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ANI> BlNDIil^
be, PARIS;
it, Nl'.VV YORK
ŒUVUKS POSTIIUMKS
DE
PAUL VERLAINE
s/tyCAnz.
(KUVHKS 1M)ST1II;MKS
DE
PAUL VKH LAINE
I
VERS DE JEUNESSE
VARIA — PARALLÈLEMENT [addltioni
I) Kl) ICA CES (additions)
SOUVENIRS- HISTOIRES COMME ÇA
Iimi: DériMTlB COLLATIONNÉ SUS LES ORIGINAUX
PARIS I I
ALBERT MESSEIN, ÉDITEUR
Successeur de LÉON V A N I E II
l(), iil Al SU> I -MICHEL, HJ
i gi i
IL A ÉTÉ TIHÉ :
Dix exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 1 à 10.
On i murer, t. dans cette édition définitive du
Tome premier des Œuvres posthumes, toutes les
oeuvres i en effets « posthumes », dont se compo-
sait le Tome unique de la première édition, mais
dans un ordre plus clair et plus logique^ et
allégées de quelques poèmes qui, déjà publiés
dans les précédents recueils, n'avaient été répétés
dans celui-ci que par erreur.
VERS
I
VERS DE JEUNESSE
i.ks i»n:i \ i
Vaincus, mai- tt&t domptés, exiles, mais vivants.
El malgré les édits < ï » - l'Homme et Mfl HrtWtftfMi,
Ils n'onl point abdiqué, crispant leurs mains (en.,
Sur dis tronçons de fetfptf0, et j/xlcn! dans Ifs wnK
Les nuages coureurs aux caprices mouvants
Sont la poudre des pieds de ces speetred rapaces
El la foUdre hurlant à travers les espj
N'es! qu un écho lointain de leurs durs olifants.
Ils sonnent la révolte à leur tour contre l'Homme,
I.enr vainqueur stupéfait encore et mal remis
D'un tel combat avec de pareils ennemis.
Du Coran, des Yédas et du Deutéronome.
De tous les dogmes, pleins de raire, tons les dieux
Sont sortis en campagne : Alerte ! et veillons mieux.
(i) Sonnet de jeunesse publié sur une copie.
TORQUATO TASSO
Le poète est un fou perdu dans l'aventure,
Qui rêve sans repos de combats anciens,
De fabuleux exploits sans nombre qu'il fait siens,
Puis chante pour soi-même et la race future.
Plus tard, indifférent aux soucis qu'il endure,
Pauvreté, gloire lente, ennuis élyséens,
Il se prend en les lacs d'amours patriciens,
Et son prénom est comme une arrhe de torture.
Mais son nom, c'est bonheur ! Ah ! qu'il souffre et jouit,
Extasié le jour, halluciné la nuit
Ou, récipi'oquement, jusqu'à ce qu'il en meure !
Armide, Eléonore, ô songe, ô vérité !
El voici qu'il est fou pour en mourir sur l'heure
Et pour ressusciter dans l'immortalité !
SUR II' G U.VAIRE i
Lorsque Jésus fui mort, cl comme une raréole
S'allumait bleue su front blanc du Nazaréen,
Plus paie qu'un cadavre et pi us tremblant qu'un chien,
Le bon larron prenant brusquement la parole :
< Compagnon, quedis-lu de lout ceci ? — Moi ? Rien,
Répondit le mauvais larron. Rien, Ame molle,
Rien, ô cerveau chélif qu'un tel prodige affole,
Sinon qu'en pendant là cet homme l'on fit bien. »
Un coin du ciel s'ouvrit soudain comme une porte,
Et la foudre s'en vint brûler l'audacieux
Qui hurla, puis reprit : « On a bien fait, n'importe ! »
Un corbeau qui passait lui creva les deux yeux,
Kt vers ses pieds mordus se dressait une louve.
Mais l'Obstiné cria : « Qu'est-ce que cela prouve ? ■■
(i Sonnet de jeunesse publié sur une copie.
L'ENTERREMENT
Je ne sais rien de gai comme un enterrement !
Le fossoyeur qui chante et sa pioche qui brille,
La cloche', au loin, dans 1 air, lançant son svelte trille,
Le prêtre, en blanc surplis, qui prie allègrement,
L'enfant de chn-ur avec sa voix l'raiche de lille,
Etquand,an fond du trou, bienehaud, douillettement,
S'inslallc le cercueil, le mol éboulemenf,
De la terre, édredon du défunt, heureux drille,
Tout cela me paraît charmant, en vérité !
Ht puis,, tout rondelets sous leur frac écourté,
Les croque-morts au nez rougi par les pourboires,
Et puis les beaux discours concis, mais pleins de sens,
Et puis, cO'urs élargis, fronts où flotte une gloire,
Les héritiers resplendissants !
1/ WIl DE LA NATIII I
J'crach1 pai sur l'aris, c'eel rien chouelt1 !
Mais COmm1 j'ai une âm' de poèt',
l'on- 1rs dimanche j'sors de ma boît'
El j'm'en vaia avec ma compagne
A la campagne.
Vins prenons un train de banlieu1
Qui nous brouette à quèque lien1
Dans le vrai pays du p'til bleu,
Car on nlxtit pas toujours d'champa<,rne
A la campagne.
KIT met sa rob' de la Hein' Blanch',
Moi. j'emport1 ma pip' la plus blanch' :
.l'ai pas d'rhemis', mais jmets des maneh'.
Car il Tant bien quTéléganc1 rè^ne
A la campègne.
Nous arrivons, vrai, c'est très batt" !
Des éeaill's d'buîtr's comm' chez Baratt'
Et des cocotl's qui vont à patt',
Car on est tout comme chez soi
A la camp — ■ quoi !
12 VERS DE JEUNESSE
Mais j 'vois qu'ma machin' vous etn.. .terre,
Fait's-moi sif,rne et j'vous obtempère,
D'autant qu'j'demand' pas mieux qu'de m'taire.
Faut pas se gêner plus qu'au bagne,
A la campagne,
Ql \ i i;.\i.\ (i
D'ailleura cm ce temps léthargique,
Sana -;;iîlé comme sans remords,
Le seul rire encore logique,
C'est celui des tètes de morts.
(1) Quatrain écrit en épigraphe à Claire Lenoir de Villicr*
de l'iblc Adam.
VARIA
EN 17...
Le parc ril de rayoni tamix
De baisers, d'éclats de voix de femmes...
L'air sent bon, il est tout feux tout flammes,
El les cœurs, aussi, vont, embrasés.
Une flûte au loin sonne la charge
Defl amours altièrefl et frivoles,
Des amours sincères et des folles,
El «le l'Amour multiforme et large.
Décor charmant, peuple aimable et fier:
Tout n'est là que jeunesse et que joie,
On perçoit des frôlements de soie,
On entend des croisements de fer.
Maintes guitares bourdonnent, guêpes
Du désir élégant et farouche :
— «Beaumasque, on sait tes yeuxet ta bouche».
Des mots lents flottent comme des crêpes.
18
Pourtant, c'est trop beau, pour dire franc.
Un pressentiment fait connue une ombre
A ce tableau d'extases sans nombre,
Et du noir rampe au nuage blanc !
O l'incroyable mélancolie
Tombant soudain sur la noble fête !
De l'orage? ô non, c'est la tempête !
L'ennui, le souci? — C'est la folie !
i5 janvier 1889.
ÉVENTAIL DIRECTOIRE
/"' groupe de branche*.
Madame, pa'mi tant d'amants
Qui vous tou'nenl des compliments
Daignes ac'éter les sé'ments
1 l'un inc'oyable.
2* groupe.
De tous les feux, en vé'ité,
Dont nous Ratifia l'été,
Ze b'ûle pou1 voVe beauté.
C'est eflTovable.
Groupe du milieu.
Fi du fa'ouce Messido'
Et de ce tiède The'mido1;
C'est bien le tou' de F'utido',
Mon petit anze.
20
Aimez-moi ! Z'ai tant soupi'é,
Tant expi'é, tant conspi'é
Aux fins de me voi' ado'é,
— Foi de Do'lanze! —
4"- groupe.
Qu'il se'ait bien c'uel à vous
De ne pas p'end'e pou' époux
Fût-ce une heu'e ce moi jaloux,
Disez, 'ieuse ?
ôp groupe.
N'est-ce pas, cou'onnez mes feux,
Faisez g'âce à mes meilleu's vœux,
0 vous, zà mon cœu', à mes zyeux
Top mé'veilleuse !
ROTTERDAM I
Après qu'il ii franchi d'abord les terres vertes,
Pleines d'eau régulière cl qu'un moulin à vent
Gouverne a chaque bout de champ, plus L'en-avant
Et l'en-arrière îles écluses graud'ouverles
Formant des lacs d'une mélancolie intense,
Presque sinistres dans l'or sanglant de cieux noirs
Où (pielque voile noire, on dirait, par les soirs,
Où quelque môle noir, on dirait, rôde et danse,
Le train comme infernal et méchant sous la lune
Tout à coup rôde et danse, on dirait, à son tour,
Et tonne et sonne et tout à coup, comme en un four
De lumière très douce et très gaie, un peu brune,
(l) Pièce insérée dans quinze jours en Hollande.
•22
Un peu rose, telle une femme de luxure
Apaisée, entre en des barreaux entrecroisés
Au-dessus d'une ville aux toits entrecroisés.
Aux fenêtres d'où la vie appert, calme et sûre,
Bonhomme, et forle et pure au fond et l'assurante
Combien ! après tant de terreurs de cieux et d'eaux
Regardant défiler à travers des rideaux,
Galoper notre caravane délirante.
Novembre i8()a.
LE CHARME M" VENDREDI SAINT
La cathédrale est grisa admirablement.
Tandis que le jour luit adorablement
VA que les arbres soul verts tout doucement.
I.e> paysan> sont naïfs cl ili- province,
Pour la plupart parents, dont la toilette grince.
De Parisiens dont l'orgueil u'est pas mince
De les promener autour du fameux monument
(v>ni, néanmoins froissant l'orgueil de leur village,
Semble à leurs yeux matois quelque chose qui ment
Et va, comme un peu vil, dans le sillage
Des bateaux mouches d'ailleurs pleins abondamment
D'une clientèle amusante en diable
Qui file néanmoins, dévots irrémédiables.
Voir les autels déserts et les tombeaux décorés richement.
Paris, jeudi 3o mars i8o3.
Le soleil fou de mars éveille encore un peu plus la verdure
Des lins arbres du quai bordant la beauté pure
Et forte de la cathédrale on dirait en guipure
De pierre, on croit, immémoriale et si dure !
Les cloches de la veille ont fui (leur âme, au moins,
S'est tue) et pendent, patients témoins
Muets jusqu'au samedi lier où, lentes sur les foins,
Enfin, elles reviennent (ou, du moins, leur âme
Planant sur les villes légères et les autres),
Et pendant leur voyage de miraculeux apôtres
A travers les humanités chastes et les infâmes,
Dans la nef désolée, où seulement les flammes
Des Ténèbres sévèrement bien plus sur toutes autres,
S'affligent, grands ouverts, les tabernacles, âmes
Muettes, symbolisant l'attente immense des apôtres.
Vendredi, 3i mars 189'J.
VOYAGES
Je voyageai dernièrement hors de Paris.
Où ça? Bien Loin, hélas, <lu marbre et des lambris
Pompeux, oùj 'ai depuis longtemps l'honneurde vivre
Mal cl peu. —
J'y grisai mes yeux du plus lin cuivre
El du plus rare argent des Pays-lias. De l'or
De France, non ! Car la France est un fier trésor
De travail cl, disons-le, de patriotisme,
D'or aussi, mais saint ; l'or de mon pays, — cet isthme
Vers l'Alsace et vers la Lorraine, ô natal Metz ! —
N'est pas pour mes besoins.
Donc, par monts tant lamés,
Par vaux si renommés, par campagnes trop belles
Que l'amour du pays a faites immortelles,
Je rôdais, aimant, presqu'autant que mon pays,
Ces amis de là-bas, point de chez vous, faillis
A l'honneur militaire en dépit de vos forces,
Arbres réduits à rien en dépit des écorees
Diverses que donc le printemps vous flanque au dos,
— Printemps, faiseur de guerre et leveur de rideaux !
2t) V A B I A
— Mais, j'oubliais, je ne parle que de voyages
Artistiques — et ceci n'est guère que gages
D'union fraternelle avec tous les pays.
Donc vivent Belgique et Hollande et que haïs
Soient tous les ennemis de la sainte Alliance
Dont nous serions si bien, l'Allemagne et la France.
i«r mai 1893.
IMPRESSIONS DE PRINTEMPS
Il esl des jours — avez-voua remarqué?
Où l'on se seul pins léger qu'un oiseau,
Plus jeune qu'un enfant, et, vrail plus gai
Que la même gaieté d'un damoiseau.
L'on se souvient sans bien se rappeler...
Evidemment Ton rêve, et non, pourtant.
L'on semble nager et l'on croirait voler.
L'on aime ardemment sans amour cependant,
Tant esl léger le cœur sous le ciel clair
Kl tant l'on va, sûr de soi, plein de foi
Dans les autres, (pie Ton trompe avec l'air
D'être plutôt trompé gentiment, soi.
l.a vie est bonne et l'on voudrait mourir,
Bien que n'ayant pas peur du lendemain.
Un désir indécis s'en vient fleurir,
Dirait-on, au cœur plus et moins qu'humain.
ÙS VARIA
Hélas ! faut-il que meure ce bonheur?
Meurent plutôt la vie et son tourment !
0 dieux cléments, gardez-moi du malheur
D'à jamais perdre un moment si charmant.
ier mai r8g3,
EX IMii
O Jésus, voni m'avez puni moralement
Quand j'élaifl digne encor d'une noble souffrance,
.Maintenant que mes torts ont dépassé l'outrance.
O Jésus, vous nie punissez physiquement.
L'âme souffrante est près de Dieu qui la conseille,
La console, la plaint, lui sourit, la guérit
Par une claire, simple et logique merveille.
La chair, il la livre aux lentes lois que prescrit
Le « Fiat lux », le créateur de la nature,
Le Verbe qui devait, Jésus-Christ, être vous
Plein de douceur, mais lors faisait la créature
Matérielle et l'autre en tout grand soin jaloux.
La Science, un souci vénérable, tâtonne,
l'ssaie et, pour guérir, à son tour, fait souffrir,
Et, le fer à la main, comme un bourreau te donne.
Triste corps, un coup tel que tu croirais mourir,
30
Ou se servant du feu soit flambant, soit sous forme
De pierre ou d'huile ou d'eau raffine ta douleur,
Tu dirais, pour un bien pourtant ; mais quel énorme
Effort souvent infructueux, chair de malheur !
Chair, mystère plus noir et plus mélancolique
Que tous autres, pourquoi toi ! Mais Dieu le voulu/,
El tu fus, et tu vis, comment? au vent oblique
Des funestes saisons et du mal qui t'élut.
Et tu fus, et tu vis, comment ! miracle frêle,
El tu souffres d'affreux supplices pour un peu
De plaisir mêlé d'amertume et de querelle.
Oui, pourquoi toi?
Jésus répond : « Pour être enfin
Mienne et le vase pur de l'Esprit de sagesse
Et d'amour et plus tard glorieuse au divin
Séjour définitif de liesse et de largesse !
Encore un peu de temps, soullre encore un instant,
Offre-moi ta douleur que d'ailleurs la science
Peut tarir, et surtout, ô mon fils repentant,
Ne perds jamais cette vertu, la confiance !
La confiance en moi seul ! Et je te le dis
Encore : patiente et m'offre ta souffrance.
Je l'assimilerai, comme j'ai fait jadis,
Au Calvaire, à la mienne, et garde l'espérance.
S Mil \ 31
L'espérance en mon Père, Il est père, il eel roi,
Il c^t bonté : c'esi le bon Dieu de ton enfance.
Souffre encore un instant el »'arde bien la loi,
La foi dam mon Eglise <•! toul ce qu'elle avance.
Suis humble ei souffre en paix, autant que tu pourras.
Je - ii is là. Du courage. Il en faul en ce monde.
Qui le sail uiieux que moi ? Lorsque tu souffriras
Cent fois plus, qu'est cela près de ma ri immonde,
Kl de mou agonie et du reste? Allons, rois,
('/est l'ait : le mal n'est plus. Tu peux vivre dans l'aise
Quelques beaux jours encore et vieillir sur ta chaise.
Au soleil, et mourir et renaître à ma voix. »
8 aoùl i8y3, hôpital Broussais.
Ce poème a été dit par Paul Verlaine dans les
conférences qu'il lit à Nancy et à Lu né ville, en no-
vembre 1893. Dans le compte-rendu de ces confé-
rences publié dans la Lorraine Artiste, on trouvera
quelques variantes d' Ex Imo, poème jusqu'alors
inédit. Le texte que nous donnons est celui du
manuscrit, celui de la Lorraine Artiste lui a été
certainement communiqué par Verlaine.
Voici ces variantes :
32 VARIA
3" vers de la cinquième strophe :
Croirais-tu pour un bien pourtant...
Aux deux dernières strophes, quelques différences :
Sois humble et souffre en paix. Un répit? prie après.
Je suis là, du courage. Il en faut à ce monde.
Qui le sait mieux que moi? Lorsque tu souffrirais
Cent fois plus, qu'est cela, près de ma mort immonde
Eli de mon agonie et du reste. Allons, vois,
C'est fait. Le mal s'en va ; tu peux vivre dans l'aise
Quelques beaux jours encore et vieillir sur ta chaise,
Au soleil, pour mourir et renaître à ma voix.
La Lorraine Artiste donne comme date du poème
le 5 août 93 et le manuscrit indique le 8.
SOUVENIR DC 19 NOVEMBRE 1893
Dieppe-Nevthanen.
Mon cœur es1 gfTOS comme la mer.
Qui s'exile de l'être cher !
Gros comme elle H plu* <[n'elle amer
Ma tète est comme la tempête,
Elle est toile et forte, ma tète,
Plus qu'elle, effrénée, inquiète...
Furieuse et triste d'avoir
Ce doux et douloureux devoir
De m'exiler au paya noir...
Mais puisqu'il le faut pour ma reine,
Embarquons d'une âme sereine,
Et ti de toute crainte vaine !
Ah ! quoi que fasse le bateau
Ivre des colères de l'eau
Qui tantôt s'érige en tombeau,
3
34
Tantôt se creuse, affreuse fosse,
Embarquons sans nulle peur fausse,
Sans nul regret menteur ! Se hausse
Au ciel ou s'abîme en l'enfer
Le bateau douloureux et fier
Moins que mon cœur, moins que la mer
Or, je pars pour ma souveraine
Et reviendrai l'âme sereine,
Chargé pour cette douce reine
De diamants, de perles, d'ors !
Et bercé, mer, en tes bras forts,
Et rêvant de trésors, je dors.
RETOU R
La mer est douce comme un cœur
El je rentre dans la pairie...
La mer est forte comme un COBUT...
Mon cœur est doux comme la mer,
Et je salue encor la France.
Mon cœur est fort comme la mer.
La mer est dure et mon cœur dur
Comme La vengeance et la haine.
La mer moins que mon cœur bat dur.
La mer est calme, et mon cœur donc?
Tout est passé, trombe et bonace.
La mer est calme, et mon cœur, donc !
La mer est immobile, — et moi
Je suis impassible au possible.
La mer est immobile, et moi ?
36
Moi je suis la mer, et la mer
C'est moi, pire et meilleur encore,
Moi je suis pire que la mer
Et meilleur qu'elle, et bien meilleurs
Et bien pires mes ires et
Mes amours crachant morts et Heurs,
Fleurs et pleurs et mon cœur avec
Mon cœur qu'escortent des mouettes
Gaiement tristes, claquant du bec
Comme de froid et voletant,
En faibles et mignards caprices,
Comme sur du feu voletant,
Du feu qui sourdrait de ce cœur
Emu comme la mer, et calme
Mieux et pis qu'elle, pauvre cœur,
Pauvre cœur d'orage et de pleurs
Plus salés que toutes les vagues.
Pauvre cœur d'orage et de pleurs...
Salut France ! Et qui m'attend donc,
Puisqu'enlin voici la patrie?
Le calme sans doute et tant donc !
On n'est pas toujours accueilli
Ainsi qu'on s'attendait à l'être.
Qui donc est toujours accueilli ?
Qui donc esl toujours recueilli
I )cs absents qu'on n'attendait guère,
<x)ui donc .1 toujours accueilli ?
1 > mer douce comme mon cœur,
tt mon cœur |>ln> doux qu'elle encore,
Voua li « 1 m- aussi, meref cœur,
Voua >i calmes, ô cœur et mer,
Immobile hum-, impassible
Cœur, — qu'attendre ici, cœur et mer,
Sinon [ilulôl du doux amer...
A Ph...
Depuis ces deux semaines
Où j'ai failli mourir,
Ces heures jà lointaines
Qui m'ont tant fait souffrir.
Depuis ce temps, chérie,
Comme d'ailleurs depuis
Si longtemps, je marie
Nos cœurs, mais dès ces nuits
Où tu vis l'agonie
Où j'allais m'enlisant,
Elle semhle bénie
A nouveau, l'âme, hissant
Du tombeau pour sourire
A ta dive bonté.
J>,iisse-moi le le dire,
Je l'aime, en vérité,
Comme il me semble, bonne,
Que je n'ai pat aimé...
Reçoit la (leur d'automne»
Que voici. Parfumé
De peu, !•• cadeau sombre
\ mi être aussi joyeux,
Laisse-m'en sun re l'ombre
Au soleil <lf tes yeux.
Fin août i8q3, bApîta] BrounaU.
J'ai revu, quasiment triomphal,
La ville où m'attendaient ces mois d'ombre.
Mon malheur était lors Bans rival,
Mes soupirs, qui put compter leur nombre?
J'ai revu, quasiment triomphal,
Ces murs qu'on avait crus d'oubli sombre.
Le train passait, blanc panache en l'air
Devant la rougeàlre architecture
Où j'eus vécu deux lois un hiver
Et tout un été sans aventure.
Le train passa, blanc panache en l'air
Avec moi me carrant en voiture.
Sans aventure, ah ! oui, ces hivers
Et cet été, d'aventure aucune,
Moi qui les aime, à titres divers,
Soit en plein scandale ou sous la lune !
S;uis aventure, ah ! oui, les hivers
Et cet été, la morne infortune !
\ \\i I \
I
Ingrat cœur humain I main aom iens toi,
( îenl leman improvisé qui file*,
Mais souviens-toi donc. Ici la Foi
T'investit l<»iu «lu péché des villes).
Ingrat cœur humain, mais souviens i"i
<xhi i<i la Foi l>nt les larmes viles!
Le train passe et les t «-m i>> >"nt passés,
Miiis je n'ai p;is oublié la bonne,
La grande aventure el je le s.iis
•One Dieu m'a béni plus que personne.
Le train passe, les temps sont passée,
M;iis l'heure de irrace reste et sonne.
Il
CORDIALITES
A Ernest Delahaye.
Dans ce Paris où l'on est voisin et si loin
L'un de l'autre que c'est une vraie infortune
De s'y voir, de s'y savoir tels, vu ce besoin
L'un de l'autre pourtant, qui donc vous importune !
Et ce désir commun à nos deux âmes l'une
De l'autre et de nos esprits, mutuels pingouins
L'un de l'autre, figés sur un écueil témoin
Par le ilôt qui s'oppose et la croissante brune !
Si bien qu'ils sont là, nos esprits, qu'elles, ô ces
Ames nôtres, sont là, pauvres monstres blessés,
Dans cette ombre où l'onestsiprès decœuret d'âme !
Ah ! secouons enfin cette torpeur infâme
Et soyons, non plus des pingouins, des colibris!
Prouvons que nous valons encore notre prix.
Il
1>imi\ colibris parisiens, deux cancaniers,
Sans rose se disant les fausses cl les vraies
Nouvelles, disputant à propos d'elles, gaies
0« tristes, et bavard n'ayant pas de derniers.
On Boyons, si Paris nous distance quand même,
Ville importune en sa trop factice grandeur,
Comme autrefois des persécuteurs de facteur
Par des lettres, toujours la même, et la suprême !
Mais si drôle en raison des de.-.-ins sans talent
Aucun, mais amusants pour de pleines journées !
Envoyons-nous, morbleu ! des lettres par fournées !
Soyons le colibri, non l'oiseau triste et lent !
Ou plutôt soyons deux copains bavards de langue
Et prompts de main, croquis vif et drôle harangue,
III
Pour une fête.
Impériale, puisque Eugénie ! et très douce
Puisqu'elle-même et très royale, puisque moi !
Sa colère est ma reine et sa loi c'est ma loi,
Sa colère, et non son caprice, jamais roi !
Maintenant, pourquoi ces ires, que je repousse
Comme il faut de mon c<cur irritable pourtant,
Trahiraient-elles d'un symptôme inquiétant
Les rimes que je fais pour elle en cet instant?
Est-ce sa faute ou de la mienne? Ah, de la mienne !
On s'aime bien, on devrait être mien et tienne
Au lieu de ce ménage à trois... dont le Soupçon,
Le soupçon et sa femelle la Jalousie,
Autre monstre accoudé sur la table choisie,
Qu'il faut enfin chasser sans trop plus de façon.
POUR LES GENS
ENTERRÉS Al PANTHÉON
Mortfl d'à-eôté, beaucoup de cendre, quelques os.
Cendre obscure, chanoine ou maréchal ou prince.
Ofl connus : grand poêle ou chef d'Etat qu'évince
Du monde nu tueur gOSSC, ('iimi <\v* LombrOSOS,
Etonnement des Nordaus ! Morts historiques
l);ins la ville hystérique es quartier tapageur,
o vous du Panthéon, votre tardif vengeur,
Môles qui sommeillez sous tant de rhétorique,
Je ne vous plains pas, eerte : on jalouse les morts,
Mais on ne les plaint pas, puisqu'ils sont sans remords.
Sans espoirs, morts entiers, — à ce que des gens disent.
Mais je voudrais qu'autour de ces dalles où gisent
Vos restes négligés sur un rite aboli,
l.e silence régnât, cette Heur de l'oubli.
RENDEZ- VOUS
Dans la chambre encor sépulcrale
D.e l'encor fatale maison,
Où la raison et la morale
Le tiennent plus que de raison,
Il semble attendre la venue
Arrivant à lents mais sûrs pas
De quelque présence connue
Et s'écrie entre haut et bas :
« Ta voix claironne dans mon âme
Et tes yeux flambent dans mon cœur.
Le monde dit que c'est infâme ;
Mais que me fait, ô mon vainqueur?
« J'ai la tristesse et j'ai la joie
Et j'ai l'amour encore un coup,
L'amour ricanant qui larmoie,
O toi beau comme un petit loup ! »
Sun œil ij morose s'allume
- I.\ iv. aux lourii pan ers,
S'agace aux barbei de la plume
Qu'il ;i pour écrire cei » era.
FÉROCE
Tu m'as vu mourant presque,
Ou plutôt presque mort,
Formant une arabesque
De mon bras qui se tord,
Ecarquillant des yeux
De folie et de rêve,
A soi-même odieux,
Attendant qu'on les crève,
Balbutiant des sons
Sans pouvoir les produire,
Moi, chanteur de chansons,
Sans pouvoir te les dire
Je crois, on me l'assure,
Que, douce, une pitié
Te prit, non sans mesure,
Puis désapitoyé,
Ton cœur cria : c'est bien lui qu'il faut qu'on torture !
L'AIMÉE
Voici des cheveux gris el de la I >;i rl>e grise.
Tu me lea demandas en un jour d'enjouement,
Pour, disais-tu, les encadrer bien gentiment
Autour de ce portrait où ma grâce agonise.
Pauvre « photo » ! Mais, j'y pense, il sera de mise,
Quand mes yeux fatigués se seront clos dûment
Et que la terre bercera son iils donnant.
Il sera de saison, chérie, — alors exquise
Attention ! — de l'aire avec ces cheveux teints
Et cette barbe, teints en boucles blondes, brunes,
Ou telle autre nuance entre tant d'opportunes,
Faire par un coilléur de choix, sur des fonds peints
D'avance, le tombeau, lors pleuré sans astuce.
Du jeune homme qu'il aurait fallu que je fusse.
50 VARIA
II
La jalousie est multiforme
Dans sa monotone amertume :
Elle est minime, elle est énorme.
Elle est précoce, elle est posthume !
Méfiez -voue quand elle dort:
C'est le tigre et non plus le chat.
Elle mord bien quand «lie mord,
C'est le cliien enragé ! ("rachat,
Insulte, adultère à sa face
L'affollent, et le sang ruisselle...
Ou la laissent calme à sa place,
Froide et coite comme pucelle.
Elle prémédite des tours
Pendables sous un air charmant
Et les exécute toujours
AH'reusement, terriblement...
Nous ne sommes plus à des â^es
Pour nous piquer de ces folies :
Ah ! bien mieux nous vaut être sage»,
Ayant eu nos fureurs... jolies!
51
Etre jaloux, rien d'aussi toi I
ii j'efface & l'instant lei \ ■
D'un peu plus haut, v.i-iic Lrestaul
I ^encore ce cruel tressaut.
Mi
D'ailleurs, la jalousie est hèle.
D'abord, elle ne sert <lc rieq
Malgré tout son martel en tête-
Puis elle n'est pa& <l"un chrétien,
Jésus ([ni pardonnez des milliards de fois
l'aria bouche du prêtre el Votre grâce toujours prête,
Même, cuire tOHS, à ceux qu'a damnés sa menteuse voix.
C'est aussi le péché morose
Portant eu lui déjà l'Enfer
Tant mérité sur toute chose !
C'est Gaïn et c'est Lucifer,
L'un jaloux de s<>n frère el l'autre de son Dieu
El tous deux malheureux sans lin méditant surla cause
Et sur L'effet, auteurs de leur éternité de feu !
I ) rien ne vaut la confiance
Entre deux Cœurs pécheurs, mais vrais.
L'un pour l'autre et qu'une nuance
Divisait aux temps jeunes, mais
5*2
Qui ne peuvent avoir un bonheur mutuel
Et que la seule mort diviserait et que liance
A la joie éternelle un franc accord perpétuel.
IV
Bah ! confiance ou jalousie !
Mots oiseux et choses impies.
« Je te soupçonne, tu m'épies, »
« Tu me cramponnnes, je te scie. »
() toi, Catulle et vous, Lesbies !
« Tu m'as élu, je l'ai choisie. »
Comme eux suivons la fantaisie,
Et non pas trente-six lubies.
Tu m'es clémente et je crois l'être,
En revanche, soumis et tendre :
Lors il est aisé de s'entendre.
Plus d' « infidèle », plus de « traître »,
Plus non plus de serment qui tienne
Ou non ! mais ta joie et la mienne
Kl pourquoi cet amour dont plus d'un w>l s'étonne,
Qui rerail mieux de vivre avant de B'étonner,
Serait-il à blâmer parce qu'il est d'automne,
Un automne qui veul tout entier se donner,
Tout entier, fruit et grain et le reste de vie
Et La mort dans les liras cl sons les veux chéris,
Et, depuis cette mort en extase ravie,
Ou celle que Dieu m'enverra, pauvre ou sans prix,
Revivre inaperçu dans la paix de la veuve,
Paix bénie à travers de longs et nombreux jours ?
Ah ! jeunes, puissiez- vous après vos temps d'épreuve
Concevoir dans vos cœurs de pareilles amours,
llô]>it;il Broussais, 7 sf>|itomI)rf" 1893.
HETRAITE
On s'isole à Paris, quelle que soil l'horreur
Apparente de vivre en ce cirque d'erreur,
De luxe dur et des trop plausibles rancunes
Du pauvre y voyant rouge, — ainsi vont nos fortunes
Sociales depuis ce cher Quatre-vingt-neuf —
Oui, dit-on, l'on s'isole en ce vieux Paris neuf.
Moi, vieux Parisien, ne le puis : l'habitude !
.Mais j'ai tente, pour fuir l'âpre disquiétude
De tous ces bruits méchants et de ce plat soleil,
D'habiter dans un cœur qui soit au inien pareil.
Pauvres cœurs tout meurtris, vieux de deuils et hors d'âge,
Etant restés bien trop enfants pour tant d'usage,
Ah ! consolez vos pleurs, prie/ pieusement
Pour au moins un futur tant soit peu plus clément
Et dorme/., las de vains projets et d'aventures,
Loin du bruit amorti des sols et des voilures !
Octobre i8()3.
I. 'enfant aval! revu deui bons vous dans U tête,
Quelque chose de dur el de doux à la fois.
Puis il ;iv;iit encore hérité d'une voix
Où le commandement se mêlai! à la fête
Cordiale qu'on ;i de craindre s;i maman
Si peu, niais trop parfois, on dirait une douche !
Donc ce moutard était, dans son charme, farouche
Si peu qu'il en était unique, croyes-m*en.
El j'ai lait ce sonnet qui n'est pas régulier
Pour, quand il sera grand, que lécher enfant m'aime
Kl surtout cpie sa mère, en attendant de même
Qu'il grandisse, ait pour moi, le vieil irrégulier,
Tels sentiments d'amitié franche et forte, même !
— VA que vive l'enfant . pour ne pas l'oublier !
VISITES
.le n'ai pas vu d'arbres ni d'herbe
Ni de ciel, sinon un seul pan,
Durant tout cet été superbe
Dont on me rabat le tympan.
Ah ça, m'aurait-on donc jeté
Dans un cachot trop mérité?
Non, je suis simplement malade.
Mais un malade dès l'abord
En plein large, à la débandade,
Délire, coma, pris pour mort ;
Puis je redevins l'alité
Classique — à perpétuité ?
Et ce n'est pas que je m'ennuie,
Au moins, dans l'asile où je suis.
Pas de soleil, mais pas de pluie,
J'v vis au frais, au chaud, et puis
Des visiteurs assidûment
Y charment mon isolement.
( i'eal toi d'abord, à l >i«i i aimée,
M'apportent ai ac ta gaité
1 torénai .«lit douce, l'armée
Daa victorieux procédé!
Par i|iii>i lu m'ai tOUJOUri dompté,
( lonseil juste, forte bonté...
Ki ne \"j|,i-i il pag encore,
( » miracle renouvelé
De vingt ans |»;iss«'-s, que j'implore
I tepuia lors, contrit, désolé,
Que la grâce entre et mv sourit
Do Notre-Seieneur JéauB-Ghrial !
i tetobra 1893.
A Mademoiselle Marthe.
Mignonne que je ne connais
Qm par voire doux nom de Marthe,
Votre oncle veut que de moi parte
Vers vous le meilleur des sonnets.
Le meilleur, si je puis le faire,
.l'en doute fort, mais je sais bien
Que je ne refuserai rien
A qui se montra si sévère
Et si doux, parfait dans son art
De chirurgien implacable
Quelquefois, mais adroit en diable !
Aussi, vous l'aimerez plus tard,
J'en suis sûr, comme il le mérite,
Sans qu'à ce cher devoir comme moi son bistouri vous invile !
Hôpital Broussais,
3 novembre 189'j.
IIM'ITAL
Dé rr\ endroit neutre il s'exhale
Quelque chose de neutre trop...
Pourtant les femmes de ma salle
Sont aimables, sans être au trot.
Les principes de ces personne-.
Bien que par tels us harassés,
Sont, malgré qu'elles soient si lionnes.
Tant gentils moins que jusqu'assez,
Jusqu'à trop presque, moins la femme
Française, si méchante ainsi
Que ses rivales, corps et âme,
Hélas ! est donc trop presque, ainsi
Qu'il le fallût et que réclame
Le poète malade aussi...
LAMENTO
Ma m ir pst morte.
Pleurez, mes yeux.
Vieux poète du xvi* rièolfl
dont le nom m'échappe.
La ville dresse ses hauts toits
Aux mille dentelures folles.
In bruit de joyeuses paroles
Monte au ciel, rassurante voix.
— ■ Que nie fait cette gaîté vile
De la ville !
Quelle paix vaste règne aux champs !
L'oiseau chante dans le grand chêne,
Les midis font blanche la plaine
Que dorent les soleils couchants.
— l'eu m'importe ta gloire pure,
0 nature !
\ V II I \ 61
Avec lc^ signet «If sei (lots,
Avec ia plainte solennelle,
La mer immense doui appelle,
Nous loua, réveun el matelots.
Qu'eal ce que tu me veux encore,
Mer iom
— Ah ! m léa (loti <lf> ( Icéans,
Ni les campagnes el leur ombre,
Ni 1rs cités aux bruits sans nombre,
Qu'édifièrent <k-s géante,
Rien ne réveillera ma mie
Tant endormie.
OXFORD
Oxford est une ville qui me consola,
Moi rêvant toujours de ce Moyen Age-là.
En fait de Moyen Age, on n'est pas difficile
Dans ce pays d'architecture un peu fossile
A dessein, c'est la mode et qui s'en moque fault,
Mais Oxford c'est sincère, et tout l'art y prévaut ;
Mais Oxford a la foi, du moins en a la mine
Beaucoup, et sa science en joyau se termine,
En joyau précieux, délicieux : les cieux
Ici couronnent d'un prestige précieux
L'étude et le silence exigés comme on aime,
Et la sagesse récompense le problème,
La sagesse qu'il faut, cette douce raison,
Que la Cathédrale termine en oraison.
\ \ H I A
Sous lei arceaux roman» qui virenl tantdech<
E1 les rinceaux gothiques, fins d'apothéo
De s.iints mieux vénérés peut être qu'on ne croit,
El mon cœur l'humilie al mon déair l'accroll
l>r devenir i«l de redevenir, loin d'elle.
Cette cité glorieuse d'être infidèle,
l'aris ! l'enfant ingrat qui s'imaginerait
Briser les sceaux sacrés al tenir le secret —
De devenir ou de redevenir la chose
Agréable au Baigneur, quelle qu'en soit la cause,
Kt parcftla même être encore doux et Tort,
Otoi, cité charmante et sséniorabie, Oxford!
Novembre i8(>>.
PAUL VERLAINE'S
Lecture ut iSamard's Jun Hall.
l);ms ce hall troii lois séculaire,
Sur ce fauteuil dix fois trop grand,
A ce pupitre révérend
Qu'une lampe, vieux cuivre, éclaire,
J'étais comme en quel temps ancien !
Et l'âme, un peu, du Moyen Age
M'investissait d'un parrainage
Grâce à mes airs mûrs séant bien.
Ma parole en l'antique salle
Ne jurait pas trop, célébrant
La Foi du passé, sûr garant,
L'éternel Beau, vérité s;iinte !
J'entretenais de mon pays,
De cette France athénienne,
Une élite londonienne
Dont les vœux furent obéis
\ Mil \
Puisque de l'estrade §è\ ère
11 îif tombait, conformémenl
Au réel devoir du moment,
Que cee mois : * Bien <lii«' <-t bien foin
Ki tel bel tutre el cœtera
I )mhi l'esjouil la bonne salle,
— Coin de la ville colossale
( >u. ce soir, I Esprit se terra..,
Je conserverai la mémoire
Bien profondément et longtemps
De ces miens sérieux instants
Où j';ii revécu de l'histoire.
London, novembre i8q3, on Ihe, 21 th.
FRONTISPICE
Pour un livre nouveau.
L'amour est infatigable,
Il est ardent comme un diable,
Gomme un ange il est... aimable.
L'amour est impitoyable,
Il est méchant comme un diable.
Comme un ange, redoutable.
Il va rôdant comme un loup
Autour du cœur de beaucoup
Et se lance tout à coup,
Poussant un sombre « hou, hou !... »
Soudain le voilà roucou-
Lant ramier gonflant son cou,
\ \ Il I \
Puii en cenl métamorphoi
l ..'\ rei rouget, joues i"-1
Mouei gaiea, rie moro
Et, pour liuir, mainte ch<
Blanche et noire, il va, m pœe
ESl meurt, \yt droit, rose écloie !
IIApital Bicliat, 7 septembre l8o4<
VIEILLES
« BONNES CHANSONS » (1)
1860-1870.
I
VOEU FINAL
O l'Innocente que j'adore
De tout mon cœur, en attendant
Qu'à ce bonheur timide encore
S'ajoute le Plaisir ardent,
Vienne l'instant, 6 Innocente,
Où, sous mes mains libres enfin,
Tombera l'armure impuissante
De la robe et du ling-e fin ;
(i) Ces trois pièces sont écrites de la main de Verlaine sur
papier d'hôpital, sans autre indication de date que ce 1869-
1870. Pourtant ce ne doit pas être une copie danciens vers
car il y a des corrections et des surcharges. Le papier d'hô-
pital porte la mention de série Be-a4, la même que la feuille
où est écrite le Frontispice pour un livre nouveau qui, lui, est
daté du 7 septembre 1894, hôpital Bichat. Ces trois pièces
ont donc été faites ou récrites de mémoire vers Septembre
1894. Elles sont destinées au volume: Varia.
\ mu \ •'•'••
El luise .ni jour chaud de ta lampe
Intime de ce premier loir,
Ton corpf ingénu vers quoi rampe
\l m désir guettant ion eepoir,
El \ ibre en la nuit nuptiale,
Sons mon baiser jamaii transi,
Ta chair naguère virginale,
Nuptiale alors, elle aussi !
Il
L'ÉCOLIÈRE
Je t'apprendrai, chère petite,
Ce qu'il te fallait savoir peu
Jusqu'à ce présent où palpite
Ton beau corps dans mes bras de dieu
Ta chair si délicate est blanche,
Telle la neige et tel le lys;
Ton sein aux veines de pervenche
Se dresse en deux arcs accomplis ;
Quant à ta bouche, rose unique,
Elle appelle mon baiser lier;
Mais sous le pli de la tunique,
Hit un baiser encor plus cher.
\ Mil V 71
Tu passerai d'humble écolii
J'en suif -m' 'i je t'en réponds,
Rien vite au rang <!<• bachelière
I tant l'arl d'aimer les instants l>"n-.
III
A PROPOS D'UN MOT NAÏF D'ELLE
Tu parles d'avoir un enfant
Et n'as qu'à moitié la recette.
Nous baiser sur la bouche, avant,
Est utile, certes, à cette
Besogne d'avoir un enfant.
Mais, dùt-s'en voir à tort marri
L'idéal pur qui te réclame,
En ce monde mal équarri,
11 te faut être, en sus, ma femme
Et moi me prouver ton mari.
BERGERADES
A l'instar des bergers de Virgile
Et même ceux de Plorian,
Nous aimons les belles, tout en en
Craignant moult pour noire cœur Fragile.
Surtout nous redoutons l'option
Qui nous conduirait à la sottise
De nous fâcher - Façon mal exquise —
Avec Celles, noire passion !
On esi si malheureux, dès qu'on aime.
De n'aimer plus on est si penaud,
Qu'il semble alors qu'il faille, qu'il faut,
Mourir soudain d'une mort suprême.
Et quelle mort choisir, s'il vous plait,
Dans celle crise et cette tourmente?
Le fer, le poison ? Plutôt, m 'amante,
Ne nous aimer qu'au calme complet
74 VARIA
Et ne pas adopter le manège
Des gens échevelés bien par trop
Qui mènent leur intrigue au galop,
Cochers branlant toujours sur leur siège,
Ilippolvles sans frein de chevaux
Non pas plus emportés que leur maître
Et qui finissent toujours par être
Victimes de leur course par vaux
Et par monts, 6 princes déplorables !
Sans un vers pour consoler leur mort,
Sans un vers pour chanter leur effort
Et du moins leurs trépas honorables,
Sans un vers d'Euripide ou Racine
Pour bercer leur plainte amère et pour*
Célébrer leur haine ou leur amour...
Oh, ne jamais s'aimer sous ce signe !
C'est pourquoi ne point aimer du tout
Que d'une amour plutôt sensuelle,
Et h de la morale usuelle...
Conduisons-nous suivant le bon goût.
MoNNA H OSA
l>' H [ires lin lnblrnu il- linssrtli.
Elle est seule ;ui boudoir,
Kn bandeaux d'or liquide,
En robe d'or fluide,
Sur fond blanc, dans l<< soir
Teinté d'or vert et noir.
lu pot bleu Japoniae
Délicieusement
I >'oû s'élance gaiement,
Dans l'atmosphère exquise
Ou l'âme s'adonise,
In flot mélodieux
— Selon le rhytbme juste —
De roses, chœur auguste :
Bouquet mélodieux.
Aux conseils radieux !
76
Klle, belle comme elles,
Les roses, n'élit plus,
Dans ses cheveux élus,
Qu'une de ces lleurs belles
Gomme elle, el de ciseaux
Prestes, tels des oiseaux,
La coupe ou, mieux, la cueille,
Avec le soin charmant
D'y laisser joliment
La grâce d'une feuille
Verte comme le soir
Noir et or du boudoir...
Ce pendant que persiste
La splendeur, à coté
Du plumage bleuté,
De l'orgueil qui s'attriste
D'un paon jadis vainqueur
Aux jardins de ce cœur.
DEMI -TE IN TES
O la Dulcinée
De ce Toboso,
Toi qui m'es donnée,
Ainsi qu'un oiseau
Sur nia main distraite,
Pour sourire un peu
Ou pleurer au lieu.
Pardonne au poète
L'air indifférent,
Bien qu'aimable en somme.
Que parfois il prend,
L'inconscient homme
Moins préoccupé
De vie ambiante
Que d'une fuyante
Embûche échappé, —
78
Embûche récente
Au cœur toujours neuf!.
Souffre qu'il ressente
D'être comme un veuf.. .
Un veuf consolable,
Fort heureusement,
De croire ;iu serment
Ecrit sur le sable.
A Mm' Marie M-- (i)
Vous fûtea bonne et douce en nos tristes tempêtes.
L'Esprit et la Raison parmi nos fureura bêtes,
Et si l'on nous eût crue au temps qu'il le fallait
On se fût épargné que de chagrin plus laid
Encor que douloureux ! Puis, lorsque sonna l'heure
Définitive où d'espérer n'était qu'un leurre
Dorénavant, du moins vous rites pour le mieux
Quant à tel raodus vivendi moins odieux
Que cette guerre sourde ou cette paix armée
Qui succéda l'affreux conflit.
Soyez aimée
Kl vénérée, ô morte inopportunément !
Qui sait, vous là, précise et sûre au vrai moment,
Votre volonté, toute indulgence et Bagesse,
Eût prévalu sans doute et nous eût l'ait largesse
D'un pardon mutuel obtenu par son soin ;
Tout serait dans la norme, avec Dieu pour témoin.
(i) Pour Madame Marie Mauté, la belle-mère du poète.
so
Mais Dieu n'a pas voulu, qui vous a donc reprise,
Pourquoi ?...
Dormez, 6 vous, sous votre pierre grise,
Qui fîtes le devoir et ne cédâtes pas,
Dormez par ce novembre où ne peuvent mes pas
Malades vous aller porter quelque couronne.
Mais voici ma pensée, ô vous, douce, ô vous, bonne !
Ier novembre 1894.
PAQ1 BS
Ok no6u, Iforta
i/urin »tdi$ti in vin ?
De Rome, hier matin, les cloches revenues
Exhalent un concert glorieux dans les nues.
L'écho puissant qui Hue et tombe de la tour
Vient magnifier l'air et la terre à leur tour.
L'oiseau, sanctifié par l'or des salves saintes.
Lui-même entonne un hymne aimable et, las de plaintes
(dame l'alléluia sur un air de chanson,
Dans l'arbre, au ras des prés, et parmi le buisson.
I/alouetle, un motet au bec, s'est envolée;
Le rossignol a salué l'aube emperlée
D'accents énamourés d'un amour plus brûlant,
Et comme lumineux d'un bonheur calme et lent.
82
Le printemps, né d'hier, allègrement frissonne ;
La nature frémit d'aise, et voici que sonne
Partout clans la campagne, au cœur des vieux beffrois,
De Taltier campanile et du palais des rois,
Et de tous les fracas religieux des villes,
Des Paris aux Moscous, des Londres aux Sévilles,
I-e frais appel pour l'aime célébration
De l'almissime jour de résurrection...
La colombe vole au sillon et l'agneau broute.
Dis-nous, Marie, qui tu rencontras en route?
Le fleuve est d'or sous le soleil renouvelé...
« C'est le Seigneur : en Galilée il est allé ! »
— Ah ! que le cœur n'est-il lavé dans l'or du lleuve !
Sanctifiée en l'or des cloches, l'âme veuve !
Et que l'esprit n'est-il humble comme l'agneau,
Blanc comme la colombe en ce clair renouveau,
Et que l'homme, jadis conscience introublée,
N'est-il en route encore pour la Galilée !
ASSOMPTION
Aujourd'hui rVst m;i Icte et j'ai droit à des lîeurfl
(Sous mou autre prénom je n'ai droit qu'à mes pic u i-- .
Car sachez-le bien tous, je m'appelle Marie,
l-'.t sous dl nom puissant d'une mère chérie
Je me sens protège du mal et du péché
Qui m'avaient investi grâce au bien négligé.
Je me sais à l'abri d'un monde que j'abhorre
Kt dont je ne saurais me séparer encore.
Je nie crois détendu contre tout choc et heurt
Par ce nom qui s'en vient prier lorsque Ton meurt.
En ce jour merveilleux de triomphe et de gloire.
Il me semble que j'ai ma part de la victoire.
0 ma femme, entrons donc joyeux, c'est notre droit,
Dans le bonheur heureux... et le devoir qu'on doit.
1MUEUE
Me voici devant Vous, contrit comme il le faut.
.le sais tout le malheur d'avoir perdu la voie
Et je n'ai plus d'espoir, et je n'ai plus de joie
Qu'en une OU qui je crois chastement, et qui vaut
A mes yeux mieux que tout, et l'espoir et la joie.
Elle est bonne, elle me connaît depuis des ans.
.Nous eûmes des jours noirs, amers, jaloux, coupables,
Mais nous allions sans trêve aux fins inéluctables,
Balancés, ballottés, en proie à tous jusants
Sur la mer où luisaient les astres favorables :
Franchise, lassitude affreuse du péché
Sans esprit de retour, et pardons l'un à l'autre...
Or, ce commencement de paix n'est-il point vôtre,
Jésus, qui vous plaisez au repentir caché?
Exaucez notre vœu qui n'est plus que le vôtre.
QUAND Ml- M l'-
Ali, dis, mon cœur, plutôt que cette vie
D'émotion sans doute noble encor
(v)ui mène au sein d'un rouge et noir décor
Ton manque de toute philosophie,
Ton manque aussi, que personne n'envie,
De ce qu'on va nommant un heureux sort
Quelconque, et ce, .pour jusqu'à telle mort
Qui sera dure, bien que la délie
VA ton courage, et ton dégoûl aussi,
Ah, dis, mou cœur, plutôt qu'un tel souci
Tumultueux parmi ce? crépuscules,
Vaut-il pas mieux conquérir cette paix
Qu'on eût voulue au bon temps des souhaits?
— 11 est trop tard, nous serions ridicules.
27 décembre 1896, hôpital Bichat.
ACTE DE FOI
« Le seul savant c'est encore Moïse » !
Ainsi disais-je et pensais-je autrefois,
Et quand j'y pense encore et, sans surprise,
Me le redis avec la même voix,
Ma conviction, que tous les problèmes
Etalés en vain à mon œil naïf
N'ont point mise à mal, séducteurs suprêmes,
T'affirme à nouveau, domine primitif.
La doctrine profane et l'art profane
Ont quelque bon, mais, s'ils naissent seuls.
C'est comme des spectres sous des linceuls.
La Genèse est claire, elle est diaphane,
Et par elle je crois avec ardeur
En Dieu, mon fauteur et mon créateur.
A CÊLIMÈNE
Boa, encore une trahison !
Quand serons-nous à la millième?
Ça vaudra mieux que de raison !
J'aime en toi ce trésor sans lin
D'amour en dehors l'un de l'autre
El j'approuve ta belle faim.
Je ne comprends çuère Strindberg
— In nom qu'à grand'peine on prononce
De titre froid, tel un Spitsberg.
Plus tu nous auras tous faits tels
Que tu le veux j'espère, chère,
Qu'alors, sur nos fronts immortels
Pousseront aux prés, dans les bois,
Partout, autant de cornes belles
Que ton cœur a de beaux émois.
88
Et ce te sera sous le ciel,
Témoin de l'auguste mystère,
Quel hommage torrentiel
De tous les cocus de la terre !
1 1 février i8q,").
pour i:...
o la Femme éternellement
Bien-aimée !
O ma Femme, ô sincèrement
Estimée !
O ma femme, si gentiment
Mieux ramée
Que ce vieux moi si méchamment,
Bien-aimée,
Calomnié comme il le faul
Par l'envie,
O ma femme, dont le cœur vaut
Trop ma vie,
Je me repens, tn le sais bien,
A toute heure,
A tout moment, de tout, de rien,
l't me leurre
90 VARIA
De l'espoir de voir pardonnes
Les torts bêtes
De mon cœnr, noirs lacs sillonné;-
De tempêtes...
.Mon cœur est tien, lichu eadeau,
Seule amie,
Mais ton cœur si bon et si beau
Ne veut mie
Du mien. () si sincèrement
Estimée...
0 la femme éternellement
Bien-aimée !...
POUR K.
J'aime ton sourire
Qui m'accueille si
Gentiment ! Ainsi
Le soleil salue
L'humble Heur des champs
Echappée aux fjens.
J'aime tes yeux d'ombre
Et de clarté, beaux
Comme des tombeaux
D'entants et de vierges
Et j'aime les coins
De ta bouche moins
Aimables que drôles
Pour si bien baiser
Moi, pour l'apaiser,
92
Et j'aime ton âme
Qui ne m'aime pas
Jusques au trépas.
Et que de logique
Dans l'abstention
Oe cette action,
Car j'aime ta vie,
Et la mienne aussi,
Mais pas tant ainsi.
POUH B.
Quelle colère injuste et folle !
Au fond la colère est injuste
El folle), mais combien frivole
Cette rancune si robuste!
Car robuste, elle l'est, hélas !
Jusqu'à me faire du chagrin,
Ta rancune, et je suis si las
De l'avoir paru ce marin
Que ballottent quatre yeux de femme,
Comme autant d'astres de désastre.
Qu'enfin sans néanmoins d'infâmes
Capitulations, à l'astre
Qu'est la bonté, qu'est la beauté
De ton âme et ton cœur si bons
Et beaux comme la liberté,
0 pardon ! Mais 6 donc, réponds '.
A Eugénie.
0 toi, toi, seule bonne entre toutes ces femmes
Et tant d'hommes feignant d'aimermon triste cœur,
Toi me riant parmi leurs sourires in lames,
Me riant franchement, d'un rire point moqueur,
Hypocrite encor moins, mais toujours large et libre
Et qui fait rire enfin mon cœur et sa langueur,
Large comme ton cœur, libre dans l'équilibre
D'une affection forte et douce que ne peut
Déranger tel malheur minime ou de calibre...
Tu querelles avec justice, s'il le veut
Ou s'il ne le veut pas, mon affreux caractère...
On dirait, ta querelle, un jardin où il pleut...
On dirait, ta querelle, un enfant <|u'on fait taire
Et qu'on baise bien fort au Iront, du moment qu'il s'est
Pour le récompenser du bon pli salutaire
\ \ m \
Pria d'obéir, conformément ■< la vertu.
Des enfants, d'écouter sana ré| Ire el l'instruire
l>.ui-> la lagesae <•! le devoir parfois ardu.
o toi, lâchant me plaire encor mieux, <•( séduire
Encore plui mon âme el mea sens par préci-
sément ttui finie et la grâce «j n i sou va luire,
La grâce de tee sens aimés, - et par ainsi
Notre amour s'ennoblit d'une grâce meilleure
Par quoi voici j<>\eu\ mon rieur j.'idis Iransi.
Arrière maintenant le vain souci de l'heure
Kl du ciel Orageux, ou froid... N'avous-nous pas
A l'écart des méchants de qui j'ai fui le leurre
La certitude die ne marcher qu'à sûrs pas
Dana le bonheur, sans plus chercher, moi, l'ordeorgie,
De laquelle je suis vainqueur, non sans combats?
.1 Eugénie..
Mais il te faut m"ètre si douce !
Car tu sais ou lu ue sais pas
Que je suis faible el que mou pas
Flàgeolie à la moindre secousse ;
Que mon cœur qui trôna jadis,
Fier de sa puissance amoureuse,
Tremble et s'alarme à tels petits,
Tout petits llirts, riens, viande creuse ;
Que mon esprit naguère encor
Triomphal en pleine lumière,
Chu de son vol d'azur et d'or,
A perdu sa gloire première;
Qu'enfin mon âme toute en Dieu
Lors d'un autrefois dont les anges
Furent participants, au lieu
Des cieux, erre ès-Hmbes étranges...
< >ni, toi douce ! e( toul esl Bni
Dm mal languide qui m'oppresse, —
Kl qu'à ]■ un. lis ton nom béni
Ferme les sceaux de ma d< i
/EGRI SOMMA
Depuis dix ans, ma jambe gauche,
Tu me jouas combien de tours !
C'en est lassant, cela me fauche,
Gela va-t-il durer toujours?
Si je marche, je me figure
Que je traîne un boulet, forçat
Innocent, mais tu n'en as cure !
— Qui donc voulut que tant pesât
Derrière moi ce membre raide
Et douloureux? le diable ou Dieu?
Est-ce à mes péchés le remède,
L'expiation? Lors, c'est peu.
Ou bien Satan, jamais en faute
Quand il faut ne pas faire bien,
Veut-il tenter, invisible hôte,
Ma patience de chrétien ?...
Bah I ce n'es! i un. I heu \ ..il mon Eèle
\ souffrir en cel aujourd'hui,
El ma jambe muée en aile,
Moi mort, m'essorera vers Lui.
10 niiir.s i8o5t
INTERMITTENCES
Il est des jours, il est des mois,
Il est jusques à des années
Où, fui des Muses surannées,
Déserté par toutes ses Fois,
Froid aux couronnes comme aux tresses,
Aux palmes ainsi qu'aux lauriers,
Le Poète, dont vous riez,
Connaît aussi les sécheresses.
Tel un chrétien trop scrupuleux
Ne trouve plus dans sa prière
L'oraison douce et familière,
Chaude au cœur aujourd'hui frileux,
A l'âme désormais glacée
Qui frémit de doute en l'horreur
Du seul scrupule d'une erreur
Dont il soupçonne sa pensée...
101
Mail Laisse! faire : l'an \ tendra,
l.i' moi- \ tendra, la jour propice
( >ù du morose précipice
L'Ame immortelle surgira ,
I >n le cœur lincère el fidèle
Retrouvera l'arbre el les nids
l>r- lions pensera par Dieu bénis,
l'.t s'y rendra d'un grand COUp d'aile..,
Ainsi le Poète, guéri
I >r la torpeur qui l'étiolé,
Toul à coup s'essore cl s'envole
Vers le bosquet toujours chéri,
D'où, voix qu*a refaite un long jeûne,
Dana K-s crépuscules seuls siens,
II chante ses chagrina anciens
Et l'espérance à jamais jeune !
SITES URBAINS
Prisonnier dans Paris pour beaucoup trop de causes,
Par ces temps chauds, je me console avec les choses
Qui sont à ma portée et ne eonlcnl pas trop,
Par exemple la rue où j'habite... trop haut.
Kl son spectacle primitif, en quelque sorte,
Grâce à la bonhomie évidente qu'apporte
La pauvreté des gens à celle des voisins
Dans les rapporta quotidiens qui font cousins.
A droite, à gauche, vont s'éehevelanl des squares
Au vent quand même septcmbral, et des bagarres
De feuilles en déroute imitent les vols fous
D'oiseaux qui seraient plats et verts aux refléta roux,
S'agitant au-dessus des disputes point graves
D'ouvriers un peu gris, que le vin bleu rend braves
A l'excès, s'il s'agit d'un mot pris de travers.
Moi, je fume ma pipe et compose des vers
Bonhomme, en jouissant de ces sites bonhomme,
FA quand tombe la nuit, je m'endors vite; et comme
VARIA
103
Je rêvasse toujours, je rêve a des vers mieux,
Bien mieux que ceux de toul à l'heure, vers, grandi Dieux !
Pathétiques, profonds, clairs telle l'eau de roche,
S;ms rien en eux qui bronche ou leulemenl <|ui cloche :
Des vers ,'i fairt Qh jour fnod renoïti s;m< pareil
— Kt dont je ne sais plus un mol a mon réveil...
CLOCIII-CLOCMA
L'église Saint-Nicolas
Du Chardonnet bat un glas,
Et l'église Saint-Etienne
Du Mont lance à perdre baleine
Des carillons variés
Pour de jeunes mariés,
Taudis que la cathédrale
Notre-Dame de Paris,
Nuptiale et sépulcrale,
Bourdonne dans le ciel gris.
Ainsi la chance bourrue
Qui m'a logé dans la rue
Saint-Victor, seize, le veut ;
Et l'on fait ce que l'on peut,
Surtout à l'endroit des cloches,
Quand on a peu dans ses poches
De cet or qui vous rend rois,
Et, lorsque l'on déménage,
Vous permet de faire un choix
A l'abri d'un tel tapage.
MIIIA 105
iprèl tOlli, M l'inil u'esl pas
Pour annoncer mon trépaa
Ni uns nn.cs. Lon, un- plaindre
Ksi oiseux, n'ayant à cr;iin<lre
I »<• (■<■ conflit de sonneurs
Grandi malheurs ni gTO* bonheurs.
Faut en prendre l'habitude ;
( S'esl il«' la vie, aussi bien :
La voix douce el la voix rude
Se ibndaiil eu chaut chrétien..
an ni Vers a! he
L'an dernier, des amis restés
Avaient fêté ma cinquantaine,
Instant précis, date certaine,
Bon truc à porter des santés
Aussi, car il vaut mieux tout dire,..
Or, cette année où, plus perclus
Que jamais, je ne songe plus
Guère qu'à ce mal tournant pire,
On renouvelle en l'honneur du
Un -H cinquante que m'octroie
Cet an ci, l'hommage de joie
Qui, l'an dernier, semblait mieux dû.
N'importe, ah, buvons donc, tandis que
Ce docteur a le dos tourné,
Un petit coup à ce damné
Age mûr venu dont je bisque
V Ml I \
Hi-
Mais auquel il faul bien plier,
I '.i | n m s la vie est ainsi faite,
1 louce el non, qu'il faul que l*on fête
Jusqu'au l><>iii l'âge d'oublier
Kl de se souvenir. Le diable
Soit de toutes conclusions
Aul res en ces occasions
D exploits et de propos <lo table !
3o mar> I9H0I
CONSEIL
Pour Louis Dnrbon.
Je devrais me borner à vous dire :
« Puisque vous n'avez pas vingt ans, continuez- »
C'est l'âge aux gais soucis atténués
Encor par l'espérance, et son délire
Qui s'en viennent, divins, chanter et luire
En nimbes clairs, en chants frais, qu'a choyés
Encor l'Illusion, vieux éployés,
Telles des ailes vibrant comme une lyre.
Mais non, il faut ci me montrer pédant
Un peu, cela fait bien, sied à mon âj^e
Sans effrayer trop le vôtre, je gage...
Or : « Courage ! » vous dis, car cependant
Que vont coulant les tant belles années
La Parque est là, filant nos destinées.
4 mai 1895.
SOUVENIRS D'il o NIAI.
La vie esl si sotte vraiment
Kt le monde si véhément,
En fait de méchanceté noire.
Qu'à ce prospecl sur l'avenir
Trop prochain et qu'au souvenir
l>e lente mon affreuse histoire.
Je préfère enfin L'hôpital,
Puisque tel est mon lieu fatal
Et ma sincère raison d'être
Et le seul bonheur que j'impêtre,
Oui, je préfère en toute foi
Cette faveur bien due à moi.
Que tout repousse loin d'un monde
Malpropre et d'une vie immonde.
\
110
II
D'ailleurs, l'hôpital est sain,
On s'y berce sur le sein
De tel ou tel médecin,
Bon garçon et savant homme
Toujours ou presque ou tout comme,
Mais un compagnon, en somme,
Agréable, mpins on plus,
Mais cj u i , de tous ceux élus
Par des destins absolus,
Est, avec notre infirmière,
Ange à la voix coutumière,
Encor l'antre de lumière !
EN SEPTEMBRE
Parmi la chaleur accablante
I >'>m nous torréfia l'été.
Voici se glisser, encor lenlc
El timide, à la vérité,
Sur les eaux el parmi les feuilles,
Jusque dans ta rue, o Paris,
La rue aride où tu t'endeuilles
De lels parfums jamais taris,
Pantin, Aubervilliers, prodige
De la Chimie et de ses jeux.
Voici venir la brise, dis-je,
La brise aux sursauts courageux...
La brise purificatrice
Des langueurs morbides d'antan,
La brise revendicatrice
Qui dit à la peste : va-t-en !
1 1 '1 V \ R I A
Et qui gourmande la paresse
Du poète et de l'ouvrier,
Qui les encourage et les presse.
« Vive la brise ! » il faut crier :
« Vive la brise, enfin, d'automne
Après tous ces simouns d'enfer,
La bonne brise qui nous donne
Ce sain premier frisson d'hiver ! »
Septembre 1890.
l'uni LE NOUVEL AN
1 Saint-George» </<• Boahilier.
La vie est de mourir et mourir c'est naître
Psychologiquement tout comme autrement,
Et l'année ainsi t'ait, joui-, heure, moment.
Condition sine que non, cause d'être.
L'autre année est morte, et voici la nouvelle
Qui sort d'elle comme un enfant du corps mort
D'une mère mal accouchée, et n'en sort
Qu'aux lins de bientôt mourir mère comme elle.
Pour naître mourons ainsi que l'autre année :
Four naître, où cela ? Quelle terre ou quels cieux
Verront aborder notre envol radieux?
Comme la nouvelle année, eu Dieu, parbleu !
Soit sous la 6gure éternelle incarnée.
Soit en qualité d'ange blanc dans le bleu.
A Mnilrmoist'llf Sarnli.
<) Mademoiselle Sarah,
C'est à qui de nous d'eux sera
Le mieux encore épris de l'autre.
Hélas ! erois-je, c'est toujours moi
<v)ue tracasse bien trop d'émoi.
Mais votre émoi? Quel est le vôtre?
Je crains qu'il ne soit trop le même
Si je vois votre cœur à nu...
Heureusement c'est l'inconnu !
Et je veux que cette fleurette
Ne vous trouve point mal seulette
Dussé-je y, moi, risquer ma tête.
MORT! (1)
Les Armes onl tu I<Mirs ordrei on attendant
De vibrer à nouveau dans des mains admirables
Ou Bcëlérates, et, tristes, le bras pendant,
Nous .illous, mal rêveurs, dans le vague des Fables.
Les Armes mit tu leurs ordres qu'on attendait
Même ehe/ les rêveurs mensongers que nous sommes,
Honteux de notre bras qui pendait et tardait,
Et nous allons, désappointés, parmi les hommes.
Armes, vibre/. ! mains admirables, prenez-les,
Mains scélérates à défaut des admirables !
Prenez-les doue et faites si^nc aux F.n-allés
Dans les fables plus incertaines que les sables.
Tirez du rêve notre exode, voulez-vous?
Nous mourons d'être ainsi languides, presque infâmes!
Armes, parlez ! Vos ordres vont être pour nous
La vie enfin fleurie au bout, s'il faut, des lames.
(i) Vers publiés dans la Revue Rouge quelques jours avant
la mort de Verlaine.
ll(i
La moii que nous aimons, que nous eûmes toujours
Pour but de ce chemin où prospèrent la ronce
Et l'ortie, ô la mort sans plus ces émois lourds,
Délicieuse et dont la victoire est l'annonce !
Décembre i8q5.
ÉP1L0GI i
lui imniirr,' il'mlieux à la porsi-
« personnelle * .
Ainsi donc, adieu, cher moi-même,
Que d'honnêtes gens m'ont blâmé,
Les pauvres ! d'avoir trop aimé,
Trop Datte daine, quand on aime ! .
Adieu, cher moi, chagrin et joie
Dont j'ai, paraît-il, tant parlé
Qu'on n'en veut plus, que c'est réglé !
Désormais faut que je me noie
Au sein — comment dit-on cela ? —
De l'Art Impersonnel, et, digne,
•One j'assume un sang-froid insigne
Pour te chanter, ô Walhalla,
118
Pour, Bouddha, célébrer tes rites
Et vos coutumes, tous pays !
Et, le mien de pays, ô hisse !
Dire tes torts et tes mérites,
Et dans des drames palpitants,
Parmi des romans synthétiques
Ou bien, alors, analytiques,
M 'étendre en tropes embêtants !
Adieu, cher moi-même en retraite :
C'est un peu déjà du tombeau
Qui nous guigne à travers ce beau
Projet vers l'art de seule tête,"
Adieu, le Cœur ! Il n'en faut plus :
C'est un peu déjà de la terre
Sur la Tête... et son art... austère,
Que ces « adieux irrésolus.
Mars 1 8y5.
PARALLELKMENT
Pour une édition nouvelle.
PROJET KN L'AI H
\ BraeM Delahaye.
Il fait bon Bupinément,
Mi-dormant,
l);ms l'aprication douce
D'un déjeuner modéré,
1 tigéré
Sur un lit d'herbe et de mousse,
lîoii songer el l»>n rêver
Et trouver
Toute fin el toul principe
1 ),ms les flocons onduleux.
Roses, bleus
Et blancs d'une lente pipe.
L'éternel problème ainsi
Eclairci,
Philosopher est de mise
Sur maint objet réclamant
Moindrement
La svnlhèse et l'analyse...
122
l'A H A LLÈLEMENT
Je me souviens que j'aimais
A jamais
| Pensais-je à sei/e ans) la Gloire,
A Thèbes pindariser,
Puis oser
Ronsardiser sur la Loire,
Ou bien être un paladin
(iai, hautain,
Dur aux félons, qui s'avance
Toujours la lance en arrêt !
J'ai regret
A ces bêtises d'enfance...
La femme? En faut-il encor?
Ce décor
Trouble un peu le parcage
Simple, petit et surtout
De bon goût
Qu'à la lin prise le sage.
A vingt ans, même à trente ans,
J'eus le temps
De me plaire aux mines gentes,
Et d'écouter les propos
Faux niais beaux,
Sexe aime, que lu nous chantes..
PABAI M n mi 123
La Politique, ih, j'en ti~ !
M.>n .i\ I-- '
/ni el bran ! L'amitié seule
Km reliée, ;n ee l'espoir
I >e me \ . » i I-
l n jour sauvr de l.i gueule
I )e cet ennui sans motif
Par trop vil',
Qui des foi* bâille, l'affreuse!
l'.t de n'endormir, que lai !
Dans les bras,
V. terni té bienheureuse.
Tire-lire et chante-clair !
Voix de l'air
VA des fermes, cette aurore
Que la Mort nous révéla,
Dites-la
Si douce d'un los sonore !
Nous ne sommes p;is le troupeau :
C'est pourquoi bien loin desbergèret
Nous divertissons notre peau
Sans plus de phrases mensongères.
Amants qui seraient des amis,
Nuls serments et toujours fidèles,
Tout donné sans rien de promis,
Tels nous, et nos morales telles.
Nous comptons d'illustres aïeux
Parmi les princes et les sages,
Les héros et les demi-dieux
De tous les temps et tous les âges.
En ses jours de gloire et de deuil
La gloire honorait notre grâce ;
Notre force était son orgueil
Kl le rire fier de sa face.
|» VU VI I I I I Ml \ I 135
Rome aussi nom comblait d'égards '■
Noui éclatamea dam mi I banni
lût poètei de toute* parti
Nom célébrèrent en queli ternit
( '.lie/ les modernes nom a^ oni
Lei Frédéric et lei Shakspeare.
No* phalangei en rangs profonds
Allaient noua conquérir l'Empire
Du monde en de très vieux Olim,
Quand, tueurs de Femmes et d'hommes,
Les jaloux, ces durs Elohim,
Se ruèrent sur nos Sodomes*..
Sus aux Gomorrhes d'à côté !
1HELET A MLV
Ma pelite compatriote,
M'est avis que veniez ce soir
Frapper à ma porte et me voir,
0 la scandaleuse ribote
De gros baisers — et de petits,
Conforme à mes forts appétits !
Mais les vôtres sont-ils si mièvres?
Primo, je baiserai vos lèvres,
Toutes ! C'est mon cber entremets
Et les manières que j'y mets,
Comme en toutes choses vécues,
Sont friandes et convaincues.
Vous passerez vos doigts jolis
Dans ma llave barbe d'apôtre
Et je caresserai la vôtre,
Et sur votre gorge de lys,
Où mes ardeurs mettront des roses,
l'A II \ I I I I I M I s I \2'
.\<- powerai ma bouche en feu ;
Mea brai m piqueront au jeu,
PAméa autour dea bonnea choaea
I >c deaaoua la taille h plut baa, —
Puia met maiha, non aana foli combata
Ave- voa maina mal courroucé*
Flatteront de tendrei reaaéea
<> beau derrière qu'étreindra
Tout l'effort qui lora bandera
Mu gravite* vers votre centre...
A mon tour je Frappe. () dis : Entre!
DÉDICACES
Pour utif édition nouvelle.
POUR l..\ PLUME
Je veux < I i ie en ces quelques vers
La bonne opinion que j'ai
Sur les gens bien et l'endroit },rai,
Fût l'endroit triste avec des cens divers.
(Or, j'ai passé p;is mal d'hivers
Et de printemps, gai comme un geai,
Triste comme un cygne à l'essai.
Tour à tour chaste mais pervers.)
Ma bonne opinion est telle,
Dans cette fête qui m'allume,
Mesdames, ô vous Imites belles,
Messieurs, ô vous tous un i,rénie,
Que si j'osais, sans ironie.
Je me glorifierais d'être aussi, président delà Plume.
1 1 avril 1893.
II
Je ne suis plus encore un faune
El je dirai clans mes regrets
Un sonnet k la Plume après
Que je ne serai plus aphone
Sans le faire, hélas ! trop exprès.
Ma muse, cpii parfois rit jaune
Et voit rou^e et noir et tout près
D'y voir rose, puisque suis ès-
Amis, vous dit : Amis, mon trône,
Puisque je suis le Président
De ces agapes fraternelles,
Ou du moins mon fauteuil prudent,
Mon fauteuil, ou si vos prunelles
Y découvrent un trône trop...
Je vous salue, amis, et m'assieds au galop.
i3 avril 1893.
FRONTISPICE POUR UNE ANNÉE
DE LA PLUME
Rêveuse au bord de l'eau
Tendrement Boudeuse,
Entends chanter l'yeuse,
I,' ajonc et le bouleau ;
Admire le tableau
Naïf où la macreuse,
La sarcelle amoureuse
Parlent du renouveau ;
Pénètre-toi du charme,
Sens monter une larme
Qui viendrait de ton cœur
A ee printemps qui muse,
Joie éparse et langueur :
Souris, petite musc.
LE LIVRE D'ESTHER (1)
I
Je suis un ennemi de toute hypocrisie,
Aussi, de tout ennui,
Et c'est pourquoi, ma trop chère, je t'ai choisie !
Je l'avoue aujourd'hui,
Comme je l'indiquais hier dans tel volume
Dont Bazile a rougi,
Gomme je l'écrirai demain avec ma plume
D'homme chaste assagi,
Comme je le crierai, fût-ce en face des balles,
Fût-ce « à travers le feu,
« Le fer des bataillons », ces soûlantes cymbales,
Serait-ce, nom de Dieu !
(i) Cette pièce porte en note, au coin delà page ,Le Livre
tVEsther. Verlaine avait commencé un volume sous ce titre.
« Je suis un ennemi de toute hypocrisie » devait être la
première pièce du livre.
i . i i . i c : il i
135
Devant le Diable, e( quand ce lerail devant pire
Je l'ai nommée assez
Je t'aime mieux que tout, démon, goule, vampire,
— Kl ce n'est | » . i — assez I
PU VI S 1)K CHAVANNES
Victor Hugo, soleil dont tous sont le Memnon,
Donnant à nous sa lyre étoilée et fleurie,
Extase du poète, orgueil de la patrie,
Honneur du genre humain qui se lève à son nom ;
PlCABOlA MATBH, campagne courageuse,
Race blonde aux corps blancs brunis parle grand air;
Luoua pho i'atria, beaux éphèbes, sang lier
Et chair forte et des yeux où rit la mort songeuse ;
Geneviève qui paît ses ouailles, tandis
Que l'oignent de douceur tel saint et tel évêcpie,
Et, le Hun éloigné, rêve de paradis :
Autant, Gloire, de droits et de titres aveccpie
Tant d'autres pour ton temple ouvert de son vivant
A l'artiste impeccable, au maître triomphant.
janvier i8<).">.
IMH'i; UN ALBUM
l M""' de.., ji'iiir MM "ll'iim.
Je n'ai jamais été dans la Bretagne, mais
J'en rêve toutes nuits, el l<uii le jour j'^ pense
Comme aux choses de mon enfance que j'aimais,
Tant qu'à la fin, et sons forme de récompense,
Je revois le clocher que je n'ai vu jamais.
(> la Bretagne el ses clochers ;'i jour, où danse,
A travers ce brouillard épais où je trimais,
La cloche pour bercer un peu ma vieille enfance!
Car j'ai rêvé que je trimais : l>ète et malin,
Tel, innocent, le long du parc de Josselin,
lu berger, contemplant la nuit long-étoilée.
Et, de plus, ignorant qu'Olivier de Clisson
Fut autrefois maître el Beigneur de la vallée.
Rode parmi les bois en sifflant la chanson.
SONNET
Pour la Kermesse du ao juin itf<j."> {Caca,
Je voudrais avoir, je le jure,
Croyez-en ma sincérité,
Part à votre festivité,
N'était le mal qui m'iodurc,
Qui, lout le temps que le jour dure,
Me retient au lit détesté
Pour me faire un somme agité
Du soir obscur à l'aube obscure.
Mais mon cœur bat libre et sans fera
Et le bon démon qui m'babitc
Me dicte encor parfois des vers.
Sonnet, pars joyeux et va vite
Vers ce Caen où la Charité
(iaiment inaugure l'été.
MARCELINE DESBORDES VALMOHE
Telle autre gloire est, j'ose dire, plue faraeut
Dont l'éclat éblouit mieux encor qu'il ne luit :
La sienne fait plus de musique que <le bruit,
Bien que de pleurs brûlante écumeuse et fameuse.
Mais la bouté du cœur, mais l'Ame haute et pure
Tempèrent ce torrent de douleur et d'amour
Et, se mêlant à la douceur de la nature,
A sa souffrance aussi, de nuit comme do jour
Promènent sous le ciel tout pluie et tout soleil
A chaque instant, avec à peine des nuances,
Un large llcuve harmonieux de confiances
Vives et de désespoirs lents, et, non pareil,
Il chante, l'ample fleuve au capricieux cours.
L'hymne infini de toute la tendresse humaine
Où la fille et ramante et la mère ont leurs tours.
Où le poète aussi, dans l'horreur qui nous mène.
J4()
DÉDICACES
Vient mêler son sanglot qui finit en prière
l niversclle, cl la beauté même d'un art
Issu du sang lui-même et de la vie entière,
Rires, larmes, désirs et tout, comme au hasard.
Car elle l'ut artiste, et, sous la fougue ardente
Dont va battre son vers vibrant comme son cœur,
On perçoit et Ton doit admirer l'imprudente
Main au prudent doigté tout vigueur et langueur.
— Les villes, ainsi que les peuples, ont la gloire
Qu'elles valent, et toi, Douai, tu méritas
Celle-ci, pays calme où vécut de l'histoire
Tumultueuse en masse et formidable au tas,
Cité d'églises et de beffrois, et campagnes
Pleines de « jeunes Albertines », mais, encor,
« Où s'assirent longtemps les ferventes Kspagnes ».
Tel l'œuvre et tel le cœur, Heurs et pleurs, flûte et cor,
Fin harmonie avec la femme et le génie.
11 est juste, il est temps — pour l'honneur de ses vers?
Non, ils sont ton honneur même et ta Heur bénie,
Sa patrie, ô Douai, « doux lieu de l'univers » —
11 n'est que temps, il n'est que grand temps et que juste,
Ville, son cher souci dans ce cruel Paris,
De dresser quelque part sa ressemblance auguste
En quelqu'un de tes « coins » qu'elle a le plus chéris,
ni un \. i Ml
\im que l»'- clochea encor de Noire-Dame
Bercent du moins son ombre II l'ombre dei ran
Qui furent ramîlien eu repoi de cette ftme
Infatigable e1 qui lui murmuraienl !<■> moti
De cet poèmei il<mi non- célébroni la Fête
Intellectuelle el cordiale, — et, fi T<>i,
i) grande Marceline, ô sublime |>«n-te,
Et femme exquise, accueille cel acte de foi !
LE LIVRE POSTHUME
LE I.IYHK POSTHUME
Le poète a fini sa tâche,
L'homme, non.
L'un serepail «lu bruit l'ait autour de son nom,
Il compte ses succès sincères OU Indice-,
l>c|>uis l'humble début et les chastes prémices
Jusqu'à ses derniers vers, qu'il sent bien fatigué»!
Le temps n'est plus des madrigaux jolis et ^rais,
l>e l'élégie au tour voluptueux et tendre,
De l'ode au vol vainqueur, du sonnet qu'à l'entendre
(Le poète! on eût cru du Pétrarque, mais mieux.
Il voudrait, et de bonne foi, se faisant vieux,
(Ont' tout fût dit pour lui sans plus pousser sa gloire,
S'en liant là-dessus à l'humaine Mémoire.
(l'est un cœur, un esprit, une àme retraités,
Soignant à loisir ses deux immortalités,
Peu soucieux pourtant, quelque ardeur qui l'allume
Quant à son àme eneor, de celle de sa plume.
Pour l'homme, — le poète à part et lyre et luth
Bien écartés, — mal occupé de son « salut »
Peut-être autant que ce poète Test lui-même.
Son rôle n'est joné qu'à demi, le problème
10
146 LE LIVRE P08THUMB
De sa vie, il ne l'a résolu que si peu
Qu'il n'est pas sûr de quoi que ce soit devant Dieu.
Sa mémoire ne lui dit rien qui le console
Ou le désole, ou quoi que ce soit. Sa parole
Hésite, et l'action semble ôtée à son bras.
Pourtant la volonté, parmi tous embarras,
Ennui, remords peut-être, à coup sûr vœux enquête
Ou las, persiste et bande et tend toute sa tète.
Il vit et prétend vivre, et cela très longtemps,
VA non pas être heureux de par ses vœux contents.
Au feu ses passions, en tant pourtant que feues,
Satisfaites, non, il aspire à mieux qu'aux queues
Des comètes, et c'est le soleil qu'il lui faut,
Le bonheur!...
Et voici qu'à cette heure prévaut,
Dans l'existence de cet homme tout tendresse,
L'amour, et qu'il a bien la meilleure maîtresse,
(iaîté, bonté, raison, et qu'il aime à mourir
De son absence, si ce risque allait courir.
.Mais elle ne s'en ira pas, dis, ma chérie?)
Or, depuis qu'elle est là, l'humble et droite Ef;érie,
Le charme et le conseil, c'est curieux ce qu'il
Gagne en cordial de ce qu'il perd en subtil.
Il s'intéresse à toute chose — à tort ? peut-être ? —
Autant et mieux qu'à l'art qui fut l'unique maître
De ce cerveau despotiquement lier jadis,
Et maintenant doux, tolérant, un paradis,
Une chambre commode, et bien chaude, et bien fraîche,
Fraîche comme un bosquet, chaude comme une crèche
Pour toute simple idée et tout raisonnement
Clair, et pour toute gentillesse, bonnement.
m L1VM1 i'"- i h i m i II"
Soui cette muse, .1 i m.i hle el fine inipîrati
En même lempi qu'infiniment dominatrice
Dana le mm Le meilleur el le plue baul < 1 n mot,
L'homme reste poète a,u senscajme qu'il faut,
Kl le livre i(ii i \ .1 venir ;ipivs l.nil d'.iiil 1 ■
Où, Vertu, \ < mis planes, <>ù, Vice, tu te vautn
S'en va paisiblement, honnête, aoua la l«»i,
Femme en qui le poète el l'homme ont mia leur loi.
FRAGMENTS
I
Dis, sérieusement, lorsque je senti mort,
Plein de toi, sens, esprit, àme, et, dans la prunelle,
Ton image à jamais pour la nuit éternelle,
Au cœur tout ce passé tendre et farouche, sort
Divin, l'incomparable entre les jouissances
Enormes de ma vie excessive, ô toi, dis,
Pense parfois à moi qui ne pensais jadis
<x)u'à t'aimer, l'adorer de toutes les puissances
D'un être fait exprès pour toi seule l'aimer,
Toi seule te servir et vivre pour toi seule
Et mourir en toi seule. 0 oui, quand, belle aïeule,
Tu penseras à moi, garde-toi d'exhumer
Mes jours de jalousie et mes nuits d'humeur noire,
Plutôt évoque l'abandon entre les mains
De tout moi, toutau bon présent, auxehers demains,
Et qu'une bénédiction de ta mémoire
M'absolve et soit mon guide en les sombres chemins.
II
J'ai magnifié «le vertus,
( Ibère veuve, tes qualités.
Ces hommages leur étaienl dus
El je n'ai «lit que vérités.
Ta patience de parole
Et d'action à mon égard
Mériterait une auréole.
Toi belle et moi presque un vieillard,
Presque un vieillard, presque hystérique,
Aux goûts sombres et ruineux.
Evocation chimérique
IVs grands types libidineux,
Tibère et tous, — et la clémence
Vis-à-vis de ces désirs Tous,
Ou sols plutôt dans leur immense
Ambition de quatre sous,
150 I>E M VUE POSTHUME
Et la gentillesse divine
Devant nies soupçons odieux,
(Quelle que fût leur origine,
Toi si belle et moi presque vieux,
VA Ion cœur, dans nos zizanies
Eteintes enlin sur le tard,
Plein des faiblesses infinies
D'une maman pour son moutard,
Mais aussi ton esprit sagace
Tenant tête à l'entêtement
D'un moi triste ensemble et cocasse.
Il est vrai que je t'aimais tant !
III
ComptjÇIM sa\oureuse et l>onne,
\ rai j'ai ronflé1 le soin
Définitif de ma personne.
Toi, mon dernier, mon seul témoin.
Lorsque je t'écrivais «1rs vers
Que des sots dils spirituels
Trouvaient un peu bien sensuels
Kt d'autres simplement pervers,
J'eus soin (le mettre en tête d'eux
Ces cris si vrais de mon amour,
Quelques mots graves pour qu'un jour
Se lût le mensonge hideux.
Oui, certes, le Bang et la chair
Furent mes complices joyeux
Dans le délice radieux
D'avoir trouvé le maître cher,
152 LE LIVRE POSTHUME
Le beau quille en ce monde laid,
Le conseil franc et l'âme Forte
Et celte verve qui m'emporte
Chez la femme qu'il me fallait !
Ah ! conduis-moi, lors triomphant
Puisque pour appui j'ai ton bras,
A travers tous les embarras,
Comme un vieillard, comme un enfant.
Puis, dis, lorsque j'aurai quitté
La terre et la présence, hélas!
Mêle un peu ta prière au glas
M 'annonçant dans l'éternité.
IV
Ta rappelleras-tu mea colères injustes?
Non, mais plutôt l'élan vers tes vertus augustes
l>c toute ma pensée à l'entier dévouement
Qui n'avait de bonheur qu'en l'agenouillement
Devant ta volonté pour moi douce et terrible
El toujours pour un hien, à la passer au crible,
De l'accomplissement joyeux d'un ordre dur,
Ht toujours pour un bien et d'après un plan BÛT,
Emané de ton âme et sorti de ta bouche.
M'auras-tu pardonné mon Iront parfois farouche
Et ma face effarée et mon geste perdu,
Pensant combien frappé, de quels malheurs battu,
Abreuvé de quel fiel, par une providence
Pleine d'oubli clément et d'exquise prudence.
Je tombais dans les bras divins qui m'ont sauvé?
Mais plutôt tu ressentiras ton cour couvé
Par le mien et tu reverras plutôt ma vie
Dépendant de la tienne avec point d'autre envie
Que ne pas te déplaire ou te désobéir
En quoi que ce put être, et ne jamais faillir
154 LE LIVRE POSTHUME
A la devise confiée à ton pur zèle,
Vivante dans ton sang. Tout pour Elle et par Klle
Et peut-être qu'alors quelques pleurs précieux,
(ilorieux témoignage, obscurciront tes yeux.
l'.t voici l'instant OÙ tu meurs.
Nuit Bupréme en ma nuit extrême,
Deuil de deuils, malheur de malheurs
Il me semble mourir encor moi-même.
Eh (|uoi! l'expansion immense
De cette immense intensité,
Celte saute, cette <,raité,
Tout ce triomphe enseveli, démence !
Mais ! le néant c'est bon pour moi,
Pour cet être absurde et Fragile
C'esl ce qu'il faut, mais quant à toi.
Nous ne sommes pas de la même argile.
Moi je suis la destruction
Dans le silence et les ténèbres,
Toi, monte avec l'assomplion
Des femmes <pie l'amour rendit célèbres.
15<) LE LIVRE POSTHUME
Car, clans l'ombre où l'on s'en ira,
Ta figure entre tontes celles
Des belles que l'on adora
Passe les amantes et les pucelles.
Et, dernier don à ton féal,
Ma tombe sera renommée
De ce chef divin et royal,
La gloire de l'avoir surtout aimée.
hKHNIKH BSPOIH
Ilcsl un arbre au cimetière
Poussant en pleine liberté,
Non planté par un deuil dicté, —
Qui Hotte au long d'une humble pierre.
Sur cet arbre, été comme hiver.
Un oiseau vient qui chaule clair
Sa chanson tristement lulèle.
Cet arbre et cet oiseau c'est nous :
Toi le souvenir, moi l'absence
Que le temps — qui passe — recense...
Ah, vivre encore à tes genoux !
Ah, vivre encor ! Mais cpjoi, ma belle.
Le néant est mon froid vainqueur...
Du moins, dis. je vis dans ton coeur?
II
PROSE
SOUVENIRS
il
vr QUARTIER
90VV1KIM i»i :s i>i;ii.Mi.ni.s aw
Van IS.ST. à l'issu de bien tles événements
minuscules mais doublement et triph-ment poi-
gnants dans leur intimité même, je « dirigeai
mes pas » de convalescent sortant de divers
hôpitaux devers un hôtel de la rue Royer-
Collard, intitulé précisément du nom même de
la rue. C'est tout près de cet immeuble qu'en
1871 Raoul Rigault, que j'avais connu dès
l'enfance, périt dans de mémorables circons-
tances qui lui feront pardonner bien des fautes.
On ne se rappelle peut-être qu'imparfaitement
œtU anecdote tinale. tout à l'honneur de ce
malheureux qui fut coupable, certes ! mais qui
mourut de sorte magnanime. H quittait une bar-
ricade et avait déjà grimpé ses cinq ou six
étages et se disposait à fuir par les toits, quand
1 fi4 S O U V i ; mus
une voix à demi étranglée par la terreur reten-
tit, sinistre, dans l'escalier : « Ce n'est pas moi
Rigault, je suis le propriétaire ! » En entendant
ces mots, le vrai Rigault devina qu'on allait
fusiller quelqu'un à sa place, et quel quelqu'un,
pour Dieu ! son propriétaire ni plus ni moins.
Et de descendre aussitôt quatre à quatre et de
crier aux Versaillais qui avaient déjà collé au
mur l'infortuné « patron », en se désignant du
doigt : v Voici Rigault et non cet homme. Et
vive la Commune ! »
Quelle différence entre cette conduite certaine-
ment superbe et la peut-être raisonnable chan-
son des anarchistes d'aujourd'hui :
«Si tu veux être heureux.
Nom de Dieu 1
Prends Ion propriétaire...
Ces terribles souvenirs n'empêchent pas la
table d'hôte de M,,,c Th..., la voisine immédiate
de ce proprio vraiment chançard, d'être assez
amusante, composée aux trois quarts de Moldo-
Valaques et autres parfaits rastns dont le fran-
çais, tant fantaisiste ! faisait parfois sourire et
même rire le coin petit parisien que nous for-
mions à quelques-uns — dont un juif polonais.
Ce garçon (Stanislas de son petit nom) de qui le
* . I I \ I \ I II s
nom en vy dissimulait mal ls religion, me n in i
trouver un jour en me disant : •• Cer maître, que
/.<• voudrais bien faire votre portré '. Il accoucha
bientôt d'un pastel terrible où ma tête, pourtant
plutôt peu patibulaire, apparaissait but un fond
rouge-flamme, telle une tète «!<• damné. Portrait
et /'mil furent exposés au • Blanc ri Noir « et
L'iconographe Félix Fénéon « s'en défia » de
très spirituelle façon dans les colonnes d'un
journal d'art de L'époque
Je n'ai jamais aimé poser et ce me fut un vé-
ritable supplice quand un autre peintre vint
quelques jours après me proposer la même botte
pour la Revue illustrée ; ma tête était déjà La
proie d'un de mes amis, d'ailleurs le plus « talen-
leu\ ». à mon sens, mais aussi le plus terrible de
ces tortionnaires. , le ne connais que lesinlcrri<>n:s
modernes, d'ailleurs de charmants garçons, pour
être véritablement plus rasoirs encore, selon le
mot de cet excellent Raoul Ponchon.
Bien que mal fortuné déjà, j'avais mes mer-
credis. Et ces soirs-là ma petite chambre, qui
n'avait pourtant rien de commun avec la maison
de Socrate, contenait parfois jusqu'à quarante
personnes des deux sexes. Yilliers de l'isle-
Adam faisait des grâces à M""' Rachilde qui,
elle-même, avait de l'esprit entre Laurent
Tailhade et Jean Moréas.
166
s n r V K N I R s
Il paraît d'ailleurs que j'ai fait, d après des
croquis, un dessin que je recommande à Her-
gerat pour la prochaine exposition de « Poil et
Plume » et qu'une revue du Quartier publia.
Parmi mes « invités >» plusieurs sont morts ;
Villiers de l'Isle-Adam et Jules Tellier. De ce
dernier, quelques pieux amis ont réuni et publié
récemment un volume (1), qui n'est pas dans le
commerce, et suffirait à lui seul pour envoyer
son jeune nom à la postérité.
Souvenir d'autant plus mélancolique qu'on
s'amusait ferme au cours de ces modestes agapes
qui, d'ordinaire, se terminaient, vers minuit,
par l'invasion des cafés avoisinants, le François
Premier entre autres. Que de cheveux ! mon
Dieu ! (je ne parle pas pour moi) et que de mo-
nocles ! Mais aussi quelles discussions litté-
raires, jusqu'au moment de la fermeture. Cela
même alla parfois jusqu'à des envois de témoins !
Mais je raconterai ces choses quelque autre jour.
Et voilà pour mon stage relativement court
en cet hôtel un peu bien sérieux, mais dont, en
somme, je n'ai guère à me plaindre — en dépit
de la sévérité même, légèrement prud'hom-
mesqlie, du patron de la rue et, par conséquent,
de la maison.
(l) Les Reliques, de Jules Teluer,
YA1WKTK S
AU QUARTIER; SOUVENIR DES DERNIÈRES
ANNI.I. I
Hue Saint-Jacques. Un escalier terrible : une
rampe et ses supports d'arbres à peine équarris
peints rouge-sang. Un entresol haut comme un
second, plutôt par l'aspérité que par le nombre
des marches. Propriétaire bon garçon inlus et
in cuto, mais... Locataires matutinaux, locatrices
volontiers très vespérales avec qui point n'est
trop dur ni trop rude de s'entendre à telles lins
« que je pense ».
J'y recevais mes amis aux soirs du jour accou-
tumé de la semaine. Peu de gaz pour éclairer
les marches escarpées et la rampe trop large
pour la main et la cage elle-même trop étroite
pour un corps quelque peu abusif: mais, parles
soins du digne hôte, une bougie brûlait jusqu'aux
1 68 SOUVENIRS
heures que de droit sur le rebord intérieur de
fenêtre qu'il fallait, à l'etïet d'éclairer les nom-
breux invités. De la bière plus que du thé
aux instants de « richesse ». Dans l'autre
cas, de l'eau sucrée avec du rhum, fruit quel-
quefois d'une « contribution » des camarades.
Du tabac et quelque gaîté toujours ou tout
comme...
Puis, pour la deuxième ou troisième fois, l'hô-
pital, une suite de rhumatisme revenu... et
d'opulence insuffisante.
Mais passons sur cette période d'à peu près
six mois par ailleurs racontée et revenons bien
vite au Quartier, cette fois rue de Vaugirard,
sous les auspices de Maurice Barrés, en un très
confortable hôtel tout proche de l'Odéon et qui
eut l'heur d'abriter bien des « illustrations » de
tous ordres, depuis Gambetta jusqu'à Lebiez,
sans compter tant de générations de littérateurs,
d'avocats et de docteurs.
Patron et patronne charmants. Table d'hôte
toute de famille et en famille, et très variée.
Jusqu'à un prêtre s'y trouvait, et je n'hésite pas
à confesser — c'est le mot — qu'éclataient
maintes discussions, toujours courtoises, sou-
vent plus que vives à propos de mille choses sé-
rieuses et autres. Et quand, après le dessert et
avant le café, « Monsieur l'abbé » se retirait
SOI VBNIBI 160
pour ses dévotions, la conversation prenait un
tour moins contradictoire ei i«>us et toutes tom-
baient d'accord en propos gentiment Légers, par-
Fois, comme la gaze donl ils s'abstenaient par-
fois aussi. Femmes jeunes et d'esprit, la maî-
tresse de la maison en tête, hommes, parmi quels
le mari d'icelle, diserts <t de belle humeur, j
allaienl de leur voyage au bleu et parfois rose
|i,i\ s de Fantaisies.
Mes mercredis battirent là leur plein, ainsi
qu'il esl di' mode de s'exprimer aujourd'hui :
des amis de plus en plus nombreux, flanqués,
aussi bien, de simples connaissances, d'indiffé-
rents, voire de curieux. surabondaient dans mes
salons... composés d'ailleurs d'une très sortable
mais seule et unique (< carrée ». On disait peu
de vers, le prœses, le pater familia» qui était
donc moi, objectant le plus souvent à ce mode
de distraction, mais on riait et, en somme, la
cordialité régnait.
On n'est pas de bois et votre serviteur moins
que personne. D'assez mais pas trop fréquentes
visites Féminines eurent lieu, comme, d'ailleurs,
jadis et naguère en d'autres lieux, dans ce mo-
deste et simple mais confortable asile ; vertueuse,
peut-être aussi inquiète de dépenses, ô que gra-
tuitement supposées ! la très aimable dame de
céans crut devoir, à mon insu, je vous le jure.
1 70 SOUVENIRS
Mesdames, vous consigner ma porte, et moi,
pauvre diable, qui vous accusais !
J'avoue que, dès que la morale mais maus-
sade vérité finit par éclater à mes tristes yeux,
je manifestai quelque... étonnement et faillis me
fâcher... pour de rire, suivant la locution fau-
bourienne. N'importe, j'étais vexé, — et un
nouvel accès de rhumatisme me fit quitter —
pour quelque temps, — et à destination d'encore
l'hôpital, l'hospitalité, depuis reéprouvée et ré-
appréciée à tout son prix qui est, sans nulle tau-
tologie, précieux après tout, tant il y eut, à tra-
vers mille petites contradictions mutuelles et si
humaines, de véritable et de belle cordialité
entre ces bonnes gens et ce brave homme, déci-
dément, que je suis, oui !
N'importe ! j'en voudrai longtemps et peut-
être avec raison, à la farouche providence, toute
gentille d'ailleurs qu'elle ait été et, sans nul
doute, admirablement sincère et bien intention-
née, de cette excellente M"10 A...
Telles mes « aventures », accompagnées de
beaucoup d'autres, en l'aménissime mais com-
bien, bon Dieu ! réfractaireà d'aucunes complai-
sances pourtant si simples, hôtel de la rue de
Vaugirard, tout proche de l'Odéon !
ON/K IOÏHS i:\ MHLdIQUE
Maintenant que tout est ou semble être iini
ohei nos voisins Wallons et Flamands, en fait
di troubles et de commencement de guerre ei-
vile, voudra-t-on permettre à un pur artiste, in-
vité à une tournée de conférences dans dille-
rentes villes belges, de donner brièvement et
comme à vol d'oiseau ses quelques impressions
de voyage ?
Mais avant d'entrer dans le vif de mon sujet,
qu'on me laisse féliciter ici la sagesse des repré-
sentants et des sénateurs belges qui, forcés par
un courant irrésistible, en effet, d'opinion, ont
cru devoir admettre cbez eux le Sutl'rage uni-
versel aux seules telles conditions par lesquelles
il est susceptible de servir efficacement. Le vote
plural par les conditions graduées d'âge éclairé,
de fortune indépendante et de capacité intellec-
17*2 sou vin i ii s
tuelle me semble parfait, point chimérique, et
si nos voisins, même les pins pauvres d'entre
eux, s'y tiennent, j'estime fort qu'ils feront
bien...
Inutile, n'est-ce pas, de vous raconter mon
voyage de Paris à Cliarleroi où je devais dé-
buter... comme orateur en ces régions. L'assez
triste morceau de France, si intéressant qu'il
soit à beaucoup de points de vue autres, qu'il
faut traverser pour aller jusque-là, m'a par trop
rappelé le mot d'Alexandre Ie1' de Russie, d'après
Chateaubriand : « Dieu, que la France est laide ! »
C'est vrai que ce Tsar n'avait vu que ce coin in-
dustriel et richement, mais platement, agricole
de notre pays.
Mon arrivée à Cliarleroi dans une famille ex-
quise ne m'en a pas moins fait ramentevoir de
quelques vers écrits par moi... en 1872.
Dans l'herbe noire
Les kobolds vont,
Le vent profond
Pleure, on vent croire...
Plutôt des bouges
Que des maisons...
Quels horizons
De forges rouges...
Sol \ i mus
173
i in -.ni donc m
U votre liiiliiiK -,
SuiMir liuin;iiii'\
Cri «les métaux !...
Du reste, succès de <• bonaloi ■■ mien, au 1 1 1«';\ 1 1 1- .
s'il vous plaît, où ma conférence prit place, de-
vant 1.500 personnes, entre an concours d'har-
monies des eux irons e1 une tombola.
De Charleroi à Bruxelles, la route est courte
et peu intéressante, sinon qu'on passe par Wa-
terloo, et son site superbe gâté, selon d'ailleurs
la parole d'un connaisseur, lord Wellington,
par l'absurde monticule <pie surmonte un lion
auquel ceux de L'Institut n'ont rien à envier... que
le grand air.
Bruxelles ! J'y vécus jadis beaucoup trop. Peu
au fond de changement depuis 24 ans. In bou-
levard central assez semblable à notre avenue de
l'Opéra, une Bourse luxueusement laide ; en re-
vanche, un habélique palais de justice, sombre
intérieurement, comme sied, mais énorme et em-
phatique à l'extérieur, avec, tout en l'air, tout en
l'air, un dôme trop petit dans l'espèce et trop ou
trop peu doré, mais le tout en somme d'un grand
effet.
174 sur VK MHS
Si cela peut vous intéresser, vous dirai-je que
ma quatrième conférence à Bruxelles eut lieu
dans une chambre de correctionnelle, l'orateur
à la place du greffier, au-dessous du tribunal...
absent « pour une fois » au milieu d'environ 200
avocats, « le jeune barreau » ?
Je ne connaissais pas Gand : belle ville forte-
ment flamande avec deux curiosités principales,
sa basilique de Saint-Bavon et ses béguinages.
Un béguinage, c'est comme qui dirait une petite
ville en forme de cour carrée aux maisons espa-
gnoles, toutes bâties plus pittoresquement l'une
que l'autre, renfermant de dignes dames mi-re-
ligieuses, mi-laïques, logées chacune chez, soi, —
possédant une véritable église paroissiale, et des
chapelles dédiées un peu à tous les saints et à
toutes les saintes du Paradis. J'ai beaucoup
admiré ces chères et discrètes personnes et
j'envie leur bonheur de tout mon cœur..,
Anvers, déjà connu de moi, m'a causé une dé-
sillusion grande ; on en a démoli les trois quarts
pour édifier de stupides maisons stucquées à
l'anglaise. Il est vrai qu'on a agrandi le port, mais
ce m'est une médiocre, sinon triste consolation. . .
Je ne vous parle pas du musée que vous con-
naisse?; certainement et qui est, n'est-ce pas, de
toute beauté.
Ce qui m'a le plus intéressé là-bas, ce sont les
I -, .
riilrnvinriil-. ; rnilullard nu I lanl d'or se n-
lévr fii bQMM • qu'on u lil ronsrntir au
| utinitr abord, la ni ri m s aux (|ualrr 00181 OQflUM
pour un gala, el sur Le cercueil, un drap rouge
ri or. A la longue, on s'habitue ft ces pompes
Funèbres qui. du moins, symbolisent — - un peu
prématurément, possible - la rioire éternelle
dur... pourtant au seul juslr d<\ an! hiru!
Liège, que j'avais vue. aussi, — tenez, le jour
même de la chute de M. Thiers m 18715, cela
nr me rajeunit guère, et Dieu sait quel bourvari
dans cette ville toute française (ou croyant l'être) !
— Liège, tdlr. n'a pas ehangr. Du reste, pourquoi
L'aurait-elle lait ? X'a-t-elle pas toujours, outre
ses monuments, son palais de justice et ses cu-
rieux cloîtres, ses bords admirables de Meuse et
son Mont-de-Piété, qui vaut le voyage ? C'est
peut-être, en plein pays wallon, l'échantillon le
plus tlamand de toute la contrée, y compris
Amsterdam lui-même.
Mrs huit conférences projetées se trouvant ter-
minées juste à la veille de la mi-carême pari-
sienne, et la mi-carême belge n'éclatant que le
dimanche « ensuite», moi qui n'aime plus ces
fêtes beaucoup, je résolus d'accomplir un des
plus chers (et bien modestes, vous allez voir)
vœux de ma pauvre vie, je résolus de passer ce
jour... et le suivant à lîruges.
I7C» souvenirs
0 la plaisante ville aux carillons si doux, si
berceurs, pour qui sans nul cloute furent faits ces
vers, dès lors ressuscites pour moi, de Victor
Hugo :
.l'aime le carillon dans tes cités antiques.
O vieux pays gardien de tes mœurs domestiques.
0 l'aimable cité, dormante et non pas morte,
suivant le bien trop pessimiste Rodenbach ! ô
ses canaux sans navigation, mais non pas sans
cygnes ! ô le tout petit béguinage, et le tout petit
musée de l'hôpital (si amusant de calme et de
bonne vétusté) et quels Memlings ! et ô surtout —
même après les hautes tours et les maisons belle-
ment bizarres, parfois presque ou tout à fait
mystérieuses, même après tout cela, — le Musée
de dentelles, qu'il faudrait la main d'une belle
dame qui serait fée pour oser décrire...
Ce devait être ma dernière impression de Bel-
gique entre mille autres charmantes de la part des
choses... et encore plus, s'il est possible, des gens.
Aussi, à une dame d'ici qui me boudait un peu
depuis mon retour, — pourquoi, mon Dieu ? — ne
pus-je m'empêcher, vieux fou que je suis encore
et déjà, de dire... sur son album :
On fait de la dentelle à Bruges,
Mais on fait risette à Paris.
JEANNE TliKSPORTZ
Elle t-sl toute petite, toute blonde, comme toute
irisée H e est d'un air mignon au possible qu'elle
porte presque sur L'oreille sa toque impercepti-
ble, d'où semble s'envoler un oiseau blanc et
noir, mi-mouette et mi-colombelle. Et précisé-
ment, elle-même tient de l'oiseau jusqu'au mi-
racle. Elle marche : c'est un oiseau qui marche ;
parle-t-elle ? c'est un oiseau qui parlerait. Mais
n'allez pas lui attribuer, sur ces aspects, la fri-
volité non plus (pie la gracilité de L'oiseau. Il va
du sérieux e1 de la carrure dans cette tête jolie,
et sa conversation, pour n'être en rien pédante,
sent bon d'une lieue l'esprit le plus lin poussé en
pleine terre de rationnelle érudition. Méchante,
non. Mais ne vous y fiez pas. L'épigramme,
quand par trop provoquée, sort prompte et point
!2
178 SOUVENIRS
très douce de ces lèvres charmantes. Le regret,
d'ordinaire plaisamment modeste, sait, alors
qu'il le faut, luire d'une gentille mais virtuelle
vraiment malice. Même on connaît délie des
pages que le gros mot de talent n'accablerait
pas, mais qui valent mille fois mieux qu'un lourd
compliment et sont exquisement légères et spiri-
tuelles. Bonne, certes. Et courageuse ! Pauvre
elle est et restera, parce que, contentement de
vivre pour bien faire passe richesse et voilà ou
jamais le cas de le dire. C'est vers des buts par-
ticulièrement recommandables et pour des lins
dignes de toutes louanges, que se dirigent les
pas si lestes et vocalise l'organe si preste qui
faisaient naguère l'objet d'une juste assimi-
lation.
Femme à l'extrême, ce n'est pas qu'elle ait
peur du sexe laid. Le contraire ne serait pas tout
à fait vrai uniquement pourtant, parce que rien
n'est absolu sur ce globe terraqué. De tout cela
il ressort que, puisqu'elle est très bien, eh bien,
dans les quelques et très rares rapports qu'elle
peut avoir avec ou envers des hommes, elle sait
garder toute mesure et peut tout pousser à
l'extrême.
Mademoiselle, je vous remercie bien. Je n'avais
à tracer de vous qu'une silhouette et je pense
que c'est fait.
179
Quant à oe <|ui est <l<- faire un poitrail tout du
lontf, ci'hi (lfin;iii(K'r;iil du temps «'I 1»' vôtre est
m précieux qu'il mefaudrail assumer de telsmo
lits, en vérité, que j'y vaia réfléchir considéra"
lemenl .
NEVERMORE
L'humble cabaret d'autrefois est plein de so-
leil couchant : la chaude lueur allume les vitres,
danse sur le carrelage de briques rouges, crible
d'étincelles sanglantes les faïences peintes du
dressoir de chêne à plaques de cuivre, et vient
jusque sur la table où je rêve, les mains au men-
ton, empourprer la bière noire dans la grande
chope.
L'hôtesse est toujours celle que j'ai connue.
elle a quelques cheveux blancs de plus parmi sa
fauve tignasse : elle me parle de son mari qui est
forgeron et de ses enfants dont l'aîné tirera au
sort dans cinq ans. J'ai une certaine difficulté à
la comprendre, parce qu'elle s'exprime en pa-
tois, et quelque peine à lui répondre, — car je
rêve.
En rêvant, je jette à travers la fenêtre basse
I Mils IHl
les yeux mu- la grand'route qui mène à la rue
d'un village dont on n < » î i les première! habita
lions. L'une d'elles esl an peu plus haute que
autres, e1 les rayons venus «!«■ l'ouesl encai
senf le toit de tuiles avec une sollicitude toute
particulière.
De loin en loin passe un cheval tratneur de
herse <>u de charrue que guide un rustique sif-
flant ou jurant, selon l'allure de l'attelage, ou
bien c*es( un chasseur au léger bagage, qui re-
grette lea lourds carniers d'il y a six semaines.
Paysan ei chasseur quelquefois entrent, boivent,
paient et sortent, après une pi pc fumée et quel-
ques nouvelles échangées. — Moi, je rêve.
l'.t je me revois dans ce même cabaret, moins
vieux d'à peine quelques mois, assis près de
cette table où je m'accoude à L'heure qu'il esl et
y buvant comme aujourd'hui, dans une chope,
une bière noire que le soleil couchant vient em-
pourprer.
Kt je pense à l'Amie, à la Soeur qui chaque
soir, à mon retour, doucement me grondait d'être
en retard, et qu'un matin d'hiver des hommes en
vêtements blancs et noirs sont venus chercher en
chantant du latin.
Et l'horrible abattement des malheurs sans
oubli pénètre en moi, silencieux, tandis que la
nuit, envahissant le cabaret où je rêve, me
1 H'2 s o u v 1: n i h s
chasse vers la maison du bord de la route qui
est un peu plus haute que les autres habitations,
la joyeuse et douce maison d'autrefois où vont
m'accueillir, rieuses et bruyantes, deux petites
filles en robes sombres, qui ne se souviennent
pas, elles, et qui joueront à la maman, — leur
récréation favorite, — jusqu'à l'heure du som-
meil.
SOUVENIRS SUR TIIKODORK
DE BANVILLE
J'ai beaucoup connu le si regretté Maître et je
pense qu'il est encore temps de lui apporter mon
hommage comme filial sous la forme de ces quel-
ques notes anecdotiques. Tout d'abord, ma pre-
mière connaissance avec Théodore de Banville
s'opéra par la lecture, chez un libraire du quai Ma*
laquait, des Cariàtidêê et des Stalactites, lesquels
livres de sa jeunesse (18i2) frappèrent littérale-
ment d'admiration et de sympathie mes seize ans
déjà littéraires. Certes, Banville a fait mieux et
infiniment mieux que ces œuvres de son adoles-
cence poétique (il débuta à dix-neuf ans), mais
il v a dans ces Jiwenilia une telle ardeur, une
telle bogue, une telle abondance, une telle ri-
chesse en quelque aorte, que je ne crains'pas daf-
iirmer qu'ils exercèrent sur moi une influence dé-
iHi SOUVENIRS
cisive. J'étais proprement transporté. Un peu
pins tard, je 1ns les Odes funambulesques qui me
ravirent en extase, Le Beau Lc'nnrfrc, Z,e feuille-
ton d'Aristophane, toute cette œuvre merveilleuse.
J'eus bientôt l'honneur d'être présenté au grand
poète par de chers camarades, Goppée, Mendès,
Dierx, José-Maria de Ileredia. Mérat, et ce
pauvre Yalade. Il était impossible de trouver un
plus charmant, un plus brillant causeur, en
même temps qu'un hôte aussi affable, d'une ma-
lice douce et sans fiel, véritablement unique.
Son visage, qui rappelait cplui du (Ville de
Watteau, était un aimable et singulier mélange
de bonté presque puérile et de finesse infinie. Du
reste, un parfait gentleman aux gestes gamins
toujours de bon aloi. Sa voix, plutôt haute, sor-
tait d'entre ses dents un peu serrée, stridente
maisbienveillan te. Les épigrammes, les anecdotes,
jusqu'à des confidences tout amicales en sor-
taient pour la joie de ses invités du salon de la
rue de Gondé (je parle de longtemps), dont les
honneurs étaient faits par la fidèle compagne de
sa vie. Un fils de premier lit, qui est maintenant
un grand artiste — j'ai nommé Rochegrosse —
s'était vu adopter par Banville en toute paternité
infatigable et dévouée. Je me rappellerai toujours
ces milieux de soirées où le Maître déshabillait
le tout petit garçon, le faisait baiser au front par
SOUVBNIhM 185
L'assistance que nom étions e< l'allail coucher,
cependant que noua prenions d< tus et Le
thé m rhum traditionnel. Banville revenait et la
conversation devenait plus vive sur l'invitation
du " patron » :
— Et maintenant, Messieurs, nous allons fu-
mer «les cigarettes comme un tigre I ( «eci ponctué
d'un index ''il l'air, geste si gentil, mais combien
contagieux] Car tous, du Parnasse contempo-
rain, plus ou moins que nous sommes au
fond, avons conservé cette manière d'accentuer
nos phrases, Mendès, Coppée, votre serviteur et
tant d'autres! ('.'est vers tes heures que l'on
voyait Banville tirer de la poehe de son veston
de velours une simple casquette de soie qu'il
campail gaminement sur une tête peu chevelue
déjà, comme L'expriment d'ailleurs ces vers
exquis :
Banville porte un front qui n'a rien de commun :
A tort il l'accompagne
De trois crins hérissés avec fureur, comme un
Savetier de campagne.
Et les malices, et les bonnes méchancetés, de
pétiller en paradoxes éblouissants, sans, je le
répète, aucun liel au grand jamais. Parfois, un
violent coup de sonnette, suivi de L'apparition de
L'immense Glatigny, retentissait. Le poète de
186 SOUVENIHS
Flèches d'or n'était rien moins qu'un dandy,
tout en restant, bien entendu, un gentleman lui
aussi. Il me souvient de l'avoir vu dans ces
chères réunions, vêtu dune blouse bleue de rou-
lier.avec, aux pieds, de purs sabots. Par exemple,
en voilà un qui vous l'imitait, ce Banville! Celui-
ci, d'ailleurs, se plaisantait lui-même à cet égard.
C'est ainsi qu'un soir, les frères Lionnet, en
train d'imitations, s'avisèrent — ou mieux :
s'avisa — de contrefaire les intonations si amu-
santes de Banville, qui s'écria: « C'est bien...
mais ce n'est pas encore ça... » Et l'excellent
hôte de « s'imiter » délicieusement et de se sur-
passer lui-même, tâche peu facile, en esprit gen-
til tout plein, bonhomme et divinement farceur.
Et c'est vers ces époques que Banville écrivait
son chef-d'œuvre, peut-être, ses magnifiques
Exilés, livre véritablement épique et du plus
haut lyrisme. Le Charivari d'alors imprimait une
nouvelle série d'Odes funambulesques qui ne le
cédaient en rien aux premières ; et le National
insérait chaque dimanche soir de miraculeux
articles de critique dramatique. Le Théâtre-
Français jouait (iriiu/oirc ; des nouvelles, des
contes, ajoutaient en outre à la gloire du puis-
sant créateur. Parfois, sa mère honorait ces soi-
rées de sa toute bienveillante et toute gracieuse
présence, et c'était vraiment admirable, quoique
\ i \ i ii v 1M7
bien n;tlurel. dfl Vcàx la déférenee alVretueusc
dont Btnvillt L'entourait. <m parlai! peu poli-
tique, rua de Coudé; mais quand il en était
question, Le maître lavait toujours imposer son
luniiiirux boo sons et la juste Largeur dt ion
esprit .
Survint la guerre, qui trouva Banvilla fière-
ment patriote ai lui inspirales Itli/llrs /u'iisxicnne*,
une œuvre vengereaae, la seule peut-être qui res-
tera de cette période. a\ ac de fort beaux vers de
Mandai et de Coppée. Dei événements qu'il ne
convient pal de raconter ici m éloignèrent de
France et de Paris pendant de longues années,
ce qui n'empêcha point le poète de s'intéresser
à mes humbles travaux en de précieuses lettres
précieusement gardées qui font partie de nus
plus chers trésors. La vie, depuis si sévère et
parfois si injuste pour moi. m'a. dansées derniers
temps, tenu éloigné de son salon de la rue de
l'Eperon ; mais, et c'est là le cas de le dire, le
cœur y était. Et ce me fut comme un grand coup
au cœur quand, ouvrant Y Echo de Paris, certain
matin, j'appris sa mort soudaine. Et moi qui ne
sors jamais, infirme et sauvage (pue je suis, je me
départis de ma discrétion habituelle et assistai
à ces belles et touchantes funérailles, où, malgré
la pluie, l'Intelligence de Paris se pressait. J'ai
ressenti rarement une émotion pareille, encore
188 SOUVENU! S
que la Destinée m'ait gâté et me gâte encore
sous ce rapport-là. Il me semblait que c'était un
reste de ma jeunesse qui s'envolait. lime souve-
nait d'avoir, vingt-deux ans auparavant, accom-
pagné un autre cercueil, aussi illustre, mais
combien triste ! avec sa trentaine de suivants,
dont précisément Banville, resté fidèle à son
ami Baudelaire. Je menais en quelque sorte le
deuil avec V éditeur Lemerre ; hier, n était-ce pas
l éditeur Yanier sur le bras duquel je m'ap-
puyais ! Simple coïncidence, mais fatalité tout
de même, preuve et « sigillé » (dirait l'ami Mo-
réas) de ma fatale inféodation à cette tant aimée
coquine de littérature pour laquelle avait tant et
si victorieusement fait là jamais disparu bon
Poète !
Mi: S HOPITAUX Vb/ei nouvelleë .
On pourrai! appeler cette semaine celle des
visites. Trois jours OÙ Les parents, amis et « con-
naissances » îles malades peuvent serrer la main
aux tristes reclus, les embrasser et les baiser se-
lon le degré d'intimité. C'est qu'une fête con-
cordataire nous est échue en dehors des dimanche
et jeudi de rigueur pour l'entrée libre des étran-
gers. Précisément ces jours-là, il est rare que je
reçoive du monde, étant « porté sur le mouve-
ment », c'est-à-dire pouvant avoir des visiteurs
tons les jours indifféremment. Je profite de ces
heures de loisir pour observer un peu à ma
droite et à ma gauche et mon temps n'est pas
toujours complètement perdu, tant le populo,
j'entends l'honnête populo parisien, a d'expan-
sion, d'abandon naïf sous son air gouailleur dans
la libre expression de ses sentiments, presque de
190 SOUVENIRS
ses sensations. Et que de nuances, d'intéressantes
et pourtant, pour parler ainsi, cousines diver-
gences parmi ces variées manifestations de la
vraie âme démocratique qui a bien, elle aussi,
avec ses prétentions, dès lors absurdes, à l'absolu
dans la justice, liberté, égalité, fraternité, et
autres formules, avec ses préjugés voltairiens
sans le savoir et tous ses sots emballements vers
quel idéal pour « travailleurs », ses délicatesses,
ses exquisités, sans compter ses ridicules, com-
bien innocents et gentils à force d'être intenses !
D'abord, ce qui caractérise ces fêtes, ces véritables
fêtes bihebdomadaires pour ces pauvres braves
gens, c'est le nombre du personnel, je veux dire
du public. H y a des lits autour desquels j'ai vu,
pas plus tard qu'hier, une bonne quinzaine au
bai mot de camarades d'atelier, en dehors bien
entendu de la bourgeoise et des gosses. Et c'était
tellement encombrant qu'un d'entre la société,
en manière d'apologie, encore que d'autres lits
fussent quasiment aussi circonvenus, s'écria :
« C'est rigolo. On dirait un enterrement. —
Moins le bistro », observa doucement le malade
en gaieté d'avoir tant de sympathie, peut-être un
peu curieuse, autour de lui. Et, les trois heures
sonnant, heure de la sortie, tous ou presque
tous, en lui serrant la main, de lui remettre qui
un paquet de tabac, qui quelques cigares insépa-
SnCVKMIIS l'.U
rables, (|ui des oranges et ipiebpi.s uns trois OU
(jimlrts pièces blanches,
Par oontre, bien triati le lit qu'on m visite
jamais, plus triste encore Le in.tl;uli> (jui in est
Il titulaire. — Néanmoins, il n't'sl pas rare <pi'on
lui parla, qu'un dat viaiteurs, qu'une surtout et
plutôt tics visiteuses d'à côte ou d'en face s'in-
quiète tic sa santé, lui passe même quelque dou-
œur, tant le pauplfl parisien, bien pris et un peu
trie, est bon.
D'ailleurs, en dehors des particularités oi-
desaua, curieux et curieux les visiteurs de cet
ordre. Lespremières nouvellesdonnées et reçue*,
les cordialités épuisées, c'est une procession aux
fenêtres des femmes, des enfants et de quelques
hommes. Des oh et des ah. des « Tiens 1 » et des
« Viens donc voir... Le chemin de fer de cein-
ture <pii passe toutes les cinq minutes. Ça doit
être bien gênant pour dormir... Mais c'est bâti
sur pilotis ici. Est-ce solide au moins ?...» Et
les fidèles restes auprès du malade, n'ayant plus
rien à lui dire ni à se dire entre eux. se taisent
et laissent errer leur regard, qui commence à
s'ennuyer, sur la salle, sur les lits, dévisagent
les divers élèves machabées et font des réflexions
— quelles? — sotto voce.
Moins touchante, si, touchante aussi, dans un
tout autre genre la visite fpie faisait tous les
10:2 SOUVBNIR8
jours réglementaires, de une heure sonnant à
3 heures et des minutes, une helle tille, ma foi,
dans les vingt-quatre, vingt-cinq ans, à un épou-
vantable petit souteneur de dix-sept ans au plus,
naguère traité à la chirurgie pour un coup de re-
volver reçu dans une rixe de bal musette, de-
puis en médecine pour une autre maladie, véné-
rienne des mieux caractérisée. La pauvre fille,
arrivée toujours la première, apportait à son
aiïreux avorton d'amant de l'argent, des vic-
tuailles — et des fleurs. 0 fleurs ! Un jour
qu'elle tardait de deux ou de trois minutes,
il s'écria : « G'que j'te la scionnerai à la sortie !..»
Moi, puisque ce moi qui est mon poison m'es!
présent pour toujours comme un remords, comme
je viens de le dire, j'ai la faculté de recevoir tous
les jours, et mes amis viennent de préférence en
dehors du règlement. Ce qui fait que je puis les
promener dans le jardin et causeï à l'aise. Les
jours réglementaires on est forcé de rester au lit
et c'est dans cet appareil qu'on est visible.
En outre d'une admirable chère amie qui n'a
pas peut-être en, en moyenne, deux ans pleins
d'hôpital mien, manqué dix fois de me visiter, —
quelques amis, faits par moi le plus rare possible
par voie d'adresses non données à d'aucun, des
amis de derrière les fagots et les ragots, charment
ma solitude de leurs potins moins littéraires
101 \ I N I
ni'autres, car ils connaissent mon manque de
^•oùt pour les premiers. On l'unie des pipes, "ii
\;i ;iinsi jusqu'à la soupe de quatre heures et
L'on se sépare meilleura camarades vraisembla-
blement qu'en ville.
Ah ! tandis qu'il s'agit de visiter, qu'elle
vienne donc bientôt, sinon toul «le suite, la grande
attendue, un dimanche ou an jeudi, ou tel jour
de la semaine qu'il lui plaira, me parer enfin (les
Heurs qu'il faut — point surtout de rhéto-
rique ! — et pareil, moi, dès lors, à la victime
antique, à mon tour me scionner !
Car on se lasse des meilleures choses, fùt-ee
de la vie en ces conditions si charmantes que je
crois bien que c'est moi qui me les suis laites, au
fond.
13
LE DIABLE
Car il est « à la modo » aujourd'hui, Messer
Satanas, et le titre ci-dessus Heure l'actualité de-
puis le si mérite succès du La-Bas, par notre
ami J. K, llûysmans. Fut-il jamais plus ques-
tion d'envoûtements, de vénéfices, de malengins,
d'incubat-succubat, Messes-Noires et autres sor-
tilèges que durant ce dernier trimestre? Jusques
aux maisons-de-rapport qui se mêlent à cette
danse macabre... et c'est ici que le Diable
éclate — cette fois, une fois n'est pas coutume —
contre ces pauvres propriétaires — car dès que
les « daïmons », comme dirait l'excellent pot te
Jean Moréas, hantent un immeuble, quand même
ce dernier serait situé sur le boulevard dédié au
peu occultiste Voltaire, tous autres locataires, de
chair et d'os, et de ressources épuisables peut-
être ou sans doute, comme vous et moi,
I BMB1
Volet*ntt m ealebutênt
ainsi que profère I»- vers-libriste Jean, lui ,hism :
de La Fontaine récemment, lui aussi. odiHé,
voire banqueté . déménagent à la queue leu leu,
non, quelquei uns. sans tirer celle des [ntrua,
n<»n. d'aucuns, sans Le son discret d'une cloche
mal bénite su ligneux métal...
Oui, le Diable, «las Teufel, the Devil, il Dia-
volo, cl Diablo, comme nous voudrez et dans
toutes Les langues que vous voudras avec ou sans
ses cornes, avec ou sans cette <jiiouc dont je viens
de parler, oui, le Diable est de mise, suivant le
terme des joueurs, et. pour niYxprimer commer-
cialement, " de défaite » en ces jours, pourtant.
de scepticisme un peu bien poussé trop loin, entre
nous, qui, en fait,
Clignons VœU du côté du « Malin ».
Je ne suis pas beaucoup plus grand clerc en
démonologie qu'en Théologie, en dépit de quel-
ques études à l'intention de cette dernière science,
ni, surtout, grâces aux dieux immortels! qu'en
psy.. psv... psychologie; mais, bien qu'inexpert
aux tournois de tables ou de chapeaux, tant
hauts de forme que mous ou melons ou etc., tant
rondes que carrées, vel alias, je ne suis point
196 S ni' VF. MUS
sans quelque accointance avec le Seigneur des
Ténèbres, — fiât Xox ! — de son nom lin de
siècle, le Très lias. — Et ceci, non pour ressasser
l'a la lin insipide plaisanterie consistant à dire de
ceux-là, vulgaire troupeau, vil bétail, sotte en-
geance ! de qui le porte-monnaie, velouté de par
trop denses toiles d'araignées, n'a pas assez
l'horreur du vide, qu'ils voient le Diable.
Non, mes relations avec le mignon du célèbre
et irrévérend chanoine Docre partent de plus bas
encore, s'il m'est permis d'oser ainsi étaler mes
plaies morales. — mais ne traversons-nous pas
une époque de liberté... relative, — heureuse-
ment !
Je ne veux point non plus parler de mes sept
péchés capitaux, ni de la tourbe des vénielles
peccadilles de Yotre indigne serviteur — et nul,
je crois, de mes contemporains des deux sexes
ne serait, dans l'occurrence, autorisé à jeter le
premier caillou dans mon jardinet de coulpe et
d'erreur.
Non, encore une fois, et voici, surtout, et
entre autres milliers de cas, la cause et l'effet de
mon satanisme à moi :
N'avez-vous pas remarqué, complices lec-
teurs — et lectrices, combien l'ennui est tenta-
teur, d'autant plus tentateur qu'il se manifeste
multiforme : ennui de croupir dans l'obscurité
-"I \ I \ I ll>-
pour 1rs jeunes de Lettres, dana L'éternelle dèche
e( La dette archi vivaoe pour La plupart
g glorieux » gloriê in profundiê^ ou in extremiê,
au choix ! ennui, côte dea dames, pour une robe
où tel grand couturier s'esl trompé, ou pour cel
amant OU tri auhv .>u d'autres trop <>u |»as
assez assidus ou jaloux, ennui pour L'enfant
d'apprendre et pour Le maitre d'enseigner, ennui
de vivre, enfin, pour loua et partout et tout Le
temps '.
Or, L'ennui esl la vraie solitude, la solitude
dana Le tumulte des foules aussi bien que dans
les tempêtes au désert et que dans le ci/me en
mer. Et la solitude. VOS soit] en même temps
qu'elle porte malheur, est, par préerllence. mau-
vaise, détestable. al>ominal>le conseillère.
C'est t'ile qui détruit reniant la nuit et parfois
le jour, elle qui :
Tord sur leurs oreillers les brun» adolescents,
elle qui se constitue la Muse. — pardonnez, chastes
Piérides ! — ■ du criminel et du filou, elle qui sou-
vent, trop souvent, égare le poète et l'artiste ès-
sinistres Labyrinthes du vain Orgueil et de
L'Envie, qu'elle sequolibette Emulation ou garde
cyniquement son sale nom. c'est enfin elle ou
plutôt lui. l'ennui de vivre qui... me diète ces
198 SOUVENIRS
lignes, horreur ! pour, ô que bénévole dévora-
teur de ma prose, un peu vous faire partager mon
ennui de les écrire — et d'écrire en général !
Est-ce assez satanique, dites ?
Et puis, — il y a un « et puis » — le Mensonge
ne marque-t-il pas foncièrement le Maudit et les
suppôts dudit? Et qu'est-ce que je viens de vous
envoyer là, sinon la plus effrénée, la plus
effrontée, la plus fallacieuse et pernicieuse et
fellatrice et délétrice contre-vérité ? Car j'aime
férocement, sachez-le, peuples des continents et
des îles, j'aime, en vieux Parnassien, en, parait-
il (tant que ça?), symboliste inéxpecté, cette
gueuse entre les gueuses, cet ange par-dessus les
Archanges, la nommée Littérature, c'est-à-dire
les Lettres. Or, les primes Lettres proférées dès
l'aurore de ce monde, après tout bon, furent,
souvenez-vous :
Fiai lux !
Si bien que, de fil en aiguille, mon très pro-
fondément prémédité, vénéficiard, préjudiciable
et envoutementesque discours est ourdi juste à
l'encontre de mon dessein, et que le Diable, en-
core une fois, comme en ce Papefiguière dont
nous informent François Rabelais et Jean de La
Fontaine — déjà nommé, — c'est la saison des
I I \ I I! -
prix si bien, dis-je, qu'encore une fois, qui ne
sera pas, espérons-le bien, la dernière, — 1«
Diable aura été berné comme un simple Sancho
Pança, à L'instar d'une réunion d'actionnaires,
ou, en (in <!<■ compte, exécuté^ t»'l un clubman à
la carte trop facile...
El Fiai ///./-. et vive la Vie, - cl au diable le
Diable!
Auùt gi.
MOMES-MONOCLES
Sous ce titre quasiment générique, je me pro-
pose de réunir quelques-uns de mes très jeunes
ou jeunes encore amis affligés de la verrue en
vogue ou adornés de cette fleur à la mode,
comme on voudra. Je place la présente étude
sous le haut patronage de notre cher et vénéré
maître Leconte de Lisle, du monoculiste par
excellence, qui porte beau et fier, dans son ar-
cade sourcil... leuse, l'emblème chéri de la géné-
ration montante de cette décadence-ci.
A Edouard Dubits.
Grand, point trop mince, glabre et pâle, vif
comme le mercure et causeur comme une cas-
VI Mll> _'0|
« .il. lie qui serait presque un torrenl . il
duelliste de naissance, amoureux de complexion,
poète de race et reporter à ses heures perdu
Les belles, toutes ! de Montmartre el du Quar
lier n'ont point d'arcanes pour lui : leur alcôve
est loute sonore de ses sonnets qu'enflamme, par
surcroit, la pyrotechnie <lu plus pur symbo-
lisme, leurs ni;iiiis. et,je crois bien, leurs pieds.
loul roses deses baisers, sans préjudice <!<■ leurs
autres trésors et de ses autres caresses. In <l<>n
Juan à trois veux, un pacha à... combien de...
cœurs.
La première lois <|iu' je le vis, nous nous
gourmâmes. La seconde fois nous dinftmes en-
semble. Depuis Qotre amitié subit des fortunes
diverses ; telle toute chose humaine, mais le
beau fixe a uni par triompher, et je défie bien
l'appendice zygomatique de ce charmant com-
pagnon, quelle qu'en soit l'acuité cl quelque pé-
nétrante que puisse être la psychologie de son
regard pourtant pénétrant en diable, de dé-
couvrir la moindre arrière-pensée dans l'ex-
pression actuelle de ma véritable sympathie
pour la gentillesse de ses procédés — et de son
esprit, ce qui ne i^àle rien.
•20-2
s < » 1/ v e N i n s
II
A Alain Desvaux.
Pourquoi ce doux garçon s'entend-il sur-
nommer « l'assassin » ? Serait-ce par anti-
phrase et faudrait-il en croire la légende qui
veut qu'en train de [suçons sur des frisons il ait
naguère été l'objet d'une tentative de meurtre
de la part d'une Espagnole soupçonnée d'être
des Batignolles? Je connais un peu la dame, cl.
vrai, je ne la crois pas démonstrative à ce point,
mais bien très charmante et sanguinaire tout au
plus comme un mouton mal enragé. Au de-
meurant, que de revanches cupidonesques ne
prit-il pas d'autre part ! Je ne compte à son
passif, en outre de la terrilique aventure ci-
dessus indiquée, qu'une défaite, cette fois ci
brésilienne authentiquement, et j'y compatis
d'autant plus que moi-même, quelque temps
après, je passais par les mêmes fourches portugo-
americo-caudines. Hasards de la guerre !
sombres fêtes ! Mais que diable voulez-vous ? On
n'est pas des princes, ni des bœufs, comme
avait coutume de dire un jeune faubourien,
01 VI M II - -'(Xt
mon voisin d'hôpital, du temps quand je n
pas oe millionnaire.
Il s'appelle Alain, en bon breton qu'il esl
bon breton aussi, il bretonne pour l'Egli
pour le Roy, plus - millénaire . comme «lit
Le. mi Bloy, que gallican, plus p. un- Charles XI
que pour Philippe VII, ce à quoi j'applaudis.
Tout loyalisme, tout foi, sinon tout croyance. Il
pratique peu et ne conspire pas. N'arbore son...
monocle qu'à la rigueur.
l'n nez à la Scudér y. Comment se pourrai t*il,
des lors, qu'il ne fûl pas le Triomphant habituel
<|iir nous savons?
111
.1 Henry Chollin.
Il vien Nilhoc pour ses Lecteurs, car porte ri
romancier. Carliste comme ci-dessus et ultra-
montain nuance Grégoire Septième du nom. Peu
pratiquant aussi. Assume ses féroces opinions
cléricales principalement dans son costume qui
tire fort sur le prêtre catholique anglais, surtout
quand il complète par un haut de forme à bords
plats son col comme romain « piquant il uni'
l'Oi
SOI VENIB3
note » blanche le noir de la soutanelle (ou
comme) hermétiquement fermée. Coill'é du pé-
tase de feutre noir — toujours ! qu'il dispose
en cône à la Salvator Hosa et qu'il porte très
enfoncé, très en arrière, il contracte des airs
mauvais garçon et parle volontiers socialisme.
Mais ne voyons-nous pas le bellement féodal,
l'admirablcment mystique, le 1res décoratif
"\\ ilhelm II se pencher, non sans une grâce hau-
taine, sur ces questions essentiellement cor-
diales ?
Supporte bien une pauvreté un peu volon-
taire ; et, pourvu que son verre, qui est grand,
s'empourpre de picon ou s'illumine d'absinUie,
diurnes et nocturnes, il n'y a pas d'heures poul-
ies braves et fi de l'opportunisme en toutes
choses ! il n'a cure et peu lui chaut du souper
non plus que du gîte... Et le reste? direz-vous.
Dame ! ses principes théologiques, bien qu'irré-
ductibles, ne lui défendent pas de se tourner
vers la Femme autrement que pour l'édifier.
Alors, gare ! 0 ces jeunes gens !
Par exemple, je ne sais pas pourquoi je l'ai
fourré dans ce cénacle de monoclés. Car bien
que (peut-être parce que) puissamment myope,
son œil est vierge de tout verre solitaire. L'hon-
nête pince-nez, les nuits de vadrouille et de
chapeau mou, des lunettes — pas moins ! quand
S..I \ |.\ |
casqué «lu galurin des jouri habillée, pa
seuls ou déparent son visage d'adolescent as-
cétique avec un soupç !'• bonne humeur la-
tente et d'indulgente gausserie.
Il n'a doue pas, il usurpe, mais de par L'amitié,
sa place dans cette galerie de chers camarades,
d'affectueux et affectionnés cadets du bon-
homme un peu Jadis déjà que devient votre ser-
\ iteur.
Kt vite revenons à l'orthodoxie de notre
titre. Aussi bien voilà qui est réalisé, car nous
avons affaire.
IV
i Franklin Bouillon.
« The Jersey man wich a jolly glass in his
eve ». Et c'est donc que nous parte/., cher ami.
pour ee London gothique, riche el seled bien,
plein d'arbres el de marbres, pour cette joyeuse
vieille Angleterre, — Bournemouth, Lyming-
ton, Rrighton, paix, repos, bénédiction ! —
séjour terrible et charmant «le mes années d'exu-
bérance, de quelle exubérance ! où maintenant
grandit, en sagesse, j'espère, un autre moi-
203 SOI Yl'.NIltS
même à qui la vie puisse épargner les joies et
leurs revers paternels !
Plus heureux que votre ami, cet Ovide sur
place, ibis y bon Frank, ibis in Urbem !
V
A Dauphin Meunier cl Henri Leclenj.
Le monocle incarné en deux personnes !
Il est précieux de les voir côte à côte ar-
penter ou dégringoler le lîouF Mich', tels que
deux princes mérovingiens, superbes pré-
somptifs, imberbes fumeurs de cigarettes, on
dirait de celte époque-là, tant ils lancent majes-
tueusement la bleue fumée par les airs où
flottent, savamment déchevelées, leurs im-
menses, gigantesques, roses, noires, épanouies
tignasses, effroi du Philistin, stupéfaction des
filles, notre joie à nous romantiques un peu re-
venus, un peu trop rameneurs, sinon chauves
furieusement, mais vibrants encore à la vue de
ces reliques d'un passé qui fut amusant, et si
pieusement portées par des ordinands béné-
voles.
Je les crois légèrement « mages » et comme
SOI \ I \ I !
teintés de Bouddhisme, oar il pareil <|u'.l fout
imii de même une religion: on vient de dé
o.u\ in- ça toul a L'heure. En tout i is, os sonl
«If bons enfants, .s|>iniu<ls ci gais quand ils
veulent bien, et leur dernière - bien bonne»
consista a essayer de passer pour <!<•> mangeurs
d'opium et <lf baschich, mais I incompressible
bon sens loi éclata, divulguant par leur bouche,
sincère en définitive, qu'aucune sensation d'au-
cune sorte ii avait suivi la consommation des
mystérieuses substances, consommation pour*
tant opérée suivant tous les rites, a'est-ce pas,
1 lauphin?
Affaire, sans doute, de climat et <!<• tempé-
rament, diraient lc-> presque convaincus, des-
quels je suis.
VI
\ Jean Moréas.
Los. los, et trois fois los !
Voici le roi, l'empereur, le demi-dieu du Mo-
nocle !
Non content d'être le maître incontestable
des rhythmes obsolètes ressuscites et des vo-
cables moyenâgeux et renaissance accommodes
208 souvBNias
à telles et telles sauces ultramodernistes, il veul
encore, et peut et a pu s'instaurer le Magister,
par précellencc, elegantiarum.
L'hiver, c'est d'un manteau à triple ou qua-
druple pèlerine qu'il se drape, comme en 1830,
pour subjuguer le sexe aimable ; l'été, maints
boudoirs le voient s'étendre — sur des canapés
tôt gémissant d'un double poids — tout de gris
perle investi, cravaté de clair-tendre, bardé du
faux-col moins lier mais plus rigide que son
cœur tout aux belles de tous les temps.
Mais été comme hiver, erect ou supin, dès
le dilicule de môme que vers ces crépus-
cules du soir, il retient, il accapare, il absorbe
la Marque ésotérique, le Sigillé impollu, le
seul, le vrai, l'unique et multiple et sacro-saint
Monocle !
D'ailleurs pas « môme » le moins du monde,
celui-ci, et il ne figure en ce travail que comme
l'indispensable De us ex machina. S'il ne l'ait
que confiner encore non plus tout à fait à la
prime adolescence, sa moustache le désigne suf-
fisamment, double virgule ponctuant de leurs
pointes terribles l'auréole qu'il a, le sacre un
homme, que dis-je? le proclame l'homme qu'il
faut, QU'IL A FALLU !
Demande/ plutôt à ces dames.
ENFANCE CHRÉTIENS 1
El tout d'abord salut à La pauvre chapelle de
Sainte-Agnès, dans la vieille et bonne et belle
ville d'Arras ! Elle l'ut paroisse après que la Hé-
volution eut démoli la plupart des églis
L'était encore Lorsque mes parents s'y marièrent.
D'elle date, par conséquent, ce que j'appellerai
ma conception mystique et c'est pourquoi je
commence par L'honorer en tout respect at-
tendri. Pauvre d'architecture et d'ornement,
c'est comme une église de village, en raccourci.
crépie à la chaux, garnie de deux ou trois naïfs
tableaux et de quelques statuettes sans mérite.
De minces voix d'orphelines, depuis qu'elle est
redevenue la chapelle d'une congrégation i
gnante, y retentissent en lins cantiques, et de
frais saluts. aux fêtes, enflamment et fleurissent
son humble autel.
I'.
'210 SOUVENIRS
Je fus baptisé à Metz, où je suis né. Je n'ai
gardé aucun souvenir de l'église où cette céré-
monie eut lieu, ayant quitté Metz très jeune et
j'en ai même oublié le vocable. Mais c'est un de
mes plus chers projets, de m'informer, à la pre-
mière occasion, de tous les détails relatifs à
cette phase de ma vie chrétienne, pour pouvoir,
qui sait par ces temps-ci ? un jour de confession
ou de martyre, répondre à qui de droit, avec
l'accent, sinon avec le geste d'un Louis IX, se
réclamant du seul baptistère de Poissy : « Paul
de Saint un tel ou dételle Notre-Dame. »
Et de Metz ecclésiastique, nulle remembrance
que celle, bien vague, de la bizarre cathédrale
au bord de l'eau, dont j'ai encore les vitraux
très harmonieux dans les yeux, malgré tous les
pleurs qu'ils ont versés, malgré toutes les choses
étranges, coupables ou non, auxquelles ils ont
mêlé depuis leurs regards plutôt ingénus. Et,
Metz, deux fois mon pays, par la naissance et
par l'espérance, adieu sans doute !
Montpellier, de pompeuses processions sous
des draps tendus. J'y apprends mes prières. J'y
suis bien sage et plus près du bon Dieu que ja-
mais de ma vie.
J'avais sept ans quand je vins à Paris. Juste
l'âge du crapaud des Châtiments, tué au i dé-
cembre. J'étais, ce jour-là, sur les boulevards.
211
lora du fameux massacre, .'\ ec ma mère qi
promenait en curieuse, comme tout le nde, • i
nous n'avons été ni elle ni moi, ni passablement
de gens, maisons-allandrousés. Il esl vrai que le
(loup d'Etat ne m'a pas rapporté autant d'argent
de copie qu'à M. Auguste Vaquerie, de qui
j'admire fort, entre parenthèses, le si amusant
Tragaldàbas et cette adaptation des plus
réussies de Calderon, les FunérailleèdeVHon-
neur, mais qui n'est pas mort du toul percé de
halles, sur le perron de Tortoni non plus. Mais
me \ oici bien loin de mon sujet qui est de passer
en revue les divers tabernacles, ô mou Dieu, où
l'on nous adore eu esprii et en vérité, avec les-
quels ma vie m'a mis es quelque rapport. —
tant ce Paris est profane !
Mon tout premier souvenir parisien, sous le
rapport des fréquentations d'églises, est pour
l'épouvantable Sainte-Marie des Batîgnolles et
pour la Trinité en bois de la rue de Qichy où
j'assiste à des froides ou moites messes b
concurremment avec la chappelle des caté-
chismes de la rue de Douai, qui est donc quoi
devenue, depuis le temps? Ma famille me con-
duit à la première et ma pension un peu plus
tard aux deux autres. Guère de dévotion,
moi. Je m'ennuie simplement, sans plus rien
comprendre à ce qui se passe que la majorité
212
s o u v i: n i ii s
d'ailleurs des assistants, j'ai tout lieu de le
craindre. Ah ! des Te Dcuni pour la fête de
l'Empereur dans le chœur de Sainte-Marie, à
coté de mon père, capitaine du génie en retraite,
convoqué. Des services funèbres de connais-
sances. Le rite gallican, chantres en chapes, ar-
pentant le chœur de haut en bas, un serpent.
Les barrettes n'allaient-elles pas encore en
cône ? Des surplis sans manches, avec des
bandes plissées au petit fer voletant derrière. Je
remarque que les prêtres portent leurs cheveux
longs et très pommadés ou bien alors assez en
désordre. Ma première communion faite avec
d'affreux gamins, pourtant moins pires que ceux
d'à présent (pie je connais bien aussi, pour des
raisons. Menteurs, gourmands, méchants et
sensuellement vicieux autant que cet âge poussé
au pire, dans son impuissance d'autant plus
excitée par la corruption, est susceptible de
l'être, mes compagnons à la sainte Table ! Je
fus, j'ose le croire, l'un des meilleurs commu-
niants de cette malédifiante fournée de polis-
sons. J'espère, toutefois, que quelques autres
ne commirent pas non plus un sacrilège, en ce
plus beau jour de notre vie ; le pénitent de Sainte-
Hélène n'a jamais dit plus juste. Et je m'ac-
cuse, s'il le faut, de venir là déjouer le mauvais
rôle dans la parabole, s'évoquant, du Pharisien
v i mus 213
et du Publicain, Pharisien lilliputien de publi-
oains-mouches. C'est vrai, pour expliquer mes
avantages moraux et spirituels de «•<• moment
reculé, que j'étais un enfanl aimant et <1<>u\.
aimanl ma mère si merveilleusement vertueuse
e( bonne, L'aimant à l'adoration, aimant aussi
mon père, un homme parfait qui m'aima tant.
Peu après, quel mauvais sujet je lis, incroyant
et tout pour pendant si Longtemps, ô Miséri-
corde divine qui m'avez enfin puni!
VIEILLE VILLE
{Fragment d'un livre perdu
C'est une ville de province bien reculée,
presque inconnue, même des artistes, même des
curieux, par ce temps qui se donne pour amou-
reux de pittoresque et d'inédit, — Arras, pour
nommer la pauvrette par son nom qui fut
illustre et dont rien, je vous assure, n'a fait dé-
mériter la gloire archéologique — et sociale à
tout prendre, et si j'ose m'exp rimer ainsi.
Donc, Arras m'est chère pour des motifs :
liens de famille, le calme — et la suprême beauté
de son ensemble. J'y séjourne souvent, bien
que je n'y réside pas, et je crois connaître à
fond la ville, les habitudes et les habitants.
Laissez-moi vous en tracer un rapide crayon.
Vingt-sept ou vingt-huit mille habitants, sur
un périmètre assez restreint donnent à la ville
Mil \ I N I II >
une gaité douce ri boa enfanl que le i
flegmatique et le parler gras Là-bas, <>n pronon-
œrail e guerâs * des citadin f maintiennent
dans UO (lcini -liruil trèl plaisant. Au\ seuls
jouri de marché, in>is fois par temaine, Bette
sourdine se haut** on peu vers le matin et sur
h- soir.
Des diverses portes de la ville — ville forte à
la Vauban, Fosses immenses aui aspects les plus
variés : ici, de magnifique* peuplien bordant le
noir ruisseau ( aiiiclnui i jui COUTl ilaiis un alanie
de verdure, là-bas le dit ruisseau, à sa soin
bondissant à petit bruit d'eaux vives sur de Irais
cailloux cl aussi, avouons-le, parmi des débris
plus civilisés ; à cette autre porte, la rivière de
Scarpe remplissant Louf Le fossé <[ui est énorme
entre Lé sombre mur aux fausses portes
xvii!'' siècle des plus jolies et un haut rempart
OÙ abouti! la roule, pour aller à un quart de
lieue plus loin côtoyer le eours de la sinueuse
rivière sous des saules et des peupliers, à tra-
vers une campagne de fortes céréales et
d'étangs poissonneux — des portes, disais-je,
ouvrant immédiatement sur de belles rues tor-
tueuses avec assez de largeur et bouliquières
juste comme il faut, entrent, ces jours-là, char-
rettes potagères, bestiaux sans nombre et
lourds transports de grains. N'oublions point
:>H) SOUVENIRS
les ânières que secouent rudement leurs mon-
tures surchargées de verdure à leurs deux flancs ;
quelques-unes, vieilles commères ou femmes
mûres, arborant à leurs dents la courte pipe
noire, au « toupet » traditionnel dans tout ce
pays picard et flamand, d'Amiens à Dun-
kerque. Tout ce monde patoise, sans beaucoup
trop jurer — son ignorance l'absout un peu —
limoniers et bourriques tirant et trottant sous le
cri : « lue ! » qui doit peut-être s'orthogra-
phier : « I ! » et convaincre notre « hue » pari-
sien et plus généralement français de corrup-
tion de l'impératif d'ire. Sur les places affectées
aux marchés ruraux, le train-train, arrosé de
bière, — une bière aigrelette assez forte, — des
transactions de ce genre. Le soir, quelques ho-
quets d'ivrognes et de rares disputes aux limites
extrêmes de la ville — mais, en somme, toujours
règne ce calme provincial et plus particulière-
ment savoureux ici, que ne saurait tout à fait
apprécier un Parisien pur-sang, s'il n'a vécu
en de petites villes assez de mois pour se bien
pénétrer du bon sens et de la bonne humeur
à'e.rlrn-muroa. La garnison anime aussi quelque
peu les cabarets trop nombreux et mêle ses
sons clairs de cuivre au bronze des nombreuses
églises et chapelles de cette religieuse capitale
de l'Artois, aujourd'hui convertie en chef-lieu
INI \ I Mil-
il un dépariemenl qui correspond enl
pour sa part, heureux oubli ! - - à l'an< ienne
et judicieuse » 1 i \ i -. 1« • 1 1 en provinces d'un régime
que je voudrais voir reparaître jusque dans tout
ses précieux détails.
Des treize églises paroissiales qui dressaient
a\;ini la Révolution leurs graves et délicates ar-
chitectures du sein dentelé de la cité, um- §eale,
Saint-Jean-Baptiste, esl restée, vestige intén
gant du w siècle, très richemenl ei savamment
restaurée il \ a quelques années el que meuble
magnifiquement une authentique pieta de Ru-
bens. Dans ce désastre irréparable, dû pour la
plus grande pari à la main filiale «les Robes-
pierre el des Lebon, Part n'aura jamais assez de
regrets pour la disparition de la splendide ca-
thédrale dont le chœur datait du \T siècle et
dont la nef, les bas côtés et les constructions
extérieures remontaient à la fin du siècle suivant.
A cette cathédrale se rapportent les origines du
culte illustre de Notre-Dame des Ardents. Voici
l'histoire de ce beau miracle, racontée par un
vieil auteur, Gazet. On nous saura gré de donner
en entier ce chef-d'œuvre, naïf et tin. tel que
nous le copions au livre si intéressant de M. le
Gentil, juge au tribunal civil d'Arras I .
/ I.c viril Arras, onn' d'eaux-forlcs, — chez E. Bra-
dier, libraire, rue Saint-Aubert, Arras. Prix : 16 francs.
;2I<S sorvKNins
« Au temps de Lambert, evesque d'Anus.
environ l'an onze cens et cinq, le peuple estant
fort débordé et addonné à tous vices et péchez,
la saison devint intempérée, et l'air si infect et cor-
rompu, <{iie les habitants d'Arras et des pays
circonvoisins furent punis et affligez d'une
étrange maladie, procédant comme d'un feu ai-
dant qui brusloit la partie du corps atteinte de
ce mal. Les médecins n'y pou vans aucunement
remédier, plusieurs en mouroyent, aucuns
avoyent recours à Dieu et aux Saints et se trou-
vèrent en grand nombre devant le portail de
l'église de Notre-Dame en Cité, et à l'entour
d'icelle, s'escrians, se lamentans et requérans
ayde et secours.
« Or, corne en mesme temps il y eut deux
joueurs d'instruinens assez fameux et célèbres,
desquels l'un demeuroit en Brabant, qui se nom-
moit Itier, et l'autre, nommé Pierre Norman, se
tenoit au chasteau de Saint-Paul en Ternois,
lesquels estoyent grands ennemis et s'entre-
chayssoyent, pour ce que le dit Norman avait
tué le frère de Itier. Ce nonobstant, la Vierge
Marie en atour magnifique leur apparut séparé-
ment à chacun d'eux, le lundy en la nuict, et,
après avoir appelle l'un et l'autre par son nom,
elle leur tinct tout le mesme discours disant :
(( Levez-vous et vous transportez vers la ville
SC.I \ | \ I !
d'Arras, où vous trouverez grand nombre de
malades gisans devanl l'église fi demj morts de
Feu ardant, et vous adressansâ Lambert, evesque
du lieu, L'adverlirez qu'il soif deboul el qu'il
veille la nuicl samedj prochain, visitanl Les ma-
lades parmy L'église, et qu'au premier ohanl du
poq ou voira une Femme revestue de pareils
atours que mm descendre <lu chœur de La < 1 i t * *
église, tenant en ses mains un cierge de cire
qu'elle vous baillera, cl en Ferez dégouster
quelque peu de cire dedans des vaisseaux rem-
plis d'eau, que donnerez à boire à tous les ma-
lades, el înesnie en Ferez distiller sur la partie
du corps affligé. Ceux qui se serviront de ce re-
mède avec une viFve Foy recevronl la guérison,
el ceux qui Le mespriseronl perdront la vie. »
u Outre ce discours commun, elle dit à Nor-
man particulièrement qu'il aurait pour compa-
gnon Hier, combien qu'il lui fus! ennemi pour
L'homicide advenu et qu'en ce rencontre ils se-
roient réconciliez. Norman donc estant es veillé,
commence à s'escrier : 0 combien grande et
vénérable est la présence de ta Vierge Mère de
Dieu ! O à la mienne volonté, que par son ayde
je puisse estre réconcilié à mon poufrère Hier!
() pleust à Dieu que par sa miséricorde, et par
L'intercession de la Vierge Marie, je puisse an-
noncer à tant de malades qu'ils recevront santé
220 SOUVENIRS
el guérison ! Néantmoins, je crois fort (disoit-il)
que cette vision ne soit un phantosme et illusion,
pariant, je veilleray toute la nuict suivante,
pour sçavoir si, par la permission de Dieu, cette
vision se représentera de rechef. Puis, ayant
ainsi discouru, il se transporta à l'église de
grand matin, et assista à l'Office divin, faisant
sa prière à Dieu, qu'il lui pleust donner plus clair
intelligence et interprétation de la vision adve-
nue en la nuict précédente. Itier ne fist moins de
devoir de sa part ; fut à veiller, fut à prier. Et
la nuict suyvante, la mesme vision de la benoiste
\ iergc Marie se démonstra à chacun d'eux, les
menasvant que s'ils ne se transportent en dili-
gence au lieu par elle désigné, eux-mesmes se-
rovent touchez de la susdite maladie, qui fut
cause (pie ils se meirent en chemin le lende-
main au matin, et Norman qui estoit le plus
proche arriva à Arras levendredy, et le samedy
au matin s'en alla vers l'église de Notre-Dame
où il trouva l'evesque en prières devant l'autel
Sainct-Se vérin. 11 fut fort confirmé en son pro-
pos quand il apperceut le grand nombre des ma-
lades, qui se lamentoyent près de l'église,
comme lui avait esté représenté par la vision. De
façon qu'estant plus constant et résolu, il
s'adresse à l'evesque et luv prie se retirer à
escart, pour lui communiquer quelque affaire
M\lll> *J- I
d'importance. <'.<• raid il lui dit : » Monsieur,
lutnl \ dernier, en la nuiet, m'esl apparue une
vision de la benoiste Vierge Marie, laquelle m'a
commandé venir vers vous, pour vous déclarer
que samedj en la nuict, vous avez à visiter les
malades qui seront dedans et dehors l'église et
qu'après le premier chant du coq. pour un sin-
gulier bénéfice, elle vous mettra ès-mains un
cierge ardant, duquel en Faisant le signe dé la
croix ferez découler quelques gouttes de cire en
des vaisseaux remplis d'eau, et en donnerez à
boire aux malades, mësme en arrouserez Leurs
charbons et ulcères, Ceux qui ne se voudront
servir dece remède, ou ne Le recevront avec une
ferme confiance, ils en mourront. YToyla (dit-il),
La charge et commission qui m'a esté donnée; si
votre Paternité La néglige et ne la met à exécu-
tion, ce ne sera ma faute. »
« L'evesque fort estonné de ce discours luv
demanda s. m nom et de quel slil et pays il estoit :
mais quand il répondit qu'il estoyl joueur d'ins-
truments de son slil : « lia. mon ami (dict
L'evesque) ne tejoùe-tu pas de moy ! » Et lors le
quitta et se retira en son palais épiseopal. ne
faisant estât de ce que luv avoil discouru Nor-
man, Lequel tout vergongneux se tint encore en
1 église, considérant avec grande pitié et com-
passion tant de malades et misérables et affligez,
'2'2'2 SOUVENIRS
Or, quelques heures après, voylà Itier venant du
plusloing, qui arrive en l'église de Notre-Dame,
et. y ayant fait sa prière à Dieu, s'en va au palais
épiscopal et entre en la chapelle où l'evesquc
célébrait la Messe. Achevé qu'il eut, Hier le sa-
lue revèrement, et ayant humblement requis au-
dience luy dict : « Père sainct, il m'est apparu
une vision par deux fois d'une femme d'excellente
beauté qui se disoit la sacrée Vierge Marie, la-
quelle m'a donné charge de vous venir exposer
ses commandements. Elle veut que samedy pro-
chain en la nuict, vous visitiez les malades
gisans dedans et hors vostre église, et que dès
lors elle vous délivrera un cierge allumé, duquel
ferez distiller de la cire, en faisant le signe de la
croix dedans quelque vaisseau plein d'eau, et en
donnerez à boire à tous ces malades. Quiconque
d'iceux y apportera une vraye foye. il s'en gué-
rira, et qui ne le voudra croire, il mourra sou-
dain ».
« Itier ayant achevé ce discours l'evesque lui
demanda comment il se nommoit, et de quel
pays, estât et condition il estoit, il respondit
qu'il avait nom Itier, natif du pays de Brabant,
gaignant sa vie à chanter et jouer des instru-
mens. Alors l'evesque lui dit qu'un autre de
mesme condition nommé Norman lui avait tenu
les mesmes propos, quelque peu auparavant, lui
223
reprochant qu'ils auroyenl communiqué por en-
semble pour se jouer el mocquer de Iu\ . Tant
s'en faut, di( itier, que si je peneontroia celuy
que tous nommez Norman, je me vengeroisde
l,i morl il»' mou frère, qu'il a misérablement
tué. L'ervesque, ayant entendu ce discours, con-
sidéra à pari soj <\ur telle vision s»- pouvorl ma-
nifester par la permission de Dieu, pour servir
tant de guerison aux malades, comme aussi de
bonne réconciliation entre ces deux ennemis :
puis il incita II ici- à se réconcilier à Norman,
usant d'une paternelle remonstrance tirée de la
saincte Ecriture, si bien à propos, qu'il lûy per-
suada de pardonner au dict Norman, sejettani
à genoux devant l'evesque, et se soubmettant
à tout ce qu'il ordonneroit pour le faict de la
dicte réconciliation, Et lors l'evesque envoya
son secrétaire chercher à L'église le dict Norman,
lequel y vint aussi tost, et se mect aussi à ge-
noux, priant mercv à Dieu, à l'evesque. et a
Hier. Et après <nic l'evesque leur eut faict un
très beau discours, de la charité fraternelle, il
leur commanda de s'entrebaiser pour un signal
de paix et amour, afin qu'estans parfaitement re-
conciliez, ils puissent heureusement exploicter
la charge que leur avoit esté en divers lieux dé-
clarée par la vision apparue les jours précé-
dents. Et ayant tous trois jeusné fort estroicte-
22 i
SOUVENIRS
ment, et employé tout le jour en bonne et saincte
prière, .sur le soir ils se transportèrent à L'église
et y continuèrent leurs oraisons jusques environ
le temps qui leur avait esté spécifié par la vi-
sion, que lors leur apparut de rechof la Vierge
Marie en niesmes attours, laquelle sembloil des-
cendre du haut du chœur de l'église, avec un
cierge aidant de feu divin qu'elle leur délivra,
leur tenant en commun les niesmes propos,
qu'elle avoit faict auparavant à ces deux joueurs
en particulier, touchant l'opération de ce cierge,
et l'ordre qu'il falloit observer pour en bien user
à l'endroict des malades, leur ordonnant de le
garder et conserver réveremment en perpétuelle
mémoire d'un si grand et excellent bénéfice puis
elle disparut incontinent.
« Ils furent tous ravis en admiration, tant
pour la glorieuse apparition de la Vierge Mère
de Dieu, que pour la grande clairté qui flam-
boya parmy toute l'église à son arrivée. Ksi ans
donc ainsi illumine/, voire aussi emflambés de
ce feu divin, premièrement louèrent .et remer-
cièrent Dieu, puis se meirent en devoir d'ex-
ploicter promptement tout ce que la dicte Vierge
avoit commandé. Et après que quelques vais-
seaux furent emplis d'eau, l'evesque formant le
sitme de la croix avec la chandelle feit déjroulter
quelque peu de cire dans cette eau. et après il
SOI \ i K 11
déclara aux malades la vertu d'ieelle, et les
exhorta d'en boire en grande révèrent e, i I avec
Ferme confiance en Dieu : puis leur en donnèrent
;i boire, el en lavèrent leurs charbons el ulcèi
e( ils en sentirent soudainement grande allé-
geance de leur mal, lanl par dedans aux parties
Dobles qui se gastoyent par une si ardente in-
flammation, que, ;m dehors de Leurs membi
qui estoyent ja à demy pourris: ils estoyent
lors environ cent et cinquante malades et lurent
tous guaris hors mis un pauvre mal advisé, le-
quel, mesprisant ce divin remède. osa téméraire-
ment desboucher qu'il aymeroit mieux du vin,
et autres semblables propos DOT desdain et COn-
temnent. De façon qu'il devint si embrasé de
ce feu sacre que tout après il en mourut comme
à demy forcené.
p Achevé qu'ils eurent, toute rassemblée se
mit à louer et magnifier Dieu et ses oeuvres tant
admirables. Kl comme le clergé estoitja arrivé
à l'église pour chanter l'office divin, l'evcsque
commença le cantique spirituel de Sainet Am-
broise et Sainet Augustin, duquel la Saincte
Eglise se sert pour action de grâce, Te De um
laudamus, etc. 11 fut chanté en musique mélo-
dieuse, avec une indicible esjouissance et allé-
gresse de tout ce peuple, qui avoit reçu la gué-
rison tant désirée.
15
•J'JI) SOUVENIHS
« Après tous ces devoirs, la saincte Chandelle
fut baillée en «carde à ces deux joueurs d'instru-
ments musicaux, qui l'avoycnt reçu de la Vierge
avecl'evesque, parl'advis duquel ils instituèrent
une vénérable Société de gens pieux et dévots
qu'ils appelèrent la Confrairic des Ardnnts en
la mémoire de ce tant signalé miracle, el en
peu de temps grand nombre de gens, voire des
principaux et plus honorables Seigneurs et
Bourgeois de la ville d'Arras, se feirent enrôler
dans cette Confrairic.
Deo l'atri sil, gloria
Et Filio qui a morliùs
Siirrcx'U ac Paraclilo
In sempilcrna sœculul »
— Le cierge miraculeux et la dévotion qui s'y
attachait ont traversé des fortunes diverses :
l'inepte ouragan de 92 a démoli la chapelle où
la mystérieuse relique était vénérée — édifice
situé sur la « petite place », composé d'un dôme
et d'une flèche ; cette dernière, dont il a été
question plus haut, était une des perles de l'art
gothique français. Le cierge, contenu dans une
riche custode, fut pendant toute la révolution
caché par des soins pieux au fond d'un puits,
d'où il sortit lors du rétablissement du culte,
I i NUI -•-'*/
I m vaste église .1 été i"ui récemmenl édifiée en
l'honneur de Notre-Dame dei Ardents ei de lu
« Sainte Chandelle », aux frais de pieux particu
liera. Celte église de briquet ei de piei
d'un élégant effet. Par une coïncidence assez cu-
rieuse elle es! due à un architecte nommé Nor-
mand, comme l'un des héros de la légende glo-
rifiée par l'Eglise. L'intérieur esi riche ei
térieusemenl de bon goût. Une statue de Notre**
Dame «les Ardents, œuvre d'un jeune artiste
arrageois, M. Noël, s'élève sur le maître autel.
Délicate el sobrement archaïque, elle rappelle
L'époque du miracle el s'harmonise à merveille
avec l'architecture romane, de la dernière pé-
riode, de l'église même. La Confrérie dont il est
question dans le récit du vieil auteur, après
a\oir Langui dans la tiédeur du xviu" siècle, dis-
parut à la Révolution. Des soins indispensables
et élémentaires requirent trop légitimement les
évéques qui se succédèrent sur le siège d'Arras
après cette funeste période pour qu'ils pussent
s'occuper efficacement de cette oeuvre, mer-
veilleuse d'ailleurs, de surérogation. Mgr Le-
quette eut la gloire de restaurer à la fois culte
et confrérie. Le saint Cierge et sa custode sont
conservés dans L'église nouvelle. Une cage de
bronze doré, d'un remarquable caractère d'ar-
chaïque solidité, renferme la relique, devant la-
228 SOUVENIRS
quelle brûlent sans cesse des cierges sans
nombre. De fréquents miracles attestés par de
riches ex-voto récompensent chaque jour la dé-
votion très fervente des habitants de la contrée
et des pays circonvoisins à la Mère de Dieu ho-
norée en son sanctuaire.
L'église Saint-Nicolas, une Notre Dame de
Lorette presque aussi lourde, a pris la place de
l'ancienne basilique si désastreusement disparue,
parmi une assez belle plantation d'arbres des-
tinée à masquer l'immense nudité de l'emplace-
ment cathédral et claustral : un très beau cal-
vaire et de curieux vieux tableaux décorent
l'intérieur de cette pièce montée greequo-ita-
lienne.
Un architecte de génie, M. Grigny, mort sous
le second Empire, construisit en 1866, dans le
quartier pauvre de la ville, l'austère église Saint-
Géry, œuvre du plus pur xvine siècle, que son
clochera jour signale au loin dans la campagne.
L'harmonie des trois voûtes, l'éclairage admira-
blement aménagé bien que sobre à dessein, le
mobilier parfait et de très belles sacristies re-
commandent cet édifice à l'admiration attentive
du passant sérieux. Une merveille, d'auteur in-
connu, sauvée à grand'peine du pillage des cou-
vents en 92, suffirait à y attirer des foules. C'est
un grand crucifix de bois peint des plus bizarre
Sol \ I
au premier aspect, mais qui, examiné quelque
peu, nous frappe précisément par ta mesure
dans L'originalité profonde, et L'inédit de ses
lignes classique, el la toute pénétrante douceur
de sa sévérité, et la scrupuleuse perfection des
moindres détails, <|ui viennent se fondre au plus
grandiose ensemble.
Le même architecte a embelli sa ville natale
de trois autres édifices dont deux chapelles con-
\ entuelles.
Celle des Ursulines s'élève aux contins de la
ville dans le goût sobre de l'église Saint-Géry :
la flèche qui surmonte cette chapelle est une res-
titution très agrandie de la fameuse tlèche dite
de la Sainte Chandelle qui datait de saint Louis,
rt naturellement démolie par la Révolution. Ef-
frayant tour de force de légèreté, de hauteur et
d'équilibre ; un ouragan l'a dernièrement ététée
par suite de négligence dans la surveillance et
L'entretien des œuvres intérieures; une souscription
qui va son train, et attend des temps meilleurs,
permettra de bientôt parfaire à nouveau ce bijou
justement célèbre dans la contrée. La chapelle
des Dames du Très Saint-Sacrement fut le coup
d'essai du maître, alors tout jeune Conçue dans
Le style flamboyant, elle a toutes les grâces exces-
sives du genre. Jamais plus gracieuses fantaisies
ne s'enroulèrent autour d'ogives plus hardies ; la
230
S ( II v i; N I R s
flèche, elle aussi, bien que moins haute et moins
svelte que celle dont il vient d'être question, suf-
firait à la gloire d'un artiste comme à l'honneur
architectonique d'une province.
Le petit séminaire, situé dans la partie élevée
et relativement nouvelle de la ville, présente
deux façades, brique et pierre, dont l'une du plus
grand air Louis XIII. L'aménagement intérieur,
deux cours superbes et une élégante chapelle,
contribuent à faire de ce monument, avec le dé-
licat hôtel gothique appartenant à M. D..., an-
cien député, un digne complément à l'œuvre ar-
rageoise de M. Grigny, qui compte encore, à
Yalencicnnes et à Genève, des morceaux de pre-
mier ordre.
Puisse cet insuffisant hommage à un ar-
tiste mort trop jeune, et loin d'être apprécié à
son immense valeur, être considéré comme un
appel à l'attention des gens tant soit peu sou-
cieux encore du grand art ! Puisse cet appel
d'une voix si faible être entendu de qui de
droit !
Une charmante chapelle du dernier siècle,
dite des Ghariottes, mérite encore d'être men-
tionnée dans cette énumération des principaux
édifices religieux de notre belle et bonne ville.
Signalons encore, pour être scrupuleux, le très joli
clocher tout moderne de la plaisante chapelle des
\ i s i ii - 23 i
Vieillards. Le reste, ne se oomposanl guère, sauf
deux exceptions, l'on retrouvera l'une el L'autre
en s« m lieu, que de constructions j >l u -> on moins
commodes el solides, n'a aucune prétention ar-
chitecturale, e( il n'en sera pas |>lus parlé * [ • n ■
ne I <»ni pu désirer les honnêtes entrepreneurs à
qui celles-ci sont ducs.
L'hôtel «le ville d'Arraa est sans contredif le
plus considérable H le plus splendide de tous
ceux du Nord de la France, je pourrais ajouter
de la France entière, en tant que relique «lu
Moyen Ane municipal ; car <pic sont les hôtels de
ville de Paris. Lvon. lîeims. sinon des fantaisies
nivales des temps de la royauté « hors de pa^e »
et absolue ? appartenant ceux-ci à la « Renais-
sance », les autres aux siècles subséquents, sans
caractère primitif ni puissance quelconque d'im-
pression historique.
L'hôtel de ville d'Anas a été l'objet de ré-
centes restaurations et reconstructions plus ou
moins heureuses. Ces! ainsi qu'on a fait dispa-
raître, pour la remplacer par une fenêtre centrale
à balcon, détail assez élégant d'ailleurs, une ra-
vissante « bov-window » ou bretèque, ainsi
qu'un double escalier sis à droite de la façade
principale et surmonté d'une Une coupole. Ce
dernier vandalisme, commis en vue de L'éclai-
rage et du confortable administratif, est double-
'2'A'2 SOUVENIRS
ment déplorable en ce sens qu'en outre de la
perte de l'édicule lui-même il démasqué brus-
quement la dill'érence de style, d'alignement et
de direction de la partie du pavillon de droite qui
fait suite à la façade principale, avec tous les ca-
ractères de cette façade elle-même. Un excès de
bonne volonté, auquel ne correspondaient point
assez de scrupules quant à la confusion de genres,
a présidé aux additions considérables effectuées
sous le second Empire, à grands frais et dans une
intention des plus louables. Reconnaissons tout
de suite qu'il y a des choses ravissantes dans
cette partie neuve qui ne comprend pas moins
de trois grands corps de bâtiment dont l'inter-
section forme une cour ouverte commandée par
une façade postérieure de style ogival flam-
boyant des plus exaspérés ; la même outrance,
dirai-je, sévit sur les deux façades latérales, où
l'art de la Renaissance emprunte à tous les genres
des grâces tant soit peu hétéroclites. L'ensemble
toutefois est loin de me déplaire : cet amoncelle-
ment même de dômes, de pignons, de cariatides,
de balcons, cette profusion de vermicelles,
d'achantes, de congélations, de figurines est d'un
joyeux et luxueux effet, qui s'affirme encore à
l'intérieur du monument où de vastes salles mer-
veilleusement meublées et décorées, cette fois,
avec le goût le plus exact et le plus sûr, don-
ROI \ l NI
aenl bien L'idée d'une ville ^ i*.-îI1î«- dans l'opu-
lenoe et dans la sagesse !
Mais le triomphe, c'est L'antique façade j > i-î i » -
cipale avec ses buit hautes fenêtres ogivales har-
diment campées sur sept arcades de même ar-
chitecture, et Les vingt-trois croisillons rouge
pirouettes d'or éclatant sur son immense toiture.
In prodigieux beffroi, paradoxalement mince,
dentelé de nulle caprices, dresse jusqu'aux
nuages, un peu à droite «lu corps de la façade, en
vertu de cette irrégularité qu'observera tout ar-
chitecte visant au grand, sa niasse énorme et
Légère. Le prestige de 1 aniq ue et la puissance
de Vanité allongent encore, en même temps
qu'elles L'amplifient au second coup d'oeil, cette
tour forte et charmante, emblème orgueilleux de
la cité.
Par un bonheur que connaissent peu de mo-
numents de cette importance, l'hôtel de ville
d'Arias se trouve occuper tout un côté d'une
énorme place rectangulaire dont les maisons
espagnoles duxvn" siècle alignent leurs pignons
et leurs arcades dans un ordre parfait formant
un cadre précieux à l'incomparable édifice. Cette
place s'appelle la « petite place ». On croirait, en
en envisageant ses proportions gigantesques, à
une ironie, à une de ces plaisanteries dont nos
ancêtres étaient coutumiers dans l'appellation
334 SOUVENIRS
des voies publiques de leurs villes, s'il n'existait,
tout à côté, une autre place beaucoup plus vaste
encore, exactement dans les mêmes proportions
et dans le même style. Une seule maison y fait
disparate, mais c'est une exquise relique du
Moyen Age et d'ailleurs elle ne jure que tout
juste avec ses voisines, étant également, dans
son genre, à arcatures et à pignon. Une récente
mesure administrative a jeté bas, pour d'idiotes
modifications de voirie, à l'angle gauche de cette
place, nommée la « grande place », bien juste-
ment cette fois, deux maisons du style commun
aux deux places et à la courte rue qui les Polie
entre elles.
En fait d'autres places, il faut signaler celle
« de la basse ville », ample cirque aux élégantes
constructions, qu' « orne » un obélisque... du
siècle dernier ; celle « du théâtre », témoin des
affres de 93. Le théâtre, élégamment insigni-
fiant à l'extérieur, renferme une salle très co-
quette (xvmp siècle) et d'une acoustique parfaite.
De vieilles maisons, malheureusement désho-
norées par des toits récents et accommodées aux
« nécessités » du commerce moderne, méritent
toutefois que l'on s'arrête à leurs sculptures.
D'autres places sont banales et, si nous parlons
de la halle au poisson, c'est à cause de la ligne
demi-circulaire des maisons qui l'entourent en
s .H \ | M lis
imprimant sa courbe aux constructions elles
mêmes du marché disposition assez remar-
quable «-H France, <»ù les » cresoents » sont aussi
rares qu'ils son! pullulants en Angleterre.
De h- s belles, très belles casernes, datant «lu
wiir siècle, uni' citadelle hors ligne, chef-
d'œuvre de Vauban, une admirable promenade
ombragée d'ormes géants plus que centenaires et
flanquée d'un énorme « square », le spacieux
hôpital Saint-Jean, le palais de Justice, ancien
Biège des Etats d'Artois, beau morceau néo-grec
malheureusement intercepté à deux places par
des constructions privées, la moderne et co-
quette façade de la salle des Concerts, assimi-
lable à celle du susdit palais de Justice, la pré-
fecture, ancien évêché, sis en dite, palais d'il y
a deux siècles, magnifique d vaste, parc princier,
dépendances spacieuses, sont également dignes
de mention et nous forceraient en conscience à
la description si le plan de ce livre ne s'opposait
à plus de développements accessoires. Car nous
voici presque arrivés à l'objet de ce chapitre et
il nous tarde de clore une trop longue paren-
thèse. Nous nous dirigerons assez lentement, si
vous voulez, pour bien faire, vers l'abbaye de
Saint- Vaast, à travers des rues qui ont ceci de
charmant qu'elles ne ressemblent en rien, pas
même à une maison près, à celle du Paris actuel.
'2'M\ SOUVENIRS
Je ne veux pas médire de ce Paris-là qu'on a
positivement trop critiqué. Il est clair, assez gai
dans sa monotonie voulue, et a, bien que banal
et pauvre, sauf la seule rue de la Paix (1), suf-
fisamment grand air pour la capitale d'une dé-
mocratie mesquine. Mais il me semblerait in-
juste de faire grâce aux imitations provinciales
de ces splendeurs à deux sous, déshonneur de
nos grandes villes où d'incompétentes édilités
ont ruiné toute poésie au profit de quelles finances
particulières ou commanditées ! Notre chère ville
a du moins jusqu'ici, malgré l'ineptie de ses mu-
nicipaux d'aujourd'hui, évité ces absurdes « em-
bellissements », et ses rues se courbent ou
s'allongent selon les besoins de la circulation et
de l'aération normales entre deux rangées de
constructions souvent anciennes, et combien jo-
lies ! toujours harmonieuses et de bonne allure.
Mais nous voici arrivés en face de l'entrée de
l'abbaye. Hélas ! c'est l'ex-abbaye qu'il me faut
dire, un des premiers exploits da la Révolution,
en Artois, ayant été de dépouiller les Béné-
dictins de Saint- Vaast de leurs biens meubles et
immeubles.
(i) Je ne puis comprendre dans le Paris actuel les quel-
ques avenues d'iiùlcls avoisinant l'Arc de Triomphe. C'est
tous étrangers qui ont voulu reproduire les environs d'Hyde
Park, sans y réussir.
SOUVENU! 231
Cette entrée, maintenant celle de l'évêché,
donne par une énorme porte oochère rar une
cour d'honneur digne d'un palais royal «l«' pre-
mier ordre : rien de plue grandiose ai de plus
beau. La tour esl circonscrite par trois corps de
bâtiment comptant ;■ chaque étage trente huit
fenêtres, plus imis portes-fenêtres servant <1 en-
trée. L'ensemble des bâtiments construits en
pierres de taille dans an goût sévère, tout de
masses et «1»' lignes, forme un rectangle de 220 mè-
tres de long sur Ni) de large. De magnifiques
escaliers, des salles immenses aux sculptures so-
bres et agréablement déliées, des galeries admi-
rables, deux cours intérieures Longées de cloîtres
de toute beauté, richement décorées, le tout
d'une ordonnance irréprochable, font sans con-
teste de ce palais le plus remarquable testament
de l'architecture monastique d'immédiatement
avant la Révolution. L'édifice auquel le temps
n'a rien ôté, non plus — heureusement — que
les hommes rien ajouté, fut construit à la fin du
xvnr siècle, sur les ruines d'un monastère go-
thique, à même destination et sous le même titre
d'abbaye de Saint- Yaast.
Quelque déplorable que soit la disparition de
celte œuvre du Moyen Age, surtout quand on
en juge d'après de vieilles gravures, on peut
dire, par une exception sans doute unique, et
~2',18 SOUVENIRS
sans aucun paradoxe, que la perte est réparée,
telles sont la beauté et la grandeur de l'abbaye
actuelle. L'Evêehé, le grand Séminaire, les
Subsistances militaires, l'Académie d'Arras, dif-
férentes administrations publiques, les Archives
départementales, immense répertoire, la Biblio-
thèque comprenant 50.000 volumes ayant ap-
partenu pour la plupart aux Pères, et un très
considérable Musée (sculpture, peinture, anti-
quités et collections scientifiques de tout ordre),
tiennent au large dans cette ancienne forteresse
de la Piété et de la Science. Un square très spa-
cieux étale ses verdures et ses plantes rares le
long de l'aile principale de l'abbaye, a la place
des jardins des religieux, dont de nombreux
arbres sont restés, séculaires témoins. Au bout
droit de cette aile principale, qui ne compte pas
moins de 100 fenêtres et à laquelle on accède
par un élégant perron central, en outre d'entrées
nombreuses pour les différents services all'ectés
au monument, se dresse énorme la cathédrale
actuelle qui a sa courte histoire, et la voici suc-
cinctement.
Les bénédictins de Saint-Vaast, à la Veille de
la Révolution, avaient commencé l'érection
d'une chapelle en rapport avec l'importance de
leur monastère. Ils donnèrent à leur projet de
gigantesques proportions, si bien que, plus tard,
I0UVIK1I
Napoléon I . paa ant par Arras et voyant les
constructions déjà très avancées que la queue de
l,i Bande ooire s'apprêtait à jeter bas contre une
honteusement dérisoire somme d'argent, i onçut
L'idée vraiment impériale de les achever pour en
faire une cathédrale en place de celle disparue.
Cette cathédrale lui inaugurée par Charles X,
mais ne fui complètement achevée qu'en 1832,
sous L'épiscopat 'le Mgr le cardinal de Laiotur
d'Auvergne.
C'esl une immense construction toute nue,
cruciforme, au liane est (le laquelle s'accole
tout mi quartier de la ville, et qui communique
avec le grand séminaire contenu, comme il a
été dit plus tût. dans L'ancienne abbaye. <m y
inculte par un majestueux escalier de quarante-
deux marches. Le portail, à peu près de Saint-
Thomas d'Aquin ou de Saint-Roch, est franche-
ment laid, bien entendu, mais d'une sobriété
propitiatoire.
De forts arcs-boutants, massifs et nus comme
tout le reste, rayonnent tout autour de la puis-
sante construction, allègent ses diverses parties
et en dégagent L'irréprochable structure. Corps
principal de l'église, bras de croix, chevet, por-
tail, rassortent lourds dans L'air, sévères, cor-
rects, trônant, solidement assis, sur une haute
gresserie, au-dessus de la ville Légère et dvn-
240 SOl'VEXIltS
telée. leur tributaire spirituelle et leur fille dans
la Foi.
Il est à espérer, toutefois, que le dôme pro-
jeté par les moines, et le campanile, dont la
base seule existe aujourd'hui, base de grès, si
considérable qu'elle enveloppe une magnifique
chapelle de la Sainte Vierge, exhaussée d'une
dizaine de marches de marbre blanc à rampes
de marbre blanc, il est, dis-je, à espérer que
dôme et campanile seront avant peu édifiés, —
lorsque les Pères, après un exil de bientôt cent
ans, reprendront possession de leur propriété, et
qu'un gouvernement juste se voudra faire hon-
neur de rendre à la Mère de Dieu et aux succes-
seurs de l'évêque Lambert leur cathédrale re-
bâtie sur les plans antiques, avec ses verrières
étincelantes, l'or de ses autels, et l'argent de ses
cloches sonnant à toute volée le long-désiré Te
Deuni dans ses merveilleuses tours, suzeraines
et compagnes maternelles du vieux beffroi soli-
taire qui s'écœure d'assister à cette fin de siècle !
En attendant, Saint- Vaast, comme on appelle
la cathédrale provisoire, remplit de son mieux
le haut office que les événements lui ont dé-
cerné ; son imposant vaisseau, long de 102 mètres,
large de 2G et haut de 32, dessert à merveille la
pompe pontificale dont les révolutions modernes
l'ont investi depuis quarante-sept ans ; trois
2 1 1
nefs avec déambulatoire, chapelles latérale! el
absidiales, deux chaires à prêcher < I* >n t la | ni n-
oipale es! toul un monument, un Immense bane
d'oeuvre pour le Chapitre et !<• grand Séminaire
aux jours de sermons solennels, on baptistère
incomparable, très nombreuses statues, quelques-
unes tics chefs-d'œuvre, de précieux tableaux,
dont un Christ au pilier df Rubens, «les gri-
sailles, des vitraux en trop petit nombre, un
vaste chœur, une maîtrise excelh nte, deux
orgues (jui n'ont de rivales, en France, <{u<- les
plus célèbres, tout ce confortable ecclésiastique,
tout ce reste et ce recommencement de luxe re-
ligieux, consolent un peu le souvenir des ma-
gnificences passées et l'ait prendre patience à
l'espoir rétrospectif qui s'ennuierait trop sans
quelque escompte sur le lent avenir.
J'aime, lors de nies séjours à Arras, à entendre,
aussi souvent (pue possible, la grand'messe ca-
nonicale quotidienne.
Je doute que le plain-chant, ce sublime plain-
chant catholique, plus beau que tous les arts,
trouve de meilleurs, de plus consciencieux et
plus corrects interprètes qu'ici. L'orgue d'ac-
compagnement, touché d'ordinaire par un artiste
aveugle, a une ampleur, une force douce toute
particulière vraiment, qui mêle une voix surna-
turelle et divinement harmonieuse aux notes
16
242 BOUVENIRS
très pures des chantres, en laissant aux paroles
latines tout leur nombre et leur si net le mélodie.
Puis la quasi-solitude des oflices de semaine dis-
tribue à la prière privée tout l'espace nécessaire,
on dirait ; ces voûtes immenses semblent un
ciel, juste assez lointain pour encourager les
pieuses pensées à vouloir y planer ; ces énormes
colonnes corinthiennes invitent les intentions
particulières à s'y enrouler pour l'ascension par-
mi les riches chapitaux vers ces sereines régions
de l'adoration enfin sûre de son vol...
Un jour, — tout le monde a de ces distractions,
un pauvre pécheur plus qu'un autre, — je laissais
errer mes yeux à droite et à gauche du transept
vers le milieu duquel j'étais, debout contre une
chaise inclinée, face au maître-autel, — exacte-
ment celui de Saint-Sulpice, marbre rose et su-
jet en bronze doré (l'Enfant Jésus au temple), —
une tiédeur m'avait pris, que je ne pouvais sur-
monter ; mon attention vaincue tournait à rien,
et j'avais résolu de me retirer ce jour-là, plutôt
que d'assister indignement au divin sacrifice. A
cet instant un homme entra, bien mis, cheveux
et barbe trop soignés, du ventre à vingt-cinq ou
vingt-six ans, " — sans prendre d'eau bénite :
évidemment un commis-voyageur entre deux
affaires, sur la route d'un rendez-vous en ville
avec dix minutes d'avance. J'observai cet intrus
\ I Mil - 2 tl
quelques instants du coin de l'oeil, sûr de quelque
chose de marque, e( des mouvements spontanés
n.iïfs du personnage. I H dévol pour ces
gens-la n'existe p;is. même che% lui. à L'église.
Point de gène avec lui plus qu'avec un 1><>m
chien ou ces témoins indulgents, Les chats.
L'homme regardai! les choses «lu bras de croix
gauche par où il était entré : I*1 royal baptistère,
son triptyque sans prix, sa < -< >i i « j 1 1 « - ('norme de
marine noir veiné, merveilles vraiment. Se re-
tournant, il contempla sans y rien comprendre.
pauvre être! le monument de saint Benoit Labre
(saint Hennit Labre, la seule gloire française du
wiii'' siècle, mais quelle gloire! et comment dé-
sespérer à jamais d'un pays à tels saints? mais
aussi quelle pierre d'achoppement pour les cer-
velles titubantes de tous Libres-penseurs, grands
ou petits! : puis ses yeux s'élevèrent sur le
Calvaire immense, un crucifix comme militaire
dans sa torsion vigoureuse avec son long noir
côté de cheveux pendant presque en tresse
comme une cadenette, — aux ex-voto sans
nombre et, au bras de Croix, un saint Jean et
une Vierge enluminés d'un effort savamment
naïf. Il traversa ensuite, sans même s'incliner
devant le maître-autel, mais savait-il seulement
qu'il dût le faire ? et s'en allait examiner, dans
l'autre bras de Croix de la basilique, l'autel du
2 i i SOUVENIRS
Sacré-Cœur, blanc de pierre aux ors neufs,
quand passa une femme jeune, en voilette, qui
venait de terminer sa prière près de là. Ce fut la
rentrée de V homme en lui-même ; son œil, de-
puis quelque temps vague et décent, s'alluma,
une main, celle de la canne, caressa les cheveux
de la tempe, mit le chapeau au port d'arme, les
bottines craquèrent à nouveau, et quatre pas
furent faits derrière la « belle enfant »... Mais
l'heure du rendez-vous ne tarda pas à sonner
dans la tête commerciale un instant distraite
après avoir peut-être pensé cinq minutes, et les
pieds de Mercure eurent vite essoré le gros païen
par le seuil du bras de croix qui lui avait donné
accès, non sans un fort battement de portes qui
coupa net Y Et ideo de la Préface que chantait
faiblement le vénérable officiant à ce moment
précis.
Je sortis à mon tour, l'esprit plein du malheu-
reux, le voyant avec son client, l'entendant dé-
battre et proposer des prix de sa voix sirupeuse,
puis, la chose « dans le sac », de retour à son
café, ses journaux lus, deux ou trois parties de
rama ou d'écarté jouées, bien parlé femmes et
Gambetta et Brisson, — c'était du vivant de ces
morts, — et de la « sale boîte de petite ville »,
entamant le chapitre de la religion, du féti-
chisme clérical, des poux du « fainéant Labre ».. :
S < » t : \ i
— « On va le ca no ni ser, vous Bayez, ; ■ I * ! oh!
« ah ! ces gens là sonl donc tous.' quel défi nb-
« Burde à L'esprit moderne ! A ce propos lisez
.- donc le ('.luise d'au jourd'hui . . . 'l'eue/, préeisé-
<• ment, je sors de ce qu'ils appellent ici laca-
» thédrale — une belle bagnole tonte en plaire !
< ah ! ça, Comme dil Machin, ce malin, ô ce
« Machin Ion ne foutra donc jamais cesobstruc-
» finn.s-\;\ par terre? El ce que j'y ai vu dans
« leur Saint-Yààààsi ! ! (comme si <>n s'appelait
« comme ça !) Figurez-vous. . . »
Et tout cela, ù la profondeur de vos desseins,
Dieu vivant ! — à cause d'une humble femme
(jui passait, après avoir prié peut-être pour cet
imbécile qui llànail dans voire temple comme
dans un musée, peut-être encore pour le chré-
tien, distrait en présence de vos redoutables
mystères, qui écrit ces lignes vaincs!
TRADUIT DE BYRON
Et tu étais triste, encore je n'étais pas avec
toi, et tu étais malade et je n'étais pas là près.
Moi qui croyais que joie et santé seules pou-
vaient être là où je n'étais pas, — douleur et
chagrin ici !
Et c'est ainsi, et c'est comme j'avais prédit et
ce sera de plus en plus ainsi.
Car l'esprit se replie sur lui-même et le cœur
naufragé gît, froid, tandis que l'ennui recueille
les dépouilles éparses.
Ce n'est ni dans l'orage ni dans la lutte que
nous nous sentons accablés et que nous souhai-
tons de n'être plus, mais dans l'après-silencc
sur le rivage, quand tout est perdu dans une
petite vie.
Je suis trop bien vengé, mais c'était mon droit.
Quels que pussent avoir élé mes péchés, tu
S ti| \ I N I II s
il .1. us pas cn\ ,,\ ée | m .u i i tre la N' an lia qui «lui
les punir.
Et le oie] n'a paa choisi un instrument aussi
intime.
La misérioorde ea\ pour les miséricordieux.
Si tu as été de ceux-là, elle te sera accordée main-
tenant. Tes nuits sont bannies des royaumes dn
sommeil.
Oui, ils peuvent te flatter, mais lu sentiras
une angoisse étreignante qui ne guérira pas, car
lu as pour oreiller une malédiction trop pro-
fonde. Tu as semé dans ma tristesse L'amère
moisson d'un malheur aussi réel !
.l'ai eu de nombreux ennemis, mais aucun
comme toi ! Car. contre les autres, je pouvais
moi-même me défendre et me venger ou les
tourner en amis.
Mais toi, dans ton implacable sécurité, tu
n'avais rien à craindre, abritée comme derrière
un bouclier dans ta propre faiblesse et dans mon
amour qui n'a que trop cédé, et épargné plu-
sieurs que je n'aurais pas dû épargner.
El ainsi, sur le monde, confiant en ta véracité,
et sur la mauvaise réputation de ma jeunesse qui
fut sans frein, sur des choses qui n'étaient pas
et sur des choses qui sont.
Oui. sur de telles bases tu me bâtis un monu-
ment dont le ciment fut crime, Chtemncslre
•248
S O U V E N I H S
morale de ton seigneur et maître ! Et tu as abattu
d'une épée insoupçonnée réputation, paix, espoir
et toute la vie meilleure qui, sans cette froide
trahison par ton cœur, pourrait encore avoir
surgi du tombeau de la querelle, et trouvé une
plus noble fin cpie cette séparation!
Mais de tes vertus tu as fait un vice, trafiquant
d'elles dans un froid dessein pour la colère pré-
sente et l'or futur, — et achetant à tout prix le
chagrin d autrui !
Et une fois entrée ainsi dans les voies tor-
tueuses, la jeune vérité qui lit autrefois ton juste
éloge n'a plus marché à ton côté.
Mais par moments, avec une poitrine incons-
ciente de leurs propres crimes, les mensonges,
les incompatibles responsabilités (dvermcn/s),
les équivoques et les esprits de derrière la tête
(Janus), l'œil significatif qui s'apprend à mentir
avec le silence, la Prudence, prétexte avec les
avantages y attachés, l'acquiescement à tout ce
qui tend, n'importe comme à la fin désirée,
Tout cela trouve sa place dans ta philosophie.
Les moyens furent dignes et la fin est atteinte.
Mais je ne voudrais pas faire comme tu as fait.
la c.oi;ttk
Il était, de Paris, revenu au village qu'il
avait quelques années habité en y faisant passa-
blement de dépenses pour le mal plus encore que
pour le bien, quoique celui-ci eût eu. il faut le
reconnaître, Large part encore dans son budget*
A vrai dire, son retour était quelque peu dicté
par un vice. 0 un vice ! Trop gros mot, vice,
en bien des cas. Quoiqu'il en soit, après deux
jours, sa poche était visiblement vide, ce qui fit
que tout crédit lui fut refusé dans ce pays que sa
prodigalité, bonne et main aise, avait, en somme,
sinon enrichi, mis à l'aise. Un pauvre qu'il avait
obligé lui donna l'asile d'une nuit dans la voiture
OÙ il vivait avec sa famille, voiture faite par lui-
même de débris et que le mari et la femme ti-
raient quand la casse des tas de cailloux, la ré-
colte de l'osier, la vente de paniers et de balais.
250 SOUVENIRS
et les occasions pour une petite entreprise de
photographie exigeaient du déplacement. Ces
braves gens lui prêtèrent dix francs, et d'autres
braves gens, des aubergistes nécessiteux chez
qui il avait largement consommé comptant, sans
trop compter, naguère, quinze. Cela lui permet-
tait de se rendre dans un chef-lieu de canton où
un notaire avait de l'argent à lui. Encore ce no-
taire se dessaisirait-il? 11 remercia et partit. La
petite ville où il devait prendre le train se trou-
vait en fête. Chanteuses et jeux firent tant qu'il
y passa une nuit, au bout de laquelle il se trou-
vait juste nanti du prix de son billet. Il arriva
à la gare d'où il devait faire deux lieues à pied
sur une route de Champagne, blanche et sans
arbres que des bouleaux si malades ! Il lui res-
tait trois sous qu'il boit, puis il enfile la longue
venelle par un soleil de 1er juin (on enterrait
Victor Hugo), coitfé d'un haut de forme et vêtu
d'un pardessus à fourrures. Il avait chaud, mais
l'espoir en le notaire lui donnait des jambes. A
moitié chemin, comme il n'en pouvait presque
plus, le voilà, dans un village à traverser, ac-
costé par un mendiant qu'il connaissait. Cet
homme lui dit : « Comment va? 11 fait soif,
payez-vous quelque chose? — Mais je n'ai pas
un rotin. Sans cela, vous savez bien... Je vais
même à ,T... pour y chercher de l'argent qu'on
> I' I \ I. \ I II .s
me doit. Qu'à cela ne tienne, je me permets,
moi, de voua offrir la goutte là-haut, chez Chose.
Voulez-vous? — Comment donc! «
l'.n face de l'église une église <1<' ••es con-
trées, ardoise et craie, clocher lourd au milieu,
«m \ M.ii sonner [es cloches pendant lea Te
Ih'iiin. — Le cabaret esl propre. L'eau-de vie
d'Aisne, marc de bas Champagne, rit bleuâtre
dans les gros petits * erres : on choque, <>n boit,
el c'est, parbleu! la meilleure goutte que j'aie
lampée de ma vie.
— A charge de revanche, père Machin!
— Allons donc, c'est de bon cour !
El je, puisque je il y a, partis plus allègre
pour chez mou notaire, qui devait être absent
cl ailleurs. qu'Olympia pour son Panthéon pen-
dant ce temps-là.
L'OBSESSKril
Je ne sais ma foi pas trop pourquoi ma mé-
moire se reporte à un temps si ancien sur un
objet au fond si peu intéressant pour elle qui en
a vu tant d'autres.
Quoiqu'il en soit, je veux me débarrasser de
cette espèce de préoccupation, en mettant sur le
papier la très simple histoire que voici.
J'étais pensionnaire à l'institution... qui nous
conduisait deux fois par jour au lycée... Sans
grandes relations avec mes camarades, pour la
plupart garçons assez insignifiants, deux pour-
tant d'entre eux attirèrent bientôt mon atten-
tion, non point par leur amitié, car ils n'avaient
pas l'air de se plaire beaucoup, moins encore
pour leurs sympathies, leurs goûts communs,
car ils ne semblaient s'entendre sur quoi que ce
soit, ni même par leurs habitudes courantes, ou
\ I Mils
Leurs manières, car l'un éiàil un intarissable ba-
vard, mal intéressant et des plus Lourds,
d'ailleurs, tandis que L'autre, un distrait, un rê-
veur, restait volontiers taciturne, mais pour
Leur inséparabilité, si L'on me permet ee mol
non encore inscrit au Dictionnaire de V Usage et
qui n'aspire point à y prendre place. Dès huit
beures du malin, quand on se mettait en rang
pour aller au lycée, l'externe (c'était un externe
(|ue l'écolier si bavard et si ennuyeux) ne man-
quait pas d'aller se mettre auprès de l'interne
(interne était le lycéen taciturne). Et (nielles
nuances entre gamins implique cette différence
despote de situations sociales en miniature! —
En route, le bavard, invariablement vêtu d'un
paletot bleu montagnac, nuance insipide, n'est-
ce pas ? el coiffé d'un de ces chapeaux melons
roux, déjà en usag» , mais porté droit sur la tète,
marchait en crabe et tout en pérorant combien
fadement ! poussait, selon le hasard de la place,
son malheureux et trop patient compagnon, en-
goncé dans une tunique trop large, avec un képi
tout cabossé sur sa tête, contre les boutiques ou
vers le ruisseau. Le pauvre garçon répondait
oui, non, à ces torrents d'eau tiède (pie déversait
l'autre : tant qu'ils turent enfants, en "'', en 6e,
ces conversations, ou plutôt ces monologues,
avaient trait, par exemple, à des encriers nou-
254
SOUVENIRS
veau modèle, à des plumes chics, à des buvards
de première qualité, à des connues pour le
crayon et l'encre, superlatives. Tout cela débité
d'une voix blanche, sans intonation ni rien pour
accrocher l'oreille un peu.
Plus tard, en seconde, en rhétorique, ce fut
une autre fête pour le pauvre Taciturne qui ne
rêvait que poésie et que l'horreur du baccalau-
réat à préparer n'empêchait pas de lire, de
droite et de gauche, de forts fragmenta de la lit-
térature d'alors. L'autre ne lui parlait que de
romans étrangers commerciaux, que de traduc-
tions de livres de voyage (les livres de voyages,
uniquement de voyages).
Je me demandais souvent pourquoi le Taci-
turne, un garçon intéressant en somme, n'en-
voyait pas promener cette scie vivante, ce cram-
pon, ce lléau venu de Paris, et je m'en ouvris
un peu à lui.
— Que veux-tu ? me répondit-il, il m'a
dompté, je suis sa chose, comme on est la chose
d'un chien hargneux ou d'un chat pelé qu'on
garde par habitude, sans s'y intéresser et sur-
tout, ô surtout sans l'aimer.
Ces comparaisons disgracieuses, et principa-
lement cette répétition « et surtout, ô surtout
sans l'aimer », me frappèrent sans m'éclairer
alors sur le mvstère de cette domination d'un
I I \ I lis
sol ni 1111 intellectuel. Plus tard, je reconnut «i
saluai dans cette conduite pusillanime en appa-
rence,une indifférence, un in souci des ambiances
non sans sa Qerté, une paresse | > 1 1 1 ( <"» t noble, —
de bon daud\ sine...
La vie, comme de juste, nous sépara, OU plu-
tôt me sépara du Taciturne, car je ne me rap-
pelle pas avoir, en ce temps de notre première
jeunesse, échangé une seule parole avec sou
obsesseur. Un jour, par le plus grand des ha-
sards, je rencontrai ce bon garçon, et. après les
premiers mots de reconnaissance et de sympa-
thie, je lui demandai s'il voyait toujours un tel.
— Ne m'en parle pas. Je ne sais par quel mi-
racle me voici libre aujourd'hui. Le misérable
me fréquente plus que jamais, m'abrutissani
maintenant de ses gandineries, courses, crocket,
cricket la bicyclette ni le live o'clock ni les re-
cords n'étaient pas encore à la mode, sans quoi
mon pauvre camarade en eût probablement vu
de plus grises encore). Il connaît, dit-il, telle
lille, marcheuse au Châlelet, et un directeur au-
quel il réserve un drame scientifique. 0 le
monstre ! Il me passe parfois des envies de le
tuer. Que de fois n'ai-je pas eu l'idée de le pré-
cipiter de la fenêtre mansardée de ma très haute
chambre. Dernièrement, à l'étage du café des
Variétés oti je vais quelquefois, j'ai failli le pré-
'250 s ou vbnib s
cipiter à travers l'une des grandes glaces-fenêtres
sur le boulevard...
Il me quitta, l'air vraiment égaré.
Quelques mois après je fus accosté par l'ob-
sesseur qui me reconnut sur le champ. Et moi
donc, si je le reconnus ! il n'avait pas changé de-
puis le lycée. C'était toujours la même face rose,
imberbe, avec dents malsaines, aux yeux bleus
de littérale faïence.
— Ah, pauvre cher, me dit-il, sais-tu ce qui
est arrivé dernièrement à X. ? D'abord, sais-tu
qu'il vient de mourir?
— Ah bah ! et de quoi ?
— Dans un accès de folie furieuse. Ça avait
commencé par une scène affreuse avec moi. Il
voulut, devant cent témoins, dans un restaurant,
m'étrangler et peu s'en fallut que je n'y pas-
sasse... On le soigna chez un pharmacien, car il
donnait tous les signes de l'aliénation mentale ;
après lui avoir donné les plus forts calmants, on
l'envoya d'urgence à l'infirmerie du dépôt. De
là, son état ne faisant qu'empirer, il fut dirigé à
Ville-Evrard, où j'obtins pour lui un régime un
peu meilleur que le commun... Je ne suis pas
riche! On fait ce qu'on peut... De plus, j'eus
l'autorisation de l'aller voir tous les deux jours.
Dès qu'il me voyait, il reculait au fond de la
chambre à barreaux, et me tournait le dos, sem-
\ I I I It s
l.l.ui faire tout ses efforts pour renverser Le mur
»! Fuir.
Est-ce étrange ! In #u\nii si doux, si calme
e( qui m'aimait tant 1 Avant-hier j'appris bs
morl par congestion. On L'enterre demain s
1 1 heures. Train à toute beure à la gare de l'Est.
Viens-y donc ?...
La guerre survint, .le sus. par qui déjà? que
Lui-même, L'obsesseur, monstre sans le vouloir,
avait été tué d'un éclat d'obus, au plateau
d'Avion où il servait comme mobile.
Puisse au moins son ombre obséder à son lotir
L'artilleur au casque à boule qui lui a valu ces
loisirs !
17
CONTE PÉDAGOGIQUE
Il y avait une fois, — quelle fois? —dans une
grande ville, — quelle grande ville? — trop
d'enfants. Ces enfants, en outre, étaient trop
sages. Les parents ne s'en plaignaient pas, tant
s'en faut ; et c'était plaisir que de voir un inté-
rieur de cette ville-là à l'heure de la rentrée de
l'école qui était celle du dîner : toute la petite
tribu rentrant après avoir déposé soigneuse-
ment galoches et socques et s'attabla nt en
chaussons, chacun à sa place, mangeant et bu-
vant sans bruit, causant juste autant qu'il fallait
et jouant bien paisiblement jusqu'au moment
d'aller au lit après un baiser affectueux et res-
pectueux à leurs père et mère.
Mais l'Etat voyait cela d'un mauvais œil et ne
connut de cesse qu'il n'eût tiré, d'où? un affreux
bonhomme à grosse moustache grisonnante cirée
■MPI \ | S MIS J.V.t
sur des lèvrei sèches connue du parchemin cl
Bout un Q6i crochu et des yeux ft peine visibles
à Cause de sourcils noirs en broussaille cl qu'on
devinait, qu'on sentait méchants, et qui boitait
des plus disgraeieusement, — de qui II lit l'édu-
cateur public en ohef de la ville.
Bientôt les enfants n'obéirent plus, ne 111:111-
gèrenl plus proprement, eurent des jeux brutaux
(des saute-mouton où Les tilles taisaient leur
partie avec les garçons, des barres pour les
deux sexes et maigrissaient à vue d'o-il. Passa-
blement d'entre eux moururent. Kn revanche,
ils savaient des choses qui ne devaient jamais
leur servir à rien, ou ne pouvaient que leur ai-
der à mal (aire. « Voler» perdit son nom, on di-
sait « chiper». Répondre aux parents sembla le
comble de la crànerie et jouer de mauvais tours
aux gens Agés être « dégourdi ».
Le temps passa : ■ les vieux » (nouveau style
« claquèrent » pour la plupart. Les survivants,
grossis de quelques jeunes, dès lors grandes per-
sonnes, hommes et femmes, qui avaient gardé
les traditions d'il n'y avait pa ; encore long-
temps formèrent un groupe, tôt accru des mé-
contents de toutes sortes d'opposition, qui iit
son travail, puis son bruit, puis sa révolution.
L'Etat essaya bien de résister, mais cette ré-
volution était invincible, ayant été lente et pa-
260 SOI Vl-MRS
cifîque. On congédia le grand Educateur, qui
s'en retourna dans son chez soi, en claudicant
non sans proférer de ricanantes menaces.
On pourvut sans retard à son absence, qui?
l'Etat, et son remplaçant sembla dès l'abord
réunir tous les suffrages. Jeune, beau, imberbe,
avec des cheveux d'or, un « ange de lumière »,
disait l'opinion publique qui n'en dit jamais
d'autre ! Toujours est-il qu'au bout de peu de
temps il y avait en effet un changement pour le
mal, ô dans un tout autre genre !
Cette fois-ci, les enfants, — ceux déjà bien
moins nombreux de la génération élevée par
l'affreux vieillard — ne s'occupèrent plus à
l'école que d'art d'agrément : les filles ne fai-
saient que du crochet, que des gammes ; les
garçons savaient, mieux que nature et rien que
cela, la littérature du temps qui était à la fois
fade et pornographique et quelque dessin calli-
graphique dont les ronds et les déliés affectaient
des rondeurs polissonnes.
La mortalité continuait toujours. La dépopu-
lation encore plus. L'opposition, muette et inof-
fensive, durant environ toute la prime jeunesse
de cette génération tiède, indifférente à tout et
au fond méchamment sceptique, se réveilla.
L'Etat mit à la porte le suave second sauveur.
Celui-ci s'en alla joliment comme il était venu.
-..I \ | mu v •_>•')!
regrette «l«- passablement de ses anciens élève»,
de même que L'antre n'était pas sans avoir de
partisans. Ces fonctionnaires n'avaient p;is été
sans faire des créatures, — et n'était-ce pas tout
naturel ?
L'Etat alors déclara ne plus vouloir s'occuper
<le rien, — et tout alla de nouveau comme sur
des roulettes.
COSSES
Comme il s'était étalé — par la faute dune
jambe ankylosée — sur le pavé dur de ta rue,
tu accourus, enfant qui le connaissais pour, lui,
t'avoir payé des pétards à la saint Paul — afin,
chétif bras, divins efforts impuissants, joints à
ceux de les camarades qui le connaissaient aussi
à force de la même complicité dans la violation
si charmante et qu'inolïensive ! d'un vague
ordre public, — de le relever de sa chute sur ce
pavé si dur donc, mais sa tête, bonne encore à
quelque chose, fut, en attendant, plus dure en-
core. Et dès que des bras plus sérieux l'eussent
restauré sur une chaise entourée de braves
femmes honnêtes et autres, pleines d'offres de
vulnéraires, tu le contemplas, cher enfant : joli
sous tes vêtements si simples et si proprets, ce
ROI NI M
tablier blanc et bleu d'écolier que j'eus aussi, ii
pitoyable, loi, à son malheur du moment, si bien
peigné, si affectueux daiii ta question : « au
moins vous ne vous ries pas fait trop de mal >»,
que, ô enfant, il te bénil dans le secret de son
oosur.
Plus lard lu deviendras méchant, ô non ! mais
marnais, el auras oublié Cette anecdote...
Bah! le bon Dieu qui voit tout t'aura su gré
de ce mouvement vers la pitié et tu seras, en-
fant, béni dans ta postérité si tu dois en avoir
une ou alors et certes dans cette œuvre, la
meilleure entre les tiennes, je l'atteste, pauvre,
doux, cher petit garçon, angélique témoin, —
tels Jésus les aimait el les aime — de nos chute-
affreuses, mais consolées par un regard, par un
mot naïf et que ce trop lourd monsieur, PAU
EXEMPLE, serait criminel de ne pas recueillir
pieusement dans son cœur noir qu'éclaira pour
toujours le tien si doux, bon petit homme in-
connu qui ne liras jamais sans doute ces lignes,
mais que Jésus reconnaîtra et confrontera avec
là-jamais consolé par loi.
Au revoir, petit. Le plus tard possible, mon
frère, plus jeune en celte chair.
204 S O U V E N I H s
II
Et toi, Pierrot noiroull'e, avec ta longue face
plutôt méchante pas trop que les femmes trou-
vent encore laide en attendant que tu les fasses
soulfrir, ô gosse comme prédit dans les Voca-
tions du grand Baudelaire, soulfrir et mourir
d'amour et de coquetterie au fond, tu es gentil,
tyran de ta cour, ta cour ou plutôt ton impasse,
où tu domines en voix et en poings tes cama-
raux parfois beaucoup plus grands et forts que
toi, mais jamais mieux mal embouchés.
Je t'aime bien parce que, dans ta rude et naïve
fayon, tu fus au fond très bon pour moi ma-
lade et pour moi convalescent et quand je te re-
vois maintenant, un peu guéri moi, un peu grandi
toi, c'est d'une foi instinctivement fraternelle,
un brin goguenarde, pourquoi? que tu me de-
mandes si j'ai des cigarettes à te donner et ajoutes
dans un zézaiement qui t'est naturel et que tu
exagères faussement, et un grand geste empha-
tique qui m'est emprunté : « Ou un cigare, à la
rigueur ! »
Et puis je t'ai vu pleurer quand ta mère était
SOI V'KNIHS
malade el faire, assis sur le trottoir, assez sans
-' ii> d'ailleurs, un ^rand signe de crois on jour
qu'un mort p;iss;iit .
Toî aussi, sois licni, BODime toute '■
III
Là-but, M dil iju'il csl île longi
combats siiwjlunls... o n'y
pouvoir mourir un [teu !
P. \.
l'.t j)uis. ah ! ce jour où à propos de rien qu'une
allusion entre grandes personnes, tes parents e(
moi, à L'éventualité d'une guerre contre l'Alle-
magne, tu te renversas sur ta chaise, tendu,
comme bandé comme un are, t'écriant de la
voix qui commence à muer et cette fois virile
bel et bien, que ton malheur était de n'avoir pas
encore l'âge de t'engager pour aller en tuer de
ces Boches, de ces tètes de pioches, de ces têtes
carrées, de ces têtes de cochons; Tu te foutais
pas mal de mourir pourvu que tu en crevas-
à coups de balles, de baïonnette, de sabre ou de
hache, au moins vingt pour ta part, avant ! Et
266 SOUVENIRS
tu insultais le « sale gosse », le manchot, le scro-
fuleux, l'homme à l'oreille qui coule ! Et les
Français sont les premiers soldats du monde, on
l'avait vu, on le verrait ! — Et Irentc-six bêtises,
ainsi bath, chouetteau, héroïques certes et dans
tous les cas charmantes dans ta bouche, alors
amère et pure comme celles de Bara, de Viala,
aussi de Nvsus et d'Euryale, et de celle qui
mourut pour sauver l'Eucharistie, portée en son
jeune sein, d'un outrage même puéril.
Je te grondai un peu, comme il sied, morali-
sant sur la guerre qui, de nos jours, était chose
sérieuse plutôt hélas ! que d'enthousiasme, etc.,
etc., ajoutant que ton temps d'être soldat vien-
drait assez vite, qu'on ne s'engageait pas à
l'étourdie et qu'on ne pensait pas à s'engager
quand on aimait sa mère (et si tu l'aimes, ce
n'est rien que de le dire, bon petit soldat en
herbe!), quand on aimait son père et des sœurs
qu'une telle mort même prématurée, même glo-
rieuse, allligcrait tant !
Mais au fond c nubien je t'aimais, en ce mo-
ment, d'être si spontané pour une si simple pas-
sion, la Patrie, si ardent et si exemplaire, et
j'eusse donné bien des choses et tous les gens,
pour être tes parents, tout fiers j'en suis sûr,
malgré leur nécessaire calme affecté, de t'en-
tendre ainsi vibrer noblement et vivre pour de
I i mus
bon, cher gamin que j'eusse alors embrasse fort
et fort, s t'en transmettre mon ame d'homme,
moi! .'une de |».ilii«»l<* aussi.
IV
\c/ à la Saiul Charles Borromée, moins gran-
diose toutefois que celui de cet illustre con-
fesseur. Une fenêtre de L'appartement, située au
rez-de-chaussée, donne sur la fin d'une rue. en
pente, aboutissant à une grande artère, comme
on dit. Des marchands des quatre saisons el
autres glapissent et chantonnent, tout on po-
pulo s'écoule: nuirons, trottins et le reste. En
face «le L'humble maison à cinq riant-, siège un
hôte] point somptueux, mais en quelque sorte di-
plomatique à force d'héberger de vagues portu-
gais américains et d'étranges belles exotiques.
C'est en été : la fenêtre est ouverte. Le jeune
homme pioche une version grecque ou un thème
latin. N'importe! Toujours est-il qu'il s'ennuie,
ou (pie. du moins, il assume l'air de s'ennuyer.
Ge pendant . il fait chaud : les passants sont in-
téressants : l'hôtel d'en face exhibe à travers des
fenêtres ouvertes des nourritures appétissantes
•2(}<S SOUVENIRS
et des fruits destinés à la table d'hôte de cet éta-
blissement un peu primitif dans sa vétusté par-
lementaire.
Le devoir s'avance très peu, à travers ces
observations, peut-être un peu répréhensibles,
car papa ouvre la porte, et alors : Dictionnaire
d'être feuilleté, pages d'être barbouillées, tête
d'être penchée, moyennant des yeux de côté,
main droite de courir, mais gauche de couvrir le
front, — quittes, tout à l'heure, à saisir la
fourchette et le couteau pour un devoir entin na-
turel.
— Tiens, monsieur X., comment vous va?...
C'est monsieur X, qui arrive...
Ces membres de phrases sortaient d'une grosse
tête bornée, au Nord, par des cheveux très hé-
rissés et très pommadés ; à l'Est et à l'Ouest,
par des joues abondantes; au Sud, par un menton
légèrement fuyant — ornée au centre d'un nez
et d'une bouche quelconques, mais que des yeux
vifs rendaient sympathiques en dépit de ton
quelque peu grotesque qu'on eût pu trouver dans
l'ensemble.
200
El Le jeune garçon, dont la taille gourde en-
core, pouvait accuser (1«- treize I quatorze ans,
se rua dans L'arrière 'boutique où son patron le
rabroua d'être si maladroitement poli avec les
clients an sujet de leur santé et si indiscret vis-
à-vis de lui . son maitre, qu'il eut dû avertir par
une tape du dos de 1 index contre la porte de
la cloison à claire voie. Puis, le négociant se pré-
cipita vers le client et Eut tout à la vente, ce-
pendant que l'enfant, clignant d'un œil vers le
Monsieur, tirait par derrière à l'adresse du
« singe » une langue formidable et se livrait à
des grimaces tout particulièrement significatives,
haine et mépris, et dans un tel mouvement de
naïve énergie que X. ne put s'empêcher d'ap-
prouver mentalement le petit insurgé, pour la
cause bonne ou mauvaise, mais plutôt bonne de
L'enfance exploitée et, pis que cela, insultée.
VI
Comme les deux amis sortaient de ce café
d'ailleurs ridicule du quartier latin, ils furent ac-
costés par ce fameux éphèbe. récitateur de
règnes et vendeur d'étranges dessins : « Encou-
•21 0 B0UVBNIB8
rages-moi, Monsieur,» disait-il. Avec un sourire,
nos amis lui demandèrent : le règne de Fran-
çois Ipr ? Ht le gamin de répondre du ton d'un
élève d'une école laïque, déjà lauréat d'un prix
de mémoire et de récitation et qui bataille pour
le prix d'histoire :
— François I* -succéda à Louis XII en 1515-
Il fut vainqueur à Marignan et vaincu à Pavie.il
signa le traité de Madrid en 1596 et le traité de
Cambrai en 1599, Il mourut en 1547, usé par
la fatigue et les plaisirs. Il n'était âgé que de
53 ans...
Ainsi fut fait de plusieurs autres règnes — y
compris celui du général Boulanger — en tous
exactitude et scrupules en même temps qu'il ti-
rait son béret bleu plus en avant encore qu'il
n'avait coutume de le porter et que sa figure
longue et pâle, assez plaisante, et ses yeux va-
guement en coulisses espéraient une rémunéra-
tion peut-être plus au delà que ses exercices
scolaires.
Mais son petit corps gracieux, et l'on eût dit
pervers, se détournait en un geste d'appel vers
quoi? Alors le souvenir vint aux deux amis du
pauvre enfant pâle de Mallarmé, promis à l'écha-
faud et à de pires encore destinées ! Et sur la
demande renouvelée d' « un petit encourage-
ment » ce fut avec une immense pitié que nous
IOUVBNIBM 271
ik.iis refusâmes ■> l'offrt al repoussâmes la da
manda. , .
Tandia qu*ii s'en allai! parmi lai terrasses
voisines, débitanl ses règnes cl ses propositions,
ce i»;ui\ ra maia trop bel enfanl I
Vil
Chez, ce qu'on appelle un (roquet, pour exalter
des cafés somptueux où boivent sans crédit
aucun — non! — les futurs procureur! et of-
ficiers de santé de Paris ci de la provint
trouve un servant qui, sous si blouse et sa cote
bleues réunies à la taille par le cordon court serré
d'un tablier à plastron, est très désirable vrai-
mcnl aux veux de certain roquentin. Même on
dirait que des choses se seraient passées si l'on
ne connaissait les antécédents de ce dernier —
car, comme l'a chanté Hossiiù après que Beau-
marchais l'eut dit et Voltaire :
Mentez, mentez toujours, il en restera (juehjue
chose.
En attendant, le jouvenceau, actif, propre et
discret, fait son travail en chantant quelques
refrains empruntés à nos opérettes les plus
■2"r2 SOUVENIRS
alertes et à nos airs populaires de l'arrière-
saison.
11 est plutôt rouge encore que rose, car il est
de la campagne au fond. Nul détestable esprit
parisien ne l'anime, ce qui fait son mérite réel
aux yeux du Sage. Et celui-ci, non précisément
animé des meilleures intentions comme le serait
tel philosophe accrédité, se réjouit de ce jeune
visage perpétuellement en joie et de ce corps
dessiné à merveille par son propre costume pro-
fessionnel plutôt que par tel ou tel dandysme.
Aussi ce Sage, pesant tout (comme il sied à un
Sage), ne balance-t-il pas et se retire-t-il dans
une haute partialité.
On objectera sans doute que ce croquis ne va
pas sans être trop court. Mais ce scrupule que
pourraient évoquer parmi nos lectrices et particu -
lièrement parmi certains de nos lecteurs des dé-
tails justes ou injustes sur ce sujet si délicat, me
fait une loi de couvrir de cendre un souvenir
qui couve.
Que celui qui est sans péché jette la première
pierre à celui qui est sans péché et qui a l'honneur
de vous saluer.
H o u V I K f 1
Mil
Celui ci, je l'ai connu tout jeune «I presque
tout petit. Il était blond et frisé, il reste presque
tel avec quelque barbe en plus — une jeune
hnrhc. comme <>n dit dans son pays qui es! le
mien.
Plutôt [H'lit et gros, pour ainsi dire, ri bien
que n'aimant les femmes (pu- juste comme il faut .
néanmoins celles-ci semblent raffoler de lui. pour
la plupart du moins. Mille exemples pourraient
paraître' confirmer cette opinion que d'aucuns
9 raient susceptibles de formuler en h\ polhèse.
Mais ([uittons ces terrains vagues, et procla-
mons que c'est dans l'espèce le meilleur des
garçons, bien qu'un des plus iins d'entre eux —
des plus lins et des plus naïfs dans le meilleur
sens du mot. Aussi faut-il le voir, mailre dans
une des plus grandes et plus illustres institutions
de Paris, avoir pour ses élèves, tour à tour, des
condescendances, quasi des tendresses, bonnes
s'entend, et les sévérités qu'il sied. Voyez-le con-
duire au proebain lycée sa « bande à Mandrin »,
mutins écoliers riches déguisés en petits basques
18
274
su UVÉN I us
et en petits marins et les plus grands en sortes
d'enseignes de marine qui seraient bien tentés de
lui taire par les rues et par le Luxembourg des
niches comme nous en faisions, nous, à nos
pions, entre la rue Ghaplal et celle de Caumartin,
mais qui, reconnaissant sa justice et lui en'étant
reconnaissants, lui gardent tout le respect non
moins que l'affection filiale et bientôt fraternelle
qu'il mérite tant !
IX
La quintessence d'un gavroche qui serait un
artiste puissant, presque un poète à force d'es-
prit et de savoir-faire dans l'esprit. Homme de
cœur avant tout et mystificateur par dessus le
marché : tel, au moral, mon ami.
Tel au physique lui, de face : une tête, pour
ainsi parler, en l'air, enlaidie d'un monocle,
mais ornée d'épais sourcils très beaux, avec des
yeux émerillonnés et un fort nez à la retroussette.
une bouche aux lèvres charnues perpétuellement
souriante et bien meublée que surmonte une
moustache tantôt latente, tantôt absente, le
tout semblant s'essorer dans de la bonne hu-
meur et de la fierté.
■oui iNiki
Tenue l»i/.irifin«ni élégante, o—me fia «li
rail 1830, appropriée h nos jouis et s;ms le
moindre soupçon de fûux-toupettiême : vm ohe
peau généralement mou. à larges borda, porté
en arrière OU si. Iiaul de forme, de côté. Semble
lui faire une auréole noire, ee pendant qu'un
faux-col terrible de blancheur el de hauteur, par-
lois de couleur el cassé, le plus souvent rigide,
émerge d'une cravate à flots polychrome ; une
redingote à deux rangs très serrés de boutons
corrozos dessine sa taille juvénilement épaisse ;
des pantalons à la hussarde forment accordéon
autour de ses jambes gamines que terminent de
littéraux souliers à la poulaine.
Fumeur de cigarettes russes, il lui arrive par-
Fois de humer le caporal national dans du
gambier ou de l'ambre — selon les jours.
Le même vu de dos :
I n dôme de feutre surmonte une redingote
un peu recon du premier Empiré (pie met-
traient en mouvement deux hélices des plus ac-
tives, un tirebouclionnemenl d'étoiles à car-
reaux marrons et bleus ou gratin ; et des talons
solides et bien assis et plats.
La voix est enfantine et grave et basse avec
des /é/.aiements plaisants et d'une rapidité par-
fois vertigineuse.
Grand d ailleurs et, au demeurant, ainsi
276 SOUVENIRS
qu'il a été indiqué plus haut, un cœur d'or. Et
c'est pourquoi je termine, en les modifiant pour
la circonstance :
C'est sur toi que je me repose
Mon cher AnaloV... Georijc Uu<j m.
\
A Mademoiselle J...
Toute petite, en dépit de son âge de puberté,
grassouillette et maigrelette ensemble, elle rit
étourdiment, et soyez sûr qu'elle pleurerait de
même. In catogan traverse sa nuque qu'elle a
frêle, mais qu'on devine devoir devenir puis-
sante et même impérieuse un jour. Elle fume,
par extraordinaire et sous les yeux d'une sœur
tolérante parce qu'aimée, des cigarettes qu'a
mouillées un hôte jeune et poli. Du reste, mo-
deste, elle a des mots comme naïfs, telle une
jeune fille de conte de fée. Même en ses expan-
sions si cordiales, sa taille frêle se cambre et,
s'asseyant, la chère enfant lance, pour ainsi
parler, ses jambes au plafond, ingénuement.
D'ailleurs, ohaste, pure, et l<- reste. Pourtant,
celte cillant qui Ferait et Fers sans doute et oer
tainemenf une mère, eharmante, de famille, de
même qu'elle eûl été une fille exquise, ;i Faim
parfois, en attendant qu'elle ait soif <»u faim en-
core, à cause d'un père ivrogne el d'une mère
morte.
XI
A Mademoiselle II...
Et sa sœur clone ! Une belle et blonde et
grande et jolie fille aux veux clairs et bien ou-
verts. Avec cela, dune allure, d'un goût, d'une
intelligence rares en ces temps de banalités et
de médiocrités féminines. Son écusson, d'un
chiffre exq uis d'ailleurs, nous la désigne enfant
de la noble Espagne ; elle en a conservé le sang
chaud, la franchise et la fierté comme aussi
toutes libertés de manières dans l'amour et sur
L'amour. Et je vous jure que je donnerais dix
ans de la vie d'un éditeur pour une heure de son
existence partagée (spirituellement, s'entend!),
car elle est d'un commerce, d'une fréquenta-
tion d'un compagnonnage vraiment agréables.
"J*(S suivi; m h s
Et croyez bien que si je m'étends sur elle de
façon si gracieuse, ce n'est, au fond, que pour
lui dire tout le mal que j'en pense.
D'abord, elle me fourre, à mon grand dam !
un tas d'idées mythologiques dans la tête et j'en
avais bien besoin en vérité ! C'est Diane chas-
seresse pour la haute taille et l'incomparable
sveltesse ; c'est Vénus pour la vénusté ; c'est, à
elle seule, les trois Grâces pour la grâce. Que
sais-je encore, et que dirai-je, moi profane, en
ce pays un peu bien païen pour le sage que
nous sommes ! J'emploie ici le pluriel, car ce ne
serait pas trop que d'être à plusieurs, ou tout
au moins de déployer le zèle de plusieurs, pour
célébrer cette belle, congruement, — et voilà
encore un grief pour l'en accabler dans la me-
sure désirable.
Comme il a été parlé plus haut d'intelligence
et de goût, ne siérait-il pas de faire contre-poids
et de déclarer tout cru qu'elle se refuse à porter
le moindre bijou, prétendant mieux vouloir res-
ter parée de sa propre beauté, comme si ce
n'était pas d'autant plus détestablement préten-
tieux qu'elle est belle en effet (voir plus haut et
en dépit de ses yeux clairs et bien ouverts qu'un
hôte malavisé et moins galant que le précédent
comparait à ceux d'un mouton !) et demandez
en outre, pour savoir et voir leur mine en cette
SOI \ I M 11 s '-'"< U
ion, leur a\ ii aui meilleures de les bonnes
.lllllrs.
Mais tout cela il.' l'ail \ ei i I a I ileineu l < p i«- blali-
i lui', .i puisqu'il a encoi e él parlé plus haut,
non sans les \.ru\ séants du iv\r d'une exis-
tence partagée, ô spirituelleiuent, avecelle, di-
si.us. puisque nous nous trouvons décidé-
luriit plusieurs ici à faire l'avocat du diable -
qu'Wie des t luises les plus scabreuses du
lin unir, c'est de former des projets, mais que la
pire serait d'orienter le moindre de ceux-ci \eis
la Kenune. Kl quand la femme surtout est
comme celle-ci, laissons-la donc faire. Nous
efforcer ne serait rien. car. et finissons par ce
trait, je la crois, et iei je n'engage ({lie ma
propre parole, très impérieuse mais peu .chan-
geante.
Arrange/, cela !
XII
A Charles Morice.
Vous m'avez, mon cher ami, témoigné na-
guère 1 honorable, très honorable désir d'un por-
trait en pied, de vous par moi. Quelle que soit
mon incompétence pour cette délicate besogne,
'280 SOUVENIRS
voici ce portrait ou plutôt cette esquisse. Je
vous aurai peint au physique quand j'aurai
constaté que vous êtes grand, et permettez-moi
d'ajouter, beau ; ce qui est, d'ailleurs, l'avis de
la majorité des dames. Quand j'eus le plaisir de
vous voir pour la première fois, vous étiez
extrêmement jeune, et portiez une chevelure
Apollonienne, épaisse toison noire, un peu
éclaircie de nos jours ; mais le front, votre
front de penseur et d'artiste, n'a que gagné, si
j'ose ainsi parler, à cette virilisation de votre
physionomie. Vous êtes mince, sans exagéra-
tion, et d'une naturelle élégance, tout à fait
iîère et comme militaire, et cela m'amène à
parler du moral qui est très haut, lui aussi, par-
fois trop haut, s'il est possible que la hauteur
soit jamais un défaut. Et c'est pourquoi, moitié
en badinant et moitié pour de bon, je vous ai,
dès les premiers jours de notre liaison, baptisé
Néoptolème. Du tils d'Achille, en ell'et, vous
avez, avec tous les tempéraments bien entendu
de notre civilisation, l'impétuosité, la généro-
sité, j'allais dire la candeur. Ces qualités vous
ont, comme il est coutume, joué plus d'un mau-
vais tour, et continueront, soyez-en sûr, à le
faire encore. Je suis, pour ma part, un Ulysse
bien insullisant ; mais souvenez-vous que j'eus
lieu, dans certaines circonstances, de vous don-
OUVBNII
lier de bons conseils, que Vous écoutiez ou non,
iii;iis en v mettant la déférence due ;< mon âge
mm. et ;'i ma toute bonne volonté. Du Bis
d'Achille, vous avex encore L'accessibilité dans
tous les bons sentimenU de la nature, de l'art,
j'ajouterais il»' lit littérature, si ce mol ne
m'était en horreur, comme la chose. Et, tel que
L'héroïque gamin, vous ailes dans la vie, muni
(railleurs de bonnes armes, qui vous assureront
la victoire définitive, ce que vous souhaite ici
votre vieil ami, tout à vous.
XIII
C'était sous le M-sur-M où ce Jean Valjean
s'enrichit dans le commerce des verroteries de
jais. Une petite ville forte sur une grande mon-
tagne avec une merveilleuse vallée autour
d'elle ; vallée elle-même commandée par le mo-
nastère de Notre-Dame-des-Prés, vaste et très
belle restitution en style gothique primitif de la
Chartreuse là existante avant la Révolution.
J'étais allé, mi-curieux, mi-retraitant, passer
quelques jours dans ce pieux asile et je ne puis
exprimer la paix que j'y goûtai. Naturellement
je ne manquai pas de visiter par le menu tout
282 S0UVKNI&8
1'cHablissement qui, je le répète, est un chef-
d'œuvre, en même temps qu'un colosse d'archi-
tecture spéciale ; chef-d'œuvre en solide légè-
reté, colosse en étendue. Une fois, passant au
long d'un coté du cloître, j'aperçus dans l'entre-
bâillement d'une porte de cellule qui se refermait
une haute forme blanche de tout jeune homme.
Vingt ans ou vingt-cinq ans qui pouvaient en
paraître dix-huit ou seize, la face étant rasée,
— et l'air si jeune, si vraiment pur. Et je me
dis, ne pouvant lui dire, à ce novice rentré
dans sa cellule :
— « Ah ! bel ermite ! bel ermite ! » comme
parle la reine de Saba de Flaubert, puisque de
seules, hélas ! réminiscences et idées littéraires
m'obsèdent et m'affligent aujourd'hui, — « mon
cœur défaille » de ne pouvoir, de ne vouloir déci-
dément pas t'imiter malgré le bon exemple, en-
fant de l'Amour divin, bâtard en cette vie de
boue et de crachats ! Mais va, fi de moi et de
tous mes complices dans la sale chair contem-
poraine ! Et, puisque tu es, sans nul doute, lettré,
perr/e, r/encrosr ]>iicr, et prie, oh ! prie pour ce
faux pénitent, plutôt amateur, que me voici pour
mes péchés et que la Grâce ne veut atteindre,
d'horreur et de dégoût.
Enfant, oui, va prier pour nous deux! et pour
nous tous !
Ml-A-GU
Une chambre de malade. In feu déteignant.
De grands rideaux autour d'un lit e( le long
d'une vaste Fenêtre. Une bougie encore fumante
d'avoir été sou filée. Le malade bien chaudement
couché, se parle, entre liant et l'as.
'/"/'\ Ihc turniixj point. Il n'v a pas S dire,
il faut changer de vie, ou rien ! Ceci est provi-
dentiel ou il n'v a pas de Pro\idenee. i-l il v en
a une. Les événements amenés par tes impré-
voyances et ceux d'un hasard malveillant cons-
pirent tous à ce but. Oui, mon vieux. c'esl ainsi
c'est bien ainsi. Et tout d'abord il faut renoncer
à ce rêve où tu te berces, depuis l'instant lunaire
où s'alluma ta raison, à cette paresse d'irres-
ponsabilité, crue par autrui. Naïveté, par toi,
sciemment ou non, considérée comme timidité,
mais paresse pure et simple et coupable, pa-
28 \ soiv i: m ii s
resse en toute vérité. Debout, dormeur éveillé,
pique-toi de scrupules, secoue tes sécurités folles,
vis de la vie, non de cette lente mort morale,
intellectuelle, morale et civique. Allons, c'est va,
du courage, des résolutions, sapristi !
— Mi-a-ou...
— Tiens, le chat qu'on aura renfermé tout à
l'heure en sortant de m'apporter mon dîner !
Bah, on va revenir pour remporter les dessertes.
Tais-toi, chat. — C'est ça, des résolutions. La
première, de guérir, de ceci, qui n'est rien et qui
ne demande plus que du régime. S'abstenir de
boisson, ô la boisson ! et du reste, imbécile !
Est-ce étant presque inlirme, avec un système
rhumatisant que... ? Mais la chair est si faible et
tu trouves encore et toujours ça si bon ! C'était
bien la peine d'avoir eu ta grande crise de vertu,
que peu d'hommes eussent soutenue, après ton
sang en route de parles fredaines de ta jeunesse
pour en arriver à cet ithyphallisme un peu hon-
teux à ton âge plus (pie mûr. Allons, d'abord ça,
hein ?
— Miaou...
— Ah oui, les formes blanches, aux fuites
d'ambre et d'ombre, les odeurs despotiques,
insinuantes, bonnes toutes, la fraîcheur et la
chaleur et la moiteur et les satins tissus, puis les
défilés et les frisés blancs et rosés et noirs et
soi \ i NIR«
blondi et Les roux, el Les drapa caresseurs, et
L'élasticité des liia et L'abandon <!«■ ta volonté
■ans compter Les plongeons où ça? Partout,
vieux drôle '. Tes mains, tes lèvres...! >ui. abjure
ça. Rappelle toi les belles chastetés. Que c'était
bon aussi, aufond! Même tu crus que c'était
meilleur encore, souviens i<>i. Mais non, tu te
raidis. Ton corps un peu remis se bande à nou-
yeau — et que quelqu'un de gentil vienne, que
\ ou qu'Y ou Z entre : ah misère, misère, cela,
la \ raie, la seule ! ( îar la boisson...
— Miaaaaou !
— Comme ce chat miaule bizarrement ! On
dirait presque une voix humaine... Mais j'y
suis... As-tu fini, gosse, de m'empécher de
dormir? D'abord c'est bête, ce que tu fais là. et
c'est mal imité. Tu ae sais même pas miauler !
Et puis, fiche-moi la paix, va-t-en, ou dès de-
main je le dirai à tes parents.
— Miaouaaaou !
— Petit insolent, tu me le paieras !
Car le malade s'imaginait que ce cri provenait
du fils de la maison, galopin d'une douzaine
d'années, plus qu'espiègle, qui avait l'habitude de
le servir, d'ailleurs, gentiment et suffisamment
poliment — non sans quelque manque inter-
mittent de respect. Et, là-dessus, il frotta une
allumette et alluma sa bougie.
286 SOIVKMHS
Ce ne fut pas sans une certaine et vague con-
fusion qu'il s'apereut que c'était bien le (liai, et
non le fils, oie la maison, perché SOT la cheminée,
et qui le regardait de ses veux verts, impassible
et l'on eût dit presque ironique témoin de ses
bonnes résolutions.
ROJETS ET PLANS SUN
LA COMÈTE
MÉMOIRES l» i > \ il i
\ Ferttand Langlois.
o les deux étranges courses à travers oe Paris !
Nous ne saluions, mon cher ami. VOUS et moi,
que la chance a gâtés el sous les pas de qui notre
aisance pécuniaire aplanit, jusqu'à la douceur
d'un tapis de feutre fleuri et sentant bon, le sen-
tier, pour d'autres ardu, parait-il, de la vie, nous
en faire, je le (.Tains, une idée bien exacte. Je
veux néanmoins essayer de raconter ces od\
aussi héroïques, pour en dégager à notre usa^e,
parle plus simple exposé possible des faits, la
philosophie (pie je nous crois en droit d'y at-
tendre.
L'un, « artiste-peintre ■•. et l'autre, cette
chose poète, s'étaient vus pour la première fois
ce soir-là. dans un cale où un ami commun avait
288 SOUV BN IBS
récité, devant des tiers des moins incompétents,
des vers du poète, lesquels avaient eu du succès,
ce qui avait fait plaisir à celui-ci vraiment.
Aussi était-il tout ému quand, à la départie,
se fut agi de rentrer chacun chez soi. Son che-
min se trouvant être celui du peintre, ils du-
rent faire route de compagnie et la conversation
prit un tour assez rapidement intime. Echange
de renseignements sur la situation mutuelle et
les circonstances réciproques. Le peintre était
de beaucoup plus jeune que le poète et par défé-
rence le laissait parler bien plus qu'il ne parlait
lui-même, et le poète parla terriblement ce soir
ou plutôt cette nuit-là. Car, ayant dépassé l'hôtel
où il logeait au jour le jour, il conduisit, à petits
pas, rhumatisant qu'il était, son interlocuteur
jusqu'à quelques pas de sa porte, loin, bien
loin, non loin des fortifications. Le temps était
superbe bien qu'il n'y eût que peu d'étoiles. Le
long des quais et sur le pont Sully l'entretien
eut comme un grand frisson. Un frisson d'eau
courante attirante et froide. Ils causaient misère
et généreuses imprudences et loyauté dont on ne
veut plus et sacrifice dont on se moque, et gloire !
Ce dernier sujet les amena sur la place de la
Bastille, absolument vide comme le mot, mais
impressionnante et mémorable aussi. Le geste
du poète, peu gesticulateur d'ordinaire, s'exal-
souvenu 281)
tait. Sa voix plutôl basse montait, semblait mon-
ter jusqu'au ciel noir pour bientôt s'apaiser
ainsi que son geste, comme ils enfilaient la rue
de Lyon et l'avenue Daumesnil qu'ils arpen-
tèrent très haut, toujours marchant très lente-
ment. En somme, c'était plus triste qu'autre
chose, trop triste même, car !<• peintre, pour se
montrer moins lamentable et déplorable que le
poète, témoignait, par son accent plus encore
que par ses discrètes assez confidences^ d'un
malheur dans sa vie ou tout au moins d'une in-
fortune non légère comme son âge encore tendre
l'eût pu l'aire espérer. Mais le poète, ainsi que
je viens de le marquer, était particulièrement
pitoyable avec son interminable expansion. Ce
qu'il disait était vraiment touchant, car c'était
vrai et dit non sans une éloquence des plus péné-
trantes, dans son décousu trop nature. Et le
peintre, si jeune qu'il fût, s'était laissé convain-
cre à cette sincérité d'ailleurs absolue. 11 calmait,
conseillait, ô si pudiquement pour ainsi dire,
encourageait sans charlatanerie aucune, était
bon, voix douce et parole grave, mais combien
caressante et plutôt encore sororale, on eût cru.
(pie fraternelle, quoique de celle d'un frère elle
eut le sérieux, la force et l'entrain.
Plusieurs fois il avait voulu, non lassé mais
ayant pitié, faire entrer le pauvre poète dans
19
290 BOUVBNIBS
quelque hôtel, s'offrant même à le reconduire
chez lui, — et quel chemin avec ce boiteux ! car
il n'avait pas un sou sur lui et logeait chez un ami
pauvre qui n'eût pu disposer d'une place conve-
nable de plus pour coucher quelqu'un, tandis
que le poète ne portait qu'une somme très peu
vraisemblablement suffisante à trouver un gîte
sérieux. Mais rien ne prévalut sur le poète, qui
s'excusait d'ailleurs poliment et all'ectueusement
sur l'indiscrétion de sa geinte, quand ils réso-
lurent de sonner à un hôtel d'aspect honnête
qui s'offrait à peu de distance du domicile du
peintre. Ils venaient de franchir de larges espaces
déserts, de ces boulevards plus ou moins neufs
à perte de vue, foncièrement vilains et mesquins
mais, de nuit, ell'rayants comme un mauvais
rêve et d'une triviale horreur. On leur demanda
pour une nuit un tiers en plus de leur pécules
réunis, mais sur leur mine et sur leur promesse
d'un complément pour le lendemain matin, cré-
dit fut fait au client attardé. Rendez-vous pris
aux environs de neuf heures de relevée, ils se
séparèrent, et le poète, douillettement couché
dans une belle chambre, se reposa bien s'il dor-
mit peu ; puis une insomnie fut loin d'être pé-
nible. Il y goûta même une sorte de douceur et
qui finit par envahir tout entier son esprit,
puis son cœur. Un ami venait de lui naître. Il
revoyait de loto le peintre et se souvenait munis
m*nêU€iudinië ejus, L'entretien de tout à l'heure
lui revenait d;ms ses moindres détails, dans scs
plus fugitives intonations. Kl l<' regret, presque
le remords, mais bien attendri, de sa propre im-
portunité, l'exquise patience de l'autre, m sym-
pathie, et la pudeur, ipour ainsi parler, la can-
deur, l'innocence de cette sympathie, tout^attisait
ce noble l'eu, grandissait cette flamme souve-
raine, d'autant plus pure, lumineuse et délicieu-
sement réchauffante que nul détail oiseux, in-
séparable d'une liaison de quelque durée, n'obs-
truait encore son élan s'essoranl. A l'heure dite,
le prix de la chambre dûment complété, les
deux amis reprirent le chemin du quartier du
poète. Ils suivirent des rues, des quais, des
ponts et des rues autres que la veille et se re-
trouvèrent près du Panthéon, en ayant obliqué
par Bercy, toute agglomération de quartiers de
travail aéré avec des valses d'orgues de barbarie
volant par bribes dans des arrachements de
vapeur et de fumée. De quoi parlèrent-ils, après
un café au lait et un bouillon pris daus une ei
merie, sinon encore d'eux-mêmes ? Et cette fois
le peintre, à son tour, se confessa pour ainsi
parler. Le poète, bien rasséréné, l'écoutait avec
la volupté de l'avoir compris, d'avoir démêlé
ses « choses », la veille. Oui, la tristesse, ou
292 SOUVENIRS
plutôt la gravité triste de ce jeune homme avait
une haute, une fîère source. Des délicatesses à
l'infini, froissées, des simplicités, des candeurs,
si belles, méconnues, que d'orages déjà, quelle
âme en fleur que blessée !
La liaison était faite et bien faite, quand, à
quelques jours de là, ils se réunirent de nouveau
pour une grande course combien longue, grâce
à la claudication du poète ! à travers maintenant
le Paris diurne des rues Vi vienne, des faubourgs
Montmartre et Poissonnière et des grands boule-
vards riches, à la recherche de quelque argent,
qu'on y devait à je ne sais qui des deux et ce fut
parmi l'opulente trivialité de ces d'ailleurs en-
nuyeux parages bruyants et mal brillants, que,
toute affaire cessant, permettez-moi, mon ami,
d'ainsi caractériser l'absolu désintéressement de
leur état d'esprit, ils agitèrent, ces pauvres ! le
croiriez-vous, des projets.
— Dites donc, disait l'un, quand je pourrai
me procurer palette, brosses et couleurs, que le
diable m'emporte si je ne vous fais pas un beau,
mais là, vrai de vrai, un beau portrait de votre
tête 1
— J'y pensais justement, riposta l'autre, en
toute sincérité arrachée aux conjectures. C'est
ça. Va pour le beau portrait. Et pas plus tard
que..»
SOUVENU)
Ici il éclata de rire, toul «l«- même ! e1 repi il
d'un ton toul simple :
— Quand je pourrai vivre.
Les projets, qui tiennent toujours, courent <•!!-
eore !
A PROPOS DU DERNIER LIVRE
POSTHUME DE VICTOR HUGO
MM. Vacquerie et Meurice ont-ils eu raison
de publier Ami/ Robsard, une « bêtise » du
Maître comme dit nettement le « témoin de sa
vie », et Les Jumeaux, ce fragment abandonné
depuis des années ? Les avis ne manqueront pas
d'être partagés. Pour ce qui me concerne, je ne
goûte que mal ces secrets comme d'alcôve, mis
au grand jour de la librairie.
Ami/ liohsard a des « qualités » de mélodrame
à outrance et une mise en scène et en œuvre qui
rappelle de très près les absurdes mais si diver-
tissantes péripéties de Han d'Islande, péché
aussi d'extrême jeunesse.
Les Jumeaux, leur plan qui n'est qu'un projet
en l'air, d'ailleurs assez amusamment jeté sur
une feuille volante, et leur millier de vers écrits
de ci, de là, sans second travail apparent, sans
nulle df irs \ .niantes, de ers leeonS, linniiii
quables témoins d'une oeuvre tenue par son au-
teur pour viable, Les Jumeaux ^<>u\ loin, je
L'avoue, d'avoir Fait sur moi L'impression grande,
même émouvante el parfois haletante d'admira-
tion que m'a donnée La Lecture de La oolossale
épopée, par malheur presque inaohevée : Le fin
de S;ii;ui. pourtant bien Lâchée, bien faiblement
esquissée par endroits. J'y relève, dans <■< I em-
brjon de drame, des tirades d'un romantisme
un peu connu, banal, 1 >i«i 1 cjiie sorti, o'esi Le Cas
de Le dire, de source, en tous cas ennuyeux au
possible, surtout pour les occurrences mélanco-
liques qui ue manquent pas assez dans celte his-
toire à dormir deboul d'un Masque-de-fer en-
core! capable de geintes du goût de ceci :
• Je ne suis pOS un homme
Allant, venant, parlant, plein île joie et d'orgueil,
Je .fuis un mort pensif qai ois dans un cercueil,
C'est horrible. Jadis — j'étais enfant eneore,
J'avais un grand jardin.,.
Je rayais des oiseaux...
Ht des papillons...
(Juoi donc il s'est trouvé des tigres pour se dire :
« Pâle il regardera de sa prison lointaine
Les femmes an.r pieds sûrs i/vi passent dans la plaine. »
Il n'y manque plus, n'est-ce pas, que le refrain
296
SOU VIN 11( S
d'une « romance » intitulée : Le masque de fer
(toujours !) que ma petite enfance subit combien
de fois ! pour mes péchés à venir :
« Moi, je n'ai pas eOftRU les baisers (foiK mère. »
Il est vrai que j'y trouve également quelques
couplets du bon faiseur, et même du grand faiseur,
mais passablement connus aussi. Quant à la fac-
ture, à la tournure et presque à la matière,
comme ce débris de boniment placé dans la
bouche d'un grand seigneur cru, bien entendu le
saltimbanque Guillot-Gorju :
Je viens de Portugal encore ! Ils ont un roi
Tout jeune. Il a seize ans et joyeux, sur ma foi !
Quand V Alcade Obregon, maintenant en disgrâce,
Lui demanda : Comment délivrer Votre Grâce
Du comte de Valverde ? il dit ; « En Vassommant ! »
Avec la gailé propre à cet âge charmant.
Les éphèbes, entre parenthèses, portent tou-
jours bonheur à Victor Hugo, un féminin, en
somme.
Rappelez-vous Jehan Frollo, le petit roi <lc
Galice, Aymerillot, Y Aigle du Casque — et ce
combien désirable Sophocle à Salainine, — tandis
que, ô quelles petites horreurs fadasses et bébètes
y i m h v
que toutes ses jeunes t î 1 !<•->. Esmeralda peut-être
et la sordide maia vivante Eponine exceptées, —
cette Cosette presque aussi insupportable que
son pion de Marins, cette à bon droit protestante
Deruehette toute d'ennui, cette prodigieusement
stupide Déa l'aveugle, bêlas! point muette, et la
jeune première de Torquenutdë .'
Doncj à mon sens, ce dernier, <>u avant-der-
nier, ou, peut-être, <[ui sait? cet antépénultième
livre posthume d'Hugo, n'ajoutera, comme <»n
dit, rien à sa gloire et sans doute j'en viens
d'assez parler. Je ne profiterai pas moins, vu
îniui ancien i othousiasme point tout entier éva-
noui, de l'occasion offerte, pour, en quelque ma-
nière, revoir l'ensemble de l'oeuvre, reviser de
\ ieux jugements intimes, enfin m'assurer moi-
nièine. par une sorte de confession, de profession
de foi publique équitable contre. (Tune part,
d'immédiates boutades irréfléchies, naguère là-
chées, d'autre part, contre de possibles séniles
retours.
La première fois que ce nom si longtemps
prestigieux, Hugo ! retentit à mes oreilles, elles
étaient tendres et petites, mes oreilles, des oreilles
comme de souris, dressées naïves aux côtés de
mon innocente tête, presque toute instinct can-
dide et volonté dans les limbes. Savais-je même
lire? Avais-je sept ans? lors de mes premières
298
SOl'V E MHS
armes scolaires en cette rue reculée des Bâti»
gnolles, où tant déjà d'années n'ont rien changé
de la cour grandelette plantée de quelques acacias
— mes petits camarades parisiens prononçaient
agacias, et moi venu, ô par le hasard des gar-
nisons paternelles, d'un midi dont je n'étais
« bouflïe » pas ! je prononçais acacia, — ni de
l'humble maison d'école aux volets verts, au
perron qui, les jours de distributions de prix,
servit d'estrade à mes jeunes essais de déclama-
tions dans les fables de La Fontaine ou les élé-
gies si joliment puériles du bon Giraud... C'était
à l'époque du Coup d'Etat ou peu après. Si bien
que tant chez moi qu'à l'école, par la bouche du
patron ou du sous-maître, ce vocable Victor Hugo
sonnait mal, signifiait rouge, fou aussi et, mon
Dieu, parfois saltimbanque. Plus tard, quand je
fus en pension, j'écoutais les r/vvmr/.s, les rhétori-
ciens, déjà Libérée de la tunique et faisant faux-
col, le faux-col en triangle de guillotine de cette
époque, qu'affirmaient, d'autre part, de hardis
essais de sous-pieds, déclamer des vers du grand
homme :
Une surtout, une jeune Espagnole...
...Envolez-vous de ce manteau
... Et s'il n'en reste qu'un..
Mais ce ne fut que bien après, j'avais au moins
-..I \ I N I II -
hvi/c ans, que la ic\ « - 1 . • t khi par la lecture rai
lieu pour ce faible moi et je tombai eur le feoond
tome des Contemplations ; les Mages et la Bouche
d'Ombre eurent, je le crains, presque nissi peu
• le clarté pour mon esprit en miniature d'alors
qu'ils en oui trop pour 1»' « décadent ■> nue me
voici, suivant des sens., l'ai- contra, les vers sur
la mort de Léopoldine me choquèrent et je trou-
vai moi, (rais émoulu de mon catéchisme, abac
lumeuf comme je 1»' trouve aujourd'hui, ce père
désolé, ce chrétien qui se dit si soumis, bien té-
méraire de dire au Dieu qu'il l'ait profession
d'adorer dans imites ses manifestations
Contidêrtl CM c'itt une chose bien triste...
/.es Orientales nie plurent à quinze ans — (j'y
voyais des odalisques) — et me plaisent encore,
comme beau travail do bimbelotterie « artis-
tique », comme article de Paris pour la rue de
Rivoli, de bon débit parmi la huée vanillée dv
pastilles batignolaises d'un si vague sérail !
A leur tour, les quatre œuvres de demi-teintes.
Feuilles d'automne, Voir intérieures, Chants du
Crépuscule, Les lim/ons et les Ombres, nie
prirent et me tiennent encore par leur relative
simplicité, un certain accent sincère et. dans le
dernier recueil particulièrement, par un tour ar-
,'{(»(» SOL'V EN I lis
tistique (je m'exprime mal, avec encore ce mot
désagréable), spécial, intrisèque, dirai-je avec
Sainte-Beuve, modéré, discret, sourdine et
nuance, propitiatoire tout à l'ait.
Vinrent, pour la suite de mon adolescence,
Notre-Dame de Paris, et le théâtre. Je passe sous
silence ces essais parfois très intelligents, les
Odes et ballades, Bug Jargal, Ifan d'Islande,
Cromwell. Je goûtai moins alors le roman que je
ne le prise aujourd'hui. Comme Leconte de Lisle,
je pense que Goethe fut trop sévère envers ceux-
là et qu'il y a là une originalité très distincte de
Walter Scot et très supérieure aux Anne RadclilV,
aux d'Arlinsourt ambiants, et sinon égale à du
Chateaubriand, du moins absolument indé-
pendante de lui et d'une intensité toute diffé-
rente.
Je fus fou du théâtre, je le confesse sans trop
de honte, et par instants je le préfère encore im-
mensément à ce qu'on fait, à tout ce qu'on fait,
peut faire dans le goût et dans les tendances d'à
présent : Jiuj/ lilas est une charmante comédie
suffisamment psychologique et que ne me gâte
pas trop un sot dénouement. Hernani chante
« clair et beau » et si Marion Delormc, sauf le pre-
mier acte, et le Roi s'amuse m'assomment fran-
chement, j'incline vers plusieurs scènes des Bur-
g raves. Quant aux drames en prose, ils délectent
I I Mil v .'{ll|
oe que j'ai, spectateur Faubourien, •Lui'- m.
ronds.
M. us je grandissais, je grandissais, <'t \<>i<i
qu'il m'est temps d'arriver à mes contemporaine
pour ainsi parler, Les livres d'à partir de
l.i Légende dt» Siècles, en passant, un peu vite,
par Les Châtiments H si vous voulez bien par un
Hugo politique qu'illustrerait avec votre permis-
sion quelques mota inédita et anecdoctes but lui.
AU PAYS DU MUFFLE
l'Ali
Laurent Tailhadc.
« Sois grandihque et bouz'aujot »
Ce conseil que j'aurais donné si je n'en avais
pas, hélas ! depuis trop de temps, prêté l'exemple.
M. Laurent Tailhade — un Banville exacerbé,
un Martial et un Catulle, presque un Piron, mé-
chant comme de droit, dur selon la norme, et
spirituel, et rigolo, plus que d'aucuns — ce
conseil-là, il « l'envoie » non dans un sac, à
quelques-uns de nos jeunes trop cravatés et
que... mal éloquents !
Je voudrais pouvoir louer avec plus de com-
pétence sa manifestation bien littéraire et très
humaine, mais si cruelle ! Mais je suis un de ses
complices et je ne m'endors pas sur certaines
amitiés, de même <|u«- je me repose moins .
core sur quelques haines que j'ai. Néeanmoins,
[a généreuse inimitié me plaît, quoi qu'en soui
frenl mes intimités, el je tends ft Laurent
Tailhade une main confraternelle devers des In-
vectives que je ferai selon son esprit, mais j m ■ n i -
rhc encore |)lns méchamment} el ce ne gérait pas
des prunes '.
J'adore énormément les sonnets dits quator-
/ains. dont exemple :
QUARTIEB LATIN
i Dans le bar ou jamais le parfum des breras
\r dissipa l'odeur de vomi qui la navre.
Triomphent les appas de In m'ere cadavre
html le nom est Jameux jusque dut les Howas.
Des I ultiaues. des rieerains du fleuve Amour
S'acoquinent avec des polards indu/estes
<Jui s'y viennent former aux choses de l'amour.
VA ces Ballades très douces à l'humanité prise
en général :
'M ) i BO U VBN I H S
Prince d'amour que fêlent les buccins,
Imite: la continence des Suinta,
Mobsm d'or, et gravez lu ehantepleure
De Valent ine au trescheur de vos scinqs ;
Amour s'enfuit, nmis 1 école demeure.
El si douces, trop douces au sujet de nos chers
contemporains :
« Pleur de niions, Prince Cliarmunl,
Xon pareille est celte merveille
([[ferle à votre êlonnemcnl :
L'Iiomoncule dans la bouteille. »
( lar je m'inscris en faux contre toute la jus-
tesse (ce qui ne veut pas dire la justice) de ces
sentences sommaires et vestibulatoires à ces
déambulatoires choses, sous forme d'antichambre,
à la salle du Trône où l'on dit que : J'éclate !
Exemple :
« Le save:-vous, Ohnet, Lcmaîlre,
Toi, Jean Hameau qui fais des vers
Pentamètres
J irai, fût-ce en l'atagonic,
Chercher ce i«EiN(;oLt), oui, f irai
Sur la grande mer infinie,
Car ~non crédit est délabré.
I I M II -
Et j* prifèrt soi .■'/</'(('•>■,
\ nthropophagti bataillean,
\ii.r ricUuMlioru ptu gaist
Ott iwisln»iurls cl </<s tuillrurs.
M. Laurent Tailhade est, d'ailleurs, un par-
fait gentleman plus heureux que moi d'un faux-
col bien qu'il, comme votre serviteur, se f... un
peu de tous les (juVii <lha-t-on quelconques et
autres : el je le salue en
l'uni Verlaine.
■20
yEGRI SOMNIA
Quelle semaine occupée! J'entends que de
nuits de cette semaine occupées, puisque mes
journées se passaient aussi dans mon lit, mais
plates, uniformes, toutes aux repas et aux re-
mèdes à heure fixe, aux crises prévues et aux
somnolences subséquentes également prévues ;
j'entends quels rêves dans que de nuits ! Cinq
nuits sur sept et seulement cinq rêves ramen-
tevés, sur le cube et le cube de ce chiffre !
Voici :
D'abord, une porte cochère du vieux Paris
pleine du monde chassé par une averse comme
dans la rue Soli des Treize ; comme dans la rue
Soli des Treize aussi, un homme à figure sinistre
qui me regarde dans le blanc des yeux et m'épou-
vante. J'ai l'impression que cette figure me con-
fesse : un tas de hontes me montent au visage et
>.n \ i mu-
je suis sur qu'à mon iv\ rii, qui rsi très brusque,
m. \ oici rouge comme un menteur pi
Je me pr ène avec des gens dans une Tille
où j'ai babité seize mois smis en avoir entrevu
que l.i gare. C'est en Belgique. Style Ben
sance. Briques et tuiles, angles de pierre. I
rOUgeS, Madones de \elours et de bijoux au eoiu
des ni.s. Puis ponts de 1er, tramways partout,
télégraphes et BÎgnaUX de fonte peinte en som-
bre, dorée, rouge, — le tout géant. Il y a quelque
fête. Nous suivons l.i Coule vers un embarcadère
vertigineux d'où nous revenons à contre-sens de
la plus grande partie de la foule encore pour la
fête. Des gens ayant bu m'insultent. Un agent de
police à chapeau fané de garde-française m'arrête
au moyen d'une corde autour de mon cou et me
mène dans un hôtel de ville en bois au rez-de-
chaussée duquel il y a un estaminet ; mon agent
m'emporte à rebroussepoil d'un escalier très noir
et m'introduit dans la table du conseil échevinal
(nous sommes en Belgique). Des messieurs très
chic dans des box. L'un d'eux m'interroge. 11
est brun, beau, jeune, barbu, au costume ma-
gistral dont je ne me souviens plus. 11 me re-
proche l'impression en France de fameux vo-
lumes obscènes où les institutions belges sont
attaquées. Ou me bouscule ensuite de salle en
salle sur des parquets très cirés où une jambe
308 SOUVENIRS
que j'ai malade glisse douloureusement. Finale-
ment, un autre monsieur, vieux et sec celui-là,
ordonne à un huissier à verge de me dépouiller.
La chaîne de mon parapluie s'entortille autour
de mon poing et l'homme tire très fort dessus,
ce qui me fait mal et j'ouvre les yeux.
Je suis le roi de France, et il paraît que j'ai
abusé de ma position au point de retenir prison-
nier, je ne sais plus dans quel dessein très pro-
fond et probablement patriotique, le fils du roi
d'Angleterre qui, lors d'une fête donnée par son
ambassadeur dans un décor d'opéra, me reproche
avec une amertume des plus éloquente ce manque
absolu de procédé. 11 est très pathétique, Mon-
sieur mon frère, et très beau dans sa barbe brune
et son habit noir du bon faiseur. Je réponds in-
solemment et astucieusement, et je sens au fond
que je n'ai pas raison au point de vue théâtral.
Tout cela devant de magnifiques courtisans en
uniformes et des dames princièrement décolle-
tées. Mon habit noir à moi n'est pas bien. Même
il est fripé et limé. Je profite de la diversion du
prélude d'une valse pour sortir en chercher un
autre, et c'est dans mon lit que je me trouve.
Allons bon ! D'un ou de deux coups de revolver
à peine tirés à dessein, je viens de tuer cette
pauvre grosse et jadis belle Madame ***, à qui
j'ai donné tant de camélias et de Parmes Je suis
VI N I II ^
rentré chez moi, dans un appartement d'aul
Fois, trèa «m Mit'-. Ma Camille, instruite, me blâme,
et je cherche avec elle des moyens d'échapper.
Ali ! le l">n moment quand je revoia la i <»i l<-
d'araignée vue la veille dans le coin gauche de
mon alcôve !
Sedan prononce/. S'dang . Bouillon, Paliseul
pro icei Palizeû , Jéhonville prononcez Djon-
m . lieux d'enfance. Que changeai Dana le bois,
à droite, en venant, le grand boia murmurant
jadis sous des \ ents parfumés de bruyère, de
myrtilliera et de genêta, et pleine du cri lointain
des loups et de leurs yeux comme tout proches,
il v a des becs de irai, et dans les clairières, très
nombreuses aujourd'hui, des industries mal odo-
rantes. 0 les vilains ouvriers flamands et ita-
liens ! Je reconnais le chêne, le Père qui s'élève
à l'entrée du bois?... du bois... Salmon (c'
bien ça), de quelques mètres éloigné des pre-
mières futaies. Horreur! un lîohinson s'y est
installé, à l'usage de couples à demi-paysans :
bières et sirops, macarons et veau froid, ehel
crasseux et bonnes sales. Du trottoir et du bi-
tume et du béton. La campagne autour, quel-
quefois Sauvage, s'est laite plate à force de jar-
dins potagers. Les beaux étangs noirs qui
clapotaient gais et sinistres en plein vent dans
l'àpre jirairie.il y a des cygneset des bétes cyprins
.'}!(» s o u v \. n i h s
dedans et une bordure de granit rose autour...
Je m'y mire et j'y vois une face grassouillette
dont je reste tout confus en présence de mon in-
nocence, là vivante jadis et de tout ce qui s'est
passé entre ma maigreur d'alors et ce ridicule,
cet odieux embonpoint qui dit tant de choses
digérées, de choses plates, laides, médiocres et
lâches. — Et que béni soit le sursaut vengeur me
rendant tout à mon réel malheur, fier alors !
MKS soi \ l.Mlîs DE LA COMMUNE
Des Ifl malin les alliches blanches, s'il VOUS
plaît, du « Comité Central de la Garde Na-
tionale » avaient averti la population parisienne
da cette nouvelle victoire de la «vraie démo-
cratie » ; proclamations vraiment point trop mal
tournées, et signées — enfin ! — de DOOM abso-
lument nouveaux, kela que Gamélinat, etc. On y
lisait des choses véritablement raisonnables à
côté d'insanités presque réjouissantes. Tour mon
compte, je lus emballé, tout jeune que j'étais
pour ainsi dire encore et irais émoulu, entre
deux poèmes parnassiens, A qu'impassibles ! —
des réunions publiques, et naïves d'ailleurs, des
temps tout proches de l'Empire. Et puis c'était
franc, nullement logomachique et d'une langue
très sutlisante dans l'espèce. Bref, j'approuvai, du
fond de mes lectures révolutionnaires plutôt hé-
312
SOUVEN IUS
bertistes et proudhonniennes, cette révolution
tenant de Chaumette, de Babœuf et de Blanqui.
Et puis quelle réhabilitation de la Garde Na-
tionale enfin sérieuse et redoutable, après l)au-
mier et tant de vaudevilles Louis-Philippe et
faux-toupet !
C est au moment où nous enterrions le pauvre
Charles Hugo qu'avait lieu le drame de la rue
des Roziers. A la sortie du cimetière, la triste
nouvelle tintait déjà dans l'air assombri. Enmême
temps, les barricades ébauchées le matin deve-
naient formidables et s'armaient de canons, de
mitrailleuses et se hérissaient de baïonnettes au
bout de fusils chargés. Les passants chuchotaient
des paroles d'alarmes et filaient vite. Les bouti-
ques se fermaient et maints cafés n'étaient qu'en-
trebâillés. Ça sentait la poudre el ça fleurait le
sang. En même temps des incidents comiques
se produisaient. Pour ma part, j'assistai, non
certes à la frousse, mais à l'indignation un peu
puérile d'un de mes bons amis, poète de grand
mérite. A propos du meurtre évidemment dé-
plorable du général Lecomte et de Clément
Thomas, ce ne fut pas une fois, ni deux, mais
cinquante, mais cent fois qu'il me répéta, alors
que moi je trouvais tout ça, même la fusillade
de Montmartre, très bien (horresco referons /) ;
<( Mais c'est affreux ! mais c'est l'affaire Bréa,
-m mm 313
mais, mais... •• sana compter I-
de costume, les disparates d'uniformes, el l< -
commandements à rebours el les manœuvres à
l'envers <le cette garde nationale à peine dé
grossie de l'atelier el «lu troquet. El quelle em-
phase, du reste gentille au f 1. dans le lang
de ces braves gens imbus de leurs bétes el mé
chants journaux ma] digérés en eux '.
La nuit tombe sur la ville haletante. On en-
tend des crosses de fusil tombant sur le pavé...
Parisiens, donne/ .'
LE BON LARRON
A Willette.
Oui, très bien, votre « Mauvais Larron ». Tou-
chante, la démarche (et amusante) de cette brave
petite femme grimpée sur son ànon, pour un der-
nier baiser au pauvre diable avec qui elle avait
sans doute tant aimé. Gentille l'idée, exquise
l'exécution.
Mais le Bon de Larron, alors ? Je sais, moi
catholique, qu'il est sauvé, qu'il fut même le
premier saint du dernier testament, l'archi-con-
fesseur, que ceci, que cela. N'importe, si le
« Mauvais Larron » est si intéressant, grâce à
vous peut-être seulement, combien le bon le
sera-t-il donc ? (En dehors des Bollandistes dé-
finitifs, bien entendu.)
Oui, au point de vue humain, qu'est-ce que le
Bon Larron ?
Un abandonné probablement de sa femme,
v.,| \ | Nil,
d'une veuve trop Rère, peu! être offensée, en
iniis cas compromise et se dérobant. El comme
l,i tniséricorde de Jésus esl infinie, La gi fc< b d aura
pu descendre que sur un acéléral sans excuse.
Mauvais mari, fila ingrat, père affreux, voleur
sans pitié, certainement lâche, tel à mes veux
ce grand Bain! qu'un sonnet jeune de moi,
l..)i'M|iie Jésus lut morl et comme une auréofc
S'allumait bleue au front blanc du ]\a/.arécn,
Lo Bon Larron prenant brusquement la parole :
— Compagnon, que dis-tu de ces choses ? — Moi, rien.
Sinon qu'en pondant lacet homme l'on fil bien...
et ratera. Maspliémait avec son Rédempteur et
le nôtre, et à qui j'offre ici mes respectueu
excuses de n'avoir pas compris les raisons.
Espoir des endurcis :
Modèle des contrits de tout à l'ait la dernière
heure :
Inventeur de la Pénitence finale :
Magnifique vainqueur de Satan qui lui fîtes une
blessure plus cuisante que tous les coups de tous
les anges restés fidèles, avec votre cri de vrai
soldat du Mal reconnaissant sa défaite, la seule
parole de bonne foi de toute une coupable vie :
« Seigneur ! ave/, pitié de moi •> ;
Saint Qéophas, priez pour nous.
HISTOIRES COMME CA
DEUX MOTS D'UNE PILLE
11 s'était dégradé depuis belle lurette. Je veux
dire qu'il vivait chez de petit peuple, dans un
garni dont m dèche, bien qu'ancienne, n'excusait
pas les promiscuités.
Aussi vous avait-il de ces théories ! Un jour ne
me dit-il pas :
— Mon cher, ces filles et leurs amants ne sont
paf ce que l'on pense. Il v a chez les unes un
dévouement et un héroïsme, chez les autres une
chevalerie, oui, une che-va-le-rie et une tendr.
qu'on chercherait en vain ailleurs. Certes, il \ q
des sous-entendus à ces vertua. Mais quelle
médaille...? Kst-ee que la plus belle tille....'
L'argent a, je le reconnais, sa très forte part
dans ces existences irrégulières. Mais dans les
régulières, d'existences ? Et encore, voler à coups
de poings, de sortie de bal ou de couteau, (pie
.T20 HIST0IBE8
peut châtier un revolver, s'approprier par des
sourires et des caresses le porte-monnaie d'un
imbécile, au risque de plus de mois à Saint-Lazare
que de juste, n'est-il pas plus noble, oui, noble,
et plus gentil que d'accaparer en gros ou d'escro-
quer en détail? J'aime, je l'avoue, ces beaux
jeunes hommes à qui les chroniqueurs judiciaires
décernent sans discerner la même tète ignoble,
nos pères eussent écrit, patibulaire. J'adore ces
vaillantes de la Joie à qui ta Société n'a rien à
reprocher, elle qui ne fait que pressurer, empri-
sonner, enrôler, marier pour divorcer, saisir,
guillotiner, et tout ! — que de vendre du plaisir,
et de quel plaisir ! de celui qu'ont chanté tous les
poètes, qui sur terre est, avec la vertu, l'unique
bonheur, pour quoi périt Troie et à quoi nos
arrière-petits-fils devront de vivre. Et même, à
ce propos, ces charmantes compagnes d'oreiller
nous tiennent quittes des conséquences. Que de
peine aussi se donnent-elles pour nous plaire en
toute sécurité nôtre ! Dessus et dessous de toi-
lette, le teint fait, toujours prêt, la bouche et les
yeux perpétuellement sur l'exquis qui-vive.
Quant à leurs amants, des chevaliers, te répéte-
rai-je à satiété, puisque le voilà branlant ta
tête de saint Thomas bourgeois. Je te raconterai,
quand tu voudras, des choses d'une authenticité
terrassante. Mais, tiens, laisse-moi te chantonner
i m i ÇA
— en attendant de l'entonner ces épopéei une
modeste idylle où je jouai mon bout de roli
Ici je ooupe la parole ;> mon ami qui, aana
doute, nous en baillerait par trop de trop bel)
et je vaifl voua donnera la troisième personne,
et tout bonnement, son récit qui vous «Mit
sans nul doute, lyrique à l'exi
L'hôtel garni en question était, en dehors de
ses chambres pour ouvriers, tout petits emplo^ es
et déclassés, une très pou vague maison dopas
Dos filles en carte, en outre, y avaient Leur
« carrée » en propre, avec amant ou maitresse,
ou rien dedans. L'une d'elles qui couchait seule,
une lois le o true l'ait ». eut avec mon ami, alors
en possession ou en pouvoir de femme (et à pro-
pos de cette maîtresse participant à l'entretien),
une altercation assez, violente à L'issue de laquelle
elle donna immédiatement congé, • ae voulant
pas. < ria-t-elle. ear elle était soûle, être insultée
impunément par deux vaches ! » A quoi l'iras-
cible garçon que la présence de sa femme gon-
flait encore. — tel un dindon — répliqua : <• Va
dire à ton m que je ne réponds pas auxp...
Quelque temps après, naturellement, il se
brouillait avec la belle, cause de tout ce tapage,
une grande brune assez insignifiante, puis tom-
bait gravement malade. Sa maladie dura six mois
au bout desquels une rapide convalescence lui
21
.'J-J-J HISTOIBKS
remit en tête quelle foule d'idées, et (jiii est-ce
qui lui trottait le plus dans sa diable de cervelle ?
Parbleu! la femme à l'engueulade, la p de
l'été dernier. Cœur humain !
C'était une imperceptible blonde, d'un blond
ardent merveilleux. Sa tête va comme je le pousse
n'était pas désagréable avec s<m ne/ trop à la re-
troussette, son teint haut de buveuse habituelle
et ses cils un peu de lapin blanc. Elle portait, à
l'époque dont se souvenaient les sens commen-
çant à s'étirer de l'alité, une camisole rouge à
pois blancs, sur une jupe pareille. Tout ça lui
donnait l'air d'un petit incendie, et c'était très ra-
goûtant. Aussi fut-ce un bon moment pour X. (il
s'appelait ainsi) quand il appril par son logeur
que Mlle Marie a va il reloué chez lui. Sur le champ
il se lit faire sa chambre à fond et changer de
draps, commanda un bon souper à deux pour
vers six heures du soir, et s'arrangea de façon à
ce que l'infante voulût bien venir dans les envi-
rons de cette heure-là.
Un énorme feu de charbon anglais flambait
dans la large grille, et la réverbération en dan-
sait gaîment, on eût dit malicieusement, sur la
longue étagère d'en face surchargée de livres,
dont pas mal de mystiques, sur le marbre et les
cuivres de la commode, et jusqu'au plafond leudu
de papier gris clair à fleurs violatres. X. était
ru m m i | \
dans son hi loui blanc qu'entouraient d'iitittien
rideaux verl sombre <•! ponceaik Se chevelure
assez olairsemée sentait bon le pommade, el de
la brillantine parfumail ss barbe rare. Une oh
mise très fine, non amidonnée, son seul luxe de
jour et de nuit . drapait son torse el ses bras
amaigris mais encore dodus, car, comme Hamlet,
il était gras. Une étincelle gaillarde pétillai! dans
ses petits \ eux à la chinoise.
On frappa.
— Entrez.
La dame entra. Robe noire, pèlerine en faux
astrakan, foulard écarlate autour <lu cou.
Ce dialogue s'engagea :
— Bonsoir, monsieur Ernest.
— Bonsoir, mademoiselle Marie. Kl comment
allez-vous depuis que je n'ai eu le plaisir de
vous voir?
— C'est à vous qu'il faut demander cela, mais
je suis heureuse de vous voir si bonne mine.
— Oui, ça commence à r*afler. Faut espérer
que ça rira, comme on dit chez moi. Dit-on
comme ça chez voUs .'
— Pour aller mieux, pour ça ira mieti£ ? Non,
on dit aller mieux, ça ira mieux. A propi
Vous toujours fâché après moi ?
— El vous ?
— Moi ?
■ i'2 i HISTOIRES
— Oui.
— Non.
— Eh bien, ni moi non plus.
— Alors si on soupait ?
On soupa sur une petite table toute servie que
Marie approcha du lit d'où X. mangea sur ses
coudes. Pâté de foie gras et bordeaux. Quand ce
fut fini, Marie ôta son fichu, puis sa pèlerine, et
remit la table dans son coin.
— Ouf, qu'il fait chaud! dit-elle, mais j'ai
froid aux pieds, et elle délit ses bottines, faisant
mine de se chaulfer fort au foyer qui baissait.
— Marie, venez donc, j'ai quelque chose à
vous dire.
— Me voici. Quoi ?
— A l'oreille.
L'oreille fut vite à la portée de la bouche qui
la baisa par derière. Puis des mains d'X. l'une
soutint les reins et environs, l'autre dégrafa la
robe, et le corset. Marie se défendait peu. Sou-
dain elle lit tomber corset et robe, ôta ses bas.
alla s'assurer si la porte était bien fermée à dou-
ble tour, revint vers X., rejeta les couvertures
et le drap à moitié, mit un genoux dans le lit et
dit :
— Zut, j'ai froid. Allons, houste ! souille la ca-
moufe !
X. obtempéra.
1 c.M M I ÇA
II
\|;iis le lover mourant <l;ir<l;iil soii-^ le dais
pourpre sombre «les rideaux une lueur toute
drôle, el comme presque diabolique. Par un ea-
priée, Marie s'était comme qui dirait agenouillée,
les bras autour du cou de X. qui la voyait
donc bien en lace. La mignotte plutôt encore
que mignarde physionomie de la fille lui appa-
raissait dans une sorte de nimbe sourdement
fulgurant, sur lequel rayonnait une chevelure
en or fauve à la lettre, fauve à reflets rosi
reflets on eût cru violets, puis très clairs à sem-
bler blancs, puis mats comme le plus beau cui-
vre — et frappée de l'espèce, maintenant, de
phosphorescence envoyée par la cheminée, en-
veloppée d'elle, et, merveille ! eparse en crinière
d'archange avec des bouts en pointes de feu, car
Marie tenait ses cheveux à moitié longs, appro-
chant de la trentaine et sans doute redoutant un
éclaircissement précoce de son trésor à qui rien
ne manquait que d'être monnayé, suivant son
mot d'enfant. En même temps, la cordelette dé-
nouée de sa chemise donnait libre jeu à cette
dernière, et tles épaules rondes, des seins fermes
if'ir» m s nu u es
aux bouts rouxsplendides, des hanches grasses,
d'un satin, ô que précieux, d'une senteur vir-
tuelle si capiteuse, vivaient, vibraient sous
l'étreinte jamais assouvie de X. Quelle fatigue ex-
quise au terme aigu de laquelle lestement, dans
les deux sens du mot, Marie, enjambant d'une
jambe une jambe de l'homme, se laissa rouler,
pour s'y blottir, dans le coin du lit, au long du
mur tendu de la même perse que les rideaux
vert foncés sur fond ponceau. X. dormit jusqu'au
matin, dans la fraîcheur des beaux bras nus,
avec sa tête dans les cheveux de fée et d'ange.
Au réveil, Marie, après une conversation qui
mit le comble à la langueur de X., fut tôt hors
du lit, enfila son jupon, jeta sa pèlerine sur ses
épaules, lit du feu et procéda à sa toilette.
Après avoir tordu en un lier chignon sommaire
ses admirables cheveux, elle lit bouillir de l'eau
qu'elle versa, mêlée à de l'eau froide, dans un
bassin de fer blanc (la chambre du malade se
trouvait garnie de tout un petit ménage) et s'y
lava promptement les pieds jusque très haut.
Cela fait et le bassin vidé, elle dit à X. : « Tu
permets ? » en même temps que sa pèlerine et
son jupon dégrafés tombaient et que sa chemise
sautait par dessus sa tête. 0 ce corps ! 0, du
col aux orteils, cette blancheur de lait sur du
marbre rose qui palpiterait à temps bien égaux,
COMMI I \
. . 1 1 .* s.mt,' forte m. us <ii i embonpoint
oharmant, tout au plus ft fossette! renies
droiti juste qu'il faut, nette harmonie des leû
et dll ventre, cl «1rs cuissi » ! II. par un prix i-
lège, les jambes étant hantai relativement an
buste, lea perfections de L'antre noté n'avaient
rien de ne caricatura] qui trop souvent nous
afflige ohei lea femmes lai mieux t.iii
\. ;i\.iii vu bien dci femmes dans mille pos-
tures. Jamais une pareille beauté de corps. Et
la tète assez indifférente, je l'ai donné ;'• penser,
grâce, il faut le dira aussi, à cette prestigieuse
chevelure, bénéficiait de ces iplendeurs et sem-
blait belle de très ordinairement gentille qu'elle
était H n'y put tenir, sortit du lit. l'y ramena
de force, et les plus folles c;iress,-s les re-
tinrent encore des quarts d'heures et des quarts
d'heures.
— Ce n'est pas tout ça, dit-elle, il est v-huit
heures et /-ai faim. Laisse-moi m'habiller un
peu que s'aille cereer à manzei .
Et à l'aide d'une vaste cuvette, d'une épi
et de deux ou trois serviettes, elle baigna, frotta.
eSSUVa son sublime corps parmi des attitudes
simiesquement sculpturales des plus éblouissan-
tes.se rhabilla en deux temps et sortit pour reve-
nir munie de chocolat dans une boîte au lait, dont
elle mit le contenu dans des bols à soucoupe,
328 HISTOIRES
tira de sa poche quelques croissants, et, comme
honteuse :
— lîète que je suis, j'oubliais le vin blanc ! et
elle cria par la porte entrouverte :
— Patron, une bouteille de blanc !
(Elle ne zézayait qu'à ses heures).
La chambre de X. était au rez»de-chaussée,
séparée de la boutique du marchand de vins
par seulement un court corridor. Le patron ne
tarda pas à apporter la consommation deman-
dée.
Le vin blanc bu et le chocolat absorbé, elle
balaya, rangea la chambre à fond, ouvrit la fe-
nêtre un instant.
— Maintenant, je monte à ma chambre m'ha-
biller un peu en après-midi. Tu payes à déjeu-
ner ?
— Et à dîner et tous les jours et ta chambre,
situ en as encore besoin.
— Tu es un gros chat bleu. J'accepte. A tout à
l'heure !
X. allait se rendormir au bout de quelques mi-
nutes, quand il fut gratté à la porte.
— Entrez, cria-t-il d'une voix de mauvaise hu-
meur.
Un éclat de rire sonna par la chambre où
Marie entrait, portant une valise qu'elle débou-
cla.
... M M I . \
— Tu ne m'attendaispas sitôt. Au moins, tu m-
m'as pas l'ait de lr;iils '.' ZaloUS6, nmi. tus.nn
Mais dora, chou, tandis que j«- \.iis n'habiller
ici. Ça n'incommode pas monsieur .' I »li ! moi, tu
suis, ce n'est pas pour i<»i. c'est parce qu'il
du feu dans ta chambre.
Et en dis;ini du • feu », elle s'appuya sur sa
cuisse et Le baisa une vingtaine de foia à gros
bruit.
V. ravi, souriait. C'était charmant, ce « cou-
cher » qui tournait au « collage •> avec certes
une des plus belles femmes du monde, et qui
paraissait si bien !
Tue seconde toilette eut lieu. Cette fois, la
chemise était bordée au col, aux épaules et en
bas, d'une broderie Légère et rendait un frais
parfum de new mownhay. X. dut en prendra
L'étrenne, ce à quoi il s'était résigné sans grand
chagrin, quoique bien fatigué pour un conva-
lescent. Une espèce de robe de chambra en
étoffe de laine grise à ramages rouges, dessi-
nant bien la taille, assez étroite de jupe, suivit,
et les pieds se chaussèrent de hauts chaussons
très justes et pomponnés de moire verte. La
fille alors dit : « Dors. Je te réveillerai pour
déjeuner », prit un livre et s'endormit bientôt
dans un fauteuil, presque en même temps que X.
dans son lit.
330
HISTOIRES
Midi sonnèrent.
— Petit, cria Marie, allons, debout. Attends,
je vais t'aider.
Et elle l'aida à mettre un pantalon, des chaus-
sons, un gilet de chasse et un gros pardessus
fané, passé paletot d'inférieur.
Ils déjeunèrent dans la boutique, connue X.
en avait pris l'habitude, depuis qu'il pouvait se
lever pendant quelques heures, avec le patron
et sa famille, composée d'une femme et cinq
beaux enfants, dont une petite de huit ans, un
pur ange de grâce et de bon caractère, et un gamin
de douze ans, espiègle comme cent, si drôle
dans ses jeux, à froid parfois — tels ceux de
beaucoup de jeunes garçons parisiens, — qu'X.
l'avait surnommé Pierrot, appellation dont l'en-
fant était mystérieusement tout lier.
Après déjeuner, Marie tira de sa poche quelque
chose qu'elle déroula et se mit à raccommoder,
en face de la patronne, déjà occupée à un tra-
vail analogue, et X. témoigna le désir d'aller se
coucher.
— Ma clef sera sur la porte. Viens quand tu
voudras.
— Dors toujours bien. J'irai quand il faudra.
11 était six heures et demie quand X. rouvrit
les yeux. Marie, assise à son chevet, surveillait
son sommeil.
I Ml ÇA
— Il \ ;t longtemps < 1 1 1« ■ In 'Lus U '
— Pepuif un quarl d'heurs à peu près, Mail
je \.u^ ir dire s revoir, Il va dira ispl heures. Il
i;uii que je Borte, Tu comprends '
— Hein?
111
11 comprit avant qu'elle pul répondre ce qu'elle
pouvait lui répondre. 11 s'agissait indubitable-
m. Mil d'aller travailler. Ça Le dégoûte un instant
et il eut de la peine Ù ravaler de IVau qui lui
était venue du dedans des jours. Puis il s.- dit.
prenant son parti : (( Bah ! »
— Mais à dîner?
— J'ai niante là-bas. il v ;i une heure. Toi.
reste couché. Laisse la clef. Je reviendrai à onze
heures. Je vais dire qu'on t'apporte à maii-vr.
l-'l elle partit pour revenir à onze heures. Les
scènes de la nuit précédente se renouvelèrent.
Mais cette lois, un colloque prit place entre les
entractes, dont voici un résumé.
Elle lui avoua avoir bien étrenné dans la soi-
rée, mais refusa de répondre à son : n Combien
tu l'ait? » quasi résigné et comme de courtoisie,
autrement que par un « ça, c'est mon affaire »
'Xl'2 HISTOIRES
très digne et qui signifiait des délicatesses, car
elle n'était pas sans l'estimer beaucoup, sans Le
respecter, pour bien dire ; puis elle voulut abso-
lument qu'il déjeunât et dinàt avec elle le len-
demain, à ses frais à elle. Le reste passerait à
l'achat de bottines dont elle avait besoin. Qu'il
ne se formalisât pas de ses générosités. Quand il
faudrait, elle ne se gênerait pas pour demander.
Tout devait se passer entre eux, entre camarades.
Elle était une ceci, une cela, mais elle avait son
amour-propre. Vilain métier que le sien « va ! »
mais un métier où on est honnête ou pas. Elle
était honnête.
S'apercevant qu'elle était un peu prise de bois-
son, il la caressa une dernière fois et ils s'endor-
mirent bientôt. Au lever, elle reprit sa causerie
et même parla souvenirs.
Elle était d'Amiens. 0 La Haufcrye ! Un jeune
carabin en vacance l'avait séduite à quinze ans et
lâchée presque aussitôt. Depuis, après plusieurs
autres hommes, elle était venue à Paris pour
faire la noce. Mais ça n'allait plus. Même sous
la Commune ça allait mieux. Enfin, peut-être
l'Exposition, le Métropolitain... Ah! elle ou-
bliait...
— Je ne t'ai pas encore parlé de Célestin ?
— Non, qu'est-ce que Célestin?
- — Mon amant.
CO M Ml ■ \
— ai. :
Célestin éiail uo tonnelier <pii Iravaillait.l]
L'avait soignée pendant une longue maladie. I n
homme qui ne buvail jamais. Rlle, hélas! avait
celte habitude-là. Lui ne pouvait la souffrir quand
elle était dans de vilains états. Il L'avait chaa
un jour. C'est pourquoi elle était revenue au
garnot. Elle L'aimait encore, béte qu'elle était.
Il L'avait soignée. Et puis, il était de Lille. Il
causait patois un peu comme «II*-.
— Enfin, n'en parlons plus. Ze t'aime bien
aussi. Ne pensons qu'à nous pour le moment.
Par degrés, X.lui lil reconnaître qu'au font Cé-
lestin ne travaillait pas tous Les jours: l'ouvr
était si rare au jour d'aujourd'hui — et qu'il
souffrait qu'elle travaillât, elle, à sa e sale ■ ma-
nière, bien qu'il ne la battit pas quand elle i
trait sans le sou (quelquefois elle buvait ses bé-
néfices, entre parenthèses et ne vint pas L'atten-
dre pendant ses passés ou la siffler d'en bas
quand elle tardait trop à en avoir fini avec un
client à l'air pas assez, sérieux.
X. opinait du bonnet, berçant L'intérêt Lent de
ces récits île gentillesses, comme de prendra
de tapoter les mains petites, de passer la paume
sur les ondes blondes et les doigts dans les tri-
sons d'or...
Gela dura quatre Longs mois, au cours des-
334
HISTOIKl-S
quels Marie fut tourà tour exquise et détestable ;
bien plutôt exquise. La seule boisson la diminuait.
Mais alors elle n'était pas amusante du tout.
Elle se grisait si abominablement parfois,
qu'elle en était malade tout le lendemain, sans
préjudice des inconvénients presque immédiats,
et quels discours ! Jamais cependant elle n'in-
sulta X. ; mais elle pleurait d'une façon si bête,
se montrait jalouse, jalouse ! si à tort et si à tra-
vers, grinçait des dents, avait presque des atta-
ques de nerfs, et des propos ! Un jour, ou plutôt
un soir qu'elle devait avoir eu affaire à du public
ami de la bouteille, — mais elle buvait bien toute
seule aussi, — elle lui demanda à brûle-pour-
point :
— Sais-tu où l'on vend du vitriol?
Et une autre fois :
— Veux-tu m'écrire une lettre anonyme?
(Elle ne savait ni lire ni écrire).
Il fut répondu des plus évasivement, bien en-
tendu. Il allait sans dire que vitriol et lettre
étaient destinés à Célestin, si vaguement il est
vrai! Car, aussitôt à tête reposée, Marie n'avait
plus que les idées du meilleur cœur du monde,
demandant pardon pour la brutalité finale de sa
liaison avec Célestin, disant son regret d'avoir
lassé par des ivrogneries cet amant qu'elle pro-
clamait et croyait honorable, et protestant d'une
i mi ÇA
amitié passionnée, d'un dévouement de s. nu- e(
de maîtresse en titre, d'épouse plutôt em
pour L'heureux \.
Heureux, <»ui ! oar malgré la ]>1 n^ (|u<' médio-
erité, Is presque bassesse de je
mais il n'avait été aussi 1 >i«n traité de toutes les
Façons qu'à présent, jamais il n'avait aussi, js
niais, mon Dieu I éprouvé un sentiment pins
tendre, reconnaissance, estime partielle et j m
admiration humble, enfin, do corps, instrument
parfait de lant «le belles joies !
Reconnaissant surtout. Elle Taxait soigné dans
plusieurs de ses crises, même dans une rechute
assez sérieuse pour néeessiler qu'oïl le \eillal
plusieurs nuits de suite, ce qu'elle lit à la per-
fection, avec tontes les délicatesses, tontes k -
douceurs, l'as de répugnance qu'elle n'eût snr-
montée gaiment 11 lui était arrivé il l'avait m
sans qu'elle s'en doutât, à travers un demi-som-
meil de lièvre de pleurer silencieusement à le
Contempler et en le sachant ou le croyant si ma-
lade. Elle marchait si doucement ! Quand quel-
qu'un venait s'informer ou aider et qu'il somno-
lait, elle s'abstenait de chuchoter, bruit odieux
BU malade, mais ne parlait que le moins haut
possible. Jamais de cuiller éveillant le cristal,
jamais de papier froissé, enfin pas une garde-
malade, une Sœurl
'.VM\ HISTOIRES
A sa presque guérison, un changement, en
premier lieu quasi-insensible, s'opéra dans
Marie.
Un peu avant qu'il ne fût retombé, elle était
rentrée de nuit avec un œil poché qu'elle lui fit
voir en riant, « un cognard », disait-elle en sa
langue mi-patoisante de quand ivre.
— Célestin, au moins! dit X., presque con-
tent, — de quoi ? d'avoir deviné ? — car un signe
lui répondit en même temps qu'il interrogeait.
Eh bien ! oui, d'avoir deviné, là! d'avoir trouvé
et d'avoir en quelque sorte pris ce Célestin, re-
gretté toujours, aimé quand même, en flagrant
délit d'affreux procédés, qu'une femme, quoi-
qu'on en dise et quelle qu'elle soit, pardonne peu
souvent. Presque content, en vérité, et une se-
conde après point trop surpris, mais point trop.
Ah ça!...
Etait il amoureux? L'était-il, voyons? Amou-
reux de cette pauvre fille, lui, lui en somme, lui
enfin. Lui? Ah! que oui qu'il était amoureux
d'elle ! Dans toute la force du terme. Mais alors
jaloux, puisque joyeux d'une chose qui devait
diminuer son rival, — rival! — aux yeux aimés,
aux yeux décidément aimés ! 0 déchéance ! Mais
non, pas déchéance, puisque joyeux, puisque
joyeux donc ! Mais alors, c'est qu'il acceptait un
partage, ce partage-là? Ah! il s'en apercevait à
tiOMMI 'V 3îtt
présenl ! Partage moral, si oe in«»i était de
AU! il ne manquait plus que le partage physique.
Deux jonri après il L'acceptait, ce pari
\ oici ce qui était arrivé.
IV
Le changement dont j'ai parlé, qui remontait
donc à quelques jours avant son entrée en
seconde convalescence, consistait en une sorte
d'espèce de vague comme qui dirait relâche-
ment dans Les soins, j'entends dans Les petits
soins dont elle avait câliné, dodiné ses insomnies,
ses réveils, ses mauvaises humeurs et ses en-
fantgâtismes.Maintenant elle parlait raison, faisait
appel à son énergie, à son courage quelquefois :
au lieu de Le bercer si elle l'aidait, le gâtait en-
core un peu. c'était en mère, non plus en petite
mère, c'était en sœur, non plus en bonne-
sœur. Elle ne lui faisait plus faire dodo ni le
reste, elle le faisait dormir, etc. Elle le traitait
en homme, en malade, non plus en enfant ma-
lade, en amant peut-être encore, non plus en
amoureux, quoi ! pour revenir sur notre terrain
tout à l'amour, ou à la sensualité si Ion préfère.
338 iiistoihI'S
A la longue, impatienté de ce refroidissement
(c'était bien le mot) il ne put s'empêcher de le
lui reprocher sous forme d'observation. Elle fut
étonnée, charmée un peu, et se formalisa, mais
comme pour la forme. Elle était bien dans le
rôle, décidément, c'était même nature, en fait.
Puis elle continua son train dévoué, mais calme,
auquel force fut bien à X. de s'habituer, dédom-
magé d'ailleurs qu'il était dores et déjà de mille
manières par l'affabilité, l'abandon sensuel et la
science de Marie. Oui, par sa science aussi ! Tant
il y a qu'une nuit, au lieu d'en cheveux. s;i
coiffure ordinaire, elle lui apparut en chapeau.
Un chapeau vert à plumes et pompons verts, tirs
haut, qui écrasait sa petitesse et lui allait à ravir.
Un paletot noir lui descendait aux pieds, qu'elle
avait chaussés de fortes bottines, et son en tous-
cas à bec très contourné se balançait à ses mains
gantées de chaud.
A l'enjoué :
— Quèsaco ?
d'X. Elle répondit bien gentiment, bien posé-
ment aussi :
— J'ai trouvé quelqu'un. Quelqu'un de comme
il faut. 0 pas comme toi. Non, quelqu'un pour
moi. Un monsieur d'à peu près ton âge, d'à peu
près l'âge de Gélestin, car vous êtes de la même
année, toi et Célestin, tu m'as dit. Un ouvrier
COMMI QÂ
ftUSSt, <pii Iraxaille aUSSl. Toi. lu Bf 1 1 "|> lni|»|»'-
pour ni"i. Pai comme, t • >i 1 1 1 1 1 • - . puisque in p
plus grand'ohose, même presque rien, sinon rien
du tout, pauvre chien, Ce n'es! pas i.< foute, je ae
te reproche rien, tu m 1 > i « - 1 » gentil, \<»n, !<•! ta m
iiii de l.i li.uilf ;ui ti uni . I !!<• luis un peu remis ;i
neuf de toute façon, tu aurais bonté de moi. Ne
dis pas non. .le me moqua de ta* je t'assure, j<- les
emmène à la campagne, tes je t'assure, C*i
comme Ça, .le Ifl s.iis. Kt je ne l'en VOUS pM, au
moins. La preuve, o'asl que je reviendrai te voir
souvent la nuit... F. h bien ! oui. la nuit .a pics avoir
un peu travaillé. Oui. travaillé. Ça félonne?
Quand je te dis que tu n'es pas i Dette ooule-là.
Va, mon pauvre Ernest, je no serai jamais, vois-
tu. qu'une putain. Tu avais raison L'autre fois, ne
(lis pas le contraire maintenant. Que veux-tu.
c'est comme ça, Quand je te le répéterais eent
t'ois !...
Kt elle prit sa valise qu'elle hourra, puis em-
brassa X. sans vouloir rien faire de plus. m.,
sa prière à bras tendus.
— Mais c'est, dit X.. un peu déménager à la
cloche de bois. Que leur dirai-je. le matin. $
^t'iis ?
— A la eloche de bois? Je te cloche dé bois :
Je ne leur dois rien, à ces ^ens-là. Toi et moi,
nous avons pavé ma ehambre et ma nourriture
.'{'lO HISTOIRES
d'à peu près la moitié de ces derniers mois, juste
ce que j'ai mangé chez eux. Parce que j'emporte
mon linge ? Mais il est payé, mon linge !
Et elle s'échauffait presque, comme par habi-
tude... X. l'eût cru avec Célestin.
Elle approcha du lit et le baisa au front on s'en
allant, lui disant :
— A demain vers midi, je viendrai prendre le
café. Au revoir, bonne nuit.
Le lendemain, elle vint prendre le café et passa
le reste de la journée, dîner payé par elle com-
pris, jusqu'à minuit, heure à laquelle elle se rha-
billait, quand X. :
— Et où vas-tu comme ça ?
Elle :
— Chez nous, parbleu, chez...
— Chez Célestin ?
— Eh bien ! oui, chez Célestin. C'était de lui
tout ce que je te disais hier.
— Et il accepte que tu sortes comme ça ?
— Tu t'en plains ?
— Non, mais...
— Tu trouves ça maquereau, dis la vérité.
— Ma foi ! . . .
— Que veux-tu ? Aussi son ouvrage ne va pas
toujours. 11 me gronde parfois tout de même de
sortir. Ah ! je l'aime bien, je te l'avoue. C'est
l'homme qu'il me faut. Je te dis, toi, tu es trop
i m i ça 841
chic, tu es mi monsieur, trop savant pour moi.
Seulement, tu sa été bien gentil, pas jaloux...
Pas jalons ! quel éloge dans quelle bouche !
... Pas embêtant, pas sciant. Btj'ai en pour
toi un béguin qui dure encore ei durera, je te
promets... <>ui. Célestin es1 mon grand, « 1 • -
béguin. Mais c'esl égal, va, j'ai été bien contente
de i<>i ce( hiver... et tiens, je n'osais pas te le dire,
je...
— Tu...?
— Eh bien, là, si j'ai couché tous ces iimi- ci
avectoi, C'ÉTAIT POUR ME CONSOLEE
Ce moi c'était pour me consoler frappa drôle-
ment X. Il y avait là beaucoup de choses en vé-
rité. Quelque impudence, une naïveté, comme
de la candeur enfantine et <le la gentillesse tout
plein. C'était si joliment dit d'ailleurs ! ( Jette tille
avait par instant des repos d'innocence extraor-
dinaires. Par exemple, ne jouait-elle pus quel-
quefois comme une perdue avec le garçon et la
dernière petite du propriétaire, sautant à la corde
et y faisant sauter avec des rires tout à fait fi
endurant de la meilleure humeur les all'reiix bleus
que les coups de poing inconsidérés de l'infernal
gosse lui taisaient aux épaules et sur les b:
Elle avait grasseyé de L'accent picard qu'elle
prenait en certains moments et qui ne manque
pas d'une certaine bonté lourdaude, d'une eer-
342 m s Tout i s
taine douceur précise el lente, ces trois syllabes
en se rengorgeant un peu, la poitrine renflée et
montant dans une voluptueuse pandiculation
qui lui retournait mignardement ses toutes
petites mains.
Et elle ponctua ce « quoi qu'on die » de sa fa-
çon par un bon retard d'une grosse heure à le
quitter.
Ces visites prirent place dorénavant tous les
deux ou trois jours en moyenne, s'espacèrent
ensuite plus ou moins par semaines. Puis X. eut
à faire un voyage d'un certain temps et, quand
il fut de retour, Marie n'allait plus chez le logeur
avec qui elle s'était brouillée pour des raisons
peu intéressantes. Déshabitué, il n'y pensa guère
et, bien ([non étant déshabitué, accoutumé à la
fréquentation de ce genre de femmes, il en vit
des demi-douzaines et des douzaines d'autres, de
tout poil et de toute plume, des rieuses, des mo-
roses, des habillées et d'autres. Ça l'amusa, mais
ce n'était plus Marie, et il se la remémorait
quand il la rencontra dans un restaurant voisin
où elle mangeait seule. Il s'attabla près d'elle
et elle lui raconta que Célestin et elle s'étaient
lâchés, qu'elle refaisait la noce et que ça mar-
chait bien maintenant, assez bien en vérité. Dans
la soirée elle lui proposa d'aller avec elle et ils
montèrent dans un h hôtel » à passe, ou, après
I M I ■ \
quelque oonveraation, elle Loi demanda mi peu
d'argent en ami. non en < lient, à non !
Il lui tendit ion porte-monaie qu'elle empocha
en se sauvant par L'eecalier. Il 3 avait dana ion
porte*monaie plue d'argent qu'il n'avait jamaia
eu L'intention de lui donner. Ça Le vexa ei il ae
cacha paa ion mécontentement à la propriété
àquiilavail beureuaemenl payé la chambre au
préalable. Celle-ci lui promit, — maie quoi ! —
de gronder la fille.
Il ne revit celle-ci que quelquea jours plue tard.
Elle était au bras d'un <>u plusieurs individua
qu'elle quitta pour prendre 1«' sien comme 1
sans Façon, comme s*il ae s'était rien passé.
Elle avait visiblement l>u. Sa toilette flambait
drôle et coquette ce jour-ci, claire et légère '. et,
de \ rai. sa tête était en beauté. Elle Be crampon-
nait à lui. s'allongeant, s'étirant plutôt de toute
sa petite taille contre son grand Corps raidi par
la respectability, car ça Le gênait d'abord et l'en-
nuyait aussi. L'exaspérait enfin d'avoir une telle
créature, bien que connue, belle et si détectable,
à son côté, à son liane, après ce «pii était arrivé,
presque en pareille compagnie et parmi tout cet
ensorcellement de pigeonne, ce roucoulement
qu'elle avait, son pelotonnement et cette petite
figure rose intense et blond de feu qu'elle tour-
nait vers lui comme anxieuse et rieuse.
34-1 HISTOIRES
— Tu es fâché de l'autre jour ? Allons donc !
Resoyons amis, oublie i;a, Viens. Ali ! encore
l'autre fois qui te met martel en tête. MAIS J'AI
BIEN FAIT, tu sais.
Il faut croire qu'il le savait. Car il la voit tou-
jours. Du moins, j'en suis sûr, puisque il ne me
l'a pas dit, et là pour moi finit son récit.
LA MAIN Dr MA.Ioli MULLEH
« •• \ i i:
— Ah ! ce Ilans avec ses théories!...
Ceci était, comme un chœur discord, exclamé
par dix ou quinze Maisona-mouiêueê : la pipe de
faïence aux dents et, en face d'eux, sur la table
de chêne de la taverne, d'immenses hanaps
pleins de bière de Bock.
L'étudiant ainsi interpellé s.- trouvait être un
grand jeune homme très barbu et très chevelu
sous l'incommutable petite casquette «1»' velours,
cl vêtu de la redingote à brandebourgs, de la cu-
lotte de peau el des huiles à la SoUVarOW : majs
son visage pâle et toute sa figure, plus déliés
qu'il n'était de coutume dans cette assemblée de
futurs docteurs un peu épais, dénotaient un
esprit, peut-être une àme supérieurs.
— Ne rie/, pas. Messieurs, dit -il. et. tenez, à
.'{i(» HISTOIRES
l'appui de ma thèse, qui est, j'y insiste, l'affir-
mation d'une solidarité existant, même après une
séparation violente, entre les membres d'un corps
et ce corps lui-même, je vais vous raconter une
petite histoire.
— Nous t'écoutons et tâche d'être amusant !
vociférèrent les sceptiques camarades ; après
quoi, d'une voix posée, Ilans commença :
— Je fréquentais beaucoup avec le major
Mùller, qui fut, en son temps, vous le savez, le
plus beau joueur de nos stations balnéaires. Je
lavais connu dès ma petite enfance. C'était un
ancien ami de ma famille et chaque fois qu'il
venait à la maison, il ne manquait pas de m'ap-
porter des las de friandises. Quand je commentai
à devenir grand garçon, ce fut des livres de
toutes sortes, principalement des romans et des
ouvrages d'art militaire, qu'il me donna : « Je
veux que tu passes un jour feld-maréclial, » me
disait-il souvent en me tortillant l'oreille ; puis,
lors de mon adolescence, il me faisait des ca-
deaux d'armes.
J'avais donc pour lui un respect allèctueux qui
me permit, dès cpie je ne fus plus tout à fait un
COUtil ÇA •'HT
blanc bec, pour parler obmmc lei Français,
d'entrer dana sa trea gi acieuse intimité
lui on homme charmant, pour (n'exprimer, de
rechef, à L'instar de cea diables de Français.
D'ailleurs, trea débauché, aimant l<x femmes, la
boiaaon et le jeu, mais le jeu b( la boiaaon en
core plus que lea femmes.
— Non aana raiaon, peut-être ! obeenra 1(
Frite*
Ilans reprit :
— Ge fût précisément à propos d'une querelle
de jeu et non pour* une dame, comme d'aucuns
l'ont prétendu nui n'avaient aucune autorité,
qu'ayant été insulté, il eut, ;> l'épée, un duel i
laineux, où il tua SOU adversaire; mais il a\ait
reçu lui-même, au poignet, une si malheureux-
entaille que l'on dut, malgré lea premiers symp-
tômes les moins inquiétants, lui faire la r<'-
section de la main droite. Par un étrange
priée, le major ne voulut pas se s, parer d«
organe, qu'il avait fort beau, d'Une beautéririle,
s'entend. A ces lins, il la fit précieusement
turer d'aromates, injecter de hauin.s très puis-
sants et la conserva sous un globe de cristal.
dans sa chambre à coucher...
348
Il ISTOl RE8
— Ah ! ah ! La bonne plaisanterie !..
— Fritz, te tairas- tu, à la lin?
— Je la vois encore, celte main sèche et poilue
de vieux militaire, je les revois, ces doigts qu'on
eût dit crispés, fiévreux dans leur immobilité
comme terrible d'effréné joueur, reposant de
quel repos ! sur le velours rouge et vert d'un
coussinet à glands d'or. La chair, vi cela, si cet
objet cruellement, quasi-fantastiquement étrange,
pouvait se dénommer du nom de chair, la chair,
dis-je, qu'on eut crue de glace sous le parchemin
bruni qui avait été la peau, n'avait naturelle-
ment pas un frisson, mais vous donnait le f ris-
son, si vous voulez bien excuser l'apparent mauvais
goût de cette prétention néanmoins nécessaire. A
l'annulaire, une énorme bague sertissant un
lourd rubis que le soleil ou la lampe ou la ré-
verbération des flammes résineuses de la gran-
dissime cheminée allumait singulièrement ; les
ongles, coupés carrés de façon soldatesque,
n'avaient qu'imperceptiblement poussé depuis la
fatale amputation. Et large, épaisse, nerveuse
avec tout cela, et nerveuse de façon féroce, la
... M Ml . \
m. lin dormait là, depuis <l<^ années, lom de fa
rouches trophées, parmi de massifs huons : i
lolets d'arçon damasquinés, dagues aux tour
reaux d'argent et de ouivre vieux, cachets aux
bizarres devises, sur une table de l»<>is de i'
Elle dormait, la Main, depuis des ann
quand le major s'alita, au seuil de la maladie
qui devail l'emporter, au dire de nos chers et
illustres professeurs, qui furent, pour la plu-
part, nous ne l'ignores pas. consultés en cette
circonstance. Mais voici la vérité...
En prononçant ces derniers mots, la voix de
llans se lit soudain grave, lente, j'allais dire so-
lennelle, ft je îir me serais trompé que de peu.
Ce fut, d'ailleurs, sur ce ton, qu'il poursuivi!
son récit.
— Je fus appelé à l'hôtel Millier, d'une part,
en qualité de jeune, mais intime ami du major,
et sur le vœu de celui-ci; d'autre part, comme
élève du docteur Schnerb, qui présida, vous
vous en souvenez, les innombrables conférences
tenues par nos dits illustres et chers professeurs
autour de ce mémorable efaével : mais la pre-
mière circonstance fut surtout cause que le ma-
■'{.")(► HISTOIltlCS
lade me préféra pour le veiller toutes les deux
nuits.
Le cas exigeait de nombreuses frictions pour
lesquelles les révulsifs les plus violents étaient
indispensables, et la table de nuit, non moins
que les consoles, se trouvait encombrée tant de
lotions que de potions, dans nn grand désordre,
il le faut bien reconnaître.
Négligence fatale, ou plutôt non ! car il appert
que, toutes choses autrement ordonnées, le ré-
sultat eût été le même.
— Au résultat alors, sans plus de précautions
oratoires !
— Monsieur Fritz est, pour la dernière fois,
prié de se taire.
Ces paroles toujours comme en chœur, comme
celles du même sens rapportées plus haut, se
ressentaient maintenant d'une sorte d'intérêt im-
patient.
Hans continua :
— Je passe sur les pénultièmes jours du major,
qui ne furent qu'une immense agonie. La force
extraordinaire du moribond le fit passer par
toutes les affres possibles ; fièvre, frissons,
crampes, délire, délire surtout. Ah ! camarades,
quel délire ! Tantôt des cris de commandement,
d'enthousiasme militaire, tels des chants fou-
gueux de furie guerrière, de mâle rage bien ger-
! M M M I ( \
maniipie, .1 l.i I il m li. r : 1 : 1 1 1 1 « » t les s.nniirs . I les
gestes non é^nûvoques d'un coureur de femmes
habitué à les traiter moi layon, mais non sans
passion ! puii des annonces de oartes, des coups
«le des. de mises it de surmises * toutes les rou
lettes de la création. Bref, une manière folle
d'autobiographie parlée, comme qui eûl «lit !••
microcosme d'une idiosj ncrasie.
( 1rs prodromes hautement alarmants cessèronl
tout d'un ooup, e{ l'on put proire que le malade
filtrait dans la phase comateuse, mail l'on
trompait. lue ivaetion des plus rapides s \ tant
Opérée, un mieux ('tonnant s"ensiii\ il. et l'un
oonclul presque à un commencement <!«• eonva*
nce.
Or. un soir que j'1 venais de prendre la veillée,
notre Mnller tomba dans un grand assoupis-
sement et Unit par dormir d'un sain et profond
sommeil.
Moi, je lisais dans un fauteuil.
La chambre qu'on avait, pour ménager la vue
du malade, rendue obscure à l'aide de grands
rideaux de fenêtres d'un vert sombre, était haute
de plafond, tendue en partie de tapiss
.'{,") '2 HISTOIRES
présentant des Fêtes galantes ot des Berge-
rades. Çà et là, des miniatures de femmes, des
portraits en pied d'officiers supérieurs. Cette dé-
coration composite, ce mélange de guerrier et de
voluptueux, n'était pas sans impressionner,
surtout en ce faux jour des rideaux, le jour, et
la clarté de la grande veilleuse d'albâtre, aux
heures nocturnes.
Je me souviens distinctement que ce que je
lisais était du Jomini, un reste du goût que
l'excellent major m'avait communiqué au temps
jadis pour les choses militaires, et une lecture
aussi peu suggestive de fantastique qu'il est pos-
sible de l'être peu. Petit à petit, cependant, je
me sentais aller à de la somnolence, et décidai
de m'y abandonner pour quelque temps, puis-
que le malade n'avait, en ce moment, besoin de
rien. Toutefois, je crus bon d'aller voir celui-ci
de près et constatai que la respiration était bien
ésrale et le sommeil aisé comme celui d'un en-
tant. Je retournai à ma place avec les yeux par
hasard tournés vers le coin où était la table sur
laquelle reposait la main.
La chambre, l'ai-je dit? n'était éclairée que
par une veilleuse suspendue. La main me sembla
remuer : « Drôle d'eifet de l'envie de dormir »,
me dis -je, et je m'approchai en souriant en moi-
même...
Ml | l
— Et la main remuait toujours ? chantonna cu«
pieusement cet animal de Frits.
Cette fois, personne oe releva L'interruption,
cl Dans, après avoir humé Légèrement un peu de
la bière de sa chope à couvercle détain, reprit :
— Oui, messieurs, la main remuait toujours,
ou du moins me parut remuer, de même les
doigta s'élever et s'abaisser un par un ou tous
ensemble dans un sens différent et intelligent,
-<■ déerampir, en un mot, d'un long engourdis-
sement.
Pour le coup, je restai surpris et. pour ainsi
dire, cloué au tapis, m'en voulant ou plutôt en
voulant à mon organisme d'une pareille aberra-
tion. La main continuait, je ne puis que dire
continuai/, et vous allez voir (pie je ne puis que
m'exprimer ainsi, à remuer de plus en plus et
c.mme à reprendre force et direction. N'y tenant
plus et voulant en avoir le coeur net, je levai le
globe de cristal qui recouvrait l'étrange relique
et mis ainsi cette dernière en plein air. Ne vira-
t-elle pas aussitôt sur son moignon de poignet
recouvert d'une ample manchette de dentelles !
23
351 III S TOI H liS
et ses autres doigts, moins le pouce, se refer-
mant, ne signifia-t-elle pas de l'index que
j'eusse à retourner ù ma place? Impérieux était
ce geste. C'était celui d'un chef militaire dési-
gnant un poste à aller prendre sans retard et
sans explications. — Tu souris, Fritz ; je t'as-
sure qu'à ce moment je n'avais guère envie de
sourire et encore moins de penser ù la révoltante
absurdité de cette vision. Sans y croire le moins
du monde, en dépit de mes yeux, j'en étais aba-
sourdi et, je puis l'avouer puisque la lin du récit
m'absoudra, terrilié. Si bien que je me reculai
jusqu'à mon fauteuil où je tombai, les yeux
tendus pour ainsi dire par force vers l'affreux
objet qui, maintenant, comble d'horreur ! éten-
dait ses doigts, les ramenait, les étendait, ainsi
que pour des passes magnétiques...
Vous le confesserai-je ? Oui, puisque, je le
redis, l'événement ne tardera pas à me disculper
du tort apparent de crédulité : je me sentis mé-
dusé, rivé au fauteuil, incapable d'un mouve-
ment. En même temps, la lueur calme de la
veilleuse pâlissait encore et devenait d'une hor-
rible blanoheur, dont L'éleotrioité seuls pourrait
donner line imparfaite i« !<*«• ; quelque chose
oomme des moires Lumineuses plus que hirdes,
plus (pif lunaires, s'élargissait, <■! des i
de bruits indéfinissables, musique Lugubre, il
semblait, de tympanons voilés et de trompettei
assourdies et d'orgues très lointaines, pleu-
raient, ronflaient, Quaienl en ondes très fagot
obsédantes à L'infini...
... Tout à coup, la main M dressa SUT SOI! né*
diuni. se balança quelques instants d'avant en
arrière et d'arrière en avant oomme pour
prendre L'élan et sauta par terre, tel un chat,
sans bruit aucun. Tel encore un chat sur le ta-
pis, elle bondit, preste, en mouvement de haut
en bas et de bas en haut et, arrivée près de la
table de nuit, fut d'un trait sur le marbre, y
tâtonna parmi les ilacons, déboucha l'un d'entre
eux, le prit et en versa quelques gouttes dans le
verre de tisane : puis, rampant jusqu'au nez du
dormeur, le lui pinça <!«• façon à ce (mil se ré-
veillât dans un éternuement. plongea dans le
blanc et le noir des draps, puis se précipita par
terre OÙ je ne la suivis plus du regard, toute
mon attention étant désormais concentrée sur le
malade. Celui-ci dit : « Que j'ai donc soif ! • Ht.
sans que je pusse, à mon immense, à mon indi-
cible horreur, me lever du fauteuil où me rete-
.'}.")() HISTOIRES
liait je ne sais quelle force diabolique, saisit le
verre à tisane et but...
De cet instant précis, je me sentis délié en
quelque sorte et courus au lit, où je ne pus (pie
constater la mort immédiate du major. Sans
me livrer à des efforts inutiles, je regardai le
llacon dont la main s'était servi (il me faut bien
parler de la sorte). Il contenait un poison fou-
droyant, destiné à une médication pour l'usage
externe, et se trouvait laissé, par mégardc,
parmi les pots de tisane et les fioles de sirop de
julep.
J'étais anéanti, comme bien vous pensez, et il
s'écoula quelques minutes avant que tous mes
sens, en quelque sorte, me revinssent. Quand ce
fut fait, je pensai tout de suite à prévenir les en-
tours du major, mais, avant de franchir la
porte, je jetai d'instinct un coup d'oeil sur la
table où la main avait coutume d'être exposée :
La main s'y trouvait sous verre, telle que de-
puis des années et des années...
— La bonne farce ! Eh ! l'ami Hans. tu as
eu une belle hallucination, voilà tout !
COMMI < \
— Le fait est que, eomme hallucination,
princepê el même régule,
— Voire divinum &ut potuu diubolieom.
I [ans termina :
— La mort lui attribuée à des causes nor-
males ; L'enterremenl eu! lieu, les jours sep
Rèrent. Je dus aller plus d'une i<»is ft l'hôtel
Mûller pour différentes causes. Je ne manquai
pas d'observer la main <pii étail restée dans la
chambre mortuaire, infréquentée depuis la ca-
tastrophe, cl je constatai sans étonnement, <»ui.
sans étonnement, el Iraitez-moi <!<• fou si vous
voulez... (j'avais lu el relu un las de volumes
dont les titres mêmes vous seraient inconnus,
savants (pu- vous êtes 1) je constatai sans éton-
nement une déliquescence remarquable dans les
l issus cl la musculature. Seule l'ossature restait
indemne, s'accusant, dominant de plus en plus.
Survinrent des symptômes de déot imposition,
lâches, flaccidités, etc... Un jour, excuse/ ; ce
souvenir me lève le cœur d'horreur et de dégoût,
un jour j'y vis... LES VERS!!!
— Pouah ! assez, assez '
— À bas ! à bas !
— N'importe ! c'est vrai comme c'est vrai
que nous voilà vivants!
Ayant dit, notre conteur s'éloigna, comme
heureux et tout lier de l'effet produit, tandis
358
HISTOIRES
que ses camarades, restés bouche bée, se regar-
daient, les uns presque effrayés, les autres
presque rieurs, tous visiblement impressionnés,
et qu'une discussion semblait devoir sortir de
leur silence, quanrl Fritz, toujours sceptique :
— Si nous buvions un truculent verre de
schnaps ? Ça nous purifierait les idées.
— Accepté !
Et jusqu'au chant du coq, je puis vous allir-
mer, sans qu'il m'en coûte, qu'on lampa beau-
coup de coups...
Ainsi finit l'histoire de la main du major
Mùller.
CONTE DE ! il -
Le plus grand bonheur de sa vie lui échut
l'année dernière, - - et quand je dis bonheur, ce
n'est pas ce que l'on pourrait imaginer en entas-
sant les chances favorables les plus rares sur
les plus extraordinaires des hasards cléments.
Non. ('-»' n'est pas non plus, ainsi que la majo-
rité des bons esprits voudrai! Le supposer, qu'il
eût enfin revêtu de lui-même, ou sous le coup
d'une expérience plus ou moins cruelle, ce
calme absolu, cette pure impassibilité fpie pré-
conisent tant de philosophies. Non. (le a est pas
davantage qu'il fût devenu subitement égoïste,
à ce poussé par d'imméritées infortunes et qu'il
trouvât dans le culte exclusif de soi-même une
consolation peu noble, mais efficace. Non. Ce
n'est pas encore qu'il eut pris son parti de
l'existence <• eu brave » pas trop dégoûté, sans
360
HISTOIRES
trop de morale gênante et avec juste assez, de
bêtise assumées.
Non, il avait tout bonnement acquis une
certitude, mais celle-là était la seule certitude
au monde après la foi religieuse, et plus avare
encore qu'elle de se communiquer. Mais quel-
ques mots de son histoire sont nécessaires ici.
D'abord il s'appelait Jacques Trébois. Jacques
Trébois était dans la force de l'âge, dans les
quarante et quelques années. 11 n'avait pas
mal surmené la vie qui ne le lui avait pas trop
rendu. Même sa santé était relativement inso-
lente. Par contre, tout ce qu'il y a de mieux
achevé comme ruine financière, il le présentait.
Prodigalités et duperies avaient mis quelque
temps à procurer ce résultat, mais y étaient par-
venues dans la perfection. Ce n'était plus même
au jour le jour qu'il végétait ; désormais, une
heure gagnée sur la fin de la journée lui parais-
sait une de ces conquêtes ! Mais vaillant et gai
autant qu'il est vraisemblable dans de pareils
cas. Nulle bohème dans son fait : on ne lui
connaissait pas de dettes et il n'en avait pas, et
sans le moins du monde maudire le présent ou
craindre l'avenir, il ne regrettait rien du passé
où il n'avait, disait-il, aucun remords. Des torts
parbleu ! il en comptait dans son existence,
comme tout un chacun, beaucoup de torts en-
COMMI ÇA
mis beaucoup de gêna et dam i foule «I
(•(iiisiiiiiccs. maia an somme des torts trèa répa
râbles ou tout au moine point irréparabl*
qui avail principalemenl gâtées vie, c'étaient ses
loris envers lui-même, sa pareaae d'esprit <>u. si
lOn veut, aa hauteur d'esprit, ses négligences,
ses dédains si vous préférez, ci lea timiditéa de
son excessive délicatease brusquement révoltée
par moment, e( alors muéeen un donquichottisme
asrreaaif tout à l'ait désagréable el même nuisible.
Partant, beaucoup d'amis devenus froids ou
hostiles. Quelques-uns restés pourtant trèa fidèles
ceux-là tout dévoués, car ils connaissaient l'ex-
cellent, le rare nomme que c'était au fond avec
ses terribles défauts et moyennant quelques
vices. Sea principaux ennemis et anciens adver-
saires, cohéritiers ou compétiteurs, constituaient
sa plus proche famille et sa belle-famille, car il
avait été marié, se trouvant, pour ainsi dire,
mais absolument, veuf par suite des légalités
bizarres de la minute sociale où nous nous trou-
vons. Pour faire court . 3sifs embarras
d'argent s'ajoutaient d'inimaginables mauvai-
ses positions partout, toujours et dans tous les
sens. Guère possibilité de se retourner de quel-
que côté que ce Eût, moins encore moyen pour
ses susceptibilités el ses angles de caser nulle
part sa bien naturelle ensuivante espèce de
362 HISTOIRES
d'ailleurs anodine misanthropie, quel que fût le
reste de courage et de bonne humeur demeurés
dont il a été parlé plus haut en toute réserve,
aussi bien.
Son bilan était donc celui-ci : pas le sou, vivre
avec cela sans aucun aperçu plausible d'une
amélioration, fût-elle infinitésimale. Et sa mala-
dresse digne de passer en proverbe n'était pas
pour l'aider parmi les labyrinthes et les impasses
de son absurde existence. Mais, il l'a été dit et
redit, une sorte de philosophie le soutenait dans
cette lutte disproportionnée avec la guigne. Seu-
lement, ce n'était plus une vie, là, vrai ! quand
lui arriva ce qui va être rapporté.
Depuis quelque temps, suite d'excès anciens
ou de récentes mais déjà trop vieilles privations ?
se demandait-il en toute insouciance, il souffrait
vers le cœur : comme des amertumes se pas-
saient par là ; des malaises âpres, s'il eût cru,
de mordillants et grignottants désordres, l'in-
commodaient jusqu'à l'agacement. Force lui
parut être, finalement, d'en référera un sien
ami. médecin, chez qui il déjeunait le plus rare-
ment possible au gré de sa fierté de pauvre dia-
ble toujours un peu son poing sur sa hanche.
Celui-ci lui déclara cela grave, et mortel, sa-
chant combien vraisemblable était son inditfé-
rence à ce sujet.
MME ÇA
— Mortel ? El quand .' et pour quand '
— Attendei un peu, répliqua son ami qui
L'ausculta longtemps h finit par lui dû
— Mais, autant qu'il eal possible I la scient e
la plus exaotede Le prévoir, ce sera bientôt, et
pour bientôt,
— A peu pi i
— Je dis six mois ef je ne me trompe p.'-.
Plutôt moins que plus. Mettons cinq mois, en
évitant tout excès, toutes privations aussi ,-t
il lui remit six mille trains que L'autre accepta
en disant: <■ Dans un mois vous serez rem-
boursé, » à quoi le docteur repartit : e C'est bon,
c'est bon »). Toute émotion aussi. D'ailleurs il
avait saisi son pouls), je vois que vous u êtes dé-
cidément guère émotionnable et ça ira l>ien.
Tout alla pour le mieux.
Incroyablement, indiciblement rassuré^ te
Voyant des bornes protectrices, avant le temps
juste, les cartes sur la table et des verres bien
assortis a ses veux, il ne l'ut pas Long à
créer une méthode. 0 l'ordre qu'il eul ! Son pre-
mier soin fut de lire les journaux finança
tous, ceux de pure aventure et ceux de spé-
culation trop prudente. Il prit une bonne
moyenne, acheta, vendit, racheta, si bien qu'au
bout d'un mois en effet, il pouvait rendre au
docteur son avance, et garder par devers lui un
364
HISTOIUKS
joli capital qu'il ne mit pas à fonds perdus, mais
plaça clans les plus sûres, sinon dans les plus
immédiatement lucratives conditions, titres de
rente, maisons, terres. Il lui eût été bien aisé
dans cet ordre d'idées, moyennant de fortes re-
mises, de s'assurer sur la vie en rentes trans-
missibles après décès à tels bénéfices qu'il eût
voulu, mais cette idée toute moderne ne vint
même pas à sa tête particulièrement honnête et
comme pudique.
Ce mois vers la richesse n'alla pas sans de
légères et douces souffrances. Il lui fallait se
déshabituer de sa vie de misère, vie en miniature,
petits repas pris à longs intervalles, d'autant
meilleurs, — meilleurs ! — et assaisonnés plus
encore par le délice savouré fugitif du moment
que par l'antérieur appétit enveloppant, petits
luxes, vêtements légers et tendres qui n'étaient
plus que très propres, mais que des soins gé-
niaux pouvaient parfois faire pimpants, sinon
somptueux tout à fait, petites joies d'amour-
propre ou plutôt d'orgueil, à payer d'avance
termes et blanchissages par exemple, en se pri-
vant ferme sur cette pauvre nourriture, d'ailleurs
récompensée par les heures heureuses auxquelles
il vient d'être fait allusion, petites joies encore
de gourmandise, mais plus intellectuelle, quand
deux ou trois petits verres pouvaient totalement
COMMI < v
cliisscr le souci de comment s ,n pro< n
d'autres et dès lors amener le rêve jusqu'à l'illn
sion...
Les dits trente jours que dura OS très .0111.1
ble supplice turent misa profit pour une autre
espèce de changement plus dm- à première vue
mais bien compensé aussi de son côté. 11 -
de la réforme, «le la refonte totale de son cai
tère qui était extrêmement loin, <>u l'a vu, d'être
accompli. Tant y a que le cours de ses réflexions
l'amena, parallèlement à la modification radicale
de sa fortune pécuniaire, à être aimable quand,
réservé selon, expansif si, jamais bourru, tou-
jours bienfaisant, mais bienfaisant aussi pour soi,
bref L'homme d'ordre sachant ce qui devait arri-
ver en toute probabilité, le procurant quand il
fallait, de qui il avait été jusqu'ici le partait
opposé, — et que, pour commencement de la fin
suivant son expression mentale (car il se parla
beaucoup durant ce moisd'intimeconcentration),
il apaisa en plaisanterie, où les rieurs furent de
son côté, une affaire d'honneur qu'il caressait
précédemment de projets militaires très nets :
n'avait-il pas toute une teuvre à remplir, tout
une philosophie aussi à pratiquer, laquelle, en
tête de tout, implicitement mais absolument, lui
interdisait le duel ?
La même philosophie, exigeant l'oubli tout
366 HISTOIRES
au moins des injures, il eut à la satisfaire une
seconde et une dernière fois et voici comment il
y parvint.
Il s'agissait d'une femme autrefois, très autre-
fois, mais très bien aimée, très bien aimée, très
bien, vraiment ! Il avait eu tous les torts envers
elle, tous les torts que les sens expliquent im-
médiatement, tous, mais son repentir avait été
sincère, prouvé cent fois et son désir de renouer
autant. Elle, — avait eu envers lui tous les torts,
juste ! que les sens n'expliquent pas immédiate-
ment tous, et surtout des torts d'argent. Fi ! et
que la pauvreté de Jacques répugnait donc à l'ou-
bli ! (Pardonner, il en était d'autant moins ques-
tion que se venger s'imposait, semblait-il, à cette
pauvreté.) Mais dès que la grande aisance fut
venue de la façon qu'on a pu voir, le pardon de-
vint plus facile encore que l'oubli, et la signifi-
cation du pardon, pour être encore plus délicate,
il l'inscrivit dans son testament sous la forme
d'un legs dépassant de beaucoup les sommes plain-
tes, sous de minimes conditions d'entretien tuniii-
laire exclusivement confiées à ces mains, en
termes à désarmer un tigre.
Un homme aussi l'avait beaucoup trop volé,
de par la loi aussi. (Ai-je ainsi, conformément à
la vérité, spécifié le cas d'à la minute?) Il par-
donna sans en rien faire savoir qu'à Dieu. Mais
I Ml « V
L'autre étail mort . 6 L'insu fia Jaoques, si in(
pardon, de façon à n'en pouvoir bénéficier d
L'autre vie que Jacques oroyait qu'il 3 avait ap
cette \ allée de Larmes.
Il avail un enfant que Lea circonstances leulM
L'empêchaient de voir depuis des années et des
années. Cet enfant était à cette heure une
fille dans les treize ;ui\ qu'il avait connue,
choyée et gâtée dans sa première enfance,
blondinette Laide gentiment <•! d'un gentil petit
caractère colère et doux, mais qu'une éduca-
tion sans père et sons une mère Incompétente
menaçait de pervertir. Ah ! qu'il était embar-
rassé,quand il apprit que la petite venait de suc-
comber à une grosse bronchite en pliant pour
lui !
Dès lors tout devoir lui tut facile. 11 oona
ses derniers mois à plaire au\ gens à qui plaire
était une bonne action, distribua jusqu'au! cen-
times son argent aux pauvres, lui-même et de la
main à la main, ne réservant que La somme dont
il a été question tout à l'heure et à Laquelle il en
avait ajouté une autre très considérable, à charge
d'exécuter un codicille qui annulait le Legs tait
à l'enfant décédée et prescrivait l'inhumation de
celle-ci au caveau de la famille Trébois.
11 avait aussi préparé l'argent nécessaire
propre inhumation dans le même caveau, après
;{(>(S HISTOIHB8
une messe basse et le convoi immédiatement
avant celui du pauvre.
Et il mourut, comme son ami le docteur l'avait
prévu, cinq mois et demi après la conversation
qui a été rapportée, subitement, regretté de tout
le monde.
L'ABBE ANNE
L'abbé Aune finissait une messe |),issi' (I
mainc dans l'Octave de L'Annonciation. Il en était
au\ dernières prières el se tenait à droite del'au-
tel, sa chasuble de soie blanche aux lins attributs
d'or iilé miroitant doucement dans le soleil, ta-
misé par l'une des profondes fenêtres du choeur
de l'humble église. La haute taille du jeune cure,
sa chevelure châtain-clair coupée rase «pic cou-
ronnait une large tonsure, ses longues mains ner-
veuses étendues selon le rite aux deux côtés du
missel, son édifiante lenteur, eussent formé un
spectacle net et simple, doux el fort, pour un
observateur qui se fût trouvé parmi les rares
fidèles pieusement absorbés par L'oraison d'ac-
tions de grâce,éparpillés dans les antiques bancs
de chêne. L'//e M issu est. puis le Benedteai
prononcés à mi- voix assez énergiquement. celui-
21
370 HISTOIRES
ci dans un signe de croix large et lent qui mon-
trait le noir de la soutane entre le blanc amidonné
de la manchette et celui dentelé de l'aube, symbole
de l'austère douceur qu'exhalent le costume et les
ornements du prêtre catholique, le dernier Evan-
gile, la génuflexion finale et la rentrée de la sa-
cristie avec le psaume lionedicitc Domino au
cœur mieux encore que sur les lèvres, eurent lieu
avec la même onction qui prend son temps pour
le plus dignement employer à la gloire de Dieu.
Dans la sacristie, ses ornements repliés dans
des tiroirs ou pendus dans un placard, il se cou-
vrit de son chapeau et tournant sa face douce au
long profil à la Saint-Charles Borromée vers l'en-
fant de chœuraussi déshabillé qui le regardait de
ses yeux pleins de respect aiïectueux. et tout gen-
til, avec sa jolie petite frimousse mutine et re-
troussée :
— Eh bien, petit Jean, il faut te dépêcher main-
tenant. L'heure de l'école va sonner. Dis pour moi
le bonjour à Monsieur le Maître. Sois toujours
sage. Ton père va mieux? Oui, tant mieux !
N'oublie pas que ton tour de messe revient jeudi.
Tiens, voilà pour toi.
Et il lui donna une image dentelée à profusion,
et un petit gâteau sec qu'il tirade sa poche, soi-
gneusement enveloppé dans du papier. L'enfant
remercia gentiment.
com'mj ça •'{" I
— A jeudi donc, petit.
— Oui, monsieur le Curé, la revoir, monsieur
le ( llliv.
— Au revoir. 9ois bien -
— ( Kii, monsieur le Curé.
Et L'abbé Anne, de son pas égal et vif, rentra
;m presbytère, une petite construction blanchie •>
la chaux entourée d'un beau jardin cultivé par
ses soins. Sa bonne, qui avait été sa nourrice, lui
dit :
— Votre ca£é refroidit,
Il prit son café au lait dans la cuisine spai ieuse
et après avoir déposé dans la sébile pour les
pauvres, sur un coftre dans le corridor, une
bonne poignée de deux sous (le paysan n'em-
ployait à cet usage (lia1 des deux centimes lut a
sa chambre composée, entre des murs tendus de
clair, de quelques objets d'acajou, lit, chais
un fauteuil de velours rouge, un prie-Dieu en ta-
pisserie. Un grand crucifix d'ébène et d'ivoire suf
velours vert, encadré de palissandre SOUS une
glace bombée, une statuette de la Sainte Yi
et des petits reliquaires d'argent et de vermeil
suspendus aux murs. La pendule de bronze doré
au sujet insignifiant, deux flambeaux en bronze
« de Corinthe » à deux bougies et aux Bobèches
de métal blanc, un petit (eu dans l'étroite che-
minée. Des journaux locaux et autres, Y l'nii
'M '2 HISTOIRES
le Monde, un Figaro déjà ancien avec des signes
au crayon bleu, le Bulletin du Diocèse et la Se-
maine religieuse de l'évêché sullragant sur une
table ronde en no ver, proche laquelle l'abbé s'assit
pour se mettre à pleurer à grands sanglots dans
ses deux mains.
De quoi pouvait pleurer cet innocent magni-
fique du bon Dieu, cet ange sur terre et d'ailleurs
heureux comme on peut l'être, puisque aimé,
respecté, béni dans sa petite cure? Ah! voilà...
un grand pressentiment de quelque chose
d'affreux? non! mais d'une déréliction doulou-
reuse (n'est-ce pas au fond quelque chose aussi
d'affreux?) venait de l'investir. Ces choses
arrivent fréquemment, qui ne les a éprouvées?
Sinon des brutes qui encore ne se rendent pas
compte ou ne se souviennent pas.
Et l'abbé Anne pleurait depuis une heure, de-
puis deux heures, quand trois coups frappés à la
porte le firent se redresser, essuyer très vite ses
yeux d'un coup de mouchoir, et :
— Entrez.
— C'est votre courrier.
Et la vieille servante déposa sur le coin de la
cheminée, entre un journal et quelques lettres
très probablement de pauvres, un grand pli que
l'abbé reconnut pour provenir de l'Archevêché.
Il décacheta d'abord les autres missives, les
lui attentivement prit dei notes <|u'il terra d
un teorétaire et se rassit pour, à s<>n tour, rompre
L'enveloppe provenant de L'Archevêché. Il mit ■ •
cet acte une Lenteur respectueuse, éloigna \
un |>«»iiii à part de La table L'enveloppe et lui.
11 lut à plusieurs reprises si pleura de now
cette ï<>is calmement, droit sur le dossier du
chaise d comme un homme qui prend lentement
un parti.
Puis il alla à son prie-Dieu d pria Longtemps.
Quand il revint à la table, sa Eace déjà pâle
était plus pale encore. Il écrivit quelques lignes
sur du papier ministre, mil sa Lettre dans une
enveloppe ministre et susciivit :
.1 Se Grandeur
Monseigneur
L'Archevêque >l
— Mettez ceci à la poste tout do suite, Cathe-
rine. Monseigneur m'envoie tomme vicain
Paris.
— Mon Dieu, mon Dieu !...
— Oui, et ceci est ma lettre d'accusé de récep-
tion. Vous voyez que c'est près
— Et pour quand, Jésus sauveur?
— Pour dans un mois juste. Catherine.
37 t HI8TOIRES
— Ca vous arrange-t-il au moins, mon pauvre
monsieur le Curé.
L'abbé sourit tristement.
— Monseigneur le veut. Il nous faut obéir.
L'abbé passa toute cette journée à prier sans
pleurer, mais non sans soupirer.
11 lui fallait donc quitter son modeste poste où
sa simplicité (ainsi raisonnait ce vertueux) lui
avait valu l'amitié véritable des bonnes gens, où
même les trop nombreux incroyants l'estimaient
et ne lui parlaient qu'en toute cordialité, quitter
sescbers pauvres, sos (hors enfantsdu catéchisme,
aussi un peu, car on est égoïste, ses bonnes
petites habitudes de travail manuel si charmant (il
entendait par là son très sérieux jardinage) et
d'une frugalité qui ne lui coûtait guère avec son
triste estomac (il ne comptait pas ses privations
en vue de ses charités), quitter aussi ses excellents
confrères des environs, — pour s'aller engloutir
dans ce Paris terrible, lui faible (tel encore
croyait-il), ce Paris mangeur d'apôtres et dévo-
rateur de prophètes, ce Paris, paraît-il, où les
prêtres ne sont pas tous dignes de leur onction,
où ils se perdent, dit-on, plus qu'ailleurs...
Puis le courage lui vint et il passa une nuit
calme.
Le Dimanche suivant, au prône, il annonça la
décision de ses supérieurs et fit un sermon très
... M M I «V
fermée! trèe doux •« propos de oette ai prochaine
séparation d*ai m mi bien aim< i pero
11 perlai( posément, la mua droite souvent
portée mu m poitrine, et la i ■••nul. au de L'aube 1 1
relie de l'étoile à peim- lltiu i< il'or, el sa candeur
donnaient à sa voix tendre et sombre oorama
une charité de plus, eùl-on d'U. 11 préeha
l'absence \aincue par loa mêmes cll'oils daOI un
même esprit, puis le retour e( le revoir en Dieu,
Le tout en termes juatea et simples oomme lea
âmes simples et droîtea oui L'éooutaient, pleines
de pleurs. Mais ce fut avec un tremblement inu-
aité dans les notée qu'il entonna Le Grtdo m umun
Ihuim, repris par toute l 'assistance l»ien pieu>>e-
ment ce jour-là ! Très peu de temps après 1 abbé
Anne l'ut mandé de nuit pour administrer quel-
qu'un d'une paroisse voisine en L'ebeenee par
congé du curé de cette paroisse. Il y fut par uni-
pluie battante et en revint, son manteau et m
soutane traversés, tremblant ta fièvre. Une pleu-
résie ne tarda pas à se déclarer, dont il fut sauvé
presque aussitôt par sa constitution forte, en
somme, et sa convalescence allait toucher il
fin lorsqu' approcha le moment pour lui de partir
pour Paris, ce qu'il lit, en dépit des avertisse-
ments de l'oiïicier de santé du chef-lieu de can-
ton, parce ([lie. disait-il, le voyage me fera du
bien, mais en réalité parce qu'il pensait que
376 msToiHES
c'était son devoir. Son départ eut lieu au milieu
de scènes touchantes. Durant le voyage, qu'il ef-
fectua en seconde classe avec sa vieille servante*
celle-ci ne cessa de L'observer et de le forcer à se
mieux couvrir de sa houppelande, qu'il débouton-
nait parfois, ayant trop chaud.
Son curé, à Paris, gros homme lin à binocle
sur le nez, le reçut non sans politesse, l'invita à
un déjeuner comme il faut auquel Anne fit peu
d'honneur.
Un sauvage, pensa l'ecclésiastique de Paris,
quel bon fond ! mais. . .
L'abbé Anne, dès le soir repris de son mal
négligé, mourut édiliant, à l'aube, entre son curé
qui pleurait et sa veille bonne qui s'écria, baisant
son nourrisson au front :
— Pauvre monsieur le Curé !
l'\ l RÊMES 0NC1 IONS
L'hiver dernier un jeune homme <\u plus grand
monde recevait, à la sortie du bal de l'Opi
UD coup de poing américain qui lui incitait
littéralement le visage en pièces el le confinait au
lit pour dos mois au bout desquels il resta dé-
figuré à l'extrême de l'oit beau qu'il avait été, ju-
rant d'ailleurs de « se venger salement ». quand
il y aurait lieu ; — mais il ne devait pas en èlre
ainsi.
Sa laideur actuelle n'était pas supportable,
dans le sens négatif du mot. Non, elle s'impo-
sait.
Les lignes du profil confondues en des sortes
de ruines qui avaient leur harmonie sauvage ;les
nuances du teint et la physionomie en général
comme pétries aux mains d'un ogre QUI eût été
37 (S HISTOIRES
créateur d'hommes ; le cheveu dressé dru, noir
et dur, porté court ; et sous des yeux infernaux,
rubis violets ombrés de sourcils dardants et de
cils féroces, longs à s'en frisotter vers les pointes,
et sous le clou de girofle macabre, mais que pal-
pitant ! de son nez resté un peu en l'air, de na-
guère un peu aquilin, une bouche rouge à mous-
taches et à dents belles, un menton comme
déformé dans la forme en galoche napoléonienne,
tout cela, parmi du ponceau marbré de blanc, le
faisait non pas horrible, mais terrible.
11 continua, partant, d'être aimé, puisque ri-
chissime, en outre.
Sa beauté corporelle corroborait le reste.
Nu, c'était Hercule à vingt ans, Antinous à
trente. Très poilu, son corps affectait par devant
un voile de satin roussâtre à larges touffes de
mailles par où luisait la peau, mate plus qu'oli-
vâtre, du pur midi, mais nettement blanche du
climat qu'il faut. Pas maigre, mince non sans
des méplats jeunes disant la chair forte, et qui
éblouissaient à travers un duvet fauve encore.
Quand il s'habillait, correct mieux que tous
autres élégants.
Il avait séduit une fille, voici quelques années,
une simple villageoise dont il avait fait une fille
à la mode, aigrie et rusée d'ingénue ordinaire
qu'elle était. Bien qu'elle fût riche, elle ne pou-
vail s'empêcher de regretter <•■ qu'elle appelai!
parfois en souriant a> ac une 101 te d i a Uni
son innocence. Créature superbe d'ailleurs,
brune, grande, avec une pointe d'embonpoint
des plus appétissantes,
Ce qu'il \ avait de plus particulièremenl « 1 • ■ 1 i -
cieux en elle c'étaient les mains, de petites
mains qui n'a\ aicnl pas tardé à s.- dégrossir pu
L'oisiveté, de petites mains en vérité «pic Ladj
Macbeth fût en> i
Les relations entre les deux amants cessèrent
au bout du temps normal pour ces sortes de
liaisons. Chacun s'en était allé <!«• son côté <!«•-
puis déjà plusieurs semaines Lorsqu'eut lieu
L'agression qui vient d'être indiquée.
11
Plusieurs mois après, cependant, lorsque les
a llVeuses blessures furent cicatrisées, ils se revi-
rent et se reprirent et ce lurent des lors et pour
Longtemps des amours forcenées : il semblait
que la passion de la femme eût crû en i
directe de l'épouvantable laideur actuelle de
l'homme; laideur épouvantable, nous le répé-
380 HISTOIRES
tons, mais, insistons-y, laideur qui s'imposait. Il
semblait aussi que l'homme, par quelle loi fatale
sinon infernale, ou divine! et qu'Kdgard Poe
eût appelée : Perverse, et par quel vertige!
s'abîmât dans son étrange attraction vers cette
femelle qu'il avait perdue. Du reste, tout le luxe
et tous les égards qu'une noceuse récente pût
désirer dans ses rêves les plus fous : hôtel dans
un quartier riche, superbes écuries, une livrée,
et quelles notes toujours payées recta chez un
grand couturier ! Aussi, tous les et cetera de la
chose.
In jour, ou plutôt, une nuit, comme ils reve-
naient de souper du cabaret, à peine au lit la fille
eut un de ces caprices dont elle était, au reste,
assez coutumière.
III
La chambre tendue et tapissée de bleue avec
un lustre d'opale, l'immense lit, aux plus im-
menses rideaux clairement sombres, étaient en-
gageants vers ces manœuvres. Leurs splendides
nudités, comme lactées dans ce milieu lunaire,
d'abord s'étreignirent, puis s'éteignirent, puis
i m i Ç A .'iX I
s'étreignirent à nouveau, pour, après, Vbn >■•
s'agenouiller...
Mors, elle, tel le prêtre catholique, dans le
sacrement <!<• L'extrême onction, console tons les
sens, rassure L'âme, assena ^"ii frêle poing os
guère armé d'une arme immondecontre un simple
visage séducteur qu'elle avail déformé et qui
L'avait éblouie, tua, dans cette génuflexion de rai,
la tête qui avait conçu ce déshonneur là.
L'HISTOIRE D'UN REGARD
ic Lr; mal cnlrc par les }cux, dit un au-
teur sacré. — Le bien aussi. Car tout est
réciproque. »
Aline allait au laif.
C'était un amour de petite fille, pâle et blonde,
et barbouillée au possible. Elle portait des vête-
ments monstrueusement pauvres pour son âge si
frêle, six ans ! Mais qu'elle était tout de même
gentille à travers tout et malgré tout !
Donc, elle allait au lait, et son pot lui battait
au bout de son chétif bras charmant : tel un petit
Chaperon rouge, maladif, hélas !
Soudain un train princier éclata par le chemin
où trottinait l'enfant. Celle-ci se retourna, s'inté-
ressant au nuage de poussière où bruissaient le
claquement d'un fouet et le trot de chevaux. Le
nuage enfla puis creva, laissant voir un carrosse
magnifique tiré par quatre jeunes étalons et pré-
HISTOIMII COMMI
cédé «l'un piqueur oègi e, doi é rar touti
hues.
La petite se rangea, écarquillanl sea yeux, bat-
tant des maina presque à ce spectaclej el i omme
BeCOUée d*Ull rire l'on.
Le carrosse était, en effet, éblouissant, doré
aussi, lui. et peintureluré eonime tout. I>eu\
grands laquais en la même livrée que !<• piqueur,
et très poudres, se dandinaient appendua à
l'arrière-train de l'équipage qui, maintenant,
iilait devant elle, cependant qu'à la portière une
vieille dame se montrait qui regarda l'enfant.
Mais dès qu'elle l'eut vue si pauvre ei si jolie
sur le bord de celte route, elle lit un signe et. re-
broussant chemin, la voiture s'arrêta devant
Aline, de plus en plus émerveillée. L'un des la-
quais sauta de derrière le carrosse dont il ouvrit
la portière, et. dans une profonde salutation.
s'effaça devant la vieille dame qui descendait ^.iiis
aide, assez prestement pour son âge. lequel était
si grand, si grand pourtant !
Alors ce furent des caresses gr.md'inaternelles.
des olîres de friandises et des baisera en veux-tu
en voilà. Puis des questions : « Aw/-\ oua encore
Vos parents ?,.. Comment t'appelles-tu. mon
chou, dis-moi? » Mais l'enfant de ne pas ré-
pondre, occupée à croquer ses dragées, non sans
d'ailleurs un regard de vague et vive sympathie
.'i!S i UI8TOIRES
vers les yeux de cette grande dame, si vieille et
si bonne, peut-être une fée ! (Car elle s'appuyait
sur une belle canne à bec de corbin et avait une
jolie robe à paniers où s'épanouissaient mille et
une fleurettes.) Mais la dame reprit plus en dou-
ceur encore : « Je ne te fais pas peur, n'est-ce pas ?
Où vas-tu comme cela avec ton pot ? Veux-tu
venir avec moi en voiture ? » A ces mots Aline
ne se sentit pas de joie ; elle ouvrit de larges
yeux où brilla soudain comme un éclair de
reconnaissance : « Je m'appelle Aline, et j'allais
au lait... »
A l'ébahissement des laquais la dame l'avait
l'ail monter avec elle pour la conduire à la ferme
prochaine où se rendait la mignonne. Celle-ci
n'était pas sans une sorte de crainte parmi son ra-
vissement d'aller ainsi en carrosse : si la dame
était une mauvaise fée, qui l'emportât vers
quelque grotte terrible ou quelque forêt enchan-
tée ?... Mais elle se rassura par degrés sous
l'averse des bonnes paroles que chevrotait
l'aïeule.
On arriva bien vite à la ferme, et l'on en revint
de même, Aline avec son pot empli du lait que
I M I < \
l'avaient envoyée chercher ses parente. La vieille
avait tenu à reconduire chez ccuji oi l'enfant. En
rouir les questions reprirent de phii belle
« — Que font tea parents? — Ils sont oharrons.
l'.u effet, Le père était oharroa et la mère ravau-
dait.) — Et quel âge as-tu ? - Sept ans •• ; en
<|uoi Mine mentait.
Arrive devant l'humble demeure. l'éqtn
a'arréta.
Les bonnes gens furent loua ébaubia do ce
qu'une ausai belle voiture stationnait devant leur
chaumière sans qu'on leur demandât de répara-
tions ; niais ce fut bien autre chose quand ils en
virent sortir Aline et son pot au lait. Aline qu'un
domestique aidait à descendre, ainsi qu'une mer-
veilleuse dame âgée qui leur sourit dès qu'on fut
entré. De même qu'elle avait interrogé l'enfant
durant le trajet, elle interrogea les parents sur
leurs ressources, le nombre de leurs enfanta, sur.
enfin, ce qu'ils pouvaient souhaiter. Ceux-ci ré-
pondaient, timides, du mieux qu'ils pouvaient. I
cette dame du bon Dieu qui s'intéressait à eux.
comme cela, sans les connaître : on n'était pas
bien riche, mais on travaillait pour nourrir lea
enfants, deux petits garçons et trois petites tilles
(dont Aline), et, avec du courage et «le la pei
vérance, on mettait à peu près les deux bouts en-
semble. Et autres paroles de ce genre, dites d un
25
386 m s toi m: s
ton sincère qui toucha la dame : « Tenez, bonnes
gens, prenez ces pistoles ; tenez, mes enfants,
prenez ces bonbons... »
Et, profitant du trouble et de la joie qui agi-
taient ces cœurs humbles et mouillaient ces
pauvres visages, elle disparut...
La marquise de X. avait été l'une des plus
belles personnes qui se pût voir, une des plus co-
quettes aussi, sinon la plus coquine, en amour,
s'entend... Descendante d'une des plus hautes fa-
milles de France, sa prime jeunesse avait été
vouée à l'éducation d'alors, toute de danses,
d'ariettes et de telles exquises frivolités. Une
instruction suffisante : elle sut tôt lire les romans,
écrire des poulets et mal compter. A quinze ans,
ses parents la marièrent contre un colonel de
vingt ans, qui n'abandonna pas un instant la
moindre de ses maîtresses en l'honneur de l'épou-
sée, quelque séduisante que fût celle-ci, encore
qu'elle se montrât fidèle, mais sans guère tarder
à venger son amour-propre plutôt que son amour
proprement dit, jusqu'à pouvoir lui en revendre.
Dès lors, elle se rua toute à l'intrigue et au
jeu, aux parties fines où on s'encanaille un peu,
I Ml | \
aux brelans et aux pharaons les plus vertigineux '
i n train de i le que 11'interroaipil i te b
morl du oolonel, emporté en nn lourde m. un par
le trousse-galant, aprèi environ nn an de i
riago.
[Jn jour, oette existence d'orgies de toutes
sortes, soil lassitude, aoil surexcitation, tournai
sans cesser, .1 une espèce de misanthropie qui lui
fit détester ses amante, Légèremenl traitée jus-
qu'ici. Et c'est ainsi qu'elle devint coquette jus-
qu'à le eoquinerie.
Tout ce qu'on raconte sur elle à celle époque !
N'aurait-elle pas mie aux prises deux <le ses
favoris et leurs témoins non moins distinguée
délie, et trois sur les quatre n étaient-ils pas ;
tés sur le terrain, tandis que 1 autre se n tirait
éclopé pour la vie, ce qui n'eût rien été si la -
lérate n'avait, le jour même, dans des rendez-
vous savamment espacés, donné Legage suprême
à quatres autres de ses adorateurs évincés jus-
que-là !
N'allait-on pas lui attribuant en outre ce mot
dit entre deux succès de RosoUo, quelque
temps après, une fois qu'on lui remémorait cette
huit t'ois criminelle équipée :
— Dame ! ne fallait-il pas assurer mes der-
rières !
Elle passait aussi pour mal conseiller les jeu-
388 HI8TOIRE8
liesses, et M. Chauderlos de Laclos ne fut pas
sans lui emprunter quelques traits pour sa dé-
testable héroïne des Liaisons dangereuses.
Et caetera !
L'âge arriva. Les hommes jusqu'ici tour à
tour aimés pour elle-même et rendus malheu-
reux par pur caprice, finalement haïs bien que
toujours désirés au fond, par une juste compen-
sation la dédaignèrent et la trahirent. Ce fui
alors le dégoût de tout et de tous, des hommes,
des femmes et des choses, fors le jeu dont elle
s'était follement éprise, non pourtant sans cal-
cul, car elle savait compter maintenant. Si bien
que sa fortune, considérablement ébréchée par
ses derniers amants, se récupéra jusqu'à l'opu-
lence presque la plus scandaleuse. La vieillesse
l'investit d'une sorte de sagesse, et d'une façon
de bonté ; mais un fond d'amertume lui restait
au cœur et dans l'àme.
C'est à cette période de sa vie qu'elle rencon-
tra Aline et que l'àme et le cœur s'épanouirent
chez elle et pour toujours en une sorte de fraî-
cheur et de purification...
COMMI I
Aline n'était pas non pltu sans défaut*. Nous
l'avons vue muser sur l.i route devant un spec-
tacle, certes, étonnant, mais qui ae devait pas
lui faire oublier, même on instant, une commis-
sion aussi pressée que celle d'aller an Uni pour
Le déjeuner de ses parents el de ses (rèresel
sœurs, puis mentir par orgueil, car, de même
que les femmes elierc lient toujours à se rajeunir,
les entants des deux sexes, mais plu-, particu-
lièrement les petites filles, n'ont dais.- que
quand ils croient passer pour plus grande
qu'ils ne le sont, fût-ce en dépit de leur
taille. De plus, elle était colère, répond* i
gentiment sale, mais sale! Puis, quelque obser-
vation qu'on lui en fit. elle axait L'affreuse ha-
bitude de se fourrer les doigts dans un ne/.
qu'elle moucbait peu.
Et ses défauts s'enchevêtrant, pour ainsi
parler, les uns dans les autres, ne la rendaient
pas moins malheureuse qu'ils ne désolaient trop
souvent sa famille. Par exemple, on lui repro-
chait île ne pas s'être lavée le matin. Elle ne
.'{<><> HISTOIRES
manquait pas de dire que si, et de soutenir
mordicus, tapant du pied et faisant une moue
épouvantable, ce qui lui attirait tout naturelle-
ment l'épithète de menteuse, contre laquelle
elle se révoltait, quoi qu'elle sentît à merveille
combien elle la méritait, et c'étaient des quintes
de rage et de pleurs, et des accès de bouderie
immanquablement punis, — et le tout, comme
de juste, finissait par faire dans cette tête si
tendre un brouillamini qui n'avait de compa-
rable que celui d'un long fil inliabilement en-
roulé autour d'une bobine mal faite ou bien en-
core l'embarras des membres de phrases d'une
proposition mal déduite par un écrivain sans
talent. D'où, après des journées à moitié cou-
pables, à moitiés gâtées par ces regrets qui
sont les remords de l'innocence, des cauche-
mais dans l'horreur desquels le vice se voyait
puni sans que la vertu fût là pour se voir
récompenser.
Mais, dès qu'elle eut subi le regard attendri
(comme à travers un long rêve pénible enfin
dissipé) de la vieille marquise, son petit cœur
et sa petite âme changèrent comme par enchan-
tement. Elle ne musa plus, elle ne mentit plus,
elle fut sage et propre, obéissante et réservée.
Bref, elle semblait avoir hérité, proportionnées
à ses forces d'enfant et avec toute mesure, de
r.Xji.I irllcc r| de |.i s.,u,ss, i|, i.i|l«|.
dame autrefois m méchante.
En --"iic qu'on peul dire qu'un échang
vie ;i\;ni eu lieu par !<■ limple échange «I un
regard entre la mignonne ei l'aïeule.
UAMPO
Charles Ilusson était vraiment un garçon fait
et bâti pour l'amour : force, face virile et enfan-
tine, rose et grasse, sans un soupçon de bouffis-
sure ; nulle trace de barbe qu'un duvet très lé-
ger, d'or blond clair s'accentuant en très petits
favoris, presque des frisons comme en ont les
Ascagne et les Endymion des peintres français
de l'époque impériale ; cheveux plus foncés dans
l'ardeur, bouclés ou portés plutôt courts; de
giands veux bleus verdàtres, très doux, on eût
dit humides comme la bouche adorablement
petite, un peu pouponne et d'un rouge tendre ;
et ({liant au nez, peu défini, un peu rond, aux na-
rines ardentes, il disait — le menton large et
long en proportion avec le reste, comme tout
d'ailleurs dans cette ligure et cette statue har-
monieuses, mais d'arêtes molles et d'une courbe
If HT Ail
comme alanguie \ ei le i ou . • ni eb
senoe de volonté, de Lrainte el de « onti w
dans l<-s ohosea de II sensualité la plus brt
lante, Le oorpsj souple mai
et ton amples, butte un peu ramaasé, a
hanches fortes qui compensaient, jambes bien
en chair et bien en musclée, pieds élégants et
d'aplomb — était superbe.
t le port majestueux, oeUe don
auxquels ajoutait une voix plutôt basse aux in-
tonations parfois gravement fémininee, avait fait
de Charles llusson le plus remarquable et le
plus aimé des souteneurs de la plate Maubert.
Fils de berger, berger lui-même dèa son en-
fance un peu grandie jusqu'à quinze ans passés
où il entra dans les fermes comme domestique,
bien lui avait pris, avec cette vocation
fonctions actuelles, d'être un paysan de la cam-
pagne. Ce tempérament de flamme quiaexha-
lait de son extérieur même et qui l'eût fatale-
ment entraîné à toutes les imprudences, comme
394 HISTOIRES
aussi, certes ! à des actions belles en elles-
mêmes, était heureusement pour lui corrigé par
l'éducation parcimonieuse, par la circonspection
aussi pour ainsi dire native en ces âmes des
champs, et son courage très réel et son avidité
de tout le plaisir se voyaient par des fois des
bornes imposées de ces parts.
Il avait déserté sa famille comme on déserte
au régiment. Or, sa frontière fut Paris dont il
ne connaissait ni le langage à fond ni la morale
au fond. Donc, il dut vivre avec sa beauté, il
tomba souteneur immédiatement ; et, puisqu'il
était très fort comme il était fort beau, il devint
redoutable et, dès lors, plus qu'aimé par ses
femmes.
Ce portrait, trop long peut-être, va justifier
l'histoire que nous allons narrer.
Parmi les filles de qui Charles Husson re-
cueillait les débris de jeunesse, — sans, bien en-
tendu, compter les très nombreuses « victimes »,
de qui la virginité quasi ou tout à fait enfantine,
qu'il faisait entre temps, lui en renouvelait une
espèce d'une, — se trouva une nommée Mari-
nette (comme dans Molière et dans Banville),
fesse mignonne et gentille pour ce très à la
mode dans ce monde-là.
La mode y était alors, comme à peu près par-
tout et dans tous les temps, d'être lâche et plus
... M M I . \
\ il qu'on ne peul l il lui Lâche et plus
\il qu'il n'est même coutume dans le milieu <»u
sa beauté Le jetail . Marinettc était, non nue
bonne Bile, mais un.- adorable, mais un. déli
rieuse, mais une ilmitr, mais une amiable, n
une ohère enfant dont Charles tomba éperdu
nuMii amoureux.
La joliesse de |a cléaluie innocentai! BO qud-
que sorte «lf oette mm oommeroiale faibli
oe trafiquant île charmes pour tout sexe.
Petite à proportion et en proportion àt
hauteur de taille à lui, mignonne juste autant
qu*il était robuste, elle formait avec lui comme
une antithèse qui eût été la plus parfaite et le
plus désirable des harmonies. Maigrelette plutôt
que grassouillette, sans qu'on pùl «lin- pour-
tant Laquelle des deux nuances remportait ou ne
l'emportait pas ; très brune sans trop de che-
veux et que joliment ébouriffés ou i aplatis, selon
le conseil matutinal ou vespéral de son miroir;
des yeux petits, un peu chinois. Longs et plus
luisants encore que brillants, le nez peul
un peu gros, mais très bien lait et point trop
court ; bouche grande et grosse aux dents larg
d'une blancheur chaude et bien montrées quand
fallait ; rouge sans vinaigre et grasse sans pom-
mades, la bouche où parfois passait .connue sans
affectation, un bout de langue rose. Menton court
396 HISTOIRES
sur un cou court, du plus pur satin rose crème
vivant ; des seins évidemment riches, ramenés
serrés très en avant, et le ventre bien dur sous
d'habituels jerseys bien tendus. Ses jupes col-
lantes sous les tournures et les nœuds moulaient
par intervalle.-, des jambes qui devaient être
émouvantes au possible et qui l'étaient, thésau-
risât riees et piédestal de trésors frissonnants et
frisonnants qui rendaient le beau Charles fou...
et parfois jaloux ! Sa voix était charmante,
d'argent plutôt que d'or à cause d'un très léger
éraillement causé par les rogommes de toute-
sorte qu'elle avalait et qui n'avaient pu en-
tièrement la ternir. Voix insinuante, insidieuse
comme malgré elle et restée enfantine vrai-
ment avec le velours de la vierge puberté : car
la voix a sa puberté comme le sexe...
En un mot la gouge délicieuse, irrésistible,
mais que la perfection même de sa disposition
amoureuse avait, seule, empêchée de réussir,
pécuniairement parlant, — jointe à ce goût de
crapule que les plus pures comme les plus
grandes et les plus grands n'étouffent pas tou-
jours à leurs tréfonds.
Dans ces conditions Charles était perdu et de
la simple vilenie dégringola bientôt jusqu'au vol
et jusqu'au meurtre.
Des prosmicuités que l'on devine, des cama-
IMI ., \
raderiet de jeu et de boisson 8( dei oomplicitéf
d.iiis les prostitutions de tous genres k\
préparé oetts Ame de pâtre, cette Ame solitaire
cl contemplative de pâtre, cette Ime, ■• t<>us les
rallinements parisiens.
Or, il arriva qu'un jour, chez nn marchand de
vins asseï luxueux, tenant un hôtel très couru
surtout des miches pas trop toc, Marinette ayant
l'ait verser à boire de trop à un monsieur qui
portait un chapeau haut de forme, un plastron
blanc sous un faux-col exagéré et des bottines à
bouts pointus, comme une partie de Zanzibar
était en train et qu'un rampo venait d'éclater,
la iille, saccoudant sur l'épaule du monsieur
dont elle tiraillait l'oreille en même temps, dit :
— Tu es un homme d'esprit, distingué, je te
gobe, mais...
— Mais quoi ?
— Montes-tu?
— Où?
— Chez moi...
— Où, chez toi ?
— A deux pas d'ici...
.'V.ltS ÎUSTOIRKS
— Ah ! non ! conclut le type, malconliant, qui
se dégrisait.
C'est ici que Charles devait intervenir.
11 intervint sous une forme gracieuse, presque
gracile, — et prenant sa voix la plus flûtée, la
plus voilée, cette voix de contralto qu'il avait,
dit :
— Quoi, ma Marinette? Est-ce que Mon-
sieur?...
— « Monsieur », mon ami, ne veut pas mon-
ter avec votre dame, fit le monsieur sèchement.
— Tant pis pour elle, alors... Du moins
payez-vous une tournée ou la jouez-vous ?
On joua. Et voici qu'il y eut encore r;un/>o.
Marinette dit :
— Il y a rnmpo...
Le monsieur témoigna, d'un geste absolu,
qu'il renonçait à la conversation ; et, jetant les
sous des verres sur le comptoir, se détourna
pour sortir.
Charles Husson, qui était vêtu en négligé de
voisin, béret et pantoufles, mais coquettement
et coquinement, lui mit la main sur l'épaule.
Le monsieur sentant celle m. un d'homme
évidemment potée là dans des intenlione b
tiles,sc retourna, furieux <•! craintif un peu, Pu
en présence de la fulgurante el douce beauté de
Charles, avec un clin d'oeil indiquant l'escalier
au l«>ui duquel se devinaient des cabinet
passes, il articula bas :
— Moulons.
Et, sur signe impérieux * 1 « ■ Charles II s.(
Femme qu'elle eût à s'abstenir, les deux hommes
montèrent.
Marinette alors, tour à tour blanche et rouge
de colère et toute secouée d'hystérique jalousie,
cracha :
— Salop, maquereau, tante ! tu n \ ooup
pas, cochon !
Kl dans un but de vengeance non formulée
peut-être en sa pauvre tète «le fille soumise —
elle sortit.
Dès dehors, elle courul à la glaoe d'un bou-
langer proche où elle procéda s une réparation
sommaire de sa figure qu'elle sentait abmu
cette scène et que deux doigts de poudre de ris
et un coup de peigne de poche rafraîchircul,
100 HISTOIRES
tandis que des talons de botte sonnnant sec sur
le boulevard embrumé l'avertissaient de la ve-
nue d'un agent. Quand celui-ci passa devant
elle, ce fut un cri :
— Tiens ! Anatole ! . *
Elle empoigna l'homme par le bras, lui dit
tout dans une détente de volubilité féminine et
non toutefois saws une sorte de réserve et de
dignité sui (jencris, ce à quoi le sergent ne ré-
pondit en toute logique que par :
— D'abord, ma belle, je ne suis pas de ser-
vice, et puis quoi ! nous autres nous n'y pouvons
rien... ce n'est pas sur la voie publique... Il
n'y a pas de scandale avéré.
Mais la femme tenait sa vengence.
Sa vengeance ! Ce mot n'est-il pas bien délicat
en l'espèce. Et d'abord, pourquoi jalouse, puis-
que Charles était — elle ne le savait que trop,
la misérable complice de tous ses vices aussi
bien que de tous ses crimes — coutumier
d'amours ainsi, tant pour la galette qu'hélas ! pour
la peau? Et quelle mouche de luxure honnête et
modérée la piquait donc ce soir? Mystère dont
toutes les femmes, proportionnellement, sont
participantes. Et c'est tout ce que le moraliste,
en dehors des morales positives, peut dire, mal-
heureusement.
Alors, dans ce brouillard londonien, mais
COMMI
puant, presque tubitemenl tombée! qui lemblail
égaliser al protégei loi
noire \ ille I •umièi e,il i piign
la lanterne borgne <!«• quelque autre bolel meu
blé. El ils montèrenl à leur tour, l<- ili< «pu
n'était pas de service, el la fille qui allait Bsire
le Bien à l'iril, mais pour le bonne
aussi en toute prévision de L'avenir.
Et c'est ainsi qu'encore une fois la morale fut
sauve, que force restait à la Loi. que...
26
i \i;i.i: di:s \i \ i 1 1 i;i>
A.YBHTttUMUn .
I
v brs
VERS DE JEUNESSE
Les dieux 7
ToRQUATO TaSSO
Sir le QALTAIM «I
L'enterrement la
L'ami de la jcatirk 11
()ianu\ l3
VARIA
Kx 17 17
Eventail directoire 19
Rotterdam ai
104
TABLE m: s MATIÈRES
LE CHARME DU VENDREDI SAINT a3
I. La cathédrale est grise admirablement.. . . 23
II. Le soleil fou de mars 24
Voyages a5
Impressions de printemps 27
Ex Imo • 29
Souvenir du 19 novembre 1893 33
Retour 35
Depuis ces deux semaines 38
J'ai revu, quasiment triomphal 4o
Cordialités 4a
I. Dans ce Paris où on est voisin et si loin.. . 4a
II. Deux colibris parisiens, deux cancaniers.. . 43
III. Impériale, puisque Eugénie ! et très douce . 44
Pour les gens enterrés al Panthéon 4?
Rendez-vous , 46
Féroce 48
l'aimée 49
I. Voici des cheveux gris et de la barbe grise. . 49
II. La jalousie est multiforme 5o
III. D'ailleurs la jalousie est bête 5i
IV. Bah ! confiance ou jalousie ! 5a
V. Et pourquoi cet amour dont plus d'un sot
s'étonne 53
Retraite 54
L'enfant avait reçu deux bons veux dans la tète . . 55
Visites 56
Mignonne que je ne connais 58
Hôpital 59
Lamento 60
Oxford ...."• 6a
Paul Vehlaine's 64
i mm i DU M v
Klli>\ll»IMCE
■\\| - • Il \ \M>\»
I. \<rll lill. il t»8
II. L'éOOlU i. -..
III. \ prapoi 'l'ni i iiinf d'elle
BmOMUMMi , 73
Moka Rom
DlNI-TlUTH
Vous lùtc", bonne el d on mm Irietei leeepétei
I'm.m n • **i
\mohu nos 83
Puii'iiE S
Quand mi' mi
Acte i>e koi
A Cémiàfli 87
PoorE
Pour E.. . . . . . «Il
Pot r E
U loi seule bonne entre toutes ces femmes .... <t'i
Mais il le faut m'ùlre si douce
.Mont BOMRU
Imiumittlnces IO0
Sites urbaius ioï
Clociii-clociia '"I
\NM\tnsunE 10e
Conseil 108
SOUVE.MRS D'ilÔPHAL I0)jj
I. La vie est si sotte vraiment 109
II. D'ailleurs l'hôpital est sain 110
En BEPTRMBRI « 1 '
Pour le nouvel an n3
O Mademoiselle Sarah ni
4()() TABLl! DES MATli-lIliS
MORT 1 10
Epilogue 117
PARALLÈLEMENT
[Pour une édition nouvelle).
Projet es l'air 121
Nous ne sommes pas le troupeau \*\
Billet a Lily 136
DÉDICACES
Pour une édition nouvelle).
POUR LA. PLUME 1 3 I
I. Je veux dire en ces quelques vers . . . . 1 3 1
II. Je ne suis plus encore un faune i3a
FRONTISPICE POUR UNE ANNÉE DE LA PLI ME |3'{
le livre d'estiier |3/|
F. Je suis un ennemi tic toute hypocrisie . . . i3/|
Pu VIS DE Cil A VANNES l3()
Pour un aliium 1 37
Sonnet 1 38
Marceline Deshordes Valmore l3g
LE LIVRE POSTHUME
Le livre posthume i'i")
fragments 1 48
l. Dis, sérieusement, lorsque je serai mort . . i/|8
t mu i di !«•;
II. l'ai nagniM ■'• w irluii .
III. I.nrsi|ilr | ■ . f
l\ l'i- i.'i|>|ii'|li r.is lu HMI MUrW InjtMi .
V. Bl *"i, i I ill-l.lllt lll'l tll lu h
DllllMI 11 I -l'uni | ,-
II
PROS1
-m VENIRfl
AU QUARTIER • I 03
Variétés ii,-
Onze jours en Bem.im i 171
Jeajihi Tebstorti 177
Vu UMORB l8o
Souvenirs si .11 ThBODOBI M Bwviur |83
Mes non i w \ 189
l.i: DIABU 19^
IfoatBS-MoRocLn 200
Km vm 1. ( ui-.r runmi a<>9
Vieilli \ illi ai4
Traduit db Btrob a'ili
I. V SOI TTE
L'obsbssbi 11 a52
1 SOHI I PBBAGOGtQt B a:>8
- 26a
Mi-a-ou a83
Projets 11 puma BOB Là OOKBTI 287
A PROPOS DU DERNIER LIVRE POSTHUME DE VlCTOR 1 1 1 «iO 9Q'i
\l PA.TS OU Min E 3oa
l'.i.iu BOOTA pOi
408
TABI.l; DES MATIlMil.S
Mes souvenirs de la commune 3 r i
Le ron larron 3i'i
HISTOIRES GOMME ÇA
Deux mots d'une fille 3i<|
L\ HUI DU MAJOR MULLER 3£5
Conte de fées. iî5()
L'arré Anne 36o.
Extrî:mes-Onctions 377
L'histoire d'un recard 38a
Rampo 39a
ACHEVÉ niMi'nnn -■./.■
Il itma juillet mil neuf cent onze fur
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