age cft produit des Vapeurs de la Terre ;
D6 Le
u
O. DE S,
Le Tourbillon rapide enfante le Tonnerre
Du Nuage brillant.
Tout naît, tout aoît; l'Humide cvec le Sec s'af^
femble,
Le Chaud avec le Froid ; & compofent enfemble
Les Animaux divers.
Mais tout tombe, auflîtôt que la vive Haimonift
Ceflè de foutenir par fa force infinie
Leurs intimes concerts.
Alors ouvrant Ton fein, fa puiflànce fe'conde,
îlufcs, vous met au jour pour le bonheur du Monde,
Et pour charmer fes maux.
Le Plaifir naît de vous; l'Horreur fuit, elle expire;;
l'Haxmonie, elle-même, à votre doéie empire
Soumet tous fes travaux.
La Lyre avec le Luth , Nymphes ingénieufer.
Accompagnent bien-tôt vos voix mélodieufes,.
Et vos nobles chanfons;
Les- Antres les plus fourds hautement retcntiflènt j.
les Sphères, en roulant, hautement applaudiflent.
Au pouvoir de vos fons.
le Ciel à votre afpeft jette des étincelles;
La Terre fe revêt de fes fleurs les plus belles;
La Mer couvre fes bords;
Le froid Poiflbn bondit; la Brute perd fa rage;
l'Oifeau qui fend les airs, apprend fon doux rs-
mage
De vos tendres aecords,
Tout
O D E S. ts
Tout s'embellit par vous; mais ce n'cft que dans
l'Homme,
Que votre ame tranfpire, où l'œuvre fc confommc
Par vos dons précieux:
v^pollon vient l'inftruire à bâtir fes afyles;
Et l'Art Se la Natuie à vos leçons dociles.
Le rapprochent des Dieux.
Apollon, châftes Sœurs, vous donna fa tendre/Te^
Vous choillt un féjour qu'il fixa dans la Grèce
Sur des coteaux fleuris:
De Lauriers immortels ce Di su couvrit leurs cimesj
Et là, vous enyvcez de vos tranfports fublimes
Vos plus chers Favoris.
Comme un torrent fuperhe inonde les Campagnes^
Trctres, Légillateurs, du haut de vos Montagnes
Fondent chez les Humains :
Les Eeuplcs étonnes au bruit de leurs miracles.
Viennent des quatre vents écouter les Oracles
Du Dieu dont ils font pleins.
L'Univers rend hommage à leurs taîens infignes:
Mais parmi les Mortels peu vous ont femblé dignes
De vos plus grands fecrets.
Saifis de votre efprit ils font marcher la Pierre ,.
Commandent aux Poifïbns, aux Vents, aux flots,
en guerre,
Aux Lions , aux Forêts.
Aux accens de Tirtée un cœur craintif s'élève;
riiîdaie au^haut des Airs, ou fa Verve l'enlevé,.
D 7 Ceint
tS 0 D E ^.
Ceint la tête des Rois:
Homère par fes chants dcrobe à l'Ombre noire ^
Ces Héros dont y fans lui, les grands noms 8t le
gloire
Fuflènt morts à la foisr
leurs fons chalTent la Pefte, & diffipent la Foudre
Dont Jupiter vengeur s'armoit pour mettre en
poudre
Les Peuples effrayes.
Des foucis afHigeans ils charment l'amertume ^
£t rappellent l'efpoir, dont la flamme s'allume
Dans les cœurs égayés.
Heureux qui de vous plaire a fait fa feu'e envie T
Mufes, vous prcfervez fes talens & fa vie
Des atteintes du Sortr
Simonide fuit feul des malheurs raanifeftes,,
Au milieu des Serpens & des Montres funefies^
Le jeune Horace dort.
Aftres du facré Mont , préfidez fur ma Veine ,,
Je furmonte avec vous les clameurs Se la haine
Des Jaloux ralliés.
Nouveau Ilellérophon , je fends les Airs, je vole;.
Et je vois tous les traits de leur rage frivole
Se perdre fous mes pieds.
lllujirt b" cher B. O U 5S E A U , dont la Veir.t fertile ,
S'tuvrant dans tous les coeurs un chemin fi facile ^
Charme les geHis divers;
Rtiariti-mti du Pinde ,. ak ton a»t advré^
T
O D E S. t7
Y jouît et Jamais d'unt Palme /ocrée ^
Et refais- y mes Vers»
On Ht qu'a ton ahord , ks doEfes Immortelles ^
Dent les mains te trejjoitnt des guirlandes nottvtllet*
Vinrent te recevoir;.
Et ça'en te carej/ant , on vit Pindarey, Heract^
A câté d'Aptllon, tous deux t'tffrir leur place ^
Enchantés de te voir»
Cpi, t^tft toiy grand ROUSSEAU, dtnt le /o»Wt
m'in/pire ;
Je te fins dans mon ame emhrafer mon délire
De mille train de feu,
Né dans les froids rochers d'un dé/crt maritime^
C'efl de toi que j'appris le bel art de la Rimt i
Et" j'en eus ton aveu.
Voici les Vers qiie Rouflèau met dans une ttt»
îre écrite à M. Titon du Tillet, au fujet de M.
Desforges, qui s'ctoit caché quelque tcms fous Ift-
nom de Madiemoifelle Malcrais.
Et je prife fur - tout ton noble attachement
Four un eflimable Ctnie^
Qui fous un nom d'emprunt , autrefois fi charmant^.
Sous le /un /e produit enctr plus dignement »
«r%
ODE
SZ 0 D E S:''
ODE XVI.
LE TABAC.
D
Es ennuis accab'.ans, de la morne triileflè,
Ô Tabac, l'unique enchanteur!
Des plaifirs ingénus , de l'aimable allégrcHe,
O Tabac,' la fource & l'auteui!
Ssns toi, Tabac chéri, mon efprit eft Tans joie,.
Dans les chagrins il eft plongé:
De leurs efforts frequens il deviendroit la proie.
S'il n'ctoit par toi foulage.
En dlveifes façons on connoit ton mérite;
Il eft d'un piix toujours nouveau.
Tu fais à flots aifes s'écouler la Pituite,
Et tu dégages le Cerveau.
L'Efprit, quand au travail fa force eft languiflànte.
Par ta poudre eft reCTufcité.
Ton odeur évertue une ame croupiffantc
Dans upe molle oiiiveté»
Lefang eft étanchc, la bleîTute eft guérie,.
Quand on t'applique fur le mil ;
Dans leurs climats féconds, le Pérou, l'AlTtie
N'ont point de baums au tien égal.
Tu joins prefque toujours l'agréable à l'utile.
Que j'aime, en ton ctioit foyer,
Du
ODES, 8s>
Du bout d'un long tuyau mettre en cendt* ma bilCj
Et dans les airs la renvoyer!
Aufli-tôt dans un cœur la tempête eft calmée.
Mon ame avec raviflèment
S'occupe à voir fortir de la. Pipe allume'e
Un petit nuage fumant.
Tes charmans tourbillons dans la tête e'chauffe'e
^ Font glifler l'appas du repos ;
Et volant après toi le docile Morphe'e
Se'me tes traces de pavots.
Cupidon , d'un Fumeur , à fes chaînes honteufe^ '
N'attache guère le deftin.
Tu n'as, divin Tabac, dans tes Fêtes joycufes,.
D'autre compagnon que le Vin,
La moarante Vieillefîè eft, par toi rajeunie
Mieux que par les mcdicamens.
Ta Vertu merveilleufe, en prolongeant U vie,
Re'pare les tempetaniens.
A ton propice afpcft les vapears de la Feflc
Ceflènt d'infefter les maifons.-
Ton odeur faUuaire eft une odeur funefle
A fes triftes exhalaifons.
Celui qui le premier nous apprit ton ufage,
Eft digne du Neftar des Dieux :
A aos neveux tranfmis , fon bienfait d'âge cn xgt
Doit rendre fon nom prccieux.
0 D 5
pô ODES. Au
ODE XVII.
ji M. TITON DU TILLE T.
TOI , dont le nom doit êtie à jamais mémoxa-
ble,
TiTONi dont la main recouiablé.
Vint m'arradier des bords , où mes jours cnchainiî ,
A d'éternels ennuis paroifToient condamnés:
Toi, qui fçais, à l'ami délicat Se fidcle.
Allier des foins paternels.
Que ne puis- je, à l'cclat de ta gloire immortelle.
Donner une fplendeur nourelle^
Par mes hommages folemnels!
Uns, * avec Apollon, partagea tes années ^
Les /leurs de ton jeune printemS}.
Furent au premier dedinées;
L'autre fe rcferva les ans
Oà l'Homme réfléchit, oîi l'efprit eft plus fage.
Sans perdre rien de fa vivacité;
Et, p«ur entreprendre an Ouvrage,
Unit au feu qui l'encouiage,
La prudente matutité.
Ton rarnaflè élevé , fut l'éclatante marque.
Par oîi tu fîgnalas ton amour pour les Arts ;
£t fur ce mont^vainqueui du Temps Se de la Parque^
Ta
* n ï été Capitaùc d'In^ntedc* ii Çis^vùat de Dra-r
I
ODES. pi
Tu fçus rendre à LOUIS, cet illuftre Monarque , (x)
L'honneur qu'on eût dû tendre au meilleur des Ce'
fats.
Ce Monument, futvi d'un chef-d'œuvre d'Hiftoire,
Où ta main ralTembla les débris de la gloire (2)
Des Poètes fameux, que la France a produits»
jApprcnd à l'Univers, que ton vafte gcnie.
Dans tous les fujets qu'il manie,
Joint le fjavoir profond, au goût le plus exquis.
Qçjc vois-j'e? tes fertiles teilles (3)
Enfantent à mes yeux de nouvelles merveilles î
Ta plume nous décrit les divers Monumens^
Dont la Science eft honotée, j
Depuis que la Terre afTûrée
Sut fes immenfes fondemens^
A pool bafe les airs , dont elle c& entoiu^e*
Dans tes Ecrits laborieux,
La vire flamme de ton zèle ,
A travers mille traits fjavans & curieux»
S'élève, fe fait jour» noblement étincelle.
Tu veux forcer nos demi •Dieux»
l^e leur rang, leur pouvoir, leuts biens rendent
fiupides ,
A
(0 Louis XIV tient la place d'^Apollon flir le PamaŒë e«
bronze.
fa) La Defcription du Parnaflè François, Ouvrage in fol,
es) Nouvel Ouvrage intituH : Effais fur Us honiKurt aSiOT"
étt aux iUuflrti Sf.avims ^ pendant la/ùiu det^ Si^tin,
92 ODES.
A prendre les He'ros pour guides,
Qui , de nos célèbres Ayeux,
B.ccompenfoient les talens précieux:
Mais tes confeiJs font inutiles,
fignorance a fur eux répandu fa noirceur;
Ils ont, fuperbes imbéciles.
L'or fur leurs vétemens, 8< du fer dans le cœur.
Combien crois-tu qu'il foit au monde,
D'Humains comparables à toi?
Ton ame a recueilli l'honneur, la bonne foi,
Et des autres vertus la troupe vagabonde.
Protecieur généreux, tu fers d'exemple aux Grands j
L'ingénieux LaiJtf.z, * heureux de te cornoitre,.
Autrefois éprouva tes fecours obligeans:
Ta liante maifon eft ouverte aux Sçavans,
MECENE, autant que tu peux l'être ^ .
Et digne de jouir des biens prodigieux
'Qu'à d'avares Mortels ont accordé les Cieux.
Un cœur, tel que le tien, dans le Cécle d'AuGusTî^
Dans ce lîécle, où des Grands Apollon fiit chéri,'
Fût parvenu fans doute au fort du Favori
Que combla de biçnfaits un Monarque fi ;uf^e.
' O tr^
- * Le Foëte Lainez a demeuré du tems diez M. TitoD du
liUeu
ODES. 93
ODE XVIII.
Rtmcreiement à Mejteurs de L'Académie Koyalg
des Belles - Lettres de la Ro:helle.
TOUS mes fens agités des tranfports de la Gloi-
S'enyvrent dans les flots d'une' noble vapeur.
Mon efprit étonné, doute s'il s'en doit croire j
Et craint d'être féduit pat un Songe trompeur.
Non, vos brillans Lauriers, jufques fur ce iivage>
Viennent ceindre mon front de leurs dodes ra-
meaux ;
Et du flérile fein de cette aride plage,
L'Hipocrênc pour moi fait bouillonner fes eaux,
A vos ordres fournis , Tegafe fur fes allés
M'enlève dans les airs, me place parmi vous.
Cil charme des accords de vos voix immortelles,
La mieime cherche en vain des accens auflî doux.
Qu'entends-je ? l'Unirers fond & fè de'veloppe,
Votre. Art ingénieux décompofe les corps :
L'Ouviage des fix jours, à votre Mycrofcope
De fon arrangement découvre les reflbrts. -
Votre Sçavoir divers embraffe la Nature:
Lynx fubtils, vous liiez dans l'abîme des mers,
Vous
94 ODES.
Vous parcourez la terre ; & d'une aile moins fiire
L'Oifeau du Roi des Cieux ftnd l'erpace des airs,
Saturne vainement à vos recherches vaftcs,
Refuferoit d'offrir les âges reculés ;
Votre travAil le force à vous ouvrir fes Faites,
Et fes obfcuts fecrets vous font tous dévoilés.
Mais avec quel fucccs votre fou£fle m'infpire!
L'cfpoLr enfle mon cœur qu'élevé votre choix.
Je vois , je fens déjà que vos mains fur ma Lyre
Forment mes mouvemens, & font parler mes doigts»
Avec pea de talens, c'cft donc un cœur docile
Qlic j'apporte pour prix de mon adoption :
Mais la docilité, dans (a aainte fertile.
Dut fouvent fes progrès à fa précaution.
Uaiffbns nos efforts, & que votre Patrie,
Pat l'amour des beaux Arts éclatante aujourd'hui.
Goûte plus de douceurs, qu'autrefois fa furie,
Dans les affauts de Mars , ne lui caufa d'ennui.
Surpayons les concerts des Cignes , que la Seine
De fes bords renommés a rendus amoureux;
Difciples d'Apollon, pour guider notre veine,
N'avoQS-nous point Horace & findare comme eus?
Ainfi propofons-nous des exemples fublimes;
C'eft par de longs efforts, conftaramcnt redoublé*.
Qu'en voulant furpaffer des Rivaux magnanimes.
Leurs chefs- d'oeuvres fameux peuvent eue égalés.
CON.
ODES, Ç)S
CoNTY, le grand Conty nous aime & nous
protège ,
Sous Tes Lauriers féconds notre fort cft charmant;
Conferve-nous, ô Ciel! un (i cher privilège;
Et que ce Marcellus * vive e'teinellement.
Le Soleil brilla moins que fa première aurore:
Mars le reçut des mams de la dofte Pallas.
Ccft l'Emule des Dieux: le Soldat qui l'adore,
S^ait qu'il vole à la Gloixe, en courant aux Com«
bats.
Sur le double fommet cueillons les fleurs nouvelles.
Dont même les neuf Sœurs font choix pour fe pa-
rer :
! Pormons-en pour Conty des guirlandes fi belles,
J Que nos derniers Neveux les puifTent admirer.
j • Egregium forma juvtnem (S fuls^tmibus armis.
j Virg. Mn. 1. 6.
! Tous les Auteurs qui parlent de Marcellus, fils d'OiSavîe
four d'Augufte, s'accordent à dire (ju'il fut l'amoui & les
délices du Peuple Romain.
ODE
ç)6 ODES.
ODE XIX.
LE RETOUR D' ASTRE E.
A M. LE MARECHAL DE LOWENDAL.
V^Ue vois-je? le Ciel s'en «'ouvre;
QMielle foudaine clarté
S'allume en l'air, fe découvre
A l'Univers enchante' ?
Une De'eflè inconnue.
Sur une éclatante nue.
Détend du fé/our des Dieux:
La Candeur brille autour d'elle.
Et la Vérité fidel'e.
Guide Ton char glorieux.
Les Jeux, les Amours, les Grâces,
Les vrais, les chatmans Plaifirs,
Tour voltiger fur fes traces.
Se transforment en Ze'phirs.
En vain le fiel fur la bouche.
Et roulant un œil farouche,
La Difcorde mord fes fers:
Son pied la foule & l'itritc,
L'ccrafe & la précipite
Dans l'abîme des Enfcn.
Quels fons dans l'air retentiffent î
Ces grands, ces céleflcs Corps,
SiU
a D E S^. 9^7
Sur leurs axes treflailliflent
Et forment de doux accords.
Leur-,pompcux concert attire
Ce que le Suprême Empire
A d'auguftes Immortels.
Mars même aflls fur les Armes,
S'humanife par ces charmes.
Et rcnon;e à fes Autels.
>
Mes yeux, conr.oifTez. Aftréej
C'cfî elle, dont en ce jour.
Vers la terrcftre Contrcc,
On célèbre le retour.
La Paix, l'Honneur, la Droiture,
La Foi fimple, a-mablc & fùre,
Vont par.tout à fes côtés j
Et la fertile abondance.
Qui les fuit & les devance,
Ye^fe fes dons fouhaités.
Son char tiré par des Cignes
Purs & blsncs comme fou cœur.
S'arrête en des lieux infignes
Par les faits d'un Roi vainqucnr.
Du fommet d'une montagne.
Elle voit dans îa campagne
S'avancer mille Efcadrons.
X'ajirain, le fer ctincellent;
Au bruit des tambours fe mêlent
Les tons aigus des clairons.
.' Toœ. /. E De-
pg ODES.
Déjà la puifiTante vue
De la Fille de Thémis,
Retient l.i mnin fufpendue
De ce monde d'Eimcmis.
Tout le tait dans la Nature,
Les niifleaux fur la verdure
Ofent à peine couler.
P-ois, Peuples, prêtez l'oreille:
C'eft la voix qui vous icveille,
C'cft elle qui va parler.
Princes trop fouvent prodigues
Du fang des nombreux Sujets»
Que Bcllone & Tes fatigues
Immolent à vos projets;
Songez, bornant vos envies,
<^'aux Dieux maîtres de vos vies
Il appartient plus qu'à vous;
Qu'une goutte à tort verfée>
De Ne'méfis offenfée
Peut embrafcr le courroux.
Qiie de fois l'Orgueil avare,
L'Honneur mal interprête.
Parent un m.otif bifarre,
Des couleurs de l'Equitc'!
Et fi la Raifon modefte
Vous montre l'e'cucil fuae/le
Oii vous jettent vos erreurs;
De l'oblique flaterie
la
ODES. pp
ta fcélérate induftrie
Bien-tôt le couvre de flîurs.
Le Dieu qui dans fa balance
ïefe le vafie Univers ,
rlace l'ame , à fa naiflance.
Entre deux chemins divers.
L'un la iiune, détrompée,
Par une route efcarpee ,
Au Temple de la Vertu ;
L'autre, dans l'antre des Vices j
Par un fentier de délices,
Plus facile & plus battu.
Maître de fixer les doutes,
Qui fuCpcndent ion defir,
L'Homnie connoit ces deux routes,
U les voit, & peut choifir.
Sans cette faculté libre.
Il feroit fans équilibre ,
Forcé dans fon mouvement;
Et dans ce qu'il exécute.
Indigne, tel que la Crute,
De prix , ou de châtiment.
Peuples , que le trouble ceflè.
Fuyez, trop longues horreurs; "
Que le calme reparoiflè
A la place des fureurs.
Quelque gloire qu'cnvifage
L'intrépide & fier courage»
E i Dans
ïOo ODE S.
Dans les lauriers triomphansj
Un Peie les abandonne,
Q^iand il faut qu'il les moiflbnne
Dins le fang de fes Enfans.
Audî l'amour de la Terre,
Louis comblé de fuccès ,
A Uïoins cherché dans la Guerre
La Victoire, que la Taix. '
S'il voloit à la Vengeance,
L'aftivc & tendre Clémence,
Bientôt défarmoit fa main;
Et dans fon Ennemi même.
Toujours fa Bonté fuprêmc
Rcfpeda le Sang humain.
' X'amitic' fucceJe aux hainc-^;
Et les Reines S: les Rois
Vont au-devant de les chaînes,
Et reconnoiflent fes loiî.
O B-ois! ô noble Ennemie!
Puiffc la Paix affermie
Vous' unir de fentimens;
Comme après nne rupture.
On voit une ardeur plus fûre
î^ejoindte d'heureux Amans.
Eelle & fuperbe Amafonne,
Ta Naiflance & ta Vertu
Fontcclatcr la Couronne,
DontTtOTi front eft revêtu.
Cou-
Ô D -K s. loi
Coiirngeufe, ton eftime
Eft due au Génois qu'anime
L'amour de la Liberté :
Rends-lui donc ta bienveillance.
Et fais céder fa vaillance
A ta générofitéi
SiiCis d'une noble audace,
Dor.nnnt l'exemple aux Soldats^
AiTez les Rois & leur Race
Ont brille' dr.ns les combats.
Allez, invincibles Trinces,
Allez, Afties des Provinces,.
Y ripand e vos bienfaits;
Allez apprendre à la Terre,
Que, la Paix comme la Guerre
FQxme des Héros parfaits.
Charley, Lowendal, Maurice,
DeGcge, illuflres Rivaux,
Q^ie de Héros dans la lice,.
Ont imité vos travaux!
L'Immortalité s'étonne
De la foule que Bellone
Préfeme à fes yeux charmés.
Et doute que de Ton Temple
L'enceiate foit afTez ample
Pour tant d'Hommes renommc's.
^ue le Loifir dans les Villes
Se promène en fûretc;
E 3 COtt-
102 0 D- E S.
Coule fur fes pas faciles»
Innocente Volupté'.
Janus, rends depolîtaire
Des clés de ton ^anftuaire
La Paix nourrice des Arts.
Dcfcends, ô Paix fugitive!
Ceins fon double front d'olive^
Au-lieu des laiiriexs de Mars.
Douces & tendres Mufettes»
Qiii raifonnez jour & nuit.
Des effrayantes trompettes
Paites oublier le bruit;
Et vous, aimables Bergères,
Porniez des dan fes légères
Sous les voûtes des ormeaux;
Tandis qu'au bord des rivageî,
fertiles en pâturages,
îan veille fur vos troupeaux.
Vaiflèaux, déployez vos ailes:
Vous n'avez, hardis Nochers,
A craindre après ces nouvelles
Que les vents & les rochers.
Non, fur la plaine afurée.
Ne redoutez plus Nérée,
Ki l'orageux Dieu du Nord:
Croira-t'on qu'ils voudroient iltt
Xes feuls des Dieux à patoitre
lixltés de votre accoid l
C2U0*.
ODES. 103
Qiioiqu'Agens indifpenfables
r>c l'obfcur ik fier Defiin,
Soumis à les lois durables^
Ils en refpsâcnt la fin;
L'Ame du Ciel répandue,
S'intéreûe , s'inûnue
Tour les Peuples vertueux ;
Et par fes forces fécondes.
Souvent aux caufes fécondes
Tait prendre un cours plus heureux.
Le Texesl & la Tamife ,
Voyent déjà fur leurs eaut,
La Foi, l'Amour, la Franchile,
Voler avec leurs vaiflèaux.
Erançois, Belge, Angiois s'uniflenr.
Voguent enfemble, applaudiflênt
A leur doux & nouveau fort;
Et l'airain qui leiir renvoie
De tonnans concerts de joie,^
Cefle de vomir la mort.
Tous de la poupe à la proue,.
De paTillons font parés,
_Dont l'étoffe en l'air fe joue
Au gré des vents modérés.
Leurs nuances différentes,
Dins les ondes tranfparentes.
Teignent un email divers.
A ce fpeciacle, l'Aurore,-
£ « Cioit
104- ODES.
Croit que Venus donne à ilore
Une fête fur les mers.
Refleuris, brillant Commerce,
Ame:& foûtien d'un Etat;
Va "dans l'Inde & dans la Perfe
Chercher ton premier éclat.
Pais, chez les Peuples paifibles,
Par cent canaux invifibles,
'' Couler les dons apportés;:
Comme les foarces lointaines
Vont, par de fecretcs veines,
Défaltérer les Cités.
Aftre'e alors rend les refncs
, A fes courfiers vagabonds ,
Qui s'abaiflent fur les plaines,,
Et s'élèvent fur les monts.
Chaque l'eup'e en fon langage
L'a.ppellant à fon p:fljge,
Cuvre les bras à la Paix :
Aimables Enchantcrefles ,
Venez, difent-ils, Déefles, .
Et ne nous quittez jamais.
HîROS, qu'adopta la France-^
Pour fa gltire ^ fon bonheur ^
Jouis de la récompenfe ^
Qui cturonne ta valeur.
Et fi tu trouvas des charmes ,
Au rniUeu du huit det armera
ODE S. 105
A mts fidèles accords y
Daigne dans ces jours plus calmes y
Sous l'nm^rage de tes palmes y
Applaudir à mes tranjports.
Bergflpzoom y le plus terrible t
Et le plui fort des remparts ^
Sur un mont inacce£iblt y
Bravait les foudres de Mars,
Ce Coloffe fi fuperhe y
Que ta renverfas fous l'herbe y
Ecrafa mille jaloux ^
Et ta. demie re conquête
Trancha la dernière tête
Que leva l'Hydre en courroux.
De quelque éclat dont l'ijomre
L'équité du plus grand Boij
Songe qu'il en efi encore
JJn plus durable pour toi:
C'efi celui que fur le Pir.de
Cherchait le Vainqueur de l'inle^
Prfffé d'un illujlre ennui ;
Et grondant le Ciel févere^
Qui fit plutôt naître Homère ^
Pour Achille qui peur lui.
L'immortelle Renommée ^
Publiant dans l'Ur.ivers
Ta louange , parfumée
De l'encentdei plus- beaux Vers ^
E 5 -Di-
10(5 O D E 51
Dira y montrant ton imagt:
Ces traits brillans de courage
La Vertu les a traces ;
Ces traits, ô Teins efFioyable!
Sous ta faulx impitoyable
Ne pourront être effaces^
o I> E XX.
A M. DESLANDES,
Commijjaire Général , ^ Ordonnateur de la Ma--
fine à Rochefort,
Sur la mort du Père de L'Auteur.
CE n'eil point en ces Veis> cher Ledieur, que
j'afpire
Aux applaudiflemens.
J'ea veux à ta pitié; plains avec moi, foupire
L'excès de mes tourraens.
Que du Scythe inhumain la iîerté s'adouciflè.
En entcndaat mes cris :
Rendons, comme autrefois fit l'Epoux d'Euridice».
Les rochers sttendris.
Sortez fanglots, enfans de ma picufe flâme;
Parlez vives douleurs ,
.Et laiflêz à mes yeux, pour foulager mon ame,.
«^2<a liberté des pleins..
ilOÎÎ
ODES. 107
Mon P«re eft mort . . . . ô ;our ! ô déplorable aurore
D'un Soleil malheureux !
Il eft mort, fort barbare! & je refpire encore
Après ce coup affreux !
*
Frappe, ô Mort, qu'attends- tu? quoi! ton brae
s'intimide ,
Et recule aujourd'hui?
Ne pourrai-je forcer ta rigueur parricide
A me rejoindre à lui ?
Mais oîi vais-je ? oîi m'emporte , en forçakt tout
obftade.
Un vol prodigieux?
Qii'appctçois-je? Oii fuirai-je ? un terrible fpeâiaclc
Se dévoile à mes yeux.
J'erre à pas charicelans dans une forêt forabre;
Tout m'y glace d'effroi :
Des fpedlres mutilés, des fantômes fans nombre
Marchent autour de moi.
Le terrain n'y produit que de nuifibles plantes >
Que d£ triftes cyprès ;
De pleurs mêlés de fang, les branches dégoûtantes
l'oulïènt de longs regrets.
Des flambeaux attachés à ces arbres funèbres.
Font le jour qui me luit;
Baraôeaiix donf la vapeur epaifljt les ténèbres ;
Jour plus noir que la nuit,
E 6 Vn
io<î ODES.
Vn fleuvâ empoifonné roule fes eaux plaintives *
Sur de froids offcniens:
I)es corbeaux affamés font retentir fcs rives
De leurs aoafTcmens.
Que crobjêts efFrayans! Des dragons à trois têtes^
Des lions eu. fureur;
Accourez, hâtez- vous; vos dents font-elles prêtes.
A de'chirer mon cœur;'
Faites, MoJiftres cruels, d'horribles fune'raillcs
A mon corps par morceaux:
Que vos ongles tranchans cherchent dans mes en* |i
tiailLes
La iburce de mes maux.
Qu'ai-je dit? ô difcours! ô douleur criminelle!
O trsnfpoit furieux !
Coupable deTefpoir î ma volonté tend-t'ellc
A réfifter aux Dieux?
Admis dans ces Palais d'éternelle ftruaurc j^
Au nombre des Elus^
U voit avec dédain des pleurs que la Nature.
A f OUI lui répandus.
Chère Ombre, excufe moi j mes pleurs, s'ils foot:
des crimes ,
Sont dignes de pitié:
Ouvre-toi toute entière aux tributs légitimes
De ma pute amifié.
Peut-
ODES. 105
Feut-on bannir fi-tôt de fa perte fubite
Le louvenir cuifant ?
j€ le vois, je lui parle, & fon rare mcrlte
Nuit 5c jour m'eft prefent.
La plupart de les fils font en bute à Neptune
Sur les flots en couiroux.
Sans être encore inflruifs de la dure infortune
Qui nous accable tous.
Combien à leur retour tu paroîtras déferte,
Maifon de nos ayeux!
Quel déluge de pleurs, apprenant notre perte 3.
Va couler de leurs yeux ?
Je les vois.. . . les voilà . . . quel abord. , . quel fî»
lence
A l'afp^ft. de ce deuil!
Qiiels regaids ! quels baifcrs! mon Tere. •• ah! lem
préfence
; Nous l'ouvre ton cercueil.
De 1* Mort en fureur, rentre terrible épe'C'
Dans ton fan^lant fourreau.
Ah! du fang le plus cher elle eft aflcz trempe'Cj
Sans un meurtre nouveau.
Hâtfr-toi, Pieu puiflant, hélas! ma Mcre expire^.
Si tu ne la foutiens ;
Sa douleur la confume , & fon cœur ne defire
De fecours que les tiens.
E. 7 Moit^
;rio ODE S.
JMort, veux-tu la ravir? tout notre efpoit fuccombft
Sous tes coups accablans.
Achevé, entérine encor en une même tombe
La Mère ôc les En fans.
Non, mes ctîs ont percé l'étincelante voûte.
Ou s'aflled le Seigneur.
D'un regard piroiable il me voit; il ccoute
Ma finceie douleur.
3Les jours qu'il lui promet, longs, fcrains & traa»
^iles.
Sont l'objet de nos vœux.
Il flfait, lui qui f^ait tout, combien ils font utilas
A fes Enfans nombreux.
Ses brebis répondront , autour d'elle amaflVcs ^
A fon tendre travail ;
Et le pafteur f:appe', loin d'être difperfc'es,
Kefteront au bercail.
nsLANDES, je t'appris le fujet de mes larmes;
Tu fçus les partager.
Et le poids douloureux de mes ;ufles allaimes
M'en parut plus léger.
Ton efprit délicat, poli, dofte, fublime,.*'
A ton nom fair honneur;
Kais fur-tout, cher Ami, je cultive ôc j'eilime
Les takns de ton cceui.
ODE
ODES. III
ODE XXI.
A M. LE C*** Z)£M***.
Mînîjlre 6f Secrétaire d'Etat de la Marines
Sur l'ufage des Richefles.
O I le Soleil dans fa coutfe
N'épanchoit que la clarté^
Et ceflbit d'être la foiuce
D'oîi naît la fécondité ;
Prefqiie infenfîble à î'es charmeSj,
La Nature fans alarmes
Veiroit s'éclipfei fes feux;.
Et feioit plus éblouie.
Que contente & réjouie
De fon retour lumineux.
Mais auffi brillant qu'utileV
Il re'pand fur les objets
La chaleur douce &. fertile
Qui reproduit fes bienfaits.
Tout à fon abord végète:
Et cette vafte Planette ,
Agiffant pour nos befoins.
Hommes, Brutes, Fleurs, Verdure>
Sous leur diverfe figure.
Vantent l'effet de fes foies.
l'O
112 0 D E S,
L'Opulence revêtue
Du plus pompeux appareil.
Enchante d'abord la vue;
C'cft l'image du Soleil.
• Mais l'utilité publique
De cet Aftte magnifique
N'animant pas Taéîion,
Ce n'eft plus, quoii^it'il s'allume,
Qii'un fl.irnbifau qu'on s'accoiitumc
A voir ians attention.
Ecoutez, Orgueil farouche.
Avarice , cruauté ;
<La Juftice par ma bouche
Annonce fa vérité.
Pui/Tema voix entendue»
De la dureté fondue
Humanifcr la rigueur;
Et de votre Ictargie
Puifle ma vive éncïgic
Itherrompre la longueur.
Plutus s'alîîed fur un thtôr.e.
Qui chancelle dans les airs;
Le tonnerre renviroime,
Sa bafe touche aux Enfers :
Les Clrcés enchantereflls,
Les cœurs féconds en fouplcdês
S'y promettent des fuccès.
ilais la plaintive lanocence,
Dânt
ODES, 113
Bans ce féjour de licence
Trouve rarement accès.
J'7 vois des flateurs à gages,
Lâchement humilie's,
Ramper, coler leurs vifages
fliir la trace de fes pies.
Mais leurs faux cœurs en impofent;
Et û leurs yeux qu'ils compolent,
Lînçoient d'homicides feux,
La foudre, au rang qu'ils envient,
Sur les corps qu'ils déifient,
Teroit un chemin pour eux.
O vous! qui dans l'abondance.
Toujours foigneux d'obliger,
N'éK aimez la jouiflance,
Qu'afin de la partager.
De tel qui cherche à vous plaire.
Pénétrez le caraâére ,
Sans vous arrêter au front ;
Et que vos eaux bienfaifantes
CeïTènt d'arrofer des plantes ,
Qiie le ver ronge & corrompu
Ghoififlez ces belles âmes». -
En qui les réflexions
N'entretiennent que les flammes
Des plus nobles paflîons.
Leur>reconnoiflance aciive.
De la fplendcur la plus vive
114 ODE S,
Pare vos dons cclatana;
Et Iç foit changeant de face y
Vous avez dans la difgrace,
Des amis vrais 6c conftans.
Mais ^ue de vils mercenaives^
Dont vous prolongez les jourSj,
Payent vos dons falutaires
Des plas perfides rctouis !
Qiicl bifarre attrait vous fiatô
Dans un volage automate
Que le caprice conduit,
Et qui fent pour feul principe >
L'inftinft dont il participe
Avec la brute qu'il fuit.
la richefle donne au fage
les légitimes moyens
De faire ua célefle iifage
De fon cœur & de fes biens»
La Science rébutée»
La Vertu petfécutce,
N'implorent que fon appui;
Et d'une voix unr.nime,
Le refped, l'amour, Peftime,
Ne font des vœux que poui lui.
Par une route inconnue ^
Le Sort chemine à fon gré;
L'un eft de la fange nue,
L'autte du limou doic;
îtlli
.0 D E S. Tjij
Mfiis fi les hommes font freifs ,
Doux, compatiflins, iînceieS)^
Ils doivent s'entr'afilûer.
Comme diverfes parties.
Au mêin,e Corps aflbrties.
Qui l'aident à fubCfier.
L'œil fécond de la Riclieflè
' Prévenant la Pauvreté ;
La Force aidant la FoibleflcB.
Que vexe l'Autorité ;
La Charité familière.
De l'Ignorance groflîére.
Eclairant le trifte fein :
Tous du Créateur augufte^
Par une conduite jufte,
Exécutent le deûèin.
M*"^* dont la fortune
Admitoit, en te quicant»
L'Egalité non commune.
Sur ton front fage & confiant;
De fes faveurs les plus chères ,
Pendant tes deftins profpères.
Toi, qui comblas tes amis;
Dis-nous, quand le Ciel t'éprouve^
Si chez eux ton cœur retrouve
Ce qu'il s'en ctoit promis.
Tarn. l. ODE"
11(5 ODE S,
ODE XXII.
EN PROSE.
ji. M. HOUDART DE LA MOTHE\
De l'Académie Françoife.-
Sur ce qttîl a prétendu, contre le fentiment de
M. de Foliaire, qu'on pouvoit faire d'aujji
beaux Ouvrages de Poëfie^ en I^roje qu'en
Vers.
VJ K A N D 5c fameux LA M o T H E , Aigle rapi-
de,dont 1 œil, noblement audacieux, va défier les
regards même du Pciè brûlant, par qui l'a lumière
eft engendrée; foûtien le vol timide d un foible
Tiercelet, & vjen, d'un coup de ton aile fecoura-
ble , le pouflei avec toi julqu'au dévorant fe'joui
du feu.
Je pars, fe quitte la tene bourbcufe, je traverfe^
je fens les iminenfes campagnes de l'air. La vio-
lence qui rrt'enirorte me fait perdre haleine. Quel
bras puiflant m'arrête au-delTus du double fommet
de la àûOiQ Montagne ? Un merveilleux fpeftacle
s'y défoile à mes yeux enchantes. La majeftueufe
Melpomene, la vive & galante Poihymnie, la tête
panthee, U fiéchiïïant devant toi un genou refpec-
tueux, te rendent des nommages qui te comblent
d'honneur.
Comme l'indomptable Hercule purgea autrefois
l'EubU lûfeftce du riche & fuiperbc Augias , aiafi
0 DES.
M 7
tes travaux innoiubrables ont de'gngé rotrc Poëfiç
affreuicmenc accablée fous le joug tyiaiin'quc de
la Rime. Tu l'as tirée de la ; ri fou obfcine & étroi-
te, dans laquelle, plongée depuis fi kng-tems,
eliC pouffoii: des plaintes aufll touchantes que ftéti-
îes. Ta main kborieufe a biifc fes entraves cruel-
-les; Se dcJivrée du poicls lionteux de fes chaînes-,
elle refpire l'air tianquile & lercin de la liberté de-
iirée cJejmis tant de liéclcs.
Je te vois aujourd'hui , harmon'eufe Fille de l'aî-
inable Souverain de l'Hélicon ; je te vois, ô divine
locûc! te promener çà & là librement avtc les Ca-
lites , qui dinfent 6c folâtrtnt autoiiX de toi, en
te failant cent ciielTis naïves.
Lenrs blonds cheveuîf' voltigent négligemment é-
pirs lur leurs épaules blanches à la fois & vermeil-
les, femblables à de l'ivoire qu'une femme de Cane
teint en pourpre. Ennemies de la gêne, elles ont
jette loin délies leurs chaufluireâ de drnp d'or, &
fautent fi légèrement fur l'email de ia liante praî-'
rie , qu'à peine s'apperço;t-on qu'elles aient des
J'ies.
Toi-même, ô Pocfie ! toi-même tou'e écheve-
lée, tu t'es défaite de l'embarras ajuflé de ta coëf-
fure précieufe. Tes doigts délicats ne paroillent
plus enchaînés dans des cercles de diamnns, & tu
dédaignes la pompeufc parure de tes braflélets tif-
fii5 avec un art admirable.
La Profe qui s'avance, a le port d'une Reine;
plie te tend les bras, t'embrafle, t'appelle fa fœur,
& te jurant une amitié éternelle, te ferre avec
tant de force, qu'il fcmble que vous ne fafïîez plus
«jue le même coips. Les coquillages dorés, atta-
chés aux rochers limoneux; la Vigne flexible ma;
idée à l'Otnijeau qui l'appuie , ne font pas liés par
des
iig ODE S.
des nœuds plus étroits, que ceux qui vous uniflènt
maintenant enfenible.
Un ris modefie & gracieux s'echappant de tes lè-
vres cntr'ouvertes , t'ait e'cLiter fur ton vifage les
étincelles d'une joie inaltérable. L'éclair part de
tes yeux flamboyans : & tu répons à la Pxofe par
tous les témoignages d'une ridclité réciproque.
•Ciel! que l'air ailé dont tu marches, t'a rendue
différente de ce que tu étois autrefois.
Chante à jamais ta liberté recouvrée. Chante la
pe'nible défaite de la j\.iine orgueilleufe qui t'a dé-
tenue dans les fers. Mais cé'ebre fur- tout, par des
produirions plus durables que le marbre î< le bron-
ze , l'invincible LA Mothe, & fais pleuvoir
les lauriers ôc les rôles fur la tête de ton valeureux
Libérateur.
l
Lui feul s'eft armé pour ta défenfe ; & les traits
u'ont lancés des bras de Gtans, fc font émoufles
ur fa poitrine invulnérable. Il paioît , il combat,
il frappe , il foudroyé. C'eft Tancredc qui fait
mordre la poudre à Clorinde ; c'eft Renaud qui
triomphe d'AimicIe , & des vaillans &: nombreux
Chevaliers , qui dévoient, au prix du fang de ce
Héros , conquérir à l'envi le cœur de cette Héroïne
inhumaine.
Tes yeus ternis fe chargent de pleurs, ô Rime
malheureufe ! La honte fait pâlir tes joues amai-
gries ; une fueur froide coule de tous tes membres,
<)ui paroiflent pétrifiés. Mais tout à coup la dou-
Icjr fe chargeant en rage, tes derniers foupirs font
d'horribles blafphèmes.
Tes ftrophes gravement philofophiques , ô pru-
dent La Mothe! ô Poëte fagement iublime!
nous avoient toujours prélagé ton penchant infur-
mou-
ODES. 119
montabic pour ta chère Profe; & qu'il viendroitun
iciiir, cîi tu prcndrois le caf^ue & la cuirafle , pour
ui conquérir l'etrpire abfohi de notre Langue te»
;:ommée de l'un à l'autre Hémifphere.
Mais Ciel! qu'apperçois-je encore? Quelle foule
de raviflans objets frappent à l'inftant mes avides
regards ? L'Ombre glorieufe du fçavaiit l'oëtc , à
qui feptVi'lcs fe difputerent l'honneur d'avoir don-
ne la naiffance ; l'Ombre non ii oins célèbre de ce-
lui qui a porté jufqu'aux nues le nom de^Iantoue;
l'Ombre rivn'e des deux autres, cette Ombre dont
le Godcfroi Se l'Aminte ont illuftré la moderne 1-
lalie ; toutes trois te donnent de pures marques
d'une amitié non fufpede.
Je les cntens qui te foUicitent en leur faveur pat
les exprefilons les plus vives. Us te prient avec in-
fîance de brifer la mefure inutile de leurs vers, d'é-
carter loin de leur ftyle ces nombres ridiculement
réguliers , qui ne répètent que les mêmes fons à
l'oreille fitiguée, 5c par le moyen dont tu es l'in»
vetiteur, de prêter à leur Poëfie cette même beau.
te, dont tu viens d'enrichir la nôtre.
Continue , ô géne'reux Vainqueur de la Rime î
moiflonnc à plein poing les précicu'es javelles des
lauriers iinmouels; chemine à pas hardis au Tem-
ple rayonnant de la Gloire, en dépit de tes Rivaux
confiâmes. Cours y (ufpendre les dépouilles que tu
îcur cfs arrachées , encore fouillées d'une poufiîere
honorable; 6c qu'eux-mêmes fè trouve»:t enfin for-
ces de couronner ton front triomphant, de leurs
piopres mains.
ODE
rso ODES.
ODE XXIII.
EN STROPHES LIBRES,
Faite par défi dans un après-Joupé :
A M. METNOT, de Libourm près Bordeaux;
Sur fon excellent Vin de St. Emilion. '
V^UELLE prompte vapeur vient agiter mes fens?
Je travciTe les airs fur une aile divine ;
je te connois, Bacchus , à ces charmes puiflàns;
Ta voix, au pied d'une colline,
Raflèmble à mes regards les Syl vains bondiflans.
Dont !a troupe vive & mutine
Se joue, en retenant clans des chaînes d'ozier.
Que le jonc flexible entielafle,
L'Amour qui leur demande grâce.
Et veut en vain Te délier.
Ton feu m'a péne'tré; tu ceins mon front de rofes.
Les unes en boutons , les autres prcfque éclofcs;
Les Mcnides d'un pas joyeux,
Branlant chacune un Sceptre où ferpente le lierre,
panfent autour de moi, me verfent à plein verre
D'un neftar fi piquant, fi doux, fi gracieux.
Qu'après que fa liqueur fu.jtile,
Parfumant l'odorat, a réjoui les yeux.
Le palais le plus d.fficile
Sç plait à favourer fon goût délicieux.
' -J} Qrie
ODES. 121
Qiie vois-je ? Du Mogol on vient m'offtir l'Empire,
Fuiez loin de ces bords, députes fédu(îeuis;
Portez en d'autres lieux vos préfcns impofteurs:
Mon cœur jouit de tout, ayant ce qu'il de'fiic.
Eh ! que m'importe d'être Roi ,
Si je fuis heureux fans couronne ?
Les foucis inquiets volent autour du Thrône,
Je dois quand je fuis las, lorfque j'ai foif, je boisj
Que j'eûime le fort du fage,
Qui du faftfe & du rang dédaigne l'efclavage,
Et qui , fans commander , ne dépend que de foi !
Des bords de la Garonne , ô toi , l'honneur infîgne!
Meynot , qui fut les mers fais pafler jufqu'à nous
Le baume fouverain , ce jus vermeil & doux,
Tre'for , dont t'enrichit ta vigne ;
Admire les effets qu'en mon cœur tranfporté
Ton Saint-Emilion enfante,
Quand fes flots pctillans bercent la volupté
Dans la fougère tranfparente ,
Qu'environnent les ris, les jeux & la fantf.
Le vin qu'au rivage du Rhône
L'œil du jour carefle & rôtit.
Sous une écorce qui bouillonne.
Et dont l'afpea riant chatouille l'appétit.
Le Champagne fumeux, le Bourgogne amiable.
Ces vins que l'on fert à la table
ÎDcs enfans de la terre & des Seigneurs pompeux;
Le Falerne vante', le précieux Tokaye,
Tum. I. F Ne
122 ODE S.
Ne valent pas ton vin fameux,
Dont la louange noble & vraye
Failèra dans mes vers à jios derniers neveux.
Il produit les tranfports, dont la lyre héroïque
Enflûmmoit .par fes tons le Vainqueur duGranique;
Les Albains (♦) généreux, nos l'uperbes voifins,
Dai2s l'ombre de la nuit, excités par tes charmes,
Quitteient leurs maifons & couiurent aux armes.
Comme fi l'ennemi ravageoit leurs confins.
De ces nouveaux Ajax la Cohorte guerrière,
M.«rchant fous l'étendart du plus hardi courroux.
Et de fes battions franchiflant la barrière ,
S'écria mille foisj Jupiter, Dieu jaloux.'
Commande au Dieu du jour d'apporter la lumière.
Et fi tu veux, combats loi-irême contre nous.
La fille , l'cpoufe , l'amante ,
Se jettent , en pleurant, au devant de leurs pas;
Ici le jeune Hymen, déployant fes appas,
D'une démarche trifte, & d'une main tremblante
Relevé du berceau, remet entre leurs bras
Ses fruits , fes tendres fruits , que faifit d'épouvante
Des cafques cizelés l'acier étincclant.
Wars dans toute leur ame allume un feu brûlant.
Ah! celTez, di!ent-ils, fexe foible & timide;
Lalffez-nous obéir au tranfpoit qui nous guide.
A-
(*) Araoture arrivée peadant la demicre jaerre.
ODES. 123
Avnnt que ie foleil brille fur l'horifon.
Vous nous verrez couverts de gloire,
Ou nous irons dins l'onabre noire
Achever cette nuit chez l'horrible Pluton.
Dans tin fragile efquif , fans frayeur de l'orage.
Des pêcheurs qui tâchoient, à la lueur du feu.
D'attirer le poiiTou volage ,
Les avoient trompes par le jeu
De cette éblouïlfante image;
Mais leur impatiente ardeur
A chercher l'ennemi fjt la fimple apparence,
Prouve éternellement que fa fiere prefence
N'eût fait que redoubler leur louable fureur."
Digne d'être chanté par Virgile, ou Voltaire,
Meynot, <}ue jeftime & révère,
Prends part a des exploits fi beaux.
Quoique toujours conft-nte & ferme,
La vaillance ait d'abord Ion principe & fon germfi
Dins le ceeur des parfaits Héros;
Une pointe de vin fait reverdir encore
Les lauriers qu'Apollon & Bellonne ont plantés.
Témoin ce qu'en a dit dans fes vers refpeftés.
L'aveugle lumineux, dont le Pinde s'honore,
Et que cinq fupeibes Cités
Prétendent avoir fait éclore.
ïl dit dans fes granc!s airs, ce Cygne Ionien,
Dont Bacchus rec'naufFa la Mufe infortunée.
Que de tout combattant , fût-il Grec ou Troyen,
F s U
124 , ODES.
La brillante valeur de pampre couronnée.
Se vit foutent cnlumine'e
D'un doux ncâar pareil au tien.
Ouï, fans être ofFufquc par de trompeurs prefliges,
J'ai vu, Meynot , j'ai vu fur ces bords glorieux
Ta liqueur opérer d'incroiables [irodiges;
j'ai vu nos Citoyens, le plaifir dans les yeux.
Livrés à leurs eflors fuprcmes,
Surpris de leurs talens eux-mêmes,
A table, fans effort, fans étude, fans art,
Sur le coude appuyés , parier divcifes langues;
Et par l'enthoufiafme emportés au hazard.
Enfin je les ai vus prononcer des harangues.
Dignes de faire envie au favant Tullius,
Et déclamer des vers avec la force aftive,
Ce gefte aifé, brillant, cette voix fouple & vive.
Qu'on admira dans Kofcius.
Et moi qui, chériflant une illuflre manie.
Eprouve d'Apollon l'aimable tyrannie,
Pouvois-Je du fouper au tems d'entrer au lit.
Des Strophes franchiflant la mefure incommode.
Concevoir, enfanter cette Ode,
Si ton vin gcaéicux n'eût aide xaoa elpiit S
ODE
ODES. 12$
ODE XX IV.
V^U'un autre afpire aux dons chéris y
. Que ceux qui portent la couronne,
Ke'pandent fur leurs favoris;
Que d'un frivole honneur épris ,
AmSnt enflamme' pour Eellonne-,
Un autre remporte le prix
Que fa fureur ambitionne ;
Que pour de folles dignités
Un autre rampe & s'abandonne
A de ferviles lâchetés;
Que fur la mer Orientale
Un autre aillé afFionter le fort;
Que foupirant après le port,
Sa vie, à deux doigts d'intervale,.
rlotte fans celle fur la mort.
L'Ambition Se l'Avarice,
Patentes d'inclination,
Vautours, que nourrit l'InjuAice
Enyvrés d'exécration ,
En proye au plus dur exercice ,.
Vomiflent l'ame dans la lice,
Vidimes de leur paffion.
L'une infolente & magnifique,-
leitile en termes fuboineuis,
ï 3 In-
126 ODE S.
Infatiable de grandeurs,
Par un tiflu de politique
Afpire à de nouveaux honneurs;
L'autre par une route inique,
Pleine 8c vuiile, a£iive, hydropique,
S'cpuife en araafTant de l'or ,
Et fe fait un Dieu Domeûique
De fon déteftable tréfor.
Tout moi, que le fot monde bicffe,
Des Grands & des fats rebute ,
Sincère ami de la pareffe.
Je cours après roifivetc.
Nul autre bien ne m'intérefle ,
Que l'amour de la liberté ,
Et fans éclat & fans tichefle »
Une konaêtc commodité.
%a£»
£th
E P I T R E s.
E P I T R E I.
AS. A. S. MONSEIGNEUR
LE PRINCE DE CONTI,-
Sur Ton retour de la Campagne d'Allemagne 1734.
fenite igitur in maKus r.ojlras frofprra fiareniurit
vota f feiicibui aufpiciis propagatdjêbcles qus. e;ffi'
citis ut Çy genuij/e Juvtt {y generart iiécat. Val.-
Max. Liv. 5. c. 4.
X Rince, que la Vertu dès l'âge le plus tendre^
A trouvé docile à fa voix,
C o N T I , vos glorieux exploits
Ont charme' tous les cœurs, & devioicnt nous fur-
prendre ,
Si nous n'étions en droit de tout attendre
D'un ?iince iiiu du fang des Héros Se des Rois.
F 4 Le
;i'28 EPITRES.
Le Ciel vous récompenfe; à nos vœux favorable.
Il vous ofFre , à votre retour ,
Le préfcnt le plus-âgréable
Q^i puiflè flîter votre amour.
les Jeux en voltigeant vô^s enlèvent vos armes;
Le plaifir {accède aux alarmes,
Le repos aux travaux guerriers:
L'Hymen tendrement voas embrafle ,
Et fa main le'gere entrelaflé
'Ses myrrhes parmi vos Javniers,
]e le voi cet Hymen ; peut-on le méconnoître
A fon air noble 6c vertueux,
A fon port , à fon œil chaftement amoureux ?
L'Amour confiant qui le fit naître.
Accompagne fes pas : & par des nœuds nouveaux
Ces Dieux unis ceffent d'être rivaux.
L'un 5i l'autre animés de tendrefle & de zele.
Avec empreÛement vous prcfentent un Fils ,
Le feu des^'ORLEA vs alliés aux Contis
Déjà dans fes yeux étincelle;
Que d'appas dlfférens dont les cneurs font épris!
La vive imprelHon d'une flateufe joie
Sut fon front gracieux fc montre & fe déploie;
Il reconnoit fon Père arec un doux fouris.
llluftre Enfant, ce foùris eft l'augure
D'un fort dont le bonheur filera les momen?.
Le fçavant Apollon pénètre l'ombre obfcure.
Qui couvre la fuite des ans:
Et lui-même aujouid'lmi par fa voix il m'aflUre-
Qu'à
EP ITRES. 129
Qu'à la table d'un Dieu vous brillerez lo«g-tems
Dîett vous-même; & qu'enfin une jeune Deefle^
Digne par fes vertus de combler tous vos vœux.
Vous enchaînera dans les nœuds
D'une légitime tendrefle ;
Et que goûtant un calme heureux ,•
Charges Se d'honneurs & d'années ,-
Les Auteurs de vos /ours verront de leurs ncveur
fleurir les longues deftine'es.
Vous regardez ce Fils , vous l'embraflez cent fois, .
Vous donnez cent baifers à fon aimable Mère :
Que je vois bien le cœur d'un Epoux & d'un Père ?
Mais , Prince, file Ciel raflembloit à fa voix
Ce que le monde a de PrincefTes,
Et que laiiTant vos volontés maîtitfles-
De faire un agréable choix,
H vous permît de prendre de chacune
I^s plus rares talens, pour en compofer uno-
Au gré de vos fages defirs ;
■*'- Cette Princcfie pourroit-elle
Etre plus parfaite que celle
4^vec qui vous paflèz vos jours dans les plaifirs"?
Mais quel fombrc & trifle nuage (*)
Jette dans mes efjirits fes voiles odieux!
Ma voix trouve à peine paflàge,
Les pleurs s'échappent de mes yeux.
Arrêtez , fier Trépas , arrêtez. . , ah ! grands Dieux î'
C'eft
Ç*') L'accouchement de Madame la Priacefle de Couti ».•'
voit mis fa vie en danger.
F c
130 E P I T R E S.
C'eft votre pitié que j'implore.
Sauvez (es jours... Que dls-je? ô fatal fouvenirî
Pourquoi vicn-tu m'entretenir ?
Ah! pardonnez, Princefle; hélas .'j'en tremble encore.
Quand je penfe au pcril ou vos jours fe font vus.
O dcftins! m'écriai- je, ô malheurs imprévus!
Paut-il que poar l'Hvmcn l'Amour fe faciifie?
Et que la fource de la vie
D'un fils à qui le Ciel doit le plus heureu.x fort.
Soit , charmante C o N t i , celle de votre moit ?
Cependant, attendvis par d'innombrables plaintes,
Les Dieux diilTperent nos craintes.
Et vous rendirent la fanté.
Ce n'eft point fans douleurs qu'on enfante un AI-
cide :
ïlus le bienfait eft grand , & plus le Ciel rigide
Demande qu'il foit acheté.
Mais en étoit-ce affeijpour nous rendre trani^uiles?
Tandis que votre Epoux, ému!e des Achiles,
Voloit à travers les hafards.
Et que pour aborer nos Lys fur les remparts
Des Fortereflès & des Villes,
II biavoit le courroux êc les foudres de Mars ?
Kell vit avec effroi fon invincible épée.
Dans le fang du Germain trempée,
Cttidet nosConquérans fous les armes vieillis;
Et fur fes ailes la Vitèoire
Porta fon noble Elevé au fo m met de la g'oire,.
Couronné d»s lauriers que lui-mime a cueillis.
Or.
E P I T R E s. 131
Orgueilleux rhilisbourj , ou triomphent nos armes.
Vous avez éprouvé jufqu'oii va fa valeur;
Et le Rhin dans fes flots le voyant fans alarmes,
Frémit en admirant fa belliqueufe ardeur.
Ces Grecs & ces Romains, dont les noms d'âge en
âge
Ont été préfetvc's des horreurs du tombeau ,
Du métier de Héros faifoient l'apprentiflage ,
La guerre étoit pour eux d'abord un art nouveau:
Les CONTi s font Héros au fortir du berceau,
Et la femence du courage
Germe, éclot à la fois, brille en un fang Q beau.
CONTi, que n'ai-je alTez d haleine ,.
Pour pouvoir, au gré de ma veine ,
Célébrer vos vertus, Se vos exploits divers?
j'cxpoferois aux yeux de l'Univers
Ce cœur noble, cette ame humaine:
On TOUS verroit, en fortant du combat.
Voler dans tous les Camps, vifiter le Soldat,
Raccourcir l'extrême diftance
Qiie met entre eux & Vous la plus haute Naiiïhnce;
Confoler celui que le fort
A choifi dans la foule , & dont l'aiFieufe Mort,' ,
Secondant du Dieu Mats les rigueurs meurtrières.
Va fermer pour jarnais les tremblantes paupières;
Veiller vous-même à leurs bcfoinî,
Leur partager vos bontés & vos foins;
Et comme un Pélican que la tendre nature,
Pour nourrir fes petits, porte à s'ouvrir le flanc,.
Prôt à leur donnet votre fang ,
S'il leur pouvoir fervir de aounituie,
E « C 0 N-
132 E P I T R E s.
eoNTl, vous imitez vos illiiftres Ayeujt, "^
Votre Fils marchera fur vos pas glorieux.
Le Lion toujours intrépide
N'engendre point un Cerf timide,
Et les Dieux engendïcnt des Dieux.
E P I T R E II.
A. M. LE MAR(^UIS de R obi en-,
îréfident à Mortier au Parlement de Bretagne Se
de. l'Acadcmie Royale^ des Sciences & Belles-
Lettres de Berlin.
Le Jour de falnt Chrijlopht fa Fête.
JL R e' s I D E N T , qui régnez dans cette folitudc
îlus charmante pour moi que toutes les cités,
J'y goûte, exempt d'inquiétude ,
lîes plaifîrs que j'avois fi long-tems fouhaite's.
Coûtent auprès de vous, je puis dans cet afyle.
Tantôt errant au bord des eaux.
Tantôt à l'ombre des ormeaux.
Mêler l'agréable à l'utile;
Et fïiîvant pas à pas votre goût toujours fur ,,
AfTcmbler Socrate ?i Virgile ,
jSlaupertuis 5c Rouffeau, Rollin & Rc'aumur.
Que j'aime ce loifir tranquile !
^te pour moi vos difcours ont de touchans appas .'
Et
E P I T R E s, 133.
Et qu'ils font au-deflus du frivôte embarras
De tous les cercles de la ville !
Votre fçjvoir prodigieux
M'emporte par delà le fëjour du tonnerre ;
La foudre & les éclairs fe forment fous mes yeux>
Les élcmens armes fc declaient la guerre;
Sous vos habiles mains,, mes regards curieux
Pénètrent des oifeaux le fein myftérieux ;
Et par un nouveau jour ,. qu'un cercle c'troit enferre,.
D'invifibles objets, foibles , vils, odieux,
Me faifillènt d'eiFtoi , devenant fous un verre
Crocodiles, ferpens, dragons audacieux,
De-là changeant la fcène, Adeur inge'nieux.
Je defcends avec vous au centre de la terre;
Et plus heureux qu'Icare ébloiii dans les airs ,,
Vous me guidez au fond des mers.
Vous me développez dans ces divers voyages 3.
Les fofliles cache's , le tilTu des métaux ,
Des plantes 6c des animaux.
Des poiflbns 8c des coquillages.
Dont le beau cabinet que vos foins ont acquis.
Nous étale avec choix les monurnens exquis;
Tiibuts des plus lointains rivages.
Votre efptit lumineux s'étend fur tous les âges;
Un mot , un carafterc , un trait ,
Rappellent à votre mémoire ,
Et lui découvrent le portrait.
Les tcms reculés Se l'hiftoirc
£ 7 Dôâ
134
E P I T R E S.
Des Rois, des Empereurs, des Hcros S< dcsDieujr,
Comment avez- vous pu, mortel chéri des Cieux,
Aflbcier tant de fciences ,
Tant de fublimes connoiflances
Aux périlleux détours du dédale des lois,
Dont, fans vous égarer parmi leur nuit obfcure.
Vous tenez conftarament le ûl d'une main fiiie.
Capable de tout à la fois ?
"Il faut pour y fournir, Ptéfident admirable,
Qiie dans votre efprit vif, exaifl & pénétrant.
Vous ayez aujourd'hui la force incomparable
Que votre Patron mémorable ,
Saint Chriftophe , eut jadis dans fon corps de
géant.
Quoiqu'in formé trop tard qu'on célèbre fa fcte,
Je voulois vous fleurir; mais je n'apperçois rien
Pour offrir à celui qui maître d'un grand bien,
D'ailleurs porte lui feul l'Univers dans fa tête.
Tout répond à vos vœux ; alîis au plus haut rang.
Vous avez une Epoufe en qui de votre fasg
Circula l'illuftre Nobleffe,
Le fang des Robiens, fourcc de fa clarté.
N'en efl que plui biillant fans éclat emprunté.
Cette tendre moitié, que la blonde jeunelTe
Doiia de raille attraits dont les yeux fpnt charmés,
A réuni Vénus ôt la SagclTe;
Et chcriffant des noeuds que l'Amour a forme's,
Vous aime autant que vous l'aimez.
Ses grâces à propos nobles îc familières
Impriment dans un cœw l'cflimc Ô4 le rcfpeft.
E P I T R E s. 135
1,'efptît pour ce qu'elle eu, à. fon air, fes maaie-
res,
La connoît au premier arped.
Puifle Lacliélls favorable
Sans calculer vos jours en groffir fes fufeaux.
Et retenir la main de fa fœur Atiopos,
Qui celïant d'être inexorable ,
Doit tefpe<Ser des nœuds fi beaux,
luiiïîcz-vous en fanté voir votre fils grand perej
Ce Marquis occupe de l'amour de vous plaire j
Imitateur ingéaieux
De vos talens fi précieux,
£t des vertus de fon aimable luere.
Four moi Je joiiirai du deftin le plus doujc^
Si recevant mon homm.ige fincere,
Votre amitié, qui m'honore & m'eft chère.
Dure autant que les vœux que je forme pour vous.
E P I T R E III.
A M. BOUGUER,
Mon Compatriote, derAcadcmie Royale des Scien-
ces de Paris & de celle de Bordeaux.
Sur fon retour d'un voyage de neuf ans dans les Payt
méridionaux, entrepris par les ordres du Roi.
T
U finis, cherBouguer, tes travaux Si mes pei-
nes,
Par toc se toux heureux;
1^6
Ê P I T R E S.
Neptune, dont j'ai crainr les fureurs inhumaines ^
Te redonne à mes vœux.
J'ai tremble que fur toi fa funefte vengeance
Ne fit tomber fes coups ;
Voj'ant tant de Nochers qu'inftr;iifit ton enfance
A braver fon courroux.
Leurs agiles vaifTeaux du Midi jufqu'à l'Ourfe ,
Firent voler ton nom ;
Et ta main , quoiqu'abfente , au milieu de leiif
courfc,
Dirigea leur timon.
A l'âge oïl follement la jeuneflfè enivrée
S'endort dans les plaifirs ;
La tienne plus folide, à l'étude livrée^
Y borna fes defîrs.
Ne t'avons-nous pas vu fuir la foule inquiette j
Au fominet de nos tours ,
Et d'Aftres prefqi'éteints au bout de ta lunette
Rallumer les contours ?
De-là tu comparois la grandeur des nuage»'
Sur la rive imprimés ;
Abrs tu méditois, dans tes remarques fages,.
Tes écrits renommes.
Mais dé ton Orient c'étoit les étincelles,
Les jeux & les elTais.
Aiglon, tu préparois à l'efTor de tes aîles-
De plus hardis fuccès.
Qaels chef-d'oeuvres depuis n'as «tu point fait é-
clore,
S^avant ,. fwbtil , piçfond ]
i'. ■■ Ton
E P I T R E s. 137
Ton Pays, le Royaume: oui, l'Univers s'honore
Des lauriers de ton front.
Que l'immortel Honneur , pour les âmes bien née»
A de traits chatouilleux?
C'eft lui dont le confeil fia tes deftine'es
Aux hafards périlleux.
Tu quittas, pour complaire aux defits du Monarque,
Des jours purs 5c ferains ;
Aident à t'expofer, au mépris de la Parque,
Sur les flots incertains.
Paflànt^e ton vailTeau fur des Mornes (*J terribles,
De glaçons hérifles,
Là des pc'rils plus grands , par des retours horribles»
Succédoient aux partes.
Sur ces monts fourcilleux, redoutables afyles
D'un hyver éternel ,
Tu n'avois pour rempart que des tentes fragiles.
Contre le froid cruel.
Tes doues Compagnons, qu'un zèle égal infpire.
Ont partagé tes maux,
II5 partagent ta gloire, & l'Univers va lire
Et vanter vos travaux.,
D'autres ont avant vous , pouflcs par l'efpérance , ^
Couru fur l'Océan ;
Mais leur art s'ébahit, & l'on vit leur confiance
LafTée au bout d'un an.
D'autres ont avant vous, pendant plulleurs années.
Soutenu leur eTpcir;
Mais
(*) Montagnes d'Aniériq,ue , fort élcviîes, où pêndaut U
ttuît le froid eft exceflTf,
138 E P I T R E S.
Mais pour mettre à profit leurs rapides journées.
Ils manquoient de fçavoir.
Ta dis, mon cher Bouguer, quau plus fort de te»
peines ,
J'ctois à ton côté,
Et qu'en parlant de moi fut ces rires lointaines,
Tu te fentois flatc.
Crois auffi que par-tout j'ai porté ton Image
Empreinte dans mon cœur,
Et que dans mes revers ton aimable vifage
Fut mon confolateur.
Mais pour peu qu'en neuf ans la Mer parût c'mue j
J'en perdois le repos;
Mon amour effrayé groflifloit à ma vue
Les dangers & les flots.
Neptune, épargne, dis- je, une tête fi chère;
Exauce un malheureux:
Sinon porte la mienne au gré de ta colère ,
Et rejoins-nous tous deux.
Tu reviens ; & mes jours n'auront plus d'amertume :
Je revois, enchanté.
Sur ton teint refleuri, dans ton œil qni s'allume}
Renaître la fanté.
Ralentis toutefois d'une étude aûîdue
L'ufage immodéré:
£lle fait ton plaifir; mais le plaiHr nous tue.
S'il n'eft pas tempéré-
La Mort dont le compas n'adîgne au plus grand
homme ,
Qii'un tiifte ii court teiteinj
/ la
E P I T R E s. 139
La tcte dans les Cieux, renveife l'Aftionome,
San telefcope en main.
Jouis d'un doux loifir, fi tu veux bien en croire
Ma tendrefTe & ma foi.
Après aroir vécu pour autrui, pour ta gloire,
Cher ami, vis pour toi.
M. DE LA SoRiNiERE ayant fait inférer
dans le Mercure de Juin 1746 les Fers fui-
vans ,
Nouveau CatulIc, organe dC Apollon t
Enfant gâté fur le /acre vallon f
yivez les Jours de Sophocle dy d'Homère;
Et dans un coin de ce va/le Hémifphtre,
SoUmis aux lois de la faine raifon ,
CoUtez les fruits d'une utile retraite ;
Et Phihfophe autant qu'Anachorette^
Forgez des Vers dignes de votre nom.
M. Desforges Maillard y répondit
par cette Epitre.
EPITRE IV.
A M. BELA SORINIERE,
De l'Académie Royale des Sciences &* Belles-Lettres
d'Angers,
V^ Ui , le talent des Vers eft beau , cher Soriniere,
Quand on r<^ait l'ait d'unix aa brillant coloris ,
L'é-
140 E P I T R E S.
L'clégance, l'accord, le goût & la manière ,•
Que j'admire dans tes écrits.
Mais je prife encor plus ton cœur droit & fincerc^
Cette candeur & cette probité ,
Qui, comme on me l'a raconté y
forment ton rare caradlere.
Voilà pour toi fans compliment,
Ami, les'vrais motifs de mon attachement;
Car de Londre à Paris, de Congo jufqu'à Rome,
On tiouveroit plus aifément
Cent beaux Efprits , qu'un honnête
homme.
En difFc'rens états, comme en divers pays,
Je me fuis fait ce que l'on nomme
En flyle commun, des Amis.
Ainfi qu'un Papillon qui voltige & s'immole
A l'éclat qui feduit fa crédulité folle ,
J'ai fuivi quelques Grands, Fantômes refpeiftésj.
Avares de réalités,
Prodigues d'un efpoir frivole.
Geux-ci dans mes chanfons en héros e'rigés,.
Yvres de mon encens, de mes palmes charge's,.
M'ont afpergé de certaine Onde,
Eau- bénite appellée, & m'ont fort polimetu
Promis à tout éve'ncment
La moitié de la terre ronde.
Les autres qu'infpiroit une veine féconde.
Bans leurs chiffres tracés de la main du Zcphir,
M'ont juré de m'airaer jufqu'au dernier foupii.
Leuz»
E P I T R E s. 141
Leurs fons étoient fi doux, leur voix etoit û tendre,
Q!_i'il fembloit que l'Amour aux rives du Lignon,
Sous un inirthe fleuri leur eût fait la leçon.
Comme il la faifoit à Sylvandre,
Au jeune Hilas, à Céladon.
Cette foule d'amis, fi vrais à les entendre.
Ne l'étoient pourtant que de nom.
J'ai vu fe diflîper leur volage fequelle,
Comme on voit dans les airs un timide- efcadron
Se rompre devant l'Aquilon,
Et s'cchaper à tire-d'aî'e.
Deux ou trois, & fur-tout le célèbre Titon,
Et l'illuftre Bouguer, dont le peuple Triton
Fait Tonner fur les flots la louange immortelle,
Qnc la terre à l'envi répète à l'uniflbn;
Ceux-là, fans démentir leur bonté naturelle.
M'ont conftamment payé d'une foi mutuelle.
Telle écoit au furpius l'étrange illufion,
La téméraire opinion
D'un homme fimple & franc, qui n'avoît pour fyf.
tême,
Qtie de fe figurer les fentimens d'autrui ,
Suivant ce qu'il fentoit en lui.
Dans mon aveuglement extrême,
Iflfenfé j'cubliois ce que Pétrone a dit.
Comme dans le quatrain qui fuit
]e l'ai paraphrafé moi même.
On prône, on vante aflez fon cœur, f'')
(*) Nomen amiciti», fi çiuatenus expetfit, liîeret.
fttr. SaijrU:
142 E P I T R E s.
De promettre beaucoup on fe fait un mérite;
Mais l'.imi qu'on éprouve, heGte
S'il s'agit d'employer Tes l'oins i< la faveur.
Hc'las! c'eft de tout tcms q ic la Fortune adverfc.
Cette Divinité perverfe, -
Des amis inconftans a fait rougir le front.
Ceux du galant Ovide exilé dans le Pont,
En foiii ime preuve éternelle.
Mais que quc'qj'un des miens par une rrahifon
M'ait lâchement rendu, viftime trop fidelle.
Un fi grand coup de foudre étonne ma raifon ;
J'ai long-tems lelTenti fon atteinte cruelle,
Dont pour moi la penfée eft encore un poifoni
Auflî j'ai fait une liallc
Des lettres, des billets de tout ce monde-là j
Et pour inicription fur cette papernfTc,
Dans ma mauvaife humeur j'ai mis, à qui liray
Lettres de faux amis , trompeurs , £>* cetera.
Enfin pcrféve'rant dans fa longue colère,
Souflant toujours le vent contraire,
La Fortuné m'a confine
Dans le climat oîi je fuis ne'»
Sur une côte folitaire.
C'cft-là qu'en imprantptu l'Hymen vint me lier;
Sur quoi !e Préfident IJouhier,
Ce ffavant renommé, que le Pinde regrette.
M'écrivit aflez plaifamment,
Qu'il étoit juAe ^u'ua foëte
E P I T R E s. 143
Eût tout fait poétiquement.
Mais puis-je, Ami tiès cher, te faire en aflutance.
Une certaine confidence?
Tu me promets du moins de ne pas l'c'venter;
Mets la main fur ta confcience.
La femme que j'ai prife aitne tant coqucter.
Que nulle autre en ce point ne l'égale, je penfe.
Sairailn, diras-tn, dans un fort besu Sonnet,
Nous apprend que l'efprit coquet
Des femmes fut toujours l'attrait.
Et la rocambole ordinaire ,
D'accord r m^-is j'ai furpris la mienne fur le fcait.
Sur le fait! Avec qui? De cet autre fecict.
Si tu m'.ilTùres de te taire,
Je te ferai depofitaire.
He' bien, je l'ai trouTce , . écoute, & fois diTcrct»
Je l'ai trouvée , Ami , fur un lit de fougère,
Qi^ie parfumoit le ferpolet.
Et les rideaux tirés, même en fon cabinet>
Couverte feulement d'une gafe légère.
Tête à tète, en commerce avec Virgile, Homère,
Horace, Anacréon , 5c tel autre Muguet,
Tu comptois , conviens-en, que la fin du myftcre,
Feroit allonger moiT bonnet ;
Noa, d'une fage époufe, & très- digne de plaire
Par fes appas 8c fès talens,
Euterpe fur le Pinde, Euphrofine à Cythere,
Voilà les Favoris , les aimables Gslans.
Sans ce rapport de goût, ferois-je aujourd'hui père»
JP ete de deuji £ls en deux ans ?
Moif
144 E P I T R E S.
Moi, qui bravant d'Hymen le pénible efclavage,
Ne cdnnoiîîbis l'Amour que pour un Dieu vol.ige,
Et qui ra'etois voué pour toujours, à l'état
D'un volontaire Célibat ;
Moi qui ne prétendois dans mon petit ménnge,
Qu'être père d'enfans qu'il ne faut point bercer,
Qui ne courent pas plus à nourrir que mon Ombre,
Mafculins, féminins, toujours piéts à danfer.
Qui ne coûtent point à chauffer,
Quoique leurs pies foient en grand
nombre;
rnfin moi qui n'avois d'autre cupidité,
Agiffant, penfant à ma mode, ,
Que d'être le père d'une Ode,
Ou telle autre poftérité,
Bamille qui fe joue, & n'eft point incommode.
Agréable paternité.
Suivant certain Difton, dont îa date eft antique.
Et qu'en tou^ lieux l'ufage a rendu fort commun ,
On dit, lorfque l'on voit fourmiller chez quelqu'un
L'ne enfantine République,
Qu'il n'eft pas trop de gens de bien ;
Sans doute; & commp, un bon Chic-
tien,
Ce bien fi vanté, je fouhaite
Qu'il abonde chez mes voifins,
Et in Uteribus^ comme le Roi Prophète
L'exprime dans fes Chants divins.
Le Dieu qui règle mes deftins ,
Weft pourtant, Soriniere, en un point favorable,
£o
:E'P ir R E s. 1,4-5
Ett-re que fa bonté me confer»e un thréfbr,
A mon cœur, à mes yeux thréforplus eftimabliî
Que la perle, l'argent & l'or.
Je n'ai point voyagé de contrée en contrée.
Et n'ai point fillonné , Marchand ambitieux.
Sur la foi du fougueux Borée >
L'Empire inconftant de Nérée ,
j Pour chercher ce bien précieux:
Il eft en ce réduit maritime & champêtre.
Et je ne puis le trouver qu'en ces liçux.
Ce thréfor, cher Ami, c'eft celle à qui les DieuS
, Ont voulu que je dulîè l'ctre,
A qui je dois bien plus; l'amour de la vertu.
Le deCr d'obliger, & la crainte de nuire.
Ce cœur, que les méchans ont en vain combattu, '
Que le clinquant n'a pu féduire,
Qyi fjait diftingucr l'homme , 6c du titre 8c dn
rang ,
Les talens pcrlonnels des chimères du fang.
Veilletdonc fur fes jours, ô PuifTance éternelle.'
Aecotdez-lai , grands Dieux , par clémence poiu
nous,
la vieilîeffe d'Hécube, & des deftins plus dotw^
Affenrive à vos lois, fa charité, fbn zele.
Et l'innocence de fes mœurs,
'Y.a rendent à jamais digne de vos faveurs,
D'im petit patrimoine économe fidelle,
Laiflez-la partager entre nous fes douceurs.
Et cinquante ans encore aflc mbler fous fon aîle ^
Cinq Frères tendrement unis à quatre fœws.
... ITem. I, G Tj3
14(5 E P I T R E S.
Ju goûtes, cher Ami , ces plaifirs enchanteurs.
Dans ta retraite pacifique;
Maître d'un Château magnifique,
Ta femme , tes enfans te forment une cour ,
Où fans fadeur, fans flaterie,
La fincere Amitié' par la Vertu nourrie.
Naquit du plus parfait Amour.
La Fottune.pour toi moins fauvage , moins dure,
Et moins quintcufe que pour moi.
T'a ttahfmis de fes dons une jufte raefure.
Pour vivre indépendant, & pour être ton Roi.
Tu plais à ton Epoufc, elle te plaît de même,
, Tu l'aimes autant qu'elle t'aime.
Du foin de vos enfans vous faites votre cmploij
Et tout autour de votre table ,
Vous voyez d'un œil amoureux,
!^BQm« plans d'oliviers, cette troupe agrc'able.
S'élever & combler vos vœux.
Ainfi coulent tes jours heureux,
Ainfi , cher Ami, tu t'amufes,
Affidu ménager d'un loifir fludieux;
Et dans ce beau féjour, PaïnalTè glorieux.
Le perc eft l'Apollon ; & les neuf doftes Mufes
Ce font Ç&s neuf enfans, polis, ingénieux.
Qui forment fur fcs tons leurs chants harmonieiUf»
Tu te plains, que troublant le repos de ta vie
La Chicàhe contre elle ôfe lancer fcs traits;
EHe m'atta;*ae bien, cette fombrc ennemie,
7»loi , dont le «venu ne doit point faire envie
i - Aux
E F I T R E s. 147
Aux noirs amateurs des procès.
Ami, n'ayons dans nos projets
Qiie la feule e'quité pour guide,
Banniflons l'intéiét avide;
Et l'exade The'mis nous repond du fuccès.
Le Ciel en te faifant poflèflèur d'une terre.
Comme aux autres, mon cher, t'a donné des V(H<«
fins.
Si leur cupidité te déclarant la guerre.
Cherche à reculer tes confins ,
Pour e'tendre les leurs fur un aûe équivoque.
Ou fur un vieux titic baroque ,
Dont le chifre effacé rend Je tems incertain;
Chex Sorinicre, je te plain.
Je penfe toutefois qu'il vaut mieux fe défendrâj
Et réfuter ce qu'ils ôfent prétendre.
Que de n'avoir point de terrein.
Ou ramafler allez de grain
Tour fournir au cours du rae'nag;?.
De l'avoine & du foin pour nourrir l'équipage,
{9Ut égaler la veine un peu d'excellent vin»
Ofeille & laitue au jardin
■- Ponr en couronner le potage.
Quant au fruit de la vigne, il t'eft indifférent^
Tes vert font le pane'gyrique
De l'eau froide, qui ne te rend.
En revanche, que la colique,
îourquoi dire à l'un d'eux un éternel adieu»
Et ne point marier la Nayade & le Dieu?
Le Crcatêui; de tour, & qui pax-tout léUde,
G a Bé»
•148 E P I T R E S.
Dcbrouillant le cahoi, tempera fagement
Le chaud avec le froid, le fec avec rkumide,
^oui en former chaque élément.
Ce qui nous prouve évidemment.
Que de notre frêle machine
L'Onde claire & le Vin, mélangés fobrcmen*.
Peuvent retarder la ruine.
Et le fameux Roi d'ifracl.
Ce Botanifte uaiverfcl ,
Qui connut herbe, fruit, & la Nature en fomme,
N'enfeignoit-ii pas que VinMm
'■ Lonura
Réjoiiiflbit le caur de l'homme?
Si le Ncftar d'Anjou , pareil au vin Breton ,
Ne valoit pas du jus de pomme.
Te te pardonnerois; mais c'eft un divin baume, '
Sur-tout lorfque le tems le meurit en flacon.
Homère, Théognis *, Horace, Anactéon
Ont chanté du bon vin la puiflance & la gloire ,
" ' Et fa vertu, nous dit l'Hiftoire,
* Réchauffa celle de Caton.
Et Mathutin Régnier, ce cynique garçon.
Du mordant Defpréaux ce maître à rouge ttogns,
N'a.t'il pas dit auffi , d'un facétieux ton ,
^ ' Qu'««
* Tlicognis, Poe te Grec, dont les Po'efies font morales &
fententieuVes. Il a dic en parlant du vin, fuivant cette tta-
duftion,;. ;
ViKUm potare multam , ma'.um efl , p «'"•" !7«" 'tf""*
Poinrit /<niitsit:er , non ma^iim , fia bomm 'fl»
E P I TR E s. ï49^
Qa'an jeur.e Médecin vit moins qu'un vii'.l TvrogKe ?
Ah .' le corps cft à l'homme un joug aflez pefant j
N'afFaiflbns point notre ame , en le tyrannifant»
De tout un peu, c'eft ma philofophie;
Toutefois, cher Ami, puifqu'avec énergie
La tienne dans tes vers s'en explique autrement, -
Et que <ie ta fanté , contre mon argument
Le foin prudent te juftifie,
Boi de l'eau , fi l'eau duit à ton tempérament:
Lorfque lé préjugé n'eft point fon truchement ,•
Sa leçon doit être fuivie.
Ne l'importune point, écoute ce qu'il veut,-
Et fais lui feulement fupporter ce qu'il peut.
La perte de nos biens n'eft pas dans cette vie ,
Le plus grand des malheurs qui puiflent l'affliger:'
C'eft la crainte du mal, c'eft l'efFioi du danger,
rius cruels que la chofe, ôc que la maladie.
De tous nos accidens, le dernier c'eft la mort:
Et quoi qu'en fes écarts le vain Orgueil publie
Tandis que la fanté féconde fa folie ,
Contre la mort prochaine il n'eft plus d'efprit fort.
Je n'ai pu profiter de ton offre polie,
"^ Par mes affaires arrêté.
Quoique jufques chez toi mon defir m'ait porté.
Mais fi tôt que flore embellie
Ramené:^ Zéphir fur fon chai argenté.
Ami, je t'irai voir, comme ces bons Hetmites
AUoient de temps en temps fe faire des vifitesj-
Afin d'entietenir la coofraternitéi
Gj EPI-
\5o
E P I T R E S.
E p I T R E V.
j4U r. p. du cerceau, JESUITE,
JL/'An Mcomnience, Ne pourra plus
Cher du Cerceau; En faire ufSge.
Vers fou tombeau Soins fuperflus,
Chacun avance. Où l'on fe livre !
Com'iie un VaiiTeau, Pompeux c'tat , v
Que mainte Etoile Honneur, éclat.
Guide fur l'Eau,
Vogue à la voile.
Tant que l'effort
Du Sud au Nord
Le mette au Poit;
Ainfî les Hommes
Vont à la mort.
Puifque nous fommes
Soumis au Sort,
Du Temps, qui vole
Plus promptemcnt
Q_ae la parole ,
LTous gaîment.
L'inftant nous prelTe:
Quand aujourd'hui.
Avec viteflc.
Il aura fui;
L'Homoiç peu fage
Dont on s'enivre l
Faut-il vous fuivre ,
Mourir & vivre
Comme un Forçat f
Celui qui crie
La Mort-aux-Rats,
Et l'Eau- de- vie.
Le Riche aux facs
Pleins de Ducats
Qui font envie.
Les Potentats,
Lis Fièrabtas,
Ici célèbres ,
Zéros là-bas.
Tous vont, hélas!
Aux lieux fune'ores
D'an même pas:
£t l'Ombie iliuftie
Voit
E P I T R E s.
Voit dans l'oubli
Tomber Ton luftrc
Enféveli.
Qaoi qu'il arrive ,
Vive, ami, vive.
Je veux , ma foi ,
Dans un afjle
Doux Se tranquile.
Goûter la loi
D'un coçur à Soi,
Franc de conuainte.
Libre de craiate
Et de fouci.
Jvlais quoi, mon Père
A ce mot-ci ,
Votre fourci
S'eft de coîeie
Tout rétréci!
Ah ! je l'augure ;
Vous me croyez
ies fens noye's
Dans Epicure.
Lorfque je jure
Ata foi , vouloir
De rien n'avoir
Souci, ni cure ;
J'èntens des biens
De ce bas inonde ,
Biens que je fronde,'
Qtii font des riens.
Mais la Morale
Ici s'e'tale
Trop amplement:-
Et mon affaire
Uniquement,
Etoit de faire
Un compliment
De bonne Année,
Nombreufement
Accompagnée.
Ça , buveur d'Eau
! Caftalienne,
Voici l'Antienne
De l'An nouveau.
Dieu vous conferve^^
Alegre ôc fain,
Avec la verve
Toujours en train ;
Que le matin
La blonde Aurore
Faifant éclore
Les plus beaux jours,
Lorfqu'ils finilTent,,
Le foir ils puiflent
Vous fcmblct court»;
EPI-
G 4
152 E P I T R E s.
EPITRE VI.
A M. G R E S S E T:
Sur 'le Perroquet de AUdame d'ArquiJîade.
D
I s c I p L E ingénieux du tendre Anacieon ,
O vous.' dont les pinceaux fidèles
Raflèmblent avec choix les grâces naturelles
De Chapelle, Chaulieu, la Fare /Pavillon;
Doux Chantre de Ver- vert, j'habite près de Nantes
Une aimable campagne, & dont il eft trop long
De peindre dans mes vers les beautés différentes. '■
C'eft-là que de ^ts dons Flore étale l'éclat.
Dont l'Amante d'Atys fe pare & fe couronne »
Tandis que s'ébattant avec un vin mufcat,
Bacchus garde du froid la vigne qui bourgeonne : .'
C'eft-là que Vettumne & Tomone \
Réjoiiiflent les yeux , le goût & l'odorat , r
Pendant que dans les bois la fauvette fredonne,
C'eft-là, qu'en s'amufant d'un fpedacle nouveau ,
On voit plonger & reparoirre
' Entre les flots d'une belle eau.
Qui eirculc autour du Château,
Le ftoid poiflbn, qu'on peut pêcher de la fenêtre^ .
Quand la chaleur défend de fe mettre en bateau, ,
Pour épargner la modeftie
Pu Maîtic de cette maifbn,
E P I T R E s, 153
Qui par amour pour fa Patrie
Voulut bien de fa barque accepter le timon ,
Mes vers n'en diront rien , rflalgre' la jufle envie
Que ;"ai de le loiier fur le plus noble ton ,
Ainfi que fa moitié chérie;
Obforvez feulement que celle-ci marie
La beauté, la vertu, l'efprit Se la raifont
t •
Je me- borne au panégyrique
Du gentil Perroquet, l'ouvrage de fes foins;.
Et eoas nous avoûrez, je m'en flate du moins,;
Que dans fon cours de rhétorique.
Votre difcoureur mirifique.
Quoique connu depuis Paris
Jufqu'aux climats de l'Amérique,.
Ne fut jamais fi bien appris^
Le riant plumage du rôtre
Le fit nommer Ver-vert; le nôtre'
rcut à caufe du fien être appelle Criigris,
S. f . . . . c'eft le nom du fils de cette Daiue',.
S. F. . . . . dit l'oifeau mignon ,
Qui s'inte'roge ôc fe re'pond.
Sans manquer d'un feul mot fa gâofe j-
ye*i(z-v«as de Paris ? Oui y ma mère. Mon fils y
Avez-vous va le Roy ? Vraiment j'^ai va Louis.
SJl-il beau i Comment beau? C'ejl le Dieu de Clthiref
' Et Mars , quahd il ejl en colère.
Ke croyez pas, Greflet,- que j'en impofe ici;
Le fait eft vrai, fol de foétc^
G i Et
15*4 F, P I T R E S,
Etl'oëte d honneur. Eh bien/ après ceci,
Ces cloquens oifeaux éloquent interpiete,
Q^xc direz-vous de celui-ci?
Va Perroquet qui parle, & d'un Etre q«i pei>fc
Témoignant toute la raifon,
Dans fes difcours naïfs s'accorde avec la France,,
N'eft-il pas fans comparaifon ?
lift Perroquet d'Ovide, & cet autre dont Rome>
Parce qu'il dit. Bon jour, CcTar,
Hautement encor fe renomme.
Ne font près du Nantois dignes d'aucun égatdi
Le vôtre vint en cette Ville ,.
Et dans le voyage qu'il fit
Oublia fes leçons, & prit un mauvais ûyle,
N'importe à quel propos, jurant comme un profcrit».
Jourquoi ? c'eft qu'il avoir, quoiqu'il parût liabilc
Plus de mémoire que d'efprit.
Grifgris qui comprend ce qu'il dit.
Ne changera point de langaire.
En quelque lieu qu'il foit conduit.
Sa Maîtrefle dès fon jeune oge
A fçù trop bien l'infttuire, & lui faire goûter
Des leçons que fans ceflc elle aime à répéter.
Alais toi, pafle le Styx, rare & vafte génie.
Célèbre Defcartes , viens voir
"Un Perroquet dont le fçavoii
Renvcifc ta Philofophie.
E.P I«
E P I T R E s, 155
E r I T E. E VII.
A M, D'A RQ^Ul STADE DE S. FULGENT,
Confcillei au Parlement de Pans,
Sur la naijfance de fa, Fillt,
c
Ou s IN, dont la vertu fçait faire,
U'un beau-pere un a/cul, un oncle d'un beau- ficre,
Ami , reçois mon compliment
Sur les fruits de ton mariage.
Par le flambeau d'Hymen c'eût été grand dommnge
Que tendre & jeune cpoufe , en qui tout eft ch«-
mant,
Efprit, maintien, difcours, corfage,
Ne lailTât poiat de fon lignage.
Mais croirai-;e ce qu'on m'a dit?
On m'a raconté que ta iîUe
Eft fi refaite, fi gentille,
Et marque déjà tant d'efprit.
Que fes cris font de la Muiique,
Et que dans fon berceau dégoifant fon jargon,
Elle paroît bégayer la laifon
D'un goût joliment laconique.
I5é|à dans fes beaux yeux modeftes & mutins
Que de traits de fubtile flame !
Qaelle foule de dons va couler dans fon ame .'
El que pour être iaftruite elle eft en bonnes mains !
G 6 Ta
is6 Ë PITRE s:
Ta mère en qui la ;oie aujourd'hui fait revivre
Les rofes & les lis de fon jeune printems,
ridelle à Tes devoirs qu'elle aima toujours fuivrc^
Trendca foin de fes premiers ans»
Ouvriroit-n encor les yeux à la lumière ,
Le raie Perroquet que mes vers ont chanté ,
Q^jand je paflai chez toi les beaux jours d'un Etc
Au Château de la Maillatdi«re * i
Ta mère fe faifoit un plaifir fingulier
D'élever cet oifeau, qui fous fa main fçavante
Fit de il grands progrès, qu'un Bachelier de NartO
N.'eûi été près de luj.qu'un petit écolier.
Or s'il eft vrai qu'en fon école
TTn oifeau, qui ne peut d'ordinaire imiter
Que quelques fons tronqués de l'humaine parole^
y fçitt à tel point profiter ;
Que fera-ce donc de ta fille,
Qui, l'efprir éclairé des rayons les plus purs,-
Et portant fes regards fut toute fa famille, ■
N'y vçna quetalens, mérite, exemples fors?'
]e difois, l'an dernier^.dans mon humeur chagrine,
S. F.... n'aura-t'il point de poftérité?
Sa
* Maifon. & Teire Seigneuriale fort belle & feit bien pei--
piée, appartenante à 3M. d'Arquiftade , père du Ccinfcillsr,
fituée à une lieue. &. demie de Nantes, OÙ l'Auteur fit k-
jl^ giécédente fiu hb Peno<^iet,,
ÉPI TRES. 157
Sa femme ^ lui pourtant font de fort bonne mine;'
Quelqu'un me répondit: Tai-toi, pauvre hébété ;>
Qu'il ait de moins une eounne,,
La fièvre quelque jour à fon hérédité.
Peut t'appeller en compagnie
Se maints: collatéiaux d'appétit afSlé.
Vadi r«fr^, mauvais ge'nle,
Répondis-je en courroux à cet enforcelél
Je donnerois mon patrimoine ,
Quoique fimple, fans fard, & me laiflànt leurer.
Le Ciel ne m'ait point fait fort âpre 8c fort idoine ^
Quelque mince qu'il foit, à le récupérer:
Oui, je le donnerois, prude & fage Lucine,
(Ecoute, ô Alatrône divine,
Un: parent , un ami qui te vient implorer)"
Pourvu que par tes foins, dans la prochaine amicS;,.
L'cimable S. F put fe régénérer.
Enfin l'affaire eft terminée ,
Dont grand merci foit dit à la haute bonté.
Qui rend à mes defirs les effets fi conformes.
Te voilà père dans les formes,
, Et fans qu'il m'en ait rien coûté.
Que quelques vœux founés avec fincérité.
Je me flate du moins que le pouvoir céleAe,,
Satisfait de mon coeur,, m'exemptera du refle
Et fe contentera d'ui» cierge préfenté.
Adieu, très-cher Coufin; que toujours favorable,
Il ajoute en neuf mois à la fiUe un garjon,.
G 7 Qai
I5S E P I T R E S,
Qui puifle tel que toi, noble, honnête , équitable >■
Etie l'appui de ta maifonl
Buiflè, s'cternifant ta vertu prolifique.
Tromper nur.s &- in facula^
Mille ans & bien loin par-delà,
ï)es vains collatéraux l'attente chimenquc!
Re'joiii-toi : pour le furplus ,
IJt tu fortur.am , dit Horace, *
Sic Kos tty CelJ'e , feremus,
les Dieux, pour des fecrets qui nous font inconnus,.
Aux uns rendent juftice , aux autres ils font grâce.
B.crpe£èons-les par- tout; bon foir; & fouvien-toi
D'aroir dans tous les tems le même cœur pour moi.
' E P I T R E VIII.
A MERCURE,
Tour le premier jour dt tanntt 1747."
Vous, Seigneur Mercure , à vous
Bonjour, beau Meflager à la verge dorée;
Bonjour, le plus fubtil des céleftes fîloux;
Bonjour, fin difcoureur au langage fi doux,
Pont la politeSfe admirée
Efi*
• Hor. Uv. X, Epîft. t^
E P I T R E s, 155^
Engagea les humains à fortir de leurs trous,
Où feuls au fond des bois ils vivoient en hiboux.
Eh bien, courier aili, qui tout d'une haleine'c,
Laiflànt d'aftres nombreux la voûte illuminée.
Volez jufqu'au manoir où Ceibere en courroux
Epouvante des morts la troupe infortunée;
Quelle nouvelle appiendrons-nous
En ce commencement d année?
Minos, Rhadamante, Eacus,
Font-ils toujours horrible mine
Aux Mânes là-bas defcendus?
Du Tyran des Enfers comment va la Cuifîne?
Cet époux mifantrope ,.au teint de Rameneury.
Vit-il bien avec l'rofer, ine ?
Quelque Pirithoiis , à refprit fuborneur,.
A-t'il encor voulu fur fa tcte divine
Planter la commune racine ?
Et là-haut dans les Cieux que fait-on ? que dit-on ?'
Voue Papa Jupin & Madame Junon
font-ils à la fin bon ménage ?
Car quand il tonne dans ces lieux.
Le peuple fuperftitieux,
Qui s'effraye au premier nuage.
S'imagine que ce font eux
Q^ii font en chamaillant ce terrible tapage.
Et Mars, ce garçon vigoureux
£n dépit du Dieu qui clopine,
Cajole-t'il toujours Cyprine?
A ptopos, dans les champs plantés des mains des
Dieux,.
La
150 Ê P ï TK E S\
La douce récolte d'Automne ^
L'an dernier a-t'elle été bonne?
A- t'en bien vendangé du neftâr dans les Cieux?'
Pour nous, qu'en ces triftes contrées,
A de cruels revers le fort a condamnés >
TOUS nos coteaux ont été' ruinés;
Des eaux toujours immodérées.
Ont, en tombant des airs, fait couler nos lailîns;
Et de nos Vignerons chagrins
Les troupes pâles , égarées ,
Dans leurs paniers n'ont ram.iflc,
Qje des grapes au loin, rarement parfcméeS,
Courtes , claires 5c mal formées.
C'eft ainfi qu'ils ont vu leur foin récompenfé.
A ce fatal malheur plus d'un Peuple eft fenfiblc,,
Mais fur-tout les pauvres Bretons ,
A qui le Ciel donna des gofiers fi profonds.
Dont la foif eft inextinguible.
Ces bonnes gens frappés de ce défaftre horrible.
Ne trouvent .t leurs maux aucun foùlagement;
Ah! celle , difent-ils au fort de leur tourment,
Ccffe, brillant Soleil, de luire fur nos côtes]
Il n'eft pour nous nul efpoir de guérir,
Et il le Ciel fâché nous veut rendre hiJropotes y-
II norus vaudroit autant mourir.
Cependant dites-moi, noble progéniture.
De l'aimable fille d'Atlas,
Le Soleil & Bacchus, Dieux à bonne aventurre.
Cachés en quelque coin prenoicnt-ils Icuis ébats?
E P I T R E s. ï6i
Le premier de Climene étoit-il dans les bras?
Et le gros fiU à rouge trogne ,
N'avoit-il point auflî quelque tendre embarras?
Et par quel accident, & pour quelle befogne.
Du foin de nos coteaux n'ont-ils fait aucun cas?
Mais, galant Meflager, ma Mufe y penfe-t'die j
De demander que des divins Etats
Vous me contiez maintes nouvelles.
Comme fi je ne fçavois pas
Qiie depuis fort long-tems tout entier à la Prance j
Vous exercez ici votre célefte emploi ?
Ah! fouverain de l'éloquence,
Que pour faire ici rcfidence
Vous prenez un bon tems ! nous vivons fous un Rof
Qui dès fa tendre adolefcence.
Joignit à mille autres vertus
Le fage amour de la fcience:
It fi ce n'étoit point termes trop rebattus,
]e dirois qu'il raflemble Alexandre & Titus.
Car n'eil-ce point affez qu'ingénu, ve'ritable,
Charmé de fes faits inoiiis,
Sans, aller m'enfoncer dans l'Hiftoire & la Fable,
Je difc fimplement & fans fard, que Loiiis
A Loiiis Jeul eft comparable i^
Mais, divin Meflàget des Dieux,
Inventeur de la Lyre , apprenez-nous l'ufagc
De fes accords mélodieux,
Et comme on adoucit l'inftiumenc gracieux,
Qiii d'Argus ,, fous lui veid feuillage,
Pas
102 E P ï T R E s:
lit fes tons raviffans endormit tous les yeux.
Que les Arcs de votre préfence
Reffentent les puifTans attraits!
Mais vous comblez notre efpciancc;
Oui, nous leconnofflbns vos traits.
Avec combien de diligence
Des lieux toujours biûlans , & des lieux toujours"
froids ,
Vous nous apportez des nouvelles
Intéreflantes & fidelles !
Dans tous les bouts du monde on croit être à la fois.
I)e Paris à Pe^cin rien n'échappe aux François;
Au vrai fcul vous prêtez le fecouis de vos aîfes.
Combien dans vos extraits on voit d'oidte Se de
cjioix î
Que de bon fens 5c de juftefle !
Quel vernis de delicateflê!
Vous nous développez les teros & les endroit*
Les plus embrouillés dans THiûoire,
Et dans quelques feuillets utilement remplis, .. irj,
De gros volumes font compris,
Dont, fans s'embarrafler vainement la mémoiiey
Où peut facilement retenir le prc'cis.
La Médecine & la Philofophie,
La prévoyante Aftrologie,
Ces Arts auJaciemc, qui dierchent les replis,
Qu'entrefafle en fon fcin la nature infinie,
Y viennent fous nos yeux étaler leurs fecrets;
Et Thémis, des méchans capitale ennemie,
ï dépole fes faints Axièts.
E P I T R E s. i6s
Enfin pour délafler l'efprit qui s'étudie
A des Traités fçavans & féricax,
Melpomene y paroit, fur Ces pas rient Thalie
Au ris feint & malicieux-
La Mufe qui préfîde à la noble Harmonie,
Animant fes aimables Sœurs,
De fon pathétique génie
y répand auflî les douceurs.
Ainfi par un talent, qu'en tous lieut on admire,
Mercure, en nous plaifant, vous fçavez nous inf»
truire:
Ainfi vous réchauffez l'ardeur des nourrilTons
Que les neuf dodes Soeurs fur le Parnafle élèvent.
Pour avoir votre aveu , tous nos Cignes achèvent
De polir arec foin leurs diverfes chanfons,
Q.ue les Nymphes de Seine à leurs voix attentives ^
Font redire aux échos de leurs charmantes ilves.
Tous les Arts cultivés font un pareil progrès.
Si vous continuez vos agréables peines»
Dont on voit chaque jour s'étendre le fuccès.
De toutes nos Cités voas ferez des Athènes,
APOSTILLE.
rils de Maya , ipcevrez-vous les Vers
Qii'ân des fuivans d'Apollon tous envoie?
Jà longtems eft, qu'au bout de l'Univers
Il vit tapi, dont n'a beaucoup de joie.
G'eft bien raifon, a-t'il dit, qu'une fois
U fjachc au moins vous donner vos Etrennes, ..
Puif.
ï54 E F I T R E S.
Puifqu'attentif à foûlager le poids
De fes ennuis, gentiment tous les mois,
Jufqu'au Croinc vous lui donnez les fiennes.
E P I T R E IX.
.4 M. TITON DU TILLET:
Le premier de [An 1746.
IS/X On cher Titon,ran recommence.
Et nous finiflbns tous les jours :
Le Temps rapide, dans fon cours.
Eteint pour moi fans que j'y pcnfe,.
Les feux paiTagers des amours ;
Et ne me laiflè pour partage
Que le fouvenir & l'image
Ses Jeux envolés pour toujours.
J'ai vu dans mon adolefcence,.
Que pe'tillant d'impatience-.
Je me defolois quelquefois.
Que les femaincs terminées
Tatdoienr trop à former les mois »
Les mois à former les années.
Un fentiment de vanité
Me faifant obferver que l'âge
Qu'accompagne la gravité,
Sonnoit dàas la fociétc
Plu»
EPITRES. i6s
Plus de poids & plus d'avantage,"
Et certain air de dignité,
A qui chacun lendoit hommage.
Aujourd'hui que l'âge viril
Vers mon de'clin me pre'cipitej
Plus J'y rêve, & plus j'y médite;
Et plus le tems d'un vol fubtil
Me femble redoubler fa fuite, r
Mon inutile plainte imite
Celle que fait dans fcs caits
L'élégant Catulle; & je dis,
Brillant Soleil , tu meurs dans l'Onde,
Pour y renaître avec le jour;
Mais, hélas! en fortant du monde
Il n'eft perfonne qui fe fonde
Sur refpérance du retour.
Roi des Amis , oii font les rofes
Que tu voyois l'autre Printemps, >
Couvertes d'appas cclatans.
Dans tes rians jardins éclofes?
Un limon vil & croupiflant
Les a toutes enfévelies;
- Tel eft l& fort qui nous attend
Au terme fatal de nos vies.
Tu me répondras, qnt je purs,
En comptant avec la nature.
Me flater qu'à l'âge oii je fuis
Je n'ai pas comblé fa mefuie;
:i66 E P I T R E s.
, Mais tu fçais que dans fes beaux Veri,
Malherbe , dont les divins airs
■ Enchanteroicnt un cœur de roche.
Dit que le jour eft refroidi ,
Et que la nuit eft déjà proche.
Dès que l'on a paiTc midi.
C'eft ainfi que l'aimable Flore,
Venant de fes dons deiirés
Rajeunir nos bois & nos prés ,
On s'applaudit de voir l'Aurore
Prefler fa courfe le matin ,
( S'atteiidant à la voir demain.
Un peu plus diligente encore.
Semer l'ambre fur fon chemin.
Mais quand prccurfeur de l'Automne ,
Le froid retour des Aquilons
Fle'trit la dernière anémone,
Quoique les jours foient encor longs.
On fent-en foi fes efprits fombres.
De voir le Soleil parefleux
Céder de fon tour lumineux.
Soir & matin aux triftes ombres:
Et l'on regrette vainement
Les beaux yeux de Flore cplorée,
.Qui perd de moment en moment,
Chancellante & décolorée.
Ce qui lui refte d'agrément.
Et qui s'en va languiflàinmem
chetn
E P I T R E s, lôj
chercher dans une autre contre'c
Une faifon plus tempérée,
Où de fon teint vif Se charmant
La douce fiaîcheur réparée,
Plaife à Zéphire Ion Amant.
Le Ciel dans une nuit profonde
Nous cache fes arrêts conftans
Et c'eft moins pour vivre long-tems.
Que fa boute' nous mit au monde ^
Que pour y répandre l'odeur
Qu'exhalent l'aimable fageffè.
L'amour du prochain, la candeur.
Et que leur fouvenir vainqueur
Long-tems après la mort y laifle,
, V
Mais à la rerit^ qui luit
L'incrédule a livré la guerre ;
Et publiant que le Tonnerre
N'eft qu'un accident & du bruit.
Le Vice règne fur la terre.
D'où la pâle Vertu s'enfuit.
J'ai vu fous des toits magnifiques.
Temples confacre's a Vénus,
S'endormir les itiafles lubriques
Des riches & lâches Créfus;
Et dms leurs douceurs létargiques.
Ces Dieux terreftres éperdus.
Frappés ds maux inattendus,
PaC
i68 E P I T R E S,
Pafler aux effrois tyran niques
De Dahhazar, d'Anciochus.
J'ai vu fous des formes humaines ,
Nourrir des Tigres & des Ours,
Des Crocodilles, des Vautours,
Des Monfttes à voix de Sirènes,
Dont les faux & tendres difcours
Nous payant d'efpcrances vaines ,
, • Dans un dédale de détours
.-- N'ont fait que redoubler nos peines.
l'Enfer avide & te'nebreux
Les enfcvelit dans fa flame.
Leur pouvoir, dont l'ufage affreux
Souilla leur odieufe trame.
Leurs vains monts d'or, le prix infâme
Des entrailles des malheureux ,
Corrompent leurs fîls après eux;
Et fe gliifant de race en race,
' Leur fanglante injuftice pafTe
jufqu'à leurs troifiemes r.eveux.
Aiiili leur mémoire abhorre'e
I/€ur furvit pendant quelque -tems,
Horribleirxent régénérée
lUns des fuccefTeuts plus méchans.
Mais, pour toi, Titon, cœui fidèle/
Ami Cncere & plein de zcle,
Adice exprès quittant les Cieux>
Vint
\
E P I T R E S. i6p
Vint allaiter ta fage enfance;
Et s'en retourna chez les Dieux,
Voyant peu d'hommes en ces lieux.
Propres à fuivte avec confiance
Ses avis, purs & précieux.
Auflî quelque longue dure'e.
Que le tenr; promette à l'airain.
Du beau monument dont ta main
Eleva la cime facre'e;
rius folidciiient revêtu,
L'cdifice de ta vertu.
Que ie dofte Apollon couronne»
Ne fera jamais abattu.
Ta gloire qui par- tout reTonne,
Bravera la faulx qui moifibnne
Les vains noms dont l'éclat fsduit;
pol éclat, lueur paflagere,
Q^ie loin du calme qui la fuit,
La fortune allume & détruit
Du vent de fon aîle légère.
Titon, nos Maîtres éternels,
Ces Dieux puiflans, dont l'urne enferre,
Et dans fes flots continuels
Roula les forts univerfels,
' < Te doivent long-tems à la terre.
Pou: fervir d'exemple aux moitels.
Tom. L H E P ^
Ï70 E P I T R E S.
E P I T R E X.
^ M TJTON DU TILLET,
Le Premier de l'An 1745.
Par Madame DEsroRGES Maillard.
T.
ITON, mon mari raoxalife;
Moi qui fonge moins creux que lui,
3'cvite, en penfant à ma guife.
Tout ce qui caufe de Tennui.
t Les plaifirs vont bien à tout âge :
Et lorfque réglant fes défits
On fçait en tirer avantage,
L'âge ne nuit point aux plaifirs.
Le froid Janus ouvre l'anne'e
Par les glaçons & les frimats;
Dans fon incle'mence obftine'e.
Tâchons de trouver -dés appas.
Que nous font les fleurs printanicres?
Eft-il des momens plus heureux,
Q^ie ceux que l'on paCTe aux lumières,
ifariuides fêtes & les jeux?
Le Printems n'cft pas fans ftoidure,
L'Eté brûle, en Automne il pleut:
L'Hy.
E F I T R E s: Ï71
L'Hyver, ai^près d'un feu qui dure.
On fe fait la faifon qu'on veut,
Horace dans fes vers funèbres.
Nous jette, couverts de cyprès.
Dans des royaumes de téncbres.
Oh la nuit ne finit jamais.
D'oïl fçavoit-il qu'il y fit Nombre?
D'ailleurs y devant tous aller.
Le plaifir d'êtie en fi grand nombre.
Dût fervic à l'en confoler.
Ami plus cher que tous les autres,
Rare exemple de piobité,
Le Ciel ne feroit pas des nôtres*
S'il ne prolongeoit ta fanté.
Je ne brigue point une place
(Je ne l'autois que par faveur)
Sut' ton magnifique Parnaflè:
Je n'en demande qu'en ton cœur.
R E' P O N s E
De M. Desforgls Maillard,
M
A DAME, pour Titon, vos vers ingc'nleui
Me charment, loin de me de'plaiie;
Qtioiqu'il foit peu d'Epoux que puiffent fatisfaire
Hz De»
172 E P I T R E S.
Des complimens fi gracieux.
Et qui, fe dégageant du préjuge vu'gaire,.
Dont tant d'aut ss font aliarinés,
A ce rituel débonniire
Confentent d'être nccouturae's.
Ivlais comme vous fçavcz que j'aime
Titon tout autant que moi-même,
Je penfe qu'en l'aiiuanr, c'eft moi que vous aimez
E P I T R E XI.
De Madame DESFORGES MAILLARD
^ M. TITON DU T IL LET,
Peur le remercier de fon Portrait,
T
ITON, votre Portrait charmant
Où reluifent l'cfprit , la candeur, la noblefle.
Ce Portrait, dont très-humblement
Je vous fais mon remerciment,
Flate mon amour propre autant que ma tendrefle;
Prouvant de mon mari , dans fon attachement
Le goût & la délicstefle.
Je vois pat les bienfaits dont vous l'avez combicj
Que le bon cœur répond à la belle figure;
Et que le Ciel & la nature
N'ont jamais fait d'ouvrage aulll bien aflèmblc.
Mon Mari me voit vous écrire:
Il voudra bien s'accoutumer
A m/entendre fouvent lui dire.
Que
E P I T R E S'. 173
Que je vous aime autant qu'il fçauroit vous aimer.
Nous ferons donc rivaux, mais rivaux volontaires.
Rivaux d'eftime & d'amitié;
Et vous partagerez vos fentimens Cnceres,'
Entre Tune & l'autre moitié.
E P I T R E XII.
A M. DE M O R I N A Y,
Gentilhomme Ordinaire de la Chambre lîu Roi.
J EndaNT que ce ttifle iiv,ig;c,.
Environné d'écueils, funeftes aux Vailleaux,
JEft battu tout l'Hyver des fureurs de l'orage,.
Et qu'émus fous nos toits nous craignons le nau-
frage,
Comtne fi nos maifons voguoient au gré des eaux •
Ghcr Ami, que doua la Nature fertile.
D'un air noble, d'un cœur propre à te faire aimer
D'un efprit gracieux, du don de l'exprimer
D'un tout léger, vif & facile.
Tu vas chercher loin de ces lieu.v
Lcs doux araufemens, dont Paris eft l'ifyle
. Malgré l'Hyver ic les vents furieux. '
Profite bien des jours que la Parque te lailîe.
Le tertiS fuit .comme un trait il cchape à nos yeux.
'Les plaiiirs dirigés pat l'aimable fageflè,
H 3 Sans
174- E P I T R E S.
Sans fadeur, fans dégoût, fans retour ennuycu.v,
Aflaifonnés pat la delicatefle,
Eux feuls rendent délicieux
Et le moufleux Champagne , Se le Net^ar des Dieux.
E P I T R E XIII.
J M. LE DUC D'AIGUILLON,
Commandant en chef en Bretagne,
Sur fon Cordon bleu.
i3 Ueltme Scdoéle appui des filles de mémoire.
Héros dont la vaillance égale la bonté,
D'Aiguillon, vous ne fçauriez croire.
Combien daiis tout mon cœur j'ai pris part à U
gloire,
Qui fur vous de Louis, ce Monarque vanté.
Signale la fagefie & la noble équité.
J'avoûrai toutefois, s'il faut être fincére.
Que pour d'autres que vous, cet augufte lien -
Scroit en les parant, un fignal néceflaire
Dont l'éclatant afpeft, le fccret entretien
Parlant au cœur flaté, lui fit par-tout connoître
Quel cft l'engagement qui l'attaclie à fon Maître,
Mais je dis que pour vous il rï'étoit nul befoin
De cette attaciie ilmbolique.
Son
E P I TR E s. T75
Son fervice en tous lieux étant l'objet unique.
Qui remplit vos défixs, & fixe votre foin.
Auflî notre puiir<int Mcnarque
N'exprime point par cette marque.
Le zèle que vous lui devez;
Ce Cordon bleu, ce gage infigne,
^ N'eft que le refpeftable figne
Du zèle ardent que vous avez.
Notre peuple Breton vaillant, invariable.
Qui vous vit dans la guerre affronter les hazards.
Admira dans la paix, ainfl qu'aux champs de Mat^
Votre courage infatigable :
Mais malgré la tempête Se malgré les hyvers,
Tel qu'un nouveau Cefar, vous voyant fat les mers
Commander à l'orage, aux vciîîs, à l'onde émue.
Et prefque au même inftant reparoîtte k fa vue
ïour fon propre intérêt en c«nt endroits divers;
Ohl dit-il, pénétré de furprife & de j'oye,
Eft-ce un héros magicien,
Qii'en ces lieux reculés le Deftin nous envoyé ?
Magicien... leur dis-je? il cft moibleu Chrétien,
Et bon Chrétien, mais pour vous dite
Ce que ma franchife m'infpire.
Cependant Janfénifte outré
En fait d'amour pour le grand Prince j
Dont le choix dans votre Trovince
L'envoya pour être adoré.
Etoit-ce aux EJémens de paroitrc rebelles,
H 4 Quand
176 E P I T R E S.
Q^uand d'Aigaillon vaquoit à fon illuflre emploi?
Tout eft poflible aux cœurs fidelles ,
Dès que l'on vole fur les aîles
De l'amour qu'on a pour fon Roi.
Commandant brave, aâif, intelligent, affable.
Héros autant aimé qu'aimable,
Dont l'empire cil fi plein d'attraits,
Louis vous remet fon tonnerre;
D'Aigtiilion » revenez, à vous fuivre tout prêts^
Nous aimons avec vous les périls de la guerre,
Plus.qu'cîoigne's de vous le calme de la paix.
EPITB.E XIV.
A MADAME LA DUCHESSE DE L***^
Sur ce qu'elle avoir dit
J M. LE DUC D'AIGUILLON,
Qu'elle eût bien voulu connoUre M. Desforges
Maillard, c{ui avoit joué pemlatjt plufieurs aur^
nées un râle Jî fnmulier fous le nom de Mlle, dç
Malerals de la Vigne.
B
E L LR & fage Ducheflê , en qui la Renommée
Vante avec mille attraits un cœur plein de bonte'>
Et dont en fes re'cits la voix eft confirmée
Par celle d'un Seigneur, ami de l'Equitc^
Ce Seigneur, notre appui, notre félicité.
Qui des rivages de la Seine,
Ê p ir R E s. 177
dcnéreux, bicnfaifant, fur les nôtres ramené
La joye & la tianquilite;
-ï5ont l'aimable moitié, comme voiis,cft Duchefiè",
Réunit, comme vouî, mille agremens divers,
Ec penl'c, comme voiiï,fuiant un vieux travers.
Qu'on peut, fans dérober à l'illuftre Ni^biefle ,
Ainrer les Lettres ôc les Vers.
ïï m'a dit, ce Seigneur, eft-ce un raport iîdeCe,
Et l'euffai-je jamais cru fans témérité.
Que vous auriez, Duchelle, une velléité
De connoltre Msillard, qui fous un nom femelle
S'annonçint d'un air tendre, avec un ton il doux,
rend:t amoureux & jaloux
Voltaire, Nericaut, Saint- Aubin , FontenelICj
Efla longue & doâe fequelle
De tant d'autres rivaux flatturs,
Qui firent à l'envi pour la Sapho nouvelle
Eumer de leur encens les parfums enchanteurs'?'
Je fuis bien facile à connoître:
Celui qui me voit, m'a connu,
Et fçait ce qu'au fond je puis être.
Joyeux, trille, diftrait, fouvent trop ingénu,
ïeu complaifant, trop vif; je n'ai pu me refaire.
Je cède à mon tempérament.
Le fripon va fon train, la raifon vainement
Moraiife, & veut au contraire
En diriger le mouvement.
AiiiR du même tour la clé faus réfiftancc
Julqu'àf extrême décadence 3
H s fait
178 E P I T R E S.
paie mouvoir les rciïbrts, tels qu'ils font difpofcs
Par riinbile artifan qui les a coinpofés,
Qii'ils foient neufs & brillans du travail de l'en-
clume,
Ou que le temps qui les confume,
Les ait avec la roiiille, ou plus ou moins ufe's.
Ces Lieux, oii l'on connoît moins Apollon qu'EoIe,
M'ont vu naître, j'y vis fouvent pour m'ennuyer.
Sans cefle obligé d'eflliyer
Un dur tracas qui me défoie.
Quelques livres clr>ifis font ma fociétc ;
Sans qu'un chemin trop long me lafle ou me ruine.
De Londres à Madrid 5c de Turquie en Chine,
ï;t malgré les rayons du Croiflant redoute >
J'entre dans le Serrail avec tranquilité.
Avec eux je puis voir le Mogol à mon aifc.
Sans attendre le jour, plaifant jour, ou l'on pefe
Si morgue & fa rotondité ;
Etonnante fatuité ,
Comme cent mille autres qu'encenfe
La timide Crédulité ,
Pille du préjuge qu'enfanta l'Ignorance.
AinG la foible humanité ,
Au mépris de l'ame avilie.
Se redoît, fans fêntir fa ridiculité.
Dans tous les lieux du monde un tribut de folie.
Mes Livres, ces amis qui ne m'ont point quitté,
fat lents liantes bagatelles
Dif-
E P I T R E s. 179
DifTprnt mon ennui, me rendent la gsité;
Et dans leur féiicux, finement aprèté
Des mains des Grâces naturelles,.
je retrouve l'utilité.
Aux bords de l'Océan , oii le fort m'a Jette ,
Duchefle, enfin voilà mes compagnons fidellcs.
Bien qu!à ma liberté dans l'état où je fuis,
La fortune ait rogne les ailes.
J'en conferve autant que je puis;
Et fi notre grand Roi Louis,
Payant de trop d'égards quelques jeux de ma veine,.
A Veifailles daignoit m'oflfiir un logement,
Bien couché, bien nourri, vêtu fiiperbement.
Pour peu qu'il y fdliût de contrainte 8t de gêne,
Je dirois à fa Majeftc,
Invincible Hétos en cour.ige, en clémence,
j'adore vos vertus, votre magnificence.
Et votre générofité;
Ce{^dinc rendez-moi, sire, à ma pauvreté:
Au plaiili d'être à foi tout autre plaiGr cède..
Heureux le cœur qui te poflede !
O tréfor des tréfors, ô chère liberté!
j^mi vrai, tendre amant plus qu'on n'efl d'ordinaiie,.
A mon âge oîi l'amour d'une aile paffagèrc
Eteint plus qu'il n'allume un feu toujours charmant,
Qui voudrait, en fe ranimant,
Eixer du' temps qui fuit, la courfe trop légère.
Ah! dis-je quelquefois re'veur involontaire,
A peine un jour nous luit, qu'il nous eft-échapé.
i8o E P I T R E S.
Amufemens dliier, n'ctiez-vous que chimère?
Vous goùcois-jc ? vivois-je ? ou me fuis-je trompé ?
Cependant quoiqu'il fiiye , Sccommeonvoit encore
JE,n certains jours d'Automne un Zéphire badin
Se jouer fur le front d'une agréable aurore.
Je tâche de cueillir, profitant du matin,
Quelques refles épars que l'obligeante Flore
Renouvelle fur mon chemin,
£t que le plaifir fait e'dore.
' Hélas! l'homme fur fon déclin
Eft femblable au flimbeau, dont la flame à fa fin ,
Vive 6c morte cent fois, vagabonde, inquiète,
Se reprend, fe détache, & dont en ce combat
Les fuites, les retours, difent qu'elle regrette
Les rapides inftans de fon premier éclat:
Re'fiftance inutile! elle meurt confuméc.
Et ne laifle à mes yeuz frapés de fon deftin ,
Qu'un triftc moucheron , dont un peu de fumcc
S'évapore dans l'air qui l'abîme en fon fein.
Il faut donc pour durer que tout fe décompofe.
Tout renaît & périt, cil enfemble & n'eil plus.
rJambeau, dont la lueur fut un temps quelque chofe,.
Tes petits corps de feu, que font-ils devenus?
O pour l'efprit humain labirinthe confus!
O d'un profond mélange invifible harmonie !
O foible entendement! O p.iiflance infinie!
Captiye fous ta loi les ccciirs irréfolus.
C'eA ainû que le noir rcHus
De
E P I T R E s. i8i
De ma vague mélancolie
Me furprend quelquefois, fe répand fur ma vie.
Mais un éclair foudain, que décochent les ris,
D'un jour faillant & pur égayant mes efprits ,
Je vois au gré da badiaag'e
Dans un groupe doré, porté fur un nuage.
Le folâtre Bacchus, qui careflè Cypris;
Taadis qu'une troupe volage
De Cupidons ailés & de jeunes Zéphirs
Voltige tout autour, & voile leurs plaifirs
D'une gaze de fleurs qu'enlaffe un vetd feuillage;
Et dans leurs yeux de feu portant la vive image.
L'empreinte du brafîer de ces cœurs amoureux.
Leurs mains font à l'envi neiger un doux orage
De feuilles de jafmins & de rofes fur eus.
Philofophe alors moins févèrc ,
Je crois que le Ciel débonnaire,
!f En nous donnant des goûts, nous permet d'en jouir;
Goûts que le dévot Solitaire,
I Dans fon ame difcrette innocent léfraftaire,
Reflent malgré l'efpoir qui le vient éblouir.
Je n'attaque perfonne, & penfe voir mon fiére
Dans chaque homme, ici bas tous nés poux vivre amis»
Si l'intérêt, ce mercenaire,
N'ctoufoit les penchans que notre bonne mère
La Nature en eux avoir mis.
Simple ôc fans fard je cherche à plaire
Plus aux bons, aux vrais cœurs, qu'aux nommés
beaux Efprits,
De qui le commerce n'cft guèie
H 7 Qu'un
i%2 E P I T R E S,
Qu'un fol écho fans ame Je qu'un faux coloris.
Ah! s'ils étoicnt du caraûéte
De l'i'.Iuftre Titon que le Tinde le'vere,
Cet immortel futur, le niÊilleur des Mortels,
Dont puiflè le Deftin prolonger la catiière;
Alors ces beaux Efprits, qui ne font que manière,.
Me verroient à leur gloire élever des autels.
Voilà de mon portrait une efquiflè fincère^
JMa finance un peu trop légère
M'empêchant d'aller à Paris,
Vous me retrouverez cncor dans mes écrit?.
Divinité des cœurs, agréez-en l'hoirm ge.
Ah! fi j'avois votre fufrage.
Dont j'aime & connois tout le prix,.
Je ferois de cet avantage
Cent fois plus glorieux, que quand je reccvois-
Lcs Poétiques ambaflades ,
Et les tendres fanfaronnades
De tous les amans que j'avois.
w;!^
m
Efl-^
E P I T R E s. ig3
E p I T R E XV.
DE L'AUTEUR A SA FEMME,
Le premier Jour de VAn 1752. &■ envfjée
A M. LE MARQUIS DU C***
Capitaine des Gendarmes-Dauphins.
J. Ntime moitié de moi-même.
Toi qui naquis pour m'enflammer^
Peut on aimer plus que je t'aime»
Et pourrois-je te moins aimer?
Il fembîe, à te voir entourée
Des ris Se des jeux ingénus ,
Qtie la Sagefle s'efl: parée
De la ceinture de Vénus.
Ta volonté clicrche la mienne ,
Et fuit mon goût & mes déflrs ,
Ma volonté prévient la tienne ,
Et ne connoit que tes plaifirs.
Quand tu parles, c'eft la Nature
Inftruiie par le fentiment;
C'eft l'élégance la plus pure,
C'eft la railon & l'cnjoument.
184 E P I T R E S.
si f«r les rives da Permeflè
Nous allons moi (Ton lier des fleurs:
Du Boccage avec plus d'adiefle»
Sjait-ellc afi'ortir les couleurs.
C'eft-là qu£ ta jufte ciitique-
Refpire la fagacicé,
Er joint au piquant fcl attire
La douceur de l'urbanité.
Nous foraines délicats fans gêne,
Et de notre étroite union
Nous recueillons les fruits fans peine,.
Con(lans par inclination.
Mais quoi ! funcfte à toutes chofes »,
Le Temps même, loin de flétrir.
Semble avoir oublié tes rofes.
Ou fe plaire à les embellir.
Par quelques filtres efficace»-
£ntrctiens-tu ma vive ardeur?
Non, tout ton art eft dans tes grâces,-
Et tout le charme eft dans ton cœur.
Oui, ma Chloé, tout renouvelle
Les tendres feux de mon amour,
Etje te trouve encor plus belle
Ce premier de l'an , que le jour
Qu^un Miniftre en une chapdle ,
Sirivi de notre parentelle.
Ah
E P I T R E s. 185
Au bord du liquide élément.
Prononça pathétiquement
Une formule folemnelle,
Qui nous permit publiquement
D'avouer qu'une ardeur fidellc-
Nous embrafoit également.
Les Tritons, les Nymphes de l'onde^
Jouoient enfemble fur les flots,
Comme le [our que vint au monde
La belle Reine de Paphos;
Et la cohorte qui défoie
Les plus habiles matelots.
Captive dans l'antre d'Eole,
Au gré d'une fage bouflbie.
Les laifla voguer en repos.
Mais le fublime Miniftère ,
Que la raifon doit refpe<aer.
Et que l'honneur fage Se fcvere
Eut intérêt d'aaéditer ;
S'il confacra nos pures fixâmes.
Et l'atachement de nos âmes.
Il ne put y rien ajouter.
Ce jour, quelque, beau qu'il pût être,.
N'eft pour nous que le même jour.
Que feront à jamais renaître
La foi , les talens , & l'amour.
Louer fa femme fut la mode
Au bon fiécl« des Amadis:
Je
186 E P I T R E S.
Je fuis cette antique méthode ,
Et j'aime comme au temps jadis,'
„ Aimable, s'il en eft en France,
„ Marquis, l'exemple des Epoux,
„ A qui le Ciel, pour récompc^ife,
„ Donne une femme comme vous ;
„ Je vois que de mon mariage
„ Faifant ici mon entretien ,
„ J'ai peint votre charmant me'nagc,
,, Ne croyant peindre que le mien.
„ Pulfle pour vous deux fans viteflè
„ Lachéfis tourner fes fufeaux,
„ Et fur votre heureufe vieilleflè
,, Sa fœur fufpendre fes cifeaux.
„ Alors dans vos douceurs fuprêmes ,.
„ Du froid dégoût vos yeux vainqueurs,
„ Vous trouveront toujours les mêmes,
„ Vous retrouvant les mêmes caurs;
,, Et d'une coutfe fortunée
„ Libre de foucis fuperflus,
„ Pour l'un 8c l'autre chaque anne'e
j, N'aura fait qu'un nombre de plus '*»
«r%
EPI-
E P I T R E s. 187
EPITRE XV r. '
J M. LE COMTE DE LA MOTTE
JACQUELOT,
ujron de Camprllîôn, CotifeUkr au ParlemeJit
de Bretagne.
V^ Omte, avec qui dès ma jeuncfle
Mon cœur fut tendrement lié
D'un doux commerce d'amitié,
Vous, dont je chérirai fans ceflè
L'efjuit, l'honnenr, la probité,
Vrais attributs de la Noblellè,
]'aurois bien dû, je le confede.
Vous avoir plutôt vifité;
Oui vifité, revifité;
Mais procès, famille, ménage.
Et pour certaine hérédité
Un inutile & long voyage.
Et cent trains divers ont été
Caufe de ma morofité.
Toujours prêt à troulTer bagage
Pour voler à votre château.
Et par quelque incident nouveau
Toujours arrêté, dont j'enrage.
Cependant Monlîear Saint Martin
Sur les ailes du Noid aiiive
Gre-
m E P I T R E s,
Grelotant fous fon cafiquin,
Et bientôt à Maître Saint Yvc,
Vous cnvoira loin d'une rive,
Où fur fes courfiers nébuleux
Eole, la terreur du monde.
Commence à galoper fut l'onde,.
Où des Tritons tumultueux
Le cor bruyant & tortueux
llcveille la vague qui gronde
Dans le fond de fes antres creux ;
Mais où votre moitié dirine,
Supléant à TAftre de» cieux.
Adoucit l'air de la marine.
Cependant les jeux, les appas.
Vont imiter les hirondelles;
Je les vois déployant leurs ailes,
voler enfemble fur fes pas.
Nos cœurs, chagrins de cette abfencc,
feront réduits aux fculs défirs,.
Entretenus de refpéiance
Qui nous afliîre leur préfcnce
Quand l'eflain des jeunes Zépbirs
Viendra les lèvres demi-clôfes,.
Dans le fein des premièies tofes
Soufler fes amoureux foupirs.
Ainfi donc piiifque pour la ville
Vous quitterez en peu de jours
Votie champêtre & noble aûle.
De CCS momçns, hélas! trop courts,
j:^-
E F I T R E s. 189
J'irai m'approprier le refte;
Et grâce à la bonté célefte,
y vivre de foins délivré
Avec un auffi galant honvme
Que Dieu jamais en ait créé
JDes climats Bretons jufqu'à Rome,
Et du féjour du V tican
Jufqu'aux Lieux, ou le frêtre Jean,
Prêtre, l'époux d'une Negreflè,
A peu près vêtu comme Adam,
Chante à fa mode la graml'mefle.
Mais n'ayant, à vous parler net,
Qiie mon Pégafe pour monture.
Cheval bon pour le cabinet.
Dont l'avoine eft dans mon cornet,
D^'ailleurs quinteux dans fon allure.
Qui cheminant quand il lui plait,
Qiiand on le veut n'eft jamais prêt,
Qui craint qu'au fortir de ma chambre.
En tricotant fon traquenart.
Le ténébreux & froid Novembre
Ne l'enrhume de fon liroiiillard;
Vous me rendrez un bon office.
De m'en envoyer un qui foit
Doux & facile de fervice,
Qualen tne^ tel qu'eu demandoit
A d'Hocquincourt un dodc Térc,
Man/uetum effe decet.
Après le calcul que j'ai fait,
I90 E P I T R E S.
Ami, n'allez pas vous complaire
A me jouer au berniquct,
Comme on fie le Millionnaire,
Qui fur les arçons treniblotoit
Avec raifon l'ame aliarraée,
Quand tout au travers de l'armce
Le Bucëpbsle l'Cmpcirtoit,
Et comme un Daim toujours fnutoit.
Surpris de fa charge légère.
Afourchez-moi tout au contrai;e
Sur un docile & franc courfier.
Qui foit, comme fon cavalier,
.ïaiiîble & fur de caraâèie.
J'atends donc ce cheval moreau,
Aléfan, bai, brun, ilabelle.
Et ferai fans ferment nouveau
Avec une ardeur éternelle,
Profond refped, ou fans façon.
Votre ferf jufques chez Caton ,
Et votre ami le plus fidelle.
Par delà même fa nacelle.
^^f0
BPI-
EPITRES^, igi
E P I T R £ XVII.
jil M. DEMON T-l UÇON^
Fermier Général.
Ont-Luçon, votre voyage
Eft bien long aflûrement.
Quel fl doux amiifement
Sur ces côtes vous engage;
Et comment du grand village
Oubliez-vous l'agrément ?
Epris d'un nouveau langage,
ferlez-vous en ce canton,
l)u délicat bas Bieton
L'agi éable apreiitiflage?
Daignez donc me faire part
De la caufe magnétique,
Qi^ii depuis votre départ
Vous attache à l'Armorique.
La preflante m.Tin du Ciel
Vous a-t'elle à Saint Michel
Conduit en pèlerinage
Sur ce monr qu'on vante tant.
Qui, s'il étoit feulement
Plus élevé d'un étage ,
Touchetoit au firmament?
Et là, i^ouvel Encelade,
Touché du défir pieux
De dreflerune efcaiade.
Pouî
192
E P I T R E s.
Pour vous emparer des deux,
Auriez-vous du Eenoit Père »
Benoit d'effet Se de nom.
Fris rliabit, le fcapulaite
De ce dcvot Solitaire,
Dont les Eufans , ce dit-on ,
pondateurs de confrairies,
rirent maintes loteries
Du domaine du Soleil,
Et dans le léjour vermeil
Vendoient fiefs & métairies.
Biens celeftes qu'ici bas
Ils iroquoient avec les nôtres,
Difant dans leurs patenôtres.
Que le? gens n'entendoicnt pas.
Qu'un tiens vaut cent tu l'auras;
Rufés & fubtils apôtres,
Dont on conte plaifammcnt
Qu'en prêchant le jugement.
Ils le firent perdre aux auties ?
Ces fie'cles furent vraiment
Une efquiire de l'image
Du fameux MiffiflTpi,
Et cet antique prcfagc
De nos jours s'eft accompli.
Que vous auriez bonne mine,
"Vêtu d'un long habit noir!
De'jà, je me l'imagine,
Oui , je crois déjà vous voiï
Cette fa^on comparée
Que
E P I T R E s. 193
Qiae tout Moine doit avoir,
£n balayant un dortoir
De votre robe pltflce;
Xe matin comme le foir.
Occupant votre penfée.
Loin des bords délicieux
De la Seine & de la Marne,
D'Oremus mi îerieux ,
• La tête en une lu.ar/.e;
Cnr en lucarnes font faits
Frocs de Moines 5c d'hermites.
D'où Icuis yeux fins & difcicts
Font maintes tendres vilîtes
A maints dclica:5 objets.
Que ces dévots cîiatemites
Voudroier.t bien en leurs guérites
Tenir & lorgner de près.
Cependant j'ai peine à croire.
Qu'à fuivre un pareil parti,
Votre cœur ait confenti.
Un moment au léfecioire,
Chanter au Chœur tout le ioiir
Matines, Vêpres, Complies;
Eternelles Pfalmodies
Se fuccédant tour à tour.
Etre toujours à la gêne,
S'abflenir de toute chair,
Et ne pouvoir qu'avec peine
Mettre le Diable en Enfer,
Dans le goût de la Ponuine ;
^em. I, I Cet
194
E P I T R E S,
Cet état eft bien amer.
M*** je me rétraftc.
Ma Mufe allant le galop,
N'eft pas toûjouis fort exaâe:
Vous vous lepentiriez trop ,
Si vous failîez un tel adc ;
Et Novice de'gcuté ,
Reprenant la Liberté
pont vous fevroit un vain paûe.
On vous verroit à cheval
Bien -tôt fcanchir la ban-licue
Pu fépulae monacal,
Ou fur rélcment naval
Fendre la Campzgne bleue,
Ayant laiffe fur les choux.
Pendre en forme de tiophe'e.
Le froc mal taillé pour vous.
Quelque Rémora plus doux^
Peut-être une aimable Fée
Vous retient en ces climats
Enchaîné par fes apas.
Une Arraide au beau vifage ,
Aus yeux noirs , grands & malins ,
Et dont entre les deux rnain»
On peut ferrer le corfage ,
Vous dorlptte en fon palais ,
Vous cajole, vous adore.
Et vous enyvre à longs, traits
Pe plaiGrî plus grands encore
Q^e tout ceux i^ue Hahqfiaft,
**
E P I T R E s, ip^
Aux bons Mufulmans promet.
Le prorapt defii s'infinue
Dans le coeur d'Armide émue,
Pour fon.hôte gracieux.
La volupté toute nue
Brille & nage dans Tes yeux.
Hébé qui fort de la nue ,
De'couvre, offre à votre vûç
Du mouffeux nedlai des Dieux
La coupe mi&érieufe ,
Et vous favourez enfin,
Au gré du plaifir badin.
Demi-mort, demi-lutin,
L'yvrclTe délicieufe.
Non , dit-elle, en vous voyant,
Renaud n'eut point cet air mâle,
Ces yeux, ce ris attrayant.
Cette démarche royale,
Cet efprit rare & charmant.
De qui l'abondance e'tale
La finefle & l'enjouement.
Ah l cette amante ravie
Voudroit couler avec vous
Dans un commerce fi doux
Tous les momens de fa vie.
Contre des charme? fi forts
Que votre cœur fe loidUIè,
Réfiftez à fes efforts.
Le fils du prudent Vlifiè
leite fes regards ailleuis^
I s Quaai
iç6 E P I T R E S.
Quand Calypfo fond en larmes;
Une amante dans Tes pleurs ^
Trouve de puilTantis armes.
Poli, galant, fait au tour.
Vous avez dû chez l'Amour
Avoir an accès facile;
Miis de fonger au retour
La chofe eft plus dificilc ;
Et pour peu qu'un cotur vacille.
Ce n'eft pas l'a-uvre d un jour.
Venez par votre préfence
Rendre la ferénite'
A mes jours , dont votre abfcnce
Trouble la fé!icité. '
Erifez le nœud qui vous lie,
■ Profitez de la faifon.
Bien-tôt l'époux d'Orytliie
A.vec fon frcre Aquilon,
Des' cavernes de Scythie
raflant fur notre horifon,
Viendra brûler le gazon
Dont fe couvre encor la plaine;
Zéphir, Pomone & Cloiis
Vous attendent à Paris
Sur les rives de la Seine;
rt fous un riant berceau,
Oii fferpente un clair ruifleau,
Baccus qui les accompagne ,
Vous prépare le Champngne
Du pluï excellent Coteau.
EPI-
E P I T R E s. 19J
E p I T R E X V 1 1 1.
PHILOSOPHIQUE,
^ M, DE VOLTAIRE,
de i' Académie Françoîje, ck celle de Berlin ^c.
X. Re's de cette onde fameufc ,
Ou Céladon trop confiant
Crut , en fe pre'cipitant ,
Noicr fa flanie amoureufe ;
Habitant de ces climats,
J'ai viî deux fois les frimats
Décolorer les rivages ;
Et vainqueur des noirs orages
Deux fois le Dieu des faifons,
Adouciflanr les haleines
Des nuifibles Aquilons,
Faire ondoyer fur les plaines
L'or mobile des moilTons.
Intime Dépo^taîre
De la plus pure amitié,.
Dans ces lieux oij m'a lie
Un caprice volontaire ,
Tu me plaindrois, cher Voltaire ,
Au récit de l'embarras
Peu conforme au caradlere
D'un Difciple de Pallas.
Ttnie r. 1 î Mais
193' E P I T R E S.
Mais enHn dans la finance ,
Qui m'occupe utilement.
Le fort veut qu'un fuple'ment
S'ajufte à rinfuffifance
D'un patvimoine trop court,.
Pour paflèr.avec aifance
Des jours, dont le temps qui court.
Vient preffer la jouiflance.
Tour toi , fortuné Mortel ,
La bénigne main du Ciel,
Au moment de ta naiflance ,
Te carcfTa , t'accueillit.
Te donna ce qui fuffit
Pour vivre dans l'abondance,.
Et refpirer en tous lieux
L'air ttanquile & précieux
De l'aimable Indépendance.
Au moment qu'elle y joignit
Le feu de ton rare cfprit ,.
Elle fut fi libérale ,
Que je m'étonne comment
Il put trouver logement
Dans ta glande pinéale.
Il manquoit à ton bonheur,
Qu'un tempérament meilleui
Eût étayé ta machine ;
Mais de ton fragile corps
L'.hôtefle riche !k divine
Habite en une caâme,,
Dojit
E P I T R E s. 1$©.
Dont à juger pat dehors,
li'nrchitedhjre eft fi fine ,
Qu'il femble qu'au moindre vent
Tout ce frêle bâtiment
Devroit tomber en ruine.
C'eit pour eux, & non pour nous,.
Que les Immortels jaloux ' '■
Ont fait la béatitude;
Nous n'avons que les deiîrs.
Et fouvent l'inquiétude
Naît du centre des plaifirs.
Quelque peine que l'on mette
Pour enduire le tonneau,
Par quelque fente fecrette
Il perd toujours un peu d'eau,
BruIé par l'impatience,
le plus content fait des vœux.
Heureux le Mortel, qui penft
Etre le moins malheureux J
Chacun habille à fa guife
La raifon qui le conduit;
Le goût la caraftérife,
La volupté la féduit;
Et plus efclave que Heine-
De fes inclinations, "
L'ame inquiète, incertaine,,
Eft une éternelle Arène
Oîi luttent les paffions
Contre le joug & la gêne-
Des fages réflexions.
Tome I, 1, 4 XA'
2C50 E P I T R E S,
Le vice qui la domine ,
A fa première origine
Dans un certain fond d'humeur.
On réforme peu Ton cœur;
l'efprit en vain s'en afflige.
Il gronde, il prouve^ il féiig»
En folide Dire<Sieur> ., j ;i( ;-,-)(}
Mais c'eft beaucoup i'il corrige .r>
Quelquefois l'exterieut.
Et fous l'epaifleur du cafque
On s'éronne avec eflFroi
Qu'on ne fut vraiment qu'un MaCquc ,
A qui l'orgueil fit la loL
Ce n'eft point encot rétude.
Qui fait germer dans un cœur
La Sagellè & la Candeur;
C'eft le goût , c'eft l'habitude:
Il en eft à qui les Cieux
Font une ame fimple & douce.
Sans contrainte & lans fecouflc,.
Loin des doutes captieux,
Vers le bien l'indina les poufle :
Nul tranfport impétueux.
Nul defir tumultueux
Ne les trouble dans leur fphe're.
Et tout mouvement contraire
Seroic un tourment pour eux.
Sous la pointe des Cilices »
Dans nos plaiHis & nos jeux >
jyiM
E P I T R E s. 201
Dans nos vertus & nos vicei
Nous fommes voluptueux.
Libres & flotaus complices
Du mal qui nous fait la loi ,
Un certain je ne fçai quoi
Doucement nous follicite.
Nous appelle, nous invite.
Et produit, comme l'aimanf',, ',
l'a puiflante fimpatie ,
Qui loin d'être ralentie ,
S'acrôît par le fentimenr,
Et dure éternellement.
Le peiichant a plus de force
Dans la faifon des beaux jours;
Quand la fuite des Amours I"^ -
Ne nous laiflè que l'amorce
Des jeux qu'on trouva trop courts.
On fait fur foi des retours ;
On ne change que l'écorceî
La féverefte toujours.
Toutefois dans mon déKre
Dieu me préferve de dire
Qiie l'homme, efclave abfo!u'
Dans les entraves du vice,
Par de vrais efforts ne puifle
Ce qu'il a bien réfolu.
Mais ces efforts font plus rares
Qu'un Phénomène dans l'air, ■
Eî 'pour mille Se mille Icaxes, *'
I i Que
£02 E P I T R E S,
Que des bonds vains & bizarea
Précipitent dans la mer,
Je vois à peine un Dc'daic ,
Qui , fans détourner les yeux^
Volant d'une force e'gale ,
Tienne la route des Cieux.
Egaré dans ce pafTage,
L'homme eft femblablc au Nocher,
Qui s'écartant du rivage »
Au fond d'un efquif léger,
Yvre d'un fatal breuvage.
Va de rocher en rocher
Heurter au gré de l'orage.
Et qui loin de rapeller
Le falutaire courage ,
Que le Ciel dans fon ouvta^
Tâche de renouveller,
S'aflbupit près du naufrage,
ïareflèux , & diflFérant
De fe faifir d'une rame ,
Défefperant dans fon ame
De refouler le courant.
Combien de fois d;îns ma vi*
]'ai dit. Renonçons mon CœiK
A la terre ftrc Folie ?
Le monde eft un fédwiteur;
Boiras-tu jufq'a'à la lie
Sa vaine & faufle douceur?
Daoi mon faint enthoiiflafoie
I*
E P I T R E s, 203
Je crois être refondu ,
Et mon dévot pléonafme
Gémit fur le tems perdu.
Le moment eft-il propice,
Auffitôt le pied me glifle ,
Tout mon zè'.e eft morfondu.
Dans mon cerveau Confondu
tes mêmes efprits s'épanchent.
Et mon cœur vole éperdu
Ou mes ailiîâions panchcnr.
Trop cruel & trop charmant j.
L'Amour invinciblement
M'edt vil languir dans fcs chaînes ,
Si je n'avois craint fes peines ,
Et lî le raifonnement
N'eût un peu ferré les rênes
A mon vif tempérament.
Les péril»,- où l'on s'expofe,.
^n efpoir fou vent trompeur.
Et l'épine m'a fait peur ,
La main même fut la rofe.
Moins retenu , j'en conviens,
Mon regret en çft extrême.
Par le defir des vrais biens ,
Qye par l'amour de moi-même.
Né mifantrope & rêveur.
Je fuis de ma folle humeur
Le reflux périodique ;
Mon cfprit philofophique
I 6 Sa-
104 E P I T R E s:
S'jjet aux abftraftions ,
Se conflime , s'alembique^
S'cgare en réflexions.
Le long (!es bords, oîi fcrpente
L'onde claire du Lignon,
J'allois, & mon ame errante,
S'afFrancliiflant du limon,
Perçoit la voûte brillante.
De la haute Région;.
Et l'iiiiagination ,
O'gne.lleufe, indépendante,
Wenlevoit, fier Ixion,
Sur fon aile triomphante.
Là d'un reg.ud curieux-,
Dans mon vol audacieux,
Parcourant le fort des hommes,-
• J'admirois comme nous lomme*
Suc ce globe raboteux ;
Les uns maîtres faftueux.
Nés au fein de l'opulence;
Les auties dans l'indigence,
Efclaves nécefllteux»
Je cherchois dans lemciite- .
Sur cette ine'galité,
Qnelqne probal ilité :
Vain travail, folle pourfuite.
]e trouvois qi:e les plus grans,
K'ctoient que des noms .inCgnes;
A«l
É P I T R E s: 2ot
Au furplus fameux brigaiis.
Traîtres, fuperbes, méchanS»
Fiiiieux, trompeurs, & dignes
Dfe ramper aux derniers rangs.
Dans un burlefque Siftême,--
Dont je détefte & combats
L'erreur & l'audace extrême ,
Certain que l'Etre fuprême
Régie feul tout ici bas,.
Que du Monde qu'il embrafle
Il modère le timon,.
Qu'il voit tout ce qui fe paflfe
Dans l'invifible Ciron,
Que dans la natuie entie're ,
Au Dieu qui fit la lumière,
L'homme ne peut rien cacher,.
Et qu'enfin , s'il ne l'arrête ,
Va feul cheveu de ma tête
N'ôferoit fe de'tacher;
Dans le tiffu ridicule
Do Siflême peu fenfé
Que mes Vers ont annonce'.
Et par qui le plus crédule
Ne fçaùroit être de'çu,
Cher Voltaire, j'ai donc lu
Que le Dieu puifTant qu'adore, ■
Sous des emblèmes facre's
Diverfement figure's ,
Chrétien, Chinois, Turc ou Moie,
I 7 Qu'en-
2o6 E P I T R E s.
Qu'enfin des erres divers ^
L'Auteur fouflè, fait e'clore.
Comme infeâcs dans les airs y
Mille eifains d'ames nouvelles,
Qiii volent à tiie-d'aîles
Pour repeupler l'Univers,
Elles errent difpetfées
Inquiètes & preflees
De dciirs impatiens
De fe voir bientôt placc'es
Dans les embrions re'cens.
Le hazard fait entrer l'une
Dans le fétus d'un Seigneur;.
L'autre va d'un Laboureur
Animer la chair commune;
L'une occupe par bonheur.
L'enveloppe d'un Hermite ,
Ou de tout homme d'honoeur.
Qui , libre dans fa conduite ^
N'a pour régie que fon cœur;
L'autre affreufement habite
Le fombre étui d'un Voleur,,
Ou d'un perfide Hipocrite,.
Selon que font comporés.
Leurs organes difpofcs
Au me'rite ou démérite.
Et telle a trouvé fon gîte
Dans le corps de quelque Grand,
Qui Ic^eoit plus taid veaae ,,
E P I T R E s. 207
Ou plutôt d'un feul inftant.
Sous ia fangeufe éiendue
De la malTe individue.
Oïl s'emboiie fon valet.
Ou dans un moindie fajeu
Mais dans ce conte frivole
Quelle étrange abiurvlitc î
Songe qu'une ficvrc .bile
reut avoir feule inventé.
Dieu par fon imracnfité
Peut, à chaque inftant qui voie.
Enfanter d'une parole
Plus d'smes & plus de corps
Que l'Océan variable
Ne roule de grains de fable
Dans fon lit & fur fes bords.
Dans ce tableau chimérique y
Toutefois la fîdion
Petit bien être allégorique
A la révolution ,
Que par la permiflîon
De Dieu le Seigneur unique,
La fortune fantaftiquc
Caufe dans fa marche oblique
£n chaque condition.
Ainfi bravant de Lucrèce
Les prediges impofteuis,
Plutôt Enfans que Dodeurs,.
Quand
2o8 Ê P I T R E ^.
Quand nous voyons que Dieu lififle-
Aa gré d'un toffent fatal
Circuler entre des frères
Et les biens & les miféres
Par un' partage inégal ,
Songeons que de ce partage.
Sans cefie prêt à finir,
Sa juftice doit punir ,
Ou récompenfir l'ufage ,
Qui par les chemins divers.
Où nous promené la vie,
îîous donne enfin pour Tatrie,
Ou les Cieux, ou les Enfers.
Dites- moi donc, Grands du Monde , •
Atomes impérieux-,
L'inconnu motif qui fonde
Votre org^ueil injurieux ?
Comme les hommes vulgaires,'
Vous TOUS devez à la mort ;
Vous tenez des mains du fort
Les gcandîurs imaginaires.
Dont vous vous enflez fi fort,
Sans que la juftice, due
Au méiite perfonne! ,
Dans votre carrière influe
Sur cet éclat temporel.
Infenfés, juges iniquesi
>Î9 us ôfôns des' animaux-
Ë P 1 T R E s. 20^
Méprifet les Républiques.
Amis, compagnons, égaux.
Le cœur les unit enfemble :
Entr'eux nul!e primauté ;
Le goût de la liberté
Les difperre, ou les affemble.
De femblables alimens
Servent à leur nourriture.
Et la prudente nature
Pourvut à leurs vêtemeiis.
Le gai retour du Printems ,
Qui tapiffe de verdure
Les bois , les prez tous les ans ^
Leur rend leurs amcublcmens,
La mode, capric-eufe
Bizarre dans Tes apaî.
Ne les aflujetiit pas
Sous fa main luxurieule ,.
Qui , vaiîant à nos yeux
D'ébloiiiflTantes chimères.
Nous a mis au-deflbus d'eux»
Et révèle nos miféres.
Les Lions impétueux
Ne quittent point la parure
De leurs crins majeftueux
Pour une autre chevelure.
Les antmaux, fans murmure,
Sans' examiner les traits
Qyi compofcKt leur figure.
*io K P I T R E s.
Vivent tous à l'avanture
Tels que le Ciel les a faits;
£t la Biche à la nature
Doit feulement Tes attraits.
La voit-on dans les forets.
Mécontente de fa tête ,
Et paroilTant accufcr
le Créateur qui l'a faite,
> La peindre , la déguifet
Et la métamorphofer,
Semant des couleurs vermeille»
Sur du plâtre préparé?
Voit-on les triftes Corneille»,
Dans un ciment coloté
Engloutir, comme nos Vicilîef »
Leur vifage délabré,
Couvrir leurs rcftes funèbres
Des plus pompeux ornement»
Et faire avec les ténèbres
V Contrafter les diamans?
Vit-on jamais la Tigreflè
Chez un Singe bijoutier,
Efdave par gentillefle.
Paire emplette d'un collier.
Et dès fa tendre jeuneflè,
Soigfteufe de s'émaillei
De tout ce qui peut briller.
Se déchirer les oreilles
Pour les accabler du poids
De peudeloques paieilles
Aut
E P I T R E s. 211
Aux nœuds qui gênent nos doigts?
Chacun plaît à Ton efpéce
Sans dgrément emprunté»
Etl'Afne charme rAfneflè,
Malgré fa ruflicité.
lis fcntent que ptfur l'afnge
le Ciel leur donha des pies,
ïoibles humains] qui croycï
Avoir chacun en partage
Le Cens de l'Aréopage,
Si dans un bois vous voyez
Sur des branchages liés
Deux Loups en porter un autre,
Quel émnnement au vôtre
Pourroit être comparé?
Cenfèut inconfidéiré, ""
Qi^ie œ fpe(aacle fait rîre,
Mocque-t'cn, mais fi tu peux,
Conçoi qu'en te mocquant d'eux.
Tu fois ta propre Satire.
Les Animaux, dégagés
Des craintes, des préjugés.
Vivent dans un doux commerce.
Et leur tenJre inftimfî: exerce
Des foins par nous négligés.
Nous en dépeuplons la terre;
Nos befoins accumulés.
Nos apétits d»régle«
Lettr
212 E P I T R E S.
Leur ont déclaié la guerre.
Nous égorgeons les taureaux
Nés pour fillonner la plaine,
Nous dépouillons de leur laine
Les nourrices des agneaux.
Nous ôtons aux vermifleaux
La toifon renouvelles
Que leur adreffe a filée.
C'cft à des vers de parer,
Et de faire révérer
Ce corps qu'on aime & qu'on loue ,
Et que des vers plus affreux,
Dès que lame fe dénoue ,
Dans un antre ténébreux
Rongent fur un tas de boue.
Les Daims, les Cerfs, les Caflors,
Attaqués dans leurs tanières,
De nos fureurs rneurtriéies
Ont éprouvé les efforts.
Qiie ne pouvons-nous entendre
Le Cerf réduit aux abois!
Homme, qui viens nous furprendre
Dans le filence des bois,
\ D'où part, diroit-il, la rage
Qui t'anime contre nous?
T'avons-nous fait quelque outrage
Qiii mérite ton couroux?
Nous n'allons point dans tes villes,
De tes volupté» tranquilles
In*
E P I T R E s. 213
Interrompre les fccrets ;
Pourquoi troub!e-tu la paix
Qiii icgne dans nos aziles?
Notre mort fert à tes jeux ;
Un amufement bizirre
Contre nos jouis malheureux
Arme ta rigueur barbare.
Grans t^; merveilleux loifirs,
Dignes d'ane ame immortelle .'
Ah ! ta raifou , fi c'eft elle
Qiii te dide ces plaifirs,
Zû bien folle, ou bien cruelle.
Tu te nommes notre Roi ;
C'cft ta main qui te couronne.
Eft-ce à des Tirans qu'on donne
Un nom qui porte avec Coi
La clémence, la juftice,
La verfu, l'horreur du vice,
La candeur, la bonne foi?
lourquoi ton cœur, plus fauvagc.
Que le Tigre dont l'image
Te tranfit même d'effroi;
Pourquoi donc ce cœur peu ùge.
Dont le fuperbe langage
Veut que nous vivions fans loi,
Fait-il d'un cruel carnage
Son unique & cher emploi ?
Laifle au fond de leurs retraites
3Iourir d'innocentes bêtes.
Qui n'ont pas befoin de toi.
Ain-
214 E P I T R E s,
Ainfi la Philofophie
Me dc'robs des momcns ,
Et dans la raifantropie.
Trouve fes amufemens.
Si d'une pliis douce vie
je goutois la HbTté,
J'aurois autrement monté
Les rcflbrts de mon génie ,
Et fur un graciçux ton
Réjoui cette contiée
Du récit d:s feux d'Aftrée
Et du berger Céladon.
Le Roflîgnol fous l'ombrage
S'entretient de leurs plaifirs:
Tout en retrace l'image ;
Et les folâtres Zéphirs,
Qui badinent avec Plore ,
y font échaufés encore
Du braûcr de leurs foupirs.
Le lit de fleurs qu'ils foulèrent,
Y conferve tous les ans
L'empreinte qu'ils y laiflerent.
Quand les jeux les relevèrent
Toujours tendres & conftans.
L'infendble Célimene
Vit l'autre jour S< baifa
Leurs noms gravés fur un chcnes
£t fga ABSLC i'Ç9^k&,
réÈt
E P I T R E s. tis
Tout refpire la tendreflè
Sur ces rivages chéris.
Et la fringante jeunefle
T fait voltiger Tans ceflè
Les jeux, la danfe & les lis.
Jamais l'Amour n'y fommeille;
Sa vivacité réveille
X^es coeurs les plus adbupls.
Vien, Voltaire, fur ces livcsj
A la douceur de tes fons
Les Bergères attentives
Y rediront tes chanfons.
Là dans un ioifir champêtre,
.Par des beaux yeux échaufé.
Ton goût y fera lenaîtxe
Les jours charmans de d'Urfé*
EPITRE XIX.
PHILOSOPHIQUE,
J M. NE'RICJULT DES TOUCHES,
De l'Académie Franpîfe , Gouverneur de Melun.
D
Es TOUCHES, dans le mois ou FloïC
Ranimoit fes belles couleurs.
Je t'écrivis , malade encore ,
Mes dépkifiis Ôi sacs douleucs*
2i6 .E P I T R E s.
Sai-tu maintenant où j'exiûe?
]e vis folicaiie, ignoré,
Au bout du monde transfère
Dans un ciimat fauvagc & triûe.
Le croirois-tu , que mon exil
Fut dans le fein de ma Patrie,
Où la plus fombre rêverie
Epuife le germe fubtil
Qui reflufciioit mon génie,
Oii je n'entends d autre harmonie
Que celle dès vents & des flots,
Oîi je n'ai d'autre compagnie
Que les rochers & les échos?
Tantôt errant fur le rivage,
J'y vo!S de pâles matelots
Nuds, ou couverts d'afFrcux lambeaux.
Que roule l'effort de l'orage,
Et que leurs bras, fendant les eaux,
Ne purent fauver à la nage.
Quoi ! m'écriai-je épouvante ,
Voilà donc ce célefte ouvrage,
L'homme que la Divinité
Créa conforme à fon image?
Jouet des élcmens dive.s,
Hôte étr:nger dans l'univers,
Le mal le fuit, le fort l'outrage.
Ses jours font tifliis par l'ennui,
Sç raifon mèoïc efl fa foxtmc,.
tt
EPI T R E.S, 2Î7
Et mort il devient là patuie
Des animaux créés pour lui.
Tantôt de ce fpeftaclc horrible ,
Qui confond les flots & les airs.
Je palîe à la douceur pailible
Qui change la face des mers.
L'onde plus verte e(l tranfparente >
3'aperçois même jufqu'au fond
Jouer, .bondir le froid poiflbn ,
Et clierciier dans l'algue gliCante
Un azile contre l'efFoit
D'un poiffon plus grand & plus fort
Qui vient lui donner l'épouvante.
Le Gai me H tôt xevenu
Me furprend , £c mon ei^rit fonde
Ce que peut être devenu
Ce qui troubloit l'ordre du nionde.
Où font ces Titans furieux,. ; ï.
Ces Aquilons audacieux,' j; j>'
De qui la rage anéantie
Rend le repos à l'univers ?
Le fier ra-ifieur d Orithie
Dans les cavernes de Scithie
S'eft-il laiiTé mettre des fefs,?,,. ;.
Les vents font-ilS ame y oti matière^
Ou fimplement air agité i
Pourquoi les. uns. dans leur. caxiière
Tm. /, K No»i5
2i8 E P I T R E s.
Nous portent-ils l'humidité ,
Et les autres l'aridité ?
Si par fa chaleur attraftive
Le foleil du centre des monts
Fait fortir les exhalaifons ,
Dont la vertu, long-tems captive»
S'irrite, & des noirs Aquilons
Engendre la cohorte aftive ;
Pourquoi donc, après un beau joui
Qui brilla fans un feul nuage, /
Voit-on naître un fubit orage,
fendant que la nuit fait fon tour?
Chacun en cherche l'origine.
Nul n'en pénétre les fccrets.
Pour moi , je juge & j'imagine
Que ce font des efprits folets ,
Des Sylphes, armés de fouflets,
Qui livxent aux Gnomes la guerre^^
Lorfque ce peuple terrien
Veut au féjour aérien
Pafler dès ancres de la terre.
Ainfi fans occupation ,
je cherche dans ma folitude»
A tromper mon inquiétude
( " Pat diverfe réflexion ;
It fans roifer chaque penfée,
J'cciis fans affsdiation
-Et
E PI T R E S. :ii9
Je laiflè une carrière aifce
A mon imagination.
De mon loiiîr involontaixe,
Etayé de fort peu de biens,
Je fais deux parts ; Se mon affaire
Eft d'en paflèr Tune à tien faire,
t'autre à ne faire que des riens.
La liberté fut (oujourj çhere '
A ceux dont Tctude eft de plaire
Au dofte & puiflant Souverain ,
Du double mont de Thcflàlie;
Ce Dieu , que nous fervons en vain ,
Mêle avec l'eau de Caftalie,
Qu'il nous fait boire 'à veire plein,
La nonchalance & la folie
D'éviter tout ce qui nous lie.
Mais il faut que la liberté
Soit en tout temps accompagne'e
D'une honnête commodité.
Douce & facilement gagnée.
Heureux qui, fans compter fès joii/î.
Met à profit l'inflant qui pafTe!
Heureux, qui fans peine entrelaflè
Avec le miithe des Amours
Les brillans lauriers du Parnafle!
' Heureux qui badine avec grâce
Au milieit des jeux Se des lis»
K 2 St
220 . E P I T R E S.
Et qui fl€ craint d'autre difgrace
Que celle des beaux yeux d'Iri»!
Heureux qui, fage avec Horace,
Mcprife du Vieillard Caron
L'importune 5c trifte menace,:
Et de qui la Stoïque audace
Eiave le bruit de l'Achéion !
Heureux qui , toujours fain , fe paffe
De Quinquina, Rhubarbe, CalTe!
Heureux , qui trouve dans fon cœut
Le fondement de fon boiiheui!
Heureux, que nul foin n'^mbarraflê,
* Ni charge, ni grandeur, ni train.
Ni femme, ni fàcheufe racjC,
*^ Et qui n'attend le lendemain.
Que comme s'il étoit terrain
Que le Soleil, prenant la fuite,
Dût pour lui du feiu d'Amph.itritC
Sortir toujours clair & lerain.
O;! fi la fortune ennemie
M'eût laifle mon fort à choidr.
Que dans l'yvrefle du loifir
l'aurois aimé pailcr ma vie.
Du bruit du fafte & de l'envie
Riant dans les bras du plaiGr,
îpris des beaux yeux de Silvic,
Conftanf jufqu'au dernier foupir,
£t dans mon ame cbatouillçe,
£ P ï T R E s: 221
Oarcffaiit un doux fouvenir,
Sous fa main, de larmes mouillce,
Fermer les miens à l'avenir!
Ainfi mon heureufe vicillefle.
Marchant fans crainte 5c fans foibleffC}
Comme le feu fans aliment
S'e'teint imperceptiblement
Sous une cendre qui s'afaifTê)
Ou comme naturellement
Le fruit mûr à l'abri du vent
Echapc à la branche qu'il laifle,-'
Dans mon innocente pareflè
J'aurois fini tranquillement.
Jilais hélas! fiinefles viâimes
Cu plus fatal des apétits»
Lés Cieux Jious ojlt aflujettis
A payer toujours pour des crimes
Q^ii fans nous ont été commis;
EÉ la Loi, qui nous a fouirtis
Aux fuieuïs de la mort craclle.
Veut qu'on ne retarde fon aîle
Qu'en fatisfaifant au Befoin,
Dont une effrayante fentence
Au dur Travail commit le foin;
Befoin, que btave l'Abondance
Afiîfe en un palais doté.
Auprès de fa Sœur l'Opulence",
Oii cet arrêt fut ignoré
De la molle & fixe lodolence;'
^ 3 Maif
222 ^ ? I r R E S,
Mais pâle, afFreux, défefperé,
Sous le toit humble & délabie'
Ou loge la maigre Indigence,
Pans un lieu fombre ôc leflêrré.
Ce font nos befoins tiranniques.
Dont le confeil perfécuteur.
Fait, infidèle conduâeur,
Errer nos cœurs mélancoliques
Loin de la route du bonheur;
Befoins, artifans faméliques
De l'idole du fol honneur,
Et des reflburccs politiques;
Eux, qui jamais raffafiés,
N'ont dit à ces cœurs hidtopiqucs,
A mille excès factifiés,
Jettcz des yeux philofophiques
Sui tant de tréfors entafles.
Repofer-voHS , c'en eft aflez.
Bornez des defirs chimériques;
Le temps vous prcfle, jouïflez;
Vous touchez aux momens critiques;
Vos jours font aux trois quarts pafles.
Vous alhz être terraffés.
Comme un Géant la mort s'avance.
Regardez vos traits effacés,
Vos rides, vos yeux enfoncés, .
Ne fentez-vous pas l'impuiflance
De vos elprits lents & glaces.
Et de vos meinl)res afaifles
L'ir.
E P I T R E s. 223
L'irréparable défaillance?
Le temps vous preÛe ; jouilTcr.
Ces befoins, infultant la Par<jue,
Nous ont fur une frêle barque
Expofés aux périls des mers.
Et dans les mines tortucufes.
Tu des foutetrains entr'ouveits ,
Fravc le chemin des Enfers
A nos cupidités homeufes.
Ils ont détruit l'égalité',
Aflujetti la liberté
Qui dans les bras de l'innocence
Jouoit avec la volupté,
Dcguifé la faufle apparence
Sous les traits de la vérité.
Au coin trompeur de l'excellencft
Marqué des Speftres menforgeis;
Eux feuls cet mis la différence:-
Entre les Rois & les Eergèrs../.>
Cependant ma Philofophie
îlcchit, s'humanifc, & je fens
Qu'il faut, pour conferver fa vie.
Nourrit le commerce des fens.
Ménager jufqu'à la folie
De ceux que le fort a fait grans,
Et fe taire j quand Polymnie
Ne veut pas leur donner d'encens.
Quelqu'un, qui fait ici le prude.
Me conreilloit tout.téccuime:iit .
K+ De
^24 EPI T R E S.
De fuer mon incertitude
Ssus les loiz d'un himen charmant.
Le fardeau, dic-il, efl moins lude
Quand on eft deux à le poitei ;
Tâchez de l'expctimenter.
Oa joint cnfemble fa fortune,
JDeux corps font identifies.
Leurs âmes fe fondent en une :
Dans ces liens purifiés
Si l'un fe plaint, l'autre s'afl!ge.
Si l'un eft gai, l'autre eft content.
Et deux cœwrs, qu'un cfprit dirige,
Jouiflent d'un bonheur confiant.
Mais ce charmant himcn , repris- je ,
Lft-il facile à rencontrer?
Qui poutroit, grand Dieu! p^n^tiei
Le labirinthe d'une femme,
Il pat la douceur de fes yeux.
Ces finges artificieux,
Connoitre à fond ce qu'eft fon ame?
Que de malice & de détour
Sous cette charmante envelope,^
■ Et combien l'Himcn & l'Amour
Ont un diflFctent microfcopc!
t Cependant je pouirois rifquet
De me roir enfin coHoquet
Dans l'infini martirologe ,
Dont Buiïi commença l'éloge.
Si la coi)tusie du fais
Ac<
I
M PITRES. 225
Accordoit, après qu'on s'ell pris,
L» faculté de fe dépiendrc ,
Et convaincu qu'on s'eft mépris ,
De quitter fa femme & lui rcndic
lia propriété des apas ,
Dont i'ufufruit galant, aimable,
Parut un bien fi defiiablc
Quand on ne fe connoifloit pas.
Pour toi , dont l'erprit aflbcie
li'himen & la Philofophie,
Et que l'eftime fie l'amitié
Ont joint à ta chère moitié,
Destouches, délicat génie.
Du cœur humain peintre excellent j
Qyi de la belle Comédie
Confctvas le g»ût chancelant;
Tûi, qui ne dois le cours tranqailc
Des jours, que la Parque te file.
Qu'à ton mérite, à ton talent.
Plains mes fatales deAinées,
Qui n'ont pu s'afTàtcr un port
Contre les vagues mutinées,
Et goûte en paix ton heureux fort
Pendant un long cercle d'années.
Mais dans ton loifir fouvicntoi
D'un coeur qui t'aime , fie dont la foi
N'eft ni fauûe, ni colorée.
Et dont la fiére probité
Ne put jamais êtie altérée
P^r- les coups de l'adverfité* -
- - K 5 EPI-
226 E P I T R E S,
E P I T R E X X.
A M. LE CHEVALIER DE SOLIGNAC,
Secrétaire du Cabinet ^ des Commandemens du
Roi de Pologne , Duc de Lonaine ^ de Bar;
Secrétaire perpétuel de la Société Royale des
Sciences ^ Belles- Lettres de Nancy, ^ de
r Académie Royale de la Rochelle.
r*, Ll GANT Solignac, dont les talens acquis.
Le goût 2c l'uibanité pare
Que vous verfez fui vos écrits,
Embcliflènt les rfons exquis
Qii'en vous aflcmbla la Nature ;
D'un conftc're, que fixe en ces Hcux €cart«s
Le fort, cet inflexible maître.
Agréez dans ces Vers, que le cœur a difte's,
La preuve du defir qu'il a de vous connoitre.
Vous cohnoître . . . ceci foufFte explication.
J'entends . . . écoutez que j'exprime
L'objet de mon intention ,
J'entends quelque cbofe d'intime >
Ce qu'opère fogvent une relation
De la voix f< de la pre'fence,
À JLcs lettres , qu'cm s'écrit, faifant la fondion, •
Quand on n'écrit que ce qu'on penle,
Cax
4
E P I T R E s, 227
Car pour vous coïinoître de nom ,
La gloire en cft par-tout femc'e ,
Comme -chez le Lorrain, chez le peuple Breton,
' Par la voix de la Renommée.
Mais je fçais ou'unc Epître a ijuelquefois produit
Un lien mutuel , dont la vertu féconde
^.approcha la diftance &. fît naître avec fruit
La empathie au bout du monde.
Témoin ce- Cardinal, jufïe objet de mes pleurs,
Ce cc'lcbre Prélat qui défendit l'Eglife,
L'appui des lettres & des mœurs,
QUERINI, qui, non loin de la côte oîi Venife
Aux regards étonnés femble flotter fur l'eau ,
Ennemi des détours & de la fourbe oblique,
Chercha «ion cœur faiy fard an fond de l'Armo-"
rique.
Et qui, fans m'avoir vu, m'aima jufqu'au tom-
beau.
Que votre fort eft doux, & qu'il me fait envie 1
Libre des embarras, dont ma trame eft fuivie.
Content tous vivez à la Cour
D'un Roi qui fçait rendre juftice
A votre mérite, à l'amour
^ Que vous avez pour fon fervice ;
Auflî bon qu'autrefois le plus grand des Henris,
Ou que l'eu notre Roi fon Gendre,
Pour qui fon cœur eft auflî tendre
Que ii c'e'toit fon propre fils.
K < C'ea
228 E P I T R E S.
C'eft lui .qui nous donna cette £fther^ dont le»
chaim«s >
l'ardente pieté, fon amour pour fbn Dieu,
Intéreflent le Ciel, font autant pour nos arme»
Que la valeur de Richelieu.
Fille d'un fi. vertueux père,
ïeut-elle avoir le cœur forme différemment?
^TANi$LA.S fait au Isin chérir fon caraâère,
Qiie vous adorez, vous qui pouvez aifémcnt
Le voir, l'entendie à tout moment.
De fon peuple, Se des atts>. qu'il cultive. Se qu'il
aime,
11 eft l'honneur, le peie & le ferme foutien;.
Le Ciel ne l'cût-il fait que fimple citoyen,
ïlcùi d'une intelligence & d'un f^avoir fuprcme,.
En tout état, en tout emploi
Il eût été fans Diadème
Grand homme comme il eft giand Roi.
Exilé de l'Olympe Apollon chez Admete,
Fut réduit au vil foin de garder les troupeaux;
Stanislas, s'il prenoit fon palais pour retraite^
Le coanoîtroit bientôt au fon de fa mufette.
Et lui feioit des jours plu< beaux.
Là goûtant à longs trairs les douceurs diî la vi»^
Dan» cette Cour charmante Apollon glorieux
ehoifitoit, ôc fon choix feroit judicieux,
Stanislas pour fon Roi, Nancy pour fa Patrie».
£t se peafeioir plus, à ietourn,ex aux Cieux*
E P I T R E 3. 229^
O vous! qui connoiflêz les momenjs farorables,,
SOLiGNAC, fur ces Vers, nés fans gène Si fans art»
De ce Prince indulgent attirez un regard;
De mes fentiraens véritables
Dites-lui qu'ils ne font t]ue la plus foible part.
Vous lui direz enfin, fi votre amitié l'ôfe,
Qiie quand j'ctois Malera'n y fi ma métamorphofc
Avoitct^ réelle, & qu'un heureux hazatd
M'eût chez les Sabcens promue au fort de Reine,.
J'en ïurois imité i'illuftre Souveraine
Qu'à Solyme avec pompe attira le gtand nom
D'un Roi fage, équitable, à qui le Ciel fit doa.
De la fcience plus qu'humaine
Des êtres difFérens, de leurs propriétés.
Leurs rapports inégaux, leurs contrariétés.
Du cèdre du Liban jufqu'à la marjolaine.
De l'éléphant jufqu'au ciron:
Qa'aiiifi de mon Royaume en prenant le timoa,.
3'aurois exprès d'abord fait voyage en Lonaine
Jour voir, pour admirer un autre Salomon,
je l'aToûrai teçamxa , moins puifiant en licheifi^:
Que ne fut le premier qui raflembla tant d'or.
Mais ce qui vaut bien mieux encor»,
£lus afluié dans fa fa^elTe.
«f%
K7 iJH*
srso E P I T R E S.
EPITRE XXI.
^ ■ M. G A N E J U,
Libraire de Paris,
Sur ce qu'il a imprimé dans l'Epître de l'Au-
feur à Mr. le Duc n'A i g u i l l o n fur Ton
Cordon bleU , Combien dans tmd mon corps,
au-lieu de, Combien dans tout mon cœur.
AL'-LiEU de tout mon ccriir, qui dit toute mon
a me.
Vous pbcez tout mon corps , Moiifieur notre Im-
primeur, ^
Ma foi , vous m'avez mis en gaijie ,
Ce qui veut dire auflî de très mauvaise humeur.
^■: Voulez-vous me taxer de matérialifme.
De Hobbifme, de Spinofifme?
Vous vous trompez bien fort dans votre opinion.
Gomme une oiiailk fimple & bonne ,
Je me (atrge au bercail avec foitmilllon ,
Et j'écoute avec fruit la prédication
De notre bon Tafteur, dont la voix monotone
N'empêche pas Ton onftion.
Ainfi que mon Dieu me le donne,
Je joiiis de mon être , 8c tâche de mon mieux
D'exécuter ce qu'il ordonne,
Sins vouloix m'ciigei, Lucrèce audacicuz,
\ , En
E P I T R E s. 231
En arbitre du fort de là terre & des cieux.
Comme tant de Dodeurs, dont la France foifonne,
PerToquets de Satan, quoiqu'ils n'y croient pas,
Qoi ne connoiflènt rien au-delà du trépas,
t)ont la plume orgueilleuse infolemmcnt fermonne
Que dans les Cieux, comme ici bas,
C'eft la loi du hazard <]ui gouverne & qui tonne:
r)e Perieur & du crime , ô déplorable effet !
Quelle paix léthargique, homme aveugle t'engage
D'aimer mieux t'avouar l'ouvrage
D'un hazard infenfé que d'un Etre parfait!
Qacl Dieu tu te choifis dans ton fatal délire !
Un douteux accident fans juftes attributs.
Et qui dans fon frivole 8c ridicule empire.
Après l'événement perd fon titre & n'eft plus.
Athée, ouvre les yeu3|, & confultc ton ame;
Parle du fond du cœur, répons de bonne foi;
N'as-tu jamais fenti combattre contre toi
Son immortelle & vire flamme ?
Wais revenons au point, dont m'avoit écarte
Mon tendre 8: vrai refpeâ: pour la Divinité,
Que le libertinage en ce fîécle détrône.
De l'incrédulité qu'il prône,
S'applaudiflant par-tout avec fécurité.
Si mettant tout mon corps fous prefle.
Très fubtil Imprimeur, vous avez entendu
Exprimer clairement, par cette do^e adteflè.
Que, de tout le pouvoir de mon individu,
je veux fervii mon Duc, qui fcit û bien fon Prince,
Et
:23»
E P I T R E S.
Et qui fait Ton plus cher emploi
^ Du bonheur de notre Province ;
5u^ non zèle pour lui vous penfez comme moi*
Monfieur Ganeau, que Dieu conferve,-
J^aignes donc faire grâce aax tranfports de QM
verve ;
Je rends juAice à vos talens,
A ceux de votre Pxote, & de tous les Galan»,-
Qui pouffent de concert nos œuvres en luiriiéte.
Miis fouvenez-vous bien qu'il faut, quand on cait-
Au brave d'Aiguillon, tout cœur & toutefpiit»^
Etre autre chofe que matière.
MONUMENT
(,
D'ïftime 5t de Vene'ration à la Méaioire ia.
célèbre fréfidcnt
DE M O N T E S Q^ U I E U,.
De r académie Françoife ^ de celle, de Berlin,.
^3 UR des ailes de feu Lc'giflàfeut divin y
Ici dans les œuvres fublimes,
Dont l'Univers refpeâe 8t vante les maiimer,
L'illuftxe MONTEsquiEU, que mon œil Ibitca.
vain,
S'e'leve Aigle rapide & franchit les limites,
Qu'à l'ejOToi des moicels pu uo lempait d'airain
La
VERS. 235
La loi du Gel jalm» femblolt avoir prcfciitcs.
Là naïf, délicat, léger, tendre, badin,
J.l2is toujours avec choix, fentiment , élégance ,
Les grâces 5c les jeux, pour peindre ce qa'il peiile^
A;>prêtent fes couleurs & conduifent fa main.
Montesquieu, que la fiance admire, aime flc
regrette ,
Chacun, en foupirant, répète
£n tous lieux, à l'envi, ton éloge & ton nom,
£t ne fçnit , étonné d'un fi rare afTemblage ,
A- tes vafies talens lequel doit davantage.
De l'efprit ou de la raifon,
V ri R s
Sur la mort de
M. D E FONTENELLE,
De V Académie Françoîfe ^ de celles des Sciences ,
des Jnfcriptions ^ Belks-Leures ^c.
J\_ MouRs, Beaux Arts, fondez €0 plcuis»
Gemiflez vallons folitaiies.
Lits de gazon, vertes fougères.
Où le fiont couronné de fleurs.
Conduit par les grâces légères,
ÏONTENELLE, loin dcs fadeurs,
lorma fes biillantes Bergères.
234- VER S.
Polymnie, Emerpc, Apollon,
ill
In.fpiroicnt fur différent ton.
Tantôt d'aimables bagatelles
A fon coeur ne tccdie & fripon.
Tantôt au fommet d'Hélicon
Uranie, étendant fes aiies,
L'enlcvoit rival de Newtont Jl
Gai, galant comme Anacréon, "j
]] conferva des étincei.es
De fa jeune & verte failbn ,
Quand des amours les plus fidelles
Tout le feu fe change en glaçon.
Hélas! à tout âge cruelles,
Les Parques ont borne le cours
De fes ans nombrf ax , mais trop courti
Pour les Beaux Arts, & pout les Belles,
Qui retrouvoient dans fes difcours
les autres dons perdus pour elles.
CouTrez-vous d'ambres ctcinclies,
Jlcuxez, Beaux Arts; pleurez, Amours.
wirn:
m
VERS
VERS, i^f
VERS
Sur la nobleffe dont le Roi a honoré les
fervices de l'illullre
M MORAND,
Premier Chirurgien de la Reine, de r académie'
Royale des Sciences, ^ de la Société iîoya-
ie de Londres.
N
Ous voyons de guemcrs la nalfTance annoblie'
Pour avoii immolé, rou| leurs fanglantcs niains, .
Les jours de ilille & mille humains;
Par un trait immortel de fagcflc infinie.
Un Roi cher à la France , & né pour fon bonheur,,
Louis recompenfa Morand du même honneac
Pour avoir dans fon art, utile à fa patrie.
De plus d'humains encoi fjû confeivei la vie»
^^
, ^f^
VERS
23<5 VER S.
VERS
Sur ce que
M. DE SECHELLES
j$r remplacé dans la Charge de Contrôleur général
des Finances M. ne Machault, Garde des
Sceaux, Mmijlre général de la Marine.
QUEL Aôre bienfaifant TcUIe au fort de la Fran*
ce?
Ai-je dit plein d'efpoir, aurîtôt que j'ai fçû
Ce choix d'un Prince aimé, dont la haute prudence
Fait qu'en changeant de mains, la royale finance,
Séckelles, ne forrpas des mains de la vcrfU. „
VERS
Sur ce que le Roî envoya le Bâton de Maréchal de
France à M. le Comte de Coetlogox, âgé
de plus de quatre -vingt ans, quelques jours a-
vant fa nott.
V^'ANO COFTLOGON, pout Ics Champs Elifec*,.
Vieux Promenoiiï des Hcftors, des Thèfces,
Xà fembla prêt à ttoul&t foa-baldt;.
Par
VERS. 2^"^
Par Ville 5c Bourg la nouvelle au grand trot
Çà, là courut, dont la France en allarmes
Grand deuil mena, fit couler force lannes. '
Notre Monarqt3C en eut même le cœur
Ouircpercé d'une vive douleur.
Bien eft il vrai , qu'à fa belle Couronné,
Cettui mcfhef nuifoit plus qu'à perfonne,
Pors aux prêtons grevés de déconfort.
De voir crouler leur appui ie plus fort.
l'Ouïs pour lors fe oiit en la mémoire,
-De fou Aycul la tiiervcilleufe hiftoixe. -,
Là COETLOGON, par mille aftes guerriers.
S'offre, à plein poing moiflbnnani des lauriers.
Quand triomphant fur les ondes ameres,
La foudre en main, il guidoit nos Galères.
Quoi! dit LOUIS, de /Js exploits t«uchc ^
Cetrui n'eft point un Héros ébauché ;
Et fa valeur tant de fois effayée,
One ne fe vit à beaucoup près payée.
Ah! Qiie ne puis-je, en rognant de fcs ans.
Le faire au moins polTeflèur plus long-tcms
- Du prix loyal que ma main lui dcftine!
Ce nonobftant, fi Mort qui mord & mine,
Au ciciw tombeau fait dévaler fon corps
(Quant à fon loz il brave fcs efforts );
S'il faut qu'enfin, dans les fombres Royaume»,
Il s'aille joind.e à tant d'autres grands Hommes;
Qii' auparavant a Kâton précieux
De fa vertu foit le fruit glorieux;
Sâton R.oyal , dont l'afpeâ fcui fait taire
-- - ^ les
•2.q8
VERS.
Les trois gôfiers du terrible Cerbère;
Jufqu'ea fon antre , épouvante Aledon;
Que Minos craint, que rerpefte Pluton.
Au demeurant, ce Bâton, à fon âge.
Pourra 1 aider à faire le voyage:
Car ,e brgit court, que des lieux Terriens,
Longue^eft la traite, aux Champs Elifiens,
Là fa grande. Ombre, en triomphe lejûe.
Sujet n'aura de fe dire déçiie;
Ni d'objcfter le mérite oublié,
A mon Aye«l, pai moi juftifîé.
C 0 N-
no
CONTE S.
CONTE 1.
LE MENTEUR
ET SON VALET.
LJ N Habitant des bords dc-Ia Garonne,
A tout propos effrontément vantoit
,Ses biens en l'air, c'étoit toujours fon prône j
Mais fon valet, fimple & ruftre perfonne.
Qu'à chaque. infiant le cjiqueur atteftoit.
Sans y penfer toujours le démentoit ;
Tant qu'il lui dit ; Si fur ce que j'avance
Tu n'cnche'ris toi-même de moitié,
Prens pour certain que fur ta corporance
Coups de bâtons vont pleuvoir faus pitié.
le drôle eut peur, & jura fur fa vie
De n'y manquer. Le Maître en compagnie
Dit que la foudre a brûlé fon Château,
Vous en avej par bonheur un plus beau.
Dit le Valet, fécondant fa manie.
1,'inftant d'après on parla de bateau ;
Trifte voiture, où l'on trouve un tombeau.
Quand, fur les flots , les vents fe font la guerre.
Le Maître dit: Je fuis poltron fur l'eau.
Oui, repond l'autre : & même fur la terre.
Tum. I. CON-
240
CONTES.
^^^^'^^^^^^^^^^c^i^^r^^^^^^
CONTE II.
LE FEINT ORGANISTE.
\ vis coqs d'un bourg voifin de l'Armorique
rirent achapt, non pas d'un Tympanon ,
Mais bien d'un orgue : & dans leur Bafilique
Difpofé fut vis-à-vis du Patron,
Pour éjouïr, rinftrumentCiarmonique,
Un e'grillard de métier cartouchique
Leur vint offrir fon prétendu talent.
Moult dégoifa, moult piêcha le galant.
Moult par le nez de fleurs de Rhétorique
leur envoya , tant qu'à la voix publique
Il fut d'abord jugé maître excellent,
Dont la trouvaille étoit de conféquence:
Bien plus fut-il, fans autre ajournement.
Sans examen, gtace à fon impudence.
Reçu par eux ce dofteur foi-difant;
Et l'on conclut que dès l'rnftant prcfent,
Seroient audit payés fix mois d'avance;
D'autant qu'il fçut faire entendre fous main»
Que tout exprès d'un des bouts de la France >
tPodtl'C
CONTES. 241
Pour les feivit s'ctant mis en chemin, <
La route avoir dcvorë fa finance.
A pas comptes le Dimanche su matin ,
A la Grand'-Meflc arrivent par centaine
Les curieux, dont l'Eglife fut pleine.
Voulant joiiir du fpeftade nouveau,
Ces gens s'étoient fouré dans le cerveau
Qu'ils s'en alloient au Ciel par les oreilles
Portes tous droits. C'ctoient les fept meiveillej
Tout à la fois, que de voir ameutés.
Ces gros patauts, comme cierge plantc's,
Leurs grands chapeaux ( car telle eft la coutume)
Sur leurs deux mains pendus dévotement,
La gueule ouverte à pafler une enclume;
D'autre côte' Magiflrat?jgiavement,
La barbe çn pointe, aulli fiers que Bartole,
GrefiBers, Sergents, Gibiers de protocole.
Et Marguilliers fe montroient fur leurs bancs.
Et pour beaucoup n'auroient perdu leurs rangs.
A donc voici que notre hardi drôle ,
Qui d'oipanum n'avoit hanté l'école,
pair, préludant, rouler fur les claviers,
Sans choix, fans bnt, fes doigts lourds &groflîers'
Puis tout-à-coup le Bourdon, la Cimbale,
Le Larigot, le Cornet, le Nalnrd,
Clairon, Régale, & Cromorne & Pédale,
Se décochant à la fois, au hafard ,
Tèt il s'élève une telle tourmente.
Qu'à ce fracas le peuple en épouvante.
Croit fui fon dos voûte & murs ectoulcs.
Î'^K». /. L Chats,
«42 CONTE S.
Chats , Chiens , Corbeaux , Haudets, Loups alTemblc»
Au fond d'un bois, pour huiler avec rage,
Sur d'affreux tons de concerts endiablés ,
One ne fçiuroient imiter le tapage
De l'Organifte ainfi carillonnant,
Sans aux tuyaux donner la moindre trêve;
Avec tumulte à la parfin s'achève,
Huilu, berlu, cet office étonnant.
Départ Ce d'autre en foule incontinent
Des plus hupés la cohorte s'approche,
Daragouinans autour du compagnon ,
Q_i'i!s tutovoient, maint & maint gros reproche.
Moitié François & moitié bas Breton.
Mais celui-ci , qui craignoit le bâton ,'
Sans perdre terre en forw ^>ne rufée ,
Bien démêla le fil de la fufée :
Mcflieurs, dit-il, je vous prie, oyee-moi,
Déjàf m'avez condamné fans m'entendre;
Et m'appellant vaurien, homme fans foi.
Vous opiniez prefque à me faire pendre.
Partant eft-il très-vrai qu'en ccttui cas
Point n'ai failli; car dites-moi de grâce,
■Que voulez-vous qu'un Organifte faffe ?
Votre Souficur, que Lucifer là-bas
Puifle emporter, ci vilain , ce ftupide,
Qui me regarde 5c ne répond motus.
Ce biêche-dentj quand je joiie un SaK&us,
Prefto, prefto , me foufle à toute bride
Un Glofiii'ÎK excflfis k coup.
Pax ces pfopos nos Seigneurs s'appaiferent,
C 0 N T ^E S. '243
Xeur front ri.de s.'appl,an.it , Çç beaucoup,
Et de cœur franc envers lui s'excufetenc
De leur courroux trop inconfideic.
Quand au foufleur, Véne'rable Meflîre
Dom Guinolay, Prêtre &.de pJus Curé,
Dit qu'il falloit le prier qu'à fon gre'.
Lui-même il prît la peine de l'élire
Bon 8c loyal, & qu'il daignât l'inftruire:
Oui, dit-il, toppe. A tout il confentit
Bien volontiers; mais auifi-tôt fans bruit, ,,
Le jour v«nu, l'argent dans l'efcarcelle.
Son havrefac troufle fous fon ailTçlle,
II délogea comme fit le valet
Qne feu Marot nomma Nif>il valet;
Mais du logis ne voujjt par fctupule
Voler la clé, qu'il cacha fous l'ufcet *
Bien poliment; & depuis même on fjajt
Qu'il dit n'avoir donné cette pilule
Aux villageois, que pour les mettre au fait.
Qu'un carabin de Wufique ou de danfe,
Par ville 5c bourg voltigeant fans brevet.
Ne doit jamais être payé d'avance;
Autrement garre, on lifque le paquet.
CON-
• Vfcrt mot Breton qui vient de l'Italien u/ch, tniïée, Gst»
Ue, porte.
L 1
244- CONTES.
CONTE III.
LE PEINTRE ESCLAVE.
yj N Peintre voyageur fut pris par un Corfaire ,
Et conduit aii R(.i de S^lié.
Cî , dit le fier Tyran au Captif défolé,
iâtard du Titien, voyons ce que fçait faire
Le pinceau dont tu t'es vante;
Si tu rcuflis à me plaire
Je te promets ta liberté:
Peins, pour orner ma galerie,
Toutes les Nations, & quE^ton iiiduûrie
FalTe en forte que l'œil, dés le premier moraifnt, '
En d:ftingtie chacune à l'air, au vêtement.
Le Peintre, qiie d'Jjà fatiguoit l'efclavage, '
Dreffe-fon chevalet; & pinceau d imiter
Si bien, qu'à n'en pouvoir douter
On les reco-nnoiflbit à l'habit, au vifage.
Mais chaque Peuple c'tant vêtu
Suivant fa diverfc manière;
Dans fa figure ilnguliere
Le feul François étoit tout nû ,
Ponant uniquement fur fon bras, qu'il replie,
L'rc pièce d'étoffe- Ou font donc tes cfprits ,
Dit le M onarque au Peintre ? & par quelle folie
Feins-tu le Frinçois fans habits ?
Seigneur, lui répond-t'il, n'en foyez point furpris :
11
CONTES, 245
Il change fi fouvent de mode,
Q_i(t mon Art, ne fçachant ou fe déterminer,
Lui donne de l'éttfFe, afin qu'il s'accommode
Comme il voudrî l'imaginer.
CONTE IV.
LES FRANCHES REPUES.
KJ N Marié, devant fon Epoufée,
Put vifité de maint 8c maint tendron ;
Et le baifant chacun lui faifoit don
D'une fouace *. Eh quoi ! dit la tufe'c ,
Sur mon paillieJf Ce font tendre rofée,
Képond l'Epoux, des adieux fans façon.
La Femme dit: B'cn étoit de raifon
Que je le fçuflb, & j'aurois tout de fuite
De leur devoir mes amans avertis,
Qui tous m'auroient, en me faifant vifite.
Porté du vin ; fi que bien aflortis ,
Aurions de quoi boiie & manger gratis.
CON.
• Efpece de Gâteau,
L 9
246 CONTES.
CONTE V.
CONSULTATION' POUR LA
M IG R AINE.
U
N gros Prieur à face fcraphique.
Depuis trente ans de migraine attaqua,
ïit aflcrtibler la Gcnt Hippocratique.
Enfuite il dit au Sénat convoqué;
Vous dont l'efprit s'eft aux Arts applique,
tourriez-vous faireà mon mal quelque chofe?
Mais je ne veux faignée, eflence, onguent,
Boiflbn, remède aucir' , petit, ni grand.
Tous fur ce point demeurant bouche clofe.
Le vieux Doyen dit : A donc je ne fçai
Ce que voulez qu'à votre mal on fafle.
Ce que je veux? Faites par votre grâce.
Qu'il dure autant qu'il y a que je Vtu
CONTE VI.
CLAUDINE malade:
JVL AlADE au lit, Claudme oyoit un Prêtte,
Qui lui difoit : Vous mourrez pour renaître
Avec les Saints. Attendez, s'il vous plaît,
Re.
CONTES, 247
Repart la fille; il n'eft rien tel que d'être.
. Avec le monde qu'on connoit.
CONTE VU.
LES CROCHETS.
U
N Avocat, changeant de domicile,
Accumuloit livres, timbres, procès-,
F.n un fagot, fur l'ëchine docile
I>'un Crochetcur tiébachant fous Je faix.
Ouais, dit Cujas, vous pliez les jarrets?
J'en porte moi bien d'autres dans la tête.
Le gars répond; J|b fçai comme elle eft faite.
Mais fi faut-il qu'elle ait de beaux crochets.
CONTE VIII.
LE SERMENT.
X. OuR acheter trois boifleaux de froment,
Mace' prêtâ.doaze écus à Gsjégorre.
Cettui prié de rendre ce comptant,
• Nia le fait, non qu'il n'en eût mémoire.
Pat quoi cité fut-il à l'Auditoire
Tour afiitmer fon dire par ferment,
L^ le fciupule aâàillit le galant,
L+ Il
hs contes.
Il balançoit. Mais toute endemenée
Derrière étoit fon époufe au loûrien
Qui 'e poufîbit, en lui difant, Payen,
Jure donc, jure; eh, cent fois la journe'e
Jurc-tu pas, fans y profiter rien ?
CONTE IX.
LE CIERGE B E JSI I.
D-
'ans les douleurs, dont l'imprudente femme
Subit l'effort pour avoir écouté
Le vieux Serpent, une galante Dame
riaignoit d'hymen le plaifir acheté
Trop chèrement ; tandis qu'"* fon côte
Très-bien flamboit de Sainte Marguerite
Cierge béni. Mais dès qu'elle fut quitte ,
Elle appella fa fervante Catin :
pille, dit-elle, éteins & ferre vite
Ce luminaire; il eft d'un grand mérite.
Et peut fervir encor pour l'an prochain.
CONTE X,
LA BANNIERE.
\^V EB.TAIN Tailleur, qui d'antique habitude
Voloit de, drap toujours quelque lopin.
Tons-
CONTES. 249
Tomba malade, & d'un accès trop rude
L'effort fembloit l'emporter vers fa fin.
Comnie il avoit fon efprit en écharpe.
Dans fes écarts notie joiieur de harpe
Crut voir un Ange, une Bannière en main.
Que coinpofoientjdrefTés en Jvlofaïqiie,
Mille morceaux de drap, bleu, gris de lin,
Blanc , pourpre, noir, verd, jaune, incarnardin ,
Et ceterétf me'lange fymbolique.
L'Ange lui dit: Vois dans ce pavillon,
Homme fans foi, vaurien, pendarr, brouillon.
Des tours nombreux de ta rapinerie
Les vrais témoins en maint écbantillotr.
Ce nonobftant lP|Cicl veut à la vie
Te renvoyer ; raaii'à condition
( Et dans ton cœur fais-m'en jufte cédule)
De ne cc'der à la tentation ,
Qui jufqu'ici gagna ton cœur crédule.
11 le promet, & reprend fa famé.
Or redoutant l'amorce coutumiere,
MelTcr Tailleur avec Cncérité ,
A tel garçon , que fa capacité
Faifoit traiter de façon familière,
Dit en fccret: O! de mon ame entière
Cher confident, quand par fatal oubli
Tu me verias fourrer fous l'c'tabli.
Ou par hafard mettre en ma gibecière
Coupon d'étoffe; auffi-tôt, à propos.
250 CONTES.
Avei'ti-moi feulement pat cç» mots:
Maître, alte-làf ptnfez à lA Bannière»
Ce qui fut dit, fut de même maniejc
Exécuté: fi bien que le garçon,
Soit que le jour parût fur l'horifon.
Soit que la nuit commençât fa carrière,
N'avoit jamais, au bout de fa chanfon ,
Que ce refrain, gent & gaillard fredon.
Maître^ alte-là, penfez à la Bannière^'
Dont celui-ci goboit feul la leçon.
Advint pourtant, qu'ayant, pour mariage.
D'un Fiancé de fuperbe patage
Levé Thabit, du drap d'or le plus beau
Habit complet, à cet aanât nouveau
Le Magifter oublia fa pfemefle;
Et promenant fon agile cifeaa.
Conformément à fa première adreffe.
Met à profit en féqueftre un chanteau.
Le Garçon crie, Alte-là, Maître. Qu'eft-ce?
Oh! qu'eft-ce donc? ne vous fouvient-il pas
De l'Etendard? Cettui n'eft dans le cas.
Dit le matois; 8c j'ai bonne mémoire.
Que dans l'Enfeigne, où, du drap défendu
L'Ange aflembla l'efFiayant répertoire,
N'étoit morceau pareil à ce tiflu.
C O N.
CONTES. 25Î
^^^-^^^^^^^^^^^^^^■^^^^^^^^
CONTE XI.
LE TESTAMENT DU CURE'.
JL Re's du trépas, le vieux Pafteur Macé,
Qiii fît tant bien valoir le Presbytère ,
Qu'en bourfe avoit maint ccu ramafle.
Son Teftanient à fon tout .voulut fjire.
Griffait s'en vient, Griffait hardi Notaiie,
A fon C9té fon ccritoire ayact.
Dom Côme ctoit Vicaire; & tournoyant
Autour du lit, penfoit que, pour falaire
De Ton tracas, peutjcre du gâteau
Bien lui pourioit éciroir joli chanteau.
Notaiie, écris, dit le trifte bonhomme:
A mon Vicaire, écris que, pour fon foin.
Devoirs tendus, jour & nuit au befoin,
]c donne en propre, & lui lègue la femme
De... de... là. L'autre en pleurant, du en foi
joyeufement, Voici certes pour moi
De guérifon le plus gaillard fyraptônie;
Pafleur, courage. Alors le moribond,
Pâle & hâté d'entrer au clair Royaume,
Ecris, dit-il, écris. Tabellion,
je meurs, mets donc, mets que par moi la
Somme. .
ï>e Saint Thomas, eft léguc'c à Dom Côme.
l 6 ' hES
252 CONTES.
LES DINDONS.
E P I T R E DE'DICJTOIRE
A très refpe^aUe , très vaillant, très judicifvx,
très hahik ç^ très juUïl Jéiobonm Malchus,
Capitaine des Gabelles de *** en P***.
SAGE & galant Malchus, dont le cœur fi fi-
« délie ,
Xai l'appât du métal vainement combattu.
N'a jamais fraudé la Gabelle
Dins le chemin de la Vertu,
Otoi! dont l'effmt prophétique.
Elevé dans les bras de la lagacité ,
Sçait diftinguer le (el Attique
De tout fel faux & mal noté ;
Noble jéroboam, fans chagrin, fans envie.
Ta coules dans le fcin de la félicité
Les jours d'une agréable vie ,
Et goûtant à longs traits la médiocrité
Dont la douceur t'cft aflûrce,
, Tu prouves qu'avec équité
Horace l'appelle dorée.
Car on eft riche aH'ez, dès que l'avoir fufît
A contenter gaiment & le corps & l'efptit.
Affable & pur Mortel, Chevalier fans reproche.
Si quelqu'un t'offre un petit bien
. - , . Daju
CONTES. 253
Dans l'efpoir d'échapper au péril qui l'acroche ,
Jettant les yeux ailleurs, loyal dans ton maintien j
Aimable Malchus , ta main gauche
S'allonge & rcTient dans ta poche.
Sans que la droite en Tache rien.
On croit même, ou l'on s'imagine,
Pour peu qu'alors on examine
L'honête indifférence écrite en ton rcgaid.
Que cette manière badine
N'eft qu'un afte de la machine,
A quoi la rolonte' ne prend aucune part.
Oui, fublimc Officier, les fentimens qu'infpire
Aux gens de ton état l'unique foif du gain,
N'appartiennent chez toi qu'à l'amour duProchaî»,
Qui te foumet à Ton empire ,
Et tu reçois d'un airl|i fin, fi dégagé.
Que le donneur joyeux t'eft encore oblige;
Et plein de la piquante yvrefle.
Dont la reconnoilTance enflamme fes efprits.
Il voudrolt en chemin te rencontrer fans cefTe
Toux te donner au même prix.
Tour du bâton, graiffèr la patte,
Proverbes fi connus dans tout le Régiment,
Allez, termes de vieille date.
Vous ne fûtes admis dans aucun rudiment.
Pour qui doane avec grâce & reçoit noblement.
Jéroboam Malchus, de qui l'ame eft fi belle,
Capitaine juré, Commandant généreux.
Digne oinement de la Gabelle,
L 7 Dii»
254 CONTES.
Daigne lire ces Vers & répandre fur eux
Q^ielques grains du minot, que les ris & les ;cua
Comblent en ta faveur de leur main nature.' le ;
. .Mortel j auflî charmant qu'heurenx.
Sais propice à ma Dédicace:
Fais, pour charmer l'ennui de mes fombres loifirs.
Que les Salorges du Parnaflè
.S'ouvrent au gré de mes defirs.
CONTE XII.
,L E S DINDONS,
H
EuREUX Mortels, Magift^ ts de Paroiffè,
Honnêtes gens, terrefïres demi-Dieux,
Que votre état eft doux & glorieux !
Il n'eft iii monde emploi que je connoiffe,
Pfus agréable & plus pécunieux.
Rois d'Yvetot, fi fiers de leut Royaume,
Auprès de vous ne font que Roitelets.
Votre renom va flairant comme baume ,
On vous adore; oifons, lièvres, poulets.
Dindons charnus , uourris dans l'abondance.
Sans debourfer , pendent à vos crochets ;
Beurre à coup fur fait à la Prévalais,
Avant Iç tems pois, afperges, fans frais.
Tout pleut chez vous : en outre révérence ,
Emolument de» Seigaems du Palais.
]«
CONTES, 2S5
Je vais pourtant déduire en ceitui conte.
Comme un de vous fut, par fubtil engin.
Pris dans la nafîe, & trouva du mécompte
A Ton calcul fait & refait envain.
Chez maître Yvon, ce moderne Barthole,
Cent fois Guillot par humbles complimens
Vint fupplier qu'on le mit fur le rôle
A moindre fomme, attendu, dit le drôle.
Que Boreas avec fîs ouragans
Faifoit toujours main balTc fur fes champs.
Il y perdoit fes pas & fa pirole.
Comme il alloit toujours les bras pendans
Sans rien au bout, on répondoit qu'Eole
Et fes courfiers étoiént ^es infolens;
Adieu, bon foir: & foi Ire, pauvre Diable,
Souffre , Manant, que la mifèie accable.
Comme il fortoit, advint qu'il vit un jout
Da coin de l'œil , en lorgnant dans la cour.
Maints gros Dindons à mouftache vermeille.
Se pavanant: L'affaire eA dans ton fac,
Se dit Guillot, qu'un prompt efpoir réveille;
Le fort te rit , tu fortiias du lac.
Le lendemain le voilà fur la voye
Avant l'aurore. Il arrive au logis
De Maître Yvon. Le Manant ouvre l'huis
Sans fonner mot. Ruminant fur fa proye»
11 entre j il mixe, il aaint d'ccie aperçu,
n
25(5 C 0 ^T T E S,
11 s'encourage, il av.ince, il recule;
Pauvre Guillbt, lî ru vas être vu ,
N eft de méfier qu'on te le difllmule:
C'eft l'ait de toi; la hart te faute au cou.
Et tu feras guindé' coma.e un filou.
Comme un filou? Soit. Brufquons l'avanture;
U n'eft plus temps de faire le poltron.
Aufll-tôt dit, il hape un gros Dindon,
Et va grater d'une main douce & fûre
Au Cabinet de Monfeigneur Yvon.
Cettui voyant bouffir ious Ion aifl'elle
Ce grand gibier, ce guerdon fucculeiit,
Guillot, dit-il, d'une voix naturelle.
J'ai cette nuit eu votre cas préfent.
Et vous m'avez peine terriW'ment ;
Je m'atHigeois, jufte étant vitre affaire.
De vous avoir renvoyé fi fouvent.
Vos Egailleurs agiflent par compèse
Et par commère, ils font fourds à l'honneur.
Et parpaillots font de leur miciftcre
Honteux trafic. Allez 6c portez-leur
Ce mien Mandat, afin qu'en confcience
A fon vtai taux votre impôt foit réduit ;
Allez Guillot. Il fe levé 5c conduit
Le fuppliant, non par reconnoiflance,
Ki par égard pour ledit Compagnon;
ilais pour le voir décharger fon dindon.
Deux jours après, Yvon pafle en reviie
Sa.baHe-cour, fait le dcnombiemonc
Ce
CONTES. 257
De fes dindons, croit aveir la berlue.
Et n'avoir fait fon compte exaftement.
Il m'en manque un: Dieu de l'Aiithme'tique,
Plutus, dit- il, répands fur mes efprits
Un jour plus clair; me fcrois-je mépris?
Le girs Guillot entend-t'il l'Art magique?
Eft-il Sorcier? & ce fubtil faquin
M'eût-il fait voir feulement en peinture
Un faux dindon? Je le crois, car enfin
Si j'ai du fens, fi ma mémoire eft fûre,
Pour me fleurir , Robert m'en donna trois ;
Mathurin deux; Claude quatre à ma femme,
(Morte depuis, Dieu veuille avoir fon ame)
Pour fon bouquet le jour de Saint François;
Le grand Colas avec un fac de noix
Un à mon fils le jour '% fa naiflance;
Roch m'en porta fix bons pour la Sentence
A fon profit rendue en tapinois ;
Silveftre fept pour le marché d'un bois.
Fait & conclu par moi fur les Domaines
Du Roi Louis : tout quoi , joint au dindon
Dudit Guillot, fait un compte tout rond.
Et patfambleu juftement deux douzaines.
Quelque voleur eft-il entré céans ?
Non , Eergopzom , dogue alerte & fidelle ,
Le jour aux fers, la nuit en fentinelle.
Comme un Céfar de'jà brave à deux ans.
Garde ma cour comme fa propre écuelle.
Un tel gibier auroit-il pris l'eflbr?
Suis-je endormi ? cette lourde volaille
Pren.
258 CONTES.
Prendre fon vol & franchir ma muraille
Egale aux tours que défendit H^Aor!
Non,;:'eft chimère. Il recompte, il travaille.
Croit fe tromper, peut-être compte encot.
CONTE XI II.
LES FORFANTERIES.
G
Kand£ tueurs de lapin?, cinq ou-fix hobereaux
S'entretenoicnt de leur nobleflc;
C'étoit- de ces Cadets qui font les tiranneaux,
Dont nature à fon dam fait provigner l'efpèce.
Grugeant à petit-bruit payfan malheureux,
Qui murmure derrière & trc-nble devant eux.
Ecoutej-les /afer dans leur bfjllefque yvreUe ,
leur cabane champêtre eft toujours man châetau ,
Toujours une mazute eft mon hdttl en ville;
Et tant du Btichelet, que du Trévoux nouveau
Il faut oter Mai/on cortime un terme inutile,
Suranné', trivial & de mauvais aloi,
Ou pour la populace vile
X'y laifTer , après tout, en marquant fon emploi»
Les fufdits Kodomons , fe coupant la parole
Four s'encenfei à tour de rôle,
Se traitoient de Barons, de Comtes, de Marquis.
Aujourd'hui Gentilhomme eft un nom de bas ,'irix
Bon pour ces champignons, qu'une brume amene'c
Des lacs marécageux, au retour du Printemps,
Fioduit en une matinée.
rcu
CONTES. 259
Feu mon fextisayeul, difoit un de ces gens.
Fut Ecuyer de Charlemagne;
Le Monarque avec lui vivoit en compagnon.
Et ce brave à trois poils , quand le vin de Cham»
pagne
Avoit mis fa verve en campagne,
r.iifoit parbleu la barbe aux quatre fils Aimon.
L'autre, élevant la voix, difoit, Lorfque je penfc
A la déconfiture immenfe
Que fit à Tolbiac, fous le grand Roi Clovis,
Un des miens fi vanté dans nos chartes antiques.
J'en frémis étonné. J'ai lu dans ces chroniques
Qu'il tua de fa main mille & deux ennemis ;
II en. eût ventrebleu tué bien davantage.
Si fan fabre fumant, par le fang émouifé.
De fortune pour eux ne fe fût fracafle :
lUuftre &t terrio!e carnage.
Rares prodiges de valeur,
Que de ce Moreri, qui fait tant le doâeuj.
Toutefois l'ignorance omet en fon. ouvrage.
Les autres à l'envi , fans rien lifquer du leur ,
Eattoient, mâfnicroient , faifoient tage.
Enfin tous nos Cadets avec même talent.
Ayant pris des dégrés de licence en Gafcogne,
Décochoient à l'cquipolent,
!^iaint & maint conte à la Cigogne.
Pendant que ces hâbleurs fe /îitoient galamment^
Un. nourgeois ctoit là préfent.
Qui riotoit fous c»pe & levoit les épaules
Au récit de leurs fariboles.
Un d'eux l'examinoit, & die d'un ton plaifant,
Hc'
26o CONTES.
Hé quoi ! vous feul , plus droit qu'un Sénateut de
Rome ,
De vos nobles Ayeux vous ne nous dites rien.
Moi? reprit-il, mon pe''e étoit un honnête homme,
II en dfoit autant du fien.
Sans avoir déconfi Huguenot, ni Chre'tien,
Bon ami, bon parent, il fçut à ce qui biille
Préférer la raifon, la candeur & la foi,
Et s'il, plait à Dieu, ma famille
' En pourra dire autant de moi.
CONTE XI Y.
LE MUET JUSTIFIE.
Ky N Bûcheron s'en alloirpar la ville
Vendant du bois, dont les bouts s'allongean*
Hors des. crochets d'un baudet ma!-habi!e.
Qui çà qui là pouvoient heurter les gens;
Voilà pourquoi le Ruftre crioit gire
Tant qu'il pouvoit. Un Poupin, qui fe quatre
Et n'eft qu'un fot, ne d lignant fe ranger,
Dans Ton habit use bûche pointue
vient, en pafTant, fe prendre & le franger.
Le Damoifeau fur le champ dans la rue
Irend des témoins, & cite le Manant
Devant le Juge, afin qu'il le condamne,
Sans nuls délais, à vendre fa pauvre âne,
Bâts & panneaux, ôc tout l'acoutrement.
Pour lui payer fon bel habillement.
Le
CONTES. 261
Le Demandeur ayant plaidé fa caufe ,
N'avez-vous rien, dit-il, à l'Accufé,
A ces railbns qui puifl'e être oppofé ?
Cettui toujours demeurant bouche clôfe,
Quoi .'dit le Juge au Galant étonné,
M'avez-vous donc un muet amené?
Muet? Monfieur , lui répond le Jocrire,
Si vous l'aviez, tantôt le faifant lice.
Oui crier gare a gozier déployé . .-. .
Que dites-vous? Ceci change la tht^fè
Repart le Juge; il vous a donc crié
Gare bien haut? Allez, j'en- fuis fort aife,
Allez, Monfieuï , votre habit eft payé.
C O îsJ T E XV.
LE TOMBEAU DE LA VIRGINITE',
I
-Resse' de faire un voyage.
Je m'étois rifqué fur l'eau;
Une Cloris de villrge,
A qni je donnois paflTage,
Etoit au fond du bateau,
Jeune, & de gentil corfage,
Elanche, & délicate peau.
Et n'ayant Brin l'aie fauvage.
Je crois, Nymphe aux doux apas,
Dis-je en riant, qu'à votre âge
lillette n'en mouiroit pas.
Monfieur, reprit-elle, hélasî
2(52 CONTE S.
Cachant en foi fa malice,
Quand d un leirtblablc trépas
Meurt chez nous fille novice;
'Loi, qu'on ne ;eut lelâchcr.
Prétend qu'on l'enfcveliflb
Sur la pointe du clocher.
CONTE XVI.
L H A B I T F E R D.
JL Smenk y à qui l'on donne à bon titre le nom
De Reine ;de Mauritanie,
Dans un gros damas verd faifoit la rencheric;
Comme fi cet habit devoi' avoir le don
De changer fa couleur & la- rendre jolie.
Un Plaifant de la compagnie
Tire un autre Railleur à l'écart, & lui dit:
Que vous femble d'ifmène & de fon bel habit?
Celui-ci fur le champ, d'un ton de badinage,
Repart fans fe faire prier;
11 me femble qu'lfmène avec fon équipage.
Son habit verd & fon vifage,
£ft un merle dans un laurier.
CONTE XVII.
LE PARADIS TERRESTRE.
A
l'Etat monaftique un Eéat confacré,
jEtoit dans un Banquet aflîs pat avanture,
P. es
CONTES, 253
J*iès d'ua objet charmant, à l'œil vif & madré;
Q^iand un Deflert , où l'Art égaloit la Nature,
Offrit à fes regards la riaiite impofture
D'un Parterre avec choix de cent fleurs émaillc.
A cet afpeft, dit-il, fe crois émerveillé.
Et cédant au plaifir d'une erreur paflàgcre.
Qu'au Paradis terreftre un fort inattendu
Avec la Compagnie aujourd'hui m'a rendu.
Quelqu'un lui répondit, N«n doutez pas, mon Per^
liOin d'être dans l'erreur, vous avez fi bien cru.
Que même vous voilà près du fruit défendu.
C O N X E XVIII.
LE COUP DE FUSIL MANQUE\
H^
Ors des prifons, un fraudeur que la rufe
Avoit tire, rencontre trois Sergens,
Les met en joue, 6< de fon arquebufe
Renverfe deux de ces honnêtes gens. ^
le tiers, tioublé, fuit à pas diligens.
Ivlorbleu, dit- il. navré dans fon courage,
IJrilant fon arme Se s'emporrani beaucoup ;
De cet ontil onc ne veux faire ufage ,
Puifqu'il m'a fait manquer un fi beau coup.
CON-
2<54 CONTES.
CONTE XIX.
ME'PRIS DE L'/}RCHITECTURE
ANCIENNE.
LJ N amateur de la liqueur fubtile,
Q^ie nous donna le fils de SéHiélé,
Tant & fi bien en avoir avalé ,
Que pour monter un efcalier facile
Le pauvre yvrogne étoit embarnfle.
S'étant en vain fort longtemps tracaffe.
Enfin finale il enjambe une marche.
Morbleu, dit-il, plus fier qu'un Patriarche,
On bâtilToit bien mal au 'Çmps pafl'é.
C O N T E XX.
L'ORAISON POUR LA BRULURE.
_/"V Ss I s en un banquet un moderne Prélat
Galamment à quelqu'un voulut fervir d'un plat; ,
Mais trouvant le bord chaud. Que le Diable t'eni*
porte,
Ch^en de plat, cria-t'il avec un air fâché.
Fichu plat, ôc le mot tout outre fut lâche.
Oyant un Oremus t;ringoté de la forte.
Une Dame appella fon Laquais, & lui dit,
ïorte-moi l'ccritoire , oh là, oh, la Verdure;
Monféigneur voudra bien me donner par éait
Son oraifon pour la £tuluic.
CON-
CONTES. 265
CONTE XXI.
JUGEMENT DE PEINTURE,
U.
N Frère Lay, quêteur de fon me'tier.
Bon nez, bon œil, lur de la randonnée,
D'Amarillis, pourfuivant fa tournée.
Vit ie portrait forti de l'atelier
Tout fraîchement Le Peintre l'avoit mile
Sur un Sopha , jouant avec fon chien.
Frère très cher , dit-elle , en qui je prife
L'efprit, le goût 5c fur-tout la fr.inchife,
A votre avis, mon portrait eft-il bien?
Qu'en penfcz-vous? L •Frère l'examine,.
Va, vient, recule après s'erre aproché.
Cherche fon jour , fur la hanche penché.
Quand il eut fait mainte burlefque mine.
Quoique , dit-il , des Maîtres du pinceau
J'aye en mon te:iips peu fréquenté l'école;
A ce chien, la pentille beftiole ,
Pourtant je trouve en mon petit cerveau.
Qu'il ne manque que la parole.
CONTE XXI T.
LA FORCE DU NATUREL,
_L ANDis qu'un Rccolet d'une voix e'ioquente,
Exhortoit avec force un voleur qui moutoit
Tome I. M. Traji -
2(5-5 CONTE S.
Tranquile en fa maifon contre fa pro()re attente.
Il s'éleva dans l'air une horrible tourmente.
Il tonnoit, il ventoit, & le Larron piemoit;
Dont en fon ame triomphante, '
Et lûi-mcme en pleurant, l'homme faint s'admiroH.
Bon, courage, mon £ls> difoit-il^ patience.
Vous joiiirez . . . Hélas! après un long filencc ,
Repart le moribond qui toujours foupiroit ,
Et Innnoyoit encore avec plus d'abondance.
Le beau temps pour voler, mon Perc, a qui pourroit!
CONTE XXIII.
LE D I F I C I L E.
>\-
N Quidam d Humeur libertine.
Atteint & convaincu d'avoir contre les lois
Cinq ou fix femmes à la fois.
Devant le Juge de Mefline
Par les Sbirres fut amené.
Là fur le fait queftionné ,
Signor , re'pond le poligarae.
Je cherchois une bonne femme.
Et voulois dans mon cmbnrras,
En avoir à l'eflai , pour ne m'y tromper pas.
Sur quoi le Barigel , prononçant fa fentence.
Lui dit. Comme en ce monde ou tu ptens tes ébats,
L'efpéce n'en eft pas commune.
Va-t'en dans l'autre en chercher une;
Peut-être tu l'y trouveras.
I D Y L-
U.
IDYLLES.
L E P A R 4^D JS PERDU.
IDYLLE L
A Madame du Bocage.
Chasse' des lieux charmans, oii le Ciel le
fit naître
Pour joiiir d'un bonheur qu'il fçut trop tard con»
noître,
Adam , couvert de honte & noyé de fes pleurs ,
Exprimoit en ces mots fes premières douleurs;
Jardin délicieux, oîi mon amc ravie
Devoir paflcr les jours d'une innocente vie,
Dont la mort n'eût jamais allarmé les plaifirs.
Oïl la Terre &: le Ciel prcvenoient mes defirs ;
Demeure qui charmoit & mon cœur & ma vue,
M 2 Eft.
2(58 1 D r L L E S,
Eft-ce donc pour toujours qu'Adam vous a perdue?'
Mes pas failbienr éclore & ge mer tous Jet dons
Q^'a mes bras fatigués refervent les faifons ;
Les iuifleaux à ma foif prcfentoient leurs eaux
laines,
Les vents bifloient régner leszéphirs fur les plaines;
Sans crainte autour de moi milie efpéces d'oifeaux
Cliantoienr, & voltigeoient de rameau.v en rameaux;
Et le Ciel avec joie approuvant notre flamme.
En deux corps, live & moi, nous ne lentions qu'u-
ne ame.
M lis, ô bonheur pnfle ! fouvenir pénétrant.
Qui m'abandonne en proie au regret dévorant!
Mon divin Créateur, toudié de complaifancc.
Me daignoit enivrer de fa f 'nte prefence:
Sa haute Majefté s'abbaifToit jnfqu'à moi.
Lui-même il me parloir, il m'enfeignoit fa loi.
Mais mon efprit s'ofFufque , & des vapeurs trom*
peufes
N'y laiflcnt déformais que des clartés douteufes.
Dieu ! comment fuis-je nu? Sauve-moi de mes yeux;
Je rougis , je deviens à moi-même odieux.
Etois-je ainG formé? Suis-je ton même ouvrage?
Figuier, pour me couvrir, prête-moi ton feuillage.
Et puifTe-tu de fleurs jamais n'être embelli ,
l'oiir prix de ton bienfait par ma honte avili.
Quel fpeâracle d'horreur.' tous mes membres frif.
fonnent .'
Où
IDYLLES, 269
où fuir? l'Enfer, la mort, cent monflres m'envi-
ronnent.
L'air eiiibrafé mugit, les vents enflent les mers.
Vagabond, ctonne dans ces vafles deferts,
Quels antres creux, quels bras m'offriront un afylcf
Mes cris fonf fupeiflus, ma plainte eft inutile;
L'Univers indigné s'arme contre mes jours.
Eve, rafliue-moi , prête-moi ton fecours.
Mais que vois-je? elle-même, effrayée, éperdue,
Me regarde en tremblant, fe dérobe à ma vue;
Ah ! la coupable craint que je m'aille venger
Du crime oU les confeils ont ôfé ra'engager.
Barbare, que crains- tijld'un cœur foible & timide.
Qui n'a pu réfifter à ion appas perfide?
]e devois fuir alors, & ne t'écouter pas;
Tu m'as fait dévorer l'arrêt de mon trépas.
Le feu» l'air & les eaux, ligués avec la terre,
Vengent leur Créateur, en nous livrant la guerre;
Les Lions, que j'ai vu foûmis , obéiffàns.
Viennent fondre fur moi , de courroux rugiflans.
Tu tardes. Dieu terrible, à nous réduire en poudre.
Sur un couple infolent précipite ta foudre;
Fais rentrer au-plûtôt deux monftrcs abhorrés.
Dans le premier néant, dont tu les as tirés.
Falloit-il, pour la perdre animer la pouffiére.
L'enrichir des rayons de ta propre luuiie'te?
Ton image, livrée au Démon furieux.
Dut-elle être le prix d'un ftuic contagieux ?
M 3 Les
270 I D T L L E s.
Les divers animaux qui peuplent ce bas monde ^
Qui refpirent dans l'air, fur la terre, Se dans l'onde ^
Dévoient être aux humains affervis par ta loi ;
Le Serpent feul combat, & les terrafle en moi.
Tu dis, que de ma chair ma Compagnie tirée.
Pour ra'aider, me chérir, avoir été créée;
Et je vois que tes mains ont formé de mon fanç
le bras, le cruel bras, qui me perce le flanc.
Dans ce féjour de paix Adam, placé fans elle,
A tes ordres , Seigneur , feroit cncor fidèle.
14ais,qaoi! tu pouvois bien, d'un contrc-poidï
égal, :
Soutenir un penchant qui me portoit au mal.
Mon ame, par ta grâce à la-uîrtu conduite j
Auroit aflujetti ma volonté féduite:
J'euiîe avec ton fecours du Serpent triomphé.
Sous ton bras foudroyant il fût mort étouffé.
Que dis- je? ô Ciel! épargne, excufe un cœur p»r<.
jure:
Tu m'aimdis. Dieu trop bon, ta Grâce vive &pure.
Pour me rendre à moi-même a fans cefle infifté;
JMais à tous fes efforts mon cœur a léfifte.
Adam, tu vas mourir, crioit-elle ; ah! détefte
Un fruit à tes enfans, autant qu'à toi, funefte.
Tu m'as parlé, Seigneur, & je ne t'ai pas cru; ,
Tu voulois me fauver , & je me fuis perdu.
Mais, quel éclatj vainqueur de ces horreurs fu-
nèbres )
Dif.
IDYLLES. 271
Diflîpe la tempête, en choflant les ténèbres!
Mon Dieu s'ofniroit-il à mes fcns enchantés?
Non, c'eft Michel, l'eflFioi des Anges révoltes;
Son vilage eft brillant, Se fes aîles dorées
Sont d'éclatans rubis & de perles parées.
Eve , approche ; écoutons les décrets éternels.
„ Du fort qui vous accable, artifans criminels ,
„ Dieu lit jufqu'en vos cœurs un injufie murmure:
„ Ce n'eft point pour périr qu'il fit la Créature.
„ Père & Maître, il vouloir qu'à fes ordres fournis^
„ On reconnût les biens & donnés & promis ;
„ Et, maigre' les cojjifeils infpirés par la Grâce,
„ Vous avez du Serpent fait réuflîr l'audace.
,, D'une autre Eve fans tâche un pur Adam naît: a:
„ Cet Adam eft fon Pils, qu'il vous immolera.
„ Du Serpent en fureur la tête eft e'crafee:
„ 6n Dieu meurt ; des Enfers la puiiTance eft
„ brifée ;
j. Son fang fumant fans celle enfante des Soldais ,
„ Qui le font en tous lieux régner par leur trépas.
,, Hélas ! tronc malheureux, tes branches condam-
„ nées ,
„ Sont, fl ton Dieu n'expire, aux fiammes defti-
„ nées; ,
„ De fes tendres bienfaits, voilà quel efl: le prix
,, Adieu, fa voix m'appelle aux céleftes lambris^'.
Meflàger du Très -Haut, daigae au luoins nous
apprendre
M 4 Q.uel
372 IDYLLES.
Quel pardon, Eve & moi, pouvons un jour attcn»
dre :
Mais il fuit. Travaillons, &: tâchons, par nos pleurs.
De rendre l'Eternel fenfible à nos malheurs.
Délicat & charmant génie,
Kouveile Scudery, Rivale des neuf Sœurs f.
Quune fçavànit Cempagnie
Jl Roiien couronna de /es premières fieurs ;
Du Bocage , aujourd'hui ta rapide harmonie
S'élève aux plus fublimes fons ^
Crayonne de grands traits, peint avec énergie ^
Iran/porte nos efprits par la noble magie
Et les pajjages de /es tons.
y étais au Printew dt mon âge y
Lorfque le Dieu des Vers m'injpira le courage
De tracer cet ejfaiy qui n'a pas vA le jour,
^e ne connoijfois pas ^ captif dans ce Jéjour ^
Ce Milton plus fougueux que la foudre. &" l'oragt^
Et ne pouvais prévoir que ton efprit plus fage
Dans la même carrière entrerait à /on tour.
Ain/ , /ans m' effrayer du brillant avantage
j^ue va/ur tous les coeurs emporter ton ouvrage ^,
Si j'ô/e publier le mien y
Ce n'efl qu'a/n qu'il rende hommagf
Aux ttuthantes beautés du tien.
"^
I E
I D T L L E s: 273
LE PREMIER AGE DU MONDE,
o u
LE SIECLE D'O R,
IDYLLE IL
A M. MONTAUDOUIN DE LATOUCHC.
V^UE le
les humains du premier âge
Vivoient contens & fortunés .'
A de vrais plîtfrs deftincs,
Leurs jours s'e'couloient fans nuage,
La douce Me'diocrite ,
La modeOe Frugalité,
Des Jeux l'innocenr badinage,'
S'employoient de concert à leur fclicité.
Du nom de fîe'clc d'or, dans l'antique langage.
Cet heureux tems fut honoré ;
Non pas que ce métal y fût confidéré ;
C'eft que les mœurs, fans alliage,
Faifoient coafifter leur beauté',
Comme l'or, dans la pureté.
ils n'avoient ni Palais , ni pompeux c'qnipage.
La Juflice n'^e'toit que la fimple équité',
Sans art Se fans apprentiffage.
M ; L«s
274 I D T L L E S.
Les fuppôts de Th^mis n'avoient point invente
Ces mots prodigieux, dont robfcur étalage
Embarrafle la vérité'.
On ne reconnoiflbit charge ai dignité;
Dans les rangs, entre humains, il n'ctoit point
d'étage.
leurs defirs fe bornoient au terrein,dont les Dieux
Leur faifoient im jufte partage.
Du luxe féduifant l'éciat pernicieux
N'avoit point jufqu'alors pris le cœur par les yeux< •
De tant de mets mal-fains le divers afièmblage
N'ofFroit point à leur goût d'homicides appas.
Des bois voifins le fruit fauvage,
Uh pcH de lait & de fromage
Compofoic leurs petits repas.
te miel, dont les ruiflcaux ferpcntoient fous l'om-
brage.
Ne confondoit pas fa douceur f
Avec le bachique breuvage;
Et des vers artifans l'induftrieux ouvrage,
N'empruntoit point à Tyt d'étrangère couleur,
La terre oiFroit au Voyageur
Un lit de verdure au paflage.
Pour y dormir à la fraîcheur.
Pour éteindre la foif, fut fon charmant rivage j.
Un Fleuve étaloit fa liqueur;
Pour garantir de la chaleur.
Un arbre étendoit fon feuillage.
©aphné j fc deAinant à l'emploi du ménage ,
I D T L L E s. 275
Ne mettoit point fon cœur & fes appas à prix.
Entre elle & ion Ecrger, de fes charmes épris.
L'amour, laiis vouloir d'autre gage.
Sans examen du parentage ,
Dreffbit le contrat ; & les Ris,
Les Grâces & les Jeux fîgnoicnt au mariage.
Le Nautonnier, malgré l'orage,
Ne fendoit point encor le vafte lein des mers.
Le Marchand , qu'aujourd'hui le gain fordid: en-
gage
A parcourir tout l'Univers,.
Craignant alors les flots amers.
Ne s'cjspofoit point au naufrage.
Les clairons, les tambours n'cbranloient point les
airs;
La Haine au funefte vifage,
La Fureur à l'œil irrité,
La Guerre au bras enfanglanté,
Ces cruels auteurs du carnage ,
Ne s'étoient point encore échappés de l'Enfer.
On n'avoir point encor l'ufage
De donner des aîles au fer.
Il ne fervoit qu'au labourage:
Et l'homme fociable & fagc, «.
De la nature en lui fentant l'étroit lien,
Perçant le flanc d'un autre , eût cru percer le fîen.
Al» refte qui d'entre eux, des tranfports de la rage
Soudain fe laiflant enflammer.
Eût le pxemiei conçu le deiTein de s'armer ?
hi é L«
27^ I D r L L E s.
Le Meurtie , monftre né de l'avide Pillage,
Du fantô'.iie d'Honneur, & du Libertinage,
Eût été détefté , s'il eût été connu.
Chacun fui voit fans crainte un penchant ingénu:
Et pouvoit-on enfin redouter quclqu'outragc
Sous les ailes de la vatu?
Ah! fiécle pervers! que n'és-tu
De ce fie'cle innocent la plus parfaire image!
Le fordide Intérêt, frère du Brigandage y
Dans les coeurs corrompus a mis un germe affreux;
L'ardente foif du gain fait un plus grand ravage.
Que l'jîLthna vomiflant un déluge de feux.
A rOr on rend par. tout hommage.
Enfin les avares mortels
A Plutus dans leur ame éleWïit des autels.
Ah! qui fut le premier, qui pour notre dommage
Barbarement officieus,,
Creufa la terre avec courage
Pour tirer les métaux qui fe cachoient aux yeux.
Et tria fur les bords du Tage
Les Tablons d'or qu'il roule en fon fein radieux?
C'eft ce métal trop précieux
Qui change en jours de fei les beaux jours de cet
âge,
Qu'on n'eût point nommé d'Or, fi nos fobres ayeux
En avoient, comme nous, recherché l'efclavage.
Ah! qui fut le premier, l'humain ambitieux,
Qui dans les maux publics trouvant fon avantage,.
Vit briller, & bientôt fit voir aux curieux
Xe feu des diamans, ces biens contagieux!
A»
I D r L L E s. 277
Ami du lin vieux terni ,je vous dois fa peinture ,♦
ui vous de ijui la foi , fi conJiaKte ^ f. pure y
Dans ce fiécle ir.fiiéU eft uk rare thrifor ;
A vou^ , de qui l'efprit fi brillant &* fi Julie f
SfaitaJJemblerlegOHtdu beau règne d'Augu/le
Avec les mœurs de l'Agé d'or.
LES /2 R B R E S.
IDYLLE in. (*)
A'M. DE Pekard , Chapelain du Roi de Prujfe y
des académies des .Sciences de Berlin, Peler S'
bourg ^ Stockholm, de l'injliîut de Bologng,
de la Société de Lomres , des Sociétés Royales
AUemaivles de Goé'ttingen ^ Greifswald.
JLX. IMABLES orneiîiens de la llmple Nature,
Beaux arbres , que j'aime à vous voit
Etaler dans nos bois votre jeune verdure.
Quand, avec le Zéphir qui vous vient émouvoir.
Le blond Soleil fe joue à travers le feuillage ,
Dont l'ombre qui s'agite aux yeux peint votre image
Sut le gazon naiflant qui vous fert de miroir.
Là ,
(*) Cette Idylle , traduite en Vers Latins par le Cardinal
Quirini , l'eft en Vers Italiens j^ar le Comte Cafiiregi & par un
Anonyme; ce qui forme une brochure très bien imprimée à
Florence en 17s T. De plus cette pièce a eu aullî deux tra-
duftibns en Vers Allcmans, dont l'une eft de Mr. Cuiio,Négo-
ciaiu h Amflrerdara. Quelques perf innés , qui entendent l'Al-
lemand , m'ont afTùic qu'elle étoit écrite avec beaucoup de
fuice, d'élégance & de douceur.
M 7.
278 IDYLLES.
Là> dégagé du foin frivole >
Et des pénibles embarras,
Qu'inventa l'avarice folle
Pour faifir à la hâte un métal qui s'envole.
Et qui voit les humains ramper pour fes appas,.
Si j'ai quelque chagrin, rot.e ombre me confolc
Vous me tendez toujours les bras.
Ah ! quelle extrême différence
Des amis de ce fiécle, à vous! .
Tandis que la fortune avec perfévérance
Se plait à nous combler de fes dons les plus doux,.
Ils ne font prévenans , attentifs que pom nous. ^
Mais au preipicr moment que fa faveur chancelle,.
Ils font prêts à changer comme elle.
Le Ciel répand fur vous fa libéralité;
Vous l'aimez: & vers lui vos branches élancées,.
Paroiflent, entr'ouvant leurs ecorces preflees.
Demander de la voix la prompte faculté.
Tour rendre grâce à fa bonté.
A l'exemple du Ciel , la terre eft bienfaifante :
De fon fcin ramolli la vertu nourriflante
Vous comble de fes dons chéris ;
Et de fa vive humeur imbue,
Votre fève à longs traits s'enyvre , & diftribue
De rameaux en rameaux l'aliment qu'elle a pris.
Ingrats, infenfes que nous fommes!
Qije nous me'ritons peu rex.ellent titre d hommes!
Dénués de vertus, par le vice obfcurcis!
Xe Ciel tâche d'agi: fm aos cœuis endurcis ,
Toû.
I D T L L E s. 2ro
Toujours de fes faveurs prodigue;
Mais ces cœurs re'voltés, lepoulTant fes avis,
AlTemblem conire lui l'imperieufe ligue
Des folles paffions qui les ont affervis.
La terre à chaque iiiftant fent avec complaifancc.
Que de fon fuc bénin doucement altérés >
A le filtrer fans réfiftance
Vos canaux amoureux font toujours pre'parés.
Avec quelle chaleur vos racines profondes.
De plus en plus s'entrelaflant
• Parmi fes entrailles fécondes,
Paroiffent lui marquer, d'un cœur reconnoiflânt.
Le retour qu'on n'a point dans le fiécle ptéfcnt !
Le Ciel nous a formés, fon fouffle nous anime;
Et fi le fecours de fon bras
Ceflbit un feul inftant d'affermir tous nos pas.
Nous tomberions en poudre, engloutis dans l'abîme,
La Grâce ne nous quitte pas.
PrcfTe , exhorte , & voudroit rappeller des ingrats
Du penchant féduâreur qui les conduit au crime.
On l'ccoute avec peine, on fe ferme les yeuxj
On combat avec goût fon effort falutaire;
Et du monftre infernal viftime volontaire ,
L'homme voit fans regret fon poifon futicux
De la Gface étouffer le germe précieux.
Cependant tourmenté par un obfcur myflcre ,
11 raifonne, il murmure, & prétend l'accufer
D'avoir fruftré fes vœux du fecours nécefTaiiû
Qu'il a voulu lui-mcme lefufcr,
Ten.
2iro I D r L L E ^.
Tendres nourriflbns de la terre,
Qiie vous avez pour c'Ie un louable retour!
Q^iand le Soleil biûiant lui déclare la guerre.
Vous lui témoignez votre amour.
Au moyen de voire ombre agréable ôc fleurie.
Vous foiîlagez, à votre tour
La mère qui vous a nourrie.
Que les enfans font éloignés
De marquer la même tendrefle
Et les mêmes égards à ceux dont ils font nés J
Leurs parens, pour fournir au foin de leur jeu»
nèfle,
Ont tout facrifié, leur repos & leur bien,
Se promettant qu'un jour ils feroient leur foûtien :
Mais, ô longue Se vainc efpérance!
O des plus doux bienfaits amere récompcnfeî
Combien n'en voit-on pas, de ces fils monftrueuXj
A peine revêtus d'un emploi faftufux.
Oublier leurs parens au fein de l'indigence.
Et comme d'un afFont honteux.
Rougir infolcmment de fe dire ncs d'eux?
Arbres ^ vieux babitans de ces -lieux folitaircs ,
Dans l'épaifleur de vos rameaux
Vous offrez un hofpice aux timides oifeaux:
C'eft dans vos bras touffus, que ces amans linceres,
CJui badinent fous vos rideaux,
Qiiand le, Printems revient, forment des nœuds
nouveaux.
Au-lieu que pawni nous, qu'on dit être tous frère? »
II
I D T L L E s. 281
Il n'eft plus d'hofpitalité ,
Toint de candeur, point d'ingénuité.
La pauvreté craintive, en lambeaux gémiflànte,
N'eft plus qu'un fpeftre affreux, des riches abhouéf
La charité compatiflante,
Qu'une morne langueur , qu'un nom deshonoré.
Qlie de vos voluptés la fource eft pure & faine !
Un aliment égal , fagement tempéré ,
Par la nature préparé ,
Vous entretient long -teins fans douleur & fan»
peine ,
Dans un équilibre affûté.
Au-lieu, que pour flater notre ame fenfuelle.
Tant de mets, où le gcmt fe confond égaré.
Ont appris à la mort cruelle
Un chemii) que fans eux elle auioit ignoré.
Le terrein,qui vous a vus naître^
Tous voit paifiblement mourir.
Inquiets voyageurs, nous voulons toujours êti£,.
Ailleurs qu'oii nous a fait courir
te chagrin qu'on ne peut écarter ni guérir;
Qui de la ville aux champs ,& du féjour champêtre
Nous ramené à la ville, & vient par- tout s'offrir.
On voudioit tout fçaroir; on s'applique à paroître
Par l'éclat orgueilleux de fes talens divers;
On fe fait avec bruit connoîtrc à l'Univers,
Et vuide & mécontent on meurt fans fe connoître.
Chênes, Ormeaux, Tilleuls, vous craignez les hy-
vers ;
Les-
282 IDYLLE s:
Les furieux Tyrans des airs ,
La neige t\- les fiimats vous viennent faire outrage.
Mais les baibares pallions,
Pont ramorce corrompt nos inclinations,
Exercent fur notre ame un plus affreux ravage.
Cependant, comme nouf, on ne peut vous blâmer;
Vous ne pouvez des vents fuir l'inflexible rage:
Il vous faut, en pliant, les. attendre à calmer.
Ou fuccomber enfin fous l'effort de l'orage.
Au-lieu que, pour fauver les humains du naufrage,
La Grâce à tout moment veut les poufler au port;
Mais plutôt qi:e d'entrer où fa voix les engage.
Eux-mêmes choififlent la mort.
Sous un règne fameux , oit l'on voit le Dieu Mari
Protéger dans le Nord les talens Çy les arts y
PerARD, dont le charmant génie
Sur les bords de l'-Oder attira les neuf Sxurs ,
Et dont la voix brillante y au gré de l'harmonie ^
T calme C Aquilon par /es fins enchanteurs y
Crois-tu ^ue de Stettin la cruelle diflance
A ce coin de Bretastr.e y ok le fort m'a lié y
Ait rien été de la confiance
D'un cœur qu'unit au tien la ftncere amitié ?
JVtf « , des parfaits Ar, is lesjjrais cœurs ont des allés j
Pour frar.chir les monts Êc les' mers ;
Et malgré la tempête &• les verts infidèles y
Sont préfer.s l'un à l'autre , aux bouts de l'Univers.
Ce r.'ejl donc point y PeraRD, l'efiime pour mes vers y
Qui me frejfe aujourd'hui de t' offrir cet euvraje.
Mais
IDYLLES. 283
Mais par et nouveau témoignage y
Je veux te prouver feulement
Que fous quelque climat que t'enfporte la Gloire y
Tu vivras éternellement
Dans mon ame Cr dans ma mémoire,
LE P R I N T E M S.
1 D Y L L E I V.
QUE le Printems eft beau! Tout lit dans la Na-
ture,
Nos Près font verds.nos Ilgis ont repris leur parure;
Les Ruifleauj: ranimés, fur un gravier d'argent.
Promènent, d'un pas diligent,
Une Onde claire qui niurmure.
Les Oifeaux amoureux, fous les rameaus fleuris,
Cele'brant à l'envi de petits mariages,
îont parler de leur mieux, dans leurs tendres ra-
mages,
les feux dont l'un pour l'autre ils ont le coeur épris.
Amintat, que l'amour dévore.
Ne pouvanit fermer l'œil, abandonne le lit;
U fort comme en délire, & court au-lieu prefctit.
Attendre Cloris- qu'il adore ;
Le jour ne paroît point encore,
Mille foupçons jaloux agitent fon efprit.
Du parefleux Titon l'Epoufc matinale,
s'aitctc en le. voyant, & le piend pour Céphale;
L»
584 r D r L L E S.
La beauté du Berger la charme & l'cblouif :
Mais découvrant l'erreur dont Ton aine joiiit,
La lionte peint fon front du vermeil de l'opale:
Et hien-tôt les regrets la rendant rtifîe & pâle,.
Dans les airs blanchilïàns elle s'évanoiiit.
Mille frilkufes Hirondelles,
Traverfant les Mers à la fois.
Ramènent Zephirc avec elles.
Et fe repofent fur nos toîts;
Se becquetant, battant des aîles.
Volant, & revolant, fe fuivant tour à tour,,
Leur caquet enjoiié réveille
La jeune Cloris qui fommeille.
Et l'avertit d'aller oîi l'attend ftm amour.
Le foleil careflè ia Terre,
Il la confole de la guerre
D'un long Hyvcr armé de frimats, de glajons.
La Terre, rajeunie ouvre fon fein fertile
Aux doux ccoulemens dés célcftes rayons ;
Et Flore à leurs ordres docile.
S'apprête avec Pomone à répaiidie fes dons. -
Nos Brigantins Se nos Frégates
Fendent le liquide Elément,
Et ne craignent que les Pirates,
Garantis de l'effroi de la Mer 5c du Vent.
Les PoilTons, fous un mur de glace
Depuis trop long-tems retenus.
Dans leur froide prifon ne fe captivent plus*
Thctis les voit bondir fur fa verte futtace.
L'Amour , que nul efifoxt n'a jamais arrêté ,
Picnd
IDYLLES. 285
P.cnd fon vol , & fe glifle avec agilité
Dans leurs demeures tranfparentes:
Ses flammes dans l'eau pétillâmes,.
En pénètrent l'humidirc;
Et leurs écailles palpitantes
Expriment les accès, coup fur coup rcp^és.
Du plailir dont ils font doucement tourmentés»
Le beau Mirtil (ous la fcuillée,
Danfe au clair de la Lune au fon du flageolet.
Avec la blonde Iris leftement habillée.
Il voudioit dins un coin fecrct
L'entretenir de fon martyre;
Il a cent chofes à lui dire :
Mais Corifque & Daphné , d'un regard inquiet.
Semblent les djlerver fans ceflè.
Vi(âime du relpeâ: humain,
Mirtil lui dit tout bas , en lui ferrant la main:
Adieu, Tunique ( bjet de ma vive tendreiTe;
Trompons des yeux malins la curieufe adrefle,
Nous nous retrouverons demain.
Jours charmans, faifon fortunée ,
Que vos beautés auroient d'appas.
Si, quand vous revenez, vous ne nous difiez pas.
Qu'en nous vieilliflant d'une Année,
Vous nous faites marcher vers la nuit du trépas i
LES
2S6 IDYLLES.
LES TOURTERELLES.
IDYLLE V.
A Madame Deshouli ères.
1
H
E'las! confiantes Tourterelles,
Que vos carcffes & vos jeux
Ont des attraits touchâns pour un cœur amoureux!
Redoublez , s'il ie peut, vos flammes mutuelles;
Pâmez- vous , languiflez, mourez dans les plaifirs.
Ah! j'entens vos petits Ibupirs,
Pe vos traiifports lecrets interprctes fidelles.
Vives afFeftions ! naïfs ttémouflemens !
Mais qu'apperçois-je?ô Ciel! dans les raviflcmens
Vous vous cnyvrez fans mefure;
Vos becs entrelafl'és, qui font un doux murmure,
Humedent la chaleur de vos embrafiemens.
Ah! je me meurs moi-même, ah! que fens-jc ! ah!
mon ame
Cède au tendre brader qui me brûle au -dedans:
Errante fur ma lévrc elle eft toute de flamme.
Profitez de la vie , heureux couple d'Amans ,
Joiiifiez d'un bonheur dont la fource eft fi pure;
L'inftinâ:, que vous donna la prudente nature.
Vaut mieux que tous nos fentimens.
Saas vous cmbarrafler dans d'inutiles peines.
Le fang, qui coule dans vos veines.
Vous
I D r L L E s. 287
Vous infttuit cent fois mieux que tout l'art des Ro-
mans.
Tlus votre ardeur vieillit, plus vous la trouvez
belle ;
Malgré l'efFort des ans vos cœurs font enflamrac's :
Et pour une autre Tourterelle,
Vous ne quittez jamais celle que vous aimez.
Si les Amans & les Amantes
Avoient, pour s'envoler, des ai'es comme vous.
On verroit encor pnrmi nous
Plus dmcon flans & d'inconi antes.
C'eft vous que l'on do:t a ipeller
De vrais modèles de tendrefle;
Vous avez feulement des ailes pour voler
Après le cher objet quiji'ous charme fans celle.
Dans votre commerce amoureux, *
La défiante Jaloufie
Ne répandit jamais le poifon dangereux.
Qui parmi nous brife les nœuds
De l'amitié la plus unie.
Si vous paroiflèz quelquefois
Difputer & haufler la voix.
Je n'y découvre rien que la loiiable envie
De deux Amans ambitieux
Du prix de s'entr'aimer le mieux;
Et de pareils débats toute aigreur eft bannie.
Vous fréquentez les mêmes lieux-;
Vous ne cherchez jamais une aurre compagnie;
Vous buvez au iiiêmc ruilleau;
Vous vous perchez toujours fur le même rameau.
2SS I D T L L E S.
Quand vos paupières font forcées
De céder aux pavots que le fommeil répand ;
Vous craignez de vous perdre , & vos plumes prel-
fées ,
Paroîffent être entrelaflees.
ÇJ_ije votre langage eft charmant!
Qii'il a je ne fçai quoi d'aimable & d; galant! .
Que vos accens plaintifs font poufles d'un air ten«
dte!
Ce n'eft qu'aux coeurs comme le mien,
Q^ie Venus a permis d'entendre
Et de goûter votre entretien.
Depuis le lever de l'aurore.
Vous fçavez vous donnei > julques à fon tetour.
Différentes m.uoues (l'amour.
Recommencez vos jeux, recommencez encore,
Hôtes légers des bois; il n'eit lien fous les Cieux,
Qui puifl'c tanc.flater & mon cœur & mes yeux:
_Mais fi le Berger, que j adore.
N'avoir plus aujourd'hui pour moi le même cœur.
Si l'Amour avoir foit éclore
Dans fon ame changée une nouvelle ardeur;
Tounnens affreux! douleurs cruelles!
Soupçons periuafifs ! doutes impérieux!
CeCfez, hélas! cefl'ez, confiantes Tourterelles:
N'oft'rez pas déformais ces plaifirs à mes yeux.
S'ils leur doivent coûter des larmes éternelles.
Du beau /exe Franpois^ 6 la gloire &* l'honneur!
DESHOULIERES, dont le génie
Sfut chanter des Amans la douce maladie ,
Et
IDYLLES, 28^
Et des Héros guerriers célébrer la valeur ;
Du Pinclet oà tu jouis d'urtf meilleure vie ^
Regarde ici-l>as , &' reçois
V Idylle que je te dédie j j
C'ejl à ton goût que je la dois.
Si je puis aujourd'hui mériter ton Suffrage y
Pbibus £»• lei neuf Sœurs , s'uniffant avec tti,
Avoiirent ce galant Ouvrage.
LES HIRONDELLES,
IDYLLE VI.
ji Madame la CoikeJJe de Verteillac.
V
Os petits becs, Hiiondelles badines j
Donnent à ma fenêtre en vain cent petits coups;
Vous croyez m'éveiUer, moi qui dois moins que vous;
Mais vous allez partir, aimables Pèlerines.
Hélas! votre dépait annonce à nos climats
Le retour des glaçons, des vents & des frimats.
(^and on aime, dort-on ? Non , non j j'en interroge
Tout ce qu'Amour peut bleffet de fes traits.
Dans le coeur, dans les yeux ce Dieu fubtil fe loge.
Et quelque part qu'il aille, il en bannit la paix.
Ah! que j'aime à vous voir, l'une à l'autre fidelleSj
Vous donner en partant cent baifers favoareiix ;
Et d'un le'get battement d'ailes,
Tcw. /. N Es.
290 I D r L LES.
Exprimer à l'envi les ardeurs mutuelles,
Qui brûlent vos cœurs amoureux.
Raifon vainement attentive,
îourquoi viens-tu mciet aux plus charmans plaifits
De tes fâcheux confeils l'amertume tardive?
Nous fuivons malgré toi la pente des dcfirs,
Oii nous porte en naiflant l'humeur qui nous domine;
Et ta trifte lueur, cette lueur divine,
N'éclaire que nos repentirs.
Habitantes des airs. Hirondelles légères,
Qu'à bon droit les mortels devroient être jaloux
De l'inlHnft qui vous rend plus heureufes quenousî
Du déchirant remords les bleflures ameres.
Du fcrupule inquiet les fray. urs populaires.
Les foupçons délicats, les volages dégoûts.
Ne corrompent jamais vos unions fmceres;
Ce n'eft pas l'or qui joint l'Epoufe avec l'Epouï,
De ces parens atrabilaires ,
Par caprice à nos vœux le plus fouvent contraires,
Vous ne craignez point le courroux.
L'Amourfeul, dont les loixne font pas mercenaires,
Préfide à vos tendres raylléres;
C'eft le cœur qu'il confulte, en agiffant fur vous:
Et vos nœuds, toujours volontaires,
Joiment l'enchaînement d'un fort tranquile & doux.
Al» yeux de fon Amant l'Hirondelle à tout âge ,
A de jeunes beautés & des appas dateurs.
La vieilleflè , fur nous déployant fes rigueurs ,
^Tiop foitunes Oifeaux,ne vous fait point d'outrage;
^C5
I D T L L E s. 2pi
Ses doigts lourds Se glacés, fur votre beau plumage.
Ne viennent point coucher d'odieufes couleuis.
Sexe infortuné que nous fommes !
Quatre luftres complets font à peine écoule's.
Que le caprice ingrat des hommes
Croit les Jeux & les Ris loin de nous envolés»
A trente ans on eft furannée ;
A quarante il devient honteux.
Qu'on pcnfe qu'une ame bien née ♦
f uiflè encot de l'Amour fentir les moindres feux.
Cependant cet amour peureux.
Qui veut ?{ ne peut point édore,
En eft toujours plus allumé ;
Un brafier, trop long-tems fous la cendre enfermé j
Soi-même à 11 fin fe dévore;
Et c'eft ainfi qu'un cœur en fecret enflammé.
Après avoir langui , meurt en vain confumé.
D'un defordre pareil la Nature affligée,
Murmure avec l'Amour de fe voir négligée;
Et qu'un Honneur, fondé fur de bifarres loir,
ILetrancKe impunément la moitié de fes droits.
Inflexible Raifon, qui nous tiens à la gêne.
Faite pour les humains, tu parois inhumaine;
Kos cœurs, tyrannifés pat tes reflexions.
Ne font qu'aller de peine en peine*
Gouverne, j'y confens, les autres paffions;
Tu peux les opprimer fous ta loi la plus dure»
Semblable à l'honible Vautour,
Qui ronge Promcthée & la nuit & le jour:
N a Mai*
292 I D r L Z ES:
Mais kiflè au moins à la Nature ''
A rég'er celle de l'Amour.
Cherchez un autre Ciel , aima!>Ies Hirondelles,
Oîi le Soleil, chaflànt les parcffetix Hyveis,
Entretienne en vo- coeurs des chr.leurs éternelles.
Hélas! que n'ai-je aufli des ailes,
Pour vous luivte au milieu des airs !
ruifllez-vous fans perd paflèr les vaftes mers!
Piiifle Eole, a votre paflage,
Ainfi qu'aux jours heureux ou règne l'Alcion ,
Dans fes antres profonds em;>rironner la rage
Des Enfans du Septentrion.
Maisjli malgré mes vœux les cflForts de l'orage.
Dans les flots corrsre vous armés
Vous ouvroicnt un tombeau; vous auriez l'avantage -
D'embrafler, en taifant naufrage,
l'Hirondelle que vous aimez. ^ -
Le plus charmant mortel qui fût jamais au monde,^ ï
Et dont j'adore les liens.
Le beau Clidamis eft fur l'onde;
En expofant fes jouis , il a rifque les miens.
Si fur ces rl.iines inconftantes '-
Vous Voyez le vaiffeau qui porte mon Amant,
Allez fur fes voi'es 'flottantes
Prendie haleine au moins un moment.
Si par vous, chères confidentes-, -^
Le fecoiirs de ma voix pouvc.it être emprunté, •
Vous lui raconteriez les peines que j'enduxe;
Vous lui feriez une peinture
De
I
TDTLLES^ 293
De mon efprit inquiète.
Vous diriez qu'aiifli-tôt qu'un vaiflfeau nou« arrive.
Je vais d'un pas précipité,
De' mon cTjer Clidamis tn'jnformer fur la rive.
Le cœur entre la crainte d*. l'efpoir agite';
Que vers l'El ment redouté,
Je tourne incefl'ammf nt la vue ;
Que pour peu qu'à mes yeux l'ond" paroifle émue,
je fuis prête à mourir d'effroi ;
^u'il peut par Ion retour terminet mon fupplice;
Et qu'en attendant Ton Uiyflê,
Pénélope jâttiais ne fouffrit tant que moi.
AimàHe T^erttUlae ^mei tendres HirondelUsy
A vos pies, m trtmhlaiJl ^ apportent leurs ftùpirsi
Pour un fidèle Epoux auji fenfih'.e qu'elles ,
yotre cœur plus confiant n'a point d'autres defrs,
C'efi'tn vain que j'ai vu cette Idy.lie applaudie ;
En vain de célèbres Auteurs
y'antent de mon pinceau les naïves couleurs.
Si votre délicat génie
Ife Joint pas /on Suffrage aux leurs.
Kj . LES
Î94 ID r L L E S.
LES C O Q^U I L L A G E S.
IDYLLE VII.
A M. DE LA Roque, Chevalier de V Ordre
Militaire de Saint Louis , Auteur du Mercure
de France ; à qui l'auteur de l'Idylle envoya
une boé'te pleine de Coquillages , qui ne lui fut
rendue qu'au bout de deux mois.
A
Uteur ingénieux, qui par le Jufte choix
Que ton habile nuin fçait faire.
Trouve dans ton Journal le vrai fccret de plaire
Aux goûts diffe'rens à la fois;
Pat quel fâcheux hafard mes jolis Coquillages,
Choills fur les fablons qui bordent nos rivages.
Ne font-ils point encor dans tes mains parvenus t.
'Tu n'en reçois point de nouvelle:
Sans doute le Courrier, ce porteur infidèle.
Qui s'en ctoit chargé, les aura retenus;'
Hélas î que de foins affidus.
Fendant la Canicule même.
Pour un fçavant ami que l'eftime & que j'aime.
Doucement employés, & triftement perdus!
Quand Diane , du haut de la voûte étoilée
LaiiToit aller Thétis, après l'onde écoulée, ^
Entre les bras de fon Epoux,
Le v^illatu, le tendre Fêlée,
Dans
IDYLLES. ^9S
Dans une grotte reculée ,
Oh de leurs doux motnens les Tritons font jaloux :
Alors par un fentier, dont la route eft fcabreufc ,
Wappuyant d'une main chancelante & peureufe,
Marchant à pas ferrés, je dc-fcendois au fond
D'une retraite fablonneufe;
Et puis par un détour j'entrois dans un falon.
Dont la naïve Aichitei^ure,
Eli uniquement due à la fimple Nature.
Là, le toc inégal fait naître des portrai(s
D'une finguliere ftru6ture,
^ui s'échappent à l'ail, Se perdent tous leurs traits,
_ Quand on les regarde de prés.
L'herbe d'autre côté, diverferoent fleurie,
Avec le Ga pilaire enltfce'e^iu hafard ,
Produit, fana le fecours de l'Ait,
Un verte tapiflèrie.
t îéjour des Rois , riches Palais,
Attrayantes prifons d'efclaves magnifiques,
Heureux qui fut admis fous vos brillans portiques !
Plus heureux mille fois qui n'y parut jamais?
Ce qu'on voit travaillé fur vos murs à grands frais
^ Se préfente ici de foi-même j
Et la Nature, qui nous aime,
S^it au gré de nos vœux fî bien fe façonner,
Qiie notre oeil d'abord trouve en elle
Ce qu'il nous plaît d'imaginer.
Dans ces iieux,cher la RoquE, à moi-même fidelCj
Je m'étois impofé la loi
De cueillir chaque jour pour toi
N+ De
2ç6 I D T L L E S.
De Coquillage un certoin nombre.
Je n'en fortois jamais que le Ciel ne fut fombre^
Tant mon efprit rêveur m'einportoit loin de moi»
Quelquefois l'onde revenue,
Me fur^ircnoit en ce trayail ,
Amenant à mes pies la lichefle menue ,
Dont nos bords fortunés compofent leur émail.
Coquillages chéris, quand la Mer fur l'arenc
Promenant à fon gré des floti impétueux,.
Qu'elle étend & retire en les pliant fous eux.
Vous biflbit aux graviers échapper avec peine;
M fembloit qu'en ces mots tout bas vous murmuriez,
riots cruels, dilîez-vous,, dont h rage fougueufe
"Vient de nous fépater de la Roche amoureufe y
Avec qui nous étions tendrement mariés;
Hâtez- vous, hâtez-vous d'anc'antir des reftes.
Déformais confacrés aux plus vives douleurs;
Vous avez commencé des deflins trop funeftes.
Mettez le comble à nos malheurs.
Qi^iand on a perdu ce qu'on aime>
La vie eft un tourment extrême.
Et le tre'pas a des douceurs.
It vous, Rochets conftans, prenez part aux outrages »,
Que nous ont faits les flots de ja'oude craûs;
Brifez-les fur vos coins, aigus ;
Rendez-leur, chers Rochers, ravages pour ravages.
Vengez- vous, en vengeant les extrêmes dommage*
Que nsus avons, heias! injuftement rejûs,
Joiiets des flots Se des otages,
CoqiHllages, calmez ce violent courroux.
Nous
I D T L L E s, 297
Nous fommes mille fois plus à plaimîre que vouj ;
Ce font les heureux mariages.
Sur qui îa Mort barbare aime à lancer fes coups.
Admirables thréfors du tranfparent abîme,
Vos defljns, ('es Mortels devroient être envies.
Quoique tout comme eux vous perdiez
La fubftance qui vous anime ,
Vous coflfervez pourtant des attraits, des beaute's,
De diverfes proj)riétés,
Et des couleurs ctincelantes :
On vous recherche après avec empieflement,
On vient vous arracher aux vagaes écumantes;
Et même vos morceaux font gardés chererrent.
Pour nous, quand fous nos corps nos âmes éclipfc'es,
rat le mal deftruâeur en ont été chaffees ,
Et^Vi'Atropos nous m* dans la lifte des Morts , '
-j- ,-.: ;; Que refte-t'il de nous alors?
Qu'en refte-t'il ? grands Dieux ! les terribles penfe'es !
Tout mon fang en frémit : plus d'appas, aucun trait...
La beauté qu'engendroit le foiJtfie de la vie,
,Et qui d'Adorateurs étoic toujours fuivie ,
N'eft de foi tout aa plus qu'un difforme portrait;.
On le craint, pn l'éloigné, & la tombe dévoie
Un amas corrompu que la Nature abhorre.
Mais tirons le lideau l'ut des objet5 d'effroi.
Dont l'afpeft fait p;\lir le Berger. & le Roi.
Plaignez- vous, foûpirez, Humains, fondez en larmes.
M.iis Ciel .' mon oreille n'entend
Que plaintes, que courroux, que umrmuies, qu'ai»
larmes ;
Tout l'Univers déclame d< paioit mécontent;
N s Et
îp^s
IDYLLES.
Et par fa plainte circulaire ,
Torme un concert horrible à mon entendement.
Un Elément eft en colère.
Et fe plaint d'un autre Elément:
La Terre e'tant plus baflè, & moins en mouvement»
Eft de leurs fiers combats la vidime ordinaire.
Coquillages dore's, fur le fable mouvant.
Vous vous plaig-ncz de l'Onde amere,
L'Onde à fon tour fe plaint des Rochers 8c du Vent,
Le Vent du prompt Eole, Eole de Neptune,
Neptune blâme le Deftin
l'homme à charge à lui-même-, inquiet, incertain^
Accufe à chaque inftant les Dieux & la Fortune;
Il croit que tout s'oppofe à fon moindre fouhait;.
Le Monde entier le blefle : il fe fuit, il fe hait.
Il devient fon Vautour, & lui-même il fe longe;
Il femble qu'il s'y plaife , & que fans ceflè il fonge
A creufer dans fon cœur pour chercher des chagrin*.
Et moi, j'ai beau gémir pour mes bijoux marins.
Ma plainte eft inutile , 8e le voleur s'en mocque.
Confolons-nous pourtant, dofte ami,cher la RoquS».
Et le Ciel à jamais nous préferve tous deux
Pc tout accident plus fâcheux.
MIR'
I D r L L E s, \299
M I R T I L ET A T T S.
I D V L L E VIII;
jê. M. DE FOTÎTENELLE, Doy^j de ï" A'
cadémie Françoife , de celle des Infcriptions (j
Belles- Lemes, ^ de celle des Sciences.
M I R T 1 L.
V.
Eux-tu, crédule Atys, aimer toujours Ifmene?
N-'es-tu point ennuyé de répandre des pleurs ?
Tes jours, ift'las! font une chaîne
D'inquiétude ôc de douleurs.
ATYS.
Et toi, de ta Daphné, qui brave ta confiance,
Mittil , mon cher Mirtil , tu n'es pas mieux traite.
L'amour par i'eftime commence :
Qu'a-t'elle fait qui t'ait flacé?
M I R T I !..
Ta Maîtreflê a l'air vif, c'eft une aimable brune;
Mais fon cœur trop fouvent cliange de favori.
AtyS aujourd'hui l'importune;
Hiei il étoit l'amant cheti»
N tf A-
300 / D' TL L E Si
A T y s.
Daphné fait honte aux lys, mais fes couleurs, la»»
guiffcnt.
C'eft une onde glacée, un Sel oifcau fans voix.
Ses biens fur- tout l'enorgueilliflent,
Peus-tu te flater de fon choix!
M I K T 1 L.
©her Atys>c*eneft fait ; ton confeil me décelé
L'eireur où trop longtems mo:! cœ.ir s'elt engage.
Doris m'aime, elle eft jeune 5c belle ;
Je l'aime,. 8c me voilà change.
A T Y-S.
Clori5 m'a plaint cent fois, & tout bas fembloit dire;.
Vengez-vous, en m'aimsnt, de fes derniers refus,.
C'eft pour Cloiis que je foupire;
ifmene, je ne t'aime plus.
M 1 R T I L.
Mais Daphné ... . • que d'attraits î . . . . a Ciel !...,.
mon cœur fidèle
Se dédit des fermens qu'Atys m'avoit furpris.
Ali.' j'aime mieux mourir pour elle,
Qiie vivre mille ans pour Doris.
A T y s.
Mais Tfmene a des yeux qui commandent qu'on raiirC;
Ton entretien, Mirtil, eft un poilbn fatal.
. , Oui.
I D T L L E s. 301
Gui jeTaimerois, fut-ce mcma
Entre les bras de mon rival.
FONTENELLE , la gloire b" l'honneur de nttre %?,,
Toi qui f psr des talens divers ,.
As fait vtir de nos jours que la Proje &■ les Vers
Sur Us fiéclcs pajfés remportent l'avantage y-
Sufpens tes illujîres emplois.
Pour entendre un moment mon ruftique hautbois»
3t-lii ^ je relis tes Egltgues fans ceffe^.
Et les admire à chai/ue fois.
Lti Bergers y qu^ a produits ta Mufe enchantereffe y.
Sont moins fardéi , moins pointilleux f.
Que ceux dont en f es Vers doux , faciles y heureux ^ ,
Racan fit parler la tenireffe :
Quoique ceux de Segra'^/o.ent galùns y inginus^^
Us font trop copiés (y de Rome Çy dn Grèce ^
Leur Jî y le un peu rude me bUffe ^ .
Et leurs difcours par-tout ne font pas foittenus.
Des tiens je prife beaucoup plui.
L'originale po'iteffe.
N\ont-ils pas. réuni tous les fuffra^ei dûs •
A leur douce délicateffef
Les miens y dépourvus d'agrément ^.
N'entreront point en oarallele :
Heureux ! s'ils pouvoient feulement
jS.Uirer Us regards du fs avant fONTENEUUE..
N7 IDYL-
502 I D Y L L E S.
IDYLLE IX.
Le Feyage de l'amour S' de V Hymen.
J MADAME DE MONDORET
DU C ROI SIC.
L
/Amoua avec l'Himen, compagnons de voyage»
Vivoient en bons amis, ôc n'avaient pour tous deux
Que la charmante Iris, dont le cœur jeune & fage
îaitageoit fci faveurs également entre eux.
Jamais tant d'amitié n'avoit uni deux frères^
A l'Himen volontiers rAmiàr prêtoit fes traits»
L'Himen adouciflbit fes préceptes févexes ,
£t faifoit de l'Amour réulfir les fouhaits.
Les ombres delà nuit par malheur les furprirent,.
Dans un lieu folitaire, éloigné des hameaux:
L'air étoit calme fie pur, à terre ils s'étendirent;
Un buiflbn arrondi leur fervit de rideaux.
Iris nonchalamment tomba fur la fougère.
Ses amans au hazard fe mirent à côté.
Quelque part qu'on fe trouve auprès de fa bergère >
Le lieu le moins commode eit un lit enchanté.
L'aimable & petit Dieu que révère Amathonte,
Xiompé pai k foauueille picmiei; s'cudu;mit;
L'an-
I D T L L E s. 303
L'autre entretint Iris, & fît fi bien Ton compte.
Qu'il la perfuada par ce qu'il lui promit.
Quitte un marmot, dit-il : Tes jeux , fa folle enfance,,
Sa malice en a dû détacher ta raifon ;
Vien , ma Belle , avec moi , ma durable coaflancc,.
Mes palaiij.mes trçfors font toujours de faifon.
Gn le croit, on s'enfuit, l'Amour avec l'aurore,.
Ouvrit fes triftes yeux pour répandre dés pleurs j:
Vainement unZéphit, volant autout de Flore,
Fit plei(voir''dans fon fein des parfums Scdes fleurs»
Le roflîgnol plaintif foupira fes allarmes ,
L'onde fur le gravier murmura fes tourmens;
Les rochers attendris fe fondirent en larmes,.
Et l'écho répéta fes longs gémilTemens.
L'Himen fier & pompeux fit ce'le'brer la fête
Qui devoir enchaîner fon dcftin pour toujours^
Imprudent qui croyoit jouir de fa conquête.
Sans que rien traverfât le bonheur de fes jours^
liis ne tarda point à fentir fa tendreflfe
LanguilTante & changée en d'éternels de'gouts;:
Le devoir gâta tout ; & la délicatcfTc
Chercha l'amour en vain dans les bras d'un £pous«
L'ennui la dévora , fon ardeur infenfée
lilaudii un importun & s'en plaignit cent fois;
Heureufe ! en l'enlevant , s'il eût eu la penfée
Te lui lavii aulli fes traits & fon carquois.
L'En*
304 IDYLLE S.
L Enfant conta Tes maux à fa charmante Mère;
Qui le piit dans Tes bras, ^ pour fécher fcs pleurr,.
Lui dit en le baifant; qu'elle alloit de Cithcre
Exiler le cruel qui caufoit fes douleurs.
IMui promit auflî de fuir fa compagnie^
Et de.juis que l'Himen lui fît ce lâche tour.
Les plus rcndres am.ins , aufli-tôt qu'il les lie.
Ont vu voler loin d'eux lé gaL.nt Dieu d'"amour.
Ainiable Mondoret , îngénùufe amie y
C'eft parmi vos jardins vtrdoynr.s Çr fleuris y-
Que vnir.queur des broiiilliurdi de tna méltzr.iolie ^.
Le Dieu des yèrs cent fors éclaira mes efprits.
Quand le fidèle Himtr, fous la plus douce chcir.e
Entrel«Jfolt vos Jours gui coùloient fans tnnui^
L'/lMOur p/2rut alors rcncn:er à fa haine y
Et vouloir déformais s'accorder avec lui.
•)
Mats votre Epoux pajfant dans la h arque fatale ^,
L'Amour contre l'Himen r'alluina fon courroux f.
Irrité de voui voir , Epnufe far.s égale ,
là un Gr l'autre à jamais les bannir loin. de vous,
y aï tardé trop long^iemps à parer mes ouvrages
D'un rom.cbèr à mon cotur pendant que je vivrai i
*j4h\ ft je quitte un jour ces maritimes pliiges y
Ct fera veui fur^tout que je regretterai.
£LE.
50S
ELEGIE.
J. El qu'aux Bords du Méandre unCigne languiflanç
Annonce fon trépas par un Jugubrc chant ;
Tel, prêt à terminer une importune vie.
Déchu de mon bonheur, oublie de Sylvie,
Aies toutmens aujourd hui , pour la dernière fois.
Dans ces lieux defolés font entendre ma voix.
Tout eft changé pour moi: je vis hier l'ingrate,,
I<.'uni«]ue objet, hélas! aont la beauté me flate.
Elle qui me juroit mille fois chaque jour
Qu'elle brûloit pour moi d'un immuable amoat.
Je la vis: pnr l'Amour la belle alors conduite,
M'npper^ut, & foudain voulut prendre la fuite»
^'ignore quel hazard, en retenant fes pas,
La tourna vers celui qu'elle ne chetchoit pas»
L'infîdell- a»ffi-tôt, à mon abord émue,
Rougit, pâlit, me paile en détournant la vue;
Enfin, m'envifageant, femble , à fon air gêné.
Plaindre un léger moment autre part deftiné.
Dans fes yeux inquiets fon rnconftance eflr peinte;'*
Alors du dérefpoir Tentant la vive atteinte, *
Confus, m'abandonnant aux plus juftes douleurs,'
Serrant fes belles mains, que je mouille de pleurs.
D'un fi prompt changement je demande la caufe:-
306 E L E G I E.
Ma flamme, à fa froideur eft tout ce que j'oppofcf
Mais l'ingrate, éludant des propos fuperflus:
Non, dit-elle, Tirois, non, je ne t'aime plus;
Je fuis lafle, à la fin, de vivre en efclavagc.
Puis , donnant un pre'texte à fon humeur volage :
jRetoariie ou Ton t'a v6; retourne chez Gloris,.
Vanter le nouveau feu dont ton coeur eft épris.
A «s mots, de mes bras elle s'eft échappée. ,
Ce difcours me furprend , mon ameen eft frappe'e.
Je frémis; & ma voix, étouffée en mon fein,
Kefufe de m'aider à plaindre mon deftin.
Semblable au malheureux effleuré par la foudre;
Quoiqu'il vive, il fe croit déjà re'duit en poudie;
Il demeure immobile ; & fon oeil ne fçait pas
Si c'eft le jour qu'il voit, f u la nuit du trépas.
L'ai-je bien entendu? Quoi ! d'un amour fi terdre
C'éfoit donc là le fruit que je devois attendre f
Aflez, cre'dules cœurs, trop fidèles amans.
Fiez- vous déformais aux tranfports ,aux fermcns:
On vous joue à la fin pat une indigne rufc;
C'eft vous que l'on trahit,. & c'eft vous qu'on accufc.
Ah! puifque vers Sylvie il n'eft plus de retour,.
Mourons, fermons les yeux à la clarté du jour.
Un amant plus aimable occupe fa penfe'e;
Elle lit avec lui de ma flamme infenfée.
Mais toi, cruel Amour, d'une inutile ardeur
Veux-tu toujours brûler mon déplorable cœur ?
Non , barbare tyran, Vénus n'eft point ta mère:
Sur ies rives du Styx un Dragon fut ton perc;
Une H^die té poita dans fon hoitible flanc;
Alec.
ELEGIE. 307
Alefton te nourrit de poifon & de fangj
Et contre les Humains s'armant à guerre ouverte.
Le Tartare béant te vomit pour leur perte...
Mais que fais-je ? Et pourquoi ces outrageiix propos?
Servent-ils à calmer la rigueur de mes maux?
Veux-je encor de l'Amour initer la colère?
Aimable & puiflànt Dieu, que l'Univers révère,
Pardonne , Amour, pardonne à mes cruels tourmens
1,'excès injurieux de mes emportemens.
Tu fçais le trifte état ou l'on eft quand on aime ;
De tes traits autrefois tu t'es blefle toi-même;
La beauté de Pfyché fut le brillant Hambeau
Dont l'éclat fe fit voir à travers ton bandeau:
Tu l'aimas tendrement ,^ & tu fentis pour elle
Ce qu'aujourd'hui je Ç?g.s pour Sylvie infidelle ,.
Tu n'as qu'à commander, Dieu d'Amour; & les feus
Dans fons cœur refroidi revivront, fi tu veux.
A tes divines loix mon ame eft afletvie:
Mais s'il te plaît, enfin, de conferver ma vie.
De mon cœur malheureux vien brifer le lien.
Ou par un jufte effort y réunir le fien*
Cétoit dans la faifon qui rajeunit la plaine ^
Que la folitaire Malcraisy
Près d'un buijfon cachée , était a£ifc au frais :
Sur le penchant d'un roc y une claire fontaine
Qui partageait fon onde en differens ruijfeaux ,
Les folâtres Zépbir s , &< le chant des Oi/eaux ,
Réveillaient la Nature y ^ ranimaient fa veine ;
Quand la voix d'un Berger Jur le champ la frappai
ienfibli » j'on cruel martyre ^
So8 ELEGIE.
Elle éicuta^ gémit ^ voulut en/aite écrire t
Maïs f on faible crayon de /es doigts s'échappa»
Cependant , de ce trouble y oà la piiii l' engage f
La févert raifnn ri-.ppellant fon efprit >
E.llt s'apprmha davantage ^
Pour tracer ce fiiile (y douloureux récit.
L'Auteur a donné quelques-unes de feJ plc'cc»
fbus k nom de Mademoilelle Malciais,
POE.
509
POESIES
ANACRE'ONTIQUES.
I.
HIPPOMENE.
A Mademoifelle B.
Il y avoit une fort belle Statue d" Hippomene dans
les ''Jardins d'une Maijon de Campagne, cîi
cette DeiiwiJeUe a pajjé une partie de la belle
~faiJ'on. La tête de cette Statue , étant tombée ^ a
donné occajton aux Fers juivms.
A
Ffkanchi des liens de la fiere Atalante,
pans ceï Jaiduis fleuris j'avois fixé mes pas:
J'y taifois mon bonheur d'adorer vos appas.
Je vous,trouv,ois toujours plus belle & plus ch;irmante«
Doux 2c frivole efpoir, dont je fus trop épris J
Defirs, qui fçûtes trop me plaire!
Autrefois d'un objet févere
La Pomme d'Or fit triompher Paris:
Méprifant les dangers, d'Ataïaure, s ce prix.
J'obtins la Tupeibe conquête,
• - Maïs
Srq POESIES
Mais de cet Or brillant, en tous lieux fouhaité.
Votre cœur vertueux ne fut jamais tenté :
Nul amour ne lui plaît, nul effort ne l'arrête.
Tous les miens près de vous, hélas! ont été vainJ.
Vos yeux m'ont confumé; j'en ai perdu la tcte.
Combien d'Amans ont eu le fort dont je me plains!
II.
j4 Ma4a7ne du H alla y.
X5 EI.LE& jeune Hallay, qumd fur le Clavecin
Vos mains enfantent l'harmonie,
Enyvré de plaifir , un charme tout divin
Me pénètre, m'émeut, maitrife mon génie.
Je vois vos doigts légers transformes en Amours,
Doux tyrans, enchanteurs agiles.
Errer, courir, voler, fur les claviers dociles,
£t faire mille jolis touts.
Qu'ils font vifs 5c touchans, ces Enfans de Cythère ï
Mais pour ravir les cœurs, c'eft bien affez fans eux»
Qu'avec leur frère aine , leur triomphante mère
Regac fur rotre lèvre & brille dans vos yeui.
nu
ANACREONTIQUES. 31Ï
m.
Four le Portrait de Madev:oîfelle Salle', Pen-
formaire du Roi ^our les Ballets de S. M.
I / E s Senti mens avec les Grâces
Animent fon talent vainqueur;
Les jeux voltigent fur fes traces;
L'Amour eft dans fes yeux, la Vertu dans fon cœur*
y.
A Mademoîfelle Gaussin.
Q.
JtlAND, fous l'habit de Melpomène>
Attirant tous les cœurs à vous,
L'Amour vous voit verfer des larmes fur la Scène,
Il vous croit tendre , Se vole à vos genoux
Pour vous entretenir du récit de fa peine.
Mais , bien loin de flater fon amoureux tourment.
Vous ne daigneriez pas l'écouter feulement.
Ah ! dit ce petit Dieu, fondant en pleurs lui-même.
Vous feignez de pleurer , charmant objet que j'aime ;
£t je pleuce ilncérement.
j
T.
312 POESIES
V.
O Yltie, au fond d'un bocage
Me failoit de deux Moineaux
Remarquer le badinnge
Sous les feuillages nouveaux.
L'un d'eux quitta la partie.
. Ah! dit l'aimable Sylvie
Avec un air deiolé,
Regarde un peu, je te prie;
C'eft le mâle, je parie,
C'cft lui qui s'ell envole.
VI.
DEUX Moineaux, un beau jour, fur un tas de
froment,
S'£nyvroient des douceurs d'un rendre mariage;
Ils alloient & venoieiTt,s'embrafibient gentiment:
Et puis, interrompant l'amoureux badinage,
Detems en tems croquoient du grain gaillardement
Par forme de delaflement.
Ah ! dit Mirtil , aflls fur la verte fougère
Avec Amarillis fon aimable Bergère,
Hymen, que tes plaifirs, à mon grc, feroient dour ,
Si, comme ces ;etits époux,
On étoit fur apics de faixe bonne cheie !
V? VII.
à
JNJCRKONTI^UES. 313
vu.
J_v'AMOUK, en badinant, voloit fut un Preffoir.
La couleur du Ne^ar, fon odeur le charmèrent.
Et tenté d'en goûter, le Dieu s'y laiffa cheoir.
Soncarquois s'en remplit. Tes traits s'en abreuvèrent.
De là vient qu'aujourd'hui l'on voit tous les Amans,
Saifis d'une double tendrefle.
Entre le Vin & leur Maîtrefle
rartager leurs plus doux momcns.
V^ 1 1.
Sur un homme qui fuit par-tout une Demoljellet
dont il n'ejî point aimé.
V Olant autour de la jeune Climeae,
L'Amour s'alla pofer fur fon chignon :
Fuis, empêtré dans maint 5c maint fiifon.
Pour en furtir le pauvret fe démené ;
Sembloit qu'il fût tombé dans un buifibti»
Tircis paflànt, A l'aide, Compagnon,
Cria l'Amour, vien me tirer de peine.
L'autre approcha: mais, en tendant la main.
Le Dieu l'attrape 8c l'enchaîne foudain]
Voilà pourquoi, par-tout où la Cruelle.
Porte fes pas, Tircis, qui l'aime en vain.
Soir ôc matin va toujours après elle,
Xcm. J, O IX.
314- POESIES
IX.
C
Oci_ importun, qui vous faites entendre
Dins ces lieux éloignés de la Ville & du bruit,
Pourquoi m'arrachez- vous au rêve le plus tendre?
M'envici-vous , hélas! un moment dans la nuit,
OU le fommeil etoit venu fufpendre
Le noi; chag.in qui me pourfuit,
Et qui même, aufll-tôt que le Soleil nous luit.
Au fond de nos bois va m'attendie?
Impérieux Oifeau, que je trouve en vos chants
De vanité, de folle gloire!
Vous faites comnr- les Amani ;
Et fans avoir vaincu, vous chantez la viftoire.
Mais ne pourriez- vous pas contenter vos defirs.
Sans en faire éclater la fupcrbe nouvelle?
Ah! rindifaétion cruelle
Augmcnte-t'clle les plaifits?
#%
X.
ANACREONTIQUES. 315
X.
C H A N S O Ny
Notée dans un des Mercures de France ,
Sur les Vi6loires du Roi;
Par Madame DESFORGES MAILLARD.
A
UTEURS, dont abonde Patis«
Rej-ttons Pindariques,
Faites en l'honneur de LOUIS,
Des Odes m^nifiques.
Chacun ici dans ia chanfon,
Qu'arnnie un zèle extrême.
Dit, s'il eft vaillant, il eft bon,
Voilà pourquoi je l'aime.
Ypres, Fumes, Fribourg, Menin,
Soumis par fa vaillance,
Vous n'étiez que l'éclair prochaia
De la foudre qu'il lance.
Chacun ici &c.
François, arrêtez votre Roi
De fon fang trop prodigue.
Et que vos coeurs à Fontenoi
Au fien fervent de digue.
Chacun ici &c.
o 2 Soa
i6 P,0 E S 1 E S
Son Dauphin reflèmble à l'aiglon
Brave au fortir de l'aire,
Et fuit, tel qu'un jeune Lion;J
La valeur de fon Père.
Chacun ici &c.
Mars le prend pont le Dieu d'amom.
Aux traits de fon vifage ;
Et l'Amour le prend à fon tour
ppur Mars à fon courage.
Chacun ici &c.
Chaque Soldat eft un Cefar,
Que iianfporte la gloire;
Pour eux le péril eft un fard
Qui pare la Viâoip5.
Chacun ici ôcc.
Toutnay, ce colofle orgueilleux,
Défioit Je tonnerre;
Louis d'un legatd de Ces yeux
L'a brifc comme un verre.
Chacun ici &c.
La Paix commence à s'annoncer
Dans le fein de nos Villes;
Le Plaifir vient la de'vancer
Dansles hameaux tranquiles.
Chacun ici &C.
Sans avoir peur que l'Etranger
lUIe fa bergerie»
Clo.
JN.^ CKEO N TIQUE S. 3 1:7,
Cloris joue avec Ion Ecrgei
Sur la verte prairie.
Chacun ici &c.
te Villageois , frais & nourri ,
Les Dimanches va mettre
Au pot la poule que Henri
Né fit que lui promettre.
Chacun ici Sic.
Louis dit, comftie ce Vainqu^m
De la Ligue rebelle,
Je fuis riche affcz, j'ai le cœut
De mon peuple fidelle.
Chacun ici S^.
Si de tout iiluftre Guerrier
Le nom devoir s'écrire,
L'Àiivergne avec tout foa pjpiej:
Pourroit-elle y fufire?
Qye chacun dife en fa chanfon
Avec un zèle extrême.
Que le cœur du François repond
Au cceiu du Roi ^ui l'aime.
o i XI.
3i8 POESIES
XI. •*
Sur l'air ( Les Bergers de notre Village.)
J^ Ous n'avons pour philofophic
Que l'amour de la liberté ;
Ilaiflrs, douceurs faiis jaloufîe.
Volupté,
Poitez dans notre compagnie
La gayté.
Nous bravons la fotte critique
J^es Hipocritcs en'tourouxj
l,a moiale mélancolique
De ces foux
Ne trouvera point de pratique
Parmi nous.
Le Nocher ,^ qui prévoit l'orage,
Craint même quand le vent eft bon;
Ëternifons du badinage
La faifon;
On manque, à force d'être fage^
De raifon.
Le fier Caton , quand il Ce perce ,
Se livre à de noires fureurs;
naeréon • oui fait commerce
Anacréon , qui fait commerce
De douceurs,
At-
A]<1ACRF0NTIQVES. 319
Attend le trépas, & fe berce
Sur des fleurs. '
Beautés, dont mon amc eft ravie.
Vos yeux enflamment te féjour;
Bacchus fûûrit, & s'alTocie
A l'Amout;
Tous deux à l'aimable folie
Font la coui.
Q^ie chacun boive à fa conquête.
Ne vous-en-fâchez point, Epoux,
Le, fort que la nuit vous aprcte,
Eft plus doux;
Mais vos femjiies dans cette fête
Sont à nous.
XII.
Sur l'air {Aimable VaîtKimur y ^c.)
L
A Socic'té,
Fine Volupté,
Vous apelle à table,
Pille agréable
De roifiveté.
Délicateflè,
Chatouillez (ans cefl[è
Mon cœur enchante.
Quittez, cher Cornus,
o 4 ta
320 POESIES
La Gour immortelle,
Portez fur votre aîle
Le riant Momas.
Venus defcend,
Baccbus vous attend.
Troupe fortunée ,
Que ma deftinée
.Me piait à prcfent !
Un jour n doux
Vaut mieux qu'une année
Qu'oa pafle faas vous.
XI I|^
Sur l'air (/r»V porte le Dieu du vin , Êf celui dt
Cythere. )
I £ crains moins ce jus pétillant ,
^ Qii'un minois qui fait plaire;
Sans façon, quand la foi f me prent,
Uacchus me defaltere ,
Au-Iieu qu'on n'ôfe expliquer fon tourment
Chez le petit Dieu de Cythère,
Si le Champagne enyvre Hn jout
Ma nifon réjouie,
Je vois reparoîcre à fon tour
M.T fagefle embellie;
Mais quand un coeur eil enyvie' d'Amour,
C'eft fouvept p.our toute la. vie..
Je
ANACREONTIQUES. 321
je bois à vous, cercle d'amis,
Parti fans de la table;
Je bois , Nannette , à ton foiuis ,
A ta bouche adorable.
Bacchus.... Nannette.... Amour, me voilà pris,
Nannette ! ô Dieux ! qu'elle eft aimable !
^ '. . XIV.
Sur l'air (Le Tère Dominique ^c.)
Çb
'u'uN repas eft aimable!
Quc'tout y paroit bon!
Quand le coeur eft à table ,
Comme en ces lieux, A'une fête agréable^
Le Maître Si. l'JEchanfon.
Que vingt peuples en guerre
Se battent fans pitié {
Loin du bruit du tonetrCy
Kions, amis, faifons à coups de vcrrC
Des combats d'a^nitié!
Oublions du dixième
Les fâcheux embarras;
Tâchons par ce Syftême ,
Que nos plailîrs foient le feul bien fuptSmej
Qu'on ne décime pas. j
Charmante Compagnie,
Pourquoi nous quittons -nous?
Politeflè, génie,
rrv-*« i; o $' font
322 ^ ]P 0 E S I)E^^':.^c;
Tout ce qui fait ]a dou(C^m,d^.^-,vie:^ , .^ .; ^ ^^
se icncontie chç6jr<)fis^^ éncJinsî • -
' ' ■ XV. " • ' ■ ■• ■''—
ji M. TITON RU Hkl^.Ti. . >■
Par Madame DESFORGES-MAILLARD,
^ti'^vi. (^Aimable Vainqiieuty '^cj^
\j^ lî jrompfe te» jours
Qu'avec les Amours ,
Les jeu.\^ les Gwcçs, -^t
q^i fui tes traces j na iiuta :D
Voltigent louJQUlSwl i i^ ii::;!'. oJL
A ton génie
TiTON> ^*' 1* vie .0
Livre l'heureiix cours. -
Sui de teédefirs oJ[
La pïnte facile: , Àr.vt «tnoi.l
pour toi Clotb-âle,. L> c^Miiao) esd
Au gré des plaifirs^
l'iaifirs charmanf/--^'^^^ îf-oiJdyCÎ
Vos amufenréiis;'''^-^ v..-2ib£i «aJ
Leur di,licatcHe ' '' ^^ icq jnoibiT
♦ TroiT>pent la vitefle' '•";'■' "«^'/^-l 20« ^'i^
De l'aile du tiempr ; --^ ^- ""'^
Tout eft printfirpi . ,. .^
Et toaÇiçft'jçuneflTe , . . ~ .
Pour les cœurs contcn,?. r.^,. j
323
SONNETS.
SONNET I.
LA DE'FAITE de la PATIENCE DE JOB.
J Aloux des moeurs de job, dont l'ame étoit fi pure ,
Et que divers attraits n'avoient pu d;-ranger,
Le Diable avec la femme autrefois fit g-igeuic,
A qui viendroit à bout de le décourager.
Le premier, aflîftc d^a paavreté dure ,
Cou'vic Ton corps d'horreurs, met Tes jours en danger;.
L'autre" gronde, l'agace, & l'excite au murmure,
Sur fa confiance même habile à l'outrager.
Satan l'exerce en vain; mais par ergoteric
Sa Rivale le force à détefter fa vie.
Et fait en fourinnt les cornes au Malin.
Contre Pons les maris ce ri eux défi fubfifte;
Et quoiqu'à triompher tourç femme perfifle, ,
Le Diable a du pari le profit à la fiii.
O 6 SON-
524: SONNETS.
s ON NE T IL
y/ M. TITON DU TILLET,.
X OVK preuve, cher Titou, qu'il n'eft pas difficile
D'obtenir des emplois & d'cire aime des Grands,
Tik vois fin le Pinacle une troupe imbécile
Qui fans mœurs, fans efpritjmcconnoît lebonfens.
Mais le bonheur me fuit: la Fortune iadocile
Regarde avec racptis ma vertu, rnes talens:
Tour s'attache à me nuire; & d'un ePpoi-r ftcrile
L'injul^ice a payé mon travail & mon tems.
Le jour de ma nainânce, un aftre redoutable, ,
Dcplo/ant dans les airs fa crinière effroyable,
Pxéfagea la fureur de mon ctuel deftin.
Ecoute encor: je mets un bas ne«f ce matin; .
\lne maille s'c'chappe, & J'ouvrage eft au Diable,
Biifé. depuis le. haut jufqu'à mon efcarpin.
SON-
s 0 N N E T S. 325
s O N N E T III.
A' Madame du H**. , dont un des yeux e{l privé-
de la vue par la petite vérole^ fans être défiguré.
L
/'Effroi de la beauté, ce mal contagieux^
Monftre ne de l'Enfer & de la Jaloufie,
K^ pu défigurer les attraits d'Afpafie,
De la claité du jour privant uu de Tes yeux.
C'eft toujours cet objet, pour qui la main des Dieur,
Dans le corps le plus beau, mit une ame choifie;
Sous un crêpe fatal fa prunelle obfcurcie ,
Laifle encore e'chapj«r mille traits gracieux.
Largiliere, Rigaut, grands Peintres de notre âge.
Imitez , à l'envi , de fon charmant vifage
L'utt & l'autre côté, de profil, tour à tour;
Faites-en deux tableaux ; 8c que votre Art fidèle j
Parles efforts vainqueurs des chef- d'œuvresd'AppellCa
Dans l'un peigne Vénus, dedans l'autre l'Amout.
Or SON.
32d
SONNETS.
SONNET IV.
ji Monfmir le Marquis de Vekteillac,
qui je trouva reiiverfé ^ dangereufement cm-
barrajfé fûUi J'on cbtval tué fur le champ de ha-
taille.
Ir.gtnîts animas an^u/lb in ccrpore verfaKt.
Virg. +. Georg.
y ERTriLLAC, digne Fils d'Ancêtres généreux,
La Nature à dciïei!) te fit pnr le corfage.
Petit comme Alexandre, & grand par le courage.
Pour rendre au naturel ce Héros valeureux.
L'honneur , à fon exemple , e'^ l'objet de tes vœux ;
le laurier de nellonc cft le prix qui t'eng-ge;
Et de loin , comme lui, dévançaîit ton jeune âge.
On te voit t'annonccr par des exploits fameux.
Te prefTant fous fon cor))? ?; te chargeant de gloire.
Ton Cheval perd la vie aux champs de la viâoire.
Mais par ie Dieu des Vers il eft reirufcitc;
Et Fegafe nouveau, fon aud.^ce fidvl'e ,
Au Temple radieux de l'hmmortalite ,
Nouveau Beilerophon , remporte fur fon aîle,
Magnus AUxander ctrpore parvus erat.
ODE
.0 D E S. 327
^ ODE
A M. TITON DU TILLET. '
Sur la mort du Père V a N 1 e a E , Jéfuite , ci»
lebre Poète Latin.
y A N I F. R E ne vit plus : le talenr le plus rare
Ne retient pas la main de la Parque barbare;
Tout cède à fes rigueurs.
Le Parnafle cft en deuil ; Euterpe fond en pleurs ;
Et les échos des bois, oîi fon repret l'égaré,.
Répètent fes douleurs.
#
Rapin la confola du trépss de Virgile;
Yaniere, dont la veine étoit douce & facile.
Du trépas de Rapin.
Qui , pour la conloler de ce coup du deftin ,
Joindra, comme Vaniere, & !e goût ôclc ftyle
Du beau S.écle Latin i
Les hommes, cherTiton, tour-à-tour difparoiflènt.
Comme dans les Jardins on voit les fleurs qui naiflent
Se flétrir promptenient;
L'une feche au Soleil, l'autre s'cfeuille au vent^
Et toutes en limon fous les herbes s'afFailTent
De moment en monient
Un bras cache' de'truit & repeuple le Monde.
La Terre eA U marâtre 2c la mère féconde',
2. J Qiii,
528 ODES.
Qui, formant le berceau
De tout ce qui rcfpire, en devient le tombeau.
Pour l'un , l'inftant qiji paflo eft une nuit profonde;
Pour l'autre, un jour nouveau.
B-uilTeau, que déformais fur les herbes mourantes,
Vn murmure plaintif, de tes ondes erra:ntcs
Accompagne le cours;
Bois, colines, valons, renoncez aux beaux jours»
Celui, qui célébra vos beautés différentes,
Vous quitte pour toujours.
Mais,. que dis-je ! brillez, jardins ^ bois & verdure î -
B-uiffeau, qii'un bruit dateur à ton trifle muimuic
Succède déformais.
.Celui, qui fcut chanter vos b'*ns & vos attraits,
Va joiiir d'un Printems, dont la volupté pure
Ne finira jamais.
Et toi , Titon , & toi , la moitié de moi-même, .
Quitte la folitude, où ta douleur extrême
Trouve à s'entretenir.
Veuï-tu que cet ami, cher à ton fouvenir,
K,snaiirc pour te voir; & de la Coût fuptêine
Coafentc à fc bannir ?
Quoique de ton amour le noble témoignage.
Qui déjà fur le bron?^ a gravé fon vifage , ,
Soit d'un affez haut prix;
Par ta plume immortelle au rang des beaux Efprits ,
V>iniete doit encor revivre en ton ouvrage ,
Comme dan» Tes .écrits,
ODE
odes: 329
OHE
EN STROPHES LIBRES,
A M. TITON DU T I L L E T.
Sur la mort de M. deLa^giliere, Pein-
tre célèbre.
X-zARCrLiEREdefcend dans l'ombre du tombe»u.
Cher Titon; tu verfes des larmes:
Apollon, comme toi, dans de vives allaimei,
Gémit fui lejftouble coteau.
En proie à fa douleur funèbre.
Ce Dieu fe retraçant tant d'ouvrages parfaits,
Veut que le chevalet de ce Peintre célèbre
Soit fan pupitre déformais*
De fon côté Vénus enrichit fa toilette
Bu coloris brillant que produit fa palette.
Et rAmoiii , qui puifa dans fes rians tableaux',
Le goût,. Je naturel, la douceur, la de'cence;
Poux foiîmettre à coup fur les cœurs à fa puiffancc >
fait des flèches de fes pinceaux^
ODE
330 ODES.
ODE
EN STROPHES LIBRES,
A Voccafmx de la mort de M. le Préjident B o u-
HiER, de l'Académie Frartçoije.
R.
.OussEAU, Rollin Bouhier, fi la Parque cruelle
B.efpeaoit le tncritc & les talens diver?,
Les vôtres, dont l'éclat vole pat l'univers,
Devroient avoir fléchi fa rigueur criminelle.
C'eftàinfi, chers amis, qu'î,^vos mânes fîdelle,
Ma Mufe commençoit, en peignant Tes douleurs.
A couvrir vos tombeaux de parfums Se de fleurs.
Mais, brades fçavans, que vainement rappelle •■
La voix de mes tendres defirs ;
Vos noms préconifes pat l'eflime [lublique,
îaifant, mieux que mes- Vers , votre panégyrique.
Contentez-vous de mes ibûpirs.
Hélas! aveugles deftinées.
Six Siècles rendront-ils jamais à nos neveux.
Ce qu'en nous enlevant ces trois hommes fameux.
Vous nous âtez en ûx années?
*
EPI.
331
E P I T A P H E S.
E p I T A F H E I.
Du P. BîiuMOY Jéjiiite, Auteur du Théâtre
des Grecs , ^ de pUifteurs Ouvrages en Profs
^ en Vers.
\ Ette fur ce Tombeau des fleurs à pleines mains,
Paflant;cy gitBROMOY." Les Vers, que tu vas lire.
Seront en peu de mots fnffifans pour t'inftruire
Dés mœurs & des taleiff du meilleur des humains;
Critique, Hiftorien , Poëte, amifincerc,
Sxns relâche appliqué dans le champ Littéraire,
Sous le poids des travaux il mourut abattu;
Ayant fçu réunir l'amitié, la confiance,
La douce modeflic 5c la haute Science,
Le bel efpTit & la vertu.
, E P I T A P H E II.
DU MARKCH4L DE BEKWICK,
BEbwick, d'un coup funeftc atteint dans la
tranchée ,
Tu dcfcens au tombeau, le front ceint de lauriers,
La Fiance, vivement touchée,
-■ . , Fond
333 EPITJPHES,
Fond en pleurs, au milieu de Tes trïAes Gueriieis. I
Ta mort, d'un nouveau luilre orne encor ta me'moire ;
C'eft à nous feulement de nous plaindrfr aujourd'hui :
Intrépide Berwick, m volois à la gloire
Sur les pas de Turenne , & tu meurs comme lui.
E P 1 T Aï HE III.
nu MARECHAL DE VILLA RS,
Que pluftews maladies dangereufes obligèrent dé
Je retirer à Turin, où il ejl mort.
L
/EXF.MPLF des Gnerrier^^le vengeur de nos Rois,
ViLLABS, l'honneur de fa Patrie,
VlLLARS eft mort : Ton nom fameux par fes exploits,
" Fait feul l'cloge de fa vie.
Sous les armes blanchi, meprifant le trépas.
Ce Héros, que fuivoit en tous lieux la viéloire.
Couvert des rayons de fa gloire,
Prenoit un peu d'haleine, après dveri combats.
Mais hélas! la Parque perfide.
Qui n'ôfa l'attaquer, quand fon bras enflammé
Foudroyoit l'ennemi , vainement animï' ;
Le perça d'un trait homicide,
Dins le fatal moment qu'il s'ctoit dcfarmé.
EPI-
E ? IT A F H E s. 333
EPITAPHE IV.
De Mademmfelk l'Héritier de Vil-
la n d o n , de r Académie de Tonlouje ^ de
celle des Rîcovrati d'Jtalie.
1 j E corps de l'Héritier lepofe dans ces licux;;
Son ame au Ciel s'eft envolée.
Sa tombe n'ofire rien de magnifique aux yeux;
Mais fes rares vertus , fes talens prccTcux ,
Lui font dans tous les cœurs un vivant Maufolc'e,
Niccc d'un grand Magiftrat, (*)
Dont le goût excellent (^ns la littérature.
Le fit autant brillcr'que fon illuûre état.
Elle reçut de la Nature
L^ nobicfle du fang; Se le Ciel y joignit
Une ame, que fon fouffle aufli-tôt annoblit.
Par vos Tournois Floraux fameufe Académie ,
Vous , Ricovrati d'Italie,
Gémiflcz; vous perdez en elle un ornement,
Dont l'avenir va faite une eftime infinie.
Que de fçavoir, d'efprit & d'agrément!
J^angucs, Philofophie, Hiftoire,
Anecdotes, cent traits curieux & divers,
Compofoient un thrcfor dans fa vafte mémoire.
Mais fes Ouvrages, pour fa gloire.
Parleront bien mieux que mes Vers,
En
Ç*) "Elle ctoit petite-njéce du Garde des Sceaux, Du Vair.
334 EFITJPHES.
En ma place, il faudroit que fa célebie amie, (*)
L'habile Scudéi^ retournât à la vie,
Tour couvrir aujourd hui fon Tombeau réve'rc
De parfums aufll fins, & de fleurs auflî belles
Que celles dont le Hen fit par elle honoré.
Les neuf Sçavantes immortelles
La comblèrent de leurs faveurs.
Mais, hclas ! ô dons infidèles.
Dont la poffefTîon fit languir mille Auteurs!
Elle vécut , ô tems ! ô mœurs .'
Dofte, Vierge , & pauvre comme elles,
EPITAPHE V.
DU FRERE HILARION CAPUCIN.
A M. di P... A... Confeiller du Roi, Père fpî-_
rituel des Capucins de ***.
C
T gît le Frère H i l A R i o N :
C'étoit un digne perfonnsge ;
Nu! autre avec tant d'avantage
N'honora fa Profenibn. :l
Encloîtré dès fon plus jeune âge.
Ce fut dans l'Ordre Capucin
Qu'il mit fes talens en ufage.
Sans impudence il fut badin.
Sans
(*) Elle a fait une Pièce intitulée : J^otbiofi de Madmtifiilt
mt-Seudcrj, qui cft très eftitnée.
EPITAPHES. 335
Sans être cafard il fut fage.
Mérite airârément divin
Chez le capuchonc lignage.
Il ne fit jamais du Latin
Le long & dur apprentiflagc:
Mais, à l'aide de maint lopin
Qu'il goboit par fois au palTage,
Et qu'il citoit fans jaigonage.
On l'eûf pris pour un Calepin.
Pour peu qu'il eut feu -davantage.
Pu Couvent on l'eût fait Gardien;
Et certes plus homme de bien.
Ne méritoit ce haut e'tage.
Il attiroit, par beau langage.
Froment, or^^, avoine au inoulin:
Et la cloche, au premier drelin.
Lui difoit , fi c'étoit du pain ,
Qu'on apportoit, ou du fromage;
fût-il à manger fon potage,
A la porte il voloit foudain.
Et froc à^bas, d'un front ferain,
Recevoir le friand meflage;
Puis demandoif , d'un air humain ,
Comment fait-on dans le ménage ?
Le monde au logis eft-il fain ?
Votre Procès va-t'il fon train ?
Que dit-on dans le voifinage?
O le beau teins l point de nuage;
Le Soleil le levé matin ;
L'Almanach Nantois , pour certain,
Pro-
336 EPIT^PHES.
Promet, s'il ne vient point d'orage.
Un Eté fertile en tout grain.
Un Automne abondant en vin;
Le Printems l'eft en pâturage:
D'ailleurs le Proverbe, ou l'Adage,
Dit, que gras Avril &- chaud Mai (*)
Mever.t le froment au balai,
Mais, mon Dieu.' qu'à notre dommage.,
S'eft change le tems ancien !
Le Peuple eft devenu Payen ;
Et de la Ville & du Village
Il ne nous vient prefque plus licn ,
Ni provifion, ni chauffage.
Aujourd hui nous mourrions défailli,
5i votre bienfaifante main
N'avoir apporté ft'i fuffrage.
"Puis, adieu, bon jour, grand merci;
Le Donneur retoutnoit ainfî,
Trcs-fatisfait de fon voyage.
Il étoit Portier , Cuifinier,
Sommelier, Quêteur, Jardinier;
Tous les Ans furent fon partage.
Sa mort m'a caufé des regrets;
Je l'aimois pour Ton caraâere.
Et de mes intimes fecrets
Il fut fouvent dépofitaire.
Combien, de notre HiLAKiON,
A tous ceux de fa Nation,
La perte a dû paioitre amere!
Quoî-
Ç*) Dtîlou de Campagne.
Ê P I T J P H E s. 337
Quoique cet excellent Garçon
Dans l'Ordre n'ait été' qu'un Frère-,
Il pouvoic être , avec raifon ,
Des autres appelle le Père.
Cher Oncle, Père & D'fenfeur
Des Capucins de -notre Ville,
Toi qui, d'une aumône fertile ■,
Fais Jur eux pleuvoir la douceur i
Examine, fi dans mon flyle,
J'^i ffà faire un portrait naif
Du Frère aimable, à qui la vie
Par le fort fut trop tôt ravit,
y ai laiffé le genre plaintif.
Et fuivi le récréatif
Peur bannir ta mélancolie,
EPITAPHE VI.
D'UN PRETENDU BEL ESPRIT.
C
fY gît, qui s'eflimoit l'Arbitre des Arbitres î
De la Langue au hazard il décidoit les cas;
Qui le contredifoit ne s'y connoilToit pas;
Des livres il fçut tous les titres j
Et ne lut que des Almanachs.
#
TtjBt 7. P ^ EPI,
338 EBITAPHES.
EPITAPHE VII.
DU N SINGE;
Tirée de l'Italien.
c
y gît un plaifaat animal;
Jamais il ne reftoit en place.
Fourbe, agile, matois, failant mainte grimace.
Et s'occupant toujours au mal.
PafTant curieux, s'il te fâche
De tarder à fçavoir fon nom ,
Regarde en un miroir ton .minois de Guenon;
Tu le verras écrit au long lur ta mouftache.
EPITAPHE VIII.
D'U N LION;
Titrc'e de l'Italien.
C
Y gît, <]ui fut, par excellence,
(Des Bêtes furnommé le Roi.
Paflant, fi ce titre t'Qffenfe,
Tu n'as qu'à le prendre pour toi.
Es-tu content? paflè en lllcncé.
t?I.
EPITJPHES. 339
EPITAPHE IX.
D'un Homme qui vécut ^ mourut en MarquU
petit-maître.
^ O u s cette Pierre eft enterre
Un Marquis digne qu'on le note ;
Pour porter un habit dore
Il alloit vivre à la Gargote ;
Et puis fon curedent en main ,
Petit-Maître à l'air vif & fade.
Quoique fon ventre ne fût plein
Que de merl'Ahe ou de falade.
Nous regardoit avec dédain.
Se quarrant à la promenade.
Ce miférable trépaflc
Ne feroit point fitôt paffe.
Si, renonçant à la dorure.
Son corps eût c'tc mieux panfc.
Paflant, qui vois fa fépulture.
N'imite pas cet infenfe:
'■ Mieux vaut , fons un habit de bure.
Vivre muni d'un bon dîne.
Qu'épargnant fur fa nourriture,
Mouiit de faim tout galonné*
340 E P I T A p H E S.
E P I T A P H E X.
D'UN CO ME' BIEN FRANÇOIS.
1 j An.s ce chantier en tapinois
B-cpoIe le plus grand Afleur
Qui fut au Tliéâtre François,
Enterre fjns Cierge, ni Croix
Près le Cheval d'un Crocheteur,
ïn fon vivant fut Didateur ,
Empereur, Soudan, Roi, Sophi,
Prince Chrétien ou Me'créant.
Or, admirez tous^'j néant
Des grandeurs de ce monde-ci.
E p I T A P H E XI.
D' U N COMTE.
\_j Y gît, à la voix de tonnerre.
Un Comte qui, de fon vivant,
fier, glorieux, n'étoit que vent,
Et qtji n'eft plus qu'un peu de terre.
EPI.
E P I T J P H E s. 341
E PI T A P H E Xn.
D'UNE DAME DELA COUR.
V^ Y gîr, qui fréquenta la Cour dès fon enfance,
Haute & puiffante Dame, au cœur noble Scdifcrct,
Qui mourut tout debout , grofle d'impaùcncCs
En attendant le Tabouret.
E P I T A P H E X 1 1 1.
D'U N E Cto 2,U E T T E.
D
Ans ce joli tombeau fait en colifichet.
Habite epars le froid fquelètte
D'une pétillante Coquette,,
S'aimant, s'idolâtrant jufqu'au dernier hocquet.
On la vit tous les jours arranger fa toilette
Sur îe lit, d'oïl jamais elle ne releva;
D'un fagot de rubans charger fa folle tête ,
Et fes yeux piefqu'éteints aller encor en quête,
A Timprovifte enfin, la Mort pâle arriva;
Et la trouvant parée à la mode nouvelle,
L'inhumaine aigrement foûrit, & voulut voir
Quel air elle pourroit avoir
Avec fes affiquets S< fa cocffe à dentelle.
P 3 En-
342 E P I T A P H E S,
E P I T A P H E XIV. I
D'UN HOMME UNIVERSEL»
X. HiLOSOPHE Caïtcfien ,
Orateur, Médecin, Chymifte,
Pocte, Aftronôme, Algébiifte,
Parfait Mathe'maticien,
Et même Théologien ;
Luc, pendant le cours de fa vie y
S'appliquoit à tout, excepté
Au foin de fon éternité.
O U fotte philofo->hie !
E P 1 T A P H E XY.
D'U N A B B E'.
V_>/Y gît, dont le métier fut de n'en point avoir,
Plus léger qu'un moineau, plus caufeur qu'une pic.
Se couchant, fe levant, carcflant fon miroir,
De dormir, de manger faifant bien fon devoir.
Et toujours ayant la pépie.
Sçavez-vous qui c'eft , Domine 1
C'eft un Abbé je le parie;
ranknt, du premier coup vous l'avez deviiç.
EPI-
EPITAFHES, 343
EPITAPHE XVI.
D'UN RICHE PROMETTEUR,
C
( y gîf , qui de Cmple Commis
Devint grand fuppôt de finance.
Et qui, m'ayant beaucoup promis,
INe .ra'entretiiy: que d'efperançe;
De quoi je vis en fouflFrance.
Aujourd'hui pourtant j'enrichis
Son ame dont tous fes amis
. N'ont plus aucune fouvenance.
D'un généreux de profandis.
EPIT|i.PHE XVII.
■•• È'UN SEIGNEUR TRE'S GLORIEUX.
G
_y Y gît l'komme'le' plus" hautain
Qui fut jamais dans la Kature. '-- -
Comme il enrageroit, ce phantôme iï vain!
S'il te voyoit, Paflantjqui vas cherchant ton pain,
Fouler aux pieds fa fépulture.
E P I T A P H E XVÎII.
D'UN MâRI qui AVOIT EU
CINQ^ FEMMES.
C
y gît le mari de cinq femmes;
Soupçonneux, avare Scbiutal,
Tm, I. P 4 II-
344- E P IT A P H E S.
Il les traita toutes fi mal.
Que fi là-bas', ces bonnes Da:nes
Ont un proc39 , ce ne fêta - -'
Sûrement point à qui l'aura. ^ ^'^ \J '
EPITAPHE XIX.
D' U N PARASITE.
\^ Y gît de mémoire gloutone
Sylveftre , qui n'aimoit que les gros Potentats,
Dont la cuifine efl fine Se bonne.
Son aine n'aimera perfonne ,
A préfent qu'elle habite ou l'on ne mange pas.
EPITAPHE XX.
D'UN MARI ET DE SA FEMME,
\_ Aflànt , la rigueur des deftins
A renfermé fous cette lame
Un tendre époux Se fa Femme ,
Et celle de tous fes voilins.
F A-
345
FABLES.
LE SOLEIL ET LES NUAGES.
I A B L E I.
A M. DE LA Tour, Intendant ^ Fremkr
Fréfident du Farlement de Proveîica.
J
A L o u X de la lueur féconde ,
Que répanH en tous V$ux, fur la terre Scdans l'onde.
Le brillant Afîie des Saifons,
Ifes Nuages un jour, contre lui fe ligueren^j
Réfolus d'obfcurcir à jamais Tes rnyons.
Au jour prefcrit en foule ils arrivèrent
Des différentes régions.
Alors dans les hautes campatrnesj
Ces efcndrons épais, s'élevant en montagnes,
formant des Bsftions, des Remparts & des Forts, -
S'entailerent , fe condenfercnt,
Au-devant des raj'ons de leur mieux fe [ilacercnt.
Mais qu'en arriva-t'il ? après tous leurs efforts,
Pour trops'enfler , les uns crevèrent,.
D'autres furent fondus, les autres prompteraent
A bâtons rompus s'échappèrent,
Portés fur les ailes du ve^iti-
S S II-
34^ FABLES.
Illuftre Mâgiftrat, dont le rare mérite.
D'un Emploi fouverain foûtient la dignité.
Qui fçais conformer ta conduite
Alix règles de la probité';
Ton efprit obligeant, humain, dode, c'quitable , .
Doit trouver en tous lieux des cœurs reconnoiflàns.
LA Tour, je t'adrefle ma Fable;
Mieux qu'un autre tu peux en péne'trei le fcns,
LE SOLEIL ET LE MANANT^
(FABLE IL
A M. B 0 N A J\I r, Médscin.
A.
^Fpir?f/ fur fa bêche un Manant dans la plaine ,
Après s'être long-temps au travail exercé ,
Sur le déclin du jour prcnoit un peu d'haleine;
Quand fous un voile épais le foleil cclipfé ,
S'échapant du nuage, à travers la vifiéte
Lui darde btufquement un trait vif de lumière.
Ebloiii des couleurs , dont le mobile éclat
A fes regards errans peint un nouveau combat.
Notre Manant s'ébranle en frotant fa paupière.
Mais élevant fa bêche au devant de fes yeux.
Avec un peu d'efprit, dit-il tout glorieux.
On >vicnt à bout de tout; eh bien mon camarade,
]e défie à préfent, ô bel Aftre des cieux !
1^ tuhifcu foudaine, îc ta fiére boutade.
Cet
FABLES, 347
Cet étroit rempart, le y ois- tu ?
Suffit pour t'offiifquer & te faire bravade.
C'eft ainfi qu'en ce monde il ne faut qu'un fe'tu
four obfcurcit fouvent-ia plus grande vertu.
BONAMV, maître expert dans l'art hippocratique ,
A qui de fes fecrets découvrant les tréfots ,
La profonde Nature explique
Les fluides, les fels & les obfcurs reflbrts ,
t)ont l'enfemble entretient le commerce harmonique
Des humeurs & du fang, & de l'ame & du corps:
De là vient, tu le fçais, la fcène variée
De nos mœurs, nos penchans, Se nos avcifions ;
Scène toujours multipliée
Au grc' de nos complexions.
Toi, qui connois enfin^ombien mon cœur t'eftime ,
Sur cette fable, ami, porte ton jugement;
Mais n'y pourrions-nous pas joindre ce fuplémcnt.
Que de ceux nomme's Grands,ri la fplendeuï opprime
Ceux qu'appelle petits la folle vanité.
Ces petits , d'un brocard dans le public jette ,
Et qui de bouche en bouche en pafiant s'envenime,
Serevenchent fouvent de leur haute fierté?
LES L y! P I N S.
TABLE III.
N-
O u R R 1 de choux & de laitue ,
Un Lapiu par hazard du clnpicr le fauva;
•p 6 Et
348 FABLES,
Et delà courant, arriva
Dans une Garenne touffue.
Là vivoient en tranquilitc
Des Lapins qu'aflembloicnt la concorde & la Joiç,
Rarement le Renard, l'avide Oifeau de proie,
Un Chafll'ur, un Ballet par fon maître excite.
Troublèrent la fércnité
De».iours que, loin du bruit, paflbient nos folitaires;
Solitaires. bénins, mais fans airafifefté,
Sans fophiftique gravité,
r.t fur-tout vivant en bons frères.
Dont, ni l'ambition, ni tant d'autres affaires,.
Ne nuiluent jamais à la fociété.
O fiécle! O mœurs! Qui. Je Communauté,.
Quel Couvent fourniroit des unions pareilles?
Seigneur Clapier, liffé, dodu,
Troprement fur fon dos étendant fes oreilles,.
Ainfi le capuchon d'un Alpine eft rabatu ,
Du Peuple Garennier fut poliment reçu.
Chacun, pour vifiter le charmant inconnu,
Soiîit de fa celuUe, Se vint en diligence
Tirer fon humble révérence.
En lui difant, Soyez le bien venu.-
Mais comme un compliment ne remplit pas la panfe ,
Fùt-il puifé dans Richelet,
On lui fcrvit enfin un plat de Serpolet.
Meffieurs, leur dit l'Externe, en faifant la grimace,
Jeimettez , s'il vous plaîr, que je n'en tâte pas ;
FABLES. 349
J'aime les choux, j'en mange à mes repas;
Faites-en moi fervir de grâce.
Tout de bon f direnr-ihs, de l'entendre furprisj
Ppur Lapin de Garenne ici Ton vous a pxis.
Décampez-au plûrôt de notre folitude
Qu'infeiîte déjà votre odeur;
Comme nous différons de goût 5c d'habitude.
Nous différons fans doute auffi d'humeur.
Que de Clapiers en- ce monde foifonnent,
Qiii pour Lapins de Garenne fc donnent!
Mais, pour ce qu'ils font tous, on les connoît bientôt
A certain air, au premier mot.
LE CHAl^ ET LE SINGE.
FABLE IV.
u.
N gros Matou, fier de fa peau tigte'Cj
Et foi-difant de Raminagrobis
iffii tout droit par fa mère Mitis,
rit amitié matoife & colorée
Avec Bertrand, Singe dans le logis.
Méchante bête, alerte, efpiégle, aftive,
Mortlanttoûjours , & ne pouvant , hormis
Le fufdit chat, fouffrir ame qui vive.
Frère très cher, lui dit le patelin,^
L'amadoiiant avec fon air bénin,
Heuieux Leitrand , je fçais combien l'on t'aime
p 7 DaHS
350 FABLES.
Dans ces lieuï-ci. Si tu veux, tu pouria*
Si bien tramer, que mes jours de carême
Se changeront en jours de Mardi gras.
Il t^eft donné de rôder dans l'Office,
D'y gambader, le tout à ton vouloir.
Attrape-moi quelques liefs du foir,
Lopins de rot j point n'importe aile ou cuillè ,
Et porte-les dans mon petit manoii.
Rempli d'amour pour fon cher camarade ,
îîertrand dérobe; 6c le Maître d'Hôtel,
De s'étonner que pâté , marinade , .
figeon , poulet, decroiflbient d'un lambel.
Après maint tour, que pour fon faux Piladc
Eut fait ncrtrand, cet Orefte nouveau,
X'Ecuyei vient , furprend le larronneau ;
Puis vous le pend haut & cor-t par la queue j
Et vous l'e'trille , ôc fi bien & fi beau ,
Qu'on l'eût oUi crier d'un quart de lieuCi
Pendant qu'ainfi l'on traitoit le fripon ,
Dans l'abondance, à l'écart, le Minon,
Paifiblcment retiré fous les tuiles ,
Frotoit de lard fes babines agiles.
Riant tout bas du pauvre compagnon» '
Qui l'accufoit dans iss plaintes ftérilcs.
Vifer, fans le paroître, à fes feuls intérêts,
Expofer fon ami, l'abandonner après,
Le perdre, s'il le faut, par cent rufes fertiles;
Voilà des amitiés du jour
L'ordinaire & cruel ictour.
LES
F A B LE S. 35-1
LES DEUX CHIENS.
FABLE V.
P
Atira , brave chien , gardoit la baflè-cout.
Sans lui la maifon même auroit cté pillée;
La martre & les voleurs en vain xôdoient autoui;
Sa vigilance redoublée
Ne dormoit que d'un œil. An contraire Médorj
Epagneul délicat , animal inutile ,
Vivoit en fainéant; & fon maître imbécile
L'aimoir, ôcle prifoit au moins fon pefant d'of.
Pâtira pâtiflbit; & jamais la cuiline
K'offroit ^ue du pain noir & des os à fa faim^
Et fouvent M coups de houffine.
Vertement à deflèrt pleuvoient fur fon échine.
L'autre ctoit à gogo , mangeoit du maflepain ,
Des morceaux de poulet, de perdrix, de lapin 3
Et faifoit toujours chère fine.
Si pendant un repas il manquoit d'appétit,
La crainte s'esiparoit des âmes défolces;
Et confitures & gelées
Tiotoicnt pour rétablir la fanté du petit.
Que conclurre de ce récit?
Que, bifarre en fes jeux, fécond© en injuûiccs,
La Fortune fouvent traite avec cruauté
Le Travail & la Probité;
Quand la Licence oifive , au milieu des délices ,
i^age dans l'abondance & la profpéiitéi
LA
352 FABLE S.
LA QJJEUE DU CHEVAL.
FABLE VI.
D
Ans la faifon oîi la neige fonduei
Change en bourbieis profonds & dangereux
Sentiers, chemins; un Procureur d'Evrcux,
pjiand déçus, la volonté tendue
Vers l'intérêt, le plus grand de Tes Dieus,
Alloit fongcant d'exploits litigieux.
Chemin faifant, fon chétif quadrupède,,
A l'étourdie, avec lui dans un creux
S'alla jetter ; de façon que tous deux
Pour eu fortir ne vovoi', nt nul remède.
Un Manant pafle : Hélas, dit-il, à l'aide j
Si du prochain tu prens quelque fouci.
De par Saint Yve , arrache-moi d'ici.-
Le Villageois, fenûble à la mifere.
Pour mieux agir fe met à la légère ,
Prend par la queue & tiie avec effort-
Le Roffinante ( il avoit bonne ferr&).
Il tira -donc; bref il tira il fort.
Qu'à quatre pas il culbuta par terre.
Et que la queue à la mnin lui refta.
Par la douleur la Mazette excitée,
Se travaillant, hors du bourbier faut»*
Le Procureur la voyant écouitée.
Dit qu'il étoit un lourdaut, un brutal.
Et. le loipmade payer fou Cheval.
Le
FABLES. 353
Le paya-t'il? je n'ai point fçû la chofe:
Mais je fçai bien que fouvent on s'expofe
Au repentir, quand on ne connoît pas
Les gens qu'on feit ; le monde efl plein d'ingrats*
LA FILLE DU SERRURIER
ET SON FRERE.
FABLE VII,
Jr I L L E d'un pauvre Serrurier , ,
La Blanchiflèufe Colinette y
Jeune , à la taille fine , & toujours propre & nette »
Sçut donner droit au «sTir d'un opulent Fermier.
Au bout de quelques inois elle alla chez fon pcre.
Couverte de damas, galon fur le foulier,
Et magnifique en tablier.
Ah! dit-elle, en voyant fon frère.
Mon Dieu que Jeannot eft crafleux!
Je le- méconnoiffois ; Quelles mains ! Quelle facel
Comme il eft fait ! Qu'il eft hideux l
Dans la même f.imille ainfi l'un fe décraflè^
L'autre demeure ce qu'il eft,
Et bien-tôt on fe méconnois.
lA-
354 FABLES.
LA FEMME ET LA MOUCHE.
FABLE VIII.
G.
"ROVDEUSE en fon vivant, babillatde fans fin ,
La Marquife Grognac, de chagrine mémoire,
Vit dans fon cabinet comme une tâche noire
Sur fa lobe de blanc fatin
Pcndae à li bergame. A l'inftant elle appelle
Sa chambrière Perronnelle,
Et fon valet François. Qui de vous , grand nigaut.
Ou de vous, lête fans cervelle,
A tâche mon habit? Tous les deux aufli-tôt,
Ce ii'eft ni moi, ni moi. PéConne, repiit-elle?
Perfonne caffe ma vaifïêlle ;
Perfonne ouvre l'office & vient manger le rot;
Perfonne boit mon vin, dérobe ma chandelle;
Perfonne fait ici tout le mal. Et d'aller
Maint bon fouffiet par la mouûache.
Quand, lorgnant de plus près, elle voit s'envoler
Une Mouche; & c'étoit tout juilement la tàcli:.
Maîtres, Régens, Préfets, qui ne pardonnez rien.
Ne puniûez jamais fans y tegaidet bien.
lîîSp^
iW^
LE
FABLES. 335
LE MECONTENT.
FABLE IX.
LJ N de CCS trafiquans qui vont de ville en ville.
Debout vivant i'aurore, étoit par les chemins ;
^ voyant fur l'égail folâtrer les lapins.
Et d'arbufte en arbufte errer la volatile.
Que leur fort, dit-il, eft heureux!
Et que le nôtte eft peu tranquile !
^ quoi fongeoit Je Ciel , qui fait tout pour l'utllCj
IJ'avoii aflcrvi l'homme à cent befoins fâcheux?
Ils n'ont qu'à.fecoiier Je matin leurs oreilles;
Au lieu que tous les jours il faut faire nos lits ,
Nous lever , nous coucher, reprendre nos hubits*
Cependant voilà les merveilles
Dont nous fommes enorgueillis.
Mon Cheval , par exemple , entrant à l'éciuiê
De la première Hôtellerie ^
Sans hennir même trouvera
Son foin au râtelier, fon avoine crible'c»
^Et quelqu'un qui le frotera;
Il n'a point du futur la cervdle troublée i
Faflè les vignes qui pourra.
Après cela nous ôfons dire en(fOn!,
Que nous fommes les Rois des hôies des forêts.
Et de tout ce qu'orgueil a fumommé pécore;
N&ti f ' tien , nous fommes moins leurs Rois que leiûs
■Sujets, -
t. 3>«e /, Pen-
336 F. ALLE S.
Pendant qu'il raifonne, une bufe
Tombe fur un lapin , qu'elle enlevé à l'inftant.
Mais derrière la haie un Chafleur la furprend ,
£tlui tire un coup d'arquebufe.
Notre homme , allantfon train toujours philofophant,
Tiouve un fentier fcabreux qui l'arrêre; il dcfccud
Four monter à pié la colline;
t Oblige' , pour comWe d'ennui ,
De traîner fou Cheval par la bride après lui ,
Quand il fat au fommet , fouftlant , courbant l'échiné.
Je crois pourtant, dit-il, afFourchant fon Cheval,
Qiie de ce fervile animal ,
Propre pour l'homme qui le monte,
Ct des autres qui n'ont quel'inftind pouttout bien,
JLe fort n'eft & ne fut, luivant le ptéfent compte,
Audi commode que Je mien,
o
LES ENFJNS ET L'OSIER,
TABLE X.
l^ N Ofier fe trouva planté dans un Jardio
Des mains de la feule nature;
Les enfans du logis faifoient de fa culture
Leur unique plaifir. Il fera grand demain,
Difoient-ils tous les jours; & des flots d'une Câu pure
Ils l'arrofoient foir & matin.
Quand par hazaid contre «us leur mère foxt aigrie
loui bifcuits, macarons &c idle fueieùe
Qu'i^
FABLE S, 357
Qu'ils âvoient dérobés, rencontra l'arbriflèau,
.Dont elle coupa maint rameau.
Pour dauber Ja pauvre marmaille ,
Qui connut, mais trop tard , aux dépens de fa peau ,
Que fouvcnt contre foi, fans le croire, on travaille,
LE LOUP GOUFERNEUR.
FABLE XI.
X Etits humains,quife plaignent des Grands,
Sont trop heureux de payer les dépens.
Seigneur Lion convoquant fes Provinces,
Nomma Confuls, .gouverneurs, Intcndans,
Diftribua divers départemens.
Suivant l'efptit, & la force & les pinces.
A méfier Loup pour fon lot il échut
L'économat d'une plaine fertile
En francs moutons & fine volatile;
Si que pourtant recommandé lui fut
Que chaque mois, pour dépens &pour gages.
Tant feulement il prît la dixme au vingt,
Afin qu'en cas que famine furvînt,
Gn pût avoir recours à fes villages.
Dans fon diflrid vivoit un Renardeau,
Bon Procureur, furnommé Friponneau,
Friand de gueule, avide de pillages.
358 FABLES.
A donc l'habile & rufé difcoiireur,
S'iatroduîfaat auprès de fa Grandeur,
La peifuade; & fi bien l'endodrine.
Qu'en peu de tems au palais du Prêteur
S'accumuloit rapine fur rapine ;
Tout abondoit ; même dans la cuifine,
îcur la parade, on vit pendre au crochet.
Et fe gâter, brebis, agneau de lait,
Oifon, levraut. La gent qu'on extermine,
Avec raifon, fe plaint, écrit en Cour.
Monfeigneut Loup, appelle pour rc'pondre,
Fait devant lui marcher de bafTc-cour
Baudet chargé , poules qui, chaque jour.
Oeufs de fanté ne nianquoient point à pondre.
Sire, dit-il, ce font tous cabaleurs,
Qui parlent haut, filous, traîtres, voleurs:
Les coqs , les coqs même ont eu l'infolence
De fe vanter que leur chant valeureux
Mettroit en fuite un Lion devant eux.
Sur ce rapport, appuyé d'impudence.
Les pauvres gens font condamnés aux frais
Sans être oiiis : Et la Juftice après
Leur. fait fçavoir, que le moindre reprocIiC
Etant contre eux fait en Cour déformais.
Sans autre forme ils iroient à la broche.
Et le Pfêteur, fon arrêt dans fa poche.
Revint vainqueur , avec permiflïon
De les croquer tout à difcrction.
LE
FABLES. 359
LE FLEURISTE ET LES CURIEUX.
FABLE XII.
L
A Fontaine l'a dit, eft bien fou du cerveau.
Qui prétend contenter tout le monde & fon peie.
Sans me flater d'atteindre à la touche légère.
Aux grâces, aux accords de fon riant pinceau.
Je repréfente, à ma manière,
La même vérité dans un autre tableau.
Qui fe peuple d'aâeurs d'un divers caraflere.
Dans TElope François, c'eft pour le fentiment.
Ici c'eft pour le goût,,|ne l'on peut voir comment
En ce monde chacun l'un de l'autre diffère.
Un Fleurifte faifoit fon unique plaifir
D'un Parterre enrichi des larmes de l'Aurore,
Embelli des regards de Cloiis 6c de Flore,
Mollement careffé des ailes du Zéphir.
Uombre de curieux s'en vinrent à la file
Voir les beautés de ce riant afyle.
L'un dit, O la charmante fleur!
L'autre , ]e ne vois pas fur quoi l'on fe récrie,
Qu'a-t'elle de fi beau? Moi, j'aime la coulent
De celle-ci ; moi , je hais fon odeur.
Après quoi du parterre on fuit la fimétrie.
Chacun félon fon goût parla.
Ici l'on admiroit, on defaprouvoit là.
L'un loiioit k gafoji , l'autre la broderie.
l'un
3(5o FABLES. '
L'un vouloir un triangle oii l'on fit un quatre;
iSuivant l'autre, un ovaie eût bien mieux figuré.
Le Fleurifle attentif, /ufqu'alors bouche clofe.
Leur dit: Ainfi , Meffieurs , ce qiii ne plaît à l'uA
Plaît à l'autre; & <lii bon tel eit le fort commun,
De n'avoir rien en foi, quoique d'ailleurs on glofe.
Qui ne foit du goût de quelqu'un.
Car qu'un tout, compofe' de diverfes parties,
faites par la nature, & par l'homme aflbrties,
Puifle à tous & par-tout plaire dans le de'tail ;
En quel tems, en quel lieu fut-il jamais perfcrnne.
Quelque mérite qu'on lui donne,
Dont un fuccès pareil couronna le travail ?
LES RATS ET LE NAVIRE.
FABLE XIII.
X_yA folitude a tant d'appas.
Quand chez elle la vie, exempte d'embarras.
Trouve pour chaque jour fa reflburce aflurée >
Solitude, pourquoi ne te cherche-t'on pas,
Au-lieu d'aller courant de contrée en contrée!
: Ol fi les Dieux m'avoient donné
Le peu qui m'eût fuffi pourn'être qu'à moi-même}
Dépendant de moi feul Se de celle que j'aime.
Je ne changerois pas cet état fortuné.
Pour les biillans d'un diadème!
Je ne vous aurois point quitte',
Ri.
FABLES. 3^1
Rivage, qui m'avez vu naître.
Peu curieux de me faire connoître ;
Une aimable fociété ,
Oii fans ambition, fans folle vanité,
Chacun n'eft que ce qu'il doit être ,
Eût fait toute ma joie & ma félicite'.
Dans le fond d'un VaifTeau vivoit en république
Un peuple de gros Rats, ils dormoient tout le jourj
Mangeoient toute la nuit: Tel eft certain féjour,
Que décrit Rabelais dans l'on Oeuvre gothique.
On n'avoit point encor la prudente pratique
De joindre, en navigeant, au rôle des marins.
Les mortels ennemis de la gent famélique,
Pirate des greniers, peftc des migafins.
Tranquileraent éparsKans cette fombrecage.
Nos Rats,ruivant leurs goûts, s'adrelïoient tout de go j
L'un au ris, & l'autre au fromage;
Enfin pour faire court, ils vivoient à gogo,
A la barbe de l'équipage.
MaiSjhélas ! dans ce monde on n'efl jamais content J
Ils s'enimyoient de cette vie.
Un jour Grifemouftache, orateur irajioitant.
Et renommé pour fon génie.
Les ayant alTemblés; Cette trifte patrie,
Compagnons,Ieurdit il,n'eft qu'un tombeau flotant;
Nos pères y font morts de trillcfle, & fans gloire.
L'inflexible Atropos nous en réferve autant.
Le mien m'a fait de fon hiftoire
Ce précis, à jamais gravé dans ma me'moire;
Champêtre citoyen d'un abondant grenier,
Tom. I. Q_ X. „c
3^2 FABLES.
Une femme inquiète, alerte en fon ménage.
Me fie fuivre en fureur, pour un tour du métier.
Par tous les chats du voifinage.
Je m'échapai jufqu'au rivage.
D'où courant je grimpai fur le bord d'im VaiiTcau.
Qiielques amis me villterent
D.'ins mon domicile nouveau;
Et fans crainte d'Eole, au caprice de l'eau.
Argonautes vaillans, avec moi s'expoferent.
Combien chacun de nous s'eft depuis repenti
D'avoir pris ce fr.tal parti ?
Si tu voyois, mon fils, le gafon, la Terdure,
Le vif email des fleurs, les vergers, la moiffon;
Enfin tout ce que la nature '
Etale dans chaque faifoni
Si dans ces jours charmans tu goûtois les délices
J)e joiiir du grand air Se de la liberté;
Et pour le bien de ta fanté,
De faire, exempt d'ennui, difFcrens exercices.
Comme d'aller par fois des champs à la cité,
Yifiter un ami qui nous fait large chère
De fins morceaux de ror, qui ne lui courent guère...
Là, voyant que ma plainte alloit prendre fon cours.
Ces mots fcntentieux finirent fon difcours.
„ Nous fommes dèftinés à l'état folitaire ,
„ Banniflbns aujourd'hui des regrets fuperflus;
,, Mon fiiSjle feul remède aux maux qui n'en ont plu*,
,, C'eft de fouffiir & de fe taire.
Cependant, ajoute l'orateur, feu mon père,
Quoiqu'il eût de l'efprit en mainte occafion ,
, Soif
FABLES. 363
Soitentte nous, Meflîeurs, dit arec révérence ,
N'y faifoit pas attention.
Et ne raifonnoit point en Rat d'expe'rience.
Se fauver de ces lieux , oîi l'on eft confiné ,
Eft plus facile qu'on ne penfe.
Amis, le Ciel nous a donne
Des griffes & des dents, raettons-Jes en ufage^
Travaillons de concert, perçons ce mur de bois,
L'ivis fut approuve d'une commune voix,
La troupe avec ardeur exécute l'ouvrage :
Mais ce fut à fon dam. L'eau trouvant un pailàge
Au travers de cent trous, le Navire coula
Au fond de la mer; Se voilà
Tous nos ouvriers à la nage.
La terre par malheur étoit trop loin de là»
> Aucun n'évita fc naufrage.
Joiiet d'un efpoir incertain,
■ L'un court après un Bénéfice,
La fièvre l'arrête en chemin ;
L'autre, loin du féjour ou le Ciel le fit naître »
Amoureux de Paris, à la Cour veut paroître,
La difgrace l'y trouve, il y meurt de chagrin.
<Lî VHOM-
v^
S54 FABLES.
L HO MME, LA MOUCHE ET
L'ARA IGNE' £,
FABLE ï I V.
u.
Ne Mouche de peur ctoit morteà n-.oitic,
Dans ia toile avec art par Arachns tendue.
Qoelqu'un l'nppeicevant , fe Tentic l'amc craue.
Et des cruels filets la tira par pitié.
Des qu'à la liberté Madame fut rendue,
La voiîà tout en bourdonnanr,
Comme fi la viékoire à fa force étoit due,
Q^ii d'un vol orgueilleux tou^:aj:t & retournant.
Se jette fur la viande au crochet fufpendue.
Son bienfaiteur la fuit, elle echapç à fa vue,
Et'puis la voilà revenue.
Il la chafTe vingt fois du vent de fon chapeau;
Mais du coin qu'elle attaque à peine elle cil fortie,
Qje l'ingrate à fes yeux fe montre de nouveau.
Sans daigner fe refoudre à quitter la partie.
Ahl fi jamais, dit-il, en faifant tes cent tours.
Ta tombes dans les rets de l'habile Araignée,
Ne compte plus d'être épargnée.
En m'appcllant à ton fecours.
L E
FABLES. :,6s
LE BLANC ET LE NOIR.
FABLE XV.
.L/ A malice eft fouvent la dupe de fon- arr.
Le Noir difoit au Blanc, fur un ton goguenaid,.
Innocente couleur, tu riie parois bien fieie
De ton p-etit éclat, préfent de la lumière.
Mais-je veux t'ofFufquer: attends, ?<tuva$ voirv
Qu'airiva-t'il de fon ouvrage?
Il en parut encor plus noir;
Et Tautre en brilla davantage,
L\A I G L E E T L A P I E^
FABLE XVr.
I y E Monarque régnant fur la gent à plumage,,
Voulut choilir un Précepteur
A fon fils, bel Aiglon, déjà de certain âge»
Les plus Iiabiles du bocage,
Bevant fa Majefté difputant cet honneur,
La Pie en ce concours remporta Tavantage.
Je poflede , dit-elle , Se fçais même par cœur
Les fept Arts, & bien davantage.
Le grand Albert qu'on vante au plus lointain rivage,.
I Soit dit fans vanité, car je fuis humble & fage,
1 • Q>J > N'eAt
%(>6 FABLE S.
N'eût ëtc près de moi qu'an petit c'colier.
Et pour prouver fon dire avec plus d'étalage.
Elle récita maint paflage.
Cet Oifeau chez un Savetier
Avoit été jadis en cage.
Ce ce qu'on apprend jeune, on fe fouTicnt longtems», i
Là de jurer à tous inûans>
Il avoit fait rapprcntiflàge.
Sur fes espreffions de foldatefque ufage,
L'Aigle fit à la Pie une admonition.
Devant mon fils, dit-il , ne tiens plus ce langage,
£c mets à t'obferver un peu d'attention.
Mais à lui voler du fromage
Le joue fuivant il, h furprit»
Ohî pour le coup, dit-il, tu m'outres de dépit, '
Toi, les fcpt Arts, fans plus attendre,
Sortez tous de ma Cour, oîi je vous ferai pendre» |
De qui n'a point de mœurs je méprife l'efprit. j
L ALOUETTE DEVENUE VEUFE.
FABLE XVII.
\J Ne Alouette aimable, jeune 8c face.
Et veuve depuis quelques jours,
Vivoit loin du tumulte & du bruit du bocage;
Quand un Oifeau fringant, dans fon tendre ramage,
Vi«t lui parler de fes anvours.
L'»b-
FABLES. 367
L'objet en étoit pur , c'étoit de mariage.
Votre chant, lui dit-elle, cft doux & gracieux,
Vous êtes joli de corfage ;
Mais laiffez-nioi dans mon vcava;;c ;
Pour une autre gardez vos fons mélodieux.
J'ai pu perdre une fois ma liberté chérie ,
Ou pour fuivre l'exemple, ou par une autre envie;
Mais puifque je retrouve un bien fi précieux,
C'eft pour le refte de ma vie.
L'ECREFJSSE ET SA FILLE. '
FABLE XVIII.
\^ 'Etoit un jour d'Eté, qu'une jeune Ecrcvifiê,
Sotte pour fon âge, ôc novice,
Apperçut, allongeant le nez hois de fon trou,
Eclater dans un plat dames de fon efpéce ,
Se côtoyant en rond d'un air de gentillcilè.
Tircis au bord de l'onde, amoureux, prefque fow,
Le ce cadeau vermeil régaioit fa maîtrelTe.
L'Ecrevifle auffi-tôt, avec raviflement,
Dit , appellant fa merc: Approchez doucement.
Et vous verrez mes fœurs parées
D'un louge & noble habillement;
C'eft écarlatte fine; apprenez-moi vraiment
Oii l'on vend ces belles livre'es.
La bonne, à reculons s'avanjant, répondit;
3(58 FABLES.
Que ton fcns eft petit!
le brillant cjui te /lite, eft d'un fi noir prcTage,
Que pour en teindre Ion corfage.
Il faut avoir rendu l'elprir.
]e ne reux point ici doiier la Teftacce , (*)
D'ame immortelle Si de penfe'e;
Mais la Fable en fes jeux met tout à l'unifTon;
Et fans tirer à confe'quence,
Quelquefois au nom propre ajoutant un furnom,
Fait parler avec éloquence
Mâtic're, oifeau, ferpent, quadrupède, poinbn.
L'Ectevifle ne peut rendre refprit fans doute,
C'eft façon de conter. Mais il eft force gens,
Vêtus d'habits pompeux, fous la ce'lefte voûte:
( Et je vois tous les jours nor^^re de ces pimpans;
Efpèce rare, à les entendre)
Qui n'auroient point d'efprit à rendre.
Si l'on faifoit comparaifon
De rinllinii de la brute à leur foiblc raifon,
Moralifons encor: Fafle & magnificence
Ne peuvent ebloiiir que les cœurs infenfés ;
Au-Iieu que tout homme qui penfe.
Se rit de 1?. folle efpérance
Qui les tient dans fes nœuds toûjouis embartafTe's;
LE
(*) Nos Naturaliftes donnent ce nom «ux Poiûbos à coquille.
■KÎF
Fables. 3^9
LE MOINEAU ET LA FAUl^ETTE.
FABLE Xlî..
I E ne parlerai point de nos amours, FauYette^
Lui difoit un Moineau. La belle etoir jeunette;.
Elle crut fes fermens, avec lui s'espofa,
Et fous la verte épine écouta fa fleurette.
Le trompeur n'en dit mot, mais il la méprifa:.':
Plus n'eût fait fa langue indifcrette.
Le chien q^ui Tourne i,.\ broch*.
FABLE XX.
Q.
Uoi! dans ma tournante raachinff"^
Sifiphe impatient, malheureux Ixion,
Il faut donc que je fois toujours en ailion,
Sufpendu dans une cuifine,.
Très du feu, dans le mois de Juin,,
Ardent voyageur qui chemine
Sans jamais avancer chemin ?
Pour qui, dans ces travaux, tracaflai-je ma vie?*'
four vous , cruels humains , amis de gloutannie^
Dent les creux eAomacs deviennent les tombeau»
De mille innocens animaux.
Eh! «^ue me revient-il de ma peine infinie-?.
370 FABLE S,
Hélas! prefque tien; quelques os.
Que me difputent mes confrères.
Qui, joiiiflànt d'un doux repos,
Partagent avec moi le fruit de mes miferei.
C'eft ainfi qu'en foi-même, accufant le deftin,
Laiidon tournebroche exprimoit fon chagrin.
Jl vous enveloppoit dans fa plainte commune.
Laboureurs , qui des champs que vous enfemencez >
Kapportez le plus clair à la taille importune,
£t vous petits Commis, vagabons, harraflës.
Qui par monts & par vaux pourfuivez la fortune.
Jour des patrons oififs que vous enrichilTez.
LÀ BOUILLIE,LE,DOGUE, LES
CHATONS.
FABLE XXI.
_L I1.LEK, voler adroitement,
'■ Ufage univerfellcment
Reçu fur la terre & fur l'onde ,
Tu dureras , tant que le monde
Aura pour fon lambris l'ctoilé firmament.
Comment pourroient faire autrement
Tant de gens, dont Paris abonde,
Qui mangent trois & quatre fois
Plus que n'aporrent leurs emplois ?
Eh ! qui ne connoît point tel que fon Diable prefle,
Qiii pour ua fia louper fait avec fa Maitreflè,
FABLES, 371
®e fes ftpointemens de'penfe fix bons mois. , i
Et le refte du temps , comment vivre ? l'oa pi!Ie,
Eh qui donc? le demandez-vous?.
Le Prince, Je Peuile, nous tous. ■
Et voilà comme l'homme brille,
A fa barbe des Dieux trop lents dans leur courroux.
La BoiiilJie hors du feu, fur fa bafe pofe'e,
AttendoJt la Servante en fe refroidiflant, .
La fottc sétoic amufée.
Un Dogue arrive cependant,
Qiii vous lappe en trois coups toute la bnflTnce ;
If puis avec un air prude, honnête & difcrer.
Se retire à l'écart, comme s'il n'eût rien fait.
Deux Chats adolefcens, qui de la cheminée,
Avoient, du coin de ^oeil , obfervé le repas.
Crurent qu'ils pouvoient bien prendre part à Taubeii.*
Et profiter des reliquats ,
La pnnfe du dogue étant pleine.
S'étant donc à leur tour apiochés du bafTiii ,
Ils lêcboient fur le bord- quelque goûte écliap,;e
A l'avidité du matin,
Et tâchoient d'arracher quelque peu dcgstln.
Le Maître, l'oreille occupée
Du bruit aigu que font leurs langues fur l'aitain j
Vient voir ce qu'il entend du cabinet prochain.
Oh! je vous prends h 1r pipée ,
Dit-il, beaux petits Nouriflbns;
Tour TOtre .âge, raa foi, vous êtes, m.eï MlgnoHS-
lien fournis d'eftomacs, vous aviez, male-^jefle ,
Encoie 4u legret au refte.
'l Ttm. L Q^s Ta-
37î^ FABLES.
Ripons dès le berceau! quels Jolis rudimens?
Q.ie l'on me jette à la ttviére
Cette race de garnemens;
On ne peut trop tôt s'en défaire.
Dans ce monde , peuple de voleurs diiFérens,
"Lct Petits tous les jours pâtiflcnt pour les Grand».
FABLE XXII.
LE LION , À qui l'on arrache une dait ,
A M. le Comte DE CORNULIER DU
VERNIT.
De rjcadémie Royale de^ Sciences £? BelleS'
Lettre! d Angers.
CORNULiF.R , dont mon cœur aime le caur fin»
cère ,
Ce cœur folide qui préfère
A la pompe des Cours le plaifir d'être à foi ,
Xis ces Vers, tu verras dans leur allégorie,
Qiie fur l'ambition, les Grans , la flatcrie,
je me fais gloire, ami, de pcnfer comme toi.
Quand on vent obliger: on doit entr'autre chofe,
Avec ce qu'on promet, voir à <]Uoi l'on s'expofe.
Haut & puiffant Seigneur un Lion radoutc
Regnoit fur un lointain rivtge;
D'un cruel mal de dents il ctoit tourmente';
Retiré jour & nuit dans fon antre fauvaje,
Rugiflant , l'œil <n feu , de fureur ttanfporté ,
Secouant fa «inière hoixiblCj
FABLES. 373
Il fe battoit les flancs, & fa voix terrible, i,i»
Dans les redoublemens de fes fougueux accès.
Il e'frayoit l'écho des monts ôc des forêts.
Les divers animaux, (]us fous fon fîer domaine
Par la Loi du plus fort il avoir pour fujets,
N'ôfant point e'iever leur plainte trifte & vaine,
Par d'humides regards & des geftes difcrets.
Autour de lui ranges, prenoient part à fa peine.
Le Singe & le Renard, opérateurs fubtils.
Renommé Capperon , célèbre Carmeline
Arrivent à fa cour. Sire, lui difent-ils.
Ayant vu de fon mal le fiége & l'origine.
Un fang noir & boUillant, bu par avidité.
De fa béniene majefté
A corrompu la dent jufques dans la racine;
Mais de fon râtelier fe trouvant au milieu,
* Q^jand l'inftruraent l'aura tirée ,
Sa belle Se noble gueule en fera déparée.
Il n'cft d'autre fecret que de mettre en fon lieu
La dent d'un animal en vie.
On croit qu'il n'eft pcrfonne ici,
à gui
Un tel honneur ne faflè envie.
L'honncureftbel&bon,quaid il coûte thoins cher.
Dit en foi chacun , à fan air ,
AufÏÏ-bien qu'à fon froid fileuce ,
Se renvoyant la préférence.
Et prifant de fon râtelier
La faine & libre jouiiTance I
Plus qu'un emploi de chancelief.
Tm.I, Ci. 7 Aw-
374 FABLE &.
Aucun ne difant met; un Afnô bonne bête.
Et cjui ne fçipoit rien de rien ,
S'imaginant déjà que fa foitunç eft faite.
Vient biavement offrir le iien.
Au-deffus du Renard , piife pour la fouplefie ,
Le' singe fut choifi pour ce beau tour d'adrefle.
La dertt du Lion faute après quelque douleur ,
Qj^ioiqu'cût alFuré l'arracheur
Qu'on n'en fentiroit rien. G'eû le ftile ordinaire,,
^lentir éft du métier, fur-tout de celui-ci.
Dans les autres rae'tiers aufll
Vendroiton fon droguet, fi l'on e'toit finccreî
En ouvrage enfin l'on fe met,
Pour remplacer la dent du Sire ,
Notre Smge d'abord en tire ur'îau Bau(îet;
Elle eft trop étroite , il en tire
Une autte ; elle eft trop large : une autre ; fa rondeur ,.
Sa petitefle , fa longueur,
Alloitmal, fortoit trop, flottoir djns l'alvéole.
Le 'Baudet crie au meurtre, & pour mille quinraux
D'avoine, ou de chardons nouveaux,
Eut vonlii , mais en vain , dégager fa parole.
11 n'en étoit plus temps, le mot ctoit lâché.
Une dent fuit une autre; 8c quoiqu'il fe défole,
Par trois]' forts compagnons de branler empêché y
Tant & tant en fut arraché ,
Qu'il n'en refta pas une feu'c ;
Mais nulle ne convint Le Monarque cbrèché
^e ledrefle, & lui dit, horriblement fâché,
Coquin: qui n'avois dans ta gueule
ïas une dent qu'on put aux miennes aflbrtir.
On
FABLES, 375
On me l'avoit bien dit, & j'ai fçii le fentir
Qaetun'es qu'un butor, qui veux t'en faire accroire.
Je ne fçais, pour te bien payer,
Qui me retient, Maraut, qu'après ton ratclict
Je ne te faiTe encore arracher la mâchoire.
Aprentis Courtifans, profitez de ceci :
La bonne volonté fe rc'compenfe ainfi,
Sur-tout auprès des Grans,quand la chofe qu'on tentC}.
Au gré de leur fuperbe attente
Par malheur n'a point réuflî.
LE SINGE ET LE MIROIR.
F A B J- E XXIII.
u.
N Singe ayant trouve fous fa pâte un Miroir^
Ce fanfaron , que la Nature
rit aflcz curieux, s'arrêta pour y voir
Comment il avoit la figure ;
Mais en voyant fon mufle noir.
Son front ridé, fa mine grimacière.
Ses petits yeux, & fon menton pointu,
Enfin tout fon individu,
Aufiltôt fumant de colère.
Qui m'empêche, infolent, dit-il,
De te mettre en cent & cent pièces ?
CL'eft à quelque vivant , novice & moins fubtil y
Aux Badauts des autres efpèces
Que tu peux t'adielTer,, & leur joiier des pie'ccs.
JVIais
^j6 FABLES.
Mais a moi ? ventrebJeu. . . . Seigneur Beitiaud, tour
beau,
Dit le Miroir d'un ton tranquile ,
Ne vous éi.haufez pas la bile,
Et ménagez votre petit cerveau.
Je ne fuis point flateur, ami, je repréfente
Les chofes tout au naturel ;
Qu'on s'en fâche, ou qu'on s'en content&f
Si vous étiez gentil, chez moi vous feriez tel.
Q^ie cet Epagneul, par exemple.
Plus aimable que vous Sx. de mine & d'humeur,,
Dans ma glace un peu fe contemple,.
Il dira fi je fuis nienteur.
Il s'y verra coëffé d'une paire charmante
D'oieilles faites au pinceau;
Et vêtu , fans parler de fou ioiî mufeau ,
D'une robe de foye avec grâce flotante.
J»lais enfin je ne puis, diiflîez-vous me biifet^ ;
Faire un Adonis d'un Therfite.
Sur un mérite en l'air on aime à s'abufer,.
Et nul n'en croit avoir une doze petite;
2>Iais qui veut qu'on le fiate, avec grand foin m'e'vitc,.
Ainfi fous diverfes couleurs,
L'ingénieufe Comédie
Sans aflfedation copie
De l'homme en ge'néral, les défauts & les raocurî»
Son fel réjouiflant, fa morale ingénue,
îlait à l'efprit, l'émeut, l'inftruit à chaque trait,
Et, fans qu'elle ait perfonne en vue,.
Chacun y trouve fon portrait.
F Ar
FABLES, 377
FABLE XXIV.
LE FAON, LE DINDON, ET LA
POULETTE.
D
E fa fupeibe queue étalant k beauté'.
Un Paon faifoit la roue: un gros Dinde à côté
L'iiuitoit gravement. Le premier dit à l'autre >
Je vous trouve ma foi plaifant,
Quand je vous vois vous enorgueillir tant
D'un plumage comme le vôtre.
Mon beau Monfieur! eh pourquoi non?
N'ai-je pas , j|cpond le Dindon
Une loutane magnifique?
Sans doute, & fa livrée eft aelle de Pluton,
Lui repart, l'Oifeau de Junon,
Commentjdit l'Oifeau noir,qui fe gourme & fe pIquc^-
Médecins renommés, Magiftrats fouvera-ns,
5ont comme moi vêtus, & peut-être audi vains,.
Dit, en l'interrompant, une Poulette vive.
Qui prêtoit à leur entretien ,
Sans en faire femblant, une oreille attentive.
Fanchon , lui dit le Paon, relevant fon maintien.
Vous avez décide' fi jullement, Maraie,
Que vous mériteriez place à l'Académie
Pour ce foui trait d'efprit ; mais regardez-moi Iiien^
Pourdiit- il, fe tournant, déployant fcs richeflès,
Le ciel a fur ma queue épuifé fes largcfles.
378 FABLES.
3'ai tous les yeux d'Argus. Je n'en difconvienspas,
Dit-elîe en fouriant, Marquis de Carabas:
Le mal cft , félon moi , que tu les as derrière ,
Comme les ont tant d'autres fats.
Mais fi le bîuit qui court, eft un bruit ve'iidiqac ,
Tu joins à ta beauté le mérite du chant;
Toi, qui fçais pour le fexe être fi complaifant,
Redis-moi donc un peu ton éloge en mufique.
Il m'en paroitra plus charmant.
Le Dindon y revenché par ce trait fatirique ,
Tout Dindon qu'il étoit, en rit malignement,
Mais étonné du compliment,
Le Paon baifle la queue ; & fermant fa boutique,
Il allonge un pas lent, & va ttifte &c capot
Se cacher dans un coin fans repliquei un mot.
r
La ticheflè, qu'e'tale une arrogance extrême,
Eft comme la naiflanca un effet du hazaid ;
La feule gloire ou l'homme ait part,
C'eft celle des talens qu'il fe doit à lui-même.
PABLE XXV.
LA FAUVETTE ET LES OISEAUX
JALOUX,
A M. B O U R N * *.
Célèbre Chirurgien à Nantes.
D
E S oifeaux négligeoient l'étude du ramage
Foui le ioiili: ftéùle & fes amufemens,
(Ain-
FABLES. 37f>
( Ainfl font la plupart de ca honnêtes gens
Qu'un certain célibat.... mais , Mufe, foyez C:igQi
Ne marchez pas pies nus fur des charbons ardens )
Un jour que ces oifeaux prenoient leur paflètems.
Ils rencontrèrent fous l'ombrage
Une Fauvette habile à former d'heureux fons.
Charmés de fon joli ramage.
Ces petits cœurs pourtant fe laiffcrent piquer
Aux traits noirs que contre eux lança la jaloulle,
£t de l'aimable me'lodie,
Aigrement, auhazard, on les vit fe moquer.
Va l\ofl]gnoI , préfent à cette comédie , j
Leur dit; Amis, vous dénigrer
Cette Fauvette enchanterefîe ,
Que dans l'ame vous admirez;
L'unique clitgrin qui vous predê ,
yous voulez, mais en vain vous le diflimulcrj
C'eft de ne pouvoir l'égaler.
Eh! ne deviez-vous pas comprendre
Que notre Confraternité
Participe à l'honneur, qu'un feul a mérité?
Trofitcz avec moi du plaifir de l'entendre.
Et réformez vos tons fur des accens fi doux :
Il eft honteux d'être jaloux,
Mais il eft glorieux d'apprendre.
Dans cette allégorie , où j'exprime pour toi
Ma gratitude légitime.
Célèbre Boum'*, reçoi
Ce v.iai tribut de mon eûime.
VERS
38a
VERS
A M. DE M O RIN A Y,
Gentilhomme Oïdinatre de la Chaïubie du Roi»
iJ ^S' b" charmant Mortel , dont la. P,hHofcphii
Confervc fon air pur &■ /*« aménité
At* milieu des douceurs d'une agréable vie ^
Oh,/aK% crg'ùiil ^ far.% envie f
£t de toute vertu Parti/an refpiUê ^
*Tu paffes les beaux Jours que la. Parque ttfiUt
Toi y dint la charité fertile ^
A l'indigent perféiuti'
AJfUre dans fes bras un fulutaire afylt
Comme dans /es heureux rameaux.^
Un arbre étalant fon feuillage y -
Préfente y à l'abri de Forage y
Une douce retraite aux innocent oifeaux.
Cher Parent y lis ces F'irs , que dans ma folituie y
Les vertus y approuvant ma poétique étude f
Ont di&és à mon eœur , amoureux du vrai bien ;
Ceji un hommage légitime.
Que dtit à la nobltffe , à la bonté du tien ^
La vive amitié qui m'anime^
«r%
CAS*
CANTATES.
Sur la Naiflance
DE MONSEIGNEUR LE DUC DE
BOURGOGNE.
CANTATE I.
_r II LE s de Jupiter, ingénieiifes Fc'cs,
Nymphes qui préfidez fur le facré Coteau,
Animez da feu le plus beau
Vos Amphions 8c vos Orphe'es.
Célébrez ce' grand [onr, où nos vœux accomplis
Ont vu fur ce rivage édore. un nouveau Ljs.
Prinrefle, que l'Amour engage
Au fils d'un Roi toujours vainqueur.
Par un tendre & précieux gage
Vous couronnez fa vive ardeur,
Et
382 C A N T A T ES.
Et le Ciel par ce témoignage
Vient affermir notre bonheur.
Et vous Reine , ô chafle Cybèîe ,
Contemplez- vous dans vos enfansj
Comme une Rofe aimable St belle.
Du haut de fes' rameaux brillans ,
Voit s'épanoLiir autour d'elle,
£t naître des boutons chacmans.
- Ptincefle que l'amour engage &c.
Les temps font arrive's, l'avenir fe dévoile,
Le livre du Deflin eft ouvert à mes yeux ;
Né d'un divin Soleil , un Soleil radieux
Enfante une brillante Etoile,
Dont l'éclat éb'oiiit Se la tene & les cieur.
Tous les Aftres leur font hommage,
La Nature obéit à leurs fupremes loix.
Le Printemps éternel, les jours du premier âge
Reviennent encore une fois.
Naiflfez , Bourbons , croiflez, augufte Race,
Et ii.ontrez - vous digne de vos ayeux ;
Les imiter & marcher fur leur trace,
C'eft imiter , c'eft égaler les Dieux.
Rameaux, iflîîs d'une tige féconde
Etendez-vous en cent climats divers:
Que triomphans fur la terre & fur l'onde
Lés feu's Bourbons régnent dans l'Univers.
Kaiflèz, Bourbons, &c.
Sut !
CANTATES. 383
5iui le front de Louis, ce Monarque adorable,
Aulïï vaillant que Mars, aiiffi beau que l'Amour,
Ls doux Flaifir répand un calme inaltérable;
Du fils de Ton Dauphin dans un tumulte aimable»
Le nom fait retemir fa Cour.
Que de feux allumés! le falpètre raifonne,
Cent chifres enflammés, que la gloire couronne.
Voltigent tracés dans les airs.
La naît s'arrête, admire, un nouveau jour l'étonue.
Et ftir fon char d'azur la fuperbe Thétis,
Voguant en paix au gré de l'onde,
Aprcnd que le Deflin fait renaître fon fils.
Du ûng du plus grand Roi du. monde*
La paix lamene en tous lieux l'abondance.
Enfin lf| Dieux
Ont exaucé nos vœux.
Afmables cœurs , Epoux chers à la France,.
Vous afluicz fa plus douce efpérancej
Son fort heureux
£ft le fruit de vos jeux.
Jeunos Amours,, volezi d'une aile agile;;
Tendres plaifirs,
Secondez nos defir^.
Régnez, Amours, la France eft votre afficj
Yolea, plaiiïrs, ici tout eA tranquile.
Les feuls Zéphirs,
Y pouffent dc$ foupks»
La Faix tamene en tous lieux l'abondance Sec.-
3S4 CANTATES,
HERCULE ET OMPHALE.
C.A N T A T E II. '
Xy'UNivERS, délivré de cent monftres terribles.
Dans l'indomptable Hercule admiroit le héros,
Dont les exploits & les travaux
Lui faifoient efpérer les biens fûrs & paifibles ,
Qu'offre après les combats l'agréable lepos.
Des Cieus la mafle chancelante
En lui trouve un fécond Atlas }
Les géants, faifis d'épouvante.
Tombent éciafés fous Ton bias.
Drngons, Serpens, remparts, muraiUcs,
Tout cède à fes moindres efforts;
La terre , à travers fes entrailles,
Le voit franchir les fombres bords.
Des Cieux la maflè chancelante
En lui trouve un fécond Atlas;
Les géants,, faifis d'épouvante.
Tombent écrafcs fous fon bras.
Pendant qu'accumulant conquête fur conquête.
Semant par-tout l'éclat de fon nom glorieux.
Du tonnant Jupiterle fils ambitieux
De nouveaux lauriers ceint fa tête,
Que lui feiil il fc croir plus fort que tous les D'ivjt.
CANTATES, 385
■Il voit Omphale; & fa défaite
Eft l'ouviage de deux beaux yeux.
L'aimable jeuneffe ,
La feinte douceur,
La délicateïïe,
Le foûris trompeur ,
ta molle langueur.
Joignent leur adieflê
Tour charmer fon cœur;
Lui-même il fe laifle
£n proie au vainqueur.
11 s'enyvre à longs traits du poifon qui le tue;
Le traître Amour, fur lui fecoiiant fon flambeau.
Avec un ris amer luijvole fa mafliie;
Et, pour comble d'infuite à fa valeur vaincue.
Met dans fes nobles mains un indigne fufeau.
Très d'Omphale occupé d'un travail ridicule.
Il foûpire, il gémit: interdit & confus ,
Il cherche dans le tendre Hercule ,
Le grand, le fier Hercule, & ne le trouve plus.
En vain, guerriers magnanimes 5
Vous vantez vos actions ,
Si vos courages fublimes
Sont foumis_aux pafïîons.
C'eft des plus illuftres âmes
Qu'Amour cherche à triompher.
Malheur au cœur que fes flammes
Ont la force d'échauff'ei;!
38(5 CANTATES.
En vain, guerriers magnanimes.
Vous vantez vos avions ,
Si vos courages fublimes
Sont fournis aux paflîons.
n I P E R M N E S r R E.
CANTATE m.
JL* Il LE S, cruellement fidelles
A leur père aveuglé d'un perfide courroux.
Les Danaïdes criminelles
Dans les bras du fommeil immoloient leurs époux.
La feule Amante r*"; Lince'e
Ecoutoit fon amour, & confuitoit fa loi;
Mais Danaiis vengeur, s'offiant à fa penfée.
En excitant fon bras, la rempliffoit d'effroi.
, Pour moi, pour mes fœurs, au Tartarô
■ L'Hymen alluma-t'il fes feux?
Qu'a fait mon époux, fort barbare,
Q.iii mérita un trépas affreux ?
Soleil, demeure au fein de l'onde.
Frémis d'éclairer nos forfaits ;
Epargne ce fpeclacle au monde.
Eteins tes rayons peur jamais.
Tour moi, pour mes fœurs, au Tartare
L'Hymen alluma-t'il fes feux?
CANTATES. 387
Qii'a fait mon époux, fort barbare.
Qui mérite un trépas affreux ? ^
Sa main, pour Je percer, trois fois eft fufpendue.
Trois fois ne fçachant oîi frapper.
Sa main, d'elle-même abbatue,
Laifle le poignard échapper.
Pâle, tremblante, irréfoluc.
Retombant fur fon lit, qu'elle arrofe de pleurs.
Elle adiefle ces mots à l'objet qui la tue ,
Auprès d'elle endormi , fans prévoir fes malheurs.
Tendre époux, moitié trop chérie.
Quelle eft la rigueur de mon fort?
]e meurs, fi j'épargne ta vie,
Ou je mourra^du regret de ta mort. j
Ah! plutôt, inflexible père.
De cent coups ouvre-moi le flanc;
Que feule au moins je dégénère
De ta fureur à t'abreuver de fang.
Tendre époux, moitié trop clicrie.
Quelle eft la rigueur de mon fort ?
]e meurs, fi j'épargne ta vie.
Ou je mourrai du regret de ta mort.
Mais, ô tranfport, dit-elle, ô difcours inutile!
Que je tarde à délibérer !
Ouvie les yeux , fuis , cours , cherche au loin quelque
afyle ,
Profite de la nuit tranquilCj
R 1 Nou»
388 CANTATES.
Nous nous perdons tous deux à différer :
Devançant le retour de la rapide aurore,
Mon père furieux , & mes pnrjures fœurs
Viendront, c^e^ crimes que j'abhorre
Confommer dans ton lang les infâmes noirceurs.
Qu'attcnds-iUjcher époux? pars, adieu, prens encore
Ces avides baifers, ces trop courtes douceurs.
Pars donc; & pour faveur dernière.
Pour prix de t'avoir conlervé,
Soiivien-toi d'une époufe, à toi feul toute eatieie^
Qui s'expofe au péril, dont elle t'a lauvé.
Hymen, combien ti pnifTance,
Produit de nobles effets.
Quand l'amour d'intelligence
Serre les noeuds q( : tu fais!
Mais quand, dans tes nœuds coupables.
Le cœur ne fuit pas la main,,
A quels crimes effroyables
N'ouvres-tu pas le chemin ?
Hymen, combien ta puiflancc
Produit de nobles effets ,
Quand l'amour d'intelligence
5eïre les nœuds que tu faisî
L'H r-
CANTATES. 3.S9
V H r F E R.
CANTATE IV.'
rTATi
'E-toi, cher Bacchus, précipite tes pas,-
L'Hyver fiiivi des vents, des glaçons, des frimatSj
Exerce fon courroux fur la vigne mourante.
Hàte-toivcher Bacchus, précipite tes pas,
Vien voir de tes enfans la troupe languifTante ;
Un fâcheux avenir nous glace d'épouvante,
I.e prenant défefpoir nous conduit au trépas.
Cruels Auteurs dés Ofages,
T(5nnez, /jufflcx dans les airs:
Aquilons, que vos ravages
FafTent trembler l'univens.
Fondez avec violence
Sur nos champs & nos jardins;
Mais laiflez-nous l'efpérance
Be vendanger des raifins.
Cruels Auteurs des Orages ,
Tonnez, foufflez dans les airs;
Aquilons, que vos ravages
Faflent trembler l'univers.
Dieu du vin , prends foin de ta; gloire ,
Tu n'entends déjà plus ces brillans airs à boire.
Ces chorus altçrans , jufqu'au Ciel élances.
A } Tans
3po C J N T yl T E S.
Dans tous les cabarets règne un morne fîlence.
On voit par-tout les pots triftement renvcrfts.
A la vivacité fuccéde l'indolence.
Les buveurs oififs tout le jour ,
Vagabons , éperdus , doutent de ta puiflancc ,
Et font prêts de quitter ta cour
Pout cbetchei les plailirs dans celle de l'amoui.
Atnts, quel caprice étrange
Vous entraîne chez Vénus?
Ah ! que vous perdrez au change !
Ketournez vite à Bacchus.
Le Dieu du vin dédommage
Auflî-t9t un pauvre amant;
Pour un buveur qui s'engage,
Vénus en fait-elle aiicant?
Amis, quel caprice étrange
Vous entraîne chez Ve'nus?
Ah ! que vous perdrez au change I
Retournez vite à Bacchus.
Ciel! qu'apperçoi-je ! un Dieu! c'çft Bacchus , ç'eft
lui-même :
Des pampres verdoyans, découpés en feflons,
Compofent fur fa tête un joyeux diadème.
Il a fon Tyrfe en main; mais il parle, écoutons;
La vigne eft à l'abri de l'horrible furie
De la plus rude des faifons.
Nez boutonne's , teints rubicons ,
Ké veillez à ma voix votie aideui endotxnie.
C J N T J T E s. 391
Epuifez vos tonneaux, remplifle?- vos flaccons.
L'Hyver s'irrite en vain; fon infolente audace.
Quoi qu'il tente, ne fer.vira
Qii'à vous faire boire à la glace.
D'excellent vin, quand l'été reviendra.
puyez, pénible tendrefle.
Livrons nos cœurs à Bacchus.
Chantons, répétons fajis ceflê
Que rien n'égale Ion jus.
l'uifqu'il prend foin de nos treilles >^
Bravons l'Hyver en courroux;
Amis, Tablons cent bouteilles;
Ah! que ce commerce ell doux!
Si > jaloux de notre gloire,
L'Amour trouble nos exploits,
Il faut l'obliger à boire
Kafade dans fon carquois.
Mais, s'il afïefte un air grave.
Ce beau petit Damoifeau,
Faifons-Ie aller à la cave
Tirer lui-même au tonneau.
Quand cette liqueur puiflàntc '
Aura fournis le mutin ,
Il faut qu'à fon tour il chante
L'éloge du Dieu du vin,
R4 l^'E.
392 CANTATE S.
LE P O U X MOURANT.
CANTATE V.
U.
N pauvre Epoux déjà touchoit aux fombres portes-
Qui mènent les humains au royaume des morts.
Sa femme e'toit en pleurs : les douleurs les plus fortes
N'étoiem qu'un vain crayon de Tes cuifans tranfports.
Son rnouchoir à la main , fa coëfFe rabatue ,
Elle e'toit fur fon lit déplorant fes malheurs.
Et levant vers le Ciel fa languiflante vue,
Accufoit en ces mots les fatales rigueurs.
Mort barbare , e'pargne la vie
Du plus pre'cieux des Epoux;
Sur moi, plutôt fur moi, de ta faux ennemie
Hâte-toi de tourner les coups,
■Uaifs comme deux tourterelles
L'un pour l'autre nous étions faits,
Npir décret du Deftin! pourquoi donc Lois cruelles
Nous,réparez-vous pour jamais ?
Semant fur fes pas l'épouvante,
La mort roulant fa faux fanglante.
Se montre à fes regards; & d'un ton furieux
Qu*entcnds-je ? que veut-on f me voici,.qui m'apellc?
Pardonnez-moi , c'eft mon Epoux, dit-elle.
Avec fes belles mains eflUiant fes beaux yeux.
Hé-
CANTATES. zn
Hélas! vous l'allez voir, redoutable Déefle,
Pâle, mourant, en proye aux maux les plus affrcuy,
0^1 i foupire après vous fans cefTe,
Fatigué de tiainer des inftans douloureux.
Aflèz de femmes font la mine,
Quand elles perdent un mari ;
Mais il n'en eft point qui s'obftine
De courir au trépas pour lui.
Qiielle Euridice fi fidelle ,
Malgré mille périls offerts,
Paflànt dans la nuit éternelle.
Chercha fon Orphée aux Enfers?
A la matrone on fit connoître.
Après qu'eje eut long-temps pleuré, ,
Que l'homme mort ne doit point être
A l'homme vivant préféré.
Aftémife but de Maufole
Lés reftes chéris dans du vin.
Pourquoi? c'eft que le vin'confole
Et fait oublier le chagrin.
R j LA
394 CANTATES.
LA R O S E, (*)
CANTATE VI.
V Ous voulez me cueillir, difoit laRofeen pleay.
Au jeune Corilas qui l'avoit cultivée;
Hélas ! m'aviez-vous réfervce
Au plus funefte des malheurs?
Voilà donc oti tendoient vos perfides douceurs'
Par ces mors la Rofe vermeille
Croyoit convaincre Corilas,
Mais il ne prctoit pas l'oreille,
Ou feignoit de n'entendre pas.
Cent fois , pourfuivoit - elle encore ,
Vous avez prévenu l'aurore
Pour me voir, & pour m'arrofer ;
Vous n'ôfiez pourtant me baifer.
De craint; d'altérer l'éclat qui me colore.
Souffrez au moins que j'achève d'éclore;
Arrêtez, cher Berger, cruel! que faites-vous? '
Arrêtez... un moment.,, quand vous m'aurer
cueillie,
Quelques inftans après, vous me venez flétrie.
Et
Ç*) Cette Cantate que l' Auteur donna, il y a nombre d'an-,
nées , tant dans le Mercure que dans l'édition des Poëfies
Ibus le nom de Mlle, rfc Malemis, a été inlerée depuis dans
le Recueil de celles de l'Abbé de Giicourt. Il n'a aucune
part à cette j-iiéce. Il en efl: de même de beaucoup d'autres >
que leurs .-Vuteurs pourvoient auili juAcmenc tiivendii^uct.
CANTATES, 395
Et vos vives ardeurs faifant place aux dégoûts.
Je perdrai les attraits dont vous étiez jaloux.
C'eft ainfi que la Rofe exprimoit fes allarmes ;
Mais fes cris furent fupeiflas r
Dès qu'elle fut cueillie, elle n'eut plus de charmes ,
Et Corilas ne l'aima plus.
Amans, fous les plus douces chaînes
Contraignez vos brulaiis defirs ;
Le comble des tendres plaifirs
M fouvent le comble des peines»
R 6
sot-
VOYAGE
DE PARIS EN BRETAGNE..
jî M. LE MARQUIS DE ROBIEN,
Fréfiflent à Moitisr au Parlement de Bretagne,
^ de V Académie Royale des Sciences ^BeU-
les Littrss de Berlin, .
P
E R s o N N" E au monde , Mdnfiéur , n'a jamais >
plus pefté que moi coiitie les Intendances, Pré-
feftures &-aucres dignités , faites, dit-on, pour le
peuple plus que pour l'homme; & chacun fait que
cela devroii être. Le Rappc'teur de votre procès,,
ayant été nommé Intendant'^ vous vous vîtes ren-
voyé aux Kalendes Grecques, & moi par confé-
quent, puifque le lignai de fa gloire fut celui de
notre départ. J'allai la veille dire adieu au très
cher & très illuftre M. Titon du Tillet; la goûte
«voit charge' fes pieds de pefantes entraves. Je lui
témoignai le chagrin que j'avois de le voirfoufftir;
à quoi il me répondit d'un air riant que la patience
étant le feul remède que la Médecine eût enco.
re trouvé pour la goûte, il tâchoit de fe familiari-
1er avec elle. Enfuite il fe traîna jufqu'à fon cla-
vecin £c joiia les plus joyeufes Ritournelles, laiflanc
éclater fur fon vifage cette noble & mâle indépen-.
dance du fort, qui manquoit au Favori d'Augufte.
En effet les belles qualités de Mécénas, fi recom- .
mandab'e d'ailleurs, ont été en quelque manière
deshonorées par les Vers qu'il a laifles à la poftéri-
té fur fon attachement à la vie, debilem facito manu .
fsfe , & dont j'ai tâché d'e?:primer le fens dans cet-
te traduftion , fans m'affavix fcrupuleufement aux
itinisi de roxigiaal:
Que
V O TA G E. 397
Que fur mes pieds & fur mes mains
La goûte la plus douloureufe
Déployé avec fureur fes efforts inhumains;
Que la tumeur la plus affreufe
Accable de mon corps la machine hideufe; ,
Que mille élancemens aigus ,
Sans relâche frappjnt mes gencives enflées,
Pénétrent mes dents ébranlées;
Qiie livres aux bourreaux, mes membres étendus
"Soient au haut d'une croix dans les airs fufpendus:
Grands Dieux ! dans ces tourmens faites durer ma vie,
, Plutôt que de borner mon fort ;
Les horreurs, dont Je puis voir fa courfe fuivie ^
N'offrent rien à mes yeux de fî dur que la mort.
Saint-Evremont , mt Sarrazin ont raifon de dire
dans un difcours de Morale, qui fe trouve dans les
Ouvrages de l'un & de l'autre , qu'ils voudroient,
s'il étoit polTible , qu'on eût effacé ces Vers qui
nous refient de Mécénas , & qu'il ne nous eût point
appris qu'il étoit plus attaché à la vie que ne doit
l'être un PhilofophCjôc même un homme qui pen-
fe raifonnablement.
Titon , doiié d'une ame aufîî ferme que rare ^ .
Me parloit des Neuf Sœurs, répétoit leurs chanfons.
Et n'en vouloit qu'à la fortune avare ,
Qui recompenfe mal leurs plus chers nourilTons,
Deux Dames furvinrent, dont la vue éteignit en
lui tout reCTentiment de douleur, & il oublia fa gou»
te, pour aller plus légèrement au-devant d'elles.
Four moi j je le laijTai avec cette compagnie, après
l'jgvoir embialK trois ou quatre fois.
B, 7 ]'au-
398 V 0 r A G E.
J'aurois bien aufll fouhaité que le temps m'eut
permis d'aller dire adieu au célèbre M. de Voltaire,
à qui j'avois fait viCte les derniers jours de la fe-
maine précédente. Son ame n'cft point afFaiflee fous
l'épaifleur de l'embonpoint. On ne voit en lui que
des yeux pleins du beau feu qui anime fes l'oëfies
Se fa Proie. Il femble que comme Horace, il foit
prêt à s'envoler transformé en Cigne. Sa conver-
lation eft aufli varice que fes ouvrages, 6c l'on y
trouve l'homme du Monde, le Pocte & le Philofo-
phe.
Te vous ai promis, Monfieur, de vous amufet
d'une relation de notre voyage; mais quels mémoi-
res eft-il poffible d'écrire, quand on court la porte
tout le jour & la moitié de la nuit? Toutefois vous
le Youlezjcela me fuffir. Ecrivons comme nous avons
voyagé, & faifons une relation en pofte, quoique
vous en fâchiez , auûi bien que moi , toutes les par-
ticularités.
IL
Mufe, à la face rubiconde,
Q^ii du vineux Chapelle entretenois refprit.
Et verfois l'enjoûment fiu fa veine féconde,
Vien d'un grain de fon fel animer ce récit,
fais voltiger les ris & les jeux fur ma lire.
Et t'acquitant de cet emploi.
Que mon iiluftre Ami prenne plaifir à lire
Divers évenemens, qu'il a vus comme moi'
Je dirai, après cet exotde, que déjà notre chaife
nous emportoit hors des remparts de Paris, quand
mettant la tête à la portière, les yeux long-tems
tournés vers une ville dont je m'éloignois à regret,
je lui fis tout bns ces triftes adieux, dont, comme
vous favez, je vous régalai tout haut, fur ce que
vous me demandâtes fi c'étoit le chagrin de quit-
ter quelque jolie farifienne, qui me faifoit ainfi
lever,
A-
F 0 T J G E. 399
Adieu, ville enchantée; adieu Reine des Artsj
Adieu CafFés & promenades ;
Come'dic, Ope'ra, ballets, Pantalonades;
Adieu climat chéri des fuivans du Dieu Mars;
Adieu brillant féjout des amoureufes fiâmes; ....,
Adieu Rivage d'or; retraite des filoux
Des bourfcs & des cœurs ; écueil des jeunes amcs ^
Adieu riant Berceau des commodes époux ;
Adieu beau Paradis des plus aimables femmes ;
Adieu noirs papillons, finges des jolis airs.
Equivoques Abbés; adieu Sçavans divers;
Adieu Cite célèbre, oii l'effort de la prefle
Enfante en gémiffant plus de profe & de VerSj
Qu'en aucun lieu de l'univers,
Marchandife de toute efpéce ;
Adieu Paris, jjbon jour, bonfoirj
Adieu vous dis jufqu'au revoir.
Nous paffâmes à Verfailles ,, oli je fus fort éton-
né qu'on nous fit payer double pofte. Je m'étois ima»
gine qu'en approchant du féjour des grâces, & fur-
tout dans un tems de réjoiiilTance Royale , nous
eufllons paffe gratis.
Vous ne vous attendez pas,Monfieur, que je vous
fiafle la defcription typographique d'une route que
vous avez courue du moins vingt fois. Je ne
vous parlerai donc que de nos gîtes. En galoppant
2c trottant tout au moins, je vis s'échaper fous mes
yeux des Villes, des Villotes, des Villages, des
Hameaux, des prairies. La nuit déployant fes voi-
les, tous les objets prirent une livrée de la même
couleur, & je ne vis plus rien, malgré les deux
gros yeux de verre de notre chaife, qui éclairoient
ceux de nos couiliers. Nous mîmes pied à terre à
Ou-
40O F 0 r A G E,
Ouàin, oîi nous fûmes hébergés à la pofte,- 8e ié--
gés dans une chambre, .
Où lits de damas, trumeaux,,
Chaifes àz point, haute lifle.
Tables de maibie, tableaux, .
Sont une légère efquifle
Des mngniiiques lambris.
Sous lefquels fraîche & noutie .
Repole la Seigneurie
Des Financiers de ,£aris.
Vous, n'aurez point oublié qu'on nous fit parfai-
tement payer la vue de ce beau gite , l'hôtefle noas
ayant tiré ( comme on nous prévint qu'elle avoit
coutume de le faire) un écu en ligne de compte,,
uniquement pour la. chambre:
Si Chapelle avec vous s'étoit mis en campagne.
Il vous eût dit. Prenons un autre appartement.
Et nous boirons par fuppiément-
Une bouteille de Champagne.
"VOUS ne buvez que de l'eau, MonCeur,& je bois
très peu de vin pur. Sobriété très rare autrefois
dans notre Province, oîi parler d'aller à Fsris, c'é-
toit entreprendre 'e pèlerinage de lérufalem ; mais
on s'y eft infenfiblement fuivi à la' file, 8c c'eft au
commerce des Parilrens que nous devons lufage de
tremper notre vin. Il n'y a plus que quelques reitt»
mes, quijfe fermant pour boire de giands banaps,
qu'eues appellent culottes de Suiffet , continuent i
De foutenir avec cfpiit.
Que bien fait câ ce que Dieu £t ,
Pât
(À,
F 0 Y J G E. 40Ï
Par quoi ne le faut-i! défaire ;
Qu'aux noces une fois l'eau fut changée en vin
Par l'efFet merveilleux d'un prodige divin.
Et que jamais le vin ne le fut en eau claire.
On dit qu'un Cadet de Gafcogne , la petite trelTè
d'or fur l'habit, le demi -point d'Efpagne fur lu
chapeau, l'e'pée damafquinée au côté, arrivant à
Oudan auffi tard que nous, on le plaça dans le mê«
me appartement. Il fe mit à fon aife & fe chau*
foit, quand l'hôteflè paflànt dans la chambre , il la
complimenta fur fon riche ameublement. Il eft
vrai qu'il eft propre, répondit - elle , & nous n'y
logeons que des perfonnes de diftinftion comme
vous; mais ce meuble nous ayant coûté beaucoup,
nous tâchons de retirer peu à peu notre debourfé ,
au moyen d'un écu que l'on paye pour y pafier
une nuit, fans préjudice des autres frais. Le Cadet,
qui ne s'attendoit poirj à cette ripofte, réfléchit un
moment fur l'avanture , & puis appellant une fer-
vante, Faites mon lit, s'il vous plnit, lui dit-il.
Eft-ce que vous ne louperez point, dit la fille ? Ca«
dédis, reprit -il, mes yeux vont fouper pour tout
mon corps. Laiffez feulement les rideaux du lit
ouverts tout au grand, & mettez une lumière de
chaque côté de mon chevet,, afin que mes regards
fe raflaïîent de ce fuperbe fpeftacle. Alors il fe cles-
habilla au plus vite, ôc- quand il fut couché, 'A ie
mit à chanter, le coude appuyé fui fon-oreiller,cet«
te parodie du Sommeil d'IlTé ;
Que d'éclat ! que d'attraits ! contentez-vous mes yeuJt j
Parcourez ces efpaccs ;
Vengez, s'il fe peut, dans ces glaces
Mon eftomac d'un jeune affreux.
Nous devançâmes l'aurore d'environ trois heures,
& comme il étoit jour de fête , nous nous arrêtâ-
mes
402 V O r J G E,
mes à Verneiiil, ou nous entendîmes la meffe aux \i)
Cordelieis. Leur Couvent eft extrêmement délabre.
Nous aprîmes d'un d'eux qu'il avoit été bâti fous
les yeux de St. François , & que c'étoit le (econd
du Royaume qui avoit eu cet honneur; pourquoi \m
l'on fc faifoit i'crupule de defaraigner les murailles té
& d'en abattre la poufïïère, de crainte d'en enlever [vit
un enduit que fon antiquité &fes citconftances leur jajc
lendoient a'ufli précieux que tout l'or du Temple de |
Saloinon. Le hazard nous procura auffi l'avantage
d'entretenir un moment le Gardien, qui portoit la
perruque. Nous lui en demandâmes un peu mali-
cieuferaent la caufe, & s'il y avoit un chapitre des
perruques dans la règle de St. François. A cela il
répondit en plaifaatant> comme un homme qui
entend la raillerie, par un argument conçu comme
il fuit ; Omne animal rationabile perrucatum ejt na-
turaliter aut artificialiter y porrà artificium fuccur.
rttr,atur£: attjui iliius épis mea indiguit naiuraf
ergo perrucatui exifto irreproihabiliter. Après lui a»
voir demandé auffi tout en liant, fi c'étoit nr.tura
lapfa: voilà, lui dis- je, mon très Révérend, ce qu'oa
appelle arguinentavt cornutum uîrinque feritns. Et il
n'y a plus le petit mot à répliquer,
J'cfpére auflî que par la fuite
Simples Moines auront perruques à bonnets,.
Et ceux, qu'aux dignités élevé leur me'rite»
Grandes perruques de Palais.
Mous nous arrêtâmes, en repaflant, vis-à-vis l'E»,
glifc paroifliale de Verneiiil pour en examiner l'ar-
chiteâure, quand nous fûmes interrompus dans nos
obfervations par un artifan qui nous dit, Meffieurs ,.
s'il en faut croire nos chroniques , cette tour à fî«
ligramme a été conftruite par le Diable; mais elle
n'étoit pas encore bénie. Vraiment, mon ami, lui
diraes-nous, ce dernier point eft inconteftable. U.
n'y
V 0 r A G E. 403
n'y avoit pas de moyen de bénir ce qui n'cxiftoit
point encore. Le conte de cet homme m'a depuis
remémoré ce qu'on rapporte du pont de St. Ca-
do, qui, fi je ne me trompe, eft bâti dans l'e'ten-
idue de vos domaines. Voici comme me l'a racon-
té à moi-même un de vos vaflaux , que vous m'a-
fviez donné pour me conduire à l'Orient, je n'y ai
I ajouté que des limes:
Solitaire» humble & fidelle,
Cado qu'un large marais
Séparoit de fa chapelle.
Lieu pour lui fi plein d'attraits,
Etoit obligé de prendre ,
Dans le temps le plus mauvais ,
Un loun; détour pour s'y rendie ,
Dont le pénible chemin
Etoit un ol){li)le au zèle
De maint dévot Pèlerin.
L'Eftafier de Saint Martin,
Tenant en main fa truelle ,
A Cado, que fon chagrin
Tenoit toujours en cervelle^.
Aparut ua beau matin.
Je fai le mal qui t'altère g
Lui dit l'AixhipateJin ,
Et m'oblige de te faire
Un pont qui, comme j'efpére»,
Sera bâti pour demain ,
Pourvu que ton cœur s'engage ,
Tour ma peine & mon loyer,
De
404 F 0 Y J G E.
De me donner le premier,
Dont il fera le paflage.
Il comptoit le Maupiteux,
Selon fes remarques fines ,
Qiie pour chanter fes matines
Cado feroit matineux,
Et feroit avant tout autre
L'expérience du pont ,
Allant, comme hermites font.
En difant fa patenôtre,
L'efprit au ciel attache.
Sans fonger à fon marché.
Cado de l'Ange fuperbe
Voyoit le Catimini;
A trompeur, c'eft le proverbe,
Dit-il, trompeur Se demi..
C'étoit un jour de Dimanche
Il atrappe dextrement,
A l'infçîi du Negromant , .
Un chat qu'il met dans fa mandie.
Fuis le porraiu tour au rss
Du pont fait par Satanas,
Il l'épouvante , il le chalTe-
En agitant fon manteau.
Et lui fait franchir l'efpace
D£ l'édifice noureau.
I
F 0 r A G E. 405
Yvre d'une horrible joye.
Le Diable étoit aux aguets, ^
Quand voyant une autre proye
Se prendre dans Tes filets j
De'chu de fon efpérance
A la honte des Enfers,
Sur l'animal il fe lance
Et l'étrangle dans les airs.
Cado foiirit en filence.
De la fureur du Pervers;
Qui, retombant fur l'ouvrage,
L'acroche, en emporte un coin.
Dont l'échancruie eft témoin
D'un marché dont il enrage.
Xa fuperftition cft le poifon de tous les peuples ,
chacun dins la poluion où i! fe trouve. Elle pafle
Ses plus fimples aux plus habiles; 5c quand elle eft
une fois enracinée, il faut, pour l'extirper , tous
les efforts d'une raifon viftorieufe.
Les miracles avères des hommes, qui ont exem-
plairement vécu, ne fuflîfcnt-ils point à leur gloi-
re , fans qu'on cherche encore à l'étayer par des
fables? Ceux, qui font prépofés à la conduite des a-
mes jdevroient tâcher de détruire ces chimères dans
la mémoire des peuples. Mais l'avarice de quel-
ques particuliers eft intéreflee à faire durer l'illufioa
générale.
Les chemins font fort beaux de Verneiiil jufqu'à
Alençon, grâces à Mr. l'intendant de cette Ville,
(*) qui fait régner le bon ordre dans l'étendue de
fa Généralité.
Si'
(*) C'éteit alors Mr. l'Allemaiit de Setz.
4o5 V 0 T A G E.
Digne Intendmt que chacun loue,
Vous qui nous préfervez & de choc & de boue ,
Puifle le vrai Seigneur de vous autres Seigneurs,
Ainfi nommés dans les requêtes.
Que l'on adrefle à vos Grandeurs,
Sur papiers à marges honnêtes;
ruifl'e donc le Seigneur, pour prix
Des grans chemins que vous avez unis ,
Après cent ans coules fur un fleuve de joye,
Vous applanir l'heureufc voye
Qui mené droit en Paradis.
La nuit la plus fombre avoit envelo;>pé notre
hémifphere, quand nous de'.ccndiires a la porte
d'Alençon. L'hôte s'en vint gracieufement au-de-
vant de nous, en nous difanr, Meilleurs, faites-
moi l'honneur d'entrer, voLs (erez choies ici com-
me le corps du Koi. Nous le crûmes fur fa parole,
fans faite attention que nous étions en bafle Nor-
mandie, où les hommes en ont deux. Je jie puis,
fans en rire encore, vous retracer la peinture de
ce buriefque Cabaret ; je me bornerai toutefois à
vous ra.ipeller la magnificence 6c la commodité de
la chambre oii nous fûmes logés.
La fenêtre e'toit étayce
Sur deux antiques foliveaux;
Les chaifes e'toient deux traiteaus
Côtoyant une table allez mal apuyée;
Et qui danfoit la mariée
Sur trois pieds tour à tour boiteux.
Les chenets rouilles & poudreux.
Différemment conftruits, mal rivés dans leur baft,"
Revenant en fautoir fur le feu qui s'embrafe,
Fai-
V 0 r A G E. 407
Faifoicnt un bruit pareil à celui des Grillons,
Dont au foyer des blnncs Mitrons
Toute la nuit h troupe ja!"c.
Notre hôte cependant difoit que ces chenets.
Autrefois cifelés , bien fourbis & bien nets ,
Furent au plus offrant vendus pas déshérence,
A l'encan àc Richard fans peur,
Qiiatre deniers tournois, fomme dont la valeut
Dans ces temps recules étoit de conféquence.
Mes lits, ajoutoit-il, n'ont point de matelats.
Mais on s'embourbe dans la plume;
Ainfi ne craignez pas le rhume,
Qrioique les courts rideaux ne s'entre-touchent pas.
Je m'imagine, Monfieur, que malgré la cherté
de la chnmbie d'Oudan^ vous euflîez été bien-aife
d'erre loge à pareil prix à la pofte d'Alençon. En
un mot il me femble que l'on pourroit comparer le
réduit grotefque, oii nous étions refferres, nos
deux Lits le rempliflant aux trois quarts ,
A cette cellule galante ,
Dont on pâme de rire en voyant dans Régnier,
La peinture divertiflante ,
Ce Régnier, de Loileau le malin de'vancier.
Au refte, Afcflîeiirs, continua l'hôte, Tirre'guliec
arrangement de cette chambre ne doit point vous
faire de peine. J'ai une tapiflerie de Eergame, que
j'y ferai tendre cet été , & j'efpère qu'en fix mois ,
cette maiibn fera différemment attournée. Voila
qui fera à merveille, réponditcs-vous; mais fi
Nous vous difions, Monfieur notre hôte,
Aflurez-vous qu'à jour préfix
Vous
4o8 V 0 r A G E.
Vous aurez votre argent fans faute
La femaine des trois Jeudis,
Ou bien accourciflant le terme de la dette.
Quand le grand Turc & les Dervis
Porteront leur offrande, amplement convertis,
A notre Dame de Lorette,
Je gage gri'à ces mots rcfrognant le minois.
Vous diriez en votre patois,
Dieu me damne, Monfieur, délai n'eft point lecette.
Et ma femme au marciié ne va point fans argent.
Monfieur notre hôte cependant
Ce n'eft pas mon delTein que pour cet incident
Votre face s'allonge, & que votre œil s'affligf ;
Vous ferez foudoyé: moi, qui fuis Prefident,
Plutôt que d'avoir du litige
Av£c un hôte ba!f Normand,
J'aimerois beaucoup mieux le payer doublement.
La récréation, que nous prîmes avec cet homme,
nous dédommagea en quelque manière du mauvais
gîte, d'autant mieux que ce qu'il nous fervit à
loqper., étoit d'r.flez bon goût. Nous comptions ar-
liver à Rennes le lendemain , mais
On éprouve qu'en mainte chofe
L'homme propofe & Dieu difpofc.
L'ertleu de la chaife fe brifa à trois quarts de
lieue de Laval fur les quatre heures de l'après-mi-
di. Il lurvint de la pluye. Nous eûmes beaucoup de
peine à trouver une charette où charger notre voi-
ture , & notre embarras fut prolongé jufqu'à neuf
heures du foir. Votre Philofophie ne perdit point
contenance pendant tout ce tumulte. four moi, qui
trou-
r 0 T J G'E. 409
troiivois fur-tout que la pluye ctoit un hois-d'ocuvrc
fort incommode, je jutois fous cape très fiiffifam-
ïncnt pour nous deux , & le Diable n'y perdoit rien.
Je vis, en entrant dans l'auberge de Laval, un Ca-
valier de fort bonne mine. Il étoit vêtu d'un hnbit
verd , garni d'un salon d'or. La vefle etoit"fort
courte , & fon grand feutre , relevé d'un large point /'
d'Efpagne, lui donnoit un air martial.
A fon habillement d'abord
Je crus que le harard in'offroit dans ce voyage
Un he'ros Suédois , de ceux dont le courage
Suivît aux champs de 24ars l'Alexandre du Nord,
Je l'examinois attentivement. Il me regardoit de
même; nous nous reconnûmes. G'étoit un Avocat
de votre Parlement de Rennes , homme d'efprit &
de mérite , avec qui iUvois autrefois fréquenté les
écoles du Droit, Il ai'oit à Paris en chaile de pof-
te. Au reflc fon ajuftement n'avoitriende fort con-
traire à l'ufage de Mrs. de la Robe en pareille occa-
llon ; S: l'on fçait qu'ils ne font point de façon de
prendre des habits de couleurs , galonnés ou brodés,
chacun fuivant fes moyens ou fa fantaifie , quand
ris voyagent , ou que la faifon des vacances leur
permet de retourner d:ins leurs terres , ou d'aller
s'égayer dans les villes voifincs.
Ils font en ces momens , femblables aux oifeaux ,
Qui , s'échapant de la volière ,
Pour jouir d'un grand air, qu'embellit la lumière^
Vont fe percher fur les ormeaux.
Ils liflent leur plumage, ils étendent leurs ailes
Peintes du riche émail des plus vives couleurs ,
S'enyvrant à longs traits des fuaves odeurs
Qu'exhale aux environs le fein des fleurs nouvelles..
Temt I. S L£»
4T0 r 0 r  G E.
Les Confeillets de Montbrifon , cnpitale du Foreflf»
ou j'ai demeuré , font encore moins reguHeis , 8e
moins uniformes dans leur habillement. Je les ai
vu porter au barreau des habits d'e'carlate fous leurs
noires caracalles, difant, pour s'autorifer dans cette
coutume , que le noir étoit le ligne de la gravite' , ?c
Je rouge i'cmblême du glaive de la Juftice. Nous
fûmes fort honnêtement loges à Lava! ; mais com*
me il y a toujours quelc^ue chofe qui cloche dans
une auberge , on nous fervit en revanche un chapon,
dont le blanc des ailes étoit fi dur^ qu'il émouflbit
]e fil de nos couteaux.
]1 falloit que ce fût le premier des chapons.
Dont le vol arpenteur mefura l'héritage ,
Q^ii des nobles Monceaux entourant les maifons,.
Des Aîne's grolTît le partage.
Ce chapon par refpeft pour fon antiquité,'
Au-lieu d'être à la broche, auroit bien mérité
D'avoir pour Maufolée un fuperbe potage. "
La fille de l'auberge, qui n'étoit point de figure
defngréahle, nous fit beaucoup d'excufes, en nous
difant qu'il n'y avoir point de fa faute file chapon--
étoit dur; que bien d'autres avant elle avoient été
ïiompt'es par des chapons, & qu'enfin, fuivant uA.
certain didon,
l'ius d'un chapon en plus d'un lieu
A bonne raine & mauvais jeu.
Les Ciclopes de Laval travaillèrent route la nuit
à teforger 8c à renforcer i'cffieu brifé de votre chai-
fe , & toutefois nous ne fûmes en tiat de partir
que fur les onze heures. L.z chemin de Laval juf-
qu'à Rennes eft extrêmement mauvais , fur-tout à
quelques lieues de cette capitale de Bretagne. La
l^iofonde obrcuiitc de la nuit le rendit encore plus
VOTA G' E. 411
îinpraticaNe ; 8c prêt à me voir fubmergé dans un
déluge de boue, j'avois prefque en\ie de m't'crier
du ton d'Enee dans la tempête, 0 terque ^ijuaier'iue
èeati &'f.
Bienheureux trois & quatre fois
Ceux que devant les murs de Prague,
Occirent les vilains Hongrois
A coups de moufquets 6c de dague !
Nous arrivâmes à Rennes fort tard; ce qui ne
nous empêcha pas de trouver à l'hôtel de Robien
grand feu, bonne-chére 6< tout ce qui peut feivit
à delaflèr & reftaurer des voyageurs. Je paflai diX
jours avec vous, quelquefois appliqué à lire le cu-
rieux manufcrit de l'Hiftoirc de Drecigne que voua
avez compofee , quelquefois occupe à parcouiis
avec TOUS votre rare fie magnifique cabinet.
On l'air, le ^%u, la terre & l'onde
Semblent s'être rendus à contribution ,
Pour vous mettre en pofleiïlon
Du plus beau cabinet du Monde,
Oceanum interea furgens A-ursra reliquit. L'oîr-
zième aurore fe levé. Stat fcnipes Çy frétna fcrux
Jpumanùa mandit. j'entends claquer le foiiet du
Muletier, dont le bruit aigre m'annonce qu'il- eit
teras de me diCpofer au départ.
Alors en m'éloignant d'un Ami trop aimable.
Je fentis tome la douleur
Que fait naître dans l'ame un regret véritable.
Ce qui peut to'itefois en calmer la rigueur,
C'eft que je ne fuis point éloigne' de fon cœur.
L'habituda de vivre avec vous, Monfieur,afi fort
enlaidi ma A'iitude, que je ne fais comment jepour-
S z lai
412 r 0 T J G E.
rai faire déformais pour m'y l'accoutumer. L'amitié-
d'un célèbre Compatriote loutagcou autrefois l'en-
nui de cette trilie rcfidence. Vous devinez, fans
que je vous le nomme, notre favant ami Mr. Bou-
guer de l'Acadéuiie Royale des Sciences. L'em-
preflemcnr de lui renouveller mes embraflèmens 5c
de recevoir les lîens dans la capitale du Koyauine
avoir beaucoup ajouté à l'idée des plailirs dont l'a-
bondance y laifle le choix, foit à la délicatefle ,
foi t au caprice. Vous l'avez accueilli à l'Hôtel d'En-
tragues avec les juftes te'moignages d'eftime qu'on
lie peut refufer à fes talens fupérieurs, ôc à la nro-
dcftie dont ils font accompagnés. La fympathie
aiTembla nos cœurs dès l'enfance, 8c cette aminé
fe fortifia enfuitc par le goût décide que nous eû-
ines l'un & l'autre pour l'étude, quoique d.iiis un
genre différent. Je vous avoue, Monfieur, que je
n'aî jamais vu perfonne s'y livrer avec autant de
paflîon que cet illuftre ami. C'eû ce qui fut caufe-
qu'une Batelière, qui l'avoir ("affe de Nantes à An-
gers fur la Loire , à fon «tour de fon fameux
voyage du Pérou, s'en vint remercier le Négociant
de Nantes qui lui avoir procuré ce pafTager, en lui
difant; ,, Qtie je vous fuis obligée, Monfieur, de
)> m'avoir donné un fi faint homme ! 11 fera la bc-
ff. nédidiion de rna nacelle, & il lui portera chan-
„ ce. Il n'a pas cefl'c de prier Dieu pendant le.
r, voyage. Non, je ne doute pas que ce ne foit par
„ rapport à lui que nous avons eu fi bon vent."
C'eft qu'il n'avoit pis ceûe de lire , 6c que les gens
du peuple, dont phifieuis ne connoiflent pas même
l'Alphabet,, s'imaginent que tous les livres qu'ils
voycnt font un bréviaire, ou des heures, Mr. Bou-
guer reflemble par cette habitude à feu Mr. Hutt,
Èvêque d'Avranches. On raconte qu'un Particulier
de fon Diocéfe, qui l'étoit venu demander plufieurs
fois, s'impatientant qu'on lui répondit toujours
que Mor.feigncur étudiait , il répliqua, DiVa nsus don'
r^e bientôt un autre Evé'^ue qui du moins ait achevé
Jii études.
Jours
V O r A G E. 41S
:ourS heureux! Siècle d'or ! combien de nos P***.
3 exemptent aujourd'hui de tant d inquiétudes!
CraiF:nauE avec raifon les erreurs, les débats,
Les damnables incertitudes.
On trop fouvent s'expofent ceis
Qu'égare follement un fçavoir orgueilleux,
lis donnent de bonne heure un terme à leurs études.
Je ne vous quitterai pas, Monfieur, fans vous di-
re que j'ai placé dans le lieu le plus apparent de-
ma chambre de compagnie votre Eftampe à côté
de celle de mon ami Mr. Titon du Tillet. Soiez
perfiiadé que parmi les Saints du Calendrier vous
êtes l'un & l'autre du nombre de ceux que je ré-
vère le p'us. j'ai foin fur toutes chofes de faire lire
aux perionnes, qui me viennent voir, I;i légende
rimée que vous avez fait graver au bas de votr»
portrait :
Magiftrat équitable, ami fur & fincere,
Digne de fes nobles ayeux;
La probité, l'honneur forment fon caradlere »
Et fon beau Cabinet a de quoi fatisfaire
Les fçavans 8c les Curieux.
Vous n'avez pas oublié que je vous ai donné l'Ef^
tampe de Mlle Salé ^ette AStûcé de l'Opéra, en
tous points fi merveilleufe en fon genre. Vous y
aurez lu fans doute les. Vers que j'ai faits pour cet-
te fingulic'rc Veftale, qui, malgré le foufle féduc-
teur des plus hupés Coquets de Paris, ne laifla ja-
mais éteindre le feu facré. Mais je ne vous ai pas
conté peut-être que notre très cher Mr. Titon du
Tillet , ay.mt eiivoié mes Vers à Bruxelles au cé-
lèbre Rouflean, qui voulut bien les trouver de fou
goût, il mit dans fa répenfeàfa lettre,_«« voieipour-
tMit ^ue J'ai aj étais dans mon camn
Ses
414 V 0 r A G E,
Ses talens, fes traits vainqueurs.
Que nul défaut ne pro,:hane.
Tous les jours font dans les cœurs
Naître toutes les ardeurs
Que fon exemple condamne.
Ces Vers e'toient doublement fliteurs pour Mlle.
Sale par le nom du Toëte qui coiifacroit à la pof-
téritc la mémoire de fa veftalité miriculeufe,& par
le tribut de tendres fentimens que rendoit à fcs grâ-
ces un homme à l'âge d'environ foixante- douze ans.
_ Il eft tems enfin que j'achève cette longue rela-
tion d'un voyage de trois jours, fait en pofte avec
vous, qui n'ttes ni ménajjec de chevaux, ni de
cochers. Je devois, fuivant l'uTage , nouiuier les
cochers les premiers; mais au vilnge près, cela ne
fait guères qu'une même efpéce. M.i relation , que
j'ai étendue à force d'inciaens 5c de tranfitions,
vous paroîtroit plus courte fi'i'avois eu l'art d'y fe-
mer les grâces vives & légères, dont l'agréable va-
riété fait le mérite de ces fortes d Ouvrages. Mais
je me flatte que vous rendrez juftice à mon ami-
tié, perfuadé que vous deve? erre, qu'en tâchant
de vous amufer, j'ai voulu vous donner une nou«.
velle preuve de l'eftime, de l'attachement & du
lefpeâ avec lefquels j'ai l'honneur d'être ckc.
Au Croillc, le ij. Février J74J.
FIN du Tmi JPremisr,
ih
'J,
-3 >
^
PQ Desforge s -Maillard, Paul
1977 Briand
^^2 Oeuvres en vers et en %
1759 prose g
t.l 1
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
^u