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Full text of "Oeuvres oratoires de Bossuet"

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ŒUVRES  ORATOIRES 


DE 


BOSSUET 


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Imp  Chardon-WiUmann 


ŒUVRES  ORATOIRES 


DE 


BOSSUET 


ÉDITION    CRITIQUE    COMPLÈTE 


PAR 


L'abbé  J.   LEBARQ 


Docteur    ès-lettres 


TOME    PREMIER 


648-1655 


DESCLÉE,    DE   BROUWER   et    C' 


LILLE 
rue  du  Metz,  41 


PARIS 
rue  Bonaparte,   90 


MDCCCXC 


TOUS   DROITS   RÉSERVÉS 


THt  INSTITUTE  OF.MEDIAEVAL  STUDIES 

10  ELMSLEY   PLACE 
TORONTO  5,  CANADAv 


J 


F. 


318(. 


70!A- 
.06 

1890 


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INTRODUCTION. 


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A  LA  gloire  de  notre  siècle,  dont  ia  réputation  de  frivolité  semble 
pourtant  bien  établie,  il  faut  reconnaître  que  les  amis  de 
Bossuet  sont  aujourd'hui  plus  nombreux  que  jamais.  Plusieurs, 
il  est  vrai,  ont  plus  d'admiration  pour  son  génie  que  de  goût  pour 
la  doctrine  qu'il  prêche.  Mais  d'autres,  plus  complètement  en  har- 
monie avec  son  âme,  lui  savent  gré  par  dessus  tout  d'avoir  donné 
aux  vérités  divines  une  expression  oia  tout  est  clarté,  force,  magni- 
ficence. De  ce  nombre,  on  ne  s'en  étonnera  pas,  sont  les  admirateurs 
qu'il  compte  dans  le  clergé,  notamment  dans  son  élite  et  dans  ses 
chefs,  dans  ces  vénérés  prélats,  qui  de  plus  d'un  endroit  nous  ont 
honoré  de  leurs  précieux  encouragements.  Qu'il  nous  soit  permis  de 
remercier  entre  tous  celui  qui  nous  a  accordé  si  libéralement  les  loi- 
sirs prolongés,  nécessaires  pour  mener  à  bonne  fin  ces  difficiles 
travaux.  Monseigneur  THOMAS,  archevêque  de  Rouen,  avait  d'un 
regard  sûr,  reconnu  tout  d'abord  que  nos  premières  recherches  nous 
conduiraient  à  rééditer  toute  l'œuvre  oratoire  de  Bossuet.  C'est  aussi 
sur  sa  parole  que  nous  avons  osé  nous  avancer  :  autrement  nous 
eussions  sans  doute  reculé  devant  une  tâche  si  ardue  et  si  laborieuse. 
D'ailleurs  \ Histoire  critique  de  la  P rédication  de  Bossuet^  où  nous 
nous  étions  proposé  de  mettre  en  lumière  la  nécessité  d'une  révision 
et  d'une  classification  des  textes  qui  représentent  pour  nous  cette 
incomparable  prédication,  a  été  accueillie  avec  une  égale  faveur  par 
les  juges  de  Sorbonne  et  par  le  public.  Ce  succès  d'un  livre  austère, 
où  l'attrait  principal  est  celui  du  sujet,  était  un  indice  du  vœu  des 
intelligences.  L'édition  nouvelle  qu'il  annonçait,  était  dès  lors  une 
dette  d'honneur  :  Jious  venons  l'acquitter. 

Comme  chacun  le  sait,  les  Sermons  sont  une  œuvre  posthume. 
Bossuet  n'en  avait  fait  paraître  qu'un  seul,  celui  de  V  Unité  de  T  Église. 
Ce  discours,  prononcé  le  9  novembre  1681,  à  l'ouverture  de  la  trop 
célèbre  assemblée  de  1682,  était  dans  la  pensée  de  son  auteur  une 
œuvre  de  pacification  :  tous  les  termes  en  avaient  été  pesés  ;  et  il 
souhaitait  qu'ils  pussent  être  lus  à  Rome  comme  à  Paris:  delà 
l'exception  faite  en  sa  faveur.  La  Cour  exigea,  à  la  fin  de  1669, 
l'impression  de  l'oraison  funèbre  de  la  Reine  d'Angleterre.  Sans 
cette  circonstance,  cette  œuvre  magnifique,  et  les  cinq  autres  qui 
suivirent,  auraient  pu  avoir  le  sort  de  l'oraison  funèbre  d'Anne 
d'Autriche.  Celle-ci,  composée  deux  ans  plus  tôt,  pour  le  service  du 
bout  de  l'an  (janvier  1667),  est  perdue,  ce  .semble,  pour  jamais.  Six 
oraisons  funèbres  et  im  discours  de  circonstance,  voilà  donc  tout  ce 

Serinons  de  Huiisui:!.  \ 


„  INTRODUCTION. 


que  d'impcTicuscs  cxi^îcnccs  purent  arracher  à  l'humilité  du  grand 
orateur.  Une  autre  oraison  funèbre,  celle  de  son  ancien  maître 
Nicolas  Cornet,  et  le  sermon  pour  la  profession  de  M"'^  de  la 
VallicTC  p.irurcnt.  il  e-;t  vrai,  de  son  vivant,  mais  sans  son  aveu. 
Certaines  i.ifîdélitcs  réelles,  bien  qu'elles  ne  portassent  guère  que 
sur  des  détails,  rcmpcchèrent  de  se  reconnaître  dans  des  œuvres 
défigurées  sur  quelque  point.  A  prendre  les  choses  dans  l'ensemble,  ne 
doit-on  pis  dire  qu'à  la  mort  de  Bossuct  (1704)  ses  œuvres  oratoires 
étaient  restées  inédites  ? 

Il  en  fut  ainsi  jusqu'en  1772.  «  On  ne  saurait,  remarquent  avec 
raison  les  éditeurs  de  Versailles  (181 5),  avoir  trop  de  reconnaissance 
pour  le  service  qu'ont  rendu  à  la  Religion  et  à  la  littérature  fran- 
çaise dom  l)eforis(i)  et  dom  Coniac,  son  collaborateur,  en  consacrant 
des  années  entières  à  déchiffrer,  comparer,  mettre  en  ordre  et  publier, 
avec  des  soins  et  une  exactitude  bien  pénible,  un  nombre  presque 
infini  de  feuilles  volantes,  chargées  de  ratures,  de  renvois,  de  correc- 
tions de  toute  espèce...  » 

Dcforis  lui-même,  dans  ses  préfaces  diffuses,  mais  instructives, 
nous  fait  connaître  toutes  les  autres  peines  qu'il  avait  dû  se  donner. 
Avant  d'interpréter  ces  manuscrits,  avec  plus  ou  moins  de  bonheur, 
mais  avec  une  incontestable  application,  il  lui  avait  fallu  les  chercher, 
et  longtemps,  principalement  dans  les^  diocèses  de  Meaux,  de  Troyes 
et  de  Metz.  En  17 10,  six  ans  après  la  mort  du  grand  Bossuet,  son 
neveu,  nommé  évêque  de  Troyes,  avait  emporté  en  cette  ville  les 
portefeuilles  contenant  les  Sermons.  Ils  passèrent  de  là  (1743)  ^ux 
mains  de  M.  de  Chasot,  premier  président  au  Parlement  de  Metz,  et 
petit-neveu  de  l'évêque  de  Meaux.Vingt  ans  environ  après  la  mort  de 
M.deChasot,  sa  veuve  entendit  les  appels  chaleureux  des  bénédictins. 
De  concert  avec  son  frère,  le  président  de  Montholon,  et  avec  le 
conseiller  Choppin  d'Arnouville,  son  gendre,  elle  leur  remit  libérale- 
ment de  nombreux  autographes,  qui  vinrent  grossir  la  collection 
commencée  par  l'abbé  Le  Roy,  grâce  à  ses  anciennes  relations  avec 
révoque  de  Troyes.  Quand  les  erreurs  de  Deforis  seraient  cent  fois 
plus  graves  et  plus  nombreuses  que  celles  qu'on  est  en  droit  de  lui 
reprocher,  cette  découvsrte  capitale  devrait  encore  faire  bénir  sa 
mémoire. 

Il  est  vrai,  un  nombre  assez  considérable  de  sermons,  de  ceux  que 
Bossuet  avait  rédigés  ou  du   moins  esquissés  par  écrit,  ont  échappé 

I.  Nous  écrivons  ainsi  ce  nom,  sans  accent,  conformément  à  la  signature  autographe  du 
bénédictin  lui-même  {Bii)/.  nat.,  Nouv.  acq. ,  Fr. ,  274).  De  même  dans  notre  Histoire  criti- 
que... On  a  prétendu  qu'il  se  serait  appelé  en  réalité  de  Foris  ;  et  on  allègue  plusieurs  paraphes 
(môme  manuscrit),  où  il  a  tracé  un  F,  et  non  un  D.  L'observation  est  vraie,  mais  incomplète  : 
ce  n'est  pas  un  F  seulement  qu'il  faut  lire,  mais  un  F  et  un  J;  et  cela  signifie  :  Frère  Jean  (dom 
Jean  Pierre  Dcforis). 


INTRODUCTION.  III 


à  ses  investigations.  Peut-être  étaient-ils  déjà  détruits  à  cette  époque. 
Ce  qui  semblerait  autoriser  cette  triste  conjecture,  c'est  l'impossi- 
bilité où  nous  nous  voyons  tous,  les  uns  après  les  autres,  de  retrouver 
une  pièce,  même  de  celles  qu'il  n'a  pas  publiées,  qui  n'ait  passé  sous 
ses  yeux.  Il  fit  paraître  d'abord  en  1772  trois  volumes  in-40,  qui 
devinrent  les  tomes  IV,V,  VI  des  Œuvres  complètes.  Ils  contenaient 
les  sermons  pour  l'Avent  et  le  Carême,  et  sur  les  principaux  mystères. 
Ils  furent  suivis  en  1778  des  sermons  détachés,  dont  le  plus  grand 
nombre  se  rapportait  aux  fêtes  de  la  sainte  Vierge.  On  lisait  aussi 
dans  le  tome  VII  (1778)  douze  discours  composés  pour  des  vêtures 
ou  professions  de  religieuses;  et  trois  panégyriques,  ceux  de  saint 
Sulpice,  de  saint  François  de  Sales  et  de  saint  Benoît.  Les 
oraisons  funèbres,  classiques  et  autres,  formèrent  le  VIII^  volume, 
complété  par  de  nombreux  opuscules  de  piété.  En  1788  seulement, 
Deforis  put  enrichir  son  édition  de  quinze  nouveaux  panégyriques, 
sous  ce  titre  :  Tome  VII,  deuxième  partie.  Les  manuscrits  de  ces 
discours  lui  avaient  été  communiqués,  postérieurement  aux  autres, 
par  un  autre  parent  de  M"^^  de  Chasot,  l'abbé  de  Montholon,  doyen 
de  la  cathédrale  de  Metz. 

Laborieux  et  patient,  obstiné  et  quelquefois  un  peu  acariâtre, 
Deforis  se  piquait  d'une  fidélité  digne  de  sa  vocation  de  bénédictin. 
De  fait,  il  n'aurait  peut-être  laissé  échappé  qu'un  petit  nombre  de 
fautes  involontaires  et  bien  excusables,  si,  tout  en  protestant  avec 
virulence  contre  son  siècle,  il  ne  s'était  laissé  gagner  sur  quelques 
points  aux  idées  régnantes.  Le  XVIIP  siècle,  par  exemple,  n'aimait 
pas  les  redites  :  le  bénédictin  s'ingénia  de  son  mieux  à  en  diminuer 
le  nombre.  Il  laissa  de  côté  quelques  pièces,  qui  se  rencontraient  ail- 
leurs avec  de  légères  modifications.  Il  pratiqua  çà  et  là  dans  les  textes 
de  discrètes  suppressions,  se  bornant  à  en  avertir  une  ou  deux  fois 
pour  toutes.  Jusque-là  le  procédé,  quoique  fâcheux,  n'était  pas  trop 
subversif.  On  alla  plus  loin.  Le  désir  de  ne  rien  perdre,  ou  de  perdre 
le  moins  possible  d'un  si  grand  écrivain,  inspira  à  son  éditeur  une 
résolution  bizarre,  bien  opposée  à  l'esprit  scientifique.  Ce  fut  d'insérer 
les  débris  d'une  œuvre  dans  une  autre,  d'y  introduire  certaines  pa^^es 
isolées  qui  semblaient  contenir  des  idées  semblables,  et  même  de 
fondre  deux  discours  en  un  seul.  Avait-il  pour  le  jour  de  Noël  deux 
sermons  composés  sur  le  même  plan?  «  Pour  éviter...  les  répétitions, 
dira-t-il,  nous  avons  pris  de  ce  second  sermon  ce  qu'il  y  avait  de  neuf 
et  ce  qui  pouvait  être  regardé  comme  une  révision,  une  extension  de 
preuves,  et  7ious  V avons  incorporé  au  premier  sermon,  lorsque  cela  a 
pu  se  faire  sans  rien  gâter...  »  S'il  préférait  la  première  rédaction  à 
la  seconde,  ce  n'était  pas,  comme  on  a  été  tenté  de  le  croire,  par  un 
manque  absolu  de  goût,  mais   tout  simplement  [>arcc  que   c'était  la 


,^  INTRODUCTION.  _^ 

plus  con,plclc.  0..un  ,.  .  nu,.,i,u.r  .iWil  fût  y'"''^'^''''!t''.^"f^;'' 


e 


à  iWration.  Ainsi,  trouvant  au  premier  dimanche  de  Carême  deux 
sermons  sur /es  Av//.//..  il  eût  bien  désiré.nous  declarc-t-il  «n  en  faire 
qu'un  seul  des  deux;  mais, après  y  avoir  travaillé  assez  longtemps, 
la  dimcultc  du  succès  et  la  crainte  de  gâter  les  deux  pièces  »  1  ont 
détermine  lui  et  ses  collaborateurs,  ci  les  donner  séparément.  Il 
annonce  donc,  ni  s  ni  cxcusmit,  qu'on  va  les  lire  «  telles  que  l'auteur 
les  a  produites.  >  Kt  malgré  cet  engagement,  il  ne  résiste  pas  a 
la  tentation  d'orner  le  second  discours  d'un  assez  long  morceau  que 
l'auteur  avait  condamné  dans  le  premier. 

Dans  l'édition  de  Versailles  (1815),  les  prêtres  de  Saint-Sulpice, 
qui  améliorèrent  sur  plus  d'un  point  les  œuvres  de  Bossuet,  accep- 
tèrent de  confiance,  ou  peut-être  par  résignation,  le  texte  de  Deforis, 
en  ce  qui  concernait  les  sermons.  Les  superfétations,  que  nous 
venons  de  rappeler,  subsistèrent  donc  jusqu'en  1862- 1864.  A  cette 
date,  M.  Lâchât  se  fit  fort  de  les  corriger.  En  réalité,  tandis  que 
quelques-unes  disparaissaient,  un  grand  nombre  étaient  maintenues, 
ou  môme  aggravées.  Le  prétendu  V^  sermon  pour  la  Circoncision, 
et  le  III^  sermon  pour  le  IV*-^  dimanche  de  Carême,  ne  sont  autre 
chose  que  des  interpolations  nouvelles.  Cet  éditeur  sera  trop  sou- 
vent convaincu  d'infidélité  dans  le  cours  de  la  présente  publication 
pour  qu'il  soit  nécessaire  de  lui  faire  ici  son  procès.  Nous  n'avons  et 
ne  pouvons  avoir  aucun  grief  personnel  contre  sa  mémoire  ;  nous 
serions  plutôt  tenté  de  lui  savoir  gré  de  nous  avoir  donné  une  si 
riche  matière  à  réfutation  pour  notre  Histoire  critique  de  la  Prédi- 
cation de  Bossuet.  Rappelons  seulement,  en  un  mot,  qu'en  dehors  de 
ce  qu'il  tire  des  Etudes  de  l'abbé  Vaillant  sur  les  sermons  de  Bossuet ^ 
et  des  recherches  si  consciencieuses  de  A.  Floquet  (Études  sîir  la 
vie  de  Bossuet),  il  ne  reste  guère  à  son  compte  que  des  corrections 
ou  incomplètes  ou  absolument  erronées.  Il  n'y  a  pas  un  sermon 
dans  son  édition  dont  le  texte  soit  irréprochable  :  MM.  Gandar, 
Gazier,  Rébelliau,  Brunetière  l'ont  constaté  comme  nous. 

Lâchât  n'appartenait  ni  au  clergé  ni  à  l'Université.  Des  critiques 
de  profession  et  des  éditeurs  classiques,  faisant  partie  de  ce  dernier 
corps,  ont  contribué  bien  plus  efficacement,  mais  pour  une  partie 
restreinte,  à  fixer  le  texte  et  la  chronologie  des  Sermons.  E.  Gandar, 
dans  son  Bossuet  orateur,  et  dans  son  Choix  de  sermons  de  la  jeunesse 
de  Bossuet,  a  le  premier  indiqué  la  vraie  méthode  scientifique.  Il  a 
souvent  éclairci  d'une  manière  définitive   les  difficultés  qui  se  ren- 


INTRODUCTION. 


contraient  sur  son  chemin.  On  voit  quelquefois  encore  des  critiques 
mettre  en  balance  l'opinion  de  Lâchât  et  celle  de  Gandar  :  cette 
égalité  est  chose  souverainement  injuste.  On  peut  prononcer  sans 
hésitation  que  toutes  les  fois  qu'il  y  a  dissentiment  entre  eux,  c'est 
le  premier  qui  s'est  trompé  :  ce  n'est  qu'à  bon  escient  que  Gandar 
s'est  inscrit  en  faux  contre  lui;  jamais  pour  le  contredire  systéma- 
tiquement, comme  lui-même  avait  fait  à  l'égard  de  ses  prédécesseurs. 
On  peut  même  dire  que,  sans  se  scandaliser  autant  que  d'autres 
d'une  réclame  à  outrance,  qui  prétendait  faire  passer  pour  une  grande 
œuvre  scientifique  une  intelligente  opération  commerciale,  il  s'est 
plu  à  ne  tenir  compte  que  des  difficultés  de  la  tâche,  et  de  quelques 
améliorations  réalisées,  pour  juger  l'ensemble  avec  une  excessive 
indulgence.  D'autres,  comme  MM.  Rébelliau,  Brunetière,  Gazier,  ont 
apprécié  l'œuvre  avec  beaucoup  plus  de  sévérité,  dans  des  préfaces  ou 
introductions,  placées  en  tête  de  nouveaux  recueils  de  Serinons  choi- 
sis. Les  corrections  de  M.  Rébelliau,  surtout  celles  de  M.  Gazier,  sont 
nombreuses  et  ordinairement  justifiées.  Quant  aux  éditions  com- 
plètes, qui  ont  paru  dans  ces  derniers  temps,  ce  n'est  autre  chose 
qu'une  combinaison,  à  doses  inégales,  de  celles  de  Versailles,  de 
Lâchât  et  de  Gandar.  Telles  sont  le  séditions  publiées,  en  1870,  chez 
Guérin,  à  Bar-le-Duc  (d'abord  chez  Martin-Beaupré)  ;  chez  Garnier,  à 
Paris,  1870- 1874  ;  chez  Briday,  à  Lyon,  en  1877.  A  l'heure  présente, 
il  reste  encore  à  corriger  de  lourdes  bévues,  dont  il  est  inutile  de 
recommencer  l'énumération  contenue  dans  notre  Histoire  critique. 
Nous  signalerons  du  reste  les  principales  au  lecteur  dans  cette 
publication,  au  fur  et  à  mesure  qu'elles  se  présenteront.  Il  y  a  en 
outre  mille  fautes  de  détail,  que  nous  nous  appliquerons  à  faire 
disparaître,  au  grand  profit  de  l'éloquence  du  prédicateur  ;  car  il  ne 
faut  quelquefois  qu'une  petite  tache  pour  déparer  tout  un  passage. 
Nous  nous  efforcerons  en  même  temps  d'assigner  à  chaque  compo- 
sition sa  véritable  place,  et  d'en  déterminer  la  date  avec  exactitude. 
L'ordre  chronologique,  dont  les  avantages  ne  sont  plus  à  démontrer, 
sera  à  lui  seul  le  meilleur  des  commentaires. 

La  prédication  de  Bossuet  comprend,  à  parler  à  la  lettre,  un 
espace  de  cinquante-quatre  ans  (1648- 1702),  depuis  son  sous-diaco- 
nat,oi:i  se  placent  ses  véritables  débuts  (i),  jusqu'à  sa  dernière  maladie, 
où  il  se  vit  obligé,  pendant  un  an  et  demi  environ,  de  renoncer  à  la 
parole  publique  (2).  Entre  ces  deux   dates  extrêmes,  celle  de  son 

1.  Avant  k's  sermons  proprtMUont  dits,  Bossiirt  avait  (.-oinpost''  des  r\cM-cicos  scolaires,  dont 
nous  ponrrons  donner  quehiue  spcvinien. 

2.  S'il  s'ai;issait  ici  des  (Xiuvres  complètes,  nous  aurions  à  mentionner,  postc^ricurement  au 
dernier  discours  connu  (18  juin  1702), des  opuscules  dun  i;rand  intérêt,  que  rinfatigable  défen- 
seur de  la  Religion  écrivit  ou  dicta  de  son  lit  de  mort  :  /•.xplication  de  la  ProplUtL-  d' Isaïc  sur 
Ecce  Vlrgo  coiuipiei ;  iti  le  commentaire  du  Psaume  XXI,  le  psaume  de  la  Passion  et  du  dé- 
laissement. 


VI  INTKOmiCTION. 


premier  Carême  à  la  Cour  (1662)  forme  une  H-ne  de  dcmarcation 
qu'il  importe  de  remarquer.  En  morne  temps  qu'elle  est  bien  réelle- 
ment, comme  Gandar  la  établi,  «  l'époque  de  la  maturité  et  de  la 
perfection.  >^  elle  parta-e  en  deux  moitiés  à  peu  près  égales  ce  qui 
nous  a  été  conservé  des  Sermons.  Cent  ipiinzc  sermons,  y  compris 
les  esquisses  ou  fracjmcnts  de  discours,  sont  antérieurs  au  Carême 
du  Louvre.  Cette  station  et  l'époque  suivante  réunies  en  fournissent 
cent  vm:rt.  Dans  notre  édition,  l'une  de  ces  deux  parties  remplira  les 
trois  premiers  volumes  ;  et  l'autre,  les  trois  derniers. 

(^u'on  ne  craigne  pas,  parce  que  trois  volumes  entiers  con- 
tiendront des  œuvres  antérieures  au  Carême  du  Louvre,  que 
toute  cette  partie  ne  doive  présenter  qu'un  médiocre  intérêt.  Elle- 
même  a  un  éclat,  que  seule  la  comparaison  avec  la  pleine  maturité 
peut  faire  pâlir.  Ces  compositions  archaïques,  sous  leur  costume 
légèrement  provincial,  même  les  sermons  de  séminaire,  c'est-à-dire 
les  essais  tracés  dès  le  temps  du  Collège  de  Navarre,  mais  surtout 
les  débuts  de  l'Époque  de  Paris,  ont  tant  de  mâle  vigueur  que,  s'il 
ne  nous  était  parvenu  autre  chose  des  Sermons,  Bossuet  mériterait 
encore  d'être  placé  au  premier  rang  ;  seulement  il  ne  s'élèverait  pas 
si  haut  au-dessus  de  ses  rivaux  les  plus  illustres,  dans  les  régions 
solitaires  du  sublime. 

Dans  les  œuvres  de  sa  jeunesse,  comme  dans  les  âges  suivants, 
nous  le  verrons  allier  deux  choses,  qui  se  tempèrent  toujours  chez 
lui  l'une  par  l'autre  :  la  prédilection  instinctive  de  son  âme  pour  les 
grandes  vérités,  pour  les  principes  :  «  Les  hommes,  dira-t-il  un  jour, 
ne  reviennent  que  par  là  (^);  »  et  une  consciencieuse  préoccupation 
d'approprier  son  enseignement  non  seulement  aux  besoins,  mais 
aux  aptitudes  de  son  auditoire. 

Il  n'échappe  à  personne  que  le  génie  naïf  et  profond  de  Bossuet 
avait  une  admirable  affinité  avec  les  vérités  chrétiennes.  Par  la  sin- 
gulière clairv^oyance  de  son  esprit,  par  l'élévation  de  ses  vues  et 
de  ses  sentiments,  il  était  attiré  vers  la  méditation  et  l'exposition 
du  dogme.  D.  Nisard,  dans  son  Histoire  de  la  Littérature  française, 
a  bien  su  reconnaître  là  une  des  raisons  qui  devaient  tirer  du  troi- 
sième rang  Bossuet  prédicateur.  C'est  là  qu'on  avait  imaginé  de  le 
reléguer.  Il  l'a  remis  en  tête  de  la  liste  de  nos  orateurs  sacrés,  en 
renvoyant  Massillon,  comme  il  est  juste,  après  le  solide  Bourdaloue. 
«  Dans  les  sermons  de  Bossuet,  remarque-t-il  (2),  la  doctrine  tient 
plus  de  place  que  la  morale.  Cette  seule  proportion  est  déjà  du 
génie.  »  Il  ne  s'agit  pas,  qu'on  le  remarque  bien,  de  disserter  en 
chaire,  au  lieu  d'exhorter  et  de  reprendre.  Mais  pour  Bossuet,  «  les 
vérités  de  la  foi   et  la  doctrine  des   mœurs  sont  choses  tellement 


I.  Pâques,  i68i,  3e  point.  —  2.  T.  IV,  p,  263. 


INTRODUCTION.  vil 


connexes  et  si  saintement  alliées,  qu'il  n'y  a  pas  moyen  de  les 
séparer  (i).  »  «  On  veut  de  la  morale  dans  les  sermons,  s'écriera-t-il 
devant  l'assemblée  du  clergé,  et  on  a  ra-ison, pourvu  qiCon  entejide  que 
la  morale  chrétienne  est  fondée  sur  les  mystères  du  christianisme  {f).  » 
Chose  admirable  !  déjà  les  ébauches  de  Navarre,  qui  ouvrent  la  série 
des  sermons  distribués  chronologiquement,  nous  montreront  comme 
une  revue  anticipée  de  ces  vérités  fondamentales,  dont  la  méditation 
doit  occuper  avant  toutes  choses  l'âme  d'un  prédicateur  de  l'Evan- 
gile :  le  néant  de  la  vie  présente  en  face  de  l'éternité  ;  les  desseins 
de  Dieu  sur  ses  élus  ;  les  grandeurs  de  la  sainte  Vierge,  son  crédit 
et  sa  bienveillance  maternelle;  notre  justification  par  jÉSUS-CllRIST, 
et  les  devoirs  qu'elle  nous  impose. 

A  Navarre,  Bossuet  comptait  parmi  ses  auditeurs  des  théologiens, 
ses  condisciples  ou  ses  maîtres.  Son  génie,  aussi  humble  que  grand, 
savait  profiter  de  leurs  conseils.  Il  dira  dans  l'oraison  funèbre  de 
Nicolas  Cornet:  «  Puis-je..,  lui  dénier  quelque  part  dans  mes  dis- 
cours, après  qu'il  en  a  été  si  souvent  le  censeur  et  l'arbitre  ?»  A 
Metz,  il  n'aura  garde  de  se  confiner  dans  les  hautes  considérations, 
de  perdre  de  vue  son  auditoire,  ou  de  chercher  à  l'éblouir.  Un  pro- 
fond sentiment  de  ses  devoirs  de  ministre  de  la  parole  sainte  le  pré- 
munira toute  sa  vie  contre  une  semblable  tentation.  Tous  les  témoins 
autorisés,  Saint-Simon,  comme  l'abbé  Ledieu,  qui  suivit  Bossuet 
pendant  vingt  ans  de  paroisse  en  paroisse,  nous  assurent  qu'il  excel- 
lait à  mesurer  ses  instructions  à  la  capacité  des  auditeurs. 

Il  n'attendit  pas  à  être  pasteur  pour  se  rapetisser  ainsi,  comme  le 
prophète  ressuscitant  l'enfant  de  la  Sunamite.  Y  a-t-il  rien  de  plus 
simple  que  les  allocutions  catéchistiques,  qu'il  adressait,  à  Metz,  aux 
Nouvelles  Catholiques,  et  à  leurs  humbles  directrices,  les  religieuses 
de  la  Propagation^  dont  il  était  le  Supérieur  ?  Quelle  éloquence  plus 
populaire  que  celle  du  Panégyrique  de  saint  François  d'Assise,  le 
pauvre  volontaire,  dont  les  pauvres  par  nécessité  envahissaient 
l'église,  au  jour  de  sa  fête  ?  Qu'on  lise  l'œuvre  entière  à  des  bonnes 
gens,  et  en  particulier  ce  que  le  jeune  orateur  (il  n'y  avait  pas  encore 
un  an  qu'il  était  prêtre)  dit  de  la  pauvreté  :  ils  seront  à  leur  tour 
saisis  dans  les  profondeurs  de  leur  âme  ;  car  il  n'y  a  pas  là  un  seul 
mot  qui  ne  soit  à  la  portée  des  plus  illettrés. 

C'étaient  de  telles  compositions  qui  scandalisaient  certains  clas- 
siques étroits  de  la  fin  du  siècle  dernier  et  du  commencement  de 
celui-ci.  Comment  eussent-ils  goûté  l'emploi  tout  simple  du  mot 
propre,  rude  ou  archaïque,  eux  qui  avaient  été  élevés  dans  le  culte 
des  «termes  généraux,»  chers  à  Buffon,  et  (|ui,  préoccupés  par 
dessus  tout  de  la  noblesse  du  style,  faisaient  bon  marché  de  la  pré- 

I.  Cœci  vident,  1665,  2^'  point.  —  2.  Sur  l' IhiHé de  V Église,  i*""  point. 


VIII  INTRODUCTION. 


cision,  de  même   qu'ils  saciifiaicnt  voioiUicis,  dans   la  composition 
même,  l'ordre  réel  et  nécessaire  à  ini  faux-semblant  de  régularité  et 
de  symétrie  ?  Nous  trouverons  assez  souvent  dans  nos  deux  premiers 
volumes  surtout  au  début,  des  exemples  de  la  prétendue   rouille 
qu'on    reprochait    à    notre   auteur.    Aujourd'hui,    au  contraire,    il 
ne  manquerait  pas  de  L^ens  disposés  à  admirer,  comme  une  audace 
transcendante,  tout  ce  qui  ressemble  à  une  anomalie.  C'est  un  autre 
excès,  qui  n'est  <^ui'vc  plus  raisonnable  ;et  les  retouches  de  l'auteur, 
oïl  il  n'y  a  pas  seulement  des  embellissements,  mais  aussi  des  cor- 
rections reconnues  nécessaires,  nous  avertissent  de  temps  en  temps 
de  ne  pas  admirer  aveuL^lément  tout  ce  qui  est  sorti  de  sa  plume. 
Santeul  écrivait  :  «  Le  grand  Corneille  me  dit  très  souvent,  lui  dont 
le  théâtre  est   si  bien  paré,  qu'il  sera  un  jour   habillé  à  la  vieille 
mode  (•).  >  Bossuet  et  Pascal  auraient  pu  faire  la  même  plainte.  Et 
le  premier  n'a-t-il  pas   dit,  dans  son  Discours  de   réception  à  V Aca- 
démie fraucai  se  :  «  Comment  peut-on  confier  des  actions  immortelles 
à  des   langues  toujours  incertaines  et  toujours  changeantes  ?  et  la 
nôtre  en  particulier  pouvait-elle  promettre  l'immortalité,   elle  dont 
nous  voyons  tous  les  jours  passer  les  beautés,  et  qui  devenait  barbare  à 
la  France  me  nie  dans  le  cours  de  peu  d'années?1>  Il  parlait  ainsi  cm  671, 
et  il  aurait   pu  alléguer  ce  qu'il  avait  plus  d'une  fois  expérimenté, 
depuis  plus  de  vingt  ans  que  les  chaires  de  la  province  ou  de  la  capi- 
tale entendaient  sa  voix.  On  est  tenté  de  se  demander  si  ses  exem- 
ples n'auraient  pas  eu  à  eux  seuls  plus  d'efficacité   pour  fixer  la 
langue  que  l'autorité  de  tous  les  académiciens  réunis,  et  si  nombre 
de  locutions  qui   ont  vieilli  auraient  éprouvé  cette  décadence,   à 
supposer  qu'il  eût  fait  imprimer  ses  sermons.  On  avait  si  peu  de  prose 
classique  cà  l'époque  où  la  plupart  furent  prononcés  !   Leur  éclat 
n'eût-il  pas  anobli  certaines  façons   de  s'exprimer,  qui  tombèrent 
bientôt  dans  la  langue  parlée,  et  qu'on  ne  vit  plus  écrites,  dans  l'âge 
suivant,  que  dans  la  correspondance  de  quelques  érudits,  gens  très 
intelligents,  mais  qui  ne  suivent  jamais  la  mode  que  de  loin  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  admirerons  du  moins  une  vie  et  une 
couleur  intenses  dans  tous  ces  discours  d'une  puissante  simplicité. 
Elles  débordent,  pour  ainsi  dire,  dans  les  sermons  de  1653,  pour 
la  Circoncision.'suv  W  Loi  de  Dieu,  sur  V  Exaltation  delà  sainte  Croix^ 
ou  dans  le  Panégyrique  de  saint  Bernard.  Une  particularité  digne  de 
notre  attention,  c'est  l'accent  personnel  si  prononcé  dans  la  plupart 
de  ces  discours  ;  c'est,  je  ne  dis  pas  le  ton  de  sincérité,  (il  est  de  toutes 
les  épocjues  chez  l^ossuet),mais  le  ton  d'enthousiasme,  qui  est  surtout 
frappant  au  début  de  sa  prédication. Manifestement  il  est  ravi,  au  len- 
demain de  son  ordination  sacerdotale,d'être  le  ministre  de  la  Religion 

I.  R(i  LiiiL  u  ia  crilique  des  inscriptions  faites  pour  l'arsenal  de  Brest  (1679) 


INTRODUCTION.  IX 

que  Dieu  même  a  instituée,  d'être  le  héraut  d'une  si  belle  et  si  sainte 
doctrine  :  c'est  de  tout  son  cœur  et  de  toutes  les  énergies  de  son  âme 
qu'il  est  prêtre  et  prédicateur. 

Ce  qu'il  faut  remarquer  encore,  c'est  la  richesse,  la  surabondance 
même  de  pensées  dans  ses  premières  œuvres.  De  là  en  partie  la 
longueur  démesurée  des  exordes.  L'usage  comportait,  il  est  vrai,  ces 
interminables  préparations.  Elles  étaient  abusives  cependant  ;  et  de 
bonne  heure  Bossuet  en  sentit  l'inconvénient.  Il  les  avait  corrigées 
pour  sa  part,  plus  de  vingt  ans  avant  que  la  Bruyère  en  fît  la  cri- 
tique (^).  De  là  aussi  des  digressions  qui,  bien  qu'instructives  et 
intéressantes,  sont  peut-être  accueillies  par  l'auteur  avec  trop  de 
complaisance. 

De  tels  défauts  du  reste  sont  pleins  de  promesses  dans  un  débu- 
tant. Dès  le  premier  jour,  il  a  des  trésors  en  réserve  ;  chaque  pas  qu'il 
fait  lui  ouvre  des  horizons  spacieux,  vers  lesquels  son  regard  tend  à 
s'échapper.  Les  plus  anciens  de  ses  sermons  contiennent  des  plans 
tout  préparés  pour  une  série  de  discours  futurs.  Par  exemple,  du 
premier  sermon  de  Bossuet  prêtre,  celui  du  Samedi- Saint  16^2,  sorti- 
ront des  discours  sur  la  Rcsiirrectioii,  soit  à  Metz  (1654),  soit  à  Paris 
(1660  et  1669)  ;  en  outre,  on  reconnaît,  dans  les  dernières  phrases, 
comme  l'embryon  des  sermons  sur  la  Pénitence  (1656),  et  sur  les 
Rechutes  (1660).  On  a  remarqué,  il  y  a  longtemps  (2),  dans  le  sermon 
sur  la  Bonté  et  la  Rigueur  de  Dieu,  par  lequel  il  inaugure,  bientôt 
après,  sa  prédication  dans  la  cathédrale  de  Metz,  des  pensées 
qui  font  songer  au  Discours  sur  V histoire  universelle  ;  telle  autre, 
agrandie  et  développée,  trouvera  place  dans  les  sermons  sur  la 
Providence  (1656  et  1662).  Nous  signalerons,  de  temps  en  temps, 
ces  rapprochements,  non  pour  nous  substituer  à  l'intelligence  des 
lecteurs,  mais  plutôt  pour  leur  rappeler  qu'on  retrouvera  fréquem- 
ment la  doctrine  des  Sermons  dans  les  Méditations  sur  riivan- 
gile,  dans  les  Élévations  sur  les  Mystères,  dans  \ Exposition  de  la 
Doctrine  catholique,  dans  les  volumineux  écrits  de  controverse,  si  peu 
lus  et  pourtant  si  profitables  à  qui  voudrait  s'instruire  à  fond  des 
vérités  de  la  foi  ;  en  \\\\  mot,  dans  les  Œuvres  complètes  de  Bossuet. 
«Je  l'ai  vu,  rapporte  l'abbé  Ledieu  (3),  emplo3^er  dans  sa  Politique 
sur  les  rois  et  la  royauté  des  matériaux  tirés  de  ses  sermons  prêches 
à  la  cour,  tant  il  en  estimait  les  principes  sûrs  et  bien  établis.  » 

Nous  avons  insisté  ailleurs  (^)  sur  cette  constance  de  pensées  dans 
toute  la  vie  de  Bossuet.  On  en  peut  voir  des  exemples  nombreux  et 
frappants  dans  le  commentaire  si  abondant  et  si  substantiel  que 
M.  Jacquinct  a  donné  des   six   oraisons  funèbres   classiques.  Nous 

I.  Cdractcrcs...,  De  la  chaire. —  2.  Gandar,  Bossuet  orateur,  j).  70  ;  Choix  de  Sermons,  p.  10. 
—i  3.  Mémoires,  ]).  112.   —  4.  f/isfoire  critii/ne  de  la  Prédication  de  Bossuet,  p.  36S. 


INTRODUCTION. 


espérons  attcindie  encore  plus  coniplctcmcnt  le  même  but  en  dres- 
sant dans  notre  dernier  volume  une  Table  analytique  des  Sermons. 
Du  reste,  cette  âme  toujours  active,  cet  esprit  toujours   pensant, 
ne  se  résignait  ijuère  à  une  reproduction  servile  des   conceptions 
qu'il  avait  enfantées.   En  pensant   les   mêmes  choses,  il  les  pensait 
mieux  de  jour  en  jour  ;  dans  les  développements,  quelquefois  assez 
étendus,  qui  passeront  d'une  ceuvre  dans  une  autre,  on  aura   sans 
cesse  à  constater,  ne  fût-ce  que  dans  le  détail,  quelques  heureuses 
modifications.  Rien  de  plus  légitime  en  principe  que  de  semblables 
emprunts.  La  précocité  et  la  sûreté  de  son  savoir  lui  permit  de  se 
les  faire  à  lui-même  de  bonne  heure.  Reportons-nous  à  l'origine  réelle 
de  nos  manuscrits  et  à  leur  destination  véritable.  Leur  auteur  était 
bien  éloigné  de  songer  à  les  publier.  Il  n'eut  donc  pas  à  se  demander 
si,  réunis  en  volume,  ils  feraient  des  redites.  Il  ne  s'agissait  pour  lui 
que  du  ministère  quotidien.  Un  auditoire  devait-il  être  frustré  d'une 
vérité  capitale  parce  qu'un  autre  auditoire  l'avait  déjà  entendue? 
Le  lecteur  sérieux  et  attentif  s'étonnera  peu  sans  doute  de  ne  pas 
rencontrer  un  fonds  toujours  varié  dans  l'exposition  d'une  doctrine 
invariable.  Il   laissera  les  désœuvrés  s'indigner  de  ce  qu'un  dévelop- 
pement paraît  peu  nouveau  à  leur  avide  curiosité.  Pour  lui,  il  ne 
sera  pas  insensible  aux  nuances  délicates  d'une  nouvelle  rédaction, 
bien  qu'elles  ne  portent  que  sur  des  détails.  Quand  ce  développement 
s'était  présenté  pour  la  première  fois  à  ses  yeux,  il  avait  probablement 
été  tenté  de  regarder  l'expression  comme  définitive.  Elle  l'aurait  été 
pour  tout  autre  ;  mais  Bossuet  trouve  dans  un  fonds  inépuisable  de 
quoi  enchérir  indéfiniment  sur  lui-même,  et  nous   ménager,  lorsque 
nous  croyons  tenir  son  dernier  mot,  la  plus  agréable  des  déceptions. 
Si  le  lecteur  sérieux,  dont  nous  parlons,  est   assez  vaillant  pour 
suivre  d'une  manière  continue,  ou  du  moins  sans  de  trop  longues 
interruptions,  toute  l'œuvre  oratoire  de  Bossuet  dans  l'ordre  chrono- 
logique, tel  que  le  présente  cette  édition,  il  aura  plaisir  à  constater, 
chemin  faisant,  les  progrès  qu'amènent  chez  lui  les  années.  Là  il  trou- 
vera la  confirmation  la  plus  éclatante  de  notre  classification.  Les  pre- 
miers sermons  prononcés  en  province  deviennent  eux-mêmes  de  jour 
en  jour  plus  serrés,  plus  vigoureux,  plus  pressants.  En  1655,  Bossuet 
n'est  prêtre   que  depuis  trois   ans,  et  il  nous   offre  déjà  des   œuvres 
d'une  singulière  puissance,  comme  le  sermon  sur  la   Trinité^  ou  la 
Vêture  MartJia,  MartJia,  sollicita  es,..    L'année   suivante,   nous  ne 
rencontrons  plus  seulement  des  essais  fort  intéressants,  où  percent 
des  éclairs  de  génie,  comme  les  discours  qu'on  retardait  jadis  jusqu'à 
cette  époque  (^)  (sur  la  Loi  de  Dieu  ;  sur  les  Démons^  i^r  sermon  ; 


I.  Nous  renvoyons  à  l'Introduction  du  second  volume  tout  ce  qui  concerne  la  «  chronologie 
contentieuse,  »  pour  nous  servir  d'une  expression  de  Bossuet. 


INTRODUCTION.  XI 


pour  rAsce7tsion;  pour  la  Pentecôte^  i^'"  sermon;  la  Nativité  de  la 
sainte  Vierge^  3^  sermon  des  éditions,  et  la  Conception,  i^^  sermon)  ;  ce 
sont  maintenant  des  œuvres  qui  dénotent  un  orateur  formé  :  si  loin 
qu'il  soit  d'avoir  donné  toute  sa  mesure,  il  les  marque  de  son  cachet 
inimitable  :  le  Depositiini  ciistodi  (l^'"  Panégyrique  de  saint  Joseph)  ; 
le  Mîindus  gaiidebit  (sur  la  Providence)  ;  et  le  "çtrQvaxtr  Senno)ipo2cr 
le  jour  de  Noël,  sont  des  discours  justement  célèbres. 

On  comprend  qu'aussitôt  après,  la  parole  ardente  du  jeune  ora- 
teur ait  trouvé  un  accueil  enthousiaste  à  Paris,  lorsque,  pendant  un 
séjour  de  quelques  mois  seulement,  au  commencement  de  1657,  il  y 
fit  entendre,  avec  le  Panégyrique  de  saint  Thomas  dAqîmi,(\\XQ  nous 
n'avons  malheureusement  plus,  ceux  de  saint  Paul  q\.  de  saint  Victor. 
De  retour  à  Metz,  il  redevient  plus  populaire  et  plus  pathétique  que 
jamais,  notamment  dans  la  Mission  de  1658,  où  il  prêta  son  con- 
cours aux  envoyés  de  saint  Vincent  de  Paul. 

L'année  1659  ouvre  l'époque  de  Paris,  c'est-à-dire  cette  période 
de  dix  années  oia  se  placent  la  plupart  des  sermons  destinés  aux 
auditoires  de  la  ville  ou  de  la  cour.  Bientôt  vont  commencer  les 
grandes  stations  :  le  Carême  des  Minimes,  en  1660  ;  celui  des  Carmé- 
lites, en  166 1  ;  le  Carême  du  Louvre,  en  1662  ;  celui  de  Saint- 
Thomas  du  Louvre,  en  1665  ;  l'AvENT  DU  LOUVRE,  en  1665  ;  le 
Carême  de  Saint-Germain  (second  carême  royal),  en  1666; 
VAvent  de  Saint-Thomas  du  Louvre,  en  1668  ;  enfin  l'A  VENT 
DE  Saint-Germain,  en  1669.  Bossuet  était  alors  évêque  nommé 
de  Condom.  Démissionnaire  presque  aussitôt,  il  interrompt 
pendant  dix  ans  le  cours  de  ses  prédications,  pour  se  consacrer  à 
la  tâche  ingrate  de  précepteur  du  Dauphin  ;  sa  voix  alors  se  fait 
entendre  si  rarement,  qu'il  peut  dire  avec  vérité  que  les  chaires  ne  la 
coitnaissênt  plus  (ï).  Les  grandes  stations  en  effet  sont  à  tout  jamais 
finies  pour  lui;  et  quand  la  liberté  sera  enfin  rendue  à  son  éloquence 
si  longtemps  captive,  il  la  réservera  presque  exclusivement  au  trou- 
peau «  qu'il  doit  nourrir  de  la  parole  de  vie,  »  jusqu'à  ce  que  sonne 
l'heure,  lointaine  encore,  où  la  France  apprendra  que  sa  plus  vive 
lumière  s'est  éteinte,  que  sa  plus  grande  voix  est  tombée. 

Lorsque  Bossuet,  dans  sa  trente-cinquième  année,  parut  dans  la 
chaire  royale,  il  atteignait,  avec  la  perfection  de  l'âge,  celle  de  l'art 
de  parler  et  d'écrire.  Le  travail  et  l'expérience  avaient  mûri  le  génie 
si  naturellement  puissant  qu'il  avait  reçu  de  la  Providence,  et  qu'il 
entendait  bien  consacrer  uniquement  au  salut  des  âmes.  Désormais 
il  se  soutiendra,  sans  fléchir,  dans  la  possession  de  ses  incompa- 
rables ressources.  On  peut  dire  que,  de  cette  époque  jusqu'à  sa  mort, 
il  ne  savait  plus  faire  que  des  chefs-d'œuvre. 

I.  Profession  de  M""'  de  la  Val  Hère,  ic  cxordc. 


XII  INTRODUCTION. 


Par  malheur  pour  la  postciitc,  il  usera  laip^cmcnt,  dans  sa  matu- 
rité et  clans  sa  vieillesse,  de  son  aptitude  à  composer  mentalement 
sans  écrire.  Le  plus  souvent,  dans  son  diocèse,  les  flots  de  son  élo- 
quence se  précipiteront,  sans  avoir  besoin  d'un  lit  creusé  à  l'avance. 
Ce  sera,  il  est  vrai,  sans  désordre  et  sans  confusion  :  toujours  subsis- 
tera ce  merveilleux  pouvoir  de  jTouverner  leur  cours  impétueux, 
du  haut  des  régions  supérieures  où  ce  beau  fleuve  prenait  sa  source. 
Mais  cette  onde  passait,  fugitive  ;  et  les  âges  à  venir  ne  pouvaient 
se  promettre  d'y  venir  puiser.  Çà  et  là,  grâce  à  un  commencement 
de  préparation,  la  pensée  s'est  fixée,  du  moins  en  partie.  Nous  aimons 
alors  à  la  suivre  aussi  longtemps  qu'il  nous  est  donné  de  le  faire  : 
tout  à  coup  elle  disparaît,  semblable  à  ces  rivières  qui  se  perdent 
avant  d'arriver  à  la  mer. 

Si  riche  que  soit  un  génie,  il  ne  peut  atteindre  à  cette  plénitude, 
à  moins  d'avoir  largement  puisé,  comme  Bossuet,  aux  sources 
mêmes  :  dans  les  Livres  saints,  et  dans  les  écrits  des  Pères  (i).  A 
Navarre  (1642- 165 2),  il  avait  d'abord  complété  ses  études  littéraires, 
commencées  chez  les  Jésuites  de  Dijon,  puis  parcouru  le  cycle  entier 
des  études  théologiques.  Il  les  couronna  par  le  doctorat,  quelques 
jours  après  son  ordination  sacerdotale  (16  mars  —  9  avril  1652). 
Loin  de  se  borner  à  ce  premier  fonds,  sur  lequel  aurait  vécu  presque 
uniquement  maint  prédicateur,  il  ne  cessa  ensuite,  dans  un  travail 
personnel  ininterrompu,  d'approfondir  la  science  de  la  Religion,  et 
le  problème  de  la  destinée  humaine.  Ainsi  se  réalisa  ce  que  Nisard 
a  heureusement  appelé  «  l'union  des  deux  antiquités  dans  Bossuet.» 

L'orateur  de  la  chaire,  qui  voudra  s'attacher  à  ses  exemples,  de- 
vra avant  tout  s'inspirer  de  l'Écriture  et  de  la  Tradition,  pour 
acquérir  une  ample  provision  de  connaissances  sacrées  ;  et  cepen- 
dant, il  ne  dédaignera  pas  de  demander  aux  auteurs  classiques  de 
tous  les  temps,  et  à  Bossuet  lui-même,  quelques-uns  des  secrets  de 
l'art  de  penser  et  d'écrire.  «  Il  faut  la  plénitude  pour  faire  la  fécon- 
dité, et  la  fécondité  pour  faire  la  variété,  sans  laquelle  nul  agrément:  » 
ainsi  disait  un  jour  notre  orateur,  bien  que  «  l'agrément  »  fût  la 
moindre  de  ses  préoccupations  habituelles  ;  mais  il  s'agissait  en  cette 
circonstance  de  répondre  à  la  consultation  d'un  prélat  jeune  et  in- 
expérimenté, le  cardinal  de  Bouillon,  qui  demandait  qu'on  lui 
indiquât  les  lectures  et  les  études  par  lesquelles  il  pourrait  se  former 
à  l'éloquence.  Nous  donnerons  à  sa  date  (1670)  la  lettre  de  Bossuet, 
qui  a  de  si  étroits  rapports  avec  l'histoire  de  sa  prédication.  On  y 
verra  de  curieuses  confidences.  Elles  confirment  ce  que  nous  consta- 
tons sur  cette  <i(  union  des  deux  antiquités  »  dans   les  œuvres   ora- 

ï.   Voy.  sur  ee  point  \ Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet,   l^e  partie,  ch.  pr. 


INTRODUCTION.  XIII 


toires.  Parlant  du  secours  qu'on  peut  tirer  du  commerce  avec  les 
poètes  :  «  Je  ne  connais,  dit-il  modestement,  que  Virgile  et  un  peu 
Homère.  Horace  est  bon  à  sa  mode,  mais  plus  éloigné  du  style  ora- 
toire. Le  reste  ne  fait  que  gâter  et  inspirer  les  pointes,  les  antithèses, 
les  grands  mots,  le  peu  de  sens  et  toutes  les  froides  beautés.  »  En 
regard  de  cette  austère  déclaration,  que  remarquons-nous  dans 
les  sermons?  Bossuet,  si  éloigné  qu'il  soit  de  tout  pédantisme,  et  si 
franchement  voué  qu'il  nous  paraisse  aux  études  sacrées,  laisse 
échapper  çà  et  là  des  traits  qui  montrent  qu'il  ne  tenait  qu'à  lui 
de  lutter  avec  ses  prédécesseurs  ou  ses  contemporains,avec  un  Senaut, 
par  exemple,  en  étalant  dans  la  chaire  une  érudition  toute  profane. 
A  ses  débuts,  à  Navarre,  parlant  de  la  divine  Mère  donnée  du 
haut  de  la  croix  au  disciple  bien-aimé,  et  en  sa  personne  à  tous  les 
fidèles  (ï),  il  se  laisse  tenter  par  une  allusion  à  ce  testament  d'Euda- 
midas, léguant  «à  ses  amis  sa  mère  et  ses  enfants.  »  C'était  un  trait 
qui  venait  d'être  popularisé  par  un  chef-d'œuvre  de  Nicolas  Poussin 
(1645).  Il  y  revient,  dans  les  premiers  temps  de  son  séjour  à  Metz. 
Mais  déjà  il  a  perdu  une  partie  de  sa  confiance  en  cet  exemple  :  il 
sait  que  «  les  sages  du  monde  ont  ordinairement  travaillé  bien  plus 
pour  l'ostentation  que  pour  la  vertu  ;  »  et  aussitôt  il  conclut  à  laisser 
«  les  histoires  profanes,  »  pour  aller  droit  «  à  l'Évangile  de  JÉSUS- 
Ciirist(2).  » 

Un  peu  plus  tard  (1655),  un  mot  de  Virgile  se  présentait  sous  sa 
plume,  mot  d'ailleurs  profond  et  philosophique  :  An  sua  aiique  deus 
fit  dira  ciipido  ?  Il  s'en  excuse  immédiatement  :  «  Permettez-moi 
dit-il,  ce  petit  mot  d'un  auteur  profane,  que  je  m'en  vais  tâcher 
d'effacer  par  un  passage  admirable  d'un  auteur  sacré.  »  Et  il  chante 
avec  le  disciple  bien-aimé  :  Deus  cai^itas  est!  «  Il  n'y  a  que  les 
chrétiens,  s'écrie-t-il,  qui  puissent  se  vanter  que  leur  amour  est  un 
Dieu  (3).  » 

Le  plus  souvent,  c'est  sous  forme  de  réminiscencej  spontanées 
que  les  plus  beaux  endroits  des  anciens  reviennent  dans  les  Sermons. 
Ils  ne  sont  point  cités,  mais  librement  traduits,  ou  insérés  à  titre  de 
lieux  communs  dans  la  trame  du  discours.  Il  est  aisé  de  recon- 
naître, par  exemple,  le  Sic  oculos,  sic  illc  inanus,  sic  ora  ferebat  de 
l'Enéide  (IH,  490),  en  cette  phrase  mise  dans  la  bouche  d'une  mère  : 
«  C'est  ainsi,  dira-t-elle,  qu'il  pose  ses  mains,  c'est  ainsi  qu'il  porte 
ses  yeux,  telle  est  son  action  et  sa  contenance  {^).  »  Une  ingénieuse 
comparaison,  tirée  de  la  greffe  des  arbres,  et  appliquée  à  la  charité 
fraternelle,  qui  doit  recevoir  étrangers  et  ennemis,  amène  des  expres- 


I.    Rosaire,     1651   (I,  72).    —  2,    Scapiilaire,   1653   (T,    375).  --   3.   PanJi^yrigue    de   saitit 
François  de  Paul-:  (II,  37).  --  4.  Rosaire,  1651,  2«^  point  (1,  c;4). 


XIV  INTRODUCTION. 


sions  identiques  à  celles  du  poète  des  Géorgiqucs  :  «  Le  tronc  qui 
l'a  porte  contre  son  inclination  se  réjouit,  si  je  le  puis  dire,  de  voir 
naître  de  ce  rameau  et  des  feuilles  et  des  fruits  qui  lui  font  hon- 
neur (').  >  Virçjilc  avait  dit  {Geori,-.,  II,  '^i):  Miraturqne  nov  as  frondes 
et  non  sua  pouia. 

Je  m  ctonne  un  peu  que  Gandar,  dans  un  Choix  classique  de  ser- 
mons,o\x  les  notes  sont  abondantes  et  instructives,  n'ait  pas  signalé 
\\x\  souvenir  d'Horace,  sur  la  fin  du  premier  point  du  sermon  sur 
\ Ardeur  de  la  Pénitence  (1662),  un  des  plus  beaux  de  Bossuet  : 
«  Voyez  cet  insensé  sur  le  bord  d'un  fleuve,  qui,  voulant  passer  à 
l'autre  rive,  attend  que  le  fleuve  se  soit  écoulé.  »  N'est-ce  pas  le 

Rusticus  cxspectat  dnni  defluat  amnis  ;  at  ille 
Labitur  et  labetur  in  oiiine  volubilis  œvum  ? 

i.  Et,  continue  de  même  notre  orateur,  il  ne  s'aperçoit  pas  qu'il 
coule  sans  cesse.  Il  faut  passer  par-dessus  le  fleuve  ;  il  faut  marcher 
contre  le  torrent,  résister  au  cours  de  nos  passions  ;  et  non  attendre 
de  voir  écoulé  ce  qui  ne  s'écoule  jamais  tout  à  fait.  » 

Bossuet  excelle  à  détourner  une  description  physique  au  sens  mo- 
ral et  figuré.  C'est  ainsi  que  ses  imitations  même  sont  originales, 
et  luttent  sans  désavantage  avec  les  modèles  qui  les  ont  inspi- 
rées. Quand  nous  lisons  ces  paroles  dans  \ Oraison  funèbre  de  la 
duchesse  d Orléans  :  «  Partout  on  entend  des  cris,  partout  on  voit  la 
douleur  et  le  désespoir,  et  l'image  de  la  mort  ;  »  ne  voit-on  pas 
s'étendre,  pour  ainsi  dire,  sur  toutes  les  âmes  l'ombre  d'un  seul  tré- 
pas }  L'orateur  s'est  emparé  des  traits  consacrés  par  le  poète  romain 
à  exprimer  l'horreur  du  sac  d'une  ville  tombée  au  pouvoir  de  l'en- 
nemi : 

Lucius  ubique,  pavor^  et  plurima  mortis  imago,  (^neid.,  II,  369.) 

Décrivant  dans  une  rapide  esquisse  l'assoupissement  d'une  âme 
qui  s'endort  dans  une  trompeuse  tranquillité,  au  lieu  de  continuer 
sa  marche  vers  la  perfection,  il  a  présent  à  l'esprit  le  souvenir  du 
pilote  imprudent  si  bien  dépeint  à  la  fin  du  V^  livre  de  l'Enéide  ; 
et  quatre  mots  de  l'auteur  profane  viennent  d'eux-mêmes  sous  sa 
plume  dans  cette  phrase  :  «  Cette  partie  languissante  et  endormie 
lui  dit  pour  l'inviter  au  repos  :  Tout  est  calme,  tout  est  accoisé  ;  les 
passions  sont  vaincues,  les  vents  sont  bridés,  toutes  les  tempêtes  sont 
apaisées  ;  le  ciel  est  serein,  la  mer  est  unie  ;  le  vaisseau  s'avance  tout 
seul:  Ferunt  ipsa  œquora  classent  (2).  »  M.  Lâchât,  toujours  inexact, 
jusque  dans  ses  corrections,  supprime  arbitrairement  ces  mots.   Ici 

1.  Diligite  inimicos  vestros,  1660,  1^  point  sîibjinem. 

2,  Panéçyrigne  de  saint  Benoît,  1665,  3e  p. 


INTRODUCTION.  XV 


Bossuet,  qui  s'adresse  à  des  érudits  de  profession,  ne  les  juge  pas 
déplacés.  Du  reste,  môme  quand  il  parle  à  des  bénédictins,  il  n'a 
garde  de  multiplier  de  telles  citations.  Il  continuait:  «...  L'esprit 
se  laisse  aller  et  sommeille  ;  assuré  sur  la  face  de  la  mer  calmée,  et 
sur  la  protection  du  ciel  expérimentée  si  souvent,  il  lâche  le  gouver- 
nail, et  laisse  aller  le  vaisseau  à  l'abandon  :  les  vents  se  soulèvent, 
il  est  submergé.  O  esprit  qui  vous  êtes  fié  vainement  et  en  la  grâce 
du  ciel  et  au  calme  trompeur  de  vos  passions,  vous  servirez  d'ex- 
emple à  jamais  des  périls  oij  jette  les  âmes  une  folle  et  téméraire 
confiance  !  »  En  cet  endroit,  il  était  tenté  d'écrire  la  belle  exclamation 
qu'il  venait  d'imiter  en  la  surpassant:  0  nimiiun...  pelago  confise 
sereno  !  Il  s'arrête  ;  et  avec  raison  :  car  il  allait  affaiblir,  en  y  faisant 
dominer  le  caractère  ingénieux,  les  fortes  pensées  qu'il  venait  d'ex- 
primer. Il  efface  donc  résolument  la  citation  latine.  Cette  fois,  c'est 
Deforis  qui  a  eu  tort  de  s'obstiner  à  la  rétablir,  malgré  Bossuet. 

Çà  et  là,  mais  rarement,  une  inspiration  de  détail  sera  ainsi  de- 
mandée aux  poètes  ou  aux  philosophes.  Encore  sera-t-elle  prise  de 
préférence  dans  quelque  passage  souvent  cité  par  les  Pères,  et  qui 
selon  l'expression  de  notre  orateur,  aura  «  cessé  d'être  profane,  en 
passant  par  ce  sacré  canal  (^).  » 

L'essentiel,  à  ses  yeux,  ce  qu'il  recommande  dans  ses  conseils,  et 
encore  plus  par  ses  exemples,  c'est  de  se  pénétrer  et  de  s'impréo-ner 
pour  ainsi  dire,  de  l'Écriture  sainte  et  des  écrits  des  Pères,  inter- 
prètes de  la  Tradition.  «  Venons  maintenant  aux  choses,  disait-il 
au  jeune  cardinal  de  Bouillon  :  la  première  et  le  fond  de  tout  c'est 
de  savoir  très  bien  les  Ecritures  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testa- 
ment. »  Et  pour  les  Pères  de  l'Église  :  «  Je  voudrais,  ajoute-t-il, 
joindre  ensemble  saint  Augustin  et  saint  Chrysostome.  L'un  élève 
l'esprit  aux  grandes  et  subtiles  considérations  ;  et  l'autre  le  ramène  et 
le  mesure  à  la  capacité  du  peuple...  » 

On  sait  combien  Tertullien  avait  charmé  sa  jeunesse.  Avec  le 
temps,  son  enthousiasme  pour  cet  écrivain  si  puissant  dans  son  style 
tourmenté  diminua,  sans  toutefois  qu'il  en  vînt  jusqu'à  le  dédai^-ner. 
Il  écrit,  à  cette  date  de  1670,  oli  le  neveu  de  Turenne  converti  le 
consulte  :  «  Comme  l'usage  veut  qu'on  cite  quelques  sentences,  c'est- 
à-dire  accurathis  vel  elegantiiis  diciata,  Tertullien  en  fournit  beau- 
coup. Seulement  il  faut  prendre  garde  que  les  beaux  endroits  sont 
fort  communs.  »  Ils  le  sont  plus  encore  maintenant,  surtout  grâce 
aux  citations  de  Bossuet  lui-même. 

On  rencontre  en  maint  endroit  la  preuve  qu'il  n'était  pas  moins 


I.    Mundus  gaudebit,  1664,  i'^''  p. 


yj  iNïUOniTTTON:.  

familiarise'  avec  les  traitcsXlaint  Thomas  d'Aquin  qu'avec  les 
a'  cicns  rèrcs  ;  mais  VaMtcur  auquel  il  ne  se  lassera  jama.s  de  revenu-, 
c'est  celui  que  rAn.e  de  l'ICcole  lui-mcmc  avait  cho.s,  pour  son 
maître  c'est  saint  Augustin  :  «  Tous  les  savants  demeurent  d  accord, 
1  écrit  Itesuet,  que  saint  Thomas,  dans  le  fond,  n  est  autre  chose 
que  saint  Augustin  réduit  à  la  n.élhode  scholasfque  (').  » 

Grecs  ou  latins,  aucun  des  grands  docteurs  ne  lui  fut  étranger.  La, 
il  est  vrai,  il  n'apprit  peut-être  pas,  en  fait  de  vertus  à  prêcher  et  de 
vices  -i  combattre,  cette  science  du  minimum  de  1  obligation  stricte, 
nui  eJt  devenue  pour  les  générations  modernes  la  théologie  morale 
nropremcnt  dite.  Mais  cet  aspect  du  christianisme,  tout  légitime  qu  il 
est  d'un  certain  point  do  vue,  c'est-à-dire  quand  il  s'agit  de  déter- 
miner la  limite  du  terrain  qui  appartient  à  la  liberté  humaine,  n'est 
nas  le  seul  "race  à  Dieu.  Disons  même  qu'il  n'est  toujours  le  plus 
sur  •  car  il  ne  suffit  pas  sans  doute  de  dire  aux  passions  :  Vous  irez 
jusqu'ici  et  là  se  briseront  vos  flots  impétueux.  Enfin,  et  cela  est 
décisif  sur  le  point  de  la  prédication,  il  n'est  pas  non  plus  celui 
qui  répond  le  plus  complètement  à  l'esprit  si  généreux  de  la  loi 

nouvelle.  ,  .       i,  •       ^ 

L'idéal  de  vertu,  et  non  le  minimum,  tel  est  1  objet  d  un  vrai  pré- 
dicateur. C'est  celui  de  Bossuct,  comme  des  Pères,  comme  de  saint 
Paul,  comme  de  l'Évangile.  Il  appartient  à  l'Église  catholique  :  c'est 
à  quoi  nous  exhortent  ses  mystères  eux-mêmes,  où  tout  ce  que  nous 
honorons  «  doit  être,  dit  Bossuet,  le  modèle  de  notre  vie  (2).  »  Elle  a 
rrrâce  pour  y  élever  les  âmes  de  bonne  volonté  ;  et  toujours  elle  aura 
dans  ses  saints  une  élite  de  héros,  qui,  semblables  à  l'aigle  dont 
parle  Moïse  (3\  volant  les  premiers  dans  ces  hautes  et  sereines 
récrions,  y  appelleront  efficacement  les  autres.  Ce  que  Bossuet  a 
demandé  aux  livres  des  Pères,  comme  à  ceux  de  la  sainte  Ecriture, 
ce  qu'il  y  faut  puiser  à  son  exemple,  c'est  donc  la  science  de  la 
Reli"'ion  et  de  la  morale  surnaturelle,  non  tant  dans  les  vétilles  de 
la  casuistique  ou  des  systèmes  d'école,  que  dans  la  haute  et  pleine 
majesté  de  ses  divins  principes,  de  son  excellence  surhumaine,  et  des 
célestes  horizons  qu'elle  ouvre  à   nos  aspirations. 

Morale  ou  dogme,  les  idées  qui  sont  communes  à  Bossuet  et  aux 
Pères,  celles  même  qu'il  tire  d'eux  directement,  nous  présentent  cette 
sinf^ularité  que  c'est  souvent  chez  lui  seul  qu'elles  trouvent  leur  com- 

1.  Diftme  de  la  Tradition  et  des  saints  Pères,  1.  XIII,  ch.iv.  (Lâchât,  IV,  507.  —  Les  anciens 
éditeurs  s'étaient  abstenus  de  publier  ce  XI 11^  livre,  sous  prétexte  que  l'auteur  n'y  avait  pas 
mis  la  dernière  main.  En  réalité  un  éloge  de  l'orthodoxie  dogmatique  des  Jésuites  les  offusquait 
(dans  le  chapitre  môme  que  nous  citons). 

2.  Couicption  de  la  S,.  Vierge,  1669,  2"  p. 

3.  Deuter.,  XXXli.  11. 


INTRODUCTION.  XVII 


plet  développement,  et  atteignent  leur  grandeur  naturelle.  Jusque-là, 
elles  semblaient  avoir  été  rencontrées  incidemment.  C'étaient  des 
traits  heureux  jetés  en  passant  dans  un  commentaire  :  ils  en  prenaient 
le  ton  général,  ici  simple  et  pratique,  là  subtil  et  ingénieux.  Saint 
Grégoire  le  Grand  montre  dans  sa  XXIX'^  homélie  sur  les  Evangiles 
le  Sauveur  venant  comme  par  bonds  à  notre  Rédemption,  idée  vrai- 
ment grande  et  majestueuse,  qu'il  sait  parfaitement  développer  : 
Quosdam^  ut  ita dicam^ salins  dédit .. .yi2i\s  le  beau  commentaire  où  il 
rencontre  le  sublime,  lui  est  suggéré  par  d'heureux  rapprochements 
des  textes  de  l'Ancien  Testament  avec  ceux  du  Nouveau.  Lui  serait- 
il  venu  en  pensée,  si  sa  mémoire  ne  lui  avait  rappelé  ce  verset  du 
Cantique  (il,  8)  :  Ecce  iste  venit  saliens  in  montibus,  transïliens 
colles  ?  Dans  Bossuet,  les  vues  profondes  ne  sont  point  des  rencontres 
accidentelles,  qui  dépendent  des  occasions.  C'est  l'état  normal 
de  son  âme,  sa  manière  propre  de  concevoir  toutes  choses.  Comme 
il  s'élève  sans  effort,  il  n'a  aucune  peine  à  se  soutenir  ;  et  il  a  ainsi, 
chose  bien  rare  en  littérature,  le  naturel  dans  la  grandeur.  Repré- 
senter l'Homme-Dieu,  allant  à  son  triomphe  définitif  par  une  série 
d'abaissements  volontaires,  qu'il  appelle  «  des  chutes,  »  c'est  aussi 
une  idée  qui  lui  est  familière,comme  aux  Pères,  et  nous  la  rencontrons 
dès  son  premier  opuscule.  A-t-on  jamais  marqué  plus  fortement  que 
lui  l'admirable  contraste  entre  la  grandeur  essentielle  de  JÉSUS,  dont 
les  humiliations  ne  sauraient  le  faire  déchoir,  et  la  nécessaire  déca- 
dence,quidans  les  grandeurs  du  monde  succède  inévitablement  aune 
élévation  passagère?  «Il  est  vrai,avouera-t-il  en  opposant  l'histoire  du 
Sauveur  à  celle  des  conquérants,  il  est  vrai  qu'il  y  a  des  chutes  :  il  est 
comme  tombé  du  sein  de  son  Père  dans  celui  d'une  femme  mortelle, 
de  là  dans  une  étable,  et  de  là  encore,  par  divers  degrés  de  bassesse, 
jusqu'à  l'infamie  de  la  croix,  jusqu'à  l'obscurité  du  tombcau.J'avoue 
qu'on  ne  pouvait  pas  tomber  plus  bas  ;  aussi  n'est-ce  pas  là  le  terme 
oij  il  aboutit,  mais  celui  d'oia  il  commence  à  se  relever.  Il  ressuscite,  il 
monte  aux  cieux,  il  y  entre  en  possession  de  sa  gloire  ;  et  afin  que 
cette  gloire  qu'il  y  possède  soit  déclarée  à  tout  l'univers,  il  en 
viendra  un  jour  en  grande  puissance  pour  juger  les  vivants  et  les 
morts  (»).  » 

Que  le  même  saint  Grégoire,  après  saint  Augustin,  ait  fait  juste- 
ment remarquer  dans  les  aveugles  guéris  par  jKSUS-CllRlST  l'image 
du  genre  humain  éclairé  par  la  foi  :  ni  l'un  ni  l'autre  ne  paraissent 
avoir  attaché  une  grande  importance  à  cette  réflexion  semée  sur 
leur  chemin.  Bossuet  la  généralise  et  lui  donne  toute  sa  portée  : 
«  Ces  miracles  sensibles,  qui  ont  été  faits  par  le  Fils  de  Dieu  sur  des 
personnes    particulières  et  pendant  un  temps    limité,  étaient    les 

I.  Exorde  du  Tune  vidcbunt,  rédaction  de  1665,  pour  rouvorture  de  l'Avent  du  Louvre. 
Sermons  de  Bossuet.  1. 


,^y,jl  INTRODUCTION. 

siVnes  sacres  d'autres  miracles  spirituels,  qui  n'ont  point  de  bornes 
semblables  ni  pour  les  temps  ni  pour  les  personnes,  puisqu  ils  re- 
crardcnt  ë-alement  tous  les  hommes  et  tous  les  siècles.  »  Et  le  genre 
humain  éclairé  par  la  foi,  le  genre  humain  redressé  par  la  morale 
chrétienne  le  genre  humain  guéri  de  ses  plaies  et  delà  mort  même 
par  la  remission  des  péchés,  c'est  le  sujet  des  trois  pomts  de  cet 
admirable  discours  composé  en  1665,  repris  exceptionnellement  en 
166S  et  \669,s,\.\xUDiviniii'dcJP.siis-CHRisr,  qui  est  comme  le 
Poème  de  la  Relii^ion  de  l'auteur  des  Sermons. 

En  terminant'cctte  rapide  inspection  des  sources  où  Bossuet  a 
puisé,  notons  une  conséquence  intéressante  de  son  commerce  intime 
avec  les  Pères.  Comme  dans  la  Bible,  il  y  apprit  de  bonne  heure  à 
tout  connaître  et  à  tout  dire.  Jamais  il  ne  recule  devant  les  expli- 
cations ou  les  comparaisons  dont  la  pruderie  moderne  affecterait  le 
plus  de  s'effaroucher.  Est-il  besoin  de  dire  qu'on  rencontre  en  ces 
endroits  un  tel  parfum  de  vertu,  une  si  grande  horreur  des  vices,  que 
la  lecture  et  la  méditation  des  passages  les  plus  hardis  ne  peut  être 
que  saine  et  vivifiante  ?  sauf  peut-être  pour  ces  âmes  perverties,  dont 
parle  saint  Paul,  qui,  appliquées  à  chercher  des  souillures,  en  trou- 
vent partout,  tandis  que  «tout  est  pur  aux  purs  :  »  Ornnia  munda 
jnundis  ;  coinqninatis  autem  et  infidelibus  niJiil  est  mundum  (').  Chez 
notre  orateur  la  science,  même  la  plus  inattendue,  ne  perd  jamais 
le  caractère  qu'elle  tient  de  sa  vénérable  origine  ;  -et  quand  nous 
l'entendrons,  dès  sa  jeunesse,  parler  à  pleine  bouche  des  matières 
réputées  les  plus  scabreuses,  l'extrême  franchise  de  son  langage  sera 
elle-même,  pour  les  esprits  sagaces,  l'indice  de  cette  candeur  à  la- 
quelle une  pieuse  veuve,  devenue  la  sœur  Cornuau  de  saint  Bénigne, 
rendit  plus  tard  ce  beau  témoignage  :  «  Il  était  pur  comme  un 
ange  {^).  » 

1.  Tit.,  I,  15. 

2.  Second  Avertissement  de  la  sœur  Cornuau,  dans  la  Correspondance  de  Bossuei  (Lâchât, 

XXVII.  432). 


REMARQUES  (0 

SUR    LA    GRAMMAIRE    ET    LE    VOCABULAIRE 
DANS    LES   SERMONS  DE  BOSSUET. 

—  préposition  d'une  acception  plus  large  qu'elle  n'est  aujourd'hui  : 

Dans  le  sens  de  pour  :  «  Que  s'ensuit-il  à  notre  propos?  »  {8  sept.  1652, 
2*^  p.)  —  «  A  notre  malheur.  »  {S.  François  d^ Assise.,  1652,  2'-"  exorde.)  Au  8  sept, 
précédent,  l'auteur  a  corrigé  :  «  Pour  notre  malheur.  »  Mais,  I,  350,  l'expression 
reparaît.  —  «  Mourir,  à  mon  Sauveur,  c'est  régner.  »  {Circo?icision,  T653,  l'^'p.) 

—  «  Cette  nation  de  démons  conjurés^  notre  ruine.  »  {Démo7is.,  1653,  exorde.) 
— «  Il  tient  bonne  table  à  ses  ruines  ;  »  Edit.  à  ses  mines.  {Ho^ineur,  1660,  2^  p.) 
Ici  le  pluriel,  qui  est  peut-être  un  lapsus  parmi  beaucoup  d'autres,  fait  difficulté. 
Au  singulier,  cette  phrase  serait  identique  à  celle  de  Pascal  :  «  Les  grands  en 
profitent  à  sa  ruine.  y>{Pensées^  art.  I II,  8.)  — «  A  quoi  êtes-vous  né,  petit  enfant.''  » 
{Pîirijîcation,  1662,  2^  p.)  —  «  S'accordent...  <^nous  servir...  »  {Aforl,  1662,  2* p.) 

—  «  Elle  n'attend  pas  à  ôter  l'épée  à  l'enfant  après  qu'il  se  sera  donné  un  coup 
mortel.  »  {Cœci  vident,  1665,  2^  p.) 

Comme  équivalent  de  vers,  dans  :  «  Ainsi  le  pieux  Bernard  s'enflamme  ate 
mépris  du  monde.  »  {S.  Bernard,  1653,  i^""  p.)  «  Abaissons-nous  donc  à  ces 
humbles. >  {S.  Paul,  1657,  i^'p.) — «  On  s'engage  à  des  attachements  criminels.» 
{Visitation,  1659,  2"  p.)  —  «  Seront  honteusement  relégués  (2«:r  ténèbres  exté- 
rieures. »  {Ernijiente  dignité  des  pauvres,  1659,  2^  exorde.)  —  «  L'empêche 
d'étendre  son  bras  à  la  dernière  vengeance.  »  {Souffrafices,  1661,  2®  p.)  —  <<  On 
tombe  d'une  vie  licencieuse  à  une  mort  désespérée.  »  {Itnpénit.  finale,  1662, 
2^  exorde.) — «  Objet  moins  agréable,  à  la  vérité,  mais  qui  nous  presse  plus  forte- 
ment ^  la  pénitence.»  {Ibid.,  i""^  exorde.)  Cf.  Vendrcdi-Saiiit,  1662,  3*^  p. — 
«  Tournez  maintenant  tous  vos  désirs  à  ce  repos  éternel.  »  [Circoncision,  1668, 
3^  p.)  —  «  Alors  ces  malheureux  vaincus  rappelleront  à  leur  compagnie  leur 
superbe  triomphateur.  »  {Henriette  d'A?igleterre,  1670.)  —  <S(  Que  ce  qui  porte 
en  nous  la  marque  divine,  ce  qui  est  capable  de  s'unir  à  Dieu,/  soit  aussi  rap- 
pelé. »  {Ibid.)  —  «  Ils  n'ont  pas  même  de  quoi  établir  le  néant  auquel  ils  es^^h- 
rtnt.  ))  {Palatine,  1685.)  —  «Le  cardinal  Mazarin  s'avançait  secrètement  <Ma 
première  place.  »  {Le  Tellier,  1686.)  —  «  Monter  au  trône  ;  »  Voy.  dans.  — 
«  Se  trafisfonner  à...  »  Voy.  INVERSION. 

Dans  plusieurs  cas  où  nous  mettrions  de  :  «  A  qui  il  ne  coûte  pas  plus  à  faire 
qu'^  dire.  »  {La  Vallicre,  1675,  ^^^  exorde.)  —  Commejicer  à  ou  de  ;  Obliger  à  ou 
de  ;  Avoir  peine  à  ou  de  ;  Se  plaire  à  ou  de  ;  Presser  à  ou  de  :  Voy.  DE. 

Enfin  dans  une  foule  de  locutions,  dont  la  plupart  sont  des  latinismes  :  Récon- 
cilier à  {Réconciliation,  1653,  exorde,  etc.)  et  avec  {Quasimodo,  1660,  3'-"  p.)  —  Ne 
respirer  qu'<?  (6"'''  Thérèse,  1657,  péror.) —  Insister  «  au.v  mêmes  princijies.  )> 
{E7nine?tte  dignité  des  pauvres, \(i^<^,  3"^  p.)  —  «  Libre  à  son  Dieu.  »  {Postul.  Ber- 
nardine, 1656  et  1659.)  —  «  Sévère  à  lui-même.  »   {Henriette  de  Fr.,  1669.)  — 

I.  Nous  nous  sommes  proposé  dans  ces  Remarques  :  i^  de  diminuer  d'autant  le  nombre 
des  notes  au  l)as  des  pages  ;  2»  de  les  rendre,  en  les  groupant,  plus  claires  et  jîlus  instructives  ; 
30  d'expliquer  au  besoin  Bossuet  par  Bossuet  lui-môme.  Il  eilt  été  aisé  d'emprunter  des  rap- 
prochements aux  Lexiques  divers  de  la  collection  des  Grands  écrivains  ;  nous  nous  les  som- 
mes interdits,  pour  abréger. 


XX  REMARQUES 


<  SAre  â  ses  amis.  >  {lUnrietU  (TAngL,  1670.)  -  «  Atrable  a  tous...  »  (//^/./.)  - 

<  FiuiU  a...  pardonner.  »  Ubid.)  -  <L  Pas  moins  trompeur  à  lui-mcMne  o^Maux 
autres  >  {ratatine,  1685.)  -  «  Maximes  ruineuses  à  la  pureté  des  mœurs.  » 
Œonneur,  1666,  i-  p.)  -  <  l'^^l à  tous.  >  justice,  1666,  i"  p.)  -  «  S  ils  le  font 
Àn»/^«  vice  et  à  la  vertu,  quelle  idole  !  »  {Palatine,  1685.)  -  «  A  cette  fois.  >> 
(Henriette  de  Fr.,  1669  ;  Pa/atine,  16S5.)  -«A  comparaison  de...  »  (/^^j/z^/. 
bernardine,  1659,  i"  p.;  .Varie- T/i/r?se,  1683.)  -  «  ^  même  temps  que.  »  {Puri- 

Jicatiûn,  1653,  2^  p.)  — <  A  justice...  à  salut.  »  {Purijication,  1654,  i«^  p.) 

Forme  locution  .avec  le  verbe  .-V/r  exprimé  ou  sous-entendu  :  «  Sous  la  mam 
de  Dieu,  qui  sera  continuellement  à  son  secours.  >  {Co?tde\  1687.)  —  «  Quels 
regrets  <1  la  Vier-e  de  voir  que  son  Fils  l'eût  amenée...  »  {Veille  de  V Assomp- 
tion, 1650  ;)  et  non  pas  a  (verbe),  comme  le  voulait  M.  Lâchât.  —  «  Quelle  dou- 
leur'r/  cet  homme  de  Dieu  quand..!  »  (6*.  Bernard,  1653,  2'=  p.)  —  «  Quel  plaisir 
au  Sauveur  de  contempler..!  >  {S.  Jean,  1658,  2«  p.)  —  «  Quel  supplice  à  une 
conscience  timorée  !  »  {Palatine,  1685.) 
Satisfaire  à,  Semir  à,  voy.  ces  mots. 

Synonyme  de  par  dans  ces  locutions  :  Se  laisser  dominer,  emporter,  vaincre, 
maîtriser,  surprendre,  séduire,  éblouir, conduire...  à:  «  Quand  il  se  laisse  do?ni- 
ner  à  ses  passions.  »  {Loi  de  Dieu,  1653,  2^  p.;  —  «  Ils  se  sont  laissé  emporter  à 
leurs  fantaisies.  »  {Ibid.)  —  «  Sensible  jusques  à  la  fin  à  la  tendresse  des  siens, 
il  ne  s'y  laissa  jamais  vaincre.  »  {Condé,  1687.)  —  «  Des  lecteurs  dont  le  juge- 
ment ne  se  laisse  pas  maîtriser  aux  événements  ni  à  la  fortune.  »  {Henriette  de 
Fr.,  1669.)  —  <  C'est  trop  se  laisser  siirpreiidre  aux  vaines  descriptions  des 
peintres  et  des  poètes,  que...»  {Impétiit,  finale,  1662,  2^  exorde.)  —  <i.Ne 
vous  laissez  pas  séduire  à  Satan.  »  (  Démons,  1660,  2^  p.)  —  «  Le  plus  pué- 
ril de  tous,  c'est  l'honneur  que  nous  mettons  dans  les  choses  vaines,  et  cette 
facilité  àQnousy  laisser  éblouir.  »  {Hon7ie7cr,\666,  i""'  p.)  —  «  Laissez-vous  donc 
conduire  à  ces  lois  si  saintes.  »  {Cœci  vident,  1665,  2'-'  p.)  —  Et  même  sans  la 
forme  pronominale  :  «  Il  laisse  ce?tsurerse.s  desseins  aux  fous  et  atix  téméraires.» 
{Providence,  1662,  i"""  p.)  —  «  Laissez-lui  remuer  au  fond  de  vos  cœurs  ce  secret 
principe  de  l'amour  de  Dieu.  »  {La  Vallière,  1675,  2^  p.)  —  On  trouve  aussi /«r.- 
<  Ne  pas  laisser  coryvmpre  son  cœur  par  les  grandeurs  et  les  biens  qu'on  pos- 
sède. »  {S.  André,  1668,  3*^  p.) 

Ab.^ndONNEMENT,  {Kéç{M^ïi\  "^owx  abandon.  {Compassion,  1659;  Anges  gar- 
diens, 1659;  Vendredi-Saint,  1660,  etc.) — Bossuet  emploie  de  même  retarde- 
ment au  même  sens  que  retard.  —  Au  contraire  il  dit  attache  pour  attachement: 
«  Avoir  tant  d^ attache  à  parer  son  corps.  »  {Intég.  de  la  Pénitence,  1662,  3^  p.) 

Aborder  ^t'."  <(  Ne  peuvent  aborder  dtc  trône  de  'D'xtn.  ^  {Ascension,  1654, 
I"  p.) 

AccoiSÉ  :  «  Tout  est  calme,  tout  est  accoisé.  »  {S.  Benoît,  1665,  3^  p.)  Edit. 
<<  tout  est  tranquille.  »  Ils  avaient  pourtant  conservé  ce  mot  dans  la  Correspon- 
dance de  Bossuet  et  dans  les  Méditations  sur  V Evangile. 

Accommodé  :  riche,  à  Vaise  :  «  Un  homme  accommodé  dans  le  siècle.  »  {S. 
François  dAssise,  1652,  i^'  p.)  —  <L  Des  personnes  riches  et  accommodées.  » 
{Parcet pauperi,  1658,  i'^'"  p.) 

Adjectifs  employés  substantivement.  Se  rencontrent  à  toutes  les  époques: 
<  Ces  braves,  zts  généreux,  accoutumés  au  commandement.  )){S.  Bernard,  1653, 
2^  p.)  Les  éditeurs  ont  cru  devoir  corriger:  «Ces  généreux  militaires/)}  — 
«  h^s  passionnés  de  la  terre.  »  {Profession,  1659,  2"  p.)  —  «  Converser  avec  les 
sains.  ))  {S  sept.  1659,  i'=''  p.)  —  «  Autour  des  fortunés  de  la  terre.  »  {Émînente 
dignité...,  1659,  i*"' exorde.)  —  «  Promesses  temporelles  par  lesquelles  on  atti- 
rait ces  ^r^jj/>rr.  5>  {Ibid.,  i^"^  p.)  —  «  Ces  victorieux  cruels.  »  {Jusius  es,  1668, 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXI 

3e  p  )  —    (^  Pensant  en  faire  un  géiiéreiix^  n'en  ferons-nous   point  un   rebelle  ?  » 
{S.  Thomas  de  Cantorbéry,  1668,  2^  p.) 

Adjuger  :  «  Que  n'attendez-vous  la  fin  du  combat,  avant  d\idjiiger  la  vic- 
toire? »  {Visitation^  1659  et  1660,  3^  p.)  Bossuet  écrit  :  ajuger  (aiuger).  {Ej?tin. 
dignité,  1659,  i^""  p.)  On  a  prononcé  ainsi  jusqu'au  siècle  dernier. 

Admiration  (Etre  en)  :  «  Autant  que  leur  vie  était  inconnue  aux  hommes, 
autant  était-elle  en  admiration  devant  les  saints  anges.  »  (6".  Berna?'d,  1653,  i*^"" 
p.  uar.) —  «  Il  commença  de  vivre  de  sorte  qu'il  fut  bientôt  en  admiration, 
même  h  ces  anges  terrestres.  »  {Ibid.) 

Admirer  de  voir...  Latinisme,  pour  s'étojiner  de.  {Démons,  1660,  péror.) 
Adultérer  (altérer)  :   corrompre,  dénaturer  :  «  Il  (Satan)  adultère  tous  les 
ouvrages  de  Dieu.  »  {Démons,  1653,  2^  p.) 

Affecter  :  prétendre  à  :  «  Affecter  la  divinité.  »  {Démons,  1653  ;  Scapiilaire, 
1653.)  —  De  même  :  «  Affectation  de  l'indépendance.  »(II,  589.) 

Agréger:  réunir  au  troupeau  :  «Pour  agréger  ses  brebis  dispersées...  » 
{Purification,  1654,  i^'  p.) 

Aigle,  masc.  et  fém.  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652,  2*"  p.)  —  Masc.  {Palatine, 
1685  ;  mais  il  s'agit  de  saint  Jean.)  Fém.  {Condé,  1687  ;  dans  une  comparaison.) 
Aimer,  avec  l'infinitif,  sans  préposition  :  «  Il  aime  converser  avec  les  hum- 
bles. »  {A?tnonciatio?t,  1655,  2°  p.) 

Amour, fém.  dans  quelques  phrases  :  «  Son  heureuse  fécondité  redoublait  tous 
les  jours  les  sacrés  liens  de  leur  amour  niutuelle,  »  {Henriette  de  Fr.,  1669.) 
Cf.  I,  99  ;  312  ;  II,  84.  —  Plus  souvent  du  masculin. 

Anacoluthes.  Nombreuses.  Il  y  en  a  d'excellentes  :  «  Il  est  bien  digne  de 
sa  grandeur  de  faire  largesse  de  ses  trésors,  et  que  d'autres  se  ressentent  de  son 
abondance.  »  {Félicité  des  S  S.,  1648,  2*^  p.)  —  «  Vous  voulez  nous  faire  entendre 
combien  nos  blessures  sont  profondes,  et  que...l>  {Samedi- Saint,  1652,  i*^''  p.)  — 
i.  Dieu,  qui  résiste  aux  superbes,  voyant  ses  pensées  arrogantes,  et  que...  » 
{Démons,  1653,  2^  p.)  —  «  Regardant  la  justice  divine  si  fort  enflammée  contre 
nous,  et  que  d'ailleurs  il  est  impossible  d'y  résister.  »  (///''  dim.  après  la  Pente- 
côte, 1655,  2^^  p.)  —  <i\\  considère  Jésus-Christ  comme  un  bien  commun,  et 
que  ses  mystères  sont  à  tout  le  monde.  »  {Co7iception,  1656,  2*^  p,  i""*^  rédact.)  — 
«  Il  n'y  a  heure,  il  n'y  a  moment  que  vous  ne  puissiez  ménager,  et  le  donner 
saintement  à  Dieu.  >  {Postul.  Bernardine,  1659,  3^  p.) —  «  C'est  de  cette  alliance 
que  j'espère  vous  entretenir,  et  vous  eti  montrer...  »  {Anges  gardiens,  1659, 
exorde.)  —  «  O71  ne  craint  pas  de  faire  misérablement  languir  des  marchands 
et  des  ouvriers,  dont  la  famille  éplorée,  que  votre  vanité  réduit  à  la  faim,  crie 
vengeance  devant  Dieu  contre  votre  luxe.  »  {Justice,  1666,  i"  p.)  —  «  Il  fallait 
donc  qu'un  Dieu,  qui  venait  pour  être  le  docteur  du  genre  humain,  nous  apprît 
à  nous  abaisser,  et  que  le  premier  pas  qu'il  fallait  faire  pour  être  chrétien,  c'était 
d'être  humble.  »  {Noël,  1692,  i*'''  p.)  —  En  voici  qui  semblent  moins  heureuses  : 

—  «  Ne  voyez-vous  pas  tous  les  jours  manquer  quelques  ressorts  à  leurs  grands  et 
vastes  desseins,  et  que  cela  ruine  toute  l'entreprise  ?>  {Loi  de  Dieu,  1653,  v'^  p.) 

—  «  Poussés  d'un  vain  désir  de  paraître,  leur  éloquence...  >  {S.  Bernard,  1653, 
2«^  p.)  —  «  Toujours  douce,...  son  crédit...  »  {Henriette  d'Angl.,  1670.)  —  Enfin 
d'autres  sont  absolument  fautives  :  «  Le  péché  suit  et  est  égal  au  volontaire.  > 
{Péché d'habitude,  1646.)  C'est-à-dire  :  suit  le  volontaire,  et  est  égal  au  volontaire. 

—  «  En  joignant  l'exécution  au  mauvais  désir,  c\'st  jeter  (\\i  poison...  »  [^Ambi- 
iion,  1661  et  1662,  1*='  p.) 

Angélisé  :  «  Une  chair  angéliséc.  »   {Assomption,    1660,  2''  p.)  Trailuction 
littérale  de  V Aniielificata  caro  de  Tertullien  {De  rcsurr.  carn.,  26). 


XXII  REMARQUES 


Anticipkr,  actif:  «  Vous  ne  trouverez  pas  mauvais  quefan/icipe  ce  discours 
propht'tiquc  du  saint  vieillard  Simdon.  »  {Noël,  1692,  exordc.) 

Antinomks.  Mot  introduit  par  les  cMitcurs  dans  le  texte  de  Bossuet  (  Circon- 
cision, 1653,  l*"'  p.)  :  il  faut  lire  :  ^(  autonomes.  »  (Voy.  I,  270.) 

Apparent  :  visible  et  non  qui  n\i  que  r,ipparcme:  «  Nous  ne  vivrions  pas 
dans  un  nu^pris  si  apparent  des  affaires  de  notre  salut.»  {Toussaitit,  i649,exorde.) 
—  «  J'en  ai  toucln5  une  raison,  qui  me  semble  fort  apparente,  >  {Rosaire,  165 1, 
2C  p.)  _  <  Encore  que  selon  le  monde  elles  aient  beaucoup  moins  d'apparent.  » 
(0<7  7'/V/<r«/,  165^,  2**  exorde.) 

Appas,  appât  :  ne  sont  qu'un  même  mot  pour  Bossuet,  qui  l'écrit:  apas. 

Appkler  \  faire  appela  :  «  Trouvez  bon  ici,  chrétiens,  que  f  appelle  \e  témoi- 
pnaire  de  vos  consciences.  >n  {Anges  gardiens,  1659,  2«  p.)  —  H  aurait  le  sens 
d'interpeller  tlans  la  péroraison  de  l'Oraison  funèbre  de  Nicolas  Cornet  ;  mais 
le  texte  est  peu  sûr  :  «  (^irandes  mânes,  je  vous  appelle,  sortez  de  ce  tombeau.  » 

Appréhender,  dans  le  sens  dç^  prendre.  Voy.  Traductions. 

Appréhknsif,  risqué  en  1662  {Purification,  i^--  p.),  a  été  remplacé  dès  lors  par 
timide. 

Apprenti.  En  1648,  Bossuet,  écolier  de  théologie,  écrit  aprentif.  {Félicité  des 
S  S.,  1648,  2<"  p.)  Plus  tard  :  aprenti  {Trifiité,  1655). 

Approcher,  pour  rapprocher.  {S.Joseph,  Depositum  custodi,  1656,  i"p.) 

Ardeur,  au  sens  étymologique  :  «  Viendra  Pardeur  du  grand  jugement,  qui 
desséchera...  >  {Providence,  1662,  2*  p.) 

Arrktfr,  au  neutre  :  {Arrêtons  ici,  chrétiens,  et  que  la  méditation  d'un  si 
grand  exemple  fasse  le  fruit  de  tout  ce  discours.  »  {S.  Paul,  1657,  3^  p.) 

Art  se  trouve  deux  fois  au  féminin  :  «  Le  crédit  des  bofines  arts.  »  {Zizanies, 
1652,  I"  p.)  —  «  Les  Grecs,  les  maîtres  des  belles  arts  {S''  Croix:,  1652,  i^'  p.) 
—  Les  éditeurs  avaient  supprimé  ces  deux  gros  latinismes.  Bossuet  a  dit  vers  le 
même  temps  :  «  L'étude  des  bonnes  lettres.  y>  {Martha...,  1655,  i^'  p.) 

Article.  Les  articles  et  autres  déterminatifs  se  répètent  quelquefois,  quand 
un  nom  est  accompagné  de  plusieurs  épithètes  :  «  Le  grand  et  /'incomparable 
François  de  Paule.  >  (1655.)  —  «Jean,  son  bon  et  son  fidèle  ami.  »  {S.  Jean, 
1658,  2'' p.)  —  ^Lais  ce  n'était  pas  une  règle  absolue  :  on  lit  aussi  :  «  Le  docte  et 
éloquent  saint  Jean  Chrysostome.  >>  {Eminente  dignité...,  1659,   i^""  p.) 

Artifice  (latinisme):  art  :  «  Dieu  ayant  fait  le  monde  avec  cet  admirable 
artifice.  >  {Martha...,  1655,  2'^  p.)  —  Inventioît,  supposition  ingénieuse  :  «  C'est 
avec  un  pareil  artifice  que  le  bienheureux  martyr  Cyprien  fait  considérer  les 
vanités  du  siècle  à  son  fidèle  ami  Donatus.  »  {Loi de  Dieu,  1653,  2^  exorde.) 

Asseoir  (s').  Fait  au  futur  ils\issîra.  {Circoncision,  1643,  i^''p.)  Voy.  ENVOYER. 

Assiette  :  situation.  {Loi  de  Dieu,  1653,  2^  p.,  I,  328.) 

Assurément  :  avec  assurance.  {Vefidredi- Saint,  1660,  exorde  et  i^""  p.) 

Assurer  :  affermir  :  «  Les  uns  après  les  autres  je  les  joins,  tâchant  de  m' assu- 
rer. >  {Brièveté  de  la  vie,  1648.)  —  Au  figuré,  rendre  ferme  dans  la  science,  domi- 
ner la  certitude  :  «  Je  n'ai  pas  la  science  en  moi-même  ;  mais  j'ai  celle  du  Fils 
de  Dieu  qui  vci  assure.  »  {Ipsum  audite,  1660,  r""  p.)  —  S'assurer  sur.  {Vendredi- 
Saint,  1660,  i^""  p.)  —Je  m'assure  que,  locution  très  usitée  au  xvii^  siècle  :  «/^ 
m'assure  que  vous  prévenez  déjà  ce  que  je  veux  dire.  »  {Rechutes,  1660,  i^'^p.) — 
<  Je  m'assure  que  ces  vérités  évangéliques  sont  entrées  bien  avant  dans  leurs 
consciences.  >  {Parole  de  Dieu,  1661,  i""  p.)  etc. 

A'ITENTER,  pris  activement  :  «  Qu'-attentez-vous,  malheureux  ?  »  {Justice,  1666, 
-"'  P-)  —  «  Jusqu'à  cette  fatale  prison,  il  n'avait  pas  seulement  songé  qu'on  pût 
rien  attenter  contre  l'État.  y>{Condé,  1687.)  —  Ailleurs,  neutre:  «  C'est  à  cela  que 
nous  attentons.  »  {Annonciation,  1661,  i^'  p.) 


4 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXIII 


Attractions,  fréquentes  ;  ce  sont  des  latinismes  :  €  Etes-vous  celui  qui  f^evez  ^ 
venir?  »  {Cœci  vident^  1665,  i^"^  exorde.)  —  «  Vous  êtes  la  première  qui  Vavez 
reçue.  •j>  {Vaines  excuses...,  1660,  r""  exorde.)  — «  Ce  que  je  dis  du  Père  et  du  Fils, 
je  le  dis  encore  du  Saint-Esprit,  qtà  so7it  trois  choses  et  la  même  chose.  »  {Tri- 
7iité,  1665,  i*''  p.)  —  «  Tout  cela  so7ît  des  biens  effectifs,  qu'un  homme  sage  doit 
estimer  tels.  »  {De  VHonneur,  1658.) —  Rancé  écrivait  plus  tard  à'Bossuet  : 
«  Tout  ce  que  vous  écrivez,  Monseigneur,  sont  aidant  de  décisions.  )>  (Mars 
1697.)  —  «  Il  nous  a  donné  ses  disciples,  qui,  étant  la  ■plus  noble  partie  du 
peuple  qu'il  a  racheté,  est  appliquée  par  lui-même  et  entièrement  dévouée  à  co- 
opérer par  sa  charité  à  la  délivrance  de  tous  les  autres.  »  {S.  Pierre  Nolasque, 
1665,  exorde.)  —  C'est  encore  par  attraction  que  cequitst  remplacé  quelquefois 
par  qui  :«  Jean-Baptiste  s'estime  indigne  de  lui  délier  ses  souliers,  qui  est  le  plus 
vil  office  d'un  serviteur.  »  {Visitation,  1659,  i*^""  p.)  —  «  ...qui  est  la  vraie  dispo- 
sition d'un  chrétien.  »  {Sentiments..,,  vers  1659.) —  C'est  sans  doute  par  attrac- 
tion que  Bossuet  a  fait  cette  construction  assez  étrange  :  «  Les  pigeonneaux  et 
les  tourterelles,  âétaicfit  le  sacrifice  des  pauvres.  »  {Purification,  1653.) 

Aucun,  aucuns.  Le  pluriel  est  fréquent  :  ^  Il  ne  se  voulait  laisser  convaincre 
par  aucuns  discours.  »  {S"  Croix,  1659,  i'"'  p.)  —  «  Sa  grâce  se  montre  grâce  en 
ce  qu'elle  n'est  attirée  par  auctins  mérites.  »  {Visitation,  1659,  i"  p.) —  «  Les 
injustes,  pour  l'ordinaire,  sont  plus  forts,  parce  qu'ils  ne  se  donnent  aucunes 
homes.  )}  {Ambition,  1666.) — Ilya  des  traces  d'hésitation  cependant:  ayant 
écrit  :  «...  n'est  ignorée  d'aucuns  des  fidèles,  »  l'auteur  effaçait  Vs.  {Pâques,  1660, 
3''  p.)Au  contraire,  il  ajoute,  plus  tard,  dans  un  autre  manuscrit  :«  Je  veux  croire 
Gyi^ aucuns  àenxes  auditeurs  ;î<?  sont  si  dépravés  et  si  corrompus.»  (7/(?r(2  est,  1669, 
i^''  p.)  Dans  un  passage  parallèle,  il  avait  dit  :  «  Je  veux  croire  qu'il  n'y  a  aucun 
de  mes  auditeurs  qui  soit  si  dépravé...  »  {Tune  videbunt,  1665,  i*^'"  p.)  —  «  Il  ne 
faut  pas  croire  que  le  monarque  du  monde...  endure  dans  son  empire  C[\i'a7{cu7i 
y  ait  le  commandement  sans  sa  commission  particulière.  »  {Devoirs  des  rois, 
1662,  i^-"  p.) 

Aucunement  gardait  le  sens  positif  :  tin  peu  :  «  Maux  qui,  tout  cruels  qu'ils 
sont,  sont  aucunement  supportables  ».  {Cœci  vident,  1653,  i^"  point).  —  «  Il 
attendait  que  la  faim  les  rendît  aucunement  supportables.  »  {Postul.  Bernardirte, 
1656,  2^  point.) 

Audience  :  1°  action  d^écouter  :  «  Le  monarque  qui  nous  honore  de  son 
audience.  >  {Providence,  1662,  2^  p.) —  «  Sire,  elle  est  digne  de  votre  audience.  » 
{Mort,  1662,  1*=''  p.)  Cf  Rosaire,  1651,  2*=  p.  —  2"  auditoire  :  «...  Que  je  m'abstiens 
de  nommer  par  le  respect  de  cette  audience...  »  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652, 
2"=  p.)  —  «  Des  rencontres  que  l'honnêteté  ne  me  permet  pas  de  dire  en  cette 
audience.)  {S.  Ber?iard,  1653,  i'^''  p.) —  «  S'il  y  a  dans  cette  audie7ice...  »  {(2uasi- 
modOy  1660,  péror.) —  Les  deux  sens  (5'''  Thérèse,  1657,  II,  374,381).  —  «  Repré- 
senter à  cette  auguste  audience.  »  {Marie-Thérèse,  1683.)  —  Oui  honore  cette 
audience.  »  {Palatine,  1685.) 
Aussi,  Voy.  Non  plus. 

Autant  répété.  Au  xvir  siècle,  on  disait  logiquement  :  «  Autant  que..., 
autant...  ;  quantum...,  tajitu)n.  Bossuet  use  de  cette  construction  à  toutes  les 
éj)oques  ;  souvent  avec  une  inversion  dans  le  second  membre  :  «  Autant  que 
leur  opinion  est  'wn\i\t,autant  sont  admirables  les  raisonnements  que  leur  opposent 
les  saints  Pères.  »  {Bonté  et  rii^.  de  Dieu,  1652,  2"^  exorde.)  —  <i  Autant  qu'il 
respectait  leur  degré,  autant  a-t-il  quelquefois  repris  leur  personne.  »  (5".  Ber- 
nard, 1653,  2*'  p.)  «  Autant  qicWs  s'a])prochaient  de  Dieu  par  leur  intelligence, 
autant  s'en  éloi<j^naient-ils  par  leur  orgueil.  »  {A'oel,  1692,  r'  p.)  —  Sans  inver- 
ion  :  «  Autant  (.[ue  je  vois  d'infirmités  en  Notre-Seigneur,  autant  je  me  promets 


XXIV  REMARQUES 


de  grandeur  pour  moi.  )>  (AW/,  1656,  2^  point.)  —  «  Autant  que  le  ciel  s'dlève  et 
que  la  terre  s'incline  au-dessous  de  lui,  autant  le  cœur  des  rois  est  impénétrable.  » 
{^U  Tellier,  1686.)  —  Avec  intcrro>;alion  :  <1  Autant  que  les  saints  retranchent 
de  mauvais  désirs,  ne  se  font-ils  pas  autant  de  salutaires  blessures  .?  »  (5.  Fran- 
çois de  Faute,  1655,  i"^  p.)  —  Il  y  a  quelquefois  un  tour  un  peu  diflfcrent  dans  le 
premier  membre  :  <  Tout  autant  de  péchés  que  nous  commettons,  autant  de 
dettes  contractonsnous  envers  la  justice  divine.  »  {Satisfaction^  1658,  r^  p.)  — 
Avec  elliiîsc,  le  que  ctait  sous-entendu  :  <(  Autant  d'hommes  qui  nous  parlent, 
autant  dorj^anes  cjui  nous  les  inspirent.  »  {Prédication  évanirélique^  1662,  l"  p,) 

D'autant  que.  Locution  fréquente  dans  les  premiers  sermons  ;  =  vu  que 
(I,  12,  20,  137,  284,394,  '^i-jet  seq.;s\^\  H,  70,  ^96,  563-)  Elle  devient  très  rare, 
à  partir  du  commencement  de  l'c'poque  de  Paris  (1659). 

ly autant  plus  que...^  d'autant  plus,  ancien  synonyme  de  plus  répété  :  «  D'au- 
tant plus  que  les  choses  sont  de  conséquence,  d'autant  plus  nous  avons  besoin 
de  l'assistance  divine.  »  {Loi  de  Dieu,  1653,  exorde.)  —  «  D'autant  plus  que  nous 
voyons  tous  les  jours  au^^menter  le  nombre  de  ceux  qui  blasphèment...,  efifor- 
çons-nous  d'autant  plus  à  lui  plaire...  »  {Cœci  vident,  i653,péror.)  — «  D'autant 
plus  que  la  cause  est  parfaite,  d'auta7it plus  le  rapport  est  exact.  »  {Les  deux  Al- 
liances, reprise,  1654.)  —  Bossuet  d'ailleurs  employait  aussi  :  Plus...,  plus, 
comme  nous  ;  ou  encore  :  Plus...,  et  plus. 

.lutant,  pour  <z;/jj/.- «  Explications  autant  y a.\nts  que  spécieuses.  »  {Vêture, 
2  févr.  1654,  I"  p.)  —  «  Sentence  autant  juste  que  formidable.  »  {Pentecôte,  1654, 
2''  p.)  —  «...  De  croire  la  vie  et  la  mort  autant  dissemblables  que  les  uns  et  les 
autres  nous  la  figurent.  »  {Inipénit.Ji7iale,  1662,  2""  exorde.) — «  La  clémence  est 
autant  agréable  aux  hommes  ^;^'une  pluie  qui  vient  sur  le  soir  tempérer  la  cha- 
leur du  jour...  >  {Justice,  1666,  3^^  p.) —  Voy.  COMME, 

Autant,  seul,  a  quelquefois  la  même  valeur  que  le  plus  :  «  Une  des  choses  qui 
augmente  autant  l'affection...  ))  {Rosaire,\6$i,\"  p.) — «Une  des  choses  qui  était 
autant  admirable  dans  les  Apôtres...  »  {S.  Bernard,  1653,  2^  p.)  —  «  Une  des 
qualités  de  l'Eglise  qui  est  autant  célébrée  dans  les  Écritures.  »  —  Var.  «  le  plus.  » 
(Jubilé,  1656,  2^  p.) 

Autre  (L'un  et  l')  se  construisait  avec  le  singulier,  comme  uierque  :  «  L'un 
et  l'autre  s'est  vérifié  àz^s  la  princesse  Palatine.  »  (1685.) 

Aventure  :  était  du  style  relevé  :  «  Renouvelez  vos  attentions  pour  voir  la 
suite  de  cette  aventure,  qui...  »  {S.  Paul,  1657,  2'' p.)  —  «  Dans  le  dessein  que 
j'ai  pris  de  faire  tout  l'entretien  de  cette  semaine  sur  la  triste  aventure  de  ce 
misérable.  »  {Mauvais  riche,  ou  Lmpé?tit.  finale,  1662,  i^""  exorde.) 

Bé:ni,  Bénie  ;  Bénit,  Bénite.  Bossuet  ne  fait  pas  cette  distinction.  Partout 
il  emploie  la  seconde  de  ces  deux  formes,  que  dans  sa  jeunesse  il  écrit  benist, 
beniste.  —  Comme  elle  présenterait  aujourd'hui  un  faux  sens,  nous  avons  imprimé 
béni,  bénie,  dans  les  cas  où  cette  orthographe  est  requise  par  l'usage. 

Bien  Le  bien  de,  c'est-à-dire  \' avantage,  la  faveur  de  :  «  Jamais  elle  ne  put 
obtenir  le  bien  de  le  voir,  jusqu'à  temps  que...  »  {S.  Bernard,  1653,  2«  p.)  — 
L'évêque  de  Meaux  dira  encore  en  I702:«  Ayant  eu  le  bien,  dans  les  six  dernières 
années  de  sa  vie,  d'être  admis  dans  la  Compagnie  de  messieurs  les  ecclésiasti- 
ques qui  s'assemblaient  pour  la  conférence  spirituelle  des  mardis...  »  (7V>«^/- 
,^nage  rendu  à  Monsieur  Vincent  de  Paul,  pour  sa  canonisation.  Inédit.) 

B1ENFAIRE  (en  un  seul  mot) ,  comme  bienfaisant,  et  avec  le  sens  qui  est  resté 
à  cet  adjectif:  «  Sa  première  inclination,  c'est  de  nous  bienfaire.  »  {Bonté  et  rig. 
de  i:>ieu,  1652,  r'  p.)  —  «  Je  ne  paraissais  sur  la  terre  que  pour  leur  bienfaire.  » 
(Ibid.)  —  <  Qui  passait  bienfaisant  et  guérissant  tous  les  oppressés.  »  (Ibid.) 
Cette  traduction,  volontairement  archaïque,  se  retrouve  en  1665  même  :  «  Il  est 


1 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXV 

passé  en  bienfaisant...  »  {Cœci  vident^  1665,  i^'^  exorde.  De  même,  Cœci  vident 
de  1653,  i^"^  p.)  —  «  Jugez  combien  était  grande  l'inclination  qu'il  avait  de  bien- 
faire 2l\x\  hommes...  »  {Cœci  vident^  1653,  i'^'^  p.)  —  «  Sa  volonté  est  de  bien/aire 
généralement  à  tous  les  hommes.  »  {Re'co?tciliation,  1653,  i"  p.)  —  «  Il  reçoit 
comme  un  bienfait,  quand  nous  lui  donnons  le  moyen  de  nous  bienfaire.  »  (  Visi- 
tation^ 1659,  2^  p.  —  Cf.  Charité  fraternelle.,  1660,  2^  p.  ;  Haine  de  la  vérité., 
1661,  2^  p.  ;  Efficacité  de  la  pénitence^  1662,  i"  p.) —  «  Nous  avons  changé  la 
joie  de  bienfaire  en  une  joie  de  punir.  »  {Justus  es^  1668,  2^  p.  Ici  bien  faii-e  fen 
deux  mots,  comme  dans  les  éditions)  est  un  véritable  contresens.  —  Notre  auteur 
a  même  dit  quelque  part  :  «  Ce  qu'il  y  a  de  mieuxfaisant.  »  {Intégrité  de  la  péni- 
tence^ 1662  ;  additions  de  1669,  pour  le  2^  p.) 

Bon.  Bossuet,  dans  sa  jeunesse,  abuse  de  cette  épithète,  même  avec  des 
noms  propres.  {Panég.  de  S.  Bernard,  tic.) 

Bo7is  mots.  «  Etudier  de  bons  mots,  »  et  non  des  bons  mots  :  il  s'agit  de  belles 
expressions.  {Loi  de  Dieu.,  1653,  i^  exorde.) 

Brisures.  Voy.  Traductions. 

BROUiLLER,absolument:«Les  hérétiques  ont  brouillé.»(C^^z7/zrt'^«/,i665,r'"p.) 

Capable  de  (latinisme),  pour  capable  de  recevoir.,  qui  ferait  pléonasme,  d'après 
l'étymologie  :  «  Il  fallait  qu'il  prît  une  nature  capable  de  ces  émotions.  »  {Bonté 
et  rig.  de  Dieu.,  1652,  i^''  p.)  —  «  Cet  âge  ordinairement  indiscret  n'est  pas  capa- 
ble de  ces  bons  conseils.  »  {S.  Bernard.,  1653^  i^""  p.) 

C'EST  ou  CE  SONT,  devant  un  pluriel.  On  trouve  les  deux,  quelquefois  dans  un 
même  discours.  La  différence  est  en  ce  sens  que  ce  sont  est  de  beaucoup  le  plus 
usité  dans  la  jeunesse  de  Bossuet  ;  et  âest.,  pendant  son  épiscopat,  lorsqu'il  était 
de  l'Académie,  1671-1704.  Voici  quelques  rares  exemples  du  singulier,  dans  la 
première  époque  :  «  S'il  avait  quelque  chose  à  acquérir,  âétait  les  élus.  »  (  Tous- 
saint., 1649,  2*^  p.)  Mais  dans  la  Méditation  de  l'année  précédente  :  «  S'il  avait 
quelque  chose  à  gagner,  c'' et  aient  Xts  élus.  »  {Félicité  des  SS.,  1648,  2^  p.)  —  De 
même  en  1652  :  «  Les  biens  du  Fils  de  Dieu,  ce  sont  les  vertus  et  les  grâces.  > 
{S sept.  1652,  2^  p.)  —  Dans  le  premier  Cœci  vident,  1653,  un  exemple  du  singu- 
lier, et  deux  du  pluriel  :  «  Ce  n^était  pas  seulement  les  lieux  où...  »  (i^"^  p.)  Mais 
plus  loin  :  «  La  conduite  de  ta  raison,  âont  ///ses  propres  lumières;  la  règle  de 
ta  volonté,  f'^;//  été  ses  inclinations.  »  (3^  p.)  —  «  Pourvu  que  ce  soit  des  vœux 
qui...  «  {S.  François  de  Paule,  1655,  péror.)  —  «  C^était  les  victimes  que  l'on 
offrait.  »  {Ascension,  1654,  i^'"  p.)  —  D'ordinaire,  jusqu'en  1671,  on  rencontre  le 
pluriel  :  «  Ceux  dont  je  prédis  les  afflictions,  ce  7ie  sont  ni  des  trompeurs,  ni  des 
hypocrites  ;  ce  sont  mes  disciples  les  plus  fidèles,  ce  sont  ceux  dont  je  propose 
la  vertu...»  {Providence,  1656,  2'-'  exorde.)  —  «  Ce  ne  j<?;// point  des  persécuteurs 
qui  l'amènent.  >>  iPostul.  Bemardifie,  1656,  et  1659,  2*-'  exorde.)  —  «  Ce  sont  leurs 
propres  richesses.  »  {Emin.  dignité  des  pauvres,  1659,  2*-^  p.)  —  «  Ce  sont  des 
choses.  ï>  {Henriette  d^Angl.,  1670.)  —  Mais  à  partir  du  Préceptorat  :  «  Cest 
nos  indignes  pasteurs  qui  nous  ont  jetés  dans  ce  lieu  de  tourment  où  nous  som- 
mes. »  {Pâques,  1680,  2"^  p.) — «  C^>9/ les  gentils...  »  {Unité de  t Eglise,  1681,  i'-''  p.; 

—  «  Ce  sont  ceux  dont  il  est  écrit... —  Var.  C'est  ceux...  »  {Marie  Thcrhe,  1683.) 
C<?  J^w/ est  préféré,  pour  éviter  la  cacophonie.  —  Elle  est  admise  ailleurs  :«  Cest 
de  saintes  méditations,  c'est  de  bonnes  œuvres,  c'est  ces  véritables  richesses... 
qui...«  {Le  7>//zVr.  1686,  péror.)  Mais  à  la  page  précédente,  Bossuet  a  laissé 
échapper  ACe  ne  sont  \i^%  les  années...,»  contrairement  à  l'usage  alors  dominant. 

—  Dans  l'oraison  funèbre  de  Condé  :  «  C'est  ces  communes  i)raliques...  »  a  été 
corrigé  en  «  ce  sont  >>,  pour  l'harmonie.  Mais  on  lit  dans  un  autre  passage  :<  Ce 
n'est  pas  seulement  des  hommes  à  combattre,  c'est  des  montagnes  inaccessibles, 
c'est  des  ravines...  ;  c'est  partout  des  forts  élevés...  »  —  Voy.  Attraciions. 


XXVI  REMARQUES 


Ch.(^.\mni^^.:sfl/cfiNt//:  «  Dans  la  célébrité àç^  nos  saints  mystères.  »  {Scapu- 
laift,  1653,  1"  p.)  —  <<  A  la  iéîébrité  de  votre  triomphe.  »  {Ascension,  165^, 
cxorcle.)  --'«  La  ploire  des  esprits  immortels  qu'elle  honore  tous  aujourd'hui  par 
une  mf-me  célébrité.  >  {Beat i  miséricordes,  1657,  exorde.) 

Ck  Ql'K,  conjonction  (quod)  :  «  Ce  que  Dieu  est  bon...  »  {Bonté  etrig.  de  Dieu, 
1652,  1"  p.)  — <"i  CV  que  Dieu  tarde  ;\  punir  les  crimes,  ce  qiéW  les  laisse  souvent 
prospérer,  n'a  rien  de  contraire  h  sa  Providence.  »  {Providejtce,  1656,  r-"  p.)  — 
<  CV  ç^wt*  je  vis  maintenant...  »  {Qi/asimodo,  1660,  i'^'"  p.) 
Ce  gi'K  c'p:st  (juk  dk.  Voy.  (^uk. 

CE.SSÉ,  avec  «'/r^  .•  <  Les  persécutions  sont  cessées,  mais  les  martyres  ne  sont  pas 
cessés,  w  [S.  François  de  Pauh\  1655,  V'  j).)  —  «  Ma  surprise  est  bie7itôt  cessée, 
après  que  j'ai  eu  médité...  y>  {Honneur,  1660,  2"  p.)  — «  Enfin  zV^j/  cessé,  le  bruit 
de  dbs  applaudissements.  >>  (Ibid.) 

CHACRIN,  sens  plus  énergique  qu'aujourd'hui  :  esprit  d'opposition:  «  Com- 
bien criminel  serait  leur  chagrin,  si...?  »  {Ascension,  1654,  2^"  p.)  —  «  Un  chagrin 
superbe.  »  {Cornet,  1663  ;  Henriette  de  Fra?ice,  1669.) 

Ch.ariot  préféré  à  char  :  €  Digne  chariot  de  triomphe  !  »  (F(?^7/é  rt'.?  P As- 
somption, 1650.)  —  «...  Comme  un  chariot  de  triomphe,  oi^i  il  traîne  après  lui  le 
monde  vaincu.  »  {Noël,  1656,  3"^  p.)  Selon  Lâchât,  Bossuet  corrigerait  ce  mot 
dans  le  second  sermon  :  c'est  une  erreur.  Au  contraire,  ayant  écrit  «  char  de 
triomphe,  >  il  rétablit  l'ancienne  forme.    {Noël,  1667,  3^  p.) 

Chimérique.  Pour  user  de  ce  terme,  Bossuet  recourt  à  la  précaution  oratoire  : 
«  Ou'elle  est  ridicule,  qu'elle  est,  si  je  puis  parler  ainsi,  chimérique  !  »  {Postiil. 
Bernardine,  1656,  r'  p.) 
Choir  :  «  Chut  du  ciel  en  terre.  »  {Démons,  1660,  i'^"'  p.) 
Comme,  r  Remplace  souvent  que  dans  une  comparaison  d'égalité  :  «  Fussiez- 
vous  aussi  juste  conune  vous  présumez  de  l'être.  »  {Sajnedi- Saint,  1652,  l'^'^p.)  — 
«  Pour  ouvrir  autant  de  sources  d'amour  comme  il  a  de  plaies.  »  {Pentecôte,  1654, 
péror.)  Les  deux  réunies  :  «  Quel  autre  voyons-nous  qui  s'endorme  si  précisément, 
quand  il  veut,  co)nme  JÉSUS  est  mort  quand  il  lui  a  plu  ?  Quel  homme,  méditant 
un  voyage,  marque  si  certainement  l'heure  de  son  départ  que  JÉSUS  a  marqué 
l'heure   de  son  trépas?»  {S"  Croix,   1653,  i"  p.)  — //^w  Postul.  Bernardine, 
1656  et  1659,   2""  exorde.  —  Se  trouve  encore  dans  la  grande  époque  :  «  Aussi 
fidèles  à  faire  ses  volontés  co?n?ne  il  est  soigneux  d'accomplir  les  vôtres.  »  {Puri- 
fication, 1662,  péror.)  —  «  S'il  nous  était  aussi  aisé  d'inspirer  aux  hommes  la 
haine  de  leurs  péchés  comme  il  nous  est  aisé  de  leur  faire  voir  que  le  péché  est 
le  plus  grand  de  tous  les  maux...  »  {Jam  securis,  166$,  i"  p.)  —  «  Que  notre  zèle 
pour  la  sainte  Église  soit  autant  échauffé  comme  il  est  instruit  par  l'exemple  de 
ce  grand  homme.  »  {S.  Thomas  de  Cantorbéry,  1668,  2^  p.) 

2'  Mis  pour  comment  dans  les  interrogations  indirectes  :  «  Trois  vérités  qui 
apprennent  aux  riches  co77ime  ils  doivent  se  conduire  à  l'égard  des  pauvres.  » 
{Par^et  pauperi,  1658, exorde.)  — «  Voici  comme  il  est  couché  dans  les  Écritures.  » 
{Satisfaction,  1658,  i^'"  p.)  —  Et  plus  tard  :  «  Je  me  suis  donc  résolu  de  leur  faire 
considérer  dans  ce  discours  comme,  par  une  chute  insensible,  on  tombe  d'une 
vie  licencieuse  à  une  mort  désespérée.  »  {Impénit.  finale,  1662,  i"  exorde.)  — 
(Autres  ex.,  Vendredi-Saint,  1662,  i^""  p.  -,  Justice,  1666,  2^  p.  etc.)  —  On  trouve 
aussi  comment  dans  le  même  sens,  dès  1653  {Loi  de  Dieu,  i"  p.)  etc. 

Commettre  :  cojifier  :  «  Dans  trois  fonctions  importantes  du  ministère  qui  lui 
est  commis.  )){S.  /*««/,  1657,  2^  exorde.)  etc. —  Préposer  à  :i.  Les  souverains  quHl 
a  commis  pour  régir  ses  peuples.  »  {Purification,  1662,  péror.)  —  Exposer,  com- 
promettre :  «  Sans  commettre  l'autorité  du  roi  son  seigneur.  »  {Henriette  de  Fr., 
1669.) 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXVII 

Se  commettre,  se  confier.(Z^/  de  Dieit,  1653,  2^  exorde.)  —  S^exposer  à  ilbid., 
1^^  p.)  —  «  Ose  encore  se  cofnmettre  à  la  furie  de  l'Océan...  »  {Henriette  de  Fr., 
1669.) 

Composer  :  arranger,  mettre  en  ordre  conve7iable  :  «  Si  nous  donnons  ce  mo- 
ment de  la  vie  présente  à  composer  nos  mœurs,  il  donnera  l'éternité  tout  entière 
à  contenter  nos  désirs.  »  {Ambition,  1662,  i'^''  p.)  —  Cf.  Loi  de  Dieu  (I,  313,  317)  ; 
Honneur^  1660  (3^  p.)  etc.  —  «  Majesté  composée.  »  (I,  256,) 

Compréhension  :  aptitude  à  co?nprendre,  au  sens  étymologique,  à  e7i/ermer 
en  soi-même  :  «  Notre  esprit...  n'a  pas  une  assez  vaste  compréhension  pour 
s'étendre  hors  de  son  enceinte.  »  {Hora  est,  1669,  i^""  p.) 

Conduite,  expression  fréquente  chez  notre  auteur  :  1°  avec  le  sens  actif:  «  A 
se  rendre  dignes  instruments  de  la  conduite  supérieure.  »  {Providence,  1662, 
2*  exorde.)  —  Cf  Ibid.,  2^  p.  —  Devoirs  des  rois,  1662,  i*"^  p.  —  Purijicatioti, 
1666,  2*^  p.  —  «  Je  veux  voir  auparavant  si  ta  conduite  est  bien  assurée.  >  {Loi 
de  Dieu,  1653,  1*=''  p.)  etc.— «  La  conduite  de  la  grâce.  ^{Palatine,  1685.) —  i"  Au 
sens  passif  :  «  Qui  vous  refusez  la  conduite,  »  c.-à-d.  l'avantage  d'être  conduits. 
{Cœci  vident,  1665,  i^'  p.)  Mais  en  reprenant  ce  sermon  en  1668  et  1669,  Bossuet 
préfère  le  sens  actif,  et  dit  :  «  Oui  no2is  refusez  la  conduite.  » —  «  Avec  leur  cour, 
d'une  grandeur...  aussi  bien  que  d'une  conduite  si  différente.  »  {Marie-Thérèse, 
1683.)  —  «  Il  ne  faut  pas  permettre  à  l'homme  de  se  mépriser  tout  entier,  de 
peur  que...  il  ne  marche  sans  règle  et  sans  condiiite  au  gré  de  ses  aveugles 
désirs.  »  {Henriette  d^Angl.,  1670,  exorde.)  —  Au  pluriel  :  «  Entrons  dans  une 
profonde  considération  des  cofiduites  de  Dieu  sur  elle.  »  {He?iriette  d^A?tgl., 
1670.) 

Conférer  :  comparer.  {Loi  de  Dieu,  1653,  2^  p.,  I,  330  ;  Scapulaire,  1653,   i^"^ 
p.,  I,  380  ;  Cœci  vident,  1653,  2^  exorde,  I,  451  ;  A7inonciaiion,   1655,   II,  5.)  etc. 
Confident  :  «Amis  les  plus  confidents;  »  c.-à-d.  les  plus  avant  dans  la  con- 
fiance. {S.Joseph,  Depositum,  ...  1656,  2^  exorde  ;  Ajiges ga7'diens,  1659,  2^  p.) 

Congratuler  a,  latinisme  (rare)  :  «  En  ce  jour  où  l'Église  est  occupée  h 
leur  congratuler  leur  félicité.»  {Toussaint,  1649, exorde.)  —  «  Quand  on  lui  con- 
gratulait une  conquête  si  glorieuse.  »  {Bonté  et  rig.  de  Diett,  1652,  2'^p.)  L'auteur, 
s'étant  relu  plus  tard,  à  l'occasion  du  Discours  stir  VHistoire  universelle,  a 
corrigé  :  «  Quand  on  le  congratulait  d'une  conquête...  » 

Considéré  :  réfléchi,  circonspect  (voy.  Résolutif).  Nous  n'avons  gardé,  en 
ce  sens,  que  son  contraire  inconsidéré. 

Constant  ;  constamment  :  certai?tj  certaitiement  (constarc):  «  Cette  vérité 
trop  cofistante.  "^  {Loi de  Dieu,  1653,  2"^  p.)  —  Voy.  Disputer.  —  «  Lts  frères  de 
JÉSUS  mentionnés  dans  l'Evangile,  et  saint  Jacques,  qu'on  appela  frère  du 
Seigneur,  cofistamment  ne  l'étaient  que  par  la  parenté...  »  {Elév.,  XVI,  m.)  — 
Co?tstant  signifiait  aussi  d'ailleurs  la  persévérance,  la  régularité  :  «  Les 
jours  se  succèdent  avec  des  révolutions  si  constantes.  »  {Loi  de  Dieu,  1653,  2*-' p.) 

—  «  La  fortune  n'est  pas  si  constante  qu'on  ne  voie  aisément  finir  ses  faveurs.  » 
{S^^  Thérèse,  165^,  3^  p.)  —  Constanime7it  veut  dire  en  outre  avec  constance^ 
avec  fer77ieté  :  «  Supporte  C07istanime7it  \î\.  mort.  »  (5.  Gorgo7i,  1654,  i*^^' p.)  — 
<(  Venez  apprendre  de  cette  Vierge  à  sacrifier  à  Dieu  C07istatnme7it  tout  ce  que 
vous  avez  de  plus  cher.  »  {Co7/ipassion,  1658,  2^  p.)  —  «  L'unique  moyen..., 
c'était  de  mourir  consta77iment.  »  {Pentecôte,  1658,  i'-''  p.) 

Consulter,  absolument:  délibérer  :  «  Sans  consulter.^)  {De  PHonfitur.  1658.) 

—  Consultation,  dans  le  même  sens  :  «  Dans  cette  consultation  importante.  » 
{Loi  de  Dieu,  Reprise  en  1659,    II,  546.) 

Co7isulter  une  chose  :  «  Pendant  que  les  médecins  co7isultcnt  l'état  de  sa 
maladie.  »  U m fc7iit.  futaie,  1662,  3'  p.)  —  Consulter  de,  ou  sur  :<i  Des  médecins 


XXVIII  REMARQUES 


.isscmbl<5s  qui  consultntt  sur  l'entât  d'un  homme...  »  {Ancres {gardiens,  1659,  2^  p.) 

—  «  l'endant  (jue  l'on  consulte  de  la  vie  mortelle,  peut-être... qu'en  ce  même  temps 
des  nu^dcrins  invisibles  consultent  ^/'unc  maladie  bien  plus  importante.  »  {Ibid) 

—  Cf.  Imp/nit.JiftaU  :  <  consultent  d\\x\  mal  bien  plus  dangereux.» 

CONTKMPl^lRK.  Voy.  TRAIHICTIONS. 

COUI.PF.  '.faute,  souillure:  «  Il  y  a  dans  la  peine  quelque  représentation  de  la 
couipe.l^  {Samedi-Sainta6s2,  r''  p.)—  «  O  heureuse  cou/pe  /»  {S  sept.  lôsç,!*^^  p.) 
Traduit  de  l'office  du  Samedi-Saint. 

Coi  PAULK  ^^  de  mort  »  :  latinisme  (reus  inortis),c.-à-d.  d'un  crime  méritant  la 
mort,  (/if  jr/'/ijr/Vî/r,  1654,  r"^  p.) 

Courir,  actif:  «  Le  grand  nombre  d'hommes  qui  cotirent  la  môme  carrière.» 
{Brièveté  de  lu  7>ie^  1648.) 

Court  (Demeurer)  :  «  La  hardiesse  humaine  n'aime  pas  à  demeurer  court  : 
où  elle  ne  trouve  rien  de  certain,  elle  invente.  »  {H.  de  Gornay,  1658,  II,  524.)  — 

<  Il  ne  faut  pas  s'étonner  s'iW/^wtv/A-dr^^wr/ ordinairement  dans  ses  entreprises.  » 
{Justice y  1666,  i^'  p.) 

Le  faire  court,  abréger  :  «  Et  pour  vous  le  faire  court.  »  {Bo7ité  etrig.  de  Dieu, 

Curieux  de  ;  curiosité,  pour  marquer  le  désir,  l'avidité  (cura)  :  «  Cette 
humeur  inquiète,  curieuse  de  nouveautés.  »  {Impénit.  finale,  1662,  2*^  p.)  — 
Sans  régime:  «Les  bibliothèques  ^ç.s  curieux.  1)  {Providence,  1662,   i*^^  p.) — 

<  Ce  que  nous  donnons  à  nos  sens,  à  notre  curiosité,  à  notre  luxe.  »  {Ibid., 
3*^  p.)  —  «  Contenter  jusqu'aux  désirs  les  plus  inutiles  d'une  c?m<?j-/// étudiée.  » 
{Èminente  dignité...,  1659,  2^  p.)  —  «  Toutes  les  diverses  parures  qu'une  vaine 
curiosité  2l  inventées.  »  {La  Vallière,  1675,  2^  p.) 

Dans  =  sur,  particulièrement  avec  le  mot  trône  (assimilé  à  un  fauteuil)  : 
«  L'iniquité  dans  le  trône,  oi^i  la  seule  justice  doit  être  placée.»  {Providence,  1662, 
I"  p.)  «  L'innocence  dans  le  \.rone.y>  (Ibid.)  —  Ci.  Justice,  1666,  (2^  exorde). — 
«  Dans  le  champ  de  bataille,  il  rend  au  Dieu  des  armées  la  gloire  qu'il  lui 
envoyait.  »  {Condé,  1687.)  —  Bossuet  disait  aussi  :  Monter  au  trône  :  «  Est-ce 
ainsi,  ô  Fils  de  David,  que  vous  montez  au  trône  de  vos  ancêtres  ?  »  {Hon- 
neur, 1660,  i^""  exorde.)  —  On  lit  dans  un  même  sermon  :  Monter  au  trône  ; 
f/a;/j- le  trône  ;  sur  le  trône.  {Profession,  le  jour  de  l'Epiphanie,  1660,  i®""  p.) 

Davantage,  qui  s'écrivait  d^avantage,  se  disait  pour  de  plus,  bien  plus  {8 sept. 

1652,  I,  179  ;  Loi  de  Dieu,  1653,  I,  313;  Scapulaire,  1653,  I,  379  ;   Cœci  vident, 

1653,  I,  470-  Cet  archaïsme  disparut  bientôt  de  la  langue  de  Bossuet.  — Au 
contraire  davantage  que,  aujourd'hui  condamné  à  tort  ou  à  raison,  est  de  toutes 
les  époques  :  «  La  pauvreté  de  JÉSUS-Christ  lui  plaît  davantage  çueles  richesses 
dont  le  siècle  l'aurait  vue  parée.  »  {Postul.  Bernardine,  1656,  2^  exorde.)  —  «  Il 
paraît  tenir  davafitage àç^s  sentiments  d'un  père...  queàe.  la  tendresse  d'un  ami.» 
{S.Jean,  1658,  i"  p.  var.)  —  «  Se  plaire  davantage  à  être  le  père  de  ses  peuples 
çue  le  victorieux  de  ses  ennemis.  »  {Démons,  1660,  péror.) —  «  Je  me  satisferais 
beaucoup  davantage  en  faisant  des  panégyriques  ^z^'en  proposant  des  instruc- 
tions. >  (Justice,  1666,  i^""  exorde.)  —  «  Qu'a  jamais  vu  le  ciel  et  la  terre  qui 
mérite  davantage  d'être  regardé  qu'une  telle  persécution....^  J>  {Vendredi- Saint, 
1666,  2*^  exorde.)  Deforis  corrige  -.phis.  Mais  Bossuet  disait  l'un  et  l'autre  indif- 
féremment :  «  La  sagesse  divine  ne  s'est  jamais  montrée  plus  à  découvert  à  ceux 
h  qui  la  foi  a  donné  des  yeux  çue  dans  le  mystère  de  la  croix.  »  (Ibid.)  —  «  De 
les  punir  davatitage  par  leur  endurcissement  léthargique  que  s'il  exerçait  sur 
eux  un  châtiment  exemplaire.  »  {Hora  est,  1669,  i'^''  p.)  —  Cf.  Oraisons  funèbres, 
édit.  Jacquinet,  p.  402,  503  (Le  Te  Hier, C onde). 

De:  «Son  amour  maternel  accoutumé  d''tmhxd,%s^x:  un  Dieu...  J}  {S.  Jean, 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXIX 


1658,  2^  p.)  —  «  Après  qu'il  eut  comineticé  de  gouverner  ses  affaires.  »  {Justice^ 
1666,  i'^'' p.) —  i.  Commença  ^'ébranler  l'autorité  de  l'Eglise.»  (Henriette  dé 
Fr.^  1669.).  Mais  aussi  coimnencer  à  :  <L  Commençons  à  aimer  sur  la  terre...» 
{Pentecôte^  1654,  péror.)  Les  édit.  ont  corrigé  mal  à  propos  :  d^ aimer.  11  y  a 
d'autres  exemples  de  à  :  «  C'est  ce  qu'il  commence  à  faire  aujourd'hui.  »  {Visita- 
tion^ 1659,  2*=  p.)  —  «  Nous  commençons  de  ne  rien  pouvoir.  »  {Pefitecôte,  1658, 
i^'"  p.)  — «  Vous  commencez  à  ne  rien  pouvoir.  »  {Vai?tes  excuses...,  1660,   i"^"^  p.) 

—  «  Leur  subtil  conducteur...  com7nença  à  s'apercevoir  qu'il  pouvait  encore  les 
pousser  plus  \o\r\.)y(Ifenriette  de  Fr.,  1669). —  <i\\  consent  ^'entrer  dans  la 
même  prison.  »  {S.  Pierre  Nolasque,  1665,  2^  p.)  Cf.  Purification.,  1666  (i^'  p.)  — 
Enseigner  de  {Toussaint.,  1669,  3"  p.)  et  Enseis^?icr  à  {Ambition.,  1662,  1*=''  p.)  — 
Exhorter  de.,  à  :  «  J'exhorterai  c/iacun  de  mes  auditeurs  en  particulier  â  être 
fidèle  à  son  épreuve.»  (Deus  tentavit  eos,  1663,  2'' exordej.  Seconde  rédaction 
préférée  à  la  première  ainsi  conçue  :  «  J'exhorterai  un  chacun  de  vous  <7"être 
fidèle  à  son  épreuve.  »  Du  reste  exhorter  à  est  fréquent.  —  Exhorter  que  (voy. 
Latinismes).  —  Inviter  de  :  «  Je  vous  invite  aujourd'hui  ^^'accompagner  le 
Sauveur  jusques  au  tombeau  du  Lazare.  »  {Mort.,  1662,  2^  exorde.)  —  «  Lorsque 
tout  ce  qui  nous  environne  nous  invite  et  nous  presse  de  satisfaire  à  nos  désirs.» 
{S.  André.,  1668,  3^  p.)  —  Avoir  i?itérêt  de  {Justice,  1666,  2^  p.)  —  Être  bien 

fondé  de  {Honneur,  1660,1^''  p.  var.)  —  Obligé,  obliger,  s'' obliger  à,  de:  «Je  me 
sens  obligé  d'abord  à  les  rappeler  en  votre  mémoire.  »  {Henriette  de  Fr.,  1669.) 

—  «  Obligée  à  se  retirer  de  son  royaume.»  (Ibid.)  Cf.  I,  yj  {Rosaire,  i^'  p.)  — 
«Voulant  obliger  les  hommes  de  s'instruire  par  eux-mêmes...  »  {Justice,  1669, 
2^  p.)  —  «  C'est  la  seconde  vérité  que  Je  me  sîtis  obligé  de  vous  expliquer.  » 
{Èmin.  dignité  des  pauvres,  1659,  2*^  p.) — Les  deux  dans  le  sermon  de  V  Ambition, 

1661,  i*^""  exorde.  —  Se  plaire  de,  à  :  «  C'est  là  qu'^w  se  plaît  de  faire  le  grand 
par  le  mépris  de  toutes  les  lois...  »  {Impénit.  fitiale,  1662,  i^' p.)  Cf.  Loi  de 
Dieu,  1,321  ;  S.  Paul,  II,  303  ;  Ambition,  1662,  début  du  2^  p.  —  «  Se  plaire  à  le 
reconnaître  par  de  dignes  distinctions.  »  {Palatine,  1685.)  Cf.  1,  368.  —  Il  y  a 
plaisir  de  :  «  (2uHl y  a  plaisir  de  servir  celui  qui  fait  justice  au  cœur  et  qui  pèse 
l'affection  !  »  {S.Afidré,  1668,  3^  p.)  —  Avoir  peine  de,  à  :  «  Nous  savons  que 
Jésus-Christ  est  vivant,  et  notre  foi  chancelante  a pei?ie  de  s'y  confier  !  »  {Souf- 

Jrances,  1661,  i*^""  p.)  Mais  en  1659:  «...  a  peine  toutefois  à  s'y  confier.  > 
(y  Croix,  l'^'p.)  —  <ij  ai  peine  à  contempler  son  grand  cœur  dans  ces  dernières 
épreuves.  »  {He?iriette  de  Fr.,  1669.)  —  Presser  de.  Voy.  Inviter  de.  —  Presser 
à.  Voy.  A.  —  Rester  de  :  «  Il  ne  nous  reste  plus  que  de  nous  écrier...  »  {S.Jean, 
1658,  2*  p.)  —  Se  résoudre  de.  Voy.  Comme. 

Désirer  de  :  «  Ce  Dieu...  désire  d'être  désiré.  »  {Visitation,  1659,  2"^  p.)  —  Es- 
pérer de  (Justice,  1666,  2«  exorde).  Cf.  Oraisons  fimèbres,  édit.  Jacquinet,  307 
(Palatine,  1685).  — Prétendre  de  :  <i  Préte?ide?tt  de  se  distinguer.  »  {Ambition, 

1662,  i*-"^"  p.)  Fréquent.  —  On  trouve  dans  un  même  sermon  :  <L  II  a  prétendu  être 
libre;»  et  <L  II  a  prétendu  d'être  libre.»  {Postul.  Bernardine,  1659,  i"'"  p.) — 
«  Prétendre  d'être  indépendants.»  (Ibid.)—  Prétendre  ^?,plus  rare.  (Voy.DEGRÉ.) 

C'est  â  [moi]  de,  ou  â:  «  C'est  aux  prédicateurs  du  Très-Haut  â  sonner  de  la 
trompette  devant  le  peuple,  et  <-/<?  crier  les  premiers:  Vivat.. .^  {Démons,  \66o, 
péror.  Allocution  écrite  précipitamment.)  —  «  Quoique  ce  soit  à  l'esprit  de 
connaître  la  vérité.  »  {Purification,  1662,  2^'  p.)  Lâchât  :  à  connaître  (faute). 

De  après  ce  qui  est,  ce  qui  était,  latinisme  pour  ce  qu'il  y  a  :  «  Ce  qui  est  de 
plus  admirable...  »  {S sept.  1659,  exorde.)  Cf.  1,  416  {S.  Bernard,  2"  p.)  ;  II,  297 
{S.  Paul,  2^'  exorde). 

Génitif  passif  :  «  L'estime  de  l'orateur.  »  {S.  Paul,  1657,  r""  p.)  —  «  La  foi  de 
la  Providence.  »  {Providence,   1662,  2'-"  p.)  —    «  L'indifférence  des  religions.  > 


XXX  REMARQUER 


{HrnrUUe  de  France,  1669.)  —  «  Confiance  tics  ressources.  »  {Henriette  d'Anal., 
1670.)  —  <  Ccue  crainte  de  respect  qui  ne  ck<truit  i)as  l'amour.  »  {Devoirs  des 
rois,  1662,  2^  p.;  /usthe,  166(^,1'"  p.)  —  <><  l'-^e  aimait  qu'on  lui  m  fît  des  leçons,» 
{c.'Ad  de  ou  sur  ses  défauts.)  {Henriette  d'Anq^l.,  1670.)  —  Voy.  HORREUR. 

De=^  par:<(.  Ce  dernier  outrai^e  dont  la  haine  insatiable  de  ses  ennemis 
voulut  encore  le  persécuter.  >  {Soufrantes,  1661,  i"-'^  p.)  —  «  O  Dieu  !  où  en 
sommes-nous...,  si  nous  sommes  ég;\\e\x\cr\\.  perst^cutés  de  ce  qui  nous  plaît  et  de 
ce  qui  nous  afflige  .>  >  {Purification,  1666,  2^  p.)  —  «  Supplice  qui  n'est  tempéré 
r/'aucune  douceur.  >^  yPro^'idence,  1662,  r'"-  p.)  —  «  Peut-être  que  sa  place  eut  été 
donnée,  si  on  eût  pu  la  remplir  d'nn  homme  aussi  sûr.  »  {Le  Tellier,  1686.) 

De  marque  loiigine,  la  nature  :  «  Que  de  cette  main  bienfaisante  lui-même  il 
arrache  ses  propres  enfants  de  ce  sein  paternel  où  ils  veulent  vivre  !  Il  n'y  a  rien 
qui  soit  moins  de  lui.  »  {Pâques,  16S0,  \^'  p.)  ;  —  la  manière  :  «  Courent  ^'une 
telle  fureur.  >^  ^.s\  Pumard,  1653,  r""  p.)  —  «  Ceux  qui  ont  vu  de  quel  front  il  a 
paru  dans  la  salle  de  Westminster...  »  {Henriette  de  Fr.,  1669,)  etc. 

Devant  un  adjectif,  de  est  quelquefois  remplacé  par  des  :  «  Des  vastes  pensées.» 
{M.irie- Thérèse,  1683.)  —  «  Des  fragiles  images  d'une  douleur  que...  »  {Condé, 
1687.)  etc.  —  Mais  aussi  :  <,<  De  tristes  expériences...  »  {Le  Tellier,  1686.)  — 
«  De  secrets  retours.  »  {Henriette  d'Angl,  1670.)  —  «  Z>^  continuels  combats.  > 
{Pâques,  1680,  3"^^  p.)  etc. 

De  omis  :  «  Quelque  chose  bien  considérable.  »  {Vaines  excuses,  1660,  3^  p.) 

—  «  Est-il  rien  plus  digne  de  Dieu....?  »  {Noël,  1656,  i^^  p.)  —  «  Il  n'est 
rien  tel.  »  {Ibid.,  2>"  P-)  —  «  ^1  n'est  rien  plus  digne...  »  {Noël,  1667.)  —  Mais 
aussi  :  <  Est-il  rien  de  plus  majestueux  ni  de  plus  auguste  que  cette  solitude  de 
Dieu  ?  »  {Annonciation,  1660,  2"  p.)  —  «  Y  a-t-il  rien  de  plus  sage  ni  de  plus  mo- 
deste? >  (/Aw^tv^r,  1660,  1"  p.)  — Quelquefois,  avec  servir:  «Vain  spectacle  pour 
les  yeux,  qui  ne  sert  rien  à  personne.  »  {Compassion,  1659,  canevas,  3°  p.)  Lati- 
nisme :  nihil prodest.  Bossuet  dit  de  même  :  «  Vous  n'avancez  rien.  y>  {Prédication 
évatii^^.,  1662,  r'  p.)  pour  :  en  rien  :  nihil  proficis.  —  De  se  rencontre  aussi  : 
^i...  N'eussent  de  rien  servi...  ))(Cœci  vident,  1653,  3*^  p.) 

DÉBONDER  (Se). Locution  douteuse,  qui  se  rencontre  deux  ïo\s{Félicitédes  SS., 
1648  ;  et  S  sept.  1659,  2^  p.)  Les  éditeurs  ont  lu  dans  un  cas  se  débonder,  et  dans 
l'autre  se  déborder. —  Dans  nos  manuscrits  l'r  a  parfois  une  grande  ressemblance 
avec  Vn.  On  lirait  en  un  endroit,  si  le  sens  n'était  absurde  :  «  Il  est  dur  de  pendre 
un  ami  :  >  au  lieu  de  «  perdre  ».  (1282 1,  f.  243,  v°  ;  Noël,  1656.)  —  Les  deux 
expressions  seraient  d'ailleurs  synonymes  :  débonder  paraissant  signifier  ce 
que  l'auteur  exprime  ailleurs  par  cette  périphrase  :  «  Lever  les  bondes  des 
digues.  »  {Haine  de  la   Vérité,  1661,  2"^  p.) 

DÉBRIS,  au  singulier  :  «  Dans  le  débris  des  choses  humaines.  »  {S^^  Croix, 
1659,1"  p.)Cf.  Rosaire,  1657,  i^' "^.-^Souffrances,  1661,2^  p. ;  Henriette  d^Angl.,  1670. 

DÉCLINER,  comme  incliner  {Justice,  1666,  i*^"^  p.,  i^''  rédact.) 

D'E.CKt'. grade  :  i  Quelle  discipline  y  aura-t-il  dans  la  guerre,  si  on  peut  seu- 
lement prétendre  à  s'élever  autrement  que  par  les  ^<?or^/f .?  »  {Pâques,  1680,  2^  p.) 

—  Cf.  S.  Bernard,  I,  417  :  «  Autant  qu'il  respectait  leur  degré...  » 
DÉLICIEUX  :  ami  des  délices.  {S.  Paul,  1657,  2^  p.,  II,  311.) 

DÉLOGER  n'était  pas  plus  trivial  que  loger:  «  Ne  logeant  que  sous  des 
tentes;  toujours  prête  à  déloger  et  à  combattre.  »  (6^;zzV/  de  P  Église,  1681, 
exorde).  —  Cf.  Mort,  1662,  péror. 

Demi  variait  devant  le  nom  :  «  Quelque  demie  restitution.  »  {Haine  de  la 
vérité,  1661,  2*^  p.  ;  Ardeur  de  la  Pénitence,  1662,  i^^^p.) 

DÉSASTREUX.  Au  sens  passif:  «  O  pauvre  et  désastreuse  humanité...  »  {Puri- 
fication., 1666,  2"  p.) 


•    SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXXI 

DÉSERTER  :  rendre  désert.  {Ambition^  1662,  2^  exorde.) 

DÉSORDONNÉMENï  :  «  Tout  ce  que  nous  aimons  désordojinément  dans  la 
créature.  »  {Annondatio7t^  1662,  i'-''  p.) — «  Ce  qui  \\i\  3.  ^Xu  de'sordonnéme?it.  » 
{Prodigue^  1666,  2^  p.) 

DÉTERMINÉMENT  :  «  Il  la  lui  applique  déter7ninément.  »  (  Vendredi- Saiiit^iQido^ 
3*  p.)  —  Ces  deux  adverbes  sont  peu  usités. 

DÉTERMINER  DE.  {Loi  de  Dieti,  reprise,  1659,  II,  546.) 

Devant,  comme  avant  :  «  Devant  la  troisième  génération.  »  {Nécessités  de  la 
vie,  1660,  3'^  p.  ;  Ambition,  1662,  2*^  p.)  Cf.  I,  104  ;  II,  334,  559,  etc.  —  «  Il  n'y  a 
que  sa  sagesse  profonde  qui  connaisse  le  terme  préfix  qui  a  été  ordonné  devant 
tous  les  temps  au  malheureux  progrès  de  l'erreur  et  aux  souffrances  de  son  Église.» 
{Visitation,  1660,  3^  p.j  Les  éditeurs  corrigent  :  «  avant  tous  les  temps  ;  »  mais 
Bossuet  employait  indifféremment  ces  deux  prépositions  :  «  Vous  m'aimiez  «7/<«?// 
la  création  du  monde.  »  {Félicité  des  S  S.,  1648,)  etc. 

Devant  que,  comme  avant  que  :  «  Couronnons-nous  de  roses,  devant  ^«'elles 
soient  flétries.  »  {Pénitence,  1661,  3*^  p.)  —  Devant  que  de  :  «  Devant  que  de  pro- 
noncer le  jugement.  »  {Pénitence,  canevas,  1658.)  Cf.  I,  307.  — Avec  ellipse: 
<(  Elles  dépendent  de  Dieu,  devant  que  du  temps.  »  {Brièveté  de  la  vie^ 
1648),  c.-à-d.  devant  que  de  dépendre  du  temps. —  Bossuet  employait  aussi  avant 
que,  non  seulement  avec  le  subjonctif,  mais  même  avec  l'infinitif  :  «  On  doit 
craindre  la  mort  avant  qtie  le  péché  soit  expié.  »  {Purijîcation,  1662,  i^""  p.)  — 
«II  a  fait,  dit  l'Écriture,  avant  que  parler.  »  {Souffrances,  1661,  i^""  p.)  — «  11  veut 
se  rassasier,  avant  que  mourir,  par  le  plaisir  d'endurer.  »  (Ibid.) 
Dextre  :  droite,  archaïsme  {Félicité  des  SS.,  1648,  I,  22). 
Dextrement  :  avec  dextérité  .•  «  Ils...  le  prennent  si  dextrement  \i2ix  son 
faible  qu'ils  le  font  demeurer  d'accord  de  tout  ce  qu'ils  disent.  >  {Honneur, 
1660,  2^  p.)  Cf.  Conceptioti,  1652,  I,  248. 

Die  (au  subjonctif)  (I,  105,  278,  338...)  Tous  ces  exemples  sont  de  1652, 
ou  du  début  de  1653.  Plus  tard,  un  autre  se  rencontre,  mais  tellement  isolé, 
qu'il  a  tout  l'air  d'un  lapsus  :  «  Sans  qu'il  soit  nécessaire  que  je  le  vous  die.  » 
{Annonciatio7i,  1660,  i^""  p.) 
Discipline:  direction  donnée  à  un  à\sc\T^\e.  {S.  Berftard,\6^2i-)  I»  4i4)- 
Disputer,  actif,  par  exception  :  «  Ne  disputes  pa.sune  vérité  si  constante.  » 
{C?iarité fraternelle,  1660,  i'^''  p.) 

Distraction,  au  sens  étymologique  :  séparation  :  «  Une  distraction  violente 
de  ses  parties.  »  {Ajnbitio7î,  1661  et  1662,  i^"^  p.) 

Domestique,  latinisme  :  «  Vous,  mes  enfants  et  mes  do77iestiques.  »  {Sur 
VFlglise,  1660,  3^  p.)  C.-à-d.  qui  êtes  de  ma  maison  (do77ius.) 

Dominer  a,  sur  :  «  Qui  do7ni7te  à  la  puissance  de  la  mer.  "^{Devoirs  des  rois, 
1662,  i'^'  p.)  Cf.  Loi  de  Dieu,  1653,  I,  329  et  la  var.  —  Activement  :  «  Puisque  la 
mort,  qui  égale  tout,  les  domine  de  tous  côtés  avec  tant  d'empire.  »  {He7iriette 
d'A7igl.,  1670.) 

Donc,  et  donc.  Donc  est  plus  fréquent,  surtout  au  commencement  des  phra- 
ses. Si  et  do7ic  s'y  rencontre,  c'est  pour  marquer  que  cette  phrase  est  la  conclu- 
sion rigoureuse  de  celle  qui  la  précède  :  «  Ne  voyez-vous  pas  que  si  une  partie 
de  nous-mêmes  tient  à  la  nature  sensible,  celle  qui  connaît  et  aime  Dieu,  qui  en 
cela  est  semblable  à  lui,  puisque  lui-même  se  connaît  et  s'aime,  dépend  néces- 
sairement de  plus  hauts  principes  .?  Et  do7ic,  que  les  éléments  nous  redemandent 
tout  ce  qu'ils  nous  prêtent,  pourvu  que  Dieu  puisse  nous  redemander  cette  àme 
qu'il  a  faite  à  sa  ressemblance  !  y>  {Toussaint,  1669,  3*=  p.)  Cf.  II,  69,  152. 

Bossuet  disait  de  même  :  «  F:t  c'est  pourquoi.  »  {Tri7iité,  1655.)  «  Et  c'est-à- 
dire.  »  {A7iibitio7i,  1666  \  Justice,  1666.) 


XXXII  REMARQUES 


Dont.  Voy.  Qui. 

DoUTK  (.Sans).  Celte  loculion  n'avait  pas  nccessaircment  le  sens  atténué  que 
nous  lui  donnons.  Souvent  elle  siijnifiait  :  sans  aumn  doute  (1,  243,  Co?ueption, 
1652,  mais,  p.  245,  elle  paraît  avoir  le  sens  ordinaire  ;  II,  422,  425,  J^e  PHon- 

fuur^  1658). 

Droit,  Droitk.  Hossuet  préfèîre  le  neutre  au  féminin  dans  cette  locution  : 
<(  ;\  iiroit^K  h  jjauche.  >  {CliariU frat.,  1666,  3^^^  p.  'Justice,  1666,  1^'  p.,  i-^^  réd.j 
Hnra  est,  1669,  r'  p.)  —  Ailleurs  :  <  :\  votre  droite,  »  et  non  droit,  (I,  257.) 

KcMAPrER  actif:  <  Qui  sait  que  rien  ne  peut  échapper  ses  mains  souverai- 
nes' »  (^ProviiUnce,  1662,^1"  p.)  Cf.  Providence,  1656,  II,  1 57  ;  Brièveté  de  la  vie, 
1648,  1,10.  —  «  Apr^s  avoir  échappé  les  mains  des  coupables,  »  et  non  :  des  mains 
{éà\\.)  (Femme  adultère,  1663,  2'-  exorde.)  —  «  Vous  savez,  parmi  tant  de  places 
fortes  attaquées,  qu'il  n'y  en  eut  qu'une  seule  qui  pût  échapper  ses  7nai7ts.  »  {Condé, 
,687.)  _^<  Ceux  qui  ^tws'M^ni  ai'oir  échappé  la  honte.  »  {Tu7ic  videbunt,  1665, 
2"  p.)  Lâchât  :  <  à  la  lionte,  »  (faute).  —  Avec  être  (  I,  401,  etc.) 

ÉCLAIRCIR  DE.  {Postul.  Bernardine,  1659,  i"  p.) 

Économie  :  art  de  gouverner  une  maison,  une  famille,  une  société  (5.  Paul, 

1657,  3' P»  11,313)- 

ÉcoNOxMiQUE  (s.  fém.)  en  est  la  théorie  :  «  Quelle  plus  belle  économique  I  » 

{Ccrci  vident,  1665,  2*=  p.) 

Efficace,  appliqué  aux-  personnes  (rare)  :  «Trois  choses  contribuent  ordinai- 
rement à  rendre  un  orateur  agréable  et  efficace.  »  {S.  Paul,  1657,  i^"^  p.)  —  Effi- 
cace (s.  fém.):  «  Encore  que  la  parole  du  Sauveur  ait  une  efficace  divine...  »  {Ibid., 
2«:  p)  —  <<  Énervent  par  ce  moyen  toute  l'efficace  de  l'Evangile.  »  {Parole  de 
Dieu  1661,  i*^"  p.)  —  «  O  Dieu,  donnez  efficace  à  votre  parole.  »  {Prédication 
évangélique,  1662,  péror.)  —  Voy.  INVERSIONS. 

Égal  (Traiter  d').   Bossuet  disait  ti-aiter  d'égal  avec,  sans  ajouter  à  égal  : 

«  Ce  Dieu  est  venu  traiter  d'égal  avec  nous,  et  cela  pour  nous  donner  le  moyen 

de  traiter  d'égal  avec  lui.  »  {Annonciation,   1660,  2^  p.)  —  Autres  exemples  :  I, 

353  {Démons,   1653)  ;   Mo{S^'  Croix,  1653)  ;  II,    279  {Noël,  1656)  ;  et  Oraison 

funèbre  de  Condé.  (1687.) 

Égal  a  :  indifférent  à  ■'  «  S'ils  le  font  égal  au  vice  et  à  la  vertu,  quelle  idole  !  > 
{Palatine,  1685.) 

Élargir  :  accorder  (latinisme)  :  «  L'esprit  de  grâce  nous  est  élargi.  >  {Pente- 
côte, 1654,  2*=  p.) 

Ellipses,  nombreuses.  Voy.  Que.  —  Quelquefois  mal  comprises,  Voy.  I,  86, 
182.  Cf.  Gazier,  58. 

Éminent,  et  non  immine?it,  dans  ce  passage:  c  Non  sans  un  péril  éminent  de 
nous  égarer  dans  une  recherche  si  difficile,»  c.-à-d.  non  sans  un  très  grand  péril. 
{S.  Bernard,  1653,  2^  exorde.) 

Empêcher  ii  quelqu'un  de...  {Loi  de  Dieu,  1653,  I,  318).  —  Empêcher qtie, 
sans  «<-.  Voy.  Négative. 

En.  Se  disait  des  personnes  :  «  Que  l'on  a  attaché  à  une  croix  pour  en  faire 
un  spectacle  d'ignominie.  »  {Honneur,  1660,  i""  exorde.)  —  «  Il  a  perdu  Dieu, 
et  toutefois,  le  malheureux  !  il  ne  peut  s'^«  passer.  »  {La  Vallière,  1675,  ^^^  P-) 
Acceptions  larges  et  variées  :  «  Il  faut  eti  prier  aujourd'hui  la  Mère  de  Dieu.» 
{Fragment,  1648, 1,  9.)  —  «  Les  ennemis  s'en  remuent.  »  {Félicité  des  S  S.,  1648, 
1,17.)  — «  Qu'il  tienne  les  sens  dans  une  sage  contrainte,  de  peur  d'^«  être 
bientôt  maîtrisé.  >  (.S".  André,  1668,  3^  p.)  —  «  En  terre.  »  {S^'  Thérèse,  1657,  2^ 
exorde.)  —  «  En  ciel.  »  {Martha,  1655,  3'  p.)  —  «  En  Jérusalem.  »   {Satisfaction, 

1658,  exorde  ;  Honneur,  1660,  2*=  p.)  —  «  En  ruine  et  en  résurrection.  »  {Noël, 
1692,  exorde.) 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXXIII 

Supprimé  clans  cette  locution  :  «  Il  est  ainsi,  chrétiens.  »  (.S\  Viclor^  1657, 
r'p.)  —  «  Il  n'est  pas  ainsi  de  notre  grand  Dieu.  i>(/?^j-rt/y<?,  1657,  i^""  p.)  — <*' A  Dieu 
rie  plaise  qu'il  soit  ainsi  !  »  {Ascension^  1654,  2^  p.) 

Encore  QUE,  quelquefois  avec  l'indicatif  ;  plus  souvent  avec  le  subjonctif: 
«  Encore  que  ce  triomphe  de  JÉSUS-Christ  sur  la  mort  7ie  s'accomplira  qu'à  la 
fin  des  siècles, il  se  commence  dès  la  vie  présente.  »  {Novissifna  intjnica. . .^  1669, 
exorde.)  Cf  II,  197  {Visitation^  1656)  ;  423  [DeP Hoii7ieur).  —  Et  avec  le  subjonc- 
tif {Eniinente  di^^-nité  des  pauvres^  1659,  début  du  2^  exorde  ;  Ascension^  1654, 
exorde,  I,  519;  S.  Victor^  1657,  II,  520  ;  De  T Honneur^  II,  426,  etc.)  La  mcme 
pièce  contient  donc  encoj'c  qite  avec  l'indicatif  et  avec  le  subjonctif.  On  les  trouve 
réunis  dans  une  seule  phrase.  {L'Apocalypse,  1689,  Préface,  IX;  Lâchât,  II,  314.) 

Endurer,  pris  absolument  (V^  Thérèse,  II,  383,  384,  etc.)  —  Mais  {Pentecôte, 
1658)  ^;z  endurant  est  remplacé  pa.r  en  souffrant.  — Surmonter  est  de  même 
employé  avec  ou  sans  régime  (II,  493,  494.  — On  retrouve  plus  tard  :  <i  Vous 
endurez  pour  la  foi.  '^{Deus  tentavit  eos,  1663,  i^""  p.) 

En  effet  veut  souvent  dire  :  e?t  réalité  :  «  Elle  est  déjà  au  ciel  par  son 
espérance  ;  mais  hélas  !  elle  n'y  est  pas  encore  e7i  effet.  »  (.S"'"''  Thérèse,  1657, 
2""  exorde.)  d  Oui  sont  morts  en  effet.  »  {Novissima...,  1669,  i^"^  p.)  —  <L  Mais  en 
effet  vous  êtes  morts.  »  {Hora  est,  1669,  2^  p.)  —  En  ce  sens,  on  pouvait  dire, 
comme  notre  auteur:  Car  en  effet.  «  Car,  ejt  effet  qu'avons-nous  vu  .'*  »  {Vcture, 
1664.)  C'est  par  erreur  qu'on  a  vu  un  pléonasme  dans  cette  façon  de  parler. 
(Gazier,  306,  Vendredi- S ai7tt,  1662,  i^""  p.)  —  Cï.  Justice,  1666,  i^*"  p.) 

Énigme.  Genre  douteux  :  «  Il  n'y  a  plus  que  la  foi  qui  puisse  expliquer  un  si 
pra7îd  é7ii^/}ie.  »  {Mort,  1662,  2^  p.) —  «  Savoir  démêler  lotîtes  les  é7iig)7ies  de  la 
nature.  »  {Charité frater7ielle,  1666,  2^  p.) 

Ennuyé  DE.Sens  énergique  :«  Si,^;z«wj/<?<f(?  ses  changements, elle  (l'Angleterre) 
ne  regardera  pas  avec  complaisance  l'état  qui  a  précédé.  »  {He7iriette  de  Fr., 
1669.)  —  «  E7i7iuyés  de  ces  vanités,  cherchons  ce  qu'il  y  a  de  grand  et  de  solide 
en  nous.  »  {He7iriette  d^Ans^L,  1670.) 

Énorme,  sens  étymologique  :  sans  règle  :  «  Votre  liberté  ne  doit  pas  être 
abandonnée  à  elle-même,  autrement  vous  la  verriez  dégénérer  en  un  égarement 
é/iorme.  »  Bossuet  efface  prodigieux  :  si  les  deux  mots  avaient  été  synonymes,  il 
l'aurait  laissé  comme  varia7ite.  {Purificatio7i,  1666,  i^""  p.) 

Épandre,  corame  ré pa7idre.  {Bo7ité  et  rig.  de  Dieu,  1653,  1,158.) 

Enragé.  Épithète  d'une  énergie  presque  triviale  (I,  352  :  «  douleur  enragée  »  ; 
Cf.  354,  «  il  enrage  »  Démons,  )653  ;  «  Cet  e7iragé  prince  d'Aquitaine.  »  {S.  Ber- 
nard, 1653,  I,  416.)  Édit.  «  ce  viole7it...  » 

Ensemble  :  en  7n:.7ne  te77ips  (si77tul)  :  «  Y.X.e7ise77ible,  pour  nous  faire  entendre 
que  ...  »  (  Ve7idredi-Sai}if,  1660,  i""  p.)  —  «  Et  e7ise7nble  il  nous  avertit  que,  pour 
trouver  à  la  mort...  »  {Condé,  1687.) 

Ensuite  :  par  suite  :  a  Et  e7isuite  il  réussit  mieux.  »  {A7nhitio}i,  1662,  i*^^p., 
note  ajoutée  en  1666.) 

Ensuivi  :  «  S'il  s'en  est  e7isuivi  un  changement  si  épouvantable.  >  {Démons, 
1660,  i^"^  p.)  Edit.  :  s'il  s'en  est  suivi. 

I'Lntamure  (I,  25  :  Félicité  des  S  S.,  1648). 

Entendre  SUR  le  pauvre. Tx?i.à.wz\!\ox\  littérale  de(2ui  tntelligit  super{'Ps.yii.y2). 
{]^.7ni7icnte  dignité...,  1659,  3^"  p.)  —  Ailleurs  «  Être  intelligent  sur.  v>  {Parcct pan- 
péri,  1658,  II,  401.) 

Entretenir  (s'),  en  parlant  des  choses  :  se  tenir  intitne7/ient  {\\,  409). 

Envoyer  faisait  au  futur  :  fc/ruoierai ;  et  cela  à  toutes  les  époques  de  la 
carrière  de  Hossuet.  Ouclques  savants  regretteront  que  nous  ne  l'ayons  pas  fait 
entrer  dans  notre  texte.  Ils  ont  pour  eux,  nous  ravouons,Ia  logique  absolue.  Mais 

Sermons  de  Bossuet.  C 


XXXIV  REMARQUES 


noiis  ne  prc^tendons  pas  faire  un  calque  des  manuscrits  ;  sinon  il  faudrait  repro- 
duire rorlho>;raphc,  les  lapsus,  et  toutes  les  ratures.  Cela  aiderait-il  le  lecteur  à 
se  peni5trcr  de  rclocpience  et  des  hautes  pensées  de  Bossuet  ?  Nous  avons  donc 
considéré  qu'au  lieu  de  donner  dans  le  texte  même  les  ctrangetés,  devenues  peu 
intelligibles,  il  serait  peut-ctrc  préférable  de  les  donner  dans  les  notes  particu- 
lières'ou  ^'énérales.  Cf  S'Assi':()iR,  Exclus,  Naviguer,  Tous. 

Es,  KSQUKLS.  Archaïsmes,  que  nous  avons  maintenus  àleur  date  1652,  1653): 
ils  sont  familiers  aux  lecteurs  :  €  Es  siècles  des  siècles.  »  {^Bonté  et  ri^^.  de  Dieu, 
1652,  1,  159  ;  Ii>i(L,  passai,^e  raturé  :  «  tV  mains  de  son  Fils.  »  )  —  «  Votre  trône, 
6  grand  Dieu,  est  établi  <V  siècles  des  siècles.  »  {Circoncision,  1653,  I,  265.) 

—  <  Livré  par  son  propre  Père  h  mains  de  ses  ennemis.  »  {Les  deux  Alli- 
attccs  1653,  I,  287.)  D'ailleurs  Bossuet  disait  aussi,  dès  1648  :  «  dans  les  siècles 
des  siècles.  >  {Félicité  des  SS.,  I,  22.)  —  lesquelles  (I,  106,  Samedi-Saint,  1652  ; 
I,  183,  S  sept.  1652  ;  I,  318,  Loi  de  Dieu,  1653  ;  I,  400,  S.  Bernard,  1653.  Et  même, 
ici  esquilles  est  préféré  à  da?is  lesquelles  (var.). 

Est,  absolument,  pour  est  vrai:  «  Je  n'ai  dit  que  ce  qui  est.  »  {Jam  securis^ 
166S,  esquisse.)  —  De  U\  cette  locution  :  «  Or  est-il  que...  »,  pour  il  est  vrai  que. 
(Justice,  1666,  3*^  p.,  /"■  réd.) 

Étonné,  sens  énergique  -.foudroyé,  au  nguré  :  «  Je  vous  vois  étonné q\.  éperdu 
en  présence  de  votre  Juge.  »  {Impénit.  finale,  1662,  2^  p.)  —  «  Glaive  du  Sei- 
gneur, quel  coup  vous  venez  de  faire  !  Toute  la  terre  en  est  étonnée.  »  {Marie- 
Thércse,  1683.)  Même  sens  pour  étonner:  «  Mon  Dieu,  pourquoi  vois-je  devant 
moi  ce  visage  dont  vous  étomiez  les  réprouvés  ?  »  {Vendredi-Saint,   1660,  3^  p.) 

—  étonnante  :  «  O  nuit  effroyable,  où  retentit  tout  à  coup,  comme  un  éclat  de 
tonnerre,  cette  étonnajite  nouvelle...!  »  {Henriette  d Angl.,  1670  ;)  —  étonnement 
{S.  Bernard,  1653,  I,  404).  —  Ibid.,  étonner,  avec  le  sens  adouci. 

Exclus,  au  masculin  ;  ex-cluse,  au  féminin.  — Ces  formes  très  régulières  (exclu- 
sus)  étant  tombées  en  désuétude,  nous  ne  nous  sommes  pas  obstiné  à  les  réta- 
blir. Bossuet,  il  est  vrai,  les  avait  fait  imprimer  dans  ses  ouvrages  de  controverse 
(Vr  Avertissement  aux  Protestants,  etc.).  Mais  lui-même  nous  donne  l'exemple 
de  nous  conformer  pour  ces  détails  à  l'usage  régnant. 

Excrément  :  excroissa?ice  (I,  580).  Cf.  Postulante  Bernardine,  1659,  3^  p.  ; 
Intégrité  de  la  Pé?iite?tce,  1662,  3^  p.  —  Quand  un  mot  avait  plusieurs  acceptions, 
celle  qui  était  péjorative  a  seule  survécu.  On  ne  dirait  plus  avec  Bossuet  : 
«  Des  palais  eficroiUés  de  marbre.  »  {D Apocalypse...,  Lâchât,  II,  309.) 

Exemplaire  (s.  m.)  :  modèle.  {Souffrances,  1661,  i"  p.),  plusieurs  fois  répété. — 
Bossuet  emploie  dans  le  même  sens  le  substantif  original. 

Exquis:  pour  marquer  le  raffinement  de  la  cruauté  :  «  supplice  exquis  »  {Sa- 
medi-Saint 1652,  I,  115).  Ne  se  retrouve  plus,  dans  une  reprise  de  ce  passage 
en  1656  (II,  186)  ;  mais  reparaît  en  1661.  {Souffrances,  i"  p.) 

Exterminer  :  bannir  d'un  territoire  (ex  ter7ninis),  et  non  massacrer  ;  <iV  ows 
avez  exterminé  \ç:s  hérétiques.  »  {Le  Te  Hier,  1686.) 

Faire.  Le  sens  nu  de  ce  verbe  est  quelquefois  d'une  grande  énergie  :  «  La 
voilà  telle  que  la  mort  l'a  faite /  »  {Henriette  d^Anol,  1670;  Marie-Thérèse, 
Voy.  Etonné.;  —  Sert  à  éviter  la  répétition  d'un  autre  verbe,  et  prend  le  même 
régime:  <f  Continua  de  l'instruire,  comme  il  af ait  Joseph  et  Salomon.  »  {Palatine, 
1685.)  —  «  Oui  vous  comptera  un  soupir  et  un  verre  d'eau  donnés  en  son  nom  plus 
que  tous  les  autres  ne/<?r^«/ jamais  toid  votre  saiig  répandu.  »  {Condé,  1687.) 

Le  participe/^//  suivi  d'un  adjectif,  ou  formant  locution  avec  un  nom,  restait 
invariable  :  «  ...  Deux  grâces  :  l'une,  de  l'avoir/azV  chrétienne  ;  l'autre...,  de  l'a- 
\o\r fait  reine  malheureuse.  »  {Henriette  de  Fr.,  1669.)  —  Cf.  II,  132,  S.  Joseph^ 
Depositum,..  ;  393,  Bcati  7nisericordes^  1657. 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXXV 

Faire  à^  faire  pour:  contribuer  à  :  «  Il  y  a  trois  choses  dans  cette  étoile...  qui 
font  merveilleusement /<9z^r  notre  sujet.  ^{Profession  le  jour  de  C  Epiphanie  ^1660^ 
2^  exorde.)  — Faire  à  (I,  93,  Rosaire^  165 1  ;  II,  332,  S.  Victor^  1657). 

Ferveur  :  chaleur^  bouillonnement  (fervere)  :  «  La  ferveur  inquiète  et  tou- 
jours changeante  de  ses  désirs.  »  {Prodigue^  1666,  2^  p.) 

Fiché,  exceptionnellement  poury?;r/.  (I,  227,  Zizanies^  1652.) 

Fleurissant,  florissant.  Bossuet  dit  l'un  et  l'autre  :  «  La  réputation  tou- 
jours fleîirissante  de  vos  écrits.  »  {Discours  de  rc'ceptio7i  à  PAcade'mie,  1671.)  Cf. 
I,  124,  Samedi-Saint^  1652.  Mais  dès  lors  on  X.xom'^ç.  florissant.  (I,  133,  Bo7ité  et 
rig.  de  Dieu.  Voy.  V Errata.) 

Foi>.  —  Au  lieu  d'imprimer  :  «  Fols,  insensés  !  »  nous  avons  ramené  ce  mot  à 
l'orthographe  actuelle.  Par  exception,  nous  avons  conservé  «  Les  fols  amoureux 
du  siècle  »,  parce  que  sous  cette  forme  on  distingue  mieux,  ce  semble,  lequel  des 
deux  mots  est  pris  substantivement.  {De^nons,  1663,  2^  p.)  —  Mais  iâid.  «  De 
fous  il  nous  rend  furieux.  »  —  Disons  une  fois  pour  toutes  que  Bossuet  écrivait 
fol,  fols.  Nous  ignorons  s'il  le  prononçait  ainsi  :  on  trouve  dans  ses  mss.  sol  et 
sot^,  qui  sont  bien  un  même  mot  :  «  Cinq  sols.  »  {Satisfaction,  1656.)  «  Jusqu'au 
dernier  sou.  »  (  Haine  de  la  vérité,  1666.)  —  De  même  col,  pour  cou. 

Foudre,  masculin  et  féminin.  Celui-ci,  plus  rare  :  «  Ce  nous  serait  une  trop 
folle  pensée  de  ne  pas  craindre, parceque  nous  ne  voyons  pas  toujours  à  nos  yeux 
quelqu'un  frappé  de  la  foudre.  ^  (Botité  et  rig.  de  Dieu,  1652,  2^  p.)  —  «  D'imiter 
la  foudre,  —  de  lancer  lafoiidre  inimitable  avec  de  trop  faibles  mains.»  {Parole 
de  Dieu,  1661,  i'^"'  p.,  var.)  Mais  quelques  lignes  auparavant  :  «  Un  foudre  qui 
brise  les  cœurs.  »  —  «  Je  veux  faire  tomber  sur  cette  idole  le  foudre  de  la  vérité 
évangélique.  »  {Honnettr,  1660,  2^  exorde.)  —  Cf.  II,  339,  S.  Victor,  1657. — 
«  Lts foudres  sont  toujours  prêts.  »  (fafn  securis,  1665,  2*^  p.)  —  «  Ce  n'est  pas  en 
vain  qu'il  lance  le  foudre  (préféré  à  la  foudre,  var.),  ni  qu'il  fait  gronder  son 
'iowViexxe.'J)  {Purification,  1666,  i^'^p.) 

Franc  arbitre,  comme  libre  arbitre  {Postulatite  Bernardine,  1659,  r""  p.).  — 
■{\]n franc,  II,  397,  n.  2.) 

Frauduleux.  «  Le  sexpenx.  frauduleux,  »  c.-à-d.  trompetir.  (I,  219,  Zizanies^ 
1652.) 

Gauchir,  au  figuré  :  se  jeter  à  gauche.  {C  ceci  vident,  1665,  i^'p.) 

GÉMEAUX,  Q.oY\-\w\e jumeaux.  (I,  222,  Zizafiies,  1652.) 

GknË  :  peine,  supplices  :  «Vous  avez...  plus  d'âmes  à  délivrer  de  la  j^<^;/^.  » 
{Compassion,  1659,  3*-'  p.) 

Généthliaque  (Discours,  Oraison).  {8 sept.  1652, 1, 166.)  Supprimé  dans  la 
reprise  de  ce  développement,  en  1656  (II,  224). 

Guide.  Au  féminin  dans  cette  phrase  :  «  La  droite  raison  qui  est  sa  guide.  » 
(fîistice,  1666,  3^  p.,  r"  réd.)  —  Ailleurs  masculin.  (I,  315,  Loi  de  Dieu,  1653.) 

Ha  !  hé  !  AH  !  eh  !  et.  Après  avoir  écrit  ah  /  dans  ses  premiers  essais,  notre 
auteur  prit  insensiblement  l'habitude  d'écrire  ha  /  avec  le  même  sens.  Souvent 
de  même  hé /  pour  eh  !  On  trouve  même  et  bien  !  pour  eh  bien  !  —  Nous  avons 
ramené  ces  formes  à  l'orthographe  moderne,  pour  préciser  le  sens.  On  trouvera 
toutefois  ha!  hé  !  dans  quelques  textes  que  nous  étions  réduit  i\  reproduire 
d'après  Deforis. 

Haiîitudks  :  relations.  (S.  François  d'Assise,  1652,  I,  199.) 

Haïr.  Sans  aspiration,  dans  ce  passage  d'un  manuscrit  :  «  Comment  est-ce 
que  vous  l' haïssez  l-^  »  {Réconciliation,  1653.  iV/ss.,  12824,  f.  222, v^'.)  Cela  pourrait 
être  une  simple  distraction,  et  nous  nous  sommes  abstenu  d'en  orner  notre  texte. 
(I,  368.)  Ouoi  c[u'il  en  soit,  le  fait  devait  être  signalé  quelque  part. 

Hésiter,  était  au  contraire  aspiré  :    <<,Ne  hésitez  pas...  »  {F min.  dignité  ..., 


XXXVI  REMARQUES 


1659,  I"  p.)  —  Le  passage  est  rature  ;  mais  la  même  particularité  se  remarque 
dans'une  lettre  de  Hossuet  :\  son  neveu  (14  juillet,  1698  ;  autog.  à  Dijon.) 

Hkukk.  Cette  locution  :  <î  la  bonne  heure,  assez  fréquente  dans  les  premiers 
essais,  signifie  heineuwment.  (I,  97,  Rosaire,  1651  ;  1,  182,  8  sept.  1652  ;  1,  307, 
Purifieatiofi,  1652  et  1653.)  Un  exemple  exceptionnel  se  rencontre  au  début  de 
l'Époque  de  Paris  :  «  Allez  h  la  bonne  heure...  »  {Nécessités  de  la  vie,  1660,  2'-'p.) 

HoMKl,lE,(?crit//fW////V,  (hotnilia).{Honfteur,  1660,  i"^  p.) 

HORRKUR,  avec  un  sens  religieux  :  <^  L3.  sainte  horreur  d'un  Dieu  tonnant.  » 
{W-niireiii- Saint,  1662,  2'"  p.)  —  «  Jetons-nous...  dans  les  horreurs  salutaires 
du  délaissement  de  JÉSUS.  l>(Jbi(l.) 

Huii.E.  D'abord  masculin  (I,  21,  Félicité  des  SS.,  1648)  ;à  moins  que  ce  ne 
soit  une  inadvertance.  —  Féminin  (I,  464,  Cœci  vident,  1653  ;  II,  476,  Compas- 
sion, 1658  ;  II,  533,  S.Jean,  1658). 

HUMKR,  au  figuré  (I,  405,  vS".  Bernard,  1653  ;  I,  456,  Cœci  vident,  1653  ;  II,  533, 
S.Jean,  1658).  Reparaîtra  dans  l'esquisse  sur  V  Ambition,  1661,  et  dans  le  frag- 
ment de  1666  sur  le  même  sujet.  Ici  toutefois  il  sera  relégué  dans  les  variantes. 

Ignorer.  Voy.  Subjonctif. 

Il,  assez  fréquent  au  neutre  :  <<.  //  est  croyable,  parce  qu'/V  est  ridicule.  »  {S" 
Croix,  1653,  exorde.)  —  Encore  en  1681  :  «  C'est  l'intention  du  Saint-Siège  ;  c'en 
est  l'esprit  :  //est  certain.  »  C.-à-d.  il  est  certain  qtie  c'en  est  l'esprit.  {Unité de 
l'Église,  2' ^.) 

Illustre,  au  sens  primitif  (^(r/azV,  brillant),  n'est  pas  seulement  de  la  première 
jeunesse  de  notre  auteur:  «  Remarques ////^j-/;'^j',tirées  des  prophéties  anciennes.» 
{Cœci  vident,  1653,2^  exorde.) —  «  Il  a  plu  à  la  divine  bonté  de  se  marquer 
elle-même,  au  commencement  de  ces  deux  états,  par  une  impression  illustre  et 
particulière..    »  {Henriette  d'Angl.,  iGyo.) 

Immondice,  au  figuré  :  «  Le  péché  ajoute  la  profanation  et  Vimmondice,  aux 
infirmités  qu'il  apporte.  »  {Rechutes,  1660,  i^'  p.) 

Impétrer  :  obtenir.  —  Ce  mot,  quoi  qu'on  ait  dit,  est  de  toutes  les  époques  : 

<  Ce  que  la  loi  commande,  la  foi  Vimpètre.  »  {Pe7itecôte,  1654^  i*"""  p.)  —  «  Si  nous 
impétrons  l'esprit  de  grâce.  ^(Ibid.)  —  Cf.  I,  88,  Rosaire,  165 1  ;  I,  420,  5.  Ber- 
nard, péror.  ;  11,49,  Trinité,  1655,  i*^''  exorde.  —  i,  Impétrez-nous  seulement  cette 
humilité  par  laquelle  vous  avez  été  couronnée.  »  {Assomption,  1660,  péror.)  — 

<  Elle  nous  impHrera  la  chasteté,  qui  nous  est  si  nécessaire.  »  {Conception,  1669, 
2«  p.) 

Imposer,  comme  e7i  imposer  :  «  En  cela  peut-être  que  vous  dites  vrai;  peut- 
être  aussi  nous  ifnposez-vous.  »  (  Vaines  excuses^  1660,  2^  exorde.)  —  «  Ne  croyez 
pas  réimposer  par  cette  apparence  modeste.  »  {Aimonciation,  1660,  i^""  p.)  — 
<i  Tant  il  est  aisé  de  nous  ifnposer.  »  {Parole  de Dieîi,i66i,^^  p.)  — «  Sans  doute, 
ce  triste  spectacle  des  vanités  humaines  nous  imposait.  »  {Henriette  d'Angl., 
1670,  exorde.) 

Inciter,  comme  exciter.  (I,  53,  Toicssaint,  1649  j  I)  250,  Circoncision,  1653  ; 
1,353,  Dé7nons,  1653  ;  I,  '^ùf\,Ascensio7i,  1654;  II, 21,  S.François  de  Paule,i6^^.)  — 
Et  plus  tard,  mais  assez  rarement  :  <i  Qui  nous  défend  nous  incite.  »  {A7mon- 
ciatio7i,  1661,  i*^""  p.)  «  Quand  nous  célébrons  les  saints,  est-ce  pour  augmenter 
leur  gloire  ?...  C'est  pour  nous  i7iciter  à  les  suivre.  »  {Conception,  1669,  2^  p.) 

Indicatif  (Voy.  Encore  que).  —  Après  être  étonné  que  :  «  Tout  le  monde 
fut  étonné  qu'on  trouva  tout  à  coup  leurs  tombeaux  unis.»  {S.Joseph,  1656, 
i*-'  p.)  Cf.  5.  Bernard,  1653,  I,  404.  Mais  aussi  ibid.  s'éto7iner  de...  —  Après 
per)7iettre  qtie  :  «  Dieu  permit  qu'ils  se  rapprochèrent.  »  (Ibid.)  «  Peut-être  que 
Dieu  permettra  que  vous  vous  laisserez  émouvoir.  »  {A7nbitio7i,  1661,  i^'  p.) 
—  Après  le  seul  :  <L  Notre  nature,  qui  est  la  seule  que  Dieu  a  Jaite  à  sa  res- 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXXVII 

semblance.  »  {Providence^  1662,  i^""  p.)  —  (Voy.  SUCCÈS.)  —  Après  le  premier 
(Voy.  Attractions).  —  Après  //  semble  :  «  Il  semble  en  effet  qu'zV/Vz  oublié.  » 
\Ho7î7ieur,  1660;   et   Devoirs  des  rois^  1662,    i*""  exorde.) — Après  il  n!y  a  que  : 
«  Il  n'y  a  que  nous...  qui  apprenons  de  JÉSUS-Christ  même  que...  »  {Vendredi- 
Saint,  1662,  exorde.)  —  A^rhsjusçii'à  ce  que  :  «  Jusqu'à  ce  que  le  Seigneur,  se 
lassant  enfin  de  ses  vengeances,  se  soîivic?idra...  »  {Vendredi- Saifit,  1660,  2*^  p.) 
—  Cf.  IT,  407,  Vêture  htdui?nini...^  1658.  —  «  Jusqu'à  ce  qu'enfin  il  en  7ne7idra 
un...  »  {Mort^  1662,  r»"  p.)  —  «  Jusqu'à  ce  que  le  grand  prince,  qui  ne  put  voir 
égorger  ces  lions  comme  de  timides  brebis,  cal?na\es  courages  émus...  »  {Cojidé, 
1687.)  —  «   Implorait  son  secours,  jusqu'à  ce  qu'il  cessa  enfin  de  respirer  et  de 
vivre.  »  (Ibid.)  —  Toutefois,  quand  il   s'agit   de  l'avenir,   et  de  ses  incertitudes 
(ici  l'événement  ne  dépendait  pas  du  concours  de  notre  liberté),  on  trouve  aussi 
le  subjonctif  :   «Jamais  nous  ne  serons   vraiment  libres,  jusqu'à  ce  que  le  Fils 
de  Dieu  nous  ait  délivrés.  »  {Postul.   Bernardine.,   ^656,  exorde.)  —    Après  7ie 
doutez  pas  que  :  «  Ne  doutez  pas,  chrétiens,  que,  si  l'Esprit  immortel  qui  a  res- 
suscité le  Seigneur  JÉSUS,  habite  en  vous,  cet  Esprit  qui  a  ressuscité  JÉSUS- 
Christ  vivifiera  aussi  vos  corps  mortels...  »    {Novissima  iftimica,   1669,  3^  p.) 
Indiscret,  signifiant  sans  discernement.  (T,  403,  S.  Bei'na7'd.,  1653.) 
Indissoluble,  comme  insoluble.  «  Y^mgmç^s  indissolubles. i>  (S.  Fra7içois  d'As- 
sise et  Loi  de  Dieu  ;  1652  et  1653  ;  l,  192,  316.) 

Indulgemment  :  «  S'ils  agissent  trop  i7idulgem77îe7it  avec  les  pécheurs.  » 
{Satisfaction.,  1658,  2^  p.) 

Inférer  de  :  déduire.,  co7iclure  de  :  «  QuH7iférerons-7iotis  de  cette  doctrine  de 
saint  Augustin.?  »  {Sa7nedi- Saint.,  1652,  3^  p.) 

Infinitif  actif,  avec  sens  passif,  étant  précédé  de  à:  «  Ce  dernier  effet,  qtii 
me  reste  à  examiner.  »  {Prédication  éva7tgélique^  1662,  2^  p.)  —  Cf  1 1,  409  (Vêture 
Indui77iini...^  1658). 

Injure  :  tort  :  «  Et  on  voit  qu'on  doit  la  justice  à  tous,  et  qu'on  ne  doit  faire 
i7ijure  à  personne  non  plus  qu'à  soi-même.  »  {Cœci  vident,  1665,  2^  p.)  —  Ailleurs 
le  sens  ordinaire  {Charité fraternelle.,  1660,  i'^"'  p.) 

Inonder  :  sortir  comme  d'une  source  abondante  :  «  Cette  bouche  divine,  de 
laquelle  zV^^/z-t'^^/^vz/ des  fleuves  de  vie  éternelle.  >>  (l,  113,  Sa77iedi-Sai7it,  1652; 
I,  405,  S.  Bernard,  1653.  —  Cf.I,  91,  Rosai7'e,  1651.)  —  I)io7ider  sur  :  «  Les  impié- 
tés, les  sacrilèges...  tout  cela  vient  i7io7uier  sur  JÉSUS-Christ.  ^>  (Kv/^'Z/vy//- 
Sai7it,  1660,  i^""  p.)  —  Cf.  I,  179,  8  sept.  1652.) 

Inspirer  à  quelqu'un  que...  :  chercher  à  persuader  :  «  Ne  cessaient  de  lui 
/;/i'//r(£?r  qu'il  devait  s'en  rendre  maître.»  {Le  Tellier,  1686.) 

Instinct  :  i7npulsion  :  «  Certaines  volontés  fortes,  desquelles  si  vous  suiviez 
Vi7tsti7ict  généreux,  rien  ne  vous  serait  impossible.  »  {/h'dtur  de  la  Pénitence, 
1662,  I'''  p.)  —  Cf.  II,  326  :  «  D'où  est  venu  ce  dessein  à  l'homme,  sinon  de 
Vinsti7ict([n  serpent  trompeur.?  »  (6*.  Victor,  1657,  i"  p.)  —  Bossuet  dira  de  même 
dans  les  Méditations  sur  V Plva7igile :  «  Je  les  vois  avancer  par  son  insti/ut.  > 
C.-à'd.  par  l'impulsion  de  Satan.  {La  Chte,  XCIX.)  —  Et  à  la  veille  même  de 
sa  mort  :  «  \Ji71sti71ct  du  Saint-Esprit.  >  {Explication  de  la  Prophétie  dVsaie...) 

Insult,  Insulte.  Le  genre  était  douteux,  comme  l'orthographe:  «Un  insulte 
public  à  la  pudeur  du  genre  humain.  »  {Impc)iit.  finale,  1662,  r' p.)  —  En  1660 
et  1661,  l'auteur  écrivait  :  z;/jw// (de  même /^/j/),  conformément  à  l'étymologie. 
Dans  le  sermon  sur  les  SoufiFra/ices  (1661),  une  correction  à  la  sanguine,  peut- 
être  ]^ostéricure  en  date,  porte  :  U7ie  i7isulte.  L'd'  restera  désormais  ajouté  : 
{Ardeur  de  la  Pénite7tce,  1662,  2^  p.)  ;  mais  souvent  le  mot  n'en  sera  pas  moins 
fait  du  masculin  :  «  11  n'oppose  rien  à  tous  ces  insultes  qu'un  j^ardon  universel.  >, 
{Ve/idredi-Sai7it,   1662,  2*-"  p.) —  «S'attirer  de  nouveaux  insultes.^  {l'-g^  î'^-'". 


XXXVIII  REMARQUES 


,668,  p.)  —  <  A  couvert  de  tous  les  insultes.  >  {Toussaint,  1669,  S*"  P-)  —  Et  au 
féminin  :  i  l'nc  iftsulte.  >  {Chixrité fraternelle,  1666,  2^  p.) 

iNrKMPKKiK,  au  figuré  :  ih'sordre  maladif  :  «  ()uelle  force,  quel  transport, 
quelle  intempérie  a  causé  ces  agitations  et  ces  violences?  )>  {Henriette  de  Fr.,  1669.) 

IxrKKKiic.Aru^NS  sans  ;//',  et  avec /J^rf  ou  point.  Voy.   Négatives. 

iNrKRROlîATK^NS  INniRHCIKS.  INTERROGER  COiMMENT...  Voy.  LATINISMES. 

Inversions.  Fréquentes  ;  et  quelquefois  très  expressives  :  «  Combien  se  trou- 
veront étonnés  ces  hommes  accoutumes  aux  louanges,  lorsqu'il  n'y  aura  plus  pour 
eux  de  flatteurs  !  >  {Honneur,  1660,  2"  p.)  —  «  Ainsi  périssent  ces  beaux  desseins 
et  s'évanouissent  comme  un  songe  toutes  ces  grandes  pensées.  »  {Ambition,  1662, 

,crp  j ^  Ainsi  topnba  tout  à  coup  la  fureur  des  vents  et  des  flots,  h  la  voix  de 

JÉSUS-CHRisr  qui  les  menaçait.»  {Palatine,  1685.)—  «Qu'elle  est  forte  cette 
Église,  et  que  redoutable  est  le  glaive  que  le  Fils  de  Dieu  lui  a  mis  dans  la  main!» 
(Le  Tellier,  1686.)  —  Avec  à  peine,  aussi,  autant  que,  d'autant  plus.  (Voy. 
Autant.—  I,  2,  28,  337,  350,  etc.)  —  D'autres  sont  peu  heureuses  :  «  Et  le  ser- 
vice duquel...  »  {Postul.  Bernardine,  1656,  2^  p.)  —  «  Là,  par  l'efficace  du  Saint- 
Esprit,  et  par  des  paroles  mystiques  auxquelles  on  ne  doit  point  penser  sans 
tremblement,  se  transforment  les  dons  proposés  au  corps  de  Notre-Seigneur 
JÉSUS-Christ.  »  {Parole de  Dieu,  1661,  2^  exorde.) 
Itérer,  comme  réitérer.  (Pâques,  1685,  esquisse.) 

Jusque,  jusques.  On  ne  devra  pas  s'étonner  de  rencontrer  ces  deux  formes 
dans  le  même  discours  :  il  en  est  ainsi  bien  souvent  dans  les  manuscrits.  Il  y  a 
des  corrections,  soit  pour  ajouter  Vs,  soit  pour  le  retrancher  ;  mais  elles  semblent 
tellement  contradictoires  que  je  ne  vois  rien  de  bien  net  à  en  conclure.  Ce  sont 
des  velléités  de  préférences  temporaires  ;  encore  sont-elles  peu  constantes  dans 
une  même  année,  et  dans  un  même  discours. 

Jusqu'à  temps  que,  jusques  à  teinps  que.  Locution  fréquente  dans  la  jeunesse 
de  Bossuet.  Je  ne  me  souviens  pas  de  l'avoir  rencontrée  à  partir  de  1662.  — 
Lorsque,  avant  1656,  il  écrit  phonétiquement  le  tans  (le  temps),  on  peut  être  tenté 
de  (:oxi{c)X\<\xt  jusqié à  tans  que  ei  JusquW  tant  qtie.  (Gandar,  p.  68  ;  Gazier,  p.  16.) 
(2uelquefois  même  la  lecture  est  douteuse.  (I,  150.)  Mais  ce  qui  prouve  bien 
qu'aux  yeux  de  notre  auteur  ce  n'est  pas  une  seule  et  même  locution,  c'est  qu'il 
orthographie,  à  d'autres  époques  lyV^j-^z/'^  temps  que,  ou  :  jusques  à  temps  que. 
{Vendredi-Saint,  1660,  3^  p.)  C'est  donc  ainsi  qu'il  fallait  écrire,  I,  41,  321,514. 
Jusqu'à  ce  que,  avec  l'indicatif,  Voy.  Indicatif. 

La  (pronom),  se  rapportant  à  un  nom  indéterminé.  Nous  mettrions  le  :  «  Ce 
m'est  beaucoup  d'honneur,  à  la  vérité,  d'être  mère  du  Messie  ;  mais  si  je  la 
suis,  que  deviendra  ma  virginité.^»  {Rosaire,  1651,  i^^  p.)  —  De  même  les  : 
«  Si  vous  êtes  jalouses  de  la  pureté  de  la  chair,  soyez-les  encore  beaucoup 
davantage  de  la  pureté  de  l'esprit.  »  {Assomption,  1660,  2°  p.) 

La  explétif  :  «  La  voilà  qu'elle  est  à  la  porte.  »  {Impénit.  finale,  1662,  2^  p.) 
Latinismes.  Abondent  dans  la  langue  de  Bossuet.  De  même  chez  ses   con- 
temporains, ceux  principalement  qui  avaient  été  nourris  didiXiS  la  première  moitié 
du  xvii^  siècle,  avant  l'avènement  de  Louis  XIV.  Nous  en  avons  déjà  signalé 
un  grand  nombre  ;  en  voici  d'autres  : 

1°  Interrogations  ifidirectes :  «...  Où  peu  m'importera  combien  de  temps /<2zV 
été.  »  {Brièveté  de  la  vie,  1648.  —  Voy.  V Errata.)  —  Autres  exemples  du  sub- 
jonctif: «  Que  m'importe,  dit  l'épicurien,  de  quoi  je  me  réjouisse?  Jf  {Totissaiîit, 
1669,  2^  p.)  «  Qu'importe  qu'ait  dit  un  homme  mortel  1  »  [La  Vallière,  1675, 
péror.)  —  «  Elle  interroge  comment  il  se  pourra  faire  qu'elle  conçoive  ce  Fils 
dont  il  lui  parle,  elle  qui  avait  résolu  de  ne  point  connaître  d'homme.  »  {Veille  de 
l'Assomption,  1650,  i*^'  p.)  —  «  Interrogez  une  mère  d^oii  vient  que  souvent  en  la 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XXXIX 


présence  de  son  fils  elle  fait  paraître  une  émotion  si  visible.  »  {Rosaire^  1651, 
jer  p  N (^  Il  nous  donne  quel  nom  il  nous  plaît.  »  {Dévotion  à  la  S.  K,  frag- 
ment 1653.)  —  «  Nous  nous  plaignons  ordinairement /<9/^?-^z<r^z  on  nous  ôte  cet 
ami  intime,  pourquoi  ce  fils.  »  (.V.  Joseph,   1656,  2^  p.  ;  Souffrances,  1661, 1"  p.) 

«Non,  je    ne    cherche   point    d'autre   cause   poicrqitoi  les    anges    ont    pu 

pécher...  »  {Dé?no?ts,  1660,  i"  p.)  —  «  Insiruisajit  la  veuve  sainte  Probe...  de 
quelle  sorte  \ç.s  chrétiens  pouvaient  désirer...  les  charges...  »  {Nécessités  de  la 
vie  1660,  3"  p.)  —  «  Permettez-moi  de  leur  demander  que  leur  a  fait  ce  saint 
lieu...  »  {S.  Fra7îçois  de  Paule,  1660,  péror.)  —  «  S'étonneront  cojnment  ils  ne 
voyaient  pas...  »  {Providence,  1662,  i'^''  p.)  —  «  Pensez  maintenant,  messieurs, 
co?Jtment  diViVdÀi  \>u  prendre  un  tel  ascendant  une  créature  si  faible...  »  (J/^r/, 
1662,  2"=  p.)  —  «  Jamais  elle  ne  se  montra  mieux  ce  ^«'elle  est,  c'est-à-dire 
grâce...  »  {Visitation,  1656,2^  p.)  Ici  le  tour  est,  ce  semble,  plus  grec  que  latin  : 
les  traductions  littérales  de  l'Écriture  l'avaient  introduit  dans  la  langue  ecclé- 
siastique :  Scio  te  quis  sis,  Sanctus  Dei.  (Luc,  iv,  34.)  —  On  retrouve  cette  con- 
struction dans  la  locution  très  connue  :  Le  voyez-vous  comme...?  «  Le  voyez-vous 
comme  il  vole  ou  à  la  victoire  ou  à  la  mort  ?  »  {Co7idé,  1687.)  —  «  Le  voyez-vous 
C07mne  il  considère  tous  les  avantages  qu'il  peut  ou  donner  ou  prendre.''  >  (Ibid.) 
—  «  Le  voyez-vous  comme  il  compte  l'infanterie  et  la  cavalerie  des  ennemis  par 
le  naturel  des  pays....''  »  (Ibid.) 

2"  Relatifs  dans  une  incidente  contena7it  tme  co7ijonctio7i,  ou  un  interrogatif, 
ou  une  proposition  participe  :  «  Nous  avons  un  ennemi  domestique,  avec  lequel 
si  nous  sommes  en  paix,  nous  ne  sommes  point  en  paix  avec  Dieu.  »  {S.  Fra7i- 
çois  de  Paule,  1655,  i^""  p.)  —  «  C'est  pourquoi  la  mortification  dans  les  cloîtres  ; 
où  si  la  chair  est  contrainte,  c'est  pour  rendre  l'esprit  plus  libre.  »  {Postul.  Ber- 
nardine, 1656,  2-  p.)  —  «  Changement  vraiment  épouvantable,  lequel  si  nous 
méditons  sérieusement,  il  en  réussira  cette  utilité  que...  »  {Dé77io7is,  1660,  i^' 
exorde.)  —  «  Voilà  trois  circonstances  de  notre  évangile,  lesquelles,  messieurs, 
si  nous  entendons,  nous  y  lirons  manifestement  toute  l'histoire  de  notre  paix.  > 
{Qicasi77iodo,  1660,  2^^  exorde.)  —  «  C'est  le  talent  précieux,  lequel  si  l'on  manque 
seulement  de  faire  valoir...,  on  est  relégué...  »  {A7nbition,  1662,2^  p.)  —  «  C'est 
une  passion  violente,  à  laquelle  quand  nous  nous  sommes  laissé  dominer  long- 
temps, nous  sommes  bien  aises  de  croire  qu'elle  est  invincible.  >>  {Effi.cacité  de 
la  Pé7iitc7ice,  1662,  i*^""  p.)  —  «  N'avez-vous  pas  ressenti  souvent  certaines  volontés 
fortes,  desquelles  si  vous  suiviez  l'instinct  généreux,  rien  ne  vous  serait  impos- 
sible ?  »  {Ardeur  de  la  Pé7iite7ice,  1662,  i'-'''  p.)  —  «  Ils  nous  éloignent  de  Dieu, 
pour  lequel  si  notre  cœur  ne  nous  dit  point  que  nous  sommes  faits,  il  n'y  a  point 
de  paroles  qui  puissent  guérir  notre  aveuglement.  »  {Prodigtie,  1666,  i*^' p.)  — 
De  mcme,  en  dehors  des  sermons  :  «  Ce  n'est  que  des  hommes,  quelque  habiles, 
quelque  éclairés,  quelque  saints  qu'on  les  imagine,  toujours  sujets  à  faillir,  dont 
si  on  suivait  les  sentiments  à  l'aveugle,  on  égalerait  les  hommes  à  Dieu.  % 
{Réjlex.  sur  un  écrit  de  M.  Claude,  1682  ;  Lâchât,  Xlll,  572.) 

—  «  L'alliance  du  saint  baptême...,  da7is  laquelle  ^//t^puis-je  vous  dire  des  biens 
({ui  vous  ont  été  accordés  "i  »  {Rechutes,  1660,  1'=^  p.)  —  «  Une  source  de  plaisirs 
réels,  lesquels  certes  quiconque  a  goûtés,  il  ne  peut  presque  plus  goûter  autre 
chose.  »  {Purification,  1662,  2-^  p.)  —  «  Surprise,  de  laquelle  certes  ayant  été 
avertis,  est-il  rien  de  plus  aisé  que  de  l'éviter?  »  {Déunvis,  1660,  3*=  p.)  —  <i  C'est 
le  fruit  que  je  me  propose  de  ce  discours,  qin  étant  de  telle  importance,  je  ne 
l)uis  douter...  >>  {Ibid.,  r'  exorde.)  L'indéfini  et  le  i:)articipe  équivalent  dans  ces 
phrases  à  une  conjonction,  ([ui  serait  jointe  au  relatif.  —  «  Novatien,  duquel 
vous  désirez  que  je  vous  écrive  quelle  hérésie  il  a  introduite.  '^  {Sur  P Ei^lise^ 
1660,  2""  p.)  Ici,  plusieurs  propositions,  toutefois. 


XL  REMARQUES 


3"  Subjonctifs,  marquant  le  doute,  ou  la  subordination  .\  une  proposition  pré- 
r«5denic  :  «  Si  dctcrminds,  qu'on  eût  dit...  qu'ils  se  nourrissaient  d'incommodités, 
et  (|uela  famine  et  la  peste  leur  t/onnassr/i/de  nouvelles  forces.  »  {/>'û?iU û/ r(if. 
de  Dieu,  1652,  2^  p.)  L'anacoluthe  tient,  ce  semble,  \  ceci  que  le  premier  verbe  au 
subjonctif  aurait  eu  une  forme  amphibologique.  Le  dernier  suffisait  d'ailleurs  à 
marquer  la  nuance.  —  ^  Vous  diriez  qu'il  se  fasse  le  compagnon  de  Dieu.  » 
{Démons,  165-,,  et  Scapulairc,  1653,  i"  p.)  —  «  Vous  diriez  qu'il  ne  fasse  rien 
en  ce  monde.  ^  {Loi  (ù-  Dieu,  1653,  3^"  p.)  —  «  Vous  diriez  qu'il  soit  deveftu  un 
autre  David.  -»  {Palatine,  1685.)  — «  Les  chrdtiens  ne  connaissent  plus  la  sainte 
frayeur  dont  on  était  saisi  autrefois  h  la  vue  du  sacrifice  :  on  dirait  qu'il  eût  cessé 
d'être  terrible.  >  {Condé,  1687.)  —  <<.  Quelle  est  notre  erreur  et  notre  folie  de  croire 
que  nous  Wiyons  fédit.  aurons)  contentée,  lorsque  nous  aurons  satisfait  les  sens  !  » 
{Martha,  1655,  r'  p.)—  «  La  clôture  que  vous  embrassez  n'est  pas  une  prison 
où  votre  liberté  soit  opprimée.  ^>  {PostuL  Ber^iardine,  1659,  i'^''  p.)  —  «  Deux 
villes,  dont  l'une  ne  soit  {V"  rédaction  :  n'est)  composée...  »  {Einin.  dignité..., 
1659,  I"  p.)  —  «  Voyez  les  degrés  merveilleux  par  lesquels  il  vous  conduit 
insensiblement  à  cette  haute  tranquillité  d'âme  que  nul  accident  de  la  fortune 
ne  puisse  ébranler.  >>  {Nécessités  de  la  vie,  1660,  i^-*  p.)  —  «  Vous  croyiez  peut- 
ctre  que  cet  amour  des  plaisirs  w^ftit  que  tendre  et  délicat.  »  {Deus  te?itavit 
eos,  1663,  2*=  p.) —  <^  Dieu  a  disposé  par  sa  Providence  que  les  uns  servissent 
de  remède  aux  autres.  ^>  {Purification,  1666,  2*^  p.)  —  «  Si  nous  entrions  dans  le 
commerce  de  la  vie  humaine  avec  cette  austérité  invincible  qui  ne  veuille  jamais 
rien  pardonner  au  monde...  »  {fustice,  1666,  3*^  p.,  r'  réd.) 

A''  l 'erôes  au  singulier  avec  plusietirs  sujets.  Exemples  fréquents,  et  entre 
autres  :  <<^  Il  lui  a  plu  que  dans  cette  race  maudite  la  grâce  et  la  bénédiction  prît 
son  origine.  ^>  {Scapulaire,  1653,  i^""  p.)  —  «  La  nature  de  Dieu  est  féconde...  Son 
amour  et  sa  charité  l'^j-/ aussi.  »  {A7t?ionciatio?t,  1655,  i^"^  p.;  Cf.  Rosaire,  1657,  II, 

-,r2. ^  Qui  ne  sait  que  les  empressements  de  la  charité  et  la  sainte  inquiétude 

qui  la  travaille  pour  le  salut  des  pécheurs  est  comparée  dans  les  Écritures  aux 
douleurs  de  \tx\{7\.\\'^^xv\^x\0.  ^  {Annonciation,  1655,  i''"  p.)  Ici  le  sujet  le  plus 
éloi^mé  était  même  au  pluriel  ;  mais  l'accord  se  fait  avec  le  plus  rapproché  ; 
conîme  dans  Cicéron  :  Cum  in  liominibus  juvandis  aut  mores  spectari  autfor- 
tuna  solcat.  (DE  OFFIC,  II,  XX.)  —  «  La  promesse  et  l'alliance  \  a  fait.  »  (Beati 
miséricordes,  1657,  i"  p.)  —  «  Cet  univers,  et  particulièrement  le  genre  humain 
est  le  royaume  de  Dieu,  que...»  {Providence,  1662,  2^  exorde.)  —  «  ...Que  la  grâce 
de  Jésus-Christ  et  la  vision  bienheureuse  aura  rendus  leurs  compagnons.» 
{Ibid.,  2^  p.)  —  «  Cette  raillerie  maligne,  ce  trait  que  vous  lancez  en  passant, 
cette  parole  malicieuse  et  ce  demi-mot  qui  donne  tant  à  penser  par  son  obscu- 
rité affectée, /t'«/  avoir  des  suites  terribles.  »  {fustice,  1666,  2^  p.)  —  «  Si  les 
plaisirs  que  vous  recherchez,  si  la  gloire  que  vous  admirez  était  véritable,  quel 
autre  l'aurait  mieux  méritée  qu'un  Dieu?  »  {Noël,  1667,  3^  p.)  —  «  Quelle  serait 
la  beauté  et  la  magnificence  de  sa  cour  ?  »  (Ibid.)  —  «  Ah  !  ce  n'est  pas  la 
raison,  c'est  le  dépit  et  le  désespoir  qui  inspire  de  telles  pensées.  »  {Toussaint^ 
1669,  péror.)  —  «  Et  la  lumière  et  leur  ombre  propre  X^mfait  peur.  »  {Hora  est, 
1669,  i'^'  p.)  —  «  Il  est  visible  que,  puisque  la  séparation  et  la  révolte  contre 
l'autorité  de  l'Église  a  été  la  source  d'oi^i  sont  dérivés  tous  les  maux,  on  n'en 
trouvera  jamais  les  remèdes  que  par  le  retour  à  l'unité  et  par  la  soumission 
ancienne.  »  {Henriette  de  Fr.,  1669.)  —  «  Leur  inutilité  et  leur  ignorance  nous  les 
a  fait  mépriser  ;  leur  vanité  et  leur  corruption  nous  les  a  fait  haïr...  »  {Pâques, 
1680,  2'=  p.) 

5"  Singulier  aprhs  un  des  plus...;  une  des  choses  qui...  autant...,  etc.  :  «  Une 
des  choses  qui  augmente  autant  l'affection  envers  les  enfants,  c'est...  »  {Rosaire, 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XLI 

165 1,  i^'  p.)  Voy.  Autant.  —  «  Une  des  plus  belles  promesses  que  Dieu  2.\\./aïte 
à  son  Fils  est  celle  de  lui  donner  l'empire  de  l'univers.  >>  {Bonté'  et  rig.  de  Dieu, 

1652,  2^  p.) —  «:  Savante  compagnie,  cette  piété  pour  la  Vierge  est  peut-ctre  /'?^« 
des ptus  bea.ux  héritages  que  vous  ayez  reçît  de  vos  pères.  >  {Conception,  1652, 
i*^""  p.)  —  «  C/ne  des  qualités  de  l'Église  qui  est  autant  célébrée  dans  l'Écriture, 
c'est  sa  perpétuelle  jeunesse...  »  {Jubilé,  1656,  2^  p.)  —  <i  De  toutes  les  solennités 
par  lesquelles  nous  honorons  la  très  sainte  Vierge,  celle-ci  était  une  des  plus 
dignes  d'être  choisie  singulièrement  par  la  Congrégation  des  prêtres.  »  (  Visitation, 
1656,  exorde.) 

6°  Di^érentes  constructions  ou  expressions,  imitées  du  latin  :  — Je  ne  puis  que 
je  7ie...  (I,  155,  202  ;  II,  7,  49,  83.)  Nous  rencontrons  toutefois  de  bonne  heure 
le  tour  qui  devait  survivre  à  cet  archaïsme  :  «  Je  ne  puis  ne  pas  m'étonner.  >> 
{Scapulaire,  1653,  i^""  p.)  —Exhorter  que  :  «  Nous  vous  exhortons...  que  vous 
ne  receviez  point  en  vain  la  grâce  de  Dieu.  »  {Pénitence,  1661,  texte.)  Cf.  II,  97. 
—  «  Les  exhorter...  qit'Ws  souffrent  qu'on  les  entretienne...  »  {Prédication  évati- 
gélique,  1662,  2^  p.)  De  souffrir  est  effacé.  —  De  même  :  «  Nous  supplions  Votre 
Majesté  qtûeWç.  ne  se  lasse  jamais  de...  »  est  préféré  'k\  de  ne  se  lasser  jamais. 
{Devoirs  des  rois,  1662,  2*"  p.)  —  Proposition  injinitive  :  «  Je  me  représente 
aujourd'hui  le  Sauveur  JÉSUS,  à  même  temps  qu'on  l'offre  au  Père  éternel, /^é'w- 
dre  la  place  de  toutes  les  victimes  anciennes.  »  {PuriJicatio7i,  1653,  2^  p.) 

Si...  que.  Fréquent  :  «  Ils  ne  sont  pas  encore  si  extravagajits  que  de  vouloir 
s'égaler  à  Dieu,  »  {Honneur,  1660,  2°  p.)  —  «  Si  tu  étais  si  heureux  qu^W  s'élevât 
de  toutes  parts  des  difficultés  contre  tes  prétentions  honteuses.  »   (^S"^,.  Croix, 

1659,  1"=^^  p.)  —  Cf.  I,  369  ;  II,  74,  172,  173,  etc. 

Participes  remplaçant  un  nom  abstrait  :  «  Chantez  ses  richesses  dissipées, 
son   éclat  tertii,  sa  pompe  abattue,  sa  gloire  évanouie  en  fumée.  »  (  Visitatio7i 

1660,  3^  p.)  —  «  Ne  pourrons-nous  jamais  espérer  que  les  jaloux  de  la  France 
n'auront  pas  éternellement  à  lui  reprocher  les  libertés  de  l'Église  toujours  em- 
ployées contre  elle-même.'*»  {Le  Tellier,  1686.) —  «  Nous  vanterons  les  lois 
tmies  aux  canons.  >>  (Jbid.) —  «  Là  on  célébra  Rocroy  délivré,  etc.»  {Cojidé,  1687.) 
C'est-à-dire,  la  délivrance  de  Rocroy  ;  Vunioji  des  lois  et  des  canons  ;  Vemploi 
des  libertés  contre  l'Église,  etc. 

Régimes  calqués  sur  des,  géniiijs  :  «  S\'>ubliant  de  ce  qu'il  est  en  soi-même.  » 
{Honneur,  1660,  2*-'  p.)  —  «  Ne  V oublie  pas  de  ton  Créateur.  »  {Pénitence,  1661, 
I''''  p.)  Cf.  I,  308.  —  «  Ignorant  des  choses  humaines.  {Loi  de  Dieu,  1653  et  1659, 
exorde.)  —  «  Nous  consumons  toute  notre  vie,  toujours  ignorants  de  ce  qui  nous 
touche.  »  {Mort,  1662,  2*^  exorde.)  —  «  Impatients  de  contrainte.  »  (Vcture  In- 
duimini,  1658,  2"=  p.) —  «  Impatiente  du  repos.  »  {Impénit.JÎ7iale,  1662,  2^  p.)  — 
«  Les  re7ncdes  de  les  purger.  »  {Pâques,  1654,  2^  p.)  —  Sur  des  datijs.  (Vôy.  A, 
SERVIR,  SATISFAIRE.)  —  «  C'cst  par  la  miséricordc  et  la  justice  que  les  anges 
et  les  hommes  sont  sujets  à  Dieu.  »  (///''  di77i.  après  la  Pentecôte,  1655,  2"  exorde.) 
—  Sur  des  ablatijs  :  «  Que  je  me  lave  de  ce  sang!  »  {Ve7uîrcdi-Sai7it,  1660, 
2*-'  p.) —  «  Nous  e7i  sommes  lavés  et  nourris.  »  {Dévotion  à  la  S.  r.,  1653,  frag- 
ment, I,  388.)  —  «  L'âme  raisonnable  se  rappelle  de  la  multitude  ;  »  c.-à-d.  se 
retire,  se  reprend,  se  revocat.  {Martha,  1655,  2*^  p.)  —  <<(  Le  soustraire  de  son 
domaine.  »  {Pentecôte,  1654,  2""  p.)  —  «  De  quoi  le  consolerez-vous  }  »  C.-à-d.  par 
quoi.''  {S.  Jea7î,  1658,  i""  p.)  —  «  Cet  amour  est  plus  dangereu.x  e7i  ce  quW 
est  ordinairement  plus  imperceptible  ;  »  eo...  quo...  {S,,.  Croix,  1659,  i*^""  p.)  — 
«  Vous  étiez  e7i  cela  plus  i/iconsolable  que...  »  {Ve7tdredi-Saint,  1660,  y  p.) 

Le  (pronom)  au  neutre,  avait  des  acceptions  aujourd'hui  rejetées  :  représentait 
un  membre  de  phrase,  un  nom  pluriel,  etc.  :  «  Si  peu  que  je  voulusse  m'ctcndre 
sur  ce  sujet,  je  /t' verrais  conùnnc  par  des   acclamalions  publiques.  ^  {S  sept, 


XLII  REMARQUES 


i652,exorde.)  Le  a  <5té,  il  est  vrai,  supi)lc(5  par  les  éditeurs  ;  mais  c'est  bien  le 
mot  qui  mantiuait.  Le  sens  n'est  i)as  :  Je  verrais  ce  sujet  confirme...  ;  mais  :  Je 
verrais  cela  confirme...  —  «  QuoiquV/soit  assez  connu  par  expérience,  je  veux  le 
rechercher  jusqu'.\  l'origine,  et  développer  tout  au  long  ce  mystère  d'iniquité.  » 
{Honneur,  1660,  2"  p.)  Les  deux  pronoms  sont  au  neutre,  et  sii^nifient  cela.  — 
«  Et  ne  /'ayant  pas  eu  h  la  fois,  /'ai-je  eu  du  moins  tout  de  suite.?  »  {Brièveté de 
la  vie,  1648.)  Se  rapporte  .\  un  pluriel  ;  il  s'agit  des  contetitemcnts... 

Lestk  :  l'Ui^ant.-pivipant:  <\  Une  cour  plus  leste  et  plus  polie.  »  {Circoncision, 

1653,  I"  p.) 

Leur  (pronom  personnel)  est  ordinairement  écrit  avec  s  dans  la  première 
période,  de  1648  .\  1656.  Après  cette  date,  les  exemples  en  sont  tellement  rares 
qu'on  doit  les  regarder  comme  des  lapsus. 

Liesses,  au  pluriel  :  «  Voyez  les  liesses,  les  transports,  les  chants  de  cette  cité 
triom])hante. '^^  {Mundus  oaudehit,  1664,  2^  p.) 

Loci'JiON,  dans  un  sens  général  :  phrase,  langue,  style  :  «  Avec  cette  locution 
qui  sent  l'étranger.  »  (.V.  Paul,  1657,  i*^""  p.) 

Locui'iONS  toutes  faites.  —  Nous  ne  faisons  pas  l'accord  avec  les  mots  qui  y 
sont  entrés  ;  Bossuet  le  faisait  quelquefois,  conservant  aux  composants  leur 
signification  originelle  :  «  Vous  leur  rendez  leiir  change.  »  {Bonté  et  rig.  de  Dieu, 
1652,  2''p.)  —  <<.  Pouvez-vous  mieux  confesser  la  miséricorde  que  vous  recevez, 
qu'en  la  faisant  d.u\  autres  en  simplicité  de  cœur?  »  {Beati  miséricordes,  1657, 
2*^  p.)  C.-à-d.  en  faisant  miséricorde.  —  «  H  honore  la  miséricorde  qui  \u\fait  du 
bien  en  le  répandant  sur  les  misérables.  »  {Providence,  1662,  2^  p.)  —  «  Ceux  qui 
ne  découvrent  rien  sur  la  terre  qui  puisse  \^\ix  faire  /^/doivent  être  d'autant  plus 
préparés  à /a  recevoir  d'en  haut.  »  {Purification,  1662,  péror.)  —  <i  fe  n'ai  pas  de 
peine  à  considérer  que  les  pécheurs  e7i  souffrent  beaucoup.  »  {Efficacité  de  la 
Pénite7ice,  1662,  2*=  p.)  C.-à-d.  beaucoup  de  peine[s].  —  Ce  tour  n'est  nullement 
à  regretter. 
Lumières  (Rendre  des).  Se  trouve  en  1652  et  1653.  (I,  113,  405.) 
Mais  n'est  pas  seulement  employé  comme  conjonction  adversative  ;  c'est 
encore  une  formule  oratoire  destinée  à  enchérir  (magis)  sur  ce  qui  précède  : 
«  De  quelle  vie  admirable  ne  vivrons-nous  pas,  nous  qui  mangeons  un  pain 
vivant,  mais  qui  mangeons  la  vie  même  à  la  table  du  Dieu  vivant  !  »  {Samedi- 
Saint,  1652,  2^  p.)  —  «  Quand  ce  fonds  leur  manque,  mais  encore  y  a-t-il  quelque 
recours.  »  {Beati  miséricordes,  1657,  2*^  p.) 

^L\L  GRÉ  qu'il  en  ait  signifie  quelqtie  mauvais  gré  qu'il  en  ait.  Cette  phrase 
le  montre  clairement  :  «  Tout  ministre,  bon  gré  mal  gré  qiHl  en  ait,  avouera...  » 
{Réflex.  sur  im  écrit  de  M.  Claude,  Lâchât,  XIII,  573.)  Partout  nous  écrivons  en 
ce  sens  mal  gré  ^xï  deux  mots.  —  Faute  de  comprendre  cette  locution,  on  s'est 
mis  à  dire  :  QuoiquHl  en  ait,  qui  n'a  aucun  sens.  Ne  voilà-t-il  pas  même  bien 
qu^il  671  ait,  qui  lui  fait  concurrence  dans  les  colonnes  des  journaux  ! 
Maillot  :  «  Dans  le  maillot.  »  {Noël,  1667,  2^  p.) 
Manie  :  déraiso7i  (I,  147  ;  ]  I,  410.) 

Manque  de,  comvcxe faîite  de  :  «  Défaillir,  7nanque  rt^'aliment.  »  {Visitation, 
1659, 1^  p.)  --  «  Nous  tomberons  tout  à  coup,  manque  de  soutien.  »  {Mort,  1662, 
i^^p.) 

Marchandise,  pour  co77i77ierce  :  «  Je  ne  risque  rien  dans  la  77îarcha7idise.  » 
{Postul.  Bernardi7te,  1659,  3^  p.)  —  Dans  le  sens  ordinaire  :  «  Débitent  plus  de 
mensonges  que  de  marcha7idises.  »  {Loi  de  Dieu,  1653,  2®  exorde.) 

Méconnaissance:  contraire  de  reconnaissance:  ingtatitude  :  i.Y?L\h\esst, 
77iécoti7iaissance,  secours  en  paroles,  abandonnement  en  effet.  »  (  Vendredi- Saint, 
1662,  2'-"  p.)  —  «  Tant  notre  7)iéco7inaissa7tce  est  extrême.  »  {Cœci  vident,  1665, 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XLIII 


i^'  exorde.)  —  Méconnaissant,  de  même  :  <L  Ne  vouloir  pas  qu'on  vous  loue  de 
cette  action,  c'est  vouloir  qu'on  soit  aveugle  ou  7néconnaissa?it.  »  {Ho7ineiir, 
1660,  I"  p.) 

MÉDIOCRITÉ  :  modération,  esprit  de  mesure  (Justice,  1666,  i*"'  p.  ;  Ambition, 
1666,  var.) 

MÊME.  Souvent  invariable  dans  les  7nss.  de  Bossuet,  lorsqu'il  est  pronom.  On 
trouve  aussi  \s  en  pareil  cas  ;  de  sorte  qu'il  est  difficile  de  dire  s'il  est  supprimé 
ailleurs  à  dessein  ou  par  inadvertance.  Mêmes  (mesmes),  adverbe,  se  rencontre 
çà  et  là,  mais  sans  uniformité. 

Le  même  de.  Tour  elliptique  :  «  Quelques  philosophes  enseignent  que  c'est 
la  même  matière  du  sang  q(oa  fait  les  sueurs  et  les  larmes.  »  {Circoncision,  1656, 
2*^  p.)  —  «  De  la  mêine  matière  doîit  le  sang  se  forme.  »  {Souffrattces,  1661,  i'^''p.) 
C.-à-d.  la  même  matière  que  celle...  —  «  Ce  que  j'aurais  à  dire  tomberait  à  peu 
près  da7is  le  même  sens  de  ma  première  partie.  »  {Vendredi- Saint,  1660,  3''  p.) 
C.-à-d.  dans  le  même  sens  que  celui  de...  —  «  Voici  donc  le  raisonnement  et 
presque /^j  mêmes  paroles  de  ce  sublime  docteur.  »  {Noël,  1667,  2®  p.)  Peut  s'ex- 
pliquer de  même  ;  toutefois  est  peut-être  un  synonyme  de  ipse,  avec  inversion  : 
les  mêînes  paroles,  pour  les  paroles  mêmes  (ipsa  verba).  Corneille.dans  le  Cid: 
«...  fut  la  même  vertu,  »  pour  :  fut  /«  vertu  même. 

MÉNAGE  '.économie  :  «  Pour  la  nécessité  ou  le  ?nénage.  »  {Loi  de  Dieii,  1653, 
3^  exorde.) — «De  l'épargne  ou  du  ménage.  »  {Émittente  dignité  des  pauvres,  165g, 
2^  p.)  —  «  Le  mauvais  ménage  et  le  manque  d'économie  »  [Nécessités  de  la  vie, 
1660,  3^"  p.  ;  Ambitio7i,  1662,  2*^  p.) 

MÉPRISER  DE,  comme  dédaigner,  avec  plus  d'énergie  peut-être.  {Loi  de  Dieu, 
I,  332.) 

Meurtri  :  77iis  à  mort,  victime  d'un  7neurtre  :  «  Des  morts,  77ieîirtris  par  de 
cruelles  blessures.  »  {Dé7no7is,  1660,  i^'  p.)  —  Cf.  I,  279  :  «  Cet  Agneau  sans 
tache,  7neurtri  \tQMx  l'amour  de  nous.  »  {Circoncisio7i,  1653.) 

MiEUXFAISANT.  Voy.  BlENFAIRE. 

Mille  et  mille  fois.  Employé  avec  trop  de  complaisance  dans  les  sermons 
de  la  première  époque.  Revient  exceptionnellement  en  1660  (S.  Fra7içois  de 
Paicle)  et  1661  (A7i7io7iciatio7i). 

y\.OD¥.R¥.K  :  goîiver7ter  (7nodera7'i)  :  «Dieu  qui  7nodcre  comme  il  lui  plaît 
l'ouvrage  de  notre  salut.  »  {Cœci  vide7it,  1653,  3^  p.)  —  «  Modérez-les  par  des 
lois.  »  {Postul.  Ber7iardi7ie,  1659,  i*^""  p.)  —  «  Vous  voyez  comme  ce  sage  ma- 
gistrat 77iodcre  tout  le  corps  de  la  justice.  »  {Le  Tellier,  1685.) 

Monde,  adj.,  dans  la  locution  calquée  sur  l'Écriture  :  «  Tous  les  animaux 
77io7ides  et  i77î7no7ides.  »  (//A*  dii7i.  après  la  Pe7itccôte,  .1655,  r""  p.) 

Monstre,  au  figuré  comme  7no7istruosité :  «  O  France,  qui  étais  autrefois 
exempte  de  77ionst7'es,  elle  (l'hérésie)  t'a  cruellement  partagée.  »  {Sur  P Eglise, 
1660,  3*-'  p.) —  «  Des  77î07istres  de  crimes.  »  {Hejiriette  de  Fra/ice,  1669.) 

Monstrueux  :  prodigieux,  en  mauvaise  part  :  «  Tant  d'autres  accidents 
7iio7istrîceux  des  sacrifices  des  idoles.  »  {Dé7/io7is,  1653,  2''  exorde.) 

Naïvement  :  d^u7te  7na7iicre  co7tfor7ne  à  la  7iatu7'e  (sens  étymologique)  :  «  Oui 
lui  représentait  7iaïvc77ie7it...  »  {Hai7ie  de  la  vérité,  1666,  3''  p.) 

Naïveté,  même  sens  :  «  Tromper,  s'il  se  peut,  l'amour  de  sa  sainte  Mère  par 
la  7iaiveté  dt  la  ressemblance.  »  {S.Jean,  1658,  2*^  p.)  —  Cf.  Naif,  I,  452. 

Na'I'UREL  (Le),  comme  la  7iatu7-e  :  «  Le  naturel  des  pays  ou  des  princes  con- 
fédérés. »  {Condé,  1687.) 

NavigJ':r  ou  Naviguer.  La  première  de  ces  deux  formes  avait  les  préférences 
de  Vaugclas.  Bossuet  l'a  employée  à  diverses  reprises  {Loi  de  nieu,\(^^},,  V  p.; 
Toussai7it    1668,   exorde;   1669,  3'' p.)   Nous  avons  pourtant   imprimé  avec  les 


XLIV  REMARQUES 


éditeurs  modernes  :  4  O  vous  (|ui  naviguez.  î>  «Celui  (|ui  navigue  sur  les  mers  :  » 
et  non  m/7'/;''<-r,  ntii'ii^'t'.  Nous  avons  cru  cin'il  suffirait  d'en  avertir  ici. 

N.WIKK.  Au  ftfminin,  deux  fois,  par  exception  {Marfha,  1655,  y\i.  ;  Providence^ 
1656,  3'  p.)  C'est  un  latinisme  temporaire.  Avant  et  après  cette  époque,  ce  mot 
est  du  masculin  {Loi  dt-  Dieu^  '653,  2'"  p.  var.;  Erat  nnvis^  1660,  exorde,  etc.) 
Nt:.\N.MOiNs  (Si  kst-ck).  Voy.  Si. 

NÉG.VïlVKS.  —  I"  Suppression  de  ne.  Bossuet  interroge  quelquefois  comme 
ses  contemporains,  avec  pas  ou  point  sans  ni\  dans  la  première  époque  (1648- 
1659).  Mais  l'emploi  de  //r,  quoique  facultatif,  est  beaucoup  plus  fréquent  que  la 
suppression.  <  Ne  /'ai-je  pas  reconnu  quantité  de  fois.?  »   {Brièveté  de  la  vie^ 
1648.)  —  <i  L'inquiétude  ;/'a-t  elle  pas  toujours  divisé  deux  contentements  ?  Ne 
s'est-elle  pas  toujours  jetée  à  la  traverse...?»  (Ibid.)  —  «  A^'ai-je  pas  bien  réussi 
dans  mes  desseins.?  >  {Félicite  des  SS..,  méditation,   1648.)  —  <L  Ne  s'est-il  pas 
lié....''  *  (Ibid.  )  — «  N''ç.'s,\.-ctpas  lui  qui  les  a  assemblés...  ?  »  (Ibid.)  etc.  —  Voici 
d'ailleurs  le  relevé  de  ces  constructions  différentes,  pendant  toute  l'époque  de 
Navarre  et  de  Metz.  —  Avant  l'ordination  sacerdotale  de  Bossuet  (1648-1652),  yV 
(le  premier  chiffre  indique  la  suppression.;  —  En  1652,  ^q.  —  En  1653,  ^L.  — 
En    1654,  T.V. —  En  1655,  ^^.  En  1656,  ^V  —  En   1657,  t,**-.  —  En    (658,  ^•\.  — 
Peut-être  y  a-t-il  une  nuance  délicate  qui  distingue  ces  deux  façons  d'inter- 
roger. Avec  ne  supprimé,  c'est  une  forme  adoucie  :  notre  auteur  l'emploie  pour 
adresser  à  son  auditoire  une  prière,  une  exhortation  ou  un  tendre  reproche  ;  en 
un  mot,  pour  descendre  à  dessein  au  ton  familier  :  «  Souffrirez-vous  pas  bien, 
messieurs,...  que  nous  nous  entretenions  .?...  »   {Toussaint.^   1649,   exorde.)  — 
\  Peut-être  que  ce  Pasteur  miséricordieux  te  presse  intérieurement  en  ta  con- 
science :  Veux-tu  pas  restituer  ce  bien   mal  acquis.?  veux-tu  pas  ç^n^n  mettre 
quelques  bornes  à  cette  vie  débauchée  et  licencieuse  .?  veux-tu  pas  bannir  de  ton 
cœur  l'envie  qui  le  ronge  .?...»  {III'  diin.  après  la  Pentecôte,  1655,  i"  p.)  Dans  la 
même  page  (II,  78),  on  trouve  des  exemples  de  ne  exprimé,  lorsque  l'orateur,  au 
lieu  de  l'insinuation,  a  recours  à  l'énergie  et  à  la  véhémence.   Cf.  II,  163,  171, 
490,  506.  —  Le  tour  est  ironique  dans  ce  passage  :  «  Veulent-ils  point  se  prendre 
à  Dieu  même.?...  »  {Ascension,   1654.)  Ne  exprimé  eût  changé  le  sens  ;  il  l'est 
d'ailleurs,  avec  l'acception  ordinaire,  dans  la  même  page.  (I,  537.) —  Enfin,  il  y  a 
des  cas  où  les  deux  constructions  paraissent  indifférentes  :   «  Est-il  pas  très 
juste  que  le  pécheur  souffre,  et  que  le  crime  ne  demeure  pas  impuni?   Et  la 
justice  7i\\st-ce  pas  un  grand  bien  .?  »  [Cœci  vident,  1653. )La  seconde  interrogation 
a-t-elle  plus  d'énergie,  la  première  plus  d'insinuation  ?  Oui  le  pourrait  dire  .? 

Des  exemples  isolés  se  retrouvent  dans  la  grande  époque  :  «  Tous  les  jours 
sont-ils  pas  à  Dieu.?  »  {Ardeur  de  la  Péniteiice,  1662,  i^""  p.)  —  <i  Est-ce  pas 
s'accoutumer  insensiblement  à  un  grand  mépris  de  son  âme,  que  d'avoir  tant 
d'attache  à  parer  son  corps?  »  {Intégrité de  la  Pénitence,  1662,  3^  p.)  Ces  sup- 
pressions sont-elles  voulues.?  sont-elles  accidentelles  ?  Ici  la  première  rédaction 
portait  :  «  N  est-ce  pas  trop  ouvertement  mépriser  son  âme  que... .?  »  Peut-être 
que  l'orateur  a  ménagé  une  nuance  analogue  à  celle  que  produit  une  inflexion 
de  la  voix.  C'était  aux  dames  de  la  cour  qu'il  s'adressait. 

Ne,^  explétif  après  les  comparatifs  et  autre,  est  régulièrement  omis,  quand  le 
premier  membre  de  la  phrase  contient  une  négation  :  «  Le  péché  n'est  pas  moins 
horrible  qu'il  était  alors.  »  {Pénitence,  1658,  canevas.)—  La  crainte  d'être  blâmé 
n  étouffe  guère  moins  de  bons  sentiments  qic'elle  en  réprime  de  mauvais.» 
{Honneur,  1666,  2<=  exorde.)  —  «  La  reine...  ne  l'aimait  pas  plus  tendrement 
que  faisait  \T\nQ  d'Espagne.  »  {Heiiriette  d'Angl,  1670.)—  Cf.  I,  313,  et  II, 
^5)  547  ;  461,  etc.  —  Et  sans  négation  précédente:  «  Plutôt  tout  le  monde  sera 
renversé  qu'il  soit  confondu.  »  {Loi  de  Dieu,  1653,  3^  p.)  —  «  Quel  ordre,  quelle 


I 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XLV 

compagnie,  auelle  armée,...  les  a  mieux  servis  qiic  V  Eglise  a  fait  par  sa  patience?» 
{Unité  de  P Eglise^  1681,  i^'  p.)  L'interrogation,  il  est  vrai,  a  une  portée  négative. 

—  Ailleurs  ne  est  exprimé  :  «  Elle  en  est  plutôt  captive  qu'elle  «'en  est  la 
propriétaire.  »  {Hoftneur,  1666,  i'^''  p.)  —  «  Qui  ne  voit  que  dans  cette  femme  la 
puissance  est  lice  bien  plus  fortement  qu'elle  ?^'est  dans  son  propre  esclave  ?  » 
{Ambition^  1661  et  1662,  i'"'  p.)  —  «  Quel  astre  brille  davantage  dans  le  firma- 
ment que  le  prince  de  Condé  «'a  fait  dans  l'Europe  }  »  {Condé,  1687.)  —  La  né- 
gation est  même  quelquefois  renforcée  après  autre  :  «  JÉSUS-Christ  ressuscité 
regarde  Marie  d'un  autre  œil  que  ne  faisait  pas  ]\L'à\]'S,-QYiK\%'\:  mortel.  >>  {S.Jean, 
1658,  2^  p.) —  «  Qu'elle  le  voit  bien  d'une  autre  manière  $^«^  ne  fait  pas  le 
commun  des  hommes  !  »  {Visitation,  1659  et  1660,  3^  p.) 

Ne  est  quelquefois  omis  avec  les  verbes  ou  les  locutions  qui  expriment  l'idée 
de  craindre  ou  à!empêcher  :  «  De  peur  que  vous  fnanquassiez  à  le  suivre.  » 
{Profession,  Epiphanie,  1660,  2^  p.)  —  Mais  aussi  :  «  De  peur  qu^ils  ne  perdis- 
sent la  place  que  tant  d'oracles  divins  leur  avaient  promise.  »  {Ibid.,  y  p.)  — 
«  Voilà  l'adresse  dont  elle  se  sert  pour  unir  les  mères  avec  leurs  enfants  et 
empêcher  qu^elles  s'en  détachent.  »  {Compassion,  1658,  i^""  p.)  —  Mais  à  la  même 
époque  :  «  Notre  jugement  propre,  qui  dément  celui  des  autres,  empêche,  si 
nous  sommes  sages,  qu'il  ne  nous  satisfasse  beaucoup.  »  {De  V Honneur,  1658.) 

—  Autre  cas  :  «  Par  la  peur  qu'il  a  d^en  venir  à  bout.  »  {Félicité  des  SS.,  1648.) 
Nous  dirions  :  «  de  n'en  pas  venir  à   bout.  » 

Pas  est  supprimé  après  ne  daigne  :  «  Que  peut  espérer  un  soldat  que  son 
capitaine  ne  daigne  éprouver.''  »  {Souffrances,  1661,  2"^  p.) 

2"  Emploi  de  ne... pas  avec  ni  répété,  et  quelquefois  avec  ne... que  :  «  Ni  l'art, 
ni  la  nature,  ni  Dieu  même,  ne  produisent  pas  tout  d'un  coup  leurs  grands  ou- 
vrages. »  {8  sept.  1659,  exorde.)  —  «  Ni  les  cèdres,  ni  les  pins  7ie  ^égalaient 
pas.  »  {Nécessités de  la  vie,  1660,  3°  p.;  Ainbitio7t,  1662,  i""  p.)  —  «  Ni  la  peine  ni 
le  repos  ne  sont  pas  encore  où  ils  doivent  être,  »  {Providence,  1662,  i^^"  p.)  — 
Cf  II,  267;  285;  297,  298,302;  366;  505;  559.  —  On  trouve  aussi  des  exemples  de 
la  syntaxe  actuelle  :  «  Votre  être  éternellement  immuable,  ni  ne  s'écoule,  ni  ne 
se  change,  ni  ne  se  mesure.  »  {Mort,  1662,  i^'  p.)  —  «  Mon  Sauveur  n'a  épargné 
à  son  corps  ni  la  faim,  ni  la  soif,  ni  les  fatigues...  Il  n'a  épargné  à  son  âme  ni 
la  tristesse,  ni  l'inquiétude,  ni  les  longs  ennuis,  ni  les  plus  cruelles  appréhen- 
sions. "^{Noc'l,  1656  et  1667,2''  p.) —  «  Ni  la  hauteur  des  entreprises  ne  surpas- 
sait sa  capacité,  ni  les  soins  infinis  de  l'exécution  n'étaient  au-dessus  de  sa  vigi- 
lance. »  {Le  Tellier,  1686.)  —  «  ...  N'est  arrêté  ni  par  montagnes  ni  par  préci- 
pices. »  {Condé,  1687.)  etc.  —  Cf.  I,  328.  —  Les  deux  dans  une  même  phrase  : 
«  Non,  non,  ni  un  nouvel  homme  ne  se  forme  en  un  instant,  ni  ces  affections 
vicieuses  si  intimement  attachées  ne  s'arrachent  pas  par  un  seul  effort.  »  {Impé- 
nit.  filiale,  1662,  i'-''"  p.) 

De  même  avec  ne...que  :  «  JÉSUS  ne  veut  point  de  titre  d'honneur  que  celui 
qui  se  trouve  joint  nécessairement  h  l'utilité  de  son  peuple.  »  {Ambition,  1661, 
exorde).  —  «  Encore  qu'un  Dieu  irrité  71e  pa7'aisse  point  aux  hommes  r///'avec 
un  appareil  étonnant,  toutefois...  »  {Ardeur  de  la  Pénite7ice,  1662,  2*=  p.)  — «  11 
pense  que  si  un  Dieu  se  résout  à  paraître  sur  la  lerrc,  il  ne  doit  poi7it  s'y  montrer 
^«'avec  ce  superbe  appareil.  »  {Noël,  1667,  3^"  p.)  Cf.  I,  36;  60  ;  261  ;  etc.  — 
Toutefois  le  tour  actuel  se  rencontre  dès  les  premiers  temps  :  «  On  71c  les  excu- 
sait qu'^nX^s  chargeant  de  nouvelles  calomnies.  »  {Saint  c7<f/i^o//,  1649,  r'' p.) 
Pas  eût  fait  contresens.  —  De  même  :  «  (^n  ne  s'y  entretiendra  que  de  vos 
merveilles.  »  {7oussaint,  1649,  3"^  p.)  Cf  I,  35. 

3"  Place  de  pas  ou  point.  —  L'infinitif  se  plaçait  ordinaire/nent  entre  ne  ci  pas: 
«  La  première  liberté,  dit  saint  Augustin,  c'est  de  pouvoir  ne  pécher  pas.  >  {Pos- 


XLVI-  REMARQUES 


/;//.  licrnardine,  1656,  r""  p.  etc.,  1 1,  2 1 7.)  —  «  Qui  pourrait  7ie  s'attendrir  pas  à  la 
vue  d'un  si  beau  spectacle  ?  »  {Rosaire,  1657,  r'  p.)  —  «  Ne  connaître  pas  \îivtnu^ 
c'est  un  mal  qu'on  ne  doit  jamais  délirer  même  à  son  plus  grand  ennemi.  » 
{De  P Honneur,  1658.)  —  «  Alîn  cjuc  personne  ne  croie  que  ce  soit  un  crime  léger 
de  ne  penser  pas  à  Dieu...  »  {Ifora  est,  1669,  r'  p.)  —  «  Pour  ne  vouioir  pas 
croire  des  mystères  incompréhensibles,  ils  suivent  l'une  après  l'autre  d'incom- 
préhensibles erreurs.  >  {Palatine,  16S5.)  —  Exceptions  assez  rares.  (II,  491,  Pen- 
tecôte, 1658.  \"  p.)... 

4"  Ne  plus  ne  moins,  archaïsme  pour  ni  plus  ni  moins.  {S.  Gorgon,  1649,  !>  35-) 
5  '  Ni  ne  vient  pas  seulement  après  une  proposition  négative,  mais  aussi  après 
les  interroi^ations,  et  môme  après  toute  construction  impliquant,  si  indirecte- 
ment que  ce  soit,  une  idée  négative  :  «  Est-il  rien  de  plus  majestueux  7ii  de  plus 
auguste  que  cette  solitude  de  Dieu?  y>{Annonciation,i6ào,  2"  p.)  —  «  Y  a-t-il  rien 
de  plus  sage  ni  de  plus  modeste  ?  »  {Honneur,  1660,  r'  p.;  1666,  3'-'  p.)  —  <<^  Qu'y 
a-t-il  donc  de  plus  souverain  ;//de  plus  indépendant  que  la  vérité  .^»  {Cœci  vident, 

1665,  i"'  p.)  —  <K  Peut-on  imaginer  quelque  chose  qu'il  soit  ni  plus  utile  de  bien 
recevoir,///  plus  dangereux  de  profaner  que  son  mystère  adorable.-^  »  {Vendredi- 
Saint,  1O66,  3''  p.)  —  Dans  ces  deux  exemples  principalement,  et  semblerait 
aujourd'hui  nécessaire.  Bossuet  l'a  quelquefois  employé  en  pareil  cas,  mais  plus 
rarement  que  ;//.•  «  Qu'y  a-t-il  de  plus  violent  et  de  plus  inique  que  de  crier  à 
l'injustice  et  d'appeler  toutes  les  lois  à  notre  secours,  si  peu  cju'on  nous  touche, 
pendant  que  nous  ne  craignons  pas  d'attenter  hautement  sur  le  bien  d'autrui  ?  » 
{Justice,  1666,  i""'  p.)  —  Mais  :  «  Que  peut- on  imaginer  de  plus  vaste  ni  de  plus 
immense.'*  »  {Toussaint,i66(),  i^'exorde).  —  «  La  Providence  divine  pouvait-elle 
nous  mettre  en  vue  ni  de  plus  près,  ni  plus  fortement,  la  vanité  des  choses  hu- 
maines ?  »  {Henriette  dAngl.,  1670.)  Cf.  II,  93.  —  Et  sans  interrogation; 
v<  Certes,  c'est  une  folie  de  s  imaginer  que  les  richesses  guérissent  l'avarice,  ni' 
que  cette  eau  puisse  étancher  cette  soif.  »  {Inipénit.  finale,  1662,  i'^''  p.) 

6°  N était  que  :  <L  Jamais  il  ne  se  faudrait  consoler  des  fautes  que  l'on  a  com- 
mises, 7Î était  qu'tn  les  déplorant  on  les  répare  et   on   les  efface.  »  {Prodigue, 

1666,  z*-"  p.)  Cf.  Ego  vûx,...  1668,  I"  p.  —  Autres  exemples  :  Loi  de  Dieu^  1653, 
2,"  "Ci.',  Honneur,  1660,  dans  l'allocution  à  Condé  (deux  fois);  S.  François  de 
Faute,  1660,  3''  p. 

7*^  No7i  plus.  Était  ordinairement  remplacé  par  aussi  dans  les  phrases  néga- 
tives :  i.  Ce  n'est  pas  aussi  2i\xy.  sages  conseils  qu'il  faut  attribuer  les  heureux  suc- 
cès. »  {iMarie-Fhérèse,  1683).  — Non  plus  eyÀsi^Ài,  mais  il  se  construisait  avec  ne 
seulement,  à  l'exclusion  de  pas  on  point  :  «  Vous  nHgnorez  non  plus  qu'en  con- 
sacrant ce  jour  de  repos,  il  n'a  pas  laissé  depuis  d'agir  sans  cesse.  »  {Foussai?it, 
1669,  y  p.  On  a  cru  à  tort  à  un  lapsus,  et  on  a  rétabli  pas  (Gazier,  467).  Pas  est 
même  effacé  au  manuscrit,  l'auteur  ayant  écrit  d'abord  :  «  Vous  n'ignorez  pas 
qu'en  consacrant...  »  D'autres  exemples  d'ailleurs  sont  décisifs  (I,  59  ;  II,  422). 
Bossuet  lui-même  a  fait  imprimer  en  1691  :  «  A  cela...  il  n'y  aura  jamais  de  re- 
partie selon  les  maximes  de  la  Réforme  ;  mais  il  ny  en  a  7ion  plus  à  ce  qu'ob- 
jecte M.  Jurieu...  1){VF  Avertisseme7it  aux  Protestants ;\.'3.z\i'dX,  XVI,  201,) 

Non  plus  que  a  le  même  sens  que  pas  plus  que  :  «  La  nature  divine,  tou- 
jours abondante,  ne  peut  non  plus  croître  ^2/<?  diminuer.  »  {Visitatio7i,  1659,  2^  p.) 
—  «  Ils  pensent  qu'il  ne  songe  71071  plus  à  les  chcâtier  $^/^'ils  songent  à  se  con- 
vertir. î>  {Jam  sacuris,  1665.  2^'  p.)  Voy.  INJURE.  —  Le  tour  actuel  existait 
toutefois  :  «  Nous  ne  pouvons  pas  plus  concevoir  cet  effet  que  sa  vertu.  » 
{Félicité  des  S  S.,  1648.) 

No7i  pas  77ié)7ie,  zoviwwe  pas  77iême.  (II,  410.) 

Nourri  :  élevé  y  au  figuré  :  «  Nourri  en  homme  de  condition.  »  {S.  Ber7iardy 


I 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XLVII 

1653,  i^'^  p.)  —  «  Piété  nourrie  à  l'ombre  et  dans  le  repos  !  »  {Souffrances^  1661, 
2^  p.)  —  (i  Nourri  dans  les  compagnies  [de  justice].  »  {Le  Teliier,  1686.)  — 
«  Plusieurs  de  ses  domestiques  [voy.  ce  mot)  avaient  été  malheureusement 
nourris  dans  l'erreur,  que  la  France  tolérait  alors.  »  {Conde\  1687.)  Cf.  II,  28  ; 
341  ;  490,  500  ;  mcme  ici,  se  nourrir  :  «  C'est  dans  cet  esprit  i{\i^t\\t  s' est ?tourrie.y> 
{Pentecôte,  1658,  i^'  p.) 

Objets  :  idées^  que  l'esprit  considère  objectivement  :  «  Il  étonne  notre  âme 
timide  par  des  objets  de  famine  et  de  guerre.  »  {Démons,  1653,  2^  p.) 

Œuvre,  quelquefois  masculin  :  «  Cet  œuvre  ne  durera  pas  .'*  //ne  durera  pas, 
si...  »  {Beati  tnisericordes,  1657,  2*^  p.)  —  Cf.  I,  470  :  «  Tout  l'œuvre  de  notre 
salut  est  souvent  comparé  à  un  édifice...  »  {Cœci  vide?it,  1653,  3^  p.) 

Office  :  service  :  «  Un  chirurgien  expert  me  rend  cet  office,  triste,  à  la  vérité, 
mais  nécessaire.  »  {Purification,  1666,  2^  p.)  —  «  En  leur  rendant  h  propos  des 
offices  qu'ils  ne  savaient  pas.  »  {Le  Tellier^  1686.)  —  Nous  disons  bon  office,  au 
lieu  dioffice  seul. 

Olive,  ^our  olivier  :  Une  branche  à^ olive,  i,  {Quasimodo,  1660,  2^  exorde).  — 
Cf.  I,  82  ;  II,  230. 

On,  l'on.  Indifféremment.  Il  y  a  des  corrections  pour  substituer  l'un  à  l'autre  ; 
mais  je  ne  vois  pas  ce  qu'on  en  peut  conclure,  si  ce  n'est  qu'en  1660  et  1661 
Bossuet  a  temporairement  préféré  Pon,  même  quand  il  nous  semble  peu  har- 
monieux :«  Il  refuse  celui  que  Pon  lui  présente.  »  {Profession,  Epiphanie,  1660, 
i^"^  p.)  —  «  Le  trône  que  ^on  lui  destine.  »  (Ibid.) 

Onzième.  Bossuet  ne  connaissait  pas  Vh  aspiré  dont  on  a  imaginé  de  gratifier 
ce  mot  :  «  De  \ onzième  siècle.  »  {Unité de  V Église,  1681,  3''  p.)  etc. 

Oppressé.  C'est  le  mot  de  bonne  formation,  qn'opprimé  a  insensiblement 
supplanté:  «  Venez  à  moi,  oppressés.  »  {Pentecôte,  1654,  2^  p.)  —  «  Il  passait  en 
bienfaisant  et  en  guérissant  tous  les  oppressés.  »  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652,  i^"^ 
p.;  Cœci  vident,  1653,  3^  p.,  et  1665,  i"^""  exorde.)  —  «  Essuyer  les  larmes  du  pauvre 
oppressé.  »  {Le  Tellier,  1686.)  —  Opprimé tx\st2L\ià^2i\\\t\Jirs.{Postul.  Bernarditie., 
1659,  l'^'p.  Voy.  Latinismes,  3°.) 

Ordure,  au  figuré.  Etait  encore  employé  en  1660  {Rechtctes,  i^'  p.)  Mais  au 
V^  dimanche  du  même  Carême,  Bossuet  l'efface,  pour  lui  substituer  infamies. 
Deux  ans  après  :  «  Quitte  tes  ordtcres  »  est  aussi  corrigé  :  «  (2uitte  tes  plaisirs, 
quitte  tes  attaches.  »  {Ardeur  de  la  Pénitence,  1662,  i^""  p.) 

Original.  Voy.  Exemplaire  :  «  Jésus-Christ,  son  original...  »  {S.  Paul^ 

1657,  3"  P-) 
Orthographe.  Nous  renvoyons  à  l'Introduction  du  IP  volume  tout  ce  qui 

concerne  ce  point  si  compliqué.  L'intérêt  spécial  qu'il  présente  pour  la  chrono- 
logie s'étend  jusqu'à  l'époque  qui  y  sera  comprise. 

Où  remplace  souvent  le  prononi  relatif  :  «  L'usage  oit  on  les  applique.  » 
{Providence,  1662,  i^""  p.)  —  <(  Son  retour  à  son  père,  oh  il  retrouve  avec  abon- 
dance tous  les  biens  qu'il  avait  perdus.  »  {Prodigue,  1666,  i'-''  exorde.)  C.-à-d. 
retour  dans  lequel  \\  retrouve...  Il  n'est  pas  nécessaire  d'expliquer  oii  '^?iX  chez 
lequel  {Gdi7AG.Y,  378). —  «  Les  périls  oie  ils  sont  exposés.»  {Henriette  d\lngl.,  1670.) 
—  «  A  la  vue  de  l'éternité,  où  nous  avançons  à  si  grands  pas.  »  {Le  Tellier,  1686, 
péror.)  —  Même  avec  un  nom  de  personne  :  «  Femme  enfin  oii  saint  Paul  aurait 
vu  l'Eglise  occupée  de  Jésus-Christ.  »  {Marie-Thércse,  1683.)  — «  L'inviolable 
fidélité  de  notre  ministre,  où,  parmi  tant  de  divers  mouvements,  elle  n'avait  jamais 
remarqué  un  pas  douteux.  »  {Le  Tellier,  iGid.)  Oi)  semble  plutôt  se  raj^portcr  à 
ministre  qu'à  fidélité.  J'avoue  toutefois  que  ce  n'est  pas  l'interprétation  de 
M.  Jacquinet  (391).  —  Remplace  qjfc  dans  un  pléonasme  usité  :  «  C'est  ici,  c'est 
ici,  chrétiens,  oà,..  )>  {Circoncision,  1653,  r'  p.)  —  «  Il  n'y  a  que  sur  le  point  de 


XLVIII  REMARQUES 


nos  mœurs  où  nous  ne  nous  mettons  point  en  peine  de  suivre  ni  de  consulter  la 
raison.  »  {/.<u\ù'  Dieu,  1653,  i"p.)  -  Les  deux  constructions  étaient  permises 


«  Ccst\?// paraît  le  triomphe  de   la   toute-puissance   divine.»   {Zizanies,    1652, 
jcr  p;)_  «  Où  notre  di5sordre  paraît  plus  visible,  c'est  que...»  {Loi  de  Dieu,  1653, 


^cp)'  —"Ailleurs,  au  commencement  d'une  phrase,  0}\  sert  de  liaison  et  de 
transition  (latinisme)  :  «  Où  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  Dieu  ressemble  aux 
ouvriers  mortels,  lesquels...  »  {Providence,  1662,  2*^  p.) 

Oin-RK.  15ossuet  (X\i  pnssc-r  outre,  et  passer  plus  oîitre.  Celui-ci,  plus  fréquent 
dans  sa  jeunesse,  pour  signifier:  passer  encore  plus  loin.  Ces  dernières  expres- 
sions se  rencontrent  aussi.  {Dcpositum  custodi,  1656,  i"  p.) 

OuvRAi'.K.  Masculin:  «  Ce  grand  ouvrage.  »  {Circoncision,  1687;)  etc.  On 
trouve  une  fois:  <i;  C'est  une  autre  ouvrage.  »  (Novissima  iniinica,  1669,  i^-"  p.) 
Mais  on  peut  supposer  une  inadvertance,  bien  que  le  féminin  ait  existé  autrefois. 

Ouvrier.  On  sait  que  ce  mot  avait  un  sens  très  noble  au  XYii^^  siècle. 
Bossuet  le  dit  de  Dieu  môme  :  «  Cet  excellent  Ouvrier,  qui,  dans  l'origine  des 
choses,  nous  avait  faits  à  sa  ressemblance.»  {S.  François  de  Paule,  1655,2'= 
exorde!)  —  Et  adjectivement  :  «  ...  Cet  esprit  ouvrier  qui  a  fait  le  monde.  » 
{Mort,  1662,  2*^  p.) 

PÂQUE,  PÂQUES.  Notre  auteur  n'a  qu'un  mot  pour  signifier  la  fête  de  Pâques 
chrétienne,  et  la  Pâque  des  Juifs.  De  là  vient  qu'il  dit:  «  Et  cela  dans  le  temps 
de  Pâques  (Pasque),  la  principale   de  leurs  solennités.  »  {Bonté  et  ri^.  de  Dieu, 

1652,  2^  p  )  Nous  écririons  plutôt  :  «  Dans  le  temps  de  la  Pâque.  » 
Pardonner.  Neutre  et  actif,  à  ce  qu'il  semble,  dans  une  même  phrase  :  «  Si 

l'innocent  pardonne  aux  pécheurs,  combien  plus  les  pécheurs  se  doivent-ils 
pardonner  les  uns  les  autres  ?  »  {Médisance,  1658,  fin.) 

Parler,  quelquefois  actif  :  «  Ce  qtûW  me  donne  l'autorité  de  parler,  je  le  dirai 
aux  autres.  »  {Vaines  excuses,  1660,  3*^  p.)  Cet  exemple  pourrait  faire  doute,  en 
raison  de  ce  que  nous  avons  dit  de  ceqiie.  Mais  il  y  en  a  d'autres  :  «  Ne  parlons 
que  JÉSUS.  »  {Purification,  1652  et  1653,  péror.)  —  «  Il  ne  me  sera  pas  malaisé 
d'accommoder  le  sujet  que  vous  me  donnez  de  parler  avec  celui  de  la  fête  que 
nous  célébrons  aujourd'hui.  »  {Profession,  Epiphanie,  1660,  i^""  exorde.) 

Parmi,  avec  un  singulier  (collectif)  :  «  Parmi  cet  excès  de  peines.  J^  {Vendredi- 
Saint,  1662,  i'^''  p.) 

Paroi,  genre  douteux  :  «  La  paroi  mitoyenne  entre  les  cœurs.  »  {Charité fra- 
ternelle, 1666,  i^'  p.)  —  «  Le  paroi  mitoyen  étant  renversé.  »  {Pe7îtecôte,\6'j2,2''  p.) 

Partager  quelquhcn  (I,  413,  5.  Bernard,  1653,  2^  p.).  —  Nous  disons  encore  : 
«  Bien  ou  mal  partagé.  » 

Partant;  Et  partant.  Bossuet  dit  l'un  et  l'autre  dans  la  première  époque, 
1648-1659.  Plus  tard  l'Académie  n'admettra  que  le  second. 

Partialités  :  divisions,  partis  :  «  Elle  éteindra  dans  tous  ses  états  les  nou- 
velles partialités.  »  {Devoirs  des  rois,  1662,  2®  p.)  Il  s'agit  du  jansénisme,  — 
«  Opposé...  aux  brigues  et  ciny.  partialités  qui  corrompent  l'intégrité  de  la  jus- 
tice. »  {Le  Tellier,  1686,  \^^  partie.) 

Participes,  i^  \^es  participes  prése?its  ]\is(\M^en  1656  ne  sont  point  invariables 
chez  Bossuet  :  ils  ont  deux  désinences,  l'une  pour  le  singulier  :  ant^  masculin  et 
féminin  (')  ;  l'autre  pour  le  pluriel  :   ants  (aiis),  également  des  deux  genres  : 

I.  On  trouve  :  «  Elle  n'a  point  de  passion  dominante  par  dessus  les  autres.  »  {S.  Bernard, 

1653,  i*^"^  p.)  Mais  c'est  un  adjectif  verbal  confondu  avec  le  participe.  La  distinction  n'était  pas 
aussi  nette  qu'à  présent.  On  lit  de  même  :  «  Page  suivante  celle-ci.  »  {S  sept.  1652.) 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  XLIX 

«  Étant  appelés  (estans  appelles)  de  lui  au  dernier  accomplissement  de  ses  ou- 
vrages. »  {Félicité des  SS.,  1648.)  —  «  Etant  étonnés  (estans  étonnez)  dans  le  fond 
de  vos  consciences.  »  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652,  2^  p.)  —  «  Qui  vivaient  atten- 
dant (atandans)  la  rédemption  d'Israël.  »  {8  sept.  1652,  i^''  exorde.)  —  €  Les 
astrologues,  mêlant  (meslans)  dans  leurs  spéculations  la  curiosité  et  la  flatterie.» 
{Ibid.,  1652,  2^  exorde  ;  item,  1656.)  —  «  Ceux-là  supportant  ( supportans)  la 
persécution  de  ceux-ci.  »  {Zizanies,  1652,  i^"^  p.)  —  «  Vivant  (uiiians)  dans  la 
chair,  nous  ne  vivons  pas  selon  la  chair.  »  ( Ibid.)  —  «  Étant  (estans)  devenus 
charnels  et  grossiers...  »  {Les  deux  Alliances,  1653,  exorde.)  —  «  Nous  venons... 
louant  et  célébrant  ( loûans  et  ce lebrans)  la  munificence  divine.  »  {Réconciliatio7i, 
1653,  i^""  p.)  —  «  Nos  anciens  Pères,  voyant  (uoians)...  »  (Scapulaire,  1653, 
i^""  p.)  —  «  C'est  par  l'orgueil  que  les  hommes  méprisant  ( meprisatis )  l'autorité 
légitime...  »  {S^"  Croix,  1653,  i"  p.)  —  «  Les  autres  infirmes  qui,  connaissant 
(connoissans)s3.  hor\\.é.y>  {Cœci  vident,  1653,  i^""  p.)  —  «Toutes  choses  étant  (estans) 
consommées,  il  sera  tout  en  tous.  »  {Ibid.,  y  p.)  —  «  Étant  (estans)  orgueilleux 
et  charnels,  ils  n'entendaient  point  son  langage.  »  (Ibid.)  —  «  Ces  vérités  étant 
('^j'/(2;zj'^  supposées.  »  {Pâques,  1654,  exorde.) —  «Apprenant  (aprenans)  l'in- 
comparable dignité  de  la  loi  nouvelle...,  apprenez  aussi...  »  (Ibid.)  —  «  Étant 
(estans)  ainsi  déchirés  en  nous-mêmes.  »  {Pentecôte,  1654,  i^""  p.)  —  «  Au- 
jourd'hui étant  (estans)  "^XçXxis  àxi  Saint-Esprit...  »  (Ibid.,  exorde,  1^'  réd.)  — 
«  Les  nations  diverses  entrant  (e7itra?tsj  dans  l'Église.  »  (Ibid.)  —  «  Nos 
anciens  Pères  voyant  (uoia?is)...  »  {Annonciation,  1655,  i^""  p.)  —  «  Recherchant 
(Recherchans)  dans  les  Écritures  ce  que  nous  y  lisons  de  Joseph.  »  {Déposition 
custodi,  1656,  2*^  exorde  ;)  etc. 

Jusqu'à  cette  date,  quand  l'accord  ne  se  fait  pas,  c'est  par  exception,  et  on  peut 
croire  à  un  accident  de  plume  :  «  Aujourd'hui  les  trois  pieuses  Marie  étant 
(estant)  accourues.»  {Pâques,  1654,  i^""  exorde.)  —  <(  N'ayant  (ayant)  point  expié 
vos  fautes,  et  sentant  (sentans)  en  vos  âmes...»  {Samedi- S aifit,  1652,  i*'  p.) 

En  1656,  Bossuet  commence  à  faire  intentionnellement  le  participe  invariable 
(quatre  ans  avant  que  la  règle  fût  posée  par  Arnauld)  ;  toutefois,  soit  par  hési- 
tation, soit  en  vertu  de  l'habitude  antérieure,  il  laisse  encore  beaucoup  de 
pluriels  en  ans.  Ainsi  ayant  écrit  :  <i  Ces  excellents  principes  étant  (estant) 
établis...  »  {Providence,  1656,  i'^'"  p.,  Voy.  le  fac-similé,  t.  II  ;)  et  :  «  Les  élus  et  les 
réprouvés  étant  (estant)  en  quelque  façon  confondus...  »  {Ibid.,  i*'"'  p.),  il  revient, 
dans  la  même  année,  aux  anciennes  formes  :  «  Obtenant  (obtoians)  ce  qu'ils 
veulent,  ils  n'y  trouvent  pas  ce  qu'ils  cherchent.  »  {Postul.  Bernardine,  1656, 
I"  p.)  —  «  C'est  en  vain  que  les  grands  delà  terre,  s'em portant (^j'^Wj2J^r/<^z;/j/..» 
{8  sept.  1656,  exorde,  comme  en  1652.) —  «Qu'étudiant  (etudia7is)  avec  soin 
jusqu'aux  moindres  signes  de  sa  volonté,  nous  la  prévenions...  »  {Conception, 
1656,  i""'  exorde.)  —  Mais  :  «  Ces  choses  étant  (estant)  ainsi  supposées.»  {Ibid., 
2*"  exorde  ;  Ite7n,  i"  p.)  —  Et  au  contraire  :  «  De  même  que  les  fontaines,  se 
souvenant  (se  souuenans )  toujours  de  leurs  sources,  portent  leurs  eaux  eri  rejail- 
/m<^;î/ jusqu'à  leur  hauteur,  qu'elles  vont  chercher  au  milieu  de  l'air...  »  {Ibid., 
i'"'"  p.)  Avec  e7i,  le  participe  restait  invariable.  —  L'exemple  suivant  est  une 
inadvertance  :  «  Nous,  en  mangeant  (77ia}igeans)  ce  divin  fruit  qui  pend  à  la 
croix.  »  {Scapulaire,  1653,)  —  L'auteur  a  même  écrit  un  jour  :  <  Encore  que 
nous  fassions  sc7iiblu7is.  »  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652,  2"^  p.)  —  «  Quel  serait 
notre  crime,  si  venant  (ue7ia7is)  adorer  le  Fils,  nous  manquions  de  saluer  la 
divine  Mère.?  »  {Noël,  1656,  i'^'  exorde.)  —  «  Là  ces  heureux  du  siècle  n'oseront 
paraître,  parce  que,  se  souvenant  (se  souuenans)  de  la  pauvreté  passée  du  Sau- 
veur, et  voyant  (uoians)  sa  grandeur  présente...  »  {Ibid.,  y  p.) 

On  trouve  encore  quelques    pluriels  en  ans  après  cette  époque,  mais  très 

Sermons  de  Bossuet.  D 


REMARQUES 


exceptionnellement,  rcut-ctre  sont-ils  confondus  avec  l'adjectif  verbal  :  «Parti- 
cipant (parlinpans)...  h  la  joie  commune.  »  {Pentecôte,  1658.)  —  Mais  :  «  Les 
imj)icssions  demeurent,  même  les  choses  (i\,:\\\i( estant)  éclaircies.  »  {Médisance^ 
1658,  2^  p.)  —  <  Désespérant  (desespthans)  de  les  pouvoir  vaincre.  »  iPostul. 
Bernardine,  i65(),  exorde  ;  reproduit  d'après  une  première  rédaction  de  1656.) 
—  «  \)H^s\i(i\A\-\\  {descspt'rans  )  de  leurs  {oxz^s.l>  {Efficacité  de  la  Pénitence,\662, 
2"=  exorde.)  —  Malgré  ces  exemples  isolés,  la  règle,  à  partir  de  1660,  était  bien 
de  ne  plus  faire  varier  le  participe  :  «  Ces  hommes  corrupteurs*  qui  multipliant 
leurs  crimes...  »  {Quasiniodo,  1660,  Mss.  12824,  f.  m  et  114,)  etc. 

2"  Les  participes  passés.  La  confusion  est  ici  plus  grande  encore.  Dirons-nous 
qu'ils  s'accordent  régulièrement  avec  le  régime  qui  les  précède  .^  Il  y  en  a  en  effet 
des  exemples  c\  toutes  les  époques.  Mais  que  de  lapsus  dans  nos  brouillons  !  Voyez 
ce  passage  :  «  Nous  louons  Dieu  de  vous  avoir  choisis,  de  vous  avoir  soutenus 
(soutenu)  parmi  tant  de  périls,  de  vous  avoir  comblés  (comblé)  d'une  si  grande 
gloire.  Secourez-nous...  pour  chanter  éternellement  les  louanges  du  Père  qui 
vous  a  élus  (eluz),  du  Fils  qui  vous  a  rachetés  (rachetez),  du  Saint-F.sprit  qui 
vous  a  sanctifiés.  J>  {Toussaint,  1649.  Voy.  le  fac-similé.)  Ne  doit-on  pas  dire 
d'abord  que  Bossuet  connaît  la  règle,  ensuite  qu'il  laisse  échapper  bien  des  irré- 
gularités }  —  «  Quelle  honte  nous  sera-ce  d'avoir  été  appelés  (appeliez)  à  la 
môme  félicité  et  de  l'avoir  \-à.ch.tmç.ni perdue  {V^  rédaction);  {perdiies,'ï^  rédaction) 
dans  une  profonde  paix,  au  lieu  qu'ils  l'ont  gagnée...  ?  »  (Ibid.)  —  «  Il  se  les  est 
proposés  (proposé)  dans  ses  entreprises.  »  {Ibid.)  —  «  Aux  grands  desseins  que 
Dieu  avait  conçus  (conceu)  dès  l'éternité...  »  (Ibid.)  —  Voilà  bien  des  incon- 
séquences dans  un   même  sermon.  —  L'accord,,  dira-t-on  peut-être,  d'après  le 
dernier   exemple,    s'omettait,  conformément  à  l'ancienne  langue,  dans  le  cas 
où  le  régime  était  représenté  par  que.   Mais  d'autres  exemples  s'y  opposent  : 
«  Cette  haute  réputation  que  vos  illustres  travaux  vous  ont  acquise  {aqtcise)  par 
toute  la  terre.  »  {Conception,  1652,   i^'  p.)  —  «  Et  vous,  chères  sœurs,  que  par 
sa  miséricorde  infinie  il  a  miraculeusement  délivrées  de  l'hérésie...  »  {Les  deux- 
Alliances,  1653,  péror.)  —  «  Son   Église,  que  son  sang  et  son  esprit  lui  ont 
ramassée  de  toutes  les  nations  de  la  terre.  »  {Profession,  Epiphanie,  1660,  i^"" 
exorde.)  —  <l  Vous  croiriez  peut-être  que  c'est  une  invention  ^^^^  j'aurais  troiivêe 
pour...  »  { Ibid.) &ic.  —  Toutefois,  en  sens  contraire,  même  discours  :  .«  Dans 
tous  les  pas  que  vous  avez/azV/  »  (au  lieu  de  -.faits.)  {Ibid.,  2^  p.)  —  On  trouve 
aussi  ailleurs  :  «  Je  vous  envoie  à  toute  fin  copie  des  attestations  qtie  M*^  G[uyon] 
a  eu  de  moi;  >;  (Lettre  de  Bossuet  à  son  neveu,  14  juillet,  1698  ;  autog.  à  Dijon.) 
Cependant  la  règle  n'était  pas  différente  sur  ce  point  de  ce  qu'elle  est  au- 
jourd'hui. Les  preuves  sont  nombreuses  :  en  voici  une  qui  est  significative. 
Ayant  écrit  :  «  Les  miracles  que  Dieu  a  fait...,  »  Bossuet  corrige  :  «  a  faits.  \ 
iPeus  tentavit  eos,  1663,  i^""  p.)  —  S'il  avait  mis  la  dernière  main  à  son  beau 
sermon  sur  la  Mort,  il  n'aurait  pas  laissé:  «Je  ne  puis  contempler  sans  admira- 
tion ces  merveilleuses  découvertes  qiûafait  la  science  pour  pénétrer  la  nature  ;  )) 
puisqu'il,  ajoute  :  «  ni  tant  de  belles  inventions  que  l'art  a  trouvées  pour  l'accom- 
moder à  notre  usage.  »  (2^  p.)  —  On  lit  encore  dans  les  mss.  .•  «  C'est  en  sa 
divine  personne  que  s'est  fait  la  réunion...  »  {Ambition,  1661,  .2^  exorde.)  — 
Mais  ailleurs  :  «  Chères  sœurs,  dans  cette  prison  volontaire  où  vous  vous  êtes 
jetées  (iettées)  pour  l'amour  de  Dieu...  »  {Cœci  vident,  1653,  i^""  exorde,)  etc. 

Autres  exemples  de  l'accord  avec  les  régimes  antécédents  :  «  Sentiment  de 
vengeance  contre  ceux  qui  les  ont  décelés  (décelez...)'^  {XXI ^^  di7n.  après  la 
Pentecôte,  1659,  canevas.)  —  «  Les  ayant  tendrement  aiinées  (les  ânies  virgi- 
nales), il  les  aime  jusqu'à  la  fin.  »  {Profession,  le  jour  de  la  S^'  Croix,  1660.)  — 
Et  dès  les  premiers  temps  :  «  Une  parole  qui  vous  a  rendu£  (randue)  Mère  du 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  LI 


Sauveur.»  {Rosaire^  1651,  exorde.) —  «  Nous  qui  l'avons  tant  de  fois  reçue 
(receue)  et  tant  de  fois  méprisée.  »  {Samedi-Saint^  1652,  péror.)  —  Si  l'auteur 
dit  au  même  endroit  :  «  Craignons  de  perdre  JÉSUS,  qui  nous  a  ,ça^?té  par  son 
san^,  »  c'est  donc  par  une  inadvertance  peu  étonnante  dans  des  brouillons. 

D'ailleurs  nulle  partie  de  la  grammaire  n'y  a  tant  prêté,  sans  doute  parce  que 
les  règles  ne  jouissaient  pas  encore  d'une  autorité  absolue.  (Cf.  Oraisons  funèbres^ 
édit.  Jacquinet,  p.  67.)  Certaines  anomalies  peuvent  être  des  réminiscences  d'un 
usage  antérieur  :  on  sait,  par  exemple,  que  le  participe  s'est  accordé  longtemps 
avec  le  régime  qui  le  suivait  ;  l'inversion  est,  en  effet,  une  faible  raison  pour  justi- 
fier l'accord  à  elle  seule  ;  il  était  plus  logique  de  le  faire,  quelle  que  fût  la  place 
du  régime  direct.  Ce  n'est  donc  pas,  croyons-nous,  un  lapsus,  qui  a  fait  écrire  : 
«  Qui  avez  si  puissamment  unisX^nxs  intérêts  à  ceux  de  votre  Fils.  »  {Toussaint^ 
1649,  péror.,  r^  réd.)  —  Il  y  en  a  toutefois  dans  la  même  page  :  «...  Au  lieu  qu'ils 
l'ont  gagnées  i^2i  iéX\ç:\i€)  parmi  les  combats...  »  (Ibid.)  —  La  rédaction  qui 
remplace  cette  page,  porte  régulièrement  :  «  ils  l'ont  gagnée;  »  et,  conformément 
à  la  règle  actuelle,  quand  le  participe  précède  son  régime  :  «  Que  s'il  y  a  7nêlé 
(meslé)  quelques  petites  douceurs...  »  (Ibid.)  —  Ue  même,  au  début  de  l'époque 
de  Metz  :  «  Quelle  contrée  de  la  Palestine  n'a  pas  expérimenté (experifnanté)... 
sa  douceur?  »  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652,  i^'  p.)  etc.  —  A  titre  d'exception, 
citons  encore  :  «  Vous  avez  ouïsX^'s,  divers  raisonnements.  »  {Conceptio?t,  1652. 
La  !'■''  réd.  portait  :  Vous  avez  ouï...)  :  «  Les  hommes,  par  leurs  erreurs,  ayafis 
perdus  les  vrais  principes...  »  {Loi  de  Dieu,  1653,  2*=  p.)  —  «  Vous  avez  vus  (uus) 
les  effets...  »  {Depositum  custodi,  16^6,  i"^*"  exorde.)  Mais  ibid.,  2*=  exorde  :  «  Après 
avoir  vu  (u?7J\es  dépôts...»  —  «  Quoique  Dieu  et  la  nature  aient  faits  tous  les 
hommes  égaux.  »  {H.  de  Gornay,  1658.)  —  «  La  mollesse  et  les  délices  du  monde 
vous  aurait  (sic)  rendue  trop  insupportable  votre  vie  pénitente  et  mortifiée.  » 
{Profession,  Epiphanie,  1660,  2*  p.) 

Une  anomalie  plus  étrange,  c'est  l'accord  avec  le  sujet  (en  dehors  des  passifs 
et  des  neutres  conjugués  avec  être,  oii  il  est  régulièrement  employé  dans  nos 
mss.  :)  «  Dans  l'espérance  qu'ils  avaient  conceus  (conçus,  pour  conçue)  d'être 
présents  à  ce  jour  si  beau.  »  {8  sept.  1652,  i^""  exorde.)  —  «  Un  serment  inviolable 
que  nous  2ivons  prêtés  (prêtes)  au  baptême.»  {Circoncision,  1653,  péror.)  — 
«  Nous  devons  croire  que  tant  de  péchés  ont  excités  (excitez)  dans  le  cœur  de 
notre  Sauveur  une  douleur  qui  ne  peut  être  comprise.  »  {Cœci  vident,  1653,  i"'' p.) 
—  «  D'où  leur  vient  cette  autorité  qu'elles  se  sont  acquises  par  toute  la  terre  1  » 
{Pentecôte,  1658,  l'^'p.)  —  «  Quelle  famille  s'est  contentée  des  titres  qu'elle  avait 
receue  (reçue,  pour  reçus)  de  ses  ancêtres  }  »  {Nécessités  de  la  vie,  1660,  3*-"  p.)... 
Mais  ce  sont  des  exceptions  ;  et  rien  ne  prouve  qu'elles  soient  voulues.  Ailleurs 
Bossuet  dit  comme  nous  :  «  Ses  apôtres  n'ont-ils  pas  prêché ^3.v  toute  la  terre... 
que...  >  {Bonté et  rig.  de  Dieu,  1652,  i^""  p.)  —  «  Ce  n'est  pas  que  sa  justice  ne 
l'ait  accompagné  (ayt  acompagné)  dès  l'origine  du  monde.  »  {Ibid.,  2'-' exorde,)  etc. 

Concluons  qu'en  général  Bossuet  n'avait  pas  sur  l'emploi  des  participes 
passés  des  règles  différentes  des  nôtres.  Nous  devions  plutôt  réparer  les  acci- 
dents de  plume,  qui  se  rencontrent,  que  les  reproduire  avec  une  pédantesque 
superstition.  On  a  vu  que  notre  religion  de  l'exactitude  ne  va  pas  jusque-là. 
Nous  ne  nous  croyons  tenu  qu'à  signaler  ceux  qui  paraissent  intéressants. 

—  Le  participe/a//,  formant  locution,  avait  sa  règle  à  part.  Voy.  Faire. 

—  Suivi  d'un  infinitif  neutre,  le  participe  ne  variait  pas  :  «  L'éclat  de  la  pourpre 
dans  lequel  nous  l'avons  vu  naître.  »  (Postul.  Bernardine,  1656,  2^  exorde,  7/rtr.^ 

—  Propositions  participes.  Sont  fréquentes  dans  Bossuet  :  «  Étant  tnhe  d'une 
façon  toute  miraculeuse  et  avec  des  circonstances  tout  à  fait  extraordinaires,  son 
amour  doit  être  d'un  rang  tout  particulier.  »  {Rosaire,  165  i,  r'  p.)  etc. 


LU  REMARQUES 


—  Même  au  neutre:  «  S'tiQtssan/  de  combattre  les  démons.  »  {Détnons^  1653, 
I"  exorde.) 

Partie  (Un  coup  de)  :  c.-à-d.  un  coup  dont  dépend  le  gain  de  la  partie  engagée 
(au  tiguré)  :  «  La  bonne  foi  n'est  qu'une  vertu  de  commerce,  qu'on  garde  par 
bienséance  dans  les  petites  affaires  pour  établir  son  crédit,  mais  qui  ne  gêne 
point  la  conscience  quand  il  s'agit  d'un  coup  de  partie.  >  {Justice^  1666,  r""  p.) 
PÂTIR  ET  COMPATIR.  {Bofité  et  Hg.  de  Dieu,  1652,  i»"^  p.) 
Pendu,  comme  suspendu:   <î  Pendu  à  la  croix.  »  {Rosaire,  165 1  ;    Samedi- 
Saint,  1652  ;   Pentecôte,    1654  ;  .V^--  Thérhe,   1657.)  Cf.  I,  473.  —  {{  Pentu  à  vos 
chastes  mamelles.  »  {S  sept.  1652.  — Ici  les  éditeurs  n'ont  osé  le  conserver  :  ils 
lui  ont   substitué:   attaché  à...)  —  Delà  il   n'y  avait  pas  loin  à  prendre  le  mot 
substantivement.  Bossuet  s'y  est  laissé  entraîner  une  fois  :  «  Ce  Samaritain,  ce 
pendu  !  >  {Noël,  1656,  3«  p.) 

Pf.rsonne,  avec  le  sens  de  quelqu^un  :  «  De  peur  que  personne  ne  fût  cou- 
pable de  l'indigence  de  l'un  de  ses  frères.  »  {Pentecôte,  1658,  2^  p.)  —  Vowx  person- 
nage, rôle:  «  Saint  Jean,  ayant  été  conduit  par  la  main  de  Dieu  au  pied  de  la 
croix,/  avait  tenu  la  personne  de  tous  les  fidèles.  »  {Rosaire,  165 1,  i^""  p.)  C'est 
un  latinisme. 

Les  personnes...  ils.  Cette  syllepse  de  genre,  usitée  au  xvii®  siècle,  se  trouve 
plusieurs  fois  dans  Bossuet  :  «  Les  personnes  publiques  chargent  terriblement 
leurs  consciences  et  se  rendent  responsables  devant  Dieu  de  tous  les  désordres 
du  monde,  s'/Vj  n'ont  cette  attention  pour  s'instruire  exactement  de  la  vérité.  » 
{Justice,  1666,  2«  p.  —  Une  i'"'^  rédaction  portait  :  «  si  elles  ne  sont  fidèles  à  ces 
deux  pratiques,  d'écouter  et  de  s'informer.  »  Bossuet  l'a  effacée.)  Voy.  aussi  le  2^ 
exorde.  —  Autres  exemples,  I,  317,  325  (Loi  de  Dieu);  402  (S.  Bernard) ;  487 
{Vêture,  1654)  ;  II,  59  {Trijtité;  var.  du  2^  p.)  ;  400  ( Parcet pauperi) j  etc. 

Phrase,  c.-à-d.  la  façon  de  parler,  le  style  :  «  Selon  la  phrase  de  l'Écriture.  » 
{Ascension,  16  54,  2^  p.) 

Pitoyable  :  digne  de  pitié  (aucune  nuance  d'ironie)  :  «  Dans  cet  état  pitoyable, 

pendant  qu'elle  se  regardait  comme  une  personne  réprouvée.  »  {Palatine,  1685.) 

Plaire,  impersonnel.  Avec  de  ordinairement  ;  quelquefois  sans  préposition  : 

«  L'alliance  qu'//  hii  plait  contracter  avec  nous.  »  {Pentecôte,   1654,  exorde.) 

Mais  :  «  Partout  où  il  lui  plaira  de  les  envoyer,  »  (  Ibid.) 

Plaisant  :  agréable,  capable  de  plaire  (dans  un  sens  qui  exclut  toute  idée  de 
plaisanterie)  :  «  Quelle  apparence  de  quitter  le  monde  dans  un  âge  où  il  ne  nous 
présente  rien  que  de  plaisant?  >  {S.  Bernard,  1653,  i^''  p.)  —  «  Se  laisser  tirer 
sans  résistance  par  les  objets  plaisants.  »  {Prodigue,  1666,  i^""  p.)  —  Cf.  Visita- 
tion, 1659,  péror.  ;  Impénit.  finale,  1662,  3^  p. 

Pléonasmes.  Le  plus  remarquable  est  celui  de  il,  elle,  placés  devant  un  verbe 
qui  a  déjà  un  sujet  :  «Jésus-Christ...,  quoique  élevé...,// a  voulu...  »  {Prédica- 
tion évangélique,  1662,  2^  exorde)  —  «  Moïse  regardant...  et  prévoyant...,  // 
nous  montre...  {Providence,  1662.)  — «  La  bienséance  s'en  étant  mêlée,  elle  y  a 
ajouté  quelques  ornements.  »  {Intégrité  de  la  Pénitence,  1662,  3^  p.)  Sous  cette 
forme,  en  faisant  du  premier  membre  de  phrase  une  proposition  absolue,  le  tour 
pourrait  encore  s'employer.  —  «  Afin  que  Votre  Majesté  portant  promptement  la 
main  au  secours  de  tant  de  misères,  elle  attire  sur  tout  son  règne  ces  grandes 
prospérités  que  le  ciel  lui  promet  si  ouvertement.»  {Vendredi- Saint,  1662,  péror.) 
—  «  Donc  la  source  de  tout  le  mal  est  que  ceux  qui  n'ont  pas  craint  de  tenter,  au 
siècle  dernier,  la  réformation  par  le  schisme,  ne  trouvant  point  de  plus  fort 
rempart  contre  toutes  leurs  nouveautés  que  la  sainte  autorité  de  l'Église,  ils  ont 
été  obligés  de  la  renverser.  »  {Henriette  de  France,  1669.)  —  Cf.  I,  28  ;  257;  325; 
342;  562;  567;  11,311,  etc. 


à 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  LUI 


Il  ne  faut  pas  croire  cependant,  que  ce  pléonasme,  dont   on  trouve  encore  des 
exemples  dans  le  Discours  sur  P Histoire  universelle^  ait  lieu  dans   toutes  les 
phrases  dont  le  sujet  est  éloigné  du  verbe.  Nous  lisons  dès  la  première  époque  : 
«  Dieu,  qui  résiste  aux   superbes,   voyant  ses   pensées  arrogantes,  et  que   son 
esprit,  emporté  d'une  téméraire   complaisance  de   ses  propres    perfections,   ne 
pouvait  plus  se  tenir  dans  les  bornes  d'une  créature,  du  souffle  de  sa  bouche  le 
précipita  au  fond  des  abîmes  ;  »  {Démons^  1653,  2^  p.)  sans  /7,  qui  n'aurait  fait 
qu'alourdir  cette  inversion  si   expressive.  —  Dans  cette  phrase  :  «  Quiconque 
s'oppose  à  la  vérité...,  fait    mourir  spirituellement   la  justice...  »  {Haine  de  la 
vérité^  1666,  i^'  p.)  il  est  effacé.  —  Cette  autre,  où  le  pléonasme  était  pourtant 
d'un  heureux  effet  :  «  Tout  néant  que  je  suis,  je   suis  homme  ;  et  mon   Dieu  qui 
est  tout,  //est  homme  ;  »  {Noël,  1656,  2^  pj  est  ainsi  reproduite,  onze  ans   plus 
tard  :«  ...  et  mon  Dieu, qui  est  tout,  s'est  fait  homme  ;  »  sans  il.{Noël,\667,  2*  p.) 
Comme  on  le  voit  par  l'exemple  précédent,  le  pléonasme  avait  quelque  chose 
d'oratoire.  Il  servait  aussi  à  faire  entrevoir  plus  promptement  une  idée,  qui  est 
ensuite  expliquée  :  «  Ah  !   Dieu  est  juste  et  équitable.  Vous  y  viendrez  vous- 
même,  riche  impitoyable,  aux  jours  de  besoin  et  d'angoisse.  >">  {Impénit.  finale, 
1662,  3*^  p.)  ;  —  quelquefois,  dans  les  inversions  (I,  321,  324,  Loi  de  Dieu,  i*^''p., 
avec  y  ;  ibid.,  148,  319,  avec  en.)  —  Il  rappelle  utilement  un   sujet  séparé  du 
verbe  par  un  commentaire  :  «  Remarquez  qu'il  ne  dit  pas  :  La  veuve  qui  passe 
sa  vie  dans  les  crimes  ;  il  dit  :  La  veuve  qui   la  passe  dans  les  plaisirs,  elle  est 
morte  toute  vive.  »  {Palatine,  1685.) 

//peut  nous  paraître  explétif  en  certaines  phrases,  où  il  était  logiquement  em- 
ploj'é  :  «  Qui  interroge,  //  cherche  ;  qui  cherche,  il  ignore.  »  {Cœci  vident,  1653, 
2^  exorde.)  —  «  Qui  le  croirait  ainsi,  il  entendrait  mal  l'intention  de  l'Église.  » 
{Ascension,  1654,  2°  p.) 

Autre  pléonasme  :  «  Comme  on  voit  les  mécontents  ne  s'associer  seulement 
que  pour  la  ruine  de  leur  commune  patrie...  »  {Vêture,  2  février  1654,  i^""  p.)  — 
Autre  ex.,  I,  95,  texte  et  note. 
Plus.  Un  des...  qui...  le  plus,  avec  le  singulier.  Voy.  Latinismes,  5°. 
Plus  tôt,  plutôt.  Bossuet  n'a  qu'une  orthographe  :  plustost.  Les  éditeurs 
ont  fait  la  distinction  sous  leur  responsabilité.  Au  lieu  d'imprimer,  comme  nos 
devanciers  :  ne  pas  plutôt,  nous  avons  dit,  conformément  au  sens  de  l'expression: 
ne  pas  plus  tôt.  Nous  avons  réservé  phitôt  pour  les  phrases  qui  marquent  la  pré- 
férence. 

Plut  a  Dieu  que  est  quelquefois  suivi  du  présent  du  subjonctif:  «  Plût  à 
Dieu  qu'elle  vous  soit  favorable  (votre  sentence),  plût  à  Dieu  que  vous  soyez  pla- 
cés h  la  droite  !»  {Quasiînodo,  i66o,péror.)  —  Cf  II,  475  {Satisfactio7i,  1658.  Voy. 
le  fac-similé,  t.  IL) 

Police:  organisation  politique  :  «  Cette  cité  merveilleuse,  dont  Dieu  même  a 
jeté  les  fondements,  a  ses  lois  et  sa  police,  par  laquelle  elle  est  gouvernée.  » 
{lùninente  dignité  des  pauv7-e s,  1659,  2^  exorde.)  —  Môme  sens  dans  le  Panégy- 
7-ique  de  sai?tt  Paul  {W,  296),  et  Discours  sur  P Histoi?'e  unive?-selle :  <i  Ctiic 
excellente /(9/zV^  des  Égyptiens.  »  (III,  V.) 

Porter,  comme  supporter  :  «  Ou''a  porté  le  divin  Sauveur  pour  cette  indigne 
préférence  }  »  {Vendredi-Saint ,  1662,  2*-'  p.) —  «  Il  voit  que  nous  ne  pouvons  pas 
en /(^r/^^r  l'abondance  entière.  »  {Justice,  1666,  3^  p.)  —  «  Ne  pourrai-je  aujour- 
d'hui éveiller  ces  yeux  spirituels  et  intérieurs  qui  sont  cachés  bien  avant  au  fond 
de  votre  âme,  les  détourner  un  moment  de  ces  images  vagues  et  changeantes 
que  les  sens  impriment,  et  les  accoutumer  à  porter  la  vue  de  la  vérité  toute 
pure  ?  »  {Toussaiftt,  1669,  i"^""  p.) 

Pour  grand,  pour  petit  que,  c.-à-d.  si  grand,  si  petit...  que  :  «  Elle  ne 


LIV  REMARQUES 


conifirenait  pas  comment  on  pouvait  commettre  volontairement  un  seul  péché, 
pour  fu'lit  qu'il  fut.  »  {Marie-'l'hnrsi^  1683.) 

J'OUSSKK  tics  paroles^  ties  scuiivicuis  :  «  Mais  il  faut  pousser  ce  désir  avec 
toute  la  pureté  de  la  nouveauté  chrétienne.  »  {laïques,  1681,  i*^^""  p.)  —  Cf.  I,  92, 
{Rosaire,  165 1,  2"  p.)  —  Cette  locution  n'est  pas  particulière  à  Bossuet. 

l'KKClsi^iMKNT  :  rt7Yf  précision:  «  Y'wç^x  précisénieut  la  règle  des  mœurs.» 
{C(€ci  vident,  1665,  2^"  p.)  C'est  le  sens  direct  de  ce  mot. 

Tkks  ni:,  I'KKT  a,  pri^t  dk.  Bossuet  n'a  qu'une  orthographe  :  prcst,  et  il  dit 
inditTércmment  prêta  et  prêt  de  :  <i  Elles  étaient  en  vue,  prîtes  de  donner.  » 
{S.  Bernard,  1653,  2"  p.)  Pour  :  prêtes  à.  —  Réciproquement  :  «  Si  ce  serviteur 
est  méchant,  et  qu'il  dise  en  son  cœur  :  Mon  maître  n'est  pas  prêt  à  venir...  » 
{Hora  est,  1669,  2''  p.)  Nous  dirions  -.près  de.  —  On  trouve  aussi  prêt  de,  en  ce 
sens  :  «  Etant  prêt  de  passer,  par  la  mort  de  la  croix,  de  l'infirmité  humaine  à  la 
gloire  et  h.  l'éternité  de  son  Père.»  {S.Jean,  1658,  2^  p.)  Mais  dans  la  môme 
page  :  <  Comme  un  patient  prêt  à  rendre  l'âme.  »  —  Et  plus  tard  :  «  P^'êt  à 
monter  aux  cieux.  »  {Pâques,  i68r,  2*^  p.)  —  Mais  où  garder  des  lions  toujours 
prêts  à  rompre  leurs  chaînes  ..?  »  {Le  Tellier,  1686.)  —  En  somme,  j2^rtV  de  paraît 
le  plus  usité  dans  les  deux  sens  :  «  Comme  étant  prêts  de  passer  à  un  palais  plus 
magnifique.  »  {Sentiments...,  vers  1659.)  —  «  Nous  sommes  prêts  de  vous  répon- 
dre :  »  {Vaines  excuses...,  1660,  2^  exorde.)  —  «  11  est  toujours  prêt  de  l'aban- 
donner. »  {S.  Pierre  Nolasqtie,  1665,  2^  p.) 

Prestance,  comme  excellence  (latinisme):  <i  Ce  n'est  pas  notre  crime  seul  qui 
lui  donne  \a. prestance.'^  {Co?iception,  1652,  i^'"  p.) 

Prétendre,  activement  :  «  Bernard,  que  prétends-tu  dans  le  monde  .-*  »  {S. 
Bernard,  1653,  i*'''  p.) 

Prochain,  au  pluriel  :  «  A^os  prochains  ;  »  répété  plusieurs  fois  {Charité 
fraternelle,  1660).  Le  singulier  se  trouve  aussi  dans  le  même  sermon. 

Pronoms,  se  rapportant  à  un  nom  indéterminé.  Voy.  La,  Locutions. 

—  Quelquefois  au  datif,  bien  qu'ils  tiennent  la  place  d'un  régime  direct  : 
«  Voyons-leur  vaincre  les  menaces  de  ceux  dont  ils  ont  méprisé  la  haine.  » 
{Pejitecôte,  1658,  i^""  p.) 

—  Place  des  pronoms  dans  les  phrases  où  un  infinitif  est  précédé  d'un  autre 
verbe.  Ils  se  mettent,  ordinairement  du  moins,  avant  l'expression  entière  ;  et 
non,  comme  l'usage  a  prévalu  depuis,  immédiatement  avant  l'infinitif:  «Ceux 
qui  se  voudront  sé^a.xQr. 'h  {Récoficiliation,  1653,  exorde.)  —  «Je  vous  le  vms 
dire.  »  {Honneur,  1660,  2«  exorde.)  —  «  Jamais  il  ne  se  faudrait  consoler  de  ses 
fautes...  >  {Prodigue,  1666,  2«  p.)  —  «  Vous  /'allez  apprendre.  »  {Henriette  de 
Fr.,  1669,)  etc.  —  Mais  :  «  Elle  veut  la  recevoir  avec  connaissance.  »  {Henriette 
d'Atîol.,  1650.)  —  Et  dès  1653,  on  lit  dans  une  même  page  :  «  C'est  tout  ce  qu'on 
nous  peut  opposer  ;  »  et  :  «  Ce  qu'on  m'oppose,  je  veux  le  tirer  à  mon  avan- 
tage. »  {Cœci  vident,  1653,  2*^  exorde.; 

Pronominaux.  Plusieurs  verbes,  qui,  employés  absolument,  deviennent  neu- 
tres, prenaient  dans  la  même  acception  la  forme  pronominale  :  «  Cette  vie  se 
passe  bien  vite.  »  Bossuet  ayant  écrit  :  passe,  a  corrigé.  {S'e  Croix,  1659  i"  p.) 
—  Tels  sont  encore  se  changer,  se  commencer,  se  fi?iir,  se  déborder,  se  dimiftuer, 
s'empirer,  se  fléchir,  se  grossir,  se  pousser,  ^e  redoubler...,  dans  le  même  sens  que 
cha7iger,  commencer,  etc. 

Purger,  au  figuré.  Emploi  fréquent  :  «  Cet  Agneau  de  Dieu,  o^\  purge  les 
péchés  du  monde.  »  {Cœci  vident,  1653,  exorde.)  —  «  Un  feu  o,\x\  purge .. .  >)  {S'' 
Croix,  1659,  2"^  p.)  —  «  Purger  son  église  de  ces  scandaleux.  »  (6\  François  de 
Poule,  1660,  péror.)  —  Cf.  I,  296  ;  352  ;  II,  1 16  ;  189  ;  200  ;  etc. 

Quasi.  Fréquent  dans  la  première  jeunesse  ;  très  rare  dans  la  grande  époque  : 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  LV 

«  Si  la  vertu  s'y  conserve,  elle  perd  ^/^r^jz  toute  sa  beauté.  ))  {Sou^rances,i66ï^2^ç.) 
Exceptionnel  à  cette  date.  Voyez  au  contraire  I,  5  ;  7  ;  22  ;  48  ;  106  ;  151. 

Que.  Supprimé  :  «  C'est  peu  connaître  la  grandeur  de'  Dieu,  de  penser...  » 
(Scapulaire,  1653,  i^'p.)  —  Et  dans  cette  locution  :  «  A  qui  ce  fut.»  {Bonté  et 
ri^.  de  Dieu^  1652,  2'-  exorde.)  —  Voy.  Foudre. 

—  Répété  au  contraire  d'une  manière  insolite  :  «  Faisons  voir  par  les  saintes 
Lettres  que  non  seulement  la  nature,  mais  encore  que  la  charité  est  féconde.  » 
{Rosaire^  1657,  i^*"  p.)  On  peut  supposer  une  ellipse  des  mots  «  est  féconde  »  après 
nature. 

—  Mais  que  est  sûrement  explétif  dans  la  dernière  phrase  du  Panégyrique  de 
saint  Bernard {\^  421).  Le  premier  que  est  mis  pour  annoncer  le  second  à  l'avance, 
comme  av  chez  les  Attiques. 

—  Que  sert  à  former  des  phrases  elliptiques,  comme  celles-ci  :  «  Cette  manne 
si  délicieuse,  qu'est-ce  qti'MXiÇ^  viande  corporelle  .^  »  (Z^j-  deux  Alliafices^  '653, 
i^""  p.)  C.-à-d.  qu'est-ce  autre  chose  que..  ?  —  «  Elle  jouit  seule  avec  Dieu  d'une  si 
grande  joie,  sans  la  partager  qu^2iV^z  ceux  à  qui  il  plaît  au  Saint-Esprit  de  la  ré- 
véler. »  {PuriJication^i6$2>^  i^' P-) 

En  voici  même  de  plus  étranges,  où  que  semble  avoir  double  fonction  :  «  Est-il 
rien  de  plus  convenable  que  nous  recevions  de  vos  mains  le  fruit  de  vos  bénies 
(bénites)  entrailles  }  »  {Annoficiation,  1655,  ^""^  P)  ^.-à  d.  oue  ceci,  que  nous  re- 
cevions... —  «  Est-il  rien  de  plus  évident  que  nous  sommes  toujours  hors  de 
nous  ?  »  {Martha...,  1655,  i"p.)  —  «  Il  n'est  rien  de  plus  véritable  qite  nous  ne 
pouvons  rencontrer  que  trouble  dans  la  multitude  qui  nous  dissipe  »  (Ibid.)  — 
«  Il  n'est  rien  de  plus  véritable  que  le  pontife  doit  sacrifier  d'un  esprit  tran- 
quille. »  {Compassion,  1658,  2'^  p.)  —  Évidemment,  cette  syntaxe  n'est  pas  à 
imiter. 

—  Ce  que  àest  que  de;  ce  que  âest  que;  ce  que  c'est  de:  «  Homme  de  douleurs,  et 
qui  sait  ce  que  c'est  que  d'inûrmhé.  »  {Souffrances,  1661,  i^""  p.)  —  «  O  Dieu  !  encore 
une  fois  qu''est-ce  que  rt?é?nous?»  {Mort,  1662,1^1" p.)  —  «  O  homme,  venez  apprendre 
ce  que  âest  que  l'homme.  »  {Ibid.,  2*^  exorde.)  —  «  N'y  a-t-il  que  les  épicuriens  et 
les  sensuels  qui  aient  bien  connu   ce  que   âest  de  l'homme  .?  J>  {Toussaitit ,  1669, 

3'  P-) 

Qui.  —  A  $^7// remplacé  quelquefois  par  auquel  :  «  Satan,  auquel  notre  nature 
s'était  prostituée.  »  {Scapulaire,  1653,  i*^""  p.)  —  De  ^//-z  pour  do7it.^  avec  un  nom 
de  chose  (rarement)  :  «  Ces  châteaux  enchantés,  de  qui  nous  entretiennent  les 
poètes.  »  {Félicité  des  SS.,  1648.)  —  Dont  est  usité  d'ailleurs  à  toutes  les  épo- 
ques ;  dans  la  première,  il  est  employé  concurremment  avec  duquel,  desquels  : 
«  Se  manifester  aux  hommes,  desquels  W  venait  être  le  Précepteur.  »  {Cœci  vident, 
1653,  2'' exorde.)  —  «Les  prédictions  des  prophètes,  ^^>;//  nous  avons  ici  un 
tissu.  »  (Ibid.) —  Et  dans  une  même  phrase  :  «  D'être  dépendant  de  Dieu  seul, 
dont  il  est  si  doux  de  dépendre,  et  le  service /'///«^//^Z  vaut  mieux  qu'un  royaume.  » 
{Postul.  Ber?iardijte,  1656,  i"^^""  p.) 

—  Q^^^i  pour  ce  qui.  Voy.  Attraction. 

—  (2ui...,  qui...,  pour  /'////,  P  autre  {Loi  de  Dieu,  1653,  2''  exorde.)  —  Ne  se 
retrouve  plus  dans  la  reprise  en  1659,  ni  dans  la  Vêture  iT/rrr/Z/^i...,  en  1655. 

Quitter;  Quitter  de  :  remettre  une  dette  {Satisfaction,  1658,  i«'  p.  ;  A'AV^ 
dim.  après  la  Pentecôte,  1659,  canevas  ;  Charité  fraternelle,  1660.) 

Se  rabaisser,  se  ravilir,  comme  s'abaisser,  s'avilir  :  «  Cette  sagesse  in- 
finie se  rabaisse  jusqu'à  dire  :  Je  descendrai  :  »  {fustice,  1660,  2'"  p.)  —  «  Cet 
art  obligeant  qui  fait  qu'on  se  rabaisse  sans  se  dégrader...  »  {Henriette  de  Fr., 
1669.)  —  «  Cette  fausse  image  de  grandeur  s'est  tellement  étendue,  cju'ellc  s'est 
enfin  ravilie.)y{Hon7ieur,\G66,  V  p.)  —  «  Ce  que  JÉsus-Christ  est  venu  chercher 


Lvi  RKMAR(^UES 


du  ciel  en  la  terre,  ce  qu'il  a  cru  pouvoir,  sans  se  ravilir,  acheter  de  tout  son 
san.iî,  n'est-ce  qu'un  rien  ->.l>U{enrUtt.' (V Ani^L,  1670,  exorde.)  —  De  même  res- 
snitir,  zowww^  sentir  :  <  On  ressentait  dans  ses    paroles   un  regret  sincère...  » 

{Condt\  1687.) 

Ramasser  :  amasser,  rassembler.  Mot  dont  Bossuet  fait  grand  usage,  sans  y 
attacher  aucune  idée  de  mépris:  (L  Ramasser  %^s,  esprits.  »  (A'^^ja/?r,  165 1,  2* 
exorde.)  —  <  Qu'on  ramasse,  s'il  se  peut,  en  un  même  lieu  tous  ceux  qui  ont 
jamais  eu  la  réputation  de  sagesse...  »  {Loi  de  Dieu,  1653,  1"  p.  )  —  <?  Son  cher 
Fils,dans  lequel  il  a  ramassé ^o\\\^s  les  ve'rités  qui  nous  sont  utiles...  »  (.V.  Bernard, 
1653,  2"  p.)  —  <  Son  Église,  que  son  sang  et  son  esprit  lui  ont  ramassée  ^ç^  toutes 
les  nations...  >  {Profession,  Epiphanie,  1660,  1^=^  exorde.)  Cf.  I,  285  (Les  deux 
Allianees.)—  €  Ces  terres  et  ces  seigneuries,  qu'il  avait  ramassées  avec  tant  de 
soin.  »  {Nécessités  de  la  vie,  1660,  3*^  p.  ;  Ambition,  1662,  i""  p.)  —  (i  Ramasser 
son  attention...  ^  {Parole  de  Dieu,  1661,  2«  p.)  «  Il  n'a  besoin  de  personne  pour 
posséder  tout  le  bien,  parce  qu'il  le  ramasse  tout  entier  en  sa  propre  essence.  » 
{Annonciation,  1661,  3*  p.)  ^<  C'est  ici  que  je  voudrais  pouvoir  ramasser  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  efficace  dans  les  Écritures  divines...  »  (  Prodigue,  1666,  2«  p.) 
-  «  C'est  ramasser  toutes  ses  forces...  yy  {Henriette  d'Angl.,  1670.)  ~  «  Anne, 
pleine  de  foi,  ramasse  toutes  le*  forces  qu'un  long  exercice  de  la  piété  lui  avait 
acquises.  >  {Marie-Thérèse,  1683.)  —  «  Toutes  les  vertus  qu'elle  a  pratiquées  se 
ramassent  dans  cette  dernière  parole.  »  {Palati?te,  1685.)  —  «  L'Eglise  ramasse 
ensemble  tous  les  titres  par  où  l'on  peut  espérer  le  secours  de  la  justice.  »  {Le 
Tellier  1686.)  —  Bossuet  dit  aussi,  mais  dans  un  autre  stns,,  amasser'.  «  Lui  amasse 
un  trésor  de  haine...  »  (  Vailles  excuses....,  1660,  2^  p.) 

Rapidité  (rapere)  :  force  entraînante  (Gazier,  226)  :  «  Tout  y  semble  em- 
porté par  l'aveugle  rapidité  de  la  fortune.  »  {Providettce,  1662,  2^  exorde.)  — 
«  Nous  nous  sentons  emportés  avec  tout  le  reste  par  une  même  rapidité.^  {Tous- 
saint, 1669,  3^  p.)  —  «  Étant  nés  pour  l'éternité,  nous  nous  mettons  volontaire- 
ment sous  le  joug  du  temps, qui  brise  et  ravage  tout  par  son  invincible  rapidité.^ 
{Pâques,  1681,  l'^^p.) 

Rappeler  (Se),  (se  revocare  ab)  .•«  L'âme  raisonnable  se  rappelle  de  la  multi- 
tude pour  concourir  à  l'unité  seule.  »  {Martha...,  1655,  2^  p.)  C.-à-d.  se  retire,  se 
rej)re?id. . . 

Rebeller,  neutre  :  «  Ne  vous  persuadez  pas  que  Dieu  vous  laisse  rebeller 
contre  lui  des  siècles  entiers.  »  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652,  2^  p.) 

Réciter:  citer  à  haute  voix  :  «  Les  paroles  que  j'ai  récitées.  »  {Henriette 
d^Angl.,  1670,  exorde.) 

RÉCOMPENSER,  OU  RÉCOMPENSER  DE  :  comme  compenser  :  «  Ce  qui  semble 
lui  manquer  du  côté  de  la  violence,  il  le  récompensé  par  la  durée.  »  {S.  François 
de  Paule,  1655,  i^"^  p.)  —  «  Semble  plutôt  lui  reprocher  son  malheur  que  la 
récompenser  de  sa  perte.  »  {S.fean,  1658,  2^  p.)  —  «  Je  ne  ferai  jamais  aucune 
perte,  qu'un  plus  grand  bien  ne  la  récojnpense.  »  {Nécessités  de  la  vie,  1660,  i^'" 
point.) 

Se  récompenser  de,  pour  :  user  de  compensation:  «  On  peut  se  réco?npenser  de 
l'argent  qui  vous  est  volé...  »  {De P Honneur,  1658.)  —  «  Que  si  notre  dél  icatesse 
ne  peut  supporter  les  peines  du  corps...,  récoinpensons-nous  sur  les  cœurs.  »  (  Ven- 
dredi-Sai7it,  1662,  3'-'  p.)  —  «  A  son  tour  la  puissance  temporelle  a  semblé  vouloir 
tenir  l'Église  captive,  et  se  récompenser  de  ses  pertes  sur  JÉSUS- Christ  même.  » 
{Le  Tellier,  1686.) 

Reconnaissance  :  action  de  reconnaître  (ses  fautes)  :  «  L'humble  reconnais- 
satue  du  prince  qui  s'en  repentit.  »  {Condé,  1687.) —  «  Ses  fautes  dont  il  faisait 
une  si  sincère  re  confiais sance.  »  (Lbid.) 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  LVII 

Regard. —  «  Selon  ce  regard  »  équivaut  à  la  locution  :  à  cet  égard,  ou,  comme 
disait  Bossuet  :  «  en  cet  égard.  »  {Haine  de  la  vérité,  1661,  2*=  exorde.) 

Régime:  conduite  :  «  Notre   mauvais  régitne.  »  {Anges  gardiens,  1659,2''  p.) 

—  «  La  chair  a  pris  le  régime.  »  {Purificatioti^  1662,  2«  p.) 

RÉJOUIR,  neutre  :  «  Laissons  réjouir  \ç:  monde.  »  {Providence,  1656,  i^'  p.) 
Renommer  :  «  Se  faire  renommer  par  leur  éloquence.  »  {Parole  de  Dieu,  1661, 
i^""  p.)  C.'à-d.  acquérir  du  renom. 
Renoncer,  actif  ('exceptionnellement)  :  «  Nous  les  devons  renoncer.  »  {Noël^ 

1656,3'  p.) 

Renvier  :  enchérir  .•«  C'est  là  que  la  convoitise  va  tous  les  jours  se  subtili- 
sant, et  remn'aftt,  pour  aijtsi  dire,  swr  tWe-vcième.  ^  {Ambition.^  1661,  i"p.) 

RÉPANDRE  «  des  prières  ardentes.  »  (5./^r<2;zf^/j  de  Paule,  1661,  péror.)  Cf. 
«  Versez  des  larmes  avec  des  prières.  ^{Condé,  1687.)  C'est  un  beau  latinisme. 

Repentance,  comme  repentir,  diWtc  plus  de  grâce  peut-être  :  «  Ils  y  retom- 
bent sans  crainte  :  ils  y  persévèrent  sans  inquiétude  ;  ils  y  meurent  enfin  sans 
repentance.  »  {Hora  est,  1669,  i^'  p.)  —  «  Les  dons  de  Dieu  sont  sans  repen- 
tance. »  {Conception,  1669,  i^"  p.) 

RÉPÉTER.  Latinisme  de  la  langue  juridique  :  réclamer,  reprendre.  {De  V Hon- 
neur, 1658,  fin,  II,  430.) 

RÉPUBLIQUE  (au  sens  moderne,  non  au  sens  étymologique),  employé  avec 
précaution  oratoire  :  <i  C'est  le  règne,  l'assemblée,  et,  pour  parler  de  la  sorte,  la 
république  d^s  méchants.  »  {Zizanies,  1652,  i^'p.) 

RÉSOLUTIF  :  «  Lajustice  est  résolutive,  et  ensuite  elle  est  inflexible.  »  {Devoirs 
des  rois,  1662,  2^  p.)  «  La  véritable  prudence  n'est  pas  seulement  considérée,  mais 
encore  tranchante  et  résolutive.  »  {Justice,  1666,  2^  p.) 

Ressembler,  activement  :  «  Qui  ne  ressemble  pas  les  grandeurs  humaines.  » 
{Annonciation,  1660,  2^  p.)  —  On  le  trouve  aussi  au  neutre. 

RÉUSSIR  :  résulter  :  «  Il  tn  réussira  cette  utilité  que  ...»  {Démons,  1660,  i^' 
exorde.) 

RÉvÉREMMENT  :  «  A  parler  plus  révéremment  des  œuvres  de  Dieu.  »  {S.Fran- 
çois de  Paule,  1660,  3®  p.) 

Revêtir.  Voy.  Vêtir. 

RhÊtoriciens,  ^our  rhéteurs,  en  mauvaise  part  (I,  167  ;  561). 

Rien  moins  que,  avec  le  sens  affirmatif,  comme  rien  de  moins  que  :  «  Pendant 
que  ...  leurs  acclamations  ne  lui  promettent  rie7i  moins  qu^wT\  trône, il  méprise...  > 
{Ambition,  1662,  2*^  exorde.) —  «  Ne  lui  demandons  rie7t  moins  que  lui-même.  » 
{/ustice,  1666,  2^  p.)  —  Cf.  Samedi-Saint,    1652,  i^""  p.  ;  Conception,  1656,    i^""  p. 

Ruines  :  en  parlant  des  personnes  :  «  Pour  réparer  leurs  rui?tes.  »  {Hora  est, 
1669,2^  exorde.)  —  Cf.  «  A  ses  ruines,  »  comme  :  à  sa  rtiine,  ou  -.pour  sa  ruine. 
{Honneur,  1660,  2^  p.)  Voy.  A. 

Sapience  :  sagesse  :  «  Étant  le  verbe,  et  la  raison,  et  la  Sapience  du  Père.  » 
{Démons,  1653,  i^'  exorde.)  —  Et  dans  les  citations  :  Le  livre  de  la  Sapience 
(la  Sagesse).  y«i'//V<?,  1666,  etc. 

Satisfaire  a,  etactif  :  «  Satisfaire  à  tous  nos  désirs.»  {Atnbition,  1661,  l'^'p.) 

—  Mais  :  «  De  régler  tous  nos  désirs,  avant  que  de  songer  à  les  satisfaire.  > 
(Ibid.)  Leures\.  effacé.  —  «  On  ruine  et  les  siens  et  les  étrangers  pour  satisfaire 
à  son  ambition.  »  {Honneur,  1666,  r'  p.)  —  «  Elle  eut  de  quoi  satisfaire  à  sa 
noble  fierté  ...»  {Henriette  de  Fr.,  1669.)  —  «  Grande  reine,  je  satisfais  à  vos 
plus  tendres  désirs,  quand  ...»  (Ibid.) —  «  Ravi  de  satisfaire  à  la  fois  à  la 
piété  et  h  la  gloire.  »  {Condé,  1687.) —  Et  avec  régime  direct  :  i  Ma  voix  n'est 
pas  destinée  à  satisfaire  les  politiques  et  les  curieux.  >  {Le  Telliet,  1686.) 

Sauver  le  soin  de  :  épargner  le  soin,  la  peine  de.  {Hora  est,  1669,  2"=  p.) 


LVIII  REMARQUES 


Secourant,  comme  secoumble  :  <  Voyons  la  faiblesse  de  cette  amitié,  lors- 
qu'elle semble  le  plus  sccouranie.J>{\\ni(hrih'-Saint^  1662,  2^=  p.) 

Sk.mhi.anck.  Liltcralit(5  de  Iraduclion,  y^owx  resscmbhmcc.  (II,  50,  52,  Trinité^ 
1655,  2"^^  exorde.)  Mais  le  même  mot  étant  revenu  en  1669  sous  la  plume  de  l'au- 
teur :  <  .\  son  imat,^e  et  scmblance,  »  n'a  plus  trouvé  grâce  ;  il  est  remplacé  par 
ressemblance.  {Conception,  1669,  2'^  p.) 

Servir  a,  non  pas  être  utile,  mais  obéir  à  (latinisme).  On  trouve  aussi  servir, 
actif,  et  d^s  rori£::ine  :  «  Aussi  n'ont-elles  point  toutes  de  plus  véhémente  inclina- 
tion que  Aç:  les  srri'ir.  »  {Toussaint,  1649,  i"  p.;  —  «  Servir  notre  Dieu,  c'est 
régner,  "h  {Circoncision,  1653,  i*""  p.)  Ici  le  datif  eût  été  amphibologique. — «  Une 
autre  divinité  que  tu  sers.  »  (^S".  Victor,  1657,  i*""  p.)  Mais  ibid.  un  exemple  du 
ré^Mme  indirect.  —  <L  Nul  ne  peut  servir  deux  maîtres.  »  {Impénit. finale,  1662, 
I"  p.)  —  «  Afin...  que  l'empire  de  la  terre  serve  l'e?npire  du  ciel.  »  {Henriette 
de  Fr.,  1669.)  C'est  une  correction  :  les  deux  premières  éditions  avaient  :  «  serve 
tï  l'empire...  >  —  Malgré  ces  exemples,  la  forme  latine  est  la  plus  fréquente: 
«  Tous  les  éléments  changent  de  nature  pour  lui  servir.  »  {Félicité  des  SS., 
,5^8  )  —  «  L'aîné  servira  au  cadet.  »  {Zizanies.,  Ï652,  i^^"  p.)  —  «  Servir  aux 
créatures  inanimées.  »  {S"  Croix,  1653,  i*'"'  p.)  C.-à-d.  les  adorer.  —  i  Servir  au 
péché.  »  {Postîd.  Berîtardine,  1656,  i^^'  p.;  1659,  2'' p.) —  «  Servir  à  l'ambition.» 
{Fjficacité  de  la  Pénitence,  1662,  i*""  p.  ;  Hefiriette  d'Ans;!.,  1670).  —  «  Servi- 
teurs, servez  comme  à  Dieti.  »  {Cccci  vide?tt  de  1665,  addition  de  1668,  2^  p.) 

Bossuet  a  dit,  par  une  construction  analogue  :  <<'  Les  anges  et  les  hommes  sont 
sujets  à  Dieu.  >>  (///^  dim.  après  la  Petitecôte,  1655.) 

Seul  :  désert  :  «  Dans  une  telle  étendue  de  terres  j-^/^/^j-,incultes  et  inhabitées.» 
{Loi  de  Dieu,  1653,  i"  p.) 

Si  est-ce  néanmoins  que  (ou  si  est-ce  toutefois).  Locution  affirmative  :  il 
n'' est  pas  moins  vrai  que...,  usitée  seulement  au  commencement  de  la  première 
époque.  Voy.  I,  147  i^Bonté  et  rig.  de  Dieti,  1653,  x^"^  pO  ;  168  {8  sept.  1652, 
exorde)  ;  251  {Circoncision,  1653,  2^  exorde)  ;  282  {Les  deux  Alliances.,  ^653, 
exorde)  ;  317   {Loi  de  Dieu,  1653,  i^""  p.). 

Soi.  Usité  dans  beaucoup  de  cas  où  nous  mettrions  le  pronom  personnel:  «Si 
jamais  l'Angleterre  revient  à  soi.  ^Hewietie  de  Fr.,  1669.)  etc. 
Sol,  Sou.  Voy.  Fol. 

Solidement.  Adverbe  que  Bossuet  affectionne  dans  la  première  époque  : 
«  Pour  comprendre  solidement  combien  Dieu  honore  le  grand  saint  Joseph...» 
{Depositum  custodi,  1656,  i^""  p.)  —  «  Pour  entendre  solidement  la  grandeur  et  la 
dignité  de  la  vie  cachée  de  Joseph...  »  {Ibid.,  3=  p.)  etc.  —  Solide  et  solidité,  au 
moral,  étaient  aussi  en  grand  honneur  chez  Bossuet  et  ses  contemporains  : 
«  Telle  était  la  délicatesse,  ou  plutôt  telle  était  la  solidité àç^  ce  prince.  1){Condé, 
1687.) 

Sorte  (de)  :  comme  de  telle  sorte  :  «  Là  il  commença  à  vivre  de  sorte,  qu'il  fut 
bientôt  en  admiration  même  à  ces  anges  terrestres.  »  {S.  Bernard,  1653,  i^''p.) 
—  «  Cette  douleur  l'agitait  de  sorte,  qu'il  semblait  à  chaque  moment  qu'elle 
allait  rendre  les  derniers  soupirs.  »  {S^^  Thérèse,  1657,  2^  p.)  —  «  Vous  devez 
profiter  de  sorte  de  sa  parole  divine,  qu'il  paraisse  par  votre  vie  que...  »  {Parole 
de  Dieu,  1661,  2^  exorde.)  —  «  JÉSUS- Christ  lui  a  proposé  de  sorte  les  vérités 
nécessaires,  que  s'il  n'est  pas  capable  de  les  entendre,  il  n'est  pas  moins  disposé 
aies  croire.  »  {Cœci  vident,  1665,  ^"^^  P-) 

On  rencontre  pourtant,  et  dès  1651,  la  construction  actuelle  .  «  ...  Nous  unit 
^ç.  telle  sorte  avec  lui,  que...  »  {Rosaire,  1651,  2^  p.,  r'^  réd.) —  Et  concurrem- 
ment avec  l'autre  :  «  Ses  sens  étaient  de  telle  sorte  mortifiés,  qu'il  ne  voyait  plus 
ce  qui  se  présentait  à  ses  yeux.  »(5.  Bernard,  i"p.  Voy.  ci-dessus  un  exemple 


I 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  LIX 


différent.)  —  «  S'il  se  modère  de  telle  sorte,  qu'en  de'sirant...  il  ne  se  rende  point 
esclave...  »  {De THonneiir,  1658.) 

De  sorte  que,  avec  l'impératif,  dans  cette  phrase  :  «  De  sorte  qu'tn  méditant 
aujourd'hui  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge,  songez  que...  »  {8  septembre  1656, 
péror.) 

Soûler,  au  figuré  :  «  Après  qu'il  s'est  soûlé  de  douleurs  et  d'opprobres.  » 
{8  sept.  1652,  2«p.)  —  «  Ils  soûlaient  leurs  faux  dieux  de  spectacles  barbares  et 
de  sang  humain.  »  {S''  Croix,  1653,  i^""  p.)  —  «  Soûle  ta  vengeance.  »  {Démons 
1660,  2^=  p.)  —  «  Ce  Dieu  rassasié,  soûlé  d'opprobres.  »  {Hoftneur,  1660,  péror.) 
Le  premier  de  ces  mots  semble  trop  faible  à  l'auteur  pour  rendre  \g  Satura- 
bitiir  opprobriis  du  prophète.  —  Sans  figure  :  «  En  vain  t'es-tu  soûlé  à  cette 
table...  »  {Nécessités  de  la  vie,  1660,  2^  p.)  Mais  ce  passage  tout  entier  a  été 
supprimé,  quand  l'orateur  s'est  relu. 

Subjonctif.  Voy.  Latinismes.  —  Se  voit  avec  je  n'ignore  pas,  malgré  le 
sens  affirmatif  :  «Je  n'ignore  pas  que  vous  n'aînassiez  des  mérites.  »  {Visitation, 

1659,  i^-^  p.) 

Dans  les  vœux  et  imprécations,  dans  les  défis,  etc.,  il  peut  s'employer  sans 
conjonction  :  «  Plutôt  ma  langue  demeure  à  jamais  immobile,  que  de  prononcer 
une  parole  si  téméraire!  »  {Rosaire,  165 1,  exorde.)  —  «  Périssent  toutes  les 
pensées  que  nous  avons  données  aux  choses  mortelles,  mais  que  ce  qui  était 
né  capable  de  Dieu  soit  immortel  comme  lui  !  >>  {Toussaint,  1669,  3^  p.) 
«  Sache  la  postérité...  »  {Le  Tellier,  1686.) 

Succéder  :  réussir:  «  Lorsque  tout  leur  succède.  »  {Piovidence,  1656,  i"p.) 

Succès.  Il  fallait  ajouter  à  ce  nom  l'épithète  bon  ou  mauvais,  etc.,  pour  mar- 
quer l'issue  favorable  ou  non  d'une  entreprise:  «  Ils  leur  racontent  les  heureux 
succès  de  leurs  soins  et  de  leurs  conseils.  »  {Anges  gardiens,  1659,  2"  p.) 
«  La  bonne  cause  suivie  d'abord  de  bo7ts  succès.  »  {Henriette  de  Fr.,  1669.) 
«  Les  jfiauvais  succès  sont  les  seuls  maîtres  qui  peuvent  nous  reprendre  Li^ije- 
ment.  »  (Ibid.)  —  «  Enivré  du  bon  succès  de  ses  espérances.  »  {Pentecôte^ 
1672,  2^  p.) 

Supporter:  soutenir:  «  Si  ]ts\JS,nç^ supporte  son  infirmité.  »  {HP  dim.  après 
la  Pentecôte,  1655,  i^'^  p.)  C.-à-d.  ne  la  soutient. 

Supposer,  c'est  poser  pour  fondement,  poser  à  la  base  d'une  démonstration, 
passer  outre  à  une  vérité  comme  démontrée  :  «  Cela  étant  ainsi  supposé,  venons 
maintenant...  l>{De  P Hon?ieur,\6s^.)  —  «  Cette  distinction  étant  supposée.  »  (/'r^- 
vidence, 1662, i^''  p.,  var.) —  Et  encore:  «  Les  choses  étant  ainsi  supposées.  »  (Ibid.) 
<L — Je  supposerai  \7i  vérité,  assez  connue,  de  cette  doctrine...  »  {Justice,  1666, 
3''  p.)  —  Cf  I,  395  ;  II,  300,  305,  307  (ces  trois  exemples  dans  le  Panégynque 
de  S.  Paul)  ;  351,  352,  etc. 

Pour  le  sens  actuel  d'une  hypothèse,  Bossuet  disait  :  «  Posons  que,  faisons 
que...  »  {Cœci  vident,\(iz^i,  t,""  ^p.;  Prodigue,  1666,  2^  p.  ;  Toussaint,  1669.  3^  p.) 

Surmonter.  —  Comme  endurer,  etc.,  ce  verbe  se  prenait  quelquefois  abso- 
lument :  «  Il  croit  (.\\x''\\  surmo7itera  dans  les  combats,  parce  qu'il  n'a  point  d'ar- 
mes pour  se  défendre.  '^{S.  Paul,  1657,  i""  exorde.)  —  «  Nous  surmontons  en 
toutes  ces  choses...  »  {Pe?itecote,  1658,  r'""  p.)  S'emploie  aussi  activement  (^//vr/.,) 

Tant  y  a  que,  comme  toujours  est-il  que  {Vendredi-Saint,  1660,  3'-"  p.) 

Température,  comme /^w;^6VtfWé'«/.-«  \]nt  température  àtcoxi^s...  >  {Bonté 
et  rig.  de  Dieu,  1652,  i'-''  p.  ;  Norl,  1656,  i"-"""  p.) 

Tenir,  avec  un  adjectif  (haberc)  :  «  Cette  rencontre  {c.-à-d.  cette  circon- 
stance) fit  qu'Abraham  le  tenait  plus  cher  sans  comparaison...  ^  {Rosaire,  1651, 
i'^'"  p.)   —  «  Tienttetit  cette  grâce  plus  chère...  >  {Cccci  l'ident,  1653,  3*"  p.) 

Tout,  devant  un  adjectif,  était  primitivement  adjectif  et  non  adverbe.  L'o- 


LX  REMARQUES 


reille,  qui  se  souvenait  de  cette  r6i;le,  a  obligd  nos  grammairiens  à  conserver 
l'accord  au  fc^miiiin  devant  une  consonne  ou  une  aspirde.  Ordinairement,  dans 
les  manuscrits  de  Bossuct,  le  masculin  varie  aussi  au  pluriel,  et  le  féminin  au 
singulier  :  <  'A?///.- entière.  >  (Passim.)  —  «  Ni  les  patriarches,  ni  les  séraphins 
tout  brillants  (tous)  briUans  d'intelligence,  tout  brûlants  (tous  bruslans)  d'a- 
mour... »  {Ascension,  1654,  r  p.)  —  (<.  Une  sainte  société  de  désirs  tout  (tous) 
spirituels.  >  {S.  foseph,  1656,  i^^p.)—  «  Ces  beaux  mots  de  Tertullien,  qui  sont 
tout  (tous)  faits  pour  notre  sujet.  ^>  {S"'  Thérhc,  1657,  i'^'  p.)  Les  habitudes  de 
l'auteur  aident  ici  ;\  trouver  le  vrai  sens.  —  Il  faut  de  même  en  tenir  compte 
pour  interpréter  ces  phrases  :  «  Des  hommes  tout  (tous)  de  terre  et  de  boue...» 
{Loi  de  Dieu,  1653,  péror.)  —  «  Venez  vous  voir  tout  (tous)  tels  que  vous  êtes.  » 
{Haine  de  la  vétité,  1661,  3=  p.)  —  «  Tout  prêts  (Tous près ts)  à  vous  avouer  ce 
qu'il  vous  plaira,  pourvu  que  vous  les  laissiez  agir  à  leur  mode.  »  {Cœci  vident, 
1665,  V  p.)  Toutefois  le  même  sermon  contient  :  «  Tout  plongés  qu'ils  sont 
dans  les  choses  basses.  »  «Ibid.»  ;  et  on  lit  de  même  en  1662  :  «  Les  biens  tout 
purs...  »  {Providence,  1662,  2'' p.)  —  C'est  une  anticipation  sur  la  règle  actuelle; 
il  y  en  a  peu  d'exemples.  —  On  trouve  encore  plus  tard  :  «  Telle  est  la  joie  des 
bienheureux...,  dont  les  transports  sont  inconcevables  et  les  excès  tout  (tous) 
divins.  »  {Toussaint,  1669,  3^  p.) 

Sur  ce  point,  comme  sur  quelques  autres,  nous  nous  sommes  gardé  de  repro- 
duire une  orthographe,  ou,  si  l'on  veut,  une  syntaxe,  qui  aurait  fait  illusion  aux 
lecteurs  sur  le  véritable  sens  de  certains  passages.  Lâchât  conservait  toute  en- 
tihe,]Q  ne  sais  pourquoi.  Il  fallait  donc  aussi  mettre  au  pluriel  :  toutes  entières, 
comme  Bossuet  l'écrivait  {Bonté  et  rig.  de  Dieu,  1652,  2*=  p.),  et  au  masculin  : 
tous  entiers.  {Novissiina  inimica...,  1669,  3^  p.)  Ce  système  aurait,  nous  le 
savons,  quelques  partisans.  Pour  nous,  nous  avons  préféré  renvoyer  dans  les  notes 
ces  particularités. 

Tout,  joint  aux  adverbes  :  «  Tout  visiblement.  »  {S.  François  de  Paule,  1655  ; 
Nécessités  d.^  la  vie,  1660,  2^  p.) 

Tout  ai?isi  que  {Scapulaire,  1653,  i^""  p.  ;  Vêture,  2  février  1654,  etc.).  Se 
retrouve  exceptionnellement  en  166 1  :  «  Toiit  ainsi  qu'un  songe.  »  {Ambition, 
1661.) 

Tnit...  que,  avec  l'indicatif,  non  le  subjonctif.  {S.  Jean,  1658,  i^"^  p.  fin,  var.) 

Du  tout,  sans  négation  :  «  Cela  est  du  tout  admirable.  »  {Purification,  1653, 
I"  p.) 

Traductions  de  l'Écriture.  —  Par  respect,  Bossuet  les  fait  volontiers  litté- 
rales, et  souvent  plus  archaïques  que  le  contexte  qui  les  encadre.  C'est  pour  cela 
qu'il  dit,  même  dans  la  grande  époque  (en  1665  et  1668,  IV"  dim.  de  PAvent)  : 
«  Des/ruits  dignes  de  pénitence  ;  »  et  non  :  de  dignes  fruits.  Il  pense  à:  Fruc- 
tus  dionos  pœnitentiœ  (Luc,  m,  8).  —  «  Dieu  était  en  Christ  {in  Christo,  II  Cor., 
V,  19),  se  réconciliant  le  monde.  »  {Vendredi- Saint,  1661,  3^  p.)  —  «  C'est  où 
V Esprit  nous  assure  que  nous  nous  reposerons  à  jamais  de  toutes  nos  peines.  » 
{Toussaint,  1669,  3^  p.)  Le  mot  saint  n'est  point  à  suppléer  avant  ou  après  Es- 
prit, comme  le  veulent  les  éditeurs  :  Amodo  jani  dicit  Spiritus...  (Apoc,  XIV, 
Ï3-)  —  ^<  Il  (Dieu)  pleutsm  les  justes  et  les  injustes.  »  [Ipsum  audite,  1660,  i^""  p.) 
Cf  Marc,  v,  45.  —  «/^  pleuvrai,  dit-il,  des  pains  du  ciel  :  Ecce  egopluam  vobis 
panes  de  cœlo.  »  [Exod.,  XVI,  4.]  {Deus  tentavit  eos,  1663,  2^  exorde.)  —  «  En  ce 
tien  jour.  »  {Bonté et  rig.  de  Dieu,  1652,  texte.)  In  hac  die  tua.  —  «  Il  a  voulu 
appréhender  la  nature  humaine.  »  {Ibid.,  i"  p.  Voy.  la  note,  I,  142.)  —  «  Sous 
un  Dieu  si  bon  et  si  bienfaisant,  ...  dont  les  infinies  misératioîis  éclatent 
magnifiquement  par  dessus  tous  ses  autres  ouvrages.  »  {Anges  gardiens,  1659, 
1"  p.)  Cf.  Ps.  CXLIV,  9:  Miserationes  ejus...  --«  C'est  Dieu  même  qui  est 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  LXI 

primitivement  en  ruine  et  en  résurrection  au  genre  humain...»   {Noël^   ^692, 
exorde.)  Cf.  Ltic,  11,  34.  —  «...  Qu'il  secoue  la  terre  et  la  brise,  et  qu'il  gucrit  en 
un  moment  toutes  s^s  brisures.  »  {Palatine^  1685.)  Réminiscence  du  Ps.  XLix,  4  : 
Sana  contritiones  ejus.  —  De  même  quelquefois  pour  les   Pères,  ou  pour  les 
expressions  de  la  Liturgie  :  «  Qu'elle  (la  grâce)  est  douce,   accommodante  et 
co7itempérée.  »  {Vaines  excuses^  1660,  i^""  p.)  <i  Permettez-moi,  ajoute  Bossuet, la 
nouveauté  de  ce  terme  :  je  n'ai  pu  rendre  d'une  autre  manière  ce  beau  comein- 
perata  de  saint  Augustin.  »   —  Voy.  CouLPE,  Dominer,  Latinismes,  Ser- 
vir A,  etc.  —  Du  reste,  lorsque  les   paroles   sacrées  viennent  d'elles-mêmes 
former  la  trame  du  discours  de  Bossuet,  elles  prennent  souvent  la  grande  et 
majestueuse  allure  de  son  style.  On  trouvera  plus  d'une  fois  un  texte  d'abord 
traduit  littéralement,  et  avec  une  scrupuleuse  exactitude,  à  laquelle  l'élégance 
est  à  dessein  sacrifiée,  puis  ramené  plus  loin  non  plus  avec  le  calque  des  termes 
originaux,  mais  avec  les  mots  les  plus  expressifs  de  notre  langue.  La  citation 
d'un  ou  plusieurs  mots  grecs  n'a  ordinairement  d'autre  but  que  de  justifier  une 
interprétation.  Un  autre  détail  montre  jusqu'où  allait  chez  Bossuet  le  souci  in- 
stinctif de  la  fidélité.  Dans  les  formules  qui  terminent  ses  avant-propos,  s'il  invite 
ses  auditeurs  à  réciter  les  paroles  de  l'Ange,    il  dit:  Ave^  gratia  plena,  et  non  : 
Ave^  Maria.. .^  ce  mot  ne  se  trouvant  pas  dans  la  phrase  évangélique  {Luc.^  i,  28). 
Travers  (A).   Est  rare  sans  de  :  i.  A  travers  de  tant  de  nuages.  »  {8  sept. 
1652,  3*^  p.)  —  «  Quelle  involution  d'affaires  épineuses  !  et  à  travers  de  ces  affaires 
tt  de  ces  épines,  que  de  péchés...  »  {Impénit.Ji?tale^   1662,  2®  p.)  —  «  Celui-là 
doit  être  plus  qu'homme,  qui,iz  travers  de  \.2Lni  de  coutumes  et  rt'^  tant  d'erreurs..., 
a  su  démêler  au  juste  et  fixer  précisément  la  règle  des   mœurs.  »  {Cœci  vident .^ 
1665,  2^  p.)  —  «  On  ne  voit  plus  les  vérités  de  la  religion  ni  les  terribles  jugements 
de  Dieu  que  comme  à  travers  rt^'un  nuage  épais.  »  {Hora  est^  1669,   i"  p.)  — 
«  Cherchant  la  Terre  promise  à  travers    ^'un  désert    immense.  »   {Unité  de 
P Eglise,  1681,  exorde.) 

Mais  :  «  A  travers  l'obscurité  de  nos  connaissances.  »  {Mort,  1662,  2^  p.)  De 
est  même  effacé  au  manuscrit. 

Troupe  :  la  foule  :  <l  La  troupe  répondit  et  dit  au  Sauveur...  »  {Médisance, 
1658,  texte.)  —  «  Déjà  les /rf72//^j- se  pressent  pour  écouter  sa  parole.  l>{S.A7idré, 
1668,  début.)  Édit.  les  foules. 

Vaisseau  :  vase  :  «  Une  pareille  folie  que  si  vous  vouliez  remplir  un  vaisseau 
d'une  liqueur  qui  ne  peut  y  être  versée.  »  {Martha...,  1655,  i^""  p.)  —  «  La  joie 
du  ciel  y  est  entrée  cette  nuit,...  mais  comme  dans  ummisseau  corrompu  et  déjà 
rempli  d'autres  joies.  »  {Noël,  1669,  addition  au  sermon  de  la  Circoncision, 
1668,  3«  p.),  etc. 

Vastité.  L'auteur  risquait  un  jour  ce  mot  :  mais  il  l'a  remplacé  par  immensité, 
et  en  a  fait  une  variante.  {Toussaint,  1669,  3*^  p.) 
VÉGÉTANTE  :  «  La  nature  végétante.  »  {Démons,  1653,  r'  p.) 
Vêtir,  revêtir.  Bossuet  hésite  sur  l'indicatif,  l'impératif  et  le  subjonctif  de 
ces  verbes:  «  Le  Verbe  se  revêt...  »  Corrigé,  peut-être  plus  tard  :  revctit{rcues- 
tit).  {A7inonciation,  1655,  2*=  p.)  —  Que  JÉSUS-Christ  vous  revête  à  sa  mode.  » 
{Postul.  Bernardine,  1659,  3'"  p.)  —  «  Quand  vous  verrez  un  homme  nu,  rcvê- 
tissez-le.  »  (Fragment  joint  à  la  Compassio?i,  1663,  mais  se  rapportant  plutôt  au 
sermon  sur  V Aumône,  1666.)  —  «  Quiconque  s'oppose  à  la  vérité..,,  se  revêtit 
d'un  esprit  de  Juif.  »  {Haine  de  la  vérité,  1666,  r''  p.) 

Vieux.  Dans  sa  première  jeunesse,  Bossuet  dit  :  le  Vieux  Testament,  comme 
le  vieux  peuple.  {Ascejtsion,  1654,  i"^^' p.)  —  En  1658:  «  Les  exemples  de /'^//tvW/ 
et  du  Nouveau  Testament.  »  {Canevas  sur  la  Pénitence,  Mission  de  Metz.)  — 
Vieux  Testament  reparaît  pourtant  en  1660.  {Sur  les  Rechutes,  r'  p.) 


LXII  REMARQUES 


—  I':n  i66o,  ayant  appelé  le  diable  :  ce  vieux  adultère^  il  corrige  :  «  Ce  vieil 
adultère.  >  {P/tnons,  1660,  2"  p.) 

V'iri:,  adjectif:  <!-  J'ai  vu  que  l'on  ne  commet  pas  ordinairement  la  course  aux 
plus  7'ites...  »  '^Providence,  1662,  i'»"  p.)  —  «  Ni  les  chevaux  ne  sont  vîtes,  ni 
les  hommes  ne  sont  adroits,  que  pour  fuir  devant  le  vainqueur.  »  {Palaiifte, 
1685.)  —  «  Aussi  vite  et  impétueuse  était  l'attaque,  aussi  fortes  et  inévitables 
étaient  les  mains  du  prince  de  Condé.  »  {Condé,  1687.)  —  «  Plus  vites  que  les 
aigles,  i)lus  courageux  que  les  lions.  »  (Ibid.) 

VivRK,  Survivre.  Ces  verbes  font-ils  à  l'imparfait  du  subjonctif:  qti'il  véquît^ 
survéquit,  ou  qu^il  vécût,  survécût?  M.  Jacquinet  adopta  la  première  de  ces 
formes  dans  \ Oraison  funèbre  de  Henriette  de  France  (p.  67)  ;  et  elle  est  auto- 
risée par  l'exemplaire  (imprimé)  de  la  Bibliothèque  nationale.  D'autres  exem- 
ples, tirés  des  manuscrits,  sont  en  sens  contraire  :  «  Ainsi  il  naquit,  ainsi  il  vécut, 
ainsi  il  mourut.  ^  {Purijîcatioti,  1653,  2"-"  p.)  C'est,  il  est  vrai,  l'indicatif;  mais  le 
subjonctif  imparfait  en  dérive.  D'ailleurs  :  <L  II  fallait  qu'zV  vécût  {ttescut)  en  ce 
monde  comme  un  exemplaire  achevé  d'une  inimitable  perfection.  »  {Loi de  Dieu, 
1653,  v'^  p.)  —  ^11  était  convenable...  que...  ceux  qui  ont  précédé  l'accomplis- 
sement vécussent  (tiescîissent)  dans  l'attente  de  ce  bonheur.  »  {Les  deux  Alli- 
ances, reprise,  1654.)  —  Bossuet  a-t-il  modifié  ce  point  en  vieillissant  ?  ou  bien 
le  sutvéquit  serait-il  le  fait  de  l'imprimeur.?  Il  était  admis  par  Vaugelas. 

Voici,  voila,  pris  quelquefois  l'un  pour  l'autre.  {Rosaire,  1657,  texte.) 

VOLERIES  :  «  Unies...  par  la  société  de  crimes  et  de  voleries.  »  {Bonté et  rig. 
de  Dieu,  1652,  2°  p.)  —  «  Nous  enrichir...  par  des  voleries.  »  {S.  Bernard,  1653, 
2*-'  p.)  —  «  Ces  biens  que  vous  amassez  par  des  voleries.  »  {Postul.  Bernardine, 
1656,  I-  p.) 

On  trouve  de  même:  «  Ville...  qu'eux-mêmes  avaient  désolée  par  leurs ///- 
leries.  »  {Bonté et  rig.  de  Dieu,  1652,  2*"  p.) 

Vouloir.  Bossuet  a  conjugué,  au  moins  une  fois,  au  subjonctif:  qtie  je  veule. 
{Scapulaire,  1653,  i^''p.)  Peut-être  est-ce  un  lapsus.  Nous  avons  reporté  cette 
forme  dans  les  notes.  »  —  Ailleurs  :  veuille. 

Au  contraire  :  'Z/<?w/«?2'  est  un  impératif  régulier,  et  nullement  synonyme  de 
veuillez.  Nous  le  conservons  par  conséquent  :  «  Voulez-le,  ne  le  voulez  pas, 
votre  éternité  vous  est  assurée.  »  {Toitssaint,  1669,  3^  p.) 


AVIS. 

Le  portrait  de  Bossuet  que  contient  ce  volume  a  été  gravé  sur  cuivre  par 
M.  H.  Manesse,  d'après  le  très  curieux  tableau  de  Mignard,  que  possède  le  Grand 
Séminaire  de  Meaux.  D'anciennes  gravures,  de  Nanteuil  et  de  Poilly,  y  ressem- 
blent beaucoup  plus  qu'au  Rigaud  du  Louvre,  où  Bossuet  a  75  ans.  Il  en  a  ici 
trente  de  moins.  En  attendant  le  moment  de  donner,  nous  aussi,  le  Bossuet  de 
la  dernière  époque,  nous  en  reproduirons  un  autre,  également  de  Rigaud,  qui 
fait  transition.  Fénelon,  dans  la  Lettre  à  P Académie  (x),  loue  les  deux  artistes 
dans  la  même  phrase  :  «  Blâmer  Homère  d'avoir  peint  fidèlement  d'après  na- 
ture, c'est  reprocher  à  M.  Mignard,...  à  M.  Rigaud,  d'avoir  fait  des  portraits 
ressemblants.  » 

On  remarquera  sur  ce  visage  la  «  douceur  charmante  »,  dont  les  contempo- 
rains, et  particulièrement  Saint-Simon,  parlent  à  plusieurs  reprises  {Écrits 
inédits  de  Saint-Simon,  publiés  par  P.  Faugère,  II,  483,  486)  ;  cette  «candeur» 


SUR  LA  GRAMMAIRE  ET  LE  VOCABULAIRE.  LXIII 

que  Massillon  ne  manque  pas  de  remarquer  dans  \!  Oraison  funèbre  du  Dauphin. 
Un  poète  célébrait  ainsi  Bossuet  Précepteur  : 

Proximus  ingreditur  Bossuetus,  quem  sua  nuper 

Usque  poli  sacras  virtus  evexit  ad  arces. 

Ille  unus  Phsebo  similis  vocemque,  oculosque, 

Et  placidos  vîtlhis,  et  natam  ad  grandia  mentem, 

Infert  se  sublimis,  et  immortalia  pulchro 

Ore  tonans  laie  populis  oracula  fundit. 

(Jean  Belleville,  1671.  Cité  par  Floquet,  Bossuet  précepteur  du  Dauphin^ 
p.  126.) 

La  signature  qu'on  lit  au  bas  du  portrait  a  été  ajoutée  d'après  un  autographe 
du  temps,  obligeamment  communiqué  par  M.  F.  Lacointa. 

—  Des  accidents  à  peu  près  inévitables  dans  une  publication  de  longue  ha- 
leine, au  moins  dans  une  première  édition,  nous  obligeront  à  faire  des  Errata, 
Nous  avions  cependant  été  aidé  dans  la  correction  des  épreuves  par  notre  dé- 
voué collègue  du  Petit-Séminaire  du  Mont-aux- Malades,  l'abbé  Tougard,  docteur 
ès-lettres.  Sa  collaboration  nous  a  été  particulièrement  précieuse  pour  la  recti- 
fication des  citations  de  l'Écriture,  Faites  de  mémoire,  elles  contenaient  des 
inexactitudes  fréquentes,  qu'il  est  bien  inutile  de  perpétuer.  Nous  avons  indiqué 
en  note  la  leçon  du  manuscrit,  après  l'avoir  corrigée,  quand  il  y  avait  lieu. 

—  On  trouvera  dans  ce  volume  trois  fac-similé  de  l'écriture  de  Bossuet. 


i 


EXORDE    d'un    sermon 


SUR    LE    JUGEMENT    DERNIER 


Écrit  au  Collège  de  Navarre,   1643. 


Après  avoir  examiné  l'original  de  ce  curieux  fragment  dans 
le  cabinet  de  M.  Choussy  ('),  après  en  avoir  retourné  dans 
tous  les  sens  le  fac-similé,  publié  chez  Palmé  en  1884  (-),  je 
demeure  convaincu  que  cette  pièce,  d'aspect  unique  à  certains 
égards,  est  le  plus  ancien  autographe  de  Bossuet  qui  nous  soit 
parvenu. 

J'ai  démontré  (Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet^  p.  52) 
que  les  pensées  et  les  expressions  sont  bien  du  grand  orateur.  J'ai 
constaté  également,  ce  que  personne  ne  nie  d'ailleurs,  que  de  nom- 
breuses surcharges,  ajoutées  en  1665,  sont  du  même  trait  que  le 
sermon  sur  le  Jugement  dernier.  Et  comme  on  pourrait  se  demander 
si  Bossuet  n'a  pas  dicté  cette  page  à  quelque  secrétaire  inconnu, 
nous  avons  remarqué  qu'en  1665  il  n'aurait  pas  appelé  Philippus, 
le  père  «  du  grand  Alexandre  »  ;  au  contraire  ces  latinismes  abon- 
dent dans  les  essais  de  sa  jeunesse.  A  ces  raisons,  et  aux  autres, 
développées  dans  l'Appendice  (p.  444)  de  l'ouvrage  cité,  ajoutons 
ici  qu'indépendamment  des  corrections  de  1665,  que  nous  repro- 
duirons à  leur  date,  on  en  lit  plusieurs  autres,  beaucoup  moins 
différentes  de  la  première  rédaction.  Là,  dans  une  écriture  un  peu 
plus  serrée  par  défaut  d'espace,  se  reconnaît  indubitablement  le 
type  ordinaire  des  manuscrits  de  la  première  époque,  celui  surtout 
des  annotations  rapidement  tracées. 

D'ailleurs  le  manuscrit  sur  le  Péché  d'habitude,  le  plus  ancien 
après  celui-ci,  et  dont  nous  donnons  ci-après  un  fac-similé,  est,  lui 
aussi,  d'aspect  unique  ;  et,  chose  remarquable,  il  forme  transition 
entre  celui  de  notre  exorde  et  tous  les  autres.  Concluons  donc  que 
nous  avons  ici  un  reste  précieux  des  compositions  de  Bossuet 
écolier.  Ce  n'est  pas,  croyons-nous,  celle  qu'un  bon  mot  de  Voiture 
rendit  célèbre  (3),  mais  une  seconde,  dont  parle  aussi  Ledieu,  dans 
ses   Mémoires  \^).   Écrite   à   la  demande  de   Cospéan,   évoque   de 

1.  A  Rongères  (Allier). 

2.  A  la  suite  du  sermon  de  1665  sur  le  Jugement  der)ner. 

3.  Bossuet  était  dans  sa  seizième  année,  quand  il  récita,  à  l'hôtel  de  Ram- 
bouillet, son  premier  discours.  On  le  lui  avait  fait  écrire,  dit  Ledieu,  «  en 
l'enfermant  seul  et  sans  livres  ».  L'dprcuve  terminée,  il  était  près  de  minuit. 
Cela  fournit  h.  Voiture  l'occasion,  dont  il  fut  tout  heureux,  de  s'écrier  cju'il  n'avait 
jamais  ouï  prêcher  ni  si  tôt  ni  si  tard.  (Cf.  Tallcmant  des  Koauv,  Histo)  iettes, 
xcxiv.) 

4.  Page  19. 


SUR   I.K    IIHIKMKNT   I  )I:RNIKR.  EXORDE. 


Lisicux,  clic  fut  prononccc  à  l'hôtel  de  Vendôme,  presque  aussi  tôt, 
mais  non  pas  si  tard. 


Tu  lie  vidcbunt  l'^iliuin  Jionnuis  Te- 
7ncntcm  in  niibc  cum  poiestate  7?îagna 
cl  viajcstaic.  {Luc,  XXI,  27.) 

IL  y  a  cette  (')  différence  parmi  beaucoup  d'autres  entre 
la  gloire  de  Jésus-Christ  et  celle  des  grands  du  monde, 
que  la  bassesse  étant  en  ceux-ci  du  fonds  de  la  nature, 
et  la  gloire  accidentelle  et  comme  empruntée,  aussi  l'élé- 
vation est-elle  suivie  d'une  chute  inévitable  et  qui  n'a 
plus  (')  de  retour;  et  au  contraire  en  la  personne  du  Fils 
de  Dieu,  comme  la  grandeur  est  essentielle  et  la  bassesse 
étrangère,  ses  chutes  qui  sont  volontaires  sont  suivies 
d'un  état  de  gloire  certain  et  d'une  élévation  toujours 
j)ermanente.  Écoutez  comme  parle  l'Écriture  Sainte  de  ce 
orand  roi  de  Macédoine,  dont  le  nom  même  semble  ne 
respirer  que  des  victoires  et  des  triomphes  :  «  En  ce 
temps,  Alexandre,  fils  de  Philippus  (3),  surmonta  des  ar- 
mées presque  invincibles,  prit  des  forteresses  imprenables, 
triompha  des  rois,  subjugua  les  peuples,  fit  trembler  tout 
l'univers  au  bruit  de  son  nom.  »  Que  ce  commencement 
est  pompeux  !  Mais  voyez  la  conclusion  :  «  Et  après  cela, 
il  tomba  malade,  et  se  sentit  défaillir,  et  il  vit  sa  mort 
assurée,  et  il  partagea  ses  États  que  la  mort  lui  allait 
ravir,  et,  ayant  régné  douze  ans,  il  mourut  !  »  C'est  à  quoi 
aboutit  cette  gloire  :  là  se  termine  l'histoire  du  grand  Alexan- 
dre. L'histoire  de  Jésus-Christ  ne  commence  pas,  à  la  vérité, 
si  pompeusement;  mais  elle  ne  finit  pas  aussi  par  cette  néces- 
saire décadence.  II  est  vrai  qu'il  y  a  des  chutes  (^)  :  il  est 

1.  Orthographe  de  quelques  mots  sujets  à  modifications  :  ceste  (cette),  mesme, 
parestre,   apparoistra,   connoissance,  fciblesse,    en   suitte  (ensuite),  temps. 

2.  Var.  point. 

3.  Ms.  Phillippus. 

4.  Il  est  souvent  question  de  ces  chutes  sublimes  dans  Bossuet.  Nous  les  re- 
trouvons non  seulement  dans  la  reprise  de  cet  exorde,  en  1665  (i^""  dim.  de 
l'Avent),  mais  encore  :  i*'  dans  une  première  rédaction  d'un  passage  du  second 
point  du  panégyrique  de  saint  Paul  ;  2°  dans  le  sermon  sur  le  Rosaire  (octobre 
'^57)  ;  3°  dans  le  premier  point  d'un  sermon  pour  la  Quinquagésime  :  Ipsi  vero 


SUR  LE  JUGEMENT  DERNIER.   EXORDE. 


comme  tombé  du  sein  de  son  Pcre  dans  celui  d'une  femme 
mortelle,  ensuite  dans  une  étable,  et  de  là,  par  divers  degrés 
de  bassesse,  jusqu'à  l'infamie  de  la  croix,  jusqu'à  l'obscurité 
du  tombeau.  Mais  c'est  là  qu'il  commence  à  se  relever  :  il 
ressuscite,  il  monte  aux  cieux,  il  y  entre  en  possession  de  sa 
gloire  ;  et  afin  que  cette  gloire  qu'il  y  possède  se  déclare  à 
tout  l'univers,  il  en  descendra  un  jour  en  grande  pompe  et 
majesté  pour  juger  les  vivants  et  les  morts. 

C'est  ce  mystère,  messieurs  ('),  que  l'Eglise  a  dessein  de 
nous  faire  aujourd'hui  remarquer,  lorsque  dans  ce  temps 
consacré  à  la  première  venue  de  Notre-Seigneur  dans  la 
faiblesse  de  notre  chair,  elle  nous  fait  lire  d'abord  l'évangile 
de  sa  gloire  et  de  son  avènement  magnifique,  afin  que  nous 
contemplions  d'une  même  vue  ces  états  dissemblables  dans 
lesquels  il  lui  a  plu  de  paraître  au  monde,  premièrement 
le  jouet,  et  ensuite  la  terreur  de  ses  ennemis;  là  jugé  comme 
un  criminel,  ici  juge  souverain  de  ses  juges  mêmes.  Sui- 
vons, messieurs,  ses  intentions  ;  avant  que  de  contempler 
combien  Jésus-Christ  est  venu  faible,  considérons  aujour- 
d'hui combien  il  apparaîtra  redoutable  ;  et  prions  la  divine 
Vierge,  dans  laquelle  il  s'est  revêtu  de  nos  bassesses,  de 
vouloir  nous  obtenir  la  connaissance  du  mystère  de  sa  gloire, 
en  lui  disant  avec  l'Ange  ('):  [Ave,  gratia  plena?^ 

nihil...  (1667);  4°  au  début  du  panégyrique  de  saint  Thomas  de  Cantorbcry 
(1668)  ;  5"  dans  une  courte  esquisse  d'un  panégyrique  de  saint  François  d'Assise 
(octobre  1670). 

1.  Ces  mots  sont  illisibles  dans  le  fac-similé,  fait  au  trait;  mais  nous  les  avons 
lus  très  distinctement  sur  l'original. 

2.  On  comprend  que  l'évêc|ue  de  Lisieux  ait  été  si  enthousiasmé  par  le  dis- 
cours qui  débutait  ainsi,  qu'il  voulut  présenter  à  la  reine  Anne  d'Autriche  auteur 
et  discours.  Toutefois  ce  projet  ne  put  se  réaliser.  (Voy.  P'ioquet,  Etudes... 
I,p.  II.) 


*M 


Sur    le   PÉCHÉ    D'HABITUDE  ('). 

Vois   16 '+6. 


^  Vers   115 '+(3.  ^;r 

On  lit  sur  le  manuscrit  cette  note  effacée:  â/.  de.  Sarlat.  Elle 
siL^nifie  (jue  Bossuet  écrit  cette  es(iuisse  après  avoir  entendu  un 
scnnon  cle  révécjue  de  Sarlat,  Jean  de  Lingendes,  qui  prêcha  à  la 
Cour  le  Carême  de  1645,  et  les  (juatre  stations  suivantes.  (Voy. 
Gandar,  Bossuct  orateur,  p.  /  ;  Jacquinet,  Les  Prédicateurs  du 
A' /VA  siècle  avant  Bossuet,  p.  256;  Hurcl,  Les  Orateurs  sacrés  à  la 
Cour  de  Louis  XIV,  Introd.,  XI,  et  I,p.  5  ;  et  notre  Histoire  critique, 
p.  120.) 


Erat  aictein  œi^er  /ri  oint  a 
ûctfl  ajiiios  habens  in  itifirmi- 
tate  sua.  {Joan.^  V.) 

PAR  ce  malade  est  fort  bien  représenté  le  pécheur 
endurci  qui  vieillit  dans  sa  maladie  et  dans  sa  cor- 
ruption. C'est  la  plus  dangereuse  maladie  des  chrétiens, 
et  par  conséquent  qui  a  besoin  d'être  traitée  avec  une 
très  grande  et  très  exacte  diligence.  Or  pour  traiter  une 
maladie,  il  faut  premièrement  en  connaître  les  principes 
et  la  nature  ;  ensuite  il  en  faut  remarquer  et  découvrir 
les  suites  ;  et  enfin  il  faut  choisir  les  remèdes  les  plus 
convenables. 

PREMIER   POINT.    LA    NATURE   DU    PÉCHÉ   D'HABITUDE. 

Le  péché  a  cela  de  propre  qu'il  imprime  une  tache  à  l'âme, 
qui  va  défigurant  en  elle  toute  sa  beauté,  et  passe  l'éponge 
sur  les  traits  de  l'image  du  Créateur  qui  s'y  est  représenté 
lui-même.  Mais  un  péché  réitéré,  outre  cette  tache,  produit 
encore  dans  l'âme  une  pente  et  une  forte  inclination  au  mal  ; 
à  cause  qu'entrant  dans  le  fond  de  l'âme,  il  ruine  toutes  ses 
bonnes  inclinations,  et  l'entraîne  par  son  propre  poids  aux 
objets  de  la  terre. 

L'Écriture  se  sert  de  trois  comparaisons  puissantes 
pour  exprimer  le  danger  de  cette  maladie  :  Induit  male- 
dictionem   sicut   vestinieiitttm,  et  intfavit  sicut  aqua  in  inte- 

I.  Mss.  12822,  f.  1 10. 


SUR  LE  PÉCHÉ  d'habitude. 


riora  ejtis,  et  sicut  oleum  in  ossibus  ejus  ('').  La  malédiction 
est  dans  le  pécheur  par  habitude  comme  le  vêtement,  parce 
qu'elle  emplit  tout  son  extérieur,  toutes  ses  actions,  toutes 
ses  paroles:  sa  langue  ne  fait  que  débiter  le  mensonge; 
elle  entre  comme  l'eau  dans  son  intérieur,  et  y  va  corrompre 
ses  pensées,  en  sorte  qu'il  n'en  a  plus  que  celles  de  son 
ambition,  etc.;  et  enfin  elle  (')  pénètre  comme  Thuile  dans 
ses  os,  c'est-à-dire,  dans  ce  qui  soutient  son  âme  et  lui 
donne  sa  solidité.  Il  étouffe  tous  les  sentiments  de  la  foi, 
car  enfin  tout  s'évanouit  dans  ces  grandes  attaches  qu'il  a  au 
péché;  ruine  l'espérance,  car  tout  son  espoir  est  dans  la 
terre  ;  étouffe  la  charité,  car  l'amour  de  Dieu  ne  peut  point 
s'accorder  avec  l'amour  des  créatures.  Ou  bien  le  vêtement 
marque  l'adhérence  (^);  l'eau,  l'impétuosité;  l'huile,  une  tache 
qui  se  répand  partout  et  ne  s'efface  quasi  jamais.  C'est  donc 
une  grande  maladie  que  le  péché  d'habitude  ;  et  pour  recon- 
naître si  elle  est  en  nous,  cette  maladie,  si  nous  péchons  par 
habitude,  il  faut  peser  trois  choses,  mais  sans  se  flatter. 

Premièrement,  si  vous  faites  le  mal  avec  plaisir  ;  car  tout 
plaisir  est  conformité  à  quelque  nature;  or  il  est  certain  que 
le  péché  n'a  pas  de  soi  cette  conformité  avec  votre  nature,  il 
faut  donc  que  la  réitération  du  péché  ait  fait  en  vous  une 
autre  nature,  et  cette  autre  nature  c'est  la  coutume.  Oui 
pèche  donc  souvent  avec  plaisir,  celui-là  pèche  d'un  péché 
d'habitude,  c'est  un  pécheur  endurci. 

Secondement,  péchez-vous  sans  remords  de  conscience  ? 
car  le  remords  de  conscience  est  une  suite  de  la  réflexion  : 
or  pécher  souvent  sans  réflexion,  c'est  marque  de  la  grande 
inclination  qu'on  y  a,  et  que  la  face  du  péché  ne  nous  semble 
plus  farouche:  nous  y  sommes  accoutumés.  Exemple:  David 
a  fait  deux  grands  crimes  ;  l'un  le  dénombrement  de  son  peu- 
ple :  dans  celui-là  il  ne  péchait  pas  par  habitude;  car  il  ne  l'a 
fait  qu'une  fois.  C'est  pourquoi  incontinent:  Perciissil  (  )  a?;' 
David  euvî  {^')  \  voilà  le  remords.  Mais  dans  son  adultère, 
qui  dura  un   an,  son   cceur   ne  le   frappe  plus  :  au  contraire. 

a.  Pj.,  cvni,  i8.  —  h.W  Rcii:,  xxiv,  lo. 

1.  M  s  il  pdnotrc  (distraction). 

2.  Edit.  inar(|uc  l.i  tyrannie.  (lîizarrc  faute  de  lecture.) 

3.  Ms.  Penussil  cuin  cor  David. 


SUR  LE  rÉCHÉ  d'habitude. 


ladultcrc  attire  l'homicide,  et  rhomicide  avec  le  ravissement 
de  rhomieur  d'Urie;  car,  commandant  à  Joab  de  le  faire 
mourir,  il  lui  tlonnc;  sujet  de  songer  (ju'il  l'avait  mérité.  Aussi 
dit-il  en  cc;l  état,  (jue  «  la  lumière  de  ses  yeux  l'avait  aban- 
tlonné  ^>  :  LiDiitii  oculonini  incorujJi,  cl  ipsiim  non  est  me- 
Litni  (').  Il  ne  dit  pas  que  ses  yeux  l'eussent  abandonné,  car 
la  connaissance  lui  demeurait  ;  mais  la  lumière  de  ses  yeux. 
Quelle  est  la  lumière  des  yeux  de  la  connaissance  ?  la 
réflexion,  (|ui  l'éclairé  et  qui  la  conduit  elle-même,  qui  décou- 
vre et  conduit  le  reste  de  l'homme.  Il  ne  faisait  donc  pas  de 
réflexion  sur  son  péché  ;  par  conséquent,  point  de  remords  : 
car  le  remords  naît  de  la  réflexion.  C'est  donc  une  marque 
de  l'accoutumance  au  péché,  que  de  pécher  sans  remords. 

Troisièmement,  il  faut  voir  si  vous  péchez  sans  résistance; 
car  pécher  sans  résistance,  c'est  une  marque  que  la  force  de 
l'ame  est  abattue,  ce  qui  ne  se  fait  que  par  la  coutume  : 
De?'clii]7iit  (')  me  virhis  mea,  dit  David  (^'),  décrivant  son 
endurcissement. 

DEUXIÈME  POINT.  LES  SUITES  DU  PÉCHÉ  D'HABITUDE. 

La  première,  que  quand  on  commet  deux  fois  un  même 
péché,  le  second  est  toujours  •  plus  grand  que  le  premier  ; 
à  cause  que  le  péché  s'augmente  ou  à  raison  de  la  grandeur 
de  la  matière  en  laquelle  on  pèche,  ou  à  raison  de  la  force 
avec  laquelle  on  s'y  attache»  Le  second  péché  est  plus  grand 
que  le  premier  à  raison  de  la  matière  :  vous  avez  volé  les 
particuliers  ;  dans  deux  jours  vous  volerez  le  prince,  si  l'oc- 
casion s'en  présente  :  par  les  moindres  péchés  vous  vous 
disposez  aux  plus  grands.  Achab  ayant  fait  mourir  un  de 
ses  sujets  pour  avoir  son  bien,  le  prophète  lui  dit  de  la  part 
de  Dieu  :  «  Tu  as  volé  et  tu  as  tué  ;  tu  feras  encore  pis  :  » 
Et  acides  (^).  Mais  ce  n'est  pas  tout  :  la  première  fois  vous 
péchez  avec  moins  d'inclination  et  d'attache,  mais  la  seconde, 
elle  augmente,  et  par  suite  vous  aimez  plus  votre  crime,  vous 
vous  y  portez  avec  plus  de  force  ;  votre  péché  est  donc  plus 
grand  :   comme  l'amour  de  Dieu  s'accroît  par  les  actions  de 

a.  Ps.,  XXXVII,  lo.  —  b.  Ibid.  —  c.  III  Re^.,  xxi,  19. 
I.  Ms.  Deserit. 


SUR  LE  PÉCHÉ  d'habitude. 


vertu,  aussi  l'amour  des  créatures  par  les  actions  vicieuses. 
Il  s'ensuit  donc  qu'au  lieu  qu'on  pense  s'excuser  en  disant  : 
Je  pèche,  mais  c'est  par  coutume,  on  s'accuse  davantage. 

Je  sais  bien  ce  que  disent  les  méchants  pour  défendre  ces 
excuses  :  premièrement  que  la  coutume  étouffe  (')  la  ré- 
flexion, qu'on  va  plus  à  l'aveugle,  et  qu'ainsi  l'âme  ayant 
moins  de  secours,  elle  est  moins  blâmable  de  se  laisser 
vaincre  ;  secondement,  que  la  coutume  apporte  une  inclina- 
tion puissante  qui  vous  empêche  :  et  si  elle  vous  empêche, 
il  y  a  moins  de  volontaire  ;  et  le  péché  suit  et  est  égal  au 
volontaire. 

Mais  j'oppose  deux  choses  à  ces  deux  raisons.  En  premier 
lieu,  que  le  manque  de  secours  n'excuse  jamais  lorsque  c'est 
une  punition  de  notre  faute,  et  que  nous  nous  l'ôtons  volon- 
tairement nous-mêmes.  On  avertit  un  capitaine:  Prenez 
garde,  les  ennemis  vous  surprendront  pendant  la  nuit  ;  pour 
les  empêcher,  faites  allumer  des  flambeaux  par  toute  la  ville. 
Ce  capitaine,  au  lieu  de  suivre  cet  avis,  fait  éteindre  tous  les 
flambeaux,  et  est  surpris  à  la  faveur  des  ténèbres  ;  son  excuse 
semble  raisonnable  s'il  dit  :  J'ai  été  surpris,  il  est  vrai,  mais 
c'est  pendant  les  ténèbres.  Non  certainement,  car  on  l'avait 
averti  de  se  garder  des  ténèbres.  Tout  de  même  on  nous 
avertit  :  Donnez -vous  garde,  le  prince  des  ténèbres  vous 
surprendra  parmi  l'obscurité.  Si  donc  ensuite  vous  éteignez 
vous-mêmes  les  lumières  de  la  raison,  et  si  vous  en  cor- 
rompez l'usage  par  la  multitude  de  vos  péchés,  le  défaut 
de  lumière  ne  pourra  pas  vous  servir  d'excuse.  Voilà  pour 
la  première  opposition. 

A  la  seconde,  je  dis  qu'il  y  a  deux  sortes  d'emportement  : 
l'un  est  l'emportement  d'une  volonté  prévenue,  l'autre  est 
l'emportement  d'une  volonté  persuadée.  Vous  êtes  tourmenté 
d'une  forte  tentation,  sa  force  divertit  celle  de  votre  raison, 
vous  péchez  quasi  sans  y  penser:  voilà  une  volonté  prévenue 
et  emportée  de  cet  emportement  de  surprise,  et  celui-là  sans 
doute  peut  diminuer  le  péché.  Mais  l'emportement  d\\nc. 
volonté  persuadée  ne  le  peut  pas  diminuer,  à  cause  cjue 
l'inch'nation    y   est    i)his  L^rande,  l'application  plus    forte,    la 

I.  /ùù'/.  Ole  la  icllexion. 


8  SUR  LK  i'i':('iii';  d'iiaiutudk. 


victoire  de  la  chair  cl  du  péché  i)hi.s  pleine  et  plus  entière  ; 
partant  c'est  une  fort  niauv^iise  con.sc(iuence  de  vouloir 
infcM-er  qu'une  faute  est  petite  parce  qu'on  y  tombe  parcou- 
tunu*. 

La  seconde  mauvaise  suite  est  la  nécessité  dépêcher. 

TKOISll'MK    POINT.    LK    REMÈDE. 

Dais  i////>oss/â///a  non  jtibet;  sed  jubendo  admonet  et  facere 
tjuodpossis,  et petcre  quod  non  possis  {^).  Il  y  a  ici  des  choses 
que  vous  pouvez  faire,  il  y  en  [a]  que  vous  ne  pouvez  pas  faire. 
Je  veux  bien  croire  que  dans  la  présence  de  l'objet  et  dans 
une  occasion  pressante,  vous  ne  pouvez  pas  résister,  mais  du 
moins  vous  pouvez  éviter  l'occasion  ;  voilà  quant  à  ce  que 
vous  pouvez  :  facere  qnod  possis.  Mais  quant  à  ce  que  vous 
ne  pouvez  pas,  que  faut-il  faire  ?  Demander  instamment  à 
Dieu  qu'il  surmonte  en  vous  par  sa  grâce  le  péché  qui  est 
depuis  si  longtemps  le  maître,  qu'il  surmonte  vos  mauvaises 
inclinations  par  de  bonnes  :  petite  ('^),  demandez  avec  in- 
stance ;  et  s'il  rejette  vos  demandes,  qtiœrite,  cherchez  les 
moyens  de  l'apaiser  ;  employez  les  justes,  employez  les  bien- 
heureux, employez  la  Mère  (')  de  Dieu,  employez  Jésus- 
Christ  même  \pulsate,  frappez  à  sa  justice  et  dites-lui  :  Ah  ! 
justice  de  mon  Dieu,  vous  ne  punissez  pas  nos  fautes  à  la 
rigueur  en  ce  monde  ;  frappez  à  la  sagesse  et  dites-lui  :  Ah  ! 
sagesse  de  mon  Dieu,  vous  savez  tant  de  moyens  de  vaincre 
mon  vice  !  Criez  à  Dieu,  mais  criez  du  fond  de  l'âme,  de 
profundis  ('),  et  Dieu  écoutera  à  la  fin  votre  oraison. 

a.  s.  Aug.,  De  Naiiir.  et  Grat.^  cap.  XLiil,  n.  50.    —  b.  Matlh.^  vu,  7.  — 
c.  Ps.^  cxxix,  I. 

I.  Edit.  la  mort  de  Dieu.  (Contresens.) 


I.  Péché  d'habitude,  1646.  (Voy.  p.  8.) 


\f'UtM^*î'^i^Hét^'^vi4^  (m". 


TitV 


'4/t  ^H^ 


^Lç. 


yppit^'. 


f^^ûUa-yitfi, 


\ 


vTl (^^ 


De    la   BRIEVETE    de   la  VIE  (■)• 


^4 


Cette  célèbre  Méditation  a  été  écrite  par  Bossuet  pendant  sa 
retraite  pour  le  sous-diaconat,  à  Langres,  septembre  1648.  (Voy. 
Histoire  critique,  p.  120-122.) 


C^  'EST  bien  peu  de  chose  que  l'homme,  et  tout  ce 
y  qui  a  fin  est  peu  de  chose.  Le  temps  viendra  où 
cet  homme  qui  nous  semblait  si  grand  ne  sera  plus,  où 
il  sera  comme  l'enfant  qui  est  encore  à  naître,  où  il  ne  sera 
rien.  Si  longtemps  qu'on  soit  au  monde,  y  serait-on  mille 
ans,  il  en  faut  venir  là.  Il  n'y  a  que  le  temps  de  ma  vie 
qui  me  fait  différent  de  ce  qui  ne  fut  jamais  :  cette  diffé- 
rence est  bien  petite,  puisqu'à  la  fin  je  serai  encore  con- 
fondu avec  ce  qui  n'est  point  ;  ce  qui  arrivera  le  jour  où 
il  ne  paraîtra  pas  seulement  que  j'aie  été,  et  où  peu  m'im- 
portera combien  de  temps  j'ai  été,  puisque  je  ne  serai 
plus.  J'entre  dans  la  vie  avec  la  loi  d'en  sortir,  je  viens  faire 
mon  personnage,  je  viens  me  montrer  comme  les  autres  ; 
après,    il   faudra   disparaître.  J'en  vois  passer  devant  moi, 

I.  Mss.  12822,  f.  370.  En  tête  de  la  feuille  on  lit  la  fin  d'une  autre  Méditation, 
sîir  la  Pénitence.  Voici  ce  frajj^ment  : 

[...la  charité]  «qui  fait  Vun\or\, vi?tat/ujn perfeciionis {Coloss.,  m,  14).  De  sorte 
que  je  ne  suis  que  comme  ces  membres  qui  pendent  et  ne  sont  plus  rien  au  corps 
qu'un  fardeau  inutile.  II  n'y  a  que  la  foi  et  l'espérance  qui  me  demeurent  ;  encore 
sont-elles  mortes,  car  elles  n'ont  leur  vie  que  par  la  charité.  Mais  au  moins  je 
tiens  au  corps  par  elles,  comme  par  quelques  petites  fibres.  Ce  sont  les  semen- 
ces de  la  vie.  Qui  les  fomentera  ces  semences.''  qui  leur  donnera  la  chaleur 
vitale  ?  Il  faut  en  prier  aujourd'hui  la  Mère  de  Dieu.  Voici  ma  résolution  et 
ma  prière. 

«  Mère  de  mon  Dieu,  c'est  dans  vos  chastes  entrailles  que  le  Verbe  a  pris  sa 
nouvelle  vie  ;  je  vous  prie  par  ce  sant;  imr  et  virijjinal  que  vous  lui  avez  donné 
pour  la  recevoir,  que  je  puisse  par  votre  intercession  recouvrer  la  vie  nouvelle 
qui  m'a  été  communicpiée  par  le  Verbe.  Et  d'autant  que  cette  vie  nouvelle,  qui 
réside  principalement  en  lui,  se  répand  de  lui  immédiatement  sur  vous  comme 
à  la  partie  qui  a  le  plus  d'union  avec  lui,  et  que  y  entrant  toute  pure  avec  abon- 
dance, elle  se  peut  de  1<\  répandre  sur  les  autres  par  votre  moyen,  souffrez  que 
j'aie  recours  à  votre  intercession,  et  que  je  vous  prie  ilc  faire  en  sorte  auprès  de 
votre  Fils  qu'il  anime  ce  reste  de  vie  spirituelle  que  le  pé(  hé  !u'a  laissé  malj^ré 
sa  malice,  par  la  ijjrAce  de  Dieu,  et  (|uc  je  puisse  ensuite  vivrk  a  Jksus  ET 
JÉSUS  KN  MOI,  Et  cela  pour  jamais.  >> 


lO  lîRI^.VETI^   DE  LA  VIE.   Ml':niTATION. 

d'autres  me  verront  passer  ;  ceux-là  mêmes  donneront  à  leurs 
successeurs  le  même  spectacle  ;  et  tous  enfin  se  viendront 
confondre  dans  le  néant. 

]\Ta  vie  est  de  quatre-vingts  ans  tout  au  j^lus;  prenons-en 
cent  :  cjuil  y  a  eu  de  temps  où  je  n  étais  pas  !  qu'il  y  en  a  où 
je  ne  serai  point  !  et  que  j'occupe  peu  de  place  dans  ce  grand 
abime  de  temps  (')  !  Je  ne  suis  rien  ;  ce  petit  intervalle  n'est 
pas  capable  de  me  distinguer  du  néant  où  il  faut  que  j'aille. 
Je  ne  suis  venu  que  pour  faire  nombre,  encore  n'avait-on 
que  faire  de  moi  ;  et  la  comédie  ne  se  serait  pas  moins  bien 
jouée,  quand  je  serais  demeuré  derrière  le  théâtre.  Ma  par- 
tie est  bien  petite  en  ce  monde,  et  si  peu  considérable  que, 
quand  je  regarde  de  près,  il  me  semble  que  c'est  un  songe 
de  me  voir  ici,  et  que  tout  ce  que  je  vois  ne  sont  que  de 
vains  simulacres  :  Prœterit  figura  huj us  mundii^). 

Ma  carrière  est  de  quatre-vingts  ans  tout  au  plus  ;  et 
pour  aller  là,  par  combien  de  périls  faut-il  passer  ?  par  com- 
bien de  maladies,  etc.  1  à  quoi  tient-il  que  le  cours  ne  s'en 
arrête  à  chaque  moment  ?  Ne  l'ai-je  pas  reconnu  quantité  de 
fois  ?  J'ai  échappé  la  mort  à  telle  et  telle  rencontre  :  c'est 
mal  parler,  j'ai  échappé  la  mort  :  j'ai  évité  ce  péril,  mais  non 
pas  la  mort  :  la  mort  nous  dresse  diverses  embûches  ;  si  nous 
échappons  l'une,  nous  tombons  en  une  autre  ;  à  la  fin  il  faut 
venir  entre  ses  mains.  Il  me  semble  que  je  vois  un  arbre 
battu  des  vents  ;  il  y  a  des  feuilles  qui  tombent  à  chaque 
moment  ;  les  unes  résistent  plus,  les  autres  moins  :  que  s'il  y 
en  a  qui  échappent  de  l'orage,  toujours  l'hiver  viendra  qui 
les  flétrira  et  les  fera  tomber  :  ou  comme  dans  une  grande 
tempête,  les  uns  sont  soudainement  suffoqués,  les  autres 
flottent  sur  un  ais  abandonné  aux  vagues  ;  et  lorsqu'ils 
croient  (^)  avoir  évité  tous  les  périls,  après  avoir  duré  long- 
temps, un  flot  les  pousse  contre  les  écueils  et  les  brise.  Il  en 
est  de  même  :  le  grand  nombre  d'hommes  qui  courent  la 
même  carrière  fait  que  quelques-uns  passent  jusqu'au  bout  ; 

a.  I  Cor.^  vn,  31. 

1.  Gandar:  dans  ce  grand  abîme  des  ans. 

2.  Edit.  lorsqu'il  croit  avoir...,  un  flot  le  pousse,  etc.  —  Il  y  a  en  effet  le  singu- 
lier au  manuscrit;  mais  c'est  une  de  ces  distractions  évidentes  qu'il  faut 
corriger  sans  hésitation. 


BRIÈVETÉ   DE  LA  VIE.   MÉDITATION.  I  J 


mais  après  avoir  évité  les  attaques  diverses  de  la  mort,  arri- 
vant au  bout  de  la  carrière  où  ils  tendaient  parmi  tant  de 
périls,  ils  la  vont  trouver  eux-mêmes,  et  tombent  h.  la  fin  de 
leur  course  :  leur  vie  s'éteint  d'elle-même  comme  une  chan- 
delle qui  a  consumé  sa  matière. 

Ma  carrière  est  de  quatre-vingts  ans  tout  au  plus  ;  et  de 
ces  quatre-vingts  ans,  combien  y  en  a-t-il  que  je  compte 
pendant  ma  vie  ?  Le  sommeil  est  plus  semblable  à  la  mort  : 
l'enfance  est  la  vie  d'une  bête.  Combien  de  temps  voudrais- 
je  avoir  effacé  de  mon  adolescence  ?  et  quand  je  serai  plus 
âgé,  combien  encore  ?  Voyons  à  quoi  tout  cela  se  réduit. 
Qu'est-ce  que  je  compterai  donc  ?  car  tout  cela  n'en  est  déjà 
pas.  Le  temps  oii  j'ai  eu  quelque  contentement,  où  j'ai  ac- 
quis quelque  honneur  ?  mais  combien  ce  temps  est-il  clair- 
semé dans  ma  vie  ?  c'est  comme  des  clous  attachés  à  une 
longue  muraille,  dans  quelque  distance  ;  vous  diriez  que 
cela  occupe  bien  de  la  place  ;  amassez-les,  il  n'y  en  a  pas 
pour  emplir  la  main.  Si  j'ôte  le  sommeil,  les  maladies,  les 
inquiétudes,  etc.,  de  ma  vie  ;  que  je  prenne  maintenant  tout 
le  temps  où  j'ai  eu  quelque  contentement  ou  quelque  hon- 
neur, à  quoi  cela  va-t-il  ?  Mais  ces  contentements,  les  ai-je 
eus  tous  ensemble  ?  les  ai-je  eus  autrement  que  par  par- 
celles ?  mais  les  ai-je  eus  sans  inquiétude,  et  s'il  y  a  de  l'in- 
quiétude, les  donnerai-je  au  temps  que  j'estime,  ou  à  celui 
que  je  ne  compte  pas  ?  Et  ne  l'ayant  pas  eu  à  la  fois,  l'ai-je 
du  moins  eu  tout  de  suite  ?  l'inquiétude  n'a-t-elle  pas  toujours 
divisé  deux  contentements  ?  ne  s'est-elle  pas  toujours  jetée  à 
la  traverse  pour  les  empêcher  de  se  toucher  ?  Mais  que  m'en 
reste-t-il  ?  des  plaisirs  licites,  un  souvenir  inutile  ;  des  illi- 
cites, un  regret,  une  obligation  à  l'enfer  ou  à  la  pénitence, 
etc. 

Ah  !  que  nous  avons  bien  raison  de  dire  que  nous  passons 
notre  temps  !  Nous  le  passons  véritablement,  et  nous  passons 
avec  lui.  Tout  mon  être  tient  à  un  moment  ;  voilà  ce  qui  me 
sépare  du  rien  :  celui-là  s'écoule,  j'en  prends  un  autre  :  ils  se 
passent  les  uns  après  les  autres;  kîs  uns  après  les  autres  je  les 
joins,  tâchant  de  m'assurer  ;  et  je  ne  m'aperçois  pas  qu'ils 
m'(!ntraînent  insensiblement  avec  eux,   et  que  je  uKuniuerai 


12  BKlÈVliïÉ   DE  LA  VIE.   MÉDITATION. 

au  temps,  non  pas  le  temps  à  moi.  Voilà  ce  que  c'est  que  de 
ma  vie  ;  et  ce  qui  est  épouvantable,  c'est  que  cela  passe  à 
mon  égard,  devant  Dieu  cela  demeure.  Ces  choses  me  re- 
gardent. Ce  qui  est  à  moi,  la  possession  en  dépend  du  temps, 
parce  que  j'en  dépends  moi-même  ;  mais  elles  sont  à  Dieu 
devant  moi,  elles  dépendent  de  Dieu  devant  que  du  temps  ; 
le  temps  ne  les  peut  tirer  (')  de  son  empire,  il  est  au-dessus 
du  temps  :  à  son  égard  cela  demeure,  cela  entre  dans  ses 
trésors.  Ce  que  j'y  aurai  mis,  je  le  trouverai  :  ce  que  je  fais 
dans  le  temps,  passe  par  le  temps  à  l'éternité  ;  d'autant  que 
le  temps  est  compris  et  est  sous  l'éternité,  et  aboutit  à  l'éter- 
nité, fe  ne  jouis  des  moments  de  cette  vie  (')  que  durant  le 
passage  ;  quand  ils  passent,  il  faut  que  j'en  réponde  comme 
s'ils  demeuraient.  Ce  n'est  pas  assez  dire  :  ils  sont  passés, 
je  n'y  songerai  plus  :  ils  sont  passés,  oui  pour  moi,  mais  à 
Dieu,  non  ;  il  m'en  demandera  compte. 

Eh  bien  !  mon  âme,  est-ce  donc  si  grand'  chose  que  cette 
vie  ?  et  si  cette  vie  est  si  peu  de  chose,  parce  qu'elle  passe, 
qu'est-ce  que  les  plaisirs  qui  ne  tiennent  pas  toute  la  vie,  et 
qui  passent  en  un  moment  ?  cela  vaut-il  bien  la  peine  de  se 
damner  ?  cela  vaut-il  bien  la  peine  de  se  donner  tant  de 
peine,  d'avoir  tant  de  vanité  ?  Mon  Dieu,  je  me  résous  de 
tout  mon  cœur  en  votre  présence  de  penser  tous  les  jours,  au 
moins  en  me  couchant  et  en  me  levant,  à  la  mort.  En  cette 
pensée  :  ^<  J'ai  peu  de  temps,  j'ai  beaucoup  de  chemin  à  faire, 
peut-être  en  ai-je  encore  moins  que  je  ne  pense,  »  je  louerai 
Dieu  de  m'avoir  retiré  ici  pour  songer  à  la  pénitence.  Je 
mettrai  ordre  à  mes  affaires,  à  ma  confession,  à  mes  exer- 
cices avec  grande  exactitude,  grand  courage,  grande  dili- 
gence ;  pensant  non  pas  à  ce  qui  passe,  mais  à  ce  qui  de- 
meure. 

1.  Erù'/.  retirer.  —  Afs.  ne  les  peut  les  tirer.  (Lapsus.) 

2.  E(Ut.^  vicmc  Gandar  :  des  moments  de  ce  plaisir.  —  Cette  faute  de  lecture 
altère  le  sens  de  tout  ce  passage. 


.1.  .1. 

—  »  ■     .      ■    »  — 


^^^.  ■■:^.  ^^  ^^!^2&J^  ^^  ^^  -^^i^ji^i^Mii^ 


MÉDITATION     sur    la    FÉLICITÉ 


DES   SAINTS  (0-   Au  Collège  de  Navarre,    1648. 


^^wwwwwwwwwwwwww^ 


«  Revenu  à  Taris,  dit  Lcdicu  dans  ses  Mémoires  sur  Bossncf, 
il  fut  admis  par  M.  Cornet  dans  la  confrérie  du  Rosaire,  établie 
à  Navarre,  et  y  récita  une  docte  et  tendre  exhortation,  dont  on 
voit  encore  aujourd'hui  l'éloge  dans  les  registres  de  cette  maison,  le 
24  d'octobre  1648  (2).  » 

Ce  24  d'octobre  était  le  samedi  précédant  la  vigile  de  la  Toussaint. 
On  anticipait  les  solennités  dans  les  réunions  de  Navarre.  Notre 
méditation  peut  bien  avoir  été  prononcée  (3)  dans  une  réunion  pré- 
paratoire à  la  fête.  Certaines  particularités  orthographiques  ('^),  dont 
on  ne  trouve  d'exemple  que  dans  cet  opuscule  et  dans  la  Brièveté  de 
la  vie^  ne  permettent  pas  de  les  séparer. 

Les  anciens  éditeurs  avaient  fondu  cette  composition  avec  un 
sermon  de  l'année  suivante,  sur  le  même  sujet.  L'édition  Lâchât,  et 
un  peu  avant  elle,  une  autre  édition,  qui  parut  chez  Catticr,  à  Tours, 
en  1862,  ont  dégagé  les  deux  rédactions.  Le  texte  de  Lâchât  est 
malheureusement  déparé,  non  seulement  par  des  fautes  de  lecture, 
mais  par  l'interpolation  d'un  exorde,  ayant  une  division  tout  autre 
que  celle  qui  se  lit  dans  la  première  phrase  de  notre  Méditation. 


POUR  nous  représenter  quelle  sera  la  félicité  des 
enfants  de  Dieu  en  l'autre  vie,  il  faut  considérer 
premièrement  en  gros  combien  elle  doit  être  grande  et 
inconcevable,  afin  de  nous  en  imprimer  l'estime  ;  et  après, 
il  faut  voir  en  quoi  elle  consiste,  pour  avoir  quelque  con- 
naissance de  ce  que   nous  désirons. 

L  Pour  ce  qui  regarde  la  première  considération,  nous 
la  pouvons  prendre  de  la  grandeur  de  Dieu  et  de  l'affection 
avec  laquelle  il  a  entrepris  de  donner  la  gloire  à  ses  enfants. 

C'est  une  chose  prodigieuse  de  voir  l'exécution  des  des- 
seins de  Dieu.  Il  renverse  en  moins  de  rien  les  plus  hautes 
entreprises  ;  tous  les  éléments  changent  de  nature  pour  lui 

1.  Mss.  12821,  f.  14-26. 

2.  Page  22. 

3.  C'est  ce  qui  semble  formellement  indique  par  ces  mots  :  «  Comme  j'ai  dit 
en  cette  action.  »  —  Toutefois  l'cuuvrc  a  plutôt  l'aspect  d'un  exercice  scolaire 
que  d'un  discours.  Peut-être  était-elle  destinée  ;\  être  lue  (rccitavit). 

4.  Exemples  :  est  til  ;  y  eust  til  ;  considerast  lil  ;  etc. 


14  FÉI.IcriM'.  I>KS  SAINTS.  MÉDITATION. 


servir  ;  (Mifin  il  fait  paraître  dans  toutes  ses  actions  qu'il  est 
le  seul  Dieu  et  le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  Or  il  s'agit 
ici  de  l'accomplissement  du  plus  grand  dessein  de  Dieu,  et 
qui  est  la  consommation  de  tous  ses  ouvrages. 

Toute  cause  intelligente  se  propose  une  fin  de  son  ouvrage. 
Or,  la  fin  de  Dieu  ne  peut  être  que  lui-même.  Et  comme  il 
est  souverainement  abondant,  il  ne  peut  retirer  aucun  profit 
de  l'action  qu'il  exerce,  autre  que  la  gloire  qu'il  a  de  faire  du 
bien  aux  autres  et  de  manifester  l'excellence  de  sa  nature  ; 
et  cela  parce  qu'il  est  bien  digne  de  sa  grandeur  de  faire 
largesse  de  ses  trésors,  et  que  d'autres  se  ressentent  de  son 
abondance.  Que  s'il  est  vrai  qu'il  soit  de  la  grandeur  de  Dieu 
de  se  répandre,  sans  doute  son  plus  grand  plaisir  ne  doit  pas 
être  de  se  communiquer  aux  natures  insensibles.  Elles  ne 
sont  pas  capables  de  reconnaître  ses  faveurs,  ni  de  regarder 
la  main  de  qui  elles  tirent  leur  perfection.  Elles  reçoivent, 
mais  elles  ne  savent  pas  remercier.  C'est  pourquoi  quand  il 
leur  donne,  ce  n'est  pas  tant  à  elles  qu'il  veut  donner,  qu'aux 
natures  intelligentes  à  qui  il  les  destine.  Il  n'y  a  que  celles-ci 
à  qui  il  ait  donné  l'adresse  d'en  savoir  user.  Elles  seules  en 
connaissent  le  prix  ;  il  n'y  a  qu'elles  qui  en  puissent  bénir 
l'auteur.  Puis  donc  que  Dieu  n'adonné  qu'aux  natures  intel- 
ligentes la  puissance  de  s'en  servir,  sans  doute  ce  n'est  que 
pour  elles  qu'il  les  a  faites.  Aussi  l'homme  est  établi  de  Dieu 
comme  leur  arbitre,  et  si  le  péché  n'eût  point  ruiné  cette 
disposition  admirable  du  Créateur  dès  son  commencement, 
nous  verrions  encore  durer  cette  belle  république.  Dieu 
donc  a  fait  pour  les  créatures  raisonnables  les  natures  infé- 
rieures. Et  quant  aux  créatures  intelligentes,  il  les  a  destinées 
à  la  souveraine  béatitude  qui  regarde  la  possession  du  sou- 
verain bien  :  il  les  a  faites  immédiatement  pour  soi-même. 
Voilà  donc  l'ordre  de  la  Providence  divine,  de  faire  les  choses 
insensibles  et  privées  de  connaissance  pour  les  intelligentes 
et  raisonnables,  et  les  raisonnables  pour  la  possession  de  sa 
propre  essence.  Donc  ce  qui  regarde  la  souveraine  béatitude 
est  le  dernier  accomplissement  des  ouvrages  de  Dieu.  C'est 
pourquoi  dans  le  dernier  jugement  Dieu  dit  à  ses  élus: 
«  Venez,  les  bien-aimés  de  mon  Père,  au  royaume  qui  vous 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.   MÉDITATION. 


15 


est  préparé  dès  la  constitution  du  monde  ('").  »  Il  dit  bien  aux 
malheureux  :  «  Allez  au  feu  qui  vous  est  préparé  »  ;  mais  il  ne 
dit  pas  qu'il  soit  préparé  (')  dès  le  commencement  du  monde. 
Cela  ne  veut  dire  autre  chose  sinon  que  la  création  de  ce 
monde  n'était  qu'un  préparatif  de  l'ouvrage  de  Dieu,  et  que 
la  gloire  de  ses  élus  en  serait  le  dernier  accomplissement. 
Comme  s'il  disait  :  Venez,  les  bien-aimés  de  mon  Père  :  c'est 
vous  qu'il  regardait  quand  il  faisait  le  monde  ;  et  il  ne  faisait 
alors  que  vous  préparer  un  royaume. 

Que  si  nous  venons  à  considérer  la  qualité  de  la  Provi- 
dence, nous  le  jugerons  encore  plus  infailliblement.  La  par- 
faite prudence  ne  se  doit  proposer  qu'une  même  fin,  d'autant 
que  son  objet  est  de  mettre  l'ordre  partout  ;  et  l'ordre  ne  se 
trouve  que  dans  la  disposition  des  moyens  et  dans  leur  liaison 
avec  la  fin.  Ainsi  elle  doit  tout  ramasser  pour  paraître  uni- 
verselle, tout  digérer  par  ordre  pour  paraître  sage,  tout  lier 
pour  paraître  uniforme  ;  et  c'est  pourquoi  il  y  doit  avoir  une 
dépendance  de  tous  les  moyens,  afin  que  le  corps  du  dessein 
soit  plus  ferme  et  que  toutes  les  parties  s'entretiennent. 
L'imparfait  se  doit  rapporter  au  parfait,  la  nature  à  la  grâce, 
la  grâce  à  la  gloire.  C'est  pourquoi  si  les  cieux  se  meuvent 
de  ces  mouvements  éternels,  si  les  choses  inférieures  se  main- 
tiennent par  ces  agitations  si  réglées,  si  la  nature  fait  voir 
dans  les  différentes  saisons  ses  propriétés  diverses,  ce  n'est 
que  pour  les  élus  de  Dieu  que  tous  les  ressorts  se  remuent. 
Les  peuples  ne  durent  que  tant  qu'il  y  a  des  élus  à  tirer  de 
leur  multitude  :  Constituit  tejniiinos popîLlorumjtixta  nnmcruiu 
filiorum  Israël  (^).  Les  éléments  et  les  causes  créées  ne  per- 
sistent que  parce  que  Dieu  a  enveloppé  ses  élus  dans  leur 
ordre,  et  qu'il  les  veut  faire  sortir  de  leurs  actions.  «  Aussi 
elles  sont  comme  dans  les  douleurs  de  l'enfantement  :  » 
Omnis  creatm^a  ingemiscit  et parhtrit  tcsque  adJnic  ('  ).  «  Elles 
attendent  avec  impatience  que  Dieu  fasse  la  découverte  de 
ses  enfants  :  »  Revelatiofiem  filiorum  Del  cxpcctat  ("').  L'au- 
teur de  leur  nature,  qui  leur  a  donné  leurs  inclinations,  leur 


a.  Matth.^  XXV,  34,  41.  —  b.  Deut.^  xxxn,  8.   —  c.  Rom.^  vni,   22.   — 
d.  Rom.^  vni,  19. 

I.  l'idit.  qu'il  fût  iircparc. 


i6  fi':ltciti':  dks  saints,  mkhitation. 

a  ini[)rimc  un  .iinour  comme  naturel  de  ceux  à  qui  il  les  a 
ckîstinces.  Telles  ne  font  point  encore  de  discernement;  c'est 
à  Dieu  de  commencer,  c'est  à  lui  à  faire  voir  ceux  qu'il  recon- 
naît pour  s(!s  enfants  Ici^itimes.  Et  quand  il  les  aura  marqués, 
qu'il  aura  dchrouillc  cette  confusion  qui  les  mêle,  elles  tour- 
neront toute  leur  fureur  contre  ses  ennemis  :  Ptignabit  cum 
eo  orbistcrraruvi  contra  insensatos  (^).  Elles  se  soumettront 
volontiers  à  ses  enfants  :  Omnis  creatm^a  ingemiscit  et par- 
turit  usqiie  adJmc,...  7'evelationem  êxpectans  filiorîtm  Dei. 

Si  nous  allons  encore  plus  avant  dans  le  dessein  de  Dieu, 
nous  trouverons  quatre  communications   de  sa  nature.  La 
première  dans  la  création,  la  seconde  se  fait  par  la  grâce,  la 
troisième  de  sa  gloire,  la  quatrième  de  sa  personne.  Et  si  le 
moins  parfait  est   pour  le  plus   excellent,   donc  la  création 
regardait  la  justification,  et  la  justification  était  pour  la  com- 
munication de  la  gloire,  et  la  communication  de   la  gloire 
pour  la  personnelle.  C'est  la  gradation  de  saint  Paul  :  Omnia 
vestra  swit,  vos  autem  Ckristi,  CJudstus  aute7n  Dei  (^).  Mais 
il  ne  faut  pas  séparer  Jésus-Christ  d'avec  ses  élus,  d'autant 
que  c'est  le  même  esprit  de  Jésus-Christ  qui  se  répand  sur 
eux  :  tanqttam  unguentum  in  capite  (^).  Ce  sont  ses  membres, 
et  la  glorification   n'est   que   la  consommation   du  corps  de 
Jésus-Christ  :  Donec  occu^n'a^mts  ei  in  viritm  perfccttim  se- 
cvndîon  mensuram plenitudinis  Ckristi (f)  :  «Jusqu'à  ce  que 
nous  parvenions  à  l'état  d'un  homme  parfait,  à  la  mesure  de 
l'âge  et  de  la  p>lénitude  selon  laquelle  Jésus-Christ  doit  être 
formé  en  nous.»  Et  nous  sommes  tous  bénis  en  Jésus-Christ; 
tanquam  in  nno  (^).  Donc  les  prédestinés  sont   ceux  qui  ont 
toutes  les  pensées  de  Dieu  dès  l'éternité,  ce  sont  ceux  à  qui 
aboutissent  tous  ses  desseins.  C'est  pourquoi:  om^iia  propter 
electos  (^).  C'est  pourquoi  encore  :  Diligentibiis  Deuin  omnia 
cooperantur  in  bonum  (^'')  ;  omnia,   d'autant  que  tout  étant 
fait  pour  leur  gloire,   il  n'y  a  rien  à  qui  le  Créateur  n'ait 
donné  une  puissance  et  même  une  secrète  inclination  de 
les  y  servir. 

Et  il  y  a  ici  deux  choses  à  remarquer  :   l'une,  que  c'est  à 

a.  Sap.^  V,  21.  —  b.  I  Cor.^  in,  22,  23.  —  c.  Ps.^  cxxxii,  2.  —  d.  Ephes.,  IV, 
13.  —  e.  Galat,,  Hl,  16.  — /.  II  Cor.,  iv,  15.  — g.  Rom.^  vni,  28. 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.    MÉDITATION.  I  7 

eux  que  se  terminent  tous  les  desseins  de  Dieu  ;  la  seconde, 
qu'ils  se  terminent  à  eux  conjointement  avec  Jksus-Christ. 

Quel  doit  être  cet  ouvrage  à  qui  la  création  de  cet  univers 
n'a  servi  que  de  préparation,  que  Dieu  a  regardé  dans  toutes 
ses  actions,  qui  était  le  but  de  tous  ses  désirs,  enfin  après 
l'exécution  duquel  il  se  veut  reposer  toute  l'éternité  !  Il  y 
aura  assez  de  quoi  contenter  cette  nature  infinie.  Lui  qui  a 
trouvé  que  la  création  du  monde  n'était  pas  une  entreprise 
digne  de  lui,  se  contentera  après  avoir  consommé  le  nombre 
de  ses  élus.  Toute  l'éternité  il  ne  fera  que  leur  dire  :  voilà  ce 
que  j'ai  fait  ;  voyez:  n'ai-je  pas  bien  réussi  dans  mes  desseins.'^ 
pouvais-je  me  proposer  une  fin  plus  excellente  ? 

Et  qui  peut  douter  que  ce  dessein  ne  soit  tout  extraordi- 
naire, puisque  Dieu  y  agit  avec  passion  ?  Il  s'est  contenté 
de  dire  un  mot  pour  créer  le  ciel  et  la  terre.  Nous  ne  voyons 
pas  là  une  émotion  véhémente.  Mais  pour  ce  qui  regarde  la 
gloire  de  ses  élus,  vous  diriez  qu'il  s'y  applique  de  toutes  ses 
forces  :  au  moins  y  a-t-il  employé  le  plus  grand  de  tous  les 
miracles,  l'Incarnation  de  son  Fils.  Ne  s'est-il  pas  lié  et 
comme  «  collé  d'affection  avec  son  peuple  »  ?  ConghUmatits 
est  Dominus patriotes  nostris  ('").  Tantôt  il  se  compare  à  une 
aigle  qui  excite  ses  petits  à  voler,  tantôt  à  une  poule  qui 
ramasse  ses  petits  poussins  sous  ses  ailes.  Il  condescend  à 
toutes  leurs  faiblesses  ;  son  amour  le  porte  à  l'excès,  et  lui 
fait  faire  des  actions  qui  paraissent  extravagantes.  Ecoutez 
comme  il  crie  au  milieu  du  temple  :  Si  guis  sitit,  veniat  ad  Die 
et  bibat  i^').  Il  n'en  faut  pas  douter,  il  y  a  ici  une  inclination 
véhémente.  Jamais  Dieu  n'a  rien  voulu  avec  tant  de  passion  : 
or  vouloir  à  Dieu  c'est  faire.  Donc  ce  qu'il  fera  pour  ses  élus 
sera  si  grand  que  tout  l'univers  ne  paraîtra  rien  à  compa- 
raison de  cet  ouvrage.  Sa  passion  est  si  grande  qu'elle  passe 
à  tous  ses  amis,  et  fait  remuera  ses  ennemis  tous  leurs  arti- 
fices pour  s'opposer  à  l'exécution  de  ce  grand  dessein.  C'est 
le  propre  des  grands  desseins  de  s'étendre  à  beaucoup  de 
personnes.  Et  nous  ne  jugeons  jamais  un  dessein  si  grand 
que  lorsque  nous  voyons  que  tous  les  amis  y  prennent  part, 
et  que  tous  les  ennemis  s'en  remuent.  Comme   ils  ne  s'ex- 

a.  Deuf.^  X,  15.  -    h.Joau.^  vu,  37. 

Sermons  de  Hossuet.  a 


l8  FÉLICITÉ  DES  SAINTS.  MÉDITATIOM. 

citent  i\ul\  cause  de  nous  et  que  nous  donnons  le  branle 
à  leurs  mouvements,  il  fiuit  que  notre  émotion  soit  bien 
grande  pour  porter  son  coup  si  loin. 

Elle  paraît  bien,  son  affection  envers  ses  élus,  par  les  soins 
qu'il  a  de  les  rechercher.  N'est-ce  pas  lui  qui  les  a  assemblés 
de  tous  les  coins  de  la  terre,  qui  leur  a  donné  le  sang  de  son 
Fils  ?  Et  celui    qui    leur  a  donné  son  Fils,   que  leur  peut-il 
refuser  ?  Il  a  pris  plaisir  lui-môme  de  les  faire  aimables,  afin 
de  leur  donner  sans  réserve  son  affection  :  Dédit  se^netipsum 
pro  nobis,  ut  mundaret  sibi populum  acceptabilein,  sectatorern 
bo7ionini  opertcm  (").    Quoi  !  en  ce  monde,   qui   est   un  lieu 
d'épreuve  et  de  larmes,oii  il  ne  leur  promet  que  des  misères, 
où  il  veut  les  séparer  de  toutes  choses  :  Veni  sepai^are,  etc.;. 
Non  veni  pacem  mittere,  sed  gladium  ('^)  !  Cependant  il  les 
comble  de  bénédictions.  Ils  sont  inébranlables,   voient  tout 
le  monde  sous  leurs  pieds  :  ils  se  réjouissent  dans  leurs  peines: 
Gaudentes  quia  digni  habiti  sunt pro  nominejesu  contumeliam 
pati  (').  Au  reste  ils  sont  dans  un  repos,  une  fermeté  et  une 
éofalité  merveilleuse.  Leurs  chaînes  délivrent  les  infirmes  de 
leurs  maladies  :  il  donne  de  la  gloire  jusqu'à  leurs  ombres. 
Vous  diriez  que  quelque  résolution  qu'il  ait  prise,  il  ne  saurait 
s'empêcher  de  leur  faire  du  bien,   et  de  leur  laisser  tomber 
un  petit  avant-goût  de  leur  béatitude.  Et  cependant  cela  n'est 
rien,  il  leur  en  prépare  bien  davantage.  Il  n'estime  pas  que 
cela  rompe  la   résolution  de  les  affliger  :  tant  il  estime  peu 
ces  biens  à  comparaison  de  ceux  qu'il  leur  garde  !  Ce  monde 
même,  quoiqu'il  ait  été  fait  pour  les  élus,  il  semble  que  Dieu 
n'estime  pas  ce  présent  :  ou  s'il  l'estime,  c'est  à  peu  près 
comme  un  père  estimerait  cette  partie  du  bien  de  ses  enfants 
de  laquelle  ils  auraient  l'usage  commun   avec  les  valets.  Ce 
soleil,  tout  beau  qu'il  est,  luit  également  sur  les  bons  et  sur 
les    impies.   Et  quelles   seront  donc  les  choses  qu'il  réserve 
pour  ses  enfants  !  avec  combien  de  magnificence  les  régalera- 
t-il  dans  ce  banquet  de  la  gloire,  où   il  n'y  aura  que  des  per- 
sonnes choisies,  electi,  et  où  il  ne  craindra  plus  de  profaner 
ses  bienfaits  !  Avec  quelle  abondance  cette  nature  souverai- 
nement bonne  selaissera-t-elle  répandre!  abondance  d'autant 

a.  Tit.^  II,  \^.  —  b.  Mat  th.,  x,  35  ;  Ibid.,  34.  —  c.  Act.^  v,  41.. 


I 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.   MÉDITATION.  I9 

plus  grande,  qu'elle  se  sera  rétrécie  si  longtemps  durant  le 
cours  de  ce  temps  misérable,  et  qu'il  faudra  alors  qu'elle  se 
déborde  (').  Vivez,  heureux  favoris  du  Dieu  des  armées  :  il 
a  tout  fait  pour  vous  :  il  vous  a  préservés  parmi  tous  les  périls 
de  ce  monde:  il  vous  a  gardés,  quasi pupillarn  ocitli  sut  {''). 
Il  ne  s'est  pas  contenté  de  vous  faire  du  bien  par  miséricorde: 
il  a  voulu  vous  être  redevable,  afin  de  vous  donner  plus 
abondamment.  Il  a  voulu  vous  donner  le  contentement  de 
mériter  votre  bonheur,  et  a  mieux  aimé  partager  avec  vous 
la  gloire  de  votre  salut  et  de  son  dessein  dernier,  que  de 
diminuer  la  satisfaction  de  votre  âme.  Vous  êtes  les  succes- 
seurs de  son  héritage:  c'est  vous  que  regardent  les  promesses 
qu'il  a  faites  à  Abraham  et  à  Isaac  ;  mais  c'est  vous  que  re- 
garde l'héritage  promis  à  Jésus-Christ. 

II.  Il  faut  donc  savoir  que  tous  les  biens  que  Dieu  promet 
aux  prédestinés,  c'est  conjoint-ement  avec  Jésus-Christ:  il  ne 
faut  point  séparer  leurs  intérêts.  Dieu  promet  à  Abraham  de 
bénir  toutes  les  nations,  in  seniine  tuo  (^\  «  dans  ton  fils  »  ; 
où  l'apôtre  saint  Paul  remarque  :  Non  in  seminibits,  sed  tan- 
quam  in  tmo  ('").  Cette  bénédiction,  c'est  ce  qui  fait  cette 
nouvelle  vie  que  Dieu  nous  donne.  Donc  cette  vie  nouvelle 
réside  dans  Jésus-Christ  comme  dans  le  chef,  et  de  là  elle 
se  répand  sur  les  membres  ;  mais  ce  n'est  que  la  même  vie  : 
Vivo  autern^jam  non  ego;  vivit  vero  in  me  ChrisHcs  ('^).  L'héri- 
tage ne  nous  regarde  qu'à  cause  que  nous  sommes  les  enfants 
de  Dieu.  Nous  ne  sommes  les  enfants  de  Dieu  que  parce 
que  nous  sommes  un  avec  son  Fils  naturel  ;  d'autant  que 
nous  ne  pouvions  participer  la  qualité  d'enfant  de  Dieu 
que  par  dépendance  de  celui  à  qui  elle  appartient  par  préci- 
put.  C'est  pourquoi  misil  Deus  in  coi^da  nostra  Spiritnni 
Filii  sui  clamantem  :  Abba  Pate7^{').  Cet  Esprit  est  un:  L/nus 
et  idem   Spiritus  i/).    Donc,   et   notre   qualité  de  fils,  et  la 

a.  Deut.,  XXXII,  10.  —  b.  Goi.,  XXII,  18.  —  c.  Galat.,  m,  16.  —  d.  Ibid.,  il,  20. 
—  e.  Ibid.,  IV,  6.  —  /  I  Cor.^  xii,  11. 

I.  Peut-être  faut-il  lire  avec  les  anciens  éditeurs  :  qu'elle  se  débonde.  Toutefois 
le  même  mot,  écrit  seml)hiblemcnt  dans  un  autre  ms.  (Naliv.  de  la  sainte 
Vierge,  1659,  2''  point)  a  été  lu  par  eux  :  apris  s' cire  comme  débordé.  {\oy.  se 
débonder,  dans  les  Remarques  sur  la  grammaire  et  le  vocabulaire^  h  la  fin  de 
Vlfitroduction.) 


20  FÉLICITÉ  DES  SAINTS.   MÉDITATION. 


prétention  à  l'héritage,  et  la  nouvelle  vie  que  nous  avons  par 
la  régénération  spirituelle,  nous  ne  l'avons  que  par  société 
avec    jÉsus-CiiRiST  :  tanqnam    in   uno  (").   C'est    pourquoi 
Dieu  lui  a  donné   l'abondance  :  Complacuit  in  ipso  habiiare 
omncni  plcnitiidincm  (^'),   afin  que  nous  fussions  abondants 
par  ses  richesses  :  De plenititdine  ejus  nos  omnes  accepijnus  (^). 
La   vie  donc  que   nous   avons   nous   est  commune  avec 
Jésus-Christ:  or  la  vie  de  la  grâce  et  celle  de  la  gloire  est 
la  même  ;  d'autant  qu'il  n'y  a  d'autre  différence  entre  l'une  et 
l'autre  que  celle  qui  se  rencontre  entre  l'adolescence  et  la 
force  de  1  âge.   Là  elle  est  consommée  ;  mais  ici  elle  est  en 
état  de  se  perfectionner  :  mais  c'est  la  même  vie.  Il  n'y  a  que 
cette  diversité,  qu'en  celle-là  cette  vie  a  ses  opérations  plus 
libres  à  cause  de  la  juste  disposition  de  tous  les  organes  :  ici 
elles  ne  sont  pas  encore  parfaites,  d'autant  que  le  corps  n'a 
pas  encore  pris  tout  son  accroissement.  C'est  ce  qu'explique 
l'apôtre  saint  Paul:  Vita  vestra  (')  est  abscondita  cum  Christo 
in  Beo(f).  Maintenant,  dans  cette  vie  mortelle,  la  plupart  de 
ses  opérations  sont  cachées  ;  la  force  de  ce  cœur  nouveau  ne 
paraît  pas:  Cwn  atitem  Christus  apparuerit  vita   vestra,  tune 
et  vos  apparebitis  (').   Ah  !  ce  sera  lorsque  votre  vie  paraîtra 
dans  toute  son  étendue,   que  les  facultés  entièrement  dé- 
nouées feront  voir  toutes  leurs  forces,  et  que  Jésus-Christ 
paraîtra  en  nous  dans  toute  sa  gloire.    C'est  la  raison  pour 
laquelle  l'Apôtre,  parlant  de  la  gloire,  se  sert  quasi  toujours 
du  mot  de  révélation  :  ad  fiduram  gloriam  quœ  revelabitur 
in  nobis  {/)  ;  d'autant  que  la  gloire  n'est  autre  chose  qu'une 
certaine  découverte  qui  se   fait  de  notre  vie,  cachée  en  ce 
monde,  mais  qui  se  fera  paraître  tout  entière  en  l'autre.  Et 
le  même  Apôtre  décrivant  et  notre  adolescence  en  cette  vie, 
et  notre  perfection  en  l'autre,  dit  «  que  nous  croissons  et  que 
nous  nous  consommons  en  Jésus-Christ  :»  Occurramus..,  et 
in  virum perfectum,  in  niensuram,..  plenitudinis  Christi if). 
Voilà  pour  l'état  de  la  force  de  l'âge.   Et  en  attendant,  Inte- 
rim,  Crescamus  in  illo  per  omnia  qui  est  captit  Christus  (^'). 

a.  Galat.,  m,  i6.  —  b.  Coloss.,  i,  19.  —  c.  Joan.,  i,  16.  —  d.  Coloss.,  m,  3.  — 
e.  Ibid.  — /.  Rom.,  viii,  13.  — g.  Ephes.,  iv,  13.  —  h.  Ibid.^  15. 

I.  M  s.  nosira.  Citations  de  mémoire,  qu'il  fallait  rectifier  presque  partout. 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.   MÉDITATION.  2  1 


Donc  l'apôtre  saint  Paul  met  la  vie  de  la  gloire  en  Jésus- 
Christ,  comme  celle  de  la  grâce  ;  et  cela  bien  raisonna- 
blement. Car  la  même  chose  en  laquelle  nous  croissons  doit 
être  celle  en  laquelle  nous  nous  consommons.  Or  nous  crois- 
sons en  Jésus-Christ,  Crescamits.etc.  Donc  nous  devons  nous 
consommer  en  Jésus-Christ,  in  vù^uni  perfechim,  in  men- 
surmn,..  plenitndinis  Christi.  Et  cela  est  d'autant  plus 
véritable,  que  si  le  commencement  fait  une  unité,  la  consom- 
mation en  doit  faire  une  bien  plus  étroite.  Donc  nous  som- 
mes appelés  à  la  gloire  conjointement  avec  Jésus-Christ, 
et  par  conséquent  nous  posséderons  le  même  royaume.  Et 
pour  signifier  encore  plus  cette  unité,  l'Ecriture  nous  ap- 
prend que  nous  serons  dans  le  même  trône  :  Quivicerit,  dabo 
ei  sedere  mecuin  in  throno  meo  (^\ 

Or,  pour  concevoir  la  grandeur  de  cette  récompense,  il  ne 
faut  que  penser  ce  que  le  Père  éternel  doit  avoir  fait  pour 
son  Fils.  C'est  son  Fils  unique  :  Unigenitus  qni  est  in  siittt 
Patris(^'\  C'est  celui  qu'il  a  oint  de  cet[te]  huile  d'allégresse, 
c'est-à-dire,  de  la  divinité:  Unxit  te  Deus,  Deus  tuus,  oleo 
lœtitiœ  (^).  C'est  celui  qui  a  toutes  ses  affections  :  Hic  est 
Filius  meus  dilectus,  in  quo  7?iihi  bene  complacui{^^).  C'est  son 
F'ils  unique  ;  et  si  nous  sommes  ses  enfants,  ce  n'est  que  par 
un  écoulement  de  l'esprit  et  delà  vie  de  son  Fils,  qui  a  passé 
jusqu'à  nous.  Et  c'est  pourquoi  seul  il  est  l'objet  de  ses  affec- 
tions. Mais  comme  nous  sommes  ses  enfants  par  la  partici- 
pation de  l'esprit  de  son  Fils,  in  quo  clainanius:  Abba  Pater  ('), 
aussi  sommes-nous  ses  bien-aimés  par  une  extension  de  son 
amour.  Il  doit  à  ses  élus  la  même  affection  qu'il  a  pour  son 
Fils  ;  et  il  leur  doit  par  conséquent  le  même  royaume.  Et 
puisque  nous  sommes  ses  enfants,  nous  sommes  ses  bien- 
aimés.  Par  la  société  de  la  filiation  et  de  l'amour  de  son  Fils, 
nous  devons  aussi  avoir  le  même  héritage.  C'est  ce  que  dit 
l'apôtre  saint  Paul  :  Qui  eripuit  nos  de  potestate  tcnebrarnm, 
et  transtulit  in  regnum  Filii  dilectionis  suœ  (f). 

Voilà  ce  qu'était  Jésus-Christ  à  son  Père  à  raison  de  sa 
filiation  ;  et  cela  f  lisait  sans  doute  une  ohlif^ation  bien  étroite 

a.  Apûc.y  ni,  2F.  —  ù.  /fldfi.,  I,   iS.  —  c.  Ps.,  Kl. IV,  8.    —  (f.  Matth.,  m,  i;. 
—  e.  Rom.,  VIII,   15.  — /.  Coioss.^  i,  13. 


22  FÉLICITÉ  DES  SAINTS.    MÉDITATION. 


de  lui  préparer  un  royaume  magnifique;  mais  lui-même 
l'exagère  encore  dans  l'Apocalypse  :  Qui  vicerit,  dabo  ei  sedere 
viecuDi  in  throno  nico  :  si  ait  d  ego  vici,  et  sedi  ciim  Pâtre  meo  (') 
/;/  th'ono  cjiis  (").  Comme  s'il  disait  :  Je  devais  attendre  de 
mon  Père  de  grandes  choses,  à  raison  de  la  qualité  que  j'ai  de 
son  Fils  unique  et  bien-aimé  ;  mais  quand  je  n'eusse  dû  rien 
attendre  d'une  affection  si  légitime,  il  ne  me  peut  rien  refuser 
après  mes  victoires.  C'est  moi  qui  ai  renversé  tous  ses  enne- 
mis :  c'est  moi  qui  ai  établi  son  royaume  :  par  moi  il  est  béni 
dans  les  siècles  des  siècles  :  par  moi  sa  miséricorde  et  sa 
justice  éclatent:  je  lui  ai  conquis  un  peuple  nouveau  et  un 
nouveau  royaume:  c'est  moi  qui  ai  établi  la  paix  dans  ses 
États.  Y  eut-il  jamais  un  plus  puissant  exécuteur  de  ses 
ordres  ^  J'ai  renversé  tous  ses  ennemis  et  ai  fait  redouter  sa 
puissance  à  la  terre  et  aux  enfers.  Y  eut-il  un  fils  plus  obéis- 
sant que  moi,  après  m'être  soumis  à  la  mort  et  à  la  mort  de 
la  croix  ?  Jamais  prêtre  lui  offrit-il  une  hostie  plus  agréable 
et  plus  sainte?  jamais  y  eut-il  lévite  qui  lui  ait  immolé  avec 
plus  de  pureté  que  moi,  puisque  je  me  suis  immolé  moi-mê- 
me comme  une  hostie  sainte  et  immaculée:  non  pas  pour 
mes  péchés,  mais  pour  les  péchés  des  autres?  Ah  !  il  n'y  a 
rien  que  je  ne  doive  non  seulement  attendre,  mais  encore 
justement  exiger  de  mon  Père.  Aussi  n'ai-je  pas  sujet  de  me 
plaindre  de  lui.  Il  a  ouvert  sur  moi  tousses  trésors:  il  m'a 
mis  à  sa  dextre,  et  je  ne  pouvais  pas  attendre  de  plus  grand 
honneur. 

C'est  là  ce  qui  regarde  Jésus -Christ:  voilà  ce  qui  nous 
regarde.  Sa  gloire  est  grande,  il  est  vrai,  mais  le  bien  qui  le 
regarde  nous  regarde  aussi:  ses  prétentions  sont  les  nôtres. 
S'il  a  vaincu,  ce  grand  capitaine,  il  a  vaincu  pour  nous  aussi 
bien  que  pour  lui;  et  j'ose  dire  plus  pour  nous  que  pour  lui: 
car  il  n'avait  rien  quasi  à  gagner,  étant  dans  l'abondance,  ou 
s'il  avait  quelque  chose  à  gagner,  c'étaient  les  élus.  S'il  a  été 
obéissant  à  son  Père,  c'a  été  pour  nous.  Le  sacrifice  même 
de  ce  grand  prêtre  est  pour  nous  consommer  avec  lui  dans 
son  Père:  Sanctifico pro  eis  meifisum  (''')  .*  Et  cela  pourquoi  ? 

a.  Apoc,  III,  21.  —  b.Joan.,  xvii,  19. 
I .  Ms.  sedi  ad  dexteram  Pairis. 


9. 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.  MÉDITATION.  2^ 

Ut  omnes  unuin  sint  ;  si  eut  tu...  in  me  et  ego  in  te,  tit  et  ipsi 
in  nobis  unum  sinti^').  Nous  mourons  en  sa  mort;  nous  res- 
suscitons en  sa  résurrection;  nous  sommes  immolés  dans  son 
sacrifice  :  tout  nous  est  commun  avec  lui.  Et  si  nos  souffran- 
ces ne  sont  qu'une  continuation  des  siennes  :  adimplco...  qtiœ 
desunt passionum  Christii^'^,  notre  gloire  ne  doit  être  qu'une 
extension  de  la  sienne.  Si  enim,  comme  dit  l'Apôtre,  ctini 
inimici  essemus,  reconciliati  sumus  Deo per  mortem  Filiiejus, 
multo  magis  reconciliati  salvi erimus  in  vita  ipsius  (')  :  Si,  lors 
même  que  nous  étions  séparés  de  lui,  ce  qui  se  passait  en 
lui  venait  jusqu'à  nous;  si  nous  sommes  morts  au  péché  dans 
sa  mort  ;  à  plus  forte  raison  les  propriétés  de  sa  vie  doivent 
nous  être  communiquées  après  que  nous  avons  été  réunis 
par  la  réconciliation  avec  son  Père,  et  qu'il  nous  a  lui-même 
donné  sa  vie. 

La  grâce  et  la  vie  nouvelle  réside  en  lui  ;  mais  elle  n'y 
réside  que  comme  dans  la  principale  partie.  Et  tout  de  même 
que  la  vie  du  cœur  ne  serait  pas  parfaite,  si  elle  ne  se  répan- 
dait sur  les  membres,  quoiqu'elle  réside  principalement  dans 
le  cœur  :  ainsi  il  manquerait  quelque  chose  à  la  vie  nouvelle 
de  Jésus-Christ,  si  elle  ne  se  répandait  sur  les  élus  qui  sont 
ses  membres,  quoiqu'elle  réside  principalement  en  lui  comme 
dans  le  chef.  Sa  clarté  ne  paraît  pas  dans  sa  grandeur,  si  elle 
ne  se  communique  ;  d'autant  que  ce  n'est  pas  comme  ces 
lumières  .découlées  du  soleil,  qui  ne  se  répandent  pas  plus 
loin  ;  mais  c'est  une  lumière  et  une  splendeur  première  et 
originelle,  telle  que  celle  qui  réside  dans  le  soleil.  Vous  gâtez 
une  source,  quand  elle  ne  s'étend  pas  dans  tout  le  lit  du 
ruisseau. 

C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  dit  à  son  Fèrt:  Bgo  in  eis  et  tu 
in  me,  ut  sint  consnmmati  in  unum  ("').  Vous  êtes  un,  mon  Père, 
et  vous  voulez  tout  réduire  à  l'unité  :  2tt  sint  unum,  sicut  et 
nos  umtm  sumus  (').  C'est  pourquoi  vous  êtes  dans  moi  et 
moi  en  eux,  «  afin  de  les  consommer  dans  l'unité  »  :  ut  sint 
consnmmati  in  unum.  C'est  pourquoi  «  je  leur  ai  donne  la 
clarté  que  vous  m'avez  donnée  »  :  Dedi  eis  claritatcm  quam 

a.  Joaît.,  XVII,  21.  —  b.  Cû/ûss.,  i,  24,  —  c.  Rom.,  v,  10.  —  d.  Joan.,  xvn,  23.  — 
e.  Ibid.j  22. 


24  FÉLICITÉ  DES  SAINTS.  MÉDITATION. 

drdisfi  uiihi,  lit  suit  iiiium.  sicuf  et  nos  (^)  :  parce  que  cette  clarté 
m'est  doiinctî  pour  la  leur  communiquer.  Et  «  c'est  par  là 
qu'il  faut  que  tout  le  monde  sache  que  vous  m'avez  envoyé  »  : 
ut  cos^noscat  nnindus  quia  tn  me  luisisti  C).  Voilà  pourquoi  je 
suis  venu  :  voilà  votre  dessein  quand  vous  m'avez  envoyé, 
de  consommer  tout  en  un.  C'est  pourquoi,  Pater,  quos  dedisti 
)Ni7ii  {"),  «  Père,  ceux  (jue  vous  m'avez  donnés  »,  non  seule- 
ment comme  mes  compagnons  et  comme  mes  frères,  mais 
comme  mes  membres  ;  vota,  ah  !  ce  sont  mes  membres  :  si 
vous  me  laissez  la  disposition  de  moi-même,  vous  me  devez 
laisser  celle  de  mes  membres  :  volo  tit  ubi  sum  ego,  et  illi 
sint  ("').  Si  je  suis  dans  la  gloire,  il  faut  qu'ils  y  soient  :  inecMm, 
niecicin,  «  avec  moi,  par  unité  avec  moi  »  ;  afin  qu'ils  connais- 
sent la  clarté  que  vous  m'avez  donnée,  qu'ils  la  connaissent 
en  eux-mêmes,  et  qu'ils  voient  sa  grandeur  par  son  étendue 
et  par  sa  communication  \quam  dedisti  niihi :  «c'est  de  vous 
que  je  la  tiens,  mon  Père  ».  C'est  pourquoi,  «  parce  que 
vous  m'aimiez  avant  la  création  du  monde  »  :  quia  tu  me 
dilexisti  ante  coustitutio7iem  mundi,  vous  me  l'avez  donnée 
tout  entière,  capable  de  se  communiquer  et  de  se  répandre  : 
Ut  ubi  ego  sum  et  illi  sint  mecum,  ut  videant  claritatem  meam 
quant  dedisti  mihi  ("').  «  Je  me  sacrifie  pour  eux  »  et  pour 
leurs  péchés  :  pro  eis  ego  sanctifico  meipsum  (^).  C'étaient  des 
victimes  dues  à  votre  colère  :  je  me  mets  en  leur  place, 
pro  eis,  «  pour  eux  »,  afin  qu'ils  soient  saints  et  consacrés  à 
votre  majesté  en  même  temps  que  je  me  dévoue  et  me 
sacrifie  moi-même. 

Ouand  les  bras  ou  les  autres  membres  ont  failli,  c'est 
assez  de  punir  le  chef.  Quand  on  couronne  le  chef,  il  faut 
que  les  membres  soient  couronnés  :  s'ils  ne  participent  à 
la  gloire  du  chef,  il  faut  que  la  gloire  du  chef  soit  petite  ('). 
Il  manquerait  quelque  chose  à  la  perfection  de  mon  offrande, 
s'ils  n'étaient  offerts  en  moi  :  Sanctifico  meipsum  pro  eis,  ut 

a.  Joan.,  xvn,  22.  —  b.  Ibid.,  23.  —  c.  Ibid.,  24.  —  d.  Ibid.  —  e.  Ibid.  — /  Ibid.,  19. 

I.  Note  marginale  :  Et  ipsum  dédit  caput  sitpra  omnem  Eccleslani,  quœ  est 
corpus  ejits,  et  plénitude  ejtis,  qui  omnia  i7i  omnibus  adiinpletiir.  (Eph.,  I,  22,  23.) 
—  Sur  quoi  l'auteur  fait  cette  glose  :  Ideoque  adimpletur,  eo  qiiod  fit  oimiia  in 
onuiibus. 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.  MÉDITATION.  25 

sint  et  ipsi  sanctificati  ;  à  ma  mort,  s'ils  ne  mouraient  par 
ma  mort  :  Adimpleo...  qtiœ  desunt  passionum  Christi  pro 
corpore  ejus  quod  est  Ecclesia  ('')  ;  à  ma  vie,  à  ma  résurrection 
et  à  ma  gloire,  s'ils  ne  ressuscitaient  par  ma  résurrection,  et 
ne  vivaient  par  ma  vie,  et  ne  fussent  glorieux  par  ma  gloire. 
Mon  Père,  je  suis  en  eux  :  il  faut  donc  «  que  l'amour  que 
vous  avez  pour  moi,  soit  en  eux  »  :  Dilectio  qua  dilexisti  me 
in  ipsîs  sit,  et  ego  in  ipsis  ('^)  :  et  il  faut  aussi  que  la  joie  et  la 
gloire  que  vous  me  donnerez  soit  en  eux,  «  afin  que  ma  joie 
soit  pleine  en  eux  »  :  iit  Jiabeant  gatidium  meuin  iinplctinn 
in  semetipsis  (^).  Mea  omnia  tua  stmt,  et  tua  viea  sunt  ;  et 
clarifie atus  stem  in  eis  {^). 

La  gloire  du  chef  tombe  sur  les  membres,  et  la  gloire  des 
membres  revient  au  chef.  Je  suis  glorifié  en  eux  ;  il  faut  qu'ils 
soient  glorifiés  en  moi.  Père  saint.  Père  juste,  je  vous  les 
recommande  :  puisqu'ils  sont  à  moi,  ils  sont  à  vous  ;  et  si 
vous  m'aimez,  vous  en  devez  avoir  soin  comme  de  moi. 
Enfin  il  ne  veut  dire  autre  chose  par  tout  ce  discours,  sinon 
que  nous  sommes  tous  à  lui,  comme  étant  un  avec  lui,  et 
comme  devant  être  aimés  du  Père  éternel  par  la  même 
affection  qu'il  a  pour  lui  ;  non  pas  qu'elle  ne  soit  plus  grande 
pour  lui  que  pour  nous  ;  mais  cela  ne  fait  pas  qu'elle  soit 
différente.  C'est  le  même  amour,  qui  va  droit  à  lui  et  rejaillit 
sur  nous  :  à  peu  près  comme  une  flèche  qui  par  un  même 
coup  et  un  même  mouvement  perce  la  première  chose  qu'elle 
rencontre,  et  ne  fait  à  ce  qu'elle  attrape  après  qu'une  légère 
entamure  ;  ou  comme  un  bon  père  qui  regarde  ses  enfants 
et  les  leurs  (')  par  un  même  amour,  qui  ne  laisse  pas  d'être 
plus  grand  dans  ses  enfants  sur  lesquels  se  porte  sa  première 
impétuosité  ;  ou  plutôt  comme  nous  aimons  d'une  même 
affection  tout  notre  corps,  quoique  nous  ayons  plus  de  soin 
de  conserver  et  honorer  les  plus  nobles  parties. 

Et  après  cela  nous  nous  étonnons  si  Dieu  agit  avec  pas- 
sion !  et  s'il  agit  avec  passion,  comment  ne  produira[-t-il] 
point  des  effets  extraordinaires,  et  qui  surpasseront  toutes 
nos  pensées  ?  La  passion  fait   faire  des  choses  étranges  aux 

a.  Coloss.y  I,  24.  —  O.Joufi.^  xvii,  26.  —  c.  Ibid.,  i  j.  —  d.  Ibid.^  10.  (M s.  elct^o^  etc.) 
I.  E'di'/.  ses  enfants  et  les  aulies.  (Contresens.) 


26  FÉLICITÉ  DES  SAINTS.  MÉDITATION. 

personnes  les  plus  faibles  :  et  que  fera-t-elle  à  Dieu  ?  Elle 
fait  surpasser  aux  hommes  leur  propre  puissance  :  eh  !  le 
moins  qu'elle  puisse  faire  à  Dieu,  c'est  de  lui  faire  passer 
les  bornes  de  sa  puissance  ordinaire.  Non,  ce  n'est  pas 
assez  pour  rendre  les  élus  heureux,  d'employer  cette  puis- 
sance par  laquelle  il  a  fait  le  monde  ;  il  faut  qu'il  étende  son 
bras  :  /;/  viamt  forti  et  brachio  exte^tto  ('").  II  ne  s'attachera 
plus  aux  natures  des  choses  :  il  ne  prendra  plus  loi  que  de  sa 
puissance  et  de  son  amour.  Il  ira  chercher  dans  le  fond  de 
l'àme  l'endroit  par  où  elle  sera  plus  capable  de  félicité.  La 
joie  y  entrera  avec  trop  d'abondance  pour  y  passer  par  les 
canaux  ordinaires  ;  il  faudra  lui  ouvrir  les  entrées,  et  lui 
donner  une  capacité  extraordinaire.  Il  ne  reo^ardera  plus  ce 
qu'il  en  a  fait,  mais  ce  qu'il  en  peut  faire.  Ce  sera  là  où  il 
donnera  comme  le  coup  du  maître  :  il  nous  est  inconcevable, 
misérables  apprentis  que  nous  sommes.  Il  tournera  notre 
esprit  de  tous  côtés,  pour  le  façonner  entièrement  à  sa  mode, 
et  n'aura  égard  à  notre  disposition  naturelle  qu'autant  qu'il 
faudra  pour  ne  nous  point  faire  de  violence. 

Aussi,  lorsqu'il  décrit  les  douceurs  du  paradis,  ce  n'est  que 
par  des  mystères,  pour  nous  en  témoio-ner  l'incompréhen- 
sibilité.  Écoutons  ses  promesses  dans  l'Apocalypse  :  Vin- 
centi  dabo  ei  manna  absconditttm  (^'),  des  douceurs  cachées  ; 
Dabo  ei  edere  de  ligno  vitœ  ('')  :  quoi  !  est-ce  quelque  chose 
de  semblable  à  nos  fruits  ordinaires  ?  N'attendez  pas  que 
vous  en  trouviez  en  ce  monde.  Il  ne  croît  que  dans  le  jardin 
de  mon  Père,  et  il  faut  que  le  terroir  en  soit  cultivé  par  sa 
propre  main  :  qttod  est  in  paradiso  Dei  mei  (f).  Dabo  ei 
nomen  novum  (^)  .•  Dieu  ne  donne  point  un  nom  sans  signi- 
fication ;  c'est  pourquoi,  quand  il  change  le  nom  à  Abraham 
et  à  Jacob,  il  en  atteste  incontinent  la  raison  ;  et  la  preuve 
en  est  évidente  au  nom  de  son  Fils.  La  raison  est  qu'à  Dieu 
dire  et  faire  c'est  la  même  chose  :  Dixit  et  fada  sunt  (f).  Et 
ici  :  Dabo  ei  nomen  novum  :  et  non  seulement  il  sera  nouveau, 
mais  encore  est-il  inconnu  ;  et  il  faut  en  avoir  en  soi  la  signi- 
fication pour  l'entendre  :  qiiod  nemo  scit,  nisi  qui  accipit  (f). 

a.  Deut.,  V,  15.  —  b.  Apoc,  11,  17.  —  c.  Ibid.^  7.  —  d.  Ibid.^  7.  —  e.  Ibid.^  17.  — 
/  Ps.  XXXII,  9.  —g.  Apoc,  II,  17. 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.   MÉDITATION.  27 

L'apôtre  saint  Paul  avait  vu  quelque  chose  de  cette  gloire; 
disons  mieux,  il  en  avait  ouï  quelque  chose  dans  la  proximité 
du  lieu  où  il  fut  ravi.  N'attendons  pas  qu'il  nous  en  dise  des 
particularités  :  il  en  parle  comme  un  homme  qui  a  vu  quelque 
chose  d'extraordinaire,  qui  ne  nous  en  fait  la  description 
qu'en  méprisant  tout  ce  que  vous  lui  pouvez  apporter  au 
prix  de  ce  qu'il  a  vu,  ou  bien  en  avouant  qu'il  ne  saurait 
l'expliquer.  Il  en  marque  quelques  conditions  générales,  qui 
nous  laissent  dans  la  même  ignorance  où  il  nous  a  trouvés  : 
Utpossitis  comprehendere  cuin  omnibus  sanctis  quœ  sit  longitti- 
do,  et  latitudo,  et  stcblimitas  et  profundum  (^)  :  ne  vous  semble- 
t-il  pas  entendre  un  homme  qui  aurait  vu  quelque  magnifique 
palais,  semblable  à  ces  châteaux  enchantés  de  qui  nous  entre- 
tiennent les  poètes,  et  qui  ne  parlerait  d'autres  choses  sinon 
de  la  hauteur  des  édifices,  de  la  largeur  des  fossés,  de  la  pro- 
fondeur des  fondements,  de  la  longueur  prodigieuse  de  la 
campagne  qu'on  découvre;  au  reste,  ne  peut  pas  donner  une 
seule  marque  pour  le  reconnaître,  ni  en  faire  une  description 
qui  ne  soit  grossière  :  tant  il  est  ravi  en  admiration  de  ce  beau 
spectacle  !  Voilà  à  peu  près  ce  que  fait  le  grand  Apôtre.  Il  ne 
nous  exprime  la  grandeur  des  choses  qu'il  a  vues  que  par 
l'empressement  où  il  est  de  les  décrire,  et  par  la  peur  qu'il  a 
d'en  venir  à  bout.  Demandez-lui-en  des  particularités  :  il 
vous  dira  que  cela  est  inconcevable  ;  tout  ce  que  vous  pouvez 
lui  dire  n'est  rien  à  comparaison.  Parlez-lui  des  grandeurs 
de  ce  monde,  et  de  toute  la  beauté  de  l'univers,  pour  savoir 
du  moins  ce  que  c'est  que  ce  royaume  par  comparaison  et 
par  ressemblance  :  il  n'a  rien  à  vous  dire,  sinon  :  Arbitror 
Mt  stercora  ('')  :  «  comme  du  fumier  et  de  l'ordure  ».  Ne 
lui  alléguez  point  le  témoignage  de  vos  yeux  ni  de  vos 
oreilles  :  Dieu  agit  ici  par  des  moyens  inconnus. 

Il  donne  un  tour  tout  nouveau  à  la  créature  ;  et  puisque, 
comme  j'ai  dit  en  cette  action,  il  ne  prend  point  de  loi  que 
de  sa  puissance  ('),  et  qu'il  ne  s'attache  [)as  à  la  nature  des 


a.Ephes.^  ni,  18.  —  b.  Phtltpp.,  ni,  8. 

I.  Les  éditeurs  en  mettant  une  virgule  apri^s  dif^  font  un  contresens.  Action 
signifiant  discours  est  fréquent  au  XVI  I*=  siècle.  Il  n'y  a  ici  aucune  ponctuation 
au  manuscrit. 


28  FÉLICITÉ  DES  SAINTS.  MÉDITATION. 


choses,  nous  ne  pouvons  pas  plus  concevoir  cet  effet  que  sa 
vertu.  Les  choses  prendront  une  tout  autre  face,  d'autant 
que  Dieu  agira  «  par  cette  opération,  par  laquelle  il  se  peut 
tout  assujettir  »,  c'est-à-dire,  changer  tout  l'ordre  de  la 
nature,  et  faire  servir  toute  sorte  d'être  à  sa  volonté  :  secim- 
dit})i  opérai ioncm  qua...  possit  sitbjicere  sibi  oninia  {^).  C'est 
pourquoi  l'œil,  qui  voit  tout  ce  qu'il  y  a  de  beau  dans  le 
monde,  n'a  rien  vu  de  pareil  ;  l'oreille,  par  laquelle  notre  âme 
pénètre  les  choses  les  plus  éloignées,  n'a  rien  entendu  qui 
approche  de  la  grandeur  de  ces  choses  ;  l'esprit,  à  qui  Dieu 
n'a  point  donné  de  bornes  dans  ses  pensées,  toujours  abon- 
dant à  se  former  des  idées  nouvelles,  ne  saurait  se  figurer 
rien  de  semblable  :  Oculus  non  vidit,  nec  auris  audivit,  nec 
in  cor  hominis  ascendit  quœ  prœparavit  Dcus  us  qui  diligunt 
ilhun  (^').  Le  Sauveur  du  monde,  le  plus  juste  estimateur 
des  choses  qui  pût  être,  voyant  d'un  côté  la  gloire  que  son 
Père  lui  présentait,  d'autre  côté  l'infamie,  la  cruauté,  l'igno- 
minie de  son  supplice,  avec  lequel  il  fallait  acheter  la  félicité, 
dans  cet  échange  il  fit  si  peu  d'état  de  son  supplice,  qu'à 
peine  le  considéra-t-il  ;  et  sans  délibération  ^yicxino.,  proposito 
sibi  gaudio,  sicstinuit  crucem  confusione  contempla  (^).  Et  il 
est  à  remarquer  qu'il  ne  s'agissait  que  d'une  partie  acciden- 
telle de  sa  béatitude,  étant  en  possession  de  la  béatitude 
essentielle  dès  sa  conception.  Et  que  sera-ce  donc  de  nous 
qui  avons  à  combattre  pour  le  total,  et  qui  avons  à  souffrir  si 
peu  de  chose  ?  Qu'il  est  bien  vrai,  ce  que  dit  l'Apôtre  :  Non 
siintcondignœ passiones  hujus  femporis  ad fiUuram gloriam  ("'). 
Mais  nous  ne  le  concevons  pas.  Prions  donc  Dieu  qu'il  nous 
fasse  la  grâce  de  connaître  quelle  doit  être  cette  gloire,  qui 
doit  être  le  dernier  accomplissement  des  desseins  de  Dieu,  et 
quelle  doit  être  la  magnificence  de  ce  royaume  qui  nous  est 
préparé  conjointement  avec  Jésus-Christ,  et  quel  doit  être 
cet  effet  merveilleux  que  Dieu  opérera  dans  nos  âmes  par 
cette  opération  surnaturelle  et  toute-puissante  :  Det  vobis 
spiriticm  sapientiœ,  dans  la  connaissance  de  ses  desseins  :  et 
revelationis  in  agnitione  ejus  (^)  ;  dans  la  connaissance  de  son 

a.  Phil.^  ni,  21.  —  b.  I  Cor,^  n,  9.    —   c.  Hebr.^  XI i,  2.  —    d.  Rom.,  Vlll,  18. 
r--  e.  Ephes.j  i  17. 


FÉLICITÉ  DES  SAINTS.   MÉDITATION.  29 

amour  :  illuminatos  ocmIos  cordis  vestri  (f)  :  de  ce  cœur  et  de 
cette  âme  nouvelle  qu'il  nous  a  donnés  pour  porter  notre 
esprit  à  des  choses  tout  autres  que  celles  que  nous  voyons  en 
ce  monde,  et  nous  remettre  en  l'esprit  la  puissance  de  Dieu, 
ut  sciatis  quœ  sit  spes  vocationis  ejus,  «  ce  que  nous  devons 
espérer  d'une  vocation  si  haute»,  étant  appelés  de  lui  au  der- 
nier accomplissement  de  ses  ouvrages  ;  «  et  quœ  divitiœ glo7'iœ 
hœreditatis  ejtts  in  sanctis  (''')  »,  quelle  est  la  richesse  et 
l'abondance  de  ce  royaume  ;  «  et  quœ  sit  supereminens  ma- 
gnitudo  virtutis  ejus  in  nos  qui  credimus  (^)  »,  et  combien 
grand  sera  l'efTort  de  sa  puissance  qu'il  fera  sur  nous,  par 
l'extension  qu'il  fera  sur  nous  des  miracles  et  des  grandeurs 
qu'il  a  opérés  en  Jésus-Christ  :  «  secundaun  operationem 
potentiœ...  ejus  qua'tn  operatus  est  in  Christo  (''').  Puissions- 
nous  concevoir  l'affection  que  Dieu  a  pour  nous,  par  laquelle, 
cum  essemus  mortui peccatis,  convivificavit  nos  in  Christo,.. 
et  conresuscitavit  (^)  :  voilà  l'unité  dans  la  vie  ;  et  consedere 
fecit...  in  Christo  (■^)  :  voilà  l'unité  de  la  gloire  ;  ut  ostenderet 
in  sœculis  supervenientibus ,  »  afin  de  faire  paraître  dans  l'éter- 
nité la  magnificence  de  sa  grâce  en  Jésus-Christ  dans  ses 
membres,  par  l'écoulement  de  la  gloire  de  Jésus-Christ 
sur  nous  :  «  tU  ostenderet  ijt  sœculis  supervenientihtts  abun- 
dantes  divitas  gratiœ  suœ,  in  bonitate  super  nos  ht  Christo  ('•'). 

a.  Ephes.^  I.  18.  —  b.  Ibid.  —  c.  Ibid.^  19.  —  d.  Ibid.^  20.  —  e.  Ibid.^  il,  5.  — 
f.Ibid.,6.  —  .^.  Ibid.,7. 


i 


PANÉGYRIQUE  de  SAINT  GORGON('). 
Prêché  à  Metz,  le  9  septembre  1649. 


C'est  ici,  à  proprement  parler,  le  premier  discours  de  Bossiict 
qui  nous  ait  été  conservé.  Il  n'était  encore  que  sous-diacre  quand 
il  le  prononça.  On  verra  combien  la  langue  et  l'éloquence  de 
celui  qui  devait  être  un  si  grand  orateur  avaient  encore  de  progrès 
à  faire.  Et  toutefois,  dans  sa  forme  archaïque,  ce  panégyrique  nous 
paraîtra  valoir  mieux  que  sa  réputation.  Elle  était  due  en  grande 
partie  aux  altérations  du  premier  éditeur.  Trouvant  en  plusieurs 
passages  un  brouillon  et  une  mise  au  net,  Deforis  s'est  mis  en  tête 
de  les  fondre  dans  une  rédaction  unique.  C'est  ainsi  que  ce  discours 
est  devenu  la  confusion  même.  La  date  a  été  fixée  avec  certitude 
par  Gandar  (Bossîiet  orateur^  25-35). 


Quorum  intîientes  exitum  conversa- 
iionis^  imitainini  fidejn. 

Imitez  (^)  leur  foi  en  regardant  la  fin 
de  leur  conversation  sur  la  terre,c'est- 
à-dire  leur  vie.  {Hebr.^  Xlil,  7.) 

Monseigneur  (3), 

SI  nous  ne  devions  ce  jour  tout  entier  à  la  gloire  de 
saint  Gorgon,  ou  si  j'étais  en  un  lieu  où  je  pusse 
vous  témoigner  la  joie  que  toute  la  ville  a  reçue  de  votre 
arrivée,  je  vous  dépeindrais  si  bien  (^)  les  sentiments  de 
ce  peuple  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  commettre  à  votre  garde, 
que  mes  auditeurs  ne  pourraient  s'empêcher  de  donner  sur 
ce  sujet  à  mon  discours  une  approbation  publique.  Mais 
outre  que  votre  vertu  a  paru  suffisamment  par  vos  grands 
emplois  {^),  et  que  votre  science  a  été  assez  reconnue  dans 
la  plus   célèbre   compagnie  de  savants  qui  soit  au  reste  du 

1.  Le  ms.  (Meaux,  A,  13,  —  douze  feuillets  petit  in-4°,  non  paginés)  porte  sur 
l'enveloppe  :  saint  Gorgon^  2.  Il  faut  lire  :  deux,  et  non  deuxième, 

2.  Deforis  s'est  permis,  dès  le  premier  mot,  de  refaire  la  traduction  de  l'auteur. 
Nous  le  verrons  dans  tout  ce  discours  prêter  à  Bossuet  écolier  le  secours  de  son 
expérience. 

3.  Bédacier,  récemment  nommé  évêque  sufifragant  (auxiliaire)  de  Metz. 

4.  Var.  avec  tant  de  naïveté. 

5.  «  Prieur  de  Marmoutiers,  avant  d'être  évêque  d'Auguste,  un  sous-diacre 
pouvait  dire  de  lui  qu'il  avait  rempli  de  grands  emplois.  »  (Gandar,  Bossuet 
orateur^  31.)  —  Bédacier  était  bénédictin. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GOKGON. 


monde,  la  dignité  de  cette  chaire  (').  ce  temple  auguste  {') 
que  Dieu  remplit  de  sa  gloire,  ces  sacrés  autels  où  on 
va  célébrer  le  saint  sacrifice  demandent  de  moi  une  telle 
retenue  qu'il  faut  que  je  m'abstienne  de  dire  la  vérité, 
pour  qu'il  ne  paraisse  dans  mon  discours  aucune  apparence 
de  flatterie.  Seulement  je  vous  dirai  que  l'honneur  imprévu 
de  votre  présence  [est]  pour  moi  une  rencontre  si  favorable 
que  je  ne  vous  en  puis  dissimuler  mon  ressentiment. 

Après  que  les  bienheureux  martyrs  avaient  rendu  l'âme, 
les  fidèles  avaient  soin  de  ramasser,  au  péril  de  leur  vie,  ce 
qui  restait  de  leurs  corps  ;  et  l'Église  conservait  si  chèrement 
ce  sacré  dépôt,  que  les  tyrans,  pour  leur  ôter  les  honneurs 
que  Ton  leur  rendait,  étaient  contraints   de  faire  jeter  dans 
la   rivière  leurs  saintes   reliques  :   que    si    elle    pouvait  les 
dérober  à  cette  dernière  cruauté,  elle  célébrait  leurs  funé- 
railles avec  des  cantiques  d'actions  de   grâces,  élevant  au 
ciel  son   cœur  et  ses   yeux   pour   louer    Dieu  de  les   avoir 
rendus  dignes  d'un  si  grand  honneur.   Au  reste,    elle    ne 
voulait  point  qu'on  appelât  des  tombeaux  les  lieux  où  elle 
renfermait  leur  sainte  dépouille  :  elle  les  nommait  d'un  nom 
plus   auguste    les   Mémoires  des   7nartyrs.    Et    si   les  tom- 
beaux des  hommes  ordinaires  sont  des  marques  qu'ils  ont 
succombé  aux  attaques  de  la  mort,  elle  témoignait,  au  con- 
traire, que  les  tombeaux  des  martyrs  étaient  des  trophées 
qu'elle   érigeait    à   leur   nom,   pour   être  (^)   un    monument 
éternel  de  la  victoire  qu'ils   ont  remportée  glorieusement 
sur  la  mort. 

Mais  parmi  tout  cela  les  chrétiens  ne  croyaient  point  leur 
pouvoir  rendre  de  plus  grands  respects  qu'en  se  les  propo- 
sant pour  exemple.  Tout  ainsi,   dit   saint   Basile,   que    les 

1 .  Var.  la  chaire  où  je  suis. 

2.  Saint-Gorgon,de  Metz.  Nombre  de  magistrats, notamment  Hcnigne  Hossiiet, 
père  de  l'orateur,  habitaient  cette  paroisse.  Malgré  l'emphase  de  l'expression,  ce 
«  temple  auguste  »  ne  désigne  pas  la  cathédrale,  où  la  présence  de  l'évcque 
n'aurait  pas  été  pour  le  débutant  un  «  honneur  imprévu  ».  D'ailleurs  une  phrase 
de  la  i""  rédaction  du  second  point  est  formelle.  «  Il  faut  cpie  votre  paroisse, 
illustre  par  tant  de  raisons,  mais  surtout  pour  être  sous  la  protection  d'un  si 
grand  martyr,  se  rende  »  etc. 

3.  Var.  Pour  servir  à  la  postérité  d'un  mémorial  éternel. 


32  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 


ab(Mll(^s  (')  sortent  de  leur  ruche  quand  elles  voient  le  beau 
temps,  et,  parcourant  les  Heurs  de  quelque  belle  campagne, 
s'en  retournent  chargées  de  cette  douce  liqueur  que  le  ciel 
y  verse  tous  les  matins  avec  la  rosée  :  de  même  aux  jours 
illustres  par  la  solennité  des  martyrs,  nous  accourons  en  foule 
à  leurs  Mémoires,  pour  y  recueillir  comme  un  don  céleste 
l'exemple  de  leurs  vertus.  Voilà,  messieurs  ('),  ce  qui  nous 
assemble  aujourd'hui.  Saint  Gorgon  a  laissé,  en  mourant, 
une  certaine  odeur  de  sainteté  sur  la  terre,  que  l'Eglise  ne 
manque  point  de  rafraîchir  tous  les  ans.  C'est  là  sans  doute 
ce  qui  nous  en  est  demeuré  de  meilleur.  Nous  ne  pouvons 
pas  appeler  ces  précieux  restes  les  reliques  de  son  corps, 
mais  nous  ne  nous  éloignerons  pas  de  la  raison,  quand  nous 
les  nommerons  les  reliques  de  sa  sainteté.  Ce  sont  celles- 
là  que  je  m'en  vais  {f)  vous  produire  dans  ce  discours  ;  con- 
servez-les dans  vos  cœurs  comme  dans  un  saint  reliquaire, 
et  faites  en  sorte  que  toutes  vos  affections  s'en  ressentent. 
Quelle  joie  vous  sera-ce,  lorsque  vous  ressusciterez  avec 
saint  Goreon,  de  reconnaître  en  cette  bienheureuse  entrevue, 
les  endroits  de  son  corps  que  vous  aurez  baisés  sur  la  terre, 
et  les  vertus  que  vous  y  aurez  imitées  ! 

Je  n'ai  que  faire  de  vous  demander  ni  silence,  ni  attention; 
vous  devez  le  silence  à  la  majesté  de  ce  lieu  ;  vous  devez 
vos  attentions  au  récit  d'une  histoire  si  mémorable,  que  je 
vous  ferai  simplement  et  brièvement  (^).  Prosternons-nous 

1.  Cette  physique  toute  poétique  a  offusqué  Lâchât,  qui  a  cru  devoir  la  réfuter 
(XII,  316,  note  a). 

2.  Cette  appellation  est  une  habitude  du  collège  de  Navarre.Plus  tard  l'orateur 
s'adressant  au  peuple,  dira  fidèles  j  en  attendant  qu'il  reprenne  le  messieurs 
pour  l'auditoire  de  Paris. 

3.  Ainsi  reconstitue,  ce  passage  ne  semble  plus  offrir  de  difficulté.  Dans  notre 
Histoire  critique^  nous  n'avions  pas  cru  devoir  tenir  compte  de  la  correction 
définitive,  parce  qu'elle  était  inachevée.  —  On  lit  dans  une  première  rédaction, 
dont  l'auteur  n'a  effacé  que  la  moitié  :  «  Vous  avez  baisé  les  premiers  ce  matin  avec 
la  dévotion  que  vous  y  deviez  apporter,  je  m'en  vais  vous  produire  les  autres  dans 
ce  discours;  conservez-les...»  Le  discours  devait  d'abord  être  réservé  pour  l'office 
de  l'après-midi  :  la  présence  de  l'évêque  à  la  messe  l'aura  fait  avancer  de  quel- 
ques heures.  Pour  la  même  raison,  l'œuvre  aura  été  concentrée  au  dernier 
moment. 

4.  C'est  ici  que  Deforis  a  intercalé  l'allocution.  Pour  la  raccorder  avec  la 
dernière  phrase  :  «  Prosternons-nous,  »  etc.,  il  fabrique  l'interpolation  suivante  : 
«  Vous  venez  d'entendre  le  sujet  que  je  dois  traiter  devant  vous  :  plus  il  est  im- 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  33 

tous  ensemble  devant  le  trône  de  Dieu  pour  lui  demander 
sa  grâce  :  et  si  nous  n'osons  approcher  une  grandeur  si 
terrible,  la  sainte  Vierge  que  nous  allons  saluer  par  les 
paroles  de  l'Ange,  aura  assez  de  bonté  pour  s'employer  (') 
pour  nous  auprès  de  son  Fils  :  Ave. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  l'Apôtre  nous  exhorte  à  être 
toujours  sous  les  armes  (''),  puisque  nous  apprenons  par  les 
oracles  divins  que  notre  vie  est  une  guerre  continuelle  (^\ 
L'esprit  de  Dieu,  que  nous  avons  reçu  par  le  saint  baptême, 
remplit  nos  âmes  de  l'idée  du  souverain  bien,  pour  nous  faire 
regarder  avec  mépris  les  mouvements  éternels  qui  agitent  la 
vie  humaine.  Mais  vous  le  savez,  messieurs,  il  n'y  a  point  de 
grande  entreprise  qui  ne  trouve  de  grands  obstacles.  Le 
monde  entier  s'efforce  de  combattre  ce  dessein  :  Adversum 
nos  omnis  mimcius  arinatur.  Il  orne  de  faux  appas  toutes  les 
créatures  qu'il  comprend  dans  son  enceinte,  pour  tâcher  de 
nous  surprendre  par  ce  vain  éclat.  Que  si  nous  sommes  assez 
généreux  pour  dédaigner  ses  faveurs,  il  nous  représente  un 
grand  appareil  (')  de  peines  et  de  supplices  pour  nous  émou- 
voir ;  tellement  qu'il  faut  que  le  serviteur  de  Dieu  soit  égale- 
ment sans  crainte  et  sans  espérance  en  la  terre,  qu'il  se  rende 
de  tous  côtés  immobile  et  inexorable  (^). 

a.  Ephes.^  VI,  11.  —b.Job.^  vu,  r. 
portant,  plus  j'ai  besoin  des  lumières  d'en  haut  pour  le  faire  dignement,  et  d'une 
manière  qui  puisse  tourner  à  l'édification  de  cet  auditoire.  » 

1.  Ces  mots  semblent  inélégants  à  Deforis  ;  il  les  remplace  par  ceux-ci  :  «i  pour 
se  rendre  notre  avocate  ». 

2.  Var.  attirail. 

3.  Les  éditeurs   intercalent  ici  un   long  fragment  de  la   i"-"  rédaction  : 

«  Voilà  donc  les  deux  batteries  que  le  monde  dresse  contre  nous.  Il  veut  l'em- 
porter de  gré  ou  de  force:  s'il  ne  peut  se  faire  aimer,il  tâche  de  se  faire  craindre; 
et  quoicju'il  semble  que  la  crainte  doive  avoir  un  effet  plus  prompt,  j'estime 
cependant  que  les  complaisances  du  monde  sont  pour  nous  plus  dangereuses, 
parce  que  nous  nous  y  trouvons  engagés  d'inclination.  Ce  qu'il  nous  sera  facile 
de  conclure,  si  nous  comprenons  la  différence  de  l'amour  {Lâchât^  etc.  :  de  la 
mort)  et  de  la  crainte,  que  saint  Augustin  marque  si  habilement  en  divers  lieux. 
Toute  la  force  de  la  crainte  consiste  à  retenir  ou  à  troubler  l'âme  ;  mais  de  la 
changer,  il  n'est  pas  en  son  pouvoir.  Far  exemple,  si  vous  rencontrez  des  voleurs 
qui  vous  voient  en  état  de  leur  résister,  ou  ils  se  retirent,  ou,  s'ils  vous  abordent, 
c'est  avec  beaucoup  de  civilité.  Ils  n'en  sont  pas  pour  cela  ni  moins  voleurs,  ni 
moins  avides  de  carnage  et  de  larcins  ;  mais  la  crainte  les  oblige  à  dissimuler. 
Vous  voyez  donc  bien  c(u'ellc  étouffe  les  sentiments  de  l'âme,  mais  qu'elle  ne  les 

Scrinuiib  de  iîossuot.  3 


34  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 


Et  c'est  Ih,  messieurs,  ce  qui  a  animé  les  puissances  de  la 
terre  contre  les  défenseurs  de  la  foi.  Ces  âmes  héroïques 
n'ont  pu  plaire  au  monde,  et  le  monde  ne  leur  a  pu  plaire  : 
voilà  la  cause  de  leur  contrariété.  Le  monde  ne  leur  a  pas 
plu,  c'est  pourquoi  ils  l'ont  méprisé.  Ils  n'ont  pas  plu  au 
monde,  de  là  vient  que  le  monde  a  pris  plaisir  d'affliger  ce 
qui  n'était  pas  à  lui.  Et  le  tout  est  arrivé  par  un  ordre  secret 
de  la  Providence,  afin  d'accomplir  cette  parole  mémorable 
de  notre  divin  Sauveur  :  «  Je  ne  suis  pas  venu  pour  donner 
la  paix,  mais  pour  allumer  la  guerre  :  »  Non  veni  pacem 
niitterc,  seci gladium  (^), 

Vous  voyez  bien  par  là  en  quoi  consiste  le  courage  d'un 
véritable  martyr.  Je  vous  ai  promis  de  vous  en  faire  voir 
une  idée  excellente  en  la  personne  de  notre  saint  :  c'est  ce 
que  je  ferai,  s'il  plaît  à  Dieu,  dans  la  suite  de  ce  discours.  Je 
m'en  vais  tâcher  de  vous  mettre  devant  les  yeux,  en  deux 
points,  une  âme  héroïque,  un  courage  inflexible,  que  l'espoir 
des  grandeurs  n'a  point  amolli,  que  la  crainte  des  supplices 
n'a  point  ébranlé. 

a.  Matt.^  X,  34. 
ôte  [Deforis^  Lâchât  :  détruit)  pas.  Cela  n'appartient  qu'à  l'amour  ;  c'est  lui  qui 
pour  ainsi  dire  tient  la  clef  de  l'âme,  qui  l'ouvre  et  qui  la  dilate  pour  y  faire 
entrer  les  objets.  Os  nostntin  patet  ad  vos,  0  Corinihii,  cor  nostruui  dilatatuni 
est:  «  Pour  vous,  ô  Corinthiens,  j'ouvre  ma  bouche  et  mon  cœur,  »  {Defofis, 
Lâchât  :  L'amour  que  j'ai  pour  vous,  ô  Corinthiens,  ouvre  ma  bouche..,)  dit  le 
grand  Apôtre  (II  Cor.,  vi,  11),  pour  leur  témoigner  son  affection.  Et  c'est  pour 
cela  que,  selon  la  doctrine  du  même  {De/.,  Lâchât:  du  grand)  Apôtre,  la  loi 
ancienne,  qui  était  une  loi  de  crainte,  «  a  été  écrite  au  dehors  sur  des  tables  de 
pierre  :  »  ( Forinsecus)  in  iabidis  lapideis,  parce  que  la  crainte  n'a  point  d'accès 
au  dedans  de  l'âme  ;  au  lieu  que  la  loi  nouvelle  est  gravée  dans  le  fond  du  cœur: 
In  tabulis  cordis  carnalibus  (II  Cor.,  m,  3).  parce  que  c'est  la  loi  d'amour.  Par 
où  il  appert  qu'il  est  bien  plus  difficile  de  vaincre  un  mauvais  amour  qu'une 
mauvaise  crainte,  parce  que  l'amour  tenant  dans  l'âme  la  place  principale,  il 
faut  faire  pour  le  chasser  une  plus  grande  révolution,  et  partant  ceux  que  le 
monde  a  pris  par  inclination  sont  bien  plus  captifs  que  ceux  qu'il  abat  par  la 
frayeur  des  supplices.  Ce  que  j'ai  été  bi?,n  aise  de  {Def.,  Lâchât  :  Ce  que  j'ai  dû) 
vous  faire  remarquer  afin  que  vous  connussiez  {Def.,  Lâchât:  connaissiez)  quelle 
est  la  nature  de  la  guerre  que  le  monde  vous  a  déclarée,  et  combien  il  faut  que 
le  soldat  de  Jésus-Christ  soit  armé  de  tous  côtés.  Car  du  reste  il  importe  peu 
à  la  gloire  de  saint  Gorgon  laquelle  des  deux  entreprises  est  la  plus  difficile, 
puisqu'il  a  également  [triomphé]  en  l'une  et  en  l'autre  :  c'est  le  partage  de  mon 
discours.  »  —  Cette  rédaction  a  été  remplacée  par  celle  que  nous  donnons  dans 
le  texte.  Les  éditeurs  les  amalgament,  à  l'exemple  de  Deforis.  On  voit  de  plus 
comment  ils  corrigent  Bossuet  dans  le  détail. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  35 


Plaise  seulement  à  cet  Esprit  qui  souffle  où  il  veut,  de 
graver  dans  nos  cœurs  l'image  de  tant  de  vertus,  afin  que 
tout  autant  que  nous  sommes  assemblés  dans  ce  temple  au 
nom  du  Seigneur,  nous  soyons  tellement  animés  d'un  si  bel 
exemple,  que  nous  ne  vivions  et  ne  respirions  plus  que  pour 
Jésus-Christ. 

PREMIER    point. 

Saint  Gorgon  vivait  en  la  cour  des  empereurs  Dioclétien 
et  Maximien  ('),  et  avait  une  charge  très  considérable  dans 
leur  maison.  Chacun  sait  combien  l'on  estime  ces  sortes 
d'emplois  chez  les  princes,  et  combien  les  font  valoir  ceux 
qui  les  possèdent,  Surtout  quiconque  a  tant  soit  peu  lu 
X Histoire  romaine  y  a  pu  remarquer  quel  crédit  les  empe- 
reurs donnaient  ordinairement  à  leurs  domestiques,  cjue  leurs 
offices  appelaient  plus  souvent  près  de  leurs  personnes.  Mais 
sans  m'amuser  à  des  conjectures,  je  n*ai  qu'à  vous  produire 
le  témoignage  d'Eusèbe,  évéque  de  Césarée,  qui  a  vécu 
dans  le  siècle  de  notre  saint,  personnage  grave  et  recomman- 
dable  à  jamais  pour  nous  avoir  donné  en  un  (^)  si  beau  style 
l'histoire  des  premiers  temps  de  l'Église.  Voici  donc  ce  qu'il 
dit  de  saint  Gorgon  et  des  compagnons  de  son  martyre  : 
«  Ils  étaient  montés  au  suprême  degré  d'honneur  auprès  de 
leurs  maîtres,  et  leur  étaient  chers  ne  plus  ne  moins  que  s'ils 
eussent  été  leurs  enfants.  »  Voilà  peu  de  mots,  mais  il  ne 
pouvait  rien  dire  qui  nous  (^)  fît  paraître  un  si  grand  crédit. 
Vous  remarquez  bien  que  ces  paroles  nous  font  entendre, 
non  seulement  qu'ils  étaient  en  très  bonne  posture  auprès  de 
leurs  maîtres,  que  les  empereurs  avaient  de  grands  desseins 
pour  les  avancer,  mais  encore  qu'ils  avaient  pour  eux  une 
tendresse  très  particulière,  que  notre  historien  n'a  pu  expri- 
mer qu'en  disant  qu'ils  les  aimaient  comme  leurs  propres 
enfants  :  lis  ccque  ac  gerniani  Jilii  cari  erant  (").  Or  ce  n'est 
pas  mon   dessein  de  vous  exagérer  beaucoup  leur  pouvoir  ; 

a.  Hist.  eccl.^  VIII,  6. 

1.  J/i-.  Dioclétian  et  Maximian.  — Plus  /t;/;^.  Tertullian,  saint  Cyprian. 

2.  Edii.  en  si  beau  style. 

2,.  Édit.  qui  peignît  mieux  un  si  grand  crédit.   -  {Voy.  autres  altérations  dans 
Deforis,  Versailles,  etc.) 


36  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 

je  VOUS  prie  seulement  de  considérer  quelle  était  l'opposition 
de  ces  deux  qualités  de  favoris  des  empereurs  et  de  disciples 
de  jÉsus-CiiRiST.  L'une  les  faisait  respecter  partout  où 
s'étendait  l'empire  romain,  c'e  st-à-dire  par  tout  le  monde  : 
l'autre  les  exposait  à  la  risée,  à  la  haine,  aux  exécrations  de 
toute  la  terre  ;  et  puisque  nous  sommes  sur  ce  sujet,  peut- 
être  (')  ne  sera-t-il  point  hors  de  propos  de  vous  dépeindre 
quelle  était  l'estime  que  l'on  avait,  en  ces  temps,  du  chris- 
tianisme, afin  que  vous  connaissiez  mieux  jusques  à  quel 
point  Gorgon  a  méprisé  les  honneurs  du  monde. 

Les  chrétiens  étaient  à  tout  le  monde  un  spectacle  de 
mépris  et  de  moquerie  ;  chacun  les  foulait  aux  pieds,  et  les 
rejetait  «  comme  les  ordures  et  les  excréments  de  la  terre»: 
Tanqiiam  pttrgamenta  hicjus  mundi,  ainsi  que  parle  l'Apô- 
tre {^).  On  eût  dit  que  les  prisons  n'étaient  faites  que  pour 
eux,  jusques-là  qu'elles  étaient  tellement  remplies  de  fidèles 
qu'il  ne  restait  plus  de  place  dans  les  cachots  (^)  pour  les 
malfaiteurs,  comme  nous  rapporte  l'histoire.  Aux  crimes  les 
plus  énormes  les  lois  ont  ordonné  de  la  qualité  du  supplice  : 
il  n'est  (^)  pas  permis  de  passer  outre.  Elles  ont  bien  voulu 
donner  des  bornes  même  à  la  justice,  de  peur  de  lâcher  la 
bride  à  la  cruauté.  Il  n'y  avait  que  les  chrétiens  contre  les- 
quels on  n'appréhendait  point  de  faillir  qu'en  les  épargnant; 
il  fallait  donner  toute  licence  à  la  barbarie,  et  leur  arracher 
la  vie  par  tout  ce  qu'il  y  peut  avoir  d'esprit  et  d'invention 
dans  la  cruauté:  Per atrociainge^tia pœnarum  ('*),  dit  le  grave 
Tertullien  {^).  Quelle  fureur  ! 

Mais  bien  plus,  donner  un  chrétien  aux  bêtes  farouches, 
c'était  le  divertissement  ordinaire  du  peuple  romain,  quand 
il  était  las   des  sanglants  spectacles  des  gladiateurs.  De  là 

a.  I  Cor.^  IV,  13.  —  b.  De  restirr.  carn.^  n.  8. 

1.  Ici,  et  quelques  lignes  plus  bas  (Aux  crimes  les  plus  énormes...)  des  traits 
de  plume  indiquent  l'intention  de  laisser  de  côté  toutes  les  digressions.  Mais 
ces  indications  sont,  je  crois,  de  date  postérieure  au  sermon  ;  Bossuet  les  aura 
tracées,  au  moment  d'esquisser  (vers  1654)  un  second  panégyrique  du  même  saint. 
Des  passages,  qui  tenaient  plus  intimement  au  fond  du  sujet,  sont  au  contraire 
soulignés. 

2.  Var.  qu'il  n'y  restait  plus  de  place  pour... 

3.  Édlt.  il  n'était. 

4.  Ms.  Fer  omne  ingenium  crudelitatis.  —  Cité  de  mémoire,  inexactement. 


I 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  37 


ces  clameurs  si  cruelles  dont  on  a  ouï  si  souvent  résonner 
les  amphithéâtres  :  Christiani  ad  bestias  !  Christiani  ad 
bestias!  «  Que  l'on  donne  les  chrétiens  aux  bêtes  farouches!  » 

On  n'observait  contre  eux  ni  formes  ni  procédures.  Cela 
était  bon  pour  les  voleurs  et  les  meurtriers  ;  mais  pour  les 
chrétiens,  on  n'avait  garde  d'y  faire  tant  de  façons.  On  les 
traînait  aux  gibets  tout  ainsi  qu'on  mènerait  de  pauvres 
agneaux  à  la  boucherie,  sans  qu'ils  ouvrissent  la  bouche  ni 
aux  plaintes,  ni  aux  murmures.  C'étaient  des  incestes,  des 
magiciens,  des  parricides,  qui  mangeaient  leurs  propres 
enfants  dans  des  sacrifices  nocturnes  î  Que  s'il  se  trouvait 
quelqu'un  qui  voulût  les  défendre  de  ces  horribles  reproches, 
on  les  faisait  passer  pour  de  pauvres  insensés,  pour  des  esprits 
faibles  qui  s'amusaient  à  de  vaines  superstitions;  de  sorte 
qu'on  ne  les  excusait  qu'en  les  chargeant  de  nouvelles  ca- 
lomnies. Et  voilà,  messieurs,  sans  feinte  et  sans  exagération, 
quelle  était  l'estime  que  l'on  avait,  dans  le  monde,  des  pre- 
miers chrétiens. 

Ne  vous  en  étonnez  pas:  Jésus-Christ  devait  être  tout 
ensemble  un  signe  de  paix  et  un  signe  de  contradiction.  La 
vérité  était  étrangère  en  ce  monde  ;  il  n'est  pas  merveille  si 
elle  n'y  trouvait  pas  d'appui.  Mais  voyez  par  là  ce  que  le 
zèle  du  christianisme  a  fait  quitter  à  Gorgon  et  ce  qu'il  lui  a 
fait  prendre.  J'en  fais  juges  (')  tout  ce  qu'il  y  a  d'honnêtes 
gens  en  cette  assemblée:  combien  ces  reproches  et  cette 
ignominie  doit-elle  ('')  être  insupportable  aux  âmes  les  plus 
communes,  et  bien  plus  encore  aux  hommes  généreux,  nour- 
ris comme  notre  saint  dans  la  Cour  et  dans  le  grand  monde, 
en  espérance  (^)   de  faire  une  si   belle  fortune  .'^  En  vérité, 


1.  Lâchât  et  les  éditions  récentes  abandonnent  ici  formellement  l'orateur,  et 
impriment  :  «  Si  on  sait  juger  tout  ce  qu'il  y  a  d'honneur  en  un  cœur  noble,  com- 
bien... »  Est-ce  correction  arbitraire.-^  n'est-ce  pas  plutôt  une  leçon  hardiment 
inventée,  dans  un  passaj,rc  difficile  où  l'on  n'était  plus  guidé  par  Deforis.^  Les 
anciens  éditeurs,  en  effet,  avaient  pris  le  parti  de  supi^rimer  ce  qui  leur  fiis.iit 
peine. 

2.  (Sic.)  Cet  accord  du  verbe  avec  le  sujet  le  plus  voisin  est  un  lalinismc.  Pu 
reste,  il  est  h,  peine  nécessaire  de  faire  remarquer  que  les  archaïsmes  de  toute 
sorte  abondent  dans  cette  prose  antérieure  aux  Provinciales  et  h  la  fixation  de 
notre  langue  classique. 

3.  Kiiit.  qui  peuvent  espérer  d'y  faire... 


rîS  PANÉGVRK^UE  DE  SAINT  GOKCON. 


Ù 


messieurs,  n'eussions-nous  pas  craint  de  choquer  l'empereur 
et  de  faire  tort  à  noire  réputation?  Grâces  (')  à  la  Provi- 
dence divine  de  nous  avoir  fait  naître  dans  un  siècle  et  dans 
un  royaume  où  le  nom  de  chrétien  est  une  qualité  hono- 
rable! Le  peu  de  soin  que  nous  avons  de  la  gloire  de  notre 
Maître,  cette  lâcheté  qui  nous  fait  abandonner  son  service 
pour  de  si  légères  considérations,  la  honte  que  nous  avons 
de  nous  ranger  à  notre  devoir  nous  font  assez  connaître  que 
nous  devons  à  cette  bonne  rencontre  de  ce  que  nous  ne 
rougissons  point  du  christianisme.  Que  si  nous  eussions  vécu 
dans  ces  premiers  temps  où  être  chrétien  c'était  un  crime 
d'État,  nous  eussions  bien  épargné  aux  tyrans  la  peine  de 
nous  tourmenter. 

Car  enfin  que  peut-on  présumer  autre  chose  de  nos  lâches 
déportements  ('),  sinon  que  nous  n'eussions  pas  fait  grand 
scrupule  de  renoncer  au  nom   de   chrétien,  puisque  nous  ne 
craignons  point  de  renoncer  pour   si   peu   de  chose  (')  aux 
plus  saints  devoirs  du   christianisme  ?  Je  tremble,  pour  {^) 
moi,  quand  je  considère  à  combien  peu  il  tient  que  nous  ne 
soyons  infidèles.  Ah!  race  de  tant  de  millions  de  martyrs  qui 
nous  ont  engendrés  en  Jésus-Christ  par   leur   sang,  jamais 
la  vertu  de  ceux  qui  nous  ont  précédés  dans  la  foi  ne  réveil- 
lera-t-elle  en  nos  cœurs  les  mouvements  généreux  du  chris- 
tianisme? Jusques  à  quand  porterons-nous  à  crédit  le  titre 
de  chrétiens,  pour  faire  blasphémer  par  les  infidèles  le  saint 
nom  qui  a  été   invoqué   sur  nous  ?  Conduite   contraire   aux 
saints  martyrs,  qui,  ayant  fait  profession    du  christianisme 
dans  un  temps  où  il  était  odieux  à  toute  la  terre,  l'ont  rendu 
illustre  par  la  gloire  de  leurs  belles  actions;  au  lieu  que  nous 
qui  l'avons  reçu  depuis  qu'il  est  devenu  vénérable  parmi  tous 
•les  peuples,  nous  ne  cessons  de  le  déshonorer  par  nos  lâche- 
tés. Obsecro  vos,  (fratres,  per  misericordiani  Dei,)  ut  digne 

1.  Lâchât:  Nous  sommes  bien  obligés  à  !a  Providence  divine,  qui  nous  a  fait 
naître...  C'est  XdiVariante  (i'^  rédaction). 

2.  Édit.  des  dérèglements  de  notre  vie. 

3.  Ms.  pour  si  peu  de  choses.  —  Cet  j-  est,  je  crois,  un  lapsus  avec  plusieurs 
autres. 

4.  Édit.  Je  tremble  pour  moi. 


f 


PANÉaVRlQUE  DE  SAINT  GORGON. 


ambuletis  vocatione  qua  vocati  estis  ("")  :  «Je  vous  conjure, 
mes  frères,  par  les  entrailles  de  la  miséricorde  de  Dieu,  de 
vivre  (')  d'une  f^içon  convenable  à  votre  vocation.  »  Rele- 
vons un  peu  notre  courage:  osons  du  moins  mépriser  les 
faveurs  du  monde,  puisque  nous  ne  sommes  plus  obligés  de 
passer  par  l'épreuve  des  tourments. 

DEUXIÈME   POINT  ('). 

Saint  Gorgon  ne  l'a  pas  eu  si  aisé.  Ce  n'a  pas  été  tout 
d'avoir  méprisé  les  grandeurs;  l'empereur  lui  fit  payer  bien 
cher  la  grâce  qu'il  lui  avait  faite  de  le  recevoir  en  son  amitié. 
Outre  la  haine  qu'il  avait  généralement  pour  tous  les  chré- 
tiens, telle  qu'il  quitta  l'empire,  désespéré  de  n'en  pouvoir 
éteindre  la  race,  il  était  encore  rongé  d'un  secret  dépit  d'avoir 
nourri  en  sa  maison  un  ennemi  de  l'empire,  et  même  de  lui 
avoir  donné  part  de  sa  confidence.  Il  se  résout  donc  d'en 
faire  un  exemple  qui  puisse  donner  de  l'épouvante  aux  plus 
déterminés,  et  voici  par  où  il  commence.  Il  commande  au 
saint  martyr  de  sacrifier  aux  idoles;  ce  qu'ilrefuse  de  faire 
généreusement,  disant  qu'il  n'a  garde  de  rendre  cet  honneur 
à  un  métal  insensible:  pour  lui,  il  avait  appris,  dans  l'école 
de  Jésus-Christ,  à  adorer  en  esprit  et  en  vérité  un  seul 
Dieu  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  dont  la  beauté  pure  ne 
pouvait  être  vue  par  ces  yeux  mortels,  ni  représentée  sur 
une  matière  comme  la  nôtre.  Le  peuple  ignorant,  à  qui  Dieu 
n'avait  point  parlé  dans  le  cœur  de  ces  vérités,  prit  pour  un 
blasphème  cette  céleste  philosophie,  et  s'écria  qu'il  fallait 
punir  l'ennemi  des  dieux.  Là-dessus  on  le  dépouille,  on 
l'élève  avec  des  cordes  pour  le  faire  voir  à  toute  la  ville,  qui 
était  accourue  pour  voir  quelle  serait  la  fin  de  cette  aventure; 
et  puis  (^)  on  le  bat  de  verges  si  cruellement,  qu'en  peu  de 
temps  il  ne  resta  plus  en  son  corps  aucune  partie  entière. 
Déjà  le  sang  ruisselait  de  tous  côtés  sur  la  face  des  bourreaux: 

a.  Ephes.^  iv,  i.  —  Cf.  Rom.^  xii,  i.  Texte  composite. 

1.  Var.  de  marcher.  —  Deforis  refait  ainsi  cette  traduction  :  «  de  vous  conduire 
d'une  manière  convenable  h...  » 

2.  Les  éditeurs  n'ont  pas  reconnu  ici  le  passage  du  premier  au    second  point. 
Ils  le  font  commencer  80  lignes  plus  loin,  à  l'endroit  où  il  finit. 

3.  Kdlt.  puis. 


40  PANl':(ÎVRIOUK  I)K  SAINT  GORGON. 


«  les  nerfs  et  les  os  étaient  découverts  ;  et  la  peau  étant  toute 
déchirée,  ce  n'était  plus  ses  membres,  mais  ses  plaies  que 
l'on  tourmentait:  Tv/z/A?  couipao'c  visccriim,  torqitcbantur  in 
servo  Dci  non  jam  vicmhra,  sed  viilnera  (^).  » 

Cependant  Gorgon,  glorieux  de  confesser  ])ar  tant  de 
bouches  la  vérité,  se  réjouit  avec  l'Apôtre  de  voir  qu'il  n'y 
a  aucun  endroit  sur  son  corps  où  la  Passion  de  son  Maître 
crucifié  ne  soit  imprimée.  Or  il  était  de  tous  côtés  tellement 
meurtri,  et  la  douleur  l'avait  réduit  à  un  état  si  pitoyable, 
qu'on  ne  pouvait  lui  donner  un  plus  grand  soulagement  que 
de  le  laisser  ainsi  suspendu  dans  le  lieu  de  son  supplice. 
Quelle  extrémité!  Et  néanmoins  on  lui  refuse  cette  misérable 
grâce.  Le  tyran  ordonne  qu'on  le  descende,  et  ce  pauvre 
corps  écorché  ('),  à  qui  les  plus  doux  onguents  eussent  causé 
des  douleurs  insupportables,  est  frotté  de  sel  et  de  vinaigre. 
Il  reçut  (^)  ce  nouveau  supplice  comme  une  nouvelle  grâce 
que  Dieu  lui  faisait  pour  accomplir  en  lui,  aussi  bien  qu'en 
Jésus-Christ,  cette  prophétie  du  Psalmiste:  Super  dolorem 
vulneritm  meorùin  addidertcnt  (')  :  «  Ils  ont  ajouté  sur  la 
douleur  de  mes  plaies.  » 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  La  cruauté  cherche  de  nouveaux 
artifices;  et  si  elle  ne  peut  le  vaincre  par  la  grandeur  des 
tourments,  elle  tâche  au  moins  de  l'étonner  par  la  nouveauté. 
Ce  sel  et  ce  vinaigre  n'ont  fait,  pour  ainsi  dire  {f),  que  (^) 
lui  éveiller  l'appétit:  il  lui  faut  pour  la  rassasier  quelque 
assaisonnement  plus  barbare.  Je  vous  demande  un  mo- 
ment de  patience,  pour  ne  pas  laisser  notre  narration  im- 
parfaite (f). 

Le  tyran  fait  coucher  le  saint  martyr  sur  un  gril  de  fer 
déjà  tout  rouge  par  la  véhémence  de  la  chaleur,  qui  aussitôt 
rétrécit  ses  nerfs  dépouillés  avec  une  douleur  que  je  ne  vous 
pui-s  exprimer.  Quel  horrible  spectacle!  Gorgon  gisait  sur  un 

a.  S.  Cyprian.,  Ad niart,  etconf.  Ep.  VIII.  —  b.  Ps..,  LXViii,  27. 

1.  Edif.  déchiré. 

2.  Edif.  Il  reçoit. 

3.  Ce  «  pour  ainsi  dire  »,  qui  n'est  que  trop  nécessaire,  a  été   supprimé  par 
Lâchât  dans  ses  corrections  arbitraires. 

4.  EdiL  n'ont  fait  que  de  lui  éveiller. 

5.  Supprimé  dans  Deforis,  etc. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  4I 

lit  de  charbons  ardents,  fondant  de  tous  côtés  par  la  force  du 
feu,  et  nourrissant  de  ses  entrailles  une  flamme  pâle  et 
obscure  (')  qui  le  dévorait.  Il  s'élevait  à  l'entour  de  lui  une 
vapeur  noire  que  le  tyran  humait  pour  contenter  son  avidité; 
jusques  à  temps  ('')  que  ne  pouvant  plus  ni  voir  sa  constance, 
ni  supporter  ses  reproches,  ni  écouter  les  louanges  qu'il  don- 
nait à  Jésus-Christ  d'une  voix  mourante,  il  lui  fit  prompte- 
ment  arracher  le  peu  qui  lui  restait  de  vie,  et  envoya  sa 
belle  âme  jouir  à  jamais  des  embrassements  de  son  bien- 
aimé. 

Voilà,  messieurs,  quelle  a  été  la  fin  de  notre  martyr,  qui  a 
méprisé  le  monde  dans  ses  promesses  et  dans  ses  menaces, 
dans  ses  délices  et  dans  ses  tourriients  ;  laissant  par  sa  mort 
un  reproche  éternel  à  la  mollesse  et  au  peu  de  foi  de  ces 
derniers  siècles  {^). 

Après  cela,  que  me  reste-t-il  autre  chose,  sinon  de  con- 
clure par  ces  paroles  qui  ont  fait  l'ouverture  de  mon  discours, 
de  vous  dire  avec  l'Apôtre  :  Quor7tm  intiientes  cxihivi.., 
imîtamiiii fidem?  Vous  avez  vu  en  esprit  comme  (^)  la  con- 
stance de  Gorgon  a  duré  jusqu'à  la  mort,  dont  il  a  goûté  à 
lon(Ts  traits  toute  l'amertume  ;  reste  maintenant  que  vous 
imitiez  sa  foi,  cette  foi  ardente  qui  lui  a  fait  préférer  à  tous 
les  honneurs  l'opprobre  de  Jésus-Christ,  et  a  rendu  son  es- 
prit entier  et  inébranlable,  pendant  que  son  corps  s'en  allait 
pièce  à  pièce  comme  une  vieille  masure  {f), 

1.  J'idit.  Une  flamme  pâle  qui...  —  Les  deux  mots  «et  obscure  >  sont  extrê- 
mement difficiles  à  lire,  et  j'en  ai  longtemps  désespère  comnie  mes  devanciers. 

2.  Bossuet  à  cette  date  écrit:  iusques  ;\  tans  c|ue  (iixqiic  ad  it-)nf>us  quum). 
\o^.  J\^einarques  sur  la  s^ranmiairi:  et  le  l'ocahnlairc^   à  la   fin  C^^\  Inirodttclion. 

3.  Si  l'on  rapproche  ce  résumé  de  l'énoncé  de  la  division,  on  sera  frappé  de  la 
régularité  de  ce  petit  discours  qu'on  nous  représentait  comme  le  désordre  et  la 
confusion  même.  Il  est  vrai  que  le  second  point  cjui  se  termine  ici  n'est  pas 
encore  commencé  dans  les  éditions,  où  on  le  formera  en  grande  partie  d'une  in- 
terpolation que  nous  signalerons  tout  à  l'heure. 

4.  lidit.  comment. 

5.  Les  éditeurs  commencent  ici  le  second  point,  par  un  long  emprunt  au 
brouillon,  qui  n'est  à  conserver  qu'à  titre  de  variante:  «  Que  si  après  avoir  vu 
quelles  impressions  la  douleur  a  faites  sur  son  corps,  vous  êtes  mus  d'une  louable 
curiosité  de  savoir  ce  que  Dieu  opérait  invisiblemcnt  dans  son  âme  et  d'où  lui 
venait  parmi  une  telle   agitation    une   si  grande  tranquillité  ;  en  un  mot,  si  vous 


42  PANteVRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 

Or  il  en  est  des  martyrs  comme  d'un  excellent  original 
dont  chaque  peintre  cherche  de  copier  quelques  traits  pour 
embellir  son  ouvrage.  Nous  voyons  dans  leur  vie  la  vie  de 
notre  Sauveur  si  bien  exprimée,  qu'il  n'y  a  presque  rien 
qui  ne   nous  y  doive  servir  d'exemple.    Mais   dans  un   si 


ddsirez  connaître  quelles  e'taient  les  pensées  dont  s'entretenait  un  chrétien  souf- 
frant,  je  vous  les  dirai  en  peu  de  mots  pour  votre  édification,  telles  que  nous  les 
apprend  la  théologie. 

Premièrement  les  martyrs  n'étaient  point  de  ces  âmes  basses,  qui  se  croient 
incontinent  délaissées  de  Dieu,  sitôt  qu'elles  ressentent  quelque  affliction  ;  au 
contraire,  rien  n'affermissait  si  bien  leurs  espérances  que  la  considération  de 
leurs  supplices.  La  raison  est  d'autant  que  la  tribulation  produit  la  souffrance, 
{Lâchai :  Car  c'est  la  tribulation  qui  produit  la  souffrance)  et  «la  souffrance  fait 
l'épreuve  »,  comme  dit  l'Apôtre.  Or  il  est  tout  évident  que,  quand  on  prend  quel- 
qu'un pour  en  faire  l'épreuve, c'est  signe  que  l'on  a  dessein  de  s'en  servir.  Ainsi  les 
martyrs,  à  qui  Dieu  avait  appris  sa  conduite,  se  persuadaient  par  une  souffrance 
très  salutaire  que  Dieu  les  réservait  à  quelque  chose  de  grand,  puisqu'il  voulait 
bien  avoir  la  bonté  de  les  éprouver.  Et  c'est  à  mon  avis  pourquoi  l'Apôtre  ajoute 
que  <<  l'épreuve  fait  l'espérance  »  :  Probatio  vero  speui  (Rom.,  V,  4). 

Samt  Cyprien,  dans  le  livre  qu'il  a  fait  de  VExhortation  des  martyrs^  nous 
en  fournit  encore  cette  belle  raison  :  Notre-Seigneur  prophétise  en  divers  en- 
droits que  la  vie  de  ceux  qui  écouteront  sa  parole  sera  continuellement  traver- 
sée ;  mais  aussi  il  leur  promet  après  leurs  travaux  un  soulagement  éternel.  Et 
voyez  comme  le  Saint-Esprit  se  sert  de  toutes  choses  pour  relever  nos  courages: 
il  \q.wx  {Lâchât  :  nows)  fait  entendre  par  un  discours  digne  de  lui  que  Dieu,  «  dont 
on  ne  peut  compter  les  miséricordes  »,  n'est  pas  moins  fidèle  pour  les  biens  que 
pour  les  maux  {Lâchai  :  àdcns  les  biens  que  dans  les  maux),  et  que  l'accomplisse- 
ment de  la  moitié  de  la  prophétie  leur  est  un  témoignage  indubitable 
de  la  vérité  de  l'autre.  Tellement  qu'ils  prenaient  leur  disgrâce  présente  pour 
un  gage  certain  de  leur  future  félicité  ;  et  mesurant  leurs  contentements  par 
leurs  peines,  ils  croyaient  qu'elles  ne  leur  étaient  pas  tant  envoyées  pour  les 
tourmenter  dans  le  temps  que  pour  leur  donner  de  nouvelles  assurances  d'un 
bonheur  sans  fin. 

Ces  pensées  ne  sont-elles  pas  pleines  d'une  grande  consolation  ?  Mais  leurs 
esprits  nourris  de  longtemps  de  la  Parole  leur  en  faisaient  concevoir  de  bien 
plus  sublimes.  Comme  ils  ne  jugeaient  pas  des  choses  par  l'extérieur,  ils  con-^ 
sidéraient  que  l'homme  n'était  pas  ce  qu'il  nous  paraît,  mais  que  Dieu,  pour 
le  former,  avait  fait  sortir  de  sa  bouche  un  esprit  de  vie,  qu'il  avait  caché  comme 
un  trésor  céleste  dans  cette  masse  du  corps;  que  cet  esprit,  bien  qu'il  fût  d'une 
race  divine,  comme  le  dit  si  bien  l'Apôtre  au  milieu  de  l'Aréopage  {Ad.,  xvii, 
29),  bien  qu'il  portât  imprimée  sur  soi  l'image  de  son  Créateur,  était  néanmoins 
accablé  d'un  amas  de  pourriture,  où  il  contractait  par  nécessité  quelque  chose  de 
mortel  et  de  terrestre,  dégénérant  de  la  pureté  de  son  origine.  Dans  cette  pen- 
sée, ils  croyaient  que  les  tourments  ne  faisaient  qu'en  détacher  ce  qu'il  y  avait 
d'étranger,  tout  ainsi  que  le  feu  sépare  de  l'or  ce  qui  s'y  mêle  d'impur,  ianquavi 
aurum  i?i  fomace  (Sapient.,  m,  6).  On  eût  dit  à  les  voir  qu'à  mesure  qu'on 
eur  emportait  quelques  lambeaux  de  leur  chair,  leur  âme  s'en  serait  trouvée 
beaucoup  allégée,  comme  si  on  les  eût  déchargés  d'un  pesant  fardeau;  et  ils 
espéraient  qu'à  force  d'arracher  leur  chair  pièce  après  pièce,  elle  resterait  toute 


l'ANÉGVRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  43 

grand  éclat  de  vertus,  il  nous  faut  choisir  celles  qui  nous 
sont  plus  nécessaires  dans  les  occurrences  où  nous  nous 
trouvons. 

Martyr  et  témoin,  c'est  la  même  chose.  On  appelle  martyrs 
de  Jésus-Christ  ceux  qui,  souffrant  pour  la  foi,  en  ont 
témoigné  la  vérité  par  leurs  souffrances  et  l'ont  signée  de 
leur  sang.  Maintenant  il  n'y  a  plus  de  tyrans  qui  nous  persé- 
cutent; mais  nous  sommes  instruits  par  l'Evangile  que  Dieu, 
qui  est  notre  Père,  distribue  à  ses  enfants  les  biens  et  les 
maux  selon  les  conseils  de  sa  Providence  ('').  Ainsi  quand 
nous  nous  trouvons  (')  affligés,  si  nous  recevons  (')  nos 
afflictions  de  la  main  de  Dieu  avec  humilité,  ne  témoignons- 
nous  pas  par  cette  déférence  qu'il  y  a  une  IntelHgence 
première  et  universelle,  qui,  par  des  raisons  occultes,  mais 
équitables,  fait  notre  bonne  et  {')  notre  mauvaise  fortune  ? 
Et  cela  qu'est-ce  autre  chose  sinon  être  les  témoins  et  les 
martyrs  de  la  Providence  ? 

a.  Mait.^  V,  45. 
pure  et  toute  cdleste,  eten  cet  état  serait  présentée  au  nom  de  JÉSUS-Christ  de- 
vant le  trône  de  Dieu. 

Dans  ces  considérations,  vous  les  eussiez  vus,  d'un  cœur  brûlant  de  charité 
s'animer  eux-mêmes  contre  leurs  supplices.  Tantôt  ils  se  plaignaient  de  ce  quils 
étaient  trop  lents,  ne  souhaitant  rien  tant  que  de  voir  abattue  cette  masure 
ruineuse  de  leurs  corps  qui  les  séparait  de  leur  Maître  ;  et  s'écriant  avec  l'Apôtre: 
Desiderhun  habens  dissolvi  et  esse  aini  CJitisto  (Philipp.,  I,  23.  —  Ms.  Cupio 
dissoh'i  et  esse...)  Tantôt  ravis  d'une  certaine  douceur  que  ressentent  les  grands 
courages  à  souffrir  pour  ce  qu'ils  aiment,  ils  se  réjouissaient  de  se  voir  enve- 
loppés d'une  chair  mortelle  qui  pût  fournir  de  matière  {Lac/iat  :  ïoum'w  matière) 
à  la  cruauté.  De  tels  et  semblables  discours  se  consolaient  les  martyrs  {Lâchât : 
De  tels  et  semblables  discours  consolaient  les  martyrs),  en  attendant  avec 
patience  qu'il  plût  à  Dieu  de  les  appeler  à  soi  ;  et  saint  Gorgon  sut  si  bien 
prendre  ces  sentiments  de  ceux  qu'il  avait  vus,  qu'il  devint  lui-même  h  la  pos- 
térité un  exemple  signalé. 

C'est  vous  particulièrement,  messieurs,  que  cet  exemple  regarde,  puisc[ue  vous 
avez  pris  saint  Gorgon  pour  votre  patron.  Vous  n'êtes  pas  obliges  de  souffrir 
les  mêmes  peines  ;  mais  comme  vous  participez  à  la  même  foi,  vous  devez 
entrer  dans  les  mêmes  sentiments.  Il  faut  que  votre  paroisse,  illustre  par  tant 
de  raisons,  mais  surtout  pour  être  sous  la  protection  d'un  si  grand  martyr, 
se  rende  encore  plus  illustre  en  imitant  sa  foi,  après  avoir  considéré  sa  mort 
si  attentivement  :  Quorum  intuentes  exitum...^  i/m'taniini Jîdeni.  C'est  par  où  je 
m'en  vais  conclure.  » 

1.  Kdit.  C2uand  nous  sommes  affligés. 

2.  /ùiit.  prenons. 

3.  Lâchât  :  ou.  —  Deforis,  Versailles,  etc.,  s'écartent  encore  davantage  du 
texte. 


44  panégvriqup:  de  saint  gorgon. 

Messieurs,  nous  vivons  dans  un  temps  et  dans  une  ville 
où  nous  avons  sujet  de  mériter  cet  honneur.  Il  y  a  près  de 
vingt  ans  qu'elle  porte  quasi  tout  le  fardeau  de  la  guerre  ;  sa 
situation  trop  importante  semble  ne  lui  avoir  servi  que  pour 
l'exposer  en  proie:  Diripiicriirit  cain  omnes  transcimtes  viam, 
etc.  [").  Et  comme  si  ce  n'était  pas  assez  de  tant  de  misères, 
Dieu  en  cette  année,  ayant  trompé  l'espérance  de  nos  mois- 
sons, a  mis  la  stérilité  dans  la  terre.  Car  il  ne  faut  point 
douter  que  tous  ces  maux  ne  soient  arrivés  par  son  ordre. 
Il  punit  par  la  guerre  celle  que  nous  lui  faisons  tous  les  jours. 
La  terre,  par  son  commandement,  nous  refuse  (')  le  fruit  de 
nos  travaux,  parce  que  nos  âmes  ne  lui  en  rapportent  point, 
bien  qu'il  les  ait  si  soigneusement  cultivées.  Ah  !  messieurs, 
humilions-nous  sous  la  puissante  main  de  Dieu,  de  peur 
qu'après  avoir  tout  perdu,  nous  ne  perdions  encore  le  fruit 
de  l'affliction  que  nos  maux  nous  apportent,  au  lieu  de  la 
faire  profiter  à  notre  salut. 

Il  ne  faut  point  flatter.  Nous  voyons  assez  de  personnes 
qui  plaignent  les  malheurs  du  temps.  Le  ciel  ne  nous  a  fait 
encore  que  les  premières  menaces  ;  et  déjà  le  pauvre  tâche 
d'amasser  de  quoi  vivre  par  des  tromperies,  se  défiant  de  la 
Providence,  pendant  que  le  riche  prépare  ses  greniers  pour 
engloutir  la  nourriture  du  pauvre,  qu'il  lui  fera  acheter  bien 
cher  en  (-)  son  extrême  indigence.  Les  plus  sages  pensent  à 
pourvoir  à  la  nécessité  du  pays;  leur  zèle  est  louable,  mais 
nous  n'avançons  rien  par  ces  soins.  S'il  est  vrai  que  Dieu 
soit  irrité  contre  nous,  comme  il  nous  le  fait  paraître  par  les 
fléaux  qu'il  nous  envoie,  pensons-nous  pouvoir  arrêter  le 
torrent  de  sa  colère  ?  «  Si  tu  montes  jusques  au  ciel,  dit  le 
Seigneur,  je  t'en  arracherai,  et  ma  colère  t'ira  trouver  jusqu'au 
plus  profond  des  abîmes  (''').  »  Il  faut  aller  à  la  source  du 
mal,  puisqu'aussi  bien  nos  prévoyances  toujours  incertaines 
ne  peuvent  rien  contre  ses  ordres  inévitables. 

Que  si,  reconnaissant  nos  péchés,  nous  confessons  qu'ils 
ont  justement  attiré  son  indignation  sur  nos  têtes,  qu'atten- 

a.  Ps.,  LXXXVHI,  42.  —  â.  Aâd.,  4. 

1.  E(ù'/.  nous  refuse  par  son  commandement. 

2.  AV/V.  dans  son  indigence. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  45 

dons-nous  à  faire  pénitence  ?  Que  ne  prévenons-nous  sa 
fureur  par  un  sacrifice  de  larmes  ?  Que  ne  mettons-nous  fin 
au  long  désordre  de  notre  vie?  Que  ne  rachetons-nous  «  nos 
iniquités  par  aumônes  (')  »,  ouvrant  nos  cœurs  sur  la  misère 
du  pauvre  ?  Ah  !  Seigneur,  nous  vous  avons  grandement  of- 
fensé, nous  ne  sommes  pas  dignes  d'être  appelés  vos  enfants; 
détournez  votre  colère  de  dessus  nous,  de  peur  que  nous  ne 
disparaissions  devant  votre  face  comme  la  poudre  qui  est 
emportée  par  un  tourbillon.  Nous  vous  en  prions  par  Jésus- 
Christ  votre  Fils,  qui  s'est  offert  pour  nous  en  odeur  [de] 
suavité. 

C'est  ainsi,  messieurs,  qu'il  nous  faut  fléchir  sa  miséri- 
corde ;  c'est  par  là  qu'il  nous  faut  obtenir  cette  paix  que 
nous  attendons  il  y  a  si  longtemps.  Il  semble  à  tout  coup 
que  Dieu  nous  la  veuille  {^)  donner  ;  et  si  elle  est  retardée, 
ne  l'attribuons  à  aucune  raison  humaine  :  c'est  lui  qui 
attend  de  nous  les  derniers  devoirs.  Elle  ne  (^)  tient  plus 
guère  en  ses  mains,  on  dirait  qu'il  y  porte  ('*)  le  cours  des 
affaires  :  arrachons-la  lui  par  le  zèle  {^)  de  nos  prières  ;  et 
surtout,  si  nous  voulons  qu'il  nous  fasse  miséricorde,  ayons 
compassion  de  nos  pauvres  frères,  que  la  misère  du  temps 
réduira  peut-être  à  d'étranges  extrémités.  Ainsi  puissions- 
nous  recevoir  abondamment  les  faveurs  du  ciel  ;  que  Dieu 
rende  le  premier  lustre  à  cette  ville  autrefois  si  floris- 
sante ;  qu'il  rétablisse  les  campagnes  désolées  ;  qu'il  fasse 
revivre  partout  aux  environs  le  repos  et  la  douceur  d'une 
paix  bien  affermie  ;  et  pour  établir  une  concorde  éternelle 

1.  /uà'/.  par  nos  aumônes.  —  Bossuet  traduit  littéralement,  comme  il  aimera 
toujours  à  le  faire,  une  expression  des  saints  Livres:  Pcccata  tua  eleemosynis 
rediinc  (Dan.,  iv,  24).  Du  reste  ce  style,  nourri  de  l'Écriture  dans  presque  toutes 
les  phrases,  montre  combien  il  était  plein  de  cette  étude  dès  le  temps  du  Collci;e 
de  Na\arre 

2.  Lâchât  :  Veut. 

3.  Lâchai  :  Elle  semble  prête  à  descendre  vers  nous.  (Ce  elle  semble  est  peu 
heureux  après  //  semble.) 

4.  Lâchai:  On  dirait  qu'il  y  dispose  les  choses.  -  .Ainsi  du  connnenccmciU 
à  la  rtn  les  éditeurs  s'obstinent  à  corrij^er  le  devoir  de  liossuet  écolier.  Voy. 
Deforis,  Versailles,  etc.,  qui  s'éloignent  ici  bien  plus  encore  des  textes  authen- 
tiques. 

5.  Edit.  la  ferveur. 


46  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GOKGON. 

entre  ses  (')  citoyens,  cju'il  ramène  à  l'union  de  sa  sainte 
t^glise  ceux  qui  s'en  sont  séparés  par  le  prétexte  d'une 
réformation  sans  effet  ;  afin  que,  les  forces  du  christianisme 
étant  réunies,  nous  chantions  d'une  même  voix  les  gran- 
deurs de  notre  Dieu  et  les  bontés  de  notre  Sauveur  Jésus- 
Christ,  par  qui  nous  espérons,  etc. 

I.  Édit.  les  citoyens.  —  Var.  parmi  ses  citoyens. 


^^ii^il^il^ii^-^^  ^^  ^  ^^^  ^^  ^^J^^^^ 


Pour  la  FETE  de  tous  les  SAINTS ('). 

1*^'  novembre  1649,  en  la  chapelle  de  Navarre. 


i^WWWWWWWWWWWWWW^ 


'h 


Diacre,  et  directeur  de  la  confrérie  du  Rosaire,  Bossuet  ne  se 
bornera  plus  à  méditer  en  compagnie  de  ses  condisciples.  Dès 
le  présent  discours,  il  s'adresse  à  la  fois  aux  jeunes  ecclésiasti- 
ques et  aux  fidèles:  «...  Prenez  garde,  chrétiens,  lorsqu'on  vous 
parlera  du  royaume  céleste,  de  ne  vous  le  pas  représenter  à  la  façon 
de  ces  choses  basses...  »  La  date  est  donnée  par  l'écriture  et  par 
l'orthographe,  identiques  à  saint  Gorgon,  et  différant  sur  plusieurs 
points  des  manuscrits  qui  vont  suivre. 

Sommaire.  —  Omnia  vestra  sunt.  —  Félicité  des  saints,  accom- 
plissement de  l'œuvre  de  Dieu,  (i^r  p.)  —  Gloire  de  JéSUS-Christ 
et  l'amour  du  Père  sur  eux.  Ego  claritatevi,  quam  dedisti  uiihi^ 
dedi  eis.  (Joan.,  XVII,  22.)  Dilectio  qua  dilexisti  me,  in  ipsis  sit,  et 
ego  in  eis.  (Joan.,  xvil,  26.)  (2*^  p.)  —  Dieu  étendra  les  âmes  pour 
les  rendre  capables  d'une  félicité  plus  haute,  d'une  joie  surnaturelle. 
Advocabit  cœlnni  de  sursuni  et  terrain  discernere  popiihim  suum. 
(Ps.,  XLIX,  4.)  Paraphrase  de  quelques  psaumes.  Débris  de  la  vie 
immortelle.  Beatus  vir  qui  non  abiit  in  consilio  :  fin. 


Omnia  vestra  sunt,  vos  autetn 
Christi. 

Tout  est  à  vous,  et  vous  êtes  à 
Jésus-Christ,  dit  le  grand  Apôtre 
parlant  aux  justes,  (I  Cor.,  m,  22,  23.) 

SI  nous  employions  (-)  à  penser  aux  grandeurs  du  ciel 
la  moitié  du  temps  que  nous  donnons  inutilement  aux 
vains  intérêts  de  ce  monde,  nous  ne  vivrions  pas  comme 
nous  faisons  dans  un  mépris  si  apparent  des  affaires  de  notre 
salut.  Mais  tel  est  le  malheur  où  nous  avons  été  précipités 

1.  M  s.  12,821,  f.  26,  pour  le  corps  du  discours.  L'exorde  est  à  la  fin  (f.  32).  La 
première  rédaction  de  cet  exorde,  seule  partie  qui  soit  en  double,  se  trouve  f.  13. 
Nous  la  donnons  en  variante. 

2.  Var.^  1"^  rédaction.  M.  Lâchât  l'a  placée  en  tête  de  la  Méditation  sur  le  Bon- 
Itcur  des  saints^  publiée  ci-dessus.  Il  y  a  fait  (VIII,  i),  dès  sa  Tapage,  des  fautes 
de  lecture  que  nous  nous  contenterons  de  corriger,  sans  les  signaler  en  dél.ul  : 

«  Si  nous  employions  à  penser  aux  avantages  t[ui  nous  sont  préparés  dans  le 
ciel  la  moitié  du  temps  que  nous  perdons  à  songer  aux  vains  intérêts  de  ce 
monde,  nous  ne  vivrions  pas,  comme  nous  faisons,  dans  un  mépris  si  apparent 
{inir.  dans  une  négligence  si  lâche)  des  affaires  de  notre  salut.  Mais  c'est  un 
malheur  qu'apporte  notre  péché  :  ce   tyran  ne  s'est  pas   contenté  de  nous  faire 


48  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 

par  notre  péché  :  il  ne  s'est  pas  contenté  de  nous  faire  perdre 
le  royaume  dans  l'espérance  duquel  nous  avions  été  élevés  ; 
il  nous  a  tellement  ravalé  le  courage,  que  nous  n'oserions 
quasi  plus  aspirer  à  sa  conquête,  quelque  secours  qu'on  nous 
offre  pour  y  rentrer.  A  peine  nous  en  a-t-il  laissé  un  léger 
souvenir  ;  et  s'il  nous  en  reste  quelque  vieille  idée  qui  ait 
échappé  à  cette  commune  ruine,  cette  idée,  messieurs,  n'a 
pas  assez  de  force  pour  nous  émouvoir  ;  elle  nous  touche 
moins  que  les  imaginations  de  nos  songes.  Cela  fait  que 
nous  ne  concevons  qu'à  demi  ce  qui  regarde  l'autre  vie  ;  ces 
vérités  ne  tiennent  point  à  notre  âme  déjà  préoccupée  des 
erreurs  des  sens. 

En  quoi  nous  sommes  semblables  aux  insensés,  qui,  sans 
prendre  garde  aux  grands  desseins  que  Dieu  avait  conçus 

perdre  le  royaume  dans  l'espérance  duquel  nous  avions  été  élevés,  il  nous  a 
tellement  ravalé  le  courage  que  nous  n'osons  plus  prétendre  à  sa  conquête, 
quelque  secours  qu'on  nous  offre  pour  y  rentrer.  A  peine  nous  en  a-t-il  laissé  un 
léger  souvenir  ;  ou,  s'il  nous  en  demeure  encore  quelque  vieille  idée  qui  ait 
échappé  h.  cette  commune  ruine,  cette  idée,  messieurs,  n'a  pas  assez  de  force 
pour  nous  émouvoir  :  elle  nous  touche  moins  que  les  imaginations  de  nos  songes. 
Ce  qui  est  plus  cruel,  c'est  qu'il  ne  nous  donne  pas  seulement  le  loisir  de  penser  à 
nous.  Il  nous  entretient  toujours  par  de  vaines  flatteries;  et  comme  il  n'a  rien  qui 
nous  puisse  entièrement  arrêter,  toute  sa  malice  se  tourne  à  nous  jeter  dans  une 
perpétuelle  inconstance,  tantôt  d'un  côté,  tantôt  d'un  autre,  et  nous  faire  passer 
cette  misérable  vie  dans  un  enchaînement  de  désirs  incertains  et  de  prétentions 
mal  fondées.  Cela  fait  que  nous  ne  concevons  qu'à  demi  ce  qui  regarde  l'autre 
vie  ;  ces  vérités  ne  tiennent  quasi  pas  à  notre  âme  déjà  préoccupée  des  erreurs 
des  sens.  En  quoi  nous  sommes  semblables  à  ces  insensés  desquels  parle  le  sage, 
qui  sans  considérer  les  grands  desseins  de  Dieu  sur  les  saints,  s'imaginaient 
qu'ils  fussent  enveloppés  dans  le  même  destin  que  les  impies,  parce  qu'ils  les 
voyaient  sujets  à  la  même  nécessité  de  la  mort  ;  Videbunt  finem  sapientis^  et 
lion  intelligent  quid  cogitaverit  de  illo  Deus  (Sap.,  IV,  17).  Souffrirez-vous  pas 
bien,  messieurs,  que  pour  nous  délivrer  de  ce  blâme,  nous  donnions  un  peu  de 
temps  à  considérer  la  Providence  de  Dieu  sur  les  saints .''  Certes  nous  ne  pou- 
vons rien  dire  qui  contribue  plus  à  leur  gloire  ni  à  notre  édification.  Comme  c'est 
parla  qu'ils  estiment  plus  leur  félicité,  aussi  doit-ce  être  ce  qui  nous  excitera  davan- 
tage. Voyons  donc  dans  ce  discours  les  grandes  choses  que  Dieu  s'est  proposé 
de  faire  en  ses  saints,  quid  cogitaverit  de  illis  Dotniniis:  comme  il  les  a  regardés 
dans  toutes  ses  entreprises  :  qitœ  sit  niagnitiido  virtutis  ejiis  in  nos  qui  credi- 
nms  (Ephes.,  i,  19);  comme  il  les  a  inséparablement  attachés  à  la  personne  de 
son  Fils,  afin  d'être  obligé  de  les  traiter  comme  lui  :  Vos  anteni  Christù  Après 
avoir  établi  ces  vérités,  il  ne  me  sera  pas  beaucoup  difficile  de  vous  persuader 
des  merveilles  qu'il  opérera  dans  l'exécution  de  ce  grand  dessein.  Ce  que  je 
tâcherai  de  faire  fort  brièvement  en  concluant  ce  discours.  Je  vous  prie  d'implorer 
avec  [moi]  l'assistance  du  Saint-Esprit  par  l'intercession  de  la  sainte  Vierge.  » 
\Ave\ 


FETE  DE  TOUS  LES  SAINTS.  49 


dès  Téternité  pour  ses  saints,  s'imaginaient  qu'ils  fus- 
sent enveloppés  dans  le  même  destin  que  les  impies,  parce 
qu'ils  les  voyaient  sujets  à  la  même  nécessité  de  la  mort  : 
Videbîcnt  finem  sapientis,  et  non  intelligent  qiùd  cogitaverit 
de  illo  Detcs  ('').  Souffrirez-vous  pas  bien,  messieurs,  pour 
nous  délivrer  de  ce  blâme,  que  nous  nous  entretenions  sur 
ces  desseins  si  admirables  de  Dieu  sur  les  bienheureux,  en 
ce  jour  où  l'Eglise  est  occupée  à  leur  (')  congratuler  leur 
félicité  ?  Certes,  je  l'oserai  dire,  si  la  joie  abondante  dans 
laquelle  ils  vivent  leur  permet  de  faire  quelque  différence 
entre  les  avantages  de  leur  élection, c'est  par  là  qu'ils  estiment 
le  plus  leur  bonheur,  et  c'est  cela  aussi  qui  nous  doit  plus 
élever  le  courage.  Parlons  donc,  messieurs,  de  ces  desseins 
admirables,  nous  en  découvrirons  les  plus  grands  secrets 
dans  ce  peu  de  paroles  de  l'Apôtre,  que  j'ai  alléguées  pour 
mon  texte,  et  tout  ce  discours  sera  pour  expliquer  la  doctrine 
de  ces  quatre  ou  cinq  mots.  Nous  y  verrons  (')  comme  Dieu 
a  mis  les  saints  au-dessus  de  tous  ses  ouvrages,  et  qu'il  se 
les  est  proposés  dans  toutes  ses  entreprises  :  Omnia  vestra 
\_sunt\.  Elles  nous  donneront  sujet  d'expliquer  par  quel  arti- 
fice Dieu  les  a  si  bien  attachés  à  la  personne  de  son  Fils  : 
Vos  autem  Christi.  Après  cela  que  restera-t-il,  sinon  de 
conclure  en  considérant  tant  soit  peu  l'exécution  de  ces 
grands  desseins  de  Dieu.  Implorons  pour  cela,  etc.  \_AvcP\ 

PREMIER    POINT. 

Dieu  étant  unique  et  incomparable  dans  le  rang  qu'il  tient, 
et  ne  voyant  rien  qui  ne  soit  infiniment  au-dessous  de  lui, 
ne  voit  rien  aussi  qui  soit  digne  de  son  estime  que  ce  qui  le 
regarde,  ni  qui  mérite  d'être  la  fin  de  ses  actions  que  lui- 
même.  IMais,  bien  qu'il  se  considère  dans  tout  ce  qu'il  fait, 
il  n'augmentera  pas  pour  cela  ses  richesses.  Et  si  sa  grandeur 
l'oblige  à  être  lui  seul  le  centre  de   tous  ses  desseins,  c'est 

a.  Sap.^  IV,  17.  —  Ms.  de  eo  Dominus. 

1.  AV//.  à  les  congratuler  sur  leur  félicité,  —  Correction  qui  fait  disparaître 
un  bon  gros  latinisme.  Allez,  avec  ce  système,  juger  de  la  date  d'une  ceuvre 
d'après  le  style  ! 

2.  C'est  l'indication  des  points  du  discours.  Dans  la  jiremierc  rédaction,  cette 
division  est  identique,  mais  elle  est  énoncée  avec  moins  de  netteté. 

Serinons  de  Bobsuct.  4 


50  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


parce  qu'elle  fait  qu'il  est  lui  seul  sa  félicité  (').  Ainsi,  quoi 
qu'il  entreprenne  de  grand,  quelques  beaux  ouvrages  que 
produise  sa  toute-puissance,  il  ne  lui  en  revient  aucun  bien 
que  celui  d'en  faire  aux  autres.  Il  n'y  peut  rien  acquérir  que 
le  titre  de  bienfaiteur  ;  et  l'intérêt  de  ses  créatures  se  trouve 
si  heureusement  conjoint  avec  le  sien,  que  comme  il  ne  leur 
donne  que  pour  l'avancement  de  sa  gloire,  aussi  ne  saurait- 
il  avoir  de  plus  grande  gloire  que  de  leur  donner.  C'est  ce 
qui  fait  que  nous  prenons  la  liberté  de  lui  demander  souvent 
des  faveurs  extraordinaires  :  nous  osons  quelquefois  attendre 
de  lui  des  miracles,  parce  (^)  que  sa  gloire  se  rencontre 
dans  notre  avancement,  et  qu'il  est  lui-même  d'un  naturel  si 
magnifique,  qu'il  n'a  point  de  plus  grand  plaisir  que  de  faire 
largesse.  Cela  nous  est  marqué  dans  le  livre  de  la  Genèse, 
lorsque  Dieu»  après  avoir  fait  de  si  belles  créatures,  se  met 
à  les  considérer  les  unes  après  les  autres.  Certes,  si  nous 
voyions  faire  une  action  pareille  à  quelque  autre  ouvrier, 
nous  jugerions  sans  doute  qu'il  ferait  cette  revue  pour  décou- 
vrir les  fautes  qui  pourraient  être  échappées  à  sa  diligence. 
Mais  pour  ce  qui  est  de  Dieu,  nous  n'oserions  seulement 
avoir  eu  cette  pensée.  Non,  messieurs,  il  travaille  sur  un  trop 
bel  original  et  avec  une  main  trop  assurée,  pour  avoir  besoin 
de  repasser  sur  ce  qu'il  a  fait.  Aussi  voyons-nous  qu'il  n'y 
trouve  rien  à  raccommoder.  Il  reconnaît  que  ses  ouvrages 
sont  très  accomplis  :  Et  erant  valde  bona  (^).  De  sorte  que, 
s'il  nous  est  permis  de  pénétrer  dans  ses  sentiments,  il  ne 
les  revoit  de  nouveau  que  pour  jouir  du  plaisir  de  sa  libéra- 
lité. Il  est  donc  vrai,  et  nous  pouvons  l'assurer  après  un  si 
grand  témoignage,  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  digne  de  sa  gran- 
deur ni  de  plus  conforme  à  son  inclination,  que  de  se  commu- 
niquer à  ses  créatures. 

Cela  étant  ainsi,  pourrions-nous  douter  qu'il  n'ait  préparé 
à  ses  saints  de  grandes  merveilles  ?  Lui  qui  a  eu  tant  de 
soin  des  natures  privées  de  raison   et  de  connaissance,  qui 


a.  Gen.,  I,  31. 

1.  Var.  Sa  grandeur  qui  fait  qu'il  est  lui-même  le  centre  où  aboutissent  tous 
ses  desseins,  fait  aussi  qu'il  est  lui  seul  sa  félicité. 

2.  Var.  d'autant  que. 


FETE  DE  TOUS  LES  SAINTS.  5  I 


leur  a  donné  sa  bénédiction  avec  tant  d'affection,  qui  a  attaché 
à  leur  être  de  si  belles  qualités,    qu'aura-t-il   réservé  à  ceux 
pour  lesquels  il  a  bâti  tout  cet  univers  ?  Car  enfin  je  ne  puis 
croire  qu'il  ait  pris  plaisir  à  répandre  ses  trésors  sur  des 
créatures  qui  ne  peuvent  que   recevoir,  et  qui  ne    sont  pas 
capables  de  remercier,   ni  même  de  regarder  la  main  qui  les 
embellit.  S'il  y  a  du  plaisir  et  de  la  gloire  à   donner,  il  faut 
que  ce  soit  à  des  personnes  qui  ressentent  tout   au  moins  la 
grâce  que  l'on  leur  fait.  Il  est  vrai  qu'il  y   a  des   propriétés 
merveilleuses  dans  les  créatures  les  plus  insensibles,  et  c'est 
cela  même   qui  me  persuade  qu'il  les  a  si  bien  travaillées 
pour  en  faire  présent  à  quelque  autre.  Il  n'y  a  que  les  natures 
intelligentes  qui  en   connaissent  le  prix  :  ce  n'est  qu'à  elles 
qu'il  a  donné  l'adresse  d'en  savoir  user  :  elles  seules  en  peu- 
vent bénir  l'auteur.  Sans  doute  ce  ne  peut  être  que  pour  elles 
qu'elles  sont  faites.  L'ordre  de  sa  Providence  nous  fait  assez 
voir  cette  vérité,  parce  que  (')  la  première  chose  qu'il  s'est 
proposée,  c'est  la  manifestation  de  son  nom.  Cela  demandait 
qu'il  jetât  d'abord  les  yeux  sur  quelques  natures  à  qui  il  se 
pût  faire  connaître  :  et  puisque  c'était  par  elles  qu'il  com- 
mençait ses  desseins,  il  fallait  qu'il  formât  tous  les  autres  sur 
ce  premier  plan,  afin  que  toutes  les  parties  se  rapportassent. 
Ainsi  donc,  après  avoir  résolu  de  laisser  tomber  sur  elles  un 
rayon  de  cette  intelligence  première  qui  réside  en  lui,  il  a 
imprimé  sur  une  infinité  d'autres  créatures  divers  caractères 
de  sa  bonté  ;  afin  que,  les  unes  fournissant  de  tous  côtés  la 
matière  des  louanges,  et  les  autres  leur  prêtant  leur  intel- 
ligence et  leur  voix,  il  se  fît  un  accord  de  tous  les  êtres  qui 
composent  ce  grand  monde,  pour  publier  jour  et   nuit  les 
grandeurs  de  leur  commun  Maître.  Pour  achever  ce  dessein, 
il  prépare  à  ses  saints   une  vie  tranquille  et  immortelle,  de 
peur  qu'aucun  accident  ne  puisse  interrompre  le  sacrifice  de 
louanges  qu'ils  offriront  continuellement  à  sa  majesté.  Alors 
il  leur  parlera  lui-même  de  sa  grandeur   sans  l'entremise  de 
ses  créatures,  pour  tirer  de  leur  bouche  des  louanges  plus 
dignes  de  lui.  Et  afin  que  ses  intérêts  demeurent  éternelle- 
ment confondus  avec  ceux  de  ses  élus,  en  même  temps  qu'il 

I.  Far.  d'autant  que. 


52  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


leur  apparaîtra  tel  qu'il  est,  pour  leur  imprimer  de  hauts  sen- 
timents de  sa  majesté,  il  les  rendra  heureux  par  la  contem- 
plation de  sa  beauté  infinie.  Que  dirai-je  davantage  -^  Il  les 
élèvera  par-dessus  tout  ce  que  nous  pouvons  nous  imaginer, 
pour  tirer  ainsi  plus  de  gloire  de  leur  estime.  Si  c'est  peu  de 
chose  que  d'être  loué  par  des  hommes,  il  en  fera  des  dieux, 
et  s'obligera  par  là  à  faire  cas  de  leurs  louanges.  Notre 
Dieu  entln,  pour  contenter  l'inclination  qu'il  a  d'établir  son 
honneur  par  la  magnificence, -se  fera  tout  un  peuple  sur  lequel 
il  régnera  plus  par  ses  bienfaits  que  par  son  pouvoir  ;  auquel 
il  se  donnera  lui-même,  pour  n'avoir  plus  rien  à  donner  de 
[Aus  excellent. 

Après  cela  je  pense  qu'il  n'est  pas  bien  difficile  de  se 
persuader  que  Dieu  a  tout  fait  pour  la  gloire  de  ses  saints. 
N'y  aurait-il  que  l'honneur  qu'ils  ont  de  lui  appartenir  de 
si  près,  il  faudrait  que  tout  le  reste  se  soumît  à  leur  empire. 
Et,  quelque  grand  que  cet  avantage  nous  paraisse,  ce  n'est 
pas  une  chose  à  refuser  aux  bienheureux  que  de  commander 
à  toutes  les  créatures,  puisqu'ils  ont  le  bonheur  d'être  nés 
pour  posséder  Dieu.  Aussi  n'ont-elles  point  toutes  de  plus 
véhémente  inclination  que  de  les  servir  ;  tout  l'effort  que 
font  les  causes  naturelles,  selon  ce  que  dit  l'Apôtre,  ce  n'est 
que  pour  donner  au  monde  les  enfants  de  Dieu.  C'est  pour- 
quoi il  nous  les  dépeint  «  comme  dans  les  douleurs  de 
l'enfantement  »  :  Omnis  creatura...  parturit  (^).  Elles  se 
plaignent  sans  cesse  du  désordre  du  péché,  qui  leur  a  caché 
les  vrais  héritiers  de  leur  Maître,  en  les  confondant  avec  les 
vaisseaux  de  sa  colère.  Tout  ce  qu'elles  peuvent  faire,  c'est 
d'attendre  que  Dieu  en  fasse  la  découverte  à  ce  grand  jour 
du  jugement:  Omnis  cr^eatura  ingemiscit  et  parturit  usque 
adhtic,  Revelationein  filiorum  Dei  exspectat  (^\  Et  à  ce  jour, 
messieurs.  Dieu,  qui  leur  a  donné  ce  mouvement,  afin  que 
tout  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  sentît  l'affection  qu'il  porte 
à  ses  saints,  «  appellera  le  ciel  et  la  terre  au  discernement 
de  son  peuple  :  »  Advocabit  cœliuji  desursum,  et  terrant 
discernere  populuvi  suu7n  [').  Ils  ne  manqueront  pas  d'y 
accourir  pour  combattre  avec  lui  contre  les  insensés  ('^);  mais 

a.  RoJii.^  VIII,  22.  —  b.  Ibid.^  19.  —  c.  Ps.,  XLIX,  4.  —  d.  Sap.^  V,  21. 


FETE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


5, 


plu^ôt  encore  pour  rendre  leur  obéissance  à  ses  enfants.  Que 
si  dans  cet  intervalle  il  y  en  a  quelques-uns  qui  portent  plus 
visiblement  sur  leur  front  la  marque  du  Dieu  vivant,  les 
bêtes  les  plus  farouches  se  jetteront  à  leurs  pieds,  les  flammes 
se  retireront  de  peur  de  leur  nuire,  et  je  ne  sais  quelle  im- 
patience fera  éclater  en  mille  pièces  les  roues  et  les  chevalets 
destinés  pour  les  tourmenter.  Enfin  que  pourrait-il  y  avoir 
qui  ne  fût  fait  pour  leur  gloire,  puisque  leurs  persécuteurs  les 
couronnent,  leurs  tourments  sont  leurs  victoires  ?  Ce  n'est 
que  dans  la  bassesse  qu'ils  sont  honorés  :  la  seule  infirmité 
les  rend  puissants.  «  Et  les  instruments  mêmes  de  leur 
supplice  sont  employés  à  la  pompe  de  leur  triomphe  :  » 
Transeunt  in  honorem  triumphi  etiam  instrumenta  snppli- 
cii  (^\  Pour  cela  le  Fils  de  Dieu,  dans  cette  dernière  sentence 
qui  déterminera  à  jamais  l'état  dernier  de  toutes  les  créatures, 
les  appelle  au  royaume  qui  leur  est  préparé  dès  la  constitution 
du  monde.  Que  nous  marquent  ces  paroles  ?  Car  il  dit  bien 
aux  damnés  que  les  flammes  leur  sont  préparées  ;  mais  il 
n'ajoute  pas,  dès  la  constitution  du  monde.  Et  cependant 
l'enfer  a  été  aussi  tôt  fait  que  le  paradis,  d'autant  qu'il  y  a  eu 
aussi  tôt  des  damnés  que  des  bienheureux. 

Sans  doute  notre  juge  ne  nous  veut  apprendre  autre  chose, 
sinon  que  la  création  du  monde  n'était  qu'un  préparatif  du 
grand  ouvrage  de  Dieu,  et  que  la  gloire  des  saints  en  serait 
le  dernier  accomplissement.  Comme  s'il  disait  :  Venez,  les 
bien-aimés  de  mon  Père,  il  a  tout  fait  pour  vous:  à  peine 
posait-il  les  premiers  fondements  de  cet  univers,  qu'il  com- 
mençait déjà  à  songer  à  votre  gloire:  a  constitutione  vmn- 
di  ('''):etil  ne  faisait  alors  que  vous  préparer  votre  royaume: 
Venite,  bejzedicti  Pat  ris  nici  (').  Il  me  semble,  messieurs, 
qu'il  y  a  là  de  quoi  inciter  les  âmes  les  moins  généreuses. 
Que  jugez-vous  de  cet  honneur.'*  Est-ce  peu  de  chose,  à 
votre  avis,  d'être  l'accomplissement  des  ouvrages  de  Dieu, 
le  dernier  sujet  sur  lequel  il  emploiera  sa  toute- puissance, 
et  qu'il  se  repose  après  toute  l'éternité?  Il  y  aura  de  quoi 
contenter  cette  nature  infinie.  Lui,  qui  a  jugé  que  la  pro- 
duction de  cet  univers  n'était  pas  une  entreprise  digne  de 
a.  s.  Léo,  Senn.  Lxxxni,  cap.  iv.  —  b.  Matth.^  XXV,  34.  —  c,  Ibid, 


54  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


lui,  se  contentera  après  avoir  consommé  le  nombre  de  ses 
élus.  Toute  l'éternité  il  ne  fera  que  leur  dire:  Voilà  ce  que 
j'ai  fait;  voyez:  n'ai-je  pas  bien  réussi  dans  mes  desseins? 
pouvais-je  me  proposer  une  fin  plus  excellente? 

Vous  médirez  peut-être:  Comment  se  peut-il  faire  que 
tous  les  desseins  de  Dieu  aboutissent  aux  bienheureux? 
Jésus-Christ  n'est-il  pas  le  premier- né  de  toutes  les  créa- 
tures ?  n'est-ce  pas  en  lui  qu'a  été  créé  tout  ce  qu'il  y  a  de 
visible  et  d'invisible?  Il  est  la  consommation  de  tous  les 
ouvrages  de  Dieu.  Et,  sans  aller  plus  loin,  les  paroles  de 
mon  texte  nous  font  assez  voir  que  les  saints  ne  sont  pas 
la  fin  que  Dieu  s'est  proposée  dans  tous  ses  ouvrages,  puis- 
que eux-mêmes  ne  sont  que  pour  Jésus-Christ  :  vos  autem 
Christi(^).  Tout  cela  est  très  véritable,  messieurs;  mais  il 
n'y  a  rien,  à  mon  avis,  qui  établisse  plus  ce  que  je  viens  de 
dire.  Le  même  Apôtre  qui  a  dit  que  tout  est  pour  Notre- 
Seigneur,  a  dit  aussi  que  tout  est  pour  les  élus.  Et  non 
seulement  il  l'a  dit,  il  nous  a  donné  de  plus  une  doctrine 
admirable  pour  le  comprendre.  Il  nous  apprend  que  Dieu, 
afin  de  pouvoir  donner  cette  prérogative  à  son  Fils,  sans 
rien  déroger  à  ce  qu'il  préparait  à  ses  saints,  a  trouvé  le 
moyen  d'unir  leurs  intérêts  avec  tant  d'adresse,  que  tous 
leurs  avantages  et  tous  leurs  biens  sont  communs  (').  C'est 
ce  qui  me  reste  à  expliquer  en  peu  de  mots.  Que  si  Dieu 
me  fait  la  grâce  de  pouvoir  dire  quelque  chose  qui  approche 
de  ces  hautes  vérités,  il  y  aura  de  quoi  vous  (')  étonner 
de  l'affection  qu'il  a  pour  les  saints,  et  des  grandeurs  où  il 
les  appelle. 

SECOND    POINT. 

Le  Père  éternel,  ayant  rempli  son  Fils  de  toutes  les  ri- 
chesses de  la  Divinité,  a  voulu  qu'en  lui  toutes  les  nations 
fussent  bénies.  Et  comme  il  lui  a  donné  les  plus  pures  de  ses 
lumières,  il  d  établi  cette  loi  universelle,  qu'il  n'y  eût  point 
de  gric<^  !]'j'  'v.^  fût  un  éc  )ulemfmt  de  la  sienne.  De  là  vient 
que  le  Fils  de  Dieu  dit  à  son  Père,  qu'il  a  donné  aux  justes 

a.  l  Cor.,  III,  23.  —  3.  Ro///.,  VIII,  28. 

I.  £if/^.  Nous  étonner.  —  Bossuet  ajoute  cette  phrase,  en  se  relisant. 


FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS.  55 

la  même  clarté  qu'il  avait  reçue  de  lui:  Ego  cla^^itatem  \_qtiam 
dedisti  mihi,  dedi  eis  i^)\  Où,  comme  vous  voyez,  il  com- 
pare la  sainteté  à  la  lumière,  pour  nous  faire  voir  qu'elle  est 
une  et  indivisible;  et  que  tout  de  même  que  les  rayons  du 
soleil,  venant  à  tomber  sur  quelque  corps,  lui  donnent  véri- 
tablement un  éclat  nouveau  et  une  beauté  nouvelle,  mais 
qui  n'est  qu'une  impression  de  la  beauté  du  soleil,  et  une 
effusion  de  cette  lumière  originelle  qui  réside  en  lui  : 
ainsi  la  justice  des  élus  n'est  autre  chose  que  la  justice 
de  Notre-Seigneur,  qui  s'étend  sur  eux  sans  se  séparer  de 
sa  source,  parce  qu'elle  est  infinie:  de  sorte  qu'ils  n'ont  de 
splendeur  que  celle  du  Fils  de  Dieu,  ils  sont  environnés  de 
sa  gloire,  ils  sont  tout  couverts,  pour  parler  avec  l'A- 
pôtre, et  revêtus  de  Jésus-Christ.  L'Esprit  de  Dieu,  mes- 
sieurs, «  cet  Esprit  immense  qui  comprend  en  soi  toutes 
choses,  »  hoc  quod  continct  omnia  {^),  se  repose  sur  eux 
pour  leur  donner  une  vie  commune.  Il  va  pénétrant  le  fond 
de  leur  âme;  et  là,  d'une  manière  ineffable,  il  ne  cesse  de 
les  travailler  jusqu'à  temps  (')  qu'il  y  ait  imprimé  Jésus- 
Christ.  Et,  comme  il  a  une  force  invincible,  il  les  attache  à 
lui  par  une  union  incomparablement  plus  étroite  que  celle 
que  peuvent  faire  en  nos  corps  des  nerfs  et  des  cartilages, 
qui  au  moindre  effort  se  rompent  ou  se  détendent. 

C'est  cette  liaison  miraculeuse  qui  fait  que  «  Jésus  Christ 
est  toute  leur  vie»:  Chrishis  vita  vestra  (^).  Ils  sont  «son 
corps  et  sa  plénitude»,  corpus  ipsius  et plenittido  ("'),  comme 
parle  l'apôtre  saint  Paul:  comme  s'il  disait  qu'il  manquerait 
quelque  perfection  au  Fils  de  Dieu,  qu'il  serait  mutilé,  si 
l'on  séparait  de  lui  les  élus.  C'est  pourquoi  notre  bon  Maître, 
dans  cette  oraison  admirable  qu'il  fait  pour  ses  saints,  en  saint 
Jean  (chapitre  xvii),  les  recommande  à  son  Père,  non  plus 
comme  les  siens,  mais  comme  lui-même:  «J'entends,  dit-il, 
que,  partout  où  je  serai,  mes  amis  y  soient  avec  moi:»  Volo. 
(Pater)  ut  itbi  stim  ego,  et  illi  sint  mecuni  i().  Vous  diriez  qu'il 


a.  Joan.,  xvii,  22.  —  h.  Sap.,  i,  7.  —  c.  Coloss.,  ni,  4.  —  it  Ephcs.,  i,  23. 
e.  Joan.,  xvii,  24. 

I.  Nous  avons  déjà   rencontre  cette  locution,  dans   le  panégyrique  de   saint 
(ior<ron. 


56  l'KTK  DE  T(nJS  LES  SAINTS. 

ne  saurait  se  passer  d'eux,  et  que  son  royaume  ne  lui  plairait 
pas,  s'il  ne  le  possédait  en  leur  compagnie  et  s'il  ne  leur  en  fai- 
sait part.  Il  ne  veut  pas  même  que  son  Père  les  divise  de  lui 
dans  son  affection.  Il  ne  cesse  de  lui  représenter  continuelle- 
ment qu'il  est  en  eux  et  eux  en  lui,  qu'il  faut  qu'ils  soient 
mêlés  et  confondus  avec  lui,  comme  il  fait  lui-même  avec  son 
Père  une  parfaite  unité.  Il  semble  qu'il  ait  peur  qu'il  n'y  mette 
quelque  différence:  Ego  in  eis  et  tu  in  me,  ut  sint  consummati 
in  umun;  et  coonoscat  rmindits  qnia,..  dilcxisti  eos  siciit  et  me 
dilexisti  {")'.  Et  un  peu  après  :  Dilectio  qua  dilexisti  me  in 
ipsis  sit,  et  ego  in  ipsis  (^).  Je  suis  en  eux  et  vous  en  moi,  afin 
que  tout  se  réduise  à  l'unité  ;  et  que  le  monde  sache  que 
vous  ne  faites  point  de  distinction  entre  nous,  que  vous 
les  aimez,  et  que  vous  en  avez  soin  comme  de  moi-même. 
A  ces  paroles,  messieurs,  qui  serait  l'insensible  qui  ne  se 
laisserait  émouvoir?  Certes,  elles  sont  si  avantageuses  pour 
nous,  que  je  les  croirais  injurieuses  à  notre  Maître,  si  lui- 
même  ne  les  avait  prononcées.  Mais  qui  peut  douter  de  ce 
prodige  ?  Et  quoique  d'abord  cela  nous  semble  incroyable, 
est-ce  trop  peu  de  sa  parole  pour  nous  en  assurer.^  Tenons- 
nous  hardiment  à  cette  promesse,  et  laissons  ménager  au 
Père  éternel  les  intérêts  de  son  Fils:  il  saura  bien  lui  donner 
le  rang  qui  est  dû  à  sa  qualité  et  à  son  mérite,  sans  violer 
cette  unité  que  lui-même  lui  a  si  instamment  demandée. 
Comme  une  bonne  mère,  qui  tient  son  cher  enfant  entre 
ses  bras,  porte  différemment  ses  caresses  sur  diverses  par- 
ties de  son  corps,  selon  que  son  affection  la  pousse;  il  y  en 
a  quelques-unes  qu'elle  orne  avec  plus  de  soin,  qu'elle  con- 
serve avec  plus  d'empressement;  ce  n'est  toutefois  que  le 
même  amour  qui  l'anime:  de  même  le  Père  éternel,  sans  di- 
viser cet  amour  qu'il  doit  en  commun  à  son  Fils  et  à  ses 
membres,  il  saura  bien  lui  donner  la  prééminence  du  chef. 
Et  s'il  y  a  quelque  différence  en  cet  exemple,  c'est,  mes- 
sieurs, que  l'union  des  saints  avec  Jésus-Christ  est  bien 
plus  étroite;  parce  qu'il  emploiera,  pour  la  faire,  et  sa  main 
toute-puissante,  et  cet  Esprit  unissant  que  les  Pères  ont 
appelé  le  lien  de  la  Trinité. 

a.  Joati.^  xviij  23.  —  Ms.  ut  sciât  jnundus.  —  b.  Ibid.^  26.  —  Ms.  in  eis. 


FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS.  ^y 


Dites-moi  tout  ce  qu'il  vous  plaira  de  la  grandeur,  des 
victoires,  du  sacrifice  de  notre  Maître  ;  j'avouerai  tout  cela, 
messieurs,  et  j'en  avouerai  beaucoup  davantage  :  car,  que 
pourrions-nous  dire  qui  approchât  de  sa  gloire  ?  Mais  je  ne 
laisserai  pas  de  soutenir  que  celui  qui  n'aspire  pas  au  même 
royaume,  qui  ne  porte  pas  son  ambition  jusqu'aux  mêmes 
honneurs,  qui  n'espère  pas  la  même  félicité,  n'est  pas  digne 
de  porter  le  nom  de  chrétien,  ni  d'être  lavé  de  son  sang,  ni 
d'être  animé  de  son  esprit.  Pour  qui  a-t-il  vaincu,  si  ce  n'est 
pour  nous  ?  N'est-ce  pas  pour  nous  qu'il  s'est  immolé  ?  Sa 
gloire  lui  appartenait  par  le  droit  de  sa  naissance  ;  et  s'il 
avait  quelque  chose  à  acquérir,  c'était  les  fidèles,  qu'il  appelle 
le  peuple  d'acquisition.  Pensons-nous  pas  qu'il  sache  ce  qui 
est  du  à  ses  victoires  ?  Et  cependant  écoutons  comme  il  parle 
dans  l'Apocalypse  :  «J'ai  vaincu,  dit-il  ;  je  suis  assis  comme 
un  triomphateur  à  la  droite  de  mon  Père  :  et  je  veux  que 
ceux  qui  surmonteront  en  mon  nom,  soient  mis  dans  le  même 
trône  que  moi  :  »  Qui  viccrit,  dabo  ei  sedere  mec  uni  in  throiio 
meo  ('').  Figurez-vous,  si  vous  pouvez,  une  plus  parfaite 
unité.  Ce  n'est  pas  assez  de  nous  transporter  au  même 
royaume,  ni  de  nous  associer  à  l'empire,  il  veut  que  nous 
soyons  placés  dans  son  trône  :  non  pas  qu'il  le  quitte  pour 
nous  le  donner,  les  saints  n'en  voudraient  pas  à  cette  condi- 
tion; mais  il  veut  que  nous  y  régnions  éternellement  avec  lui. 
Et  comment  cela  se  peut-il  expliquer,  qu'en  disant  que  nous 
sommes  le  même  corps,  et  qu'il  ne  faut  point  mettre  de 
différence  entre  lui  et  nous  } 

TROISIEME    POINT.    (CONCLUSION.) 

Après  de  si  grands  desseins  de  la  Providence  sur  les  bien- 
heureux, après  que  Dieu  s'est  intéressé  lui-même  à  leur 
grandeur,  et  s'y  est  intéressé  par  ce  qu'il  aime  le  plus,  prenez 
garde,  chrétiens,  lorsqu'on  vous  p.irlera  du  royaume  céleste, 
de  ne  vous  le  pas  représenter  à  la  façon  de  ces  choses  basses 
qui  frappent  nos  sens,  ou  de  ces  plaisirs  périssables  cjui 
trompent  plutôt  notre  imagination   qu'ils    ne  la  contentent  : 

a.  Apoc.y  ni,  21.  —  Ms.  ni  sedcaf  in  f/i/ono  juro. 


58  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


tout  nous  y  semblera  nouveau,  nous  n'aurons  jamais  rien 
vu  de  semblable  :  A^ova  facto  omnia  (^).  Comme  Dieu, 
sans  avoir  égard  à  ce  qu'il  a  fait  des  choses,  ne  considérera 
plus  que  ce  qu'il  en  peut  faire  ;  comme  il  ne  suivra  plus  leur 
disposition  naturelle,  et  ne  prendra  loi  que  de  sa  puissance 
et  de  son  amour,  ce  ne  serait  pas  une  moindre  témérité  de 
prétendre  concevoir  ce  qu'il  fait  dans  les  bienheureux  que  si 
nous  voulions  comprendre  sa  toute-puissance.  Mettre  les 
choses  dans  cet  état  naturel  où  nous  les  voyons,  cela  était 
bon  pour  commencer  les  ouvrages  de  Dieu.  Mais  s'il  veut 
faire  des  saints  quelque  chose  digne  de  lui,  il  faut  qu  il 
travaille  /;/  nianu  forti  et  brachio  extento  (^')  :  il  faut,  dis-je, 
qu'il  étende  son  bras  ;  il  faut  qu'il  les  tourne  de  tous  côtés 
pour  les  façonner  entièrement  à  sa  mode,  et  qu'il  n'ait  égard 
à  leur  disposition  naturelle  qu'autant  qu'il  faudra  pour  ne 
leur  point  faire  de  violence.  Ce  sera  pour  lors  qu'il  donnera 
ce  grand  coup  de  maître,  qui  rendra  les  saints  à  jamais  éton- 
nés de  leur  propre  gloire.  Ils  seront  tellement  embellis  (') 
des  présents  de  Dieu,  qu'à  peine  l'éternité  leur  suffira-t-elle 
pour  se  reconnaître.  Est-ce  là  ce  corps  autrefois  sujet  à  tant 
d'infirmités  .'^  est-ce  là  cette  âme,  qui  avait  ses  facultés  si 
bornées?  Ils  ne  pourront  comprendre  comment  elle  était 
capable  de  tant  de  merveilles.  La  joie  y  entrera  avec  trop 
d'abondance  pour  y  passer  par  les  canaux  ordinaires.  Il 
faudra  que  la  main  de  Dieu  ouvre  les  entrées,  et  qu'il  leur 
prête,  pour  ainsi  dire,  son  Esprit,  comme  il  les  fera  jouir  de 
sa  félicité.  Je  vous  prie  de  considérer  un  moment  avec  moi 
ce  que  c'est  que  cette  béatitude. 

Notre  âme  dans  cette  chair  mortelle  ne  peut  rien  ren- 
contrer qui  la  satisfasse  :  elle  est  d'une  humeur  difficile,  elle 
trouve  à  redire  partout.  Quelle  joie  (")  d'avoir  trouvé  un  bien 
infini,  une  beauté  accomplie,  un  objet  qui  s'empare  si  douce- 
ment de  sa  liberté,  qui  arrête  à  jamais  toutes  ses  affections, 


a.  Is.^  XMii,  19.  Apoc.,x.y.i,  5.  —  b.  Deut.^Y^  15.  —  Ms.  m  manu  potenti. 

1.  Var.  enrichis. 

2.  Tout  ce  passage,  depuis  Mettre  les  choses  etc.,  a  été  souligné,  pour  l'impor- 
tance, à  l'époque  de  la  rédaction  du  sommaire  (1662).  Et  de  fait,  qui  n'admirera 
la  hardiesse  et  la  force  de  cette  éloquence  naissante  ? 


FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS.  59 

sans  que  son  bonheur  (')  puisse  être  troublé  ou  interrompu 
par  le  moindre  désir  !  Mais  que  peut-elle  concevoir  de  plus 
grand  que  de  posséder  celui  qui  la  possède,  et  que  cet 
objet  qui  la  maîtrise  soit  à  elle  ?  Car  il  n'y  a  rien  qui  soit  plus 
à  elle  que  ce  qui  est  sa  récompense  ;  d'autant  que  la  réconi- 
pense  est  attachée  à  une  action  de  laquelle  le  domaine  lui 
appartient.  Comme  elle  loue  Dieu  de  l'avoir  si  bien  conduite, 
d'avoir  opéré  en  elle  tant  de  merveilles,  cependant  que  son 
Dieu  même  la  loue  !  Là,  Seigneur,  toujours  on  chantera  vos 
louanges  ;  on  ne  s'entretiendra  ( ')  que  de  vos  merveilles  ; 
jamais  on  ne  se  lassera  d'y  parler  de  la  magnificence  de 
votre  royaume.  Magnificentiam gloi^iœ  sanctitatis  ttiœ  loqitcn- 
tur.et  mirabilia  tua  narrabunt  (^).  Mais  vous  ne  vous  lasserez 
non  plus  de  leur  dire  qu'ils  ont  bien  fait  :  vous  leur  parlerez 
de  leurs  travaux  avec  une  tendresse  de  père  :  et  ainsi  de  part 
et  d'autre  l'éternité  se  passera  en  des  congratulations  perpé- 
tuelles. Oh  !  que  la  terre  leur  paraîtra  petite  !  comme  ils  se 
riront  des  joies  de  ce  monde  ! 

En  est-ce  assez,  messieurs  (^),  ou  s'il  faut  encore  quelque 

a.  Ps.^  CI  IV,  5. 

1.  Var.  ravissement...  par  de  nouveaux  désirs. 

2.  Var.  on  n'y  parlera. 

3.  Var.  (r^  rédaction)  :  «  Messieurs,  n'aspirons-nous  pas  à  cette  félicité.^  Nous 
sommes  tous  chrétiens,  nous  sommes  tous  rachetés  du  sang  du  Fils  de  Dieu  : 
voudrions-nous  renoncer  à  un  bien  qui  nous  a  été  acheté  par  un  si  grand  prix  ? 
Kt  si  nous  y  prétendons,  comment  se  peut-il  faire  que  nous  ayons  la  moindre 
estime  pour  des  choses  que  nous  mépriserons  éternellement  .'*  Filii  iwtninum, 
jisqueqiio  i:;ravi  corde?  ut  quid  fms.  usquequo)  d/li^ii/s  vanitaton  et  quœritis 
/;/^;/<'/a^/ww  .^  [Ps.,  IV,  3.]  Jusques  à  quand  nous  laisserons-nous  séduire  par  de 
vaines  apparences.'*  Ne  cesserons-nous  jamais  de  rechercher  les  biens  trompeurs 
de  ce  monde,  comme  si  nous  n'étions  pas  nés  pour  le  ciel.-*  N'aurons-nous  jamais 
une  pensée  digne  de  la  grandeur  de  notre  vocation  et  de  la  générosité  du 
ciiristianisme,^  Qu'est  devenue  cette  force  de  l'ancienne  Église  qui  faisait  estimer 
aux  fidèles  moins  que  du  fumier  et  de  la  fange  toute  la  pompe  du  monde  ? 
Arbitror  ut  stercora:\V\\\\\^^.^  m,  8.)  qui  leur  faisait  dire  avec  tant  de  résolution  : 
(Cupio)  dissolvi  et  esse  aim  Christof  [Ibid.,  i,  23.]  qui,  dans  un  état  toujours 
incertain,  dans  une  vie  continuellement  traversée,  mais  dans  les  tourments  les 
plus  cruels  et  dans  la  mort  même,  les  tenait  immobiles  par  une  ferme  espérance: 
Spe  jraudenles'^\Kç)\Xi,.^  XII,  \2?\^Intclliiçite hœc^^qui obliviscimiui  A*/////.  [Ps.,XU\, 
22.]  Je  parle  à  vous,  misérable[s],  qui  oubliez  si  facilenient  votre  Dieu:  Intei/ii^ite 
hœc  :  Quelle  honte  vous  sera-ce  d'avoir  été  appelés  .\  la  môme  félicité  et  de 
l'avoir  lâchement  perdue  dans  une  profonde  paix  {var.  dans  une  si  grande 
tranquillité),  au  lieu  qu'ils  l'ont  gagnée  parmi  les  combats  et  malgré  la  rage 
des  tyrans  et  des  bourreaux  !  Seigneur,  notre   Dieu  et   notre  Père,  qui  avez  tout 


6o  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


chose  pour  nous  exciter  ?  Que  restait-il  à  faire  au  Père  éter- 
nel pour  nous  attirer  à  lui  ?  Il  nous  appelle  au  royaume  de 
son  Fils  unique,  nous  qui  ne  sommes  que  des  serviteurs,  et 
des  serviteuis  inutiles.  Il  ne  veut  rien  avoir  de  secret  ni  de 
réservé  pour  nous.  L'objet  qui  le  rend  heureux,  il  nous 
l'abandonne.  Il  nous  fait  les  compagnons  de  sa  gloire,  cendre 
et  pourriture  que  nous  sommes  ;  et  il  ne  nous  demande  pour 
cela  que  notre  amour,  et  quelques  petits  services  qui  lui  sont 
déjà  dus  par  une  infinité  d'obligations  que  nous  lui  avons, 
et  qui  ne  seraient  que  trop  bien  payés  des  moindres  de  ses 
faveurs.  Cependant  qui  le  pourrait  croire,  si  une  malheureuse 
expérience  ne  nous  l'apprenait  ?  l'homme  insensé  ne  veut 
point  de  ces  grandeurs  :  il  embrasse  avec  autant  d'ardeur  des 
plaisirs  mortels  que  s'il  n'était  pas  né  pour  une  gloire  éter- 
nelle ;  et  comme  s'il  voulait  être  heureux  malgré  son  Créateur, 
il  prend,  pour  trouver  la  félicité,  une  route  toute  contraire  à 
celle  qu'il  lui  prescrit,  et  n'a  point  de  contentement  qu'en 
s'opposant  à  ses  volontés.  Encore  si  cette  vie  avait  quelques 
charmes  qui  fussent  capables  de  le  contenter,  sa  folie  serait  en 
quelque  façon  pardonnable  !  Mais  Dieu,  comme  un  bon  père 
qui  connaît  le  faible  de  ses  enfants,  et  qui  sait  l'impres- 
sion que  font  sur  nous  les  choses  présentes,  a  voulu  exprès 
qu'elle  fût  traversée  de  mille  tourments,  pour  nous  faire 
porter  plus  haut  nos  affections.  Que  s'il  y  a  mêlé  quelques 
petites  douceurs,  c'a  été  pour  en  tempérer  l'amertune,  qui 
nous  aurait  semblé  insupportable  sans  cet  artifice.  Jugez  par 
là  ce  que  c'est  que  cette  vie.  Il  faut  de  l'adresse  et  de  l'arti- 
fice pour  nous  en  cacher  les  misères  ;  et  toutefois,  ô  aveugle- 
ment de  l'esprit  humain  !  c'est  elle  qui  nous  séduit,  elle  qui 
n'est  que  trouble  et  qu'agitation,  qui  ne  tient  à  rien,  qui  fait 
autant  de  pas  à  sa  fin  qu'elle  ajoute  de  moments  à  sa  durée. 


fait  pour  les  saints,  qui  avez  si  puissamment  uni  leurs  intérêts  à  ceux  de  votre 
Fils,  afin  de  vous  obliger  davantage  à  les  rendre  parfaitement  heureux,  qui  avez 
conçu  de  si  grands  desseins  à  leur  avantage,  que  vous  exécutez  avec  une  vertu 
et  une  tendresse  si  admirable,  ayez  pitié  de  notre  aveuglement,  fortifiez-nous 
dans  l'homme  intérieur,  «  illuminez  nos  yeux,  afin  que  nous  connaissions  quelle 
est  l'espérance  de  notre  vocation  et  la  magnificence  de  votre  royaume,  et  ces 
miracles  que  vous  opérerez  en  nous  par  votre  puissance  !  »  \Eph.^  I,  i8,  19.] 
Et  vous,  âmes  bienheureuses,  etc.  » 


FETE  DE  TOUS  LES  SAINTS.  6l 

et  qui  nous  manquera  tout  à  coup  comme  un  faux  ami,  lors- 
qu'elle semblera  nous  promettre  plus  de  repos.  A  quoi  est-ce 
que  nous  pensons  ? 

Où  est  cette  générosité  du  christianisme,  qui  faisait  esti- 
mer aux  premiers  fidèles   moins   que   de  la  fange  toute  la 
pompe  du  monde  :  Arbitror  ut  stercora  ('')  ;  qui  leur  faisait 
dire  avec  tant  de  résolution  :  Desiderium  habens  (')  dissohi  et 
esse  cum  Christo  (^)  ;  qui  dans  un  état  toujours  incertain,  dans 
une  vie  continuellement  traversée,  mais  dans  les  tourments 
les  plus  cruels  et  dans  la  mort  même,    les  tenait  immobiles 
par  une  ferme  espérance  :  spe  gaudentes  {^) }  Mais,  hélas  !  que 
je  m'abuse  de  chercher  parmi  nous  la  perfection  du  christia- 
nisme !  Ce  serait   beaucoup  si  nous  avions  quelque  pensée 
qui  fût  digne   de   notre   vocation,   et  qui  sentit  un   peu  le 
nouvel  homme.  Au   moins,   messieurs,  considérons   un  peu 
attentivement  quelle  honte  ce  nous  sera  d'avoir  été  appelés 
à  la  même  félicité  que  ces   grands  hommes  qui  ont  planté 
l'Eglise    par  leur  sang,     et    de    l'avoir    lâchement    perdue 
dans  une  profonde  paix,  au  lieu   qu'ils   l'ont  gagnée   parmi 
les  combats,  et  malgré  la  rage  des  tyrans,  et  des  bourreaux, 
et  de  l'enfer.    Heureux  celui   qui   entend  ces  vérités,  et  qui 
sait  goûter  la  suavité  du   Seigneur  !  «  Heureux  celui   qui 
marche  innocemment  dans  ses  voies,  qui  passe  les  jours  et 
les  nuits  à  contempler  la  beauté  de  ses  saintes  lois  !  Il   fleu- 
rira comme  un   arbre   planté   sur   le   courant  des  eaux.  Le 
temps  viendra  qu'il  sera  chargé  de  ses  fruits,  il  ne  s'en  perdra 
pas  une  seule  feuille  ;  le  Seigneur   ira  recueillant  toutes  ses 
bonnes  œuvres,   et  fera  prospérer   toutes  ses  actions.  x\h  ! 
qu'il  n'en  sera  pas   ainsi  des  impies!   Il  les  dissipera  dans 
rimpétuosité  de   sa  colère,  comme  la  poudre  est  emportée 
par  un  tourbillon  (f).  »  Cependant  les  justes  se   réjouiront 
avec  lui  :  «  il  les  remplira  de   l'abondance  de  sa  maison  ;  il 
les  enivrera  du  torrent  de  ses  délices  (').  »   Ah  !  Seigneur, 
qu'il  fait  beau  dans  vos  tabernacles  !  Je  ne   suis  plus  à  moi 
quand  je  pense  à  votre  palais  ;  mes  sens   sont   ravis  et  mon 

a.  Philip.^  ni,  8.  —  b.  Ibid.^  i,  23.  —  c.  Rom.,  Xll,   12.  —  d.  Ps.,  i,  1-4.  — 
e.  Ps.,  XXXV,  9. 

I.  Âfs.  Cupio  dissolvi...  Et  plus  haut  :  Existimavi  sien  t.. . 


62  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


âme  transportée,  quand  je  considère  ([ue  je  jouirai  de  vous 
dans  la  terre  des  vivants.  Je  le  dis  encore  une  fois  et  ne  me 
lasserai  jamais  de  le  dire  :  «  Il  est  plus  doux  de  passer  un 
jour  dans  votre  maison,  que  d'être  toute  sa  vie  dans  les 
voluptés  du  monde  ('').  »  Seigneur,  animez  nos  cœurs  de 
cette  noble  espérance. 

Et  vous,  âmes  bienheureuses,  pardonnez-nous,  si  nous 
entendons  si  mal  votre  grandeur,  et  ayez  agréables  ces  idées 
grossières  que  nous  nous  formons  de  votre  félicité  durant 
l'exil  et  la  captivité  de  cette  vie.  Vous  avez  passé  par  les 
misères  où  nous  sommes  :  nous  attendons  la  félicité  que  vous 
possédez  :  vous  êtes  dans  le  port  :  nous  louons  Dieu  de  vous 
avoir  choisies,  de  vous  avoir  soutenues  parmi  tant  de  périls, 
de  vous  avoir  comblées  d'une  si  grande  gloire.  Secourez-nous 
de  vos  prières,  afin  que  nous  allions  joindre  nos  voix  avec  les 
vôtres,  pour  chanter  éternellement  les  louanges  du  Père  qui 
vous  a  élues,  du  Fils  qui  vous  a  rachetées,  du  Saint-Esprit  qui 
vous  a  sanctifiées.  Ainsi  soit-il  à  jamais. 

a.   Pj.,  LXXXni,  2,  II. 


II.  Toussaint,  1649.  (Yoy.  p.  62.) 


'^ ^l-AVU-IZ.   U/jfho^yi^^y^—^c^^2^^^ 


^^^^  ûi^'yi^^. 


i 


i 


ALLOCUTION    pour  la  VEILLE   de 


LA  FETE  DE  L'ASSOMPTION  de  la 


SAINTE   VIERGE  (■). 


Au    Collège   de   Navarre,    en    1650. 


WWWWWWWWWWWWWWWW" 


«  Les  registres  de  ce  Collège,  dit  Ledieu  {Mémoires,  26),  font 
mention  de  son  discours  du  14  août  1650,  veille  de  l'Assomption, 
OÙ  il  représenta  le  triomphe  de  la  sainte  Vierge  d'une  manière 
pleine  d'onction  et  d'éloquence.  »  Nous  avons  remarqué  dans  l'In- 
troduction combien  il  est  curieux  de  voir  apparaître,  dès  ces  pre- 
mières esquisses,  quelquefois  avec  une  expression  définitive,  des 
pensées  qui  reviendront  souvent  sous  la  plume  de  Bossuet.  Pour 
cette  même  raison,  sans  doute,  l'auteur  ne  l'a  ni  résumée  ni  paginée 
à  l'époque  des  sommaires  (1662). 


Quœ  est  ista  quœ  ascendit  de  deser/o, 
deliciis  affluens^  innixa  super  dilectum 
suum  ? 

Quelle  est  celle-ci  qui  s'élève  du 
désert,  pleine  de  délices,  appuyée  sut- 
son  bien-aimé?  {Cant.,  viii,  5.) 

LA  sainte  solennité  dont  l'Église  se  réjouira  demain 
par  toute  la  terre  comprend,  ce  me  semble,  trois 
choses  fort  importantes,  qui  selon  les  conseils  de  la  Provi- 
dence se  sont  heureusement  accomplies  en  la  sainte  Vierge, 
Mère  de  Notre-Seigneur  et  la  nôtre.  La  première,  c'est  sa 
mort  ;  la  seconde,  c'est  sa  glorieuse  résurrection  ;  la  troi- 
sième, c'est  la  magnificence  de  son  triomphe.  Chrétiens, 
que  je  vois  si  avides  des  louanges  de  Marie,  je  vous  entre- 
tiendrai familièrement  de  ces  trois  mystères  avec  l'aide  du 
Saint-Esprit,  que  je  prie  d'étendre  par  sa  grâce  le  peu  que 
j'ai  à  vous  dire. 

I.  Ms.  du  Grand-Séminaire  de  Meaux,  (A.  7).  —  In-4"  ;  très  peu  de  marge  ; 
point  de  pagination.  Les  premiers  éditeurs  l'avaient  emplo)é  en  interpola- 
tions. M.  Lâchât  l'a  publié  in-e\tenso,  mais  avec  un  certain  nombre  de  fautes 
de  lecture  que  nous  signalons.  Elles  ont  été  reproduites  par  les  éditeurs  qui 
l'ont  suivi. 


64  POUR  LA  VEILLE  DE  LA  FETE 


PREMIER  POINT. 


Considérez  donc  pour  vous  préparer  à  cette  méditation 
qu'il  n'y  eut  jamais  mère  qui  chérît  son  fils  avec  une  telle 
tendresse  qu'avait  celle  dont  nous  honorons  la  mémoire  par 
cette  assemblée  ;  ce  qu'il  ne  vous  sera  pas  malaisé  d'entendre, 
si  vous  remarquez  que  la  nature  a  distribué  avec  quelque 
sorte  d'égalité  l'amour  des  enfants  entre  le  père  et  la  mère  (')  : 
d'où  vient  qu'elle  imprime  dans  l'un  une  inclination  plus 
forte,  et  dans  l'autre  une  émotion  plus  sensible.  Et  c'est  pour 
la  même  raison  que,  quand  l'un  des  deux  a  été  enlevé  par 
la  mort,  l'autre  se  sent  obligé  par  un  sentiment  naturel  à 
redoubler  ses  affections.  Si  bien  que  la  très  pure  Marie 
n'ayant  à  partager  avec  aucun  homme  ce  chaste  et  violent 
amour  qu'elle  avait  pour  son  Fils  Jésus,  vous  ne  sauriez 
assez  vous  imaginer  jusqu'à  quel  point  elle  en  fut  touchée  et 
combien  elle  y  ressentait  de  douceur.  A  quoi  j'ajoute  que 
comme  elle  se  croyait  bienheureuse  d'être  Mère  du  Fils  de 
Dieu,  aussi  estimait-elle  uniquement  sa  virginité.  C'est  là 
d'abord  qu'elle  tourne  (^)  ses  premiers  soins,  lorsque  surprise 
par  la  salutation  de  l'Ange,  elle  interroge  comment  il  se  pourra 
faire  qu'elle  conçoive  ce  Fils  dont  il  lui  parle,  elle  qui  avait 
résolu  de  ne  point  connaître  d'homme  ;  discours  qui,  à  le 
bien  prendre,  témoigne  qu'elle  se  sent  véritablement  honorée 
d'être  Mère  du  Messie,  mais  qu'elle  est  néanmoins  fort  en 
peine  de  sa  chasteté.  Quand  donc  elle  vit  par  le  miracle  de 
son  enfantement  que  Jésus,  qui  était  descendu  et  s'était  pour 
ainsi  dire  insinué  (^)  en  ses  entrailles  comme  une  douce 
rosée,  en  sortait  aussi  comme  une  fleur  de  sa  tige  sans 
laisser  de  façon  ni  d'autre  aucun  vestige  de  son  passage,  il 
ne  faut  point  douter  que  les  baisers  qu'elle  lui  donnait  ne 
fussent  d'autant  plus  ardents  et  d'autant  plus  libres  qu'ils  ne 
reprochaient  rien  à  son  intégrité,  et  qu'en  cela  plus  heureuse 


1.  Lâchât  :  et  la  mère.   D'où  vient...  plus  sensible  'l  —   Cette  ponctuation 
fausse  le  sens. 

2.  Lâchât  :  elle  trouve  ses  premiers  soins.  —  Faute  de  lecture. 

3.  Lâchât  :  pour  ainsi  dire  enfermé.  —  C'était  prêter  à  Bossuet  un  pour  ainsi 
dire  bien  inutile. 


DE  l'aSSOMPTION  DE  LA  S.  VIERGE.  65 


que  toutes  les  autres  mères,  elle  possédait  ce  cher  Fils  sans 
rien  perdre  de  ce  qu'elle  aimait. 

Que  si  les  sentiments  de  la  nature  étaient  si  pressants,  il 
est  à  croire  que  la  grâce  leur  donnait  une  tout  autre  impé- 
tuosité ;  et  que  le  Père  qui  l'avait  associée  à  sa  génération 
éternelle  avait  en  même  temps  coulé  dans  son  sein  quelque 
chose  de  cet  amour  infini  qu'il  a  pour  son  Fils  :  et  ainsi 
jamais  il  n'y  eut  d'affection  pareille  à  celle  de  la  sainte  Vierge, 
puisque  nous  y  voyons  concourir  ensemble  la  nature  la  plus 
tendre  et  la  grâce  la  plus  véhémente. 

Jugez  par  là  de  l'affliction  de  cette  bonne  Mère  après  le 
départ  de  son  Fils  unique.  Si  le  grand  apôtre  saint  Paul 
veut  rompre  incontinent  les  liens  du  corps  pour  aller  cher- 
cher son  Maître  à  la  droite  de  son  Père,  quelle  devait  être 
à  votre  avis  l'émotion  du  [sang]  maternel  !  Le  .jeune  Tobie 
par  une  absence  d'un  an  perce  (')  le  cœur  de  sa  mère  d'in- 
consolables (^)  douleurs.  Quelle  différence  entre  Jésus  et 
Tobie  !  et  quels  regrets  à  (^)  la  Vierge  de  voir  que  son  Fils 
l'eût  amenée  au  pied  de  sa  croix  pour  le  voir  mourir,  et  lui 
refusât  pour  un  si  long  temps  de  le  voir  régner  !  Ne  serait- 
ce  point  peut-être  pour  cette  raison  que  les  anges  deman- 
dent aujourd'hui  «  quelle  est  celle-ci  qui  s'élève  du  désert  ?  » 
Qua  est  ista  quœ  ascendit  de  deserto  ?  parce  qu'en  effet  elle  se 
croyait  seule  et  abandonnée,  n'ayant  plus  son  Fils.  Et  lors- 
qu'elle se  ressouvenait  de  sa  tendre  enfance,  qu'elle  s'imagi- 
nait encore  le  voir  reposer  sur  son  sein,  ne  pouvait-elle  pas 
lui  faire  cette  douce  plainte  :  «  Vous  m'êtes,  ô  mon  Fils,  un 
faisceau  de  myrrhe  que  je  tiens  entre  mes  mamelles  1  i^)  » 
Mais  enfin  son  heure  est  venue  ;  après  un  martyre  de  tant 
d'années,  elle  entend  tout  à  coup  la  voix  de  son  bien-aimé  : 
«  Venez,  lui  dit-[il],  ma  colombe  et  ma  toute  belle,  venez 
après  moi  i^).  »  Je  pense  pour  lors  que  la  joie  qu'elle  eut  de 
sa  mort  avança  ses  jours  ;  et  que  son  amour  échauffé  par 
cette  bienheureuse  espérance  désunit  doucement  son  àmc 

a.  Cant.^  I,  12.  —  b.  Ibid.^  H,  lo. 

1.  Lâchât  :  peine  le  cœur. 

2.  Lâchât  :  d'innombrables  douleurs. 

3.  Lâchât  :  quels  regrets  a  (verbe). 

Serinons  de  Uossuet.  S 


66  rOUR  LA  VEILLE  DE  LA  FÊTE 

d'avec  son  corps  pour  la  transporter  dans  les  splendeur[s] 
éternelles  où  elle  était  attendue. 

Sauveur  Ji^sus,  allumez  votre  amour  en  nos  cœurs  par 
une  semblable  impatience  ;  et  puisqu'elle  naissait  en  son  âme 
de  cet[  te]  union  intime  que  vous  aviez  avec  elle,  rassasiez- 
nous  tellement  de  vos  saints  mystères,  soyez  tellement  en 
nous  par  la  participation  de  votre  chair  et  de  votre  sang, 
que  vivant  plus  en  vous  qu'en  nous-même[s],  nous  ne  respi- 
rions autre  chose  que  d'être  consommés  avec  vous  dans  la 
gloire  que  vous  nous  avez  préparée  ! 

Passons  maintenant  à  la  seconde  partie  de  cet  entretien. 

SECOND    POINT. 

Si  nous  reconnaissions  dans  la  sainte  Vierge  qu'elle  eût 
été  assujettie  aux  ordres  communs,  nous  croirions  peut-être 
que  son  corps  serait  demeuré  dans  les  ombres  de  la  mort. 
Mais  si  nous  y  remarquons,au  contraire, une  dispense  générale 
de  toutes  les  lois  :  si   nous  y  voyons  une  Conception  sans 
péché,  un   enfantement  sans   douleur,  une  chair  sans  rébel- 
lion, une  vie  sans  tache,  une  mort  sans  peine  ;  si  son  époux 
n'est  que  son  gardien,  son  mariage  la  protection  de  sa  virgi- 
nité, son  Fils  le  fruit  de  son  intégrité  inviolable;  si,  lorsqu'elle 
le  conçut,  le  Saint-Esprit  tint  la  place  de  la   nature,  et  les 
délices  de  la  virginité  celle  de  la  concupiscence  ;  qui  pourra 
croire  qu'il   ne  lui  soit  rien  arrivé  de   miraculeux   dans  sa 
sépulture  ?   Joignez   à  cela   que  cette  altération   qui  change 
nos  corps  leur  vient  sans  doute  de  la  corruption  du  péché  ; 
que  notre   chair   doit   être   nécessairement  corrompue,  afin 
que  laissant  à  la  terre  ses  vieilles  souillures,  elle  puisse  être 
un  jour  renouvelée  par  l'esprit  de  Jésus-Christ,  et  que  nous 
devenions  ainsi  enfants  de  Dieu  au  (')  corps  et  en  âme,  parce 
que  nous  sommes  enfants  de  la  résurrection  \  Filii  sunt  Dei, 
cum  sint  filii  resurrectionis  ("*).  Or   qu'y  avait-il   à   purger 
dans  la  chair  de  la  sainte  Vierge  ?  C'est  d'elle  que  le  Fils  de 
Dieu  a  emprunté  ce  corps  qu'il  a  donné  pour  le  paiement  de 
nos  dettes;  et  ne  voyant  point  au  monde  de  source  plus  pure, 

a.  Luc.^  XX,  36. 

I.  Lâchât  :  en  corps. 


DE  l'aSSOiMPTION  DE  LA  S.   VIERGE.  67 

il  a  puisé  dans  ses  chastes  (lancs  ce  sang  qui  a  lavé  nos 
iniquités.  Elle  est  donc  ressuscitée,  la  très  innocente  Marie. 
Non,  la  corruption  n'a  osé  toucher  ce  corps  virginal  d'où 
celui  du  vainqueur  de  la  mort  a  été  tiré!  C'est  pourquoi  nous 
l'appelons  singulièrement  aujourd'hui  «  pleine  de  délices  », 
deliciis  affluens,  parce  qu'elle  n'attend  point,  comme  les 
autres  âmes,  la  réunion  de  son  corps  pour  combler  sa  félicité. 
Nous  qui  vivons  dans  une  pareille  espérance,  purifions 
les  nôtres  avec  toute  la  diligence  possible  :  tâchons  de  rece- 
voir demain  avec  celui  de  notre  bon  Maître  les  semences 
d'immortalité  ;  croyons  qu'il  n'y  a  point  de  plus  grande 
profanation  que  de  souiller  en  nous  par  un  même  sacrilège 
le  tabernacle  de  l'âme,  le  temple  du  Saint-Esprit,  la  victime 
du  Père  éternel. 

TROISIÈME    POINT. 

Mais  il  est  temps  enfin  que  nous  considérions  monter 
notre  grande  reine  appuyée  sur  son  bien-aimé.  Digne  cha- 
riot (')  de  triomphe!  et  qu'elle  est  bien  payée  de  la  peine 
qu'elle  a  eue  de  le  porter  sur  ses  bras  pendant  son  enfance  ! 
Certes,  sainte  Vierge,  vous  êtes  véritablement  appuyée  sur 
ce  bien-aimé  ;  c'est  de  lui  que  vous  tirez  toute  votre  gloire  ; 
sa  miséricorde  est  le  fondement  de  tous  vos  mérites.  Cieux, 
s'il  est  vrai  que  par  vos  immuables  accords  (-)  vous  entrete- 
niez l'harmonie  de  cet  univers,  entonnez  sur  un  chant  nou- 
veau un  cantique  de  louange.  Les  vertus  célestes  qui  règlent 
vos  mouvements  vous  invitent  à  donner  quelque  marque  de 
réjouissance.  Pour  moi,  s'il  est  permis  de  mêler  nos  concep- 
tions à  des  secrets  si  augustes,  je  m'imagine  que  Moïse  ne 
put  s'empêcher,  voyant  arriver  cette  reine,  de  répéter  cette 
belle  prophétie  qu'il  nous  a  laissée  dans  ses  livres  :  «  Il  sor- 
tira une  étoile  de  Jacob,  et  une  branche  s'élèvera  d'Israël  (").» 
Isaïe,  enivré  de  l'Esprit  de  Dieu,  chanta  dans  un  ravisse- 
ment  incompréhensible  :    «  Voici    cette   Vierge  qui   devait 

a.  Ninn.,  XXIV,  17. 

1.  Voy.  Remarques  sur  la  grammaire  et  le  vocabulaire^  \  I;i  fin  de  riiitio- 
duction. 

2.  Idée  antique,  popularisée  par  Cicéron  dans  \^  Songe  de  Scipion. 


A. 


68  POUR  LA  VEILLE  DE  LA  FÊTE  DE  L  ASSOMPTION. 


concevoir  et  enfanter  un  Fils  ('').  »  Ezéchiel  reconnut  cette 
«  porte  close  par  laquelle  personne  n'est  jamais  entré  ni 
sorti,  parce  que  c'est  par  elle  que  le  Seigneur  des  batailles  a 
fait  son  entrée  ('').  »  Parmi  lesquels  le  prophète  royal,  David, 
animait  une  lyre  céleste  par  cet  admirable  cantique  :  «  Je 
vois  à  votre  droite,  ô  mon  Prince,  une  reine  en  habillement 
d'or,  enrichie  d'une  merveilleuse  variété,  toute  la  gloire  de 
cette  fille  de  roi  est  intérieure  ;  elle  est  néanmoins  parée 
d'une  broderie  toute  divine.  Les  vierges  après  elle  se  présen- 
teront à  mon  roi,  on  les  lui  amènera  dans  son  temple  avec 
une  sainte  allégresse  (').  »  Cependant  la  Vierge  elle-même 
tenait  les  esprits  bienheureux  dans  un  respectueux  silence, 
tirant  encore  une  fois  du  fond  de  son  cœur  ces  excellentes 
paroles  :  «  Mon  âme  exalte  le  Seigneur  de  tout  son  pouvoir; 
et  mon  esprit  est  saisi  d'une  joie  infinie  en  Dieu  mon 
Sauveur  :  parce  qu'il  a  regardé  la  bassesse  de  sa  servante  ; 
et  voici  que  toutes  les  générations  m'estimeront  bienheu- 
reuse ('^).  » 

Serons-nous  les  seuls  qui  ne  prendrons  point  de  part 
à  cette  solennité  ?  et  ne  suivrons-nous  point  par  nos  applau- 
dissements notre  incomparable  princesse  ?  Vierge  sacrée, 
bien  que  nous  soyons  sur  les  rivages  de  Babylone,  si  est-ce 
néanmoins  que  nous  ferons  retentir  nos  hymnes  jusques  à 
la  céleste  Jérusalem  ? 

a.  Is.,  VII,  14.  —  If.  Ezech.,  XLiv,  2.  —  c.  Ps.,  XLIV,  10,  14,  15.  —  «T.  Lîic,  i,  46-48. 


i 


^^^L^  ^0.  ■■0.  ^  ^^^^^^  ^  '^.  ■^■^.  ^  -'^  -^  ::. 


FRAGMENT  sur  L'ASSOMPTION  (■)  de 


LA  SAINTE   VIERGE,   a  Navarre,  vers  165L 


1^ 

i 

Les   éditeurs   l'ont  interpolé   dans    le  Premier  sermon  de  l'As- 
somption (i66o). 

APRES  la  triomphante  Ascension  du  Sauveur  Jésus 
et  la  descente  tant  promise  et  tant  désirée  de 
l'Esprit  de  Dieu,  vous  n'ignorez  pas  que  la  très  heureuse 
Marie  demeura  encore  assez  longtemps  sur  la  terre.  De 
vous  dire  quelles  étaient  ses  occupations  et  quels  ses 
mérites  pendant  son  pèlerinage,  je  n'estime  pas  que  ce 
soit  une  chose  que  les  hommes  doivent  entreprendre.  Si 
aimer  Jésus,  si  être  aimé  de  Jésus,  ce  sont  deux  choses  qui 
attirent  les  divines  bénédictions  sur  les  âmes,  quel  abîme 
de  grâce  n'avait  point,  pour  ainsi  dire,  inondé  celle  de  Ma- 
rie! Qui  pourrait  décrire  l'impétuosité  de  cet  amour  mutuel, 
à  laquelle  concourait  tout  ce  que  la  nature  a  de  tendresse, 
tout  ce  que  la  grâce  a  d'efficace?  Jésus  ne  se  lassait  jamais 
de  se  voir  aimé  de  sa  Mère;  cette  sainte  Mère  ne  crovait 
jamais  avoir  assez  d'amour  pour  cet  unique  et  ce  bien-aimé; 
elle  ne  demandait  autre  grâce  à  son  Fils  sinon  de  l'aimer, 
et  cela  même  attirait  sur  elle  de  nouvelles  grâces. 

Il  est  certain,  chrétiens,  nous  pouvons  bien  avoir  quelque 
idée  grossière  de  tous  ces  miracles;  mais  de  concevoir  quelle 
était  l'ardeur,  quelle  la  véhémence  de  ces  torrents  de  flam- 
mes, qui  de  Jésus  allaient  déborder  sur  Marie  et  de  Marie 
retournaient  continuellement  à  Jésus,  croyez-moi,  les  Séra- 
phins, tout  brûlants  qu'ils  sont,  ne  le  peuvent  faire.  Mesurez, 
si  [vous]  pouvez,  à  son  amour  la  sainte  impatience  qu'elle 
avait  d'être  réunie  à  son  Fils.  Parce  que  le  Fils  de  Dieu  ne 
désirait  rien  tant  que  ce  baptême  sanglant  qui  devait  laver 
nos  iniquités,  il  se  sentait  pressé  en  soi-même  d'une  manière 
incroyable  jusques  à  ce  qu'il  fût  accompli  ('').  Quoi!  il  avait 

a.  Ljic.^  XII,  50. 
\.Ms.  au  Grand-Sdminaire  de  Meaux  (A.  6.) 


jo  SUR  l'assomption  de  la  s.  vierge. 

eu  une  telle  impatience  de  mourir  pour  nous,  et  sa  Mère 
n'en  aurait  point  eu  de  vivre  avec  lui!  Si  le  grand  apôtre 
saint  Paul  ne  (')  se  peut  tenir  en  son  corps  et  soupire  avec 
un  si  grand  empressement  après  son  bon  Maître,  quelle  de- 
vait être  l'émotion  du  sang  maternel?  Quoi!  disait-elle,  quand 
elle  voyait  quelque  fidèle  partir  de  ce  monde  (par  exemple 
saint  Etienne,  et  ainsi  des  autres);  quoi!  mon  Fils,  à  quoi  me 
réservez-vous  désormais  ?  et  pourquoi  me  laissez-vous  la 
dernière?  S'il  ne  faut  que  du  sang  pour  m'ouvrir  les  portes 
du  ciel,  vous  qui  avez  voulu  que  votre  corps  fût  formé  du 
mien,  vous  savez  bien  qu'il  est  prêta  être  répandu  pour  votre 
service.  J'ai  vu  dans  le  temple  ce  saint  vieillard  Siméon, 
après  vous  avoir  amoureusement  embrassé,ne  demander  autre 
chose  que  de  quitter  bientôt  cette  vie,  tant  il  est  doux  de  jouir 
même  un  moment  de  votre  présence!  Et  moi  je  ne  souhaite- 
rais point  de  mourir  bientôt,  pour  vous  aller  embrasser  au 
saint  trône  de  votre  gloire!  Après  m'avoir  amenée  au  pied 
de  votre  croix  pour  vous  voir  mourir,  comment  me  refusez- 
vous  si  longtemps  de  vous  voir  régner?  Laissez,  laissez  seu- 
lement agir  mon  amour;  il  aura  bientôt  désuni  mon  âme  de 
ce  corps  mortel,  pour  me  transporter  à  vous,  en  qui  seul  je 
vis  {% 

1.  Nous  supprimons  ici  deux  phrases  interpolées  dans  une  interpolation. 
Lâchât  (XI,  310)  les  a  reproduites,  sans  remarquer  qu'elles  étaient  tirées  de  la 
Méditation  pour  la  veille  de  V Assomption  (1650). 

2.  Le  reste  delà  deuxième  feuil'.e  du  ms.  est  en  blanc:  apparemment  le  jeune 
auteur  n'en  a  pas  écrit  davantage  en  cette  circonstance. 


^ 
^ 


SERMON    POUR   LA   FETE   du 


ROSAIRE  ('),  prêché  à  Navarre,  octobre  1651. 


Ce  long  discours,  dont  j'ai  vu  des  théologiens  admirer  la  pro- 
fondeur, a  été  assigné  par  erreur  à  la  fête  de  la  Compassion 
(2^  sermon).  Le  manuscrit  indique  formellement  celle  du  Rosaire 
(f  149).  Quant  à  la  date,  on  ne  saurait,  avec  Lâchât,  la  reculer 
jusqu'en  1655,  puisque  Bossuet,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  y 
renvoie,  le  8  septembre  1652.  Gandar  a  bien  su  reconnaître  ici  une 
composition  de  Navarre  ;  il  la  choisit  même  comme  type  des  essais 
de  cette  épo(\\xc  {Bossuet  orateur,  20-25).  Les  allusions  aux  calamités 
publiques  avaient  persuadé  à  tort  au  savant  auteur  des  Études  sur 
la  vie  et  les  ouvi'ages  de  Bossuet  (Floquet,  I,  261),  qu'elle  s'adressait 
à  l'auditoire  de  Metz  ;  ces  allusions  ne  conviennent  que  trop  à  la 
situation  de  la  capitale  elle-même  pendant  la  Fronde.  Le  discours 
s'adresse  aux  auditeurs  de  l'extérieur. 

Bossuet  n'a  pas  compris  parmi  les  œuvres  qu'il  résuma  plus  tard 
ce  sermon  d'écolier,  touchant  et  naïf,  mais  un  peu  diffus.  Le  som- 
maire que  donne  Lâchât  (IX,  523)  est  celui  du  sermon  de  1657. 


Dicitjestis  Matri  suœ  :  Mtdier^  ecce 
Filius  tîius.  Deinde  dicit  disci-pulo  : 
Ecce  Mater  tua. 

JÉSUS  dit  à  sa  Mère:  «  Femme, voi- 
là votre  Fils.  »  Après  il  dit  à  son  dis- 
ciple :  «  Voilà  votre  mère.  »  {Joati.^ 
XIX,  26,  27.) 

SI  jamais  l'amour  est  ingénieux,  si  jamais  il  produit 
de  grands  et  de  nobles  effets,  il  faut  avouer  que 
c'est  particulièrement  à  l'extrémité  de  la  vie  qu'il  fait 
paraître  ses  plus  belles  inventions  et  ses  plus  généreux 
transports.  Comme  l'amitié  semble  ne  vivre  que  dans  la 
compagnie  de  l'objet  aimé,  quand  elle  se  voit  menacée 
d'une  séparation  éternelle,  autant  qu'une  loi  fatale  l'éloigné 
de  la  (')  présence,  autant  elle  tâche  de  durer  dans  le  sou- 
venir. C'est  pourquoi  les  amis  mêlent  ordinairement  des 
actions  et  des  paroles  si  remarquables  parmi  les  douleurs  vx 

1.  Ms:s.  12823,  f  '30-  bi  X\  s;uis  marine  ni  j)agin.ition. 

2.  Edit.  de  ba  présence. 


72  POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE. 

les  larmes  du  dernier  adieu,  que  lorsque  l'histoire  en  peut 
découvrir  quelque  chose,  elle  a  accoutumé  d'en  faire  ses  ob- 
servations les  plus  curieuses. 

L'histoire  sainte,  chrétiens,  ne  les  oublie  pas,  et  vous  en 
voyez  une  belle  preuve  dans  le  texte  que  j'ai  allégué.  Saint 
Jean,  le  bien-aimé  du  Sauveur,  que  nous  pouvons  appeler 
l'Évangéliste  d'amour,  a  été  soigneux  de  nous  recueillir  les 
dernières  paroles  dont  il  a  plu  à  son  cher  Maître  d'honorer 
en  mourant  et  sa  sainte  Mère  et  son  bon  ami  ;  c'est-à-dire, 
les  deux  personnes  du  monde  qu'il  aimait  le  plus.  O  Dieu! 
que  ces  paroles  sont  dignes  d'être  méditées,  et  qu'elles  peu- 
vent servir  de  matière  à  de  belles  réflexions!  Car,  je  vous 
demande,  y  a-t-il  chose  plus  agréable  que  de  voir  le  Sauveur 
Jésus  être  libéral,  même  dans  son  extrême  indigence.^  Hé- 
las! il  a  dit  plusieurs  fois  que  son  bien  n'était  pas  sur  la  terre; 
il  n'y  a  pas  eu  seulement  de  quoi  reposer  sa  tête:  et  pendant 
qu'il  est  à  la  croix,  je  vois  l'avare  soldat  qui  partage  ses  vê- 
tements, et  joue  à  trois  dés  sa  tunique  mystérieuse;  telle- 
ment qu'il  semble  que  la  rage  de  ses  bourreaux  ne  lui  laisse 
pas  la  moindre  chose  dont  il  puisse  disposer  en  faveur  des 
siens.  Et  cependant,  chrétiens,  ne  croyez  pas  qu'il  sorte  de 
ce  monde  sans  leur  laisser  quelque  précieux  gage  de  son 
amitié. 

L'antiquité  a  fort  remarqué  l'action  d'un  certain  philoso- 
phe (')  qui,  ne  laissant  pas  en  mourant  de  quoi  entretenir  sa 
famille,  s'avisa  de  léguer  à  ses  amis  sa  mère  et  ses  enfants 
par  son  testament.  Ce  que  la  nécessité  suggéra  à  ce  philoso- 
phe, l'amour  le  fait  faire  à  mon  Maître  d'une  manière  bien 
plus  admirable.  Il  ne  donne  pas  seulement  sa  Mère  à  son  ami, 
il  donne  encore  son  ami  à  sa  sainte  Mère;  il  leur  donne  à  tous 
deux,  et  il  les  donne  tous  deux  ;  et  l'un  et  l'autre  leur  est 
également  profitable:  Ecce  filius  tuus.ecce  Mater  tua,0  bien- 
heureuse Marie,  ces  paroles  ayant  été  prononcées  et  par 
votre  Fils  et  par  notre  Maître,  nous  ne  doutons  pas  qu'il  ne 
les  ait  dites  et  pour  vous  consoler  et  pour  nous  instruire. 
Nous  en  espérons  l'intelligence  par  vos  prières;  et  afin  que 
vous  nous  fassiez  entendre  les  paroles  par  lesquelles  vous 

I.  Eudamidas  de  Corinthe.  (Lucian.  Toxaris^  seu  Amicitia.) 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE.  73 

êtes  devenue  mère  de  saint  Jean,  nous  vous  allons  adresser 
une  autre  parole  qui  vous  a  rendue  Mère  du  Sauveur;  toutes 
deux  vous  ont  été  portées  de  la  part  de  Dieu;  mais  vous 
reçûtes  l'une  de  la  propre  bouche  de  son  Fils  unique,  et  l'au- 
tre vous  fut  adressée  par  le  ministère  d'un  ange,  qui  vous 
salua  en  ces  termes:  Ave, gratia plena. 

Parmi  tant  d'objets  admirables  que  la  croix  du  Sauveur 
Jésus  présente  à  nos  yeux,  ce  que  nous  fait  remarquer  saint 
Jean  Chrysostome,  traitant  l'Évangile  que  nous  avons  lu  ce 
matin,  est  digne,  à  mon  avis,  d'une  considération  très  parti- 
culière. Ce  grand  personnage,  contemplant  le  Fils  de  Dieu 
prêt  à  rendre  l'âme,  ne  se  lasse  point  d'admirer  comme  il  se 
possède  dans  son  agonie,  et  comme  il  paraît  absolument  maître 
de  ses  actions.  La  veille  de  sa  mort,  dit  ce  saint  évêque  (''), 
il  sue,  il  tremble,  il  frémit,  tant  l'image  de  son  supplice  lui 
paraît  terrible;  et  dans  le  fort  des  douleurs,  vous  diriez  que 
ce  soit  un  autre  homme,  à  qui  les  tourments  ne  font  plus 
rien.  Il  s'entretient  avec  ce  bienheureux  larron,  d'un  sens 
rassis  et  sans  s'émouvoir:  il  considère  et  reconnaît  distincte- 
ment ceux  des  siens  qui  sont  au  pied  de  sa  croix,  il  leur  parle, 
il  les  console;  enfin,  ayant  remarqué  que  tout  ce  qu'il  avait 
à  faire  était  accompli,  qu'il  avait  exécuté  de  point  en  point 
la  volonté  de  son  Père,  il  lui  rend  son  âme  avec  une  action 
si  paisible,  si  libre,  si  préméditée,  qu'il  est  aisé  à  juger  que 
«  personne  ne  la  lui  ravit,  mais  qu'il  la  donne  lui-même  de  son 
plein  gré,  »  ainsi  qu'il  l'assure  (en  saintjean,  chapitre  x):AV;;/^ 
tollit  eam  a  me,  se d  ego  pono  eam  a  meipso.  Qu'est-ce  à  dire 
ceci.'^  demande  saint  Jean  Chrysostome;  comment  est-ce  que 
l'appréhension  du  mal  l'afflige  si  fort,  puisqu'il  semble  que  le 
mal  même  ne  le  touche  pas  ?  Est-ce  point  que  l'économie  de 
notre  salut  devait  être  tout  ensemble  un  ouvrage  de  force 
et  d'infirmité?  Il  voulait  montrer  par  sa  crainte  qu'il  était 
comme  nous  sensible  aux  douleurs,  et  faire  voir  par  sa  con- 
stance qu'il  savait  bien  maîtriser  ses  inclinations,  et  les  faire 
céder  à  la  volonté  de  son  Père.  Telle  est  la  raison  que  nous 
pouvons  tirer  de  saint  Chrysostome;  et  je  vous  avoue,  chré- 

a.  Injoan.  Nom.  LXXXV.  ~ 


74  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 

tiens,  que  je  n'aurais  pas  la  hardiesse  d'y  ajouter  mes  pen- 
sées, si  le  sujet  que  je  traite  ne  m'y  obligeait. 

Je  considère  donc  le  Sauveur  pendu  à  la  croix,  non 
seulement  comme  une  victime  innocente  qui  se  dévoue 
volontairement  pour  notre  salut,  mais  encore  comme  un  père 
de  famille  qui,  sentant  approcher  son  heure  dernière,  dis- 
pose de  ses  biens  par  son  testament  ;  et,  sur  une  vérité  si 
connue,  je  fonde  cette  réflexion  que  je  fais.  Un  homme  est 
malade  en  son  lit;  on  le  vient  avertir  de  donner  ordre  à 
ses  affaires  au  plus  tôt,  parce  que  sa  santé  est  désespérée 
par  les  médecins  :  en  même  temps,  si  abattu  qu'il  soit  par 
la  violence  du  mal,  il  fait  un  dernier  effort  pour  ramasser 
ses  esprits,  afin  de  déclarer  sa  dernière  volonté  d'un  juge- 
ment sain  et  entier.  Il  me  semble  que  mon  Sauveur  a  fait 
quelque  chose  de  semblable  sur  le  lit  sanglant  de  la  croix. 
Ce  n'est  pas  que  je  veuille  dire  que  la  douleur  ou  l'appré- 
hension de  la  mort  aient  jamais  pu  troubler  tellement  son 
esprit,  qu'elles  lui  empêchassent  aucune  de  ses  fonctions  : 
plutôt  ma  langue  demeure  à  jamais  immobile,  que  de  pro- 
noncer une  parole  si  téméraire  !  Mais  comme  il  voulait 
témoigner  à  tout  le  monde  qu'il  ne  faisait  rien  en  cette 
rencontre  qui  ne  partît  d'une  mûre  délibération,  il  jugea  à 
propos  de  se  comporter  de  telle  sorte  qu'on  ne  pût  pas 
remarquer  la  moindre  émotion  en  son  âme,  afin  que  son 
testament  ne  fût  sujet  à  aucun  reproche.  C'est  pourquoi  il 
s'adresse  à  sa  Mère  et  à  son  disciple  avec  une  contenance 
si  assurée,  parce  que  ce  qu'il  avait  à  leur  dire  devait  faire 
une  des  principales  clauses  de  son  testament  :  et  en  voici 
le  secret. 

Le  Fils  de  Dieu  n'avait  rien  qui  fût  plus  à  lui  que  sa 
Mère,  ni  que  ses  disciples,  puisqu'il  se  les  achetait  au  prix  de 
son  sang  :  c'est  une  chose  très  assurée,  et  il  en  peut  dispo- 
ser comme  d'un  héritage  très  bien  acquis.  Or,  dans  cette 
dernière  disgrâce,  tous  ses  autres  disciples  l'ont  abandonné  : 
il  n'y  a  que  Jean,  son  bien-aimé,  qui  lui  reste  :  tellement  que 
je  le  considère  aujourd'hui  comme  un  homme  qui  repré- 
sente tous  les  fidèles,  et  partant  nous  devons  être  disposés 
à  nous  appliquer  tout  ce    qui   reg-ardera   sa    personne.    Je 


i 


POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE.  75 

vois,  ô  mon  Sauveur!  que  vous  lui  donnez  votre  Mère,  et 
«  incontinent  il  en  prend  possession  comme  de  son  bien  :  » 
Et  ex  illa  hora  accepit  eam  discipulus  in  sua  (^).  Entendons 
ceci,  chrétiens.  Sans  doute  nous  avons  bonne  parc  dans  ce 
legs  pieux  :  c'est  à  nous  que  le  Fils  de  Dieu  donne  la  bien- 
heureuse Marie,  en  même  temps  qu'il  la  donne  à  son  cher 
disciple.  Voilà  ce  mystérieux  article  du  testament  de  mon 
Maître,  que  j'ai  jugé  nécessaire  de  vous  réciter,  pour  en  faire 
ensuite  le  sujet  de  notre  entretien. 

N'attendez  pas,  ô  fidèles,  que  j'examine  en  détail  toutes 
les  conditions  d'un  testament,  afin  d'en  faire  un  rapport 
exact  aux  paroles  de  mon  évangile  :  ne  vaut-il  pas  bien 
mieux  que,  laissant  à  part  cette  subtilité  de  comparaisons, 
nous  employions  tous  nos  soins  à  considérer  attentivement 
le  bien  qu'on  nous  fait  ;  Jésus  regarde  sa  Mère,  dit  l'auteur 
sacré  (^)  :  ses  mains  étant  clouées,  il  ne  peut  la  montrer 
du  doigt,  il  la  désigne  des  yeux  ;  et  par  toutes  ses  actions 
il  se  met  en  état  de  nous  la  donner.  Celle  qu'il  nous  donne, 
c'est  sa  propre  Mère  :  par  conséquent,  sa  protection  est 
puissante,  et  elle  a  beaucoup  de  crédit  pour  nous  assister. 
Mais  il  nous  la  donne  afin  qu'elle  soit  notre  Mère  :  par 
conséquent,  sa  tendresse  pour  nous  est  extrême,  et  elle  a 
une  grande  inclination  de  nous  bienfaire  :  ce  sont  les  deux 
points  qui  composeront  ce  discours.  Afin  que  nous  puissions 
espérer  quelque  assistance  d'une  personne  près  de  la  majesté 
divine,  il  est  nécessaire  et  que  sa  grandeur  l'approche  de 
Dieu,  et  que  sa  bonté  l'approche  de  nous.  Marie  étant  Mère 
de  notre  Sauveur,  sa  qualité  l'élève  bien  haut  auprès  du  Père 
éternel  :  Marie  étant  notre  Mère,  son  affection  la  rabaisse 
jusqu'à  compatir  à  notre  faiblesse  :  en  un  mot,  elle  peut 
nous  soulager,  à  cause  qu'elle  est  Mère  de  Dieu  ;  elle  veut 
nous  soulager,  à  cause  qu'elle  est  notre  Mère.  C'est  dans  la 
déduction  de  ces  deux  raisonnements  que  je  prétends  établir 
une  dévotion  raisonnable  à  la  sainte  Vierge  sur  une  doctrine 
solide  et  évangéli(iue  ;  et  je  demande,  fidèles,  que  vous  vous 
y  rendiez  attentifs. 

a.Joan.^  Xix,  27.  —  h.  lùiii.,  26. 


76  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


PREMIFR    POINT. 

L'une  des  plus  belles  qualités  que  la  sainte  Écriture  donne 
au  Fils  de  Dieu,  c'est  celle  de  Médiateur  entre  Dieu  et  les 
hommes.  C'est  celui  qui  réconcilie  toutes  choses  en  sa  per- 
sonne, il  est  le  nœud  des  affections  du  ciel  et  de  la  terre  ; 
et  la  sainte  alliance  qu'il  a  contractée  avec  nous,  nous  ren- 
dant son  Père  propice,  nous  donne  un  accès  favorable  au 
trône  de  sa  miséricorde.  C'est  sur  cette  vérité  qu'est  appuyée 
toute  l'espérance  des  enfants  de  Dieu.  Cela  étant  ainsi,  voici 
comme  je  raisonne.  L'union  que  nous  avons  avec  le  Sau- 
veur nous  fait  approcher  de  la  majesté  divine  avec  confiance  : 
or,  quand  il  a  choisi  Marie  pour  sa  Mère,  il  a  fait,  pour  ainsi 
dire,  avec  elle  un  traité  tout  particulier  ;  il  a  contracté  une 
alliance  très  étroite,  dont  les  hommes  ni  les  anges  ne  peuvent 
concevoir  l'excellence  (')  ;  et,  par  conséquent,  l'union  qu'elle 
a  avec  Dieu,  le  crédit  et  la  faveur  qu'elle  a  auprès  du  Père, 
n'est  pas  une  chose  que  nous  puissions  jamais  concevoir. 
Je  n'ai  point  d'autre  raisonnement  à  vous  proposer  dans  cette 
première  partie  :  mais  afin  que  nous  en  puissions  pénétrer 
le  fond,  je  tâcherai  de  déduire  par  ordre  quelques  vérités, 
qui  nous  feront  reconnaître  la  sainte  société  c]ui  est  entre 
Jésus  et  Marie  ;  d'où  nous  conclurons  qu'il  n'y  a  rien  dans 
l'ordre  des  créatures  qui  soit  plus  uni  à  la  majesté  divine  que 
la  sainte  Vierge. 

Je  dis  (^)  donc,  avant  toutes  choses,  qu'il  n'y  eut  jamais 
mère  qui  chérît  son  fils  avec  une  telle  tendresse  que  faisait 
Marie  ;  je  dis  qu'il  n'y  eut  jamais  fils  qui  chérît  sa  mère 
avec  une  affection  si  puissante  que  faisait  Jésus  .  J'en  tire  la 
preuve  des  choses  les  plus  connues.  Interrogez  une  mère 
d'où  vient  que  souvent  en  la  présence  de  son  fils  elle  fait 
paraître  une  émotion  si  visible  :  elle  vous  répondra  que  le 
sang  ne  se  peut  démentir  ;  que  son  fils,  c'est  sa  chair  et  son 
sang,  que  c'est  là  ce  qui  émeut  ses  entrailles  et  cause  ces 
tendres  mouvements  à  son  cœur,  l'Apôtre  même  ayant  dit 
que  «  personne  ne  peut  haïr  sa  chair  :  »  Nemo  enim  unquam 

1,  Var.  la  grandeur. 

2.  Ici  un  signe  de  renvoi,  mis  l'année  suivante  (8  septembre,  1652). 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE.  'j'] 


cai^nem  suam  odio  habuit  (f).  Que  si  ce  que  je  viens  de  dire 
est  véritable  des  autres  mères,  il  l'est  encore  beaucoup  plus 
de  la  sainte  Vierge  ;  parce  qu'ayant  conçu  de  la  vertu  du 
Très-Haut,  elle  seule  a  fourni  toute  la  matière  dont  la  sainte 
chair  du  Sauveur  a  été  formée  :  et  de  là  je  tire  une  autre 
considération. 

Ne  vous  semble-t-il  pas,  chrétiens,  que  la  nature  a  dis- 
tribué avec  quelque  sorte  d'égalité  l'amour  des  enfants  entre 
le  père  et  la  mère  ?  C'est  pourquoi  elle  donne  ordinairement 
au  père  une  affection  plus  forte,  et  imprime  dans  le  cœur  de 
la  mère  je  ne  sais  quelle  inclination  plus  sensible.  Et  ne 
serait-ce  point  peut-être  pour  cette  raison  que  quand  l'un 
des  deux  a  été  enlevé  par  la  mort,  l'autre  se  sent  obligé,  par 
un  sentiment  naturel,  à  redoubler  ses  affections  et  ses  soins  } 
cela,  ce  me  semble,  est  dans  l'usage  commun  de  la  vie  hu- 
maine. Si  bien  que  la  très  pure  Marie  n'ayant  à  partager 
avec  aucun  homme  ce  tendre  et  violent  amour  qu'elle  avait 
pour  son  Fils  Jésus,  vous  ne  sauriez  assez  vous  imaginer 
jusques  à  quel  point  elle  en  était  transportée,  et  combien 
elle  y  ressentait  de  douceurs.  Ceci  toutefois  n'est  encore  qu'un 
commencement  de  ce  que  j'ai  à  vous  dire. 

Certes  il  est  véritable  que  l'amour  des  enfants  est  si  natu- 
rel, qu'il  faut  avoir  dépouillé  tout  sentiment  d'humanité  pour 
ne  l'avoir  pas.  Vous  m'avouerez  néanmoins  qu'il  s'y  mcle 
quelquefois  certaines  circonstances  qui  portent  l'affection 
des  parents  à  l'extrémité.  Par  exemple,  notre  père  Abraham 
n'avait  jamais  cru  avoir  des  enfants  de  Sara  :  elle  était  sté- 
rile ;  ils  étaient  tous  deux  dans  un  âge  décrépit  et  caduc  : 
Dieu  ne  laisse  pas  de  les  visiter,  et  leur  donne  un  fils.  Sans 
doute  cette  rencontre  fit  qu'Abraham  le  tenait  plus  cher  sans 
comparaison  ;  il  le  considérait,  non  tant  comme  son  fils,  que 
comme  le  «  fils  de  la  promesse  »  divine,  Proniissionis 
films  (''),  que  sa  foi  lui  avait  obtenu  du  ciel  lorsqu'il  y  pensait 
le  moins.  Aussi  voyons-nous  qu'on  l'appelle  Isaac,  c'est-à- 
dire  Ris  (')  ;  parce  que,  venant  en  un  temps  où  ses  parents 
ne  l'espéraient  plus,  il  devait  être  après  cela  toutes  leurs 
délices.  Et  qui  ne  sait  que  Joseph  et  Benjamin  étaient  les 

a.  Ephes.y  V,  29.  —  b.  Rom.,  IX,  8.  —  c.  (Joies.,  xxi,  6. 


7» 


FOUR  Uk  FETE  DU  ROSAIRE. 


bien-aimés  et  toute  la  joie  de  Jacob,  à  cause  qu'il  les  avait  eus 
dans  soo  extrême  vieillesse  d'une  femme  que  la  main  de 
Dieu  avait  rendue  féconde  sur  le  déclin  de  sa  vie  ?  Par  où  il 
parait  que  la  manière  dont  on  a  les  en£uits.  quand  elle  est 
surprenante  ou  miraculeuse,  les  rend  de  beaucoup  plus  aima- 
bles. Ici,  chrétiens,  quels  discours  assez  ardents  pourraient 
vous  dépeindre  les  saintes  aflecdons  de  I^Iarie  ?  Toutes  les 
fois  qu  elle  regardait  ce  cher  Fils  :  O  Dieu  !  disait-elle,  mon 
Fils,  comment  est-ce  que  vous  êtes  mon  Fils  ?  qui  Faurait 
jamais  pu  croire,  que  je  dusse  demeurer  vierge,  et  avoir  un 
Ffls  si  aimable  ?  quelle  main  vous  a  formé  dans  mes  entrafl- 
les?  comment  y  êtes-vous  entré,  conunent  en  êtes- vous  sorti, 
sans  laisser  de  &çon  ni  d'autre  aucun  vestige  de  votre  pas- 
sage ?  Je  vous  laisse  à  considérer  "  t'  point  elle 
s'estimait  bienheureuse,  et  que!-  eiiic:  r  f  -  Transports 
dans  ces  ravissantes  penséefsj:  car  vo.:?   rt  z,  s'fl 


ais  vierge  c_: 
.  Vous  verrri 


-'te 
-  où 


vous  f^t,  qu'A  rV  ei::  ' 
avec  un  sentîme^ii  s:  it 
va  cette  réflexion. 

C'est  peu  de^':;:?~T   '  .  -  .-  z::.  :    ^rt-T  :t  - 

les  proTTris-i  i-^  ~     r    :  :    :  r  r      : 

à  Fépre  —  rsil-     Jt 

étrange    ^    f  :  r      ::ais  il  nV  a  qu'à  regardr  "    r     :      t 

rEvan£   T  vt  ±  Mar!f   t:  ]ui  annociT     ..       t  : 

cevr:^  t         ?    5  du  Très-Haut  ^*j,  lerc 

rtr:       Jeteur  a  israei  :    vc    1    iiz~:rii.t5   rromesses. 

rait  s'imaginer  qu'une  î-  :  t    7    :     '^ée  d  _    7 

V:         -e  nouvdle,  et  quelle  v;c  - ^  -  :    -r^i  pas  le  se        r 

S-  ^  ^ans  une  si  beDe  ^   t  -       r  f  "  est  pas  air 

"  '^traire, elle  y  for    t  —        t  r    '  Conune    :  r  _ 

:^,,  z .  ^;t-elle  (*^   "^ ire  " r  :  :  t    t  ?    f      :  it  vo   ~  ~  t 

parlez,  moi  qui  ai  nêsc_      -      r    ::  :  t  :„:-      . 

Comme  si  elle  eût  dit  :  Ce  :r.  es:  :  eiir.  à  la 

vérité,  d'être  mère  du  Messie  -        t         _5    :_-     -vien- 

dra ma  virginité?  Appre  r  er   1  ::  :  rr  r  liens,  à  l'exemf^ 

delasainte\lerge,res:.~e  :    r         5     t   r:    1  redelapureté. 


pe. 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE. 


79 


beau  trésor!  Le  plus  souvent  parmi  nous  on  labandonne  au 
premier  venu,  et  qui  le  demande  l'emporte.  Et  voici  que  l'on 
fait  à  Marie  les  plus  magnifiques  promesses  qui  puissent 
jamais  être  faites  à  une  créature  ;  et  c'est  un  ange  qui  les  lui 
fait  de  la  part  de  Dieu  :  remarquez  toutes  ces  circonstances  : 
elle  craint  toutefois,  elle  hésite,  elle  est  prête  à  dire  que  la 
chose  ne  peut  se  faire,  parce  qu'il  lui  semble  que  sa  virginité 
est  intéressée  dans  cette  proposition  :  tant  sa  pureté  lui  est 
précieuse  !  Quand  donc  elle  vit  le  miracle  de  son  enfante- 
ment, ô  mon  Sauveur  !  quelles  étaient  ses  joies,  et  quelles 
ses  affections  !  Ce  fut  alors  qu'elle  s'estima  véritablement 
bénie  entre  toutes  les  femmes;  parce  qu'elle  seule  avait  évité 
toutes  les  malédictions  de  son  sexe  :  elle  avait  évité  la  malédic- 
tion des  stériles  par  sa  fécondité  bienheureuse:  elle  avait  évité 
la  malédiction  des  mères,  parce  qu'elle  avait  enfanté  sans 
douleur,  comme  elle  avait  conçu  sans  corruption.  Avec  quel 
ravissement  embrassait-elle  son  Fils,  le  plus  aimable  des 
fils  ;  et  en  cela  plus  aimable,  qu'elle  le  reconnaissait  pour  son 
Fils,  sans  que  son  intégrité  en  fût  offensée. 

Les  saints  Pères  ont  assuré  ('")  qu'un  cœur  virginal  est  la 
matière  la  plus  propre  à  être  embrasée  de  l'amour  de  notre 
Sauveur  :  cela  est  certain,  chrétiens,  et  ils  l'ont  tiré  de  saint 
Paul.  Quel  devait  être  l'amour  de  la  sainte  Vierge  ?  Elle 
savait  bien  que  c'était  particulièrement  à  cause  de  sa  pureté 
que  Dieu  l'avait  destinée  à  son  Fils  unique:  cela  même  lui 
faisait  aimer  sa  virginité  beaucoup  davantage  :  et  d'autre 
part  l'amour  qu'elle  avait  pour  sa  sainte  virginité  lui  faisait 
trouver  mille  douceurs  dans  les  embrassements  de  son  Fils, 
qui  la  lui  avait  si  soigneusement  conservée.  Elle  considérait 
Jésus-Christ  comme  une  fleur  que  son  intégrité  avait  pous- 
sée ;  et  dans  ce  sentiment,  elle  lui  donnait  des  baisers  plus 
que  d'une  mère,  parce  que  c'étaient  des  baisers  d'une  mère 
vierge.  V^oulez-vous  quelque  chose  de  plus,  pour  comprendre 
l'excès  de  son  saint  amour  ?  Voici  une  dernière  considération 
que  je  vous  propose,  tirée  des  mêmes  principes. 

L'antiquité  nous  rapporte  (^')  qu'une  reine  des  Amazones 
souhaita  passionnément  d'avoir  un  fils  de  la  race  d'AIexan- 

a.  s.  Bernard.,  Serm.  XXIX,  in  Cantic.^  n.  8.  —  b.  Quint.  Curt.,  lib.  vi. 


8o  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 

dre  :  mais  laissons  ces  histoires  profanes,  et  cherchons  plutôt 
des  exemples  dans  l'histoire  sainte.  Nous  disions  tout  à 
l'heure  que  le  patriarche  Jacob  préférait  Joseph  à  tous  ses 
autres  enfants  :  outre  la  raison  que  nous  en  avons  apportée, 
il  y  en  a  encore  une  autre  qui  le  touchait  fort  ;  c'est  qu'il 
l'avait  eu  de  Rachel  qui  était  sa  bien  aimée  :  cela  le  touchait 
au  vif.  Et  saint  Jean  Chrysostome  nous  rapportant,  dans  le 
premier  livre  du  Sacerdoce,  les  paroles  caressantes  et  affec- 
tueuses dont  sa  mère  l'entretenait,  remarque  ce  discours 
entre  beaucoup  d'autres.  «  Je  ne  pouvais,  disait-elle,  ô  mon 
fils,  me  lasser  de  vous  regarder,  parce  qu'il  me  semblait 
voir  sur  votre  visage  une  image  vivante  de  feu  mon 
mari  ('').  »  Que  veux-je  dire  par  tous  ces  exemples  ?  Je 
prétends  faire  voir  qu'une  des  choses  qui  augmente  autant 
l'affection  envers  les  enfants,  c'est  quand  on  considère  la 
personne  dont  on  les  a  eus  ;  et  cela  est  bien  naturel.  Deman- 
dez maintenant  à  Marie  de  qui  elle  a  eu  ce  cher  Fils:  vient- 
il  d'une  race  mortelle  ?  a-t-il  pas  fallu  qu'elle  fût  couverte  de 
la  vertu  du  Très-Haut.-^  est-ce  pas  le  Saint-Esprit  qui  l'a 
remplie  d'un  germe  céleste  parmi  les  délices  de  ses  chastes 
embrassements,  et  qui,  se  coulant  sur  son  corps  très  pur 
d'une  manière  ineffable,  y  a  formé  celui  qui  devait  être  la 
consolation  d'Israël  et  l'attente  des  nations  ?  C'est  pourquoi 
l'admirable  saint  Grégoire  dépeint  en  ces  termes  la  concep- 
tion du  Sauveur  :  Lorsque  le  doigt  de  Dieu  composait  la 
chair  de  son  Fils  du  sang  le  plus  pur  de  Marie,  «  la  concu- 
piscence, dit-il,  n'osant  approcher,  regardait  de  loin  avec 
étonnement  un  spectacle  si  nouveau,  et  la  nature  s'arrêta 
toute  surprise  de  voir  son  Seigneur  et  son  Maître,  dont  la 
seule  vertu  agissait  sur  cette  chair  virginale  :  »  Stetit  natura 
contra^  et  connipiscentia  longe,  cum  stupore  Doinimim  naturœ 
intuent  es  in  coipore  mirabiliter  opérant  em  (^). 

Et  n'est-ce  pas  ce  que  la  Vierge  elle-même  chante  avec 
une  telle  allégresse  dans  ces  paroles  de  son  cantique  :  Fecit 
mihi  magna  qui  potens  est  (^)  :  «  Le  Tout-Puissant  m'a  fait 
de  grandes  choses?  »  Et  que  vous  a-t-il  fait,  ô  Marie  ?  certes 

a.  De  Sacerd.^  lib.  i,  n°  5.  —  (^.  Serm.  Il  in  Annunt,  B.  V.  M.,  inter  Op.  s.  Greg, 
T/iaum.  —  c.  Luc.^  l,  49. 


POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE,  8l 


elle  ne  peut  vous  le  dire  ;  seulement  elle  s'écrie,  toute  trans- 
portée, qu'il  lui  a  fait  de  grandes  choses:  Fecit  mihi  magna 
qui  potens  est.  C'est  qu'elle  se  sentait  enceinte  du  Saint- 
Esprit  :  elle  voyait  qu'elle  avait  un  Fils  qui  était  d'une  race 
divine  ;  elle  ne  savait  comment  faire  ni  pour  célébrer  la 
munificence  divine,  ni  pour  témoigner  assez  son  ravissement 
d'avoir  conçu  un  Fils  qui  n'eût  point  d'autre  père  que  Dieu. 
Que  si  elle  ne  peut  elle-même  nous  exprimer  ses  transports, 
qui  suis-je,chrétiens,  pour  vous  décrire  ici  la  tendresse  extrême 
et  l'impétuosité  de  son  amour  maternel,  qui  était  enflammé 
par  des  considérations  si  pressantes?  Que  les  autres  mères 
mettent  si  haut  qu'il  leur  plaira  cette  inclination  si  naturelle 
qu'elles  ressentent  pour  leurs  enfants;  je  crois  que  tout  ce 
qu'elles  en  disent  est  très  véritable,  et  nous  en  voyons  des 
effets  qui  passent  de  bien  loin  tout  ce  que  l'on  pourrait  s'en 
imaginer  :  mais  je  soutiens,  et  je  vous  prie  de  considérer 
cette  vérité,  que  l'affection  d'une  bonne  mère  n'a  pas  tant 
d'avantage  par-dessus  les  amitiés  ordinaires,  que  l'amour  de 
Marie  surpasse  celui  de  toutes  les  autres  mères.  Pour  quelle 
raison.'^  C'est  parce  qu'étant  mère  d'une  façon  toute  miracu- 
leuse, et  avec  des  circonstances  tout  à  fait  extraordinaires, 
son  amour  doit  être  d'un  rang  tout  particulier.  Et  comme 
l'on  dit,  et  je  pense  qu'il  est  véritable,  qu'il  faudrait  avoir  le 
cœur  d'une  mère  pour  bien  concevoir  quelle  est  l'affection 
d'une  mère,  je  dis  tout  de  même  qu'il  faudrait  avoir  le  cœur 
de  la  sainte  Vierge  pour  bien  concevoir  l'amour  de  la  sainte 
Vierge  ('). 

Et  que  dirai-je  maintenant  de  celui  de  notre  Sauveur  ? 
Certes,  je  l'avoue,  chrétiens,  je  me  trouve  bien  plus  empêché 
à  dépeindre  l'affection  du  Fils  que  je  ne  l'ai  été  à  vous 
représenter  celle  de  la  Mère  :  car  je  suis  certain  qu'autant 
que  Notre-Seigneur  surpasse  la  sainte  Vierge  en  toute  autre 
chose,  d'autant  est-il  meilleur  fils  qu'elle  n'était  bonne  mère. 
Il  n'y  a  rien  qui  me  touche  plus  dans  l'histoire  de  l'Evan- 
gile que  de  voir  jusqu'à  quel  excès  le  Sauveur  Jésus  a  aimé 
la  nature  humaine  :  il  n'a  rien  dédaigné  de  tout  ce  qui  était  de 
l'homme  :  il  a  tout  pris,  excepté  le  péché  ;  tout  jusqu'aux 
I.  Fin  de  l'emprunt,  l'iinnce  suivante. 

Sermons  de  Bossuet.  6 


82  POUR  LA  Kl^^TE  DU  ROSAIRE. 


moindres  choses,  toul  jusqu'aux  plus  grandes  infirmités.  Que 
j'aille  au  jardin  des  Olives,  je  le  vois  dans  la  crainte,  dans  la 
tristesse,  dans  une  telle  consternation,  qu'il  sue  sang  et  eau, 
dans  la  seule  considération  de  son  supplice.  Je  n'ai  jamais 
ouï  dire  que  cet  accident  fût  arrivé  à  autre  personne  qu'à  lui: 
ce  qui  m'oblige  de  croire  que  jamais  homme  n'a  eu  les  pas- 
sions ni  si  délicates  ni  si  fortes  que  mon  Sauveur.  Quoi  donc! 
ô  mon  Maître,  vous  vous  êtes  revêtu  si  franchement  de  ces 
sentiments  de  faiblesse,  qui  semblaient  même  être  indignes 
de  votre  personne:  vous  les  avez  pris  si  purs,  si  entiers,  si 
sincères  :  que  sera-ce  après  cela  de  l'amour  envers  les 
parents;  étant  certain  qu'il  n'y  a  rien  dans  la  nature  de  plus 
naturel,  de  plus  équitable,  de  plus  nécessaire  ;  vu  particuliè- 
rement qu'elle  est  votre  Mère  non  par  un  événement  fortuit, 
mais  que  l'on  vous  l'a  prédestinée  dès  l'éternité,  préparée  et 
sanctifiée  dans  le  temps,  promise  par  tant  d'oracles  divins, 
que  vous-même  vous  l'avez  choisie  comme  celle  qui  vous 
plaisait  le  plus  parmi  toutes  les  créatures  ? 

Et  à  ce  propos,  j'ose  assurer  une  chose  qui  n'est  pas 
moins  véritable  qu'elle  vous  paraîtra  peut-être  d'abord  extra- 
ordinaire. Je  sais  bien  que  toute  la  gloire  de  la  sainte  Vierge 
vient  de  ce  qu'elle  est  Mère  du  Sauveur  ;  et  je  dis  de  plus 
qu'il  y  a  beaucoup  de  gloire  au  Sauveur  d'être  le  Fils  de  la 
Vierge.  N'appréhendez  pas,  chrétiens,  que  je  veuille  déroger 
à  la  grandeur  de  mon  Maître  par  cette  proposition.  Mais 
quand  je  vois  les  saints  Pères,  parlant  de  Notre-Seigneur, 
prendre  plaisir  à  l'appeler  par  honneur  le  Fils  d'une  vierge, 
je  ne  puis  plus  douter  qu'ils  n'aient  estimé  que  ce  titre  lui 
plaisait  fort,  et  qu'il  lui  était  extrêmement  honorable.  Sur 
quoi  j'apprends  une  chose  de  saint  Augustin  ('*),  qui  donne, 
à  mon  avis,  un  grand  poids  à  cette  pensée.  La  concupis- 
cence, dit-il,  qui  se  mêle,  comme  vous  savez,  dans  les  géné- 
rations communes,  corrompt  tellement  la  matière  qui  se 
ramasse  pour  former  nos  corps,  que  la  chair  qui  en  est  com- 
posée en  contracte  une  corruption  nécessaire.  Je  ne  m'étends 
point  à  éclaircir  cette  vérité  :  je  me  contente  de  dire  que 
vous    la    trouverez    dans    mille    beaux    endroits    de    saint 

a.  De  Pécc.  merit.^  lib.  H,  n.  59.  —  Contr.  Julian.^  lib.  v,n.  17. 


POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE.  83 

Augustin.  Que  si  ce  commerce  ordinaire,  ayant  quelque 
chose  d'impur,  fait  passer  en  nos  corps  un  mélange  d'impu- 
reté, je  puis  assurer  au  contraire  que  le  fruit  d  une  chair 
virginale  tirera  d'une  racine  si  pure  une  pureté  sans  égale. 
Cette  conséquence  est  certaine,  et  suit  évidemment  des 
principes  de  saint  Augustin.  Et  comme  le  corps  du  Sauveur 
devait  être  plus  pur  que  les  rayons  du  soleil,  de  là  vient,  dit 
ce  grand  évêque,  «  qu'il  s'est  choisi  dès  l'éternité  une  mère 

vierge:  »  Ideo  virginem  matrem pia  fide  sanchmi  germen 

in  se fieri promerentem...  de  quâ  crearetur  elegit  ('').  Car  (') 
il  était  bienséant  (^)  que  la  sainte  chair  du  Sauveur  fût,  pour 
ainsi  dire,  embellie  de  toute  la  pureté  d'un  sang  virginal,  afin 
qu'elle  fût  digne  d'être  unie  au  Verbe  divin,  et  d'être  présen- 
tée au  Père  éternel  comme  une  victime  vivante  pour  l'ex- 
piation de  nos  fautes  :  tellement  que  la  pureté  qui  est  dans 
la  chair  de  Jésus  est  dérivée  en  partie  de  cette  pureté 
angélique  que  le  Saint-Esprit  coula  dans  le  corps  de  la 
Vierge,  lorsque,  charmé  de  son  intégrité  inviolable,  il  la 
sanctifia  par  sa  présence,  et  la  consacra  comme  un  temple 
vivant  au  Fils  du  Dieu  vivant. 

Faites  maintenant  avec  moi  cette  réflexion,  chrétiens. 
Mon  Sauveur,  c'est  l'amant  et  le  chaste  époux  des  vierges  : 
il  se  glorifie  d'être  appelé  le  Fils  d'une  vierge  ;  il  veut  abso- 
lument qu'on  lui  amène  les  vierges,  il  les  a  toujours  en  sa 
compagnie,  elles  suivent  cet  Agneau  sans  tache  partout  ou 
il  va.  Que  s'il  aime  si  passionnément  les  vierges,  dont  il  a 
purifié  la  chair  par  son  sang,  quelle  sera  sa  tendresse  pour 
cette  Vierge  incomparable,  qu'il  a  élue  dès  l'éternité  pour 
en  tirer  la  pureté  de  sa  chair  et  de  son  sang.'^  Concluons 
donc  de  tout  ce  discours  que  l'amitié  réciproque  du  Fils  et 
de  la  Mère  est  inconcevable,  et  que  nous  pouvons  bien  avoir 
quelque  idée  grossière  de  cette  liaison  merveilleuse,  mais 
de  comprendre  quelle  est  l'ardeur  et  quelle  est  la  véhémence 
de  ces  torrents  de  flammes  qui  de  Jésus  vont  déborder  sur 
Marie,   et   de    Marie    retournent   continuellement   à  Jésus, 

a.  De  Peccat.  inerit.  et  teiniss.^  lib.  n,  cap.  XXIV,  n.  38. 

1.  Ici  commenccni  le  second  emi)iunt,  l'année  suivante  (19  lignes). 

2.  Var.  il  fallait...  fût  formée  du  sang  d'une  vierge,  —  d'une  chair  viri,Mnale. 


84  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


croyez-moi,  les  Sér.iphins,  tout  brûlants  qu'ils  sont,  ne  le 
saurairiu  faire.  Mais  d'autant  que  quelques-uns  pourraient 
se  persuader  que  cette  sainte  société  n'a  point  d'autres  liens 
que  la  chair,  il  me  sera  aisé  de  vous  faire  voir,  selon  que 
je  l'ai  promis,  et  par  les  vérités  que  j'ai  déjà  établies,  avec 
quels  avantages  la  sainte  Vierge  est  entrée  dans  l'alliance  de 
Dieu  par  sa  maternité  glorieuse  ;  et  de  là  je  vous  laisserai  à 
conclure  quel  est  son  crédit  auprès  du  Père  éternel. 

Pour  cela  je  vous  prie  de  considérer  que  cet  amour  de  la 
Vierge,  dont  je  vous  parlais  tout  à  l'heure,  ne  s'arrêtait  pas 
à  la  seule  humanité  de  son  Fils  :  non,  certes  ;  il  allait  plus 
avant,  et  par  l'humanité,  comme  par  un  moyen  d'union,  il 
passait  à  la  nature  divine,  qui  en  est  inséparable.  Et  pour 
vous  expliquer  ma  pensée,  j'ai  à  vous  proposer  une  doctrine 
sur  laquelle  il  est  nécessaire  d'aller  pas  à  pas,  de  peur  de 
tomber  dans  l'erreur  ;  et  plût  à  Dieu  que  je  pusse  la  déduire 
aussi  nettement  comme  elle  me  semble  solide  !  Voici  donc 
comme  je  raisonne.  Une  bonne  mère  aime  tout  ce  qui  touche 
la  personne  de  son  fils.  Je  {')  sais  bien  qu'elle  va  quelquefois 
plus  avant,  qu'elle  porte  son  amitié  jusqu'à  ses  amis,  et  géné- 
ralement à  toutes  les  choses  qui  lui  appartiennent  ;  mais 
particulièrement  pour  ce  qui  regarde  la  propre  personne  de 
son  fils,  vous  savez  qu'elle  y  est  sensible  au  dernier  point  (^). 
Je  vous  demande  maintenant  :  qu'était  la  divinité  au  Fils  de 
Marie?  comment  touchait-elle  à  sa  personne  ?  lui  était-elle 
étrangère  ?  Je  ne  veux  point  ici  vous  faire  des  questions 
extraordinaires  ;  j'interpelle  seulement  votre  foi  :  qu'elle 
me  réponde.  Vous  dites  tous  les  jours,  en  récitant  le  Sym- 
bole, que  vous  croyez  en  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  qui  est 
né  de  la  Vierge  Marie  :  celui  que  vous  reconnaissez  pour  le 
Fils  de  Dieu  tout-puissant,  et  celui  qui  est  né  de  la  Vierge, 
sont-ce  deux  personnes  ?  Sans  doute  ce  n'est  pas  ainsi  que 
vous  l'entendez.  C'est  le  même  qui  étant  Dieu  et  homme, 
selon  la  nature  divine  est  le  Fils  de  Dieu,  et  selon  l'humanité 
le  Fils  de  Marie.  C'est  pourquoi  nos  saints  Pères  ont 
enseigné  que  la  Vierge  est  Mère  de  Dieu.  C'est  cette  foi, 
chrétiens,  qui  a  triomphé  des  blasphèmes  de  Nestorius,  et 
I.  Troisième  emprunt  (1652).  —  2.  Var.  vous  savez  combien  elle  est  sensible. 


POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE.  85 

qui  jusqu'à  la  consommation  des  siècles  fera  trembler  les 
démons.  Si  je  dis  après  cela  que  la  bienheureuse  Marie  aime 
son  Fils  tout  entier,  quelqu'un  de  la  compagnie  pourra-t-il  (') 
désavouer  une  vérité  si  plausible  ?  Par  conséquent  ce  Fils 
qu'elle  chérissait  tant,  elle  le  chérissait  comme  un  Homme- 
Dieu  :  et  d'autant  que  ce  mystère  n'a  rien  de  semblable  sur 
la  terre,  je  suis  contraint  d'élever  bien  haut  mon  esprit  pour 
avoir  recours  à  un  grand  exemple,  je  veux  dire  à  l'exemple 
du  Père  éternel. 

Depuis  que  l'humanité  a  été  unie  à  la  personne  du  Verbe, 
elle  est  devenue  l'objet  nécessaire  des  complaisances  du 
Père.  Ces  vérités  sont  hautes,  je  l'avoue  ;  mais  comme  ce 
sont  des  maximes  fondamentales  du  christianisme,  il  est 
important  qu'elles  soient  entendues  de  tous  les  fidèles  ;  et  je 
ne  veux  rien  avancer,  que  je  n'en  allègue  la  preuve  par  les 
Ecritures.  Dites-moi,  s'il  vous  plaît,  chrétiens,  quand  cette 
voix  miraculeuse  éclata  sur  le  Thabor,  de  la  part  de  Dieu  : 
«  Celui-ci  est  mon  Fils  bien-aimé,  dans  lequel  je  me  suis 
plu  (''),  »  de  qui  pensez-vous  que  parlât  le  Père  éternel  ? 
n'était-ce  pas  de  ce  Dieu  revêtu  de  chair,  qui  paraissait  tout 
resplendissant  aux  yeux  des  apôtres  ?  Cela  étant  ainsi,  vous 
voyez  bien,  par  une  déclaration  si  authentique,  qu'il  étend 
son  amour  paternel  jusqu'à  l'humanité  de  son  Fils  ;  et 
qu'ayant  uni  si  étroitement  la  nature  humaine  avec  la  divine, 
il  ne  les  veut  plus  séparer  dans  son  affection.  Aussi  est-ce  là, 
si  nous  l'entendons  bien,  tout  le  fondement  de  notre  espé- 
rance, quand  nous  considérons  que  Jésus,  qui  est  homme 
tout  ainsi  que  nous,  est  reconnu  et  aimé  de  Dieu  comme  son 
Fils  propre. 

Ne  vous  offensez  pas,  si  je  dis  qu'il  y  a  quelque  chose  de 
pareil  dans  l'affection  de  la  sainte  Vierge,  et  que  son  amour 
embrasse  tout  ensemble  la  divinité  et  l'humanité  de  son  P'ils, 
que  la  main  puissante  de  Dieu  a  si  bien  unies.  Car  Dieu,  par 
un  conseil  admirable,  ayant  jugé  à  propos  que  la  Vierge 
engendrât  dans  le  temps  celui  qu'il  engendre  continuellement 
dans  l'éternité,  il  l'a  par  ce  moyen  associée  en  quelque  façon 

a.  Mat  th.,  XVii,  5. 

I.  Èdli.  Lâchai  :  «  Qui  pourra  désavouer..?  »  Cest  la  variante. 


86  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


h  sa  cr<^nération  (éternelle.  Fidèles,  entendez  ce  mystère. 
C'est  l'associer  à  sa  cféncration,  que  de  la  faire  mère  d'un 
môme  Fils  av(X  lui.  Partant,  puisqu'il  l'a  comme  associée  à 
sa  ^rénéralion  éternelle,  il  était  convenable  qu'il  coulât  en 
même  temps  dans  son  sein  quelque  étincelle  de  cet  amour 
infmi  qu'il  a  pour  son  Fils.  Cela  est  bien  digne  de  sa  sagesse. 
Comme  sa  Providence  dispose  toutes  choses  avec  une 
justesse  admirable,  il  fallait  qu'il  imprimât  dans  le  cœur  de 
la  sainte  Vierge  une  affection  qui  passât  de  bien  loin  la 
nature,  et  qui  allât  jusqu'au  dernier  degré  de  la  grâce  ;  afin 
qu'elle  eût  pour  son  Fils  des  sentiments  dignes  d'une  Mère 
de  Dieu,  et  dignes  d'un  Homme-Dieu. 

Après  cela,  ô  Marie,  quand  j'aurais  l'esprit  d'un  ange,  et  de 
la  plus  sublime  hiérarchie,  mes  conceptions  seraient  trop 
ravalées,  pour  comprendre  l'union  très  parfaite  du  Père  éter- 
nel avec  vous.  «  Dieu  a  tant  aimé  le  monde,  dit  notre  Sauveur, 
qu'il  lui  a  donné  son  Fils  unique  ('").  »  Et  en  effet,  comme 
remarque  l'Apôtre  ('''),  «  nous  donnant  son  Fils,  ne  nous  a-t-il 
pas  donné  toute  sorte  de  biens  avec  lui  ?  »  Que  s'il  nous  a  fait 
paraître  une  affection  si  sincère,  parce  qu'il  nous  l'a  donné 
comme  Maître  et  comme  Sauveur,  l'amour  ineffable  qu'il 
avait  pour  vous  lui  a  fait  concevoir  bien  d'autres  desseins  en 
votre  faveur.  Il  a  ordonné  qu'il  fût  à  vous  en  la  même 
qualité  qu'il  lui  appartient  ;  et  pour  établir  avec  vous  une 
société  éternelle,  il  a  voulu  que  vous  fussiez  la  Mère  de  son 
Fils  unique,  et  être  le  Père  du  vôtre.  O  prodige  !  ô  abîme 
de  charité  !  quel  esprit  ne  se  perdrait  pas  dans  la  considéra- 
tion de  ces  complaisances  incompréhensibles  qu'il  a  eues 
pour  vous,  depuis  que  vous  lui  touchez  de  si  près  par  ce 
commun  Fils,  le  nœud  inviolable  du  votre  sainte  alliance,  le 
gage  de  vos  affections  mutuelles,  que  vous  vous  êtes  donné 
amoureusement  l'un  à  l'autre  ;  lui,  plein  d'une  divinité  im- 
passible ;  vous,  revêtu,  pour  lui  obéir,  d'une  chair  mortelle  ?  (') 

Intercédez  pour  nous,  ô  bienheureuse  Marie  ;  vous  avez 
en  vos  mains,  si  je  l'ose  dire,  la  clef  des  bénédictions  divines. 

a.  /oan.y  ni,  i6.  —  b.  Rom.^  vni,  32. 

I.  Fin  du  troisième  emprunt.  —  Ellipses  hardies  :  «  lui  (Dieu),  vous  Pa  donné 
plein  d'une  divinité  impassible  ;  vous,  vous  le  lui  avez  donné,  revêtu  etc.  » 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE.  Sy 


C'est  votre  Fils  qui  est  cette  clef  mystérieuse  par  laquelle 
sont  ouverts  les  coffres  du  Père  éternel:  il  ferme,  et  personne 
n'ouvre  ;  il  ouvre,  et  personne  ne  ferme  :  c'est  son  sang 
innocent  qui  fait  inonder  sur  nous  les  trésors  des  grâces 
célestes.  Et  à  quel  autre  donnera-t-il  plus  de  droit  sur  ce 
sang  qu'à  celle  dont  il  a  tiré  tout  son  sang  ?  Sa  chair  est 
votre  chair,  ô  Marie,  son  sang  est  votre  sang  ;  et  il  me 
semble  que  ce  sang  précieux  prenait  plaisir  de  ruisseler  pour 
vous  à  gros  bouillons  sur  la  croix,  sentant  bien  que  vous 
étiez  la  source  dont  il  découlait.  Au  reste,  vous  vivez  avec 
lui  dans  une  amitié  si  parfaite,  qu'il  est  impossible  que  vous 
n'en  soyez  pas  exaucée.  C'est  pourquoi  votre  dévot  saint 
Bernard  a  fort  bonne  grâce,  lorsqu'il  vous  prie  de  parler  au 
cœur  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  Loqttatur  ad  cor 
Doinini  nostri  Jesu  Christi  {^). 

Quelle  est  sa  pensée,  chrétiens  ?  qu'est-ce  à  dire,  parler  au 
cœur  ?  C'est  qu'il  la  considère  «  dans  ce  midi  éternel,  je 
veux  dire  dans  les  secrets  embrassements  de  son  Fils,  » 
parmi  les  ardeurs  d'une  charité  consommée  :  In  me^^idie  seiii- 
piterno,  in  secrelissimis  amplexibus  amantissimi  Filii.  Il  voit 
qu'elle  aime  et  qu'elle  est  aimée  ;  que  les  autres  passions 
peuvent  bien  parler  aux  oreilles,  mais  que  l'amour  seul  a  droit 
de  parler  au  cœur.  Dans  cette  pensée,  n'a-t-ii  pas  raison  de 
demander  à  la  Vierge  qu'elle  parle  au  cœur  de  son  Fils  : 
Loqitatîir  ad  cor  Domini  nosiri  Jesit  Christi? 

Combien  de  fois,  ô  fidèles,  cette  bonne  Mère  a-t-elle  parlé 
au  cœur  de  son  bien-aimé?  Elle  parla  véritablement  à  son 
cœur,  lorsque,  touchée  de  la  confusion  de  ces  pauvres  gens 
de  Cana  qui  manquaient  de  vin  dans  un  festin  nuptial,  elle 
le  sollicita  de  soulager  leur  nécessité.  Le  Fils  de  Dieu,  en 
cette  rencontre,  semble  la  rebuter  de  cette  parole,  bien  qu'il 
eût  résolu  de  la  favoriser  en  effet  :  «  Femme,  lui  dit-il,  (jue 
nous  importe  à  vous  et  à  moi  ?  mon  heure  n'est  pas  encore 
venue  (^).  »  Ce  discours  paraît  bien  rude,  et  tout  autre  que 
Marie  aurait  pris  cela  pour  un  refus  :  je  vois  néanmoins  que, 
sans  s'étonner,  elle  donne  ordre  aux  serviteurs  de  faire  ce 
que  le  Sauveur  leur  commandera:  «  Faites  tout  ce  qu'il  vous 

a.  Ad  Beat.  Virg.  Sertn.  Panegyr.  n.  7,  int.  Opcr.  S .  Bernard,  — b,Joan.^  11,4. 


88  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 

ortlonn('ra  ('*)  »,  leur  dit-elle,  comme  étant  assurée  qu'il 
lui  a  accordé  sa  requête.  D'où  lui  vient,  à  votre  avis,  cette 
confiance,  après  une  réponse  si  peu  favorable?  Chrétiens, 
elle  savait  bien  que  c'était  au  cœur  qu'elle  avait  parlé,  et 
c'est  pour  cette  raison  qu'elle  ne  prit  pas  garde  à  ce  que  la 
bouche  avait  répondu.  En  effet,  elle  ne  fut  point  trompée 
dans  son  espérance,  et  le  Fils  de  Dieu,  selon  la  belle  réfle- 
xion de  saint  Chrysostome  (''),  jugea  à  propos  d'avancer  le 
temps  de  son  premier  miracle,  à  la  considération  de  sa  sainte 
Mère. 

Prions  donc,  ô  fidèles,  qu'elle  parle  pour  nous  de  la  bonne 
sorte  au  cœur  de  son  Fils:  elle  y  a  une  fidèle  correspondance; 
c'est  l'amour  filial,  qui  s'avancera  pour  recevoir  l'amour 
maternel,  et  qui  préviendra  ses  désirs.  Ne  vous  apercevez- 
vous  pas  que  le  vin  nous  manque,  je  veux  dire  la  charité,  ce 
vin  nouveau  de  la  loi  nouvelle,  qui  réjouit  le  cœur  de  l'homme, 
dont  l'âme  des  fidèles  doit  être  enivrée?  De  là  vient  que  nos 
festins  sont  si  tristes,  que  nous  prenons  avec  si  peu  de  goût 
la  nourriture  céleste  de  la  sainte  parole  de  Dieu.  De  là  vient 
que  nous  nous  voyons  de  tous  côtés  déchirés  par  tant  de 
factions  différentes  (').  Dieu,  par  une  juste  vengeance,  voyant 
que  nous  refusons  de  nous  unir  à  sa  souveraine  bonté  par 
une  affection  cordiale,  nous  fait  ressentir  les  malheurs  de 
mille  divisions  intestines.  Sainte  Vierge,  impétrez-nous  la 
charité,  qui  est  mère  de  la  paix,  qui  adoucit,  tempère  et 
réconcilie  les  esprits.  Nous  avons  une  grande  confiance  en 
votre  faveur,  parce  qu'étant  Mère  de  Dieu,  nous  sommes 
persuadés  que  vous  avez  beaucoup  de  pouvoir  :  et  comme 
vous  êtes  la  nôtre,  nous  ne  serons  point  trompés,  si  nous 
attendons  quelque  grand  effet  de  votre  tendresse  :  c'est  ce 
qui  me  reste  à  traiter  dans  cette  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

C'est^  avec  beaucoup  de  sujet  que  nous  réclamons  dans 
nos  oraisons  la  très  heureuse  Marie,  comme  étant  la  mère 
commune  de  tous  les  fidèles.  Nous  avons  reçu  cette  tradition 

a.Joan.,  Il,  5.  —  b.  Tn  Joa7t.^  Homil.  xxii. 

I.  Allusion  très  claire  aux  troubles  de  la  Fronde. 


POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE.  89 

de  nos  pères.  Ils  nous  ont  appris  que  le  genre  humain  ayant 
été  précipité  dans  une  mort  éternelle  par  un  homme  et  par 
une  femme,  Dieu  avait  prédestiné  une  nouvelle  Eve  aussi 
bien  qu'un  nouvel  Adam,  afin  de  nous  faire  renaître.  Et  de 
cette  doctrine,  que  tous  les  anciens  ont  enseignée  d'un  con- 
sentement unanime,  il  me  serait  aisé  de  conclure  que,  comme 
la  première  Eve  est  la  mère  de  tous  les  mortels,  ainsi  la 
seconde,  qui  est  la  très  sainte  Vierge,  doit  être  estimée  la 
mère  de  tous  les  fidèles.  Ce  que  je  pourrais  confirmer  par 
une  belle  pensée  de  saint  Epiphane,  qui  assure  (dans  L' Hé- 
résie Lxxviii)  «  que  cette  première  Eve  est  appelée  dans 
la  Genèse  Mère  des  vivants,  en  énigme  ;  »  c'est-à-dire,  ainsi 
qu'il  l'expose  lui-même,  «en  figure,  et  comme  étant  la  repré- 
sentation de  Marie.  »  A  quoi  j'aurais  encore  à  ajouter  un 
passage  célèbre  de  saint  Augustin,  dans  le  livre  de  la  sainte 
Virginité,  où  ce  grand  docteur  nous  enseigne  que  la  Vierge 
«  selon  le  corps  est  mère  du  Sauveur  qui  est  notre  chef  ;  et 
selon  l'esprit,  des  fidèles  qui  sont  ses  membres  :  »  Carne 
mater  capitis  nostri,  spiritu  mater  membrorum  ej'us  {^).  Mais 
d'autant  que  je  me  sens  obligé  de  réduire  en  peu  de  mots  ce 
que  je  me  suis  proposé  de  vous  dire  afin  de  laisser  le  temps 
qui  est  nécessaire  pour  le  reste  du  service  divin,  je  passe 
beaucoup  de  choses  que  je  pourrais  tirer  des  saints  Pères 
sur  ce  sujet  ;  et  sans  examiner  tous  les  titres  par  lesquels  la 
sainte  Vierge  est  appelée  à  bon  droit  la  Mère  des  chrétiens, 
je  tâcherai  seulement  de  vous  faire  voir  (et  c'est  à  mon  avis 
ce  qui  vous  doit  toucher  davantage)  qu'elle  est  mère  par  le 
sentiment  :  je  veux  dire  qu'elle  a  pour  nous  une  tendresse 
véritablement  maternelle.  Pour  le  comprendre,  vous  n'avez, 
s'il  vous  plaît,  qu'à  suivre  ce  raisonnement. 

Ayant  présupposé,  et  sur  la  foi  de  l'Église  et  sur  la  doc- 
trine des  Pères,  encore  que  je  l'aie  seulement  touché  en  pas- 
sant ;  ayant,  dis-je,  présupposé  que  Marie  est  véritablemcnit 
notre  mère,  si  je  vous  demandais,  chrétiens,  quand  elle  a 
commencé  à  avoir  cette  qualité,  vous  me  répondriez  sans 
doute  que  Notre-Seigneur  vraisemblablement  la  fit  notre 
mère,  lorsqu'il  lui  donna  saint  Jean   pour  son  fils.  En  effet, 

a.  De  siuict.  Viroinit.,  n.  6. 


90  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


nous  y  trouvons  toutes  les  convenances  imaginables  :  {')  car 
je  vous  ai  avertis,  des  l'entrée  de  ce  discours,  et  il  n'est  pas 
hc^rs  de  propos  de  vous  en  faire  ressouvenir,  que  saint  Jean, 
ayant  été  conduit  par  la  main  de  Dieu  au  pied  de  la  croix,  y 
avait  tenu  la  personne  de  tous  les  fidèles  ;  et  j'en  ai  touché 
une  raison  qui  mu  semble  fort  apparente  :  c'est,  s'il  vous  en 
souvient,  que  tous  les  autres  disciples  de  Notre-Seigneur 
ayant  été  dispersés,  la  Providence  n'avait  retenu  près  de  lui 
que  le  bien-aimé  de  son  cœur,  afin  qu'il  y  pût  représenter 
tous  les  autres,  et  recevoir  en  leur  nom  les  dernières  volontés 
de  leur  Maître.  Sur  quoi  considérant  qu'il  y  a  peu  d'appa- 
rence que  le  F'ils  de  Dieu,  dont  toutes  les  paroles  et  les 
actions  sont  mystérieuses,  en  une  occasion  si  importante,  ne 
l'ait  considéré  que  comme  un  homme  particulier  ;  nous  avons 
inféré,  ce  me  semble  avec  beaucoup  de  raison,  qu'il  a  reçu  la 
parole  qui  s'adressait  à  nous  tous,  que  c'est  en  notre  nom  qu'il 
s'est  mis  incontinent  en  possession  de  Marie,  et  par  consé- 
quent c'est  là  proprement  qu'elle  est  devenue  notre  mère. 

Cela  étant  ainsi  résolu,  j'ai  une  autre  question  (^)  à  vous 
faire.  D'où  vient,  à  votre  avis,  que  Notre-Seigneur  attend 
cette  heure  dernière  pour  nous  donner  à  Marie  comme  ses 
enfants  ?  Vous  me  direz  peut-être  qu'il  a  pitié  d'une  mère 
désolée  qui  perd  le  meilleur  fils  du  monde,  et  que,  pour  la 
consoler,  il  lui  donne  une  postérité  éternelle.  Cette  raison  est 
bonne  et  solide  ;  mais  j'en  ai  une  autre  à  vous  dire,  que  peut- 
être  vous  ne  désapprouverez  pas.  Je  pense  que  le  dessein  du 
Fils  de  Dieu  est  de  lui  inspirer  pour  nous  dans  cette  rencontre 
une  tendresse  de  mère.  —  Comment  cela,  direz-vous  ?  nous 
ne  voyons  pas  bien  cette  conséquence.  —  Il  me  semble  pour- 
tant, chrétiens,  qu'elle  n'est  pas  extrêmement  éloignée.  Marie 
était  au  pied  de  la  croix;  elle  voyait  ce  cher  Fils  tout  couvert 
de  plaies,  étendant  ses  bras  à  un  peuple  incrédule  et  impi- 
toyable; son  sang  qui  débordait  de  tous  côtés  par  ses  veines 
déchirées:  qui  pourrait  vous  dire  quelle  était  l'émotion  du 
sang  maternel.^  Non,  il  est  certain,  elle  ne  sentit  jamais 
mieux  qu'elle  était  mère  ;  toutes  les  souffrances  de  son  Fils 
le  lui  faisaient  sentir  au  vif. 

I.  l^ar.  En  efTet  l'assurance  y  est  entière.  —  2.  Édif.  une  autre  proposition. 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE.  9I 

Que  (')  fera  ici  le  Sauveur?  Vous  allez  voir,  chrétiens,  qu'il 
sait  parfaitement  le  secret  d'émouvoir  les  affections.  Quand 
Tâme  est  une  fois  prévenue  de  quelque  passion  violente 
touchant  quelque  objet,  elle  reçoit  aisément  les  mêmes  im- 
pressions pour  tous  les  autres  qui  se  présentent.  Par  exemple, 
vous  êtes  possédés  d'un  mouvement  de  colère  ;  il  sera 
difficile  que  tous  ceux  qui  approcheront  de  vous,  si  innocents 
qu'ils  puissent  être,  n'en  ressentent  quelques  effets.  Et  de  là 
vient  que,  dans  les  séditions  populaires,  un  homme  adroit, 
qui  saura  manier  et  ménager  avec  art  les  esprits  de  la  popu- 
lace, lui  fera  quelquefois  tourner  sa  fureur  contre  ceux  aux- 
quels on  pensait  le  moins;  ce  qui  rend  ces  sortes  de  mutine- 
ries extrêmement  dangereuses.  Il  en  est  de  même  de  toutes 
les  autres  passions  ;  parce  que,  l'âme  étant  déjà  excitée,  il  ne 
reste  plus  qu'à  l'appliquer  sur  d'autres  objets;  à  quoi  son 
propre  mouvement  la  rend  extrêmement  disposée. 

C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu,  qui  avait  résolu  de  nous 
donner  la  sainte  Vierge  pour  mère,  afin  d'être  notre  frère 
en  toute  façon  (admirez  son  amour,  chrétiens,)  voyant  du 
haut  de  sa  croix  combien  l'âme  de  sa  Mère  était  attendrie, 
et  que  son  cœur  ébranlé  faisait  inonder  par  ses  yeux  un 
torrent  de  larmes  amères  ;  comme  si  c'eût  été  là  qu'il  l'eût 
attendue,  il  prit  son  temps  de  lui  dire,  lui  montrant  saint 
Jean  :   «  Femme,  voilà  ton  fils  :  »   Ecce  filins  huts.    Fidèles, 

I.  Les  éditeurs,  avec  raison,  ce  semble,  abandonnent  ici  la  première  rédaction, 
qui  est  complète  au  ms.,  pour  lui  en  préférer  une  seconde  (f.  150),  annexée  à 
l'original,  mais  sans  renvoi.  lien  sera  de  même  un  peu  plus  loin.  Appareniment 
l'auteur  a  voulu  donner  plus  d'ampleur  à  quelques  développements. 

Première  l'édaction:  «  Et  lui  cependant,  considérant  couler  ses  larmes  du  haut 
de  sa  croix,  comme  si  c'eût  été  là  qu'il  l'eût  attendue,  il  pris  son  temps  de  lui  dire: 
«  Femme,  voilà  ton  fils  :  »  Ecce  films  tuits.  Ce  sont  ses  mots,  chrétiens  ;  et  il 
me  semble  qu'en  voici  le  sens,  si  nous  le  savons  bien  pénétrer  :  O  femme  affliç^ée  à 
qui  un  amour  infortuné  fait  éprouver  à  présent  jusques  où  peut  aller  la  compassion 
d'une  mère  :  ces  mômes  sentiments  de  tendresse  que  vous  avez  maintenant  pour 
moi,  ayez-les  pour  Jean,  mon  disciple  et  mon  bien-aimé  ;  ayez-les  pour  tous  mes 
fidèles,  que  je  vous  reconmiande  en  sa  personne,  parce  qu'ils  sont  tous  mes 
disciples  et  mes  bien-aimés  :  J'iccefilius  tuus.  Devons  dire  conibien  ces  paroles 
poussées  duc(eurdu  Fils,  descendirent  profondément  au  cœur  de  la  Mère,  c'est 
une  chose  que  je  n'oserais  pas  entreprendre  {a).  Comprenez  seulement  que  celui 
qui  parle  est  le  Fils  de  Dieu  (pii  fait  toutes  choses  par  la  force  de  sa  parole.  11  n'a 
pas  plus  tôt...  > 

a.  A/s.  cntrcpreiulrc  de  vous  expliquer.  (Uislniclion). 


92  rOlTR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


ce  sont  ses  mots  ;  et  voici  son  sens,  si  nous  le  savons  bien 
l)L'nétrer:  O  fcfniiu!  aflligée,  à  qui  un  amour  infortuné  fait 
éprouver  à  présent  jusques  où  peut  aller  la  compassion 
d'une  mcre,  cette  même  tendresse  dont  vous  êtes  à  présent 
touchée  si  vivement  pour  moi,  ayez-la  pour  Jean  mon  disci- 
ple et  mon  bien-aimé,  ayez-la  pour  tous  mes  fidèles,  que  je 
vous  recommande  en  sa  personne,  parce  qu'ils  sont  tous 
mes  disciples  et  mes  bien-aimés  :  Ecce  filius  tuus.  De  vous 
dire  combien  ces  paroles,  poussées  du  cœur  du  Fils,  descen- 
dirent profondément  au  cœur  de  la  Mère,  et  l'impression 
qu'elles  y  firent,  c'est  une  chose  que  je  n'oserais  pas  entre- 
prendre. Songez  seulement  que  celui  qui  parle  opère  toutes 
choses  par  sa  parole  toute-puissante,  qu'elle  doit  avoir  un 
effet  merveilleux,  surtout  sur  sa  sainte  Mère  ;  et  que,  pour 
lui  donner  plus  de  force,  il  l'a  animée  de  son  sang,  et  Ta 
proférée  d'une  voix  mourante,  presque  avec  les  derniers 
soupirs.  Tout  cela  joint  ensemble,  il  n'est  pas  croyable  ce 
qu'elle  était  capable  de  faire  dans  l'âme  de  la  sainte  Vierge. 
Il  n'a  pas  plus  tôt  lâché  le  mot  à  saint  Jean  pour  lui  dire  que 
Marie  est  sa  mère,  qu'incontinent  ce  disciple  se  sent  possédé 
de  toutes  les  affections  d'un  bon  fils  (')  :  Et...  accepit  eam 
discip7ihis  in  sua  (f)  :  à  plus  forte  raison,  sa  parole  doit-elle 
avoir  agi  sur  l'âme  de  sa  sainte  Mère  et  y  avoir  fait  entrer 
bien  avant  un  amour  extrême  pour  nous,  comme  pour  ses 
véritables  enfants. 

Il  me  souvient  à  ce  propos  de  ces  mères  misérables  à  qui 
on  déchire  les  entrailles  par  le  fer,  pour  en  tirer  leurs  en- 
fants (^)  par  violence.  Il  vous  est  arrivé  quelque  chose  de 
semblable,  ô  bienheureuse  Marie  :  c'est  par  le  cœur  que  vous 
nous  avez  enfantés  ;  parce  que  vous  nous  avez  enfantés  par 
la  charité  :  Cooperata  est  charitate,  ut  filii  Dei  in  Ecclesia 
nascerent7cr,  dit  saint  Augustin  (^).  Et  j'ose  dire  que  ces 
paroles   de  votre  Fils,  qui  étaient  son   dernier  adieu,  entrè- 

a.  Joan.,  XIX,  27.  —  b.  De  sanct.  Virs:i7iit.,  n.  6. 

1.  Defoiis  ajoute  :  «  et  depuis  cette  heure- là,  il  la  prit  chez  lui  :£/^;i;  illahora...)} 
—  (Se  reporter,  au  ms.  12823,  du  verso  de  la  f.  150  à  celui  de  la  f.  144.) 

2.  Edit.  pour  en  tirer  leurs  enfants  au  monde  par  violence.  --  Emprunt 
malheureux  à  une  première  rédaction  condamnée  par  Bossuet  :  «  en  mettre 
Içurs  enfants  au  monde.  » 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE.  93 

rent  en  votre  cœur  ainsi  qu'un  glaive  tranchant,  y  portèrent 
jusqu'au  fond,  avec  une  douleur  excessive,  une  inclination 
de  mère  pour  tous  les  fidèles.  Ainsi  vous  nous  avez,  pour 
ainsi  dire,  enfantés  d'un  cœur  déchiré  parmi  la  véhémence 
d'une  affliction  infinie  :  et  toutes  les  fois  que  les  chrétiens 
paraissent  devant  vos  yeux,  vous  vous  souvenez  de  cette 
dernière  parole,  et  vos  entrailles  s'émeuvent  sur  nous  comme 
sur  les  enfants  de  votre  douleur  et  de  votre  amour  ;  d'autant 
plus  que  vous  ne  sauriez  jeter  sur  nous  vos  regards,  que 
nous  ne  représentions  à  votre  cœur  ce  Fils  que  vous  aimez 
tant,  dont  le  Saint-Esprit  prend  plaisir  de  graver  la  ressem- 
blance dans  l'esprit  de  tous  les  fidèles  ('). 

C'est  une  doctrine  que  je  tiens  des  Ecritures  divines,  et 
qui  est  bien  puissante  pour  nous  exciter  à  la  vertu,  outre 
qu'elle  fait  beaucoup  à  éclaircir  la  vérité  que  je  traite.  C'est 
pourquoi  il  est  à  propos  de  vous  la  déduire.  Car  j'apprends 
de  l'apôtre  saint  Paul  (et  cette  doctrine,  ô  fidèles,  est  bien 
digne  de  votre  audience)  que  tous  les  chrétiens  dont  la  vie 
répond  à  la  profession  qu'ils  ont  faite,  portent  imprimés  en 
leur  âme  les  traits  naturels  et  la  véritable  image  de  Notre- 
Seigneur.  Comment  cela  se  fait-il  ?  Certainement  la  manière 
en  est  admirable  ?  Vivre  chrétiennement,  c'est  se  conformer 
à  la  doctrine  du  Fils  de  Dieu.  Or  je  dis  que  la  doctrine  du 
Fils  de  Dieu  est  un  tableau  qui  est  tiré  sur  sa  sainte  vie  (')  : 
la  doctrine  est  la  copie,  et  lui-même  est  l'original  ;  en  quoi  il 
diffère  beaucoup  des  autres  docteurs  qui  se  mêlent  d'ensei- 
gner à  bien  vivre  :  car  ceux-ci  ne  seront  jamais  assez  témé- 
raires pour  former  sur  leurs  actions  les  règles  de  la  bonne 
vie  :  mais  ils  ont  accoutumé  de  se  figurer  de  belles  idées, 
ils  établissent  certaines  règles,  sur  lesquelles  ils  tâchent  eux- 
mêmes  de  se  composer.  Tout  au  contraire,  le  Fils  de  Dieu 
étant  envoyé  au  monde  pour  y  être  un  exemplaire  achevé 
de  la  plus  haute  perfection,  ses  enseignements  étaient  déri- 
vés de  ses  mœurs  :  il  enseignait  les  choses  parce  qu'il  les 
pratiquait  ;   sa  parole  n'était  qu'une  image  de  sa  conduite. 

1.  Edit.  D'autant  plus  que  vous  nous  voyez,  tout  autant  que  nous  sommes 
de  chrétiens,  tout  couverts  du  sang"  du  .Sauveur  dont  nous  sommes  teints  et 
blanchis,  et  tjue  vous  remarquez  en   nous  ces  mêmes  linéaments.  (\'ariante.) 

2.  Var.  est  un  vrai  portrait  de  sa  vie. 


94  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


Que  fait  donc  le  Saint-Ksprit  dans  laine  d'un  bon  chrétien? 
il  fait  (]ue  l'Évangile  est  son  conseil  dans  tous  ses  desseins, 
et  runicjue  règle  (ju'il  regarde  dans  ses  actions.  Insensible- 
ment la  doctrine  du  Fils  de  Dieu  passe  dans  ses  mœurs  :  il 
devient,  pour  ainsi  dire,  un  Évangile  vivant:  tout  y  sent  le 
Maître  dont  il  a  reçu  les  leçons,  il  en  prend  tout  l'esprit,  et 
si  vous  pénétriez  dans  l'intérieur  de  sa  conscience,  vous  y 
verriez  les  mêmes  linéaments,  les  mêmes  affections,  les  mêmes 
façons  de  faire  qu'en  notre  Sauveur. 

Kt  c'est  ce  qui  touche  sensiblement  la  bienheureuse  Marie, 
comme  il  m'est  aisé  de  l'éclaircir  par  un  exemple  familier. 
Vous  verrez  quelquefois  une  mère  qui  caressera  extraordi- 
nairement  un  enfant  sans  en  avoir  d'autre  raison,  sinon  que 
c'est,  à  son  avis,  la  vraie  peinture  du  sien.  C'est  ainsi,  dira- 
t-elle,  qu'il  pose  ses  mains  ;  c'est  ainsi  qu'il  porte  (')  ses  yeux  ; 
telle  est  son  action  et  sa  contenance.  Les  mères  sont  ingé- 
nieuses à  observer  jusques  aux  moindres  choses.  Et  qu'est-ce 
que  cela  sinon  comme  une  course,  si  on  [peut]  parler  de  la 
sorte,  que  fait  l'affection  d'une  mère,  qui  ne  se  contentant 
pas  d'aimer  son  fils  en  sa  propre  personne,  le  va  chercher 
partout  où  elle  peut  en  découvrir  quelque  chose.  Que  si 
elles  sont  si  fort  émues  de  leur  ressemblance  ébauchée,  que 
dirons-nous  de  Marie,  lorsqu'elle  voit  dans  l'âme  des  chré- 
tiens des  traits  immortels  de  la  parfaite  beauté  de  son  Fils, 
que  le  doigt  de  Dieu  a  si  bien  formés  dans  leurs  âmes  ? 

Mais  il  y  a  plus  (^)  :  nous  ne  sommes  pas  seulement  les 
images  vivantes  du  Fils  de  Dieu,  nous  sommes  encore  ses 
membres,  et  nous  composons  avec  lui  un  corps  dont  il  est  le 
chef;  ce  qui  attire  si  puissamment  sur  nous  les  affections  de  la 
sainte  Vierge,  qu'il  n'y  a  point  de  mère  qui  puisse  aller  à 
l'égal  :  ce  qu'il  me  serait  aisé  de  vous  faire  voir  par  des  rai- 

1.  Souvenir  de  Virgile  (zÉ^Wd^zV/.,  III,  489):  Sicoailos,  sîcille  7nanns^sic  oraferebai. 

2.  Seconde  rédaction  (f.  ifi).  Celle  qu'on  lit  dans  les  éditions  est  une  sorte 
de  résultante,  arrangée  arbitrairement.  Voici  la  première,  qui  n'est  point  effacée 
(f.  146,  V)  : 

«  Mais  il  y  a  plus.  Nous  ne  sommes  pas  seulement  les  images  du  Fils  de 
Dieu  ;  nous  sommes  les  os  de  ses  os  et  la  chair  de  sa  chair,  ainsi  que  parle 
saint  Paul  ;  nous  sommes  son  corps  et  sa  plénitude,  comme  enseigne  le  même 
apôtre  :  qualité  qui  nous  unit  de  telle  sorte  avec  lui,  que  quiconque  aime  le 
Sauveur,  il  faut  par  nécessité  que  par  le  même  mouvement  d'amour  il  aime  tous 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE.  95 

sonnements  invincibles,  si  je  n'étais  pressé  de  finir  bientôt 
ce  discours.  Et  pour  vous  en  convaincre,  je  ne  veux  seule- 
ment que  (')  vous  en  proposer  en  abrégé  les  principes,  après 
avoir  repassé  légèrement  sur  quelques  vérités  que  j'ai  tâché 
d'établir  dans  ma  première  partie,  dont  il  est  nécessaire  que 
vous  ayez  mémoire  pour  l'intelligence  de  ce  qui  me  reste  à 
vous  dire. 

Je  vous  ai  dit,  chrétiens,  que  la  maternité  de  la  Vierge 
n'ayant  point  d'exemple  sur  la  terre,  il  en  est  de  même  de 
l'affection  qu'elle  a  pour  son  Fils  :  et  comme  elle  a  cet  hon- 
neur d'être  la  mère  d'un  Fils  qui  n'a  point  d'autre  père  que 
Dieu,  de  là  vient  que  laissant  bien  loin  au-dessous  de  nous 
toute  la  nature,  nous  lui  avons  été  chercher  la  règle  de  son 
amour  dans  le  sein  du  Père  éternel.  Car  de  même  que  Dieu 
le  Père,  voyant  que  la  nature  humaine  touche  de  si  près  à 
son  Fils  unique,  étend  son  amour  paternel  à  l'humanité  du 
Sauveur  et  fait  de  cet  Homme-Dieu  l'unique  objet  de  ses 
complaisances,  comme  nous  l'avons  prouvé  par  le  témoignage 
des  Écritures,  ainsi  avons-nous  dit  que  la  bienheureuse 
Marie  ne  séparait  plus  la  divinité  d'avec  l'humanité  de  son 
Fils,  mais  qu'elle  les  embrassait  en  quelque  façon  toutes 
deux  par  un  même  amour.  Ce  sont  les  vérités  sur  lesquelles 
nous  avons  établi  l'union  de    Marie  avec    Dieu  :  en  voici 

les  fidèles.  De  cette  doctrine,  si  je  n'étais  pressé  de  finir  bientôt  ce  discours, 
que  j'aurais  à  vous  déduire  de  puissantes  considérations  pour  vous  faire  voir 
que  Marie  a  pour  nous  toute  la  bonté  d'une  mère  !  Et  pour  en  toucher  quelques 
principes  en  abrégé,  je  vous  prie  de  vous  souvenir  d'une  vérité  que  j'ai  établie 
dans  la  première  partie  par  un  témoignage  évident  des  Ecritures  divines,  à  savoir 
que  {i^ar.  J'ai  prouvé  par  le  témoignage  des  Ecritures  que)  Dieu  étend  son 
affection  paternelle  jusqu'à  l'humanité  de  son  Fils,  c'est-à-dire,  comme  nous 
l'avons  exposé,  que  Tobjet  de  ses  complaisances  est  un  Homme- Dieu  ;  que  son 
affection  ne  sépare  pas  la  nature  humaine  d'avec  la  nature  divine,  depuis  qu'une 
miraculeuse  union  les  a  rendues  inséparables.  A  cette  proposition,  j'en  ajoute 
maintenant  une  autre,  et  je  dis  que  le  Père  éternel  nous  aime  du  même  amour 
qu'il  a  pour  son  Fils  ;  ce  que  je  n'oserais  assurer,  si  je  ne  l'apprenais  de  la  propre 
bouche  du  Sauveur  dans  cette  belle  oraison  qu'il  adressa  pour  nous  à  son  Père  : 
Dileclio  qiia  dilexisti  me  in  ipsis  sii,  et  ego  in  ipsis  (Joan.,  XV H,  26)  :  Mon 
Père,  dit-il,  je  suis  en  eux  parce  qu'ils  sont  mes  membres  :  je  vous  prie  <L  que 
l'affection  par  laquelle  vous  m'avez  aimé  soit  en  eux  :  »  Dilectio  qua  dilexisti 
me  in  ipsis  sit,  et  ego  in  ipsis.  O  parole  d'une  charité  ineffiible  !  Notre-Seigneur 

I.  Pléonasme,  qu'on  retrouve  dans  la   Préface  de  V Histoire  des   ï'iri.ttiofis  : 
«  C^uand  on  ne  ferait  seulement  que  lire  les  titres  de  leurs  confessions  de  foi...  » 


ÇÔ  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


quelques  autres  qui  vous  feront  bien  voir  sa  charité  envers 
nous. 

Les  mcnies  Écritures  qui  m'apprennent  que  Dieu  aime 
en  quelque  façon  par  un  mcme  amour  la  divinité  et  l'huma- 
nité de  son  Fils,  à  cause  de  leur  société  inséparable  en  la 
personne  adorable  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  m'en- 
seii^ncnt  aussi  qu'il  nous  aime  par  le  même  amour  qu'il  a 
pour  son  Fils  unique  et  bien-aimé,  à  cause  que  nous  lui 
sommes  unis  comme  les  membres  de  son  corps  ;  et  c'est  de 
toutes  les  maximes  du  christianisme  celle  qui  doit  porter  le 
plus  haut  nos  courages  et  nos  espérances.  En  voulez-vous 
un  beau  témoignage  dans  la  bouche  même  de  Notre-Sei- 
aneur  ?  Écoutez  ces  belles  paroles  qu'il  adresse  à  son  Père, 
le  priant  pour  nous  :  Dilectio,  qua  dilexisti  me,  in  ipsis  su, 
et  ego  in  ipsis  if)  :  Mon  Père,  dit-il,  je  suis  en  eux,  parce  qu'ils 
sont  mes  membres;  je  vous  prie  «que  l'affection  par  laquelle 
vous  m'aimez  soit  en  eux.  »  Voyez,  voyez,  chrétiens,  et 
réjouissez-vous.  Notre  Sauveur  craint  que  l'amour  de  son 
Père  ne  fasse  quelque  différence  entre  le  chef  et  les  mem- 
bres ;  et  connaissez  par  là  combien  nous  sommes  unis  avec 
le  Sauveur,  puisque  Dieu  même,  qui  a  distingué  tous  les 
êtres  par  une  si  aimable  variété,  ne  nous  distingue  plus 
d'avec  lui,  et  répand  volontiers  sur  nous  toutes  les  douceurs 
de  son  affection  paternelle.  Que  s'il  est  vrai  que   Marie  ne 

a.  Joan.,  xvii,  26.  Ms.  in  eis.  (Cité  de  mémoire,  comme  à  la  Toussaint, 
1649.) 

ne  peut  souffrir  qu'on  le  sépare  de  nous  ;  il  a  peur  que  son  Père  ne  fasse  trop 
de  différence  entre  le  chef  et  ses  membres  ;  il  veut  qu'il  embrasse  et  le  Maître  et 
les  disciples  par  le  même  amour. 

De  là  que  conclurons-nous  à  l'honneur  de  Marie  ?  Une  conséquence  admira- 
ble, qui  suit  évidemment  de  quelques  maximes  que  je  pense  avoir  solidement 
établies  dans  le  premier  point,  et  qui,  vous  étant  proposées  pour  honorer  les 
merveilles  de  la  main  de  Dieu  dans  la  bienheureuse  Marie,  sont  certainement 
très  dignes  de  votre  audience.  Je  vous  ai  dit,  chrétiens,  que  la  maternité  de  la 
Vierge  n'ayant  point  d'exemple  sur  la  terre,  son  amour  maternel,  en  était  de 
même  ;  qu'il  surpassait  de  bien  loin  la  nature,  et  s'allait  régler  sur  l'amour  même 
du  Père  éternel.  Je  vous  ai  fait  voir,  par  une  considération  plus  sensible,  qu'étant 
la  meilleure  mère  qui  puisse  jamais  être  au  monde,  elle  étend  son  affection 
maternelle  à  tout  ce  qui  regarde  la  personne  de  son  Fils.  Joignez  maintenant 
ces  choses  à  ce  que  je  viens  de  vous  dire.  Nous  touchons  de  si  près  au  Sauveur 
qu'à  peine  se  peut-on  figurer  une  plus  étroite  union.  Il  est  en  nous  et  nous  en 
lui  ;  autant  qu'il  y  a  de  fidèles,  c'est  pour  ainsi  dire  autant  de  Jésljs-Chrisï  sur 


POUR  LA  FETE  DU  ROSAIRE.  97 


règle  son  amour  que  sur  celui  du  Père  éternel,  allez,  ô  fidèles, 
allez  à  la  bonne  heure  à  cette  Mère  incomparable  ;  croyez 
qu'elle  ne  vous  discernera  plus  d'avec  son  cher  Fils  :  elle 
vous  considérera  comme  «  la  chair  de  sa  chair,  et  comme  les 
os  de  ses  os  »,  ainsi  que  parle  l'Apôtre  ('"),  comme  des  per- 
sonnes sur  lesquelles  et  dans  lesquelles  son  sang  a  coulé;  et 
pour  dire  quelque  chose  de  plus,  elle  vous  regardera  comme 
autant  de  Jésus-Christ  sur  la  terre  :  l'amour  qu'elle  a  pour 
son  Fils  sera  la  mesure  de  celui  qu'elle  aura  pour  vous  ;  et 
partant  ne  craignez  point  de  l'appeler  votre  mère  :  elle  a  au 
souverain  degré  toute  la  tendresse  que  cette  qualité  demande. 
C'est,  si  je  ne  me  trompe,  ce  que  je  m'étais  proposé  de 
prouver  dans  cette  seconde  partie  ;  et  je  loue  Dieu  de  ce 
qu'il  nous  a  fait  la  grâce  d'établir  une  dévotion  sincère  à  la 
sainte  Vierge  sur  des  maximes  qui  me  semblent  si  chrétien- 
nes. Mais  prenez  garde  que  ces  mêmes  raisonnements,  qui 
doivent  nous  donner  une  grande  confiance  sur  l'intercession 
de  la  Vierge,  ruinent  en  même  temps  une  confiance  téméraire 
à  laquelle  quelques  esprits  inconsidérés  se  laissent  aveuglé- 
ment emporter.  Car  vous  devez  avoir  reconnu,  par  tout  ce 
discours,  que  la  dévotion  de  la  Vierge  ne  se  peut  jamais  ren- 
contrer que  dans  une  vie  chrétienne.  Et  combien  y  en  a-t-il 
qui,  abusés  d'une  créance  superstitieuse,  se  croient  dévots  à 
la  Vierge  quand  ils  s'acquittent  de  certaines  petites  pratiques, 
sans  se  mettre  en  peine  de  corriger  la  licence  ni  le  déborde- 
ment de  leurs  mœurs  ?  Que  s'il  y  avait  quelqu'un  dans  la 
compagnie  qui  fût  imbu  d'une  si  folle  persuasion,  qu'il  sache, 
qu'il  sache  que  puisque  leur  (')  cœur  est  éloigné  de  Jésus, 

a.  Efhes.^  v,  30. 

la  terre,  pourvu  qu'ils  ne  démentent  point  leur  profession  ;  et  c'est  un  point  capi- 
tal de  la  doctrine  chrétienne  :  nous  sommes  tellement  mêlés  et  confondus,  si 
j'ose  parler  de  la  sorte,  avec  le  Sauveur,  que  Dieu  même  qui  a  distingué  tous 
les  êtres  par  une  si  aimable  variété  ne  nous  distingue  plus  d'avec  lui,  et  ré|)and 
volontiers  sur  nous  toute  la  douceur  de  ses  affections  paternelles.  Partant,  ù 
fidèles,  allez  à  la  bonne  heure  à  Marie  ;  ne  craignez  point  de  l'appeler  votre 
mère  :  elle  a  au  souverain  degré  toute  la  tendresse  que  demande  cette  ([ualité.  > 

I.  Les  éditeurs  ont  corrigé  :  «  son  cœur...,  ses  prières  ».  Mais  on  peut  con- 
server la  lec^on  du  manuscrit,  et  entendre  :  le  ccuur,  les  prières  de  ceux  qui 
abusés  d'une  créance  superstitieuse,  etc.  Le  sens  est  le  même,  cl  le  tour  est 
moins  dur. 

Sermons  de  Bossuet.  7 


qS,  poru  T.A  tP.te  dit  rosaire. 


Marie  a  en  exécration  toutes  leurs  prières.  En  vain  tâchez- 
vous  de  la  contenter  de  quelques  crrimaces,  en  vain  l'appelez- 
vous  votre  Mère  par  une  pieté  simulée  :  quoi  !  auriez-vous 
bien  l'insolence  de  croire  que  ce  lait  viri^nnal  dût  couler  sur 
des  lèvres  souillées  de  tant  de  péchés  ?  qu'elle  voulût  em- 
brasser l'ennemi  de  son  bien-aimé  de  ces  mêmes  bras  dont 
elle  le  portait  dans  sa  tendre  enfance  ?  qu'étant  si  contraire 
au  Sauveur,  elle  voulût  vous  donner  pour  frère  au  Sauveur? 
Plutôt,  plutôt  sachez  que  son  cœur  se  soulève,  que  sa  face 
se  couvre  de  confusion,  lorsque  vous  l'appelez  votre  mère. 

Car  ne  pensez  pas,  chrétiens,  qu'elle  admette  tout  le  mon- 
de indifféremment  au  nombre  de  ses  enfants  :  il  faut  passer 
par  une  épreuve  bien  difficile,  avant  que  de  mériter  cette 
qualité.  Savez-vous  ce  que  fait  la  bienheureuse  Marie,  lors- 
que quelqu'un  des  fidèles  l'appelle  sa  mère  ?  Elle  l'amène  en 
présence  de  notre  Sauveur  :  Ça,  dit-elle,  si  vous  êtes  mon 
fils,  il  faut  que  vous  ressembliez  à  Jésus  mon  bien-aimé. 
Les  enfants,  même  parmi  les  hommes,  portent  souvent  im- 
primés sur  leurs  corps  les  objets  qui  ont  possédé  l'imagina- 
tion de  leurs  mères.  La  bienheureuse  Marie  est  entièrement 
possédée  du  Sauveur  Jésus;  c'est  lui  seul  qui  domine  en  son 
cœur,  lui  seul  règne  sur  tous  ses  désirs,  lui  seul  occupe  et 
entretient  toutes  ses  pensées  :  elle  ne  pourra  jamais  croire 
que  vous  soyez  ses  enfants,  si  vous  n'avez  en  votre  âme 
(quelques  linéaments  de  son  Fils.  Que  si,  après  vous  avoir 
considérés  attentivement,  elle  ne  trouve  sur  vous  aucun  trait 
(^ui  ait  rapport  à  son  Fils,  ô  Dieu  !  quelle  sera  votre  confu- 
sion, lorsque  vous  vous  verrez  honteusement  rebutés  de 
devant  sa  face,  et  qu'elle  vous  déclarera  que,  n'ayant  rien  de 
son  Fils  et,  ce  qui  est  plus  horrible,  étant  opposés  à  son  Fils, 
vous  lui  êtes  insupportables  ! 

Au  contraire,  elle  verra  par  exemple  une  personne  (des- 
cendons dans  quelque  exemple  particulier)  qui,  pendant  les 
calamités  publiques  ('),  telles  que  sont  celles  où  nous  nous 
voyons  à  présent,  considérant  tant  de  pauvres  gens  réduits 
à  d'étranges  extrémités,  en  ressent  son  âme  attendrie,   et 

I.  La  misère  était  extrême  à  Paris  depuis  1649.  (Cf.  Faillon,  Vu  de  M.  Olter, 
U,  502-506.;  —  La  parenthôse  est  peut  être  une  variante  dans  cette  phrase. 


POUR  LA  FKTE  DU   KOSAIKK.  99 


ouvrant  son  cœur  sur  la  misère  du  pauvre  par  une  compas- 
sion véritable,  élargit  en  même  temps  ses  mains  pour  le 
soulager:  Oh!  dit-elle  incontinent  en  soi-même,  il  a  pris  cela 
de  mon  Fils,  qui  ne  vit  jamais  de  misérable  qu'il  n'en  eût 
pitié.  «  J'ai  compassion  de  cette  troupe,  »  disait-il  ('')  ;  et  à 
même  temps  il  leur  faisait  donner  tout  ce  que  ses  apôtres 
lui  avaient  gardé  pour  sa  subsistance,  qu'il  multiplie  même 
par  un  miracle,  afin  de  les  assister  plus  abondamment.  Elle 
verra  un  jeune  homme  qui  aura  la  modestie  peinte  sur  le 
visage  ;  quand  il  est  devant  Dieu,  c'est  avec  une  action  toute 
recueillie  ;  lui  parle-t-on  de  quelque  chose  qui  regarde  la 
gloire  de  Dieu,  il  ne  cherche  point  de  vaines  défaites,  il  s'y 
porte  incontinent  avec  cœur.  Oh  !  qu'il  est  aimable  !  dit  la 
bienheureuse  Marie  ;  ainsi  était  mon  Fils  lorsqu'il  était  en 
son  âge,  toujours  recueilli  devant  Dieu  :  dès  l'âge  de  douze 
ans,  il  quittait  parents  et  amis,  pour  aller  vaquer,  disait-il, 
aux  affaires  de  son  Père  {^').  Surtout  elle  en  verra  quelque 
autre  dont  le  soin  principal  sera  de  conserver  son  corps  et 
son  âme  dans  une  pureté  très  entière  ;  il  n'a  que  de  chastes 
plaisirs,  il  n'a  que  des  amours  innocentes  ;  Jésus  possède  son 
cœur,  il  en  fait  toutes  les  délices  :  parlez-lui  d'une  parole 
d'impureté,  c'est  un  coup  de  poignard  à  son  âme  ;  vous  ver- 
rez incontinent  qu'il  s'arme  de  pudeur  et  de  modestie  contre 
de  telles  propositions.  Voilà,  chrétiens,  voilà  un  enfant  de  la 
Vierge  :  comme  elle  s'en  réjouit  !  comme  elle  s'en  glorifie  ! 
comme  elle  en  triomphe  !  avec  quelle  [joie]  elle  le  présente  à 
son  bien-aimé,  qui  est  par-dessus  toutes  choses  passionné 
pour  les  âmes  pures  ! 

C'est  pourquoi  excitez-vous,  chrétiens,  à  l'amour  de  la 
pureté  ;  vous  particulièrement,  qu'une  sainte  affection  pour 
Marie  a  attirés  dans  une  société  qui  s'assemble  sous  son 
nom,  pour  se  perfectionner  dans  la  vie  chrétienne  (').  C'est 
votre  zèle  qui  a  aujourd'hui  orné  ce  temple  sacré,  dans  lequel 
nous  célébrons  les  grandeurs  de  la  majesté  divine.    Mais 


a.  Marc,  viii,  2.  —  b.  Luc,  11,  49. 

I.  La  confrérie  du  Rosr.ire  instituée  par  îS'irolas  Corncl  il.ms  le  collèi;c  de 
Navarre,  et  dont  Bossuct  était  directeur,  dei)uib  son  diaconat,  i  l-loqucl,  ICtuMs 
sur  Ifi  vie  de  Bossuct,  I,  129.; 


lOO 


POUR   I  A  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


considérez  que  vous  ave/  un  autre  temple  à  parer,  dans 
lequel  Ji':sus  habite,  sur  lequel  le  Saint-Esprit  se  repose.  Ce 
sont  vos  corps,  mes  chers  frères,  que  le  Sauveur  a  sanctifiés, 
afm  (jue  vous  eussiez  du  respect  pour  eux  ;  sur  lesquels  il  a 
versé  son  sani^,  afin  (jue  vous  les  tinssiez  nets  de  toute  souil- 
lure ;  (]u'il  a  consacrés,  pour  en  faire  les  temples  vivants  de 
son  Saint-Esprit:  afin  que,  les  ayant  ornés  en  ce  monde 
d'innocence   et  d'intégrité,  il  les  ornât  en  l'autre  d'immorta- 


ité  et  de  gloire. 


^^^^^^^L^^^^É^  ^^.  '^.  ^^.  --'^  ^:St  .^  .^  .^  .:■ 


FRAGMENT    d'un    SERMON  C)    sur 


LA   PURIFICATION    DE    LA    SAINTE 


VIERGE.  Prêché  à  Navarre,  la  veille  de  la  fête, 


'h 

'H 

'h 


{V  février,   1652). 

Rossuct  ayant  repris  ce  sujet  l'année  suivante  devant  les  reli^rieu- 
scs  de  la  Propaç^ation  de  la  Foi,  à  Metz,  n'a  gardé  de  sa  composition 
primitive  que  la  conclusion,  et  une  vini^taine  de  lignes  qui  se  trou- 
vaient sur  les  mêmes  feuilles.  Nous  donnerons  cette  conclusion  avec 
le  sermon  auquel  il  l'a  lui-même  rattachée.  Voici  le  fragment  qui  la 
précède,  et  que  les  éditeurs  ont  eu  tort  d'introduire  dans  le  sermon 
de  1653,  avec  lequel  il  est  inconciliable,  puisqu'il  désigne  clairement 
un  autre  auditoire,  et  la  veille  de  la  fête,  non  le  jour,  qui  sera  nette- 
ment indiqué  au  début  du  sermon. 


[  T  A  sainte  Vierge  entendant  une  prophétie  si  lugubre, 
1 /  et  en]  cela  plus  terrible  que  n  énonçant  rien  en  particu- 
lier, elle  laissait  à  appréhender  toutes  choses  ('),  ne  s'informe 
point  quels  seront  donc  ces  accidents  si  étranges;  mais  s  étant 
une  bonne  fois  abandonnée  entre  les  mains  de  Dieu,  elle  se 
soumet  de  bon  cœur,  sans  s'en  enquérir,  à  ce  qu'il  lui  plaira 
ordonner  de  son  Fils  et  d'elle. 

C'est  ici,  c'est  ici,  chrétiens,  à  propos  de  cette  offrande 
parfaite,  que  je  vous  veux  sommer  de  votre  parole,  et  vous 
faire  souvenir  de  ce  que  vous  avez  fait  devant  ces  autels. 
Lorsque  vous  avez  été  agrégés  à  la  confrérie,  n'avez- vous 
pas  protesté  solennellement  que  vous  réformeriez  votre  vie  ? 
Or  en  vain  faisons-nous  de  si  magnifiques  promesses,  en 
vain  nous  mettons-nous  sous  la  jorotection  d(^  Marie,  en  vain 
la  prenons-nous  pour  notre  exemplaire,  en  vain  nous  assem- 
blons-nous pour  écouter  la  parole  de  Dieu,  si  on  \oit  tou- 
jours les  mômes  dérèglements  dans  nos  mœurs.  C'est  pour- 
quoi aujourd'hui  que  la  très  innocente    Marie  présente  son 


1.  Afss.   12825,  f.   164  et  165. 

2.  J'^tir.  les  dernières  extrémités. 


I02 


■l'KIl  ICATION.  FRAGMENT. 


Fils  à  Dieu,  ciu'c'lle  se  dédie  elle-même  à  sa  majesté,  ser- 
vons-nous d'une  occasion  si  favorable  ;  et  renouvelant  tout 
cr.  i\ur  nous  avons  jamais  fait  de  bonnes  résolutions,  dé- 
vouons-nous pour  toujours  au  service  de  Dieu  notre  Père. 
Mais  je  ne  m'aperçois"  pas  que  ce  discours  est  trop  long,  et 
que  je  dois  quelques  paroles  d'exhortation  à  ceux  qui, 
invités  par  la  solennité  de  demain,  désirent  participer  à  nos 
redoutables  mystères. 

Chrétiens,  si  vous  désirez...  (  l 'oj'.  la  S2iilc  au  2  février, 

1653.; 


.^,  ^^^^  :^,  :;^  :^,  ^  ^,  ^^  ^  ^  -^  :^  ,^ 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI-SAINT('), 

1652. 


fer 


C'est  le  premier  sermon  de  Bossuet  prêtre.  Il  avait  été  ordonné 
quinze  jours  auparavant  (samedi  de  la  Passion,  i6  mars.  —  Cf. 
Lettre  à  la  sœur  Cornumi,  du  4  août  1692).  Ecrit  et  prononcé  encore 
à  Navarre,  oia  l'on  prêchait  la  veille  des  fêtes.  Du  reste,  comme  dans 
le  discours  précédent,  le  jeune  orateur  se  préoccupe  surtout  de  la 
partie  laïque  de  son  auditoire. 

Sommaire  :  (-)  C/iristus  restirgens.  Samedi-Saint. 

[i^"*  Point.]  Pourquoi  la  conversion  est  appelée  mort  :  pour  trois 
raisons:  i*"  d'une  propriété  du  péché,  2""  de  la  qualité  du  remède, 
3"  regarde  l'instruction  du  pécheur  (p.  6). 

1.  Le  péché  vient  par  l'origine,  donc  doit  être  détruit  par  une 
espèce  de  mort  (p.  8,  9). —  État  de  l'homme  aussitôt  après  le  péché  : 
la  honte  jusqu'alors  inconnue  fut  la  première  de  ses  passions  qui  lui 
décela  la  conspiration  de  toutes  les  autres  :  N'ihil  priniiun  sensit 
quam  enibescenduin.  TertuU.,  <r/^  Virg.  veL,  10  (leg.  11).  —  (p.  7). 

2.  Péché  ne  peut  être  guéri  que  par  la  mort  du  Sauveur  et  notre 
configuration  avec  sa  mort  (p.  10,  i  r,  12).  Image  de  mort  en  nous, 
conformément  à  Jf^sus-CiiKlsT  Tp.  14). 

3.  La  conversion  n'est  pas  un  changement  superficiel,  c'est  une 
mort  (p.  16,  17,  18,  19).  —  Réjouissance  charnelle  des  chrétiens  à 
Pâques  (p.  20,  21). 

[2'^  Point.]  Dieu  est  notre  vie  (p.  24,  25).  —  Eucharistie  (p.  26,  27). 


Christiis  resnrgeits  ex  inortuis  jam 
non  nioritnr^  mors  il li  ultra  non  donii- 
7iabitur  :  qttod  eni'm  mortuus  est  pec- 
cato,  mortuus  est  semel ;  quod  autem 
vivit^  vivit  Deo.   (Rom.,  vi,  9  et   10.) 

QUAND  je  vois(')   ces  riches  tombeaux  sous  lesquels 
les  grands  de  la  terre  semblent  vouloir  cacher  la  honte 
*^^^     de  leur   pourriture,  je   ne   puis   assez  m'étonner   d(^ 
l'extrême  folie  des  hommes  qui   ériore  (')  d(^  si   mao-nifuiucs 

1.  Mss.  12824,  f.  4-25,  excepté  la  f.  5,  qui  appartient  au  sermon  de  PAciucs  1654. 
In-4'^  sans  marge  ;  pagine  à  r(5po([ue  des  sommaires  (1662.) 

2.  F.  4.  Donné,  mais  peu  exactement,  par  Lâchai  (X,  92). 

3.  Les  éditeurs,  intitulant  cette  œuvre  P)einier  sermon  pour  le  Jour  de 
Pâques^  renvoient  en  note  ce  qui  est  spécial  au  Samedi-.Sainl.  A  la  pla<o  (\q 
cet  avant-propos,  ils  donnent  celui  de  1654. 

4.  Edit.  qui  érigent. 


I04 


rOUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


trophées  ri  un  ptMi  dr  cendre  et  à  quelques  vieux  ossements. 
En  vain  enrichil-on  leurs  cercueils  de  marbre  et  de  bronze  ; 
en  vain  dci^niise-t-on  la  funèbre  idée  qu'ils  jettent  dans  nos 
esprits  par  ces  noms  superbes  de  monuments  et  de  mauso- 
lées :  ce  ne  sont  après  tout  que  les  écueils  où  se  vont  briser 
toutes  les  grandeurs  humaines  (').  Cette  pompe  ne  produit 
autre  chose  sinon  que  les  vers  en  sont  servis  plus  honorable- 
ment, et  que  les  marques  de  corruption  en  sont  plus  illustres. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  du  sépulcre  de  mon  Sauveur.  La  mort 
a  déjà  eu  assez  de  pouvoir  sur  son  corps;  elle  lui  a  ôté  la  vie, 
elle  ne  pourra  pas  le  corrompre  ;  et  nous  lui  pouvons  adres- 
ser cette  parole  de  Job  :  «  Tu  iras  jusques-là,  et  ne  passeras 
pas  plus  outre  ;  »  cette  pierre  donnera  des  bornes  à  ta  furie, 
et,  à  ce  tombeau,  comme  à  un  rempart  invincible,  «  seront 
rompus  tes  efforts  :  »  C/sç7ce  kuc  ventes,  et  non  procèdes  ain- 
plius  :  et  hic  [p.  2]  (^)  confringes  tumentes  fluctus  titos  {^). 

C'est  pourquoi  le  Sauveur  Jésus,  qui  a  subi  volontaire- 
ment une  mort  infâme,  veut  après  cela  que  son  sépulcre  soit 
honorable  :  Erit  sepiilchriim  ejus  gloriostun  (^).  Il  veut  qu'il 
soit  situé  au  milieu  d'un  jardin  ;  taillé  tout  nouvellement  dans 
le  roc.  Il  désire  qu'il  soit  vierge  comme  le  ventre  de  sa  mère, 
et  que  personne  n'y  ait  été  posé  devant  lui.  De  plus  il  faut  à 
son  corps  cent  livres  d'onguents  précieux,  et  un  linge  très  fin 
et  très  blanc  pour  l'envelopper.  Après  qu'il  s'est  soûlé  de 
douleurs  et  d'opprobres  durant  le  cours  de  sa  vie,  vous  diriez 
qu'il  soit  devenu  délicat  dans  sa  sépulture.  N'est-ce  pas  pour 
nous  faire  entendre  qu'il  se  prépare  un  lit  plutôt  qu'un  sépul- 
cre ?  Il  faut  qu'il  y  dorme  et  qu'il  y  repose  encore  quelque 
temps,  jusques  à  ce  que  l'heure  de  se  lever  soit  venue.  Nous 
aurons  jusques  à  la  nuit  quelque  reste  de  tristesse  :  Ad  ves- 
pcruni  deinorabitur  fletiis  ;  mais  demain  dès  le  matin  la  ré- 
surrection nous  comblera  d'une  sainte  réjouissance:  Ad 
matîitinnin  lœtitia  (^).  Que  ferons-nous  donc  amsi  partagés 
entre  la   tristesse  et  la  joie  ?   Si  nous  ne  parlons  que  de  sa 

a.  Job.,  XXXVIII,  w.  —  b.  h.,  XI,  10.  —  c.  Ps.,  xxix,  6. 

1.  Var.  toutes  leurs  grandeurs. 

2.  Quand  le  sommaire  renvoie  aux  pages,  nous  indiquons  la  pagination  du 
sermon  original.  —  M  s.  Ilhic  progredieris...  ilhic  confringes... 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


105 


résurrection,  notre  douleur  sans  doute  s'en  trouvera  offensée: 
que  si  nous  nous  contentons  de  nous  entretenir  de  sa  mort, 
notre  espérance  n'en  sera  pas  satisfaite.  Joignons-les  toutes 
deux,  chrétiens;  et  voyons  les  obligations  que  l'une  et  l'autre 
nous  impose. 

O  Marie,  nous  ne  craindrons  pas  de  nous  adresser  à  vous 
aujourd'hui  :  nous  savons  que  l'amertume  de  vos  douleurs 
est  bien  adoucie  !  Bientôt  vous  apprendrez  que  votre  Fils 
aura  pris  une  nouvelle  naissance,  et  vous  ne  porterez  point 
d'envie  à  son  saint  sépulcre  de  ce  qu'il  aura  été  comme  sa 
seconde  mère  ;  au  contraire  vous  n'en  recevrez  pas  moins  de 
joie  que  lorsque  l'Ange  vous  vint  annoncer  qu'il  naîtrait  de 
vous,  en  vous  adressant  ces  paroles  par  lesquelles  nous  vous 
saluons  :  Ave... 

[P.  3.]  Je  m'étonne  quelquefois,  chrétiens,  que  nous  ayons 
si  peu  de  soin  de  considérer  et  ce  que  nous  sommes  par 
la  condition  de  notre  naissance,  et  ce  que  nous  devenons 
par  la  grâce  du  saint  baptême.  Une  marque  évidente  que 
nous  n'avons  pas  bien  pénétré  le  mystère  de  notre  régé- 
nération, c'est  de  voir  les  divers  sentiments  des  auditeurs 
quand  on  vient  à  discourir  de  cette  matière.  Les  uns,  tout 
charnels  et  grossiers,  sitôt  qu'ils  entendent  parler  de  nou- 
velle vie,  et  de  résurrection  spirituelle,  et  de  seconde  nais- 
sance, demeurent  presque  interdits  ;  peu  s'en  faut  qu'ils  ne 
dient  (')  avec  Nicodème  :  «  Comment  se  peuvent  faire  ces 
choses  }  Quoi  !  un  vieillard  naîtra-t-il  encore  une  fois  }  faudra- 
t-il  que  nous  rentrions  dans  le  ventre  de  nos  mères  ('*)  }  >> 
Tels  étaient  les  doutes  que  se  formait  en  son  âme  ce 
pauvre  pharisien.  Les  autres,  plus  délicats,  reconnaissent  que 
ces  vérités  sont  fort  excellentes  ;  mais  il  leur  semble  que 
cette  morale  est  trop  raffinée,  qu'il  faut  renvoyc^r  ces  subti- 
lités dans  les  cloîtres,  pour  servir  de  matière  aux  méditations 
de  ces  personnes  dont  les  âmes  (-)  se  sont  plus  é,)Lirces  dans 
la  solitude.  Pour  nous,  diront-ils,  nous  avons  peine  à  goûter 

a.Joaiî.^  ni,  4. 

1.  Edit.  disent. 

2.  \\x7-.  au.\  mcditations  de  ces  âiiiCs  qui... 


I06  l'OUR  LE  SAMEUl-SAINT. 


toute  cette  mystagogic  (').  N'est-il  pas  vrai  que  c'est  la 
secrète  réflexion  de  quantité  de  personnes,  lorsqu'on  traite 
de  ces  mystères  ? 

pu'est-ce  a  dire  ceci,   chrétiens  ?  En  quelle  école   ont-ils 
été'élevés  ?  Ignorent-ils  qu'il  n'y  a  quasi  point  de  maximes 
que  les   saints  docteurs  de  l'Église  aient  plus  souvent   in- 
culquées; et  que  qui  ôterait  des  écrits  de  l'Apôtre  les  en- 
droits où  il  explique  cette  doctrine,  |  p.  4 1   ^^^^  seulement 
il  (■)  énerverait  ses  raisonnements  invincibles,    mais^  encore 
il  effacerait  la  plus  grande  partie  de  ses  divines  Épîtres  ? 
D'où   vient   donc,    j(^    vous    prie,    que    nous    avons   si  peu 
de   ooùt  pour  c(\s  vérités  ?  d'où  vient  cela,   sinon   du  dérè- 
crlement  de  nos  mcL'urs  ?  Sans  doute   nous  ne   permettons 
pas  à  l'esprit  de  Dieu  d'habiter  ni  assez  longtemps  m  assez 
profondément  dans    nos  âmes,   pour    nous  faire  sentir  ses 
divines  opérations  ;  car  le  Sauveur  ayant  dit  à  ses   apôtres 
qu'il  leur  enverrait  {')  «  cet  Esprit  consolateur  que  le  monde 
ne  connaissait  pas  :    pour  vous,    ajoute-t-il,    mes  disciples, 
vous  le  connaîtrez,  parce  qu'il  sera  en  vous  et  habitera  dans 
vos  cœurs  •  »  Vos  autem  cognoscetis  ettm  ;  quia  apud  vos  ma- 
ncbit,  et  in  vobis  erit  {^).  Par  où  nous  voyons  que  si  nous 
le  laissions  habiter  quelque  temps  dans  nos  âmes,  il  ferait 
sentir  sa  présence  par  les  bonnes   œuvres,  esquelles  (f)  sa 
main   puissante  porterait  nos  affections  ;  et  comme  il  n'y  a 
point  de  christianisme   en    nos    mœurs,    comme   nous   me- 
nons une  vie  toute  séculière  et  toute  païenne,  de  là  vient  que 
nous  ne  remarquons  aucun  effet  de  notre  seconde  naissance. 

Ainsi,  chrétiens,  pour  vous  instruire  de  ces  vérités,  le 
plus  court  serait  de  vous  renvoyer  à  l'école  du  Saint-Esprit 
et  à  une  pratique  soigneuse  des  préceptes  évangéliques.  Mais 
puisque  la  saine  doctrine  est  un  excellent  préparatif  à  la 
bonne  vie,  et  que  les  solennités  pascales,  que  nous  avons 
aujourd'hui  commencées,  nous  invitent  à  nous  [p.  5  |  entre- 

a.  Joaji.,  XIV,  16,  17. 

1.  On  dirait  aujourd'hui  tv  mysticisme^  ou  cette  mysticité. 

2.  Ms.  qu'il  énerverait...  qu'il  effacerait.  —  Distraction,  à  ce  qu'il  semble. 

3.  Ms.  envolerait  (enuoieroit).  —  Voy.  Remarques  su?'  la g7'ammaire...  (Introd.) 

4.  Diciit.,  quasi.,  esquelles...  tous  ces  archaïsmes  qui  vont  disparaître,  concou- 
rent avec  l'écriture  et  l'orthographe  à  fixer  la  date  de  cette  œuvre. 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT.  107 


tenir  de  ces  choses  :  écoutez  non  point  mes  pensées,  mais 
trois  admirables  raisonnements  du  grand  apôtre  saint  Paul. 
dont  il  pose  les  principes  dans  le  texte  que  j'ai  alléo^ué,  et 
en  tire  les  conséquences  dans  les  paroles  suivantes  :  «  Jksus 
est  mort,  dit-il,  et  c'est  au  péché  qu'il  est  mort,  »  inorhnis 
est  peccato  i^)  :  si  donc  nous  voulons  participer  à  sa  mort, 
il  faut  que  nous  mourions  au  péché  :  c'est  notre  première 
partie.  Ji^;sus  étant  mort  a  repris  une  nouvelle  vie,  et  cette 
vie  n'est  plus  selon  la  chair,  mais  entièrement  selon  Dieu, 
«  parce  qu'il  ne  vit  que  pour  r)ieu  :  »  qtiod  aittem  vivit,  vivit 
Deo  ('')  :  il  faut  donc  que  nous  passions  à  une  nouvelle 
vie,  qui  doit  être  toute  céleste  :  voilà  la  deuxième.  Jésus 
étant  une  fois  ressuscité,  «  ne  meurt  plus,  la  mort  ne  lui 
domine  plus  :  »  jam  non  morittir,  mors  illi  nitra  non  donii- 
nabitîir  (')  :  si  donc  nous  voulons  ressusciter  avec  lui,  il 
faut  que  nous  vivions  éternellement  à  la  grâce,  et  que  la 
mort  du  péché  ne  domine  plus  en  nos  âmes  :  c'est  par  on 
finira  ce  discours.  Le  Sauveur  est  mort,  mourons  avec  lui  ; 
il  est  ressuscité,  ressuscitons  avec  lui  ;  il  est  immortel, 
soyons  immortels  avec  lui.  Tâchons  de  rendre  ces  vérités 
sensibles  par  une  simple  et  naïve  exposition  de  quelques 
maximes  de  l'Évangile;  et  faisons  voir  en  peu  de  mots,  avant 
toutes  choses,  quelle  nécessité  il  y  a  de  mourir  avec  le 
Sauveur. 

PREMIER   POINT. 

D'où  vient  que  l'apôtre  saint  Paul  ne  parle  que  de  mort 
et  de  sépulture,  quand  il  veut  dépeindre  la  conversion  du 
pécheur,  et  pourquoi  a-t-il  toujours  à  la  bouche  qu'il  fuit 
mourir  au  péché  avec  Ji':sus-CiikisT  (U  crucific^r  le  vieil 
homme,  et  tant  d'autres  semblables  discours  (jui  d'abord 
[p.  6|  paraissent  étranges?  Car  s'il  ne  veut  dire  autre  chose 
sinon  que  nous  devons  (')  changer  nos  méchantes  inclinations, 
pour  quelle  raison  se  sert-il  si  souvent  d'un(î  façon  de  parler 
(jui  semble  si  fort  éloignée  ?  et  ce  changcmient  d'affections 
étant  si   commun   dans   la  vie.   humaine,  comuKMit  ne  Tex- 

(i.  Ro?n.,  vr,  10.     -  Ms.  pccrato  niortum  t'st.  —  b.  îhiiL        <-.  //'/</.,  n. 
l.  V(tr.  que  nous  sommes  obliges  tle  (hanger... 


I08  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


primo-t-il  i^as  m  termes  plus  familiers?  C'est  ce  qui  me 
fait  croire  que  ces  sortes  d'f^xpressions  ont  quelque  sens 
plus  caché  ;  et  sans  doute  il  ne  lésa  pour  ainsi  dire  affectées 
qu'afin  de  nous  inviter  à  en  pénétrer  le  secret.  Or  (')  pour 
:iv(^ir  une  pleine  intelligence  de  l'intention  de  l'Apôtre,  je 
me  sens  obligé  à  vous  représenter  deux  considérations 
imi)ortantes  :  par  la  prc^niére  je  vous  ferai  voir,  avec  l'as- 
sistance divine,  pour  quelle  raison  la  conversion  du  pécheur 
s'appelle!  une  mort,  et  elle  sera  tirée  d'une  propriété  du 
péché  ;  par  la  seconde,  je  tâcherai  de  montrer  que  nous 
sommes  obligés  de  mourir  au  péché  avec  le  Sauveur,  et 
celle-ci  sera  prise  de  la  qualité  du  remède  ;  de  ces  deux 
considérations,  il  en  naîtra  une  troisième  pour  l'instruction 
des  pécheurs. 

Tout  péché  doit  avoir  son  principe  dans  la  volonté  :  mais 
dans  l'homme  il  a  une  propriété  bien  étrange,  c'est  qu'il 
est  tout  ensemble  volontaire  et  naturel.  Les  pélagiens,  ne 
comprenant  point  cette  vérité,  ne  pouvaient  souffrir  que  l'on 
leur  parlât  de  ce  péché  d'origine  avec  lequel  nous  naissons, 
et  disaient  que  [p.  7]  cela  allait  à  l'outrage  de  la  nature,  qui 
est  r(i:uvre  des  mains  de  Dieu.  Ils  n'entendaient  pas  que 
la  source  du  genre  humain  étant  corrompue,  ce  qui  avait 
été  volontaire  seulement  dans  le  premier  père  avait  passé 
en  nature  à  tous  ses  enfants.  Qu'est-il  nécessaire  de  vous 
raconter  plus  au  long  l'histoire  de  nos  malheurs  ?  Vous  savez 
assez  que  le  premier  homme,  séduit  par  les  infidèles  con- 
seils de  ce  serpent  frauduleux,  voulut  faire  une  funeste  épreuve 
de  sa  liberté  ;  et  qu'usant  inconsidérément  de  ses  biens,  ce 
sont  les  propres  mots  du  saint  pontife  Innocent  (''),  il  ne  sut 

n.  Kpist.  xxixad  Concil.  Carthag.^  n.  6. 

I.  /  'ar.  J'en  trouve  trois  raisons  principales.  Je  tire  la  première  d'une  propriété 
que  le  péché  a  dans  les  hommes  ;  la  seconde,  de  la  qualité  du  remède  par 
lequel  nous  en  sommes  guéris  ;  la  troisième  regarde  une  instruction  du  pécheur 
qui  doit  être  changé.  Par  ces  trois  raisons  je  prétends  vous  faire  voir,  avec  l'assis- 
tance divine,  et  que  c'est  a  bon  droit  que  la  conversion  des  pécheurs  s'appelle  une 
mort,  et  que  la  mort  du  Fils  de  Dieu  nous  oblige  de  mourir  au  péché,  et  à  quelle 
sainteté  cette  oljligation  nous  engage.  Je  les  tirerai  des  vérités  les  plus  com- 
munes et  les  plus  connues  du  christianisme  ;  je  vous  prie  de  vous  y  rendre 
attentifs.  —  Sans  effacer  cette  première  rédaction,  le  jeune  orateur  y  a  substitué 
celle  que  nous  donnons  dans  le  texte. 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT.  IO9 

pas  reconnaître  la  main  qui  les  lui  donnait  :  de  sorte  que 
son  esprit  s'étant  élevé  contre  Dieu,  il  perdit  l'empire  na- 
turel qu'il  avait  sur  ses  appétits  ;  la  honte  ('),  qui  jusqu'à 
ce  temps-là  lui  avait  été  inconnue,  fut  la  première  de  ses 
passions  qui  lui  décela  la  conspiration  de  toutes  les  autres. 
Il  s'était  enflé  d'une  vaine  espérance  de  savoir  le  bien  et  le 
mal  :  et  il  arriva  par  un  juste  jugement  de  Dieu,  que  k(  la 
première  chose  dont  il  s'aperçut,  c'est  qu'il  fallait  rougir  :  ;> 
Nihil primuin  seiiserunt  quant  erubescejuhcm  (''),  dit  Fertul- 
lien  (^).  Cela  est  bien  étrange.  Il  remarqua  incontinent  sa 
nudité,  ainsi  que  nous  apprend  l'Ecriture  (''')  :  c'est  qu'il 
commença  à  sentir  une  révolte  à  laquelle  il  ne  s'attendait 
pas  ;  et  la  chair  s'étant  soulevée  inopinément  contre  la 
raison,  il  était  confus  de  ce  qu'il  ne  [p.  8J  pouvait  la  réduire. 
Mais  je  ne  m'aperçois  pas  que  je  m'arrête  peut-être  trop 
à  des  choses  qui  sont  très  connues  :  il  suffit  présentement 
que  vous  remarquiez  que  nous  naissons  tous,  pour  notre 
malheur,  de  ces  passions  honteuses  qui,  étant  suscitées  par 
le  péché,  s'élèvent  dans  la  chair,  à  la  confusion  de  l'esprit. 
Cela  n'est  que  trop  véritable  ;  et  voici  le  raisonnement  que 
saint  Augustin  en  tire  après  le  Sauveur.  «  Oui  naît  de  la 
chair  est  chair,  »  dit  Notre-Seigneur  en  saint  Jean  (")  : 
Quod  uatîtm  est  ex  carne,  cai^o  est.  Que  veut  dire  cela?  La  chair 
en  cet  endroit,  selon  la  phrase  de  l'Ecriture,  signifie  ces 
inclinations  corrompues  qui  s'opposent  à  la  loi  de  Dieu:  c'est 
donc  comme  si  notre  Maître  avait  dit  plus  expressément  :  O 
vous,  hommes  misérables,  qui  naissez  de  cette  révolte,  vous 
naissez  par  conséquent  rebelles  contre  Dieu,  et  ses  ennemis: 
Quod  natum  est  ex  carne,  caro  est  :  vous  recevez  en  même 
temps  et  par  les  mêmes  canaux  et  la  vie  du  corps  et  la  mon 
de  l'âme  :  qui  vous  engendre  vous  tue;  et  la  masse  dont  \'ous 
êtes  formés  étant  infectée  dans  sa  source,  le  péché  s'attache 
et  s'incorpore  à  votre  nature.  De  là  cette  profonde  igno- 
rance, de   là  ces   chutes   continuelles,   de  là  ces    cupidités 

a.  De  veland.  Virg,,  n.  11.  —  b.  Crcncs.,  ui,  7.  —  c.  Joan.,  ni,  6.  —  S.  Au^., 
seim.  CLXXiv,  n.  9  ;  —  serm.  ccxciv,  n.  16. 

1.  Soulij^nc  au  ms.  pour  rimporlance.  Cf.  le  sommaire. 

2.  Ms.  'Y^x\.\x\\\\x\\  passini. 


1  ]o  l'^'UU  LE  SAMEDI-SAINT. 


cffrcnécs  (jiii  loin  toiii  le  iroubU'  cl  toutes  les  tempêtes  delà 
vie  humaine  :  Oiiod  na/uni  es/  ix  carne,  caro  est  ;  et  voyez, 
s'il  vous  plaît,  o\\  va  cette  conséquence. 

Les  philosophes  enseignent  que  la  naissance  et  la  mort 
[p.9  [conviennent  aux  mêmes  sujets.  Tout  ce  qui  meurt  prend 
naissance,  tout  ce  qui  prend  naissance  peut  mourir  :  c'est  la 
mort  qui  nous  ôte  ce  que  la  naissance  nous  donne.  Vous 
êtes  homme  par  votre  naissance  ;  vous  ne  cessez  d'être 
homme  que  par  la  mort  ;  l'union  de  Tâme  et  du  corps  se  fait 
par  la  naissance;  aussi  est-ce  la  mort  qui  en  fait  la  dissolu- 
tion. Or,  jusqu'à  ce  que  la  nature  soit  guérie,  être  homme 
et  être  pêcheur  c'est  la  même  chose  :  l'âme  ne  tient  pas  plus 
au  corps,  que  le  péché  et  ses  mauvaises  inclinations  s'atta- 
chent, pour  ainsi  dire,  à  la  substance  de  1  ame.  Que  si  le 
péché  a  sa  naissance,  il  aura  par  conséquent  sa  vie  et  sa 
mort.  Il  a  sa  naissance  par  la  nature  corrompue,  sa  vie  par 
nos  appétits  déréglés  ;  ce  n'est  donc  pas  sans  raison  que  nous 
appelons  une  mort  la  guérison  qui  s'en  fait  par  la  grâce 
médicinale  qui  délivre  notre  nature  :  par  où  vous  voyez  que 
ce  n'est  pas  sans  raison  que  la  conversion  du  pécheur  s'ap- 
pelle une  mort.  C'est  pourquoi  je  ne  m'étonne  plus,  grand 
Apôtre,  si  vous  la  nommez  ordinairement  de  la  sorte  :  vous 
nous  voulez  faire  entendre  combien  nos  blessures  sont  pro- 
fondes, combien  le  péché  et  l'inclination  au  mal  nous  est 
devenue  naturelle,  et  que  naissant  avec  nous,  il  ne  faut  rien 
moins  qu'une  mort  pour  l'arracher  de  nos  âmes. 

Voilà  déjà,  ce  me  semble,  quelque  éclaircissement  de  la 
pensée  de  saint  Paul,  tiré,  à  la  vérité,  non  des  maximes 
orgueilleuses  de  la  sagesse  du  siècle,  mais  des  principes 
soumis  et  respectueux  de  l'humilité  chrétienne.  Nous  n'avons 
point  de  [p.  lo]  honte  d'avouer  les  infirmités  de  notre  nature  : 
que  ceux-là  en  rougissent  qui  ne  connaissent  pas  le  Libéra- 
teur. Pour  nous,  au  contraire,  nous  osons  nous  glorifier  de  nos 
maladies,  parce  que  nous  savons  et  la  miséricorde  du  Méde- 
cin et  la  vertu  du  remède.  Ce  remède,  comme  vous  le  savez, 
c'est  la  mort  de  Notre-Seigneur  ;  et  puisque  nous  voilà  tom- 
bés sur  la  considération  du  remède,  il  est  temps  désormais 
que  nous  entendions  raisonner  l'apôtre  saint  Paul:  «  Le  Fils 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT.  I  i  i 

de  Dieu,  dit-il,  est  mort  au  péché;»  niortuiis  est peccato;  <^  ainsi 
estimez,  conclut-il,  que  vous  êtes  morts  au  péché,  »  ita  et 
vos  existimate . .  mortuos  quideni  esse  peccato  i^).  Que  veut-il 
dire,  que  Notre-Seigneur  est  mort  au  péché,  lui  qui  dès  le 
premier  moment  de  sa  conception  a  toujours  vécu  à  la  grâce  ? 
Pour  pénétrer  sa  pensée,  il  est  nécessaire  de  reprendre  la 
chose  de  plus  haut,  et  de  vous  mettre  devant  les  yeux  quel- 
ques points  remarquables  de  la  doctrine  de  saint  Paul,  dans 
lesquels  j'entre  par  cet  exemple. 

[P.  1 1]  Si  jamais  vous  vous  êtes  rencontrés  dans  une  place 
publique  où  l'on  aurait  exécuté  quelque  criminel,  n'est-il  pas 
vrai  que,  par  la  qualité  de  la  peine,  vous  avez  souvent  jugé 
de  l'horreur  du  crime,  et  qu'il  vous  a  semblé  voir  quelque 
idée  de  leurs  forfaits  dans  les  marques  de  leurs  supplices 
et  dans  leurs  faces  défigurées  ?  Vous  êtes  surpris  peut-être 
que  je  vous  propose  un  si  funèbre  spectacle  :  c'est  pour  vous 
faire  avouer  qu'il  y  a  dans  la  peine  quelque  représentation 
de  la  coulpe.  Oserons-nous  bien  maintenant,  mon  Sauveur, 
vous  appliquer  cet  exemple?  Il  le  faut  bien,  certes,  puisque 
vous  avez  paru  sur  la  terre  comme  un  criminel.  Vous  avez 
désiré  vous  rendre  semblable  aux  pécheurs;  et  n'ayant  point 
de  péché,  vous  avez  voulu  néanmoins  en  subir  toutes  les 
peines  pendant  votre  vie  :  votre  sainte  chair  a  été  travaillée 
des  mêmes  incommodités  que  le  péché  seul  avait  attirées  sur 
la  nôtre  ;  c'est  pourquoi  saint  Paul  ose  dire,  que  vous  vous 
êtes  fait  «semblable  à  la  chair  du  péché,  »  in  snni/itudinc^n 
carnis peccati  i^).  Quelle  bonté,  chrétiens  !  Ce  n'a  pas  été 
assez  au  Fils  du  Père  éternel  de  revêtir  sa  divinité  d'une 
chair  humaine  ;  cette  chair  plus  pure  que  les  rayons  du 
soleil,  qui  méritait  d'être  ornée  d'immortalité  et  de  gloire,  il 
la  couvre  encore,  pour  l'amour  de  nous,  de  l'image  de  notre 
péché:  n'est-ce  pas  de  quoi  nous  confondrePQue  sera-ce  donc, 
si  nous  venons  à  considérer  cjue  c'est  parce  moyen  que  nos 
péchés  sont  guéris  '^  C'est  ici,  c'est  ici  le  trait  le  plus  merveil- 
leux de  la  miséricorde  divine. 

On  rapporte  ([ue  parfois   les  magiciens,  possédés   en  leur 
âme  d'un   désir  furieux  de  vengeance,  font  des   images  de 

a.  Roin.^  VI,  lo,  ii.  —  b.  Roin.^  VUI,  3. 


X  I  2  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 

cire  de  leurs  ennemis,  sur  lesquelles  ils  murmurent  quelques 
paroles  d'eni  hantcMneiU  ;  et  après,  ajoute-t-on,  frappant  ces 
statues,  la  blessure,  parmi  fatal  contre-coup,  en  retombe  sur 
l'orii^inal.  Est  ce  fable  ou  vérité,  je  vous  le  laisse  à  juger  : 
seulement  sais  je  bien  qu'il  s'est  passé  quelque  chose  de 
semblable  en  la  personne  de  mon  Maître  {'). 

Ou  était  l'imai^e  du  péché  ?  En  sa  chair  bénie.  Oi:i  était 
le  péché  même  ?  En  vous  et  en  moi,  chrétiens.  La  chair  du 
Sauveur,  celte  image  innocente  du  crime,  a  été  livrée  entre 
les  [p.  1  3]  mains  des  bourreaux,  pour  en  faire  à  leur  fantaisie  : 
ils  l'ont  frapi)ée,  le.s  coups  ont  porté  sur  le  péché  ;  ils  l'ont 
crucifiée,  le  péché  a  été  crucifié  ;  ils  lui  ont  arraché  la  vie,  le 
péché  a  perdu  la  sienne:  et  voilà  justement  ce  que  l'Apôtre 
veut  dire.  Le  Sauveur,  selon  sa  doctrine,  est  mort  au  péché, 
parce  (jue,  abandonnant  à  la  mort  sa  chair  innocente  qui  en 
était  l'image,  il  a  anéanti  le  péché.  Mais  pourrons-nous  con- 
clure de  là  «  qu'il  faut  que  nous  mourions  avec  lui,  »  ùa  et 
vos  existiniatc,  mortuos  qtiideni  esse  peccato  ?  Certainement, 
chrétiens,  la  conséquence  en  est  bien  aisée  ;  il  ne  faut  que  lever 
les  yeux,  et  regarder  notre  Maître  pendu  à  la  croix.  O  Dieu  ! 
comment  a-t-on  traité  sa  chair  innocente  !  Quelque  part  où 
je  porte  ma  vue,  je  n'y  saurais  remarquer  aucune  partie 
entière.  Quoi  !  parce  qu'elle  portait  l'image  du  péché,  il  a 
bien  voulu  qu'elle  fût  ainsi  déchirée,  et  nous  épargnerons  le 
péché  même  qui  vit  en  nos  âmes  !  nous  ne  mortifierons  point 
nos  concupiscences  :  (')  au  contraire,  nous  nous  y  laisserons 
aveuglément  emporter  !  Gardons-nous-en  bien  (^),  chrétiens; 
il  nous  faut  faire  aujourd'hui  un  aimable  échange  avec  le 
Sauveur.  Innocent  qu'il  était,  il  s'est  couvert  de  l'image  de 
nos  crimes,  subissant  la  loi  de  la  mort  ;  criminels  que  nous 
sommes,  imprimons  en  nous-mêmes  la  figure  de  sa  sainte 
mort,  afin  de  participer  à  son  [p.  14]  innocence.  Car  lorsque 
nous  portons  la  figure  de  cette  mort,  par  une  opération 
merveilleuse  de  l'esprit  de  Dieu  sa  vertu  nous  en  est  appli- 

1.  Ce  paragraphe  est  barré  dans  le  manuscrit  ;  apparemment  parles  éditeurs 
modernes.  Deforis  le  donne  sans  aucun  avis  au  lecteur. 

2.  Var.  nos  méchantes  inclinations. 

3.  Var.  Non,  non,  chrétiens. 


POUR  LE  SAMRDI-SAINT.  I  13 

quée.  C'est  pour  cela  que  l'Apôtre  nous  exhorte  à  porter 
l'image  de  Jésus  crucifié  sur  nos  corps  mortels,  à  avoir  sa 
mort  en  nos  membres,  à  nous  conformer  à  sa  mort  (''). 

Mais  quelle  main  assez  industrieuse  pourra  tracer  en  nous 
cette  aimable  ressemblance?  Ce  sera  l'amour,  chrétiens,  ce 
sera  l'amour.  Cet  amour  saintement  curieux  (')  ira  aujour- 
d'hui avec  Madeleine  adorer  le  Sauveur  dans  sa  sépulture  : 
il  contemplera  ce  corps  innocent  gisant  sur  une  pierre,  plus 
froid  et  plus  immobile  que  la  pierre  ;  et  là  se  remplissant 
d'une  idée  si  sainte,  il  en  formera  les  traits  dans  nos  âmes  et 
dans  nos  corps.  Ces  yeux  si  doux,  dont  un  seul  regard  a  fait 
fondre  saint  Pierre  en  larmes,  ne  rendent  plus  de  lumières  : 
l'amour  portera  la  main  sur  les  nôtres  ;  il  les  tiendra  clos  pour 
toute  cette  pompe  du  siècle  ;  ils  n'auront  plus  de  lumière 
pour  les  vanités.  Cette  bouche  divine,  de  laquelle  inondaient 
des  fleuves  de  vie  éternelle,  je  vois  que  la  mort  l'a  fermée  : 
l'amour  fermera  la  nôtre  à  jamais  aux  blasphèmes  et  aux 
médisances  ;  il  rendra  nos  cœurs  de  glace  pour  les  vains 
plaisirs  qui  ne  méritent  pas  ce  nom;  nos  mains  seront  immo- 
biles pour  les  rapines  ;  il  nous  sollicitera  de  nous  jeter  à  corps 
perdu  sur  cet  aimable  mort,  et  de  nous  envelopper  avec  lui 
dans  son  drap  mortuaire.  Aussi  bien  l'Apôtre  nous  apprend 
que  «  nous  sommes  ensevelis  avec  lui  par  le  saint  baptême  :  » 
Consepulti  ei  in  baptismo  (^). 

La  belle  cérémonie  qui  se  faisait  anciennement  dans 
l'Eglise  au  baptême  des  chrétiens  !  C'était  en  ce  jour  qu'on 
les  baptisait  dans  l'antiquité,  et  vous  voyez  que  [p.  1 5]  nous  en 
retenons  quelque  chose  dans  la  bénédiction  des  fonts  bap- 
tismaux. On  avait  accoutumé  de  les  plonger  tout  entiers  et 
de  les  ensevelir  sous  les  eaux  ;  et  comme  les  fidèles  les 
voyaient  se  noyer,  pour  ainsi  dire,  dans  les  ondes  de  ce 
bain  salutaire,  ils  se  les  représentaient  en  un  monient  tout 
changés  par  la  vertu  du  Saint-Esprit,  dont  ces  eaux  étaient 


a.  II  Cor.^  IV,  10;  Coloss.  ni,  5  ;  Rom.^  vil,  4.  —  b.  Coloss,.  il,  12.  —  Ms. 
Consepulti  Chris to . . . 

I.  l'ar.  Lorsque  nous  portons  la  figure  de  celte  mort,  la  vertu  nous  ouest 
appliquée.  Allons  donc  aujourd'hui  avec  Madeleine  adorer  notre  aimable  Sau- 
veur dans  sa  sépulture  :  contemplons  ce  corps  innocent  gisant,  etc. 

Sermons  de  Bossuct.  8 


I  14  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


animées  :  coiiimc  si  sortant  de  ce  monde  à  même  temps 
qu'ils  disparaissaient  de  leur  vue,  ils  fussent  allés  mourir  et 
s'ensevelir  avec  le  Sauveur.  Cette  cérémonie  ne  s'observe 
plus,  il  est  vrai  ;  mais  la  vertu  du  sacrement  est  toujours  la 
même,  et  partant  vous  devez  vous  considérer  comme  étant 
ensevelis  avec  Jksus-Ciirist. 

Encore  un  petit  mot  de  réflexion  sur  une  ancienne  céré- 
monie. Les  chrétiens  autrefois  avaient  accoutumé  de  prier 
debout  et  les  mains  modestement  élevées  en  forme  de  croix; 
et  vous  voyez  que  le  prêtre  prie  encore  en  cette  action 
dans  le  sacrifice.  Quelle  raison  de  cela  ?  11  me  semble  qu'ils 
n'osaient  se  présenter  à  la  majesté  divine  qu'au  nom  de 
Jksus  crucifié  :  c'est  pourquoi  ils  en  prenaient  la  figure,  et 
paraissaient  devant  Dieu  comme  morts  avec  Jésus-Christ; 
ce  qui  a  donné  occasion  au  grave  Tertullien  d'adresser  aux 
t)  rans  ces  paroles  si  généreuses  :  Paratus  est  ad  onine  sup- 
pi  ici  uni  ipse  Jiabitus  orantis  c  hris  liant  i^')  :  «  La  seule  pos- 
ture du  chrétien  priant  affronte  tous  vos  supplices  :  »  tant 
ils  étaient  persuadés,  dans  cette  première  vigueur  des  mœurs 
chrétiennes,  qu'étant  morts  avec  le  Sauveur,  ni  supplices  ni 
voluptés  ne  leur  étaient  rien.  Et  c'est  pour  le  même  sujet  (') 
qu'ils  prenaient  plaisir  en  toute  rencontre  [p.  16]  d'imprimer 
le  signe  de  la  croix  sur  toutes  les  parties  de  leurs  corps  : 
comme  s'ils  eussent  voulu  marquer  tous  leurs  sens  de  la 
marque  du  crucifié,  c'est-à-dire,  de  la  marque  et  du  caractère 
de  mort.  Pour  ( ')  la  cérémonie,  nous  l'avons  tous  les  jours 
en  usage  :  mais  nous  ne  considérons  guère  le  prodigieux 
détachement  qu'elle  demande  de  nous  ;  et  c'est  à  quoi 
néanmoins  l'apôtre  saint  Paul  nous  presse.  Il  faut  que  tout 
chrétien  meure  avec  Jésus-Christ.  Il  faut  qu'il  meure:  car 
le  péché  se  contractant  par  la  naissance,  il  ne  se  détache 
que  par  une  espèce  de  mort.  Il  faut  qu'il  meure:  car  il  faut 
qu'il  s'applique  et  la  ressemblance  et  la  vertu  de  la  mort  de 


a.  Apolog.^  n.  30. 

1.  En  nntt\  au  bas  de  la  page:  «  Et  c'est  ce  détachement  si  entier  que  l'Apôtre 
entreprend  de  nous  persuader  aujourd'hui.  » 

2.  Var...  de  mort.  Tant  y  a  qu'ils  n'avaient  rien  de  plus  présent  dans  l'esprit 
que  celle  pensée  ;  il  faut  que  tout  chrétien... 


rOUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


115 


notre  Sauveur,  qui  est  l'unique  guérison  de  ses  maladies. 
Voilà  déjà  deux  raisons:  la  première  est  tirée  d'une  propriété 
du  péché;  la  seconde,  de  la  qualité  du  remède.  Oublierons- 
nous  cette  instruction  particulière  que  nous  avons  promise  ? 
Elle  me  semble  trop  nécessaire  ;  et  ce  n'est  point  tant  une 
nouvelle  raison  qu'une  conséquence  que  nous  tirerons  des 
deux  autres. 

Ecoutez,  écoutez,  pécheurs,  la  grave  et  sérieuse  leçon  de 
cet  admirable  docteur:  puisqu'il  ne  nous  parle  que  de  mort 
et  de  sépulture,  ne  vous  imaginez  pas  qu'il  ne  demande  de 
nous  qu'un  changement  médiocre.  Où  sont  ici  ceux  qui 
mettent  tout  le  christianisme  en  quelque  réformation  exté- 
rieure et  superficielle,  et  dans  quelques  petites  pratiques  ? 
En  vain  vous  a-t-on  montré  combien  le  péché  tenait  à  notre 
nature,  si  vous  croyez  après  [p.  17]  cela  qu'il  ne  faut  qu'un 
léger  effort  pour  l'en  détacher  :  l'Apôtre  vous  a  enseigné  que 
vous  devez  traiter  le  péché  comme  Jésus-Christ  en  a  traité 
la  ressemblance  en  sa  sainte  chair.  Voyez  s'il  l'a  épargnée.: 
quel  endroit  de  son  corps  n'a  pas  éprouvé  la  douleur  de 
quelque  supplice  exquis  ?  Et  vous  ne  comprenez  pas  encore 
quelle  obligation  vous  avez  de  rechercher  dans  le  plus  secret 
de  vos  cœurs  tout  ce  qu'il  y  peut  avoir  de  mauvais  désirs, 
et  d'en  arracher  jusques  à  la  plus  profonde  racine  !  Oui,  je 
vous  le  dis,  chrétiens,  après  le  Sauveur  :  quand  cet  objet, 
qui  vous  sépare  de  Dieu,  vous  serait  plus  doux  que  vos 
yeux,  plus  nécessaire  que  votre  main  droite,  plus  aimable 
que  votre  vie,  coupez,  tranchez  :  Abscide  etun  (^\  Ce  n'est 
pas  sans  raison  que  l'Apôtre  ne  nous  prêche  que  mort  :  il 
veut  nous  faire  entendre  qu'il  faut  porter  le  couteau  jusqu'aux 
inclinations  les  plus  naturelles,  et  même  jusqu'à  la  source  de 
la  vie,  s'il  en  est  besoin. 

Saint  Jean  Chrysostome  fait,  à  mon  avis,  une  belle  ré- 
riexion  sur  ces  beaux  mots  de  saint  Paul  :  Milii  nuindiis  cnc- 
cifixus  esty  et  ego  miindo  (^')  :  «  Le  monde  m'est  crucifié,  et 
moi  au  monde  ;  »  entendez  toujours  par  le  monde  les  plaisirs 
du  siècle  :  «  Ce  ne  lui  était  pas  assez  d'avoir  dit  que  le  monde 
était  mort  pour  lui,  remarque  ce  saint  évêque  (  )  ;  il  faut 
a.  Matth.^  v,  30.  —  b.  Gal.^  vi,  14.  —  c.  Lib.  H  de  Compunct.^  n.  2. 


I  I  6  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


qu'il  ajoute  que  Ini-incmc  est  mort  au  monde.  Certes,  pour- 
suit le  merveilleux  interprète,  l'Apôtre  considérait  que  non 
seulement  les  vivants  ont  |  p.  icS  |  quelques  sentiments  les  uns 
pour  les  autres,  m.u's  qu'il  leur  reste  encore  quelque  affection 
pour  les  morts,  cju'ils  en  conservent  le  souvenir,  et  rendent 
du  moins  à  leurs  corps  les  honneurs  de  la  sépulture.  Telle- 
ment que  le  saint  Apôtre  pour  nous  faire  entendre  jusqu'à 
quel  point  le  fidèle  doit  être  dégagé  des  plaisirs  du  siècle  : 
Ce  n'est  pas  assez,  dit-il,  que  le  commerce  soit  rompu  entre 
le  monde  et  le  chrétien,  comme  il  l'est  entre  les  vivants  et 
les  morts,  parce  (ju'il  y  reste  encore  quelque  petite  alliance, 
mais  tel  qu'est  un  mort  à  l'égard  d'un  mort,  tels  doivent 
être  l'un  à  l'autre  le  siècle  et  le  chrétien.  »  Comprenez  (') 
l'idée  de  ce  grand  homme  :  et  voyez  comme  il  se  met  en 
peine  de  nous  faire  voir  que  pour  les  délices  du  monde,  le 
fidèle  y  doit  être  froid,  immobile,  insensible  :  si  je  savais 
quelque  terme  plus  significatif,  je  m'en  servirais. 

C'est  pourquoi  armez-vous,  fidèles,  du  glaive  de  la  justice; 
domptez  le  péché  en  vos  corps  par  un  exercice  constant  de 
la  pénitence.  Ne  m'alléguez  point  ces  vaines  et  froides 
excuses,  que  vous  en  avez  assez  fait,  et  que  vous  avez  dé- 
charcré  le  fardeau  de  vos  consciences  entre  les  mains  de  vos 
confesseurs.  Ruminez  en  vos  esprits  ce  petit  mot  d'Origène  : 
Ne  putes  (juoci  innovatio  semel  facta  sujficiat  :  ipsa,  ipsa  no- 
vif  as  innovaiida  est  (')  :  «  Il  faut  renouveler  la  nouveauté 
même  ;  »  c'est-à-dire  que  quelque  participation  que  vous  [p.  1 9J 
ayez  de  la  sainteté  et  de  la  justice,  fussiez-vous  aussi  juste 
comme  vous  présumez  de  l'être,  il  y  a  toujours  mille  choses 
à  renouveler  par  une  pratique  exacte  de  la  pénitence:  à  plus 
forte  raison,  êtes-vous  obligés  de  vous  y  adonner,  n'ayant 
point  expié  vos  fautes,  et  sentant  en  vos  âmes  vos  blessures 
toutes  fraîches,  et  vos  mauvaises  habitudes  encore  toutes 
vivantes.  Et  Dieu  veuille  que  vous  ne  le  connaissiez  pas  si 
tôt  par  expérience  ! 

1.  Var.  Telle  est,  dit  saint  Jean  Chrysostome,  la  philosophie  de  saint  Paul, 
par  laquelle  il  nous  fait  entendre  que  pour  les  délices... 

2.  Les  Bénédictins  donnent  le  texte  entier:  Neque  cnim  putes  quodinnovatio 
vilŒ  qiue  dicitîir  scniel facta  sujjlciat  :  scd  seniper  et  quotidk\  si  dicl  potest^  ipsa 
novitas  innovanda  est.  (Lib.  V,  in  Ep.  ad  Rom.^  n.  8.) 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT.  II  7 


Mais  il  me  semble  que  j'entends  ici  des  murmures. 
Quoi  !  encore  la  pénitence!  Eh  !  on  ne  nous  a  prêché  autre 
chose  durant  ce  carême  :  nous  parlera-t-on  toujours  de  péni- 
tence ?  Oui,  certes,  n'en  doutez  pas,  tout  autant  qu'on  vous 
prêchera  l'Évangile  et  la  mort  de  notre  Sauveur.  Tu 
t'abuses,  chrétien,  tu  t'abuses,  si  tu  penses  donner  d'autres 
bornes  à  ta  pénitence  que  celles  qui  doivent  finir  le  cours 
de  ta  vie.  Sais-tu  l'intention  de  l'Église  dans  l'établissement 
du  carême  ?  Elle  voit  que  tu  donnes  toute  l'année  à  des 
divertissements  mondains  :  cela  fâche  cette  bonne  mère. 
Que  fait-elle  ?  Tout  ce  qu'elle  peut  pour  dérober  six  se- 
maines à  tes  dérèglements.  Elle  te  veut  donner  quelque 
iT^oût  de  la  pénitence,  estimant  que  l'utilité  que  tu  recevras 
[p.  20]  d'une  médecine  si  salutaire  t'en  fera  digérer  l'amertume 
et  continuer  l'usage  :  elle  t'en  présente  donc  un  petit  essai 
pendant  le  carêm.e  ;  si  tu  le  prends,  ce  n'est  qu'avec  répu- 
gnance (')  :  tu  ne  fais  que  te  plaindre  et  murmurer  durant 
tout  ce  temps. 

Hélas  !  je  n'oserais  dire  quelle  est  la  véritable  cause  de 
notre  joie  dans  le  temps  de  Pâques.  Sainte  piété  du  chris- 
tianisme, en  quel  endroit  du  monde  t'es-tu  maintenant 
retirée  ?  On  a  vu  le  temps  que  Jésus  en  ressuscitant  trou- 
vait ses  fidèles  ravis  d'une  allégresse  toute  spirituelle,  parce 
qu'elle  n'avait  point  d'autre  sujet  que  la  gloire  de  son 
triomphe  :  c'était  pour  cela  que  les  déserts  les  plus  reculés 
et  les  solitudes  les  plus  affreuses  prenaient  une  face  riante. 
A  présent  les  fidèles  se  réjouissent  il  n'est  que  trop  vrai  : 
mais  ce  n'est  pas  vous,  mon  Sauveur,  qui  faites  leur  joie. 
On  se  réjouit  de  ce  qu'on  pourra  faire  bonne  chère  en 
toute  licence  :  plus  de  jeûnes,  plus  d'austérités.  Si  peu  de 
soin  que  nous  ayons  peut-être  apporté  durant  ce  carême 
à  réprimer  le  désordre  de  nos  appétits,  nous  nous  en  re- 
lâcherons tout  à  fait  :  le  saint  jour  de  Pâques,  destiné  pour 
nous  faire  commencer  une  nouvelle  vie  avec  le  Sauvcuir, 
I  p.  2  I  I  va  ramener  sur  la  terre  les  folles  délices  tlu  siècle, 
si  toutefois  nous  leur  avons  donné  quelque  trêve,  (^t   ens(!- 

I.   îur.  Tu  ne  le  prends  qu'à  ton  coi  ps  clcfciulanl. 


tl8  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


vclira  dans  l'oubli  la  mortification  et  la  pénitence  ;  tant  la 
discipline  est  énervée  parmi  nous  ! 

Ici  vous  m'arrêterez  peut-être  encore  une  fois,  pour  me 
dire:  Mais  ne  faut-il  pas  se  réjouir  dans  le  temps  de  Pâques  ? 
n'(\st-ce  pas  un  temps  de  réjouissance  ?  Certes,  je  l'avoue, 
chrétiens  :  mais  ignorez-vous  quelle  doit  être  la  joie  chré- 
tienne, et  combien  elle  est  différente  de  celle  du  siècle  ?  Le 
siècle  et  ses  sectateurs  sont  tellement  insensés,  qu'ils  se 
réjouissent  dans  les  biens  présents;  et  je  soutiens  que  toute 
la  joie  du  chrétien  n'est  qu'en  espérance.  Pour  quelle  raison  ? 
C'est  que  le  chrétien  dépend  tellement  du  Sauveur,  que  ses 
souffrances  et  ses  contentements  n'ont  point  d'autres  modèles 
que  lui.  Pourquoi  faut-il  que  le  chrétien  souffre  ?  Parce  que 
le  Sauveur  est  mort.  Pourquoi  faut-il  qu'il  ait  de  la  joie?  Parce 
que  le  même  Sauveur  est  ressuscité.  Or  sa  mort  doit  opérer 
en  nous  dans  la  vie  présente,  et  sa  résurrection  seulement 
dans  la  vie  future.  Grand  Apôtre,  c'est  votre  doctrine;  et  par- 
tant notre  tristesse  doit  être  présente,  notre  joie  ne  consiste 
que  dans  des  désirs  et  dans  une  généreuse  espérance  :  [p.  22] 
et  c'est  pour  cette  raison  que  (')  le  saint  Apôtre  dit  ces  deux 
beaux  mots,  décrivant  la  vie  des  chrétiens  :  Spe  gaudentes  ; 
et  incontinent  après,  in  tinbulatione patientes  (").  Savez-vous 
quelles  gens  ce  sont  que  les  chrétiens  ?  Ce  sont  des  personnes 
«  qui  se  réjouissent  en  espérance  »  :  et  en  attendant,  que  font- 
ils  (^)  ?  Ils  sont  «  patients  dans  les  tribulations  ».  Que  ces 
paroles,  mes  frères,  soient  notre  consolation  pendant  les  cala- 
mités de  ces  temps;  qu'elles  soient  aussi  la  règle  de  notre  joie 
durant  ces  saints  jours.  Ne  nous  imaginons  pas  que  l'Église 
nous  ait  établi  des  fêtes  pour  nous  donner  le  loisir  de  nous 
chercher  des  divertissements  profanes,  comme  la  plupart  du 
monde  semble  en  être  persuadé.  Nos  véritables  plaisirs  (^) 
[ne  sont  pas]  de  ce  monde  :  nous  en  pouvons  prendre  quel- 
que avant-goût  par  une  fidèle  attente,  mais  la  jouissance  en 

a.  Rom.,  XII,  12, 

1.  Var.  et  c'est  pourquoi. 

2.  Édi't.  que  sont-ils  ? 

3.  Var.  Considérons  que  nos  véritables  plaisirs  sont  réservés  pour  la  vie  future; 
seulement  il  nous  est  permis  d'en  prendre  quelque  avant-goût  par  une  attente 
fidèle. 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


119 


est  réservée  pour  la  vie  future.  Et  pour  ce  siècle  pervers 
dont  Dieu  abandonne  l'usage  à  ses  ennemis,  songeons  que 
la  pénitence  est  notre  exercice,  la  mort  du  Sauveur  notre 
exemple,  sa  croix  notre  partage,  son  sépulcre  notre  demeure. 
Ah!  ce  sépulcre,  c'est  une  mère:  mon  Maître  y  est  entré  mort, 
il  l'a  enfanté  à  une  vie  toute  divine  ;  il  faut  qu'après  y  avoir 
trouvé  la  mort  du  péché,  j'y  cherche  la  vie  [p.  23]  de  la 
grâce  :  c'est  notre  seconde  partie. 

DEUXIEME     ET    TROISIÈME    POINTS. 

Saint  Augustin  distingue  deux  sortes  de  vie  en  l'âme  : 
l'une,  qu'elle  communique  au  corps  ;  et  l'autre,  dont  elle  vit 
elle-même:  Aliud  est  enimin  anima  unde  corpus  vivificahiTy 
aiiud  tmde  ipsa  vivificatur  if)  ;  comme  elle  est  la  vie  du 
corps,  ce  saint  évêque  prétend  que  Dieu  est  sa  vie:  Vita 
corporis  anima  est,  vita  animœ  Deus  est  (''').  Expliquons, 
s'il  vous  plaît,  sa  pensée,  et  suivons  son  raisonnement.  Afin 
que  l'âme  donne  la  vie  au  corps,  elle  doit  avoir  par  néces- 
sité trois  conditions  :  il  faut  qu'elle  soit  plus  noble  ;  car  il 
est  plus  noble  de  donner  que  de  recevoir  :  il  faut  qu'elle 
soit  unie  ;  car  il  est  manifeste  que  notre  vie  ne  peut  être 
hors  de  nous  :  il  faut  qu'elle  lui  communique  des  opérations 
que  le  corps  ne  puisse  exercer  sans  elle  ;  car  il  est  certain 
que  la  vie  consiste  principalement  dans  l'action.  Que  si 
nous  trouvons  que  Dieu  a  excellemment  ces  trois  qualités  à 
l'égard  de  l'âme,  sans  doute  il  sera  sa  vie  à  aussi  bon  titre 
qu'elle-même  est  la  vie  du  corps.  Voyons  en  peu  de  mots  ce 
qui  en  est. 

Et  premièrement,  que  Dieu  soit,  sans  comparaison,  au- 
dessus  de  l'âme,  cela  ne  doit  pas  seulement  entrer  en  contes- 
tation. Dieu  ne  serait  pas  notre  souverain  bien,  s'il  n'était 
plus  noble  que  nous,  et  si  nous  n'étions  beaucoup  mieux  cmi  lui 
qu'en  nous- [p.  24]  mêmes.  Pour  l'union,  il  n'y  a  non  plus  di; 
sujet  d'en  douter  à  des  chrétiens  après  que  le  Sauveur  a  dit 
tant  de  fois  que  le  Saint-Esprit  habiterait  dans  nos  âmes  ('  ), 
et  l'Apôtre,    que  «  la  charité  a  été   répandue  en  nos  ccrurs 

a.  In  Joan.y  Tract.  XIX,  n.  12.  —  b.  Seim.  ci-Xi,  n.  6.  —  c.  Joan.,  xiv,  17. 


I20  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


par  le  Saint-Esprit  qui  nous  a  été  donné  {''),  »  Et,  en  vérité, 
Dieu  étant  tout  notre  bonheur,  il  faut  par  nécessité  qu'il  se 
j)uisse  unir  :i  nos  âmes  ;  parce  qu'il  n'est  pas  concevable  que 
notre  bonheur  et  notre  félicité  ne  soit  point  en  nous.  Reste 
donc  à  voir  si  notre  âme,  par  cette  union,  est  élevée  à  quel- 
(pie  action  de  vie  dont  sa  nature  soit  incapable.  Ne  nous 
éloignons  pas  de  saint  Augustin.  «  Certes,  dit  ce  grand 
homme.  Dieu  est  une  vie  immuable  ;  il  est  toujours  ce  qu'il 
est,  toujours  en  soi,  toujours  à  soi  :  »  Bs^  ipse  seinper  in  se, 
est  ita  nt  est,  non  aliter  nnnc,  aliter  postea,  aliter  a^itea  {^). 
Il  ne  se  peut  faire  que  l'âme  ne  devienne  meilleure,  plus 
noble,  plus  excellente,  s'unissant  à  cet  Etre  souverain,  très 
excellent,  et  très  bon  :  étant  meilleure,  elle  agira  mieux  ;  et 
vous  le  voyez  dans  les  justes  :  «  car  leur  âme,  dit  saint  Au- 
gustin, s'élevant  à  un  Être  qui  est  au-dessus  d'elle  et  duquel 
elle  est,  reçoit  la  justice,  la  piété,  la  sagesse  :  »  Cu7n  se  erigit 
ad  aliquid  qnoct  \ipsa  non  est,  et  çtiod^  supra  ipsam  est  et  a  quo 
ipsa  est,  percipit  sapientiain,justitiam,  pietatem  (^).  Elle  croit 
en  Dieu,  elle  espère  en  Dieu,  elle  aime  Dieu.  Parlons  mieux: 
comme  saint  Paul  dit  que  «  l'Esprit  de  Dieu  crie,  et  gémit, 
et  demande  en  nous,  »  Spii'itns  postulat  pro  Jtobis  (^),  aussi 
faut-il  dire  que  le  même  [p.  25]  Esprit  croit,  espère  et  aime 
en  nos  âmes,  parce  que  c'est  lui  qui  forme  en  nous  cette 
foi,  cette  espérance  et  ce  saint  amour.  Par  conséquent  aimer 
Dieu,  croire  en  Dieu,  espérer  en  Dieu,  ce  sont  des  opéra- 
tions toutes  divines,  que  l'âme  n'aurait  jamais,  sans  l'opéra- 
tion, sans  l'union,  sans  la  communication  de  l'Esprit  de  Dieu. 
Ce  sont  aussi  des  actions  de  vie,  et  d'une  vie  éternelle.  Il 
est  donc  vrai  que  Dieu  est  notre  vie. 

O  joie  !  ô  félicité  !  qui  ne  s'estimerait  heureux  de  vivre 
d'une  telle  vie?  qui  ne  la  préférerait  à  toutes  sortes  de  biens? 
qui  n'exposerait  plutôt  mille  et  mille  fois  cette  vie  mortelle 
que  de  perdre  une  vie  si  divine  ?  Cependant  notre  premier 
père  l'avait  perdue  pour  lui  et  pour  ses  enfants.  Sans  le  Fils 
de  Dieu,  nous  en  étions  privés  à  jamais.  Mais  «  Je  suis  venu, 
dit-il,  afin  qu'ils  vivent,  et  qu'ils  vivent  plus  abondamment:» 

a.  Rofn.,  V,  5.  —  b.  In  Joan.  Tract,  xix,  n.  1 1.  M  s.  Ipse  est..,  non  aliter  antea, 
aliter postea.  —  c.  Ibid.,  n.  12.  —  d.  Rom.,  vni,  26. 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT.  121 

Ego  veni  ut  vitam  habeant,  et  abundanthis  habeant  {^\  En 
effet,  j'ai  remarqué  avec  beaucoup  de  plaisir  que  dans  tous 
les  discours  du  Sauveur  qui  nous  sont  rapportés  dans  son 
Évangile,  il  ne  parle  que  de  vie,  il  ne  promet  que  vie.  D'où 
vient  que  saint  Pierre,  lorsqu'il  lui  demande  s'il  le  veut  quit- 
ter :  «  Maître,  où  irions-nous?  dit-il  :  vous  avez  des  paroles 
de  vie  éternelle  (^').  »  Et  le  Fils  de  Dieu  lui-même  :  «  Les 
paroles  que  je  vous  dis,  sont  esprit  et  vie  [').  »  C'est  qu'il 
savait  bien  que  les  hommes  [p.  26]  n'ayant  rien  de  plus  cher 
que  vivre,  il  n'y  a  point  de  charme  plus  puissant  pour  eux  que 
cette  espérance  de  vie.  Ce  qui  a  donné  occasion  à  Clément 
Alexandrin  de  dire  dans  cette  belle  hymne  qu'il  adresse  à 
Jésus  le  roi  des  enfants,  c'est-à-dire  des  nouveaux  baptisés, 
que  «  ce  divin  Pêcheur  (ainsi  appelle-t-il  le  Sauveur)  retirait 
les  poissons  de  la  mer  orageuse  du  siècle,  et  les  attirait  dans 
ses  filets  par  l'appât  d'une  douce  vie,  »  dulcivita  inescans. 

Et  c'est  ici,  chrétiens,  où  il  est  à  propos  d'élever  un  peu 
nos  esprits,  pourvoir  dans  la  personne  du  Sauveur  Jésus 
l'origine  de  notre  vie.  La  vie  de  Dieu  n'est  que  raison  et 
intelligence  ;  et  le  Fils  de  Dieu  procédant  de  cette  vie  et  de 
cette  intelligence,  il  est  lui-même  vie  et  intelligence.  Pour 
cela,  il  dit  en  saint  Jean  que  «  comme  le  Père  a  la  vie  en 
soi,  aussi  a-t-il  donné  à  son  Fils  d'avoir  la  vie  en  soi  (''').  » 
C'est  pourquoi  les  anciens  l'ont  appelé  la  vie,  la  raison,  la 
lumière,  et  l'intelligence  du  Père  (')  ;  et  cela  est  très  bien 
fondé  dans  les  Écritures.  Étant  donc  la  vie  par  essence,  c'est 
à  lui  à  promettre,  c'est  à  lui  à  donner  la  vie.  L'humanité 
sainte  qu'il  a  daigné  prendre  dans  la  plénitude  des  temps, 
touchant  de  si  près  à  la  vie,  en  ]:)rend  tellement  la  vertu, 
qu'il  en  jaillit  une  source  inépuisable  d'eau  vive  :  quiconque 
en  boira  aura  la  vie  éternelle  (/\  Il  serait  impossible  de 
vous  dire  les  belles  choses  que  les  saints  Pères  ont  dites  sur 
cette  matière,  surtout  le  grand  saint  Cyrille  d'Alexandrie  ('). 
Souvenez-vous  seulement  de  ce  qucî  l'on  vous  donne  à  ces 
[p.  27]  redoutables  autels:  voici  le  temps  auquel  tous  les  fidèles 

a.  Joan.^   X,    lo.   —  b.  Joan.^  VI,  69.   —   c.  Ibid.^  64.   —    d.  Joan.,  V,    z(\ 
c.  Tertull.,  adi'ers.    Prn.v.,  n.  5,   6;   S.    Alhanas.,  Ornf.  conir.   iicnl.,   11.4').   — 
/.  Joan.^  i\',   14.   —  ir.   In  Joan.^  lib.  IV,  caj).  \\. 


T22  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


y  doivent  participer.  Kst-rc  du  pain  commun  que  Ton  vous 
présente?  n'est-ce  pas  «  le  Pain  de  vie>,  ou  plutôt  n'est-ce  pas 
un  pain  vivant  que  vous  mancrez  pour  avoir  la  vie  ?  Car  ce 
pain  sacré,  c'est  la  saintes  chair  de  Ji';sus,  cette  chair  vivante, 
icite  chair  conjointe  à  la  vie,  cette  chair  toute  remplie  et 
toute  [)cnctrée  d'un  (îsi)rit  vivifiant.  Que  si  ce  pain  commun, 
(jui  n'a  pas  de  vie,  conserve  celle  de  nos  corps,  de  quelle  vie 
admirable  ne  vivrons-nous  pas,  nous  qui  mangeons  un  pain 
\ivani,  mais  qui  manoreons  la  vie  même  à  la  table  du  Dieu 
vivant  !  Oui  a  jamais  ouï  parler  d'un  tel  prodige,  que  l'on  pût 
manger  la  vie?  Il  n'apparu'ent  qu'à  Ji'sus  de  nous  donner 
une  telle  viande.  Il  est  la  vie  par  nature:  qui  le  mange 
mange  la  vie.  ()  délicieux  banquet  des  enfants  de  Dieu  !  ô 
table  délicate,  ô  manger  savoureux  !  Jugez  de  l'excellence 
de  la  vie  par  la  douceur  de  la  nourriture.  Mais  plutôt,  afin 
que  vous  en  connaissiez  mieux  le  prix,  il  faut  que  je  vous  la 
décrive  dans  toute  son  étendue. 

Elle  a  ses  progrès,  elle  a  ses  âges  divers  :  Dieu,  qui 
anime  les  justes  par  sa  présence,  ne  les  renouvelle  pas  tout 
en  un  instant.  Sans  doute,  si  nous  considérons  tous  les 
changements  admirables  que  Dieu  opère  en  eux  durant  tout 
le  cours  de  cette  vie  bienheureuse,  il  ne  se  pourra  faire  que 
nous  ne  l'aimions  ;  et  si  nous  l'aimons,  nous  serons  poussés 
du  désir  de  la  conserver  immortelle.  Imitons  en  nous  [p.  28] 
l'immortalité  du  Sauveur.  C'est  à  quoi  j'aurai,  s'il  vous  en  sou 
vient,  à  vous  exhorter,  lorsque  je  serai  venu  à  ma  troisième 
partie.  Et  puisqu'elle  a  tant  de  connexion  avec  celle  que 
nous  traitons,  et  qu'elle  n'en  est,  comme  vous  voyez,  qu'une 
conséquence,  je  joindrai  l'une  et  l'autre  dans  une  même  suite 
de  discours.  Disons  en  peu  de  mots,  autant  qu'il  sera  néces- 
saire pour  se  faire  entendre. 

Cette  Aigle  de  l'Apocalypse,  qui  crie  par  trois  fois  d'une 
voix  foudroyante  au  milieu  des  airs  :  «  Malheur  sur  les 
habitants  de  la  terre,  »  F^,  v^,  vœ  habitantibus  in  terra  (;'), 
semble  nous  parler  de  la  triple  calamité  dans  laquelle  notre 
nature  est  tombée.  L'homme  dans  la  sainteté  d'origine,  étant 
entièrement  animé  de  l'Esprit  de  Dieu,  en  recevait  ces  trois 

a.  Apoc,  vni,  13.  —  Ms.  super  terrain. 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT.  I23 

dons,  l'innocence,  la  paix,  l'immortalité.  Le  diable,  par  le 
péché,  lui  a  ravi  l'innocence  ;  la  convoitise  s'étant  soulevée, 
a  troublé  la  paix  ;  l'immortalité  a  cédé  à  la  nécessité  de  la 
mort  :  voilà  l'ouvrage  de  Satan  opposé  à  l'ouvrage  de  Dieu. 
Or,  le  Fils  de  Dieu  est  venu  «  pour  dissoudre  l'œuvre  du 
diable  ('^),  »  et  réformer  l'homme  selon  la  première  [image] 
de  son  Créateur  :  ce  sont  les  propres  mots  de  saint  Paul  (^). 
Pour  cela,  il  a  répandu  son  Esprit  dans  l'âme  des  justes  : 
afin  de  les  faire  vivre  ;  et  «  cet  Esprit  ne  cesse  de  les  renou- 
veler tous  les  jours  :  »  cela  est  encore  de  l'Apôtre,  rcnovaUw 
de  die  in  diein  (^).  Mais  Dieu  ne  veut  pas  qu'ils  soient  chan- 
gés tout  à  coup.  Il  y  a  trois  dons  à  leur  rendre;  [p.  29]  il  y  aura 
aussi  trois  différents  âges,  par  lesquels,  de  degré  en  degré, 
ils  deviendront  «  hommes  faits  »,  in  vi^^um  perfediim  ('0- 
Grand  Apôtre,  ce  sont  vos  paroles,  et  vous  serez  aujourd'hui 
notre  conducteur.  Et  Dieu  l'a  ordonné  de  la  sorte,  afin  de 
faire  voir  à  ses  bien-aimés  les  opérations  de  sa  grâce  les  unes 
après  les  autres  :  de  sorte  que  dans  ce  monde  il  répare  leur 
innocence  ;  dans  le  ciel  il  leur  donne  la  paix  ;  à  la  résurrection 
générale  il  les  orne  d'immortalité.  Par  ces  trois  âges  «  les 
justes  arrivent  à  la  plénitude  de  Jésus-Christ,  »  ainsi  que 
parle  saint  Paul,  in  menstiram  œtatis  plenitudinis  Christiiy\ 
La  vie  présente  est  comme  l'enfance:  celle  dont  les  saints 
jouissent  au  ciel,  ressemble  à  la  fleur  de  l'âge  :  après,  suivra 
la  maturité  dans  la  résurrection  générale.  Au  reste,  cette  vie 
n'apoint  de  vieillesse  ;  parce  qu'étant  toute  divine,  elle  n'est 
point  sujette  au  déclin  :  de  là  vient  qu'elle  n'a  que  trois  âges; 
au  lieu  que  celle  que  nous  passons  sur  la  terre  souffre  la  vicis- 
situde de  quatre  différentes  saisons. 

Je  dis  que  les  saints  en  ce  monde  sont  comme  dans  leur 
enfance,  et  en  voici  la  raison.  Tout  ce  qui  se  rencontre  dans 
la  suite  de  la  vie  se  commence  dans  les  enfants  :  or  nous 
avons  dit  que  toute  l'opération  du  Saint-Esprit,  par  laciuelle 
il  anime  les  justes,  consiste  à  surmonter  en  eux  ces  trois 
furieux  ennemis  que  le  diable  nous  a  suscités,  le  péché,  la 
concupiscence   et   la  mort.    Comment  est-ce  que  Dieu   lt\s 

a.   \  Joan.,  m,  8.  —  b.  Coloss.,  m,  lo.  — c.   II   Cor.^  iv,   i6.  —  d.  Eph,^  IV, 
13.  —  e.  Ibid. 


124  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


iniiic  pendant  cette  vie  ?  Avant  toutes  choses,  il  ruine  en- 
tlL-ninciU  le  péché  :  la  concupiscence  y  remue  encore;  mais 
elle  y  est  combattue,  [p.  30  |  et  de  plus  elle  y  est  surmontée  : 
pour  la  mort,  elle  y  exerce  son  empire  sans  résistance  ;  mais 
aussi  l'immortalité  est  promise.  Considérez  ce  progrès  :  le 
péché  ruiné  lait  leur  sanctification  ;  la  concupiscence  com- 
battue, c  est  leur  exercice  ;  l'immortalité  promise  est  le  fon- 
dement de  leur  espérance.  Et  ne  remarquez-vous  pas  en  ces 
ir(^is  choses  les  vrais  caractères  d'enfants  ?  Comme  à  des 
enfants,  l'innocence  leur  est  rendue.  Si  le  Saint-Esprit  combat 
r.n  eux  la  concupiscence,  c'est  pour  h^s  fortifier  doucement 
par  cet  exercice,  et  pour  former  peu  à  peu  leurs  linéaments 
selon  l'image  de  Notre-Seigneur.  Enfin  y  a-t-il  rien  de  plus 
convenable  que  de  les  entretenir,  comme  des  enfants  bien  nés, 
d'une  sainte  et  fidèle  espérance  ?  Sainte  enfance  des  chrétiens, 
que  tu  es  aimable  !  Tu  as,  je  l'avoue,  tes  gémissements  et 
tes  pleurs  ;  mais  qui  considérera  à  quelle  hauteur  doivent  aller 
ces  commencements,  et  quelles  magnifiques  promesses  y  sont 
annexées,  il  s'estimera  bienheureux  de  mener  une  telle  vie. 
Car,  par  exemple,  dans  l'âge  qui  suit  après,  que  je  com- 
pare avec  raison  à  une  fleurissante  jeunesse,  à  cause  de  sa 
vigoureuse  et  forte  constitution,  quelle  paix  et  quelle  tran- 
([uillité  y  vois-je  régner!  Ici-bas,  chrétiens,  de  quelle  multi- 
tude de  vain:î  désirs  l'âme  des  plus  saints  n'y  est-elle  point 
agitée  !  Dieu  y  habite,  je  l'avoue;  mais  il  n'y  habite  pas  seul: 
il  y  a  pour  compagnons  mille  objets  mortels  que  la  convoi- 
tise ne  cesse  de  leur  présenter;  parce  que,  ne  pouvant  [p.  31] 
séparer  les  justes  de  Dieu  auquel  ils  s'attachent,  [elle]  tâche 
du  moins  de  les  en  distraire  et  de  les  troubler.  C'est  pour- 
quoi ils  gémissent  sans  cesse,  et  s'écrient  avec  l'Apôtre  : 
«  Misérable  homme  que  je  suis,  qui  me  délivrera  de  ce 
corps  (")  ?  »  Au  lieu  qu'à  la  vie  paisible  dont  les  saints 
jouissent  au  ciel,  saint  Augustin  lui  donne  cette  belle  de- 
vise: Cupiditate  extincta,  charitate  compléta  ('^'),  «  la  convoitise 
éteinte,  la  charité  consommée.  »  Ces  deux  petits  mots  ont, 
à  mon  avis,  un  grand  sens.  Il  me  semble  qu'il  nous  veut 
dire  que  l'âme,  ayant  déposé  le  fardeau  du  corps,  sent  une 

,1.  RoDi.^  \ii,  24.   -   l>.  Episl.  CLXXVii,  n.   17. 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT.  I25 

merveilleuse  conspiration  de  tous  ses  mouvements  à  la  même 
fin  :  il  n'y  a  plus  que  Dieu  en  elle,  parce  qu'elle  est  toute 
en  Dieu  ;  et  possédée  uniquement  de  cet  esprit  de  vie  dont 
elle  expérimente  la  présence,  elle  s'y  laisse  si  doucement 
attirer,  elle  y  jouit  d'une  paix  si  profonde,  qu'à  peine  est- 
elle  capable  de  comprendre  elle-même  son  propre  bonheur: 
tant  s'en  faut  que  des  mortels  comme  nous  s'en  puissent 
former  quelque  idée  ! 

Ne  semble-t-il  pas,  chrétiens,  que  ce  serait  un   crime  de 
souhaiter  quelque  chose  de  plus  ?  Et  néanmoins  vous  savez 
qu'il  y  a  un  troisième  [âge],  où  notre  vie  sera  parfaite,  parce 
que  notre  félicité  sera  achevée.   Dans   les  deux    premiers, 
Jésus-Christ  éteint  en  ses  saints  le  péché  et  la  convoitise  : 
enfm,  dans  ce  dernier  âge  et  du  monde  et  du  genre  humain, 
après  avoir  abattu  nos  autres  ennemis  [p.  32  )  sous  ses  pieds, 
la  mort  domptée  couronnera  ses  victoires.  Comment  cela  se 
fera-t-il  ?  Si  vous  me  le  demandez  en  chrétiens,  c'est-à-dire 
non  point  pour  contenter   une  vaine   curiosité,    mais   pour 
fortifier  la  fidélité  de  vos  espérances,  je  vous  l'exposerai  par 
quelqVies  maximes    que  je  prends   de  saint  Augustin  :  elles 
sont  merveilleuses,  car   il   les  a  tirées  de  saint  Paul.   Tout 
le  changement  qui  arrive  dans  les  saints,   se  fait   par  l'opé- 
ration de  l'Esprit   de  Dieu.  Or   saint  Augustin    nous  a  en- 
seigné que  cet  Esprit  a  sa  demeure  dans  l'âme,  à  cause  qu'il 
est  sa  vie.  Si  donc  il  n'habite  point  dans  le  corps,  comment 
est-ce   qu'il   le   renouvelle  ?  Ce  grand    homme   nous   en  va 
éclaircir  par  un   beau  principe.  «  Celui-là,    dit-il,   possède  le 
tout,  qui  tient  la   partie   dominante  :  »  Tottoii  possidct  qui 
principale  tenet  :  «  En   toi,   poursuit-il,  la   partie  qui    est  la 
plus  noble,   c'est-à-dire  l'âme,    c'est    celle-là  qui    domine;  > 
In  te   illud  principatur  quod  meliits  est  ;   et    incontinent,  il 
conclut  :     Tenens    Deits   quod    melius   est,    id  est    aniruani 
tuani,  profecto  per  melioreui  possidet  et  inferioreni,  quod  est 
corpus  tuum  (")  :  Dieu  tenant  ce  qu'il  y  a  de  meilleur,   c'est- 
à-dire  ton  âme,  par  le  moyen  du  meilleur  il  entre  en  posses- 
sion du  moindre,  c'est-à-dire  du  corps.  » 

Ou'infércrons-nous  de  cette  doctrine  de  saint  Augustin  '^. 

a.  Scrm.  CLXI,  n.  6. 


126  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


La  conséquence  en  est  évidente:  Dieu,  habitant  en  nos 
âmes,  a  pris  possession  de  nos  corps  ;  par  conséquent,  ô  mort, 
tu  nv  les  lui  [p.  t,^]  saurais  enlever.  Tu  t'imagines  qu'ils  sont 
ta  proie  ;  ce  n'est  qu'un  dépôt  que  l'on  consigne  entre  tes 
mains  ;  tôt  ou  tard  Dieu  rentrera  dans  son  bien  :  «  Il  n'y  a 
rien,  dit  le  Fils  de  Dieu,  qui  soit  si  grand  que  mon  Père  ; 
ce  qu'il  tient  en  ses  mains,  personne  ne  le  lui  peut  ravir,  ni 
lui  taire  lâcher  sa  prise  :  »  Paier  meus  quod  dédit  mihi 
majîis  omnibus  esê,  et  nemo  potest  rapere  de  manu  Patris 
mci  (").  Partant,  ô  abîmes,  et  vous,  flammes  dévorantes,  et 
toi,  terre,  mère  commune  et  sépulcre  de  tous  les  humains, 
vous  rendrez  ces  corps  que  vous  avez  engloutis  ;  et  plutôt 
le  monde  sera  bouleversé,  qu'un  seul  de  nos  cheveux  périsse: 
parce  que  l'Esprit  qui  anime  le  Fils  de  Dieu,  c'est  le  même 
qui  nous  anime.  Il  exercera  donc  en  nous  les  mêmes  opé- 
rations, et  nous  rendra  conformes  à  lui.  Car  remarquez  cette 
théoloo-ie.  Comme  le  Fils  de  Dieu  nous  assure  qu'il  ne  «  fait 
rien  que  ce  qu'il  voit  faire  à  son  Père  »  (^),  ainsi  le  Saint- 
Esprit  qui  reçoit  du  Fils,  de  meo  accipiet  (^),  le  regarde 
comme  l'exemplaire  de  tous  ses  ouvrages.  Toutes  les  per- 
sonnes dans  lesquelles  il  habite,  il  faut  nécessairement  qu'il 
les  forme  à  sa  ressemblance.  C'est  ce  que  dit  l'Apôtre  en 
ces  mots:  «  Si  vous  avez  en  vous  l'Esprit  de  celui  qui  a  vi- 
vifié Jésus-Christ,  il  vivifiera  vos  corps  mortels  (^^).  »  Et 
de  même  que  le  germe  que  la  nature  a  mis  dans  le  grain 
de  blé,  se  conservant  parmi  tant  de  changements  et  altéra- 
tions différentes,  produit  en  son  temps  un  épi  semblable  à 
celui  dont  il  est  tiré,  ainsi  PEsprit  de  vie,  qui  de  [p.  34]  la  plé- 
nitude de  jÉsas  est  tombé  sur  nous,  nous  renouvellera  peu  à 
peu  selon  les  diverses  saisons  ordonnées  par  la  Providence, 
et  enfin  nous  rendra  au  corps  et  en  l'âme  (')  semblables  à 
Notre-Seigneur,  sans  que  la  corruption  ni  la  mort  puissent 
empêcher  sa  vertu. 

Et  c'est  (^)  pourquoi  saint  Paul,  considérant  aujourd'hui 

a.Joan.^  X,  29.  —  b.  Ibid.^  V,  19.  —  c.  Ibid.^  XVI,   14.  —  d.  Rom.^  VIII,  11. 

1.  Edit.  au  corps  et  en  la  vie.  (Faute  de  lecture.) 

2.  Var.  (r^  rédaction,  reprise  en  partie  plus  loin)  :  J'entends  quelquefois  les 
chrétiens  soupirer  après  les  délices  du  paisible  état    d'innocence    Justement, 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


127 


notre  Maître  ressuscité,  nous  presse  si  fort  de  ressusciter 
avec  lui.  Jusques  ici,  dit-il,  la  vie  de  mon  Maître  était 
cachée  sous  ce  corps  mortel  ;  nous  ne  connaissions  pas  encore 
ni  la  beauté  de  cette  vie,  ni  la  grandeur  de  nos  espérances  : 
à  présent  je  le  vois  tout  changé,  il  n'y  a  plus  d'infirmité  en 
sa  chair,  il  n'y  a  rien  qui  sente  le  péché  ni  sa  ressem- 
blance: MortuîLs  est peccato  ('"):  il  a  dépouillé  cette  mortilité 
qui  cachait  sa  gloire  :  la  divinité  qui  anime  son  esprit  s'est 
répandue  sur  son  corps  ;  je  n'y  vois  paraître  que  Dieu, 
parce  que  je  n'y  vois  plus  que  gloire  et  que  majesté.  Il  ne 
vit  qu'en  Dieu,  il  ne  vit  que  de  Dieu,  il  ne  vit  que  pour 
Dieu  :  (Jiwd  autem  vivit,  vivit  Deo  i^').  Je  sais  que,  si  je 
commence  à  vivre  avec  lui  sur  la  terre,  son  Esprit  qui  me 
fera  vivre,  me  renouvellera  selon  son  image.  Courage,  dit-il, 
mes  frères;  ce  que  la  foi  nous  fait  croire  en  la  personne  du 
F'ils  de  Dieu,  elle  nous  le  doit  faire  espérer  pour  nous- 
mêmes.  Jésus  est  ressuscité  comme  les  prémices  et  les  pre- 
miers fruits  de  notre  nature  ;  «  Dieu  nous  a  fait  voir  dans 
le  grain  principal,  qui  est  Jésus-Christ,  comment  il  traiterait 
tous  les  autres  :  »  De  uno  (^^ principali  grano  datiuji  est  cxpe- 
rimentum,  dit  saint  Augustin  (').  Jugez  de  la  moisson  par 
ses  premiers  fruits.   Priinitiœ  Christus  ("'). 

a.  Rom.^  VI,  10.  —  b.  Ibid.^  i  r.  —  c.  Serm.  CCCLXI,  n.  10.  —  d.\  Cor.,  xv,  23. 

certes,  car  la  vie  en  était  bien  heureuse.  Sachez  néanmoins  que  vous  n'êtes  pas 
chrétiens,  si  vous  n'aspirez  à  une  condition  plus  haute.  Posséder  cette  félicité, 
c'est  ctrc  tout  au  plus  comme  Adam  ;  et  l'Apôtre  nous  dit  que  nous  devons  tous 
être  comme  Jésus-Christ.  Il  est  monté  au  ciel,  et  en  sa  personne  ont  élé  con- 
sacrées les  prémices  de  notre  nature,  c'est-à-dire  comme  les  premiers  fruits 
du  pore  de  famille,  priinitiœ  Christus,  quand  le  laboureur  achèvera  sa  récolte 
et  recueillera  tout  son  grain,  c'est-à-dire  tous  les  fidèles.  Cependant  considérez 
comme  il  a  traité  le  grain  principal  cpii  est  Jésus-Christ  ;  c'est  ainsi  (|u'i! 
s'appelle  lui-même  \/oan.,  xn,  24]  ;  et  jugez  du  reste  de  la  moisson  par  les 
premiers  fruits  :  Datuin  est  cxpcrintiiitio/i  in  pri/i.ipidi  i^ra/iit,  dit  saint  .Augustin 
{Scr/n.  ceci. XI,  11.  10).  C'est  pourquoi  saint  Paul,  considérant  aujourd'hui  noire 
Maître  vaincjueur  de  la  mon,  ne  peut  plus  retenir  sa  joie.  Je  le  vois,  je  le  voi>, 
dit-il,  dans  un  bien  autre  appareil  (pi'il  n'était  sur  la  terre.  Il  n'y  a  plus  rien 
c[ui  sente  le  péché  ni  sa  ressemblance  :  Peccato  mot  tu  us  est.  11  a  dépouillé  cette 
mortalité  qui  cachait  sa  gloire.  La  divinité  dont  son  esprit  et. ut  animé  parait 
de  tous  côtés  sur  son  corps  :  [p.  35]  il  ne  vit  i)lus  cpie  de  Dieu  et  pour  Dieu  : 
Quod  autein  vivit,  inint  Deo.  Je  ne  vois  plus  (|ue  Dieu  on  lui,  jiarce  que  je  n'y 
vois  plus  cjuc  gloire  et  c[ue  majesté.  Je  sais  que  si  je  conimcnce  à  vivre  avec 
lui  sur  la  terre,  sou  Esprit  qui  me  fera  vivre  me  renouvellera  sur  son  image. 
I.  lAs.  Dcduin  est  cxpcrimentum  in  principaii  ^rano. 


128  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


J'entends  quelqutîfois  les  chrétiens  soupirer  après  les  dé- 
lices de  l'heureux  état  d'innocence:  Oh!  si  nous  étions  comme 
dans  le  paradis  terrestre!  —  Justement  certes,  car  la  vie  en 
était  bien  douce,  [p.  36J  Et  l'Apôtre  vous  dit  que  vous  n'êtes 
pas  chrétiens,  si  vous  n'aspirez  à  quelque  chose  de  plus.  Pos- 
séder cette  félicité,  c'est  être  tout  au  plus  comme  Adam  ;  et 
il  vous  enseii^ne  que  vous  devez  tous  être  comme  jÉsus- 
CiiKisT  (").  On  ne  vous  promet  rien  moins  que  d'être 
placés  avec  lui  dans  le  même  trône  :  Qui  vicerit,  dabo 
ci  scdcrc  incaini  in  throno  meo,  dit  le  Sauveur  dans  l'Apo- 
calypse (')  :  «  Celui  qui  sera  vainqueur,  je  le  placerai  dans 
mon  trône.  » 

Attendez-vous  après  cela,  chrétiens,  que  je  vous  apporte 
des  raisons  pour  vous  faire  voir  que  cette  vie  doit  être 
immortelle  ?  N'est-ce  pas  assez  de  vous  en  avoir  montré  la 
beauté  et  les  espérances,  pour  y  porter  vos  désirs  }  Certes, 
quand  je  vois  les  chrétiens  qui  viennent  dans  le  temps  de 
Pâques  puiser  cette  vie  dans  les  sources  des  sacrements, 
et  retournent  après  à  leurs  premières  ordures,  je  ne  saurais 
assez  déplorer  leur  calamité.  Ils  mangent  la  vie,  et  retour- 
nent à  la  mort  ;  ils  se  lavent  dans  les  eaux  de  la  pénitence, 
et  puis  après  au  bourbier  ;  ils  reçoivent  l'Esprit  de  Dieu,  et 
'vivent  comme  des  brutes.  Fous,  insensés  !  Eh  (')  ne  compre- 
nez-vous pas  la  perte  que  vous  allez  faire  '^  Que  de  belles  es- 
pérances vous  allez  tout  à  coup  ruiner  !  Conservez  chèrement 
cette  vie  :  peut-être  que,  si  vous  la  perdez  cette  fois,  elle 
ne  vous  sera  jamais  rendue.  Dans  la  première  intention 
de  Dieu,  elle  ne  se  devait  donner  ni  se  perdre  qu'une  seule 
fois.  Considérez  cette  doctrine.  Adam  l'avait  perdue  :  c'en 
était  fait  pour  jamais  ;  si  le  Fils  de  Dieu  ne  fût  intervenu,  il 
n'y  avait  plus  de  ressource.  Enfin  il  nous  la  rend  par  [p.  37]  le 
samt  baptême.  Et  si  même  nous  venons  à  violer  l'innocence 
baptismale,  il  se  laisse  aller,  à  la  considération  de  son  Fils, 
à  nous  rendre  encore  la  grâce  par  la  pénitence.  Mais  il  ne 
se  relâche  pas  tout  à  fait  de  son  premier  dessein.  Plus  nous 

a.  Coloss.^  III,  4.  —  b.  Apoc,  m,  21. 

I.  Kdit.   Et  ne  comprenez-vous  pas...  ?  —   Mais  Bossuet  e'ciit  souvent  et 
pour  eh  ! 


POUR  LE   SAMEDI-SAINT.  I29 

la  perdons  de  fois,  et  plus  il  se  rend  difficile.  Dans  le 
baptême  il  nous  la  donne  aisément  :  à  peine  y  pensons- 
nous.  Venons-nous  à  la  perdre,  il  faut  avoir  recours  aux 
larmes  et  aux  travaux  de  la  pénitence.  Que  s'il  est  vrai 
qu'il  se  rende  toujours  plus  difficile,  ô  Dieu  !  où  en  sommes- 
nous,  chrétiens,  nous  qui  l'avons  tant  de  fois  reçue  et  tant 
de  fois  méprisée  ?  Combien  s'en  faut-il  que  notre  santé  ne 
soit  entièrement  désespérée  ?  Tertullien  dit  que  ceux  qui 
craignent  d'offenser  Dieu  après  avoir  reçu  la  rémission  de 
leur  faute,  «  appréhendent  d'être  à  charge  à  la  miséricorde 
divine  :  »  Nolunt  iterurn  divinœ  7msericordiœ  cneri  esse  ("). 
Donc  ceux  qui  ne  le  craignent  pas  sont  à  charge  à  la  mi- 
séricorde divine  ('). 

Tu  crois[,  pécheur  endurci,]  que  Dieu  sera  toujours  bien 
aise  de  te  recevoir  :  sache  que  tu  es  à  charge  à  sa  misé- 
ricorde ;  qu'il  ne  te  fait,  pour  ainsi  dire,  du  bien  qu'à  regret; 
et  que  si  tu  continues,  il  se  défera  de  toi,  et  ne  te  permettra 
pas  de  te  jouer  ainsi  de  ses  dons. 

C'est  une  parole  effroyable  des  Pères  du  concile  d' El  vire  : 
«  Ceux,  disent-ils,  qui  après  la  pénitence  retourneront  à  leur 
faute,  qu'on  ne  leur  rende  pas  la  communion  même  à  l'ex- 

a.  De  Pœnit.^  n.  7. 

I.  Passage  retranché  :  «  Comment  cela  se  fait-il  ?  Un  exemple  familier.  Un 
pauvre  homme  presse  de  misère  vous  demande  votre  assistance  :  vous  le 
soulagez  selon  votre  pouvoir  ;  mais  vous  ne  le  tirez  pas  de  la  nécessité  :  il 
revient  à  vous  avec  crainte  ;  à  peine  ose-t-il  vous  parler  ;  il  ne  vous  demande 
rien  ;  sa  nécessité,  sa  misère,  et  plus  que  tout  cela  sa  retenue  vous  demande: 
il  ne  vous  importune  pas,  il  ne  vous  est  pas  à  charge  ;  tout  votre  regret,  c'est 
de  ne  pouvoir  pas  le  soulager  davantage.  Voilà  le  sentiment  d'un  bon  cœur. 
Mais  un  autre  vient  à  vous  qui  vous  presse,  qui  vous  importune  ;  vous  vous 
excusez  honnêtement  :  il  ne  vous  prie  pas  comme  d'une  grâce  ;  mais  il  semble 
exiger,  comme  si  c'était  une  dette  :  sans  doute  il  vous  est  à  charge  ;  vous 
cherchez  tous  les  moyens  pour  vous  en  défaire.  Il  en  est  de  même  à  l'égard  de 
Dieu.  Un  chrétien  a  succombé  [p.  38]  à  quelque  tentation  ;  la  fragilité  de  la 
chair  l'a  emporté  :  incontinent  il  revient  :  (2u'ai-je  fait  ?  où  me  suis-je  engage  .'' 
La  larme  à  l'œil,  le  regret  dans  le  cœ'ur,  la  confusion  sur  la  face,  il  vient  crier 
miséricorde;  il  en  devient  plus  soigneux  :  ah  !  je  l'ose  dire,  il  n'est  point  à  charge 
à  la  miséricorde  divine.  Mais  toi,  pécheur  endurci,  qui  ne  rougis  pas  d'apporter 
toujours  les  mêmes  ordures  aux  eaux  de  la  pénitence;  il  y  a  tant  d'années  que 
tu  charges  des  mêmes  [récils]  les  oreilles  d'un  confesseur:  situ  avais  bien  con«^u 
que  la  grâce  ne  t'est  point  due,  tu  appréhenderais  plus  de  la  perdre  ;  tu  crain- 
drais qu'à  la  fin  Dieu  ne  retirât  sa  main.  Mais  que  tu  y  reviennes  si  souvent 
sans  crainte,  sans  tremblement,  il  faut  bien  que  tu  t'imagines  (jucllc  te 
soit  duc.  »   —  Les   mots  pcchcur  endurai  sont   nécessaires  ilans  ce  qui  suit. 

Sermons  de  Bossuct.  9 


I  -^o  POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


trémité  de  la  vie  ;  de  peur  qu'ils  ne  semblent  se  jouer  de 
nos  saints  mystères,  »  ne  /us/sse  de  Doininica  commitnione 
vidcantur  (").  Cette  raison  est  bien  effroyable,  et  encore  plus 
si  nous  venons  à  considérer  que  cette  communion  dont  ils 
parlent  était  une  chose,  en  ce  temps,  dont  on  ne  pouvait 
abuser  que  deux  fois.  On  la  donnait  par  le  baptême  :  la 
perdait-on  par  quelque  crime,  encore  une  seconde  ressource 
dans  la  pénitence  ;  après,  en  violer  la  sainteté  par  deux  fois, 
ils  appelaient  cela  s'en  jouer. 

O  Dieu  !  si  nous  avions  à  rendre  raison  de  nos  actions 
dans  ce  saint  concile,  quelles  exclamations  feraient-ils  1 
Comment  éviterions-nous  leurs  censures  ?  Ces  évêques  nous 
orendraient-ils  [p.  39]  pour  des  chrétiens,  nous  dont  les  péni- 
tences sont  aussi  fréquentes  que  les  rechutes;  qui  faisons  de 
la  communion,  je  n'oserais  presque  le  dire,  comme  un  jeu 
d'enfant  :  cent  fois  la  quitter,  cent  fois  la  reprendre  ?  C'est 
pourquoi  éveillons-nous,  chrétiens,  et  tâchons  du  moins 
que  nous  soyons  cette  fois  immortels  à  la  grâce  avec  le 
Sauveur.  Ne  soyons  pas  comme  ceux  qui  pensent  avoir 
tout  fait  quand  ils  se  sont  confessés  :  le  principal  reste  à 
faire,  qui  est  de  changer  ses  mœurs  et  de  déraciner  ses 
mauvaises  habitudes.  Si  vous  avez  été  justifiés,  vous  n'avez 
plus  à  craindre  la  damnation  éternelle  ;  mais  pour  cela  ne 
vous  imaginez  pas  être  en  sûreté,  de  peur  qu'une  fausse 
sécurité  ne  produise  en  vous  une  funeste  négligence,  »  ne 
accepta  securitas  indiligentiam  pariât.  Craignez  le  péché, 
craignez  vos  mauvaises  inclinations,  craignez  ces  fâcheuses 
rencontres  dans  lesquelles  (')  votre  innocence  a  tant  de  fois 
fait  naufrage  :  que  cette  crainte  vous  oblige  à  une  salutaire 
précaution.  Car  la  pénitence  a  deux  qualités  également 
nécessaires.  Elle  est  le  remède  pour  le  passé,  elle  est  une 
précaution  pour  l'avenir  :  la  disposition  pour  la  recevoir 
comme  remède  du  passé,  c'est  la  douleur  des  péchés  que 
nous  avons  commis  ;  la  disposition  pour  la  recevoir  comme 
précaution  de  l'avenir,  c'est  une  crainte  filiale  de  ceux  que 
nous  pouvons  commettre   et  des  occasions  qui  nous   y  en- 

a.  Can.  ni,  Lab.,  t.  i,  col.  971. 

I .   Var.  dans  lesquelles  vous  avez  tant  de  fois  éprouvé  vos  infirmités. 


POUR  LE  SAMEDI-SAINT. 


131 


traînent.  Dieu   nous  puisse  donner  cette   crainte,  qui  est  la 
garde  de  l'innocence! 

Ah  !  chrétiens,  craignons  de  perdre  Jésus  qui  nous  a 
gagnés  par  son  sang.  Partout  où  je  le  vois,  il  nous  tend 
les  bras.  Jésus  crucifié  nous  tend  les  bras  :  Viens-t'en,  dit-il, 
ici  mourir  avec  moi  ;  il  y  fait  [bon]  pour  toi,  puisque  j'y 
suis.  Jésus  ressuscité  nous  tend  les  bras,  et  nous  dit  :  Viens 
vivre  avec  moi,  tu  seras  tel  que  tu  me  vois;  je  suis  glorieux, 
je  suis  immortel  :  sois  immortel  à  la  grâce,  et  tu  le  seras 
à  la  gloire  ('). 

I.  Ici  se  termine  ce  qui  nous  a  été  conservé  des  compositions  de  Bossuet  à 
Navarre.  Notons,  pour  la  chronologie  des  Œuvres  complètes,  qu'à  la  même 
époque  appartiennent  des  Extraits  d'Aristote,que  les  éditeurs  ont  eu  la  bizarre  idée 
de  faire  entrer  dans  les  Pensées  chrétiennes  et  inorales^  appendice  des  Serjnons 
(I)eforis,  VII,  556-559;  Lâchât,  X,  625,  627-629).  En  outre,  ce  dernier  éditeur 
nous  les  présente  une  seconde  fois,  et  comme  une  découverte,  dans  les  Œuvres 
d'éducation  (XXVI,  23,  31).  Cette  prétendue  découverte  avait  été  faite  avant  lui 
par  M.  Nourrisson  {Essai  sur  la  Philosophie  de  Bossuet,  avec  des  fragments 
inédits;  Paris,  in-8°,  1852).  En  réalité,  l'écriture  et  l'orthographe  de  ces  pages 
(Meaux,  D,  14)  ne  ressemblent  pas  plus  à  ce  qui  a  été  écrit  par  Bossuet,  précepteur 
du  Dauphin,  que  s'il  s'agissait  de  deux  auteurs  différents.  Ces  notes,  accompa- 
gnées dans  l'original  de  longues  citations  en  grec,  prouvent  que  Bossuet  joignit, 
dès  le  collège,  l'étude  des  philosophes  à  celle  des  historiens,  des  orateurs  et  des 
poètes,  dont  parle  Ledieu  dans  ses  Mémoires  (p.  14). 


^5 


IX-     DIMANCHE    APRÈS     LA     PENTECOTE    {■), 


^  .^  ,^  :^  .^  :^  ^  .^  :^^^^^^^^-^ 


UR  LA  BONTÉ  ET  LA  RIGUEUR  de  DIEU 


ENVERS    LES     PÉCHEURS. 


fëf 


Proche  à  Metz,  le  21  juillet  1652. 

Voici  les  prémices  tle  la  prédication  de  Bossuet  dans  la  cathé- 
drale de  Metz,  dont  il  était  chanoine.  Il  avait  quitté  Paris  le  mois 
précédent  (Floquet,  Études...  I,  i88,  197).  A  Metz  d'ailleurs,  il  ne 
siégeait  pas  comme  simple  chanoine  ;  il  y  était  arrivé  revêtu  de  la 
digiiité  d'archidiacre  de  Sarrebourg  {Ibid).  Déjà  Gandar  a  donné 
uiic  édition  critique  de  ce  discours  {Choix  de  sermons  de  la  jeunesse 
de  Bossuet,  p.  8-48). 

Sommaire  (')  :  Justice  de  Dieu,  suite  de  sa  bonté,  quelle  elle  est. 

TertulL  (p.  3,  4)- 

[it^r  point]  Deusex  suooptîvius.  Justice  de  Dieu,  quelle  (p.7,  S).  A^^;? 
Jiabemus  Pontifieem  qui  non  possit  compati. . .  (p.  14,  1 5,  16,  1 7,  1 8,  19). 

[2^1  point.]  Deux  règnes:  par  miséricorde  et  par  justice  (p.  22,  23). 
—  Jérusalem  ruinée  (p.  25,  26,  etc.  28)  Deutéronome,  XXVIII, 
(//;/;/.)  _  Vengeance  sur  les  Juifs  (p.  39,  39  etc.)  ;  exemplaire  pour 
les  chrétiens  (p.  38,  39,  40,  etc.). 


Ut  appropijiquavit.,  videns  ciintatetn, 
flcvii  super  eam  diccns  :  Quia  si  cogno- 
visscs  et  tu,  et  quideui  in  hac  die  tua, 
quœ  ad pacem  iibi I  Nunc  auteui  abscon- 
dita  sunt  al)  oculis  iuis. 

Comme  JÉSUS  s'approchait  de  Jéru- 
salem, considérant  cette  ville,  il  se  mit 
à  pleurer  sur  elle  :  Si  tu  avais  connu, 
dit- il,  du  moins  en  ce  tien  jour,  ce  qu'il 
faudrait  que  tu  fisses  pour  avoir  la  paix! 
Mais  certes  ces  choses  sont  cachées  à 
tes  yeux.  Luc.,  xix,  41. 


COMME  on  voit  que  de  braves  soldats,  en  quelques  lieux 
écartés  où  les  puissent  avoir  jetés  les  divers  hasards  de 
la  guerre,  ne  laissent  pas  de  marcher  dans  le  temps  préfix  au 

1.  Mss.  12824,  f.  231,  In-4°  ;  paginé  à  l'époque  des  sommaires  (1662). 

2.  f.  226.  Les  pages  qui  suivent  contiennent  des  extraits  de  Josèphe  et  des 
Pères,  écrits  en  vue  de  ce  sermon  ;  et  d'autres  extraits  de  Josèphe,  rédigés  à 
l'époque  du  Discours  sur  P Histoire  universelle.  Bossuet  alors  relut  son  ancien 
sermon,  qui  remontait  à  environ  25  ans. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  I33 

rendez-vous  de  leurs  troupes  assigné  par  le  général  :  de 
même  le  Sauveur  Jésus,  quand  il  vit  son  heure  venue,  se  ré- 
solut de  quitter  toutes  les  autres  contrées  de  la  Palestine, 
par  lesquelles  il  allait  prêchant  la  parole  de  vie  ;  et  sachant 
très  bien  que  telle  était  la  volonté  de  son  Père  qu'il  se  vînt 
rendre  dans  Jérusalem,  pour  y  subir  peu  de  jours  après  la 
rigueur  du  dernier  supplice,  il  tourna  ses  pas  du  coté  de 
cette  ville  perfide,  afin  d'y  célébrer  cette  pâque  éternellement 
mémorable,  et  par  l'institution  de  ses  saints  mystères,  et  par 
l'effusion  de  son  sang.  Comme  donc  il  descendait  le  long  de 
la  montagne  des  Olives,  sitôt  qu'il  put  découvrir  cette  fleu- 
rissante cité,  il  se  mit  à  considérer  ses  hautes  et  superbes 
murailles,  ses  beaux  et  invincibles  remparts,  ses  édifices  si 
magnifiques,  son  temple,  la  merveille  du  monde,  unique  et 
incomparable  comme  le  Dieu  auquel  il  était  dédié  ;  puis 
repassant  en  son  esprit  jusquesàquel  point  cette  ville  devait 
être  bientôt  désolée,  pour  n'avoir  point  voulu  suivre  ses  sa- 
lutaires conseils,  il  ne  put  retenir  ses  larmes  ;  et,  touché  au 
vif  en  son  cœur  d'une  tendre  compassion,  il  commença  sa 
plainte  en  ces  termes  :  «  Jérusalem,  cité  de  Dieu,  dont  les 
prophètes  ont  dit  des  choses  si  admirables  (''),  que  mon 
Père  a  choisie  entre  toutes  les  villes  du  monde  pour  y  faire 
adorer  son  saint  nom;  Jérusalem,  que  j'ai  toujours  si  tendre- 
ment aimée,  et  dont  j'ai  chéri  les  habitants  comme  s'ils 
eussent  été  mes  propres  frères  ;  mais  Jérusalem,  qui  n'as 
payé  mes  bienfaits  que  d'ingratitude,  qui  as  déjà  mille  fois 
dressé  des  embûches  à  ma  vie,  et  enfin  dans  peu  de  jours 
tremperas  tes  mains  dans  mon  sang  :  ah  !  si  tu  reconnaissais 
du  moins  en  ces  jours  qui  te  sont  donnés  pour  faire  péni- 
tence, si  tu  reconnaissais  les  grâces  que  je  t'ai  présentées, 
et  de  quelle  paix  tu  jouirais  sous  la  douceur  de  mon  empire, 
et  combien  est  extrême  le  malheur  de  ne  [me]  point  suivre! 
Mais,  hélas  !  ta  passion  t'a  voilé  les  yeux,  et  t'a  rendue 
aveugle  pour  ta  propre  félicité  :  viendra,  viendra  le  temps, 
et  il  te  touche  de  près,  que  tes  ennemis  t'environneront  de 
remparts,  et  te  presseront,  et  te  mettront  à  l'étroit,  et  te 

(l.    /'.s-.,    LXXXVI,    3. 


134  BONTl?.  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


renverseront  de  fond  en  comble,  parce  que  tu  n'as  pas  connu 
le  temps  dans  lequel  je  t'ai  visitée.  »...  [Ave.'] 

[P.  i.]  Il  n'y  eut  jamais  de  doctrine  si  extravagante  que 
celle  qu'ensei.i^naient  autrefois  les  Marcionites,  les  plus  insen- 
sés hérétiques  qui  aient  jamais  troublé  le  repos  de  la  sainte 
Éi^lise.  Ils  s'étaient  figuré  la  Divinité  d'une  étrange  sorte  : 
car,  ne  pouvant  comprendre  comment  sa  bonté  si  douce  et 
si  bienfaisante  pouvait  s'accorder  avec  sa  justice  si  sévère  et 
si  rigoureuse,  ils  divisèrent  l'indivisible  essence  de  Dieu;  ils 
séparèrent  le  Dieu  bon  d'avec  le  Dieu  juste.  Et  voyez,  s'il 
vous  plaît,  chrétiens,  si  vous  ouïtes  jamais  parler  d'une  pa- 
reille folie  :  ils  établirent  deux  dieux,  deux  premiers  prin- 
cipes, dont  l'un,  qui  n'avait  pour  toute  qualité  qu'une  bonté 
insensible  et  déraisonnable,  semblable  en  ce  point  à  ce  dieu 
oisif  et  inutile  des  Epicuriens,  craignait  tellement  d'être  in- 
commode à  qui(')  ce  fût,  qu'il  ne  voulait  pas  même  faire  de 
la  peine  aux  méchants,  et  par  ce  moyen  laissait  régner  (^)  le 
vice  à  son  aise:  d'où  vient  que  Tertullien  (3)  le  nomme  «  un 
dieu  sous  l'empire  duquel  les  péchés  se  réjouissaient  :  »  Sub 
çîw  de  lie  ta  gatiderent  (^\ 

L'autre,  à  l'opposite,  étant  d'un  naturel  cruel  et  malin, 
toujours  ruminant  à  part  (p.  2)  soi  quelque  dessein  de  nous 
nuire,  n'avait  point  d'autre  plaisir  que  de  tremper,  disaient- 
ils,  ses  mains  dans  le  sang  et  tâchait  de  satisfaire  sa  mau- 
vaise humeur  par  les  délices  de  la  vengeance.  A  quoi  ils 
ajoutaient,  pour  achever  cette  fable,  qu'un  chacun  de  ces 
dieux  faisait  un  Christ  i^)  à  sa  mode,  et  formé  selon  son  génie  ; 
de  sorte  que  Notre-Seigneur,  qui  était  le  Fils  de  ce  Dieu 
ennemi  de  toute  justice,  ne  devait  être,  à  leur  avis,  ni  juge 
ni  vengeur  des  crimes  ;  mais  seulement  maître,  médecin  et 
libérateur.  Certes,  je  m'étonnerais,  chrétiens,  qu'une  doctrine 
si  monstrueuse  ait  jamais  pu  trouver  quelque  créance  parmi 
les  fidèles,  si  je  ne  savais  qu'il  n'y  a  point  d'abîme  d'erreurs 
dans  lequel   l'esprit  humain   ne  se  précipite,  lorsque,   enflé 

a.  Advers.  Marcio7i.^  Il,   13. 

r.  Les  éditeurs  ajoutent  ici  un  que  inutile  dans  la  langue  de  cette  époque.  — 
2.   Var.  et  ainsi  laissait  triompher.— 3.  Ms.  Tertullian,  passim.—ù,.  Var.  Messie. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  I35 


des  sciences  humaines  et  secouant  le  joug  de  la  foi,  il  se 
laisse  emporter  à  sa  raison  égarée.  Mais  autant  que  leur 
opinion  est  ridicule  et  impie,  autant  sont  admirables  les  rai- 
sonnements que  leur  opposent  les  Pères  ;  et  voici  entre 
autres  une  leçon  excellente  du  grave  Tertullien,  au  second 
livre  contre  Marcion. 

[P.  3.]  Tu  ne  t'éloignes  pas  tant  de  la  vérité,  Marcion, quand 
tu  dis  que  la  nature  divine  est  seulement  bienfaisante.  «  Il  est 
vrai  que  dans  l'origine  des  choses,  Dieu  n'avait  que  de  la 
bonté  ;  et  jamais  il  n'aurait  fait  aucun  mal  à  ses  créatures, 
s'il  n'y  avait  été  forcé  par  leur  ingratitude:  »  Deus  a primor- 
dio  tantum  bonus  [^).  Ce  n'est  pas  que  sa  justice  ne  l'ait 
accompagné  dès  la  naissance  du  monde  ;  mais  en  ce  temps 
il  ne  l'occupait  qu'à  donner  une  belle  disposition  aux  belles 
choses  qu'il  avait  produites  :  il  lui  faisait  décider  la  querelle 
des  éléments,  elle  leur  assignait  leur  place  ;  elle  prononçait 
entre  le  ciel  et  la  terre,  entre  le  jour  et  la  nuit  ;  enfin  elle 
faisait  le  partage  entre  toutes  les  créatures  qui  étaient  enve- 
loppées dans  la  confusion  du  premier  chaos.  Telle  était  l'oc- 
cupation de  la  justice  dans  l'innocence  des  commencements. 
«  Mais  depuis  que  la  malice  s'est  élevée,  dit  Tertullien  ('), 
depuis  que  cette  bonté  infinie,  qui  ne  devait  avoir  que  des 
adorateurs,  a  trouvé  des  adversaires  :  At  enim  (')  ///  ijialu))i 
postea  erupit,  atque  indc  jam  cœpit  bon? f as  Dei  cnin  advcr- 
sario  agere ;  la  justice  divine  a  été  obligée  de  prendre  un  bien 
autre  emploi  (').  »  [p.  4]  Il  a  fallu  qu'elle  vengeât  cette  bonté 
méprisée;  que  du  moins  elle  la  fît  craindre  à  ceux  qui  seraient 
assez  aveugles  pour  ne  l'aimer  pas.  Par  conséquent,  tu 
t'abuses,  Marcion,  de  commettre  ainsi  la  justice  avec  la 
bonté,  comme  si  elle  lui  était  opposée  :  au  contraire,  (îlle 
agit  pour  elle,  «  elle  fait  ses  affaires,  elle  défend  ses  intérêts  :  » 
Omne jiisfitiœ  opns,  prociiratio  bonitatis  est,  dit  Tertullien  ('O. 
Et  voilà  sans  doute  les  véritables  sentiments  de  Dieu  notre 
Père  touchant  la  miséricorde  et  la  justice.  Ce  qui  étant  ainsi, 
il  n'y  a  plus  aucune  raison  de  douter  que  le  Sauveur  Jésus, 


a.  AdTcrs.  Marcion.^  II,   \\.  —   Ms.  ^//^  iuilio.  —  /'.   //vV.,  13.  —  c.  Ih'ui.  — 
(L  Ihid. 

I .    M  s.  lix  (/I/o  )iiiiluni . . . 


1  ^A  BONTl^.  ET  RTCUEUR  DE  DIEU. 

kJ  


l'envoyé  du  Pcrc,  qui  ne  fait  rien  que  ce  qu'il  lui  voit  faire, 
n'ait  pris  les  mêmes  pensées. 

Et  sans  en   aller  chercher  d'autres  preuves  dans  la  suite 
de  sa  sainte  vie.  l'évangile  que  je  vous  ai  proposé  nous  en 
donne  une  bien  évidente.  Mon  Sauveur  s'approche  de  Jéru- 
salem ;  et.  considérant  l'ingratitude  extrême  de  ses  citoyens 
envers  lui,  il  se  sent   saisi  de  douleur,  il  laisse  couler  des 
larmes  :  «  Ah  !  si  tu  savais,  s'écrie-t-il,   ce  qui  t'est  présenté 
pour  la  paix  !  »  Mais,  hélas!  tu  es  aveuglée  :  Sicognovisses^  ("). 
Oui  ne  voit  ici  les  marques  d'une  véritable  [p.  5]  compassion? 
C'est  le  propre   de  la  douleur  de   s'interrompre  elle-même. 
«  Ah  !  si  tu  savais,  »  dit  mon   Maître  :  puis,  arrêtant  là  son 
discours,  plus   il  semble  se  retenir,  plus  il  fait  paraître  une 
véritable  tendresse  ;   ou  plutôt,  si  nous  l'entendons,  ce  «  Si 
tu  savais,  »    prononcé  avec  tant   de  transport,  signifie  un 
désir  violent  ;  comme  s'il  eût  dit  :  «  Ah  !  plût  à  Dieu  que  tu 
susses  !  »  C'est  un   désir  qui  le  presse  si  fort  dans  le  cœur, 
qu'il  n'a  pas  assez  de  force   pour   l'énoncer   par  la  bouche 
comme  il  le  voudrait,  et  ne  le  peut  exprimer  que  par  un  élan 
de  pitié.  Ainsi  donc   la   voix  de   ton    Pasteur  t'invite   à  la 
pénitence,   ô  ingrate  Jérusalem  :  trop  heureuse,  hélas  !  que 
tes  malheurs  soient   plaints  d'une  bouche  si   innocente,    et 
pleures  de  ces   yeux  divins,  si  ton  aveuglement  te  pouvait 
permettre  de  profiter  de  ses  larmes.  Mais  comme  il  prévoit 
que  tu  seras   insensible   aux   témoignages  de  son  amour,  il 
change  ses  douceurs  en  menaces,  et  :   «  Viendra  le  temps, 
poursuit-il,  que  tu  seras  entièrement   ruinée   par   tes  enne- 
mis. »  Pour  quelle  raison  ?  «  Parce  que  tu  n'as  pas  reconnu 
l'heure  dans  laquelle  je  t'ai  visitée.  »  C'est  la  cause  de  leurs 
misères.  Par  où  nous  voyons  que  ce  discours  de  mon  Maître 
n'est  pas  une  [p.  6]  simple  prophétie  de  leur  disgrâce  future. 
Il  leur  reproche  le  mépris  qu'ils  ont  fait  de  lui  ;  il  leur  fait 
entendre  que  son  affection  méprisée  se  tournera  en  fureur  ; 
que  lui-même,  qui   daigne  les   plaindre,  les  verra  périr  sans 
être  touché  de  pitié,  et  qu'il  les  poursuivra  par  les  mains  des 
soldats  romains,  ministres  de  sa  vengeance. 

Voilà  dans  le  même  discours  le  Sauveur  miséricordieux  et 

a.  Luc,  XIX,  42. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  I37 

le  Sauveur  inexorable;  et  c'est  ce  que  je  prétends  vous  faire 
considérer  aujourd'hui  avec  l'assistance  divine  (').  Ce  que 
mon  Maître  a  fait  une  fois  au  sujet  de  Jérusalem,  tous  les 
jours  il  le  fait  à  notre  sujet,  ingrats  et  aveugles  que  nous 
sommes  :  il  invite  et  menace,  il  embrasse  et  rejette  ;  premiè- 
rement doux,  après  implacable.  Je  vous  représenterai  donc 
aujourd'hui,  pour  l'explication  de  mon  texte,  les  larmes  et 
les  plaintes  du  Sauveur  qui  nous  appellent  à  lui  ;  puis  la 
colère  du  même  Sauveur  qui  nous  repousse  bien  loin  de  son 
trône  :  Jésus  déplorant  nos  maux,  à  cause  de  sa  [p.  7]  propre 
bonté  ;  Jésus  devenu  impitoyable,  à  cause  de  l'excès  de  nos 
crimes.  Écoutez  premièrement  la  voix  douce  et  bénigne  de 
cet  Agneau  sans  tache  ;  et  après  vous  écouterez  les  terribles 
rugissements  de  ce  lion  victorieux,  né  de  la  tribu  de  Juda  : 
c'est  le  sujet  de  cet  entretien . 

PREMIER    POINT. 

Pour  vous  faire  entendre  par  une  doctrine  solide  combien 
est  immense  la  miséricorde  de  notre  Sauveur,  je  vous  prie 
de  considérer  une  vérité  que  je  viens  d'avancer  tout  à  l'heure, 
et  que  j'ai  prise  de  Tertullien.  Ce  grand  homme  nous  a 
enseigné  que  Dieu  a  commencé  ses  ouvrages  par  un  épan- 
chement  de  sa  bonté  sur  toutes  ses  créatures,  et  que  sa 
première  inclination,  c'est  de  nous  bienfaire.  Et  en  vérité  il 
me  semble  que  sa  raison  est  bien  évidente  ;  car,  pour  bien 
connaître  quelle  est  la  première  des  inclinations,  il  faut 
choisir  celle  qui  se  trouvera  la  plus  naturelle,  d'autant  que 
la  nature  est  la  racine  de  tout  le  reste.  Or  notre  Dieu,  chré- 
tiens, a-t-il  rien  déplus  naturel  que  cette  inclination  de  nous 
enrichir  par  la  profusion  de  ses  grâces  ?  Comme  une  source 
envoie  ses  eaux  naturellement,  comme  le  soleil  naturelle- 
ment répand  ses  rayons,  ainsi  Dieu  naturellement  fait  du 
bien.  Étant  bon,  abondant,  plein  de  richesse  infinie  [p.  8]  par 

I.  lùitt.ii  Sachez,  ô  fidèles,  qu'étant,  comme  nous  sommes,  l'Isracl  de  Dieu  et 
les  vrais  enfants  de  la  race  d'Abraham,  nous  héritons  des  promesses  et  des 
menaces  de  ce  premier  peuple.  »  —  On  n'a  pas  pris  i^arde,  rcmartiuc  (landar.  aux 
indications  du  manuscrit.«  Bossuet  n'effaçait  point  cette  phrase,  mais  il  la  trans- 
portait à  la  fin  du  second  point  de  son  discours,  où  elle  se  retrouve,  en  ettct, 
avec  (juelques  changements.  » 


138  BONTlt  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 

sa  condition  naturelle,  il  doit  être  aussi  par  nature  bienfaisant, 
libéral,  maoni^|quc^  Quand  il  te  punit,  6  impie,  la  raison  n'en 
est  pas  cii'lui  inrnic  ;  il  n(^  veut  pas  que  personne  périsse: 
c'est  la  m  ilice,  c'est  ton  ingratitude  qui  attire  son  indigna- 
tion sur  ta  tcte.  Au  contraire,  si  nous  voulons  l'exciter  à 
nous  faire  du  bien,  il  n'est  pas  nécessaire  de  chercher  bien 
loin  des  motifs  :  sa  propre  bonté,  sa  nature,  d'elle-même  si 
bienfaisante,  lui  est  un  motif  très  pressant,  et  une  raison 
intime  qui  ne  le  quitte  jamais.  C'est  pourquoi  Tertullien  dit 
fort  à  propos  que  «  la  bonté  est  la  première,  parce  qu'elle 
est  selon  la  nature  »  :  Prio7'  honitas,  seciindum  naturam  ;  et 
que  la  sévérité  suit  après,  parce  qu'il  lui  faut  une  cause  : 
Scvcritas posterior,  sccundtcm  causam  (^).  Comme  s'il  disait  : 
A  la  munificence  divine,  il  ne  lui  faut  point  de  raison,  si  on 
peut  parler  de  la  sorte;  c'est  la  propre  nature  de  Dieu  :  il  n'y 
a  que  la  justice  qui  va  chercher  des  causes  et  des  raisons  : 
encore  ne  les  cherche-t-elle  pas,  nous  les  lui  donnons  ;  c'est 
nous  qui  fournissons  par  nos  crimes  la  matière  à  sa  juste 
vengeance.  Par  conséquent,  comme  dit  très  bien  le  même 
Tertullien,  «  ce  que  Dieu  est  bon,  [p.  9]  c'est  du  sien  et  de 
son  propre  fonds  ;  ce  qu'il  est  juste,  c'est  du  nôtre  »  :  De  smo 
optimns,  de  nostro  justzts  (^').  L'exercice  de  la  bonté  lui  est 
souverainement  volontaire  ;  celui  de  la  justice,  forcé  :  celui- 
là  procède  entièrement  du  dedans  ;  celui-ci,  d'une  cause 
étrangère.  Or,  il  est  évident  que  ce  qui  est  naturel,  intérieur, 
volontaire,  précède  toujours  ce  qui  est  étranger  et  contraint. 
Il  est  donc  vrai,  ce  que  j'ai  touché  dès  l'entrée  de  ce  dis- 
cours, ce  que  je  viens  de  prouver  par  les  raisons  de  Ter- 
tullien, que  «  dans  l'origine  des  choses.  Dieu  n'a  pu  faire 
paraître  que  de  la  bonté  :  »  Deus  a  primordio  (')  tantuin 
bonus. 

Passons  outre  maintenant,  et  disons  :   Le  Sauveur  Jésus, 
chrétiens,  notre   amour  et  notre   espérance,   notre  pontife 
notre    avocat,    notre    intercesseur,   qu'est-il   venu    faire    au 
monde  ?  qu'est-ce  que   nous   en  apprend   le   grand   apôtre 
saint  Paul  (^)  ?  N'enseigne-t-il  pas  qu'il  est  venu  pour  renou- 

a.  Advers.  Marcioii.^  II,  11.  —  b.  De  Resurr.  cartt.,  14.  —  c.  Philipp.^  m,  21. 
M  s.  I.  s.  <il>  initio. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  I39 

vêler  toutes  choses  en  sa  personne,  pour  ramener  tout  à  la 
première  origine,  pour  reprendre  les  premières  traces  de 
Dieu  son  Père,  et  réformer  toutes  les  créatures  selon  le 
premier  plan,  la  première  idée  de  ce  grand  ouvrier  ?  C'est 
la  doctrine  de  saint  Paul  en  une  infinité  d'endroits  de  ses 
divines  Epîtres  ;  et  partant,  n'en  doutons  pas,  le  Fils  de 
Dieu  est  venu  sur  la  terre  revêtu  de  ces  premiers  sentiments 
de  son  Père  :  c'est-à-dire,  ainsi  que  je  l'ai  exposé  [p.  lo]  tout  à 
l'heure,  de  clémence,  de  bonté,  de  charité  infinie.  C'est  pour- 
quoi, nous  expliquant  le  sujet  de  sa  mission  (en  saint  Jean, 
chapitre  m)  :«  Dieu  n'a  pas  envoyé  son  Fils  au  monde,  dit- 
il  (''),  afin  de  juger  le  monde  ;  mais  afin  de  sauver  le 
monde.  » 

Mais  n'a-t-il  pas  assuré,  direz-vous,  que  son  Père  «  avait 
remis  tout  son  jugement  (''')  en  ses  mains  (')  ?»  et  ses  Apô- 
tres n'ont-ils  pas  prêché  par  toute  la  terre,  après  son  ascen- 
sion triomphante,  que  «  Dieu  l'avait  établi  juge  des  vivants 
et  des  morts  (')  ?  »  «  Néanmoins,  dit-il  ('^),  je  ne  suis  pas 
envoyé  pour  juger  le  monde.  »  Tout  le  pouvoir  de  mon 
ambassade  ne  consiste  qu'en  une  négociation  de  paix  :  et 
plût  à  Dieu  que  les  hommes  ingrats  eussent  voulu  recevoir 
l'éternelle  miséricorde  que  je  leur  étais  venu  présenter  !  [e 
ne  paraissais  sur  la  terre  que  pour  leur  bienfaire  ;  mais  leur 
malice  a  contraint  mon  Père  d'attacher  la  qualité  de  juge  à 
ma  première  commission.  Ainsi  sa  première  qualité  est 
celle  de  Sauveur  ;  celle  de  juge  est,  pour  ainsi  dire,  acces- 
soire; et  d'autant  [qu'il]  ne  l'a  acceptée  que  comme  à  regret, 
y  étant  obligé  par  les  ordres  exprès  de  son  Père,  de  là 
vient  qu'il  en  a  réservé  l'exercice  à  la  fin  des  siècles  ;  et  [en] 
attendant,  il  reçoit  miséricordieusement  tous  ceux  qui  vien- 
nent à  lui  ;  il  s'offre  de  bon  cœur  à  eux,  pour  être  leur 
intercesseur  auprès  de  son  Père.  Plnfin  telle  [  [).  ii]  est  sa 
charge,  et  telle  sa  fonction  :  il  n'est  envoyé  que  pour  faire 
miséricorde. 

Et  à  ce  propos,  il  me  souvient  d\\n  [)etil  mot  dr  saint 
Pierre,  par  lequel  il  dépeint  fort  bien  le  Sauveur  à  Cornélius 

a.  Joan.,  m,  17.  --  h.  Ibid.^  V,  22.  —  c.  Act.^  X,  42.  —  d.  Joati.,  Xir,  47. 
1.  Première  rédaction  effacée  ;  es  mains  de  son  Fils. 


140  PONTl*  FT  RK;UF.UR  DE  DIEU. 

(aux  Actes.  \)  :  «  Ji':sus  de  Nazareth,  dit-il,  homme  approuvé 
cl(^  l)i(Mi,  qui  i)as.sait  hieiifaisant  et  guérissant  tous  les  op- 
pressés :  »  Pcytraii<iiil  bcucfaciendo.et  sanando  ornncs  oppres- 
sas a  diabolo  {^').  O  I)i(^u!  les  belles  paroles,  et  bien  dignes 
de  mon  Sauv(nir!  La  folle  éloquence  du  siècle,  quand  elle  veut 
élev(M-  quelqu(^  valeureux  capitain(%  dit  qu'il  a  parcouru  les 
provinces  moins  par  ses  pas  (jue  par  ses  victoires  (').  Les 
panégyriques  sont  pleins  de  semblables  discours.  Et  qu'est-ce 
à  dire,  à  votre  avis,  parcourir  les  provinces  par  des  victoires  ? 
N'est-ce  pas  porter  partout  le  carnage  et  la  pillerie?  Ah!  que 
mon  Sauveur  a  parcouru  la  Judée  d'une  manière  plus  bien 
aimable!  Il  l'a  parcourue  moins  par  ses  pas  que  par  ses  bien- 
faits. Il  allait  de  tous  côtés  guérissant  les  malades,  consolant 
les  misérables,  instruisant  les  ignorants,  annonçant  à  tous 
avec  une  fermeté  invincible  la  parole  de  vie  éternelle,  que  le 
Saint-Esprit  lui  avait  mise  à  la  bouche  :  Pertransiit  benefa- 
cicndo.  Ce  n'était  pas  seulement  les  lieux  où  il  arrêtait,  qui  se 
trouvaient  mieux  de  sa  présence  :  autant  de  pas,  autant  de 
vestiges  de  sa  bonté.  Il  rendait  remarquables  les  endroits 
par  où  il  passait,  parla  profusion  de  ses  grâces.  En  cette 
bourgade,  il  n'y  a  plus  d'aveugles  ni  d'estropiés  :  [p.  12J  sans 
doute,  disait-on,  le  débonnaire  Jésus  a  passé  par  là. 

Et  en  effet,  chrétiens,  quelle  contrée  de  la  Palestine  n'a 
pas  expérimenté  mille  et  mille  fois  sa  douceur  ?  Et  je  ne 
dout(î  pas  qu'il  n'eût  été  chercher  les  malheureux  jusques 
au  l)out  du  monde,  si  les  ordres  de  son  Père  ne  l'eussent 
arrêté  en  Judée.  Vit-il  jamais  un  misérable  qu'il  n'en  eût 
pitié  ?  Ah  !  que  je  suis  ravi,  quand  je  vois  dans  son  Evangile 
qu'il  n'entreprend  presque  jamais  aucune  guérison  importante 
qu'il  ne  donne  auparavant  quelque  marque  de  compassion  ! 
Il  y  en  [a]  mille  beaux  endroits  dans  les  Evangiles.  La 
première  grâce  qu'il  leur  faisait,  c'était  de  les  plaindre  en  son 
âme  avec  une  affection  véritablement  paternelle  ;  son  cœur 
écoutait  la  voix  de  la  misère  qui  l'attendrissait,  et  en  même 
temps  il  sollicitait  son  bras  à  les  soulager. 

a.  Act.,  X,  38. 

I.  Plin.  Secund.,  Pa;irj^.,  xiv  :  Onn  otbein  ierTarinnnon pedibus  magis  quam 
laitdibus  feragiarcs. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  14  l 


Que  ne  ressentons  [-nous]  du  moins,  ù  fidèles,  quelque 
peu  de  cette  tendresse  !  Nous  n'avons  pas  en  nos  mains  ce 
grand  et  prodigieux  pouvoir  pour  subvenir  aux  nécessités  de 
nos  pauvres  frères  ;  mais  Dieu  et  la  nature  ont  inséré  dans 
nos  âmes  je  ne  sais  quel  sentiment  qui  ne  nous  permet  pas  de 
voir  souffrir  nos  semblables,  sans  y  prendre  part,  à  moins 
que  de  n'être  plus  hommes.  Mes  frères,  faisons  (')  donc  voir 
aux  pauvres  que  nous  sommes  touchés  de  leurs  misères,  si 
nous  n'avons  dépouillé  toute  sorte  d'humanité.  Ceux  qui  ne 
leur  donnent  qu'à  regret,  que  [p.  1 3]  pour  se  délivrer  de  leurs 
importunités,  ont-ils  jamais  pris  la  peine  de  considérer  (')  que 
c'est  le  Fils  de  Dieu  qui  les  leur  adresse;  que  ce  serait  bien 
souvent  leur  faire  une  double  aumône,  que  de  leur  épargner 
la  honte  de  nous  demander;  que  toujours  la  première  aumône 
doit  venir  du  cœur?  je  veux  dire,  fidèles,  une  aumône  de 
tendre  compassion.  C'est  un  présent  qui  ne  s'épuise  jamais; 
il  y  en  a  dans  nos  âmes  un  trésor  immense  et  une  source 
infinie;  et  cependant  c'est  le  seul  dont  le  Fils  de  Dieu  fait 
état.  Quand  vous  distribuez  de  l'argent  ou  du  pain,  c'est  faire 
l'aumône  au  pauvre;  mais  quand  vous  accueillez  le  pauvre 
avec  ce  sentiment  de  tendresse ,  savez-vous  ce  que  vous 
faites.'^  vous  faites  l'aumôneà  Dieu  :  «J'aime,  dit-il,  mieux  la 
miséricorde  que  le  sacrifice  ('').  »  C'est  alors  que  votre  charité 
donne  des  ailes  à  cette  matière  pesante  et  terrestre,  et  par  les 
mains  des  pauvres,  dans  lesquelles  vous  la  consignez,  la  fait 
monter  devant  Dieu  comme  une  offrande  agréable.  C'est 
alors  que  vous  devenez  véritablement  semblables  au  Sauveur 
Jésus,  qui  n'a  pris  une  chair  humaine  qu'afin  de  compatir  à 
nos  infirmités  avec  une  affection  plus  sensible.  . 

Oui  certes,  il  est  vrai,  chrétiens  :  ce  qui  a  fait  résoudre  le 
Fils  de  Dieu  à  se  revêtir  d'une  chair  semblable  à  la  nôtre, 
c'est  le  dessein  qu'il  a  eu  de  ressentir  pour  [p.  i  4  |  n(nis  une 
compassion  véritable;  et  en  voici  la  raison,  prise  de.  l'h^pitre 
aux  Hébreux,    dont  je  m'en  vais  tâcher  de   vous   exposer  la 


a.  Mat  th.,  IX,  13. 


I.  Var.   au  nom  de    Uieu,  faisons   voir  aux   pauxics  que  leurs   misères  nous 
touchent. 


Var.  bon^xnt-ilhi  Ijicti. 


142  BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 

doctrine  ;  et   rendez-[vous].    s'il   vous   plaît,   attentifs.   Si  le 
1^'ils   de    Dieu    n'avait   prétendu  autre  chose  que   de   s'unir 
seulement  à  quekju'une  de   ses   créatures,    les  intelligences 
célestes  se  présentaient,  ce  semble,  à  propos  dans  son  voisi- 
nage, qui.  à  raison  de  leur   immortalité   et   de   leurs  autres 
(jualités   éminentes,  ont  sans  doute  plus  de  rapport  avec   la 
nature  divine;  mais,  certes,   il  n'avait  que  faire  de  chercher 
dans  ses  créatures  ni  la  orandeur,  ni  l'immortalité.  Qu'est-ce 
qu'il   y   cherchait,   chrétiens.'^  La  misère  et    la  compassion. 
C'est    pourquoi,  dit  excellemment  la   savante    Epître  aux 
Hébreux  :  Non  angclos  apprehendit;  sed  semen  Abrahœ  ap- 
prehcndit  (")  :  «  Il  n'a  pas  pris  la  nature  angélique;  mais  il  a 
voulu  prendre,  »  servons-nous  des  mots  de  l'auteur  ('),  «il  a 
voulu  appréhender  la  nature  humaine.  »  La   belle   réflexion 
que   f^iit,   à   mon   avis,    sur  ces   mots   le  docte    saint   Jean 
Chrysostome  ('').  Il  a,  dit  l'Apôtre,    appréhendé  la    nature 
humaine  ;  elle  s'enfuyait,  elle  ne  voulait  point  du  Sauveur  : 
qu'a-t-il  fait  .Ml  a  couru  après  d'une  course  précipitée,  «  sau- 
tant les  montagnes  i^),  »  c'est-à-dire  les  ordres  des  anges, 
comme  il  est  écrit  aux  [p.  1 5]  Cantiques  ;  «  il  a  couru,  comme 
un  géant,  à  grands  pas  et  démesurés,  »  passant  en  un  moment 
du  ciel  en  la  terre  :  Exultavit  ut gigas  ad  curi^endam  viam  ('^). 
Là,    il   a  atteint   cette  fugitive  nature,    il   l'a    saisie,    il   l'a 
appréhendée  au  corps  et  en  l'âme  :  Semen  AbraJiœ  appre- 
hendit. Il  a  eu  pour  ses  frères,  c'est-à-dire  pour  nous  autres 
hommes,  une  si  grande  tendresse,  «  qu'il    a  voulu   en  tout 
point  se  rendre  semblable  à  eux  :»  Debuit  per  omnia  fratt'i- 
btcs  similari  (^).  Il  a  vu  que  nous  étions  composés  de  chair 
et  de  sang  :  pour  cela,  il  a  pris,  non  un  corps  céleste,  comme 
disaient   les   Marcionites  ;  non  une   chair   fantastique  et  un 
spectre  d'homme,  comme  assuraient  les  Manichéens  ;  quoi 
donc  .'^  une  chair  tout  ainsi  que  nous,  un  sang  qui  avait  les 
mêmes  qualités  que  le  nôtre  :  Qitia  pueri  communicaverunt 

a.  Hebr.,  il,  i6.  —  b.  In  Epist.  ad  Hebr.,  Homil.  V,  i.  —  c.  Cant.,  n,  8.  — 
d.  Ps.,  xvni,6.  —  e.  Hebr.^  ii,  17. 

I.  Se  servir,  autant  que  possible,  des  mots  de  P auteur,  voilà  la  règle  de 
Bossuet  dans  la  traduction  des  Écritures.  Nous  avons  vu  en  tête  de  ce  sermon  : 
«  Du  moins  en  ce  tien  jour  :  »  et  quidcm  in  hac  die  tîta. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  14 


carni  et  sanguini,  et  ipse  similiter  participavit  (')  nsdem  ('*), 
dit  le  grand  Apôtre  aux  Hébreux  ;  et  cela  pour  quelle  raison  ? 
Ut  misericors  fieret  ('^),  «  afin  d'être  miséricordieux,  » 
poursuit  le  même  saint  Paul. 

Eh  quoi  donc,  le  Fils  de  Dieu,  dans  l'éternité  de  sa  gloire, 
était-il  sans  miséricorde?  Non,  certes;  mais  sa  miséricorde 
n'était  pas  accompagnée  d'une  compassion  effective;  parce 
que,  comme  vous  savez,  toute  véritable  compassion  suppose 
quelque  douleur;  et  partant  le  Fils  de  Dieu,  dans  le  sein  du 
Père  éternel,  était  également  incapable  de  pâtir  et  de  compa- 
tir: et  lorsque  [p.  i6]  l'Ecriture  attribue  ces  sortes  d'affections 
à  la  nature  divine,  vous  n'ignorez  pas  [que]  cette  façon  de 
parler  ne  peut  être  que  figurée.  C'est  ce  qui  a  obligé  le  Sau- 
veur à  prendre  une  nature  (')  humaine,  «  parce  qu'il  voulait 
ressentir  une  réelle  et  véritable  pitié  :  »  Ut  misericors  fieret. 
Si  donc  il  voulait  être  touché  pour  nous  d'une  pitié  réelle  et 
véritable,  il  fallait  qu'il  prît  une  nature  capable  de  ces  émo- 
tions; ou  bien,  disons  autrement,  et  toutefois  toujours  dans 
les  mêmes  principes  :  notre  Dieu,  dans  la  grandeur  de  sa 
majesté,  avait  pitié  de  nous  comme  de  ses  enfants  et  de  ses 
ouvrages;  mais  depuis  l'Incarnation,  il  a  commencé  à  nous 
plaindre  comme  ses  frères,  comme  ses  semblables,  comme 
des  hommes  tels  que  lui.  Depuis  ce  temps-là,  il  ne  nous  a 
pas  plaints  seulement  comme  l'on  voit  ceux  qui  sont  dans  le 
port  plaindre  souvent  les  autres  qu'ils  voient  agités  sur  la 
mer  d'une  furieuse  tourmente;  mais  il  nous  a  plaints  comme 
ceux  qui  courent  le  même  péril  se  plaignent  les  uns  les 
autres ,  par  une  expérience  sensible  de  leurs  communes 
misères  :  enfin,  l'oserai-jedire.'^  il  nous  a  plaints,  ce  bon  frère, 
comme  ses  compagnons  de  fortune,  comme  ayant  eu  à  passer 
par  les  mêmes  misères  que  nous;  ayant  eu,  ainsi  que  nous, 
une  chair  sensible  aux  douleurs,  et  un  sang  capable  de  s'émou- 
voir, et  une  température  de  corps  sujette,  comme  la  nôtre,  à 
toutes  les  [p.  i  7 j  incommodités  de  la  vie  et  à  la  nécessité  () 

a.  Hebr.^  H,  14.  —  b.  IbiiL,  17. 

1.  Ms.  CoDumniicavit. 

2.  Var.  une  chair  humaine. 

3.  I.e  jeune   auteur  veut   dire  simplement   à  la  mortalité,  i'rise  à  la  Icllrc, 


144 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


âv  la  mort.  C'est  pourquoi  l'Apôtre  se  glorifie  de  la  grande 
bcnignitc  de  notre  Pontife  :  «  Ah  !  nous  n'avons  pas  un 
Pontife,  dit-il  ("),  qui  soit  insensible  à  nos  maux  :  »  No7i 
Iiabcnius  {Pontîjïccni,  qui  non  possit  compati  infirmitatibiis 
nostris\  :  pour  quelle  raison  ?  «  Parce  qu'il  a  passé  par  toute 
sorte  d'épreuves  :  »  Tcntalwn  pcr  oninia. 

\'ous  le  savez,  chrétiens  :  parmi  toutes  les  personnes  dont 
nous  plaignons  les  disgrâces,  il  n'y  en  a  point  pour  lesquelles 
nous  soyons  émus  d'une  compassion  plus  tendre,  que  celles 
ciue  nous  voyons  dans  les  mêmes  afflictions  (')  dont  quelque 
fâcheuse  rencontre  nous  a  fait  éprouver  la  rigueur.  Vous  per- 
dez un  bon  ami  ;  j'en  ai  perdu  un  autrefois  :  dans  cette  ren- 
contre d'afflictions,  ma  douleur  et  ma  compassion  s'en 
échauffera  davantage  ;  je  sais  par  expérience  combien  il  est 
sensible  de  perdre  un  ami.  Ici  je  vous  annonce  une  douce 
consolation,  ô  pauvres,  nécessiteux,  malades,  oppressés,  enfin 
cTénéralement  misérables,  quels  que  vous  soyez  :  Jésus,  mon 
Pontife,  n'a  épargné  à  son  corps  ni  les  sueurs,  ni  les  fatigues, 
ni  la  faim,  ni  la  soif,  ni  les  infirmités,  ni  la  mort  :  il  n'a 
épargné  à  son  esprit  ni  les  tristesses,  ni  les  injures,  ni  les 
ennuis,  ni  les  appréhensions.  O  Dieu!  qu'il  aura  d'inclination 
de  nous  assister,  nous  qu'il  voit  du  plus  haut  des  cieux  battus 
de  ces  mêmes  orages  dont  il  a  été  autrefois  attaqué  !  Tenta- 
tnni  per  oninia  !  Il  a  tout  pris  jusques  aux  moindres  choses, 
«  tout  jusques  aux  plus  grandes  infirmités,  [p.  i8]  si  vous  en 
exceptez  le  ^èçhè\)>  Absque peccato  [^)\  encore  connaît-il  bien 
par  sa  propre  expérience  combien  est  grand  le  poids  du 
péché  ;  «  il  a  daigné  porter  les  nôtres  à  la  croix  sur  ses  épaules 
innocentes  :  »  Peccata  nostra  ipse  pertulit  in  corpo7'e  smo  super 
ligmun  (^).  On  dirait  «  qu'il  s'est  voulu  rendre  en  quelque 

a.  Hebr.^  iv,  15.  —  b.  Ibid.  —  c.  I  Petr.^  11,  24. 

l'expression  nécessité  dépasserait  sa  pensée;  et  il  lui  arriverait  bientôt,  contrai- 
rement à  son  habitude,  de  se  démentir.  Il  écrira  en  effet  dans  le  sermon  de 
\ Exaltation  de  la  sainte  Croix  (1653)  :  «  Lui  qui  commande  ainsi  qu'il  lui  plaît 
à  la  santé  et  aux  maladies,  il  commandera  à  la  vie  de  se  retirer  pour  un  temps 
de  son  divin  corps.  Il  ne  veut  pas  que  la  nécessité  naturelle  ait  aucune  part 
dans  sa  mort,  parce  qu'il  en  réserve  toute  la  gloire  à  la  charité  infinie  qu'il  a 
pour  les  hommes.  »  {i""^ poijtt.) 

I.  Var.  affligées  des  mêmes  infortunes. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


145 


sorte  semblable  (')  aux  pécheurs  :  »  In  similitudinem  carnis 
peccati,  dit  saint  Paul  (''),  afin  de  déplorer  leur  misère  avec 
une  plus  grande  tristesse.  De  là  ces  larmes  amères,  de  là 
ces  plaintes  charitables  que  nous  avons  vues  aujourd'hui 
dans  notre  évangile. 

Et  je  remarque,  ô  fidèles,  que  cette  compassion  ne  l'a  pas 
seulement  accompagné  durant  le  cours  de  sa  vie  :  car  si 
l'Apôtre  l'a,  comme  vous  voyez,  attachée  à  sa  qualité  de 
Pontife,  selon  sa  doctrine  tout  Pontife  doit  compatir.  Or 
le  Sauveur  n'a  pas  seulement  été  mon  Pontife,  lorsqu'il 
s'est  immolé  pour  mes  péchés  sur  la  croix  ;  «  mais  à  présent 
il  est  entré  au  sanctuaire  par  la  vertu  de  son  sang,  afin  de 
paraître  pour  nous  devant  la  face  de  Dieu  (^),  »  et  y  exercer 
un  sacerdoce  éternel  selon  l'ordre  de  Melchisédech.  Il  est 
donc  pontife  et  sacrificateur  à  jamais  ;  c'est  la  doctrine  du 
même  Apôtre  :  ce  qui  a  donné  la  hardiesse  à  l'admirable 
Origène  de  dire  ces  affectueuses  paroles  (')  :  «  Mon  Seigneur 
Jésus  pleure  encore  mes  péchés  ;  il  gémit  et  soupire  pour 
nous  :  »  DoniiuMS  métis  Jésus  htget  etiam  iitmc  peccata  niea  ; 
gémit  suspiratque  pi'o  nobis  (").  Il  veut  dire  que,  pour  être 
heureux,  il  n'en  a  pas  dépouillé  les  sentiments  d'humanité  : 
il  a  encore  pitié  de  nous;  il  n'a  pas  oublié  ses  longs  travaux, 
ni  toutes  les  autres  épreuves  de  son  laborieux  pèlerinage  ; 
il  a  compassion  [p.  19]  de  nous  voir  passer  une  vie  dont  il  a 
éprouvé  les  misères,  qu'il  sait  être  assiégée  de  tant  de 
diverses  calamités.  Ce  sentiment  le  touche  dans  la  félicité  de 
sa  gloire,  encore  qu'il  ne  le  trouble  pas  ;  il  agit  en  son  cœur, 
bien  qu'il  n'agite  pas  son  cœur  :  si  nous  avions  besoin  de 
larmes,  il  en  donnerait. 

Pour  moi,  je  vous  l'avoue,  chrétiens,  c'est  là  mon  unique 
espérance  ;  c'est  là  toute  ma  joie  et  le  seul  appui  de  mon 
repos  :  autrement,  dans  quels  désespoirs  ne  m'abîmerait  pas 
le  nombre  infini  de  mes  crimes  '^  Quand  je  considère  le 
sentier  étroit  sur  lequel   Dieu  m'a  commandé  de   marcher, 

a.  RofiL,  viii,  3.  —  b.  Hebr.^  IX,  12,  24.  —  c.  In  Lcvii.^  Ilom.  vu,  2. 

1.  Vcu .  il  s'est  rendu,  autant  qu'il  s'est  pu  faire,  semblable... 

2.  Bossuet  cite  de  mémoire,  tout  en  indiquant  le  passai;e,  ainsi  qu'il  fait 
d'ordinaire.  Le  texte  porte  :  Salvator  meus  lui^ct  e/iani  nunc  pecca/ti  ///<</. 
Salvator  meus  lœtari  non  potest^  donec  e^o   in   iniquitiite  pef  nianeo. 

Sermons  do  liossuct.  **» 


146  BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


la  prodioicuse  difficulté  qu'il  y  a  de  retenir,  dans  un  chemin 
si  glissant,  une  volonté  si  volage  et  si  précipitée  que  la 
mienne  ;  quand  je  jette  les  yeux  sur  la  profondeur  impéné- 
tr.ible  du  cœur  de  l'homme,  capable  de  cacher  dans  ses 
replis  tortueux  tant  d'inclinations  corrompues  dont  je  n'aurai 
nulle  connaissance  ;  enfm  (juand  je  vois  Tamour-propre  faire 
pour  l'ordinaire  la  meilleure  partie  de  mes  actions  :  je  frémis 
d'horreur,  o  fidèles,  qu'il  ne  se  trouve  beaucoup  de  péchés 
dans  les  choses  qui  me  paraissent  les  plus  innocentes.  Et 
quand  même  je  serais  très  juste  devant  les  hommes,  ô  Dieu 
éternel,  quelle  justice  humaine  ne  disparaîtrait  point  devant 
voire  face  ?  et  qui  serait  celui  qui  pourrait  justifier  sa  vie,  si 
vous  entriez  avec  lui  dans  un  examen  rigoureux  ?  Si  le  saint 
apôtre  saint  Paul,  après  avoir  dit  avec  une  [p.  20]  si  grande 
assurance,  «  qu'il  ne  se  sent  point  coupable  en  soi-même,  »  ne 
laisse  pas  de  craindre  «  de  n'être  pas  justifié  devant  vous  :  » 
NiJiil  niiJii  coiiscius  sum  ;  sed  non  in  hoc  justificatus  suni  (f)  ; 
que  dirai-je,  moi  misérable?  et  quels  devront  être  les  troubles 
de  ma  conscience  ?  Mais,  ô  mon  aimable  pontife,  pontife 
fidèle  et  compatissant  à  mes  maux,  c'est  vous  (')  qui  répandez 
une  certaine  sérénité  dans  mon  cœur,  qui  me  fait  vivre  en 
paix  sous  l'ombre  de  votre  protection.  Non,  tant  que  je 
vous  verrai  à  la  droite  de  votre  Père  avec  une  nature  sem- 
blable à  la  mienne,  je  ne  croirai  jamais  que  le  genre  humain 
lui  déplaise,  et  la  terreur  de  sa  majesté  ne  m'empêchera 
point  d'approcher  de  l'asile  de  sa  miséricorde.  Vous  avez 
voulu  être  appelé  par  le  prophète  Isaïe  «  un  homme  de 
douleurs,  et  qui  sait  ce  que  c'est  que  d'infirmité  (')  :  »  Vwum 
doloj'îim,  et  scientem  infirnnitatem  (^).  Vous  savez  en  effet 
par  expérience,  vous  savez  ce  que  c'est  que  l'infirmité  de 
ma  chair,  et  combien  elle  pèse  à  l'esprit,  et  que  vous-même 
en  votre  Passion  avez  eu  besoin  de  toute  votre  constance 
pour  en  soutenir  la  faiblesse  :  «  L'esprit  est  fort,  disiez-vous  : 
mais  la  chair  est  infirme  (^):  »  cela  me  rend  très  certain  que 
vous  aurez  pitié  de  mes  maux.  [P.  21]  Fortifiez  mon  âme,  ô 
Seigneur,  d'une  sainte  et  salutaire  confiance,    par    laquelle 

a.  I  Cor.,  IV,  4.  —  b.  Is.,  Lin,  3.  —  c.  Matth.,  XXVI,  41. 

I.  Addition,  dont  la  vraie  place  a  été  reconnue  par  Gandar.—  2.  Edit.  l'infirmité. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


H7 


me  défiant  des  plaisirs,  me  défiant  des  honneurs  de  la  terre, 
me  défiant  de  moi-même,  je  n'appuie  mon  cœur  que  sur 
votre  miséricorde  ;  et  établi  sur  ce  roc  immobile,  je  voie 
briser  à  mes  pieds  les  troubles  et  les  tempêtes  qui  agitent 
la  vie  humaine. 

Mais,  ô  Dieu,  éloignez  de  moi  une  autre  sorte  de  con- 
fiance, qui  règne  parmi  les  libertins  ;  confiance  aveugle  et 
téméraire,  qui  ajoutant  l'audace  au  crime  et  l'insolence  à 
l'ingratitude,  les  enhardit  à  se  révolter  contre  vous  par  l'es- 
pérance de  l'impunité.  Loin  de  nous,  loin  de  nous,  ô  fidèles  ! 
une  si  détestable  manie  (')  :  car  de  même  que  la  pénitence, 
en  même  temps  qu'elle  amollit  la  dureté  de  nos  cœurs,  at- 
tendrit aussi  et  amollit  par  ses  larmes  le  cœur  irrité  de  Jésus, 
ainsi  notre  endurcissement  nous  rendrait  à  la  fin  le  cœur  du 
même  Jésus  endurci  et  inexorable.  Arrêtons-nous  ici,  chré- 
tiens; et  sur  cette  considération,  entrons,  avec  l'aide  de  Dieu, 
dans  notre  seconde  partie. 

SECOND  POINT. 

Ceux  qui  sont  tant  soit  peu  versés  dans  les  Écritures 
savent  bien  qu'une  des  plus  belles  promesses  que  Dieu  ait 
faite  (^)  à  son  Fils,  est  celle  de  lui  donner  l'empire  de 
tout  l'univers,  et  de  faire  par  ce  moyen  que  tous  les  hommes 
seraient  (^)  ses  [p.  22]  sujets.  Or,  encore  que  nous  fassions 
semblant  d'être  chrétiens,  et  qu'à  nous  entendre  parler,  on 
pût  croire  que  nous  tenons  ce  titre  à  honneur,  si  est-ce 
néanmoins  que  nous  n'épargnons  rien  pour  empêcher  (jue 
cet  oracle  divin  ne  soit  véritable.  Et  certainement  il  s'en 
faut  beaucoup  que  le  Sauveur  ne  règne  sur  nous:  puisque 
d'observer  sa  loi,  c'est  la  moindre  de  nos  pensées.  Et  toute- 
fois, comme  il  serait  très  injuste  qu'à  cause  de  notre  malice, 
le  Eils  de  Dieu  fût  privé  d'un  honneur  qui  lui  est  si  bien  dû; 

1.  «  Le  mot  a  ici  toute  la  force  de  son  acception  primitive  :  dt'raison,  folie.  > 
(Gandar.) 

2,  Un  suivi  du  superlatif  se  construisait  alors  plus  souvent  avec  le  singulier 
qu'avec  le  pluriel.  On  en  trouve  des  exemples  dans  Racine,  ScvigntS  etc.  ;  et 
sans  aller  plus  loin,  nous  lirons  dans  le  sermon  LUiivanl  :  v\  l'no  des  choses  qui 
augmente...  » 

3.  Dcforis,  Lachixt  :  soient  ses  sujets.  -    Gandar  :  seront.  ^C'cst  la  varianlc.) 


1^8  BONTl-,  FT  Rir.UEUU  DE  DIEU. 

lorsque  par  nos  rebellions  il  seml^le  que  nous  nous  retirions 
de  son  empire,  il  trouve  bien  le  moyen  d'y  rentrer  par  une 
autre  voie.  Le  JMlsde  Dieu  donc  peut  régner  en  deux  façons 
sur  les  hommes. 

Il  y  en  a  sur  lesquels  il  règne  par  ses  propres  charmes, 
par  U;s  attraits  de  sa  grâce,  par  1  équité  de  sa  loi,  par  la  dou- 
ceur de  ses  promesses,  par  la  force  de  ses  vérités  :  ce  sont 
les  justes,  ses  bien-aimés  :  et  c'est  ce  règne  que  r3avid  pro- 
phétise en  esprit  au  psaume  xl[iv]  :  «  Allez,  ô  le  plus  beau 
des  hommes,  avec  cette  grâce  et  cette  beauté  qui  vous  est 
si  naturelle  ;  allez-vous-en,  dit-il,  combattre  et  régner  :  » 
Specîe  tuact piilchntndine  tua  (^).  Que  cet  empire  est  doux, 
chrétiens  !  et  de  quel  supplice,  de  quelle  servitude  ne  seront 
pas  dignes  ceux  qui  refuseront  une  domination  si  juste  et  si 
agréable  ?  Aussi  le  Fils  de  Dieu  [p.  23]  régnera  sur  eux  d'une 
autre  manière,  bien  étrange,  et  qui  ne  leur  sera  pas  supporta- 
ble: il  y  régnera  par  la  rigueur  de  ses  ordonnances,  par  l'exé- 
cution de  sa  justice,  par  l'exercice  de  sa  vengeance.  Et  de  (') 
ce  règne  il  faut  entendre  le  psaume  11,  dans  lequel  Dieu  est 
introduit  parlant  à  son  Fils  en  ces  termes  :  t  Vous  les  régi- 
rez, ô  mon  Fils,  avec  un  sceptre  de  fer,  et  vous  les  romprez 
tout  ainsi  qu'un  vaisseau  d'argile:  »  Reges  eos  in  virgaferrea, 
cttanquam  vas figiili confringes  eos  (^),  Et  de  ces  vérités,  nous 
en  avons  un  exemple  évident  dans  le  peuple  juif. 

Le  Fils  de  Dieu  vient  à  eux  dans  un  appareil  de  douceur, 
plutôt  comme  leur  compagnon  que  comme  leur  maître. 
C'était  un  homme  sans  faste  et  sans  bruit,  le  plus  paisible 
qui  fût  au  monde.  Il  voulait  régner  sur  eux  par  sa  miséri- 
corde et  par  ses  bienfaits,  ainsi  que  je  vous  le  disais  tout  à 
l'heure.  Mais  comme  il  n'y  a  point  de  fontaine  dont  la  course 
soit  si  tranquille,  à  laquelle  on  ne  fasse  prendre  par  la  résis- 
tance la  rapidité  d'un  torrent,  de  même  le  Sauveur,  irrité 
par  tous  ces  obstacles  que  les  Juifs  aveugles  opposent  à  sa 

a.  Ps.^  XLIV,  5.  —  b.  Ps.  11,9.  Ms.  sicîtt. —  Bossuet  indique  ensuite  trois  autres 
versets  de  l'Écriture  :  Donec ponam  inbnlcos  \tnos  scabeUum  pedum  iuorufit]. — 
Domimis  regnavit^  exultet  terra...  Doinimis  regtiavit^irascanticr...  Ps..,  cix,  i; 
xcvi,  i;  xcvni,  I. 

I.  Edit.  C'est  de  ce  règne  qu'il  faut...  —  L'inversion  que  nous  rétablissons  est 
la  leçon  du  ms.  11  y  en  a  un  autre  exemple  à  la  fin  de  l'alinéa. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  149 


bonté,  semble  déposer  en  un  moment  toute  cette  humeur 
pacifique.  C'est  ce  qu'il  leur  fit  entendre  une  fois,  étant  près 
de  Jérusalem,  par  une  parabole  excellente,  rapportée  en  saint 
Luc,  [p.  24]  dans  laquelle  il  se  dépeint  soi-même  sous  la  figure 
d'un  roi  qui,  s'en  étant  allé  bien  loin  dans  une  terre  étrangère, 
apprend  que  ses  sujets  se  sont  révoltés  contre  lui  ;  et,  pour 
vous  le  faire  court,  voici  la  sentence  qu'il  leur  prononce  : 
«  Pour  mes  ennemis,  dit-il  (''),  qui  n'ont  pas  voulu  que  je 
régnasse  sur  eux,  qu'on  me  les  amène,  et  qu'on  les  égorge 
en  ma  présence  :  »  où,  certes,  vous  le  voyez  bien  autre  que 
je  ne  vous  le  représentais  dans  ma  première  partie.  Là,  il 
ne  pouvait  voir  un  misérable  qu'il  n'en  eût  pitié  :  ici,  il  fait 
venir  ses  ennemis,  et  les  fait  égorger  à  ses  yeux. 

En  effet,  il  a  exercé  sur  les  Juifs  une  punition  exemplaire, 
que  vous  voyez  clairement  déduite  dans  notre  évangile  :  et 
d'autant  qu'il  m'a  semblé  inutile  de  chercher  bien  loin  des 
raisons,  où  mon  propre  texte  me  fournit  un  exemple  si  visi- 
ble et  si  authentique  dans  la  désolation  de  Jérusalem,  je  me 
suis  résolu  de  me  servir  des  moyens  que  le  Fils  de  Dieu  lui- 
même  semble  m'avoir  mis  à  la  main.  Je  m'en  vais  donc  em- 
ployer le  reste  de  cet  entretien  à  vous  représenter,  si  je  puis, 
les  ruines  de  Jérusalem  encore  toutes  fumantes  du  feu  de  la 
colère  divine  ;  [p.  25]  et  comme  vous  avez  reconnu,  dans  notre 
première  partie,  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  aimable  que  les  em- 
brassements  du  Sauveur,  j'espère  qu'étant  étonnés  dans  le 
fond  de  vos  consciences  d'un  événement  si  tragique,  vous 
serez  contraints  d'avouer  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  terrible  que 
de  tomber  en  ses  mains,  quand  sa  bonté,  surmontée  par  la 
multitude  des  crimes,  est  devenue  implacable  :  pour  cela,  je 
toucherai  seulement  les  principales  circonstances. 

Jérusalem,  demeure  de  tant  de  rois,  qui,  dans  le  temps 
qu'elle  fut  ruinée,  était  sans  difficulté  la  plus  ancienne  ville 
du  monde,  et  le  pouvait  disputer  en  beauté  avec  celles  qui 
étaient  les  plus  renommées  dans  tout  l'Orient,  pendant  deux 
mille  et  environ  deux  cent[s]  ans  qui  ont  mesuré  sa  durée. 
a  certainement  éprouvé  beaucoup  de  différentes  fortunes: 
mais  nous  pouvons  tout(îfois  assur(M-  (]ii(\  tandis  quelle  est 

a.   J.in.^  XIX,  12,  et  seqq. 


T  c^o  TlONTlt  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


Jcincurce  dans  l'olxservance  de  la  loi  de  Dieu,  elle  était  la 
plus  paisible  et  la  plus  heureuse  ville  du  monde.  Mais  déjà 
il  y  avait  longtemps  qu'elle  se  rendait  de  plus  en  plus  rebelle 
à  ses  volontés,  qu  elle  souillait  ses  mains  par  le  meurtre  de 
ses  saints  prophètes,  et  attirait  sur  sa  tête  un  déluge  de 
sang  [p.  26]  innocent  qui  se  grossissait  tous  les  jours  ;  jus- 
ques  à  tant  que  ses  iniquités  étant  montées  jusques  au 
dernier  comble,  elles  contraignirent  enfin  la  justice  divine  à 
en  faire  un  châtiment  exemplaire.  Comme  donc  Dieu  avait 
résolu  que  cette  vengeance  éclatât  par  tout  l'univers,  pour 
servir  à  tous  les  peuples  et  à  tous  les  âges  d'un  mémorial 
éternel,  il  y  voulut  employer  les  premières  personnes  du 
monde,  je  veux  dire  les  Romains,  maîtres  de  la  terre  et  des 
mers,  Vespasien  {')  et  Tite,  que  déjà  il  avait  destinés  à 
l'empire  du  genre  humain  :  tant  il  est  vrai  que  les  plus 
grands  potentats  de  la  terre  ne  sont,  après  tout,  autre  chose 
que  les  ministres  de  ses  conseils  ! 

Et  afin  que  vous  ne  croyiez  pas  que  ce  débordement  de 
l'armée  romaine  dans  la  Judée  soit  plutôt  arrivé  par  un  évé- 
nement fortuit,  que  par  un  ordre  exprès  de  la  Providence 
divine,  écoutez  la  menace  qu'il  en  fait  à  son  peuple  par  la 
bouche  de  son  serviteur  Moïse  ;  c'est-à-dire  plusieurs  cen- 
taines d'années  (^)  avant  que  ni  Jérusalem  ni  Rome  fussent 
bâties  ;  elle  est  couchée  au  Deutéronome,  chapitre  xxviii  : 
«  Israël,  dit  Moïse,  si  tu  résistées]  jamais  aux  volontés  de 
ton  Dieu,  il  amènera  sur  toi,  des  extrémités  de  la  terre,  une 
nation  inconnue,  dont  [p.  27]  tu  ne  pourras  entendre  la 
langue  ('')  ;  »  c'est-à-dire,  avec  laquelle  tu  n'auras  aucune 
sorte  de  commerce  :  ce  sont  les  propres  mots  de  Moïse. 

Un  mot  de  réflexion,  chrétiens.  Les  Mèdes,  les  Perses, 
les  Syriens,  dont  nous  apprenons,  par  l'histoire,  que  Jérusa- 
lem a  subi  le  joug  avant  sa  dernière  ruine,  étaient  tous  peu- 
ples de  l'Orient,  avec  lesquels,  par  conséquent,  elle  pouvait 
entretenir  un  commerce  assez  ordinaire  :   mais  pour  les  Ro- 

a.  Deut.^  XXVni,  49. 

1.  Ms.  Vespasian  et  Tite.  Mais  plus  loin  :  Titus. 

2.  Edit.^  jusqu'à  Gandar  :  six  à  sept  cents  ans.  —  C'est  une  glose  de  Deforis. 
L'auteur  lui-même,  en  se  relisant  plus  tard,  a  note  entre  les  lignes  :  13  à  14 
cent  \s\  ans.  —  Entendez  :  avant  Jï^'.SUS-Christ. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


T=;i 


mains,  que  de  vastes  mers,  que  de  longs  espaces  de  terre  les 
en  séparaient  !  Rome  à  l'Occident,  Jérusalem,  à  son  égard, 
presque  dans  les  confins  de  l'Orient  :  c'est  ce  qu'on  appelle 
proprement  les  extrémités  de  la  terre.  Aussi  les  Romains 
s'étaient  déjà  rendus  redoutables  par  tout  le  monde,  que  les 
Juifs  ne  les  connaissaient  encore  que  par  quelques  bruits 
confus  de  leur  grandeur  et  de  leurs  victoires.  Mais  poursui- 
vons notre  prophétie. 

«  Ce  peuple  viendra  fondre  sur  toi  tout  ainsi  qu'une  aigle 
volante  :  »  In  similitudinem  aqîùlœ  volantis.  Ne  vous  semblc- 
t-il  pas  à  ces  marques  reconnaître  le  symbole  de  l'empire 
romain,  qui  portait  dans  ses  étendards  un  (')  aigle  aux  ailes 
déployées  ?  Passons  outre.  «  Une  nation  audacieuse,  conti- 
nue Moïse  ('')  »  (et  y  eut-il  jamais  peuple  plus  orgueilleux 
que  les  Romains,  ni  qui  eût  un  plus  grand  mépris  pour  tous 
les  autres  peuples  du  monde,  qu'ils  considéraient  à  leur  égard 
comme  des  esclaves  '^)  «  qui  ne  respectera  point  tes  vieil- 
lards, et  n'aura  point  de  pitié  de  tes  enfants.»  Ceci  me  fait  sou- 
venir de  cette  fatale  journée  dans  laquelle  [p.  28]  les  soldats 
romains  étant  entrés  de  force  dans  la  ville  de  Jérusalem,  sans 
faire  aucune  distinction  de  sexe  ni  d'âge,  les  enveloppèrent 
tous  dans  un  massacre  commun.  Quoi  plus  ?  «  Ce  peuple,  dit 
Moïse,  t'assiégera  dans  toutes  tes  places:  »  et  il  paraît  par 
l'histoire  qu'il  n'y  en  eut  aucune  dans  la  Judée  qui  n'ait  été 
contrainte  de  recevoir  garnison  romaine,  et  quasi  toutes  après 
un  long  siège.  Et  enfin  «  ils  porteront  par  terre  tes  hautes 
et  superbes  murailles  qui  te  rendaient  insolente:»  Dcstriicu- 
tui' mûri  tui  Jirmi  atque  si tb limes,  in  qnibns  habcbas  Juiii- 
ciami^').  Ne  dirait-on  pas  que  le  prophète  a  voulu  dépeindre 
ces  belles  murailles  de  Jéru3alem,  ces  fortifications  si  régu- 
lières, ces  remparts  si  superbement  élevés,  «  ces  tours  de  si 
admirable  structure,  qu'il  n'y  avait  rien  de  semblable  dans 
tout  l'univers,  »  selon  que  le  rapporte  Josèphe  (')  ?  Ht  tout 
cela  toutefois  fut  tellement   renversé,   qu'au  dire   du   iiicme 


a.  Dent.,  XXVHl,  50.  —  /;.  Ibid.,  xxvni,  52.  —  c.  /V  AV//.  fudaic,  VI.  (^ 
[al.  V,  4,  3l. 

I.  «  liossuet  à  (|ualre  li;4nes  d'inUMN  aile  dit  uulirtVrcnnncnl  /////•  aii;lo  cl  //// 
aigle.  ^>  (  lidfidiir.)         VA  (  cla,  en  sens  in\ci>e  lU-  liisa^e  ai  tiicl. 


152  HONTr.  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


|()S(j|)he,  historien  juif,  Lcinoiii  oculaire  de  toutes  ces  choses 
et  de  celles  que  j'ai  à  vous  dire,  «  il  n'y  resta  pas  aucun  ves- 
tige que  cette  ville  eût  jamais  été  ('').  » 

O  redoutable  fureur  de  Dieu,  qui  anéantis  tout  ce  que 
ui  frappes!  Mais  il  fallait  accomplir  la  prophétie  démon 
Maître,  qui  assure  dans  mon  évangile,  «  qu'il  ne  demeurerait 
pas  [)ierre  sur  pierre  dans  l'enceinte  d'une  si  [p.  29]  grande 
\'ille  :  »  A^on  rclinqucni  in  te  lapident  super  lapiciem  (^). 
C'est  ce  que  firent  les  soldats  romains,  en  exécution  des 
ordres  de  Dieu  :  et  Tite,  leur  capitaine  et  le  fils  de  leur 
empereur,  après  avoir  mis  à  ^n  cette  fameuse  expédition, 
resta  toute  sa  vie  tellement  étonné  des  marques  de  la  ven- 
geance divine,  qu'il  avait  si  évidemment  découverte  dans  la 
suite  de  cette  guerre,  que,  quand  on  lui  (')  congratulait  une 
conquête  si  glorieuse  :  «Non,  non,  disait-il,  ce  n'est  pas  moi 
qui  ai  dompté  les  Juifs  ;  je  n'ai  fait  que  prêter  mon  bras  à 
Dieu,  qui  était  irrité  contre  eux  (c).  »  Parole  que  j'ai  d'autant 
plus  soigneusement  remarquée,  qu'elle  a  été  prononcée  par 
un  empereur  infidèle,  et  qu'elle  nous  est  rapportée  par  Philo- 
strate, historien  profane,  dans  la  vie  d'Apollonius  Tyaneus. 
Après  cela,  chrétiens,  nous  qui  sommes  les  enfants  de  Dieu, 
comment  ne  serons-nous  point  effrayés  de  ses  jugements, 
qui  étonnent  jusqu'à  ses  ennemis  ? 

Mais  ce  n'est  ici  que  la  moindre  partie  de  ce  qu'il  prépare 
à  ce  peuple  :  vous  allez  voir  tout  à  l'heure  quelles  machines 
il  fait  jouer,  quand  il  veut  faire  sentir  la  pesanteur  de  son 
bras  aux  grandes  villes  et  aux  nations  tout  entières  ;  et  Dieu 
veuille  que  nous  n'en  voyions  pas  quelque  funeste  exemple 
en  nos  jours  !  Non,  non,  nation  [p.  30]  déloyale,  ce  n'est  pas 
assez,  pour  te  punir,  de  l'armée  des  Romains  :  non  [que]  les 
Romains,  je  l'avoue,  ne  soient  de  beaucoup  trop  forts  pour 
toi  ;  et  c'est  en  vain  que  tu  prétends  défendre  ta  liberté 
contre  ces  maîtres  du  monde.  Mais,  s'ils  sont  assez  puissants 
pour  te  surmonter,  il  faut  quelque  chose  de  plus  pour  t'afïii- 

a.  De  BelLJudaic.Nl,  18  [al.  VII,  i].  —  b.  Luc.-^ix,  ^.  —  c.  Philost.,  ApolL 
Tyan.  Vit.^  VI,  14. 

I.  Telle  est  la  leçon  de  1652.  Mais  Bossuet  s'étant  relu,  vers  1675,  a  corrigé  : 
«,  Quand  on  le  congratulait  d'une  conquête...  » 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  I  :; 


DO 


ger  ainsi  que  tu  le  mérites  :  que  deux  ou  trois  troupes  de 
Juifs  séditieux  entrent  donc  dans  Jérusalem,  et  qu'elle  en 
devienne  la  proie,  afin  que  tous  ensemble  ils  deviennent  la 
proie  des  Romains. 

O  Dieu,  quelle  fureur!  l'ennemi  est  à  leurs  portes,  et  je 
vois  dans  la  ville  trois  ou  quatre  factions  contraires  qui  se 
déchirent  entre  elles,  qui  toutes  déchirent  le  peuple,  se  fai- 
sant entre  elles  une  guerre  ouverte  pour  l'honneur  du  com- 
mandement ;  mais  unies  toutefois  par  la  société  de  crimes 
et  de  voleries.  Figurez-vous  dans  Jérusalem  plus  de  vingt- 
deux  mille  hommes  de  guerre,  gens  de  carnage  et  de  sang, 
qui  s'étaient  aguerris  par  leurs  brigandages  ;  au  reste  si 
déterminés,  qu'on  eût  dit,  rapporte  Josèphe  (''),  qu'ils  se 
nourrissaient  d'incommodités,  et  que  la  famine  et  la  peste 
leur  donnassent  (')  de  nouvelles  forces.  Toutefois,  messieurs, 
ne  les  considérez  pas  comme  des  soldats  destinés  contre  les 
Romains  :  ce  sont  des  bourreaux  que  Dieu  a  armés  les  uns 
contre  les  autres.  Chose  incroyable,  [p. 31]  et  néanmoins  très- 
certaine  !  à  peine  retournaient-ils  d'un  assaut  soutenu  contre 
les  Romains,  qu'ils  se  livraient  dans  leur  ville  de  plus  cruelles 
batailles  :  leurs  mains  n'étaient  pas  encore  essuyées  du  sang 
de  leurs  ennemis,  et  ils  les  venaient  tremper  dans  celui  de 
leurs  citoyens  :  Tite  les  pressait  si  vivement,  qu'à  peine 
pouvaient-ils  respirer  ;  et  ils  se  disputaient  encore  les  armes 
à  la  main  à  qui  commanderait  dans  cette  ville  réduite  aux 
abois,  qu'eux-mêmes  avaient  désolée  par  leurs  pilleries,  et  qui 
n'était  presque  plus  qu'un  champ  couvert  de  morts. 

Vous  vous  étonnez  à  bon  droit  de  cet  aveuglement  dont 
ils  sont  encore  menacés  dans  mon  vingt-huitième  chapitre 
du  Deutéronome  :  Pcrcutiam  vos  anientia  et  fur  or e  mentis  ('')  : 
«  Je  vous  frapperai  de  folie  et  d'aliénation  d'esprit.  »  Mais 
peut-être  vous  ne  remarquez  pas  que  Dieu  a  laissé  tomber 
les  mêmes  fléaux  sur  nos  têtes.  La  France,  hélas  !  notre 
commune  patrie,  agitée  depuis  si  longtemps  par  une  guerre 

a.  De  Ju'll.Jitdiïic,  lib.  VI,  lo.  — b.  Deiil.^  XXVUI,  28.  Penutiat  te  Domintts.... 

I.  Edit.  leur  donnaient.  —  Le  ms.  j)()rte  le  subjonctif  (style  indirect);  c'est 
même  une  correction.  On  trouve  souvent  des  exemples  de  cette  construction 
dans  Bossuet  et  ses  contemporains,  notamment  dans  la  traduction  de  Dioj^ènc 
Laërce,  par  Rac  ine. 


T54  BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


ctranc:èrc,  achève  de  se  désoler  par  ses  divisions  intesti- 
iK's  (').  l^ncore,  parmi  les  Juifs,  tous  les  deux  partis  conspi- 
raient à  repousser  l'ennemi  commun,  bien  loin  de  vouloir  se 
fortifier  par  son  secours,  ou  y  entretenir  quelque  intelli- 
gence :  le  moindre  soupçon  en  était  puni  de  mort  sans 
rémission.  Et  nous,  au  contraire...  Ah  !  [p.  32]  fidèles,  n'ache- 
vons pas  ;  épargnons  un  peu  notre  honte.  Songeons  plutôt 
aux  moyens  d'apaiser  la  juste  colère  de  Dieu,  qui  commence 
à  éclater  sur  nos  têtes  ;  aussi  bien  la  suite  de  mon  récit  me 
rappelle. 

Je  vous  ai  fait  voir  l'ennemi  qui  les  presse  au  dehors  des 
murailles  ;  vous  voyez  la  division  qui  les  déchire  au  dedans 
de  leur  ville  :  voici  un  ennemi  plus  cruel  qui  va  porter  une 
guerre  furieuse  au  fond  des  maisons.  Cet  ennemi  dont  je 
veux  parler,  c'est  la  faim,  qui,  suivie  de  ses  deux  satellites, 
la  rage  et  le  désespoir,  va  mettre  aux  mains,  non  plus  les 
citoyens  contre  les  citoyens,  mais  le  mari  contre  la  femme 
et  le  père  contre  les  enfants  ;  et  cela  pour  quelques  vieux 
restes  de  pain  à  demi  rongés.  Que  dis-je  pour  du  pain  ?  ils 
eussent  [été  ]  trop  heureux  :  pour  cent  ordures  qui  sont  remar- 
quées dans  l'histoire,  et  que  je  m'abstiens  de  nommer  par 
le  respect  de  cette  audience  ('')  ;  jusques-là  qu'une  femme 
dénaturée,  qui  avait  un  enfant  dans  le  berceau  (ô  mères 
détournez  vos  oreilles!)  eut  bien  la  rage  de  le  massacrer, 
de  le  faire  bouillir,  et  de  le  manger  ('').  Action  abominable, 
et  qui  fait  dresser  les  cheveux,  prédite  toutefois  dans  le 
chapitre  du  Deutéronome  que  j'ai  déjà  cité  tant  de  fois  : 
«  Je  te  réduirai  à  une  telle  extrémité  de  famine,  que  tu 
mangeras  le  fruit  de  ton  ventre  :  »  Comedes  fructum  uteri 

[P.  2)o\  Et,  à  la  vérité,  chrétiens,  quand  je  fais  réflexion  sur 
les  diverses  calamités  qui  affligent  la  vie  humaine,  entre  tou- 
tes les  autres  la  famine  me  semble  être  celle  qui  représente 
mieux  l'état  d'une  âme  criminelle,  et  la  peine  qu'elle  mérite. 

a.  De  Bell.  Judaic,  VI,  17  [al.  lib.  VI,  cap.  xni,  n.  7].  —  h.  Ibid.,  VII,  VHI 
[al.  lib.  VI,  cap.  ni,  n.  4J.  —  c.  Dent.,  xxvin,  53. 

1.  «  Les  guerres  de  la  Fronde,  dont  les  suites  se  prolongèrent,  ainsi  que  la 
guerre  contre  l'Espagne,  jusqu'au  traite'  des  Pyrénées,  en  1659.  »  (Gandar.) 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  155 

L'âme,  aussi  bien  que  le  corps,  a  sa  faim  et  sa  nourriture  : 
cette  nourriture,  c'est  la  vérité,  c'est  un  bien  permanent  et 
solide,  c'est  une  pure  et  sincère  beauté  ;  et  tout  cela  c'est 
Dieu  même.  Comme  donc  elle  se  sent  piquée  d'un  certain 
appétit  qui  la  rend  affamée  de  quelque  bien  hors  de  soi,  elle 
se  jette  avec  avidité  sur  l'objet  des  choses  créées  qui  se  pré- 
sentent à  elle,  espérant  s'en  rassasier.  Mais  ce  sont  viandes 
creuses,  qui  ne  sont  pas  assez  fortes  et  n'ont  pas  assez  de 
corps  pour  la  sustenter  ;  au  contraire,  la  retirant  de  Dieu, 
qui  est  sa  véritable  et  solide  nourriture,  ils  la  jettent  insen- 
siblement dans  une  extrême  nécessité,  et  dans  une  famine 
désespérée.  D'oi^i  vient  que  l'Enfant  prodigue,  si  vous  y 
prenez  garde,  sortant  de  la  maison  paternelle,  arrive  en  un 
pays  où  il  y  a  une  horrible  famine('')  ;  et  le  Mauvais  riche, 
enseveli  dans  les  flammes,  demande  et  demandera  éternel- 
lement une  goutte  d'eau,  qui  ne  lui  sera  jamais  accordée  {^'). 
C'est  la  véritable  punition  des  damnés,  toujours  tourmentés 
d'une  faim  et  d'une  soif  si  enragée,  qu'ils  se  rongent  et  se 
consument  eux-mêmes  dans  leur  désespoir.  Que  si  vous 
voulez  voir  une  image  de  l'état  où  ils  sont,  jetez  les  yeux 
sur  cette  nation  réprouvée,  enclose  dans  les  murailles  de 
Jérusalem. 

[P.  34]  Il  n'est  pas  croyable  combien  il  y  avait  de  monde 
renfermé  dane  cette  ville  :  car  outre  que  JérLisalem  était  déjà 
fort  peuplée,  tous  les  Juifs  y  étaient  accourus  de  tous  côtés, 
afin  de  célébrer  la  Pâque,  selon  leur  coutume.  Or  chacun  sait 
la  religion  de  ce  peuple  pour  toutes  ses  cérémonies.  Comme 
donc  ils  y  étaient  assemblés  des  millions  entiers,  l'armée 
romaine  survint  tout  à  coup  et  forma  le  siège, sans  que  l'on  eût 
le  loisir  de  pourvoir  à  la  subsistance  d'un  si  grand  peuple. 
Ici  je  ne  puis  que  je  n'interrompe  mon  discours  pour  admirer 
vos  conseils,  ô  éternel  Roi  des  siècles,  qui  choisissez  si  bien 
le  temps  de  surprendre  vos  ennemis.  Ce  n'était  pas  seule- 
ment les  habitants  |  de]  Jérusalem,  c'était  tous  les  Juifs  que 
vous  vouliez  châtier.  Voilà  donc,  pcnir  ainsi  dire,  toute  la 
nation  enfermée  dans  uncî  même  prison,  comme  étant  déjà 
par  vous  condamnée  au  dernier  supplice  :  et  cela  dans  le 
(i.  /.7/r.,  XV,  14.  —  fi.  Ihid.^  XVI,  24. 


I  JÔ  BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU. 


tcmi)s  dr  IWqucs  ('),  la  principale  de  leurs  solennités;  pour 
accomplir  cette  fameuse  prophétie,  par  laquelle  vous  leur 
dénonciez  «  que  vous  changeriez  leurs  fêtes  en  deuil  :  »  Con- 
vertatn  fcstivitatcsvestras  in  ///r///;;/(').  Certes, vous  vous  êtes 
souvenu,  ô  graïul  Dieu,  que  c'était  dans  le  temps  de  Pâques 
qu(!  leurs  pères  avaient  osé  emprisonner  le  Sauveur  :  vous 
leur  rendez  leur  change,  6  Seigneur!  et  dans  le  même  temps 
de  Pcàques,  vous  (emprisonnez  dans  la  capitale  de  leur  pays 
le.urs  |p.  iÇ\  enfants,  imitateurs  de  leur  opiniâtreté. 

Va\  effet,  qui  considérera  l'état  de  Jérusalem,  et  les  travaux 
dont  l'empereur  Titus  fit  environner  ses  murailles,  il  la 
prendra  plutôt  pour  une  prison  que  pour  une  ville  :  car 
encore  que  son  armée  fut  de  prés  de  soixante  mille  hommes 
des  meilleurs  soldats  de  la  terre,  il  ne  croyait  pas  pouvoir 
tellement  tenir  les  passages  fermés,  que  les  Juifs,  qui  savaient 
tous  les  détours  des  chemins,  n  échappassent  à  travers  de 
son  camp,  ainsi  que  des  loups  affamés,  pour  chercher  de  la 
nourriture.  Jugez  de  l'enceinte  de  la  ville,  que  soixante  mille 
hommes  ne  peuvent  assez  environner.  Que  fait-il  ?  Il  prend 
une  étrange  résolution,  et  jusques  alors  inconnue  :  ce  fut  de 
tirer  tout  autour  de  Jérusalem  une  muraille,  munie  de 
quantité  de  forts  ;  et  cet  ouvrage,  qui  d'abord  paraissait 
impossible,  fut  achevé  en  trois  jours,  non  sans  quelque  vertu 
plus  qu'humaine.  Aussi  Josèphe  remarque  «  que  je  ne  sais 
quelle  ardeur  céleste  saisit  tout  à  coup  l'esprit  des  soldats  (''),» 
de  sorte  qu'entreprenant  ce  grand  œuvre  sous  les  auspices 
de  Dieu,  ils  en    imitèrent  la  promptitude. 

Voilà,  voilà,  chrétiens,  la  prophétie  de  mon  évangile 
accomplie  de  point  en  point.  Te  voilà  assiégée  de  tes  en- 
nemis, comme  mon  Maître  te  l'a  prédit  quarante  ans  aupa- 
ravant, ô  Jérusalem,  te  voilà  «  pressée  de  tous  côtés  ;  ils 
t'ont  mise  à  l'étroit,  ils  t'ont  environnée  de  remparts  et  de 
lorts  C^^)  :  »  ce  sont  les  mots  de  mon  texte;  et  y  a-t-il  une 
seule  parole  [p. 36]  qui  ne  semble  y  avoir  été  mise  pourdépein- 

a.  De  Hcll.Judaic.^  \\\\,  (al.  lib.  V,  cap.  Xil,  n"  2).  —  b.  Luc.^  xix,  43. 
F.  lîossuet  n'a  qu'un  même  mot  pour  les  deux  formes  maintenant  usitées  :  la 
Pâque  des  Juifs  ;  le  temps  de  Pâques.  Partout  il  écrit  Pasqiic. 
2.  M  s.  Dies  vesiros  fcstos  in  plancium. 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  157 


dre  cette  circonvallation,  non  de  lignes,  mais  de  niurdilles  ? 
Depuis  ce  temps,  quels  discours  pourraient  vous  dépeindre 
leur  faim  enragée,  leur  fureur  et  leur  désespoir  ;  et  la  prodi- 
gieuse quantité  de  morts  qui  gisaient  dans  leur  rue  ('),  sans 
espérance  de  sépulture,  exhalant  de  leurs  corps  pourris  le 
venin,  la  peste  et  la  mort? 

Cependant,  ô  aveuglement  !  ces  peuples  insensés,  qui 
voyaient  accomplir  à  leurs  yeux  tant  d'illustres  prophéties 
tirées  de  leurs  propres  livres,  écoutaient  encore  un  tas  de 
devins  qui  leur  promettaient  l'empire  du  monde  :  comme 
l'endurci  Pharaon,  qui  voyant  les  grands  prodiges  que  la 
main  de  Dieu  opérait  par  la  main  de  Moïse  et  d'Aaron  ses 
ministres,  avait  encore  recours  aux  illusions  de  ses  enchan- 
teurs (").  Ainsi  Dieu  a  accoutumé  de  se  venger  de  ses  enne- 
mis :  ils  refusent  de  solides  espérances,  il  les  laisse  séduire 
par  mille  folles  prétentions;  ils  s'obstinent  à  ne  vouloir  point 
recevoir  ses  inspirations  :  il  leur  pervertit  le  sens,  il  les  aban- 
donne à  leurs  conseils  furieux  ;  ils  s'endurcissent  contre  lui; 
«  le  ciel  après  cela  devient  de  fer  sur  leur  tête  :  »  Dabo  vobis 
cœlurn  desuper  sicut  ferrum  (^)\  il  ne  leur  envoie  plus  [p.  '^'j^ 
aucune  influence  de  grâce. 

Ce  fut  cet  endurcissement  qui  fit  opiniâtrer  les  Juifs  contre 
les  Romains,  contre  la  peste,  contre  la  famine,  contre  Dieu 
qui  leur  faisait  la  guerre  si  ouvertement;  cet  endurcissement, 
dis-je,  les  fit  tellement  opiniâtres,  qu'après  tant  de  désastres 
il  fallut  encore  prendre  leur  ville  de  force  :  ce  qui  lut  le 
dernier  trait  de  colère  que  Dieu  lança  sur  elle.  Si  on  eût 
composé,  à  la  faveur  de  la  capitulation  beaucoup  de  Juifs 
se  seraient  sauvés.  Tite  lui-même  ne  les  voyait  périr  qu'à 
regret.  Or  il  fallait  à  la  justice  divine  un  noml^re  infini  de 
victimes;  il  voulait  (-)  voir  onze  cent  mille  hommes  couchés 
sur  la  place,  dans  le  siège  d'une  seule  ville  :  et  après  cela 
encore,  poursuivant  les  restes  de  cette  nation  déloyale,  il  les 
a  dispersés    par  toute  la  terre.   Pour  quelle  raison  ?  CcMnme 


a.  Exod.^  vu,  II.  —  b.  Lcvil.^  xxvi,  19.  —  Ms.  desuper  ferreum. 

1.  /:////.  leurs  rues.  —  «  Le  singulier  est  très  facile  h  comprendre:  chacun  dans 
sa  rue.  »  (Gnudar.) 

2.  //,  c'est-h-dire  Dicir.  —  Laissons  se  scandaliser  ceux  qui  oublient  le  deicidc. 


1^8  liONTl'.  ET   KTCUF.UK  DE  DIEU. 


les  lîuigLstrats,  après  avoir  fait  rouer  quelques  malfaiteurs, 
ordonnent  que  l'on  exposera  en  plusieurs  endroits,  sur  les 
grands  chemins,  leurs  membres  écartelés,  pour  faire  frayeur 
aux  autres  scélérats;  cette  comparaison  vous  fait  horreur  : 
tant  V  a  que  Dieu  s'est  comporté  à  peu  près  de  même.  Après 
avoir  exécuté  sur  les  Juifs  l'arrêt  de  mort  que  leurs  propres 
prophètes  leur  avaient,  il  y  avait  si  longtemps,  prononcé,  il 
les  a  épandus  ça  et  là  parmi  le  monde,  portant  de  toutes 
[parts]  imprimée  sur  eux  la  marque  de  sa  vengeance  ('); 
[p.  i,S]  peuple  monstrueux,  qui  n'a  ni  feu  ni  lieu,  sans  pays,  et 
de  tout  pays;  autrefois  le  plus  heureux  du  monde,  maintenant 
la  fable  et  la  haine  de  tout  le  monde  ;  misérable  sans  être 
plaint  de  qui  que  ce  soit  ;  devenu,  dans  sa  misère,  par  une 
certaine  malédiction,  la  risée  des  plus  modérés.  Ne  croyez 
pas  toutefois  que  ce  soit  mon  intention  d'insulter  à  leur 
infortune  :  non  ;  à  Dieu  ne  plaise  que  j'oublie  jusques  à  ce 
point  la  gravité  de  cette  chaire!  mais  j'ai  cru  que,  mon 
évangile  nous  ayant  présenté  cet  exemple,  le  Fils  de  Dieu 
nous  invitait  à  y  faire  quelque  réflexion.  Donnez-moi  un 
moment  de  loisir  pour  nous  appliquer  à  nous-mêmes  celles 
que  nous  avons  déjà  faites,  qui  sont  peut-être  trop  géné- 
rales. 

Chrétiens,  quels  que  vous  soyez,  en  vérité,  quels  senti- 
ments produit  dans  vos  âmes  une  si  étrange  révolution  ?  Je 
pense  que  vous  voyez  bien  par  des  circonstances  si  remar- 
quables, et  par  le  rapport  de  tant  de  prophéties  (et  il  y  en  a 
•une  infinité  d'autres  qui  ne  pouvai[en]t  pas  être  expliquées 
dans  un  seul  discours),  vous  voyez  bien,  dis-je,  que  la  main 
de  Dieu  éclate  dans  cet  ouvrage.  Au  reste,  ce  n'est  point  ici 
une  histoire  qui  se  soit  passée  dans  quelque  coin  inconnu  de 
la  terre,  ou  qui  soit  venue  à  nous  par  quelques  bruits  incer- 
tains :  [p.  39]  cela  s'est  fait  à  la  face  du  monde  ;  Josèphe, 
historien  juif,  témoin  oculaire,  également  estimé  et  des 
nôtres  et  de  ceux  de  sa  nation,   nous  l'a  raconté  tout  au 

I.  Les  éditeurs  en  coupant  ici  la  phrase,  et  faisant  un  nouvel  alinéa  de  ce  qui 
n'est  qu'une  simple  apposition,  faussent  la  pensée  de  Bossuet.   M.  Gandar  s'en 
autorise  pour  récriminer  contre  l'exaltation  croissante,  les  emportements  et  même  • 
le  fanatisme  de  cette  seconde  partie  du  sermon.  (Bossuet  orateur^  6b.) 


BONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  I  59 

long  ;  et  il  me  semble  que  cet  accident  est  assez  considé- 
rable pour  mériter  que  vous  y  pensiez. 

Vous  croirez  peut-être  que  la  chose  est  trop  éloignée  de 
notre  âge  pour  nous  émouvoir  ;  mais,  certes,  ce  nous  serait 
une  trop  folle  pensée  de  ne  pas  craindre,  parce  que  nous  ne 
voyons  pas  toujours  à  nos  yeux  quelqu'un  frappé  de  la  fou- 
dre. Vous  devriez  considérer  que  Dieu  ne  se  venge  pas 
moins,  encore  que  souvent  il  ne  veuille  pas  que  sa  main  pa- 
raisse. Quand  il  fait  éclater  sa  vengeance,  ce  n'est  pas  pour 
la  faire  plus  grande  :  c'est  pour  la  rendre  exemplaire  ;  et  un 
exemple  de  cette  sorte,  si  public,  si  indubitable,  doit  servir 
de  mémorial  es  siècles  des  siècles.  Car  enfm,  si  Dieu  en  ce 
temps-là  haïssait  le  péché,  il  n'a  pas  commencé  à  lui  plaire 
depuis  :  outre  que  nous  serions  bien  insensés  d'oublier  la 
tempête  qui  a  submergé  les  Juifs,  puisque  nous  voyons  à 
nos  yeux  des  restes  de  leur  naufrage,  que  Dieu  a  jetés,  pour 
ainsi  dire,  à  nos  portes  (').  Et  ce  n'est  pas  pour  autre  raison 
que  Dieu  conserve  les  Juifs  ;  c'est  afin  de  faire  durer  l'exem- 
ple de  sa  vengeance.  Enfm  il  est  bien  étrange  que  nous 
aimions  [mieuxj  [p.  40]  nous-mêmes  peut-être  servir  d'exem- 
ple, que  de  faire  profit  de  celui  des  autres  ('). 

Quand  nous  ne  verrions  dans  le  peuple  juif  qu'une  grande 
nation  qui  est  tout  à  coup  renversée,  ce  serait  assez  pour 
nous  faire  craindre  la  même  [punition],  particulièrement  en 
ces  temps  de  guerre,  où  sa  justice  nous  poursuit  et  nous 
presse  si  fort.  Mais  si  nous  considérons  que  c'est  le  peuple 
juif,  autrefois  le  peuple  de  Dieu,  auquel  nous  avons  succédé, 
qui  fait  la  figure  de  tout  ce  qui  doit  nous  arriver,  selon  que 
l'enseigne  l'Apôtre  (")  :  nous  trouverons  que  cet  exemple 
nous  touche  bien  plus  près  que  nous  ne  pensons  ;  puiscpie, 
étant  l'Israël  de  Dieu  et  les  vrais  enfants  de  la  race  d'Abra- 
ham, nous  devons  hériter  aussi  bien  des  menaces  cjue  des 
promesses  qui  leur  sont  faites. 

a.  I  Cor.j  X,  6,  1 1 . 

1.  «  A  nos  vc'u.x'y  â  nos  pot  tes  :  allusion  directe  aux  Juifs  qui  habitaient  Metz.  » 
{Gandar.) 

2.  Les  anciens  éditeurs  conser\ ont  ici  la  phrase  suiv.mle,  effacée  .ui  nis.  : 
«  La  main  de  Dieu  est  sur  nous  trop  visiblement  pour  ne  le  pas  reconnaître  ;  et 
il  est  Icnips  dcsormaib  que  noub  préveniunb  ba  jUble  fureur  [)ar  la  pénitence.  > 


l6o  BONTÉ  ET  RICUKUK  DE  DIEU. 


Il 


Mais  il  faut,  ô  pécheur,  il  faut  que  j'entre  avec  toi  dans 
le  discussion  plus  exacte;  il  faut  que  j'examine  si  tu  es 
beaucoup  moins  coupable  que  ne  sont  les  Juifs.  Tu  me  dis 
(ju'ils  n'ont  pas  connu  le  Sauveur:  et  toi,  penses-tu  le  con- 
naître ?  fe  ic.  tlis  en  un  mot,  avec  Tapôtre  saint  Jean,  que 
«  qui  pèche  ne  le  connaît  pas,  et  ne  sait  qu'il  (')  est  :  »  Qui 
pcccat.  non  vidit  eu  m,  ncc  cognovit  eum  (^).  Tu  l'appelles  ton 
Maître  [p.  41]  et  ton  Seigneur;  oui,  de  bouche.  Tu  te  moques 
de  lui  ;  il  faudrait  le  dire  du  cœur.  Et  comment  est-ce  que  le 
cœur  parle  1  Par  les  œuvres  :  voilà  le  langage  du  cœur;  voilà 
ce  qui  fait  connaître  ses  intentions.  Au  reste,  ce  cœur,  tu 
n'as  garde  de  le  lui  donner  ;  tu  ne  le  peux  pas  :  tu  dis  toi- 
même  qu'il  est  engagé  ailleurs  dans  des  liens  que  tu  appelles 
bien  doux.  Insensé,  qui  trouves .  doux  ce  qui  te  sépare  de 
Dieu  !  Et  après  cela,  tu  penses  connaître  son  Fils!  Non,  non, 
tu  ne  le  connais  pas  ;  seulement  tu  en  sais  assez  pour  être 
damné  davantage:  comme  les  Juifs,  dont  les  rébellions  ont 
été  punies  plus  rigoureusement  que  celles  des  autres  peuples, 
parce  qu'ils  avaient  reçu  des  connaissances  plus  particulières. 

Mais,  direz-vous,  les  Juifs  ont  crucifié  le  Sauveur.  Et 
ignorez-vous,  ô  pécheurs  !  que  vous  foulez  (f)  aux  pieds  le 
sang  de  son  testament;  que  vous  faites  pis  que  de  le  crucifier; 
que,  s'il  était  capable  de  souffrir,  un  seul  péché  mortel  lui 
causerait  plus  de  douleur  que  tous  ses  supplices  ?  Ce  n'est 
point  ici  une  vaine  exagération  ;  il  faut  brûler  toutes  les 
Ecritures,  si  cela  n'est  vrai.  Elles  nous  apprennent  qu'il  a 
voulu  être  crucifié  pour  anéantir  le  péché  ;  par  conséquent, 
il  n'y  a  point  de  doute  qu'il  ne  lui  soit  plus  insupportable  que 
sa  propre  croix.  Mais  je  vois  bien  qu'il  faut  vous  dire  quelque 
chose  de  plus  :  je  m'en  [vais]  avancer  une  parole  bien  hardie, 
et  qui  n'en  est  pas  moins  véritable.  Le  plus  grand  crime  des 
j  uifs  n'est  pas  d'avoir  fait  mourir  le  Sauveur.  Cela  vous  étonne: 

a.  \  Joan.^  m,  6.  —  Ms.  nesclt  eum  et... 

1.  Edit.  qui  il  est.  —  Correction  peu  nécessaire.  L'auteur  aime  à  traduire 
littéralement  l'Ecriture  :  ne  sait  qu'il  est,  c'est-à-dire,  ignore  qu'il  existe. 

2.  Edit.  qui  foulez.  —  Gandar  lui-même  a  cru  nécessaire,  ici  encore,  de  cor- 
riger Bossuet.  Pour  nous,  nous  ne  voyons  rien  à  reprendre  dans  la  phrase  du 
manuscrit,  que  nous  reproduisons.  Que  l'auteur  eût  pu  s'exprimer  comme  le 
veulent  les  éditeurs,  nous  n'en  disconvenons  pas  ;  mais  ce  n'est  pas  une  raison 
suffisante  pour  refaire  un  texte  irréprochable. 


IJONTÉ  ET  RIGUEUR  DE  DIEU.  l6l 


je  le  prévoyais  bien  ;  mais  je  ne  m'en  [p.  42]  dédis  pourtant 
pas  ;  au  contraire,  je  prétends  bien  vous  le  faire  avouer  à 
vous-mêmes.  Et  comment  cela  ?  Parce  que  Dieu,  depuis  la 
mort  de  son  Fils,  les  a  laissés  encore  quarante  ans  sans  les 
punir.  Tertullien  remarque  très  bien  «  que  ce  temps  leur  était 
donné  pour  en  faire  pénitence  (")  :  »  il  avait  donc  dessein  de 
leur  pardonner.  Par  conséquent,  quand  il  a  usé  d'une  puni- 
tion si  soudaine,  il  y  a  eu  quelque  autre  crime  qu'il  ne  pou- 
vait plus  supporter,  qui  lui  était  plus  insupportable  que  le 
meurtre  de  son  propre  Fils.  Quel  est  ce  crime  si  noir,  si 
abominable  ?  C'est  l'endurcissement,  c'est  l'impénitence.  S'ils 
eussent  fait  pénitence,  ils  auraient  trouvé,  dans  le  sang  qu'ils 
avaient  violemment  épandu,  la  rémission  du  crime  de  l'avoir 
épanché. 

Tremblez  donc,  pécheurs  endurcis,  qui  avalez  l'iniquité 
comme  l'eau,  dont  l'endurcissement  a  presque  étouffé  les 
remords  de  la  conscience  ;  qui,  depuis  des  années,  n'avez 
point  de  honte  de  croupir  dans  les  mêmes  ordures,  et  de 
charger  des  mêmes  péchés  les  oreilles  des  confesseurs.  Car 
enfin  ne  vous  persuadez  pas  que  Dieu  vous  laisse  rebeller 
contre  lui  des  siècles  entiers.  Sa  miséricorde  est  infinie;  mais 
ses  effets  ont  leurs  limites  prescrites  par  sa  sagesse  :  elle  qui 
a  compté  les  étoiles,  qui  a  borné  cet  univers  dans  une  rondeur 
finie,  qui  a  prescrit  des  bornes  aux  Ilots  de  la  mer,  a  marqué 
la  hauteur  jusques  où  elle  a  résolu  de  laisser  monter  les  ini- 
quités (').  Peut-être  t'attendra-t-il  encore  quelque  temps  : 
peut-être  ;  mais,  ô  Dieu  !  qui  le  peut  savoir  ?  C'est  un  secret 
qui  est  caché  dans  l'abîme  de  votre  Providence.  Mais  enfin, 
tôt  ou  tard,  ou  tu  mettras  fin  à  tes  crimes  par  la  pénitence,  ou 
Dieu  l'y  mettra  par  la  justice  de  sa  vengeance  :  tu  ne  perds 
rien  pour  différer.  Les  hommes  se  hâtent  d'exécuter  leurs 
desseins,  parce  qu'ils  ont  peur  de  laisser  échapper  les  occa- 
sions, qui  ne  consistent  qu'en  certains  moments  dont  la  luite 
est  si  précipitée  :  Dieu,  tout  au  contraire  ;  il  sait  cpie  rien  ne 
lui  échappe,  qu'il  te  fera  bien  payer  l'intérêt  de  ce  qu'il  t'a  si 
longtemps  attendu. 

a.  Advers.  M  union. ^  ni,  23. 
I.  Giindar  :  tes  iniquités. 

Sermons  de  Bossuct.  i* 


l62 


lU^NII-:  KT  KIGUKUK   Dl-:   DIKU. 


Ouc  s'il  coniinciux;  une  fois  à  appuyer  sa  main  sur  nous, 
ô  Dieu  !  que  devieiulroiis-nous  ?  (juel  antre  assez  ténébreux, 
qu''l  abime  assez  profond  nous  pourra  soustraire  à  sa  fureur  ? 
Son  bras  tout-puissant  ne  cessera  de  nous  poursuivre,  de  nous 
abattre,  de  nous  désoler  :  il  ne  restera  plus  en  nous  pierre  sur 
pierre  ;  tout  ira  en  désordre,  en  confusion,  et  en  une  déca- 
dence éternelle.  Je  vous  laisse  dans  cette  pensée  :  j'ai  tâché 
de  vous  faire  voir,  selon  que  Dieu  me  l'a  inspiré,  d'un  côté  la 
miséricorde  qui  nous  invite,  d'autre  part  la  justice  qui  nous 
efrraie(');  c'est  à  nous  à  choisir,  chrétiens;  et  encore  que  je  sois 
assuré  de  vous  avoir  fait  voir  de  quel  côté  il  faut  se  porter,  il 
y  a  grand  danger  que  nous  ne  prenions  le  pire.  Tel  est  l'aveu- 
glement de  notre  nature.  Mais  Dieu,  par  sa  grâce,  vous 
veuille  donner,  et  à  moi,  de  meilleurs  conseils  ! 


I.  Gandar :  qui  vous  invite,...  qui  vous  effraye  c'est  à  vous...  Pour  trouver  au 
manuscrit  ces  dernières  lignes,  se  reporter  de  la  f.  252  à  la  f.  231. 


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SERMON   POUR  LA   NATIVITE  de  la 


SAINTE  VIERGE  ('), 


(3'^  des  éditions),  prêché  à  Metz  devant  le  maréchal 


de   Schonberg,    le  dimanche  8  s-ptembre,    1652. 


'h 

Les  premiers  éditeurs,  jugeant  ici  nécessaire  de  prêter  à  Bossuet 
le  secours  de  leur  expérience,  ont  abrégé  l'exorde,  rajeuni  çà  et  là 
le  style,  et  ajouté  à  l'œuvre  une  conclusion  d'emprunt.  La  rédaction 
de  ce  discours  semble  en  effet  avoir  été  improvisée.  Pris  de  court, 
l'auteur  n'a  pas  même  eu  loisir  de  récrire  les  passages  considérables 
qu'il  reprend  dans  une  de  ses  plus  récentes  compositions  de  Paris 
{Rosaire,  1651);  il  se  contente  d'y  renvoyer  ;  et  cela  même,  dans  les 
premières  parties  seulement. 

La  date  de  1652  avait  été  proposée  par  M.  Floquet  {Etudes..,  I, 
203).  Elle  était  indiquée  par  l'allocution  à  Schonberg  et  à  Marie  de 
Hautefort.  Elle  est  confirmée  par  l'étude  du  manuscrit,  où  tout 
est  archaïque,  l'éloquence,  la  langue  et  l'orthographe.  M.  Gazier,  qui 
le  croyait  perdu  {Choix  de  sennoiis,  p.  37),  a  renoncé  à  tort  à  la  date 
de  M.  Floquet,  pour  se  rapprocher  de  celle  de  M.  Lâchât,  qui,  avec 
une  singulière  étourderie,  quand  il  s'agit  d'un  sermon  pour  le  8  sep- 
tembre, le  déclare  <i  prêché  à  Metz,  dans  la  fin  de  1655,  ou  da)is  le 
covunencement  de  1656.»  (XI,  100.) 


(2uis,  pu  tas,  puer  iste  erit? 
Quel  pensez-vous  que  sera  cet  en- 
fant.^ {L7ic.,iy66.) 

AVANT  la  naissance  du  Sauveur  Jésus,  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  gens  de  bien  sur  la  terre,  qui  vivaient  atten- 
dant la  rédemption  d'Israël,  ne  faisaient  autre  chose  que 
soupirer  après  sa  venue  :  et  par  des  vœux  ardents  pres- 
saient le  Père  éternel  d'envoyer  bientôt  à  son  peuple  son 
unique  libérateur.  Que  si  parmi  leurs  désirs  il  leur  paraissait 
quelque  signe  que  ce  temps  bienheureux  approchât,  il  n'est 
pas  croyable  avec  combien  de  transports  toutes  les  puissan- 
ces (  )  de  leurs  âmes  éclataient  en  actions  de  grâces.  Si  donc 
ils  eussent  appris  à  la  naissance  de  la  sainte  Vierge  quClk; 
devait  être  sa  Mère,   combien  l'auraient-ils   embrassée,   et 

1.  Afs.  communiqué  par  M.  le  chanoine  Denis,  de  Meaux.   In^",  sans  marge 
ni  paj^ination. 

2.  Far.  tous  les  sentiments,  —  toutes  les  facultés. 


l64  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


quel  aurait  ctc  l'excès  (')  de  leur  ravissement,  dans  l'espé- 
rance (ju'ils  auraient  conçue  d'être  présents  à  ce  jour  si 
beau,  auquel  le  Désiré  des  nations  commencerait  à  paraître 
au  monde!  Ainsi  ces  peuples  aveugles,  qui,  pour  être  trop 
passionnés  admirateurs  de  cette  lumière  qui  nous  éclaire, 
défèrent  dv.s  honneurs  divins  au  soleil  qui  en  est  le  père, 
commencent  à  se  réjouir,  sitôt  qu'ils  découvrent  au  ciel  son 
avant-courrière  l'aurore.  C'est  pourquoi,  ô  heureuse  Marie, 
nous  qui  leur  avons  succédé,  nous  prenons  part  à  leurs  senti- 
ments: mus  d'un  pieux  respect  pour  celui  qui  vous  a  choisie, 
nous  venons  honorer  votre  lumière  naissante,  et  couronner 
votre  berceau,  non  point  certes  de  lis  et  de  roses,  mais  de 
ces  tleurs  sacrées  que  le  Saint-Esprit  fait  éclore,  je  veux 
dire,  de  saints  désirs  et  de  sincère[s]  louanges. 

Monseigneur  (^),  c'est  la  seule  chose  que  vous  entendrez 
de  moi  aujourd'hui.  L'histoire  parlera  assez  de  vos  grandes 
et  illustres  journées,  de  vos  sièges  si  mémorables,  de  vos 
fameuses  expéditions,  et  de  toute  la  suite  de  vos  actions  im- 
mortelles. Pour  moi,  je  vous  l'avoue,  monseigneur,  si  j'avais 
à  louer  quelque  chose,  je  parlerais  bien  plutôt  de  cette  piété 
véritable,  qui  vous  fait  humblement  déposer  au  pied  des 
autels  cet  air  majestueux,  et  cette  pompe  qui  vous  environne. 
Je  louerais  hautement  la  sagesse  de  votre  choix,  qui  vous  a 
fait  souhaiter  d'avoir  dans  votre  maison  l'exemple  d'une 
vertu  (^)  si  rare,  par  lequel  nous  pouvons  convaincre  les 
esprits  les  plus  libertins,  qu'on  peut  conserver  l'innocence 
parmi  les  plus  grandes  faveurs  de  la  cour,  et,  dans  une  pru- 
dente conduite,  une  simplicité  chrétienne.  Je  dirais  de  plus, 
monseigneur,  que  votre  généreuse  bonté  vous  a  gagné  pour 
jamais  l'affection  de  ces  peuples  ;  et  si  peu  que  je  voulusse 
m'étendre  sur  ce  sujet,  je   [le]  (^)  verrais  confirmé  par  des 

1.  Var.  quels  auraient  été  leurs  transports. 

2.  Le  maréchal  de  Schonberg,  gouverneur  de  Metz.  C'est  à  lui  que  Bossuet 
dédia  le  premier  ouvrage  qu'il  publia,  /a  Réfutatioti  du  Catéchisme  de  Paul 
Ferrii\6'^^). 

3.  Marie  de  Hautefort,  duchesse  de  Schonberg,  la  pieuse  amie  et  la  confi- 
dente préférée  d'Anne  d'Autriche.  Elle  avait  fait  son  entrée  solennelle  à  Metz 
quelques  jours  auparavant.  (Floquet,  Études..^  I,  202-204.) 

4.  C'est-à-dire  :  cela.  D'ailleurs  le  mot  est  des  éditeurs,  Bossuet  l'ayant 
omis  ici. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  165 

acclamations  publiques.  Mais  encore  qu'il  soit  vrai  que  l'on 
vous  puisse  louer,  vous  et  cette  incomparable  duchesse,  sans 
aucun  soupçon  de  flatterie,  en  la  place  où  je  suis,  il  faut 
que  j'en  évite  jusques  à  la  moindre  apparence.  Je  sais  que 
je  dois  ce  discours,  et  vous  vos  attentions,  à  la  très  heureuse 
Marie.  Ce  n'est  donc  plus  à  vous  que  je  parle,  sinon  pour 
vous  conjurer,  monseigneur,  de  joindre  vos  prières  aux 
miennes  et  à  celles  de  tout  ce  peuple,  afin  qu'il  plaise  à 
Dieu  m'envoyer  son  Saint-Esprit  par  l'intercession  de  sa 
sainte  Epouse,  que  nous  allons  saluer  par  les  paroles  de 
l'Ange  :  Ave... 

C'est  en  (')  vain  que  les  grands  de  la  terre,  s'emportant 
quelquefois  plus  qu'il  n'est  permis  à  des  hommes,  semblent 
vouloir  cacher  les  faiblesses  de  la  nature  sous  cet  éclat  trom- 
peur de  leur  éminente  fortune.  Certes,  il  est  très  vrai,  chré- 
tiens, les  bienheureux  Apôtres  nous  obligent  de  les  honorer 
comme  étant  ici-bas  les  lieutenants  de  notre  grand  Dieu, 
esquels  il  a  commis  le  gouvernement  de  ses  peuples;  et  c'est 
ce  respect  que  nous  leur  rendons,  qui,  étant  découlé  des 
ordres  immuables  du  ciel,  établit  en  la  terre  et  la  fermeté 
des  états,  et  la  tranquillité  du  public,  et  le  repos  des  particu- 
liers. Que  si,  enivrés  de  cette  prospérité  passagère,  ils  se 
mettent  au-dessus  de  la  condition  humaine,  comme  on  en  a 
vu  mille  et  mille  exemples  dans  les  cours  des  princes,  le 
sage  Salomon  nous  donne  un  moyen  bien  puissant  pour 
confondre  leur  témérité  :  il  les  ramène  au  commencement  de 
leur  vie,  il  leur  présente  leurs  infirmités  dans  leur  origine  ; 
et  bien  qu'ils  nous  vantent  sans  cesse  la  noblesse  de  leur 
naissance,  il  leur  fait  voir  que  si  honorable  (  )  qu'elle  puisse 
être,  elle  a  toujours  beaucoup  plus  de  bassesse  que  de  gran- 
deur. Pour  moi,  dit  ce  prince,  encore  que  je  sois  le  maitre 
d'un  puissant  état,  j'avoue  ingénument  que  ma  naissance  ne 

1.  Tout  ce  qui  suit,  jusqu'à  :  Mais  pour  procéder  avec  ordre...  a  été  retranché 
parles  premiers  éditeurs,  comme  étant  la  répétition  du  second  sermon  (celui  de 
1655).  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  voir  que  c'est,  au  contraire,  devant  son 
illustre  protecteur  et  ami,  que  le  jeune  orateur  a  exprimé  pour  la  prcmi^re  fois 
ces  courageuses  vérités. 

2.  Vcir.  avant.i^eusc,  illustre. 


l66  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


dilïcre  en  rien  de  celle  des  autres  :  je  suis  entré  nu  en  ce 
monde,  comme  étant  exposé  à  toute  sorte  d'injures;  j'ai 
salué  comme  les  autres  hommes  la  lumière  du  jour  [jar  des 
pleurs  ;  le  premier  air  cpie  j'ai  respiré  m'a  servi  tout  ainsi 
c]u  a  eux  ?i  former  des  cris  :  Primam  vocem  similem  omnibus 
cmisi plorans.  Telle  est  en  effet  la  naissance  des  plus  grands  (') 
monarques  :  Ncmo  enim  ex  rcgilms  aliud  Jialmit  nativitatis 
iiiitiiini  (").  De  quelque  grandeur  que  les  flatte[nt]  leurs  cour- 
tisans, la  nature,  cette  bonne  mère  qui  ne  sait  ce  que  c'est 
que  flatter,  ne  les  traite  pas  autrement  que  les  moindres  de 
leurs  sujets.  Voilà,  chrétiens  (^),  oi^i  le  plus  sage  des  rois  ap- 
pelle les  grands  de  ce  monde.  Et  d'autant  que  c'est  là  sans 
doute  où  leur  ambition  a  le  plus  à  souffrir,  il  n'est  pas  croyable 
combien  de  sortes  d'inventions  ils  ont  été  rechercher  pour 
se  mettre  hors  du  pair  même  dans  cette  commune  faiblesse. 
Il  faut,  disent-ils,  à  quelque  prix  que  ce  soit,  séparer  du 
commun  des  hommes  le  prince  naissant.  C'est  pourquoi 
chacun  s'empresse  de  lui  rendre  des  hommages,  qu'il  ne 
comprend  pas!  S'il  paraît  dans  la  nature  quelque  change- 
ment ou  quelque  prodige,  on  en  tire  incontinent  des  augures 
de  sa  bonne  fortune,  comme  si  cette  grande  machine  ne  se 
remuait  que  pour  cet  enfant.  Comme  le  temps  présent  ne 
lui  est  point  du  tout  favorable,  parce  qu'il  ne  lui  donne  rien 
qui  le  distingue  de  ceux  de  son  âge,  il  faut  consulter  l'avenir 
et  avoir  recours  à  la  science  des  pronostics.  C'est  ici  que  les 
astrologues,  mêlant  dans  leurs  spéculations  la  curiosité  et  la 
flatterie,  leur  font  des  promesses  hardies,  dont  ils  donnent 
pour  garants  des  influences  cachées.  C'est  dans  ce  même 
dessein  que  les  orateurs  du  siècle,  dans  ces  belles  oraisons 
qu'ils  appellent  généthliaques  {^),  d'un  nom  magnifique, 
tâchent  de  faire  valoir  l'art  des  conjectures.  Ainsi  l'ambition 
humaine,  ne  pouvant  se  contenir  dans  cette  simple  et  naïve 

a.  Sap.,  VII,  3,  5. 

1.  Var.  de  tous  les  rois, 

2.  Var.  le  véritable  tableau  de  la  naissance  des  princes  qui  est  parti  de  la 
main  du  plus  sage  de  tous  les  princes. 

3.  Discours  ou  poème  géncthliaque:  c'est-à-dire  composé  à  l'occasion  d'une 
naissance.  Ce  mot,  qui  rappelle  le  goût  du  XVI'-  siècle,  ne  se  retrouvera  plus  en 
1655,  dans  le  passage  parallèle. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  167 


modestie  de  la  nature,  s'enfle  et  se  repaît  de  doutes  et  d'es- 
pérances. 

Mais  grâce  à  la  miséricorde  divine,  nous  sommes  appelés 
aujourd'hui  à  la  naissance  d'une  princesse,  qui  ne  demande 
point  ces  vains  ornements.  Gardons-nous  bien,  fidèles,  de 
célébrer  sa  Nativité  avec  ces  recherches  téméraires,  dont  les 
hommes  se  servent  en  de  pareilles  rencontres.  Mais  plutôt 
considérant  que  celle  dont  nous  parlons  est  la  Mère  du 
Sauveur  Jésus,  apprenons  de  son  Evangile  de  quelle  ma- 
nière il  désire  que  nous  solennisions  la  naissance  de  ses  élus. 
Les  parents  de  saint  Jean- Baptiste  nous  en  donnent  un  bel 
exemple.  Certt^s  ils  ne  pénètrent  pas  dans  les  secrets  de 
l'avenir  par  une  curiosité  trop  précipitée.  Toutefois  adorant 
en  eux-mêmes  les  conseils  de  la  Providence,  ils  ne  laissent 
pas  de  s'enquérir  modestement  entre  eux  de  ce  que  peut  de- 
venir cet  enfant  :  «  Quel  sera-t-il  à  votre  avis  ?  >)  se  disaient- 
ils  les  uns  aux  autres  :  Qins,  putas,  ptùer  iste  e7'it?  Or  j'ai 
cru  que  je  pouvais  faire  pour  la  Mère  de  notre  bon  Maître 
ce  que  l'on  a  pratiqué  à  la  naissance  de  son  Précurseur. 
Chrétiens,  qui  voyez  aujourd'hui  cette  incomparable  Prin- 
cesse faire  son  entrée  en  ce  monde,  quel  pensez-vous  que 
sera  cet  enfant  .^  Quis,  pytas,  puer  iste  erit?  Que  me  répon- 
dez-vous à  cette  question  '^  Et  moi-même  que  répondrai-je  ? 
Consulterai-je  les  astres  pour  lire  dans  leurs  diverses  figures 
la  destinée  de  Marie  .-^  Mais  je  sais  que  notre  Sauveur  est  le 
seul  astre  qui  la  domine.  Irai-je  étudier  dans  les  livres  des 
rhétoriciens  les  artifices  dont  ils  se  servent  pour  deviner  de 
bonne  grâce  ?  Mais  cette  innocente  (')  ne  prendra  pas  plaisir 
aux  afféteries  (^)  de  la  rhétorique  :  elle  aime  sur  toutes  choses 
cette  naïve  simplicité  qui  reluit  de  toutes  parts  dans  l'Evan- 
gile de  son  cher  Fils.  En  effet,  puisque  la  question  que  je 
vous  ai  proposée  est  prise  de  l'Evangile,  il  sera  bien  à  propos 
que  j'en  tire  aussi  la  réponse.  —  De  qua  iiatiis  est  Jé.sis  qui 
vocatur  Ckristus:  «  C'est  d'elle  qu'est  né  Jésus,  qui  est  appelé 
Christ,  »  dit  le  saint  Evangile  que  nous  avons  lu  ce  matin, 

1.  Première  rédaction:  cette   petite  innocente;  pctitcA  élt^  ctï;ico  (^  la  san- 
guine).—  Plus  haut  :  rhétoriciens  pour  rJu'tcurs. 

2.  Mot  cgaleincnt  effacé,  mais  non  rcinplacr  :  ne  i)cul  donc  se  supprimer. 


l68  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


célébrant  les  divins  mystères.  Maintenant  interrogez-moi 
quel  sera  ce  petit  enfant  :  Ouis,  piitas,  puer  istc  crit  ?  J'aurai 
une  belle  réponse  à  vous  faire  :  De  qiia  nattes  est  Jesus^  qui 
vocatur  Christns.  Viendra,  viendra  le  temps  que  Jésus,  la 
Sao-esse  du  Père,  le  Rédempteur  de  nos  âmes,  la  lumière  du 
crenre  humain,  en  qui  nous  sommes  comblés  de  toutes  sortes 
de  o-râces,  prendra  une  chair  humaine  de  ce  béni  (')  enfant 
dont  nous  honorons  la  naissance.  C'est  par  cet  éloge,  fidèles, 
qu'il  nous  faut  estimer  sa  grandeur,  et  juger  avec  certitude 
quel  sera  un  jour  cet  (Mifant. 

Mais  pour  y  procéder  avec  ordre,  réduisons  tout  cet 
entretien  à  quelques  chefs  principaux.  Je  dis,  ô  aimable 
Marie,  que  vous  serez  à  jamais  bienheureuse  d'être  Mère  de 
mon  Sauveur:  car,  étant  Mère  de  Ji':sus-Christ,  vous  aurez 
pour  lui  une  affection  sans  égale;  ce  sera  votre  premier  avan- 
tage. Aussi  vous  aimera-t-il  d'un  amour  qui  ne  souffrira  point 
de  comparaison;  c'est  votre  seconde  prérogative. Cette  sainte 
société  que  vous  aurez  avec  lui,  vous  unira  pour  jamais  très 
étroitement  à  son  Père;  voilà  votre  troisième  excellence. 
Enfin,  dans  cette  union  avec  le  Père  éternel,  vous  devien- 
drez la  mère  des  fidèles  qui  sont  ses  enfants  et  les  frères  de 
votre  Fils  :  c'est  par  ce  dernier  privilège  que  j'achèverai  ce 
discours. 

Je  vous  vois  surpris,  ce  me  semble  :  peut-être  que  vous 
jugez  que  ce  sujet  est  trop  vaste,  et  que  mon  discours  sera 
trop  long,  ou  du  moins  embarrassé  d'une  matière  si  ample. 
Si  est-ce  néanmoins  (^)  qu'il  n'en  sera  pas  ainsi,  moyennant 
l'assistance  divine;  nous  avancerons  pas  à  pas  pour  ne  point 
confondre  les  choses,  établissant  par  des  raisons  convain- 
cantes la  dignité  de  Marie  sur  sa  maternité  glorieuse.  Et 
encore  que  je  reconnaisse  que  ces  vérités  sont  très  hautes,  je 
ne  désespère  pas  de  les  déduire  aujourd'hui  avec  une  méthode 
facile.  J'avoue  que  c'est  me  promettre  beaucoup;  et  à  Dieu 
ne  plaise,  fidèles,  que  je  l'attende  de  mes  propres  forces  ! 
J'espère  que  ce  grand  Dieu,  qui  inspire  qui  il  lui  plaît,  me 
donnera  la  grâce   aujourd'hui  de    glorifier    son   saint  nom 

1.  M  s.  bénist  ;  (selon  l'usage  de  l'auteur  à  cette  date). 

2.  Èdit.  et  toutefois. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  169 

en  la  personne  de  la  sainte  Vierge.  Le  Père  s'intéressera 
pour  sa  Fille  bien-aimée;  le  Fils  pour  sa  chère  Mère;  le  Saint- 
Esprit  pour  sa  chaste  Epouse.  Animé  d'une  si  belle  espé- 
rance, que  puis-je  craindre  dans  cette  entreprise?  J'entre 
donc  en  matière  avec  confiance:  chrétiens,  rendez-vous 
attentifs. 

PREMIER    POINT. 

[Je  (')  dis  donc  avant  toutes  choses  qu'il  n'y  eut  jamais  mère  qui 
chérît  son  fils  av^ec  une  telle  tendresse  que  faisait  Marie;  je  dis  qu'il 
n'y  eut  jamais  fils  qui  chérît  sa  mère  avec  une  affection  si  puissante 
que  faisait  JÉSUS.  J'en  tire  la  preuve  des  choses  les  plus  connues. 
Tnterroq-ez  une  mère  d'où  vient  que  souvent  en  la  présence  de  son 
fils  elle  fait  paraître  une  émotion  si  visible  :  elle  vous  répondra  que 
le  sang  ne  se  peut  démentir,  que  son  fils  c'est  sa  chair  et  son  sanc,^ 
que  c'est  là  ce  qui  émeut  ses  entrailles  et  cause  ces  tendres  mouve- 
ments à  son  cœur,  l'Apôtre  même  ayant  dit  que  «  personne  ne  peut 
haïr  sa  chair  :  »  Nemo  eniin  unquam  carnem  suain  odio  habuit  (").  Que 
si  ce  que  je  viens  de  dire  est  véritable  des  autres  mères,  il  l'est  encore 
beaucoup  plus  de  la  sainte  Vierge;  parce  qu'ayant  conçu  delà  vertu 
du  Très-Haut,  elle  seule  a  fourni  toute  la  matière  dont  la  sainte 
chair  du  Sauveur  a  été  formée;  et  de  là  je  tire  une  autre  consi- 
dération. 

Ne  vous  semblc-t-il  pas,  chrétiens,  que  la  nature  a  distribué  avec 
quelque  sorte  d'égalité  l'amour  des  enfants  entre  le  père  et  la  mère? 
C'est  pourquoi  elle  donne  ordinairement  au  père  une  affection  plus 
forte,  et  imprime  dans  le  cœur  de  la  mère  je  ne  sais  (quelle  inclina- 
tion plus  sensible.  Et  ne  serait-ce  point  peut-être  pour  cette  raison 
que  quand  l'un  des  deux  a  été  enlevé  par  la  mort,  l'autre  se  sent 
obligé,  par  un  sentiment  naturel,  à  redoubler  ses  affections  et  ses 
soins?  Cela,  ce  me  semble,  est  dans  l'usage  commun  de  la  vie  hu- 
maine. Si  bien  que  la  très  pure  Marie  n'ayant  à  partager  avec  aucun 
homme  ce  tendre  et  violent  amour  qu'elle  avait  pour  son  Fils  Ji':sps, 
vous  ne  sauriez  assez  vous  imaginer  jusques  à  quel  point  elle  en  était 
transportée,  et  combien  elle  y  ressentait  de  douceurs.  Ceci  toutefois 
n'est  encore  qu'un  commencement  de  ce  que  j'ai  à  vous  dire. 

Certes  il  est  véritable  que  l'amour  des  enfants  est  si  natun^l.  (|u'il 
faut  avoir  dépouillé  tout  sentiment  d'humanité  pour  ne   l'ax-oir  pas. 


a.  EpJies.^  V,  29. 

I.  Le  nis.  porte  seulement  cette  indicati(Mi  :  v<  Sorinon  l'cct'  /•'i/iits  tutn^ 
fol.  4,  inarc|ue  |  jusque.s  ;\  fol.  8^1  la  môme  m;u(|nc  '  .  .Après,  ce  (|ui  s'ensuit  : 
Arrêtons-nous,  etc.  »  Cf.  ci-dessus,  p.  76. 


i;0  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


Vous  m'avouerez  néanmoins  cju'il   s'y  mêle  quelquefois    certaines 
circonstances  qui   portent   l'amour  des   parents  à   l'extrémité.    Par 
exemple,  notre  pore  Abraham  n'avait  jamais  cru  avoir  des   enfants 
de  Sara:  elle  était  stérile;  ils  étaient  tous  deux  dans  un  âge  décrépit 
et  caduc  :  Dieu  ne  laisse  pas  de  les  visiter  et  leur  donne  un  fils.  Sans 
doute  cette  rencontre  fit  qu'Abraham  le  tenait  plus  cher  sans  com- 
paraison ;  il  le  considérait,  non  tant  comme  son  fils  que  comme   le 
«  fils  de   la  pmmesse  »  divine,  Promissionis  filiits  ("),  que  sa  foi  lui 
avait  obtenu  du  ciel  lorsqu'il  y  pensait  le  moins.   Aussi  voyons-nous 
qu'on  rappelle   Isaac,  c'est-à-dire  Ris  C')  ;  parce  que  venant  en  un 
temps  où  ses  parents  ne  l'espéraient  plus,  il  devait  être  après  cela 
toutes  leurs  délices.  Et  qui  ne  sait  que  Joseph  et  Benjamin  étaient 
les  bien-aimés  et  toute  la  joie  de  Jacob,  à  cause  qu'il  les  avait  eus 
dans  son  extrême  vieillesse  d'une  femme  que  la  main  de  Dieu  avait 
rendue  féconde  sur  le  déclin  de  sa  vie }  Par  où  il  paraît  que  la  ma- 
nièi  e  dont  on  a  les  enfants,  quand  elle  est  surprenante  ou  miraculeuse, 
les  rend  de  beaucoup  plus  aimables.    Ici.  chrétiens,   quels  discours 
assez   ardents  pourraient  vous   dépeindre  les  saintes   affections  de 
Marie?  Toutes  les  fois  qu'elle  regardait  ce  cher  F'ils:  O  Dieu!  disait- 
elle,  mon  Fils,  comment  est-ce  que  vous  êtes  mon  Fils  !  qui  l'aurait 
jamais  pu  croire,  que  je  dusse  demeurer  vierge  et  avoir  un  Fils  si 
aimable?  quelle  main  vous  a  formé  dans  mes  entrailles?  comment 
y  êtes-vous  entré,  comment  en  êtes-vous  sorti,  sans  laisser  de  façon 
ni  d'autre  aucun  vestige  de  votre  passage?  Je  vous  laisse  à  considé- 
rer jusqu'à  quel  point  elle  s'estimait  bienheureuse,  et  quels  devaient 
être  ses  transports  dans  ces  ravissantes  pensées.  Car  vous  remarque- 
rez, s'il  vous  plaît,  qu'il  n'y  eut  jamais  vierge  qui  aimât  sa  virginité 
avec  un  sentiment  si  délicat.  Vous  verrez  tout  à  l'heure  où  va  cette 
réflexion. 

C'est  peu  de  vous  dire  qu'elle  était  à  l'épreuve  de  toutes  les  pro- 
messes des  hommes  :  j'ose  encore  avancer  qu'elle  était  à  l'épreuve 
même  des  promesses  de  Dieu.  Cela  vous  paraît  étrange  sans  doute; 
mais  il  n'y  a  qu'à  regarder  l'histoire  de  l'Évangile.  Gabriel  aborde 
Marie  et  lui  annonce  qu'elle  concevra  dans  ses  entrailles  le  Fils  du 
Très- Haut  ('),  le  roi  et  le  restaurateur  d'Israël.  Voilà  d'admirables 
promesses.  Oui  pourrait  s'imaginer  qu'une  femme  dût  être  troublée 
d'une  si  heureuse  nouvelle,  et  quelle  vierge  n'oublierait  pas  le  soin 
de  sa  pureté,  dans  une  si  belle  espérance?  Il  n'en  est  pas  ainsi  de 
Marie;  au  contraire,  elle  y  forme  des  difficultés :«  Comment  se  peut- 
il  faire,  dit-elle  ('''),  que  je  conçoive  ce  Fils  dont  vous  me  parlez,  moi 
qui  ai  résolu  de  ne  connaître  aucun  homme?  »  Comme  si  elle  eût 
dit:  Ce  m'est  beaucoup  d'honneur,  à  la  vérité,  d'être  mère  du  Messie; 


Rom.^  IX,  8.  —  b.  Gênés. ^  xxi,  6.  —  c.  Luc,  l,  31,  32.  —  d.  Luc,  l,  34. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  I  7  I 

mais  si  je  la  suis,  que  deviendra  ma  virginité?  Apprenez,  apprenez, 
chrétiens,  à  l'exemple  de  la  sainte  Vierge,  l'estime  que  vous  devez 
faire  e  la  pureté.  Hélas!  que  nous  faisons  ordinairement  peu  de  cas 
d'un  si  beau  trésor  !  Le  plus  souvent  parmi  nous  on  l'abandonne  au 
premier  venu,  et  qui  le  demande  l'emporte.  Kt  voici  que  l'on  fait  à 
Marie  les  plus  magnifiques  promesses  qui  puissent  jamais  être  faites 
à  une  créature;  et  c'est  un  ange  qui  les  lui  fait  de  la  part  de  Dieu: 
remarquez  toutes  ces  circonstances  ;  elle  craint  toutefois,  elle  hésite: 
elle  est  prête  à  dire  que  la  chose  ne  se  peut  faire,  parce  qu'il  lui 
semble  que  sa  virginité  est  intéressée  dans  cette  proposition  :  tant 
sa  pureté  lui  est  précieuse  !  Quand  donc  elle  vit  le  miracle  de  son 
enfantement,  ô  mon  Sauveur  !  quelles  étaient  ses  joies,  et  quelles  ses 
affections!  Ce  fut  alors  qu'elle  s'estima  véritablement  bénie  entre 
toutes  les  femmes;  parce  qu'elle  seule  avait  évité  toutes  les  malédic- 
tions de  son  sexe  :  elle  avait  évité  la  malédiction  des  stériles  par  sa 
fécondité  bienheureuse  ;  elle  av^ait  évité  la  malédiction  des  mères, 
parce  qu'elle  avait  enfanté  sans  douleur,  comme  elle  avait  conçu 
sans  corruption.  Avec  quel  ravissement  embrassait-elle  son  Fils,  le 
plus  aimable  des  fils  ;  et  en  cela  plus  aimable,  qu'elle  le  reconnaissait 
pour  son  Fils,  sans  que  son  intégrité  en  fut  offensée  ! 

Les  saints  Pères  ont  assuré  ('')  qu'un  cœur  virginal  est  la  matière 
la  plus  propre  à  être  embrasée  de  l'amour  de  notre  Sauveur  :  cela 
est  certain,  chrétiens,  et  ils  l'ont  tiré  de  saint  Paul.  Quel  devait  donc 
être  l'amour  delà  sainte  Vierge?  Elle  savait  bien  que  c'était  parti- 
culièrement à  cause  de  sa  pureté  que  Dieu  l'avait  destinée  à  son  P'ils 
unique  ;  cela  même,  n'en  doutez  pas,  cela  mcnic  lui  faisait  aimer  sa 
virginité  beaucoup  davantage:  et  d'autre  part  l'amour  qu'elle  avait 
pour  sa  sainte  virginité,  lui  faisait  trouver  mille  douceurs  dans  les 
embrasscments  de  son  Fils,  qui  la  lui  avait  si  soigneusement  conser- 
vée. Elle  considérait  jÉSUS-CilRIST  comme  une  fleur  que  son  inté- 
grité avait  poussée  ;  et  dans  ce  sentiment  clic  lui  donnait  des  baisers 
plus  que  d'une  mère,  parce  que  c'étaient  des  baisers  d'une  mère 
vierge.  Voulez-vous  quelque  chose  de  plus  pour  comprendre  l'excès 
de  son  saint  amour  ?  Voici  une  dernière  considération  cjuc  je  vous 
propose,  tirée  des  mêmes  princi[)es. 

L'antiquité  nous  rapporte  (J')  qu'une  reine  des  .Amazones  souhaita 
passionnément  d'avoir  un  fils  de  la  race  d'Alexandre  :  mais  laissons 
ces  histoires  profanes,  et  cherchons  plutôt  des  exemples  dans  l'his- 
toire sainte.  Nous  disions  tout  à  l'heure  cjuc  le  patriarclie  Jacob 
préférait  Jose[)h  à  tous  ses  autres  enfants  :  outre  la  raison  ([ue  innis 
en  avons  apportée,  il  y  en  a  encore  une  autre  tjui  \c  touchait  fort  ; 
c'est  (ju'il  l'avait  eu  de  Rachel,  (jui  était  sa  bien  ainu-e  :  cela  le  tou- 

fï.  S.  Bernard.,  Se?///,  \.\i.\  ///  Canlt\  .^  n.  8.  —  b.  QuiiU.  Curl.,  lib.  \  l. 


172  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

chait  au  vif.  Rt  saint  Jean  Chiysostomc  nous  rapportant,  dans  le 
premier  livre  du  Sacerdoce,  les  paroles  caressantes  et  affectueuses 
dont  sa  mcre  l'entretenait,  remarque  ce  discours  entre  beaucoup 
d'autres  :  «  Je  ne  pouvais,  disait-elle,  ô  mon  fils,  me  lasser  de  vous 
rec^arder,  parce  qu'il  me  semblait  voir  sur  votre  visage  une  image 
vivante  de  feu  mon  mari  ('').  »  Que  veux-je  dire  par  tous  ces  exem- 
ples? Je  prétends  faire  voir  qu'une  des  choses  qui  augmente  autant 
l'affection  envers  les  enfants,  c'est  quand  on  considère  la  personne 
dont  on  les  a  eus;  et  cela  est  bien  naturel.  Demandez  maintenant  à 
M'arie  de  qui  elle  a  eu  ce  cher  Fils  :  vient-il  d'une  race  mortelle?  a- 
t-il  pas  fallu  qu'elle  fût  couverte  de  la  vertu  du  Très-Haut?  est-ce 
pas  le  Saint-Esprit  qui  l'a  remplie  d'un  germe  céleste  parmi  les 
délices  de  ses  chastes  cmbrassements,  et  qui  se  coulant  sur  son  corps 
très  pur  d'une  manière  ineffable,  y  a  formé  celui  qui  devait  être  la 
consolation  d'Israël  et  l'attente  des  nations  ?  C'est  pourquoi  l'admi- 
rable saint  Grégoire  dépeint  en  ces  termes  la  conception  du  Sauveur: 
Lorsque  le  doigt  de  Dieu  composait  la  chair  de  son  Fils  du  sang  le 
plus  pur  de  Marie,  «  la  concupiscence,  dit-il,  n'osant  approcher,  re- 
gardait de  loin  avec  étonnement  un  spectacle  si  nouveau,  et  la  nature 
s'arrêta  toute  surprise  de  voir  son  Seigneur  et  son  Maître  dont  la 
seule  vertu  agissait  sur  cette  chair  virginale  :  »  Stetit  natura  contra^ 
et  coucupisceiitia  longe^  Dominum  nattirœ  intiientes  in  corpore  mirabi- 
liter  opéra  lit eiii  (^'). 

Et  n'est-ce  pas  ce  que  la  Vierge  elle-même  chante  avec  une  telle 
allégresse  dans  ces  paroles  de  son  cantique  :  Fecit  miJii  magna  qui 
potens  est  (')  :  «  Le  Tout-Puissant  m'a  fait  de  grandes  choses  ?  »  Et 
que  vous  a-t  il  fait,  ô  Marie?  Certes  elle  ne  peut  nous  le  dire  ;  seule- 
ment elle  s'écrie,  toute  transportée,  qu'il  lui  a  fait  de  grandes  choses: 
Fecit  iniJii  magna  qui  potens  est.  C'est  qu'elle  se  sentait  enceinte  du 
Saint-Esprit  :  elle  voyait  qu'elle  avait  un  Fils  qui  était  d'une  race 
divine  ;  elle  ne  savait  comment  faire  ni  pour  célébrer  la  munificence 
divine,  ni  pour  témoigner  assez  son  ravissement  d'avoir  conçu  un 
Fils  qui  n'eût  point  d'autre  père  que  Dieu.  Que  si  elle  ne  peut  elle- 
même  nous  exprimer  ses  transports,  qui  suis-je,  chrétiens,  pour  vous 
décrire  ici  la  tendresse  extrême  et  l'impétuosité  de  son  amour  ma- 
ternel, qui  était  enflammé  par  des  considérations  si  pressantes  ?  Que 
les  autres  mères  mettent  si  haut  qu'il  leur  plaira  cette  inclination  si 
naturelle  qu'elles  ressentent  pour  leurs  enfants  ;  je  crois  que  tout  ce 
qu'elles  en  disent  est  très  véritable,  et  nous  en  voyons  des  effets  qui 
passent  de  bien  loin  tout  ce  que  l'on  pourrait  s'en  imaginer:  mais  je 
soutiens,  et  je  vous  prie  de  considérer  cette  vérité,  que  l'affection 


a.  De  Sacerd.,  lib.  i,  n.  5.  —  b.  Senn.  Il  in  Annnnt.  B.  V.  Jlf.,  inter.  Oper. 
s.  Greg.  Thaum.  —  c.  Luc.^  I,  49. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  173 

d'une  bonne  mère  n'a  pas  tant  d'avantage  par-dessus  les  amitiés 
ordinaires,  que  l'amour  de  Marie  surpasse  celui  de  toutes  les  autres 
mères.  Pour  quelle  raison  ?  C'est  parce  qu'étant  mère  d'une  façon 
toute  miraculeuse  et  avec  des  circonstances  tout  à  fait  extraordi- 
naires, son  amour  doit  être  d'un  rang  tout  particulier.  Et  comme 
l'on  dit,  et  je  pense  qu'il  est  véritable,  qu'il  faudrait  avoir  le  cœur 
d'une  mère  pour  bien  concevoir  quelle  est  l'affection  d'une  mère  ;  je 
dis  tout  de  même  qu'il  faudrait  avoir  le  cœur  de  la  sainte  Vierge 
pour  bien  concevoir  l'amour  de  la  sainte  Vierge.] 

Arrêtons-nous  (')  donc  ici,  chrétiens  :  aussi  bien  sera-t-il  à 
propos  que  nous  allions  passer  quelque  temps  près  du  ber- 
ceau de  notre  Princesse.  Dites-moi  en  vérité,  s'il  vous  plait, 
après  les  choses  que  vous  avez  ouïe[s],  quelle  opinion  avez- 
vous  de  cet  aimable  enfant  que  vous  y  voyez  reposer  (")  ?  quel 
sera-t-il  à  votre  avis  dans  le  progrès  de  son  âge?  Qiiis.piitas, 
pîier  iste  erit  ?  Pour  moi  je  ne  puis  que  je  [ne]  m'écrie  :  O 
fille  mille  et  mille  fois  bienheureuse  d'être  prédestinée  à  un 
amour  si  excessif  pour  Celui  qui  est  le  seul  qui  mérite  nos 
affections  ! 

Vous  n'ignorez  pas  que  l'amour  du  Seigneur  Jésus,  c'est 
le  plus  beau  présent  dont  Dieu  honore  les  saints.  Dès  le 
commencement  des  siècles,  il  était,  bien  qu'absent,  les  délices 
des  patriarches.  Abraham,  Isaac  et  Jacob  ne  pouvaient 
presque  modérer  leur  joie,  quand  seulement  ils  songeaient 
qu'un  jour  il  naîtrait  de  leur  race.  Vous  donc,  ô  heureuse 
Marie,  vous  qui  le  verrez  sortir  de  vos  bénites  entrailles  ; 
vous  qui  le  contemplerez  sommeillant  entre  vos  bras,  ou 
pendu  (^)  à  vos  chastes  mamelles,  comment  n'en  serez-vous 
point  transportée.'^  En  suçant  votre  lait  virginal,  ne  coulera- 
t-il  pas  en  votre  âme  l'ambroisie  (*)  de  son  saint  amour?  Et 
quand  il  commencera  de  vous  appeler  sa  Mère  d'une  parole 
encore  bégayante;  et  quand  vous  l'entendrez  payer  ()  à  Dieu 
son    Père   le   tribut  des   premières   louanges,   sitôt   ({ue  sa 

1.  Reprise  delà  rédaction  nouvelle.  —  Les  éditeurs  ont  encore  pratiqué  dans 
ce  qui  suit  des  coupures  et  des  corrections,  que  nous  rectifions,  sans  les  signaler 
toutes  en  détail. 

2.  Edit.  qui  vient  de  naître. 

3.  Edit.  attaché. 

4.  Var.  la  douceur. 

5.  Var.  rendre  ses  premières  louanges  à  son  l'ère. 


174  ^UR  LA  NATIVITl^  DE  LA  SAINTE  VIERGK. 

lanq^ue  enfantiiu!  se  sera  un  peu  dénouée  ;  et  quand  vous  le 
\errez  dans  K;  particulier  de  votre  maison,  souple  et  obéis- 
sant à  vos  ordres,  combien  grandes  seront  vos  ardeurs! 

Mais  disons  encore  qu'une  des  plus  grandes  grâces  de 
Dieu,  c'est  de  penser  souvent  au  Sauveur.  Oui,  certes,  il  le 
faut  reconnaître,  son  nom  est  un  miel  à  la  bouche  ;  c'est  une 
lumière  à  nos  yeux,  c'est  une  llamme  à  nos  cœurs  ('')  :  il  y  a 
je  ne  sais  quelle  grâce,  que  Dieu  a  répandue  et  dans  toutes 
ses  paroles  et  dans  toutes  ses  actions  :  y  penser,  c'est  la  vie 
éternelle.  Pensez-y  souvent,  ô  fidèles  ;  sans  doute  vous  y 
trouverez  une  consolation  incroyable.  C'était  toute  la  dou- 
ceur de  Marie.  Nous  voyons  dans  les  Evangiles  que  tout  ce 
que  lui  disait  son  Fils,  tout  ce  qu'on  lui  disait  de  son 
Fils,  elle  le  conservait,  elle  le  repassait  mille  et  mille  fois  en 
son  cœur:  Maria  auteiii  conservabat  omnia  verba  hœc,.. 
in  corde  sîio  (^\  Il  tenait  si  fort  à  son  âme,  qu'aucune  force  ni 
violence  n'était  capable  de  l'en  distraire  :  car  il  eût  fallu  lui 
tirer  de  ses  veines  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  ce  sang 
maternel,  qui  ne  cessait  de  lui  parler  de  son  Fils.  Comme  on 
voit  que  les  mères  (')  prennent  une  part  tout  extraordinaire 
à  toutes  les  actions  de  leurs  fils  :  quelles  admirations  de  sa 
vie  !  quels  charmes  dans  ses  paroles,  quelle  douleur  de  sa 
Passion  !  quel  sentiment  de  sa  charité!  quel  contentement  de 
sa  gloire  !  et  après  qu'il  fut  retourné  à  son  Père,  quelle  impa- 
tience de  le  rejoindre  ! 

Le  docte  saint  Thomas  (dans  la  question  XII  de  sa  pre- 
mière partie),  traitant  de  l'inégalité  qui  est  entre  les  bien- 
heureux, dit  que  ceux-là  jouiront  plus  abondamment  de  la 
présence  divine,  qui  l'auront  en  ce  monde  le  plus  ardemment 
désirée  ;  parce  que,  comme  dit  ce  grand  homme,  la  douceur 
de  la  jouissance  va  à  proportion  des  désirs.  Comme  une 
Hèche  qui  part  d'un  arc  bandé  avec  plus  de  violence,  prenant 
son  vol  au  milieu  des  airs  avec  une  plus  grande  roideur, 
entre  aussi  plus  profondément  au  but  où  elle  est  adressée  ; 


a.  S.  Bernard.  Serm.  xv  in  Cant.^  n.  6.  —  b.  Imc,  II,  19. 

I.  Var.  Que  si  tout  ce  que  fait,  —  presque  tout  ce  que  fait  un  fils,  —  un  bon 
fils,  —  que  si  pour  l'ordinaire  ce  que  fait  un  bon  fils  plaît  à  sa  mère,  —  plaît 
ordinairement  à  sa  mère..,  et  les  plus  sages  y  sont  quelquefois  abusées... 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


175 


de  même  lame  fidèle  pénétrera  plus  avant  dans  l'abîme  de 
l'essence  divine,  le  seul  terme  de  ses  espérances,  quand  elle 
s'y  sera  élancée  par  une  plus  grande  impétuosité  de  désirs. 
Que  si  le  grand  apôtre  saint  Paul,  frappé  au  vif  en  son  âme 
de  l'amour  de  Notre-Seigneur,  brûle  d'une  telle  impatience 
de  l'aller  embrasser  en  sa  gloire,  qu'il  voudrait  voir  bientôt 
ruinée  cette  vieille  masure  du  corps  qui  le  sépare  de  Jésus- 
Christ  :  Desiderium  habcns  dissolvi  et  esse  cicm  Christo  (''), 
jugez  des  inquiétudes  et  des  douces  émotions  que  peut  res- 
sentir le  cœur  d'une  mère.  Le  jeune  Tobie,  par  une  absence 
d'un  an,  perce  celui  de  sa  mère  d'inconsolables  douleurs  ('')  : 
quelle  différence  entre  mon  Sauveur  et  Tobie  ! 

S'il  est  donc  vrai,  saint  Enfant  qui  nous  fournissez  aujour- 
d'hui un  sujet  de  méditation  si  pieux,  s'il  est  vrai  que 
votre  grandeur  doive  croître  selon  la  mesure  de  vos  désirs, 
quelle  place  assez  auguste  vous  pourra-t-on  trouver  dans 
le  ciel?  Ne  faudra-t-il  pas  que  vous  passiez  toutes  les  hiérar- 
chies angéliques  pour  courir  à  notre  Sauveur?  C'est  là 
qu'ayant  laissé  bien  loin  au-dessous  de  vous  tous  les  ordres 
des  prédestinés,  tout  éclatante  (')  de  gloire,  et  attirant  sur 
vous  les  regards  de  toute  la  cour  céleste,  vous  irez  prendre 
place  près  du  trône  de  votre  cher  Fils,  pour  jouir  à  jamais 
de  ses  plus  secrètes  faveurs.  C'est  là  qu'étant  charmée  d'une 
ravissante  douceur  dans  ses  embrassements  si  ardemment 
désirés,  vous  parlerez  à  son  cœur  avec  une  efficacité  mer- 
veilleuse. Eh!  quel  autre  que  vous  aura  plus  de  pouvoir  sur 
ce  cœur,  puisque  vous  y  trouverez  une  si  fidèle  correspon- 
dance: je  veux  dire  l'amour  filial  qui  sera  d'intelligence  avec 
l'amour  maternel,  qui  s'avance  pour  le  recevoir,  et  qui  pré- 
viendra ses  désirs! 

SECOND    POINT. 

Nous  voilà  tombés  insensiblement  sur  l'amour  doni  le 
Fils  de  Dieu  honore  la  sainte  Vierge.  Fidèles,  que  vous  tn 
dirai-je?  Si  je  me  suis  trouvé  empêché  à  dépeindre  l'alfection 

a.  Phil.^  I,  23.  —  M  s.  Ctipio  dissolvi...  —  b.  Joi?.,  V,  23  et  seqq. 

I.  Âls.  toute  éclatante.  —  Bossuet  ccrira  de  nicmc  plus  loin  au  pluriel  mascu- 
lin :  tous  éclatants  et  tous  purs  —  pour  :  tout  éclatants,  etc.  (\'i>y.  /\\nhu /ucs  sur 
la  grammaire  et  le  vocabulaire^  à  la  tin  de  l'Introduction.) 


176  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  TA  S ATNTK  VIKUGE. 

tic  la  Mère  selon  son  mérite,  je  le  serai  encore  davantage 
à  (')  vous  représenter  celle  du  Fils  ;  parce  que  je  suis  assuré 
([u'autant  que  Notre-Seigneur  surpasse  la  sainte  Vierge  en 
toute  autre  chose,  d'autant  est-il  meilleur  fils  qu'elle  n'était 
bonne  mère.  Mais  en  demeurerons-nous  là,  chrétiens  ? 
Cherchons,  cherchons  encore^  quelque  puissante  considéra- 
tion dans  la  doctrine  des  Evangiles  :  c'est  la  seule  qui 
touche  les  cœurs  ;  une  seule  parole  de  l'Evangile  a  plus  de 
pouvoir  sur  nos  âmes,  que  toute  la  véhémence  et  toutes  les 
inventions  de  l'éloquence  profane.  Disons  donc,  avec  l'aide 
de  1  )ieu,  quelque  chose  de  l'Evangile;  et  qu'y  pouvons- 
nous  voir  de  plus  beau,  que  ces  admirables  transports  avec 
lesquels  le  Seigneur  Jésus  a  aimé  la  nature  humaine  ?  Per- 
mettez-moi en  ce  lieu  une  briève  digression  :  elle  ne  déplaira 
pas  à  Marie,  et  ne  sera  pas  inutile  à  votre  instruction  ni  à 
mon  sujet. 

Certes,  ce  nous  doit  être  une  grande  joie  de  voir  que 
notre  Sauveur  n'a  rien  du  tout  dédaigné  de  ce  qui  était  de 
l'homme.  Il  a  tout  pris,  excepté  le  péché  ;  je  dis  tout  jus- 
ques  aux  moindres  choses,  tout  jusques  aux  plus  grandes 
infirmités.  Je  ne  le  puis  pardonner  à  ces  hérétiques  qui, 
ayant  osé  nier  la  vérité  de  sa  chair,  ont  nié  par  conséquent 
que  ses  souffrances  et  ses  passions  fussent  véritables.  Ils  se 
privaient  eux-mêmes  d'une  douce  consolation  :  au  lieu  que, 
reconnaissant  que  toutes  ces  choses  sont  effectives,  quelque 
affliction  qui  me  puisse  arriver,  je  serai  toujours  honoré  de 
la  compagnie  de  mon  Maître.  Si  je  souffre  quelque  néces- 
sité, je  me  souviens  de  sa  faim  et  de  sa  soif,  et  de  son 
extrême  indigence  ;  si  l'on  fait  tort  à  ma  renommée,  «  il  a 
été  soûlé  d'opprobres,  »  comme  il  le  dit  lui-même  (')  :  si  je 
me  sens  abattu  par  quelques  infirmités,  il  en  a  souffert  jusques 
à  la  mort  :  si  je  suis  accablé  d'ennuis,  que  je  m'en  aille 
au  jardin  des  Olives  ;  je  le  verrai  dans  la  crainte,  dans  la 

1.  Edit.  si  je  n'ai  pu  dépeindre  l'affection  de  la  Mère  selon  son  me'rite,  je 
pourrai  encore  moins... 

2.  C'est  Jérémie  Thren.^  ni,  30,  qui  avait  dit  du  Sauveur  ;  Sahirabitur  oppro- 
Mzj.Deforis  corrige,  adoucissant  les  expressions  trop  rudes  :  «  Il  a  été  rassasié 
d'opprobres,  comme  il  est  dit  de  lui.  »  Bossuet,  dont  la  plume  court  cette  fois 
un  peu  au  hasard,  n'a  pris  le  temps  ni  d'être  exact,  ni  de  polir  ses  expressions. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  177 

tristesse,  dans  une  telle  consternation,  qu'il  sue  sang  et  eau 
dans  la  seule  appréhension  de  son  supplice.  Je  n'ai  jamais 
oui  dire  que  cet  accident  fût  arrivé  à  d'autres  personnes 
qu'à  lui  ;  ce  qui  me  fait  dire  que  jamais  homme  n'a  eu  les 
passions  ni  si  tendres,  ni  si  délicates,  ni  si  forte[s]  que  mon 
Sauveur,  bien  qu'elles  aient  toujours  été  extrêmement 
modérées,  parce  qu'elles  étaient  parfaitement  soumises  à  la 
volonté  de  son  Père. 

Mais  de  là,  me  direz-vous,  que  s'ensuit-il  à  notre  pro- 
pos (')  ?  C'est  ce  qu'il  m'est  aisé  de  vous  faire  voir.  Quoi 
donc!  notre  Maître  se  sera  si  franchement  revêtu  de  ces  sen- 
timents de  faiblesse  qui  semblaient  en  quelque  façon  être 
indignes  de  sa  personne,  ces  langueurs  extrêmes,  ces  vives 
appréhensions  ;  il  les  aura  pris  si  purs,  si  entiers,  si  sincères: 
et  que  sera-ce  après  cela  de  l'affection  envers  les  parents  ; 
étant  très  certain  que  dans  la  nature  même  il  n'y  a  rien  de 
plus  naturel,  de  plus  équitable,  de  plus  nécessaire.^  Particu- 
lièrement à  l'égard  d'une  mère  telle  qu'était  l'heureuse  Marie. 
Car,  enfin,  elle  était  la  seule  en  ce  monde  à  qui  il  eilt  obliga- 
tion de  la  vie  ;  et  j'ose  dire  de  plus  qu'en  recevant  d'elle  la 
vie,  il  lui  est  redevable  et  d'une  partie  de  sa  gloire,  et  même 
en  quelque  façon  de  la  pureté  de  sa  chair  :  de  sorte  que  cet 
avantage,  qui  ne  peut  convenir  à  aucune  autre  mère  qu'à 
celle  dont  nous  parlons,  l'obligeait  d'autant  plus  à  redoubler 
ses  affections. 

Et  n'appréhendez  pas,  chrétiens,  que  je  veuille  déroger  à 
la  grandeur  de  mon  Maître  par  cette  proposition,  qui  n'en 
est  pas  moins  véritable  bien  qu'elle  paraisse  peut-être  un 
peu  extraordinaire,  du  moins  au  premier  abord  :  mais  je 
prétends  l'établir  sur  une  doctrine  si  indubitable  de  l'admi- 
rable saint  Augustin,  que  les  esprits  les  plus  contentieux 
seront  contraints  d'en  demeurer  d'accord.  Ce  grand  homme 
considérant  que  la  concupiscence  se  mêle  dans  toutes  lt*s 
générations  ordinaires,  ce  qui  n'est  (jue  trop  véritable  i)i)ur 
notre  malheur  (),  en  tire  cette  conséquence  :  cjuc  cette 
maudite  concupiscence,  qui  corrompt  tout  ce  qu'elle  touche, 

1.  Edit.  pour  le  sujet  que  nous  traitons.  —  Ils  traduisent  ainsi  l'oriji^inal. 

2.  Bossuet  avait  crabonl  écrit  :  vi  à  notre  malheur  ». 

Sermons  de  Bossuet.  la 


i;S  SUR  LA    NATIVITl':  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


infecte  Lcllcmeni  hi  matière  qui  se  ramasse  pour  former  nos 
corps,  que  la  chair  (|ui  en  est  composée  en  contracte  aussi 
une  corruption  nécessaire.  C'est  pourquoi  dans  la  résurrection, 
où  nos  corps  seront  tout  nouveaux,  c'est-à-dire  tout  éclatants 
et  tout  purs,  ils  renaîtront,  non  de  la  volonté  de  l'homme  ni 
de  la  volonté  de  la  chair,  mais  du  souffle  de  l'Esprit  de  Dieu, 
qui  prendra  plaisir  de  les  animer  quand  ils  auront  laissé  à 
la  terre  les  ordures  de  leur  première  génération.  Or,  comme 
ce   n'est  pas  ici  le  lieu  d'éclaircir  cette  vérité,  je  me  conten- 
terai de  vous  dire,   comme  pour  une  preuve   infaillible,  que 
c'est  la  doctrine  de   saint   Augustin,   que    vous   trouverez 
merveilleusement  expliquée  en  mille  beaux  endroits  de  ses 
excellents  écrits,  particulièrement  dans  ses   savants   livres 
contre  Julien  le   Pélagien. 

Cela  étant  ainsi,  remarquez  exactement,  s'il  vous  plaît,  ce 

que  j'infère  de  cette   doctrine.    Je   dis  que  si  ce  commerce 

ordinaire,  parce  qu'il  a  quelque  chose  d'impur,  fait  passer  en 

nos  corps   un    mélange  d'impureté,    nous  pouvons  assurer, 

au  contraire,  que  le  fruit  d'une  chair  virginale  tirera  d'une 

racine  si  pure  une  pureté  merveilleuse.  Cette  conséquence 

est  certaine.  Le  Philosophe  {')  a  dit  que  c'est  la  même  loi 

des  contraires  ;  et  sans  me  mettre  en  peine  du  Philosophe, 

c'est  une  doctrine  constante  que  le  saint  évêque  Augustin  a 

prise  dans   les    Écritures  (")  :  et   d'autant  que  le  corps  du 

Sauveur,  je  vous  prie,  suivez  sa  pensée,  d'autant,  dis-je,  que 

le  corps  du  Sauveur  devait  être  plus  pur  que  les  rayons  du 

soleil,  de  là  vient,  dit  ce  grand  personnage,  «qu'il  s'est  choisi 

dès  l'éternité  une  mère  vierge,  afin  qu'elle  l'engendrât  sans 

aucune  concupiscence  par  la  seule  vertu  de  la  foi  :  »  Ideovir- 

ginem  matrem,  pia  fide  sanctum  germen  in  se  fieri proineren- 

tein,  de  qtta  crearetitr  elegit. 

[Car  (^)  il  était  bienséant  que  la  sainte  chair  du  Sauveur  fût,  pour 
a.  De  Pecc.  inerit.,  lib.  Il,  n.  38. 

1.  Ce  curieux  passage,  où  Aristote  est  allégué  d'une  manière  toute  scholas- 
tique,  mais  pour  être  mis  aussitôt  hors  de  cause,  a  été  retranché  dans  les  précé- 
dentes éditions. 

2.  Nouvel  emprunt,  d'une  vingtaine  de  lignes,  au  sermon  du  Rosaire,  ainsi 
indiqué  au  ms.  :  <iclci!:it.  Et  le  reste  p.  19  -|-,  jusques  à  la  marque  +  dans  la  même 
page.  Apres,  dire  ce  qui  s'ensuit,  page  suivante  celle-ci.  »  (Après  ces  grands  avan- 
tages...) Cf.  p.  83. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  I  79 

ainsi  dire,  embellie  de  toute  la  pureté  d'un  sang  virginal,  afin  qu'elle 
fût  digne  d'être  unie  au  Verbe  divin,  et  d'être  présentée  au  Père 
éternel  comme  une  victime  vivante  pour  l'expiation  de  nos  fautes  : 
tellement  que  la  pureté  qui  est  dans  la  chair  de  JÉSUS,  est  dérivée 
en  partie  de  cette  pureté  angélique  que  le  Saint-Esprit  coula  dans 
le  corps  de  la  Vierge,  lorsque,  charmé  de  son  intégrité  inviolable,  il 
la  sanctifia  par  sa  présence,  et  la  consacra  comme  un  temple  vivant 
au  Fils  du  Dieu  vivant 

Faites  maintenant  avec  moi  cette  réflexion,  chrétiens.  Mon  Sau- 
veur, c'est  l'amant  et  le  chaste  époux  des  vierges  :  il  se  glorifie  d'être 
appelé  le  Fils  d'une  Vierge  ;  il  veut  absolument  qu'on  lui  amène  les 
vierges,  il  les  a  toujours  en  sa  compagnie,  elles  suivent  cet  Agneau 
sans  tache  partout  où  il  va.  Que  s'il  aime  si  passionnément  les  vier- 
ges, dont  il  a  purifié  la  chair  par  son  sang,  quelle  sera  sa  tendresse 
pour  cette  Vierge  incomparable  qu'il  a  élue  dès  l'éternité,  pour  en 
tirer  la  pureté  de  sa  chair  et  de  son  sang  }  ] 

Après  ces  grands  avantages  qui  sont  préparés  à  Marie, 
ô  Dieu,  quel  sera  un  jour  cet  enfant  ?  Quis,  putas,  puer  iste 
erit  ?  Heureuse  mille  et  mille  fois  d'aimer  si  fort  le  Sauveur, 
d'être  si  fort  aimée  du  Sauveur!  Aimer  le  Fils  de  Dieu,  c'est 
une  grâce  que  les  hommes  ne  reçoivent  que  de  lui-même  ; 
et  parce  que  Marie  est  sa  Mère,  et  qu'une  mère  aime  natu- 
rellement ses  enfants,  ce  qui  est  grâce  pour  tous  les  autres 
lui  est  comme  passé  en  nature.  D'autre  part,  être  aimé  du 
Fils  de  Dieu  est  une  pure  libéralité  dont  il  daigne  honorer 
les  hommes  :  et  parce  qu'il  est  Fils  de  Marie,  et  qu'il  n'y  a 
point  de  fils  qui  ne  soit  obligé  de  chérir  sa  mère,  ce  qui  est 
libéralité  pour  les  autres  à  l'égard  de  la  sainte  Vierge  devient 
une  obligation.  S'il  l'aime  de  cette  sorte,  il  faudra  par  néces- 
sité qu'il  lui  donne.  Il  ne  lui  pourra  donner  autre  chose  que 
ses  propres  biens.  Les  biens  du  Fils  de  Dieu,  ce  sont  les 
vertus  et  les  grâces.  C'est  son  sang  innocent  qui  les  fait 
inonder  sur  les  hommes.  Et  à  quel  autre  pensez-vous  qu'il 
donnerait  plus  de  part  à  son  sang,  qu'à  celle  dont  il  a  tiré 
tout  son  sang  ?  Pour  moi,  il  me  semble  que  ce  sang  précieux 
prenait  plaisir  de  ruisseler  pour  elle  à  gros  bouillons  sur  hi 
croix,  sentant  bien  qu'en  elle  était  la  source  de  la(juelle  il 
était  premièrement  découlé.  Davantage  ('),  ne  savons-nous 

I.  Kdit.  bien  plus.  —  Nouvelle  traduction  en  français  moderne.  Hossuet  écrit: 

d'av  an  taire. 


l8o  SUR  LA  NATIVITI-:  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

pas  (luc  le  Pcrc  cternel  ne  peut  s'empêcher  d'aimer  tout  ce 
qui  touche  de  près  à  son  Fils?  N'est-ce  pas  en  sa  personne 
que  le  ciel  et  la  terre  s'embrassent  et  se  réconcilient?  N'est-il 
pas  le  nœud  éternel  des  affections  de  Dieu  et  des  hommes  ? 
N'est-ce  pas  là  toute  notre  gloire,  et  le  seul  fondement  de 
nos  espérances  ?  Comment  n'aimera-t-il  donc  pas  la  très 
heureuse  Marie,  qui  vivra  avec  son  Fils  dans  une  société  si 
parfaite  ?  Tout  cela  semble  établi  sur  des  maximes  inébran- 
lables. Mais  d'autant  que  quelques-uns  pourraient  se  per- 
suader que  cette  sainte  société  n'a  point  d'autres  liens  que 
ceux  de  la  chair  et  du  sang,  mettons  la  dernière  main  à 
l'ouvrage  que  nous  avons  commencé:  faisons  voir  en  ce  lieu, 
comme  nous  l'avons  promis,  avec  quels  avantages  la  sainte 
Vierge  est  entrée  dans  l'alliance  du  Père  éternel  par  sa  ma- 
ternité glorieuse. 

TROISIÈME    POINT. 

C'est  ici  le  point  le  plus  haut  et  le  plus  difficile  de  tout  le 
discours  d'aujourd'hui,  pour  lequel  toutefois  il  ne  sera  pas 
besoin  de  beaucoup  de  paroles;  parce  que  nos  raisonnements 
précédents  en  facilitent  l'entrée,  et  que  ce  ne  sera  que  comme 
une  suite  de  nos  premières  considérations.  Or,  pour  vous 
expliquer  ma  pensée,  j'ai  à  vous  proposer  une  doctrine  sur 
laquelle  il  est  nécessaire  d'aller  avec  retenue,  de  peur  de 
tomber  dans  l'erreur  ;  et  plût  à  Dieu  que  je  pusse  la  déduire 
aussi  nettement  comme  (')  elle  me  semble  solide.  Voici  donc 
de  quelle  façon  je  raisonne.  Cet  amour  de  la  Vierge,  dont  je 
vous  parlais  tout  à  l'heure,  ne  s'arrêtait  pas  à  la  seule  hu- 
manité de  son  Fils.  Non,  certes,  il  allait  plus  avant;  et  par 
l'humanité,  comme  par  un  moyen  d'union,  il  passait  à  la 
nature  divine,  qui  en  est  inséparable.  C'est  une  haute 
théologie  qu'il  nous  faut  tâcher  d'éclaircir  par  quelque 
chose  plus  intelligible.  N'est-il  pas  vrai  qu'une  bonne  mère 
aime  tout  ce  qui  touche  la  personne  de  son  fils  ?  J'ai 
déjà  dit  cela  bien  des  fois,  et  je  ne  le  recommence  pas  sans 
raison. 

I.  Edit.  que. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  l8l 

[Je  sais  bien  (')  qu'elle  va  quelquefois  plus  avant,  qu'elle  porte  son 
amitié  jusqu'à  ses  amis,  et  généralement  à  toutes  les  choses  qui  lui 
appartiennent  ;  mais  particulièrement  pour  ce  qui  rcç^arde  la  propre 
personne  de  son  fils,  vous  savez  (^)  qu'elle  y  est  sensible  au  dernier 
point:  Je  vous  demande  maintenant  :  qu'était  la  divinité  au  Fils  de 
Marie?  comment  touchait-elle  à  sa  personne?  lui  était-elle  étran- 
gère? Je  ne  veux  point  ici  vous  faire  de  questions  extraordinaires  ; 
j'interpelle  seulement  votre  foi  :  qu'elle  me  réponde.  Vous  dites  tous 
les  jours,  en  récitant  le  symbole,  que  vous  croyez  en  JÉSUS-Chrtst, 
Fils  de  Dieu,  qui  est  né  de  la  Vierge  Marie  :  celui  que  vous  recon- 
naissez pour  le  Fils  de  Dieu  tout-puissant,  et  celui  qui  est  né  de  la 
Vierge,  sont-ce  deux  personnes  ?  Sans  doute  ce  n'est  pas  ainsi  que 
vous  l'entendez.  C'est  le  même  qui,  étant  Dieu  et  homme,  selon  la 
nature  divine  est  le  Fils  de  Dieu,  et  selon  l'humanité  le  Fils  de 
Marie.  C'est  pourquoi  nos  saints  Pères  ont  enseigné  que  la  Vierge 
est  Mère  de  Dieu.  C'est  cette  foi,  chrétiens,  qui  a  triomphé  des 
blasphèmes  de  Nestorius,  et  qui  jusqu'à  la  consommation  des 
siècles  fera  trembler  les  démons.  Si  je  dis  après  cela  que  la  bien- 
heureuse Marie  aime  son  Fils  tout  entier,  quelqu'un  de  la  compa- 
gnie (3)  pourra-t-il  désavouer  une  vérité  si  plausible.-*  Par  conséquent, 
ce  Fils  qu'elle  chérissait  tant,  elle  le  chérissait  comme  un  Homme- 
Dieu  :  et  d'autant  que  ce  mystère  n'a  rien  de  semblable  sur  la  terre, 
je  suis  contraint  d'élever  bien  haut  mon  esprit  pour  avoir  recours  à 
un  grand  exemple,  je  veux  dire  à  l'exemple  du  Père  éternel. 

Depuis  que  l'humanité  a  été  unie  à  la  personne  du  Verbe,  elle 
est  devenue  l'objet  nécessaire  des  complaisances  du  Père.  Ces 
vérités  sont  hautes,  je  l'avoue  ;  mais  comme  ce  sont  des  maximes 
fondamentales  du  christianisme,  il  est  important  qu'elles  soient 
entendues  de  tous  les  fidèles;  et  je  ne  veux  rien  avancer,  que  je  n'en 
allègue  la  preuve  par  les  Ecritures.  Dites-moi,  s'il  vous  plaît,  chré- 
tiens, quand  cette  voix  miraculeuse  éclata  sur  le  Thabor  de  la 
part  de  Dieu  :  «  Celui-ci  est  mon  Fils  bien-aimé  dans  lequel  je  me 
.suis  plu  (''),  »  de  qui  pen.sez-vous  que  parlât  le  Père  éternel  ?  n'était- 
ce  pas  de  ce  Dieu  revêtu  de  chair,  qui  paraissait  tout  resplendissant 
aux  yeux  des  apôtres?  Cela  étant  ainsi,  vous  voyez  bien,  par  une 
déclaration  si  authentique,  qu'il  étend  son  amour  paternel  jusqu'à 
l'humanité  de  son  Fils  ;  et  qu'ayant  uni  si  étroitement  la  nature 
humaine  avec  la  divine,  il  ne  les  veut  plus  .séparer  dans  son  affection. 
Aussi  est-ce  là,  si  nous  l'entendons  bien,  tout  le  fondement  de  notre 

a.  Maiih.^  xvii,  5. 

1.  Ici  nouvel  emprunt:  «  Je  sais  bien,  et  le  reste  .\  la  p.  21  J-  jusqucs  h  la 
p.  24  -y.  Après  quoi  ce  qui  s'ensuit.  »  (Croissez  donr...")  Cf.  p.  S4. 

2.  Var.  vous  savez  combien  elle  est  sensible. 

3.  Var.  qui  pourra  désavouer..  ? 


l82  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


espérance,  (luand  nous  considérons  (]uc  Jl^.sus,  qui  est  homme  tout 
ainsi  que  ncnis,  est  reconnu  et  aimé  de  Dieu  comme  son  Fils 
propre. 

Ne  vous  offensez  pas,  si  je  dis  qu'il  y  a  quelque  chose  de  pareil 
dans  l'affection  de  la  sainte  Vieri^e,  et  que  son  amour  embrasse  tout 
ensemble  la  divinité  et  l'humanité  de  son  Fils,que  la  main  puissante 
de  Dieu  a  si  bien  u'.iies.  Car  Dieu,  par  un  conseil  admirable,  ayant 
jugé  à  propos  que  la  Vierge  engendrât  dans  le  temps  celui  qu'il 
engendre  continuellement  dans  l'éternité,  il  l'a  par  ce  moyen  associée 
en  quelque  façon  à  sa  génération  éternelle.  Fidèles,  entendez  ce 
mystère.  C'est  l'associer  à  sa  génération,  que  de  la  faire  mère  d'un 
même  Fils  avec  lui.  Partant,  puisqu'il  l'a  comme  associée  à  sa 
génération  éternelle,  il  était  convenable  qu'il  coulât  en  même  temps 
dans  son  sein  quelque  étincelle  de  cet  amour  infini  qu'il  a  pour  son 
Fils.  Cela  est  bien  digne  de  sa  sagesse.  Comme  sa  Providence  dis- 
pose toute  chose  avec  une  justesse  admirable,  il  fallait  qu'il  imprimât 
dans  le  cœur  de  la  sainte  Vierge  une  affection  qui  passât  de  bien 
loin  la  nature,  et  qui  allât  jusqu'au  dernier  degré  de  la  grâce;  afin 
qu'elle  eût  pour  son  Fils  des  sentiments  dignes  d'une  Mère  de  Dieu, 
et  dignes  d'un  Homme-Dieu. 

Après  cela,  ô  Marie,  quand  j'aurais  l'esprit  d'un  ange  et  de  la  plus 
sublime  hiérarchie,  mes  conceptions  seraient  trop  ravalées  pour 
comprendre  l'union  très  parfaite  du  Père  éternel  avec  vous.  «  Dieu 
a  tant  aimé  le  monde,  dit  notre  Sauveur  (''),  qu'il  lui  a  donné  son  Fils 
unique.  »  Et  en  effet,  comme  remarque  l'Apôtre  (^),  «nous  donnant 
son  Fils,  ne  nous  a-t-il  pas  donné  toute  sorte  de  biens  avec  lui  ?  » 
Que  s'il  nous  a  fait  paraître  une  affection  si  sincère,  parce  qu'il  nous 
l'a  donné  comme  Maître  et  comme  Sauveur,  l'amour  ineffable  qu'il 
avait  pour  vous,  lui  a  fait  concevoir  bien  d'autres  desseins  en  votre 
faveur.  Il  a  ordonné  qu'il  fût  à  vous  en  la  même  qualité  qu'il  lui 
appartient  ;  et  pour  établir  avec  vous  une  société  éternelle,  il  a 
voulu  que  vous  fussiez  la  Mère  de  son  Fils  unique,  et  être  le  Père  du 
vôtre.  O  prodige  !  ô  abîme  de  charité  !  quel  esprit  ne  se  perdrait  pas 
dans  la  considération  de  ces  complaisances  incompréhensibles  qu'il 
a  eues  pour  vous,  depuis  que  vous  lui  touchez  de  si  près  par  ce 
commun  Fils,  le  nœud  inviolable  de  votre  sainte  alliance,  le  gage  de 
vos  affections  mutuelles,  que  vous  vous  êtes  donné  amoureusement 
l'un  à  l'autre  :  lui,  plein  d'une  divinité  impassible  ;  vous,  revêtu, 
pour  lui  obéir,  d'une  chair  mortelle  (')  ?] 

Croissez  donc,  ô  heureux  enfant,  croissez  à  la  bonne 
heure  !  Que  le  ciel  propice  puisse  faire  tomber  sur  votre  tête 

a.Joan.^  iii,  i6.  —  b.  Roin.^  viii,  32. 

I.  Fin  du  3^  emprunt  au  sermon  du  Rosaire.  Cf  p.  86,  note  i. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  183 


innocente  les  plus  douces  de  ses  influences  !  Croissez,  et 
puissent  bientôt  toutes  les  nations  de  la  terre  venir  adorer 
votre  Fils  !  puisse  votre  gloire  être  reconnue  de  tous  les 
peuples  du  monde,  esquels  votre  enfantement  donnera  une 
paix  éternelle!  Pour  nous,  mus  d'un  pieux  respect  pour  celui 
qui  vous  a  choisie,  nous  venons  honorer  votre  lumière  nais- 
sante, et  jeter  sur  votre  berceau  non  des  roses  et  des  lis, 
mais  des  bouquets  sacrés  de  désirs  ardents  et  de  sincères 
louanges.  Certes,  je  l'avoue,  Vierge  sainte,  celles  que  je  vous 
ai  données  sont  beaucoup  au-dessous  de  vos  grandeurs,  et 
beaucoup  au-dessous  de  mes  vœux  ;  et  toutefois  je  me  sens 
ébloui  d'avoir  si  longtemps  contemplé,  quoiqu'à  trav^ers  de 
tant  de  nuages,  ce  haut  éclat  qui  vous  environne  :  je  suis 
contraint  de  baisser  la  vue.  Mais  comme  nos  faibles  yeux, 
éblouis  des  rayons  du  soleil  dans  l'ardeur  de  son  midi, 
l'attendent  quelquefois  pour  le  regarder  plus  à  leur  aise  lors- 
qu'il penche  sur  son  couchant,  dans  lequel  il  semble  à  nos 
sens  qu'il  descende  plus  près  de  la  terre  :  ainsi  étant  étonné 
de  vous  avoir  considéré[e]  si  longtemps  dans  cette  qualité 
éminenle  de  Mère  du  Sauveur,  qui  vous  approche  si  près  de 
Dieu,  et  vous  élève  si  fort  au-dessus  de  nous,  il  faut,  pour 
me  remettre,  que  je  vous  considère  un  moment  dans  la 
qualité  de  mère  des  fidèles,  qui  vous  approche  si  près  de 
nous,  et  vous  fait,  pour  ainsi  dire,  descendre  jusques  à  nos 
faiblesses,  esquelles  vous  compatissez  avec  une  piété  mater- 
nelle (').  Je  ne  m'éloignerai  point  des  principes  que  j'ai  posés; 
mais  il  faut  que  je  tâche  d'en  tirer  quelques  instructions. 
Achevons,  chrétiens,  achevons;  il  est  temps  désormais  de 
conclure. 

(^UATRlf'lME    rOINT. 

[C'est  (")  avec  beaucoup   de  sujet   (jue   nous  réclamons  dans  nos 
oraisons  la  très  heureuse  Marie  comme  étant   la  mère  commune  de 

1.  Toute  cette  conclusion  du  y  point  a  été  singulièrement  rajeunie  dans  les 
précédetites  éditions. 

2.  A  la  place  de  cette  ciiiatiième  partie,  les  éditeurs  donnent  ici  une  interpola- 
tion, de  date  postérieure  :  «  Intercédez  pour  nous,  etc.  y>  (Cf.  Ilistoifc  critique  d,' 
1(1  Prcdicatio7i  de  Hossuet^  P-76).  Pour  l'introduire  dans  le  discours,  ils  sont  obligés 
de  retrancher  quelques  phrases  qui  feraient  double  emploi.  C'est  la  conviction 
de  leur  erreur:  elle  paraît  d'ailleurs  aussi  dans  les  ditïérenccs  d'orthographe. 


t84  sur  la  NATlVITl';  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


tous  les  fidèles.  Nous  avons  reçu  cette  tradition  de  nos  pères.  Ils 
nous  ont  aj^i^'is  que  le  cî^enrc  humain  ayant  ctc  précipite  dans  une 
mort  éternelle  par  un  homme  et  par  une  femme,  Dieu  avait  pré- 
destiné une  nouvelle  Kve,  aussi  bien  qu'un  nouvel  Adam,  afin  de 
nous  faire  renaître.  ICt  de  cette  doctrine,  que  tous  les  anciens  ont 
enseignée  d'un  consentement  unanime,  il  me  serait  aisé  de  conclure 
que,  comme  la  première  Eve  est  la  mère  de  tous  les  mortels,  amsi 
la  seconde, qui  est  la  très  sainte  Vierge,  doit  être  estimée  la  mère  de 
tous  les  fidèles.  Ce  que  je  pourrais  confirmer  par  une  belle  pensée  de 
saint  Épiphanc,  qui  assure  (dans  P Hérésie  LXXVIIl)  «  que  cette  pre- 
mière Eve  est  appelée  dans  la  Genèse  mère  des  vivants,  en  énig- 
me ;  »  c'est-à-dire,  ainsi  cju'il  l'expo.se  lui-même,  «  en  figure,  comme 
étant  la  représentation  de  Marie.  »  A  quoi  j'aurais  encore  à  ajouter 
\\\\  passage  célèbre  de  saint  Augustin  dans  le  livre  de  la  sainte  Vir- 
ginité, où  ce  grand  docteur  nous  enseigne  que  la  Vierge  «  selon  le 
corps  est  mère  du  Sauveur  qui  est  notre  chef,  et,  selon  l'esprit,  des 
fidèles  qui  sont  ses  membres  :  »  Carne  mater  capitis  nostri,  spi- 
ritii  mater  inenihrorum  ejns  ié^')...  (')  Sans  examiner  tous  les  titres 
par  lesquels  la  sainte  Vierge  est  appelée  à  bon  droit  la  Mère  des 
chrétiens,  je  tâcherai  seulement  de  vous  faire  voir  (et  c'est  à  mon 
avis  ce  qui  vous  doit  toucher  davantage)  qu'elle  est  mère  par  le 
sentiment  :  je  veux  dire  qu'elle  a  pour  nous  une  tendresse  véritable- 
ment maternelle.  Pour  le  comprendre,  vous  n'avez,  s'il  vous  plaît, 
qu'à  suivre  ce  raisonnement. 

Ayant  présupposé,  et  sur  la  foi  de  l'Église  et  sur  la  doctrine  des 
Pères,  encore  que  je  l'aie  seulement  touché  en  passant;  ayant,  dis  je, 
présupposé  que  Marie  est  véritablement  notre  mère,  si  je  vous  de- 
mandais, chrétiens,  quand  elle  a  commencé  à  avoir  cette  qualité, 
vous  me  répondriez  sans  doute  que  Notre-Seigneur  vraisemblable- 
ment la  fit  notre  mère,  lorsqu'il  lui  donna  saint  Jean  pour  son  fils... 
Tous  les  autres  disciples  de  Notre-Seigneur  ayant  été  dispersés,  la 
Providence  n'avait  retenu  près  de  lui  que  le  bien-aimé  de  son  cœur, 
afin  qu'il  y  pût  représenter  tous  les  autres,  et  recevoir  en  leur  nom 
les  dernières  volontés  de  leur  Maître...  D'où  vient,  à  votre  avis,  que 
Notre-Seigneur  attend  cette  heure  dernière  pour  nous  donner  à 
Marie  comme  ses  enfants  ?  Vous  me  direz  peut-être  qu'il  a  pitié  d'une 
mère  désolée  qui   perd  le   meilleur   Fils  du  monde,  et  que  pour  la 

a.  De  sanct.  Virginit.^  n,  4. 

I.  Bossuet  en  reprenant,  dans  cette  dernière  partie,  les  raisonnements  du 
sermon  pour  le  Rosaire  1651,  ne  les  reproduisait  pas  textuellement.  Malheureu- 
sement le  ms.  de  la  Nativité,  à  Meaux,  n'a  plus  ici  de  renvois  précis  ;  et  les 
quelques  feuilles  qui  sont  en  double  dans  celui  du  Rosaire,  à  la  Bibliothèque 
nationale,  sont  incomplètes,  et  peu  explicites.  Nous  nous  bornons  donc  à 
emprunter  à  ce  discours  ce  qui  est  nécessaire  à  la  suite  de  la  démonstration. 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  185 

consoler,  il  lui  donne  une  postérité  éternelle.  Cette  raison  est  bonne 
et  solide;  mais  j'en  ai  une  autre  à  vous  dire,  que  peut-être  vous  ne 
désapprouverez  pas.  Je  pense  que  le  dessein  du  Fils  de  Dieu  est 
de  lui  inspirer  pour  nous  dans  cette  rencontre  une  tendresse  de 
mère.  —  Comment  cela,  direz-vous  ?  nous  ne  voyons  pas  bien  cette 
conséquence.  —  Il  me  semble  pourtant,  chrétiens^  qu'elle  n'est  pas 
extrêmement  éloignée.  Marie  était  au  pied  de  la  croix  ;  elle  voyait 
ce  cher  Fils  tout  couvert  de  plaies,  étendant  ses  bras  à  un  peuple 
incrédule  et  impitoyable  ;  son  sang,  qui  débordait  de  tous  côtés  par 
ses  veines  déchirées  :  qui  pourrait  vous  dire  quelle  était  l'émotion 
du  sang  maternel  ?  Non,  il  est  certain,  elle  ne  sentit  jamais  mieux 
qu'elle  était  mère;  toutes  les  souffrances  de  son  Fils  le  lui  faisaient 
sentir  au  vif.  Que  (')  fera  ici  le  Sauveur?  Vous  allez  voir,  chrétiens, 
qu'il  sait  parfaitement  le  secret  d'émouvoir  les  affections.  Quand 
l'âme  est  une  fois  prévenue  de  quelque  passion  violente  touchant 
quelque  objet,  elle  reçoit  aisément  les  mêmes  impressions  pour 
toutes  les  autres  qui  se  présentent.  Par  exemple,  vous  êtes  possédé 
d'un  mouvement  de  colère  :  il  sera  difficile  que  tous  ceux  qui  appro- 
cheront de  vous,  si  innocents  qu'ils  puissent  être,  n'en  ressentent 
quelques  effets.  Et  de  là  vient  que  dans  les  séditions  populaires,  un 
homme  adroit  qui  saura  manier  et  ménager  avec  art  les  esprits  de 
la  populace,  lui  fera  quelquefois  tourner  sa  fureur  contre  ceux 
auxquels  on  pensait  le  moins;  ce  qui  rend  ces  sortes  de  mutineries 
extrêmement  dangereuses.  Il  en  est  de  même  de  toutes  les  autres 
passions;  parce  que  l'âme  étant  déjà  excitée,  il  ne  reste  plus  qu'à 
l'appliquer  sur  d'autres  objets;  à  quoi  son  propre  mouvement  la  rend 
extrêmement  disposée. 

C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu,  qui  avait  résolu  de  nous  donner  la 
sainte  Vierge  pour  mère,  afin  d'être  notre  frère  en  toute  façon  (admi- 
rez son  amour,  chrétiens),  voyant  du  haut  de  sa  croix  combien  l'âme 
de  sa  Mère  était  attendrie,  et  que  son  cœur  ébranlé  faisait  inonder 
par  ses  yeux  un  torrent  de  larmes  amères,  comme  si  c'eût  été  là 
qu'il  l'eût  attendue,  il  prit  son  temps  de  lui  dire,  lui  montrant  saint 
Jean  :  «  Femme,  voilà  ton  fils  :  »  Ecce  filius  tu  us.  Fidèles,  ce  sont 
ses  mots;  et  voici  son  sens,  si  nous  le  savons  bien  pénétrer  •  O  femme 
affligée,  à  qui  un  amour  infortuné  fait  éprouvera  présent  jusqucs  oii 
peut  aller  la  compassion  d'une  mère,  cette  même  tendresse  dont 
vous  êtes  à  présent  touchée  si  vivement  pour  moi,  ayez-la  pour  Jean, 
mon  disciple  et  mon  bicn-aimé;  ayez-la  pour  tous  mes  fidèles,  (juc 
je  vous  recommande  en  sa  personne,  parce  qu'ils  sont  tous  mes  dis- 
ciples et  mes  bien-aimés  :  Ecce  filius  tuus.  De  vous  dire  combien  ces 

I.  Ici  commence  ce  qui  subsiste  d'une  seconde  rédaction,  dans  le  sermon  du 
Rosaire  (12823,  f  150). 


l86  SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


paroles  poussées  du  cœur  du  Fils  descendirent  profondément  au 
cœur  de  la  More,  et  l'impression  qu'elles  y  firent,  c'est  une  chose  que 
je  n'oserais  pas  entreprendre.  Songez  seulement  que  celui  qui  parle 
opère  toutes  choses  par  sa  parole  toute-puissante,  qu'elle  doit  avoir 
un  effet  merveilleux  surtout  sur  sa  sainte  Mère;  et  que  pour  lui  don- 
ner plus  de  force  il  l'a  animée  de  son  sang,  et  l'a  proférée  d'une  voix 
mourante,  presque  avec  les  derniers  soupirs.  Tout  cela  joint  ensemble, 
il  n'est  pas  croyable  ce  qu'elle  était  capable  de  faire  dans  l'âme  de 
la  sainte  Vierge.  Il  (')  n'a  pas  plus  tôt  lâché  le  mot  à  saint  Jean 
p(^ur  lui  dire  que  Marie  est  sa  mère,  qu'incontinent  ce  disciple  se 
sent  possédé  de  toutes  les  affections  d'un  bon  fils  :  Et  accepit  eam 
discipulus  in  sua  (").  A  plus  forte  raison  sa  parole  doit-elle  avoir  agi 
sur  l'âme  de  sa  sainte  Mère,  et  y  avoir  fait  entrer  bien  avant  un 
amour  extrême  pour  nous  comme  pour  ses  véritables  enfants. 

Il  me  souvient  à  ce  propos  de  ces  mères  misérables  à  qui  on 
déchire  les  entrailles  par  le  fer,  pour  en  tirer  leurs  enfants  par  vio- 
lence (').  Il  vous  est  arrivé  quelque  chose  de  semblable,  ô  bienheu- 
reuse Marie  :  c'est  par  le  cœur  que  vous  nous  avez  enfantés;  parce  que 
vous  nous  avez  enfantés  par  la  chanté  :  Çooperata  est  charitate,  ut 
filii  Dei  in  Ecclesïa  Jtascerentur,  dit  saint  Augustin  {^).  Et  j'ose  dire 
que  ces  paroles  de  votre  Fils,  qui  étaient  son  dernier  adieu,  entrèrent 
en  votre  cœur  ainsi  qu'un  glaive  tranchant,  et  y  portèrent  jusques  au 
fond,  avec  une  douleur  excessive,  une  inclination  de  mère  pour  tous 
les  fidèles.  Ainsi  vous  nous  avez  pour  ainsi  dire  enfantés  d'un  cœur 
déchiré  parmi  la  véhémence  d'une  affliction  infinie.  Et  toutes  les  fois 
que  les  chrétiens  paraissent  devant  vos  yeux,  vous  vous  souvenez  de 
cette  dernière  parole,  et  vos  entrailles  s'émeuvent  sur  nous  comme 
sur  les  enfants  de  votre  douleur  et  de  votre  amour  ;  d'autant  plus 
que  vous  ne  sauriez  jeter  sur  nous  vos  regards,  que  nous  ne 
représentions  à  votre  cœur  ce  Fils  que  vous  aimez  tant,  dont  le 
Saint-Esprit  prend  plaisir  de  graver  la  ressemblance  dans  l'esprit 
de  tous  les  fidèles  (3)... 

Mais  il  y  (4)  a  plus.  Nous  ne  sommes  pas  seulement  les  images 
vivantes  du  Fils  de  Dieu,  nous  sommes  encore  ses  membres,  et  nous 
composons  avec  lui  un  corps  dont  il  est  le  chef  :  ce  qui  attire  si  puis- 
samment sur  nous  les  affections  de  la  sainte  Vierge,  qu'il  n'y  a  point 

a.  JoaJi.^  Xix,27.  ~  /?.  De  sancta   Virent  m  t.,  n.  6. 

1.  Retour  à  la  première  rédaction,  unique  en  cet  endroit  dans  le  ms.  du  Ro- 
saire (165 1). 

2.  Les  éditeurs  disaient  ici,  dans  le  sermon  du  Rosaire  :  «  pour  en  tirer  leurs 
enfants  au  monde  par  violence.  »  (Cf.  p.  92,  n.  2.) 

3.  Voy.  le  développement  de  cette  idée  dans  le  sermon  du  Rosaire,  p.  93. 

4-  Ici  commence  une  seconde  rédaction  dans  le  sermon  du  Rosaire  (12823, 
f.  151). 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  187 

de  mère  qui  puisse  aller  à  l'égal  :  ce  qu'il  me  serait  aisé  de  vous  faire 
voir  par  des  raisonnements  invincibles,  si  je  n'étais  pressé  de  finir 
bientôt  ce  discours.  Et  pour  vous  en  convaincre,  je  ne  veux  seule- 
ment que  vous  proposer  en  abrégé  les  principes,  après  avoir  repassé 
légèrement  sur  quelques  vérités  que  j'ai  tâché  d'établir  (')...  dont  il 
est  nécessaire  que  vous  ayez  mémoire,  pour  l'intelligence  de  ce 
qui  me  reste  à  vous  dire. 

Je  vous  ai  dit,  chrétiens,  que  la  maternité  de  la  Vierge  n'ayant 
point  d'exemple  sur  la  terre,  il  en  est  de  môme  de  l'affection  qu'elle 
a  pour  son  Fils;  et  comme  elle  a  cet  honneur  d'être  la  Mère  d'un  Fils 
qui  n'a  point  d'autre  Père  que  Dieu,  de  là  vient  que  laissant  bien 
loin  au-dessous  de  nous  toute  la  nature,  nous  lui  avons  été  chercher 
la  règle  de  son  amour  dans  le  sein  du  Père  éternel.  Car  de  même 
que  Dieu  le  Père,  voyant  que  la  nature  humaine  touche  de  si  près  à 
son  Fils  unique,  étend  son  amour  paternel  à  l'humanité  du  Sauveur, 
et  fait  de  cet  Homme-Dieu  l'unique  objet  de  ses  complaisances, 
comme  nous  l'avons  prouvé  par  le  témoignage  des  Écritures,  ainsi 
avons-nous  dit  que  la  bienheureuse  Marie  ne  séparait  plus  la  divi- 
nité d'avec  l'humanité  de  son  Fils,  mais  qu'elle  les  embrassait  en 
quelque  façon  toutes  deux  par  un  même  amour.  Ce  sont  les  vérités 
sur  lesquelles  nous  avons  établi  l'union  de  Marie  avec  Dieu  :  en 
voici  quelques  autres  qui  vous  feront  bien  voir  sa  charité  envers 
nous. 

Les  mêmes  Ecritures  qui  m'apprennent  que  Dieu  aime  en  quelque 
façon  par  un  même  amour  la  divinité  et  l'humanité  de  son  P'ils,  à 
cause  de  leur  société  inséparable  en  la  personne  adorable  de  Xotrc- 
Seigneur  JÉSUS-Christ,  m'enseignent  aussi  qu'il  nous  aime  par  le 
même  amour  qu'il  a  pour  son  Fils  unique  et  bien-aimé,  à  cause  que 
nous  lui  sommes  unis  comme  les  membres  de  son  corps;  et  c'est  de 
toutes  les  maximes  du  christianisme  celle  qui  doit  porter  le  plus  haut 
nos  courages  et  nos  espérances.  En  voulez-vous  un  beau  témoignage 
de  la  bouche  même  de  Notre- Seigneur  .''  Ecoutez  ces  belles  paroles 
qu'il  adresse  à  son  Père,  le  priant  pour  nous  :  Diiectio  qua  dilexisti 
vie  in  ipsis  sit,  et  ego  in  eis  {^').  Mon  Père,  dit- il,  je  suis  en  eux,  parce 
qu'ils  sont  mes  membres;  «  je  vous  prie  que  l'affection  par  laciuellc 
vous  m'aimez  soit  en  eux.  »  Voyez,  voyez,  chrétiens,  et  réjouissez- 
vous.  Notre  Sauveur  craint  que  l'amour  de  son  Père  ne  fasse  quelcjue 
différence  entre  le  chef  et  les  membres  :  et  connaissez  par  là  com- 
bien nous  sommes  unis  avec  le  Sauveur,  puis(}ue  Dieu  même,  (jui  a 


a),  /oan.^  xvii,  26. 

\.  Rosaire  :((.  (X'éVAhVn  dans  ma  j)rcniiorc  |)artie.  y>  —  Ces  mots  ne  peuvent 
avoir  éié  reproduits  en  1652,  car  dans  notre  sermon  ces  mrmes  vc^riti^s  sont 
distribuées  les  unes  dans  le  i'""  |)oint,  les  autres  dans  le  y. 


i88 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


distinc^iic  tcnis  les  ctrcs  par  une  si  aimable  variété,  ne  nous  distingue 
plus  d'avec  lui,  et  répand  volontiers  sur  nous  toutes  les  douceurs  de 
son  affection  paternelle.  Que  s'il  est  vrai  que  Marie  ne  règle  son 
amour  que  sur  celui  du  Père  éternel,  allez,  ô  fidèles,  allez  à  la  bonne 
heure  à  cette  IMère  incomparable  :  croyez  qu'elle  ne  vous  discernera 
plus  d'avec  son  cher  Fils  ;  elle  vous  considérera  comme  la  chair  de 
sa  chair  et  comme  les  os  de  ses  os,  ainsi  que  parle  l'Apôtre  (''), 
comme  des  personnes  sur  lesquelles  et  dans  lesquelles  son  sang  a 
coulé;  et  pour  dire  quelque  chose  de  plus,  elle  vous  regardera  comme 
autant  de  JésUS-Christ  sur  la  terre.  L'amour  qu'elle  a  pour  son 
Fils  sera  la  mesure  de  celui  qu'elle  aura  pour  vous  :  et  partant  ne 
craignez  point  de  l'appeler  votre  Mère;  elle  a  au  souverain  degré 
toute  la  tendresse  que  cette  qualité  demande...] 


a.  Ephes.^  v,  30. 


^^^^^  Ék^^^^Ék^  --^  ■■^^.  ^^  ■^.  ^.  ^^  ^  ■■=' 


M. 


'il 


PANEGYRIQUE 


DE   SAINT   FRANÇOIS    D'ASSISE, 


prêché  à  Metz,  le  4  octobre,  1652. 


^^wwwww^wwwwwww^ 


^ 

^ 


C'est  sous  réserve  que  nous  proposons  cette  date,  n'ayant  pu 
retrouver  le  manuscrit  de  ce  discours.  M.  Lâchât  (Xll,  353)  prétend 
que  deux  passages  lui  révèlent  la  date  de  1655.  C'est  en  réalité  à 
M.  Floquet  qu'il  doit  cette  révélation,  comme  beaucoup  d'autres.  Mais 
les  allusions  à  la  guerre  qui  désolait  le  pays  Messin,  et  à  une  récolte 
abondante  (')  que  la  l^rovidence  accordait  pour  compenser  tant 
de  calamités,  ne  conviennent  pas  moins  bien  à  1652  qu'à  1655.  Le 
ton  et  le  style  de  l'œuvre,  sa  marche  un  peu  incertaine,  un  reste  de 
goût  pour  quelques  formules  naïves,  en  un  mot  tous  les  caractères 
particuliers  d'une  composition  archaïque,  me  semblent  réclamer 
la  préférence  pour  la  première  de  ces  deux  dates  (^).  On  admirera 
dans  cette  œuvre,  qui  n'a  rien  d'académique,  qui  abonde  au  con- 
traire en  tours  populaires,  la  vive  sollicitude  du  jeune  orateur  pour 
les  intérêts  des  pauvres. 


Si  qui  s  videtur  iiiter  vos  sapiens  esse 
iti  hoc  seculo,  siultiis  fiât  lit  sit  sapiens. 

S'il  y  a  quelqu'un  parmi  vous  qui  pa- 
raisse sage  selon  le  siède,  qu'il  devienne 
fou  afin  d'être  sage   (I  Cor.,  m,  18). 

LE  Sauveur  Jésus,  chrétiens,  a  donné  un  ample  sujet  de 
discourir,  mais  d'une  manière  bien  différente,  à  quatre 
sortes  de  personnes,  aux  Juifs,  aux  Gentils,  aux  hérétiques 
et  aux  fidèles.  Les  Juifs,  qui  étaient  préoccupés  de  cette  opi- 
nion si  mal  fondée,  que  le  Messie  viendrait  au  monde  avec 
une  pompe  royale,  prévenus  de  cette  fausse  croyance,  se 
sont  approchés  du  Sauveur  :  ils  ont  vu  qu'il  était  réduit  dans 
un  entier  dépouillement  de  tout  ce  qui  peut  frapper  les  sens, 
un  homme  pauvre,  un  homme  sans  faste  et  sans  éclat  :  ils 
l'ont  méprisé  :  «  Jésus  leur  a  été  un  scandale  :  "^  Jniùcis  qui- 

1.  Dans  les  statistiques  que  donne  M.  Floquet  (J\tudes...,  I,  263,  note  3\  je 
relève  ce  fait  que  le  blé,  qui  en  1651  revenait  à  32  fr.  15  centimes  l'heclolitrc, 
ne  coûtait  plus  en  1653  que  16  fr.  95  :  cela  suppose  une  véritable  abondance 
pendant  l'annde  intermédiaire,  1652. 

2.  Cf  Histoire  critique  de  la  J'rt'dication  de  lÙKssKet,  p.  129. 


190  PANT^('.VKT^^ÎT^  DK  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE. 


dci)i  scandaluiu,  dit  le  grand  Apôtre  (").  Les  Gentils,  d'autre 
pari,  (lui  se  croyaient  les  auteurs  et  les  maîtres  de  la  bonne 
philosophie,  et  qui  depuis  plusieurs  siècles  avaient  vu  briller 
au  milieu  d'eux  les  esprits  les  plus  célèbres  du  monde,  ont 
voulu  examiner  Jksus-Ciirist  selon  les  maximes  reçues 
parmi  les  savants  de  la  terre  ;  mais,  aussitôt  qu'ils  ont  ouï 
parler  d'un  Dieu  fait  homme,  qui  avait  vécu  misérablement, 
qui  était  mort  attaché  (')  à  une  croix,  ils  en  ont  fait  un  sujet 
de  risée  :  «  Jésus  a  été  pour  eux  une  folie  :  »  Gentihis  autem 
stultitiam,  poursuit  saint  Paul. 

Après  eux  sont  venus  d'autres  hommes  que  l'on  appelait 
dans  l'Église  manichéens  et  marcionites,  tous  feignant 
d'être  chrétiens  ;  qui,  trop  émus  des  invectives  sanglantes 
des  Gentils  contre  le  Fils  de  Dieu,  l'ont  voulu  mettre  à  cou- 
vert des  moqueries  de  ces  idolâtres,  mais  d'une  manière  tout 
à  fait  contraire  aux  desseins  de  la  bonté  divine  sur  nous. 
Ces  faiblesses  de  notre  Dieu,  pusillitates  Dei,  comme  les 
appelait  un  ancien  ('''),  leur  ont  semblé  trop  honteuses  pour 
les  avouer  franchement.  Au  lieu  que  les  Gentils  les  exagé- 
raient pour  en  faire  une  pièce  de  raillerie,  ceux-ci  au  con- 
traire tâchaient  de  les  dissimuler,  travaillant  vainement  à 
diminuer  quelque  chose  des  opprobres  de  l'Evangile,  si  utiles 
pour  notre  salut.  Ils  ont  cru,  avec  les  Gentils  et  les  Juifs, 
qu'il  était  indigne  d'un  Dieu  de  prendre  une  chair  comme 
la  nôtre,  et  de  se  soumettre  à  tant  de  souffrances  ;  et,  pour 
excuser  ces  bassesses,  ils  ont  soutenu  que  son  corps  était 
imaginaire,  et  par  conséquent  que  sa  nativité,  et  ensuite  sa 
Passion  et  sa  mort  étaient  fantastiques  et  illusoires  :  en  un 
mot,  à  les  en  croire,  toute  sa  vie  n'était  qu'une  représentation 
sans  réalité.  Sans  doute  les  vérités  de  Jésus  ont  été  un 
scandale  à  ces  hérétiques,  puisqu'ils  ont  fait  un  fantôme  du 
sujet  de  notre  espérance  ;  ils  ont  voulu  être  trop  sages,  et 
par  ce  moyen  ont  détruit,  selon  leur  pouvoir,  le  déshonneur 
nécessaire  de  notre  foi  :  Necessa7'iujn  dedecus  fidei^  dit  le 
grave  Tertullien  (^). 

a.  I  Cor.^  I,  23.  —  b.  Tertull.,  Adv.  Marcioii.^  lib.  il,  n.  27.  —  c.  De  avne  Chr.y 
n.  5. 

I.    Var.  pendu  h  une  potence,  —  à  un  infâme  gibet. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE.  I91 

Mais  les  vrais  serviteurs  de  Jésus-Christ  n'ont  point  eu 
de  ces  délicatesses  ni  de  ces  vaines  complaisances.  Ils  se 
sont  bien  gardés  de  croire  les  choses  à  demi,  ni  de  rougir 
de  l'ignominie  de  leur  Maître.  Ils  n'ont  point  craint  de  faire 
éclater  par  toute  la  terre  le  scandale  et  la  folie  de  la  croix 
dans  toute  leur  étendue  :  ils  ont  prédit  aux  Gentils  que  cette 
folie  détruirait  leur  sagesse.  Et  quant  à  ces  grandes  absur- 
dités que  les  païens  trouvaient  dans  notre  doctrine,  nos  pères 
ont  répondu  que  les  vérités  évangéliques  leur  semblaient 
d'autant  plus  croyables,  que  selon  la  philosophie  humaine 
elles  paraissaient  tout  à  fait  impossibles  :  Proi'sus  credibile 
est,  quia  ineptum  est ;,,,  certum  est,  quia  impossibile  est,  disait 
autrefois  TertuUien  {^).  Ainsi  notre  foi  se  plaît  d'étourdir  la 
sagesse  humaine  par  des  propositions  hardies,  où  elle  ne 
peut  rien  comprendre. 

Depuis  ce  temps-là,  mes  frères,  la  folie  est  devenue  une 
qualité  honorable  ;  et  l'apôtre  saint  Paul  a  publié,  de  la  part 
de  Dieu,  cet  édit  que  j'ai  récité  dans  mon  texte  :  «  Si  quel- 
qu'un veut  être  sage,  il  faut  nécessairement  qu'il  soit  fou,  » 
stultus  fiât  ut  sit  sapiens.  C'est  pourquoi  ne  vous  étonnez 
pas  si,  ayant  entrepris  aujourd'hui  le  panégyrique  de  saint 
François,  je  ne  fais  autre  chose  que  vous  montrer  sa  folie, 
beaucoup  plus  estimable  que  toute  la  prudence  du  monde. 
Mais  d'autant  que  la  première  et  la  plus  grande  folie,  c'est- 
à-dire,  la  plus  haute  et  la  plus  divine  sagesse  que  l'Evangile 
nous  prêche,  c'est  l'Incarnation  du  Sauveur,  il  ne  sera  pas 
hors  de  propos,  pour  prendre  déjà  quelque  idée  de  ce  que 
j'ai  à  vous  dire,  que  vous  fassiez  réflexion  sur  cet  auguste 
mystère,  pendant  que  nous  réciterons  les  paroles  que  l'Ange 
adressa  à  Marie  lorsqu'il  lui  en  apporta  les  nouvelles.  Implo- 
rons donc  l'assistance  du  Saint-Esprit  par  l'intercession  de 
la  sainte  Vierge.  Ave, 

Cette  orgueilleuse  sagesse  du  siècle,  cjui,  ne  pouvant  com- 
prendre la  justice  des  voies  de  Dieu,  emploie  toutes  ses 
fausses  lumières  à  les  contredire,  se  trouve  merveilleusement 
confondue  par  la  doctrine  de  TJ^vangile,  et  parles  très  saints 

a.  De  carne  Chr.^  n.  5. 


192  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE. 

mystères  du  Sauveur  Ji':sus.  Déjà  la  toute-puissance  divine 
avait  commencé  à  lui  faire  sentir  sa  fail)lesse  dès  l'origine 
de  l'univers,  en  lui  proposant  des  énigmes  indissolubles  (') 
dans  tous  les  ordres  des  créatures,  et  lui  présentant  le  monde 
comme  un  sujet  éternel  de  questions  inutiles,  qui  ne  seront 
jamais  terminées  par  aucunes  décisions.  Et  certes  il  était 
vraisemblable  que  ces  grands  et  impénétrables  secrets,  qui 
bornent  et  resserrent  si  fort  les  connaissances  de  l'esprit 
humain,  donneraient  en  même  temps  des  limites  à  son  or- 
gueil. Toutefois,  à  notre  malheur,  il  n'en  est  pas  arrivé  de  la 
sorte,  et  en  voici  la  cause  qui  me  semble  la  plus  apparente  : 
c'est  que  la  raison  humaine,  toujours  téméraire  et  présomp- 
tueuse, ayant  entrevu  quelque  petit  jour  dans  les  ouvrages 
de  la  nature,  s'est  imaginée  découvrir  quelque  grande  et 
merveilleuse  lumière  ;  au  lieu  d'adorer  son  Créateur,  elle 
s'est  admirée  elle-même.  L'orgueil,  comme  vous  savez,  chré- 
tiens, a  cela  de  propre,  qu'il  prend  son  accroissement  de  lui- 
même,  si  petits  que  puissent  être  ses  commencements,  parce 
qu'il  enchérit  toujours  sur  ses  premières  complaisances  par 
ses  flatteuses  réflexions. 

Ainsi  l'homme,  s'étant  trop  plu  dans  ces  belles  concep- 
tions, s'est  persuadé  que  tout  l'ordre  du  monde  devait  aller 
selon  ses  maximes.  Il  s'est  enfin  lassé  de  suivre  la  conduite 
que  Dieu  lui  avait  prescrite,  afin  de  le  ramener  à  lui  comme 
à  son  principe.  Au  contraire,  il  a  voulu  que  la  Divinité  se 
réglât  selon  ses  idées  ;  il  s'est  fait  des  dieux  à  sa  mode,  il  a 
adoré  ses  ouvrages  et  ses  fantaisies  :  et,  s'étant  évanoui, 
comme  dit  l'Apôtre  (''),  dans  l'incertitude  de  ses  pensées, 
lorsqu'il  a  cru  se  voir  élevé  au  comble  de  la  sagesse,  il  s'est 
précipité  dans  une  extrême  folie:  Dicentes  eni7n  se  esse sapien- 
tes,  sUilti  facti  sunt  (^'). 

C'est  pourquoi  cette  sagesse  éternelle  qui  prend  plaisir  de 
guérir  ou  de  confondre  la  sagesse  humaine,  s'est  sentie 
obligée  de  former  de  nouveaux  desseins  et  de  commencer  un 
nouvel  ordre  de  choses  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ: 

a.  Rom.,  I,  21.  —  b.  Rom.,  i,  22. 

I.  Nous  dirions  aujourd'hui  insolubles.  Mais  Deforis  doit  avoir  bien  lu  ici  ;  car 
le  même  mot  se  retrouvera  dans  le  sermon  sur  la  Loi  de  Dieu. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d' ASSISE.  193 

et  admirez,  s'il  vous  plaît,  la  profondeur  de  ses  jugements. 
Dans  le  premier  ouvrage  que  Dieu  nous  avait  proposé,  qui 
est  cette   belle  fabrique  du   monde,    notre  esprit   y  voyait 
d'abord  des  traits  de  sagesse  infinie.  Dans  le  second  ouvrage, 
qui  comprend  la  doctrine  et  la  vie  de  notre  Maître  crucifié, 
il  n'y  découvre  au  premier  aspect  que  folie  et  extravagance. 
Dans  le   premier,  nous  vous  disions   tout  à  l'heure  que  la 
raison  humaine  y  avait  compris  quelque  chose  ;  et,  en  étant 
devenue  insolente,  elle  n'a  pas  voulu   reconnaître  celui  qui 
lui  donnait  (')  ses  lumières.   Dans  le  second  dessein,  qui  est 
d'une  tout  autre  excellence,  toutes  ses  connaissances  se  per- 
dent, elle  ne  sait  du  tout  où  se  prendre  ;  et  par  là  il  faudra 
nécessairement,  ou  bien  qu'elle  se  soumette  à  une  raison 
plus  haute,  ou  bien  qu'elle  soit   confondue  :  et,  de  façon  ou 
d'autre,  la  victoire  demeurera  à  la  sagesse  divine  (^). 

Et  c'est  ce  que  nous  apprenons  par  ce  docte  raisonne- 
ment de  l'Apôtre.  Notre  Dieu,  dit  ce  grand  personnage, 
avait  introduit  l'homme  dans  ce  bel  édifice  du  monde,  afin 
qu'en  admirant  l'artifice,  il  en  adorât  l'architecte.  Cependant 
l'homme  ne  s'est  pas  servi  de  la  sagesse  que  Dieu  lui  don- 
nait, pour  reconnaître  son  Créateur  par  les  ouvrages  de  sa 
sagesse,  ainsi  que  l'Apôtre  nous  le  déclare  :  Qicia  in  Dei 
sapientia  non  cognovlt  mitndus  per  sapientiam  DeicDi  (")  :  eh 
bien  !  qu'en  arrivera-t-il,  saint  Apôtre  ?  Pour  cela,  continue- 
t-il.  Dieu  a  posé  cette  loi  éternelle,  que  dorénavant  les 
croyants  ne  pussent  être  sauvés  que  par  la  folie  de  la  prédi- 
cation :  Placuit  Deo  per  stultitiam  prœdicationis  salvosjacere 
credenies  {^').  A  quoi  te  résoudras- tu  donc,  ô  aveugle  raison 
humaine  ?  Te  voilà  vivement  pressée  par  cette  sagesse  pro- 

a.  I  Cor.^  I,  21.  —  b.  Ibid. 

1.  Var.   d'où  lui  venaient. 

2.  Assurément  ces  considérations  préliminaires  sont  un  peu  longues.  Mais 
n'est-ce  pas  une  chose  admirable  que  de  rencontrer  dès  maintenant  l'ébauche 
de  ces  fortes  pensées  ([uc  l'auteur,  vingt-cinq  ans  plus  tard,  exprimera  d"une 
façon  si  magistrale  dans  le  Discours  sur  PHis/oire  Universelle  /  \  Dieu  a\ait 
introduit  l'homme  dans  le  monde,  où,  de  ciucU[ue  côté  cju'il  tournât  les  yeux,  la 
sagesse    du   Créateur   reluisait   dans  la  grandeur,    ilans    la  richesse    et    dans 

la  dispobition   d'un   si  bel  ouviage.    L'homme  cependant  l'a    méconnu in 

ouvrui^e  dojit  il  entendait  la  sas^es'ie  ne  l\i  point  touclu' ;  un  autre  ouvra^^e  tut 
est  présenté^  on  son  raisonnement  se  perd^  et  oit  tout  lui  parait  folie;  âeit  la 
croix  de  Ji-svs-CiiKisT.  »  (11^'  partie,  ch.  XXV.) 

Sermons  lU:    lios.Mict.  13 


194  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE. 

foiule,  qui  paraît  à  tes  yeux  sous  une  folie  apparente.  Je  te 
vois,  ce  me  semble,  réduite  à  de  merveilleuses  extrémités, 
parce  que  de  côté  ou  d'autre  la  folie  t'est  inévitable  :  car 
dans  la  croix  de  Notre-Seigneur,  et  dans  toute  la  conduite 
de  rÉvane^ile,  les  pensées  de  Dieu  et  les  tiennes  sont  oppo- 
sées entre  elles  avec  une  telle  contrariété,  que,  si  les  unes 
sont  sages,  il  faut  par  nécessité  que  les  autres  soient  extra- 
vagantes. 

Que  ferons-nous  ici,  chrétiens  .^  Si  nous  cédons  à  l'Évan- 
gile, toutes  les  maximes  de  prudence  humaine  nous  déclarent 
fous  et  de  la  plus  haute  folie.  Si  nous  osons  accuser  de  folie 
la  sagesse  incompréhensible  de  Dieu,  il  faudra  que  nous 
soyons  nous-mêmes  des  furieux  et  des  démons.  Ah  !  plutôt 
démentons  toutes  nos  maximes,  désavouons  toutes  nos  con- 
séquences, plions  sous  le  joug  de  la  foi;  et,  dépouillant  cette 
fausse  sagesse  dont  nous  sommes  vainement  enflés,  devenons 
heureusement  insensés  pour  l'amour  de  notre  Sauveur,  qui, 
étant  la  sagesse  du  Père,  n'a  pas  dédaigné  de  passer  pour 
fou  en  ce  monde,  afin  de  nous  enseigner  une  prudence 
céleste  :  en  un  mot,  s'il  y  a  quelqu'un  parmi  nous  qui  pré- 
tende à  la  véritable  sagesse,  «qu'il  soit  fou  afin  d'être  sage,  » 
stultusfiat  ut  sit  sapiens,  dit  le  grand  Apôtre  (^). 

La  voilà,  la  voilà,  chrétiens,  cette  illustre,  cette  généreuse, 
cette  sage  et  triomphante  folie  du  christianisme,  qui  dompte 
tout  ce  qui  s'oppose  à  la  science  de  Dieu,  qui  rend  humble 
ou  qui  renverse  invinciblement  la  raison  humaine, et  toujours 
en  remporte  une  glorieuse  victoire.  La  voilà,  cette  belle 
folie,  qui  doit  être  le  seul  ornement  du  panégyrique  de 
saint  François,  selon  que  je  vous  l'ai  promis,  et  qui  fera 
aujourd'hui  son  éloge. 

Pour  cela  vous  remarquerez,  s'il  vous  plaît,  qu'il  y  a  une 
convenance  nécessaire  entre  les  mœurs  des  chrétiens  et  la 
doctrine  du  christianisme.  Cette  folie  apparente,  qui  est  dans 
la  parole  du  Fils  de  Dieu,  doit  passer  par  imitation  dans  la 
vie  de  ses  serviteurs.  Ils  sont  un  Évangile  vivant.  L'Évan- 
gile qui  est  écrit  dans  nos  livres,  et  celui  que  le  Saint-Esprit 
daigne  écrire  dans  l'âme  des  saints,  que  l'on  peut  lire  dans 

a.   I   Cor.^  ni,  i8. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  DASSISE.  I95 


leurs  actions  comme  dans  de  beaux  caractères,  déplaisent 
également  à  la  fausse  prudence  du  monde. 

Figurez-vous  donc  que  François,  ayant  considéré  ces 
grands  et  vastes  chemins  du  monde,  qui  mènent  à  la  perdi- 
tion, s'est  résolu  de  suivre  des  routes  entièrement  opposées. 
Le  plus  ordinaire  conseil  que  nous  donne  la  sagesse  humaine, 
c'est  d'amasser  beaucoup  de  richesses,  de  faire  valoir  ses 
biens,  d'en  acquérir  de  nouveaux  :  c'est  à  quoi  on  rêve  dans 
tous  les  cabinets,  c'est  de  quoi  on  s'entretient  dans  toutes 
les  compagnies,  c'est  le  sujet  le  plus  ordinaire  de  toutes  les 
délibérations.  Il  y  a  pourtant  d'autres  personnes  qui  se 
croient  plus  raffinées,  qui  vous  diront  que  ces  richesses  sont 
des  biens  étrangers  à  la  nature  ;  qu'il  vaut  bien  mieux  jouir 
de  la  douceur  de  la  vie,  et  tempérer  par  les  voluptés  ses 
amertumes  continuelles  :  c'est  une  autre  espèce  de  sages. 
Mais  encore  y  en  a-t-il  d'autres,  qui  reprendront  peut-être 
ces  sectateurs  trop  ardents  des  richesses  et  des  délices. 
Pour  nous,  diront-ils,  nous  faisons  profession  d'honneur, 
nous  ne  recherchons  rien  avec  tant  de  soin  que  la  réputation 
et  la  gloire.  Si  vous  pénétrez  dans  leurs  consciences,  vous 
trouverez  qu'ils  s'estiment  les  seuls  honnêtes  gens  dans  le 
monde  :  ils  consument  leur  esprit  de  veilles  et  d'inquiétudes 
pour  acquérir  du  crédit,  pour  être  élevés  aux  honneurs. 
Ce  sont,  à  mon  avis,  les  trois  choses  qui  font  toutes  les 
affaires  du  monde,  qui  nouent  toutes  les  intrigues,  qui 
enflamment  toutes  les  passions,  qui  causent  tous  les  empres- 
sements. 

Ah!  que  notre  admirable  François  a  bien  reconnu  l'illu- 
sion de  tous  ces  biens  imaginaires  !  Il  dit  que  les  richesses 
captivent  le  cœur,  que  les  honneurs  l'emportent,  que  les 
plaisirs  l'amollissent  ;  que,  pour  lui,  il  veut  établir  ses  riches- 
ses dans  la  pauvreté,  ses  délices  dans  les  souffrances,  et  sa 
gloire  dans  la  bassesse.  O  ignorance!  o  folie!  Eh  Dieu!  que 
pense-t-il  faire.'^  O  le  plus  insensé  des  hommes  selon  la  sagesse 
du  siècle,  mais  le  plus  sage,  le  plus  intelligent.  \c.  plus  avisé 
selon  la  sagesse  de  Dieu!  C'est  ce  que  je  tâcherai  de  vous 
faire  voir  dans  la  suite  de  ce  discours. 


196  PANÉnVRIQUK  DK  SAINT  FRANÇOIS  d'asSISE. 


l'UiîMiioi;   roiNT. 

Quand  je  me  suis  proposé  de  vous  entretenir  aujourd'hui 
des  trois  victoires  de  saint  François  sur  les  richesses  du 
monde,  sur  ses  plaisirs  et  sur  ses  honneurs,  je  m'étais  per- 
suadé que  je  pourrais  les  représenter  les  unes  après  les 
autres;  mais  je  vois  bien  maintenant  que  c'est  une  entreprise 
impossible,  et  qu'ayant  à  commencer  par  la  profession  géné- 
reuse qu'il  a  faite  de  la  pauvreté,  je  suis  obligé  de  vous  dire 
que,  par  cette  seule  résolution,  il  s'est  mis  infiniment  au- 
dessus  des  honneurs  et  des  opprobres,  des  incommodités  et 
des  agréments,  et  de  tout  ce  que  l'on  appelle  bien  et  mal 
dans  le  monde.  Car  enfin  ce  serait  mal  connaître  la  nature 
de  la  pauvreté,  que  de  la  considérer  comme  un  mal  séparé 
des  autres.  Je  pense  pour  moi,  chrétiens,  que,  lorsqu'on  a 
inventé  ce  nom,  on  a  voulu  exprimer  non  point  un  mal  par- 
ticulier, mais  un  abîme  de  tous  les  maux,  et  l'assemblage  de 
toutes  les  misères  qui  affligent  la  vie  humaine.  Et  certes, 
j'oserais  quasi  assurer  que  c'est  quelque  mauvais  démon, 
qui,  voulant  rendre  la  pauvreté  tout  à  fait  insupportable,  a 
trouvé  le  moyen  d'attacher  aux  richesses  tout  ce  qu'il  y  a 
d'honorable  et  de  plaisant  dans  le  monde  (')  :  c'est  pourquoi 
notre  langage  ordinaire  les  nomme  biens  d'un  nom  général, 
parce  qu'elles  sont  l'instrument  commun  pour  acquérir  tous 
les  autres.  De  sorte  que  nous  pourrions,  au  contraire,  appe- 
ler la  pauvreté  un  mal  général,  parce  que,  les  richesses  ayant 
tiré  de  leur  côté  la  joie,  l'affluence,  l'applaudissement,  la 
faveur,  il  ne  reste  à  la  pauvreté  que  la  tristesse  et  le  déses- 
poir, et  l'extrême  nécessité,  et,  ce  qui  est  plus  insupportable, 
le  mépris  et  la  servitude.  Et  c'est  ce  qui  fait  dire  au  Sage 
que  la  pauvreté  entrait  en  une  maison  tout  ainsi  qu'un  soldat 
armé:  Paupeiàes  quasi  vû^  armatus  (^).  L'étrange  comparai- 
son !  Vous  dirai-je  ici,  chrétiens,  combien  est  effroyable  en 
une  pauvre  maison  une  garnison  de  soldats  .^  Plût  à  Dieu 
que  vous  fussiez  en   état  de  l'apprendre   seulement  de  ma 

a.  Prov.^  VI,  II. 

I.  Var.  tous  les  honneurs,  tous  les   plaisirs  et  toutes  les  commodités  de  la 
vie. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE.  I97 

bouche  !  Mais,  hélas  !  nos  campagnes  désertes,  et  nos  bourgs 
misérablement  désolés,  nous  disent  assez  que  c'est  cette 
seule  terreur  (')  qui  a  dissipé  deçà  et  delà  tous  leurs  habi- 
tants. Jugez,  jugez  par  là  combien  la  pauvreté  est  terrible  ; 
puisque  la  guerre,  l'horreur  du  genre  humain,  le  monstre  le 
plus  cruel  que  l'enfer  ait  jamais  vomi  pour  la  ruine  des 
hommes,  n'a  presque  rien  de  plus  effroyable  que  cette  déso- 
lation, cette  indigence,  cette  pauvreté  qu'elle  traîne  néces- 
sairement avec  elle.  Mais  du  moins  n'est-ce  pas  assez  que  la 
pauvreté  soit  accablée  de  tant  de  douleurs,  sans  qu'on  la 
charge  encore  d'opprobre  et  d'ignominie  ?  Les  fièvres,  les 
maladies,  qui  sont  presque  nos  plus  grands  maux,  encore 
ont-elles  cela  de  bon  qu'elles  ne  font  de  honte  à  personne. 
Dans  toutes  les  autres  disgrâces  (^),  nous  voyons  que  chacun 
prend  plaisir  de  conter  ses  maux  et  ses  infortunes  :  la  seule 
pauvreté  a  cela  de  commun  avec  le  vice,  qu'elle  nous  fait 
rougir,  de  même  que  si  être  pauvre  c'était  être  extrêmement 
criminel. 

En  effet,  combien  y  a-t-il  de  personnes  qui  se  privent  des 
contentements,  et  même  des  nécessités  de  la  vie,  afin  de 
soutenir  une  pauvreté  honorable  !  Combien  d'autres  en 
voyons-nous  qui  se  font  effectivement  pauvres  (^),  tâchant 
de  satisfaire  à  je  ne  sais  quel  point  d'honneur,  par  une  dé- 
pense qui  les  consume!  Et  d'où  vient  cela,  chrétiens,  sinon 
que,  dans  l'estime  des  hommes,  qui  dit  pauvre,  dit  le  rebut 
du  monde.  Pour  cela,  le  prophète  David,  après  avoir  décrit 
les  diverses  misères  des  pauvres,  conclut  enfin  par  cette 
excellente  parole  qu'il  adresse  à  Dieu  :  Tibi  derclictiis  est 
pauper  (")  :  «  Seigneur,  dit-il,  on  vous  abandonne  le  pauvre.  » 
Et  voyons-nous  rien  de  plus  commun  dans  le  monde  .-^ 
Quand  les  pauvres  s'adressent  à  nous,  afin  que  nous  soula- 
gions leurs  nécessités,  n'est-il  pas  vrai  que  la  faveur  la  plus 
ordinaire  que  nous  leur  faisons,  c'e.st  de  souhaiter  que  Dieu 
les  assiste  ?  Dieu  soit  à  votre  aide  !  leur  disons-nous  ;  mais 


a.  Ps.,  IX,  35. 

1.  Var.  appréhension. 

2.  Va7'.  aventures,  --  rencontres. 

3.  Var.  qui  deviennent  pauvres,  de  crainte  de  le  paraître. 


198  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE. 


de  contribuer  de  notre  part  quelque  chose  pour  les  secourir, 
c'est  la  moindre  de  nos  pensées.  Nous  nous  en  déchargeons 
sur  la  miséricorde  divine,  ne  considérant  pas  que  c'est  par 
nos  mains  et  par  notre  ministère,  que  Dieu  a  résolu  de  leur 
faire  cette  miséricorde  que  nous  leur  souhaitons  :  tant  il  est 
vrai  que  personne  ne  se  met  en  peine  des  pauvres  !  Chacun 
s'inquiète,  chacun  s'empresse  à  servir  les  grands;  et  il  n'y  a 
que  Dieu  seul  à  qui  les  pauvres  ne  soient  point  à  charge  : 
Tibi  de  relie  tus  est  ! 

Cela  étant  ainsi,  comme  l'expérience  nous  le  fait  voir, 
quand  un  homme  accommodé  dans  le  siècle,  comme  saint 
François,  prend  la  résolution  de  se  plaire  dans  les  bassesses 
de  la  pauvreté,  ne  faut-il  pas  que  ce  soit  une  âme  extrême- 
ment touchée  du  mépris  (')  de  tous  ces  biens  imaginaires, 
qui  remportent  parmi  nous  un  si  grand  applaudissement  ? 
Le  voyez-vous,  chrétiens,  François,  ce  riche  marchand 
d'Assise,  que  son  père  a  envoyé  à  Rome  pour  les  affaires  de 
son  négoce,  le  voyez-vous  qui  s'entretient  avec  un  pauvre 
au  milieu  des  rues  ?  Eh  Dieu  !  qu'a  de  commun  le  négoce 
avec  cette  sorte  de  gens  ?  Quel  marché  veut-il  faire  avec  ce 
pauvre  homme  ?  Ah!  l'admirable  trafic,  le  riche  et  précieux 
échange!  Il  veut  avoir  l'habit  de  ce  pauvre,  et  pour  cela  il 
lui  donne  le  sien;  et  après,  ravi  d'avoir  fait  un  si  bel  échange 
d'un  habit  honnête  contre  un  autre  tout  déchiré,  il  paraît 
tout  joyeux  habillé  en  pauvre,  pendant  que  le  pauvre  a  peine 
à  se  reconnaître  sous  son  habit  de  bourgeois. 

Jésus,  mon  Sauveur,  qui  dites  que  l'on  vous  habille  quand 
on  couvre  la  nudité  de  vos  pauvres,  pourrais-je  bien  ici 
exprimer  combien  cette  action  vous  fut  agréable  .^  L'histoire 
ecclésiastique  m'apprend  que  saint  Martin,  votre  serviteur, 
ayant  donné  la  moitié  de  son  manteau  à  un  pauvre  qui  lui 
demandait  l'aumône,  vous  lui  apparûtes  la  nuit  dans  une 
vision  merveilleuse,  paré  superbement  de  cette  moitié  de 
manteau,  vous  glorifiant  en  la  présence  de  vos  saints  anges 
que  Martin,  encore  catéchumène,  vous  avait  donné  cet  habit. 
Me  permettrez-vous,  ô  mon  Maître,  une  parole  familière, 
que  j'ose  ici  avancer  en  suite  de  ce  que  vous  dites  vous- 


I.  Var.  qu'il  ait  en  son  âme  un  mépris  extrême. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE.  199 

même  ?  S'il  est  vrai  que  vous  estimiez  qu'on  vous  donne 
lorsqu'on  fait  largesse  à  vos  pauvres  (''),  combien  vous  glori- 
fierez-vous  du  don  que  vous  fait  François  !  Ce  n'est  pas  de 
son  manteau  seulement  qu'il  se  dépouille  pour  l'amour  de 
vous  :  il  veut  vous  revêtir  tout  entier  ;  il  vous  fait  présent 
d'un  habit  complet.  Bien  plus  ('),  ayant  appris  de  votre 
Évangile  que,  lorsque  vous  étiez  sur  la  terre,  vous  vous  étiez 
toujours  plu  dans  la  pauvreté,  non  content  de  vous  avoir 
habillé,  il  semble  vous  demander  à  son  tour  que  vous  l'habil- 
liez à  votre  façon  :  il  se  couvre  d'un  habit  de  pauvre,  afin 
d'être  semblable  à  vous. 

Et  dans  ce  merveilleux  appareil,  d'autant  plus  magnifique 
qu'il  était  abject,  suivons-le,  s'il  vous  plaît,  mes  chers  frères, 
nous  verrons  une  action  qui  sans  doute  sera  surprenante.  Il 
s'en  va  à  l'Eglise  de  Dieu,  à  la  mémoire  des  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul,  ces  deux  pauvres  illustres  qui  ont  vu 
les  empereurs  prosternés  devant  leurs  tombeaux.  Là,  sans 
considérer  qu'il  pourrait  être  aisément  connu  (et  vous  savez 
que  le  commerce  donne  toujours  beaucoup  d'habitudes)  il  se 
mêle  parmi  les  pauvres  qu'il  sait  être  les  frères  et  les  bien- 
aimés  du  Sauveur;  il  fait  son  apprentissage  de  cette  pauvreté 
généreuse  à  laquelle  son  Maître  l^ppelle  ;  il  goûte  à  longs 
traits  la  honte  et  l'ignominie  qui  lui  a  été  si  agréable;  il  se 
durcit  le  front  contre  cette  molle  et  lâche  pudeur  du  siècle, 
qui  ne  peut  souffrir  les  opprobres,  bien  qu'ils  aient  été  con- 
sacrés en  la  personne  du  Fils  de  Dieu.  Ah!  qu'il  commence 
bien  à  faire  profession  de  la  folie  de  la  croix,  et  de  li 
pauvreté  évangélique! 

Mais  avant  que  de  passer  outre  à  ses  autres  actions,  fi- 
dèles, il  est  nécessaire,  afin  que  nous  en  connaissions  mieux 
le  prix,  que  nous  tâchions  de  nous  détromper  de  cette  folle 
admiration  des  richesses  dans  laquelle  on  nous  a  élevés.  Il 
faut  que  je  vous  fasse  voir,  par  des  raisonnements  invincibles, 
les  grandeurs  de  la  pauvreté  selon  les  maximes  de  rr.vangile; 
d'où  il  vous  sera  aisé  de  conclure  combien  est  injuste  le 

a.  M  (lit  h.,  XXV,  36. 

I.  Je  soupc^onnc   ici  une  correction   de  Deforis   :  à  celle  date  lîossuct  disait 
«  Davantage,  .'lyanl  appris...  » 


200  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  D  ASSISE. 


mépris  des  pauvres,  que  je  vous  représentais  tout  à  l'heure. 
Mais,  afin  de  le  faire  avec  plus  de  fruit,  laissons,  laissons, 
s'il  vous  plaît,  aux  orateurs  du  monde  la  pompe  et  la  majesté 
du  style  panéi^yrique  ;  ils  ne  se  mettent  point  en  peine  que 
l'on  les  entende,  pourvu  qu'ils  reconnaissent  que  Ion  les 
admire.  Pour  nous  qui  sommes  ici  dans  la  chaire  du  Sauveur 
J  i-:sus,  ornons  notre  discours  de  la  simplicité  de  son  Évangile, 
et  repaissons  nos  âmes  de  vérités  solides  et  intelligibles. 

Je  dis  donc,   ô  riches  du  siècle,   que   vous   avez  tort  de 
traiter  les  pauvres  avec  un  mépris  si  injurieux.  Afin  que  vous 
le  sachiez,  si  nous  voulions  monter  à  l'origine  des  choses, 
nous  trouverions  peut-être  qu'ils   n'auraient  pas  moins  de 
droit  que  vous  aux  biens  que  vous  possédez.  La   nature  ou 
plutôt,  pour  parler  plus  chrétiennement,  Dieu,  le  père  com- 
mun des  hommes,  a  donné  dès  le  commencement  un  droit 
égal  à  tous  ses  enfants  sur  toutes  les  choses  dont  ils   ont 
besoin  pour  la  conservation  de  leur  vie.   Aucun  de  nous  ne 
se  peut  vanter  d'être  plus  avantagé  que   les   autres  par  la 
nature.  Mais  l'insatiable  désir  d'amasser  n'a  pas  permis  que 
cette  belle  fraternité  pût  durer  longtemps  dans  le  monde.  Il 
a  fallu  venir  au  partage  et  à  la  propriété,  qui  a  produit  toutes 
les  querelles  et  tous  les  procès  :  de  là  est  né  ce  mot  de  mien 
et  de  tien,  cette  parole  si  froide,  dit  l'admirable  saint  Jean 
Chrysostome  ("')  ;  de  là  cette  grande  diversité  de  conditions, 
les  uns  vivant  dans  l'affluence  de  toutes  choses,  les  autres 
languissant  dans  une  extrême    indigence.    C'est    pourquoi 
plusieurs  des  saints  Pères  ayant  eu  égard  et  à  l'origine  des 
choses,  et  à  cette  libéralité  générale  de  la  nature  envers  tous 
les  hommes,  n'ont  pas  fait  de  difficulté  d'assurer  que  c'était 
en  quelque  sorte   frustrer  les  pauvres  de  leur  propre  bien, 
que  de  leur  dénier  celui  qui  nous  est  superflu. 

Je  ne  veux  pas  dire  par  là,  mes  frères,  que  vous  ne  soyez 
que  les  dispensateurs  des  richesses  que  vous  avez  ;  ce  n'est 
pas  ce  que  je  prétends.  Car  ce  partage  de  biens  s'étant  fait 
d'un  commun  consentement  de  toutes  les  nations,  et  ayant 
été  autorisé  par  la  loi  divine,  vous  êtes  les  maîtres  et  les 
propriétaires  de  la  portion  qui   vous  est  échue.  Mais  sachez 

a.  Nom.  de  S.  Philog.^  n.  i. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE.  20I 


que,  si  vous  en  êtes  les  véritables  propriétaires  selon  la  jus- 
tice des  hommes,  vous  ne  devez  vous  considérer  que  comme 
dispensateurs  devant  la  justice  de  Dieu,  qui  vous  en  fera 
rendre  compte.  Ne  vous  persuadez  pas  qu'il  ait  abandonné 
le  soin  des  pauvres  :  encore  que  vous  les  voyiez  destitués 
de  toutes  choses,  gardez-vous  bien  de  croire  qu'ils  aient  tout 
à  fait  perdu  ce  droit  si  naturel  qu'ils  ont  de  prendre  dans  la 
masse  commune  tout  ce  qui  leur  est  nécessaire.  Non,  non,  ô 
riches  du  siècle,  ce  n'est  pas  pour  vous  seuls  que  Dieu  fait 
lever  son  soleil,  ni  qu'il  arrose  la  terre,  ni  qu'il  fait  profiter 
dans  son  sein  une  si  grande  diversité  de  semences  :  les  pau- 
vres y  ont  leur  part  aussi  bien  que  vous.  J'avoue  que  Dieu 
ne  leur  a  donné  aucun  fonds  en  propriété  ;  mais  il  leur  a 
assigné  leur  subsistance  sur  les  biens  que  vous  possédez, 
tout  autant  que  vous  êtes  de  riches.  Ce  n'est  pas  qu'il  n'eût 
bien  le  moyen  de  les  entretenir  d'une  autre  manière,  lui  sous 
le  règne  duquel  les  animaux,  même  les  plus  vils,  ne  man- 
quent d'aucune  des  choses  convenables  à  leur  subsistance. 
Ni  sa  main  n'est  point  raccourcie,  ni  ses  trésors  ne  sont  point 
épuisés.  Mais  il  a  voulu  que  vous  eussiez  l'honneur  de  faire 
vivre  vos  semblables.  Quelle  gloire  en  vérité,  chrétiens,  si 
nous  la  savions  bien  comprendre  !  Par  conséquent,  bien  loin 
de  mépriser  les  pauvres,  vous  les  devriez  respecter,  les  con- 
sidérant comme  des  personnes  que  Dieu  vous  adresse  et 
vous  recommande. 

Car  enfin  méprisez-les,  traitez-les  indignement  tant  qu'il 
vous  plaira,  il  faut  néanmoins  qu'ils  vivent  à  vos  dépens,  si 
vous  ne  voulez  encourir  l'indignation  de  celui  qui,  parmi  ces 
noms  si  auofustes  d'Éternel  et  de  Dieu  des  armées,  se  çy\o- 
rifie  encore  de  se  dire  le  Père  des  pauvres.  Vive  Dieu  !  dit 
le  Seigneur,  c'est  jurer  par  moi-même  :  le  ciel  et  la  terre  et 
tout  ce  qu'ils  enferment  est  à  moi  :  vous  êtes  obligés  de  me 
rendre  la  redevance  de  tous  les  biens  que  vous  possédez.' 
Mais  certes  pour  moi  je  n'ai  que  faire  ni  de  vos  offrandes  ni 
de  vos  richesses  :  je  suis  votre  Dieu,  et  n'ai  pas  besoin  de 
vos  biens.  Je  ne  peux  souffrir  de  nécessité  qu'en  la  personne 
des  pauvres,  que  j'avoue  pour  mes  enfants  ;  c'est  à  eux  que 
j'ordonne  que  vous  payiez  fidèlement  le  tribut  que  vous  me 


202  PANÉGYRIQUE  D1-:  SAINT  FRANÇOIS  DASSISE. 

devez.  Voyez-vous,  mes  frères  :  ces  pauvres  que  vous  mépri- 
sez tant,  Dieu  les  établit  ses  trésoriers  et  ses  receveurs  q^é- 
néraux  ;  il  veut  que  l'on  consicrne  en  leurs  mains  toutl'aro-ent 
qui  doit  entrer  dans  ses  coffres.  Il  ne  leur  donne  ici-bas 
aucun  droit  qu'ils  puissent  exiger  par  une  justice  étroite  ; 
mais  il  leur  permet  de  lever  sur  tous  ceux  qu'il  a  enrichis  un 
impôt  volontaire,  non  par  contrainte,  mais  par  charité.  Que 
si  on  les  refuse,  si  on  les  maltraite,  il  n'entend  pas  qu'ils 
portent  leur  plainte  par-devant  des  juges  mortels;  lui-même 
il  écoutera  leurs  cris  du  plus  haut  des  cieux  :  comme  ce  qui 
est  dû  aux  pauvres  ce  sont  ses  propres  deniers,  il  en  a  réservé 
la  connaissance  à  son  tribunal.  C'est  moi  qui  les  vengerai, 
dit-il  :  je  ferai  miséricorde  à  qui  leur  fera  miséricorde,  je 
serai  impitoyable  à  qui  sera  impitoyable  pour  eux.  Merveil- 
leuse dignité  des  pauvres!  La  grâce,  la  miséricorde,  le  pardon 
est  entre  leurs  mains  ;  et  il  y  a  des  personnes  assez  insensées 
pour  les  mépriser  !  Mais  encore  n'est-ce  pas  là  par  oi^i  saint 
François  les  considère  le  plus. 

Ce  petit  enfant  de  Bethléem,  c'est  ainsi  qu'il  appelle  mon 
l\Iaître,  ce  Jésus  «  qui,  étant  si  riche,  s'est  fait  pauvre  pour 
1  amour  de  nous,  afin  de  nous  enrichir  par  son  indigence,  » 
comme  dit  l'apôtre  saint  Paul  {'')  ;  ce  roi  pauvre,  qui  venant 
au  monde  n'y  trouve  point  d'habit  plus  digne  de  sa  gran- 
deur que  celui  de  la  pauvreté,  c'est  là  ce  qui  touche  son  âme. 
Ma  chère  pauvreté,  disait-il,  si  basse  que  soit  ton  extraction, 
selon  le  jugement  des  hommes,  je  ne  puis  que  je  ne  t'estime, 
depuis  que  mon  Maître  t'a  épousée.  Et  certes  il  avait  raison, 
chrétiens.  Si  un  roi  épouse  une  fille  de  basse  extraction,  elle 
devient  reine  :  on  en  murmure  quelque  temps  ;  mais  enfin  on 
la  reconnaît  :  elle  est  anoblie  {')  par  le  mariage  du  prince  ;  sa 
noblesse  passe  à  sa  maison  ;  ses  parents  ordinairement  sont 
appelés  aux  plus  belles  charges,  et  ses  enfants  sont  les  héri- 
tiers du  royaume.  Ainsi  après  que  le  Fils  de  Dieu  a  épousé 

rt.   II  Cor.,  VIII,  9. 

I.  Deforis  :  ennoblie.—  Mais  dans  le  sermon  sur  l'É?ninente  dignité  des 
pauvres,  dont  nous  posse'dons  l'autographe,  nous  verrons  le  premier  éditeur 
corriger  Bossuet  à  propos  de  cette  même  comparaison  :  il  imprimera  ennoblie, 
quand  son  auteur  avait  écrit  aiwblie,  comme  nous,  dans  ce  sens  (3^ point). 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS.  d'aSSISE.  203 

la  pauvreté,  bien  qu'on  y  résiste,  bien  qu'on  en  murmure, 
elle  est  noble  et  considérable  par  cette  alliance.  Les  pauvres, 
depuis  ce  temps-là,  sont  les  confidents  du  Sauveur,  et  les 
premiers  ministres  de  ce  royaume  spirituel  qu'il  est  venu 
établir  sur  la  terre.  Jésus  même,  dans  cet  admirable  discours 
qu'il  fait  à  un  grand  auditoire  sur  cette  mystérieuse  mon- 
tagne, ne  daignant  parler  aux  riches,  sinon  pour  foudroyer 
leur  orgueil,  adresse  la  parole  aux  pauvres,  ses  bons  amis 
et  leur  dit  avec  une  incroyable  consolation  de  son  âme  :  ^<  O 
pauvres,  que  vous  êtes  heureux,  parce  qu'à  vous  appartient 
le  royaume  de  Dieu  !  »  Beati pauperes,  quia  vestrum  est  re- 
^num  Dei  {^)  ! 

Heureux  donc  mille  et  mille  fois  !e  pauvre  François,  le 
plus  ardent,  le  plus  transporté,  et,  si  j'ose  parler  de  la  sorte, 
le  plus  désespéré  amateur  de  la  pauvreté  qui  ait  peut-être 
été  dans  l'Eglise.  Avec  quel  excès  de  zèle  ne  l'a-t-il  point 
embrassée  !  Combien  belle,  combien  généreuse,  combien 
digne  d'être  consacrée  à  la  mémoire  éternelle  de  la  postérité, 
fut  cette  réponse  qu'il  fit  à  son  père,  lorsqu'il  le  pressait,  en 
présence  de  l'évêque  d'Assise,  de  renoncer  à  ses  biens!  Il 
accusait  son  fils  d'être  le  plus  excessif  en  dépense  qui  fût 
dans  tout  le  pays.  Il  ne  saurait,  disait-il,  refuser  un  pauvre  : 
il  ne  peut  souffrir  qu'il  y  ait  dans  la  ville  des  familles  néces- 
siteuses. Il  vend  toutes  mes  marchandises,  et  leur  en  distribue 
le  prix.  Et  en  effet,  chrétiens,  à  voir  comme  François  en 
usait,  on  eût  dit  qu'il  avait  engagé  son  bien  aux  pauvres  de 
la  province,  et  que  l'aumône  qu'il  leur  faisait  était  moins  un 
bienfait  qu'une  dette.  Et  parce  que  tout  son  patrimoine  ne 
pouvait  suffire  à  payer  ces  dettes  infinies  d'une  charité 
immense  et  sans  bornes,  son  père  soutenait  qu'il  était  obligé 
à  faire  cession  de  biens  ;  d'autant  plus,  disait-il,  qu'il  était 
incorrigible,  et  qu'il  n'y  avait  aucune  ai:)parence  qu'il  devînt 
meilleur  ménager. 

Que  répondra  François  à  des  accusations  si  pressantes, 
faites  avec  toute  la  véhémence  de  l'autorité  paternelle  ?  O 
Dieu  éternel,  que  vous  inspirez  de  belles  réponses  à  vos 
serviteurs  quand  ils  se  laissent  conduire  à  votre  P^sprit-Saint! 

a.  Lîic.^  VI,  20. 


204  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE. 

«  Tenez,  dit  François,  anime  d'un  instinct  céleste,  tenez,  ô 
mon  père,  je  vous  donne  plus  que  vous  ne  voulez.  »  Et  dans 
le  même  moment,  jetant  à  ses  pieds  ses  habits  :  «  Jusqu'ici, 
poursuit-il.  je  vous  avais  appelé  mon  père  ;  maintenant  que 
je  n'attendrai  plus  aucun  bien  de  vous,  j'en  dirai  plus  hardi- 
ment et  avec  une  confiance  plus  pleine  :  Notre  Père,  qui 
êtes  aux  cieux.  »  Quelle  éloquence  assez  forte,  quels  raisonne- 
ments assez  magnifiques  pourraient  ici  égaler  la  majesté  de 
cette  parole?  O  la  belle  banqueroute  que  fait  aujourd'hui  ce 
marchand!  O  homme,  non  tant  incapable  d'avoir  des  riches- 
ses, que  digne  de  n'en  avoir  pas,  digne  d'être  écrit  dans  le 
livre  des  pauvres  évangéliques,  et  de  vivre  dorénavant  sur 
le  fonds  de  la  Providence!  Enfin  il  a  rencontré  cette  pauvreté 
si  ardemment  désirée,  en  laquelle  il  avait  mis  son  trésor  : 
plus  on  lui  ôte,  plus  on  l'enrichit,  Que  l'on  a  bien  fait  de  le 
dépouiller  entièrement  de  ses  biens;  puisque  aussi  bien  on 
voulait  lui  ravir  ce  qu'il  estimait  de  plus  beau  dans  toutes 
ses  possessions,  qui  était  le  pouvoir  de  les  répandre  abon- 
damment sur  les  pauvres  !  Il  a  trouvé  un  Père  qui  ne 
l'empêchera  pas  de  donner,  ni  ce  qu'il  gagnera  par  le  travail 
de  ses  mains,  ni  ce  qu'il  pourra  obtenir  de  la  charité  des 
fidèles.  Heureux  de  n'avoir  plus  rien  dans  le  siècle,  son 
habit  même  lui  venant  d'aumône  !  Heureux  de  n'avoir  d'autre 
bien  que  Dieu,  de  n'attendre  rien  que  de  lui,  de  ne  recevoir 
rien  que  pour  l'amour  de  lui  !  Grâce  à  la  miséricorde 
divine,  il  n'a  plus  aucune  affaire  que  de  servir  Dieu  ;  toute 
sa  nourriture  est  de  faire  sa  volonté.  Oue  son  état  est  diffé- 
rent  de  celui  des  riches  !  vous  le  verrez  dans  ma  seconde 
partie  ('). 

SECOND    POINT. 

Quand  je  vous  considère,  ô  riches  du  siècle,  vous  me 
semblez  bien  pauvres  en  comparaison  de  François.  Vous  ne 
sauriez  avoir  tant  de  richesses,  que  vos  passions  déréglées 
n'en  consument  encore  davantage.  Il   vous  en  faut  pour  la 

r.  Dans  ses  premiers  manuscrits,  Bossuet  indique  rarement  le  commencement 
de  chaque  point  du  discours.  La  formule,  assez  inattendue,  que  nous  rencon- 
trons ici,  ne  serait-elle  pas  d'une  autre  main  ? 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE.  20 


nécessité,  pour  la  vanité,  pour  le  luxe,  pour  les  plaisirs,  pour 
la  pompe,  pour  la  parade,  pour  mille  superfluités.  François, 
au  contraire,  ne  saurait  avoir  ni  un  habillement  si  sordide, 
ni  une  nourriture  si  modique,  qu'il  ne  soit  parfaitement  satis- 
fait ;  tout  prêt  même  à  mourir  de  faim,  si  telle  est  la  volonté 
de  son  Père.  Il  s'en  va  tantôt  dans  une  sombre  forêt,  tantôt 
sur  le  haut  d'une  montagne,  admirant  les  ouvrages  de  Dieu 
invitant  toutes  les  créatures  à  le  louer  et  à  le  bénir,  leur 
prêtant  pour  cela  son  intelligence  et  sa  voix,  passant  les 
jours  et  les  nuits  à  prononcer,  à  méditer,  à  goûter  cette 
pieuse  parole:  «  Notre  Père,  qui  êtes  aux  cieux;  »  et  cette 
autre  :  «  Mon  Dieu  et  mon  tout,  »  qu'il  avait  sans  cesse  à  la 
bouche:  Deus  meus  et  omnia.  Il  court  par  toutes  les  villes, 
par  toutes  les  bourgades,  par  tous  les  hameaux:  il  lève  hau- 
tement l'étendard  de  la  pauvreté;  il  commence  à  exercer  un 
nouveau  genre  de  négoce  ;  il  établit  le  plus  beau  et  le  plus 
riche  commerce  dont  on  se  puisse  jamais  aviser.  O  vous, 
disait-il,  vous  qui  désirez  acquérir  cette  perle  unique  de 
l'Evangile,  venez,  associons  nous,  afin  de  trafiquer  dans  le 
ciel:  vendez  tous  vos  biens,  donnez  tout  aux  pauvres;  venez 
avec  moi,  libres  de  tous  soins  séculiers  :  venez,  nous  ferons 
pénitence  ;  venez,  nous  louerons  et  servirons  notre  Dieu  en 
simplicité  et  en  pauvreté. 

O  sainte  compagnie,  qui  commencez  à  vous  assembler 
sous  la  conduite  de  saint  François,  puissiez-vous,  en  vous 
étendant  de  toutes  parts,  inspirer  à  tous  les  hommes  du 
monde  un  généreux  mépris  des  richesses,  et  porter  tous  les 
peuples  à  l'exercice  de  la  pénitence  !  Mais  que  prétendez- 
vous  faire  avec  ces  habits  d'une  forme  si  singulière,  si  pesants 
en  été,  si  peu  propres  à  vous  garantir  des  rigueurs  du  froid.'* 
Pourquoi  n'avez-vous  plus  d'égard  à  la  nécessité  ou  à  la 
faiblesse  de  la  chair?  P^idèles,  le  pauvre  François,  qui  leur 
a  donné  ce  conseil,  ne  comprend  pas  ce  discours  :  il  est 
prévenu  d'autres  maximes  plus  mâles  et  plus  élevées,  il  se 
souvient  de  ces  feuilles  de  figuier  qui  couvrirent,  dans  le 
paradis,  la  imdité  de  nos  premiers  parents,  sitôt  (jue  leur 
désobéissance  la  leur  eut  fait  connaiire.  Il  songe  (juc  riionune 
a  été  nu,  tant  qu'il  a  été  innocent;  et  par  conséquent  i|ue  ce 


206  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  DASSISE. 

n'est  pas  la  nécessité,  mais  le  péché  et  la  honte  qui  ont  fait 
les  premiers  habits.  Que  si  c'est  le  péché  qui  a  habillé  la 
nature  corrompue,  il  juge  qu'il  sera  bienséant  que  la  péni- 
tence rhai)ille  après  qu'elle  a  été  réparée. 

Mais  pourquoi  vous  exténuez-vous  par  tant  de  jeûnes.'^ 
pourquoi  vous  consumez-vous  par  tant  de  veilles?  pourquoi 
vous  jetez-vous  sur  ces  neiges.'^  pourquoi  vois-je  ce  cilice 
inséparable  de  votre  corps,  que  l'on  pourrait  prendre  pour 
une  autre  peau  qui  se  serait  formée  sur  la  première?  Répon- 
dez, François,  répondez:  vos  sentiments  sont  si  chrétiens 
que  je  croirais  diminuer  quelque  chose  de  leur  générosité,  si 
je  ne  vous  les  faisais  exposer  à  vous-même.  Oui  êtes-vous, 
dira-t-il,  vous  qui  me  faites  cette  question?  Ignorez-vous  que 
le  nom  de  chrétien  signifie  un  homme  souffrant  ?  Ne  vous 
souvenez-vous  pas  de  ces  deux  braves  athlètes,  Paul  et 
Barnabe,  qui  allaient  confirmant  et  consolant  les  Eglises? 
Et  que  leur  disaient-ils  pour  les  consoler?  «  Qu'il  fallait 
par  de  longs  travaux  et  une  grande  suite  de  tribulations 
parvenir  au  royaume  des  cieux:  »  Quoitiam  per  niultas  tri- 
bu lationes  oportet  nos  iiitrare  in  7^egnu77t  Dei  (f).  Sachez, 
poursuivra-t-il;  et  pardonnez-moi,  chrétiens,  si  je  prends 
plaisir  aujourd'hui  à  vous  faire  parler  si  souvent  ce  merveil- 
leux personnage;  sachez  donc,  dira-t-il,  que  nous  autres 
chrétiens  «  nous  avons  un  corps  et  une  âme  qui  doivent  être 
exposés  à  toute  sorte  d'incommodités:  »  Ipsam  animam 
ipsinnque  corpus  expositum  omnibus  ad  inju^darn  gerimus  ('''). 
Et  c'est  ainsi  que  pour  suivre  le  commandement  de  l'Apô- 
tre ('),  «afin  de  nepointcourir  en  vain, je  travaille  à  dompter 
mon  corps,  et  à  réduire  en  servitude  l'appétit  de  ces  volup- 
tés qui,  par  leur  délicatesse,  rendent  molle  et  efféminée  cette 
mâle  vertu  de  la  foi  :  »  Discutiendœ  sunt  deliciœ,  quaruin 
mollitia  et  fluxu  Jidei  virtus  effeminari  potest  (^).  Après  tout 
«  quelles  plus  grandes  délices  à  un  chrétien,  que  le  dégoût  (') 
des  délices  ?  »    Quœ  major  voluptas,  quam  fastidium  ipsius 

a.  Act.^  XIV,  21.  —  Deforis  :  Quia  per  limitas  augttstias  et  tribulatio7ies  opor- 
tet pcrvenire  ad  7'egniini  Dei.  —  b.  TertuU.,  de  Patient.^  n.  8.  —  c.  \  Cor.^  ix, 
26-27.  —  ft.  TertuU.,  de  Cultufejnin.^  n,  n.  13. 

I.   Var.  le  mépris. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'asSISE.  20/ 

voluptatis  ('')?  «  Quoi!  ne  pourrons-nous  pas  vivre  sans 
plaisir,  nous  qui  devons  mourir  avec  plaisir  ?  »  Non  possu- 
inus  vivere  sine  voluptate,  qui  mori cum  voluptate  debemus  (^)  ! 
Ce  sont  les  paroles  du  grave  Tertullien,  qu'il  prêtera  volon- 
tiers aux  sentiments  de  François,  si  dignes  de  cette  première 
vigueur  et  fermeté  des  mœurs  chrétiennes. 

Sévère,  mais  évangélique  doctrine;  dures,  mais  indubi- 
tables vérités,  qui  faites  frémir  tous  nos  sens,  et  paraissez  si 
folles  a  notre  aveugle  sagesse  :  c'est  vous  qui  avez  rendu 
l'inimitable  François  si  heureusement  insensé;  c'est  vous  qui 
l'avez  enflammé  d'un  violent  désir  du  martyre,  qui  lui  fait 
chercher  de  toutes  parts  quelque  infidèle  qui  ait  soif  de  son 
sang.  Et  certes  il  est  véritable,  encore  que  tous  nos  sens  y 
répugnent,  qu'un  chrétien  qui  est  blessé  de  l'amour  de  notre 
Sauveur  n'a  pas  de  plus  grand  plaisir  que  de  répandre  son 
sang  pour  lui.  C'est  là  peut-être  le  seul  avantage  que  nous 
pouvons  remporter  sur  les  anges.  Ils  peuvent  bien  être  les 
compagnons  de  la  gloire  de  Notre-Seigneur,  mais  ils  ne 
peuvent  pas  être  les  compagnons  de  sa  mort.  Ces  bienheu- 
reuses intelligences  peuvent  bien  paraître  devant  la  face  de 
Dieu  comme  des  victimes  brûlantes  d'une  charité  éternelle, 
mais  leur  nature  impassible  ne  leur  permet  pas  de  faire  une 
généreuse  épreuve  de  leur  affection  parmi  les  souffrances, 
et  de  recevoir  cet  honneur,  si  doux  à  celui  qui  aime,  d'aimer 
jusqu'à  mourir,  et  même  de  mourir  par  amour.  Pour  nous, 
au  contraire,  nous  jouissons  de  ce  précieux  avantage  ;  car 
des  deux  sortes  de  vies  qu'il  a  plu  à  Dieu  nous  donner,  l'une, 
immortelle  et  incorruptible,  fera  durer  notre  amour  éternel- 
lement dans  le  ciel;  et  pour  l'autre,  qui  est  périssable,  nous  la 
lui  pouvons  immoler  pour  signaler  cet  amour  sur  la  terre.  Et 
c'est,  comme  je  vous  disais  tout  à  l'heure,  ce  qui  peut  arri- 
ver de  plus  doux  à  une  âme  vraiment  percée  des  traits  de 
l'amour  divin. 

Ne    voyez-vous    pas,    chrétiens,    ([uc    le   Sauveur  ji'srs 
durant  le  cours   de   sa   vie  mortelle,   n'a  point  eu  de  plus 
délicieuse  pensée,  que  celle  qui  lui  représentait  la  mon  cju'il 
devait  endurer  pour  l'amour  de  nous  .^  Et  d'où  lui  venait  ce 

a.  TertuU.,  de  Spect.^  n.  29.  —  b,  Ibid.^  n.  28. 


208  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  D  ASSISE. 


goût,  ce  plaisir  ineffable  qu'il  ressentait  dans  la  considération 
de  maux  si  pénibles  et  si  étrancres  ?  C'est  parce  qu'il  nous 
aimait  d'une  charité  immense,  dont  nous  ne  saurions  jamais 
nous  former  qu'une  très  faible  idée.  C'est  pourquoi  il  brûle 
d'impatience  de  voir  bientôt  luire  au  monde  cette  Pâque  si 
mémorable  ("),  qu'il  devait  sanctifier  par  sa  mort.  Il  soupire 
sans  cesse  après  ce  baptême  de  sang(^')  et  après  cette  heure 
dernière,  qu'il  appelait  aussi  son  heure  par  excellence  ('), 
comme  étant  celle  où  son  amour  devait  triompher.  Lorsque 
Jean-Baptiste,  son  saint  Précurseur,  voit  reposer  le  Saint- 
Esprit  sur  sa  tête  ('''),  que  le  ciel  s'entr'ouvre  sur  lui,  que  le 
Père  le  reconnaît  publiquement  pour  son  Fils,  ce  n'est  pas 
là,  chrétiens,  ce  qu'il  appelle  son  heure.  Cette  heure,  qui  est 
la  sienne,  selon  sa  façon  de  parler  ordinaire,  et  selon  la 
phrase  de  l'Écriture,  c'est  celle  à  laquelle,  portant  nos  ini- 
quités sur  le  bois,  il  se  doit  immoler  pour  nous  par  un  sacri- 
fice de  charité. 

Que  si  le  Créateur  trouve  une  joie  si  parfaite  à  mourir 
pour  sa  créature,  quel  contentement  doit  éprouver  la  créature 
de  mourir  pour  son  Créateur!  Et  c'est  ici  où  l'âme  fidèle 
ressent  de  merveilleux  transports  dans  la  contemplation  de 
notre  Maître  crucifié.  Ce  sang  précieux,  qui  ruisselle  de 
toutes  parts  de  ses  veines  cruellement  déchirées,  devient 
pour  elle  comme  un  fleuve  de  flammes,  qui  l'embrase  d'une 
ardeur  invincible  de  se  consumer  pour  lui.  Et  pourrions- 
nous  voir  notre  brave  et  victorieux  capitaine  verser  son 
sang  pour  notre  salut  avec  une  si  grande  joie,  sans  que  le 
nôtre  s'échauffât  en  nous-mêmes  par  ce  spectacle  d'amour? 
Les  médecins  nous  apprennent  que  ce  sont  certains  esprits 
chauds,  et  par  conséquent  actifs  et  vigoureux,  qui,  se  mêlant 
parmi  notre  sang,  le  font  sortir  ordinairement  avec  une 
grande  impétuosité,  sitôt  que  la  veine  est  ouverte  (').  Ah! 
que  le  sang  de  Jésus-Christ,  qui  est  coulé  dans  nos  veines 


a.  Lî^c.,xxu,  15.  ~â.  Ibid.,  Xll,  50.  —  c.  Joan.,x\\\^  i.  —  d.  Matih.,\\\,  16,  17. 

I.  Bien  que  \3.  circulation  du  sang  tni  été  démontrée  par  Harvey,  en  1628 
(il  l'avait  découverte,  dit-on,  dès  1619),  les  médecins  n'en  persistaient  pas  moins 
dans  leurs  anciennes  théories.  Bossuet  se  borne  ici  d'ailleurs  à  leur  emprunter  la 
matière  d'une  comparaison. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  D  ASSISE.  209 

par  la  vertu  de  ses  sacrements,  anime  le  sang  des  martyrs 
d'une  sainte  et  divine  chaleur,  qui  le  fait  jaillir  d'ici-bas 
jusque  sur  le  trône  de  Dieu, lorsqu'une  épée  infidèle  l'épanché 
pour  la  confession  de  la  foi!  Regardez  ces  bienheureux  sol- 
dats du  Sauveur,  avec  quelle  contenance  ils  allaient  se  pré- 
senter au  supplice.  Une  sainte  et  divine  joie  éclatait  dans 
leurs  yeux  et  sur  leurs  visages,  par  je  ne  sais  quelle  ardeur 
plus  qu'humaine  qui  étonnait  tous  les  spectateurs.  C'est  qu'ils 
considéraient  en  esprit  ces  torrents  du  sang  de  Jésus,  qui  se 
débordaient  sur  leurs  âmes  par  une  inondation  merveilleuse. 
Je  ne  m'étonne  donc  plus  si  l'incomparable  François 
désire  si  ardemment  le  martyre,  lui  qui  ne  perdait  jamais 
de  vue  le  Sauveur  attaché  à  la  croix,  et  qui  attirait  conti- 
nuellement, de  ses  adorables  blessures,  cette  eau  céleste  de 
l'amour  de  Dieu,  qui  jaillit  jusqu'à  la  vie  éternelle.  Enivré 
de  ce  divin  breuvage,  il  court  au  martyre  comme  un  insensé  : 
ni  les  rteuves,  ni  les  montagnes,  ni  les  vastes  espaces  des 
mers  ne  peuvent  arrêter  son  ardeur.  Il  passe  en  Asie,  en 
Afrique,  partout  où  il  pense  que  la  haine  soit  la  plus  échauffée 
contre  le  nom  de  Jésus.  Il  prêche  hautement  à  ces  peuples 
la  gloire  de  l'Evangile  :  il  découvre  les  impostures  de 
Mahomet,leurfauxprophète.Quoi!ces  reprochessi  véhéments 
n'animent  pas  ces  barbares  contre  le  généreux  François  ? 
Au  contraire,  ils  admirent  son  zèle  infatigable,  sa  fermeté 
invincible,  ce  prodigieux  mépris  de  toutes  les  choses  du 
monde  :  ils  lui  rendent  mille  sortes  d'honneurs.  François, 
indigné  de  se  voir  ainsi  respecté  par  les  ennemis  de  son 
Maître,  recommence  ses  invectives  contre  leur  religion 
monstrueuse;  mais,  étrange  et  merveilleuse  insensibilité! 
ils  ne  lui  témoignent  pas  moins  de  déférence.  Et  le  brave 
athlète  de  Jésus-Christ,  voyant  qu'il  ne  pouvait  mériter 
qu'ils  lui  donnassent  la  mort  :  Sortons  d'ici,  mon  frère, 
disait-il  à  son  compagnon  ;  fuyons,  fuyons  bien  loin  clc  ces 
barbares  trop  humains  pour  nous,  puisque  nous  ne  les 
pouvons  obliger  ni  à  adorer  notre  Maître.ni  à  nous  [)ersécuter, 
nous  qui  sommes  ses  serviteurs.  O  Dieu  !  cjuand  mériterons- 
nous  le  triomphe  du  martyre,  si  nous  trouvons  des  honneurs 
même  parmi  les  peu[)les  les  plus  infidèles  ?  Puisciue  Dit'u  ne 

Scniions  ik-  Hossuft.  14 


2  10  l'ANI-GVKIQUK  DE  SAINT  FRANÇOIS  D  ASSISE. 


nous  juge  pas  dignes  de  la  grâce  du  martyre,  ni  de  participer 
à  ses  glorieux  opprobres,  allons-nous-en,  mon  frère,  allons 
achever  notre  vie  dans  le  martyre  de  la  pénitence  ;  ou 
cherchons  quelque  endroit  de  la  terre,  oii  nous  puissions  boire 
à  longs  traits  l'ignominie  de  la  croix. 

TROISIÈME    POINT  ('). 

Ce  serait  en   cet  endroit,   chrétiens,  qu'il  serait   beau  de 
vous  représenter  le  dernier  trait  de  folie  du  sage  et  admira- 
ble François.  Que  vous  seriez  ravis  de  lui  voir   établir  sa 
gloire   sur   le  mépris  des  honneurs  !  Quelles   louanges    ne 
donneriez-vous   pas  à  la  naïve   enfance   de   son   innocente 
simplicité,  et  à  cette  humilité  si  profonde,  par  laquelle   il  se 
considérait  comme  le  plus  grand  des  pécheurs  ;   et  à  cette 
confiance  fidèle,   qui  lui  faisait   fonder   tout  l'appui  de  son 
espérance  sur  les  mérites  du  Fils  de  Dieu  ;  et  à  cette  crainte 
si  humble  qu'il  avait  de  faire  paraître  ces  sacrés  caractères 
de  la  Passion  du  Sauveur,  que  Jésus  crucifié,  par  une  misé- 
ricorde ineffable,  avait  imprimés  sur  sa  chair  !  Mais  combien 
seriez-vous  étonnés    quand   je   vous  dirais   que    François, 
François,  cet  admirable  personnage,   qui   a  mené  une  vie 
plus  angélique  qu'humaine,  refuse  la  sainte  prêtrise,  estimant 
cette  dignité  trop  pesante  pour  ses  épaules  !  Hélas  !  quelque 
imparfaits  que  nous  soyons,  nous  y  courons  souvent  sans  y 
être  appelés,  avec  une  hardiesse,  une  précipitation   qui  fait 
frémir  la  Religion  :  téméraires  qui  ne  comprenons  pas  la  hau- 
teur des  mystères  de   Dieu  et  la  vertu  qu'ils   exigent  dans 
ceux  qui  prétendent  en   être  les  dispensateurs!  Et  François, 
au  contraire,  cet  ange  terrestre,  après  tant  d'actions  héroïques, 
et  un  si  long  exercice  d'une  vertu  consommée,  bien  que  tout 
l'ordre  ecclésiastique  lui  tende  les  bras  comme  à  un  homme 
qui  devait  être  un  de  ses  plus  beaux  luminaires,  tremble  et 
frémit  au  seul  nom  de  prêtre,  et  n'ose,  malgré  la  vocation  la 
plus  légitime,  regarder  que  de  loin  une  dignité  si  redoutable! 
Mais  certes,  si  je  commençais  à  vous  raconter  ces  merveilles, 

I.  Deforis  n'indique  pas  ici  le  début  de  la  troisième  partie.  Il  est  vrai  qu'elle 
est  traitée  sous  forme  de  prétérition,  dans  un  seul  paragraphe. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  D, ASSISE.  2  11 

j'entreprendrais  un  nouveau  discours  ;  et  sur  la  fin  de  ma 
course,  je  m'ouvrirais  une  carrière  immense.  Puis  donc  que 
nous  faisons  dans  l'Église  les  panégyriques  des  saints  moins 
pour  célébrer  leurs  vertus,  qui  sont  déjà  couronnées,  que 
pour  nous  en  proposer  l'exemple,  il  vaut  mieux  que  nous 
retranchions  quelque  chose  des  éloges  de  saint  François, 
afin  de  nous  réserver  (')  plus  de  temps  pour  tirer  quelque 
utilité  de  sa  vie. 

Que  choisirons-nous  (^),  chrétiens,  dans  les  actions  de 
saint  François,  pour  y  trouver  notre  instruction  ?  Ce  serait 
peut-être  une  entreprise  trop  téméraire,  que  de  rechercher 
curieusement  celle  de  ses  vertus  qui  serait  la  plus  éminente  : 
il  n'appartient  qu'à  Celui  qui  les  donne  d'en  faire  l'estimation. 
Que  chacun  prenne  donc  pour  soi  ce  qu'il  sent  en  sa  con- 
science lui  devoir  être  le  plus  utile  ;  et  moi,  pour  l'édification 
de  l'Eglise,  je  vous  proposerai  ce  qui  me  semble  le  plus 
profitable  au  salut  de  tous  :  et  je  ne  sais  quel  sentiment  me 
dit  au  fond  de  mon  cœur  que  ce  doit  être  le  mépris  des  ri- 
chesses, auxquelles  il  est  tout  visible  que  nous  sommes  trop 
attachés.  L'Apôtre,  parlant  à  Timothée,  instruit  en  sa  per- 
sonne les  prédicateurs  comment  ils  doivent  exhorter  les 
riches  :  «  Commandez,  dit-il,  aux  riches  du  siècle,  qu'ils  se 
gardent  d'être  hautains  et  de  mettre  leur  espérance  dans 
l'incertitude  des  richesses  :  »  Divitibus  hiLJiLs  sccctili  prœcipc 
non  sublime  sapcre,  7ieque  sperare  in  incci'to  divitianini  ("). 
C'est  ce  que  dit  l'apôtre  saint  Paul,  où  il  touche  fort  à  pro- 
pos les  deux  principales  maladies  des  riches  :  la  première,  ce 
grand  attachement  à  leurs  biens  ;  la  seconde,  cette  grande 
estime  qu'ils  font  ordinairement  de  leurs  personnes  :  parce 
qu'ils  voient  que  leurs  richesses  les  mettent  en  considération 
dans  le  monde. 

Or,  mes  frères,  quand  je  ne  ferais  ici  que  le  personnage 
d'un  philosophe,  je  ne  manquerais  pas  de  raisons  pour  vous 

a.  I  7"/;//.,  VI,  17. 

1.  Var.  laisser. 

2.  Ici  commence  la  conclusion,  à  laquelle  le  jeune  pn-dicateur,  dans  sa  préoc- 
cupation (le  lulilité  pratique,  a  voulu  donner  un  .impie  dévcloi)pcmenl. 


212  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  ERANÇOIS  D  ASSISE. 


faire  voir  que  c  est  une  grande  folie  de  faire  tant  d'état  de 
ces  biens  qui  nous  peuvent  être  ravis  par  une  infinité  d'acci- 
dents, et  dont  la  mort  enfin  nous  dépouillera  sans  ressource, 
après  que  nous  aurons  pris  beaucoup  de  peine  à  les  sauver 
des  autres  embûches  que  leur  dressera  la  fortune.  Que  si  la 
philosophie  a  si  bien  reconnu  la  vanité  des  richesses,  nous 
autres  chrétiens  combien  les  devons-nous  mépriser  ;  nous, 
dis-je.  qui  établissons  ce  mépris  non  sur  des  raisonnements 
humains,  mais  sur  des  vérités  que  le  Fils  du  Père  éternel  a 
scellées  et  confirmées  par  son  sang!  S'il  est  donc  vrai  que 
l'héritage  céleste,  que  Dieu  nous  a  préparé  par  son  Fils 
unique,  soit  l'unique  objet  de  nos  espérances,  nous  ne  devons 
par  conséquent  estimer  les  choses  que  selon  qu'elles  nous  y 
conduisent,  et  nous  devons  détester  au  contraire  tout  ce  qui 
s'oppose  à  un  si  grand  bonheur.  Mais  de  tous  les  obstacles 
que  le  diable  met  à  notre  salut,  il  n'y  en  a  aucun  ni  plus 
grand  ni  plus  redoutable  que  les  richesses.  Pourquoi  ?  Je 
n'en  alléguerai  aucune  raison  ;  je  me  contenterai  d'employer 
un  mot  de  notre  Sauveur,  plus  puissant  que  toutes  les  rai- 
sons. Il  est  rapporté  par  trois  évangélistes,  mais  particuliè- 
rement par  saint  Marc  avec  une  merveilleuse  énergie. 

«  Mes  enfants  bien-aimés,  »  dit  notre  Maître  à  ses  chers 
disciples,  après  les  avoir  longtemps  regardés,  afin  de  leur  faire 
entendre  que  ce  qu'il  avait  à  leur  enseigner  était  d'une  im- 
portance extraordinaire  :  «  Mes  enfants  bien-aimés,  oh  !  qu'il 
est  difficile  que  les  riches  puissent  être  sauvés  !  Je  vous  dis 
en  vérité,  qu'il  est  plus  aisé  de  faire  passer  un  câble  ou  un 
chameau  par  l'ouverture  d'une  aiguille  ('').  »  Ne  vous  éton- 
nez pas  de  cette  façon  de  parler,  qui  nous  paraît  extraordi- 
naire. C'était  un  proverbe  parmi  les  Hébreux,  par  lequel  ils 
exprimaient  ordinairement  les  choses  qu'ils  croyaient  impos- 
sibles ;  comme  qui  dirait  parmi  nous  :  Plutôt  le  ciel  tomberait, 
ou  quelque  autre  semblable  expression.  Mais  ce  n'est  pas 
là  où  il  faut  s'arrêter  :  voyez,  voyez  seulement  en  quel  rang 
le  Sauveur  a  mis  le  salut  des  riches.  Vous  me  direz  peut-être 
que  c'est  une  exagération  ;  sans  doute  vous  vous  flatterez 
de  cette  pensée  :  et  moi  je  soutiens  au  contraire  qu'il  faut 

a.  Marc,  X,  24. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d' ASSISE.  213 

entendre  cette  parole  à  la  lettre.  J'espère  vous  le  prouver 
par  la  suite  de  l'Evangile  :  rendez-vous  attentifs  ;  c'est  le 
Sauveur  qui  parle  :  il  est  question  d'entendre  sa  parole,  qui 
est  la  vie  éternelle. 

Quand  un  homme  parle  avec  exagération,  cela  se  remarque 
ordinairement  à  son  action,  à  sa  contenance,  et  surtout  au 
sentiment  que  son  discours  imprime  sur  l'esprit  de  ses  audi- 
teurs. Par  exemple,  s'il  m'était  arrivé  de  dire  quelque  chose 
de  cette  sorte,  vous  le  connaîtriez  beaucoup  mieux  et  vous 
en  seriez  meilleurs  juges  que  ceux  qui  ne  m'ont  pas  entendu  : 
rien  de  plus  constant  que  cette  vérité.  Or  qui  sont  ceux  qui 
ont  écouté  le  Sauveur  ?  Ce  sont  les  bienheureux  apôtres. 
Quel  sentiment  ont-ils  eu  de  son  discours  ?  ont-ils  cru  que 
cette  sentence  fût  prononcée  avec  exagération  ?  Jugez-en 
vous-mêmes  par  leur  étonnement  et  par  leur  réponse.  A  ces 
paroles  du  Sauveur,  dit  l'évangéliste,  ils  demeurent  entière- 
ment interdits,  admirant  sans  doute  la  véhémence  extraor- 
dinaire avec  laquelle  leur  Maître  avait  avancé  cette  terrible 
proposition.  Faisant  ensuite  réflexion  en  eux-mêmes  sur 
l'amour  désordonné  des  richesses,  qui  règne  presque  partout, 
ils  se  disent  les  uns  aux  autres  :  «  Et  qui  pourra  donc  être 
sauvé  ?  »  B^  quis  potest  salvus  fieri  ('')?  Ah  !  qu'il  est  bien 
visible,  par  cette  réponse,  qu'ils  avaient  pris  à  la  lettre  cette 
parole  du  Fils  de  Dieu  !  Car  il  est  très  certain  qu'une  exagé- 
ration ne  les  aurait  pas  si  fort  émus.  Mais  Jésus  n'en  demeure 
pas  là  :  au  contraire,  les  voyant  étonnés  ;  bien  loin  de  leur 
lever  ce  scrupule,  comme  les  riches  le  souhaiteraient,  il  ap- 
puie encore  davantage.  Vous  dites,  ô  mes  disciples,  que,  si 
cela  est  ainsi,  le  salut  est  donc  impossible  :  «  aussi  est-il 
impossible  aux  hommes,  mais  à  Dieu  il  n'est  pas  impos- 
sible ;  »  et  il  en  ajoute  la  raison  :  «  parce  que,  dit-il,  tout  est 
possible  à  Dieu  ('').  » 

Que  vous  dirai-je  ici,  chrétiens?  Il  pourrait  sembler 
d'abord  que  le  Fils  de  Dieu  se  serait  beaucoup  relâché  de 
sa  première  rigueur.  Mais  certes  ce  serait  mal  entendre  la 
force  de  ses  paroles  ;  expliquons-les  par  d'autres  entlroits. 
Je  remarque  dans  les  Écritures,  que  cette   façon  de  parler 

a.  Marc.^  X,  26.  —  b.  Ihid.,  2'j. 


2  14  rAN1-:r.VRTQUF.  DF  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE. 


n'y  csi  j.'imais  employée  que  dans  une  prodigieuse  et  invin- 
cible difficulté.  C'est  alors,  en  effet,  quand  toutes  les  raisons 
humaines  défaillent,  qu'il  semble  absolument  nécessaire  d'al- 
léoruer,  pour  dernière  raison,  la  toute-puissance  divine.  C'est 
ce  que  l'Ancre  pratique  à  l'égard  de  la  sainte  Vierge,  lors- 
que, lui  voulant  faire  entendre  qu'elle  pourrait  enfanter  et 
demeurer  vierge,  il  lui  apporte  l'exemple  d'une  stérile  qui 
a  conçu  ;  parce  qu'enfin,  poursuit-il,  devant  Dieu  rien  n'est 
impossible.  Faites  comparaison  de  ces  choses.  Une  vierge 
peut  concevoir,  une  stérile  peut  enfanter,  un  riche  peut  être 
sauvé  :  ce  sont  trois  miracles  dont  les  saintes  Lettres  ne 
nous  rendent  point  d'autre  raison,  sinon  que  Dieu  est  tout- 
puissant.  Donc,  il  est  vrai,  ô  riche  du  siècle,  que  ton  salut  n'est 
point  un  ouvrage  médiocre  ;  donc  il  serait  impossible,  si 
Dieu  n'était  pas  tout-puissant  ;  donc  cette  difficulté  passe  de 
bien  loin  nos  pensées,  puisqu'il  faut,  pour  la  surmonter,  une 
puissance  infinie. 

Et  ne  me  dites  pas  que  cette  parole  ne  vous  touche  point, 
parce  que  peut-être  vous  n'êtes  pas  riches.  Si  vous  n'êtes 
pas  riches,  vous  avez  envie  de  le  devenir;  et  ces  malédictions 
des  richesses  doivent  tomber  non  tant  sur  les  riches  que  sur 
ceux  qui  désirent  de  l'être.  C'est  de  ceux-là  que  l'Apôtre 
prononce  (''),  «  qu'ils  s'engagent  dans  le  piège  du  diable, 
et  dans  beaucoup  de  mauvais  désirs,  qui  précipitent  l'homme 
dans  la  perdition.  »  Le  Fils  de  Dieu,  dans  le  texte  que  je  vous 
citais  tout  à  l'heure,  ne  parle  pas  seulement  des  riches,  mais 
de  ceux  «  qui  se  fient  aux  richesses»:  confide^ttes  in pecuniis. 
Or,  le  désir  et  l'espérance  étant  inséparables,  il  est  impos- 
sible de  les  désirer  sans  y  mettre  son  espérance. 

Vous  raconterai-je  ici  tous  les  maux  que  ce  maudit  désir 
des  richesses  a  apportés  au  genre  humain  ?  Les  fraudes,  les 
voleries,  les  usures,  les  injustices,  les  oppressions,  les  inimi- 
tiés, les  parjures,  les  perfidies,  c'est  le  désir  des  richesses  qui 
les  a  ordinairement  amenés  sur  la  terre.  Aussi  l'Apôtre  a-t-il 
raison  de  dire,  que  «  le  désir  des  richesses  est  la  racine  de 
tous  les  maux  :  »  Radix  omniwn  maloritm  est  cupiditas  (^). 
Pourquoi  l'avaricieux,  mettant  sa  joie  et  son  espérance  dans 

a.  I  Tim.^  VI,  9.  —  b.  Ibid.^  10. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  d'aSSISE.  2  T  5 

quelque  mauvaise  année  et  dans  la  disette  publique,  prépare 
et  agrandit-il  ses  greniers,  afin  d'y  engloutir  toute  la  sub[sr]- 
stance  du  pauvre,  qu'il  lui  fera  acheter  au  prix  de  son  sang, 
lorsqu'il  sera  réduit  aux  abois?  Pourquoi  le  marchand  trom- 
peur prononce-t-il  plus  de  mensonges,  plus  de  faux  serments 
qu'il  ne  débite  de  marchandises  ?  Pourquoi  le  laboureur 
impatient  maudit-il  si  souvent  son  travail  et  la  Providence 
divine  ?  Pourquoi  le  soldat  impitoyable  exerce-t-il  une  rapine 
si  cruelle  ?  Pourquoi  le  juge  corrompu  vend  et  livre-t-il  son 
âme  à  Satan  ?  N'est-ce  pas  le  désir  des  richesses  ? 

Mais  surtout  que  ceux  qui  les  possèdent  veillent  soigneu- 
sement à  leur  âme  :  elles  ont  des  liens  invisibles,  dont  nos 
cœurs  ne  se  peuvent  déprendre.  Là  où  est  notre  trésor,  là 
est  notre  cœur  :  or  un  cœur  qui  aime  autre  chose  que  Dieu 
ne  peut  être  capable  d'aimer  Dieu.  «  Oh  !  si  nous  aimions 
Dieu  comme  il  faut,  dit  l'admirable  saint  Augustin,  nous  n'ai- 
merions point  du  tout  l'argent  :  »  O  si  Detim  digne  amemtis, 
nummos  omnino  7ton  amabimtts  (f).  Partant  si  nous  aimons 
l'argent,  il  sera  impossible  que  nous  aimions  Dieu. 

Tirez  maintenant  cette  conséquence  :  les  hommes  qui  ont 
beaucoup  de  richesses,  il  est  presque  impossible  qu'ils  ne  les 
aiment;  quand  ils  le  voudraient  nier,  cela  paraît  trop  évidem- 
ment par  la  crainte  qu'ils  ont  de  les  perdre.  Oui  aime  si  fort 
les  richesses,  il  est  impossible  qu'il  aime  Dieu:  qui  n'aime 
pas  Dieu,  il  est  impossible  qu'il  soit  sauvé.  «  O  Dieu,  qu'il 
est  difficile  que  ceux  qui  ont  de  grands  biens  parviennent  au 
royaume  du  ciel!  »  Q7iam  difficile  qui peatnias  Jiabeiit ,  7'egmim 
Dei  intrabunt  (^,)  ! 

Si  les  richesses  sont  donc  si  dangereuses,  avisez,  mes 
frères,  à  ce  que  vous  en  devez  faire.  Dieu  ne  vous  les  a 
pas  données  pour  les  enfermer  dans  des  coffres,  ni  pour 
les  employer  à  tant  de  dépenses  superflues,  pour  ne  pas  dire 
pernicieuses.  Telles  nous  sont  données  pour  sustenter  Jésus- 
Christ,  qui  languit  en  la  personne  des  pauvres  :  elles  vous 
sont  données  pour  racheter  vos  iniquités,  et  pcnir  amasser 
des  trésors  éternels.  Jetez,  jetez  les  yeux  sur  tant  de  familles 

a.   In  Joan.  Tract.  XL,  n.  10.  —  b.  Luc,  XV ni,  24.  —  Dcforis...  qui  ftecunùis 
f)05sident^  f>ossunt  fcrviuirc  ad  )ii:;nu}ii  Pci ! 


2l6  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  FRANÇOIS  DASSISE. 

nécessiteuses  qui  n'osent  vous  exposer  leurs  misères  ;  sur  les 
vierges  de  Ji':sus,  que  l'on  voit  presque  défaillir  dans  leurs 
cloîtres,  faute  de  moyens  pour  subsister  ;  sur  tant  de  pauvres 
religieux,  qui  sous  une  mine  riante  cachent  souvent  une 
grande  indigence.  Un  peu  de  courage,  mes  frères  ;  faites 
quelques  efforts  pour  l'amour  de  Dieu.  Voyez  avec  quelle 
abondance  il  a  élargi  ses  mains  sur  nous  par  la  fertilité  de 
cette  année  :  élargissons  les  nôtres  sur  les  misères  de  nos 
pauvres  frères  ;  que  personne  ne  s'en  dispense.  Ne  vous 
excusez  pas  sur  la  modicité  de  vos  facultés  ;  Jésus  mettra  en 
ligne  de  compte  jusqu'au  moindre  présent  que  vous  lui  ferez 
avec  un  cœur  plein  de  charité  :  un  verre  d'eau  même,  offert 
dans  cet  esprit,  peut  vous  mériter  la  vie  éternelle. 

C'est  ainsi  que  les  biens,  qui  sont  ordinairement  un  poison, 
se  convertiront  pour  vous  en  remède  salutaire.  Loin  de  perdre 
vos  richesses  en  les  distribuant,  vous  les  posséderez  d'autant 
plus  sûrement  que  vous  les  aurez  plus  saintement  prodiguées. 
Les  pauvres  vous  les  rendront  d'une  qualité  bien  plus  excel- 
lente, car  elles  changent  de  nature  en  leurs  mains.  Dans  les 
vôtres  elles  sont  périssables  :  elles  deviennent  incorruptibles, 
sitôt  qu'elles  ont  passé  dans  les  leurs.  Ils  sont  plus  puissants 
que  les  rois.  Les  rois,  par  leurs  édits,  donnent  quelque  prix 
aux  monnaies  :  les  pauvres  les  rehaussent  de  prix  jusqu'à 
une  valeur  infinie,  sitôt  qu'ils  y  appliquent  leur  marque. 
«  Faites-vous  donc  des  trésors  qui  ne  périssent  jamais;  » 
thésaurisez  pour  le  siècle  futur  un  trésor  inépuisable.  Mettez 
vos  richesses  à  couvert  dans  le  ciel  contre  les  guerres,  contre 
les  rapines,  contre  toute  sorte  d'événements  ;  déposez-les 
entre  les  mains  de  Dieu.  Faites-vous,  par  vos  aumônes,  de 
bons  amis  sur  la  terre,  qui  vous  recevront,  après  votre  mort, 
dans  ces  éternels  tabernacles,  où  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit,  seul  Dieu  vivant  et  immortel,  est  glorifié  dans  tous  les 
siècles  des  siècles.  Amen, 


•\» .1. 

— •  »— 


^.^.^^^^  ■^.  ^S.  ■^■^.  ■':%.  ■>:^.  ■'■».  ^S.  «5t  :^^  ^  ^. 


i^t  Propagation,    à    Metz. 

Deforis  a  complété  çà  et  là  ce  que  Bossuet  n'avait  fait  qu'indiquer 
en  quelques  mots.  Lâchât,  qui  se  faisait  fort  de  découvrir  et  de 
corriger  ces  sortes  d'interpolations,  même  en  cas  d'absence  de  l'auto- 
graphe, n'a  pas  pris  garde  à  celles-ci.  Le  manuscrit  était  d'une  lec- 
ture un  peu  difficile  ! 

Sommaire  (  ).  Zizanies  :  mélange. 

Plainte  sur  le  mélange  des  deux  cités.  Jérus[alem]  au  milieu  de 
Babylone  (p.  3,  4).  —  Raison  de  cela,  Esali  jouira  quelque  temps  de 
son  aînesse,  mais  Jacob  l'emportera  et  sera  le  véritable  supplanta- 
teur,  etc.  (p.  5-)      ^ 

Dieu  sauve  ses  élus  parmi  ce  mélange,  et  prend  plaisir  de  voir 
reluire  sa  grâce  au  milieu  de  l'impiété,  comme  les  enfants  dans  la 
fournaise,  etc.  (p.  6.) 


SERMON    ESQUISSÉ 


SUR  «L'ÉVANGILE  des  ZIZANIES  (■)'>  ; 


17  novembre,    1652  ;    chez  les   Sœurs  de   la 


'h 


Sinite  utraqtie  crescere  iisqiie  ad  tnessetn. 
(Matth.,  XIII,  30.) 

TOUT  autant  que  nous  sommes  de  chrétiens,  nous  som- 
mes de  pauvres  bannis,  qui,  étant  relégués  bien  loin 
de  notre  chère  patrie,  sommes  contraints  de  passer  cette  vie 
mortelle  dans  un  pèlerinage  continuel,  déplorant  sans  cesse 
la  misère  de  notre  péché  qui  nous  a  fait  perdre  la  douceur  et 
la  liberté  de  notre  air  natal,  seul  capable  de  réparer  nos  forces 
perdues  et  de  rétablir  notre  santé  presque  désespérée.  Ce- 
pendant, mes  très  chères  sœurs,  ce  qui  adoucit   1rs  ennuis 

1.  Mss.  I282i,f.  369-377.  C'est  dans  les  éditions  le  sermon  pour  le  \''  dimanche 
après  l'Epiphanie.  En  1653,  il  était  renvoyé,  comme  il  arrive  souvent,  h  la  suite 
des  XXIV  dimanches  après  la  Pentecôte  {Dominica  \"  quœ  superfuit  post 
Epiphaiiiavi). 

2.  Ce  sommaire,  qui  a  échappé  aux  investi^^■ltions  de  Lâchât,  se  trouve  joint 
à  celui  du  1'^  sermon  sur    la   Providence  (1656).  —  (^.I/jj-.  12824,  f   1 19.  v'\) - 
Gandar  l'a  donné,  mais  en  y  faisant  une  curieuse  faute  de  lecture  :  <  jKSl'S  au 
milieu  de  sa  gloire,  >'>  au  lieu  de  :  «  Jérus[alcm]  au  milieu  de  lîahylonc.  »  {Choix 
de  Sermons^  p.  loi,  note  5.) 


2i8  SUR  l'Évangile  des  zizanies. 

et  les  incommodités  de  notre  exil,  ce  sont  les  lettres  que 
nous  recevons  de  notre  ]:)icnheureuse  patrie  :  vous  entendez 
bien  que  c'est  du  ciel  que  je  parle.  Ces  lettres,  ce  sont  les 
Écritures  divines,  que  notre  Père  céleste  nous  adresse  par  le 
ministère  de  ses  saints  prophètes  et  de  ses  apôtres,  et  même 
par  son  cher  Fils,  qu'il  a  envoyé  sur  la  terre  pour  nous  ap- 
porter ici -bas  des  nouvelles  de  notre  pays,  et  nous  donner 
l'espérance  d'un  prompt  et  heureux  retour.  De  sorte  que  si 
nous  désirons  ardemment  de  voir  cette  glorieuse  cité  dont 
nous  devons  être  les  habitants,  si  nous  sommes  vivement 
touchés  de  l'amour  de  notre  patrie,  où  notre  bon  Père  nous 
conserve  un  grand  et  éternel  héritage  :  toute  notre  consola- 
tion doit  être  de  lire  ces  lettres  ;  nous  en  devons  baiser  mille 
et  mille  fois  les  sacrés  caractères,  et  surtout  nous  en  devons 
nuit  et  jour  ruminer  le  sens.  C'est  pourquoi  le  prophète  Da- 
vid chantait  à  son  Dieu,  parmi  des  soupirs  amoureux  :  «  O 
Seigneur,  voyez  que  je  suis  étranger  sur  la  terre  :  du  moins 
ne  me  refusez  pas  cette  unique  consolation  de  méditer  votre 
sainte  parole  :  »  Incola  ego  stuii  in  ter^ra,  non  abscondas  a  me 
ijiandata  tua  ('').  Ainsi  je  ne  m'étonne  pas,  mes  très  chères 
sœurs,  si  vous  avez  une  telle  avidité  d'entendre  la  parole  de 
Dieu.  C'est  un  effet  de  ce  pieux  gémissement  que  le  Saint- 
Esprit  inspire  en  vos  âmes,  les  sollicitant  par  de  saints  désirs. 
Je  m'estimerais  bienheureux  si  je  pouvais  contribuer  quel- 
que chose  à  satisfaire  ces  pieux  désirs.  Ecoutez,  écoutez, 
mes  sœurs,  les  paroles  du  saint  Evangile  ;  et  si  je  vous 
semble  peu  de  chose,  comme  en  effet  je  ne  suis  rien,  songez 
que  c'est  la  voix  de  votre  Epoux  que  vous  entendez  par  ma 
bouche. 

[Le  royaume  (')  des  cieux  est  semblable  (/-)  à  un  homme  qui  avait 
semé  de  bon  grain  dans  son  champ.  Mais  pendant  que  les  hommes 
dormaient,  son  ennemi  vint,  et  sema  de  l'ivraie  au  milieu  du  blé,  et 
s'en  alla.  L'herbe  ayant  donc  poussé,  et  étant  montée  en  épi,  l'ivraie 
commença  aussi  à  paraître.  Alors  les  serviteurs  du  Père  de  famille 
vinrent  lui  dire  :  Seigneur,  n'avez-vous  pas  semé  de  bon  grain  dans 
votre  champ?  d'où  vient  donc  qu'il  y  a  de  l'ivraie  ?  Il  leur  répondit  : 
C'est  l'homme  ennemi  qui  l'y  a  semée.  Et  ses  serviteurs  lui  dirent  : 

a.  Ps.,  cxvni,  19.  —  b.  Matth.^  xni,  24  et  seq. 

I.   Le  ms.  contient  seulement  cette  indication  :  «  Le  narré  de  la  parabole.  » 


SUR  l'Évangile  des  zizanies.  219 

Voulez-vous  que  nous  allions  l'arracher  ?  Non,  leur  répondit-îl,  de 
peur  qu'en  arrachant  l'iv^'aie,  vous  ne  déraciniez  en  même  temps  le 
bon  grain  (').] 

Ce  grand  Père  de  famille, c'est  Dieu  qui  a  répandu  de  [p.  2] 
tous  côtés  sur  les  hommes  ses  vérités,  comme  une  semence 
céleste,  qui  devait  fructifier  en  bonnes  œuvres  pour  la  vie 
éternelle.  Il  avait  commencé  à  jeter  cette  précieuse  semence 
dans  l'esprit  de  l'homme,  l'introduisant  dans  ce  paradis  de 
délices,  où  tout  ce  qui  se  présentait  à  ses  yeux  ne  lui  parlait 
que  de  son  Créateur.  Mais  pendant  qu'il  s'endormait  dans  la 
considération  de  ses  propres  dons,  oubliant  insensiblement 
son  auteur,  auquel  seul  il  doit  veiller,  et  «déçu  de  la  douceur 
de  sa  liberté  charmante,  »  sua  in  œternum  libertate  decep- 
tus  (^\  le  serpent  frauduleux  qui  lui  parlait  au  dehors,  fit 
couler  intérieurement  dans  son  cœur  le  venin  subtil  et  délicat 
de  la  vaine  gloire.  Animé  de  ce  bon  succès,  il  n'a  cessé  de 
jeter  autant  qu'il  a  pu  les  semences  du  vice  et  du  désordre, 
partout  où  il  a  vu  que  la  munificence  divine  répandait  celles 
de  ses  grâces.  Si  bien  que,  par  ses  artifices,  le  bon  et  le 
mauvais  grain,  c'est-à-dire,  les  bons  et  les  mauvais,  se  sont 
trouvés  mêlés  ensemble  dans  le  même  champ,  c'est-à-dire, 
ou  bien  dans  le  monde,  comme  Notre-Seigneur  l'interprète, 
ou  [dans]  la  sainte  Eglise,  comme  je  le  pourrais  justifier 
aisément  par  d'autres  endroits  de  l'Ecriture.  Là-dessus 
quelques  faux  zélés  se  sont  élevés,  qui  ont  trouvé  ce  mélange 
insupportable:  il  leur  a  semblé  que  la  justice  divine  devait 
incontinent  exterminer  les  impies,  et  ouvrir  sous  eux  les 
plus  noirs  abîmes  pour  les  engloutir.  Mais  notre  sage  Père 
de  famille  ne  défère  pas  à  leur  zèle  inconsidéré  et  superbe  :  il 
ordonne  que  l'on  les  laisse  croître  jusques  à  la  moisson, 
c'est-à-dire,  à  la  fin  des  siècles  :  et  alors  il  enverra  ses  saints 
anges  pour  faire  cette  dernière  et  éternelle  séparation,  par 
laquelle  les  méchants,  séparés  pour  jamais  de  la  compagnie 
des  bons,  seront  jetés  dans  la  llamme,  pendant  (|ue  la  troupe 
des  justes,  toute  pure  et  tout  éclatante,  fera  voir  dans  le 
royaume  de  Dieu  autant  de  soleils  (|ue  de  saints.  C'est  1  in- 


a.   Innocent  I,  Ep.  XXIV,  ad  Conc.  Carth. 
1.  Traduction  des  anciens  éditeurs. 


2  20  SUR  l'Évangile  des  zizanies. 

terprétation  de  notre  parabole.  [Méditons]  l'intention  de 
Notre-Seigneur  en  deux  réllexions  :  la  première  sur  le  mé- 
lan^^e,  la  seconde  sur  la  séparation  des  bons  et  des  mauvais. 

PREMIÈRE    RÉFLEXION. 

Depuis  le  péché  du  premier  homme,  l'iniquité  a  régné 
dans  le  monde.  Tous  s'étaient  écartés  de  la  bonne  voie:  «  Il 
n'y  avait  personne  qui  fît  bien,  non  pas  même  un  seul,  » 
comme  chantait  autrefois  le  Psalmiste,  rapporté  dans  l'Épître 
aux  Romains  [P.  3]  (^).  C'est  pourquoi  saint  Augustin  a  dit 
«  qu'il  y  avait  dans  le  monde  comme  une  ville  d'iniquité, 
qu'il  a  appelée  Babylone  (^').  »  Babylone  en  langue  hébraïque, 
c'est-à-dire,  confusion  :  il  l'appelle  donc  Babylone,  parce 
que  l'iniquité  et  la  confusion  sont  inséparables.  Cette  cité, 
mes  sœurs,  c'est  le  règne,  l'assemblée,  et,  pour  parler  de 
la  sorte,  la  république  des  méchants.  Mais  Dieu  regardant 
d'en  haut  en  pitié  cette  noire  et  criminelle  ignorance,  a 
envoyé  son  Fils  au  monde  pour  le  réformer.  C'est  lui  qui, 
contre  cette  cité  turbulente,  qui  par  son  audacieuse  rébellion 
dominait  par  toute  la  terre,  a  établi  une  cité  sainte  qui  doit 
servir  d'asile  à  tous  ceux  qui  se  voudront  retirer  de  cette 
confusion  générale.  Cette  cité,  mes  très  chères  sœurs,  c'est 
la  sainte,  la  spirituelle,  la  mystérieuse  Jérusalem,  c'est-à-dire, 
vision  de  paix  ;  afin  d'opposer  la  paix  des  enfants  de  Dieu  au 
désordre  et  au  tumulte  des  enfants  du  monde. 

Mais  où  se  bâtira  cette  ville  innocente.^  Quelles  montagnes 
assez  hautes,  quelles  mers  et  quel  océan  assez  vaste  la  pour- 
raient assez  séparer  de  cette  autre  cité  criminelle  ?  Chères 
sœurs,  le  Prince  son  fondateur  ne  l'en  veut  point  séparer  par 
la  distance  des  lieux  :  dessein  certainement  incroyable  !  il 
bâtit  Jérusalem  au  milieu  de  Babylone.  Durant  le  cours  de 
ce  siècle  pervers,  les  bons  seront  mêlés  avec  les  méchants. 
[P.  4]  O  Dieu  éternel!  quel  mélange  de  ces  deux  peuples  di- 
vers, je  veux  dire  des  saints  et  des  impies!  L'un  est  pré- 
destiné à  la  vie  éternelle,  et  l'autrer  éprouvé  à  jamais.  Leurs 
princes  sont  ennemis.  Le  prince  de  Jérusalem,  c'est  Jésus  : 

a.  Rom.,  III,  12.  —  Ps.,  xiii,  3.  —  â.  In  Ps.  xxvi,  n.  18. 


SUR  l'évangile  des  zizanies.  22  1 

le  diable  est  le  prince  de  Babylone.  Ils  vivent  sous  des  lois 
directement  opposées.  L'Apôtre, comme  voussavez,distingue 
deux  sortes  de  lois  :  l'une  est  la  loi  de  l'esprit,  elle  gouverne 
Jérusalem  ;  l'autre  est  la   loi  de   la  chair,   qui  domine  dans 
Babylone.  Leurs  mœurs  sout  toutes  contraires.  L'une  se  pro- 
pose pour  dernière  fin  une  paix  trompeuse,  à  cause   qu'elle 
est  passagère;  l'autre,  parmi  beaucoup  d'afflictions  présentes, 
gémit  et  soupire  sans  cesse  après  une  paix  assurée,  à  cause 
qu'elle  est   éternelle.  Qu'est-ce  à  dire  ceci,  mes  très  chères 
sœurs?  Ces  deux  peuples  de  bons  et  de  méchants,  dont  les 
lois  sont  si  fort  opposées,  les  mœurs  si  contraires,  les  des- 
seins si  incompatibles,  vivent  néanmoins  ensemble  dans  une 
même  société;  ils  sont  éclairés  d'un  même  soleil;  ils  respirent 
un  même  air;  la  terre,  leur  mère  commune,  leur  fournit  à  tous 
indifféremment  une  nourriture  semblable.    Bien  plus,   nous 
les  voyons  tous  les  jours  se  présenter  aux  mêmes  autels;  ils 
sont  associés  dans  la  communion  de  l'Eglise,  ils  participent 
aux  mêmes  mystères;  ils  sont  régénérés  et  repus  de  la  vertu 
des  mêmes  sacrements.  Oserions-nous  bien,  ô  Seigneur,  vous 
demander  raison  d'un  mélange  si  surprenant  ?  «  Quelle  con- 
vention,je  vous  prie,entre  Christ  (')  et  Belial  ('')?  »  Pourquoi 
voulez-vous  que  les  corps  soient  si  proches  et  les  cœurs  tel- 
lement séparés?  Que  vous  ont  fait  vos  enfants,  de  les  punir 
si  cruellement,  les  contraignant  de  vivre  avec  vos  ennemis  et 
les  leurs  ?  Quel  nouveau  genre  de  supplice,  de  joindre  ainsi  le 
vif  et  le  mort?  Vous,  Seigneur,  qui  avez  si  bien  rangé  chaque 
chose  en  sa  place,  qui  avez  séparé  la  terre  et  le  firmament, 
les  ténèbres  et  la  lumière,  ne  séparerez-vous  point  les  justes 
d'avec  les  impies  ?  Certes,  le  ciel  et  la  terre  ne  sont  pas  si 
fort  éloignés,  les  ténèbres  et  la  lumière  ne  sont  pas  si  con- 
traires, que  sont  la  vertu  et  le  vice  :  pourquoi  donc  les  lais- 
sez-vous ensemble  ?  N'avez-vous  débrouillé  la  confusion  du 
premier  chaos,  qu'afin  de  nous  rejeter  dans  un  chaos  plus 
horrible?   Eclairez-nous,  Seio^neur,    sur  cette  difficulté,   non 


a.  II  Cor.,  VI,  15. 

I.  Les  éditeurs  corrigent:  «  entre  Jésus-Christ.  >>— Mais  ce  n'<5tait  pas  ici 
un  oubli  :  lîossuct, selon  s.'icoutume,traduit  l'iMiiture  litti'rnKMiicnt.par  respect  : 
Ouci'  convcnlio  Cliristi ad  Hclial? 


222  SUR  l'évangile  DES  ZIZANIES. 

point  par  les  raisons  de  la  philosophie  humaine,  mais  par  la 
considération  de  vos  secrets  jugements  et  de  votre  Provi- 
dence irrépréhensible. 

L'admirable  saint  Augustin  nous  donne  sur  ce  sujet  une 
très  belle  doctrine.  «  Les  méchants,  dit  ce  grand  person- 
nage ("),  nesontdans  le  monde,  [que  pour  s'y  convertir,  ou  que 
pour  y  exercer  les  bons],  »  iiisi  ut  convertantui^,  vel  ut 
pcr  cos  boni  exerceantnr.  [  P.  5]  O  peuple  choisi,  ô  enfants 
de  paix,  ô  citoyens  de  la  Jérusalem  bien-aimée,  si  Dieu 
votre  père  eût  voulu  que  vous  vécussiez  en  paix  en  ce 
monde,  il  ne  vous  aurait  pas  exposés  en  proie  au  milieu 
de  vos  ennemis  :  mais,  voulant  exercer  et  épurer  votre 
vertu  par  l'épreuve  de  la  patience,  il  vous  a  mis  parmi  une 
nation  ennemie,  afin  que  vous  souffrissiez  en  ce  siècle  leur 
persécution  et  leur  violence.  C'est  pourquoi  dans  la  maison 
de  notre  père  Abraham,  selon  que  le  remarque  l'Apôtre  (cha- 
pitre IV,  aux  Galates),  Ismaël,  l'enfant  de  la  chair  et  de  la 
servante,  persécutait  Isaac,  le  fils  de  la  promesse  et  de  sa 
maîtresse.  Ne  voyez-vous  pas  que  dans  le  ventre  de  Rébecca, 
femme  du  patriarche  Isaac,  ces  deux  gémeaux  qu'elle  porte, 
Esati  et  Jacob,  l'un  figure  des  réprouvés,  l'autre  l'image  des 
enfants  de  Dieu,«  encore  enfermés  dans  les  mêmes  entrailles, 
commencent  à  se  faire  la  guerre  ?  »  Collidebantur  in  utero 
ejus  parvuli  (^).  Que  signifie  ce  mystère  ?  «  Tu  portes,  ô  Ré- 
becca, dans  ton  ventre,  dit  la  parole  divine,  deux  grandes 
et  nombreuses  nations  :  »  Duœ  gentes  sunt  in  utero  tuo  ('). 
Quelles  sont  ces  nations,  chères  sœurs  ?  C'est  d'une  part  la 
nation  des  justes,  et  de  l'autre  celle  des  impies,  représentées 
dans  ces  deux  enfants.  Esati,  je  l'avoue,  supplantera  Jacob 
pour  un  peu  de  temps  ;  il  sortira  le  premier  ;  il  emportera  le 
droit  d'aînesse.  Il  faut  que,  dans  le  cours  de  ce  siècle,  les  bons 
et  les  saints,  le  monde  prédestiné  serve  et  gémisse  pour  l'or- 
dinaire sous  l'oppression  et  la  tyrannie  des  méchants  et  des 
réprouvés.  Mais  enfin  tôt  ou  tard  la  face  des  choses  sera 
changée.  Après  qu'Esati  aura  joui  quelque  temps  de  son 
droit  d'aînesse,  c'est-à-dire,  après  que  les  méchants  auront 
en   apparence    triomphé   quelque    temps    dans    ce    monde 

a.  In  Ps.  LIV,  n.  4.  —  b.  Gcmes.,  XXV,  22.  —  c.  Ibid ,  23. 


SUR  l'évangile  des  zizanies.  223 


par  leur  imaginaire  félicité,  Jacob  emportera  la  bénédiction 
paternelle  :  il  demeurera  le  seul  et  véritable  supplantateur, 
comme  son  nom  le  lui  promettait.  La  prophétie  divine 
s'accomplira,  qui  dit  que  «  l'aîné  servira  au  cadet  :  ;>  Major 
serviet  minori{f)  :  c'est-à-dire,  que  les  bons,  qui  paraissaient 
ici-bas  être  dans  l'oppression  et  dans  la  disgrâce,  dans  cette 
grande  révolution  qui  arrivera  à  la  fin  des  siècles,  commen- 
ceront à  prendre  [p.  6]  la  première  place  ;  et  les  méchants, 
étonnés  d'une  si  grande  vicissitude,  gémiront  à  jamais  dans 
une  captivité  insupportable.  C'est  ce  qui  nous  est  montré  en 
figure  en  la  Genèse.  Mais  en  attendant,  mes  très  chères 
sœurs,  il  est  nécessaire  que  les  bons  souffrent.  Carde  même 
que  notre  grand  Dieu  a  jeté  notre  âme,  qui  est  d'une  si 
divine  origine,  dans  une  chair  agitée  de  tant  de  convoitises 
brutales,  afin  que  la  vigueur  de  l'esprit  s'évertuât  tous  les 
jours  par  la  résistance  du  corps  ;  ainsi  a-t-il  mêlé  les  bons 
parmi  les  impies,  afin  que  ceux-là,  supportant  la  persécution 
de  ceux-ci,  s'animassent  d'autant  plus  à  la  vertu,  qu'ils  y 
trouveraient  plus  d'obstacles. 

Et  c'est,  à  vrai  dire,  mes  sœurs,  le  grand  miracle  de  la 
grâce  divine.  Mener  une  vie  innocente  loin  de  la  corruption 
commune,  c'est  l'effet  d'une  vertu  ordinaire  :  mais  laisser  les 
justes  dans  la  compagnie  des  méchants,  et  fortifier  par  là 
leur  vertu,  leur  faire  respirer  le  même  air,  et  les  préserver 
de  la  contagion,  les  faire  vivre  parmi  l'iniquité,  et  leur  faire 
observer  la  justice;  c'est  où  paraît  le  triomphe  de  la  toute- 
puissance  divine.  C'est  ainsi,  mes  sœurs,  qu'elle  se  plaît  de 
faire  paraître  la  lumière  plus   éclatante  et  plus  pure  parmi 
l'épaisseur  des  nuages.    Ce  grand    Dieu  tout-puissant  qui 
a  préservé  et  les  enfants  dans  la  fournaise  et   Daniel  parmi 
les  lions;  qui  a  gardé  la  famille  de  Noé  sur  un  bois  fragile, 
contre  la  fureur  inévitable  des  eaux  universellement  débor- 
dées; celle  de  Lot,  de  l'embrasement  et  des  monstrueuses 
voluptés  de  Sodome;  (jui  a  fait  luire  à  ses  enfants  une  mer- 
veilleuse lumière   parmi    les   ténèbres   d'Lg\'pte;  qui  a  tait 
naître  des  eaux  vives  parmi  les  déserts  arides  de  la  Libye  : 
ce  Dieu  a  pris  plaisir,  pour  faire  voir  son  pouxc^ir.  de  cou- 
rt. G  eues. y  xxv,  23. 


2  24  SUR  l'évangile  DES  ZIZANIES. 


server  ses  serviteurs  innocents  dans  la  corruption  générale; 
que  dis-je,  il  les  a  préservés?  leur  vertu  en  a  paru  davan- 
tao^e. 

Et  certes,  s'il  n'y  avait  point  eu  de  méchants,  combien  de 
vertus  seraient  étouffées!  Que  deviendrait  le  zèle  de  conver- 
tir les  dmes,  dont  les  saints  ont  été  transportés?  oii  seraient 
tant  d'exhortations  véhémentes?  où  cette  béatitude  [p.  7]  de 
ceux  qui  souffrent  pour  la  justice  ?  oi^i  le  triomphe  du  martyre  ? 
Oui  aurait  mis  la  main  sur  la  personne  de  Notre-Seigneur, 
s'il  n'y  avait  eu  que  des  justes?  Mais  quel  serait  le  désordre 
des  choses  humaines,  si,  parmi  cette  prodigieuse  multitude 
de  méchants,  il  n'y  avait  du  moins  quelques  justes,  qui,  par 
leurs  avertissements  et  par  leurs  exemples,  réprimassent  la 
licence  effrénée,  et  retinssent  du  moins  les  choses  dans 
quelque  modération?  C'est  pourquoi  le  Sauveur  Jésus,  par- 
lant au  petit  nombre  de  gens  de  bien  qu'il  avait  par  sa  grâce 
assemblés  près  de  sa  personne,les  appelle  «le  sel  de  la  terre»: 
Vos  estis  sal  ter7^œ(f)  ;  voulant  dire,  à  mon  avis,  que  s'il  n'eût 
répandu  quelques  personnes  vertueuses  deçà  et  delà  dans  le 
monde  comme  une  espèce  de  sel  salutaire,  les  hommes  au- 
raient été  entièrement  corrompus,  au  lieu  qu'il  y  reste  peut- 
être  quelque  petite  trace  de  vertu. 

Cela  étant  de  la  sorte,  que  nous  autres  chrétiens  nous 
sommes  envoyés  pour  être  la  lumière  du  monde,  vivons  en 
enfants  de  lumière,  et  «  ne  communiquons  point  aux  œuvres 
des  ténèbres  »  qui  nous  environnent  (^).  Méprisons  cette  vie, 
mes  très  chères  sœurs,  où  nous  sommes  en  captivité.  Regar- 
dez le  siècle  :  de  toutes  parts  vous  y  verrez  régner  l'impiété, 
le  désordre,  le  luxe,  les  molles  délices,  l'avarice,  l'ambition, 
et  enfin  toutes  sortes  de  crimes.  Quel  plaisir  pour  nous  en 
une  vie  (')  où  les  meilleurs  ne  sont  pas  mieux  traités  que  les 
plus  méchants?  Au  contraire,  nous  verrons  ordinairement  le 
méchant  dans  le  haut  crédit,  et  les  sages  dans  la  bassesse. 
Quelle  estime  pouvons-nous  faire  de  cette  sorte  de  biens, 
que  notre  Père  céleste,  qui  sait  si  parfaitement  le  prix  des 
choses,  donne  en  partage  à  ses  ennemis  ?  Considérez,   mes 

a.  Matth.,  V,  13.  —  b.  Ephes.,  V,  11. 

I.  Edit.  en  cette  vie  où.  (Erreur  de  lecture.) 


SUR  l'Évangile  des  zizanies.  22 


très  chères  sœurs,  que  dans  une  grande  maison  ce  que  l'on 
réserve  aux  enfants  est  toujours  le  plus  précieux,  et  que  ce 
que  les  serviteurs  peuvent  avoir  de  commun  avec  r.ux  est 
toujours  le  moins  important.  Nous  sommes  les  enfants  de 
Dieu,  et  les  méchants  n'ont  pas  seulement  l'honneur  de  pou- 
voir être  nommés  ses  esclaves  :  ce  sont  ses  ennemis  et  les 
victimes  de  sa  fureur.  Et  néanmoins  les  plaisirs  et  les  grands 
avantages  [p.  8  ]  après  lesquels  les  mortels  abusés  ne  cessent 
de  soupirer,  sont  presque  pour  l'ordinaire  en  la  possession 
des  méchants.  Souhaitez-vous  des  richesses?  vous  n'en  aurez 
jamais  plus  que  Crésus  ;  les  délices?  vous  n'en  aurez  jamais 
plus  que  Sardanapale  ;  le  pouvoir?  vous  n'en  aurez  jamais 
plus  que  Néron,  Caligula,  ces  monstres  du  genre  humain,  et 
néanmoins  les  maîtres  du  monde. Où  est-ce  que  l'éloquence, la 
sagesse  mondaine,  le  crédit  des  bonnes  arts  (')  a  été  plus 
grand  que  dans  l'empire  romain?  C'étaient  des  idolâtres... 
Partant,  que  l'ami  de  Jésus,  s'il  prétend  à  quelque  chose 
de  plus  que  les  ennemis  de  Jésus,  vive  avec  la  grâce  de  Dieu 
dans  l'attente  d'une  plus  grande  félicité.  O  sainte  paix  de 
Sion!  ô  égalité  des  anges!  ô  divine  Jérusalem,  où  il  n'y  a 
point  de  séditieux,  point  de  fourbes,  point  de  malfaiteurs; 
où  il  n'y  a  que  des  gens  de  bien,  des  amis  et  des  frères! 
ô  heureuse  égalité  des  anges  !  ô  sainte  compagnie,  où  Dieu 
régnera  en  paix,  où  nul  ne  blasphémera  son  saint  nom,  nul 
ne  contreviendra  à  ses  ordonnances!  ô  sainte  Sion,  oii  toutes 
choses  sont  stables!  Eh  Dieu!  qui  nous  a  jetés  dans  ce  Hux 
et  reHux  de  choses  humaines?  qui  nous  [aj  précipités  dans 
cet  abîme  et  cette  mer  agitée  de  tant  de  tempêtes?  Quand 
retournerai-je  à  vous,  ô  Sion?  quand  verrai-je  vos  belles 
murailles,  et  vos  fontaines  d'eaux  vives  qui  sont  la  félicité 
éternelle,  et  votre  temple  qui  est  Dieu  même,  et  votre  lu- 
mière qui  est  l'Agneau  (')? 

1.  Deforis  corrige  :  «  beaux-arts  ».  Mais  Bossiiet,  h  cette  date,  gardait  encore 
l'expression  latine,  et  dans  cette  locution  faisait  arl  du  tcniinin  :  bona-  artcSy 
les  bonnes  arts.  Il  disait  aussi  comme  nous  :  v<  les  bonnes  lettres.  » 

2.  Four  compléter  sa  pensée,  liossuet  transcrit  les  paroles  suivantes  de  saint 
Augustin  :  Pccuniavi  vis  a  Deo?  Iiabet  et  latro.  L'xonntJ'œiUmiitatt'fnjiliorum^ 
salntcm  corporis^  dig/titaiem  sœculi  /  attende  quant  mttUi  inali  habcnt.  lioi  est 
tôt  11  ni  propter  quod  eioii  enl/s  /  i\u(ahunt  pede^  tiu\  /tutabis  te  sine  eaum  coUrCy 

Sermons  de   |{os>;ut.t.  15 


2  26  SUR  l'i':van(;il1':  dks  /i/.aniks. 


[seconde  réflexion.] 

[P.  9]  Cette  séparation,  mes  très  chères  sœurs,  a  divers 
degrés.  Premièrement,  les  élus  sont  déjà  séparés  dans  la  pré- 
destination éternelle: même  dans  la  contagion  du  siècle,même 
dans  cette  masse  de  corruption  où  le  monde  semble  les  enve- 
lopper dans  une  commune  confusion,  Dieu  les  a  déjà  discer- 
nés: «  Dieu  sait  ceux  qui  sont  à  lui  :  »  Cognovit  Dominusqui 
S2int  ejus{^)\  il  les  connaît  par  nom  et  par  surnom:  Proprias 
oves  vocat  fiominatini  C').  11  en  a  un  rôle  (')  dans  son  cabinet; 
ils  sont  écrits  dans  son  livre.  O  joie!  ô  bonheur  incroyable! 
aimables;  brebis  de  Jésus,  quelque  part  011  vous  erriez  dans  les 
chemins  détournés  de  ce  siècle,  l'œil  de  votre  Pasteur  est  sur 
vous  ;  il  vous  sépare  des  autres,  non  point  de  corps,  mais  de 
cœur;  il  vous  sépare  par  de  saints  désirs  et  par  une  bienheu- 
reuse espérance.  Les  affections,  mes  sœurs,  ce  sont  comme  les 
pas  de  l'âme;  c'est  par  elles  qu'elle  se  remue.  Ainsi  les  enfants 
de  lumière,  mêlés  ici-bas  parmi  les  enfants  des  ténèbres,  en 
sortent  par  de  saintes  et  célestes  affections.  Ils  sont  en  ce 
monde,mais  leur  amour  en  est  détaché.  Dieu,  qui  les  a  mêlés 
avec  ses  ennemis,  ne  cesse  de  les  en  séparer  peu  à  peu  par 
une  opération  toute-puissante.  Il  purifie  leurs  intentions,  il 
les  démêle  insensiblement  des  embarras  de  la  terre.  Comme 
ils  sont  dans  un  corps  mortel,  et  que  néanmoins  ils  vivent 
en  quelque  sorte  détachés  du  corps,  et  que  Dieu  rompt  peu 
à  peu  leurs  liens,  ainsi  que  dit  l'apôtre  saint  Paul  (^),  que 
«  vivant  dans  la  chair,  nous  ne  vivons  pas  selon  la  chair  ;  » 
de  même,  bien  qu'ils  soient  parmi  les  méchants,  leur  façon 
de  vivre  les  discerne  d'eux. 

a.  II  Tim.^  Il,  19.  —  b.Joaii.^  X,  3.  —  ^.11  Cor.^  X,  3. 

qiiaiido  in  eis  vides  ista  qui  euin  non  colunt  ?  Ergo  ista  dat  omnia  etiam  nialis^  se 
soliim  servat  bonis.  (S.  Aug.,  in  Psal.  Lxxix,  n.  4.) 

Vivijicabis  nos.,  innovabis  nos,  viiam  interioris  homi7Ùs  dabis  nobis^  et  «  nomen 
tiium  invocabimus  :  »  idcsi,  te  diligemus.  Tu  nobis  dulcis  eris  remissor  peccato- 
rum  nostrorum^  tu  eris  tottim  prœinimn  justificatorimt.  <i  Domine.,  Deus  virtu- 
tu7n^  cojtverte  nos;  ostende/aciem  tuam.,  et  suivi erimus.  »  (Ibid.)  —  Deforis  tra- 
duit ces  textes,  et  les  introduit,  partie  au  commencement,  partie  à  la  fin  de  cet 
alinéa. 

I.  Un  rôle,  c'est-à-dire,  une  liste. 


SUR  l'évangile  des  zizanies.  227 

Viendra,  viendra  enfin  cette  dernière  séparation.  O  jour 
terrible  pour  les  méchants  !  ôjour  mille  et  mille  fois  heureux 
pour  les  bons  !  Où  iront  les  méchants  séparés  des  enfants  de 
Dieu  ?  C'est  ce  mélange,  mes  sœurs,  qui  empêche  que  Dieu 
ne  les  foudroie  ;  il  leur  pardonne  pour  l'amour  des  siens,  leur 
présence  modère  sa  juste  ftireur.  C'est  pourquoi,  dans  notre 
Evangile,  il  défend  d'arracher  l'ivraie,  «  de  peur  d'endom- 
mager le  bon  grain  :  »  Me  forte  colligentes  zizania,  eradicctis 
simul  citm  eis  et  triticum  (f).  Considérez,  mes  sœurs,  que 
comme  en  ce  monde  les  bons  et  les  méchants  sont  mêlés, 
aussi  la  colère  et  la  miséricorde  divines  sont,  en  quelque 
façon  tempérées  l'une  par  l'autre.  C'est  pourquoi  le  prophète 
a  dit  que  «  le  calice  qui  est  en  la  main  de  Dieu  est  mêlé.  » 
Le  vin  signifie  la  joie  :  Vinum  lœtijicat  (^');  et  l'eau,  les  tribu- 
lations :  Salv7im  mefac,  Deus,  quoniam  intraverunt  aguœ  i^): 
Le  prophète  David  dit  que  son  âme  est  environnée  d'eaux, 
c'est-à-dire  de  tribulations.  Vint  meri  plenus  inixto  {^)  : 
c'est  ce  mélange  que  le  siècle  doit  boire.  Sa  vengeance  est 
toujours  mêlée  de  miséricorde,  sa  miséricorde  de  même  :  Par- 
cente  mami  sœvit  et  donat.  Mais  après  ce  siècle  il  ne  restera 
plus  que  la  lie  :  Veru7ntamen  fœx  ejiis  non  est  exinanita  ; 
bibent  omnes  peccatores  terrœ  (').  Ces  pécheurs  séparés  des 
bons,  ces  pécheurs  surpris  dans  leur  crime,  ces  pécheurs  qui 
ne  seront  jamais  gens  de  bien,  «  ils  boiront  toute  la  lie  »  et 
toute  l'amertune  de  la  vengeance  divine.  Fuyons,  fuyons, 
mes  sœurs,  fuyons  de  leur  compagnie  ;  n'ayons  point  de 
commerce  avec  eux.  Votre  profession  vous  en  a  déjà  en  quel- 
que façon  séparées.  Mais  ne  faites  pas  comme  les  Israélites  : 
ne  désirez  point  les  plaisirs  de  l'Egypte,  ne  retournez  pas  la 
tête  en  arrière,  pour  voir  ce  que  vous  avez  quitté;  mais  tenez 
vos  yeux  fichés  éternellement  à  l'héritage  qui  vous  est 
promis,  aux  saintsqui  vous  attendent,  à  Ji'sus  (]ui  vous  tend 
les  bras  pour  vous  recevoir  en  sa  gloire. 

a.  Matth.,  XHI,  29.  —  b.  Ps.,  CHi,  15.  ~  c.  Ps.,  LXViii,  i.  —  li.  Ps.^  LXXIV,  9. 
—  e.  Ibid, 


.1.  .1. 

•r  •!• 


^ 
^ 
^ 
^ 


^ 


SERMON    POUK    LA.   VEILLE    dk    la 


FÊTE    DK   LA   CONCEPTION    de    la 


SAINTE    VIERGE  (').    7  décembre    1652.       '^ 


M.  Gandar  {Bossuet  orateur,  p.  i6i)  compte  ce  discours  parmi 
ceux  de  l'année  1656.  L'étude  de  l'orthof^raphe  de  Bossuet  a  démontré 
l'impossibilité  d'admettre  cette  date.  En  1656,  Bossuet  était  revenu 
à  l'orthoL^raphe  commune,  étymologique  dans  son  ensemble  ;  au 
contraire"  ce  sermon  nous  montre  l'épanouissement  des  formes 
phonétiques  dans  les  mots  sujets  à  variations  chez  Bossuet.  (Voy.  le 
Tableau  ortliographique  à  la  fin  de  l'Introduction  ;  et  Histoire  cri- 
tique de  la  Prédication  de  Bossuet,  p.  117  et  130).  Il  contient  même 
des  particularités,  qui  ne  permettent  de  le  placer  qu'à  la  fin  de 
1652.  Si  ce  discours  fut  prononcé  à  Navarre,  comme  on  l'a  cru  (2), 
il  faut  supposer  un  voyage  de  Bossuet  à  Paris,  dont  le  souvenir  ne 
nous  aura  pas  été  conservé. 

Sommaire  (3).  —  Tota  pulchra  es. 

Quodnatum  est  ex  carne,  caro  est  (p.  3,  4).  —  Dieu  fait  des  choses 
coiître  l'ordre  commun  (p.  4,  5).  —  Les  grâces  faites  à  Marie  sont 
sans  conséquence  (p.  6,j).  —  Faut  distinguer  JéSUS-Christ  d'avec 
Marie,  mais  aussi  Marie  d'avec  les  autres  (p.  8)  ;  —  et  que  le  péché 
soit  vaincu  partout  (p.  9). —  Le  futur,  présent  à  Dieu  (Tertull.) 
(p.  10,  II).  —  Il  agit  en  homme  avant  l'Incarnation  f7>r/?///.j  .•  donc 
en  fils  avant  qu'il  le  soit  (p.  il,  12). 

Réflexion  sur  le  vice  de  notre  origine,  et  sur  la  faiblesse  de  la 
convoitise  (p.  14,  15).  —  La  nature  se  perd  en  présumant  de  se 
o-uérir.  Nous  ne  voulons  le  bien  qu'imparfaitement  La  loi,  les  pré- 
ceptes, appareil  externe  :  il  faut  un  remède  au  dedans,  la  grâce; 
volonté  imparfaite,  et  non  pleine.  Maladie  de  la  nature.  (  Voyez 
p.  15.)  — 


Tota  pulchra  es^  arnica  7nea. 
(Cant.,  IV,  7.) 

C^  I  le  nom  de  Marie  vous  est  cher,  si  vous  aimez  sa 
^^_^  gloire,  si  vous  prenez  plaisir  de  célébrer  ses  louanges, 
chrétiens  enfants  de  Marie,  vous  que  cette  Vierge  très  pure 
assemble  aujourd'hui  en  ce  lieu,  réjouissez-vous  en  Notre- 

1.  Mss.  12825,  f  3-15  :  petit  in-f";  paginé  à  l'époque  des  Sommaires. 

2.  Plusieurs  expressions  de  l'exorde  semblent  l'insinuer. 

3.  Donné  par  Lâchât  (XI,  i),  mais  avec  des  erreurs  et  des  omissions. 


SUR  LA  CONCEPTION  DE  LA  SAINTE  VIERGE.  229 


Seigneur.  Demain  luira  au  monde  cette  sainte  et  bienheu- 
reuse journée  en  laquelle  l'âme  de  Marie,  cette  âme 
prédestinée  à  la  plénitude  des  grâces,  et  au  plus  haut  degré 
de  la  gloire,  fut  premièrement  unie  à  son  corps,  mais  à  un 
corps  dont  la  pureté,  qui  ne  trouve  rien  de  semblable,  même 
parmi  les  esprits  angéliques,  attirera  quelque  jour  sur  la  terre 
le  chaste  Époux  des  âmes  fidèles.  Il  est  donc  bien  juste, 
mes  frères,  que  nous  passions  cette  solennité  avec  une  joie 
toute  spirituelle.  Loin  de  cette  conception  les  gémissements 
et  les  pleurs  qui  doivent  accompagner  les  conceptions  ordi- 
naires! Celle-ci  est  toute  pure  et  toute  innocente.  Non,  non, 
ne  le  croyez  pas,  chrétiens,  que  la  corruption  générale  de 
notre  nature  ait  violé  la  pureté  de  la  Mère  que  Dieu  destinait 
à  son  Fils  unique.  C'est  ce  que  je  me  propose  de  vous  faire 
voir  dans  cette  méditation,  dans  laquelle  je  vous  avoue  que 
je  ne  suis  pas  sans  crainte.  De  tant  de  diverses  matières  que 
l'on  a  accoutumé  de  traiter  dans  les  assemblées  ecclésias- 
tiques, celle-ci  est  sans  doute  la  plus  délicate.  Outre  la  diffi- 
culté du  sujet,  qui  fait  certainement  de  la  peine  aux  plus 
habiles  prédicateurs,  l'Eglise  nous  ordonne  de  plus  une 
grande  circonspection  et  une  retenue  extraordinaire.  Si  j'en 
dis  peu,  je  prévois  que  votre  piété  n'en  sera  pas  satisfaite. 
Que  si  j'en  dis  beaucoup,  peut-être  sortirai-je  des  bornes  que 
les  saints  canons  me  prescrivent.  Je  ne  sais  quel  instinct  me 
pousse  à  vous  assurer  que  cette  conception  est  sans  tache, 
et  je  n'ose  vous  l'assurer  d'une  certitude  infaillil)le.  Il  faudra 
tenir  un  milieu  qui  sera  peut-être  un  peu  difficile.  Disons 
néanmoins,  chrétiens,  disons  à  la  gloire  de  Dieu,  que  la 
[p.  2]  bienheureuse  Marie  n'a  pas  ressenti  les  atteintes  du 
péché  commun  de  notre  nature  ;  disons-le,  autant  que  nous 
pourrons,  avec  force  :  mais  disons  toutefois  avec  un  si  juste 
tempérament, que  nous  ne  nous  éloignions  pas  de  la  modestie. 
Ainsi,  les  fidèles  seront  contents;  ainsi  FEorlisc  sera  obéie. 
Nous  satisferons  tout  ensemble  à  la  tendre  piété  des  enfants, 
et  aux  saoes  rèi^lements  de  la  mère. 

Il  y  a  certaines  propositions  étranges  et  difficiles,  cjui, 
pour  être  persuadées,  demandent  (\[\r.  l'on  (.!m[)loicî  tous  les 
efforts  du  raisonnement  et  toutes  k;s  inventions  de  la  rhélo- 


2^0  SUR  LA  CONCEPTION 


rique.  Au  coiitniire  il  y  en  a  d'autres  qui  jettent  au  premier 
aspect  un  certain  éclat  dans  les  âmes,  qui  fait  que  souvent  on 
les  aime  avant  même  que  de  les  connaître.  De  telles  propo- 
sitions n'ont  pas  presque  besoin  de  preuves.  Qu'on  lève 
seulement  les  obstacles,  que  l'on  éclaircisse  les  objections  {'), 
l'esprit  s'y  portera  de  soi-même,  et  d'un  mouvement  volon- 
taire. Je  mets  en  ce  rang  celle  que  j'ai  à  établir  aujourd'hui. 
Que  la  conception  de  la  Mère  de  Dieu  ait  eu  quelque  privi- 
lèo-e  extraordinaire,  que  son  Fils  tout-puissant  l'ait  voulu 
préserver  de  cette  peste  commune  qui  corrompt  toutes  nos 
facultés,  qui  gâte  jusquau  fond  de  nos  âmes,  qui  va  porter 
la  mort  jusqu'à  la  source  de  notre  vie,  qui  ne  le  croirait, 
chrétiens?  qui  ne  donnerait  de  bon  cœur  son  consentement 
à  une  opinion  si  plausible?  Mais  il  y  a,  dit-on,  beaucoup 
d'objections  importantes,  qui  ont  ému  de  grands  personnages. 
Eh  bien!  pour  satisfaire  les  âmes  pieuses,  tâchons  de  résoudre 
ces  objections:  par  ce  moyen  j'aurai  fait  la  meilleure  partie 
de  ma  preuve.  Après  cela,  sans  doute  il  ne  sera  pas  nécessaire 
de  vous  presser  davantage:  sitôt  que  vous  aurez  vu  les  diffi- 
cultés expliquées,  vous  croirez  volontiers  que  le  péché 
originel  n'a  pas  touché  à  Marie.  Que  dis-je,  vous  le  croirez? 
vous  en  êtes  déjà  convaincus  ;  et  tout  ce  que  j'ai  à  vous  dire  ne 
servira  qu'à  vous  confirmer  dans  cette  pieuse  créance. 

PREMIER     POINT  (^). 

[P.  3]  Il  n'est  pas,  ce  me  semble,  fort  nécessaire  d'exposer 
ici  une  vérité  qui  ne  doit  être  ignorée  de  personne.  Vous  le 
savez,  fidèles,  qu'Adam  notre  premier  père,  s'étant  élevé 
contre  Dieu,  il  perdit  aussitôt  l'empire  naturel  qu'il  avait  sur 
ses  appétits.  La  désobéissance  fut  vengée  par  une  autre 
désobéissance  (^).  Il  sentit  une  rébellion  à  laquelle  il  ne 
s'attendait  pas  ;  et  la  partie  inférieure  s'étant  inopinément 
soulevée  contre  la  raison,  il  resta  tout  confus  de  ce  qu'il  ne 

1.  Les  éditeurs  ajoutent:  «s'il  s'en  présente  quelques-unes.» — Ces  mots 
sont  effacés  au  manuscrit. 

2.  En  réalité,  ce  discours  n'a  qu'un  point,  suivi  d'une  conclusion.  Nous 
maintenons  toutefois  le  titre  apposé  ici  par  les  premiers  éditeurs,  en  raison  de 
l'avantage  qu'il  a  de  séparer  l'exorde  d'avec  le  corps  du  discours. 

3.  Var,  par  la  désobéissance. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE.  23 1 


pouvait  la  réduire.  Mais  ce  qui  est  de  plus  déplorable,  c'est 
que  ces  convoitises  brutales  qui  s'élèvent  dans  nos  sens,  à  la 
confusion  de  l'esprit,  aient  si  grande  part  à  notre  naissance. 
De  là  vient  qu'elle  a  je  ne  sais  quoi  de  honteux,  à  cause  que 
nous  venons  tous  de  ces  appétits  déréglés  qui  firent  rougir 
notre  premier  père.  Comprenez,  s'il  vous  plaît,  ces  vérités, 
et  épargnez-moi  la  pudeur  de  repasser  encore  une  fois  sur 
des  choses  si  pleines  d'ignominie,  et  toutefois  sans  lesquelles 
il  est  impossible  que  vous  entendiez  ce  que  c'est  que  le  péché 
d'origine  :  car  c'est  par  ces  canaux  que  le  venin  et  la  peste 
se  coulent  dans  notre  nature.  Oui  nous  engendre,  nous  tue. 
Nous  recevons  en  même  temps  et  de  la  même  racine  et  la 
vie  du  corps,  et  la  mort  de  l'âme.  La  masse  de  laquelle  (') 
nous  sommes  formés  étant  infectée  dans  sa  source,  elle  em- 
poisonne notre  âme  par  sa  funeste  contagion.  C'est  pourquoi 
le  Sauveur  Jésus,  voulant  comme  toucher  au  doigt  la  cause 
de  notre  mal,  dit  (en  saint  Jean,  chapitre  m)  que  «  ce  qui 
naît  de  la  chair  est  chair:»  Oîiod  natum  est  ex  carne,  caro  est. 
La  chair  en  cet  endroit,  selon  la  phrase  de  l'Ecriture,  signifie 
la  concupiscence.  C'est  donc  comme  si  notre  Maître  avait 
dit  plus  expressément  :  O  vous,  hommes  misérables,  qui 
naissez  de  cette  révolte  et  de  ces  inclinations  corrompues  qui 
s'opposent  à  la  loi  de  Dieu,  vous  naissez  par  conséquent 
rebelles  contre  lui  et  ses  ennemis  :  Qtwd nattcm  est  ex  carne, 
caro  est.  Tel  est  le  raisonnement  (")  de  Notre-Seigneur  ;  et 
c'est  ainsi,  si  je  ne  me  trompe,  que  l'explique  saint  Augus- 
tin (''),  celui  qui  de  tous  les  Pères  a  le  mieux  entendu  les 
maladies  de  notre  nature. 

[P.  4]  Que  dirons-nous  donc  maintenant  de  la  bienheu- 
reuse Marie  ?  Il  est  vrai  qu'elle  a  conçu  étant  vierge  ;  mais 
elle  n'a  pas  été  conçue  d'une  vierge.  Cet  honneur  n'appar- 
tient qu'à  son  Fils.  Pour  elle,  dont  la  conception  s'est  faite  par 
les  voies  ordinaires,  comment  évitera-t-elle  la  corruption  qui 
y  est  inséparablement  attachée  ?  Car  enfin  l'Apôtre  saint 
Paul  parle  en  termes  si  universels  de  cette  commune  malc- 

a.  hijoan.  Tract.  XI l. 
I.    Var.  dont. 
.  2.  *  Correction  de  date  postérieure  (vers  1665)  :  «  Telle  est  la  pensée...  > 


2^2  SUR  LA  CONCEPTION 


diction  de  toute  notre  nature,  que  ses  paroles  semblent  ne 
pouvoir  souffrir  aucune  limitation.  «  Tous  ont  péché,  dit-il  ; 
et  tous  sont  morts  en  Adam,  et  tous  ont  péché  en  Adam  ('').  » 
Et  il  y  a  beaucoup  d'autres  paroles  semblables,  non  moins 
forte*;  ni  moins  générales.  Où  chercherons-nous  donc  un  asile 
à  la  bienheureuse  Marie,  où  nous  puissions  la  mettre  à  cou- 
vert d'une  condamnation  si  universelle  ?  Ce  sera  entre  les 
bras  de  son  Fils,  ce  sera  dans  la  toute-puissance  divine, 
ce  sera  dans  cette  source  infinie  de  miséricorde  qui 
jamais  ne  peut  être  épuisée.  Vous  avez,  ce  me  semble,  bien 
compris  la  difficulté.  Je  l'ai  proposée  dans  toute  sa  force  ou 
du  moins  selon  mon  pouvoir.  Écoutez  maintenant  la  réponse, 
et  suivez  attentivement  ma  pensée.  Je  dirai  les  choses  en 
peu  de  mots,  parce  que  je  vois  que  je  parle  ici  à  des  personnes 
intelligentes. 

Certes  il  faut  l'avouer,  chrétiens  :  Marie  était  perdue  tout 
ainsi  que  les  autres  hommes,  si  le  Médecin  miséricordieux, 
qui  donne  la  guérison  à  nos  maladies,  n'eût  jugé  à  propos 
de  la  prévenir  de  ses  grâces.  Ce  péché,  qui,  ainsi  qu'un  tor- 
rent, se  déborde  sur  tous  les  hommes,  allait  gâter  cette  sainte 
Vierge  de  ses  ondes  empoisonnées.  Mais  il  n'y  a  point  de 
cours  si  impétueux  que  la  toute-puissance  divine  n'arrête 
quand  il  lui  plaît.  Considérez  le  soleil,  avec  quelle  impétuosité 
il  parcourt  cette  immense  carrière  qui  lui  a  été  ouverte  par 
la  Providence.  Cependant  vous  n'ignorez  pas  que  Dieu  ne 
l'ait  ûxé  autrefois  au  milieu  du  ciel,  à  la  seule  parole  d'un 
homme.  Ceux  qui  habitent  près  du  Jourdain,  ce  fleuve  célèbre 
de  la  Palestine,  savent  avec  quelle  rapidité  il  se  décharge 
dans  la  mer  Morte  ('),  du  moins  si  je  ne  me  trompe  [p.  5] 
dans  la  description  de  ces  lieux.  Néanmoins  toute  l'armée 
d'Israël  l'a  vu  remonter  à  sa  source,  pour  faire  passage  à 
l'Arche  où  reposait  le  Seigneur  tout-puissant.  Est-il  rien  de 
plus  naturel  que  cette  influence  de  chaleur  dévorante  qui 
sort  du  feu  dans  une  fournaise  ?  Et  l'impie  Nabuchodonosor 

a.  Rom.^  V,  12. 

I.  C'était  d'abord  (i  dans  la  mer  Noire  »  que  Bossuet  faisait  se  jeter  <î  le  Jor- 
dain  »,  comme  il  écrivait  et  prononçait  à  cette  date  reculée.  On  comprend  qu'il 
ajoutât  :  «  du  moins,  si  je  ne  me  trompe,  etc.  »  Il  a  d'ailleurs  corrigé  lui-même 
postérieurement,  sans  effacer  la  précaution  oratoire. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


233 


n'a-t-il  pas  admiré  trois  bénis  enfants  qui  se  jouaient  au 
milieu  des  flammes,  que  ses  satellites  impitoyables  avaient 
vainement  irritées  ?  Nonobstant  tous  ces  exemples  illustres, 
ne  peut-on  pas  dire  véritablement  qu'il  n'y  a  point  de  feu 
qui  ne  brûle,  et  que  le  soleil  roule  dans  les  cieux  d'un  mou- 
vement éternel,  et  qu'il  ne  se  rencontre  aucun  fleuve  qui 
retourne  jamais  à  sa  source  ?  Nous  tenons  tous  les  jours  de 
semblables  propos,  sans  que  nous  (')  en  soyons  empêchés 
par  ces  fameux  exemples,  bien  qu'ils  ne  soient  ignorés  de 
personne.  Et  d'où  vient  cela,  chrétiens  ?  C'est  que  nous 
avons  accoutumé  de  parler  selon  le  cours  ordinaire  des  choses; 
et  Dieu  se  plaît  d'agir  quelquefois  selon  les  lois  de  sa  toute- 
puissance,  qui  est  au-dessus  de  tous  nos  discours. 

Ainsi  je  ne  m'étonne  pas  que  le  grand  apôtre  saint  Paul 
ait  prononcé  si  généralement,  que  le  péché  de  notre  premier 
père  a  fait  mourir  tous  ses  descendants.  En  effet,  selon  la 
suite  naturelle  des  choses  que  l'Apôtre  considérait  en  ce  lieu, 
être  né  de  la  race  d'Adam  à  la  façon  ordinaire  enfermait 
infailliblement  le  péché.  Il  n'est  pas  plus  naturel  au  feu  de 
brûler,  qu'à  cette  damnable  concupiscence  d'infecter  tout  ce 
qu'elle  touche,  d'y  porter  la  corruption  et  la  mort.  Il  n'est  (^) 
point  de  poison  plus  présent,  ni  de  peste  plus  pénétrante. 
Mais  je  dis  que  (^)  ces  malédictions  si  universelles,  que  toutes 
ces  propositions,  si  générales  qu'elles  puissent  être,  n'empê- 
chent pas  les  réserves  que  peut  faire  le  Souverain,  ni  les 
coups  d'autorité  absolue.  Et  quand  est-ce, ô  grand  Dieu,  que 
vous  userez  plus  à  propos  de  cette  puissance  (|iii  n'a  [)oint 
de  bornes,  et  qui  est  sa  loi  elle-même;  quand  est-ce  que  vous 
en  userez,  sinon  [p.  6]  pour  faire  grâce  à  Marie  ? 

Je  sais  bien  que  quelques  docteurs  assurent  (jue  c'est  im- 
prudence de  vouloir  apporter  quelques  restrictions  à  des  pa- 
roles si  générales.  Cela,  disent-ils.  tire  à  conséquence.  Mais, 
ô  mon  Sauveur,  quelle  conséquence  !  Pesez,  s'il  vous  plaît, 
ce  raisonnement.  Ces  conséquences  ne  sont  ?i  craiiulre  qu'où 
il  y  peut  avoir  quelque  sorte  d'égalité.    Par  exemple,  vous 

1.  V<ir.  sans  que  ces  fameux  exemples  nous  en  empêchent. 

2.  Var.  Il  n'y  a  point. 

3.  Vur.  Mais  ces  malcdiclions... 


234  SUR   LA  CONCEPTION 


méditez  d'accorder  quelque  grâce  à  une  personne  d'une  con- 
dition médiocre:  v^ous  avez  à  y  prendre  garde;  cela  peut  tirer 
à  conséquence  :  beaucoup  d'autres  par  cet  exemple  préten- 
dront la  même  faveur.  Mais  parcourez  tous  les  chœurs  des 
anges,  considérez  attentivement  tous  les  ordres  des  bienheu- 
reux :  voyez  si  vous  en  trouverez  (')  quelqu'un  qui  ose,  je 
ne  dis  pas  s'égaler,  mais  même  en  aucune  manière  se 
comparer  à  la  sainte  Vierge.  Non  :  ni  l'obéissance  (^)  des 
patriarches,  ni  la  fidélité  des  prophètes,  ni  le  zèle  infatigable 
des  saints  apôtres,  ni  la  générosité  {^)  des  martyrs,  ni  la 
persévérance  (•♦)  des  saints  confesseurs,  ni  la  pureté  invio- 
lable des  vierges,  ni  cette  grande  diversité  de  vertus  que  la 
grâce  divine  a  semées  {^)  dans  les  différents  ordres  des 
bienheureux  (^),  n'a  rien  qui  puisse  tant  soit  peu  approcher 
de  la  très  heureuse  Marie.  Cette  maternité  glorieuse,  cette 
alliance  éternelle  qu'elle  a  contractée  avec  Dieu,  la  met 
dans  un  rang  tout  singulier  qui  ne  souffre  aucune  comparai- 
son. Et  dans  une  si  grande  inégalité,  quelle  conséquence 
pouvons-nous  craindre  ?  Montrez-moi  une  autre  Mère  de 
Dieu,  une  autre  vierge  féconde  ;  faites-moi  voir  ailleurs  cette 
plénitude  de  grâces,  cet  assemblage  de  vertus  divines,  une 
humilité  si  profonde  dans  une  dignité  si  auguste,  et  toutes 
les  autres  merveilles  que  j'admire  en  la  [p.  7]  sainte  Vierge: 
et  puis  dites,  si  vous  voulez,  que  l'exception  que  j'apporte  à 
une  loi  générale,  en  faveur  (7)  d'une  personne  si  extraordi- 
naire, a  des  conséquences  fâcheuses. 

Et  combien  y  a-t-il  de  lois  générales  dont  Marie  a  été  dis- 
pensée! N'est-ce  pas  une  nécessité  commune  à  toutes  les 
femmes  d'enfanter  en  tristesse  et  dans  le  péril  de  leur  vie  ? 
Marie  en  a  été  exemptée.  N'a-t-il  pas  été  prononcé  de  tous 
les  hommes  généralement,  «  qu'ils  offensent  tous  en  beaucoup 
de  choses.»^  »  In  inultis  offendimus  omîtes  (^\  Y  a-t-il  aucun 

Jac,  ni,  2. 

*  Corrections  postérieures  (vers  1665)  :  «  si  vous  trouverez  quelque  créature.  » 
Ce  mot  a  été  écrit  plus  tard  ;  il  remplace  :  «  la  foi  constante  »  (effacé), 

*  «  Constance  invincible.  » 

*  «  Pénitence  persévérante.  » 

*  «  Répandues.  » 
Var.  des  prédestinés. 
Var.  à  la  considération  d'une  personne... 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


235 


juste  qui  puisse  éviter  ces  péchés  de  fragilité  que  nous  appe- 
lons véniels  ?  Et,  bien  que  cette  proposition  soit  si  générale 
et  si  véritable,  l'admirable  saint  Augustin  ne  craint  point  d'en 
excepter  la  très  innocente  Marie  ('').  Certes  si  nous  recon- 
naissions dans  sa  vie  qu'elle  eût  été  assujettie  aux  ordres 
communs,  nous  pourrions  croire  peut-être  qu'elle  aurait  été 
conçue  en  iniquité,  tout  ainsi  que  le  reste  des  hommes.  Que 
si  nous  y  remarquons  au  contraire  une  dispense  presque 
générale  de  toutes  les  lois  ;  si  nous  y  voyons,  selon  la  foi 
orthodoxe,  ou  du  moins  selon  le  sentiment  des  docteurs  les 
plus  approuvés,  si,  dis-je,  nous  y  voyons  un  enfantement 
sans  douleur,  une  chair  sans  fragilité,  des  sens  sans  rébellion, 
une  vie  sans  tache,  une  mort  sans  peine  ;  si  son  époux  n'est 
que  son  gardien  ;  son  mariage,  le  voile  sacré  qui  couvre  et 
protège  sa  virginité  ;  son  Fils  bien-aimé,  une  fleur  que  son 
intégrité  a  poussée  :  si,  lorsqu'elle  le  conçut,  la  nature  éton- 
née et  confuse  crut  que  toutes  ses  lois  allaient  être  à  jamais 
abolies  ;  si  le  Saint-Esprit  tint  sa  place,  et  les  délices  de  la 
virginité  celle  qui  est  ordinairement  occupée  par  la  convoi- 
tise :  qui  pourra  croire  qu'il  n'y  ait  rien  eu  de  surnaturel  dans 
la  conception  de  cette  Princesse,  et  que  ce  soit  le  seul 
endroit  de  sa  vie  qui  ne  soit  point  marqué  de  quelque  insigne 
miracle  ? 

Vous  me  direz  peut-être  que  cette  innocence  si  pure,  c'est 
la  prérogative  du  Fils  de  Dieu  ;  que  de  la  communiquer  à  sa 
sainte  Mère,  c'est  ôter  au  vSauveur  l'avantage  qui  est  du  à 
sa  qualité.  [P.  8]  C'est  le  dernier  effort  des  docteurs  dont 
nous  réfutons  aujourd'hui  les  objections.  Mais  à  Dieu  ne 
plaise,  ô  mon  Maître,  qu'une  si  téméraire  pensée  puisse 
jamais  entrer  dans  mon  âme  !  Périssent  tous  mes  raisonne- 
ments, que  tous  mes  discours  soient  honteusement  effacés, 
s'ils  diminuent  quelque  chose  de  votre  grandeur!  Vous  êtes 
innocent  par  nature,  Marie  ne  l'est  que  par  grâce;  vous  l'êtes 
par  excellence,  elle  ne  l'est  que  par  privilège  ;  vous  l'êtes 
comme  Rédempteur,  elle  l'est  comme  la  première  de  celles 
que  votre  sang  précieux  a  purifiées.  C)  vous  qui  désirez  qu'en 
.cette  rencontre  la  préférence  demeure  à    Notre-Seigneur, 

a.  De  Natur.  et  Grat.^  n.  42. 


236  SUR  LA  CONCEPTION 


VOUS  voila  satisfaits,  ce  me  semble.  Quoi  !  si  nous  n'étions 
tous  criminels  par  notre  naissance,  ne  sauriez-vous  que  dire 
pour  donner  l'avantage  au  Sauveur  ?  Si  vous  croyez  avoir 
fait  beaucoup  de  l'avoir  mis  au-dessus  d'une  infinité  de  cou- 
pables, ne  trouvez  pas  mauvais  si  je  tâche  du  moins  de 
trouver  une  créature  innocente  à  laquelle  je  le  préfère,  afin 
de  faire  voir  que  ce  n'est  pas  notre  crime  seul  qui  lui  donne 
la  prestance  ('). 

Il  est,  certes,  tout  à  fait  nécessaire  qu'il  surpasse  sa  sainte 
Mère  d'une  distance  infinie.  Mais  aussi  ne  jugez-vous  pas 
raisonnable  que  sa  Mère  ait  quelque  avantage  par-dessus  le 
commun  de  ses  serviteurs  ?  Que  répondrez-vous  à  une 
demande  qui  paraît  si  juste  ?  Je  ne  me  contente  pas  de  ce 
que  vous  me  dites,  qu'elle  a  été  sanctifiée  devant  sa  nais- 
sance. Car  encore  que  je  vous  avoue  que  c'est  une  belle 
prérogative,  je  vous  prie  de  vous  souvenir  que  c'est  le  privi- 
lège de  saint  Jean-Baptiste,  et  peut-être  de  quelque  autre 
prophète.  Or  ce  que  je  vous  demande  aujourd'hui,  c'est  que 
vous  donniez,  si  vous  le  pouvez,  quelque  chose  de  singulier 
à  Marie,  sans  toucher  aux  droits  de  Jésus.  Pour  moi  j'y 
satisferai  aisément,  établissant  trois  degrés  que  chacun 
pourra  retenir.  Je  dis  que  le  Sauveur  était  infiniment  au- 
dessus  de  cette  commune  corruption.  Pour  Marie,  elle  y  était 
soumise  ,  mais  elle  en  a  été  préservée:  entendez  ce  mot,  s'il 
vous  plaît.  Et  à  l'égard  des  autres  saints,  je  dis  qu'ils  l'avaient 
effectivement  contractée,  mais  qu'ils  en  ont  été  délivrés. 
Ainsi  nous  conservons  la  prérogative  à  la  Mère,  sans  faire 
tort  à  l'excellence  du  Fils  :  ainsi  nous  voyons  une  juste  et 
équitable  disposition,  qui  semble  bien  convenable  à  la  Provi- 
dence divine  :  ainsi  le  Sauveur  Jésus,  qui,  selon  la  doctrine 
des  théologiens,  était  venu  en  ce  monde  principalement 
[p.  9]  pour  purger  les  hommes  de  ce  péché  d'origine  ("),  en 
remporte  une  glorieuse  victoire  ;  il  le  dompte,  il  le  met  en 
fuite  partout  où  il  se  peut  retrancher. 

Comment  cela,  chrétiens  ?   L'induction  en   est  claire.  Ce 

1.  Les  éditeurs  ont  corrigé  cette  expression  toute  latine,  et  par  un  médiocre 
synonyme  ils  ont  dit  :  «  la  préférence.  » 

2.  Anciennes  édit.  qui  était  le  grand  œuvre  du  diable.  (Effacé.) 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


237 


vice  originel  règne  dans  les  enfants  nouvellement  nés;  Jésus 
l'y  surmonte   par  le   saint  baptême.  Ce    n'est   pas   tout:  le 
diable,  par  ce  péché,  pénètre  jusqu'aux  ventres  de  nos  mères; 
et  là,  tout  impuissants  que  nous  sommes,  il  nous  rend  enne- 
mis de   Dieu.   Jésus   choisit  quelques   âmes    illustres  qu'il 
purifie  dans  les  entrailles  maternelles,  et  là  il  défait  encore 
le  péché.  Tels  sont  ceux  que  nous  appelons  sanctifiés  dev^-mt 
la  naissance,  comme  saint  Jean  ;  comme  Jérémie,  selon  le 
sentiment  de  quelques  docteurs  ;  comme  saint  Joseph  peut- 
être,  selon  la  conjecture  de  quelques  autres.  Mais  il  reste  un 
endroit,  ô  Sauveur,  où  le  diable  se  vante  d'être  invincible. 
Il  dit  que  l'on  ne  l'en  peut  chasser.  C'est  le   moment  de  la 
conception,  dans  lequel  il  brave  votre  pouvoir.  Il  dit  que  si 
vous  lui  ôtez  la  suite,  du  moins  il  s'attache,  sans  rien  craindre, 
à  la  source  et  à  la  racine.  «  Elevez-vous,  Seigneur,  et  que 
vos   ennemis  disparaissent,  et  que  ceux  qui    vous   haïssent 
tombent  et  périssent  devant  votre  face  :  »  Exiirgat  Deus, 
\et  dissipeiitur  inimici  ejus;  et  fugiant  qui  oderitnt  eiim  a  facie 
ejus\  (^).  Choisissez  du  moins  une  créature  que  vous  sancti- 
fiiez  dès  son  origine,   dès  le  premier  instant  oii  elle   sera 
animée  :  faites  voir  à  notre  (')  envieux  que  vous  pouvez  pré- 
venir son  venin   par   la   force  de  votre   grâce  ;  qu'il    n'y   a 
point  de  lieu  où  il  (^)  puisse  porter  ses  ténèbres  infernales, 
d'où  vous  ne  le  chassiez   par  l'éclat  tout-puissant  de  votre 
lumière.  La  bienheureuse  Marie  se  présente  fort  à  propos. 
Il  sera  digne  de  votre  bonté  et  digne  de  la  grandeur  d'une 
Mère  si  excellente,  que  vous  lui  fassiez  ressentir  les  effets 
d'une  protection  spéciale. 

Chers  frères,  que  vous  en  semble?  que  pensez-vous  de 
cette  doctrine?  Vous  paraît-elle  pas  bien  plausible?  Pour  moi, 
quand  je  considère  le  Sauveur  Jésus,  notre  amour  et  notre 
espérance,  entre  les  bras  de  la  sainte  Vierge,  ou  suçant  son 
lait  virginal,  ou  se  reposant  doucement  sur  son  sein,  |  p.  10] 
ou  enclos  dans  ses  chastes  entrailles  ;  (mais  je  m'arrcle  à 
cette  dernière  pensée,   elle  convient   beaucoup  mieux    à   ce 

a.  Ps.^  LXVII,  I. 

1.  Var.  ;\  cet  envieux. 

2.  Var.  qu'il  puisse  obscurcir  par... 


238  '  SUR  LA  CONCErTION 

temps  :  dans  peu   de  jours  nous  célébrerons  la  Nativité  du 
Sauveur;  et  nous  le  considérons  à  présent  dans  les  entrailles 
de  sa  sainte  Mère)  :  quand  donc  je  regarde  l'Incompréhen- 
sible ainsi  renfermé,  et  cette  immensité  comme   raccourcie  ; 
quand  je  vois   mon  Libérateur  dans  cette  étroite  et   volon- 
taire prison,  je  dis  quelquefois  à   part   moi  :   Se   pourrait-il 
bien  faire  que  Dieu  eût  voulu  abandonner  au  diable,  quand 
ce  n'aurait  été  qu'un  moment,  ce  temple  sacré  qu'il  destinait 
à  son  F'ils,  ce  saint  tabernacle  où  il  prendra  un  si  long  et  si 
admirable   repos,  ce  lit   virginal  où   il   célébrera  des   noces 
toutes  spirituelles  avec  notre  nature?  C'est  ainsi  que  je  me 
parle  à  moi-même.  Puis   me  retournant  au  Sauveur  :   Béni 
enfant,  lui  dis-je,  ne  le  souffrez  pas  ;   ne  permettez  pas  que 
votre   Mère  soit  violée.   Ah  !  que  si   Satan  l'osait   aborder 
pendant  que  demeurant  en  elle  vous  y  faites  un  paradis,  que 
de  foudres  vous  feriez  tomber  sur  sa  tête!  avec  quelle  jalousie 
vous  défendriez   l'honneur   et  l'innocence   de  votre  Mère! 
Mais,  ô   béni  enfant   par  qui  les  siècles  ont  été  faits,  vous 
êtes  devant  tous  les  temps.  Quand   votre  Mère  fut  conçue, 
vous  la  regardiez  du  plus   haut  des  cieux;  mais  vous-même 
vous  formiez   ses  membres.    C'est  vous   qui    inspirâtes    ce 
souffle  de  vie  qui  anima  cette  chair  dont  la  vôtre  devait  être 
tirée.  Ah  !  prenez   garde,  ô  Sagesse  éternelle,  que  dans  ce 
même  moment  elle  va  être  infectée  d'un  horrible  péché,  elle 
va  être  en  la  possession   de   Satan  :  détournez  ce  malheur 
par  votre  bonté!  commencez  à  honorer  votre  Mère;  faites 
qu'il  lui  profite  d'avoir  un  Fils  qui  est  devant  elle.  Car  enfin, 
à  bien  prendre  les  choses,  elle  est  déjà  votre  Mère,  et  déjà 
vous  êtes  son  Fils. 

Fidèles,  cette  parole  est-elle  bien  véritable  ?  est-ce  point 
un  excès  de  zèle  qui  nous  fait  avancer  une  proposition  si 
hardie  ?  Non,  certes  ;  elle  est  déjà  Mère,  le  Fils  de  Dieu  est 
déjà  son  Fils.  Il  l'est,  non  point  en  effet,  non  selon  la  révo- 
lution des  choses  humaines;  mais  selon  l'ordre  de  Dieu, 
selon  sa  prédestination  éternelle.  Suivez,  s'il  vous  plaît,  ma 
pensée  ('). 

Quand   Dieu,   dans  son  secret   conseil,  a  résolu  quelque 

I.  Var.  ce  raisonnement. 


DE    LA  SAINTE  VIERGE.  239 

événement;  longtemps  devant  qu'il  paraisse,  V  Écriture  [p.  1 1] 
a  accoutumé  d'en  parler  comme  d'une  chose  déjà  accomplie. 
Par  exemple  :  «  Un  petit  Enfant  nous  est  né,  »  disait  autre- 
fois Isaïe  {'')  parlant  de  Notre-Seigneur,  «  et  un  Fils  nous  a 
été  donné.  »  Que  veut-il  dire,  mes  frères!  Jésus-Christ 
n'était  pas  né  de  son  temps.  Mais  ce  saint  homme  considé- 
rait qu'il  n'en  était  pas  de  Dieu  ainsi  que  des  hommes,  qui 
font  tant  de  projets  inutiles;  au  contraire,  que  sa  volonté  a  un 
effet  infaillible  et  inévitable.  Ainsi  ayant  pénétré,  par  les 
lumières  d'en  haut  ('),  dans  ce  grand  dessein  que  le  Père  éter- 
nel méditait  d'envoyer  son  Fils  au  monde,  il  s'en  réjouit  en 
esprit,  et  estime  la  chose  déjà  comme  faite,  à  cause  qu'il  la 
voit  résolue  par  un  décret  immuable.  Et  certes  cette  façon 
de  parler  est  bien  digne  des  saints  prophètes,  et  ressent  tout 
à  fait  la  majesté  de  celui  qui  les  inspire.  Car,  comme 
remarque  très  bien  le  grave  Tertullien  ('),  «  il  est  bien- 
séant à  la  nature  divine,  qui  ne  connaît  en  soi-même 
aucune  différence  de  temps,  de  tenir  pour  fait  tout  ce  qu'elle 
ordonne;  à  cause  que  chez  elle  l'éternité  fait  régner  une  con- 
sistance toujours  uniforme:»  Divmitati  competit  quœctimque 
decreve^dt,  7it  perfecta  reputare;  quia  non  sit  aptici  illa?Ji  dif- 
ferentia  temporis,  apud  quam  uniformem  stahcni  temporum 
dirigit  œternitas  ipsa  i^').  Par  conséquent  il  est  vrai,  et  je  ne 
me  suis  pas  trompé  quand  je  l'ai  assuré  de  la  sorte,  que  la 
très  sainte  Vierge,  dès  le  premier  instant  de  sa  vie,  était 
déjà  Mère  du  Sauveur,  non  pas  selon  le  langage  des  hommes, 
mais  selon  la  parole  de  Dieu,  c'est-à-dire,  comme  vous  l'avez 
vu,  selon  la  façon  de  parler  ordinaire  des  Écritures  divines. 
Et  je  fortifie  ce  raisonnement  par  une  autre  doctrine  excel- 
lente des  Pères,  merveilleusement  expliquée  par  le  mcme 
Tertullien.  C'est  au  livre  II  contre  Marcion,  où  ce  grand 
homme  raconte  que  le  Fils  de  Dieu  ayant  résolu  de  prendre  (') 
notre  nature,  quand  l'heure  en  serait  arrivée,  il  s'est  tou- 
jours plu  dès  le  commencement  à  converser  avec  les  hommes; 

a.  A.,  IX,  6. —  b.  Lib.  m,  adv.  Marcion.^  n.  5.  IMs.  diversitiis  temporis. 

1.  Var.  par  les  lumières  divines, 

2.  Ms.  «  Tertullien  ;  »  mais  plus  bas,  mcinc  page  :  v<  Tcrtullian.  » 

3.  Var.  de  prendre  une  chair  semblable  ;\  la  nôtre. 


240  SUR  LA  CONCEPTION 

que,  dans  ce  dessein,  souvent  il  est  descendu  du  ciel;  que 
c't^tait  lui  qui  des  l'Ancien  Testament  parlait  (')  en  forme 
humaine  aux  patriarches  et  aux  prophètes.  Tertullien  consi- 
dère ces  apparitions  différentes  comme  des  préludes  de 
l'Incarnation,  comme  des  préparatifs  de  ce  grand  ouvrage 
qui  se  commençait  dès  lors.  «  De  cette  sorte,  dit-il,  [p.  12]  le 
Fils  de  Dieu  s'accoutumait  aux  sentiments  humains;  il  ap- 
prenait, pour  ainsi  dire,  à  être  homme  :  il  se  plaisait  d'exercer, 
dès  l'origine  du  monde,  ce  qu'il  devait  être  dans  la  plénitude 
des  temps  :»  luiisccns  jam  inde  a  pinmordio,  jam  inde  homi- 
iiciii,  quod  o'at  futurîis  in  fine.  Ou  plutôt,  pour  parler  plus 
dignement  d'un  si  haut  mystère,  il  ne  s'accoutumait  pas, 
mais  nous-mêmes  il  nous  accoutumait  à  ne  nous  point  effa- 
roucher quand  nous  entendrions  parler  d'un  Dieu- Homme  : 
il  ne  s'apprenait  pas,  mais  il  nous  apprenait  à  nous-mêmes  à 
traiter  plus  familièrement  avec  lui,  déposant  doucement  cette 
majesté  terrible  pour  s'accommoder  à  notre  faiblesse  et  à 
notre  enfance. 

Tel  était  le  dessein  du  Sauveur.  Et  de  cette  belle  doctrine 
de  Tertullien  je  tire  ce  raisonnement,  que  je  vous  supplie 
de  comprendre;  peut-être  en  serez-vous  édifiés.  Marie  était 
Mère  de  Dieu  dès  le  premier  instant  auquel  elle  fut  animée. 
Ne  vous  souvient-il  pas  que  nous  vous  le  disions  tout  à 
l'heure?  Elle  l'était  selon  les  desseins  de  Dieu,  selon  les 
règles  de  sa  Providence,  selon  les  lois  de  cette  éternité  im- 
muable, à  laquelle  rien  n'est  nouveau,  qui  renferme  dans  son 
unité  toutes  les  différences  des  temps.  Sans  doute  vous 
n'avez  pas  oublié  ce  beau  passage  de  Tertullien,  qui  explique 
si  bien  cette  vérité.  Or  c'est  selon  ces  règles  que  le  Fils  de 
Dieu  doit  agir,  et  non  selon  les  règles  humaines  ;  selon  les 
lois  de  l'éternité,  non  selon  les  lois  des  temps.  Quand  il 
s'agit  du  Fils  de  Dieu,  ne  me  parlez  point  des  règles  humai- 
nes ;  parlez-moi  des  règles  de  Dieu.  Marie  étant  donc  sa 
Mère  selon  l'ordre  des  choses  divines,  le  Fils  de  Dieu,  dès 
sa  conception,  la  considérait  comme  telle.  Elle  l'était  en 
effet  à  son  égard.  Ne  laissez  passer,  s'il  vous  plait,    aucune 


I.    Vor.  en  forme  humaine  parlait. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


241 


de   ces   vérités  :   elles   sont   toutes    fort   importantes  pour 
ce  que  j'ai  à  vous  dire. 

Poursuivons  maintenant  et  disons  :  Nous  venons  d'ap- 
prendre de  Tertullien  que  le  Verbe  divin, longtemps  devant 
qu'il  se  fût  revêtu  d'une  chair  humaine,  se  plaisait  pour 
ainsi  dire,  à  se  revêtir  par  avance  [p.  13]  de  la  forme  et  des 
sentiments  humains  ;  tant  il  était  passionné,  si  j'ose  parler 
de  la  sorte,  pour  notre  misérable  nature.  Quel  sentiment 
plus  humain  que  l'affection  envers  les  parents  ?  Par  consé- 
quent le  Fils  de  Dieu,  longtemps  avant  que  d'être  homme, 
aimait  Marie  comme  sa  Mère  ;  il  se  plaisait  dans  cette 
affection  :  il  ne  cessait  de  veiller  sur  elle  :  il  détournait  de 
dessus  son  temple  les  malédictions  des  profanes  :  il  l'embel- 
lissait de  ses  dons, il  la  comblait  de  ses  grâces,  depuis  le  pre- 
mier instant  où  elle  commença  le  cours  de  sa  vie,  jusqu'au 
dernier  soupir  par  lequel  elle  fut  terminée.  C'est  la  consé- 
quence que  je  prétendais  tirer  de  ces  savants  principes  de 
Tertullien. Elle  me  semble  fort  véritable;  elle  établit,  à  mon 
avis,  puissamment  l'Immaculée  conception  de  Marie.  Et  en 
vérité  cette  opinion  a  je  ne  sais  quelle  force  qui  persuade  les 
âmes  pieuses.  Après  les  articles  de  foi,  je  ne  vois  guère 
de  chose  plus   assurée  ('). 

C'est  pourquoi  je  ne  m'étonne  pas  que  cette  célèbre  école 
des  théologiens  de  Paris  oblige  tous  ses  enfants  à  défendre 
cette  doctrine.  Savante  compagnie,  cette  piété  pour  la  Vierge 
est  peut-être  l'un  des  plus  beaux  héritages  que  vous  ayez 
reçu  de  vos  pères.  Puissiez-vous  être  à  jamais  florissante  ! 
puisse  cette  tendre  dévotion  que  vous  avez  pour  la  Mère,  à 
la  considération  de  son  Fils,  porter  bien  loin  aux  siècles 
futurs  cette  haute  réputation  que  vos  illustres  travaux  vous 
ont  acquise  par  toute  la  terre!  Pour  moi  je  suis  ravi,  chré- 
tiens, de  suivre  aujourd'hui  ses  intentions.  Après  avoir  été 
nourri  de  son  lait,  je  me  soumets  volontiers  à  ses  ordon- 
nances; d'autant  plus  que  c'est  aussi,  ce  me  semble,  la  vo- 
lonté de  l'Eglise.  P21le  a  un  sentimtMit  fort  honorable  de  la 
conception  de  Marie  :  elle  ne  nous  oblige  pas  de  l.i  croire 
immaculée;  mais  elle  nous  fait  entendre    cjue  cette  créance 

I.  Paroles  remarquables,  avant  la  définition  de  ce  douane  (1S54). 

Sermons  de  Uossuct.  t6 


242  SUR  LA  CONCErXION 


lui  est  agréable.  Il  y  a  des  choses  qu'elle  commande,  où  nous 
faisons  connaître  notre  obéissance  :  il  y  en  a  d'autres  qu'elle 
insinue,  où  nous  pouvons  témoigner  notre  affection.  Il  est 
de  notre  piété,  si  nous  sommes  vrais  enfants  de  l'Église, 
non  seulement  d'obéir  aux  commandements,  mais  de  fléchir 
aux  moindres  signes  {')  d'une  mère  si  bonne  et  si  sainte.  Je 
vous  vois  tous,  ce  me  semble,  dans  ce  sentiment.  Mais  ce 
n'est  rien  d'être  jaloux  de  défendre  la  pureté  de  Marie,  si 
nous  ne  sommes  soigneux  de  conserver  la  pureté  en  nous- 
mêmes.  C'est  à  quoi  peut-être  vous  serez  portés  par  la  briève 
réflexion  qui  va  fermer  ce  discours;  du  moins  je  l'espère 
ainsi  de  l'assistance  divine. 

CONCLUSION. 

[P.  14]  Vous  avez  ouï  (-),  chrétiens,  les  divers  raisonnements 
par  lesquels  j'ai  tâché  de  prouver  que  la  conception  de  Marie 
est  sans  tache.  Il  y  a  si  longtemps  que  les  plus  grands  théolo- 
giens de  l'Europe  travaillent  sur  ce  sujet!  Vous  savez  combien 
la  personne  de  la  sainte  Vierge  est  illustre,  combien  digne 
d'honneurs  extraordinaires,  combien  elle  doit  être  privilégiée. 
Et  toutefois  l'Eglise  n'a  pas  encore  osé  décider  qu'elle  soit 
exempte  du  péché  originel.  Plusieurs  grands  personnages  ne 
l'ont  pas  cru  ;  il  nous  est  défendu  de  les  condamner.  Jugez, 
jugez  par  là,  ô  fidèles  !  combien  nécessaire,  combien  grande 
et  inévitable  doit  être  la  corruption  de  notre  nature,  puisqu'on 
hésite  si  fort  à  en  exempter  celle  de  toutes  les  créaturesqui  est 

1,  Correction  de  date  postérieure  :  *«  aux  moindres  signes  de  la  volonté  d'une 
mère...  » 

2.  Il  y  a  deux  rédactions  de  cette  conclusion.  Les  premiers  éditeurs  en  avaient 
fabriqué  une  troisième,  en  amalgamant  le  brouillon  et  la  mise  au  net.  Nous  don- 
nonsla  seconde  dans  notre  texte.  C'est  la  seule  que  Bossuet  ait  paginée  à  l'époque 
des  sommaires.  Voici,  comme  variante,  la  première,  qui  n'a  pas  été  effacée  : 

«  V^ous  avez  ouï,  mes  frères,  les  divers  raisonnements  par  lesquels  j'ai  tâché  • 
de  prouver  que  la  conception  de  Marie  est  sans  tache.  Il  y  a  si  longtemps  que 
les  plus  beaux  esprits  de  l'Europe  travaillent  sur  ce  sujet  !  Vous  savez  combien 
la  personne  de  la  sainte  Vierge  est  illustre,  combien  digne  d'honneurs  extraor- 
dinaires, combien  elle  doit  être  privilégiée.  Toutefois  l'Église  n'a  pas  encore  osé 
décider  qu'elle  soit  exempte  du  péché  originel.  Plusieurs  grands  personnages  ont 
été  de  ce  sentiment;  l'Église  non  seulement  les  y  souffre,  mais  encore  elle  défend 
de  les  condamner.  Partant,  ô  fidèles,  partant  combien  grande,  combien  néces- 
saire, combien  véritable  est  la  corruption  de  notre  nature,  puisque  l'Église  hésite 


DE   LA  SAINTE  VIERGE. 


243 


sans  doute  la  plus  éminente.  O  misère,  ô  calamité  clans 
laquelle  nous  sommes  plongés!  ô  abîme  de  maux  infinis  ! 
Hélas!  petits  enfants  que  nous  étions,  sans  connaissance  et 
sans  mouvement,  nous  étions  déjà  révoltés  contre  Dieu. 
Nous  n'avions  pas  encore  vu  cette  belle  lumière  du  jour  : 
condamnés  par  la  nature  à  une  sombre  prison,  nous  étions 
encore  condamnés  par  arrêt  de  la  justice  divine  à  une  prison 
plus  noire,  à  de  plus  épaisses  ténèbres,  ténèbres  horribles  et 
infernales.  Justement,  certes,  justement  :  car  vos  jugements 
sont  très  justes,  ô  Dieu  éternel.  Roi  des  siècles,  souverain 
arbitre  de  l'univers  !  Eh,  qui  nous  a  tirés  de  cette  prison  ? 
qui  a  réconcilié  ces  rebelles  ?  qui  a  appelé  ces  enfants  de 
colère  à  l'adoption  des  enfants  de  Dieu  ?  Le  prophète  Jonas, 
du  ventre  de  ce  monstre  qui  l'avait  englouti,  éleva  au  ciel  la 
voix  de  son  cœur.  Avons-nous  point  crié  à  vous,  ô  Seigneur, 
des  cachots  de  cette  prison,  ou  du  creux  de  ce  sépulcre  où 
était  ensevelie  notre  enfance  ?  Mais  nous  n'y  avions  ni  parole 
ni  mouvement  :  seulement  la  voix  de  notre  péché  y  criait 
vengeance  ;  et  celle  de  notre  extrême  misère  criait  miséri- 
corde. Vous  avez  eu  pitié  de  nous  ,  vous  avez  daigné  nous 
conduire  à  la  fontaine  de  vie,  où  nous  avons  reçu  une  nou- 
velle naissance,  y  laissant  les  ordures  de  notre  première 
nativité.  Cette  fontaine  d'eau  vive,  fidèles,  est  ouverte  à  tous 
les  hommes,  je   ne  l'ignore  pas;  personne  n'en  est  exclu  : 

si  fort  h.  défendre  la  sainte  Vierge  !  O  misère,  ô  calamité  dans  laquelle  nous 
sommes  plongés!  o  abîme  de  maux  infinis  !  Petits  enfants  que  nous  étions,  sans 
connaissance  et  sans  mouvement,  nous  nous  étions  déjà  révoltés  contre  Dieu  ! 
Nous  n'avions  pas  encore  vu  cettebelle  lumière  du  jour;  condamnés  parla  nature 
à  une  sombre  prison,  nous  étions  encore  condamnés  par  arrêt  de  la  justice  divine 
à  une  prison  plus  noire,  à  de  plus  épaisses  ténèbres  :  des  ténèbres  horribles  et 
infernales.  Justement,  certes,  justement.  Car  vos  jugements  sont  justes,  6  Dieu 
éternel,  souverain  juge  de  l'univers.  Eh  !  qui  nous  a  tirés  de  cette  misère  ?  qui  a 
réconcilié  ces  rebelles  .''  qui  a  appelé  ces  enfants  d'ire  ;\  radt)ption  des  enfants  île 
Dieu  ?  Le  prophète  Jonas,  du  ventre  de  ce  monstre  qui  l'avait  englouti,  éleva 
la  voix  de  son  cœur.  Avons-nous  point  crié  h  vous,  ô  Seigneur,  des  carhots  de 
cette  prison,  ou  du  creux  de  ce  sépulcre,  où  était  ensevelie  notre  enfance.'*  Mais 
nous  n'y  avions  ni  parole  ni  sentiment  ;  nous  n'avions  aucune  sorte  de  voi.x  que 
celle  de  notre  péché  qui  criait  vengeance,  que  notre  extrême  misère  ([ui  criait 
miséricorde.  Vous  avez  eu  pitié  de  nous  :  vous  avez  ilaigné  nous  conduire  à  ce 
bain  d'immortalité,  oii  dépouillant  les  ordures  de  notre  première  nativité,  nous 
avons  reçu  une  nouvelle  naissance,  non  plus  de  la  volonté  de  l'homme  ni  lic  la 
volonté  de  la  chair,  mais  d'un  Esprit  pur  et  dune  eau  sancliliéc  par  ilcs  paroloi 


244  SUR  LA  CONCEPTION 


Dieu  prépare  à  tous  les  pécheurs  un  remède  dans  les  ondes 
du  saint  baptême.  Mais  combien  en  voyons-nous  tous  les 
jours  à  qui  une  mort  trop  précipitée  ravit  pour  jamais  ce 
bonheur  !  Et  nous  y  sommes  parvenus  !  Ou'avions-nous  fait 
à  Dieu  ?  Dans  une  même  masse  d'iniquité,  d'où  vient  cette 
différence  de  grâces  ?  Peut-être  devons-nous  ce  bienfait  aux 
mérites  de  nos  parents  ?  Mais  combien  de  parents  vertueux, 
je  le  dis  avec  douleur,  combien  de  parents  vertueux  n'ont 
pas  obtenu  cette  miséricorde!  Dirons-nous  que  l'ordre  des 
causes  naturelles  nous  a  été  plus  favorable  qu'aux  autres  ? 
O  ignorance,  ô  stupidité  !  Et  comment  ne  regarderiez-vous 
pas  la  main  puissante  qui  remue  ces  causes  comme  il  lui 
plaît?  Serait-ce  pas  un  étrange  aveuglement,  si  nous  aimions 
mieux  devoir  notre  salut  à  une  rencontre  fortuite  des 
causes  créées,  qu'au  dessein  prémédité  de  la  miséricorde 
divine  ? 

Je  frémis,  chrétiens,  je  l'avoue,  dans  cette  discussion.  Je 
ne  sais  que  dire,  je  n'ai  point  de  raisons  à  vous  alléguer. 
Seulement  suis-je  très  assuré  que,  quelle  que  puisse  être 
la  cause  d'une  si  étonnante  diversité,  il  est  impossible  qu'elle 
ne  soit  juste.  Cherche  qui  voudra  des  raisons,  travaille  qui 
voudra  à  découvrir  les  causes  de  ces  secrets  jugements: 
pour  moi,  je  ne  reconnais  point  d'autre  cause  de  mon  bon- 
heur que  la  pure  bonté  de  mon  Dieu.  Je  chanterai  à  jamais 

de  vie.  Je  sais  que  cette  fontaine  d'eau  vive  est  ouverte  à  tous  les  hommes, 
auxquels  il  vous  a  plu  de  préparer  un  remède  dans  les  ondes  du  saint  baptême. 
Mais  combien  y  en  a-t-il  à  qui  une  mort  trop  précipitée  ravit  ce  bonheur  ?  Et 
nous  y  sommes  parvenus  !  D'où  vient  cette  différence?  Ce  n'est  pas  de  notre 
mérite;  nous  étions  tous  dans  la  même  masse  d'iniquité.  Est-ce  par  le  mérite  de 
nos  parents  1  Mais  combien  de  parents  vertueux  n'ont  pas  obtenu  cette  grâce  ? 
Dirai-je  peut-être  que  l'ordre  des  causes  naturelles  m'a  été  plus  favorable  qu'aux 
autres  '^  O  ignorance  !  ô  stupidité  !  Et  comment  ne  regardez-vous  pas  la  main 
puissante  qui  remue  ces  causes  comme  il  lui  plaît  1  Ne  savez-vous  pas  qu'elles 
sont  dirigées  par  une  souveraine  raison.^  Que  dirai-je  doncPoù  me  tournerai-je .? 
Frères  bien-aimés,  je  l'avoue,  je  frémis  dans  cette  discussion.  Je  ne  sais  que 
dire,  je  n'ai  point  de  raisons  à  vous  alléguer.  Seulement  je  suis  très  assuré  que 
quelle  que  puisse  être  la  cause  d'une  si  étonnante  diversité,  il  est  impossible 
qu'elle  ne  soit  juste.  Mais  à  quoi  bon  chercher  des  causes  que  la  Providence 
divine  nous  a  cachées  ?  N'est-ce  pas  assez  que  nous  connaissions  que  si  nous 
sommes  parvenus  à  la  grâce  du  saint  baptême,  nous  ne  le  devons  qu'à  la  pure 
bonté  de  Dieu?  Cherche  qui  voudra  des  raisons,  médite  qui  voudra  dans  la 
recherche  des  causes  de  ses  secrets  jugements  ;  pour  moi,  je  n'en  reconnais 


DE  LA  SAINTE  VIERGE.  245 


ses  miséricordes;  tant  que  je  vivrai,  je  bénirai  le  nom  du 
Seigneur.  C'est  tout  ce  que  je  sais  ;  c'est  tout  ce  que  je 
désire  connaître.  Ceux  qui  en  veulent  savoir  davantage, 
qu'ils  s'adressent  à  des  personnes  plus  doctes  ;  mais  qu'ils 
prennent  bien  garde  que  ce  ne  soient  des  présomptueux: 
Cui  responsio  (')  ista  displicet,  quœrat  doctiores;  sed  c avait  ne 
inveniat  prœsumptores  ('"). 

Mais  peut-être  que  le  péché  originel  étant  guéri  par  le 
saint  baptême,  il  ne  nous  en  demeure  aucun  reste  ;  et  ainsi 
nous  pouvons  vivre  dans  une  entière  assurance.  Ne  le 
croyez  pas,  chrétiens,  ne  le  croyez  pas.  La  grâce  du  saint 
baptême  nous  a  retirés  de  la  mort  éternelle,  mais  nous  sommes 
encore  abattus  de  mortelles  et  pernicieuses  langueurs.  Ainsi 
a-t-il  plu  à  mon  Dieu  de  guérir  toutes  mes  blessures  les 
unes  après  les  autres,  afin  de  me  faire  mieux  sentir  la  misère 
dont  il  me  délivre,  et  la  grâce  par  laquelle  il  me  sauve.  Mes 
frères  bien-aimés,  écoutez  le  narré  de  ma  [p.  15]  maladie  ; 
vous  trouverez  sans  doute  que  vous  avez  à  peu  près  les 
mêmes  infirmités.  C'est  la  maladie  de  la  nature  ;  nous  en 
ressentons  tous  les  effets,  qui  plus,  qui  moins,  selon  que  nous 
suivons  plus  ou  moins  les  mouvements  de  l'Esprit  de  Dieu. 
Misérable  homme  que  je  suis  !  où  trouverai-je  des  paroles 
assez  énergiques  pour  décrire  l'extrémité  de  mes  maux  ? 
Blessé  dans  toutes  les  facultés  de  mon  âme,  épuisé  de 
forces  par  de  si  profondes  blessures,  je  ne  fais  que  de  vains 
efforts.  Ai-je  jamais  pris  une  généreuse  résolution,  que  l'effet 

a.  S.  Aug,,  de  Spir.  et  litt.^  n.  60.  • 

point  d'autre  que  la  miséricorde  divine.  Grâces  vous  soient  rendues,  ô  Seigneur! 
que  vos  miséricordes  soient  élevées  es  siècles  des  siècles!  C'est  tout  ce  que  je 
sais,  c'est  tout  ce  que  je  désire.  Ceux  qui  en  veulent  savoir  davantage,  ((u'ils 
s'adressent  à  des  personnes  plus  savantes  ;  cependant  qu'ils  prennent  garde  île 
ne  pas  rencontrer  des  présomptueux  ! 

Mais  peut-être  que  le  péché  originel  étant  guéri  par  le  saint  baptême,  il  ne 
nous  en  demeure  aucun  reste,  et  ainsi  nous  pouvons  passer  le  reste  dans  une 
entière  assurance.  Ne  le  croyez  pas,  chrétiens,  ne  le  croyez  pas.  La  grâce  du 
saint  baptême  nous  a  retirés  de  la  mort  éternelle  ;  mais  nous  sommes  encore 
abattus  de  mortelles  langueurs.  Misérable  homme  que  je  suis,  où  irouvcrai-je 
des  paroles  assez  énergiques  pour  décrire  l'extrémité  de  mes  maux?  Hlessé  dans 
les  facultés  de  mon  âme,  épuisé  de  forces  par  de  si  profondes  blessures,  je  ne 
fais  que  de  vains  efforts.  Ai-je  jamais   pris  une  généreuse  résolution  que  l'ertel 

I.   Le  ms.  indicjue  vaguement  ce  texte:    (2uicrani  doctiores^   etc.  (su). 


246  SUR  LA  CONCEPTION 

n'ait  démentie  bientôt  ?  ai-je  jamais  eu  une  bonne  pensée, 
qui  n'ait  été  contrariée  par  quelque  mauvais  désir  ?  ai-je  ja- 
mais commencé  une  action  vertueuse,  où  le  péché  ne  se  soit 
jeté  à  la  traverse  ?  Il  s'y  mêle  presque  toujours  certaines 
complaisances  qui  viennent  de  l'amour-propre,  et  tant  d'au- 
tres péchés  inconnus  qui  se  cachent  dans  les  replis  de  ma 
conscience,  qui  est  un  abîme  sans  fond,  impénétrable  à  moi- 
même.  Il  est  vrai,  je  sens,  à  mon  avis,  quelque  chose  en 
moi-même  qui  voudrait  s'élever  à  Dieu  :  mais  je  sens  aus- 
sitôt comme  un  poids  de  cupidités  opposées  qui  m'entraînent 
et  me  captivent  ;  et  si  je  ne  suis  secouru,  cette  partie  im- 
puissante, qui  semblait  vouloir  se  porter  au  bien,  ne  peut 
rien  faire  pour  ma  délivrance;  elle  écrit  seulement  ma  con- 
damnation. Quand  j'entends  quelquefois  discourir  des  mys- 
tères du  royaume  de  Dieu,  je  sens  mon  âme  comme  échauffée, 
je  ne  conçois  que  de  grands  desseins,  il  me  semble  que  je 
ferai  de  grandes  merveilles.  Faut-il  faire  le  premier  pas 
de  l'exécution,  le  moindre  souffle  du  diable  éteint  cette 
flamme  errante  et  volage  qui  ne  prend  pas  à  sa  matière, 
mais  qui  court  légèrement  par  dessus.  Quoi  plus  ?  Je  suis 
malade  à  l'extrémité,  et  ne  sens  point  de  mal.  Réduit  aux 
abois,  je  veux  faire  comme  si  j'étais  en  bonne  santé.  Je  ne 
sais  pas  même  déplorer  ma  misère,  ni  implorer  le  secours 
du  Libérateur  ;  faible  et  altier  tout  ensemble,  impuissant  et 
présomptueux.  J'ai  voulu  autrefois  entreprendre  ma  guérison 

n'ait  bientôt  démentie  ?  Ai-je  jamais  eu  une  bonne  pensée  qui  n'ait  été  contra- 
riée par  quelque  mauvais  (Jjésir?  Ai-je  jamais  commencé  une  action  vertueuse  où 
le  péché  ne  se  soit  jeté  à  la  traverse  ?  Il  s'y  mêle  presque  toujours  certaines  com- 
plaisances qui  viennent  de  l'amour-propre,  et  tant  d'autres  péchés  inconnus,  qui 
se  cachent  dans  les  replis  de  ma  conscience,  qui  est  un  abîme  sans  fond,  où  moi- 
même  je  ne  vois  rien.  Il  est  vrai,  je  sens,  à  mon  avis,  quelque  chose  en  moi-même 
qui  voudrait  se  porter  au  bien  ;  mais  je  sens  aussi  comme  un  poids  de  cupidités 
opposées  qui  m'entraînent  et  me  captivent  ;  et  cette  partie  impuissante,  qui 
voudrait,  ce  semble,  se  porter  au  bien,  ne  peut  rien  faire  pour  ma  délivrance, 
elle  écrit  seulement  ma  condamnation.  Quand  j'entends  discourir  quelquefois  des 
mystères  du  royaume  de  Dieu,  je  sens  mon  âme  échauffée,  il  me  semble  que 
je  ferai  merveilles,  je  ne  me  propose  que  de  j^rands  desseins  :  et  le  moindre 
souffle  du  diable  éteint  cette  flamme  errante  et  volage,  qui  ne  prend  pas  en 
sa  matière,  mais  qui  court  légèrement  par  dessus.  Quoi  plus  ?  Je  suis  malade 
et  ne  sens  point  de  mal  [Lâchât :  je  suis  malade  à  un  tel  point  de  mal). 
Réduit  aux  abois,  je  fais  comme  si  j'étais  en  bonne  santé.  Je  ne  sais  pas 
même  déplorer  ma  misère,  ni  implorer  le  secours  du  Libérateur  faible  et  altier 


DE  LA  SAINTE  VIERGE.  247 

de  moi-même  :  j'ai  fait  quelques  efforts  pour  me  relever  ; 
efforts  inutiles,  qui  m'ont  rompu  et  ne  m'ont  pas  soulagé. 
Comme  un  pauvre  malade  moribond,  qui  ne  sait  plus  que 
faire,  s'imagine  qu'en  se  levant  il  sera  peut-être  allégé  ;  il 
consume  son  peu  de  forces  par  un  vain  travail  qu'il  ne  peut 
supporter  :  après  s'être  beaucoup  tourmenté  à  traîner  ses 
membres  appesantis  avec  une  extrême  contention,  il  retombe, 
ainsi  qu'une  pierre,  sans  pouls  et  sans  mouvement,  plus 
faible  et  plus  impuissant  que  jamais  :  de  vulnere  in  vubius, 
dit  saint  Augustin  :  ainsi  en  est-il  de  ma  volonté,  si  elle  n'est 
soutenue  par  une  main  plus  puissante.  Infelix  ego  Jiomo(^)\ 
Vrai  Dieu,  où  pourrai-je  trouver  du  secours  ? 

La  philosophie  me  montre  de  loin,  dans  de  belles  boîtes 
qu'elle  étale  avec  grande  pompe  parmi  tous  les  ornements 
de  la  rhétorique,  le  baume  falsifié  de  ses  belles  mais  trom- 
peuses maximes.  La  Loi  retentit  à  mes  oreilles  d'un  ton 
puissant  et  impérieux.  Les  prédicateurs  de  l'Évangile  m'an- 
noncent les  paroles  de  vie  éternelle.  Que  me  profite  tout 
cet  appareil  ?  Les  philosophes  charlatans,  semblables  à 
ces  dangereux  empiriques,  charment  et  endorment  le  mal 
pour  un  temps,  et,  pendant  cette  fausse  tranquillité  inspirent 
un  secret  venin  dans  la  plaie.  Ils  me  font  la  vertu  si  belle  et 
si  aisée,  ils  la  dorent  de  telle  sorte  par  leurs  artificieuses 
inventions,  que  je  m'imagine  souvent  que  je  puis  être  ver- 
tueux de  moi-même,  au  lieu  de  me  montrer  ma  servitude 
et  mon  impuissance.  Ah  !  superbe  philosophie,  n'est-ce  pas 
assez  que  je  sois  faible,  sans  me  rendre  encore  de  plus  en 
plus  orgueilleux  ?  Pour  la  Loi,  quoique  très  juste  et  très 
sainte,  c'est  en  vain  qu'elle  me  montre  le  mal,  puisque  je  n'y 
trouve  pas  l'unique  préservatif  que  je  cherche.  Elle  ne  fait 
que  m'étourdir,  si  je  n'ai  l'esprit  de  la  grâce. 

a.  Ro?n.y  VII,  24. 
tout  ensemble,  impuissant  et  présomptueux.  J'ai  voulu  autrefois  me  ijucrir 
moi-même;  j'ai  fait  quelques  efforts  pour  me  relever;  eff"orts  inutiles,  qui 
m'ont  rom])u  et  ne  m'ont  ])as  soulage.  Comme  un  malade  ([ui  ne  sait  que 
faire,  s'imagine  qu'en  se  levant  il  sera  peut-être  allégé  ;  il  consume  ses  forces  jiar 
un  vain  travail  que  sa  faiblesse  ne  peut  plus  souffrir  :  après  ipi'il  s'est  beaucoup 
tourmenté  à  soutenir  ses  membres  pesants  avec  une  contention  incroyable, 
il  retombe  ainsi  qu'une  pierre,  i)lus  faible  et  plus  impuissant  que  jamais.  Ainsi 
en  est-il  de  ma  volonté,  si  elle  n'est  soulciuic  par  wwc  main  plus  jiuissanlc... 


248  SUR  LA  CONCKPTION  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


Et  mi  vois-je  pas  par  expérience  que  je  m'opiniâtre  contre 
les  commandements?  Lorsqu'on  me  défend,  on  me  pousse. 
Il  ne  faut  que  me  défendre  une  chose,  pour  m'en  faire  naître 
l'envie  ;  me  commander,  c'est  me  retenir.  Mon  âme  est  re- 
muante, inquiète,  indocile  et  incapable  de  discipline.  Plus 
on  la  presse  par  des  préceptes,  plus  elle  se  raidit  au  contraire. 
Enfin  tout  ce  que  je  lis,  tout  ce  que  j'écoute,  les  prédications, 
les  enseignements,  les  corrections  les  plus  charitables,  ce 
sont  des  remèdes  externes  qui  ne  coupent  pas  la  racine  du 
mal.  J'ai  besoin  que  l'on  touche  au  cœur,  où  est  la  source 
de  la  maladie.  Et  où  pourrai-je  trouver  un  médecin  assez 
industrieux  pour  manier  dextrernent  une  partie  et  si  malade 
et  si  délicate  ? 

Sauveur  Jésus,  vous  êtes  le  libérateur  que  je  cherche. 
Vrai  médecin  charitable,  qui,  sans  être  appelé  de  personne, 
avez  voulu  descendre  du  ciel  en  la  terre,  et  avez  entrepris 
un  si  grand  voyage  pour  venir  visiter  vos  malades,  je  me 
mets  entre  vos  mains.  Faites-moi  prendre  aujourd'hui  une 
bonne  résolution  d'avoir  toute  ma  confiance  en  vous  seul, 
d'implorer  votre  secours  avec  zèle,  de  souffrir  patiemment 
vos  remèdes.  Si  vous  ne  me  guérissez,  ô  Sauveur,  ma 
santé  est  désespérée  :  Sana  me,  Domine,  et  sanabor  (^\ 
Tous  les  autres  à  qui  je  m'adresse  ne  font  que  couvrir  le 
mal  pour  un  temps  ;  vous  seul  en  coupez  la  racine,  vous 
seul  me  donnez  une  guérison  éternelle.  Vous  êtes  mon 
salut  et  ma  vie,  vous  êtes  ma  consolation  et  ma  gloire  ;  vous 
êtes  mon  espérance  en  ce  monde,  et  vous  serez  ma  couronne 
en  l'autre. 


a.Jer.,  xvn,  14. 


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% 

^ 


PREMIER  SERMON   pour   la  FETE 


DE  LA  CIRCONCISION 


Prêché  à  Metz,  en  la  cathédrale,  le  I"  janvier  1653. 


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^ 

^ 
^ 
^ 


Le  manuscrit  de  ce  sermon  est  rentré  à  la  Bibliothèque  nationale, 
en  février  1888  ;  c'est  un  des  166  articles  rapportés  de  chez  lord 
Ashburnham  (255  volumes,  portefeuilles, ou  liasses).  Il  faisait  partie 
des  manuscrits  soustraits  jadis  par  Libri. 

L'orthographe  extrêmement  archaïque  ne  nous  permet  pas  d'en 
reculer  la  date  jusqu'au  i^^  janvier  1654, comme  le  voulait  M.  Floquct. 
(Voy.  le  Tableau  or'tJiograpJiiqiie,  à  la  fin  de  l'Introduction.)  Les 
trahisons,  comme  celle  à  laquelle  il  est  fait  allusion  dans  ce  sermon, 
ne  manquaient  pas  dès  l'année  précédente.  M.  Floquct  lui-même  l'a 
remarqué  {Eùides..,  I,  258). 

Sommaire  {^)  :  Anges:  double  inclination:  1°  à  Dieu,  2*^  entre  eux. 
De  même  des  hommes  (p.  1,2).  —  De  l'une  est  née  la  religion,  de 
l'autre  la  société.  Gouvernement  dans  l'une  et  dans  l'autre  :  de  là, 
le  sacerdoce  et  la  royauté  (p.  2).  —  Royauté  et  sacerdoce  de 
Jésus-Christ.  Ce  roi  est'  installé,  ce  pontife  est  consacré  par  son 
sang  (p.  3).  [Exorde^ 

'  Royauté  de  JÉSUS  (p.  9).  —  Acclamation  au  libérateur  (p.  9,  10). 
—  Beauté  de  jÉSUS-ClIRIST  et  de  ses  blessures,  saint  Augustin 
(p.  II,  12).  —  Triomphe  de  JéSUS-Christ  (p.  14,  15,  16)  :  Chris  fi  110- 
mcmibiqtie  porrigitiir.  (Ad vers.  Jud.x'os)  (p.  15).  [/'"'■  poiiit?[ 

Enfer  (p.  21).  —  Serment  de  fidélité  au  roi  Jésus  (p.  21,  22).  — 
[2"^  point  et  péroraison^ 


Vocabis  tiomen  ejiis  Jrsr.M  :  ipse 
enim  salvum  faciet  populum . . . 

Vous   ap|)cllerez  son   nom  Jksus: 

car  c'est   lui  ciui   sauvera  le  peuple. 

{Afa///i.,  I,  21.) 

AUJOURD'HUI  ()  le  Dieu  d'Lsraël.  qui  est  venu 
visiter  son  peuple,  revêtu  d'une  chair  humaine,  fait  sa 
première  entrée  en  son  temple  ;  aujourd'hui  le  orand  prctre 
du  Nouveau   Testament,    le  souverain    sacrificateur   selon 


1.  Inédit. 

2.  Au  bas  de  la  p.  22,  apr^s  la  jx'roraison  (in-4").  Le  reste  du  ins.  in-f',   sans 
marge.  Pagine  à  l'époque  des  sommaires  (1662}. 


250  POUR  LA  CIRCONCISION 


l'ordre  de  Melchisédech,  se  met  entre  les  mains  des  pontifes 
successeurs  d'Aaron,  qui  portait  la  figure  de  son  sacerdoce  ; 
aujourd'hui  le  Dieu  de  Moïse  se  soumet  volontairement  à 
toute  la  loi  de  Moïse  ;  aujourd'hui  l'Ineffable,  dont  le  nom 
est  incompréhensible,  daigne  recevoir  un  nom  humain,  qui 
lui  est  donné  par  la  bouche  des  hommes,  mais  par  l'instiga- 
tion de  l'Esprit  de  Dieu.  Que  dirai-je  ?  où  me  tournerai-je, 
environné  de  tant  de  mystères?  Parlerai-je  de  la  circoncision 
du  Sauveur,  ou  bien  de  l'imposition  du  nom  de  Jésus  ;  de 
cet  aimable  nom,  les  délices  du  ciel  et  de  la  terre,  notre 
unique  consolation  durant  le  pèlerinage  de  cette  vie  ?  Et  la 
solennité  de  cette  église,  et  je  ne  sais  quel  mouvement  de 
mon  cœur  m'incite  à  parler  du  nom  de  Jésus,  et  à  vous  en 
faire  voir  l'excellence,  autant  qu'il  plaira  à  Dieu  de  me  l'in- 
spirer par  sa  grâce. 

Jésus,  c'est-à-dire  Sauveur,  ô  nom  de  douceur  et  de 
charité  !  «  Mon  âme,  bénissez  le  Seigneur,  et  que  tout  ce  qui 
est  en  moi-même  rende  les  louanges  à  son  saint  nom  :  » 
Bcnedic,  anima  mea,  Domino  (^\  Parlons  du  nom  de  Jésus, 
découvrons-en  le  mystère,  faisons  voir  l'excellence  de  la 
qualité  de  Sauveur,  et  combien  il  est  glorieux  à  notre  grand 
Dieu  et  Rédempteur  Jésus-Christ,  d'avoir  exercé  sur  nous 
une  si  grande  miséricorde,  et  de  nous  avoir  sauvés  par  son 
sang.  Que  tout  ce  temple  retentisse  du  nom  et  des  louanges 
du  Sauveur  Jésus.  Ah  !  si  nous  avions  les  yeux  assez  purs, 
nous  verrions  toute  cette  église  remplie  d'anges  de  toutes 
parts  pour  y  honorer  la  présence  du  Fils  de  Dieu;  nous  les 
verrions  s'abaisser  profondément  au  nom  de  Jésus,  toutes  les 
fois  que  nous  le  prononcerons  dans  la  suite  de  ce  discours. 
Abaissons-nous  aussi  en  esprit  ;  et  adorant  en  nos  cœurs 
notre  aimable  Sauveur  Jésus,  prions  aussi  la  sainte  Vierge, 
sa  Mère,  de  nous  le  rendre  propice  par  ses  pieuses  interces- 
sions. Ave,  etc. 

[P.  i]  Comme  nous  avons  quelques  inclinations  qui  nous 
sont  communes  avec  les  animaux,  et  qui  ressentent  tout  à 
fait  la  bassesse  de  cette  demeure  terrestre  dans  laquelle  nous 

a.  Ps.,  cil,  I. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR.  25  I 

sommes  captifs,  aussi  certes  en  avons-nous  d'autres  d'une 
nature  plus  relevée,  par  lesquelles  nous  touchons  de  bien 
près  aux  intelligences  célestes  qui  sont  devant  le  trône  de 
Dieu,  chantant  nuit  et  jour  ses  louanges.  Les  bienheureux 
esprits  ont  deux  merveilleux  mouvements  :  car  ils  n'ont  pas 
plutôt  jeté  les  premiers  regards  sur  eux-mêmes,  que,  recon- 
naissant aussitôt  que  leurs  lumières  sont  découlées  d'une 
autre  lumière  infinie,  ils  retournent  à  leur  principe  d'une 
promptitude  incroyable,  et  cherchent  leur  perfection  où  ils 
trouvent  leur  origine.  C'est  le  premier  de  leurs  mouvements. 
Puis  chaque  ange  considérant  que  Dieu  lui  donne  des  com- 
pagnons, qui,  dans  une  même  vie  et  dans  une  même  immor- 
talité, conspirent  au  même  dessein  de  louer  leur  commun 
Seigneur,  il  se  sent  pressé  d'un  certain  désir  d'entrer  en 
société  avec  eux.  Tous  sont  touchés  les  uns  pour  les  autres 
d'une  puissante  inclination  ;  et  c'est  cette  inclination  qui 
met  l'ordre  dans  leurs  hiérarchies,  et  établit  entre  leurs 
légions  une  sainte  et  éternelle  alliance. 

Or,  encore  qu'il  soit  vrai  que  notre  âme,  éloignée  de  son 
air  natal,  contrainte  et  presque  accablée  par  la  pesanteur  de 
ce  corps  mortel,  ne  fasse  paraître  qu'à  demi  cette  noble  et 
immortelle  vigueur  dont  elle  devrait  être  toujours  agitée,  si 
est-ce  néanmoins  que  nous  sommes  d'une  race  divine,  ainsi 
que  l'apôtre  saint  Paul  l'a  prêché  avec  une  merveilleuse 
énergie  en  plein  conseil  de  l'Aréopage:  Ipshcs  enivi  et  chenus 
sumus  ('').  Il  a  plu  à  notre  grand  Dieu,  qui  nous  a  formés  à 
sa  ressemblance,  de  laisser  tomber  sur  nos  âmes  une  étincelle 
de  ce  feu  céleste  qui  brille  dans  les  esprits  angéliques  ;  et  si 
peu  que  nous  puissions  faire  de  réflexion  sur  nous-mêmes, 
nous  y  remarquerons  aisément  ces  deux  belles  inclinations 
que  nous  admirions  tout  à  l'heure  dans  la  nature  des 
anges. 

En  effet,  ne  voyons-nous  pas  que  sitôt  que  nous  sommes 
parvenus  à  l'usage  de  la  raison,  je  ne  sais  quelle  insj^ira- 
tion,  dont  nous  ne  connaissons  pas  l'origine,  ncnis  aj^prcnd 
à  réclamer  Dieu  dans  toutes  kîs  nécessités  de  la  \  i»   ^  Pans 

a.  Aci.^  xvn,  28. 


252  rOUR  LA  CIRCONCISION 


toutes  nos  afilictions,  dans  tous  nos  besoins,  un  secret  instinct 
élève  nos  yeux  au  ciel,  comme  si  nous  sentions  en  nous- 
mêmes  que  c'est  là  que  réside  l'arbitre  des  choses  humaines. 
Et  ce  sentiment  se  remarque  dans  tous  les  peuples  du  monde 
dans  lesquels  il  est  resté  quelques  [p.  2]  traces  d'humanité, 
à  cause  qu'il  n'est  pas  tant  étudié  qu'il  est  naturel,  et  qu'il 
naît  en  nos  âmes,  non  tant  par  doctrine  que  par  instinct. 
C'est  une  adoration  que  les  païens  mêmes  rendent,  sans  y 
penser,  au  vrai  Dieu  ;  c'est  le  christianisme  de  la  nature,  ou, 
comme  l'appelle  Tertullien,  «  le  témoignage  de  l'âme 
naturellement  chrétienne,  »  testimonizim  anhnœ  naturaliter 
christianœ  (^).  Voilà  déjà  le  premier  mouvement  que  notre 
nature  a  de  commun  avec  la  nature  angélique. 

D'ailleurs  il  paraît  manifestement  que  le  plaisir  de 
l'homme,  c'est  l'homme.  De  là  cette  douceur  sensible  que 
nous  trouvons  dans  une  honnête  conversation.  De  là  cette 
familière  communication  des  esprits  par  le  commerce  de  la 
parole.  De  là  la  correspondance  des  lettres  (')  ;  de  là,  pour 
passer  plus  avant,  les  Etats  et  les  républiques.  Telles  sont 
les  deux  premières  inclinations  de  tout  ce  qui  est  capable 
d'entendre  et  de  raisonner.  L'une  nous  élève  à  Dieu,  l'autre 
nous  lie  d'amitié  avec  nos  semblables.  De  l'une  est  née  la 
religion,  et  de  l'autre  la  société.  Mais  d'autant  que  les  choses 
humaines  vont  naturellement  au  désordre,  si  elles  ne  sont 
retenues  par  la  discipline,  il  a  été  nécessaire  d'établir  une 
forme  de  gouvernement  dans  les  choses  saintes  et  dans  les 
profanes  ;  sans  quoi  la  religion  tomberait  bientôt  en  ruine, 
et  la  société,  dégénérerait  en  confusion.  Et  c'est  ce  qui   a 

a.  A  polo  g.  ^xi.  17. 

I.  Sur  la  feuille  qui  a  servi  à  l'auteur  pour  écrire  son  avant-propos,  après  tout 
le  discours,  se  lit  précisément  le  début  d'une  lettre,  malheureusement  inachevée. 
Nous  ne  possédons  rien  de  si  ancien  dans  toute  la  volumineuse  correspon- 
dance de  Bossuet.  Voici  ce  curieux  fragment,  avec  son  orthographe,  qui  est, 
ainsi  que  l'écriture,  celle  du  sermon  lui-même: 

«  Monsietir.  Jay  7'eceii  trois  de  uos  lettres  en  même  ioiir  quifust  Jeudi  dernier, 
ie  ueux  bie?i  croire  que  uous  ?ie  les  auez  pas  écrites  ensamble  pour  faire 
Parade  de  uôtre  dilioence.  elles  sont  ne'anynoins  toutes  trois  de  même  date^ 
c'est  a  dire  des  calandes  grecques,  cela  soit  dit  entre  nous  autres  doctes,  après 
cela  ie  panse  que  ie  n'ay  point  d^exctise  a  uous  faire ^  et  que  si  uotcs  auez  a 
quereller  quelqu7i  uous  uous  en  prandrez  aux  couriers  ou  phitost  aux  armées 
qîii  sont  sur  leur  route. . .  » 


DE  NOTRE-SEIGNEUR. 


253 


introduit  dans  le  monde  les  deux  seules  autorités  légitimes, 
celle  des  princes  et  des  magistrats,  celle  des  prêtres  et  des 
pontifes.  De  là,  la  puissance  royale  ;  de  là,  l'ordre  sacer- 
dotal. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  vous  expliquer,  ni  laquelle  de 
ces  deux  puissances  a  l'avantage  sur  l'autre,  ni  comme  elles 
se  prêtent  entre  elles  une  mutuelle  assistance.  Seulement  je 
vous  prie  de  considérer  qu'étant  dérivées  l'une  et  l'autre  des 
deux  inclinations  qui  ont  pris  dans  le  cœur  de  l'homme  de 
plus  profondes  racines,  elles  ont  acquis  justement  une  grande 
vénération  parmi  tous  les  peuples,  elles  sont  toutes  deux 
sacrées  et  inviolables.  C'est  pourquoi  les  empereurs  romains, 
les  maîtres  de  la  terre  et  des  mers,  ont  cru  qu'ils  apporteraient 
un  grand  accroissement  à  leur  dignité,  s'ils  ajoutaient  la 
qualité  de  souverains  pontifes  à  ces  noms  magnifiques 
d'Augustes,  de  Césars,  de  Triomphateurs  ;  ne  doutant  pas 
que  les  peuples  ne  se  soumissent  plus  volontiers  à  leurs 
ordonnances,  quand  ils  considéreraient  les  princes  comme 
ministres  des  choses  sacrées.  Sur  quoi,  quand  je  regarde  ce 
titre  de  religion  attaché  à  ces  noms  odieux  de  Néron,  de 
Caligub,  ces  monstres  du  genre  humain,  l'horreur  et  l'exé- 
cration de  tous  les  siècles,  je  ne  puis  m'empêcher  de  faire 
cette  [p.  3]  réflexion,  que  les  dieux  de  pierre  et  de  bronze, 
les  dieux  adultères  et  parricides  que  l'aveugle  antiquité 
adorait,  étaient  dignes  certainement  d'être  servis  par  de  tels 
pontifes. 

Élevez-vous  donc,  ô  roi  du  vrai  peuple,  ô  pontife  du  vrai 
Dieu.  La  royauté  de  ces  empereurs  n'était  autre  chose 
qu'une  tyrannie,  et  leur  sacerdoce  profane  un  continuel 
sacrilège.  Venez  exercer  votre  royauté  par  la  profusion  de 
vos  grâces,  et  votre  sacerdoce  par  l'expiation  de  nos  crimes. 
Je  pense  que  vous  entendez  bien  que  c'est  du  Sauveur  que 
je  parle.  C'est  lui,  c'est  lui  seul,  chrétiens,  c'est  lui  qui,  étant 
le  vrai  Christ,  c'est-à-dire  l'oint  du  Seigneur.  iiNcfus,  as- 
semble en  sa  personne  la  royauté  et  le  sacerdoce  par  l'ex- 
cellence de  son  onction,  qui  enfermer  l'une  (,'t  l'autre  puis- 
sance. Et  c'est  pour  cette  raison  que  l'admirable  Mclchisé- 
dech   est    tout   ensemble   et   roi    c:t    [)()iui(('  :   mais   <i  roi    de 


2  54  POUR  LA  CIRCONCISION 


justice  et  de  paix,  »  rcx  jtistitiœ,  rex  pacis  (''),  comme  l'in- 
terprète l'Apôtre  dans  la  divine  Épître  aux  Hébreux  ;  mais 
le  «  pontife  du  Dieu  très  haut,  »  sacerdos  Dei  altissimi  {^), 
comme  porte  le  texte  de  la  Genèse.  Et  d'où  vient  cela, 
chrétiens  ?  N'était-ce  pas  pour  représenter  celui  qui,  dans  la 
plénitude  des  temps,  devait  être  le  vrai  roi  de  paix  et  le 
grand  sacrificateur  du  Dieu  tout-puissant,  c'est-à-dire  le 
Sauveur  Jésus,  dont  Melchisédech  était  la  figure  ? 

C'est  de  ce  glorieux  assemblage  de  la  royauté  et  du  sa- 
cerdoce en  la  personne  du  Fils  de  Dieu,  que  j'espère  vous 
entretenir  aujourd'hui.  Car,  ayant  considéré  attentivement 
la  signification  du  nom  de  Jésus  que  l'on  donne  en  ce 
jour  à  mon  Maître,  je  trouve  dans  ce  nom  auguste  sa 
royauté  et  son  sacerdoce:  Jésus,  c'est-à-dire  Sauveur;  et 
je  dis  que  le  Fils  de  Dieu  est  roi,  parce  qu'il  est  Sauveur; 
je  dis  qu'il  est  pontife,  parce  qu'il  est  Sauveur.  Je  vois 
déjà,  ce  me  semble,  que  ces  deux  vérités  excellentes  m'ou- 
vrent une  belle  carrière.  Mais  je  médite  quelque  chose  de 
plus.  Il  est  le  roi  Sauveur,  il  est  le  pontife  Sauveur.  Com- 
ment est-il  Sauveur }  Par  son  sang.  C'est  pourquoi  en  cette 
bienheureuse  journée,  où  il  reçoit  le  nom  de  Jésus  et  la 
qualité  de  Sauveur,  il  commence  à  répandre  son  sang  par 
sa  mystérieuse  circoncision,  pour  témoigner  que  c'est  par 
son  sang  qu'il  est  le  Sauveur  de  nos  âmes.  O  belles  et  ado- 
rables vérités!  pourrai-je  bien  aujourd'hui  vous  faire  entendre 
à  ce  peuple  } 

Vous  qui  vous  êtes  scandalisés  autrefois  de  voir  couler  le 
sang  de  mon  Maître,  vous  qui  avez  cru  que  sa  mort  violente 
était  une  marque  de  son  impuissance,  ah!  que  vous  entendez 
peu  ses  mystères  !  La  croix  de  mon  roi,  c'est  son  trône  ;  la 
croix  de  mon  pontife,  c'est  son  autel.  Cette  chair  déchirée, 
c'est  la  force  et  la  vertu  de  mon  roi  ;  cette  même  chair  dé- 
chirée, c'est  la  victime  de  mon  pontife.  Le  sang  de  mon 
roi,  c'est  sa  pourpre  ;  le  sang  de  mon  pontife,  c'est  sa  consé- 
cration. Mon  roi  est  installé,  mon  pontife  est  consacré  par 
son  sang  ;  et  c'est  par  ce  moyen  qu'il  est  le  véritable  Jésus, 
l'unique  Sauveur  des  hommes.  O  roi  et  Sauveur,  et  souve- 

a.  Hebr.^  vu,  ?.  —  b.  Gen.^  xiv,   i8.  —  Ms.  cxcelsi. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR. 


255 


rain  pasteur  de  nos  [p.  4]  âmes,  versez  une  goutte  de  ce 
sang  précieux  sur  mon  cœur,  afin  de  l'embraser  de  vos 
flammes  ;  une  goutte  sur  mes  lèvres,  afin  qu'elles  soient 
pures  et  saintes,  ces  lèvres  qui  doivent  aujourd'hui  pro- 
noncer si  souvent  votre  nom  adorable  :  ainsi  soit-il,  mes 
frères!  Je  commence  à  parler  de  la  royauté  de  mon  Maître  : 
disons  avec  courage,  écoutons  avec  attention.  Il  s'agit  de 
glorifier  Jésus  qui  est  lui-même  toute  notre  gloire  :  ô  Dieu, 
soyez  avec  nous! 

PREMIER    POINT. 

Je  dis  donc,  avant  toutes  choses,  que,  selon  les  prophéties 
anciennes,  le  Messie  attendu  par  les  Juifs,  reconnu  et  adoré 
par  les  chrétiens,  devait  venir  au  monde  avec  une  puissance 
royale.  C'est  pourquoi  l'ange,  annonçant  sa  venue  à  la  sainte 
Vierge  sa  Mère,  parle  de  lui  en  ces  termes  :  «  Dieu  lui  don- 
nera, dit-il,  le  trône  de  David  son  père,  et  il  régnera  éter- 
nellement dans  la  maison  de  Jacob.  »  Et  c'est  la  même 
chose  qu'avait  prédite  l'évangéliste  de  la  Loi,  je  veux  dire  le 
prophète  Isaïe,  lorsqu'il  dit  de  Notre-Seigneur,  qu'il  s'as- 
siéra (')  sur  le  trône  de  David,  afin  de  l'affermir  en  justice  et 
en  vérité,  jusques  aux  siècles  des  siècles  '.Stiper  solitini  David, 
et  supe7^  regmim  ejus  sedebit,  ut  confirmet  illiid  et  corrohoret 
in  judicio  et  justitia,  ai)iodo  et  tisqtie  in  soupitcrniini  ("). 
Ce  que  je  suis  bien  aise  de  vous  faire  considérer,  afin  ([ue 
vous  voyiez  en  ces  deux  passages  la  conformité  de  l'ancienne 
et  de  la  nouvelle  alliance.  Car  il  serait  inipossible  de  vous 
rapporter  en  ce  lieu  tous  les  textes  des  Ecritures  qui  pro- 
mettent la  royauté  au  Sauveur. 

Et  c'est  en  quoi  les  Juifs  se  sont  malheureusement  abusés  : 
parce  qu'étant  possédés  en  leur  âme  d'une  aveugle  admira- 
tion de  la  royauté  et  des  prospérités  temporelles,  ils  don- 
naient à  leur  Messie  de  belles  et  triomphantes  armées,  de 
grands  et  de  superbes  palais,  une  cour  plus  leslc  ei  plus 
polie,  une  maison  plus  riche  et  mieux  ordonnée  (jue  celle  de 
leur  Salomon,    et   enfin   tout  ce  pompeux  appareil   dont  l.i 

a.  Js.y  IX,  7. 
I.  J/j.  s'assira. 


256  POUR  LA  CIRCONCISION 


majesté  royale  est  environnée.  Aussi,  quand  ils  virent  le 
Sauveur  Jésus,  qui,  dans  une  si  basse  fortune,  prenait  la 
qualité  de  Messie, je  ne  sauraisvous  direcombien  ils  en  furent 
surpris.  Cent  fois  il  leur  avait  dit  qu'il  était  le  Christ  ;  cent 
fois  il  l'avait  attesté  par  des  miracles  irréprochables,  et  ils 
ne  cessent  de  l'importuner:  Mais,  enfin,  dites-nous  donc 
qui  vous  êtes;  «  jusques  à  quand  nous  laisserez-vous  en 
suspens?  Si  vous  êtes  le  Christ,  dites-le  nous  franchement,  » 
et  nous  en  donnez  quelque  signe  :  Quousque  (')  ani- 
viavi  nos  tram  tollis  ?  si  tu  es  Christtcs,  die  nobis  palam  (''). 
Ils  eussent  bien  voulu  qu'il  leur  eût  dit  autre  chose.  Ils 
lui  eussent  volontiers  accordé  tout  l'honneur  qui  était  dû 
aux  plus  grands  prophètes;  mais  ils  eussent  été  bien  aises 
de  lui  persuader  ou  bien  de  se  faire  roi,  ou  bien  de  se 
déporter  volontairement  de  la  qualité  de  Messie.  Et  nous 
lisons  en  saint  Jean,  qu'après  cette  miraculeuse  multiplication 
des  cinq  pains,  quelques  peuples  [p.  5J  étant  convaincus 
qu'un  miracle  si  extraordinaire  ne  pouvait  être  fait  que  par 
le  Messie,  s'assemblèrent  entre  eux,  et  conspirèrent  de  le 
faire  roi  (''').  Et  ils  eussent  exécuté  leur  dessein,  s'il  ne  se 
fût  échappé  de  leur  vue. 

Etrange  illusion  des  hommes,  parmi  lesquels  ordinairement 
toutes  sortes  d'opinions  sont  reçues,  excepté  la  bonne  et  la 
véritable!  Les  uns  diiiaient  que  Jésus  était  un  séducteur; 
les  autres,  ne  pouvant  nier  qu'il  n'y  eût  en  sa  personne 
quelque  chose  de  surnaturel,  se  partageaient  entre  eux  en 
mille  sentiments  ridicules.  Quelques-uns  assuraient  que 
c'était  Elie  ;  d'autres  aimaient  mieux  croire  que  c'était  Jean- 
Baptiste  ou  bien  quelqu'un  des  prophètes  ressuscité  (^):  y^/// 
Eltajn,  alii  Joannein  Baptistam  aut  unum  ex prophetis  (^).  Et 
à  quelles  extravagances  ne  se  laissaient-ils  point  emporter, 
plutôt  que  d'avouer  qu'il  fût  le  Messie!  D'oii  vient  cette  ob- 
stination, chrétiens.^  C'est  qu'ils  avaient  l'imagination  remplie 
de  cette  magnificence  royale  et  de  cette  majesté  composée, 
de  laquelle  ils  avaient  fait  leur  idole.  Et  cette  fausse  créance 
avait  telle  vogue  parmi  les  Juifs,  que  ce  vieux  et  infortuné 

a.Joaji.^  X,  24.  —  ù.  Ibid.,M\,  15.  —  c.  Matih.,  xvi,   14. 
I.  Ms.  Quid aniinam...  —  2.  Édit.  Lac/ia^  :  ressuscites. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR. 


257 


politique,  qui  avait  toujours  son  âme  troublée  d'un  furieux 
désir  de  régner,  qui  ne  craignait  pas  moins,  qui  n'épargnait 
pas  plus  ses  enfants  que  ses  ennemis,  c'est  Hérode  dont  je 
veux  parler,  conçut  de  la  jalousie  de  cette  royauté  prétendue. 
De  là  ce  cruel  massacre  des  Innocents,  duquel  nous  célé- 
brions la  mémoire  ces  jours  passés. 

Je  ne  sais  si  je  me  trompe,  fidèles,  mais  il  me  semble  que 
ces  observations  sur  l'histoire  de  Notre-Seigneur  ne  doivent 
pas  vous  déplaire.  Ainsi  je  ne  craindrai  pas  d'en  ajouter 
encore  une,  qui  vous  fera  voir  manifestement  combien  cette 
opinion  de  la  royauté  du  Sauveur  était  enracinée  dans  l'esprit 
des  peuples.  C'est  que  les  apôtres  mêmes,  eux  que  le  Fils  de 
Dieu  honorait  de  sa  plus  intime  confidence,  bien  qu'en  par- 
ticulier et  en  public  il  ne  leur  promit  que  tourments  et  igno- 
minie en  ce  monde,  ils  n'avaient  pu  encore  se  déprendre  de 
ce  premier  sentiment  dont  on  avait  préoccupé  leur  enfance. 
«  Hé  !  Maître,  lui  disaient-ils,  quand  est-ce  qu'arrivera  votre 
règne  ?  sera-ce  pas  bientôt  que  vous  rétablirez  le  royaume 
abattu  d'Israël  ('')  ?  »  Ils  ne  pouvaient  goûter  ce  qu'il  leur 
prédisait  de  sa  mort.  Comme  ils  voyaient  son  crédit  s'aug- 
menter, ils  croyaient  qu'à  la  fin  il  viendrait  à  bout  de  l'envie, 
et  qu'il  attirerait  tout  à  lui  par  sa  vertu  et  par  ses  miracles. 
Ils  se  flattaient  Tesprit  de  mille  espérances  grossières.  Déjà 
ils  commençaient  à  se  débattre  entre  eux  de  l'homieur  de  la 
préséance.  Et  ne  fut-ce  pas  une  belle  proposition  que  les 
deux  frères  inconsidérés  firent  faire  à  Notre-Seigneur  par 
leur  mère  trop  crédule  et  trop  simple  ^  Ils  s'imaginaient  déjà 
le  Sauveur  dans  un  trône  éclatant  de  pierreries,  au  milieu 
d'une  grosse  cour.  Et,  Seigneur,  lui  disent-ils,  (juaiul  nous 
commencerez  votre  règne,  nous  serions  bien  aises  (\uv  l'un 
de  nous  fût  assis  à  votre  droite,  et  l'autre  |  p. 6]  à  la  gauche C^). 
Tant  ils  abusaient  de  la  patience  et  de  la  faveur  de  leur 
Maître,  repaissant  leur  âme  d'une  vaine  et  puérile  ostenta- 
tion !  Si  bien  (|ue  Notre-Seigneur,  ayant  pitié  de  leur  igno- 
rance, commence  à  les  désabuser  par  ces  mémorables 
paroles  :  O  disciples  trop  grossiers,  qui  vous  imaginez  dans 
ma   royauté   un    faste  et  une  pompe  mondaine,    «  vous    ne 

a.  At:t.y  I,  6.  —  b.  Matth.^  XX,  21. 

Sermon»  tic   HosNiiet.  »7 


258    .  POUR  LA  CIRCONCISION 


savez  ce  que  vous  me  demandez  :  la  chose  n'ira  pas  de  la 
sorte  :  Nescifis  quid  pctatis  (").  Pourrez-vous  bien  boire  le 
calice  que  je  boirai  ?»  Ce  calice,  c'est  sa  Passion  dont  il  leur 
a  parlé  tant  de  fois  sans  qu'ils  aient  voulu  le  comprendre. 
Puis,  après  quelques  avis  excellents,  voici  comme  il  conclut 
son  discours  :  «  Sachez,  dit-il,  que  le  Fils  de  l'homme  n'est 
pas  venu  pour  être  servi,  mais  afin  de  servir  lui-même  et  afin 
de  donner  sa  vie  pour  la  rédemption  de  plusieurs  (''').  » 

Ah  !  disciples  encore  ignorants,  et  vous,  mère  malavisée, 
ce  n'est  pas  là  ce  que  vous  prétendiez  :  vous  demandiez  de 
vaines  grandeurs,  on  ne  vous  parle  que  de  bassesse.  Mais 
mon  Sauveur  l'a  f^iit  de  la  sorte,  afin  de  nous  insinuer  douce- 
ment, par  le  souvenir  de  sa  Passion,  que  notre  roi  était  un 
roi  pauvre  ;  qu'il  descendait  sur  la  terre,  non  pour  se  revêtir 
des  grandeurs  humaines,  mais  pour  nous  apprendre  par  son 
exemple  à  les  mépriser  (')  ;  et  que  comme  c'était  .par  sa 
Passion  qu'il  devait  monter  sur  son  trône,  aussi  est-ce  par 
les  souffrances  que  nous  pouvons  aspirer  aux  honneurs  de 
son  royaume  céleste.  C'est  ici,  c'est  ici,  chrétiens,  où,  après 
vous  avoir  exposé  les  divers  sentiments  des  hommes  tou- 
chant la  royauté  de  Jésus,  j'aurais  à  demander  à  Dieu  la 
langue  d'un  séraphin,  pour  vous  exprimer  dignement  les 
sentiments  de  Jésus  lui-même  ! 

Certes,  je  ne  puis  voir  sans  étonnement,  dans  les  Écritures 
divines,  que  le  débonnaire  Jésus  qui,  durant  tout  le  cours  de 
sa  vie  mortelle,  faisait,  pour  ainsi  dire,  parade  de  sa  bassesse, 
quand  il  sent  approcher  son  heure  dernière,  ne  parle  plus 
que  de  gloire,  n'entretienne  plus  ses  disciples  que  de  ses 
grandeurs.  Il  était  à  la  veille  de  son  infâme  supplice.  Déjà 
il  avait  célébré  cette  Pâque  mystérieuse  qui  devait  être  le 
lendemain  achevée  par  l'effusion  de  son  sang.  Son  traître 
disciple  venait  de  sortir  de  sa  chambre  pour  aller  exécuter 
le  détestable  traité  qu'il  avait  fait  avec  les  pontifes.   Sitôt 

a.  Afatth.,  XX,  22.  —  b.  Ibid.^  28. 

I.  M.  Lâchât  donne  ici  une  prétendue  note  marginale  de  quinze  lignes.  Or, 
dans  le  ms.,  dont  il  parle  résolument  sans  l'avoir  vu  (Voy.  sa  notice,  VIII, 
298),  il  n'y  a  ni  note  ni  marge.  Le  fragment  que  placent  ici  les  éditeurs,  appar- 
tient en  réalité  à  une  Vcturc^  prononcée  le  6  janvier  1660.  (Autographe  à 
Dijon,  pour  le  fragment  ;  et  à  Rongères  (Allier),  pour  le  corps  du  discours.) 


DE  NOTRE-SEIGNEUR. 


259 


qu'il  se  fut  retiré  de  sa  compagnie,  mon  Maître,  qui  n'igno- 
rait pas  son  perfide  et  exécrable  dessein,  comme  s'il  eût  été 
saisi  tout  à  coup  d'une  ardeur  divine,  parle  de  cette  sorte  aux 
apôtres  :  «  Maintenant,  maintenant,  dit-il,  le  Fils  de  l'homme 
va  être  glorifié:  »  Nunc  clarificatus  est  Filius  hoiiiinis  (").  Eh  ! 
mes  frères, que  va-t-il  fairePOue  veut  dire  \j^.^^zç. Maint eiiant , 
demande  fort  à  propos  en  ce  lieu  l'admirable  saint  Augus- 
tin (^)  ?  Va-t-il  point  peut-être  s'élever  dessus  une  nuée  pour 
foudroyer  tous  ses  ennemis  ?  ou  bien  est-ce  qu'il  fera  des- 
cendre des  légions  d'anges  pour  se  faire  adorer  par  tous  les 
peuples  du  monde  ?  Non,  non,  ne  le  croyez  pas.  Il  va  à  la 
mort,  au  supplice,  au  plus  cruel  de  tous  les  tourments,  à  la 
dernière  des  infamies  ;  et  c'est  ce  qu'il  appelle  sa  gloire,  c'est 
son  règne,  c'est  son  triomphe. 

Regardez,  je  vous  prie,  mon  Sauveur,  dans  cette  triom- 
phante journée  en  laquelle  il  fait  son  entrée  dans  la  ville  de 
Jérusalem,  peu  de  jours  devant  qu'il  mourût.  Il  était  monté 
sur  un  âne  :  ah  !  fidèles,  n'en  rougissons  pas.  Je  sais  bien  que 
les  grands  de  la  terre  se  moqueraient  d'un  si  triste  et  si 
malheureux  équipage  ;  mais  Jésus  n'est  pas  venu  pour  leur 
plaire  ;  et  quoi  que  puisse  penser  la  folle  arrogance  des  hom- 
mes, cet  équipage  d'humilité  est  certes  bien  digne  d'un  roi 
qui  est  venu  au  monde  pour  fouler  aux  pieds  ses  grandeurs. 
Ce  n'est  pas  là  toutefois  ce  que  je  vous  veux  faire  consi- 
dérer. 

Jetez,  jetez  les  yeux  sur  ce  concours  de  peuple  (')  de  tou- 
tes les  conditions  et  de  tous  les  âges,  qui  accourent  au-devant 
de  lui,  des  palmes  et  des  rameaux  à  la  main,  en  signe  de 
réjouissance,  et  qui,  pour  faire  paraître  leur  zèle  à  ce  nou- 
veau prince,  dans  une  si  sainte  cérémonie  de  toutes  les 
conditions  et  de  tous  les  âges,  font  retentir  l'air  de  knirs  cris 
de  joie:  «  Béni  soit,  disaient-il|  s  |,  le  Fils  de  David  ;  \ive  le 
roi  d'Israël  !  >>  Hosanna  Filio  David  ;  bcncdictiis  (/iti  vcnit  in 
nominc  Doniini,  rex  Israël  (').  Et  parmi  ces  bienheureuses 
acclamations  il  entre  dans  Jérusalem.    Quel  est  ce   nouveau 

a.Joim.^  \in,  31.  —  b.  Tract.  1  xm  lu  Joau.,  11.  2.  —  c.  Mutth.,  XXI,  9  ;/<»*!«., 
xn,  13. 

I.    Var.  sur  celte  grande  nuilliliule  tic   peuple  qui  acc(»r.it 


26o  POUR  LA  CIRCONCISION 


procédé,  si  éloigné  de  sa  conduite  ordinaire  ?et  depuis  quand 
je  vous  prie,  ainie-l  il  les  applaudissements,  lui  qui,  étant 
cherché  autrefois  par  une  grande  multitude  de  gens  qui 
s'étaient  ramassés  des  villes  et  des  bourgades  voisines,  en 
résolution  de  le  faire  roi,  comme  je  vous  le  rapportais  tout 
à  l'heure,  s'était  retiré  tout  seul  au  sommet  d'une  haute 
montagne,  pour  éviter  leur  rencontre  ?  Il  entend  aujourd'hui 
tout  ce  peuple  qui  l'appelle  hautement  son  roi  ;  les  pha- 
risiens jaloux  l'avertissent  d'imposer  silence  à  cette  populace 
échauffée  :  «  Non,  non,  répond  mon  Sauveur  ;  les  pierres  le 
crieront,  si  ceux-ci  ne  le  disent  pas  assez  haut  :  »  Si  hi 
taaierint,  lapides  clamabunt  (^). 

Que  dirons-nous,  je  vous  prie,  d'un  changement  si  ino- 
piné ?  11  approuve  ce  qu'il  rejetait;  il  accepte  aujourd'hui 
une  royauté  qu'il  avait  autrefois  refusée.  Ah!  n'en  cherchez 
point  d'autre  cause;  c'est  qu'à  cette  dernière  fois  qu'il  entre 
dans  Jérusalem,  il  y  entre  pour  y  mourir  ;  et  mourir,  à  mon 
Sauveur,  c'est  régner.  En  effet,  quand  est-ce  qu'on  l'a  vu 
paraître  avec  une  contenance  plus  ferme  et  avec  un  main- 
tien plus  auguste  que  dans  le  temps  de  sa  Passion  ?  Que 
je  me  plais  de  le  voir  devant  le  tribunal  de  Pilate,  bravant, 
pour  ainsi  dire,  la  majesté  des  faisceaux  [p.  8]  romains  par 
la  générosité  de  son  silence!  Que  Pilate  rentre  tant  qu'il 
lui  plaira  au  prétoire,  pour  interroger  le  Sauveur,  il  ne  sa- 
tisfera qu'à  une  seule  de  ses  questions.  Et  quelle  est  cette 
question,  mes  frères?  Admirez  les  secrets  de  Dieu.  Le  pré- 
sident romain  lui  demande  s'il  est  véritable  qu'il  soit  roi  :  et 
le  Fils  de  Dieu  aussitôt,  ayant  ouï  parler  de  sa  royauté,  lui 
qui  n'avait  pas  encore  daigné  satisfaire  à  aucune  des  ques- 
tions qui  lui  étaient  faites  par  ce  juge  trop  complaisant,  ni 
même  l'honorer  d'un  seul  mot  :  «  Oui,  certes,  je  suis  roi,  » 
lui  dit-il  d'un  ton  grave  et  majestueux  :  Tu  dicis:  quia  rex 
stem  ego{^)  :  parole  qui  jusques  alors  ne  lui  était  pas  encore 
sortie  de  la  bouche. 

Considérez,  s'il  vous  plaît,  son  dessein.  Ce  qu'il  n'ajamais 
avoué  parmi  les  applaudissements  des  peuples  qui  étaient 
étonnés  et  du  grand  nombre  de  ses  miracles,  et  de  la  sainteté 

a.  Lîic,  XIX,  40.  —  b.Joan.^  xvin,  yj- 


DE   NOTRE-SEIGNEUR.  201 


de  sa  vie,  et  de  sa  doctrine  céleste,  il  (')  le  publie  hautement, 
lorsque  le  peuple  demande  sa  mort  par  des  acclamations 
furieuses.  Il  ne  s'en  est  jamais  découvert  que  par  ficrures  et 
par  paraboles  aux  apôtres,  qui  recevaient  ses  discours  comme 
paroles  de  vie  éternelle  :  il  le  confesse  nûment  au  juge  cor- 
rompu qui,  par  une  injuste  sentence,  le  va  attacher  à.la  croix. 
Il  n'a  jamais  dit  qu'il  fût  roi,  quand  il  faisait  des  actions 
d'une  puissance  divine;  et  il  lui  plaît  de  le  déclarer,  quand  il 
est  prêt  de  succomber  volontairement  à  la  dernière  des 
infirmités  humaines.  C'est,  ce  semble,  faire  les  choses  fort  a 
contre-temps,  et  néanmoins  c'est  la  Sagesse  éternelle  qui 
a  disposé  tous  les  temps.  Mais,  ô  contre-temps  admirable!  ô 
secret  de  la  Providence! 

Je  vous  entends,  ô  mon  roi  Sauveur!  C'est  que  vous  met- 
tez votre  gloire  à  souffrir  pour  l'amour  de  vos  peuples  ;  et 
vous  ne  voulez  pas  que  l'on  vous  parle  de  royauté  que  dans 
le  même  moment  auquel  par  une  mort  glorieuse  vous  al- 
lez délivrer  vos  misérables  sujets  d'une  servitude  éternelle. 
Bonté  incroyable  de  notre  roi!  que  le  ciel  et  la  terre  chan- 
tent à  jamais  ses  miséricordes!  Et  vous,  ô  fidèles  de  Jésus- 
Christ,  bienheureux  sujets  de  mon  roi  Sauveur,  ô  peuple 
de  conquête  que  mon  prince  victorieux  a  acquis  au  prix  de 
son  sang,  par  quel  amour  et  par  quels  respects  pourrez-vous 
dignement  reconnaître  les  libéralités  infinies  d'un  roi  si 
clément  et  si  généreux? 

Certes,  je  ne  craindrai  pas  de  le  dire,  ce  ne  sont  ni 
les  trônes,  ni  les  palais,  ni  la  pourpre,  ni  les  richesses,  ni  les 
gardes  qui  environnent  le  prince,  ni  cette  longue  suite  de 
grands  seigneurs,  ni  la  foule  des  courtisans  qui  s'empressent 
autour  de  sa  personne;  non,  non,  ce  ne  sont  pas  ces  choses 
que  j'admire  le  plus  dans  les  rois.  Mais  quand  je  considère 
cette  infinie  multitude  de  peuples  qui  attend  dr  Khu*  protec- 
tion son  salut  et  sa  liberté;  quand  je  vois  (juc  dans  un  lù.it. 
si  la  terre  est  bien  cultivée,  si  les  mers  sont  filtres,  si  le  com- 

I.  AV//7.  <(  il  coinnuMicc  à  le  publier  liaiiti-inont,  ifi.  > —  Emprunts  .\  un  .nitre 
sermon  (  Prus  aiiteinrcx  nostcr  anli  sivcula^  1656),  où  ce  passay[C  i^tail  repris.  -- 
Il  en  est  de  même  de  tiuek|ues  aulres  phrases,  ijik-  nous  coniKcrons,  sans  les 
si-rnaler  toulcb  en  note. 


202  POUR  LA  CIRCONCISION 


merce  est  riche  et  fidèle,  si  chacun  vit  clans  sa  maison  dou- 
cement et  en  assurance,  c'est  un  effet  des  conseils  et  de  la 
vigilance  du  prince  ;  quand  je  vois  que,  comme  un  soleil,  sa 
munificence  porte  sa  vertu  jusques  dans  les  provinces  les  plus 
[p.  9j  reculées,  que  ses  sujets  lui  doivent  les  uns  leurs  hon- 
neurs et  leurs  charges,  les  autres  leur  fortune  ou  leur  vie,, 
tous  la  sûreté  publique  et  la  paix,  de  sorte  qu'il  n'y  en  a  pas 
un  seul  qui  ne  doive  le  chérir  comme  son  père  :  c'est  ce  qui 
me  ravit,  chrétiens,  c'est  en  quoi  la  majesté  des  rois  me 
semble  du  tout  {')  admirable,  c'est  en  cela  que  je  les  recon- 
nais pour  les  vivantes  images  de  Dieu,  qui  se  plaît  de  rem- 
plir le  ciel  et  la  terre  des  marques  de  sa  bonté,  ne  laissant 
aucun  endroit  de  ce  monde  vide  de  ses  bienfaits  et  de  ses 
largesses. 

Eh  !  dites-moi,  je  vous  prie,  dans  quel  siècle,  dans  quelles 
histoires,  dans  quelle  bienheureuse  contrée  a-t-on  jamais  vu 
un  monarque,  je  ne  dis  pas  si  puissant  et  si  redoutable,  mais 
si  bon  et  si  bienfaisant  que  le  nôtre  ?  Le  règne  de  notre 
prince,  c'est  notre  bonheur  et  notre  salut.  «  Ce  qu'il  daigne 
rép-ner  sur  nous,  c'est  clémence,  c'est  miséricorde  ;  ce  ne 
lui  est  pas  un  accroissement  de  puissance,  mais  c'est  un 
témoignage  de  sa  bonté  :  »  Dtgnatio  est,  non  promotio  ; 
viiserationis  indiciuni,  non  potestatis  augmentum,  dit  l'ad- 
mirable saint  Augustin  (^).  Regardez  cette  vaste  étendue  de 
l'univers;  tout  ce  qu'il  a  de  lumières  célestes,  toutes  les  saintes 
inspirations,  toutes  les  vertus  et  les  grâces,  c'est  le  sang  du 
prince  Sauveur  qui  les  a  attirées  sur  la  terre.  Autant  que 
nous  sommes  de  chrétiens,  ne  publions-nous  pas  tous  les 
jours  que  nous  n'avons  rien  que  par  lui  ? 

Ce  peuple  merveilleux,  que  Dieu  en  sa  bonté  a  répandu 
parmi  tous  les  autres,  peuple  qui  habite  en  ce  monde  et  qui 
est  étranger  en  ce  monde,  qui  trafique  en  la  terre  afin 
d'amasser  dans  le  ciel  :  fidèles,  vous  m'entendez,  c'est  du 
peuple  des  élus  que  je  parle,  de  la  nation  des  justes  et  des 

a.  Tract.  Li  injoan.,  n.  4. 

I.  Les  édit.  ont  supprimé  cet  archaïsme,  pour  dire  :  «entièrement  admirable.» 
Nous  l'avons  déjà  rencontré  dans  les  sermons  précédents,  d'où  on  avait  oublié 
de  l'éliminer. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR.  26 


gens  de  bien  :  que  ne  doivent-ils  pas  au  Sauveur  ?  Tous  les 
particuliers  de  ce  peuple,  depuis  l'origine  du  monde  jusques  à 
la  consommation  des  siècles  (voyez  quelle  grande  étendue) 
ne  crient-ils  pas  jour  et  nuit  et  de  toutes  leurs  forces  à  notre 
brave  libérateur  :  C'est  vous  qui  avez  brisé  nos  fers  ('),  c'est 
vous  qui  avez  ouvert  nos  prisons;  votre  mort  nous  a  délivrés 
et  de  l'oppression  et  de  la  tyrannie;  votre  sang  nous  a  rache- 
tés de  la  damnation  éternelle.  Par  vous  nous  vivons,  par 
vous  nous  respirons,  par  vous  nous  espérons,  par  vous  nous 
régnons.  Car  la  munificence  de  notre  prince  passe  à  un  tel 
excès  de  bonté,  qu'il  fait  des  monarques  de  tous  ses  sujets; 
il  ne  veut  voir  en  sa  cour  que  des  têtes  couronnées. 

[P.  10]  Ecoutez,  écoutez  le  bel  hymne  des  vingt-quatre 
vieillards  de  l'Apocalypse,  qui  représentent,  à  mon  avis,  toute 
l'universalité  des  fidèles  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testa- 
ment :  douze  pour  les  douze  premiers  patriarches  et  les 
pères  de  la  synagogue,  et  douze  pour  les  douze  apôtres, 
princes  et  fondateurs  de  l'Église.  Ils  sont  rois,  ils  sont  cou- 
ronnés, et  chantent  avec  une  joie  incroyable  les  louano-es  de 
l'Agneau  sans  tache,  immolé  pour  l'amour  de  nous.  O  Agneau 
immolé!  disent-ils,  «  vous  nous  avez  rachetés  en  votre  sang, 
vous  nous  avez  faits  rois  et  sacrificateurs  à  notre  Dieu;  et  nous 
régnerons  sur  la  terre  !  »  Et  regnabimus  \siiper  terra7?i]  ("). 
O  Dieu  éternel!  Chrétiens,  quelle  est  la  merveille  de  cette 
cour  }  Toutes  les  grandeurs  humaines  oseraient-elles  pa- 
raître devant  une  telle  magnificence?  Cet  ancien  admirateur 
de  la  vieille  Rome  (~)  s'étonnait  d'avoir  vu  dans  cette  ville 
maîtresse  autant  de  rois,  disait-il,  que  de  sénateurs.  Mes 
frères,  notre  Dieu  tout-puissant  nous  appelle  à  un  bien  autre 
spectacle,  dont  nous  ferons  nous-mêmes  partie.  Dans  cette 
cour  vraiment  royale,  dans  cette  nation  élue,  dans  cette  cité 
triomphante  que  JiLsus  a  érigée  par  sa  mort,  je  veux  dire 
dans  la  sainte  Église,  je  ne  dis  pas  que  nous  y  voyions  au- 
tant de  rois  que  de  sénateurs,  mais  je  dis  (|ue  nous  y  devons 

a.  A/)oc.,  V,  10. 

1.  Vur.  nos  chaînes. 

2.  Cynéas,    ambassadeur  de  Pyrrhus.  —  \'.  IMutan  h..  /'//.  pat  ail,  in  r\r,h  . 
et  Klor.,  AV;-.  Rom.  lib.  I,  cap.  x\ m.  (\'olc  tic  Df/otis.) 


264  POUR  LA  CIRCONCISION 

être  autant  de  rois  que  de  citoyens.  Oui  a  jamais  ouï  parler 
d'une  telle  chose  ?  C'est  tout  un  peuple  de  rois  que  Ji':sus  a 
ramassés  par  son  sang,  que  Jitsus  sauve,  que  Jésus  cou- 
ronne, qu'il  fait  régner  en  rc^^nant  sur  eux,  parce  que  «servir 
notre  Dieu,  c'est  régner  :  »  Servire  Deo,  rec^nare  est  ('').  O 
royauté  auguste  de  notre  Sauveur  par  laquelle  nous  sommes 
rachetés  !  ô  mort  vraiment  glorieuse,  ô  sang  utilement 
répandu,  ô  noble  et  magnifique  conquête!  (') 

Considérez,  je  vous  prie,  fidèles,  les  César  et  les  Alexan- 
dre ('),  et  tous  ces  autres  ravageurs  de  provinces  que  nous 
appelons  conquérants  :  Dieu  ne  les  envoie  sur  la  terre  que 
dans  sa  fureur.  Ces  braves,  ces  triomphateurs,  avec  tous 
leurs  magnifiques  éloges,  ils  ne  sont  ici-bas  que  pour  troubler 
la  paix  du  monde  par  leur  ambition  démesurée.  Ont  ils 
jamais  fait  une  guerre  si  juste  où  ils  n'aient  opprimé  une 
infinité  d'innocents.^  Leurs  victoires  sont  le  deuil  et  le  déses- 
poir des  veuves  et  des  orphelins.  Ils  triomphent  de  la  ruine 
des  nations  et  de  la  désolation  publique.  Ah  !  qu'il  n'est  pas 
ainsi  de  mon  prince  !  c'est  un  capitaine  Sauveur,  qui  sauve 
les  peuples  parce  qu'il  les  dompte  ;  et  il  les  dompte  en 
mourant  pour  eux.  Il  n'emploie  ni  le  fer  ni  le  feu  pour  les 
subjuguer  :  il  combat  par  amour,  il  combat  par  bienfaits,  par 
des  attraits  tout-puissants,  par  des  charmes  invincibles. 

Et  c'est  ce  qu'explique  divinement  un  excellent  passage 
du  psaume  xliv,  que  je  tâcherai  de  vous  exposer.  Renou- 
velez, s'il  vous  plaît,  vos  attentions.  Le  prophète  en  ce 
lieu  considère  Notre-Seigneur  comme  un  prince  victo- 
rieux ;  et  voyant  en  esprit  qu'il  devait  assujettir  sous  ses 
lois  un  si  grand  nombre  [p.  11]  de  peuples  rebelles,  il 
l'invite  à  prendre  ses  armes.  «  Mettez  votre  épée,  lui  dit-il, 
ô  mon  brave  et  valeureux  capitaine  :  »  Accingere  gladio  tuo 
super  fémur  httun  (^').  Et  incontinent,  comme  s'il  eût  voulu 
corriger  son  premier  discours  par  une  seconde  réflexion  (ce 

a.  S.  Léo,  Ep.  ad  Demetriad.^  cap.  i.  —  b.  Ps.,  XLIV,  4. 

r.  Nous  supprimons  ici  une  phrase  introduite  par  les  éditeurs  :  (i  Quelques 
louanges,  (?/^.  » —  Ils  l'avaient  empruntée  au  second  sermon  pour  la  même  fête, 
d'où  ils  l'avaient  retranchée.  La  phrase  précédente  était  aussi  un  amalgame  des 
deux  rédactions. 

2.  Ms.  les  Césars  et  les  Alexandres. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR.  265 


sont  les  mouvements  ordinaires  de  l'expression  prophétique): 
Non,  non,  ce  n'est  pas  ainsi,  ô  mon  prince,  ce  n'est  pas  par 
les  armes  qu'il  vous  faut  établir  votre  empire.  —  Comment 
donc  ? —  «  Allez,  lui  dit-il,  allez,  ô  le  plus  beau  des  hommes, 
avec  cette  admirable  beauté,  avec  cette  bonne  grâce  qui 
vous  est  si  naturelle  :  »  Specie  tua  et  piilchritiidine  tua  ('')  : 
«  avancez,  combattez  et  régnez  ;  »  intende,  prospère  procède 
et  régna  i^').  Puis  il  continue  ainsi  son  discours  :  «  Que  les 
flèches  du  Puissant  sont  perçantes  !  tous  les  peuples  tom- 
beront à  ses  pieds.  Ses  coups  portent  tout  droit  au  cœur 
des  ennemis  de  mon  roi:  »  Sagittœ  Potentis  acittœ  {').  Après 
quoi  il  élève  les  yeux  à  la  majesté  de  son  trône  et  à  la  vaste 
étendue  de  son  empire  :  Sedes  tua,  Dens,  in  scrculu))! 
sœculi  ('^):  «  Votre  trône,  ô  grand  Dieu,  est  établi  es  siècles 
des  siècles  ;  »  et  le  reste.  Et  que  veut  dire  ce  règne  '^.  quelle 
est  cette  victorieuse  beauté  '^  que  signifient  ces  coups,  et  ces 
tièches,  et  ces  peuples  blessés  au  cœur  ?  C'est  ce  qu'il  nous 
faut  expliquer,  avec  l'assistance  divine,  par  une  doctrine 
toute  chrétienne,  toute  prise  des  Livres  sacrés  et  des  Écri- 
tures apostoliques. 

Mais,  fidèles,  je  vous  avertis,  que  vos  esprits  ne  soient 
point  occupés  d'une  vaine  idée  de  beauté  corporelle,  qui 
certes  ne  méritait  pas  d'entretenir  si  longtemps  la  méditation 
du  prophète.  Suivez,  suivez  plutôt  ce  tendre  et  affectueux 
mouvement  de  l'admirable  saint  Augustin.  «  Pour  nioi,  dit 
ce  grand  personnage,  quelque  part  où  je  voie  mon  Sauveur, 
sa  beauté  me  semble  charmante.  Il  est  beau  dans  le  ciel, 
aussi  est-il  beau  dans  la  terre  :  beau  dans  le  sein  de  son  Père, 
beau  entre  les  bras  de  sa  Mère.  Il  est  beau  dans  les  miracles, 
il  ne  l'est  pas  moins  parmi  les  fouets.  11  a  une  grâce  non  pareille, 
soit  qu'il  nous  invite  à  la  vie,  soit  que  lui-mcmc  il  méprise  la 
mort.  Il  est  beau  jusques  sur  la  croix,  il  est  beau  même  dans 
le  sépulcre  (')  :  »  Piilcherin  c(clo,  pn/e/ier  in  terra :...  pulcher 
in  miracnlis,  pnlcher  in  11  âge! lis  ;  pu  le  lier  invitans  ad  vitcini, 
pulcher    non  curans  inorteni;,,,  pulckcr   in    ligna,  pulcher 

a.  Ibid.,  5.  —  /'.  Ihid.  —  c.  IbU.,  ex  IX,  4.  —  </.  Ibid.,  Xi.iv,  7. 
I.  Bossuet  s'est  souvenu  de  ces  pensées,  dans  la  pioniicTr  de  ses  adnui.djics 
Lettres  à  une  demoiselle  de  .IA7r  (1662):  <j  II  est  hraii  dan^   le  sein  du  Vbxo,  il 


2  66  POUR  LA  CIRCONCISION 

/;/  scf)uIcro.  Que  les  autres,  dit-il,  en  pensent  ce  qu'il  leur 
plaira  ;  mais  pour  nous  autres  croyants,  «  partout  [où]  il  se 
présente  à  nos  yeux,  il  est  toujours  beau  en  perfection  ;  » 
Nobis  credcntibus  ubique  sponsics  pulcher  occtirrat  (f). 

Surtout,  il  le  faut  avouer,  chrétiens,  quoi  que  le  monde 
croie  de  sa  Passion,  quoique  ces  membres  cruellement  dé- 
chirés et  cette  pauvre  chair  écorchée  fasse  presque  soulever 
le  cœur  de  ceux  qui  approchent  de  lui  ;  quoique  le  prophète 
Isaïe  [p.  12]  ait  prédit  que  dans  cet  état  il  ne  serait  pas 
reconnaissable,  qu'il  n'aurait  plus  ni  grâce,  ni  même  aucune 
apparence  humaine  :  N^on  est  species  ei,  neque  décor;  vidi- 
imcs  eum,  et  non  erat  aspectus  (''')  :  toutefois  c'est  dans  ces 
linéaments  effacés,  c'est  dans  ces  yeux  meurtris,  c'est  dans 
ce  visage  qui  fait  horreur,  que  je  découvre  des  traits  d'une 
incomparable  beauté.  Sa  douleur  a  non  seulement  de  la 
dignité,  elle  a  de  la  grâce  et  de  l'agrément  ('). 

Un  soldat  a  de  grandes  blessures  qui  semblent  lui  désho- 
norer le  visage.  Les  délicats  peut-être  détourneront  la  vue  de 
dessus  ces  plaies  ;  mais  le  prince  les  trouve  belles,  parce  que 
c'est  pour  son  service  qu'il  les  a  reçues  :  ce  sont  de  belles 
marques  ;  ce  sont  des  cicatrices  honorables,  que  la  fidélité 
pour  son  roi  et  l'amour  de  la  patrie  embellit. 

Donc,  ô  fidèles  de  Jésus-Christ,  que  les  ennemis  de  mon 
Maître  trouvent  de  la  difformité  dans  ses  plaies,  certes  je  ne 
le  puis  empêcher.  Mais  «  pour  nous  autres  croyants,  »  nobis 
credentibus,  comme  disait  tout  à  l'heure  saint  Augustin, 
pour  moi  qui  suis  assuré  que  c'est  pour  l'amour  de  moi  qu'il 
est  ainsi  couvert  de  blessures,  je  ne  puis  être  de  leur  senti- 
ment. La  véritable  beauté  de  mon  Maître  ne  lui  peut  être 
ravie:  non,  non,  ces  cruelles  meurtrissures  n'ont  pas  défiguré 
ce  visage  ;  elles  l'ont  embelli  à  mes   yeux.  Si  les   blessures 

a.  ht  Ps.  XLIV.  n.  3.  —  b.  /s.,  LUI,  2. 
est  beau  sortant  du  sein  de  sa  Mère  :  il  est  beau  égal  à  Dieu,  il  est  beau  égal 
aux  hommes  :  il  est  beau  dans  ses  miracles,  il  est  beau  dans  ses  souffrances  : 
il  est  beau  méprisant  la  mort,  il  est  beau  promettant  la  vie  :  il  est  beau  des- 
cendant aux  enfers,  il  est  beau  montant  aux  cieux  :  partout  il  est  digne  d'admi- 
ration. G  Jésus-Christ,  ô  Jésus-Christ,  ô  mon  amour  1  »  —  Là  il  enchérit 
sur  saint  Augustin,  au  lieu  de  le  traduire  littéralement. 

I.  ÉJt^.  «  Mais  peut-être  vous  me  direz...  »  Six  lignes  interpolées,   que  nous 
retranchons. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR.  267 


des  sujets  sont  si  belles  aux  yeux  du  prince,  dites-moi,  les 
blessures  du  prince,  quelles  doivent-elles  être  aux  yeux  des 
sujets  ?  Celles-ci,  ce  sont  mes  délices;  je  les  baise,  je  les  arrose 
de  larmes.  L'amour  que  mon  roi  Sauveur  a  pour  moi,  qui  a 
ouvert  toutes  ses  plaies,  y  a  répandu  une  certaine  grâce 
qu'aucun  autre  objet  ne  peut  égaler,  un  certain  éclat  de 
beauté  qui  transporte  les  âmes  fidèles.  Ne  voyez-vous  pas 
avec  combien  de  douces  complaisances  elles  y  demeurent 
toujours  attachées?  Ce  leur  est  un  supplice,  que  de  les  ar- 
racher de  cet  aimable  objet.  De  là  sortent  ces  flèches  aiguës 
que  David  chante  dans  notre  psaume;  de  là  ces  traits  de 
flamme  invisible,  «  qui  percent  les  cœurs  jusqu'au  vif:  » 
In  corda  inimicorum  r^^/^' .*  tellement  «  qu'ils  ne  respirent 
plus  autre  chose  que  Jésus  crucifié,  »  à  l'imitation  de  l'Apô- 
tre: Non  judicavi  me  scire  [^)  aliqiiid  inter  vos  nisi  Jesinn 
Christum  et  hune  crMcifixum  (').  C'est  ainsi  que  le  roi  Jésus 
se  plaît  de  régner  dans   les  cœurs. 

C'est  pourquoi  je  ne  m'étonne  pas  si  je  ne  vois  dans  sa 
Passion  que  des  marques  de  sa  royauté.  Oui,  malgré  la  rage 
de  ses  bourreaux,  ces  épines  font  un  diadème  qui  couronne 
sa  patience  ;  ce  roseau  fragile  devient  un  sceptre  en  ses 
mains;  cette  pourpre  ridicule,  dont  ils  le  couvrent,  se  chan- 
gera en  pourpre  royale,  sitôt  qu'elle  sera  teinte  du  sang  de 
mon  Maître.  Lorsque  j'entends  le  peuple  crier  que  le  Sauveur 
mérite  la  mort  à  cause  qu'il  s'est  fait  roi  :  certes,  dis-je  incon- 
tinent en  moi-même,  ces  furieux  disent  mieux  qu'ils  ne 
pensent,  car  mon  prince  doit  régner  par  sa  mort.  Quand  il 
porte  lui-même  sa  croix  sur  ses  épaules  innocentes,  tout 
autre  qu'un  chrétien  [p.  13]  serait  étonné  de  son  impuis- 
sance; mais  le  fidèle  se  doit  souvenir  de  ce  qu'a  dit  de  lui 
Isaïe,  «  que  sa  domination,  sa  principauté  est  mise  sur  son 
épaule  :  »  Principattcs  super  hiuneruDi  ej'jcs  ('').  Qu'est-ce  à 
dire,  cet  empire  et  cette  principauté  sur  ses  épaules?  Ah!  ne 
l'entendez-vous  pas?  c'est  sa  croix.  C'est  ainsi  que  l'explique 
Tertullien  (^),  dans  le  livre  contre  les  juifs  ().  Sa  croix,  c'est 

a.  I  Cor.,  H,  2.  —  />.  /s.,  IX,  6.  —  t:  ^L/î'.  /ut/.,  n.  10. 

1.  ilfs.  Unum  sci(\  etc. 

2.  Ms.  TerUiUiiin,  passim. 


268  POUR  LA  CIRCONCISION 

son  sceptre;  sa  croix,  c'est  son  bâton  d'ordonnance:  c'est 
elle  qui  rangera  tous  les  peuples  sous  l'obéissance  de  Notre- 
Seigneur. 

Et  n'avez-vous  jamais  pris  la  peine  de  considérer  ce  beau 
titre  que  les  ennemis  de  mon  Maître  attachèrent  au-dessus 
de  sa  croix,  Jésus  de  Nazareth,  Roi  des  Juifs,  écrit  en  gros 
caractères,  et  en  trois  sortes  de  langues,  afin  que  la  chose  fût 
plus  connue?  Il  est  vrai  que  les  Juifs  s'y  opposent  ;  mais 
Pilate  l'écrit  malgré  eux.  Qu'est-ce  à  dire  ceci,  chrétiens  ?  Ce 
juge  corrompu  avait  envie  de  sauver  mon  Maître,  et  il  ne  l'a 
condamné  que  pour  plaire  aux  Juifs  :  les  mêmes  Juifs  le  pres- 
sent de  changer  ce  titre  ;  il  le  refuse,  il  tient  ferme,  il  n'a  plus 
de  complaisance  pour  eux.  Quoi  !  cet  homme  si  complaisant, 
qui  livre  un  innocent  à  la  mort  de  crainte  de  choquer  les  Juifs, 
commence  à  devenir  résolu  pour  soutenir  trois  ou  quatre  mots 
qu'il  avait  écrits  sans  dessein,  et  qui  paraissaient  de  si  peu 
d'importance  !  Remarquez  tout  ceci,  s'il  vous  plaît  :  il  est 
lâche  et  ferme,  il  est  mol  et  résolu  dans  la  même  affaire,  à 
l'égard  des  mêmes  personnes.  Grand  Dieu  !  je  reconnais  vos 
secrets  :  il  fallait  que  Jésus  mourût  en  la  croix,  il  fallait  que  sa 
royauté  fût  écrite  au  haut  de  la  croix.  Pilate  exécute  le  premier 
par  sa  complaisance,  et  l'autre  par  sa  fermeté.  «  O  vertu 
ineffable  de  l'opération  divine  !  même  dans  le  cœur  des 
ignorants  !  s'écrie  en  cet  endroit  l'admirable  saint  Augustin 
('') .  Ils  ne  savent  tous  ce  qu'ils  disent,  et  ils  disent  tous  ce 
que  veut  mon  Sauveur.  »  Une  secrète  vertu  s'empare  invin- 
ciblement de  leur  âme,  et,  malgré  leurs  méchantes  intentions, 
exécute  de  très  sages  et  très  salutaires  conseils. 

Caiphe,  en  plein  conseil  de  pharisiens,  parlant  de  Notre- 
Seigneur,  dit  qu'il  «est  expédient  qu'il  meure,  afin  que  toute 
la  nation  ne  périsse  pas.  »  Sa  mort  empêchera  donc  toute 
la  nation  de  périr  :  Il  est  donc  le  Sauveur  dé  toute  la  nation, 
remarque  très  à  propos  l'évangéliste  saint  Jean  (^')  .  Merveil- 
leux jugement  de  Dieu  !  Il  pensait  prononcer  l'arrêt  de  sa 
mort,  et  il  faisait  une  prophétie  de  sa  gloire.  Le  même  arriva 
à  Pilate  :  il  condamne  le  Fils  de  Dieu  à  la  croix  ;  et,  voulant 
écrire  selon  la  coutume  la  cause  de  son  supplice,  il  dresse  un 

a.  Tract.  CXVII  in  Joaii.^  n.  5.  — b.  Joan.^  XI,  50,  52. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR.  269 


monument  à  sa  royauté.  Tant  il  est  vrai  que  Dieu  a  des 
ressorts  infaillibles  [p.  14]  pour  tourner  où  il  lui  plait  les  cœurs 
de  ses  ennemis,  et  les  faire  concourir,  mal  gré  qu'ils  en  aient, 
à  l'exécution  de  ses  volontés  !  Parce  que  le  règne  du  Sauveur 
devait  commencer  à  la  croix,  il  plaisait  à  notre  grand  Dieu 
que  sa  royauté  y  fût  attestée  par  une  écriture  publique,  et  de 
l'autorité  du  gouverneur  de  la  province,  qui  servira,  sans  y 
penser,  à  la  Providence  divine. 

Ecrivez  donc,  ô  Pilate,  les  paroles  que  Dieu  vous  dicte,  et 
dont  vous  n'entendez  pas  le  mystère.  Quoi  que  l'on  vous 
puisse  alléguer,  gardez-vous  de  changer  ce  qui  est  déjà  écrit 
dans  le  ciel.  Que  vos  ordres  soient  irrévocables,  parce  qu'ils 
sont  faits  en  exécution  d'un  arrêt  immuable  du  Tout-Puissant. 
Que  la  royauté  de  Jésus  soit  écrite  en  langue  hébraïque  (''), 
qui  est  la  langue  du  peuple  de  Dieu  ;  et  en  la  langue 
grecque,  qui  est  la  langue  des  doctes  et  des  philosophes  ;  et 
en  la  langue  romaine,  qui  est  celle  de  l'empire  et  du  monde. 
Et  vous,  ô  Grecs,  inventeurs  des  arts  ;  vous,  ô  Juifs,  héritiers 
des  promesses;  vous,  Romains,  maîtres  de  la  terre,  venez  lire 
cet  admirable  écriteau  :  fléchissez  le  genou  devant  votre  roi. 
Bientôt,  bientôt  vous  verrez  cet  homme,  abandonné  de  ses 
propres  disciples,  ramasser  tous  les  peuples  sous  l'invocation 
de  son  nom.  Bientôt  arrivera  ce  qu'il  a  prédit  autrefois  ('), 
qu'étant  élevé  hors  de  terre,  il  attirera  tout  à  soi,  et  chan- 
gera l'instrument  du  plus  infâme  supplice  en  une  machine 
céleste  pour  enlever  tous  les  cœurs  :  Et  ego,  cnni  cxalUxtus 
fuero  a  terrciy  omma  traham  ad  meipsuni  (').  i)ientôt  les 
nations  incrédules,  sur  lesquelles  il  étend  ses  bras,  viendront 
recevoir  parmi  ses  embrassements  paternels  cet  aimable  baiser 
de  paix  qui,  selon  les  prophéties  anciennes,  les  doit  récon- 
cilier au  vrai  Dieu  qu'elles  ne  connaissaient  pas.  Bientôt  ce 
crucifié  sera  couronné  d'honneur  et  de  ^loire.  «  A  cause 
que,  par  la   grâce  de  Dieu,    il   a  i^oûté    la  mort   pour  tous,  ^^ 

a.Joan.^  XIX,  20.—  b.  Joaii.^    xii,  32. 

I.  «  En  saint  Jean,  chapitre  ni,»  ajoute  Hossuct,  se  reportant  par  la  pens<5(>  .'i 
l'entretien  de  J  KSUS  avec  Nicoclènie.  Mais  bien  cju'il  js'aj^issr  l.\  ilu  mystère  tic 
la  croix,  on  n'y  rencontre  pas  le  texte  allL\L;uc^  par  l'orateur.  II  se  trouve  dans  un 
autre  chapitre  (xii).  11  y  a  donc  lieu  do  rcclilier  la  citation,  à  l'cNeinple  de 
Deforis. 


2  70  POUR  LA  CIRCONCISION 


comme  dit  l:i  divine  Epître  aux  Hébreux  ("),  il  verra  naître 
de  son  sépulcre  une  belle  postérité  ;  et  sera  glorieusement 
accompli  ce  fameux  oracle  du  prophète  Isaïe  (au  chapi- 
tre lui):  «  S'il  donne  son  âme  pour  le  péché,  il  verra  une 
longue  suite  d'enfants  :  »  Si  posuerit  {')  pro  peccato  animam 
suam,  videbit  semen  longœvum.  «  Cette  pierre  rejetée  de  la 
structure  du  bâtiment,  sera  faite  la  pierre  angulaire  et  fon- 
damentale, qui  soutiendra  tout  le  nouvel  édifice  (^')  ;  »  et  ce 
mystérieux  grain  de  froment,  qui  représente  notre  Sauveur, 
en  saint  Jean,  chapitre  xii,  étant  tombé  en  terre,  se  multi- 
pliera par  sa  propre  corruption,  c'est-à-dire,  que  le  Fils  de 
Dieu  tombera  de  la  croix  dans  le  sépulcre,  et  par  un  mer- 
veilleux contre-coup  «  tous  les  peuples  tomberont  à  ses 
pieds  :  »  Populi  sub  te  cadent,  disait  notre  psaume  xliv. 

Oue  je  triomphe  d'aise  quand  je  vois  dans  Tertullien  que 
déjà  de  son  temps  le  nom  de  Jésus,  si  près  de  la  mort  de 
notre  Sauveur  et  du  commencement  de  l'Eglise,  déjà  le  nom 
de  Jésus  était  adoré  par  toute  la  terre  ;  et  que  dans  toutes 
les  provinces  du  monde  qui  pour  lors  étaient  découvertes,  le 
Sauveur  y  avait  un  nombre  infini  [p.  15]  de  sujets!  «  Nous 
sommes,  dit  hautement  ce  grand  personnage,  presque  la  plus 
grande  partie  de  toutes  les  villes,  »  pars  pêne  major  civitatis 
cîijîisque  (^).  Les  Parthes  invincibles  aux  Romains,  les 
Thraces  autonomes  (')  comme  les  appelaient  les  anciens, 
c'est-à-dire,  gens  impatients  de  toute  sorte  de  loi,  ont  subi 
volontairement  le  joug  de  Jésus.  Les  Mèdes,  les  Arméniens, 
et  les  Perses,  et  les  Indiens  les  plus  reculés  ;  les  Maures  et 
les  Arabes,  et  ces  vastes  provinces  de  l'Orient  ;  l'Egypte  et 
l'Ethiopie,  et  l'Afrique  la  plus  sauvage  ;  les  Scythes  toujours 
errants,  les  Sarmates,  les  Gétuliens,  et  la  barbarie  la  plus 
inhumaine  a  été  apprivoisée  ^)  par  la  doctrine  modeste  du 
Sauveur  Jésus.  L'Angleterre,  ah!  la  perfide  Angleterre,  que 
le  rempart  de  ses  mers  rendait  inaccessible  aux  Romains,  la 
foi   du    Sauveur    y    est   abordée  :     Britamiorum    inaccessa 

a.  Hebr.,  Il,  9.  —  b.  Ps.,  CXVll,  22.  —  c.  Ad  Scap.^  n.  2.  —  Ms.  major  pe7ie 
paj's  cil  jusque  civitatis. 

1.  M  s.  Si  dederit. 

2.  Édii.  antinomes.  (Correction  mal  fondée.  Voy.  Thucyd.,  I,  139.) 

3.  Va7'.  civilisée. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR.  27  I 


Romanis  loca,  Christo  vero  subdita  ('*).  Que  dirai-je  des  peu- 
ples d'Espagne,  et  de  la  belliqueuse  nation  des  Gaulois, l'effroi 
et  la  terreur  des  Romains,  et  des  fiers  Allemands,  qui  se 
vantaient  de  ne  craindre  autre  chose  sinon  que  le  ciel  tombât 
sur  leurs  têtes  ?  Ils  sont  venus  à  Jésus,  doux  et  simple[s] 
comme  des  agneaux,  demander  pardon  humblement,  poussés 
d'une  crainte  respectueuse.  Rome  même,  cette  ville  superbe 
qui  s'était  si  longtemps  enivrée  du  sang  des  marytrs  de 
Jésus,  Rome  la  maîtresse  a  baissé  la  tête,  et  a  porté  plus 
d'honneur  au  tombeau  d'un  pauvre  pêcheur,  qu'aux  temples 
de  son  Romulus  :  Ostendatur  mihi  Romœ  tanto  in  Jionore 
templum  Romtili,  in  quanto  ibi  ostendo  niemoriam  Pétri  (^). 
Il  n'y  a  point  d'empire  si  vaste,  qui  n'ait  été  resserré  dans 
quelques  limites.  Jésus  règne  partout,  dit  le  grave  Tertul- 
lien  :  c'est  dans  le  livre  contre  les  Juifs,  duquel  j'ai  tiré 
presque  tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire  de  l'étendue  du 
royaume  de  Dieu  (').  «Jésus  règne  partout,  dit-il,  Jésus  est 
adoré  partout.  Devant  lui  la  condition  des  rois  n'est  pas 
meilleure  que  celle  des  moindres  esclaves.  Scythes  ou  Ro- 
mains, Grecs  ou  Barbares,  tout  lui  est  égal,  il  est  égal  à  tous, 
il  est  roi  de  tous,  il  est  le  Seigneur  et  le  Dieu  de  tous:  » 
Chinsti  regnum  et  nomen  îibique porrigitttr ,  7tbiq2ic  régnât, 
ubique  adoratur  ;  non  régis  apud  illum  viajor  gratia,  non 
barbari  alicujus  inferior  lœtitia  ;  omnibus  œqnalis,  onniib^cs 
rex,  omnibus  Deus  et  Domimts  est  (').  Et  ce  qui  est  de  plus 
admirable,  c'est  que  ce  ne  sont  point  les  nobles  et  les  empe- 
reurs qui  lui  ont  amené  les  simples  et  les  roturiers  :  au  con- 
traire, il  a  amené  les  empereurs  par  l'autorité  des  pêcheurs. 
Il  a  permis  que  les  empereurs  avec  toute  la  puissance  du 
monde  résistassent  à  sa  pauvre  Église  par  toute  sorte  de 
cruautés,  afin  de   faire  voir  qu'il  ne  tenait  pas   son  royaume 

a.  Tcrtull,  Adi'.Jud.^  n.  7.  —  b.  S.  AuJ,^,  In  Ps  XI. IV,  n.  23.  —  Ms.  Ostinde 
iniJii..^  i)i  qiKDito  ostendo  /ibi...  -    c.  Tertull.,  Adv.  Jud.^  n.  7. 

I.  Bossuet  dira  de  même,  vingt-cinq  ans  plus  tard  :  <.<  Cent  ans  après  JKSUS- 
Chrisi",  saint  Justin  comptait  d(5j;\  parmi  les  hdcles  beaucoup  de  nations 
sauvages,  et  juscju'à  ces  peuples  vagabonds  (jui  erraient   dei;.\  et  delà  sur  îles 

chariots,  sans  avoir  de  demeure  lixe Au  milieu  du  troisième  siècle,  Terlullien 

et  Origène  font  voir  dans  l'I'-glise  des  |)euplcs  entiers  ipi  im  pou  ilevanl  on  n'y 
mettait  pas.  »  -  Kt  il  citera  à  l'appui  le  même  traite  de  l'eitullien  Advctsus 
Judicos^  c.  7.  {Discours  sur  V Histoire  universelle^  W  partie,  cli.  XX.) 


272  POUR  LA  CIRCONCISION 

dc^  l'appui  ni  de  la  complaisance  des  grands.  Mais  quand  il 
lui  a  plu  d'abaisser  à  ses  pieds  la  majesté  de  l'empire  :  Venez, 
venez  à  moi,  ô  Césars  !  Assez  et  trop  longtemps  vous  avez 
persécuté  mon  Église  :  entrez  vous-mêmes  dans  mon 
royaume,  où  vous  ne  serez  pas  [p.  1 6]  plus  considérables  que 
les  moindres  de  vos  sujets.  A  même  temps  Constantin,  ce 
triomphant  empereur,  obéissant  à  la  Providence,  éleva 
l'étendard  de  la  croix  au-dessus  des  aigles  romaines,  et  par 
toute  l'étendue  de  l'empire  la  paix  fut  rendue  aux  Églises. 

Où  êtes-vous,  ô  persécuteurs  ?  que  sont  devenus  ces  lions 
rugissants  qui  voulaient  dévorer  le  troupeau  .du  Sauveur  ? 
Mes  frères,  ils  ne  sont  plus  ;  Jésus  les  a  défaits:  «  Ils  sont 
tombés  à  ses  pieds:  »  Popidi  sub  te  cadent.  Il  en  est  arrivé 
comme  de  saint  Paul.  «  Jésus  fît  mourir  son  persécuteur,  et 
mit  en  sa  place  un  disciple  :  »  Occisus  est  inimicus  Christi^ 
vivit  discipulics  Christi,  dit  saint  Augustin  (f).  Ainsi  ces 
peuples  farouches,  qui  frémissaient  comme  des  lions  contre 
les  innocents  agneaux  de  Notre-Seigneur,  ils  ne  sont  plus, 
ils  sont  morts;  «  Jésus  les  a  frappés  au  cœur  :  »  In  corda 
ijiiniicorum^  «  C'était  dans  le  cœur  qu'ils  s'élevaient  contre 
lui,  c'est  dans  le  cœur  qu'il  les  a  abaissés:  »  Cadunt  in  corde. 
Ibi  se  erigebant  adversus  ChHstum,  ibi  cadunt  ante  Ckristum. 
«  Les  flèches  de  mon  Maître  ont  percé  le  cœur  de  ses 
ennemis  :  »  Sagittœ  Potentis  acutœ^  in  corda  inimicorum 
régis.  Il  les  a  blessés  de  son  saint  amour.  «  Les  ennemis 
sont  défaits,  mon  Sauveur  en  a  fait  des  amis:  »  Ceciderunt ; 
ex  inimicis  amici  facti  sunt  ;  inimici  mortui  sunt,  amici 
vivunt  (^).  Et  comment  cela  ?  «  Par  la  croix:»  Domuit  orbem; 
non  ferra,  sed  ligno  (^).  «  Le  royaume  qui  n'était  pas  de  ce 
monde  a  dompté  le  royaume  superbe,  non  par  la  fierté  d'un 
combat,  mais  par  l'humilité  de  la  patience:  »  Regnum  quod 
de  hoc  nnindo  non  erat,  sitperbum  niundum  non  atrocitate 
pîignandi,  sed patiendi  humilitate  vincebat  (^\ 

C'est  pourquoi,  dans  ce  même  temps,  faites  avec  moi  cette 
dernière  remarque;  dans  ce  même  temps,  dis-je,  dans  lequel 
la  paix  étant   donnée  à  l'Église  tout  ne  respirait  que  Jésus, 

a.  In  Ps.  XLiv,  n.  i6.  —  b.  S.  Aug.,  ibid.  —  c.  In  Ps.  xcv,  n.  2.  —  d.  Injoan. 
Tract,  cxvi. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR. 


273 


on  lui  élevait  des  temples  de  tous  côtés,  on  renversait  les 
idoles  par  toute  la  terre;  dans  ce  même  temps  où  les  véné- 
rables évêques,  qui  sont  les  princes  de  son  empire,  s'assem- 
blèrent de  toutes  parts  à  Nicée  pour  y  tenir  les  premiers 
Etats  généraux  de  tout  le  royaume  de  Jksus-Christ,  dans 
lesquels  toutes  les  provinces  du  monde  confessèrent  sa 
divinité  ;  dans  ce  même  temps  la  croix  précieuse  à  laquelle 
avait  été  pendu  le  Sauveur,  croix  quijusques  alors  avait  été 
cachée  (et  peut-être  que  la  Providence  divine  jugeait  que  la 
croix  de  Notre-Seigneur  paraissait  assez  en  ses  membres 
durant  la  persécution  des  fidèles)  ;  la  croix  donc,  jusques 
alors  cachée,  pesez  toutes  ces  circonstances,  fut  découverte 
en  ce  temps  par  de  grands  et  extraordinaires  miracles;  elle 
fut  reconnue,  elle  fut  adorée.  Et  ce  n'est  point  ici  une  his- 
toire douteuse  :  elle  doit  être  approuvée  par  tous  ceux  qui 
aiment  les  antiquités  chrétiennes,  dans  lesquelles  nous  la 
voyons  très  évidemment  attestée.  Eh  !  penseriez-vous  bien, 
chrétiens,  qu'une  chose  si  mémorable,  si  célèbre  parmi  les 
Pères,  soit  arrivée  en  ce  temps  sans  quelque  profond  con- 
seil de  la  sagesse  éternelle  ?  Cela  est  hors  de  toute  appa- 
rence. Que  dirons  nous  donc  en  cette  rencontre.'^  C'est  que 
tout  le  monde  est  dompté,  tout  a  fléchi  sous  les  lois  du 
Sauveur. 

Paraissez,  paraissez,  il  est  temps,  ô  croix  (]ui  avez  fait  cet 
ouvrage  :  c'est  vous  qui  avez  brisé  les  idoles  ;  c'est  vous  qui 
avez  subjugué  les  peuples  ;  c'est  vous  qui  avez  donné  la 
victoire  aux  valeureux  soldats  de  j  Ésus,  qui  ont  tout  surmonté 
par  la  patience.  Vous  serez  gravée  sur  le  front  des  rois,  vous 
serez  le  principal  ornement  de  la  couronne  des  empereurs,  ô 
croix,  qui  êtes  la  joie  et  l'espérance  de  tous  les  fidèles.  Con- 
cluons donc  de  tout  ce  discours  que  la  croix  est  un  trône 
magnifique,  que  le  nom  de  Jésus  est  un  nom  bien  digne  d'un 
roi,  et  qu'un  Dieu  descendant  sur  la  terre  pour  vivre  parmi 
les  hommes,  n'y  pouvait  rien  faire  de  plus  gr.uul.  rien  de 
plus  royal,  rien  de  plus  divin,  que  de  sauver  tout  le  genre 
humain  par  une  mort  généreuse. 


Sermons  do  Hossuet. 


Il 


2  74  POUR  LA  CIRCONCISION 


SECOND    POINT. 

Et  plût  à  Dieu,  chrétiens,  que,  pour  achever  de  vous  faire 
voir  la  gloire  de  cette  mort,  il  me  restât  assez  de  loisir  pour 
vous  entretenir  quelque  temps  de  la  qualité  de  pontife  que 
Notre-Seieneur  a  si  bien  méritée!  C'est  là  que,  suivant  la 
doctrine  toute  céleste  de  l'incomparable  Epître  aux  Hébreux, 
par  la  comparaison  du  sacerdoce  de  la  loi  mosaïque,  je 
tâcherais  de  vous  faire  connaître  la  dignité  infinie  de  la 
prêtrise  de  Jésus-Christ.  Vous  verriez  Aaron  portant  à  un 
autel  corruptible  des  génisses  et  des  taureaux,  et  Jésus  pon- 
tife et  victime  présentant  devant  le  trône  de  Dieu  sa  chair 
formée  par  le  Saint-Esprit,  oblation  sainte  et  vivante  pour 
l'expiation  de  nos  crimes.  Vous  verriez  Aaron  dans  un  taber- 
nacle mortel  effaçant  quelques  immondices  légales,  et  cer- 
taines irrégularités  de  la  loi,  par  le  sang  des  animaux  égorgés; 
et  Jésus  à  la  droite  de  la  majesté  faisant  par  la  vertu  de  son 
sang  la  vraie  purification  de  nos  âmes.  Vous  verriez  Aaron 
consacré  par  un  sang  étranger,  comme  il  est  écrit  dans  le 
Lévitique  (''),  et  «  par  ce  même  sang  étranger,  »  in  sanguine 
alieno,  dit  l'Apôtre  (^),  entrer  dans  le  sanctuaire  bâti  de 
main  d'homme;  et  Jésus,  consacré  par  son  propre  sang, 
entrer  aussi  par  son  propre  sang  dans  le  sanctuaire  éternel, 
dont  il  ouvre  la  porte  à  ses  serviteurs.  Vous  verriez,  ô  l'ad- 
mirable spectacle  pour  des  âmes  vraiment  chrétiennes  !  vous 
verriez  d'une  part  tous  les  hommes  révoltés  ouvertement 
contre  Dieu  ;  et  d'autre  part  la  justice  divine  prête  à  les 
précipiter  dans  l'abîme  en  la  compagnie  des  démons,  desquels 
ils  avaient  suivi  les  conseils  et  imité  la  présomption,  lorsque 
tout  à  coup  ce  saint,  ce  charitable  pontife,  ce  pontife  fidèle 
et  compatissant  à  nos  maux,  paraît  entre  Dieu  et  les  hom- 
mes. Il  se  présente  pour  porteries  coups  qui  allaient  tomber 
sur  nos  têtes,  il  répand  son  sang  sur  les  hommes,  il  lève  à 
Dieu  ses  mains  innocentes  ;  et,  pacifiant  ainsi  le  ciel  et  la 
terre,  il  arrête  le  cours  de  la  vengeance  divine,  et  change 
une  fureur   implacable  en  une  éternelle  miséricorde.  Vous 

a.  Lev.^  VIII.  —  b.  Hebr.^  IX,  25. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR. 


275 


verriez  comme  tous  les  fidèles  deviennent  prêtres  et  sacrifi- 
cateurs, par  le  sang  précieux  de  Jésus  par  lequel  ils  sont 
consacrés.  Je  vous  les  représenterais,  ces  nouveaux  sacrifi- 
cateurs, revêtus  d'une  étole  céleste,  blanchis  dans  les  eaux 
du  baptême  et  dans  le  sang  de  l'Agneau,  officiant  tous 
ensemble  non  sur  un  autel  de  matière  terrestre,  mais  sur  att 
autel  céleste  qui  représente  le  Fils  de  Dieu  (en  l'Apoca- 
lypse, viii)  ;  et  là  charger  cet  autel  de  victimes  spirituelles, 
c'est-à-dire,  de  prières  ferventes,  de  cantiques  de  louanges  et 
de  pieuses  actions  de  grâces,  qui  de  toutes  les  parties  de  la 
terre  montent  de  dessus  ce  mystérieux  autel  devant  la  face 
de  Dieu,  ainsi  qu'un  parfum  agréable  et  un  sacrifice  de  bonne 
odeur,  au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  grand- 
prêtre  et  sacrificateur  éternel  selon  l'ordre  de  Melchisédech. 
Et  que  ne  dirions-nous  pas  de  cet  incomparable  pontife, 
de  ce  médiateur  du  Nouveau  Testament,  par  qui  seul 
toutes  les  oraisons  sont  bien  reçues,  par  qui  les  péchés  sont 
remis,  par  qui  toutes  les  grâces  sont  entérinées,  qui  par  une 
nouvelle  alliance  a  rompu  le  damnable  traité  que  nous  avions 
fait  avec  l'enfer  et  la  mort,  selon  ce  que  dit  Isaïe  (au  chapitre 
y.y.Ni\\)\  Delebitur fœdus  vestrum  cîcm  morte, et pacttcvi  vestr^im 
cum  inferno  non  stabit  :  «  Votre  pacte  avec  la  mort  sera 
annulé,  et  votre  pacte  avec  l'enfer  ne  tiendra  pas.  »  C'est  ce 
que  nous  dirions,  chrétiens.  Puis,  joignant  cette  doctrine 
tout  apostolique  à  ce  que  nous  venons  de  prêcher  de  la 
royauté  du  Sauveur,  nous  conclurions  hautement,  dans 
l'épanchement  de  nos  cœurs,  que  le  nom  de  Jésus,  qui  en- 
ferme toutes  ces  merveilles,  est  un  nom  au-dessus  de  tout 
nom  ('),  comme  l'Apôtre  l'enseigne  aux  Philippicns  ("),  et 
qu'il  était  bien  convenable,  selon  le  même  Apôtre  aux 
Hébreux  (^'),  que  Dieu  dédiât  et  consacrât  par  sa  Passion 
le  prince  de  notre  salut.  Mais  puisqu'il  a  plu  à  celui  qui  nous 
inspire  dans  cette  chaire  de  vérité,  de  nous  fournir  assez  de 
pensées  pour  remplir  tout  cet  entretien  de  la  royauté  de 
Jésus,  fidèles,  demeurons-en  là,  en  attendant  que  la  l*rovi- 

a.  Philip  p.,  n,  9.  —  b.  Hcbr.^  Il,  10. 

I.  Ms.  «  de  tous  noms.  »  —  Distraction,  car  raiitcin  ne  s'rcarlcraii  pas  volon- 
tairement du  texte  sacrd  :  Super  omne  nomen. 


276  POUR  LA  CIRCONCISION 

dence  divine  nous  fasse  tomber  sur  la  même  matière,  et 
tirons-en  quelques  instructions  pour  l'édification  de  nos 
âmes. 

Donc,  ô  peuples  de  Jésus-Christ,  si  le  Fils  de  Dieu  est 
votre  vrai  roi,  songez  à  lui  rendre  vos  obéissances.  Rappel- 
lerai-je  ici  de  bien  loin  la  mémoire  des  siècles  passés,  pour 
vous  faire  voir  comme  les  bons  princes  ont  été  les  délices 
de  leurs  sujets  ?  Que  n'ont  pas  fait  les  peuples  pour  les  rois 
qui  ont  sauvé  leurs  pays,  les  vrais  pères  de  la  patrie  ?  Ah  ! 
il  y  a  dans  nos  cœurs  je  ne  sais  quelle  inclination  naturelle 
pour  les  princes  que  Dieu  nous  donne,  que  ni  les  disgrâces 
ni  aucun  mauvais  traitement  ne  [p.  19]  peut  arracher  aux 
âmes  bien  nées.  Qu'il  est  aisé  aux  rois  de  la  terre  de  gagner 
l'affection  de  leurs  peuples  !  Un  souris,  un  regard  favorable, 
un  visage  ouvert  et  riant  satisfait  quelquefois  les  plus 
difficiles.  In  kilaritate  vultus  régis  vita,  disait  autrefois 
le  Sage  (''):  «  La  vie  est  dans  les  regards  du  prince,  » 
quand  on  les  a  sereins  et  tranquilles.  Peuples,  c'est 
une  chose  certaine,  vous  le  savez  :  un  gouvernement  doux 
et  équitable,  une  puissance  accompagnée  de  bonté  et 
d'une  humeur  bienfaisante,  charme  les  âmes  les  plus  sau- 
vages. C'est  un  sentiment  commun  parmi  les  hommes 
d'honneur,  que  pour  de  tels  princes  la  vie  même  est  bien 
employée. 

Il  n'y  a  que  le  roi  Jésus  à  qui  la  douceur  et  les  lar- 
gesses ne  servent  de  rien.  Il  a  beau  nous  ouvrir  ses  bras 
pour  nous  embrasser  ;  il  a  beau  nous  obliger,  non  par  de 
vaines  caresses,  mais  par  des  bienfaits  effectifs  ;  nous 
sommes  de  glace  pour  lui,  nous  aimons  mieux  nous  re- 
paître des  frivoles  apparences  du  monde,  que  de  l'amitié 
solide  qu'il  nous  promet.  Ah  !  pourrai-je  bien  vous  dire 
avec  combien  de  soin  il  a  recherché  notre  amour  ."^  Il  est 
notre  roi  par  naissance,  il  l'est  de  droit  naturel  ;  il  a  voulu 
l'être  par  amour  et  par  bienfaits.  Il  faut,  dit-il,  que  je  les 
délivre,  ces  misérables  captifs.  Je  pourrais  bien  le  faire  autre- 
ment, mais  je  veux  les  sauver  en  mourant  pour  eux,  afin  de 
les  obliger  à  m'aimer.  J'irai  au  péril  de  ma  vie,  j'irai   avec 

a.  Proz.^  XVI,  15. 


DE  NOTRE-SEIGNEUR. 


^11 


la  perte  de  tout  mon  sang  les  arracher  de  la  mort  éternelle. 
N'importe,  je  le  ferai  volontiers  ;  pourvu  seulement  qu'ils 
m'aiment,  je  ne  leur  demande  point  d'autre  récompense.  Je 
les  ferai  régner  avec  moi. 

Eh  !  mes  frères,  dites-moi,  je  vous  prie,  que  nous  a  fait 
Jésus,  le  meilleur  des  princes,  qu'avec  une  telle  bonté  il 
ne  peut  gagner  nos  affections,  il  ne  peut  amollir  la  dureté 
de  nos  cœurs  1  Certes,  peuple  de  Metz,  je  vous  donnerai 
cet  éloge,  que  vous  êtes  fidèle  à  nos  rois.  On  ne  vous  a 
jamais  vu  entrer,  non  pas  même  d'affection,  dans  les  divers 
partis  qui  se  sont  formés  contre  leur  service.  Votre  obéis- 
sance n'est  pas  douteuse,  ni  votre  fidélité  chancelante. 
Quand  on  parlait  ces  jours  passés  (')  de  ces  lâches  qui 
avaient  vendu  aux  ennemis  de  l'Etat  les  places  que  le 
roi  leur  a  confiées,  on  vous  a  vu[s]  frémir  d'une  juste  in- 
dignation. Vous  les  nommiez  des  traîtres,  indignes  de  voir 
le  jour,  pour  avoir  ainsi  lâchement  trompé  la  confiance 
du  prince,  et  manqué  de  foi  à  leur  roi.  Fidèles  aux  rois 
de  la  terre,  pourquoi  ne  sommes-nous  traîtres  qu'au  Roi 
des  rois  1  pourquoi  est-ce  qu'il  n'y  a  qu'envers  lui  que 
le  nom  de  perfides  ne  nous  déplaît  pas,  qui  serait  le  plus 
sensible  reproche  que  l'on  nous  pût  faire  en  toute  autre 
rencontre  } 

Mes  frères,  le  roi  Jésus  nous  a  confié  à  tous  une  place, 
qui  lui  est  de  telle  importance,  qu'il  l'a  voulu  acheter  par 
son  sang  :  cette  place,  c'est  notre  âme,  qu'il  a  commise  à 
notre  fidélité.  Nous  sommes  obligés  de  la  lui  garder,  par 
un  serment  inviolable  que  nous  lui  avons  prêté  au  baptême. 
Il  l'a  munie  de  tout  ce  qui  est  nécessaire,  au  dedans  par 
ses  grâces  et  son  Saint-Esprit,  au  dehors  par  (p.  20)  la 
protection  angélique.  Rien  n'y  manque,  elle  est  imprenal)le, 

I.  Fin  décembre,  par  conséquent.  Tout  Paris  retentira,  dh  le  commencement 

de  décembre  1653,  de  la  trahison  du  comte  d'IIarcourt  ''I.orct,  ^fuu'  historique^ 
Lettre  du  6  décembre)  :  sans  doute  aussi  Metz,  ville  voisine  des  événcnu-nts. 
D'ailleurs,  Hossuct  appellerait-il  Brisacli  «  une  place  c|uc  le  roi  a  confiée  »  au 
rebelle,  lorsque  celui-ci  s'y  était  de  lui-même  établi  et  maintenu.  malv,Mt"  r.iuio- 
rité  royale.^  Des  bruits  de  trahison  se  répandaient  aussi  en  décembre  1852. 
(Voy.  Loret,  14  et  21  décembre.)  Venant  du  Midi  de  la  1- rance,  ils  durent  éclater 
en  Lorraine  quelques  jours  plus  lard  cpie  d.ins  la  capitale.  Celle  date  correspond 
mieux  avec  les  caractères  du  manusii  it. 


278  POUR  LA  CIRCONCISION 


elle  ne  peut  être  prise  que  par  trahison.  Traîtres  et  perfides 
que  nous  sommes,  nous  la  livrons  à  Satan  ;  nous  vendons  à 
Satan  le  prix  du  sang  de  Jésus,  à  Satan  son  ennemi  capital, 
qui  a  voulu  envahir  son  trône,  qui,  n'ayant  pas  pu  réussir 
au  ciel  dans  son  audacieuse  entreprise,  est  venu  sur  la  terre 
lui  disputer  son  royaume,  et  se  faire  adorer  en  sa  place. 
O  perfidie  !  ô  indignité  !  c'est  pour  servir  Satan  que  nous 
trahissons  notre  prince  crucifié  pour  nous,  notre  unique  libé- 
rateur ! 

Figurez-vous,  chrétiens,  qu'aujourd'hui,  au  milieu  de 
cette  assemblée,  paraît  tout  à  coup  un  ange  de  Dieu,  qui 
fait  retentir  à  nos  oreilles  ce  que  disait  autrefois  Élie  aux 
Samaritains  :  «  Peuples,  jusques  à  quand  chancellerez-vous 
entre  deux  partis  ?  »  Quousque  claudicatis  in  duas partes  (f)  ? 
Si  le  Dieu  d'Israël  est  le  vrai  Dieu,  il  faut  l'adorer  ;  si  Baal 
est  Dieu,  il  faut  l'adorer.  Chers  frères,  les  prédicateurs 
sont  les  anges  du  Dieu  des  armées.  Je  vous  dis  donc  au- 
jourd'hui à  tous,  et  Dieu  veuille  que  je  me  le  die  à  moi- 
même  comme  il  faut  :  Quousque  claudicatis  ?  «  Jusques  à 
quand  serez-vous  chancelants  .^  »  Si  Jésus  est  votre  roi, 
rendez-lui  vos  obéissances  ;  si  Satan  est  votre  roi,  rangez- 
vous  du  côté  de  Satan.  Il  faut  prendre  parti  aujourd'hui. 
Ah  !  mes  frères,  vous  frémissez  à  cette  horrible  proposition. 
A  Jésus,  à  Jésus,  dites-vous  ;  il  n'y  a  pas  ici  lieu  de  déli- 
bérer. Et  moi,  nonobstant  ce  que  vous  me  dites,  je  réitère 
encore  la  même  demande  ;  Quousque  claudicatis  in  duas 
partes  ?  «  Eh  !  serez-vous  à  jamais  chancelants,  »  sans 
prendre  parti  comme  il  faut  '^  Si  je  suis  votre  Maître,  dit  le 
Seigneur  par  la  bouche  de  son  prophète,  «  où  est  l'honneur 
que  vous  me  devez  {^)  .^  »  «  Et  pourquoi  m'appelez-[vous] 
Seigneur,  et  ne  faites  pas  ce  que  je  vous  dis  ?  »  dit  Notre- 
Seigneur  en  son  Évangile  (')  ?  Que  voulez-vous  que  l'on 
croie,  ou  nos  paroles,  ou  nos  actions? 

Le  Fils  de  Dieu  nous  ordonne  que  nous  approchions  de 
son  Père  en  toute  pureté  et  en  tempérance.  Et  pourquoi 
donc  tant  d'infâmes  désirs  ?  pourquoi  tant  d'excessives  dé- 
bauches }  Il  nous  ordonne  d'être  charitables  ;  et,  fidèles,  la 

a.  III  Reg.^  xvni,  21.  —  b.  Malach.^  I,  6.  —  c,  Luc.y  VI,  46. 


DE  NOTRE  SEIGNEUR.  279 


charité  pourra-t-elle  jamais  s'accorder  avec  nos  secrètes  en- 
vies, avec  nos  médisances  continuelles,  avec  nos  inimitiés 
irréconciliables  ?  Le  Fils  de  Dieu  nous  ordonne  de  soulao-er 
les  pauvres  autant  que  nous  le  pourrons  ;  et  nous  ne  crai- 
gnons pas  de  consumer  la  substance  du  pauvre,  ou  par  de 
cruelles  rapines,  ou  par  des  usures  plus  que  judaïques.  Quo- 
tcsque  clattdicatis  ?  Mes  frères,  il  ne  faut  plus  chanceler  ;  il 
faut  être  tout  un  ou  tout  autre.  Si  Jésus  est  notre  roi,  don- 
nons- (')  lui  nos  œuvres,  comme  nous  lui  donnons  nos  pa- 
roles. Si  Satan  est  notre  roi,  ô  chose  abominable  !  mais  la 
dureté  de  nos  cœurs  nous  contraint  de  parler  de  la  sorte  ;  si 
Satan  est  notre  roi,  ne  lui  refusons  pas  nos  paroles  après  lui 
avoir  donné  nos  actions.  Mais  à  Dieu  ne  plaise,  mes  frères, 
que  jamais  nous  fassions  un  tel  choix  !  Et  comment  pour- 
rions-nous supporter  les  regards  de  cet  Agneau  sans  tache, 
meurtri  pour  l'amour  de  nous  ?  Dans  cette  terrible  journée, 
où  ce  roi  descendra  en  sa  majesté  juger  les  vivants  et  les 
morts,  comment  soutiendrions-nous  l'aspect  de  ses  plaies 
qui  nous  reprocheraient  notre  ingratitude  ?  Où  trouverions- 
nous  des  antres  assez  obscurs  et  des  abîmes  assez  profonds 
pour  cacher  une  si  noire  perfidie  ?  Et  comment  souffririons- 
nous  les  reproches  de  cette  tendre  amitié  si  [p.  21]  indigne- 
ment méprisée,  et  la  voix  effroyable  du  sang  de  l'Agneau 
qui  a  crié  pour  nous  sur  la  croix  pardon  et  miséricorde,  et 
dans  ce  jour  de  colère,  criera  vengeance  contre  notre  foi 
mal  gardée  et  contre  nos  serments  infidèles  ? 

O  Dieu  éternel  !  combien  dur,  combien  insupportable  sera 
ce  règne  que  Jésus  commencera  en  ces  jours  d'exercer  sur 
ses  ennemis  !  Car  enfin,  fidèles,  il  est  nécessaire  qu'il  règne 
sur  nous.  L'empire  des  nations  lui  est  promis  par  les  pro- 
phéties. S'il  ne  règne  sur  nos  âmes  par  miséricorde,  il  y  ré- 
gnera par  justice  ;  s'il  n'y  règne  par  amour  et  par  grâce,  il  y 
régnera  par  la  sévérité  de  ses  jugements  et  par  la  rigueur  de 
ses  ordonnances.  Et  que  diront  les  méchants  quand  ils  sen- 
tiront, mal  gré  qu'ils  en  aient,  leur  roi  en  eux-mêmes  app(!- 
santir  sur  eux  son  bras  tout-puissant;  lorsque  Dieu,  frappant 
d'une  main,  soutenant  de  l'autre,   les   brisera  éternel lenK^nt 


I.  Ms.  donnez  (distraction). 


28o  POUR  LA  CIRCONCISION   DE   NOTRE-SEIGNEUR. 


de  ses  coups  sans  les  consumer  ?  Et  ainsi,  toujours  vivants 
et  toujours  mourants,  immortels  pour  leur  peine,  trop  forts 
pour  mourir,  trop  faibles  pour  supporter,  ils  gémiront  à 
jamais  sur  des  lits  de  flammes,  outrés  de  furieuses  et  irrémé- 
diables douleurs  ;  et  poussant  parmi  des  blasphèmes  exécra- 
bles mille  plaintes  [p.  22]  désespérées,  ils  confesseront,  par 
une  pénitence  tardive,  qu'il  n'y  avait  rien  de  si  raisonnable 
que  de  laisser  régner  Jésus  sur  leurs  âmes  :  dignes  certes 
des  plus  horribles  supplices,  pour  avoir  préféré  la  tyrannie 
de  l'usurpateur  à  la  douce  et  légitime  domination  du  prince 
naturel  {').  O  Dieu  et  Père  de  miséricorde  !  détournez  ces 
malheurs  de  dessus  nos  têtes. 

Mes  frères,  ne  voulez-vous  pas  bien  que  je  renouvelle 
aujourd'hui  le  serment  de  fidélité  que  nous  devons  tous  à 
notre  grand  roi  ?  O  roi  Jésus  !  à  qui  nous  appartenons  à  si 
juste  titre,  qui  nous  avez  rachetés  par  un  prix  d'amour  et  de 
charité  infinie,  je  vous  reconnais  pour  mon  souverain.  C'est 
à  vous  seul  que  je  me  dévoue.  Votre  amour  sera  ma  vie, 
votre  loi  sera  la  loi  de  mon  cœur.  Je  chanterai  vos  louanges, 
jamais  je  ne  cesserai  de  publier  vos  miséricordes.  Je  veux 
vous  être  fidèle,  je  veux  être  à  vous  sans  réserve,  je  veux 
vous  consacrer  tous  mes  soins,  je  veux  vivre  et  mourir  à 
votre  service.  Amen. 

I.  Passage  éloquent,   depuis  :«  Et  que   diront  les  méchants...?  »  souligné  à 
l'époque  des  sommaires  (1662). 


% 
t 
^ 


Sur  les  DEUX  ALLIANCES  (■), 


prêché  à  Metz,  chez  les  Sœurs  de  la  Propagation  de 


la  Foi,  le   11^  dimanche  après  l'Epiphanie,   1653. 


h 

D'après  les  mémoires  de  Ledieu  (p.  58),  Bossuet  aurait  d'abord 
improvisé  une  allocution  sur  ce  sujet  devant  Schonberg  et  Marie  de 
Hautefort,  «  un  dimanche  dans  l'Octave  des  Rois  (2).  »  Quoi  qu'il 
en  soit,  nous  avons  une  ébauche  qu'il  rédigea  pour  le  dimanche 
suivant,  jour  auquel  se  lit  l'évangile  des  Noces  de  Cana. 


Nuptiœ  factœ  su7it  in  Cana  Galileœ^  et 
erat  mater  Ji'su  ibi.  Vocaius  est  aittem  et 
Jésus  et  discipuli  ejus.  (Joan.,  II.) 

JESUS  et  sa  sainte  Mère  avec  ses  disciples,  chères  sœurs, 
quelle  compagnie!  Ils  sont  invités  à  un  festin  :  ô  festin 
pieux!  et  à  un  festin  nuptial:  ô  noces  mystérieuses!  Mais  à 
ce  festin,  le  vin  y  manque  ;  le  vin  que  les  délicats  appellent 
l'âme  des  banquets.  Est-ce  avarice  ?  est-ce  pauvreté  ?  est-ce 
négligence  ?  ou  bien  n'est-ce  pas  plutôt  quelque  grand  mys- 
tère que  l'Esprit  nous  propose  pour  exercer  nos  intelligences? 
Certes  il  est  ainsi,  mes  très  chères  sœurs.  Car  je  vois  que  le 
Sauveur  Jésus,  pour  suppléer  à  ce  défaut,  change  l'eau  en 
vin  excellent  ;  et  ce  vin  se  sert  à  la  fin  du  repas,  au  grand 
étonnement  de  la  compagnie.  O  vin  admirable  et  plein  de 
mystères,  fourni,  parla  charité  de  Jésus,  aux  prières  de  la 
sainte  Vierge  !  Je  vous  demande,  mes  sœurs,  quel  intérêt 
prend  le  Maître  de  sobriété  à  ce  que  cette  compagnie  ne  soit 
pas  sans  vin.  Etait-ce  chose  qui  méritât  que  sa  toute-puis- 

1.  Mss.  1282 f,  f.  356-365;  non  paginé.  Jugt'  trop  peu  important  pour  être 
résume. 

2.  C'était  pendant  le  dîner  que  l'invitation  lui  avait  été  adressée.  0\\  en  a 
conclu  qu'il  avait  prccln5  i\  table.  (Flocpiet,  I-.titt/es..^  1,  345.  —  Edition  (Uiorin, 
1870.  —  Edition  (îuillaume,  1877.)  Cela  n'est  ^uère  vraisemblable  :  il  faut 
sans  doute  entendre  (pi'il  prêcha  h  l'office  du  soir,  cpii  suivit  le  repas.  Notre 
sermon,  que  nous  regardons  avec  M.  (iandar,  comme  un  des  plus  anciens  de 
Bossuet,  ne  peut  se  placer,  d'après  l'orthogr.vphe,  en  ilet;.\  de  1653.  Hossucl 
revint  sur  ce  sujet  l'année  suivante,  et  rodigea  pour  cette  circonstance  une  feuille 
nouvelle,  que  nous  donnerons  au  commencement  île  lA^^. 


282  SUR  LES  CARACTÈRES 

sancey  fût  employée  ?  Était-ce  en  une  pareille  rencontre  où 
il  devait  commencer  à  manifester  sa  gloire  ;  et  un  ouvrage 
de  cette  nature  devait-il  être  son  premier  miracle  ?  Croyez- 
vous  que  ceci  soit  sans  mystère  ?  A  Dieu  ne  plaise,  âmes 
chrétiennes,  que  nous  ayons  une  telle  opinion  de  notre  Sau- 
veur! Il  est  la  Sagesse  et  la  Parole  du  Père  :  tous  ses  discours 
et  toutes  ses  actions  sont  esprit  et  vie  ;  tout  y  est  lumière, 
tout  y  est  intelligence,  tout  y  est  raison  (').  O  Sagesse  éter- 
nelle, éclairez  par  votre  Esprit-Saint  notre  faible  et  impuis- 
sante raison,  pour  nous  faire  entendre  la  vôtre  ! 

Dans  cette  histoire  miraculeuse,  tout  me  représente  le 
Sauveur  Jésus.  Il  y  est  lui-même  en  personne  :  mais  si  j'ose 
parler  de  la  sorte,  il  y  est  encore  plus  en  mystère.  Il  est  in- 
vité selon  la  vérité  de  l'histoire;  et  si  nous  le  savons  enten- 
dre, il  est  lui-même  l'Époux  selon  la  vérité  du  mystère.  C'est 
une  chose  connue  que  Jésus  est  l'époux  des  âmes  fidèles.  Et 
néanmoins,  si  vous  me  le  permettez,  je  vous  déduirai  sur  ce 
point  quelques  vérités  chrétiennes  merveilleusement  pieuses. 

Dieu  remplit  le  ciel  et  la  terre,  et  il  se  trouve  en  tous 
lieux,  comme  l'enseigne  la  théologie  :  mais  il  sait  encore  se 
communiquer  d'une  façon  toute  particulière  aux  créatures 
intelligentes  :  Ad  eum  veniemtts,  et  mansionem  apud  eum 
faciemtts  {^\  Certes  il  est  incompréhensible,  mes  sœurs, 
comment  la  nature  divine  s'unit  aux  esprits  purs  par  de 
chastes  embrassements;  et  bien  que  ce  soit  un  secret  ineffable, 
si  est-ce  toutefois  que  les  Ecritures  divines  nous  le  représen- 
tent en  diverses  manières  et  par  de  différentes  figures. 
Tantôt  elles  nous  disent  que  Dieu  est  une  fontaine  de  vie, 
qui,  se  répandant  en  nos  âmes,  les  lave  et  les  nettoie,  leur 
communique  une  divine  fraîcheur,  et  étanche  leur  soif  ardente 
par  les  ondes  de  ses  vérités:  Fons  aquce salienlis [^) . . .  Quem- 
admodum  desïdc7^at  cervus  ad  fontes  aquarum  (^\  Tantôt 
elles  nous  le  décrivent  tout  ainsi   qu'une  douce  rosée,  qui 

a.Joan.^  XIV,  23.  —  Ms.  Ad  ipsum.  —  b.  Ibid.^  iv,  14.  —  c.  Ps.^  XLI,  2. 

I.  Cf.  Discours  sur  V Histoire  universelle  :  «  Tout  est  lumière  en  JÉSUS- 
Christ  :  sa  conduite  est  une  règle;  ses  miracles  sont  des  instructions;  ses  pa- 
roles sont  esprit  et  vie.  »  (11^  Partie,  ch.  xix.) 


DES  DEUX  ALLIANXES.  283 

arrosant  nos  esprits  comme  par  une  féconde  humidité,  y  fait 
germer  les  semences  célestes:  Rorate,  cœli,  desuper  i^).  Quel- 
quefois elles  nous  le  représentent  à  la  manière  d'un  feu  con- 
sumant, qui  pénétrant  toutes  nos  puissances,  dévore  toutes 
les  affections  étrangères,  et  épure  nos  âmes  comme  l'or  dans 
une  fournaise  :  Ignis  consumens  est  {^).  Elles  nous  disent 
ailleurs  que  Dieu  est  une  nourriture  admirable:  car  de  même 
que  toutes  les  parties  de  nos  corps  attirent  à  elles  une  cer- 
taine substance  sans  laquelle  elles  défaudraient,  et  ensuite  se 
l'incorporent  par  la  vertu  d'une  secrète  chaleur  que  la  nature 
leur  a  donnée  ;  ainsi  seraient  nos  âmes  destituées  de  toute 
vigueur,  si,  par  de  fidèles  désirs  que  le  Saint-Esprit  leur 
excite,  elles  n'attiraient  à  elles-mêmes  cette  vérité  éternelle 
qui  seule  est  capable  de  les  sustenter.  C'est  ce  qui  nous  est 
signifié  par  ce  pain  des  anges,  qui  est  devenu  le  pain  des 
hommes,  pain  céleste  «  que  nous  désirons  par  un  appétit  de 
vie  éternelle,  que  nous  prenons  par  l'ouïe,  que  nous  rumi- 
nons par  l'entendement,  que  nous  digérons  par  la  foi  :  »  ht 
cattsam  vitœ  appetendus,  et  devorandits  auditu,  et  niniinandits 
intellectu,  et  fide  digerendus  (^\  Telles  sont  à  peu  près  les 
comparaisons  dont  se  servent  les  Ecritures,  pour  nous  faire 
en  quelque  sorte  comprendre  cette  sainte  union  de  la  nature 
divine  avec  les  âmes  élues.  Mais  de  toutes  ces  comparaisons, 
la  plus  douce,  la  plus  aimable  et  la  plus  ordinaire  dans  les 
saintes  Lettres  est  celle  où  notre  grand  Dieu  est  comparé  à 
un  chaste  époux  qui,  par  un  sentiment  de  miséricorde,  épris 
de  l'amour  de  nos  âmes,  après  mille  amoureuses  caresses, 
après  mille  recherches  de  ses  saintes  inspirations,  s'unit  enfin 
à  elles  par  des  embrassements  ineffables  ;  et  les  ravissant 
d'une  certaine  douceur,  que  le  monde  ne  peut  entendre,  les 
remplit  d'un  germe  divin,  qui  fructifie  en  bonnes  cuuvres 
pour  la  vie  éternelle. 

Trois  conditions  du  mariage.  Union  :  Rni)it  duo  in  carne 
una  ('^).  Douceur  :  Facianius  adjiitoriuni  (O  :  il  est  seul, 
((  donnons-lui  un  aide  ;  >>  il  est  doux  d'être  aidé.  rY'Condité  : 
Crescite  et  jnultiplicamini  (f).  C'est  ce  que  l'apotrc  saint  Paul 

a.  h.,  XLV,   8.  —  â.  Deut.,  iv,  24.  —  c.  Tertiill.,  de  Rcsitr,  caifus,  n.  37.  — 

(i.  Cj't;i.,  n,  24.  —  c\  Ibiii.^  18.  — /.  Ihid.^  I,  22. 


284  SUR  LES  CARACTÈRES 

nous  enseigne,  lorsqu'il  dit  aux  chrétiens  que  de  même  que 
le  mari  et  la  femme  ne  sont  qu'une  même  chair,  ainsi  «  qui 
s'attache  à  Dieu  est  un  même  esprit  avec  lui  :»  Qtti  adhœret 
Domino,  inms  spiritus  est  (")  ;  doctrine  que  le  saint  Apôtre  a 
trouvée  si  utile  à  nos  âmes,  qu'il  la  répète  en  divers  endroits, 
qu'il  serait  trop  long  de  vous  rapporter. 

Or,  d'autant  que  nous  sommes  déchus  de  cette  première 
pureté  qui  nous  égalait  aux  anges  dans  l'innocence  de  notre 
origine,  étant  devenus  charnels  et  grossiers,  nous  ne  pour- 
rions plus  soutenir  les  approches  de  la  nature  divine,  si  elle 
ne  s'était  premièrement  rabaissée.  Et  de  là  vient  que  le  Fils 
de  Dieu,  égal  et  consubstantiel  à  son  Père,  pour  rappeler  les 
âmes  des  hommes  à  cet  heureux  mariage  avec  Dieu,  dont 
elles  avaient  violé  la  sainteté  par  l'infamie  de  leur  adultère,  est 
descendu  du  ciel  en  la  terre  ;  il  s'est  revêtu  de  chair  ;  il  a 
déposé  cette  majesté  terrible,  ou  plutôt  il  en  a  tempéré 
l'éclat  ;  il  a  pris  nos  faiblesses,  afin  d'être  en  quelque  façon 
notre  égal,  et  a  voulu  que,  par  la  nature  humaine  qu'il  a 
daigné  avoir  commune  avec  nous,  nous  trouvassions  un 
chemin  assuré  à  la  nature  divine,  de  laquelle  nous  nous  étions 
éloignés  par  une  funeste  désobéissance.  C'est  ce  charitable 
Epoux  de  l'Eglise,  c'est-à-dire  des  âmes  fidèles,  que  l'Apô- 
tre nous  dépeint  (aux  Ephésiens,  chapitre  v).  C'est  le  plus 
beau  des  enfants  des  hommes,  qui  a  aimé  son  épouse  laide, 
afin  de  la  faire  belle.  Il  l'est  venu  chercher  dans  la  terre,  afin 
de  la  conduire  en  triomphe  dans  la  céleste  patrie.  Il  a  donné 
son  âme  pour  elle,  il  l'a  lavée  de  son  sang,  il  l'a  nettoyée  en 
l'eau  du  baptême  par  des  paroles  de  vie  ;  son  royaume  est  sa 
dot,  ses  grâces  sont  sa  parure.  C'est  cet  Epoux,  chères  sœurs, 
qui  fait  aujourd'hui  son  premier  miracle,  et  représente  en 
son  premier  miracle  ce  qu'il  est  venu  faire  en  ce  monde.  Ses 
disciples  croient  en  lui  en  ce  jour  :  c'est  le  commencement  de 
l'Église.  Il  garde  son  meilleur  vin  pour  la  fin  du  repas  :  c'est 
l'Evangile  pour  le  dernier  âge,qui  doit  durer  jusques  à  la  con- 
sommation des  siècles.  Ce  vin,  il  le  tire  de  l'eau,  et  il  change 
cette  eau  en  vin  :  c'est  qu'il  change  la  Loi  en  Evangile,  c'est-à- 
dire,  comme  je  m'en  vais  l'exposer,  la  figure  en  vérité,  la  lettre 

a.  I  Cor.,  VI,  17. 


DES  DEUX  ALLIANCES. 


^85 


en  esprit,  la  terreur  en  amour.  Disons  quelque  chose  de  ces 
trois  changements  :  mais  disons  seulement  les  points  capitaux, 
à  cause  du  peu  de  temps  qui  nous  est  donné  ;  le  reste  demeu- 
rera à  votre  méditation. 

PREMIER    POINT   ('). 

C'est  de  lui  qu'il  est  écrit  en  la  Genèse,  que  «l'homme  lais- 
sera son  père  et  sa  mère,  afin  de  s'attacher  à  sa  femme  ('*).  » 
Car,  à  parler  selon  l'usage  des  choses  humaines,  c'est  plutôt 
la  femme  qui  quitte  la  maison  paternelle  pour  habiter  avec 
son  mari  ;  mais,  selon  l'intelligence  spirituelle,  Jésus  est  cet 
homme  par  excellence,  qui  a  quitté  son  Père  et  sa  mère  pour 
s'attacher  à  sa  chère  épouse.  Il  a  quitté  en  quelque  sorte  son 
Père,  lorsqu'il  est  descendu  du  ciel  en  la  terre,  suivant  ce 
qu'il  a  dit  en  plusieurs  endroits, qu'il  retournait  à  son  Père.  Il 
a  quitté  la  Synagogue  sa  mère,  qui  l'avait  engendré  selon  la 
chair,  afin  de  s'attacher  à  l'Église,  son  unique  épouse,  qu'il 
a  ramassée  des  nations  idolâtres. 

Vous  saurez  donc,  mes  sœurs,  que  Jésus  étant  la  fin  de 
tous  les  ouvrages  de  Dieu,  tout  ce  qui  s'est  fait  d'extraordi- 
naire depuis  l'origine  du  monde  ne  regardait  que  lui  seul. 
Lisez  les  Ecritures  divines,  vous  verrez  partout  le  Sauveur 
Jésus,  si  vous  avez  les  yeux  assez  épurés.  Il  n'y  a  page  où 
on  ne  le  trouve.  Il  est  dans  le  Paradis  terrestre,  il  est  dans 
le  déluge,  il  est  sur  la  montagne,  il  est  au  passage  de  la  mer 
Rouge,  il  est  dans  le  désert,  il  est  dans  la  terre  promise, 
dans  les  cérémonies,  dans  les  sacrifices,  dans  l'arche,  dans  le 
tabernacle  ;  il  est  partout  ;  mais  il  n'y  est  qu'en  fiorure.  Ainsi 
a-t-il  plu  à  notre  grand  Dieu,  comme  dit  l'Apôtre  aux  Gala- 
tes  ('''),  de  nous  élever  peu  à  peu.  comme  des  enfants,  à  la 
connaissance  de  ses  mystères.  Par  une  infinité  d'exemples 
sensibles,  réitérés  durant  plusieurs  siècles,  p.u*  des  similitudes 
de  choses  corporelles  qui  faisaient  impression  sur  nos  ima- 
ginations, il  nous  a  doucement  conduits  à  l'intelligence  de 
ses  vérités  ;  il  nous  a  fait  entendre  les  grandes  choses  qu'il 

a.  Cap.  11,  24.  —  â.  Cap,   iv,  3. 

I.  Voy.  un  autre  Premier  point^  compose^  sur  le  incim;  bujci  r.minîe  suiv.iiiic. 


286  SUR  LES  CARACTËRES 

préparait  pour  notre  salut.  Considérez,  je  vous  prie,  tout  ce 
grand  attirail  de  la  loi  mosaïque.  Pourquoi  charger  ce  peuple 
de  tant  de  différentes  cérémonies,  qui  étaient  toutes  fort 
laborieuses, et  néanmoins  d'elles-mêmes  incapables  de  rendre 
l'homme  plus  agréable  à  Dieu  ?  Car  il  est  évident,  mes  très 
chères  sœurs,  que  ni  tant  de  purifications  corporelles,  ni  tous 
ces  bains  externes,  ni  ce  nombre  infini  de  pénibles  observa- 
tions, ni  Todeur  de  l'encens  ou  de  la  graisse  brûlée,  ni  le 
sang  des  animaux  égorgés,  n'étaient  pas  choses  qui  par 
elles-mêmes  pussent  plaire  à  notre  grand  Dieu,  qui,  étant  un 
pur  esprit,  veut  être  adoré  en  esprit  et  en  vérité.  Mais  il 
ordonnait  toutes  ces  choses,  afin  que  tout  ce  pompeux  appa- 
reil et  que  toute  cette  majesté  extérieure  de  la  religion 
judaïque  fussent  des  figures  de  son  cher  Fils;  et  c'était  cette 
considération  qui  lui  rendait  ces  choses  agréables  pour  un 
temps,  bien  qu'elles  fussent  indifférentes  de  leur  nature. 
Donc,  comme  l'enseigne  l'Apôtre,  depuis  l'origine  du  monde 
jusques  à  la  résurrection  du  Sauveur  Jésus,  «  tout  arrivait  en 
figure  à  nos  pères  :  »  Omnia  in  figura  contingebant  illis  (""). 
C'est  pourquoi  l'admirable  saint  Augustin  dit  que  ni  dans  la 
loi  de  nature,  ni  dans  la  loi  mosaïque,  il  n'y  voit  rien  de  doux, 
s'il  n'y  lit  le  Sauveur  Jésus.  Tout  cela  est  sans  goût  ;  c'est 
une  eau  insipide,  si  elle  n'est  changée  en  ce  vin  céleste,  en 
ce  vin  évangélique  que  l'on  garde  pour  la  fin  du  repas,  ce 
vin  que  Jésus  a  fait,  et  qu'il  a  tiré  de  sa  vigne  élue  ('). 
Voulez-vous  que  nous  rapportions  quelques  traits  de  l'his- 
toire ancienne,  et  vous  verrez  combien  elle  est  insipide,  si 
nous  n'y  entendons  le  Sauveur.  Nous  en  dirons  quelques-uns 
des  plus  remarquables,  avec  le  docte  saint  Augustin  i^)  ;  car 
de  raconter  en  détail  tout  ce  qui  nous  parle  de  notre  Sau- 
veur, les  années  n'y  suffiraient  pas. 

Voyez  dans  le  Paradis  terrestre,  voyez  cet  homme  nouveau 
que  Dieu  a  fait  selon  son  plaisir.  Il  lui  envoie  un  profond 
sommeil,  pour  former  d'une  de  ses  côtes  la  compagne  qu'il 
lui  destinait.  Dites-moi,  dit  saint  Augustin,  qu'était-il  néces- 
saire de  l'endormir  pour  lui  tirer  cette  côte  ?  Etait-ce  point 

a.  I  Cor,^  X,  II.  —  Ms._ft_^uris.  —  b.  De  Gènes,  ad /itter.,  lib.  IX,  cap.  xill,n.  23. 
I.  Expression  scripturaire  :  Vineainelectain  {Jer.  Il,  i\). 


DES  DEUX  ALLIANCES.  287 


peut-être  pour  lui  diminuer  la  douleur  ?  Ah  !  que  cette  raison 
serait  ridicule!  Mais  que  cette  histoire  est  peu  agréable,  que 
cette  eau  est  fade,  si  Jésus  ne  la  change  en  vin  !  Ajoutez-y 
le  sens  spirituel,  vous  verrez  le  Sauveur  dont  la  mort  fait 
naître  l'Eglise  ;  mort  qui  est  semblable  au  sommeil,  à  cause 
de  sa  prompte  résurrection,  et  de  la  tranquillité  avec  laquelle 
il  la  subit  volontairement.  Sa  mort  fait  donc  naître  l'Église. 
On  tire  une  côte  au  premier  Adam,  pour  former  sa  femme, 
pendant  un  sommeil  tout  mystérieux;  et  pendant  le  sommeil 
du  nouvel  Adam,  après  qu'il  a  fermé  les  yeux  avec  la  même 
paix  que  les  hommes  sont  gagnés  du  sommeil,  on  lui  ouvre 
son  côté  avec  une  lance,  et  incontinent  sortent  les  sacrements 
par  lesquels  l'Église  est  régénérée.  Que  dirai-je  ici  de  Noé, 
qui  seul  rétablit  le  monde  enseveli  dans  les  eaux  du  déluge, 
qui  repeuple  le  genre  humain  avec  le  petit  nombre  d'hom- 
mes qui  restait  dans  sa  famille  ?  N'était-ce  pas  le  Sauveur, 
l'unique  réparateur  des  hommes,  qui,  par  le  moyen  de  douze 
hommes  qu'il  envoie  par  toute  la  terre,  peuple  le  royaume 
de  Dieu  et  remplit  tout  le  monde  d'une  race  nouvelle  ?  Que 
dirai-je  du  petit  Isaac,  qui  porte  lui-[mêmele]  bois  sur  lequel 
il  doit  être  immolé,  pendant  que  son  père  se  prépare,  selon 
les  ordres  de  Dieu,  à  le  sacrifier  sur  la  montagne  ?  O  spec- 
tacle d'inhumanité  !  Mais  si  j'y  considère  le  Sauveur  Jésus,  il 
devient  un  spectacle  de  miséricorde.  C'est  Jésus  qui  porte 
sa  croix  pour  être  immolé  sur  le  mont  de  Calvaire,  livré  par 
son  propre  Père  es  mains  de  ses  ennemis,  afin  d'être  une 
hostie  vivante  pour  l'expiation  de  nos  crimes.  Et  le  chaste 
Joseph,  vendu  par  ses  frères  et  emprisonné  par  les  Egyp- 
tiens, devenu  par  cette  disgrâce  le  sauveur  de  ses  frères  et 
des  Égyptiens,  n'est-ce  pris  le  Sauveur  Jésus  mis  à  mort  par 
les  Juifs  ses  frères  et  par  les  Égyptiens,  c'est-à-dire  par  les 
idolâtres,  et  devenu  par  sa  mort  Sauveur  des  Juits  (!t  des 
idolâtres  ?  Si  je  passe  la  mer  Rouge  avec  les  Israélites,  si  je 
demeure  dans  le  désert  avec  eux,  combien  de  fois  y  verrai-jc 
le  Fils  de  Dieu,  seul  guide  de  son  peuple  dans  le  désert  de- 
ce  monde,  qui  les  retirant  de  l'I^Lgypte  par  l'eau  du  baptême, 
les  conduit  à  la  Terre  promise  ?  Cette  manne  si  délicieuse, 
qu'est-ce,  qu'une  viande   corporelle,  si  je  n'y  goûte  le  Sau- 


288  SUR  LES  CARACTÈRES 


veur  ?  Elle  est  fade,  elle  est  insipide;  peu  s'en  faut  que  je  ne 
die  avec  les  Juifs  :  «  Notre  cœur  se  soulève  sur  cette  viande 
légère  (").  »  Mais  quand  j'y  considère  le  Sauveur  Jésus, 
vrai  pain  des  anges,  vraie  nourriture  des  âmes  fidèles,  dont 
nous  nous  repaissons  à  la  sainte  table,  ah  !  qu'elle  est  douce  ! 
qu'elle  est  savoureuse  !  Voyez  le  pavé  du  temple,  voyez  les 
habits  sacerdotaux  ;  voyez  l'autel  et  le  sanctuaire  tout  trem- 
pés du  sang  des  victimes,  et  le  peuple  israélite  lavé  tant  de 
fois  de  ce  même  sang  :  que  tout  cela  est  froid,  chères  sœurs, 
si  la  foi  ne  m'y  montre  le  sang  de  l'Agneau  répandu  pour  la 
rémission  de  nos  crimes,  ce  sang  du  Nouveau-Testament 
que  nous  offrons  à  Dieu  sur  ces  terribles  autels,  et  dont  nous 
nous  rassasions  pour  la  vie  éternelle  ! 

En  un  mot,  dit  saint  Augustin  (^),  si  nous  ne  regardons 
Jésus-Christ,  toutes  les  Écritures  prophétiques  n'ont  pas 
de  goût  ;  elles  sont  apparemment  pleines  de  folie,  du  moins 
en  quelques  endroits.  Que  nous  y  goûtions  le  Sauveur,  tout 
y  est  lumière,  tout  y  est  intelligence,  tout  y  est  raison.  Voyez 
ces  deux  disciples  qui  vont  en  Emmalis.  Ils  s'entretenaient 
de  la  rédemption  d'  Israël;c'est  le  sujet  de  toute  la  loi  ancienne: 
mais  ils  n'y  entendaient  pas  les  mystères  du  Rédempteur. 
C'était  une  eau  sans  force  et  sans  goût  :  aussi  sont-ils  froids 
et  languissants.  «  Nous  espérions,  disaient-ils,  qu'il  rachète- 
rait Israël  (^)  :  »  nous  espérions  :  ô  la  froide  parole  !  Jésus 
approche  d'eux,  il  parcourt  toutes  les  prophéties,  il  les  intro- 
duit au  secret,  au  sens  profond  et  mystérieux;  il  change  l'eau 
en  vin,  les  figures  en  vérité,  et  les  obscurités  en  lumières. 
Les  voilà  incontinent  transportés:  Nonne  cor  nostrum  ardens 
erat  in  nobis  {^)  ?  C'est  qu'ils  avaient  commencé  à  boire  le 
vin  nouveau  de  Jésus,  c'est-à-dire  la  doctrine  de  l'Evangile. 
Cependant  admirez,  mes  très  chères  sœurs,  les  sages  con- 
seils de  la  Providence,  qui,  par  une  telle  richesse  d'exemples, 
nous  enseigne  une  seule  vérité,  qui  est  le  Verbe  fait  chair. 
xAh  !  si  nous  avions  les  yeux  bien  ouverts,  combien  doux 
serait  ce  spectacle,  de  voir  qu'il  n'y  a  page,  il  n'y  a  parole, 
il  n'y  a,  pour  ainsi  dire,  ni  trait  ni  virgule  de  la  loi  ancienne, 

a.  Num.,  XXI,  5.   —   d.  In  Joan.  Tract,  ix,  n.  3.  —  c.  Luc,  xxiv,  21.  — 
d.  Ibid.,  32. 


DES  DEUX  ALLIANCES.     •  289 


qui  ne  parle  du  Sauveur  Jésus.  La  Loi  est  un  Évangile 
caché  :  l'Évangile  est  la  Loi  expliquée.  Les  philosophes  nous 
disent  que  le  vin  n'est  qu'une  eau  colorée,  qui  prend  en 
passant  par  la  vigne  une  certaine  impression  de  ses  qualités, 
parce  que  cet  élément  est  susceptible,  de  sa  nature,  de  toutes 
altérations  étrangères.  Ainsi  Teau  de  la  loi  ancienne  devient 
le  vin  de  la  loi  nouvelle.  C'est  cette  même  eau  de  la  loi  mo- 
saïque, qui,  étant  appropriée  à  Jésus-Christ,  vraie  vigne 
du  Père  éternel,  prend  une  nouvelle  forme  et  une  nouvelle 
vigueur.  Donc,  mes  sœurs,  passons  les  nuits  et  les  jours  à 
méditer  la  loi  du  Seigneur.  Cherchons  Jésus  partout,  et  il 
n'y  aura  endroit  où  il  ne  se  montre  à  nos  yeux.  Et  puisqu'il 
a  plu  à  notre  grand  Dieu  de  nous  présenter  ce  vin  nouveau 
de  son  Évangile,  mais  de  le  présenter  pur  et  sans  mélange, 
débrouillé  de  la  lie  des  figures  et  de  l'eau  des  expressions 
prophétiques,  n'ayons  point  désormais  d'autre  breuvage  que 
cette  sainte  et  immortelle  liqueur  ;  que  notre  esprit  soit  tou- 
jours à  goûter  la  parole  divine.  Mais  ne  nous  arrêtons  point 
à  la  lettre;  suçons  l'esprit  vivifiant  que  Jésus  y  a  coulé  par  sa 
grâce.  C'est  notre  seconde  partie  ;  et  pour  une  plus  grande 
brièveté,  nous  y  attacherons  aussi  la  troisième  dans  une 
même  suite  de  raisonnement. 

SECOND    ET    TROISIÈME    POINTS. 

Que  ne  puis-je  vous  transporter  en  esprit  sur  cette  ter- 
rible montagne  où  parait  la  majesté  du  Seigneur  !  C'est  la 
montagne  de  Sina,  sur  laquelle  Dieu  donne  sa  loi  à  Moise. 
Là  je  vois  ce  grand  Dieu  tout-puissant,  qui  grave  sur  de 
la  pierre  ses  saintes  lois,  dignes  d'êtres  écrites  dans  le 
ciel  le  plus  élevé,  avec  les  rayons  du  soleil.  Et  après  cela, 
par  la  bouche  de  son  serviteur  Moïse,  il  fait  publier  à  son 
peuple  ses  ordonnances,  et  menace  les  transgresseurs  de 
peines  dont  le  seul  récit  fait  horreur.  Certes,  cette  loi  est 
très  sainte  :  mais  ne  vous  persuadez  pas,  mes  très  clières 
sœurs,  qu'elle  contienne  la  vie.  Toutes  ces  paroles  majes- 
tueuses et  cette  écriture  du  doigt  de  Dieu  ne  sont  qu'un 
instrument  de  mort,  si  elles  ne  sont  accompagnées  de 
l'esprit  de  la  grâce.  «  C'est  une  lettre  qui  tue,  »  dit  le  grand 

SermoiT^  de   liossuct.  19 


290  •      SUR  LES  CARACTÈRES 


Apôtre  saint  Paul  (").  Combien  d'âmes  présomptueuses  ont 
été  précipitées  dans  la  mort  éternelle  par  ces  augustes  com- 
mandements !  Ne  vous  étonnez  pas  de  cette  parole  :  c'est 
la  doctrine  de  l'apôtre  saint  Paul,  et  en  voici  la  véritable 
explication.  La  Loi  montrait  bien  ce  qu'il  fallait  faire  ;  mais 
elle  ne  subvenait  pas  à  l'impuissance  de  notre  nature.  Elle 
frappait  les  oreilles;  mais  elle  ne  touchait  pas  le  cœur.  Ce 
n'était  pas  assez  que  Dieu,  d'une  voix  tonnante  et  impérieuse, 
fît  annoncer  au  peuple  ses  volontés  :  il  fallait  qu'il  parlât 
intérieurement,  et  que  par  une  opération  toute-puissante  il 
amollît  notre  dureté.  Grand  Dieu  éternel,  vous  me  com- 
mandez ;  il  est  juste  que  vous  soyez  obéi  :  mais  ce  n'est 
rien  faire  que  me  commander,  si  vous  ne  me  donnez  la 
grâce  par  laquelle  je  puisse  observer  vos  commandements. 
Or  cette  grâce  n'est  point  par  la  Loi  :  c'est  le  propre  don 
de  l'Évangile,  selon  ce  que  dit  l'apôtre  saint  Jean  (^),  que 
«  la  Loi  a  été  donnée  par  Moïse,  et  la  grâce  et  la  vérité  a  été 
faite  par  Jésus-Christ.  »  Qu'est-ce  donc  que  faisait  la  Loi  ? 
Elle  ordonnait,  elle  commandait,  elle  liait  les  transgresseurs 
d'éternelles  malédictions  ;  parce  que  «  maudit  est  celui  qui 
n'observe  pas  les  paroles  qui  sont  écrites  en  ce  livre  (^)  :  » 
mais  elle  ne  soulageait  en  rien  nos  infirmités.  C'était  une 
eau  faible  et  sans  vigueur,  capable  de  nous  agiter,  incapable 
de  nous  soutenir. 

C'est  pourquoi  le  Sauveur  Jésus,  ayant  compassion  de 
notre  impuissance,  vient  nous  donner  un  vin  d'une  céleste 
vigueur;  c'est  sa  grâce,  c'est  son  Esprit-Saint,  dont  les  apôtres 
furent  enivrés  au  jour  de  la  Pentecôte.  C'est  ce  saint  et 
divin  Esprit  qui  porte  la  Loi  au  fond  de  nos  cœurs,  et  l'y 
grave  par  des  caractères  de  flamme.  Là,  il  l'anime  intérieu- 
rement et  la  remplit  d'une  force  vivifiante:  il  change  la  lettre 
en  esprit,  et  c'est  la  nouvelle  alliance  que  Dieu  contracte 
avec  nous  par  son  Evangile.  C'est  pour  cette  raison  que 
parlant  par  la  bouche  de  Jérémie  :  «  Voici,  dit-il  ('^),  que 
j'établirai  avec  la  nation  de  Juda  un  nouveau  testament, 
non  selon  le   testament  que  j'ai  établi  avec  leurs  pères  :  ils 

a.  II  Cor.^  III,  6.  —  b.Joan.^  i,  17.  —  c.  peîa.,.xx\n,  26.  —  d./erem.,  xxxi, 

31  e^  seq.  .  .  /   ..  / 


DES  DEUX  ALLIANCES. 


291 


ne  sont  point  demeurés  dans  mon  testament,  et  moi  je  les 
ai  rejetés,  dit  le  Seigneur.  Mais  voici  le  testament  que  je 
disposerai  à  la  maison  d'Israël,  »  c'est-à-dire,  aux  vrais 
enfants  d'Israël  et  au  peuple  delà  nouvelle  alliance  :  '(  J'in- 
spirerai, dit-il,  ma  loi  dans  leurs  âmes  ;  et  je  l'écrirai  non  en 
des  tables  de  pierre,  mais  je  l'écrirai  en  leurs  cœurs  ;  et  ils 
seront  mon  peuple,  et  je  serai  leur  Dieu.  »  Quelle  est  donc 
cette  vertu  merveilleuse,  qui  entre  si  profondément  dans 
nos  cœurs  ?  d'où  vient  à  cette  loi  nouvelle  cette  force  si 
pénétrante  ?  Chères  sœurs,  elle  vient  de  l'Esprit  de  Dieu, 
qui  est  le  vrai  moteur  de  nos  âmes,  qui  tient  nos  cœurs  en 
sa  main,  qui  est  le  maître  de  nos  inclinations.  Mais  par  quelle 
sorte  d'opérations  la  porte-t-il  ainsi  au  fond  de  nous-mêmes.-^ 
C'est  par  une  charité  très  sincère,  par  un  puissant  amour  qu'il 
nous  inspire,  par  une  chaste  délectation,  par  une  sainte  et 
ravissante  douceur. 

Dieu  exerce  deux  sortes  d'opérations  sur  nos  âmes,  qui 
font  la  différence  des  deux  lois.  Premièrement  il  les  effraye, 
il  les  remplit  delà  terreur  de  ses  jugements:  et  en  second 
lieu  il  les  attire,  il  les  enflamme  d'un  saint  amour.  La 
première  opération,  qui  est  la  crainte,  ne  peut  pénétrer  au 
fond  de  nos  âmes:  elle  les  étonne,  elle  les  ébranle;  mais 
elle  ne  les  change  pas.  Par  exemple,  que  vous  rencontriez 
des  voleurs,  si  vous  êtes  le  plus  fort,  ils  ne  vous  abordent 
qu'avec  une  apparence  de  civilité  feinte  :  ils  n'en  sont  pas 
moins  voleurs,  ils  n'en  ont  pas  l'âme  moins  avide  de  car- 
nage et  de  pillerie.  La  crainte  étouffe  les  sentiments,  elle 
semble  les  réprimer  ;  mais  elle  n'en  coupe  pas  la  racine. 
Voyez  cette  pierre  sur  laquelle  Dieu  écrit  sa  loi  :  en  est-elle 
changée,  pour  avoir  en  soi  de  si  saintes  paroles  ?  en  est-elle 
moins  dure  ?  Rien  moins.  Ces  saints  commandements  ne 
tiennent  qu'à  une  superficie  extérieure.  Ainsi  en  est-il  de  la 
loi  de  Dieu  :  quand  elle  n'entre  dans  nos  âmes  que  par  la 
terreur,  elle  ne  touche  que  la  surface  :  tant  qu'il  n'y  a  que 
cette  crainte  servile,  le  fond  ne  peut  être  chantée  comme  il 
faut.  Il  n'y  a  que  l'amour  qui  entre  au  plus  secret  de  nos 
cœurs  :  lui  seul  en  a  la  clef  ;  lui  seul  en  modère  les  mouve- 
ments. Vous  avez  de  méchantes  inclinations,  vous  avez  des 


292  SUR  LES  CARACTÈRES 


affections  déréglées  :  jamais  elles  ne  pourront  être  chassées 
que  par  des  inclinations  contraires,  que  par  un  saint  amour, 
que  par  de  chastes  affections  du  vrai  bien.  Ainsi  l'âme  sera 
tout  autre.  L'amour  la  dilate  par  une  certaine  ferveur  :  il 
l'ouvre  jusqu'au  fond,  pour  recevoir  la  rosée  des  grâces  cé- 
lestes. Ce  n'est  plus  une  pierre  sur  laquelle  on  écrit  au 
dehors  :  c'est  une  cire  pénétrée  et  fondue  par  une  divine 
chaleur.  C'est  ainsi  que  le  Sauveur  Jésus  est  véritablement 
eravé  dans  toutes  les  facultés  de  nos  âmes.  Il  est  dans  la 
mémoire,  car  on  ne  peut  oublier  ce  qu'on  aime:  il  est  dans 
l'entendement,  car  l'amour  curieux  et  diligent  n'a  point 
d'autre  satisfaction,  que  celle  de  contempler  les  perfections 
du  bien-aimé  qui  l'attire.  De  là  il  passe  dans  les  corps  par 
l'exercice  des  vertus,  et  par  de  saintes  opérations  qui,  prenant 
leur  origine  de  l'amour  de  Jésus,  en  conservent  les  traits  et  les 
caractères. 

La  Loi  ancienne  est  écrite  sur  des  pierres  :  il  n'y  a 
rien  de  moins  actif  ni  de  plus  immobile  qu'une  pierre  : 
ainsi  la  Loi  ancienne  est  une  loi  morte  et  inanimée  ;  il  nous 
faut  une  loi  vivante,  animée  de  l'Esprit  de  Dieu,  une  loi 
d'amour  et  de  charité  ('). 

Tel  est,  mes  très  chères  sœurs,  l'esprit  de  la  loi  nouvelle. 
C'est  pourquoi  Dieu  ne  vient  point  à  nous  avec  cette 
apparence  terrible  qu'il  avait  sur  le  mont  de  Sina.  Là,  cette 
montagne  fumait  de  la  majesté  du  Seigneur,  qui  «  fait 
distiller  les  montagnes  comme  de  la  cire  ('').  »  Ici,  il  ne 
rompt  pas  seulement  un  roseau  à  demi  brisé  (^)  ;  il  est  tout 
clément  et  tout  débonnaire.  Là,  on  n'entend  que  le  bruit 
d'un  long  et  effroyable  tonnerre  :  ici,  c'est  une  voix  douce 
et  bénigne  :  «  Apprenez  de  moi,  dit-il,  que  je  suis  doux  et 
humble  de  cœur  (^).  »  Là,  il  est  défendu  d'approcher  sous 
peine  de  la  vie  :  «  N'approchez  pas,  dit-il,  de  peur  que  vous 
ne  mouriez  :  et  les  hommes  et  les  animaux  qui  approcheront 
de  la  montagne,  ils  mourront  de  mort  ('^).  »  Ici,  il  change 
bien  de  langage  :   «  Venez,  venez,  dit-il   (^),    approchez,   ne 

a.  Ps.,  XCVI,  5.  —  â.  Matth.^  xn,  20.  —  c.  Ibid.^  xi,  29.  —  d.  Exod.^  XIX,  12, 
13.  —  e.  Matth.^  XI,  28  et  alibi. 
I.  Phrase  omise  par  les  éditeurs. 


DES  DEUX  ALLIANCES.  293 


craignez  pas,  mes  enfants  ;  venez,  oppressés,  je  vous   sou- 
lagerai, je  vous  aiderai  à   porter  vos  fardeaux  ;  venez,  ma- 
lades, je  vous  guérirai.  Pécheurs,  publicains,  approchez,  je 
suis  votre  libérateur.   Ne   chassez  pas  ces   petits    enfants  ; 
à  de  tels  appartient  le  royaume  de  Dieu    ('').  »   D'où  vient 
ce  changement,  mes  très  chères  sœurs  ?  Ah  !  c'est  qu'il  se 
veut  faire  aimer.  Il  vient  changer  la  terreur  en  amour,  cette 
eau  froide  de  la  crainte  qui  resserrait  le  cœur  par  une  basse 
et  servile  timidité,    en  un  vin   d'une  divine  ferveur,   qui  le 
dilatera,  qui  l'encouragera,  qui  l'échauffera  par  de  bienheu- 
reuses ardeurs.  C'est  l'esprit  de  la  loi  nouvelle.  Je  vous  ai 
dit  les  changements  qu'a  faits  le  Sauveur.   L'eau,  vous  ai- 
je    dit,   est    fade   et  insipide.    Ainsi    était  la  Loi   dans  ses 
ombres   et  dans  ses  figures,   si  Jésus   ne  la  change  en  la 
vérité  de  son   Evangile,  vin  doux   et   savoureux,  qui  nous 
remplit  de   délices  célestes.    L'eau    n'a  point  de  force  pour 
nous  émouvoir.  Ainsi  était  la  Loi  par  sa  lettre  inutile  et 
impuissante,  si  elle   n'est    accompagnée  du  vin  de  la    Loi 
nouvelle,  c'est-à-dire,  de  l'esprit  de  la  grâce.  Ces  deux  pre- 
miers changements  ne  sont  que  pour  le  troisième.   Assez   et 
trop  longtemps  nous  avons  été  abreuvés  de  cette  froide  ter- 
reur :  il  est  temps  que  nos  cœurs  soient  échauffés  de  l'amour 
de  Dieu. 

Mes  sœurs,  nous  ne  sommes  plus  sous  la  loi  de  crainte, 
nous  sommes  sous  la  loi  d'amour;  parce  que  nous  ne  sommes 
plus  dans  la  servitude,  nous  sommes  dans  la  liberté  des 
enfants  de  Dieu  :  Jésus,  qui  est  la  vérité,  nous  a  délivrés. 
Partant,  servons  notre  Dieu  d'un  amour  libéral  et  sincère. 
Aimons  la  justice,  aimons  la  vérité,  aimons  la  vraie  et  solide 
raison,  aimons  l'unique  repos.  Tout  cela  c'est  Jésus  :  aimons 
donc  Jésus  de  toute  l'affection  de  nos  âmes  :  qui  n'aime  pas 
Jésus,  je  l'ose  dire,  il  n'est  pas  chrétien.  Vn  chrétien,  c'est 
un  homme  renouvelé  :  nous  ne  pouvons  être  renouvelés  sans 
l'esprit  de  la  loi  nouvelle  :  l'esprit  de  la  loi  nouvelle,  c'est  la 
charité  :  qui  n'a  pas  la  charité  n'est  pas  chrétien.  Ah!  que 
le  siècle  se  réjouisse  dans  les  débauches  et  dans  les  banquets, 
dans  les  vins  friands  et  délicieux  !  Nous  avons  un  vin  dont 

a.  Marc,  x,  14. 


294  SUR  LES  CARACTÈRES  DES  DEUX  ALLIANCES- 


il  nous  est  permis  de  nous  enivrer;  vin  qui  nous  échauffe, 
mais  d'une  ardeur  toute  spirituelle;  qui  nous  fait  chanter, 
mais  des  cantiques  d'amour  divin;  qui  nous  ôte  la  mémoire, 
mais  du  monde  et  de  ses  vanités;  qui  nous  excite  une  grande 
joie,  mais  une  joie  que  le  monde  ne  comprend  pas.  Buvons 
de  ce  vin,  mes  très  chères  sœurs.  Jour  et  nuit  ne  respirons 
que  Jésus  :  vous  particulièrement  qu'il  a  retirées  du  siècle, 
o-oûtez  Tésus  dans  la  solitude;  c'est  là  qu'il  se  communique 
aux  âmes  fidèles. 

Et  vous,  chères  sœurs,  que,  par  sa  miséricorde  infinie,  il 
a  miraculeusement  délivrées  des  ténèbres  de  l'hérésie,  c'est  à 
vous,  c'est  à  vous  que  je  parle.  Et  quelles  paroles  pourraient 
vous  exprimer  la  tendresse  que  mon  cœur  a  pour  vous  ! 
Rendez-lui  à  jamais  vos  actions  de  grâces.  Voyez  combien 
l'erreur  est  répandue  par  toute  la  ville.  Dieu  vous  a  triées 
deux  ou  trois,  qu'il  a  appelées  à  sa  sainte  Église  :  donc  ne 
soyez  pas  ingrates  à  cet  inestimable  bienfait.  Persévérez 
dans  cette  bienheureuse  vocation.  Voyez  la  pureté,  voyez 
l'innocence  et  la  candeur  de  ces  saintes  filles,  avec  lesquelles 
vous  conversez.  O  Dieu,  quelle  différence  de  cette  véritable 
dévotion  qu'elles  vous  enseignent  en  toute  humilité  et  sim- 
plicité, avec  le  faste  et  l'orgueil,  et  la  piété  contrefaite  de 
l'hérésie!  Persévérez,  mes  très  chères  sœurs  :  n'écoutez  ni 
les  larmes  ni  les  reproches  de  vos  parents.  Dieu  vous  fasse 
la  grâce  d'expérimenter  combien  sa  sainte  maison  est  plus 
douce  que  la  maison  paternelle!  Voyez  ces  redoutables  au- 
tels :  les  sacrements  que  nous  y  distribuons,  ce  ne  sont  pas 
des  ombres  ni  des  figures  :  nous  ne  sommes  plus  sous  la  loi 
judaïque;  c'est  la  réalité,  c'est  la  vérité,  c'est  la  propre  chair 
de  Jésus  autrefois  pour  nous  déchirée;  c'est  son  sang  vivi- 
fiant épanché  pour  l'amour  de  nous.  Jouissez  des  délices  de 
cette  chair  de  laquelle  l'hérésie  s'est  privée,  pour  se  repaître 
de  la  vanité  d'une  cène  imaginaire,  etc. 


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Pour    la    FETE    de    la>  PURIFICA- 


TION (■)    DE     LA    SAINTE    VIERGE. 


A  Metz,  1653. 


Encore  un  simple  entretien,  négligé  à  dessein  par  l'auteur,  quand 
il  rédigea  les  sommaires  des  compositions  oratoires  de  sa  jeunesse. 
Aussi  le  manuscrit  est-il  resté  sans  pagination.  Il  n'avait  du  reste 
jamais  été  achevé.  Bossuet  avait  tiré  sa  conclusion  d'une  ébauche 
antérieure,  écrite  pour  la  Confrérie  de  Navarre  (1652).  (Voy.  ci- 
dessus,  p.  10 1.)  —  L'œuvre  de  1653,  bien  que  familière  et  archaïque, 
et  tenant  plus  du  catéchisme  que  du  sermon,  a  de  réelles  beautés, 
principalement  vers  la  fin  du  i^f  point.  Elle  s'adresse  encore  aux 
religieuses  de  la  Propagation,  «  qui,  poussées  de  l'esprit  de  Dieu, 
ont  généreusement  renoncé  à  tous  les  biens  et  même  à  toutes  les 
espérances  du  monde.  » 


PoatqiKwi  impieii  sunt  dics 
pîirgatio7its  ejux  securuUtm 
legevi  Moyst\  tulerunt  iîlum 
in  Jérusalem^  ni  sistcrenteum 
Domino^  sicut  scriptum  est  in 
lege  Do7nini;. ..et ut darcnt (') 
hostiatn  sccundum  quod  di- 
ctuin  est  in  le^e  Dotnini,  par 
tiniuruni  aut  duos  pullos  co- 
lnnibaru7)i.  (Luc,  II,  22-24.') 

CE  que  nous  appelons  la  Purification  delà  sainte  Vierge 
enferme  sous  un  nom  commun  trois  cérémonies  diffé- 
rentes de  la  loi  ancienne,  que  le  Fils  de  Dieu  a  voulu  subir 
aujourd'hui,  ou  en  sa  personne,  ou  en  celle  de  sa  sainte  Mcre, 
non  sans  quelque  profond  conseil  de  la  Providence  divine. 
Elles  sont  toutes  trois  très  manifestement  distinoruées  dans 
notre  évangile,  comme  vous  l'aurez  pu  observer  dans  le  texte 
que  j'ai  rapporté  exprès  tout  entier.  Or  afin  de  vous  dire  en 
quoi  consistaient  ces  cérémonies,  il  faut  remarquer  que  selon 
la  loi  toutes   les    femmes   accouchées  étaient   réputées  im- 

1.  Mss.  12825,  f-  155- 

2.  Ms.  Et  utofferrent  secundittn  consuetudinetn  laj^s  pro  eo  par...  Bossuet  dcrit 
si  rapidement  que  sa  mémoire  substitue  au  texte  véritable  (juclciucs  expres- 
sions qui  se  lisent  plus  loin,  au  )t'.  27.  Les  éditeurs  sont  entrés  dans  ses  inten- 
tions, en  corrigeant. 


296  rOUR  LA  PURIFICATION 


mondes  :   d'où  vient   que  Dieu  leur  ordonnait  deux  choses. 
Premièrement  il   les   obligeait  de   se   tenir  quelque  temps 
retirées  et  du  sanctuaire   et  même  de  la  conversation   des 
hommes  :  puis,  ce  temps  étant  expiré,  elles  se  venaient  présen- 
ter à  la  porte  du  tabernacle,  afin  d'être  purgées  par  un  certain 
genre  de  sacrifice  ordonné  spécialement   pour  cela.  Cette 
retraite  et  ce  sacrifice  sont  les  deux  premières  cérémonies,  ou 
plutôt  ce  sont  deux  parties  de  la  même  cérémonie;  lesquelles 
l'une  et  l'autre  ne  regardaient  principalement  (')  que  la  mère, 
et  se  faisaient  pour  tous  les  enfants  nouvellement  nés,  de 
quelque  sexe  et  condition  qu'ils  pussent  être,  ainsi  qu'il  est 
écrit  dans  le  douzième  chapitre  (^)  du  Lévitique.  Quant  à  la 
troisième  cérémonie,  elle  ne  s'observait  que  pour  les  mâles, 
et  parmi  les  mâles  n'était  que  pour  les  aînés,  que  les  parents 
étaient  obligés  de  venir  présenter  à  Dieu  devant  ses  autels, 
et    ensuite  les    rachetaient  par   quelque    somme    d'argent; 
témoignant   par  là  que  tous  leurs  aînés  étaient   singulière- 
ment du  domaine  de  Dieu,  et  qu'ils  ne  les  retenaient  que  par 
une  espèce  d'engagement  :  c'est  ce  que  Dieu  commande  à 
son  peuple  en  l'Exode,  chapitre  xii.  Dans  ces  trois  cérémo- 
nies consiste,  à  mon  avis,    tout  le   mystère  de  cette  fête;  ce 
qui  m'a  fait  résoudre  de  vous  les  expliquer  {^)  familièrement 
dans  le  même  ordre  que  je  les  ai  rapportées.  J'espère  que  le 
récit  d'une  histoire  si  mémorable,  telle  qu'est  celle  qui  nous 
est  aujourd'hui    représentée  dans   notre  évangile ,  joint    à 
quelques  brièves  réflexions  que  je  tâcherai  d'y  ajouter  avec 
l'assistance  divine,  fournira  un  pieux  entretien  à  vos  dévo- 
tions :  et  je  pense  en   vérité,  mes  très  chères  sœurs,  qu'il 
serait  difficile  de  proposer  à  votre  foi  un  plus  beau  spectacle. 

PREMIER  POINT. 

Et  pour  commencer,  j'avance  deux  choses  très  assurées  ; 
la  première  que  la  loi  de  la  purification  présupposait  que  la 
femme  eût  conçu  à  la  façon  ordinaire,  parce  qu'elle  est  cou- 

1.  Sic,  sans  surcharge  ni  rature.  Ce  mot  fait  pourtant  double  emploi. 

2.  Bossuet,  trop  défiant  à  l'égard  de  sa  première  impression,  a  effacé  le  chiffre 
12,  pour  lui  substituer  13,  mais  à  tort. 

3.  Var.  exposer. 


DE  LA    SAINTE  VIERGE. 


297 


chée  en  ces  termes  :  Mitlier  si  suscepto  semine  pepcrerit 
mascichun  (^),  où  il  est  [clair]  que  le  législateur  a  voulu 
toucher  la  source  de  la  corruption  qui  se  trouve  dans  les 
enfantements  ordinaires  :  autrement  ce  mot,  suscepto  semine, 
serait  inutile  et  ne  rendrait  aucun  sens.  La  loi  donc  de  la 
purification  parlait  de  celles  qui  enfantent  selon  les  ordres 
communs  de  la  nature.  Je  dis  en  second  lieu  que  la  raison  de 
la  loi  étant  telle  que  nous  la  venons  de  dire,  après  les  saints 
Pères,  elle  ne  regardait  en  aucune  façon  la  très  heureuse 
Marie,  ne  s'étant  rien  passé  en  elle  dont  son  intégrité  pût 
rougir.  Vous  le  savez,  mes  très  chèr[es]  sœur[s],  que  son  Fils 
bien-aimé  étant  descendu  dans  ses  entrailles  très  chastes 
tout  ainsi  qu'une  douce  rosée,  il  en  était  sorti  comme  une 
fleur  de  sa  tige,  sans  laisser  de  façon  ni  d'autre  aucun  vestige 
de  son  passage.  D'où  je  conclus  que  si  elle  était  obligée  à  la 
loi  de  la  purification,  c'était  seulement  à  cause  de  la  coutume, 
et  de  l'ordre  qui  ne  doit  point  être  changé  pour  une  rencontre 
particulière.  Et  en  effet  le  cas  était  si  fort  extraordinaire,  qu'il 
semblait  n'être  pas  suffisant  pour  apporter  une  exception  à 
une  loi  générale. 

Or  ce  n'est  pas  mon  dessein  d'examiner  ici  cette  question, 
mais  seulement  de  vous  faire  admirer  la  vertu  de  la  sainte 
Vierge  :  en  ce  que  sachant  très  bien  l'opinion  que  l'on  aurait 
d'elle,  et  qu'il  n'y  aurait  personne  qui  s'imaginât  qu'elle  eût 
ni  conçu  ni  enfanté  autrement  que  les  autres  mères,  elle  ne 
s'est  point  avisée  de  découvrir  à  personne  le  secret  mystère 
de  sa  grossesse.  Au  contraire  elle  a  bien  le  courage  de  con- 
firmer un  sentiment  si  préjudiciable  à  sa  virginité,  subissant 
sans  se  déclarer  une  loi  qui,  comme  nous  l'avons  dit,  v\\ 
présupposait  la  perte.  Et  je  prétends  que  ce  silence  est  une 
marque  certaine  d'une  retenue  extraordinaire  et  d'une  modes- 
tie incomparable.  Qu'ainsi  ne  soit,  vous  savez  que  celles  de 
son  sexe  qui  sont  soigneuses  de  garder  leur  \'irginité  mettent 
leur  point  d'honneur  à  faire  connaître  c|u'elle  est  entière  et 
sans  tache  ;  et  quelquefois  c'est  la  seule  chose  en  laquelle  elles 
avoueront  franchement  (qu'elles  recherch(MU  la  réputation. 
Cela  étant   ainsi,  je  vous  prie  de  consitlcrer  qutî    vous    ne 

a.  Levit.^  xii,  2. 


298  POUR  LA  PURIFICATION 

persuaderez  jamais  à  un  gentilhomme,  qui  se  pique  d'hon- 
neur, de  faire  quelque  action  dont  on  puisse  soupçonner  en 
lui  de  la  lâcheté.  Or  il  est  certain  qu'une  vierge  est  touchée 
beaucoup  plus  au  vif  lorsque  quelque  rencontre  l'oblige  à 
donner  sujet  de  croire  qu'elle  ait  perdu  sa  virginité,  pour 
laquelle  elle  a  un  sentiment  délicat  au  dernier  point.  Ce  qui 
me  fait  admirer  la  vertu  de  la  sainte  Vierge,  qui  ne  craint 
pas  d'observer  une  cérémonie  qui  semblait  si  injurieuse  à  sa 
très  pure  virginité  ;  qui  ayant  moins  besoin  d'être  purifiée 
que  les  rayons  du  soleil,  obéit  comme  les  autres  à  la  loi  de  la 
purification,  et  offre  avec  tant  de  simplicité  le  sacrifice  pour 
le  péché,  c'est-à-dire,  pour  les  immondices  légales  qu'elle 
n'avait  nullement  contractées  ;  et  qui  par  cette  obéissance 
confirme  la  créance  commune  qu'elle  avait  conçu  comme  les 
autres  femmes,  bien  loin  de  désabuser  le  monde  dans  une 
rencontre  qui  semblait  si  pressante,  et  de  faire  connaître  aux 
hommes  ce  qui  s'était  accompli  en  elle  par  l'opération  de 
l'Esprit  de  Dieu. 

Certes  il  faut  l'avouer,  mes  très  chères  sœurs,  cela  est  du 
tout  admirable;  surtout  la  très  heureuse  Vierge  ayant  de 
son  côté,  si  elle  eût  voulu  se  découvrir,  premièrement  la 
vérité  qui  est  si  forte,  et  après  l'innocence  de  ses  mœurs  qui 
n'appréhendait  aucune  recherche,  puis  sa  grande  sincérité 
à  laquelle  les  gens  de  bien  eussent  eu  peine  de  refuser  leur 
créance,  et  enfin  un  témoignage  irréprochable  en  la  personne 
de  son  mari,  qui,  avec  sa  bonté  et  naïveté  ordinaire,  eût  dit 
qu'il  était  vrai  que  sa  femme  était  très  chaste,  et  qu'il  en 
avait  été  averti  de  la  part  de  Dieu.  Et  cependant  nous  ne 
lisons  pas  qu'elle  en  ait  jamais  parlé:  au  contraire  nous  voyons 
son  grand  silence  expressément  remarqué  dans  les  saintes 
Lettres.  Une  seule  fois  seulement  sa  joie  éclata  lorsque 
sollicitée  par  la  prophétie  de  la  bonne  Elisabeth  sa  cousine, 
qui  la  proclamait  bienheureuse,  elle  lui  déchargea  son  cœur, 
et  se  sentant  obligée  de  rendre  hautement  ses  actions  de 
grâces  à  la  divine  bonté,  elle  chante  dans  l'épanchement 
de  son  âme  que  le  Tout- Puissant  a  fait  en  elle  des  choses 
très  grandes  ('').  Partout  ailleurs  elle  écoute,  elle  remarque, 

a.  Lî/c.f  I,  49. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE.  299 


elle  médite,  elle  repasse  en  son  cœur  ;  mais  elle  ne  parle 
jamais.   . 

Ce  qui  me  surprend  davantage,  c'est  qu'elle  seule  garde 
le  silence,  pendant  que  tous  les  autres  s'occupent  à  parler  de 
son  Fils.  Que  ne  dit  pas  aujourd'hui  le  bon  Siméon,  et  à  qui 
ne  donnerait-il  pas  envie  d'exprimer  toutes  ses  pensées 
touchant  cet  aimable  enfant  qui  fait  aujourd'hui  toute  sa  joie, 
toute  son  espérance,  tout  son  entretien  ?  Marie  se  contente 
d'admirer  à  part  soi  les  choses  extraordinaires  qui  se  disaient 
de  son  Fils,  ainsi  que  l'évangéliste  le  remarque  fort  expres- 
sément. Non  pas  qu'elle  en  fût  surprise,  comme  si  elle  eût 
ignoré  quel  il  devait  être,  elle  à  qui  l'Ange  avait  dit  si  nette- 
ment qu'il  serait  appelé  le  Fils  du  Très-Haut,  et  qu'il  siége- 
rait à  jamais  sur  le  trône  de  David  son  père.  Et  certes  vous 
jugez  bien  qu'il  n'est  pas  croyable  qu'elle  ait  oublié  les  paroles 
de  l'Ange,  elle  dont  il  est  écrit  qu'elle  retenait  si  soigneu- 
sement celles  des  bergers.  Et  quand  il  n'y  aurait  eu  que  la 
manière  admirable  par  laquelle  elle  l'avait  conçu,  car  du  moins 
ne  lui  peut-on  pas  dénier  cette  connaissance,  le  moyen  de 
s'en  taire  à  moins  que  d'avoir  la  vertu  et  la  retenue  de 
Marie  ? 

Mais  certes  il  fallait  qu'elle  se  fît  voir,  par  ses  actions  si 
soumises,  la  Mère  de  celui  qui,  après  sa  glorieuse  Trans- 
figuration, dit  à  ses  disciples  :  «  Gardez-vous  bien  de  parler 
de  ce  que  vous  venez  de  voir,  jusques  à  ce  que  le  Fils  de 
l'homme  soit  ressuscité  ('').  »  Et  il  y  a  dans  son  Évangile 
beaucoup  d'autres  paroles  qui  sont  dites  en  ce  même  sens, par 
lesquelles  nous  connaissons  que  le  Fils  de  Dieu, qui  a  daigné 
témoigner  quelque  sorte  d'impatience  pour  l'ii^niominie  de 
sa  croix:  «  J'ai,  dit-il  ('''),  à  être  baptisé  d'un  baptême,  et  com- 
ment suis-je  pressé  en  moi-même  jusques  à  ce  qu'il  soit 
accompli  !  »  lui  donc,  qui  a  témoigné  quelque  sorte  d'impa- 
tience pour  l'ignominie  de  sa  croix,  n'a  jamais  fait  [voir]  le 
moindre  désir  de  la  manifestation  de  son  nom.  attendant  le 
temps  préfix  marqué  précisément  par  la  Providence  divine. 
C'était  lui,  c'était  lui,  chères  sœurs,  (jui  tloniiait  ce  sentiment 
à  sa  sainte   Mère,  afin   de  faire  voir   (juVlK'  était  animée  de 


a.  Matth.j  xvii,9.  —  b.  Luc.y  xn,  50. 


300  POUR  LA  PURIFICATION 


son  même  Esprit.  Ainsi  elle  jouit  seule  avec  Dieu  d  une  si 
grande  joie,  sans  la  partager  qu'avec  ceux  à  qui  il  plaît  au 
Saint-Esprit  de  la  révéler.  Elle  attend  que  Dieu  découvre 
cette  merveille,  lorsqu'il  sera  expédient  pour  la  gloire  de  son 
saint  nom.  Elle  est  vierge,  Dieu  le  sait,  Jésus  son  cher  fils  le 
sait  :  ce  lui  est  assez.  O  silence!  ô  retenue!  ô  âme  parfaitement 
satisfaite  de  Dieu  seul  et  du  témoignage  de  sa  conscience! 
Une  mère  si  éclairée,  se  contenter  d'être  au  nombre  des 
écoutants  au  sujet  de  son  Fils  unique  ;  ne  parler  pas  même 
des  choses  où  sa  virginité  qui  lui  est  si  chère  semble  inté- 
ressée, laisser  croire  au  monde  tout  ce  qu'il  voudra  et  tout 
ce  que  Dieu  permettra  qu'il  croie,  cacher  une  si  grande  gloire 
et  modérer  ses  paroles  dans  une  joie  qui  devait  être  si  exces- 
sive !  Sauveur  Jésus,  Dieu  caché,  qui  ne  faites  paraître  à 
nos  yeux  que  votre  faiblesse,  qui  avez  inspiré  cette  humilité 
si  profonde  à  la  bienheureuse  Marie  votre  Mère,  faites-nous 
o-oûter  vos  douceurs  en  simplicité  ;  vous  seul  contentez  nos 
désirs,  vous  seul  soyez  suffisant  à  nos  âmes. 


SECOND    POINT. 


La  seconde  cérémonie  consistait  en  un  certain  genre  de 
sacrifice,comme  je  vous  le  rapportais  au  commencement  de 
ce  discours.  Or  Dieu  avait  ordonné  en  cette  rencontre  diffé- 
rentes sortes  de  victimes,  qui  pouvaient  être  offertes  légiti- 
ment. «  On  offrira,  dit-il  ("),   un  agneau  d'un  an   avec  une 
tourterelle,  ou  un  pigeonneau.  Que  si  vous  ne  pouvez  offrir 
un  agneau,  ajoute  le    Seigneur,   si  vous  n'en  avez  pas  le 
moyen,   vous  offrirez  deux   pigeonneaux  ou   une  paire  de 
tourterelles.  »  Par  où  vous  voyez  que  l'on  pouvait  suppléer 
au  défaut  de  lagneau  par  les  pigeonneaux  ou  la  tourterelle; 
et  cela  se  faisait  ordinairement  par  les  pauvres,  pour  lesquels 
la  loi  semble  avoir  donné  ce  choix  des  victimes  :  les  pigeon- 
neaux et  les  tourterelles,  c'étaient  {')  le  sacrifice  des  pauvres. 
Maintenant  souffrez  que  je  vous  demande  quelle  victime 
vous  pensez  que  l'on  ait  offerte  pour  le  Roi  du  ciel.  Ecoutez, 

a.  LeviL,  XI i,  6,  8, 

I.  Les  éditeurs,  ne  pouvant   absoudre  cette  curieuse   syntaxe,  ont  corrigé  : 
«  c'était  le  sacrifice...  »  Ils  auront  supposé  un  lapsus,  à  tort,  je  crois. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


301 


je  VOUS  prie,  levangéliste  saint  Luc:  Ils  offrirent  pour  lui, 
dit-il,  une  paire  de  tourterelles,  ou  deux  pigeonneaux.  Une 
paire  de  tourterelles,  ou  deux  pigeonneaux  :  mais  lequel  des 
deux,  saint  évangéliste?  Pourquoi  cette  alternative?  Est-ce 
ainsi  que  vous  racontez  une  chose  faite .'^  Pénétrons,  s'il  vous 
plaît,  son  dessein  :  tout  ceci  n'est  pas  sans  mystère.  Certes 
l'intention  de  l'évangéliste  n'est  pas  de  nous  rapporter  pré- 
cisément laquelle  victime  en  particulier  a  été  offerte,  puisqu'il 
nous  donne  cette  alternative  :  deux  pigeonneaux,  ou  une 
paire  de  tourterelles.  Ce  n'est  pas  aussi  son  dessein  de  faire 
une  énumération  de  toutes  les  choses  qui  pouvaient  être 
offertes  en  cette  cérémonie  selon  les  termes  de  la  loi  de  Dieu, 
puisqu'il  ne  parle  point  de  l'agneau.  Quelle  peut  donc  être 
sa  pensée.^  Est-ce  point  qu'il  nous  veut  faire  entendre  que 
c'eût  été  hors  de  propos  qu'on  eût  offert  un  agneau,  en  ce 
même  temps  où  l'on  apportait  dans  le  temple  le  vrai  Agneau 
de  Dieu,  qui  venait  effacer  les  péchés  du  monde .'^  ou  bien 
n'est-ce  pas  plutôt  que  l'évangéliste  nous  fait  entendre,  qu'il 
n'est  pas  nécessaire  que  nous  sachions  quelle  a  été  précisé- 
ment la  victime  offerte  pour  notre  Sauveur,  pourvu  que 
nous  connaissions  que  le  sacrifice,  quel  qu'il  ait  été,  était 
le  sacrifice  des  pauvres  :  par  turticrum,  aut  duos piillûs  co- 
Imnbarwm  (^^^. 

Chères  sœurs,  qui  poussées  de  l'Esprit  de  Dieu,  avez 
généreusement  renoncé  à  tous  les  biens  et  même  à  toutes 
les  espérances  du  monde,  réjouissez-vous  en  Notre-Seigneur. 
Jamais  y  eût-il  homme  plus  pauvre  que  le  Sauveur.'^  Son 
père  gagnait  sa  vie  par  le  travail  de  ses  mains  et  par  l'exer- 
cice d'un  art  mécanique  :  lui-même  il  n'avait  rien  en  ce 
monde,  pas  même  une  pauvre  retraite  ni  de  quoi  appuyer  su 
tête.  Certes  les  historiens  remarquent  que  souvent  à  la  nati- 
vité des  grands  personnages,  il  s'est  vu  des  choses  qui  ont 
servi  de  présages  de  ce  qu'ils  devaient  être  pendant  la  vie. 
Ne  nous  rapporte-t-on  pas  qu'on  a  vu  fondre  des  aigles  ou 
sur  la  chambre  ou  sur  le  berceau  de  ceux  cjui  devaient  être 
un  jour  empereurs.-^  Et  on  raconte  de  saint  Ambroise  et  de 
quelques  autres,  cju'un  essaim  d'abeilles  s'était  reposé  inno- 

a.  Luc,^  II  24. 


302  POUR  LA  PURIFICATION 


cemment  sur  leurs  lèvres,  pour  signifier  la  douceur  de  leur 
éloquence.  O  épouses  de  Jésus-Christ!  dans  ces  dernières 
fêtes  que  nous  avons  célébrées,  que  nous  avons  vu  de  pré- 
sages de  l'extrême  pauvreté  dans  laquelle  J  Ésus  devait  vivre  ! 
Quel  est  l'enfant  si  misérable  dont  les  parents  n'aient  pas  du 
moins  quelque  chétive  demeure,  où  ils  puissent  le  mettre  à 
couvert  des  injures  de  l'air  au  moment  qu'il  vient  au  monde? 
Jésus,  rebuté  de  tout  le  monde,  est  plutôt,  ce  semble,  exposé, 
que  né  dans  une  étable.  Ainsi  il  naquit,  ainsi  il  vécut,  ainsi 
il  mourut.  Il  a  choisi  le  genre  de  mort  où  on  est  le  plus  dé- 
pouillé ;  et  nu  qu'il  était  à  la  croix,  il  voyait  ces  avares  et 
impitoyables  soldats  qui  partageaient  ses  vêtements  et 
jouaient  à  trois  dés  jusques  à  sa  tunique  mystérieuse.  Ne 
fut-il  pas  enterré  dans  un  sépulcre  emprunté.^  Et  les  draps 
dans  lesquels  son  saint  corps  fut  enseveli ,  les  parfums 
desquels  il  fut  embaumé,  furent  les  dernières  aumônes  de 
ses  amis.  De  sorte  que  pour  ne  se  point  démentir  dans  cette 
action,  qui  était,  comme  vous  le  verrez  tout  à  l'heure,  une 
représentation  de  sa  mort,  il  veut  que  l'on  offre  pour  lui  le 
sacrifice  des  pauvres,  une  paire  de  pigeonneaux  ou  deux 
tourterelles.  O  Roi  de  gloire,  «qui  étant  si  riche  par  la  con- 
dition de  votre  nature,  vous  êtes  fait  pauvre  pour  l'amour  de 
nous,  afin  de  nous  enrichir  par  votre  abondance  ('"),»  inspirez 
dans  nos  cœurs  un  généreux  mépris  de  toutes  ces  choses 
que  les  mortels  aveuglés  appellent  des  biens,  et  faites-nous 
trouver  dans  le  ciel  cet  unique  et  inépuisable  trésor  que 
vous  nous  avez  acquis  au  prix  de  votre  sang  par  votre  inef- 
fable miséricorde. 

Nous  lisons  deux  raisons  dans  l'Exode,  pour  lesquelles 
Dieu  ordonnait  que  les  premiers-nés  lui  fussent  offerts.  De 
ces  deux  raisons  je  prendrai  seulement  celle  qui  sera  la  plus 
convenable  au  mystère  que  nous  traitons,  à  laquelle  je  vous 
prie  de  vous  rendre  un  peu  attentifs.  Dieu,  pour  faire  voir 
qu'il  était  le  maître  de  toutes  choses,  avait  accoutumé  d'en 
exiger  les  prémices  comme  une  espèce  de  tribut  et  de  rede- 
vance. Ainsi  voyons-nous  que  les  prémices  des  fruits  lui 
sont  offertes,  en  témoignage  que  nous  ne  les  avons  que  de  sa 
a.  Il  Cor.,  vni,  9. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


303 


seule  munificence.  Pour  cela  il  demandait  tout  ce  qui  naissait 
le  premier,  tant  parmi  les  hommes  que  parmi  les  animaux, 
se  déclarant  maître  de  tout.  D'où  vient  qu'après  ces  mots 
par  lesquels  il  ordonne  (en  l'Exode,  chapitre  xrii)  que  tous 
les  premiers-nés  lui  soient  consacrés  :  Sanctifica  7?n/n  onme 
prhnogenitum . , ,  tain  de  hominibus  qiiain  de  jicmentis  {^),  il 
ajoute  incontinent  la  raison  :  Car  tout  est  à  moi.  «  Sanctifiez- 
moi,  dit-il,  tous  les  premiers-nés,  tant  parmi  les  hommes 
que  parmi  les  animaux;  car  tout  est  à  moi,  »  inea  sitnt  enini 
omnia.  Et  il  exigeait  ce  tribut  particulièrement  à  l'égard  des 
hommes  pour  se  faire  reconnaître  le  chef  de  toutes  les 
familles  d'Israël;  et  afin  qu'en  la  personne  des  aînés,  qui 
représentent  la  tige  de  la  maison,  tous  les  autres  enfants 
fussent  dévoués  à  son  service.  De  sorte  que  par  cette  offrande 
les  aînés  étaient  séparés  des  choses  communes  et  profanes, 
et  passaient  au  rang  des  saintes  et  des  consacrées.  C'est 
pourquoi  la  loi  est  prononcée  en  ces  termes  :  Separabis  ojinie 
quod  aperit  vulvant  Domino  (''')  :  «  Vous  séparerez  tous  les 
premiers-nés  au  Seigneur.  » 

Et  c'est  en  ce  lieu  que  je  puis  me  servir  des  paroles  du 
grave  Tertullien  (')  et  appeler  avec  lui  le  Sauveur  Jésus 
«  l'illuminateur  des  antiquités  (^),  »  qui  n'ont  été  établies  que 
pour  signifier  ses  mystères.  Car  quel  autre  est  plus  sanc- 
tifié au  Seigneur  que  le  Fils  de  Dieu,  dont  la  Mère  a  été 
remplie  de  la  vertu  du  Très-Haut?  D'où  l'Ange  concluait 
que  ce  qui  naîtrait  d'elle  serait  saint  ("').  Et  voici  (ju'étant 
«  le  premier-né  de  toutes  les  créatures,  »  ainsi  que  l'appelle 
saint  Paul,  (''),  et  étant  de  plus  les  prémices  du  genre  humain, 
on  le  vient  aujourd'hui  offrir  à  Dieu  devant  ses  autels,  pour 
protester  qu'en  lui  seul  nous  sommes  tous  sanctifiés  et 
renouvelés,  et  que  par  lui  seul  nous  appartenons  au  Père 
éternel,  et  avons  accès  à  l'autel  de  sa  miséricorde.  Ce  qui 
lui  fait  dire  à  lui-même  :  Ego pro  cis  sanctifico  mcipsum  ('): 
«  Mon  Père,  je  me  consacre  pour  eux  :  »  afin  d'accomplir 
cette  prophétie  qui  avait  promis  à  nos  pères  qu'en  lui  toutes 

.     a.  Exod.^  xni,  2.  —  b.  Ihid.,  xiii,  I7.  —  c.  Adv.  Marcion.,  lib  IV..  n.  4a  — 
d.  Luc,  I,  35.  —  e.  Coloss.,  1,  15.  —  J.Joun.,  xvii,  19. 
I.  M  s.  TertuUian. 


304  POUR  LA  PURIFICATION 


les  nations  seraient  bénies  (''),  c'est-à-dire,  sanctifiées  et 
consacrées  à  la  Majesté  divine.  Telles  sont  les  prérogatives 
de  son  droit  d'aînesse,  telles  sont  les  obligations  que  nous 
avons  à  ce  pieux  aîné,  c'est-à-dire,  au  Sauveur  Jésus,  qui 
s'est  immolé  pour  l'amour  de  nous. 

Et  à  ce  propos  je  vous  prie  de  considérer  les  paroles  que 
l'Apôtre  fait  dire  à  Notre-Seigneur  dans  son  Epître  aux 
Hébreux,  chapitre  x;  elles  sont  tirées  du  psaume  xxxix,  dont 
voici  les  propres  termes  cités  par  l'Apôtre  :  Holocautomata 
pro  peccato  non  tiàiplacuerunt;  tune  dixi  :  Ecce  venio  (^)  :  «  Les 
holocaustes,  et  les  sacrifices  pour  le  péché  ne  vous  ont  pas 
plu,  ô  mon  Père!  alors  je  me  suis  offert,  j'ai  dit  :  J'irai  moi- 
même,  afin  d'exécuter  votre  volonté;  »  c'est-à-dire,  comme 
l'entend  l'Apôtre,  l'ouvrage  de  notre  salut.  Ne  vous  semble-t-il 
pas,  chères  sœurs,  que  ces  paroles  ne  sont  faites  que  pour  cette 
cérémonie.'^  Saint  Paul  les  fait  dire  à  Notre-Seigneur  en 
entrant  au  monde:  Ingrediens  mundum  dixit  (^).  Or  le  Fils 
de  Dieu  n'avait  que  six  semaines  ('),  lorsqu'on  le  vint  offrir  à 
Dieu  dans  son  temple;  de  sorte  qu'il  ne  faisait  à  proprement 
parler  que  d'entrer  au  monde.  Et  selon  cette  doctrine,  je  me 
représente  aujourd'hui  le  Sauveur  Jésus,  à  même  temps  qu'on 
l'offre  au  Père  éternel,  prendre  déjà  (^)  la  place  de  toutes 
les  victimes  anciennes,  afin  de  nous  consommer  à  jamais  par 
l'unité  de  son  sacrifice  :  tellement  que  cette  cérémonie  était 
comme  un  préparatif  de  sa  Passion.  Jésus-Christ  dans  sa 
tendre  enfance  méditait  le  dessein  laborieux  de  notre  rédemp- 
tion, et  déjà  par  avance  se  destinait  à  la  croix.  Si  je  me  suis 
bien  fait  entendre,  mes  très  chères  sœurs,  vous  avez  vu  un 
rapport  merveilleux  des  anciennes  cérémonies  que  le  Fils  de 
Dieu  subit  aujourd'hui  avec  les  mystères  de  notre  salut. 

Mais  après  avoir  vu  les  sentiments  de  notre  Sauveur  dans 
cette  mystérieuse  journée,  si  vous  aviez  peut-être  une  sainte 
curiosité  de  savoir  de  quoi  s'entretenait  la  bienheureuse 
Marie,  je  tâcherai  de  vous  en  donner  quelque  éclaircisse- 
ment par  une  considération  très  solide.  Toutes  les  cérémonies 

a.  Genes.^  xxii,  18.  —  M  s.  bénites  (benistes).  —  b.  Hebr.^  x,  6,  7.  —  c.  Ibid.^  5. 

1.  Locution  d'une  naïveté  charmante. 

2.  Construction  toute  latine  :  proposition  infinitive. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


305 


des  Juifs  leur  étaient  données  en   figure  de  ce  qui  se  devait 
accomplir  en  Notre-Seigneur;  et,  bien  qu'elles  fussent  diffé- 
rentes les   unes  des  autres,   toutefois  elles   ne   contenaient 
qu'un    seul    Jésus-Christ.    Ceux   qui    étaient    grossiers    et 
charnels  n'en  considéraient  que  l'extérieur,  sans  en  pénétrer 
le  sens.  Mais  les  spirituels  et  les  éclairés,  à  travers  des  ombres 
et  des  figures  externes,  contemplaient  intérieurement  par  une 
lumière  céleste  les  mystères  du  Sauveur  Jésus.  Par  exemple, 
dans  la  manne  ils  se  nourrissaient  de  la  Parole  éternelle  du 
Père,  faite  chair  pour  l'amour  de  nous,  vrai  pain  des    anges 
et  des  hommes  ;  et  leur  foi  leur  faisait  voir  dans  leurs  sacri- 
fices sanglants  la  mort  violente  du  Fils  de  Dieu  pour  l'expia- 
tion de  nos  crimes.  Que  si  les  Juifs  éclairés  entendaient  en 
un  sens  spirituel  ce  qu'ils  célébraient  corporellement,  à  plus 
forte  raison  la  très  heureuse  Marie,  ayant  le  Sauveur  entre  ses 
bras  et  l'offrant  de  ses  propres  mains  au  Père  éternel,  faisait 
cette  cérémonie  en  esprit,  c'est-à-dire  joignait  son  intention 
à  ce  que  représentait  la  figure  externe,  c'est-à-dire  l'oblation 
sainte  du  Sauveur  pour  tout  le  genre  humain  racheté  miséri- 
cordieusement  par  sa  mort,  ainsi  que  je  vous  le  représentais 
tout   à  l'heure.    Ce  qui   me  fait  dire,    et  ce   n'est  point   une 
méditation  creuse  et  imaginaire,  que  de  même  que  la  sainte 
Vierge,  au  jour  de  l'Annonciation,  donna  son  consentement 
à  l'Incarnation  du  Messie,  qui  était  le  sujet  de  l'ambassade  de 
l'Ange  ;  de  même  elle  ratifia,   pour  ainsi  dire,  en  ce  jour  le 
traité  de  sa  Passion  ;  puisque  ce  jour  en  était  une  figure  et 
comme  un  premier  préparatif.  Et  ce  qui  confirme  cette  pensée, 
ce  sont  les  paroles  de  Siméon.   Car  comme  en   cette   sainte 
journée  son   esprit  devait  être  occupé  de  la  Passion  de  son 
F'ils,   pour  cela  il  est  arrivé  non  sans  un  ordre  secret  de  la 
Providence,  que  Siméon,  après  avoir  dit  en  fort  peu  de  mots 
tant  de  choses  de   Notre-Seigneur,    adressant  la  parole  h  sa 
sainte  Mère,   ne  l'entretient  que  des  étranges   contradictions 
dont  son  Fils  sera  traversé,  et  des  douleurs  amères  dont  son 
âme  sera  percée  à  cause  de  lui  :  «  Celui-ci,  dit-il  ("),  est  ctabh 
comme  un  signe  auquel  on  contredira;  et  votre  àme.  6  mcrc, 
sera    percée    d'un    glaive.  »   Où    vous  devez  remargucr^J^i 

a,  Luc,  II,  34. 

Sermons  de  Hossuet. 


306  POUR  LA  PURIFICATION 

résignation  la  plus  parfaite  à  la  volonté  divine,  dont  jamais 
vous  ayez  ouï  parler.  Car  la  sainte  Vierge  entendant  une 
prophétie  si  lugubre,  et  en  cela  plus  terrible,  que,  n'énonçant 
rien  en  particulier,  elle  laissait  à  appréhender  toutes  choses, 
elle  ne  s'informe  point  quels  seront  donc  ces  accidents  si 
étranges,  que  ce  bon  vieillard  lui  prédit  ;  mais  s'étant  une 
bonne  fois  résio^née  entre  les  mains  de  Dieu,  elle  se  soumet 
de  bon  cœur,  sans  s*en  enquérir,  à  ce  qu'il  lui  plaira  ordonner 
de  son  Fils  et  d'elle.  Voilà  comme  la  sainte  Vierge,  unissant 
son  intention  à  celle  de  son  cher  Fils,  se  dévouait  avec  lui  à 
la  Majesté  divine... 

(')  Chrétiens,  si  vous  désirez  faire  une  sainte  communion, 
tel  qu'était  Siméon  lorsqu'il  embrassa  Notre-Seigneur  dans 
le  temple,  tels  devez-vous  être,  approchant  de  la  sainte  table. 
Le  saint  homme  avait  une  telle  passion  pour  notre  Sauveur, 
qu'il  ne  pensait  jour  et  nuit  à  autre  chose  qu'à  lui  :  et  bien 
qu'il  ne  fût  pas  encore  venu  au  monde,  comme  sa  foi  le  lui 
montrait  dans  les  prophéties,  il  attachait  toutes  ses  affections 
à  ce  doux  objet.  Ce  violent  amour  produisait  en  lui  deux 
mouvements  très  puissants:  l'un  était  un  ardent  désir  de  voir 
bientôt  luire  au  monde  la  consolation  d'Israël;  et  l'autre,  une 
ferme  espérance  que  toutes  choses  seraient  rétablies  par  son 
arrivée:  Expectabat  rede7nptionem  Israël (^).  Le  saint  vieillard 
soupirait  donc  sans  cesse  après  le  Sauveur;  et  parmi  la 
véhémence  de  ses  désirs,  l'Esprit  de  Dieu,  qui  les  lui  avait 
inspirés,  lui  fit  concevoir  en  son  âme  une  certaine  créance 
qu'il  ne  mourrait  point  sans  le  voir.  Depuis  ce  temps-là 
chaque  jour  redoublait  ses  saintes  ardeurs  ;  et  peut-être  n'y 
avait-il  plus  que  son  amour  et  son  espérance  qui  soutînt  ses 
membres  cassés  et  qui  animât  sa  décrépite  vieillesse.  Tels 
devez-vous  être  si  vous  voulez  dignement  recevoir  le  sacre- 
ment adorable.  Soyez  embrasés  d'un  tendre  et  ardent  amour 
pour  le  Fils  de  Dieu,  qui  vous  fasse  établir  en  lui  toute  l'es- 
pérance de  votre  cœur  ;  que  votre  âme  soit  enflammée  d'une 
sainte  avidité  de  vous  rassasier  de  cette  viande  céleste,  que  le 

a.  Luc,  II,  25. 

I,  Bossuet   emprunte   cette   conclusion   au  sermon  composé  pour  Navarre  ' 
l'année  précédente.  Les  éditeurs  y  joignent  à  tort  l'alinéa  qui  précède  au  manu- 
scrit, et  que  nous  avons  donné  p.  loi  «  C'est  ici,  c'est  ici,  chrétiens,  etc. 'h 


DE   LA  SAINTE  VIERGE.  307 


Père  éternel  nous  a  préparée  en  son  Fils.  Car  y  a-t-il  chose 
au  monde  plus  désirable  que  de  jouir  du  corps  et  du  sang  de 
Notre-Seigneur,  et  du  prix  de  notre  salut  ;  que  de  commu- 
niquer à  sa  Passion  ;  que  de  tirer  de  sa  sainte  chair,  autrefois 
pour  nous  déchirée,  une  nourriture  solide,  par  la  méditation 
de  sa  mort  ;  que  de  recevoir,  par  l'attouchement  de  cette  chair 
vivifiante,  et  l'abondance  du  Saint-Esprit  et  les  semences 
d'immortalité  ;  que  d'être  transformés  en  lui  par  un  miracle 
d'amour  ?  Poussés  de  cet  aimable  désir,  venez  en  esprit  dans 
le  temple  ainsi  que  le  bon  Siméon  :  Et  venu  in  spiritu  in 
teniplwn  i^).  Que  ce  ne  soit  ni  par  coutume,  ni  pour  tromper 
le  monde  par  quelques  froides  grimaces  ;  mais  venez  comme 
le  malade  au  remède,  comme  la  mort  à  la  vie.  comme  un 
amant  passionné  à  l'objet  de  ses  affections  :  venez  boire  à  longs 
traits  et  avec  une  soif  ardente  cette  eau  admirable  qui  jaillit  à 
la  vie  éternelle.  Et  lorsqu'on  vous  présentera  ce  pain  céleste, 
goûtez  à  part  vous  combien  le  Sauveur  est  doux  ;  qu'un  ex- 
trême transport  d'amour,  vous  faisant  oublier  de  vous-mêmes, 
vous  attache  et  vous  colle  au  Seigneur  Jésus.  C'est  là  qu'il 
faut  savourer  cette  viande  délicieuse  en  silence  et  en  repos. 
Regardez  le  bon  Siméon  ;  comme  l'évangéliste  nous  distingue 
ses  actions,  et  comme  il  sait  saintement  ménager  sa  joie.  «  Il 
le  prend  entre  ses  bras,  dit  saint  Luc,  il  bénit  Dieu,  et  enfin  il 
éclate  en  actions  de  grâces  :  »  Suscepit  euni  ifi  iilnas  suas,  et 
benedixit  Deum,  et  ait  (''')...  Mais  devant  que  de  parler,  que 
de  regards  amoureux!  que  d'ardents  baisers!  quelle  abondance 
de  larmes  !  11  faut  donc,  avant  toutes  choses  ('),  que  votre 
âme  se  fonde  en  joie  :  jouissez  du  baiser  du  Sauveur,  c'est  le 
même  que  Siméon  embrassa  ;  et  s'il  se  cache  à  vos  yeux,  il 
se  montre  à  votre  foi  :  et  le  même  qui  a  dit  à  ses  disciples  • 
Bienheureux  les  yeux  qui  voient  ce  que  vous  voyez  (')  !  a 
dit  aussi  pour  notre  consolation  :  «  Bienheureux  ceux  cjui 
croient  et  qui  ne  voient  point  ('')!»  Après,  cjue  votre  âme 
s'épanouisse  et  se  décharge  à  la  bonne  heure  en  hymnes  et 
en  cantiques  ;  que  tous  vos  sens  disent  :  «  O  Seigneur,  qui  esi 
serhblable  à  vous  (^)  ?  »  et  que  ce  sentimcni  pénètre  jusques 

a.  Luc,  n,  27.  —  h.  Ibid.,  H,  28.    -  c.  Ihid.,  X,  23.  —  d.  Joah.,   XX,    29.  — 
e.  Ps.,  XXXIV,  10. 
I.  Var.  auparavant. 


308  POUR  LA  PURIFICATION  DE  LA  S.  VIERGE. 


à  la  moelle  de  vos  os.  Ensuite  entrez,  à  l'exemple  de  notre 
vieillard,  dans  un  dé^i^oût  de  la  vie  et  de  ses  plaisirs,  épris 
des  charmes  incompréhensibles  d'une  parfaite  beauté  :  «  En- 
voyez-moi maintenant  en  paix,  ô  Seigneur  !  »  Nunc  dirnittis 
serv7UJi  tnitm  in  pace  i^). 

Que  vous  dirai-je  de  cette  divine  paix  que  le  monde  ne  peut 
entendre,  et  qui  est  le  propre  effet  de  ce  sacrement  ?  Oui  ne 
voit  que  la  paix  est  le  fruit  de  la  charité  qui  lie,  et  tempère,  et 
adoucit  les  esprits  ?  Or  n'est-ce  pas  ici  le  mystère  de  charité  ? 
Car  par  le  moyen  de  la  sainte  chair  de  Jésus  nous  nous 
unissons  à  la  divinité  qui  en  est  inséparable,  et  notre  société 
est  avec  Dieu  et  avec  son  Fils  dans  l'unité  de  l'Esprit  (^). 
Ayant  donc  la  paix  avec  Dieu,  quel  calme  et  quelle  aimable 
tranquillité  dans  nos  âmes  !  C'est  pourquoi  songeons,  chré- 
tiens, en  quelle  société  nous  avons  été  appelés.  Pensons  que 
nos  corps  sont  devenus  et  les  membres  de  Jésus-Christ  et 
les  temples  du  Saint-Esprit.  Ne  les  abandonnons  point  à  nos 
passions  brutales,  qui,  comme  des  soldats  aveugles  et  témé- 
raires,profanent  les  choses  sacrées;  mais  conservons  en  pureté 
ces  vaisseaux  fragiles  dans  lesquels  nous  avons  notre  trésor  (^). 
Ne  parlons  désormais  que  Jésus,  ne  songeons  que  Jésus, 
ne  méditons  que  Jésus  :  Jésus  soit  notre  joie,  nos  délices, 
notre  nourriture,  notre  amour,  notre  conseil,  notre  espérance 
en  ce  monde  et  notre  couronne  en  l'autre.  Sauveur  Jésus, 
en  qui  nous  sommes  bénis  de  toutes  sortes  de  bénédictions 
spirituelles  ;  lorsque  vous  verrez  ...  (')  vos  enfants  ...  rangés 
devant  (^)  votre  table,  attendant  la  nourriture  céleste  à  laquelle 
vous  les  invitez,  daignez  leur  donner  votre  sainte  bénédiction 
par  l'intercession  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  Amen. 

a.  Luc,  II,  29.  —  b.  \Joan.,  i,  3.   —  ^.  I  Thess.,  iv,  4;  II  Cor.,  IV,   7. 

1.  Le  ms.  de  Navarre  porte  ces  mots, qui  n'ont  pu  être  redits  à  Metz  :  «  Lorsque 
vous  verrez  demain  vos  enfants,  surtout  ceux  qui  sont  associés  à  cette  confrérie, 
pour  la  gloire  de  votre  nom;  alors,  dis-je,  que  vous  les  verrez  rangés,  etc.  »  — 
C'était  la  veille,  ici  c'est  le  jour  de  la  fête. 

2.  Var.  \  votre  table. 


— »  »— 

•I»  •!• 


-i^^ii^:^^  ^  ^^.  -^^  ^  ^^^^  ^^  ^^.  ^  ^^_^ 


SERMON   SUR  LA   LOI   de  DIEU  ('). 

23   février  1653    (Quinquagésime).   A  Metz. 


Avec  ce  sermon,  nous  assistons  à  un  plus  grand  effort  de  l'élo- 
quence de  Bossuet  :  l'entretien  «  embrasse,  comme  il  le  remarque, 
tous  les  devoirs  de  la  vie  humaine.  »  Aussi  est-il  entré  dans  les 
recueils  de  5^;';;2^/2j-^Z!^2J2>.  M.  Gandar  en  a  donné  une  édition  cri- 
tique ;  M.  Gazier  a  encore  perfectionné  sur  quelques  points  la  consti- 
tution du  texte.  On  trouvera  ci-après  (année  1659)  un  nouveau  début 
composé  pour  ce  discours,  lorsque  l'orateur  le  reprit  devant  une 
communauté  de  Paris.  Les  anciens  éditeurs  n'en  font  qu'un  des  deux. 

Sommaire  (2).  Cogitavi  vias  meas. 

[Exorde.]  Diversité  d'actions  parmi  les  hommes.  Animaux  plus 
uniformes.  Occupations  serviles,  ou  vaines,  ou  folles,  ou  criminelles 
(p.  3).  Un  guide  pour  mes  erreurs,  une  règle  pour  mes  désordres,  un 
repos  pour  mes  inconstances  (p.  5). 

[i^""  point.]  Ignorance  humaine  :  nous  ne  savons  ce  qui  nous  est 
propre  (p.  7,  8,  9,  10,  11,  etc.).  —  Consiliuui  ineuin  justificationcs  tiiœ. 
—  Intellectitm  dat parvulis. — Super  senes  intellexi  (p.  13,  14,  15).  — 
Hasard  conduit  les  affaires  (p.  17).  —  Aller  à  JÉSUS-CIIRIST  pour 
être  enseignés  (p.  20). 

[2"^^  point.]  Ordinatione  tua  persévérât  dies.  —  Nisiquodîcx  tua  ... 
Beau  d'être  gouverné  par  la  sagesse  de  Dieu  (p.  28,  29). 

[3*^  point]  Trouble  de  la  vie.  Espérance  trompeuse.  Repos  en  Dieu 

(P-  35). 

[Péroraison.]  Carnaval  (p.  37,  38). 


Cogitavi  7>ias  vicas.,  et  converti  pedcs 
7?ieos  in  testiniotiia  iua. 

J'ai  étudié  mes  voies,  et  enfin  j'ai 
tourné  mes  pas  du  côté  de  vos  témoi- 
<:înafTes.  {^Ps.  cxviii,  59.) 

PU ISOUE  la  licence  effrénée  tient  iiiainicniint  ses  grands 
jours,  puisque  en  haine  delà  pénitence  (pie  nous  allons 
bientôt  commencer,  le  diable  s'efforce  de  noircir  ces  jours  par 
l'infamie  de  tant  d'excessives  débauches,  c'est  une  institution 
sainte  et  salutaire  de  les  sanctifier,  autant  que  ncnis  le  pour- 
rons, par  des  prières  publiques  et  par  la  parole  divine.  Mais 
comme  durant  ce  temps  les  hommes  ensevelis  dans  la  bonne 

1.  Mss.  12821,  f  426-441.  In-4".  —  et  petit  in-f*,  sans  luarpe. 

2.  Nous  donnerons,  à  Tanncc  1659,  le  sommaire  des  remaniemenls  posldricurs. 


3IO  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


chère  (')  semblent  avoir  oublié  qu'ils  sont  faits  à  l'image  de 
Dieu,    puisqu'ils    égalent    leur    félicité    à    celle    des    betes 
brutes,  j'ai  cru  que  je  ferais  une  chose  fort  profitable  à  votre 
salut,  si  je  vous  représentais    aujourd'hui,   avec  le  prophète 
David,  les   vrais    devoirs  de  la  vie  humaine.  C'est  pourquoi 
j'ai  choisi  ce  verset  du   psaume  cxviii,  où  ce  grand  roi  et  ce 
grand   prophète,   après   avoir  considéré  ce  qu'il  a  à  faire  en 
ce  monde,    nous   déclare  tout  ouvertement  qu'il    n'a    point 
trouvé  de  meilleures  voies  que  celles  de  la  loi  de  Dieu.  «  J'ai 
étudié  mes  voies  :  »  fidèles,  rendez-vous  attentifs  à  une  déli- 
bération de  cette  importance.  Cet  excellent  serviteur  de  Dieu, 
qui  nous  a  laissé  les  paroles  que  je  vous  ai  rapportées,  dès  sa 
tendre  jeunesse  a  eu  à  se  défendre  de  puissantes  inimitiés  ; 
il  s'est  trouvé  souvent  impliqué  dans  les  dangereux  intérêts 
des  princes  et  des  potentats;  il  a  eu  à  gouverner  un  puissant 
Etat,  oià  il  {')  avait  à  s'établir  contre   les  restes  de  la  famille 
de  Saul,^son  prédécesseur;  enfin,  durant  un   règne  fort  long, 
jusques  à  ses  dernières  années,    il  lui  a  fallu  soutenir   l'em- 
barras, non  seulement  d'une  cour  factieuse  et  de  sa  propre 
maison  toujours  agitée  de  cabales,   mais    encore  de    cruelles 
guerres  et  civiles  et  étrangères.  Toutefois,si  vous  lui  deman- 
dez sa  pensée  touchant  ce  qu'il  nous  propose  dans  ce  sao-e  et 
admirable  verset  que  je  vous  ai  allégué  pour  mon  texte,  Il  ne 
craindra  pas  de  vous  dire  que  jamais  il  n'a  eu  une  affaire  plus 
importante.    Puis  donc  qu'étant  impuissants  de  nous-mêmes, 
d'autant  plus  {')  que  les  choses  sont  de  conséquence,  d'autant 
plus  nous  avons  besoin  de  l'assistance  divine  :  adressons-nous, 
mes  frères,  avec  une  ferveur  extraordinaire,  au  Père  de  toute 
lumière,   afin   qu'il  lui  plaise,  par   sa  bonté,  nous  remplir  de 
son  Esprit-Saint  aux  prières  de    la  sainte  Vierge.  [Ave.'] 

[P.  i]  Dans  cette  importante  délibération  ('^),  chrétiens, 
je  me  représente  que,  venu  tout  nouvellement  d'une  terre 
inconnue  et  déserte,séparée  de  bien  loin  du  commerce  et  de 

1.  Var.  dans  leurs  délices  brutales...  l'image  de  leur  Créateur 

2.  Var.  il  fallait  qu'il  s'établît. 

3.  MM.  Gandar  et  Gazier  regardent  à  tort  p/us  comme  une  variante   •  c'e^t 
une  addition  interlinéaire.  Deforis  avait  bien  lu. 

4.  Var.  consultation. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


311 


la  société  des  hommes,  ignorant  des  choses  humaines,  je  suis 
élevé  tout  à  coup  au  sommet  d'une  haute  montagne,  d'où, 
par  un  effet  de  la  puissance  divine,  je  découvre  la  terre  et 
les  mers  et  tout  ce  qui  [se]  fait  dans  le  monde.  C'est  avec 
un  pareil  artifice  que  le  bienheureux  martyr  Cyprien  fait 
considérer  les  vanités  du  siècle  à  son  fidèle  ami  Donatus. 
Elevé  donc  sur  cette  montagne,  je  vois  du  premier  aspect 
cette  multitude  infinie  de  peuples  et  de  nations,  avec  leurs 
mœurs  différentes  et  leurs  humeurs  incompatibles,  les  unes 
barbares  et  sauvages,  les  autres  polies  et  civilisées.  Et  com- 
ment pourrais-je  vous  rapporter  une  pareille  variété  de  cou- 
tumes et  d'inclinations?  Après,  descendant  plus  exactement 
au  détail  de  la  vie  humaine,  je  contemple  les  divers  emplois 
dans  lesquels  les  hommes  s'occupent.  O  Dieu  éternel!  quel 
tracas!  quel  mélange  de  choses!  quelle  étrange  confusion! 
Je  jette  les  yeux  sur  les  villes,  et  je  ne  sais  où  arrêter  la  vue, 
tant  j'y  vois  de  diversité.  Celui-ci  s'échauffe  dans  un  barreau; 
cet  autre  songe  aux  affaires  publiques;  les  autres,  dans  leurs 
boutiques,  débitent  plus  de  mensonges  que  de  marchandises. 
Je  ne  puis  considérer  sans  étonnement  tant  d'arts  et  tant  de 
métiers  avec  leurs  ouvrages  divers,  et  cette  quantité  innom- 
brable de  machines  et  d'instruments  que  l'on  emploie  en  tant 
de  manières.  Cette  diversité  confond  mon  esprit  ;  si  l'expé- 
rience ne  me  (')  la  faisait  voir,  il  me  serait  impossible  de 
m'imaginer  (^)  que  l'invention  {^)  fût  si  abondante. 

D'autre  part  je  regarde  que  la  campagne  n'est  pas  moins 
occupée  :  personne  n'y  est  de  loisir,  chacun  y  est  en  action 
et  en  exercice,  qui  à  bâtir,  qui  [p.  2]  à  faire  remuer  la  terre, 
qui  à  l'agriculture,  qui  dans  les  jardins  :  celui-ci  y  travaille 
pour  l'ornement  et  pour  les  délices,  C(^lui-là  pour  la  néces- 
sité ou  pour  le  ménage  :  et  qu'est-il  nécessaire  que  je  vous 
fasse  une  longue  énumération  de  toutes  les  occupati(Mis  de 
la  vie  rustique.^  La  mer  même,  que  la  nature  seniblait  n'avoir 
destinée  que  pour  être  l'empire  des  vents  et  la  demeure  des 
poissons,  la  mer  est  habitée  par  les  hommes;  la  terre  lui 
envoie   dans  des  villes   flottantes  comme  cl(\s  colonies   de 

1.  Var.  nous. 

2.  Var.   il  serait  impossible  de  roncovdir. 

3.  V(ir.  l'iiiKiginalion. 


o 


12  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


peuples  errants  qui,  sans  autre  rempart  (')  que  d'un  bois  fra- 
gile, osent  se  commettre  à  la  fureur  des  tempêtes  sur  le  plus 
perfide  des  éléments.  Et  là  que  ne  vois-je  pas  ?  que  de  divers 
spectacles!  que  de  durs  exercices!  que  de  différentes  obser- 
vations! Il  n'y  a  point  de  lieu  où  paraisse  davantage  l'audace 
tout  ensemble  et  l'industrie  de  l'esprit  humain. 

Vous  raconte  rai -je,  fidèles,  les  diverses  inclinations  des 
hommes!  Les  uns,  d'une  nature  plus  remuante  ou  plus  géné- 
reuse, se  plaisent  dans  les  emplois  violents  :  tout  leur  con- 
tentement est  dans  le  tumulte  des  armes  ('),  et  si  quelque 
considération  les  oblige  à  demeurer  dans  quelque  repos,  ils 
prendront  leur  divertissement  à  la  chasse,  qui  est  une  image 
de  la  guerre  {^).  D'autres,  d'un  naturel  plus  paisible,  aiment 
mieux  la  douceur  de  la  vie;  ils  s'attachent  plus  volontiers  à 
cette  commune  conversation,  ou  à  l'étude  des  bonnes  lettres, 
ou  à  diverses  sortes  de  curiosités,  chacun  selon  son  humeur. 
J'en  vois  qui  sont  sans  cesse  à  étudier  de  bons  mots,  pour 
avoir  l'applaudissement  du  beau  monde.  Tel  aura  tout  son 
plaisir  dans  le  jeu  :  ce  qui  ne  devrait  être  qu'un  relâchement 
de  l'esprit,  ce  lui  est  une  affaire  de  conséquence  (^)  ;  il  donne 
tous  les  jours  de  nouveaux  rendez-vous,  il  se  passionne,  il 
s'impatiente;  il  y  occupe  dans  un  grand  sérieux  la  meilleure 
partie  de  son  temps.  Et  d'autres  qui  passent  toute  leur  vie  {^) 
dans  une  intrigue  continuelle;  ils  veulent  être  de  tous  les 
secrets,  ils  s'empressent,  ils  se  mêl6nt  partout,  ils  ne  songent 
qu'à  faire  toujours  de  nouvelles  connaissances  et  de  nouvelles 
amitiés.  Celui-ci  est  possédé  de  folles  [p.  3]  amours,  celui-là 
de  haines  cruelles  et  d'inimitiés  implacables;  et  cet  autre,  de 
jalousies  furieuses.  L'un  amasse,  et  l'autre  dépense  Quelques- 
uns  sont  ambitieux  et  recherchent  avec  ardeur  les  emplois 
publics;  les  autres  sont  plus  retenus  et  aiment  mieux  le 
repos  et  la  douce  oisiveté  d'une  vie  privée.  Chacun  a  sa 
manie  et  ses   inclinations  différentes.  Les  mœurs  sont  plus 

1.  Far.  défense. 

2.  Ici  encore  Deforis  a  raison  contre  ceux  qui  le  corrigent  :  armes,  non  arjnées, 

3.  Var.  dans  les  emplois  violents,  dans  la  guerre  ou  bien  à  la  chasse,  qui  sem- 
ble en  être  une  image. 

4.  Ms.  <L  à  laquelle  il  occupe  dans  un  grand  sérieux  la  meilleure  partie  de  son 
temps.  »  —  Ces  mots  ont  été  renvoyés  par  l'auteur  à  la  fin  de  la  phrase. 

5.  Var.  Celui-ci  passe  toute  sa  vie... 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


313 


dissemblables  que  les  visages,  chacun  veut  être  fol  à  sa  fan- 
taisie :  la  mer  n'a  pas  plus  de  vagues  quand  elle  est  agitée 
par  les  vents,  qu'il  naît  de  diverses  pensées  de  cet  abîme 
sans  fond  et  de  ce  secret  impénétrable  du  cœur  de  l'homme. 
C'est  à  peu  près,  mes  frères,  ce  qui  se  présente  à  mes  yeux, 
quand  je  considère  attentivement  les  affaires  et  les  actions 
qui  exercent  la  vie  humaine. 

A  cette  étonnante  diversité  je  demeure  surpris  (')  et 
comme  hors  de  moi  ;  je  me  regarde,  je  me.  considère  :  que 
ferai-je  ?  où  me  tournerai-je  ?  Cogitavi  vias  viens.  Certes, 
dis-je  incontinent  en  moi-même,  les  autres  animaux  semblent 
ou  se  conduire  ou  être  conduits  d'une  manière  plus  réglée 
et  plus  uniforme  :  d'où  vient  dans  les  choses  humaines 
une  telle  inégalité  et  une  telle  bizarrerie  ?  Est-ce  là  ce  divin 
animal  dont  on  raconte  de  si  grandes  merveilles  ?  cette  âme 
d'une  vigueur  immortelle  n'est-elle  pas  capable  de  quelque 
opération  plus  divine,  et  qui  ressente  mieux  le  lieu  d'où  elle 
est  sortie  ?  Toutes  les  occupations  que  je  vois  me  semblent 
ou  serviles,  ou  vaines,  ou  folles,  ou  criminelles  :  j'y  vois  du 
mouvement  et  de  l'action  pour  agiter  l'âme  ;  je  n'y  vois  ni 
règle,  ni  véritable  conduite  pour  la  composer.  «  Tout  y  est 
vanité  et  affliction  d'esprit,  »  disait  le  plus  sage  des 
hommes  {'').  Ne  paraîtra-t-il  rien  à  ma  vue  ('),  qui  soit  digne 
d'une  créature  faite  à  l'image  de  Dieu  ?  Cogihwi  z'ias  7}iias. 
Je  cherche,  je  médite,  j'étudie  mes  voies  ;  et  pendant  que  je 
suis  dans  ce  doute,  je  découvre  un  nouveau  genre  d'hommes 
que  Dieu  a  dispersés  deçà  et  delà  dans  le  monde,  qui  met- 
tent tous  leurs  soins  à  former  leur  vie  sur  l'équité  de  la  loi 
divine  :  ce  sont  les  justes  et  les  gens  de  bien.  [P.  4]  Leur 
conduite  me  paraît  plus  égale,  et  leur  contenance  plus  sage, 
et  leurs  mœurs  bien  mieux  ordonnées  ;  mais  le  nombre  en 
est  si  petit,  qu'à  peine  paraissent-ils  sur  la  terre.  Davantage, 
pour  l'ordinaire,  je  ne  les  vois  pas  dans  le  grantl  crédit  ;  il 
semble  que  leur  partage  soit  le  mépris  et  la  pauvreté  :  ceux 
qui  les  maltraitent  et  qui  les  oppriment  vont  dans  le  monde 
la  tête  levée,  au  milieu  des  applaudissements  de  toutes  les 

a.  Ecci.^  I,  14- 

1.  Vtir.  tout  stupide.  (Ktait-cc  une  irminisrcncc  de  CiiiHit^  \\  l  ?) 

2.  yar.  à  incb  youx. 


314  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 

conditions  et  de  tous  les  âges;  et  c'est  ce  qui  me  rejette 
dans  de  nouvelles  perplexités.  Suivrai-je  le  grand  ou  le 
petit  nombre  ?  les  sages  ou  les  heureux  ?  ceux  qui  ont  la 
faveur  publique,  ou  ceux  qui  se  satisfont  du  témoignage  de 
leurs  consciences  ? 

Mais  enfin,  après  plusieurs  doutes,  voici  la  réflexion  que 
je  fais  :  Je  suis  dans  une  profonde  ignorance,  j'ai  été  comme 
exposé  en  ce  monde  sans  savoir  ce  qu'il  y  faut  faire  ;  et  ce 
que  je  puis  en  apprendre  est  mêlé  de  tant  de  sortes  d'erreurs, 
que  mon  âme  demeurerait  suspendue  dans  une  incertitude 
continuelle,  si  elle  n'avait  que  ses  propres  lumières  ;  et 
nonobstant  cette  incertitude,  je  suis  engagé  à  un  long  et 
périlleux  voyage  :  c'est  le  voyage  de  cette  vie,  où  il  faut 
nécessairement  que  je  marche  par  mille  sentiers  détournés, 
environné  de  toutes  parts  (')  de  précipices  fameux  par  la 
chute  de  tant  de  personnes.  Aveugle  que  je  suis,  que  ferai-je, 
si  quelque  bonne  fortune  ne  me  fait  trouver  un  guide 
fidèle,  qui  régisse  mes  pas  errants  et  conduise  mon  âme 
mal  assurée  ?  C'est  la  première  chose  qui  m'est  nécessaire. 

Mais  je  n'ai  pas  seulement  l'esprit  obscurci  d'ignorance  ; 
ma  volonté  est  extrêmement  déréglée  :  il  s'y  élève  sans  cesse 
des  désirs  injustes  ou  superflus  ;  je  suis  presque  toujours  en 
désordre  par  la  véhémence  de  mes  passions,  et  par  la  vio- 
lente précipitation  de  mes  mouvements  ;  il  faut  que  je  cherche 
une  règle  certaine  qui  compose  mes  mœurs  selon  la  droite 
raison,  et  réduise  mes  actions  à  la  juste  médiocrité  :  c'est  la 
seconde  chose  dont  j'ai  besoin. 

[P.5]Etenfin(^),voici  la  troisième:  mon  entendement  et  ma 
volonté,  qui  sont  les  deux  parties  principales  qui  gouvernent 
toutes  mes  actions,  étant  ainsi  blessés,  l'une  par  l'ignorance, 
et  l'autre  par  le  dérèglement,  toute  mon  âme  en  est  agitée 
et  tombe  dans  un  autre  malheur,  qui  est  une  inquiétude  et 
une  inconstance  éternelle.  J'erre  de  désir  en  désir,  sans 
trouver  quoi  que  ce  soit  qui  me  satisfasse  {^).  De  sorte  que 

1.  Var.  au  milieu  de. 

2.  Autre  rédaction  non  effacée,  mais  inachevée  :  «  Cette  ignorance  de  l'enten- 
dement et  ce  dérèglement  de  la  volonté  me  jettent  dans  un  autre  malheur.  C'est 
une  inquiétude  continuelle  qui  résulte...  » 

3.  Edit.i.]t  prends  tous  les  jours  de  nouveaux  desseins,  espérant  que  les  der- 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


315 


je  vivrai  désormais  sans  espérance  de  terminer  mes  longues 
inquiétudes,  si  je  ne  trouve  à  la  fin  un  objet  solide  qui  donne 
quelque  consistance  à  mes  mouvements  par  une  véritable 
tranquillité  :  un  guide  (')  de  mes  erreurs,  une  règle  pour  mes 
désordres  ;  un  repos  assuré  pour  mes  inconstances. 

Ce  sont  les  trois  choses  qui  me  sont  nécessaires  :  6  Dieu  ! 
où  les  irouvç^r^d-]^,}  Cogitavi  via  s  me  as.  La  prudence  humaine 
est  toujours  chancelante  ;  les  règles  des  hommes  sont  défec- 
tueuses; les  biens  du  monde  n'ont  rien  de  ferme;  il  faut  que 
je  porte  mon  esprit  plus  haut.  Je  vois,  je  vois  dans  la  loi  de 
Dieu  une  conduite  infaillible,  et  une  règle  certaine,  et  une 
paix  immuable.  J'entends  le  Sauveur  Jésus,  qui  avec  sa 
charité  ordinaire  :  «  Je  suis,  dit-il,  la  voie,  la  vérité  et  la 
vie  ('').  »  Je  suis  la  voie  assurée  qui  vous  conduis  sans  incer- 
titude ;  je  suis  la  vérité  infaillible,  invariable,  sans  aucun  dé- 
faut, qui  vous  règle  :  je  suis  la  [vraie]  vie  de  vos  âmes,  qui 
les  fait  vivre  dans  la  douceur  d'une  [parfaite]  tranquillité  (-). 
Pourquoi  délibérer  davantage?  Loin  de  moi,  [longues  in- 
quié]tudes  {^)  ;  loin  de  moi,  fâcheuses  irrésolutions  :  [P.  6] 
«  J'ai  étudié  mes  voies,  et  enfin  j'ai  tourné  mes  pas,  »  ô  Sei- 
gneur! «  du  côté  de  vos  témoignages  :  »  Cogitavi  vias  meas, 
et  converti  \_pedes  rneos  in  testimo7iia  ttuiP\  C'est  le  sujet  de 
cet  entretien,  qui  embrasse,  comme  vous  voyez,  tous  les  de- 
voirs de  la  vie  humaine.  Fidèles,  je  n'en  doute  pas.  vous  avez 
souvent  entendu  de  plus  doctes  prédications,  et  oii  les  choses 
ont  été  mieux   déduites  que  je  ne  suis  capable  de  le  faire; 

a.  Joan.^  XIV,  6. 

niers  réussiront  mieux;  et  partout  mon  espérance  est  trompée  {var.  frustrée), 
parce  que  je  ne  trouve  rien  qui  me  satisfasse.  De  h\  l'iné.^alité  de  ma  vie,  qui 
n'ayant  point  de  conduite  arrêtée  {var.  ferme),  est  un  mélan«;e  d'aventures  di- 
verses et  de  diverses  prétentions,  qui  toutes  ont  trompé  mes  désirs.  Je  les  ai 
manquées,  ou  elles  m'ont  manqué  ;  je  les  ai  manquées,  lorsque  je  ne  suis  pas 
parvenu  au  but  que  je  m'étais  proposé  ;  elles  m'ont  manqué,  lorsqu'ayanl  obtenu 
ce  que  je  voulais,  je  n'y  ai  pas  rencontré  ce  que  je  cherchais.  »  —  M.  ^landar  .i 
raison,  je  crois,  de  supprimer  ici  cette  phrase  :  Bossuel  en  a  barré  le  commen- 
cement, et  il  en  reprend  une  bonne  partie  vers  la  fm  de  son  discours.  M.  C'.azicr, 
au  contraire,  a  cru  devoir  la  rétablir  dans  son  édition. 

1.  Var.  une  lumière  pour...  lîdit.  un  j^uide  pour... 

2.  "^  Correction  de  1659  :  «  qui  leur  donne  un  repos  sans  trouble.  >^ 

3.  11  faut  sui)pléer  (juclques  m(>ts,  h  cause  d'une  déchirure  du  ms.  Les  édi- 
teurs disent  :  «  doutes  et  in(|uiétudcs.  >~>  Nous  avons  préféré  rejircndre  les  propres 
expressions  dont  liossuet  s'était  servi  tiuclqucs  lignes  i)lus  haut. 


3^6  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


mais  je  ne  craindrai  pas  de  vous  assurer  que  ni  dans  les 
cabinets,  ni  dans  les  conseils,  ni  dans  les  chaires,  ni  dans  les 
livres,  jamais  il  ne  s'est  traité  une  affaire  plus  importante. 


PREMIER    POINT. 


[P.  /]  Qu'est-ce  que  l'homme,  ô  grand  Dieu  !  que  vous  en 
faites  état  et  que  vous  en  avez  souvenance  (')  ?  dit  le  pro- 
phète David  ('').  Notre  vie,  qu'est-ce  autre  chose  qu'un  éga- 
rement continuel  ?  Nos  opinions  sont  autant  d'erreurs,  et 
nos  voies  ne  sont  qu'ignorance.  Et  certes,  quand  je  parle  de 
nos  ignorances,  je  ne  me  plains  pas,  chrétiens,  de  ce  que 
nous  ne  connaissons  point  quelle  est  la  structure  du  monde, 
ni  les  influences  des  corps  célestes,  ni  quelle  vertu  tient  la 
terre  suspendue  au  milieu  des  airs,  ni  de  ce  que  tous  les 
ouvrages  de  la  nature  nous  sont  des  énigmes  indissolubles  (^). 
Bien  que  ces  connaissances  soient  très  admirables  et  très 
dignes  d'être  recherchées,  ce  n'est  pas  ce  que  je  déplore 
aujourd'hui  ;  la  cause  de  ma  douleur  nous  touche  de  bien 
plus  près.  Je  plains  notre  malheur  de  ce  que  nous  ne  savons 
pas  ce  qui  nous  est  propre,  de  ce  que  nous  ne  connaissons 
pas  le  bien  et  le  mal,  de  ce  que  nous  n'avons  pas  la  véri- 
table conduite  qui  doit  gouverner  notre  vie. 

[P.  8]  Le  sage  Salomon  étant  un  jour  entré  profon- 
dément en  cette  pensée  :  «  Ou'est-il  nécessaire,  dit-il, 
que  l'homme  s'étudie  à  des  choses  qui  surpassent  sa  ca- 
pacité, puisqu'il  ne  sait  pas  même  ce  qui  lui  est  convenable 
durant  le  pèlerinage  de  cette  vie  ?  »  Quzd  necesse  est  homini 
majora  se  guœrere;  cttm  ignoret  quid conducat  sibi...  numéro 
dierum  peregrinationis  smcb,  et  tempore  quod  velut  timbra 
prœterit  (^)  ?  Mortels  misérables  et  audacieux,  nous  mesurons 
le  cours  des  astres,  nous  assignons  la  place  aux  éléments,  nous 
allons  chercher  au  fond  des  abîmes  les  choses  que  la  nature 

a.  Ps.,  Vin,  5.  —  â.  Ecd.^  vil,  i. 

1.  Édit.  Quid  est  ho?no  quod  memor  es  ejus?  —  Ces  mots  en  effet  ont  été  ajou- 
tés dans  le  manuscrit  ;  mais  on  n'a  pas  remarqué  que  l'écriture  n'est  pas  de 
Bossuet. 

2.  C'est  le  mot  du  ms.  Nous  l'avons  déjà  rencontré  dans  le  panégyrique  de 
saint  François  d'Assise.  Les  éditeurs,  excepté  Gandar,  corrigent  :  «  insolubles  ». 
Il  est  vrai  qu'il  y  a  d'autres  inadvertances  :  imagine  ^qmx  imagej  désidérable,  tic 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


317 


y  avait  cachées,  nous  pénétrons  un  océan  immense  pour 
trouver  des  terres  nouvelles  que  les  siècles  précédents  n'ont 
jamais  connues  ;  et  à  quoi  ne  nous  portent  pas  les  désirs 
vagues  et  téméraires  d'une  curiosité  infinie  ?  Et,  après  tant 
de  recherches  laborieuses,  nous  sommes  étrangers  chez 
nous-mêmes  ;  nous  ne  connaissons  ni  le  chemin  que  nous  de- 
vons tenir,  ni  quelle  est  la  vraie  fin  de  nos  mouvements.  Et 
toutefois  il  est  manifeste  que  la  première  chose  que  doit  faire 
une  personne  avisée,  c'est  de  considérer  ses  voies,  et  de 
peser  par  une  véritable  prudence  comment  [P.  9]  il  (')  doit 
composer  ses  mœurs.  C'est  ce  que  nous  enseigne  l'Ecclésiaste 
en  ces  deux  petits  mots  si  sensés  :  «  Les  yeux  du  sage  sont 
en  sa  tête  :  »  Sapientis  oculi  in  capite  ejus  ('*).  Quelle  étrange 
façon  de  parler  :  «  les  yeux  du  sage  sont  en  sa  tête!  »  Mais  il  a 
voulu  nous  faire  entendre  que,  de  même  que  la  nature  a  mis 
la  vue  comme  un  guide  fidèle  dans  la  place  la  plus  éminente 
du  corps,  afin  de  veiller  à  notre  conduite  et  de  découvrir  de 
loin  les  obstacles  qui  la  pourraient  traverser,  ainsi  la  Provi- 
dence divine  a  établi  la  raison  dans  la  suprême  partie  de 
notre  âme,  pour  adresser  nos  pas  à  la  bonne  voie,  et  consi- 
dérer aux  environs  les  empêchements  qui  nous  en  détour- 
nent {^). 

Et  bien  que  tout  le  monde  confesse  qu'il  n'y  a  rien  de  si 
nécessaire  que  ce  précepte  du  Sage,  si  est-ce  toutefois,  chré- 
tiens, que  si  nous  l'observons  en  quelque  façon  dans  les 
affaires  de  peu  d'importance,  nous  le  négligeons  tout  à  fait 
dans  le  point  capital  de  la  vie.  Étrange  aveuglement  de 
l'homme  !  personne  parmi  nous  ne  se  plaint  de  manquer  de 
raisonnement  ;  nous  nous  piquons  d'employer  la  raison,  et 
dans  nos  affaires,  et  dans  nos  discours  ;  il  faut  même  (ju'il  y 
ait  de  l'esprit  et  du  raisonnement  dans  nos  jeux  ;  il  y  a  de 
l'étude  et  de  l'art  jusque  dans  nos  gestes  et  dcUis  nos  dé- 
marches :  il  n'y  a  que  sur  le  point  de  nos  mœurs  où  nous  ne 
nous  [p.  10]  mettons  point  en  peine  de  suivre  ni  de  consulter 
la  raison  ;  nous  les  abandonnons  au  hasard  et  à  l'ignorance. 
Et  afin  que  vous  ne  croyiez  pas,   chrétiens,    que  ce  soit  ici 

a.  EccL,  H,  14. 

I.  Syllepse  usitée  au  xvii"  siècle.  —  2.  Var.  Ce  qui  nous  en  peut  dcHourncr. 


3l8  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 

une  invective  inutile,  considérez,  je  vous  prie,  à  quoi  se  passe 
la  vie  humaine.  Chaque  âge  n'a-t-il  pas  ses  erreurs  et  sa 
folie  ?  Qu'y  a-t-il  de  plus  insensé  que  la  jeunesse  bouillante, 
téméraire  et  mal  avisée,  toujours  précipitée  dans  ses  entre- 
prises, à  qui  la  violence  de  ses  passions  empêche  de  con- 
naître ce  qu'elle  fait  ?  La  force  de  l'âge  se  consume  en  mille 
soins  et  mille  travaux  inutiles.  Le  désir  d'établir  son  crédit 
et  sa  fortune,  l'ambition,  et  la  vengeance,  et  les  jalousies, 
quelles  tempêtes  ne  causent-elles  pas  à  cet  âge  ?  Et  la  vieil- 
lesse paresseuse  et  impuissante,  avec  quelle  pesanteur  s'em- 
ploie-t-elle  aux  actions  vertueuses  !  combien  est-elle  froide 
et  languissante  !  combien  trouble-t-elle  le  présent  par  la  vue 
d'un  avenir  qui  lui  est  funeste  ! 

Jetons  un  peu  la  vue  sur  nos  ans  qui  se  sont  écoulés;  nous 
désapprouverons  presque  tous  nos  desseins,  si  nous  sommes 
juges  un  peu  équitables  :  et  je  n'en  exempte  pas  les  emplois 
les  plus  éclatants,  car,  pour  être  les  plus  illustres,  ils  n'en 
sont  pas  pour  cela  les  plus  accompagnés  de  raison  (').  La  plu- 
part des  choses  que  nous  avons  faites,  les  avons-nous  choisies 
par  une  mûre  délibération  ?  n'y  avons-nous  [pas]  [p.  1 1] 
plutôt  été  engagés  par  une  chaleur  inconsidérée,  qui  donne 
e  mouvement  à  tous  nos  desseins?  Et  dans  les  choses  même 
esquelles  (^)  nous  croyons  avoir  le  plus  apporté  de  prudence, 
qu'avons-nous  jugé  par  les  vrais  principes  ?  avons-nous 
jamais  songé  à  faire  les  choses  par  leurs  motifs  essentiels  et 
par  leurs  véritables  raisons  ?  Quand  avons-nous  cherché  la 
bonne  constitution  de  notre  âme  ?  quand  nous  sommes-nous 
donné  le  loisir  de  considérer  quel  devait  être  notre  intérieur, 
et  pourquoi  nous  étions  en  ce  monde  .f^  Nos  amis,  nos  préten- 
tions, nos  charges  et  nos  emplois,  nos  divers  intérêts,  que 
nous  n'avons  jamais  entendus,  nous  ont  toujours  entraînés  ; 
et  jamais  nous  ne  sommes  poussés  que  par  des  considéra- 
tions étrangères.  Ainsi  se  passe  la  vie,  parmi  une  infinité  de 
vains  projets  et  de  folles  imaginations  ;  si  bien  que  les  plus 
sages,  après  que  cette  première  ardeur  qui  donne  l'agrément 
aux  choses  du  monde  est  un  peu  tempérée  {^)  par  le  temps, 

I.  l^ar.  les  plus  raisonnables.  —  2.  Var.  dans  lesquelles.  —  3.  Var.  modérée,  — 
ralentie. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


319 


s'étonnent  le  plus  souvent  de  s'être  si  fort  travaillés  pour 
rien  (').  Et  d'où  vient  cela,  chrétiens  ?  N'est-ce  pas  manque 
d'avoir  bien  compris  les  solides  devoirs  de  Thomme  et  le 
vrai  but  où  nous  devons  tendre? 

Il  est  vrai,  et  il  le  faut  avouer,  que  ce  n'est  pas  une  entre- 
prise facile  ni  un  travail  médiocre  :  tous  les  sages  du  monde 
s'y  sont  appliqués,  tous  les  sages  du  monde  s'y  sont  [p.  12] 
trompés.  Tu  me  cries  de  loin,  ô  philosophie  !  que  j'ai  à 
marcher  en  ce  monde  dans  un  chemin  glissant  et  plein  de 
périls  :  je  l'avoue,  je  le  reconnais,  je  le  sens  même  par  expé- 
rience. Tu  me  présentes  la  main  pour  me  soutenir  et  pour 
me  conduire  ;  mais  je  veux  savoir  auparavant  si  ta  conduite 
est  bien  assurée  :  «  Si  un  aveugle  conduit  un  aveugle,  ils 
tomberont  tous  deux  dans  le  précipice  ('').  »  Et  comment 
puis-je  me  fier  à  toi,  ô  pauvre  philosophie  ?  Que  vois-je  dans 
tes  écoles  que  des  contentions  inutiles  qui  ne  seront  jamais 
terminées  ?  On  y  forme  des  doutes,  mais  on  n'y  prononce 
point  de  décisions  (^).  Remarquez,  s'il  vous  plaît,  chrétiens,  que 
depuis  qu'on  se  mêle  de  philosopher  dans  le  monde,  la  prin- 
cipale des  questions  a  été  des  devoirs  essentiels  de  l'homme, 
et  quelle  était  la  fin  de  la  vie  humaine.  Ce  que  les  uns  ont 
posé  pour  certain,  les  autres  l'ont  rejeté  comme  faux.  Dans 
une  telle  variété  d'opinions,  que  l'on  me  mette  au  milieu 
d'une  assemblée  de  philosophes  un  homme  ignorant  de  ce 
qu'il  aurait  [p.  13]  à  faire  en  ce  monde  ;  qu'on  ramasse,  s'il 
se  peut,  en  un  même  lieu  tous  ceux  qui  ont  jamais  eu  la 
réputation  de  sagesse  :  quand  est-ce  que  ce  pauvre  homme  se 
résoudra,  s'il  attend  que  de  leurs  conférences  (-^)  il  en  résulte 
enfin  quelque  conclusion  arrêtée?  Plutôt  on  verra  le  froid  et 
le  chaud  cesser  de  se  faire  la  guerre  que  les  philosophes 
convenir  entre  eux  de  la  vérité  de  leurs  dogmes.  ^Voâ/s  /;/:7- 
cem  videmur  insanire  :  (i  Nous  nous  semblons  insensés  les 
uns  aux  autres,  »  disait  autrefois  saint  Jérôme  (  ). 

Non,  je  ne  le  puis,  chrétiens,  je  ne  puis  jamais  me  fier  à 

a.  Matth.^  XV,  14.  —  /^.  Epist.  XXVI II,  ad  AselL 

I.  Cette  phrase  et  la  précédente  sont  soulignées  comme  importantes. 
2    Souligné.   Il  en  est  de  môme  des  principaux  développements  qui  suivent, 
jusqu'à  la  conclusion  :  «  Donc,  ô  Sagesse...  > 
3.    Var.  disputes. 


320  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


la  seule  raison  humaine:  elle  est  si  variable  et  si  chancelante, 
elle  est  tant  de  fois  tombée  dans  l'erreur,  que  c'est  se  com- 
mettre à  un  péril  manifeste  que  de  n'avoir  point  d'autre  guide 
qu'elle.  Quand  je  regarde  quelquefois  en  moi-même  cette 
mer  si  vaste  et  si  agitée,  si  j'ose  parler  de  la  sorte,  des  rai- 
sons et  opinions  humaines,  je  ne  puis  découvrir,  dans  une  si 
vaste  étendue,  ni  aucun  lieu  si  calme,  ni  aucune  retraite  si 
assurée,  qui  ne  soit  illustre  par  le  naufrage  de  quelque  per- 
sonnage célèbre.  Si  bien  que  le  prophète  Job,  déplorant  dans 
la  véhémence  de  ses  douleurs,  les  diverses  calamités  qui  affli- 
gent la  vie  humaine,  a  eu  juste  sujet  de  se  plaindre  de  notre 
[p.  14]  ignorance  (au  chapitre  xxviii)  à  peu  près  en  cette 
manière  :  O  vous  qui  naviguez  sur  les  mers,  vous  qui  tra- 
fiquez dans  les  terres  lointaines,  et  qui  nous  en  rapportez  des 
marchandises  si  précieuses,  dites-nous  :  n'avez-vous  point 
reconnu  dans  vos  longs  et  pénibles  voyages,  «  n'avez-vous 
point  reconnu  où  réside  l'intelligence,  et  dans  quelles  bien- 
heureuses provinces  la  sagesse  s'est  retirée?  »  Unde sapientia 
venit,  et  quis  est  locus  intelligentiœ  ('*)  ?  Certes,  «  elle  s'est 
cachée  des  yeux  de  tous  les  vivants  ;  les  oiseaux  mêmes  du 
ciel,  »  c'est-à-dire  les  esprits  élevés,  «  n'ont  pu  découvrir  ses 
vestiges  :  »  Abscondita  est  ab  octtlis  omnium  viventium  ; 
volucres  quoque  cœli  latet  {^).  «  La  mort  et  la  corruption,  » 
c'est-à-dire  l'âge  caduc  et  la  décrépite  vieillesse,  qui,  courbée 
par  les  ans,  semble  déjà  regarder  sa  fosse,  «  la  mort  donc  et 
la  corruption  nous  ont  dit  :  »  Enfin,  après  de  longues  enquêtes 
et  plusieurs  rudes  expériences,  «  nous  en  avons  ouï  quelque 
bruit  confus,  »  mais  nous  ne  pouvons  vous  en  rapporter  de 
nouvelles  bien  assurées  :  Perditio  et  moj^s  dixerunt  :  Auri- 
bus  \7iostris~\  audivhnus  famam  ejus  (^). 

Donc,  ô  Sagesse  incompréhensible,  agité  de  cette  tempête 
de  diverses  opinions  pleines  d'ignorance  et  d'incertitude,  je  ne 
vois  de  refuge  que  vous;  vous  serez  le  port  assuré  où  [p.  15] 
se  termineront  mes  erreurs.  Grâce  à  votre  miséricorde,  comme 
vous  allumiez  autrefois  durant  l'obscurité  de  la  nuit  cette 
mystérieuse  colonne  de  flammes  qui  conduisait  Israël,  votre 
peuple,  dans  une  telle  étendue  de  terres  seules,  incultes  et 


a.Job^  XXVIII,  20.  —  b.  Ibid.y  21.  —  c.  Ibid.^  22. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


321 


inhabitées  (')  ;  ainsi  m'avez-vous  proposé  comme  un  céleste 
flambeau  votre  loi  et  vos  ordonnances  :  elles  rassureront  mon 
esprit  flottant,  elles  dirigeront  mes  pas  incertains  :  Luccrna 
pedibus  meis  verbum  tuum,  et  lumen  semitis  vieis  (^). 

«  Je  m'étais  résolu,  dit  le  Sage,  de  me  retirer  entièrement 
des  plaisirs,  afin  de  m'adonner  sérieusement  à  l'étude  de  la 
sagesse,  jusqu'à  temps  que  je  visse  avec  [p.  16]  évidence  ce 
qui  est  utile  aux  enfants  des  hommes  i^)  :  mais,  poursuit 
ce  sage  prince,  j'ai  reconnu  que  pour  cette  recherche  notre 
vie  n'est  pas  assez  longue.  »  Et  certes  la  prudence  humaine 
est  si  lente  dans  ses  progrès,  et  la  vie  si  précipitée  dans  sa 
course,  qu'à  peine  avons-nous  pris  les  premières  teintures  des 
connaissances  que  nous  recherchons,  que  la  mort  inopiné- 
ment tranche  le  cours  de  nos  études  par  une  fatale  et  irré- 
vocable sentence  ;  au  lieu  que  dans  l'étude  de  la  loi  de  Dieu 
on  y  est  savant  dès  le  premier  jour.  Craignez  Dieu  :  je  vous 
ai  tout  dit  ;  c'est  un  abrégé  de  doctrine,  qui  «  donne  de 
l'entendement  à  l'enfance  la  plus  imbécile  (f)  :  »  hitellectiim 
dat parvulis  (^).  C'est  pourquoi  le  prophète  David  :  J'ai  eu, 
dit-il,  de  grands  démêlés,  durant  mes  jeunes  années,  avec  de 
puissants  ennemis,  avec  de  vieux  et  rusés  courtisans  ;  mais 
j'ai  été  plus  avisé  qu'eux  ;  je  me  suis  ri  des  raffinements  de 
ces  vieillards  expérimentés,  sans  y  entendre  d'autre  finesse 
que  de  rechercher  simplement  les  commandements  de  mon 
Dieu  :  Super  senes  intellexi,  quia  ^nandata  tua  qtucsivi  (''). 

En  effet,  considérez,  chrétiens,  ces  grands  et  puissants 
génies  :  ils  ne  savent  tous  ce  qu'ils  font.  Ne  voyons-nous  pas 
tous  les  jours  manquer  [p.  i  7]  quelque  ressort  à  leurs  grands 
et  vastes  desseins,  et  que  cela  ruine  toute  l'entreprise?  L'évé- 
nement des  choses  est  ordinairement  si  extravagant  ('),  et 
revient  si  peu  aux  moyens  que  l'on  y  avait  employés,  cju'il 
faudrait  être  aveugle  pour  ne  voir  pas  qu'il  y  a  une  puissance 
occulte  et  terrible  (jui  se  plaît  de  renverser  les  desseins  des 
hommes,   qui  se  joue  de  ces  grands  esprits  qui  s'imaginent 

a.  Ps.^  cxvni,  105.  --  l>.  Eccl.^  II,  3.  —  c.  Ps.,  cxviii,  130.  —  d.  Ps.,  cxviii, 

100.  —  M  s.  test  inio  nia  tua... 

\.  Var.  qui,  dans  une  telle  ctenduc...  conduisait  Isracl,  votre  peuple. 

2.  Var.  impuissante.  (Les  deux  termes  sont  synoiunus,  .\  rinriL-ic  pr^s.^ 

3.  Var.  bizarre. 

Sermons  de  Hossuet.  *> 


322  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 

remuer  tout  le  monde,  et  qui  ne  s'aperçoivent  pas  qu'il  y  a 
une  raison  supérieure  qui  se  sert  et  se  moque  d'eux,  comme 
ils  se  servent  et  se  moquent  des  autres  ('). 

En  effet,  il  le  faut  avouer  ('),  dans  la  confusion  des  choses 
humaines,  l'unique  sûreté,  mes  chers  frères,  la  seule  et  véri- 
table science  est  de   s'attacher  constamment  à  cette  raison 
dominante.    Ah!  quelle  consolation  à  une  âme  de  suivre  la 
raison  souveraine  avec  laquelle  on  ne  peut  errer!  Sans  cela 
nos    affaires  iraient  au  hasard  et  à  l'aventure.  Car  ce  serait 
une  folle  persuasion  de  croire  que  nous  puissions  prendre  si 
justement  nos  mesures,  que  nous  fassions  tomber  les  événe- 
ments au  point   précis  que  nous  souhaitons;  les  rencontres 
des  choses  humaines  sont  trop  irrégulières  et  trop  bizarres. 
Il  sert   beaucoup   d'observer  le  temps  pour  ensemencer  la 
terre  et  pour  moissonner;  et  néanmoins,  dit  le  Sage,  que  je 
ne  me  lasse  point  de  vous  alléguer  en  cette  matière:  «Qui 
prendrait  garde  au  vent  de  si  près,  jamais  il  ne  sèmerait;  et 
qui  considérerait  les  nues,  attendant  toujours  que  le  temps 
lui  vînt  entièrement  à  souhait,  jamais  il  ne  recueillerait  ses 
moissons  :  »  Qui  observât  ventum^  non  seminat;  et  qui  considé- 
rât nubes,  nunquam  metet  (f).  [P.  i8j   II  veut  dire,   par  cet 
exemple,  que  c'est  {^)  un  abus  de  croire  que  toutes  choses  ca- 
drent au  juste  et  concourent  à  nos  desseins.  Telle  est  la  loi  des 
entreprises  humaines,  qu'il  y  manque  toujours  quelque  pièce; 
et  ainsi  la  plus  haute  prudence  est  contrainte  de  commettre 
au  hasard  le  principal  de  l'événement.  N'en  usez  pas  de  la 
sorte,  ô  justes  et  enfants  de  Dieu!  Vous  qui  faites  profession 
d'une  sagesse  plus  qu'humaine,  croyez  qu'il  serait  indigne  de 
personnes  bien  avisées  d'abandonner  vos  desseins  au  hasard 
et  à  la  fortune;  et  puisque  votre  raison  n'est  ni  assez  ferme 
ni  assez  puissante  pour  diriger  le  succès  (^)  des  affaires  selon 


a.  Eccl.^  XI,  4.  —  Le  manuscrit  renvoie  aux  Proverbes. 

1.  Alinéa  souligné  presque  en  entier,  soit  pour  la  reprise  de  1659,  soit  à  l'oc- 
casion du  sommaire. 

2.  Var.    De  sorte  que,  dans... 

3.  Première  rédactio7i  effacée  :  que  les  affaires  du  monde  sont  de  telle  nature 
que  souvent  elles  se  gâtent  par  trop  de  précautions. 

4.  Excellente  correction  de  Gandar.  Les  anciens  éditeurs,  et  Lâchât  avec  eux, 
avaient  lu  :  les  vues  des  affaires,  ce  qui  n'offrait  aucun  sens. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU.  323 


une  conduite  certaine,  laissez-vous  gouverner  à  cette  divine 
Sagesse  qui  régit  si  bien  toutes  choses. 

Et  ne  me  dites  pas  qu'elle  passe  votre  portée  :  ne  voyez- 
vous  pas  que,  par  une  extrême  bonté,  elle  s'est  rendue  sen- 
sible et  familière?  Elle  est,  pour  ainsi  dire,  coulée  dans  les 
Écritures  divines;  d'où  les  prédicateurs  la  tirent  pour  vous 
la  prêcher;  et  là  cette  Sagesse  profonde,  qui  donne  une  nour- 
riture solide  aux  parfaits,  a  daigné  se  tourner  en  lait  pour 
sustenter  les  petits  enfants.  Mais  que  pouvons-nous  désirer 
davantage,  après  que  cette  Sagesse  éternelle  s'est  revêtue 
d'une  chair  humaine,  afin  de  se  familiariser  avec  nous?  Nous 
ne  pouvions  trouver  la  voie  assurée  à  cause  de  nos  erreurs; 
«la  voie  même  est  venue  à  nous  :  »  Ipsa  via  ad  te  venit,  dit 
saint  Augustin  ('');  car  le  Sauveur  Jésus  est  la  voie.  [P.  19] 
C'est  cet  excellent  Précepteur  que  nous  promettait  Isaïe  : 
«  Tes  oreilles  entendront,  dit-il,  la  voix  de  celui  qui,  mar- 
chant derrière  toi,  t'avertira  de  tes  voies  ('^),  et  tes  yeux  ver- 
ront ton  Précepteur  :  »  Erunt  octtli  ttà  videntes  Prœceptorcm 
tuum(^).  O  ineffable  miséricorde!  Fidèles,  réjouissons-nous  : 
nous  sommes  des  enfants  ignorants  de  toutes  choses;  mais 
puisque  nous  avons  un  tel  Maître,  nous  avons  juste  sujet  de 
nous  glorifier  de  notre  ignorance,  qui  a  porté  notre  Père 
céleste  à  nous  mettre  sous  la  conduite  d'un  si  excellent  Pré- 
cepteur. 

Ce  bon  Précepteur,  il  est  Dieu  et  homme  !  O  souveraine 
autorité  !  ô  incomparable  douceur!  Un  maître  a  tout  gagné 
quand  il  peut  si  bien  tempérer  les  choses,  qu'on  l'aime  et 
qu'on  le  respecte  :  je  respecte  mon  Maître,  parce  qu'il  est 
Dieu  ;  et  afin  que  mon  amour  pour  lui  fût  plus  familier  et 
plus  libre,  il  a  bien  voulu  se  faire  homme.  Je  me  défierais 
d'une  prudence,  et  je  secouerais  aisément  V\  joug  d'une 
autorité  purement  humaine  :  «  Celle-là  est  trop  sujette  à 
faillir,  celle-ci  semble  trop  méprisable  (').  5>  Taui  illa  falli 
facilis,  (jîiajH  ista  contcnini  ('0,  dit  Tertullien  (-').  Mais  je  ploie 
et  je  me  captive  sous  les  paroles  magistrales  du   Sauveur 

a.  Serin.  CXLI,  n.  4  —  b.  h.,  xxx,  21.  —  c.  Ihid.,  20.  —  d.  Apolojr.^  n.  45. 

1.  *  Autre  Iniduction,  subslituoe  h  celle-ci  en  1659  :  «  Ccllc-!.\  est  trop  sujette- h 
l'erreur,  celle-ci  trop  exposée  au  mépris.  »  —  M  s.  /ahi  fiuilis. 

2.  Ms.  Tertullian  ;  mais  plus  haut  {cxonic)  :  Cyprien. 


324  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


Jésus  :  dans  celles  que  j'entends,  j'y  vois  des  instructions 
admirables  ;  dans  celles  que  je  n'entends  pas,  j'y  adore  une 
autorité  infaillible.  Si  je  ne  mérite  pas  de  les  comprendre, 
elles  méritent  que  je  les  croie  ;  et  j'ai  cet  avantage  dans  son 
école,  qu'une  humble  soumission  me  conduit  à  l'intelligence 
plutôt  qu'une  recherche  laborieuse.  Venez  donc  ,  ô  sages 
du  siècle,  venez  à  cet  excellent  Précepteur  qui  a  des  paroles 
de  vie  éternelle.  Laissez  votre  Platon  avec  sa  divine 
éloquence,  laissez  votre  Aristote  avec  cette  subtilité  de 
raisonnement,  [p.  20]  laissez  votre  Sénèque  avec  ses  superbes 
opinions  :  la  simplicité  de  Jésus  est  plus  majestueuse  et 
plus  forte  que  leur  gravité  affectée.  Ce  philosophe  insultait 
aux  misères  du  genre  humain  par  une  raillerie  arrogante;  cet 
autre  les  déplorait  par  une  compassion  inutile.  Jésus,  le 
débonnaire  Jésus,  il  plaint  nos  misères,  mais  il  les  soulage  ; 
ceux  qu'il  instruit,  il  les  porte  :  ah  !  il  va  au  péril  de  sa  vie 
chercher  sa  brebis  égarée  ;  mais  il  la  rapporte  sur  ses  épaules, 
parce  que,  «  errant  deçà  et  delà,  elle  s'était  extrêmement  tra- 
vaillée :  »  Multum  enim  errando  laboraverat,  dit  Tertullien(''). 
Pourrons-nous  hésiter,  ayant  un  tel  Maître.'^ 

Au  reste  ,  il  n'est  point  de  ces  maîtres  (')  délicats  qui 
louent  la  pauvreté  parmi  les  richesses,  ou  qui  prêchent  la 
patience  dans  la  mollesse  et  la  volupté  ;  et  lui  et  tous  ses 
disciples,  ils  ont  scellé  de  leur  sang  les  vérités  qu'ils  ont 
avancées.  Ses  saints  enseignements  n'étaient  qu'un  tableau 
de  sa  vie.  Il  prouvait  beaucoup  plus  par  ses  actions  que  par 
ses  paroles.  Il  a  beaucoup  plus  fait  qu'il  n'a  dit,  parce  qu'il 
accommodait  ses  instructions  à  notre  faiblesse;  mais  il  fallait 
qu'il  vécût  en  ce  monde  comme  un  exemplaire  achevé  d'une 
inimitable  perfection.  Que  craignez-vous  donc,  hommes  sans 
courage  1  Cet  excellent  Maître,  et  par  ses  paroles  et  par  ses 
exemples,  a  déterminé  toutes  choses.  Sur  le  point  de  nos 
mœurs,  il  ne  nous  a  point  laissé  de  questions  indécises.  Je 
vous  vois  éperdus  et  étonnés  sur  le  chemin  de  la  piété 
chrétienne;  vous  [p.  21]  n'osez  y  entrer,  parce  que  vous  n'y 
voyez  au  premier  aspect  qu'embarras  et  que  difficultés  :  vous 

a.  De  Pœnit.^  n.  8. 

I.  Var.  docteurs.  —  Allusion  à  Senèque. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU.  325 


ne  savez  si  dans  ce  fleuve  (')  il  y  a  un  gué  par  où  vous  puis- 
siez échapper.  Considérez  le  Sauveur  Jésus;  afin  de  vous  tirer 
hors  de  doute,  il  y  est  passé  devant  vous  :  regardez-le  triom- 
phant à  l'autre  rivage,  qui  vous  appelle,  qui  vous  tend  les  bras, 
qui  vous  assure  qu'il  n'y  a  rien  à  craindre.  Voyez,  voyez 
l'endroit  qu'il  a  honoré  par  son  passage;  il  l'a  marqué  d'un 
trait  de  lumière  :  et  n'est-ce  pas  une  honte  à  des  chrétiens 
d'avoir  horreur  d'aller  où  ils  voient  les  vestiges  de  Jésus- 
Christ?  Certes,  on  ne  le  peut  nier,  mes  chers  frères,  nous 
serions  entièrement  insensés,  si,  ayant  cette  conduite  certaine, 
nous  nous  laissions  encore  emporter  aux  mensonges  et  aux 
vanités  de  la  prudence  du  monde.  «  J'ai  étudié  mes  voies  ;  » 
dans  les  erreurs  diverses  de  notre  vie,  j'ai  considéré  attentive- 
ment où  je  pourrais  rencontrer  de  la  certitude  :  j'ai  trouvé,  ô 
Sauveur  Jésus,  que  c'était  une  manifeste  folie  de  la  chercher 
ailleurs  que  dans  vos  témoignages  irrépréhensibles  ;  et  ainsi 
par  votre  assistance  j'ai  résolu  de  tourner  mes  pas  du  côté 
de  vos  témoignages  :  Cogitavi  vias  meas.  D'autant  plus  que 
je  n'y  vois  pas  seulement  la  lumière  qui  éclaire  mes  igno- 
rances, mais  j'y  reconnais  encore  la  seule  règle  infaillible 
qui  peut  composer  mes  désordres.  C'est  la  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

[P.  2  2]  Il  était  impossibleque  l'ignorance  profonde  qui  règne 
dans  les  choses  humaines  ne  précipitât  nos  affections  dans 
un  étrange  dérèglement  :  car  de  même  que  le  pilote,  à  qui 
les  tempêtes  et  l'obscurité  ont  (-)  ôté  le  jugement  tout  ensem- 
ble avec  les  étoiles  qui  le  conduisaient,  abandonne  le  gou- 
vernail et  laisse  voguer  le  vaisseau  au  gré  des  vents  (')  et 
des  ondes  ;  ainsi  les  hommes  par  leurs  erreurs  ayant  perdu 
les  véritables  principes  par  lesquels  ils  se  devaient  gouverner, 
ils  se  sont  laissé  emporter  à  leurs  fantaisies  :  chacun  s'est 
fait  des  idoles  de  ses  désirs,  vx  par  là  les  règles  des  mœurs 
ont  été  entièrement  perverties.  Combien  voyons-nous  de 
personnes  qui  voudraient  que  l'on  nous  laissât  vivre  chacun 

1.  Var.  torrent. 

2.  Var.  fait  perdre. 

3.  Var.  laisse  voguer  le  navire  au  gré  des  eaux. 


326  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


comme  nous  l'entendrions,  que  l'on  nous  eût  défaits  de  tant 
de  lois  incommodes  !  c'est  ainsi  qu'ils  appellent  les  saintes 
institutions  de  la  loi  divine  :  et  si  nous  n'osons  pas  peut-être 
en  parler  si  ouvertement,  au  moins  ne  vivons-nous  pas  d'autre 
sorte  (')  que  si  nous  étions  imbus  de  cette  créance.  Notre 
rèo-le,  quoi  que  nous  puissions  dire,  est  de  suivre  nos  passions; 
ou  si  nous  les  réprimons  quelquefois,  c'est  par  d'autres  plus 
violentes,  et  en  cela  même  moins  raisonnables.  Nous  ne 
mettons  pas  la  prudence  à  faire  le  choix  de  bonnes  et  ver- 
tueuses inclinations  ;  ce  n'est  pas  là  l'air  du  monde,  ce  n'est 
pas  notre  style  ni  notre  méthode.  Mais  après  que  nos  incli- 
nations premières  et  dominantes  sont  nées  en  nous,  je  ne 
sais  comment,  par  des  mouvements  indélibérés  et  par  une 
espèce  d'instinct  aveugle,  chose  certainement  qui  n'est  que 
trop  véritable,  quand  nous  savons  faire  le  choix  des  moyens 
les  plus  propres  pour  les  acheminer  à  [p.  23]  leur  fin,  nous 
croyons  avoir  bien  pris  nos  mesures  :  c'est  ce  que  nous  ap- 
pelons une  conduite  réglée,  tant  l'usage  véritable  des  choses 
est  corrompu  parmi  nous.  Ou  bien,  comme,  dans  une  telle 
diversité  de  désirs  aveugles  et  téméraires,  il  y  en  a  beaucoup 
qui  se  contrarient,  les  faire  céder  au  temps  et  aux  occur- 
rences présentes,  par  exemple,  quitter  pour  un  temps  les 
plaisirs  pour  établir  sa  fortune,  c'est  aller  adroitement  à  ses 
fins,  c'est  avoir  la  science  du  monde  et  savoir  ce  que  c'est 
que  de  vivre.  Mais  de  remonter  à  la  source  du  mal,  et  de 
couper  une  bonne  fois  la  racine  des  mauvaises  inclinations, 
c'est  à  quoi  personne  ne  pense. 

O  pauvres  mortels  abusés  !  Eh  Dieu  !  qui  nous  a  jetés  ('') 
dans  de  si  fausses  persuasions  ?  Et  comment  ne  voyons-nous 
pas  «  qu'étant  d'une  race  divine,  »  comme  dit  l'apôtre  saint 
Paul  (''),  il  faut  prendre  de  bien  plus  haut  la  règle  de  nos 
affaires.-*  Car  s'il  est  vrai  ce  que  nos  pères  ont  dit  contre  les 
sectateurs  d'Épicure  et  l'école  des  libertins,  que   de  même 


a.  Act.,  XVII,  28. 

1,  Var.  certainement  nous  ne  vivons  pas  d'autre  sorte. 

2.  Les  onze  lignes  qui  suivent  sont  barrées  dans  le  manuscrit  (f.  434).  Bossuet 
toutefois  ne  les  a  pas  remplacées,  et  elles  sont  utiles  pour  lier  ce  qui  précède 
et  ce  qui  suit.  {Gandar.) 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


327 


que  cet  univers  est  régi  par  une  Providence  éternelle,  ainsi 
les  actions  humaines,  quelque  extravagance  qui  nous  y 
paraisse,  sont  conduites  et  gouvernées  par  une  sagesse  infi- 
nie ;  n'est-il  pas  absolument  nécessaire  qu'elles  aient  une 
règle  certaine  sur  laquelle  elles  soient  composées  ?  Et  si  nous 
ne  sommes  pas  capables  de  ces  grandes  et  importantes  rai- 
sons, l'expérience  du  moins  ne  devrait-elle  pas  nous  avoir 
appris,  qu'ayant  plusieurs  désirs  [p.  24]  qui  nous  sont  per- 
nicieux à  nous-mêmes,  la  véritable  sagesse  n'est  pas  de  les 
savoir  contenter,  mais  de  les  savoir  modérer?  Eh  Dieu!  que 
serait-ce  des  choses  humaines,  si  chacun  suivait  ses  désirs? 
D'où  vient  que  les  Néron,  les  Caligula  et  ces  autres  mon- 
stres du  genre  humain,  se  sont  laissés  aller  à  des  actions  si 
brutales  et  si  furieuses?  N'est-ce  pas  par  la  licence  effrénée 
de  faire  tout  ce  qu'ils  ont  voulu  ?  pour  nous  faire  voir,  chré- 
tiens, qu'il  n'y  a  point  d'animal  plus  farouche  ni  plus  indomp- 
table que  l'homme,  quand  il  se  laisse  dominer  à  ses  passions. 
Par  conséquent  il  est  nécessaire  de  donner  quelques  bornes 
à  nos  désirs  par  des  règles  fixes  et  invariables:  et  d'autant 
que  nous  avons  tous  la  même  raison,  et  qu'étant  d'une  même 
nature,  il  est  entièrement  impossible  que  nous  ne  soyons 
destinés  à  la  même  fin,  il  s'ensuit  de  là,  par  nécessité,  que 
ces  règles  que  nous  poserons  doivent  être  communes  à  tous 
les  hommes.  Or  vous  allez  voir,  chrétiens,  par  un  raisonne- 
ment invincible,  qu'il  n'y  en  peut  avoir  d'autres  que  la  loi  de 
Dieu. 

Où  notre  désordre  (')  paraît  plus  visible,  c'est  que  nous 
sommes  toujours  hors  de  nous;  je  veux  dire  que  nos  occu- 
pations et  nos  exercices,  nos  conversations  et  nos  divertis- 
sements nous  attachent  aux  choses  externes.  J'en  ai  déjà  dit 
quelque  chose  au  commencement  de  ce  discours,  et  je  le 
répète  à  présent  pour  en  tirer  d'autres  conséquences;  mais 
ne  m'obligez  pas,  chrétiens,  de  rentrer  encore  une  fois  dans 
le  particulier   de   nos  actions,    pour   vous  faire    vc^r    cette 

I.  Tout  ce  qui  suit  [jusqu'au  milieu  de  la  p.  329]  a  été  barré  après  coup  dans 
le  manuscrit.  Bossuet  se  proposait  évidemment  d'abréj;er  en  chaire  cette  partie 
du  second  point,  comme  on  va  le  voir  abrci^cr  l'cxordc  sur  le  papier.  {Gnmiar,) 
—  Mais  ces  modifications  datent  de  la  reprise  du  discours  (1659). 


328  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


vérité[p.  25]  trop  constante.  Que  chacun  s'examine  soi-même, 
et  il  reconnaîtra  manifestement  qu'il  n'agit  que  par  des 
motifs  tirés  purement  de  dehors;  et  toutefois  la  première 
chose  que  la  règle  doit  faire  en  nos  âmes,  c'est  de  nous 
ramener  en  nous-mêmes.  Vous  avez  fait,  dites-vous,  une 
grande  affaire,  vous  avez  trouvé  le  moyen  d'amasser  beau- 
coup de  richesses,  vous  êtes  entré  dans  les  bonnes  grâces 
d'une  personne  considérable  qui  vous  peut  rendre  de  grands 
services;  et  je  veux  encore  supposer,  si  vous  le  voulez,  que 
vous  vous  soyez  rendu  maître  de  tout  le  monde  :  votre  âme 
n'en  est  pas  en  meilleure  assiette  ;  vos  mœurs  n'en  sont  pour 
cela  ni  plus  innocentes,  ni  mieux  ordonnées.  «  Je  ne  suis 
point  dans  l'intrigue,  dit  le  grave  Tertullien,  dans  le  docte 
livre  de  Pallio  ;  on  ne  me  voit  [pasj  m'empresser  près  la 
personne  des  grands  ;  je  n'assiège  ni  leurs  portes,  ni  leur 
passage  ;  je  ne  me  romps  point  l'estomac  à  crier  au  milieu 
d'un  barreau  ;  je  ne  vas  ni  aux  marchés,  ni  aux  places  publi- 
ques ;  j'ai  assez  à  travailler  en  moi-même;  c'est  là  ma  grande 
et  ma  seule  affaire  :  »  In  me  unicum  negotium  mihi  est  [""). 
C'est  qu'il  pensait  bien  sérieusement  à  régler  son  intérieur; 
et  le  premier  effet,  comme  je  disais,  de  cette  résolution,  c'est 
de  nous  rappeler  en  nous-mêmes  ('). 

Mais  s'il  ne  faut  autre  chose,  l'orgueil,  toujours  empressé, 
se  présentera  aussitôt  à  nos  yeux.  Voyez  cet  orgueilleux, 
comme  il  se  contemple,  avec  quelle  complaisance  il  se  con- 
sidère de  toutes  parts  ;  l'orgueil  le  fait  rentrer  en  soi-même. 
Et  n'est-ce  pas  l'orgueil,  chrétiens,  qui  a  retiré  tant  de  phi- 
losophes du  milieu  de  la  multitude  ?  Nous  voulons,  disaient- 
ils,  vaquer  à  nous-mêmes  ;  et  certes,  ils  [p.  26J  disaient  vrai  : 
c'était  en  eux-mêmes  qu'ils  voulaient  s'occuper  à  contempler 
leurs  belles  idées,  à  se  contenter  de  leurs  beaux  et  agréables 
raisonnements,  à  se  former  à  leur  fantaisie  une  image  de 
vertu  de  laquelle  ils  faisaient  leur  idole.  Ils  ne  reconnais- 
saient pas  comme  il  faut  ce  grand  Dieu,  duquel  toutes  leurs 
lumières    étaient    découlées  :  superbes  et  arrogants    qu'ils 

a.  De  Pall.^  n.  5. 

I.  Redite  qui  explique  la  sévérité  de  Bossuet  pour  cette  partie  de  son  discours. 
{Gandar.) 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


329 


étaient,  ils  ne  songeaient  qu'à  se  plaire  à  eux-mêmes  dans 
leurs  subtiles  inventions.  C'est  là  tout  le  désordre,  c'est  la 
vraie  source  du  dérèglement.  Qui  donc  nous  ramènera 
utilement  en  nous-mêmes,  nous  retirant  de  tant  d'objets  inu- 
tiles dans  lesquels  notre  âme  s'est  elle-même  si  longtemps 
dissipée  ?  Ce  sera  sans  doute  la  loi  de  Dieu  par  l'humilité 
chrétienne.  C'est  l'humilité  chrétienne  qui  nous  rappelle 
véritablement  en  nous-mêmes,  parce  qu'elle  nous  fait  rentrer 
dans  la  considération  de  notre  néant  :  elle  nous  fait  entendre 
que  nous  tenons  tout  de  la  miséricorde  divine  ;  et  ainsi  elle 
nous  abaisse  sous  la  loi  de  Dieu  ;  elle  nous  assujettit  à  sa 
volonté,   qui  est  la  règle  souveraine  de  notre  vie. 

«  Dieu  a  fait  l'homme  droit,  »  dit  l'Ecclésiaste  ('');  et  voici 
en  quoi  le  docte  saint  Augustin  reconnaît  cette  rectitude. 
La  rectitude,  et  la  juste  règle,  et  l'ordre,  sont  inséparables  : 
or,  chaque  chose  est  bien  ordonnée,  quand  elle  est  soumise 
aux  causes  supérieures  qui  doivent  lui  (')  dominer  par  leur 
naturelle  condition  :  c'est  en  cela  que  l'ordre  consiste,  quand 
chacun  se  range  aux  volontés  de  ceux  à  qui  il  doit  être  sou- 
mis. Dieu  donc,  dit  saint  Augustin,  a  donné  ce  précepte  à 
l'homme,  «  de  régir  ses  inférieurs,  et  d'être  lui-même  régi 
par  la  puissance  suprême  :  »  ^^£'i  ci  stiperiore,  regcrc  infc- 
riorem  (^)  (^).  [P.  27]  De  même  donc  que  la  règle  des  mou- 
vements inférieurs,  c'est  la  juste  et  saine  raison,  ainsi  la  rèi^le 
de  la  raison,  c'est  Dieu  même  ;  et  lorsque  la  raison  humaine 
compose  ses  mouvements  selon  la  volonté  de  son  Dieu,  de 
là  résulte  cet  ordre  admirable,  de  là  ce  juste  tempérament, 
de  là  cette  médiocrité  raisonnable  qui  fait  toute  la  beauté  de 
nos  âmes.  Pour  pénétrer  au  fond  de  cette  doctrine  excellente 
de  saint  Augustin,  élevons  un  peu  nos  esprits,  et  considérons 
attentivement  que  la  volonté  de  Dieu  est  la  règle  suprême 
selon  laquelle  toutes  les  autres  règles  doivent  être  nécessai- 

a.  Eccî.,  VII,  30.  —  h.  In  Ps.  CXLV,  n.  5. 

1.  Var.  dominer  sur  elle. 

2.  Deforis  observe  que  saint  Augustin  avait  dit  :  ILrrert'  suf*friori.  La  traduc- 
tion de  Bossuet  ne  permet  pas  ici  de  rt'^tahlir  le  texte  {(uiNi/iU^.  Nous  avons 
déji\  vu,  et  nous  verrons  souvent  liossuet  citer  de  mémoire.  Ses  analyses  des 
saints  Pc;res  ne  lui  rappelaient  pas  toujours  leurs  expressions,  mais  toujours 
leurs  pensdes. 


33^  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 

rement  mesurées.  Elles  n'ont  de  justice  ni  de  vérité,  qu'au- 
tant qu'elles  se  trouvent  conformes  à  cette  règle  première  et 
originale  qui  n'emprunte  rien  de  dehors,  mais  qui  est  sa  loi 
elle-même  (').  C'est  pourquoi  le  prophète  David  dit,  au 
Psaume  xviii,  que  «  les  jugements  de  Dieu  sont  vrais  et 
justifiés  par  eux-mêmes.  »  Vrais  et  justifiés  par  eux-mêmes  ; 
comme  s'il  disait  :  Les  jugements  des  hommes  peuvent  bien 
quelquefois  être  véritables  ;  mais  ils  ne  peuvent  pas  être 
justifiés  par  eux-mêmes.  Toutes  les  vérités  créées  doivent 
être  nécessairement  conférées  à  la  vérité  divine,  de  laquelle 
elles  tirent  toute  leur  certitude.  Mais  pour  les  jugements  de 
Dieu,  dit  le  saint  prophète,  «  ils  sont  vrais  d'une  vérité  propre 
et  essentielle  ;  et  c'est  pour  cette  raison  qu'ils  sont  justifiés 
par  eux-mêmes  :»  V er a,  justifie at a  in  semetipsa  ('*).  De  sorte 
que  la  volonté  divine  préside  à  cet  univers  ;  étant  elle-même 
sa  règle,  elle  est  par  conséquent  la  règle  infaillible  de  toutes 
les  choses  du  monde,  et  la  loi  immuable  par  laquelle  elles 
sont  gouvernées. 

Sur  quoi  je  fais  une  observation  dans  le  prophète  David, 
[p.  28]  qui  peut-être  édifiera  les  âmes  pieuses.  Cet  homme 
toujours  transporté  d'une  sainte  admiration  de  la  Providence 
divine,  après  avoir  célébré  la  sagesse  de  ses  conseils  dans 
ses  grands  et  magnifiques  ouvrages,  passe  de  là  insensible- 
ment à  la  considération  de  ses  lois.  Ainsi,  au  psaume  xviii  : 
«  Les  cieux,  dit  ce  grand  personnage,  racontent  la  gloire  de 
Dieu  (^').  »  Puis,  ayant  employé  la  moitié  du  psaume  à  glo- 
rifier Dieu  dans  ses  œuvres,  il  donne  tout  le  reste  à  chanter 
l'équité  de  ses  ordonnances.  «  La  loi  de  Dieu,  dit-il,  est  im- 
maculée, les  témoignages  de  Dieu  sont  fidèles  (^)  ;  »  et  il 
achève  cet  admirable  cantique  dans  de  semblables  médita- 
tions. Et  au  psaume  cxviii  :  «  Votre  vérité,  dit-il,  ô  Sei- 
gneur !  est  établie  éternellement  dans  les  cieux  ;  votre  main 
a  fondé  la  terre,  et  elle  demeure  toujours  immobile  :  c'est 
en  suivant  (^)  votre  ordre,  que  les  jours  se  succèdent  les  uns 
aux  autres   avec  des  révolutions   si   constantes  ;  et   toutes 

a.  Ps.^  XVIII,  10.  —  b.  Ibid.^  2.  —  c.  Ibid.^  8. 

1.  Phrase  soulignée. 

2.  Var.  par  votre  ordre. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU.  -9 ->  j 


choses,  Seigneur,  servent  à  {')  vos  décrets  éternels  (^).  »  Et 
puis  il  ajoute  aussitôt  :  «  N'était  que  votre  loi  a  occupé  toute 
ma  pensée,  cent  fois  j'aurais  manqué  de  (')   courage  parmi 
tant  de  (^)  diverses  afflictions  dont   ma   vie  a  été  tourmen- 
tée (^).  »  Fidèles,  que  veut-il  dire  {')  ?  quelle  liaison  trouve  ce 
chantre  céleste  entre  les  ouvrages  de  Dieu  et  sa  loi  ?  Est-ce 
par  une  rencontre  fortuite  que  cet  ordre  se  remarque  en  plu- 
sieurs endroits  de  ses  psaumes?  Ou  bien  ne  vous  semble-t-il 
pas  qu'il  nous  dit  à  tous  au  fond  de  nos  consciences  :  Élevez 
vos  yeux,  ô  enfants  d'Adam,  hommes  faits  à  l'image  ('')  de 
Dieu  ;  contemplez  cette  belle  structure  du  monde  ;  voyez  cet 
accord  et  cette  harmonie  :  y  a-t-il  rien  de  plus  beau  ni  de 
mieux  entendu  que   ce   grand  et  superbe  édifice  ?  [P.  29] 
C'est  parce  que  la  volonté  divine  y  a  été  fidèlement  observée, 
c'est  parce  que  ses   desseins  ont   été   suivis  et  que  tout  se 
régit  par  ses  mouvements.  Car  cette  volonté  étant  sa  recèle 
elle-même,  toujours  juste,  toujours  égale,  toujours  uniforme, 
tout  ce  qui  la  suit  ne  peut  aller  que  (^)   dans   un   bel  ordre  : 
de  lace  concert  et  cette  cadence  si  juste  et  si  mesurée.  Que 
si  les  créatures  même  corporelles  reçoivent  tant  d'ornement, 
à  cause  qu'elles   obéissent  aux   décrets  de    Dieu,  combien 
grande  sera  la  beauté  des  natures  intellio^entes,    lorsqu'elles 
seront  réglées  par  ses   ordonnances!   Consultez  toutes  les 
créatures  du  monde  :  si  elles  avaient  de  la  voix,  elles  publie- 
raient hautement  qu'elles   se   trouvent  très  bien  d'observer 
les  lois  de  cette  Providence  incompréhensible,  et  que  c'est 
de  là  qu'elles  tirent  toute  leur  perfection  et  tout  leur  éclat  ; 
et,  n'ayant  point  de  langage,  elles  ne  laissent  pas  de  nous  le 
prêcher  par  cette  constante  uniformité  avec  laquelle  elles  s'y 
attachent.  Vous,,  hommes,  enfants  de  Dieu,  que  votre  Père 
céleste  a  illuminés  d'un   rayon    de   son  intellii^'ence   infinie, 
quelle  sera  votre  ingratitudes,  si,  plus  stupides  et  plus  insen- 

a.  Ps.,  cxviil,  89,  90,  91.  -  -  ô.  /â/W.,  92. 

1.  Le  sens  est  :  obiU'ssc7ii  à^  et  non  :  sont  utiles  à...  C'est  un  latinisme. 

2.  Var.  je  serais  péri. 

3.  Var.  parmi  tant  d'afflictions. 

4.  Toute  cette   j^araphrase  est  soulignée  au  manuscrit.   De  mcme  tonte  la  fin 
de  ce  second  point. 

5.  Ms.  \  l'imaf^ine  (distraction). 

6.  \'ar.  (pi'cn  l)ei  ordre. 


332  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 

sibles  que  les  créatures  inanimées,  vous  méprisez  de  suivre 
les  lois  que  Dieu  même  vous  a  données  depuis  le  commen- 
cement du  monde  par  le  ministère  de  ses  saints  prophètes, 
et  enfin  dans  la  plénitude  des  temps  par  la  bouche  de  son 
cher  Fils.  C'est  ainsi,  ce  me  semble,  que  nous  parle  le  pro- 
phète David. 

O  Dieu  éternel!  chrétiens,  quand  il  faudra  paraître  devant 
ce  tribunal  redoutable,  quelle  sera  notre  confusion,  lorsqu'on 
nous  reprochera,  devant  les  saints  anges,  que.  Dieu  nous 
ayant  donné  une  âme  d'une  nature  immortelle  afin  que  nous 
employassions  tous  nos  soins  à  régler  ses  actions  et  ses 
mouvements  selon  leur  véritable  modèle,  nous  avons  fait  si 
peu  d'état  de  ce  [p.  30]  riche  et  incomparable  présent,  que, 
plutôt  que  de  travailler  en  cette  âme  ornée  de  l'image  de 
Dieu,  nous  avons  appliqué  notre  esprit  à  des  occupations 
toujours  superflues  et  le  plus  souvent  criminelles;  de  sorte 
qu'au  grand  mépris  de  la  munificence  divine,  parmi  tant  de 
sortes  d'affaires  qui  nous  ont  vainement  travaillés,  la  chose 
du  monde  la  plus  précieuse  a  été  la  plus  négligée  ?  O  folie  ! 
ô  indignité  !  ô  juste  et  inévitable  reproche  !  Ah  !  grand  Dieu, 
je  le  veux  prévenir.  Assez  et  trop  longtemps  mon  âme  s'est 
égarée  parmi  tant  d'objets  étrangers,  dans  le  jeu,  dans  les 
compagnies,  dans  l'avarice,  dans  la  débauche.  Je  rentrerai 
en  moi,  du  moins  à  ce  carême  qui  nous  touche  de  près. 
J'étudierai  mes  voies  ;  je  chercherai  la  règle  sur  laquelle  je 
me  dois  former  ;  et  comme  il  ne  peut  y  en  avoir  d'autre  que 
vos  saints  et  justes  commandements,  je  tournerai  mes  pas 
du  côté  de  vos  témoignages  :  c'est  ma  dernière  et  irrévocable 
résolution,  que  vous  confirmerez,  s'il  vous  plaît,  par  votre 
grâce  toute-puissante  ;  c'est  elle  qui  me  fera  trouver  le  repos 
où  je  viens  de  rencontrer  le  bon  ordre,  et  où  je  trouvais  tout 
à  l'heure  la  vérité  et  la  certitude  ;  et  pour  vous  en  convaincre, 
fidèles,  c'est  par  où  (')  je  m'en  vais  finir  ce  discours. 

TROISIÈME    POINT. 

Je  ne  pense  pas,   chrétiens,  après  ces  belles  maximes  que 
nous  avons,  ce  me  semble,  si  bien  établies  par  les  Écritures 

I.   Var.  c'est  par  là  que... 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


333 


divines,  qu'il  soit  nécessaire  de  recommencer  une  longue 
suite  de  raisonnements  pour  vous  faire  voir  que  notre  repos 
est  dans  l'observance  exacte  de  la  loi  de  Dieu.  Contentons- 
nous  d'appliquer  ici,  par  une  méthode  facile  et  intelligible  ('), 
la  doctrine  que,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  nous  vous  avons 
aujourd'hui  expliquée  ;  cette  vérité  paraîtra  dans  son  évi- 
dence. 

Chaque  chose  commence  à  goûter  son  repos,  quand  elle 
est  dans  sa  bonne  et  [p.  31]  naturelle  constitution.  Vous  avez 
été  tourmenté  d'une  longue  et  dangereuse  maladie  ;  peu  à 
peu  vos  forces  se  rétablissent,  et  les  choses  reviennent  au 
juste  tempérament  ;  cela  vous  promet  un  prochain  repos.  Et 
comment  donc  notre  âme  ne  jouirait-elle  pas  d'une  grande 
tranquillité,  après  que  la  loi  de  Dieu  a  guéri  toutes  ses  mala- 
dies ?  La  loi  de  Dieu  établit  l'esprit  dans  une  certitude 
infaillible  ;  si  bien  que,  les  doutes  étant  levés  et  les  erreurs 
dissipées,  non  par  l'évidence  de  la  raison,  mais  par  une  auto- 
rité souveraine,  plus  inébranlable  et  plus  ferme  que  nos  plus 
solides  raisonnements,  il  faut  que  l'entendement  acquiesce. 
Et  de  même  la  volonté  ayant  trouvé  sa  règle  immuable,  qui 
coupe  et  qui  retranche  ce  qu'il  y  a  de  trop  en  ses  mouve- 
ments, ne  doit-elle  pas  rencontrer  une  consistance  tranquille, 
et  une  sainte  et  divine  paix  ?  C'est  pourquoi  le  Psalmistc 
disait  :  «  Les  justices  de  Dieu  sont  droites  et  réjouissent  le 
cœur  {'').  »  Elles  réjouissent  le  cœur,  parce  qu'elles  sont 
droites  :  parce  qu'elles  règlent  ses  affections,  parce  qu'elles  le 
mettent  dans  la  disposition  qui  lui  est  convenable  et  dans  le 
véritable  point  où  consiste  sa  perfection. 

Quelle  inquiétude  dans  les  choses  humaines  !  On  ne  sait  si 
on  fait  bien  ou  mal  :  on  fait  bien  pour  établir  sa  fortune,  on 
fait  mal  pour  conserver  sa  santé  ;  on  fait  bien  pour  son  plai- 
sir, mais  on  ne  contente  pas  ses  amis,  et  de  même  des  autres 
choses.  Dans  la  soumission  à  la  loi  de  Dieu,  on  lait  absolu- 
ment bien,  on  fait  bien  sans  limitation  ;  parce  que,  quand  on 
fait  ce  bien,  tout  le  reste  est  de  peu  d'importance  ;  en  un 
mot,  on  fait  bien  [p.  32J,  parce  qu'on  suit  le  souverain  bien. 

a,  Ps.y  XVHI,  9. 

I.    Var.  Appliquons  seulement  ici... 


334  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


Et  comment  est-il  possible,  fidèles,  de  n'être  pas  en  repos  en 
suivant  le  souverain  bien  ?  Quelle  douceur  et  quelle  tranquil- 
lité à  une  âme  !  Il  vous  appartient,  ô  grand  Dieu  !  en  qualité 
de  souverain  bien,  de  faire  le  partage  des  biens  à  vos  créa- 
tures ;  mais  heureuses  mille  et  mille  fois  les  créatures  dont 
vous  êtes  le  seul  héritage  !  C'est  là  le  partage  de  vos  enfants, 
que  par  votre  bonté  ineffable  vous  assemblez  près  de  vous 
dans  le  ciel.  Mais  nous,  misérables  bannis,  bien  que  nous 
soyons  éloignés  de  notre  céleste  patrie,  nous  ne  sommes  pas 
privés  tout  à  fait  de  vous  ;  nous  vous  avons  dans  votre  loi 
sainte,  nous  vous  avons  dans  votre  divine  parole.  O  que 
cette  loi  est  désirable  (')!  que  cette  parole  est  douce!  «Elle 
est  plus  douce  que  le  miei  à  ma  bouche  {''),  disait  le  prophète 
David  ;  elle  est  plus  désirable  que  tous  les  trésors  (''').  »  Et 
considérez,  en  effet,  chrétiens,  que  cette  loi  admirable  est  un 
éclat  de  la  vérité  divine  et  un  écoulement  de  cette  souve- 
raine bonté.  Ne  doutez  pas  que  cette  fontaine  n'ait  retenu 
quelque  chose  des  qualités  de  sa  source  :  «  Votre  serviteur, 
ô  mon  Dieu  !  observe  vos  commandements,  chante  amou- 
reusement le  Psalmiste  ;  il  y  a  une  grande  récompense  à  les 
observer  :  »  /7i  custodiendis  ilLis  retributio  mitlta  (^).  «  Ce 
n'est  pas  en  autre  chose,  dit  saint  Augustin  ;  mais  en  cela 
même  que  l'on  les  observe,  la  rétribution  y  est  grande,  parce 
que  la  douceur  y  est  sans  égale  ('^).  » 

Mes  frères,  je  vous  en  prie,  considérons  un  homme  de  bien 
dans  la  simplicité  de  sa  vie:  il  ne  gouverne  [p.  2)'h\  poif^t  les 
Etats,  il  ne  manie  point  les  affaires  publiques,  il  n'est  point 
dans  les  grands  emplois  de  la  terre,  comme  sont  les  grands 
et  les  politiques:  vous  diriez  qu'il  ne  fasse  rien  en  ce  monde; 
il  ne  sait  pas  les  secrets  de  la  nature,  il  ne  parle  pas  du  mou- 
vement des  astres  ;  ces  hauts  et  sublimes  raisonnements 
peut-être  passeront  sa  portée  :  sa  conduite  nous  paraît  vul- 
gaire ;  et  cependant,  si  nous  avons  entendu  les  choses  que 
nous  avons  dites,   il  est  régi  par  une  raison   éternelle,  il  est 

a.  Ps.^  CXViii,  103.  —  b.  Ibid.^  XVHI,  11.  —  c.  Ibid.^  12.  —  d.  In  Ps.  xviii, 
Enarr.  i,  12. 

I.  Ms.  désidérable.  —  Nouvelle  distraction;  car  deux  lignes  plus  loin,  il  y  a 
bien  désirable. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU.  ^^c 

o  o  o 


gouverné  par  des  principes  divins  ;  sa  conduite,  appuyée  sur 
la  parole  de  Dieu,  est  plus  ferme  que  le  ciel  et  la  terre,  et 
plutôt  tout  le  monde  sera  renversé  qu'il  soit  confondu  dans 
ses  espérances.  Dans  les  affaires  du  monde,  chacun  recherche 
divers  conseils  qui  nous  embarrassent  souvent  dans  de  nou- 
velles perplexités  :  il  chante  sincèrement  avec  le  Psalmiste  : 
«  Mon  conseil,  ce  sont  vos  témoignages  :  »  ConsiliicDi  nieuiji 
justificationes  tuœ  i^)  ;  ou  bien,  comme  dit  saint  Jérôme  : 
Amici  7nei  justificationes  tuœ  :  «  Vos  témoignages,  ce  sont 
mes  amis.  »  Ceux  que  nous  croyons  nos  meilleurs  amis  nous 
trompent  très  souvent,  ou  par  infidélité,  ou  par  ignorance  : 
l'homme  de  bien,  dans  ses  doutes,  consulte  ses  amis  fidèles, 
qui  sont  les  témoignages  de  Dieu.  Ces  amis  sincères  et  véri- 
tables lui  enseignent  (')  ce  qu'il*  faut  faire  et  le  conseillent 
pour  la  vie  éternelle.  Heureux  mille  et  mille  fois  d'avoir 
trouvé  de  si  bons  amis  !  Par  là  il  se  rira  de  la  perfidie  qui 
règne  dans  les  choses  humaines.  [P.  34]  Et  c'est  encore  par 
cette  raison  que  je  le  publie  bienheureux. 

Souffrez  que  je  vous  interroge  en  vérité  et  en  conscience: 
Avez-vous  tout  ce  que  vous  demandez  }  n'avez-vous  aucune 
prétention  en  ce  monde  .^  Il  n'y  a  peut-être  personne  en  la 
compagnie  (^)  qui  puisse  répondre  qu'il  n'en  a  pas.  «  Le 
laboureur,  »  dit  l'apôtre  saint  Jacques  (^),  «  attend  le  fruit  de 
la  terre  :  »  sa  vie  est  une  espérance  continuelle,  il  laboure 
dans  l'espérance  de  recueilHr,  il  recueille  dans  l'espérance  de 
vendre,  et  toujours  il  recommence  de  même.  Il  en  est  ainsi 
de  toutes  les  autres  professions.  En  effet,  nous  manquons 
de  tant  de  choses  que  nous  serions  toujours  dans  l'affiiction, 
si  Dieu  ne  nous  avait  donné  l'espérance,  comme  pour  char- 
mer nos  maux  et  tempérer  par  quelque  douceur  l'amertume 
de  cette  vie  (^).  Cette  vie,  que  nous  ne  possédons  jamais  que 
par  diverses  parcelles   qui   nous  échappent  sans  cesse,  se 

a.  Ps.^  cxviii,  24.  —  b.Jac.^  v,  7. 

1.  Va7\  1.1  vérité. 

2.  Ms,  qu'il  puisse  répondre  qu'il...  —  M.  Gazier  conserve  ces  deux  qiiil 
comme  un  latinisme  curieux  ;  je  crois  plutôt  que  le  premier  est  un  simple  lapsus, 
amené  par  le  voisinaj^e  du  second,  déj;\  présent  ;\  la  pensée.  Ainsi  dès  l;i  li^^ne 
suivante,  nous  rencontrons  :  dit  P apôtre  que  s.  Jacques...  Ce  que  est  un  nou* 
vel  accident  de  plume,  dû  h  la  précipitation. 

3.  Var.  pour  charmer  nos  inquiétudes. 


336  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 

nourrit  et  s'entretient  d'espérance  ;  l'avenir,  qui  sera  peut- 
être  une  notable  partie  de  notre  âge,  nous  ne  le  tenons  que 
par  espérance,  et  jusques  au  dernier  soupir,  c'est  l'espérance 
qui  nous  fait  vivre:  et  puisque  nous  espérons  toujours,  c'est 
un  signe  très  manifeste  que  nous  ne  sommes  pas  dans  le  lieu 
où  nous  puissions  posséder  les  choses  que  nous  souhaitons. 
Partant,  dans  ce  bas  monde,  où  personne  ne  jouit  de  rien, 
où  on  ne  vit  que  d'espérance,  celui-là  sera  le  plus  heureux 
qui  aura  l'espérance  la  plus  assurée.  Heureux  donc  mille 
et  mille  fois  les  justes  et  les  gens  de  bien  !  Grâces  à  la 
miséricorde  divine,  on  leur  a  bien  débattu  la  jouissance  de 
la  vie  présente,  mais  personne  ne  leur  a  encore  contesté 
l'avantage  de  l'espérance  ('). 

Comparons  à  cela,  je  vous  prie,  les  folles  espérances  du 
monde  :  dites-moi,  en  vérité,  chrétiens,  avez-vous  jamais  rien 
trouvé  qui  satisfît  pleinement  votre  esprit  ?  Nous  prenons 
[p.  35]  tous  les  jours  de  nouveaux  desseins  (^),  espérant  que 
les  derniers  réussiront  mieux  ;  et  partout  notre  espérance  est 
frustrée.  De  là  l'inégalité  de  notre  vie,  qui  ne  trouve  rien  de 
fixe  ni  de  solide,  et,  par  conséquent,  ne  pouvant  avoir  aucune 
conduite  arrêtée,  devient  un  mélange  d'aventures  diverses  et 
de  diverses  prétentions,  qui  toutes  nous  ont  trompés.  Ou  nous 
les  manquons  {^),  ou  elles  nous  manquent  ;  nous  les  manquons 
lorsque  nous  ne  pouvons  pas  parvenir  au  but  que  nous  pré- 
tendions ;  elles  nous  ont  manqué  (^),  lorsque  ayant  obtenu 
ce  que  nous  voulons,  nous  n'y  trouvons  pas  ce  que  nous 
cherchons.  Si  bien  que  les  plus  sages,  après  que  cette  pre- 
mière ardeur,  qui  donne  l'agrément  aux  choses  du  monde, 
est  un  peu  ralentie  par  le  temps,  s'étonnent  le  plus  souvent  de 
s'être  si  fort  travaillés  pour  rien  {^). 

1.  Tout  ce  développement  sur  l'espérance  est  souligné  par  un  trait  vertical 
à  la  sanguine.  L'auteur  se  ménageait  la  facilité  de  le  retrouver  au  besoin. 

2.  Ms.  désirs.  Les  éditeurs  corrigent,  et  une  première  rédaction  de  ce  passage 
(exordd)  leur  donne  raison.  M.  Gazier  remarque  en  outre  que  désirs  vensiit  d'être 
effacé  par  Bossuet  à  la  fin  de  la  page  précédente. 

3.  Var.  avons  manquées ont  manqué;  nous  les  avons  manquées,  lorsque 

nous  n'avons  pas  pu... 

4.  Var.  elles  nous  manquent. 

5.  Paragraphe  souligné. 


SUR  LA  LOI  DE  DILU.  7,7,"/ 


Et  par  conséquent,  chrétiens,  que  pouvons-  nous  faire  de 
mieux  que  de  nous  reposer  en  Dieu  seul,  que  de  vouloir  ce 
que  Dieu  ordonne,  et  attendre  ce  qu'il  prépare  ?  Pourquoi 
donc  ne  cherchons-nous  pas  cet  immobile  repos  ?  pourquoi 
sommes-nous  si  aveugles  que  de  mettre  ailleurs  notre  béati- 
tude ?  Ah  !  voici,  mes  frères,  ce  qui  nous  trompe  ;  je  vous 
demande,  s'il  vous  plaît,  encore  un  moment  d'audience  :  c'est 
que  nous  nous  sommes  figuré  une  fausse  idée  de  bonheur  ; 
et  ainsi,  notre  imagination  étant  abusée,  nous  semblons  jouir 
pour  un  temps  d'une  ombre  de  félicité.  Nous  nous  contentons 
des  biens  de  la  terre,  non  pas  tant  parce  qu'ils  sont  de  vrais 
biens,  que  parce  que  nous  les  croyons  tels:  semblables  à  ces 
pauvres  hypocondriaques  [p.  36]  dont  la  fantaisie  blessée  se 
repaît  du  simulacre  et  du  songe  d'un  vain  et  chimérique  plai- 
sir. Ici  vous  me  direz  peut-être:  Ah!  ne  m'ôtez  point  cette 
erreur  agréable  :  elle  m'abuse,  mais  elle  me  contente;  c'est  une 
tromperie,  mais  elle  me  plaît.  Certes,  je  vous  y  laisserais 
volontiers,  si  je  ne  voyais  que  par  ce  moyen,  quoique  vous 
vous  imaginiez  d'être  heureux,  vous  êtes  dans  une  position 
déplorable  ('). 

Jamais,  comme  nous  disions  tout  à  l'heure,  il  ne  peut  y 
avoir  de  bonheur  que  lorsque  les  choses  sont  établies  dans  leur 
naturelle  constitution  et  dans  leur  perfection  véritable  ;  et  il  est 
impossible  qu'elles  y  soient  mises  par  l'erreur  et  par  l'igno- 
rance. C'est  pourquoi,  dit  l'admirable  saint  Augustin,  «  le 
premier  degré  de  misère,  c'est  d'aimer  les  choses  mauvaises; 
et  le  comble  de  malheur,  c'est  de  les  avoir  :  »  A}nando  enim 
res  noxias  miserijiabendo  sttnt  niiserioresif).  Ce  paux're  malade 
tourmenté  d'une  fièvre  ardente,  il  avale  du  vin  à  longs  traits; 
il  pense  prendre  du  rafraîchissement,  et  il  boit  la  peste  et  la 
mort.  Ne  vous  semble-t-il  [pas]  d'autant  plus  à  plaindre,  ([ue 
plus  il  y  ressent  de  délices  ? 

Quoi  !  je  verrai  durant  ces  trois  jours  des  hommes  tout  de 

a.  s.  Aug.,  /;/  Ps,  xxvi,  7. 

I.  Ici  les  éditeurs  (M.  Lâchât,  comme  les  cMitcurs  de  \crsaillcs,  et  ceux-ci 
comme  Deforis  )  intercalent  un  lon-4  fra;^Miieni  c|ui  appartient  .^  une  seconde  rédac- 
tion du  discours,  et  qu'il  est  impossible  d'insérer  dans  la  première.  D'ailleurs  il 
se  rapporte  au  second  point.  (Gandar.) 

Sermons  de  Rossuet. 


2,2,S  SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 

terre  et  de  boue  ('),  mener  à  la  vue  de  tout  le  monde  une  vie 
plus  brutale  que  les  bêtes  brutes  ;  et  vous  voulez  que  je  die 
qu'ils  sont  véritablement  heureux,  parce  qu'ils  me  font  parade 
de  leur  bonne  chcre,  parce  qu'ils  se  vantent  de  leurs  bons 
morceaux,  parce  qu'ils  font  [p.  37]  retentir  tout  le  voisinage  et 
de  leurs  cris  confus  et  de  leur  joie  dissolue  ?  Eh  !  cependant, 
quelle  indignité  que,  si  près  des  jours  de  retraite,  la  dissolution 
paraisse  si  triomphante  !  L'Eglise,  notre  bonne  mère,  voit  que 
nous  donnons  toute  l'année  à  des  divertissements  mondains  : 
elle  fait  ce  qu'elle  peut  pour  dérober  six  semaines  à  nos  dérè- 
glements ;  elle  nous  veut  donner  quelque  goût  de  la  péni- 
tence ;  elle  nous  en  présente  un  essai  pendant  le  carême, 
estimant  que  l'utilité  que  nous  recevrons  d'une  médecine  si 
salutaire  nous  en  fera  digérer  l'amertume  et  continuer  l'usage. 
Mais,  ô  vie  humaine  incapable  de  bons  conseils  !  ô  charité 
maternelle  indignement  traitée  par  de  perfides  enfants  !  Nous 
prenons  de  ses  salutaires  préceptes  une  occasion  de  nouveaux 
désordres  :  pour  honorer  l'intempérance,  nous  lui  faisons 
publiquement  précéder  le  jeûne  ;  et  comme  si  nous  avions 
entrepris  de  joindre  Jésus-Christ  avec  Bélial,  nous  mettons 
les  bacchanales  à  la  tête  du  carême.  O  jours  vraiment  infâmes 
et  qui  méritaient  d'être  ôtés  du  rôle  des  autres  jours  !  jours 
qui  ne  seront  jamais  assez  expiés  par  une  pénitence  de  toute 
la  vie,  bien  moins  par  quarante  jours  de  jeûnes  mal  observés! 
Mes  frères,  ne  dirait-on  pas  que  la  licence  et  la  volupté  ont 
entrepris  de  nous  fermer  les  chemins  de  la  pénitence,  et 
qu'elle[s]  (^)  en  occupent  l'entrée  pour  faire  de  la  débauche 
un  chemin  à  la  piété  ?  C'est  pourquoi  je  ne  m'étonne  pas  si 
nous  n'en  avons  que  la  montre  et  quelques  [p.  38]  froides 
grimaces.  Car  c'est  une  chose  certaine:  la  chute  de  la  pé- 
nitence au  libertinage  est  bien  aisée;  mais  de  remonter  du 

1.  Ms.  tous  de  terre  et  de  boue.  — Voy.  \Rem.  sur  la  grammaire...  Introd. 

2.  Edit.  «  ils  en  occupent  l'entrée.  » — Ce  ils  au  ms.  se  rapporte  à  un  autre  tour  de 
phrase,  que  l'auteur  a  abandonné  :  <i  La  licence  et  le  libertinage  ont  entrepris... 
on  dirait  qu'ils...  »  —  Il  faut  reprendre  elle  de  la  première  rédaction,  à  laquelle 
l'auteur  est  revenu,  et  le  mettre  au  pluriel.  MM.  Gandar  et  Gazier  conservent 
zVj-,  et  l'entendent  des  Jours  vraiment  iîifâfnes.  Mais  cette  interprétation  est  un 
peu  violente;  et  les  explications  que  nous  venons  de  donner  d'après  le  manuscrit 
en  montrent  d'ailleurs  l'inutilité. 


SUR  LA  LOI  DE  DIEU. 


339 


libertinage  à  la  pénitence,  mais,  sitôt  après  s'être  rassasiés 
des  fausses  douceurs  de  l'un,  goûter  l'amertume  de  l'autre, 
c'est  ce  que  la  corruption  de  notre  nature  ne  saurait  souffrir. 
Vous  donc,  âmes  chrétiennes,  vous  à  qui  notre  Sauveur 
Jésus  a  donné  quelque  amour  pour  sa  sainte  doctrine,  de- 
meurez toujours  dans  sa  crainte:  qu'il  n'y  ait  aucun  jour  qui 
puisse  diminuer  quelque  chose  de  votre  modestie  ni  de  votre 
retenue.  Etudiez  vos  voies  avec  le  Prophète  ;  tournez  avec 
lui  vos  pas  aux  témoignages  de  Dieu  :  sans  doute  vous  y 
trouverez  et  la  certitude,  et  la  règle,  et  l'immobile  repos  qui  se 
commencera  sur  la  terre  pour  être  consommé  dans  le  ciel. 
Amen. 


1r 


■ ^ 


PREMIER    DIMANCHE     DE    GAREMEC), 


SERMON    SUR   LES    DÉMONS, 


prêché   à    Metz,    1653. 


5 

i 

M.  Lâchât  attribue  un  sommaire  à  ce  sermon  (ix,  i).  Mais  c'est 
une  erreur  que  M.  Gandar  a  bien  remarquée:  ce  sommaire  est  celui 
du  sermon  de  1660  sur  le  même  sujet.  Quant  à  la  date,  nous  ne  dirons 
pas  avec  l'éditeur,  dont  nous  pourrions  relever  les  erreurs  à  toutes 
les  pages,  que,  le  second  sermon  étant  prêché  en  1660,  «  il  est  donc 
probable  que  le  premier  l'a  été  dans  le  commencement  de  la  même 
année,  (il  y  avait,sans  doute,  deux  Carêmes  cette  année-là!)  ou  dans 
le  courant  de  1659.  »  Tous  ces  brillants  raisonnements  sont  anéantis 
par  l'étude  de  l'écriture  et  de  l'orthographe  du  manuscrit.  L'une  et 
l'autre  présentent  des  particularités  qui  ne  se  rencontrent  que  dans 
le  commencement  de  l'année  1653.  (Voy.  Histoire  critique  de  la  Pré- 
dication de  Bossnet,  p.  134;  et  le  Tableau  des  particularités  orthogra- 
phiques.) 


Ductus  est  Jésus  in  desertum  a  Spiritti^ 
ut  tentaretur  a  diabolo. 

JÉSUS  fut  conduit  par  l'Esprit  dans  le 
désert,  pour  y  être  tenté  par  le  diable. 

{Matth.,  IV,  I.) 

SI  la  mort  de  Jésus  est  notre  vie,  si  son  infirmité  est 
notre  force,  si  ses  blessures  sont  notre  guérison,  aussi 
pouvons  nous  assurer  que  sa  tentation  est  notre  victoire. 
Ne  nous  persuadons  pas,  chrétiens,  qu'il  eût  été  permis  à 
Satan  de  tenter  aujourd'hui  le  Sauveur,  sans  quelque  haut 
conseil  de  la  Providence  divine.jÉsus-CHRiST  étant  le  Verbe, 
et  la  Raison,  et  la  Sapience  du  Père,  comme  toutes  ses  paroles 
sont  esprit  et  vie,  ainsi  toutes  ses  actions  sont  spirituelles 
et  mystérieuses;  tout  y  est  intelligence,  tout  y  est  raison. 
Mais  parce  qu^il  est  la  Sagesse  incarnée,  qui  est  venue 
accomplir  dans  le  monde  l'ouvrage  de  notre  salut,  toute 
cette  raison  est  pour  notre  instruction,  et  tous  ces  mystères 
sont  pour  nous  sauver.    Selon   cette   maxime,  je  ne  doute 

I.  Mss   12822,  f.  41-60,  in-4",  sans  marge  ni  pagination.    —    Débute   par  des 
extraits  de  Tertullien  et  de  saint  Augustin,  sur  les  démons. 


SUR  LES  DÉMONS.  3^1 


pas  (')  que  comme  on  vous  aura  exposé  aujourd'hui  le  sens 
profond  de  cet  évangile,  vous  n'ayez  bien  compris  les  en- 
seignements que  nous  donne  la  tentation  de  Jésus.  C'est 
pourquoi  il  n'est  pas  nécessaire  que  je  vous  entretienne  par 
un  long  discours.  Seulement  pour  satisfaire  votre  piété,  je 
tâcherai,  autant  qu'il  plaira  à  notre  grand  Dieu  m'enseigner 
par  son  Saint-Esprit,de  vous  exposer  quel  est  cet  esprit  ten- 
tateur qui  ose  attaquer  le  Sauveur  Jésus.  Implorons  les 
lumières  célestes  pour  découvrir  les  fraudes  du  diable  ;  et 
contre  la  malice  des  démons  demandons  l'assistance  de  la 
sainte  Vierge,  que  les  anges  ont  toujours  honorée,  mais  par- 
ticulièrement depuis  qu'un  des  premiers  de  leur  hiérarchie, 
envoyé  de  la  part  de  Dieu,  la  salua  par  ces  belles  paroles  : 
[Ave,  gratia  plena\. 

Qu'il  y  ait  dans  le  monde  un  certain  genre  d'esprits  mal- 
faisants que  nous  appelons  des  démons,  outre  le  témoignage 
évident  des  Écritures divines,c'est  une  chose  qui  a  été  recon- 
nue parle  consentement  commun  de  toutes  les  nations  et  de 
tous  les  peuples.  Ce  qui  les  a  portés  à  cette  créance,  ce  sont 
certains  effets  extraordinaires  et  prodigieux  qui  ne  pouvaient 
être  rapportés  qu'à  quelque  mauvais  principe  et  à  quelque 
secrète  vertu  dont  l'opération  fût  maligne  et  pernicieuse. 
Les  histoires  grecques  et  romaines  nous  parlent  en  divers 
endroits  de  voix  inopinément  entendues  ,  et  de  plusieurs 
apparitions  funèbres  arrivées  à  des  personnes  très  graves, 
et  dans  des  circonstances  qui  les  rendent  très  assurées. 
Et  cela  se  confirme  encore  par  cette  noire  science  de  la 
magie,  à  laquelle  plusieurs  personnes  trop  curieuses  se  sont 
adonnées  dans  toutes  les  parties  de  la  terre.  Les  Chaldéens  et 
les  sages  d'Egypte,  et  surtout  cette  secte  de  philosophes 
indiens  que  les  Grecs  appellent  gymnosophistes,  étonnaient 
les  peuples  par  diverses  illusions,  et  par  des  i)rédictions  trop 

I.  Var.  Et  comme  je  ne  doute  p.is  qu'on  ne  vous  ait  expose^  aujourd'hui  le 
sens  profond  de  cet  c^van^nle,  vous  aurez  bien  compris...  —  Le  pressent  sermon 
n'était  donc  pas  destiné  h  la  cathédrale.  Lh,  en  sa  ([ualité  de  chanoine,  Hossuct 
aurait  assisté  à  l'olTice  du  matin,  avant  d'y  prêcher  le  soir.  11  s'ai^il  ici  d'une 
réunion  de  piété,  comme  l'indicpie  un  commencement  de  phrase  ctïacc  :  <  ...  tcn-  . 
tation  de  Jksus.  Si  bien  qu'il  ne  serait  pas  nécessaire  de  vous  faire  un  nouveau 
discours,  si  votre  [)iété  ne  vous  avait  ici  assemblés  pour  entend[re]...  > 


342  SUR  LES  DÉMONS. 


précises  pour  venir  purement  par  la  connaissance  des  astres. 
Ajoutons-y  encore  certaines  agitations  et  des  esprits  et  des 
corps,  que  les  païens  mêmes  attribuaient  à  la  vertu  des 
démons,  comme  vous  le  verrez  par  une  observation  que 
nous  en  ferons  en  la  dernière  partie  de  cet  entretien.  Ces 
oracles  trompeurs  et  ces  mouvements  terribles  des  idoles, 
et  les  prodiges  qui  arrivaient  dans  les  entrailles  des  animaux, 
et  tant  d'autres  accidents  monstrueux  des  sacrifices  des  ido- 
lâtres, si  célèbres  dans  les  auteurs  profanes,  à  quoi  les 
attribuerons-nous,  chrétiens,  sinon  à  quelque  cause  occulte, 
qui,  se  plaisant  d'entretenir  les  hommes  dans  une  religion 
sacrilège  par  des  miracles  pleins  d'illusion,  ne  pouvait  être 
que  malicieuse  ?  Si  bien  que  les  sectateurs  de  Platon  et  de 
Pythagore,  qui,  du  commun  consentement  de  tout  le  monde, 
sont  ceux  qui  de  tous  les  philosophes  ont  eu  les  connaissances 
les  plus  relevées,  et  qui  ont  recherché  plus  curieusement 
les  choses  surnaturelles,  ont  assuré  comme  une  vérité 
très  constante  qu'il  y  avait  des  démons,  des  esprits  d'un 
naturel  obscur  et  malicieux  :  jusques-là  qu'ils  ordonnaient 
certains  sacrifices  pour  les  apaiser,  et  pour  nous  les  rendre 
favorables.  Ignorants  et  aveugles  qu'ils  étaient,  qui  pensaient 
éteindre  par  leurs  victimes  cette  haine  furieuse  et  implacable 
que  les  démons  ont  conçue  contre  le  genre  humain,  comme 
je  vous  ferai  voir  en  son  temps.  Et  l'empereur  Julien  (') 
l'Apostat,  lorsqu'en  haine  de  la  religion  chrétienne  il  voulut 
rendre  le  paganisme  vénérable,  voyant  que  nos  pères  en 
avaient  découvert  trop  manifestement  la  folie,  il  s'avisa  d'en- 
richir de  mystères  son  impie  et  ridicule  religion  :  il  observait  * 
exactement  les  abstinences  et  les  sacrifices  que  ces  philo- 
sophes avaient  enseignés  ;  il  les  voulait  faire  passer  pour 
de  saintes  et  mystérieuses  institutions  tirées  des  vieux  livres 
de  l'empire  et  de  la  secrète  doctrine  des  platoniciens.  Or  ce 
que  je  vous  dis  ici  de  leurs  sentiments,  ne  vous  persuadez 
pas  que  ce  soit  pour  appuyer  ce  que  nous  croyons,  par  l'au- 
torité des  païens.  A  Dieu  ne  plaise  que  j'oublie  si  fort  la 
dignité  de  cette  chaire  et  la  piété  de  cet  auditoire,  que  de 
vouloir  établir  par  des  raisons  et  des  autorités  étrangères,  ce 

I.  Ms.  Julian. 


SUR  LES  DÉMONS. 


343 


qui  nous  est  si  manifestement  enseigné  par  la  sainte  parole 
de  Dieu  et  par  la  tradition  ecclésiastique!  Mais  j'ai  cru 
qu'il  ne  serait  pas  inutile  de  vous  faire  observer  en  ce  lieu 
que  la  malignité  des  démons  est  si  grande,  qu'ils  n'ont  pu  la 
dissimuler,  et  qu'elle  a  même  été  découverte  parles  idolâtres 
qui  étaient  leurs  esclaves,  et  dont  ils  étaient  les  divinités. 

D'entreprendre  maintenant  de  prouver  qu'il  y  a  des  dé- 
mons par  le  témoignage  des  saintes  Lettres,  ne  serait-ce  pas 
se  donner  une  peine  inutile  ;  puisque  c'est  une  vérité  si  bien 
reconnue,  et  qui  nous  est  attestée  dans  toutes  les  pages  du 
Nouveau  Testament  ?  Partant,  pour  employer  à  quelque 
instruction  plus  utile  le  peu  de  temps  que  nous  nous  sommes 
prescrit,  j'irai  (')  avec  l'assistance  divine  reconnaître  cet 
ennemi  qui  s'avance  si  résolument  contre  nous,  pour  vous  faire 
un  rapport  fidèle  de  sa  marche  et  de  ses  desseins.  Je  vous  dirai 
en  premier  lieu,  avec  les  saints  Pères,  de  quelle  nature  sont 
ces  esprits  malfaisants,  quelles  sont  leurs  forces,  quelles  sont 
leurs  machines.  Après,  je  tâcherai  de  vous  exposer  les  causes 
qui  les  ont  mus  à  nous  déclarer  une  guerre  si  cruelle  et  si 
sanglante.  Et  comme  j'espère  que  Dieu  me  fera  la  grâce  de 
traiter  ces  choses,  non  par  des  questions  curieuses,  mais  par 
une  doctrine  solidement  chrétienne,  il  ne  sera  pas  malaisé 
d'en  tirer  une  instruction  importante,  en  faisant  voir  de 
quelle  sorte  nous  devons  résister  à  cette  nation  de  démons 
conjurés  à  notre  ruine. 

PREMIER    POINT. 

Chaque  créature  a  ses  caractères  propres,  avec  ses  qualités 
et  ses  excellences.  Ainsi  la  terre  a  sa  ferme  et  immuable 
solidité,  et  l'eau  sa  liquidité  transparente,  cX  le  feu  sa  subtile 
et  pénétrante  chaleur.  Et  ces  pro[)riétés  spécifiques  des 
choses  sont  comme  des  bornes  qui  leur  sont  données,  pour 
empêcher  qu'elles  ne  soient  confondues.  Mais  Dieu,  étant 
une  lumière  infinie,  il  ramasse  en  l'unilé  simple  et  indivisible 

I.  Cette  vive  figure  rcni|)lare  une  premi^re  r(5cîaction  cfTact^e,  qui  <*tail  .linsi 
conçue  :  «  ...  prescrit,  il  vaut  mieux  que  je  vous  expose,  selon  la  promesse  que 
j'en  ai  faite,  de  quelle  nature  sont  ces  esprits  malfaisants,  et  par  quelles  causes 
ils  ont  ctt5  i)récipitcs  dans  le  miS(5rable  (5tat  où  ils  sont.  » 


344  SUR  LES  DÉMONS. 


de  son  essence  toutes  ces  diverses  perfections  qui  sont  dis- 
persées deçà  et  delà  dans  le  monde.  Toutes  choses  se  ren- 
contrent en  lui  d'une  manière  très  éminente,  et  c'est  de  cette 
source  que  la  beauté  et  la  grâce  sont  dérivées  dans  les  créa- 
tures, d'autant  que  cette  première  beauté  a  laissé  tomber  sur 
les  créatures  un  éclat  et  un  rayon  de  soi-même.  Nous  voyons 
bien  toutefois,  chrétiens,  qu'elle  ne  s'est  pas  toute  jetée  en 
un  lieu,  mais  qu'elle  s'est  répandue  par  divers  degrés,  des- 
cendant peu  à  peu  depuis  les  ordres  supérieurs  jusqu'au 
dernier  étage  de  la  nature.  Ce  que  nous  observerons  aisément, 
si  nous  prenons  garde  qu'au-dessus  des  choses  insensibles 
et  inanimées  Dieu  a  établi  la  vie  végétante,  et  un  peu  plus 
haut  le  sentiment,  au-dessus  duquel  nous  voyons  présider  la 
raison  humaine  d'une  immortelle  vigueur,  attachée  néan- 
moins à  un  corps  mortel.  Si  bien  que  notre  grand  Dieu,  pour 
achever  l'univers,  après  avoir  fait  sur  la  terre  une  âme  spi- 
rituelle dans  des  organes  matériels,  il  a  créé  aussi  dans  le 
ciel  des  esprits  dégagés  de  toute  matière,  qui  vivent  et  se 
nourrissent  d'une  pure  contemplation.  C'est  ce  que  nous  ap- 
pelons les  anges,  que  Dieu  a  divisés  en  leurs  ordres  et  hié- 
rarchies; et  c'est  de  cette  race  que  sont  les  démons. 

Après  cela,  qu'est-il  nécessaire  que  je  vous  fasse  voir  par 
de  longs  discours  la  dignité  de  leur  nature  ?  Si  Dieu  est  la 
souveraine  perfection,  ou  plutôt  s'il  est  toute  perfection, 
comme  nous  vous  le  disions  tout  à  l'heure,  n'est-ce  pas  une 
vérité  très  constante  que  les  choses  sont  plus  ou  moins 
parfaites,  selon  qu'elles  approchent  plus  ou  moins  de  cette 
essence  infinie?  Et  les  anges  ne  sont-ils  pas,  parmi  toutes  les 
créatures,  celles  qui  semblent  toucher  de  plus  près  à  la  ma- 
jesté divine?  Puisque  Dieu  les  a  établis  dans  l'ordre  suprême 
des  créatures  pour  être  comme  sa  cour  et  ses  domestiques, 
c'est  une  chose  assurée  que  les  dons  naturels  dont  nous 
avons  reçu  quelques  petites  parcelles,  la  munificence  divine 
les  a  répandus  comme  à  main  ouverte  sur  ces  belles  intelli- 
gences. Et  de  même  que  ce  qui  nous  paraît  quelquefois  de 
si  subtil  et  si  inventif  dans  les  animaux,  n'est  qu'une  ombre 
des  opérations  immortelles  de  l'intelligence  des  hommes  ; 
ainsi  pouvons-nous  dire  en  quelque  sorte  que  les  connais- 


SUR  LES  DÉMONS.  345 


sances  humaines  ne  sont  qu'un  rayon  imparfait  de  la  science 
de  ces  esprits  purs,  dont  la  vie  n'est  que  raison  et  intelli- 
gence. Vous  trouverez  étrange  peut-être  que  je  donne  de  si 
grands  éloges  aux  anges  rebelles  et  déserteurs  ;  mais  sou- 
venez-vous, s'il  vous  plaît,  que  je  parle  de  leur  nature,  et 
non  pas  encore  de  leur  malice  ;  de  ce  que  Dieu  les  a  faits, 
et  non  pas  de  ce  qu'ils  se  sont  faits  eux-mêmes.  J'admire 
dans  les  anges  damnés  les  marques  de  la  puissance  et  de  la 
libéralité  de  mon  Dieu  ;  et  ainsi  c'est  le  Créateur  que  je 
loue,  pour  confondre  l'ingratitude  de  ses  ennemis. 

Mais  il  s'élève  ici  une  grande  difficulté.  Hélas  !  comment 
s'est-il  pu  faire  que  des  créatures  si  excellentes  se  soient  ré- 
voltées contre  Dieu?  Que  nous  autres  pauvres  mortels,  abî- 
més dans  une  profonde  ignorance,  accablés  de  cette  masse 
de  chair,  agités  de  tant  de  convoitises  brutales,  nous  aban- 
donnions si  souvent  le  chemin  difficile  de  la  loi  de  Dieu  ; 
bien  que  ce  soit  une  grande  insolence,  ce  n'est  pas  un  évé- 
nement incroyable.  Mais  que  ces  intelligences  pleines  de 
lumières  divines,  elles  dont  les  connaissances  sont  si  distinctes 
et  les  mouvements  si  paisibles,  qui  n'ont  pas  comme  nous  à 
combattre  mille  ennemis  domestiques,  qui,  étant  indivisibles 
et  incorporelles,  n'ont  pas  comme  nous  des  membres  mortels 
où  la  loi  du  péché  domine  :  qu'elles  se  soient  retirées  de 
Dieu,  encore  qu'elles  sussent  très  bien  qu'il  était  leur  souve- 
raine béatitude,  c'est,  mes  frères,  ce  qui  est  terrible  ;  c'est  ce 
qui  m'étonne  et  qui  m'effraye  ;  c'est  par  où  je  reconnais  très 
évidemment  que  toutes  les  créatures  sont  bien  peu  de  chose. 

Les  fous  marcionites  (')  et  les  manichéens,  encore  plus 
insensés,  émus   de  cette  difficulté,   ont  cru  que  les  démons 

I.  Cette  remarque  avait  d'abord  été  destinée  au  début  de  ce  premier  point. 
Dans  sa  première  forme  plus  développée,  les  éditeurs  l'ont  introduite  dans  le 
sermon  de  1660.  L'auteur  en  trace  encore  une  autre,  qui  doit  être  conser- 
vée comme  variante  :  «  Je  sais  bien  que  les  théologiens,  émus  de  cette  diffi- 
culté, ont  fait  plusieurs  subtiles  discussions  pour  e\j)lic|ucr  comment  le  péché 
s'est  coulé  dans  la  nature  des  amibes  ;  mais  je  chéris  trop  votre  instructi<in  pour 
vous  entretenir  de  leurs  arguments  qui  nous  seraient  inutiles.  .Abaissons-nous 
seulement  sous  la  grandeur  de  la  maiesté  divine  ;  conft'ssons  hautement  qu'étant 
lui  seul  la  règle  des  choses,  il  est  aussi  le  seul  inf.iillihic,  et  ipi'il  ne  semble  pas 
extraordinaire  si  les  anges  étant  créatures,  ils  n'ont  pas  éié  impeccables.  Dieu 
est  tout...  >> 


346  SUR  LES  DÉMONS. 


étaient  méchants  par  nature  :  ils  n'ont  pu  se  persuader  que 
s'ils  eussent  jamais  été  bons,  ils  eussent  pu  se  séparer  de 
Dieu  volontairement  ;  et  de  là  ils  concluaient  que  la  malice 
était  une  de  leurs  qualités  naturelles.  Mais  cette  extravagante 
doctrine  est  très  expressément  réfutée  par  un  petit  mot  du 
Sauveur,  qui  parlant  du  diable,  (en  saint  Jean,  chapitre  viii), 
ne  dit  pas  qu'il  a  été  créé  dans  le  mensonge  ;  mais  «  qu'il 
n'est  pas  demeuré  dans  la  vérité  :  »  In  veritate  non  stetit. 
Que  s'il  n'y  est  pas  demeuré,  il  y  avait  donc  été  établi  ;  et 
s'il  en  est  tombé,  ce  n'est  pas  un  vice  de  sa  nature,  mais  une 
dépravation  de  sa  volonté.  Pourquoi  vous  tourmentez-vous, 
ô  marcionites,  à  chercher  la  cause  du  mal  dans  un  principe 
mauvais,  qui  précipite  les  créatures  dans  la  malice  ?  Ne 
comprenez-vous  pas.  que  Dieu,  étant  lui  seul  la  règle  des 
choses,  il  est  aussi  le  seul  qui  ne  peut  être  sujet  à  faillir  :  et 
sans  avoir  recours  à  aucune  autre  raison,  n'est-ce  pas  assez 
de  vous  dire  que  les  anges  étaient  créatures,  pour  vous  faire 
entendre  très  évidemment  qu'ils  n'étaient  pas  impeccables  ? 
Dieu  est  tout,  ainsi  qu'il  disait  à  Moïse  :  «  Je  te  montrerai 
tout  bien,  »  quand,  je  te  manifesterai  mon  essence  (^)\  et 
puisqu'il  est  tout,  il  s'ensuit  très  évidemment  que  les  créa- 
tures ne  sont  rien  d'elles-mêmes  ;  elles  ne  sont  autre  chose 
que  ce  qu'il  plaît  à  Dieu  de  les  faire.  Ainsi  le  néant  est  leur 
origine,  c'est  l'abîme  dont  elles  sont  tirées  par  la  seule  puis- 
sance de  Dieu  :  de  sorte  que  ce  n'est  pas  merveille  si  elles 
retiennent  toujours  quelque  chose  de  cette  basse  et  obscure 
origine,  et  si  elles  retombent  aisément  dans  le  néant,  par  le 
péché  qui  les  y  précipite.  C'est  ce  que  nous  explique  le  grave 
Tertullien  (')  par  une  excellente  comparaison.  «  De  même 
qu'une  peinture,  bien  qu'elle  représente  tous  les  linéaments  de 
l'original,  ne  saurait  exprimer  sa  vigueur,  étant  destituée  de  vie 
et  de  mouvement  :  ainsi,  dit  ce  grand  personnage,  les  natures 
spirituelles  et  raisonnables  expriment  en  quelque  sorte  la 
raison  et  l'intelligence  de  Dieu,  parce  qu'elles  sont  ses  images; 
mais  elles  ne  peuvent  jamais  exprimer   sa  force,  qui   est  le 

a.  Exod.^  xxxni,  19. 

I.  Ms.  Tertullien.   Mais   dans   le  second  point    Bossuet  écrit   constamment 
Tertullian;  et  il  l'écrivait  ici  même  dans  une  première  rédaction. 


SUR  LES  DÉMONS.  347 


bonheur  de  ne  pouvoir  pécher.  »  Imago,  cum  omnes  lineas 
exprimat  veritatis,  vi  iamen  ipsa  caret,  non  habens  mottun  ; 
ita  et  anima,  imago  Spirittts,  solum  vim  ejus  exprimere  non 
valuit,  id est,  non  delinquendi felicitatem  (^\  De  là  il  est  arrivé 
que  les  anges  rebelles  se  sont  endormis  en  eux-mêmes  dans 
la  complaisance  de  leur  beauté  :  la  douceur  de  leur  liberté 
les  a  trop  charmés  ;  ils  en  ont  voulu  faire  une  épreuve  mal- 
heureuse et  funeste  ;  et,  déçus  par  leur  propre  excellence, 
ils  ont  oublié  la  main  libérale  qui  les  avait  comblés  de  ses 
grâces.  L'orgueil  insensiblement  s'est  emparé  de  leurs  puis- 
sances :  ils  n'ont  plus  voulu  reconnaître  Dieu  ;  et  quittant 
cette  première  bonté,  qui  n'était  pas  moins  l'appui  nécessaire 
de  leur  bonheur  que  le  seul  fondement  de  leur  être,  tout  est 
allé  en  ruine.  Ainsi  donc  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  d'ano-es 
de  lumière  ils  ont  été  faits  esprits  de  ténèbres,  si  d'enfants 
ils  sont  devenus  déserteurs,  et  si  de  chantres  divins,  qui  par 
une  mélodie  éternelle  devaient  célébrer  les  louanges  de  Dieu, 
ils  sont  tombés  à  un  tel  point  de  misère  que  de  s'adonner  à 
séduire  les  hommes.  Dieu  l'a  permis  de  la  sorte,  afin  que 
nous  reconnussions  dans  les  diables  ce  que  peut  le  libre 
arbitre  des  créatures,  quand  il  s'écarte  de  son  principe,  pen- 
dant qu'il  fait  éclater  dans  les  anges  et  dans  les  hommes 
prédestinés  ce  que  peut  sa  miséricorde  et  sa  grâce  toute- 
puissante. 

Voilà,  voilà,  mes  frères,  les  ennemis  que  nous  avons  à 
combattre,  autant  malins  à  présent  comme  ils  étaient  bons 
dans  leur  origine,  autant  redoutables  et  dangereux  comme 
ils  étaient  puissants  et  robustes.  Car  ne  vous  persuadez  pas 
que,  pour  être  tombés  de  si  haut,  ils  aient  été  blessés  dans 
leur  disposition  naturelle.  Tout  est  entier  en  eux,  excepté 
leur  justice  et  leur  sainteté,  et  conséquemment  leur  béatitude. 
Du  reste,  cette  action  vive  et  vigoureuse,  cette  ferme  consti- 
tution, cet  esprit  délicat  et  puissant  et  ces  vastes  connais- 
sances leur  sont  demeurés:  et  en  voici  la  solide  raison,  que 
la  théologie  nous  apprend. 

Le  bonheur  des  créatures  raisonnables  ne  consiste  ni  dans 
une  nature  excellente,  ni  dans  un  sublime  raisonnement,  ni 

a.  Lib.  II,  adv.  Marcion.,  n.  9. 


;48  SUR  LES  DÉMONS. 


dans  la  force,  ni  dans  la  vigueur  ;  mais  seulement  à  s'unir  à 
Dieu.  Quand  donc  elles  se  séparent  de  Dieu,  comment  est- 
ce  qu'il  les  punit  ?  En  se  retirant  lui-même  de  ces  esprits 
ingrats  et  superbes:  et  par  là  tous  leurs  dons  naturels,  toutes 
leurs  connaissances,  tout  leur  pouvoir,  en  un  mot,  tout  ce  qui 
leur  servait  d'ornement,  leur  tourne  aussitôt  en  supplice  :  ce 
qui  leur  arrive,  fidèles,  selon  cette  juste,  mais  terrible  maxime, 
que  «  chacun  est  puni  par  les  choses  par  lesquelles  il  a 
péché  :  »  Pcr  qiiœ  peccat  cuis,  per  hœc  et  torquetur  ('*).  O 
anges  inconsidérés  !  vous  vous  êtes  soulevés  contre  Dieu, 
vous  avez  abusé  de  vos  qualités  excellentes,  elles  vous  ont 
rendu[s]  orgueilleux.  L'honneur  de  votre  nature  qui  vous  a 
enflés,  ces  belles  lumières  par  lesquelles  vous  vous  êtes 
séduits,  elles  vous  seront  conservées;  mais  elles  vous  seront 
un  fléau  et  un  tourment  éternel  :  vos  perfections  seront  vos 
bourreaux,  et  votre  enfer  ce  sera  vous-mêmes.  Comment  cela 
arrivera-t-il,  chrétiens?  Par  une  opération  occulte  de  la  main 
de  Dieu,  qui  se  sert  comme  il  lui  plaît  de  ses  créatures,  tantôt 
pour  la  jouissance  d'une  souveraine  félicité,  tantôt  pour 
l'exercice  de  sa  juste  et  impitoyable  vengeance.  C'est  pour- 
quoi l'Apôtre  nous  crie,  dansl'Épître  aux  Ephésiens:  «  Revê- 
tez-vous, mes  frères,  des  armes  de  Dieu,  parce  que  nous 
n'avons  point  à  combattre  contre  la  chair  ni  le  sang  (^),  »  ni 
contre  des  puissances  visibles. 

Pénétrons  la  force  de  ces  paroles  :  ne  voyez-vous  pas,  chré- 
tiens, que  dans  toutes  les  choses  corporelles,  outre  la  partie 
agissante,  il  y  en  a  une  autre  qui  ne  fait  que  souffrir,  que 
nous  appelons  la  matière?  De  là  vient  que  toutes  les  actions 
des  choses  que  nous  voyons  ici-bas,  si  nous  les  comparons 
aux  actions  des  esprits  angéliques,  paraîtront  languissantes 
et  engourdies,  à  cause  de  la  matière  qui  ralentit  toute  leur 
vigueur  ;  mais  les  ennemis  que  nous  avons  à  combattre,  ce 
n'est  pas,  dit  l'Apôtre,  la  chair  et  le  sang  :  les  puissances  qui 
s'opposent  à  nous,  sont  des  esprits  purs  et  incorporels  ;  tout 
y  est  actif,  tout  y  est  nerveux  :  et  si  Dieu  ne  retenait  leur 
fureur,  nous  les  verrions  agiter  ce  monde  avec  la  même  faci- 
lité que  nous  tournons  une  petite  boule.  «  Ce  sont  en  effet  les 

a.  Sap.^  XI,  17.  —  b.  Ephes.j  VI,  11,  12. 


SUR  LES  DÉMONS. 


149 


princes  du  monde,  dit  le  saint  Apôtre  ('')  ;  ce  sont  des  malices 
spirituelles,  »  spiritualia  nequitiœ.  Où  il  suppose  manifeste- 
ment que  leurs  forces  naturelles  n'ont  point  été  altérées  ; 
mais  que  par  une  rage  désespérée  ils  les  ont  toutes  converties 
en  malice,  pour  les  causes  que  je  m'en  vais  vous  déduire. 

Cependant  reconnaissons,  chrétiens,  que  ni  les  sciences, 
ni  le  grand  esprit,  ni  les  autres  dons  de  nature,  ne  sont  pas 
des  avantages  fort  considérables,  puisque  Dieu  les  laisse 
entiers  aux  diables,  ses  capitaux  ennemis,  et  (')  par  cela 
même  les  rend  non  seulement  malheureux,  mais  encore  infi- 
niment méprisables  ;  de  sorte  que  nonobstant  toutes  ces  qua- 
lités éminentes,  misérables  et  impuissants  que  nous  sommes, 
nous  leur  semblons  dignes  d'envie,  seulement  parce  qu'il 
plaît  à  notre  grand  Dieu  de  nous  regarder  en  pitié,  comme 
vous  le  verrez  tout  à  l'heure.  O  importante  (^)  réflexion!  par 
laquelle  il  me  serait  aisé,  ce  me  semble,  avec  l'assistance 
divine,  de  vous  porter  à  profiter  de  l'exemple  de  ces  esprits 
dévoyés,  si  la  brièveté  que  je  vous  ai  promise  ne  m'obligeait 
à  passer  à  la  seconde  partie  de  cet  entretien,  qui  vous  expli- 
quera les  raisons  pour  lesquelles  ces  anges  rebelles  nous  per- 
sécutent si  cruellement,  et  avec  cette  haine  irréconciliable. 
Rendez-vous,  s'il  vous  plaît,  attentifs. 

SECOND    POINT. 

Le  péché  de  Satan  a  été  une  insupportable  arrogance, 
suivant  ce  qui  est  écrit  (en  Job,  chapitre  xli),  que  «  c'est  lui 
qui  domine  sur  tous  les  enfants  d'orgueil  :  »  Ipse  est  rex  (-') 
super  univer SOS  filios  super biœ.  Or  le  propre  de  l'orgueil,  c'est 
de  s'attribuer  tout  à  soi-même  ;  et  par  là  les  superbes  se  font 
eux-mêmes  leurs  dieux,  secouant  le  joug  de  l'autorité  souve- 
raine. C'est  pourquoi  le  diable  s'étant  enflé  par  une  arrogance 
extraordinaire,  les  Ecritures  ont  dit  qu'il  avait  affecté  la 
divinité.  «  Je  monterai,  dit-il,  et  placerai  mon  trône  au-des- 

a.  Ephes.^  VI,   12. 

1.  Var.  et  mcnie  qu'il  en  tire  leur  châtiment. 

2.  Var.  Et  sur  cette  importante  rctlexion,  je  vous  exhorterais  de  toute  l'atTec- 
tion  de  mon  cœur  à  profiter  de  l'exemple... 

3.  M  s.  dominatur... 


^^O  ^IJK  LES  DÉMONS. 


SUS  des  astres,   et  je  serai  semblable  au  Très-Haut  ('*).  » 
Mais  Dieu,  qui  résiste  aux  superbes  (''),  voyant  ses  pensées 
arrogantes,  et  que  son  esprit,  emporté  d'une  téméraire  com- 
plaisance de  ses  propres  perfections,  ne  pouvait  plus  se  tenir 
dans  les  sentiments  d'une  créature,   du  souffle  de  sa  bouche 
le  précipita  au  fond  des  abîmes.  Il  tomba  du  ciel  ainsi  qu'un 
éclair,  frémissant  d'une  furieuse  colère  ;  et  assemblant  avec 
lui  tous  les  compagnons  de  son  insolente  entreprise,  il  cons- 
pira avec  eux  de  soulever  contre  Dieu  toutes  les  créatures. 
Mais  non  content  de  les  soulever,  il  conçut  dès  lors  l'insolent 
dessein  de  soumettre  tout  le  monde  à  sa  tyrannie  :  et  voyant 
que  Dieu  par  sa  providence  avait  rangé  toutes  les  créatures 
sous  l'obéissance  de  l'homme,  il  l'attaque  au  milieu  de   ce 
Jardin  de  délices,  où  il  vivait  si  heureusement  dans  son  inno- 
cence :  il  tâche  de  lui  inspirer  ce  même  orgueil  dont  il  était 
possédé,  et  à  notre  malheur,  chrétiens,  il  réussit  comme  vous 
le  savez.  Ainsi,  selon  la  maxime  de  l'Evangile,   «  l'homme 
étant  dompté  par  le  diable,  il  devint  incontinent  son  esclave  » . 
A  quo  enim  (')  quis  super^atus  est.hujus  et  servus  est  (^)  :  et  le 
monarque  du  monde  étant  surmonté  par  ce  superbe  vain- 
queur, tout  le  monde  passa  sous   ses  lois.    Enflé  de  ce  bon 
succès,  et  n'oubliant  pas  son  premier  dessein  de  s'égaler  à  la 
nature  divine,  il  se  déclare  ouvertement  le  rival  de  Dieu  ;  et 
tâchant  de  se  revêtir  de  la  majesté  divine,  comme   il   n'est 
pas  en  son  pouvoir  de  faire  de  nouvelles  créatures  pour  les 
opposer  à  son  maître,  que  fait-il }  «  du  moins  il  adultère  tous 
les  ouvrages  de  Dieu,  dit  le  grave  Tertullien  {f)  ;  il  apprend 
aux  hommes  à  en  corrompre  l'usage  ;  et  les  astres,  et  les 
éléments,  et  les  plantes,  et  les  animaux,  il  tourne  tout  en 
idolâtrie  ;  »  il  abolit  la  connaissance  de   Dieu,  et  par   toute 
l'étendue  de  la  terre  il  se  fait  adorer  en  sa  place,  suivant  ce 
que  dit  le  prophète  :   «  Les  dieux  des   nations,  ce  sont  les 
démons  Q.  »  C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  l'appelle  i.  le 
prince  du  monde  (^);  »  et  l'Apôtre,  «  le  gouverneur  des  ténè- 

a.  /s.,  XIV,  13,  14.  —  d.  /ac,  IV,  6.  —  c.  Il  Petr.^  11,  19.  —  d.  De  Idol.^  n.  4. 
De  Spect.^  n.  2.  —  e.  Ps.^  xcv,  5.  —  /.  Joa7i.,  xiv,  30. 

I.  Aïs.  A  quo  enim  quisqtce  stiperatus  est^  huic  et  servies  addicttis  est.  —  Bos- 
suet  cite  de  mémoire. 


SUR  LES  DÉMONS. 


35^ 


bres  (''),  »  et  ailleurs,  avec  plus  d'énergie,  «  le  dieu  de  ce 
siècle,  »  deus  htijus  sœculi  i^\ 

J'apprends  aussi  de  Tertullien  que  non  seulement  les 
démons  se  faisaient  présenter  devant  leurs  idoles  des  vœux 
et  des  sacrifices,  le  propre  tribut  de  Dieu,  mais  qu'ils  les 
faisaient  parer  des  robes  et  des  ornements  dont  se  revê- 
taient les  magistrats,  et  faisaient  porter  devant  eux  les 
faisceaux  et  les  bâtons  d'ordonnance,  et  les  autres  marques 
d'autorité  publique  ;  parce  qu'en  effet,  dit  ce  grand  per- 
sonnage, «  ies  démons  sont  les  magistrats  du  siècle  :  »  Dœ- 
mones  sunt  magistratus  sœculi  i^^.  Et  à  quelle  insolence,  mes 
frères,  ne  s'est  pas  porté  ce  rival  de  Dieu  ?  Il  a  toujours 
affecté  de  faire  ce  que  Dieu  faisait,  non  pas  pour  se  rap- 
procher en  quelque  sorte  de  la  sainteté,  c'est  sa  capitale 
ennemie;  mais  comme  un  sujet  rebelle,  qui  par  mépris,  ou  par 
insolence,  affecte  la  même  pompe  que  son  souverain  :  Ut 
Dei  Domini  placita  cum  coutume  lia  a^ectans  {^).  Dieu  a  ses 
vierges  qui  lui  sont  consacrées  :  et  le  diable  n'a-t-il  pas 
eu  ses  vestales?  N'a-t-il  pas  eu  ses  autels  et  ses  temples,  ses 
mystères  et  ses  sacrifices,  et  les  ministres  de  ses  impures 
cérémonies,  qu'il  a  rendues  autant  qu'il  a  pu  semblables  à 
celles  de  Dieu  ^  Pour  quelle  raison,  fidèles  ?  Parce  qu'il  est 
jaloux  de  Dieu,  et  veut  paraître  en  tout  son  égal.  Dieu,  dans 
la  nouvelle  alliance,  régénère  ses  enfants  par  l'eau  du  bap- 
tême ;  et  le  diable  faisait  semblant  de  vouloir  expier  leurs 
crimes  par  diverses  aspersions  (')  :  il  promettait  aux  siens 
une  régénération,  comme  le  rapporte  Tertullien  (')  ;  et  il  se 
voit  encore  quelques  monuments  publics  où  ce  terme  est 
employé  dans  ses  profanes  mystères.  L'Esprit  de  Dieu  au 
commencement  était  porté  sur  les  eaux  ;  et  «  le  diable,  dit 
Tertullien,  se  plaît  à  se  reposer  dans  les  eaux  :  »  Iniuiundi 
spiritîts  aquis  incubant  (^)  :  dans  les  fontaines  cachées,  et  dans 
les  lacs,  et  dans   les  ruisseaux   souterrains.    Et  l'iiglise  de 

a.  Ephes.^  vi,  \2.—  b.  II  Cor.^  iv,  4.  —  c.  De  IdoL,  n.  18.  —  d.  Tertull.,  nd  Uxot:^ 
n.  8.  —  e.  de  Bapt.^  n.  5.  — /.  Ibid. 

I.  Qu'eût  dit  Bossuet  s'il  avait  été  témoin  des  contrefaçons  sacrilL>i;es  inventées 
par  les  sociétés  secrètes,  baptêmes  maçonniques,  ctc?  Notons  toutefois  que  toute 
la  fin  de  ce  para<,naphe,  depuis  (,(  Dieu  a  ses  vierges... >  est  marquée  d'un  trait, qui, 
s'il  ne  condamne  le  passage,  indique  du  moins  quelque  intention  de  le  remanier. 


352  SUR  LES  DÉMONS. 


l'antiquité,  étant  imbue  de  cette  créance,  nous  a  laissé  cette 
forme  que  nous  observons  encore  aujourd'hui,  d'exorciser 
les  eaux  baptismales.  Dieu  par  son  immensité  remplit  le 
ciel  et  la  terre  :  «  le  diable  par  ses  anges  impurs  occupe 
autant  qu'il  peut  toutes  les  créatures  {'').  »  Et  de  là  vient  cette 
coutume  des  premiers  chrétiens  de  les  purger  et  de  les  sanc- 
tifier par  le  signe  de  la  croix,  comme  par  une  espèce  de 
saint  exorcisme. 

Ce  lui  est,  à  la  vérité,  un  sujet  d'une  douleur  enragée  de  ce 
qu'il  voit  que  toutes  ses  entreprises  sont  vaines,  et  que, 
bien  loin  de  pouvoir  parvenir  à  égaler  la  nature  divine,  comme 
il  l'avait  témérairement  projeté,  il  faut  qu'il  ploie,  mal  gré 
qu'il  en  ait,  sous  la  main  toute-puissante  de  Dieu  :  mais  il  ne 
se  désiste  pas  pour  cela  de  sa  fureur  obstinée.  Au  contraire, 
considérant  que  la  majesté  de  Dieu  est  inaccessible  à  sa 
colère,  il  décharge  sur  nous,  qui  en  sommes  les  images 
vivantes,  toute  l'impétuosité  de  la  rage  :  comme  on  voit  un 
ennemi  impuissant,  qui,  ne  pouvant  atteindre  celui  qu'il 
poursuit,  repaît  en  quelque  façon  son  esprit  d'une  vaine 
imagination  de  vengeance,  en  déchirant  sa  peinture.  Ainsi  en 
est-il  de  Satan.  Il  remue  le  ciel  et  la  terre  pour  susciter  des 
ennemis  à  Dieu  parmi  les  hommes,  qui  sont  ses  enfants: 
il  tâche  de  les  engager  tous  dans  son  (')  audacieuse  et  témé- 
raire rébellion,  pour  les  faire  compagnons  et  de  ses  erreurs 
et  de  ses  tourments.  Il  croit  par  là  se  venger  de  Dieu. 
Comme  il  n'ignore  pas  qu'il  n'y  a  point  (^)  pour  lui  de  res- 
source, il  n'est  plus  capable  que  de  cette  maligne  joie  qui 
revient  à  un  méchant  d'avoir  des  complices,  et  à  un  esprit 
mal  fait  de  voir  des  malheureux  et  des  affligés.  Furieux  et 
désespéré,  il  ne  songe  plus  qu'à  tout  perdre  après  s'être  perdu 
lui-même,  et  envelopper  tout  le  monde  avec  lui  dans  une 
commune  ruine. 

Et  ne  croyez  pas,  chrétiens,  qu'il  nous  donne  jamais 
aucune  relâche.  Tous  les  esprits  angéliques,  comme  remarque 
très  bien  le  grand  saint  Thomas,  sont  très  arrêtés  dans  leur 

a.  Tertull.,  de  Spectac.^  n.  8. 

1.  Var.  dans  sa  malheureuse  rébellion. 

2.  Var.  qu'il  ne  peut  y  avoir. 


SUR  LES  DÉMONS. 


353 


entreprise.  Car  au  lieu  que  les  objets  ne  se  présentent  à  nous 
qu'à  demi,  si  bien  que  par  de  secondes  réflexions  nous  avons 
de  nouvelles  vues,  qui  nous  font  changer  très  souvent  tout 
l'ordre  de  nos  desseins,  les  anges,  au  contraire,  dit  saint 
Thomas  ('*),  embrassent  tout  leur  objet  du  premier  regard 
avec  toutes  ses  circonstances  ;  et  partant  leur  résolution  est 
fixe  et  déterminée.  Mais  particulièrement  celle  de  Satan  est 
puissamment  appliquée  à  notre  ruine.  Son  esprit  entrepre- 
nant et  audacieux,  fortifié  par  tant  de  succès,  et  envenimé 
par  une  haine  mortelle  et  invétérée,  l'incite  jour  et  nuit 
contre  nous.  C'est  pourquoi  les  Ecritures  nous  le  dépeignent 
comme  un  ennemi  toujours  vigilant,  qui  rôde  sans  cesse  aux 
environs,  pour  tâcher  de  nous  dévorer  {^').  Lorsque  par  la 
grâce  de  Dieu  nous  l'avons  chassé  de  nos  âmes,  c'est  alors 
qu'il  s'anime  le  plus.  En  voulez-vous  une  preuve  évidente, 
de  la  bouche  même  de  Notre-Seigneur?  «  L'esprit  immonde 
sortant  de  l'homme  va  chercher  du  repos,  dit  le  Fils  de  Dieu 
dans  son  Evangile  {"),  et  n'en  trouve  pas.  »  C'est  que  l'esprit 
humain  est  la  seule  retraite  où  il  semble  se  rafraîchir,  parce 
que  du  moins  il  y  contente  sa  haine.  Voyez  les  fols  amou- 
reux du  siècle,  comme  ils  sont  patients  et  persévérants  dans 
leurs  convoitises  brutales  !  Or  ce  vieux  adultère,  dit  saint 
Augustin  (''),  n'a  point  d'autres  délices  que  de  corrompre  les 
âmes  pudiques  :  ainsi  ne  vous  étonnez  pas  si  ses  poursuites 
sont  opiniâtres.  Ayant  bien  eu  l'insolence  de  traiter  d'égal 
avec  Dieu,  il  croit  qu'il  ne  lui  sera  pas  difficile  d'abattre  une 
créature  impuissante.  Et  si,  renversé  comme  il  est  par  le 
bras  de  Dieu  dans  les  gouffres  éternds  (remarquez  ce  rai- 
sonnement, chrétiens),  il  ne  cesse  néanmoins  par  une  vaine 
opiniâtreté  de  traverser  autant  qu'il  peut  les  desseins  de  sa 
Providence  ;  s'il  se  roidit  avec  tant  de  fermeté  contre  Dieu, 
bien  qu'il  sache  que  tous  ses  efforts  seront  inutiles  ;  que  n'en- 
treprendra-t-il  pas  contre  nous,  dont  il  a  si  souvent  expéri- 
menté la  faiblesse  ?  Ainsi  je  vous  avertis,  mes  chers  frères, 
de  vous  défier  toujours  de  cet  ennemi  :  cjuand  mcMiie  vous  le 
surmontez,  vous  ne  domptez  pas  son  audace,  mais  vous  en- 

a.  I  Parf.,  Quœst.  LViii,  urt.  m.  —  ô.  I  /VA,  V,  8.  —  c.  Lt/i.y  xi,  ^4.  —  tf.  In 
Ps.  XXXIX,  n.  I. 

Sermons  de  lîossuet.  tj 


354  ^UR  LES  DÉMONS. 


flammez  son  indignation  :  Tmic  plurimum  accenditur,  cum 
extingiiitnr,  dit  Tertullien  (")  :  «  Quand  on  l'éteint,  c'est  alors 
qu'il  s'allume.  »  Il  veut  dire  que  ce  superbe,  cet  audacieux 
ne  croira  jamais  que  vous  soyez  capable  de  lui  résister  ;  et 
plus  vous  ferez  d'efforts,  plus  il  dressera  contre  vous  ses  di- 
verses et  furieuses  machines. 

Vous  vous  imaginez  peut-être,  fidèles,  que  s'il  est  si  auda- 
cieux, il  vous  attaquera  par  la  force  ouverte.  Ah  !  qu'il  n'en 
est  pas  de  la  sorte  !  Il  est  vrai,  c'est  l'ordinaire  des  orgueil- 
leux d'exercer  ouvertement  leurs  inimitiés  ;  mais  l'inimitié 
de  Satan  n'est  pas  d'une  nature  vulgaire  :  elle  est  mêlée  d'une 
noire  envie  qui  le  ronge  éternellement.  Il  ne  peut  souffrir 
que  nous  vivions  dans  l'espérance  de  la  félicité  qu'il  a  perdue, 
et  que  Dieu  par  sa  grâce  nous  égale  aux  anges;  que  son  Fils 
se  soit  revêtu  d'une  chair  humaine  pour  nous  faire  des 
hommes  divins.  Il  enrage,  quand  il  considère  que  les  servi- 
teurs de  Jésus,  hommes  misérables  et  pécheurs,  assis  dans 
des  trônes  augustes,  le  jugeront  à  la  fin  des  siècles  avec  les 
anges  ses  sectateurs.  Cette  envie  le  brûle  plus  que  ses 
flammes.  C'est,  mes  frères,  ce  qui  lui  fait  embrasser  les  fraudes 
et  les  tromperies  ;  parce  que  l'envie,  comme  vous  savez,  est 
une  passion  froide  et  obscure,  qui  ne  parvient  à  ses  fins  que 
par  de  secrètes  menées.  Et  c'est  par  là  que  Satan  est  infini- 
ment redoutable  ;  ses  finesses  sont  plus  à  craindre  que  ses 
violences.  De  même  qu'une  vapeur  pestilente  se  coule  au 
milieu  des  airs,  et,  imperceptible  à  nos  sens,  inspire  (')  son 
venin  dans  nos  cœurs  ;  ainsi  cet  esprit  malin,  par  une  subtile 
et  insensible  contagion,  corrompt  la  pureté  de  nos  âmes. 
Nous  ne  nous  apercevons  pas  qu'il  agisse  en  nous,  parce 
qu'il  suit  le  courant  de  nos  inclinations.  Il  nous  pousse  et  il 
nous  précipite  du  côté  qu'il  nous  voit  pencher  :  il  ne  cesse 
d'enflammer  nos  premiers  désirs,  jusqu'à  temps  que  par  ses 
suggestions  il  les  fasse  croître  en  passions  violentes.  Si  nous 
avons  commencé  à  aimer,  de  fous  il  nous  rend  furieux  :  si 
l'avarice  nous  inquiète,  il  nous  représente  un  avenir  toujours 
incertain  (^),   il  étonne  notre  âme  timide  par  des  objets  de 

a.  De  Pœnit.^  n.  7. 

I.  Var.  insinue.  —  2.  Var.  dangereux. 


K 


SUR  LES  DÉMONS.  355 


famine  et  de  guerre.  Sa  malice  est  spirituelle  et  ingénieuse  ; 
il  trompe  les  plus  déliés.  Sa  haine  désespérée  et  sa  longue 
expérience  le  rendent  de  plus  en  plus  inventif:  il  se  change 
en  toutes  sortes  de  formes  ;  et  cet  esprit  si  beau,  orné  de 
tant  de  connaissances  si  ravissantes,  parmi  tant  de  merveil- 
leuses conceptions  n'estime  et  ne  chérit  que  celles  qui  lui 
servent  à  renverser  l'homme  :  Operatio  eoruni  est  Jiominis 
eversio  (f). 

Voulez-vous,  pour  une  plus  ample  confirmation,  que  je 
vous  fasse  voir  en  raccourci  dans  notre  évangile  tout  ce  que 
je  viens  de  vous  dire  ?  Il  transporte  le  Fils  de  Dieu  sur  le 
pinacle  du  temple  ;  il  lui  représente  en  un  seul  instant  tous 
les  royaumes  du  monde.  Qui  n'admirerait  sa  puissance  ^,  Et 
le  Fils  de  Dieu  le  permet  de  la  sorte,  afin  que  nous  com- 
prenions ce  qu'il  pourrait  faire  sur  nous,  si  Dieu  nous  aban- 
donnait à  sa  violence.  Jugez,  s'il  vous  plaît,  de  sa  haine  et 
de  son  orgueil  tout  ensemble  par  le  conseil  qu'il  donne  à 
notre  Sauveur,  de  se  prosterner  à  ses  pieds  et  de  l'adorer  : 
conseil  pernicieux  et  insolence  inouïe.  D'ailleurs  pouvait-il 
prendre  un  dessein  plus  plausible  à  l'égard  de  Notre-Sei- 
gneur,  que  de  le  tenter  de  gourmandise  après  un  jeûne  de 
quarante  jours,  et  de  vaine  gloire  après  une  action  d'une 
patience  héroïque  ^  Ce  sont  ses  finesses  et  ses  artifices.  Mais 
ce  qui  nous  paraît  plus  évidemment,  est  son  opiniâtreté. 
Surmonté  par  trois  fois,  il  ne  peut  encore  perdre  cou- 
rage :  Recessit  ab  illo  usque  ad  tempiis  (^'),  remarque  le 
texte  sacré  :  «  Il  le  laisse,  dit-il,  pour  un  temps  :  »  non  point 
fatigué  ni  désespérant  de  le  vaincre,  mais  attendant  une 
heure  plus  propre  et  une  occasion  plus  pressante  :  jcsqtce  ad 
tempus,  O  Dieu  !  que  dirons-nous  ici,  chrétiens  ?  Si  une  ré- 
sistance si  vigoureuse  ne  ralentit  pas  sa  fureur,  quand  pour- 
rons-nous espérer  de  trêve  avec  lui  ?  Et  si  la  guerre  est 
continuelle,  si  cet  ennemi  irréconciliable  veille  sans  cesse  à 
notre  ruine,  comment  pourrons-nous  résister,  faibles  et  im- 
puissants que  nous  sommes?  Toutefois,  fidèles,  ne  le  craignez 
pas.  Cet  ennemi  redoutable,  il  redoute  lui-même  les  chrétiens. 
Il  tremble  au  seul  nom  de  Jésus  ;  et,  malgré  son  orgueil  et 

a.  Tertull.,  Apolog.^  n.  22,  —  b.  Luc.^  iv,   13. 


356  SUR  LES  DÉMONS. 


son  arrogance,  il  est  forcé  par  une  secrète  vertu  de  respecter 
ceux  qui  portent  sa  marque  :  c'est  ce  que  vous  allez  voir  par 
un  beau  passage  du  grand  Tertullien  (').  d'où  je  tirerai  une 
instruction  importante,  qui  sera  le  fruit  de  tout  ce  discours. 
Le  grave  Tertullien,  dans   ce   merveilleux  Apologétique 
qu'il  a  fait  pour  la  religion  chrétienne,  avance  une  proposition 
bien  hardie  aux  juges  de   l'empire   romain,  qui  procédaient 
contre  les  chrétiens  avec  une  telle  inhumanité  ('').  Après  leur 
avoir  reproché  que  tous  leurs  dieux  c'étaient  des  démons,  il 
leur  donne  le  moyen   de  s'en   éclaircir  par   une  expérience 
bien  convaincante.  Que  l'on  produise,  dit-il,  devant  vos  tribu- 
naux (je  ne  veux  pas  que  ce  soit  une  chose  cachée),  devant 
vos  tribunaux  et  à  la  face  de  tout  le  monde  ;  que  l'on  produise 
un  homme  notoirement  possédé  du  diable  (il  dit  notoirement 
possédé,  et  que  ce  soit  une  chose  constante)  :  après,  que  l'on 
fasse  venir  quelque  fidèle  :  qu'il   commande  à  cet  esprit  de 
parler  :  s'il   ne  vous   dit  tout  ouvertement  ce  qu'il  est,  s'il 
n'avoue  publiquement  que  lui  et  ses  compagnons  sont  les 
dieux  que  vous  adorez;  si,  dis-je,  il  n'avoue  ces  choses,n'osant 
mentir  à   un  chrétien,  là  même  sans  différer,  sans  aucune 
nouvelle  procédure,  faites  mourir  ce  chrétien  impudent,  qui 
n'aura  pu  soutenir  par  l'effet  une  promesse  si  extraordinaire. 
Ah  !  mes  frères,  quelle  joie  à  des   chrétiens  d'entendre  une 
telle  proposition  faite  si  hautement  et  avec  une  telle  énergie 
par  un  homme  si  posé   et  si   sérieux,  et  vraisemblablement 
de  l'avis   de  toute  l'Eglise,  dont   il   soutenait  l'innocence  ! 
Quoi  donc  !  cet   esprit  trompeur  et  ce   père  de  mensonge 
n'ose  mentir  à  un  chrétien  ;  devant  un   chrétien  ce  front  de 
fer  s'amollit,  et,  forcé  par  la  parole  d'un  fidèle,  il  dépose  son 
impudence  ;  et  les  chrétiens  sont  si  assurés  de  le  faire  obéir, 
qu'ils  s'y  engagent  au  péril  de  leur  vie,  en  présence  de  leurs 
propres  juges  !  Eh  !  pourquoi  craindrions-nous  un  ennemi  si 
faible  et  si  impuissant?  C'est  la  même  foi  que  nous  professons, 
c'est  le  même  Jésus  que  nous  adorons,  c'est  la  même  parole 
de  Dieu  que  nous  avons  toujours  à  la  bouche  :  et  si  le  diable 

a.  Apolog.^  n.  23. 

I.  Var.  du  grave  Tertullien.  —  M  s.  Tertullian, /«jjz'w.  —  Première  rédaction 
effacée  :  «  par  lequel  je  m'en  vais  entrer  dans  la  troisième  partie,  c'est-à-dire 
dans  la  partie  la  plus  morale  et  la  plus  fructueuse  de  ce  discours.  >> 


SUR  LES  DÉMONS.  '  357 


est  puissant  contre  nous,  il  ne  le  faut  attribuer  qu'au  dérègle- 
ment de  nos  mœurs,  qu'à  notre  vie  toute  séculière  et  toute 
païenne,  qu'à  la  dureté  de  nos  cœurs  pour  les  saintes  v^érités 
du  christianisme.  C'est  pourquoi  je  ne  m'étonne  pas  si  le 
diable  nous  est  dépeint  dans  les  Ecritures  tantôt  fort  et  tantôt 
faible.  «  C'est  un  lion  rugissant,  »  dit  saint  Pierre  ('')  :  y  a-t- 
il  rien  de  plus  terrible  ?  «  Mais,  dit  saint  Jacques  (^),  résistez- 
lui,  et  il  s'enfuira  :»  se  peut-il  une  plus  grande  faiblesse  ?  En 
effet  il  n'est  fort,  chrétiens,  que  par  notre  lâche  condescen- 
dance ;  et  si,  au  lieu  de  lui  tendre  les  mains  volontairement, 
nous  avions  soin  de  les  fortifier  par  les  armes  que  Jésus 
notre  Maître  nous  a  données,  ce  loup  affamé  avec  sa  rage  et 
ses  artifices  n'aurait  qu'une  fureur  inutile.  Et  pour  vous  dire 
des  choses  convenables  au  temps  où  nous  sommes,  le  jeûne, 
mes  frères,  le  jeûne  célébré  selon  l'intention  de  l'Eglise,  c'est 
un  rempart  invincible  contre  ses  attaques. 

Vous  me  direz  peut-être  que  c'est  dans  le  jeûne  qu'il  pré- 
sente le  combat  au  Sauveur  avec  une  plus  grande  furie.  Mais 
prenez  garde,  mes  frères  :  si  c'est  dans  le  jeûne  que  cet  ennemi 
fait  ses  efforts  les  plus  redoutables,  c'est  aussi  dans  le  jeûne 
que  Jésus  notre  capitaine  a  daigné  nous  faire  paraître  sa 
victoire  la  plus  glorieuse  :  pour  nous  apprendre,  par  son 
exemple,  que  ce  sera  toujours  en  vain  que  le  diable  entre- 
prendra contre  nous,  quand  nous  serons  armés  par  le  jeûne 
et  par  l'abstinence. 

Et  pour  vous  en  convaincre  davantage,  remettez,  s'il  vous 
plaît,  en  votre  mémoire,  ce  que  je  vous  disais  tout  à  l'heure, 
que  c'est  une  envie  furieuse  qui  enfiamme  les  démons  contre 
nous.  Ils  voient  qu'étant  leurs  inférieurs  [)ar  nature,  nous  les 
passons  de  beaucoup  par  la  grâce  ;  ils  ne  sauraient  considérer, 
sans  un  déplaisir  extrême,  que  dans  des  membres  mortels 
nous  puissions  par  la  miséricorde  divine  approcher  de  la 
pureté  des  substances  incorporelles.  Et  comme  ce  qui  élève 
les  bons  chrétiens  presque  à  l'égalité  des  saints  anges,  c'est 
que,  dédaignant  le  commerce  du  corps,  ils  conversent  en 
esprit  dans  le  ciel,  ces  malins  et  ces  envieux  n(î  tâchent  qu'à 
les  abîmer  dans  la  chair,  afin  d'en  faire  des  bctes  brutes  ;  ;iu 

a.  I  Peu:,  v,  8.  —  b.Jac,  IV,  J.  —  Ms.  t  dit  le  même  s.  Pierre.  »  (Distraction.) 


358  '  SUR  LES  DÉMONS. 


lieu  qu'en  s'élevant  au-dessus  de  cette  masse  du  corps, 
ils  entrent  en  société  avec  les  intelligences  célestes.  C'est 
pourquoi  la  sainte  Église  de  Dieu,  voulant  purifier  nos  âmes 
de  l'attachement  excessif  qu'elles  ont  au  corps,  nous  ordonne 
une  salutaire  abstinence.  Ce  que  nous  perdons  pour  la  chair, 
nous  le  gagnons  pour  l'esprit.  Le  jeûne  fortifie  et  engraisse 
l'àme  ;  et  autant  que  nous  assujettissons  nos  corps  par  la 
mortification  et  la  pénitence,  autant  diminuons-nous  les  forces 
de  notre  irréconciliable  ennemi. 

Par  conséquent, mes  frères,  embrassons  avec  grand  courage 
cette  pénitence  de  quarante  jours  pour  les  péchés  de  toute 
l'année.  Certes,  puisque  nous  offensons  tous  les  jours,  aucun 
moment  de  notre  vie  ne  devrait  être  exempt  de  l'exercice  de 
la  pénitence.  Mais  puisque  la  sainte  Eglise  a  choisi  particu- 
lièrement ce  temps  pour  nous  recueillir  en  nous-mêmes, 
faisons  pénitence  sans  murmurer.  Ne  nous  plaignons  pas  des 
incommodités  du  carême.  C'est  par  la  mortification  et  la 
patience,  et  non  pas  par  les  voluptés  et  par  les  délices,  que 
nous  désarmerons  et  le  diable  et  ses  satellites.  Et  que  ne 
dirai-je  donc  point  de  ces  délicats,  à  qui  la  moindre  peine 
fait  tomber  incontinent  le  courage  ;  qui  par  des  excuses  fri- 
voles méprisent  l'observation  d'un  jeûne  si  universel,  ou 
bien  qui  vivent  de  sorte  que  s'ils  jeûnent  de  corps,  ils  abhor- 
rent le  jeûne  en  esprit  ? 

O  ignorance  !  ô  brutalité  !  Dieu  par  sa  miséricorde,  mes 
frères,  nous  donne  de  meilleurs  sentiments!  Jeûnons  et  d'es- 
prit et  de  corps.  Comme  nous  ôtons  pour  un  temps  à  notre 
corps  sa  nourriture  ordinaire,  ôtons  aussi  à  notre  âme  les 
vanités  dont  nous  la  repaissons  tous  les  jours  :  retirons-nous 
un  peu  des  conversations  et  des  divertissements  mondains  : 
modérons  et  nos  ris  et  nos  jeux.  C'est  là  le  vrai  jeûne  de 
l'âme,  qui  lui  fait  trouver  une  nourriture  solide  dans  la  médi- 
tation des  choses  célestes.  Sanctifions  le  jeûne  par  l'oraison, 
purifions  l'oraison  par  le  jeûne.  L'oraison  est  plus  pure  qui 
vient  d'un  corps  exténué  et  d'une  âme  dégoûtée  des  plaisirs 
sensibles.  Ainsi  nous  serons  terribles  aux  diables.  Voyez  les 
petits  enfants  :  quand  il  leur  parait  quelque  chose  qui  leur 
semble  hideux  et  terrible,  aussitôt  ils  se  cachent  au  sein  de 


SUR  LES  DÉMONS. 


359 


leur  mère.  Ainsi  considérons,  chrétiens,  cette  bête  farouche 
qui  nous  menace  ;  jetons-nous  par  l'oraison  entre  les  bras 
de  notre  bon  Père  :  nous  serons  à  couvert  et  en  assurance. 
Nous  verrons  notre  ancien  ennemi  consumer  sa  rage  par  de 
vains  efforts  ;  et  soulevés  sur  ces  deux  ailes  du  jeûne  et  de 
l'oraison,  que  nous  soutiendrons  par  l'aumône,  au  lieu  de 
succomber  aux  attaques  des  esprits  rebelles  et  dévoyés,  nous 
irons  remplir  les  places  qu'ils  ont  laissées  vacantes  au  ciel 
par  leur  infâme  désertion.  Dieu  nous  en  fasse  la  grâce  !  Amen. 


^^,  -0.,  ^^.  ^^.  ^S.  ^.  ^^  :^Ô^  ^^  ■^.  ^S.  ■■'^.  ■■'^.  ■■'^,  ■^.  '^.  -^ 


Sur    la    RECONCILIATION  (■), 

V^  dimanche  après  la  Pentecôte,  1653. 


w 

'^ 


Encore  une  simple  exhortation,  prononcée  dans  la  chapelle  des 
Sœurs  de  la  Propagation,  de  Metz.  Bossuet  n'en  a  pas  tenu  compte 
dans  ses  sommaires.  Toutefois  on  y  trouvera  quelque  intérêt.  C'est 
pour  cela,  sans  doute,  que  Lâchât  croyait  reconnaître  ici  les  carac- 
tères de  la  seconde  époque,  et  assignait  cet  opuscule  à  l'année  1661. 
D'autres  éditeurs  le  retardent  jusqu'en  i664.{Édit.  Guérin,  1870). 
Le  manuscrit  nous  reporte  à  une  date  bien  plus  reculée;  il  nous  oblige, 
par  tous  ses  caractères  archaïques,  notamment  par  l'orthographe,  à 
ne  point  franchir  l'année  1653.  L'œuvre  est  inachevée. 


Si  offers  viuiius  itiiini  ad  al  tare  ^  et 
ibi  recordatus  ftieris  quia  f rater  tuiis 
habet  aliquid  adversum  te,  relinqiie 
ibi  7nunus  tiiuvi  a7ite  aliarc^  et  vade 
priîis  reconciliari  fratri  tuo^  et  tune 
veniens  offeres  vmnus  tuu7n. 

(Matth.,  V,  23-24.) 

C"^  ERTES  la  doctrine  du  Sauveur  Jésus  est  accom- 
•  pagnée  d'une  merveilleuse  douceur,  et  toutes  ses 
paroles  sont  pleines  d'un  sentiment  d'humanité  extraordi- 
naire; mais  le  tendre  amour  qu'il  a  pour  notre  nature,  ne 
paraît  en  aucun  lieu  plus  évidemment  que  dans  les  différents 
préceptes  qu'il  nous  donne  dans  son  Évangile  pour  entrete- 
nir inviolablement  parmi  nous  le  lien  de  la  charité  fraternelle. 
Il  voyait  avec  combien  de  fureur  les  hommes  s'arment  contre 
leurs  semblables;  que  des  haines  furieuses  et  des  aversions 
implacables  divisent  les  peuples  et  les  nations;  que  parce  que 
nous  sommes  séparés  par  quelques  fleuves  ou  par  quelques 
montagnes,  nous  semblons  avoir  oublié  que  nous  avons  une 
même  nature  :  ce  qui  excite  parmi  nous  des  guerres  et  des 
dissensions  immortelles,  avec  une  horrible  désolation  et  une 
effusion  cruelle  du  sang  humain. 

Pour  calmer  ces  mouvements  farouches  et  inhumains , 
Jésus  nous  ramène  à  notre  origine;  il  tâche  de  réveiller  en 
nos  âmes  ce  sentiment  de  tendre  compassion  que  la  nature 

I,  Mss.  12824,  ^-  218-225.  i^^ti^  ^""f">  "o^^  paginé. 


SUR  LA  RÉCONCILIATION.  36 1 

nous  donne  pour  tous  nos  semblables,  quand  nous  les  voyons 
affligés.  Par  où  il  nous  fait  voir  qu'un  homme  ne  peut  être 
étranger  à  un  homme;  et  que  si  nous  n'avions  perverti  les 
inclinations  naturelles,  il  nous  serait  aisé  de  sentir  que  nous 
nous  touchons  de  bien  près.  Il  nous  enseigne  que  «  devant 
Dieu,  il  n'y  a  ni  Barbare,  ni  Grec,  ni  Romain,  ni  Scythe  (''),  » 
et,  fortifiant  les  sentiments  de  la  nature  par  des  considéra- 
tions plus  puissantes,  il  nous  apprend  que  nous  avons  tous 
une  même  cité  dans  le  ciel,  et  une  même  société  sur  la  terre; 
et  que  nous  sommes  tous  ensemble  une  même  nation  et  un 
même  peuple,  qui  devons  vivre  dans  les  mêmes  mœurs, 
selon  l'Evangile,  et  sous  un  même  monarque  qui  est  Dieu, 
et  sous  un  même  législateur  qui  est  Jésus-Christ. 

Mais  d'autant  que  la  discorde  et  la  haine  n'anime  pas 
seulement  les  peuples  contre  les  peuples,  mais  qu'elle  divise 
encore  les  concitoyens,  qu'elle  désole  même  les  familles,  en 
sorte  qu'il  passe  pour  miracle  parmi  les  hommes,  quand  on 
voit  deux  personnes  vraiment  amies,  et  que  nous  nous  sommes 
non  seulement  ennemis,  mais  loups  et  tigres  les  uns  aux 
autres  :  combien  emploie-t-il  de  raisons  pour  nous  apaiser  et 
pour  nous  unir?  avec  quelle  force  ne  nous  presse-t-il  pas  à 
vivre  en  amis  et  en  frères!  Et  sachant  combien  est  puissant 
parmi  nous  le  motif  de  la  religion,  il  la  fait  intervenir  à  la 
réconciliation  du  genre  humain  :  il  nous  lie  entre  nous  par 
le  même  nœud  par  lequel  nous  tenons  à  Dieu;  et  il  pose 
pour  maxime  fondamentale  que  la  religion  ne  consiste  pas 
seulement  à  honorer  Dieu,  mais  encore  à  aimer  les  hommes. 
Est-il  rien  de  plus  pressant  pour  nous  enflammer  à  une  affec- 
tion mutuelle?  et  ne  devons-nous  pas  louer  Dieu  de  nous 
avoir  élevés  dans  une  école  si  douce  et  sous  une  institution 
si  humaine? 

Mais  il  passe  bien  plus  avant.  Les  injures  que  l'on  nous 
fait,  chères  sœurs,  nous  fâchent  excessivement  :  la  douleur 
allume  la  colère;  la  colère  pousse  à  la  vengeance;  le  désir  de 
vengeance  nourrit  des  inimitiés  irréconciliables.  De  là  les 
querelles  et  les  procès,  de  là  les  médisances  et  les  calomnies, 
de  là  les  guerres  et  les  combats,  de  là  presque  tous  les  m.il- 
a.  Coloss.,  m,  11. 


362  SUR  LA  RÉCONCILIATION. 

heurs  qui  agitent  la  vie  humaine.  Pour  couper  la  racine  de 
tant  de  maux,  je  veux,  dit  notre  aimable  Sauveur,  je  veux 
que  vous  chérissiez  cordialement  vos  semblables;  j'entends 
que  votre  amitié  soit  si  ferme,  qu'elle  ne  puisse  être  ébranlée 
par  aucune  injure.  Si  quelque  téméraire  veut  rompre  la  sainte 
alliance  que  je  viens  établir  parmi  vous,  que  le  nœud  en  soit 
toujours  ferme  de  votre  part;  il  faut  que  l'amour  de  la  con- 
corde soit  gravé  si  profondément  dans  vos  cœurs  que  vous 
tâchiez  de  retenir  même  ceux  qui  se  voudront  séparer.  Flé- 
chissez vos  ennemis  par  douceur,  plutôt  que  de  les  repousser 
avec  violence;  modérez  leurs  transports  injustes,  plutôt  que 
de  vous  en  rendre  les  imitateurs  et  les  compagnons. 

Et  en  effet,  mes  sœurs,  si  l'orgueil  et  l'indocilité  de  notre 
nature  pouvait  permettre  que  de  si  saintes  maximes  eussent 
quelque  vogue  parmi  les  hommes  ;  qui  ne  voit  que  cette 
modération  dompterait  les  humeurs  les  plus  altières  ?  Les 
courages  les  plus  fiers  seraient  contraints  de  rendre  les 
armes,  et  les  âmes  les  plus  outrées  perdraient  toute  leur 
amertume.  Le  nom  d'inimitié  ne  serait  presque  pas  connu 
sur  la  terre.  Si  quelqu'un  persécutait  ses  semblables,  tout  le 
monde  (')  le  regarderait  comme  une  bête  farouche  ;  et  il  n'y 
aurait  plus  que  les  furieux  et  les  insensés  qui  pussent  se 
faire  des  ennemis.  O  sainte  doctrine  de  l'Evangile,  qui  ferait 
régner  parmi  nous  une  paix  si  tranquille  et  si  assurée,  si  peu 
que  nous  la  voulussions  écouter!  qui  ne  désirerait  qu'elle  fût 
reçue  par  toute  la  terre  avec  les  applaudissements  qu'elle 
mérite  ? 

La  philosophie  avait  bien  tâché  de  jeter  quelques  fonde- 
ments de  cette  doctrine;  elle  avait  bien  montré  qu'il  était 
quelquefois  honorable  de  pardonner  à  ses  ennemis  ;  elle  a 
mis  la  clémence  parmi  les  vertus  :  mais  ce  n'était  pas  une 
vertu  populaire,  elle  n'appartenait  qu'aux  victorieux.  On 
leur  avait  bien  persuadé  qu'ils  devaient  faire  gloire  d'oublier 
les  injures  de  leurs  ennemis  désarmés;  mais  le  monde  ne  sa- 
vait pas  encore  qu'il  était  beau  de  leur  pardonner,  avant 
même  que  de  les  avoir  abattus.  Notre  Maître  miséricordieux 
s'était  réservé  de   nous  enseigner  une  doctrine  si  humaine 

I.   Var.  s'élèverait  contre  lui  comme  contre  une  bête  farouche. 


SUR  LA  RÉCONCILIATION.  363 


et  si  salutaîre.  C'était  à  lui  de  nous  faire  paraître  ce  grand 
triomphe  de  la  charité,  et  de  faire  que  ni  les  injures  ni  les 
opprobres  ne  pussent  jamais  altérer  la  candeur  ni  la  cordialité 
de  la  société  fraternelle.  C'est  ce  qu'il  nous  fait  remarquer 
dans  notre  évangile,  avec  des  paroles  si  douces  qu'elles 
peuvent  charmer  les  âmes  les  plus  féroces  :  «  Quitte  l'autel, 
dit-il,  pour  te  réconcilier  à  ton  frère.  » 

Et  quel  est  ce  précepte,  ô  Sauveur  Jésus  ?  et  comment 
nous  ordonnez-vous  de  laisser  le  service  de  Dieu,  pour  nous 
acquitter  de  devoirs  humains?  Est-il  donc  bienséant  de 
quitter  le  Créateur  pour  la  créature  ?  Cela  semble  bien 
étrange,  mes  sœurs  ;  cependant  c'est  ce  qu'ordonne  le  Fils 
de  Dieu.  Il  ordonne  que  nous  quittions  même  le  service 
divin,  pour  nous  réconcilier  à  nos  frères  ;  il  veut  que  nos 
ennemis  nous  soient  en  quelque  sorte  plus  chers  que  ses 
propres  autels,  et  que  nous  allions  à  eux  avant  que  de  nous 
présenter  à  son  Père  ;  comme  si  c'était  une  affaire  plus  im- 
portante. N'est-ce  pas  pour  nous  enseigner,  chères  sœurs, 
que  devant  lui  il  n'est  rien  de  plus  précieux  que  la  charité 
et  la  paix  ;  qu'il  aime  si  fort  les  hommes,  qu'il  ne  peut  souffrir 
qu'ils  soient  en  querelle  ;  que  Dieu  considère  la  charité  fra- 
ternelle comme  une  partie  de  son  culte  ;  et  que  nous  ne  sau- 
rions lui  apporter  de  présent  qui  soit  plus  agréable  à  ses 
yeux,  qu'un  cœur  paisible  et  sans  fiel,  et  une  âme  saintement 
réconciliée  ?  C'est  ce  que  je  traiterai  aujourd'hui  avec  l'assis- 
tance divine  ;  et  j'en  tirerai  deux  raisons  du  texte  de  mon 
évangile.  Notre-Seigneur  nous  ordonne  de  nous  réconcilier, 
avant  que  d'offrir  notre  présent  à  l'autel  :  c'est  de  ce  présent 
et  de  cet  autel,  que  je  formerai  mon  raisonnement  ;  et  je 
tâcherai  de  vous  faire  voir  que  ni  le  présent  qu'offrent  les 
chrétiens,  ni  l'autel  duquel  ils  s'approchent,  ne  souffrent  que 
des  esprits  vraiment  réconcilies  :  ce  seront  les  deux  points  de 
cette  exhortation  ('). 

I,  Bossuet  ajoute  ici  sur  son  manuscrit  un  texte  de  saint  Jean  Chr\'sostomc, 
que  les  premiers  éditeurs  ont  traduit  et  intercalé  un  peu  plus  haut  : 

«  S.  Jean  Chrysost.,  hom.  xvi  :  O  ineffabiletn  crj^a  homines  amorcm  Dci .'  Ho- 
7iore?n  siiufn  despicU,  ditm  in  proxinio  charitatan  ri'quitit.  Interntttipatur^ 
inquit^  cultiis  yneus^  ut  charitas  tua  intcQ^retur  ;  sacn'Jïcium  tnihi  est  f rat  ru  m 
reconciliatio. 

<i  DiniHtc  tiobis  itcbita  nostra.'^    Xcc  Piitcr  lihentcr  cxaudit  orationcm  quatn 


;64  SUR  LA  RÉCONCILIATION. 


PREMIER    POINT. 

Quand  je  parle  des  présents  que  les  fidèles  doivent  offrira 
Dieu,  ne  croyez  pas,  mes  sœurs,  que  je  parle  des  animaux 
égorgés  qu'on  lui  présentait  autrefois  devant  ses  autels.  Pen- 
dant que  les  enfants  d'Aaron  exerçaient  le  sacerdoce  qu'ils 
avaient  reçu  par  succession  de  leur  père,  les  Juifs  apportaient 
à  Dieu  des  offrandes  terrestres  et  corporelles  :  on  chargeait 
ses  autels  d'agneaux  et  de  bœufs,  d'encens  et  de  parfums,  et 
de  plusieurs  autres  choses  semblables.  Mais  comme  nous 
offrons  dans  un  temple  plus  excellent,  sur  un  autel  plus  divin, 
et  que  nous  avons  un  pontife  duquel  le  sacerdoce  légal  n'était 
qu'une  figure  imparfaite,  aussi  faisons-nous  à  Dieu  de  plus 
saintes  oblations.  Nous  venons  avec  des  vœux  pieux  et  des 
prières  respectueuses,  et  de  (')  sincères  actions  de  grâces,  lou- 
ant ('')  et  célébrant  la  munificence  divine,  par  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  notre  sacrificateur  et  notre  victime.  Ce  sont 
les  oblations  que  nous  apportons  tous  dans  la  nouvelle  al- 
liance. Nous  honorons  Dieu  par  ce  sacrifice,  et  c'est  de  cet 
encens  que  nous  parfumons  ses  autels  ;  et  afin  que  nous 
puissions  faire  de  telles  offrandes,  Jésus,  notre  grand  sacrifi- 
cateur, nous  a  rendus  participants  de  son  sacerdoce  :  «  Il  nous 
a  faits  rois  et  sacrificateurs  à  notre  Dieu,  »  dit  l'apôtre  saint 
Jean  dans  l'Apocalypse.  Mais  puisque  ce  sacerdoce  est  spi- 
rituel, il  ne  faut  pas  s'étonner  si  notre  oblation  est  spirituelle  : 
c'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Pierre  dit  que  «  nous  offrons 
des  victimes  spirituelles,  acceptables  par  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  ('').  »  C'est  là  ce  sacrifice  de  cœur  contrit,  sacri- 
fice de  louange  et  de  joie,  sacrifice  d'oraison  et  d'actions  de 
grâces,  dont  il  est  parlé  tant  de  fois  dans  les  Ecritures  ;  c'est 
le  présent  que  nous  devons  à  notre  grand  Dieu  :  et  je  dis 
qu'il  ne  lui  peut  plaire,  s'il  ne  lui  est  offert  par  la  charité  fra- 
ternelle. Sans  elle,  il  ne  reçoit  rien;  et  par  elle,  il  reçoit  toutes 

a.  I  Petr.^  Il,  5. 

Filius  non  dictavit.  Cognoscit  eniin  Pater  Filii  sut  sensus  et  verba;  7tec  suscipit 
quœ  usurpatio  htwiana  excogitavit^  sed  quœ  sapientia  Christi  exposuit.  {Oper. 
imperf.  iji  Matth.^  hom.  XIV,  inter  opéra  S.  Chrysost.) 

1.  Ms.  des  sincères...  (Distraction,  à  ce  qu'il  semble.) 

2.  Ms.  «  loiians  et  celebrans  la  munificence...  »  Voy.  Remarques  sur  la  gram- 
maire^ etc.,  à  la  fin  de  l'Introduction. 


SUR  LA  RÉCONCILIATION.  ^6^ 


choses.  La  charité  est  comme  la  main  qui  lui  présente  nos 
oraisons  ;  et  comme  il  n'y  a  que  cette  main  qui  lui  plaise, 
tout  ce  qui  vient  d'autre  part  ne  lui  agrée  pas. 

Et  pour  le  prouver  par  des  raisons  invincibles,  je  considère 
trois  choses  dans  nos  oraisons,  qui  toutes  trois  ne  peuvent 
être  sans  la  charité  pour  nos  frères  :  le  principe  de  nos  prières, 
ceux  pour  qui  nous  prions,  celui  à  qui  nos  prières  s'adressent. 
Quant  au  principe  de  nos  oraisons,  vous  savez  bien,  mes 
sœurs,  qu'elles  ne  viennent  pas  de  nous-mêmes  :  les  prières 
des  chrétiens  ont  une  source  bien  plus  divine.  «  Que  pou- 
vons-nous de  nous-mêmes,  sinon  le  mensonge  et  le  péché,  » 
dit  le  saint  concile  d'Orange  ('')  ?  Le  plus  dangereux  effet 
de  nos  maladies,  c'est  que  nous  ne  savons  pas  même 
demander  comme  il  faut  l'assistance  du  Médecin  :  «  Nous 
'ne  savons,  dit  l'apôtre  saint  Paul  ('''),  comment  il  nous  faut 
demander.  » 

Eh  !  misérables  que  nous  sommes,  qui  nous  tirera  de  cet 
abîme  de  maux,  puisque  nous  ne  savons  pas  implorer  le  se- 
cours du  Libérateur  .'^  Ah!  dit  l'Apôtre  ('),  «l'Esprit  aide 
nos  infirmités.  »  Et  comment  ?  «  C'est  qu'il  prie  pour  nous, 
dit  saint  Paul,  avec  des  gémissements  incroyables.  »  Eh  quoi! 
mes  sœurs,  cet  Esprit  qui  est  appelé  notre  Paraclet,  c'est-à- 
dire  Consolateur,  a-t-il  lui-même  besoin  de  consolateur.'*  Que 
s'il  n'a  pas  besoin  de  consolateur,  comment  est-ce  que 
l'Apôtre  nous  le  représente  priant  et  gémissant  avec  des  gé- 
missements incroyables  ?  C'est  que  c'est  lui  qui  fait  en  nous 
nos  prières  ;  c'est  lui  qui  enflamme  nos  espérances  ;  c'est  lui 
qui  nous  inspire  les  chastes  désirs;  c'est  lui  qui  forme  en  nos 
cœurs  ces  pieux  et  salutaires  gémissements  qui  attirent  sur 
nous  la  miséricorde  divine.  Nous  retirons  ce  bonheur  de 
notre  propre  misère  que,  ne  pouvant  prier  par  nous-mêmes, 
le  Saint-Esprit  daigne  prier  en  nous,  et  forme  lui-même  nos 
oraisons  en  nos  âmes.  De  là  vient  que  le  grave  Tertullien  {') 
parlant  des  prières  des  chrétiens  :  «  Nous  offrons  à  Dieu, 
dit-il,  une  oraison  qui  vient  d'une  conscience  innocente,  et 
d'une  chair  pudique,  et  du  Saint-Esprit,  »    (ù  carne  pudica, 

a.  Concil.  Arausic,  H,  can.  xxu.  —  à.  /\(Wt.,  viii,  26.  —  c.  Ibid. 
I.  Ms.  Terlullian. 


366  SUR  LA  RÉCONCILIATION. 


de  aniiNa  innocaiti,  de  Spiritii  sando profectami^).  Ce  serait 
peu  que  la  conscience  pure  et  que  la  chair  pudique,  s'il  n'y 
ajoutait,  pour  comble  de  perfection,  qu'elle  vient  de  l'Esprit 
de  Dieu. 

En  effet,  nos  oraisons,  ce  sont  des  parfums  ;  et  les  par- 
fums ne  peuvent  monter  au  ciel,  si  une  chaleur  pénétrante 
ne  les  tourne  en  vapeur  subtile,  et  ne  les  porte  elle-même 
par  sa  vigueur.  Ainsi  nos  oraisons  seraient  trop  pesantes  et 
trop  terrestres,  venant  de  personnes  si  sensuelles,  si  ce  feu 
divin,  je  veux  dire  le  Saint-Esprit,  ne  les  purifiait  et  ne  les 
élevait.  Le  Saint-Esprit  est  le  sceau  de  Dieu,  qui,  étant  ap- 
pliqué à  nos  oraisons,  les  rend  agréables  à  sa  majesté.  Car 
c'est  une  chose  assurée  :  que  nous  ne  pouvons  prier,  sinon 
par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  «  Il  n'y  a  point  d'autre 
nom  [sous  le  ciel,  donné  aux  hommes,  en  qui  nous  devions 
être  sauvés  (^)].  »  D'ailleurs  il  n'est  pas  moins  vrai  que  «  nous 
ne  pouvons  pas  même  nommer  le  Seigneur  Jésus,  sinon  dans 
le  Saint-Esprit  (^)  ;  »  et  si  nous  ne  pouvons  nommer  (') 
[Jésus  sinon  dans  le  Saint-Esprit],  à  plus  forte  raison  prier  au 
nom  de  Jésus  :  donc  nos  prières  sont  nulles,  si  elles  ne 
naissent  du  Saint-Esprit. 

Examinons  maintenant  quel  est  cet  Esprit.  C'est  lui  qui 
est  appelé  le  Dieu  charité  (^).  »  C'est  lui  qui  lie  le  Père  et 
le  Fils;  c'est  lui  qui  se  répandant  sur  les  hommes,  les  lie 
et  les  attache  à  Dieu  par  un  nœud  sacré  :  c'est  lui  qui  nous 
lie  les  uns  avec  les  autres  ;  c'est  lui  qui,  par  une  opération 
vivifiante,  nous  fait  frères  et  membres  du  même  corps. 
Osculum  Patris  et  Filii  {')...  Que  si  c'est  cet  Esprit  qui 
opère  en  nos  âmes  la  charité,  celui-là  ne  prie  pas  par  le 
Saint-Esprit,  qui  a  rompu  l'union  fraternelle,  et  qui  ne  prie 
pas  en  paix  et  en  charité.  C'est  toi  (^)  qui  empoisonnes 
ton  cœur  par  des  inimitiés  irréconciliables  :  n'as-tu  rien  à 
demander  à  Dieu?  Et  si  tu  le  veux  demander,  ne  faut-il  pas 

a.  Apolog.^  n.  30.  —  b.  Act.^  iv,  12.  —  c.\  Cor.^  xii,  3,  —  ci.  \  Joan.^  IV,  8,  16. 
—  e.  S.  Bernard.,  de  divers.^  serm.  LXXXix,  n.  \.  In  Cantic.  serm.  Vili. 

1.  Ms.  «  nommer  etc.  » 

2.  Telle  est  la  leçon  du  manuscrit.  Les  éditeurs  supposent  une  inadvertance, 
et  corrigent  :  Et  toi  qui...  Cette  correction  est  plausible  :  il  n'est  pas  toutefois 
évident  qu'elle  soit  absolument  nécessaire. 


SUR  LA  RÉCONCILIATION.  367 

que  tu  le  demandes  par  l'esprit  du  christianisme  ?  Et  ne 
sais-tu  pas  que  l'esprit  du  christianisme  est  le  Saint-Esprit  ? 
D'ailleurs,  ignores-tu  que  le  Saint-Esprit  n'agit  et  n'opère 
que  par  charité  ?  Que  si  tu  méprises  la  charité,  tu  ne  veux 
donc  pas  prier  par  le  Saint-Esprit  ?  Et  si  tu  ne  veux  pas 
prier  par  le  Saint-Esprit,  au  nom  de  qui  prieras-tu  ?  par 
quelle  autorité  te  présenteras-tu  à  la  majesté  divine  ?  Sera-ce 
par  tes  propres  mérites  ?  Mais  tes  propres  mérites,  c'est  la 
damnation  et  l'enfer.  Choisiras-tu  quelque  autre  patron,  qui 
par  son  propre  crédit  te  rende  l'accès  favorable  au  Père.-^  Ne 
sais-tu  pas  que  tu  ne  peux  aborder  au  trône  de  la  miséricorde, 
sinon  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ('')  ;  et  que  «  tu  ne 
peux  pas  même  nommer  le  Seigneur  Jésus,  sinon  dans  le 
Saint-Esprit  {^)  ?  »  Quiconque  pense  invoquer  Dieu  en  un 
autre  nom  qu'en  celui  de  Notre-Seigneur  Jésus-Ciirist, 
sa  prière  lui  tourne  à  damnation. 

Prions  donc  en  charité,  chères  sœurs,  puisque  nous  prions 
par  le  Saint-Esprit  :  prions  avec  nos  frères,  prions  pour  nos 
frères  ;  et  quoiqu'ils  veuillent  rompre  avec  nous,  gardons-leur 
toujours  un  cœur  fraternel,  par  la  grâce  du  Saint-Esprit. 
Songeons  que  Notre-Seigneur  Jésus  ne  nous  a  pas,  si  je 
l'ose  dire,  enseigné  à  prier  en  particulier  ;  il  nous  a  appris  à 
prier  en  corps.  «  Notre  Père  qui  êtes  aux  cieux  ('),  »  disons- 
nous  :  cette  prière  se  fait  au  nom  de  plusieurs.  Nous  devons 
croire,  quand  nous  prions  de  la  sorte,  que  toute  la  société 
de  nos  frères  prie  avec  nous.  C'est  de  quoi  se  glorifiaient  les 
premiers  fidèles  :  «  Nous  venons,  disait  Tertullien,  à  Dieu 
comme  en  troupe  :  »  Quasi  manu  facta  anibinius  ;  «  cette 
force,  cette  violence  que  nous  lui  faisons,  lui  est  agréable  :» 
hœc  vis  Deo  grata  est  ('').  Voyez,  mes  sœurs,  que  les 
prières  des  frères,  c'est-à-dire,  les  prières  de  la  charité  et 
de  l'unité,  forcent  Dieu  à  nous  accorder  nos  demandes. 
Écoutez  ce  qui  est  dit  dans  les  Actes  :  «  Tous  ensemble 
unanimement  ils  levèrent  la  voix  à  Dieu  ('').  »  Et  quel  fut 
l'événement  de  cette  prière  ?  «  Le  lieu  oii  ils  étaient  assem- 
blés  trembla,   et   ils  furent  remplis   du    Saint-Esprit  (^).  "% 

a.  Hebr.y  IV,  16.  —  b.  I  Cor.,  xn,  3.  —  c.  Matth.,  vi,  9.  —  d.  Apolog.^  n.  39. 
—  e.  Ac/.,  IV,  24.  —  /.  /âû/.,  31. 


368  SUR  LA  RÉCONCILIATION. 


Voilà  Dieu  forcé  par  la  prière  des  frères  :  parce  qu'ils  prient 
ensemble,  il  est  comme  contraint  de  donner  un  signe  visible 
que  cette  prière  lui  plaît  :  Hœc  vis  Deo  grata  est.  Nous  nous 
plaignons  quelquefois  que  nos  prières  ne  sont  pas  exaucées  : 
voulons-nous  forcer  Dieu,  chrétiens  ?  unissons-nous  et  prions 
ensemble. 

Mais,  quand  je  parle  de  prier  ensemble,  songeons  que  ce 
qui  nous  assemble,  ce  n'est  pas  ce  que  nous  sommes  enclos 
dans  les  murailles  du  même  temple,  ni  ce  que  nous  avons 
tous  les  yeux  arrêtés  sur  le  même  autel.  Non,  non,  nous 
avons  des  liens  plus  étroits.  Ce  qui  nous  associe,  c'est  la 
charité.  Chrétiens,  si  vous  avez  quelque  haine,  considérez 
celui  que  vous  haïssez.  Voulez-vous  prier  avec  lui  ?  Si  vous 
ne  le  voulez  pas,  vous  ne  voulez  pas  prier  en  fidèle;  car  prier 
en  fidèle,  c'est  prier  par  le  Saint-Esprit  :  et  comme  c'est  le 
même  Esprit  qui  est  en  nous  tous,  comme  c'est  lui  qui  nous 
associe,  il  faut  que  nous  priions  en  société.  Que  si  vous 
voulez  bien  prier  avec  lui,  comment  est-ce  que  vous  le 
haïssez  ?  N'avons-nous  pas  prouvé  clairement  que  c'est  la 
charité  qui  nous  met  (')  ensemble  ?  Sans  elle,  il  n'y  a  point  de 
concorde  ;  sans  elle,  il  n'y  a  point  d'unité.  Vous  ne  pouvez 
donc  prier  avec  vos  frères  que  par  charité  ;  et  si  vous  les 
haïssez,  comment  priez-vous  en  charité  avec  eux  } 

Vous  me  direz  peut-être  que  votre  haine  est  restreinte  à 
un  seul,  et  que  vous  aimez  cordialement  tous  les  autres.  Mais 
considérez  que  la  charité  n'a  point  de  réserve  :  comme  elle 
vient  du  Saint-Esprit,  qui  se  plaît  à  se  répandre  sur  tous  les 
fidèles,  aussi  la  charité,  comme  étant  une  onction  divine, 
s'étend  abondamment,  et  se  communique  avec  une  grande 
profusion.  Quand  il  n'y  aurait  qu'un  chaînon  brisé,  la 
chaîne  (^)  est  entièrement  désunie,  et  la  communication  est 
interrompue.  Vivons  donc  en  charité  avec  tous,  afin  de  prier 
en  charité  avec  tous  :  croyons  que  c'est  cette  charité  qui 
force  Dieu  d'accorder  les  grâces  ;  et  que  si  elle  ne  nous  intro- 
duit près  de  lui,  il  est  inaccessible  et  inexorable. 

Mais  ce  n'est  pas  assez  de  prier  avec  tous  nos  frères,  il 
faut  encore  prier  Dieu  pour  tous  nos  frères.  La  forme  nous 

I.  Sic.  —  2.  Edit.  la  charité.  (Faute  de  lecture.) 


SUR  LA  RÉCONCILIATION.  369 


en  est  donnée  par  l'Oraison  dominicale,  en  laquelle  nous  ne 
demandons  rien  pour  nous  seuls,  mais  nous  prions  généra- 
lement pour  les  nécessités  de  tous  les  fidèles.  En  vain  prie- 
rions-nous avec  eux,  si  nous  ne  priions  ainsi  pour  eux.  Car 
de  même  que  nous  ne  pouvons  exclure  personne  de  notre 
charité,  aussi  ne  nous  est-il  pas  permis  de  les  exclure  de  nos 
prières.  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Paul,  dans  la  première 
à  Timothée  :  Pro  regibus  et  (')  omnibus  qui  in  subliniitate 
sunt  :  pour  toutes  les  conditions  et  tous  les  états  ;  /loc  enini 
bonum  (^)  est  et  acceptum  cormn  Salvatore  nostro  Deo  (f).  Que 
si  Dieu  a  une  si  grande  bonté  que  d'admettre  généralement 
tous  les  hommes  à  la  participation  de  ses  grâces,  s'il  em- 
brasse si  volontiers  tous  ceux  qui  se  présentent  à  lui  ;  quelle 
témérité  nous  serait-ce  de  rejeter  de  la  communion  de  nos 
prières  ceux  que  Dieu  reçoit  à  la   possession  de  ses  biens  ! 

Il  n'est  point  de  pareille  insolence,  que  lorsqu'un  serviteur 
se  mêle  de  restreindre  à  sa  fantaisie  les  libéralités  de  son 
maître.  Et  comment  est-ce  que  vous  observez  ce  que  vous 
demandez  à  Dieu  tous  les  jours,  «  que  sa  sainte  volonté  soit 
faite  (^')  .^  »  Car  puisque  sa  volonté  est  de  bienfaire  générale- 
ment à  tous  les  hommes,  si  vous  priez  qu'elle  soit  accomplie, 
vous  demandez  par  conséquent  que  tous  les  hommes  soient 
participants  de  ses  dons.  Il  est  donc  nécessaire  que  nous 
priions  Dieu  pour  toute  la  société  des  hommes,  et  particu- 
lièrement pour  tous  ceux  qui  sont  déjà  assemblés  dans 
l'Église,  parmi  lesquels  le  Eils  de  Dieu  veut  que  vous  com- 
preniez tous  vos  ennemis  et  tous  ceux  qui  vous  persécutent  : 
Orate pro persequentibus  vos  (^).  Que  si  vous  priez  pour  eux, 
ils  ne  peuvent  plus  être  vos  ennemis;  et  s'ils  sont  vos  enne- 
mis, vous  ne  pouvez  prier  pour  eux  comme  il  faut.  Ceux-là 
ne  peuvent  pas  être  vos  ennemis,  auxquels  vous  désirez  du 
bien  de  tout  votre  cœur  ;  et  ceux  pour  qui  vous  priez,  vous 
leur  désirez  du  bien  de  tout  votre  cœur. 

Certainement  puisque   vous  priez  Dieu,  qui  est  si  bon  et 
si  bienfaisant,  ce  n'est  que  pour  en  obtenir  quelque  bien  ;  et 

a.  1  yV///.,  II,  2,  3.  —  b.  .^fatih.,  vi,  10.  —  c.  Il'itL,  v,  44. 

1,  Ms.  Pro  rci^^ibus^  pro  principibus... 

2.  Ms.   Hoc  enim  est  gratiini.  —  Citations  simplement  indiquées. 

Sermons  de  Bossuet.  *^ 


370  SUR  LA  RÉCONCILIATION. 


comme  la  prière  n'est  pas  prière,  si  elle  ne  se  fait  de  toutes 
les  forces  de  l'âme,  vous  demandez  à  Dieu,  avec  ardeur,  qu'il 
fasse  du  bien  à  ceux  pour  lesquels  vous  lui  présentez  vos 
prières.  Encore  si  cette  demande  se  devait  faire  devant  les 
hommes,  vous  pourriez  dissimuler  vos  pensées,  et  sous  de 
belles  demandes  cacher  de  mauvaises  intentions  :  mais  par- 
lant à  celui  qui  lit  dans  vos  plus  secrètes  pensées,  qui  dé- 
couvre le  fond  de  votre  âme  plus  clairement  que  vous-mêmes, 
vous  ne  pouvez  démentir  vos  inclinations  ;  de  sorte  qu'il  est 
autant  impossible  que  vous  priiez  pour  ceux  que  vous  haïssez, 
qu'il  est  impossible  que  vous  aimiez  et  que  vous  désiriez 
sincèrement  du  bien  à  ceux  que  vous  haïssez.  Car  que  peut- 
on  désirer  plus  sincèrement  que  ce  qu'on  désire  en  la  pré- 
sence de  Dieu  ?  Et  comment  peut-on  leur  souhaiter  plus  de 
bien,  que  de  le  demander  instamment  à  celui  qui  seul  est 
capable  de  leur  donner  ?  Partant  si  vous  haïssez  quelqu'un, 
absolument  il  ne  se  peut  faire  que  vous  priiez  pour  lui  la 
Majesté  souveraine  ;  et  offrant  à  Dieu  une  oraison  si  évidem- 
ment contraire  à  ses  ordonnances  et  à  l'Esprit  qui  prie  en 
nous  et  par  nous,  vous  espérez  éviter  la  condamnation  de 
votre  témérité  ! 

O  Dieu  éternel,  quelle  indignité  !  On  prie  pour  les  Juifs, 
et  pour  les  idolâtres,  et  pour  les  pécheurs  les  plus  endurcis, 
et  pour  les  ennemis  les  plus  déclarés  de  Dieu  :  et  vous  ne 
voulez  pas  prier  pour  vos  ennemis  !  Certes,  c'est  une  extrême 
folie,  pendant  que  l'on  croit  obtenir  de  Dieu  le  pardon  de 
crimes  énormes,  qu'un  misérable  homme  fasse  le  difficile  et 
l'inexorable.  Quelque  estime  que  vous  ayez  de  vous-même, 
et  en  quelque  rang  que  vous  vous  mettiez,  l'offense  qui  se 
fait  contre  un  homme,  s'il  n'y  avait  que  son  intérêt,  ne  peut 
être  que  très  légère.  Cet  homme,  que  vous  excluez  de  vos 
prières,  l'Eglise  prie  pour  lui  ;  et  refusant  ainsi  de  commu- 
niquer aux  prières  de  toute  l'Eglise,  n'est-ce  pas  vous  excom- 
munier vous-mêmes  ?  Regardez  à  quel  excès  vous  emporte 
votre  haine  inconsidérée.  Vous  me  direz  que  vous  n'y  preniez 
pas  garde  ;  maintenant  donc  que  vous  le  voyez  très  évidem- 
ment, c'est  à  vous  de  vous  corriger. 

Ne  me  dites  pas  que  vous  priez  pour  tout  le  monde  :  car 


SUR  LA  RÉCONCILIATION.  37  I 

puisqu'il  est  certain  qu'il  n'y  a  que  la  seule  charité  qui  prie, 
il  ne  se  peut  faire  que  vous  priiez  pour  ceux  que  vous  haïs- 
sez. Votre  intention  dément  vos  paroles,  et  quand  la  bouche 
les  nomme,  le  cœur  les  exclut.  Ou  bien  si  vous  priez  pour 
eux,  dites-moi,  quel  bien  leur  souhaitez-vous  ?  leur  souhaitez- 
vous  le  souverain  bien,  qui  est  Dieu  ?  Certainement  si  vous 
ne  le  faites,  votre  haine  est  bien  furieuse  ;  puisque,  non  con- 
tent de  leur  refuser  le  pardon,  vous  ne  voulez  pas  même  que 
Dieu  leur  pardonne.  Que  si  vous  demandez  pour  eux  cette 
grande  et  éternelle  félicité,  ne  voyez-vous  pas  que  c'est  être 
trop  aveugle,  que  de  leur  envier  des  biens  passagers,  en  leur 
désirant  les  biens  solides  et  permanents  ?  Car  en  les  troublant 
dans  les  biens  temporels,  vous  vous  privez  vous-même  des 
biens  éternels  ;  et  ainsi  vous  êtes  contraint,  malgré  la  fureur 
de  votre  colère,  de  leur  souhaiter  plus  de  bien  que  vous  ne 
vous  en  vous  souhaitez  à  vous-même.  Et  après  cela  vous 
n'avouerez  pas  que  votre  haine  est  aveugle  ?  Que  si  vous  ne 
lui  enviez  les  biens  temporels,  que  parce  qu'il  vous  les  ôte 
en  les  possédant,  ô  Dieu  éternel  !  que  ne  songez-vous  plutôt 
que  ces  biens  sont  bien  méprisables;  puisqu'ils  sont  bornés 
si  étroitement,  que  la  jouissance  de  Tun  sert  d'obstacle  à 
l'autre  ?  et  que  n'aspirez-vous  aux  vrais  biens,  dont  la  richesse 
et  l'abondance  est  si  grande  qu'il  y  en  a  pour  contenter  tout 
le  monde  ?  Vous  en  pouvez  jouir  sans  en  exclure  vos  compé- 
titeurs ;  encore  qu'ils  soient  possédés  par  les  autres,  vous  ne 
laisserez  pas  de  les  posséder  tout  entiers. 

Certes,  si  nous  désirions  ces  biens  comme  il  faut,  il  n'y 
aurait  point  d'inimitiés  dans  le  monde.  Ce  qui  fait  les  inimi- 
tiés, c'est  le  partage  des  biens  que  nous  poursuivons  :  il 
semble  que  nos  rivaux  nous  ôtent  ce  qu'ils  prennent  pour 
eux.  Or  les  biens  éternels  se  communiquent  sans  se  parta- 
ger :  ils  ne  font  ni  querelles  ni  jalousies  ;  ils  ne  souffrent  ni 
ennemis  ni  envieux,  à  cause  qu'ils  sont  capables  de  satisfaire 
tous  ceux  qui  ont  le  courage  de  les  espérer.  C'est  là,  c'est  là, 
mes  sœurs,  c'est  le  vrai  remède  contre  les  inimitiés  et  la 
haine.  Quel  mal  me  peut-on  faire,  si  je  n'aime  que  les  biens 
divins  ?  Je  n'appréhende  pas  qu'on  me  les  ravisse.  Vous 
m'ôterez  mes  biens  temporels;  mais  je  les  dédaigne  et  je  les 


372  SUR  LA  RÉCONCILIATION. 


méprise  :  j'ai  porté  mes  espérances  plus  haut.  Je  sais  qu'ils 
n'ont  que  le  nom  de  bien,  que  les  mortels  abusés  leur  don- 
nent mal  à  propos  ;  et  moi,  je  veux  aspirer  à  des  biens 
solides.  Puisque  vous  ne  sauriez  m'ôter  que  des  choses  dont 
je  ne  fais  point  d'état,  vous  ne  sauriez  me  faire  d'injure  ; 
parce  que  vous  ne  sauriez  me  procurer  aucun  mal.  Il  est  vrai 
que  vous  me  montrez  une  mauvaise  volonté;  mais  une  mau- 
vaise volonté  inutile.  Et  pensez-vous  que  cela  m'offense  ? 
Non,  non  :  appuyé  sur  mon  Dieu,  je  suis  infiniment  au  dessus 
de  votre  colère  et  de  votre  envie  ;  et  si  peu  que  j'aie  de  con- 
naissance, il  m'est  aisé  de  juger  qu'une  mauvaise  volonté 
sans  effet  est  plus  digne  de  compassion  que  de  haine. 

Vous  voyez,  mes  sœurs,  que  les  aversions  que  nous  con- 
cevons ne  viennent  que  de  l'estime  trop  grande  que  nous 
faisons  des  biens  corruptibles  ;  et  que  toutes  nos  dissensions 
seraient  à  jamais  terminées,  si  nous  les  méprisions  comme 
ils  le  méritent.  Mais  je  m'éloigne  de  mon  sujet  un  peu  trop 
longtemps  :  retournons  à  notre  présent,  et  montrons  que 
celui  à  qui  nous  l'offrons  ne  le  peut  recevoir  que  des  âmes 
réconciliées.  Je  tranche  en  peu  de  mots  ce  raisonnement  : 
vous  prendrez  le  loisir  d'y  faire  une  réflexion  sérieuse,  Per- 
mettez-moi encore,  mes  sœurs,  que  je  parle  en  votre  présence 
à  cet  ennemi  irréconciliable  qui  vient  présenter  à  Dieu  des 
prières  qui  viennent  d'une  âme  envenimée  par  un  cruel  désir 
de  vengeance. 

As-tu  vécu  si  innocemment,  que  tu  n'aies  jamais  eu  besoin 
de  demander  à  Dieu  la  rémission  de  tes  crimes  ?  Es-tu  si 
assuré  de  toi-même,  que  tu  puisses  dire  que  tu  n'auras  plus 
besoin  désormais  d'une  pareille  miséricorde  ?  Si  tu  reconnais 
que  tu  as  reçu  de  Dieu  des  grâces  si  signalées,  de  ta  part 
ton  ingratitude  est  extrême  d'en  refuser  une  si  petite,  qu'il 
a  bien  la  bonté  de  te  demander  pour  ton  frère  qui  t'a  offensé. 
Si  tu  espères  encore  de  grandes  faveurs  de  lui,  c'est  une 
étrange  folie  de  lui  dénier  ce  qu'il  te  propose  en  faveur  de 
tes  semblables.  Furieux,  qui  ne  veux  pas  pardonner,  ne 
vois-tu  pas  que  toi-même  tu  vas  prononcer  ta  sentence  ?  Si 
tu  penses  qu'il  est  juste  de  pardonner  ;  tu  te  condamnes  toi- 
même,  en  disant  ce  que  tu  ne  fais  pas.  S'il  n'est  pas  raison- 


SUR  LA  RÉCONCILIATION.  373 


nable  qu'on  t'oblige  de  pardonner  à  ton  frère,  combien  moins 
est-il  raisonnable  que  Dieu  pardonne  à  son  ennemi  ?  Ainsi, 
quoi  que  tu  puisses  dire,  tes  paroles  retomberont  sur  toi,  et 
tu  seras  accablé  par  tes  propres  raisons.  Exagère  tant  que  tu 
voudras  la  malice  et  l'ingratitude  de  tes  ennemis  ;  ô  Dieu  !  où 
te  sauveras-tu,  si  Dieu  juge  de  tes  actions  avec  la  même 
rigueur  !  Ah  !  plutôt,  mon  cher  frère,  plutôt  que  d'entrer  dans 
un  examen  si  sévère,  relâche-toi,  afin  que  Dieu  se  relâche. 
«Jugement  sans  miséricorde,  si  tu  refuses  de  faire  miséri- 
corde ('')  :  »  grâce  et  miséricorde  sans  aucune  aigreur,  si  tu 
pardonnes  sans  aucune  aigreur  :  «  Pardonnez,  et  je  pardon- 
nerai {^').  »  Qui  de  nous  ne  voudrait  acheter  la  rémission  de 
crimes  si  énormes,  tels  que  sont  les  nôtres,  par  l'oubli  de 
quelques  injures  légères,  qui  ne  nous  paraissent  grandes  qu'à 
cause  de  notre  ignorance  et  de  l'aveugle  témérité  de  nos 
passions  inconsidérées  ? 

Cependant  admirons,  mes  sœurs,  la  bonté  ineffable  de 
Dieu,  qui  aime  si  fort  la  miséricorde,  que,  non  content  de 
pardonner  avec  tant  de  libéralité  tant  de  crimes  qui  se  font 
contre  lui,  il  veut  encore  obliger  tous  les  hommes  à  pardonner, 
et  se  sert  pour  cela  de  l'artifice  le  plus  aimable  dont  jamais 
on  se  puisse  aviser.  Quelquefois  quand  nous  voulons  obtenir 
une  grâce  considérable  de  nos  amis,  nous  attendons  qu'eux- 
mêmes  ils  viennent  à  nous  pour  nous  demander  quelque 
chose.  C'est  ainsi  que  fait  ce  bon*Père,  qui  désire  sur  toutes 
choses  de  voir  la  paix  parmi  ses  enfants.  Ah  !  dit-il,  on  l'a 
ofifensé,  je  veux  qu'il  pardonne.  Je  sais  que  cela  lui  sera 
bien  rude  ;  mais  il  a  besoin  de  moi  tous  les  jours  :  bientôt, 
bientôt  il  faudra  qu'il  vienne  lui-même  pour  me  demander 
pardon  de  ses  fautes  ;  c'est  là,  dit-il,  que  je  l'attendrai.  Par- 
donne, lui  dirai-je,  si  tu  veux  que  je  te  pardonne  :  je  veux 
bien  me  relâcher,  si  tu  te  relâches.  O  miséricorde  de  notre 
Dieu,  qui  devient  le  négociateur  de  notre  mutuelle  récon- 
ciliation !  Combien  sont  à  plaindre  ceux  qui  refusent  des 
conditions  si  justes  ! 

O  Dieu  !  je  frémis,  chères  sœurs,  quand  je  considère  ces 
faux  chrétiens  qui  ne  veulent  pas  pardonner:  tous  les  jours 

a. /ac,  II,  13.  —  â.  Matth.^  VI,  14. 


374  SUR  LA  RÉCONCILIATION. 


ils  se  condamnent  eux-mêmes,  quand  ils  disent  l'Oraison 
dominicale  :  «  Pardonnez,  disent-ils,  comme  nous  pardon- 
nons (').  »  Misérable,  tu  ne  pardonnes  pas  ;  n'est-ce  pas 
comme  si  tu  disais  :  Seigneur,  ne  me  pardonnez  pas,  comme 
je  ne  veux  pas  pardonner  ?  Ainsi  cette  sainte  Oraison,  en 
laquelle  consiste  toute  la  bénédiction,  des  fidèles,  se  tourne 
en  malédiction  et  en  anathème.  Et  quels  chrétiens  sont-ce 
que  ceux-ci,  qui  ne  peuvent  pas  dire  l'Oraison  dominicale  ? 
Concluons  que  la  prière  n'est  pas  agréable,  si  elle  ne  vient 
d'une  âme  réconciliée. 

SECOND    POINT   ('). 

Notre  autel  est  un  autel  de  paix  :  le  sacrifice  que  nous 
célébrons,  c'est  la  Passion  de  Jésus.  Il  est  mort  pour  la 
réconciliation  des  ennemis.  Non  se  vindicari,  sêd  illis  postu- 
labat  ignosci  (^).  Ce  sang  a  été  répandu  pour  pacifier  le  ciel 
et  la  terre  :  non  seulement  les  hommes  à  Dieu,  mais  les 
hommes  entre  eux  et  avec  toutes  les  créatures.  Le  péché 
des  hommes  avait  mis  en  guerre  les  créatures  contre  eux, 
et  eux-mêmes  contre  eux-mêmes  :  c'est  pour  leur  donner  la 
paix  que  Jésus  a  versé  son  sang.  Catilina  donne  du  sang  à 
ses  convives  (")  :  que  si  ce  sang  a  lié  entre  eux  une  société 
de  meurtres,  de  perfidies,  le  sang  innocent  du  pacifique 
Jésus  ne  pourra-t-il  pas  lier  parmi  nous  une  sainte  et  véri- 
table concorde  ?  Unus  punis,  unum  corpus  [multi  suimis, 
omnes  qui  de  uno  pane  participamus\  (^)  :  quel  regret  à  un 
père  quand  il  voit  ses  enfants  à  sa  table,  mangeant  un 
commun  pain,  et  se  regardant  les  uns  les  autres  avec  des 
yeux  de  colère  ?  Les  hommes  te  reçoivent  à  la  sainte  table  ; 
Jésus  le  grand  Pontife  t'excommunie  :  Retire-toi,  dit-il  ; 
n'approche  pas  de  mon  autel,  que  tu  ne  sois  réconcilié  à 
ton  frère. 

a.  Mafth.,  VI,  12.  —  b.  S.  Léo,  de  Passion.  Dtvn.  serm.  XI,  cap.  m.  — 
c.  Sallust.,  Bel/.  Catilin.,  n.  22.  —  d.   \  Cor.,  X,  17. 

I.  Il  ne  reste  que  ces  quelques  notes  pour  le  second  point.  Le  ms.  contient 
un  signe  de  renvoi  ;  mais  nous  n'avons  point  la  feuille  ou  l'œuvre  à  laquelle 
l'auteur  se  reportait. 


— »  »— 


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ESQUISSE   SUR   LA   DEVOTION 


A   LA    SAINTE  VIERGE  (■). 


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Pour   PAssociation  du   Scapulaire.  Vers  1653. 

Sur  l'enveloppe  de  ce  sermon  on  lit  que  ce  manuscrit  a  fourni 
plusieurs  passages  au  sermon  de  l'Annonciation  et  à  celui  du  Rosaire. 
En  effet  Deforis,  non  content  de  fondre  en  un  seul  les  troisième  et 
quatrième  sermons  pour  l'Annonciation,  y  avait  encore  introduit 
plusieurs  fragments  de  celui-ci,  le  jugeant  trop  peu  important  pour 
le  donner  à  part.  M.  Lâchât  l'a  publié  en  1864,  mais  d'une  façon  peu 
correcte.  Les  éditions  subséquentes  reproduisent  son  texte,  avec  les 
inexactitudes  qui  le  déparent.  Le  sommaire  ne  s'est  pas  conservé. 


Dicit  Jiisus  Matri  siiœ  :  Mulier^ 
eccejiliiis  tiius. 

JÉSUS  dit  h  sa  Mère  :  «  Femme, 
voilà  votre  fils.  » 

ijoafi.,  XIX,  26). 

L'ANTIQUITE  païenne  a  fort  remarqué  l'action  d'un 
certain  philosophe  ('),  qui,  ne  laissant  pas  en  mourant  de 
quoi  entretenir  sa  famille,  s'avisa  de  léguer  par  son  testament 
sa  femme  et  ses  enfants  à  son  bon  ami.  Il  se  persuada,  nous 
dit-on,  qu'il  ne  pouvait  honorer  davantage  l'humeur  géné- 
reuse de  cet  ami,  ni  lui  rien  laisser  de  plus  précieux  que  ce 
témoignage  de  sa  confiance.  A  la  vérité,  chrétiens,  il  paraît 
quelque  chose  de  beau  dans  cette  action,  si  elle  a  été  faite 
de  bonne  foi  et  si  l'affection  a  été  mutuelle.  Mais  nous  savons 
que  les  sages  du  monde  ont  ordinairement  travaillé  bien  plus 
pour  l'ostentation  que  pour  la  vertu,  et  que  la  plupart  de 
leurs  belles  sentences  ne  sont  dites  que  par  parade  et  p;ir 
une  gravité  affectée.  Laissons  donc  les  histoires  profanes  et 
allons  à  l'Évangile  de  Jésus-Christ. 

Ce  que  la  nécessité  avait  suggéré  à  ce  philoso()he  païen, 
la  charité  le  fait  faire  à  mon  Maître  d'une  nianicre  toute 
divine.  Il  considère  du  haut  de  la  croix  et  sa  Mcre.  et  le 
disciple  qu'il  chérissait.  Près  de  sortir  de  ce  monde,  il  vou- 

1.  Ms.  à  Afc(iu.Y{t\.  9)  ;  in-f',  sans  marj^e.  Pai^iiu*,  mais  plus  tard. 

2.  Eudamidas  de  Corinlhe.  —  Cf.  ci-dessus,  p.  "ji. 


3/6  POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE. 

drait  leur  laisser  quelque  chose,  mais  hélas  !  il  est  nu  et 
dépouillé.  Pauvre  pendant  tout  le  cours  de  sa  vie,  il  n'avait 
rien  à  lui  que  ses  vêtements  ;  et  déjà  les  avares  soldats  les 
ont  partagés  et  ont  joué  sa  tunique  mystérieuse.  Que  donnera 
t-il  donc  à  sa  sainte  Mère,  et  que  donnera-t-il  à  Jean,  son 
ami  ?  Certes,  s'il  est  pauvre  en  biens  temporels,  il  est  riche 
infiniment  en  affection.  Voyez,  voyez,  mes  frères,  la  der- 
nière libéralité  (')  de  notre  Sauveur.  De  toutes  les  choses  du 
monde,  il  n'a  rien  plus  cher  que  Marie,  et  que  Jean,  son 
fidèle  et  son  bien-aimé.  Il  donne  donc  Marie  à  saint  Jean, 
et  il  donne  saint  Jean  à  Marie  :  «  Femme,  dit-il,  voilà  votre 
fils  ;  »  et  :  «  Fils,  dit-il  à  saint  Jean,  voilà  votre  mère.  » 
Saint  Jean,  tout  ravi  d'un  si  beau  présent,  en  vertu  du  testa- 
ment de  son  Maître,  se  mit  en  possession  de  la  sainte  Vierge, 
selon  la  remarque  du  texte  sacré,  qui  dit  expressément  que, 
dès  ce  temps-là,  le  disciple  considéra  Marie  comme  sienne  : 
Et  accepit  earn  discipulus  in  sua  (f).  De  sorte  que  depuis  ce 
temps  Jean  fut  le  cher  fils  de  Marie,  Marie  fut  la  chère  mère 
de  Jean  ;  et  la  parole  de  Jésus-Christ  opéra  cette  adoption 
bienheureuse. 

Entendons  ceci,  chrétiens  ;  nous  avons  notre  part  en  ce 
legs  pieux  :  Jésus  n'a  rien  dit  à  la  croix  qui  ne  regarde  tous 
les  fidèles.  J'entreprends  de  vous  faire  voir  aujourd'hui,  avec 
l'assistance  de  la  grâce  de  Dieu,  que  saint  Jean,  le  favori  (^)  du 
Sauveur,  tient  la  place  de  tous  les  chrétiens  en  cette  action, 
et  qu'en  sa  seule  personne  Jésus  nous  donne  tous  à  sa  sainte 
Mère.  C'est  pourquoi  j'ai  choisi  ce  texte  pour  entretenir  en 
ce  jour  votre  piété.  Car  que  prétendez-vous  par  ce  Scapulaire, 
sinon  de  porter  une  marque  par  laquelle  vous  vous  recon- 
naissez enfants  de  Marie  1  Et  ainsi  pour  satisfaire  vos  dévo- 
tions, je  me  suis  résolu  de  vous  expliquer  cette  glorieuse 
maternité  par  laquelle  la  Mère  de  notre  Chef  est  aussi  la 
mère  de  tous  ses  membres.  Dieu  par  sa  bonté  me  fera  la 
grâce  de  fonder  solidement  cette  vérité  sur  la  doctrine  des 
Écritures  et  de  l'antiquité  chrétienne. 

a.  Joan.,  XIX,  27.  —  Li  sua,  au  neutre,  n'est  pas  rendu  littéralement. 

1.  Var.  le  dernier  don. 

2.  Édii.  Lâchai,  etc.  :  le  fermier  du  Sauveur  ! 


POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE.  377 

Et  pour  y  procéder  avec  ordre,  premièrement  (')  je  vous 
ferai  voir  le  dessein  de  cette  glorieuse  maternité  tracé  dès 
l'origine  du  monde  ;  et  après  vous  en  suivrez  l'accomplisse- 
ment dans  la  plénitude  des  temps.  C'est  la  division  de  cet 
entretien  :  elle  est  simple,  je  vous  l'avoue  ;  mais  vous  en 
verrez  naître,  s'il  plaît  à  Dieu,  une  doctrine  toute  chrétienne, 
qui  établira  la  dévotion  pour  la  sainte  Vierge,  non  sur  des 
histoires  douteuses,  ni  sur  des  révélations  apocryphes,  ni  sur 
des  raisonnements  incertains,  ni  sur  des  exagérations  indis- 
crètes, mais  sur  des  maximes  solides  et  évangéliques  :  aussi 
les  ai-je  prises  des  anciens  Pères. 

PREMIER    POINT. 

Ceux  qui  sont  peu  versés  dans  la  lecture  des  anciens 
docteurs,  seront  peut-être  surpris  d'abord  d'entendre  les 
termes  extraordinaires  aves  lesquels  ils  associent  la  très 
sainte  Vierge  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ.  Ce  saint 
évêque  de  Lyon,  le  grand  I renée,  l'honneur  (~)  des  églises 
des  Gaules  qu'il  a  fondées  par  son  sang  et  par  sa  doctrine, 
parle  ainsi  de  la  sainte  Vierge  :  «  Le  genre  humain,  dit-il, 
condamné  à  mort  par  une  vierge,  est  sauvé  par  une  Vierge  : 
Morti  adstrictum  per  virginem ,  salvaticr  pcr  Virginem  (^\ 
«  Ce  qui  avait  été  perdu  par  ce  sexe  est  ramené  à  salut  par 
ce  sexe,  »  ditTertullien  :  Qtioci per  ejusinodi  sexu))i  abicrat  in 
perditionem  per  eumdem  sexum  redigcretur  211  salutou  (''). 
Vous  entendez  en  ces  deux  grands  hommes  les  deux  plus 
anciens  auteurs  ecclésiastiques.  Et  après  eux  l'incomparable 
Augustin  :  «  Par  une  femme  la  mort,  par  une  femme  la  vie;» 
Per  Evarn  interitus,  per  Mariam  sains  (').  Tous  les  autres 
ont  parlé  dans  le  même  sens,  et  (^)  la  suite  de  ce  discours 
vous  fera  encore  plus  évidemment  connaître  l'intention  de 
tous  ces  grands  hommes. 

a.  Contra  Hœres.^  V,  19.  —  h.  De  Cnrnc  Chr.,  17.  —  c.  De  Svmboi.  ad 
CatecJiii))i.^   III,  4. 

1.  Var.  Je  vous  dirai  premièrement  les  raisons  pour  lesquelles  il  lît.iit  conve- 
nable que  Marie  fût  la  mère  du  peuple  nouveau,  et  après  je  conclurai  en  vous 
faisant  voir  par  l'histoire  de  rKvani;ilc  qu'en  effet  elle  a  eu  cette  qualilo. 

2.  Var.   l'ornement. 

3.  Var.  et  vous  connaître/  encore  mieux  leur  intention  dans  la  suite  île  mon 
discours. 


378  POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE. 


N'appréhendez  pas,  chrétiens,  que  des  serviteurs  si  fidèles 
de  Jésus-Christ  veuillent  (')  diminuer  l'honneur  de  leur 
Maître,  en  lui  associant  en  quelque  sorte  l'heureuse  Marie. 
Certes  c'est  peu  connaître  la  grandeur  de  Dieu,  de  penser 
que  sa  gloire  soit  diminuée  quand  il  en  fait  part  à  ses  créa- 
tures. En  cela  dissemblable  de  nous,  en  donnant  une  partie, 
il  retient  le  tout.  Si  tout  cela  vous  semble  étrange  d'abord, 
considérez  que  Dieu  a  cela  de  propre,  qu'il  est  le  seul  qui 
donne  sans  se  dépouiller.  Certes  il  n'agit  pas  comme  nous, 
qui  partageons  nos  soins  à  plusieurs,  afin  que  la  peine  nous 
en  pèse  moins.  Il  n'en  est  pas  ainsi  du  Dieu  vivant  ;  quand 
il  associe  ses  créatures  à  ses  ouvrages,  ce  n'est  pas  qu'il  se 
décharge,  mais  il  les  honore  ;  et  ainsi  la  gloire  lui  appartient 
toute.  C'est  pourquoi  l'Apôtre  saint  Paul  n'a  pas  cru  dimi- 
nuer la  grandeur  de  Dieu,  quand  il  s'appelle  non  seulement 
son  ministre,  mais  encore  son  coopérateur,  «ruvepyô;.  Vous 
diriez  qu'il  se  fasse  (^)  le  compagnon  de  Dieu  ;  mais  à  Dieu 
ne  plaise  qu'il  soit  {^)  ainsi  !  Il  sait  que  cette  partie  de 
l'ouvrage  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  lui  commettre  n'en  est  pas 
moins  à  Dieu  parce  qu'il  daigne  se  servir  de  son  ministère.  Si 
donc  les  anciens  Pères  nous  ont  enseigné  que  Marie  est  asso- 
ciée singulièrement  au  grand  ouvrage  du  Fils  de  Dieu,  ils  ne 
ravissent  pas  pour  cela  la  gloire  au  Sauveur  ;  il  y  aurait  de  la 
malice  à  le  croire.  Mais  pour  éclairer  leur  pensée  et  pour 
vous  apprendre  le  sens  des  éloges  que  l'Eglise  donne  à  la 
sainte  Vierge,  remontons  à  l'origine  des  choses  ;  et  voyons 
par  quelle  raison  il  était  à  propos  que  la  sainte  Vierge  eût 
tant  de  part  à  l'œuvre  de  notre  salut  qu'elle  méritât  d'être 
associée  au   Fils  de  Dieu,  qui  en  est  l'auteur. 

Chrétiens,  une  des  choses  les  plus  touchantes  dans  la 
réparation  de  notre  nature,  c'est  de  voir  que  l'ineffable  bonté 
de  Dieu  prend  plaisir  d'employer  à  notre  salut  tout  ce  qui 
a  contribué  à  notre  ruine.  C'est  ce  qu'il  est  nécessaire  que 
vous  remarquiez  avec  les  vénérables  docteurs  de  l'Eglise, 
dont  je   tiens  cette  pieuse  observation.  Certes  il  est   sans 

1.  Ms.  veulent. 

2.  Édit.  qu'il  se  fait. 

3.  Édi't,  qu'il  en  soit  ainsi. 


POUR  LA  FETE  DU  SCAPULAIRE.  379 


doute  que  Dieu  pouvait  délivrer  les  hommes  sans  se  faire 
homme  :  mais  il  lui  a  plu  de  se  faire  homme  pour  nous 
racheter,  afin  que  cette  même  nature,  que  le  démon  s'était 
asservie,  remportât  la  victoire  sur  lui  et  sur  ses  audacieux 
compagnons.  Davantage,  encore  que  le  Fils  de  Dieu  eût 
résolu  de  venir  en  terre  et  de  se  revêtir  d'une  chair  hu- 
maine, il  pouvait  se  créer  lui-même  un  corps  et  une  âme 
sans  le  ministère  de  ses  créatures,  et  ainsi  il  se  serait  épargné 
la  honte  de  naître  d'une  postérité  (')  condamnée;  toutefois 
sa  Providence  incompréhensible  en  a  disposé  autrement.  Il 
lui  a  plu  que  dans  cette  race  maudite  la  grâce  et  la  bénédic- 
tion prît  son  origine.  Notre-Seigneur  a  voulu  être  le  fils 
d'Adam,  afin  que  sa  bienheureuse  naissance  sanctifiât  éter- 
nellement la  race  d'Adam,  que  la  contagion  du  péché  avait 
infectée. 

Avançons  dans  cette  méditation.  Jésus-Christ  pouvait 
nous  sauver  sans  mourir,  et  il  a  voulu  nous  sauver  par  sa 
mort.  C'est  qu'insistant  au  même  dessein,  il  a  ordonné  que 
la  mort,  que  le  diable  envieux  avait  amenée  au  monde  pour 
nous  détruire,  fût  employée  à  nous  réparer,  et  que  la  peine 
de  notre  péché  fût  le  médicament  de  nos  maladies.  Mais,  ô 
doux  Rédempteur  de  nos  âmes,  après  avoir  déterminé  de 
mourir,  fallait-il  nécessairement  mourir  à  la  croix  ?  N'y  avait- 
il  que  ce  genre  de  mort  qui  fût  capable  d'expier  nos  crimes  ? 
Certainement  il  y  en  avait  beaucoup  d'autres.  Pourquoi 
donc  vous  vois-je  pendu  à  ce  bois  infâme  ?  Chrétiens,  n'en 
voyez-vous  pas  le  secret  ?  Le  fruit  d'un  arbre  nous  avait 
perdus  :  voici  un  autre  arbre  qu'on  nous  propose,  auquel  est 
attaché  Jésus-Christ,  le  vrai  fruit  dévie.  Et,  pour  accomplir 
toutes  choses,  de  même  qu'en  mangeant  le  fruit  défendu. 
Adam,  notre  premier  père,  a  reçu  la  mort;  nous,  en  mangeant 
ce  divin  fruit  qui  pend  à  la  croix,  nous  recevons  la  vie  éter- 
nelle. Nos  rebelles  parents  ont  cueilli  sur  l'arbre  le  fruit 
empoisonné  qui  les  tue  avec  leur  misérable  |)ostérité  ;  et, 
lorsque  dans  la  célébrité  de  nos  saints  mystères,  honorant  la 

I.  C'est-à-dire,  de  la  postérité  d'Adam,  l^ion  ([ue  le  sens  soit  clair,  Hossuet  a 
souligné  ces  deux  mots,  se  proposant  sans  (hnite  de  les  remplacer.  Pcut-c^trc 
voyait-il  qucUiue  chose  d'étrange  à  jiaUrc  d'une postt'ritt'. 


380  POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE. 

pieuse  mémoire  de  notre  Dieu  et  Sauveur  Jésus-Christ,  nous 
mangeons  humblement  son  corps  et  buvons  son  sang,  ainsi 
qu'il  nous  l'a  commandé,  que  faisons-nous  autre  chose,  mes 
frères,  que  d'aller,  pour  ainsi  dire,  cueillir  sur  la  croix  le  fruit 
vivifiant  qu'elle  porte,  je  veux  dire  cette  victime  innocente 
qui  a  chargé  sur  son  dos  les  péchés  du  monde  ?  Tellement 
que,  pour  reprendre  ce  que  j'ai  dit,  si  un  homme  nous  perd, 
un  homme  nous  sauve  :  la  mort  règne  dans  la  race  d'Adam, 
c'est  de  la  race  d'Adam  que  la  vie  est  née  ;  Dieu  fait  servir 
de  remède  à  notre  péché  la  mort,  qui  en  était  la  punition  ; 
l'arbre  nous  tue,  l'arbre  nous  guérit  ;  et  un  salutaire  (')  man- 
ger répare  le  mal  qu'un   manger  téméraire  avait  fait. 

Et  de  là  vient  que  nos  anciens  Pères  voyant  par  une 
induction  si  universelle  que  notre  Dieu  s'est  résolument 
attaché  à  notre  salut  par  les  mêmes  choses  qui  ont  été  le 
principe  de  notre  perte,  ils  en  ont  tiré  cette  conséquence  :  si 
tel  est  le  conseil  de  Dieu  que  tout  ce  qui  a  eu  part  à  notre 
ruine  doit  coopérer  à  notre  salut,  puisque  les  deux  sexes  sont 
intervenus  en  la  désolation  de  notre  nature,  il  fallait  qu'ils 
intervinssent  à  sa  délivrance.  Si  la  corruption  du  péché  les 
a  déshonorés  l'un  et  l'autre,  il  faut  que  le  Réparateur  des 
hommes  leur  rende  l'honneur.  Et  c'est  pourquoi,  dit  saint 
Augustin,  «  Jésus-Christ,  homme,  est  né  d'une  femme  :  » 
Virtun  su77ipsit  ex  femina.  Et  parce  que  le  genre  humain  est 
précipité  dans  la  damnation  éternelle  par  un  homme  et  par 
une  femme,  il  était  convenable  que  Dieu  prédestinât  une 
nouvelle  Eve,  aussi  bien  qu'un  nouvel  Adam,  afin  de  donner 
à  la  terre,  au  lieu  de  la  race  ancienne  qui  avait  été  condam- 
née, une  nouvelle  postérité  qui  fût  sanctifiée  par  la  grâce. 
D'où  je  conclus  par  un  argument  infaillible  que  tout  ainsi 
que  la  première  Eve  est  la  mère  de  tous  les  mortels,  la  nou- 
velle Eve,  c'est-à-dire  Marie,  est  la  mère  de  tous  les  vivants, 
qui  sont  les  fidèles, 

Mais,  afin  que  vous  en  demeuriez  convaincus,  conférons 
exactement  Eve  avec  Marie.  L'ouvrage  de  notre  corruption 
commence  (^)   par  Eve,   l'ouvrage  de  notre  réparation  par 

1.  Édit.  un  manger  salutaire. 

2.  Édit.  a  commencé. 


POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE.  38  I 


Marie.  Un  ange  de  ténèbres  s'adresse  à  Eve,  un  ange  de 
lumière  parle  à  Marie.  L'ange  de  ténèbres  veut  élever  Eve 
à  une  fausse  grandeur  en  lui  faisant  affecter  la  divinité  : 
«  Vous  serez  comme  des  dieux,  »  lui  dit-il  ('')  ;  l'ange  de  lu- 
mière établit  Marie  dans  la  véritable  grandeur  par  la  société 
avec  le  vrai  Dieu  :  «  Le  Seigneur  avec  vous,  »  lui  dit  Ga- 
briel {^').  L'ange  de  ténèbres,  parlant  à  Eve,  travaille  à  lui 
persuader  la  rébellion  :  «  Pourquoi  est-ce  que  Dieu  vous  a 
commandé  (^)  ?  »  L'ange  de  lumière,  parlant  à  Marie,  lui  per- 
suade l'obéissance  :  «  Ne  craignez  point,  Marie  (')  ;  »  et  : 
«  Rien  ne  sera  impossible  au  Seigneur  ('^).  »  Eve  était  vierge 
encore  ;  et  Marie  est  vierge.  Eve,  encore  vierge,  avait  son 
époux;  et  Marie,  la  Vierge  des  vierges,  avait  son  époux.  La 
parole  de  mort  fut  portée  à  Eve,  et  la  parole  de  vie  à  la 
sainte  Vierge.  Eve  crut  au  serpent,  et  Marie  à  l'ange.  Ainsi, 
dit  le  docte  Tertullien,  «  une  foi  pieuse  efface  la  faute  d'une 
téméraire  crédulité,  et  Marie  répare  en  croyant  à  Dieu  ce 
qu'Eve  a  gâté  en  croyant  au  diable  :  »  Quod  illa  credendo  de- 
liquity  hœc  credendo  delevit  (^).  Eve,  séduite  par  le  démon, 
est  contrainte  de  fuir  la  face  de  Dieu;  et  Marie,  instruite  par 
l'ange,  est  rendue  digne  de  porter  Dieu  :  «  afin,  dit  l'ancien 
I renée,  —  écoutez  les  paroles  de  ce  grand  martyr,  —  afin 
que  la  Vierge  Marie  fût  l'avocate  de  la  vierge  Eve  :  »  Ut 
virginis  Evœ  Virgo  Maria  Jierel  advocata  (f). 

Après  un  rapport  si  exact,  qui  pourrait  douter  que  Marie 
ne  fût  l'Eve  de  la  nouvelle  alliance,  et  par  conséquent  la 
mère  du  nouveau  peuple  }  Pour  moi,  considérant  cette  con- 
venance, je  suis  ravi  d'admiration  de  la  hauteur  impénétrable 
des  secrets  de  Dieu  dans  la  réparation  (')  de  notre  nat-ure, 
et  je  ne  {f)  puis  ne  pas  m'étonner  de  voir  que  tout  ce  qui  se 
rencontre  dans  notre  ruine  se  trouve  aussi  de  point  en  point 
employé  à  notre  glorieux  rétablissement.  Ce  qui  a  fait  dire 
au  grave  Tertullien  que  Dieu  a  regagné  son  image,  dont  le 

a.  Gcn.,  ni,  5.  —  b,  Luc.^  i,  28.  —  c.  Gen.^  m,  i.  —  d.  T.uc.,  i,  ;>o.  —  c.  De 
Carne  Chr.^  17.  — /•  Contra  Ifœrcs.^  V,  19. 

1.  Édit.  <L  ...  Marie,  rien  ne  sera...  »  (Omission.) 

2.  É(ù7.  In  séparation.  (F'aute  de  lecture  ou  d'impression.) 

3.  /i\///.  pourrais-je. 


382  POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE. 

diable  s'était  emparé  ('),  «  par  un  dessein  d'émulation  (')  :  » 
yEuiula  opcrationc  (").  Que  veut  dire  cette  émulation  de 
Dieu  et  du  diable  ?  Nous  appelons  émulation,  lorsque  deux 
personnes  en  concourant  au  même  dessein  se  disputent  entre 
elles  réciproquement  à  qui  emportera  le  dessus.  Le  diable 
s'étant  déclaré  le  rival  de  Dieu,  il  avait  voulu  monter  en 
son  trône,  il  se  faisait  adorer  en  sa  place  ;  et  jaloux  de  la 
majesté  de  son  maître,  pour  égaler  autant  qu'il  pourrait  la 
cTfandeur  divine,  il  s'était  assujetti  l'homme  que  Dieu  avait 
fait  pour  lui  seul.  Vous  voyez  Satan  le  jaloux  de  Dieu  ;  Dieu 
jaloux  se  lève  contre  Satan  :  il  entreprend  de  délivrer 
l'homme  ;  et  voilà  jalousie  contre  jalousie,  émulation  contre 
émulation.  Et  pour  cela  vous  avez  vu  Dieu  reprenant,  pour 
ainsi  [dire],  tous  les  pas  du  diable,  lui  renversant  sur  la  tête 
toutes  ses  machines,  repassant  exactement  sur  tous  les 
vestiges,  et  imprimant  sa  marque  sur  tous  les  endroits 
où  il  voit  le  caractère  de  son  rival  également  faible  et 
audacieux.  «  L'émulation  du  Dieu  des  armées  a  fait  cet 
ouvrage  (''').  » 

Mais  d'où  vous  vient,  ô  Dieu  tout-puissant,  d'où  vous 
vient  cette  émulation  contre  une  créature  si  impuissante, 
que  le  seul  souffle  de  votre  bouche  a  précipité  [e]  du  plus 
haut  des  cieux  jusques  dans  les  cachots  éternels  .-^  Ah  !  mes 
frères,  réjouissons-nous  :  c'est  que  Dieu  nous  aime  ;  et  c'est 
pourquoi  il  est  jaloux  de  Satan,  auquel  notre  nature  s'est 
prostituée.  Et  pour  nous  faire  voir  qu'il  n'a  plus  de  force, 
tout  ce  qu'il  avait  choisi  pour  nous  nuire,  Dieu  le  fait  réussir 
à  notre  salut  :  parce  qu'il  est  jaloux,  et  poussé  d'une  chari- 
table émulation  pour  sauver  ce  qui  est  perdu  :  yEmula  ope- 
ratione. 

Dieu  pouvait  vaincre  notre  ennemi  d'une  autre  manière, 
mais  celle-ci  est  plus  consolante  pour  nous  :  et  c'est  la  raison 
pour  laquelle  notre   Dieu,   qui  nous  aime,  l'a  voulu  choisir. 


a.  De  Carne  Chr.,  ly.  —  b.  /s.,  IX,  7. 

1.  Var.  s'était  rendu  maître. 

2.  Les  éditeurs  citent  ici  le  texte  entier,  que  nous  retrouverons  ailleurs  dans 
Bossuet;  mais  l'auteur  ne  prend  ici  que  les  deux  mots  qui  importent  à  son  rai- 
sonnement. 


POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE.  383 


Ce  m'est  déjà  une  grande  joie  qu'il  m'assure  par  sa  parole 
qu'il  est  réconcilié  avec  moi  ;  mais  combien  est-elle  plus 
grande,  lorsqu'il  me  le  fait  toucher  au  doigt  par  les  choses 
mêmes  !  Je  connais  ('),  chrétiens,  que  mon  Dieu  veut  ré- 
parer nos  dommages,  et  qu'il  n'y  a  plus  pour  nous  de  con- 
damnation, puisque  tous  les  instruments  de  notre  ruine  sont 
tournés  miséricordieusement  à  notre  salut.  Je  reconnais 
bien  ici  ce  que  dit  l'Apôtre,  que  Dieu  renouvelle  toutes 
choses  en  Jésus-Christ.  Tout  revient  par  sa  grâce  à  la  pu- 
reté de  la  première  origine,  et  je  sens  qu'on  nous  remet 
dans  le  Paradis,  puisqu'on  nous  donne  un  nouvel  Adam  en 
notre  Sauveur,  et  une  nouvelle  Eve  en  la  sainte  Vierge,  et 
un  nouvel  arbre  en  la  croix,  et  un  nouveau  fruit  en  l'Eu- 
charistie. Après  quoi  je  ne  m'étonne  pas  si  nos  Pères,  in- 
duits par  (^)  cette  belle  convenance  de  choses,  ont  appelé 
Marie  la  nouvelle  Eve,  c'est-à-dire  la  mère  de  tous  les 
vivants. 

Par  conséquent,  fidèles,  le  Scapulaire  n'est  pas  une  marque 
inutile  :  vous  le  portez  comme  un  témoignage  visible  que 
vous  vous  reconnaissez  enfants  de  Marie.  Et  Marie  en  effet 
sera  votre  mère,  si  vous  vivez  en  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ.  Elle  sera  Eve,  en  hébreu  (^)  vivante.  Adam  donna 
ce  nom  à  sa  femme,  parce  qu'elle  est  la  mère  de  tous  les  vi- 
vants. Ce  n'est  pas  Eve,  mes  frères,  ce  n'est  pas  Eve  qui 
est  la  mère  de  tous  les  vivants  :  elle  est  plutôt  la  mère  de 
tous  les  morts.  Sur  quoi  saint  Epiphane  observe  très  bien 
qu'elle  n'a  été  appelée  mère  des  vivants,  qu'après  que  sa 
race  a  été  maudite.  Quelle  apparence  que  ce  nom  lui  con- 
vienne }  Est  ce  être  mère  de  tous  les  vivants  que  d'engendrer 
tous  ses  enfants  à  la  mort  }  Par  conséquent,  ce  n'est  pas 
pour  elle  que  la  première  Eve  reçoit  ce  titre,  c'est  en  figure 
de  la  sainte  Vierge,  dont  Eve  nous  représente  la  dignité. 
C'est  donc  la  sainte  Vierge  qui  est  la  vraie  Eve,  la  vraie 
mère  de  tous  les  vivants.  Vivez,  vivez,  fidèles,  et  Marie  sera 
votre    mère.    Mais  vivez   de   Jésus-Christ  et   par  jÉsus- 


\.  Èdit.  Je  suis  convaincu.  —  C'est  la  variante. 

2.  Edit.  induits  par  une  telle  convenance.  (Faute  de  lecture.) 

3.  Var.  c'est-à-dire  vivante.  —  Édit,  c'est-.Vdirc  en  hébreu  vivante. 


384  POUR  LA  FÊTE  DU  SCAPULAIRE. 


CiiKisT,  parce  que  Marie  elle-même  n'a  de  vie  qu'en  jÉsus- 
CiiRiST  et  par  Jésus-Ciirist. 

Voilà  la  maternité  de  la  sainte  Vierge  très  solidement 
établie.  Vous  voyez  qu'il  était  convenable  qu'elle  fût  mère 
des  chrétiens  ;  et  que  tel  était  le  dessein  de  Dieu,  qui  nous 
a  été  montré  dans  le  Paradis.  Mais  afin  que  cette  doctrine 
pénètre  plus  profondément  en  vos  cœurs,  admirez  l'exécution 
de  ce  grand  dessein  dans  l'Évangile  de  notre  Sauveur,  et 
contemplez  comme  Jésus -Christ  s'associe  la  sainte  Vierge 
dans  la  génération  que  son  sang  toujours  fertile  produit  à 
son  Père. 


SECOND    POINT. 


Saint  Jean  nous  représente  en  cette  action  l'universalité 
des  fidèles.  Comprenez,  s'il  vous  plaît,  ce  raisonnement.  Tous 
les  autres  disciples  de  mon  Sauveur  l'ont  abandonné  ;  et 
Dieu  l'a  permis  de  la  sorte  afin  de  nous  faire  entendre  qu'il 
y  en  a  peu  qui  suivent  Jésus-Christ  à  la  croix  :  donc,  tous  les 
autres  étant  dispersés,  la  Providence  n'a  retenu  près  du  Dieu 
mourant  que  Jean,  le  bien-aimé  de  son  cœur.  C'est  l'unique, 
c'est  le  vrai  fidèle  :  car  celui-là  est  vraiment  fidèle  à  Jésus,  qui 
suit  Jésus  jusqu'à  sa  croix.  Et  ainsi  cet  unique  fidèle  repré- 
sente tous  les  fidèles.  Par  conséquent,  lorsque  Jésus-Christ, 
parlant  à  sa  Mère,  lui  dit  que  saint  Jean  est  son  fils,  ne  croyez 
pas  qu'il  considère  saint  Jean  comme  un  homme  particulier  : 
il  lui  donne  en  la  personne  de  Jean  tous  ses  disciples  et  tous 
ses  fidèles,  tous  les  héritiers  de  la  nouvelle  alliance,  et  tous 
les  enfants  de  la  croix.  De  là  vient,  comme  je  l'ai  remarqué, 
qu'il  l'appelle  Femme  :  il  veut  dire  femme  par  excellence, 
femme  choisie  singulièrement  pour  être  la  mère  du  peuple 
élu.  O  femme,  dit-il,  nouvelle  Eve,  voilà  votre  fils  ;  et  lui,  et 
tous  les  fidèles  qu'il  représente,  ce  sont  vos  enfants.  Jean 
est  mon  disciple  et  mon  bien-aimé,  recevez  en  sa  personne 
tous  les  chrétiens,  parce  que  Jean  tient  la  place  d'eux  tous, 
et  qu'ils  sont  tous,  aussi  bien  que  Jean,  mes  disciples  et  mes 
bien-aimés.  C'est  ce  que  le  Sauveur  veut  montrer  à  sa  sainte 
Mère.  Et  ce  qui  me  semble  le  plus  remarquable,  c'est  à  la 


POUR  LA  FETE  DU  SCAPULAIRE.  ^8^ 


J"0 


croix  qu'il  lui  adresse  cette  parole  (').  Ah  !  fidèles,  ne  re- 
marquez-vous pas  en  ce  lieu  l'entier  accomplissement  du 
mystère  que  je  vous  ai  prêché  aujourd'hui  ?  C'est  à  la  croix 
que  le  Fils  de  Dieu  nous  donne  la  vie  et  nous  régénère  à  la 
grâce  par  la  vertu  de  son  sang  répandu  pour  nous.  C'est  à 
la  croix  aussi  qu'il  enseigne  à  la  très  pure  Marie  qu'elle  est 
la  mère  de  Jean  et  de  ses  fidèles  :  «  Femme,  voilà  ton  Fils,  » 
lui  dit-il.  Et  ainsi  je  vois  le  nouvel  Adam  qui,  nous  engen- 
drant par  sa  mort,  associe  la  nouvelle  Eve,  sa  sainte  Mère, 
à  la  chaste  et  mystérieuse  génération  des  enfants  du  Nouveau 
Testament  (^)... 

1.  A  la  place  de  cette  phrase,  les  éditeurs  donnent  celle-ci  :  «  N'en  comprenez- 
vous  pas  la  raison?  »  —  C'est  une  première  rédaction  (variante).  M.  Lâchât  a 
renoncé  à  lire  la  seconde,  qui  est  en  surcharge  et  très  serrée. 

2.  Inachevé.  L'auteur  a  laissé  en  blanc  une  partie  de  la  p.  7,  et  tout  le  verso. 
Il  lui  était  facile  de  compléter  son  discours,  au  moyen  de  réminiscences 
empruntées  à  ses  compositions    précédentes. 


Sermons  de  Hossuet.  fS 


^ ^ ter 


Sur    la    DÉVOTION    a    la 


SAINTE    VIERGE  ('). 


Conclusion  d'un  sermon  perdu.  —  Ecrite  vers  1653. 


Deforis  a  fait  de  ce  fragment  la  dernière  partie  du  sermon  de  la 
Nativité  de  la  sainte  Vierge  ("),  prêché  en  1652  (3^  des  éditions). 
La  différence  de  format,  d'écriture  et  d'orthographe,  avons-nous 
dit,  accusent  ici  une  interpolation  manifeste.  Le  manque  de  suite 
en  est  une  autre  preuve.  Enfin,  ce  qui  est  encore  plus  décisif,  on  n'a 
pu  réussir  à  faire  accepter  cette  finale,  substituée  à  la  quatrième 
considération  qui  devait  conclure  le  discours,  qu'en  y  faisant  une 
coupure,  pour  éliminer  quatre  phrases  qui  formaient  redite  avec  le 
corps  du  sermon. 


INTERCÉDEZ  pour  nous,  ô  sainte  et  bienheureuse 
Marie.  Car,  comme  dit  votre  dévot  saint  Bernard  {''), 
quelle  autre  peut  plutôt  que  vous  parler  au  cœur  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  ?  Vous  y  avez  une  fidèle  correspon- 
dance, je  veux  dire  l'amour  filial,  qui  viendra  accueillir  l'amour 
maternel  et  même  qui  préviendra  ses  désirs.  Et  partant,  que 
ne  devons-nous  point  espérer  de  vos  pieuses  intercessions  ? 
Certes,  fidèles,  il  n'est  pas  croyable  quelle  utilité  il  nous  en 
revient  ;  et  c'est  avec  beaucoup  de  raison  que  l'Église  répan- 
due par  toute  la  terre  nous  exhorte  à  nous  mettre  sous  sa 
protection  spéciale.  Mais  toutefois  je  ne  craindrai  point  de 
vous  dire  que  plusieurs  se  trompent  dans  la  dévotion  de  la 
Vierge  :  plusieurs  l'appellent  Mère,  qu'elle  ne  reconnaît  pas 
pour  enfants  ;  plusieurs  implorent  son  assistance,  à  qui  cette 
Vierge  très  pure  n'accorde  pas  le  secours  de  ses  oraisons  (^). 
Apprenez  donc,  chrétiens,  apprenez  quelle  est  la  vraie  dévo- 
tion pour  la  sainte  Vierge  ;  de  peur  que,  ne  l'ayant  pas 
comme  il  faut,  vous  ne  perdiez  toute  l'utilité  d'une  chose  qui 
pourrait  vous  être  fructueuse. 

a.  Ad  B.  Virg.  Serin.  Panegyr.  n.  7,  inter  Opéra  S.  Bernard. 

1.  Ms.  à  Meaux,  communiqué  par  M.  le  chanoine  Denis  :  2  feuilles  in-4°,  format 
un  peu  plus  grand  que  le  sermon  de  la  Nativité,  1652. 

2.  Voyez  ci-dessus,  p.  183.  Cf.  Histoire  critique  de  la  Prédic.  de  Bossîiet,  p.  76. 

3.  Edif.  prières. 


SUR  LA  DÉVOTION  A  LA  SAINTE  VIERGE.  ^Sy 

Quand  l'Église  invite  tous  ses  enfants  à  se  recommander 
aux  prières  des  saints  qui  régnent  avec  Jésus-Christ,  elle 
considère,  sans  doute,  que  nous  en  retirons  divers  avantages 
très  importants.  Mais  je  ne  craindrai  point  de  vous  assurer 
que  le  plus  grand  de  tous,  c'est  qu'en  honorant  leurs  vertus, 
cette  pieuse  commémoration  nous  enflamme  à  imiter  l'exem- 
ple de  leur  bonne  vie  :  autrement,  c'est  en  vain,  chrétiens, 
que  nous  choisirions  pour  patrons  ceux  dont  nous  ne  voulons 
pas  être  les  imitateurs.  Debent  enim  in  nobis  aliquid  \_rcco- 
gnoscej^e  de  suis  vù^tutibus,  ut  pr^o  nobis  dignentur  Do)}iino 
supplicare\  dit  saint  Augustin  (^)  :  de  sorte  que  c'est  une 
prétention  ridicule  de  croire  que  la  très  sainte  mère  de  Dieu 
admette  au  nombre  de  ses  enfants  ceux  qui  ne  tâchent  pas 
de  se  conformer  à  ce  beau  et  admirable  exemplaire. 

Et  qu'imiterons-nous  particulièrement  de  la  sainte  Vierge, 
si  ce  n'est  cet  amour  si  fort  et  si  tendre,  qu'elle  a  eu  pour 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  est,  comme  vous  avez 
vu,  la  plus  vive  source  des  excellences  et  des  perfections  de 
Marie  ?  D'ailleurs,  que  pouvons-nous  faire  qui  lui  plaise  plus, 
que  d'attacher  toutes  nos  affections  à  celui  qui  a  été  et  sera 
éternellement  toutes  ses  délices  ?  Enfin  qu'y  a-t-il  qui  nous 
soit  ni  plus  nécessaire,  ni  plus  honorable,  ni  plus  doux  et  plus 
agréable  que  cet  amour  ?  Quelle  plus  grande  nécessité,  que 
d'aimer  celui  dont  il  est  écrit  :  «  Si  quelqu'un  n'aime  pas 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qu'il  soit  anathème  (''')  ?  »  Et 
quel  plus  grand  honneur,  que  d'aimer  un  Dieu  ?  et  quelle 
plus  ravissante  douceur,  que  d'aimer  uniquement  un  Dieu- 
Homme  ? 

Certes,  fidèles,  il  est  assuré  (')  :  Dieu  est  infiniment  aimable 
en  lui-même  :  mais  quand  je  considère  ce  Dieu  fait  homme, 
je  me  perds  ;  et  je  ne  sais  plus  ni  que  dire  ni  que  penser;  et 
je  conçois,  ce  me  semble,  sensiblement  que  je  suis  la  plus 
méchante,  la  plus  déloyale,  la  plus  ingrate,  la  plus  mépri- 
sable des  créatures,  si  je  ne  l'aime  par-dessus  toutes  choses. 
Car  qu'est-ce,  fidèles,  que  le  (')  Dieu  Jésus?  qu'est-ce  autre 

a.  Serin,  de  Symbolo^  cap.  xni.  —  b.  I  O?;.,  xvi,  22. 

1.  Les  éditeurs  corrigent  encore  ici  :  <î  Rien  n'est  plus  vrai.  » 

2.  hdit.  ce. 


388  SUR  LA  DÉVOTION 


chose  qu'un  Dieu  nous  cherchant,  un  Dieu  se  famiHarisant 
avec  nous,  un  Dieu  brûlant  d'amour  [pour]  nous,  un  Dieu  se 
donnant  à  nous  tout  entier,  et  qui,  se  donnant  à  nous  tout 
entier,  pour  toute  récompense  ne  veut  que  nous?  Ingrat  mille 
et  mille  fois  qui  ne  l'aime  pas  !  malheureux,  et  infiniment  ('), 
qui  ne  l'aime  pas,  et  qui  ne  comprend  pas  combien  doux  est 
cet  amour  aux  âmes  pieuses  !  Fidèles,  nous  devrions  être 
honteux  de  ce  que  le  seul  nom  de  Jésus  n'échauffe  pas  incon- 
tinent nos  esprits,  de  ce  qu'il  n'attendrit  pas  nos  affections  (^). 
Oui  (^),  son  nom  est  un  miel  à  la  bouche,  c'est  une  lumière 
à  nos  yeux,  c'est  une  ilamme  à  nos  cœurs.  Il  y  a  une  certaine 
grâce  que  Dieu  a  répandue  dans  toutes  ses  paroles  et  dans 
toutes  ses  actions  :  y  penser,  c'est  la  vie  éternelle.  Pensez-y 
souvent,  ô  fidèles:  vous  y  trouverez  une  consolation  incroya- 
ble. C  était  toute  la  joie  de  Marie.  Nous  voyons  dans  les 
Évangiles  que  tout  ce  que  lui  disait  son  Fils,  tout  ce  qu'on 
lui  disait  de  son  Fils,  elle  le  conservait,  elle  le  repassait  mille 
et  mille  fois  en  son  cœur  :  Maria  autem  \conservabat  omnia 
verba  hœc,  conferens  in  corde  suo]. 

Donc  si  vous  voulez  plaire  à  Marie,  faites  tout  pour  Jésus; 
vivez  en  Jésus,  vivez  de  Jésus  :  c'est  l'unique  moyen  de 
gagner  le  cœur  de  cette  bonne  mère,  si  vous  imitez  son  affec- 
tion. Elle  est  Mère  de  Jésus-Christ  ;  nous  sommes  ses 
membres  :  elle  a  conçu  la  chair  de  Jésus;  nous  la  recevons, 
son  sang  est  coulé  dans  nos  veines  par  les  sacrements,  nous 
en  sommes  lavés  et  nourris.  Et  Jésus  lui-même,  comme  on 
lui  disait  :  «  Votre  Mère  et  vos  frères  vous  cherchent,  »  étend 
ses  mains  à  ses  disciples,  disant  :  «  Voilà  ma  mère,  voilà  mes 
frères  ;  et  celui  qui  fait  la  volonté  de  mon  Père  céleste, 
celui-là  est  mon  frère  et  ma  sœur,  et  ma  mère  ('').  »  O  douces 
et  ravissantes  paroles.  Les  fidèles  sont  ses  frères  !  ce  n'est 
pas  assez  ;  ils  sont  ses  frères  et  ses  sœurs  !  c'est  trop  peu,  ils 
sont  ses  frères,  ses  sœurs  et  sa  mère  !  Non,  mes  frères,  notre 

a.  Marr.j  m,  32-35. 

1.  Edit.  et  infiniment  malheureux. 

2.  Ms.  son  affection.  —  Distraction,  provenant  d'une  rédaction  précipitée. 

3.  C'est  cet  alinéa,  si  plein  de  piété  et  d'onction,  que  les  anciens  éditeurs 
avaient  été  obligés  de  supprimer,  pour  ne  pas  faire  répéter  deux  fois  à  l'orateur 
un  même  développement. 


A  LA  SAINTE  VIERGE.  389 


Sauveur  nous  aime  si  fort,  qu'il  ne  refuse  avec  nous  aucun 
titre  d'affinité,  ni  aucun  degré  d'alliance  :  il  nous  donne  quel 
nom  il  nous  plaît  (')  ;  nous  lui  touchons  de  si  près  (^)  qu'il 
nous  plaît,  pourvu  que  nous  fassions  la  volonté  de  son  Père 
céleste.  Et  quelle  est  la  volonté  du  Père  céleste,  sinon  que 
nous  aimions  son  bien-aimé  ?  «  Celui-ci,  dit-il  ('*),  est  mon 
Fils  bien-aimé  dans  lequel  je  me  suis  plu  dès  l'éternité.  » 
Tout  lui  plaît  en  Jésus,  et  rien  ne  lui  plaît  qu'en  Jésus,  et 
il  ne  reconnaît  pas  pour  siens  ceux  qui  ne  consacrent  pas  leur 
cœur  à  Jésus. 

Ah  !  que  je  vous  demande,  fidèles,  le  faisons-nous  ?  Notre 
Sauveur  a  dit  :  «  Si  quelqu'un  veut  me  suivre,  qu'il  renonce 
à  soi-même  {^).  »  Qui  de  nous  a  renoncé  à  soi-même  ?  «  Tous 
cherchent  leurs  propres  intérêts,  et  non  ceux  de  Jésus- 
Christ  :  »  Omnes  qitœ  sua  sunt  quœruîit,  non  qttœ  J^^u- 
Christ/  (^).  Avez-vous  jamais  bien  compris  quel  ouvrage 
c'est,  et  de  quelle  difficulté,  que  de  renoncer  à  soi-même  ? 
Vous  avez,  dites-vous,  quitté  les  mauvaises  inclinations  aux 
plaisirs  mortels  :  Dieu  vous  en  fasse  la  grâce  par  sa  bonté  ! 
Mais  une  injure  vous  est  demeurée  sur  le  cœur  ;  vous  en 
poursuivez  la  vengeance  :  vous  n'avez  point  renoncé  à  vous- 
mêmes.  —  Mais  j'ai  surmonté  ce  mauvais  désir  ;  c'est  tout 
ce  que  Jésus-Christ  demande  de  moi.  —  Nullement,  ne 
vous  y  trompez  pas  ;  ce  n'est  pas  assez  ;  recherchez  les  secrets 
de  vos  consciences  :  peut-être  que  l'avarice,  peut-être  que 
ce  poison  subtil  de  la  vaine  gloire,  peut-être  qu'un  certain 
repos  de  la  vie,  un  vain  désir  de  plaire  au  monde,  et  cette 
inclination  si  naturelle  aux  hommes  de  s'élever  toujours 
au-dessus  des  autres,  ou  quelques  autres  affections  pareilles 
régnent  en  vous.  Si  cela  est  ainsi,  vous  n'avez  point  renoncé 
à  vous-mêmes.  Bref,  considérez,  chrétiens  :  nous  sommes  au 
milieu  d'une  infinité  d'objets  qui  nous  sollicitent  sans  cesse  : 
tant  qu'il  y  a  une  fibre  de  notre  cœur  cjui  est  attachée  aux 
choses  mortelles,  nous  n'avons  point  renoncé  à  nous-mêmes; 
et  par  conséquent  nous  ne  suivons  pas  celui  qui  a  dit  :  «  Si 

a.  MattJi.,  III,  17.  —  b.  Ibid.^  XVI,  24.  —  c.  Philipp.^  Il,  21. 

1.  Curieux  latinisme. 

2.  C'est-à-dire  :  (f  aussi  />r?s. 


390  SUR  LA  DÉVOTION  A  LA  SAINTE  VIERGE. 


quelqu'un  veut  venir  après  moi,  qu'il  renonce  à  soi-même». 
Et  si  nous  ne  le  suivons  pas,  où  en  sommes-nous  ? 

Qui  est  donc  celui,  direz-vous,  qui  a  vraiment  renoncé  à 
soi-même  ?  Celui  qui  méprise  le  siècle  présent,  qui  ne  craint 
rien  tant  que  de  s'y  plaire,  qui  regarde  cette  vie  comme  un 
exil  ;  «  qui  use  des  biens  qu'elle  nous  présente  comme  n'en 
usant  pas,  considérant  sans  cesse  que  la  figure  de  ce  monde 
passe  ('')  ;  »  qui  soupire  après  Jésus-Christ,  qui  croit  n'avoir 
aucun  vrai  bien  ni  aucun  repos,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  avec  lui. 
Celui-là  a  renoncé  à  soi-même,  et  peut  présenter  à  Jésus  un 
cœur  qui  lui  sera  agréable  ;  parce  qu'il  ne  brûle  que  pour  lui 
seul.  Si  nous  n'avons  pas  atteint  cette  perfection,  comme 
sans  doute  nous  en  sommes  bien  éloignés,  tendons-y  du 
moins  de  toutes  nos  forces,  si  nous  voulons  être  appelés 
chrétiens.  Vivant  ainsi,  fidèles,  vous  pourrez  prier  la  Vierge 
avec  confiance  qu'elle  présente  vos  oraisons  (')  à  son  Fils 
Jésus;  vous  serez  ses  véritables  enfants  en  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  :  vous  l'aimerez,  elle  vous  aimera  pour  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  ;  elle  priera  pour  vous  au  nom  de  son 
Fils  Jésus-Christ,  elle  vous  obtiendra  la  jouissance  parfaite 
de  son  Fils  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  est  l'unique 
félicité.  A7nen. 

rt.  I  C^r.,  VII,  31. 

I.  Cette  fin  du  manuscrit,  affreusement  difficile,  a  été  très  bien  déchiffrée  par 
Deforis. 


^:^^  ^^.  ^^.  ^  ^^.  ■^.  ■^.  ^^^  ^^.  ^  ^  ^.^^i, 


% 
% 

i 


PANEGYRIQUE  de  SAINT  BERNARD 


à   Metz,  20  août    1653   (')■ 


^ 

^ 


% 


L'apostrophe  à  la  «  puissante  ville  de  Metz,  »  qui  se  rencontre 
vers  la  fin  du  discours,  l'invitation  que  l'orateur  lui  adresse  d'hono- 
rer son  libérateur,  se  rapportent  au  bienfait  reçu  cinq  cents  ans 
auparavant.  Le  comte  de  Bar,  Renaud  II,  après  avoir  défait  les 
Messins,  près  de  Pont-à-Mousson,  allait  leur  livrer  une  seconde 
bataille,  lorsque  saint  Bernard,  presque  mourant,  les  sauva  par  son 
intervention  auprès  du  vainqueur.  L'étude  du  manuscrit,  retrouvé 
après  de  longues  recherches,  ne  permet  pas  de  douter  que  le  dis- 
cours n'ait  été  prononcé  à  l'anniversaire  même  de  cette  délivrance. 

Le  texte  conforme  à  l'autographe  paraît  ici  pour  la  première  fois. 
L'œuvre  avait  semblé  assez  importante  à  Deforis,  pour  qu'il  se  laissât 
tenter  d'unir  ses  talents  à  ceux  de  Bossuet.  On  fera  disparaître  ici 
ses  embellissements.  Ils  ne  laissaient  voir  qu'en  partie  le  contraste 
sublime  qui  éclate  partout  entre  une  rudesse  tout  archaïque  et  une 
inspiration  déjà  digne  de  la  maturité.  Il  était  naturel  que  Bossuet  se 
surpassât  en  célébrant  son  illustre  compatriote.  Gandar,  sans  avoir 
vu  l'original,  a  bien  reconnu,  à  la  simple  lecture  de  l'imprimé,  la 
«  verve  impétueuse  qui  déborde  et  se  précipite.  »  (Bossuet  orateur^ 

p.  145)  W- 


Non  €7117)1  jîidicavi  771e  scire  aliqidd  i 71  ter 
vos,  nisi  Ji.svM  Christv.m,  et  hmtc  cruci- 

fiX7l77l. 

Je  n'ai  pas  estimé  que  je  susse  aucune 
chose  parmi  vous,  si  ce  n'est  JÉSUS- 
Christ,  et  Jésus-Christ  crucifié. 

(I  CV;r.,  II,  2.) 

NOS  églises  de  France  ont  introduit  dans  le  siècle  der- 
nier une  pieuse  coutume  de  commencer  les  prédica- 
tions en  invoquant  l'assistance  divine  par   les  intercessions 

1.  Ms.  appartenant  h,  M'"<=  Guillemot,  de  Dijon.  Collationnc^  avec  le  concours 
de  M.  J.  d'Arbaumont.  —  Ce  ms.  a  ctc  pa>;inc,  à  une  date  postérieure,  et  sans 
doute  résumé.  Mais  le  sommaire  ne  nous  est  pas  parvenu. 

2.  En  relisant  son  (uuvre,  quelques  années  plus  lard,  l'auteur  modifiera  quel- 
ques expressions  du  premier  point.  Dans  sa  vieillesse,  il  pronom^a  en  outre 
un  panégyrique  de  saint  Bernard,  en  1689,  chez  les  Bernardines  du  Tont-aux- 
Damcs,  diocèse  de  Meaux.  (Ledieu,  Mt'i/ioircs,  p.  57.)  Mais  h  cette  époque  il 
improvisait  ordinairement  ses  discours. 


392  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

de  la  bienheureuse  Marie.  Comme  nos  adversaires  ne  pou- 
vaient souffrir  l'honneur  si  légitime  que  nous  rendons  à  la 
sainte  Vierge,  comme  ils  le  blâmaient  par  des  invectives 
aussi  sanglantes  qu'elles  étaient  injustes  et  téméraires, 
l'Église  a  cru  qu'il  était  à  propos  de  résister  à  leur  auda- 
cieuse entreprise,  et  de  recommander  d'autant  plus  cette 
dévotion  aux  fidèles  que  l'hérésie  s'y  opposait  avec  plus  de 
fureur.  Et  parce  que  nous  n'avons  rien  de  plus  vénérable 
que  la  prédication  du  saint  Évangile,  c'est  là  qu'elle  invite 
tous  ses  enfants  à  implorer  les  oraisons  de  Marie,  qu'elle 
reconnaît  leur  être  si  profitables. 

Mais  il  y  a,  ce  me  semble,  une  autre  raison  plus  particu- 
lière de  cette  sainte  cérémonie  :  c'est  que  le  devoir  des  pré- 
dicateurs est  d'engendrer  Jésus-Christ  dans  les  âmes:  «  Mes 
petits  enfants,  dit  l'Apôtre,  pour  lesquels  je  suis  encore  dans 
les  douleurs  de  l'enfantement,  jusqu'à  ce  que  Jésus-Christ 
soit  formé  en  vous  ('').  »  Vous  voyez  qu'il  enfante  et  qu'il 
engendre  Jésus-Christ  dans  les  âmes  :  ainsi  il  y  a  quelque 
convenance  entre  les  prédicateurs  de  la  parole  divine  et  la 
sainte  Mère  de  Dieu.  C'est  pourquoi  le  grand  saint  Grégoire 
ne  craint  pas  d'appeler  mères  de  Jésus-Christ  ceux  qui  sont 
appelés  à  ce  glorieux  ministère  (^).  De  là  vient  que  l'Eglise 
s'est  persuadé  aisément  que  vous,  ô  très  heureuse  Marie,  bé- 
nie (')  entre  toutes  les  femmes,  vous  qui  avez  été  prédestinée 
dès  l'éternité  pour  engendrer  selon  la  chair  le  Fils  du  Très- 
Haut,  vous  aideriez  volontiers  de  vos  pieuses  intercessions 
ceux  qui  le  doivent  engendrer  en  esprit  dans  les  cœurs  de 
tous  les  fidèles. 

Mais  dans  quelle  prédication  doit-on  plus  espérer  de  votre 
secours,  que  dans  celle  que  ce  peuple  attend  aujourd'hui,  où 
nous  avons  à  louer  la  grâce  et  la  miséricorde  divine  dans  la 
sainteté  du  dévot  Bernard,  de  Bernard  le  plus  fidèle  et  le 
plus  chaste  de  vos  enfants  ;  celui  de  tous  les  hommes  qui  a 
le  plus  honoré  votre  maternité  glorieuse,  qui  a  le  mieux  imité 
votre  pureté  angélique  (^),  qui  a  cru  devoir  à  vos  soins  et  à 

a.  Galat.y  iv,  19.  —  b.  In  Evang.^  lib.  I,  hom.  m,  n.  2. 

1.  Ms.  bénite  (beniste).  De  même  quelques  lignes  plus  bas. 

2.  Var.  virginale. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  393 

votre  charité  maternelle  l'influence  continuelle  de  grâces 
qu'il  recevait  de  votre  cher  Fils  ?  Aidez-nous  donc  par  vos 
saintes  prières,  ô  très  bénie  Marie  !  aidez-nous  à  louer 
l'ouvrage  de  vos  prières.  Pour  cela  nous  nous  jetons  à  vos 
pieds,  vous  saluant  et  vous  disant  avec  l'ange  :  Ave. 

Parmi  les  divers  ornements  du  pontife  de  la  loi  ancienne, 
celui  qui  me  semble  le  plus  remarquable,  c'est  ce  mystérieux 
pectoral  sur  lequel,  selon  l'Écriture,  il  portait  (')  :  Urim 
et  Tumim  (f),  c'est-à-dire,  vérité  et  doctrine  ;  ou,  comme 
l'entendent  d'autres  interprètes,  lumière  et  perfection.  Je 
sais  que  cela  est  écrit  pour  nous  faire  voir  quelles  doivent 
être  les  qualités  des  ministres  des  choses  sacrées  ;  et 
qu'encore  que  leurs  habillements  magnifiques  semblent  les 
rendre  assez  remarquables,  ce  n'est  pas  là  toutefois  ce  qui 
les  doit  discerner  du  peuple  ;  mais  que  la  vraie  marque 
sacerdotale,  le  vrai  ornement  du  grand  prêtre,  c'est  la  doc- 
trine et  la  vérité  :  c'est  ce  qui  nous  est  représenté  en  ce  lieu. 

Mais  si  nous  portons  plus  loin  nos  pensées  ;  si  dans  le 
pontife  du  Vieux  Testament,  qui  n'avait  que  des  ombres  et 
des  figures,  nous  considérons  Jésus-Ciirist,  qui  est  la  fin 
de  la  Loi  et  le  pontife  de  la  nouvelle  alliance,  nous  y  trou- 
verons quelque  chose  de  plus  merveilleux.  Chrétiens,  c'est 
ce  saint  pontife,  c'est  le  grand  sacrificateur  qui  porte  vérita- 
blement sur  lui-même  la  doctrine,  la  oerfection  et  la  vérité  ; 
non  point  sur  des  pierres  précieuses,  ni  dans  des  caractères 
gravés,  comme  faisaient  les  enfants  d'Aaron,  mais  dans  ses 
actions  irrépréhensibles  et  dans  sa  conduite  toute  divine. 

Pour  comprendre  cette  vérité  nécessaire  à  l'intelligence  de 
notre  texte,  remettez,  s'il  vous  plaît,  en  votre  mémoire,  que 
jÉsus-CiiRiST,  notre  Maître  ('),  est  le  Fils  de  Dieu.  \'ous  (') 
êtes  trop  bien  instruits  pour  iq^norer  que  Dieu  n'engendre- 
pas  à  la  façon  ordinaire,  et  que  cette  génération  n'a  rien  de 
matériel  ni  de  corruptible.  «  Dieu  est  esj^rit  ('),  »  fidèles,  et 
ne  vit  que  de  raison  et  d'intelligence  ;  de  là  vient  aussi  qu'il 

a.  Levit.,  VI II,  8.  —  <5.  Joaii.y  IV,  24. 

1.  Édit.  il  portait  gravé  ces  mots...  (Addition  superflue.) 

2.  Var.  notre  précepteur. 

3.  Var.  Mnis  certes  il  ne  faut  nous  persuader,— croire  —  que  Oicu  cnçrcndrc... 


394  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

engendre  par  son  intelligence  et  par  sa  raison  :  de  sorte  que 
le  Fils  de  Dieu  est  le  fruit  d'une  connaissance  très  pure, 
et  qui,  dans  une  simplicité  incompréhensible,  ne  laisse  pas 
d'être  infiniment  étendue.  Étant  le  fruit  de  la  raison  et  dé 
l'intelligence  (')  divine,  il  est  lui-même  raison  et  intelligence  ; 
et  c'est  pourquoi  l'Ecriture  l'appelle  la  Parole  et  la  Sagesse 
du  Père. 

Et  d'autant  qu'il  ne  se  peut  faire  que  Dieu  agisse  autre- 
ment que  par  sa  raison  et  par  sa  sagesse,  de  là  vient  que 
nous  voyons  dans  les  saintes  Lettres  que  Dieu  a  tout  fait 
par  son  Verbe,  qui  est  son  Fils  :  Omnia  per  ipsum  facta 
sicnt  ('')  ;  parce  que  son  Verbe  est  sa  raison  et  sa  lumière. 
C'est  pourquoi  cette  grande  machine  du  monde  est  un 
ouvrage  si  bien  entendu,  et  fait  reluire  de  toutes  parts  un  (^) 
ordre  si  admirable  avec  une  excellente  raison.  Il  ne  se  peut 
que  la  disposition  n'en  soit  belle,  et  tous  les  mouvements 
raisonnables,  parce  qu'ils  viennent  d'une  idée  très  sage,  et 
d'une  science  très  assurée,  et  d'une  raison  souveraine,  qui 
est  le  Verbe  et  le  Fils  de  Dieu,  par  qui  toutes  choses  ont 
été  faites,  par  qui  elles  sont  disposées  et  régies. 

Or,  fidèles,  ce  Verbe  divin,  après  avoir  fait  éclater  sa  sa- 
gesse dans  la  structure  et  le  gouvernement  de  cet  univers, 
parce  que,  comme  dit  l'apôtre  saint  Jean,  par  lui  toutes 
choses  ont  été  faites,  touché  d'un  amour  incroyable  pour 
notre  nature,  il  nous  le  manifeste  encore  d'une  façon  tout 
ensemble  plus  familière  et  plus  excellente  dans  un  ouvrage 
plus  divin  et  qui  ne  laisse  pas  toutefois  de  nous  toucher  aussi 
de  bien  plus  près.  Comment  cela  ?  direz-vous.  Ah  !  voici  le 
grand  conseil  de  notre  bon  Dieu,  et  la  grande  consolation 
des  fidèles  :  c'est  que  ce  Verbe  éternel,  comme  vous  savez, 
s'est  fait  homme  dans  la  plénitude  des  temps  ;  il  s'est 
uni  à  notre  nature,  il  a  pris  l'humanité  dans  les  entrailles  de 
la  bienheureuse  Marie,  et  c'est  cette  miraculeuse  union  qui 
nous  a  donné  Jésus-Christ,  Dieu  et  homme,  notre  Maître 
et  notre  Sauveur. 

a.Joan.^i,  2,- 

1.  Var.  de  la  connaissance. 

2.  Ms.  une.  (Distraction.) 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  395 


Donc  (0  la  sainte  humanité  de  Jésus  étant  unie  au  Verbe 
divin,  elle  est  régie  et  gouvernée  par  le  même  Verbe.  (") 
Rendez-vous,  s'il  vous  plaît,  attentifs,  et  comprenez  ce  rai- 
sonnement. De  même  que  la  raison  humaine  gouverne  les 
appétits  du  corps  qui  lui  est  uni,  tellement  que  la  partie 
même  inférieure  participe  en  quelque  sorte  à  la  raison,  en 
tant  qu'elle  s'y  soumet  et  lui  obéit  :  de  même  le  Verbe  divin 
gouverne  l'humanité  qu'il  a  revêtue  (^)  ;  et  comme  il  l'a  ren- 
due sienne  d'une  façon  extraordinaire,  il  la  régit  aussi,  il  la 
meut  et  il  l'anime  (^)  d'un  soin  et  d'une  manière  ineffable  ; 
si  bien  que  toutes  les  actions  de  cette  nature  humaine,  que 
le  Verbe  divin  s'est  appropriée,  sont  toutes  pleines  de  cette 
sagesse  incréée,  qui  est  le  Fils  de  Dieu,  et  sont  dignes  du 
Verbe  éternel  auquel  elle  est  divinement  unie,  et  par  lequel 
elle  est  singulièrement  gouvernée.  De  là  vient  que  les  an- 
ciens Pères,  parlant  des  actions  de  cet  Homme-Dieu,  les 
ont  appelées  opérations  théandriques,  c'est-à-dire,  opérations 
mêlées  du  divin  et  de  l'humain,  opérations  divines  et  hu- 
maines tout  ensemble  ;  humaines  par  leur  nature,  divines  par 
leur  principe  :  d'autant  que  le  Dieu  Verbe  s'étant  rendu 
propre  la  sainte  humanité  de  Jésus,  il  en  considère  les  ac- 
tions comme  siennes,  et  ne  cesse  d'y  faire  couler  une  influence 
de  grâce  et  de  sagesse  toute  divine  {^),  qui  les  anime  et  qui 
les  relève  au-delà  de  ce  que  nous  pouvons  concevoir. 

Notre  doctrine  étant  ainsi  supposée,  il  ne  nous  sera  pas 
difficile  de  l'appliquer  aux  paroles  du  saint  Apôtre  qui  servent 
de  fondement  à  tout  ce  discours.  Je  dis  donc  que  l'humanité 
de  Jésus  touchant  de  si  près  au  Verbe  divin,  et  lui  apparte- , 
nant  par  une  espèce  d'union  si  intime,  il  était  oblige,  pour 
l'intérêt  de  sa  gloire,  de  la  conduire  par  sa  sagesse  :  d'où  il 
résulte  que  toutes  les  actions  de  Jésus  venaient  d'un  [)rin- 
cipe  divin  et  d'un  fond  de  sagesse  infinie.  Partant,  si  nous 

1.  Xv///.  Par  conséquent.  —  Ces  mots  ne  sont  pas  tout  h  fait  synonymes  du 
donc  de  l'auteur. 

2.  É(ù'f.  Carde  môme...—  C'est   la  variante.    Mais  p(nirc|uoi  supi)iimcrla 
phrase  suivante .'' 

3.  Érii^.  dont  il  s'est  revêtu. 

4.  É(ù'/.  avec  un  soin. 

5.  ïùù'/.  une  influence  toute    divine  de  grâce  et  de  sagesse... 


39^  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 


voulons  reconnaître  en  (')  quelle  estime  nous  devons  avoir 
les  choses  qui  se  présentent  à  nous,  nous  n'avons  qu'à  consi- 
dérer le  choix  ou  le  mépris  qu'en  a  fait  le  Sauveur  Jésus 
pendant  qu'il  a  vécu  sur  la  terre.  Comme  il  est  la  Parole 
substantielle  du  Père,  toutes  ses  actions  parlent  et  toutes  ses 
œuvres  instruisent. 

On  nous  a  toujours  fait  entendre  que  la  meilleure  façon 
d'enseigner,  c'est  de  faire.  L'action,  en  effet,  a  je  ne  sais 
quoi  de  plus  vif  et  de  plus  pressant  que  les  paroles  les  plus 
éloquentes.  C'est  aussi  pour  cela  que  le  Fils  de  Dieu,  ce  divin 
Précepteur  que  Dieu  nous  a  envoyé  du  ciel,  a  choisi  cette 
noble  manière  de  nous  enseigner  par  ses  actions  ;  et  cette 
instruction  est  d'autant  plus  persuasive  et  plus  forte,  qu'étant 
réglée  (^)  par  la  sagesse  même  de  Dieu,  nous  sommes  assurés 
qu'il  ne  peut  manquer.  Bonté  incroyable  de  notre  Dieu  ! 
Voyant  que  nous  étions  contraints  d'aller  puiser  en  divers 
endroits  les  ondes  salutaires  de  la  vérité,  non  sans  un  grand 
travail  et  un  péril  éminent  de  nous  égarer  dans  une 
recherche  si  difficile,  il  nous  a  proposé  son  cher  Fils,  dans 
lequel  il  a  ramassé  toutes  les  vérités  qui  nous  sont  utiles, 
comme  dans  un  saint  et  mystérieux  abrégé  ;  et,  ayant  pitié 
de  nos  ignorances  et  de  nos  irrésolutions,  il  a  tellement  dis- 
pose sa  vie,  que  par  elle  toutes  les  choses  nécessaires  pour 
la  conduite  des  mœurs  sont  très  évidemment  décidées  :  d'où 
vient  que  l'apôtre  saint  Paul  nous  assure  «  qu'en  Jésus- 
Christ  sont  cachés  tous  les  trésors  de  la  science  et  de  la 
sagesse  (").  »  C'est  pourquoi,  dit  le  même  saint  Paul  ('),  je 
ne  cherche  pas  la  bonne  doctrine  dans  les  écrits  curieux  ni 
dans  les  raisonnements  incertains  des  philosophes  et  des 
orateurs  enflés  de  leur  vaine  éloquence;  seulement  j'étudie  le 
Sauveur  Jésus,  et  en  lui  je  vois  toutes  choses.  De  cette  sorte, 
fidèles,  Jésus  n'est  pas  seulement  notre  Maître,  mais  il  est 
encore  l'objet  de  nos  connaissances  :  il  n'est  pas  seulement 
la  lumière  qui  nous  guide  à  la  vérité,  mais  il  est  lui-même 
la  Vérité  dont  nous  désirons  la  science  ;  et  c'est  pourquoi 

a.  Cû/oss.,  II,  3.  —  ^.  I  Cor.,  11,  i  et  seq. 

1.  Edit.  quelle  estime  nous  devons  faire  des  choses... 

2.  Proposiiion  participe  :  sorte  d'ablatif  absolu. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  397 


nous  sommes  appelés  chrétiens,  non  seulement  parce  que 
nous  professons  de  ne  suivre  point  d'autre  maître  que  Jésus- 
Christ,  mais  encore  parce  que  nous  faisons  gloire  de  ne  sa- 
voir autre  chose  que  Jésus-Christ.  Et  certes,  ce  serait  en 
vain  que  nous  rechercherions  d'autres  instructions,  puisque 
par  le  Verbe  fait  homme  la  Science  elle-même  nous  a  parlé  ; 
et  que  la  Sagesse,  pour  nous  enseigner,  a  fait  devant  nous 
ce  qu'il  fallait  faire,  et  que  la  Vérité  même  s'est  manifestée 
à  nos  esprits  et  s'est  rendue  sensible  à  nos  yeux. 

Voilà  de  quelle  sorte  Jésus-Christ,  notre  grand  pontife, 
a  porté  sur  lui-même  la  doctrine  et  la  vérité.  Mais  d'autant 
que  c'est  à  la  croix  qu'il  a  particulièrement  exercé  sa  charge 
de  souverain  prêtre,  c'est  là,  c'est  là,  mes  frères,  que,  malgré 
la  fureur  de  ses  ennemis  et  la  honte  de  sa  nudité  ignomi- 
nieuse,  il  nous  a  paru  le  mieux  revêtu  de  ses  beaux  orne- 
ments de  doctrine  et  de  vérité.  Jésus  était  le  livre  où  Dieu 
a  écrit  notre  instruction;  mais  c'est  à  la  croix  que  ce  grand 
livre  s'est  le  mieux  ouvert,  par  ses  bras  étendus,  et  par  ses 
cruelles  blessures,  et  par  sa  chair  percée  de  toutes  parts;  car, 
après  une  si  belle  leçon,  que  nous  rcste-t-il  à  [ap]prendre  ? 
Fidèles,  ce  qui  nous  abuse,  ce  qui  nous  empêche  de  recon- 
naître le  souverain  bien,  qui  est  la  seule  science  profitable, 
c'est  l'attachement  et  l'aveugle  estime  que  nous  avons  pour 
les  biens  sensibles.  C'est  ce  qui  a  obligé  le  Sauveur  Jésus 
à  choisir  volontairement  les  injures,  les  tourments  et  la  mort. 
Bien  plus,  il  a  choisi  de  toutes  les  injures  les  plus  sensibles, 
et  de  tous  les  supplices  le  plus  infâme,  et  de  toutes  les 
morts  la  plus  douloureuse;  afin  de  nous  faire  voir  combien 
sont  méprisables  les  choses  que  les  mortels  abusés  appellent 
des  biens,  et  qu'en  quelque  extrémité  de  misère,  de  pauvreté, 
de  douleurs  que  l'homme  puisse  être  réduit,  il  sera  toujours 
puissant,  abondant,  bienheureux,  [)ourvu  que  Dieu  lui 
demeure. 

Ce  sont  ces  vérités,  chrétiens,  (jue  le  grand  pontife  Jésus 
nous  montre  écrites  sur  son  corps  déchiré,  et  c'est  ce  qu'il 
nous  crie  par  autant  de  bouches  qu'il  a  de  plaies  :  de  sorte 
que  sa  croix  n'est  pas  seulement  le  sanctuaire  d'un  pontife 
et  l'autel  d'une  victime,  mais  la  chaire  d'un  maître  et  le  trône 


;98  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 


d'un  légishitcur.  De  là  vient  que  l'apôtre  saint  Paul,  après 
avoir  dit  qu'il  ne  sait  autre  chose  que  Ji-:sus-Christ,  il 
ajoute  aussitôt  :  «  Et  Jésus-Christ  crucifié;  »  parce  que  si  ces 
vérités  chrétiennes  nous  sont  montrées  dans  la  vie  de  Jésus, 
nous  les  lisons  encore  bien  plus  efficacement  dans  sa  mort, 
scellées  et  confirmées  par  son  sang:  tellement  que  Jésus 
crucifié,  qui  a  été  le  scandale  du  monde,  et  qui  a  paru  igno- 
rance et  folie  aux  philosophes  du  siècle,  pour  confondre 
l'arrogance  humaine  est  devenu  le  plus  haut  point  de  notre 
sagesse. 

Ah!  que  l'admirable  Bernard  s'était  avancé  dans  cette 
sagesse  !  Il  était  toujours  au  pied  de  la  croix,  lisant,  contem- 
plant et  étudiant  ce  grand  livre.  Ce  livre  fut  son  premier 
alphabet  dans  sa  tendre  enfance  :  ce  même  livre  fut  tout  son 
conseil  dans  sa  sage  et  vénérable  vieillesse.  Il  en  baisait  les 
sacrés  caractères;  je  veux  dire,  ces  aimables  blessures,  qu'il 
considérait  comme  étant  encore  toutes  fraîches  et  toutes  ver- 
meilles, et  teintes  de  ce  sang  précieux  qui  est  notre  prix  et 
notre  breuvage.  Il  disait  avec  l'apôtre  saint  Paul  ('")  :  Que 
les  sages  du  monde  se  glorifie[nt],  les  uns  de  la  connaissance 
des  astres,  et  les  autres  des  éléments;  ceux-là  de  l'histoire 
ancienne  et  moderne,  et  ceux-ci  de  la  politique;  qu'ils  se 
vantent,  tant  qu'il  leur  plaira,  de  leurs  inutiles  curiosités  : 
pour  moi,  si  Dieu  permet  que  je  sache  Jésus  crucifié,  ma 
science  sera  parfaite,  et  mes  désirs  seront  accomplis.  C'est 
tout  ce  que  savait  saint  Bernard  :  et  comme  l'on  ne  prêche 
que  ce  que  l'on  sait,  lui,  qui  ne  savait  que  la  croix,  ne  prê- 
chait aussi  que  la  croix. 

La  science  de  la  croix  fait  les  chrétiens;  la  prédication  de 
la  croix  produit  les  apôtres  (').  C'est  pourquoi  saint  Paul,  qui 
se  glorifie  de  ne  savoir  que  Jésus  crucifié,  publie  ailleurs 
hautement  qu'il  ne  prêche  que  Jésus  crucifié  (^).  Ainsi  fai- 
sait le  dévot  saint  Bernard.  Je  vous  le  ferai  voir  en  particu- 
lier et  dans  sa  cellule  étudiant  la  croix  de  Jésus,  afin  que 
vous  respectiez  la  vertu  de  ce  bon  et  parfait  chrétien;  mais 
après  je  vous   le  représenterai  dans  les  chaires  et  dans  les 

a.  I  Cor.^  I,  20.  —  b.  Ibid.^  23. 

I.  Phrase  soulignée.  C'est  tout  le  plan  du  discours. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  399 

fonctions  ecclésiastiques,  prêchant  et  annonçant  la  croix  de 
Jésus,  afin  que  vous  glorifiiez  Dieu,  qui  nous  a  envoyé  cet 
apôtre.  Vous  verrez  donc,  mes  frères,  la  vie  chrétienne  et 
la  vie  apostolique  de  saint  Bernard,  fondées  Tune  et  l'autre 
sur  la  science  de  notre  Maître  crucifié  :  c'est  le  sujet  de  cet 
entretien.  Il  est  simple,  je  vous  l'avoue;  mais  je  bénirai  cette 
simplicité,  si  dans  la  croix  de  Jésus  je  puis  vous  montrer 
l'origine  des  admirables  qualités  du  pieux  Bernard.  C'est  ce 
que  j'attends  de  la  grâce  du  Saint-Esprit,  si  vous  vous  rendez 
soumis  et  attentifs  à  sa  sainte  parole.  Commençons  (')  avec 
l'assistance  divine,  et  entrons  dans  la  première  partie. 

PREMIER  POINT. 

Si  j'ai  été  assez  heureux  pour  vous  faire  entendre  ce  que 
je  viens  de  vous  dire,  vous  devez  avoir  remarqué  que  le 
Sauveur,  pendu  à  la  croix,  nous  enseigne  le  mépris  du  monde 
d'une  manière  très  puissante  et  très  efficace.  Car  si  Jésus 
crucifié  est  le  Fils  et  les  délices  du  Père,  s'il  est  son  unique 
et  son  bien-aimé,  et  le  seul  objet  de  sa  complaisance  ;  si 
d'ailleurs,  selon  notre  façon  de  juger  des  choses,  il  est  de 
tous  les  mortels  le  plus  abandonné  et  le  plus  misérable  ;  le 
plus  grand  selon  Dieu,  et  le  plus  méprisable  selon  les 
hommes  :  qui  ne  voit  combien  nous  sommes  trompés  dans 
l'estime  que  nous  faisons  des  biens  et  des  maux  ;  et  que  les 
choses  qui  ont  parmi  nous  l'applaudissement  et  la  vogue, 
sont  les  dernières  et  les  plus  abjectes  ?  Et  c'est  ce  qui  inspire, 
jusqu'au  fond  de  l'âme,  le  mépris  du  monde  et  des  vanités 
à  ceux  qui  sont  savants  dans  la  croix  du  Sauveur  Jésus,  où 
la  pompe  et  les  fausses  voluptés  de  la  terre  ont  été  éter- 
nellement condamnées.  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Paul, 
considérant  Jésus -Christ  sur  ce  bois  infâme  :  «  Àh  !  dit-il, 
je  suis  crucifié  avec  mon  bon  Maître.  »  Je  le  vois,  je  le 
vois  sur  la  croix,  dépouillé  de  tous  les  biens  que  nous 
estimons,  accablé  à  l'extrémité  de  tout  ce  qui  nous  afflige  et 
qui  nous  effraye.  Moi  qui  le  crois  la  sagesse  même,  j'estime 

I.  Ce  second  exorde  est  d'une  lonj^ueur  démesurée.  Un  auditoire  mocicrne 
apprendrait  ici  avec  stupeur  qu'on  va  seulement  commencer.  L'usage  compor- 
tait alors  ces  préliminaires  infinis.  Bossuet  toutefois  les  réduira  progressivement. 


400  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 


ce  qu'il  estime  ;  et,  dédaignant  ce  qu'il  a  dédaigné,  je  me 
crucifie  avec  lui,  et  rejette  de  tout  mon  cœur  les  choses  qu'il 
a  rejetées  :  Christo  conjixtcs  S7iin  critci  {f). 

Tel  est  le  sentiment  d'un  vrai  chrétien,  mais  que  cette 
vérité  est  dure  à  nos  sens  !  Oui  la  pourra  comprendre,  fidèles, 
si  Jésus  même  ne  l'imprime  en  nos  cœurs  ?  C'est  ainsi  qu'il 
se  plaît  à  nous  commander  des  choses  esquelles  (')  toute  la 
nature  répugne,  afin  de  faire  éclater  sa  puissance  dans  notre 
faiblesse;  et  pour  animer  nos  courages,  il  nous  propose  des 
personnes  choisies,  à  qui  sa  grâce  a  rendu  aisé  ce  qui  nous 
paraissait  impossible.  Or,  parmi  les  hommes  illustres  dont 
l'exemple  enflamme  nos  espérances  et  confond  notre  lâcheté, 
il  faut  avouer  que  l'admirable  Bernard  tient  un  rang  très 
considérable.  Un  gentilhomme,  d'une  race  illustre,  qui  voit 
sa  maison  en  crédit,  et  ses  proches  dans  les  emplois  impor- 
tants; à  qui  sa  naissance,  son  esprit,  ses  richesses  promettent 
une  belle  fortune,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans  renoncer  au 
monde,  au  point  (^)  que  fit  saint  Bernard,  vous  semble-t-il, 
chrétiens,  que  ce  soit  un  effet  médiocre  de  la  toute-puissance 
divine  ?  S'il  l'eût  fait  dans  un  âge  plus  avancé,  peut-être  que 
le  dégoût,  l'embarras,  les  ennuis  et  les  inquiétudes  qui  se 
rencontrent  dans  les  affaires,  l'auraient  pu  porter  à  ce  chan- 
gement. S'il  eût  pris  cette  résolution  dans  une  jeunesse  plus 
tendre,  la  victoire  eût  été  médiocre  dans  un  temps  où  à 
peine  nous  nous  sentons,  et  où  les  passions  ne  sont  pas 
encore  nées.  Mais  Dieu  a  choisi  saint  Bernard,  afin  de  nous 
faire  paraître  le  triomphe  de  la  croix  sur  les  vanités,  dans 
les  circonstances  les  plus  remarquables  que  nous  ayons 
jamais  vues  en  aucune  histoire. 

Vous  dirai-je  en  ce  lieu  ce  que  c'est  qu'un  jeune  homme 
de  vingt-deux  ans?  quelle  ardeur?  quelle  impatience?  quelle 
impétuosité  de  désirs  ?  Cette  force,  cette  vigueur,  ce  sang 
chaud  et  bouillant,  semblable  à  un  vin  fumeux,  ne  leur  per- 
met rien  de  rassis  ni  de  modéré.  Dans  les  âges  suivants  on 
commence  à  prendre  son  pli,   les  passions  s'appliquent  à 

a.  Galat.^  Il,  19. 

1.  Edit.  auxquelles. 

2.  Édit.  avec  autant  de  détachement  que  le  fit. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  40 1 


quelques  objets,  et  alors  celle  qui  domine  ralentit  du  moins 
la  fureur  des  autres:  au  lieu  que  cette  verte  jeunesse  n'ayant 
rien  encore  de  fixe  ni  d'arrêté,  en  cela  même  qu'elle  n'a  point 
de  passion  dominante  par-dessus  les  autres,  elle  est  agitée 
de  toutes  les  passions,  avec  violence  (').  Là  les  folles  amours; 
là  le  luxe,  l'ambition  et  le  vain  désir  de  paraître  exercent 
leur  empire  sans  résistance  (^).  Tout  s'y  fait  par  une  chaleur 
inconsidérée  ;  et  comment  accoutumer  à  la  règle,  à  la  soli- 
tude, à  la  discipline,  cet  âge  qui  ne  se  plaît  que  dans  le 
mouvement  et  dans  le  désordre,  et  qui  n'est  presque  jamais 
dans  une  action  composée  {^):  Et  pudet  non  esse  imptiden- 
tein  i(-)\ 

Certes,  quand  nous  nous  voyons  penchants  sur  le  retour 
de  notre  âge,  que  nous  comptons  déjà  une  longue  suite  de 
nos  ans  écoulés,  que  nos  forces  se  diminuent,  et  que  le  passé 
occupant  la  partie  la  plus  considérable  de  notre  vie,  nous  ne 
tenons  plus  au  monde  que  par  un  avenir  incertain  :  ah  !  le 
présent  ne  nous  touche  plus  guère.  Mais  la  jeunesse  qui  ne 
songe  pas  que  rien  lui  soit  encore  échappé,  qui  sent  sa  vigueur 
entière  et  présente,  elle  (^)  ne  songe  aussi  qu'au  présent,  et 
y  attache  toutes  ses  pensées.  Dites-moi,  je  vous  prie,  celui 
qui  croit  avoir  le  présent  tellement  à  soi,  quand  est-ce  qu'il 
s'adonnera  aux  pensées  sérieuses  de  l'avenir.^  Davantage  (^), 
quelle  apparence  de  quitter  le  monde,  dans  un  âge  oii  il  ne 
nous  y  paraît  (^)  rien  que  de  plaisant  '^.  Nous  voyons  toutes 
choses  selon  la  disposition  où  nous  sommes  :  de  sorte  que  la 

a.  S.  Aug.,  Confess.,  lib.  II,  cap.  IX. 

1.  Corrections .à.t,  date  postérieure  :  *  «  elle  est  emportée^  elle  est  agitée  tour 
à  tour  de  toutes  les  tempHcs  des  passions,  avec  [une]  iiicroyahle  violence.  v> 
—  Sous  cette  forme,  cette  belle  pensée  est  dans  toutes  les  mémoires. 

2.  Autre  addition^  au  bas  de  la  page  sans  renvoi  :  *  <i  Saint  Bernard  ne  se 
prend  point  parmi  tant  de  pièges  ;  il  n'a  jamais  souillé  la  source  de  l'amour.  > 
— ^  Il  y  a  grande  apparence  que  ces  remaniements  sont  de  1656,  Hossuet,  prê- 
chant la  profession  d'une  Postulante  bernardine,  fit  un  nouvel  éloge  de  saint 
Bernard.  (Voy.  au  20  août,  1656.) 

3.  Édit.  a  et  (jui  n'A  honte  que  de  la  modération  et  de  la  puilcur.  »  —  C'est 
une  addition  de  date  postérieure,  cjui  devait  se  placer  après  le  texte  latin  et  se 
lire  ainsi  :  «  *  On  n'a  honte  c|ue  de  la  modération  et  de  la  jjudeur.  ^^ 

4.  Ces  pléonasmes  oratoires  avaient  été  supprimés  par  les  éditeurs. 

5.  C'est-à-dire  :  De  plus.  (Omis  par  les  éditeurs.) 

6.  Edit.  oii  il  ne  nous  présente. 

Sermons  de  Bossuet. 


402  l'ANÉGVRigUK  1)K  SAINT  BERNARD. 


jeunesse,  qui  semble  n'être  formée  que  pour  la  joie  et  pour  les 
plaisirs,  ah  !  elle  ne  voit  (')  rien  de  fâcheux;  tout  lui  rit,  tout 
lui  applaudit.  Elle  n'a  point  encore  d'expérience  des  maux 
du  monde,  ni  des  traverses  qui  nous  arrivent  :  de  là  vient 
qu'elle  s'imagine  qu'il  n'y  a  point  de  dégoût,  de  disgrâce 
pour  elle.  Comme  elle  se  sent  forte  et  vigoureuse,  elle  bannit 
la  crainte,  et  tend  les  voiles  de  toutes  parts  à  l'espérance  qui 
l'enfle  et  qui  la  conduit. 

Vous  le  savez,  fidèles,  de  toutes  les  passions,  la  plus  char- 
mante, c'est  l'espérance.  C'est  elle  qui  nous  entretient  et  qui 
nous  nourrit,  qui  adoucit  toutes  les  amertumes  de  la  vie  ;  et 
souvent  nous  quitterions  des  biens  effectifs,  plutôt  que  de 
renoncer  à  nos  espérances.  Mais  la  jeunesse  téméraire  et 
malavisée,  qui  présume  toujours  beaucoup  à  cause  qu'elle  a 
peu  expérimenté,  ne  voyant  point  de  difficulté  dans  les  choses, 
c'est  là  que  l'espérance  est  la  plus  véhémente  et  la  plus  hardie  : 
si  bien  que  les  jeunes  gens,  enivrés  de  leurs  espérances, 
croient  tenir  tout  ce  qu'ils  poursuivent  ;  toutes  leurs  imagi- 
nations leur  paraissent  des  réalités.  Ravis  d'une  certaine 
douceur  de  leurs  prétentions  infinies,  ils  s'imagineraient 
perdre  infiniment,  s'ils  se  départaient  de  leurs  grands  des- 
seins ;  surtout  les  personnes  de  condition,  qui,  étant  élevées 
dans  un  certain  esprit  de  grandeur,  et  bâtissant  toujours  sur 
les  honneurs  de  leur  maison  et  de  leurs  ancêtres,  se  per- 
suadent facilement  qu'il  n'y  a  rien  à  quoi  ils  (')  ne  puissent 
prétendre. 

Figurez-vous  maintenant  le  jeune  Bernard,  nourri  en 
homme  de  condition,  qui  avait  la  civilité  comme  naturelle, 
l'esprit  poli  par  les  bonnes  lettres,  la  rencontre  {^)  belle  et 
aimable,  l'humeur  accommodante,  les  mœurs  douces  et  agréa- 
ables  :  ah  !  que  de  puissants  liens  pour  demeurer  attaché  à 
la  terre  !  Chacun  pousse  de  telles  personnes  :  on  les  vante, 
on  les  loue  ;  on  pense  leur  donner  du  courage,  et  on  leur 
inspire  l'ambition.  Je   sais  que   sa  pieuse  mère  l'entretenait 

1.  É^ù'/.  trouve. 

2.  Les  persû7tnes  de  condition...  z7s...  Syllepse  usitée  alors.  (Voy.   Remarques 
sur  la  grammaire  et  le  vocabulaire^  à  la  fin  de  V Introduction.) 

3.  Édit.   la  représentation. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  403 

souvent  des  (')  mépris  du  monde  ;  mais  disons  la  vérité,  cet 
âge  ordinairement  indiscret  n'est  pas  capable  de  ces  bons 
conseils.  Les  avis  de  leurs  compagnons  et  de  leurs  égaux, 
qui  ne  croient  rien  de  si  sage  qu'eux,  l'emportent  par-dessus 
les  (^)  parents. 

Triomphez,  Seigneur,  triomphez  de  tous  les  attraits  de  ce 
monde  trompeur  ;  et  faites  voir  au  jeune  Bernard,  comme 
vous  le  fîtes  voir  à  saint  Paul  (''),  ce  qu'il  faut  qu'il  endure 
pour  votre  service.  Déjà  vous  lui  avez  inspiré,  avec  une  tendre 
dévotion  pour  Marie,  un  généreux  amour  de  la  pureté;  déjà 
il  a  méprisé  des  caresses  les  plus  dangereuses,  dans  des  ren- 
contres que  l'honnêteté  ne  me  permet  pas  de  dire  en  cette 
audience  ;  déjà  votre  grâce  lui  a  fait  chercher  un  bain  et  un 
rafraîchissement  salutaire  dans  les  neiges  et  dans  les  étangs 
glacés,  où  son  intégrité  attaquée  s'est  fait  un  rempart  contre 
les  molles  délices  du  siècle.  Son  regard  imprime  de  la  mo- 
destie :  il  retient  jusques  {^)  à  ses  yeux,  parce  qu'il  a  appris 
de  votre  Evangile  (''')  et  de  votre  apôtre  {')  qu'il  y  a  des  yeux 
adultères.  Dans  un  courage  qui  passe  l'homme,  on  lui  voit 
peintes  sur  le  visage  la  honte  et  la  retenue  d'une  fille  honnête 
et  pudique.  Mais,  achevez.  Seigneur  (^),  en  la  personne  de 
ce  saint  jeune  homme  le  grand  ouvrage  de  votre  grâce. 

Et,  en  effet,  le  voyez-vous,  chrétiens,  comme  il  est  rêveur 
et  pensif  ;  de  quelle  sorte  il  fuit  le  grand  monde,  devenu 
extraordinairement  amoureux  du  secret  et  de  la  solitude  ? 
Là  il  s'entretient  doucement  de  telles  ou  de  semblables  pen- 
sées :  Bernard,  que  prétends-tu  dans  le  monde  ?  Y  vois-tu 
quelque  chose  qui  te  satisfasse  ?  Les  fausses  voluptés,  après 
lesquelles  les  mortels  ignorants  courent  d'une  telle  fureur, 
qu'ont-elles  après  tout,  qu'une  illusion  de  peu  de  durée  ? 
Sitôt  que  {')  cette  première  ardeur,  cjui  leur  donne  tout  leur 
agrément,  a  été  un  peu  ralentie  [)ar  le  temps,  Iriirs  plus  \-io- 

a.  AcL^  IX,  16.—  b.  Maith.^  v,  28.  —  c.  Il  /V//.,  11,  14. 

1.  lùiit.  du  mdpris. 

2.  Edit.  par-dessus  ceux  des  parents. 

3.  L'jcst  ici  une  correction.  11  ne  faudrait  pouriani  pas  en  g<5nvîraliser  la  ponde, 
car  on  en  trouve  d'autres  en  sens  contraire. 

4.  Var.  Mais,  vSeipneur,  achevez. 

5.  Var.  qu'une  certaine  ardeur. 


404  rANÉGVRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

lents  sectateurs  s'étonnent  le  plus  souvent  de  s'être  si  fort 
travaillés  pour  rien.  L'âge  et  l'expérience  nous  font  bien  voir 
combien  sont  vaines  les  choses  que  nous  avions  le  plus  dési- 
rées. Et  encore  ces  plaisirs  tels  quels,  combien  sont-ils  clair- 
semés (')  dans  la  vie  !  Quelle  joie  peut-on  ressentir,  où  la 
douleur  ne  se  jette  comme  à  la  traverse  ?  Et  s'il  nous  fallait 
retrancher  de  nos  jours  tous  ceux  que  nous  avons  mal  passés, 
même  selon  les  maximes  du  monde,  pourrions-nous  bien 
trouver  en  toute  la  vie  de  quoi  faire  trois  ou  quatre  mois  ? 
Mais  accordons  aux  fols  amateurs  du  siècle,  que  ce  qu'ils 
aiment  est  considérable  ;  combien  dure  cette  félicité  ?  Elle 
fuit,  elle  fuit  comme  un  fantôme,  qui,  nous  ayant  donné 
quelque  espèce  de  contentement  pendant  qu'il  demeure  avec 
nous,  ne  nous  laisse  en  nous  quittant  que  du  trouble. 

Bernard,  Bernard,  disait-il,  cette  verte  jeunesse  ne  durera 
pas  toujours.  Cette  heure  fatale  viendra,  qui  tranchera  toutes 
les  espérances  trompeuses  par  une  irrévocable  sentence.  La 
vie  nous  manquera,  comme  un  faux  ami,  au  milieu  de  nos 
entreprises.  Là  tous  nos  beaux  desseins  tomberont  parterre; 
là  s'évanouiront  toutes  nos  pensées.  Les  riches  de  la  terre, 
qui  durant  cette  vie,  jouissant  de  la  tromperie  d'un  songe 
agréable,  s'imaginent  avoir  de  grands  biens,  s'éveillant  tout 
à  coup  dans  ce  grand  jour  de  l'éternité,  seront  tout  étonnés 
qu'ils  se  trouveront  (^)  les  mains  vides.  La  mort,  cette  fatale 
ennemie,  entraînera  avec  elle  tous  nos  plaisirs  et  tous  nos 
honneurs  dans  l'oubli  et  dans  le  néant.  Hélas  !  on  ne  parle 
que  de  passer  le  temps.  Le  temps  passe  en  effet,  et  nous 
passons  avec  lui  ;  et  ce  qui  passe  à  mon  égard  par  le  moyen 
du  temps  qui  s'écoule,  entre  dans  l'éternité  qui  ne  passe  pas  ; 
et  tout  se  ramasse  dans  le  trésor  de  la  science  divine  qui  ne 
passe  pas  (^).  O  Dieu  éternel!  quel  sera  notre  étonnement, 
lorsque  le  juge  sévère,  qui  préside  dans  l'autre  siècle,  où 
celui-ci  nous  conduit  malgré  nous,  nous  représentant  en  un 

1.  Éiù'l.  rares.  —  Deforis  tenait-il  à  la  banalité  dans  les  épithètes?  Il  avait 
pourtant  imprimé  dans  la  Brièveté  de  la  vie  :  «  Mais  combien  ce  temps  est-il 
clairsemé. . ./  »  —  Plus  haut  :  «  nous  font  voir  ;  »  au  lieu  de  :  «  nous  font  bien  voir.  » 

2.  Édit.  de  se  trouver. 

3.  Édit,  qui  subsiste  toujours.  —  Mais  la  répétition  était  voulue  ;  elle  revient 
encore  dans  la  phrase  suivante. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  405 

instant  toute  notre  vie,  nous  dira  d'une  voix  terrible  :  Insensés 
que  vous  êtes,  qui  avez  tant  estimé  les  plaisirs  qui  passent, 
et  qui  n'avez  pas  considéré  la  suite  qui  ne  passe  pas  ! 

Allons,  concluait-il  (')  ;  et  puisque  notre  [vie]  est  toujours 
emportée  par  le  temps  qui  ne  cesse  de  nous  échapper, 
tâchons  d'y  attacher  quelque  chose  qui  nous  demeure.  Puis 
retournant  à  son  grand  livre,  qu'il  étudiait  continuellement 
avec  une  douceur  incroyable,  je  veux  dire,  à  la  croix  de 
Jésus,  il  se  rassasiait  de  son  sang,  et  avec  cette  divine  liqueur 
il  humait  le  mépris  du  monde.  Je  viens,  disait-il,  ô  mon 
Maître,  je  viens  me  crucifier  avec  vous.  Je  vois  que  ces 
yeux  si  doux,  dont  un  seul  regard  a  fait  fondre  saint  Pierre 
en  larmes,  ne  rendent  plus  de  lumières  :  je  tiendrai  les  miens 
fermés  à  jamais  à  la  pompe  du  siècle;  ils  n'auront  plus  de  lu- 
mières pour  les  vanités.  Cette  bouche  divine,  de  laquelle  inon- 
daient (^)  des  fleuves  de  vie  éternelle,  je  vois  que  la  mort  l'a 
fermée  :  je  condamnerai  la  mienne  au  silence,  et  ne  l'ouvri- 
rai que  pour  confesser  mes  péchés  et  votre  miséricorde.  Mon 
cœur  sera  de  glace  pour  les  vains  plaisirs  ;  et  comme  je  ne 
vois  sur  tout  votre  corps  ancune  partie  entière,  je  veux  por- 
ter de  tous  côtés  sur  moi-même  les  marques  de  vos  souffran- 
ces, afin  d'être  un  jour  entièrement  revêtu  de  votre  glorieuse 
résurrection.  Enfin  je  me  jetterai  à  corps  perdu  sur  vous,  ô 
aimable  mort,  et  je  mourrai  avec  vous  ;  je  m'envelopperai 
avec  vous  dans  votre  drap  mortuaire.  Aussi  bien  j'apprends 
de  l'Apôtre  ('')  que  nous  sommes  ensevelis  avec  vous  dans  le 
saint  baptême. 

Ainsi  le  pieux  Bernard  s'enflamme  au  mépris  du  monde, 
comme  il  est  aisé  de  le  recueillir  de  ses  livres.  Il  ne  son«^e 
plus  qu'à  chercher  un  lieu  de  retraite  et  de  pénitence.  Mais 
comme  il  ne  désire  que  la  rigueur  et  l'humilité,  il  ne  se  jette 
point  dans  ces  fameux  monastères,  que  leur  ré[)utation  ou 
leur  abondance  rend  illustres  par  toute  la  terre.  Imi  ce  temj)s- 
là  un   petit  nombre  de  religieux   vivaient  à  Cîteaux,    sous 

a.  Coloss.,  II,  12. 

1.  /'.dit.  concluait  Bernard. 

2.  j'ùiit.  découlaient  des  fleuves  de  cette  eau  vive  qui  rejaillit  jusque  la  vie 
dternclle.  —  Celait  refaire  le  discours.  —  Ms,  Cette  bouche  divine  lUsquih 
inondaient...  (Distraction.) 


406  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

Tabbé  Etienne.  L'austérité  qui  s'y  pratiquait  les  empê- 
chait de  s'attirer  des  imitateurs.  Ils  (')  ne  se  relâchaient  pas 
pour  cela,  jugeant  plus  à  propos  de  persister  dans  leur 
institut  pour  l'amour  de  Dieu,  que  d'y  rien  changer  pour 
l'amour  des  hommes.  Cette  abbaye,  maintenant  si  célèbre, 
était  pour  lors  inconnue  et  sans  nom.  Le  bienheureux  Ber- 
nard, à  qui  le  voisinage  donnait  quelque  connaissance  de  la 
vertu  de  ces  saints  personnages,  embrasse  leur  règle  et  leur 
discipline,  ravi  d'avoir  trouvé  tout  ensemble  la  sainteté  de 
vie,  l'extrême  rigueur  de  la  pénitence  et  l'obscurité.  Là  il 
commença  de  vivre  de  ('')  sorte  qu'il  fut  bientôt  en  admira- 
tion, même  à  ces  anges  terrestres  ;  et  comme  ils  le  voyaient 
toujours  croître  (^),  il  ne  fut  pas  longtemps  parmi  eux,  que, 
tout  jeune  qu'il  était  ('^)  lors,  ils  le  jugèrent  capable  {^)  de  for- 
mer les  autres.  Je  laisse  les  actions  éclatantes  de  ce  grand 
homme  ;  et  pour  la  confusion  de  notre  mollesse,  à  la  louange 
de  la  grâce  de  Dieu,  je  vous  ferai  un  tableau  de  sa  pénitence 
tiré  de  ses  paroles  et  de  ses  écrits. 

Il  avait  accoutumé  de  dire  qu'un  novice,  entrant  dans  le 
monastère,  devait  laisser  son  corps  à  la  porte  ;  et  le  saint 
homme  en  usait  ainsi  ('').  Ses  sens  étaient  de  telle  sorte  (^) 
mortifiés,  qu'il  ne  voyait  plus  ce  qui  se  présentait  à  ses  yeux. 
La  longue  habitude  de  mépriser  le  plaisir  du  goût  avait 
éteint  en  lui  toute  la  pointe  de  la  saveur.  Il  mangeait  de 
toutes  choses  sans  choix  ;  il  buvait  de  l'eau  ou  de  l'huile 
indifféremment,  selon  qu'il  les  avait  à  la  main.  Le  pain  {^) 
dont  il  usait  était  si  amer,  que  l'on  voyait  bien  que  sa  plus 
grande  appréhension  était  de  donner  quelque  satisfaction  à 
son  corps.  A   ceux  qui.  s'effrayaient  de  la  solitude,  il  leur 

a.   Vit.  S.  Bernard. y  lib.  I,  cap.  iv,  n.  20. 

1.  Var.  (r^  rédaction,  effacée  par  un  trait  vertical,  et  cependant  maintenue 
dans  le  texte  par  les  éditeurs)  :  «  mais  autant  que  leur  vie  était  inconnue  aux 
hommes,  autant  était-elle  {édit.  elle  était)  en  admiration  devant  les  saints  anges.  » 

2.  Édit.  de  telle  sorte.  —  Mais  les  exemples  de  ce  latinisme  sont  fréquents 
chez  Bossuet.  Cependant  il  disait  aussi  de  telle  sorte^  comme  on  va  le  voir. 

3.  Edit.  croître  eti  vertu. 

4.  Edit.  alors. 

5.  Ms.  capables.  Toutes  ces  distractions  montrent  la  rapidité  de  la  rédaction. 

6.  Edit.  tellement. 

7.  Phrase  renvoyée  plus  loin  par  les  éditeurs. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  407 

représentait  l'horreur  des  ténèbres  extérieures,  et  ce  grince- 
ment de  dents  éternel.  Si  quelqu'un  trouvait  trop  rude  ce 
long  et  horrible  silence,  il  les  avertissait  que,  s'ils  considé- 
raient attentivement  l'examen  rigoureux  que  le  grand  Juge 
fera  des  paroles,  ils  n'auraient  pas  beaucoup  de  peine  à  se 
taire.  Il  avait  peu  de  soin  de  la  santé  de  son  corps,  et  blâmait 
fort  en  ce  point  la  grande  délicatesse  des  hommes,  qui  vou- 
draient se  rendre  immortels,  tant  le  désir  qu'ils  ont  de  la  vie 
est  désordonné  :  pour  lui,  il  mettait  ses  infirmités  parmi  les 
exercices  de  la  pénitence.  Pour  contrecarrer  la  mollesse  du 
monde,  il  choisissait  d'ordinaire  pour  sa  demeure  un  air 
humide  et  malsain,  afin  d'être  non  tant  malade  que  faible  ; 
et  il  estimait  qu'un  religieux  était  sain,  quand  il  se  portait 
assez  bien  pour  chanter  et  psalmodier  (').  Il  voulait  que  les 
moines  excitassent  l'appétit  de  manger,  non  parles  viandes, 
mais  par  les  jeûnes  ;  non  par  le  ragoût  ('),  mais  par  le 
travail  (^).  Il  couchait  sur  la  dure  ;  mais  pour  y  dormir, 
disait-il,  il  attirait  le  sommeil  par  les  veilles,  par  la  psal- 
modie de  la  nuit,  et  par  l'ouvrage  {^)  de  la  journée  :  de  sorte 
que  dans  cet  homme  les  fonctions  même  naturelles  étaient 
exercées  (^)  non  tant  par  la  nature  que  par  la  vertu.  Quel 
homme  a  jamais  pu  dire  avec  plus  juste  raison  ce  que  disait 
l'apôtre  saint  Paul  ('')  :  «  Le  monde  m'est  crucifié,  et  moi  je 
suis  crucifié  au  monde  :  »  Mi/ii  mundus  crucifixus  est^  et  ego 
mundo  ? 

Ah  !  que  l'admirable  saint  Chrysostome  fait  une  excel- 
lente réflexion  sur  ces  beaux  mots  de  saint  Paul  !  Ce  ne  lui 
était  pas  assez,  remarque  ce  saint  évcque  (^'),  d'avoir  dit  que 
le   monde   était  mort  pour  lui,   il  faut   qu'il   ajoute  que   lui- 

a.  Galat.^  vi,  14,  —  b.  De  Coinputict.^  lib.  II,  n.  2. 

1.  Edit.  «  Epicure  nous  apprend,  disait-il,  .\  nourrir  le  corps  parmi  les  plaisirs, 
et  Hippocrate  promet  dele  conserver  en  bonne  sant(5  :  pour  moi,  je  suis  disciple 
de  JÉSUS  CllRisr,  qui  m'enseigne  h  mi?priscr  l'un  et  l'autre.  '►^  --  Il  n'y  a  pas  un 
mot  de  cette  phrase  au  manuscrit. 

2.  lidit.  la  délicatesse  de  la  table. 

3.  Les  éditeur^  placent  ici  la  phrase  supprinice  plus  haut  <\  Le  pain,  ctc^  > 
avec  un  complément  de  leur  fai;on. 

i\.   lùiit.  le  travail. 

5.  Correction  qui  remplace  :  «  causées.  »  Nous  l'acceptons  ici,  bien  qu'elle 
soit  de  date  postérieure  :  l'.iutcur  paraît  avoir  réprouvé  sa  première  rédaction. 


408  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

mcme  est  mort  au  monde.  Certes,  poursuit  ce  savant  inter- 
prète, l'Apôtre  considérait  que  non  seulement  les  vivants 
ont  quelques  sentiments  les  uns  pour  les  autres,  mais  qu'il 
leur  reste  encore  quelque  affection  pour  les  morts  ;  qu'ils  en 
conservent  le  souvenir,  et  rendent  du  moins  à  leurs  corps  les 
honneurs  de  la  sépulture.  Tellement  que  saint  Paul,  pour 
nous  faire  entendre  jusqu'à  quelle  extrémité  le  fidèle  doit  se 
dégager  des  plaisirs  du  siècle  :  Ce  n'est  pas  assez,  dit-il,  que 
le  commerce  soit  rompu  entre  le  monde  et  le  chrétien,  comme 
il  l'est  entre  les  vivants  et  les  morts  ;  car  il  peut  y  rester 
quelque  petite  alliance  :  mais  tel  qu'est  un  mort  à  l'égard 
d'un  mort,  tels  doivent  être  l'un  à  l'autre  le  monde  et  le 
chrétien. 

O  terrible  raisonnement  pour  nous  autres  lâches  et  effé- 
minés, et  qui  ne  sommes  chrétiens  que  de  nom!  Mais  le 
grand  saint  Bernard  l'avait  fortement  gravé  en  son  cœur. 
Car  ce  qui  nous  fait  vivre  au  monde,  c'est  l'inclination  pour 
le  monde.  Ce  qui  fait  vivre  le  monde  pour  nous,  c'est  un 
certain  éclat  qui  nous  charme  dans  les  biens  sensibles.  La 
mort  éteint  les  inclinations;  la  mort  ternit  le  lustre  de  toutes 
choses.  Voyez  le  plus  beau  corps  du  monde  :  sitôt  que  l'âme 
s'est  retirée,  bien  que  les  linéaments  soient  presque  les 
mêmes,  cette  fleur  de  beauté  s'efface,  et  cette  bonne  grâce 
s'évanouit.  Ainsi  le  monde  n'ayant  plus  d'appas  pour  Ber- 
nard, et  Bernard  n'ayant  plus  aucun  sentiment  pour  le  monde, 
le  monde  est   mort  pour   lui,  et  lui   il  est   mort   au   monde. 

Chrétiens  !  quel  sacrifice  le  pieux  Bernard  offre  à  Dieu  par 
ses  continuelles  mortifications  !  Son  corps  est  une  victime 
que  la  charité  lui  consacre  :  en  l'immolant  elle  le  conserve, 
afin  de  la  (')  pouvoir  toujours  immoler.  Que  peut-il  présenter 
de  plus  agréable  au  Sauveur  Jésus,  qu'une  âme  (^)  dégoûtée 
de  toute  autre  chose  que  de  Jésus  même  ;  qui  se  plaît  si  fort 
en  Jésus,  qu'elle  craint  de  se  plaire  en  autre  chose  qu'en  lui  ; 
qui  veut  être  toujours  afiîigée,  jusqu'à  ce  qu'elle  le  possède 
parfaitement  ?  Pour  Jésus  le  pieux  Bernard  se  dépouille  de 
toutes  choses,  et  même,  si  je  l'ose  dire,  pour  Jésus  il  se 
dépouille  de  ses  bonnes  œuvres. 

I.  ÉcfiL  le.  —  2.   Var.  qu'un  cœur. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  409 

Et  en  effet,  fidèles,  comme  les  bonnes  œuvres  n'ont  de 
mérite  qu'autant  qu'elles  viennent  de  Jésus-Christ,  elles 
perdent  leur  prix,  sitôt  que  nous  nous  les  attribuons  à  nous- 
mêmes.  Il  les  faut  rendre  à  celui  qui  les  donne  ;  et  c'est  en- 
core ce  que  l'humble  Bernard  avait  appris  au  pied  (')  de  la 
croix.  Combien  belle,  combien  chrétienne  fut  cette  parole 
de  l'humble  Bernard,  lorsqu'étant  entré  dans  de  vives  ap- 
préhensions du  terrible  jugement  de  Dieu  :  Je  sais,  je  sais, 
dit-il  (''),  que  je  ne  mérite  point  le  royaume  des  bienheureux  ; 
mais  Jésus  mon  Sauveur  le  possède  par  deux  raisons  :  il  lui 
appartient  par  nature  (^)  et  par  ses  travaux  ;  comme  son  hé- 
ritage et  comme  sa  conquête.  Ce  bon  Maître  se  contente  du 
premier  titre,  et  me  cède  libéralement  le  second.  O  sentence 
digne  d'un  chrétien  !  Non,  vous  ne  serez  pas  confondu,  ô 
pieux  Bernard  !  puisque  vous  appuyez  votre  espérance  sur 
le  fondement  de  la  croix. 

Mais,  ô  Dieu!  comment  ne  tremblons-nous  pas,  misérables 
pécheurs  que  nous  sommes,  entendant  une  telle  parole  ? 
Bernard,  consommé  en  vertus,  croit  n'avoir  rien  fait  pour  le 
ciel  ;  et  nous,  nous  présumons  de  nous-mêmes,  nous  croyons 
avoir  beaucoup  fait,  quand  nous  nous  sommes  légèrement 
acquittés  de  quelque  petit  devoir  d'une  dévotion  superficielle. 
Cependant,  ô  douleur  !  l'amour  du  monde  règne  en  nos 
cœurs,  le  seul  mot  de  mortification  nous  fait  horreur.  C'est 
en  vain  que  la  justice  divine  nous  frappe,  et  nous  menace 
encore  de  plus  grands  malheurs,  nous  ne  laissons  pas  de 
courir  après  les  plaisirs,  comme  s'il  nous  était  possible  d'être 
heureux  en  ce  monde  et  en  l'autre.  Mes  frères,  que  pensez- 
vous  faire,  quand  vous  louez  les  vertus  du  grand  saint  Ber- 
nard ?  En  faisant  son  éloge,  vous  prononcez  (')  votre 
condamnation. 

Certes,  il  n'avait  pas  un  corps  de  fer  ni  d'airain  :  il  était 
sensible  aux  douleurs,  et  d'une  complexion  délicate  (^),  pour 

a.  Vit.  S.  Bernard.^  lib.  I,  cap.  XII. 

1.  Ms.  aux  pieds  de  la  croix.  —  Pluriel   fréquent  dans  les  autographes  de  la 
jeunesse  de  Bosr.uet. 

2.  Var.  Premièrement  par  droit  de  nature,  et  comme  le  pri\  île  ses  travaux  et 
de  ses  conquêtes. 

3.  Jùiit.  ne  prononcez-vous  pas.  ? 

4.  Prcniihe  rédaction  :  Sa  complexion  l't ait  tnulro  et  délicate  ;  cependant  ni 


410  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD, 

nous  apprendre  que  ce  n'est  pas  le  corps  qui  nous  manque, 
mais  plutôt  le  courage  et  la  foi.  Pour  condamner  tous  les 
âges  en  sa  personne,  Dieu  a  voulu  que  sa  pénitence  com- 
mençât dès  sa  tendre  jeunesse,  et  que  sa  vieillesse  la  plus 
décrépite  jamais  ne  la  vît  relâchée.  Vous  vous  excusez  sur 
vos  grands  emplois  :  Bernard  était  (')  accablé  des  affaires, 
non  seulement  de  son  ordre,  mais  presque  de  toute  l'Kglise. 
11  prêchait,  il  écrivait,  il  traitait  les  affaires  des  papes  et  des 
évêques,  des  rois  et  des  princes  :  il  négociait  pour  les  grands 
et  pour  les  petits,  ouvrant  à  tout  le  monde  les  entrailles  de 
sa  charité  ;  et  parmi  tant  de  diverses  occupations,  il  ne  mo- 
dérait point,  ses  (^)  austérités,  afin  que  la  mollesse  de  toutes 
les  conditions  et  de  tous  les  âges  fût  éternellement  condam- 
née par  l'exemple  de  ce  saint  homme. 

Vous  (3)  me  direz  peut-être  qu'il  n'est  pas  nécessaire  que 
tout  le  monde  vive  comme  lui.  Mais  du  moins  faut-il  consi- 
dérer, chrétiens,  qu'entre  les  disciples  du  même  Evangile  il 
doit  y  avoir  quelque  ressemblance.  Si  nous  prétendons  au 
même  paradis  où  Bernard  est  maintenant  glorieux,  comment 
se  peut-il  faire  qu'il  y  ait  une  telle  inégalité,  une  telle  contra- 
riété entre  ses  actions  et  les  nôtres  ?  Par  des  routes  si  op- 
posées, espérons-nous  parvenir  à  la  même  fin,  et  arriver  par 
les  voluptés  où  il  a  cru  ne  pouvoir  atteindre  que  par  les 
souffrances  ?  Si  nous  n'aspirons  pas  à  cette  éminente  perfec- 
tion, du  moins  devrions-nous  imiter  quelque  chose  de  sa 
pénitence.  Mais  nous  nous  donnons  tout  entiers  aux  folles 

jeune  ni   vieux,  il  ne  s'est  jamais  épargné.  Sa  première  jeunesse  a  vu  naître  sa 
pénitence  :  sa  vieillesse  la  plus  décrépite  ne  l'a  jamais  vue  relâchée. 

1.  Var.  Bernard  maniait  presque  toutes  les  affaires  de  son  Ordre,  et  presque 
de  toute  l'Église.  {/''''  rédaction^ 

2.  Var.  il  ne  modérait  point  la  rigueur  de  sa  pénitence...  (/"'  rédaction^ 

3.  Tout  ce  paragraphe  est  une  éloquente  addition.  Il  en  est  de  même  du  sui- 
vant. La  première  rédaction  portait  seulement  :  «  Si  cette  extrême  rigueur  nous 
rebute,  du  moins  devrions-nous  tâcher  d'imiter  quelque  chose  de  ce  généreux 
mépris  de  la  terre.  Mais  nous  voulons  contenter  nos  esprits  et  vivre  à  notre 
aise,  et  après  cela  être  appelés  chrétiens.  N'appréhendons-nous  pas  cette  terrible 
sentence  du  Fils  de  Dieu  :  «  Malheur  à  vous  qui  riez,  car  vous  pleurerez  !  » 
{Luc.^  VI,  25.)  Mais  je  vous  laisse  sur  cette  pensée  ;  car  je  suis  moi-même  trop 
languissant  pour  vous  en  représenter  l'importance  ;  et  il  faudrait  pour  cela  que 
j'eusse  quelque  étincelle  de  ce  zèle  apostolique  de  saint  Bernard,  que  nous  allons 
considérer  un  moment  dans  la  seconde  partie.  » 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  41  I 


joies.de  ce  monde  ;  nous  aimons  la  débauche  (')  et  la  bonne 
chère,  la  vie  commode  et  voluptueuse  ;  et  après  cela  nous 
voulons  encore  être  appelés  chrétiens  ! 

Et  comment  ne  comprenons-nous  pas  que  la  croix  de  Jésus 
doit  être  gravée  jusqu'au  plus  profond  de  nos  âmes,  si  nous 
voulons  être  chrétiens  ?  C'est  pourquoi  l'Apôtre  nous  dit  que 
nous  sommes  morts,  et  que  notre  vie  est  cachée,  et  que  nous 
sommes  ensevelis  avec  Jésus-Christ  ('').  Nous  entendons 
peu  ce  qu'on  nous  veut  dire,  si  lorsqu'on  ne  nous  parle  que 
de  mort  et  de  sépulture,  nous  ne  concevons  pas  que  le  Fils 
de  Dieu  ne  se  contente  pas  de  nous  demander  un  change- 
ment médiocre.  Il  faut  se  changer  jusqu'au  fond  ;  et  pour 
faire  ce  changement,  ne  nous  persuadons  pas,  chrétiens, 
qu'une  diligence  ordinaire  suffise.  Cependant  l'affaire  de  notre 
salut  est  toujours  la  plus  négligée.  Toutes  les  autres  choses 
nous  pressent  et  nous  embarrassent  :  il  n'y  a  que  pour  le  salut 
que  nous  sommes  froids  et  languissants.  Et  toutefois  le  Sau- 
veur nous  dit  que  le  royaume  des  cieux  ne  peut  être  pris  que 
de  force,  et  «  qu'il  n'y  a  que  les  violents  qui  l'emportent  (^).  » 
O  Dieu  éternel  !  s'il  faut  de  la  force,  s'il  faut  de  la  violence, 
quelle  espérance  y  a-t-il  pour  nous  dans  ce  bienheureux  hé- 
ritage ?  Mais  je  vous  laisse  sur  cette  pensée  ;  car  je  me  sens 
trop  faible  et  trop  languissant  pour  vous  en  représenter 
l'importance,  et  il  faudrait  pour  cela  que  j'eusse  quelque  étin- 
celle de  ce  zèle  apostolique  de  saint  Bernard,  que  nous  allons 
considérer  un  moment  dans  la  (-)  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

Ce  qui  me  reste  à  vous  dire  de  saint  Bernard  est  si  grand 
et  si  admirable,  que  plusieurs  discours  ne  suffiraient  pas  à 
vous  le  faire  considérer  comme  il  faut.  Toutefois,  j)uis(jue  je 
vous  ai  promis  de  vous  représenter  ce  saint  homme  dans  les 
emplois  publics  et  apostoliques,  disons-en  (juclciur  chose 
brièvement,  de  peur  que  votre  dévotion  ncsoit  frnstr<'<' «rune 

a.  Co/ûss.,  ni,  3.  —  /a  Malth.^  XI,  12. 

1.  lùiit.ii  N'a|3prchenclons-noiis  pas  cette  tenihie  sentence,  itc.  nn  Phrase  em- 
pruntée à  la  première  rédaction.  (\^)y.  note  précédente.  —  Cf.  la  lin  du  discours, 
où  cette  phrase  se  retrouve.) 

2.  Var.  cette. 


412  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

attente  si  douce.  Voulez-vous  que  nous  voyions  le  commen- 
cement de  l'apostolat  de  Bernard  ?  Ce  fut  sur  sa  famille  qu'il 
répandit  ses  premières  lumières,  commençant,  dès  sa  tendre 
jeunesse,  à  prêcher  la  croix  de  Jésus  à  ses  oncles  et  à  ses 
frères,  aux  amis,  aux  voisins,  à  tous  ceux  qui  fréquentaient 
dans  (')  la  maison  de  son  père.  Dès  lors  il  leur  parlait  de 
l'éternité  avec  une  telle  énergie,  qu'il  leur  laissait  je  ne  sais 
quoi  dans  l'âme,  qui  ne  leur  permettait  pas  de  se  plaire  au 
monde.  Son  bon  oncle  Gaudri,  homme  très  considérable  dans 
le  pays,  fut  le  premier  disciple  de  ce  cher  neveu.  Ses  aînés, 
ses  cadets,  tous  se  rangeaient  sous  sa  discipline  ;  et  Dieu 
permit  (~)  que  l'un  après  l'autre,  après  avoir  résisté  quelque 
temps,  tous  ses  frères  vinssent  à  lui  dans  les  moments  mar- 
qués par  la  Providence.  Gui,  l'aîné  de  cette  maison,  quitta 
tous  les  emplois  militaires  et  les  douceurs  de  son  nouveau 
mariage.  Tous  ensemble  ils  renoncèrent  aux  charges  qu'ils 
avaient  ou  qu'ils  prétendaient  dans  la  guerre  ;  et  ces  braves, 
ces  généreux  {^),  accoutumés  au  commandement  et  au  noble 
tumulte  des  armes,  ne  dédaignent  ni  la  bassesse,  ni  le  silence, 
ni  l'oisiveté  de  Cîteaux,  si  saintement  occupée  (^).  Ils  vont 
commencer  de  plus  beaux  combats,  où  la  mort  même  donne 
la  victoire. 

Ces  quatre  frères  allaient  ainsi,  disant  au  monde  le  dernier 
adieu,accompagnés  de  plusieurs  gentilshommes,que  Bernard, 
ce  jeune  pêcheur,  avait  pris  dans  les  filets  de  Jésus.  Nivard, 
le  dernier  de  tous,  qu'ils  laissaient  avec  leur  bon  père  pour 
être  le  support  de  sa  caduque  vieillesse,  les  étant  venu 
embrasser  :  Vous  aurez,  lui  disaient-ils,  tous  nos  biens.  Cet 
enfant,  inspiré  de  Dieu,  leur  fit  cette  belle  réponse  :  Eh  {^) 
quoi  donc  !  vous  prenez  le  ciel,  et  vous  me  laissez  la  terre  (^)  ! 

a.  Vit.  Bernard.^  lib.  I,  cap.  m. 

1.  Édit.  qui  fréquentaient  la  maison. 

2.  Deforis  refait  à  sa  manière  cette  phrase  expressive,  et  il  la  gâte  ainsi  : 
«  Dieu  voulut  que  tous  ses  frères,  après  avoir  résisté  quelque  temps,  vinssent  à 
lui  l'un  après  l'autre.  » 

3.  Édit.  ces  généreux  militaires  !  —  Sur  ces  adjectifs  employés  substantive- 
ment, voy.  Remarques  sur  la  gramniaire  et  le  vocabulaire^  à  la  fin  de  V Introduc- 
tion. 

4.  Ces  trois  derniers  mots,  sont  une  addition  que  l'auteur  a  jugée  nécessaire 
en  se  relisant  plus  tard.  —  Var.  ni  le  repos. 

5.  Bossuet  écrit  à  cette  date  :  Et  quoi  dottc  J  D'où  le  texte  de  quelques  éditions. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  413 


De  cette  sorte,  il  se  plaignait  doucement  qu'ils  le  partageaient 
un  peu  trop  en  cadet  ;  et  cette  sainte  pensée  fit  (')  telle 
impression  sur  son  âme,  qu'ayant  demeuré  quelque  temps 
dans  le  monde,  il  obtint  son  congé  de  son  père,  pour  s'aller 
mettre  en  possession  du  même  héritage  que  ses  chers  frères, 
non  pour  le  partager,  mais  pour  en  jouir  en  commun  avec  eux. 
Que  reste-t-il  au  pieux  Bernard  pour  voir  toute  sa  famille 
conquise  au  Sauveur  ?  Il  avait  encore  une  sœur,  qui,  profitant 
de  la  piété  de  ses  frères,  vivait  dans  le  luxe  et  dans  la  gran- 
deur. Elle  les  vint  un  jour  visiter,  brillante  de  pierreries, 
avec  une  mine  hautaine  et  un  équipage  superbe.  Jamais  elle 
ne  put  obtenir  (^)  le  bien  de  les  voir,  jusqu'à  temps  qu'ayant 
protesté  qu'elle  suivrait  leurs  bonnes  instructions,le  vénérable 
Bernard  s'approcha  :  Et  pourquoi,  lui  dit-il  (''),  veniez-vous 
troubler  le  repos  de  ce  monastère,  et  porter  la  pompe  du 
diable  jusque  dans  la  maison  de  Dieu  ?  Quelle  honte  de  vous 
parer  du  patrimoine  des  pauvres  !  Il  lui  fit  entendre  qu'elle 
avait  grand  tort  d'orner  ainsi  de  la  pourriture  :  c'est  ainsi 
qu'il  appelait  notre  corps.  Ce  corps  en  effet,  chrétiens,  n'est 
qu'une  masse  de  boue,  que  l'on  pare  d'un  léger  ornement,  à 
cause  de  l'âme  qui  y  demeure.  Car  de  même  [que]  si  un  roi 
était  contraint  par  quelque  accident  de  loger  en  une  cabane, 
on  tâcherait  de  l'orner,  et  l'on  y  verrait  quelque  petit  rayon 
de  la  magnificence  royale  ;  (^)  c'est  toujours  une  maison  de 
village,  à  qui  cet  honneur  passager,  dont  elle  serait  bientôt 
dépouillée,  ne  fait  point  perdre  sa  qualité  :  ainsi  cette  ordure 
de  notre  corps  est  revêtue  de  quelque  vain  éclat,  en  faveur 
de  l'âme  qui  doit  y  habiter  quelque  temps  ;  toutefois  c'est 
toujours  de  l'ordure,  qui,  au  bout  d'un  terme  bien  court, 
retombera  dans  la  première  bassesse  de  sa  naturelle  corru[j- 
tiori.  Avoir  tant  de  soin  de  si  peu  de  chose,  et  négliger  pour 
elle  cette  âme  faite  à  l'image  de  Dieu,  d'une  nature  immor- 
telle et  divine,  n'est-ce  pas  une  extrême  fureur  ?  \h  lia  S(L'ur 
du  pieux  Bernard   est  touchée  au   vif  de  cette  pensée  :  elle 

a.  Vif.  lu'rnard.^  lib.  I,  rap.  VI.  % 

1.  lùiit.  fit  une  telle  impression. 

2.  Edit.  «  la  satisfaction  de  les  voir,  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  protesté...  inslruc- 
tions.  Alors  le  vénérable...  î> 

3.  EdiL  Mais  c'est  toujours. 


414  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

court  aussitôt  aux  jeûnes,  à  la  retraite,  au  sac,  au  monastère, 
à  la  pénitence.  Cette  femme  orgueilleuse,  domptée  par  une 
parole  de  saint  Bernard,  suit  l'étendard  de  Jésus  avec  une 
fermeté  invincible. 

Mais  comment  vous  tairai-je  {')  le  comble  de  la  joie  du 
saint  homme,  et  sa  dernière  conquête  dans  sa  famille  ?  Son 
bon  père,  le  vieux  Tesselin,  qui  était  seul  demeuré  dans  le 
monde,  vient  rejoindre  ses  enfants  à  Clairvaux.  O  Dieu  éter- 
nel !  quelle  joie  !  quelles  larmes  du  père  et  du  fils  !  Il  n'est  pas 
croyable  avec  quelle  constance  ce  bon  homme  avait  perdu 
ses  enfants,  l'honneur  de  sa  maison,  et  le  support  de  son  âge 
caduc.  Par  leur  retraite,  il  voyait  son  nom  éteint  sur  la  terre; 
mais  il  se  réjouissait  que  sa  sainte  famille  allait  s'éterniser 
dans  le  ciel  :  et  voici  que  touché  de  l'Esprit  de  Dieu,  afin 
que  toute  la  maison  lui  fût  consacrée,  ce  bon  vieillard,  sur  le 
déclin  de  sa  vie  ('),  devient  enfant  en  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  sous  la  conduite  (^)  de  son  cher  fils,  qu'il  reconnaît 
désormais  pour  son  père.  N'épargnez  pas  vos  soins,  ô  parents, 
à  élever  en  la  crainte  de  Dieu  les  enfants  que  Dieu  vous  a 
confiés  :  vous  ne  savez  pas  quelle  récompense  cette  bonté 
infinie  vous  réserve.  Le  (^)  pieux  Tesselin,  qui  avait  si  bien 
nourri  les  siens  dans  la  piété,  en  reçoit  sur  la  fin  de  ses  jours 
une  bénédiction  abondante  ;  puisque  par  le  moyen  de  son 
fils,  après  une  longue  vie,  il  meurt  dans  une  bonne  espérance, 
et,  si  je  l'ose  dire,  dans  la  paix  et  dans  les  embrassemunts 
du  Sauveur.  Vous  {^)  voyez  que  le  grand  saint  Bernard  est 
l'apôtre  de  sa  famille. 

Voulez-vous  que  je  passe  plus  outre,  et  que  je  vous  fasse 
voir  comme  il  prêche  la  croix  dans  son  monastère?  Combien 
de  sorte[s]  de  gens  venaient,  de  tous  les  endroits  de  la  terre, 
faire  pénitence  sous  sa  discipline  !  Il  avait  ordinairement 
sept  cents  anges,  j'appelle  ainsi  ces  hommes  célestes  qui 
servaient  Dieu  avec  lui  à  Clairvaux,  si  recueillis,  si  mortifiés, 

1.  ÉiiïL  vous  ferai-je  voir.  —  Ici  la  correction  ressemble  fort  aune  faute  de 
lecture,  complétée  par  un  conUpesens. 

2.  Var.  dans  son  dernier  âge. 

3.  Var.  sous  la  discipline. 

4.  EdiL  Ce. 

5.  Edtl.  Ainsi  vous  voyez. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  415 

que  le  vénérable  Guillaume,  abbé  de  Saint-Thierry,  nous 
rapporte  que  lorsqu'il  entrait  dans  cette  abbaye,  voyant  cet 
ordre,  ce  silence,  cette  retenue,  il  n'était  pas  moins  saisi  de 
respect  que  s'il  eût  approché  de  nos  redoutables  autels. 
Bernard,  qui  par  ses  divines  prédications  les  accoutumait  à 
la  douceur  de  la  croix,  les  faisait  vivre  de  (')  sorte  qu'ils  ne 
savaient  non  plus  de  nouvelles  du  monde  que  si  un  océan 
immense  les  en  eût  séparés  de  bien  loin  :  au  reste,  si  ardents 
dans  leurs  exercices,  si  exacts  dans  leur  pénitence,  si  ri- 
goureux à  eux-mêmes,  qu'il  était  aisé  à  (^)  juger  qu'ils  ne 
songeaient  pas  à  vivre,  mais  à  mourir.  Cette  société  de 
pénitence  les  unissait  entre  eux,  comme  frères,  avec  saint 
Bernard  comme  avec  un  bon  père,  et  saint  Bernard  avec 
eux  comme  avec  ses  enfants  bien-aimés,  dans  une  si  parfaite 
et  si  cordiale  correspondance,  qu'il  ne  se  voyait  point  dans 
le  monde  une  image  plus  achevée  de  l'ancienne  Église,  qui 
n'avait  qu'une  âme  et  qu'un  cœur. 

Quelle  douleur  à  cet  homme  de  Dieu,  quand  il  lui  fallait 
quitter  ses  enfants,  qu'il  aimait  si  tendrement  dans  les 
entrailles  de  Jésus-Christ!  Mais  Dieu,  qui  l'avait  séparé 
dès  le  ventre  de  sa  mère  pour  renouveler  en  son  temps  l'es- 
prit et  la  prédication  des  apôtres,  le  tirait  de  sa  solitude  pour 
le  salut  des  âmes  qu'il  voulait  sauver  par  son  ministère.  C'est 
ici,  c'est  ici,  chrétiens,  où  il  paraissait  véritablement  un  apô- 
tre. Les  apôtres  allaient  par  toute  la  terre,  portant  l'Évangile 
de  Jésus-Christ  jusque  dans  les  nations  les  plus  reculées  : 
et  quelle  partie  du  monde  n'a  pas  été  éclairée  de  la  prédica- 
tion de  Bernard  ?  Les  apôtres  fondaient  les  églises  :  et  dans 
ce  grand  schisme  de  Pierre  Léon,  combien  d'églises  rebelles, 
combien  de  troupeaux  séparés  Bernard  a-t-il  ramenés  à  l'u- 
nité catholique,  (^)  et  s'est  rendu  par  là  comnie  le  secoiul 
fondateur  des  églises  ?  L'apôtre  compte  |)arini  les  (onctions 
de  l'apostolat  le  soin  de  toutes  les  églises  (")  :  et  le  pieux 
Bernard  ne  régissait-il  pas  prescjue  toutes  les  églises,  par  les 
salutaires  conseils  que  l'on  lui  demandait  de  toutes  les  parties 

a.  II  Cor.,  XI,  28. 

1.  AV//.  de  telle  manière. 

2.  /ÙÙ7.  de. 

3.  Les  éditeurs  corrigent  cette  anacoluthe,  et  disent  :  «  se  rendant  ainsi.  » 


4l6  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 

de  la  terre?  Il  semblait  que  Dieu  ne  voulait  pas  l'attacher  à 
aucune  église  en  particulier,  afin  qu'il  fût  le  père  commun 
de  toutes. 

Les  signes  et  les  prodiges  suivaient  la  prédication  des 
apôtres  :  que  de  prophéties,  que  de  guérisons,  que  d'événe- 
ments extraordinaires  et  surnaturels  ont  confirmé  les  prédi- 
cations de  saint  Bernard  !  Saint  Paul  se  glorifie  qu'il  prêchait, 
non  point  avec  une  éloquence  affectée,  ni  par  des  discours 
de  flatterie  et  de  complaisance  (''),  mais  seulement  qu'il  ornait 
ses  sermons  de  la  simplicité  et  la  vérité  :  qu'y  a-t-il  de  plus 
ferme  ni  (')  de  plus  pénétrant  que  la  simplicité  de  Bernard, 
qui  captive  tout  entendement  au  service  de  la  foi  de  Jésus? 
Lorsque  les  apôtres  prêchaient  Jésus-Chrtst,  une  ardeur 
céleste  les  transportait,  et  paraissait  tout  visiblement  dans  la 
véhémence  de  leur  action  ;  ce  qui  fait  dire  à  l'apôtre  saint 
Paul  qu'il  agissait  hardiment  en  Notre-Seigneur  (^),  et  que 
sa  prédication  était  accompagnée  de  la  démonstration  de 
l'Esprit  {').  Ainsi  paraissait  le  zélé  Bernard,  qui  prêchant 
aux  Allemands  dans  une  langue  qui  leur  était  inconnue,  ne 
laissait  pas  de  les  émouvoir,  à  cause  qu'il  leur  parlait  comme 
un  homme  venu  du  ciel,  jaloux  de  l'honneur  de  Jésus. 

Une  des  choses  qui  était  autant  admirable  dans  les  apôtres, 
c'était  de  voir  en  des  personnes  si  viles  en  apparence  cette 
autorité  magistrale,  cette  censure  généreuse,  qu'ils  exerçaient 
sur  les  mœurs,  cette  puissance  dont  ils  usaient  pour  édifier, 
non  pour  détruire.  C'est  pourquoi  l'Apôtre,  formant  Timothée 
au  ministère  de  la  parole  :  «  Prends  garde,  lui  dit-il,  que  per- 
sonne ne  te  méprise  ('^).  »  Dieu  avait  imprimé  sur  le  front 
du  vénérable  Bernard  une  majesté  (^)  si  terrible  pour  les 
impies,  qu'enfin  ils  étaient  contraints  de  fléchir  :  témoin  cet 
enragé  (^)  prince  d'Aquitaine,  et  tant  d'autres,  dont  ses  seules 
paroles  ont  souvent  désarmé  la  fureur. 

Mais  ce  qui  était  de  plus  divin  dans  les  saints  apôtres, 
c'était  cette  charité  pour  ceux  qu'ils  prêchaient.  Ils  étaient 
pères  pour  la  conduite,  et  mères  pour  la  tendresse,  et  nour- 

a.  I  Tkess.,  il,  5.  —  â.  Ibid.^  2.  —  c.\  Cor.,  Il,  4.  —  d.  I  Tùn.,  iv,  12. 

1.  Edit.  et. 

2.  Var.  une  gravité. 

3.  Edit.  ce  violent. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  417 

rices  pour  la  douceur  :  saint  Paul  prend  toutes  ces  qualités. 
Ils  reprenaient,  ils  avertissaient  «  opportunément,  importu- 
nément  ('*),  »  tantôt  avec  une  sincère  douceur,  tantôt  avec  une 
sainte  colère,  avec  des  larmes,  avec  des  reproches  :  ils  pre- 
naient mille  formes  différentes,  et  toujours  la  même  charité 
dominait  ;  ils  bégayaient  avec  les  enfants,  ils  parlaient  avec 
les  hommes  :  Juif  aux  juifs,  gentil  aux  gentils,  «  tout  à  tous, 
disait  l'apôtre  saint  Paul,  afin  de  les  gagner  tous  (^').  »  Voyez 
les  écrits  de  l'admirable  Bernard,  vous  y  verrez  les  mêmes 
mouvements  et  la  même  charité  apostolique.  Quel  homme 
a  compati  avec  plus  de  tendresse  aux  faibles,  et  aux  misé- 
rables, et  aux  ignorants  ?  Il  ne  dédaignait  ni  les  plus  pauvres 
ni  les  plus  abjects.  Quel  autre  a  repris  plus  hardiment  les 
mœurs  dépravées  de  son  siècle  ?  Il  n'épargnait  ni  les  princes, 
ni  les  potentats,  ni  les  évêques,  ni  les  cardinaux,  ni  les  papes. 
Autant  qu'il  respectait  leur  degré,  autant  a-t-il  quelquefois 
repris  leur  personne,  avec  un  si  juste  tempérament  de  charité, 
que  sans  être  ni  lâche,  ni  emporté,  il  avait  toute  la  douceur 
de  la  complaisance  et  toute  la  vigueur  d'une  liberté  vraiment 
chrétienne. 

Bel  exemple  pour  les  réformateurs  de  ces  derniers  siècles  ! 
Si  leur  arrogance  insupportable  et  trop  visible  leur  eût  per- 
mis de  traiter  les  choses  avec  une  pareille  modération,  ils 
auraient  blâmé  les  mauvaises  mœurs  sans  rompre  la  commu- 
nion, et  réprimé  les  vices  sans  violer  l'autorité  légitime.  Mais 
le  (')  nom  de  chef  de  parti  les  a  trop  flattés  :  poussés  d'un 
vain  désir  de  paraître,  leur  éloquence  s'est  débordée  en 
invectives  sanglantes  ;  elle  n'a  que  du  fiel  et  de  la  colère.  Ils 
n'ont  pas  été  vigoureux,  mais  fiers,  emportés  et  méprisants  : 
de  là  vient  qu'ils  ont  fait  le  schisme,  et  n'ont  pas  apporté  la 
réformation.  Il  fallait,  pour  un  tel  dessein,  le  courage  et 
l'humilité  de  Bernard.  Il  était  vénérable  à  tous,  à  cause  qu'on 
le  voyait  et  libre  et  modeste,  également  ferme  et  respec- 
tueux :  c'est  ce  qui  lui  donnait  une  si  grande  autorité  dans 
le  monde.  S'élevait-il  quelcjne  schisme  ou  quelque  doctrine 
suspecte,  les  évêques  déféraient  tout  à  l'autorité  de  Bernard. 

a.  1 1   Tim.,  iv,  2.  —  â.  \  Cor.,  IX,  22. 

F.    l'a/:  mais  ils  se  sont  trop  laissi'  flatter. 

Sermons  Av   liosMict.  37 


41  8  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 


Y  avait-il   des   querelles   parmi  les   princes,    Bernard   était 
aussitôt  le  médiateur. 

Puissante  ville  de  Metz,  son  entremise  t'a  été  autrefois 
extrêmement  favorable.  O  belle  et  noble  cité  !  il  y  a  long- 
temps que  tu  as  été  enviée.  Ta  situation  trop  importante  t'a 
presque  toujours  exposée  en  proie  :  souvent  tu  as  été  réduite 
à  la  dernière  extrémité  de  misères  ;  mais  Dieu,  de  temps  en 
temps,  t'a  envoyé  de  bons  protecteurs.  Les  princes  tes  voi- 
sins avaient  conjuré  ta  ruine  ;  tes  bons  citoyens  avaient  été 
défaits  dans  une  grande  bataille  {')  ;  tes  ennemis  étaient 
enflés  de  leur  bon  succès,  et  toi  enflammée  du  désir  de  ven- 
geance :  tout  se  préparait  à  une  guerre  cruelle,  si  le  bon 
Hillin,  archevêque  de  Trêves,  n'eût  cherché  un  charitable 
pacificateur.  Ce  fut  le  pieux  Bernard,  qui,  épuisé  de  forces 
par  ses  longues  austérités  et  (^)  par  une  extrême  vieillesse, 
attendait  la  dernière  heure  à  Clairvaux.  Mais  quelle  faiblesse 
eût  été  capable  de  ralentir  l'ardeur  de  sa  charité  ?  Il  sur- 
monte la  maladie  pour  se  rendre  promptement  dans  tes 
murs.  Mais  il  ne  pouvait  surmonter  l'animosité  des  esprits, 
extraordinairement  échauffés.  Chacun  courait  aux  armes 
avec  une  fureur  incroyable  :  les  armées  étaient  en  vue  {^),  prê- 
tes de  donner.  La  charité,  qui  ne  se  désespère  jamais, 
presse  le  vénérable  Bernard  :  il  parle,  il  prie,  il  conjure 
qu'on  épargne  le  sang  chrétien,  et  le  prix  du  sang  de  Jésus. 
Ces  âmes  de  fer  se  laissent  fléchir  ;  les  ennemis  devien- 
nent des  frères  ;  tous  détestent  leur  aveugle  fureur,  et 
d'un  commun  accord  ils  vénèrent  l'auteur  d'un  si  grand 
miracle. 

O  ville  si  fidèle  et  si  bonne  !  ne  veux-tu  pas  honorer  ton 
libérateur  ?  Mais,  fidèles,  quels  honneurs  lui  pourrons-nous 
rendre  ?  Certes,  on  ne  saurait  honorer  les  saints,  sinon  en 
imitant  leurs  vertus  :  sans  cela  nos  louanges  leur  sont  à 
charge,  et  nous  sont  pernicieuses  à  nous-mêmes.  Fidèles,  que 

1.  Près  de  Pont-à-Mousson,  à  Thircy,  village  que  les  guerres  du  XV!*^  siècle 
ont  fait  disparaître.  (Voy.  Floquet,  Etudes  sur  la  vie  de  Bossuet,  I,  265.) 

2.  Édit.  «  et  ses  travaux  sans  nombre.  »  —  Deforis  se  rappelle  que  saint  Ber- 
nard mourut  à  62  ans.  Bossuet,  dans  sa  rédaction  improvisée,  n'y  avait  pas 
songé. 

3.  Edit.  et  prêtes. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  419 

pensons-nous  faire,  quand  nous  louons  les  vertus  du  grand 
saint  Bernard  ? 

O  Dieu  de  nos  cœurs  !  quelle  indignité  !  Cet  innocent  a 
fait  une  pénitence  si  longue,  et  nous  criminels,  nous  ne  vou- 
lons pas  la  faire.  La  pénitence  autrefois  tenait  un  grand  rang 
dans  l'Église  :  je  ne  sais  dans  quel  coin  du  monde  elle  s'est 
maintenant  retirée.  Autrefois  ceux  qui  scandalisaient  l'Eglise 
par  leurs  désordres  étaient  tenus  comme  des  gentils  et  des 
publicains  :  maintenant  tout  le  monde  leur  applaudit.  On  ne 
les  eût  autrefois  reçus  à  la  communion  des  mystères  qu'après 
une  longue  satisfaction  et  une  grande  épreuve  de  pénitence  : 
maintenant  ils  entrent  jusqu'au  sanctuaire.  Autrefois  ceux 
qui  par  des  péchés  mortels  avaient  foulé  aux  pieds  le  sang 
de  Jésus,  n'osaient  même  regarder  les  autels  où  on  le  dis- 
tribue aux  fidèles,  si  auparavant  ils  ne  s'étaient  purgés  par 
des  larmes,  par  des  jeûnes  et  par  des  aumônes.  Ils  croyaient 
être  obligés  de  venger  eux-mêmes  leur  ingratitude,  de  peur 
que  Dieu  ne  la  vengeât  dans  son  implacable  fureur  :  après 
avoir  pris  des  plaisirs  illicites,  ils  ne  pensaient  pas  avoir  (') 
de  miséricorde,  s'ils  ne  se  privaient  de  ceux  qui  nous  sont 
permis. 

Ainsi  vivaient  nos  pères,  dans  le  temps  où  la  piété  fleuris- 
sait dans  l'Eglise  de  Dieu.  Pensons-nous  que  les  flammes 
d'enfer  (^)  aient  perdu  depuis  ce  temps-là  leur  intolérable 
ardeur,  à  cause  que  notre  froideur  a  contraint  l'Eglise  de 
relâcher  l'ancienne  rigueur  de  sa  discipline,  à  cause  que  la 
vigueur  ecclésiastique  est  énervée  ?  Pensons-nous  que  ce 
Dieu  jaloux,  qui  punit  si  rudement  les  péchés,  en  soit  pour 
cela  moins  sévère,  ou  qu'il  nous  soit  plus  doux,  parce  que 
les  iniquités  se  sont  augmentées  ?  Vous  voyez  combien  ce 
sentiment  serait  ridicule.  Toutefois,  comme  si  nous  en  étions 
persuadés,  au  lieu  de  songer  à  la  pénitence,  nous  ne  songeons 
à  autre  chose  qu'à  nous  enrichir.  C'est  déjà  une  dangereuse 
pensée  ;  car  l'Apôtre  avertit  Timothée,  «  que  le  désir  des 
richesses  est  la  racine  de  tous  les  maux  ('*).  »  Encore  son- 

(i.  I  T/m.,  VI,  10. 

1.  É(ù'/.  pouvoir  obtenir  miséricorde. 

2.  É{ù'/.  de  l'enfer. 


420  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD. 


geons-nous  à  nous  enrichir  par  des  voies  injustes,  par  des 
rapines,  par  des  usures,  par  des  voleries.  Nous  n'avons  pas 
un  cœur  de  chrétiens,  parce  qu'il  est  dur  à  la  misère  des 
pauvres.  Notre  charité  est  languissante,  et  nos  haines  sont 
irréconciliables.  C'est  en  vain  que  la  justice  divine  nous 
frappe  ('),  nous  ne  laissons  pas  de  (')  nous  donner  toujours 
tout  entiers  aux  folles  joies  de  ce  monde  {^).  Nous  n'appré- 
hendons pas  cette  terrible  sentence  du  Fils  de  Dieu  :  «  Mal- 
heur à  vous  qui  riez,  car  vous  pleurerez  (^)  !  »  et  cette  autre  : 
«  Le  ris  est  mêlé  de  douleur,  et  les  pleurs  suivent  la  joie  de 
bien  près  (''')  :  »  et  cette  autre  (^)  :  «  Ils  passent  leur  vie  dans 
les  biens,  et  en  un  moment  ils  descendront  dans  les  en- 
fers (').  » 

Retournons  donc,  fidèles,  retournons  à  Dieu  de  tout  notre 
cœur.  La  pénitence  n'est  amère  que  pour  un  temps  ;  après, 
toute  son  amertume  se  tourne  en  une  incroyable  douceur. 
Elle  mortifie  les  appétits  déréglés,  elle  fait  goûter  les  plaisirs 
célestes,  elle  donne  une  bonne  espérance,  elle  ouvre  les  portes 
du  ciel.  On  attend  la  miséricorde  divine  avec  une  grande 
consolation,  quand  on  tâche  de  tout  son  pouvoir  d'apaiser  la 
justice  parla  pénitence. 

O  pieux  Bernard,  ô  saint  pénitent,  impétrez-nous  par  vos 
saintes  intercessions  les  larmes  de  la  pénitence,  qui  vous 
donnaient  une  si  sainte  joie  ;  et,  afin  qu'elle  soit  renouvelée 
dans  le  monde,  priez  Dieu  qu'il  enflamme  les  prédicateurs 
de  l'esprit  apostolique  qui  vous  animait.  Nous  vous  deman- 
dons encore  {^)  [une  autre  faveur.]  O  vous  !  qui  avez  tant 
de  fois  désarmé  les  princes  qui  se  préparaient  à  la  guerre, 
vous  voyez  que  depuis  tant  d'années  tous  les  fleuves  sont 
teints,  et  que  toutes  les  campagnes  fument  de  toutes  parts 

a.  Luc.^  VI,  25.  —  b.Prov.^  xiv,  13.  —  c.  Job^  xxi,  13. 

1.  Rdit.  et  nous  menace  encore  de  plusieurs  malheurs. 

2.  Var.  de  courir  après  les  plaisirs. 

3.  Les  éditeurs  ajoutent  encore  ici  :  «  Le  seul  mot  de  mortification  nous  fait 
horreur.  »  Il  faut,  au  contraire,  retrancher  quelques  mots,  que  l'auteur  a  trans- 
portés, au  dernier  moment,  à  la  fin  de  son  i^*"  point  :  «  Nous  aimons  la  débauche, 
la  bonne  chère...  » 

4.  Edit.  et  celle-ci. 

5.  La  phrase  est  inachevée  ;  celle  qu'on  lit  dans  les  éditions  est  de  Deforis  : 
«  votre  secours  et  votre  médiation  au  milieu  des  troubles  qui  nous  agitent.  » 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD.  42  T 

du  sang  chrétien  !  Les  chrétiens,  qui  devraient  être  des 
enfants  de  paix,  sont  devenus  des  loups  insatiables  de  sang. 
La  fraternité  chrétienne  est  rompue;  et  ce  qui  est  de  plus 
pitoyable,  c'est  que  la  licence  des  armes  ne  cesse  d'enrichir 
l'enfer.  Priez  Dieu  qu'il  nous  donne  la  paix,  qu'il  donne  le 
repos  à  cette  ville  que  vous  avez  autrefois  tant  (')  chérie;  ou 
que,  s'il  est  écrit  dans  le  livre  de  ses  décrets  éternels  que 
nous  ne  puissions  voir  la  paix  en  ce  monde,  qu'il  nous  la 
donne  à  la  fin  dans  le  ciel,  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 
Amen. 

I.  Mot  oublié  par  les  éditeurs. 


^ 


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SERMON    POUR    L'EXALTATION 


DE  LA  SAINTE  CROIX  (■)■ 


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A  Metz,  1653. 

Encore  un  grand  sujet  qui  ne  pouvait  manquer  d'inspirer  l'élo- 
quence du  jeune  orateur.  Cette  œuvre  n'est  point  inférieure  au 
Panégyrique  de  saint  Bernard.  L'étude  minutieuse  de  l'écriture,  de 
l'ortho^Traphc  et  du  style,  nous  a  convaincu  qu'elle  est  exactement 
de  la  même  époque.  D'ailleurs,  en  1653,  le  14  septembre,  qui  n'est 
point  une  fête  célébrée  tous  les  ans  avec  solennité,  tombait  le 
dimanche.  Le  sermon  fut  prononcé  à  la  messe,  comme  il  paraît  par 
la  péroraison  :  «  Assistons  dans  cette  pensée  au  saint  sacrifice  qui  se 
fait  en  mémoire  de  la  Passion  du  Fils  de  Dieu.  »  Une  autre  phrase, 
qui  se  lit  à  la  fin  du  second  point,  semble  désigner  la  paroisse  de 
Saint-Gorgon,  de  Metz,  où  demeuraient  beaucoup  de  magistrats, 
notamment  les  Bossuet,  les  Bretagne,  les  Chasot  (Floquet,  Études, 
I,  505):  «  Mais  ma  charge,  direz-vous,  veut  que  je  me  fasse  honorer  : 
si  Von  ne  respecte  les  magistrats,  toutes  choses  iront  en  désordre.  » 

Le  sommaire  qu'on  va  lire,  entré  tout  récemment  (février  1889)  à 
la  Bibliothèque  Nationale,  avec  le  second  sermon  pour  la  même  fête 
(du  14  septembre  1659),  est  inédit. 

Sommaire  : 

Exorde.  Gloire  de  Dieu  :  de  la  puissance  et  de  la  miséricorde.  Les 
deux  bras  de  la  croix. 

I"' point.  Jésus-Christ  ne  peut  être  forcé  à  mourir  :  source  de  vie 
interne  en  lui.  Comparaison  (p.  5,  6). 

Orgueil  le  plus  grand  ennemi  de  Dieu  (p.  10,  11).  —  Il  faut  que 
la  faiblesse  dompte  l'orgueil,  parce  que  c'est  l'honorer  que  d'aller 
contre  lui  par  la  force  (p.  11). 

Irréligion  du  monde  avant  JéSUS-Christ  (p.  12)  ;  victoire  de  la 

croix  (p.  13,  14,  15.  16,  17). 

La  croix  pourquoi  découverte  sous  le  règne  de  Constantin  (p.  17). 

2^^  point.  Confiance  du  chrétien  par  la  croix  (p.  22,  23).—  Chrétiens 
déclarés  infâmes  selon  le  monde  par  l'impression  de  la  croix  sur  le 
front  :  Nota  imista.  Non  indignes  des  honneurs  ;  mais  les  honneurs 
indignes  d'eux  (p.  25,  26). 

Mépris  des  honneurs  (p.  26). 

I.  Ms.  donné,  en  1847,  à  Mgr  Allou,  évêque  de  Meaux,  par  M.  de  Monmerqué. 
C'est,  comme  le  précédent,  un  de  ceux  que  l'on  croyait  perdus  à  tout  jamais. 
—  Grand  in-4"  sans  marge.  Paginé  1-28. 


EXALTATION  DE  LA  SAINTE  CROIX.  423 

Mihi  aiite7n  absit  gloriari^  nisi  in 
cnice  Doinini  nostri  Jnsu  Chkisti. 

Pour  moi,  à  Dieu  ne  plaise  que 
jamais  je  me  glorifie,  si  ce  n'est  en  la 
croix  de  Notre  -  Seigneur  JÉSUS- 
Christ  !  {Galat.^  vi,  14.) 

CE  n'a  pas  été  une  petite  entreprise  de  rendre  la  croix 
vénérable.  Jamais  chose  aucune  ne  fut  attaquée  avec 
des  moqueries  plus  plausibles.  Les  Juifs  et  les  gentils  en 
faisaient  une  pièce  de  raillerie  ;  et  il  faut  bien  que  les  pre- 
miers chrétiens  aient  eu  une  hardiesse  et  une  fermeté  plus 
qu'humaine,  pour  prêcher  à  la  face  du  monde,  avec  une 
telle  assurance,  une  chose  si  extravagante.  C'est  pourquoi  le 
grave  Tertullien  se  vante  que  la  croix  de  Jésus  en  lui  faisant 
mépriser  la  honte,  l'a  rendu  impudent  de  la  bonne  sorte, 
et  heureusement  insensé.  «  Laissez-moi,  »  disait  ce  grand 
homme,  quand  on  lui  reprochait  les  opprobres  de  l'Évangile, 
«  laissez-moi  jouir  de  l'ignominie  de  mon  Maître,  et  du 
déshonneur  nécessaire  de  notre  foi.  Le  Fils  de  Dieu  a  été 
pendu  à  la  croix  ;  je  n'en  ai  point  de  honte,  à  cause  que  la 
chose  est  honteuse.  Le  Fils  de  Dieu  est  mort;  il  est  croyable, 
parce  qu'il  est  ridicule  (').  Le  Fils  de  Dieu  est  ressuscité  :  je 
le  crois  d'autant  plus  certain,  que,  selon  la  raison  humaine,  il 
paraît  entièrement  impossible  ('').  »  Ainsi  la  simplicité  de 
nos  pères  se  plaisait  d'étourdir  les  sages  du  siècle  par  des 
propositions  étranges  et  inouïes,  dans  lesquelles  ils  ne  pou- 
vaient rien  comprendre  ;  afin  que  la  gloire  du  monde  s'éva- 
nouissant  en  fumée,  il  ne  restât  plus  d'autre  gloire  que  celle 
de  la  croix  de  Jésus. 

Bienheureuse  Mère  de  mon  Sauveur,  que  la  Providence 
divine,  voulant  éprouver  votre  patience,  amena  au  pied  de 
la  croix,  où  l'on  déchirait  vos  entrailles  ;  puisque  vous  ctes 
de  toutes  les  créatures  celle  qui  en  a  le  mieux  vu  l'infamie, 
et  celle  qui  en  a  le  mieux  connu  la  grandeur,  aidez-nous.  \r\r 
vos  pieuses  [intercessions]  à  célébrer  la  gloire  de  votre  Mis 
crucifié  pour  l'amour  de  nous.  Je  vous  V\  dcinaiulc  pu"  celle 

a.  De  Carne  C/trish\  n.  $. 

I.  //  au  neutre  :  cela.  Hossuet  efface  cela,  pour  y  substituer  //. 


424  EXALTATION 


douleur  maternelle  qui  perça  votre  âme  sur  le  Calvaire,  et 
par  la  joie  infinie  que  vous  ressentîtes,  quand  le  Saint-Esprit 
descendit  sur  vous  pour  former  le  corps  de  Jésus,  après  que 
l'Ange  vous  eut  saluée  par  ces  divines  paroles:  Ave,  \_gratia 
ple7ici\. 

[P.  i]  Ce  (')  orand  Dieu  tout-puissant,  qui  de  rien  a  fait 
le  ciel  et  la  terre,  qui  a  tiré  les  astres  et  la  lumière  du  sein  d'un 
abtme  infini  de  ténèbres  ;  ce  Dieu,  pour  faire  éclater  sa 
puissance  d'une  façon  extraordinaire  en  la  personne  de  son 
cher  Fils,  a  voulu  que  la  plus  grande  infamie  fût  une  source 
de  gloire  incompréhensible.  C'est  pourquoi  le  Sauveur  Jésus, 
encore  (^)  qu'il  eût  vécu  comme  un  innocent,  il  a  fini  sa  vie 
comme  un  criminel  :  et  comme  si  le  {^)  gibet  et  la  mort 
n'eussent  point  eu  pour  lui  assez  de  bassesse,  il  a  choisi 
volontairement  de  tous  les  supplices  le  plus  honteux,  et  de 
toutes  les  morts  la  plus  inhumaine.  En  effet,  le  tourment  de 
la  croix  qu'est-ce  autre  chose  qu'une  longue  mort,  par  laquelle 
la  vie  est  arrachée  peu  à  peu  avec  une  violence  incroyable, 
pendant  qu'une  nudité  ignominieuse  expose  le  pauvre  sup- 
plicié à  la  risée  des  spectateurs  inhumains  ?  Si  bien  que  le 
misérable  patient  semble  en  quelque  sorte  n'être  élevé  au- 
dessus  de  ce  bois  infâme,  qu'afin  de  découvrir  de  plus  loin 
une  multitude  de  peuple,  qui  repaît  ses  yeux  du  spectacle  de 
sa  misère. 

Non,  l'imagination  humaine  ne  se  peut  rien  représenter 
[p.  2]  de  plus  effroyable;  et  jamais  on  n'a  rien  inventé  ni  de 
plus  rigoureux  pour  les  scélérats,  ni  de  plus  infâme  pour  les 
esclaves.  Aussi  le  Maître  de  l'éloquence,  accusant  un  gou- 
verneur de  province  d'avoir  fait  crucifier  un  Romain,  repré- 
sente (^)  cette  action  comme  la  plus  noire  et  la  plus  furieuse 
qui  puisse  tomber  dans  l'esprit  d'un  homme,  et  proteste  que 
par  un  tel  attentat  la  liberté  publique  et  la  majesté  de  l'Em- 
pire était  violée  ('').  C'était  assez  d'être  né  libre,  fidèles,  pour 

a.  Cicer.,  in  Verretn,  VIL 

1.  Édit.  Le. 

2.  Var.  après  avoir  vécu  comme. 

3.  Var.  le  supplice. 

4.  Var.  s'écrie   que   la  liberté  publique   est  anéantie  et  que  la  majesté  de 
l'Empire  est  violée. 


DE  LA  SAINTE  CROIX. 


425 


être  exempt  de  cet  horrible  supplice.  Il  ne  fallait  pas  seule- 
ment que  ceux  que  l'on  attachait  à  la  croix  fussent  les  plus 
détestables  de  tous  les  mortels,  mais  encore  les  derniers  et 
les  plus  abjects.  Ainsi  ('),  ce  que  les  Romains  trouvaient 
insupportable  pour  leurs  citoyens,  les  Juifs  parricides  l'ont 
fait  souffrir  à  leur  Roi. 

Mais  ce  qui  surpasse  tous  les  malheurs,  c'est  que,  selon  la 
remarque  du  saint  Apôtre,  «  le  crucifié  est  maudit  de 
Dieu  ('"),  »  comme  il  est  écrit  au  Deutéronome  :  «  Maudit  de 
Dieu  le  pendu  au  bois  (''')!  »  Et  qu'y  a-t-il  donc  de  plus  hon- 
teux que  la  croix,  puisque  nous  y  voyons  jointes  ensemble 
l'exécration  des  hommes,  et  la  malédiction  du  Dieu  tout- 
puissant  ?  Après  cela,  dites-moi,  je  vous  prie,  quelle  est  notre 
audace  de  ne  rougir  pas  d'adorer  un  Maître  pendu?  et  où 
est  le  front  de  l'Apôtre,  qui  ayant  dit  aux  Corinthiens  «  qu'il 
ne  souffrira  pas  que  sa  gloire  lui  soit  ravie  ('),  »  ne  craint 
pas  de  dire  aux  Galates  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  je  me 
glorifie  en  autre  [p.  3]  chose  qu'en  la  croix  de  Jésus  !  »  Quel 
honneur,  quelle  gloire  à  un  homme  qui  témoigne  en  être 
jaloux?  Ah!  pénétrons  sa  pensée,  chrétiens,  et  apprenons  à 
nous  glorifier  avec  lui  dans  les  opprobres  de  notre  Sauveur. 
Pour  cela,  suivez,  s'il  vous  plaît,  ce  raisonnement. 

La  gloire  du  chrétien  ne  peut  être  que  la  gloire  de  Dieu; 
d'autant  que  le  chrétien  ne  trouve  rien  digne  ( ')  de  son  ambi- 
tion et  de  son  courage,  que  les  choses  divines  et  immortelles. 
Or,  la  gloire  de  Dieu  consiste  en  deux  choses  :  première^ 
ment  en  sa  puissance  absolue,  et  après  en  sa  miséricorde 
infinie.  Car,  pour  avoir  de  la  gloire,  il  faut  être  grand,  et  il 
faut  faire  éclater  sa  grandeur.  Si  l'éclat  n'est  appuyé  sur  une 
grandeur  solide,  il  est  faible,  et  n'a  qu'un  faux  jour;  et  si  la 
grandeur  est  cachée,  elle  ne  brille  pas  de  cette  belle  et  pure 
lumière,  sans  laquelle  la  gloire  ne  peut  subsister.  Je  dis  donc 
que  la  gloire  de  Dieu  est  en  sa  puissance  et  en  sa  bonté. 
Par  la  première,  il  est  majestueux  en  lui-même;  par  l'autre. 
il  est  magnifique  envers  nous.  Par  la  puissance,  il  cnlcrme 

a.  Gai.,  in,  13.  —  b.  Dcut.,  XXI,  23.  —  c.  I  Cor.,  IX,  15. 

1.  Var.  Et. 

2.  Edit.  rien  qui  soit  digne. 


426  EXALTATION 


en  son  sein  des  trésors  et  des  richesses  immenses;  mais  c'est 
la  miséricorde  qui  ouvre  ce  sein,  pour  les  faire  inonder  sur 
les  créatures.  La  puissance  est  comme  la  source,  et  la  [p.  4] 
miséricorde  est  comme  un  canal.  La  puissance  fournit  ce  que 
distribue  la  miséricorde;  et  c'est  du  mélange  de  ces  deux 
choses  que  naît  ce  divin  éclat  que  nous  appelons  la  gloire 
de  Dieu. 

Ce  qui  a  fait  dire  ces  beaux  mots  au  Psalmiste  (dans  le 
Psaume  lxi)  :  <i  Dieu,  dit-il,  a  parlé  une  fois.  »  J'entends  ici 
par  cette  parole  le  bruit  de  la  gloire  de  Dieu,  qui  retentit 
par  tout  l'univers,  selon  ce  que  dit  le  même  Psalmiste  : 
«  Les  cieux  racontent  la  gloire  de  Dieu,  et  le  firmament 
publie  la  grandeur  de  ses  œuvres  ('').  »  Dieu  donc  a  parlé 
une  fois,  dit  David  :  et  qu'est-ce  qu'il  a  dit,  grand  prophète  ? 
«  11  a  parlé  une  fois  ;  et  j'ai,  dit-il,  entendu  ces  deux  choses, 
qu'à  Dieu  appartient  la  puissance,  et  qu'à  lui  appartient  la 
miséricorde  {^').  »  Par  où  vous  voyez  manifestement  que 
Dieu  ne  se  glorifie  que  de  sa  puissance  et  de  sa  bonté.  C'est 
la  véritable  gloire  de  Dieu,  parce  que  la  miséricorde  divine, 
touchée  de  compassion  de  la  bassesse  des  créatures,  et 
sollicitant  en  leur  faveur  la  puissance,  en  même  temps  qu'elle 
orne  ce  qui  n'a'  aucun  ornement  par  soi-même,  elle  fait 
retourner  tout  l'honneur  à  Dieu,  qui  seul  est  capable  de 
relever  ce  qui  n'est  rien  par  sa  condition  naturelle. 

Ces  choses  étant  ainsi  supposées,  passons  outre  mainte- 
nant, et  disons  :  La  gloire  de  notre  Dieu  est  en  sa  puissance 
et  en  sa  bonté,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  fort  évidemment  : 
or,  c'est  en  la  croix  que  paraissent  le  mieux  la  puissance  et 
la  miséricorde  divine  ;  ce  que  je  me  propose  de  vous  faire 
voir,  avec  la  grâce  du  Saint-Esprit.  C'est  pourquoi  l'apôtre 
saint  Paul,  qui  dit  «  que  tout  l'Évangile  consiste  en  la  croix,  » 
appelle  l'Evangile  «  la  force  et  la  puissance  de  Dieu  (^).  » 
Et  d'ailleurs  il  ne  nous  prêche  autre  chose,  sinon  que  «  la 
croix  nous  rend  Dieu  propice,  et  nous  assure  sa  miséricorde 
par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ('^).  »  Par  conséquent  il 
est  vrai  [p.  5]  que  la  croix  est  la  gloire  des   chrétiens  ;   et 

a.  Ps.,  XVIII,  2.  —  â.  Ibid.^  LXI,  12,  13.  —  c.  I  Cor.^  i,  17,  18.  —  d.  Ephes.^  Il, 
16,  18  ;  Coloss.^  I,  20. 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  427 


quand  je  vous  aurai  montré  dans  le  supplice  de  notre  Maître 
ces  deux  qualités  excellentes,  je  pourrai  dire  avec  l'apôtre 
saint  Paul  :  «  Mes  frères,  à  Dieu  ne  plaise  que  je  me  glorifie 
en  autre  chose  qu'en  la  croix  de  Jésus!  »  C'est  le  sujet  de 
cet  entretien.  Je  considère  aujourd'hui  comme  les  deux  bras 
de  la  croix  du  Sauveur  Jésus  :  dans  l'un  je  me  représente  un 
trésor  infini  de  puissance,  et  dans  l'autre,  une  source  im- 
mense de  miséricorde. 

Inspirez-nous,  ô  Seigneur  Jésus!  afin  que  nous  célébrions 
dignement  la  gloire  de  votre  croix.  Et  vous  ,  ô  peuple 
d'acquisition  (''),  vous  que  le  sang  du  prince  Jésus  a  délivré 
d'une  servitude  éternelle,  contemplez  attentivement  les  mer- 
veilles de  la  mort  triomphante  de  notre  invincible  libérateur. 
Commençons  avec  l'assistance  de  Dieu,  et  glorifions  sa 
toute-puissance  dans  l'Exaltation  de  sa  croix. 

PREMIER    POINT. 

Si  vous  voyez  Notre-Seigneur  Jésus-Ciirist  abandonné 
à  la  fureur  des  bourreaux,  s'il  rend  l'âme  parmi  des  douleurs 
incroyables,  ne  vous  imaginez  pas,  chrétiens,  qu'il  soit  réduit 
à  cette  extrémité  par  faiblesse  ou  par  impuissance.  Ce  n'est 
pas  la  rigueur  des  tourments  qui  le  fait  mourir  :  il  meurt, 
parce  qu'il  le  veut;  «  et  il  sort  du  monde  sans  contrainte, 
parce  qu'il  y  est  venu  volontairement  :  »  Abccssit poicslatc  ('), 
quia  non  venerat  necessitatc  ('').  La  mort  dans  les  ani- 
maux est  une  défaillance  de  la  nature  :  la  mort  en  Jésus- 
Christ  est  un  effet  de  puissance.  C'est  pourquoi  lui-même 
parlant  de  sa  mort  (en  saint  Jean,  chapitre  x)  :  «  J'ai,  dit-il, 
[p.  6]  la  puissance  de  quitter  la  vie,  et  j'ai  la  puissance  de  la 
reprendre.  »Où  vous  voyez  manifestement  qu'il  met  en  même 
rang  sa  résurrection  et  sa  mort;  et  qu'il  ne  se  glorifie  i)as 
moins  du  pouvoir  qu'il  a  de  mourir,  que  de  celui  cju'il  a  de 
ressusciter. 

Et,  en  effet,  ne  fallait-il  pas  qu'il  eût  en  lui-mcme  un  pré- 
servatif infaillible  contre  la  mort,  i)uisque  par  sa  seule  parole 
il  faisait  revivre  des  cori:)s  pourris  et  ranimait  la  corruption.-^ 

a.  I  /V/r.,  H,  9.  —  /;.  S.  Aii^^,  in  Jotut.   Trart.  XXXI,  n.  6. 
I.  Ms.  voluntatc.  Le  mol  est  mcMne  en  surcharge. 


428  EXALTATION 


Ce  jeune  mort  de  Naïm,  et  la  fille  du  prince  de  la  Syna- 
go^^ue,  et  le  Lazare  déjà  puant  (^),  n  ont-ils  pas  ressenti  la 
vertu  de  cette  parole  vivifiante?  Celui  donc  qui  avait  le  pou- 
voir de  rendre  la  vie  aux  autres,  avec  quelle  facilité  pouvait-il 
se  la  conserver  à  lui-même?  En  vain  s'efforcerait-on  de  faire 
tarir  (')  les  fontaines  d  eau  vive  :  à  mesure  que  vous  en 
otez  ('),  la  source  toujours  féconde  répare  sa  perte  par  elle- 
même,  et  s'enrichit  continuellement  de  nouvelles  eaux  :  ainsi 
était-il  (3)  du  Sauveur  jÉsus.  Il  avait  en  lui-même  une  source 
éternelle  de  vie,  je  veux  dire  le  Verbe  divin;  et  cette  source 
est  trop  abondante  pour  pouvoir  être  jamais  épuisée.  Frap- 
pez tant  que  vous  voudrez,  ô  bourreaux  !  faites  des  ouvertures 
de  toutes  parts  sur  le  corps  de  mon  aimable  [p.  7]  Sauveur, 
afin  de  faire,  pour  ainsi  dire,  écouler  cette  belle  vie  :  il  en 
porte  la  source  en  lui-même;  et  comme  cette  source  ne  peut 
tarir,  elle  ne  cessera  jamais  de  couler,  si  lui-même  ne  retient 
son  cours.  Mais  ce  que  votre  haine  ne  peut  pas  faire,  son 
amour  le  fera  pour  notre  salut.  Lui  qui  commande,  ainsi  qu'il 
lui  plaît,  à  la  santé  et  aux  maladies,  il  commandera  à  la  vie 
de  se  retirer  pour  un  temps  de  son  divin  corps.  Il  ne  veut 
pas  que  la  nécessité  naturelle  ait  aucune  part  dans  sa  mort, 
parce  qu'il  en  réserve  toute  la  gloire  à  la  charité  infinie  qu'il 
a  pour  les  hommes.  Par  où  vous  voyez,  chrétiens,  «  que 
notre  Maître  est  mort  par  puissance,  et  non  pas  (^)  par  infir- 
mité :  »  Potestate  mortuus  est,  dit  saint  Augustin  (^). 

Aussi  l'évangéliste  saint  Jean  observe  une  chose  qui  mé- 
rite d'être  considérée  :  c'est  que  le  Sauveur,  étant  à  la  croix, 
fit  (5)  une  revue  générale  sur  tout  ce  qui  était  écrit  de  lui 
dans  les  prophéties  ;  et  voyant  qu'il  ne  lui  restait  plus  rien  à 
faire,  que  de  prendre  ce  breuvage  amer  que  lui  promettait 
le  Psalmiste,  il  demanda  à  boire,  «  afin  que  toutes  choses 
fussent  accomplies  (^).  »  «  J'ai  soif,  dit-il  aussitôt,  puis,  après 

a.  Luc,  VII,  15  ;  Marc,  V,  42  ;  Joan.,  XI,  44.  —  b.  De  Nat.  et  Grat.,  n.  26.  — 
cjoan.,  XIX,  28. 

1.  Var.  (introduite  dans  le  texte  par  les  éditeurs,  avec  un  mot  ajouté)  :  de  faire 
sécher  les  grandes  rivières. 

2.  Var.  parce  que  la  source... 

3.  Bossuet  a  effacé  en  dans  cette  locution. 

4.  Mot  oublié  par  les  éditeurs. 

5.  Édit.  fait. 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  429 


avoir  légèrement  goûté  de  la  langue  le  fiel  et  le  vinaigre 
qu'on  lui  présentait,  il  remarqua  lui-même  que  tout  était  con- 
sommé, qu'il  avait  exécuté  de  point  en  point  toutes  les  vo- 
lontés de  son  Père  :  et  enfin,  ne  voyant  plus  rien  qui  le  pût 
retenir  au  monde,  élevant  fortement  sa  voix,  il  rendit  l'âme 
avec  une  action  si  paisible,  si  libre,  si  préméditée,  qu'il  était 
aisé  de  juger  que  personne  ne  la  lui  ôtait,  mais  qu'il  la  don- 
nait lui-même  de  son  plein  gré,  ainsi  qu'il  l'avait  assuré  (en 
saint  Jean,  chapitre  x)  :  «  Personne,  dit-il,  ne  m'ôte  mon  âme  ; 
mais  je  la  donne  moi-même  de  ma  pure  et  franche  [p.  8] 
volonté.  » 

O  gloire  !  ô  puissance  du  crucifié  !  Quel  autre  voyons-nous 
qui  s'endorme  si  précisément  quand  il  veut,  comme  Jésus 
est  mort  quand  il  lui  a  plu  ?  Quel  homme  méditant  un  voyage 
marque  si  certainement  l'heure  de  son  départ,  que  Jésus  a 
marqué  l'heure  de  son  trépas  (')  ?  De  là  vient  que  le  cente- 
nier,  qui  avait  ordre  de  garder  la  croix,  considérant  cette 
mort  non  seulement  si  tranquille,  mais  encore  si  délibérée,  et 
entendant  ce  grand  cri  dont  Jésus  accompagna  son  dernier 
soupir,  étonné  de  voir  tant  de  force  dans  cette  extrémité  de 
faiblesse,  il  s'écria  lui-même  tout  effrayé  :  «  Vraiment  cet 
homme  est  le  Fils  de  Dieu  {^)  ;  »  et  lui,  qui  ne  faisait  point 
d'état  du  Sauveur  vivant,  reconnut  tant  de  puissance  en  sa 
mort,  qu'elle  lui  fit  confesser  sa  divinité. 

Vous  dirai-je  ici,  chrétiens,  à  la  gloire  de  la  croix  de  Jésus, 
que  ce  mort  que  vous  y  voyez  attaché,  remue  le  ciel  et  les 
éléments,  qu'il  renverse  tout  l'ordre  du  monde,  qu'il  obscurcit 
le  soleil  et  la  lune,  et,  si  j'ose  parler  de  la  sorte,  qu'il  fait 
appréhender  à  toute  la  nature  le  désordre  et  la  confusion  du 
premier  chaos  ?  Certes,  je  vous  entretiendrais  volontiers  de 
tant  d'étranges  événements,  n'était  que  je  me  suis  [)r()posé 
de  vous  dire  de  plus  grandes  choses.  La  croix  a  dom[)té 
les  démons  ;  la  croix  a  abattu  l'orgueil  et  l'arrogance  des 
hommes  ;  la  croix  a  renversé  leur  fausse  sagesse,  et  a  triom- 
phé de  leurs  cœurs.  J'estime  plus  glorieux  d'avoir  remporte 

a.  Marc:,  XV,  39. 

I.  Ces  trois  phrases  sont  une  cloiiucnlc  acklilion.  Kllc  est  placée  en  haut  tle 
la  page,  le  manuscrit  n'ayant  aucune  marj^^c. 


430  EXALTATION 


une  si  belle  victoire  (')  que  d'avoir  troublé  l'ordre  de  l'uni- 
vers, parce  que  je  ne  vois  rien  dans  tout  l'univers  de  plus  in- 
docile, ni  de  plus  fier,  ni  de  plus  indomptable,  que  le  cœur  de 
l'homme.  C'est  en  cela  que  la  croix  me  parait  [p.  9]  puis- 
sante, et  vous  le  verrez  très  évidemment  par  la  suite  de  ce 
discours.  Renouvelez,  s'il  vous  plaît,  vos  attentions,  et  suivez 
mon  raisonnement. 

Où  la  puissance  paraît  le  mieux,  c'est  dans  la  victoire, 
surtout  quand  on  la  gagne  sur  des  ennemis  superbes  et 
audacieux.  Or,  fidèles,  ce  Dieu  infiniment  bon,  sous  le  règne 
duquel  toutes  les  créatures  seraient  heureuses  si  elles  étaient 
soumises,  il  a  eu  des  rebelles  et  des  ennemis,  parce  qu'il 
y  a  eu  des  ingrats  et  des  insolents.  Il  a  fallu  dompter  ces 
rebelles.  Mais  pourquoi  les  dompter  par  la  croix  ?  C'est  le 
miracle  de  la  toute-puissance,  c'est  le  grand  mystère  du 
christianisme.  Pénétrons  dans  ces  vérités  adorables,  sous  la 
conduite  des  Ecritures. 

Sachez  donc  que  le  plus  grand  ennemi  de  Dieu,  celui  qui 
lui  est  le  plus  insupportable,  celui  qui  choque  le  plus  sa  gran- 
deur et  sa  souveraineté,  c'est  l'orgueil.  Car  encore  que  les 
autres  vices  abusent  des  créatures  de  Dieu  contre  son  ser- 
vice, ils  ne  nient  pas  qu'elles  ne  soient  à  lui  ;  au  lieu  que 
l'orgueil,  autant  qu'il  le  peut,  les  tire  de  son  domaine.  Et 
comment?  C'est  parce  que  l'orgueilleux  se  veut  rendre  maître 
de  toutes  choses  ;  il  croit  que  tout  lui  est  dû  :  son  ordinaire 
est  de  s'attribuer  tout  à  lui-même;  et  par  là  il  se  fait  lui-même 
son  Dieu,  secouant  le  joug  de  l'autorité  souveraine.  C'est 
pourquoi  le  diable  s'étant  élevé  par  une  arrogance  extraor- 
dinaire, les  Écritures  ont  dit  qu'il  avait  affecté  la  divinité  ('')  : 
et  Dieu  lui-même  nous  déclare  souvent  qu'il  est  un  Dieu 
jaloux  (^),  qui  ne  peut  souffrir  les  superbes  ;  qu'il  rejette  les 
orgueilleux  de  devant  sa  face  {')  ;  parce  que  les  superbes 
sont  ses  rivaux,  et  veulent  traiter  d'égal  avec  lui  :  par  consé- 
quent il  est  véritable  que  l'orgueil  est  le  capital  ennemi  de 
Dieu  (-). 

a.  Is.,  XIV,  14.  —  â.  Exod.^  xxxiv,  14.  —  c.  Is.^  XLU,  8. 

1.  Var.  Cette  victoire  me  semble  plus  glorieuse. 

2.  Bossuet  montre  ailleurs  que  c'est  aussi  le  capital  e«ncmi  de  l'homme.  (Voy. 
Traité  de  la  Concupiscence^  ch.  XXI  IL) 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  43 1 


En  effet,  n'est-ce  pas  l'orgueil,  chrétiens,  qui  a  [p.  lo] 
soulevé  contre  lui  tout  le  monde?  L'orgueil  est  premièrement 
monté  dans  le  ciel,  où  est  le  trône  de  Dieu,  et  lui  a  débauché 
ses  anges;  il  a  porté  jusques  dans  son  sanctuaire  le  flambeau 
de  rébellion  (').  Après,  il  est  descendu  dans  la  terre,  et  ayant 
déjà  gagné  les  intelligences  célestes,  il  s'est  servi  d'elles 
pour  dompter  les  hommes.  Lucifer,  cet  esprit  superbe,  con- 
servant sa  première  audace,  même  dans  les  cachots  éternels, 
ne  conçoit  que  de  furieux  desseins.  Il  médite  de  subjuguer 
l'homme,  à  cause  que  Dieu  l'honore  et  le  favorise  :  mais  sa- 
chant qu'il  n'y  peut  réussir  tant  que  les  hommes  demeureront 
dans  la  soumission  pour  leur  Créateur,  il  en  fait  première- 
ment des  rebelles,  afin  d'en  faire  après  cela  des  esclaves.  Pour 
les  rendre  rebelles,  il  fallait  auparavant  les  rendre  orgueil- 
leux. Il  leur  inspire  donc  l'arrogance  qui  le  possède  :  de  là  (^) 
l'histoire  de  nos  malheurs  ;  de  là  cette  longue  suite  de  maux 
qui  affligent  notre  nature,  opprimée  par  la  violence  de  ce 
tyran. 

Enflé  de  ce  bon  succès,  il  se  déclare  publiquement  le  rival 
de  Dieu  :  il  abolit  son  culte  par  toute  la  terre  ;  il  se  fait 
adorer  en  sa  place  par  les  hommes  qu'il  a  assujettis  à  sa  ty- 
rannie. C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  l'appelle  «  le  prince 
du  monde  (''),  »  et  l'Apôtre  encore  plus  énergiquement,  «  le 
dieu  de  ce  siècle  (''').  »  Voilà  de  quelle  sorte  l'orgueil  a  armé 
le  ciel  et  la  terre,  tâchant  d'abattre  le  trône  de  Dieu.  C'est 
lui  qui  est  le  père  de  l'idolâtrie  :  car  c'est  par  l'orgueil  que  les 
hommes,  méprisant  l'autorité  légitime,  et  devenus  amoureux 
d'eux-mêmes,  se  sont  fait  des  divinités  [p.  i  i]  à  leur  mode. 
Ils  n'ont  point  voulu  de  Dieu  (')  que  ceux  qu'ils  faisaient  ; 
ils  n'ont  plus  adoré  que  leurs  erreurs  et  leurs  fantaisies  :  di- 
gnes, certes,  d'avoir  des  dieux  de  pierre  et  de  bronze,  et  de 
servir  aux  créatures  inanimées,  eux  qui  se  lassaient  du  culte 
du  Dieu  vivant,  qui  les  avait  formés  à  sa  ressemblance.  Ainsi 
toutes  les  créatures,  agitées  de   l'esprit  d'orgueil   cjui  domi- 

a.Joan.^xu,  31.       />.  II  Cor.,  iv,  4. 

1.  Juiif.  de  la  rébellion. 

2.  Var.  de  cette   sorte  l'orgueil  arme  contre   Dici:  toutes  les  cr<5atures. 

3.  JCdii.  de  dieux  que  ceux...  —  Cette  correction  fait  contresens. 


432  EXALTATION 


nait  par   tout   l'univers,   faisaient  la  guerre  à  leur  Créateur 
avec  une  rage  impuissante. 

«  Élevez-vous,  Seigneur  ;  que  vos  ennemis  disparaissent, 
et  que  ceux  qui  vous  haïssent  soient  renversés  devant  votre 
face  (").  »  Mais,  ô  Dieu,  de  quelles  armes  vous  servez-vous 
pour  défaire  ces  escadrons  furieux  ?  Je  ne  vois  ni  vos  foudres, 
ni  vos  éclairs,  ni  cette  majesté  redoutable  devant  laquelle 
les  plus  hautes  montagnes  s'écoulent  comme  de  la  cire  :  je 
vois  seulement  une  chair  meurtrie  et  du  sang  épanché  avec 
violence,  et  une  mort  infâme  et  cruelle,  une  croix  et  une 
couronne  d'épines  :  c'est  tout  votre  appareil  de  guerre  :  c'est 
tout  ce  que  vous  opposez  à  vos  ennemis.  Justement,  certes, 
justement  ;  et  en  voici  la  raison  solide  ('),  que  je  vous  prie, 
chrétiens,  de  considérer. 

C'est  honorer  l'orgueil  que  d'aller  contre  lui  par  la  force  ; 
il  faut  que  l'infirmité  même  le  dompte.  Ce  n'est  pas  assez 
qu'il  succombe,  s'il  n'est  contraint  de  reconnaître  son  impuis- 
sance :  il  faut  le  renverser  par  ce  qu'il  dédaigne  le  plus.  Tu 
t'es  élevé,  ô  Satan,  tu  t'es  élevé  contre  Dieu  de  toute  ta 
force  :  Dieu  descendra  contre  toi  armé  seulement  de  fai- 
blesse, afin  de  [p.  12.]  montrer  combien  il  se  rit  de  tes 
téméraires  projets.  Tu  as  voulu  être  le  Dieu  de  l'homme  ; 
un  homme  sera  ton  Dieu.  Tu  as  amené  la  mort  sur  la  terre  ; 
la  mort  ruinera  tes  desseins.  Tu  as  établi  ton  empire  en 
attachant  les  hommes  à  de  faux  honneurs,  à  des  richesses 
mal  assurées,  à  des  plaisirs  pleins  d'illusion  ;  les  opprobres, 
la  pauvreté,  l'extrême  misère,  la  croix  en  un  mot  détruira 
ton  empire  de  fond  en  comble.  O  puissance  de  la  croix  de 
Jésus  ! 

Les  vérités  de  Dieu  étaient  bannies  de  la  terre;  tout  était 
obscurci  par  les  ténèbres  de  l'idolâtrie.  Chose  étrange,  mais 
très  véritable!  les  peuples  les  plus  polis  avaient  les  religions  les 
plus  ridicules  ;  ils  se  vantaient  de  n'ignorer  rien,  et  ils  étaient 
si  misérables  que  d'ignorer  Dieu.  Ils  réussissaient  en  toutes 
choses  jusqu'au  miracle  :  sur  le  fait  de  la  religion,  qui  est  le 
capital  de  la  vie  humaine,  ils   étaient  entièrement  insensés. 

a.  Fs.,  LXVII,  I. 

I.  Cette  raison  solide  est  soulignée  en  entier  au  manuscrit. 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  433 


Qui  le  pourrait  croire,  fidèles,  que  les  Égyptiens,  les  pères 
de  la  philosophie  ;  les  Grecs,  les  maîtres  des  belles  (')  arts  ; 
les  Romains,  si  graves  et  si  avisés,  que  leur  vertu  faisait 
dominer  par  toute  la  terre  :  qui  le  croirait,  qu'ils  eussent 
adoré  les  bêtes,  les  éléments,  les  créatures  inanimées,  des 
dieux  parricides  et  incestueux  ?  que  non  seulement  les  fièvres 
et  les  maladies,  mais  les  vices  les  plus  infâmes  et  les  plus 
brutales  des  passions  eussent  leurs  temples  dans  Rome  ? 
Qui  ne  serait  contraint  de  dire,  en  ce  lieu,  que  Dieu  avait 
abandonné  à  l'erreur  ces  grands  mais  superbes  esprits,  qui 
ne  voulaient  pas  le  reconnaître?  et  qu'ayant  quitté  la  véri- 
table lumière,  le  «  dieu  de  ce  siècle  »  les  a  aveuglés  pour 
ne  voir  pas  des  choses  si  manifestes  ? 

Et  le  monde  et  les  maîtres  du  monde,  le  diable  les  tenait 
captifs  et  tremblants  sous  de  serviles  religions,  desquelles 
[p.  13]  néanmoins  ils  étaient  jaloux,  non  moins  que  de  la 
grandeur  de  leur  république.  Qu'y  avait-il  de  plus  méchant 
que  leurs  dieux  ?  quoi  de  plus  superstitieux  que  leurs  sacri- 
fices ?  quoi  de  plus  impur  que  leurs  profanes  mystères  ?  quoi 
de  plus  cruel  que  leurs  jeux,  qui  faisaient  parmi  eux  une 
partie  du  culte  divin  ?  jeux  sanglants  et  dignes  de  bêtes 
farouches,  où  ils  soûlaient  leurs  faux  dieux  de  spectacles 
barbares  et  de  sang  humain!  Cependant  tant  de  philosophes, 
tant  de  grands  esprits,  que  le  bel  ordre  du  monde  forçait  à 
reconnaître  l'unique  Divinité  qui  gouverne  toute  la  nature, 
encore  qu'ils  fussent  choqués  de  tant  de  désordres,  ils  n'ont 
pu  persuader  aux  hommes  de  les  quitter.  Avec  leurs  raison- 
nements si  sublimes,  avec  leur  éloquence  toute-puissante, 
ils  n'ont  pu  désabuser  les  peuples  de  leurs  ridicules  céré- 
monies et   de   leur    religion    monstrueuse. 

Mais  sitôt  que  la  croix  de  Jésus  a  commencé  de  paraître 
au  monde,  sitôt  que  l'on  a  prêché  la  mort  et  le  supplice  du 
Fils  de  Dieu,  les  oracles  menteurs  se  sont  tus,  le  règne  des 
idoles  a  été  peu  à  peu  ébranlé  ;  enfin  elles  ont  été  renver- 
sées :  et  Jupiter,  et  Mars,  et  Neptune,  et  l'égyptien  Séra[)is. 
et  tout  ce  que  l'on  adorait  dans  la  terre,  a  été  enseveli  dans 

r.    Deforis  corrige:  (ffs  /uuiNX-arfs.   Mais  vi)y.  un  .lulro  exemple  du  féminin, 
ci -dessus  {ZisauU's^  p.  225). 

Sermons  de  Rossuct.  '" 


434  EXALTATION 


l'oubli.  ].r.  monde  a  ouvert  les  yeux  pour  reconnaître  le 
Dieu  créateur,  et  s'est  étonné  de  son  ignorance.  L'extrava- 
gance du  christianisme  a  été  plus  forte  que  la  plus  sublime 
philosophie.  La  simplicité  de  douze  pêcheurs  sans  secours, 
sans  éloquence,  sans  art,  a  changé  la  face  de  l'univers.  Ces 
pécheurs  ont  été  plus  heureux  que  ce  fameux  Athénien, 
[p.  14]  (')  à  qui  la  fortune,  ce  lui  semblait,  apportait  les  villes 
prises  dans  des  rets.  Ils  ont  pris  tous  les  peuples  dans  leurs 
filets,  pour  en  faire  la  conquête  de  Jésus-Christ,  qui 
ramène  tout  à  Dieu  par  sa  croix. 

Car  vous  remarquerez,  chrétiens,  que  tandis  qu'il  a  con- 
versé parmi  nous,  encore  qu'il  fît  des  miracles  extraordi- 
naires, encore  qu'il  eût  à  la  bouche  des  paroles  de  vie 
éternelle,  il  a  eu  peu  de  sectateurs.  Ses  amis  mêmes  rougis- 
saient souvent  de  se  voir  rangés  (^)  sous  la  discipline  d'un 
Maître  si  méprisé.  Mais  est-il  monté  sur  la  croix,  est-il  mort 
à  ce  bois  infâme,  quelle  affluence  {^)  de  peuples  accourent 
à  lui  !  O  Dieu,  quel  est  ce  nouveau  prodige  ?  Maltraité  et 
mésestimé  dans  la  vie,  il  commence  à  régner  après  qu'il  est 
mort.  Sa  doctrine  toute  céleste,  qui  devait  le  faire  respecter 
partout,  le  fait  attacher  à  la  croix  :  et  cette  croix  infâme, 
qui  devait  le  faire  mépriser  partout,  le  rend  vénérable  à  tout 
l'univers.  Sitôt  qu'il  a  pu  étendre  les  bras,  tout  le  monde  a 
recherché  ses  embrassements.  Il  ne(^)  s'est  [pas]  plus  tôt  élevé 
de  terre  que,  selon  qu'il  l'avait  prédit  en  son  Evangile,  «  il 
a  attiré  à  lui  toutes  choses  (^),  »  et  a  changé  l'instrument  du 
plus  infâme  supplice  en  une  machine  céleste  pour  enlever 
tous  les  cœurs.  Ce  mystérieux  grain  de  froment  n'est  pas 
plus  tôt  tombé  dans  la  terre  qu'il  s'est  multiplié  par  sa 
propre  corruption  ;  c'esi-à-dire,  que  le  Sauveur  est  tombé  de 
la  croix  au  sépulcre  ;  et,  par  un  merveilleux  contre-coup, 
tous  les  peuples  sont  tombés  à  ses  pieds. 

Voyez  cette    affluence  de  gens  qui,  de  toutes  les  parties 

a.  /ûan,,  Xll,  32. 

1.  Timothée,  fils  de  Conon.  (Plutarch.,  Vit.  parall.) 

2.  Var.  On  rougissait  de  se  ranger... 

3.  Var.  quel  concours  de  peuples  viennent  à  lui  ! 

4.  Edit.  «  Ce  mystérieux  grain  de  froment,  etc.  »  Phrase  dont  la  vraie  place 
se  trouvera  un  peu  plus  loin. 


DE  LA  SAINTE  CROIX. 


435 


de  la  terre,  accourent  à  la  croix  de  Jésus  ;  qui  non  seulement 
se  glorifient  de  porter  son  nom,  mais  s'empressent  à  imiter  ses 
souffrances,  à  être  déshonorés  pour  sa  gloire,  à  mourir  pour 
l'amour  de  lui.  Si  quelqu'un  parmi  les  anciens[p.  15]  mépri- 
sait la  mort,  on  admirait  cette  fermeté  de  courage  comme 
une  chose  presque  inouïe.  Grâce  à  la  croix  de  Jésus,  ces 
exemples  sont  si  communs  parmi  nous,  que  leur  abondance 
nous  empêche  de  les  raconter.  Depuis  qu'on  a  prêché  un 
Dieu  mort,  la  mort  a  eu  pour  nous  des  délices  :  on  a  vu  la 
vieillesse  la  plus  décrépite  et  l'enfance  la  plus  imbécile,  les 
vierges  tendres  et  délicates  y  courir  comme  à  l'honneur  du 
triomphe.  C'est  pourquoi  on  disait  que  les  chrétiens  étaient 
un  certain  genre  d'hommes  destinés  et  comme  dévoués  à  la 
mort.  La  croix  toute-puissante  avait  familiarisé  avec  eux  ce 
fantôme  hideux,  qui  est  l'horreur  de  toute  la  nature.  Le  monde 
s'est  plus  tôt  lassé  de  tuer  que  les  chrétiens  n'ont  fait  de 
souffrir.  Toutes  les  inventions  de  la  cruauté  se  sont  épuisées 
pour  ébranler  la  foi  de  nos  pères  ;  toutes  les  puissances  du 
monde  s'y  sont  employées  :  mais,  ô  aveugle  fureur,  qui  établit 
ce  qu'elle  pense  détruire!  C'est  par  la  croix  que  le  roi  Jésus 
a  résolu  de  conquérir  tout  le  monde:  c'est  pourquoi  il  im- 
prime cette  croix  victorieuse  sur  le  corps  de  ses  braves 
soldats,  en  les  associant  à  ses  souffrances  :  c'est  [)ar  là 
qu'ils  surmonteront  tous  les  peuples  ;  ils  désarmeront  leurs 
persécuteurs  par  leur  patience  ;  les  loups  à  la  fin  devien- 
dront agneaux,  en  immolant  les  agneaux  à  leur  cruauté. 

Il  faut  que  la  croix  de  Jésus  soit  adorée  par  toute  la 
terre  :  son  empire  n'aura  point  de  bornes,  parce  que  sa  puis- 
sance n'a  point  de  limites  ;  elle  étendra  sa  domination  jus- 
qu'aux provinces  les  plus  éloignées,  jusqu'aux  iles  les  plus 
inaccessibles,  jusqu'aux  nations  les  plus  inconnues.  Ouelle 
joie  en  vérité,  fidèles,  de  voir  et  barbares  et  Cirecs,  et  les 
Scythes  et  les  Arabes,  et  les  Indiens,  et  tous  les  peuples  du 
monde,  faire  tous  ensemble  un  nouveau  royaume,  ciui  aura 
pour  sa  loi  l'Evangile, [p.  i6]et  Jésus  pour  son  chef. et  la  croix 
pour  son  étendard  !  Ronie  même,  cette  ville  superbe,  après 
s'être  si  longtemps  enivrée  du  sang  des  martyrs  de  Jésus, 
Rome,  la  maîtresse,  baissera  la    têle  ;  c'ile  portera  plus    loin 


436  EXALTATION 


ses  conquêtes  par  la  religion  de  Ji'sus  qu'elle  n'a  fait  autre- 
fois par  ses  armcts  ;  et  nous  lui  verrons  rendre  plus  d'hon- 
neur au  tombeau  d'un  pauvre  pêcheur  qu'au  temple  de  son 
Romulus. 

V^ous  y  viendrez  aussi,  ô  Césars  !  Jésus  crucifié  veut  voir 
abattue  à  ses  pieds  la  majesté  de  l'empire.  Constantin,  ce 
triomphant  empereur,  dans  le  temps  marqué  par  la  Provi- 
dence, élèvera  l'étendard  de  la  croix  au-dessus  des  aigles 
romaines.  Par  la  croix  il  surmontera  les  tyrans  ;  par  la 
croix  il  donnera  la  paix  à  l'empire;  par  la  croix  il  affermira 
sa  maison  :  la  croix  sera  son  unique  trophée,  parce  qu'il  pu- 
bliera hautement  qu'elle  lui  a  donné  toutes  ses  victoires. 

Certes  je  ne  m'étonne  plus,  ô  Seigneur  Jésus,  si,  peu  de 
temps  devant  (')  votre  mort,  vous  vous  écriiez  avec  tant  de 
joie  que  votre  heure  glorieuse  approchait,  et  «  que  le  prince 
du  monde  allait  être  bientôt  chassé  ('').  »  Je  ne  m'étonne  plus 
si  je  vous  vois  dans  le  palais  d'Hérode,  et  devant  le  tribunal 
de  Pilate,  avec  une  contenance  si  ferme,  bravant  pour  ainsi 
dire  la  pompe  de  la  cour  royale  et  la  majesté  des  faisceaux 
romains  par  la  générosité  de  votre  silence.  C'est  que  vous 
sentiez  bien  que  le  jour  de  votre  crucifiement  était  pour  vous 
un  jour  de  triomphe.  En  effet,  vous  avez  triomphé,  ô  Jésus  ! 
et  vous  menez  en  triomphe  les  puissances  des  ténèbres  cap- 
tives et  tremblantes  après  votre  croix.  «  Vous  avez  surmonté 
le  monde,  non  par  le  fer,  mais  par  le  bois  :  »  Doinuit  orbem, 
non  ferrOy  sed  ligno  (^').  [P.  17]  Car  il  était  bien  digne  de 
votre  grandeur  «  de  vaincre  la  force  par  l'impuissance,  et  les 
choses  les  plus  hautes  par  les  plus  abjectes,  et  ce  qui  est  par 
ce  qui  n'est  pas,  comme  parle  l'Apôtre  (^),  et  une  fausse  et 
superbe  sagesse  par  une  sage  et  modeste  folie.  »  Par  ce 
moyen,  vous  avez  fait  voir  qu'il  n'y  avait  rien  de  faible  en 
vos  mains,  et  que  vous  faites  des  foudres  de  tout  ce  qu'il 
vous  plaît  employer. 

Mais  ne  vous  dirai-je  pas,  chrétiens,  une  belle  marque 
que  nous  a  donnée  Jésus-Christ,  pour  nous  convaincre  très 
évidemment  que  c'est  la  croix  qui  a  opéré  ces  merveilles  ^ 

a.Joan.y  XII,  31.  —  b.  S.  Aug.,  in  Ps.  LIV,  n.  12.  —  cl  Cor.^  I,  27,  28. 
I.  Édit.  avant. 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  437 


C'est  que  sous  le  règne  de  Constantin,  dans  le  temps  que  la 
paix  fut  donnée  à  l'Église,  que  le  vrai  Dieu  fut  reconnu 
publiquement  par  toute  la  terre,  que  tous  les  peuples  du 
monde  confessèrent  la  divinité  de  Jésus,  la  croix  de  notre 
bon  Maître,  qui  n'avait  point  paru  jusqu'alors,  fut  reconnue 
par  des  miracles  extraordinaires,  dont  toute  l'antiquité  s'est 
glorifiée.  Elle  fut  exaltée  dans  un  temple  auguste  à  la  gloire 
du  Crucifié,  et  à  la  consolation  des  fidèles.  Est-ce  par  un 
événement  fortuit  que  cela  s'est  rencontré  dans  ce  temps  ? 
une  chose  si  illustre  est-elle  arrivée  sans  quelque  ordre  secret 
de  la  Providence  ?  Ah  !  ne  le  croyez  pas,  chrétiens.  Et  quoi 
donc  ?  C'est  que  tout  a  fléchi  sous  le  joug  du  Sauveur  Jésus. 
Les  puissances  infernales  sont  confondues  ;  tout  le  monde 
vient  adorer  le  vrai  Dieu  dans  l'Eglise,  qui  est  son  temple, 
et  par  Jésus-Christ,  qui  est  son  pontife. 

Paraissez,  paraissez,  il  est  temps,  ô  croix,  qui  avez  fait 
ces  miracles!  C'est  vous  qui  avez  brisé  les  idoles  ;  c'est  vous 
qui  avez  subjugué  les  peuples  ;  c'est  vous  qui  avez  donné  la 
victoire  aux  valeureux  soldats  de  Jésus, qui  ont  tout  surmonté 
par  la  patience.  [P.  i8]  Vous  serez  gravée  sur  le  front  des 
rois  ;  vous  serez  le  principal  ornement  de  la  couronne  des 
empereurs  ;  vous  serez  l'espérance  et  la  gloire  des  chrétiens, 
qui  diront  avec  l'apôtre  saint  Paul,  «qu'ils  ne  veulent  jamais 
se  glorifier,  si  ce  n'est  en  S  croix  de  Notre-Seigneur  jÉsus- 
CiiRiST  ;  »  à  cause  que  la  croix,  par  la  bienheureuse  victoire 
qu'elle  a  remportée  en  faisant  éclater  la  toute-puissance 
divine,  a  aussi  répandu  sur  nous  les  trésors  de  sa  miséri- 
corde :  c'est  ce  qui  me  reste  à  vous  dire  en  peu  de  paroles. 

SECOND   POINT. 

Ce  nous  est,  à  la  vérité,  une  grande  gloire  de  servir  un 
Dieu  si  puissant  qu'est  celui  que  nous  adorons  ;  mais  c'est 
particulièrement  sa  miséricorde  qui  nous  oblige  à  nous  glori- 
fier en  lui  seul.  Oui  ne  se  tiendrait  infiniment  honoré  de  voir 
un  Dieu  si  grand  qui  met  sa  gloire  à  nous  enrichir  ?  lu  n'c:.st- 
ce  pas  nous  presser  vivement  de  mt^ttrc  lawii-  la  noire  à  le 
louer?  C'est  ce  que  fait  la  miséricorde;.  Cr  Dieu,  qui,  par  sa 
toute-puissance,  est  si  fort  au-dessus  de  nous,  lui-même  [)ar 


438  EXALTATION 


sa  bonté  daigne  se  rabaisser  jusqu'à  nous,  et  nous  commu- 
nique tout  ce  qu'il  est  par  une  miséricordieuse  condescen- 
dance. Avouons  que  cela  touche  les  cœurs;  et  que  s'il  est 
glorieux  à  la  toute-puissance  de  faire  craindre  la  miséricorde, 
il  ne  l'est  pas  moins  à  la  miséricorde  de  ce  qu'elle  fait  aimer 
la  puissance. 

Car,  certes,  il  y  a  de  la  gloire  à  se  faire  aimer;  c'est  pourquoi 
le  grave  Tertullien  ('),  dans  le  second  livre  contre  Marcion, 
nous  enseigne  que,  «  dans  l'origine  des  choses.  Dieu  [p.  19] 
n'avait  que  de  la  bonté,  et  que  sa  première  inclination,  c'est 
de  nous  bienfaire  :  »  Deus  a  (^)  primordio  tantum  bonus.  Et 
la  raison  qu'il  en  rend  est  bien  évidente,  et  bien  digne  d'un 
si  grand  homme  :  car  pour  bien  connaître  quelle  est  la  pre- 
mière des  inclinations,  il  faut  choisir  celle  qui  se  trouvera  la 
plus  naturelle,  d'autant  que  la  nature  est  le  principe  de  tout 
le  reste.  Or,  notre  Dieu,  chrétiens,  a-t-il  rien  de  plus  naturel 
que  cette  inclination  de  nous  enrichir  par  la  profusion  de  ses 
grâces  ?  Comme  une  source  envoie  ses  eaux  naturellement, 
comme  le  soleil  naturellement  répand  ses  rayons;  ainsi  Dieu 
naturellement  fait  du  bien.  Etant  bon,  abondant,  plein  de 
trésors  infinis  par  sa  dignité  naturelle,  il  doit  être  aussi,  par 
nature,  bienfaisant,  libéral,  magnifique. 

Quand  il  te  punit,  ô  impie,  la  raison  n'en  est  pas  en  lui- 
même  :  il  ne  veut  pas  que  personne  périsse.  C'est  ta  malice, 
c'est  ton  ingratitude  qui  attire  son  indignation  sur  ta  tête. 
Au  contraire,  si  nous  voulons  l'exciter  à  nous  faire  du  bien, 
il  n'est  pas  nécessaire  de  chercher  bien  loin  des  motifs  :  sa 
nature,  d'elle-même  si  bienfaisante,  lui  est  un  motif  très  pres- 
sant, et  une  raison  qui  ne  le  quitte  jamais  (^).  Quand  il  nous 
fait  du  mal,  il  le  fait  à  cause  de  nous  ;  quand  il  nous  fait  du 
bien,  il  le  fait  à  cause  de  lui-même.  «  Ce  qu'il  est  bon,  c'est 
du  sien,  c'est  de  son  propre  fonds,  dit  Tertullien;  ce  qu'il  est 
juste,  c'est  du  nôtre  :  »  c'est  nous  qui  fournissons  par  nos 
crimes  la  matière  à  sa  juste  [p.  20]  vengeance  :  De  suo  opti- 

1.  Ms.   Tertullian,  ^^rr/]j0'/.- Tertullien. 

2.  Ms.  ab  initio. 

3.  Ce  développement  est  identique  à  ce  que  nous  avons  lu  dans  le  sermon 
sur  la  Bonté  et  la  rigueur  de  Dieu  (Voy  p.  137)  ;  mais  ce  qui  suit  va  être  traité 
d'une  manière  plus  concise  qu'en  1652  (Cf.  p.  138). 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  439 

mus,  de  nostro  justus  {^).  Il  est  donc  vrai,  ce  que  nous  disions, 
que  Dieu  n'a  pu  commencer  ses  ouvrages  que  par  un  épan- 
chement  général  de  sa  bonté  sur  les  créatures,  et  que  c'est 
là  par  conséquent  sa  plus  grande  gloire. 

Maintenant  je  vous  demande,  le  Sauveur  Jésus,  notre 
amour  et  notre  espérance,  notre  pontife,  notre  avocat,  notre 
intercesseur,  pourquoi  est-il  monté  sur  la  croix  }  pourquoi 
est-il  mort  sur  ce  bois  infâme  ?  qu'est-ce  que  nous  en  apprend 
le  grand  Apôtre  saint  Paul  (^)  ?  N'est-ce  pas  «  pour  renou- 
veler toutes  choses  en  sa  personne,  »  pour  ramener  tout  à  la 
première  origine,  pour  reprendre  les  premières  traces  de 
Dieu  son  Père,  et  réformer  les  hommes  selon  le  premier 
dessein  de  ce  grand  ouvrier }  C'est  la  doctrine  du  christia- 
nisme. Donc  ce  qui  a  porté  le  Sauveur  à  vouloir  mourir  en 
la  croix,  c'est  qu'il  était  touché  de  ces  premiers  sentiments 
de  son  Père;  c'est-à-dire,  ainsi  que  je  l'ai  exposé  tout  à  l'heure, 
de  clémence,  de  bonté,  de  charité  infinie. 

En  effet,  n'est-ce  pas  à  la  croix  qu'il  a  présenté  devant  le 
trône  de  Dieu,  non  point  des  génisses  et  des  taureaux,  mais 
sa  sainte  chair,  formée  par  le  Saint-Esprit,  oblation  sainte 
et  vivante  pour  l'expiation  de  nos  crimes .-^  N'est-ce  pas  à  la 
croix  qu'il  a  réconcilié  toutes  choses,  faisant  par  la  vertu  de 
son  sang  la  vraie  purification  de  nos  âmes  {')  ?  Les  hommes 
étaient  révoltés  contre  Dieu,  ainsi  que  nous  le  disions  dans 
la  première  partie  ;  et  d'autre  part,  la  justice  divine  était 
[p.  21]  prête  à  les  précipiter  dans  l'abîme  en  la  compagnie 
des  démons,  dont  ils  avaient  suivi  les  conseils  et  imité  la 
présomption  ;  lorsque  tout  à  coup  notre  charitable  poniife 
paraît  entre  Dieu  et  les  hommes.  Il  se  présente  pour  porter 
les  coups  qui  allaient  tomber  sur  nos  tctes.  Posé  sur  l'autel 
de  la  croix,  il  répand  son  sang  sur  les  hommes,  il  élève  à 
Dieu  ses  mains  innocentes  ;  et  ainsi,  «  [pacifiant  le  ciel  et  la 
terre  ("'),  »  il  arrête  le  cours  de  la  justice  divine,  et  change 
une  fureur  implacable  en  une  éternelle  miséricorde. 

En  suivant  l'audace  des  anges  rebelles,  nous  leur  avions 
vendu  nos  corps  et  nos  âmes,  par  un  détestable  marché  ;  et 

a.  De  Resiirr.   Carn.,  n,  14.  —  b.  Ephcs.,  I,   10;  Coioss.y  III,  lO.  —  c.  IhitL^ 

I,  2C.  —  d.  Ibiii.^  I,  20. 


440  EXALTATION 


Dieu,  sur  ce  contrat,  avait  ordonné  que  nous  serions  livrés  en 
leurs  mains.  Dieu  l'avait  prononcé  de  la  sorte  par  une  sen- 
tence dernière  et  irrévocable.  Mais  qu'a  fait  le  Sauveur 
Jésus  ?  «  Il  a  pris,  dit  l'apôtre  saint  Paul  (''),  l'original  de  ce 
décret  donné  contre  nous,  et  il  l'a  attaché  à  la  croix.  »  Pour 
quelle  raison  ?  C'est  afin,  ô  Père  éternel,  que  vous  ne  puissiez 
voir  la  sentence  qui  nous  condamne  que  vous  ne  voyiez  le 
sacrifice  qui  nous  absout  ;  afin  que  si  vous  rappeliez  en  votre 
mémoire  (')  le  crime  qui  vous  irrite,  en  même  temps  vous 
vous  souveniez  du  sang  qui  vous  apaise  et  vous  adoucit. 
Ainsi  a  été  accompli  cet  oracle  du  prophète  Isaïe  (au  cha- 
pitre xxviii)  :  «  Votre  traité  avec  la  mort  sera  annulé,  et 
votre  pacte  avec  l'enfer  ne  tiendra  pas  :  »  Delebitur  fœdus 
vestruni  cum  morte,  et pachtm  vest^^ttm  cum  inferno  non  stabit. 
Jésus  a  rompu  ce  damnable  contrat  par  une  [p.  22]  meilleure 
alliance  :  dès  là  nos  espérances  se  sont  relevées.  Le  ciel,  qui 
était  de  fer  pour  nous,  a  commencé  de  répandre  ses  grâces  sur 
les  misérables  mortels  :  Jésus  nous  l'a  ouvert  par  sa  croix. 

C'est  pourquoi  je  la  compare  à  cette  mystérieuse  échelle 
qui  parut  au  patriarche  Jacob,  «  où  il  voyait  les  anges  monter 
et  descendre  (^).  »  Que  veut  dire  ceci,  chrétiens.^  N'est-ce 
pas  (^)  pour  nous  faire  entendre  que  la  croix  de  notre  Sauveur 
renoue  le  commerce  entre  le  ciel  et  la  terre  ;  que  par  cette 
croix  les  saints  anges  viennent  à  nous  comme  à  leurs  frères 
et  leurs  alliés,  et  en  même  temps  nous  apprennent  que,  par 
la  même  croix,  nous  pouvons  remonter  au  ciel  avec  eux, 
pour  y  remplir  les  places  que  leurs  ingrats  compagnons  ont 
laissées  vacantes? 

Donc,  où  mettrons[-nous]  notre  gloire,  mes  frères,  si  ce 
n'est  en  la  croix  de  Jésus  ?  Car,  comme  dit  l'apôtre  saint 
Paul,  «  si  lorsque  nous  étions  ennemis.  Dieu  nous  a  réconci- 
liés par  la  mort  de  son  Fils  unique  ;  maintenant  que  nous 
avons  la  paix  avec  lui  parle  sang  du  Médiateur,  comment  ne 
nous  comblera-t-il  pas  de  ses  dons  ?»  Et  si,  étant  pécheurs, 

a.  Coloss.,  II,  14.  —  b.  Gen.,  xxviii,  12. 

1.  Var.  si  vous  vous  souveniez... 

2.  Lâchât  :  Est-ce  pas...? —  Cet  éditeur,  même  quand  il  n'avait  pas  le  manus- 
crit sous  les  yeux,  tenait  à  faire  autrement  que  Deforis,  au  risque  de  faire  mal 
si  celui-ci  avait  bien  fait.  Ici  c'était  le  cas. 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  44  I 

Jésus-Christ  nous  a  tant  aimés  qu'il  est  mort  pour  l'amour 
de  nous  ;  «  maintenant  que  nous  sommes  justifiés  par  son 
sang  (''),  »  qui  pourrait  dire  la  tendresse  de  son  amour  ?  Or, 
si  Dieu  a  usé  envers  nous  d'une  telle  miséricorde  pendant 
que  nous  étions  des  rebelles,  que  ne  fera-t-il  pas,  maintenant 
que  par  la  croix  du  Sauveur  nous  sommes  devenus  ses  en- 
fants ?  «  Et  celui  qui  nous  a  donné  son  Fils  unique,  que 
nous  pourra-t-il  [p.  23]  refuser  (''')  ?  » 

Pour  moi,  je  vous  l'avoue,  chrétiens,  c'est  là  toute  ma 
gloire,  c'est  là  mon  unique  consolation  :  autrement,  dans  quel 
désespoir  ne  me  jetterait  pas  le  nombre  infini  de  mes  crimes  ? 
Quand  je  considère  le  sentier  étroit  sur  lequel  Dieu  m'a 
commandé  de  marcher,  et  l'incroyable  difficulté  qu'il  y  a  de 
retenir,  dans  un  chemin  si  glissant,  une  volonté  si  volage  et  si 
précipitée  que  la  mienne  ;  quand  je  jette  les  yeux  sur  la  pro- 
fondeur immense  du  cœur  humain,  capable  de  cacher  dans 
ses  replis  tortueux  tant  d'inclinations  corrompues,  dont  nous 
n'aurons  nous-mêmes  nulles  connaissances  ;  je  frémis  d'hor- 
reur, ô  fidèles,  et  j'ai  juste  sujet  de  craindre  qu'il  ne  se  trouve 
beaucoup  de  péchés  dans  les  choses  qui  me  paraissent  les 
plus  innocentes.  Et  quand  même  je  serais  très  juste  devant 
les  hommes,  ô  Dieu  éternel,  quelle  justice  humaine  ne  dis- 
paraîtra pas  devant  votre  face  ?  «  Et  qui  serait  celui  qui 
pourrait  justifier  sa  vie,  si  vous  entriez  avec  lui  dans  un 
examen  rigoureux  ('')?  »  Si  le  grand  Apôtre  saint  Paul,  après 
avoir  dit  avec  une  si  grande  assurance,  «  qu'il  ne  se  sent 
point  coupable  en  lui-même,  ne  laisse  pas  de  craindre  de 
n'être  pas  justifié  devant  vous  ('^),  »  que  dirai-je,  moi  misé- 
rable ?  et  quels  devront  donc  être  les  troubles  de  ma  con- 
science ?  Mais,  ô  mon  pontife  miséricordieux,  mon  pontife 
fidèle  et  compatissant  à  mes  maux,  c'est  vous  (|ui  rcjxmdcz 
une  certaine  sérénité  dans  mon  âme.  Non,  tant  (|uc  je  pourrai 
embrasser  votre  croix,  jamais  je  ne  perdrai  l'espérance  : 
tant  que  je  vous  verrai  à  la  droite  [p.  24  |  de  votre  Père  avec 
une  nature  scîmblable  à  la  mienne,  portant  encore  sur  votre 
chair  les  cicatrices  de  ces  aimabl(!s  blessures  que  vous  avez 
reçues  pour  l'amour  de  moi,  je  ne  croirai  jamais  que  le  genre 

a.  Rom.^  V,  8-10.  —  b.  làid.y  vill,  32.  —  c.  Ps.,  CXLII,  2.  —  d,  l  Cor,  iv,  4. 


442  EXALTATION 

humain  vous  déplaise,  et  la  terreur  de  la  majesté  ne  m'em- 
pcchera  point  d'approcher  de  l'asile  (')  de  la  miséricorde. 
Cela  me  rend  certain  que  vous  aurez  pitié  de  mes  maux  : 
c'est  pourquoi  votre  croix  est  toute  ma  gloire,  parce  qu'elle 
est  toute  mon  espérance. 

Mais  est-il  bien  vrai,  chrétiens,  que  nous  nous  glorifions 
en  la  croix  du  Sauveur  Jésus  ?  Nos  actions  ne  démentent- 
elles  pas  nos  paroles  ?  Ne  faudrait-il  pas  dire  plutôt  que  la 
croix  nous  est  un  scandale,  aussi  bien  qu'elle  l'a  été  aux 
Gentils  ('')  ?  La  croix  ne  t'est-elle  pas  un  scandale  à  toi,  qui 
dédaignes  la  pauvreté,  qui  ne  peux  souffrir  les  injures,  qui 
cours  après  les  plaisirs  mortels,  qui  fuis  tout  ce  que  tu  vois 
à  la  croix,  oubliant  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a 
trouvé  sa  vie  dans  la  mort,  et  ses  richesses  dans  la  pauvreté, 
et  ses  délices  dans  les  tourments,  et  sa  gloire  dans  l'igno- 
minie ?  L'apôtre  saint  Paul  disait  à  ceux  qui  voulaient  établir 
la  justice  par  les  œuvres  et  les  cérémonies  de  la  Loi,  que 
«  si  la  justice  était  par  la  Loi,  Jésus-Christ  était  mort  en 
vain,  et  que  ce  grand  scandale  de  la  croix  était  inutile  (^').  » 
Et  ne  pourrais-je  pas  dire  aujourd'hui,  avec  beaucoup  plus 
de  raison,  qu'en  [p.  25]  vain  (^)  Jésus-Christ  est  mort  à  la 
croix,  puisque  n'étant  mort  qu'afin  de  nous  rendre  un  peuple 
agréable  à  Dieu,  nous  vivons  avec  une  telle  licence  que 
nous  contraignons  presque  les  infidèles  à  blasphémer  le  saint 
nom  qui  a  été  invoqué  sur  nous  ?  En  vain  Jésus-Christ  est 
à  la  croix  pour  renverser  la  sagesse  mondaine,  si  après  sa 
mort  on  mène  toujours  une  même  vie,  si  l'on  applaudit  aux 
mêmes  maximes,  si  l'on  met  le  souverain  bonheur  dans  les 
mêmes  choses.  En  vain  la  croix  a-t-elle  abattu  les  idoles 
par  toute  la  terre,  si  nous  nous  faisons  tous  les  jours  de  nou- 
velles idoles  par  nos  passions  déréglées  ;  sacrifiant  non  point 
à  Bacchus,  mais  à  l'ivrognerie  ;  non  point  à  Vénus,  mais  à 
l'impudicité  ;  non  pointa  Plutus,  mais  à  l'avarice  ;  non  point 
à  Mars,  mais  à  la  vengeance  ;  et  leur  immolant  non  des  ani- 

a.  1  Cor.,  I,  23.  —  â.  Gai,  II,  21  ;  V,  il. 

1.  Var.  de  l'autel. 

2.  La  page  24  ayant  été  marquée  23  par  erreur,  les  suivantes  sont  aussi  en 
retard  d'une  unité.  Le  sommaire  toutefois  a  désigne  exactement  les  p.  25,  26, 
en  tenant  compte  de  la  rectification  nécessaire. 


DE  LA  SAINTE  CROIX.  443 

maux  égorgés,  mais  nos  esprits  remplis  de  l'Esprit  de  Dieu, 
et  «  nos  corps  qui  sont  les  temples  du  Dieu  vivant,  et  nos 
membres  qui  sont  devenus  les  membres  de  Jésus-Christ('').» 

C'est  donc  une  chose  trop  assurée,  que  la  croix  de  Jésus 
n'est  pas  notre  gloire  :  car  si  elle  était  notre  gloire,  nous 
glorifierions-nous,  comme  nous  faisons,  dans  les  vanités  ? 
Pourquoi  pensez-vous  que  l'apôtre  saint  Paul  ne  dise  pas  en 
ce  lieu  qu'il  se  glorifie  en  la  sagesse  de  Jësus-Ciirtst,  en  la 
puissance  de  Jésus-Christ,  dans  les  miracles  de  Jésus- 
Christ,  en  la  résurrection  de  Jésus-Christ;  mais  seulement 
en  la  mort  et  en  la  croix  de  Jésus-Christ  ?  A-t-il  parlé  ainsi 
sans  raison  ?  ou  plutôt  ne  vous  souvenez-vous  pas  que  je  vous 
ai  dit,  à  l'entrée  de  ce  [p.  26]  discours,  que  la  croix  était  un 
assemblage  de  tous  les  tourments,  de  tous  les  opprobres,  et 
de  tout  ce  qui  paraît  non  seulement  méprisable,  mais  hor- 
rible, mais  effroyable  à  notre  raison  ?  C'est  pour  cela  que 
saint  Paul  nous  dit,  «  qu'il  se  glorifie  seulement  en  la  croix 
du  Sauveur  Jésus  ;  »  afin  de  nous  apprendre  l'humilité,  afin 
de  nous  faire  entendre  que  nous  autres  chrétiens  nous  n'avons 
de  gloire  que  dans  les  choses  que  le  monde  méprise. 

Eh!  dites-moi,  mes  frères,  le  signe  du  chrétien,  n'est-ce  pas 
la  croix  ?  «  N'est-ce  pas  par  la  croix,  dit  saint  Augustin  {^), 
que  l'on  bénit  et  l'eau  qui  nous  régénère,  et  le  sacrifice  qui 
nous  nourrit  et  l'onction  sainte  qui  nous  fortifie  ?  »  Avez- 
vous  oublié  que  l'on  a  imprimé  la  croix  sur  vos  fronts,  quand 
on  vous  a  confirmés  par  le  Saint-Esprit  ?  Pourquoi  riin[)ri- 
mer  sur  le  front  ?  N'est-ce  pas  que  le  front  est  le  siège  delà 
pudeur?  Jésus-Christ  par  la  croix  a  voulu  nous  durcir  le 
front  contre  cette  fausse  honte,  qui  nous  fait  rougir  des 
choses  que  les  hommes  estiment  basses,  et  (jui  sont  grandes 
devant  la  face  de  Dieu.  Combien  de  fois  avons-nous  rougi 
de  bien  faire  ?  Combien  de  fois  les  emplois  les  plus  saints 
nous  ont-ils  semblé  bas  et  ravalés  ?  La  croix  imprimée  sur 
nos  fronts  nous  arme  d'une  généreuse  impudence  contre  cette 
lâche  pudeur  ;  elle  nous  aj^prend  (jue  les  honneurs  de  la  terre 
ne  sont  pas  pour  nous. 

Quand  les  magistrats  veulent  rendre  les  personnes  [p.  27] 

a.  I  Cor.y  VI,  15,  19  ;  Ephes.^  V,  30.  —  b.  In  Joan.  Tract.,  cxviii,  n.  5. 


444  EXALTATION 


infâmes  et  indignes  des  honneurs  humains,  souvent  ils  leur 
font  imprimer  sur  leurs  corps  une  marque  honteuse,  qui  dé- 
couvre à  tout  le  monde  leur  infamie.  Vous  dirai-je  ici  ma 
pensée  ?  Dieu  a  imprimé  sur  nos  fronts,  dans  la  partie  du 
corps  la  plus  éminente,  une  marque  devant  lui  glorieuse, 
devant  les  hommes  pleine  d'ignominie,  afin  de  nous  rendre 
incapables  de  recevoir  aucun  honneur  sur  la  terre.  Ce  n'est 
pas  que  ('),  pour  être  bons  chrétiens,  nous  soyons  indignes 
des  honneurs  du  monde  ;  mais  c'est  que  les  honneurs  du 
monde  ne  sont  pas  dignes  de  nous.  Nous  sommes  infâmes 
selon  le  monde,  parce  que  selon  le  monde  la  croix,  qui  est 
notre  gloire,  est  un  abrégé  de  toutes  sortes  d'infamies. 

Cependant,  comme  si  le  christianisme  et  la  croix  de  Jésus 
étaient  une  fable,  nous  n'avons  d'ambition  que  pour  la  gloire 
du  siècle  :  l'humilité  chrétienne  nous  paraît  une  niaiserie. 
Nos  premiers  pères  croyaient  qu'à  peine  les  empereurs  mé- 
ritaient-ils d'être  chrétiens  :  les  choses  à  présent  sont  chan- 
gées :  à  peine  croyons-nous  que  la  piété  chrétienne  soit  digne 
de  paraître  dans  les  personnes  considérables.  La  bassesse  de 
la  croix  nous  est  en  horreur  ;  nous  voulons  qu'on  nous  ap- 
plaudisse et  qu'on  nous  respecte. 

Mais  ma  charge,  me  direz-vous,  veut  que  je  me  fasse  ho- 
norer (^)  :  si  on  ne  respecte  les  magistrats,  toutes  choses  iront 
en  désordre.  [P.  28]  Apprenez,  apprenez  quel  usage  le  chré- 
tien doit  faire  des  honneurs  du  monde  :  qu'il  les  reçoive 
premièrement  avec  modestie,  connaissant  combien  ils  sont 
vains  ;  qu'il  les  reçoive  pour  la  police,  mais  qu'il  ne  les 
recherche  pas  pour  la  pompe  ;  qu'il  imite  l'empereur  Héra- 
clius,  qui  déposa  la  pourpre,  et  se  revêtit  d'un  habit  de 
pauvre,  pour  porter  la  croix  de  Jésus.  Ainsi,  que  le  fidèle  se 
dépouille  de  tous  les  honneurs  devant  la  croix  de  notre  bon 
Maître  ;  qu'il  y  paraisse  comme  pauvre,  comme  nu  et  comme 
mendiant  :  qu'il  songe  que,  par  la  naissance,  tous  les  hommes 
sont  ses  égaux  ;  et  que  les  pauvres,  dans  le  christianisme, 
sont  en  quelque  façon  ses  supérieurs.  Qu'il  considère  que 
l'honneur  qu'on  lui  rend  n'est  pas  pour  sa  propre  grandeur, 

1.  Passage  souligné. 

2.  Edit.  que  je  me  fasse  honneur.  —  Faute  de  lecture,  qui  altère  le  sens. 


DE  LA  SAINTE  CROIX. 


445 


mais  pour  l'ordre  du  monde,  qui  ne  peut  subsister  sans  cela  ; 
que  cet  ordre  passera  bientôt,  et  qu'il  s'élèvera  un  nouvel 
ordre  de  choses  où  ceux-là  seront  les  plus  grands,  qui  auront 
été  les  plus  gens  de  bien,  et  qui  auront  mis  leur  gloire  en  la 
croix  du  Sauveur  Jésus. 

Adorons  la  croix  dans  cette  pensée  ;  assistons  dans  cette 
pensée  au  saint  sacrifice  qui  se  fait  en  mémoire  de  la  Passion 
du  Fils  de  Dieu.  Fasse  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  que 
nous  comprenions  combien  sa  croix  est  auguste,  combien 
glorieuse,  puisqu'elle  seule  est  capable  de  faire  éclater  sur 
les  hommes  la  toute-puissance  de  Dieu,  et  de  répandre  sur 
eux  les  trésors  immenses  de  sa  miséricorde  infmie,  en  leur 
ouvrant  l'entrée  à  la  félicité  éternelle!  Amen, 


i 


.^  .^  :^  ^  :^  ::^.  :^,  :-,^  :^,  :^,  :^,  ■.:^.,  ■^,  .^,  ^,  .^, ,, 


ir   dimanche  de  l'Avent  (■). 


SERMON    SUR    JESUS-CHRIST 


OBJET   DE   SCANDALE. 


Prêché  à  Metz,    le  7  décembre  1653. 


'h 


Nous  conservons  à  ce  sermon,  pour  la  facilité  des  recherches,  le 
titre  qu'il  porte  dans  les  éditions  :  il  ne  s'applique  toutefois  exacte- 
ment qu'au  troisième  point.  Les  mots  :  «  A  Metz,  contre  les  Juifs  », 
dont  on  a  cruellement  abusé  contre  Bossuet  (^),  ne  sont  point  de  sa 
main,  comme  on  l'a  cru  :  ce  n'est  autre  chose  qu'une  note  malencon- 
treuse du  neveu  du  grand  orateur.  C'est  donc  bien  mal  à  propos 
qu'on  nous  présente  comme  un  exemple  de  dureté  un  discours  dont 
l'onction  est  remarquable. 

Les  caractères  du  style  et  de  l'éloquence,  les  particularités  de 
l'écriture  et  de  l'orthographe,  nous  invitent  à  ranger  ce  sermon  im- 
médiatement après  ceux  qu'on  vient  de  lire.  Entre  le  dernier  et 
celui-ci  se  place  chronologiquement  la  Lettre  à  M.  de  Thiolet  (14 
octobre  1653),  qui  fournit  pour  l'orthographe  et  l'écriture  un  utile 
point  de  repère.  (Autographe  à  Metz.  —  Voy.  Histoire  critique  de 
la  Prédication  de  Bossuet,  p.  1 1 3- 1 1 5.) 

Sommaire  (3)  :  {i^''  point ?^  Pertransiit  benefaciendo.  Son  cœur 
écoutait  la  voix  de  la  misère,  il  sollicitait  son  bras.  —  L'âme  se 
retirant  de  Dieu  laisse  le  corps  sans  vigueur  (p.  11).  —  Péché  plus 
grand  mal  que  la  peine  (p.  12,  13). 

\2^ point?^  Pauvres  évangélisés  (p.  16,  17,  18). 

[//d?/;z/.]  Comment  s'est-il  pu  faire  scandalizantur  in  me?  Raisons 
pourquoi  nous  n'entendons  [pas]  l'œuvre  de  Dieu,  scandalum  : 
nous  croyons  que  Dieu  renverse  tout,  quand  il  rebâtit,  comme  l'en- 
trepreneur, etc.  (p.  21).  —  Foi  doit  précéder  la  vue  (p.  22).  Soumettre 
l'entendement  aussi  bien  que  la  volonté  :  Croire  ce  qui  est  incroyable, 
faire  ce  qui  est  difficile.  —  Reconnaître  la  grâce  parce  que  la  nature 
est  scandalisée,  JéSUS-Christ  scandale  à  tous,  même  aux  chrétiens 
(p.  25,  26,  27). 

1.  Mss.  12821,  f.  145-164.  Petit  in-P,  paginé  à  l'époque  des  sommaires. 

2.  «  Le  mot  est  d'autant  plus  dur  qu'il  a  été  écrit  sans  réflexion  ;  il  exprime 
naïvement  le  fond  de  la  pensée  de  Bossuet.  »  (Gandar,  Bossuet  orateti7-,  p.  70.) 
C'est  un  panégyriste  qui  parle  ainsi  ! 

3.  Publié,  mais  inexactement,  par  Lâchât  (vili,  148).  —  Bossuet  n'analyse 
pas  ici  les  exordes.  En  commençant  par  le  premier  point,  il  atteint  bientôt  la 
p.  1 1  de  son  manuscrit. 


SUR  JÉSUS-CHRIST  OBJET  DE  SCANDALE.  447 


Cœci  vident^  claudi  ambulant^  le- 
prosi  mundatitiir^  surdi  audiiinty 
jnortui  resuri^uiit^paupercs  evan}re. 
lizantur  :  et  de  ah/ s  est  qui  tionfue- 
rit  scandalizatiis  in  me. 

Les  aveugles  reçoivent  la  vue,  les 
sourds  entendent, les  estropies  mar- 
chent, les  lépreux  sont  nettoyés,  et 
les  morts  revivent  ;  l'Évangile  est 
annoncé  aux  pauvres  :  et  bienheu- 
reux est  celui  qui  n'est  point  scan- 
dalisé en  moi. 

{Matth.,  XI,  5,  6.) 

SI  nous  apprenons  (')  des  Ecritures  divines  que  Notre- 
Seigneur  Jésus-Chrlst  a  toujours  été  l'unique  espé- 
rance du  monde,  la  consolation  et  la  joie  de  tous  ceux  qui 
attendaient  la  rédemption  d'Israël,  à  plus  forte  raison,  chré- 
tiens, devons-nous  être  persuadés  que  Jean-Baptiste,  son 
bienheureux  précurseur,  n'avait  point  de  plus  (^)  chère  occu- 
pation que  celle  d'entretenir  son  esprit  de  ce  doux  objet. 
C'est  pourquoi  je  me  le  représente  aujourd'hui,  dans  les 
prisons  du  cruel  Hérode,  comme  un  homme  qui  n'a  de  con- 
tentement que  d'apprendre  ce  que  son  Maître  fait  parmi  les 
hommes,  et  comme  par  ses  prédications  et  par  ses  miracles 
il  se  fait  reconnaître  à  ses  vrais  fidèles  pour  le  Fils  du  Dieu 
tout-puissant.  C'est  ce  qu'il  me  semble  que  saint  Matthieu 
nous  fait  conjecturer  en  ces  mots  de  notre  évangile  :  «  Jean 
entendant  dans  les  liens  les  grandes  œuvres  de  Jésus-Chrlst, 
il  lui  envoya  (^)  deux  de  ses  disciples,  pour  lui  faire  cette 
demande  :  Etes-vous  celui  qui  devez  venir,  ou  si  nous  en 
attendons  quelque  autre  ('')  ?»  Pour  moi,  je  m'imagiiu'.tidcles. 
que  le  fruit  qu'il  espérait  de  cette  ambassade,  c'est  cjuc  ses 
disciples  lui  rapportant  la  réponse  de  son  bon  Maître,  il  ne 
doutait  nullement  que  sa  parole  ne  dût  être  pleine  d'une  si 
ineffable  douceur  que,  seule,  elle  serait  capable  non  seuk:- 
ment  de  chasser  les  maux  d'une  dure  captivité,  mais  encore 

a.  Matth.^  XI,  2,  3. 

1.  Cet  avant-propos,  écrit  sur  la  dernière  feuille  du  manuscrit,  est  st^paré  du 
discours  dans  toutes  les  éditions. 

2.  Var.  de  ])lus  douce  pensée  (.|ue  d'occuper. 

3.  Edit.  il  lui  envoie...  pour  lui  dcm.mdcr. 


448  SUR  JÉSUS-CHRIST 


d'adoucir  les  amertumes  de  cette  vie.  Chères  sœurs,  dans 
cette  prison  volontaire  où  vous  vous  êtes  jetées  pour  l'amour 
de  Dieu,  dites-moi,  que  pourriez-vous  faire  sans  la  douce 
méditation  des  mystères  du  Sauveur  Jésus  ?  Et  n'est-ce  pas 
cette  seule  pensée  qui  fait  triompher  en  vos  cœurs  une  sainte 
joie  dans  une  vie  si  laborieuse  ?  Oui,  certes,  il  le  faut  avouer, 
Dieu  a  répandu  une  certaine  grâce  sur  toutes  les  paroles  et 
sur  toutes  les  actions  du  Seigneur  Jésus  ;  y  penser,  c'est  la 
vie  éternelle.  Oui,  son  nom  est  un  miel  à  nos  bouches,  et 
une  lumière  à  nos  yeux,  et  une  vive  (')  flamme  à  nos  cœurs: 
et  lorsque,  remplis  de  l'Esprit  de  Dieu,  nous  concevons  en 
nos  âmes  le  Sauveur  Jésus,  nous  ressentons  une  joie  à  peu 
près  semblable  à  celle  que  sentit  l'heureuse  Marie,  lorsque, 
couverte  de  la  vertu  du  Très- Haut,  elle  conçut  en  ses  chastes 
entrailles  le  Fils  unique  du  Père  éternel,  après  que  l'ange 
l'eut  saluée  par  ces  célestes  paroles  :  Ave,  etc. 

[P.  i]  Si  vous  voyez  aujourd'hui  que  saint  Jean-Baptiste 
envoie  ses  disciples  à  notre  Sauveur  pour  lui  demander  quel 
il  est,  ne  vous  persuadez  pas  pour  cela  que  l'Elie  du  Nou- 
veau Testament  et  le  grand  Précurseur  du  Messie  ait  ignoré 
le  Seigneur  auquel  il  venait  préparer  les  voies.  Je  sais  qu'il  y 
a  eu  quelques  personnes  très  doctes,  et  entre  autres  le  grave 
Tertullien  ('*),  qui  ont  cru  que,  dans  le  temps  que  saint  Jean- 
Baptiste  fit  faire  cette  question  au  Sauveur,  la  lumière  pro- 
phétique, qui  l'avait  jusqu'alors  éclairé,  avait  été  éteinte  en 
son  âme  ;  mais  je  ne  craindrai  point  de  vous  dire,  avec  le 
respect  que  je  dois  aux  auteurs  de  ce  sentiment,  qu'il  n'y  a 
aucune  vraisemblance  dans  cette  pensée.  «  Abraham  a  vu  le 
jour  de  Notre-Seigneur  ;  Isaïe  a  vu  sa  gloire  et  nous  en  a 
parlé,  »  nous  dit  l'évangéliste  saint  Jean  (^)  ;  tous  les  pro- 
phètes l'ont  connu  en  esprit  :  et  le  plus  grand  des  prophètes 
l'aura  ignoré  ?  Celui  qui  a  été  envoyé  pour  rendre  témoignage 
de  la  lumière,  aura  été  lui-même  dans  les  ténèbres  }  Et  après 
avoir  tant  de  fois  désigné  au  peuple  cet  agneau  de  Dieu  qui 
purge  les  péchés  du  monde,   après  avoir  vu  le  Saint-Esprit 

a.  Adv.  Marcioii.,  lib.  IV.  —  b.  Joatt.^  viii,  56  ;  XII,  41. 
I.  Mot  omis  par  les  éditeurs. 


OBJET  DE  SCANDALE.  44g 


descendre  sur  lui  lorsqu'il  voulut  être  baptisé  de  sa  main, 
tout  d'un  coup  il  aura  oublié  ce  qu'il  a  fait  connaître  à  tant 
de  personnes  ?  Vous  voyez  bien,  fidèles,  que  cela  n'a  aucune 
apparence. 

Mais  pourquoi  donc,  direz-vous,  pourquoi  lui  envoyer  ses 
disciples  pour  s'informer  de  lui  s'il  est  vrai  qu'il  soit  le  Messie? 
Oui   interroge,  il  cherche  ;  qui   cherche,  il   ignore.  S'il  con- 
naissait quel  était  Jésus-Christ,  quelle   raison  peut-il  avoir 
de  lui  faire   ainsi  demander  ?  Ne   craignait  il   pas   que   son 
doute  ébranlât  la  foi  de  plusieurs,  et  diminuât  beaucoup  de 
l'autorité  du  témoignage  certain  qu'il  a  si  souvent  rendu  au 
Sauveur  ?  C'est  tout  ce  qu'on  nous  peut  opposer.  Mais  cette 
objection    ne   m'étonne   [p.  2]   pas  :  au  contraire,  ce  qu'on 
m'oppose,  je  veux  le  tirer  à  mon  avantage.  Je  dis  qu'il  inter- 
roge, parce  qu'il  sait  ;  il  demande  au  Sauveur  Jésus  quel  il 
est,  parce  qu'il  connaît  très  bien  quel  il  est.  Comment  cela  ? 
direz-vous.  C'est  ici,  chrétiens,  la  vraie  explication  de  notre 
évangile  et  le  fondement  nécessaire  de  tout  ce  discours.  Saint 
Jean,  qui  connaissait  le  Sauveur   qu'il  avait   prêché  tant  de 
fois,  savait  bien  qu'il  n'appartenait  qu'à  lui  seul  de  dire  quel 
il  était,  et  de  se  manifester  aux  hommes,  desquels  il  venait 
être  le  Précepteur.  C'est  pourquoi  il  lui  envoie  ses  disciples, 
afin  qu'ils  soient  instruits  par  lui-même  touchant  sa  venue, 
que  lui  seul  était   capable  de    nous  déclarer.  Ainsi  n'appré- 
hendez  pas,  chrétiens,  qu'il  détruise  le   témoignage  qu'il  a 
donné  de  Notre-Seigneur  ;  car   lui  faisant  demander  à  lui- 
même  ce  qu'il   faut  croire  de   sa   personne,  il  fait   bien  voir 
qu'il  reconnaît  en  lui  une   autorité    infaillible,  et  qu'il   ne  lui 
envoie  ses  disciples   que  pour  être  formés  de  sa   main  et 
enseignés  de  sa  propre  bouche.  Ne  pouvant  plus  annoncer 
sa  venue  aux  hommes,  parce  qu'il  était  retenu  aux   prist)ns 
d'Hérode,  il  prie   Notre-Seigneur  de  se  faire  connaître  lui- 
même  ;  et  lui  faisant  faire  cette  ambassade  en  présence  de 
tout  le  peuple,  il  a  dessein  de  tirer  de  lui  (jucUiue  instruction 
mémorable  pour  les  spectateurs,  qui  s'imaginaient  le  Messie 
tout  autre  qu'il  ne  devait  être. 

En  effet,  il  ne  fut  point  trompé.   Jésus,  (jui  connaissait  sa 
pensée  et  qui  voulait    récompenser  son  humilité,  lait   voir  a 

Sermon^  df   Hossuct.  "9 


450  SUR  ji':sus-ciiRiST 


ses  disciples  les  effets  de  sa  puissance  infinie.  Il  guérit  devant 
eux  tous  les  malades  qui  se  présentèrent  ;  il  leur  découvre 
son  cœur  ;  il  leur  donne  des  avis  importants  pour  connaître 
parfaitement  le  secret  de   Dieu,  et  détruire  une    fausse  idée 
du  Messie  qui  avait  préoccupé   les   Juifs  trop  charnels  ;  et 
sachant  que  son   bien-aimé    Précurseur  ne   pouvait  avoir  de 
plus  grande  joie  que  d'apprendre  la  gloire  de  son  bon  Maître, 
il  commande  aux  envoyés  de  saint  Jean  de  lui  en  rapporter  les 
nouvelles,  lui   voulant  donner  [p.  3]  cette   consolation  dans 
une  captivité   qu'il   souffrait   pour   l'amour  de   lui.    «  Allez- 
vous-en,  dit-il,  rapporter  à   Jean   les   merveilles  que  vous 
avez  vues  ;  »  dites  lui  «  que   les  sourds  entendent,  que  les 
aveugles  reçoivent  la  vue,  que  la  (')  vie  est  rendue  aux  morts, 
que   l'Évangile  est  annoncé  aux   pauvres,  et  qu'heureux  est 
celui  qui  n'est  point  scandalisé  en  moi.  »  Comme  s'il  eût  dit  : 
Les    Juifs,   trompés  par  l'écorce   de    la    lettre  et   par  les 
sentiments  de  la  chair,     attendent  le    Messie   comme   un 
puissant  roi   qui,  se  mettant  à  la  tête  de  grandes   armées, 
subjuguera  tous  leurs  ennemis,  et  qui  se  fera  reconnaître  par 
l'éclat  d'une    pompe    mondaine  et    par  une    magnificence 
royale  :  mais  Jean,  instruit  des  secrets  de  Dieu,  sait  qu'il  doit 
être  manifesté  par  des  marques  bien  plus   augustes,    encore 
que  selon  le  monde  elles  aient  beaucoup   moins   d'apparent. 
Allez-vous-en  donc,  et  lui  racontez  les  guérisons  admirables 
que  vous  avez  vues  de  vos  propres  yeux.  Dites  lui  que  l'au- 
teur de  tant  de  miracles  ne  dédaigne  pas  de  converser  parmi 
les  pauvres  ;  au  contraire,  qu'il  les  assemble  près  de  sa  per- 
sonne pour  les  entretenir  familièrement   des  mystères  du 
royaume  de  Dieu  et  des  vérités  éternelles  ;  et  toutefois  que 
nonobstant   et  le  pouvoir  par  lequel  je   fais  de  si   grandes 
choses,  et  l'incroyable  douceur  par  laquelle  je  condescends 
à  l'infirmité  des  plus   pauvres  et  des  plus  abjects,    bienheu- 
reux  est   celui  à  qui  je  ne  donne  point  de  scandale.    Dites 
ceci  à  Jean  :  à  ces  marques  il  connaîtra  bien  qui  je  suis. 

Tel  est  le  sens  de  tout  ce  discours,  très  court  en  appa- 
rence et  très  simple,  mais  plein  d'un  si  grand  sens  et  de  tant 
de  remarques  illustres  tirées   des  prophéties   anciennes   qui 

I.   Var.  que  les  morts  sont  ressuscites. 


OBJET  DE  SCANDALK.  45  I 

parlent  de  la  grandeur  du  Messie,  que  toute  l'éloquence 
humaine  ne  suffirait  pas  à  vous  en  étaler  les  richesses.  Tou- 
tefois j'ose  entreprendre,  fidèles,  avec  l'assistance  divine,  d'en 
découvrir  aujourd'hui  les  secrets  selon  la  [p.  4]  mesure  qui 
m'est  donnée.  Je  suivrai  pas  à  pas  le  texte  de  mon  évan^dle, 
conférant  les  paroles  de  notre  Sauveur  avec  les  actions  de  sa 
vie  et  les  prédictions  des  prophètes  dont  nous  avons  ici  un 
tissu.  Nous  admirerons  tous  ensemble  la  profonde  conduite 
de  Dieu  dans  la  manifestation  de  son  Fils  ;  mais  pour  y 
procéder  avec  ordre,  réduisons  tout  cet  entretien  à  trois 
chefs  tirés  des  propres  paroles  du  Fils  de  Dieu.  Je  remarque 
trois  choses  dans  son  discours  :  qu'il  guérit  les  malades, 
qu'il  catéchise  les  pauvres,  qu'il  scandalise  les  infidèles. 
Dans  ses  miracles,  je  vois  sa  bonté,  en  ce  qu'il  a  pitié 
de  nos  maux  :  dans  ses  instructions,  je  vois  sa  simpli- 
cité, en  ce  qu'il  ne  lie  de  société  qu'avec  les  plus  pauvres  ; 
enfin,  dans  le  scandale  qu'il  donne,  je  vois  les  furieuses 
oppositions   que    l'on  fera   à  sa  salutaire  doctrine. 

Viens,  ô  Juif  incrédule  !  viens  considérer  le  Messie  ;  viens 
le  reconnaître  par  les  vraies  marques  que  t'ont  données  tes 
propres  prophètes.  Tu  crois  qu'il  manifestera  son  pouvoir, 
établissant  en  la  terre  un  puissant  empire  auquel  il  joindra 
toutes  les  nations,  ou  par  la  réputation  de  sa  grandeur,  ou 
par  ses  armes  victorieuses.  Sache  que  sa  puissance  n'écla- 
tera que  par  sa  bonté  et  par  la  tendre  compassion  qu'il  aura 
de  nos  maladies.  Tu  te  le  représentes  au  milieu  d'une  cour 
superbe,  environné  de  gloire  et  de  majesté  :  apprends  que 
sa  simplicité  ne  lui  permettra  pas  d'avoir  d'autre  compagnie 
que  celle  des  pauvres.  Enfin  tu  t'imagines  voir  couler  sa  vie 
dans  un  cours  continuel  de  prospérités,  au  lic!u  cju'elle  ne  sera 
pas  un  seul  moment  sans  être  injustement  traversée.  En  un 
mot  le  Messie  promis  par  les  oracles  divins  doit  être  un 
homme  infiniment  miséricordieux,  dont  le  cœur  s'attendrira 
à  l'aspect  des  misères  de  notre  nature,  qui  recevra  les  |)au- 
vres  en  sa  plus  intime  familiarité,  et  épandra  sur  eux  les 
trésors  de  sa  sagesse  incompréhensible,  en  les  catéchisant 
avec  une  affection  paternelle  ;  (jui.  nonobstant  [p.  5J  son 
inclination  libérale,  et  la  candeur  de  sa  vie-    innocente,  et  sa 


452  SUR  JÉSUS -CHRIST 


naïve  simplicité,  recevra  mille  malédictions  des  hommes 
ingrats,  sans  que  pour  cela  il  cesse  de  leur  bienfaire.  Voilà 
quel  devait  être  le  Sauveur  du  monde-.  O  Dieu,  qu'il  est 
bien  autre  que  les  Juifs  ne  se  l'imaginent  !  S'il  fût  venu  avec 
une  pompe  royale,  les  pauvres  n'auraient  pas  osé  approcher 
de  lui,  ni  môme  le  regarder  ;  tout  le  monde  lui  eût  fait  la 
cour,  bien  loin  de  le  charger  d'imprécations.  C'est  pourquoi 
étant  venu  pour  souffrir,  il  a  pris  une  condition  d'esclave  ; 
étant  venu  pour  les  pauvres,  il  a  voulu  naître  pauvre,  afin 
de  pouvoir  être  familier  avec  eux.  C'est  le  véritable  portrait 
du  Messie,  notre  unique  libérateur,  tel  qu'il  nous  est  désigné 
par  les  prophéties,  tel  qu'il  nous  est  montré  dans  son  Evan- 
gile. Considérons,  en  détail,  chrétiens,  cet  adorable  tableau. 
Mais  admirons  avant  toutes  choses  le  premier  trait  de  cette 
salutaire  peinture  que  notre  évangéliste  nous  a  tracée,  et 
voyons  paraître  la  toute-puissance  du  Sauveur  Jésus  par  le 
remède  qu'il  apporte  à  nos  maladies.  C'est  le  premier  point 
de  mon  discours. 

PREMIER    POINT. 

Pourrais-je  bien  vous  dire,  fidèles,  combien  de  pauvres 
malades  et  combien  de  sortes  de  maladies  a  guéri[s]  notre 
miséricordieux  médecin  ?  Vous  eussiez  vu  tous  les  jours  à 
ses  pieds  les  aveugles,  les  sourds,  les  fébricitants,  les  paraly- 
tiques, les  possédés,  et  en  un  mot  (')  tous  les  autres  infir- 
mes, qui,  connaissant  sa  grande  bonté,  voyaient  que  c'était 
assez  de  lui  exposer  leurs  misères  pour  obtenir  de  lui  du 
soulagement.  Encore  ce  médecin  charitable  leur  épargnait 
souvent  [p.  6]  la  peine  de  le  chercher  ;  lui-même  il  parcou- 
rait la  Judée,  et,  comme  dit  l'apôtre  saint  Pierre,  «  il  passait 
bienfaisant,  et  guérissant  tous  les  oppressés  :  »  Pertransiit 
benefaciendo,  et  sanando  omnes  oppi^essos  a  diabolo  ("").  Dieu 
éternel  !  les  aimables  paroles,  et  qu'elles  sont  bien  dignes  de 
mon  Sauveur  !  La  folle  éloquence  du  siècle,  quand  elle  veut 
élever  quelque  généreux  conquérant,  dit  qu'il  «  a  parcouru 
les  provinces,   moins  par   ses  pas   que  par  ses   victoires  :  » 

a.  Act.^  X,  38. 
1.  Var.  et  enfin. 


OBJET  DE  SCANDALE.  453 


Non  tam  passibus  quam  victoriis  peragravit  (^\  Les  panégy- 
riques sont  pleins  de  ces  sortes  d'exagérations.  Et  qu'est-ce 
à  dire,  parcourir  les  provinces  par  les  victoires  ?  N'est-ce 
pas  porter  partout  le  carnage,  la  désolation  et  la  pillerie  ? 
Telles  sont  les  suites  de  nos  victoires. 

Ah  !  que  mon  Sauveur  a  parcouru  la  Judée  d'une  manière 
bien  plus  admirable  !  Je  puis  dire  véritablement  qu'il  l'a  par- 
courue moins  par  ses  pas  que  par  ses   bienfaits.    PertraJisiit 
benefaciendo.  Il  allait  de  tous  côtés  visitant  ses  malades,  dis- 
tribuant partout  un  baume  céleste,  je  veux  dire  une  miracu- 
leuse vertu  qui  sortait  de  son  divin  corps,  devant  laquelle 
on   voyait  disparaître  les   fièvres   les  plus  mortelles   et  les 
maladies  les  plus  incurables  :  Pe^^transiit  benefaciendo.  Et  ce 
n'était  pas  seulement  les  lieux  oii  il  arrêtait  quelque  temps, 
qui  se   trouvaient  mieux   de  sa  présence,  il   rendait   remar- 
quables les  endroits  dans  lesquels  il  passait,  par  la  profusion 
de  ses  grâces.  En  cette  bourgade,  il  n'y  a  plus  d'aveugles  ni 
d'estropiés:  sans  doute,  disait-on,  le  bienfaisant  Jl^sus  a  passé 
par  là  :  Pertransiit.  Et  en  effet,  chrétiens,  quelle  contrée  de 
la  Palestine  n'a  pas  expérimenté  mille  et  mille  fois  combien 
était  présent  le  remède  que  les  infirmes  et  les  languissants 
trouvaient  dans  le  secours  de  sa  main  puissante  ?  C'est  aussi 
ce  que  le  prophète  Isaïe,  que  les  Pères  ont  appelé  l'évangé- 
liste  de  la  loi  ancienne,  tant  ses  prédictions  sont  précises  ; 
c'est,  dis-je,  ce  que  le  prophète  Isaïe  célèbre  avec  son  élé- 
gance [p.  7]  ordinaire,  dans  le  chapitre  xxxv  de  sa  prophé- 
tie :  «  Dites  aux  affligés,  nous  dit-il,  à  ceux  qui  ont  le  cœur 
abattu  par  leurs  longues  calamités,  dites-leur  qu'ils  se  forti- 
fient. Voici  venir  notre  Dieu  qui  les  vengera  :  Dieu  viendra 
lui- même   et    nous  sauvera  :  »   Dcus  ipsc  vcnict  et  salnibit 
nos  (").  Quel  est  ce  Dieu  qui  vient  nous  sauver,  si  ce  n'est 
le  Sauveur  Jésus,  duquel  le  mrmt;    Isaïe  a  écrit  qu'il  serait 
appelé  Emmanuel,   Dieu  avec  nous  ?  Un   Dieu  avec  nous, 
n'est-ce  pas  à  dire   un    Dieu- Homme?   Dieu  donc  viendra 
lui-même,  dit  Lsaïe,  Dieu  viendra  lui-même  pour  nous  sauver. 

a.  /.v.,  XXXV,  4.  —  Le  texte  porte  :  Salvnhit  vos. 

I.   IMine  le  Jeune  dit,  diins  le  r.mcgyriquc  de  Trajan  :  Cum  orbetn  Urrarum 
non  pedibus  nina^is  quant  lauciibtts  perai^rans.  Cf.  ci  dessus,  p.  140. 


454  SUR  JÉSUS-CHRIST 


Vous  voyez  qu'il  est  parlé  là  du  Messie.  «  Et  alors,  poursuit- 
il  (''),  c  est-à-dire,  à  la  venue  du  Sauveur,  les  oreilles  des 
sourds  et  les  yeux  des  aveugles  seront  ouverts  ;  alors  celui 
qui  était  perclus  sautera  agilement  comme  un  cerf,  et  la 
langue  des  muets  sera  déliée.  »  Ne  voyez-vous  pas,  chrétiens, 
que  le  discours  de  notre  Sauveur,  dans  l'évangile  que  nous 
exposons,  est  tiré  de  celui  du  prophète  ?  «  Les  sourds 
entendent,  dit  le  Fils  de  Dieu,  les  aveugles  voient,  les  boi- 
teux marchent.  »  Il  se  plaît  de  toucher,  quoiqu'en  peu  de 
mots,  les  prophéties  qui  s'accomplissent  en  sa  personne;  afin 
de  nous  faire  comprendre  ce  que  l'apôtre  saint  Paul  nous  a  si 
évidemment  démontré,  qu'il  est  la  fin  de  la  Loi  (^),  et  Tunique 
sujet  de  tous  les  oracles  divins. 

Donc,  mes  frères,    reconnaissons  la   puissance  de  notre 
Sauveur   dans  les  remèdes  qu'il   nous   apporte,   touché   de 
compassion  de  nos  maux.  Certes,  je  sais  que,  le  Fils  de  Dieu 
venant  enseigner  sur  la  terre  une  doctrine   si   incroyable 
qu'était  la  sienne,  il  fallait  qu'il  la  confirmât  par  miracles,  et 
qu'il  justifiât   la  dignité  de  sa  mission  par  des  effets  d'une 
puissance  surnaturelle.  Mais  cela  n'empêche  pas  que  je  ne 
remarque  la  bonté  qu'il  a  pour  notre  nature,  dans  le  plaisir 
singulier  qu'il  reçoit  de  donner  la  guérison  à  nos  maladies. 
Oui,  je  soutiens  que  tous  ses  miracles  viennent  d'un  senti- 
ment de  compassion.  Plusieurs  fois,  considérant  les  misères 
qui  agitent  la  vie  humaine,  il  ne  nous  a  pas  pu  refuser  ses 
larmes.  Jamais  il  ne  vit  un  misérable  [p.  8]  qu'il  n'en  eût 
pitié  ;  et  je  pense  certainement  qu'il  eût  été  chercher  les 
malheureux  jusqu'au  bout  du   monde,  si  les  ordres  de  Dieu 
son    Père  et  l'ouvrage  de    notre   rédemption   ne   l'eussent 
arrêté  en  Judée.  «  J'ai,  dit-il,  compassion  de  ce  peuple  {'),  » 
avant  que  de  multiplier  les  cinq  pains.  «  Il  fut  mû  de  miséri- 
corde, dit  l'Evangéliste,  et  rendit   l'enfant  à  la    mère  ('^).  » 
Dans  toutes  les  grandes   guérisons  qu'il  fait,  il    ne  manque 
jamais  de  donner  des   marques  qu'il  déplore   nos  calamités  ; 
d'où  je  conclus  très  certainement  que   sa  compassion  a  fait 
presque  tous  ses  miracles.  La  première  grâce  qu'il  faisait  aux 
infirmes,  c'était  de  les  plaindre  avec  l'affection  d'un  bon  père. 

a.  /s.,  XXXV,  5,  6.  —  â.  Rom.,  x,  4.  —  c.  Marc,  viil,  2.  —  d.  Luc,  Vli,  13,  15. 


OBJET  DE  SCANDALE.  ^rr 


Son  cœur  écoutait  la  voix  de  la  misère  qui  l'attendrissait,  et 
en  même   temps  il  sollicitait  son  bras  pour  la  soulager.  Son 
amour  ne  se  rebute  pas  par  le  mauvais  traitement  que  nous 
lui  faisons.  En  voulez-vous  voir  un  exemple  admirable  ?  Un 
Juif  le  priant  de  guérir  son  fils   effroyablement  tourmenté  : 
«  Race  infidèle  et  maudite,  dit-il,  jusqu'à  quand  serai-je  avec 
vous.-*  et  faudra-t-il  toujours  vous  souffrir?  Amenez  ici  votre 
fils  ('').  »   «   Race   infidèle  et   maudite...    amenez   ici   votre 
fils   :    »    Quelle   est    la    suite    de   ces   paroles  ?    et   qu'elles 
semblent   mal  digérées  !  Pourquoi    dans    un    même  discours 
assembler  une  juste  indignation  et  un  témoignage  certain  de 
tendresse  ?  [P.  9]   C'est  qu'il  se   remit  en  l'esprit  que  c'était 
un  homme,  et  un  homme  extrêmement   misérable  ;  et  cette 
seule  considération  lui  fit  perdre  toute  sa  colère  :  elle  tombe 
désarmée   comme  vous  voyez,  et  vaincue   par  cet   objet   de 
pitié.  En  vérité,  la  malice  des  Juifs  était  montée  à  un  grand 
excès  ;  leur   mépris,  leur  ingratitude  le  dégoûtaient  fort  ;  il 
ne  les  pouvait  presque  plus  souffrir  :  toutefois,  dit-il,  «  ame- 
nez votre  fils,  »  je  le  guérirai  !  Vous  remarquez  bien  que  sa 
naturelle  bonté  l'oblige  presque  par  force  à  nous  gratifier,  et 
extorque  de  lui  des  bienfaits  pour  nous.  Jugez  combien  était 
grande   l'inclination    qu'il   avait  de  bienfaire  aux   hommes, 
puisque  ni  la  haine  la  plus  furieuse,  ni  l'envie  la  plus  enve- 
nimée ne  pouvaient  arrêter  le  cours  de  ses  grâces.  C'est  qu'il 
était  sincèrement  bon,  et  qu'il   avait  pitié  de  nos  maux.  Et 
certes,  puisqu'il    n'y  avait  autre  chose  que   notre   extrême 
misère  qui  l'obligeât  de  venir  à  notre  secours,  il  devait  des- 
cendre sur  terre,  comme  dit  l'apôtre  saint  Paul  (^'),  «  revêtu 
d'entrailles  de  miséricorde.  »  Car  qu'y  avait-il  de  plus  conve- 
nable au  Sauveur,  que  de  plaindre  ceux  qui  étaient  perdus  ; 
à  celui  qui  devait  nous  guérir,  que  d'être  touché  de  nos  mala- 
dies ;  et  à  notre  libérateur,  que  de  dé[)lorer  notre  servitude  ? 
C'est  ici   le  lieu,  chrétiens,  d'élever  plus   haut  nos  esprits, 
et  après  avoir  considéré  le  Sauveur  guérissant  les   maladies 
de  la  chair,  il  faut  j)asser  à  une  réll(\\ion  plus  spirituelle,  et 
parler  de  la  guérison  des  esprits,  dont  cc.Wc.  des  corps  n'était 
que  l'image.  Car  si  vous  voyez  son  cœur  tellement  cniu  des 

(i.  Matth,^  XVII,  16.    —  /;.  0>A'.v.s-.,  III,  12. 


456  SUR  JÉSUS-CHRIST 


maux  que  souffrent  nos  corps,  avec  quels  gémissements  pen- 
sez-vous qu'il    pleure  les  calamités  de   nos  âmes  ?  Jugez-en 
vous-mêmes  par  ce   raisonnement.  Certes,  ce  n'est  pas   une 
chose  fort  étrange  que  notre  corps  souffre,  puisqu'il  est  pas- 
sible; ni  qu'il  languisse,  puisqu'il  est  infirme;  ni  qu'il  meure, 
puisqu'il  est  mortel  :  telle  est  sa  qualité  naturelle.  Nous  n'avons 
pas  accoutumé  de  plaindre  les  bêtes  de  ce  qu'elles  n'ont  pas 
de   raison  ;  ni  de   déplorer  la   condition  des  créatures  inani- 
mées, de  ce  qu'elles  sont   sans  sentiment  et  sans  vie  :  c'est 
que  ce  sont  des  choses  communes,  trop  dans  l'ordre  de  la 
nature  pour  être  un  sujet  de  compassion.  Toute  compassion 
est  une  douleur  :  [p.  lo]  la  douleur  s'excite  singulièrement 
par  les  accidents  étrangers  et  inopinés.  Et  sachant  de  quelle 
matière  nos   corps  ont  été  ramassés,  à  quoi  ne  devons-nous 
pas  nous  attendre  ?  Mais  qu'une  âme  d'une  nature  immor- 
telle, animée  de  je  ne  sais  quoi  de  divin,  composée,  si  je  puis 
parler  de  la  sorte,  de  cette  flamme  toute  pure  et  toute  céleste 
dont  les  intelligences   ont  été  formées  ;  une  âme  de  qui  la 
raison  est  un  éclat  de  la  sagesse  éternelle,  et  l'essence,  une 
image  de  l'essence  même  de  Dieu;  une  âme  qui,  étant  telle, 
ne  peut  être  née  que  pour  la  souveraine  félicité;  qu'elle  soit 
précipitée  dans   un  abîme  de  maux  infinis  ;  qu'elle  soit  tou- 
jours aveugle,  toujours  languissante,  et  justement  condamnée 
à  souffrir  la  dernière  et  éternelle  désolation  :  c'est  pour  cela, 
mes  frères,    que  la   plus  tendre   compassion  ne  saurait  avoir 
ni  des  plaintes  assez  lugubres,  ni  des  larmes  assez  amères. 
Tu  trouves  cet  homme  bien  misérable  de  ce  qu'ayant  perdu 
la  vue  corporelle,  il  ne  peut  plus  jouir  de  cette  lumière  qui 
naît  et  qui  périt  tous  les  jours  ;  et  tu  penses  que  c'est  un 
petit  malheur  que  l'âme  soit  enveloppée  d'épaisses  ténèbres, 
qui  lui  cachent   les  vérités   éternelles  qui   seules  devraient 
luire  à  notre  raison  !  Ce  pauvre  corps  perclus  de  ses  membres 
te  touche  d'une  sensible    compassion  ;  et  tu  ne  plains  pas 
cette  âme,  qui,  par  une  brutale  stupidité,  a  toutes  ses  fonc- 
tions interdites  !  Ce  misérable  hydropique  te  fait  pitié,  parce 
que  tu  le  vois  toujours  boire  sans  que  sa  soif  puisse   être 
étanchée  ;  et  tu  regardes  sans  douleur  cet  avare,  cet  ambi- 
tieux, dont  l'un  hume  sans  cesse  de  la  fumée,  et  l'autre  emploie 


OBJET  DE  SCANDALE.  Azy 


tout  son  âge  à  entasser  des  biens  qu'il  perdra  tous  en  un  seul 
moment,  sans  que  ni  l'un  ni  l'autre  puisse  jamais  éteindre  la 
soif  de  ses  passions  infinies  !  N'est-ce  pas  être  dépourvu  de 
sens  ? 

Aussi  (')  je  ne  doute  pas  que  le  Fils  de  Dieu  n'ait  jugé  nos 
âmes  d'autant  plus  dignes  de  sa  pitié  et  miséricorde  que  [leur] 
dignité  est  plus  relevée,  et  [leurs]  misères  plus  véritables.  Et 
cela  même  (^)  m'oblige  de  croire  que,  lorsque  son  cœur  était 
attendri  sur  les  maladies  dont  cette  chair  mortelle  est  si 
cruellement  tourmentée,  il  n'arrêtait  pas  sa  pensée  au  corps  : 
sans  doute  qu'il  allait  bien  plus  haut;  et  qu'en  voyant  l'effet, 
aussitôt  il  remontait  à  la  cause,  qui  est  le  péché.  Car  dans 
le  bienheureux  état  d'innocence  oii  [Dieu]  avait  mis  [les 
hommes]  à  leur  origine,  ils  n'auraient  pas  été  ainsi  miséra- 
bles. Là,  leur  bonheur  eût  été  la  divinité,  et  leur  vie  l'im- 
mortalité. 

Et  en  effet,  chrétiens  auditeurs,  tant  que  cette  innocence 
eût  duré.  Dieu,  s'unissant  intérieurement  à  nos  âmes,  y  eût 
versé  l'influence  de  vie  avec  une  telle  abondance  qu'elle  se 
fût  débordée  sur  le  corps  :  de  sorte  que  l'homme  vivant  de 
Dieu  n'aurait  eu  aucun  trouble  en  l'esprit  ni  aucune  infirmité 

1.  Var.  Concluons  de  tout  ceci,  chrétiens,  que  l'iime  est  d'autant  plus  dic^ne 
de  compassion  que  sa  dignité  est  plus  élevée  et  ses  misères  plus  véritables. 

2.  Tout  ce  passage  a  été  remanié  au  dernier  moment.  Les  modifications  sont 
indiquées  sommairement  au  manuscrit.  L'auteur  a  voulu  concentrer  sa  compo- 
sition. Voici  la  première  rédaction,  maintenue  en  grande  partie  dans  le  texte 
par  les  éditeurs  :  «  C'est  pourquoi  la  compassion  que  JksI'S  Christ  témoigne 
des  maux  du  corps,  bien  qu'elle  soit  très  sincère  et  très  véhémente,  n'est  en 
aucune  façon  comparable  à  la  douleur  qui  le  saisissait,  lorsqu'il  considérait  la 
perte  des  âmes.  S'il  témoigne  du  déplaisir  de  voir  les  infirmités  de  la  chair,  et 
de  la  joie  d'y  apporter  le  remède;  c'est  afin  de  nous  faire  voir  que  tout  l'homme 
lui  est  très  cher,  [p.  ii]  et  que  s'il  aime  si  tendrement  la  partie  la  plus  abjecte, 
il  a  des  transports  incroyables  pour  la  plus  noble  et  la  plus  divine.  Hicn  plus, 
remarquez,  s'il  vous  plaît,  ce  raisonnement  :  c'est  une  chose  constante  tju'il  ne 
plaignait  le  corps  qu'à  cause  de  l'âme  ;  que  dans  toutes  les  maladies  corporelles 
il  considérait  le  péché,  qui  en  est  la  source.  (>uand  il  regardait  celte  pauvre  chair 
exposée  de  toutes  parts  aux  douleurs,  dont  les  intirniités  ne  peuvent  p.is  ctre 
comptées;  ah  !  ne  croyez  pas  qu'il  arrêtât  son  esprit  au  corps.  O  Dieu  tout-puis- 
sant !  disait-il  (permettez moi,  mon  Sauveur  J  KStrs,  de  pénétrer  ici  dans  vos 
sentiments;  sans  doute  cju'ils  sont  vôtres,  puisqu'ils  sont  de  vos  Kcrilurcs)  : 
donc,  o  Dieu!  disait-il,  si  les  hommes  fussent  tlemcurés  en  Theurcux  état  où 
mon  Père  les  avait  mis  en  leur  origine,  ils  n'ainaient  pas  été  ainsi  miséra- 
bles. » 


45^  SUR  JÉSUS-CHRIST 


en  la  chair.  Le  péché  nous  ayant  retirés  de  Dieu,  il  a  fallu 
nous  faire  voir  combien  nous  perdions.  Tellement  que  l'âme 
ne  buvant  plus  à  cette  fontaine  de  vie  éternelle,  devenue 
elle-même  impuissante ,  elle  a  aussi  laissé  le  corps  sans 
vigueur.  C'est  pourquoi  je  ne  m'étonne  pas  si  la  mortalité 
s'en  est  emparée;  et  dès  lorâ  cette  chair,  qui  tend  à  la  mort, a 
été  découverte  à  toute  sorte  d'injures,  et  penchant  continuel- 
lement à  sa  fosse,  elle  est  devenue  sujette  nécessairement  à 
de  grandes  vicissitudes,  et  par  conséquent  à  de  mortelles 
altérations  (').  Et  dans  tous  ces  malheurs  que  voyons-nous 
autre  chose,  fidèles,  car  je  vous  en  fais  juges,  qu'une  juste 
punition  de  notre  péché?  d'autant  qu'il  était  plus  que  juste 
que  l'incorruptibilité  abandonnât  l'homme, puisqu'il  nevoulait 
pas  en  jouir  avec  Dieu.  Ce  qui  étant  ainsi  supposé,  il  est 
très  certain  que  le  Fils  de  Dieu,  qui  d'abord  pénétrait  toutes 
choses,  quand  il  voyait  les  fièvres,  les  paralysies  et  les  autres 
maladies  corporelles,  allait  à  la  source  du  mal,  je  veux  dire 
à  cette  première  désobéissance.  Dans  la  peine  il  ne  considé- 
rait que  le  crime,  et  c'est  ce  qu'il  déplorait  davantage.  Il 
savait  bien  que  les  afflictions  de  la  chair  n'étant  que  la  puni-- 
tion,  elles  ne  pouvaient  pas  être  le  plus  grand  mal.  Il  n'est 
pas  en  la  puissance  même  de  Dieu  qu'il  y  ait  une  misère 
plus  grande  que  [p.  12]  le  péché  même.  Je  sais  que  cette 
vérité  offense  les  sens  humains  :  hélas!  mortels  ignorants 
que  nous  sommes,  nous  ne  comprenons  pas  quelle  misère 
c'est  que  d'offenser  Dieu! 

Dites  à  un  homme  qui  est  sur  la  roue,  s'il  lui  reste  assez 
de  sentiment  pour  vous  écouter;  dites-lui  qu'il  est  malheu- 
reux, non  pas  tant  de  ce  qu'il  est  puni,  que  de  ce  qu'il  est 
coupable;  que  sa  plus  grande  misère  est  d'être  homicide,  et 
non  pas  d'être  rompu  vif  :  quand  est-ce  qu'il  entendra  ce 
discours?  Son  âme  oppressée  de  tourments,  ne  s'arrête 
qu'au  plus  sensible  et  non  pas  au  plus  raisonnable.  11  s'irritera 
contre  vous;  et  une  telle  proposition  lui  augmenterait  son 
supplice.  Et  toutefois  est-il  rien  de  plus  nécessairement  véri- 
table ?  Car  c'est  une  chose  certaine  que  la  plus  grande  misère 


I.  Passage  de  lecture  difficile,  très  bien  déchiffré  par  dom  Deforis. 


OBJET  DE  SCANDALE.  a^q 


vient  du  plus  grand  mal  (');  et  je  ne  craindrai  point  d'assurer 
que  la  peine,  au  lieu  d'être  un  mal,  est  un  bien;  d'autant  que 
ce  qui  fait  le  mal,  c'est  l'opposition  au  souverain  bien  qui  est 
Dieu.  Or  la  peine  n'est  pas  contre  Dieu  :  au  contraire,  elle 
s'accorde  avec  sa  justice.  Est-il  pas  très  juste  que  le  pécheur 
souffre,  et  que  le  crime  ne  demeure  pas  impuni  ?  Et  la  justice 
n'est-ce  pas  un  grand  bien  ?  Par  conséquent  si  la  peine  est  un 
mal,  ce  n'est  qu'à  l'égard  du  particulier;  mais  c'est  un  très 
grand  bien  à  l'égard  de  l'ordre  commun.  Et  comment? 
C'est  que  le  péché  met  le  désordre  dans  l'univers.  C'est 
un  désordre  visible  que  les  commandements  du  souve- 
rain soient  mal  observés  :  donc  le  péché  met  le  désordre  au 
monde.  Et  toutefois  le  Maître  de  l'univers  ne  peut  souffrir 
de  désordre  dans  son  ouvrage.  Que  fait-il."^  Il  établit  deux 
ordres  :  l'un,  de  ses  règlements  éternels  sur  lesquels  les 
volontés  droites  sont  composées;  l'autre,  c'est  l'ordre  de  la 
justice  qui  range  les  volontés  déréglées.  Ces  deux  ordres 
sont  fondés  tous  deux  sur  cette  loi  immuable,  qu'il  faut  que 
la  volonté  divine  se  fasse  ou  dans  l'obéissance  des  bons,  ou 
dans  le  supplice  des  criminels.  «  Ceux  qui  ne  veulent  pas 
faire  ce  qu'il  veut,  lui-même  il  en  fait  ce  qu'il  veut,  »  dit 
saint  Augustin  :  Ctun  faciunt  guod  non  vnlt,  hoc  de  eis  facit 
quod  ipse  vult  ("). 

Tu  n'as  pas  voulu  te  mettre  dans  l'ordre,  tu  le  souffriras  : 
je  veux  dire,  tu  as  voulu  échapper,  ô  pécheur,  d(;  l'ordre  des 
règles  divines  qui  t'avaient  été  proposées;  tu  retomberas  dans 
l'ordre  de  sa  justice.  Et  quel  est  l'ordre  de  la  justice.-^  C'est 
que  c'est  une  chose  très  bien  ordonnée,  que  les  volontés 
rebelles  soient  châtiées;  que  ceux  qui  ont  méprisé  la  bonté  de 
Dieu,  éprouvent  en  eux-mêmes  la  sévérité  de  sa  rii^oureuse 
justice  ;  qu'étant  sortis  autant  qu'ils  ont  pu  de  son  domaine 
par  leur  révolte,  ils  y  soient  ramenés  [p.  13]  par  leur  peine, 
afin  que  tout  ploie  sous  la  main  de  Dieu,  ou  par  inclination, 
ou  par  force.  Par  conséquent  la  [)eine  (^st  chuis  l'orclrt-,  parce 
qu'elle  ramène  dans  l'ordni  ceux  ([ui  s'ctn  élaiciu  ilévoycs  : 
et  donc  elle  est  très  bonne  à  la  conduite  générak*  tir  l'univers. 

a.  Scrm.  ccxiv,  n.  3. 

F.    l'<ir.  Car  la  pins  grande  misère  vient  du  plus  grand  mal. 


460  SUR  JÉSUS-CHRIST 


parce  que  l'ordre  est  le  bien  général  ;  et  encore  qu'elle  fasse 
souffrir  le  particulier,  il  y  a  du  bien  dans  ce  mal  qu'il  souffre, 
parce  qu'il  y  a  de  la  règle  et  de  la  raison.  Donc,  pour  aller 
plus  loin,  il  se  trouvera  que  le  péché  seul  est  le  mal  propre- 
ment dit  et  essentiel,  qui  n'a  aucun  mélange  de  bien.  Il  faut 
qu'il  soit  le  souverain  mal,  parce  qu'il  est  souverainement 
opposé  au  souverain  bien.  Donc  il  est  vrai  ce  que  je  disais, 
que  la  plus  grande  misère  c'est  le  péché;  parce  que  la  plus 
grande  misère,  c'est  le  plus  grand  mal.  Donc  si  le  péché  et 
l'enfer  pouvaient  être  des  choses  séparées,  il  faudrait  con- 
clure nécessairement  que  le  péché  serait  un  mal  sans  aucune 
comparaison  plus  grand  que  l'enfer;  et  partant  que  les 
réprouvés  seraient  misérables,  moins  à  cause  qu'ils  sont  dam- 
nés qu'à  cause  qu'ils  sont  pécheurs.  Et  encore  que  le  sens 
humain  y  répugne,  il  faut  que  les  vérités  éternelles  l'empor- 
tent, et  qu'elles  captivent  nos  entendements. 

Et  ainsi,  pour  revenir  à  notre  discours,  nous  devons  croire 
que  tant  de  péchés  (')  ont  excité  dans  le  cœur  de  notre 
Sauveur  une  douleur  qui  ne  peut  être  comprise.  Ah  !  si 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  eu  une  douleur  si  sensible 
pour  les  moindres  de  tous  les  maux,  qui  sont  ceux  qui  tra- 
vaillent ce  corps  mortel,  il  n'est  pas  imaginable  combien 
ardemment  il  a  désiré  de  donner  le  remède  aux  péchés  qui 
abîmaient  les  âmes,  qu'il  était  venu  racheter,  dans  la  der- 
nière extrémité  de  misères.  C'est  pourquoi,  s'il  a  donné  des 
larmes  aux  maux  du  corps,  il  a  donné  aux  maladies  de  nos 
âmes  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  son  divin  sang.  S'il  a 
guéri  les  infirmités  corporelles  par  la  vertu  de  sa  seule  parole 
avec  une  incroyable  facilité,  il  a  voulu  purger  nos  iniquités 
avec  des  douleurs  incompréhensibles  ;  comme  dit  le  prophète 
Isaïe  (''),  «  que  Dieu  l'a  frappé  pour  les  péchés  de  son  peuple, 
qu'il  a  porté  nos  péchés  sur  son  dos,  et  que  nous  avons  été 
guéris  par  ses  plaies.  »  C'est  par  ce  sang  et  par  ces  souf- 
frances qu'il  a  ouvert  à  la  maison  de  David  cette  belle  et 
admirable  fonfaine  dont  parle  le  prophète  Zacharie  en  son 
XIII  chapitre.  «  En  ces  jour-là,    dit-il,  jaillira  une  fontaine 

a.  Is.,  LUI,  4,  5,  8. 

I .  EdiL  tant  de  pécheurs. 


OBJET  DE  SCANDALE.  46 1 


à  la  maison  de  David  et  aux  habitants  de  Jérusalem,  pour 
la  purification  des  pécheurs  ('').  »  C'est  à  vous,  c'est  à  vous 
chrétiens,  qu'est  ouverte  cette  fontaine.  Vous  êtes  les  vrais 
habitants  de  Jérusalem,  parce  que  vous  êtes  les  enfants  de 
l'Eglise,  et  les  héritiers  des  promesses  qui  ont  été  faites 
à  la  Synagogue.  Vous  êtes  la  maison  de  David,  parce  que 
vous  êtes  incorporés  à  Jésus,  le  fils  de  David,  et  que  sa  chair 
et  son  sang  ont  passé  à  vous.  Accourez  donc  à  cette  mira- 
culeuse [p.  14]  fontaine;  venez  y  laver  vos  iniquités.  On 
court  avec  tant  d'empressement  à  ces  bains  que  l'on  s'ima(rine 
être  salutaires  aux  corps  ('),  et  on  néglige  ces  divines  eaux 
où  se  fait  la  purgation  de  nos  âmes.  Ô  stupidité  !  ô  aveugle- 
ment !  Si  vous  avez  bien  compris,  chrétiens,  quel  mal  c'est 
que  d'offenser  Dieu,  combien  il  est  terrible  et  inconcevable, 
que  ne  courez-vous  au  remède  que  le  miséricordieux  Jésus 
vous  présente  dans  la  pénitence  ?  Ah  !  fidèles,  c'est  par  ce 
canal  que  coulent  ces  eaux  saintes  et  purifiantes. 

O  Dieu  !  que  je  m'estimerais  bienheureux  si  j'avais  pu 
servir  à  vous  faire  entendre  que  les  plus  cruelles  maladies 
sont  moins  que  rien,  si  nous  les  comparons  au  venin,  à  la 
peste  qu'un  seul  péché  "mortel  porte  dans  nos  âmes  !  Prions 
donc  le  miséricordieux  médecin  qui  a  tant  pitié  de  nos  maux, 
qu'il  fasse  ce  qu'il  voudra  de  nos  corps,  pourvu  qu'il  sauve 
les  âmes.  Quand  nous  sommes  dans  les  douleurs  violentes, 
répandons  notre  cœur  devant  lui,  et  disons  avec  une  foi 
vive  :  Charitable  et  miséricordieux  médecin,  descendu  du  ciel 
pour  me  traiter  de  mes  maladies  qui  sont  innombrables  ;  ou 
je  suis  bien  malade  en  mon  corps,  si  mes  douleurs  sont  aussi 
grandes  que  je  les  ressens  ;  ou  je  suis  bien  malade  en  nuMi 
âme,  puisque  je  m'afflige  si  fort  pour  de  petits  maux  :  ou 
plutôt  je  suis  bien  malade  en  l'un  et  en  l'autre,  parce  que  et 
les  douleurs  que  je  sens  sont  très  aiguës,  et  cjue  mon  cs|)rit 
s'abat  trop  pour  des  maux  qui,  tout  cruels  qu'ils  sont,  sont 
aucunement  su[)porlables.  j'avoue  devant  vous,  ô  mon  Dieu, 
que  la  raison  devrait  tenir  le  dessus  [)lus  (|uelle  ne  laii  :  mais 

que  ferai-je  ?  ]\Ia  chair  est  infirme  ;  et  vous  savez,  Seigneur. 

i ■^—— — • —    - 

a.  Zach.^  xni,  i. 
I.  Éiiit.  au  corps. 


462  SUR  JÉSUS-CFIRIST 


combien  elle  pèse  à  l'esprit.  Pourquoi  est-ce,  ô  bon  médecin, 
que  vous  ne  me  rendez  pas  la  santé  ?  Vos  grands  miracles 
me  font  bien  connaître  que  la  puissance  de  me  soulaorer  ne 
vous  manque  pas.  Que  vous  ne  soyez  point  touché  de  ce 
que  j'endure,  vous  qui  avez  toujours  eu  une  si  grande  com- 
passion pour  les  misérables,  vous  que  nos  seules  misères  ont 
attiré  en  ce  monde,  afin  de  remédier  à  nos  maux  ;  ah  !  cer- 
tainement je  ne  le  puis  croire,  et  sans  doute  cela  n'est  pas. 
Il  faut  donc  dire  nécessairement  qu'il  n'est  pas  expédient 
que  je  guérisse,  et  qu'il  est  expédient  que  je  souffre.  Ainsi 
soit-il,  puisqu'ainsi  vous  plaît.  Cette  médecine  est  amère  ; 
mais  elle  me  doit  être  très  douce  d'une  main  si  chère  et  si 
bienfaisante.  Oui,  je  le  reconnais,  mon  Sauveur,  il  n'est  pas 
encore  temps  de  guérir  mon  corps.  Il  viendra,  il  viendra,  ce 
temps  bienheureux  où  vous  établirez  dans  une  incorruptible 
santé  cette  chair  que  vous  avez  aimée,  puisque  vous  en  avez 
pris  une  de  même  nature.  Alors  ma  chair  se  portera  bien, 
parce  qu'elle  sera  faite  semblable  à  la  vôtre,  à  laquelle  j  ai 
participé  dans  vos  saints  mystères.  Souffrons  en  attendant, 
si  vous  le  voulez.  Mais,  du  moins,  ô  ma  douce  espérance,  ô 
mon  aimable  consolateur,  guérissez  les  maladies  de  mon 
âme.  [P.  15]  Modérez  les  empressements  de  mon  avarice, 
et  l'ardeur  de  mes  folles  amours,  et  la  dangereuse  précipita- 
tion de  mes  jugements  (')  téméraires,  et  l'indiscrète  chaleur 
de  mon  ambition  mal  réglée.  Je  n'ignore  pas  que  mes  mala- 
dies sont  de  justes  punitions  de  mes  crimes  :  vous,  ô  mon 
unique  libérateur,  qui  pour  moi  tournez  en  bien  toutes  choses, 
faites  que  les  peines  de  mes  péchés  soient  le  sceau  de  votre 
miséricorde,  l'exercice  de  ma  patience,  et  l'épreuve  de  ma  (^) 
vertu. 

En  est-ce  assez,  fidèles,  sur  cette  matière  ?  Avez  vous  pas 
connu  Jésus-Christ  comme  médecin  des  infirmes  ?  Voulez- 
vous  que  nous  parlions  en  un  mot  de  Jésus  compagnon  et 
évangéliste  des  pauvres,  afin  déconsidérer  un  peu  plus  long- 
temps Jésus  scandale  des  infidèles  ?  Renouvelez,  s'il  vous 
plaît,  vos  attentions. 

1.  Var.  de  mes  soupçons  téméraires.  —  2.  Var.  de  ma  charité. 


OBJET  DE  SCANDALE.  463 


DEUXIÈME  POINT. 

Ce  sera  le  prophète  Isaïe  qui  nous  ayant   fait  voir  Jésus- 
Christ  donnant  la  guérison  à  nos  maladies,  nous  dira  aussi 
qu'il  est  envoyé  pour  être  l'évangéliste  des  pauvres.  Où  par 
le  mot  de  pauvres,  vous  devez  entendre  généralement   tous 
les  affligés  que  Jésus  devait  évangéliser,    c'est-à-dire,  leur 
porter  de  bonnes  nouvelles.  Cela  étant  ainsi  supposé,  écoutez 
maintenant  Isaïe  en  son  chapitre  lxi,   où    il  parle  ainsi  du 
Messie  :  «  L'Esprit  de   Dieu,    dit-il,    est  sur  moi.  à   cause 
qu'il  m'a  oint  ('').  i>  Arrêtons-nous  à  ces  mots,  chrétiens,  et 
pénétrons-en  le  sens.  Je  dis,  avant  toutes  choses,  que  le  pro- 
phète parle  en  la  personne  d'un  autre,  selon  le  style  ordinaire 
de  l'expression  prophétique.  Car  nous  ne  lisons  rien  dans  les 
Écritures  de  l'onction   du  prophète    Isaïe.   Mais  qui   serait 
celui  qui,  étant  un  peu  instruit  du  christianisme,  ne  verrait  pas 
que  par  ces  paroles  il  a  manifestement  désigné  le  Sauveur  du 
monde  ?  «  L'Esprit  de  Dieu  est  sur  moi,  »  dit-il  ;  et  lui-même 
n'a-t-il  pas  dit  «  qu'il  sortirait  une  tleur  de  la  racine  de  Jessé, 
et  que  sur  elle  reposerait  l'Esprit  du  Seigneur  [^)}  »  Vous 
savez  que  Jessé,  c'est  le  père  du  roi  David.  Quelle  est  cette 
fleur  delà  racine  de  Jessé,  sinon  le  Sauveur  Jésus,   qui  est 
appelé  par  excellence  le  Fils  de   David  .-^   Et  n'est-ce  pas  sur 
lui  que  l'on  a  vu  descendre  le  Saint-Esprit  en  la  forme  d'une 
colombe,  quand  il  se  fit  baptiser  par  son  Précurseur  }  «  C'est 
pour  cela  que  le  Seigneur  m'a  oint,»  poursuit  Isaïe.    N'est- 
ce  pas  encore  le  Fils  de  Dieu  que  Dieu  a  oint  de  cette  onction 
admirable,  de  laquelle  même  il  tire  son  nom  ?    Il  est  appelé 
indifféremment,  dans  les  saintes  lettres,  le  Messie,  le  Christ 
de    Dieu,  l'Oint  de   Dieu;  et  c'est  dire  la   même  chose  en 
divers   langages.  Car,   comme  dans  la  loi  ancienne  |p.  i6] 
c'était  par  l'onction  que  les  rois   et  les  sacrificateurs  étaient 
établis,  le  réparateur  de  notre  nature  devant  être  (ensemble, 
et  roi  du  vrai  peuple,  et  l'unique  sacrificateur  du   vrai    Dieu, 
il    est   appelé    oint  de    Dieu  avec    un    titre  de    prérogative 
extraordinaire  ;  d'autant  que  par  la  dignité  de  son  onction   il 
devait  assembler  en  un  la  roxauté  et  le  sacerdoce,  qui  étaient 

a.  /s.y  LXI,  I.  —  ^.  /â/d.y  XI,  1,2. 


464  SUR  JÉSUS-CHRIST 


séparés  dans  le  premier  peuple.  Et  n'entendez  pas  ici,  chré- 
tiens, quelque  espèce  d'onction  corporelle  :  l'onction  de  notre 
pontife,  c'est  la  divinité  du  Dieu-Verbe.  Carde  même  que  la 
propriété  des  huiles  et  des  onctions,  c'est  de  s'étendre  pre- 
mièrement sur  les  choses  auxquelles  elles  sont  appliquées 
et  puis  de  les  pénétrer  autant  qu'elles  peuvent,  de  s'incor- 
porer à  elles  en  quelque  façon,  et  d'y  être  si  intimement 
attachées,  qu'il  ne  s'en  fasse  qu'une  même  substance  :  ainsi 
la  divinité  du  Verbe  s'unissant  à  l'humanité  de  Jésus,  elle 
s'est  premièrement  répandue  sur  elle  en  son  tout  et  en  ses 
parties  ;  elle  l'a  pénétrée  si  profondément,  qu'elle  s'y  est 
effectivement  incarnée  :  de  sorte  que  de  l'une  et  de  l'autre 
il  ne  s'est  fait  plus  qu'un  seul  tout,  en  suite  de  cette  union 
ineffable.  C'est  pourquoi  le  Sauveur  Jésus  est  appelé  par 
excellence,  oint  et  Christ,  à  cause  de  cette  divine  et  miracu- 
leuse onction. 

Mais  revenons  au  prophète  Isaïe.  «  L'esprit  de  Dieu  est 
sur  moi,  à  cause  que  le  Seigneur  m'a  oint.  Il  m'a  envoyé 
évangéliser  les  pauvres  (remarquez  les  propres  mots  de  notre 
évangile),  guérir  les  cœurs  affligés,  prêcher  la  liberté  aux 
captifs,  annoncer  l'an  de  pardon  du  Seigneur,  consoler  ceux 
qui  pleurent,  et  changer  en  joie  la  tristesse  de  ceux  qui  se 
lamentent  en  Sion  :  »  jusqu'ici  parle  le  prophète  Isaïe.  Et 
y  a-t-il  un  seul  mot  dans  tout  ce  discours,  où  vous  ne  voyiez 
clairement  le  Seigneur  Jésus  dans  les  effets  de  son  Evangile  ? 
Aussi  s'étant  trouvé  lui-même  dans  la  synagogue,  où  il  lut 
cette  prophétie,  il  montre  évidemment  qu'elle  s'est  accomplie 
en  ses  jours  ('").  Mais  voulez-vous,  mes  frères,  que  je  vous 
en  fasse  voir  en  un  mot  l'accomplissement.^  Allons,  allons  en- 
semble sur  cette  mystérieuse  montagne  où  Jésus  commence 
à  ouvrir  sa  bouche,  après  s'être  contenté  jusqu'alors  d'ouvrir 
celle  de  ses  prophètes  :  Aperiens  os  suum  docebat  ('^)  :  allons 
à  cette  mystérieuse  montagne  :  entendons-y  la  première 
prédication  du  Messie  ;  voyons  lui  faire  l'ouverture  de  son 
Évangile,  et  jeter  les  fondements  de  la  loi  nouvelle  :  [p.  i  7] 
c'est  là  qu'il  commence  d'évangéliser.  C'est  pourquoi  s'étant 
souvenu  que  son  ordre  portait  très  expressément  d'évangé- 

a.  Luc.^  IV,  17,  21,—  b.  Mafth.,  V,  2.  —  Ms.  dixit. 


OBJET  DE  SCANDALE.  465 


liser  les  pauvres  et  les  misérables,  c'est-à-dire,  comme  je  l'ai 
déjà  expliqué,  de  leur  porter  de  bonnes  nouvelles,  dans  cet 
admirable  discours  il  adresse  d'abord  la  parole  aux  pauvres  : 
«  O  pauvres,  que  vous  êtes  heureux  !  car  le  royaume  céleste 
vous  appartient  ('').  »  Quelle  consolation   aux   pauvres,  que 
Jésus,  si  riche  par  sa  nature  et  si   pauvre  par   sa   volonté, 
leur  promette  de   si  grandes   richesses  !  Quelles  meilleures 
nouvelles  leur  pouvait-il  dire  ?   N'est-ce   pas   s'acquitter  de 
l'office  auquel  il  était  destiné  parles  prophéties,  d'évangéliser 
les  pauvres  ?  Ah  !  que  je  reconnais  ici  clairement  celui  duquel 
le  Psalmiste  a  dit  :  Honorabile  nomen  eoriun  corain  illo  {^')  ? 
«  Leur  nom  sera  en  honneur  devant  lui.  »  Mais   il    poursuit 
de  la  même  force.  Isaïe,  s'il  vous  en  souvient,  dit   qu'il  doit 
annoncer  la  consolation  à  ceux  qui  pleurent  (').  «  Bienheureux 
ceux  qui  pleurent,  dit  Notre-Seigneur  ('''),  car  ils  seront  con- 
solés. »  Isaïe  nous  apprend   que   le   Messie  devait  prêcher 
l'an  de  pardon  du  Seigneur  (')  :  c'est  ce  qui  est  appelé  ailleurs 
le  temps  d'indulgence,  le  temps  de  miséricorde.    Et  n'est-ce 
pas  ce  que  fait  le  Sauveur  Jésus,  nous  annonçant   la   misé- 
ricorde en  ces  termes  :  «  Bienheureux  les  miséricordieux,  car 
on  leur  fera  miséricorde  (^)  .'^»  Isaïe  assure  qu'il  doit  annoncer 
à  ceux  qui  se  lamentent  en  Sion,  que  leur  tristesse  sera  chan- 
gée en  joie  (^).  Sion,  c'est  le   lieu  du  temple  de  Dieu  ;  c'est 
la  figure  de  son  Église.  Ceux   qui  se  lamentent  en  Sion,  ce 
sont  ceux  qui  se  plaignent   de   cet  exil;  qui,  éloignés  de  leur 
terre  natale,  souffrent  ordinairement  persécution  dans  ce  triste 
pèlerinage.  Jésus  donc,  pour  leur  annoncer  le  changement  de 
leur  état  misérable  en  une  condition  toujours  bienheureuse, 
parle  ainsi  en  ce  même  lieu  :  «  Bienheureux  ceux  qui  souffrent 
persécution  pour  la  justice,  parce  que  le  royaume  des  cieux 
est  à  eux  (^')  !  »  C'est  ainsi  que  Notre-Seigneur  évangélise  les 
affligés,  exécutant  ponctuellement  les  prophéties  anciennes. 
Pourquoi  ne  m'écrierai-je  pas  en  ce   lieu  avec   le  grave 
Tertullien,  dont  j'ai  tiré  presque  toutes  les  remarques  que  je 
viens  de  faire,  en  son  livre  IV  contre  P^Iarcion  (')  ;  pourquoi, 

a.  Mat/h.,  V,  3.  —  l>.  Ps.,  LXXI,  14.  —  r.  A.,  i.xi,  2.  —  d.  Matth.,  v,  ç.  — 
e.  h.,  LXi,  2.  —  /  Matih.,  v,  7.  —  .(f.  /j.,  lxi,  3.  —  //.  Arttth.,\\  10.  —  /.  Adi*. 
Marcion.^  lib.  IV,  n.  21. 

Sermons  de  Bossuet.  7* 


466  SUR  JÉSUS-CHRIST 


dis-je,  ne  m'écrierai-je  pas  avec  lui  :  O  ChristMin  et  in  novis 
vetercDi  !  «  Oh!  que  Jésus-Christ  est  ancien  dans  la  nou- 
v^eauté  de  son  Évangile!  »  Ce  qu'il  fait  est  nouveau,  parce 
que  personne  ne  l'avait  fait  avant  lui  :  ce  qu'il  fait  est  ancien, 
parce  qu'il  ne  fait  qu'accomplir  les  choses  que  la  fidèle  anti- 
quité avait  attendues.  [P.  i8]  Quel  autre  a  jamais  apporté 
de  meilleures  nouvelles  aux  pauvres  que  celles  que  le  pauvre 
Jésus  leur  a  annoncées,  quand  il  leur  a  prêché  sa  venue  ?  O 
pauvres,  réjouissez-vous  :  voici  un  compagnon  qui  vous  vient; 
mais  un  compagnon  si  grand  et  si  admirable,  qu'il  vaut  mieux 
être  pauvre  en  sa  compagnie,  que  d'être  le  maître  et  le  tout- 
puissant  dans  les  assemblées  des  mondains.  Ne  vous  étonnez 
pas  si  vous  êtes  le  rebut  du  monde  :  tel  était  Jésus-Christ, 
lorsqu'il  a  paru  sur  la  terre  et  a  conversé  parmi  les  hommes. 
Les  pauvres,  ses  bons  amis,  apprirent  les  premiers  sa  venue, 
parce  que  c'était  pour  eux  qu'il  venait  ;  et  il  ne  voulut  être 
reconnu  que  par  les  marques  de  sa  pauvreté.  La  suite  de  sa 
vie  n'a  pas  démenti  sa  naissance.  Plus  il  s'est  avancé  dans 
l'âge,  plus  il  a  mis  les  pauvres  dans  ses  intérêts,  qui  n'étaient 
autres  que  la  gloire  de  Dieu.  C'est  eux  qu'il  admet  dans  sa 
confidence  ;  c'est  à  eux  qu'il  découvre  tous  ses  mystères  ;  c'est 
eux  qui  sont  choisis  pour  les  ministres  de  son  royaume,  et 
les  coadjuteurs  de  son  grand  ouvrage.  Courage  donc,  ô 
pauvres  de  Jésus-Christ!  Que  toute  la  terre  vous  méprise  ; 
c'est  assez  que  vous  ayez  Jésus-Christ  pour  vous.  Vous 
n'avez  point  d'accès  dans  la  cour  des  rois  ;  mais  souvenez 
[-vous]  que  c'est  là  que  règne  la  confusion  et  le  trouble. 
Courez  à  Jésus-Christ,  ô  vous  qui  êtes  oppressés,  ô  malades, 
nécessiteux,  misérables  généralement  qui  que  vous  soyez  : 
vous  y  trouverez  la  paix  de  vos  âmes.  Ecoutez  la  voix 
amoureuse  qui  vous  appelle.  Jetez-vous  entre  ses  bras  avec 
confiance:  il  les  a  toujours  ouverts  pour  vous  recevoir.  Seule- 
ment souffrez  votre  pauvreté  avec  patience  :  ne  murmurez 
ni  contre  Dieu  ni  contre  les  hommes.  Attendez  doucement 
le  temps  de  votre  consolation:  et  souvenez-vous  que,  si  le 
monde  vous  tourmente,  vous  servez  un  Maître  qui  l'a  sur- 
monté, qui  n'a  pu  plaire  au  monde,  et  à  qui  le  monde  aussi 
n'a  pu  plaire.  C'est  ce   qu'annonce  aux  pauvres  le   Sauveur 


OBJET  DE  SCANDALE.  467 


Jésus.  Dites-moi,  [p.  19]  en  vérité,  chrétiens,  pouvait-il  leur 
dire  de  meilleures  nouvelles  ?  et  n'avons-nous  pas  raison 
d'assurer  que  c'est  lui  véritablement  qui  est  envoyé  pour  être 
l'évangéliste  des  pauvres  ? 

TROISIÈME    POINT. 

Ce  qui  m'étonne,  fidèles,  c'est  que  le  Sauveur  du  monde 
étant  tel  que  nous  le  venons  de  dépeindre,  on  ait  été  offensé 
de  sa  vie.  Repassons  en  peu  de  mots,  je  vous  prie,  sur  les 
choses  que  nous  avons  dites,  et  étonnons-nous  devant  Dieu, 
que  l'on  ait  pu  être  scandalisé  en  notre  Sauveur.  Et  premiè- 
rement, ses  miracles  devaient-ils  pas  faire  taire  les  bouches  les 
plus  médisantes  ?  Une  mission  si  bien  attestée  (')  devait-elle 
être  jamais  contestée  ?  Encore  s'il  eût  fait  des  miracles  qui 
n'eussent  de  rien  servi  que  pour  faire  éclater  son  pouvoir, 
peut-être  aurait-on  pu  dire  qu'il  y  avait  de  l'ambition  dans 
ces  grands  ouvrages.  Mais  je  vous  ai  montré  que  tous  ses 
miracles  ont  pris  leur  naissance  dans  une  tendre  compassion 
de  nos  maux  ('')  ;  et  jamais  il  n'a  fait  un  pas  que  pour  le  bien 
de  ce  peuple  ingrat.  Faisons  néanmoins  qu'une  noire  envie  ait 
encore  pu  se  persuader  qu'il  se  servait  du  don  de  Dieu  pour 
s'acquérir  du  crédit;  qu'avait-on  à  dire  contre  sa  simplicité  ? 
L'a-t-on  vu  à  la  porte  des  grands  pour  mendier  leur  laveur  ? 
S'est-il  intrigué  dans  les  affaires  du  monde  ?  A-t-il  tlatté 
l'ambition  et  l'arrogance  des  princes  ?  Au  contraire,  n'a-t-il 
pas  mené  une  vie  non  seulement  commune  et  privée,  mais 
très  abjecte  et  très  basse  ;  marchant  en  toute  simplicité,  vi- 
vant et  conversant  avec  les  pauvres,  souffrant  toujours  injus- 
tice sans  jamais  se  plaindre  ?  Il  est  vrai  qu'il  était  méprisé, 
mais  il  ne  se  souciait  point  des  honneurs  :  pauvre,  mais  il  ne 
demandait  point  de  richesses,  bien  (ju'il  n'eût  pas  seulement 

1.  Var.  Une  mission  attestée  par  des  signes  si  extraordinaires  devait-elle  éire 
tant  soit  peu  contestée  ? 

2.  «  Toifs  ces  miracles  tiennent  plus  de  la  bonté  ciue  de  la  puissance,  >»iiMade 
même  Bossuet,  dans  le  Discours  sur  l' Histoire  universelle  (II,  ch.  XIX>.  Kl 
semblablement,dans  une  préface  latine  pour  mettre  en  tête  du  Nouveau  Testa- 
ment, publiée  pour  la  première  fois  dans  l'Appendice  de  notre  Histoire  eritique 
de  la  Pràiicaiion  de  Jiossuet,  nous  lisons  :  <  Hic  effusa  in  omnes  homines  miseras 
bonitas^  et  miracula  non  tant  spiemiida  quant  benejica...  > 


468  SUR  JÉSUS-CHRIST 


un  gîte  assuré  pour  reposer  sa  tête.  Pouvait-il  s'acquitter 
plus  dignement  de  sa  charge  de  prédicateur  ?  Il  allait  ensei- 
gnant la  parole  de  vie  éternelle  que  Dieu  lui  avait  mise  à  la 
bouche.  Il  n'enflait  pas  son  discours  par  de  superbes  pensées, 
ou  par  le  faste  d'une  éloquence  mondaine  ;  mais  il  le  rem- 
plissait d'une  doctrine  céleste,  de  vérités  divines,  [p.  20]  qui 
donnaient  aux  âmes  une  nourriture  solide,  et  allaient  jusqu'à 
la  racine  de  nos  maladies.  Tantôt  il  attirait  les  peuples  par 
la  douceur,  tantôt  il  les  reprenait  sans  les  épargner,  jusqu'à 
les  appeler  les  enfants  du  diable  ;  leur  prêchant  les  oracles 
divins,  non  point  avec  les  lâches  condescendances  des  scribes 
et  des  pharisiens,  mais  avec  empire  et  autorité  {''),  avec  une 
liberté  et  une  assurance  digne  des  vérités  éternelles  qu'il 
nous  venait  annoncer.  Que  pouvait-on  trouver  à  dire  en  une 
vie  si  réglée  ?  Ne  devait-on  pas  admirer  ce  courage  égale- 
ment inflexible  aux  biens  et  aux  maux  ;  cette  égalité  de 
mœurs  qui  le  faisait  vivre  avec  tout  le  monde  sans  rigueur 
et  sans  flatterie,  sans  lâcheté  et  sans  arrogance  :  cette  pureté 
d'intention  qui  lui  faisait  toujours  regarder  les  intérêts  de 
son  Père?  Et  néanmoins,  dit-il,  il  faut  que  je  donne  du 
scandale  ;  et  pour  faire  voir  la  difficulté  qu'il  y  a  de  n'être 
point  offensé  de  sa  vie  :  «  Heureux  celui,  dit-il,  qui  n'est 
point  scandalisé  en  moi  !  »  Beatus  qui  non  ftierit  scandali- 
zatus  in  me  (^). 

O  Dieu  !  qui  ne  serait  étonné  des  secrets  terribles  de  la 
[p.  20  bis\  Providence?  C'est  ici  que  je  dis  du  plus  grand  sen- 
timent de  mon  âme  avec  le  grave  Tertullien  (')  :  Mihi  vindico 
Ckrishcm,  miJii  defendo  Jesum;...  quodcumque  ilhtd  corpus- 
culum  sit  (^)  :  cet  innocent  contredit  par  toute  la  terre,  c'est 
le  Jésus-Christ  que  je  cherche  ;  je  soutiens  que  ce  Jésus 
est  à  moi,  je  proteste  qu'il  m'appartient.  «  S'il  est  déshonoré, 
s'il  est  abject,  s'il  est  misérable  ;  »  j'ajouterai  encore,  s'il  est 
le  scandale  des  infidèles,  «  c'est  mon  Jésus-Christ  :  »  Si 
inglorius,  si  ignobilis,  si  inkonorabilis,  meus  erit  Christus. 
«  Car,  poursuit  le  même  Tertullien,  il  m'a  été  promis  tel 
dans  les  prophéties  :  »    Talis  enim  habitu  et  aspectu   annun- 

a.Joajt.^  VHI,  44.  —  b.  Matth.^  XI,  6.  —  c.  Adv.  Ma? don. ^  lib.  III,  n.  i6,  17. 
I.  Ms.  «  TertulUan,  »  par  exception.  Dans  le  reste  du  discours  :  «  Tertullien.  » 


OBJET  DE  SCANDALE.  469 


tiabahir.  Je  reconnais  celui  duquel  Isaïe  a  écrit,  au  chapitre 
XXVIII,  que  c'est  «  une  pierre  élue,  une  pierre  de  salut  (")  » 
pour  son  peuple  ;  et  au  chapitre  viii,  que  c'est  «  une  pierre 
d'achoppement  :  tous  ceux  qui  s'y  heurteront  seront  brisés  (^■).  » 
Je  reconnais  celui  duquel  le  Psalmiste  a  chanté  :  «  La  pierre 
qu'ils  ont  rejetée  en  bâtissant,  est  devenue  la  pierre  ano-u- 
laire  ('),  »  qui  soutient  tout  le  corps  de  l'édifice.  Enfin  je 
reconnais  celui  duquel  Siméon  a  dit,  le  tenant  entre  ses  bras 
dans  le  temple  :  «  Celui-ci  est  établi  pour  la  ruine  et  pour  la 
résurrection  de  plusieurs,  et  pour  un  signe  auquel  on  con- 
tredira (^)  ;  »  celui  enfin  qui  a  dit  de  lui-même  à  l'aveugle 
qu'il  avait  éclairé  bien  plus  en  son  esprit  qu'en  son  corps  : 
«  Je  suis  venu  en  jugement  en  ce  monde,  afin  que  ceux  qui 
ne  voient  pas  commencent  à  voir  et  que  ceux  qui  voient 
soient  aveuglés  (').  »  [P.  21]  Chrétiens,  ne  tremblez-vous 
pas  à  ces  paroles  de  notre  Sauveur?  Toutefois  j'espère  de  la 
miséricorde  de  Dieu  qu'elles  ne  sont  pas  dites  pour  vous. 
Tremblez,  infidèles;  tremblez,  endurcis  :  c'est  vous  seuls  que 
Jésus  aveugle.  Et  vous,  vrais  fidèles  de  Ji':sus-Christ,  vous 
qui  avez  sa  crainte  en  vos  cœurs,  ouvrez,  ouvrez  vos  yeux  à 
cette  lumière  qui  n'éblouit  que  les  orgueilleux  ;  et  comprenez 
avec  foi  et  soumission  les  profonds  conseils  du  Père  éternel, 
dans  l'envoi  de  son  Fils  Jksus-Christ.  Pressons  ici  nos  rai- 
sonnements, afin  de  laisser  du  temps  à  une  brièvc  réflexion 
sur  nos  mœurs. 

Premièrement  je  pourrais  vous  dire,  pour  arrêter  d'abord 
une  curiosité  peu  respectueuse,  que  Dieu,  cjui  modère  comme 
il  lui  plaît  l'ouvrage  de  notre  salut,  et  qui  sait  ce  qui  nous 
est  propre,  n'a  pas  jugé  à  propos  que  nous  eussions  toutes 
les  raisons  du  mystère.  Quand  le  sag(î  architecte  commence 
de  rebâtir  un  vieux  édifice,  l'ignorant  spectateur  s'imagine 
qu'il  renverse  tout.  Sa  faible  imaginaiioii  ne  voit  (jue  dés- 
ordre, ne  pouvant  supporter  un  dessein  trop  lort  :  mais, 
quand  il  a  mis  la  dernière  main  à  l'ouvrage,  alors  on  voit 
reluire  de  toutes  parts  l'art  et  la  conduite;  de  l'ouvrier.  Eh  ! 
ne  savez-vous  i)as,  chrétiens,  (jue  clans  les  Ecritures  divines 

n.  Is.^  xxvm,  16.  —  h.  Ibid.^  vin,  14.  —  c.  J's.,  txvii,  :i.  —  (/.  /.uc,  il,  34.— 
c.Joan.,  IX,  39. 


470  SUR  Jl^SUS-CHRIST 


tout  l'œuvre  de  notre  salut  est  souvent  comparé  à  un  édifice 
soutenu  «  sur  le  fondement  des  apôtres,  et  sur  la  pierre 
angulaire  qui  est  Jésus-Christ  (^)  ?  »  Dieu  donc,  dans  le 
cours  des  siècles,  s'est  proposé  de  rétablir  l'homme  comme 
un  bâtiment  ruineux.  Il  a  posé  le  fondement  de  cette  nou- 
velle structure  en  la  vie  de  Notre  Seigneur.  Les  sens  humains 
n'y  comprennent  rien  ;  tout  les  choque,  tout  les  embarrasse  : 
de  là  le  scandale  et  le  trouble.  Mais  à  ce  grand  jugement  où 
Dieu  couronnera  l'édifice  par  la  glorieuse  immortalité  de  nos 
corps;  où,  toutes  choses*  étant  consommées,  [p.  22]  «  il  sera 
tout  en  tous,  »  comme  dit  l'Apôtre  Q  ;  alors  la  lumière 
éternelle  venant  à  se  découvrir  à  nos  cœurs,  quel  ordre, 
quelle  sagesse,  quelle  beauté  ne  verrons-nous  pas  dans  ce 
qui  paraissait  à  nos  sens  si  confus  et  si  mal  digéré!  Par  con- 
séquent, ô  homme,  crois  en  attendant  que  tu  voies.  Sache 
que  la  guérison  de  tes  maladies  dépend  absolument  de  la 
confiance  que  tu  auras  en  ton  médecin  :  Crois,  et  tu  seras 
sauvé,  nous  dit-il  ('')  ;  prends,  sans  examiner,  l'infaillible  re- 
mède qu'il  te  présente.  S'il  s'en  réserve  le  secret  pour  un 
temps,  dès  à  présent  il  t'en  abandonne  l'usage  :  et  sa  misé- 
ricordieuse bonté  a  tellement  disposé  toutes  choses,  qu'y 
croire  c'est  ta  santé,  le  connaître  ce  sera  ta  félicité. 

Est-il  rien  de  plus  convenable  ?  D'autant  plus  que  ce 
grand  médecin  qui  entreprend  de  traiter  tes  plaies,  connais- 
sant parfaitement  leur  malignité  et  le  vice  de  ta  nature,  a 
bien  vu  qu'il  n'y  avait  rien  qui  te  fût  plus  propre  ni  plus 
nécessaire  que  l'humilité.  O  homme,  si  tu  l'entends,  l'orgueil 
est  ta  maladie  la  plus  dangereuse.  C'est  par  l'orgueil  que 
secouant  le  joug  de  l'autorité  souveraine,  par  laquelle  ton 
âme  doit  être  régie,  tu  t'es  fait  toi-même  ta  loi  :  la  conduite 
de  ta  raison,  ç'ont  été  ses  propres  lumières  ;  la  règle  de 
ta  volonté,  ç'ont  été  ses  inclinations.  C'est  là  ta  blessure 
mortelle.  Il  faut  que  ces  deux  facultés  soient  humiliées,  afin 
qu'elles  puissent  être  guéries.  Comme  ta  volonté  s'abaisse 
par  l'obéissance,  ton  entendement  se  soumet  par  la  foi.  Tu 
soumets  ta  volonté  à  ton  Dieu,  quand  tu  embrasses  les 
choses,  parce  qu'il  les  veut  :  tu  lui  soumets  ton  entendement, 

a.  E-phes.^  n,  19.  —  b.\  Cor.^  xv,  28.  —  c.  Ltic.^  viil,  50. 


OBJET  DE  SCANDALE.  471 


quand  tu  les  crois,  parce  qu'il  les  dit.  Cette  soumission  te 
semble  bien  grande.  Mais  un  Dieu,  homme  pour  l'amour  de 
nous,  un  Dieu,  mort  pour  l'amour  de  nous,  veut  un  sacrifice 
plus  entier  dans  un  abaissement  plus  profond.  Car  un  Dieu- 
Homme  et  un  Dieu  mourant,  n'est-ce  pas  un  Dieu  [p.  23] 
anéanti,  comme  dit  l'Apôtre  ('')  ?  Et  quel  doit  être  le  sacri- 
fice d'un  Dieu  anéanti  pour  l'amour  de  l'homme,  sinon 
l'homme  anéanti  devant  Dieu  ?  Or,  ce  ne  serait  pas  faire 
beaucoup  pour  lui  que  de  pratiquer  les  choses  aisées,  et  de 
croire  celles  qui  sont  plausibles  ;  de  sorte  que,  pour  la  per- 
fection de  ce  sacrifice  que  nous  devons  offrir  au  Dieu  incar- 
né, il  fallait  et  faire  les  choses  difficiles  ('),  et  croire  les 
incroyables.  Ainsi  nous  détruisons  devant  lui  tout  ce  que 
nous  sommes,  afin  que  tout  soit  réparé  de  sa  main  (').  C'est 
pourquoi  il  était  à  propos,  pour  rétablir  la  raison  humaine 
par  l'humilité,  que  les  vérités  de  Jésus  fussent  incroyables. 
Et  tout  ce  qui  est  incroyable  est  choquant  ;  et  tout  ce  qui 
est  choquant,  fait  du  trouble  :  de  là  le  scandale  des  infidèles. 
Davantage,  la  vérité  la  plus  importante  qu'il  fallait  nous 
faire  connaître,  était  notre  faiblesse  et  notre  impuissance  ; 
parce  qu'en  nous  montrant  clairement  combien  nous  som- 
mes impuissants  par  nous-mêmes,  c'était  l'unique  moyen  de 
nous  faire  recourir  avec  confiance  au  mérite  du  libérateur 
Jésus-Christ.  Or,  quand  je  vois  sa  doctrine  et  sa  vie  si 
cruellement  combattues,  voici  la  réflexion  que  je  fais  :  D'où 
vient  cette  résistance  si  furieuse  que  l'on  apporte  à  l'œuvre 
de  notre  salut?  N'est-ce  pas  ce  que  dit  saint  Paul  :  «  L'homme 
animal  ne  comprend  pas  les  secrets  de  Dieu  ('')  ?»N  est- 
ce  pas  ce  que  dit  Jésus-Ciikist  :  «Pourquoi  n'entendez- 
vous  pas  mes  discours  ?  Parce  que  vous  ne  pouvez  pas 
entendre  mon  langage  (')  ?  »  D'où  vient  qu'ils  ne  pouvaient 
pas  entendre  son  langage  ?  C'est  qu'ils  le  voulaient  entendre 
par  eux-mcMiies  ;  et  il  leur  était  impossible.  N'entendant  pas 
ce  langage,  ils  ne  pouvaient  qu'être  étourdis  de  la    voix  de 

a.   Philif).^  II,  7.  —  b.   I  Cor.^  Il,  14.  —  c.  Joati.,  \ m,  43 

1.  Var.  les  choses  (jui  sont  pi'niblcs.  —  Dcforis  prot'crc  la  varianic,  mais  voyez 
le  Sonnnaire. 

2.  Var.  afin  qu'il  tlaignc  nous  réparer  de  sa  main. 


472  SUR  JÉSUS-CHRIST 


Dieu.  Cet  étourdissement  les  animait  à  la  résistance.  Plus 
les  vérités  étaient  hautes,  plus  leur  raison  orgueilleuse  était 
étourdie,  et  plus  leur  résistance  était  enflammée.  C'est 
pourquoi  je  ne  m'étonne  pas  si  le  Fils  [p.  24J  de  Dieu  leur 
prêchant  ce  qu'il  avait  vu  dans  le  sein  du  Père,  la  résistance 
montant  à  l'extrême,  se  porta  à  la  dernière  fureur.  De  là 
vient  (')  qu'il  leur  dit  en  son  Évangile  :  «  Vous  me  voulez 
tuer  méchamment,  parce  que  mon  discours  ne  prend  point  en 
vous  (").  »  Superbes,  ignorants,  que  ne  recourez-vous  (')  à  la 
grâce  ?  Et  vous,  ne  reconnaissez-vous  pas,  chrétiens,  que 
sans  l'assistance  de  cette  grâce  vous  n'auriez  que  de  la  résis- 
tance pour  votre  Sauveur  ?  Ces  perfides  ont  oui  ses  paroles, 
et  ils  les  ont  méprisées  :  ils  ont  vu  ses  miracles,  et  ils  n'ont 
pas  cru  :  ils  ont  vu  sa  vie,  et  elle  leur  a  été  un  scandale.  Donc 
il  est  vrai,  mon  Sauveur  Jésus,  que  si  vous  ne  me  parlez 
puissamment  au  cœur,  si  vous  ne  m'entraînez  à  vous  par  vos 
doux  attraits,  [ni]  votre  vie  quoique  très  innocente,  ni  votre 
doctrine  quoique  très  sainte,  ni  vos  miracles  quoique  très 
grands,  ne  dompteront  pas  mon  opiniâtre  rébellion.  Les  uns 
disent  que  vous  êtes  un  grand  prophète,  les  autres  que  vous 
êtes  un  séducteur  ;  les  uns  s'édifient  en  vous,  les  autres  se 
scandalisent  de  vous.  D'où  vient  cela,  ô  mon  Maître,  sinon 
que  les  uns  sont  humbles,  et  que  les  autres  sont  orgueilleux; 
que  les  uns  suivent  la  nature,  et  les  autres  suivent  la  grâce  ? 
Ainsi  vos  vérités  aveuglent  les  uns,  pour  illuminer  d'autant 
plus  les  autres.  Vous  êtes  une  pierre  de  scandale  aux  super- 
bes, afin  que  les  humbles  ressentent  mieux  ce  que  vous 
faites  miséricordieusement  en  leurs  cœurs,  et  qu'ils  louent 
vos  bontés  avec  une  admiration  profonde  de  vos  jugements. 
C'est  ici  que  les  bons  chrétiens  sont  incroyablement  conso- 
lés. Si  les  vérités  évangéliques  entraient  en  nos  âmes  avec 
une  apparence  plausible,  nous  attribuerions  leur  victoire  à  la 

a.  /oan.,  VI ir,  ;^y. 

1.  Var.  (Première  rédactio7i) :Y.\.?in\.  orgueilleux  et  charnels,  ils  n'entendaient 
point  son  langage.  Ils  voulaient  l'entendre  par  eux-mêmes,  et  ils  ne  pouvaient. 
Comme  ils  ne  l'entendaient  pas,  ils  en  étaient  nécessairement  étourdis  :  cet 
étourdissement  les  enflammait  à  la  résistance  :  la  résistance  s'augmentant 
toujours  en  vint  à  la  dernière  fureur.  C'est  pourquoi  le  Sauveur  leur  dit  :  «  Mé- 
chants, vous  voulez  me  tuer,  parce  que... 

2.  Edit. 'k  \vi  ^rsiCG  par  rhu}?iiltie'  c/iré/iejine? 


OBJET  DE  SCANDALE.  473 


force  de  notre  raison  ;  et  devenant  [p.  25]  plus  superbes, 
nous  deviendrions  par  conséquent  plus  malades.  Mais  quand 
le  vrai  fidèle  comprend  la  folie  et  l'extravagance  du  chris- 
tianisme, c'est  là  que  la  grâce  se  fait  sentir  dans  la  répugnance 
de  la  nature  ;  à  cause  qu'il  reconnaît  que  ce  n'est  pas  la 
chair  qui  le  gagne,  ni  les  intérêts  mondains  qui  l'engagent, 
ni  la  philosophie  humaine  qui  le  persuade,  mais  la  puissance 
divine  qui  le  captive.  C'est  pourquoi,  dans  la  doctrine  de 
l'Evangile,  il  a  plu  à  notre  grand  Dieu  qu'il  y  eût  tant  de 
choses  étranges,  dures,  incroyables,  extravagantes,  selon  la 
sagesse  du  monde  (')  ;  afin  que  la  raison  humaine  étant  con- 
fondue, la  seule  grâce  de  Jësus-Christ  triomphât  des  cœurs 
par  l'humilité    chrétienne. 

Mais  disons  une  dernière  raison,  qui  fermera  ce  discours 
en  nous  donnant  une  instruction  importante  pour  la  con- 
duite de  notre  vie.  Certes,  il  est  bien  vrai,  ô  Dieu  tout-puis- 
sant, ce  que  le  bon  Siméon  a  dit  de  votre  Fils  bien-aimé  : 
«  qu'il  serait  posé  comme  un  signe  auquel  on  contredi- 
rait ('*).  »  Toutes  ses  actions  et  toutes  ses  paroles  ont  été 
méchamment  contredites.  Il  guérit  les  paralytiques,  les 
aveugles-nés,  et  d'autres  maladies  incurables  ;  et  parce  qu'il 
choisit  le  jour  du  sabbat  pour  faire  cette  bonne  œuvre,  on 
dit  qu'il  viole  la  loi  de  Dieu.  II  chasse  les  démons  ;  on  dit 
que  c'est  au  nom  de  Béelzébuth,  prince  des  démons.  On 
l'appelle  un  fou,  un  séducteur,  un  impie,  un  démoniaque. 
Jamais  les  docteurs  de  la  loi  n'approchaient  de  lui,  qu'afin 
de  l'injurier  ou  de  le  surprendre.  Enfin  ils  l'ont  pendu  a  la 
croix  ;  et  le  Rédempteur  d'Israël  est  devenu  le  scandale  de 
ces  infidèles.  Les  Gentils  ont  contredit  sa  parole  par  toutes 
sortes  de  cruautés  qu'ils  ont  exercées  sur  ses  serviteurs.  Ils 
ont  pris  ses  vérités  et  son  Évangile  pour  la  plus  grande 
folie  qui  ait  jamais  paru  sur  la  terre.  Bien  plus.  i)armi  ceux 
qui  se  sont  rangés  sous  sa  discipline,  combien  a-t-il  été 
contredit  !  Eh  !  mes  frères,  (juelle  indignité  !  tous  les  lontîe- 
ments  de  notre  salut  ont  été  attaqués  par  des  gens  qui  faisaient 
profession  du  christianisme:  le   perfide  arien  a  nié  la  divi- 

<t.  T.uc.^  n,  34. 

I.   Duretés  dans  le  j^oût  de  I\iscal.  Ceci  toutefois  est  antérieur  au\  I\ti^/ts 


474  SUR  JÉSUS-CHRIST 


nité  de  Ji'sus  ;  l'insensé  Marcion  a  nié  son  humanité  ;  le 
nestorien  a  divisé  les  personnes  ;  [p.  26]  l'eutychien  a  con- 
fondu les  natures  :  et  sur  la  personne  de  Jésus-Christ, 
toutes  les  inventions  diaboliques  se  sont  tellement  épuisées 
qu'il  est  impossible  de  s'imaginer  une  erreur  qui  non  seule- 
ment n'ait  été  soutenue,  mais  même  qui  n'ait  fait  une  secte 
sous  le  nom  du  christianisme.  Combien  d'hérésies  se  sont 
élevées  contre  les  vérités  de  Jésus!  Toutes,  elles  ont  heurté 
contre  cette  pierre  ;  et,  sans  venir  au  détail,  ayant  rompu 
sans  aucun  sujet  la  paix  et  l'unité  chrétienne,  ne  se  sont- 
elles  pas  scandalisées  de  Jésus,  auteur  de  la  paix  et  de 
la  charité  fraternelle  ? 

Mais  allons  encore  plus  avant.  Que  les  Gentils,  que  les 
Juifs,  que  les  hérétiques  se  soient  scandalisés  du  Seigneur 
Jésus,  cela  est  supportable  ;  on  souffre  facilement  les  injures 
de  ses  ennemis.  Mais,  ô  douleur  !  que  les  catholiques,  que 
les  enfants  de  sa  sainte  Eglise,  que  les  vrais  sectateurs  de 
sa  foi  vivent  de  telle  sorte  en  ce  monde,  que  l'on  ne  peut 
nier  que  Jésus-Christ  ne  les  choque  et  que  son  Evangile  ne 
leur  soit  un  scandale,  c'est,  mes  frères,  ce  qui  est  déplorable 
beaucoup  plus  que  je  ne  puis  vous  le  dire.  Quand  l'humilité, 
quand  l'intégrité,  quand  le  mépris  des  honneurs  de  la  terre, 
bref  quand  l'innocence  te  choque,  chrétien,  oserais-tu  dire  que 
tu  n'es  pas  choqué  du  Sauveur  ?  Ignores-tu  que  sa  doctrine 
n'est  pas  seulement  la  lumière  de  nos  esprits,  mais  qu'elle 
est  le  modèle  de  notre  vie  ?  Si  Jésus  est  le  scandale  de  ceux 
qui  errent  dans  la  doctrine,  parce  qu'ils  n'écoutent  pas  Jésus- 
Christ  comme  notre  infaillible  docteur  ;  ne  l'est-il  pas  aussi 
de  ceux  qui  sont  dépravés  dans  leurs  mœurs,  puisqu'ils  ne 
veulent  pas  le  connaître  comme  l'exemplaire  de  notre  vie  ? 
Et  qui  trouverai-je  donc  dans  le  monde,  qui  ne  soit  pas 
scandalisé  en  notre  Sauveur  ?  Nous  aimons  les  richesses,  et 
Jésus  les  a  méprisées  :  nous  courons  après  les  plaisirs,  et 
Jésus  les  a  condamnés  :  nous  sommes  fous  du  monde,  et 
Jésus  l'a  surmonté.  Et  comment  pouvons-nous  dire  que  nous 
aimons  Jésus,  nous  qui  n'aimons  rien  de  ce  que  nous  voyons 
en  sa  personne,  et  qui  aimons  tout  ce  que  nous  n'y  voyons 
pas?  En  vivant  de  la  sorte,  peux-tu   nier  que  tu  ne  sois 


OBJET  DE  SCANDALE.  475 


choqué  de  Jésus  ?  Tu  n'en  hais  pas  le  nom  ;  mais  la  chose 
[t']  est  un  scandale.  [P.  27]  Oui,  Jksus  t'est  un  scandale,  6 
vindicatif,  parce  qu'il  a  pardonné  les  injures  ;  Jésus  t'est  un 
scandale,  ô  usurier,  parce  qu'il  est  le  père  et  le  protecteur 
des  pauvres,  auxquels  ton  impitoyable  avarice  arrache  tous 
les  jours  les  entrailles  ;  Jésus  t'est  un  scandale,  hypocrite, 
parce  que  tu  fais  servir  sa  doctrine  de  couverture  à  tes  mœurs 
corrompues;  Jésus  t'est  un  scandale, ô  misérable  superstitieux, 
qui  pour  des  fantaisies  particulières  abandonnes  la  piété 
solide  et  la  dévotion  essentielle  du  christianisme,  qui  est  la 
croix  du  Seigneur  Jésus  ;  Jésus  t'est  un  scandale,  à  toi  qui 
traites  la  simplicité  de  sottise,  et  la  sincère  piété  de  bigoterie; 
à  toi  enfin  qui  par  ta  vie  déréglée  fais  blasphémer  son  saint 
nom  par  ses  ennemis.  Cela  étant  ainsi,  chrétiens,  à  qui  est-ce 
que  Jésus  n'est  pas  un  scandale?  «Tous  cherchent  leurs 
intérêts  et  non  pas  ceux  de  notre  Sauveur,  »  disait  autrefois 
l'apôtre  saint  Paul  ('^)  :  ô  Dieu  !  que  dirait-il,  s'il  revenait 
maintenant  sur  la  terre?  Voyant  la  licence  qui  règne  au  milieu 
de  nous,  y  voyant  triompher  le  vice,  nous  prendrait-il  pour 
des  chrétiens,  ou  plutôt  ne  nous  rangerait-il  pas  au  nombre 
des  infidèles  ? 

Eh  !  d'où  vient,  ô  Dieu  tout-puissant,  d'où  vient  que  vous 
permettez  que  votre  Fils  ait  tant  d'adversaires,  et  si  peu  de 
vrais  serviteurs  ?  J'entends  votre  dessein,  ô  grand  Dieu  : 
vous  voulez  que,  dans  cette  confusion  infinie  de  ceux  qui 
contredisent  notre  Sauveur,  ceux  qui  l'honorent  sincèrement 
tiennent  cette  grâce  plus  chère  :  vous  voulez  que  leur  foi  (') 
soit  plus  ferme,  et  leur  charité  plus  ardente  parmi  les  oppo- 
sitions de  tant  d'ennemis;  et  que  Jésus  retrouve  dans  le  zèle 
du  petit  nombre  ce  qu'il  semble  perdre  dans  la  multitude 
innombrable  des  ingrats  et  des  dévoyés.  Par  consé(|uent, 
mes  frères,  augmentons  notre  zèle  pour  son  service.  D  autant 
plus  que  nous  voyons  tous  l(\s  jours  augmenter  le  nombre 
de  ceux  qui  blasphèment  son  l^^vangile  ou  \)av  leurs  erreurs, 
ou  par  leur  niauvaise  vie,  efforçons-nous  d'autant  plus  à  lui 
plaire  et  à  étendre  la  gloire  de   son    s  liiu   nom  :  tâchons  de 

a.   Philip.,  n,  21. 

I.   \'iir.  (juc  leur  foi  s'i5chautVo,  et  (|ue  leur  chariti'  s'ovciluc. 


476  SUR  JÉSUS-CIIRIST  OBJET  DE  SCANDALE. 

lui  rendre  l'honneur  que  ses  ennemis  lui  ravissent.  [P.  28] 
Disons-lui  de  toute  l'affection  de  nos  cœurs  :  Quoique  le  Juif 
enrage,  que  le  gentil  raille,  que  l'hérétique  s'écarte,  que  le 
mauvais  catholique  se  joigne  au  parti  de  vos  ennemis  ;  nous 
confessons,  ô  Seigneur  Jésus,  que  vous  êtes  celui  qui  devez 
venir.  Vous  êtes  ce  grand  Sauveur  qui  nous  est  promis 
depuis  l'origine  du  monde:  vous  êtes  le  médecin  des  malades; 
vous  êtes  l'évangéliste  des  pauvres;  et  en  cela  que  vous 
paraissez  comme  le  scandale  des  orgueilleux,  vous  êtes 
l'amour  des  simples  et  la  consolation  des  fidèles.  Vous  êtes 
celui  qui  devez  venir  ;  nous  n'en  connaissons  point  d'autre 
que  vous,  nous  n'en  attendons  point  d'autre  que  vous  : 
«  Il  n'y  a  point  d'autre  nom  sous  le  ciel  par  lequel  nous 
devions  être  sauvés  ('').  »  Par  conséquent,  fidèles,  puisque 
nous  n'en  attendons  point  d'autre  que  lui,  mettons  notre 
espérance  en  lui  seul.  S'il  est  vrai  que  nous  n'attendions  plus 
un  autre  Maître  que  lui  pour  nous  enseigner,  observons 
fidèlement  ses  préceptes.  Si  nous  n'attendons  point  un  autre 
pontife  qui  vienne  purger  nos  iniquités,  gardons  soigneuse- 
ment l'innocence.  Et  d'autant  que  le  même  Jésus,  qui  est 
venu  en  l'infirmité  de  la  chair,viendra  encore  une  fois  glorieux 
pour  juger  les  vivants  et  les  morts,  *«  vivons  justement  et 
sobrement  en  ce  monde,  attendant  la  bienheureuse  espérance, 
et  la  triomphante  arrivée  de  notre  grand  Dieu  et  Rédempteur 
Jésus-Christ  (^),  »  qui,  détruisant  la  mort  pour  jamais,  nous 
rendra  compagnons  de  son  règne  et  de  sa  bienheureuse 
immortalité.  Ainsi  soit-il. 

a.  Ac-/.,  IV,  12.    —fi.    r//.,  II,  12,  13. 


^^^^^..^  ,0^  .^  ^  ■.:^,  ^  :^  ^,^  ,^  ,,^  ,^  ^, 


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IP  DIMANCHE  APRÈS  L'EPIPHANIE. 


1654.  Reprise  de  l'allocution  sur  les  Deux  Alliances, 


Premier  point  nouveau. 


^ 
'^ 


1^ 


Bossuet,  voulant  traiter  de  nouveau  ce  .sujet  devant  .sa  commu- 
nauté, se  contenta,  pour  l'ensemble,  de  méditer  ses  notes  de  l'année 
précédente,  écrivant  seulement  ce  qui  suit  pour  le  Premier  point  ('J. 


JE  dis  donc  avant  toutes  choses  que  la  Loi  n'a  que  des 
ombres  et  des  figures,  selon  ce  que  dit  l'apôtre  saint  Paul  : 
«  Toutes  choses  leur  arrivaient  en  figure  ('*).  »  Pour 
éclaircir  cette  vérité  par  la  doctrine  du  saint  Apôtre,  posons 
premièrement  ce  principe.  Tout  ce  qui  agit  par  intelligence 
se  propose  nécessairement  une  fin  à  laquelle  il  (  )  rapporte 
ses  actions;  et  d'autant  plus  que  la  cause  est  parfaite,  d'autant 
plus  ce  rapport  est  exact  :  et  la  raison  en  est  évidente  ;  car 
si  la  cause  est  plus  excellente,  il  s'ensuit  que  l'opération  est 
mieux  ordonnée.  Or  il  est  certain  que  l'ordre  consiste  dans 
l'accord  de  la  fin  avec  les  moyens;  et  c'est  de  ce  concert  que 
résulte  cette  justesse  qu'on  appelle  l'ordre.  Cette  vérité  étant 
supposée,  passons  outre  maintenant,  et  disons  :  La  Loi  est 
une  œuvre  d'intelligence  et  d'une  intelligence  infinie  ;  parce 
que  c'est  une  œuvre  de  l'Esprit  de  Dieu.  Par  conséquent  elle 
a  une  fin  à  laquelle  elle  est  destinée  ;  et  quand  nous  connaî- 
trons cettte  fin,  il  ne  faudra  nullement  douter  que  toutes  les 
parties  de  la  Loi  n'y  soient  rapportées.  Or  l'apôtre  saint  Paul 
nous  assure  que  «  Ji'sus-Ciirist  est  la  fin  de  la  Loi  (  )  :  >:> 
Finis  Legis  Cliristus.  C'est  pourquoi  et  les  [)atriarches  et  les 
prophètes  soupiraient  perpétuellement  après  sa  venue;  j)arce 
qu'il  était  la  fin  de  la  Loi,  et  le  sujet  [)rincipal  de  ses  [)rophélies. 
D'où  il  s'ensuit  manifestement  que  toutes  les  cérémonies  de 

a.  I  Cor.^  X,  II.  —  b.  Kom.,  x,  4. 

1.  Mss.  12821,  f.  364.  Le  format,  et,  ce  qui  est  plus  significatif,  roilho^raphc. 
diffèrent  d'avec  le  manuscrit  de  l'annde  pri5ccHlente.  Cf.  ci-dessus,  p.  2S5. 

2.  Jùiit.  elle  rapporte.  —  C'est  le  reste  d'une  prctiiiorc  rrd.iclion  :  «  Toute 
cause  qui  agit  par  intelligence  se  propose  nc'cessaircmcnt  une  tin  .\  l.iqucllc  clic 
rn|-)i)ortc...  » 


478  SUR  LES  CARACTÈRES 


la  Loi,  toutes  ses  solennités,  tous  ses  sacrifices  regardaient 
uniquement  le  Sauveur  ;  et  qu'il  n'y  a  page  dans  les  Ecri- 
tures en  laquelle  nous  ne  le  vissions,  si  nous  avions  les  yeux 
assez  épurés. 

Et  certes,  puisqu'il  plaisait  à  notre  grand  Dieu  de  se  revê- 
tir d'une  chair  humaine,  il  était  convenable,  mes  sœurs,  que, 
de  même  que  ce  mystère  étant  accompli,  nous  en  célébrons 
la  grandeur  par  de  pieuses  actions  de  grâces,  aussi  ceux  qui 
en  ont  précédé  l'accomplissement  vécussent  dans  l'attente 
de  ce  bonheur  qui  devait  arrivera  notre  nature.  Il  est  vrai 
que  le  Verbe  éternel,  en  se  faisant  homme,  est  né  dans  un 
temps  limité;  car  c'est  une  suite  de  la  condition  humaine. 
L'éternité  s'est  alliée  avec  le  temps,  afin  que  ceux  qui  sont 
sujets  au  temps  pussent  aspirer  à  l'éternité.  Mais  encore  que 
la  venue  du  Sauveur  fût  arrêtée  à  un  temps  certain  par  les 
ordres  de  la  Providence  divine;  toutefois  il  faut  avouer  que 
le  mystère  du  Verbe  fait  chair  devait  rernplir  et  honorer  tous 
les  temps.  C'est  pourquoi  il  était  à  propos  qu'où  il  n'était  pas 
par  la  vérité  de  sa  présence,  il  y  fût  du  moins  d'une  autre 
manière  par  des  figures  très  excellentes.  Et  de  là  vient  que 
la  loi  de  Moïse  est  pleine  de  merveilleuses  figures  qui  nous 
représentent  le  Sauveur  Jésus. 

En  effet,  je  vous  demande,  mes  très  chères  sœurs,  d'où 
vient  tant  de  sang  répandu  dans  les  cérémonies  anciennes; 
sinon  pour  représenter  le  sang  de  Jésus?  Pourquoi  est-ce 
que  par  le  sang  de  l'agneau  le  peuple  est  délivré  du  glaive 
vengeur  qui  désola  les  maisons  des  Egyptiens  ?  pourquoi 
est-ce  que  l'alliance  est  signée  et  ratifiée  par  le  sang  ?  pour- 
quoi n'y  a-t-il  point  d'entrée  dans  le  sanctuaire,  si  le  pon- 
tife n'a  les  mains  teintes  du  sang  des  victimes  ?  pourquoi 
les  crimes  sont-ils  expiés,  les  pontifes  et  leurs  vêtements 
consacrés  par  le  sang  versé  dans  le  sacrifice  ?  le  sang  des 
animaux  égorgés  était-il  suffisant  pour  apaiser  Dieu  ?  était-il 
capable  de  purifier  l'homme  ?  Si  ce  n'est  pour  nous  faire 
entendre  qu'il  n'y  a  ni  délivrance,  ni  consécration,  ni  alliance, 
ni  expiation,  ni  salut,  que  parle  sang  de  l'Agneau  sans  tache, 
«  qui  a  été  tué,  dit  saint  Jean  (^),  dès  l'origine  du  monde  :  » 

a.  Apoc,  xni,  8. 


DES  DEUX  ALLIANXES. 


479 


tué,  dis-je,  dès  l'origine  du  monde,  parce  que  dès  l'origine 
du  monde  sa  mort  a  été  figurée  par  une  multitude  infinie  de 
sacrifices  sanglants.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  Tertuliien  :  O 
Ckristuj7i  in  novis  veterem  (^)\  «Oh!  que  Jksus-Ciirist  est 
ancien  dans  la  nouveauté  de  son  Évangile!  »  Ce  que  nous 
honorons  est  nouveau,  parce  que  Jésus-Christ  la  mis  dans 
un  nouveau  jour  :  ce  que  nous  honorons  est  ancien,  parce  que 
la  figure  s'en  trouve  dès  Itrs  premiers  temps.  La  Loi  est  un 
Evangile  caché;  et  l'Evangile  est  une  Loi  expliquée. 

Et  c'est  ce  qu'exprime  l'apôtre  saint  Paul  en  ces  excel- 
lentes paroles:  «  la  Loi  a  l'ombre  des  choses  futures,  et  non 
point  la  vive  image  (''')  des  choses  ».  Que  veut  dire  ce  grand 
Apôtre,  que  la  Loi  a  l'ombre  et  non  point  la  vive  image  .-^ 
La  comparaison  est  prise  de  la  peinture.  Le  peintre  dessine 
le  portrait  du  roi.  Vous  en  voyez  déjà  quelque  ressemblance 
dans  les  premiers  crayons  du  tableau  :  ce  sont  ses  traits,  c'est 
sa  taille,  c'est  son  air,  c'est  l'image  du  prince  que  vous  y 
voyez  :  mais  q-uand  l'ouvrage  sera  accompli  ('),  c'est  alors 
que  le  roi  paraîtra  avec  sa  majesté  naturelle.  Ainsi  la  Loi 
avait  Jésus-Christ  dans  des  ombres  et  dans  des  figures,  et 
comme  dans  un  crayon  imparfait;  mais  elle  n'avait  pas 
l'image  finie.  Et  de  même  que  la  peinture  achevée  efface  les 
linéaments  imparfaits,  ainsi  la  beauté  parfaite  de  l'Évangile 
efface  l'imperfection  de  la  Loi  par  des  couleurs  plus  vives  et 
plus  éclatantes.  C'est  pourquoi  Jésus-Christ  change  l'eau 
en  vin,  c'est-à-dire,  la  loi  de  Moïse  en  son  Évangile. 

a.  Lib.  IV  adv.  Marcion.,  Xi.^\.  —  b.  Hebr.,  X,  i. 

I.  Var.  et  quand  la  peinture  sera  achevée,  vous  verrez  encore  le  prince  avec... 


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FRAGMENTS  d'un   SERMON 


POUR  LA  VETURE   D'UNE  NOUVELLE 


'h 


CATHOLIQUE.   A   Metz,   2   février  1654. 

Nous  n'avons  plus  ici  de  manuscrit.  Deforis  avait  fait  un  sermon, 
comme  il  nous  en  avertit  lui-même,  de  deux  fragments  disparates, 
Nous  ne  donnons  ici  que  la  première  partie.  La  seconde,  d'origine 
différente,  sera  placée  à  la  fin  de  cette  même  année.  Elle  contient 
une  allusion  au  discours  du  ministre  Ferry,  prononcé  en  mai  1654, 
quelque  temps  avant  la  publication  de  ce  CatccJiisme général,  que 
Hossuet  réfutera  l'année  suivante.  Ce  qui  subsiste  de  la  rédaction 
destinée  au  jour  de  la  Purification  nous  paraît  un  peu  antérieur  :  de 
là  notre  date,  qui  n'est  qu'approximative  {^). 

VocaTJit  vos  de  tenebris  (^)  in  admi- 
rabile  hiuien  siiuiu. 

Il  vous  a  appelée  des  ténèbres  à  son 
admirable  lumière. 

(I  7^^//-.,  11,9.) 

MA  très  chère  sœur  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
après  les  grandes  miséricordes  que  Dieu  a  fait  écla- 
ter sur  vous,  je  ne  puis  mieux  commencer  ce  discours  que 
par  des  actions  de  grâces  publiques,  remerciant  sa  bonté 
paternelle  qui  vous  a  miraculeusement  délivrée  de  la  puis- 
sance des  ténèbres,  pour  vous  transporter  au  royaume  de 
son  Fils  bien-aimé. 

En  effet,  n'est-il  pas  bien  juste,  ô  grand  Dieu,  que  votre 
sainte  Église  catholique  vous  loue  et  vous  glorifie  dans  les 
siècles  des  siècles.^  Car  qui  n'admirerait  la  profondeur  de  vos 
jugements,  ô  éternel  Roi  de  gloire,  qui,  pour  la  punition  de 
nos  crimes,  ou  pour  quelque  autre  secret  conseil  de  votre 
sainte  Providence,  ayant  permis  qu'en  ces  derniers  temps 
l'Eglise  chrétienne  fût  déchirée  par  tant  de  sortes  de  schismes, 
et  par  tant  de  lamentables  divisions,  ne  perdez  pas  pour  cela 
les   âmes   que  vous   avez  choisies;  mais  qui,  étant  riche  en 

1.  Gandar  {Bossuet  orateur^  p.  54)  regarde  cet  opuscule  comme  le  plus  ancien 
des  sermons  de  Vêture,  dans  notre  auteur.  Il  le  croit  aussi  antérieur  à  la  Réfu- 
tation du  Catéchisme  de  Paul  Ferry. 

2.  Le  texte  porte,  dans  l'auteur  sacré  :  De  tenebris  vos  vocavit... 


POUR  LA  VETU  RE  d'uNE  NOUVELLE  CATHOLIQUE.         48 1 

miséricorde,  savez  les  éclairer,  même  dans  le  sein  de  l'erreur, 
et  selon  votre   bon  plaisir,  les  attirer  par  des  ressorts  infail- 
libles à  la   véritable  croyance.   C'est  ce   que  vous  avez  fait 
paraître  en  cette  jeune  fille,  élevée  dans  le  schisme  et  dans 
l'hérésie,  que  vous  avez   regardée  en  pitié,  6  Père  très  clé- 
ment et  très  bon!  On  la  nourrissait  dans  une  doctrine  héré- 
tique; mais  vous  avez  voulu  être  son  docteur.  Vous  lui  avez 
ouvert  les  yeux,  pour   voir   votre  admirable  lumière  :  vous 
avez  voulu   faire  paraître  qu'il  n'y  a  point  d'âge  qui  ne  soit 
mûr  pour  la  foi,    et   que  l'homme  est  assez  savant  quand  il 
sait  écouter  vos  saintes  inspirations  :  et  voici  qu'étant  instruite 
de  la  doctrine,  que  nous  avons  reçue  de  nos  pères  par  une 
succession  de  tant  de   siècles,    touchée  en  son  cœur  d'un 
extrême  dégoût  de  ce  monde  trompeur,  et  d'un  chaste  amour 
de  votre  cher  Fils,  qu'elle  désire  choisir  pour  son  seul  Epoux, 
elle  se  vient  présenter  devant  vos  autels,  afin  que  vous  ayez 
agréable  qu'elle  soit  admise  aujourd'hui  à  l'épreuve  d'une  vie 
retirée.    Bénissez-la,  Seigneur,  et  soyez  loué  à  jamais  des 
grâces  que  vous  lui  faites  :  que  les  anges  et  tous  les  esprits 
bienheureux  chantent  éternellement  vos  bontés! 

Et  vous,  ma  chère  sœur,  que  Dieu  comble  de  tant  de 
bienfaits,  considérez  ces  dévotes  filles,  et  toute  cette  pieuse 
assemblée.  Mais  élevez  plus  haut  vos  regards  :  contemplez 
en  esprit  la  sainte  Eglise  de  Dieu,  tant  celle  qui  règne  dans 
le  ciel,  que  celle  qui  combat  sur  la  terre;  croyez  qu'elle 
triomphe  de  joie,  de  voir  en  vous  des  effets  si  visibles  de  la 
miséricorde  divine.  Éclatez  aussi  en  hymnes  et  en  cantiques; 
dites  dans  l'épanchement  de  votre  âme  :  «  O  Seigneur,  qui 
est  semblable  à  vous  {^')?  Que  le  Dieu  d'Israël  est  bon  à  ceux 
qui  sont  droits  de  cœur  ('''),  »  et  qui  marchent  devant  sa  face 
en  toute  simplicité! 

Pour  moi,  afin  de  vous  animer  davantage  à  rendre  à  notre 
grand  Dieu  de  fidèles  actions  de  grâces,  je  vous  donnerai, 
avec  l'assistance  divine,  quelques  avis  succincts,  mais  très 
importants,  et  sur  ce  que  vous  avez  fait  et  sur  ce  (\ur  vous 
allez  faire  (,).  Je  vous  représenterai  premièrement  la  grande 

a.  Ps.^  XXXIV,  lo.  —  /f.  //>/(/..,  i.wn,  i. 

I.  Ce  que  les  premiers  éditeurs  ont  imprinic,  et  que  nous  sommes  forcd  de 

Sermons  de  Bossuet.  3* 


482  POUR  LA  VÊTURE 


grâce  que  Dieu  vous  a  faite  de  vous  retirer  des  ténèbres  de 
l'hérésie  ;  et  après,  je  tâcherai  de  vous  faire  voir  de  quelle 
sorte  vous  devez  user  de  l'inspiration  qu'il  vous  donne  de 
renoncer  entièrement  à  toutes  les  espérances  du  siècle.  Et  il 
se  rencontre  fort  à  propos,  que  les  deux  principaux  mystères 
que  nous  célébrons  en  ce  jour,  conviennent  très  bien  avec 
ce  sujet.  Dans  la  Purification  de  la  Vierge,  vous  pouvez 
considérer  avec  fruit  que  Dieu,  par  sa  pure  bonté,  vous  a 
purgée  de  votre  hérésie;  et  dans  l'oblation  de  l'Enfant  Jésus, 
que  l'on  présente  aujourd'hui  à  son  Père,  vous  devez  faire 
réfiexion  sur  le  dessein  que  vous  méditez,  de  vous  consacrer 
pour  jamais  à  son  service  par  une  profession  solennelle. 
C'est  sur  quoi  je  vous  entretiendrai  en  ce  jour  :  vous  ferez 
seule  tout  le  sujet  de  cette  exhortation.  Au  reste,  n'attendez 
pas  de  moi  tous  ces  ornements  de  la  rhétorique  mondaine  ; 
mais  priez  seulement  cet  Esprit  qui  souffle  où  il  veut, 
qu'il  daigne  répandre  sur  mes  lèvres  ces  deux  beaux  or- 
nements de  l'éloquence  chrétienne,  la  simplicité  et  la 
vérité;  et  qu'il  étende  par  sa  grâce  le  peu  que  j'ai  à  vous 
dire. 

PREMIER  POINT. 

Si,  parlant  aujourd'hui  de  nos  frères,  qui,  à  notre  grande 
douleur,  se  sont  séparés  d'avec  nous,  j'appelle  leur  église 
une  église  de  ténèbres,  je  les  prie  de  ne  croire  pas  que,  pour 
condamner  leur  erreur,  je  m'aigrisse  contre  leurs  personnes. 
Certes,  je  puis  dire  d'eux  avec  vérité  ce  que  l'Apôtre  disait 
aux  Juifs  (''),  que  le  plus  tendre  désir  de  mon  cœur,  et  la  plus 
ardente  prière  que  je  présente  tous  les  jours  à  mon  Dieu, 
est  pour  leur  salut.  Je  ne  puis  voir  sans  une  extrême  douleur 
les  entrailles  de  la  sainte  Eglise  si  cruellement  déchirées;  et 
pour  parler  plus  humainement,  je  suis  touché  au  vif  quand 
je  considère  tant  d'honnêtes  gens  que  je  chéris,  comme  Dieu 
le  sait,  marcher  dans  la  voie  des   ténèbres.  Mais   afin  qu'il 

a.  Rom.^  x,  I. 

reproduire   cette  fois  sans  contrôle,   répondra,  ce  semble,  assez   peu  à  cette 
promesse  de  l'orateur.  (Cf.  Histoire  critique  de  la  Prédication  de  Bossuet,  p.  140, 

"•  3-) 


d'une  nouvelle  catholique.  483 

ne  semble  pas  que  je  veuille  faire  aujourd'hui  une  invective 
inutile,  je  vous  proposerai  une  doctrine  solide,  et  conduirai 
ce  discours,  si  Dieu  le  permet,  avec  une  telle  modération, 
que,  sans  les  charger  d'injures,  je  les  presserai  par  de  vives 
raisons  tirées  des  Ecritures  divines,  et  des  Pères  leurs  inter- 
prètes fidèles. 

Je  dis  donc  en  premier  lieu,  chrétiens,  que  Dieu  est  une 
pure  et  incompréhensible  lumière,  de  laquelle  toute  autre 
lumière  prend  son  origine  ;  d'où  vient  que  l'apôtre  saint 
Jean  dit  que  «  Dieu  est  lumière,  et  qu'en  lui  il  n'y  a  pas  de 
ténèbres  {'').  »  Et  saint  Paul  l'appelle  «  Père  de  lumière,  qui 
habite  une  lumière  inaccessible  (''').  »  Le  genre  humain, 
chrétienne  assemblée,  s'étant  retiré  de  cette  lumière  éternelle, 
languissait  dans  une  nuit  profonde  et  dans  des  ténèbres  plus 
qu'égyptiennes,  lorsque  Dieu,  touché  de  pitié,  envoya  son 
cher  Fils  sur  la  terre,  pour  être  la  lumière  du  monde,  comme 
il  dit  lui-même  en  saint  Jean  (').  C'est  lui  qui  est  cette  véri- 
table et  universelle  lumière,  «  qui  illumine  par  ses  clartés 
tout  homme  venant  au  monde  (''').  »  C'est  la  splendeur  de  la 
gloire  du  Père,  qui,  étant  devenu  chair  dans  la  plénitude 
des  temps,  est  entré  en  société  avec  nous  ;  et  nous  a  faits 
participants  de  ses  dons.  Car,  ayant  commencé  sur  la  terre 
l'exercice  de  son  ministère  par  la  prédication  de  la  parole 
de  vie  que  son  Père  lui  mettait  à  la  bouche,  il  a  assemblé 
près  de  sa  personne  les  premiers  ministres  de  son  Evangile, 
qu'il  a  appelés  ses  apôtres,  parce  qu'après  sa  course  achevée, 
il  les  devait  envoyer  par  toutes  les  provinces  du  inonde, 
pour  agréger  ses  brebis  dispersées,  sous  l'invocation  dr  son 
nom,  et  la  profession  de  son  Evangile,  là  comme  il  a  du 
lui-même  qu'il  était  la  lumière  du  monde,  ainsi  cjue  je  vous 
le  rapportais  tout  à  l'heure  ;  de  même  a-i-il  tlii,  parlant 
à  ses  saints  apôtres:  «  Vous  êtes  la  lumière  du  monde  :» 
Vos  estis  hix  imuidi  (')  ;  parce  (ju'étant  éclairés  des  lumières 
de  ce  bon  Pasteur  par  l'infusion  de  son  Saint- Esprit,  ils  ont 
eux-mêmes  communi(iué  la  lumière  aux  peuples  errants, 
comme  l'a  dit  saint   Paul   écrivant   aux    Ephésiens  :  v.  \'ous 

a.  I  Joan.^  i,  5.  —  ^.  I  7/V//.,  vi,  16.  —  c.Jonn,^  VIII,  12.  —  if.  Ibid.,  l.  o.  — 

e.  Matth.^  V,  14. 


484  POUR  LA  VÊTURE 


étiez  autrefois  ténèbres  ;  mais  vous  êtes  maintenant  lumière 
en  Notre-Seigneur  {").  » 

Cette  lumière,  au  commencement,  se  répandit  sur  peu  de 
personnes  ;  parce  que,  selon  la  parabole  de  l'Évangile,  l'E- 
glise, d'un  petit  grain,  devait  devenir  un  grand  arbre  (''').  Mais 
enfin,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  la  foi  étant  augmentée, 
on  a  fondé  des  Églises  par  toutes  les  parties  de  la  terre, 
selon  le  modèle  de  celles  que  les  saints  apôtres  avaient 
établies.  Fidèles,  ne  croyez  pas  que  l'on  ait  divisé  pour  cela 
cette  première  et  originelle  lumière,  ou  que  l'on  ait,  pour 
ainsi  dire,  arraché  quelques  rayons  aux  Églises  apostoliques, 
pour  les  porter  aux  autres  Églises.  Certes,  cela  ne  s'est  pas 
fait  de  la  sorte  :  cette  lumière  a  été  étendue  ;  mais  elle  n'a 
pas  été  divisée.  En  faisant  de  nouvelles  Églises,  on  n'a  pas 
fait  de  sociétés  séparées  :  «  On  a  été  prendre  des  premières 
Églises  la  continuation  de  la  foi,  et  la  semence  de  la  doctrine  :» 
Traducem  fidei  et  semina  doctrinœ  ceterœ  exiîide  Ecclesiœ 
mutuatœ  sunt,  dit  Tertullien  [').  Toutes  les  Églises  sont 
apostoliques,  parce  qu'elles  sont  descendues  des  Églises 
apostoliques.  Un  si  grand  nombre  d'Églises,  dit  Tertullien, 
ne  sont  que  cette  Église  unique  et  première  que  les  apôtres 
avaient  fondée.  Elles  sont  toutes  premières  et  toutes  aposto- 
liques ;  parce  qu'elles  se  sont  toutes  rangées  à  la  même  paix, 
qu'elles  se  sont  associées  à  la  même  unité,  qu'elles  ont  toutes 
le  même  principe.  «  L'Église  éclairée  parle  Sauveur  Jésus, 
qui  est  son  véritable  soleil,  dit  l'admirable  saint  Cyprien  (f), 
bien  qu'elle  répande  ses  rayons  par  toute  la  terre,  n'a  qu'une 
lumière  qui  se  communique  partout  :  »  Ecclesia  Doinini  luce 
perfusa  per  totum  orbem  radios  stws  porrigit;  unum  tamen 
lumen  esty  quod  ubique  diffunditur,  nec  unitas  corpovis  sepa- 
ratur. 

Par  où  vous  voyez,  mes  chers  frères,  que  l'Église  est  le 
lieu  sacré  dans  lequel  Jésus-Christ  renferme  le  trésor  des 
lumières  célestes.  Quelque  docte  que  soit  un  homme,  quelques 
beaux  sentiments  qu'il  professe,  il  marche  dans  les  ténèbres 
s'il  abandonne  l'unité  de  l'Église.  Celui-là  ne  peut  avoir  Dieu 

a.  Ephes.^  v,  8.  —  b.Luc.^  Xlli,  19.  —  c.  De  Prœscrîpt.^  n.  20.  —  d.  Lib.  de 
Unit.  Eccl. 


d'une  nouvelle  catholique.  485 

pour  père,  qui  n'a  pas  l'Église  pour  mère.  En  vain  nos 
adversaires  se  glorifient-ils  en  toutes  rencontres  de  la  science 
des  Ecritures,  qu'ils  n'ont  jamais  bien  étudiées  selon  la 
méthode  des  Pères,  qui  ont  fait  gloire  de  suivre  les  inter- 
prétations de  leurs  ancêtres.  «  Nous  enseignons,  disaient-ils, 
ce  que  nous  ont  appris  nos  prédécesseurs  ;  et  nos  prédéces- 
l'ont  reçu  des  hommes  apostoliques  ;  et  ceux-là,  des  apôtres  ; 
et  les  apôtres,  de  Jésus-Christ  ;  et  Jks us -Christ,  de  son 
Père.  »  C'est  à  peu  près  ce  que  veulent  dire  ces  paroles  du 
grand  Tertullien  :  Ecclesia  ab  apostolis,  apostoli  a  CJirislo, 
Christiis  a  Deo  traciidit  (^).  O  la  belle  chaîne,  ô  la  sainte 
concorde,  ô  la  divine  tissure  que  nos  nouveaux  docteurs  ont 
rompue!  Cette  belle  succession  était  la  gloire  de  l'Église  de 
Dieu  ;  c'est  ce  que  nous  opposions  aux  ennemis  de  Jésus,  que 
malgré  les  tyrans  et  les  hérétiques,  malgré  la  violence  de  la 
fraude,  l'Église  de  Jésus-Christ  était  demeurée  immobile. 

Ils  renoncent  volontairement  à  cet  avantage.  N'ont-ils  pas 
osé  assurer,  dans  l'article  xxxi  de  leur  Confession,  qu'il  a 
été  nécessaire  que  Dieu  en  notre  temps,  «  auquel  l'état  de 
l'Église  était  interrompu,  ait  suscité  gens  d'une  façon  extra- 
ordinaire, pour  dresser  l'Église  de  nouveau,  qui  était  en  ruine 
et  désolation  ?  »  O  parole  inouïe  aux  premiers  chrétiens  !  si 
ce  n'est,  certes,  qu'elle  a  toujours  été  témérairement  avancée 
par  les  hérétiques  leurs  prédécesseurs,  et  toujours  constam- 
ment réfutée  par  nos  Pères  les  orthodoxes.  L'avez -vous 
jamais  cru,  ô  saints  martyrs,  ô  bienheureux  évéques,  ô 
docteurs  divinement  éclairés,  l'avez-vous  jamais  cru  que 
cette  Eglise  que  vous  fondiez  par  votre  sang,  ou  que  vous 
instruisiez  par  votre  doctrine,  dût  être  durant  tant  de  siècles 
entièrement  abolie,  jusqu'à  ce  que  Luther  et  Calvin  la  \'ins- 
sent  dresser  de  nouveau  .'*  Cette  cité  qui  a  occu[)c  tout  le 
monde.  Dieu  l'a  fondée  éternellenuMU.  dit  l'admir.ible  saint 
Augustin  (''');  le  firmament  tomberait  aussitôt  (lue  l'Eglise 
serait  éteinte  :  Dcîls  funiavit  eani  inœtcrnuni. 

Certes,  il  est  indubitable,  ô  Sauveur  J  i-sus  :  comme  durant 
toute  l'éternité  vous  serez  béni  dans  le  ciel,  ainsi,  pendant 
toute  la  durée  de  ce  siècle,  vous  aurez  toujours  des  adorateurs 

a.  De  Prœscript.y  n.  37.  —  à.  In  Psal.  XLVii,  n.  7. 


486  POUR  LA  VÊTURE 


sur  la  terre.  Et  oii  seront  ces  adorateurs,  si  votre  Église 
doit  tomber  en  ruine  ?  Comment  pourriez-vous  être  dans 
une  Église  entièrement  désolée,  une  PZglise  infectée  d'er- 
reurs, faisant  profession  publique  d'idolâtrie,  une  Église 
enfin  telle  qu'elle  a  été  durant  plusieurs  siècles,  suivant 
l'opinion  de  nos  adversaires?  Seigneur  Jésus,  encore  une 
fois,  où  étaient  alors  vos  adorateurs  ?  Eh  !  dites-nous,  je 
vous  prie,  nos  frères,  qui  dites  si  hautement  que  vous  voulez 
suivre  les  Écritures,  dans  quel  évangile  ou  dans  quelle 
prophétie  voyez-vous  que  l'Église  dût  un  jour  tomber  en 
ruine,  qu'elle  dût  être  désolée  durant  tant  de  siècles  ?  La 
Synagogue  même  des  Juifs,  qui  n'avait  pas  de  si  belles 
promesses,  a-t-elle  jamais  eu  de  si  longues  éclipses  ?  Est-ce 
là  cette  Église  fondée  sur  la  Pierre,  contre  laquelle  les  por- 
tes d'enfer  ne  peuvent  jamais  prévaloir  ('')  ?  Comment  est-ce 
que  l'Église  de  Dieu  est  enfin  tombée  en  ruine,  et  a  été 
obscurcie  d'erreurs,  elle  que  l'Apôtre  appelle  la  colonne  et  le 
soutien  de  la  vérité  ('^)  ?  Le  Sauveur  Jésus  parlant  à  ses 
disciples,  et  en  leur  personne  à  ceux  qui  se  devaient  assem- 
bler avec  eux,  ou  qui  leur  devaient  succéder  :  «  Je  serai, 
dit-il,  avec  vous  jusqu'à  la  consommation  des  siècles  (^).  » 
Où  étiez- vous  donc,  ô  Sauveur,  quand  nos  réformateurs 
sans  aveu  sont  venus  dresser  de  nouveau  votre  Eglise  ? 

Certes,  je  vous  l'avoue,  mes  chers  frères,  je  ne  puis  modé- 
rer ma  douleur,  quand  je  vois  de  telles  paroles  prononcées 
par  des  chrétiens.  Aussi  ont-ils  tâché  de  les  adoucir  par 
diverses  explications,  autant  vaines  que  spécieuses.  Je  vous 
les  rapporterai,  s'il  vous  plaît  ;  et  puis,  à  l'honneur  de  la 
vérité,  et  pour  la  consolation  de  nos  âmes,  nous  les  réfute- 
rons en  esprit  de  paix.  Il  leur  a  semblé  fort  étrange  dédire 
que  l'Église  de  Jésus-Christ  dût  cesser  si  longtemps  d'être 
sur  la  terre.  Les  luthériens  de  la  Confession  d'Augsbourg  {'), 
leurs  frères  et  leurs  nouveaux  alliés,  assurent  en  l'article  vu 
qu'il  y  a  une  Église  sainte  qui  demeurera  toujours.  Ils  parlent 

a.  iT/rt:/M.,  XVI,  18.  —  b.  I   Tùn.,  ni,  15.  —  <:.  Matth.,  xxviii,  20. 
I.  M.  Bossuet  a  fait,  en  marge  de  son  manuscrit,  cette  remarque  sur  la  Con- 
fession d' Auifsbourg- :  ((  EUe  a  été  imprimée  en  français,   en   1566,  sans  nom 
d'imprimeur.  »  (Deforis,) 


d'une  nouvelle  catholique.  487 


de  l'Église  qui  est  en  ce  monde.  Et  leurs  propres  Églises,  qui 
sont  dans  la  Suisse  et  autres  pays,  disent  au  chapitre  xvii 
qu'il  faut  qu'il  y  ait  toujours  eu  une  Église,  qu'elle  soit 
encore,  et  qu'elle  dure  jusqu'à  la  fin  des  siècles  ;  c'est-à-dire, 
une  assemblée  des  fidèles  appelés  et  recueillis  de  tout  le 
monde.  Interrogez  nos  frères  errants,  il  faudra  qu'ils  répon- 
dent la  même  chose.  Demandez-leur  où  était  cette  Église, 
lorsqu'il  n'en  paraissait  dans  le  monde  aucune  qui  fit  profes- 
sion de  leur  foi.  Comme  c'est  une  chose  évidente,  ils  vous 
répondront  tous  qu'elle  était  cachée,  qu'elle  ne  paraissait  pas 
par  un  terrible  jugement  de  Dieu,  qui  la  retirait  de  la  vue 
des  méchants.  Ils  pensent  ainsi  réparer  l'injure  qu'ils  feraient 
à  l'Eglise,  s'ils  osaient  assurer  qu'elle  fut  entièrement  abolie. 
Mais  quelle  âme  vraiment  chrétienne  ne  déplorerait  pas  leur 
aveuglement  ? 

Ah  !  que  vous  êtes  vraiment  redoutable  en  vos  conseils,  ù 
grand  Dieu,  qui  avez  permis,  par  une  juste  vengeance,  que 
ceux  qui  ont  déchiré  votre  Eglise  ne  sussent  pas  même  ce 
que  c'est  que  l'Église!  L'Église,  à  votre  avis,  nos  chers 
frères,  n'est-ce  qu'une  multitude  sans  union  ?  consiste-t-elle 
en  des  gens  dispersés,  qui  n'ont  rien  de  commim  qu'en 
esprit  ?  Est-ce  assez  qu'ils  croient  intérieurement  ?  n'est-il 
pas  nécessaire  qu'ils  fassent  profession  de  leur  foi  ?  Mais 
l'Apôtre  dit  expressément  que  «  l'on  croit  dans  le  cœur  à 
justice,  et  que  l'on  confesse  par  la  bouche  à  salut  (").  »  Et  le 
Sauveur  lui-même  :  «  Oui  me  confessera,  dit-il,  devant  les 
hommes,  je  le  confesserai  devant  mon  Père  céleste  {^).  »  De 
plus,  est-ce  assez  que  chacun  la  professe  en  particulier?  Ne 
faut-il  pas  que  ceux  qui  invoquent  avec  sincérité  le  nom  du 
Seigneur,  lient  ensemble  une  sainte  société,  par  la  conlession 
publique  de  la  même  foi  ?  Et  cette  Eglise  cachée,  dont  vous 
nous  parlez,  comment  pouvait-elle  avoir  une  conlession 
publique  ?  Qu'est-ce  autre  chose  qu'un  amas  de  personnes 
timides,  qui  n'osaient  confesser  ce  (]u'ils  croyaient,  (jui 
démentaient  leurs  consciences,  en  s'unissant  de  corps  à  une 
Église  dont  ils  se  séparaient  en  esprit  ?  Certes,  s'ils  se 
fussent  séparés   d'avec   nos   pères,    leur  séparation   les  eût 

<i.  Kofu.y  X,  10.   —  b,  Mattli.^  X,  J2. 


488  POUR  LA  VÊTURE 


rendus  remarquables,  et  leur  société  se  serait  produite  ;  elle 
n'aurait  pas  été  cachée,  comme  vous  le  dites.  Et  s'ils  sont 
demeurés  unis,  quoi!  ces  ju-stes,  ces  gens  de  bien,  cette  Église 
prédestinée,  allaient  adorer  Dieu  dans  nos  temples  qui 
étaient  des  temples  d'idoles,  et  communiquaient  à  nos  prières 
qui  renversaient  la  dignité  du  Médiateur,  et  assistaient  à  nos 
sacrifices  qui  réduisent  à  néant  celui  de  la  croix  ?  Chers 
frères,  en  quel  abîme  d'erreurs  tombez-vous  ? 

Mais,  pour  vous  presser  encore  davantage  :  il  n'y  a  point 
d'Église  sans  foi.  Et  «comment  croiront-ils,  s'ils  n'entendent? 
et  comment  entendront-ils,  s'ils  n'ont  des  prédicateurs  ('')?  » 
Et  peut-il  y  avoir  des  prédicateurs  où  il  n'y  a  point 
de  pasteurs  ?  Dis-moi  donc,  ô  Église  cachée,  à  laquelle 
Luther  et  Calvin  ont  eu  leur  refuge,  d'où  ils  tirent  leur 
succession,  bien  qu'il  leur  soit  impossible  de  la  montrer  ; 
dis-moi,  où  étaient  les  pasteurs  ?  Si  c'étaient  ceux  de 
l'Église  romaine,  donc  tu  n'entendais  qu'une  fausse  doctrine, 
contraire  à  celle  des  réformateurs  ;  donc  tu  recevais  des 
sacrements  mutilés,  car  ils  ne  les  administraient  pas  d'autre 
sorte  ;  donc  tu  te  pouvais  sauver  dans  cette  communion  :  et 
néanmoins  c'est  une  chose  assurée  que  l'on  ne  se  peut  sauver- 
que  dans  la  communion  de  la  vraie  Eglise.  Et  si  l'on  se 
sauvait  en  ce  temps  dans  la  communion  de  l'Église  romaine, 
nous  nous  y  pouvons  sauver  à  présent  (').  Par  conséquent,  ô 
Église  cachée  devant  que  Luther  te  vînt  découvrir,  les  pas- 
teurs de  l'Église  romaine  n'étaient  pas  tes  véritables  pasteurs. 
Que  si  tu  étais  régie  par  d'autres  pasteurs,  je  demande  que 
l'on  m'en  montre  la  liste,  et  que  l'on  me  fasse  voir  les  Égli- 
ses qu'ils  ont  gouvernées  et  les  chaires  qu'ils  ont  remplies. 
C'est  une  chose  impossible. 

Car  lorsqu'ils  nous  allèguent  les  hussites  et  les  albigeois, 
chrétiens,  vous  voyez  assez  combien  cette  évasion  est  frivole. 
Ces  hussites  et  ces  albigeois  venaient  eux-mêmes,  à  ce 
qu'ils  disaient,  dresser  de  nouveau  l'Église.  Et  je  deman- 
derai toujours  où  était  l'Église  avant  les  hussites?  où 
était-elle  avant  les  albigeois  ?  En  vain  ils  prétendent  tirer 

a.  Rom.^  X,  14. 

I.  Ce  sera  le  début  de  la  Réfutation  du  Catéchisme  de  P.  Ferry. 


d'une  nouvelle  catholique.  489 

leur  autorité  de  gens  qui  se  sont  produits  d'eux-mêmes  aussi 
bien  qu'eux,  et  qui,  après  avoir  quelque  temps  agité  le  chris- 
tianisme, sont  retournés  dans  l'abîme  duquel  ils  étaient  sor- 
tis tout  ainsi  qu'une  noire  vapeur.  Et  dites-moi  donc,  je 
vous  prie,  quel  monstre  d'Eglise  est-ce  que  cette  Église 
cachée,  Église  sans  pasteurs  ni  prédicateurs,  bien  que,  selon 
la  doctrine  de  l'Apôtre  ('"),  Dieu  ait  mis  dans  le  corps  de 
l'Église,  les  uns  pasteurs,  et  les  autres  docteurs,  sans  quoi 
l'Église  ne  peut  consister  (^)?  Église  sans  sacrements,  et  sans 
aucune  profession  de  foi  ;  Église  vraiment  de  ténèbres,  digne 
certes  d'être  cachée,  puisqu'elle  n'a  aucuns  traits  de  l'Eglise 
de  Jésus-Christ.  Le  Sauveur  ayant  ordonné  à  ses  apôtres 
que  ce  qu'ils  entendaient  en  particulier,  ils  le  prêchassent 
hautement  sur  les  toits  ('),  c'est-à-dire,  dans  l'évidence  du 
monde  ;  nous  parler  d'une  Église  cachée,  en  vérité  n'est-ce 
pas  nous  parler  d'une  Église  de  l'Antéchrist  ? 

Car  l'Église  chrétienne,  dès  son  berceau,  était  connue  par 
toute  la  terre,  ainsi  que  l'Apôtre  dit  aux  Romains  :  «  \'otre 
foi  est  annoncée  par  tout  le  monde  ("').  »  Et  bien  qu'elle  fût 
persécutée  de  toutes  parts,  elle  se  rendait  illustre  par  ses 
propres  persécutions  et  par  son  invincible  constance.  «  Nous 
savons  de  cette  secte,  disaient  les  Juifs  à  l'apôtre  saint 
Paul  ('),  que  l'on  lui  contredit  partout.  »  L'Eglise  fut  donc 
connue  sitôt  après  la  mort  du  Sauveur.  Et  en  effet,  étant 
nécessaire  que  tous  les  gens  de  bien  se  rangent  à  la  société 
de  l'Église,  comme  nos  adversaires  mêmes  le  professent, 
se  peut-il  une  plus  grande  absurdité  que  de  dire  qu'elle  soit 
cachée  ?  Comment  veut-on  que  les  hommes  se  rangent  à  une 
société  invisible.'^  Partant  cette  Église  cachée,  a  laciuelle  ils 
se  glorifient  d'avoir  succédé,  n'étant  pas,  selon  leur  pro[)re 
Confession,  cette  cité  élevée  sur  la  montagne,  e.xposée  à  la 
vue  des  peuples  ;  que  reste-il  autre  chose,  sinon  qu'elle  fût 
au  fond  de  l'abîme,  dont  elle  est  sortie  pour  un  temps,  au 
grand  malheur  du  christianism(%  pour  la  [juniiion  de  nos 
crimes  ?  C'est  pourcpioi  il  est  arri\'é  (|ue  ces  doctes,  ces  beaux 
esprits,  qui  ont  écrit  de  si  belles  choses,  ils  ont  tout  su,   ex- 

(i.  Ephcs.^  i\',    II.  — /;.  .//-/.   \xv  de  Uur  Cofiûssion.  —  c.  Matth,^":^^Yl.  — 

</.  Roin.^  I,  8.  —  e.  Act.^  xxviii,  2:. 


490  POUR  LA  VÊTURE 


cepté  r Église  ;  et,  faute  de  la  connaître,  toutes  leurs  autres 
connaissances  leur  ont  tourné  à  damnation  éternelle. 

Il  n'y  a  rien  de  si  froid,  ni  de  si  mal  digéré  que  ce  qu'ils 
ont  dit  des  qualités  que  devait  avoir  l'Église  de  J  ésus-Christ. 
La  perfection  de  l'Église  est  dans  l'unité  ;  et  cette  unité, 
chrétiens,  jamais  ils  ne  l'ont  entendue.  Laissons  les  longues 
disputes  et  les  arguments  difficiles  :  l'union  qu'ils  ont  faite 
depuis  peu  d'années  avec  leurs  nouveaux  frères  les  luthériens, 
décide  tous  nos  doutes  sur  cette  matière.  Les  contentions  de 
ces  deux  sectes  sont  connues  à  tout  le  monde  :  elles  se  sont 
traitées  très  longtemps  d'impies  et  d'hérétiques  ;  enfin  elles 
se  sont  unies.  Ce  n'est  pas  une  chose  nouvelle  que  deux 
sectes  s'unissent  ensemble  ;  mais  qu'elles  se  soient  unies  en 
conservant  la  même  doctrine  qui  les  a  si  longtemps  séparées, 
c'est  ce  qui  fait  voir  très  évidemment  qu'ils  ne  savent  pas 
ce  que  c'est  que  l'Église. 

Car  je  leur  demande,  mes  frères  :  la  secte  des  luthériens 
mérite-t-elle  le  nom  d'Église  ?  Si  elle  n'est  pas  Église,  pour- 
quoi communier  avec  elle,  pourquoi  souiller  votre  commu- 
nion par  une  communion  schismatique  ?  L'Eglise  ne  connaît 
qu'elle-même  :  elle  ne  reçoit  rien  qui  ne  soit  à  elle:  «  L'étran- 
ger et  l'incirconcis  n'y  entreront  point,  »  disait  autrefois  le 
prophète  ('').  Que  s'ils  sont  la  vraie  Église  donc  les  luthé- 
riens et  les  calvinistes  ne  font  que  la  même  Eglise.  Et  qui 
a  jamais  ouï  dire  que  l'Église  de  Jésus-Christ  fût  un  amas 
de  sectes  diverses,  qui  ont  une  profession  de  foi  différente 
et  contraire  en  plusieurs  points,  dont  les  pasteurs  n'ont  pas 
la  même  origine,  et  ne  communiquent  entre  eux  ni  dans 
l'ordination  ni  dans  les  synodes  ?  Cette  union,  n'est-ce  pas 
plutôt  une  conspiration  de  factieux  qu'une  concorde  ecclé- 
siastique ?  Comme  on  voit  les  mécontents  d'un  Etat  entrer 
dans  le  même  parti,  chacun  avec  son  intérêt  distingué  de 
celui  des  autres,  et  ne  s'associer  seulement  que  pour  la  ruine 
de  leur  commune  patrie,  pendant  que  les  fidèles  serviteurs 
du  prince  sont  unis  véritablement  pour  le  service  du  maître  ; 
ainsi  en  est-il  de  cette  fausse  union  que  nos  réformateurs 
prétendus  ont  faite  depuis  peu  de  temps.    Et  c'est  ce  que 


DUNE  NOUVELLE  CATHOLIQUE.  491 


faisaient  ces  hérétiques,  dont  parle  Tertullien  (")  :  Pacem 
quoque  pas  si7n  cum  omnibus  mis  cent  :  «  Ils  entrent  en  paix 
avec  tous  indifféremment  :  car  il  ne  leur  importe  pas,  ajoute 
ce  grand  personnage,  d'avoir  des  sentiments  opposés,  pourvu 
qu'ils  conspirent  à  renverser  la  même  vérité  :  »  Nihilenim 
interest  illis,  licet  diversa  tractantibns,  dum  ad  tutius  veritatis 
expMgnationem  conspirent. 

Ça  toujours  été  l'esprit  qui  a  régné  dans  les  hérésies.  Les 
ariens  ne  voulaient  autre  chose,  sinon  que  l'on  supprimât  le 
mot  de  consubstantiel,  comme  apportant  trop  grand  trouble 
à  l'Église  ;  et  qu'après,  en  dissimulant  le  reste  de  la  doctrine, 
on  vécût  en  bonne  intelligence.  Ainsi,  disent  les  calvinistes, 
ne  parlons  plus  de  la  réalité  du  corps  de  Jésus-Ciirist  dans 
l'Eucharistie,  sur  laquelle  nos  pères  se  sont  si  longtemps 
combattus  ;  du  reste  unissons-nous,  et  que  chacun  demeure 
dans  sa  croyance.  O  la  nouvelle  façon  de  terminer  les  schis- 
mes, toujours  inconnue  à  l'Eglise,  et  toujours  pratiquée  par 
les  hérétiques  !  Ils  ont  trouvé  le  moyen  de  s'unir  dans  le 
schisme  même  :  Schisma  est  imitas  ipsis,  disait  le  grave  Ter- 
tullien (''')  (')  :  ils  professent  une  foi  contraire,  c'est  le  schisme: 
ils  les  reçoivent  à  la  même  communion,  c'est  l'unité.  Car  si 
les  articles  dans  lesquels  vous  différez  sont  essentiels,  pour- 
quoi vous  unissez-vous  ?  et  s'ils  ne  le  sont  pas,  pourquoi  avez- 
vous  été  si  longtemps  séparés  ?  Pourquoi  est-ce  que  Calvin, 
qui  est  venu  le  dernier,  n'a  pas  tendu  les  mains  à  Luther  ? 
que  ne  lui  a-t-il  donné  ses  Eglises  ?  pourquoi  a-t-il  voulu  être 
chef  de  parti  au  préjudice  de  l'Evangile.'*  pourquoi  a-t-il 
divisé  le  troupeau  de  Jésus  ? 

Certes,  il  fallait  bien  que  vos  pères  crussent  que  les  articles 
de  foi  qui  vous  séparaient  fussent  importants  ;  autrement, 
comment  les  excuserez-vous  de  n'avoir  p.is  accouru  à  la 
même  unité  ?  Maintenant  de  savoir  si  \(i  corps  de;  J  i':sus- 
CiiKisT  est  réellem.ent  en  l'Eucharistie,  ou  s'il  n'y  est  pas, 
cela  vous  semble  une  chose  de  peu  d'imporiancc!  Donc  que 

a.  De  prœscripi.^  n.  4.    -  l>.  Ihid.^  n.  42. 

I.  l'idit.  «  L'unili-  mcmc  p.uini  eux  est  un  se  Iiisinc.  >  —  Cette  ir.nliu  lion, 
qui  fiiit  double  emploi  et  ralentit  r.uxunient.ition,  est  s.ms  iloutc  une  ilc  ces 
îuUlitions  c|ue  Deforis  croyait  nécessaires. 


492  POUR  LA  VETU  RE 


de  synodes  inutiles,  que  de  folles  disputes,  que  de  sang 
répandu  vainement  pour  soutenir  qu'il  n'y  était  pas  !  Savoir 
si  Jésus  y  est  ou  s'il  n'y  est  pas,  c'est  une  chose  de  peu  d'im- 
portance :  donc  un  tel  bienfait  du  Sauveur  Jésus  demeurera 
dans  le  doute!  Certes,  si  Jésus  y  est,  il  n'y  peut  être  que  par 
un  amour  infini  ;  et  ainsi  ceux  qui  le  nieraient,  quel  tort  ne 
feraient-ils  pas  à  sa  miséricorde,  ne  reconnaissant  pas  une 
grâce  si  signalée  ?  Et  vous  appelez  cela  une  affaire  de  peu 
d'importance,  contre  la  dignité  de  la  chose  qui  crie  contre 
vous  ;  contre  les  luthériens  mêmes,  que  vous  appelez  et  qui 
vous  refusent  ;  contre  vos  pères  qui  vous  crient  qu'ils  ont 
cru  cet  article  important,  et  que,  s'il  ne  l'était  pas,  en  vain 
ont-ils  apporté  tant  de  troubles  au  monde  ! 

Ne  doutons  donc  pas,  ma  très  chère  sœur,  qu'ils  ne  mar- 
chent dans  les  ténèbres.  L'apôtre  saint  Jean  a  dit  que  «  qui 
n'aime  pas  ses  frères,  ne  sait  où  il  va,  et  demeure  dans 
l'obscurité  ('').  »  Comment  donc  ne  sont-ils  point  aveugles, 
eux  qui  se  sont  séparés  d'avec  nous  pour  des  causes  si  peu 
légitimes  ;  puisque  nous  les  voyons  s'ôter  à  eux-mêmes,  dans 
ces  derniers  temps,  celle  que  leurs  pères  et  les  nôtres  avaient 
toujours  cru  être  la  principale  ?  dignes  certainement,  après 
avoir  rompu  la  vraie  paix,  d'entrer  dans  une  fausse  concorde, 
comme  je  vous  le  viens  de  montrer  tout  à  l'heure  ;  concorde 
qui  les  fortifie  peut-être  selon  la  politique  mondaine,  mais, 
si  nous  le  savons  comprendre,  qui  les  ruine  très  évidemment, 
selon  la  règle  de  la  vérité.  Rendez  donc  grâces  à  Dieu,  ma 
très  chère  sœur,  qui  vous  a  tirée  de  la  société  des  ténèbres. 

Ah  !  qui  me  donnera  des  paroles  assez  énergiques  pour 
déplorer  ici  leur  malheur  ?  Certes,  je  l'avoue,  chrétiens,  il 
est  bien  difficile  de  se  départir  de  la  première  doctrine  dont 
on  a  nourri  notre  enfance.  Tout  ce  qui  nous  paraît  de  con- 
traire nous  semble  étrange  et  nous  épouvante  ;  notre  âme, 
possédée  des  premiers  objets,  ne  regarde  les  autres  qu'avec 
horreur.  Que  pouvons-nous  faire  dans  cette  rencontre  ? 
Rendre  grâces  pour  nous,  et  pleurer  pour  eux.  Cependant 
ne  laissons  pas  de  les  exhorter  à  rentrer  en  concorde  avec 
nous;  et  afin  de  le  faire  avec  des  paroles  plus  énergiques,  em- 

a,  \  Joan.^  H,  ii. 


D  UNE  NOUVELLE  CATHOLIQUE.  493 


ployons  celles  de  saint  Cyprien,  ce  grand  défenseur  de  l'unité 
ecclésiastique.   Voici   comme  parle  ce  grand   personnage  à 
quelques  prêtres  de  l'Eglise  romaine,  qui  s'étaient  retirés  de 
la  société  des  fidèles,  sous  le  prétexte  de  maintenir  la  pure 
doctrine  de  l'Évangile  contre  les  ordonnances  des  pasteurs 
de  l'Eglise  :  «  Ne  pensez  pas,  mes  frères,  que  vous  défendiez 
l'Évangile  de  Jésus-Ciirlst,  en  vous  séparant  de  son  trou- 
peau,   et  de  sa  paix,  et  de   sa  concorde  ;   étant  certes   plus 
convenable  à  de  bons  soldats  du  Sauveur  de  ne  point  sortir 
du  camp  de  leur  capitaine,  afin  que,  demeurant  dedans  avec 
nous,    ils  puissent  pourvoir  avec  nous  aux   choses  qui  sont 
utiles  à  l'Église.   Car,  puisque  notre  concorde  ne  doit  point 
être  rompue,  et  que   nous   ne   pouvons  pas  quitter  l'hLglise 
pour  aller  à  vous,  ce  que  nous  ferions  volontiers   si  la  vérité 
le  pouvait  permettre,  nous  vous  prions,  et  nous  vous  deman- 
dons avec  toute  l'ardeur  possible,  que  vous  retourniez  plutôt 
à  notre  fraternité  et  à  l'Église  de  laquelle  vous  êtes  sortis  :  » 
Nec  piitetis  sic  vos  Evangeliitm  Christ l  assererc,  duni  vosnict- 
ipsos  a  Christi  grege,  et  ab  ejiis  pace  et  concordia  séparât i s  ; 
cum  inagis  militibiis gloriosis  et  bonis  congruat  intra  doniestica 
castra  consistere,  et  intiis positos  ea  qitœ  in  commune  tractanda 
sunt  agere  ac  providere.  Nam  citni  unanimitas  et  concordia 
nostra  scindi  omnino  non  debeat  ;  quia  nos  Ecclesia  derelicta 
foras   exire  et  ad  vos  venire  non  poss7cmus,  ut  vos  mjgis  ad 
Ecclesiam  matrem  et  ad  nostram  fraternitatem  revertamini, 
quibus possumus  Jiortauicntis petimus  et  rogamus  (")... 


a.  Ad  Conf.  Rom.^  Epis  t.  XLIV. 


^  .^  ,^  .^  .^  :;^  ^.^.^^^^  ^  .^  .^  :, 


^wwwwwwwwwwwwwww 


C'est  pour  la  première  fois  que  ce  discours,  qui  est  complet, 
entre  dans  la  collection  des  Sermons  de  Bossuct.  Il  était  resté 
inédit  jusqu'à  l'an  dernier,  où  nous  l'avons  publié  en  appendice 
dans  la  première  édition  de  notre  Histoire  critique  de  la  Prédica- 
tion de  Bossuct.  Ce  n'est  pas  que  les  anciens  éditeurs  l'aient  ignoré 
complètement  :  ils  en  ont  dispersé  çà  et  là  quelques  fragments.  Ils 
n'ont  pas  vu  que  ces  morceaux  épars  faisaient  partie  d'un  même 
tout.  Ils  ont  donné  le  second  exorde  comme  variante  du  sermon 
de  1660  (Carême  des  Minimes),  qui  est  sur  le  même  plan.  Ils  ont 
laissé  le  troisième  point  inédit.  Quant  aux  deux  autres,  ils  les  ont 
relégués  après  les  Serinons,  en  tête  des  Pensées  chrétiennes  et  morales. 
M.  Lâchât  les  donne  à  son  tour  à  cette  place  (X,  481),  et,  dans  une 
notice  de  sa  façon,  acceptée  comme  un  oracle  dans  les  éditions 
subséquentes,  il  déclare  que  le  discours  a  été  «  prononcé  dans  un 
monastère  après  l'élévation  de  Bossuet  sur  le  siège  épiscopal  de 
Meaux  !  »  On  ne  comprendra  pas  dans  quelques  années  que  des 
décisions  semblables  aient  pu  faire  autorité.  Les  signes  de  la  pre- 
mière jeunesse  ne  manquaient  pourtant  pas,  même  dans  le  fragment 
isolé  :  naïveté  qui  se  complaît  dans  les  preuves  alléguées,  redites 
voulues,  rudesse  dans  l'exhortation. 


Co7tsepulti  etiim  sumiis  cum  illo  per 
baptismum  in  inortem^  ut  quomodo 
Christus  surrexit  a  mortuis  per  glo- 
riain  Patris.  ita  et  nos  in  jtovitate 
vîtes  ambulemus. 

(Rom.,  VI,  4.) 

QUAND  je  vois(')  ces  riches  tombeaux  sous  lesquels 
les  grands  de  la  terre  semblent  vouloir  cacher  la  honte 
de  leur  corruption,  je  ne  puis  assez  metonner  de 
l'extrême  folie  des  hommes,  qui  érige  (3)  de  si  magnifiques 
trophées  à  un  peu  de  cendre  et  à  quelques  vieux  ossements. 
C'est  en  vain  que  l'on  enrichit  leurs  cercueils  de  marbre  et 
de  bronze,  c'est  en  vain  que  Ion  déguise  leur  nom  véritable 

1.  Mss.  12824,  f.  5  ;  39  ;  35-38-  in-folio.  Le  reste  de  l'autographe  est  perdu.  Ce 
qui  subsiste  suffit  à  justifier  notre  date. 

2.  Avant-propos  placé  par  Deforis  en  tête  du  sermon  pour  le  Samedi-Saint 
(1652).  (Cf.  p.  103,  n.  3.) 

3.  Deforis  :  qui  érigent. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  495 


par  ces  titres  superbes  de  monuments  et  de  mausolées.  Que 
nous  profite,  après  tout,  cette  vaine  pompe,  si  ce  n'est  que 
le  triomphe  de  la  mort  est  plus  glorieux,  et  les  marques  de 
notre  néant  plus  illustres  ? 

Il  n'en  est  pas  ainsi  du  sépulcre  de  mon  Sauveur.  La  mort 
a  eu  assez  de  pouvoir  sur  son  divin  corps.  Elle  l'a  étendu  sur 
la  terre  sans  mouvement  et  sans  vie  ;  elle  n'a  pas  pu  le  cor- 
rompre ;  et  nous  lui  pouvons  adresser  aujourd'hui  cette  parole 
que  Job  disait  à  la  mer  :  «  Tu  iras  jusque-là  et  ne  passeras 
pas  plus  outre  ;  »  cette  pierre  donnera  des  bornes  à  ta  furie  ; 
et,  à  ce  tombeau,  comme  à  un  rempart  invincible,  seront  enfm 
rompus  tous  tes  efforts  :  Usque  hue  venies,  et  non  procèdes 
amplius  ;  et  hic  confringes  tumentes  fliicttis  tuos  ("). 

C'est  pourquoi  Notre-Seigneur  Jésus,  après  avoir  subi 
volontairement  une  mort  infâme,  il  veut  après  cela  «  que  son 
sépulcre  soit  honorable,  »  comme  dit  le  prophète  Isaïe  : 
Erit  sepulchj'um  ejus gloriosum  (^').  Il  est  situé  au  milieu  d'un 
jardin  ;  taillé  tout  nouvellement  dans  le  roc.  Et  de  plus  il 
veut  qu'il  soit  vierge  aussi  bien  que  le  ventre  de  sa  Mère,  et 
que  personne  n'y  ait  été  posé  devant  lui.  Davantage,  il 
faut  à  son  corps  cent  livres  de  baume  des  plus  précieux,  et 
un  linge  très  ^\\  et  très  blanc  pour  l'envelopper.  Et  après  que 
durant  le  cours  de  sa  vie,  il  s'est  «  rassasié  de  douleurs  et 
d'opprobres,  »  Satnratics  est  (')  opprobriis,  nous  dit  le  pro- 
phète, vous  diriez  qu'il  soit  devenu  délicat  dans  §a  sépulture. 
N'est-ce  pas  pour  nous  faire  entendre  qu'il  se  préparait  un 
lit  plutôt  qu'un  sépulcre.'^  Il  s'y  est  reposé  doucement  jus- 
qu'à ce  que  l'heure  de  se  lever  fût  venue  ;  mais  tout  d'un 
coup  il  s'est  éveillé,  et  se  levant  il  vient  éveiller  la  foi  endor- 
mie de  ses  Apôtres. 

Aujourd'hui  les  trois  pieuses  Marie  étant  accourues  dès 
le  grand  matin  pour  chercher  leur  bon  Maître  dans  ce  lit  tle 
mort  :  «  Que  cherchez-vous  ici  }  leur  ont  dit  les  Anges.  X'ous 
cherchez  Jésus  de  Nazareth  crucifié  ;  il  n'y  est  plus  ;  il  est 
levé,  il  est  ressuscité  ;  voyez  le  lieu  où  il  était  mis.  v>  C)  jour 

a.  Job.^  XXXVIII,  II.  —  M  s.  IUhc  proa^rcdieris,...  illuc  um/rint^is...  —  b.  Is.^ 
XI,  10. 

I.   Il  y  a  dans  le  texte  de  Jc^réinie  :  Saturnhitur.  (Thren.,  m,  30.) 


496  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


de  triomphe  pour  notre  Sauveur  !  ô  jour  de  joie  pour  tous  les 
fidèles  !  je  vous  adore  de  tout  mon  cœur,  ô  Jésus  victorieux 
de  la  mort  !  Vraiment  c'est  aujourd'hui  votre  pâque,  c'est-à- 
dire  votre  passage,  où  vous  passez  de  la  mort  à  la  vie  ;  faites- 
nous  la  grâce,  ô  Sauveur  J  Ésus,  que  nous  fassions  notre  pâque 
avec  vous,  en  passant  à  une  sainte  nouveauté  de  vie.  Ce  sera 
le  sujet  de  cet  entretien. 

O  Marie,  nous  ne  craindrons  pas  de  nous  adresser  à  vous 
aujourd'hui.  L'amertume  de  vos  douleurs  est  changée  en  un 
sentiment  de  joie  ineffable.  Vous  avez  déjà  appris  la  nou- 
velle que  votre  Fils  bien-aimé  a  pris  au  tombeau  une  nouvelle 
naissance,  et  vous  n'avez  point  porté  envie  à  son  saint  sépul- 
cre de  ce  qu'il  lui  a  servi  de  seconde  mère  ;  au  contraire, 
vous  n'avez  pas  eu  moins  de  joie  que  vous  en  conçûtes  lors- 
que l'Ange  vous  vint  annoncer  qu'il  naîtrait  de  vous,  en 
vous  adressant  ces  paroles  par  lesquelles  nous  vous  saluons  : 
Ave.., 

C'est  (')  une  doctrine  excellente  de  saint  Augustin,  prise 
des  Écritures  divines,  que  tout  ce  que  Dieu  opère  dans 
l'homme  juste,  depuis  sa  première  entrée  dans  l'Église  jus- 
qu'à la  résurrection  générale,  n'est  que  la  suite  et  l'accom- 
plissement du  baptême,  de  sorte  que  la  sainte  nouveauté  de 
vie  ('),  qui  se  commence  dans  les  eaux  salutaires,  n'aura  sa 
dernière  perfection  que  dans  cette  journée  bienheureuse  en 
laquelle  {^)  la  mort  étant  surmontée,  nos  corps  seront  faits 
semblables  au  corps  glorieux  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ.  Pour  entendre  cette  doctrine,  il  faut  nécessairement 
remonter  plus  haut  et   reprendre  la  chose  jusques  dans  sa 

source. 

L'homme  dans  la  sainteté  de  son  origine  avait  reçu  de 
Dieu  ces  trois  dons  :  la  justice,  la  paix,  l'immortalité.  Car 
étant  formé  selon  Dieu,  il  était  juste  ;  régnant  sur  ses  pas- 
sions, il  était  paisible  en  lui-même  ;  mangeant  le  fruit  de  vie, 
il  était  immortel.  La  raison  s'étant  révoltée  contre  Dieu,  les 

1.  Mss.  12824,  f.  39.  (Cf.  Lâchât,  X.  Se  reporter  de  la  p.  94  à  la  p.  138;  et  plus 
loin,  pour  le  i^""  point,  à  la  page  481.) 

2.  Var.  la  sainte  régénération. 

3.  Var.  à  laquelle. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  497 


passions  lui  refusèrent  l'obéissance  ;  et,  l'âme  ne  buvant  plus 
à  cette  source  inépuisable  de  vie,  devenue  elle-même  impuis- 
sante, elle  laissa  aussi  le  corps  sans  vigueur  ;  c'est  pourquoi(') 
la  mortalité  s'en  est  incontinent  emparée.  Ainsi  pour  la  ruine 
totale  de  l'homme,  le  péché  a  détruit  la  justice,  la  convoitise 
s'étant  soulevée  a  troublé  la  paix,  l'immortalité  a  cédé  à  la 
nécessité  de  la  mort.  Voilà  l'ouvrage  de  Satan,  opposé  à  l'ou- 
vrage de  Dieu,  Or  le  Fils  de  Dieu  est  venu  «  pour  dissoudre 
l'œuvre  du  diable,  »  nous  dit-il  lui-même  dans  son  Evan- 
gile (^).  Il  est  venu  «  pour  réformer  l'homme  selon  le  premier 
dessein  de  son  Créateur,  »  comme  nous  enseigne  l'Apôtre  ("). 
Et  pour  cela  il  est  nécessaire  que  sa  grâce  nous  restitue  (^) 
les  premiers  privilèges  de  notre  nature.  De  là  vient  qu'il 
nous  appelle  dans  son  Evangile  à  une  bienheureuse  nou- 
veauté de  vie,  répandant  en  nos  âmes  son  Saint-Esprit,  par 
lequel,  dit  l'apôtre  saint  Paul,  «  l'homme  intérieur  et  spiri- 
tuel est  renouvelé  de  jour  en  jour  :  »  Rcnovahiv  de  die  in 
diem  (^).  Remarquez  ces  paroles,  «  de  jour  en  jour.  »  Elles 
nous  font  connaître  manifestement  que  Dieu,  en  renouve- 
lant ses  élus,  ne  veut  pas  qu'ils  soient  changés  tout  à  coup, 
mais  qu'il  ordonne  certains  progrès  par  lesquels  ils  s'avancent 
de  plus  en  plus  à  la  perfection  consommée.  Il  y  a  trois  dons  à 
leur  rendre;  il  y  aura  aussi  trois  différents  âges  par  lesquels  de 
degré  en  degré  «  ils  deviendront  hommes  faits,  »  comme  dit 
saint  Paul  ;  in  virum perfechuii  (').  Et  Dieu  l'a  arrêté  de  la 
sorte  afin  de  faire  goûter  à  ses  bien-aimés  les  opérations  de 
sa  grâce  les  unes  après  les  autres.  De  sorte  que  dans  ce 
monde  il  répare  leur  innocence,  dans  le  ciel  il  leur  donne  la 
paix,  à  la  résurrection  générale  il  ornera  leurs  corps  d'immor- 
talité. Par  ces  trois  âges,  les  justes  «  arrivent  à  la  [)lénitude  de 
Jésus-Christ,  »  ainsi  que  parle  l'apôtre  saint  Paul  :  /// 
mensitrain  œtatis  plenitudinis  C/irisii(;').  Ea  vie  présente  est 
comme  l'enfance,  celle  dont  les  saints  jouissent  au  ciel 
ressemble  à  la  Heur  de  l'âge,  après  suivra  la  maturité  dans  la 

a.  Coioss.,  u\,  10.  —  b.  II  Cor.,  iv,  16.  —  c.  Ephes.,  iv,  13.  —  </.  Ibid. 

1.  Var.  de  1;\  vient  (|iie  la  mortalitt^.. 

2.  C'est  la  r*  Kpîtic  de  saint  Jean  ([ui  contient  ces  mots  :  Ci  liissoivat  op^ni 
liiaboli.  {\Joan.,  ni,  8.)     -  Plus  bas  :  Innovutur,  pour  :  Renovaiur. 

3.  Var.  lui  restitue  les  picniitTh  prix  iK\^cs  de  sa  nature.    -    Ktait  (équivoque. 


Sci  iiioDs  (le  Hussuct, 


498  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


dernière  résurrection.  Au  reste  cette  vie  n'a  point  de  vieillesse, 
parce  qu'étant  toute  divine,  elle  n'est  point  sujette  au  déclin. 
De  là  vient  qu'elle  n'a  que  trois  âges,  au  lieu  que  (')  notre  vie 
corruptible  souffre  la  vicissitude  de  quatre  différentes  saisons. 
Ce  sont  ces  trois  âges  et  ces  trois  dons  pour  lesquels  le 
Prophète- Roi  chante  à  Dieu  ces  pieuses  actions  de  grâces  : 
«  Mon  âme,  dit-il,  bénis  le  Seigneur,  et  que  tout  ce  qui  est 
en  moi  célèbre  la  grandeur  de  son  nom.  C'est  lui,  dit-il,  qui 
pardonne  tous  tes  péchés,  c'est  lui  qui  guérit  toutes  tes  lan- 
gueurs, c'est  lui  qui  rachète  ta  vie  de  la  mort  ('').  »  Il  par- 
donne nos  iniquités,  quand  il  nous  rend  la  justice  en  ce 
monde  ;  il  guérit  nos  langueurs,  quand  il  éteint  la  convoitise 
dans  son  Paradis  ;  il  rachète  notre  vie  de  la  mort,  quand  il 
nous  ressuscite  à  la  fin  des  siècles.  Et  encore  que  ces  opéra- 
tions soient  diverses,  elles  ne  regardent  toutefois  que  la  même 
fin,  et  ne  s'emploient  que  dans  le  (')  même  œuvre.  Car  de 
même  que  l'homme  en  croissant  n'acquiert  point  une  nouvelle 
vie  ni  un  nouvel  être,  mais  s'avance  à  la  perfection  de  celui 
que  (3)  lui  a  donné  la  naissance  :  ainsi,  soit  que  nos  âmes 
soient  couronnées  de  la  gloire  de  Dieu  dans  le  ciel,  soit 
que  nos  corps  ressuscites  par  son  Esprit-Saint  soient  revêtus 
de  l'immortalité  du  Sauveur,  ce  n'est  pas  une  nouvelle  vie 
que  nous  acquérons  ;  mais  nous  allons,  selon  l'ordre  établi, 
au  dernier  accomplissement  de  cette  vie  divine  et  surna- 
turelle que  nous  avons  commencée  dans  le  saint  baptême. 
C'est  là,  fidèles,  si  nous  l'entendons,  cette  nouveauté  de  vie 
dont  parle  l'Apôtre  ;  c'est  là  la  résurrection  spirituelle  du 
chrétien  à  l'image  de  la  résurrection  de  Notre-Seigneur. 

Maintenant,  ces  vérités  étant  supposées,  entrons  dans  la 
proposition  de  notre  sujet.  Si  la  justice  des  chrétiens  en  ce 
monde  aussi  bien  que  leur  paix  et  leur  immortalité  au  siècle 
futur  ne  font  qu'une  même  suite  de  vie,  si  d'ailleurs  l'Apôtre 
nous  a  enseigné  que  la  résurrection  de  nos  corps  est  la  matu- 

a.   Ps.,  eu,  I,  3,  4. 

1.  Édit.  «  Au  lieu  que  celle  de...  »  La  vie  de  notre  vie  corruptible  !  Ce  gali- 
matias est  une  fusion  de  la  première  rédaction  avec  la  seconde  :  Bossuet  avait 
écrit  d'abord  :  «  Au  lieu  que  celle  que  nous  passons  sur  la  terre  souffre...  » 

2.  Edit.  «  la  même  œuvre.  »  Bossuet  l'avait  ainsi  écrit  d'abord;  mais  il  corrige. 

3.  Edit.  qui  lui  a  donné. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  499 

rite  et  la  plénitude,  il  s'ensuit,  comme  je  l'ai  remarqué,  que 
la  vie  présente  ressemble  à  l'enfance.  C'est  pourquoi  l'Apôtre 
saint  Pierre  nous  dit  que  nous  sommes  des  enfants  nouvelle- 
ment nés  (''),  d'où  je  forme  ce  raisonnement  qui  sera  la  base 
de  tout  mon  discours. 

Tout  ce  que  la  nature  donne  à  l'homme  pendant  le  progrès 
de  la  vie  doit  avoir  son  commencement  dans  l'enfance.  Donc 
si  j'apprends  de  l'apôtre  saint  Pierre  qu'à  l'égard  de  la  vie 
divine  qui  nous  est  acquise  par  la  résurrection  de  notre 
Sauveur,  notre  pèlerinage  mortel  est  comme  l'enfance,  il 
faut  que  tous  ces  changements  admirables  qui  nous  rendent 
conformes  au  Seigneur  Jésus  se  commencent  en  nous  dès  ce 
siècle.  Or  nous  avons  dit,  et  il  est  très  vrai,  que  notre  vie 
nouvelle  et  la  réparation  de  notre  nature  consiste  à  vaincre 
ces  trois  furieux  ennemis,  que  le  diable  nous  a  suscités,  le 
péché,  la  concupiscence  et  la  mort,  par  ces  trois  divins  dons 
où  la  grâce  nous  rétablit,  la  justice,  la  paix  et  l'immortalité; 
et  partant,  encore  que  ces  trois  choses  ne  s'accomplissent 
pas  ici-bas ,  il  est  clair  qu'elles  y  doivent  être  du  moins 
ébauchées  ('). 

Et  voyez  en  effet,  chrétiens,  de  quelle  sorte  et  par  quel 
progrès  Dieu  avance  en  nous  son  ouvrage  pendant  notre 
captivité  dans  ce  corps  mortel  (').  Il  ruine  premièrement  le 
péché;  la  concupiscence  y  remue  encore,  mais  elle  y  est  for- 
tement combattue  et  même  glorieusement  surmontée;  pour 
la  mort,  à  la  vérité,  elle  y  exerce  son  empire  sans  résistance, 
mais  aussi  l'immortalité  nous  est  assurée.  Le  péché  aboli  fait 
notre  sanctification,  la  concupiscence  combattue  fait  notre 
exercice,  l'immortalité  assurée  (')  fait  notre  espérance.  C'est 
la  vie  du  vrai  chrétien  ressuscité  avec  le  Sauveur,  i\uc  je  me 
propose  de  vous  représenter  aujourd'hui  avec  l'assistance 
divine.  Jésus  ressuscité,  assistez-nous  de  voire  r'sprit-Saint. 
Et  vous,  ô  fidèles, ouvrez  vos  cœurs  à  la  voix  de  votre  Maître; 
et  apprenant  l'incomparable  dignité  de  la  vie  nouvelle  (juc 

(r.  I  /\/r.,  U,  2. 
I.  l^'fir.  être  commenci5es, 
2.Ju///.  dans  nos  cori)s  mortels. 
3.  ynr.  promise. 


500  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 

Dieu  vous  donne  par  son  Fils  Ji<:sus-Ciirist,  apprenez  aussi 
de  l'Apôtre  que,  comme  Ji-isus  est  ressuscité,  ainsi  devons- 
nous  marcher  en  nouveauté  de  vie. 

Commençons  à  montrer  la  ruine  du  péché  par  la  grâce  de 
la  justice  qui  nous  est  donnée. 

premier  point. 

Je  tirerai  (')  mon  raisonnement  de  deux  excellents  discours 
de  saint  Augustin  :1e  premier  c'est  le  Traité XIX  sur  saint 
Jean  ;  le  second  c'est  le  Sei^mon  X  VIII  des  paroles  de 
[Apôtre.  Ce  grand  homme,  aux  lieux  allégués,  distingue  en 
l'âme  deux  sortes  de  vie  :  l'une  est  celle  qu'elle  communique 
au  corps  ;  l'autre  est  celle  dont  elle  vit  elle-même.  Comme 
lame  est  la  vie  du  corps,  ce  saint  évêque  enseigne  que  Dieu 
est  sa  vie.  Pénétrons,  s'il  vous  plaît,  sa  pensée.  L'âme  ne 
pourrait  donner  la  vie  à  notre  corps  (^),  si  elle  n'avait  ces 
trois  qualités  :  il  faut  premièrement  qu'elle  soit  plus  noble, 
car  il  est  plus  noble  de  donner  que  de  recevoir  ;  il  faut  en 
second  lieu  qu'elle  lui  soit  unie,  car  notre  vie  ne  peut  point 
être  hors  de  nous  ;  il  faut  enfin  qu'elle  lui  communique  des 
opérations  que  le  corps  ne  puisse  exercer  sans  elle,  car  la  vie 
consiste  principalement  dans  l'action.  Ces  trois  choses 
paraissent  clairement  en  nous  :  ce  corps  mortel,  dans  lequel 
nous  vivons,  si  vous  le  séparez  de  son  âme,  qu'est-ce  autre 
chose,  qu'un  tronc  inutile  et  qu'une  masse  de  boue  1  Mais 
sitôt  que  l'âme  lui  est  conjointe,  il  se  remue,  il  voit,  il  entend, 
il  est  capable  de  toutes  les  fonctions  de  la  vie.  Si  je  vous 
fais  voir  maintenant  que  Dieu  fait  à  l'égard  de  l'âme  la 
même  chose  que  l'âme  fait  à  l'égard  du  corps,  vous  avouerez 
sans  doute  que  tout  ainsi  que  l'âme  est  la  vie  du  corps,  ainsi 
Dieu  est  la  vie  de  l'âme  (3)  ;  et  la  proposition  de  saint 
Augustin  sera  véritable.  Voyons  ce  qui  en  est,  et  prou- 
vons tout   solidement  par  les  Ecritures. 

1.  Ici,  plus  de  manuscrit.  Mais  on  trouvera  dans    la  suite  du  discours  des 
preuves  nombreuses  et  évidentes  de  l'unité  de  l'œuvre  que  nous  reconstituons. 

2.  Edit.  à  nos  corps.  —  Le  reste  de  la  phrase  montre  l'erreur. 

3.  Var,  que  Dieu  est  la  vie  de  l'âme  à  aussi  bon  titre  que  l'âme  elle-même  est 
la  vie  du  corps. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  50I 


Et  premièrement,  que  Dieu  soit  plus  noble  et  plus  émi- 
nent  que  nos  âmes,  ce  serait  perdre  le  temps  de  vous 
le  prouver.  Pour  ce  qui  regarde  l'union  de  Dieu  avec  nos 
esprits,  il  y  a  non  plus  de  lieu  d'en  douter,  après  que 
l'Écriture  a  dit  tant  de  fois  que  «  Dieu  viendrait  en  nous, 
qu'il  ferait  sa  demeure  chez  nous  ("),  que  nous  serions  son 
peuple  et  qu'il  demeurerait  en  nous  (^')  ;  »  et  ailleurs  que 
«  qui  adhère  à  Dieu  est  un  même  esprit  avec  lui  (')  ;  »  et 
enfin  que  «  la  charité  a  été  répandue  en  nos  âmes  par  le 
Saint-Esprit  qu'on  nous  a  donné  ("').  »  Tous  ces  témoigna- 
ges sont  clairs  et  n'ont  pas  besoin  d'explication. 

L'union  de  Dieu  avec  nos  âmes  étant  établie,  il  reste  donc 
maintenant  à  considérer  si  l'âme  par  cette  union  avec  Dieu 
est  élevée  à  quelque  action  de  vie  dont  sa  nature  ne  soit  pas 
capable  par  elle-même.  Mais  nous  n'y  trouverons  point  de 
difficultés,  si  nous  avons  bien  retenu  les  choses' qui  ont  déjà 
été  accordées.  Suivez,  s'il  vous  plaît,  mon  raisonnement  : 
vous  verrez  qu'il  relève  merveilleusement  la  dignité  de  la  vie 
chrétienne. 

Il  n'y  a  rien  qui  ne  devienne  plus  parfait  en  s'imissaiit  à 
un  être  plus  noble  :  par  exemple,  les  corps  les  plus  bruts  re- 
çoivent tout  à  coup  un  certain  éclat,  quand  la  lumière  du  soleil 
s'y  attache.  Par  conséquent  il  ne  se  peut  faire  que  l'âme 
s'unissant  à  ce  premier  Etre  très  parfait,  très  excellent  et 
très  bon,  elle  n'en  devienne  meilleure.  Et,  d'autant  que  les 
causes  agissent  selon  la  [perfection  de  leur  être,  qui  ne  voit 
que  l'âme  étant  meilleure,  elle  agira  mieux  ?  Car  dans  cet 
état  d'union  avec  Dieu,  que  nous  avons  montré  parles  Iicri- 
tures,  sa  vertu  est  fortifiée  par  la  toute-puissante  vertu  de 
Dieu  qui  s'unit  à  elle,  de  sorte  qu'elle  participe  en  quelcjuc 
façon  aux  actions  divines.  C(;la  est  peut-être  un  peu  relevé: 
mais  tâchons  de  le  rendre  sensible  [)ar  un  exemple. 

Considérez  les  corcU^s  d'un  instrument  :  trelles-mêmes 
elles  sont  muettes  et  immobiles;  sont-elles  touchées  d'une 
main  savante,  elles  reçoivent  en  elles  la  mesure  et  la  cadence, 
et  même  elles  la  portent  aux  autres.  Cette  mesure  et  celte 
cadence,  elles  sont  originairement  dans  l'esprit  tlu  m.iltre; 
a.Joan.,  XIV,  23.  —  h.  Trvit.^  XXVI,  \i.       c.  I  Cor.,  Vî.  7.  —  d.  Rem.,  v.  $. 


502  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 

mais  il  les  fait  en  quelque  sorte  passer  dans  les  cordes, 
lorsque  les  touchant  avec  art,  il  les  fait  participer  à  son 
action.  Ainsi  l'âme,  si  j'ose  parler  de  la  sorte,  s'élevant  à 
cette  justice,  à  cette  sagesse,  à  cette  infinie  sainteté,  qui  n'est 
autre  chose  que  Dieu,  touchée  pour  ainsi  dire  par  l'Esprit  de 
Dieu,  elle  devient  juste,  elle  devient  sage,  elle  devient  sainte; 
et  participant,  selon  sa  portée,  aux  actions  divines,  elle  agit 
saintement,  comme  Dieu  lui-même  agit  saintement.  Elle  croit 
en  Dieu,  elle  aime  Dieu,  elle  espère  en  Dieu;  et  lorsqu'elle  croit 
en  Dieu,  qu'elle  aime  Dieu,  qu'elle  espère  en  Dieu,  c'estDieu 
qui  fait  en  elle  cette  foi,  cette  espérance  et  ce  saint  amour. 
C'est  pourquoi  l'Apôtre  nous  dit  que  «  Dieu  fait  en  nous  le 
vouloir  et  le  faire  (''),  »  c'est-à-dire,  si  nous  le  savons  bien 
comprendre,  que  nous  ne  faisons  le  bien  que  par  l'action 
qu'il  nous  donne,  nous  ne  voulons  le  bien  que  par  la  volonté 
qu'il  opère  en  nous.  Donc  toutes  les  actions  chrétiennes  sont 
des  actions  divines  et  surnaturelles,  auxquelles  l'âme  ne 
pourrait  parvenir,  n'était  que  Dieu  s'unissant  à  elle  les  lui 
communique  par  le  Saint-Esprit,  qui  est  répandu  dans  nos 
cœurs.  Davantage  ('),  ces  actions  que  Dieu  fait  en  nous,  ce 
sont  aussi  actions  de  vie,  et  même  de  vie  éternelle.  Par  con- 
séquent (')  on  ne  peut  nier  que  Dieu  s'unissant  à  nos  âmes, 
mouvant  ainsi  nos  âmes,  ne  soit  véritablement  la  vie  de  nos 
âmes.  Et  c'est  là,  si  nous  l'entendons,  la  nouveauté  de  vie  (3) 
dont  parle  l'Apôtre  {^'). 

Passons  outre  {'^)  maintenant,  et  disons  :  Si  Dieu  est  notre 
vie,  parce  qu'il  agit  en  nous,  parce  qu'il  nous  fait  vivre  divi- 
nement en  nous  rendant  participant  des  actions  divines,  il 
est  absolument  nécessaire  qu'il  détruise  en  nous  le  péché, 
qui  non  seulement  nous  éloigne  de  Dieu,  mais  encore  nous 
fait  vivre  comme  des  bêtes,  hors  de  {^)  la  conduite  de  la  rai- 
son. Et  ainsi,  chrétiens,  élevons  nos  cœurs,  et,  puisque  dans 

a.  Philip.^  II,  13.  —  b.  Rom.^  vi,  4. 

1.  Édit.  «  De  plus.  »  —  Nous  rétablissons  la  locution  dont  Bossuet  se  servait 
à  cette  date. 

2.  Var.  Ce  qui  étant  posé,  on  ne  peut  nier... 

3.  Cf.  le  texte  même  du  discours. 

4.  Bossuet  disait  plus  souvent  alors  :  plus  outre.  Est-ce  une  correction  ? 

5.  Var,  loin  de. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  5O3 

cette  bienheureuse  nouveauté  de  vie  nous  devons  vivre  et 
agir  selon  Dieu,  rejetons  loin  de  nous  le  péché,  qui  nous  fait 
vivre  comme  des  bétes  brutes,  et  aimons  la  justice  de  la 
vertu,  par  laquelle  nous  sommes  participants  ,  comme  dit 
l'apôtre  saint  Pierre,  de  la  nature  divine  (").  C'est  à  quoi  nous 
exhorte  saint  Paul,  quand  il  dit  :  «  Si  nous  vivons  de  l'esprit, 
marchons  en  esprit  :  »  Si  spiritu  vivùmis,  spiritu  et  ambule- 
mus  (^')\  c'est-à-dire,  si  nous  vivons  d'une  vie  divine,  faisons 
des  actions  dignes  d'une  vie  divine.  Si  l'Esprit  de  Dieu  nous 
anime,  laissons  la  chair  et  ses  convoitises,  et  vivons  comme 
animés  de  l'Esprit  de  Dieu,  faisons  des  œuvres  convenables 
à  l'Esprit  de  Dieu;et«  comme  Jésus-Christ  est  ressuscité  par 
la  gloire  du  Père,  ainsi  marchons  en  nouveauté  de  vie  (').  » 
Regardons,  avec  l'apôtre  saint  Paul,  Jésus  ressuscité, 
qui  est  la  source  de  notre  vie.  Quel  était  le  Sauveur  Jésus 
pendant  le  cours  de  sa  vie  mortelle  ?  Il  était  chargé  des 
péchés  du  monde,  il  s'était  mis  volontairement  en  la  place 
de  tous  les  pécheurs  pour  lesquels  il  s'était  constitué  caution, 
et  dont  il  était  convenu  de  subir  les  peines.  C'est  pour  cela 
que  sa  chair  a  été  infirme  ;  pour  cela  il  a  langui  sur  la  croix 
parmi  des  douleurs  incroyables  ;  pour  cela  il  est  cruellement 
mort  avec  la  perte  de  tout  son  sang.  Dieu  éternel  !  (]u'il  est 
changé  maintenant  !  «  Il  est  mort  au  péché,  »  dit  l'Apôtre  ('). 
c'est-à-dire  qu'il  a  dépouillé  toutes  les  faiblesses  qui  avaient 
environné  sa  personne  en  qualité  de  caution  des  })écheurs. 
«  Il  est  mort  au  péché,  et  il  vit  à  Dieu,  »  parce  qu'il  a  com- 
mencé une  vie  nouvelle,  qui  n'a  plus  rien  de  l'infirmité  de  la 
chair,  mais  en  laquelle  reluit  la  gloire  de  Dieu  :  Oiiod  autcm 
vivity  vivit  Deo.  «  Ainsi  estimez,  continue  l'Apôtre,  vous  qui 
êtes  ressuscites  avec  Jésus-Chris r,  estimez  que  vous  êtes 
morts  au  péché,  et  vivants  à  Dieu  par  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  ("'),  »  et  «comme  Jésus-Christ  est  ressuscité  par  la 
gloire  du  Père,  marchons  aussi  dans  une  vif  nouvelle  (')•  > 
C'est  à  quoi  nous  oblige  la  résurrection  de  notre  Sauveur, 
et   la  doctrine   du   saint    Évangile  ;   et  ce  que  la  doctrine 

a.  II  Pctr.,  I,  4.  —  b.  Galat.,  V,  25.  —  c.  Rom.,  VI,  lo.  —  d.  Rom.,  M.  11    — 

c.  Ibiif.,  4. 

I.  Nouvelle  rcpiisc  du  texte  tlu  discours. 


504  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 

évangélique  nous  prêche,  cela  même  est  confirmé  en  nous 
par  le  saint  baptême. 

De  là  était  née  cette  belle  cérémonie  que  l'on  observait 
dans  l'ancienne  Église  au  baptême  des  chrétiens  :  on  les 
plongeait  entièrement  dans  les  eaux,  en  invoquant  sur  eux 
le  saint  nom  de  Dieu.  Les  spectateurs  ('),  qui  voyaient  les 
nouveaux  baptisés  se  noyer  pour  ainsi  dire  et  se  perdre  dans 
les  ondes  de  ce  bain  salutaire,  puis  revenir  aussitôt  lavés  de 
cette  fontaine  très  pure,  se  les  représentaient  en  un  moment 
tout  changés  par  la  vertu  occulte  du  Saint-Esprit,  dont  ces 
eaux  étaient  animées;  comme  si,  sortant  de  ce  monde  en  même 
temps  (^)  qu'ils  disparaissaient  à  leur  vue,  ils  fussent  allés 
mourir  avec  le  Sauveur  pour  ressusciter  avec  lui  selon  la  vie 
nouvelle  du  christianisme.  Telle  était  la  cérémonie  du  bap- 
tême à  laquelle  l'Apôtre  regarde,  lorsqu'il  dit,  dans  le  texte 
que  nous  traitons  {^),  que  nous  sommes  ensevelis  avec  Jésus- 
Christ  pour  mourir  avec  lui  dans  le  saint  baptême,  «  afin 
que,  comme  Jésus-Christ  est  ressuscité  par  la  gloire  du 
Père,  ainsi  nous  marchions  en  nouveauté  de  vie.  »  Il  regardait 
à  cette  cérémonie  du  baptême,  qui  se  pratiquait  sans  doute  (4) 
du  temps  des  Apôtres  :  or  encore  que  le  temps  ait  changé, 
que  la  cérémonie  ne  soit  plus  )a  même,  la  vertu  du  baptême 
n'est  point  altérée,  à  cause  qu'elle  ne  consiste  pas  tant 
dans  cet  élément  corruptible  que  dans  la  parole  de  Jésus- 
Christ  et  dans  l'invocation  de  la  Trinité,  et  dans  la  com- 
munication de  l'Esprit  de  Dieu,  sur  lesquelles  le  temps  ne 
peut  rien. 

En  effet,  tout  autant  que  nous  sommes  de  baptisés,  nous 
sommes  tous  consacrés  dans  le  saint  baptême  à  la  Trinité 
très  auguste,  par  la  mort  du  péché  et  par  la  résurrection  à  la 
vie  nouvelle.  C'est  pourquoi  nos  péchés  y  sont  abolis,  et  la 

1.  Var.  Les  fidèles. 

2.  Si  on  retrouve  le  ms.  de  ce  premier  point,  il  nous  paraît  probable  qu'on  lira 
ici  «  à  même  temps,  »  plutôt  que  €  en  même  temps.  » 

3.  Voici  un  passage  aussi  formel  qu'on  pouvait  le  souhaiter  pour  établir  que  les 
exordes  et  le  corps  du  discours  ne  font  qu'un.  Nous  en  rencontrerons  d'autres 
encore. 

4.  C'est-à-dire  :  sans  aucun  doute.  Aujourd'hui  cette  locution,  dont  le  sens  s'est 
affaibli,  avec  beaucoup  d'autres,  n'exprime  guère  qu'une  supposition. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  505 


nouveauté  de  vie  y  est  commencée;  et  de  là  vient  que  nous 
appelons  le  baptême  le  sacrement  de  régénération  et  de 
renouvellement  de  l'homme  parle  Saint-Esprit  :  d'où  je  con- 
clus que  le  dessein  de  Dieu  est  de  détruire  en  nous  le  péché, 
puisqu'il  veut  que  la  vie  chrétienne  commence  par  l'aboli- 
tion {')  de  nos  crimes;  et  ainsi  il  nous  rend  la  justice  que  la 
prévarication  du  premier  père  nous  avait  otée.  Grâces  à  votre 
bonté,  ô  grand  Dieu,  qui  faites  un  si  grand  présent  à  vos  ser- 
viteurs «  par  Jésus-Christ  le  Juste,  »  qui,  se  chargeant  de 
nos  péchés  à  la  croix,  par  un  divin  échange  nous  a  commu- 
niqué sa  juî.tice  ! 

Mais  ici  peut-être  vous  m'objecterez  que  le  péché  n'est 
point  détruit,  même  dans  les  justes,  puisque  la  foi  catho- 
lique professe  qu'il  n'y  a  aucun  homme  vivant  qui  ne  soit 
pécheur.  Pour  résoudre  cette  difficulté  et  connaître  claire- 
ment quelle  est  la  justice  que  le  Saint-Esprit  nous  rend  en 
ce  monde,  l'ordre  de  mon  raisonnement  m'oblige  d'entrer 
dans  ma  seconde  partie,  et  de  vous  faire  voir  le  combat  du 
fidèle  contre  la  chair  et  ses  convoitises.  Je  joindrai  donc 
cette  seconde  partie  avec  ce  qui  me  reste  à  dire  de  la  pre- 
mière dans  une  même  suite  de  discours.  Je  tacherai  pourtant 
de  ne  rien  confondre;  mais  j'ai  besoin  que  vous  r(Miouv(*liez 
vos  attentions. 


SECOND    POINT. 


La  seconde  partie  de  la  vie  chrétienne,  c'est  de  combattre 
la  concupiscence,  pour  détruire  en  nous  le  péché.  Or,  (juand 
je  parle  ici  de  concupiscence,  n'entendez  [)ar  ce  mot  aucune 
passion  particulière,  mais  plutôt  toutes  les  passions  assem- 
blées, que  l'Écriture  a  coutume  d'appeler  d'un  nom  général 
la  concupiscence,  et  la  chair.  Mais  définissons  en  uti  mot  la 
concupiscence,  et  disons  avec  le  grand  Augustin  :  La  concu- 
piscence, c'est  un  attrait  qui  nous  fait  incliner  {)  à  la  créature 
au  préjudice  du  Créateur,  (\\i\  nous  pousse  aux  choses  sen- 
sibles au  j:)réjudice  des  biens  étc^rnels. 

Qu'est-il  nécessaire  de  vous  dire  rombi(»n   cet  attrait  est 

1.  K/r.  p.ir  la  rdmission. 

2.  /'//•.  (|ni  nous  fait  pcnclier  .\  la  rrraturo  —  (lui  nous  attire  .\  la  rrcalurc. 


506  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


puissant  en  nous  ?  Chacun  sait  qu'il  est  né  avec  nous,  et 
qu'il  nous  est  passé  en  nature.  Voyez  avant  le  christianisme 
comme  le  vrai  Dieu  était  méprisé  par  toute  la  terre  ;  voyez 
depuis  le  christianisme  combien  peu  de  personnes  goûtent 
comme  il  faut  les  vérités  célestes  de  l'Évangile  :  et  vous  ver- 
rez que  les  choses  divines  nous  touchent  bien  peu.  Oui  fait 
cela,  fidèles,  si  ce  n'est  que  nous  aimons  les  créatures  désor- 
donnément  ?  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Paul  dit  :  «  La 
chair  convoite  contre  l'esprit,  et  l'esprit  contre  la  chair  (^).  » 
Et  ailleurs  :  «  Je  me  plais  en  la  loi  selon  l'homme  intérieur  ; 
mais  je  sens  en  moi-même  une  loi  qui  résiste  à  la  loi  de 
l'esprit  {^).  »  Voilà  le  combat.  Que  si  l'Apôtre  même  ressent 
cette  guerre,  qui  ne  voit  que  cette  opiniâtre  contrariété  de 
la  convoitise  répugnant  au  bien  se  rencontre  même  dans  les 
plus  justes  ? 

Dieu  éternel  !  d'où  vient  ce  désordre?  Pourquoi  cet  attrait 
du  mal  même  dans  les  saints  ?  Car  enfin  ils  se  plaignent  tous 
généralement  que  dans  le  dessein  qu'ils  ont  de  s'unira  Dieu 
ils  sentent  une  résistance  continuelle.  Grand  Dieu,  je  recon- 
nais vos  desseins  ;  vous  voulez  que  nous  expérimentions  en 
nous-mêmes  une  répugnance  éternelle  à  ce  que  votre  loi  si 
juste  et  si  sainte  désire  de  nous,  afin  que  nous  sachions  dis- 
tinguer ce  que  nous  faisons  par  nous-mêmes  d'avec  ce  que 
vous  faites  en  nous  par  votre  Esprit-Saint  ;  et  que  par 
l'épreuve  de  notre  impuissance  nous  apprenions  à  attribuer  la 
victoire,  non  point  à  nos  propres  forces,  mais  à  votre  bras  et 
à  l'honneur  de  votre  assistance.  Et  ainsi  vous  nous  laissez 
nos  faiblesses  afin  de  faire  triompher  votre  grâce  dans  l'in- 
firmité de  notre  nature.  Par  où  vous  voyez,  chrétiens,  que  la 
concupiscence  combat  dans  les  justes,  mais  que  la  grâce  di- 
vine surmonte.  C'est  la  grâce  qui  oppose  à  l'attrait  du  mal 
la  chaste  délectation  des  biens  éternels,  c'est-à-dire  la  charité 
qui  nous  fait  observer  la  loi,  non  point  par  la  crainte  de  la 
peine,  mais  par  l'amour  de  la  véritable  justice  ;  et  cette  cha- 
rité «  est  répandue  en  nos  cœurs,  »  non  par  le  libre  arbitre 
qui  est  né  avec  nous,  mais  «  par  le  Saint-Esprit  qui  nous  est 
donné  (^).  » 

a.  Gai.,  V,   17.    -  d.  Ro7n.,  vn,  22,  23.  —  c.  Rom.,  V,  5. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  507 


La  charité  donc  et  la  convoitise  se  font  la  guerre  sans 
aucune  trêve  ;  à  mesure  que  l'une  croît,  l'autre  diminue.  Il  en 
est  comme  d'une  balance  :  autant  que  vous  ôtez  à  la  charité, 
autant  vous  ajoutez  de  poids  à  la  convoitise.  Quand  la  cha- 
rité surmonte,  nous  sommes  libres  de  cette  liberté  dont  parle 
l'Apôtre,  «  par  laquelle  Jésus-Christ  nous  a  affranchis  (").  » 
Nous  sommes  libres,  dis-je,  parce  que  nous  agissons  par 
la  charité,  c'est-à-dire  par  une  affection  libérale.  Mais  notre 
liberté  n'est  point  achevée,  parce  que  le  règne  de  la  charité 
n'est  pas  accompli.  La  liberté  sera  entière,  quand  la  paix 
sera  assurée,  c'est-à-dire,  au  ciel.  Cependant  nous  gémissons 
ici-bas,  parce  que  la  paix  de  la  charité  que  nous  y  avons 
étant  toujours  mêlée  avec  la  guerre  de  la  convoitise,  elle 
n'est  pas  tant  le  calme  de  nos  troubles  que  la  consolation 
de  notre  misère.  Et  en  voici  une  belle  raison  de  saint 
Augustin. 

La  liberté  n'est  point  parfaite,  dit-il.  et  la  paix  n'est  pas 
assurée,  parce  que  «  la  convoitise  qui  nous  résiste  ne  peut 
être  combattue  sans  péril  ;  elle  ne  peut  être  aussi  bridée 
sans  contrainte,  ni  par  conséquent  modérée  (')  sans  inquié- 
tude :  »  /lia  quœ  resistunt,  periculoso  dcbellcuitur  pj'crlio  ;  et 
illa  quœ  vicia  sunt,  nondiim  secitro  triin)ipJiantu7'  otio  ;  scii 
adhuc  sollicito  premuntur  imperio  (').  Et  de  là  vient  que 
notre  justice  ici-bas,  je  parle  encore  avec  le  grand  Augustin, 
de  là  vient  que  <'<  notre  justice  consiste  plus  en  la  rémission 
des  péchés  qu'en  la  perfection  des  vertus  :  »  Magis  remis- 
sione  peccatorztm  constat,  qtiamperfectionc  virtutiun  (').  Certes, 
je  sais  que  ceux  qui  sont  humbles  goûteront  cette  doctrine 
tout  évangélique,  qui  est  la  base  de  riuiniilité  chrétienne. 

Mais  si  la  vie  des  justes  est  accompagnée  de  péchés,  com- 
ment est-ce  que  ma  proposition  sera  véritable,  que  Dieu 
détruit  le  péché  dans  les  justes,  même  en  cette  vie  ?  C'est, 
s'il  vous  en  souvient,  ce  que  j'avais  laissé  à  résoudre  ;  main- 
tenant je  vous  dirai  en  un  mot  :  J'avoue  que  les  plus  grands 
saints  sont  pécheurs,  et  s'ils  ne  le  reconnaissent  humblement, 
ils  ne  sont  pas  saints.  Ils  sont  pécheurs,  mais  ils  ne  <v  servent 

a.   G  (liât.,  IV,  31.—  b.  DeCiv.,  XI\,  xxvii.  —  f.  Ihid. 
I.    Var.  rciiie. 


5o8  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 

plus  au  péché  :  »  ils  ne  sont  pas  entièrement  exempts  de 
péché,  mais  ils  sont  délivrés  de  sa  servitude.  Il  y  a  quelques 
restes  de  péché  en  eux;  mais  le  péché  n'y  règne  plus,  comme 
dit  l'Apôtre  :  «  Que  le  péché  ne  règne  plus  en  vos  corps 
mortels  {")  ;  »  et  ainsi  le  péché  n'y  est  pas  éteint  tout  à  fait, 
mais  le  règne  du  péché  y  est  abattu  par  le  règne  de  la  justice, 
selon  cette  parole  de  l'Apôtre  :  «  Étant  libres  du  péché,  vous 
êtes  faits  soumis  à  la  justice  {^).  » 

Comment  est-ce  que  le  règne  du  péché  est  abattu  dans  les 
justes  ?  Ecoutez  l'apôtre  saint  Paul  :  Que  le  péché  ne  règne 
plus  en  vos  corps  mortels,  «  pour  obéir  à  ses  convoitises.  » 
Vous  voyez  par  là  que  le  péché  règne  où  les  convoitises 
sont  obéies.  Les  uns  leur  lâchent  la  bride,  et  se  laissant 
emporter  à  leur  brutale  impétuosité,  ils  tombent  dans  ces 
péchés  qu'on  nomme  mortels,  desquels  l'Apôtre  a  dit  que 
«  qui  fait  ces  choses,  il  ne  possédera  point  le  royaume  de 
Dieu  (^).  »  Les  justes,  au  contraire,  bien  loin  d'obéir  à  leurs 
convoitises,  ils  leur  résistent,  ils  leur  font  la  guerre,  ainsi  que 
je  disais  tout  à  l'heure.  Et  bien  que  la  victoire  leur  demeure 
par  la  grâce  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  toutefois  dans 
un  conflit  si  long,  si  opiniâtre,  où  les  combattants  sont  aux 
mains  de  si  près,  «  en  frappant  ils  sont  frappés  quelquefois  :  » 
Pe7'cutiimts  et percutimtir,  dit  saint  Augustin  {^)  ;  et  le  vic- 
torieux ne  sort  point  d'une  mêlée  si  âpre  et  si  rude  sans 
quelques  blessures.  C'est  ce  que  nous  appelons  péchés  véniels. 
Parce  que  la  justice  est  victorieuse,  elle  mérite  le  nom  de 
véritable  justice  ;  parce  qu'elle  reçoit  quelque  atteinte  qui 
diminue  de  beaucoup  son  éclat,  elle  n'est  point  justice  par- 
faite. C'est  autre  chose  d'avoir  le  bien  accompli,  autre  chose 
de  ne  se  plaire  point  dans  le  mal.  «  Notre  vue  peut  se  déplaire 
dans  les  ténèbres,  encore  qu'elle  ne  puisse  pas  s'arrêter  dans 
cette  vive  source  de  la  lumière:  »  Poiest  octilus  nullis  tenebris 
delectari,  quamvis  nonpossitin  fulgentissima  luce  defigi  (^). 
Si  l'homme  juste,  résistant  à  la  convoitise,  tombe  quelque- 
fois dans  le  mal,  du  moins  il  a  cet  avantage  qu'il  ne  s'y  plaît 
pas  ;  au  contraire,  il  déplore  sa  servitude,   il  soupire  ardem- 

a.  Rom.,  VI,  12. —  b.  Ibid.,  18,  —  c.  I  Cor.^  vi,  9,  10.  —  d.  Serm.   CCCLI,  n.  6. 
—  e.  Au  g.,  De  Spù.  et  lit  t.,  n.  66. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  509 


ment  après  cette  bienheureuse  liberté  du  ciel  ;  il  dit  avec 
l'apôtre  saint  Paul  :  «  Misérable  homme  que  je  suis,  qui  me 
délivrera  de  ce  corps  de  mort  ('")  ?  »  S'il  tombe,  il  se  relève 
aussitôt  ;  s'il  a  quelques  péchés,  il  a  aussi  la  charité  qui  les 
couvre  :  «  La  charité,  dit  l'apôtre  saint  Pierre,  couvre  la 
multitude  des  péchés  (^).  » 

Bien  plus,  ce  grand  Dieu  tout-puissant  fait  éclater  (')  la 
lumière  même  du  sein  des  plus  épaisses  ténèbres,  il  fait 
servir  à  la  justice  le  péché  même.  Admirable  économie  de  la 
grâce.  Oui  les  péchés  mêmes,  je  l'oserai  dire,  dans  lesquels 
la  fragilité  humaine  fait  tomber  le  juste,  si  d'un  côté  ils  di- 
minuent la  justice,  ils  l'augmentent  et  l'accroissent  de  l'autre. 
Et  comment  cela?  C'est  qu'ils  enflamment  les  saints  désirs 
de  l'homme  fidèle,  c'est  qu'en  lui  faisant  connaître  sa  servi- 
tude, ils  lui  font  désirer  bien  plus  ardemment  les  bienheureux 
embrassements  de  son  Dieu,  dans  lesquels  il  trouvera  la 
vraie  liberté;  c'est  qu'ils  lui  font  confesser  sa  propre  faiblesse 
et  le  besoin  qu'il  a  de  la  grâce,  dans  un  état  d'un  profond 
anéantissement.  Et  d'autant  que  le  plus  juste  c'est  le  plus 
humble,  le  péché  même  en  quelque  sorte  accroît  la  justice, 
parce  qu'il  nous  fonde  de  plus  en  plus  dans  l'humilité. 

Vivons  ainsi,  fidèles,  vivons  ainsi  ;  faisons  que  notre  fai- 
blesse augmente  l'honneur  de  notre  victoire  par  la  grâce  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Aimons  cette  justice  divine 
qui  fait  que  le  péché  même  nous  tourne  à  bien  :  quand  nous 
voyons  croître  nos  iniquités,  songeons  à  nous  enrichir  par 
les  bonnes  œuvres  {'),  afin  de  réparer  notre  perte.  Le  fidèle 
qui  vit  de  la  sorte,  expiant  ses  péchés  jxar  les  aumônes,  se 
purifiant  toute  sa  vie  par  la  pénitence,  par  le  sacrifice  d'un 
cœur  contrit,  par  les  œuvres  de  miséricorde,  il  ne  détruit 
pas  seulement  le  règne  du  péché,  comme  je  disais  tout  à 
l'heure  ;  je  (^)  passe  maintenant   [)his  outre,  et    je  dis  cju'il 

a.  AV///,,  vn,  24.  —  â.  I  /V/r.,  IV,  8. 
I    Var.  sait  tirer. 

2.  Var.  plus  nous  devons  songer  .\  en  obtenir  le  pardon  par  les  bonnes 
œuvres. 

3.  Pfcinihc  rédticiion  t'J/iicée :  {Q^esi  ici  que  reprend  actuellement  le  manuscrit.) 
«  Je  passe  plus  outre  maintenant  et  je  dis  avec  l'admirable  Docteur  de  I.»  ^r.'icc 
qu'il  détruit  entièrement  le  prclu',  paire  (prencore  (pj'il   fasse  ipiclquos    pt-i  lu^'s 


5IO  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


détruit  entièrement  le  péché,  parce  que,  dit  saint  Augustin, 
«  comme  notre  vie  n'est  pas  sans  péché,  aussi  les  remèdes 
pour  le  purger  ne  nous  manquent  pas  :  »  Siait  peccata  non 
defuencni,  ita  ctiam  remédia,  quitus  purgareitlur,  ciffue- 
runt  ("). 

Enfin  celui  qui  vit  de  la  sorte,  détestant  les  péchés  mor- 
tels, faisant  toute  sa  vie  pénitence  pour  les  véniels,  à  la 
manière  que  je  viens  de  dire  avec  l'incomparable  saint  Au- 
gustin, il  méritera,  dit  le  même  Père  —  que  nos  nouveaux 
réformateurs  entendent  ce  mot  (c'est  dans  cette  belle  épître 
à  Hilaire,  où  ce  grand  personnage  combat  l'orgueilleuse  hé- 
résie de  Pelage,  ennemi  de  la  grâce  de  Jésus-Christ)  :  cet 
humble  défenseur  de  la  grâce  chrétienne  se  sert  en  ce  lieu 
du  mot  de  mérite  :  était-ce  pour  enfler  le  libre  arbitre  ? 
n'était-ce  pas  plutôt  pour  relever  la  dignité  de  la  grâce  et  des 
saints  mouvements  que  Dieu  fait  en  nous  ?  Quelle  est  donc 
votre  vanité  et  votre  injustice,  ô  très  charitables  réforma- 
teurs, de  prêcher  que  nous  ruinons  la  grâce  de  Dieu,  parce 
que  nous  nous  servons  du  mot  de  mérite,  si  ce  n'est  peut- 
être  que  vous  vouliez  dire  que  saint  Augustin  a  détruit  la 
grâce,  et  que  Calvin  seul  l'a  bien  établie  ?  —  Pardonnez-moi 
cette  digression  :  je  reviens  à  mon  passage  de  saint  Au- 
gustin :  un  homme  passant  sa  vie  dans  l'esprit  de  mortifica- 
tion et  de  pénitence,  «  encore  qu'il  ne  vive  pas  sans  péché, 
il  méritera,  dit  saint  Augustin,  de  sortir  de  ce  monde  sans 
aucun  péché  :  »  Merebitur  hinc  exilée  sine peccato,  quamvis 

a.  Ad  Hilar.,  ep.  CLVU,  n.  3. 

{var.  qu'il  en  fasse  quelques-uns),  les  remèdes  de  les  purger  ne  lui  manquent 
[pas]  :  Ei  sicut  isla  tion  defuerimt^  ita  etiam  remédia  quitus  purgarentur  affue- 
runt.  Et  enfin,  évitant  les  péchés  mortels,  et  faisant  pénitence  des  véniels  en  la 
manière  que  je  viens  de  dire  avec  l'incomparable  Augustin,  il  méritera,  dit  le 
même  Père, —  que  nos  nouveaux  réformateurs  écoutent  ce  mot  :  l'humble  Augustin 
se  sert  du  mot  de  mérite, écrivant  contre  les  Pélagiens,  qui  étaient,  comme  chacun 
sait,  les  ennemis  de  la  grâce  ;  par  conséquent  il  l'a  employé  non  point  pour 
enfler  le  libre  arbitre,  mais  pour  relever  la  dignité  de  la  grâce.  Je  dis  ceci  seule- 
ment en  passant  afin  que  vous  voyiez  {var.  afin  de  leur  faire  considérer)  quelle 
est  leur  vanité  et  leur  injustice,  lorsqu'ils  disent  que  le  mot  de  mérite  ruine  la 
grâc'fe,  puisque  le  grand  Docteur  de  la  grâce  ne  craint  point  de  s'en  servir  en 
un  lieu  où  il  ne  traite  que  de  la  nécessité  de  la  grâce.  —  Mais  je  reviens  à  mon 
propos,  et  je  dis  qu'un  homme  vivant  ainsi  dans  la  pénitence,  encore  qu'il  ne 
vive  pas  exempt  de  péché,   il  méritera  de  sortir  du  monde  sans  aucun  péché  : 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  51  i 


cum  hic  viveret  habuerit  nonnulla  peccata  (").  Et  ainsi  le 
péché  est  détruit  en  nous  à  cause  du  mérite  de  la  vraie  foi 
qui  opère  par  la  charité. 

Il  est  donc  vrai,  fidèles,  ce  que  j'ai  dit,  que  même  dans 
cet  exil,  Dieu  détruit  le  péché  par  sa  grâce  ;  il  est  vrai  qu'il 
y  surmonte  la  concupiscence  ;  et  ainsi,  par  la  miséricorde  de 
Dieu,  je  me  suis  déjà  acquitté  envers  vous  des  deux  pre- 
mières parties  de  ma  dette.  Faites  votre  profit  de  cette 
doctrine  ;  elle  est  haute,  mais  nécessaire.  Je  sais  que  les 
humbles  l'entendent  ;  peut-être  ne  plaira-t-elle  pas  aux  su- 
perbes. Les  lâches  sans  doute  seront  fâchés  qu'on  leur  parle 
toujours  de  combattre.  Mais  pour  vous,  ô  vrais  chrétiens, 
travaillez  sans  aucune  relâche  ('),  puisque  vous  avez  un  en- 
nemi en  vous-mêmes,  avec  lequel  si  vous  faites  la  paix  en 
ce  monde,  vous  ne  sauriez  avoir  la  paix  avec  Dieu.  Voyez 
combien  il  est  nécessaire  de  veiller  toujours,  de  prier  tou- 
jours, de  peur  de  tomber  en  tentation.  Que  si  cette  guerre 
continuelle  vous  semble  fâcheuse,  consolez-vous  par  l'espé- 
rance fidèle  de  la  glorieuse  résurrection,  qui  se  commence 
déjà  en  nos  corps.  C'est  la  troisième  opération  que  le  Saint- 
Esprit  exerce  dans  l'homme  fidèle  durant  le  pèlerinage  de 
cette  vie  ;  et  c'est  aussi  par  où  je  m'en  vais  conclure. 

TROISIÈME    POINT    ('). 

Si  je  vous  dis  aujourd'hui,  chrétiens,  que  dans  ce  temps 
de  corruption  et  de  mort  Dieu  commence  déjà  dans  nos  corps 

a.  Ad  Hilar.y  ubi  supra. 

Merebittir  hinc  exire  sine  peccato^  quanivis  cum  hic  viveret  habuerit  nonnulla 
Peccata.  —  Il  est  donc  vrai,  fidèles,  (jue  Dieu  ruine  le  poché  par  la  i^ràce,  même 
dans  ce  pèlerinage  mortel  ;  il  est  vrai  que,  pour  surmonter  le  péché,  il  surmonte 
la  convoitise.  O  fidèles,  espérons  bien  du  rétablissement  de  notre  nature  ;  vous 
voyez  comme  le  Saint-Esprit  la  répare  et  la  conduit  iloucemont  (lar  divers 
progrès  à  la  nouveauté  de  vie  qui  lui  est  promise.  Voil;\  déjà  nos  deux  plus 
grands  ennemis,  le  péché  et  la  convoitise,  puissamment  attaqués  par  la  gri\cc  ; 
il  faut  voir  maintenant  la  mort  combattue  par  l'assurance  ilc  l'immorlalité  glo- 
rieuse dans  la  dernière  résurrection  ;  c'est  par  où  je  m'en  vais  finir  avec  l'as^is- 
'  tance  de  notre  'SA\x\'Q\.\r.)>  (  Troisihne  point.) 

1.  Var.  Travaillez,  travaille/,  chrétiens,  puisque  vous  ave/  toujours  .1  combattre 
un  ennemi  qui  vous  touche  de  si  jirès.  —    lùAuhe,  féminin  :  t  f .  p.  352  et  3$(). 

2.  Ce  troisième  point  est  tout  entier  dans  ce  ijui  reste  lUi  manuscrit  (12824, 
f.  35).  Il  est  inédit.  La  péroraison  est  passée  matériellement  dans  le  sermon  de 
Pâques,  1660. 


512  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


l'ouvrage  de  leur  bienheureuse  immortalité,  je  vous  dirai 
une  chose  qui  d'abord  vous  paraîtra  incroyable,  mais  qui 
néanmoins  est  très  assurée  (').  Oui,  je  ne  craindrai  point  de 
le  dire,  que  pendant  que  ce  corps  mortel  est  accablé  de  lan- 
gueurs et  d'infirmité.  Dieu  le  prépare  à  une  consistance  im- 
muable ;  pendant  qu'il  vieillit.  Dieu  le  renouvelle  ;  pendant 
qu'il  est  tous  les  jours  exposé  en  proie  aux  maladies  les  plus 
dangereuses  et  à  une  mort  très  certaine.  Dieu  travaille  à  sa 
résurrection  par  son  Esprit-Saint.  Chrétiens,  le  pourriez-vous 
croire  que  Dieu  commençât  dans  ce  monde  à  détruire  la 
mort  en  nos  corps  ?  Oserons-nous  bien  espérer  un  si  grand 
bonheur  ?  Oui,  certes,  nous  le  devons  espérer  :  il  m'est  très 
facile  de  vous  en  convaincre,  si  vous  rappelez  erx  votre  pensée 
les  choses  que  nous  avons  déjà  établies.  Saint  Augustin 
nous  a  enseigné,  et  nous  l'avons  très  solidement  prouvé  par 
les  Ecritures,  que  le  Saint-Esprit  a  sa  demeure  dans  l'âme 
des  justes  à  cause  qu'il  est  leur  vie  (-).  Souvenez- vous  de  ce 
que  nous  avons  dit  là-dessus.  Or  je  dis  qu'en  demeurant  dans 
l'âme  il  renouvelle  le  corps.  Et  comment  ?  Notre  grand 
Docteur  nous  l'expliquera  par  un  raisonnement  vraiment 
chrétien,  qu'il  a  tiré  de  l'apôtre  saint  Paul.  «  Celui-là,  dit 
saint  Augustin,  possède  le  tout,  qui  tient  la  partie  domi- 
nante :  »  Totum  possidet,  qui  principale  teiiet  {^),  «  En  toi, 
poursuit  ce  grand  personnage,  la  partie  la  plus  noble,  c'est- 
à-dire  l'âme,  tient  le  premier  lieu  :  »  In  te  p7dncipatur  quod 
melius  est  ;  et  incontinent  il  conclut  :  Tenens  Deus  quod  est 
meliics,  id  est  animam  tuam,  per  ineliorem  possidet  et  infe7'io- 
re7n,  id  est  corpus  tuum  :  «  Dieu  tenant  ce  qu'il  y  a  de  meil- 
leur, c'est-à-dire  l'esprit,  par  le  moyen  du  meilleur,  il  entre 
en  possession  du  moindre,  »  par  le  moyen  du  prince,  il  entre 
en  possession  du  sujet,  «  c'est-à-dire  du  corps.  »  C'est  pour- 
quoi l'Apôtre  dit  que  nos  corps  sont  les  temples  du  Saint- 
Esprit.  Qui  peut  douter  que  le  Saint-Esprit  ne  se  mette  en 

a.  Serin. ^  CLXI,  n.  6. 

1.  Var.  ne  laisse  pas  d'être  très  assurée. 

2.  C'est  le  sujet  du  premier  point.  On  rencontre  ici  une  fois  de  plus  la  preuve 
que  tous  ces  lambeaux  que  nous  rassemblons  pour  la  première  fois  appartiennent 
à  la  même  œuvre.  D'ailleurs  ne  venons-nous  pas  de  rencontrer  une  première 
rédaction  autographe  de  la  fin  du  second  point? 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  513 


possession  de  son  temple  ?  Et  s'il  est  vrai  que  nos  corps 
soient  ses  temples,  il  est  donc  en  possession  de  nos  corps. 
Certainement  il  faut  bien  qu'il  en  soit  le  maître,  puisqu'il  les 
emploie  comme  l'instrument  par  lequel  l'âme  met  en  pra- 
tique les  saintes  volontés  qu'il  inspire.  Qu'est-ce  qui  donne 
l'aumône,  si  ce  n'est  la  main  ?  Qu'est-ce  qui  confesse  Jésus- 
Christ,  si  ce  n'est  la  bouche  ?  Qu'est-ce  qui  pleure  les  pé- 
chés, si  ce  n'est  les  yeux?  Qu'est-ce  qui  brûle  du  zèle  de 
Dieu,  si  ce  n'est  le  cœur  ?  Tous  nos  membres  en  un  mot, 
dit  saint  Paul,  sont  des  hosties  vivantes  de  Dieu.  Et  partant 
n'est-il  pas  clair  que  l'Esprit  de  Dieu  se  met  en  possession 
de  nos  corps,  puisqu'ils  sont  les  instruments  de  ses  grâces, 
les  temples  où  repose  sa  majesté,  les  hosties  consacrées  à  sa 
souveraine  grandeur  ? 

Qu'inférerons-nous  de  cette  doctrine  ?  La  conséquence  en 
est  bien  évidente.  Dieu  habitant  en  nos  âmes  a  pris  posses- 
sion de  nos  corps  :  par  conséquent,  ô  mort,  tu  ne  les  lui 
saurais  enlever.  Tu  penses  qu'ils  sont  ta  proie,  ce  n'est  qu'un 
dépôt  que  l'on  consigne  en  tes  mains  :  tôt  ou  tard  Dieu  ren- 
trera en  son  bien.  Notre  Sauveur  dit  dans  son  Évangile  : 
«  Personne  ne  peut  rien  ôter  des  mains  de  mon  Père  ;  » 
Nemopotest  rapere  de  manu  Pair is[").  Et  en  effet  quelle  vertu 
assez  grande  pourrait  faire  lâcher  la  prise  au  Dieu  tout-puis- 
sant }  Or  sa  main  et  «  son  doigt  »,  c'est  le  Saint-Esprit.  Va 
si  cet  Esprit  (')  commence  ici-bas  de  se  mettre  en  p[osses- 
sion]de  nos  corps,  donc,  ô  profonds  abîmes,  et  vous,  flammes 
dévorantes,  et  toi,  terre,  mère  tout  ensemble  et  sépulcre 
commun  de  tous  les  mortels,  vous  rendrez,  vous  rendrez  ces 
corps  que  vous  avez  engloutis,  et  plutôt  l'univers  sera 
renversé  «  qu'un  seul  de  nos  cheveux  périsse  (').  »  L'Esprit 
qui  a  animé  Jésus-Christ,  qui  a  ressuscité  Jésus-Chkist 
des  morts,  c'est  le  niéme  qui  nous  anime,  c'est  le  même,  (jui 
habite  et  qui  vit  en  nous  ;  donc  il  exercera  en  nous  les  mêmes 
opérations,  donc  par  divers  progrès,  il  nous  rendra  semblables 
à  Jésus-Christ. 

Car  remarquez   cette   belle    théologie,    comme  Ir    Mis  de 

a.  Joan.^  X,  29.  —  b.  Luc.^  XX l,  18. 

I.  Kir.  a  commencé  d'occuper  nos  corps. 

Sermons  de  Bossuet.  33 


5 14  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


Dieu  nous  assure  qu'il  ne  fait  rien  que  ce  qu'il  voit  faire  à 
son  Père,  ainsi  le  Saint-Esprit,  «  qui  reçoit  du  Fils,  »  demeo 
accipiet  {^),  qui  procède  de  lui  non  moins  que  du  Père,  il  le 
regarde  comme  l'exemplaire  de  tous  ses  ouvrages  ;  tous 
ceux  dans  lesquels  il  fait  sa  demeure,  il  ne  les  quitte  pas 
jusqu'à  temps  qu'il  y  ait  formé  Jésus-Christ,  et  qu'il  en  ait 
fait  ses  images  vivantes.  C'est  (')  pourquoi  l'Apôtre  a  dit  ces 
excellentes  paroles  :  «  Si  Celui  qui  a  ressuscité  Jésus-Christ 
habite  en  vous,  il  vivifiera  vos  corps  mortels  par  la  vertu  de 
son  Esprit  qui  habite  en  vous  (''').  » 

Éveillons-nous  donc,  mortels  misérables  ;  considérons  la 
grandeur  de  nos  espérances.  Ressusciter  comme  Jésus- 
Christ,  être  semblable  à  Jésus-Christ,  être  glorieux  comme 
Jésus-Christ  :  Dieu  éternel  !  est-il  rien  de  plus  grand  ?  Hé  ! 
ramperons-nous  toujours  sur  la  terre  ! 

Remets  en  ton  esprit,  chrétien,  les  vérités  chrétiennes  et 
évangéliques  que  tu  as  aujourd'hui  entendues.  Je  t'ai  montré 
par  les  Écritures  que  tu  n'es  plus  un  homme  charnel,  mais 
un  homme  céleste  parla  nouveauté  de  vie  (^).  Si  tu  es  vérita- 
blement chrétien,  c'est  Dieu  même  qui  te  meut,  c'est  lui 
qui  t'anime.  Considère  tant  de  grandes  choses  qui  se  font  en 
toi,  et  tant  d'autres  encore  plus  grandes  qui  s'y  commencent. 
Si  Dieu  est  tout-puissant,  il  est  très  certain  que  tous  les 
ouvrages  qu'il  commencera  auront  un  jour  la  dernière  main. 
Il  commence  ici-bas  la  justice  en  ruinant  la  tyrannie  du 
péché  :  et  donc  viendra  le  temps  que  la  justice  sera  parfaite. 
Ici  il  fait  croître  la  charité  par  laquelle  la  convoitise  est 
diminuée  tous  les  jours  :  un  jour  donc  la  convoitise  seraéteinte 
et  la  charité  sera  consommée.  En  combattant  la  concupis- 
cence, il  commence  à  établir  nos  cœurs  dans  la  paix  :  nous 
verrons  donc  enfin  cette  bienheureuse  journée  en  laquelle 
sans  trouble,  sans  douleur,  sans  inquiétude,  nous  jouirons 
éternellement  avec  Dieu  d'une  pleine  paix.  Cette  pauvre 
chair  corruptible   est  déjà  en  quelque  sorte  vivifiée  par  le 

a.  Joan.^  xvi,  14.  —  b.  Rom.^  Vlll,  11. 

1.  Var.  C'est  l'apôtre  saint  Paul  qui  le  dit  en  ces  excellentes  paroles. 

2.  Encore  une  fois,  toute  la  récapitulation  qui  suit  aurait  bien  dû  faire  recon- 
naître l'unité  de  l'œuvre. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  5  I  5 


Saint-Esprit  :  elle  vivra  entièrement  d'une  vie  divine  et  par 
conséquent  immortelle.  Toutes  ces  choses  se  commencent 
en  nous  ;  et  d'autant  qu'elles  s'y  commencent  par  l'Esprit  de 
Dieu,  il  n'y  a  aucune  puissance  en  ce  monde  qui  puisse  empê- 
cher le  progrès  de  ce  grand  ouvrage.  Nous  seuls  y  pouvons 
apporter  obstacle,  parce  que  notre  consentement  y  est  néces- 
saire. Pour  recevoir  les  bienfaits  de  Dieu,  il  faut  que  nous 
nous  plaisions  dans  ses  volontés.  Tout  s'accomplira,  si  nous 
le  voulons  :  et  nous  ne  le  voulons  pas  !  Quelle  fureur  !  Quel 
aveuglement  ! 

Chrétien  ('),  dans  ces  saintes  solennités,  tu  as  bu  à  la  fon- 
taine de  vie  dans  la  source  des  sacrements.  Tu  as  reçu  la 
grâce,  je  le  veux  croire  ;  tu  as  repris  une  vie  nouvelle  avec 
Jésus-Christ.  Cette  vie  nouvelle  n'est  que  commencée  ici- 
bas,  et  quand  elle  sera  consommée,  elle  aura  tous  ces  admi- 
rables effets  que  je  te  représentais  tout  à  l'heure.  Dans  un 
mois,  dans  dix  jours,  dans  trois  jours  peut-être  tes  anciennes 
habitudes  se  réveilleront.  L'ivrognerie,  l'impudicité,  la  ven- 
geance te  rappelleront  à  leurs  faux  plaisirs.  Tu  avais  par- 
donné une  injure  ;  le  venin  de  la  haine  reprendra  ses  forces. 
Arrête,  misérable.  Considère  :  eh  !  que  de  belles  espérances 
tu  vas  détruire,  que  de  beaux  commencements  tu  vas  arrêter  ! 
Si  c'est  une  malice  insupportable  de  déraciner  la  première 
verdure  des  champs,  parce  qu'elle  est  l'espérance  de  nos 
moissons  ;  si  nous  tenons  à  très  grande  injure  que  l'on  arrache 
dans  nos  jardins  une  jeune  plante,  parce  qu'elle  nous  pro- 
mettait (^)  de  beaux  fruits,  quelle  est  notre  folie,  quelle  injure 
nous  faisons-nous  à  nous-mêmes,  à  l'Eglise,  à  l'Esprit  de 
Dieu,  de  chasser  cet  Esprit  qui  commençait  en  nous  un  si 
grand  ouvrage,  de  mépriser  la  grâce   qui  est  une   semence 

1.  Cette  péroraison  est  entrée,  sans  aucune  correction,  dans  le  sermon  tlu 
Carême  des  Minimes.  Il  est  bien  certain  que  Bossuet  ne  l'a  pas  redite  textuel- 
lement. Dans  le  sermon  du  dimanche  précédent,  il  avait  fait  entendre  <  une 
forte  réflexion  sur  les  chan^^ements  précipités  de  l'honneur...  »  i>iniiilcmcnt 
indiquée  au  manuscrit  (Édit.  Cuvjiet.,  p.  144).  Ici  encore  il  aur.i  modilié  telle 
pensée,  ou  telle  expression.  L'appel lati on y/<AVt-j,  qu'il  n'a  pas  remplacée,  n'a  pas 
dû  être  employée  à  Paris. 

2.  Var.  parce  qu'elle  devait  .q)portcr  de  beaux  fruits.  -  Les  éditeurs,  brouil- 
lant ces  variantes,  impriment  :  «  clic  nous  promettait  d'ai)iiorter...  > 


5l6  POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 

d'immortalité,  de  perdre  la  vie  nouvelle  qui  croissant  tous  les 
jours,  fût  venue  à  cette  perfection  que  je  vous  ai  dite! 

Par  conséquent,  mes  frères,  «  comme  Jésus-Christ  est 
ressuscité,  ainsi  marchons  en  nouveauté  de  vie.  >>  Puisque 
nous  sommes  ici-bas,  en  cet  exil  du  monde,  parmi  tant  de 
maux,  songeons  qu'il  n'est  rien  de  meilleur  que  cette  belle, 
cette  illustre  espérance  que  Dieu  nous  présente  par  Jésus- 
Christ.  Après  avoir  confessé  nos  péchés  dans  l'humilité  de 
la  pénitence,  cessons,  cessons  d'aimer  ce  que  nous  avons 
détesté  solennellement  devant  le  ministre  de  la  sainte 
Église,  en  présence  de  Dieu  et  de  ses  saints  anges.  N'allons 
point  aux  eaux  infectées,  après  nous  être  lavés  au  sang  de 
Jésus.  Après  avoir  «  communiqué  »  à  son  divin  corps,  qui  est 
le  crage  de  notre  glorieuse  résurrection,  ne  communiquons 
point  à  Satan,  ni  à  sa  pompe,  ni  à  ses  œuvres.  Que  la  joie 
sainte  de  l'Esprit  de  Dieu  surmonte  la  fausse  joie  de  ce 
monde. 

Je  me  souviens  ici,  chrétiens,  de  la  joie,  de  l'allégresse 
divine  et  spirituelle  qui  était  autrefois  dans  l'Eglise  au  saint 
jour  de  Pâques.  C'était  vraiment  une  joie  divine,  une  joie  qui 
honorait  Jésus-Christ,  parce  qu'elle  n'avait  point  d'autre 
objet  que  la  gloire  de  son  triomphe.  C'était  pour  cela  que  les 
déserts  les  plus  reculés  et  les  solitudes  les  plus  affreuses  pre- 
naient une  face  riante.  Maintenant  nous  nous  réjouissons,  il 
n'est  que  trop  vrai  ;  mais  ce  n'est  pas  vous,  mon  Sauveur,  qui 
êtes  la  cause  de  notre  joie.  Nous  nous  réjouissons  de  ce  qu'on 
pourra  faire  bonne  chère  en  toute  licence  :  plus  de  jeûne, 
plus  d'austérités  !  Si  peu  de  soin  que  nous  avons  peut-être 
apporté  pendant  le  Carême  à  réparer  les  désordres  de  notre 
vie  ('),  nous  nous  en  relâcherons  tout  à  fait.  Le  saint  jour  de 
Pâques,  destiné  pour  nous  faire  commencer  une  vie  nouvelle 
avec  le  Sauveur,  va  ramener  sur  la  terre  les  pernicieuses 
délices  du  siècle,  si  toutefois  nous  leur  avons  donné  quelque 
trêve,  et  ensevelira  dans  l'oubli  la  mortification  et  la  péni- 
tence ;  tant  la  discipline  est  énervée  parmi  nous  !  Nous 
croyons  avoir  assez  fait  quand  nous  nous  sommes  acquittés 

I,   Var.  de  nos  appétits.  —  C'était  une  seconde  rédaction.  Bossuet  revient  à 
la  première  qu'il  récrit. 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES.  517 


pour  la  forme  d'une  confession  telle  quelle,  et  d'une  commu- 
nion qui  peut  être  est  un  sacrilège.  Mais  quand  même  elle 
serait  sainte,  comme  je  le  veux  présumer,  vous  n'avez  fait 
que  la  moitié  de  l'ouvrage. 

Fidèles,  je  vous  en  avertis  de  la  part  de  Dieu,  la  princi- 
pale partie  reste  à  faire,  qui  est  d'amender  votre  mauvaise 
vie,  de  corriger  le  dérèglement  de  vos  mœurs,  et  de  dé- 
raciner ces  habitudes  invétérées  qui  vous  sont  comme  passées 
en  nature.  Si  vous  en  avez  été  justifiés,  j'avoue  que  vous 
n'avez  plus  à  craindre  la  damnation  éternelle  ;  mais  ne  vous 
imaginez  pas  pour  cela  être  en  sûreté.  Craignez  vos  mau- 
vaises inclinations  ;  craignez  ces  objets  qui  vous  plaisent 
trop  ('),  craignez  ces  dangereuses  rencontres  dans  lesquelles 
votre  innocence  a  déjà  tant  de  fois  fait  naufrage  ;  que  votre 
expérience  vous  fasse  prudents,  et  vous  oblige  à  une  pré- 
caution salutaire. 

Car  la  pénitence  a  deux  qualités  qui  sont  toutes  deux  éga- 
lement saintes  et  inviolables.  Retenez  ceci,  s'il  vous  plaît  : 
la  pénitence  a  deux  qualités  :  elle  est  le  remède  pour  le 
passé  ;  elle  est  une  précaution  pour  l'avenir.  La  disposition 
pour  la  recevoir  comme  remède  de  nos  désordres  passés, 
c'est  la  douleur  des  péchés  que  nous  avons  commis.  La  dis- 
position pour  la  recevoir  comme  précaution  de  l'avenir,  c'est 
une  crainte  filiale  des  péchés  que  nous  pouvons  commettre, 
et  des  occasions  qui  nous  y  entraînent.  Gardons-nous  bien, 
fidèles,  de  violer  la  sainteté  de  la  pénitence  en  l'une  ou  vn 
l'autre  de  ses  parties,  de  peur  de  faire  injure  à  la  grâce  et 
à  la  libéralité  du  Sauveur. 

Par  conséquent  ne  perdons  jamais  cette  crainte  respec- 
tueuse qui  est  l'unique  garde  de  l'innocence.  Craignons  de 
perdre  jivsus,  qui  nous  a  gagnés  [)ar  son  sang.  Partout  où  je 
le  vois  il  nous  tend  les  bras,  Ji'isus  nous  tend  les  bras  à  la 
croix  :  Venez,  dit-il,  mourir  avec  moi.  Ji'siis-Ciikist  sortant 
du  tombeau,  victorieux  de  la  mort,  il  nous  ttMul  les  bras  : 
Venez,  dit-il,  ressusciter  avec  m(M.Ji-:sus-CiiKisT  à  la  dextre(') 

1.  V(ir.  plus  cju'il  n'est   ronvcnablc   ?i  un  <  hniii-n  (|ui   a  participe'  nu  corps  du 
Sauveur. 

2.  /iV///.  h  la  droite. 


5i8 


POUR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


du  Père  nous  tend  les  bras  :  Venez,  dit-il,  régner  avec  moi. 
Vous  serez,  vous  serez  un  jour  tels  que  je  suis  en  cette  glo- 
rieuse demeure  (').  Vivez,  consolez-vous,  réjouissez-vous 
dans  cette  espérance.  Je  suis  heureux,  je  suis  immortel  : 
soyez  immortels  à  la  grâce  :  vous  obtiendrez  enfin  dans  le 
ciel  le  dernier  accomplissement  de  la  vie  nouvelle,  c'est-à- 
dire  la  justice  parfaite,  la  paix  assurée,  l'immortalité  de  lame 
et  du  corps.  Amen. 

I.  Jar.  en  ce  séjour  glorieux. 


nxur 

IVKP 


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SERMON    POUR    LA    FETE    de 


L'ASCENSION  0, 


prêché  à  Metz,  devant  la  communauté  de  la  Propa- 


gation  de  la   Foi,  dont   Bossuet  était   le  Supérieur. 


1654  (au  plus  tard). 


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On  ne  peut  hésiter  pour  la  date  de  ce  sermon  qu'entre  1653  et  1654. 
La  seconde  nous  a  paru  la  plus  probable  après  une  étude  minutieuse 
de  récriture  et  de  l'orthographe  du  manuscrit.  Apparemment  il  ne 
fut  pas  résumé  à  l'époque  des  sommaires  ;  mais  l'auteur  a  marcjuc 
d'un  trait  à  la  sanguine  les  principaux  passages. 


[£'.<;  xô  ÈJWTspov  TOJ  xaTaziTaji/aTO^] 
'It|(joO(;,   xaxà    ttjv  -râ;-.»^     MîX/'.jsoi/. 

JÉSUS  notre  avant-coureur  est 
entré  pour  nous  au-dedans  du  voile, 
—  c'est-à-dire  au  ciel,  —  fait  pontife 
éternellement  selon  l'ordre  de  Mcl- 
chiscdcch. 

{Hcbr.^  VI,  20.) 

SI  l'on  voyait  une  telle  magnificence,  lorsque  les  consuls 
et  les  dictateurs  triomphaient  des  nations  étrangères  ; 
si  les  arcs  triomphaux  portaient  jusqu'aux  nues  le  nom  et 
la  gloire  du  victorieux  ;  s'il  montait  dans  le  Capitole  au 
milieu  de  la  foule  de  ses  citoyens,  cpii  faisaient  retentir 
leurs  acclamations  jusque  devant  les  autels  de  leurs  dieux  ; 
aujourd'hui  que  notre  invincible  Libérateur  fait  son  entrée 
au  plus  haut  des  cieux,  enrichi  des  dépouilles  de  nos  enne- 
mis, quelle  serait  notre  ingratitude,  si  nous  n'accomj^agnions 
son  triomphe  de  pieux  cantiques  et  de  sincères  actions  de 
grâces  !  Certes,  il  est  bien  juste,  ô  Seigneur  Ji':sus,  que  nous 
assistions  avec  une  sainte  allégresse  à  la  célébrité  dt;  votre 
triomphe.  Car  encore  que,  sortant  de  ce  monde,  \  ous  empor- 

1.  Mss.  12824,  ^-  '3^^-  ï^etit  in-f',  sans  marine  ni  |)a^ination. 

2.  A  la  pi. ire  de  ce  texte  ^rcc,  les  premiers  éditeurs  ont  donnt'  le  latin  :  Prtr- 
curso)  pro  fwbis  introivif  Jesus^  secundum  ordincm  .\tclchisedcih  pontiftx  fiutus 
in  çEtcrnn7)u 


C20  POUR  LE  JOUR  DE  l'aSCENSION. 

tiez  avec  vous  toute  notre  joie,  encore  que  cette  solennité 
regarde  plus  apparemment  les  saints  anges,  qui  seront 
dorénavant  réjouis  par  l'honneur  de  votre  bienheureuse  pré- 
sence, toutefois  il  est  assuré  que  nous  avons  la  plus  grande 
part  en  cette  journée.  Vos  intérêts  sont  de  telle  sorte  liés 
avec  ceux  de  notre  nature,  qu'il  ne  s'accomplit  rien  en  votre 
personne  qui  ne  tourne  à  l'avantage  du  genre  humain.  Vous 
ne  montez  au  ciel  que  pour  nous  en  ouvrir  le  passage  :  «  Je 
m'en  vais,  dites-vous,  préparer  vos  places  {'').  »  C'est  pour- 
quoi votre  apôtre  saint  Paul  ne  craint  pas  de  vous  appeler 
notre  avant-coureur,  et  de  dire  que  vous  entrez  pour  nous 
dans  le  ciel  :  tellement  que  si  nous  savons  comprendre  vos 
intentions,  vous  ne  frustrez  aujourd'hui  notre  vue  que  pour 
accroître  notre  espérance. 

Et,  en  effet,  considérons,  mes  très  chères  sœurs,  quel  est 
le  sujet  de  ce  magnifique  triomphe  qui   se   fait  aujourd'hui 
dans  le  ciel  :  n'est-ce  pas,  qu'on  y  reçoit  Jésus-Christ  comme 
un  conquérant  ?  Mais  c'est  nous  qui  sommes   sa  conquête  ; 
et  c'est  de  nos  ennemis  qu'il  triomphe.  Toute  la  cour  céleste 
accourt  au-devant  de  Jésus,  on  publie  ses  louanges   et  ses 
victoires  ;  on  chante  qu'il  a  brisé  les  fers  des  captifs,  et  que 
son  sang  a  délivré  la  race  d'Adam  éternellement  condamnée. 
Que  si  on  honore  sa  qualité  de  Sauveur,  eh  !  quelle  est  donc 
notre  gloire,  mes  sœurs,  puisque  le  salut  et  la  délivrance  des 
hommes  fait  non  seulement  la  fête  des  anges,  mais  encore  le 
triomphe  du  Fils  de  Dieu  même.^  Réjouissons-nous,  mortels 
misérables,  et  ne  respirons  plus  que  les  choses  célestes.  La 
divinité  de  Jésus,  toujours  immuable  dans  sa  grandeur,  n'a 
jamais  été  abaissée  ;  et  par  conséquent  ce  n'est  pas  la  divinité 
qui  est  aujourd'hui  établie  en  gloire,  car  elle  n'a  jamais  rien 
perdu  (')  de  sa  dignité  naturelle.   Cette  humanité  qui  a  été 
méprisée,  qui  a  été  traitée  si  indignement,    c'est  elle  qui  est 
élevée  aujourd'hui  :  et  si  Jésus  est  couronné    en   ce  jour 
illustre,  c'est  notre  nature  qui  est  couronnée  ;  c'est  elle  qui 
est  placée  dans  ce  trône  auguste  devant  lequel   le  ciel  et  la 
terre  se  courbent.  «Celui  qui  est  descendu,  dit  saint  Paul  {^), 

a.Joan.^  XIV,  2.  —  b.  Ephes.^  iv,  10. 
I.  Var.  Elle  n'est  jamais  déchue.,, 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  52  I 

c'est  lui-même  qui  est  monté  :  »  celui  qui  était  si  petit  sur  la 
terre,  est  infiniment  relevé  dans  le  ciel  ;  et  par  la  puissance 
de  Dieu,  sa  grandeur  est  crue  selon  la  mesure  de  sa  bassesse. 

Nous  lisons  au  livre  des  Nombres,  chapitre  x.  que,  lors- 
qu'on élevait  l'arche  d'alliance.  Moïse  disait  :  «  Élevez-vous, 
Seigneur,  et  que  vos  ennemis  disparaissent,  et  que  ceux  qui 
vous  haïssent  soient  dissipés  devant  votre  face;  »  et  lorsque 
les  lévites  la  descendaient  :  «  Venez,  disait-il,  ô  Seigneur,  à 
la  multitude  de  l'armée  d'Israël.  »  Que  signifiait  cette  arche, 
sinon  le  Sauveur  ?  C'était  par  l'arche  que  Dieu  rendait  ses 
oracles  ;  par  l'arche  il  se  faisait  voir  à  son  peuple  ;  l'arche 
était  ornée  de  deux  chérubins  sur  lesquels  il  se  reposait  en 
sa  majesté.  Et  n'est-ce  pas  Jésus  qui  est  l'interprète  et 
l'oracle  du  Père,  parce  qu'il  est  sa  parole  et  son  Fils  ?  n'est- 
ce  pas  en  la  personne  du  Médiateur  «  que  la  divinité  habite 
corporellement,  »  comme  dit  l'apôtre  saint  Paul  (''),  et  que 
ce  Dieu  invisible  en  lui-même,  en  s'appropriant  une  chair 
humaine,  s'est  vraiment  rendu  visible  aux  mortels  ?  Et  ainsi 
l'arche  représentait  au  vieux  peuple  le  Fils  de  Dieu  fait 
homme,  qui  est  le  prince  du  peuple  nouveau  :  c'est  lui  en 
effet  qui  est  descendu,  et  c'est  lui  aussi  qui  est  élevé.  Ce 
Dieu-Homme  est  descendu  pour  combattre  :  c'est  pourquoi 
Moïse  disait  :  «  Descendez,  Seigneur,  à  l'armée.  »  Il  monte 
pour  triompher;  c'est  pourquoi  le  même  Moïse  dit  :  «  Elevez- 
vous,  Seigneur,  et  que  vos  ennemis  fuient  devant  votre  f^ice.  » 
Moïse  prie  le  Dieu  d'Israël  de  descendre  à  l'armée  de  son 
peuple  ;  cela  sent  le  travail  du  combat  :  mais  en  ce  qu'il  assure 
qu'en  s'élevant  sa  présence  dissipera  tous  ses  ennemis,  qui 
ne  remarque  la  tranquillité  du  triomphe  ?  C'est  ce  que  nous 
voyons  accompli  en  la  personne  de  notre  Sauveur.  Jksus- 
CiiRiST,  dans  l'infirmité  de  sa  chair,  au  jour  de  sa  Passion 
douloureuse,  a  livré  bataille  à  Satan  et  à  ses  anges  rebelles, 
qui  étaient  conjurés  contre  lui.  Sans  doute  il  est  descendu 
pour  combattre,  puisqu'il  a  combattu  par  sa  mort  :  c'tîst 
descendre  infiniment  à  un  Dieu,  que  de  mourir  cruellement 
sur  un  bois  infâme.  Mais  aujourd'hui  ce  même  Jésus,  après 
son  combat,  montant  à  la  droite  du  Père,  met  tous  ses  enne- 

a.  Coloss.y  II,  9. 


52  2  POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION. 

mis  à  ses  pieds  ;  et  à  la  vue  d'une  si  grande  puissance,  «  tout 
i^enou  se  llcchit  devant  lui,  comme  dit  l'Apôtre,  dans  le  ciel, 
sur  la  terre,  et  dans  les  enfers  (").  »  Chantons  donc  avec  le 
Psalmiste,  et  disons  à  notre  Maître  victorieux  :  «  Elevez- 
vous,  Seigneur,  au  lieu  de  votre  repos  ;  vous  et  l'arche  que 
vous  vous  êtes  sanctifiée  ('')  ;  »  c'est-à-dire,  vous  et  l'huma- 
nité que  vous  vous  êtes  unie  ;  disons  avec  Moïse  :  «  Élevez- 
vous,  Seigneur,  et  que  vos  ennemis  disparaissent,  et  que 
ceux  qui  vous  haïssent  soient  dissipés  devant  votre  face  {').  » 
Et  certainement  il  est  vrai  que  la  magnificence  de  son  triom- 
phe dompte  la  fierté  de  ses  adversaires,  et  rompt  leurs 
entreprises  audacieuses.  Les  démons  n'auraient  point  senti 
leur  déroute,  s'ils  n'avaient  reconnu  par  expérience  que 
l'autorité  souveraine  avait  été  mise  aux  mains  de  celui  dont 
ils  avaient  méprisé  la  faiblesse  :  c'est  pourquoi  il  était  con- 
venable qu'après  être  descendu  pour  combattre,  il  allât  au 
ciel  recueillir  la  gloire  que  ses  victoires  lui  avaient  acquise. 
Comme  un  prince  qui  a  sur  les  bras  une  grande  guerre  contre 
une  nation  éloignée,  quitte  pour  un  temps  son  royaume 
pour  aller  combattre  ses  ennemis  en  leur  propre  terre  ;  puis, 
l'expédition  étant  achevée,  il  rentre  avec  un  superbe  appareil 
dans  la  ville  capitale  de  son  royaume,  et  orne  toute  sa  suite 
et  ses  chariots  des  dépouilles  des  peuples  vaincus  ;  ainsi  le 
Fils  de  Dieu,  notre  roi,  voulant  renverser  le  règne  du 
diable,  qui,  par  une  insolente  usurpation,  s'était  hautement 
déclaré  le  prince  du  monde,  est  lui-même  descendu  en  terre, 
pour  vaincre  cet  irréconciliable  ennemi  ;  et  l'ayant  dépossédé 
de  son  trône  par  des  armes  qui  n'auraient  rien  eu  que  de  faible, 
SI  elles  avaient  été  employées  par  d'autres  mains  que  celles 
d'un  Dieu,  il  ne  restait  plus  autre  chose  à  faire  sinon  qu'il 
retournât  triomphant  au  ciel,  qui  est  le  lieu  de  son  origine, 
et  le  siège  principal  de  sa  royauté.  Vous  voyez  donc  que 
Jésus-Christ,  comme  roi,  devait  nécessairement  remonter 
au  ciel. 

Mais  le  Seigneur  Jésus  n'est  pas  seulement  un  roi  puis- 
sant et  victorieux  ;  il  est  le  grand  sacrificateur  du  peuple 
fidèle,  et  le  pontife  de  la  nouvelle  alliance  ;  et  de  là  vient 

a.  Philipp.^  II,  10.  —  ^.  Ps.^  CXXXI,  8.  —  ç.  Nîtm.,  x,  35. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  523 

qu'il  nous  est  figuré  dans  les  Écritures  en  la  personne  de 
Melchisédech,  qui  était  tout  ensemble  et  roi  et  pontife.  Or 
cette  qualité  de  pontife,  qui  est  le  principal  ornement  de  notre 
Sauveur  en  qualité  d'homme,  l'obligeait  encore,  plus  que  sa 
royauté,  à  se  rendre  auprès  de  son  Père  pour  y  traiter  les 
affaires  des  hommes,  desquels  il  est  établi  le  Médiateur. 
Et  d'autant  que  le  texte  du  saint  Apôtre,  que  je  me  suis 
proposé  de  vous  expliquer,  joint  l'ascension  de  Jésus-Christ 
dans  les  cieux  avec  la  dignité  de  son  sacerdoce,  suivons 
diligemment  sa  pensée,  et  proposons  la  doctrine  toute 
céleste  qu'il  étale  avec  une  si  divine  éloquence  dans  l'in- 
comparable Epître  aux  Hébreux.  Mais,  pour  y  procéder 
dans  un  plus  grand  ordre,  réduisons  tout  notre  discours  à 
trois  chefs. 

Le  pontife,  ainsi  que  nous  le  verrons  dans  la  suite,  est  le 
député  du  peuple  vers  Dieu  :  en  cette  qualité  il  a  trois  fonc- 
tions principales.  Et  premièrement  il  faut  qu'il  s'approche 
de  Dieu  au  nom  du  peuple  qui  lui  est  commis  :  secondement, 
étant  près  de  Dieu,  il  faut  qu'il  s'entremette  et  qu'il  négocie 
pour  son  peuple  :  et  enfin,  en  troisième  lieu,  parce  qu'étant 
si  proche  de  Dieu  il  devient  une  personne  sacrée,  il  faut 
qu'il  consacre  les  autres  en  les  bénissant.  J'espère,  avec  l'as- 
sistance divine,  que  la  suite  de  mon  discours  vous  fera  mieux 
comprendre  ces  trois  fonctions  :  pour  cette  heure,  je  ne  vous 
demande  autre  chose  sinon  que  vous  reteniez  ces  trois  mots  : 
«  Le  pontife,  dit  l'apôtre  saint  Paul  (''),  est  établi  près  de 
Dieu  pour  les  hommes  :  »  pour  cela  il  faut  qu'il  s'approche, 
il  faut  qu'il  intercède,  il  faut  qu'il  bénisse.  Car  s'il  ne  s'ap- 
prochait, il  ne  serait  pas  en  état  de  traiter;  et  s'il  n'intercédait, 
il  lui  serait  inutile  de  s'approcher  ;  et  s'il  ne  bénissait,  il  ne 
servirait  rien  au  peuple  de  l'employer.  Ainsi,  en  s'approchant, 
il  nous  prépare  les  grâces  ;  en  intercédant,  il  nous  les  obtient  ; 
en  bénissant,  il  les  épanche  sur  nous.  Or  ces  fonctions  sont 
si  excellentes,  qu'aucune  créature  vivante  n'est  capable  de 
les  exercer  dans  leur  perfection.  C'est  Ji':sus,  c'est  Jr:sus  qui 
est  l'unique  et  le  véritable  pontife  :  c'est  lui  seul  qui  ai)[)r(v 
che  de  Dieu  avec  dignité,  lui  seul  qui  intercède  avec  fruit, 
a,  Hebr.^  v^  i, 


524  POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION. 

lui  seul  qui  bénit  avec  efficace.  Ce  sont  de  grandes  choses 
en  peu  de  mots  :  attendez-en  l'explication  de  l'Apôtre,  dont 
je  ne  ferai  que  suivre  les  raisonnements.  Montrons,  par  cette 
doctrine  toute  chrétienne,  qu'il  était  nécessaire  que  notre 
Sauveur,  pour  faire  sa  charge  de  grand  Pontife,  allât  prendre 
sa  place  auprès  de  son  Père,  à  la  droite  de  la  majesté  :  faisons 
voir  incidemment  à  nos  adversaires,  qui  veulent  tirer  ces 
belles  maximes  à  l'avantage  de  leur  nouvelle  doctrine,  qu'ils 
les  ont  très  mal  entendues,  et  que  le  véritable  sens  en  est 
dans  l'Église.  Seigneur  Jésus,  soyez  avec  nous. 

PREMIER    POINT. 

La  doctrine  de  l'Apôtre  m'oblige  à  vous  représenter  la 
structure  du  Tabernacle,  qui  était  le  temple  portatif  des  Israé- 
lites, et  tout  ensemble  celle  du  temple  auguste  de  Jérusalem, 
que  Salomon  avait  fait  bâtir  sur  la  forme  du  Tabernacle  que 
Dieu  lui-même  avait  désigné  à  Moïse.  Le  temple  donc  et  le 
Tabernacle  avaient  deux  parties  :  le  devant  du  temple;  l'autel 
des  sacrifices  était  au  milieu,  dont  l'entrée  était  libre  à  tous 
les  enfants  d'Israël  ;  là  se  faisaient  les  oblations,  et  toutes  les 
autres  cérémonies  qui  regardaient  le  service  divin  :  le  lieu 
saint,  [où  étaient]  les  tables,  les  pains  de  proposition,  les 
parfums,  le  chandelier  d'or,  [et  où  entraient]  les  enfants  d'Aa- 
ron  et  les  lévites  (').  Mais  il  y  avait  une  autre  partie  plus 
secrète  et  plus  retirée,  où  était  l'arche,  et  le  propitiatoire  qui 
était  la  couverture  de  l'arche,  et  les  chérubins  d'or  qui  éten- 
daient leurs  ailes  sur  l'arche  comme  pour  couvrir  la  majesté 
du  Dieu  des  armées,  qui  avait  en  ce  temps  choisi  l'arche 
pour  sa  demeure.  Ce  lieu  auguste,  si  religieux  et  si  vénérable, 
consacré  par  une  dévotion  (-)  plus  particulière,  s'appelait 
l'Oracle  ou  le  Sanctuaire,  ou  autrement  le  Lieu  très  saint  et 
le  Saint  des  saints,  selon  la  façon  de  parler  des  Hébreux. 
De  ce  lieu,  il  était  prononcé  :  Quiconque  y  entrera,  il  mourra 
de  mort.  C'était  le  lieu  secret  et  inaccessible,  où  on  n'osait 
pas  même  porter  ses  regards  ;  tant  il  était  vénérable  et  ter- 

I.  Cette  phrase  est  une  addition,  écrite  en  abrégé.  Nous  y  laissons  les  verbes 
ajoutés  par  Deforis,  sans  lesquels  elle  serait  peu  intelligible, 
3.    Var.  par  une  religion  très  particulière. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  525 

rible  :  et  c'est  pourquoi,  entre  le  Lieu  saint  et  le  Sanctuaire, 
un  grand  voile  parsemé  de  chérubins  était  étendu,  qui  couvrait 
les  mystères  aux  yeux  du  peuple,  et  leur  apprenait  à  les 
respecter  d-ins  une  profonde  humiliation.  Telle  était  la  forme 
du  temple  où  l'ancien  peuple  servait  (')  le  Seigneur  son 
Dieu. 

Que  ce  lieu  avait  de  majesté,  chrétiens  !  et  que  c'est  avec 
beaucoup  de  raison  que  les  plus  grands  monarques  de  l'Orient 
l'ont  honoré  par  leurs  sacrifices,  et  ont  donné  tant  de  privi- 
lèges illustres  à  ce  temple  et  à  ses  ministres  !  Mais  il  vous 
paraîtra  beaucoup  plus  auguste,  si  vous  remarquez  que  cette 
sainte  maison  était  la  seule  dans  tout  l'univers  que  Dieu 
avait  choisie  pour  son  domicile,  et  qu'il  n'y  avait  que  ce  lieu 
sur  la  terre  où  l'on  fît  le  service  du  vrai  Dieu  vivant,  et  dans 
lequel  on  lui  consacrât  des  victimes.  C'est  ce  qui  a  fait  dire 
aux  anciens  Hébreux,  et  après  à  quelques  auteurs  ecclésias- 
tiques {'')  que  ce  temple  unique  du  peuple  de  Dieu  était  la 
figure  du  monde.  Car  de  même  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu  créa- 
teur et  un  monde  qui  est  l'ouvrage  de  sa  sagesse  et  comme  le 
temple  de  sa  majesté,  où  il  est  loué  et  servi  par  l'obéissance 
de  ses  créatures;  ainsi  il  n'y  avait  qu'un  seul  temple, qui  repré- 
sentait dans  son  unité  le  monde  unique,  qui  a  été  fait  (  )  par 
le  Dieu  unique. 

Selon  cela,  j'apprends  de  l'Apôtre  (^)  que  cette  partie  du 
temple  de  Salomon  dans  laquelle  se  faisait  l'assemblée  du 
peuple  nous  figurait  la  terre,  qui  est  la  demeure  des  hommes, 
et  que  ce  lieu  si  secret,  si  impénétrable  (^),  oii  était  l'arche 
du  témoignage,  «  où  Dieu,  comme  dit  le  Psalmiste  ("),  était 
assis  sur  les  chérubins,  »  représentait  cette  haute  demeure 
que  l'Ecriture  appelle  «  le  ciel  des  cieux  (^'),  »  où  l'iùernel 
se  fait  voir  en  sa  gloire.  C'est  pourquoi  et  l'arche  et  le  sanc- 

a.  Ps.y  XCVlil,  I.  —  />.  Ibid.^  CXlll,  16. 

1.  Viir.  adorait. 

2.  Phil.,  \\\^.^  de  Sonui.^   \\  de  MonarcJi. —  S.  llicron.,  l'.pist.  ad  Fi  d>  toi.  — 
Homil.  iiiicr  Opcr.  S.  Chrysosi.  (Dcfoiis.) 

3.  Var.  bâti. 

4.  Ms.  «  au  IX"^^  de  ri'".pîtie  aux  llcbicux.  >  C/ia/ntrc  est  sous-cnlcndu,  sinon 
oublié. 

5.  Var.  si  inaccessible. 


r26  POUR  LE  JOUR  DE  LASCENSION. 


tuairc,  qui  étaient  honorés  en  ce  temps-là,  comme  je  l'ai  dit, 
de  l.'i  présence  particulière  de  Dieu,  étaient  couverts  d'un 
voile  mystérieux,  pour  nous  faire  entendre  ce  que  dit  l'Apô- 
tre :  que  «  Dieu  habite  une  lumière  inaccessible  {"),  »  et  que 
l'essence  divine  est  cachée  par  le  voile  d'un  impénétrable 
secret.  Et  d'autant  que  les  hommes,  parleurs  péchés,  s'étaient 
exclus  éternellement  de  la  vue  de  Dieu,  ce  qui  a  fait  dire  si 
souvent  au  vieux  peuple  :  «  Si  nous  voyons  Dieu,  nous  mour- 
rons f);  »  de  là  vient  que  l'entrée  du  sanctuaire  était  inter- 
dite sous  peine  de  mort  à  tous  les  enfants  d'Israël,  par  une 
espèce  d'excommunication  générale,  qui  représentait  à  ceux 
qui  étaient  éclairés  que,  sans  la  grâce  de  notre  Sauveur, 
nonobstant  les  services,  les  victimes  et  les  cérémonies  de  la 
Loi,  tous  les  hommes  étaient  excommuniés  du  vrai  sanctuaire 
du  Dieu  vivant,  c'est-à-dire,  de  son  royaume  céleste. Et  cette 
interprétation,  chrétiens,  n'est  pas  une  invention  de  l'esprit 
humain  :  l'Apôtre  nous  l'enseigne  en  termes  exprès,  quand 
il  dit  (aux  Hébreux,  chapitre  ix)  que,  par  cette  rigoureuse 
défense  d'entrer  et  de  regarder  dans  le  sanctuaire,  le  Saint- 
Esprit  nous  voulait  montrer  que  le  chemin  des  lieux  saints 
n'était  point  ouvert,  tant  que  le  premier  tabernacle  était  en 
état  (').  »  L'Apôtre  veut  nous  apprendre  que  tant  que  ce 
tabernacle  sera  en  état,  c'est-à-dire,  tandis  que  l'on  n'aura 
point  de  meilleures  hosties  que  les  animaux  égorgés,  le  che- 
min des  lieux  saints,  c'est-à-dire  la  porte  du  ciel,  nous  sera 
fermé. 

Mais,  mes  frères,  réjouissons-nous  :  le  sang  de  Notre- 
Seigneur  Jésus  a  levé  cette  excommunication  de  la  Loi. 
Ecoutez  l'apôtre  saint  Paul,  qui  vous  dit  qu'il  a  pénétré  au 
dedans  du  voile  {'^).  Vous  entendez  maintenant,  ce  me  semble, 
ce  que  signifie  le  dedans  du  voile  :  il  entend  que  Jésus  est 
monté  dans  le  ciel,  qu'il  est  entré  en  ce  divin  sanctuaire,  et 
que  cette  secrète  et  inaccessible  demeure  de  Dieu,  dont  les 
hommes  étaient  exclus  pour  jamais,  a  été  ouverte  à  Jésus- 
Christ  homme,  qui  y  a  porté  les  prémices  de  notre  nature. 
Et  voyez  cette  vérité  figurée  par  une  admirable  cérémonie 
de  la  Loi,  que  l'Apôtre  nous  explique  mot  à  mot  dans  le 

a.  I  Tim.,  VI,  i6.  —  â.  Judic.^  XIH,  22.  —  c.  Hebf.^  IX,  8.  —  d.  Hebr.,  vi,  19. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  527 

même  chapitre  neuvième  aux  Hébreux.  Je  vous  prie,  rendez- 
vous  attentifs,  et  écoutez  la  plus  belle  figure,  la  plus  exacte, 
la  plus  littérale,  qui  nous  ait  jamais  été  proposée. 

Ce  lieu  si  caché,  si  impénétrable,  était  ouvert  une  fois 
l'année  ;  mais  il  n'était  ouvert  qu'un  moment  et  à  une  seule 
personne,  qui  était  le  grand  sacrificateur.  Car,  d'autant  que 
la  fonction  du  pontife,  c'est  de  s'approcher  de  Dieu  pour  le 
peuple,  il  semblait  bien  raisonnable,  mes  sœurs,  que  le 
souverain  prêtre  de  l'ancienne  loi  entrât  quelquefois  dans  le 
sanctuaire,  où  Dieu  daignait  bien  habiter  pour  lors.  Aussi 
lui  est-il  ordonné,  dans  le  Lévitique  (''),  d'entrer  dans  le  Saint 
des  saints  une  fois  l'année.  Mais  d'autant  que  le  pontife  des 
Juifs  était  lui-même  un  homme  pécheur  ;  avant  que  de  s'ap- 
procher de  ce  lieu,  que  Dieu  avait  rempli  de  sa  gloire,  il 
fallait  qu'il  se  purifiât  par  des  sacrifices.  Représentez-vous 
toute  cette  cérémonie,  qui  est  comme  une  histoire  du  Sau- 
veur Jésus  :  figurez-vous  que  cet  unique  moment  est  venu, 
où  le  pontife  doit  entrer  dans  le  Saint  des  saints,  qu'il  ne 
reverra  plus  de  toute  l'année,  de  peur  qu'il  ne  meure  :  car 
telle  est  la  rigueur  de  la  loi.  Voyez-le  dans  le  premier  taber- 
nacle, qui  sacrifie  deux  victimes,  pour  ses  péchés,  et 
pour  les  péchés  du  peuple  qui  l'environne  ;  considérez-le 
faisant  sa  prière,  et  se  préparant  d'entrer  en  ce  lieu  terri- 
ble {^).  Après  ces  sacrifices  offerts,  lui  reste-t-il  encore 
quelque  chose  à  faire  ;  et  ne  peut-il  pas  désormais  s'appro- 
cher de  l'arche  ?  Non,  fidèles:  s'il  s'en  approche  ainsi,  il  est 
mort  ;  la  majesté  de  Dieu  le  fera  périr.  Comment  donc  ? 
Remarquez  ceci,  je  vous  prie  :  qu'il  prenne  le  sang  de  la 
victime  immolée,  qu'il  le  porte  avec  lui  devant  Dieu  dans  le 
sanctuaire,  qu'il  y  trempe  ses  doigts,  et  Dieu  le  regardera 
d'un  bon  œil  ;  ensuite  il  priera  devant  l'arche  pour  ses  péchés 
et  pour  ceux  des  Israélites,  et  sa  prière  sera  agréable.  Oui 
ne  voit  ici,  chrétiens,  que  ce  n'est  point  par  son  propre  mérite 
que  l'accès  lui  est  donné  dans  le  sanctuaire  ?  C'est  le  sang 
delà  victime  immolée  qui  l'introduit  et  qui  le  fait  agréer.  Je 
vous  prie,  voyez  le  mystère  :  l'hostie  est  offerte  hors  du 
sanctuaire,  mais  son  sang  est  porté  dans  le  Saint  des 
a,  Levit.^  xvi,  34.  —  b.  Levit.^  xvi,  i  et  seq. 


r28  POUR  LE  JOUR  DE  l' ASCENSION. 


saints  ;  par  ce  sang  le  pontife  pénètre  au  dedans  du  voile, 
par  ce  sang  il  approche  de  Dieu,  parce  sang  ses  prières  sont 
exaucées.  ^Dites-moi,  fidèles,  quel  est  ce  sang  ?  Le  sang  des 
bctes  brutes  est-il  capable  de  réconcilier  l'homme  ?  notre 
Dieu  se  plaît-il  si  fort  dans  le  sang  des  animaux  égorgés, 
qu'il  ne  puisse  souffrir  son  pontife  devant  sa  face,  s'il  n'est, 
pour  ainsi  dire,  teint  de  ce  sang  ?  A  travers  de  ces  ombres,  ne 
découvrez-vous  pas  le  Seigneur  Jésus  qui,  par  son  sang, 
ouvre  le  sanctuaire  éternel  ?  Mais  il  faut  vous  le  faire  toucher 
du  doio-t.  Je  vous  demande  quel  est  ce  pontife  dont  la  di- 
gnité est  si  relevée,  que  lui  seul  peut  {')  entrer  dans  le  sanc- 
tuaire ;  dont  l'imperfection  est  si  grande,  qu'il  n'y  peut  entrer 
qu'une  fois  l'année,  qu'il  n'y  peut  introduire  son  peuple,  et 
qu'il  n'y  est  lui-même  introduit  que  par  le  sang  d'un  bouc  ou 
d'un  veau?  C'était  les  victimes  que  l'on  offrait  (').  Quelle  est 
la  majesté  de  ce  sanctuaire  où  on  entre  avec  tant  de  céré- 
monie ?  mais  quelle  est  l'imperfection  de  ce  sanctuaire,  dont 
l'entrée,  si  sévèrement  interdite,  est  ouverte  enfin  par  ^le 
sano-  d'une  bête  sacrifiée  ?  Enfin  quelle  est  la  vertu  et  tout 
ensemble  l'imbécillité  de  ce  sang  qui  donne  la  liberté  d'ap- 
procher de  l'arche,  mais  qui  ne  la  donne  qu'au  pontife 
seul,  qui  ne  la  lui  donne  que  pour  un  moment,  et  laisse 
après  cela  l'entrée  défendue  par  une  loi  éternelle  et  in- 
violable ? 

Dites-nous,  ô  Juifs  aveugles,  qui  ne  voulez  pas  croire  au 
Sauveur  Jésus,  d'où  vient  cet  étrange  assemblage  d'une 
dignité  si  auguste  et  d'une  imperfection  si  visible  :  tout  cela 
ne  vous  prêche-t-il  pas  que  ce  sont  des  figures  ?  Parce  que 
vos  cérémonies  sont  des  ombres,  elles  ont  de  l'imperfection  ; 
et  elles  ont  aussi  de  la  dignité,  à  cause  des  mystères  de  Jésus 
qu'elles  représentent.  Ce  sang,  ce  pontife,  ce  Saint  des  saints, 
ne  vous  crient-ils  pas  :  Peuple,  ce  n'est  pas  ici  ton  pontife  qui 
t'introduira  au  vrai  sanctuaire  ;  ce  n'est  pas  ici  le  vrai  sang 
qui  doit  purger  tes  iniquités  ;  ce  n'est  pas  ici  ce  grand  sanc- 
tuaire où  repose  la  majesté  du   Dieu  d'Israël  :  Dieu  t'enverra 

1.  Edit.  pût  entrer.  (Erreur  de  lecture  :  il  y  a  bien  peul,  €zx\\.  petist^  comme 
dans  peiist  être  ou  peust  estre^  à  cette  date.) 

2.  Phrase  omise  par  les  éditeurs. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  529 

un  jour  un  pontife  plus  excellent,  qui,  par  un  meilleur  sang, 
t'ouvrira  un  sanctuaire  bien  plus  auguste. 

Admirez  en  effet,  mes  très  chères   sœurs,    comme  tant  de 
choses  apparemment  (')  si  enveloppées,  et  qui   semblent  si 
contraires  en  elles-mêmes,  cadrent  et  s'ajustent  si  proprement 
au 'Sauveur  Jksus.   Le  pontife   offre  son    sacrifice  hors  du 
sanctuaire,  au  milieu  de  l'assemblée  de  son  peuple  ;  le  sacri- 
fice de  la  mort  de  Jésus  se  fait  sur  la  terre  au  milieu  des  hom- 
mes. Le  pontife  entre  au  dedans  du  voile,  c'est-à-dire,   dans 
le    Saint  des  saints  ;   Jésus,    après  son   sanglant  sacrifice, 
pénètre  au  vrai  Saint  des  saints,   c'est-à-dire  au  ciel.    Le 
pontife  n'offre  qu'une  fois  l'année  ce   sacrifice  qui    découvre 
le  sanctuaire  ;  Jésus-Christ  n'a  offert   qu'une  fois  ce  sacri- 
fice d'une   vertu   infinie,  par   lequel  les  cieux  sont   ouverts  : 
car,  fidèles,  qui  ne  sait  que  l'année,  dans  sa  perfection  accom- 
plie, représente  en  abrégé  l'étendue  des  siècles,  puisqu'il  est  si 
évident  que  les  siècles  ne  sont  que  des  années  révolues  ?  Le 
pontife  ayant  immolé  sa  victime  sur  l'autel  du  premier  taber- 
nacle porte  son  sang  devant  la  face  de   Dieu  dans  son  sanc- 
tuaire, afin  de  l'apaiser  sur  son  peuple  ;  Jésus,  ayant  immolé 
sur  la  terre,  n'accomplit-il  pas  ce  mystère,    montant  aujour- 
d'hui dans  les  cieux  }  Voyez  comme  il   s'approche  du    trône 
du  Père,  lui  montrant  ses  blessures,  toutes   récentes,  toutes 
teintes  et  toutes  vermeilles  de  ce  divin  sang,  de  ce   sang  de 
la  nouvelle  alliance,  versé  pour  la  rémission  de  nos  crimes  : 
n'est-ce  pas  là,  mes  frères,    porter   vraiment  devant  la   face 
de  Dieu  le  sang  de  la  victime   innocente  qui  a  été  immolée 
pour  notre  salut  ?  Ouvrez-vous   donc,    voile    mystérieux   ; 
ouvrez-vous,  sanctuaire  éternel  de  la  Trinité  adorable  :  laissez 
entrer  Jésus-Christ  mon  pontife  au  plus  intime  secret  du 
Père.   Car  si  le  sang  des   veaux  et  des  boucs  rendait  acces- 
sible le   Saint   des   saints,  bien    qu'une  loi   si  rigoureuse   en 
fermât  la  porte  ;  le  sang  de   l'Homme-Dieu,   Jésus-Christ, 
n'ouvrira-t-il   pas  le  vrai   sanctuaire   1   Et   si   le    pontife   du 
Vieux  Testament  avait  de  si  beaux  privilèges,  bien  (ju'il  ne 
s'approchât  de  ce   très  saint  lieu  que  «  par   un  sang  ciran- 


I.  lù/iL  en  apparence. 

Sermons  de  Hossuct.  34 


:^^0  POUR  LE  JOUR  DE  l'aSCENSION. 


ger,  »  comme  dii  l'Apôtre  ('^),  c'est-à-dire,  par  le  sang  des 
victimes  ;  quelle  doit  être  la  gloire  de  notre  pontife  «'  qui  se 
présente  à  Dieu  en  son  propre  sang  ('''),  1>  per  proprium  san- 
gïiuum.  dit  le  même  Apôtre  !  Et  si  le  pontife  selon  l'ordre 
d'Aaron,  qui  était  un  homme  pécheur,  pénètre  dans  la  partie 
la  plus  sainte  ;  qu'y  aura-t-il  de  si  sacré  dans  les  cieux,  où 
Jésus  ne  doive  être  introduit:  Jésus,  dis-je,  ce  pontife  si 
pur,  si  innocent,  c^ui,  étant  seul  agréable  au  Père,  a  été  seul 
établi  sacrificateur  selon  l'ordre  de  Melchisédech  (^)  ? 

Admirons  donc  maintenant,  mes  très  chères  sœurs,  l'ex- 
cellence de  la  religion  chrétienne,  par  l'éminente  dignité  de 
son  sacerdoce.  Le  pontife  du  Vieux  Testament,  avant  que 
d'entrer  dans  le  Saint  des  saints,  offrait  des  sacrifices  pour 
ses  péchés  et  pour  les  péchés  de  son  peuple  ;  après,  étant 
au  dedans  du  voile,  il  continuait  la  même  prière  pour  ses 
péchés  et  pour  ceux  des  Israélites.  Jésus-Christ,  notre  Sau- 
veur, notre  vrai  pontife,  étant  la  justice  et  la  sainteté  même, 
n'a  que  faire  de  victime  pour  ses  péchés  ;  mais  au  contraire 
étant  innocent  et  sans  tache,  il  est  lui-même  une  très  digne 
hostie  pour  l'expiation  des  péchés  du  monde.  Si  donc  il 
entre  aujourd'hui  dans  le  Saint  des  saints,  c'est-à-dire,  à  la 
droite  du  Père,  il  n'y  entre  pas  pour  lui-même  ;  ce  n'est  pas 
pour  lui-même  qu'il  y  va  prier.  C'est  pourquoi  l'Apôtre  dit 
dans  mon  texte  :  «  Jésus  notre  avant-coureur  est  entré  pour 
nous  ;  »  il  veut  dire  :  Le  pontife  de  la  loi  ancienne  avait 
besoin  d'offrir  pour  lui-même,  et  d'entrer  pour  lui-même 
dans  le  sanctuaire  ;  mais  Jésus,  notre  vrai  pontife,  est  entré 
pour  nous.  Eh  quoi  donc!  Jésus-Christ  Notre-Seigneur 
n'est-il  pas  monté  dans  le  ciel  pour  y  recevoir  la  couronne  ? 
comment  donc  n'y  est-il  pas  entré  pour  lui-même?  Et  toute- 
fois l'Apôtre  nous  dit:  «Jésus,  notre  avant-coureur,  est  entré 
pour  nous.  »  Entendons  son  raisonnement,  chrétiens.  Jésus 
n'avait  que  faire  de  sang  pour  entrer  au  ciel  ;  il  était  lui-même 
du  ciel,  et  le  ciel  lui  était  dû  de  droit  naturel  :  et  toutefois  il 
y  est  entré  par  son  sang;  il  n'est  monté  au  ciel  qu'après  qu'il 
est  mort  sur  la  croix  :  ce  n'est  donc  pas  pour  lui-même  qu'il 

a.  Hebr.y  IX,  25.  —  b.  Ibid.^  12.  —  Ms.  in  proprio  sanguine.  —  c.  Hebr.^  vu, 
17,26. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  53 1 

y  est  entré  de  la  sorte.  C'était  nous,  c'était  nous  qui  avions 
besoin  de  sang  pour  entrer  au  ciel  ;  parce  qu'étant  pécheurs, 
nous  étions  coupables  de  mort  (')  :  notre  sang  était  dû  à  la 
rigueur  de  la  vengeance  (^)  divine,  si  Jésus  n'eût  fait  cet  aima- 
ble échange  de  son  sang  pour  le  nôtre,  de  sa  vie  pour  la  vie 
des  hommes.  De  là  tant  de  sang  répandu  dans  les  sacrifices 
des  Israélites,  pour  nous  signifier  ce  que  dit  l'Apôtre:  que  sans 
«  l'effusion  du  sang  il  n'y  a  point  de  rémission  ("),  »  et  ainsi 
quand  il  entre  au  ciel  par  son  sang,  ce  n'est  pas  pour  lui,  c'est 
pour  nous  qu'il  y  entre  ;  c'est  pour  nous  qu'il  approche  du 
Père  éternel.  D'où  nous  voyons  une  autre  différence  notable 
entre  le  sacrificateur  du  vieux  peuple,  et  Jésus  le  pontife  du 
peuple  nouveau.  A  la  vérité  le  pontife  pouvait  entrer  dans 
le  sanctuaire  ;  mais,  outre  qu'il  en  sortait  aussitôt,  il  ne  pou- 
vait en  ouvrir  l'entrée  à  aucun  du  peuple  :  c'est  à  cause 
qu'étant  pécheur  lui-même,  il  n'était  souffert  que  par  grâce 
dans  le  Saint  des  saints  ;  et  n'y  étant  souffert  que  par 
grâce,  il  ne  pouvait  acquérir  aucun  droit  au  peuple.  Mais 
Jésus,  qui  a  droit  naturel  d'entrer  dans  le  ciel,  y  veut 
encore  entrer  par  son  sang  :  [il  a]  le  droit  naturel  et  le 
droit  acquis  (3)  :  le  premier  droit,  il  le  réserve  pour  lui;  il 
entre,  et  il  demeure  éternellement  :  le  second  droit,  il  nous 
le  transfère.  Avec  lui,  et  par  lui,  nous  pouvons  entrer  ;  par 
son  sang,  l'accès  nous  est  libre  au  dedans  du  voile.  De  là 
vient  que  l'Apôtre  l'appelle  notre  avant-coureur  :  «  Jésus, 
dit-il,  notre  avant-coureur,  est  entré  pour  nous.  » 

Les  évangélistes  remarquent,  qu'au  moment  que  Jésus- 
Christ  expira,  «  ce  voile  dont  je  vous  ai  parlé  tant  de  fois, 
qui  était  entre  le  Lieu  saint  et  le  Lieu  très  saint,  fut  dé- 
chiré entièrement  et  de  haut  en  bas  {^).  »  O  merveilleuse 
suite  de  nos  mystères!  Jésus-Christ  étant  mort,  il  n'y  a 
plus  de  voile.  Le  pontife  le   tirait   pour  entrer  ;  le  sang  de 

a.  Heâr.y  IX,  22.  —  à.  Matth.^  XXVll,  51  ;  Marc,  XV,  38;  Luc,  xxill,  45. 

1.  Coupables  (Vun  crime  méritant  la  mort.  Latinisme  :  rcus  mortis. 

2.  Var.  justice. 

3.  Cette  petite  phrase  incomplète  est  une  aiUliiion  inlerlindaire.  Hossuet  a 
pu  suppléer  d'autres  expressions  que  celles  que  nous  proposons,  ou  que  celles 
([ui  ont  ctc  proposées  par  Deforis.  Nous  nous  bDnions  à  ce  qu'il  y  a  d'indispen- 
sable, et  de   plus  simple. 


532  POUR  LE  JOUR  DE  L* ASCENSION. 


Jésus-Christ  le  déchire,  il  n'y  en  a  plus  désormais  :  le  Saint 
des  iviiiits  sera  découvert  ;  de  haut  en  bas  le  voile  est  rompu. 
Et  n'est-ce  pas  ce  que  dit  l'Apôtre  dans  sa  deuxième  Épître 
aux  Corinthiens  :  «  Il  y  avait  un  voile,  dit-il,  devant  les  yeux 
du  peuple  charnel  :  pour  nous  qui  sommes  le  peuple  spiri- 
tuel, nous  contemplons  à  face  découverte  la  gloire  de 
Dieu  (')  ?  »  Vous  me  direz  peut-être  que  nous  avons  aussi 
le  voile  de  la  foi  qui  nous  couvre  ;  mais  il  m'est  aisé  de  ré- 
pondre. Il  est  vrai  que  nos  yeux  ne  pénètrent  pas  encore  au 
dedans  du  voile  ;  mais  notre  espérance  y  pénètre,  il  n'y  a 
aucune  obscurité  qui  l'arrête  :  elle  va  jusqu'au  plus  intime 
secret  de  Dieu.  Et  pourquoi  ?  C'est  parce  qu'elle  va  après 
Jésus-Christ,  parce  qu'elle  le  suit,  qu'elle  s'y  attache. 
L'Apôtre  nous  l'explique  dans  notre  texte  :  «  Tenons  ferme, 
dit-il  (^'),  mes  chers  frères,  dans  l'espérance  que  nous  avons,  qui 
pénètre  jusques  au  dedans  du  voile  où  Jésus,  notre  précur- 
seur, est  entré  pour  nous.  »  Ah  !  nous  n'avons  point  un 
pontife  qui  ne  puisse  pas  nous  introduire  dans  le  sanctuaire. 
Comme  Jésus  y  est  entré,  nous  y  entrerons. 

Et  toutefois,  pour  accomplir  de  point  en  point  l'ancienne 
figure,  nous  y  entrerons  tous,  et  il  n'y  aura  que  le  pontife 
qui  y  entrera.  Dieu  éternel  !  qui  entendra  ce  mystère  ?  Oui, 
fidèles,  je  le  dis  encore  une  fois,  il  n'y  a  que  Jésus-Christ 
seul  qui  entre  en  {')  la  gloire.  Ecoutez  le  Sauveur  lui-même 
(en  saint  Jean,  chapitre  m)  :  «  Nul  ne  monte  au  ciel,  nous 
dit-il,  excepté  celui  qui  est  descendu  du  ciel,  le  Fils  de 
l'homme  qui  est  au  ciel.  »  Nul  ne  monte  au  ciel,  que  celui 
qui  est  descendu  du  ciel.  Fidèles,  sommes-nous  descendus 
du  ciel  ?  et  comment  donc  y  monterons-nous  ?  Eh  !  sommes- 
nous  encore  excommuniés,  comme  si  nous  vivions  sous  la 
Loi  ?  Non,  certes,  le  grand  pontife  nous  a  absous  :  il  a 
voulu  lui-même  être  rejeté,  afin  que  par  lui  nous  fussions 
reçus.  Nous  monterons  au  ciel  (")  en  Jésus-Christ  et  par 
Jésus-Christ  ;   il   est  notre  chef,    nous  sommes  ses  mem- 

a.  Il  Cor.,  III,  15,  1 8.  —  â.  Hebr.,  vi,  19,  20. 

1.  Edit.  dans. 

2.  Var.  Nous  y  monterons.  —  Modifié  par  suite  de  l'éloquente  insertion  : 
«  Eh  !  sommes-nous  encore  excommuniés..?  »,  introduite  après  coup  entre  les 
lignes. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  533 

bres  ;  «  nous  sommes  sa  plénitude,  »  comme  dit  saint 
Paul  ('"):  quand  nous  entrons  au  ciel,  c'est  Ji-:sus-Ciirist  qui 
entre,  parce  que  ce  sont  ses  membres  qui  entrent.  «  Celui 
qui  vaincra,  dit  Jésus-Christ  lui-même  (^'),  je  le  ferai  asseoir 
dans  mon  trône.  »  Voyez  que  nous  serons  dans  son  trône  ; 
nous  n'occuperons  avec  lui  qu'une  même  place  :  nous  serons 
au  ciel  comme  confondus  avec  Jésus-Christ  ;  et  par  un 
merveilleux  effet  de  la  grâce,  notre  disette  est  la  cause  de 
notre  abondance  :  parce  qu'il  nous  est  sans  comparaison  plus 
avantageux  d'être  considérés  en  Jésus-Christ  seul,  que  si 
nous  l'étions  en  nous-mêmes.  Par  conséquent,  mes  sœurs, 
aujourd'hui  que  Jésus-Christ  approche  du  Père,  croyons 
que  nous  approchons  en  lui  et  par  lui.  C'est  pour  nous  qu'il 
ouvre  le  sanctuaire  :  c'est  pour  nous  qu'il  paraît  devant  Dieu. 
Les  pontifes  de  la  loi  ancienne  étaient  des  hommes  mortels  : 
la  charge  auguste  du  sacerdoce  ne  se  conservait  dans  la  fa- 
mille d'Aaron  que  par  la  succession  du  vivant  au  mort.  «Jésus 
vivant  éternellement,  dit  l'Apôtre  {'),  a  un  sacerdoce  éter- 
nel. »  C'est  pourquoi,  dit  le  même  saint  Paul,  «  il  peut  toujours 
sauver  ceux  qui  s'approchent  de  Dieu  par  lui;  il  est  toujours 
vivant  pour  intercéder,  »  semper  vivais  ad  intcrpcUanduni 
pro  nobis{^^)\  c'est  notre  seconde  partie. 

SECOND    rOINT. 

J'apprends  de  l'apôtre  saint  Paul  (aux  Hébreux,  cha- 
pitre v),  que  «  tout  pontife  doit  être  tiré  (')  d'entre  les 
hommes;  et  qu'il  est  établi  pour  les  hommes,  en  ce  qui  doit 
être  traité  avec  Dieu  :  »  d'où  il  résulte  que  le  pontife  est 
l'ambassadeur  du  peuple  vers  Dieu.  Puis  donc  que  Notre- 
Seigneur  Jésus  est  notre  pontife,  il  s'ensuit  qu'il  est  notre 
ambassadeur.  Admirons  ici  le  bonheur  des  hommes,  en  ce 
que  notre  prince  même  daigne  bien  être  notre  ambassadeur. 
Or  il  est  sans  doute  qu'étant  notre  ambassadeur  auprès  de 
son  Père,  il  fallait  qu'il  résidât  près  de  sa  personne;  et  cn- 

a.  Kphes.,  I,  23.  —  b.  Apoc,  ni,  21.  —  c.  Htbr.,  vn,  24.  —  d.  H(h.,  vn,  25. 

I.  Lâchât  a  lu  ici  :  <<  trie  d'entre  les  hommes.  >>  Celle  interprétation,  sans  ôtre 
absurde,  doit,  croyons-nous,  être  écartée.  T/rr  csi  une  Ici^on  fort  légitime,  cor- 
respondant au  texte  de  saint  Paul  :  c.v  hoininihus  assumpius. 


534  POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION. 

suite  qu'il  y  négociât  nos  affaires,  qu'il  lui  portât  toutes  les 
paroles  de  notre  part,  qu'il  nous  conciliât  la  bienveillance  de 
ce  grand  Dieu,  et  qu'il  maintînt  la  bienheureuse  alliance 
qu'il  lui  a  plu  de  faire  avec  nous  :  telle  est  la  fonction  d'un 
ambassadeur.  C'est  pour  cela  que  notre  pontife  ne  cesse  de 
sc^lliciter  son  Père  pour  nous  :  il  est  toujours  vivant  pour 
intercéder  :  et  de  là  vient  que  l'Écriture  lui  donne  cette  ex- 
cellente qualité  de  Médiateur,  de  laquelle  il  est  nécessaire 
que  je  tâche  de  vous  faire  comprendre  la  force. 

Et  premièrement  il  est  manifeste  que  Jésus-Christ  prie, 
et  que  nous  prions;  que  Jésus-Christ  s'entremet  pour  nous, 
et  que  nous  nous  entremettons  les  uns  pour  les  autres  à  cause 
de  la  charité  fraternelle.  Et  d'autant  que  les  saints  sont  nos 
frères,  cette  charité  sincère  et  indivisible  qui  les  lie  de  com- 
munion avec  nous,  les  oblige  de  prier  et  d'intercéder  pour 
cette  partie  des  fidèles  qui  combat  en  terre.  Cette  vérité 
n'est  point  contestée  :  nos  adversaires  mêmes  ne  désavouent 
point  que  les  bienheureux  ne  prient  Dieu  pour  nous.  Cette 
doctrine  donc  étant  si  constante,  qu'a  de  particulier  le  Sei- 
gneur Jésus  pour  lui  donner  singulièrement  et  par  excellence 
cette  belle  qualité  de  Médiateur.'^  Le  mettrons-nous  avec  le 
reste  du  peuple  dans  le  nombre  des  suppliants.'^  Chrétiens, 
entendons  ce  mystère.  C'est  autre  chose  de  s'entremettre  par 
charité;  autre  chose  d'être  le  Médiateur  établi  pour  faire  valoir 
les  prières,  et  donner  du  poids  à  l'entremise  des  autres. 
Apportons  un  exemple  familier.  C'est  autre  chose  de  s'entre- 
mettre près  d'un  monarque,  et  d'y  rendre  aux  personnes  que 
nous  chérissons  les  offices  d'un  bon  ami;  autre  chose  d'être 
établi  parle  prince  même  pour  lui  rapporter  toutes  les  requê- 
tes, pour  distribuer  toutes  les  grâces,  pour  présenter  tous  ceux 
qui  viennent  demander(')  audience.  Jésus  est  le  Médiateur  gé- 
néral; nul  n'est  agréé  s'il  n'est  présenté  de  sa  main:  si  la  prière 
n'est  faite  en  son  nom,  elle  ne  sera  pas  seulement  ouïe  (^)  ; 
nul  bienfait  n'est  accordé  que  par  lui.  Et  que  pourrais-je  vous 
dire  de  ce  saint  pontife,  par  qui  toutes  les  prières  sont  exau- 
cées, par  qui  toutes  les  grâces  sont  entérinées,  par  qui  toutes 

1.  Var.  qui  demandent. 

2.  Var.  nulle  prière  ne  peut  être  reçue,  si  elle  n'est  faite  en  son  nom. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  535 

les  offrandes  sont  bien  reçues,  par  qui  tous  ceux  qui  veulent 
s'approcher  de  Dieu  sont  très  assurés  d'être  admis  ?  Quelle 
dignité,  chrétiens!  De  toutes  les  parties  de  la  terre  les  vœux 
viennent  à  Dieu  par  Jésus  :  tous  ceux  qui  invoquent  Dieu 
comme  il  faut,  l'invoquent  au  nom  de  ce  grand  pontife, 
que  Tertullien  appelle  fort  bien  Catholicum  Patris  sacerdo- 
tem  ("*),  «  le  pontife  universel  établi  de  Dieu  pour  offrir  les 
vœux  de  toutes  les  créatures.  »  Non,  ni  les  Patriarches,  ni 
les  Prophètes,  ni  les  Apôtres,  ni  les  Martyrs,  ni  les  Séra- 
phins mêmes ,  tout  brillants  d'intelligence  ,  tout  brûlants 
d'amour;  ni  la  Reine  de  tous  les  esprits  bienheureux,  l'incom- 
parable Marie,  ne  peuvent  aborder  du  trône  de  Dieu,  si 
Jésus  ne  les  introduit.  Ils  prient,  nous  n'en  doutons  pas,  et 
ils  prient  pour  nous;  mais  ils  prient  comme  nous  au  nom  de 
Jésus,  et  ils  ne  sont  exaucés  qu'en  ce  nom. 

C'est  pourquoi  je  ne  craindrai  pas  d'assurer  qu'encore  que 
l'Eglise  de  Dieu  sur  la  terre  et  les  esprits  bienheureux  dans 
le  ciel  ne  cessent  jamais  de  prier,  il  n'y  a  que  Jésus-Christ 
seul  qui  soit  exaucé;  parce  que  tous  les  autres  ne  le  sont  qu'à 
cause  de  lui.  C'est,  mes  sœurs,  pour  cette  raison  que  dans  les 
prières  ecclésiastiques  nous  prions  Dieu,  au  nom  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  d'avoir  pour  agréables  les  oraisons 
que  les  saints  lui  présentent  pour  nous.Si  elles  étaient  valables 
par  elles-mêmes,  quelle  serait  notre  hardiesse  de  demander 
qu'elles  fussent  reçues!  Est-ce  peut-être  que  nous  espérons 
que  notre  entremise  les  fera  valoir.'^  D'où  vient  donc  cette 
façon  de  prier?  Nous  demandons  les  intercessions  de  nos 
frères  qui  régnent  avec  Jésus-Christ,  et  en  même  temps 
nous  prions  notre  Dieu  qu'il  daigne  écouter  leurs  prières  : 
prétendons-nous  que  nos  oraisons  donneront  prix  (')  à  celles 
des  saints?  Qui  le  croirait  ainsi,  il  (')  entendrait  mal  l'intention 
de  l'Église.  Elle  prétend  par  là  nous  faire  connaître  que 
lorsque  nous  implorons  l'assistance  des  saints  qui  nous  atten- 
dent dans  le  paradis,  c'est  pour  joindrez  nos  prièrcîs  aux 
leurs,  c'est   pour  faire  avec  eux   une  même  oraison  et  un 

a.  Advcrs.  Marc/on.^  lib.  iv,  n.  2. 

1.  Kdif.  donnent  du  prix. 

2.  Les  éditeurs  suppriment  ce  //,  conforuie  ;\  la  syntaxe  du  temps. 


536  POUR  LE  JOUR  DE  l'aSCENSION. 

même  chœur  de  musique,  un  même  concert,  comme  nous 
ne  faisons  qu'une  même  Églisfî.  Et  encore  que  nous  sachions 
que  cette  union  soit  très  agréable  (')  à  notre  grand  Dieu, 
toutefois  nous  confessons,  priant  de  la  sorte,  qu'elle  ne  lui 
plaît  qu'à  cause  de  son  cher  Fils,  que  c'est  le  nom  de  Jésus  qui 
prie  et  qui  donne  accès,  qui  fléchit  et  qui  persuade  le  Père. 
Cela  nous  est  exactement  figuré  aux  quatrièmeetcinquième 
chapitres  de  l'Apocalypse  (")  :  là  nous  est  représenté  le  trône 
de  Dieu,  où  est  assis  Celui  qui  vit  aux  siècles  des  siècles,  et 
autour  les  vingt-quatre  vieillards  qui,  pour  plusieurs  raisons 
qu'il  serait  trop  long  de  déduire  ici,  signifient  tous  les  esprits 
bienheureux.  «  Chacun  de  ces  vieillards  porte  en  sa  main  une 
fiole  d'or  pleine  de  parfums,  qui  sont  les  oraisons  des  saints,  » 
dit  saint  Jean,  c'est-à-dire,  des  fidèles,  selon  la  phrase  de 
l'Ecriture.  Vous  voyez  donc,  mes  sœurs,  que  ce  vénérable 
sénat,  qui  environne  le  trône  du  Dieu  vivant,  a  soin  de  lui 
présenter  nos  prières  ;  ce  n'est  pas  moi  qui  le  dis;  c'est  saint 
Jean.  Mais  n'est-ce  point  entreprendre,  me  dira-t-on,  sur  la 
dignité  de  notre  Sauveur?  A  Dieu  ne  plaise  qu'il  soit  ainsi  ? 
Les  vieillards  environnent  le  trône;  mais,  devant  le  trône, 
au  milieu  des  vieillards,  l'apôtre  nous  y  représente  «  un 
Agneau  comme  tué  (^),  devant  lequel  les  vieillards  se 
prosternent  (^).»  Qui  ne  voit  que  cet  Agneau  c'est  notre  Sau- 
veur? Il  paraît  comme  tué,  à  cause  des  cicatrices  de  ses 
blessures;  et  parce  que  sa  mort  est  toujours  présente  devant 
la  face  de  Dieu  :  il  est  au  milieu  de  tous  ceux  qui  prient, 
comme  celui  par  lequel  ils  prient  et  qu'ils  regardent  tout  en 
priant  :  il  est  devant  le  trône,  afin  que  nul  n'approche  que 
par  lui  seul;  il  paraît  entre  Dieu  et  ses  fidèles  adorateurs, 
comme  le  Médiateur  de  Dieu  et  des  hommes,  comme  celui 
qui  doit  recevoir  les  prières,  qui  les  doit  porter  à  Dieu  dans 
son  trône.  Ainsi  les  saints  présentent  nos  oraisons ,  ils  y 
joignent  les  leurs,  comme  frères,  comme  membres  du  même 
corps,  mais  le  tout  est  offert  au  nom  de  Jésus. 

a.  Apoc,  IV,  2  et  seq.j  v,  8.   —  b.  Ibid.,  6, 

1.  Subjonctif  amené  par  le  premier:  attraction. 

2.  Var.  comme  mort.  Dans  sa  préoccupation  de  traduire  littéralement  l'Écri- 
ture, Bossuet  avait  d'abord  risqué  occis ^  qu'il  efface. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  537 

Que  reprendront  nos  adversaires  dans  cette  doctrine? 
n'est-elle  pas  également  pieuse  et  indubitable  ?  Je  sais  qu'ils 
nous  diront  que  nous  appelons  les  saints  nos  médiateurs  : 
et  encore  que  je  pusse  (')  répondre  que  le  saint  concile  de 
Trente  ne  se  sert  point  de  cette  façon  de  parler,  non  plus 
que  l'Église  dans  ses  prières  publiques,  je  leur  veux  accorder 
que  nous  les  nommons  ainsi  quelquefois.  Mais  que  je  leur 
demanderais  volontiers,  si  la  miséricorde  divine  en  avait 
amené  ici  quelques-uns,  que  je  leur  demanderais  volontiers, 
si  c'est  le  nom  ou  la  chose  qui  leur  déplaît  !  Pour  ce  qui  est 
de  la  doctrine,  il  est  clair  qu'étant  telle  que  je  l'ai  proposée, 
elle  est  au-dessus  de  toute  censure.  L'honneur  demeure 
entier  à  notre  Sauveur.  Il  est  le  seul  qui  ait  accès  par  lui- 
même.  Tous  les  autres,  si  saints  qu'ils  soient,  ne  peuvent  rien 
espérer  que  par  lui.  Et  par  là  le  titre  de  Médiateur  lui  convient 
avec  une  prérogative  si  éminente,  que  qui  voudrait  l'attribuer 
en  ce  sens  à  d'autres  qu'à  lui,  il  ne  le  pourrait  pas  sans  blas- 
phème. C'est  aussi  ce  qui  a  fait  dire  à  l'Apôtre  :  «  Un  Dieu, 
un  Médiateur  de  Dieu  et  des  hommes  ('').  »  Que  si  nos 
adversaires  se  fâchent  de  ce  que  nous  attribuons  quelquefois 
aux  serviteurs  de  Notre- Seigneur  Jésus-Christ  un  titre  qui, 
par  notre  propre  confession,  convient  par  excellence  à  notre 
Sauveur,  combien  criminel  serait  leur  chagrin  si,  ayant 
approuvé  la  doctrine,  qui  ne  peut  être  en  effet  combattue, 
des  mots  les  séparaient  de  leurs  frères,  et  faisaient  de  l'Église 
de  notre  Sauveur  le  théâtre  de  tant  de  guerres  !  Qu'ils  noUs 
disent  si  ce  nom  de  médiateur  est  plus  incommunicable  que 
le  nom  de  roi,  que  le  nom  de  sacrificateur,  que  le  nom  de 
Dieu.  Et  ne  savent-ils  pas  que  l'Écriture  nous  prêche,  que 
«nous  sommes  rois  et  pontifes  {^')  ?  »  Veulent-ils  rom[)re 
avec  toute  l'antiquité  chrétienne,  parce  qu'elle  a  donné  le 
nom  de  pontifes  et  de  sacrificatcuirs  aux  évêques  et  aux 
ministres  des  choses  sacrées  ?  Veulent-ils  point  se  prendre  à 
Dieu  même,  qui  appelle  les  hommes  des  dieux  ()  ?  Xe  vous 
emportez  donc  [)as  contre  nous  avec  le  faste  de  votre  nou- 
velle réforme,  comme  si  nous  avions  oublie  la  médiation   dr. 

a.  I  Tim.^  n,  ^.  —  b.  \  Pch.,  n,  9.  —  c.  Ps.,  LXXXI,  6. 

I.  Jù/i/.  c|iic  je  puisse. 


538  rOUR  LE  JOUR  DE  LASCENSION. 

Jésus  qui  fait  toute  notre  espérance.  Nous  disons,  et  il  est 
1res  certain,  et  vous-mêmes  ne  le  pouvez  nier,  que  les  saints 
s'entremettent  pour  nous  par  la  charité  fraternelle  ;  mais 
comme  ils  ne  s'entremettent  que  par  le  nom  de  Notre- 
Seigneur,  il  est  ridicule  de  dire  qu'il  en  soit  jaloux.  C'est  en 
ce  sens  que  nous  les  appelons  quelquefois  de  ce  titre  de 
médiateurs,  à  peu  près  de  la  même  manière  que  les  juges 
sont  appelés  dieux  («).  Criez,  déclamez  tant  qu'il  vous  plaira, 
abusez  le  peuple  par  de  faux  prétextes,  notre  doctrine  de- 
meurera ferme  :  et  notre  Église,  fondée  sur  la  pierre,  ne  sera 
jamais  dissipée. 

Pardonnez  cette  digression,  mes  très  chères  sœurs.  Certes, 
étant  tombé  sur  cette  matière,  je  n'ai  pu  m'empêcher  de 
répondre  à  une  calomnie  si  intolérable,  par  laquelle  on  veut 
faire  croire  que  nous  renonçons  à  l'unique  consolation  du 
fidèle.  Oui,  notre  unique  consolation,  c'est  de  savoir  que  le 
Fils  de  Dieu  prend  nos  intérêts  auprès  de  son  Père.  Nous 
ne  craignons  point  d'être  condamnés,  ayant  un  si  puissant 
défenseur  et  un  si  divin  avocat.  Nous  lisons  avec  une  joie 
incroyable  ces  pieuses  paroles  de  l'apôtre  saint  Jean  :  «  Nous 
avons  un  avocat  auprès  du  Père,  Jésus-Christ  le  Juste  Q.  » 
Nous  entendons,  par  la  grâce  de  Dieu,  la  force  et  l'énergie 
de  ce  mot  :  nous  savons  que  si  l'ambassadeur  négocie,  si  le 
sacrificateur  intercède,  l'avocat  presse,  sollicite  et  convainc  : 
par  où  le  disciple  bien-aimé  veut  nous  faire  entendre  que 
Jésus  ne  prie  pas  seulement  qu'on  nous  fasse  miséricorde  ; 
mais  qu'il  prouve  qu'il  nous  faut  faire  miséricorde.  Et  quelle 
raison  emploie-t-il,  ce  grand,  ce  charitable  avocat  ?  Ils  vous 
devaient,  mon  Père,  mais  j'ai  satisfait;  j'ai  rendu  toute  la 
dette  mienne,  et  je  vous  ai  payé  beaucoup  plus  que  vous  ne 
pouviez  exiger.  Ils  méritaient  la  mort,  mais  je  l'ai  soufferte 
en  leur  place.  Il  montre  ses  plaies  ,  et  le  Père,  se  ressouve- 
nant de  l'obéissance  de  ce  cher  Fils,  s'attendrit  sur  lui,  et 
pour  l'amour  de  lui  regarde  le  genre  humain  en  pitié.  C'est 
ainsi  que  plaide  notre  avocat.  Car  ne  vous  imaginez  pas, 
chrétiens,  qu'il  soit  nécessaire  qu'il  parle  pour  se  faire  en- 
tendre  ;  c'est  assez  qu'il  se  présente  devant  son  Père  avec  ces 

a.  Ps.,  XLVI,  10.  —  â.   I  /oan.,  Il,  i. 


POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION.  539 

glorieux  caractères  :  sitôt  qu'il  paraît  seulement  devant  lui, 
sa  colère  est  aussitôt  désarmée.  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint 
Paul  parle  ainsi  aux  Hébreux  (chapitre  ix)  :  «  Jésus-Christ 
est  entré  dans  le  Saint  des  saints  ;  afin,  dit-il,  de  paraître 
pour  nous  devant  la  face  de  Dieu  (')  :  »  Il  veut  dire  :  Ne 
craignez  point,  mortels  misérables;  Jésus-Christ  étant  dans 
le  ciel,  tout  y  sera  décidé  en  votre  faveur  :  la  seule  présence 
de  ce  bien-aimé  vous  rend  Dieu  propice. 

C'est  ce  que  signifie  cet  Agneau  de  T  Apocalypse  dont  je 
vous  parlais  tout  à  l'heure,  qui  est  devant  le  trône  comme 
tué.  De  ce  trône,  il  est  écrit  en  ce  même  lieu  qu'il  en  sort 
des  foudres  et  des  éclairs,  et  un  effroyable  tonnerre.  Dieu 
éternel!  oserons-nous  bien  approcher?  «  Approchons,  allons 
au  trône  de  grâce  avec  confiance  ["),  »  comme  dit  l'Apôtre. 
Ce  trône,  dont  la  majesté  nous  effraye  ;  voyez  que  l'Apôtre 
l'appelle  un  trône  de  grâce  :  approchons  et  ne  craignons  pas. 
Puisque  l'Agneau  est  devant  le  trône,  vivons  en  repos  ;  les 
foudres  ne  viendront  pas  jusqu'à  nous  ;  sa  présence  arrête 
le  cours  de  la  vengeance  divine,  et  change  une  fureur  im- 
placable en  une  éternelle  miséricorde. 

Combien  donc  était-il  nécessaire  que  Jésus  retournât  a 
son  Père  !  O  confiance,  ô  consolation  des  fidèles  !  qui  me 
donnera  une  foi  assez  vive  pour  dire  généreusement  avec 
FApôtre  :  «  Qui  accusera  les  élus  de  Dieu  {^')  ?  »  Jésus-Ciîrist 
est  leur  avocat  et  leur  défenseur  :  «  Un  Dieu  les  justifie,  qui 
les  osera  condamner.'^  Jésus-Christ,  qui  est  mort,  voire 
même  qui  est  ressuscité,  et  de  plus  qui  intercède  pour  nous, 
ne  suffit-il  pas  pour  nous  mettre  à  couvert  ?  Oui  donc  nous 
pourra  séparer  de  la  charité  de  notre  Sauveur  (')  ?  »  Que 
reste-t-il  après  cela,  chrétiens,  sinon  que  nous  nous  rendions 
dignes  de  si  grands  mystères,  desquels  nous  sommes  partici- 
pants ?  Puisque  nous  avons  au  ciel  un  si  grand  trésor, 
élevons-y  nos  cœurs  et  nos  espérances  :  c'est  ma  dernière 
partie,  que  je  tranche  en  un  mot,  parce  que  ce  n'est  que  la 
suite  des  deux  précédentes. 

a.   IJebr.,  IV,  16.  —  b.  Rom.^  vni,  33.  —  c.  Ibid.,  34,  35. 

I.  Toutes  ces  citations  sont  faites  de  mémoire,  et  il  s'y  j^lisse  t|uel(iiies  ren- 
vois inexacts,  que  nous  rectifions  avec  les  anciens  i5(liteurs.  Ici  l'auteur  disait 
ch.  X,  au  lieu  de  :  IX,  24.  Plus  haut  :  c/i.  m,  au  lieu  do  :  !  Joan.,  Ii,  i. 


540  POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION. 


troisiÎ':me  point. 

C'est  de  ce  lieu,  mes  sœurs,  que  les  bénédictions  descen- 
dent sur  nous.  Que  je  suis  ravi  d'aise  quand  je  considère 
Ji^sus-CiiRiST.  notre  grand  sacrificateur,  officiant  devant  cet 
autel  éternel  où  notre  Dieu  se  fait  adorer  !  Tantôt  il  se  tourne 
à  son  Père  pour  lui  parler  de  nos  misères  et  de  nos  besoins  ; 
tantôt  il  se  retourne  sur  nous,  et  il  nous  comble  de  grâces 
par  son  seul  regard.  Notre  pontife  n'est  pas  seulement  près 
de  Dieu  pour  lui  porter  nos  vœux  et  nos  oraisons,  il  y  est 
pour  épancher  sur  nous  les  trésors  célestes  ;  il  a  toujours  les 
mains  pleines  des  offrandes  que  la  terre  envoie  dans  le  ciel, 
et  des  dons  que  le  ciel  verse  sur  la  terre.  C'est  pourquoi 
l'évangéliste  saint  Luc  nous  apprend  qu'il  est  monté  en  nous 
bénissant:  «  Élevant  ses  mains,  dit-il  (''),  il  les  bénissait  ;  et, 
pendant  qu'il  les  bénissait,  il  était  porté  dans  les  cieux.  »  Ne 
croyons  donc  pas,  chrétiens,  que  l'absence  de  Notre-Seigneur 
Jésus  nous  enlève  ses  bénédictions  et  ses  grâces  :  il  se  retire 
en  nous  bénissant  :  c'est-à-dire  que,  si  nous  le  perdons  de 
corps,  il  demeure  avec  nous  en  esprit;  il  ne  laisse  pas  de 
veiller  sur  nous,  et  de  nous  enrichir  par  son  abondance.  De 
là  vient  qu'il  disait  à  ses  saints  apôtres  (^)  :  «  Si  je  ne  m'en 
retourne  à  mon  Père,  l'Esprit  Paraclet  ne  descendra  pas  (')  ;  » 
je  réserve  à  vous  départir  ce  grand  don,  quand  je  serai  au 
lieu  de  ma  gloire.  Et  l'Évangéliste  l'enseigne  ainsi,  quand  il 
dit:  «  L'Esprit  n'était  pas  encore  donné,  parce  que  Jésus 
n'était  point  encore  glorifié  (').  » 

Donc,  mes  sœurs,  entendons  quel  est  le  lieu  d'où  nous 
viennent  les  grâces.  Si  la  source  de  tous  nos  biens  se  trouve 
en  la  terre,  à  la  bonne  heure,  attachons-nous  à  la  terre  :  que 
si,  au  contraire,  ce  monde  visible  ne  nous  produit  continuelle- 
ment que  des  maux,  si  l'origine  de  notre  bien,  si  le  fondement 
de  notre  espérance,  si  la  cause  unique  de  notre  salut  est  au 

a.  Luc,  XXIV,  50.  —  b.  Joan.,  xvi,  7.  —  c.  Ibid.,  vu,  39. 

I.  Édil.  ne  descendra  plus.  —  Cette  faute  de  lecture,  amenée  par  un  trait  de 
plume  faussé,  fait  dire  à  Bossuet  une  chose  assez  étrange.  Le  divin  Sauveur 
aurait  ainsi  fait  craindre  une  cessation  de  communication  du  Saint-Esprit,  quand 
celle-ci  était  encore  à  commencer. 


pouK  lp:  jour  de  l  ascension.  541 


ciel,  soyons  éternellement  enflammés  de  désirs  célestes  ;  ne 
respirons  désormais  que  le  ciel,  «où  Jésus, notre  avant-coureur, 
est  entré  pour  nous  ("*).  »  Certes  il  pouvait  aller  à  son  Père 
sans  rendre  ses  apôtres  témoins  de  son  ascension  triomphan- 
te :  mais  il  lui  plaît  de  les  appeler,  afin  de  leur  apprendre  à  le 
suivre.  Non,  mes  sœurs,  les  saints  disciples  de  notre  Sauveur 
ne  sont  point  aujourd'hui  assemblés  pour  être  seulement 
spectateurs  :  Jésus  monte  devant  leurs  yeux  pour  les  inviter 
à  le  suivre  «  Comme  l'aigle,  dit  Moïse,  qui  provoque  ses 
petits  à  voler,  et  vole  sur  eux  :  »  ainsi  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  cette  aigle  mystérieuse  dont  le  vol  est  si  ferme  et  si 
haut,  assemble  ses  disciples  comme  ses  aiglons  ;  et,  fendant 
les  airs  devant  eux,  il  les  incite  par  son  exemple  à  percer  les 
nues  :  Sicut  aquila provocans  ad  volandum picllos  suos,  et  S7iper 
eos  vo  lit  ans  ('''). 

Courage  donc,  mes  sœurs,  suivons  cette  aigle  divine  qui 
nous  précède.  Jésus-Christ  ne  vole  pas  seulement  devant 
nous  ;  il  nous  prend,  il  nous  élève  et  il  nous  soutient  :  «  il 
étend  ses  ailes  sur  nous,  et  nous  porte  sur  ses  épaules  :  » 
Expandit  alas  suas  atque portavit  eos  in  hunier is  suis  (').  Et 
partant,  que  la  terre  ne  nous  tienne  plus;  rompons  les  chaînes 
qui  nous  attachent  ;  et  jouissons,  par  un  vol  généreux,  de  la 
bienheureuse  liberté  à  laquelle  nos  âmes  soupirent.  Pourquoi 
nous  arrêtons-nous  sur  la  terre  ?  Notre  chef  est  au  ciel  ;  lui 
voulons-nous  arracher  ses  membres  ^.  Notre  autel  est  au  ciel, 
notre  pontife  est  à  la  droite  de  Dieu  ;  c'est  là  donc  que  nos 
sacrifices  doivent  être  offerts,  c'est  là  qu'il  nous  faut  chercher 
le  vrai  exercice  de  la  religion  chrétienne.  Les  philosophes  du 
monde  ont  bien  reconnu  que  notre  repos  ne  pouvait  pas  être 
ici-bas.  Maintenant  que  nous  avons  été  élevés  parmi  des 
mystères  si  hauts,  quelle  est  notre  brutalité,  si  nous  scrxons 
dorénavant  aux  désirs  terrestres,  après  que  nous  sommes 
incorporés  à  ce  saint  pontife  «  qui  a  [)énétrc  pour  nous  au 
dedans  du  voile,  jusqu'à  la  partie  la  plus  secrète  du  Saint 
des  saints  ('')  ?»  J'avoue  que  Jésus  excuse  nos  fautes,  parce 
qu'il  est  notre  pontife  et  notre  avocat  ;  mais  combien  serait 

a.   Hebr.,  VI,  20.  h.    Pri/f.,  \XXIf,    11.       -  c   lf>i<f.    —  d.    ftcbr.,  FX,  12. 


542  POUR  LE  JOUR  DE  L  ASCENSION. 

détestable  notre  ingratitude,  si  la  bonté  inestimable  de  notre 
S[aiivcur]  lâchait  la  bride  à  nos  convoitises  !  Loin  de  nous 
une  si  honteuse  pensée!  Mais  plutôt,  renonçant  aux  désirs 
charnels,  rendons-nous  dignes  de  l'honneur  que  Jésus  nous 
fait  de  traiter  nos  affaires  auprès  de  son  Père  ;  et  vivons 
comme  il  est  convenable  à  ceux  pour  lesquels  le  Fils  de  Dieu 
intercède  (').  Considérons  que  par  le  sang  de  notre  pontife  nous 
sommes  nous-mêmes,  comme  dit  saint  Pierre,  «  les  sacrifica- 
teurs du  Très- Haut,  offrant  des  victimes  spirituelles,  agréa- 
bles par  Jésus-Christ  ('*);  »  et  puisqu'il  a  plu  à  notre  Sauveur 
de  nous  faire  participants  de  son  sacerdoce,  soyons  saints 
comme  notre  pontife  est  saint.  Car  si  dans  le  Vieux  Testa- 
ment celui  qui  violait  la  dignité  du  pontife  par  quelque 
espèce  d'irrévérence  était  si  rigoureusement  châtié,  quel  sera 
le  supplice  de  ceux  qui  mépriseront  l'autorité  de  ce  grand 
pontife  auquel  Dieu  a  dit  :  «  Vous  êtes  mon  Fils,  je  vous  ai 
engendré  aujourd'hui  (^)  !  » 

Par  conséquent,  mes  sœurs,  obéissons  fidèlement  à  notre 
pontife  ;  et  après  tant  de  grâces  reçues,  comprenons  ce  que 
dit  saint  Paul  :  qu'il  sera  horrible  de  tomber  aux  mains  du 
Dieu  vivant  (^),  lorsque  sa  bonté  méprisée  se  sera  tournée  en 
fureur.  Songeons  que  Jésus-Christ  est  notre  Médiateur  et 
notre  avocat,  mais  n'oublions  pas  qu'il  est  notre  juge.  C'est 
de  quoi  les  anges  nous  avertissent  quand  ils  parlent  ainsi  aux 
apôtres  :  «  Hommes  galiléens,  que  regardez-vous  ?  Ce  Jésus 
que  vous  avez  vu  monter  dans  le  ciel,  reviendra  un  jour  de  la 
même  sorte  ('^).  »  Joignons  ensemble  ces  deux  pensées  :  celui 
qui  est  monté  pour  intercéder,  doit  descendre  à  la  fin  pour 
juger  ;  et  son  jugement  sera  d'autant  plus  sévère  que  sa 
miséricorde  a  été  plus  grande.  Ne  dédaignons  donc  pas  la 
bonté  de  Dieu,  qui  nous  attend  à  repentance  depuis  long- 
temps :  dépouillons  les  convoitises  charnelles,  et  nourrissons 
nos  âmes  de  pensées  célestes.  Eh  Dieu  !  qu'y  a-t-il  pour  nous 
sur  la  terre,  puisque  notre  pontife  nous  ouvre  le  ciel  ?  Notre 
avocat,  notre  Médiateur,  notre  chef,  notre  intercesseur  est 

a.   I  Pefr.,  il,  5.  —  d.  Ps.,  il,  7.  —  c.  Hebr,,  x,  31.  —  d.  Act,  l,  11. 
I.    Var.  prie. 


POUR  LE   lOUR  DE  L  ASCENSION. 


54, 


au  ciel  ;  notre  joie,  notre  amour  et  notre  espérance,  notre 
héritage,  notre  pays,  notre  domicile  est  au  ciel  ;  notre  cou- 
ronne et  le  lieu  de  notre  repos  est  au  ciel:  où  Jésus-Christ, 
notre  avant-coureur,  entré  pour  nous  dans  le  Saint  des  saints 
avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  vit  et  règne  aux  siècles 
des  siècles.  A^nen, 


-■1 : \H* 

% 


PENTECOTE:  «LITTERAOCCIDITC)...» 

1654. 


Il  ii'v  a  îjucrc  d.ins  tous  les  manuscrits  de  Bossuet  d'échcveau 
plus  cinbiouillc  que  celui-ci.  On  trouve  jusqu  a  trois  rédactions  de 
l'exposition  du  sujet  et  du  commencement  de  la  preuve.  L'une  d'elles, 
c|ui  diffère  des  autres  par  l'écriture  et  l'orthographe,  est  une  reprise 
postérieure  :  nous  la  renverrons  à  sa  date,  c'est-à-dire  à  l'année 
suivante. 

Restent  les  deux  autres,  qui  sont  contemporaines.  Et  ce  n'est  pas 
encore  petit  embarras  que  de  les  démêler.  Une  pagination,  du  temps 
des  sommaires,  assigne  aux  feuilles  un  certain  ordre,  dont  il  faut 
tenir  compte.  Deforis  n'a  pas  cru  toutefois  devoir  s'y  attacher.  Il  y 
avait  en  effet  de  grandes  difficultés,  du  moins  en  apparence.  Ainsi 
une  phrase  dont  le  commencement  se  lit  au  bas  de  la  page  i6,  s'achève 
p.  25  :  «...  après  qu'il  s'est  beaucoup  tourmenté  à  traîner  ses  mem- 
bres appesantis  avec  une  extrême  contention,  il  retombe,  etc.  »  Pour 
se  tirer  de  peine,  Deforis  a  refait  la  pagination  à  sa  mode  ;  et  tous 
les  éditeurs,  à  son  exemple,  ont  tenu  celle  de  Bossuet  pour  non 
avenue. 

Ils  se  trompent,  comme  bien  on  pense  :  et  ainsi  ils  font  tomber 
l'orateur  dans  des  redites,  qu'il  avait  pris  soin  d'éviter.  Un  petit  renvoi 
au  milieu  de  la  p,  16  donne  la  clef  de  tout  cet  enchevêtrement.  Par 
là  l'auteur  s'était  lui-même  averti  de  substituer  les  p.  17-20  (in-4°)  à 
la  première  rédaction  in-f°  (p.  16,  fin  ;  25,  26).  La  suite  de  la  nou- 
velle rédaction  (20-25)  forme  le  corps  du  2^  point.  La  conclusion 
(27-28)  est  restée  telle  qu'elle  était  sortie  de  l'ébauche  primitive.Dans 
le  sommaire,  où  Bossuet  relève  principalement  les  idées,  il  ne  dédai- 
gne pas  plus  la  dissertation  première  que  le  corps  du  discours  pro- 
prement dit.  Voici  ce  sommaire  : 

Sommaire  :  Pentecôte  :  Littera  occidit  (f). 

Langues  de  feu.  Évangile  en  toutes  langues  (p.  6,  11;. 

Corruption  universelle  de  la  nature,prouvée  par  l'idolâtrie  (p.  14, 1 5). 

Méchants  ne  sentent  pas  la  convoitise.  Comparaison  (p.  16). 

Amis  de  la  loi,  esclaves  de  la  loi  (p.  21). 

Crainte,  loi  des  esclaves,  ne  change  pas  le  cœur  (p.  24).  La  loi  au 
dedans,  c'est  la  charité,  loi  vivante  (p.  24). 

Effet  de  la  loi  (p.  25)  ;  comment  elle  tue  :  en  deux  façons  :  1°  elle 
ajoute  la  transgression  ;  désobéissance  formelle  ;  2°  Nitimur  in  vêti- 
tum  (p.  25,  26). 

Obligation  d'aimer  (p.  27,  28). 

1.  Mss,  12824,  f.  148-165.  —  Prêché  à  Metz,  probablement  à  la  cathédrale. 

2.  Les  quatre  premières  pages  résumées  sont  le  nouvel  exorde  pour  l'année 
suivante.  Le  sommaire  sera  joint  au  texte  (année  1655). 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  545 

Littera  occidit;  spiriUis  autan  vivi- 
ficat. 

La   lettre  tue,   mais    l'esprit    vivifie. 
(II  Cor.^  III,  6.) 

A  LA  vérité  ('),  le  sang  du  Sauveur  nous  avait  réconci- 
liés à  notre  grand  Dieu  par  une  alliance  perpétuelle  ; 
mais  il  ne  suffisait  pas  pour  notre  salut  que  cette  alliance 
eût  été  conclue,  si  ensuite  elle  n'eût  été  publiée.  C'est  pour- 
quoi Dieu  a  choisi  ce  jour,  où  les  Israélites  étaient  assemblés 
par  une  solennelle  convocation,  pour  y  faire  publier  haute- 
ment le  traité  de  la  nouvelle  alliance  qu'il  lui  plaît  contracter 
avec  nous  ;  et  c'est  ce  que  nous  montrent  ces  langues  de  feu 
qui  tombent  d'en  haut  sur  les  saints  apôtres.  Car  d'autant 

I.  Page  9  du  manuscrit,  à  la  suite  de  la  nouvelle  rédaction  du  second  exorde  : 
Entrons  iV abord  en  notre  matière..^  et  d'un  nouveau  début  pour  le  premier  point. 
Voici  la  première  rédaction  :  «  To  Ypà;j.;j.a  à/roy.Tsîvsi,  tô  oà  TivsOaa  ^o>oro'.i"î.  —  La 
lettre  tue,  mais  l'esprit  vivifie.  (II  Cor.^  m,  6.)  —  [P.  5]  Si  vous  me  demandez,  chré- 
tiens, pour  quelle  cause  la  Pentecôte,  qui  était  une  fête  {var.  cérémonie)  du  peuple 
ancien,  est  devenue  une  solennité  du  peuple  nouveau,  et  d'où  vient  que  depuis 
le  levant  jusqu'au  couchant  tous  les  fidèles  s'en  réjouissent  non  moins  que  de 
la  sainte  Nativité  ou  de  la  glorieuse  Résurrection  de  notre  Sauveur,  je  vous  en 
dirai  la  raison,  avec  l'assistance  de  cet  Esprit-Saint  qui  a  rempli  en  ce  jour  Tâme 
des  apôtres.  C'est  aiijourd'hui  que  notre  Église  a  pris  sa  naissance  ;  aujourd'hui, 
parla  prédication  du  saint  Évangile,  la  gloire  et  la  doctrine  de  Jésus-Christ  ont 
commencé  d'éclairer  le  monde  {var.  d'éclater  au  monde)  ;  aujourd'hui  la  loi  mo- 
saïque, donnée  autrefois  avec  tant  de  pompe,  est  abolie  par  une  loi  plus  auguste; 
et,  les  sacrifices  des  animaux  étant  rejetés,  le  Saint-Esprit  envoyé  d'en  haut  iyar. 
descendu  du  ciel)  se  fait  lui-même  des  hosties  raisonnables  et  des  sacrifices  vi- 
vants des  cœurs  des  disciples.  Les  Juifs  offraient  autrefois  à  Dieu,  à  la  Pente- 
côte, les  prémices  de  leurs  moissons  :  aujourd'hui  Dieu  se  consacre  lui-même 
par  son  Saint-Esprit  les  prémices  du  christianisme,  c'est-à-dire  les  premiers 
fruits  du  sang  de  son  Fils,  et  rend  les  commencements  de  l'Église  illustres  par 
des  signes  si  admirables  que  tous  les  spectateurs  en  sont  étonnés.  Par  consé- 
quent, mes  frères,  avec  quelle  joie  devons-nous  célébrer  ce  saint  jour  !  Et  si 
aujourd'hui  les  premiers  chrétiens  paraissent  si  visiblement  échauft'cs  de  l'Esprit 
de  Dieu,  n'est-il  pas  raisonnable  que  nous  montrions  par  une  sainte  et  divine 
ardeur  que  nous  sommes  leurs  descendants  ?  Mais  afin  que  vous  pénétriez  plus 
à  fond  quelle  est  la  fête  que  nous  célébrons,  suivez,  s'il  vous  plaît,  ce  raisonne- 
ment. 

A  la  vérité,  le  sang  du  Sauveur  nous  avait  réconciliés  i\  notre  grand  Dieu  par 
une  alliance  perpétuelle  ;  mais  il  ne  suffisait  pas  pour  notre  salut  que  celte 
alliance  eût  été  conclue,  si  ensuite  elle  n'eût  été  publiée.  C'est  pourquoi  Dieu  a 
choisi  ce  jour  où  les  Israélites  étaient  assemblés  par  une  solennelle  convocation, 
pour  y  faire  publier  hautement  le  traité  de  la  nouvelle  alliance  qu'il  lui  plaît 
contracter  avec  nous  ;  et  c'est  ce  que  nous  montrent  ces  langues  de  feu  cpii 
tombent  d'en  haut  sur  les  saints  apôtres.  Car  d'autant  c|ue  la  nouvelle  alliance, 
selon  les  oracles  des  prophéties  devait  être  solennellement  publiée  par  le  mini- 
Sermons  de  Bossuet.  yi 


546  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


que  la  nouvelle  alliance,  selon  les  oracles  des  prophéties, 
devait  ctrc  solennellenieiU  publiée  par  le  ministère  de  la 
prédication,  le  Saint-Esprit  descend  en  forme  de  langues, 
pour  nous  faire  entendre  par  cette  figure,  qu'il  donne  de 
nouvelles  langues  aux  saints  apôtres  ;  et  qu'autant  qu'il  rem- 
plit de  personnes,  il  établit  autant  de  hérauts  qui  publieront 
les  articles  de  l'alliance  et  les  commandements  de  la  loi  nou- 
velle partout  où  il  lui  plaira  de  les  envoyer. 

C'est  donc  aujourd'hui,  chrétiens,  que  la  loi  nouvelle  a 
été  publiée  :  aujourd'hui  la  prédication  du  saint  Évangile  a 
commencé  d'éclairer  le  monde  :  aujourd'hui  l'Eglise  chré- 
tienne a  pris  sa  naissance  :  aujourd'hui  la  loi  mosaïque, 
donnée  autrefois  avec  tant  de  pompe,  est  abolie  par  une  loi 
plus  auguste  ;  les  sacrifices  des  animaux  étant  rejetés,  le 
Saint-Esprit  envoyé  du  ciel  se  fait  lui-même  des  hosties 
raisonnables  et  des  sacrifices  vivants  des  cœurs  des  disci- 
ples. 

Il  est  très  certain  ('),  bienheureuse  Marie,  que  vous  fûtes 
la  principale  de  ces  victimes  :  impétrez-nous  l'abondance  du 
Saint-Esprit  qui  vous  a  aujourd'hui  embrasée.  Sainte  Mère 
de  Jésus-Christ,  vous  étiez  déjà  tout  accoutumée  à  le  sentir 

stère  de  la  prédication,  le  Saint-Esprit  descend  en  forme  de  langues  pour  nous 
faire  entendre  par  cette  [p.  6]  figure,  qu'il  donne  de  nouvelles  langues  aux  saints 
apôtres,  et  qu'autant  qu'il  remplit  de  personnes,  il  établit  autant  de  hérauts  qui 
publieront  les  articles  de  l'alliance  et  les  commandements  de  la  loi  nouvelle, 
partout  où  il  lui  plaira  de  les  envoyer. 

En  effet,  entendez  l'apôtre  saint  Pierre  aussitôt  après  la  descente  du  Saint- 
Esprit  :  voyez  comme  il  exhorte  le  peuple  et  annonce  la  rémission  des  péchés 
au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  déclarant  aux  habitants  de  Jéru- 
salem que  ce  JÉSUS  qu'ils  ont  fait  mourir,  «  Dieu  l'a  établi  le  Seigneur  et  le 
Christ  :  »  Quia  Dominufn  eiim  et  Christum  fecit  Deus.  (  Var.  En  effet,  n'enten- 
dez-vous pas  l'apôtre  saint  Pierre  qui  exhorte  le  peuple  à  la  pénitence,  qui  an- 
nonce la  rémission  des  péchés  au  nom ,  etc)  C'est  ce  que  saint  Pierre  prêche 
aujourd'hui,  comme  il  est  écrit  aux  Actes^  chapitre  II  :  et  cela,  dites-moi,  chré- 
tiens, n'est-ce  pas  faire  la  publication  de  la  loi  nouvelle  et  de  la  nouvelle  alliance? 
Je  joins  ensemble  l'alliance  et  la  loi,  parce  qu'elles  ne  sont  toutes  deux  qu'un 
môme  Evangile,  que  les  apôtres,  comme  les  hérauts  du  grand  Dieu,  publient 
premièrement  dans  Jérusalem,  conformément  à  ce  que  dit  Isaïe  :  «  La  loi  sor- 
tira de  Sion,  et  la  parole  de  Dieu  de  Jérusalem.  »  (/y.,  ii,  3.) 

Mais  encore  que  la  publication  du  saint  Évangile  dût  être  commencée  dans 
Jérusalem,  elle  ne  devait  pas  y  être  arrêtée.  Tous  les  prophètes  avaient  promis 
que  la  loi  nouvelle  serait  portée  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre,  et  que  par 

I.  Ms.  Il  était  certain.  (Distraction  corrigée  à  bon  droit  par  les  éditeurs.) 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  547 

présent  en  votre  âme  ,  puisque  déjà  sa  vertu  vous  avait 
couverte  lorsque  l'Ange  vous  salua  de  la  part  de  Dieu,  vous 
disant  :  Ave... 

[P.  7]  Entrons  d'abord  en  notre  matière  ;  elle  est  si  haute 
et  si  importante,  qu'elle  ne  me  permet  pas  de  perdre  le  temps 
à  vous  faire  des  avant-propos  superflus.  Je  vous  ai  déjà  dit, 
chrétiens,  que  la  fête  que  nous  célébrons  en  ce  jour,  c'est  la 
publication  de  la  loi  nouvelle  :  et  de  là  vient  que  la  prédica- 
tion, par  laquelle  cette  loi  se  doit  publier,  est  commencée 
aujourd'hui  dans  Jérusalem,  selon  cette  prédiction  d'Isaïe  : 
«  La  loi  sortira  de  Sion,  et  la  parole  de  Dieu  de  Jérusa- 
lem i^).  »  Mais  bien  qu'elle  dût  être  commencée  dans  Jéru- 
salem, elle  ne  devait  pas  y  être  arrêtée  :  de  là  elle  devait  se 
répandre  dans  toutes  les  nations  et  dans  tous  les  peuples, 
jusqu'aux  extrémités  delà  terre.  Comme  donc  la  loi  nouvelle 
de  notre  Sauveur  n'était  pas  faite  pour  un  seul  peuple, 
certainement  il  n'était  pas  convenable  qu'elle  fût  publiée  en 
un  seul  langage.  C'est  pourquoi  le  texte  sacré  nous  enseigne 
que  les  apôtres  prêchant  aujourd'hui,  bien  que  leur  auditoire 

a.  Is.^  II,  3. 

elle  toutes  les  nations  et  toutes  les  langues  seraient  assujetties  au  vrai  Dieu. 
Comme  donc  la  loi  de  notre  Sauveur  n'était  pas  faite  pour  un  seul  peuple,  cer- 
tainement il  n'était  pas  convenable  qu'elle  fût  publiée  en  un  seul  langage.  Aussi 
les  premiers  docteurs  du  christianisme,  qui  avant  ce  jour  étaient  ignorants, 
aujourd'hui  étant  pleins  de  l'Esprit  de  Dieu,  parlent  toutes  sortes  de  langues, 
ainsi  que  remarque  le  texte  sacré.  Que  veut  dire  ceci,  je  vous  prie  ?  Oui  ne  voit 
que  le  Saint-Esprit  nous  enseigne  que  si  autrefois,  sous  la  Loi,  il  n'y  avait  ijue 
la  seule  langue  hébraïque  qui  fût  l'interprète  des  secrets  de  Dieu,  aujourd'hui 
par  l'Évangile  de  Jésus-Christ  toutes  les  langues  sont  consacrées,  selon  cet 
oracle  de  Daniel  :  «  Toutes  les  langues  serviront  au  Seigneur.  »  {Da/i.,  vu,  14.) 
{Var.  Par  où  l'on  voit  que  le  Saint-Esprit  nous  apprend  que...)  Etrange  et 
inconcevable  opération  de  cet  Esprit  «  qui  souffle  où  il  veut  !  »  De  toutes  les 
parties  de  la  terre  où  les  Juifs  étaient  dispersés,  il  en  était  venu  dans  Jéru- 
salem pour  y  célébrer  la  fête  de  la  Pentecôte.  Les  apôtres  parlent  à  cet  auditoire 
mclé  de  tant  de  peui)les  divers  et  de  langues  si  différentes.  Et  cependant  chacun 
les  entend  :  le  Romain  et  le  Parthe,  le  Juif  et  le  Grec,  le  Mcde,  l'Egyptien  et 
l'Arabe,  l'Africain,  l'Européen  et  l'Asiatique.  Bien  plus,  dans  un  même  discours 
des  apôtres,  ils  remarcpient  tous  leur  propre  langue  ;  il  semble  ;\  chacun  qu'on 
lui  parle  la  langue  que  sa  nourrice  lui  a  apprise.  Et  c'est  pour  cela  qu'ils  s'écrient  : 
«  Ces  hommes  ne  sont-ils  pas  Galiléens  .''  Comment  est-ce  donc  que  chacun 
entend  la  langue  dans  laquelle  il  est  né.'  »  (-/^A,  n,  7,  8.)  {Ttir.  Comment 
est-ce  donc  que  nous  entendons  les  langues  dans  lesquelles  nous  sommes  nés.') 
Fidèles,  que  signifie  ce  nouveau  prodige?  C'est  que  par  la  grâce  du  christianisme 


^48  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


fût  ramassé  d'une  infinité  de  nations  diverses,  chacun  y 
entendait  son  propre  idiome  et  la  langue  de  son  pays.  Par 
où  le  Saint-Esprit  nous  enseigne  que  si,  à  la  tour  de  Babel, 
l'ori^rueil  avait  autrefois  divisé  les  langues  ('*),  l'humble  doc- 
trine de  l'Kvangile  les  allait  aujourd'hui  rassembler  ;  qu'il 
n'y  en  aurait  point  de  si  rude  ni  de  si  barbare,  dans  la- 
quelle la  vérité  de  Dieu  ne  fût  enseignée  ;  que  l'Eglise  de 
Ji'sus-CiiRiST  les  parlerait  toutes  ;  et  que  si,  dans  le  Vieux 
Testament,  il  n'y  avait  que  la  seule  langue  hébraïque  qui 
fût  l'interprète  des  secrets  de  Dieu,  maintenant,  par  la  grâce 
de  l'Évano-ile,  toutes  les  langues  seraient  consacrées,  selon 
cet  oracle  de  Daniel  :  «  Toutes  les  langues  serviront  au  Sei- 
trneur  ('').  »  Par  où  vous  voyez,  chrétiens,  la  merveilleuse 
conduite  de  Dieu,  qui  ordonne,  par  un  très  sage  conseil,  que 
la  loi  qui  devait  être  commune  à  toutes  les  nations  de  la 
terre,  soit  publiée  dès  le  premier  jour  en  toutes  les  langues. 
Imitons  les  saints  apôtres,  mes  frères,  et  publions  la  loi  de 
notre  Sauveur  avec  une  ferveur  céleste  et  divine.  Je  vous 
dénonce  donc,  au  nom  de  Jésus,  que,  par  la  descente  du 
Saint-Esprit,  vous  n'êtes  plus  sous  la  loi  mosaïque,  et  que 
Dieu  vous  a  appelés  à  la^  loi  de  grâce  :  et  afin  que  vous 
entendiez  quelle  est  la  loi  dont  on  vous  délivre,  et  quelle  est 

a.  Gènes. f  xi,  9.  —  d.  Dan.,  vu,  14. 
toutes  les  langues  seront  réunies,  PÉglise  parlera  tous  les  langages  :  il  n'y  en 
aura  point  ni  de  si  rude  ni  de  si  barbare  dans  lequel  la  vérité  de  Dieu  ne  soit 
enseignée  ;  et,  les  nations  diverses  entrant  dans  l'Eglise,  l'articulation  à  la  vérité 
sera  dififérente,  mais  il  n'y  aura  en  quelque  sorte  qu'un  même  langage  ;  parce  que 
tous  les  peuples  fidèles,  parmi  la  multiplicité  des  sons  et  des  voix,  n'auront  tous 
qu'une  même  foi  à  la  bouche  et  une  même  vérité  dans  le  cœur. 

Autrefois  à  la  tour  de  Babel  l'orgueil  des  hommes  a  partagé  les  langages  ; 
mais  l'humilité  de  notre  Sauveur  les  a  aujourd'hui  rassemblés  ;  et  la  créance 
qui  devait  être  commune  à  toutes  les  nations  de  la  terre  est  pubHée  dès  le  pre- 
mier jour  en  toutes  les  langues.  Par  où  vous  voyez,  chrétiens,  selon  que  je  l'ai 
déjà  dit,  que  le  mystère  que  nous  honorons  aujourd'hui  avec  tant  de  solennité 
{var.  que  la  fête  que  nous  célébrons),  c'est  la  publication  de  la  loi  nouvelle.  Or 
notre  Dieu  ne  s'est  pas  contenté  qu'elle  ait  été  {var.  qu'elle  fût)  publiée  une 
fois  :  il  a  établi  pour  toujours  les  prédicateurs,  qui,  succédant  à  la  fonction  des 
apôtres,  doivent  être  les  hérauts  de  son  Évangile.  Et  ainsi  que  puis-je  faire  de 
mieux  en  cette  sainte  et  bienheureuse  journée  que  de  rappeler  en  votre  mémoire 
sous  quelle  loi  vous  avez  à  vivre?  Écoutez  donc,  peuples  chrétiens.  Je  vous  dé- 
nonce au  nom  de  JÉSUS,  par  la  parole  duquel  cette  chaire  vous  doit  être  en 
vénération  ;  je  vous  dénonce,  dis-je,  au  nom  de  Jésus  que  vous  n'êtes  point 
sous  la  loi  mosaïque  ;  elle  est  annulée  et  ensevelie  :  mais  Dieu  vous  a  appelés 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  54g 

la  loi  que  Ton  vous  impose,  je  vous  produis  l'apôtre  saint 
Paul,  qui  vous  enseignera  cette  différence.  «  La  lettre  tue,  dit- 
il,  et  [p.  8]  l'esprit  vivifie.  »  La  lettre,  c'est  la  loi  ancienne  ; 
et  l'esprit,  comme  vous  le  verrez,  c'est  la  loi  de  grâce  :  et 
ainsi,  en  suivant  l'apôtre  saint  Paul  (''),  faisons  voir,  avec 
l'assistance  divine,  que  la  loi  nous  tue  par  la  lettre,  et  que  la 
grâce  nous  vivifie  par  l'esprit. 

PREMIER    POINT. 

Et,  pour  pénétrer  le  fond  de  notre  passage  ('),  il  faut  exa- 
miner avant  toutes  choses  quelle  est  cette  lettre  qui  tue,  dont 
parle  l'Apôtre.  Et  premièrement  il  est  assuré  qu'il  parle  très 
évidemment  de  la  Loi:  mais  d'autant  qu'on  pourrait  entendre 
ce  texte  de  la  Loi  cérémonielle,  comme  de  la  circoncision 
et  des  sacrifices,  dont  l'observation  tue  les  âmes  ;  ou  même 
de  quelques  façons  de  parler  figurées  qui  sont  dans  la  Loi, 
et  qui  ont  un  sens  très  pernicieux,  quand  on  les  veut  prendre 
trop  à  la  lettre;  à  raison  de  quoi  on  peut  dire  que  la  Loi,  en 
quelques-unes  de  ses  parties,  est  une  letre  qui  tue  ;  pour  ne 

a.   II   Cor.^  III,  6. 

à  la  loi  de  grâce,  h  l'Évangile,  au  Nouveau  Testament,  qui  a  été  signé  du  sang 
du  Sauveur,  et  scellé  aujourd'hui  par  l'Esprit  de  Dieu. 

Et  afin  que  vous  entendiez  quelle  est  la  loi  dont  on  vous  délivre  et  quelle  est 
la  loi  que  l'on  vous  impose,  je  vous  produis  l'apôtre  saint  Paul,  qui  vous  ensei- 
gnera cette  différence.  «  La  lettre  tue,  dit-il,  l'esprit  vivifie  :  »  la  lettre,  c'est  la 
loi  mosaïque  ;  l'esprit,  comme  vous  verrez,  c'est  la  loi  de  grâce.  Et  ainsi,  en 
suivant  l'apôtre  saint  Paul,  faisons  voir,  avec  l'assistance  divine  (luir.  avec  la 
grâce  de  Dieu),  que  la  loi  mosaïque  nous  tue,  et  qu'il  n'y  a  que  la  loi  nouvelle 
qui   nous  vivifie.   » 

En  concentrant  ce  début,  Bossuet  en  a  tiré  son  double  exorde.  Dans  le 
sommaire,  il  tiendra  compte  de  ces  pages,  où  la  doctrine  est  exprimée  avec 
plus  de  développements  que  dans  la  rédaction  définitive. 

I  Preinûre  rédaction  non  effacée:(i  [i*""  point.]  Pour  pénétrer  le  sens  de  notre  pas- 
sage, il  faut  examiner  avant  toutes  choses  quelle  est  cette  lettre  dont  parle  l'.Apô- 
tre,  quand  il  prononce  :  «  La  lettre  tue.  »  Et  premicrement,  il  est  assuré  qu'il  veut 
parler  de  la  loi  mosaïque.  Mais  d'autant  que  la  loi  mosaïque  a  plusieurs  parties, 
on  pourrait  douter  de  laquelle  il  parle.  Dans  la  Loi  il  y  a  les  préceptes  cérémo- 
niaux,  comme  la  circoncision  et  les  sacrifices,  et  il  y  a  les  préceptes  moraux,  qui 
sont  compris  dans  le  Décalogue  :  «  Tu  adoreras  le  Seigneur,  ton  Dieu  ;  tu  ne  te 
feras  point  d'idole  taillée  ;  tu  ne  déroberas  jîoint  ;  »  et  le  reste.  [/V;//.,  V,  8-21.] 
Quant  aux  préceptes  cérémoniaux,  il  est  1res  constant  que  la  lettre  tue  :  d'autant 
que  les  cérémonies  de  la  Loi  ne  sont  pas  seulement  abrogées,  mais  encore  ex- 
pressément condamnées  dans  la  loi  de  grâce,  suivant  ce  cjue  dit  saint  Paul  aux 


220  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 

VOUS  point  laisser  en  suspens,  je  dis  que  FApôtre  parle  du 
Décalogue,  qui  est  la  partie  de  la  Loi  la  plus  sainte.  Oui,  ces 
dix  commandements  si  augustes  qui  défendent  le  mal  si 
ouvertement;  c'est  ce  que  l'Apôtre  appelle  la  lettre  qui  tue, 
et  je  le  prouve  clairement  par  ce  texte:  car  après  avoir  dit 
que  la  lettre  tue;  immédiatement  après,  parlant  de  la  Loi,  il 
l'appelle  «  un  ministère  de  mort  taillé  en  lettres  dans  la 
pierre,  »  ministratio  mortiSy  litteris  deformata  in  lapidi- 
Ims  (").  Le  ministère  de  mort,  c'est  sans  doute  la  lettre  qui 
tue:  et  la  lettre  taillée  dans  la  pierre,  ne  sont-ce  pas  les  deux 
tables  données  à  Moïse,  où  la  Loi  était  écrite  du  doigt  de 
Dieu?  C'est  donc  cette  Loi  donnée  à  Moïse,  cette  Loi  si  sainte 
du  Décalogue,  que  l'Apôtre  appelle  ministère  de  mort,  et 
par  conséquent  la  lettre  qui  tue.  C'est  pourquoi,  dans  l'Epître 
aux  Romains,  il  l'appelle  expressément  «  une  loi  de  mort  (^)  » 
et  une  loi  de  damnation  :  il  dit  que  «  la  force  du  péché  est  dans 

a.  Jbid.y  7.  —  b.  Ro?n.^  vu,  6. 

Galates  :  «  Si  vous  vous  faites  circoncire,  Jésus-Christ  ne  vous  sert  de  rien.  » 
(v,  2.)   Est-ce  donc  de  cette  partie  de  la  Loi  qui   ordonnait  {var.  disposait)  les 
anciennes  observations,  que  l'Apôtre  décide  que  la  lettre  tue  ?   Ou  bien  cette 
sentence  plutôt  ne  doit-elle  point  s'appliquer  à  certaines  expressions  figurées  qui 
sont  en  divers  endroits  de  la   Loi,  qui  ont   un  sens  très    pernicieux  si  on  les 
explique  trop  à  la  lettre,  desquelles  pour  cette  raison  on  peut  dire  que  la  lettre 
tue?  Ou  si  ce  n'est  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  deux  choses  que  l'Apôtre  veut 
désigner  par  ces  mots,  parle-t-il  point  peut-être  du  Décalogue  ?  A  quelle  opinion 
nous  rangerons-nous  ?   Je  réponds  qu'il  parle  du    Décalogue,  qui  fut  donné  à 
Moïse  sur  la  montagne  :  et  je  le  prouve  par  une  raison  invincible.  Car   dans  ce 
même  troisième  chapitre  delà  IP  aux  Corinthiens,  où  saint  Paul  nous  enseigne 
que  la  lettre  tue,  immédiatement  après,  parlant  de  la  Loi,  il  l'appelle  «  le  minis- 
tère de  mort  qui  a  été  taillé  dans  la  pierre,  »  ministratio  j?iortis  litteris  deformata 
in  lapidibus.  Qu'est-ce  qui  a  été  gravé  dans  la  pierre  ?  Aucun  de  nous  pourrait-il 
ignorer  que  ce  sont  les  dix  préceptes  du  Décalogue  ;  que  ces  dix  commandements 
de  la  Loi,  qui   défendent  le  mal  si  ouvertement,  c'est  ce   que  l'Apôtre  appelle  la 
lettre  qui  tue  ?  Et  d'ailleurs  le  ministère  de  mort,  n'est-ce  pas  la   lettre  qui  tue  ? 
Concluons  donc  maintenant  et  disons  :  Sans  doute  le  ministère  de  mort  et  la 
lettre  qui  tue,  c'est  la  même  chose:  or,  la  Loi  qui  a  été  gravée  sur  la  pierre,  c'est- 
à-dire  les  préceptes  du  Décalogue,  selon  saint  Paul,  c'est  le  ministère  de  mort  :  et 
partant,  les  préceptes  du  Décalogue,  ces  ])réceptes  si  saints  et  si  justes,  selon  la 
doctrine  du  saint  Apôtre,  sont  indubitablement  la  lettre  qui  tue.  Et  pour  confir- 
mer cette  vérité,  le  même  {atix  Romains^  chapitre  vu,)  que  ne  dit-il  pas  de  la 
Loi  ?  «  Je  ne  connaîtrais  pas  le  péché,  dit-il,  si  la  Loi  n'avait  dit  :   Tu  ne  con- 
voiteras point.   »  Sur  quoi   l'incomparable  saint  Augustin  raisonne  ainsi  très 
doctement  à  son  ordinaire  :  Oii  est-ce  que  la  Loi  dit  :  Tu  ne  convoiteras  point  ? 
Chacun  sait  que  cela  est  écrit  dans  le  Décalogue.  C'est  donc  du  Décalogue 
que  parle  l'Apôtre,  et  c'est  ce  qu'il   entend  par  la  Loi.   Et  par  conséquent, 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  55  I 


Loi  ('');  que  le  péché  est  mort  sans  la  Loi,  et  que  la  Loi  lui 
donne  la  vie;  que  le  péché  nous  trompe  par  le  commande- 
ment de  la  Loi  {^)y  »  et  quantité  d'autres  choses  de  même 
force. 

Que  dirons-nous  ici,  chrétiens?  Quoi!  ces  paroles  si  véné- 
rables: «  Israël,  je  suis  le  Seigneur  ton  Dieu  ;  tu  n'auras  point 
d'autres  dieux  devant  moi  (')  !  »  sont-elles  donc  une  lettre 
qui  tue.'^  et  une  Loi  si  sainte  méritait-elle  un  pareil  éloge 
[p.  9]  de  la  bouche  d'un  apôtre  de  Jésus-Christ?  Tâchons 
de  démêler  ces  obscurités,  avec  l'assistance  de  cet  Esprit- 
Saint  qui  a  rempli  aujourd'hui  les  cœurs  des  apôtres.  Cette 
question  est  haute,  elle  est  difficile;  mais  comme  elle  est  im- 
portante à  la  piété.  Dieu  nous  fera  la  grâce  d'en  venir  à  bout. 
Pour  moi,  de  crainte  de  m'égarer,  je  suivrai  pas  à  pas  le  plus 
éminent  de  tous  les  docteurs,  le  plus  profond  interprète  du 
grand  Apôtre,  je  veux  dire,  l'incomparable  saint  Augustin, 
qui  explique  divinement  cette  vérité  dans  le  premier  livre  ad 
Simplicianum  et  dans  le  livre  de  Spiritu  et  litt'era.  Rendez- 
vous  attentifs,  chrétiens,  à  une  instruction  que  j'ose  appeler 
la  base  de  la  piété  chrétienne. 

a.  I  Ct»r.,  XV,  56.  —  b.  Rom.^  vu,  8,  9,  11.  —  c.  Dent.,  v,  6,  7. 

lorsqu'il  dit  :  «  Les  passions  des  péchés  qui  sont  par  la  Loi  {Rom.,  vu,  5),  » 
c'est  du  Décalogue  qu'il  parle  ;  et  quand  il  répète  si  souvent  :  la  loi  de  péché 
et  de  mort,  c'est  encore  du  Décalogue  qu'il  parle.  [P.  13]  Bref,  il  parle  du 
Décalogue,  quand  il  dit  ensuite  que  «sans  la  Loi  le  péché  était  mort,  et  que  la 
Loi  venant,  le  péché  aussitôt  a  repris  la  vie.  >  {Rom.,  viii,  8,  9.)  Eh  quoi  donc  ! 
ces  paroles  si  vénérables  que  Dieu  a  écrites  de  sa  main  jiropre  :  <  Israël,  je 
suis  le  Seigneur  ton  Dieu  :  tu  n'auras  point  d'autres  dieux  que  moi  ;  ))  et  : 
«  Tu  honoreras  ton  père  et  ta  mère  :  »  et  ces  autres  ordonnances  si  équitables, 
doivent-elles  être  a])i)elées  la  lettre  qui  tue?  Est-ce  là  cette  loi  de  mort  paria- 
quelle  le  péché  a  repris  la  vie  .'*  Que  dirons-nous  ici,  chrétiens  .''  Dirons-nous  avec 
les  marcionites  que  le  Dieu  qui  a  donné  la  Loi  à  Moïse  n'est  pas  le  même  qui  a 
inspiré  l'Évangile  }  et  que  c'est  pour  cette  raison  que  saint  Paul,  ce  grand  prédi- 
cateur du  saint  Évangile,  parle  avec  tant  de  mépris  de  la  Loi  .•*  Loin  de  nous 
un  si  exécrable  blasphème  !  Que  dirons-nous  donc  en  un  tel  embarras,  et  com- 
ment exi)liquerons-nous  le  sens  de  saint  Paul  ?  Fidèles,  cette  diffîculté  est  très 
grande.  Mais  d'autant  qu'elle  est  importante  à  la  piété,  demandons  l'assistance 
de  notre  Dieu  ;  et  pour  ne  nous  |)oint  égarer  dans  une  question  si  haute  et  si 
nécessaire,  suivons  le  |)las  éminent  de  tous  les  docteurs  et  le  plus  profond  interprète 
du  saint  Apôtre,  je  veux  dire  l'incomparable  saint  .Vugustin,  qui'explique  divine- 
ment {7/ar.  admirablement)  cette  vérité  dans  le  premier  livre  à  Simplicien  (.!/>. 
Simplician),  et  dans  le  livre  A'  V  hlspn'f  et  de  la  Lettre.  Rende/vous  allenlifs, 
chrétiens,  ;\  une  instruction  que  j'ose  appeler  la  base  de  la  piété  chrétienne. 


5^2  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


Quand  l'Apôtre  parle  ainsi  de  la  Loi/quand  il  l'appelle  une 
lettre  qui  tue  et  qui  donne  au  péché  de  nouvelles  forces, 
croyez  qu'il  ne  songe  pas  à  blâmer  la  Loi;  mais  il  déplore  la 
faiblesse  delà  nature.  Si  donc  vous  voulez  entendre  l'Apôtre, 
apprenez  premièrement  à  connaître  les  langueurs  mortelles 
qui  nous  accablent,  (')  depuis  la  chute  du  premier  père,  dans 
lequel,  comme  dans  la  tige  du  genre  humain,  toute  la  race 
des  hommes  a  été  gâtée  par  une  corruption  générale. 

Et  pour  mieux  comprendre  nos  infirmités,  considérons, 
avant  toutes  choses,  quelle  était  la  fin  à  laquelle  notre  nature 
était  destinée.  Certes,  puisqu'il  avait  plu  à  notre  grand  Dieu 
de  laisser  tomber  sur  nos  âmes  une  étincelle  de  ce  feu  divin 
qui  éclaire  les  créatures  intelligentes,  il  est  sans  doute  que  nos 
actions  devaient  être  conduites  par  la  raison.  Or  il  n'y  avait 
rien  de  plus  raisonnable  que  de  consacrer  tout  ce  que  nous 
sommes  à  celui  dont  la  libéralité  nous  a  enrichis;  et  partant, 
notre  inclination  la  plus  naturelle  devait  être  d'aimer  et  de 
servir  Dieu:  c'est  à  quoi  tout  l'homme  devait  conspirer.  D'où 
passant  plus  outre,  je  dis  que  les  sens  étant  inférieurs  à  l'intel- 
ligence, il  fallait  aussi  que  les  biens  sensibles  le  cédassent  aux 
biens  de  l'esprit;  et  ainsi,  pour  mettre  les  choses  dans  un  bon 
[p.  14]  ordre,  les  affections  de  l'homme  devaient  être  tellement 
disposées,  que  l'esprit  dominât  sur  le  corps,  que  la  raison  l'em- 
portât sur  les  sens,  et  que  le  Créateur  fût  préféré  à  la  créature. 
Vous  voyez  bien  qu'il  n'a  rien  de  plus  juste;  et  si  la  nature 
humaine  était  droite,  telles  devraient  être  ses  inclinations. 

Mais,  ô  Dieu  !  que  nous  en  sommes  bien  éloignés!  et  que 
cette  belle  disposition  est  étrangement  pervertie,  puisque, 

Quand  l'Apôtre  enseigne  que  par  la  Loi  le  péché  a  pris  de  nouvelles  forces, 
ne  croyez  pas  qu'il  veuille  blâmer  la  Loi,  qu'il  a  si  souvent  appelée  très  juste  et 
très  sainte.  Ce  qui  le  fait  parler  de  la  sorte,  c'est  qu'il  regarde  la  maladie  de 
notre  nature,  où  l'iniquité  domine  si  fort  qu'elle  tourne  en  mal  la  Loi  même,  par 
laquelle  nous  devions  être  formés  dans  les  mœurs  ivar.  à  la  bonne  vie).  Appre- 
nons donc  à  connaître,  fidèles,  les  langueurs  qui  nous  accablent...  » 

La  suite  est  devenue  le  texte  définitif.  On  voit  que  Bossuet  a  eu  raison  de 
concentrer  une  première  dissertation,  qui  était  devenue  diffuse  pendant  qu'il  ne 
s'attachait  qu'à  la  doctrine  et  à  ses  difficultés.  11  en  sera  de  même  plus  loin, 
avec  cette  aggravation  que  là  les  éditions  ont  cousu  l'une  à  l'autre  les  deux 
rédactions  successives. 

I.  Ici  se  fait  le  raccord  de  la  seconde  rédaction  avec  la  première, 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  553 

par  le  désordre  de  notre  péché,  nos  inclinations  naturelles 
se  sont  tournées  aux  objets  contraires!  Car  certainement  la 
plupart  des  hommes  suit  l'inclination  naturelle.  Or  il  n'est 
pas  difficile  de  voir  qu'est-ce  qui  domine  le  plus  dans  le 
monde.  La  première  vue,  n'est-il  pas  vrai,  c'est  qu'il  n'y  a 
que  les  sensqui  régnent,  que  laraison  est  opprimée  et  éteinte? 
Elle  n'est  écoutée  qu'autant  qu'elle  favorise  les  passions:  nous 
n'avons  d'attachement  qu'à  la  créature;  et  si  nous  suivons  (') 
le  cours  de  nos  mouvements,  nous  en  viendrons  bientôt  (') 
à  oublier  Dieu.  Qu'ainsi  ne  soit:  regardez  quel  était  le  monde 
avant  que  l'on  y  eût  prêché  l'Évangile.  Où  était  en  ce  temps- 
là  le  règne  de  Dieu,  et  à  qui  est-ce  qu'on  présentait  de  Ten- 
censPOui  ne  sait  que  l'idolâtrie  avait  tellement  infecté  la  terre, 
qu'il  semblait  que  ce  grand  univers  fût  changé  en  un  temple 
d'idoles  (^)?  Qui  n'est  saisi  d'horreur,  en  voyant  cette  multipli- 
cité de  dieux  inventée  pour  rendre  méprisable  le  nom  de  Dieu.-^ 
qui  ne  voit  en  ce  nombre  prodigieux  de  fausses  divinités 
l'étrange  débordement  de  notre  nature,  qui,  renonçant  à  son 
époux  véritable,  à  la  manière  d'une  femme  impudique,  s'aban- 
donnait à  une  infinité  d'adultères  {'^)  par  une  insatiable  pros- 
titution? Car  il  est  très  certain  que  l'idolâtrie  n'avait  rien 
laissé  d'entier  sur  la  terre  :  c'était  le  crime  de  tout  le 
monde.  Et  encore  que  Dieu  se  fût  réservé  un  petit  peuple 
dans  la  Judée,  toutefois  nous  savons  que  ce  peuple,  qui  était 
le  seul  (^),  dans  toute  la  terre  habitable,  instruit  dans  la  véri- 
table religion,  était  si  fort  porté  à  quitter  son  Dieu,  que  ni 
ses  miracles,  quoique  très  visibles,  ni  ses  promesses,  quoique 
très  magnifiques,  ni  ses  châtiments,  quoique  très  rigoureux, 
n'étaient  pas  capables  de  retenir  cette  inclination  furieuse 
qu'ils  avaient  de  courir  après  les  idoles:  tant  il  est  vrai  que  le 

1.  Var.  si  nous  allons  suivant... 

2.  Var.  aussitôt. 

3.  Une  belle  parole  du  Discours  sur  P Histoire  universelle^  retentit  cU^j.\  ici  : 
«  Tout  était  Dieu,  excepté  Dieu  même;  et  le  monde  que  Dieu  avait  fait  pour 
manifester  sa  puissance,  Jt'w/VcwV  dV/v  devenu  un  le  ni  pie  d'idoles.  »  (II'  part., 
ch.  m.) 

4.  Vnr.  avec.  —  Entendons  par  conséquent  par  adullhrs  non  les  crimes, 
mais  les  criminels  ;  par  opposition  .\  V//>ou.v  vi'ritable. 

5.  Var.  le  seul,  dans  tout  l'univers  que  Dieu  avait  éclairé  —  illuminé  —  de  sa 
connaissance. 


554  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 

o^cnre  humain,  par  le  vice  de  son  origine,  est  devenu  enclin 
naturellement  à  mépriser  Dieu  :  et  voyez-le  par  une  expé- 
rience si  universelle.  Et  d'où  vient  cette  inclination  naturelle, 
si  contraire  à  notre  première  institution,  sinon  de  la  conta- 
gion du  premier  péché,  par  lequel  la  source  des  hommes 
étant  infectée,  la  corruption  nous  est  passée  en  nature? 

Ah!  fidèles!  ne  craignons  pas  de  confesser  ingénument  nos 
infirmités  :  [p.  15]  que  ceux-là  en  rougissent,  qui  ne  savent 
pas  le  remède,  qui  ne  connaissent  pas  le  Libérateur.  Pour 
nous,  n'appréhendons  pas  de  montrer  nos  plaies,  et  avouons 
que  notre  nature  est  extrêmement  languissante.  Et  comment 
pourrions-nous  le  nier.-^  Quand  nous  voudrions  le  dissimuler 
ou  le  taire,  toute  notre  vie  crierait  contre  nous;  nos  occupa- 
tions ordinaires  témoignent  assez  où  tend  la  pente  de  notre 
cœur.  D'où  vient  que  tous  les  sages  s'accordent  que  le  che- 
min du  vice  est  glissant.'^  d'où  vient  que  nous  connaissons 
par  expérience  que  non  seulement  nous  y  tombons  de  nous- 
mêmes,  mais  encore  que  nous  y  sommes  comme  entraînés  ! 
au  lieu  que  pour  monter  à  cette  éminence  ('),  où  la  vertu 
établit  son  trône,  il  faut  se  raidir,  et  bander  les  nerfs  avec 
une  incroyable  contention.  Après  cela,  est-il  malaisé  de  con- 
naître où  nous  porte  le  poids  de  notre  inclination  dominante  .^^ 
et  qui  ne  voit  que  nous  allons  au  mal  naturellement; puisqu'il 
faut  faire  effort  pour  nous  en  tirer,  et  que  nous  n'en  pouvons 
sortir  qu'avec  peine .'^  De  là  vient  que  la  doctrine  de  l'Evan- 
gile, qui  ne  peut  repaître  que  l'entendement,  ne  tient  presque 
point  à  notre  âme  :  au  contraire,  les  choses  sensibles  y  font 
de  profondes  impressions.  J'en  appelle,  chrétiens,  à  vos 
consciences.  Quelquefois  quand  vous  entendez  discourir  des 
mystères  du  royaume  de  Dieu,  ne  vous  sentez-vous  pas 
échauffés?  Vous  ne  concevez  que  de  grands  desseins  :  faut-il 
faire  le  premier  pas  de  l'exécution,  n'est-il  pas  vrai  que  le 
moindre  souffle  du  diable  éteint  cette  flamme  errante  et 
volage  qui  ne  prend  pas  à  sa  matière  (^)  ?  Il  est  vrai  :  nous 
sentons  je  ne  sais  quel  instinct  en  nous-mêmes,  qui  voudrait, 

1.  Var.  pour  gagner  cette  éminence. 

2.  Idée  déjà  rencontrée  dans  le  sermon  de  la  Conception^  1652.  On  voit  déjà 
le  progrès. 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  555 


ce  nous  semble,  s'élever  à  Dieu;  mais  nous  sentons  aussi  un 
torrent  de  cupidités  opposées,  qui  nous  entraînent  et  qui 
nous  captivent.  De  là  les  gémissements  de  l'Apôtre  {'')  et  de 
tous  les  vrais  serviteurs  de  Dieu,  qui  se  plaignent  qu'ils  sont 
captifs,  et  que,  malgré  tous  leurs  bons  désirs,  ils  éprouvent 
continuellement  en  eux-mêmes  une  certaine  résistance  à  la 
loi  de  Dieu,  qui  les  presse  et  qui  les  tourmente.  Et  partant, 
qui  donc  serait  si  superbe,  qui  ('),  voyant  l'apôtre  saint  Paul 
ainsi  vivement  attaqué,  ne  confesserait  pas  devant  Dieu, 
dans  l'humiliation  de  son  âme,  que  vraiment  notre  maladie 
est  extrême,  et  que  les  plaies  de  notre  nature  sont  bien  pro- 
fondes (^)  ? 

[P.  16]  Je  sais  que  l'orgueilleuse  sagesse  du  monde  ne  goû- 
tera pas  cette  humble  doctrine  du  christianisme.  La  nature, 
quoique  impuissante,  n'a  jamais  été  sans  flatteurs,  qui  l'ont 
enflée  par  de  vains  éloges;  parce  qu'en  effet  ils  ont  vu  en  elle 
quelque  chose  de  fort  excellent  :  mais  ils  ne  se  sont  point 
aperçus  qu'il  en  était  comme  des  restes  d'un  édifice  autrefois 
très  régulier  et  très  magnifique,  renversé  maintenant  et  porté 
par  terre;  mais  qui  conserve  encore  dans  sa  ruine  quelques 
vestiges  de  son  ancienne  grandeur  et  de  la  science  de  son 
architecte  {^).  Ainsi  nous  voyons  encore  en  notre  nature 
quoique  malade,  quoique  disloquée,  quelques  traces  de  sa 
première  institution;  et  la  sagesse  humaine  s'étant  bien  voulu 
tromper  par  cette  apparence,  encore  qu'elle  y  remarquât  des 
défauts  visibles,  elle  a  mieux  aimé  couvrir  ses  maux  par 
l'orgueil,  que  de  les  guérir parl'humilité.  J'avoue  même  que  les 
hommes,  pour  la  plupart,  ne  remarquent  pas,  comme  il  faut, 
cette  résistance  dont  nous  parlons;  mais  combien  y  a-t-il  de 
malades  qui  ne  sentent  pas  leur  infirmité!  Cela,  cela,  fidèles, 
c'est  le  plus  dangereux  effet  de  nos  maladies,  que  nous 
sommes  réduits  aux  abois,  et  qu'une  folle  arrogance  nous 

a.  Ront.^  VII,  23. 

1.  Phrase  toute  latine  :  si  superht\  qui  ne  confesserait  ;  pour  quil  ne  confessât^ 
tour  plus  fréquent,  mais  lui-mcMne  plus  latin  que  franv^ais. 

2.  Var.  dan<;ereuses. 

3.  C'est  d(5j:\  la  pensée  que  le  discours /r'//r  hi  l^rofession  t/e  M""  de  la  l  a//i?re 
rendra  si  célèbre.  C'est  donc  àsoi-mcnie  que  lîossuct  rempruntera  alors  (1675), 
non  aux  Pensées  de  Pascal,  qui  parurent  en  1670. 


556  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


persuade  que  nous  sommes  en  bonne  santé  :  c'est  en  cela 
que  je  suis  plus  malade,  que  je  ne  sais  pas  déplorer  ma  mi- 
sère ni  implorer  le  secours  du  Libérateur;  faible  et  altier 
tout  ensemble,  impuissant  et  présomptueux. 

Et  d'ailleurs  je  ne  m'étonne  pas,  si,  vivant  comme  nous 
vivons,  nous  ne  sentons  pas  la  guerre  éternelle  que  nous 
fait  la  concupiscence.  Lorsque  vous  suivez  en  nageant  le 
cours  de  la  rivière  qui  vous  conduit,  il  vous  semble  qu'il  n'y 
a  rien  de  si  doux  ni  de  si  paisible;  mais  si  vous  remontez 
contre  l'eau,  si  vous  vous  opposez  à  sa  chute,  c'est  alors, 
c'est  alors  que  vous  éprouvez  la  rapidité  de  son  mouvement. 
Ainsi  je  ne  m'étonne  pas,  chrétien,  si  menant  une  vie  pares- 
seuse, si  ne  faisant  aucun  effort  pour  le  ciel,  si  ne  songeant 
point  à  t'élever  au-dessus  de  l'homme,  pour  commencer  à 
jouir  de  Dieu,  tu  ne  sens  pas  la  résistance  de  la  convoitise; 
c'est  qu'el'le  t'emporte  toi-même  avec  elle  :  vous  marchez 
ensemble  d'un  même  pas,  et  vous  allez  tous  deux  dans  la 
même  voie  :  ainsi  son  impétuosité  t'est  imperceptible. 

Un  saint  Paul,  un  saint  Paul  la  sentira  mieux;  parce  qu'il  a 
ses  affections  avec  Jésus-Chrlst  :  les  inclinations  charnelles 
le  blessent,  parce  qu'il  aime  la  loi  du  Seigneur;  tout  ce  qui 
s'y  oppose,lui  devient  sensible.  Saint (^)  Augustin  [p.  1 7]  a  bien 
compris  sa  pensée.  Il  a  voulu,  dit-il,  faire  voir  à  l'homme 
combien  était  grande  son  impuissance,  et  combien  déplo- 
rable son  infirmité,  puisqu'une  loi  si  juste  et  si  sainte  lui 
devenait  un  poison  mortel;  «  afin  que,  par  ce  moyen,  nous 

I.  Seconde  rédaction,  destinée  à  concentrer  la  première.  Les  éditeurs,  sans 
tenir  compte  d'un  renvoi  du  manuscrit,  les  cousent  ensemble  à  la  suite.  Singu- 
lière façon  d'abréger  !  Voici  l'ancien  développement  : 

«  Aspirons  à  la  perfection  chrétienne  :  suivons  un  peu  JÉSUS-Christ  dans 
a  voie  étroite,  et  bientôt  notre  expérience  nous  fera  reconnaîte  notre  infirmité. 
C'est  alors  qu'étant  fatigués  par  les  opiniâtres  oppositions  de  la  convoitise, 
nous  confesserons  que  les  forces  nous  manquent  si  la  grâce  divine  ne  nous  sou- 
tient. Car  enfin  ce  n'est  pas  un  ouvrage  humain  de  dompter  cet  ennemi  domes- 
tique qui  nous  persécute  si  vivement,  et  qui  ne  nous  donne  aucune  relâche. 
Ltant  ainsi  déchirés  en  nous-mêmes,  nous  nous  consumons  par  nos  propres 
efforts;  plus  nous  pensons  nous  pouvoir  relever  par  notre  naturelle  vigueur,  et 
plus  elle  se  diminue;  comme  un  pauvre  malade  moribond  qui  ne  sait  plus  que 
faire;  il  s'imagine  qu'en  se  levant  il  sera  un  peu  allégé,  il  achève  de  perdre  son 
peu  de  force  par  un  travail  qu'il  ne  peut  supporter,  et,  après  qu'il  s'est  beaucoup 
tourmenté  k  traîner  ses  membres  appesantis  avec  [p.  25]  une  extrême  conten- 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  557 

reconnussions  humblement  qu'il  ne  suffît  pas  que  Dieu  nous 
enseigne,  mais  qu'il  est  nécessaire  qu'il   nous  soulage,  »  non 
tantum  doctorem  sibi  esse  necessariiDJi,  vertini  clia?n  adjit- 
tore7n  Deum  {^).  C'est  pourquoi  le  grand  docteur  des  gentils, 
après  avoir  dit  de  la  Loi  toutes  les  choses  que  je  vous  ai 
rapportées,  commence  à  se  plaindre  de  sa  servitude.   «Je 
me  plais,  dit-il  (^),  à  la  loi  de  Dieu  selon  l'homme  intérieur  ; 
mais  je  sens  une  loi  en  moi-même  qui  répugne  à  la  loi   de 
l'esprit,  et  me  captive  sous  la  loi  du  péché  :  car  je  ne  fais  pas 
le  bien  que  je  veux;  mais  je  fais  le  mal  que  je  hais.  Malheu- 
reux homme  que  je  suis,  qui  me  délivrera  de  ce  corps  de 
mort?  La  grâce  de  Dieu  par  Notre-Seigneur  Jësus-Ciirist.» 
C'est  là  enfin,  fidèles,  c'est  à  cette  grâce  que  notre  impuis- 
sance doit  nous  conduire.  La   Loi   ne  fait  autre  chose  que 
nous  montrer  ce  que  nous  devons  demander  à  Dieu,  et  de 
quoi  nous  avons  à  lui  rendre  grâces;  et  c'est  ce  qui  a  fait  dire 
à  saint  Augustin  (^)  :  «  Faites  ainsi.   Seigneur,  faites  ainsi, 
Seigneur  miséricordieux  :  commandez  ce  qui   ne  peut  être 
accompli;  ou  plutôt  commandez  ce  qui  ne  peut  être  accompli 
que  par  votre  grâce  ;  afin  que  tout  fléchisse  devant  vous;  et 
que  celui  qui   se  glorifie,  se  glorifie  seulement  en   Notre- 
Seigneur.  » 

a.  De  Spirit.  et  litt.^  n.  9.  —  b.  Rom.,  vn,  15,  22-25.  —  ^-  ^^  ^^-  cxviii, 
serm.  xvii,  n.  3. 

tion,  il  retombe,  ainsi  qu'une  pierre,  sans  pouls  et  sans  mouvement,  plus  faible 
et  plus  impuissant  que  jamais.  Ainsi  en  est-il  de  nos  volontés,  si  elles  ne  sont 
secourues  par  la  grâce.  Or  la  grâce  n'est  point  pur  la  Loi  :  car  si  la  grâce  était 
par  la  Loi,  c'est  en  vain  que  Jésus-Christ  serait  mort  ;  et  ce  grand  scandale 
de  la  croix  serait  inutile.  C'est  pourquoi  l'évangéliste  nous  dit  :  «  La  loi  a  été 
donnée  par  Moïse;  mais  la  grâce  et  la  vérité  a  été  faite  par  Jksus-Chkist.  » 
(Joan.j  I,  17.)  D'où  je  conclus  que,  sous  le  Vieux  Testament,  tous  ceu.x  qui 
obéissaient  à  la  grâce,  c'était  par  le  mérite  de  JÉSUS-Christ;  et  de  1«\  ils  appar- 
tenaient au  christianisme,  parce  que  la  grâce  ni  la  justice  n'est  point  par  la  Loi. 
Et  de  là,  pour  revenir  à  mon  texte,  j'infère  avec  l'Apôtre  <i  que  la  lettre  tue.  » 
Voyez  si  je  prouverai  bien  ce  que  je  propose,  et  renouvelez  vos  attentions. 

Insistons  toujours  aux  mêmes  principes.  Et  ainsi,  pour  revenir  â  notre  pas- 
sage, figurez-vous  cet  homme  malade,  que  je  vous  dépeignais  tout  à  l'heure  ; 
cet  homnie  tyrannisé  par  ses  convoitises,  cet  homme  imi)uissant  .\  tout  bien, 
qui,  selon  le  concile  d'Orange,  i.  n'a  rien  de  son  crû  que  le  mensonge  et  le 
péché»  {Conc.  Arausic.  II,  can.  xxil).  Que  produira  la  Loi  en  cet  homme, 
puisciu'ellc  ne  peut  lui  donner  la  grâce?  IClle  parle,  elle  commande,  elle  tonne, 
elle  retentit  aux  oreilles  d'un  ton  puissant  et  impérieux  ;  m.iis  (.[ue  sert  île  frapper 
les  oreilles,  puisque  la  maladie  est  au  c(cur.^  Je  ne  craindrai  point  de  le  dire  :  si 


558  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


C'est  là  la  vraie  justice  du  christianisme,  qui  ne  vient  pas 
en  nous  par  nous-mêmes,  mais  qui  nous  est  donnée  par  le 
Saint-Esprit  :  c'est  là  cette  justice  qui  est  par  la  foi,  que 
l'apôtre  saint  Paul  élève  si  fort  ;  non  pas  comme  l'entendent 
nos  adversaires,  qui  disent  que  toute  la  vertu  de  justifier 
consiste  en  la  foi.  Ils  n'ont  pas  bien  pris  le  sens  de  l'Apôtre  ; 
et  je  le  prouve  démonstrativement  en  un  mot  que  je  vous 
prie  de  retenir,  pour  les  combattre  dans  la  rencontre.  «  Si, 
dit  saint  Paul  (''),  j'ai  toute  la  foi,  jusqu'à  transporter  les 
montagnes,  et  que  je  n'aie  pas  la  charité,  je  ne  suis  rien.  » 
S'il  n'est  [p.  18]  rien,  donc  il  n'est  pas  juste  :  donc  la  foi  ne 
justifie  pas  sans  la  charité.  Et  toutefois  il  est  véritable  que 
c'est  la  foi  de  Jésus-Chrlst  qui  nous  justifie  ;  parce  qu'elle 
n'est  pas  seulement  la  base,  mais  la  source  qui  fait  découler 
sur  nous  la  justice  qui  est  par  la  grâce.  Car,  comme  dit  le 
grand  Augustin,  «  ce  que  la  loi  commande,  la  foi  l'impètre  :  » 
Fides  impetrat  qtw ci  lex  imper at  (^).  La  Loi  dit  :  «  Tu  ne  con- 
voiteras pas  (')  ;  »  la  foi  dit  avec  le  Sage  :  <:<  Je  sais,  ô  grand 
Dieu,  et  je  le  confesse,  que  personne  ne  peut  être  continent, 
si  vous  ne  le  faites  (^),  »  Dieu  dit  par  la  Loi  :  «  Fais  ce  que 
j'ordonne  ;  »  la  foi  répond  à  Dieu  :    «   Donnez,  Seigneur,  ce 

a.  I  Cor.^  XHi,  2.  —  b.  In  Ps.  cxvni,  serm.  xvi,  n.  2.  —  c.  Rom.^  vu,  7.  — 
d.  Sap.,  VIII,  21. 

vous  n'ajoutez  l'esprit  de  la  grâce,  tout  ce  bruit  de  la  Loi  ne  fait  qu'étourdir  le 
pauvre  malade  :  elle  l'effraye,  elle  l'épouvante  ;  mais  il  vaudrait  bien  mieux  le 
guérir,  et  c'est  ce  que  la  Loi  ne  peut  faire.  Quel  est  donc  l'avantage  qu'apporte 
la  Loi  ?  Elle  fait  connaître  le  mal  ;  elle  allume  le  flambeau  devant  le  malade,  elle 
lui  montre  le  chemin  de  la  vie  :  «  Fais  ceci,  et  tu  vivras,  »  lui  dit-elle  :  Hocfac 
et  vives  (Luc,  X,  28).  Mais  à  quoi  sert  de  montrer  à  ce  pauvre  paralytique  qui 
est  au  lit  depuis  trente-huit  ans,  à  quoi  sert  que  vous  lui  montriez  l'eau  miracu- 
leuse qui  peut  le  guérir  ?  Homlnem  non  habeo  (Joan.,  V,  7)  :  «  Je  n'ai  personne,  » 
dit-il  ;  il  est  immobile,  il  faut  le  porter  :  et  il  est  impossible  que  la  Loi  le  porte. 
Mais  la  Loi,  direz-vous,  n'a-t-elle  donc  aucune  énergie?  Certes,  son  énergie 
est  très  grande  ;  mais  très  pernicieuse  à  notre  malade.  Que  fait-elle  .''  Elle  aug- 
mente la  connaissance,  et  cela  même  augmente  le  crime.  Elle  me  commande 
de  la  part  de  Dieu,  elle  me  fait  comprendre  ses  jugements.  Avant  la  Loi,  je  ne 
connaissais  pas  que  Dieu  fût  mon  juge,  ni  qu'il  prît  la  qualité  de  vengeur  des 
crimes  ;  mais  la  Loi  me  montre  bien  qu'il  est  juge,  puisqu'il  daigne  bien  être 
législateur.  Mais  enfin  que  produit  cette  connaissance.^  Elle  fait  que  mon  péché 
est  moins  excusable,  et  ma  rébellion  plus  audacieuse.  C'est  pourquoi  l'Apôtre 
nous  dit  que  «  le  péché  a  abondé  par  la  Loi  (/?<?;//.,  v,  20  ),  »  qu'elle  lui  donne  de 
nouvelles  forces,  «qu'elle  le  fait  vivre  {Ibid.^  vil,  9)  ;  »  parce  qu'à  tous  les  autres 
péchés  elle  ajoute  la  désobéissance  formelle,  qui  est  le  comble  de  tous  les  maux. 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  559 

que  VOUS  ordonnez  ('').  »  La  foi  fait  naître  l'humilité,  et 
l'humilité  attire  la  grâce,  «  et  c'est  la  grâce  qui  justifie  (^).  » 
Ainsi  notre  justification  se  fait  par  la  foi,  la  foi  en  est  la  pre- 
mière cause  ;  et  en  cela  nous  différons  du  peuple  charnel,  qui 
ne  considérait  que  l'action  commandée,  sans  regarder  le 
principe  qui  la  produit.  Quand  ils  lisaient  la  Loi,  ils  ne  son- 
geaient à  autre  chose  qu'à  faire  ;  et  ils  ne  pensaient  point 
qu'il  fallait  auparavant  demander.  Pour  nous,  nous  écoutons, 
à  la  vérité,  ce  que  Dieu  ordonne  ;  mais  la  foi  en  Jésus-Chrlst 
nous  enseigne  que  c'est  de  Dieu  même  qu'il  le  faut  attendre. 
Ainsi  notre  justice  ne  vient  pas  des  œuvres  en  tant  qu'elles 
se  font  par  nos  propres  forces  ;  elle  naît  de  la  foi,  «  qui, 
opérant  par  la  charité,  fructifie  en  bonnes  œuvres,  »  comme 
dit  l'Apôtre  {'). 

En  effet,  croire  en  Jésus-Chrlst  n'est-ce  pas  croire  au 
Sauveur,  au  Libérateur  ?  Et  quand  nous  croyons  au  Libé- 
rateur, ne  sentons-nous  pas  notre  servitude  ?  Quand  nous 
confessons  le  Sauveur,  ne  confessons-nous  pas  que  nous 
sommes  perdus  ?  Ainsi,  reconnaissant  devant  Dieu  que  nous 
sommes  perdus  en  nous-mêmes,  nous  courons  à  Jésus-Christ 
par  la  foi,  cherchant  notre  salut  en  lui  seul  :  c'est  là  cette  foi 
qui  nous  justifie,  si   nous  croyons,  si   nous   confessons   que 

a.  S.  Aug.,  Confess.^  lib.  x.  —  b.   Tit.^  m,  7.  —  c.  Gai.,  v,  6;  Coloss.,  i,   10. 

De  cette  sorte,  que  fait  la  Loi  ?  Elle  lie  les  transgresseurs  par  des  malédictions 
éternelles  ;  parce  qu'il  est  écrit  dans  cette  Loi  même  :  «  Maudit  est  celui  qui 
n'observe  pas  ce  qui  est  commandé  dans  ce  livre  {Dcui.  xxvii,  26).  » 

A  présent,  ne  voyez-vous  pas  clairement  toute  la  force  du  raisonnement  de 
l'Apôtre  ?  car  la  Loi  ne  nous  touchant  (ju'au  dehors,  elle  n'a  pas  la  force  de  nous 
soulager  ;  et,  sortant  de  la  bouctie  de  Uieu,  elle  a  la  force  de  nous  condamner. 
La  Loi  donc,  considérée  en  cette  manière,  qu'est-ce  autre  chose  qu'une  lettre  qui 
ne  soutient  pas  l'impuissance,  mais  qui  condamne  la  rébellion  :  «  cjui  ne  soulage 
pas  le  malade,  mais  qui  témoigne  contre  le  pécheur?  »  \on  adjultix lci:^£ntiutn, 
sed  testis  peccantium,  dit  saint  Augustin  {De  divers.  Quœst.  ad Simplician.,  lib.  I, 
quaîst.  V,  n.  7)  :  mais  cet  excellent  docteur  passe  bien  plus  outre,  appuyé  sur  la 
doctrine  du  saint  Apôtre. 

Achevons  de  faire  connaître  \  l'homme  l'extrémité  de  sa  maladie,  afin  qu'il 
sache  mieux  reconnaître  la  miséricorde  infinie  de  son  médecin.  Nous  avons  dit 
c|ue  notre  plus  grand  mal,  c'est  l'orgueil.  (2ue  fait  le  commandement  .\  un  orgueil- 
leux }  Il  fait  qu'il  se  raidit  au  contraire,  comme  une  eau  ilébordéc  qui  s'irrite  par 
les  obstacles.  Mt  d'où  vient  cela  .' C'est  .\  cause  i|ue  l'orgueilleux  n'atTcc  te  rien 
tant  que  la  liberté,  et  ne  fuit  rien  tant  ([ue  la  dépendance  :  c'est  pourquoi  il  se  plail 
à  secouer  le  joug.  Il  aime  la  licence  ;  parce  qu'elle  semble   un   débordement  de 


560  l'OUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 

nous  sommes  morts,  et  que  c'est  Jésus-Christ  qui  nous  rend 
kl  vie.  Chrétien,  le  crois-tu  de  la  sorte:  le  croyons-nous  ainsi, 
chrétiens.^  Si  tu  ne  le  crois  pas,  tu  renies  Jésus-Ciirlst 
pour  Sauveur  ;  Jésus  n'est  plus  Jésus,  et  toute  la  vertu  de 
sa  croix  est  anéantie.  Que  si  nous  confessons  cette  vérité, 
qui  n'est  pas  un  [p.  19]  article  particulier,  mais  qui  est  le 
fondement  et  la  base  qui  soutient  tout  le  corps  du  christia- 
nisme ;  avec  quelle  humilité,  avec  quelle  ardeur,  avec  quelle 
persévérance  devons-nous  approcher  de  notre  grand  Dieu, 
pour  rendre  grâces  de  ce  que  nous  avons,  et  pour  demander 
ce  qui  nous  manque  !  Que  ma  peine  serait  heureusement 
employée,  si  l'humilité  chrétienne,  si  le  renoncement  à  nous- 
mêmes,  si  l'espérance  au  Libérateur,  si  la  nécessité  de  per- 
sévérer dans  une  oraison  soumise  et  respectueuse,  demeu- 
raient aujourd'hui  gravés  dans  vos  âmes  par  des  caractères 
ineffaçables!  Prions,  fidèles,  prions  ardemment;  apprenons 
de  la  Loi  combien  nous  avons  besoin  de  la  grâce.  Ecoutons 
le  saint  concile  de  Trente  qui  assure  qu'en  commandant, 
«  Dieu  nous  avertit  de  faire  ce  que  nous  pouvons,  et  de 
demander  ce  que  nous  ne  pouvons  pas  ('').  »  Entendons  (') 
par  cette  doctrine  qu'il  y  a  des   choses  que  nous  pouvons, 

a.  Sess.  VI,  cap.  xi. 

la  liberté.   Notre  âme  donc  étant  inquiète,  indocile  et  impatiente,  la  vouloir 
retenir  par  la  discipline,  c'est  la  précipiter  davantage.  Avouons  la  vérité,  chré- 
tiens ;  nous  trouvons  une  certaine  douceur  dans  les  choses  qui  nous  sont  défen- 
dues. Tel  ne  se  souciera  pas  beaucoup  de  la  chair,  qui  la  trouvera  plus  délicieuse 
pendant  le  carême.  La  défense  excite  notre  appétit,  et  par  ce  moyen  fait  naître 
un  nouveau  plaisir.  Et  quelle  est  la  cause  de  ce  plaisir,  si  ce  n'est  celle   que  je 
viens  de  vous  rapporter,  c'est-à-dire,  cette  vaine  ostentation  d'une  liberté  indo- 
cile et  licencieuse  qui  est  si  douce  à  un  orgueilteux,  et  qui  fait  que  l'objet  de  ses 
passions  «  lui  plaît  d'autant  plus,  qu'il  lui  est  moins  permis  ?  »  Tanto  magis  libet^ 
quanta  minus  licet^  dit  saint  Augustin  {De  divers.  Qiiœst.  ad  Simplician.^  lib.  I, 
quaîst.  V,  n.  17)  ;  et  c'est  ce  que  veut  dire  l'Apôtre  aux  Romains  :   «   Le  péché, 
prenant  occasion  du  commandement,  m'a  trompé,  et  m'a  fait  mourir  {Rom.^  vil, 
1 1).  »  Le  péché  prenant  occasion  du  commandement,  il  m'a  trompé   par  cette 
fausse  douceur  que  la  défense  fait  naître.  Elle  est  vaine,  elle  est  fausse,  il  est 
vrai,  mais  plus  charmante  à  une  âme  superbe;  et  c'est  par  cette  raison  qu'elle 
trompe  facilement.  Reprenons  donc  maintenant  ce  raisonnement.   La   Loi,  par 
la  défense,  augmente  le  plaisir  de  mal  faire,   et  par  là  excite  la  convoitise  ;  la 
convoitise  me  donne  la  mort  :  et  partant  la   Loi  me  donne  la  mort,  non  point 
certes  par  elle-même,  mais  par  la  malignité  du  péché  qui  domine  en  moi.  [En 
sorte  que  la  concupiscence  est  devenue,  par  le  commandement  même,  une  source 

I.  Var,  Il  y  a  donc  des  choses  que  nous  ne  pouvons  pas  ;  et  si... 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  56  I 

et  d'autres  que  nous  ne  pouvons  pas  ;  et  si  nous  ne  les  de- 
mandons, elles  ne  nous  seront  pas  données.  Ainsi  nous 
demeurerons  impuissants,  et  notre  impuissance  n'excusera 
point  notre  crime  :  au  contraire  nous  serons  doublement 
coupables,  en  ce  que  nous  serons  tombés  dans  le  crime  pour 
n'avoir  pas  voulu  demander  la  grâce.  Combien  donc  est-il 
nécessaire  que  nous  priions,  ainsi  que  de  misérables  néces- 
siteux qui  ne  peuvent  vivre  que  par  aumônes!  C'est  ce  que 
prétend  l'apôtre  saint  Paul,  dans  cet  humble  raisonnement 
que  j'ai  tâché  de  vous  expliquer  :  il  nous  montre  notre  ser- 
vitude et  notre  impuissance;  afin  que  les  fidèles  étant  effrayés 
par  les  menaces  de  la  lettre  qui  tue,  ils  recourent  par  la 
prière  à  l'Esprit  qui  nous  vivifie.  C'est  la  dernière  partie  de 
mon  texte,  par  laquelle  je  m'en  vais  conclure  en  peu  de 
paroles. 

SECOND  POINT. 

[P.  20]  Je  vous  ai  fait  voir, chrétiens,  par  la  doctrine  de  l'apô- 
tre saint  Paul,  que  la  grâce  et  la  justice  n'est  point  parla  Loi; 
d'autant  qu'elle  ne  fait  qu'éclairer  l'esprit,  et  qu'elle  n'est  pas 
capable  de  changer  le  cœur.  Mais,  continue  le  même  saint 
Paul,  «  ce  qui  était  impossible  à  la  Loi,  Dieu  l'a  fait  lui- 
même  en  envoyant  son  Fils,  qui  a  répandu  dans  nos  âmes 
l'esprit  de  la  grâce,  afin  que  la  justice  de  la  Loi  s'accomplit 
en  nous  ('')  :  »  ce  qui  a  fait  encore  dire  à  l'Apôtre,  que  «  main- 
tenant nous  ne  sommes  plus  sous  la  Loi  {^').  »  Or,  pour  en- 
tendre plus  clairement  ce  qu'il  nous  veut  dire,    considérons 

a.  Rom.^  VHI,  3,  4.  —  b.  Ibid.^  vi,  14. 

plus  abondante  de  péchd  :]   Ut  fiât  supra  modum  peccans  pcccatum  pcr  man- 
(iattun,  continue  le  mciiie  saint  Paul  {Ibid.^  13). 

Ne  voyez-vous  pas  maintenant  plus  clair  ([ue  le  jour  que  non  seulement  les 
préceptes  du  Dccalogue,  mais  encore,  par  une  conséquence  infaillible,  tous  les 
enseignements  de  la  Loi,  et  mcMTie  toute  la  doctrine  de  l'Kvangile,  si  nous  n'im- 
pétrons  l'esprit  de  la  grâce,  ne  sont  qu'une  lettre  c|ui  tue,  c|ui  pique  \i'ar.  en- 
flamme) la  convoitise  par  la  défense,  et  comble  {var.  augmente)  le  péché  par  la 
transgression  ?  ICt  ([uelle  est  donc  l'utilité  delà  Loi?  Ah  !  c'est  ici,  mes  frères, 
où  il  nous  faut  recueillir  le  fruit  des  doctes  enseignements  de  l'.Vpôtrc.  Ne 
croyons  pas  qu'il  nous  ait  voulu  débiter  une  doctrine  si  délicate  .\  la  manière  des 
rhétoriciens.  »  —  A  cet  endroit,  les  éditeurs  placent  la  nouvelle  rétlaction  (voy. 
p.  556),  ;\  la  suite  de  l'ancienne,  (|u'cllc  devait  remplacer.  (Cf.  notre  Histoire 
critique  de  la  Prédication  de  liossuct^  p.  74.) 

Sermons  de  Hossuet.  36 


r62  POUR  LK  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


une  belle  distinction  de  saint  Augustin  (111^  traité  sur 
saint  Jean).  «  C'est  autre  chose,  dit-il,  d'être  sous  la  Loi,  et 
autre  chose  d'être  avec  la  Loi.  Car  la  Loi,  par  son  équité,  a 
deux  grands  effets  :  ou  elle  dirige  ceux  qui  obéissent,  ou  elle 
rend  punissables  ceux  qui  se  révoltent.  Ceux  qui  rejettent 
la  Loi,  ils  sont  sous  la  Loi:  parce  que  encore  qu'ils  fassent  de 
vains  efforts  pour  se  soustraire  de  son  domaine,  elle  les 
maudit,  elle  les  condamne,  elle  les  tient  pressés  sous  la  ri- 
gueur de  ses  ordonnances  :  et  par  conséquent  ils  sont  sous 
la  Loi,  et  la  Loi  les  tue.  Au  contraire  ceux  qui  accomplissent 
la  Loi,  ils  sont  ses  amis,  dit  saint  Augustin,  ils  vont  avec  elle; 
parce  qu'ils  l'embrassent,  qu'ils  la  suivent,  qu'ils  l'aiment  ('').  » 
Ces  choses  étant  ainsi  supposées,  il  s'ensuit  que  les  obser- 
vateurs de  la  Loi  ne  sont  [p.  21]  plus  sous  la  Loi  comme 
esclaves,  mais  sont  avec  la  Loi  comme  amis  (').  Et  comme 
dans  le  Nouveau  Testament  l'esprit  de  la  grâce  nous  est  élar- 
gi, par  lequel  la  justice  de  la  Loi  peut  être  accomplie,  il  est 
très  vrai,  ce  que  dit  l'Apôtre,  que  ^<  nous  ne  sommes  plus 
sous  la  Loi  :  »  parce  que  si  nous  suivons  cet  esprit  de  grâce, 
la  Loi  ne  nous  châtie  plus  comme  notre  juge;  mais  elle  nous 
conduit  comme  notre  règle  :  de  sorte  que  si  nous  obéissons 
à  la  grâce,  à  laquelle  nous  avons  été  appelés,  la  Loi  ne  nous 
tue  plus  ;  mais  plutôt  elle  nous  donne  la  vie  dont  elle  contient 
les  promesses,  d'autant  qu'il  est  écrit  :  «  Fais  ces  choses,  et 
tu  vivras  (''').  »  D'où  il  s'ensuit  très  évidemment  que  «  c'est 
l'Esprit  qui  nous  vivifie  :  »  car  la  cause  pour  laquelle  la  lettre 
tue,  c'est  qu'elle  (^)  ne  fait  que  retentir  au  dehors  pour  nous 
condamner.  Or  l'esprit  agit  au  dedans  pour  nous  secourir  : 
il  va  à  la  source  de  la  maladie  ;  au  lieu  de  cette  brutale  ardeur 
qui  nous  rend  captifs  des  plaisirs  sensibles,  il  inspire  en  nos 
cœurs  cette  chaste  délectation  des  biens  éternels.  C'est  lui 
qui  nous  rend  amis  de  la  Loi;  parce  que, domptant  la  convoi- 
tise qui  lui  résiste,  il  fait  que  son  équité  nous  attire.  Vous 
voyez  donc  que  c'est  par  l'esprit  que  nous  sommes  les  amis 

a.  S.  Aug.,  in  Joan.  Tract,  ni,  n.  2,  —  b.  Luc,  X,  28. 

1.  Cette  conclusion  est  soulignée,  pour  son  importance. 

2.  Var.  c'est  qu'elle  ne  touche  que  le  dehors. 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  563 

de  la  Loi,  que  nous  sommes  avec  elle,  et  non  point  sous  elle  : 
et  ainsi  c'est  l'esprit  qui  nous  vivifie  ;  d'autant  qu'il  écrit  au 
dedans  cette  Loi,  qui  nous  tue  quand  elle  résonne  seulement 
au  dehors. 

C'est  là,  mes  frères,  cette  nouvelle  alliance  que  Dieu  nous 
annonce  par  Jérémie  ('').  «  Le  temps  viendra,  dit  le  Seigneur, 
que  je  ferai  une  nouvelle  alliance  avec  la  maison  d'Israël, 
non  point  selon  le  pacte  que  j'avais  juré  à  leurs  (')  pères  ; 
mais  [p.  22]  voici  l'alliance  que  je  contracterai  avec  eux  : 
j'imprimerai  ma  Loi  dans  leurs  âmes,  et  je  l'écrirai  en  leurs 
cœurs.  »  Il  veut  dire  :  La  première  Loi  était  au  dehors,  la 
seconde  aura  toute  sa  force  au  dedans  :  c'est  pourquoi  j'ai 
écrit  la  première  Loi  sur  des  pierres  ;  et  la  seconde,  je  la 
graverai  dans  les  cœurs.  Bref,  la  première  Loi  frappant  au 
dehors  émouvait  les  âmes  par  la  terreur,  la  seconde  les  chan- 
gera par  l'amour.  Et  pour  pénétrer  au  fond  du  mystère, 
dites-moi,  qu'opère  la  crainte  dans  nos  cœurs  ?  Elle  les  étonne, 
elle  les  ébranle,  elle  les  secoue  ;  mais  je  soutiens  qu'il  est 
impossible  qu'elle  les  change,  et  la  raison  en  est  évidente  : 
c'est  que  les  sentiments  que  la  crainte  donne  sont  toujours 
contraints.  Le  loup  prêt  à  se  ruer  sur  la  bergerie  voit  les 
bergers  armés  et  les  chiens  en  garde  :  tout  affamé  qu'il  est, 
il  se  retire  pour  cette  fois  ;  mais  pour  cela  il  n'en  est  pas 
moins  furieux,  il  n'en  aime  pas  moins  le  carnage.  Que  vous 
rencontriez  des  voleurs,  si  vous  êtes  les  plus  forts,  ils  ne 
vous  abordent  qu'avec  une  civilité  apparente  :  ils  sont  tou- 
jours voleurs,  toujours  avides  de  pillerie.  La  crainte  donc 
étouffe  les  affections  ;  elle  semble  les  réprimer  pour  un  temps, 
mais  elle  n'en  coupe  pas  la  racine.  Otez  cet  obstacle,  levez 
cette  digue  ;  l'inclination,  qui  était  forcée,  se  rejettera  aussi- 
tôt en  son  premier  cours  :  par  où  vous  voyez  manifestement 
qu'encore  qu'elle  ne  parût  point  au  dehors,  elle  vivait  tou- 
jours au  secret  du  cœur,  bridée  et  non  éteinte,  et  retenue 
plutôt  qu'abolie  (^). 

a.Jerem.^  XXXI,  31-33. 

1.  Ms.  à  leur  père.  —  La  correction  des  éditeurs  semble  conforme  .\  rmlention 
de  HossLiet,  car  le  texte  du  prophète  i)orte  :  cuni  patribus  iorum.  Le  sin;^'ulier 
n'était  donc  qu'une  inadvertance. 

2.  Idées  déjà  exprimées  dans  le  sermon  des  Deux  AUiiVices. 


564  POUR  LE  JOUR  DE  LA  TENTECOTE. 

[P.  23]  C'est  pourquoi  le  grand  Augustin  parlant  de  ceux 
qui  gardaient  la  Loi  par  ia  seule  terreur  de  la  peine,  non  par 
l'amour  de  la  véritable  justice,  il  prononce  cette  terrible  mais 
très  véritable  sentence  :  «  Ils  ne  laissaient  pas,  dit-il,  d'être 
criminels,  parce  que  ce  qui  paraissait  aux  hommes  dans 
l'œuvre,  devant  Dieu,  à  qui  nos  profondeurs  sont  ouvertes, 
n'était  nullement  dans  la  volonté  :  au  contraire,  cet  œil  péné- 
trant de  la  connaissance  divine  voyait  qu'ils  aimeraient  beau- 
coup mieux  commettre  le  crime,  s'ils  osaient  en  attendre 
l'impunité  :  »  Coram  Deo  non  erat  in  voluntate,  quod  coram 
Jioniinibus  apparebat  in  opcre  : potiusque  ex  illo  rei  tenebantur 
quod  eos  noverat  Deus  malle,  si  fier  i  po  s  set  impune,  commit- 
tere  (").  Donc,  selon  la  doctrine  de  ce  grand  homme,  la 
crainte  n'est  pas  capable  de  changer  le  cœur.  Considérez,  je 
vous  prie,  cette  pierre  sur  laquelle  Dieu  écrit  sa  loi  ;  en  est- 
elle  changée,  pour  contenir  des  paroles  si  vénérables  ?  en 
a-t-elle  perdu  quelque  chose  de  sa  dureté  ?  Qui  ne  voit  (') 
que  ces  saints  préceptes  ne  tiennent  qu'à  une  superficie 
extérieure  ?  D'où  vient  que  la  loi  mosaïque  est  ainsi  écrite, 
sinon  parce  que  c'est  une  loi  de  crainte  ?  Et  Dieu  ne  veut-il 
pas  nous  faire  entendre  que  si  la  loi  ne  nous  touche  que  par 
la  crainte,  il  en  est  de  nos  cœurs  comme  d'une  pierre  ;  qu'ainsi 
notre  dureté  n'est  point  amollie,  et  que  la  loi  demeure  sur 
la  surface  ?  De  là  vient  que  le  concile  de  Trente  parlant  de 
la  crainte  des  peines  définit  très  bien,  à  la  vérité,  contre  la 
doctrine  des  luthériens,  que  «  c'est  une  impression  de  l'Esprit 
de  Dieu  :  »  car  puisque  cette  crainte  est  si  bien  fondée  sur 
les  redoutables  jugements  de  Dieu,  pourquoi  ne  viendrait- 
elle  pas  de  son  Saint-Esprit  ?  mais  ces  saints  Pères  s'expli- 
quent après  et  nous  disent  «  que  c'est  une  impression  de 
l'Esprit  de  Dieu,  qui  n'habite  pas  encore  au  dedans  ;  mais 
qui  meut  seulement,  et  qui  pousse  :  »  Spiritus  sancti  impul- 
S7im,  non  adhuc  qindem  inhabitantis,  sed  tantum  moventis  (^). 
D'où  il  s'ensuit  manifestement  que  la  seule  crainte  des  peines 
ne  peut  imprimer  la  loi  dans  les  cœurs. 

a.  De  Spirit.  et  littera^  n.  13.   —  b.  Sess.  XIV,  cap.  iv. 

I.  Var.  (F^  rédaction)  :  Ainsi  en  est-il  de  nos  cœurs,  quand  la  loi  n'y  entre 
que  par  crainte  ;  elle  ne  touche  que  la  surface,  et  notre  dureté  n'est  point  amol- 
lie. 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  565 

Certes,  il  le  faut  avouer  ('),  il  n'y  a  que  la  charité  qui  les 
amollisse.  Notre  maladie,  chrétiens,  c'est  de  nous  attacher  à 
la  créature  :  donc  nous  attacher  à  Dieu,  c'est  notre  santé. 
C'est  un  amour  pervers  qui  nous  gâte  ;  il  n'y  a  donc  que  le 
saint  amour  qui  nous  rétablisse.  [P.  24]  Un  plaisir  désor- 
donné nous  captive;  il  n'y  a  qu'une  sainte  délectation  qui  soit 
capable  de  nous  délivrer  :  la  seule  affection  du  vrai  bien  peut 
arracher  l'affection  du  bien  apparent  ;  il  n'y  a  proprement 
que  l'amour  qui  ait,  pour  ainsi  dire,  la  clef  du  cœur.  Il  faut 
donc  qu'un  saint  amour  dilate  le  nôtre,  qu'il  l'ouvre  jusqu'au 
fond  pour  recevoir  la  rosée  des  grâces  divines.  Ainsi  notre 
âme  sera  tout  autre  ;  ce  ne  sera  plus  une  pierre  sur  laquelle 
on  écrira  au  dehors,  ce  sera  une  cire  toute  pénétrée  et  toute 
fondue  par  une  céleste  chaleur. 

Par  là  vous  voyez  la  loi  gravée  dans  les  cœurs,  selon 
l'oracle  de  Jérémie.  Y  a-t-il  rien  de  plus  avant  en  nos  cœurs 
que  ce  qui  nous  plaît  ?  Ce  que  nous  aimons  nous  tient  lieu 
de  loi  ;  et  ainsi  je  ne  me  tromperai  pas  quand  je  dirai  que 
l'amour  est  la  loi  des  cœurs.  Et  partant  un  saint  amour  doit 
être  la  loi  des  héritiers  du  Nouveau  Testament  ;  parce  qu'ils 
doivent  porter  leur  loi  dans  leurs  cœurs.  La  loi  ancienne  a 
été  écrite  sur  de  la  pierre  ;  il  n'est  rien  de  plus  immobile  ; 
aussi  est-ce  une  loi  morte  et  inanimée.  Il  nous  faut,  il  nous 
faut  une  loi  vivante.  Et  quelle  peut  être  cette  loi  vivante  ; 
sinon  le  vif  amour  du  souverain  bien,  que  le  doigt  de  Dieu, 
c'est-à-dire,  son  Saint-Esprit,  écrit  et  imprime  au  fond  de 
nos  âmes,  quand  il  y  répand  l'onction  de  la  charité,  selon  ce 
que  dit  l'apôtre  saint  Paul  :  «  La  charité  est  répandue  en  nos 
cœurs  par  le  Saint-Esprit  qui  nous  est  donné  (')  ?»  La  cha- 
rité est  donc  cette  loi  vivante  qui  nous  gouverne  et  qui  nous 
meut  intérieurement.  Et  c'est  pourquoi  l'Esprit  vivifie;  parce 
qu'il  imprime  en  nous  une  loi  vivante,  qui  est  la  loi  de  la 
nouvelle  alliance,  c'est-à-dire  la  loi  de  l'amcMir  de  Dieu.  Par 
conséquent  qui  pourrait  douter  que  la  charité  ne  soit  l'esprit 
de  la  loi  nouvelle,  et  l'âme,  pour  ainsi  dire,  du  christianisme; 
puisqu'il  a  été   prédit  si   longtemps  avant  la    naissance  de 

a.  7\of/i.,  V,  5. 

I.  Var.  Certainement  il  faut  l'avouer. 


^66  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


jÉsus-CiiRiST,  que  les  enfants  du  Nouveau  Testament 
auraient  la  loi  gravée  en  leurs  cœurs  par  l'inspiraition  de 
l'amour  divin  ? 

Et  selon  la  conséquence  (')  de  ces  principes,  où  je  n'ai  fait 
[p.  27]  que  suivre  saint  Augustin,  qui  ne  s'est  attaché  qu'à 
saint  Paul,  je  ne  craindrai  pas  de  vous  assurer  que  quiconque 
ne  se  soumet  à  la  loi  que  par  la  seule  appréhension  de  la 
peine,  il  s'excommunie  lui-même  du  christianisme,  et  retourne 
à  la  lettre  qui  tue,  et  à  la  captivité  de  la  Synagogue.  Et  pour 
vous  en  convaincre,  regardez  premièrement  qui  nous  sommes. 
Sommes-nous  enfants  ou  esclaves  ?  Si  Dieu  vous  traite 
comme  des  esclaves,  contentez-vous  de  craindre  le  maître  ; 
mais  s'il  vous  envoie  son  propre  Fils  pour  vous  dire  qu'il 
daigne  bien  vous  adopter  pour  enfants,  pouvez-vous  ne  point 
aimer  votre  Père  ?  Or  l'apôtre  saint  Paul  nous  enseigne  que 
«  nous  n'avons  pas  reçu  l'esprit  de  servitude  par  la  crainte  ; 
mais  que  Dieu  nous  a  départi  l'esprit  de  l'adoption  des  en- 
fants, par  lequel  nous  l'appelons  notre  Père  ('').  »  Comment 
l'appelons-nous  tous  les  jours  «  notre  Père  qui  êtes  aux 
cieux,  »  si  nous  lui  dénions  notre  amour  ?  Davantage,  con- 
sidérons de  quelle  sorte  il  nous  a  adoptés  :  est-ce  par  con- 
trainte ou  bien  par  amour  ?  Ah  !  nous  savons  bien  que  c'est 
par  amour,  et  par  un  amour  infini.  «  Dieu  a  tant  aimé  le 
monde,  dit  Notre-Seigneur  {^),  qu'il  a  donné  son  Fils  unique 
pour  le  sauver.  »  Si  donc  notre  Dieu  nous  a  tant  aimés  ; 
comment  prétendrons-nous  payer  son  amour,  si  ce  n'est  par 
un  amour  réciproque  ?  <\  D'autant  plus,  comme  dit  saint 
Bernard  (au  sermon  xxxiii  (^)  sur  les  Cantiques),  que 
l'amour  est  la  seule  chose  en  laquelle  nous  sommes  capables 
d'imiter  Dieu.  Il  nous  juge,  nous  ne  le  jugeons  pas  ;  il  nous 
donne,  et  il  n'a  pas  besoin  de  nos  dons  :  s'il  commande,  nous 
devons  obéir  ;  s'il  [se]  fâche,  nous  devons  trembler  :  et  s'il 
aime,  que  devons-nous  faire  ?  nous  devons  aimer,  c'est  la 
seule  chose  que  nous  pouvons  -faire  avec  lui.  »   Et  combien 

a.  Ro7n.,  VIII,  15.  —  b.  Joan.,  m,  16. 

1.  Cette  belle  conclusion  était  de  la  première  rédaction  :  elle  se  rattache  en 
cet  endroit  à  la  seconde. 

2.  M  s.  LXXXIIF.  —  Deforis  corrige  :  Ser7n.  XXXIII  in  Cantic.^  n.  4- 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  567 

sont  criminels  les  enfants  qui  ne  veulent  pas  imiter  un  Père 
si  bon  ! 

Est-ce  assez  considérer  Dieu  comme  père?  Considérons-le 
maintenant  comme  prince.  Comme  roi,  il  nous  commande  ; 
mais  il  ne  nous  commande  rien  tant  que  l'amour.  <^  Tu  aimeras, 
dit-il,  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  cœur,  de  tout  ton 
esprit,  de  toutes  tes  forces,  de  toute  ton  âme  ('').  »  A-t-il  jamais 
parlé  avec  une  plus  grande  énergie.'^  Et  Jésus-Chrlst  (en 
saint  Jean,  chapitre  xiv)  (')  :  «  Qui  ne  m'aime  pas,  nous  dit-il, 
n'observe  pas  mes  commandements.  »  Donc  qui  n'aime  pas 
Jésus-Chrlst,  puisqu'il  n'observe  pas  ses  commandements, 
il  viole  la  majesté  de  son  roi. 

Voulez-vous  que  nous  parlions  maintenant  des  dons  que 
Dieu  fait  à  ses  serviteurs,  et  que,  par  la  queilité  des  présents, 
nous  jugions  de  l'amour  qu'il  exige  ?  Quel  est  le  grand  don 
que  Dieu  nous  fait  ?  C'est  le  Saint-Esprit.  Et  qu'est-ce  que 
le  Saint-Esprit  ?  n'est-ce  pas  l'amour  éternel  du  Père  et  du 
Fils  ?  Quelle  est  l'opération  propre  du  Saint-Esprit?  n'est-ce 
pas  de  faire  naître,  d'inspirer  l'amour  en  nos  cœurs,  et  d'y 
répandre  la  charité  ?  Et  partant,  qui  méprise  la  charité,  il 
rejette  le  Saint-Esprit;  et  cependant  c'est  le  Saint-Esprit  qui 
nous  vivifie.  Mais  si  je  voulais  poursuivre  le  reste,  quand 
est-ce  que  j'aurais  achevé  cette  induction  ?  Il  n'y  a  mystère 
du  christianisme,  il  n'y  a  article  dans  le  Symbole,  il  n'y  a 
demande  dans  l'Oraison,  il  n'y  a  mot  ni  syllabe  dans  l'Evan- 
gile, qui  ne  nous  crie  qu'il  faut  aimer  Dieu. 

Ce  Dieu  fait  homme,  ce  Verbe  incarné,  qu'est-il  venu  faire 
en  ce  monde  ?  avec  quel  appareil  nous  est-il  venu  enseigner? 
s'est-il  caché  dans  une  nuée  ?  a-t-il  tonné  et  éclairé  sur  une 
montagne  toute  fumante  de  sa  majesté  ?  a-t-il  dit  d'une  voix 
terrible  (^)  :  «  Retirez-vous;  que  mon  serviteur  Moïse  approche 
tout  seul;  et  les  hommes  et  les  animaux  qui  aborderont  près 
de  la  montagne,  ils  (')  mourront  de  mort  (')  ?  »  La  loi  mosaïque 

a.  Deut.^  VI,  5.  —  b.  Exod.^  Xix,  12,  13. 

1.  Ms.  ch.  XV.  (Voy.  la  citation,  au  verset  24;  mais  Bossuet,  comme  toujours, 
cite  de  mémoire.) 

2.  Var.  redoutable. 

3.  Ce  ils^  redondance  oratoire,  a  été  retranché  par  les  éditeurs.  Ainsi  de  plu- 
sieurs autres,  que  nous  avons  rétalîlis  en  leur  place. 


^68  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


a  été  donnée  avec  ce  redoutable  appareil.  Sous  l'Évangile, 
DicHi  change  bien  de  langaq^e  :  y  a-t-il  rien  eu  de  plus  acces- 
sible que  Ji'SUs-CmusT,  rien  de  plus  affable,  rien  de  plus 
doux  ?  Il  n'éloigne  personne  d'auprès  de  lui  :  bien  plus,  non 
seulement  il  y  souffre,  mais  encore  il  y  appelle  les  plus  grands 
pécheurs  ;  et  lui-même  il  va  au-devant  :  [p.  28]  Venez  à  moi, 
dit-il,  et  ne  craignez  pas.  «  Venez,  venez  à  moi,  oppressés, 
je  vous  aiderai  à  porter  vos  fardeaux  {'')  ;  »  venez,  malades, 
je  vous  guérirai;  venez,  affamés,  je  vous  nourrirai  :  pécheurs, 
publicains,  approchez;  je  suis  votre  libérateur.  Il  les  souffre, 
il  les  invite,  il  va  au-devant.  Et  que  veut  dire  ce  changement, 
chrétiens  ?  d'où    vient    cette  aimable  condescendance  d'un 
Dieu  qui  se  familiarise  avec  nous  ?  Oui  ne  voit  qu'il  veut 
éloigner  la  crainte  servile,  et  qu'à  quelque   prix  que  ce  soit 
il  est  résolu  de  se  faire  aimer  ;  même,  si  j'ose  parler  de  la 
sorte,  aux  dépens  de  sa  propre  grandeur  ?  Dites-moi,  était-ce 
pour  se  faire  craindre,  qu'il  a  voulu  être  pendu  à  la  croix  ? 
N'est-ce  pas  plutôt  pour  nous  tendre  les  bras,  et  pour  ouvrir 
autant  de  sources  d'amour  comme  il  a  de  plaies  ?  Pourquoi 
se  donne-t-il  à  nous  dans  l'Eucharistie  ?  N'est-ce  pas  pour 
nous  témoigner  un  extrême  transport  d'amour,  quand  il  s'unit 
à  nous  de  la  sorte  ?  Ne  diriez-vous  pas,  chrétiens,  que  ne 
pouvant  souffrir  nos  froideurs,  nos  indifférences,  nos  déloy- 
autés, lui-même  il  veut  porter  sur   nos  cœurs  des   charbons 
ardents  ?  Comment  donc  excuserons-nous  notre  négligence? 
Mais  où  se  cachera  notre  ingratitude  ?  Après  cela,  n'est-il  pas 
juste  de  s'écrier  avec  le  grand  Apôtre  saint  Paul  :  «  Si  quel- 
qu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qu'il  soit 
anathème  (^)  ?  »  Sentence  autant  juste  que  formidable.  Oui, 
certes,  il  doit  être  anathème,   celui  qui    n'aime  pas  jÉsus- 
CiiRisT  :  la  terre  (')  se  devrait  ouvrir  sous  ses  pas,  et  l'ense- 
velir tout  vivant  dans   le  plus  profond  cachot  de  l'enfer;  le 
ciel  devrait  être  de  fer  pour  lui;  toutes  les  créatures  lui  de- 
vraient ouvertement  déclarer  la  guerre,  à  ce  perfide,  à  ce 
déloyal,  qui  n'aime  point  Notre-Seigneur  Jésus-Chrlst. 
Maisô  malheur!  ô  ingratitude  !  c'est  nous  qui  sommes  ces 

<i.  Afa///i.,  XI,  29.  —  /?.  I  Cor.,  XVI,  22. 
I.  l^ar.  ne  devrait  pas  le  porter. 


POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE.  569 

déloyaux.  Oserons-nous  bien  dire  que  nous  aimons  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  ?  Jésus-Chrlst  n'est  pas  un  homme 
mortel  que  nous  puissions  tromper  par  nos  compliments  :  il 
voit  clair  dans  les  cœurs,  et  il  ne  voit  point  d'amour  dans 
les  nôtres.  Quand  vous  aimez  quelqu'un  sur  la  terre,  rom- 
pez-vous toujours  avec  lui  pour  des  sujets  de  très  peu  d'im- 
portance ?  foulez-vous  aux  pieds  tout  ce  qu'il  vous  donne  ? 
manquez-vous  aux  paroles  que  vous  lui  donnez  ?  Il  n'y  a 
aucun  homme  vivant  que  vous  voulussiez  traiter  de  la  sorte: 
c'est  ainsi  pourtant  que  vous  en  usez  envers  Jésus-Christ. 
Il  a  lié  amitié  avec  vous  ;  tous  les  jours  vous  y  renoncez.  Il 
vous  donne  son  corps;  vous  le  profanez.  Vous  lui  avez  engagé 
votre  foi;  vous  la  violez.  Il  vous  prie  pour  vos  ennemis;  vous 
le  refusez.  Il  vous  recommande  ses  pauvres;  vous  les  mépri- 
sez. Il  n'y  a  aucune  partie  de  son  corps  que  vos  blasphèmes 
ne  déshonorent.  Et  comment  donc  pouvez-vous  éviter  cette 
horrible  mais  très  équitable  excommunication  de  l'Apôtre  : 
«  Si  quelqu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
qu'il  soit  anathème  !  »  Et  comment  le  puis-je  éviter  moi- 
même,  ingrat  et  impudent  pécheur  que  je  suis  ?  Ah  !  plutôt, 
ô  grand  Dieu  tout-puissant  qui  gouvernez  les  cœurs  ainsi 
qu'il  vous  plaît,  si  quelqu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  faites  par  votre  grâce  qu'il  aime  Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ  ! 

Aimons,  aimons,  mes  frères,  aimons  Dieu  de  tout  notre 
cœur.  Nous  ne  sommes  pas  chrétiens,  si  du  moins  nous  ne 
nous  efforçons  de  l'aimer  ;  si  du  moins  nous  ne  désirons  cet 
amour,  si  nous  ne  le  demandons  ardemment  à  ce  divin  Esprit 
qui  nous  vivifie.  Je  ne  veux  pas  dire  que  nous  soyons  obligés, 
sous  peine  de  damnation  éternelle,  d'avoir  la  perfection  de  la 
charité.  Non,  fidèles,  nous  sommes  de  pauvres  pécheurs  : 
le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  excusera  devant 
Dieu  nos  défiuts,  pourvu  que  nous  en  fassions  pénitence.  Je 
ne  vous  dis  donc  pas  que  nous  soyons  obligés  d'avoir  la  per- 
fection de  la  charité  ;  mais  je  vous  dis  et  je  vous  assure  que 
nous  sommes  indispcnsablement  obligés  d'y  tendre,  selon  la 
mesure  qui  nous  est  donnée,  ou  que  (*)  nous  ne  sommes  pas 

I.  Écii'/.  i  s«ins  quoi  nous...  »  Cortcction  arbitraire  cl  inulile. 


570  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


chrétiens.  Courage  !  travaillons  pour  la  charité.  La  charité, 
c'est  tout  le  christianisme.  Quand  vous  épurez  votre  charité, 
vous  préparez  un  ornement  pour  le  ciel.  Il  n'y  a,  dit  saint  Paul, 
que  la  charité  qui  demeure  au  ciel  :  la  foi  se  perd  dans  la 
claire  vue;  l'espérance  s'évanouit  par  la  possession  effective: 
«  il  n'y  a  que  la  charité  qui  jamais  ne  peut  être  éteinte  :  » 
C/iarifas  nutiquam  cxcidit  (f).  Non  seulement  elle  est  cou- 
ronnée comme  la  foi  et  comme  l'espérance  :  mais  elle-même 
elle  est  la  couronne  et  de  la  foi  et  de  l'espérance.  La  charité 
seule  est  digne  du  ciel,  digne  de  la  gloire  du  paradis  ;  elle 
seule  sera  réservée  pour  briller  éternellement  devant  Dieu 
comme  un  or  pur,  elle  seule  sera  réservée  pour  brûler  éter- 
nellement devant  Dieu  comme  un  holocauste  de  bonne  odeur. 
Commençons  à  (')  aimer  sur  la  terre,  puisque  nous  ne  ces- 
serons jamais  d'aimer  dans  le  ciel  :  commençons  la  charité 
dès  ce  monde,  afin  qu  elle  soit  un  jour  consommée. 

a.  I  Cor.^  XI II,  8. 

I.  AV//7.  «d'aimer.  »  Encore  une  correction  qui  dépasse  les  droits  d'un  éditeur, 
fût-elle  mieux  justifiée. 


SECOND   PANEGYRIQUE 


DE  SAINT  GORGON.   incomplet.  Vers  1654. 


Il  n'y  a  plus  de  manuscrit,  et  nous  n'avons  que  la  première  moitié 
de  l'œuvre.  Dans  ces  conditions,  nous  ne  pouvions  établir  la  date 
que  par  conjecture.  Malgré  quelques  rudesses  de  forme,  dont  on 
s'est  scandalisé  mal  à  propos  (Cf.  Histoire  critique  de  la  Prédication 
de  Bossîiet,  ^.  I40>  ce  discours,  d'un  tour  si  vif  et  si  ferme,  doit, 
ce  semble,  être  tenu,  à  la  vérité,  pour  un  essai  de  la  jeunesse  de 
l'orateur,  mais  non  pour  l'un  des  plus  anciens. 


Omne  quod  nattcin  est  ex  Deo^  vincit 
mtindîivi;  et  hœc  est  Victoria  qîiœ  vincit 
imi?idH7n^  fides  nostra. 

Tout  ce  qui  est  né  de  Dieu,  surmonte 
le  monde  ;  et  la  victoire  qui  surmonte  le 
monde,  c'est  notre  foi. 

iljoan.,  V,  4.) 

IL  n'est  point  de  temps  ni  d'heure  plus  propre  à  faire 
l'éloge  des  saints  martyrs,  que  celui  du  sacrifice  adorable 
pour  lequel  vous  êtes  ici  assemblés.  C'est,  mes  frères,  de  ce 
sacrifice  que  les  martyrs  ont  tiré  toute  leur  force,  et  c'est 
aussi  dans  ce  sacrifice  qu'ils  ont  pris  leur  instruction.  C'est 
la  nourriture  céleste  que  l'on  nous  donne  à  ces  saints  autels, 
qui  les  a  affermis  et  fortifiés  contre  toutes  les  terreurs  du 
monde  ;  et  le  sang  que  l'on  y  reçoit  les  a  animés  à  verser  le 
leur  pour  la  gloire  de  l'Évangile.  Et  n'est-ce  pas  dans  ce 
sacrifice  que,  voyant  Jésus-Christ  s'offrir  à  son  Père,  ils 
ont  appris  à  s'offrir  eux-mêmes  en  Jésus-Christ  et  par 
Jésus-Christ  ?  Et  cette  innocente  victime  qui  s'immole  tous 
les  jours  pour  nous,  leur  a  inspiré  le  dessein  de  s'immoler 
pour  l'amour  de  lui.  Saint  Ambroise,  après  avoir  découvert 
les  corps  des  martyrs  de  Milan,  les  mit  dans  les  mêmes 
autels  sur  lesquels  il  célébrait  le  saint  sacrifice  ;  et  il  en  rend 
cette  raison  à  son  peuple  :  Stucedant,  dit  ce  grand  évêquc 
avec  son  éloquence  ordinaire  ("),  succédant  victinuc  trijcm- 
phales  in  locum  nbi  Ch'istus  hostia  est  :  «  Il  est  juste,  il  est 

a.  Epist.  XXH,  n.  13, 


5^2  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 


raisonnable  que  ces  triomphantes  victimes  soient  placées 
dans  le  même  lieu  où  Jésus-Christ  est  immolé  tous  les 
jours;  »  et  si  ce  sont  des  victimes,  on  ne  peut  les  mettre  que 
sur  les  autels. 

Ne  croyez  donc  pas,  chrétiens,  que  l'action  du  sacrifice 
soit  interrompue  par  le  discours  que  j'ai  à  vous  faire  du 
martyre  de  saint  Gorgon.  Vous  quittez  un  sacrifice  pour  un 
sacrifice  ;  c'est  un  sacrifice  mystique  que  la  foi  nous  fait  voir 
sur  ces  saints  autels  ;  et  c'est  aussi  un  sacrifice  que  je  dois 
vous  représenter  en  cette  chaire.  Jésus-Christ  est  immolé 
dans  Tun  et  dans  l'autre  :  là,  il  est  mystiquement  immolé  sous 
les  espèces  sanctifiées  ;  et  ici,  il  sera  immolé  en  la  personne 
d'un  de  ses  martyrs  :  là,  il  renouvelle  le  souvenir  de  sa  Passion 
douloureuse  ;  ici,  il  accomplit  en  ses  membres  ce  qui  man- 
quait à  sa  Passion,  comme  parle  le  divin  Apôtre  ('').  L'un  et 
l'autre  de  ces  sacrifices  se  fait  par  l'opération  de  l'Esprit  de 
Dieu  ;  et,  pour  profiter  de  l'un  et  de  l'autre,  nous  avons  be- 
soin de  sa  grâce,  que  je  lui  demande  humblement  par  les 
prières  de  la  sainte  Vierge.  Ave. 

Pour  entrer  d'abord  en  matière,  je  suppose  que  vous  savez 
que  nous  sommes  enrôlés  par  le  saint  baptême  dans  une 
milice  spirituelle,  en  laquelle  nous  avons  le  monde  à  com- 
battre. Cette  vérité  est  connue  ;  mais  il  importe  que  vous 
remarquiez  que  cette  admirable  milice  a  ceci  de  singulier  : 
que  le  prince  qui  nous  fait  combattre  sous  ses  glorieux  éten- 
dards, —  vous  entendez  bien,  chrétiens,  que  c'est  Jésus  le 
Sauveur  des  âmes,  —  nous  ordonne  non  seulement  de  com- 
battre, mais  encore  nous  commande  de  vaincre.  La  raison 
en  est  évidente  ;  car  dans  les  guerres  que  font  les  hommes, 
tout  l'événement  ne  dépend  pas  du  courage  ni  de  la  résolu- 
tion des  soldats  :  je  veux  dire  qu'on  n'emporte  pas  tout  ce 
qu'on  attaque  avec  vigueur.  Quelquefois  la  nature  des  lieux, 
qui  souvent  sont  inaccessibles  ;  quelquefois  les  hasards  divers, 
qui  se  rencontrent  dans  les  combats,  rendent  inutiles  les 
efforts  des  assaillants;  quelquefois  même  la  résistance  est  si 
opiniâtre,  que  l'attaque  la  plus  hardie  n'est  pas   capable  de 

rt.  Coloss.^  I,  24. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  573 

la  surmonter  :  de  là  vient  que  le  général  ne  répond  pas  tou- 
jours des  événements  ;  et  enfin  toutes  les  histoires  sont 
pleines  de  ces  braves  infortunés,  qui  ont  eu  la  gloire  de  bien 
combattre  sans  avoir  le  plaisir  de  triompher  ;  qui  ont  rem- 
porté de  la  bataille  la  réputation  de  bons  soldats,  sans  avoir 
pu  obtenir  le  titre  de  victorieux. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  la  sorte  dans  les  guerres  que  nous 
faisons  sous  Jésus-Christ  notre  capitaine.  Les  armes  qu'on 
nous  donne  sont  invincibles  :  le  seul  nom  de  notre  Sauveur, 
sous  lequel  nous  avons  l'honneur  de  combattre,  met  nos  en- 
nemis en  désordre  :  tellement  que,  si  le  courage  ne  nous 
manque  pas,  l'événement  n'est  pas  incertain  ni  la  victoire 
douteuse.  C'est  pourquoi  je  vous  disais,  chrétiens,  et  j'avais 
raison  de  le  dire,  que  dans  la  milice  où  nous  servons,  dans 
l'armée  où  nous  sommes  enrôlés,  il  n'y  a  pas  seulement  ordre 
de  combattre,  mais  encore  que  nous  sommes  obligés  de 
vaincre  ;  et  vous  le  pouvez  avoir  remarqué  par  les  paroles 
que  j'ai  alléguées  du  disciple  bien-aimé  de  notre  Sauveur  : 
Omne  quod  natum  est  ex  Deo,  vincit  mundum  :  «  Tout  ce  qui 
est  né  de  Dieu,  surmonte  le  monde.»  Ouest  l'armée  où  l'on 
puisse  dire  que  tous  les  combattants  sont  victorieux  ?  Ici 
vous  voyez  comme  il  parle  :  «  Tout  ce  qui  est  né  de  Dieu,  » 
tout  ce  qui  est  enrôlé  par  le  baptême,  quod  nattini  est  ex  Deo, 
ce  sont  autant  de  victorieux.  Cette  milice  remporte  néces- 
sairement la  victoire  ;  et  s'il  y  a  des  vaincus,  c'est  qu'ils  n'ont 
pas  voulu  combattre,  c'est  que  ce  sont  des  déserteurs.  Il  est 
écrit  dans  les  prophètes  :  Electiinei  non  laborabunt frustra  ('*)  : 
«  Mes  élus  ne  travailleront  point  en  vain,  »  c'est-à-dire  que 
dans  cette  armée  il  n'y  a  point  de  vertus  malheureuses  ;  la 
valeur  n'a  jamais  de  mauvais  succès  ;  et  tous  ceux  qui  com- 
battent bien,  seront  infailliblement  couronnés  :  Onnic  quod 
natum  est  ex  Deo,  vincit  niundimi. 

Venez  donc,  venez,  chrétiens,  à  cette  glorieuse  milice.  Il 
y  a  des  travaux  à  souffrir,  mais  aussi  la  victoire  est  indubi- 
table :  ayez  la  résolution  de  combattre,  vous  aurez  l'assurance 
de  vaincre.  Que  si  les  paroles  ne  suffisent  pas,  s'il  faut  des 
exemples  pour  vous  animer,  en  voici  un  illustre  que  je  vous 

a,  Is.j  Lxv,  23. 


574  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 


présente  dans  le  martyre  du  grand  saint  Gorgon.  Oui,  mes 
frcres,  il  a  combattu,  c'est  pourquoi  il  a  triomphé.  Vous  lui 
verrez  surmonter  le  monde,  c'est-à-dire,dit  saint  Augustin  ('*), 
toutes  ses  erreurs,  toutes  ses  terreurs,  et  les  attraits  de  ses 
fausses  amours  :  c'est  ma  première  partie.  Mais,  mes  frères, 
ce  n'est  pas  assez  que  vous  lui  voyiez  répandre  son  sang,  il 
faut  que  ce  sang  échauffe  le  nôtre  ;  il  faut  que  ses  bienheu- 
reuses blessures,  que  l'amour  de  Jésus-Christ  a  ouvertes, 
fassent  impression  sur  nos  cœurs  :  il  y  aurait  pour  nous  trop 
de  honte,  d'être  lâches  et  inutiles  spectateurs  de  cette  glo- 
rieuse bataille.  Jetons-nous,  mes  frères,  dans  cette  mêlée, 
fortifions-nous  par  les  mêmes  armes,  soutenons  le  même 
combat  ;  et  nous  remporterons  la  même  victoire,  et  nous 
chanterons  tous  ensemble  :  Et  hœc  est  Victoria  quœ  vincit 
DuindiiDi  \^,Jides  nostra\  .•  «  Et  la  victoire  qui  surmonte  le 
monde,  c'est  notre  foi.  » 

PREMIER  POINT. 

Ce  n'est  pas  à  moi,  chrétiens,  à  entreprendre  de  vous  faire 
voir  quelle  est  la  gloire  des  saints  martyrs  ;  il  faut  que  j'em- 
prunte les  sentiments  du  plus  illuminé  de  tous  les  docteurs  : 
vous  sentez  que  je  veux  nommer  saint  Augustin.  Ce  grand 
homme,  pour  nous  faire  entendre  combien  la  grâce  de  Jésus- 
Christ  est  puissante  dans  les  saints  martyrs,  se  sert  de  cette 
belle  pensée  :  d'un  côté,  il  nous  montre  Adam  dans  le  repos 
du  paradis  ;  de  l'autre,  il  représente  un  martyr  au  milieu  des 
roues  et  des  chevalets  et  de  tout  l'appareil  horrible  des  tour- 
ments dont  on  le  menace.  Trouvez  bon,  je  vous  prie,  mes 
frères,  que  j'expose  ici  à  vos  yeux  ces  deux  objets  différents. 
Dans  Adam  la  charité  règne  comme  une  souveraine  paisible, 
sans  aucune  résistance  des  passions  ;  dans  le  martyr  la  cha- 
rité règne,  mais  elle  est  troublée  par  les  passions,  et  chargée 
du  poids  d'un  corps  corruptible  :  elle  règne  sur  les  passions, 
comme  une  reine  à  la  vérité,  mais  sur  des  sujets  rebelles,  et 
qui  ne  portent  le  joug  qu'à  regret.  Adam  est  dans  les  délices, 
on  en  offre  aussi  aux  martyrs  ;  mais  avec  cette  différence: 
que  les  délices  dont  jouit   Adam   sont  pour  l'inviter  à  bien 

a.  De  Lonepl.  et  Grat.^  cap.  xn,  n.  35. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  575 


vivre,  et  les  plaisirs  qu'on  offre  au  martyr  lui  sont  présentés 
pour  l'en  détourner.  Dieu  promet  des  biens  à  Adam  et  il  en 
promet  au  martyr;  mais  Adam  tient  déjà  ce  que  Dieu  promet, 
et  le  martyr  n'a  que  l'espérance;  et,  cependant,  il  gémit  parmi 
les  douleurs.  Adam  n'a  rien  à  craindre,  sinon  de  pécher  ;  le 
martyr  a  tout  à  craindre,  s'il  ne  pèche  pas.  Dieu  dit  à  Adam  : 
Tu  mourras,  si  tu  pèches  ;  et  d'autre  part  il  dit  au  martyr  : 
Meurs,  afin  que  tu  ne  pèches  pas  ;  mais  meurs  cruellement, 
inhumainement.  A  Adam  :  La  mort  sera  la  punition  de  ton 
manquement  de  persévérance  ;  à  celui-ci  :  Ta  persévérance 
sera  suivie  d'une  mort  cruelle.  On  retient  celui-là  comme  par 
force  ;  on  précipite  celui-ci  avec  violence.  Cependant,  ô  mer- 
veille !  dit  saint  Augustin,  (ah  !  c'est  notre  malheur)  «  au 
milieu  d'une  si  grande  félicité,  avec  une  facilité  si  étonnante 
de  ne  point  pécher,  Adam  ne  demeure  point  ferme  dans  son 
devoir  :  »  Non  stetit  in  tanta  félicitât e,  in  tanta  non  pec candi 
facilitate  :  et  le  martyr,  quoique  le  monde  le  flatte  d'abord, 
le  menace,  frémisse  ensuite,  écume  de  rage,  tonnant  avec 
fureur  contre  lui,  il  rejette  tout  ce  qui  attire,  méprise  tout  ce 
qui  menace,  surmonte  tout  ce  qui  tourmente.  D'une  main  il 
repousse  ceux  qui  le  flattent,  qui  l'embrassent  et  qui  le 
caressent  ;  de  l'autre  il  soutient  les  efforts  de  ceux  qui  lui 
arrachent,  pour  ainsi  dire,  la  vie  goutte  à  goutte.  O  Jésus, 
Dieu  infirme,  c'est  votre  ouvrage.  Il  est  bien  vrai,  ô  divin 
Sauveur,  que  vous  nous  avez  réparés  avec  une  grâce  bien 
plus  abondante  que  vous  ne  nous  aviez  établis.  Le  fort  aban- 
donne (')  l'immortalité;  le  faible  supporte  constamment  la 
mort  :  la  puissance  succombe,  et  l'infirmité  est  victorieuse  : 
Virtus  in  infirmitate  perficitiir  ('").  Plus  de  force,  plus  d'in- 
firmité ;  plus  de  gloire,  et  plus  de  bassesse.  C'est  le  mystère 
de  Jésus-Christ  fait  chair  :  la  force  éclate  dans  la  faiblesse  : 
Unde  hoc,  nisi  donante  illo  a  quo  misericordiam  consecuti  sunt 
ut  fidèles  essent  ('')  '^  D'où  cela  vient-il,  si  ce  n'est  de  celui 
qui  ne  leur  a  pas  donné  un  esprit  de  crainte  pour  céder  aux 
persécuteurs,  mais  de  force,  de  dilection,  de  sobriété  :  so- 
briété, pour  s'abstenir  des  douceurs;  force,  pour  ne  pas  s'ef- 

a.W  Cor.,  XII,  9.  —  b.  S.  Aii»(.,  iihi  supra, 
I.  Var.  ne  garde  pas. 


r^ô  i'ani':c;yki(juk  m:  saint  gorgon. 

frayer  des  menaces;  charité,  pour  supporter  les  tourments, 
plutôt  (lue  de  se  séparer  de  J  i':sus-Ciirist  et  pour  dire  avec 
1  Aijôtre  :  Çjuis  crgo  7ios  scparabit  a  charitate  Christi  {f)  ? 

N'est-ce  pas,  mes  frères,  cet  esprit  qui  a  agi  dans  saint 
Gorgon  ?  Il  faut  que  je   vous  le  représente  dans  la  cour  des 
empereurs.  Vous  savez  quel  crédit  avaient  auprès  d'eux  les 
domestiques  qui  les  approchaient,  la  confiance   dont   ils  les 
honoraient,  les  biens  dont  ils  les  comblaient,  l'influence  qu'ils 
avaient  dans  toutes  les  affaires.  De  là  cette  magnificence  qui 
les  environnait,  que  Jésus-Christ  avait  en  vue  lorsqu'il  a  dit  : 
«  Ce  sont  ceux  qui  habitent  les  palais  des  rois,  qui  sont  vêtus 
mollement  :  »  Ecce  qui  mollibus  vestiuntur,  in  doinibus  reguin 
sunt  (').  Et  par  ces   paroles  le  divin   Sauveur   nous   retrace 
tout  ie  luxe,  la  mollesse,  les  délices  des  cours.  Or  on  sait 
combien   la  cour  des   empereurs   romains  était  superbe  et 
fastueuse.  Quel  devait  donc  être  l'éclat  de  leurs  favoris,  et 
en  particulier  de  saint  Gorgon  ;  car  Eusèbe  de  Césarée,  qui 
a  vécu  dans  son  siècle,  dit  de  lui  et  des  compagnons  de  son 
martyre,que  l'empereur  les  aimait  comme  ses  propres  enfants: 
^Equc  ac germanifilii  chari erant  (^\  et  qu'ils  étaient  montés 
au  suprême  degré  des  honneurs!  Avoir  de  si  belles  espéran- 
ces, et  cependant  vouloir  être,  quoi  ^.   le  plus  misérable  des 
hommes;  en  un  mot,  chrétien!  il  faut,  certes,  que  la  vue  d'un 
objet  bien  attrayant  (')  ait  fait  de  vives  et  fortes  impressions 
sur   un   cœur.  Quels   étaient  alors  les   chrétiens,  et  à  quoi 
s'exposaient-ils  ?  Au  mépris  et  à  la  haine,  qui  étaient  l'un  et 
l'autre  portés  aux  dernières  extrémités.  Lequel  des  deux  est 
le  plus  sensible  ?  Il  y  en  a  que  le  mépris  met  à  couvert  de  la 
haine,  et  l'on  hait  bien  souvent  ce  qu'on  craint  ;  et  ce  qu'on 
craint.on  ne  le  méprise  pas.  Mais  tout  s'unissait  contre  les  chré- 
tiens.le  mépris  et  la  haine. Ceux  qui  les  excusaient  les  faisaient 
passer  pour  des  esprits  faibles,  superstitieux,  indignes  de  tous 
les  honneurs; qu'il  fallait  déclarer  infâmes.  La  haine,  succédant 
au  mépris,  éclatait  par  la  manière  dont  on  les  menait  au  sup- 


a.  Knm.,  viii,  35.  —  b.  Matth.,  XI,  8.  —  c.  Histor.  Eccles.,  lib.  VIII,  cap.  vi. 

I.  /:^///.  effrayant.  —  Nous  corrigeons  par  conjecture,  n'ayant  pu  retrouver 
le  manuscrit.  Il  nous  semble  difficile  d'imputer  à  la  crainte  le  généreux  sacrifice 
dont  l'orateur  relève  le  mérite. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  577 

plice,  sans  garder  aucune  forme,  ni  suivre  aucune  procédure. 
Cela  étaitbon  pour  les  voleurs  et  pour  les  meurtriers;  mais, pour 
les  chrétiens,  on  les  conduisait  aux  gibets  comme  on  mènerait 
des  agneaux  à  la  boucherie.  Chrétien,  homme  de  néant,  tu 
ne  mérites  aucun  égard  ;  et  ton  sang,  aussi  vil  que  celui  des 
animaux,  doit  être  répandu  avec  aussi  peu  de  ménagement. 
Ainsi,  dans  l'excès  de  fureur  dont  les  esprits  étaient  animés 
contre  eux,  on  les  poursuivait  de  toutes  parts  ;  et  les  prisons 
étaient  tellement  pleines  de  martyrs,  qu'il  n'y  avait  plus  de 
place  pour  les  malfaiteurs  ('*).  S'il  y  avait  quelque   bataille 
perdue,  s'il  arrivait  quelque  inondation  ou  quelque  sécheresse, 
on  les  chargeait  de  la  haine  de  toutes  les  calamités  publiques. 
Chrétiens   innocents,   on   vous    maudit,    et   vous  bénissez  ; 
vous  souffrez  sans  révolte,  et  même  sans  murmure  :   vous 
ne  faites  point  de  bruit  sur  la  terre  :  on   vous   accuse  de 
remuer  tous  les  éléments,  et  de  troubler  l'ordre  de  la  na- 
ture !  Tel    était  l'effet  de  la  haine    qu'on  portait    au  nom 
chrétien. 

A  quoi  donc  pensait  saint  Gorgon,  de  descendre  d'une  si 
haute  faveur  à   une  telle  bassesse  ?  Considéré  d'abord  par 
tout  l'empire,   il   consent   de   devenir    l'exécration   de   tout 
l'empire  :    Ht^c  est  Victoria  quœ  vincit  munduni.   Et  quel 
courage  ne  fallait-il  pas  pour  exécuter  cette  généreuse  réso- 
lution sous  Dioclétien,  où  la  persécution  était  la  plus  furieuse; 
où  le  diable,  sentant  approcher  peut-être  la  gloire  que  Dieu 
voulait  donner  à  l'Église  sous  l'empire  de  Constantin,  vomis- 
sait tout  son  venin  et  toute  sa  rage  contre  elle,  et  faisait  ses 
derniers  efforts  pour  la  renverser  ^,    Dioclétien  s'en   vantait, 
et  se  glorifiait   d'avoir  de    tous  côtés  dévoilé   et   confondu 
la  superstition   des  chrétiens  :  Superstitio7ie  ckristianoruni 
ubique  détecta.  Vraie  marque  de  sa  fureur  et  en  même  temps 
marque  sensible  de  son   impuissance  :   Et  Jicrc  est  victoria 
quœ  vincit  mundîim.  Saint   Gorgon  lui   résiste  ;  et  le   tyran, 
pour  l'abattre,   fait  exercer  sur  son   corps  toute  la  violence 
que  la  cruauté  la  plus  barbare  peut  inspirer.  Ah  !  qui   vien- 
dra essuyer  ce  sang  dont  il  est  couvert,  et  laver  ces  blessures 
que  le  saint  martyr  endure  pour  Jksus-Christ  ?  Saint    Paul 
a.  Tertull.,  ad  Nat.^  lib.  I,  n.  9. 

Sermons  de  Bossuet.  37 


578  PANEGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 


en  avait  reçu,  et  le  geôlier  même  de  la  prison  où  il  est 
renferme  lave  ses  plaies  avec  un  grand  respect  :  mais  ici  les 
tyrans  ne  permettent  pas  qu'on  procure  le  moindre  adoucis- 
sement à  saint  Gorq^on  ;  et  son  pauvre  corps  écorché,  à  qui 
les  onguents  les  plus  doux,  les  plus  innocents,  auraient  causé 
d'insupportables  douleurs,  est  frotté  de  sel  et  de  vinaigre. 

C'est  ainsi  qu'il  devient  conforme  à  son  modèle,  qui  fait 
deux  plaintes  sur  les  traitements  qu'il  souffre  dans  sa  Pas- 
sion. His  plagatus  sum  (")  :  «  Voilà  les  blessures  que  j'ai 
reçues  ;  »  mais  «  ils  ont  encore  ajouté  de  nouvelles  cruautés 
aux  premières  douleurs  de  mes  plaies  :  »  Super  dolorem 
vulncrum  mcorum  addiderunt  ('').  Ils  m'ont  mis  une  couronne 
d'épines  ;  voilà  le  sang  qui  en  coule  :  His  plagatus  sum  ; 
mais  ils  l'ont  enfoncée  par  des  coups  de  canne  :  Supe^^  dolo- 
rem vulnerum  meorum  addideimnt.  Ils  m'ont  dépouillé  pour 
me  déchirer  de  coups  de  fouet  :  His  plagatus  sum  ;  mais  ils 
m'ont  remis  mes  habits,  et,  me  les  ôtant  de  nouveau  pour 
m'attacher  nu  à  la  croix,  ils  ont  rouvert  toutes  mes  blessures  : 
S Jipcr  dolore7n  vulnerum  meorum  addiderunt.  Ils  ont  percé 
mes  mains  et  mes  pieds  ;  et,  ayant  épuisé  mes  veines  de 
sang,  la  sécheresse  de  mes  entrailles  me  causait  une  soif 
ardente  qui  me  dévorait  la  poitrine  :  voilà  le  mal  qu'ils  m'ont 
fait  :  His  plagatus  sum  ;  mais  lorsque  je  leur  ai  demandé  à 
boire  avec  un  grand  cri,  ils  m'ont  abreuvé  en  ma  soif  de  fiel 
et  de  vinaigre  :  Super  dolorem  vulnerum  m^eoi'um  addidei'unt. 
C'est  ce  que  peut  dire  saint  Gorgon  :  Ils  ont  déchiré  ma 
peau,  ils  ont  dépouillé  tous  mes  nerfs,  ils  ont  entrouvert  mes 
entrailles:  His  plagatus  sum  ;  mdÂs,  après  cette  cruauté,  ils 
ont  frotté  ma  chair  écorchée  avec  du  vinaigre  et  du  sel  pour 
aigrir  la  douleur  de  mes  plaies  :  Super  dolorem  vulnerum 
meorum  addiderunt. 

Mais  ils  ont  encore  passé  bien  plus  loin,  et  leur  brutalité 
n'est  pas  assouvie.  Ils  couchent  le  saint  martyr  sur  un  gril 
de  fer,  devenu  tout  rouge  par  la  violence  de  la  chaleur  ;  ô 
spectacle  horrible  !  et  cependant  au  milieu  de  ces  exhalaisons 
infectes  qui  sortaient  de  la  graisse  de  son  corps  rôti,  Gorgon 
ne  cessait  de  louer  Jésus-Christ.  Les  prières  qu'il  faisait 

a.  Zach.,  XI il,  6.  —  b.  Ps.,  LXViii,  27. 


PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON.  579 

monter  au  ciel  changeaient  cette  fumée  noire  en  encens  :  Et 
hœc  est  victoria  quœ  vincit  mundum. 

Mais  en   quoi  a  nui  à  saint   Gorgon    tout  le   mal  qu'il  a 
souffert?  «  Tout  ce  temps  de  peines  et  de  souffrances  est  passé 
comme  un  songe:  »  Transierunt  tempora  laboriosa  ;  temps  de 
fatigues,  temps  de  travail,  qui  l'a  conduit  au  véritable  repos,  à 
la  paix  parfaite,  et  c'est  ce  que  le  Prophète  Roi  exprime  si 
bien  par  ces  paroles  qu'il  a  dites  au  nom  de  tous  les  martyrs  : 
«  Nous  avons  passé  par  l'eau  et  par  le  feu;  mais  vous  nous  avez 
fait  entrer  dans  un  lieu  de  rafraîchissement  :  »    Transivïmus 
perignem  et  aquain,  et  eduxisti  nos  in  refrigerium  (f).  Dieu  a 
essuyé  tous  les  pleurs  :  il  a  ordonné  à  saint  Gorgon  de  se 
reposer  de  tous  ses  travaux.   On  a  cru  lui  ôter  tout  son  bien 
et  même  la  vie  ;  et  on  ne  lui  ôte  que  la  mortalité.  Ubi  est, 
mors,   Victoria  tua  {^)  ?  «  O   mort,  où  est  ta  victoire  ?  »   Tu 
n'as  ôté  au  saint  martyr  que  des  choses  superflues  ;  car  tout 
ce  qui  n'est  pas  nécessaire  est  superflu.  «  Or  une  seule  chose 
est   nécessaire  :  »  Porro  unu7n  est  necessariicin  (^).   Dieu  est 
cet  unique    nécessaire  ;  tout  le  reste  est  superflu.   Les  hon- 
neurs sont-ils  nécessaires  ?   Combien  d'hommes  vivent  en 
repos,  quoique  oubliés  du  monde  !  Tout  cela  est  hors  de 
nous,  et  par  conséquent  ne  peut   contribuer  à  notre  félicité. 
Il  en  est  de  même  des   richesses,  qui  ne  sauraient   remplir 
notre  cœur  ;  et  c'est  pourquoi,    «  ayant  de  quoi  nous  nourrir 
et  nous  vêtir,  nous  devons  être  contents  :  »  Habentes...    ali- 
menta et  quibus  tegamur  ('),  contenti  sirmis  ('^).  Tout  le  reste 
est  superflu  ;   la  santé,  «  la  vie  même,  qui  doit  être  regardée 
comme  un  bien  superflu  par  celui  qui  considère  la  vie  éter- 
nelle qui  lui  est  promise  :  »  Ipsa  vita,  cogitantibus  œtcrnani 
vitam,  inter  superflua  reputanda  est(^)\  elle  ne  nous  est  utile 
qu'autant  que  nous  l'avons  prodiguée  pour  Dieu.   Ainsi  tout 
ce  qu'on  ravit  à  saint  Gorgon  lui  était  superflu,  puisqu'étant 
dépouillé  de  toutes  ces   choses,  il  se   trouve   bienheureux. 
Qu'a  donc  fait  le  tyran  par  tous  les  efforts  de  sa  cruauté  ? 

a.  Ps.,  LXV,  \2.  —  b.  I  Cor.,  xv,  55.  —  ^.  Luc,  x,  42.  —  d.  I  Tim.,  vi,  8.  — 
e.  S.  Aug.,  Serm.  LXii,  n.  14. 

I.  Deforis  :  Habentes  victtim  et  vestittim,  contenti  sumus.  Telle  était  sans 
doute  la  leçon,  leçon  inexacte,  du  manuscrit.  Toute  cette  fin  de  l'estiuissc  paraît 
avoir  été  tracée  avec  beaucoup  de  précipitation. 


^80  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  GORGON. 

«  En  vain  sa  langue  a-t-elle  concerté  les  moyens  de  nuire  et 
a-t-cllc  voulu,  par  ses  tromperies,  trancher  comme  un  rasoir 
bien  affilé  :  »  Sicut  novacula  aaita  fccisti  dolum  (^).  Que  de 
peines  on  prend  pour  aiguiser  un  rasoir,  que  de  soins  pour 
l'affiler  !  combien  de  fois  le  faut-il  passer  sur  la  pierre  !  Ce 
n'est,  au  reste,  que  pour  raser  du  poil,  c'est-à-dire  un  excré- 
ment (')  inutile.  Que  ne  font  pas  les  méchants!  en  combien 
de  soins  sont-ils  partagés  pour  dresser  des  embûches  à 
l'homme  de  bien  !  Que  n'a  pas  fait  le  tyran  pour  abattre  notre 
martyr!  Il  se  travaillait  à  trouver  de  nouveaux  artifices  pour 
le  séduire,  de  nouveaux  supplices  pour  l'épouvanter.  Quid 
facUirîis  justo,  nisi  siiperflîia  rasurus  {^)  ?  «  Mais  que  fera-t-il 
contre  le  juste  ?  il  ne  lui  a  rien  ôté  que  de  superfiu.  »  Qu'est-ce 
que  l'âme  a  besoin  d'un  corps  qui  la  charge  et  la  rend  pesante? 
La  mort  ne  lui  a  rien  ôté  que  la  mortalité  ;  et  ceux  qui  ont 
voulu  conserver  la  vie  l'ont  perdue  ;  et  ils  vivent,  les  misé- 
rables, ils  vivent  pour  souffrir  éternellement.  Parce  que  saint 
Gorgon  l'a  prodiguée,  il  l'a  mise  entre  les  mains  de  Dieu, 
où  rien  ne  se  perd,  et  il  la  conservera  pour  jamais. 

Ainsi  le  moyen  de  surmonter  le  monde,  c'est  de  tout 
abandonner  à  Dieu  ;  autrement  tout  périt  et  tout  passe  avec 
le  monde,  qui  passe  lui-même,  et  enveloppe  tout  dans  sa 
ruine  :  c'est  pourquoi  il  faut  tout  donner  à  Dieu.  Saint  Paul, 
possédé  de  cette  pensée,  disait  :  «  Je  donnerai  tout  :  »  Ego 
autem  impendam.  Ce  n'est  pas  assez  ;  aussi  ajoute-t-il  :  «  Et 
je  me  livrerai  moi-même  pour  le  salut  de  vos  âmes:  »  Super- 
inipendar  ipse  pro  animabus  vestris  ('')... 

a.  Ps.^  Li,  4.  —  b.  S.  Aug.,  Enarr.  in  Ps.  Li,  n.  9.  —  c.  II  Cor.,  Xli,  15. 

I.  Cest-à-dirc,  excroissance.  —  Cette  dernière  page  d'une  esquisse  rapide  et 
incomplète  est  extrêmement  négligée.  Avec  ces  trivialités,  que  comportait  peut- 
être  le  caractère  de  l'auditoire,  elle  contient  des  redites,  qui  montrent  qu'il  n'y  a 
ici  rien  de  définitif. 


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FRAGMENT  pour  une  VETURE 


aux  Nouvelles  Catholiques  (Propagation  de  la  Foi)  ; 


à  Metz;  fin  de  1654. 

«  Elle  (l'hérésie)  enseigne  que  l'Église  a  erré  souvent  :  le  ministre 
de  cette  ville  l'a  prêché  et  l'a  écrit  de  la  sorte.  »  Ces  paroles  indiquent 
une  date  postérieure,  mais  de  peu,  à  la  publication  du  Catéchisme 
général  de  la  Reformations  oîi  Paul  Ferry  avait  <<  étendu  »  ce  qu'il 
venait  de  prêcher  le  17  mai  1654  (Floquet,  Etudes  sur  la  vie  de 
Bossuet,  I,  326,  n.  2).  D'autre  part,  norre  fragment  ne  laisse  pas  sup- 
poser que  Bossuet  eût  encore  donné  sa  Réfutation,  qui  parut  au 
commencement  de  l'année  suivante  (avril  1655).  Nous  avons  dit 
précédemment  que  Deforis  avait  essayé  d'en  faire  le  second  point 
de  la  Vêture  du  2  février  ('). 

DANS  (^)  la  conduite  de  Dieu  sur  votre  âme,  je  trouve 
ceci  de  très  remarquable,  que  le  Saint-Esprit  agissant 
en  vous,  y  a  fait  naître  en  même  temps  l'amour  de  l'Église 
et  celui  de  la  sainte  virginité.  N'était-ce  pas  peut-être  pour 
vous  faire  entendre  que  les  Églises  des  hérétiques,  que  vous 
abandonniez  généreusement,  étaient  des  Eglises  prostituées, 
et  que  la  seule  Église  vierge  c'est  la  catholique,  à  laquelle 
la  grâce  divine  vous  a  appelée  ?  Que  l'Eglise  doive  être 
vierge,  il  n'est  rien  de  plus  évident  ;  parce  que  tous  les  doc- 
teurs nous  enseignent  qu'il  y  a  une  ressemblance  parfaite 
entre  la  bienheureuse  Vierge  et  l'Église  ;  et  c'est  pourquoi 
cette  femme  de  l'Apocalypse,  qui  paraît  revêtue  du  soleil, 
nous  représente  tout  ensemble  l'Église  et  Marie.  La  sainte 
Mère  de  notre  Sauveur  est  vierge  et  mariée  tout  ensemble  ; 
elle  est  également  vierge  et  mère.  Il  en  est  ainsi  de  l'Église, 
qui,  aussi  bien  que  la  sainte  Vierge,  conçoit  et  enfante  par 

1.  Voici  sa  note  un  peu  naïve  :  «  Ce  morceau,  dans  le  manuscrit  de  M.  Bos- 
suet, ne  fait  point  corps  avec  ce  qui  procède  :  mais  comme  son  discours  n'est 
pas  entier,  pour  le  compléter  autant  qu'il  est  en  nous,  nous  avonf  cru  pouvoir  y 
réunir  ce  fragment,  qui  revient  parfaitement  à  la  matière  traitée  dans  la  pre- 
mière partie,  et  qui  probablement  a  été  fait  pour  le  morne  sujet.  » 

2.  Comme  il  s'agit,  à  ce  qu'il  semble,  d'une  cérémonie  qui  se  passait  en  fa- 
mille, pour  ainsi  dire,  dans  la  maison  dont  Hossuct  était  le  supérieur,  peut-ôtre 
ce  court  fragment  contient-il  Tallocution  tout  entière. 


582  POUR  LA  VÈTURE 


le  Saint-Esprit.  L*Église,  comme  la  sainte  Vierge,  a  un 
Époux  chaste,  qui  n'est  pas  le  corrupteur  de  sa  pureté,  mais 
plutôt  qui  en  est  le  gardien  fidèle  ;  et  par  conséquent  elle 
est  vierge.  Mais  peut-être  voulez-vous  savoir  ce  que  c'est 
que  la  virginité  de  l'Église  :  contentons  en  peu  de  mots  ce 
pieux  désir. 

La  virginité  de  l'Église,  c'est  sa  vérité  et  son  unité  ;  et  de 
là  vient  que  je  vous  disais  que  les  Églises  des  hérétiques 
sont  des  Églises  prostituées  ;  parce  qu'en  perdant  l'unité, 
elles  se  sont  éloignées  de  la  vérité.  Toute  âme  qui  est 
dominée  par  l'erreur  est  une  âme  adultère  et  prostituée  ; 
parce  que  l'erreur  est  la  semence  du  diable,  par  laquelle  ce 
vieux  serpent,  ce  vieux  adultère,  qui  est  menteur  et  père  du 
mensonge,  corrompt  l'intégrité  des  esprits.  Et  c'est  aussi 
pour  cela  que  l'Église  est  vierge,  parce  que  l'erreur  n'y  a 
point  d'accès  ;  la  doctrine  de  l'Église  est  vierge,  parce  qu'elle 
la  conserve  aussi  pure  que  son  divin  Epoux  la  lui  a  donnée. 

Que  cherchiez-vous  donc,  ma  très  chère  sœur,  quand  aban- 
donnant l'hérésie  vous  êtes  accourue  à  l'Église  ?  Vous  cher- 
chiez la  virginité  de  l'Église,  que  l'hérésie  ne  reconnaît  pas. 
Comment  est-ce  que  nous  montrons  que  l'hérésie  ne  recon- 
naît pas  la  virginité  de  l'Église  ?  Elle  enseigne  que  l'Église, 
la  vraie  Église,  n'est  pas  infaillible  :  elle  enseigne  que 
l'Église  peut  errer  ;  elle  enseigne  que  l'Église  a  erré  souvent. 
Le  ministre  de  cette  ville  l'a  prêché  et  l'a  écrit  de  la  sorte. 
O  ministre  d'iniquité  !  vous  ne  connaissez  pas  la  virginité  de 
l'Église.  Si  elle  peut  errer,  elle  n'est  pas  vierge  ;  car  l'erreur 
est  un  adultère  de  l'âme.  Mais  comment  connaîtriez-vous  sa 
virginité,  puisque  vous  ne  connaissez  pas  même  sa  sainteté  ? 
Je  crois  la  sainte  Église,  disent  les  apôtres  dans  leur  Symbole. 
Est-elle  sainte,  si  elle  ment  ?  est-elle  sainte,  si  elle  enseigne 
l'erreur,  si  elle  la  confirme  par  son  autorité  ?  Donc  l'Église 
que  vous  nous  prêchez  est  une  Église  prostituée  ;  et  cette 
jeune  fille  a  bien  fait  quand  elle  a  quitté  cette  Église,  et 
qu'elle  a  cherché  une  Église  vierge.  Mais  notre  Église,  ma 
très  chère  sœur,  est  encore  vierge  par  son  unité. 

L'origine  de  l'unité,  c'est  le  Fils  de  Dieu  :  il  n'a  paru  qu'en 


d'une  nouvelle  catholique.  583 

un  seul  lieu  de  la  terre  ;  mais  ses  prédicateurs  ont  été  par 
tout  l'univers,  et  ils  y  ont  fondé  des  Églises.  L'unité  (')  ne 
s'est  pas  divisée,  mais  s'est  étendue  ;  et  cette  unité  sainte  et 
indivisible,  la  succession  continuelle  nous  l'a  apportée.  Consi- 
dérez les  troupeaux  rebelles  ;  leurs  noms  vous  marquent  leur 
séparation.  Zuingliens,  luthériens,  calvinistes  sont  des  noms 
nouveaux  :  ce  n'est  donc  pas  l'unité  qui  les  a  produits,  parce 
que  l'unité  est  ancienne  ;  mais  l'unité  les  a  condamnés,  parce 
qu'il  appartient  à  l'unité  sainte,  qui  communique  avec  l'Église 
ancienne  par  une  succession  véritable,  il  appartient,  dis-je, 
à  cette  unité  de  condamner  l'audace  de  la  nouveauté.  Donc 
leurs  noms  sont  des  noms  de  schisme  :  notre  nom,  c'est  un 
nom  de  communion.  Mon  nom,  c'est  chrétien, dit  saint  Pacien; 
mon  surnom,  c'est  catholique  ('').  Catholique,  c'est  universel  ; 
catholique,  c'est  un  nom  d'unité,  un  nom  de  charité  et  de  paix. 
Donc  l'Église  catholique  est  l'Église  vierge,  parce  qu'elle 
possède  l'unité  sainte  qui  la  lie  inséparablement  à  l'Époux 
unique.  C'est  pourquoi  les  Églises  des  hérétiques  ayant  perdu 
l'unique  Époux,  elles  prennent  le  nom  de  leurs  adultères. 

L'hérésie  n'a  point  de  vierges  sacrées  :  quoiqu'elle  se  vante 
d'être  l'Église,  elle  n'ose  imiter  l'Église  en  ce  point.  Il  n'y 
a  que  la  vraie  Église  qui  sache  saintement  consacrer  les 
vierges.  Et  certes,  comme  l'Église  catholique  est  l'Église 
vierge,  c'est  elle  qui  nourrit  les  vierges.  Jésus-Christ  ne  les 
reçoit  pas  pour  épouses,  si  l'Église  sa  bien-aimée  ne  les  lui 
présente  :  et  c'est  pourquoi  vous  ayant  destinée  dès  l'éter- 
nité à  ce  mariage  spirituel  que  la  pureté  virginale  contracte 
avec  lui,  il  vous  a  inspiré  dans  le  même  temps  ce  double 
désir  d'aimer  la  virginité  de  l'Église  et  de  garder  la  virginité 
dans  l'Église. 

Réjouissez-vous  donc  en  Notre-Seigneur  ;  préparez-vous 
aux  embrassements  de  l'Époux  céleste.  C'est  lui  qui  est 
engendré  dans  l'éternité  par  une  génération  virginale  ;  c'est 
lui  qui  naissant  dans  le  temps,  ne  veut  point  de  Mère  qui 
ne  soit  parfaitement  vierge  ;  et  il  consacre  son  intégrité  par 
une  divine  conception  et  par  une  miraculeuse  naissance. 

a.  S.  V?iQ.\:\.w.^nd Sy>npro?i.  Ep.  \. 

I.  Ceci  faisait  double  emploi  avec  un  passage  du  sermon  du  2  février  (p.  484). 


^v= — — -itt* 


ESQUISSE  SUR  LA  PENITENCE.  1654.  h* 

'.V 

Ces  deux  pages  (»),  que  Bossuet  a  plus  tard  intitulées:  Péniterice, 
ont  <5té  mises  par  les  éditeurs  dans  ce  fouillis  d'interpolations, 
qu'ils  qualifient  de  Fragments  d'un  sermon  poitr  le  III'  dimanche 
de  rAi'cnt  (2).  Ces  prétendus  frat^ments  d'un  sermon  se  composent 
1°  d'un  sermon  de  charité,  pour  1659;  2°  (à  la  suite  de  la  péroraison 
nettement  indiquée)  d'une  partie  du  sermon  du  IV^  dimanche  de 
l'Avcnt  de  166S,  à  Saint-Thomas  du  Louvre  ;  3^  enfin  des  pages  que 
nous  allons  publier,  qui  furent  écrites  quatorze  ans  plus  tôt. 

M.  Lâchât,  «  cet  impitoyable  redresseur  de  torts  »,  semble  n'avoir 
rien  soupçonné  de  tout  cet  étrange  amalgame.  Il  le  reproduit  à  son 
tour,  se  contentant  d'introduire  dans  une  phrase  une  heureuse  cor- 
rection. Tout  à  côté  d'ailleurs  il  laisse  subsister  des  inexactitudes, 
et  une  ponctuation  qui  forme  contresens. 


POUR  comprendre  solidement  combien  est  grande  la 
colère  de  Dieu  contre  les  pécheurs  qui  ne  l'apaisent 
pas  par  la  pénitence,  il  faut  supposer  deux  principes,  dont  la 
vérité  est  indubitable.  Le  premier  principe  que  je  suppose, 
c'est  que  plus  celui  qui  gouverne  est  juste,  plus  les  iniquités 
sont  punies.  Le  second,  c'est  que  la  peine  pour  être  juste, 
doit  être  proportionnée  à  l'injustice  qui  est  dans  le  crime. 
Ces  principes  étant  connus  par  la  seule  lumière  de  la  raison, 
il  faut  tirer  cette  conséquence  que  n'y  ayant  rien  de  plus 
juste  que  Dieu,  rien  de  plus  injuste  que  le  péché,  ces  deux 
choses  concourant  ensemble  doivent  attirer  sur  tous  les 
pécheurs  le  plus  horrible  de  tous  les  supplices. 

Que  Dieu  soit  infiniment  juste,  ou  plutôt  qu'il  soit  la  jus- 
tice même,  c'est  ce  qui  paraît  manifestement,  parce  qu'il  est 
la  loi  immuable  par  laquelle  toutes  choses  ont  été  réglées.  Ce 
qu  il  vous  sera  aisé  de  comprendre,  si  vous  remarquez  que 
la  justice  consiste  dans  l'ordre  ;  toutes  les  choses  sont  équi- 
tables sitôt  qu'elles  sont  ordonnées.  Or  ce  qui  met  l'ordre 
d^ns  les  choses,  c'est  la  volonté  du  souverain  Être.  Car  de 

1.  Mss  12821.  f.  211.  Daté  d'après  l'analogie  de  l'écriture  et  de  l'orthographe. 

2.  Lâchât,  VIII,  220,  ligne  22. 


DE  LA  PÉNITENCE.  585 


même  que  ce  qui  fait  l'ordre  d'une  armée,  c'est  que  les  com- 
mandements du  chef  sont  suivis  ;  et  ce  qui  fait  l'ordre  d'un 
concert  et  d'une  musique,  c'est  que  tout  le  monde  s'accorde 
avec  celui  qui  bat  la  mesure  :  ainsi  l'ordre  de  cet  univers, 
c'est  que  la  volonté  de  Dieu  soit  exécutée.  C'est  pourquoi  le 
monde  est  conduit  avec  un  ordre  si  admirable,  parce  que  et 
les  astres,  et  les  éléments,  et  toutes  les  autres  parties  qui 
composent  cet  univers  conspirent  ensemble  d'un  commun 
accord  à  suivre  la  volonté  de  Dieu,  suivant  ce  que  dit  le 
Prophète:  «Votre  parole,  ô  Seigneur,  demeure  immuable- 
ment dans  le  ciel;  vous  avez  fondé  la  terre,  et  elle  est  toujours 
également  stable.  C'est  par  votre  ordre  que  les  jours  durent, 
parce  que  toutes  choses  vous  servent  ('').  » 

Si  la  justice  de  Dieu  est  infinie,  il  est  aussi  infiniment  juste 
que  tous  ses  ordres  soient  accomplis,  [et  que  les  créatures] 
n'outrepassent  jamais  son  commandement.  Rien  ne  résiste  à 
la  volonté  de  Dieu  que  la  volonté  des  pécheurs.  La  justice  et 
l'injustice  opposées.  La  justice  infinie.  Il  n'y  a  qu'une  injustice 
infinie  qui  soit  capable  de  s'opposer  à  la  justice  infinie  de 
Dieu;  d'autant  plus  que  celui  qui  attaque  la  volonté  de  Dieu 
la  choque  nécessairement  en  tout  ce  qu'elle  est,  et  dans  toute 
son  étendue,  suivant  ce  que  dit  l'apôtre  saint  Jacques  (''). 
Et  la  raison  en  est  évidente  ;  parce  que  par  une  seule  con- 
travention l'autorité  de  la  loi  est  anéantie.  L'injustice  infinie, 
le  supplice  est  infini  dans  son  étendue. 

Après  avoir  compris  quelle  doit  être  la  grandeur  de  la 
peine  par  l'injustice  du  crime,  vous  l'entendrez  beaucoup 
mieux  encore  par  la  justice  de  Dieu  :  car,  puisqu'elle  est 
infinie,  il  faut  qu'elle  règne  et  qu'elle  prévale.  Péché  :  désordre, 
rébellion.  Ou  nous  nous  rangeons,  ou  Dieu  nous  range  ('). 
Par  l'obéissance  ;  par  le  supplice.  Ou  nous  faisons  l'ordre,  ou 
nous  le  souffrons.  Dieu  répare  l'injustice  de  notre  crime  par 
la  justice  de  notre  peine. 

Il  n'est  pas  malaisé  de  prouver  cjue  Dieu   accuse  les   pé- 

a.  Ps.,  CXVIII,  89-91.  —  b.Jac.^  Il,  10. 

I.  Édit.  Uieu  nous  range,  par  l'obéissance,  par  le  supplice. 


586  DE  LA  PÉNITENCE. 


cheurs.    Il  a  gravé   en  eux  la  loi   éternelle,    c'est  la  con- 
science ;  c'est  cette  loi  qui  nous  accuse    :   Accusantibus  aut 
défendent ibus  (").  En  cette  vie  elle  nous  accuse   intérieure- 
ment ;  mais  le  sentiment  n'en   est   pas  bien   vif,    parce  que 
nous   l'étouffons   par   nos  crimes,    parce  que  notre   âme.  est 
comme  endormie,  charmée  par  les  faux  plaisirs   de  la   terre 
et  par  une  certaine  illusion  des  sens.   Et  toutefois  sa  force 
paraît  en  ce  que  nous  ne  pouvons  l'arracher  :  elle  ne  laisse 
pas  de  se  faire  entendre.  En  l'autre  vie  elle  agira  dans  toute 
sa  force  :  la  force  de  l'accusateur   est  dans   le  jugement. 
En  ce  monde  il  suffit  qu'elle   nous  avertisse  ;   en   l'autre  il 
faudra  qu'elle  nous  convainque.   Les  consciences   sont  les 
livres  qui   seront  ouverts  ;    manifestabimur,    apparebÎTnus. 
Nous  y  serons  découverts  par   cette  lumière    infinie    qui 
pénètre  le  secret  des  cœurs.  Là  paraîtra  cette   méchanceté, 
cette  perfidie  pour  laquelle  tu  ne  croyais   pas  pouvoir   ren- 
contrer des  ténèbres  assez  épaisses.    Là  seront  exposées 
en  plein  jour  tes    honteuses    et    criminelles    passions,    tes 
abominables  plaisirs.  Cet  accusateur    inflexible    exagérera 
l'horreur  de  ton  crime.  Ta  conscience  parlera  contre    toi 
devant    Dieu,    devant   les  anges    et    devant  les  hommes. 
Comment  pourras-tu  te  défendre  contre  un    accusateur  si 
sincère  ? 

La  honte  née  du  désordre,  établie  contre  le  désordre. 
Sacrifie  à  Dieu  la  honte  que  tu  avais  immolée  au  diable. 

Dieu,  pour  montrer  qu'il  ne  nous  abandonnait  pas  à  nos 
passions,  nous  a  donné  la  honte  pour  retenir  leur  empor- 
tement. 


a.  Rofn.,  II,  13. 


ERRATA    du    T.   I". 


Page  I  (Introduction;,  ligne  20,  et  p.  m,  ligne  39  :  «  révision  ;  )}  lises  :  <<  revision.  » 

P.  2,  1.  13.  Mettre  tine  virgule  avant  et  après  <L  qui  sont  volontaires.  ^ 

P.  8,  I.  1 7  :  «  par  de  bonnes  ;  »  lisez  :  «  par  des  bonnes.  » 

P.  9,  1.  15  :  «  Combien  de  temps  j'ai  été  ;  >>  lises  :  «  ...  j'aie  été,  >  comme  h.  la 

ligne  précédente. 
P.  32,  1.  14,  15  :  «  Ce  sont  celles-là  que...  »  Lises  :  K  Ce  sont  celles  [-là  que]...  > 

—  Les  crochets  omis  sont  une  indication  utile  pour  la  note  3. 
P.  93,  1.  22.  Effacez  le  ?. 

P.  94,  note  I  :  «  ...  vers  489  ;  »  lises  :  «  ...  vers  490.  » 
P.  161,  1.  7  :  «  de  leur  pardonner  ;  »  lises  :  «  de  la  leur  pardonner.  >> 
Ibid.^  ].  13  :  «  épandu  ;  »  lisez  :  «  épanché.  » 
P.  277,  1.  6  de  la  note  :  «  1852  ;  »  lises  :  «  1652.  » 
P.  408,  1.  10  :  «  il  peut  y  rester  ;  »  lises  :  «  il  y  peut  rester.  » 
P.  477,  1.  20,  21  :  «  une  œuvre  ;  »  lises  :  «  un  œuvre.  > 
P.  594  (table  de  concordance),  1.  43  :  «  II,  1659  ;  »  lisez  ;  «  III,  1659,  > 


% 
% 


TABLE    DES   SERMONS 


contenus    dans    le    premier    volume. 


Pages 

INTRODUCTION. 

I.  EXORDE  D'UN  SERMON  SUR  LE  JUGEMENT  DERNIER. 

Écrit  au  collège  de  Navarre,  vers   1643     i 

II.  SUR  LE  PÉCHÉ  D'HABITUDE.  Sermon  résumé,  1646.  i"  Na- 

ture ;  2"  suites  ;  3°  remèdes    4 

III.  •■        MÉDITATION  SUR  LA  BRIÈVETÉ  DE  LA  VIE,  1648,  avec  un 

fragment  SUR  la  charité    9 

IV.  MÉDITATION   SUR   la   FÉLICITÉ    DES    SAINTS,    1648. 

1°  Combien  grande  et  inconcevable  ;  2°  en  quoi  elle  consiste.     13 

V.  PANÉGYRIQUE   de   saint   GORGON,   9  septembre    1649. 

(Premier  sermon  proprement  dit.)  —  Saint  Gorgon  1°  ne  s'est 
point  laissé  séduire  par  les  faveurs  du  monde  ;  2°  ni  effrayer 
par  les  supplices 3° 

VI.  "  ■       SERMON  POUR  LA  FÊTE  de  tous  les  SAINTS,  1649.  i"  Dieu 

a  mis  ses  saints  au-dessus  de  tous  ses  ouvrages,  et  se  les  est 
proposés  dans  toutes  ses  entreprises  ;  2"  il  les  a  attachés  à  la 
personne  de  son  Fils  ;  3°  exécution  de  ces  grands  desseins  de 
Dieu    47 

VII.  ALLOCUTION  pour  LA  veille  de  L'ASSOMPTION  de  la 

SAINTE  VIERGE,  1650.  —  t"  La  mort  bienheureuse  de  la 
sainte  Vierge  ;  2°  sa  glorieuse  résurrection  ;  3°  son  magnifique 
triomphe     63 

VIII.  FRAGMENT  sur  L'ASSOMPTION.  Vers  1651       69 

IX.  SERMON  pour  la  FÊTE  du  ROSAIRE,  1651.  1°  Marie  peut 

nous  soulager,  parce  qu'elle  est  Mère  de  Dieu  ;  2"  elle  veut  nous 
soulager,  parce  qu'elle  est  notre  Mère       7^ 

X.  FRAGMENT   SUR   la    PURIFICATION    de   la    SAINTE 

VIERGE,  1652 loi 

XL  SERMON  POUR  LE  SAMEDI  SAINT,  id^^.  (Premier  sermon 
de  Bossuet prêtre.)  —  i»  Le  Sauveur  est  mort  :  mourons  avec 
lui  ;  2"  il  est  ressuscité  :  ressuscitons  avec  lui  ;  3°  il  est  im- 
mortel :  soyons  immortels  avec  lui 103 

XTI.  SERMON    POUR    le   IX*=  dim.\nche   apri>s    la  pentecote, 

SUR  LA  BONTÉ  et  LA  RIGUEUR   dk  DIEU  envf.rs  les 

pécheurs,  1652.  —  1°  Jésus  déplorant  nos  maux,  .\  cause  de 

sa  bonté;  2"  Jésus  devenu  impitoyable  h  cause  de  l'excès  de 

.    nos  crimes.  (Ruine  de  Jérusalem.) 132 


588 


TABLE  DES  SERMONS. 


Pages. 

XIII.  SKRMON    POUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA   SAINTE  VIERGE, 

1652.  —  r' Marie  aura  pourJi^:sus  une  affection  sans  égale  ; 
2"  elle  sera  aimde  par  lui  d'un  amour  qui  ne  souffrira  point  de 
comparaison  ;  3"  cette  sainte  société  qu'elle  aura  avec  lui  l'unira 
pour  jamais  h  Dieu  le  Père  ;  4"  dans  cette  union  avec  le  Père 
éternel,  elle  deviendra  la  Mère  des  fidèles       163 

XIV.  PANÉGYRIQUE  DE  saint  FRANÇOIS  D'ASSISE,  1652.  — 

L'admirable  François  établit  1°  ses  richesses  dans  la  pauvreté; 
2"  ses  délices  dans  les  souffrances  ;  3°  sa  gloire  dans  la  bas- 
sesse     189 

XV.  SERMON    ESQUISSÉ   SUR    L'ÉVANGILE   DES   ZIZANIES,    1652. 

—  Deux  réflexions  :  la  première  sur  le  mélange,  la  seconde  sur 

la  séparation  des  bons  et  des  méchants     217 

XVI.  SERMON  POUR  LA  VEILLE  de  la  FÊTE  de  la  CONCEP- 

TION DE  LA  SAINTE  VIERGE,  1652.  —  1°  Marie  a  été 
préservée  du  péché  originel  :  démonstration  de  cette  vérité  par 
la  simple  solution  des  objections.  2°  Le  péché  originel  en  nous, 
et  la  grâce  qui  nous  en  purifie  (conclusion)     228 

X\'1I.  PREMIER  SERMON  POUR  la  FÊTE  de  la  CIRCONCI- 
SION, 1653.  —  JÉSUS  est  par  son  sang  1°  le  roi  Sauveur,  2°  le 
pontife  Sauveur 249 

XVIII.  SUR  LES  DEUX  ALLIANCES,  1653.  —  Le  miracle  des  noces 

de  Cana  est  le  symbole  de  trois  changements  :  1°  la  figure 
changée  en  vérité  ;  2"  la  lettre  en  esprit  ;  3°  la  terreur  en 
amour 281 

XIX.  ENTRETIEN  FAMILIER  SUR  la  PURIFICATION  de  la 

SAINTE  VIERGE,  1653.  —  1°  Marie  se  purifie,  sans  y  être 
obligée  ;  2"^  elle  offre  le  sacrifice  des  pauvres     295 

XX.  SERMON  SUR  la  LOI  DE  DIEU,  1653.  —   Il  y  a  dans  la  loi 

de  Dieu  1°  un  guide  pour  nos  erreurs,  2°  une  règle  pour  nos 
désordres,  3°  un  repos  pour  nos  inconstances 309 

XXI.  PREMIER  SERMON  sur  les  DÉMONS.  P""  dimanche  de 

CARÊME,  1653.  —  1°  De  quelle  nature  sont  ces  esprits  malfai- 
sants, quelles  sont  leurs  forces,  quelles  sont  leurs  machines  ; 
2  '  quelles  causes  les  ont  mus  à  nous  déclarer  une  guerre  si 
cruelle  et  si  sanglante 340 

XXI I.  SERMON   ESQUISSÉ   SUR   LA   RÉCONCILIATION.    V^    di- 

manche APRÈS  LA  PENTECÔTE,  1653.  —  Deux  points  :  1°  ni  le 
présent  qu'offrent  les  chrétiens,2°  ni  l'autel  dont  ils  s'approchent, 
ne  souffrent  que  des  esprits  vraiment  réconciliés    361 

XXIII.  ESQUISSE  SUR  LA  DÉVOTION  A  LA  SAINTE  VIERGE  pour 

L'ASSOCIATION  DU  SCAPULAIRE.  Vers  1653.  —  Marie  est  la 
Mère  des  chrétiens.  1°  Dessein  de  cette  glorieuse  maternité 
tracé  dès  l'origine  du  monde  ;  2°  son  accomplissement  dans  la 
plénitude  des  temps 375 


TABLE  DES  SERMONS. 


589 


Pages. 

XXIV.  SUR  LA  DÉVOTION  A  LA  SAINTE  VIERGE.  Conclusion  d'un 

sermon  perdu.   Écrit  vers  1653     386 

XXV.  PANÉGYRIQUE  DE  SAINT  BERNARD,   1653.  —  La  science 

de  la  croix  fait  les  chrétiens  ;  la  prédication  de  la  croix  fait  les 
apôtres.  1°  Saint  Bernard  dans  sa  cellule  étudiant  la  croix  de 
JÉSUS;  2°  saint  Bernard,  dans  les  chaires  et  dans  les  fonctions 
ecclésiastiques,  prêchant  et  annonçant  la  croix  de  JÉSUS 391 

XXVI.  PREMIER  SERMON   POUR  LA  FÊTE  de  L'EXALTATION 

DE  LA  SAINTE  CROIX,  1653.  —  La  gloire  de  Dieu  est  en  sa 
puissance  et  en  sa  bonté.  Or  c'est  en  la  croix  que  paraissent  le 
mieux  1°  la  puissance,  2"  la  miséricorde  divine 422 

XXVII.  PREMIER  SERMON  pour  le   II'^  dimanche  de  l'avent  : 

SUR  JÉSUS-CHRIST,  OBJET  DE  SCANDALE,  1653.  — 
1°  JÉSUS,  miséricordieux  médecin  de  nos  maladies  ;  2"  JÉSUS 
évangéliste  des  pauvres  ;   3°  JÉSUS,  scandale  des  infidèles     ...  446 

XXVIII.  REPRISE    DE    l'allocution    SUR    LES    DEUX   ALLIANCES, 

1654.  premier  point  nouveau  :   Les  figures  réalisées 477 

XXIX.  fragments  d'un  sermon  pour  la  VÊTU  RE  d'une  NOU- 

VELLE CATHOLIQUE,  1654.  Exorde  et  premier  point.  — 
1°  Grâce  que  Dieu  lui  a  faite  de  la  retirer  des  ténèbres  de  l'hé- 
résie ;  2°  comment  elle  doit  user  de  l'inspiration  qu'il  lui  donne 
de  renoncer  entièrement  à  toutes  les  espérances  du  siècle. 
(Cette  seconde  partie  manque) 480 

XXX.  POUR  le  JOUR  de  PAQUES,   165;  (sermon  nouveau).— 

Vie  du  vrai  chrétien  ressuscité  avec  le  Sauveur.  1°  Le  péché 
ruiné  ;  2°  la  concupiscence  surmontée  ;  3°  l'immortalité  assurée.  494 

XXXI.  SERMON  POUR  la  FÊTE  de  L'ASCENSION,  1654.  —  Jésus 

est  l'unique  et  véritable  pontife,  i"  C'est  lui  seul  qui  approche 
de  Dieu  avec  dignité  ;  2"  lui  seul  qui  intercède  avec  fruit  ; 
3°  lui  seul  qui  bénit  avec  efficace 519 

XXXII.  premier  sermon  pour  le  JOUR  de  la  PENTECOTE  : 

LITTERA  OCCIDIT,  1654.  —  I"  La  loi  ancienne  tue  par  la  lettre  ; 
2°  la  loi  nouvelle,  la  loi  de  grâce,  vivifie  par  l'esprit 


XXXIII.  SECOND  PANEGYRIQUE  de  SAINT  GORGON,  esquisse. 

Vers  1654.  —  i"  Saint  Gorgon  a  surmonté  le  monde,  c'est-à- 
dire  ses  erreurs,  ses  terreurs  et  ses  fausses  amours  ;  2"  soutenons 
le  même  combat,  et  nous  remporterons  la  même  victoire 

XXXIV.  FRAGMENT    pour    une    VÈTURE,    .\ux    NOUVELLES- 

CATHOLIQUES,  1654.  —  Ce  que  c'est  que  la  virginité  de 
l'Église 

XXXV.  ESQUISSE  sur  la  PÉNITENCE,  1654.  —  v'  Plus  celui  qui 

gouverne  est  juste,  plus  les  iniquités  sont  punies  ;  2"  la  peine, 
pour  être  juste,  doit  être  proportionnée  i\  l'injustice  qui  est  dans 
le  crime 


544 


571 


;Si 


584 


i 


i 


TABLE   DE   CONCORDANCE    DES  SERMONS 


SELON    L'ORDRE    LITURGIQUE    ET    SELON 


L'ORDRE   CHRONOLOGIQUE  ('). 


'1^ 


Sermons  du  temps. 

Toussaint,  i.  Méditation I^ 

I  bis.  Sermon  :  Omnia  vestra  sunt.      I 

2.  Sermon  devant  le  roi V, 

3.  Sermon  incomplet. V, 

^.  Beati  7?iisericordes,  GS<\msse. . II 

Exorde  (fausse  attribution).  (Éminente  dignité  des  pauvres)  ...  III, 

/our  des  Morts  (fausse  attribution) V, 

Exorde  (fausse  attribution)     IV, 

Fragment  pour  le  jour  des  Morts IV, 

Avent. /^^  dimanche,  i^"^  sermon  : //ora  est V, 

Abrégé   sur  le  môme  texte V, 

2^  sermon,  7>^;z^ 'i/z^«?^2^;//',  Jugement  dernier      IV, 


Exorde /h'd. 

y  sennon, /ustus  eSf  Domine V,  1668. 

Il' dimancÂe^  1^'^  sermon 1,1653. 

Exorde /did. 

[665. 

[669. 

1665. 

[668. 

[659. 

[668. 

[654. 

[665. 

1685. 

[668. 

[665. 

[668. 

[656. 

[667. 

[691. 


2«  sermon,  Divinité  de  Jésus-Christ < 

///^  <//;;2(2;^6V^^.  Sermon  (fausse  attribution)/^;;^  j-^^î^m    I 

[Sermon  (-)  de  1668] 

S  Fragments  d'un  sermon  (interpolations) (  l 
Jamsecuris \ 
Pénitence ( 

\  Abrégé  d'un  sermon  (interpolé)  (Honneur) J  I 

(Homélie      (\ 

IV'^  dimanche.  Sermon  (fausse  attribution)  Ego  vox 

[Sermon  de  1665]      I 

[Sermon  de  1668,  £)f<7  ^'^;r]     

Noël.  V  sermon 

2^  sermon 

3*-'  sermon ^ 

Exorde 

Pensées  détachées    A 

Dimanche  dans  l'octave.  Abrégé I 

Circoncision,  i*^"  sermon 

2*=  sermon 

3<=  sermon  (1687,  chez  les  Jésuites) \ 

1.  Nous  prenons  l'ordre  liturgique  dans  l'édition  Lâchât.  Il  diffère  très  peu,  du  reste,  de 
celui  de  l'édition  de  Versailles.  —  La  table  que  nous  dressons  ici  sera  reproduite  dans  tous  les 
volumes,  pour  la  commodité  des  recherches.  Le  premier  chiflVo  indique  le  tome  de  la  présente 
édition  :  le  second,  la  date  exacte  oîi  le  sermon  a  été  placé. 

2.  Nous  ajoutons  entre  crochets  les  pièces  qui  ne  se  trouvent  point  dans  les  éditions  précé- 
dentes, ou  qui  n'y  figurent  point  dans  la  liste  das  Sermons. 


648. 

649. 
669. 

668. 
657. 
659. 
669. 
665. 
661. 
669. 
668. 
665. 


656. 

663. 

653- 
656. 

687. 


592 


TAlîLK  DK  CONCORDANCE  DES  SERMONS. 


CiV<:<J«<^«^«.  4*  sermon,  (devant  Condc)      

5*'  sermon,  (interpolations)     

2*"  péroraison 
/y //m^/wt/^' après  l'Epiphanie      

Fragment 

îir  MmanJie.  \hvé^ié     

/•'^///;m;/«7/<',  (Zizanies.  XXVI^"  dimanche  après  la  Pentecôte) 
Si'ptua<rt'sitne,  (fausse  attribution.  Éminente  dignité  des  pauvres) 

\hxé^é...(Parict  paupcri)     

$jw///^//<j.i,'-/j/w<',  i"' sermon 

2' sermon,  Loi  de  Dieu 

2*^  exorde    

Jubilé 

Vendredi  après  les  Cendres .  C harité  fraternelle 

[Autre,  esquissé]       

Samedi  après  les  Cendres,  ^nv  VEgWsç. 


Carême. /"^  di/naHi/te.  i^' sermon  :  Démons 

2'^  sermon:  Démons 

3'=  sermon.  Prédication  évangélique  :  Non  in  solo  pane     

4*"  sermon.  Pénitence -.-     

Plan  de  sermon.  Pénitence     ^ 

Lundi.  Sermon  incomplet 

Abrégé  pour  le  vendredi 

ir  dimanche,  i'''  sermon 

2"=  sermon.  Parole  de  Dieu      

Mardi  (fausse  attribution),  sur  l'Honneur    

Fragment  ou  dissertation  sur  l'Honneur.     ... 

Jeudi,  i^""  sermon  (fausse  attribution),   Providence     ...     

z*"  sermon  (fausse  attribution),  Impénitence  finale     

IIJ^  Diînattche.  i'^' sermon.  Les  Rechutes ... 

2'' sermon.  Enfant  prodigue    

Mardi  (fausse  attribution),  Charité  fraternelle 

2"=  conclusion      

Vendredi.  Culte  dû  à  Dieu 

2^  Péroraison     , 

Samedi,  sur  la  Femme  adultère     

Abrégé  d'homélie ...     ...     ,..     

/F' i^/w««^/^.  i*^"^  sermon.  Nécessités  de  la  vie 

T"  sermon.  Ambition  (devant  la  Cour) 

3''  sermon,  (interpolations)      

Mardi,  Médisance     

Mercredi,  Aveugle-né  (canevas)     

Vendredi  (fausse  attribution),  sur  la  Mort 

Fragment  sur  la  Brièveté  de  la  vie 

Dimanche  de  la  Passion.  \^^  Sermon  :  Vaines  excuses  des  pécheurs. 

2"  sermon  (brouillé  avec  le  suivant  dans  les  éditions)      

3^  sermon.  Haine  de  la  vérité ... 


V, 

i668. 

IV, 

1664. 

V, 

1669. 

V, 

1669. 

I, 

1653. 

I, 

1654. 

V, 

1669. 

I, 

1652. 

III, 

1659. 

n, 

1658. 

V, 

1667. 

I, 

1653- 

n, 

1659. 

II, 

1656. 

III, 

1660. 

V, 

1669. 

m, 

1660. 

I, 

1653. 

III, 

1660. 

IV, 

1662. 

III, 

1661. 

II, 

1658. 

V, 

1666. 

I, 

1646. 

III, 

1660. 

III, 

1661. 

V, 

1666. 

II, 

1658. 

IV, 

1662. 

IV, 

1662. 

III, 

1660. 

V, 

1666. 

V, 

1666. 

IV, 

1662. 

V, 

1666. 

Ibid. 

IV, 

1663. 

VI, 

1686. 

III, 

,  1660. 

IV, 

1662. 

III, 

1661. 

V, 

.  1666. 

II, 

,  1658. 

VI, 

,  1686. 

IV, 

,  1662. 

I, 

,  1648. 

III, 

,  1660. 

III, 

,  1661. 

V. 

,  1666. 

TABLE  DE  CONCORDANCE  DES  SERMONS. 


593 


Dimanche  de  la  Passion.  Mardi,  sur  la  Satisfaction 

Pour  les  trois  derniers  jours,  etc.  (fausse  attribution): 

i^""  sermon,  l'Efficacité  de  la  Pénitence 

2^  sermon,  l'Ardeur  de  la  Pénitence      

3*^  sermon,  l'Intégrité  de  la  Pénitence 

Vendredi,  Compassion  de  la  sainte  Vierge,  i'^'"  sermon    ... 

2^  sermon  (fausse  attribution),  (Rosaire)     

Abrégé 

Plan     

Samedi  avant  les  Rameaux    

Rameaux,  i*""  sermon.  Sur  l'Honneur 

2*^  sermon.  Sur  les  Souffrances 

3"^  sermon.  Sur  les  Devoirs  des  rois 

4^  sermon.  Sur  la  Justice 

Vendredi  Sainl.  1^^  sermon     

2®  sermon    

3^  sermon    

4^  sermon    

/'rt^^^ifj-.  !'''■  sermon  (fausse  attribution),  (Samedi  Saint)    

2*^  sermon.  Consepiilti      

Second  exorde.  [Sermon  complet,  nouveau] 

3*^  sermon.  «  Temple  »     

Second  exorde. . .  (Solvite  teinpium  hoc)      

4®  sermon,  (devant  le  roi) 

i^'  abrégé  :  O  stulti  et  tardi  corde 

2®  abrégé  :  Gaudete  in  Domino 

(2uasimodo 

///^  Z>/;;/<2;/^/r<?  après  Pâques...  (Providence)      

Abrégé,  (fausse  attribution)  (2'' Samedi  de  Carême) 

/^'  Dimanche  après  Pâques,  ^fausse  attribution  :  III"  dimanche) 

Ascension 

Pentecôte^  i"^'  sermon 

Autre  exorde  et  fragments 

2*^  sermon 

3^"  sermon,  (devant  la  reine)    

Abrégé 

Triiiité. 

IIP  dimanche  ?c^xh%\?i  Pentecôte 

V^  di?nanche       

IX"  dimanche     

XX P  dimanche  Ahxégé    

Exaltatioft  de  la  Sainte  Croi.v^  i'^'' strxwon 

2'-'  sermon    

Précis,  Cum  exaltaveritis 

IlxJiorlation  aux  Nouvelles  Catholiques 

Fragment  d'un  discours...  (Voy.  Pâques,  sermon  nouveau) 

i"^*"  exhortation  aux  Ursulines 

2*^  exhortation     

Ordonnances 

3"^  exhortation     

4«  exhortation    


II,  1658. 


...   IV, 

1662. 

...   IV 

1662. 

...   IV 

1662. 

II 

1658. 

I 

I65I. 

...   III, 

1663. 

II 

1659. 

...    V 

1670. 

...   III 

1660. 

...  III 

I66I. 

...   IV 

1662. 

V 

1666. 

...    III 

1660. 

...  III 

I66I. 

...   IV 

1662. 

V 

1666. 

I 

1652. 

...   III 

1660. 

I 

1654. 

...   III 

IÔ6I. 

V 

1666. 

...   VI 

I68I. 

...   VI 

1692. 

...   VI 

,  1685. 

...    III 

1660. 

II 

,  1656. 

...   IV 

1664. 

...   VI 

1692. 

I 

,  1654. 

I 

1654. 

...    II 

1655. 

II 

1658. 

...   VI 

1672. 

...   VI 

,  1692. 

II 

1655. 

...    II 

1655. 

I 

1653. 

I 

1652. 

...   III, 

1659. 

I, 

1653. 

...  m, 

1659. 

...   VI, 

1688. 

...   IV, 

1663. 

I 

1654. 

...   VI 

1685. 

...   VI, 

1685. 

...   VI, 

1683 

...   VI, 

1685. 

...   VI 

1685. 

Sermons  de  Bossuet. 


38 


i^t)4  TAlU.i:  DK  CONCORDANCE  DES  SERMONS. 


Conférence ' VI,  1685. 

Instruction  sur  le  Silence VI,  1686. 

Paroles  saintes,  etc VI,  1686. 

Prt-cis  d'un  discours  aux  Visitandincs VI,  1685. 

I\Hsà'S  ihri'tù'ttncs l't mofdiis VI. 

Fêtes  de  la  sainte  Vierge. 

CW/^y/Z/W/.  r'"^  sermon,  (veille  de  la  fcte)     ... 1,1652. 

z*"  sermon •  I^»  [656. 

y"  sermon,  proche  à  la  Cour V,  1669. 

[Sermon  de  1665]     IV,  1665. 

[Sermon  de  1668]  (inédit) V,  1668. 

AW/î'///.  i^'^  sermon 111,1659. 

2' sermon 11,1656. 

"î*  sermon 1,1652. 

Précis 11,1658. 

Prt'sentation^  (canevas) IV,  1664. 

A UMC/ia'd/nm.  V  sermon III,  1661. 

2*"  sermon IV,  1662. 

3'-' sermon ••     •••     II,  1655. 

j^'stnnon,  Creavit  Dojumus III,  1660. 

]L\oxàt...  At  ubi  venit    V,  1666. 

J'nvV<///V>//.  I"  sermon 111,1659. 

Troisième  point  modifié III,  1660. 

Entrelien  («  Sermon  divin  »),  chez  les  Visitandincs VI,  1688. 

2*^  sermon II,  1656. 

F  II  rijicati  on.  i"  sermon IV,  1662. 

2^' exorde    Ibid. 

Sommaire  d'un  sermon III,  i66r. 

2'-' sermon V,  1666. 

Autre  conclusion Ibid. 

3*"  sermon I,  1653. 

Assomption.  \^^  sermon III,  1660. 

2*  sermon    IV,  1663. 

Plan  de  sermon V,  1667. 

Méditation  pour  la  veille  de  l'Assomption I,  1650. 

Rosaire.  Sermon II,  1657. 

[Autre,  Voy.  Compassion,  2''  vendredi  de  la  Passion] I,  165 1. 

ScapHÎaire 1,1653. 

Vêtures. 

—  de  M'^"*^  de  Bouillon    III,  1660. 

—  d'une  Nouvelle  Catholique,  !*"■  sermon 1,1654. 

2'^  sermon...  Indiiimini    II,  1658. 

—  d'une  Postulante  Bernardine,  i"  sermon 11,1659. 

Fin  autrement  traitée 11,1656. 

2^  sermon 11,1656. 

—  de  M'^"=  de  la  Vieuville,  (fausse  attribution).  Martha^  etc II,  1655. 

—  de  M  «^"^  de  Beau  vais ¥,1667. 

—  pour  le  jour  de  l'Epiphanie III,  1660. 

[Fragment  d'une  autre  Vêture]      ...     IV,  1666. 


TABLE  DE  CONCORDANCE  DES  SERMONS. 


—  pour  le  jour  de  l'Exaltation  de  la  Sainte  Croix.     ... 

[Fragment] 

—  sur  la  Virginité  (M'"e  d'Albert) 

—  de  la  Sœur  de  Saint-François  Bailly 

Seconde  conclusion,  (fausse  attribution)      

—  de  M""^  de  la  Vallière 

[de  la  Sœur  Cornuau] 

Sermon  sur  l'Unité  de  l'Église       

Panégyriques. 

—  de  saint  André 

—  de  saint  Jean 

—  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry 

—  de  Saint  Sulpice 

—  de  saint  François  de  Sales 

—  de  saint  Pierre  Nolasque 

—  de  saint  Joseph,  i'-"'  panégyrique,  Deposihcvt  ctistodi 

—  2®  panégyrique,  Quœsivit 

—  de  saint  Benoît     

—  de  saint  François  de  Paule.  Crtr//<«j 

—  2*^  panégyrique,  Fili^  lu  semper 

—  de  saint  Pierre 

—  de  saint  Paul 

Précis  d'un  autre  panégyrique 

—  de  saint  Victor     

—  de  saint  Jacques 

—  de  saint  Bernard 

—  de  saint  Gorgon,  i''^  panégyrique     

—  2^  panégyrique,   Qtiorum  iniuentes 

—  saints  Anges  gardiens 

—  de  saint  François  d'Assise 

—  Exorde 

—  de  sainte  Thérèse 

Seconde  allocution 

—  de  sainte  Catherine     

Seconde  péroraison 

Oraisons  funèbres. 

—  de  Henriette  de  France     

—  de  Henriette  d'Angleterre,  duchesse  d'Orléans     ... 

—  de  Marie  Thérèse 

—  de  la  princesse  Palatine      

—  de  Michel  le  Tellicr     

—  du  prince  de  Condé    

—  du  Père  Bourgoing 

—  de  Nicolas  Cornet 

—  de  Madame  Yolande 

—  de  Henri  de  Gornay 


595 

...  ni. 

[66o. 

..   IV,  ] 

i66i. 

...   IV,  ] 

664. 

...   VI,, 

681, 

II,, 

659. 

...   VI,  ] 

675. 

..   VI,  I 

698. 

...   VI,  1 

681. 

..    V,, 

668. 

...    II, 

[658. 

V, 

[668. 

...   IV, 

[664. 

...   IV, 

[662. 

..   IV,  , 

665. 

)  n, 

[659. 

••  \   II, 

1656. 

...  III, 

[661. 

...   IV. 

1665. 

...     II, 

1655. 

...    III, 

1660. 

...   IV, 

1661. 

II. 

1657. 

...   VI, 

1694. 

...    II, 

1657. 

...  m, 

1660. 

I, 

1653. 

I, 

1654. 

I, 

1649. 

...  III, 

1659. 

I, 

1652. 

...   VI, 

1670. 

...   II, 

1657. 

1 

'bid. 

...   IV, 

1661. 

...   IV, 

1663. 

...    V, 

1669. 

...    V, 

1670. 

...   VI, 

1683. 

...   VI, 

1685. 

...   VI, 

1686. 

...   VI, 

1687. 

...   IV, 

1662. 

...   IV, 

1663. 

...     II, 

1656 

...     II, 

1658 

^K 


Imprimé  par  la  Société  St-Augustin,  Bruges. 


^f^. 


^