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THE LIBRARY
OF
THE UNIVERSITY
OF CALIFORNIA
LOS ANGELES
t„^J
r*'?-
OEUVRES
DE
M. J. CHENIER
DE L'lMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOI",
I^llTliMFUR nV llOI ET DE I.'lNSTiTlT. F.LE JACOB, N '>h-
\
OEUVRES
POSTHUMES
DEM.J. CHENIER,
MEMRRF. nE L'iNSTITUT;
REVUES, CORRIGEES, ET AUGMENTF-ES DE BEAUCOLP DE MORCEAUX INFDITS;
PR6c6dEES D'UNE notice SUR CHENIER
Par M. DAUNOU, membre de r/iNSTiTnx;
ET ORIVEHS
DTJ PORTRAIT HE 1,'aUTEUR d'aPRES M. HORACE VKRNET.
TOME III.
PARIS,
GUILLAUME, LIBRAIRE, RUE HAUTE -FEUILLE , N'M/,.
Mncccxxiv.
TABLEAU
HISTORIQUE
DE LA LITTERATURE
FRANCAISE.
OEavres posthumes. III.
* '*,*.'«^-».%/*'^^-*-'V ».-».■». ^.-VV^.^-^ W*/**-"*-'^*-'^''^ *■'»''•- ^--^^^^.-^^ ■»■*--»/* V-*'^'«^%--^%^L'»,X. -*.-». ^,^,'^%^%i%X.-».-W
INTRODUCTION.
Jr Lus nous avancons dans ie travail qui nous
aete present, et plus nous sentons quel poids
il nous impose. Comment, de leur vivant
meme, apprecier tant d'ecrivains , non sur
de rigonreuses theories , sur des faits demon-
tres , sur des calculs evidens , mais sur des
choses reputees arbitraires, sur I'esprit, le
i>'out, le talent, I'imagination, I'art d'ecrire?
Comment se frayer luie route a travers tant
d'ecueils redoutables , entre tant d'opinions
diverses, quelquefois contraires, touj ours de-
battues avec chaleur ; parmi tant de passions
qu'il etait si difficile d'assoupir, et qu'il est
si facile de reveiller? Comment satisfaire a la
fois , et ceux dont il faut parler , et ceux qui
ont un avis sur la litterature apres I'avoir
etudiee, et ceux meme qui, sans aucune etude,
se croient pourtant du nombre des juges?
Dispenser la louange avec plaisir, exercer la
censure avec reserve, proclamer les talens qui
I.
4 INTRODUCTION.
nous resteiil, apphmdir aux dispositions nais-
sanles : tel tst le devoir que nous avons a
remplir. ^
Sans pouvoir nomnier aujourd'hui tous les
ecrivains qui seront cites dans notre ouvrage ,
nous allons toutef'ois en indiquer un assez
grand nonibre , et nous tacherons surtout
d'exposer elairement la marche et les divisions
du travail qui nous occupe. Dans ce travail ,
considerable puisqu'il embrasse le cercle en-
tier des applications de I'art d'ecrire , a la tete
de cliaque ^enre, nous tracons I'apercu rapide
des progres qu'il a faits en France jusqu'a I'e-
poque oil commencent nos observations : c'est
marquer les points lumineux qui eclairent la
route. L'art de communiquer les idees par la
parole, l'art d'enchaiuer les idees entre elles,
Fart d'analyser les sens , et par eux les sensa-
tions , et par elles toutes les idees qui en de-
coulent, fixent d'abord notre attention. Telle
est la niarclie natiuelle: il faut parler et pen-
ser avant (recrirc. C'est a la classe de littera-
ture f'rancaise (juil appai'tient specialenient
de Jeter uii coup-d'cril sur les sciences philo-
sophiques, fondees, an moiiis en France, par
cette ecole dc Port-Royal , source inepuisable
INTRODUCTION. 5
antaiit quelle est pure , oil voiit remoiiter a
la lois toiite saine doetriiie et toiite litterature
classique. Ces memes sciences ,. dans le conrs
du dernier siecle, ont du beanconp anx tra-
vanx de Condillac, qne 1' Academic francaisc
se glorifiait de compter parmi ses menibres.
Fondatenr liii-meme dune ecole de philoso-
phic, il a laisse d'liabiles disciples et d hono-
rables snccesseurs. M. Domergne, M. Sicard ,
plnsieurs antres encore, cnltivent avec su(*ces
la grammaire generale et particnliere. Nons
anrons a remarquer nn onvrage snr notre
langue, I'nne des meillein^es productions de
Marmontel. Un esprit sage et methodique,
M. de Gerando, a recherche les rapports des
signes et de I'art de penser. Un esprit etendu ,
M. de Tracy, a rassemble les trois sciences
liees dans un corps d'onvrage comme elles le
sont dans la nature. M. Cabanis, interessant
et clair avec prof'ondeur , en comparant
ITiomme physique et I'honnne moral , a sou-
mis la medecine a I'analvse de I'entendement.
Charge d'enseigner cette analyse au sein des
ecoles normales, M. Garat, par son imagina-
tion brillante, a rendu la raison luminense;
genre de service que, dans les questions en-
G INTRODUCTION.
core abstraites , la raisoii ne pent devoir qu'aux
talens dun ordre superieur.
[.a science des devoirs de rhomme , la mo-
rale , sans prod ui re autant d'ouvrages , n'a pas
ete poiirtant sterile. Nous avons trouve dans
les I.econs c[ue IMarmontel leguait a ses enfans
les preceptes de Cieeron jueles a la sagesse
evangelique. On doit smTout distinguer un
livre important de Saint -Lambert, qui jadis
avait enrich i notre litteratnre d'un poeme
elegant, harmonieux et pliilosophique. Arrive
pres du terme de la vie, il ne deserta point la
banniere adoptee par sa jeunesse. Inalterable
dans ses principes , fu\ ant I'exces , meme dans
le bien, il n'af'fecta ni le pienx rigorisme, ni
Tautorite stoicienne. Sans detacher la morale
du principe social , necessaire , demontre , dun
Dieu surveillant et protecteur , il la trouva toute
entiere dans les rapports qui uuissent Thomme
a rhomme : dans nos besoins, dans nos pas-
sions, dans cette foule d'interets individuels
c[ui , sans cesse amies I'lui contre I'autre, mais
forces ])ai- la nature a traiter ensemble, vien-
nent lormer en se ralliant Tinteret general
des societes.
Ici nous occupent a leur tour ceux qui ont
INTRODUCTION. 7
applique I'art d'ecrire aiix matieres de poli-
tique et de legislation : 11011 cette foule d'es-
prits subalternes qui, par des feuilles perio-
diques ou des brochures nou moiiis ephenieres,
caressaient les passions de la multitude, quand
la multitude avait la puissance; niais un petit
nonibre d'iiommes plus ou moiiis distingues
par leurs taiens , egalemeiit louables par leurs
intentions. Uii habile dialecticien , M. Sieyes,
en des ouvrages oil la force de la peiisee pro-
duit la force du style, a traite d'importantes
questions de politique generale. Un ecrivain,
celebre en plus dun genre , jM. le due de Plai-
sance; comme lui , M. Roederer, J^l. Dupont de
Nemours, ^1. Barbe - Marbois ; apres eiix,
M. J.-B. Say, M. Ganilh, out porte linteret
et la clarte dans les diverses parties de I'eco-
uomie politique. Les Elemens de Legislation,
publics par M. Perreau, ne sont pas indignes
d'etre cites. L'anteur dun livre lionore du
prix d'utilite que decernait I'Academie fran-
caise, M. Pastoret, exposant les principes de
la legislation penale, a cru pouvoir determiner
comment la loi doit poursuivre pour etre hu-
maiiie ; quand elle doit f rapper pour etre
juste; oil elle doit s'arreter pour etre utile.
8 INTRODUCTION.
Nous reniarquerons dans les oeuvres de M. de
Lacretelle iiii discours brill ant et renomme
sur la nature des peines infamantes. Tous ces
ecrivains ont marche avec la raison de leur
siecle; et plusieurs ont accelere sa marche. En
evitant d'agiter apres eux des questions deli-
cates , nous n'evitons pas de rendre justice au
merite quelquefois eminent qu'ils ont deploye.
Avant de passer a I'art oratoire , oil nous
retrouverons la politique et la legislation pre-
sentees sous des formes nouvelles pour la
France, nous aurons a parler d'un Traite sur
I'eloquence de la chaire , livre eloquent lui-
meme , oil M. le cardinal Maury donne d'excel-
lens preceptes , apres avoir donne d'eclatans
exemples. Dans la critique litteraire, plusieurs
ecrivains nous offrent des etudes approf'ondies,
des commentaires judicieux sur nos grands
classiques : M. Cailliava , sur Moliere; M. Pa-
lissot, sur Corneilleet sur Voltaire; Chamfort,
sur La Fontaine, dont, jeune encore , il avait
fait un charmant eloge; et La Harpe, sur Ra-
cine, que jadis il avait loue dignement. Nous
ne negligeons pas de remarquer des additions
nomhreuscs aux Memoires litteraires de INI. Pa-
lissot, livre souvent instructif, toujours ecrit
INTRODUCTION. 9
avec une rare elegance. Nous n'oublions pas
le travail de M. Ginguene sur la litterature
italienne, ouvrage utile , considerable et deja
fort avance. Ici se presentent les derniers
volumes du Cours de La Harpe , et sa corres-
pondance en Russie. Apres avoir apprecie les
talens incontestables de ce litterateur qui n'est
plus, nous serons obliges de faire sentir I'ex-
treme rigueur qu'il se croyait en droit d'exer-
cer contre la plupart de ses contemporains,
et surtout contre ses rivaux ; ce blame sans
restriction qui n'est presque jamais equitable;
ce plaisir de blamer qui decredite un censeur
habile; souvent Finjiistice evidente et, dans
la justice meme , cette injurieuse amertume si
contraire a I'urbanite francaise. A cette occa-
sion, nous examinerons les regies d'une saine
critique. C'est prendre Fengagement de les
observer dans tout le cours de notre ouvrage ;
et peut-etre est-il important d'en rappeler le
souvenir, quand elles paraissent oubliees. Ces
regies , fondees sur la justice , sur le veritable
esprit des societes, et consacrees par le ca-
ractere national , ne sont , conniie en tout autre
genre , que la pratique des ecrivains qui ont
merite le plus d'estime. ' *'
lo 1]N TRODLCTION.
Dans I art oratoire se presente, au comnien-
cenient de I'epoqne, le recueil des Oraisons
tuiiebres et des Sermons de I'eveque de Senez,
Beaiivais, prelat ({ui dut ses dii^nites a son me-
rite, et qui se montra quelquefbis le digne suc-
cesseur de Bossuet et de jMassillon. Le barreau
francais parut s'appauvrir , quand ses sou-
tiens enrichirent la tribune. A ce mot, notre
memoire se reporte avec inquietude vers des
asssemblees orageuses. Nous les traverserons,
en fuyant de nombreux ecueils; et, forces de
nous souvenir qu'il y eut des tactions , nous
n oublierons pas (ju'il y eut des talens. iSous
commencons par cet orateur illustre qui , done
dun esprit aussi vigoureux que flexible, atta-
cha sa renommee personnelle a presque tous
les travaux de I'Assembleeconstituante. Apres
Mirabeau viennent ceux qui combattirent ses
opinions avec energie, M. le cardinal Maury,
Cazales; ceux qui les defendirent avec succes,
Cha|)elier, Barnave et M. Regnault de Saint-
Jean-d' Angel V, qui fait briller encore, au con-
seil d'Etat, comme a I'lnstitut, cette precision
toujours claire, caractere particulier de son
eloquence. Pourrions-nous oublier tant d'ha-
biles jurisconsultes qui out applique I'art ora-
INTRODUCTIOIN. ii
toire aux differens objets de legislation : Thou-
ret, Tronchet, dignes rivaiix; Camus, qui
joignit un grand savoir a des inoeurs austeres;
Target, JM. Merlin, M. Treilhard, dont les lu-
mieres etendues out eclaire les triburiaux ?
Nous rendons honnnage a ce plan d'instruc-
tion publique, monument de gloire litteraire
eleve par M. Talleyrand , ouvrage oil tons les
charmes du style embellissent toutes les idees
philosophiques. Les assemblees suivantes nous
offrent, dans le meme genre, deux produc-
tions dun rare merite: I'une du profond Con-
dorcet; I'autre de M. Daunou, dont plusieurs
legislateurs out estime les travaux utiles, Fe-
loquence et la modestie. Nous remarquons,
dans ces memes assemblees, des orateurs qui
unirent a la probite courageuse une diction
pathetique ou imposante : Vergniaux , par
exemple, IM. Francais de Nantes, M. Boissy
d'Anglas , renomme par sa presidence; M. Ga-
rat, M. Portalis, M. Cambaceres, jM. Simeon.
Nous ne citons que des persomies dignes de
memoire. Et conmient hesiterions-nous a rap-
peler tons les talens precieux qui, parmi nous,
ont honore la tribune, puisque leurs debris
sont aujourd'hui rassembles dans les differens
12 INTRODUCTION,
corps de I'Ktat? leurs debris : car, lielas! com-
bien de pliilosoplies respectables, d'orateurs
eloqiiens, de juri scon suites eclaires, d'cner-
i^iques ecrivaiiis rnoissoiines duraiit une aiince
desastreuse, oii le talent etait devenu le pins
grand dcs crimes ;ipres la vertu!
Dans les camj)s, on, loin des calamites de
I'interieur, la gloire Rationale se conservait
inalterable, naquit une autre eloquence, in-
coiuuie jusqu'alors aux peuples niodernes. II
faut menie en convenir : quand nous lisons
dans les ecrivains de I'antiquite les harangues
des plus renommes capitaines, nous soninies
tentes souvent de n'y admirer que le genie des
historiens. Ici le doute est impossible; les mo-
Tunnens existent; I'histoire n'a plus qua les
rassembler. Elles partirent de I'armee d'ltalie,
CCS belles proclamations ou les vainqueurs
de Lodi et d'Arcole, en meme temps qu'ils
creaient un nouvel art de la guerre, creerent
I'eloquence militaire, dont ils resteront les mo-
deles. Suivant leurs pas, commc la fortune,
cette eloquence a rctenti dans la cite d'Alexan-
drie, dans TEgypte, oil perit Ponq)ee; dans la
Syrie, qiii rccut les dernicrs soupirs de Ger-
manicus. Depuis, en Allemagnc, en Pologne,^
INTRODUCTION. i3
au milieu des capitales etoiinees, a Vienne, a
Berlin, a Varsovie, elle etait fidele aiix heros
d'Austerlitz , d'leiia, de Friedland, lorqu'en
cette langue de riionneur, si bieti entendiie
des armees f'rancaises, du sein de la victoire
menie, ils ordoiinaieiit encore la victoire, et
communiquaient Iheroisiiie.
Au moment oil les sciences et les lettres,
long-temps froissees par les orages, se repo-
serent dans un nouvel asile, on vit I'eloquence
academique renaitre et bientot refleurir. II
nest pas retreci ce genre, dont les modeles
varies appartiennent exclusivement a la litte-
rature du dernier siecle. Deux ecrivains illus-
tres, Thomas et M. Garat, ont prouve qu'en
certains sujets il admet les grandes images et
les plus beaux mouvemens oratoires. Souvent
aussi I'art consiste a les eviter; mais I'art exige
toujours I'elegance et la regularite des formes,
la clarte, la justesse, et ITieureux accord des
idees et des expressions. On a trouve ces qua-
lites reunies dans les discours que M. Suard a
prononces , comme secretaire perpetuel , au
nom de la classe de la litterature francaise.
G'est avec le meme succes qu'au nom des autres
classes ont ete remplies les memes fonctions.
i/i INTRODIXTION.
M. Arnault, dans plusieiirs solennites, a re-
pandu beaucouj) d iiiteret siir des objets d'in-
striictioii pnbliqiie. Panni les panegyristes,
I'eclat et la f'acilitc' dii style ont distingue
M. de Boufflers, M. FiaiKX)is de Neufcliateau,
M. Cuvier, M. Portalis; et Ton a paru surtout
ecouter avec un plaisir soutenu I'eloge de Mar-
montel, ouvrage plein de merite, dicte a M. Mo-
rellet par la philosophic et Tamitie. Enfin, car
il est impossible de tout citer, de bons dis-
conrs dc reception, de belles reponses, nne
foule de productions diversement estiniables
garantisscnt que ce genre decrire reprendra
I'influence utile dont il jouissait autrefois, soit
a I'Academie francaise, soit a I'Academie des
sciences, lorsque plus d'un homme celebre,
membres de ces deux societes, niaintenaient
entre leurs diff'erentes etudes cette union qui
donne aux sciences une utilite plus generale,
aux lettres une direction plus etendue.
L'histoire, cette partie importante, fixera
long-tcnips notre attention. Ce ii'est pas que
nous pretendions tirer de I'oubli une foule de
memoircs particuliers sur la revolution fran-
caise. Vicieux on nuls quant an style, n'of-
frant d'ailleurs que des plaidoyers en faveur
INTRODUCTION. i5
des dif'ferens partis, ils reiitreiit dans Ja classe
des ecrits poleniiques; et nous les ecarterons
avec eux. Nous aurons toutefois a parler d'un
assez grand nombre d'ouvrages. La, M. de
Castera peint une souveraine qui brilla plus
de trente annees sur le trone de Pierre-le-
Grand. Ici, M. de Segur, en tracant le tableau
politique de I'Europe durant une epoque ora-
geuse, connnunique a son style la sagesse de
ses opinions. Nous ferons ressortir le nierite
d'un precis sur I'histoire de France, ouvrage
de Thouret, Fun des membres les plus regret-
tables de I'Assend^lee constituante. L'epoque
nous presente un livre superieur encore, au
moins pour les grandes qualites de I'art d'e-
crire. Un acadeniicien qui n'estplus, Rulhiere,
a raconte les evenemens memorables ecoules
dans les derniers siecles en ces regions et sur
ces memes bords de la Vistule oii, portant la
victoire, nos guerrieis out conquis luie paix
glorieuse. Quoique cet ouvrage posthume soit
reste incomplet, nous y reconnaitrons partout
I'empreinte dun talent perfectionne par le tra-
vail, et quelquefois tres-eclatant. Nous n'ou-
blierons pas une interessante production de
M. de Bausset, la Vie de ce prelat immortel ,
iG INTRODUCTION.
qui parla dii pcnpk^ a la coiir, donna Tele-
maque a notre langue, reunit Teloquence, la
relijj,ion, la philosopliie, et fut simple a la fois
dans son genie, dans sa piete, dans sa vertu.
Les voyages font partie de Tlnstoire. Nous
snivrons dans I'Anierique septentiionale les
])as de M. de \ oiney, qui, jadis, en traversant
I'Egypte et la Syrie, eerivit ini des beaux ou-
vrages du dix-huitieme sieele, et le chef-
d'oeuvre du geiHT. Des honnnes habiles ont
redige les annales des sciences, ou trace le ta-
bleau fidele des opinions humaines. M. Nai-
geon, achevant nn grand travail, commence
par Diderot, decrit la marclie lumineuse de
la philosophic ancienne et moderne. M. Bos-
sut sait interesser par la diction dans I'His-
toire des Mathcmatiqucs; avec M. de Volney,
la raison eloquente interroge des mines ac-
cumulces dmant qnarante siecles; avec M. Du-
pnis, I'erudition raisonnable cherche I'origine
comnnme des diverses traditions religieuses.
La nous tronvons encore une esquisse pro-
fonde et ra[)ide des progres de I'esprit hu-
main , dernier ouvrage, et presque dernier
soupir de Condorcet, testament fait par un
sage en faveur de I'humanite.
INTRODUCTION. 17
Avant que, parmi nous, on eiit applique
I'art d'ecrire a I'histoire des sciences, on sa-
vait a quelle hauteur il peut atteindre dans les
sciences meme cjui ont pour objet I'etude de
la nature. Buffon nous I'avait appris; et nous
aurons I'occasion de reniarquer combien son
digne continuateur, M. cle Lacepede, a su
profiler des lecons dun si grand maitre. Nous
verrons Lavoisier, M. de Fourcroy, porter
dans la chimie cette clarte, la premiere qua-
lite du style, et la plus necessaire a I'ensei-
gnement. De la nous exaininerons si les theo-
ries relatives aux differens arts d'imitation
n'offrent pas sous le meme point de vue un
perfectionnement remarquable. Nos recher-
ches ne seront pas infructueuses. Nous ferons
surtout observer avec quelle elegance facile
M. Gretry a traite de Fart inusical, qu'il a
long- temps honore sur nos deux scenes ly-
riques par des productions dont la melodie
et la verite ne sauraient vieillir.
Nous ne passerons point a la poesie sans
Jeter un coup-d'oeil sur les romans, genre qui
se rapproche de I'histoire par le recit des eve-
nemens; del'epopee, par luie action fabuleuse
en tout ou en partie; de la tragedie, par les
OEuvres posthuirips. III. 2
i8 IN TKODUCTION. ,*
passions; de la coniedic, par la peintnre de
la societe. PSIous ii'iiidiquerons meme pas une
foule de compositions fri voles on sans carae-
tere; niais nous apprecierons I'esprit et le ta-
lent de plusieurs dames, qui marchent avec
distinction sur les traces de la femme illustre
a qui nous devons la Princessede Cleves. Nous
remarquerons Atala, ornement du livre con-
siderable oil M. de Chateaubriand developpe >
le genie du christianisme. JSous trouverons,
des la premiere annee, le meilleur, le plus mo-
ral et le plus court des roinans de I'epoque
entiere, cette Chaumiere Indienne, ou I'lin
des grands ecrivains qui nous restent, M. Ber-
nardin de Saint -Pierre, a reuni, comme en
ses autres ouvrages, I'art de peindre par I'ex-
pressiou , Tart de plaire a I'oreille par la mu-
sique du langage, et I'art supreme d'orner la
philosophie par la grace.
La poesie nous presentera d'abord ce genre
eminent ct sublime consacre a chanter les
liommes qui font la destinee des nations : le
_poeme lieroique. Les chantres capables d'at-
teindre a 1 epopee ne sont pas moins rares que
les personnages digues d'etre adoptes par elle :
cinq chefs-d'oeuvre epars en trente siecles le
INTRODUCTION. 19
prouvent assez. Si, dans I'espace que nous
avons a parcourir, nous apercevons a peine
une tentative estimaljle , niais defectueuse ,
les Hehetiens , nous aurons a concevoir de
plus hautes esperances, garanties par les ta-
lens poetiques de M. de Fontanes, qui brille
aujourd'bui comme orateur a la tete du Corps
legislatif. En passant au poenie heroi-comique,
nous tacherons de ne pas oublier I'extreme cir-
conspection qu'exigent de certaines matieres,
et de payer en meme temps le tribut d'eloges
que la justice reclame pour un de nos meilleurs
poetes, M. de Parny. Apres les conq^ositions
originales viendront les imitations et les tra-
ductions en vers de quelques epopees celebres.
Parmi les imitateurs, M. Parseval de Grand-
maison, a qui Ton doit les Amours epiques,
et M. Luce de Lancival, auteur d'Achille a
Scyros, doivent etre distingues cle la f'oule;
mais des traductions du premier merite nous
occuperont bien davantage. \ irgile et Milton
semblent parler eux-memes notre langue; et,
grace a un classique vivant, que ce mot fera
nommer, grace encore a M. de Saint- Ange,
habile et laborieux traducteur d'Ovicle, nous
aurons le plaisir d'observer qu'a cet egard I'e-
'1,
ao INTRODUCTION.
poqiie actuelle est superieure a toiite autre. On
ii'avait pas porte si loin jusqu'a ce jour, au
moins en des ouvrages dune telle importance,
Fart difficile de conquerir les beautes de la
poesie etrangere, et de traduire le genie par
le talent.
Dans la poesie didactique, c'est encore a
M. Delille que I'epoque doit sa fecondite. II a
repandu dans trois poemes originaux cette ri-
chesse de style qu'il avail deployee en tradui-
sant TEneide et le Paradis perdu. I.e poeme
de rimagi nation surtout suffirait pour fonder
une haute renommee. M. Esmenard, M. Castel,
et (juelques autres, viennent ensuite, digues
encore d'eloges, loin cependant de leur mo-
dele, liebrun seul aurait soutenu la concur-
rence avec M. Delille, s'il avait aclieve son
poeme de la Nature, dont il nous reste des
fragnuiis dun nierite superieur. Sans emule
dans le genre de Tode, Lebrun tira des sons
harmonieux de la lyre pindarique, si rebelle
aux chantres vulgaires; et nous remarque-
rons que ses derniers accens furent consacres
a nos derniers triomphes. 11 etait digne de les
chanter.
M. Dam, traducteur (rjlorace, a montre
INTRODUCTION. ai
dans cette difficile entrepiise uii gout pur, uii
esprit flexible , une etude approfondie des res-
sources de notre versification. La poesie ero-
tique s'honore de M. de Parny, de M. de Bouf-
flers. Des poetes, que nous allons retrouver
avec eclat sur la scene francaise , se presentent
deja sous des formes brillantes et varices :
M. Ducis, dans I'epitre; M. Arnault, dans I'a-
pologue; M. Andrieux, dans le conte; M. Le-
gouve, M. Raynouard, en de petits poemes
dun genre grave et philosopliique. Apres ces
talens exerces, on voit se former de jeunes
talens, qui donnent plus que des esperances.
Deux ans de suite, M. Millevoie, remarquable
par I'elegance du style, a remporte le prix de
poesie. M. Victorin Fabre, plus jeune encore,
a merite, deux ans de suite, une honorable
distinction. Plusieurs, qu'il est impossible de
citer ici, ne seront point oublies dans notre
ouvrage, ou nous fuirons la severite, persua-
des qu'en litterature, conune en tout le reste,
I'indulgence est plus pres de la justice. ..:
Ici se presente a nos i-egards la poesie dra-
matique, dont les deux genres eurent taut d'in-
fluence sur notre langue, sur notre litterature
cntiere et sur les m.oeurs nationales. Dans la
11 INTRODUCTION.
tragedie J3aiait le })reniier M. Ducis, inventeur
meme qiiaiid il imite, inimitable qiiaiul il iait
parler la piete llliale, poete justenient celebre,
et dont le geiiie palhetiqiie a tempere la som-
bre terreur de la scene anglaise. Des emiiles
tres-distingues marchent ensuite : M. Arnault,
si noble dans Marius, si tragique dans les Ve-
nitiens; M. Ivegouve, dont la Mort d'Abel offre
nne elegante imitation de Gessner, et qni de-
ploya beancoup d'energie dans Epicliaris;
M. Lemereier , qui , dans Agamemnon , sut
fondre habilement les beautes d'Eschvle et de
Seneque; enfin M. Raynouard, ([iii rendit un
brillant liommage a des victimes lionorees des
regrets de I'iiistoire. Nous indiquerons les
scenes interessantes du Joseph de M. Baour-
I.ormian, et ce qu'il y a d'estimable dans I'Ab-
delasis de M. de Murville. Quelques reflexions
ne doiA^ent pas etre negligees. On ne saurait
reproclier anx bonnes compositions tragiques
de lepoque la multi])licite des incidens, la
profession des personnages subalternes, les
episodes inutiles, la fadeur des scenes elegia-
ques. Partout Taction est simple, et presque
toujours severe. La marclie des poetes n'est
j)oinf timide. Sajis violcr les regies anciennes.
INTROUUCTION. aS
ils out obtenu des effets iiouveaux. Du veste,
ils out conserve ce caractere philosophique
imprime a la tragedie par le plus beau genie
du dernier siecle; et, sur ses traces, la plupart
se sont ouvert les routes varices de I'liistoire
moderne, immense carriere qui promet long-
temps des palmes nouvelles aux poetes capa-
bles de la parcourir. On a tout dit, si Ion en
croit des liommes qui n'ont rien a dire. Heu-
reusement I'erreur est evidente. En quelque
genre que ce soit , I'art est semblal^le a la
nature, son modele : il a des regies, comme la
nature a des lois; il n'a point de bornes, puis-
que la nature est inlinie. ■ '
En passant au genre de la comedie, nous
trouvons, des les premieres annees, la jolie pe_
tite piece du Couvent, par M. Laujon; les Me-
nechmes grecs, par JM. Cailhava, comedie d'in-
trigue amusante et bien conduite; un ouvrage
elegamment versifie, la Pamela de JM. Fran-
cois, copie de celle de Goldoni, mais copie
superieure a I'original. Deux rivaux exerces a
lutter ensemble, Fabre d'Eglantine et Collin
d'Harleville,enricliissent la haute comedie; Fun
en dessinant a grands traits I'egoisme impas-
sible et la vertupassionnee; I'autre en peignant
^24 llNTRODUCTlOiN.
avec uiic verite forteiiieiit comique les iricoii-
veniens dun celibat prolonge. M. Andrieux
brille au iiieiiie iaiii» par un enjoiienieiit ai-
inahle, par la grace piqiiaiite des details et le
charine eontinii dii style. Une imagination
feconde, une gaiete franche, la peinture ori-
ginale des moeurs, ont assure les succes de
M. Picard. Aiissi gai, presque aussi fecond,
M. Duval nierite en partie les niemes louanges.
On estinie une diction pure en quelques es-
sais de jM. Roger. Ici nous indiquons un per-
fectionnenient dont il est juste de faire hon-
nenr aux principaux ecrivains que nous venons
de noniiner, j)eLit-etre encore au changement
(pii s'est opere dans nos moeurs. Durant I'e-
poque entiere, les comedies un pen remar-
quables n'otfrent ancune trace de ce jargon
qui flit long- temps a la mode. Pour reussir,
il a fallii etre natnrel; et Ton a banni entiere-
ment le style precieux, le faux esprit, le ton
factice que des auteiirs plus recherches qu'in-
genieux avaient introdiiits sur la scene co-
jHi(|ue.
Dans Ic drame, genre def'ectueiix, mais sus-
ceptible de beautes, nous distinguons Beau-
marchais, que ses comedies et ses memoires
INTRODUCTION. I'j
avaieiit deja rendu celebre; iM. Monvel, aiiteur
qui a merite de uombreux succes, et I'un de
nos plus grands acteurs; M. Bouilli, dont les
pieces respirent cet interet que produit une
excellente morale. Sur la scene illustree par
Quinault, se font remarquer M. Guillard et
M. Hoffman; plus recemment, M. Esmenard
et M. Jouy : sur I'autre scene lyrique, M. Hoff-
man encore, M. Monvel, M. Marsollier, M. Du-
val. Apres avoir rendu justice a des produc-
tions agreables , forces toutefois de renouveler
qnelques opinions de Voltaire, et d'observer
ce qu'il avait prevu, ce qu'il avait craint, I'in-
fluence de I'opera-comique sur le gout general
des spectateurs, nous reviendrons, par cette
observation meme, a chercher les moyens de
soutenir, d'augmenter, s'il est possible, I'eclat
de la scene francaise, ou reside essentielle-
ment I'art dramatique.
En achevant un vaste tableau dont le temps
ne nous permet de tracer aujourd'Uui qu'une
esquisse incomplete, mais au moins lidele, des
considerations generales sur I'epoque entiere
nous arreteront un moment. Elles se comnui-
niquent aux litteratures , ces secousses pro-
fondes qui remuentetdecomposent les nations
!26 IjNTRODUCTION.
vieillies, en attendant que le genie puissant
vienne les lecoinposer et les rajeunir. Nous
suivrons clans les diverses parties de Fart d'e-
orire les el'fets dn mouvement universel. Nous
ehereherons quel fut sur Fepoque I'ascendant
du dix-huitienie sieele, et eomment Fepoque,
a son tour, peut influer sur Favenir. Nous
avons indique, nous prouverons quelle me-
rite une etude approfondie. En vain les enne-
niis de toute lumiere, proscrivant la niemoire
illustre du sieele philosopliique , annoneent
elia(|ue jour une decadence lionteuse, qu'ils
opereiaient si leurs cris inqjosaient silence au
nierite, et qui serait demontree s'ils avaient le
privilege exclusif'd'ecrire. 11 sera facile de con-
fondre ces assertions injurieuses, dont quel-
ques etrangers credules auraient tort de se
prevaloir. Non, cette etrange catastrophe nest
point arrivee. La France, agrandie, n'est pas
devenue sterile en talens. Nous rasseniblerons
sous les yeux des Francais les elemens actuels
de cette litterature francaise, dont une en-
vieuse ignorance denigrait, a cliaque epoque,
et les cliefs-d'cKuvre et les classiques; mais qui
lut toujours honorable, et qui, nieme aujour-
d'liui, nialgre des pertes nonibieuses, denieure
INTRODUCTION. 27
encore, a tons egards, la premiere litterature
de I'Europe.
Et si I'esprit de parti , decore, dans les temps
de trouble, du nom d'opinion publique, avait
autrefois donne de f'ausses directions aux idees
les plus genereuses; si ce meme esprit, non
moins f'uneste en acissant d'une autre maniere
et par d'autres liommes, avait depuis arrete
I'essor des talens et paralyse la pensee , il nous
resterait des esperances qui ne seront point
decues. L'art d'ecrire s'applique a tons les arts ;
il faciiite I'acces de toutes les sciences; il em-
brasse toutes les idees; il les eclaircit par la
justesse, il les etend par la precision. II pre-
sente en premiere ligne ce qui touche de plus
pres les hommes memorables : ITiistoire, qui
raconte les grandes actions; Teloquence, qui
les celebre; et la poesie, qui les cliante. II re-
fleurira dans le siecle qui commence.
TABLEAU
DE LA
LITTERATURE FRANCAISE.
CHAPITRE PREMIER.
Grammaire; Art de penser; Analyse de I'entendement.
Jja-CON, qui decouvrit un nouveau monde dans
les sciences, distingua le premier la grammaire
positive de la grammaire philosopliique. II declara
que celle-ci etait encore a naitre ; mais , d'avance ,
ii lui traca la route qu'elle avait a suivre , et qu'in-
diquait suffisamment le nom meme qu'il lui im-
posait. Ce fut cinquante ans apres que Lancelot ,
deja connu par des travaux estimables sur les deux
langues anciennes , ecrivit , sous la dictee d'Ar-
nauld, I'ame de Port-Royal, cette Grammaire ge-
nerate si justement renommee, et qui est parmi
nous le point de depart de la science. Quant a la
langue francaise, des le siecle precedent, et lors-
que , pour ainsi dire , elle balbutiait encore , on
en donnait deja les regies; car on la croyait fixee.
Robert Estienne, sous le regne de Henri II, avant
3o LITTER ATURE FRANCAISE.
les ouvrages de Mallierbe et de Montaigne, et du
temps meme de Ronsard, avait pid^Iie sa Gram-
maire franraise. Henri Estienne, suivant les traces
de son pere, composadeuxTraiLes relatifs a notre
langue; maisde tels ouvrages, d'ailleurs pleins de
merite pour le temps ou ils parurent, sont aujour-
d'hui plus curieux qu' utiles. Depuis I'etablissement
de I'Academie franraise, Vaugelas, T. Corneille,
Patru, Menage, Bouhours, Dangeau, publierent
successivement sur la langue des remarques plus
ou moins judicieuses: elles sont consultees encore.
Au commencement du dernier siecle , Regnier
Desmarais fit paraitre sa Grammaire franraise ;
production bien irnparfaite, mais qui repandit des
lumieres, grace a quelques notions fort saines,
grace encore aux critiques, trop souvent fondees,
que Buffier lui prodigua dans sa Grammaire sur
un autre plan. Un pen plus tard, Girard et d'Olivet
perfectionnerent I'etude de la langue ; I'un par ses
Synonymes franrais, ouvrage plein de finesse, ecrit
d'apres une idee de Fenelon ; I'autre par son ex-
cellent Traite de la Prosodie. Dans le meme temps,
un homme su[)erieur, Dumarsais, enricliissait la
Grammaire generale du meilleur livre qui existe
sur la partie figuree du langage. Ce beau Traite
sur les Tropes n'etait pourtant que la derniere
division du grand ouvrage qu'il meditait, et dont
quelques materiaux se retroiivent dans les articles
CHAPITRE PREMIER. 3i
liimineux qu'il a rediges pour I'Encyclopedie.
Duclos eclaircit plusieurs points importans dans
ses remarques profondes sur la Grammaire de
Port-Royal. De Brosses et Court de Gebelin, le pre-
mier surtout, dans sa Formation mecanique des
Langues, jeterent quelque jour sur les obscurites
etymologiqu^s. Beauzee publia sa Grammaire ge-
nerate et raisonnee , ouvrage le plus complet qui
eut encore paru, souvent neuf, toujours utile, et
qui le serait bien davantage , s'il ne repoussait les
lecteurs par un style a la fois sec et diffus. Enfin,
Condillac donna sa Grammaire generale. Elle est
divisee en deux parties : la premiere developpe
toute la generation des idees , en partant de la
sensation; la seconde est une consequence riafou-
reuse des principes demontres dans la premiere.
Tout est lumiere dans ce livre, aussi precis qu'il
est clair, aussi bien ecrit qu'il est bien conru. C'est
le plus grand pas qu'ait fait la science; et, chez
aucun peuple, aucun ouvrage du meme genre
n'est comparable a ce cbef-d'oeuvre d'analyse.
Entre nos contemporains , M. Domergue a rendu
de grands services a cette meme science. Sa Gram-
maire simplifiee, son Journal de la langue fran-
caise, son Meraoire sur la proposition, ses Solu-
tions grammaticales , contiennent beaucoup de
regies nouvelles , toutes rattachees a des principes
incompletement observes parses predecesseurs,
3a LITTERATURE FRANCAISE.
oil meme qu'ils n'avaieiit point apercus. Personne,
avant lui, n'avait analyse si bien la proposition.
Voulant assiijettir la classification des mots a cette
rigoureuse analyse , il a cm devoir changer la no-
menclature. C'elait le moyen de refondre une theo-
rie importante , oii la rouille de I'ecole se laisse
encore apercevoir. Telle fut la marcbe de Lavoi-
sier, lorsqu'il appliqna, comme il le dit lui-meme,
la melhode de Coiidillac a la cliimie. En refaisant
la nomenclature, il refit la science.
Mais quelques savans , unis entre eux , suffisent
pour changer les nomenclatures physiques : il n'en
est pas de meme dans la grammaire, ou tout le
monde se croit juge. En vain M. Domcrgue a-t-il
fait marcher ensemble I'ancienne et la nouvelle
nomenclatures ; la nouvelle etait trop raisonnable;
et les prejuges ne sont point tolerans pour la rai-
son, meme quand la raison veut bien etre com-
plaisante pour les prejuges.
M. Domergue a traite a fond la question si dif-
ficile et si souvent agitee des participes. Il est meme
im des grammairicns qui ont jete le plus de lumiere
dans Tancien chaos des modes et des temps. Beau-
zee s'apercut le premier que Ion confondait la
conjugaison francaise avec la conjugaison latine.
Il inventa pour noire langue un systeme ingenieux,
mais compHque : il admit cinq verbes auxiliaires
an lieu de deux que Ton admet ordinairement; de
CHAPITRE PREMIER. 33
la ties temps, des epoques sans nombre; et leur
classification sous les trois modes generaux pre-
sente d'extremes difficultes , pour ne pas dire d'e-
tranges bizarreries. M. Domergue convient, avec
Reauzee , que tous les temps des verbes doivent
etre classes sous les trois modes du temps reel : le
present, le passe, le futur. Toutefois, en partant
du meme principe , il arrive a d'autres resultats ;
et, rejetant les trois verbes auxiliaires imagines par
Reauzee, il offre un systeme beaucoup plus sim-
ple, et que nous croyons preferable. Parcourant
toutes les parties de la science, M. Domergue,
d'apres d'Olivet, a eclairci la prosodie francaise.
Apres Dumarsais et Duclos, il a propose de nom-
breux changemens a I'orthographe. II va meme
plus loin qu'eux; et Ton aurait sur ce point bien
des objections a lui faire ; mais tous ces travaux
sont utiles: on lui doit plusieurs idees neuves; et,
parmi les grammairiens vivans, il n'en est pas d'aussi
inventeurs, il en est peu d'aussi eclaires.
Les lumieres etendues de M. Sicard brillent
d'une maniere differente. Sans etre arriere surau-
cune partie de la science , il semble redouter les
innovations; et le principal merite qu'il deploie
dans ses Elemens de grammaire generale est d'ex-
poser clairement les theories qu'ont inventees ses
predecesseurs. Il suit tour a tour Lancelot , Reau-
zee, Condillac, quelquefois, mais plus rarement,
t)Euvres posthumps. Ill, J
34 IJTTEJIATLKK I KANCAISE.
M. Domergiie. II est tollement circoiispect que,
pour I'ortliograplie , il ifapprouve pas meme les
legers changemens faits par Voltaire, et qui n'ont
pourtant cl'autre dcfaut que celui d'etre iiisuffisans.
Neanmoins, dans une partie plus importante, les
conjugaisons fraiicaises, il adopte en entier I'opi-
nion de Beauzee , sans etre effraye , sinon par les
divisions multipliees d'un tel systeme, du moins
par les singuliers resultats qui en soiit la suite. Au
reste , le livre de M. Sicard est une grammaire
complete : I'auteurva jusqu'a donner les regies de
la versification francaise, et celles des petits genres
de poesie; ce qui parait depasser la grammaire, et
surtout la grammaire generale. Quelques lecteurs
lui reproclient de pousser trop loin la clarte , d'ail-
leurs si necessaire ; d'avoir peur de n'en jamais assez
dire, et deprodiguer lesdeveloppemens, au point
que , dan? <^pn ouvrage , la partie relative aux con-
jugaisons est plus longue a elle seule que toute
la Grammaire de Port -Royal. On ne risquerait
point de telles censures, si Ton negiigeait moins
d'entrer dans I'esprit de I'auteur : il connait la
meilleuremaniered'enseigner, commeil le prouve
tons les jours, depuis qu'il dirige le celebre eta-
blissemeiit des Sourds - Muets. En composant sa
Grammaire, il s'cst occupe de ses eleves et des en-
fans. C'est pour cela qu'il fait succeder a ses clia-
pitres aulant de lerons dialoguees par demandes
CHAPITRE PREMIER. 35
ct par reponses, et qu il developpe dans chaque
lecon ce qu'il vient de developper dans chaque
chapitre. C'est encore pour cela qu'il s'adresse
quelquefois aux sages institnteurs et aux meres
sensibles, et qu'il se iivre a des digressions morales
qui lui font beaucoup d'honneur, sous des rap-
ports etrangers a ia grammaire. Il est accoutume
d'ailleurs a parler long-temps, puisquil est oblige
de parler seul; et Ton sent qu'il ecrit comme il
parle. Aussi ne fait-il pas difficulte de fondre en
entier, dans son ouvrage, les lecons qu'il impro-
visait aux ecoles normales, quand il y professait
I'art de la parole ; mais Tabondance de son style
est estimable en ce quelle convient aux jeunes
esprits qu'une extreme attention fatigue. C'est une
instruction elementaire qu'il a voulu donner a
i'enfance; et, sous ce point de vue, on ne saurait
lui accorder trop d'eloges pour avoir si bien rem-
pli le but interessant qu'il s'est propose.
L'Hermes d'Harris , publie en Angleterre an
milieu du dernier siecle, est un des livres les
plus estimes qui existent sur la grammaire gene-
rale. Son moindre merite est d'etre fort erudit,
et d'offrir des notions etendues sur les theories
des grammairiens de I'antiquite. Il est surtout
remarquable par une analyse profonde des ele-
mens du discours. Sans descendre aux petits de-
tails, I'auteur s'eleve a des idees generales, dont
3.
36 LITIERATUUE I'RANCAISE.
la precision et la jiistesse cmbrasseiit nne fouledc
cas particuliers. En toute science, en tout genre
d'ecrire, c'est la le secret des hommes superieurs.
M. Francois Thurot a fait paraitre , il y a douze
ans, nne traduction de I'TIermes. Elle est digne ,
a plus d'un egard , de nous occnper un moment.
Tres-distingnee par I'elegante clarte du style, elle
Vest encore par un travail qui n'ap])artient qn'au
traducteur. T! a rendu I'ouvrage plus facile a lire
avec fruit, en y corrigeant I'abus des citations:
defant commnn a beancoup d'ecrivains anglais.
II a substitue des exemples choisis dans nos clas-
siques aux exemples qu'Harris avait tires des clas-
siques de son pays. Dans nne foule de remarques
et de notes instructives , il a jnstement apprecie
les travaux de co philosophe , ses decouvertes,
ses erreurs, el; les progres que les plus celebres
grammairiens francais ont fait faire a la science
du langage dnrant le cours dn siecle dernier.
Dans un discours preliminaire, ou des faits nom-
breux ne nuisent point aux pensees, M. Thurot
expose a grands traits I'histoire de la science,
depuis les ecoles d'Athenes et d'Alexandrie jusqu'a
Tepoque illustree par Condillac; et ce precis ra-
pide est lui-meme in> bon ouvrage a la tete d'une
bonne traduction.
Le cours theorique et pratique de langue fran-
caiso, public* par M. Leniare, embrasse nne vaste
CHAPITRE PREMIEK. 3;
etendue. L'auteur y soumet a un noiivel examen
les principes de la grammaire. 11 cherche dans la
nature meme des idees les elemens du langage,
leur denomination , leur classification methodi-
que , ieurs combinaisons diverses. 11 commence
toujours par recueillir et classer les faits ; il re-
monte ensuite aux sources etymologiques ; il op-
pose les analogies et les differences. Ce n'est jamais
qu'apres de nombreux details et des analyses se-
veres qu'il s'eleve a des generalites, et qu'il etablit
des regies fixes. 11 fait surtout un emploi tres-heu-
reux des tableaux synoptiques et scientifiques.
L'art de ces tableaux, comme I'observe Condorcet,
est d'unir beaucoup d'objets sous une disposition
systematique , qui permette d'en voir d'un coup-
d'oeil les rapports , d'en saisir rapidement les com-
binaisons, et de former bientot des combinaisons
nouvelles. Peut-etre, quand ils sont multiplies,
nuisent-ils au plaisir que peut procurer la lecture
d'un ouvrage ; mais , du moins , ils facilitent I'en-
seignement: c'est ce qu'a senti M. Lemare. Apres
lui avoir rendu justice, nous sommes contraints
de lui faire un reproclie assez grave : on est faclie
qu'il se permette des expressions dures et des
plaisanteries un peu lourdes , lorsqu'il croit de-
voir combattre ou des grammairiens accredites,
ou des corps litteraires qui ne sont pas infaillibles,
mais qui sont au moins respectables. 11 aurait tort
38 LITTERATURE FRANCAISE.
en ce point, fiit-ii infaillible liii-meme; ce que
sans doute il est loin de croire. Qu'il laisse a
I'ignorunce les formes grossieres et tranchantes :
ce n'est point a lui d'admettre ce que rejettent la
decence et le gout ; car il fait preuve d'un merite
reel, et joint une saine litteratnre a I'etude ap-
profondie de notrc langue.
Dans les Lecons d'un Pere a ses Enfans, ou-
vrage postluime de Marmontel , la premiere
partie porte la denomination de grammaire. Ce
n'est pourtant pas une grammaire generale : les
theories universeiles du langage n'y sont point
exposees. Ce n'est pas meme une grammaire fran-
caise proprement dite : on n'y trouve pas I'analyse
complete et methodique des divers elemens de
notre langue. C'est une suite d'observations fines
on profondes sur pliisieurs de ces elemens. De
nombreux exemples eclaircissent de nombreuses
questions; ils forment en meme temps un recueil
de pensces judicieuses, et tonjours exprimees
avec le talent qui les grave dans la memoire. Ces
exemples, habilement choisis dans nos classiques,^
donnent le gout du beau, sous le point de vue
moral comme sous le point de vue litteraire: et
Ton voit que I'auteur, selon son expression, veut
enseigner a ses enfans autre chose que de la
i^rammaire. Sonlivre est d'ailieurs tres-bien ecrit;
CHAPITRE PREMIER. 39
et peut-etre n'avons-iious , dans le meme genre,
aucun ouvrage aussi heureusement execute.
11 y a neuf aiis, et quand I'academie francaise
n'existait plus, on a vu paraitre une edition nou-
velle de son Dictionnaire. A la tete du livre est
un discours pieliminaire. L'auteur y expose, avec
autant de brievete que d'elegance , ce que doit
etre le dictionnaire d'une langue ; ce que fut dans
I'origine, et ce que devint successivement le Dic-
tionnaire de I'Academie. Beaucoup d'idees lumi-
neuses sur la marclie progressive de notre langue
et meme de notre litterature sont rassembiees
dans cet excellent discours ^ ou Fori reconnait
M. Garat. Deux annees avant cette epoque, Ri-
varol avait donne au public le Prospectus d'un
nouveau Dictionnaire de la langue francaise. On
y voit qu'en ecartant les etymologies, les racines
et les derives , l'auteur se debarrassait des re-
cherches les plus difficiles. Du reste , le Diction-
naire n'a point paru, et, sans doute, n'a point
ete fait. Des trois parties qui devaient composer
le discours preliminaire, la premiere, et la seule
publiee, tientpres d'un volume in-4*^. En voulant
traiter de la nature du langage en general , Riva-
rol parcourt ou plutot mele ensemble toutes les
questions qu'embrasse I'anahsede I'entendement.
II s'en faut beaucoup qui! v repande des lurnieres
nouvelles. A propos du Traite des sensations, il
4o LITTERATURE FRANCAISE.
parle de I'aboiKlance de Condillac. Est-ce ime
critique? elle est in juste. Est-ce un eloge ? il
n'est pas merite. Condillac est precis, clair et
profond ; Rivarol est verbeux, obscur et super-
ficiei. Du reste, il ecrit avec agrement. Si Ion
trouve souvent de la recherche dans son style,
on y trouve aussi le mouvement, la couleur et le
Ion d'une conversation animee. Mais, quand il
developpe , avec une longueur penible , la serie
des sensations , des idees et du langage , on sent
un homme de beaucoup d'esprit , qui , par nial-
heur, veut enseigner ce qu'il aurait besoin d'ap-
prendre.
Les grammairiens qui se sont occupes de la
science etymologique , se bornant presque tons a
determiner la valeur des racines, out neglige la
valeur precise des prepositions et des desinences.
Le president de Rrosses lui-meme , en expliquant
le mecanismo du langage, avait seulement indique
le travail important qui restait a faire sur ces deux
elemens des mots composes. Ce travail a fait I'ob-
jet des recherches de M. Butet. Apres avoir de-
veloppe , dans sa Lcxicographie , les rapports
materiels qui existent entre la langue latine et la
langue franraise, il a cru pouvoir presenter, dans
son cours de Lexicologie , nnc methode certaine
pour decomposer et recomposer les mots de
plusieurs syllabes, conlormement a I'analyse des
CHAPITRE PREMIER. 4t
idees. Ainsi, selou M. Billet, on trouverait la
raison siiffisante de cliaque element ties mots; et
la langue philosophique exislerait, an lieu d'etre
un simple voeu des grammairiensphilosophes. Par
malheur, cette opinion n'est pas demontree. Ce
qui semble evident a M. Butet parait offrir beau-
coup d'incertitude. On lui reproche d'attacher
aux desinences des mots une importance qu'elles
ont rarement. On craint qu'il ne se soit egare ,
en voulant assujettir la grammaire a la marche
rigoureuse des sciences physiques et mathemati-
ques. D'ailleurs, la nomenclature qu'il invente est
d'une etrange complication ; et , pour la faire
adopter, il faudrait prouver qu'elle est necessaire:
ce qui serait un peu difficile. Cependant de pa-
reils travaux ont I'avantage d'exercer I'esprit ; dii
fond meme des obscurites jaillissent souvent des
lumieres inattendues. S'il n'est pas bien sur que
I'auteur ait reussi dans son entreprise, du moins
les recherches penibles qu'il fait encore peuvent
le conduire a des resultats d'une utilite plus in-
contestable.
L'ecrit de M. de Volney sur la simplification
des langues orientales semble, an premier coup-
d'oeil, devoir nous etre compietement etranger;
mais le discours preliminaire suffirait pour le rat-
tacher a notre plan, du moins par le merite du
style. On va voir que le fond des idees I'y rattache
42 LITTERATURE FRANCAISE.
encore davaiitage. L'aiiteiir, partant de cette ve-
rity, que les differens sigiies du langage doivent
representer les differens sons, conroil le projet
d'un alphabet uniqae. II s'agit d'ajouter un petit
nombre de signes indispensables a I'alphabet ro-
main, et, par ce moyen tres-simj)le, de liii assu-
jettir les langues de I'Asie, comme les langues
de I'Eiirope et des deux Ameriques lui sont deja
soumises. Ce projet pent deplaire a quelques hom-
mes qui aiment les sciences occnltes , et qui en
veulcnt jusque dans les langues; mais, d'abord ,
faciliter Tetude des idiomes asiatiques, c'est deja
faciliter nos rapports de commerce avcc I'Asic:
voila done inie vue politique. Voici maintenant
ujie vue de grammaire generale et de la plus haute
importance : a I'aide des memes signes, on com-
pare aisement les divers idiomes ; on decouvre, pour
ainsi dirc^ , leur degre de parente, leur filiation,
leurs analogies, leurs differences essentielles ; la
science etymologique s'eclaire ; la science des idees
s'etend elle-meme. Si , comme I'a judicieusement
observe Gondillac , les langues sont des methodes
analytiques plus on moins parfaites, un alj^habet
univque , gouvernant toutes les langues, pourrail
acheminer I'esprit humain vers une methode inii-
verselle. En simplihant les signes, on rapproche
les langues; en rapprochant les langues, on ra[)-
proche les pcuples. De la se])aration des peuples
CHAPITRE PREMIER. 4'3
est venue la barbarie ; par leur rapprochement ,
la civilisation s'accroit. On conceit, d'apres cet
apercu rapide , qu'il scrait facile de pousser beau-
coup plus loin, jusqu'ou s'etendent les vues d'un
pliilosophe accoutume a diriger toutes ses pen-
sees vers le perfectionnement de I'espece Inimaine.
Les cartes d'Egypte, dressees par ordre du gou-
vernement, doivent etre executees conformement
aux vues de M. de Volney. Uneideeaussi feconde
en resultats ntiles devait fixer I'attention des
hommes d'Etat et des honimes de lettres du dix-
neuvieme siecle.
En cherchant quels furent les progres de I'art
de penser et de I'analyse de I'entendement , on
retrouve plusieurs des hommes qui out perfec-
tionne la grammaire philosophique ; et nous ne
tenterons pas d'expliquer un fait qui tient a la
nature meme de ces sciences. C'est a Racon qu il
faut remonter encore: ce fut lui qui, des le com-
mencement du dix-septieme siecle, rejeta, comme
inutiles aux progres de I'esprit humain, la logi-
que et la metaphysique des ecoles ; lui qui fraya
des chemins nouveaux ; qui montra le but verita-
ble, et signala tous les ecueils. Hobbes, disciple
de Racon , fut substantiel , profond et concis dans
son Traite de la nature humaine , et plus encore
dans salogique, appelee Calcul. Descartes, dans
sa methode , en etablissant le doute comme base
44 I.1TTERATURE FKANCAISE.
iiecessaire de I'cxamen , en exigeaiit I'evidcnce
comme signe indispensable de la verite , fonda
|)arnii nons la saine logique. En metapliysiquc , il
erra, faute d'avoir suivi lui-meme les regies sures
qu'il avait determinecs. Arnauld et Nicole , vingt
ans apres , composerent cet art de penser si cele-
bre sous le iioni de Logique de Port-Royal^ livre
sage et bien ecrit, ou quelques erreurs du temps
sont rachetees par des verites de tons les siecles.
IMalebranche decouvrit les pieges qui nous sont
tendus par nos sens et les reves de notre imagi-
nation ; mais cette imagination qu'il redoutait ,
I'egarant par une route contraire, Fentraina dans
un spiritiialisme inaccessible a la raison liumaine.
L'universel Arnauld , durant ses longues discus-
sions avec Malebranclie , remua plutot qu'il n'e-
claira ces tenebres metaphysiques. liuffier, quoi-
que jesuite, se permit quelque philosophic dans
sa Logique et dans sa metaphysique. Dumarsais,
quoique philosophe , mit peu d'idees dans sa lo-
gique. Elle est courtc; mais elle est vide et toute
scolastique, indigne de lui. II s'y occupe fort dn
syllogisme, et commence par bien etablir la (hf-
ference qui existe entre I'ange et Tame humaine.
Vers le meme temps parut une traduction dii
grand ouvrage de Locke. On repoussa la nouvelle
doctrine; et les idees innees, si bien refutecs par
le sage Anglais , prevalurent encore en France
CHAPITRE PREMIER. 45
jusqu'au milieu dii dernier siecle, epoque memo-
rable pour la philosophie. Alors Condillac publia
cette belle tbeorie ou , supposant uue statue ani-
mee, isolant cbacun de nos sens, les combinant
deux a deux, trois a trois, tous ensemble, de-
convrant les sensations que produit chaque sens
isole, celles qui resultent des sens diversement
combines et enfin de tous les sens reunis, il
decrit, avec une precision si methodique et si lu-
mineuse, Thistoire naturelle de nos idees. Ce fut
vingt ans apres que le meme philosoplie donna
sa logique , I'une des plus courtes , la plus substan-
tielle que Ton ait jamais ecrite , et peut-etre son
meilleur ouvrage apres la Tbeorie des sensations.
L'essai analytique et la Psycologie de Charles Bon-
net sont remarquables par une sagacite profonde,
mais qui souvent degenere en subtilite. Helvetius
ne fut pas inutile au progres de I'analyse et de
I'entendement. Inferieur a Condillac pour la me-
thode et I'exactitude, il a plus de hardiesse dans
les conceptions, et plus de mouvement dans le
style. Son livre de I'Esprit et son livre de I'Homme
renferment d'utiles verites; ils contiennent aussi
des paradoxes. On y trouve , par exemple , que
tous les hommes seraient egaux en facultes inlel-
lectuelles, s'ils etaient egalement secondes par
I'education. Des raisons physiques, et par conse-
quent tres- puissantes , semblent dementir cette
46 LITTERATURE FRANCAISE.
idee, qu'Helvetiiis reproduit sans cesse. Mais, si
c'est line errenr, elle est encore philosophique. 11
n'y a qii'un ami de riiumanite, qui se trompe ainsi.
La classe qui, dans la premiere organisation de
rinstitut,etaitspecialementconsacreeanx sciences
morales et politiques leur a donne beauconp d'es-
sor. Nous anrons Toccasion de le remarquer ail-
leurs; et deja nous trouvons ici plusieurs ouvrages
qui furent composes sous ses auspices. Ce fut elle
qui proposa pour sujet dun prix cette double
question, belle a resoudre, et qui n'etait pas d'une
mediocre etendue : Determiner quelle fut Vin-
fluence des signes sur V acquisition de nos idees et
la formation de nos connaissances ; recherchev
quelle influence le peifectionnement des signes
pourrait exercer a Vavenir sur les progres de V es-
prit humain. Le prix fut obtcnu par M. de Ge-
rando, dont le Memoire, plein de merite, est
devenu bientot un livre considerable, grace aux
nombreuses additions dont il a crn devoir I'en-
ricbir. II y traite amplement les questions acces-
soires qui viennent se rattacber en foule aux deux
questions principales. 11 expose, dans la premiere
partie , comment les signes naturels reveillent en
nous les idees sensibles , sans nous donner toute-
fois une seule idee abstraite; et comment les
signes artilicieis, c'est-a-dire les signes du Ian-
gage, etendent les facultes de I'entendement , et
CHAPITRE PREMIER. 47
completent , par degres, la pensee humaine. Dans
la seconde partie , il part de ces observations po-
sitives pour arriver a des resultats encore incon-
nus. II examine de qnelles applications nouvelles
les signes, en general, sont susceptibles ; enquoi
les signes du langage peiivent etre perfectionnes ;
par quelle route il est possible d'atteindre a une
langue philosophique , dont tous les mots auraient
une acception rigoureuse, dont tous les elemens
seraient formes d'apres des lois invariables , et
mis en mouvement selon la marche des idees
memes. Concevant neanmoins les difficultes sans
nombre qu'eprouveraient, a cet egard, des re-
formes tentees a fond , il revient a penser , avec
Leibnitz , qu'il ne faut pas chercher la perfection
du langage dans I'invention de nouveaux idiomes,
mais dans I'art de connaitre et de conserver la
valeur des mots, en se bornant aux langues ad-
mises. II ne s'agit point d'ecarter les nomencla-
tures speciales dont les diverses sciences peuvent
avoir besoin pour se faire entendre. Rien de tout
cela n'altere les langues; et jamais il ne faut les
alterer. Mais, dira-t-on, suffisent-elles? Oui, sans
doute , a ceux qui les savent. En pbilosopbie ,
comme en tout le reste, la solution du probleme
ne consiste qua bien ecrire.
Apres ce livre estimable, ou M. de Gerando a
developpe les rapports des signes et de Fart de
48 LITTERATURE FRANCAISE.
penser , nous devons citer honorablcmenl un
autre oiivrage moins etendii, mais digne encore
d'atlention, et couronne , il y a sept ans, par la
seconde classe de I'lnstitut : il a pour sujet et
pour titre : V influence de lliabitude surlafacidte
de penser. La matiere est riche. L'homme tient
de riiabitude ce qu'il salt et ce qu'il croit savoir ;
d'elle seule viennent toutes nos connaissances ;
d'elle seule aussi tons nos prejuges. C'est avec
beaucoup d'art, et meme avec beaucoup de cir-
conspection, que Tauteur, M. Maine-Biran , rap-
prochant Tideologie de la physique , a traite ce
sujet, non moins fecond que difficile, et qui
pouvait conduire a ties questions d'une haute
importance , mais dont les academies sont con-
venues de s'abstenir.
M. Laromiguiere , a qui nous devons la seule
edition complete qui existe de Condillac % a pu-
blic d'excellentes reflexions sur la Langue des
Calculs, ouvrage posthume de ce philosophe ce-
lebre. Deux memoires imprimes dans le recueil
de I'lnstitut , le premier sur les mots analyse des
sensations ., le second sur le mot idees ^ ne font
pas moins d'honneur a M. Laromiguiere. Il est
I. OEuvREs COMPLETES DE CONDILLAC , imprinK'es sui-
les manuscrits autogrnplws de rauteur; 9.3 volunics in-8°.
Paris, Guillnume , libiaire, rue Hautefeuille, n° i4-
CHAPITRE PREMIER. 49
thi iiombre des liommes les plus eclaires parrai
ceiix qui aujourd'hui cultivent en France I'ana-
lyse intellectuelle. 11 est encore du tres- petit
nombre des ecrivains qui eciaircissent les idees
abstraites , et qui savent les rendre sensibles par
la justesse des expressions, le melange heureux
des images, Felegance et la couleur dsi style.
La Logique de Marmontel est loin de valoir sa
Grammaire. Ce qu'il y a de mieux est tire de la
Logique de Port-Royal. Quoique Marmontel en
critique avec raison quelques details, c'est la qu'il
parait avoir borne ses etudes dans la science ; et ,
pour celameme, son livre est aussi inferieur aux
lumieres actuelles que le livrc d'Arnauld et de
Nicole etait superieur aux lumieres du temps. Ce
qn'ilyad'etrange, c'est que Marmontel se declare
formellement en faveur des idees innees. II repri-
mande, a cette occasion, ce qu'il appelle les
nouveaux docteurs. II oublie, sans doute, qu'il
s'agit de tons les philosophes qui out ecrit avant
Descartes, de tons ceux qui ont ecrit depuis
Locker, de tons: car un homme, dont la doctrine
a beaucoup de vogue aujourd'hui , du moins en
AUemagne, Rant, en alterant les principes de
Locke, n'admet pourtant pas des idees indepen-
dantes de nos sensations. Marmontel oublie sur-
tout qu'il faut compter , parmi les nouveaux
docteurs, son maitre et son ami Voltaire, qui
OEuvres posthuincs. Til. 4
5o T.ITTFJIATURE FRANCAISE.
soiivent a ri cles idees innees, et qui, sans doiite,
aiirait ri bieii davantaoe , s'il avait pii voir un de
ses disciples renouveler, a la fin dn dix-huitieme
siecle, cette reverie cartesienne. On a lieu de
s'etonner qu'iin homme de lettresquia jouid'une
renommee legitime a plus d'un egard , un secre-
taire perpetuel de 1' Academic francaise, fut si
arriere sur des matieres de cette importance. Le
volume intitule Metaphjsique porte le meme ca-
ractere.C'estlevieuxnom comme lavieille science;
ef, si vous en exceptez la derniere lecon, qui ren-
ferme une analyse incomplete et superficielle des
lacultes de I'entendement, Touvrage roule tout en
tier sur Texistence de Dieu et sur la nature de I'ame.
L'auteur repond aux athees ce que les hommes les
plus religieux on les pins sages leur avaient re-
pondu cent fois. Parmi les chretiens, Pascal, dans
ses Pensees; parmi les deistes, Voltaire, dans le
Dictionnaire philosophique , avaient agite ces ques-
tions delicates avec plus de precision, de profon-
deur et d'interet. II faut bien meler un eloge a ces
critiques nomhreuses, mais que la verite nous ar-
rache. Sous un seul aspect, ces deux volumes de
Marmontel meritent quelque estime : ils sont bien
c'crits; et, si les idees n'y sont jamais celles d'un
jihiiosophe, le style en est toujours celui d'un tres-
bon academicien.
Des vues bien autremeut prolondes caracteri-
CHAPITRE PREMIER. Sr
sent les Elemens d'Ideologie que M. de Tracy nous
a donnes. L'homme commence par eprouver des
sensations; de la ses idees naissent, et se lient en-
semble. C'est toutefois apres avoir invente les si-
gnes du langage, et meme perfectionne la parole,
qu'il fait un art de la pensee, qu il remonte ensuite
a I'origine de ses idees, et qu'il parvient a se rendre
un compte methodique des sensations qui les pro-
duisent. Telle est la marche de I'esprit humain;
mais, en traitant des sciences ideologiques, M. de
Tracy a cru devoir suivre la marche que la Nature
suit dans Thomme, long-temps a Fincu de Thomme
lui-meme. Le premier volume de son ouvrage est
done consacre a I'ideologie proprement dite. II y
explique comment, penser ou sentir etant pour
nous la meme chose qu'exister, la faculte gene-
rale de penser renferme diverses facultes elemen-
taires qui composent l'homme tout entier : la sen-
sibilite ou la faculte d'eprouver des sensations; la
memoire ou la faculte de se ressouvenir des sen-
sations eprouvees; le jugement ou la faculte de
trouver des rapports entre nos perceptions; la
volonte ou la faculte de former des desirs. M. de
Tracy, exposant sous de nouveaux points de vue
cette theorie de I'existence, fait voir comment
l'homme se meut par sa volonte, comment agis-
sent ses facultes intellectuelles, comment ses idees
sent representees par des signes vocaux ou ecrits.
. 4.
5^ L1TTER.4TURE FRANCAISE.
La nait la grammaire generale; elle est I'objet du
second volume. L'auteiir etablit les principes com-
mnns a toutes les langues, decompose les elemens
(le la proposition, parcourt les divisions de la syn-
taxe, et finit par examiner ce que serait une langue
parfaitc dans le sens logique, Cette question cu-
rieuse, mais au fond moins importante par elle-
memcque parses applications aux langues usuelles,
est reduite a des termes precis, qui lui font acquerir
une extreme clarte. M. de Tracv, dans son troi-
sieme volume, enseigne la logique; et, certes, ce
n'est pas la logique de I'ecole. II recherche quelle
est pour nous la cause de toute certitude, et 11 la
trouve dans la certitude meme de nos sensations
actuelles; quelle est la cause de toute erreur, et il
la decouvre dans Fimperfection de nos souvenirs.
Nos faux raisonnemens viennent, selon lui, de ce
que nous croyons voir dans nos idees ce qu'elles
ne renferment pas; et la logique n'est autre chose
que I'examen exact et complet des differens rap-
ports qui existent entre nos differentes percep-
tions. De la suit I'inutilite absolue des formes syl-
lof^istiques, et de ces regies etroites si long-temps
prescrites a I'art de penser. Apres avoir developpe,
dans les trois parties de son livre, la formation,
I'expression, la deduction des idees humaines,
M. de Tracy dessine le plan d'un livre plus vaste
encore, qui serait le complement du sien, et dont
CHAPITKE PREMIEK. 53
il recommaiide rexecutiou aiix philosoplies qui
ont approfondi les sciences ideologiques, mais
qua ce titre nul assurement n'est plus en etat de
faire que lui-meme. SesElemens sont pleins d'idees
saines, on peut aj outer, pleins d'idees neuves. Ce
serait deja beaucoup que d'avoir habilement ras-
serable des veriles eparses, mais connues. L'auteur
fait davantage : il combat les erreurs ou el les sont,
dans les auteurs, dans les ecrits cju'il estime le plus;
soit dans Beauzee, imaginant sa theorie du verbe;
soit dans Condillac, tracant I'analyse de la pensee;
soit dans la logique de Hobbes, que M. de Tracy a
neanmoins completement traduite; soit dans les
nombreux ouvrages qui forment la grande reno-
vation de Bacon. Tout en observant et les egards
que reclame le merite, et le respect que Ton doit an
genie, il ne reconnait d'autorite sans appel que I'au-
torite de la raison rendue evidente par I'examen;
car il n'est point de ceux qui refusent d'examiner
les idees vraies ou fausses que, suivant I'energique
expression de Hobbes , ils ont authentiquement en-
registrees dans leur esprit. II taut done rendre jus-
tice au beau monument de philosophic ration-
nelle eleve par M. de Tracy : c'est un des grands
ouvrages de I'epoque; ct c'est la qu'il faut recourij-
pour constater le point de hauteur ou la science
est parvenue. ;
M. Cabanis, a qui est dediee la Logique de son
5/} LITTERATUHli FJUNC:A1SE.
ami M. tie Tracy, est lui-meme im cles philoso})hes
(lont les travail X ont le plus honore les deniiers
temps. Des verites iuniineiisesremplissentlesdouze
Memoires (jiii composeiit son livre sur les rapports
till physique et clu moral tie I'liomme. L'auteur com-
mence par observer que I'etutle tie I'homme moral
n'offre que des hypotheses plus ou moins incer-
taines, quand elle cesse d'etre lit^e a I'etude de
I'homme physique. Locke et ses successeurs ont
rapproche ces deux etudes; mais elles doivent etre
encore plus intimement unies; et la seconde est
la base invariable sur laqnelle il faut replacer I'e-
difice entier ties sciences morales. Tel est le but
que M. Cabanis s'est propose dans son ouvrage;
et ce but est pleinement rempli. Le premier Mt3-
moire determine avec prt^cision I'indissoluble al-
liance qui exisle entre I'organisation physique de
I'homme et ses facultt^'s intellectuelles. Les nerfs
sont les organes de la sensibdite; le cerveau, ou
centre cert^bral, est I'organe special tie la pensee.
Les tleux Mtimoires suivans sont consacres a I'his-
toire physiologique des sensations; et la des faits,
exposes avec methode, tlemontrent les verites qui
tltija se trouvaient etablies par ties considt^rations
gt3nerales. De nouveaux tleveloppemens se pre-
sentent en ftmle : tout, dans la nature, est mis
en mouvement, dticompose, recompose, tletruit
et reproduit sans cesse. En suivant la marche que
CHAPITKE PREMIER. 55
suit la jNalure, en examinant I'lin apres i'autre
tous les genres d'inflLience qu'elle exerce sur I'es-
pece humaine, M. Cabanis expose, tlans six INle-
moires, comment nos idees et nos affections mo-
rales sont moditiees par la succession des ages, par
la difference des sexes, par la variete des tempe-
ramens, par les alterations passageres on durables
qui resultent des maladies, par les effets du re-
gime, par Taction puissante du iclimat. Le dixieme
Memoire traite de Tinstinct, raison premiere, qui
enseigne a chaque etre vivant les inoyens de se
conserver; de la sympathie, nouvel instinct, qui
attire I'un \ers I'autre des individus differens; du
sommeil, ou les facultes de I'homme agissent en-
core, mais agissent en desordre; et du delire, qui,
a cet egard, n'est qu'un sommeil prolonge. L'in-
fluence du moral sur le physique est I'objet du
onzieme Memoire : il faut entendre, par cette in-
fluence, Taction de la pensee, dont le siege est
dans le cerveau, sur Tensemble des organes de
Thomme. L'auteur, en terminant son ouvrage,
examine les temperamens acquis, c'est-a-dire, ceux
qui, par des causes accidentelles, out perdu leur
caractere primitif, et sont entierement changes.
Ici, peut-etre, Tordre des idees est un pen inter-
verti : nous croyons du moins que ce douzieme
Memoire devrait etre le dixieme , et venir imme-
diatement apres Texposition des six causes natu-
56 LITTERATURE FRANCAISE.
relies qui modifient riiomme tout entier. En ris-
qiiant cette observation critique, peu grave en
elle-meme, et pourtant la seule que nous ayons a
faire , nous la soumettons , comme un simple doute ,
aux Inmiores de I'auteur, trop habile a-la-fois et
trop sage pour ne pas apprecier ce qu'elle peut
avoir de justesse. Du reste, le plan de son livre
est aussi bien execute qu'il est bien conru; les
questions y sont trait(5es avec profondeur; et le-
legancedu style leur donne autant d'iuteretqu'elles
out d'importance. Aussi la renommee de ce bel ou-
vrage est faite en Europe; elle y doit encore aug-
menter. Plus il sera lu, plus on sentira combien
de sortes de connaissances, combien de genres de
merite il fallait reunir pour appliquer, avec autant
de succes, I'analyse de I'entendement a la physio-
logic transcendante, et Tart d'ecrire a toutes les
deux.
Ce fut une utile institution que celle de ces ecoles
normales, oii les diverses connaissances etaientpu-
bliquement enseignees par des hommes ^minens;
dont les eleves, deja eclaires, choisis dans toutes
les parties de la France , devaient ou pouvaient
etre a leur tour des instituteurs publics. La, point
d'infaillibililc magistrate : I'examen n'etait pas un
privilege; la raison etait sans cesse en exercice;
et de libres discussions, ouvertes entre les profes-
spurs et les disciples, perfectionnaient a-la-fois les
CHAPITRE PREMIER. Sy
disciples et les professeurs. On sait quel eclatant
succes y obtinrent les lecons de M. Garat sur Ta-
nalyse de renteiidement : ce beau travail est im-
prime. Apres un apercu general, unique objet de
son programme, M. Garat decrit la marche his-
torique et progressive de cette science moderne;
il apprecie les differens travaux; il caracterise avec
aiitant d'energie que de justesse , et souvent par des
traits de maitre, les differens genies des analystes
les plus habiles. Tel est le sujet de sa premiere le-
con. Ea seconde est une exposition detaillee du
plan qu'il doit suivre. II divise son cours en cinq
sections : les sens et les sensations, principes de
tout ce qui tient a I'homme; les facultes de I'en-
tendement, moyens dediriger les sens, et de com-
biner les sensations; la theorie des idees ou de
toutes les notions que I'liomme pent acquerir par
les facultes de I'entendement; la theorie des signes
et des langues, c'est-a-dire, de tons les signes na-
turels ou artificiels par lesquels rhomme exprime
les sensations qu'il eprouve, ou les idees qu'il
concoit; enfin la methode, complement necessaire
des quatre premieres parties, puisqu'elle sert a
bien diriger a-la-fois les sens et les sensations, les
facultes de I'entendement, les idees et les formes
du langage. Ee cours de M. Garat fiit interrompu
par cet ascendant des circonstances qui souvent
cmpeche d'acliever, ou de publier d'excellens ecrits.
58 LlTTEUATUllE FRANCHISE.
Puisse-t-il executer aujourd'hui son eiitreprise, et
composer uii traite complet digne de I'introduc-
tion qii'il nous a donnee! La superiority d'esprit
y est renforcee par cette superiorite de talens
quelle ne suppose pas toujours. Toutes deux ecla-
tent, soit dans les brillans portraits de Bacon et
de ses successeurs, soit dans I'exposition de cette
verite singuliere , et pourtant demontree avec ri-
gueur, que les langues furent necessaires non-seu-
lement pour exprimer, mais encore pour acquerir
des idees; soit lorsque, arrive a cette formation
des langues que J. -J. Rousseau ne pouvait expli-
quer sans le secours du merveilleux, M. Garat,
suivant la route qu'avait frayee Condillac, explique
par la nature meme comment les signes, qui, sur
le visage de riiomme, expriment les sensations,
devenant les premiers types des signes artificiels,
amenerent graduellement la plus etonnante et la
plus feconde des inventions humaines: I'ecriture
alphabetique. Eniin, cette centaine de pages ren-
fernie plus didees saines, plus de vues profondes,
plus de substances que tous les gros livres des me-
taphysiciens de la vieille ecole. Le style pliiloso-
phique peut-il etre a-la-fois tres-eloquent et tres-
exact? C'est un des points que M. Garat se proposait
d'examiner dans son cours. La question lui semble
difficile a resoudre : elle Test sans doute; mais, en
ecrivanl, il la rcsout; et, quand on lit de tels ou-
CHAPITRE PREMIER. $9
vrages, il faut bien se decider pour raffirmative.
Une reflexion generale terminera ce cliapitre.
Qiielques savans repoiissent le nom d'ideologie,
uniquement peut-etre parce qii'il est moderne.
Qiielques philosophes n'aiment pas le nom de
metaphysique, et parce qu'il est vague, et parce
qu'il rappelle plutot les antiques tenebres que les
lumieres nouvelles. Le nom d'analyse de I'enten-
dement n'a d'autre defaut que d'etre un peu long ;
analyse des sensations et des idees Test bien da-
vantage: cette denomination, d'ailleurs, ou plutot
cette phrase , offre quelque chose d'inutile , puis-
que les idees, meme les plus abstraites, selon
I'heurense definition de Condillac, ne sont que
des sensations transformees. Quoi qu'il en soit,
et sous quelque titre que se presente la science,
elle est desormais mise a son rang par tous les
hommes qui ont des lumieres; son importance
et son elendue ne sauraient etre serieusement
contestees. Nee en Angleterre il y a deux siecles,
et la seulement perfectionnee durant un siecle et
demi, depuis cinquante ans elle a fait de grands
pas en France; elle en fait encore aujourd'hui.
Base des sciences morales et politiques, principe
de I'art de penser, de I'art de parler, de I'art d'e-
crire, elle s'applique a toutelitterature. Son union
avec la physique est plus intime encore ; et les
calculs niathematiques ne lui sont pas etrangers.
()o LITTERATURE FllANCAlSE.
Comme elle precede par iin examen rigoureiix,
comme son examen s'etend sur I'universalite des
idees humaines, elle affermira les sciences veiita-
bles; ct, malgre plusieurs interets qui s'y oppo-
sent, elle aneantira les pretendues sciences qui
sont au-dessous, ou, si Ton veut, au-dessus de la
raison; car ici les termes semblent contraires;
mais les choses sont identiques.
m-^-'m-m
CHAPITRE II.
Morale, Politique et Legislation.
La Morale, si voiis lui doiinez le sens le plus
elentlu, se trouve clans tons les genres d'ecrire.
Homere et Virgile, Sophocle et Corneille, Tacite
et Guichardin , Cervantes et Richardson abondent
en peintures et en principes de moeurs. Voltaire,
dans ses romans les plus frivoles en apparence,
n'en presente guere inoins que dans sa Henriade,
dans ses tragedies et dans ses histoires; et, sous
ce point de vne general , Moliere et La Fontaine
sont les plus exqnis moralistes. Mais la morale
est ici consideree comme science; et nous parlous
nniquement des ecrits qui n'ont pas d'autre objet
qu'elle-meme. En Grece, elle fut cultivee par tou~
tes les ecoles philosophiques : Pythagore, Socrate
et Zenon I'enseignerent a leurs disciples; et Ton
sait aujourd'lmi qua cet egard la secte epicu-
rienne ne le cedait a aucune autre. Chez les Ro-
mains, I'ecole academique seglorifiait deCiceron,
qui perfectionna la morale en plusieurs ouvrages ,
et surtout dans I'admirable Traite des Devoirs.
Apreslui, Seneque, Marc-Aurele, Epictete, illus-
trerent I'ecole du Portique : la philosophic stoi-
Cri IJTTERATURE FRANCAISE.
cienne, qui niait la doiileur, fleurit en des temps
ou le genre humain diit se resigner a souffrir.
Parmi nous, le beau livre des ^j^^aw se presente
le premier. Sceptique par independance, et non
par systeme, Montaigne y resta libre dans ses opi-
nions comme dans Ics formes de son style, et re-
poussa le joug d'une doctrine invariable autant
que celui d'une langue fixee. Charron, dans le
traite de la Sagesse^ eut plus de metliode que
Montaigne, son maitre; mais il n'eut pas, comme
lui, ce talent original qui renouvelle tout par I'ex-
pression, et qui parait tout inventer. En ecrivant
sur la vertu des paiens, le conseiller d'Etat La
Mothe le Vayer fit eclater une philosophic pen
commune a la cour de J^ouis XIV. De pieux ecrits
furent composes et rassembles par Nicole sous le
nom cVEssais de Morale-^ on les estime encore ,
mais on les lit pen. Les Maximes du misanthrope
La Rochefoucauld se soutiennent par leur brie-
vete pleine de sens. Quant aux Caracteres de La
Bruyere, on les relit sans cesse; et, de tons les
ouvrages en prose du dix-septieme siecle, aucun
ne reunit au menie degre la finesse des pensees,
Toriginalite des expressions, la variete des tour-
nures, la verite satirique des tableaux, et la con-
naissance approfondie de la societe. Peintre in-
genieux des moeurs, ecrivain piquant, quoique
inferieur a La Bruyere, Duclos s'est fait lire apres
CHAPITRE IL . 63
t
Iiii. Mais, en mi genre d'ecrire bien plus eleve,
deux siecles rivanx de gloire ont produit, I'un, le
Telemaque de Fenelon, I'autre XEmile de J.-J. Rous-
seau, chefs-d'oeuvre differens, mais egaux cntre
eux, a qui nul ouvrage de morale ne pent etre
compare chez les nations modernes, ni meme
dans les litteratures de I'antiquite.
Le Belisaire de Marmontel, sans les egaler a
beaucoup pres, les suit du moins avec honneur.
Ici nous retrouvons Marmontel composant sur la
morale un traite methodique, et dont les formes
sont austeres : c'est le dernier volume des Lecons
d'un pere a ses enfans^ et le meilleur apres celui
qui porte le nom de Grammaire. La lecon sur la
morale evangelique rappelle, quant au fond des
idees , la fameuse Profession de foi du vicaire Sa-
voyard. Les avantages sont compenses : Marmon-
tel est plus orthodoxe, et J.-J. Rousseau plus elo-
quent. Le traite dont nous parlons est encore
enrichi de tres-beaux passages, tires des ouvrages
philosophiques de Ciceron : ils sont fid element
rendus; et toujours on y trouve cette correction,
cette elegance, cette harmonic qui n'abandon-
naient guere Marmontel quand il ecrivait en prose.
L' influence des passions sur le honheur des in-
di^fidus et des societes civiles offrait aux mora-
listes un beau sujet, que madame de Stael a traite
d'une maniere brillante. Quoique divise en trois
G4 LITTEIUTURE FRANCAISE.
sections, son ouvrage est pen susceptible cfana-
lyse ; mais il n'est pas difficile d'en faire sentir les
qualites, et memes les defauts. H y a beaucoup
d'imagination dans le chapitre de i'amour, et plus
encore dans celui de Taraitie. En voulant preser-
ver des passions, madame de Stael est passionnee
dans son style, qu'il nous soit permis d'ajouter:
dans ses jugemens. L'esprit de parti se laisse aper-
cevoir en quelqucs passages, ct surtout dans le
chapitre ou il s'agit de Fesprit de ])arti : on est
fache d'y trouver des lignes etranges sur un homme
diversement celebre. C'est de Condorcet qu'il est
question; et cette phrase equivoque n'est inter-
pretee par aucun eloge. Ses amis assurent, si Ton
en croit madame de Stael, quil aurait ecrit con-
tre son opinion. Voila des amis bicn perfides, ou,
ce qui est plus exact, des ennemis bien injustes.
Condorcet fut sans doute et restera diversement
celebre, puisqu'il etait a la fois habile dans les
sciences mathematiques, profond dans les sciences
morales et politiques, eclaire en litterature, ecri-
vain distingue, philosopho illustre et grand ci-
toyen; mais nul dans ses ecrits ne se montra plus
d'accord avec sa conscience, et plus ouvertement
fidele aux immuables principes dont il a peri mar-
tyr. II est bien vrai qu'il aimaitles vertus, le genie,
les opinions de Turgot; qu'il admirait son admi-
nistration, et qu'il n'avait pas, a beaucoup pres,
CHAPITRE II.
les memes seiitimens pour un ministre clont le
nom n'est pas sans celebrite. x\ cet egard, les
panegyriques exageres peuvent conveiiir a I'amour
jfilial; mais entre-t-il aussi dans ses droits d'incul-
per gravement et sans motif admissible nn des
premiers hommes du dix-huitieme siecle? C'est ce
que nous avons peine a croire. Apres cette obser-
vation, que nous faisons a regret, mais qu'il fal-
lait faire, nous n'examinerons point avec I'auteur
si Newton a plus de juges que le veritable amour,
ou s'il vaut mieux etre Amenaide que Voltaire.
Nous aimons mieux passer aux eloges que merite
I'execution de I'ouvrage : il n'y faut pas cliercher
des theories analytiques, un enchainement rigou-
reux de principes et de consequences ; mais il
presente, comme tons les ecrits de madame de
Stael, des tableaux riches et varies, le besoin et
le talent d'emouvoir, des traits ingenieux, de la
nouveaute dans les expressions, et surtoiit une
extreme independance, soit dans la composition
generale, soit dans le choix et la succession des
idees, soit dans les formes du langage.
Nous devons a madame de Condorcet, veuve
de I'homme respectable dont nous venous de par-
ler, une elegante traduction de la Theorie des seii-
timens moraux ^ premier et celebre ouvrage de
eel Adam Smith, qui depuis a repandu taut de
lumieres sur les principales questions de I'ecouo-
OEuvres posthiinK-s. IH. 5
66 LlTTERArURR FHANCAISE.
mie politique. A la suite de cette traduction , ma-
dame de Condorcet a public des Lettres sur la
sjmpathie. L'ouvrage est court, mais plein de
merite : elie y part du meme principe qu'Adam
Smith, c'est-a-dire , de cette sympatliie, soit gene-
rale, soit particuliere , qui nous fait partager avec
plus ou moins d'energie les sensations de plaisir
on de douleur eprouvees par nos semblables.
Madame de Condorcet n'adopte poiutant pas tou-
jours les opinions duphilosopheecossais; quelque-
fois meme elle le combat avec avantage. Lorsqu'elle
recherche, par exemple, I'origine des idees mo-
rales, an lieu de recourir, comme lui, a un sens
intime que Ton ne definit jamais bien, parce qu'il
est impossible de le bien comprendre, elle trouve
dans notro sensibilite reelle et physique les im-
pressions qui font la moralite entiere, et que
bientot la raison generalise, en etablissant les prin-
cipes invariables du juste et de I'injuste sur la base
eternelle des sensations humaines. Ces lettres,
adressees a M. Cabanis, et digues dc paraitre sous
les auspices de deux noms celebres, sont ecrites,
non-seulement avec nettete, avec finesse, avec
precision, mais encore avec une niethode bien
rare dans les ouvrages des dames qui ont le plus
d'esprit, presque aussi rare dans les livres des
moralistes les plus estimes, de ceux du moins qui,
satisfaits de briller par Teloquence, ou d'exceller
CHAPITRE II. %*
clans I'art de peindre la societe, n'ont point appli-
que a la science des moeurs rinstrument univer-
sel de I'esprit humain : {'analyse de Tentendement.
«Il a pain, sons le litre d'opnscnles philoso-
(f phiqnes, nn petit recneil pen connn, qnoiqu'il
« soit assez remarqnable. II renferme des pieces
« inedites de plusienrs personnes dont les noms
« senls excitent I'interet. Les reflexions de madame
« Dn Chatelet sur le bonheur prouvent a la fois
« nne ame tres-sensible et nn esprit tres-eleve.
« Le petit ecrit de Necker sur le bonheur des sots
« ponrrait etre plus piquant et plus leger sans in-
« convenient. On lit avec plaisir un dialogue sur
« les femmes, compose par I'abbe Galiani, et un
K portrait du philosophe considere en general : il
« est attribue a Dumarsais. Mais on distinofue sur-
« tout dans ce livre deux morceaux de Diderot ,
« qui, depuis, ont ete publics de nouveau dans
« la collection de ses oeuvres. L'un est un dialo-
« gue entre ce philosophe , plus que sceptique ,
« et la marechale de Broglie, dont la piete sincere
« allait jusqu'a la devotion : I'entretien roule sur
« la premiere des idees rcligieuses; les formes du
« style en sont tres-vives, pleines d'originalite,
« de politesse et d'esprit. L'autre ouvrage est plus
« etendu : c'est une suite de dialognes a I'occasion
« du voyage de M. de Bougainville. L'autenr y
« agite avec beaucoup de liberte des questions
5.
(;8 J.ITTERATURE FRANCAISE.
« d'une extreme delicatesse. La se trouvent les
« adieux (run vieiliard otaitien au celebre navi-
« gateur francais : ils contiennent une energique
« apologie de la vie sauvage; et J. -J. Rousseau,
« dans son discours sur Tinegalite des conditions,
« n'a pas de morceau plus eloquent. Apres cet
« ouvrage, sont imprimees de courtes reflexions
K adressees a I'editeur, et signees de lettres inilia-
« les qu'il est inutile d'indiquer. Diderot y est
cc traite d'une maniere infinimentleste jusque dans
« la part d'eloges qu'on vent bien lui faire, Nous
« ne deciderons pas si ce ton d'une superiorite
« railleuse et tranchante outrepasse les droits de
« I'ecrivain ; mais nous croyons que Voltaire n'au-
« rait pas ose se le perniettre, en parlant d'un
« homme tel que Diderot'. »
V emulation est-elle un bon jnojeii cV education?
11 y a huit ans que la seconde classe de I'lnstitut
proposa cette question pour sujet du prix de mo-
rale. Ici la forme problematique etonne un peu ;
elle etait pourtant convenable. Un grand prosa-
teur, dont les ecrits sont pleins de principes lumi-
neux et de brillans paradoxes, avait attaque I'e-
mulation avec tant d'eloquence, qu'il y avait du
I. Les morceaux indiques par des guillemets sont imprimes
ci pour la premiere fois. (Note dr I'jiditeur.)
CHAPITRE 11. 69
courage a la defendre et presque a ia rehabiliter :
c'est ce qua tente M. Feuillet. II profile de ses
avantages, en opposant a I'autorite de Rousseau,
dans ilmile^ I'autorite formellement contraire de
Rousseau, dans I'article Economie A\\ Dictionnaire
encyclopedique. Du reste, prenant la question
dans ses racines, il se demande quel est le but
de I'education. Il s'agit de developper toutes les
facultes des individus, et d'assurer leur bonheur,
en les faisant contribuer au bonheur general ;
mais les facultes individuelles se developpent par
les comparaisons qui s'etablissent entre les diffe-
rens individus : de la nail Teraulation; et, si Ton
veut I'ecarter de I'education de I'enfance, elle se
retrouvera dans I'education de la vie entiere. Cette
emulation n'est autre cliose que I'amour de la
gloire : sentiment naturela tons les hommes, mais
plus ou moins etendu, et diversement dirige. Il est
dangereux dans son exces; il pent suivre de faus-
ses directions ; mais, sans lui, rien de grand, rien
meme d'utile; son influence est necessaire; et,
comme dit Tacite, celui qui meprise la gloire me-
prisera bientot la vertii. Or, si les hommes faits
ont besoin de ce puissant mobile, les enfans se-
ront des hommes faits; et c'est aller contre le but
de la societe, que de vouloir eteindre en eux un
sentiment qui doit les guider durant toute leur
vie. Il reste done demontre que I'education vrai-
70 LTTTERATURE FRANCAISE.
merit sociale est f'ondee sur remulation. M. Feuil-
let developpe liabilement ces v(^rites fecondes; et
son Memoire est digue, a tons egards, du prix
qii'il a remporte. C'est I'ouvrage d'un horame ins-
truit, d'un esprit exerce, d'mi ecrivain sage, et
qui, sur les matieres importantes, est complete-
ment au niveau des lumieres contemporaines.
Deux ouvrages de morale ont ete successive-
ment publies , I'un par IM. de Volney, I'autre par
Saint -Lambert, sous le modeste nom de Cate-
chisme. Quoique rediges par demandes et par re-
ponses, il ne f'audrait pas les confondre avec les
catechismes ordinaires. Pleins tons les deux d'une
raison profonde , ils u'ont entre eux aucune autre
ressemblance ; ce n'est ni la meme composition,
ni le meme genre de talent.
Nous parlerons d'abord de I'ouvrage de M. de
Volney, puisqu'il a paru le premier, 11 a pour titre :
La Loi naturelle , on Catechisme du cilojenfran-
cats. La morale est en effet cette loi qui n'a d'au-
tre but que la conservation et le perfectionnement
de I'espece humaine. L'auteur determine les nom-
breux caracteres qui appartiennent exclusivement
a la loi naturelle. 11 est aise de les reconnaitre :
elle est primitive, c'est-a-dire, anterieure a toute
autre loi : elle emane de Dieu sans aucune inter-
vention particuliere, puisqu'elle se fait entendre
a chaque individu : elle est universelle, puisqu'elle
CHAPITRE IL 71
embrasse tous les temps et tons les iieux : elle est
invariable, puisqu'elle ne modifie jamais ses pre-
ceptes : elle estevidente, raisonnable, juste, puis-
qu'elle est (lemontree a tous, accessible a la rai-
son de tous, conforme a I'interet de tous : elle est
pacifique; en effet, si elle etait observee, toutes
les dissensions seraient bannies de la terre : elle
est bienfaisante ; car c'est uniquement par elle que
chaque homme, chaque societe, Thumanite en-
tiere, pourraient atteindre au plus haut degie de
bonheur dont notre nature soit susceptible : enfin ,
elle est suffisante, puisqu'elle renferme tous les
emplois avantageux des facultes de Thomme, et,
par consequent , tous ses devoirs, M. de Volney
passe ensuite aux bases de la morale, aux notions
du bien et du mal , du vice et de la vertu. 11 dis-
tingue les vertus en trois classes : les vertus indi-
viduelles , ou qui servent a la conservation de
I'individu; domestiques, ou qui sont utiles a la
lamille; sociales,oudont les avantages embrassent
toute la societe. C'est a ces dernieres qu'il doniie
le plus d'eloges et le plus de developpemens. Telle
estl'idee generalede cet ouvrage important, quoi-
qu'il ait pen d'etendue. Les idees en sont serrees;
le style en est ferme; on y remarque ce choix
severe et cette propriete d'expressions dont les
philosophes de I'ecole franraise ont donne tant de
beaux exemples. ■ ., ^ ,. •'
f^
72 LITTERATURE ERANCAISE.
Le Cattchime unwersel de Saint-Lambert n'est
qiriine section de son grand onvrage, intitule:
Principes des inanirs chez toutes les nations^ et
divise en six parties. La premiere, qui a pour titre
Analyse de V Homme ^ est plutot de I'ideologie
que de la morale proprement dite. L'auteur y ex-
plique la nature des sens, celle des sensations les
plus habituelles, et I'origine des passions consi-
derees en general. L'analyse de la femme est Tobjet
de la seconde partie, qui presente une composi-
tion moins severe : c'est une suite d'entretiens de
mademoiselle de Lenclos avec Bernier, eleve du
philosophe Gassendi, et voyageur assez renomme.
Ces entretiens ont de I'interet; et les deux inter-
locuteiu's exposent habilement, soit la maniere de
sentir particuliere aux femmes, soit les nuances
qui distinguent les memes passions en des sexes
dont Torganisation n'est point la meme. Dans la
partie suivante, intitulee la liaison^ ou Ponthia-
mas^ trois mandarins chinois, supposes fondateurs
de la colonic de Ponthiamas, enseignent aux ci-
toyens de leur republique les elemens de la phi-
losophic rationnelle , et font I'education d'un peu-
ple de sages. La quatrieme partie est consacree
au catechisme universel : c'est de bcaucoup la
meilleure de I'ouvrage; peut-etre meme est-elle
sans defaut. Une idee saine et lumineuse y eclate :
les vices sont des passions nuisibles a nous et aux
CHAPITRE II. -^ ^ 73
autres; les vertus sont encore des passions, mais
des passions utiles a rhomrae et a ses semblables.
L'auteur definit, denombre, caracterise avec saga-
cite les passions vicieuses et les passions vertueu-
ses.L'introduction, les six dialogues, les preceptes,
le chapitre sur Fexamen de soi-meme, tout est
sagement pense, noblement ecrit. On a done bien
fait d'imprimer a part le Catechisme universel :
il est a liii seul un livre classique; mais peut-
etre eut-on mieux fait encore d'y joindre le com-
mentaire , qui forme la cinquieme section de I'ou-
vrage entier. La sont developpes les principes du
catechisme; et d'ingenieuses fictions, des recits
piquans, des contes agreables, rendent sensible et
facile I'application de ces principes. L'analyse his-
torique de la societe compose la sixieme partie :
c'est encore de la morale, mais de la morale pu-
blique dans ses rapports avec la politique gene-
rale et avec Fhistoire des plus celebres societes
civiles. L'auteur semble attacher beaucoiip de prix
a cette analyse; et ce serait en effet la partie la
plus importante de son travail, si elle atteignait
le degre de perfection dont elle est susceptible ;
mais, il faut I'avouer, on y sent plus qu'ailleursla
main de la vieillesse , peut-etre aussi Tinsuffisance
des etudes. Il n'y a point assez de profondeurdans
les theories, ni meme assez d'exactitudedans I'ex-
position des faits, quoique l'auteur evite les de-
74 LHTERATLRE FRANCAISE.
tails : on y trouve neanmoins d'excellens nior-
ceaux. Si nous considerons maintenant le livre de
Saint-Lambert dans I'ensemble de son execution ,
nous y louerons d'abord, non lachaleur des mou-
vemens, I'energie des expressions, mais la purete
continue, la politesse exquise et lelegante sou-
plesse du style. Les diverses parties pourraient
etre plus intimement liees entre elles; mais elles
sont homogenes quant au fond de la doctrine; et
cette doctrine, qui n'est ni trop relachee, ni tro{)
severe , n'a d'autre base que la nature de I'homme ,
d'autre objet que son bonheur. Une chose est
surtout digne de remarque : la raison ne plie de-
vant aucun prejuge dans cette belle production,
qui lait lionneur a la fin du dix-luutieme siecle.
Au moment oii elle parut, les palinodies etaient
a la mode, au moins chez certains litterateurs ac-
cuses bien injustement, il est vrai, du crime de
philosophie. Autrefois, sans doute, ils avaientfait
semblant d'etre philosophes, mais uniquement
pour leur interet; c'etait encore pour Ini qu'ils
changeaient de langage. lis croyaient venger par
I'apostasie leur vanite mecontente; ils se flattaieut
memo d'acquerir de I'importance, d'arriver a la
fortune, d'atteindre aux places; et, dans cet es-
poir, ils midtipliaient chaque jour des abjurations
hypocrites, qui les couvraient de ridicule et ne
trompaient que leur ambition. Saint-Lambert, en
CHAPITRE 11. 75
publiant son livre , n'examina point les temps ,
mais les choses; il ne s'occupa ni d'etre hardi,
ni d'etre timide : il fut vrai. Dans un excellent dis-
cours prelim in aire, il rendit hommage a la me-
moire de Voltaire et de Montesquien, d'Helvetius
et de Condillac. II convenait a ce vieillard hono-
rable de proclamer, en expirant, la verite qu'avait
cherie sa jeunesse; de rester fidele aux hommes
illustres dont il avait ete I'eleve et I'ami; de res-
pecter enfin, dans les souvenirs du dix-huitieme
siecle, une gloire qu'il avait vne croitre, et qu'il
avait lui-meme augmentee. '
C'est a I'immortel cliancelier de L'Hospital que
remontent parmi nous les sciences politiques. Les
lois , les edits, les ordonnances qui emanent de
lui meritaient de paraitre sous les auspices d'un
autre prince que Charles IX. Le regne ou les lois
furent le plus violees n'en est pas moins I'epo-
que d'un grand perfectionnement dans notre le-
gislation. Dumoulin surtout y contribua par ses
travaux ; et le plus eclaire des jurisconsultes fran-
cais seconda le plus illustre chef qu'ait jamais eu
la magistrature. Dans les premieres annees du
regne suivant , Hubert Languet, prenant le nom
de Junius Brutus , ecrivit en langue latine un
traite celebre , qu'il traduisit lui-meme en francais
sous ce titre, qui en fait assez connaitre lirnpor-
tance : De la puissance legitime du prince sur le
7G LITTERATURE FRANCAISE.
peuple , et da pcuple sur le prince. Ce fut dans
le menie esprit que La Roetie , immortalise par
son ami Montaigne, composa son Discours cle la
Servitude volontaire. Un pen pins tard parut
Rodin, qui, dans son Traitc de la Republique,
adopta souvent les idees d'Aristote, et fournit
lui-meme quelques idees au plus beau genie dont
puissent se glorifier les sciences politiques , a
Montesquieu. Au commencement du dix-septieme
siecle , les Economies royales de Sully, vers la fin
du regne de Louis XIV, les Memoires des inten-
dans de province, et ensuite X'd.Dune rojale^ ecrile
par Roisguilbert , sous la dictee du marechal de
Vauban , jeterent progressivement quelques lu-
mieres sur I'economie pidjlique. Lamoignon, dans
ses Arretes , d'Aguesseau, dans beaucoup d'ou-
vrafi^es , eclairerent la legislation civile. Sous la
r^gence , de nombreuses questions politiques fu-
rent discutees par Tabbe de Saint-Pierre, homme
vertueux , que Ton crut devoir punir pour n'avoir
j)oint flatle I'ombre de Louis XIV.
Les combinaisons du systeme de Law, et les
malheurs qu'il entraina, fixerent I'attention sur
tout ce qui interessait le credit public, le com-
merce et Tagricullure. De la les ecrits de Melon ,
secretaire du regent , et les ouvrages de nos pre-
miers economistes. Rientot Montesquieu deploya
dans toute son etendue ce genie politique qui lui
CHAPITRE II. 77
avait devoile les causes de la grandeur et de la
decadence des Remains. Les diverses parties de
la science legislative furent embrassees, liees, co-
ordonnees dans le vaste plan de ^Esprit des Lois :
livre seme de quelques erreurs , afin , sans doute,
que Ton put y reconnaitre la main d'un homme ,
mais precis , profond , eloquent , et , parmi les
productions philosophiques , celle qui doit le plus
long-temps influer sur les destinees de Tespece
humaine. Un esprit du meme ordre, J. -J. Rous-
seau , developpa dans le Contrat Social quelques
liautes verites qui, avant lui , n'etaient qu'entre-
vues. En ecrivant sur le gouvernement de Polo-
gne , il exposa des principes moins eleves , mais
d'une application plus facile. Mably, que nous
retrouverons parmi les liistoriens , analysa les
traites qui formaient alors le droit public de I'Eu-
rope : du reste , admirateur passionne des institu-
tions de Sparte et de Rome, attache avec scrupule
aux doctrines de I'antiquite , il ajouta peu d'idees
a la science ; mais il la servit par une foule d'e-
crits estimables , et surtout par ses Entretiens de
Phocion , ou , bien different de Machiavel , il rat-
tacha la politique entiere a I'inalterable morale.
Le Traite des Delits et des Peines , public en
Italic, avait fait examiner en France notre legis-
lation penale : elle etait alors bien vicieuse. Les
proces de Galas, de Sirven , de Montbailly, de
78 LITTERATURE FRANCAISE.
Labarro, exciterent I'interet et I'effroi. Un grand
homme, qui les rendit encore plus celebres, Vol-
taire , que Fon retrouve sur toutes les routes de
la gloire, et qui ne declaigna rien d'utile aux hom-
mes, devint le commcntateur de Beccaria, Quel-
ques magistrals eclaires repondirent a ce signal,
et sur tout le celebre avocat-general Servan. Apres
lui, Dupaty s'honora dans la meme carriere par
ses talens et par son ouvrage. Nous parlous des
ecrivains, des phiiosophes, et non pas des crimi-
nalistes. Les Considerations sur les Finances ^ par
Forbonnais, d'excellens ecrits de Turgot, le livre
important de Necker, et ses discussions avec Ca-
lonne , r^pandirent des clartes nouvelles sur le
revenu public et sur I'administration. Mirabean ,
depuis si renomme a I'Assemblee constituante,
donna, durant les dix annees qui la precederent,
nn grand nombre d'ecrits politiques, parmi les-
quels on distingue le livre sur les Lettres de ca-
chet , d'austeres Conseils aux republicains des
Etats-Unis sur I'ordrc de Cincinnatus, la Lettre
aux Bataves sin* le stathouderat, la Lettre a Fre-
deric-Guillaume, qui occupait le trone qu'avait
rempli Frederic-le-Grand; enfin I'Essai sur le des-
potisme : ouvrages qui fonderent et qui garan-
tissent la reputation de cet energique ecrivain.
On ne doit pas citer avec moins d'eloges XEssai
sur les privileges^ premiere production de M.Sieyes,
CHAPITRE IT. 79
ou s'annoiiraient avec eclat les talens qu il a de-
puis developpes.
La premiere annee de la revolution franraise
vit eclore uiie multitude de brochures ephemeres
sur tous les objets dont les representans de la
nation pouvaient s'occuper ; elle produisit en
meme temps un petit nombre de morceaux pre-
cieux , et que I'oubli ne menace point. Entre ces
ecrivains , alors empresses a former un esprit pu-
blic, M. Sieyes est, sans aucun doute, celui qui
s'est fait le plus remarquer par la hauteur et
I'etendue des conceptions. Nous n'avons point a
parler en ce moment de ses travaux dans les as-
semblees nationales ; mais , depuis I'Essai sur les
privileges, et quelques mois avant la reunion des
etats-generaux , trois de sesecrits, paraissant pres-
que a la fois, obtinrent un succes memorable.
Ici, recherchant dans la nature des choses ce
qu'etait ce tiers-etat , si long-temps avili par son
nom meme, et jouet de I'orgueil feodal, il y trouva
tous les elemens dont une nation se compose,
et demontra cette verite avec une dialectique de-
sesperante pour les prejuges oppresseurs. La, exa-
minant comment une sage execution pent realiser
de sages theories, il indiqua les moyens de ga-
rantir la dette publique, ceux d'assurer la per-
manence etla liberte des legislateurs , ceux encore
d'asseoir limpot sur des bases constitutionnelles.
X
8o LITTERATURE FRANCAISE.
I .e plan de deliberations pour les assemblees de bail-
liages presente, sous un titre modeste,un veritable
plan de travail pour I'assemblee celebre qui devait
regenerer le peuple fran^ais, en lui dounant una
constitution. Sans etre exempts d'opinions hasar-
dees, ces trois ouvrages ont fait avancer la science
de I'organisation sociale ; et Ton y voit expose tout
le systeme representatif , jusqu'alors incomplete-
ment connu par ceux memes des philosophes qui
en avaient le mieux senti rexcellence. On sent
qu'il nous est impossible d'entrer ici dans les de-
tails qu'exigeraient de tels ecrits ; il y a plus : nous
ne tenterons pas d'en suivre exactement la marche.
Ce n'est pas qu'ils manquent de methode : ils en
ont beaucoup au contraire ; et le premier surtout
doit etre compte parmi les cliefs-d'oeuvre d'ana-
lyse. Ce n'est pas qu'ils soient peu importans ;
c'est bien plutot parce que les questions que I'au-
teur y traite n'ont pas cesse d'etre importantes, et
qu'elles sont devenues tres-delicates. Au moins est-
ce un devoir en toute circonstance que rendre jus-
tice au merite eminent et varie qu'il y fait briller
sans cesse. 11 pense avec energie, avec profondeur,
avec originalite; dans chaque phrase il dit quel-
que chose , presque toujours quelque chose de
neuf ; et, sans paraitre songer au style, il est ecri-
vain superieur; car son expression franche et ra-
pide a toutes les qualites de sa pensee.
CHAPITRE II. 8r
Les diverses parties de I'economie publiqiie ont
et€ depuis vingt ans et sont encore aujoiird'hiii
cultivees par des homines habiles. C'est ici que nous
croyons devoir indiquer les travaux de M. Lebrun.
lis ont honore I'Assemblee constituante etle Con-
seil des anciens; mais ils tiennent a la haute admi-
nistration ; et d'ailleurs ils offrent plutot les formes
generates de I'artd'ecrire que les formes speciales
de I'art oratoire. Au reste, on y trouvel'empreinte
d'un talent exerce de bonne heure , et nourri de
connaissances profondes sur tout ce qui tient aux
finances. Quelques rapports de M. Barbe-Marbois
au Conseil des anciens sont du meme genre et du
memeordre.JNI.RoedereretM.DupontdeNemours,
que nous retrouverons tons deux comme orateurs ,
doivent deja trouver place en ce chapitre : Fun ,
pour quelques bonnes dissertations inserees dans
son Journal d'Economie;rautre,pour un ecrit sur
la banque, ouvrage assez recent encore, et dont il
nous conviendrait pen de discuter le fond, mais
dans lequel il serait injuste de ne pas reconnaitre,
et les lumieres utiles d'un ami de Turgot, et ces
tournures ingenieuses qui , partout et speciale-
ment dans les matieres graves, n'appartiennent
qu'aux ecrivains fhstingues. -•■ ■ -
Les Elemens cV Econornie politique^ publics par
M. Garnier, sont dignes d'estin)e a beaucoup d'e-
gards; et,si Ton j^eut reprocher quelque chose a
OEuvres postbuines. III. t)
82 LUTERAlUHb: I'HAMCAJSE.
laiiteiir, c'est d'avoir reuouvele iin peu taid plii-
sieurs opinions des economistes , opinions long-
temps (ligncs d'etre examinees, maintenant decre-
ditees par les resiiltats memes de I'examen, surtout
depiiis I'ouvrage d'Adam Smitli sur les sources
de la richesse des iialions. M. J,-B. Say, dans son
Traite d' Economie politique, a snivi des routes plus
sures , et fourni une carriere plus etendue. II
ecarte, a I'exemple de Smith, ces theories syste-
uiatiques dont I'effet infaillible est de tout con-
londre en voulant tout assujettir a une senle idee
generate. En observant la marche naturelle des
richesses, il expose clairement de quelle maniere
elles se produisent, se distribuent et se consom-
ment. Son ouvrage est divise en cinq livres : le
premier concerne tons les produits que pent creer
I'industrie humaine; le second, la monnaie metal-
lique , on I'auteur voil , non pas un signe represen-
tatif, non pas une mesure commune, mais une
marchandise veritable, et qui, par des conven-
tions nniverselles, pent s'echanger a volonte con-
tre toutes les autres marchandises; le troisieme
livre est relatif a la propriete , de quelque nature
qu'elle soit; M. Say, dans le quatrieme, examine
comment se determine la valeurdes choses, c'est-
a-dire le prix qu'elles atteignent quand on les
echange avec la monnaie; le rinquieme livre,
enfni, traite de tons les genres de consomma-
CHTAPITRE II. 33
tions; et, dans cette partie importante de son tra-
vail , Tauteur , en approuvant les consommalions
indispensables , en louant les consommalions
utiles a la reproduction (car il en est de cette
espece), blame et regarde comme onereuses pour
la societe entiere les consommations steriles de
Xorgueil , ce rnendiant qui crie aussi haut que le
besoin^ selon Tenergique et singuliere expression
de Franklin. Ce n'est pas que M. Say soil parti-
san des lois somptuaires et des diverses prohibi-
tions. Un ouvrage ou Findependance des facultes
industrielles est regardee comme necessaire pour
entretenir et augmenter la richesse publique ne
saurait meme etre favorable au system e reglemen-
taire qui enchaine et ne regie pas I'industrie. En
nousresumant, M. Say, moins profond que Smith,
moins habile a saisir des rapports eloignes et noin-
breux , est aussi plus methodique , plus facile
a suivre, et ne se permet pas, comme lui , de
frequentes digressions. Soigneux d'eviter les ques-
tions de politique, celles meme de commerce ou
de finances, il se borne aux principes de Feco-
nomie proprement dite. Son traite lui fait beau-
coup d'honneur : orne avec sagesse, le style en
est sain comme la doctrine; et, de tons les livres
composes en francais sur la science economique,
c'estle pins complet sans contredit, nous croyons
pouvoir ajouter, le plus instrnctif.
(J.
8/, LITTtlRATLRK FRANCAISE.
\jEssai sur Ic rc\-ena public est essentiellement
iiri livre de finance, sans etre tontefois etranger a
reconornie politique. M. Ganilh, auteiir decetou-
vrage,y recherche comments'est compose lerevenu
piibhc chez les pen pies anciens et chez les penples
modernes. C'est avec une attention speciale qu'il en
suit les progres en France eten Angleterre, contrees
oh, depuis deux siecles, les charges des contri-
buables n'ont cesse d'augmenter avec les besoins du
gouvernement. Apres avoir traite de la legislation
et de I'administration du revenu public, deux choses
qu il regarde cornnie devant etre separees pour
I'interet des societes , il considere successivement
les depenscs et les contributions qui les couvrent.
11 lie donne pas une histoire complete des finan-
ces; il doinie encore moins un plan general : plus
circonspect,sans etre cependant timide, il expose
des faits nombreux ; et de ces faits rassembles
naissent les reflexions qu'il y niele. Pen favorable
aux taxes sur la rente des tei'res , sur les capitaux ,
sur les personnes, il leur prefere les contributions
indirectes, an moins quand elles vont frapper les
consommations de luxe. En general, il se rappro-
che beaucoup, dans les principes, des philoso-
phes de Tecole ecossaise, notamment de Hume
et de Smith. (\e n'est done pas seulement I'im-
portance ties matieres cjui nous fait remarquer
WfJssai sur le revenu public : une diction claire et
CHAPITRE IT. ; 8^
rajDule le rend interessaiit a lire; ties coniiaissan-
ces bieii etenclues et bieii (listril)uees Je recoiii-
mandent comme un livre utile.
En legislation civile, il a paru un ouvrage im-
portant, et qui tons les jours se continue : c'est
un recueil ou sont traitees, selon I'ordre alphabe-
tique, les questions le plus frequeramenl agitees
dans les tribunaux. On doit ce recueil a M. Mer-
lin, si connu, des sa jeunesse, par les excellens
articles nont il a enrichi le Repertoire de juris-
prudence, pins celebre encore par ses travaux le-
gislatifs , et qui, dans Fopinion publique , occupe
une place eniinente entre les jurisconsultes vivans.
Les Elemens de legislation^ par M. Perreau, sont
dun ccrivain sage et dun bon citoyen. 11 est juste
de distinguer aussi Tecrit de M. Boiirguignon sur
la magistrature consideree dans ce qu'elle fat et
dans ce qu'elle doit etre. L'auteur entend par ma-
gistrats les fonctionnaires publics attaches a Tor-
dre judiciaire. Cette denomination, jadis usitee
parmi nous, manque peut-etre de justesse. Quoi
qu'il en soit, Touvrage a du merite; mais on en
trouve bien davantaire dans les trois discours du
meme auteur sur les Moyens de perfectiouner en
France V institution du juiy. Le premier fnt cou-
ronne, il y a sept ans, par la seconde classe de
rinstitut; les deux autres furent composes depuis,
soit pour eclaiicir des points obscurs, soit pour
86 LITTER ATURE FRANCAISE.
repondre a des objections recentes. Nous iie pou-
vons passer sons silence le livre de M. Bexon
sur la siirete publique etparticuliere. Apres avoir ete
public sous les auspices de S. M. le roide Baviere,
il a joui d'un brillant succes dans plusieurs con-
trees de TEurope. Le 6Welui-meme depasse no-
tre competence ; mais le discours etendu qui le
precede appartient a la litterature des sciences
politiques. II contient des idees profondes et bien
exprimees sur Tesprit de toute legislation, sp^-
cialement (\q la legislation penale: les principes
de Montesquieu, de Beccaria, y sont presentes
sous des points de vne qui les etendent ; et les
lumieres de I'anteur ne sauraient etre contestees
avec justice.
Toutefois, long-temps anparavant, et des la se-
conde annee de notre epoque, M. Pastoret avait
public sa Theorie des lots pennies, production plus
interessante encore sous I'aspect litteraire et phi-
losophique. Dans les quatre parties de son
ouvrage , I'auteur examine successivement les
principes generaux de la legislation penale, les
diverses natures de peines, les rapports nombreux
qu'elles embrassent, enfin la proportion qui doit
exister entre les chatimens et les delits. On a
lieu de s'etonner qu'en admettant le droit de pu-
nir il n'admette pas le droit de faire grace. Mon-
tesquieu le regardait comme inherent aux mo-
V CHAPITRE [I. . . »7
iiarchies temperees; inais, si M. Pastoret combat
sur ce point I'autorite de Montesquieu, an monjs
veut-il des lois donees. Altentif a la garantie des
accuses, il rejette les temoins necessaires, et ce
que les criminalistes appellent si improprement
la preuve conjectnrale : il croil que I'evidence
absolue pent seule piouver le delit et motiver la
condamnation. Par une consequence rigoureuse
du principe qui! pose, runanimite des juges lui
parait indispensable jionr prononcer la [)eine ca-
pitale : il desire raeme cette unanimite quand il
s'agit de prononcer une peine quelconque. Apres
avoir analyse les opinions des phis celebres phi-
losophes, relativenient a la peine de morl , il ob-
serve que Leopold I'avait abolie en Toscane , sans
qu'il en resultat d'inconvenient. Il pense qu'elle
excede les droits de la societe , qu'elle est ntetne
contraire a ses interets ; et , se rangeant a Tavis
de Beccaria , il appuie de considerations nouvelles
cette opinion, combattne fortement parJ.-J. Rous-
seau, et plus tortenient par Mably. En suppo-
sant neanmoins que la peine de mort doive etre
encore regardee comme la seule suffisante pour
les grands crimes , toute recherche dans les sup-
plices est, aux yeux de I'auleur, indigne des na-
tions civilisees : il developpe des idees non moins
judicieuses sur (juelques peines infamantes, et
trouve, par exemple, une contradiction inexcu-
88 LITTER ATLRE FRANCA^ISE.
sable eiitre iiiie peine temporaire et une marque
eternelle d'lnfamie. La vraie justice, et par con-
sequent I'humanite : tel est partout I'esprit de cet
ouvrage, riclie de connaissances, fort de dialec-
tique, embelli par une diction noble et ferme.
TAcadeniie francaise lui decerna le prix d'utilile :
c'etait declarer Fopinion publique. Le choix de
I'Academie honorait I'auteur; le cboix du livre
honorait I'Academie. . .
II y a six ans que M. de Lacretelle a donne au
public le recueil de ses (Buvres : on y trouve en
plus d'un genre des productions interessantes. Lais-
sant pour d'autres cbapitres ce qui n'est pas en-
core de notre sujet, nous citerons ici les ouvrages
oil Tauteur applique la philosophic a la legislation.
Ses principes des conventions civiles annoncent
un jurisconsulte eclaire : il developpe des vues fe-
condes dans son ecrit sur les diverses fonctions
deleguees au ministere public pour la garantie de
la societe, II est un de ceux qui out signale avec
courage et talent les detentions arbitraires, cet
horrible abus qui menacait jadis les citoyens de
toutes les classes, et dans les rapports les moins
graves, puisqu'on lanrait des lettres de cachet sur
la demande des agens du fisc : lait etrange, mais
atteste, denonce par le vertueux Malesherbes, rc-
digeant, au nom de la Cour des Aides, des remon-
trances au roi Louis XV. La legislation penale a
CHAPITRE II. /: 89
particulierement occupe M. de Lacretelle. Ici il
examine quelle reparation est dne par ia societe
aux accuses reconnus innocens; la, dans lui apercu
net etrapide, il trace un plan general pour la re-
forme des lois criminelles. Ami des dispositions
tutelaires, il est loin d'approuver en tout la fa-
meuse ordonnance de 1670, resultat des ces con-
ferences ou Pussort obtint une victoire funeste sur
I'equitable et judicieux Lamoignon. Mais, de tons
les ouvrages de I'auteur, le mieux concu, le mieux
ecrit, comme aussi le plus important, nous parait
etre son Discours snr les peines infamantes. II s'a-
gissait de cette odieuse opinion qui faisait au-
trefois rejaillir sur des enfans et sur une famille
entiere I'ignominie d'un coupable condamne, Il
fallait remonter a I'origine du prejuge, peser en-
suite ce qu'il pouvait avoir d'utile, et ce qu'il avait
de desastreux, indiquer enfin les moyens a mettre
en usage pour en triompher. Les trois i^iarties sont
ce qu'elles doivent etre; la seconde est d'un grand
effet. Quoi de plus touchant que I'histoire de cette
famille, honneur du sejour qu'elle habite, et tout-
a-conp plongee dans Fopprobre par le supplice
d'un brigand qu'elle a produit! Elle est encore
estimee; et cependant sa consideration est perdue;
elle se voit abandonnee par I'amitie meme, servie
avec dedain par ses propres domestiques! Le frere
du coupable etait honore dans un regiment comme
9<) LIITKRATLRK FRANGUSE.
uii officier pleiii cic nierite; il est cotitraiiit de sortir
dii corps; un suicide le debarrasse de la vie. Sa
mere, desesperee, iie In! survit que de trois jours.
Un vieillard reste avec ses deux filles, vertueuses
et belles. Deux amans passionnes allaient devenir
leurs epoux : Tun se retracte : I'amour, qui fait
taire Tinteret et I'ambition, se tait lui-meme de-
vant le despotismc du prejuge : I'autre est fidele;
riiymen est rouipu par ses parens; et c'est au iiom
de I'hoiuieur que sout violees de saintes promesses
que riionneur avait garaiities. La lamille infortiuiee
ramasse ses debris : elle f'uit, elle s'exile; rnais c'est
Irop peu de quitter son pays : a peine, en abju-
rant son nom, |)eut-elle echapper a I'infamie qui
I'environne au sein nieme de la vertu. Quoi de
plus terrible que Tliypothese de ce jeiuie homme,
n'ayant d'autre heritage que I'opprobre d'un pere
coupable, reduit par le tlesespoir a meriter au
moins la hontequ'il subit injustement, ne se voyant
plus d'asile que parmi les brigands, et, quand il
va subir un juste suj)plice, reprochant les crimes
([u'll a conmiis a la societe qui le rejeta loin d'elle,
lorsqu'il etait encore innocent! Dans une lettre
adressee a I'auteur, un immorlel ecrivain , Tho-
mas, digne appreciateur de I'honnete et du beau,
rendit une justice eclatante a ce notable discours.
L'ouvrage fut couroinie comnie utile par I'Acade-
mie francaise, apres I'avoir ete tomnie excellent
CHAPITRE II. i . 91 ,
par FAcademie de Metz, qui avail propose la ques-
tion, et qui, les deux aiinees suivantes, interessa
I'attenlion publique en faveur des enfans illegi-
times et des Juifs, si long-temps opprimes par des
lois avilissantes et vexatoires. Tel etait I'esprit des
societes litteraires; telle etait I'impulsion donnee a
loute la France depuis le milieu du dernier siecle:
temps memorables, oil les talens, appeles a des
etudes importantes pour le genre humain, obte-
naient, en servant la raison , des succes garantis
par elle.
Jusqu'ici nous avons parle d'ouvrages plus on
moins dignes d'estime, et nous les avons loues
avec plaisir. C'est a regret que nous allons paraitre
severes; mais la justice et la verite nous y con-
traignent. Un livre en trois volumes fnt iniprime,
il y a douze ans, sons ce titre emphatique : Theo-
rie du pouvoir politique et religieux dans la societe
civile, par M. de B., gentilhomme francais. L'au-
teur promet de demontrer sa theorie par le rai-
sonnement et par I'histoire. Pour I'histoire, il ne
parait pas I'avoir etudiee , pas meme I'histoire de
France, dont il parle a tort et a travers, sur la foi
du pere Daniel et du president Renault, les seuls
de nos historiens qu'il vante, les seuls qu'il cite,
les seuls peut-etre qu'il ait Ins. Quant an raison-
nement, voici ce qu'il aj^pelle raisonner : il pose
commc un priiu"ipe incontestable ce qui est le
c)i i jtti:katij]i1': fj{ancaise.
plus coiiteste, souveiit ce qui est inadmissible, et
marche d'assertion en assertion, |3ronvant cliaque
proposition qu'il affirrae par celle qn'il vient d'af-
firmer. Vent-il rendre sa demonstration complete:
cinq ou six repetitions sont pour lui cinq ou six
preuves. Vent-il donner de la puissance aux mots :
il les imprime en lettres italiques. C'est avec cette
logique victorieuse et ces grands moyens d'elo-
quence qu'il croit refuter I'Esprit des lois et le
ConJrat social; qu'il denigre I'Essai surJesmoiurs
des nations; qn'il prend avec Voltaire, Montes-
(piieu, J. -J. Rousseau, nn ton de superiorite, plai-
sant par iui-meme, et qu'un extreme serieux rend
plus comique. A propos d'une definition qu'il ha-
sarde comnie tout le reste, il enjoint par note a
ses lecleurs de ne point epilogiier; c'est le terme
qu'il emploie : et, certes, les roles sont confondus;
car c'est precisement ce que ses lecteurs auraient
le droit de lui recomniantler sans cesse. Les memes
principes, les memes idees, souvent les memes
expressions, se retrouvent dans la Legislation pii-
initive^ autre livre ])nl)lie plus recemment par M. de
lionald. L'autcur, cctte (bis, car c'est bien le nieme,
donne ses decisions par articles et dans la forme
des lois. De telles productions semblent cxiger un
procede fort simple : celui d'examiner ce qui fut
ecrit de sage en matiere. politique, et d'ecrire pre-
CHAPITllE II. : o3
cisement le contraire. Tous les abns tlenonces de-
puis cinqiiante ans par des philosophes illustres,
par cVhabiles magistrals, par des coiirs soiive-
raines, par des ministres, soiit aux yeux de I'au-
teur des inventions admirables. Toiites les go-
thiques institutions, fruits de I'ignorance du moyen
age, lui paraissent les chefs-d'oeuvre du genie.
C'est la ce qu'il appelle necessaire, ce qu'il trouve
approchant de !a perfection, mais ce qu'il veut per-
fectionner encore; an point que, s'il en fallait
croire et ses conseils, et ses voeux, et ses prophe-
ties, car il est prophete, I'Europe atteindrait bien-
tot le plus haut degre d'intolerance politique et
religieuse. Sa diction d'adleurs est aussi seche que
ses decisions sont tranchantes. Avec un pareil
style, de pareils principes n'ont aucun danger; et,
assurement, il n'y a pas lieu de craindre que M. de
Bonald parvienne a degouter I'Europe des ecrits
de Voltaire et de Montesquieu.
Apres avoir parle des ouvrages composes en
notre langue, il nous reste a dire un mot des tra-
ductions de quelques auteurs celebres qui, dans
les sciences politiques, ont honore par leurs tra-
vaux on I'ltalie on I'Angleterre. Deux fois, parmi
nous, on avait traduit Machiavel, fiimeux par tous
ses ecrits, trop fameux par son livre du Prince. Si
Ton en croit J. -J. Rousseau, en feignant de don-
()4 LlTTERATLRi: FRAiNCAlSE.
iier des lecoiis aiix princes, Machiavel en a donne
(le grandes aux peiiples. Cela est possible; mais
les peoples, il faut I'avoiier, n'ont pas ete ses meil-
leurs eleves. Un liomme de merite, Guiraudet,
moi t prefet de la Cote-d'Or, a public, il y a dix ans,
une traduction complete des oeuvres du politique
de Florence : elle est fort bien ecrite , et fort su-
perieure aux deux traductions anciennes. C'est
avec plus de succes encore que M. Galiois a tra-
duit la Science de la legislation, fruit des etudes
de Filangieri, surnomme par quelques personnes
le Montesquieu de Vltalie. Get eloge est exagere :
Filangieri ne ressemble point a Montesquieu; car
il est verbeux, et n'est pas profond : mais il est
clan^; il a des idees saines, des intentions dignes
du temps oil il ecrivait; et Ton ne saurait trop vi-
vement regretter ce jeune et laborieux philosophe,
mort avant Tage de trente ans.
Nous devons quelques louanges a la traduction
anonyme de \ Oceana d'llarrington. Exacte et re-
digee avec soin, elle fait bien connaitre I'esprit de
cet illustre Anglais, qui, par un contraste singu-
lier, mais pour lui doubleincnt honorable, fut a-
la-fois le plus fidele ami du roi Gharles I" et le
plus zele partisan des opinions republicaines. Son
livre, ou, designant I'Angleterre sous le nom d'une
lie fabuleuse, il trace pour elle un plan d'organi-
CHAPITRE 11. 95
sation socinle, efface sans coiitredit VUtopie de
Thomas Moms, et, pour le fond ties idees, Tem-
porte meme snr la Repubiiqut de Platoii. C'est
aussi par nne traduction anonyme que le public
francais a pu connaitre le livre estimable ou Ste-
wart developpe les principes de Feconomie poli-
tique. Smith, Ecossais comme Stewart, en ecrivant
apres hii, enseigne une doctrine toute differente.
Son Traite sur la nature et les causes de la richesse
des nations pourrait etre plus methodique; nous
I'avons deja remarque : mais nul ouvrage du meme
genre ne renferme autant d'instruction solide; et
cest le livre essentiellement classique pour ceux
qui veulent etudier la science. L'epoque a produit
deux traductions de cet excellent traite : I'une de
Roucher, Tautre de M. Garnier. La seconde vaut
beaucoup mieux que la premiere : elle n'en offie
pas les incorrections frequentes; elle en offre en-
core moins les obscurites, car le nouveau traduc-
teur entend les theories economiques. Son travail
est complete par des notes instructives; souvent
il y explique, souvent meme il tache d'y refuter
I'auteur qu'il Iraduit. On avait promis un volume
de notes pour la traduction de Roucher; ce vo-
lume n'a point paru; il devait etre de Condorcet.
Nous ne faisons pas entrer dans le tableau de
notre litterature les actes ecrits de Tautorite : le
(U)
)(•) I.1TIERATURE FRANCAISE.
respect nous le defend. Les lois reclainent I'obeis-
sance des ciloyens ; et toutes les convenances, nieme
cellesdu gout, interdisent la louange litteraire par-
tout ou la critique est interdite. Ce dont il est juste
de louer le gouvernement, dans quelqne ouvrage
que ce soit, c'est de la garantie qu'il donne a I'in-
dependance des opinions. Rieii de plus legitime,
de plus utile, de plus necessaire que cette inde-
pendance. Le philosoplie doit indiquer le but : le
leeislateur, calculant les resistances, s'arrete a la
limite qu'il ne saurait encore franchir. Observons
que cette limite est toujours au clioix de la puis-
sance; et, pour cela meme, la puissance a besoin
de recueillir de nombreux avis, quelle examine
et pese a loisir. Ou il s'agit de I'interet de tons,
tons out droit d'exprimer un voeu. Les seules dis-
cussions libres peuvent donner de veritables lu-
mieres; et les gouvernemens deja eclaires n'ont
jamais craint les lumieres publiques.
(c II est de notre devoir de repousser ouvertement
« une theorie si c<jntraire aux lumieres contempo-
« raines, a Tesprit de la nation, au caractere gene-
« reux du heros qui la gouverne, aux constitutions
« qui nous regissent , a la liberte religieuse que nous
« assure le concordat. Ce n'est point assez que des
« ouvrages de cette espece subissent en quelques
ttjoiirnaux decries des louanges pires que Toubli
1
CHAPITRE 11. 97
« universel, qu'elles garantissent et qii'elles prece-
« dent d'lHi seul jour. C'est dii milieu de I'lnstitut
« qu'un cri doit s'elever en faveur de la philosophic ,
«si faiblement combattne, mais si hardiment on-
ce tragee. Puisqu'on a fait, a la fin du dix-huitieme
« siecle, des livres dignes du quinzieme, an moins
«avant la decouverte de I'imprimerie, il fant ap-
« prendre a I'Europe quel sentiment ces livres ins-
« pirent aux gens de lettres et a tons les hommes
« eclaires de la France. Il faut apprendre a I'auteur
a que nous sommes loin de cette restauration com-
« plete dont il manifeste a chaque ligne I'impatient
a desir, et qu'il est inutile de signaler plus claire-
« ment. Que si d'autres ecrivains voulaient cooperer
« a ce grand oeuvre, il faut encore leur apprendre
« qu'il est bon d'y employer plus d'habilete; que
« les chiffres remains ne sont pas des idees;les as-
« sertions, des motifs; les repetitions, des preuves
«evidentes; qu'il n'existe pas dans les lettres ita-
« liques un pouvoir surnaturel qui donne aux mots
« la portee qu'ils n'ont pas; au style, I'elegance qui
« lui manque; aux ecrits, le talent, I'esprit, le bon
« sens dont I'auteur a juge a propos de s'abstenir;
« que le ton tranchant sur les grandes choses est
« d'un ecolier trop vain pour vouloir s'instruire , et
« trop ignorant pour savoir douter; que I'irreve-
<f rence a I'egard des grands hommes appartient
OEuvres posfhuines. III. . 7
98 LITTER ATURE FRANCAISE.
,« de droit aiix hommes vulgaires; que Voltaire,
« J.-J. Rousseau , Montesquieu, out bien merite du
tf genre humain, qui le sait et qui les revere; quen-
« fin des declamations en style barbare, et dirigees
« de si has contre des ecrivains si eleves, ne detrui-
(c ront ni leurs ouvrages, ni leur gloire, ni leur in-
« fluence , ni la raison ^ ni la langue fran^aise. »
'>.t ■
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'I-., ' ■■ • (■-.
*.-*.■*.-%--» */'%^%'*^»'^'%-'»--%'X.'»/*^"»'-«'*'"*'^'*-'*''*'*'"^^''
CHAPITRE III.
Rhrtorique ; Critique litteraire.
LESOuvrages sur la rhetorique , stir la poetique,
sur la critique litteraire, sont iiombreiix dans
notre langiie; mais il en est pen qni aient con-
serve lenr repntation. Personne anjourd'hni ne
consnlte le P. le Bossu , pour apprendre les regies
de I'epopee, ni I'abbe d'Aubignac, pour etudier
la pratique du theatre : on lit meme assez rare-
mentles eci^its du P. Bouhours, rhetetir, dont les
homines les plus eclaires du dix-septieme siecle
estimaient le gout et la correction. Le Traite des
Etudes deRoilin demeure encore place parmi nos
meilleurs livres elementaires : car, si I'auteur a
peu d'idees neuves, au moins sait-il exposer dans
un style elegant et clair les excellens preceptes
de Ciceron et de Quintilien. Le Cours de belles-
lettres de Batteux, avec plus de developpemens,
offre moins d'instruction reelle etbeaucoup moins
d'interet. Le petit ouATage de I'abbe Fleury sur le
choix des etudes est digne de cet ecrivain, si re-
commandable par un esprit sage et par des con-
naissances etendues. Des apercus ingenieux et
feconds distinguent le livre de Tabbe Dubos sur
7-
K.o LITTEFIATURE FRANCAISE.
la Poesie el la Peintiire. J^es Reflexions sw la Poe-
sie, par Racine Ic fils , respirent I'ecole de son
illiistre pere, et le sentiment approfondi dcs beau-
tes antiques. Les Considerations de Ditlerot sur le
Drame^ la Poetiqiie de Marmontel , et ses illemens
de Litterature , oii sa Poetique estrefondue, me-
ritent une lecture attentive, quoique Ton puisse
avec raison reprocher a ces deux auteurs des pa-
radoxes que repousse un gout severe. Mais, parmi
nous, les ecrivains restes modeles furent aussi
des critiques du premier ordre. Quoi de plus so-
lide que les Dialogues sur Vcloquence, composes
par Fenelon? Quoi de plus exquis en litlerature
que sa Lettre a TAcademie franeaise? Quoi de
plus lumineux, depuis la Poetique d'Aristote, que
les trois Discours de Corneille sur la tragedie, et
nieme que les Examens de ses pieces? Quel-
ques prefaces de Racine, une seule de Moliere,
celle de Tartufe, et plusieurs scenes de I'lm-
promptu de Versailles, suffisent pour demontrer
combien ces deux hommes admirables excellaient
dans la theorie des arts qu'ils ont portes a la per-
fection. Quant a Voltaire, en lisant ses Commen-
taires siir Corneille, ses Melanges, cent articles
de son Dictionnaire philosophique, les prefaces
de ses tragedies, et jusqu'a sa correspondance, il
est impossible de ne pas reconnaitre un veritable
arbitre du gout, et le plus grand litterateur de
CHAPITRE III. • loi
I'Europe moderne. Enfin, le meilJeur ecrit fraii-
cais sur I'art oratoire nous vient d'un orateur
celebre. On sent bien que nous voulons designer
YEssaisurles Eloges, livre si superieur a son litre,
et, de tous les ouvrages de Thomas, celui qui
porte la plus belle empreinte de son caractere et
de son talent.
Le Traite ou M. le cardinal Maury developpe
les principes de I'eloquence de la chaire et du
barreau vient de reparaitre Tannee derniere avec
des changemens et des additions : ii fournit une
preuve nouvelle de I'observation generale que
nous avons faile. Oui, pour bien enseigner un art,
il faut soi-menie y reussir. Dans I'ouvrage dont
nous parlous, tout fait sentir a quel haut degre
I'ecrivain possede lamatiere qu'il traite, et les ora-
teurs celebres qui furent ses modeles. Lui-meme
est toujours orateur, soit lorsqu'il analyse les dif-
ferentes parties qui constituent le plan du discours,
soit lorsqu'il considere en ce genre d'ecrire les
beautes et les defauts du style; soit lorsqu'il ca-
racterise tour-a-tour la rapidite, la vehemence, la
force irresistible de Demosthene, I'abondance lieu-
reuse et I'inepuisable richesse de Ciceron, I'onc-
tion pathetique de Fenc4lon, la hauteur ou plutot
la majeste sublime de Bossuet, I'austerite religieuse
de Bourdaloue , I'elegance exquise et variee de Mas-
sillon; soit, enfin, lorsque, exercant une justice
lou LITTERATURE FRANCAISE.
plus rare, puisqii'cUe regarde un coiitemporain , il
apprecie la revolution que le panegyriste de Des-
cartes et de Marc-Aurele a operee dans i'art ora-
toire. On aime a trouver ini exorde eloquent du
missionnaire Bridaino, predicateur accoutume aux
villages, et tout-a-coup transporte dans une eglise
de Paris, environne, pour la premiere fois, d'un
auditoire qui pouvait et qui voulait lui paraitre
imposant; mais tirant de sa position meme une
force inattendue, et se reprochant devant Dieu
d'avoir tourmente la conscience du pauvre et porte
I'epouvante au sein des chaumieres, an lieu de re-
server les foudres evangeliques pour tonner contra
les vices de Fopulence et contre Torgueilleuse cor-
ruption des habitans des palais. Impartial dans ses
jugemens, I'auteur loue le merite du protestant
Saurin; mais il blame en lui I'intolerance, si bla-
mable en effet dans toutes les sectes et dans I'u-
niversalite des choses humaincs. Les An2[lais le
troiiveront sobre d'eloges pour Jeur arclieveque
Tillotson; mais aucun ami de la verita])lc elo-
quence n'osera lui contester ce qu'il etablit : I'ex-
treme superiorite des grands predicateurs francais
sur ceux de TAngleterre et du reste de I'Europe.
Entre nos orateurs sacres, Bossuet, leur maitre,
est toujours present a son admiration respectueuse.
II nous semblc un pen severe pour Flechier : peut-
etre meme n'est-il pas completement juste a I'e-
CHAPITRE HI. io3
gard de Massillon; car, s'il le place au-dessiis de
Bourdaloue comme ecrivain, en qualite d'orateur
il le croit inferieur a Bourdaloue. Cette opinion ,
long-temps conveuue, nous parait difficile a de-
montrer. Plein du barreau de I'antiquite, a peine
M. le cardinal Maury s'occupe-t-il un moment du
barreau moderne. On desirerait qu'il eut voulu
creuser davantage cette mine souvent sterile, mais
ou quelques filons pouvaient etre mis en lumiere,
et fecondes par son talent. Du reste, son livre est,
d'un bout a Tautre, aussi interessant que solide.
La correction, la noblesse et I'harmonie du style
y repondent coustamment a la purete des prin-
cipes. ,\.pTesVEssai sur les Eloges, aucun des trai-
tes francais, composes sur Teloquence, ne peut
instruire autant les eleves : ils apprendront, en
I'etudiant, quelles regies ils doivent observer, ce
qu'il faut eviter, ce qu'il faut suivre, et comment
il faut ecrire.
Sans etre aussi importans , deux ouvrages de
M. de Lacreteile , I'lm sur I'eloquence de la cliaire ,
I'autre sur I'eloquence judiciaire, nous semblent
dignes d'etre cites avec distinction. Dans le pre-
mier, I'auteur ne parle ni des oraisons funebres ,
ni des panegyriques : c'est a la predication qu'il
s'attache exclusivement; et meme , sur les sermons
de Bossuet, il croit ne pouvoir rien ajouter aux
excellentes observations de M. le cardinal Maurv.
io4 LITTERATURE FRANCAISE.
Enipresse de rendrc a Massilloii la justice cclataiite
qui lui est due , il se permet de prouver assez bien
que la reputation de Bourdaloue est exageree a
tous egards; et nous penchonspour son avis. Peut-
etre lui-nieme exagere-t-il un peu le merite des
sermons de I'abbe Poule, habile orateur sans doute,
a qui Ton ne saurait contest er de la verve et de la
pompe dans le st\ le , mais a qui Ton pent repro-
cher souvent une diction retentissante et prodigue
de mots. L'ouvrage est termine par des vues gene-
rales sur les moyens de ranimer I'eloquence de la
chture. L'autcur, considerant que I'incredulite fait
tous les jours des progresrapides, pense que, pour
la convertir, s'il est possible, il faudrait borner
les sermons aux verites de I'invariable morale,
renoncer aux faibles ressources d'une aride et
froide discussion, recourir a la puissance de I'art
d'emouvoir, et surtout ne jamais offrir un affli-
geant contraste entre les vertus precliees dans la
chaire evangelique et les vices du predicateur. L'e-
crit sur I'eloquence judiciaire presente. une suite
de conseils donnes a un jeune avocat par un an-
cien jurisconsulte. L'auteur y traite, en un court
espace, de Tulilite fie Teloquence opposee a la
chicane, des inconveniens et de quelques avan-
tages de I'improvisation oratoire , du choix et de
la direction des etudes en jurisprudence. Les re-
flexions que lui.inspirent ces dilferens objets peu-
CHAPITRE 111. r '' • To5
vent elre meditees avec fruit, dans un temps ou
des lois civiles simplifiees, et rendues communes
a toutes les parties du territoire, des lois penales
plus humaines, des formes plus tutelaires et plus
imposantes, permettent aux orateurs de franchir
les bornes qui, si long-temps, out retreci le bar-
reau francais.
Ici, Tordre des matieres nous presente un ce-
lebre ouvrage anglais, le Corns de rhetorique de
Blair. Nous en avons deux traductions : la pre-
miere est de M. Cantwel ; la seconde, qui vient
de paraitre, est de M. Prevost, professeur de phi-
losopliie a Geneve. Celle-ci parait etre la meilleure,
et pour I'exactitude , et pour le style. 11 est vrai
que le nouveau traducteur a de grandes obliga-
tions a Tancien , dont il adopte souvent des phrases
entieres, et quelquefois d'assez longs morceaux;
mais il en convient lui-meme, attention que les
traducteurs ont rarement pour ceux de leurs de-
vanciers auxquels ils sont le plus redevables : quant
a I'ouvrage, il est digne d'une haute estime. Blair
faisait partie de cette ecole d'Edimbourg qui a
produit tant d'hommes remarquables. Ami de Ro-
bertson et d'Adam Smith , il doit meme a ce der-
nier plusieurs idees qu'il developpe d'une maniere
nouvelle : il traite successivement du gout et de
la source de ses plaisirs, de I'origine et de la struc-
ture du langage, de la theorie generale du style,
loG LITTERATlJllE FfL\NCMSE.
de I'eloquence coiisideree dans tous les genres de
discours publics ; eufin , des meilleures composi-
tions en vers et en prose, qii'il soumet a ini exa-
men rapide et superficiel. Des principes judicieiix
presentes avec nietliode , eclaircis par des appli-
cations heiireuses, etendus par I'analyse philoso-
phique , recommandent les cinq divisions de I'ou-
vrage. On doit rendre grace aux hommes de lettres
qui Font traduit en francais; et jusqu'ici nous n'a-
vons pas dans notre litterature un cours de rheto-
rique aussi bien concu. II convieut d'autant mieux
d'etre juste a I'egard de Blair qu'il Test toujours
envers les ecrivains francais. Appreciateur bien-
veillaut de Tillotson , de Barrow, et lui-meme
predicateur celebre , il regarde Bossuet et Mas-
sillon comnie les deux plus grands orateurs des
temps modernes. Il proclame Voltaire le chef des
historiens du dernier siecle. Malgre les ouvrages
de Fielding et de Richardson , il croit que , dans
le genre des romaus, les Francais I'emportent sur
les Anglais: ce qui pent sembler douteux, meme
en France. II decerne la palme comique a Moliere.
En exaltant le genie dc Shakespeare, il sait admi-
rer Corneille, Racine et Voltaire, Voltaire le plus
moral et le plus religieux de tous les poetes tra-
giques. Tels sunt les propres termes de Blair; tel
est rhonmiagc qu'un etranger, un ecclesiastiqiie
des moeurs les plus pures, un docteur en theolu-
CHAPITRE 111. - i 107
gie, rend a rauteur de Zaire, de Mahomet, d'Alzire
et de Merope; et cet hommage n'etoiinera, parnii
nous, que des pedans hypocrites, aussi etrangers
aux mceurs et aux veritables idees rehgieuses qu'a
la justice et a la saine critique.
Au defaut des grands traites, Tepoque a produit
en France plusieurs recueils dignes d'une atten-
tion particuhere. Nous devons a jM. Suard cinq vo-
lumes de Melanges de litterature^ ou diverses pro-
ductions de ses amis sont rassemblees avec les
siennes. Quand il ne designerait pas celles qui
viennent de lui, un genre de merite particulier
les ferait aisement reconnaltre. Son ouvrage le
plus considerable est une Histoire du Theatre-Fran-
cais , plus detaillee que celle de Fontenelle , et
beaucoup moins longue que celle des freres Par-
fait. Son meilleur ouvrage nous paralt etre un
morceau de quelque etendue sur la vie et le ca-
ractere du Tasse. On doit aussi remarquer une no-
tice sur La Bruyere, ou cet ecrivain si original est ,
analyse avec autant de justesse que de precision;
un ecrit intitule Fraginens sur le style; un excel-
lent morceau sur le genre epistolaire et sur ma-
dame de Sevigne; un autre morceau plein d'interet
sur le pape Clement XIV, et quelques pages tres-
philosophiques sur la certitude de I'hisloire. 11 ne
faut pas oublier une lettre sur Gluck, adressee a
lui-meme durant les querelles musicales, ni un
io8 LITTERATURE FRANCAISE.
article sur Mozart, plein d'anecdotes piquanles et
bienracontees. Ces productions, et plusieiirsautres
que nous pourrions citer encore, reunissent la po-
litesse du style, la finesse des observations et le
sentiment eclaire des arts.
Entre les ouvrages qui ne sont point de M. Suard ,
ceux de I'abbe Arnaud tiennent sans contredit la
premiere place en cetle collection. Son portrait
de Jules-Cesar, son discours snr Homere; ses ar-
ticles sur Pindare, sur Catulle et sur quelqties
points de musique, attirent et captivent I'attention
la plus difficile. Plusieurs dames figurent dans ce
recueil : I'une d'entre elles se distingue par des
observations relatives aux ecrits de Seneque, et,
plus encore, par des lettres interessantes sur nn
voyage a Ferney, trois ans avant la raort de Vol-
taire. On remarque aussi la Prise de Jericho, petit
poeme ou madame Cottin chante en prose la jeune
Rahab, qui fut tres-utile a Josue, quand il assie-
geait cette ville. Une foule d'articles de litterature
et de morale ont ete composes par une autre dame,
que rediteiu' ne croit point devoir nommer. Tant
d'opuscules brillent-ils dun merite egal ? Nous
n osons pas I'affirmer : il en est, sans doute, aux-
quels M. Suard fait honneur en les adoptant; nous
nous bornons a dire que leur ensemble presente
une lecture agreabJe. II n y faut pas chercher To-
riginalile, la profondeur, ni meme uxie instruction
CHAPITRE TIT. 109
etendue; mais on y troiive au moins la diversite :
c'etait la devise de La Fontaine.
On a public, il y a dix ans, trois volumes de
Melanges tires cles maniiscrits de madame Necker.
Ces melanges sont composes de lettres, de juge-
mens litteraires, d'anecdotes et de pensees deta-
chees. On y trouve de nombreux details, non-
seulement sur le celebre administrateur qu'elle
s'honorait d'avoir pour epoux, mais sur plusieurs
ecrivains illuslres, tels que Voltaire, J. -J. Rous-
seau, Diderot, d'Alembert, et surtout Buffon et
Thomas, qu'elle voyait tons deux habituelleraent.
Les lettres sont d'un style pur, mais etudie; cer-
tains jugemens sont hasardes; d'autres prouvent
un gout aussi delicat qu'exerce. Beaucoup d'anec-
dotes etaient connues depuis long- temps, on ne
meritaient guere de I'etre; il en est aussi de tres-
piquantes, et qui out le charme de la nouveaute.
Les pensees sont quelquefois recherchees , quel-
quefois communes; mais souvent elles sont inge-
nieuses, sans s'ecarter du naturel. Ce n'est point
une collection d'ouvrages, encore moins un ou-
vrage suivi; mais c'est le fruit dcs loisirs d'une
femme de sens et d'esprit, accoutumee a la lecture
des bons livres, et, plus encore, a la conversation
des hommes superieurs.
En donnant au public un volume di Etudes sur
Moliere y M. Cailhava n'a pas cru devoir aspirer
no LITTERATLRE FRANCAISE.
ail litre de commentatciir : son livre est cependant
un commentaire complet sur la vie et les ouvrages
de cet incomparable auteur comique. Toute Tin
structioii que Ton pent retirer de Tample travail
de Bret se troiive ici rassemblee en moins d'es-
pace, et revetue d'nne pareille forme. Les fails au-
llientiques y sont consignes; les anecdotes incer-
taines n'y sont point admises; les observations
litteraires y abondent; et quelques-unes des plus
importantes elaient restees neuves encore. Les
sources nombreuses oii puisait Molierey sont exac-
tement indiquees; mais on y fait admirer, en ses
imitations meme, les creations de ce genie qui
change en or le plomb qu'il emprunte, et devant
qui ses propres modeles paraissent de faibles co-
pistes. Les principes qu'avait exposes M. Cailhava
dans son estimable Traite sur Vart de la comedie ,
sont developpes de nouveau dans ses J^tudes sur
Moliere. La lecture attentive de ces deux ouvrages
est propre a former le gout des jeunes ^crivains
qui veulent tenter la difficile entreprise de corri-
ger les moeurs, et de punir les vices par le ridi-
cule. Le livre consacre specialement a Moliere pre-
sente une autre espece d'utilite. L'auteur, apres
avoir apprecie le genre , I'exposition , la marche ,
le denoument, les principales beautes de chaque
piece, s'occupe de la tradition theatrale. Selon
lui , c'est dans les ouvrages memes que les acteurs
CHAPITRE III. Ill
doivent cherclier la vraie tradition , celle de I'aii-
teur. Ainsi, le comique force, la profusion des
jeux de theatre, la manie d'ajoiiter au texte, les
faux ornemens , le begaiement etudie , le ton
maniere , la minauderie si contraire a la grace,
lui semblent egalement reprehensibles. Trop sou-
vent des comediens, d'ailleurs habiles , ont fait
applaudir ces defauts qu'ils rendaient brillans ;
leur exemple est devenu regie. On a bientot
compose pour eux des pieces qu'ils jouaient d'au-
tant mieux qu'elies etaient plus loin de la nature ;
et leur art, en s'egarant, egarait aussi I'art dra-
rnatique.. M. Cailhava rend done un double ser-
vice , lorsqu'il recommande aux acteurs la correc-
tion severe qui seule convient a la scene francaise ;
et les judicieux conseils qu'il donne a cet egard
sont dignes d'etre medites, soit par les eleves,
soit meme par les professeurs de I'ecole de decla-
mation. VV .
S'il existe un commentaire au-dessus de toute
comparaison , c'est assurement celui que Voltaire
nous a donne sur Corneille. La , presque tou-
jours, les critiques sont des traits de lumiere; la,
souvent une phrase renferme une theorie com-
plete et quelquefois une theorie nouvelle. Mais, si
le pere de notre theatre ne fut jamais loue plus
dignement et de plus haut, il faut neanmoins le
dire, on aper^oit de temps en temps une extreme
iiu LITTKBATLRE FRANCAISE.
rigueur dans la censure , de la durete dans les
formes; on entrevoit meme, dans le fond de la
doctrine , quelques erreurs melees aux lecons
d'un maitre: c'cst ce qui a frappe M. Palissot,
juge eciaire en matiere de litterature. II a public
une edition de Corneille, enrichie de notes judi-
cieuses, qui modifient les decisions ou les expres-
sions trop severes dvi commentateur. Plus d'une
fois Yoltairc y repond a Voltaire; et Ton y oppose
a son autorite les principes qu'il a professes lui-
meme, ou qu'il a suivis dans ses chefs-d'oeuvre.
On voit que I'editeur n'a rien de commun avec
les ennemis de ce grand homme: personne, au
conlraire, n'a convert de plus de mepris les Fre-
ron, les Sabatier, et tons les nains ridicules de-
chaines encore aujourd'hui contre le gcant du
dernier siecle. Nous devons meme a M. Palissot
une edition de Voltaire. II est vrai qu'elle est moins
complete et moins somptueuse que I'edition de
Kehl; mais on doit convenir qu'elle lui est supe-
rieure, soit pour la correction du texte, soitpour
la distribution des travaux : elle est surtout re-
marquable par d'excellens discours places a la
tete des principaux ouvrages. On a vu reparai-
tre encore , avec beaucoup d'additions et de
changemens, une des plus importantes produc-
tions de M. Palissot , ses Memoires pour servir a
riiistoire de notre litterature. Dans ces memoi-
CHAPITRE 111. ii3
res, tres-bieri ecrits, les talens qui out lilustre
le regne de Louis XIV soiit apprecies avec autant
d'impartialite que de justesse : I'eloge toutefois
n'est pas le partage exclusif des morts. Bien dif-
ferent en ce point d'un autre critique non moins
ceiebre , et dont nous parlerons bientot, I'auteur
exerce una equitable bienveillance enversplusieurs
de ses conteraporains ; mais, entraine des sa jeu-
nesse dans une de ces guerres de plume qui ont
trop souvent afflige la litterature, il y deploya
beaucoup de talent, trop peut-etre, car il en
perpetua le souvenir; et I'ascendant d'une pre-
miere demarche a quelquefois determine ses ju-
gemens , comme il a influe sur sa destinee. II
n'est pas de ceux qui repoussent indistinctement
tons les propagateurs de la philosophic moderne :
on a vu quel respect il a pour Voltaire. Nul n'a
rendu plus d'hommages au laborieux, modeste
et vertueux Bayle ; nul n'a plus vante Montesquieu
et J. -J, Rousseau lui-meme; ce qui paraitra sin-
gulier, mais ce qui est toutefois rigoureusement
vrai; nul enfin n'a loue de meilleure foi Freret ,
Duclos, Dumarsais, Condillac. Nous voudrioiis
pouvoir ajouter quelques autres talens de la
meme trempe, et que Ton distinguera d'autant
mieux que nous evitons de les nommer. On peul
done reprocher a M. Palissot de la partialite,
tranchons le mot, de I'injustice a I'egard de trois
OEuvres posthuines. III. O
ii4 LITTERATURE TIIANCAISE.
on qiiatre ecrivains illustres, ct dont il cut merite
d'etre Tanii; mais aucuii homine sincere et judi-
cieux ne lui contestera la pnrete du gout, Tele-
gance continue du style, le don tres-rare de bien
ecrire en prose et en vers , d'exceller surtout
dans le vers de la comedie, et I'honneur d'avoir
des long- temps marque sa place entre nos pre-
miers litterateurs.
Le droit de commenler les fables de La Fon-
taine appartenait sans doute au plus ingenieux
de ses panegyristes; mais les notes tronvees dans
les papiers de Cliamfort , et publiees sans qu'il
ait eu le temps de les revoir, ne presentent que
la premiere esquisse d'un commentaire tel qu'on
pouvait I'attendre de lui. On y reconnalt cepen-
dant la piquante finesse qui caracterisait ses ecrits
et ses entretiens. Chamfort n'eut pas I'imagination
feconde; mais il fut done d'un esprit tres-flexible.
Une traeedie , ou souvent le style de Racine est
lieureusement rappele, quelques scenes charman-
tes de la Jeune Indienne, plusieurs contes agrea-
bles et narres avec precision : voila ses titres
comme poete. 11 s'est encore plus distingue comme
prosateur, soit par ses eloges, soit par son Mar-
cliand de Sniyrne, petite comedie etincelante de
bons mots, de traits plaisans et philosophiques.
Sa maniere est la meme en quelques ouvrages
cpTil a composes diuant les (i(.'rnieres annees de
CHAPITRE 111. - ii5
sa vie: ils font partie de iiotre epoque, et tien-
neiit au siijet que nous traitons dans ce chapitre.
Vers le commencement de la revolution , il redi-
gea la partie litteraire du Mercure de France, con-
jointement avec La Harpe et Marmontel; mais il
refusa de rendre compte des spectacles , ne vou-
lantpas, comme on le voit par une de ses let-
tres, avoir a traiter trois fois par mois avec une
foule d'amours-propres aussi vigilans qu'ombra-
geux. Les principaux articles qu'on lui doit con-
cernent lesmemoires de Duclos sur la fin du regne
de Louis XIV et sur la regence ; les memoires
ecrits par le due de Richelieu , ou plutot sous sa
dictee , et la vie privee de ce courtisan , qui tra-
versa presque en entier le dix-huitieme siecle.
Ces articles etendus ne sont pas des extraits vul-
gaires, ou de longs passages transcrits amenent
quelques reflexions banales. Le critique se rend
maitre du terrain, rassemble etrapproctie les eve-
nemens remarquables , choisit les anecdotes, et,
sans les alterer, les raconte dans le style qui leur
est propre , mele aux faits des considerations
morales ou politiques, et,par un tour nerveux
et rapide, par un trait saillant, souvent par uii
mot, fait ressortir le scandale et le ridicule ou il
les trouve. C'est un art qu'il possedait; et, durant
la periode historique qu il avait a parcourir, la
matiere ne manquait pas a son talent. Ce genre
8.
1 iG LITTERATUIU: FK\NCA1SE.
d'esprit ne brille pas tl'uii nioirulre eclat clans
Ics nonibreiix rnaterianx d'lin livrc on il voiilait
peiiuire les moeiirs de son temps, livre cpii , s'il
etait acheve, luiassnrerait une place intermediaire
cntreLaBruyeieetDnclos. C'est ailleurs que nous
parlerons de son ecrit sur les academies, puisque
les formes en sont oratoires , et qii'il fut compose
pour Tassemblee constituante. Les compilateurs
de calomnies ont honore de leurs injures la me-
moire de cet ecrivain : c'est nn hommage qu'il
merite. Nourri dans les principes d'une raison
affermie par I'etude, Chamfort ne les abjura ja-
mais. II avait trop de justesse dans Tesprit, trop
d elevation dans le caractere, pour s'abaisser a
des palinodies honteuses. Voyant s'evanouir I'ai-
sance dont il avait joui, les esperances qu'il avait
pu concevoir, persecute meme an nom de la li-
berie par des hommes qui la detruisaient en I'in-
voquant, il detesta les persecuteurs, mais il me-
l)risa les hypocrites; il changea de fortune, et ne
changea point de conscience.
M. Ginguenenous a donne une notice tres-bien
iaite sur Chamfort, dont il etait I'ami, et dont il
a public les oeuvres: il doit lui-meme etre compte
parmi nos critiques les plus instruits et les plus
sages. Long-temps I'lm des principaux redacteurs
(hi journal coiuui soiis ie nom de la Decade, ii
la enrichi de m.orceaux pleins de merite, entre
CHAPITRE III. riij
lesqiiels on a ilistingue les articles sur le livre (ie
Necker touchant la revolution francaise, sur ic
roman de Delphine , sur le Genie du Christianisme
et sur la Correspondance russe , recueil de lettres
qui semblaient confidentielles , dont la publica-
tion a du paraitre singuliere,etdont nous aurons
bientot le regret de parler nous-memes. Deux
fois la classe de litterature ancienne, a lacjuelle
appartient M. Ginguene, Ta choisi pour rendrc
compte des travaux acheves ou entrepris par les
raembres qui la composent; deux fois il a justifie
ce choix honorable , en deployant des connais-
sances variees, et, ce qui est beaucoup plus rare,
ce talent de la veritable analyse qui sait tout dis-
tribuer et tout eclaircir. Depuis plusieurs annees,
le meme ecrivain s'occuped'un ouvrage qui nous
manquait, et qui, malgre son etendue, est deja
fort avance. Ge n'est pas seulement I'histoire,
c'est encore Fexamen critique et complet de la
litterature italienne. Des fragmens qu'il en a pu-
blics, plusieurs parties qu'il en a fait connaitre
au sein d'une assemblee nombreuse , ont inspire
beaucoup d'estime et une vive impatience de voir
paraitre I'ouvrage entier. Personne n'est plus en
etat que M. Ginguene de terminer avec succes
son utile et vaste entreprise; car il a profonde-
ment etudie celte riche litterature, qui doinia si
long-temps a I'Europe les seuls modeles jusqu'a-
ii8 LITTERATURE FRANCHISE.
lors comparables aux modeles anciens, et dont le
premier classique remonte a la fin dii treizieme
siecle , c'est-a-dire , plus de deux siecles avant I'e-
poque oil les historiens routiniers ont cru devoir
placer la renaissance des lettres.
Forme des sa jeunesse a la critique litteraire,
La Harpe en ce genre obtint et merita beaucoup
de renommee. La premiere moitie de son Cours
de liUeratUT^e est estiraee a juste litre , surtout
dans c(; qui concerne la tragedie en FYance, et
specialement les tragedies de Racine et de Vol-
taire. Son Commentaire siir Racine fut redige dans
le meme temps ,qiioiqu'il ait ete public beaucoup
plus tard. 11 n'y faut pas chercher ces theories
lumineuses qui enrichissent le commentaire sur
(^orneille; mais on y trouve les principes d'un
gout pur, et le sentiment reflechi des beautes
sans nombre du plus exquis de nos poetes. Tout
ce qu'on pent reprocher au commentateur, c'est
d'avoir donne Irop d'importance a Luneau de
Boisgermain, qu'il reprimande sans cesse, pres-
que toujours avec justice , souvent avec une aprete
pen convenable. La derniere moitie du Cours de
litteratiire a ete composee durant notre epoque:
le style en est neglige, diffus; et, comme il s'a-
gissait d'auteurs contemporains, les jugemens 3"
sont en general plus f[ue severes. La partie rela-
tive a laphilosopliie du dix-huitieme siecle abonde
CHAPITRE III. 119
meme en declamations viruleiites. La Harpe, au-
trefois partisan de cette philosophic, en devint
iennemi acharne, qiiand son coeur fiit touche
par la grace : mais la grace , en lui prodiguant la
foi, ne lui avait donne ni I'equite ni la dialecti-
que. Aussi les sentences qu'il a portees contre les
philosophes celebres sont-elles cassees par le tri-
bunal de I'opinion publique; et, quand, par exem-
ple , il combat les deux idees fondamentales des
livres d'Helvetius, on voit, parses propres argu-
niens , qu'il s'est epargne le temps et la peine
de bien comprendre les opinions qu'il croit re-
futer. . . ., - -
La correspondance russe exige plus de deve-
loppemens. Tliiriot jadis etait a Paris le gazetier
litteraire du roi de Prusse, Frederic - le - Grand :
charge du meme emploi pour I'heritier du trone
de Russie, depuis I'empereur Paul T' , La Harpe,
dans sa gazette payee, qu'il appelle Correspon-
dance^ sacrifie tons les ecrivains de son siecle a
une seule idole; et cette idole, c'est lui- meme.
J. -J. Rousseau est le plus ingenieux des sophistes
et le plus eloquent des rheteurs; Ruffon prononce
a I'Academie Iranraise deux discours du plusmau-
vais gout; les eloges que lit d'Alembert ne sont
que des ana rediges par un homme d'esprit; Tho-
mas est monotone; trois prix remportes par
M. Carat ne I'empechent pas d'etre plus fait pour
no LITTERATURE FRANCAISE.
la philosophie que pour I'eloquence; encore s'a-
i^it-il uniquenient de Ja philosophie modf;rne,
comme on le voit clans une note amere, ecrite
apres la conversion de La Harpe; Condorcet ne
peut s'elever a I'eloge oratoire; et Ion a tort de
I'appeler un beau genie ; mais il existe uii homme ,
im seul homme qui merile d'etre ainsi nomme;
qui nest ni philosophe comme M. Garat, ni mo-
notone a la maniere de Thomas; qui ne fait point
des lijuc d'homme d'esprit comme d'Alembert;
qui n'est point de mauvais gout comme Buffon ,
encore moins rheteur eloquent et sophiste inge-
nieux comme J. -J. Rousseau. Dans la carriere
dramatique,DuBelloi,Lemiere, Colardeau , Cham-
fort, Saurin, font tres-mal de reussir, et leurs
succes sont arranges; M. Ducis abuse du patheti-
que. Un seul homme , qui n'arrange point de
succes, et qui n'abuse de rien, soutient I'hon-
neur de la scene tragique; les Barmecides, Jeanne
(le Naples, les Brames, temperent les emotions
trop fortes qu'avaient causees Gabrielle de Vergy ,
OEdipe chez Admete, Macbeth et le roi Lear. Les
poesies legeres n'offrent plus cette politesse ai-
mable qui les ornait dans le bon temps : heureu-
sement la France possede encore un seul homme
aimable et poli, (pii fait des couplets sur I'air de
la Baronne , sur I'air de Joconde , sur Tair des
Folies d'Espagne, sur I'air Reveillez-vous, belle
GHAPITRE ill. I'll
endormie; des vers galans pour madame de Gen-
lis, et beaiicoup de gentillesses du meme genre,
qui n'est assurement pas celui de Voltaire. Le
croirait-on? ce Voltaire, a qm La Harpe devait
tant de respect et de tendresse, est poiirtant loin
d'etre epargne dans I'impitoyable gazette. Ses der-
nieres tragedies, si Ton en croit le censeiir, n'of-
frent pas une scene remarquable. On devrait lui
dire^ comme d V arclieveque de Grenade: Mon-
seigneur^ plus d'homelies. II pourrait jinir comme:
Jean Leclerc, qui, ne cessant decrire malgre sa
vieUlesse ^ corrigeail tous les jours une epreuve
qu'on jetait aufeu dans son antichambre. En ve-
rite, on a peine a contenir one indignation legi-
time, en lisant, surun homme tel que Voltaire,
des plaisanteries si lourdes et si indecentes. Com-
ment La Harpe a-t-il public son etrange corres-
pondance? Comment, nouveau converti, a-t-il
pu y conserver des anecdotes licencieuses, et, ce
qui est pire pour v\\\ devot , des sarcasmes irreli-
gieux? Qu'il ait viole, a I'egard de Voltaire, la
reconnaissance et la pudeur, il aura pu les pren-
dre pour deux vertus philosophiques ; mais com-
ment peche-t-il sans cesse contre deux vertus
chretiennes : la cliarite et I'humilite? Comment
u'a-t-il pas senti qu'il se rendait odieux, en de-
nigrant sans relache et sans mesure ses rivaux,
ses maitres meme, et qu'il se rendait non moins
i-2'». t.ittp:ratljre frawcaisk.
ridicule , en prolongeant durant qiiatre volumes
rintenniiiable cantique de ses iouanges eternelle-
ment exchisives? Apres avoir ose rapprocher le
iiom de Jean Leclerc du nom le plus imposant
des litteratures niodernes, comment lui-meme
a-t-il surpasse Bohola, jesuite lithuanien , qui
s'avisa de leguer en mourant de I'argent et des
memoires pour servir a sa canonisation, des qu'il
aurait fait des miracles, mais qui ne songea du
moins a rien leguer pour damner ses contempo-
rains? On voit, par I'exemple de La Harpe, en
quels egaremens le delire de I'amour-propre pent
entrainer un homme de merite, et d'un merite
Ires-distingue; car on doit la justice a ceux meme
qui furent constamment injustes. Si La Harpe se
rendit malheureux en eprouvant le besoin de
hair, comme Fenelon sentait le besoin d'aimer,
il faut le plaindre, sans contester le talent dont
il a fait preuve. Ses dedains affectes, ses jalousies
reelles, s'oublieront bientot avec les productions
mediocres ou il lui a plu d'en consigner le temoi-
gnage; mais une foule de morceaux judicieux
semes dans les premiers volumes de son Cours
de litterature , quelques eloges d'hommes illustres
morts depuis long-temps, d'estimables discours en
vers, sa traduction du Philoctete de Sophocle,
Warwick, et surtout le drame t4oquent de Mela-
nie : tcls sont les ouvrages qui souliendronl sa
CHAPITRE III. 115
reputation , malgre les nombreux efforts qu'il
semble avoir faitspour la compromettre , et meme
pour la detniire.
Si nous avons ete forces de remarquer les fa-
cheux ecarts d'un litterateur qui n'etait pas d'uii
ordre vulgaire, ce n'est pas un motif suffisant
pour accorder quelque mention a des censeurs
subalternes,condamnes, par I'instinct d'une basse
envie, et par la conscience de leur nullite, a de-
primer tons les talens , a vouloir etouffer toutes
les lumieres. Dans leurs pamphlets periodiques,
remplis de personnalites et de delations, ils de-
passent les bornes de la satire, et meme les bor-
nes connues du libelle, sans pouvoir jamais at-
teindre a la critique litteraire. Ce serait un genre
aussi facile qu'odieux , s'il consistait seulement a
trouver ou a supposer les defauts. L'ignorant ne
voit point les beautes; le detracteur ne vent point
les voir; le critique les voit et les met en evidence.
Parle-t-il des grands ecrivains qui ne sont plus;
c'est avec respect, ce n'est point avec idolatrie.
II les admire , et cependant il les juge , mais en
observant cette circonspection modeste que re-
commande Quintilien. Il sait decouvrir leurs fau-
les; il fait plus : ce sont les fautes des modeles;
par la meme elles sont dangereuses; il les signale,
non pas a la maniere de Zoile , qui, par des in-
jures repetees chaque jour, croit ternir la gloire
124 LITTKRATUKE FRANCHISE.
(I'llomere ; mais comme Horace , qui , malgre le
soniineil d'Homere, reconnait en lui le clief des
poetes et des philosojDhes ; comme Longin, qui
reprend quelquef'ois Sophocle, Demosthene et
Platon , et qui pourtarit les place au premier
rang des classiques ; comme Voltaire , qui re-
leve les incorrections de Corneille , et qui le
declare superieur en ses endroits sublimes a
tons les poetes tragiques de toutes les nations.
Le critique a-t-il a parler de ses contemporains ,
il celebre ceux qui meritent la renommee, comme
Ciceron, dans son Traite des Orateurs illuslres,
vante Brutus, Antoine, Hortensius; comme Ho-
race cliante Virgile et Varius ; comme Boileau
rend hommage a Racine, a Moliere, aux ecrivains
de Port-Royal. C'est pour acquerir le droit d'ou-
^ trager les vivans , que le detracteur exagere le
culte des morts. Juste en vers les morts, le criti-
que est juste avec bienveillance envers les vivans.
Ce n'est pas qu'il trahisse ou qu'il neglige la ve-
rite. Des hommes eclaires s'oublient-ils jusqua
donner I'exemple du denigrement? c'est a regret,
mais avec force, qu'il les condamne sans les imi
ter. Des charlatans foulent-ils aux pieds les droits
de I'espece humaine, et les noms consacres par
la reconnaissance publiqiiePil deploie une ener-
gie severe. La, toute indulgence serait complicite.
Hors de la, il ne loue encore que ce qui est loua-
CIJAPITRE III. 125
ble; il le cherche dans les ouvrages, ne se bor-
naiit pas a radmiratioii des chefs-d'oeuvre, mais
payant un tribut d'estime aiix travaux utiles,
u'oubliant ni les hommages dus a la vieillesse en-
touree des monumens litteraires qu'elle va leguer ,
a la posterite, ni les encouragemens affectueux
qua droit d'attendre la jeunesse, espoir et garant
d'une gloire future. Est-il contraint de prononcer
sur ses rivaux en quelque genre d'ecrire? c'est
alors qu'il redouble d'egards, rejetant loin de lui
Tapercu d'un sentiment jaloux , apprehendant
jusqu'aux traces dune partialite meme involon-
taire. S'eleve-t-il aux generalites? il pose des prin-
cipes et non des limites. D'autres que Iui,resser-
rant I'espace en un point, prescriront de suivre
un modele unique ; d'autres contesteront au genie
I'independance qu'il tient de la nature, et qu'il
ne se laisse point ravir. C'est done bien a tort
que Ton voudrait confondre ensemble deux cho-
ses directement opposees. La fausse critique nuit
et veut nuire : elle est ennemie des talens, dont
la vraie critique est auxiliaire. L'une est le metier
de I'envie; I'autre est la science du gout dirige
par la justice.
««o«?S?«>»
>>■:< 'r.
126 UTTER ATURK FRANCAISE.
%.'X.«--W«.'«
CHAPITRE IV
Art oratoirc.
L'eloquence , chez les Francais , preceda Tart
oratoire ; car ces deux terraes ne sont pas syno-
nymes, com me ont para le croire quelques rhe-
teiirs. Tons les tons de la haute eloquence se
trouvaient dans les tragedies de Corneille, avant
meme que Balzac , dans ses discours , eut donne
a la prose francaise du nombre et de la gravite.
Pascal fut aussi tres-eloquent, et de plus d'une
maniere, dans un immortel ecrit poleraique, oii
les formes oratoires ne sont point admises. Lin-
gendes, prelatdu temps de Louis XIII , et celebre
alors par ses sermons et ses oraisons funebres,
aurait encore de la reputation , s'il eut employe
a les perfectionner en francais le temps qu'il
perdit a les traduire en latin. II avait entrevu
I'eloquence de la cliaire ; Mascaron s'en rappro-
cha ; Bossuet Tatteignit, et la porta, dans ses orai-
sons fuuel)res, a une hauteur inconnue avant et
apres lui. Plechier, sans etre son rival, raontra
CHAPITRE IV. 19,7
quelquefois du genie , et deploya toujours line
rare habilete dans la distribution des parties ora-
toires , dans la construction des periodes , clans
le choix et I'arrangement des mots. Bossuet a des
emules comme sermonnaire ; et Ton place au
moins a cote de lui Bourdaloue, plus vante que
lui ; Massillon, relu souvent , toujonrs goiite da-
vantage , et Tun des plus beaux modeles que nous
presentent Teloquence et I'art d'ecrire. Entre les
successeurs des classiques se font remarquer le
protestant Saurin , grave , mais neglige ; Chemi-
nais , touchant , mais faible ; I'abbe Poule , abon-
dant , pompeux , mais prolixe et sans variete ;
Tabbe de Boismont, elegant ecrivain, mais orateur
raaniere, froid par consequent; enfin Teveque de
Senez, Beauvais, qui n'a point les defauts de I'abbe
de Boismont, et dont nous allons parler avec plus
de detail.
Les ouvrages de I'eveque de Senez , publics il
y a dix-huit ans, out ete r^imprimes I'annee der-
niere. Cette fois on a retabli quelques morceaux
que les circonstances avaient, dit-on, fait sup-
primer dans la premiere edition. Des sermons,
des panegyriques,des oraisons funebres: tels sont
les differens discours qui composent les quatre
volumes de ce recueil interessant. Nous ne savons
pourquoi Ton n'y a point insere le fameux ser-
mon do la Cene, preche le jeudi- saint devant
i>.8 LIITERATURE FRANCAISE.
le roi Louis XV, quarante jours avant la mort de
ce prince. C'est la que I'orateur , s'elevant avec
energie contre les scandales de la cour, renouvela,
sans croire et sans vouloir etre prophete lui-
meme, rcffrayante prophetie de Jonas : « Encore
quarante jours, ct Ninive sera detruite. » Au reste,
c'etait nne figure, ou , si Ton veut, une formule
oratoire qui lui etait famiiiere; car il I'avait deja
employee a la tin de son sermon sur la conver-
sion, egalement preclie devant le monarque, a
I'ouverture du careme de 1774- C'est vers ce
temps que I'abbe de Beauvais fut pourvu de I'eve-
che de Senez , non par un mouvement spontane
de Louis XY , comme on Ta souvent ecrit , mais
sur la demand e formelle des trois filles du roi.
Cela prouve que Ton pent reussir a la cour, meme
en faisant son devoir; car il s'en faut bien qu'il y
ait preche en courtisan. Sous differens titres ,
presque tons ses discours out pour objet la misere
du peuple , le luxe et la corruption des classes
superieures ; le dogme y est rarement traite. C'est
un reproche que lui font quelques theologiens
rigides; mais doit-on le blamer d'avoir su se bor-
ner a la partie morale de la religion ? Il n'est
point de sccte chretienne a qui de tels sermons
ne soient convenables. Preches a Versailles , ils
pourraiejit I'etre a Naples, a Petersbourg, a Berlin,
a Londres; et nous nc croyons pas leur donner
CHAPITRE IV. luc)
un mediocre eloge. L'orateiir a moins reussi dans
le genre des panegyriques, quoique son talent se
retrouve en quelques morceaux dii panegyrique
de saint Angustin, qu'il prononca devant I'assem-
blee du clerge de France. Ses ouvrages les plus
travailles, les mieux ecrits , les meillenrs a tons
egards , sont les qualre oraisons funebres par les-
quelles il termina sa carriere apostolique. Dans I'o-
raison funebre de Louis XV, on admire I'eloquent
exorde oii le prelat rappelle a ses auditeurs les
paroles litteralement prophetiques qu'il adressait
au monarque dont il vient deplorer la mort. Entre
plusieurs endroits remarquables du discours , on a
retenu cette phrase imposante, et qui restera ce-
lebre : « Le peuple n'a pas sans doute le droit de
« murmurer ; mais sans doute aussi il a le droit
« de se taire ; et son silence est la lecon des rois. »
Il y a beaucoup de sagesse et de gravite dans
I'oraison funebre du marechal du Muy, person-
nage de moeurs irreprochables, et le plus religieux
des marechaux de France , mais qui n'etait connu,
comme general, que par sa defaite a Varbourg,
et qui ne s'etait illustre, comme ministre de la
guerre , par aucune institution de quelque im-
portance. On est bien plus emu en lisant I'oraison
funebre de Charles de Broglie , eveque de Noyon.
li'orateur y paraphrase d'luie maniere toiichante
deux beaux discours de saint Ambroise. On en-
OEuvres posthuines. III. Q
i3o litti:raturk fiuncaise.
tend se meler ensemble les accens de la doiileur et
ceiix de I'esperance : c'est iin ami desole qui pleure
sur les cendres d'un ami ; c'est iin eveque resigne
qui prie sur le mausolee d'un eveque. L'oraison
funebre du cure de Saint-Andre-des-Ars est d'un
ton plus austere. L'eveque de Senez et beaucoup
d'autres prelats de Teglise de France avaient ete
formes par ce vieillard venerable, qui fut , dit-on,
le modele du sage cure de Melanie. Le pontife
s'incline avec respect vers la tombe de I'humble
pasteur, pour y recueillir les dernieres lecons d'un
inaitrc cheri dont il veut rester le disciple. Tout
est simple , mais tout est solennel dans ce dis-
cours : ce n'est pas I'eloge d'un grand de la terre,
ni meme , ce qui est bien different , I'eloge d'un
grand homme ; c'est le panegyrique d'un saint ,
presente comme exemple aux pasteurs , et plutot
invoque que lone. Si Ton vit un prelat rendre a
d'obscures vertus des botuieurs publics , long-
temps reserves a la puissance, il faut bien en faire
hommage a Tesprit du dernier siecle. Ce n'est pas
que nous pretendions placer l'eveque de vSenez
an rang des philosopbes modernes : il les attaque
souvent, au contraire ; mais il les attaque avec
decence. Loin de se dissimuler leurs talens, leurs
succes , leur force toujours croissante, il en pa-
rait epouvante. Comme eux ,d'ailleurs, il prevoil,
il annonce une revolution prochaine , dont les
\ •■
CHAPITRE IV. i3r
symptomes ne pouvaient echapper qu'aux viies
faibles , et que Louis XV entrevoyait lui-meme ,
malgre les prestiges du trone ; une revolution que
tout reiidait inevitable : le desordre des finances,
le discredit d'une cour sans gloire et meme sans
gloire militaire, les progres de la nation, la de-
cadence du gouvernement , et I'ecroulement des
prejuges que la raison renversait par I'examen.
Celui qui s'etait inontre hardi dans la chaire de
Versailles parut timide dans I'Assemblee consti-
tuante. 11 en etait membre durant la derniere an-
nee de sa vie ; et ce fait , recent encore , est au-
jourd'hui presque ignore. Sa voix n'y fut jamais
entendue, soit qu'il faille plus d'audace pour ha-
ranguer des egaux qui vont vous repondre qu'un
roi qui vient vous ecouter ; soit qu'il n'ait pas
voulu soumeltre a I'epreuve des opinions popu-
laires une reputation de trente ans. Cette repu-
tation se maintiendra. L'eveque de Senez est sage
dans ses compositions, correct et simple dans son
style, trop simple meme en quelques endroits ;
mais ce defaut est bien preferable a la fausse ele-
gance, a la finesse enigmatique des predicateurs
de son temps. 11 approche quelquefois de I'ele-
vation de Bossuet, dont il n'a jamais I'energie et
la profondeur; il atteint presque a la douceur de
Massillon , sans connaitre et distribuer comme lui
loutes les richesses de I'art d'ecrire;il tombe dans
9-
t:
i32 LirrEHA'l IJRE FKANCAISE.
des redites frequerites. On lui souhaiterait plus de
couleur et plus de forme; mais il toiiche, il com-
munique les emotions qu'il eprouve ; et , depuis
ces deux grands modeles , aucun orateur n'a
mieux saisi ie ton noble et persuasif qui convient
a I'eloquence de la chaire.
Les sermons de M. le cardinal Maury ne sont
point imprimes, et nous ne connaissons pas d'o-
raisons funebres de cet orateur. 11 n'a pas juge a
propos de donner encore au public son panegy-
rique de saint Vincent-de-Paule , discours qui
jouit d'une haute reputation, et que Ton se sou-
vient de lui avoir entendu prononcer plusieurs
fois dans les eglises de Paris. Mais deux morceaux
d'un rare merite, le panegyrique de saint Louis
et cehii de saint Augustin , sont publics a la
suite du livre sur I'Eloquence de la chaire. Ces
iieuTi. sujets, traites par une foule d'orateurs, I'a-
vaient ete recemment par Teveque de Senez ;
nous avons deja remarque qu'il reussissait pen
dans ce genre; et pour le mouvement, la couleur,
la force, I'harmonie du style, Tecrivain dont nous
parlous lui est de beaucoup superieur. Dans le
panegyrique de saint Louis, les croisades de ce
prince sont justifiees par un noble motif: la de-
livrance des Francais, des chretiens en captivite.
Ces emigrations armees causerent de grands maux;
mais elles eurent aussi nnolque influence sur la
CHAPITRE ly. . i33
civilisation europeenne. C'est en historien que Ro-
bertson avait expose ces avantages ; le panegyriste
les fait valoir en orateur. 11 peint surtont de cou-
leurs touchantes I'lieroisme du pieux monarque ,
cette probite magnanime qui le rendit I'arbitre
de ses voisins et meme de ses ennemis , ses soin*
pour rendre la justice, ses tiavaux , ses etablisse-
mens , les pleiirs verses sur sa tombe , des regrets
prolonges pendant un siecle, et le cri des Francjais,
durant les six regnes suivans , redemandant , a cha-
que vexation, les etablissemens de saint T^ouis. Ce
discours, prononce devant I'Academie francaisc,
fixa sur I'orateur, jeune alors, les regards bieii-
veillans de cette compagnie celebre : elle lui donna
des marques d'un interet special. II sen niontra
digne; et Ton sentit combien son talent se pei-
fectionnait, lorsqu'il prononra devant le clerge de
France le panegyrique de saint Aiigustin. Conime
on y voit ce Bossuet du quatrieme siecle illustrer,
defendre et dominer I'eglise chretienne ! Malgre
son zele ardent contre I'heresie , comme on aime
a le trouver tolerant ! Avant d'entrer en lice avec
les eveques donatistes, I'eveque d'Hippone exigea
que les soldats d'Honorius sortissentde Carthage :
ainsi Fenelon ne voiilut commencer ses missions
en Saintonge quapies avoir fait eloigner de la
proK'ince les legions de Louis-le-Grand. Ce rap-
prochement lieureux honore doublenienl rora;^
134 LITTERATURE FRANCAISE.
teur, homme trop eclair^ pour faire cas des con-
versions operees par les baionnettes. Son discours
est plein de traits de cette force; il est nerveux,
rapide, eloquent; et, puisque Marc-Aurele n'est
point un saint , puisque son eloge est un discours
profane, ce pauegyrique de saint Augustin nous
parait meriler la premiere place dans un genre
ou Massillon s'est exerc^.
Nous chercherious en vain des orateurs du pre-
mier ordre, soit au barreau, soit au ministere pu-
blic; et I'eloquence judiciaire n'a jamais ete parmi
nous ce qu'elle fut cliez les deux peuples classiques
de I'antiquite : elie nous presente toutefois des
noms lionorables. Dans les premieres annees du
regne de Louis XIV, Patru bannit du barreau
francais le mauvais gout et la barbaric; il avait
fait de notre langue une etude profonde : c'est la
son principal merite; et son style n'a pour I'ordi-
naire d'autre qualite que la correction. Pelisson,
dans ses Plaidoyers pour le surintendant Fouquet,
s'eleva jusqu'a I'eloquence. La noblesse, I'harmo-
nie, une elegance continue, mais peu animee,
caracterisent les nombreux discours du celebre
d'Aguesseau. Cochin, d'ailleurs si estimable pour
la sagesse et la clarte , lui est inferieur comme
ecrivain, sans le surpasser comme orateur. La ge-
neration suivante eut plus d'energie : c'est la ce
qui domine dans les Memoires, rediges a la hate,
CHAPITRE IV. i35
que La Clialotais, captil, eciivit pour sa defense
et centre ses persecuteurs. Le meme magistrat et
Monclar, avocat-general du parlement d'Aix, de-
ployerent une raison courageuse , en denoucant
les constitututions des jesuites. L'avocat- general
Servan posseda mieux encore les secrets de I'arl ;
et son Plaidoyer pour une femme protestante est
parmi nous le plus beau modele de Teloquence
judiciaire. Moins oratoires, les ecrits de Voltaire
en faveur de Galas et des Sirven sont admirables
par ce naturel toujours elegant, et cette philoso-
phic toujours utile que Ton admire en ses ou-
vrages. L'avocat Gerbier a laisse d'imposans sou-
venirs : ses Memoires imprimes ne donneraient
de lui qu'une idee incomplete. L'attitude, le main-
tien, le geste, un ceil eloquent, une voix sonorc'
et flexible, tout le servait au barreau. Rien de tout
cela, sans doute, ne fait I'ecrivain : vest le corps
qui parle au corps ^ dit Buffon; mais tout cela fail
Torateur, s'il faut en croire Giceron, dont I'auto-
rite semble irrecusable. A ces parties essentielles
Gerbier joignait le don d'emouvoir; et Ton ne pent
revoquer en doute sa superiorite, garantie par
trente ans de succes, attestee meme par sesemules,
entre lesquels on doit remarquer Target et M. Treil-
hard. Le premier IMemoire public dans I'affaire du
conite de Morangiez fit honneur aux talens de
Linguet, qui n'eut point cette fois la recherche et
iS6 LITUiRATURE IKAJNCAISE.
'J
le faux esprit dont il toiirnirait tant (rexemples. Les
Memoires tie Beaiiniaichais dans I'affaire Go( z-
inan out u\\ iiierite eminent et varie. Quelqr.es
traits de rnauvais gout les deparent ; mais les traits
heureux v abondent; Tinteret, la gaite maligne,
un style original et rapide, les soutiennent, et les
font relire encore. En adoptant une maniere plus
grave, d'autres ecrivains fixerent egalement I'at-
tention. l^eloquent Plaidoyer de Dupaty pour
trois iiniocens condamnes fit reconnaitre les vio-
lens abus de la procedure criminelle. M. de La-
cretelle, en d'excellens Memoires pour le comtede
Sanois, redoubla I'horreur generale conlre les de-
tentions arbitraires. Dans une cause d'adultere, un
habile ecrivain, M. Bergasse, approfondit une ques-
tion de morale publique, et, sortant meme des
bornes de sa cause, osa, durant le cours du pro-
ces, denoncer ouvertement le ministere qui gou-
vernait la France il y a vingt annees.
On aper(^oit ici, comme en tout autre genre,
les progres de I'esprit du siecle. Un esclave ne
peut etre eloquent : cet axiome est de Longin; et
rien n'est niieux senti, ni mieux prouve. Quand
la (irece cessa d'etre libre, ses orateurs disparu-
rent; elle eut des rheteurs et des sophistes. Le plus
eloquent des Romains nierita le surnom de pere
de la patrie. Apres Cict^ron , plus de ))atrie, comme
aussi plus de tribiuie. Grace aTite-Live, a Tacite,
CHAPITRE IV. i37
Teloquence romaine se refugia dans Thistoire, avec
]e genie de la republique. Chez les Francais, la
chaire fut eloquente , parce quelle fut libre. L'o-
rateur republicain , I'orateur sacre , jouissent de la
meme. iudependance : proteges, I'un par la loi
commune, Tautre par le privilege de la religion,
tons deux s'elevent a un point, d'ou ils peuvent
tout dire. Si, du haut de la tribune populaire,
Demosthene reveille la Grece assoupie , et tonne
contre I'ambition d'lm roi conquerant; du haut
de la chaire evangehque, et par momens du haut
du ciel, Bossuet proclame le neant du trone, et
foudroie les grandeurs humaines. En acquerant
une liberte tardive, le barreau s'approcha de la
haute eloquence. Enfin , la revolution franraise
eclata; de nouvelles institutions renouvelerent I'art
de parler; et, durant I'espace de quinze ans, toutes
nos assemblees poliliques out pu citer des ora-
teurs plus ou moins celebres. Le premier en date
comme en renommee fut Mirabeau.
Doue d'un esprit vigoureux et d'une anie ferme,
instruit par les malheurs, par les fautes meme d'une
jeunesse orageuse, ayant vu cinquante-qiiatre
lettres de cachet dans sa famille et dix-sept pour
lui seul, selon la declaration qu'il ne manqua pas
d'en faire a la tribune, Mirabeau, soit a la Bas-
tille, soit a Vincennes, soit dans les autres prisons
d'etat, oil, comme il le dit encore, // ri avail pas
i38 LITTEKATUKE FRANCAISE.
elu domicile^ mais on, pourtant, s'etait consume
le tiers de sa vie, avail eu le temps de miirir sa
haine centre le despotismc, et d'etudier a loisir les
principes de la liberie, toujours plus cherie quand
elle est absente. Les elats-e;eneraux furent convo-
ques: la Provence, sa patrie, le revit parailre au
moment des elections; et la, rejete par la noblesse,
il fut adopte par le peuple, alors nomme le tiers-
etat. Les discours qu'il prononca dans celte oc-
casion doivent etre cites parmi les meilleurs ou-
vrages, et sont de beaux monumens de I'eloquence
tribunilienne. 11 fallait un grand theatre a I'eten-
due de ses talens : il les deploya dans I'Assemblee
constituante, ou ses travaux furent immenses. Des
tours habiles, des expressions pesees, la force et
la mesure, caraclerisent son Adresse au roi sur le
renvoi des troupes. On se rappelle encore la seance
ou, peignant a grands traits le tableau hideux d'une
banqueroute generale, il fit adopter sans examen
le plan de finances propose par un ministre alors
favori du peuple, et sur qui, par cette confiance
meme, il faisait tomber tout le poids d'une res-
ponsabilite sans partage. L'orateur improvisa sa
courte harangue; et jamais improvisation plus ener-
• gique ne produisit de plus grands effels. Lntre une
foule de morceaux, dont I'exacte enumeration se-
rait deplacee, on a remarque sa reponse a M. Tabbe
Maury sur les biens ecclesiastiques, un ])rillant
CHAPITRE IV. 1^9
cliscours sur la constitution civile dn cierge; un
discours tres-sage sur le pacte de famiile, base
d'une longue alliance entre la France et I'Espagne;
deux discours sur la sanction royale, deux autres
sur le droit important de faire la paix ou la guerre,
et le second surtout ou, combattant Barnave et le
prenant pour ainsi dire corps a corps, Mirabeau,
sans changer d'opinion, parvint a ressaisir une
popularite qui lui echappait. II excellait speciale-
ment dans la partie polemique de I'art oratoire :
il en donna des preuves signalees, soit en recla-
mant Tabolition de I'ancienne caisse d'escompte ,
qui pretendait soutenir son credit par des arrets
de surseance; soit en denoncant la chambre des
vacations du parlement de Rennes, qui croyait ne
pouvoir obtemperer aux decrets de I'Assemblee
nationale; soit lorsque, 5 I'occasion de la proce-
dure du Chatelet sur une emeute passagere, d'ac-
cuse qu'il etait il se rendit accusateur; soit enfin
lorsque, devenant a la tribune le patron de sa ville
natale, il invoqua pour elle le secours des lois
contre les vexations arbitraires du prevot de Mar-
seille. C'est la que Mirabeau quelquefois atteignit
les fameux orateurs de I'antiquite; c'est, dans notre
langue, ce qui approche le plus de ces beaux dis- ,
cours ou Ciceron mele aux debats judiciaires les
discussions politiques. Laissons a I'histoire un droit
qui n'appartient plus qu'a elle : il ne nous convient
i4o ' LITTKHATURR FUANCAISE.
pas cie jiiger ici I'lionime tout entier; nous appre-
cions seulenient les ouvrages et le genie de rhomme
public. En consideraiit Mirabeau comme ecrivain,
on lui a reproche du neologisme : cereproche, qui
n'est pas tout-a-fait injuste, a ete du moins fort
exagere. Qu'on relise avec attention ses discours,
et ils composent cinq volumes, qu'y pourra-t-on
reprendre a cet egard? douze ou quinze termes
nouveaux, dont quelques-uns etaient necessaires
pour exprimer des idees nouvelles. Comme ora-
teur, il possedait la plupart des qualites essen-
tielles : elocution noble et grave, debit imposant,
dialectique pressante, elevation, force, entraine-
nient; ajoutez-y de vastes connaissances, et une
portee plus grande, qui lui faisait presque deviner
les connaissances qu'il n'avait pas encore acquises.
Il ne faut pas oubiier urt amour-propre habile et
caressant pour celui des autres, I'art de profiter
de toutes les lumieres, de rallier a lui tous les ta-
lens distingues, d'en faire les artisans de sa gloire,
les collaborateurs de ses travaux, et de conserver
sur eux I'ascendant non de I'orgueil mais d'une
vraie superiorite. Nul ne sut mieux a-la-fois con-
vaincre la raison, et remuer les passions d'une as-
semblee. Tout ce qui le distinguait au milieu des
homnies reunis, il le conservait dans I'intimite :
seduisant par les cliarmes d'une conversation riclie,
anmiee, originate; reunissant, ce qui semble con-
CHAPITRE IV. i4r
traire aux esprits etroits, le gout cles etudes abs-
traites, le gout des beaux -arts, celui meme des
plaisirs, et faisant tout servir a son ambition, qu'il
ne cachait pas, mais qu'il gouvernait comme son
eloquence, et qu'il justifiait par I'eclat de ses dif-
ferens merites. Homme du premier ordre a la tri-
bune, il I'eut encore ete dans le ministere, sur-
tout a la suite d'une revolution qui avait desabuse
des vieilles routines. Lesinterets, les evenemens,
a mesure qu'ils acqueraient de I'importance, s'ele-
vaient au niveau et de son caractere et de son ta-
lent. Gen^ dans les objets vuigaires, il etait a son
aise dans les grand es choses '
1. La mort ayant surpris Chenier avant la fin de son tra-
vail, ce chapitre n'a point ete tctmine.
I 111 JJTTERATURE FRANCHISE.
X.^*'^ %-'».'^*'%"*.*r-%.'%.*'%'*.X-*-^'V*^^ *.-%/•%• V*.*,V%,-V %-'*.'». ^^/^%.-»-'^%^«/^%.'V»%.-^^%/'^'%. %.•».•«
CHAPITllE V.
L'Histoirc.
Si, pour ecrire I'histoire, il suffisait de rassem-
bler des faits, et de les classer selon leur date,
la litterature francaise pourrait se glorifier d'liii
plus grand iiombre d'historiens que toule autre
litterature ; mais il n'en est pas tout-a-fait ainsi.
Pour etre dignement traite, ce genre, aussi im-
portant que difficile, exige a-la-fois de grands ta-
lens, I'amour de la verite, la liberte necessaire
pour etre veridique : trois choses qui manquerent
souvent aux ecrivains places sur I'immense cata-
logue des liistoriens. Long -temps nous n'avons
eu que des chroniques, la plupart redigees en
latin, et presque toutes par des nioines. Entre
les vieux auteurs qui ont adopte notre langue,
et qui n'appartenaient point au cloitre , Joinville,
et Froissart ' apres lui , nous plaisent encore par
des narrations naives. Plus tard , Philippe de Co-
mines -^j nourri dans les intrigues des cours, pei-
gnit avec quehjue profondeur le sombre et dissi-
1. Voyez la iiti du present volume, art. Fragments litte-
raires.
2 . hleiv , idem . " . '
CHAPTTRE V. i43
mule Louis XI. Seyssel , historien de Louis XII,
est peu digne de son heros. Brantorae n'a droit
d obtenir place que parmi les compilateurs d'anec-
dotes. Sully, Perefixe , graves et dignes de con-
fiance , se soutiennent par leur sagesse , et par
I'interet qu'inspire Henri IV. II est facheux que
I'habile et judicieux De Thou n'ait pas ecrit en
francais. Mezerai, qui vint ensuite , publia ITIis-
toire complete de la monarchie francaise. Con-
temporain de Richelieu, il manifesta des opinions
independantes. Il y a du nerf et de I'originalite
dans sa diction, souvent trop famihere; quelque-
fois meme il atteint a I'eloquence ; et, malgre
tout ce qui lui manque, il I'emporte sur Daniel,
et a beaucoup d'egards sur Veli et ses deux con-
tinuateurs. En racontant la conquete de la Franche-
Comte, Pelisson, d'ailleurs si correct, fut moins
historien que panegyriste. Bossuet , dans son Dis-
cours sur Thistoire universelle , allia les vues re-
ligieuses d'un pontife aux formes d'un grand ora-
teur. Saint-Real, qui plus d'une fois porta le
roman dans I'histoire, acquit une renommee du-
rable par son elegant recit de la conjuration de
Venise, ou pourtantil n'est point Tegal de Salluste,
quoiqu'on I'ait souvent affirme. Si quelque Fran-
cais rappelle la maniere brillante et ferme du
peintre de Catilina, c'est assurement le cardinal
de Retz, mais seulement lorsque son style s'eleve;
T/i4 LITTKRATUKE FKANCAISE.
carcet historien, digue tic la Fronde, unit comme
elle le grave an comique; et, dans les recits
d'anecdotes, madame de Sevigne n'est pas plus
naturelle, Hamilton n'est pas plus plaisant. Apres
les Memoires de Retz, niais a une longue dis-
tance, ceux du due de Saint -Simon se font re-
marquer par la franchise du style et par de cu-
rieux details. En ecrivant I'histoire de quelques
revolutions celebres, Vertot , disciple de Saint-
Real, se fit une reputation plus solide et plus
etendue que celle de son maitre. Snr des sujets
du meme caractere, le jesuite d'Orleans ne de-
ploya pas un talent du meme ordre. Un autre je-
suite, Bougeant, merite plus d'eloges par sa judi-
cieuse histoire du traite de Westphalie. Celle de
la ligue de Cambrai ne fait pas moins d'honneur
al'abbe Dubos. Eleve des historiens de I'antiquite,
RoUin, qui les traduit ou les commente, fut sim-
ple, elegant et focile, an moins dans son Histoire
ancienne; mais, comme il ecrivait pour I'enfance,
les lecteurs d'un autre age out droit de lui repro-
cher des reflexions pueriles, et meme une credu-
lite trop complaisante. An milieu du dernier siecle,
le president Renault redigea, sur un plan neuf et
bien concu , son Abrege chronologique de I'His-
toire de France , livre qui sera long-temps utile , mal-
gre des inexactitudes reconnues, et des omissions
(jiie Ton pent croire involontaires. Deux hommes
CHAPITRE V. 145
de genie dominaient alors : Montesquieu decrivair
la grandeur et la decadence du plus imposant des
peuples anciens, comme un Remain survivant a
Rome, et regrettant la republique sur les debris
memes de Tempire. A la brillante Histoire de
Charles XII , Voltaire faisait succeder VEssai sur
les Moeurs des Nations et le Siecle de Louis X/^,
monumens immortels , qui ne lui laissent aucun
rival entre les historiens modernes. II est le chef
d'une ecole qui s'etendit en Angleterre, 011 Tesprit
public et la liberte favorisent les travaux histo-
riques. En France, par des causes contraires, its
furent long-temps genes on mal diriges. Condillac,
en son Cours d'histoire ancienne et moderne, sou-
tint faiblement sa renommee, si legitime ad'autres
litres. Mably, frere de Condillac, affermit la sienne
par ses Observations sur THistoire de France, on-
vrage lumineux et necessaire a tons ceux qui
veulent etudier a fond la marche du gouverne-
ment francais. Nous avons perdu I'Histoire de
Louis XI, qu'avait composee Montesquieu: Ton
ne sent que trop cette perte en lisant la meme
histoire ecrite par Duclos. C'est le recit, ce n'est
pas le tableau du regne. Duclos est plus a son
aise dans ses Memoires secrets sur la fin du regne
de Louis XIY, et sur la regence du due d'Or-
leans , sujet qui convenait mieux a son gout de-
cide pour les anecdotes, et a la trempe de son
OEuvres posthuraes. Ol. ' ■ i . TO '. ■ ■
1 46 LITTER ATURE FRANCATSE.
esprit, plus fin qiieprofond. Millot, dans scs divers
Elemeus d'Histoirc moderne , est correct , impar-
tial et sage, mais decolore, timide et inediocre-
ment instructit. Le regno de Charlemagne, celui
de Francois l^"", la rivalite de la France et de I'An-
gleterre, offraient des sujets heureux; et Gailiard
ne les a pas traites sans succes: mais nn style
diffus depare les ecrits de cet historien, tres-
eclaire d'ailleurs, et maintenant trop pen appre-
cie. L'histoire philosophique du Commerce des
Europeens dans les deux Indes, acquit a I'abbe
Raynal nne reputation tardive, mais eclatante ,
et que ses premiers essais n'avaient pu iui faire
esperer. Ce n'est pas que ce livre celebre soit, a
beaucoup pres, exempt de defauts. On y trouve
assez souvent Tenflure a cote meme de la seche-
resse. L'auteur s'y permet des declamations fre-
quenles, et jusqu'a de longues apostrophes qui
seraient deplacees partout, mais qui repugnent
specialement a la severite du genre. Toutefois ce
grand ouvrage presente aussi des beautes nom-
breuses et un majestueux ensemble : il tient sa
place entre les monumens de la philosophic mo-
derne; et Ton ne saurait rabaisser sans ingrati-
tude un talent qui a servi la cause des nations.
Quoique tres-courte, l'histoire de la revolution
qui fit monter Catherine 11 sur le trone de Russia
est digne de beaucoup de louanges. Le style en
est orne, mais rapide et plein de mouvement :
CHAPITRE V. V i4y
c'etait, avaiit Thistoire cle Pologne, la meilleiire
production de Rulhiere. Qiioiqiie tres-lono^ne,
THistoire de la Monarchic prussienne, sous Fre-
deric-le-Grand, serait a peine citee, si elle n'etait
pas de Mirabeau. Elle contient des materiaux im-
menses, mais plutot accumules que mis en ordre:
elle suppose des recherches nombreuses , des
etudes approfondies; mais elle est indigeste et pe-
nible a lire; et tout le renom de I'auteur ne suffit
point pour la placer au rang des ouvrages qui
font honneur a notre langue.
Ayant a parler dans ce chapitre d'une foule de
traductions importantes , nous ne croyons pas
devoir en former une classe distincte a la suite
des ouvrages originaux ; car il deviendrait impos-
sible d'eviter la confusion des epoques ; et tout
ce qui est relatif a I'histoire moderne se trouve-
rait preceder la plupart des articles qui concer-
nent I'histoire ancienne. Afin de suivre une me-
thode plus satisfaisante pour les lecteurs instruits,
nous ferons intervenir chaque ouvrage, original
ou traduit, selon I'ordre chronologique des eve-
nemens que Ton y raconte. Le premier livre qui
se presente est done la traduction d'Herodote,
par M. Larcher. Ce n'est ici qu'une seconde edi-
tion, mais qui suppose un nouveau travail, puis-
qu'on y remarque beauconp de changemons, soit
dans rintcrpretalion du texte, soit dans le com-
] o.
,/i8 LITTER ATURT: FRANCAISE.
mentaire aiissi rlocte qirabondant, dont le tra-
(hictenr a cru devoir enrichir iin historien deja
si riche par lui-menie. On sait avec quel eclat et
quelle heureuse variete de formes Herodote ex-
pose les origines de I'Egypte et celles de la Grece,
los moeurs des anciens peiqiles de I'Asie , les eve-
iiemens principaux ecoules dans les grandes mo-
narchies qui precederent les republiques du Pe-
loponese,enfiiirentreprise de Xerxes: desarmees,
des flottes enormes, toute la puissance du grand
roi, venant echouer contre ces republiques, si
faibles en apparence, mais devenues invincibles
par leurs vertus et par leur union. Nous n'osons
point affirmer que le style de M. Larcher egale
en tout celui d'Herodote; nous ne trouvons meme
a cet egard aucun perfectionnement sensible dans
la seconde edition , et Ton pent mettre en doute
si les changemens qu'a subis le commentaire ont
contribue a rembellir. Beaucoup de personnes
preferent I'edition anterieure , et fondent leur pre-
ference sur des opinions philosophiques qui s'y
trouvaient manifestees, et qui ont ete remplacees,
dix ans apres, par des opinions contraires. Mais
dix ans de reflexions murissent le jugement d'un
commentateur. D'ailleurs, Tancien precepte, con-
formez-vous aux temps, ne pent qu'etre utile a
suivre. Qui sait meme si ces variantes d'opinions
ne sont pas le resultat d'une nouvelle methode
CHAPITRE V. 149
iiiveutee pour reiulre un menie oiivrage i)i>reable
a deux classes differentes de lecteiirs? Quoi qu'il
en soit, le traducteiir d'Herodote occupe depiiis
long-temps une place eininente parmi nos erudits
actuels. La prose francaise de ce savant helleniste
sera-t-elle surpassee par quelque noiivel inter-
prete, qui, non content de rendre avec fidelite
le texte d'Herodote, voudra donner an iiioins
line idee de son liarmoniense elegance? C'est ce
que nous penchons a croire possible , afin de ne
decourager personne; mais M. Larcher n'en con-
servera pas moins Thonneur d'avoir aplani le pre-
mier des difficultes de plus d'un genre ; car les
gothiques versions qui existaient deja n'ont pu
lui etre d'aucun secours : Ini seul a fraye ces che-
mins penibles; et, nieme en fait de traductions,
ceux qui ouvrent la route meritent beaucoup de
reconnaissance.
On nous reprocherait d'oublier un petit ouvrage
qui a pour titre : Supplement a V Herodote de Lar-
cher. Ce Memoire, ou beaucoup de choses sont
rassemblees en quatre-vingts pages, est important
par son objet et par le merite d'une excellente re-
daction. Lavoix publl(|ue Tattribue a un voyageur
qui s'est rendu celebre, en decrivant de nos jours
cette antique Egypte qu'Herodote avait decrite,
il V a deux mille ans, lorsqu'elle etait floiissanle,
et quVUe intruisait encore les homnus les pin>
i5o LITTERATURE FRANCAISE.
iiistruits pariiii les Grecs. A I'aide des tables as-
troiiomiques, faites par Pingre, en faveur de TAca-
demie des Inscriptions, pour dix siecles de i'his-
toire ancienne, Fauteiir fixe avec nne precision
rigonreuse, a Ian GaS avant notre ere, I'eclipse
centrale de soieil, qui, seion le recit d'Herodote,
fut predite autrefois par Thales,et, conformement
a cette prediction, fit cesser une bataille, et ter-
mina la guerre entre Cyaxares, roi des Medes, et
Aiyathes, roi des Lydiens. L'analyse exacte et ra-
pide de quelques passages d'Herodote, liabilement
rapproclies entre eux, suffit au critique pour de-
signer avec une egaie certitude Tan 55 7 avant notre
ere, corame date precise de la prise de Sardes,
epoque ou la monarchic lydienne devint une pro-
vince du vaste empire de Cyrus. De ces deux dates
bien constatees decoule aisement toute la chro-
nologic des rois medes et des rois lydiens, par
consequent du premier livre d'Herodote. La de-
monstration parait sans replique, a en juger par
la replique meme qn'elle a occasionee. Force de
defendre un grand historien contre son commen-
tateur, c'est en y regardant de pres que I'auteur
du Supplenient nous fait voir une extreme clarte
dans cette meme serie chronologique, ou M. Lar-
cher n'avait aper^u, apporle et laisse que des.te-
nebres. On espere que ce travail sera continue
sur I'ouvrage enlier d'Herodote. C'est ainsi qu'a
^
GHAPITRE V. ' i5i
I'exemple de Freret les savans de choses rendeiit
utile cette erudition, qui, dans les gros livres des
savans de mots, n'est qu'une lourde futilite.
II y a quatorze ans que M. Levesque a publie
sa traduction de Thucydide, la seule qui jusqu'a
present soit digne de quelque attention. Seyssel ,
historien de Louis XII, en fit une au commence-
ment du seizieme siecle, par I'ordre et pour ['in-
struction de cet excellent yjrince. Elle est aujour-
d'hui corapletement oubliee, sans I'etre toutetois
davantage que ceile de Perrot-d'Ablancourt, plus
moderne, raais plus niexacte, moins complete, et
d'ailleurs ecrite dans un style tout-a-fait contraire
au genie de roriginal. Thucydide, au moins egal
a Herodote, offre avec lui, parmi les Grecs, le
point le plus eleve des progres de I'liistoire : elle
ne commenca point, comme I'epopee, par atteindre
la perfection. Six siecles avant notre ere, Cadmus
de Milet, laissant le rhythme a la poesie, employ a
le premier la prose dans le recit des evenemens.
II ecarta les fables mythologiques, pour s'en tenir
uniquement aux veritables traditions des peuples.
Entre les nombreux historiens qui lui succederent
durant deux siecles, Hecatee, son compatriote, se
distingua par la purete de son langage et par la
douceur du dialecte ionique. Apres lui, vint Hero-
dote, le plus ancien des historiens qui nous sont
restes. Les critiques grecs et latins s'accordent a
1 52 LITTERATURE FRANCAISE.
(lire qu'il surpassa tous ses predecesseurs. Les
formes de sa composition , I'aboiidance et les graces
de son style, I'ont fait surnommer par eux le cliantre
et I'Horaere de I'liisloire. 11 hit son brillant ou-
vrage devant la Grece assemblee aux jeux olym-
piques. Thucydide, age de quinze ans, assistait a
cette lecture solennelle : il pleura d'admiration;
et, parmi les applaudissemens d'un peuple entier,
le vainqueur, sans rival encore, distingua ces
jeunes et nobles larmes, qui lui promettaient un
emule. En vain Denys d'Halicarnasse, ne dans la
meme ville, mais non avec le meme genie qu'He-
■ rodote, se fait-il un devoir de rabaisser Thucy-
dide : le judicieux Quintilien ne partage pas cette
: injustice. Outre qu'il jugeait sans passion, Quin-
tilien n'etait pas de ces critiques a vue courte qui,
dans chaque genre, n'apercoivent qu'une maniere,
et ne peuvent louer qn'un seul homme. A la ve-
rite, ce n'est point Teclat des evenemens qui sou-
tient riiistoire de la guerre du Peloponese; il n'y
a plus la nl Marathon, ni Salaminc : echecs, suc-
ces, tout est desastreux; qu'Athenes I'emporte, ou
que Sparte soit victorieuse, I'historien est grec;
et partout des Grecs gemissenl. De la, cette teinte
nielancolique si remarquee dans ses recits ; mais
toutes les passions politiques y parlent, y agissent:
on y voit avec douleur une nation genereuse user
son energie contre elle-meme; et, si Touvrage
CHAPITRE V. i53
d'Herodote consacre cetle imposante verite, que
I'union des peuples libres leiir doime line force
qui triomphe dii despotisme presque tout-puis-
sant, de I'ouvrage de Thucydide jaillit cette autre
lecon, terrible, mais utile a donner, que leur di-
vision brise cette force, et, par I'essai meme de
I'empire, les miirit pour la servitude. Ajoutez que
le talent de I'ecrivain n'est jamais inferieur au
sujet qu'il traite. II ne cherche point Tharmonie,
quelquefois meme il la brave; mais cbez liii tons
les mots sont des pensees; dans son style concis
et nerveux, il unit I'austerite d'un philosopbe,
et I'audace elevee d'un grand citoyen. Narrateur
nioins fleuri qu'Herodote, il n'est jamais, comme
lui , conteur agreable ; il est peintre plus ener-
gique; peintre des cboses, lorsquil decrit I'expe-
ditionde Sicile, on la contagion d'Athenes; peintre
des hommes partout, et specialement dans les ba-
rangues , oii il excelle , et qu'il place avec plus
d'art qu'Herodote , peut-etre meme qu'aucun au-
tre. Introduit-il Pericles determinant les Athe-
niens a la guerre , ou prononcant I'eloge funebre
des citoyens morts aux combats? les idees, les ex-
pressions, les tours, les images etalent toute la
magnificence oratoire. Fait-il parler Archidamus,
roi de Lacedemone, ou I'epbore Stenelaidas? c'est
avec une brievete simple et grave. Brasidas a-t-il
plus <le pompe : il fut eloquent, quoiqne Spar-
1 54 LITTERATURE FRANCAISE.
tiale, observe aussitot Thucydide, loujours lidele
au costume des moeurs , toujours scru|juleux.
gardieii des convenances. Tel fut le maitre
de la tribune attique, le modele adopte par De-
mosthene, qui le copia huit fois tout entier ;
et, dans la carriere de I'liistoire, nul doute que,
cbez les Latins, on n'ait le droit de compter par-
mi ses eleves Salluste , qui souvent I'egale, et
Tacite qui a tout surpasse. L'on doit done ren-
dre grace a M. Levesque de son heureuse et dit-
ficile tentative. On doit le remercier encore d'avoir
ete sobre de notes, bien different de ces traduc-
teurs qui ne voient dans le texte qu'un acces-
soire, et commentent les ecrivains les plus iUus-
tres, ainsi que le docteur Mathanasius commentait
le chef-d'oeuvre dun inconiui. Le merite de M. Le-
vesque, le sentiment profond qu'il a des beautes
de Tliucydide, la severite modeste avec laquelle
il juge sa propre traduction, nous garantissent
qu'il fera de nouveaux efforts pour la perfec-
tionner , et la reiidre digne , autant qu'il est
possible, de cet admirable historien.
Une dissertation sur les historiens d'Alexandre,
composee par M. de Sainte-Croix, il y a plus de
trente ans, et couronnee par I'Academie des In-
scriptions, avait obtenu, en paraissant, tout ie
succes que ces sortes d'ecrits doivent esperer. Mais
les eloges donnrs a I'auteur n out [)ii iui fermer
CHAPITRE V. . i55
les yeiix sur les defauts de son travail. 11 iVy a vu
qu'uiie ebaijche imparfaite, ait point que sa dis-
sertation, revue, corrigee et augmentee, est de-
venue un tres-gros volume in-quarto, qu'il a
public, il y a trois ans, sous le titre ^Exameii
critique des anciens historiens cV Alexandre. L'ou-
vrage est divise en six sections. La premiere traite
des anciens historiens, de ceux meme qui sont
anterieurs a I'epoque d'Alexandre, ou qui n'ont
jamais parle de lui : elle se termine par quelques
details sur les traditions orientates relatives a ce
conquerant. La seconde et la troisieme embras-
sent son histoire entiere, d'apres les recits de
Diodore, d'Arrien , de Plutarque parmi les Grecs;
de Quinte-Curce et de Justin parmi les Latins. 11
s'agit dans la quatrieme du temoignage de I'Ecri-
ture et des ecrivains juifs sur Alexandre. La cin-
quieme et la sixieme sont consacrees, Tune a la
chronologic , I'autre a la geographic de ses histo-
riens. Le livre est complete par un appendice sur
les historiens du moyen a£;e. Les lecteurs qui
aiment la precision seront peu satisfaits ; car le
style, d'ailleurs assez correct, est dune abondance
qu'un censeur severe appellerait proiixite. Ceux
a qui I'erudition suffit doivent etre contens : outre
les passages cites, qui forment plus d'un tiers du
volume, il n'est guere de phrases qui n'aient deux
ou trois autoriles pour escorle et pour appui.
i56 UTTERATURt: FRAINCAISE.
Sans etre trop rigoureux , on pourrait desirer nne
critique plus judicieuse. En effet, s'il etait cu-
rieux de faire des reclierches sur I'education dun
personnage tel qu'Alexandre , sur le proces de
Parmenion , sur I'acces de colere et d'ivresse ou
fut tue Clitus, sur la fontaisie qu'eut Alexandre
de se declarer fils de Jupiter, et d'etre lui-meme
un dieu, sur les facheux changemens que les con-
quetes opererent dans les moeurs du conquerant,
il semblait moins necessaire de s'enquerir avec
grand soin si , devant son armee en revoke ,
Alexandre prononca le discours succinct que lui
prete Polyen , ou le long discours que rapporte
Arrien, ou le discours plus long, mais tout dif-
ferent, qui se trouve dans Quinte-Curce, et qui
est une assez belle amplification; s'il y avait bien
un milliard quatre-vingt millions dans la citadelle
d'Ecbatane, et combien de millions vola le gene-
ral Harpalus, a qui ce tresor etait confie; si Pto-
lemee etait ou n'etait pas au siege de la ville des
Malliens; si le gymnosophiste Calanus , qui se
brula lui-meme, fut consume dans inie maison
de bois faite expres , ou s'il expirasnr ini lit (lore;
si ce fut le satrape Orxine, ou Polimaque de
Pella, qui fut condannie a mort pour avoir pille
le tombean de Cyrus; si ce tombeau renfermait
le ct)rps (lu njotiar(]ue persan , on n'etait qu'un
cenolaj)lie; enlin si, apres l.i inort d'Alexandre,
CHAPITRE Y. iSy
on enduisit son corps de cire, on bien si on le
mit dans Vhuile , ou bien encore si ce prince fut
mis en etat de niomie : ce sont les termes de
M. de Sainte-Croix. Qiioique les pensees de I'ecri-
vain se reduisent pour I'ordinaire a faire combat-
tre les pensees des autres, il manifeste pourtant
quelques opinions fort edifiantes. On remarque
aussi qu'il lance a tout propos, souvent meme
hors de propos , des traits amers contre la philo-
sophic et contre le goiivernement populaire. Tou-
tefois, comme il n'aime pas mieux lesconquerans
que les republiques et les philosophes, il juge
Alexandre avec une franchise qui, du temps de
ce prince, couta la vie an philosophe Callisthene,
mais qui, a vingt-trois siecles de distance, n'a,
par bonheur, aucun danger pour les savans. L'au-
teur eiit fait un livre plus methodique , pins
agreable et plus utile, si, voulant bien economi-
ser les longues citations qu'il est si facile d'accu-
muler, laissant de cote d'antres choses qui sont
a la fois des lieux communs et des ecarts, il se
fut donne la peine d'ecrire une histoire raisonnee
d' Alexandre et de son siecle. La venaient se fon-
dre et se placer des notions chronologiques et
geographiqnes ; la, devait se trouver, ce qu'on
cherche en vain dans I'onvrage : un expose de
Tetat des lettres , des sciences, des arts a cette
memorable epoque ; la meme on ponvait admet-
1 58 LTTTERATURE FRANCATSE.
tre qiielqnes discussions (renuiit, mais avec la
discretion que conseilleiine saine critique, etdont
il ne faut pas se dispenser quand on aspire a
etre lu.
En suivant, pour I'liistoire romaine , Tordre
que nous avons suivi pour I'histoire grecque, le
premier livre qui se presente est une traduction
complete de Sailuste , ouvrage posthume de I'es-
timable Bureau de la Malle. On ne saurait con-
tester a Sailuste mie eminente place entre les iiis-
toriens latins ; mais il fut apprecie tres-diversement
a Rome. On lui reprocliait de son vivant I'affec-
tation de rajeunir des mots vieillis. Tite-Live,,
qui le juge pent -etre avec la severite dun rival,
pretend qu'il est fort inferieur a Tliucydide, et
qu'il le gate en I'imitant. Tacite lui decerne la
palme de I'histoire latine, palme qu'aujourd'hui
nous decernons a Tacite. Quintilien , critique si
judicieux et si mesure, vante avec complaisance
cette rapidite admirable qui distingue Sailuste, et
que Tite-Live, ajoute-t-il, a su atteindre par des
qualites differentes. II s'en refere au jugement de
Servilius JNonianus, qui declarait ces deux emu-
les plutot egaux que semblahles. On a peine a
concevoir que d'autres Romains, le rheteur Gas-
sius Severus, par exemple , et meme Seneque,
aienttrouve les harangues de Sailuste plus faibles
que ses narrations. Dans la Guerre de Catilina,
CHAPITRE V. 139
les discours de ce chef de conjures , ceiix de Ca-
ton et de Cesar , ne sont-ils done pas des morceaux
d'un rare merite? Et quel historieu , sans excep-
tion , nous a laisse une harangue phis eloquente
que celle de Marius contre les patriciens, dans
la guerre de Jugurtha? [I y a de beaux discours
de SaUuste jusque dans les fragmens qui nous
sont restes de sa grande histoire , ouvrage dont
nous devons vivement regretter la perte, puisqu'il ,
renfermait la longue rivalite de Marius et de Sylla,
la dictature entiere du dernier, enfin tons les
temps ecoules entre la guerre numidique et la
conjuration de Catilina. vSalluste a eie souvent
traduit en francais. La version du president de
Brosses n'est digne d'aucun eloge; on fait plus de
cas de sa vie de SaUuste , production deparee tou-
tefois par un mauvais style et par une critique
vulgaire, mais curieuse par des recherches d'eru-
dition, materiaux qui peuvent etre utiles pour
composer un meilleur ouvrage. 11 y a quarante
ans , Dotteville obtint un succes merite en tra- -
duisant de nouveau SaUuste; et Beauzee, quoique
venu plus tard, est loin d'avoir fait aussi bien
que lui. Le seul qui souvent ait mieux reussi que
DotteviUe nous parait etre Bureau de la Malle;
mais, quoique cet habUe traducteur aspire a ren-
dre partout la nerveuse rapidite de son modele,
sa version neanmoins pourrait gagner encore du
I Go LITTER ATURE FRINCAISE.
cote de la couleur et de Tenergie. Nous croyoiis
qu'il raurait perfectiounee, s'il eut vecii davan-
tage. All reste , son principal titre litteraire est sans
contredit une autre traduction plus considerable,
plus difficile, et dont nous allons parler a I'instant.
Tacite, que Racine appelle a si juste titre le
plus grand peintre de ranti([uite,eutmerite d'avoir
pour traducteurs des ecrivains du premier ordre.
Une traduction de Tacite est la seule qui eut ete
digue de Montesquieu. Un de ses egaux s'est mis
sur les rangs , mais dans un essai trop peu etendu:
J. -J. Rousseau a traduit ce magnifique premier
livre de I'Histoire ou Tacite peint a si grands traits
la fin de I'empire de Galba , et les commence-
mens du court empire d'Othon. On ne lit guere
cette traduction. Dans le vaste recueil de Rous-
seau, elle est comme etouffee par ses chefs-d'oeu-
vre. Ccpendant, quoique imparfaite, elle ne doit
pas etre negligee ; quelquefois tout son talent s'y
retrouve. Sans y egaler Tacite, ni lui-meme, il
reste a une place ou il n'est pas facile de I'attein-
dre; et, sinon pour la fidelite, du moins pour le
clioix des expressions et le tour des phrases, il
est encore un objet d'etude. 11 n'a pas ete plus
loin que ce premier livre. Un si riidejouteur ma
hientot lasse, dit-il , avec la franchise et la verve de
Montaigne. D'Alembert a choisi seulement quel-
ques morcoaux d'un grand eclat dans les differens
CHAPITRE y. i6r
ouvragesde Tacite. Son choix est excellent; mais,
il taut I'avouer, d'Alembert, malgre tout son
merite, a pen reiissi dans sa traduction : meme
il y est constamment sec; precis, mais en geo-
metre et non pas en grand ecrivain; d'ailleurs,
souvent infidele an texte, et pins souvent an ge-
nie de Tacite. Les six derniers livres des Annales
et les cinq livres de I'Histoire ne font point par-
tie du travail de La Bleterie, travail dont la vie
d'Agricola est I'article le plus estime. Ce chef-
d'oeuvre, ou tant de choses tiennent si peu d'es-
pace, a ete de nouveau traduit , il y a douze ans,
par M. des Renaudes, a qui Ton doit une portion
d'eloges ; car il ecrit avec soin , meme avec scru-
pule : mais nous craignons toutefois que son
style n'ait pour I'ordinaire plus de recherche que
de nerf et de coloris. Dotteville et Bureau de la
Malle nous out donne deux traductions comple-
tes de Tacite : I'une est anterieure a notre epoque;
I'autre a paru pour la premiere fois , il y a dix-
huit ans. Celle que nous devons a Dotteville of-
fre beaucoup de choses estimables : une vie de
Tacite, ou Terudition est embellie par une saine
litterature; des abreges supplementaires, oil fau-
teur a eu le bon esprit de ne pas vouloir etre
brillant ; les notes diversement instructives qui
accompagnent la traduction; souvent cette tra-
duction meme retravaillee a chaque edition nou-
OEuvres posthuiues. III. I I
1(39. ijnERA'riiiu: tkaincaisi:.
veilo, iiiais qui pourtaiit renferme encore tropde
periphrases, trop d'equivalens substitues aux ex-
pressions chi texte, comme s'il pouvaity avoir des
equivaleiis avec Tacite! Bureau de laMalle, en son
discours preliniinaire , a clairement expose , d'apres
un Memoire de La Bleterie , quelles magistratures
reunies formaient.dansrempire romain le pouvoir
du prince. II nous parait moins heureux lorsqu'il
veut prouver en forme que la cruaute des empe-
reurs etait un moyen de finance , et que la pro-
scription des riches pouvait seule fournir a la
magnificence imperiale Sans pousser trop loin la
discussion, Titus fut aussi magnifique, ce sont
les propes termes de Suetone, qu'aucun des em-
pereurs qui I'avaient precede : nous savons que
Trajan le fut encore davantage ; et cette reponse
doit suffire. Eclaircissant le texte par des notes
courtes et judicieuses ; laissant , comme des vides
inaccessibles, ces lacunes desesperantes que le
genie meme ne pourrait remplir, Bureau de la
Malle , en qualite de Iraducteur, surpasse pres-
que toujours La Bleterie, d'Alembert et Botte-
ville. Attentif a corriger sans cesse, comme on le
voit par I'edition publiee depuis sa mort, il s'at-
tache plus qu'aucun deux aux idees,aux images,
aux expressions de son modele. Et quel modele
eut jamais droit d'exigcr une fidclite plus respec-
liieuse! Soit que,d'une plume austere, il decrive
CHAPITRE V. i63
]es moeiirs des Germains; soit qu'avec ime pieuse
eloquence, il transmette k la posterite la vie de
son beau-pere Agricola ; soit qu'ouvrant Tame de
Tibere il y compte les dechiremens du crime,
et les coups de fouet du remords; soit qu'il pei-
gne le senat, les chevaliers, tons les Romains se
precipitant vers la servitude , esclaves meme des
delateurs, et accusant pour n'etre point accuses,
I'artificieux Sejan redoute d'un maitre qu'il craint,
les affranchis tout-puissans par leur bassesse,
Pallas gouvernant I'imbecile Claude; Narcisse ,
I'execrable Neron , les avides ministres de Galba
se hatant , sous un vieillard , de saisir une proie
qui va bientot leur echapper, les Romains com-
battant j usque dans Rome, afin qu'entre Othon
et Vitellius la victoire nomme le plus coupable,
en se declarant pour lui; soit qu'il represente
Germanicus vengeant la perte des legions d'Au-
guste, ou puni par le poison de ses triomphes et
de I'amour du peuple, I'historien Cremutius Cor-
dus force de mourir pour avoir loue Rrutus et
Cassius, et, suivant un tres-juste usage, sa pro-
scription doublant sa renommee , Britannicus,
Octavie , Agrippine , victimes d'un tyran trois
fois parricide, Seneque se faisant ouvrir les vei-
nes, conjointement avec son epouse, les debats
heroiques de Servilie et de son pere Soranus ,
Thraseas , aux prises avec la mort , offrant une li-
1 1.
J 64 LITTER ATURE . FR ANCAISE.
bation de son sang a Jupiter lib^rateur, et pirs-
crivant la vie comme iin devoir a la mere de ses
enfans, il est tour a tour, ou a la fois, energicjtie,
sublime; variant ses recits autant que le perniet
la monotonie du despotisme, et toujours egale-
ment admirable; imitant Thucydide et Salluste,
mais surpassant ses modeles , comme il surpasse
tous ses autres devauciers, et ue laissant a ses
successeurs aucuu espoir de I'atleindre. Etucliez
I'ensemble de ses ouvrages : c'est le produit
d'une vie entiere , deludes prolongees, de medi-
tations profondes. Examinez les details : tout y
ressent I'inspiration ; tous les mots sont des traits
de s^euie et les elans d'une grande ame. Incor-
ruptible dispensateur et de la gloire et de la
houte, il represenle cette conscience du genre
humain que, seion ses energiques expressions,
les tyrans croyaient etouffer au milieu des flam-
mes, en faisant bruler publiquement les oeuvres
du talent reste libre, et les eloges de leurs victi-
mes, dans ces memes places ou le peuple romain
sassemblait sous la republiqne. Sou livre est uu
tribunal ou sont juges en dernier ressort les op-
primes et les oppresseurs: c'est a Timmortalite
qu'il les consacre ou les devoue; et dans cet his-
torien des peuples, par consequent des princes
qui savent regner , chaque ligne est le chatiment
des crimes .^ ou la recompense des vertus. Aflir-
CHAPITRE V. I i65
mer que Bureau cle la Malle ait rendu toutes les
beautes d'un tel historien serait exagerer la
louange. II en est que ses plus grands efforts ne
peuvent dompter, pour ainsi dire. Quelquefois ■
nieme on sent la peine qu'il eprouve. 11 craint
un genie qui soutient souvent, mais qui accable
lorsqu'il ne soutient pas. On doit cependant beau-
coup d'eloges a ce laborieux litterateur. Ce n'est
point a demi qu'il avait etudie I'art de traduire;
et, jusqu'a present, parmi nous, aucune version
tie Tacite ne pent etre mise avec avantage en pa-
rallele avec la sienne. Lorsqu'il fut enleve a sa
farnille, a ses amis, et a I'lnstitut, il achevait une
traduction de Tite-Live. Elle tiendra, dit-on, le
premier rang parmi ses ouvrages. On nous pro-
met qu'elle sera bientot rendue publique; et nous
le desirous pour sa memoire. Ce n'est pas un
honneur vulgaire que d'avoir ete le meilleur tra-
ducteur franrais des trois plus grands historiens
([ue nous ait laisses I'antique Italie.
Suetone est loin d'approcher de son contem-
porain Tacite, et ne pent meme trouver place
entre les grands historiens de I'antiquite. A Fex-
ception de quelques traits epars a de longues ilis-
tances, son style manque de nerf et de chaleiu-:
il ne peint ni les hommes ni leschoses; il ne ra-
conte meme pas les evenemens; il les enonce:
mais il est curieux a lir(> j)ar la nature et la mul-
i&i LITTERATURE ERAJNCAISE.
titude des faits qu'il rassemble ; et, quoiqu'il les
acciimule sans methode, quoiqu'il iie saclie point
faire ressortir les petits details dont il abonde,
sa veracite, froide, impassible, souvent portee
jusqu'au cynisme , donne une physionomie parti-
culiere et de I'autorite a son histoire. Sans pou-
voir d'ailleurs suppleer aux lacunes d'un ecrivain
tel que Tacite, il presente, au nioins, dans un
abrege complet le regne des douze premiers em-
pereurs romains. On doit done savoir gre a M. Mau-
rice Levesque d'avoir public recemment une tra-
duction de Suetorie. Deja nous en avions plus
d'une; et celle de La Harpe est digne d'eloges :
mais La Harpe, se croyant superieur a I'historien
qu'il traduit, prend avec lui d'etranges libertes.
Tantot il coriige ou plutot il altere le sens des
plirases latines ; tantot il supprime d'assez longs
passages. Le nouveau traducteur I'emporte sur
lui pour I'exactitude, et lui cede rarement pour
la correction. Si Ton pent reprocher a M. Mau-
rice Levesque quelques expressions hasardees ,
quelques tournures inelegantes, quelques perio-
des peniblement construites, ces fautes, en pe-
tit nombre, aisees d'ailleurs a faire disparaitre,
ne diminuent point le merite et I'utilite de son
estimable travail.
Un autre M. Leveque , le traducteur de Thucy-
dide , vient de donner au public une Histoire
CHAPITRE V. . lO;
critique de la Republiqneromaiiie. Elle commence
a la fondation de Rome, et comprend meme un
abrege de Thistoire de I'empire. Nous avons deja
beaucoup de livres sur les Remains; et, quoique
cette production ne soit pas depourvue de merite ,
elle est loin d'offrir I'interet qui regne dans le
rapide et brillant ouvrage de Vertot. Est-il besoin
d'ajouter qu'il n'y faut pas chercher la profon-
deur d'idees, la hauteur de style, I'etenduc de
resultats que nous admirons dans le chef-d'oni-
vre de Montesquieu? L'cju savait d'ailleurs depuis
long-temps qtie les premiers siecles de Rome pre-
sentaient peu de certitude historique; a cet egard ,
M. Leveque s'est donne la peine de prouver fort
en detail ce qu'on avait prouve avec concision ,
et ce dont personne ne doutait plus. II y a, au
contraire, dans son travail, une partie qui pourra
sembler beaucoup trop neuve. L'ecrivain deprime
avec affectation le peuple dont il ecrit I'histoire ,
et en particulier plusieurs Romains des plus illus-
tres : les deux Rrutus , par exemple , les deux
Caton , Fabius Maximus et meme Ciceron. Excepte
ce qui concerne Caton I'ancien, les inculpations
de M. Leveque paraissent tres-frivoles. II a voulu ,
dit-on , affaiblir V enthousiasme qu inspirent les
Bomains ; il a craint que cet enthousiasme ne fit
naitre le mepris et le degout des gouvernemens
qui ne ressemblent pas a leur republique : certes,
i68 LITTERATURE FRANCAISE.
le motit est loiiable; mais il n'est pas suffisant
pour calomnier cles personnages doiit la gloire est
fondee siir des litres immortels; bien moins en-
core nil pen pie eiitier qui, sans doute, exagere
I'amour des conquetes, mais qui laisse partout
snr ses traces I'empreinte ineffacable de sa gran-
deur, etchez qui, depuis tant de siecles, les pre-
miers hommes des premieres nations modernes
out trouve de sublimes modeles et de talens et
de vertus.
Anquetil , en debutant dans la carriere histori-
que, avait attire Tattention des lecteurs par deux
ouvrages interessans et meme assez bien ecrits :
X Esprit de la Ligue , et \^ Intrigue da Cabinet.
Nous n'en pourrons dire autant des productions
de sa vieillesse; et d'abord nous trouvons ici son
Histoire universelle , abrege faible et vide du vo-
lumineux ouvrage des gens de lettres anglais.
L'entreprise ne valait guere la peine d'etre tentee.
Rien neserait plus utile assurement qu'une bonne
histoire universelle. Nous n'entendons parler ici
ni d'un rassemblement indigeste des annales de
toutes les nations, ni d'une simple table des ma-
tieres; il ne s'agit meme pas d'un beau discours
oratoire, ou tout roule sur une seule idee reli-
gieuse; ou, a travers quelques epoques marquees
})ar des traits rapides, on cherche toujours I'in-
struction en trouvant de I'eloqueuce ; on Ton
CHAPITRE V. ) 169
admire enfin sans apprendre. Nous voudrions un
ouvrage substantiel, sans lacune et sans develop-
peraent inutile, embrassant la serie des siecles,
et classant avec une concision niethodique, mais
exempte de secheresse, tons les fails d'nne im-
portance reelle. Un tel livre est difficile: il exige
un grand talent et une vie entiere. Condillac n'a
reussi qu'incompletement dans une composition
de ce genre. Ne soyons pas surpris qu'Anquetil
y ait completement echoue,en ecrivant a la hate,
d'nne main glacee par rage,et d'apres un mauvais
modele.
Parvenus a I'histoire moderne , nous regard ons
C(jmnie un devoir d'examiner attentivement i'ou-
vrage elementaire compose par Thouret sur les
revolutions successives du gouvernement francais.
Les quatre premiers livres presentent , dans un
precis rapide , les recherches de I'abbe Dubos sur
I'etablissement des Francs dans les Gaules. Les
huit derniers offrent I'analvse des Observations
de Mably sur I'Histoire de France. On voit que
le fonds n'appartient pas an redacteur; mais une
telle redaction n'en suppose pas moins un rare
merite. Il est impossible de choisir avec plus de
sagacite, de classer avec plus de methode, d'ex-
poser avec plus de clarte les idees principales
des ecrivains qu'il a suivis. La premiere partie
est un [>eu conjecturale; la seconde est londee
lyo LITTERATURE FKANCAISE.
bur des faits incoiitestables; et, duraiit les douze
siecles ecoules depnis la conquete des Gaules
par Clovis jusqu'a la fin du regne de Louis XIV,
pliisieiirs epoques dans chaque siecle fournissent
des remarques importantes. Thoiiret explique ,
en abregeant Mably, sans rien omettre d'essen-
tiel, comment la constitution primitive des Fran
cais, libres meme apres la conquete, fut alteree
bientot par 1 ascendant des leudes et des pretres ;
comment s'etablirent les justices seigneuriales ;
comment furent crees les benefices militaires,
qu'a cette epoque il ne faut pas confondre avec
les fiefs ; comment ces memes benefices devinrent
hereditaires sous Clotaire II; comment enfin la
force des leudes et la faiblesse des derniers rois
Merovingiens amenerent une dynastie nouvelle ,
en concourant a former I'autorite des maires du
palais. Sous les rois Carlovingiens , I'auteur si-
giiale des revolutions plus remarquables encore :
Pepin, moins religieux que politique, augmentant
la puissance du clerge pour garantir et consacrer
la sienne, tandis que les seigneurs, dans leurs
domaines, instituent la vassalite , premier germe
tlu gouvernement feodal qui va naitre au siecle
suivant ; Charlemagne, dont le regne obtient -a
juste titre des regards prolonges avec complai-
sance, retablissant les champs de Mars et les
champs de Mai, rendanl le [)ouvoir legislatif a la
CHAPITRE V. ■ 171
nation, la distribuant en trois ordres, niais sa-
chant maintenir Tequilibre entre ces divers ele-
mens, bien convaincu que sa vaste domination
ne pent avoir de base solide que la liberie piibli-
que ; Louis-le-Debonnaire , maitrise par les grands,
humilie par les pretres ; apres lui, I'empire de
Charlemagne divise ; dans le royaume de France,
echii en partage a Charles-le-Chaave , les benefi-
ces militaires prenant tout-a-coup le nom de fiefs,
changement qui marque dans notre histoire la
veritable origine du gouvernement feodal; ces
faibles monarques, suivis d'heritiers plus faibles
encore ; et, comme au declin de la premiere race,
de nouveaux rois faineans , laissant tour a tour
envahir le trone par Eudes, comte de Paris, par
Raoul, due de Bourgogne , et par Hugues Capet,
qui le ravit pour toujours a la maison regnante,
et fonde la troisieme dvnastie. Le e^ouvernement
feodal , accru sans cesse depuis Charles-le-Chauve,
et prevalant sur le peuple, sur le clerge, sur la
royaute meme, fut ensuite affaibli progressive-
ment durant deux siecles : sous Louis VI, par fe-
tablissement des communes; sous Philippe -Au-
guste, par fadmission des vassaux inferieurs et
des officiers royaux dans la cour des pairs, long-
temps composee des seuls grands vassaux ; sous
Louis IX , par les reformes judiciaires qui detrui-
sirent au profit de la royaute I'influeiice des jus-
i-jo. LITTERATUKK FUAMCAISE.
tices seigneuriales; enfin, sons Philippe-le-Bel ,
qiiand les seigneurs perdirent presque a la fois
le droit de guerre et le droit de battre monnaie.
Ce prince habile restreigiiait en meme temps le
jiouvoir du clerge, celui meme du souverain pon-
tile. II convoquait la nation , non pour la rendre
libre, ainsi qu'avait fait Charlemagne*, mais pour
s'en servir contre les strands. De la vinrent les
etats-generaux, qui, durant tout ce quatorzieme
siecle, firent pour la hberte des efforts coura-
geuX , mais sans succes : efforts apprecies par
Mably et Thouret, apres avoir ete calomnies par
Tignorance on la servilite de presque tons nos
historiens. Dans le meme siecle , naquit avec les
hts de justice I'autorite du parleraent: revelu d'a-
bord dii droit d'enresistrcment, bientot devenu
permanent , un pen plus tard se confondant avec
la cour des pairs, tantot oppose par les rois a la
representation nationale, tantot charge de porter
au pied du trone les doleances des provinces, et,
par une suite du droit de remontrance, croyant
ou voulant participer au pouvoir legislatif. Mais
on voit la puissance monarchique agrandie par
Charles V, abandonnee a I'etranger par Charles VI ,
reconquise par C-harles VII, rendue odieuse par
les intrigues de I.ouis XI , respectable par les ver-
lus de Louis XII, formidable par- les arniees per-
manentes de Francois i" , uKiinlcuue sous Henri II
CHAPITRE V. - 173
malgre les persecutions religieiises, sous Charles IX
maigre les crimes politiques , ebranlee par la fai-
blesse de Henri III , raffermie par le courage ma-
gnanime de Henri lY, briser enfin ses dernieres
limites sous le ministere inflexible de Richelieu ;
et, plus imposante encore apres les dissensions
ridicules de la Fronde, au milieu des victoires et
des chefs-d'oeuvre , s'accroitre sans obstacle et
sans mesure sous le regne pompeuxde Louis XIV.
Tel est en substance I'ouvrage de Thouret : ou-
vrage instructif et plein de sens, ecrit comme ses
discours de tribune , d'un style simple et meme
austere, mais concis, net et rapide. L'auteur le
composa pour son fils, alors tres-jeune, et qui,
depuis, I'a rendu public. C'esta lui qu'il s'adresse
toujours ; et Ion est touche de voir avec quelle
attention paternelle il le conduit par la main dans
une route qu'il aplanit, et qu'il eclaire. N'oublions
pas que cette production est le dernier Iruit de
ses veilles : voila ce qu'il ecrivait dans la prison
d'oii il n'est sorli que pour mourir. C'est au nom
de la liberte, c'est comme ennemi du peuple,
qu'il fut proscrit et frappe par une tyrannic san-
guinaire , lorsqu'a peine il achevait un livre dont
toutes les pages respirent et inspirent le respect
pour les droits du peuple et I'ardent amour de
la liberte.
Si nous avons analyse completement le livre
174 LIITEIUTURE FRANCALSK.
<le Thonret, et parce qu'il a un merite remar-
quable , et parce qu'il presente liii-meme I'a-
nalyse du meilleiir oiivrage de Mably, ce n'est
pas line raisoii ponr attaclier beaiicoup d'impor-
tance a des productions plus etendues, raais sans
physionomie particuliere. Nous sonimes forces de
compter dans cenombre, et I'histoire de France
d'Anquetil, et celle de M. Fantin Desodoards.
Toutes les deux ne sont bien veritablement que
de longs abreges des enormes fatras que nous
avons deja sous ce titre. Memes developpemens
sur les choses inutiles ; meme ignorance, ou meme
discretion sur tout ce qu'il importerait de savoir ;
meme faiblesse et souvent plus de familiarite dans
les formes du stvle: meme insouciance a I'esard
des variations du gouvernement, des coutumes,
des moeurs publiques ; meme vague sur le carac-
tere des personnages dont on raconte les actions ,
et que Ton ne voit point agir. Joinville, Froissart
et surtout Philippe de Comines, dont le langage
a plus ou moins vieilli, out cependant plus de
couleur, plus d'interet, que tons ces faiseurs de
chroniques , dont le seul art est celui d'unir la
secheresse et la prolixite. Aucun des grands ta-
lens, immortel honneur de la France, ne s'oc-
cupa d'ecrire notre histoire g^nerale, si ce n'est
Bossuet, qui en fit a la hate des especes de the-
mes pour le dauphin , fils de Louis XTV. Ce n'est
CHAPITRE V. 175
pas la qu'il faut chercher le genie de cet illustre
orateiir : on sent combien de motifs commandaient
aux auteurs ou les genuflexions continuelles de-
vant le pouvoir, ou les reticences frequentes. Les
plus sages et les plus habiles ont dii preferer le
silence absolu. De la ce prejuge long-temps etabli
sur le pen d'interet de notre histoire generale,
prejuge qui tombera des qu'elle sera dignement
traitee ; mais ce n'est pas a des ecrivains vulgaires
qu'est reserve le succes d'une si haute entreprise.
Rien de plus difficile que de fondre en entier ce
grand ouvrage; rien de plus aise que de mettre
a contribution des auteurs mediocres, pour faire
aussi mal ou plus mal qu'eux. Ici la gloire natio-
nale nous interdit toute indulgence. Assez de com-
pilations surchargent nos bibliotheques, sans nous
enrichir d'une idee. Nous succedons au dix-hui-
tieme siecle: il a ouvert des routes nouvelles; il
faut savoir les parcourir; et, corame les anciennes
entraves n'existent plus que pour ceux qui les
ont dans I'esprit ; comme, en ces matieres du moins,
la borne ou I'ecrivain s'arrete n'est desormais au-
tre chose que la borne de son talent meme, il
est temps que notre histoire generale soit ecrite
par des historiens.
On a traduit, il y a douze ans, I'histoire de la
confederation helvetique parMuller. Cet ecrivain,
Suisse de nation, vient d'etre enleve a la littera-
i^G LITTEJiA'lUKK FRANCAISE.
lure allemande, qui Ic regrette et le ceJebre a
juste litre. 11 commence son ouvrage a I'origine
(le la Suisse. \l entre meme dans quelque details
sur la premiere guerre des Helvetiens contre la
republique romaine, et decrit la defaite du consul
Cassius par les Tiguriens, nn peu avant les vic-
toires de Marius contre les Cimbres, leurs allies.
Les developpemens se suivent sans intervalle, a
partir de la chute de I'empire remain, lorsque
I'Europe, emancipee trop tot, se recompose dans
la barbaric; mais ils n'acquierent beaucoup d'in-
teret qu'aux premieres annees du quatorzierae
siecle, a cette grande epoque oii les Suisses,bri-
sant le joug de I'Autriche, fondent la liberte avec
courage, et la maintiennent avec sagesse, en for-
mant par degres leur confederation respectable.
L'auteur, ou du moins son traducteur, s'arrete
au milieu du quinzieme siecle, avant cette autre
epoque non moins brillante , on toutes les ri-
chesses et toutes les forces de Charles-le-Temeraire
se trouverent insufiisantes contre les vertus d'un
peuple pasteur et guerrier. Cette histoire a pour-
tant neuf volumes : car elle est pleine de re-
clierches sur les origines des villes, et sur leurs
traditions particulieres. Elle doit etre specialement
cliere aux Suisses, ce que nous disons par eloge
et non par reproche : quoique fort erudite, elle
n'est point secbe; elle abonde en reflexions ton-
CHAPITRE y. 177
jours jiidicieuses, et qiielquefois d'lme grande
portee. Quant a I'execution generale, la maniere
de I'auteur est large et grave : la chaleur u'est pas
sa qualile dominante; mais il a souveut de la
noblesse; et, dans ce qui' concerne I'liistoire 11a-
turelle de la Suisse , partie traitee de main de
maitre, son style s'eleve a des formes majestueuses,
dont la trace est facilernent apercue dans la tra-
duction. I/ouvrage est dedie a tons les confederes
de la Suisse. Cette dedicace, que I'auteur fait a
ses pairs, n'est pas tl'un ton subalterne : on y
remarque , comme en tout le reste du livre , un
profond sentiment de liberte, et, ce qui pourrait
a I'analyse se trouver encore la meme chose, un
grand respect pour le genre luimain. Nous sommes
faclies que le traducteur ait cru devoir g^arder I'a-
nonyme : il merite a la fois des remercimens et
des louanges. Nous avons une autre histoire des
Suisses, composee plus recemment dans notre
langue : elle est de M. Mallet, connu depuis long-
tems par son histoire du Danemarck. Les parti-
cnlarites relatives aux differentes villes de la Suisse
n'entrent point dans le plan de Tauteur. II s'atlache
uniquement a I'ensemble de la confederation
helvetique. Tout I'espace que parcourt Muller
est ici renferme dans le premier tome. Trois au-
tres volumes contiennent les evenemens ecoules
depuis le milieu du quuizieme siecle jusqu'au
OEuvies poslhuiiies. III. 12
178 LITTERATURE ElUNCAISE.
moment oii I'aiiteur ecrit. C'est done nnc liistoire
complete , mais pen detaillee. Le style en est sans
oniemens : toutefois elle se fait lire, et pent sa-
tisfaire cette classe nombreiise de lecteurs a qui
des elemens suffisent. Quant aux hommes qui font
de I'histoire une etude , c'est I'ouvrage important
de Muller qu'ils aimeront a consulter.
L'histoire des republiques italiennes du moyen
age offrait un sujet difficile. En le traitant ,
M. Simonde de Sismondi a rendu un veritable
service a notre litterature. L'ouvrage commence
a la fin du cinquieme siecle , et s'arrete un pen
avant le milieu du quinzieme ; mais son terme,
ainsi que I'annonce I'introduction , sera Tepoque
ou , cent ans plus tard, la souverainete de la Tos-
cane deviendra le partage hcreditaire de la mai-
son de Medicis. Les huit volumes que I'auteur a
deja publies presentent l'histoire generale de
ritalie durant plus de neuf siecles. En parcourant
ce long espace, il distribue sans confusion les
eveneinens ecoules dans une foule de cites cele-
bres : evenemens aussi nombreux que varies, et
qu'il nc lui est pas toujours possible d'enchainer
ensemble. Il montre, dans les premiers ages, le
gouvernement republicain reprenant a Rome
quelque ombre d'existence, et cherchant a se
maintenir a cote du pontificat; Naples, Gaete,
AmnlH, Venise, Pise et Genes, se formant en
CHAPITRE V. 179
republiques; et enfin I'affranchissement de toutes
les villes italiennes vers les deriiiers temps du
onzieme siecle. Apres ces origines melees de te-
nebres, et pourtant developpees par M. Sismondi
avec autant d'erudition que de clarte, viennent
des epoques plus brillantes. La resistance des
deux ligues lombardes aux empereurs Frederic
Barberousse et Frederic II inspire surtout un vif
interet. En general , tout ce qui concerne les
Guelfes et les Gibelins est soigne dans cette his-
toire ; et nulle part ne sont mieux retracees ces
interminables guerres civiles qu'excita dans toute
i'ltalie la rivalite de Tempire et du sacerdoce.
Al'ensemble de la composition, a Tesprit general,
au caractere de plusieurs details , I'auteur semble
un eleve de Muller, que d'ailleurs il vante beau-
coup , peut-etre meme un peu trop, quel que soit
le merite de cet historien. Comme lui , M. Sis-
mondi joint une raison forte a des connaissances
etendues; mais il est plus inegal que Muller; et
ses ecrits out souvent de la secheresse : ce qui
ne vient pourtant pas d'un exces de precision.
Quelquefois, en recompense, il sait donner de la
couleur a son style : des traits nerveux , des expres-
sions brillantes, et de temps en temps d'assez
belles pages, annoncent que la hauteur de I'art
d'ecrire ne lui est pas inaccessible. Son livre, deja
tres-recommandable,est digne d'etre perfectionne:
12.
i8() UTTER \TURE FR ANCAISE.
en pen de temps il a obtenu deux editions; quei-
qnes efforts de plus lui obtiendraient ini rang
assure parmi les bons livres.
VHistoire de Laurent de Medicis , et XHistoiie
du pontifical de Leon X, toutes deux composees
en anglais par Roscoe, ont ete traduites en fran-
cais, la premiere par M. Thurot, la seconde par
JVI. Henry. Ces traductions nous ont paru correc-
tement ecrites; et c'est, apres la fidelite, le seul
merite dont elles fussent susceptibles ; car I'au-
teur lui-meme, satisfait d'instruire ses lecteurs,
ne semble pretendre ni a la chaleur ni a Feclat.
Le fond des ouvrages est d'ailleurs aussi riche
qu'interessant. Fils de Come de Medicis, qui,
simple citoyen de Florence, obtint le plus glo-
rieux des titres, celui de pere de la patrie,
Laurent fut surnomme le Magnifique, et laissa
un glorienx souvenir, bien moins pour avoir
prepare la haule illustration ou parvint depuis
sa famille que pour avoir noblement protege
les arts et les lettres. Comme son pere, et avec
plus de grandeur encore, il accueiliit et Las-
caris et Chalcondile, et tons ces Grecs refugies
qui survivaient a Tempire crOrient. Avec eux se
rassemblaient les savans de Fltalie, entre autres
cet Ange Politien, litterateur habile, erudit, la-
borieux, poete elegant et digne precepteur de
Leon X. Ce fut encore dans ces jardinsde Medicis,
CHAPITRE V. i8r
SI renommes a la fiii du quinzieme siecle, que se
tormerent, sous les yeux et par les bienfaits de
Laurent -le-Magnifique, tant d'artistes plus ou
moins celebres, et a leur tete le plus puissant
genie qui, chez les modernes, ait illustre les arts
du dessin, Michel-Ange. L'un des fils de Lau-
rent, Jean de Medicis, devenu souverain-pontife
sous le nom de Leon X, suivit I'exemple de son
pere et de son aieul, encouragea tons les talens,
sut apprecier et recompenser Raphael, et n'eut
pas une mediocre influence sur la splendeur du
seizieme siecle. A I'histoire de Laurent de Medicis
est melee celle de la republique de Florence; a
I'histoire du pontifical de Leon X, celle de I'ltalie
entiere, celle encore des agitations politiques et
religieuses de I'Europe, specialement des reformes
de Zuingle en Suisse, et de Luther en Allemagne.
Dans les deux ouvrages, toutefois, ce qu'il y a de
plus curieux et de mieux traite, c'est la partie
relative au progres des lettres et des arts en Italic ,
depuis I'epoque de leur veritable renaissance, au
siecle du Dante, jusqua I'epoque de leur plus
grand eclat. Mais, si les recherches sont precieu-
ses, I'ordonnance, il faut en convenir, laisse
beaucoup a desirer : les faits se succedent, sans
etre lies entre eux , et I'ensemble est hidigeste;
les details abondent, surabondent , soil dans les
chapitres, soil dans les notes: la plu|)art sont nis-
I 82 LITTJERATURE FRANCAISE.
tructifs; niais on les voudrait plus choisis, et mieux
fondus. II se poiirrait que I'auteur n'eut point assez
travaille; car le iecteur travaille lui-meme, et
trouve d'excellens materiaux, plutot que d'excel-
lens ouvrages. De belles pierres accumulees dans
un grand espace , fussent-elles rangees en ordre ,
et nieme taillees avec art, ne font pas encore de
beaux edifices.
Dans \Histoiie de la guerre de treiite arts y
Schiller a des formes plus larges, plus de precision ,
plus de methode. En Allemagne, ou les ouvrages
allemands sont apprecies un pen haut, on n'a
fait aucune difficuite de comparer cette histoire
a celle de Charles-Quint, composee par Robert-
son. Le parallele nous semble inadmissible : on
ne trouve pas dans Schiller la plenitude, le pro-
fond savoir, la marche egale et sure du chef des
historiens anglais. Le sujet qua traite Robertson,
quelque brillant qu'il soit, n'est pourtant pas
superieur au sujet choisi par I'auteur allemand.
Le dernier meme nous semblerait preferable :
une etendue heureusement circonscrite , soit pour
le temps, soit pour les Jieux; une seule genera-
tion, une seule contree, mais des puissances, des
nations s'armaiit de toutes parts ; un conquerant
reformateur, et avec lui, ou apres lui, une foule
d'^minens personnages venant concourir ou s'op-
poser a ses projets; des generaux illustres, des
CHAPITRE V. 1 83
niinistres tameux , des uegociateurs habiles , nieles
diversement a cette vaste action, dont les fils sout
si varies, et dont I'unite n'est jamais ronipue ; une
guerre desastreuse, et pourtant utile; de grands
resultats politiques; les progres de I'art de corn-
battre, et ceux de Fart de pacifier; apres tant de
batailles celebres, le plus celebre des traites as-
surant en Allemagne I'equilibre des religions ri-
vales, donnant au droit public de TEurope une
base nou\elle,et qui fut long-temps inebranlable :
tel est le sujet que presente la guerre de trente
ans; et, dans toute Thistoire, c'est celui peut-etre
ou uii talent du premier ordre iniirait le mieux
Tesprit philosophique des modernes et les belles
formes de I'antiquite. Sans avoir , a beaucoup
pres, atteint ce but, Schiller a fait un ouvrage
qui n'est 'point vulgaire. II peint bien Gustave-
Adolphe , ainsi que Valstein et Tilly ; ses recits
sont rapides, quelques-uns meme pleins de ver-
ve : celui de la bataille de Lutzen , par exemple ,
et plus encore celui du siege de Magdebourg. La
reputation et le merite de son livre le re-idaient
digne d'etre traduit : aussi en avons-nous deux
traductions. La premiere est anonyme ; eile a parii
il y a seize ans ; on la imprimee a Berne; et Ton
pourrait bien I'y avoir faite ; car les locutions
bizarres dont elle fourmille decelent un etraxiger
qui s'efforce d'ecrire en francais. C'est a Paris,
i84 LITTEJIATURE FRANCAISE.
Tannde derniere,qiie Ton a public la secoiide : on
la doit a M. de Clianifeii : la diction n'en est pas de-
pourviie d'elegaiice ; elle a quelquefois de Tenergie.
II serait a desirer que Ton eut aussi bien traduit
YHistoire d'Jngteterre de niadame Macaulai-Gra-
ham. Cette histoire embrasse les temps ecoules
depuis ravenemeiit de Jacques P*" jusqu'a la re-
volution de 1688. I^i traduction s'arrete a la se-
condeanneedu protectorat de Cromwel. Sur cinq
volumes , les trois derniers , qui sont avoues par
Guiraudet, offrent un assez grand nonibre de
termes impropreset memed'incorrectionseviden-
tes. Les deux premiers, que Ton attribue a Mira-
beau, ne sont guere moins defectueux; et, ce
qu'il y a de plus remarquable , aucune forme de
langage n y revele un liomme de talent : soit que
Mirabeau ait traduit cette partie de I'ouvrage avec
une excessive rapidite, soit plutot qu'il ne I'ait
point traduite;et que, par un charlatanisme dont
les exemples ne sont c[ne trop multiplies , un
ecrivain mediocre, on un libraire avide, ait spi-
cule sur un nom celebre. Quoi qu'il en puisse
etre , on ne saurait contester un merite reel a la
production originah^ Aussi connue par I'austerite
desesmoeurs que par Timportance de ses travaux,
madame Macaulai , loin de partager les haines
personneiles de Clarendon, evite meme la circon-
spectiou timido de llunie en cclle partie delicate
CHAPITRE Y. t8.5
<le I'histoire, et professe , sans ies aft'aiblir, les
energiqiies theories de la liberte civile et politi-
que. L'analyse fidele des actes ecrits du gouver-
iiement, et des principauK debats parlementaires ,
en aiigmentant I'interet de son ouvrage , lui donne
encore, aux yeux des lecteurs attenlifs, une irre-
cusable authenticite. Ce n'est done pas a tort
qu'il a obtenu beaucoup de succes en Angleterre.
II n'en obtiendra pas moins en France, lorsqu'au
lieu d'une version seche, incorrecte et tronquee,
nous en possederons une traduction complete, et
redigee sans negligence
Louis XI F, sa Cour et le Regent: tel est le titre
d'un ouvrage publie par Anquetil , il y a peu
d'annees, et dont beaucoup de pages se retrouvent ,
avec de legers cliangemens , dans les derniers vo-
lumes de son Histoire de France. L'auteur ecri-
vait pour am user sa vieillesse : ce qui reclame
I'indulgence. On ne saurait pourtant dissimuler
combien il est inferieur a son sujet, et Ton ne
concoit pas aisement qu il ait cru pouvoir hitter
contre une des plus belles productions du genie
de Voltaire. II la cite quelquefois, mais toujours
en I'attribuant a M. de Francheville, soit qu'une
telle affectation lui ait paru plaisanle, soit qu'i!
ait ignore, chose peu probable, qu'en ])ul)liant
le Siecle de Louis XIV Voltaire se cacha d'abord
i8G LITTERATURE FRANCAISE.
sous ce nom factice. Aiiquetil, dans la secbnde
partie de son livre, est en concurrence avec Du-
clos et Marmontel, dont les talens auraient dii
suffne pour intimider le sien. II ne faut chercher^
en lisant son ouvrage, ni des apercus nouveaux,
ni des recits animes, niun style brillant, nimeme
uue diction correcte. Ce que Ton y trouve de
niieux est tire des Memoires de Saint- Simon ; en-
core avouons-nous a regret que trop souvent I'au-
teur les gate, en evitant de les copier servilement.
Ces Memoires, restes long- temps manuscrits,
mais des-lors connus de nos historiograplies et
de quelques autres gens de lettres, n'ont ete im-
primes que dans les commencemens de la revo-
lution, ainsi que les Memoires secrets ecrits par
Duclos sur la fin du regne de Louis XIV, sur la
regence et sur une partie du regne de Louis XV :
mais, Duclos etant mort il y a pres de quarante
ans, et Saint -Simon plus de Irente ans avant
Uuclos , nous avons du considerer les deux ou-
vrages comrae anterieurs a notre epoque , et c'est
dans le preambule du cliapitre que nous en avons
(lit quelques mots. C'est ici au contraire que
nous parlerons des Memoires sur la minor/te de
Louis XF , publics, il y a huit ans, sous le nom
de Massillon; car ces Memoires, evidemment
supposes , appartiennent au temps menie oii ils
out paru. Ils sont adresses a Louis XV, et d'apres
CHAPITRE V. 187
son ordre , suivant le texte d'uiie lettre impi opre-
ment appelee preface. II serait a desirer qu'une
telle idee fut venue a ce prince : elle liii eut fait
honneur; et nous aurions un chef-d'oeuvre de
plus. Le prelat illustre qui , dans la chaire , avait
si bien instruit un enfant roi, sans doute, en un
recit veridique, n'eut pas moinsutilenient instruit
sa ieunesse; et le plus elegant des orateurs eut
encore ete le plus elegant historien. Mais le piege
tendu a la curiosite publique n'est pas difficile a
reconnaitre. En effet, quelles pensees et quelles
expressions ! Le due d'Orleans se determina pour
la chambre de justice , par' la seule raison que
le due de Noailles n avait pas voulu en demor-
dre ; I'abbe Dubois avait ete mis par- feu M. de
Saint-Laurent y gouverneur du regent, alojs due de
Chartres, pour lui faire seulement des repetitions
de latin ; et trois lignes plus bas : il lui faisait
tous ses themes, et faisait croire par Id des pro-
gr^s, qui dans le fond netaient quune tiicherie;
M. d'Armenonville etait friand de toute prevari-
cation; M, de Breteuil etait un de ceux doiit
madame de Prie s'accommodait le mieux pour les
momeru d'infidelite a Vegard de M. le due ; le roi
d'Angleterre Georges l*''^ etait viritablement un.
bon et brave gentilhomme ; une princesse portu-
gaise avait un sang redoulable et un soupeon de
folie ; mademoiselU^ de Vermandois avail fait
uScS IJTTERAIUJIE FHAISCAISE.
parler d'elle; quant a la fille de Stanislas, on cUsait
des choses admirables de ses qualites de corps et
d' esprit; madamo de Prie voulait s'en faire un
(ippuL plus solide que les fm>eurs de M. le due;
ellc fit iiommer Vancboiix, /;om/- aller faire un
dernier examen plus particulier de la personne
de la princesse; on se decida malgre la duchesse
de Lorraine, enragee de la preference; madame
la duchesse, enragee, osaitpresque vouloirque Von
substitudt mademoiselle de Charolois ou made-
moiselle de Clermont; la duchesse d'Orleans en-
rageait de voir la maison de Conde s'elever; ma-
dame de Prie etait-elle en etat de lui faire
connaitre votre rnajeste : ce qui eut dil etre Vob-
jet principal? Ni M. le due, ni elle , ne la con-
na is saient point ; c'est la reine d'Espagne quia
songe a mettre votre rnajeste hors d'etat d'avoir
posteritc; sa rnajeste n avail assurement aucune idee
surles devoirs du mariage : le temperament ne disail
rien. Certes, Massdion ne se fiit jamais permis cet
amas d'incorrections, de trivialites, d'indecences.
Massillon n'eut pu ecrire : la compagnie de la
Emilie , danseuse de l' Opera, avec qui reposait
le due d'Orleans , ii etait pas nalurellement celle
en laquelle on devait disposer d'un siege eccle-
siastique; encore moins eut-il ajoute, de peur de
n'etre pas entendu : la hlmilic et ses charmes fu-
rent pris a temoin de la parole qu'il venait de
CHAPITRE V. ^ ■■ . 189
(loniier. Massillon eiit senti combien il etait incoii-
venaiit a im prelat de paraitre si fort initie dans
les secrets du prince; a un vieillard, d'entretenir
nn jeune roi d'anecdotes aussi scandalenses qn'in-
certaines, et de les lui conter dans ini pareil Ian-
gage : Massillon n'eut point accuse le respectable
abbe de Saint-Pierre d' avoir compose la Polysjno-
die par un esprit d' adulation : car il est odieux et
ridicule de compter parmi les flatteurs le plus
independant des hommes de lettres, et a Focca-
sion du livre meme qui I'avait fait exclurede I'Aca-
dernie francaise, par un esprit d'adulation pour
Tombre d\ui roi. En jetant des soupcons sur la
conduite de Fabbesse de Chelles, Massillon n'eut
pas dit : Elle etait jille de M. le Piegent; et ccn
est assez. Ce nest pas ainsi qu'il se fut exprime
sur le neveu de Louis XIV, en s'adressant a
Louis XV; et, dans tout son livre, il eiit juge avec
moins de rigueur un prince distingue a beaucoup
d'egards, a qui d'ailleurs il devait de la recon-
naissance , qui avait apprecie son merite , et par
qui seul il etait eveque , lui qui des long-temps
aurait du Tetre, puisqu'a la mort de Louis XIV
il avait deja cinquante-trois ans. Apres tant de
preuves,et il nous serait facile de les multiplier
bien davantage , nous osons affirmer que de tels
Memoires ne sont pas de I'eloquent eveque de
Clermont. Mais de qui sorit-ils? INous I'ignorons.
igo UTTER ATURE FRANC AISE.
L'editeur cite avec eloge, soit dans sa preface, soil
dans ses notes , les Memoires de Richelieu, qu'a re-
diges M. Soulavie : il annonce memeune Histoire
(le la revolution , que doit rediger M. Soulavie.
De tout cela, il ne resulte aucune conse-
quence necessaire; et, sans vouloir accuser per-
sonne, d nous suffit d'avoir disculpe Massillon.
Ceux qui ne voient en litterature que des affaires
de librairie se permettent , sinon des fraudes
pieuses, au moins des fraudes lucratives. Il est vrai
qu'en usurpant le nom d'un ecrivain celebre ils
ont soin de conserver leur propre style ; mais il
est un public assez nombreux qui n'y regarde
pas de si pres : les simples se laissent tromper.
Tons les jours encore les pretendus Memoires de
Massillon sont cites avec complaisance, et dans
les journaux, et meme dans les livres. Ainsi, des
fails hasardes, des opinions plus hasardees en-
core , se fortifient d'une autorite qui n'existe pas ;
et si, faute de reclamations suffisantes, I'ouvrage
est une fois ad mis com me authcntique , il finit
par compromettre le nom meme dont on a de-
robe I'appui. La gloire des grands ecrivains fait une
partie essentielle de la gloire nationale , et doit etre
defendue centre toute espece d'outrages. Les ca-
lomnies volontaires et directes ne sauraient leur
nuire: beaucoup d'exemples ledemontrent. C'est
sans le vouloir, mais plus surement, qu'un entre-
CHAPITRE V. 191
preneur les calomiiie, eii leur imputaiit ses ou-
vras'es.
Marmontel, en qnalite d'historiographe , avait
compose ime Histoire cle la Regence. On Ta pu-
bliee depuis sa mort. Dire qu'elle est snperieure
a I'ouvrage d'Anquetil , et aux Memoires du fanx
Massillon, serait lui rendre nne justice incomplete :
moins piquante que les Memoires secrets de Du-
clos, elle est ecrite d'un style plus noble et plus
^rave. Marmontel ne court point apres les anec-
dotes , comme faisait son predecesseur : il en est
sobre, et les clioisit avec circonspection. Ainsi
que Duclos, il consulte beaucoup les Memoires
de Saint-Simon ; il en copie meme d'assez longs
passages : ce que n'avait point fait Duclos. Tons
deux professent une egale defiance pour cet ecri-
vain passionne,non moins connu par ses opinions
feodales et ses haines ardentes que par son elo-
quence naturelle et I'extreme inegalite de son
style. Tons deux pourtant le suivent pas a pas
dans les details secrets des evenemens; ce qui est
peut-etre une inconsequence; car ses opinions
et ses haines n'ont pas mediocrement influe sur
la maniere dont il a vu les objets. Duclos , ne
s'attachant qu'a peindre les moeurs, comme il en
convient lui-meme, avait trop neglige ce qui con-
cerne les finances. Marmontel y consacre deux
longs chapitres. Dansle premier, remontant jusqu'a
192 LlTTERATUliE FU ANCAISE.
Colbert , il cxplique fort nettement les opera-
tions (le ses successeurs , Poiit-Chartrain, Cha-
millard, Desmarets. Dans le second, sous le Regent,
il examine avec plus de detail encore radminis-
tration du conseil de finance , ensuite celle de
Law, et enfin celle de Lepelletier, qui le rernplaca.
En traitant des affaires politiques, Tauteur repand
beaucoup de clarte sur les intrigues du cardinal
Alberoni. Pour les affaires interieures, la partie
relative au jansenisme et aux querelles ecclesias-
tiques est celle ou il deploie le plus de talent. 11
raconte aussi tres-bien quelques evenemens par-
ticuliers : la description de la peste de Marseille
est d'une verite sombre et terrible. Un defaut de
Touvrage , a notre avis , c'est qua cliaque chapitre
on est oblige de retrograder, de parcourir de
nouveau des epoques deja parcourues, et de s'en-
foncer tres-loin dans le regne precedent. Ce n'est
pas ainsi quest distribue le Siecle de Louis XI Fy
chef-d'oeuvre dont Marmontel a cru peut-etre
imiter le plan. La, les vingt-q[iatre premiers cha-
pitres contiennent, selon I'ordre des temps, toute
riiistoire politique et militaire du regne. C'est
dans les quinze derniers que Voltaire examine
successivement les divers objets qui auraient ra-
lenti sa niarche; et de Tensemble il resulte autant
(Tuistruction que d'interet. iVailleurs les reflexions
que Voltaire entremele a ses ecrits, sont courtes
CHAPITRE V. igS
et d'un grand sens. Marmontel a moins de por-
tee , va moins vite , et disserte quelquefois. An
reste , il est im|>artial envers ses personnages , et
siirtout envers le Regent , dont il est loin d'epar-
gner les vices, mais dont il sait apprecier les qua-
lites et les talens. Il manifeste des opinions dignes
du dix-huitieme siecle, et montre partout une
connaissance approfondie du sujet qu'il traite. A
I'egard de sa diction, elle est toujours correcte,
souvent d'une elegance remarquable. A tout con-
siderer, cette Histoire de la Regence fait honneur
a Marmontel. Apres I'avoir lue, on la [relit; et,
malgre quelques imperfections, elle figure avec
avantage parmi les titres litteraires de cet esti-
mable et laborieux academicien
Les Memoires du due de Choiseul, ceux du due
d'Aiguillon, ceux du comte de Maurepas, sont des
speculations de librairie plutot que des monumens
historiques : ils n'ont rien d'interessant que leur
titre; rien n'y merite I'attention, si ce n'est quelques
lettres, quelques pieces deja connues depuis long-
ternps. A la fin des Memoires de Choiseul est im-
primee une comedie satirique : irreverence a part,
elle pouvait etre plaisante , et n'est qu'ennuyeuse.
Mais, malgre les assertions de I'editeur, il ne
parait ni prouve ni vraisemblable qu'il faille Tim-
puter au due de Choiseul. En general, tons ces
OEuvres postbuiiies. HI. I J
194 IJITEUATURE FRANCAISE.
Mcmoires, qui seraient importans si les ministres
a qui on les attribue les avaient ecrits ou dictes
eux-menies, et s'ils avaient voulu tout dire , n'ont
evidemment aucune authenticile
C'etait un sujet bien triste, mais bien instructif,
que I'Histoire de I'anarchie de Pologne , et du
demembrement de cette republique. Un pareil ta-
bleau , trace par Rulhiere , est digne a tous egards
d'une haute attention. L'on ne trouve point ici un
compilateur d'anecdotes , encore moins un com-
pilateur de gazettes : c'est un veritable historien
qui sait choisir et classer les incidens, les resserrer,
les etendre, les faire ressortir, selon le degre de
leur importance , et coordonner habilement toutes
les parties d'un vaste ensemble. A mesure que la
serie des faits Fexige ou le permet , il distribue
dans son ouvrage , a la maniere des historians de
I'antiquite , des notions detaillees sur I'origine
et les mceurs des Polonais, des Moscovites , de
la horde inhumaine des Zaporoves, des diverses
hordes lartares; des Turcs, a qui deux sieclcs de
conquet.es n'ont laiss^ qu'une faiblesse orgueil-
leusc, et les souvenirs d'une gloire eclipsee ; des
Montenegrins, qui bordent le golfe de Venise, et
sont, comme les Russes, de race esclavonne; des
Macedoniens , des Epirotes , des Grecs du Pelo-
ponese, et, parmi ces derniers, specialement des
CHAPITRE V. 195
Maniotes , qui , si pres du joug ottoman , conser-
vent encore la rudesse, le fier courage, et jus-
qu'a I'independance des Spartiates leurs ancetres.
Des liaisons intimes avec les chefs des differens
partis polonais , I'aide des ministres et des am-
bassadeurs les mieux instruits des affaires de I'Eu-
rope , tous les genres de secours : notes diploma-
tiques, memoires particuliers, lettres sans nombre,
entretiens confidentiels, avaient mis Tauteur a
portee de recueillir des eclaircissemens tres-cu-
rieux, et d'assigner quelqueiois avec precision les
causes long-temps secretes des evenemens publics.
C'est ainsi qu'en parlant de la correspondance
etablie durant quinze annees entre Louis XV et
le comte de Broglie, a Tinsu du ministere fran-
cais , il explique par quelle intrigue bizarre les
agens de la cour de Versailles ont pu recevoir en
meme temps des ordres directement opposes,
donnes au nom du meme roi. Il ne jette pas
moins de jour sur la conduite des cabinets qui
determinerent le sort de la Pologne ; il developpe
des caracteres qui semblent d'une verite frappante :
Catherine, dont I'ambition s'irrite par les voluptes,
devorant a la fois des yeux et la Turquie et .la
Pologne; Frederic, long-temps vainqueur rapide,
desormais lent mediateur, n'usant ni ses soldals
ni ses tresors ou suffisent la force des circon-
stances et le poids de sa renommee, prince ne
i3.
igG LITTERATURE FRANCAISE.
pour les arts de la paix, an moiiis autaiit que
pour la guerre , et sachant unir a tous les talens
(I'un general et d'un politique toutes les vertus
que ne s'interdit pas le despotisme; Marie -Tlie-
rese, faisant prouver par de vieux diplomes les
droits quelle s'assure avec I'epee ; son fils , I'em-
pereur Joseph, impatient de regner, de reformer
et d'envahir ; pres d'eux le prince de Kaunitz fon-
dant sa vieille reputation sur un traite qui jadis
etonna I'Europe en reconciliant la France et I'Au-
triche , ministre laborieux , quoique frivole a I'ex-
ces, ruse sous I'air de Tindiscretion , sincere dans
sa vanite , faux sur tout le reste , adroit et heu-
reux negociateur, a qui la malice des courtisans
pardonnait quelque merite en faveur de ses ridi-
cules. Aux bornes de I'Europe, d'autres images
se presentent : les agitations de Constantinople,
I'indecision du divan , I'ineptie politique et mili-
taire des grands vizirs , les qualites inutiles du
sultan Mustapha, trop bien intenlionne pour ne
pas sentir, mais trop ignorant pour guerir les
maux d'une monarchic theocratique , ou I'igno-
ranee est un point de religion. Non loin de la ,
un descendant de Gengiskan , Crimguerai , qui ,
du sein de sa disgrace, avait eclaire le sultan sur
les projets de la Russie, apparaissant tout-a-coup
a la tete de ses Tartares , est arrete par une mort
soudaine : tant la destinee sert bien Catherine.
CHAPITRE V. 197
All milieu de ces mouvemens, la Pologiie, en-
vahie par les armes russes, dechiree par les fac-
tions interieures, prefere au joug etranger les
caprices de sa liberie ombrageuse. On admire
encore cette liberie sur des mines , et ses der-
niers soutiens qui succombent : un vieillard octo-
genaire , le grand marechal de Lithuania , beaii-
frere du roi , mais tout entier a la patrie ; un prince
de Radziwil , epuisant pour elle son immense for-
tune, bravant la persecution, la misere et la fuite;
des hommes nouveaux, des parvenus a la gloire,
Pulawski et ses deux fils, levant des troupes qui
sont quelquefois victorieuses ; deux prelats res-
pectables , Rrasinski , eveque de Kaminiek , orga-
nisant avec son frere une confederation puissante;
et I'eveque de Cracovie, Gaetan Soltik, martyr
intrepide, devoue sans espoir a la cause com-
mune, n'ayant d'autre attente qu'un exil en Si-
berie , attente que. le goiivernement russe n'a pas
trompee ; enfin , Mokranouski, plus brillant qu'eux
tons, se trouvant partout ou I'interet public I'ap-
pelle: aux dietines, aux armees, dans la diete; a
Versailles, dans le cabinet du due de Choiseul;
a Berlin, dans celui de Frederic; ardent, jeune,
ayant tons les courages, comme aussi toutes les
passions nobles, servant I'amour et I'honneur,
mais avant tout la liberie de son pays ; heros des
temps chevaleresques , et republicain des temps
198 LITTEKATURE FRAWCAISE.
antiques. On conroit ais^ment que I'auteur com-
ble d'eloges des personnages si dignes du sou-
venir reconnaissant de I'histoire. S'etonnera-t-on
s'il ne traite pas aussi bien ce Poniatouski , long-
temps obscur citoyen d'un Etat libre, amant fa-
vori d'une princesse etrangere , couronne par elle
a force ouverte, lui vendant pour le nom de roi
la servitude publique et la sienne; et, malgre son
infatigable obeissance , ne parvenant k jouer sur
le trone que le role d'un courtisan disgracie? N'ou-
blions pas un fait notable. Cette histoire, austere-
ment veridique, fut entreprise, il y a quarante ans,
par ordre de I'aneien gouvcrnement francais ; soit
qu'on puisse le louer d'avoir au moins voulu ren-
dre liommage aux droits d'un peuple allie qu'il
n'avait ose secourir; soit qu'il faille seulement
feliciter Rulhiere d'avoir rempli sans molle com-
plaisance les nobles devoirs d'un historien....
Au reste, quelques travaux que suppose I'His-
toire de I'Anarchie de Pologne, on a lieu d'etre
surpris que Rulhiere n'ait pu I'achever en vingt-
deux ans. Telle qu'elle est neanmoins , c'est elle qui
le maintiendra celebre. Elle n'est pas seulement
beaucoup plus etendue que ses autres ecrits ; elle
leur est fort superieure; et c'est a haute distance
qu'elle s'cleve au-dessus de toutes les protluctions
historiques publiccs depuis vingt ans en Europe.
Peut-etre a une revision scrupuleuse , Rulhiere
CHAPITRE V. 199
eut-il cm devoir abreger les trois premiers livii^s,
qui ne sont qu'une introduction ; mais il n'eut rien
change sans doute aux trois suivans , ou sont reu-
nies tant de beautes energiques. C'est la qu'il ac-
t cumule sans confusion les principaux traits de
son grand tableau : en Russie , la fin languissante
d'Elisabeth , les courtes folies de Pierre III , le
prompt veuvage de Catherine ; en Pologne , la
longue agonie du roi Auguste et celle meme de
son pouvoir, les outrages prodigues a Brulh, son
ministre , les trames de Czartorinski , I'astuce ha-
bile de Reiserling, I'audace feroce de Repnine,
et cette diete,lrop memorable, ou Stanislas Ponia-
touski fut elu roi des Polonais par le sabre des
Moscovites. Le reste est moins fort , sans etre
faible ; et plusieurs morceaux sur les reclamations
des dissidens , sur la guerre des Turcs , sur les
confederations polonaises, sont encore animes par
un talent rare. L'auteur, dans les diverses parties
que nous indiquons , approche quelquefois de
Thucydide, dont il retrace les formes heureuses;
et, si I'ouvrage entier se soutenait a ce degre de
vigueur, apres les chefs-d'oeuvre de Voltaire , d'ail-
leurs concus et executes dans une maniere diffe-
rente, nous cherchons en vain quelle histoire il
serait possible de lui comparer, pour la beaute
du plan, pour I'art de mettre en jeu les carac-
teres, pour la chaleur et la grace du style. ■■ -■-
■200 LITTERATURE FRANCAISE.
M, de Castera, plus de dix ans avant la publi-
cation de I'ouvrage de Rulhiere , avait fait pa-
raitre une histoire de rimperatrice de Russie ,
Catherine IT. Un regne de trente-cinq ans , bril-
lant a plnsieurs egards, et presque toujours heu-
reux, au moins dans Tacception vulgaire du mot,
pouvait devenir I'objet des etudes d'un historien.
Les dechiremens de la Pologne , I'imbecillite du
divan, I'inaction lethargique de I'empire ottoman,
qui semblait se resigner a sa mine , ont bien fa-
cilite les succes militaires de cette souveraine. II
raconte avec une austere franchise I'etrange eve-
nement qui donna le trone a Catherine ; et , quoi-
qu'il saisisse toutes les occasions de vanter le bien
qu'elle a fait, celui meme qu'elle a voulu paraitre
faire, il a semble Irop veridique. Onpourrait soup-
Conner au contraire qu'il a souvent use d'indul-
gence; mais les actions parlent d'elles-memes. On
trouve d'amples details dans I'ouvrage de M. de
Castera. Le style en est correct , naturel et grave ;
on y voudrait quelquefois plus de souplesse et
plus d'energie. H y a de la rapidite dans les nar-
rations, peut-etre aussi des couleurs trop peu va-
rices et trop peu distinctes dans la peinture des
principaux caracteres. Quoi qu'il en soit, c'est un
livre fort estimable. Deja bien fait en general, il
merite d'etre perfectionne dans plnsieurs parties.
L'auteur est en etat de sentir mieux que personne,
CHAPITRE V. 201
et d'y ajouter aisement ce qii'ane critique impar-
tiale y peut avec raison desirer encore.
L'Histoire de Frederic - Guillaume II , roi de
Prusse, offrait a M. de Segur un cadre heureux
pour tracer le tableau politique de FEurope du-
rant les dix annees qui suivirent immediatement
la mort du grand Frederic. II avait fallu tous les
talens d'un prince aussi extraordinaire , pour don-
ner a un royaume tel que la Prusse cette influence
preponderante qui la faisait intervenir successi-
vement , et presque a la fois , dans les revolutions
de la Hollande, du Brabant, de la Pologne et de
la France. Un precis sur sa vie et, avant ce precis,
une courte introduction font connaitre , autant
que le peuvent des apercus si rapides, I'etat pro-
gressif de I'electorat de Brandebourg , et du duche
de Prusse, erige en royaume a la fin du dix-sep-
tieme siecle. Bientot M. de Segur expose a grands
traits la situation des Etats de I'Europe a I'avene-
ment de Frederic-Guillaume 11 au trone de Prusse.
II peint avec plus de developpemens le caractere
du monarque, ses premieres operations, les es-
perances qu'il donne et qu'il trompe. Viennent
ensuite les evenemens memorables qui , tantot
par lui, tantot malgre lui, ont change la face de
I'Europe. Toujours heureux dans ses transitions ,
I'auteur sait unir avec beaucoup d'art les diffe-
rens objets qu'il embrasse. Ce qu'il dit sur les
202 LITTERATURE FRANCAISE.
revolutions du Brabant et de la Pologne est cu-
rieux a lire et bien presente. Ce qui concerne la
revolution franeaise forme la plus grande partie
du livre. II faut I'avouer, en cette partie, les faits
que raconte M. de Segur, la maniere dont il les
expose, les sentimens qu'il manifeste, les juge-
mens qu'il lui plait de porter, seraient susceptibles
de tres-longues discussions ; mais elles seraient
ici hors de place ; et , la matiere etant aussi de-
licate qu'importante , nous croyons a cet egard
devoir nous interdire I'eloge et le blame, afin de
ne partager ni sur les choses ni sur les personnes la
responsabilite de I'historien. Rendre justice a ses
talens comme ecrivain , nous suffira pour le mo-
ment; et c'est un devoir que nous aimons a rem-
plir. La sagesse et la clarte font le principal me-
rite de son style, auquel on ne saurait reprocher
ni I'exces de chaleur ni les ornemens ambitieux.
Content de raconter nettement, I'auteur ne clier-
che point les effets : on sent qu'il veut instruire ,
et non remuer ses lecteurs. Sous le titre modeste
de Me moire sur la revolution de Hollande, son
troisieme volume est a lui seul im morceau d'liis-
toire complet; c'est meme une production tres-
remarquable. Elle est entierement de Caillard ,
qui , apres avoir rempli avec succes plusieurs
missions diplomatiques , est mort , il y a peu d'an-
nees, archiviste des relations ext^rieures. La se
CHAPITRE V. 2o3
tFouve racontee avec tons les details necessaires
cette revolution rapide par laquelle, en 1787, le
statliouderat , soutenu des armees prussiennes ,
triompha pour un moment du peuple batave. 11
est aise de voir combien Fauteur possede a fond
sa matiere. Sans depasser le sujet qu'il traite, il
y jette a propos des notions precises sur I'histoire
anterieure de la Hollande, sur ses lois constitu-
tives, et sur la lutte prolongee durant deux siecles
entre le pouvoir populaire et I'autorite statliou-
derienne. II ne paie point a la puissance le tribut
des menagemens pusillanimes ; il ne dit pas de
ces demi-verites qui sont aussi des demi-men-
songes ; partout I'accent de la liberte se fait en-
tendre et resonne tres-haut. Get excellent travail
honorera toujours I'homme habile a qui on le doit ;
et M. de Segur s'est lionore lui-meme en le pu-
bliant a la suite de ses propres travaux. Un esprit
vulgaire eut essay e d'en profiter, en le deguisant
sous d'autres formes. II n'y a qu'un esprit tres-
distingue qui ait pu consentir a I'adopter pleine-
ment, sans craindre la concurrence du merite, ni
meme celle des opinions
2ol^ LITTERATURE FRANCAISE.
» ■•--»-^ ■^'^.^ ■V/*^ •»-■"*-». ■X/*.^ ^/^--* -^/^/^ V*/*. »''*'^ •■'^^^ %
CHAPITRE VI.
Lcs Romans.
Les plus aiicicns monumens de notre littera-
liire sont des romans historiques, et meme des
romans en vers. Le premier de tous, le roman
de Brut , fut compose an milieu du douzieme
siecle, sous le regne de Louis-le-Jeune , a la cour
d'Eleonore d'Aquitaine , autrefois epouse de ce
prince, alors duchesse de Normandie, et depuis
reine d'Angleterre. Trente ans plus tard, sous le
regne de Philippe- Auguste, fut ecrit Tristan du
LeonoiSy le plus vieux de nos romans en prose,
et le plus joli des romans de la Table Ronde.
A leur serie tres-nombreuse succederent , au
treizieme siecle, les romans des douze Pairs de
France. Les Amadis , qui sont d'origine italienne
ou espagnole, ne furent connus en France que
long-temps apres, dans le coursduseizieme siecle.
Des magiciens , des fees , agissent dans presque
tous ces oiivrages. La feeric nous vient des Ara-
bes;on sait que la magie est plus ancienne. Reau-
coup d'autres romans historiques sont etrangers
CHAPITRE VI. * ■ 2o5
a ces divisions de bibliographic. On distingue
entre eux Gerard de Nevers et le Petit Jehan de
Saintre, productions aimablcs du regne de Char-
les VII , et que Tressan , de nos jours , a su ra-
jeuniravec grace. Sous le meme Charles VII avaient
ete publiees les Cent ISouvelles de la cour de
Bourgogney ouvrage ecrit sur le modele du De-
cameron de Bocace, qui fut depuis mieux imite
dans FHeptameron de la reine de Navarre , soeur
^de Francois V^ . Deja venait de paraitre, sous les
auspices d'un cardinal , ce livre ingenieux et bi-
zarre ou le cure Piabelais, qui avait bien etu-
die son siecle, se fit pardonner la raison par
la bouffonnerie, et la liberie par la licence. La
satire Menippee, que Rapin, Passerat et quelques
autres composerent contre les chefs de la ligue,
est , quant aux formes , un roman historique , ou
la fiction rend la verite plus piquante et le ridi-
cule plus saillant. Dans I'age suivant, a I'arrivee
d'Anne d'Autriche en France, 4a litterature espa-
gnoie influa sur nos romans comme sur notre
scene. L'Astree de d'Urfe , roman pastoral , dans
le gout de la Diane de Montemayor, obtint un
succes memorable, et fut quelque temps le type
favori des productions de ce genre. Les habitudes
de la fronde amenerent une autre mode : des prin-
ces , des generaux, comhattaient et changeaient de
banniere a la voix de beautes celebres ; en meme
2o6 LITTERATURE FRANCAISE.
temps I'amour (les lellres s'etait repandua lacour.
Les belles strophes cle Malherbe, quelques vers
heureux de Racan , son eleve , les premiers chefs-
d'oeuvre de Corneille, la pompe exageree mais
harmonieuse de Ralzac, le badinage maniere mais
ingenieux de Voiture , contribuaient a I'elegance
des moeurs, on perfectionnant celle dii langage.
II fallait peindre ce melange de galanterie, d'he-
roisme et de bel-esprit : de la, les romans de la
Calprenede et ceiix de mademoiselle de Scuderi.
Mais on travestissait a la moderne tous les heros
de I'antiqiiite ; des sentimens factices prenaient la
place des passions : Boileau le sentit ; et quelques
traits de ridicule firent toinber ces rapsodies am-
bilieuses, ou la nature n'etait pas moins defiguree
que I'histoire. Au temps meme ou Ton admirait
Cassandre et Cleopatre , le coryphee trop fameux
du genre burlesque, Scarron, donnaitson Roman
comique. Des ridicules de province, des come-
diens de campagne, des scenes d'auberge ou de
tripot : voila ce qu'on y trouve ; les incidens , les
personnages, le style, tout est ignoble et grotes-
que; mais tout est vrai. Le livre amuse; on le lit
encore ; il restera : taut le naturel sait preter d'a-
gremens aux tableaux qui en paraissent le moins
susceptibles. Les Nouvelles de Scarron sont au-
jourd'hui presque oubliees. On a remarque tou-
tefois, et avec justice, que le fond d'une belle
CHAPITRE VI. . 207
scene de Tartufe est puise clans la nouvelle qui
a pour titre, les Hypocrites. Perrault composades
contes de fees ; mais ils ne sont que puerils : ceux
d'Hamilton sont piquans, moins pourtant que ses
Memoires de Grammont, ouvrage plein de sel,
et que le genre austere de I'histoire cede volon-
tiers au genre des romans. A cette epoque brilla
madame de La Fayette : sa Nouvelle de Zayde est
attachante , mais trop chargee d'incidens ; une
composition simple, un interet doux, un style
elegant et naturel, charment dans sa Princesse
de Cleves, le meilleur roman qui eut paru jus-
qu'alors en France. A la fin du dix-septieme sie-
cle, et pour couronner ses travaux, s'eleve le
chef-d'oeuvre de Telemaque : livre que nous avons
deja place a la tete des ouvrages de morale, et
livre a part en toute classe, plein d'idees, d'ima-
ges, de sentimens, partout modele sur I'antique ,
partout respirant la poesie et la philosophic des
Grecs, et qui semble ecrit par Platon d'apres une
composition d'Homere. On voit neanmoins que
le siecle de nos grands poetes a produit peu de
romans celebres : dans I'age suivant , la liste en
est nombreuse et variee. Le Don Quichote espa-
gnol, traduit depuis long-temps en francais, res-
tait encore un modele unique. Le Sage fut notre
Cervantes: il deploya dans Gilblas, et mieux que
dans Turcaret meme, les ressources d'un genie
2o8 LITTERATURE FRANCAISE.
comique, le seul qui eut approche Moliere, s'il
n'eut trouve I'abandon et I'oubli au lieu des en-
couragemens qu'il meritait. L'abbe Prevot, qui
serait beaucoup lu , s'il n'avait trop ecrit , sut in-
venter et emouvoir dans Cleveland, dans le Doyen
de Killeriue, et surtout dans Manon Lescaut. Le
meme ecrivain nous fit connaitre le beau roman
de Clarisse et les autres ouvrages de Richardson.
Pour developper les pensees les plus secretes de
ses personnages , ce grand peintre de moeurs , le
plus vrai qu'ait eu I'Angleterre , preferait au sim-
ple rccit les formes d'une correspondance. Deja,
parmi nous, Montesquieu les avait employees
dans les Lettres Persanes , production importante
sous une apparence frivole, ou la fable d'un ro-
man sert de cadre a la satire , ou la satire est une
arme invincible que dirige la philosophic. Cette
meme raison superieure, une satire moins forte
et plus gaie, et tons les charmesde I'esprit le plus
flexible qui fut jamais, ornent Zadig, Microme-
gas, le Hiiron , Candide , ingenieux delassemens de
la vieillesse de Voltaire. Les premiers ecrivains
du siecle reunissaient des talens tres-divers pour
illustrer un meme ajenre d'ecrire. La Nouvelle
Heloise parut; et si Ptousseau n'egala point I'au-
teur de Clarisse dans la composition generale
et dans la peinture des caracteres , il lui fut
bien superieur pour la richesse des details, pour
CHAPITRE VI. 209
I'eloquence du style, comme aiissi pour celle des
passions. Eii seconde ligne, uii pen loin de la
premiere , se presentent Marivaux , moins ma-
niere peut-etre dans ses romans que dans ses co-
medies; mesdames de Tencin, de Graffigny, Ric-
coboni, qui se firent apercevoir sur les traces de
madame La Fayette; Duclos et Crebillon le fils,
qui se plurent a peindre des moeurs dont I'exis-
tence est restee problematique ; enfin Marmontel ,
dont le Belisaire et les Conies moraux offrent des
tableaux heureux, d'utiles preceptes et le merite
d'un bon style. On a remarque plus recemment
les Liaisons dangereuses de Laclos et le Faublas
de Louvet. En composant Numa Pompilius, Flo-
rian ne fit qu'augmenter le nombre des faibles
copies de Telemaque : il fut plus heureux dans
ses Nouvelles , et surtout dans les pastorales d'Es-
telle et de Galatee. Ces compositions aimables,
quoiqu'un peu froides, eurent quelque temps la
vogue; mais leur eclat palit bientot devant les
brillans oiivrages deM. Bernardin de Saint-Pierre.
Deja, par les Etudes de la Nature, cet excel-
lent ecrivain s'etait acquis une renommee legitime :
elle s'est beaucoup augmentee lorsqu'il a public
Paul et yirgmie et la Chaumiere indienne. Le
premier de ces romans est un peu anterieur a
I'epoque ou remontent nos observations ; si nous
en parlous ici, c'est uniquement pour rappeler
OEuvres posthumes. HI. 1 4
y.io LITTIiHATlJRE FRANCAISE.
le prodigieux succes qu'il obtiiit, et qu'il a tou-
joiirs conserve. C'est pen d'avoir protege sur nos
tlieatres lyriques deux copies trop peu digncs de
leur modele: il a franchi les bornes de la France;
et partout il a reussi; car il a sii partout emou-
voir. L'interet d'line fable charmante a rechauffe
la tiedeur des traductions ; mais quel traducteur
a pu rendre la couleur et la melodic d'un pareil
style? La Chaumiere indienne a paru trois ans
apres : ce petit livre honore et ernbellit les temps
dont nous ecrivons lliistoire litteraire; il unit
des vues pliilosopliiques a tous les genres de
merite qui distinguent Paul et Virginie ; il respire
une raison aimable, qui sent avec delicatesse, plai-
sante avec grace, sourit meme en s'attendrissant,
ne preclie pas, mais persuade, et, toujours ferme
avec douceur, reste inaccessible aux prejuges.
Comme I'auteur peint tout ce dont il parle , Be-
nares et les bords du Gauge, et le temple de
Jagrenat, sirespecte des peuples de I'Tnde! Comme
il fait sentir le respect des Brames pour les Bra-
mes, et leur mepris pour le genre humain ! Comme
il met bien en contraste I'orgueil ignorant d'un
grand-pretre , et la modestie eclairee d'un paria!
Comme il est simple avec elegance, soit dans le
recit des amours du paria, soit dans le tableau
des divers aspects que presente, au milieu de la
nuit , I'interieur a demi silencieux d'une grande
CHAPITRE VI. 21 1
ville, soil dans le tableau plus doux d'une humble
famille, heureuse sous le toit qui la couvre, au
sein du champ qui suffit pour la nourrir! II n'enfle
point sa diction de ces epithetes descriptives tant
prodiguees par ceux qui ne font que denaturer
la prose, en voulant y introduire ce qu'ils ap-
pellent de la poesie. Averti par une oreille delicate
et savante , il ne confond pas non plus riiarmonie
independante qui sied au langage ordinaire avec
le rhythme poetique. Vous ne rencontrez pas, en
le lisant , des vers de toute mesure , accumules et
marchant de suite : ce qu'ont affecte plusieurs
ecrivains modernes , entre autres Marmontel dans
ses Incas , mais ce qu'ont toujours evite nos clas-
siques, surtout ceux qui ecrivaient egalement bien
en vers et en prose, et qui sont restes double -
ment modeles. Le talent de M. Bernardin de Saint-
Pierre se retrouve dans son Fojage en Silesie,
opuscule agreable , et dont il a orne I'une de nos
seances pubhques ; il se retrouve encore dans les
Arcades, joli roman que I'auteur aurait du finir.
II eclate avec pompe dans les belles pages de
morale, et dans les magnifiques descriptions de
ses Etudes de la Nature : mais , parmi ses ou-
vrages , Paul et Virginie et la Chaumiere indieniie
touchent de plus pres a la perfection continue , et
doivent etre places , sans aucun doute , au rang
des chefs-d'oeuvre de la langue. A le considerer
14.
•21-2 UTTER ATURE FRANCAISE.
en general , harmonieux et pittoresque , habile a
choisir et a placer les mots, les sons, les images,
a saisir I'expression la plus vraie du sentiment le
plus inlime, a s'elever et a descendre avec la na-
ture et comme elle, il se rapproche de Fenelon
et de J. -J. Rousseau. Forme par ces grands ecri-
vains, sans les imiter, il les rappelle; il est de la
meme ecole ou plutot de la meme famille ; on
sent que leur genie est parent du sien.
Le petit roman (V^ta/a , par M. de Chateau-
briand , est du commencement de ce siecle : il a
fait du bruit; il est singulier pour la conception,
pour la marche et pour le style ; il exige done un
article detaille. Un sauvage americain, de la na-
tion des Natclies , a quitte son pays pour venir en
France. Apres avoir ete galerien a Marseille^ il
s'est Iransporte a la cow de Louis XIV: il y a
vu les tragedies de Racine ; il a ete Vhote de Fe*
nelon. De retour en Amerique, il y vieillit tran-
quille , et c'est a I'age de soixantc et treize ans
qu'il raconte une aventure de sa jeunesse a Rene
I'Europeen, qui vient s'etablir chez les sauvages.
Or voici cette aventure en substance : Chactas ,
yds d'Outalissi, fds de Miscou, etant pris par
Sinaghan , chef des Muscogulges et des Sinunoles,
est reconnu pour Natche. Sinaghan lui dit : Re-
jouis-toi, tu seras brule au grand village ; a quoi
il repond : Voild qui va bien. Son age et sa figure
CHAPITRE VI. : : 2i3
interessent les femmes : elles lui apportent de la
sagamite , des jambons d'ours et des peaux de
castor. II distingue nne jeuiie cbretienne, qu'il
prend d'abord pour la vierge desdemieres amours.
II sait bientot que c'est Atala , fille de Sinaghan
aux bracelets d'or. Nous nous rendons , kii dit-
elle, a Jpalachucla, oil tu seras bride. Elle revient
lui parler tous les soirs : elle etait dans son coeur
comme le souvenir de la couche de ses peres. Au
temps oil Vephemere sort des eaux, lorsquon en-
trait sur la grande savane Alachua , Atala trouve
moyen d'etre seule avec le prisonnier; mais, par
une etrange contradiction, Chactas, qui desirait
tant de dire les chose s du mystere a celle quit
aimait deja comme le soleil, voudrait maintenant
se Jeter aux crocodiles de la fontaine plutot que
de rester seul avec elle. I^a fille du desert n'etait
pas moins troublee que lui; car les genies de Va-
mour avaient derobe les paroles de Chactas et
d' Atala. Chactas besite a fuir, attendu qu'il est
sans patrie J et qiiaucun ami ne mettra un pen
d'herbe sur son corps pour le garantir des moii-
ches. Atala devient fort tendre ; mais elle est bien-
tot plus severe. Chactas, desespere, lui declare
qu'il ne fuira point, et quelle le verra dans le
cadre de feu. A cette menace, Atala veut a son
tour se Jeter aux crocodiles de la fontaine ; elle
s'en al)stient toutefois. Le lendemain, la fille du
12 1 4 LITTERATURE FRANCAISE.
pays des pahniers conduit Cliactas dans une foret,
ou il contraint cctte biche alleree d'errer avec luiy
pendant que le genie des airs secoue sa chevelure
bleue, embaumce de la senteur des pins. Deja
Chactas emportait Alala au fond de toiites les fo-
rets: rien ne pouvait la sauver qaun miracle; et
ce miracle fut fait; elle dit un Ave Maria: des
guerriers reprennent Chactas. Atala dedaigne de
leur parler ; car elle ressemblait a une reine pour
I'orgueil de la demarche et de la pensee. Cinq
iniits s'ecoulent : enfin Von apercoit Apalachucla,
sitae aux bords de la riviere Chatauche. On pare
Chactas pour le sacrifice ; oji lui met a la main
une Chichikoue. Le conseil s'assemble, et decide,
malgre les reclamations de quelques femmes, que
Chactas sera brule conformement a I'ancien usage.
Des jeux funebres sont celebres. Le jongleur in-
voque MichabloUy et raconte, entre autres belles
choses , les guerres du grand lievre contra Matchi-
manitou, genie du mal. Cependant le supplice
de Chactas est remis au lendemain ; mais , durant
la nuit, une grande figure blanche rompt les liens
du captif"; un des soldats croit voir V esprit des
ruines ; c'est Atala : Chactas fuit avec sa libera-
trice , qui lui brode des mocassines de peau de
rat musque avec du poll de pore-epic. Elle lui ap-
prend de plus que sa mere, etant mariee a Sina-
ghan , lui dit: Mon ventre a concu; fai connu
CHAPITRE VI. i\5
un homme de la chair blanche : a quoi Sinaghan ,
qui est tres-magnanime , repondit : Puisque tu as
ete sincere^ je ne te couperai pas le nez et les
oreilles. Or, cet homme de la chair blanche se
nommait Lopes : c'est le pere d'Atala : c'est aussi
le pere de Chaclas. Tons deux se felicitent d'etre
frere et soeur : Chactas n'en est que plus ardent;
la chretienne et pieuse Atala , loin d'etre effarou-
chee de ce changement d'etat, n'opposait plus
quunefaible resistance; mais un orage survient
a propos ; et les amans sont rencontres par le
pere Aubri et son chien. Ce pere Aubri est un mis-
sionnaire, qui habite au milieu de quelques sau-
vages convertis par ses predications. II est le chef
de la prieie; il est aussi V homme des anciens
jours; il est de plus le uieux genie de la mon-
tagne ; il est encore le serviteur du grand esprit ;
il n'en est pas moins Vhoitime du rocher. II em-
mene chez lui Chactas et Atala, leur donne a
souper, a coucher, et le lendemain leur dit la
messe : de quoi Chactas est fort emu , quoiqu'il
juge a propos de rester paien. Quelques jours
s'ecoulent a peine , lorsqu'il survient une catas-
trophe, assurement tres-imprevue. Atala, d'apres
un ancien voeu de sa mere , se croit condamnee
a rester vierge : en consequence , elle s'empoi-
sonne. Le pere Aubri eiit tout arrange , s'il eut
ete informe a temps, comme il a soin de I'observer
2i6 LITTERATURE FRANCAISE.
lui-meme. Faute de cette precaution , il ne pent
que confesser Atala niourante , qui volt avec joie
sa virginite devorer sa vie. Elle regrette pourtant
de n'etre point a Chactas. Quelquefois j'aurais
voulu, lui dit-elle, que la di<^nnite sejiit aneantie,
powvu que , serree dans tes bras , feusse roule
d'ahime en abime avec les debris de Dieu et du
monde. Le recit des funerailles vient ensuite; enfin
I'auteur se met lui-meme en scene dans ce qu'il
nomme un epilogue. II trouve cette histoire par-
faitement belle; car le Siminole, qui la lui conta,
y mit lafleur du desert et la grace de la cabane.
II est temps de s'arreter : nous ne voulons pas
determiner avec une justesse rigoureuse le genre
d'imagination dont eel ouvrage offre les symp-
tomes ; mais nous avons peine a concevoir ce
qu'il pent y avoir de moral dans un amour char-
nel et sauvage, auquel la religion vient meler
des sacremens tres-graves, dont le mariage ne
fait point partie ; quel interet peut resulter d'une
fable incolierente, ou des evenemens, qui restent
vulgaires en depit des formes les plus bizarres,
ne sont ni amenes, ni motives, ni lies entre eux,
ni suspendus par aucun obstacle. Quant aux de-
tails , on y sent I'affectation marquee d'imiter I'au-
teur de Paul et P'irginie; mais, pour lui ressem-
bler, il faudrait, comme lui, decrire et peindre.
Des noms accumules de fleuves, d'animaux, d'ar-
CHAPITRE VI. ; 2t7
bres , de plantes , ne sont pas des descriptions ;
des couleurs jetees pele-mele ne forment pas des
tableaux. M. de Chateaubriand suit la poetique
extraordinaire qu'il a developpee dans son Genie
du christianisme. Un jour, sans doute, on pourra
juger ses compositions et son style d'apres les
principes de cette poetique nouvelle , qui ne sau-
rait manquer d'etre adoptee en France du moment
qu'on y sera convenu d'oublier completement la
langue et les ouvrages des classiques. ; -: '
De toutes les dames francaises qui ont cultive
la litterature, celle qui a produit le plus d'ou-
vrages, c'est assurement madarae deGenlis. Avant
la revolution, nous lui devious deja quinze vo-
lumes ; elle en a donne plus de vingt depuis cette
epoque. Le plupart contiennent des romans , qui
sont estimables dans quelques parties, mais de-
fectueux a plusieurs egards. On n'ecrit pas tou-
jours bien quand on veut tou jours ecrire : I'esprit
et I'imagination ne sont pas constamment aux
ordres de ceux meme qui en ont le plus. Ainsi ,
dans les Voeux temeraires , les vertus de lady Cla-
rendon , ses chagrins , le dechauiement de ses
allies, les froideurs de son epoux long -temps
abuse, la justice eclalante qu'il lui rend avant de
mourir, le serment qu'elle grave sur le tombeau
de cet epoux cheri , produisent d'assez grands
effets. Jj'interet se soutient encore au milieu des
2i8 LITTER AT URE FRANC AISE.
calomnies qii'occasionne le sejour de I'heroine en
France; raais il se ralentit par de nouvelles amours,
et s'aneanlit par iin denoument aiissi triste que
peniblement amene. Dans Alplionsine ^ on est
louche des malheurs de Diana , plongee an fond
d'un souterrain , ou elle fait naitre , conserve ,
eleve une fille adoree. On excuse d'assez fortes
invraisemblances rachetees par une emotion con-
tinue ; mais I'emotion cesse quand Diana n'est
plus captive : un nouveau roman commence et
se traine longuement, sans exciter raeme la cu-
riosite du lecteur. Dans les Meres rwales, la mar-
quise d'Erneville offre sans doute un beau carac-
tere;mais, sans rappeler des tracasseries provin-
ciales,qui tiennent beaucoup d'espace,et procurent
pen d'amusement, que dire de mademoiselle de
Rosmond ? Elle n'est point vicieuse , an moins
dans I'intention de I'auteur, et pourtant, facile a
I'exces pour un homme qu'elle n'a jamais vu , et
quelle ne saurait epouser , puisqu'il est marie ,
elle envoie secretement le fruit de sa faiblesse,
a qui? a I'epouse meme de son amant! Pour jouir
injustement d'une renommee sans tache, elle
fait planer, durant dix-huit ans, sur cette epouse
vertueuse un soupcon que tout confirme; et, au
bout de dix-huit ans, elle en est quitte pour se
fairereligieuse, apres un aveu tardif, qui ne rend
point a sa victime luie jeunesse noyee de larmes,
CHAPITRE VI. 219
privee du bonheur domestique , incessamment
tourmentee par le desolaiit contraste d'nne con-
duite irreprochable et d'une reputation fletrie.
Nous ne deciderons point si cette fois la devo-
tion pent compenser Timmoralile. Quant au faible
ouvrage qui a pour titre Jlphonse ou le Fils na-
turel, nous y louerons la tendresse courageuse
et passionnee d'une mere , afin d'y pouvoir louer
quelque chose. En peignant de nouveau Belisaire,
madame de Genlis a tire de I'histoire plusieurs
beaux traits du Vandale Gelimer, quelle a rendu
, plus brillant que son personnage principal ; mais
' on est oblige de I'avouer : soit pour la composi-
tion , soit pour les details , soit pour la couleur
[ et I'harmonie du style , la superiorite de I'ancien
Belisaire est tres-marquee , surtout dans ce quin-
zieme chapitre qui valut jadis a Marmontel des
anathemes frivoles, d'ephemeres censures, et des
eloges que ratifiera la posterite. Dans les Cheva-
\ Hers du Cjgne , on aime assez Olivier, son ami
fidele Ysambart, la tendre et douce Beatrix, du-
chesse de Cleves ; mais le caractere et les aven-
tures cyniques d'Armoflede , princesse du sang de
Charlemagne, repoussent tout lecteur qui a quel-
que respect pour les dames , pour la decence et
pour le gout. La jeune Clara, le pere Arsene, out
de I'eclat dans le Siege de la Rodielle; mais on
est surpris que le fameux commandant Lanoue
•220 LITTERATURE FRANCAISE.
soit reste dans I'ombre : on n'est guere moiiis
etonne d'entrevoir a peine le cardinal de Riche-
lieu , a qui toutefois I'auteur accorde un coeur
genereux et sensible, eloge etrange pour un tel
ministre , et le seul qui fut reste neuf apres tous
les discours prononces a I'Academie francaise par
les recipiendaires et les directeurs , durant I'espace
de cent cinquante ans. II y a du beau dans le
roman sur Madame de la Vallihre^ au moins ce
qui fut dit textuellement par Fheroine ; mais, tout
en louant Louis XIV sans mesure , I'auteur le re-
presente comme un egoiste, tour a tour ardent
ou glace , forcant un cloitre pour arracher a Dieu
la maitresse qu'il aime encore , et trop pieux pour
lui disputer la maitresse qu'il n'aime plus. Le sujet
de Madame de Maintenon pouvait etre traite de
plus d'une maniere : I'auteur a choisi le genre
serieux. La visite de madame de Montespan, sur
le declin de sa faveur, a madame de la Valliere,
deja religieuse aux Carmelites , offre une scene
tres-imposante. Sans etre de la meme force, d'au-
tres details sont remarquables; mais, pour nous
faire croire a la candeur de madame de Main-
tenon , il fallait la peindre autrement : elle ne
parle qu'aux faiblesses du monarque ; soit qu'elle
le flatte, soit qu'elle le gronde, tout semble ma-
nege etcalcul; et,quoiquetantcelebre, Louis XIV
parait \\\\ vieillard devot et blase, que subjugue
CHAPITRE VI. J 221
avec art sa vieille gouvernante. Un roman fort
joli d'un bout a I'autre , cest Mademoiselle de
Clermont : la brievete en est le moindre merite.
Les caracteres de la princesse , de son frere M. le
due , et de son amant le due de Melun , sont tra-
ces avec une verite charmante. La, ni incidens
reclierches, ni declamations pretendues religieuses;
action simple , style naturel , narration animee ,
interet toujours croissant: voila ce qu'on y trouve.
On croirait lire un ouvrage posthume de madame
de La Fayette ; et, s'il nous a ete penible , dans cet
article , d'avoir a multiplier les critiques , il nous
est doux de le terminer par cette louange.
Madame Cottin s'est acquis une reputation me-
ritee. Son coup d'essai, Claire d'Albe^ ne don-
nait toutefois que de mediocres esperances : la
fable en est vulgaire et mal tissue ; les details n'en
sont point heureux; on rencontre meme dans les
lettres d'une certaine Elise plusieurs traits inin-
telligibles pour le lecteur et pour Tauteur. Cest
ce que Boileau nommait si bien du galimatias
double. De Claire d'Mbe a Malvina le progres a
lieu d'etonner : non que ce second ouvrage soit
a beaucoup pres exempt de defauts. M. Prior y
parait fort deplace, quoiqu'il serve a Taction. Un
pretre catholique, des moeurs les plus graves , mais
qui , malgre sa piete , s'avise d'etre amoureux, et
de se battre au pistolet avec son rival, est un
222 LITTERATURE FRANCAISE.
personnage inadmissible. Edmont, tout passionne,
tout brillant qu'il est , Edmont lui-meme laisse
quelquc chose a desirer. 11 n'en est pas ainsi de
Malvina : c'est a tous egards un des plus beaux
caracteres que puissent offrir les romans mo-
dernes. Depuis I'inoculation de I'amour dans la
Nouvelle Heloise, il n'est point de situation mieux
concue, mieux developpee, plus pathetique en
tous ses details , que celle de Malvina s'introdui-
sant, deguisee, dans le chateau d'une famille qui la
persecute, y devenant la garde malade d'Edmont,
son amant ; et la , muette , impenetrable autant
qu'active et vigilante, I'arrachant, a force de soins,
a la mort, qui semblait deja le saisir. On n'est pas
moins attendri en lisant Amelie Mansfield. Ce
qui concerne le premier epoux d'Amelie est , a
laverite, pen attachant; mais c'est comme I'avant-
scene du drame ; et, des qu'Ernest a paru, les emo-
tions se succedent avec un progres rapide, jus-
qu'au jour ou les deux amans sont renfermes dans
le meme cercueil. On les aime et on les regrette;
on plaint avec effroi madame de Woldmar, mere
d'Ernest, et tres-digne baronne allemande , qui
laisse mourir de chagrin son fils unique , de peur
qu'il n'epouse Amelie , fille d'une haute naissance,
mais veuve d'un mari qui avait le malhcur de
n'e'tre pas ne baron allemand. C'est avec beau-
coup de force que I'auteur a peint cet orgueil
CHAPITRE VT. 2^3
l)arbare, qui ne cesse d'etre inflexible que par des
maux irreparables , et se borne a gemir en vain
sur les tombeaux qu'il a creuses. Le courage et
la piete filiale de la jeune Elisabeth Potoski char-
ment dans les Exiles de Siberie; et les details de
ce petit roman historique respirent une simplicite
touchante. Quant a la Prise de Jericho y dont nous
avons deja parle a I'occasion des Melanges de
litterature de M. Suard, nous n'en dirons ici qu'un
mot : c'est un mauvais ouvrage dans un mauvais
genre; un poeme qui n'est point en vers. Les pre-
tendues aventures de la Juive Raab sont moins
embellies que defigurees par un langage herma-
phrodite, qui se separe de la prose sans pouvoir
atteindre a la poesie. Ces formes lourdes et guin-
dees nous semblent aussi deparer les commence-
mens de Mathilde , roman dont Taction se passe
a la fin du douzieme siecle , durant la croisade
de Philippe-Auguste et de Richard-Ca3ur-de-Lion ;
mais bientot I'auteur s'echauffe avec son sujet; la
diction devient naturelle: alors I'interet commence;
et quelquefois il acquiert une haute energie. Phi-
lippe ne paralt qu'un moment ; Richard n'occupe
guere plus d'espace ; Lusignan , roi de Jerusa-
lem , est fort maltraite; Montmorenci a beau-
coup d'eclat; Saladin, sans etre meconnaissable ,
est inferieur a sa renommee ; pour son frere ,
Malek-Adhel, c'est le personnage d'elite : il est
■ii[\ LITTERATURE FRANCAISE.
bon , genereux , teiidre , passionne , vaillant , in-
vincible ; il unit au plus haul degre toutes les
qualites aimables et toutes les vertus chevaleres-
ques. Matliilde, soeur de Richard, est digne du
heros musulman : son amour pour Malek-Adhel
est gradue, motive avec art; on est fortement
emu, soit lorsque, seule avec lui au milieu de
I'ouragan du desert, elle attend la mort qui les
menace, soit lorsqu'elle accourt sur un champ
de bataille devenu I'autel , le lit nuptial et le tom-
beau de son amant, qui expire en invoquant le
dieu de Mathilde. En general, les effets tragiques
dominent dans les productions de madame Cottin.
Hors des scenes de passion , son style se traine ;
et Ton voit quelle ne connait point assez I'art
d'ecrire; mais elle fut douee d'une sensibilite rare:
elle sait peindre Famour, surtout I'amour entoure
de raalheurs; elle ne preche ni ne regente; et<
dans chacun de ses bons romans , Theroine est
aussi tendre qu'aimable : elle etablit et soutient
bien un caractere quelle affectionne ; elle com-
pose enfin sans timidite , mais sans audace; et Ton
doit regretter cette dame, enlevee a la litterature
dans un age oii son talent, deja tres-remarquable,
pouvait encore se perfectionner.
Les romans de madame de Flahaut, aujourd'hui
madame de Souza, se distinguent par une grace
qui leur est particuliere. Dans Adele de Senange,
CHAPITRE VI. 2^5
rien de mieux dessine que les trois priiicipaux
personnages, Adele, le lord Sidenliam, et le mar-
quis de Senange, modele d'un vieillard aimable
et d'un excellent mari. Dans Emilie et Alphonse ^
I'auteur peint avec verite les grands airs du due de
Candale; mais, si ce brillant homme de cour ins-
pire fort peu d'interet, on en prend beaucoup
en recompense aux chagrins de sa jeune epouse ,
et meme au sort de I'espagnol Alphonse, malgre
la bizarrerie de son caractere et de ses tragiques
aventures : ces deux romans sont rediges en forme
de lettres. Charles et Marie ^ ainsi c^n Eugene de
Rothelin^ a la forme simple et rapide d'un jour-
nal ecrit a la hate, a mesure que les evenemens
s'ecoulent. Tout plait dans Charles et Marie : les
vertus de la bonne lady Seymour, la sensibilite
ingenue de Marie, sa troisieme fiUe, la tendresse
passionnee de Charles Lenox , et meme Tegare-
ment de Philippe , qui a confondu avec I'amour
la douce amitie de Marie. Un pere ami intime et
confident de son fils , un fils non moins devoue a
son pere qu'a sa maitresse, I'esprit superieur de la
marechale d'Estouteville , et encore plus le charme
infini de sa petite- fille, Athenais, embellissent
Eugene de Rothelin. Cest , a notre avis , apres
Adele de Senaiige, le nieilleur ouvrage de ma-
dame de Flahaut, si pourtant il faut choisir entre
des productions presque egalement agreables.
OEuvres postbiim<>s. III. I 0
9,9.6 LTTTKRATUHE FRANCAISE.
Ces jolis romans n'offrent pas, il est vrai , le dv-
veloppeiTient des grandes passions; on n'y doil
pas chercher non ]ilus I'etude approfondie des
travers de I'espece humanie ; on est sur an moins
d'y trouver partout des apercus tres-fins sur la
societe , des tableaux vrais et bien termines ,
un style orne avec mesure , la correction d'un
bon livre et I'aisance d'une conversation fleurie ,
Tusage du montle , mais cet usage exquis et rare
qui observe et ne s'exagere point les convenances;
des sentimens delicats, des tours ingenieux , des
expressions choisies, I'esprit qui ne dit rien de
vulgaire, et le gout qui ne dit rien de trop.
Nous avons eu deja plus dime occasion de
rendre liommage aux talens de madame de Stael ;
mais c'est dans le genre des romans qu'ils se sont
deployes avec le plus d'avantage. Delphine et
Corinne sont deux productions brillantes : toute-
fois, en leur payant lui juste tribut d'eloges, nous
estimons trop lauteur pour dissimuler de justes
critiques. Nous coinmencerons par Delphine. II
e^t dangereux d'attribuer a des personnages que
Ton met en scene tons les genres de superiorite:
c'est beaucoup promettre ; et du moins faut-il
otre sur de tenir parole. Leonce est au juste le
premier homme qui existe; Delphine est pr^cise-
ment la premiere des femmes possibles ; et c'est
une chose tellement convenue qu'eux-memes
CHAPITRE VI. 9.9.7
I'avoueiit de fort bonne grace, Fnn pour Tautre,
et chacun pour soi. Nous sommes bien faches de
ne pouvoir adopter snr Leonce ni son avis , ni
celui de Delphine ; mais , en conscience , il n'y a
d'extraordinaire en lui que son amour-propre et
son imperturbable personnalite. II se resigne a
tous les sacrifices qu'on lui prodigue ; mais il
s'abstient d'en faire, tant il se respecte. Tremblant
devant les caquets qu'il appelle I'opinion , il se
fachequand Delphine est compromise ;et c'est lui
qui la compromet sans cesse. Abuse par des ca-
lomnies, il ne I'a point voulue pour epouse; d(5sa-
buse, il la veut pour concubine. Bien plus, dans
I'eglise ou il vient de voir une victime de I'amour
s arracher au monde pour expier sa faiblesse,
dans cette meme eglise, oii jadis il forma, devant
Delphine au desespoir, un lien qui subsiste en-
core , il s'efforce d'arracher a celle dont il a cause
I'infortime tout ce qu'il lui a laisse : I'honneur et
le droit de ne point rougir. Delphine est aussi
vaine que Leonce ; mais elle est du moins spiri-
tuelle et genereuse; elle reflechit pen sur sa con-
duite ; mais sa bonte va plus loin que son impru-
dence, qui toutefois est excessive: elle comble
de bienfaits sa rivale. Cette rivale meurt; Leonce
est libra; epousera-t-il Delphine? Non; ce nest
pas a quoi il sone^e : c'est le temps de notre re-
volution ; la guerre vient d'eclater; les ennemis
i5.
■2'2S LITTliRATLRE FRANCAISE.
sont a Verdun; I.eonce les joint, afiii de puiiir
Jes Franrais, (jiii out change de gouvernernent
sans sa permission. Par malheur il est pris les
armes a la main : c'est son premier et unique ex-
ploit. Apres d'inutiles efforts pour lui sauver la
vie, Delphine lui doinie la sienne. Dans la prison,
snr le char funebre, au lieu du supplice , elle
I'accorapagne , I'exhorte , et meurt avec lui. Ce
denonment est trop fort pour etre pathetiqne ;
mais la nullite de Leonce , qui n'est a tons egards
qu'un heros passif, releve le courage actif et sans
bornes de la veritiible heroine. Autour de cette
figure principale sont habilement groupes d'au-
tres personnages. L'auteur peint avec des cou-
leurs aussi vives que varices cet egoisme adroit
et cares.sant; science de vivre de madame de Ver-
mont; le sec big()lisme de sa fille , epouse de
Leonce; la devotion pleine d'amour de Therese
d'Ervins ; la sagesse modeste de mademoiselle
d'Albemar, et la raison ferme de Lebensey. Uans
chaqiie lettre , a chaque page , on trouve des idees
fines on profondes ; mais nous ne saurions ad-
mettre le principe qui sert de base a tout I'ou-
vrage. Non : Thomme ne doit point braver I'opi-
nion ; la femme ne doit point s'y soumettre : tons
deux doivent I'examiner, se soumettre a I'opinion
legitime, braver I'opinion corrompue. Le bien , le
mal sont invariables : les convenances qui assu-
CHAPITRE VI. '2-2()
jettlssent les deux sexes different entre elles,
comme les fonctions que la nature assigne a clia-
cun des deux ; mais la nature ne condaniue pas
Tun au scandale , et I'autre a I'hypocrisie : elle
leur donna la vertu pour les inspirer , la raisou
pour guider la vertu; et toutes les convenances
s'arretent devant ces limites eternelles.
L'ensemble de Corinne est imposant ; et dans
ce livre un seul defaut nous parait sensible. L'au-
teur y exige encore une admiration respectueuse,
tin culte meme pour les deux principaux per-
sonnages. On ne doit comparer aucune femme a
Corinne, aucun homme a Oswald. L'incompa-
rable Oswald n'est pourtant ni moins egoiste , ni
moins borne que fincomparable Leonce. Lucile
Edgermond , jeune Anglaise, qui devient I'epouse
d'Oswald , vaut beaucoup mieux que son froid
compatriote ; mais elle fixe rarement I'attenlion.
Le prince de Castel-Forte , le comte d'Erfeuil ,
I'un Italien , I'autre Francais , tons deux reniar-
quables par des nuances bien saisies , ne sont
pourtant que des personnages accessoires ; Co-
rmne seule anime tout le tableau : elle emeut ,
entraine, subjugue; c'est Delphine encore, mais
perfectionnee , mais independante , laissant a ses
facultes \\n plein essor; exprimant, comme elle
les eprouve, les sentimens qui la dominent , et
toujours doublement inspiree par le talent et par
:i3o LITTERATURE FRA.NCAISE.
Tamoiir. L'actiou est simple : ce qui est partout
1111 merite , mais ici , plus qu'ailleurs , puisque
I'objet principal est la description de I'ltalie ; et
quelle description passionnee! Au milieu des cites
pompt3uses et des opulens paysages, c'est pour
Oswald que son amante se plait a celebrer cette
contree, deux f'ois classique, et long-temps peu-
plee de heros, ou I'heritage du genie des Grecs
lut recueilli par la victoire, et qui depuis retira
I'Europe des longues tenebres du moyen age. C'est
avec lui qu'elle se promene entre les prodiges
antiques et les prodiges modernes, pres de ces
monumeiis debout encore , mais dont la grandeur
egale a peine les debris des monumens renverses.
Dans ces palais, dans ces temples qui etalent les
chefs -d'a'uvre de la peinture, et retentissent des
chefs-d'oeuvre de I'harmonies et,sousle plus beau
ciel du monde , pour enflammer I'imagination , de
tons cotes viennent s'unir a la puissance des arts
la majeste d'une gloire lointaine, I'inspiration des
souvenirs et I'eloquence des tombeaux. Ce n'est
pas une idee vulgaire que celle de lier tous ces
grands objets aux situations d'une ame ardente
et mobile. Ainsi les couleurs sont varices : leur
eclat eblonit d'abord , lorsque , triomphante au
Capitole , henreuse d'un amour naissant et par-
tage, Corinne, encliantee du present, sourit aux
promesses de Tavenir. Bientot les teintes palissent
CHAPITRE VI. uii
en meme temps que son bonheur; mais leur me-
lancolie les rend plus douces; et , quaiul elle a
perdu jusqu'a I'espoir, c'est encore avec iin charnie
nouveau qu'elle reproduit les memes images ,
rembrunies de sa douleur et des pressentimens
de sa mort procbaine. II y a beaucoup de merite
dans le roman de Delphine: a notre avis, toute-
iois, Corinne a moins de defauts, plus de beautes,
et des beautes d'un plus grand ordre. Sans doute,
on pent reprocher a ces deux ouvrages quelques
pensees qui ne soutiendraient pas I'examen , quel
ques expressions plutot cherchees que trouvees.
Mais qu'importent ces taclies legeres? Tons deux
sont ricbes de details, tons deux etincellent de
trails ingenieux on diversement energiques , et
garantissent a madame de Stael un rang parmi
les ecrivains qui font aujourd'bui le plus d'bon-
neur a la litterature francaise.
Quelques ouvrages moins generalement coninis
que ceux dont nous venons de parler n'ont pour-
tant pas echappe a I'attention publique. De ce
nombre est le petit roman de Primejose , par
M. de Morel tie Vinde : les aventures de Prime-
rose , fille du comte de Beaucaire, et de son amant
de Gerardet, fils du due de Valence, y sont ra-
contees avec agrement. Le due Gerard, qui veul
loujours menager des surprises, offre un carac-
tere plaisant et vrai; du fond meme de ce carac.-
•23i TJTTERATURE FRANCAISE.
tere iiait un denoument tres-bien file. La compo-
sition est faible, mais airmsante ; et le style n'est
pas depourvu de graces. Le Negre, comme il j a
peu de Blancs^ romaii de M. Lavallee, off re une
action plus etendue et des personnages plus in-
teressans : Itanoko, par exemple, et la jeune Ame-
lie, parmi les noirs ; parmi les blancs. Germance
et son amante Honorinc^ , I'auteur semble per-
suade qu'il est possible a un negre d'avoir des
vertus, et que I'esclavage des noirs n'est pas tout-
a-fait de droit divin. Ces deux opinions , propa-
gees dans le dernier siecle , sont maintenant re-
futees sans cesse en des journaux qui seront peut-
etre immortels : il convient d'observer entre eux
et la raison une neutralite prudente , mais sans
negliger de rendre justice an talent et aux inten-
tions phiiantropiques de M. de I^avallee. Ses Let-
tres cTuii Maineluck encourent un reproche qu'a-
vaient deja merite les Lettres turques de Saint-
Foix et plusieurs productions semblables : celui
d'oser rappeler les formes d'un chef-d'oeuvre ini-
mitable de Montesquieu. Mais, quoiqu'a distance
respectueuse des Persans Usbek et Rica, le Ma-
meluck Oiesid n'en montre pas moins beaucoup
de gaiete , de sens et d'esprit. 11 est facheux que
Tinepuisable M. Pigault-le-Brun ne sache point
se borner : souvent il compile, souvent il n'in-
vente que trop. Cepcndant nous distinguerons
CHAPITRE VI. 233
dans la loiigue liste de ses ouvrages , la Folie
espagnole, mon Oncle Thomas, M. Dotte, I' Enfant
du Carnaval, et surtoiit les Barons de Felsheiin.
II est aise d'y blainer de iiombreux ecarts , une
imagination vagabonde , et qui risque tout, jus-
qu'au cynisme; mais il serait injuste de n'y pas
louer des traits piquans , des boutades heureuses ,
et des scenes d'un comique original. Dans les
Quatre Espagnols de M. Montjoye, le caractere
de I'ambassadeur Massarena est assez lorteraent
trace; la tendre amitie de son fils, don Carlos, et
du jeune Fernand est peinte aussi d'une maniere
touchante. Le Manuscrit trouve au mont Paiisi-
lipe, autre roman du meme aiiteur, ne vaut pas
les Quatre Espagnols; on y remarque toutefois le
vieux jesuite Mendoza , personnage aimable et
moral , savant distrait , mais ami attentif , et Gus-
man , scelerat devot , qui figure tres-bien dans la
procession des flagellans, pour plaire a la petite
comedienne Minirella, sa maitresse. Au reste, c'est
par I'interet de curiosite que se soutiennent les
romans de M. Montjoye ; car la diction en est trai-
nante et la composition chargee d'incidens. Mais
il est plus d'un public; et celui qui, en ce genre
d'ecrire comme en tout autre, a besoin de trouver
un plan sage , embelli par les richesses du style ,
est assurement le moins nombreux. ■ '
Nous faclierons peut-etre ces lecleurs ditficiles,
2 34 LITTERATURE FRANCAISE.
CM faisanl ici inciition des romans tie M. Fievee,
le merne qui, tluraiit la revolutiou , donna sui
de petits theatres de petits drarnes, qu'il croyait
pliilosuphiques, et qui depuis a public dc pctitcs
brochures dans un sens tout-a-fait contraire, ap-
paremment pour se refuter : ce qui paraissait inu-
tile. Eh ! comment passer sous silence la Dot de
Suzette et Frederic , lorsqu'en ses raodestes pre-
faces I'auteur de ces deux romans affirme que
le premier jouit dun prodigieux succes, et croit
voir dans le second des signes d'une immortalite
probable? Sans vouloir partager la responsabi-
lite de ses opinions sur ce point , nous croyons
que la Dot de Suzette n'est pas depourvue d'a-
gremens. Le caractere aimable de la jeune villa-
geoise mariee par madame de Senneterre , sa
moderation dans I'etat d'opulence ou son marl
est parvenu , sa respectueuse reconnaissance en-
vers sa bienfaitrice, tombee dans I'adversite, re-
chauffent des aventures assez froides et termi-
nees par un denoument aussi facile a prevoir qu'il
est briisquement amene : du reste, rien de plus
minco que les details. L'auteur essaie bien de jeter
([uel(|ues ridicules sur les moeurs des nouveaux
lurcarets; et, certes, la matiere est riche; mais,
comme toute autre, elle n'est riche que pour le
talent. On parle de religion dans Frederic, on y
parlc meme de morale. Or, voici le fond de lou-
CHAPITRE VI. 235
vrage : la baronUe Spoiiasi, satisfaite du zele et
(le la discretion de Philippe, son valet de cham-
bre, a juge a propos d'en faire son amant. Phi-
lippe ne cesse pas d'etre au service ; U cumule
seulement les deux fonctions. De ce commerce
noble et legitime un fils naturel est survenu : c'est
Frederic. II est eleve par son pere , qui lui forme
I'esprit et le coeur, lui donne des conseils profonds
pour reussir en bonne compagnie, et lui revele
enfin sa naissance. La baronne imite cet exemple,
et bientot meurt comme une sainle: ce sont les
termes de I'auteur. Qu'il nous soit permis de bor-
ner la notre analyse , sans faire connaitre les rela-
tions intimes de Frederic avec une madame de
Vignoral, avec une madame de Valmont, ni memo
avec une Adele , qu'il finit par epouser. Ce roman
est fort inegal : la classe distinguee n'y parle guere
son langage ; mais le valet de chambre et son
batard, qui sont les deux heros du livre , ont
toujours les moeurs et le ton qui leur convien-
nent. A cet egard , M. Fievee suit avec scrupule
les preceptes judicieux d'Horace et de Boileau.
II nous reste a jeter un coup-d'oeil sur quelques
traductions des romans etrangers les plus remar-
quables; et d'abord Fepoque nous presente deux
traductions nouvelles de Don Quichote : la pre-
miere est de Florian , qui la publia vers la fin de
sa vie, il y a dix-huit ans a peu pres ; la seconde
i'56 I.ITTERATURE FRANCHISE.
a paru I'aniiee tlerniere : ellc est de M, dii Boiir-
nial. On sail combicn rancieiine version est rude,
ine^ale, incorrecte. Les morceaux dc poesie snr-
tout y S(jnt rendu.> avec une extreme negligence.
Florian, dans ces memes morceaux, a raontre de
I'esprit et dii gout; et la, s'il abrege le texte, il
est digne d'eloges ; car ces complaintes Uuigou-
reuses sont trop longues dans I'original. Par mal-
heur, il veut aussi raccourcir toutes les autres
parties de I'ouvrage; or, souvent ce sont les beautes
qu'il abrege; c'est le genie qu'il supprime; et ce
nest point la de la precision. 11 attiedit la verve
de Cervantes; un comique large et franc devient
partout mince et discret. On va jusqu'a regretter
le vieux traducteur, qui travestit quelquefois,
mais qui , du moins, ne rautile pas son modele,
en voulant le perfectionner. M. du Bournial ne
merite aucun des deux reproches : il est simple,
et n'est point trivial; il est surtout copiste fidele:
il Test au jjoint qu'en placant le francais a cote
de I'espagnol vous reconnaissez, dans la plupart
des phrases, la nieme marciie, les memes construc-
tions, les memes tours : ce qui donne au style du
traducteur un peu de gene et d'affectation. Nous
])ermettra-t-il de lui donner un conseil? Comme
on s'apercoit trop aisement qu'il n'a pas I'habitude
d'ecrire en vers , il devrait s'adjoindre un coope-
ratcur pour la traduction des, stances. Aujourd'hui,
CHAPTTRE VI. 9.37
phisieurs jeunes gens crun esprit orne font en
ee genre aussi bien et mieux que Florian ; cet
embellissement nous paralt indispensable. Apres
ceia , des corrections assez faciles, et meme assez
pen nombreuses, suffiront pour assurer a M. du
Bournial Thonneur d'avoir dignement traduit le
chef-d'oeuvre brillant, mais unique, de la littera-
ture espagnole. ' '
On nous a transrais en Janeue francaise beau-
coup de romans anglais, composes dans ces der-
niers temps. Plusieurs se font lire avec interet;
et, dans ce nombre, il ne faut pas oublier Simple
Histoire, qu'on pourrait toutefois nommer Lon-
gue Histoire ; car elle tient I'espace de quarante
ans; et deux generations s'y succedent. On aime
dans Saint-Clair des Isles I'esprit militaire et che-
valeresque du heros principal , le beau caractere
de I'heroine et la variete des incidens. Nous avons
entendu vanter le Caleb TVilliams de M. Godwin,
et nous ne savons trop pourquoi. Tyrrel est un
miserable: Falkland, que I'auteur pretend done
de qualites sublimes, est assassin, calomniateur,
persecuteur : le tout pour conserver sa reputa-
tion ; le persecute Caleb se conduit souvent avec
bassesse et malignite. De tons les personnages , le
plus humain , c'est Raimond , le chef des voleurs.
Des declamations contre les lois penales d'Angle-
terre, contre les cours de juslice, et meme contre
238 T.lTrERATljRE FRANCAISE.
la societe civile, sont les orneraens de ce livre,
un pen maussade et fort immoral. M. Godwin
ose affirmer qu'il peint Ics clioses comine elles
sont; le fait nous semble an moins douteux. Ce
qui ne Test pas, c'est qu'il faut plaindre M. God-
win, puisqu'il a pu les voir ainsi. En general, il
est a remarquer qu'en Angleterre , comme en
France , ce sont des femmes qui figurent avec le
plus de distinction parmi les romanciers modernes.
On doil a miss Burnev Cecilia, Evelina, Camilla.
De ces productions agreables , dont nous avons
d'assez bonnes traductions anonymes , la mieux
composee est sans contredit la premiere. Cecilia
est aimable; et Ton se plait a la suivre chez ses
trois tuteurs , dont les caracteres , mis en con-
traste, fournissent tantot des evenemens qui at-
tachent , tantot des scenes qui divertissent. Un
merite egal , dans une maniere toute differente,
recommande les Enfans de V Abb aye , joli roman
de madame Roche : quelques touches lugubres y
son temperees par des effets pleins de douceur.
Amanda et son amant Mortimer ont de la grace; et
Ton doit savoir gre a M. Morellet de nous avoir fait
connaitre cette interessante production, Sanspou-
voir obtenir autant d'eloges, le Polunais de miss
Porter n'est pourtant pas a negliger: il se soutient
par le nom (\n jcnne Sobieslu, Tun de ces gene-
reux fugitifs qui, a la derniere revolution de Po-
CHAPITRE VI. 9.39
logne, apres avoir verse leur sang pour etre libres,
ont quitte, non leur patrie, mais un territoire 011
elle ii'etait plus. Ici s'offrent a nos regards les
qnatre ronians de madame Radcliffe : les Mysteres
crUdolphe, le meilleur des quatre, et dont ma-
dame de Chastenay n'a pas affaibli les sombres
beautes; le Confessiojinal des Penitens noirs^ dont
dous avons deux traductions estimables : Tune de
madame Allart, I'autre de M. Morellet; la Foret,
que nous croyons digne de la seconde place; et
Julia, qui nous parait le plus faible de tons, quoi
qu'en ait dit son traducteur anonyme. On trouve
en ces divers ouvraejes des caracleres fortement
prononces, des situations terribles, que I'auteur
amene et accumule, au basard de s'en tirer pe-
niblement; de belles descriptions de I'ltalie et (hi
midi de la France, d'energiques tableaux, devrais
coups de theatre, et meme quelques tons de Sha-
kespeare, ce genie eminemment anglais, qui, depuis
deux siecles, feconde encore dans sa patrie tons
les champs de I'imagination. Ces romans, consi-
deres dans leur ensemble , se rattachent a une
seule idee d'un grand sens. Partout le merveilleux
domine : dans les bois , dans les chateaux , dans
les cloitres, on se croit environne de revenans ,
de spectres , d'esprits celestes on infernaux ; la
terreur croit, les prestiges s'entassent, Tapparence
acquiert presque de la certitude; et, quand le
ti/|0 LITTERATURE FRANCAISE.
(lenoument arrive, lout s'expliqiie par des causes
naturelles. Dolivrer les esprits credules clu besoin
(le croire aux prodiges est un but tres-philoso-
phique; mais les plans n'ont pas Tetendue et la
portee dont ils etaient susceptibles. L'execution
en serait tout a la fois plus originale et plus utile,
si ie lecteur etait force de rire des choses memes
qui lui out fait peur. Tout ce qui blesse la raison,
tout ce qui tend a la degrader, est justiciable du
lidicule : ses traits sont les plus fortes armes con-
Ire les sottises importantes. Horace I'a dit; et Vol-
taire I'a prouve. Le genre de madame Radcliffe
exi»e des facultes moins rares; aussi n'a-t-elle pas
manque d'imitateurs. Sa trace est facile a recon-
naitre dans le roman, mediocre et complique, qui
a pour titre : Adeline ou la Confession, et dans
\ Ahhaje de Grasville , ouvrage beaucoup moins
vulgaire, que madame Ducos a fort bien traduit.
Si, dans toutes ces productions, le merveilleux
n'est qu'apparent, dans le Moine de M. Lewis, il
est employe comme agent reel. On se souvient
qu'en France, il y a trente ans, il plut a rillumine
Cazotte de composer une historiette du Diable
amoureux. lei c'est encore le diable qui , deguise
en jolie femme, seduit, damne et niene en enfer
un predicateur celebre. On est surpris qu'une
fable digne des couvens du quinzierae siecle puisse
aujourd'hui reussir a Londres. Ce n'est pas que,
CHAPITKE VJ. u/,i
dans I'executioii du livre , on ne renjarque de la
vigueur et du talent; mais; quand le fond est
absurde, le talent n'est pas employe : il est perdu.
Ce n'etait pas sur de tels moyens que Richardson,
Fielding, Sterne et Goldsmith fondaient le succes
durable de ces romans aussi varies que naturels,
qui embellissent la litterature auglaise , et dont
elle a droit de se glorifier.
Entre les romanciers allemands, il est juste de
commencer par M. Goethe , dont le Jf'erther ob-
tint autrefois, et conserve encore un succes si
general et si legitime. Nous voudrions en dire
autant de son Alfred; mais la chose est impos-
sible: ce livre est trop long, quoique abrege par
son traducteur. Comme intendant des spectacles
du due de Saxe -Weimar, Tauteur a cru devoir
prodiguer les observations sur Tart dramatique ,
et meme sur I'art du comedien : la plupart sont
communes ou minutieuses. Tout ce qu'on pent
remarquer avec eloge, c'est que M. Goethe ose
admirer Racine et Voltaire; et c'est beaucoup pour
un Allemand : aussi son ami Schiller Ten a-t-il
vertement reprimande. Du reste, une intrigue bi-
zarre et mal ourdie; une action tantot trainante
et tantot precipitee ; des incidens que rien n'a-
mene; des mysteres que rien n'explique; un per-
sonnage principal pour qui Ton vent inspirer de
I'interet, et qui n'est qu'uu ridicule aventurier;
OEuvres poslhuraes. III. J '>
■liyx LITTERATURE FRANCAISE.
d'autres persoiiiiages cjue le rornancier jette au
hasarcl dans sa fable, et dont il se debarrasse par
des maladies aigiies on par iin suicide, j)oiir faire
arriver boii gre mal gre iin denoument vulgaire
et froid : tel est le romari d'Alfred , incolierent
oiivrage , ou le talent qui inspira JFerther ne se
laisse pas meme entrevoir. Dans Claire et Eve-
ling, I'un des ronians de M. Anguste Lafontaine,
il y a beaucoup de choses negligees et triviales ,
plusieurs d'henrenses, quelques-nnes d'une assez
grande force. Le tableau des infortunes d'un mi-
nistre de village est I'objet du livre entier; il re-
sulte de ce tableau que les disputes, les haines, les
persecutions theologiques, ne sont pas plus etran-
geres aux temples lutheriens qu'aux eglises ca-
tholiques : ce qui n'est consolant pour personne,
mais ce qui est instructif pour tout le monde;
car rien ne fait mieux sentir I'impossibilite de
niveler les opinions, et la necessite de recourir
a la tolerance universelle. Les principes de pbi-
lanthropie qui respirent dans cet ouvrage ani-
ment aussi les autres romans de M. Auguste La-
fontaine. Madame de Montolieu , connue elle-
meme par le joli roman de Caroline de Lichtjield,
les a traduits pour la plupart; et c'est un service
quelle a rendu aux amateurs de ce genre d'ecrire.
Qui n'a pas lu avec attendrissement les Tableaux
de famille ! Qui ne s'est pas interessc au bon
CHAPITRE VI. ; 243
ministre Bemrode, a son excelleiite femme, a leur
teridre fille Elisabeth, a leur fille INIina, si sen-
sible, si spirituelle, a toule cette famille heureiise
par Famoiir et par la vertu! Eiitre les produc-
tions de I'auteur, il n'en est peut-etre aucune ou
Ton ne rencontre des traits charmans ; mais il
ecrit sans cesse et tres-vite : c'est dire assez qu'il
est inegal. Sterne et Goldsmith paraissent avoir
^te ses modeles; et, s'il ne les atteint pas, il est du
moins le premier de leurs eleves. Dans XHomme
singulier, le chien , plus juste que le ministre ,
puisqu'il dechire avec ses dents Tordre d'une de-
tention arbitraire , est une idee fort ingenieuse :
elle eut fait honneur a Sterne; mais Sterne en
eut tire plus de parti. N'oublions pas de remar-
quer qu'en Allemagne, ou Ton parle a tout propos
de composition originale , Fimitation affectee des
formes anglaises n'est particuliere, ni a I'ecrivain
dont nous parlous, ni meme aux seuls roman-
ciers. Nous dirons en quoi elle consiste, ou elle
s'arrete, et combien le gout allemand differe du
gout francais, lorsque, dans la suite de notre tra-
vail, I'ordre des matieres nous presentera quel-
ques traductions recentes des auteurs dramatiques
etrangers. .
Beaucoup de lecteurs trouveront que, dans ce
chapitre, nousavons cite trop d'ouvrages; et nous
sommes de leur avis. Beaucoup d'ecrivains seront
iG.
2/,4 LITTERATlIllE FRANCAISE.
tl'uii avis contraire , et nous reproclierunt des
omissions nombreuses; mais devions-nons parler
de tons les romans originaux on Iraduits qui ont
parn durant I'epoque, specialeraent depuis dix
annees ? Un volume eut ete trop peu pour en
rendre compte : le seul catalogue en serait im-
mense; et trois ans ne suffiraient pas pour les
lire. En France, en x\ngleterre, en Allemagne, il
existe pour les romans des manufactures etablies,
et dont les produits annuels sont a peu pres de-
termines. On sait , par exemple, combien M, Au-
guste Lafontaine pent donner de volumes par an :
nous lui opposerions aisement plus d'un atelier
non moins actif que le sien; et, dans ce genre de
marchandise, le Strand de Londres ne le cede-
rait ni a noire Palais-Royal , ni a la foire de I^eip-
sick. Depuis la mort de I'abbe Chiari , romancier
tres-fecond jadis, mais aujourd'hui tres-inconnu ,
ritalie entre pour fort peu de chose dans ce com-
merce, qui est rarement cehii des idees. En fait
de livres inutiles, la surabondance est plus pauvre
que la disette absolue ; et cette surabondance ,
toujours croissante, devient un fleau pour notre
litterature. Dans toutes les classes , tout ce qui
sait lire lit des romans ; nous voudrions ajouter
seulement : tout ce qui sait ecrire en ecrit; mais
Temulatjon va beaucoup plus loin. Ce genre,
comme nous I'avons dit ailleurs, se rapproche de
CHAPITRE VI. 245
I'histoire par le recit des ^venemens; de Tepopee,
par une action fabuleuse en tout ou partie ; de
la tragedie, par les passions; de la comedie, par la
peintiire de la societe; mais il n'exige ni les recher-
ches, ni I'examen profond , ni I'exactitude metho-
dique de Thistoire , ni la majestueuse ordonnance
et les riches details de I'epopee; il ne presente
pas Textreme difficulte d'ecrire en vers, surtout
dans le style eleve; il nest point assujetti aux
regies severes de notre theatre; souvent meme il
coiite pen d'efforts a I'imagination. Quelle peine
y a-t-il a multiplier les incidens , lorsquen pre-
nant toute liberte, soit pour la duree, soit pour
Tespace, on veut bien consentir encore a negliger
toute vraisemblance ? Apres la critique vulgaire,
rien n'est plus facile qu'un roman mediocre : aussi
des hommes du monde , qui ne sont pas en meme
temps des hommes de lettres, des femmes aima-
bles , qui ont neghge I'etude de I'orthographe
pour donner plus de temps a la composition , font
et traduisent des romans. Le but ordinaire de ce
travail est d'obtenir des succes de societe; par
malheur, en litterature, ils ne sont le plus souvent
que des ridicules; et un ridicule facile a prendre
n'est pourtant pas facile a perdre: il reste quand
le roman est oublie. Ce n'est pas tout : tant d'e-
crivains et d ecrits frivoles ont produit d'assez
graves inconveniens : ils ont ralenti d'une maniere
246 LITTEHATURL FRANCAISE.
sensible le mouvement general des esprits vers
(les etudes importantes ; et c'est avec le dix-neu-
vieme siecle que commence ce changement no-
table: ils out coiTompu le style; ils ont meme
altere la langue. En vain des censeurs, plus mal-
veillans qu habiles, ont-ils accuse d'un neologisme
perpetuel les orateurs qui ont le plus honore la
tribune francaise. Sur quoi portaient ces repro-
ches repetes a tant de reprises, exageres avec
tant d'amertume? nous Tavons deja remarque :
sur une vingtaine de mots que des institutions
nouvelles rendaient presque tousnecessaires. Mais,
chez la plupart des romanciers modernes, c'est
dans le tableau de la vie sociale , c'est dans le
langage des passions , eprouvees par tons les hom-
mes, que viennent s'introdiiire en foule des lo-
cutions inadmissibles, des tours anglais ou ger-
maniques, des barbarismes nombreux et des so-
lecismes sans nombre. II nous serait ici trop facile
d'accumuler a volonte les exemples qui nous ont
frappes a la lecture, et que nous avons recueillis;
mais, quoiquune excessive gravite nous paraisse
deplacee dans la critique litteraire, notre but n'est
pourtant pas d'eveiller la gaiete maligne; et le
travail qui nous est impose , sans nous defendre
la plaisanterie , nous intcrdit au moins les details
burlesques. D'autres reflexions se presentent. Pour-
([uoi, depuis ces dernieres annees, plusieurs ro-
CHAPITRE VI. 247
raanciers semblent-ils se croire de la classe des
sermonnaires ? Pourquoi les surpassent-ils meme
en rigorisme? En effet, Massillon et ses plus digues
successeurs laissaient les disputes a la Sorbonne et
les anathemes a I'lnquisition : bornant desormais
la predication a la morale evangelique, ils avaient
agrandi leur art de tout ce qu'ils lui otaient d'inu-
tile. Est-ce a litre de compensation, et pour qu'il
n'y ait rien de perdu , que Ton veut aujourd'hui
reporter dans les romans la controverse et Tinto-
lerance ? Nous avons deja parle du merveilleux
qui tient aux superstitions , et nous croyons su-
perflu d'y revenir; mais il en est un autre qui
n'est pourtant pas celui de I'epopee : c'est celui
que Corneille appelle si bien le merveilleux de la
tragedie; et, par ce mot, il veut dire un ensemble
de personnages , de caracteres , de sentiraens ,
d'evenemens non surnaturels, mais au-dessus de
I'ordinaire. On a tort de le prodiguer dans les
romans ; il n y est point a sa place : il lui faut la
majeste du cothurne, I'appareil imposant du thea-
tre, le rhythme et les figures pressees de la poesie.
Quant aux romanciers, ce qui est le plus a la
portee de leur genre d'ecrire, ce qui, pour eux,
est a la fois le plus agreable et le plus utile a
peindre, c'est la vie ordinaire; et si, en la pei-
gnant, il leur est trop difficile d'atteindre a la
force comique de Gil Bias; si, d'un autre cote,
q/,8 r.lTTERATURE FRANCAISE.
ce livre charmant laisse a desirer un uiteret plus
vif et phis duiiite d'actioii , Fielding leur presento
1111 autre modele dans le beau roman de Toui-
Jones. Jamais I'unite ne fut plus complete; Tac-
tion se none rapidement et avec force ; elle se
denoue graduellement et avec mesure, sans len-
teur et sans precipitation ; toutes les figures sont
en mouvement et en contraste; mais il n'y a ni
ressorts forces, ni couleurs tranchantes : I'amour
est passionne, mais il n'a pas I'accent tragique ;
les bonnes qualites de la jeunesse sont melees
de defauts aimables; le ri<iicule n'est point outre:
la bonhomie s'y joint et le tempere; la vertu n'est
point exageree : elle tient a I'im perfection liumaine,
au moins par I'erreur. Un hypocrite abuse long-
temps rhomnie le plus sage; et , ce qui est un
trait de maitre , entre tant de personnages, le seul
qui soit pleinement vicienx, cVst I'hypocrite : on
sent partout le mondc reel. Loin de nous Tidee
de prescrire une route exclusive; mais, au milieu
de tant de fausses routes, nous voulons seulement
indiquer un chemin sur: il mene au double but
d'instruire et d(^ plaire; et, parmi les bons ro-
mans, les moins romanesques sont les meilleurs.
k.%.^,-^«.^.-V^'^.^^'^'^«.-«.-%.V^.^%/«,'^«,'%.'^%^k,-^t ^^^
CHAPITRE VII.
La Poesie epique.
Poeme heroique ; Poeme heroi-comique ; Imita-
tions et Traductions en vers.
Nous avons examine les diverses applications
de Tart d'ecrire en prose ; I'art d'ecrire en vers ,
bien plus difficile encore, n'est guere moins varie.
Dans cette carriere nouvelle, nous commencons
par I'epopee, qui, chez les Grecs, inventeurs des
arts , preceda la poesie dramatique , et , comme
elle , se divise en deux genres. L'epopee heroique
etant la plus haute production du genie , il ne faut
pas s'etonner si , durant I'espace de trois mille
ans, parmi des tentatives sans nombre chez toutes
les nations lettrees , cinq ou six chefs-d'oeuvre
seulement out merite I'admiration publique. A cet
egard , notre litterature ne fut long-temps remar-
quable que par une fecondite sterile; et quand ,
sous le regiie de Louis XIY, tons les genres de
poesie florissaient en France avec tons les genres
de gloire, les satires de Boileau nous font trop
connaitre les disgraces multipliees des preten(kis
poetes heroiques. Voltaire , dans le dix-huitieme
siecle, vengca la nation du reproche que lui pro-
25o LITTERATURE FRAINCAISE.
(liguaient ies etrangers. La Henriade panit : sa
conception ressent la jeiinesse, mais c'est Ja jeu-
nesse d'un grand poete; et, si cet ouvrage ne pent
etre compare aux vastes compositions epiques de
I'antiquite, si meme il est inferieur au poeme du
Tasse, pour tout ce qui ne tient pas a la diction,
il a pourtant sa place marquee entre Ies epopees
celebres; et, dans la poesie elevee, c'est en notre
laiigue , apres Ies tragedies de Racine , ce qui ap-
proche le plus de la perfection. Thomas, place
dans le premier rang des orateurs , mais non dans
le premier rang des poetes, avait commence un
poeme epique sur Pierre-le-Grand : la mort sur-
prit ce grand ecrivain , quand il pouvait etre long-
temps encore I'un des soutiens de notre poesie
et I'honneur de notre eloquence. Les fragmens
etendus, ou plutot les chants qui nous restent
de sa Petreide , ne suffisent pas pour nous faire
juger de I'ensemble ; mais ils presentent partout,
sinon la facilite , I'elegance et I'liarmonie que Ton
admire dans la Henriade^ du moins cette gravite
noble et cette hauteur de pensees qui distinguent
I'Eloge de Marc-Aurele et I'Essai sur les Eloges.
Telle fut parmi nous I'epopee heroique jusqu'a la
fin du dix-huitieme siecle.
Dans les dernieres annees de cet age illustre ,
Masson publia son poeme des Helvetiens. La lutte
memorable des Suisses contre Charles-le-Teme-
CHAPITRE Vll. 25 1
raire ; un peiiple rustique et fier affermissant ses
droits par les perils qu'il sait braver, par les ob-
stacles qu'il sait vaiiicre ; la pauvrete libre triom-
phant de la richesse corruptrice et du pouvoir
ambitieiix ; voila des objets dignes de la poesie ;
et ce grand exemple donne an monde meritait
de reteiitir au milieu des siecles , celebre par la
trompette epique. Si Fepoque toutefois presentait
des beautes imposantes que le poete a su saisir,
elle offrait aussi de nombreux ecueils qu'il n'a
pas su toujours eviter : il a cru que des eveiie-
mens modernes repoussaieiit le roerveilleux ; mais
Fabsence du merveilleux fait d'un poeme epique
une histoire en vers. Ce n'est pas tout : quelques
circonstances out influe sur I'execution de I'ou-
vrage. Masson , attache depuis sa jeunesse au ser-
vice militaire de la Russie, le quitta de la maniere
la plus honorable , lorsque Fempereur Paul V^
declara la guerre a la France; mais presque tout
son poeme avait ete compose a Petersbourg; et
le sejour de Paris est necessaire au talent le plus
decide , s'il veut bien ecrire en vers francais. Des
habitudes septentrionales rendaient Masson trop
facile sur la musique du langage : il pensait et
colorait ses pensees par des images; mais il ou-
bliait qu'en blessant Foreille on ne salisfait com-
pletement ni I'imagination ni Tesprit. Les noms
suisses, d'ailleurs, etant surcharges de consonnes
252 rJTTERATURE FIIANCAISE.
(lifficiles a prononcer, contrihiient encore a dorr-
ner au poeme line aprete qui en diminne beau-
coup I'effet dans les endroits les plus estima-
bles. On y trouve en abondance des idees fortes,
genereuses, dignes d'un esprit male et d'une ame
elev^e ; on y remarque souvent du nerf et de la
franchise dans Texpression ; quelques narrations
rapides, quelques discours pleins de verve, y bril-
lent par intervalles; mais, il faut en convenir, on
y desire presque toujours la douceur, Tharmonie,
I'elegance , tout ce qui fait le charme du style.
II est a regretter qu'une mort trop prompte ait
enleve a ses amis et a la litterature cet homme,
diversement recommandable. 11 n'a pu retoucher
a fond un poeme qui meritait, mais qui exigeait
d'heureuses corrections et des changemens nom-
breux.
Un ecrivain distingue corame poete et comme
prosateur, M. de Fontanes, s'occupe depuis long-
temps dune epopee. Les connaisseurs out deja
remarque parmi ses ouvrages, le joli poeme du
Verier, une traduction en vers de XEssai sur
V Homme ^ plus concise et plus egale que celle de
Tabbe Duresnel, et surtout un excellent morceau
elegiaque, intitule, le Jour des Morts dans une
Campagne. Son poeme epique a pour titre la
Grece sam>ee; pour sujet, la ligue du Peloponese
victorieuse des armees ot des flotles de Xerxes.
CHAPITRE VII. 253
La, tout seconde un poete : rharmonie des noms
grccs et des noms asiatiqiies, la solennite de I'e-
poque, la renommee lointaine des heros, I'auto-
rite de I'liistoire, le charme et la magnificence
de I'antique mythologie. Glover, il y a soixante
ans , traita ce beau sujet en Angleterre, sous le
nom de Leonidas; et ce ne fut pas sans succes.
II est a presumer que M. de Fontanes reussira
d'une maniere plus eclatante. Il a lu dans nos
seances publiques plusieurs fragmens de la Gjece
sauvee. Un style harmonieux et correct, une pre-
cision nerveuse , une versification savante sans
recherche , embellissent ces fi:'agmens ; et , comme
I'exigeait I'epoque la plus brillante des republi-
ques grecques, les vers respirent a la fois I'en-
thousiasme de la poesie et celui de la liberte.
Puisse ce grand ouvrage arriver bientot a son
terme! On a droit d'esperer qu'il soutiendra cette
gloire poetique leguee par Malherbe a ses succes-
seurs/,et qui, de classique en classique, s'est con-
servee chez les Francais durant deux siecles , tou-
jours fidelement recueillie , toujours enrichie de
nouveaux tresors.
Dans I'epopee heroi-comique , n(ms ne sommes
pas contraints de nous bonier a des esperances ;
et deja notre litterature possedait deux chefs-
d'oeuvre en ce genre. Le froid Tassoni fiit efface
par Despreaux , qui , cette fois indulgent, Tho-
•254 LITTERATURE ERANCAISE.
nora de quelqiies loiianges ; et, quel que soit le
genie de I'Arioste, Voltaire, en luttant contre lui,
s'est montre du moins son egal. M. de Parny n'est
pas indigne d'etre cite apres ces modeles. Le pas
que nous avons a franchir semble peut-etre un
peu difficile ; toutefois il n'est ici question que
du merite litteraire. Un zele pieux, en se croyant
oblige d'etre severe, pent usurper le droit d'etre
injuste; I'envie, pour user du meme droit, em-
prunte le langage et le masque de rhypocrisie.
Circonspects , mais appreciateurs du talent, nous
ne voulons scandaliser aucune conscience , ni par-
tager aucune injustice. II y aurait une reserve
ridicule a ne pas nommer la Guerre des Dieux,
comme il y aurait une insigne malveillance a nier
les beautes qui brillent partout dans ce poeme :
il est soutenu d'un bout a I'autre par ce merveil-
leux si essentiel a I'epopee , quoi qu'en dise Mar-
montel. Comment n'y pas remarquer une com-
position originale, le dramatique jete sans cesse
au milieu des recits, I'art d'enchainer les phrases
poetiques, le naturel et pourtant la severite des
formes dans cette longue suite de vers de dix
syllabes, d'autant plus difficiles a bien tourner
qu'ils semblent aises aux plumes vulgaires! Com-
ment n'y pas louer surtout cette foule d'heureux
details, les uns sur un ton eleve que n'avait pas
encore essaye M. de Parny, les autres plus doux
CHAPITRE VII. 255
et respiraiit la moUesse de ces charmantes ele-
gies qui , dans une epoque anterieure , avaient
fonde si justement sa reputation! Ce poete habile
et fecond nous a donne d'autres compositions
epiques. Ses Roseci^oix , dont la fable est peut-
etre un peu obscure, presentent une foule de mor-
ceaux oil se retrouve son talent accoutume. On
sait avec quelle grace naive il a chante les amours
des patriarches ; mais , entre les poemes qu'il a
composes depuis la Guerre des Dieux, nous ose-
rons decerner la palme a celui qui a pour titre
le Paradis perdu. Nous ne dissimulerons pas
neanmoins que des personnes austeres , ou vou-
lant le paraitre, ont reproche a I'auteur d'avoir
voulu trailer gaiment un sujet delicat et singulier
que Milton, plus hardi d'une autre maniere, avait
ose trailer serieusemenl; c'est sur quoi nous ne
pouvons avoir un avis. Notre devoir est d'ecarter
avec respect des questions epineuses qui depas-
sent la litlerature, de nous borner au seul point
qui soil de noire competence , et de reconnaitre
en M. de Parny Tun des talens les plus purs , les
plus brillans et les plus flexibles dont puisse au-
jourd'hui s'honorer la poesie francaise.
La plupart des choses humaines pouvant etre
envisagees sous des aspects tres-differens , on ne
doit pas etre surpris que la conquete de Naples
par Charles VJIT ait semble a M. (;udin le sujet
•^56 LITTERA'I IJKE FRANCAlSJi.
d'uii poeme heroi-comique. 11 faut en convenir:
rimportance de I'entreprise, les premiers exploits
(III chevalier Bayard, le nom de Bourbon, comte
de Vendome, une epoque imposante ou deja I'lta-
He atteignait la hauteur des arts, tout paraissait
appeler la veritable epopee. Alexandre VI et son
terrible neveu, Cesar Borgia, devaient meme at-
trister rimagination la plus riante. Toutefois I'o-
dieux n'exclut pas le ridicule; et la couleur domi-
nante peut souvent etre au choix du peintre. Pour
Charles VIII, Bayard, Yendome et d'autres guer-
riers celebres, ils forment dans le poeme la par-
tie vraiment heroique. D'ailleurs Charlemagne et
les douze pairs de France n'ont pas inspire a
I'Arioste une gravite inalterable; et personne n'y
trouve a redire ; mais I'Arioste excellait dans tons
les tons : aussi ne peut-on quitter son Roland
furieux; et Ton est tente de le trouver trop court
apres avoir lu quarante-six chants. La Napliade
en a quarante: que ne produit-elle un effet sem-
blable ! Par malheur il n'en est pas tout-a-fait
ainsi : non quelle soit depourvue de merite ; elle
en a, sans doute, et de plus d'un genre: les notes
sont d'un homme instruit, et, ce qui vaut mieux
encore, d'un homme eclaire. On en peut dire au-
tant du corps de I'ouvrage : on y desirerait sou-
vent, il est vrai, plus de poesie de style, une ver-
sification plus soutenue, et meme une plaisanteric
CHAPITRE VII. 'i^-j
plus legere. Tel qu'il est, ce poeme figurerait dans
une litterature moins riche que la iiotre : s'il etait
corrige avec soin, et surtout resserre de moltie,
il meriteraiL qiielqiie reputation, et pourrait ob-
tenir un rang modeste, mais honorable.
A.vant que le poeme des Jeux de mains fiit
rendu public, on I'entendait quelquefois citer
comme la meilleure production poetique de Rul-
hiere. II avait obtenu, a de nombreuses lectures,
un succes que I'impression n'a pas confirme. En
composant de petits contes tournes d'une maniere
piquante, et surtout en ecrivant la jolie satire des
Disputes, Rulhiere avait prouve qu'a force d'es-
prit on peut s'approcher du talent ; mais, pour un
poeme d'action, le talent est indispensable. Que
trouve-t-on dans le poeme de Rulhiere ? la com-
position la plus frele; une socicte brillante, se
reunissant dans une maison de plaisance, et pres-
que aussitot repartant pour la ville, par une suite
de quelques jeux de mains qui brouillent des amies
regardees jusque-la comme inseparables ; une Ar-
temise, une Corinne, une Sylvie, un Dvmas, et
d'autres personnages que Ton voit passer devant
soi, tels que des ombres chinoises; un merveil-
leux triste et mince : le spectre de la peur appa-
raissant a la principale heroine, sous les traits de
I'abbesse de Bon-Secours ; quelques vers plutot
bien arranges que bien faits; des images plutot
OEuvres poslhuines. III. ' I 1
y.r>8 TJTTERATURE FRANCAISE.
esquissees que rcndues; des plaisanteries que Ton
prondrait pour des enigmes; trois chants tres-
courts, mais encore plus vides, et plusicurs di-
gressions dans un opuscule. On a regret au
tourment que I'auteur se donne pour montrer une
imagination qu'il n'a pas. Son ouvrage ressemble
a ces camaieux au pastel, ou les traits d'un pin-
ceau efface laissent a peine entrevoir les contours
des figures et meme I'intention du peintre. Ne
rappelons point ici le chef-d'oeuvre du Lutrin. La
Boucle de Cheveux enlevee presente des beautes
d'un ordre moins inaccessible ; elle offre de plus
un sujet a pen pres du meme genre que le sujet
essay e par Rulhiere ; mais, comme en ce joli
poeme les incidens sont menages avec art! comme
le merveillcux est bien choisi , bien assorti aux
personnages reels ! comme il anime et domine ai-
sement toute Taction! Que d'images dans cette
poesie svelte et rapide, et pour ainsi dire aussi
aerienne que les sylphes legers qui protegent Be-
linde! Sur le fonds le plus sterile en apparence,
voila ce que sait produire un poete. Pope travail-
lait pour I'avenir : aussi travaillait-il long-temps.
Les poemes de societe permettent une execution
plus expeditive : on les vante, on les croit meme
bons taut qu'ils rcstent en portefeuille ; mais leur
reputation fiiiit d'ordinairc le jour ou leur pu-
blicite commence.
CHAPITRE VII. 269
Un poeme en six chants, compose par M. Par-
ceval de Grandmaison, sous le nom des Jmours
epiques^ n'est autre chose que Timitation de six
episodes choisis dans les poetes qui out iUustre
I'epopee. Ces sortes d'imitations ne presentent pas
autant de difficultes que les traductions exactes;
elles exigent bien moins encore le genie neces-
saire pour inventer et pour ecrire les poemes ori-
ginaux : toutefois elles ne sout pas a negliger,
quand elles offrent quelques parties de talent.
L'ouvrage dont nous parlous est de ce nombre ;
mais les traductions de I'Eneide et du Paradis
perdu out ete publiees depuis; et, dans les deux
principaux chants de son poeme, M. Parceval
s'est trouve en concurrence avec M. Delille : de~
savantage qu'il n'avait point cherche. Cependant
la superiorite d'un maitre ne doit pas fermer nos
yeux au merite d'un eleve exerce dans la versifi-
cation et dans I'art de peludre en poesie. C'est
encore parmi les imitations quil faut placer \ A-
chille a Scjros de M. Luce de Lancival. L'auteur
doit beaucoup a I'Achilleide de Stace; mais il a
lui-meme invente plusieurs incidens; et de nom-
breux details lui appartiennent. Le style n'est pas
exempt de recherche ; le poeme offre pen d'action
pour six chants; peut-etre meme est-il defectueux
dans son ordonnance ; mais on y trouve des traits
ingenieux, d'agreables descriptions, dc*. tirades
•>(k) LITTERATURE FRANCUSE.
I)ien versifiees. Quelques morceaux brillans dis-
tingueiit aussi les Poenies GaUiques imites par
M.Baour-Lormiaii. Dans sesvers, plusharmonieux
qu'energiques, M. Baour suit avec independance
la prose anglaise de Macpherson, qui s'est jadis
annonce lui-meme comme un simple tradiicteur
d'Ossian , barde ecossais du troisieme siecle. Des
ecrivains anglais et allemands placent Ossian sur
la meme iigne qu'Homere : cette opinion, exageree,
n'est guere admise parmi les litterateurs francais.
Ossian, quoique sombre et monotone, a des
beautes d'un ordre pen commun ; mais cet Ho-
mere de I'Ecosse septentrionale est loin de soute-
nir la comparaison avec I'Homere de la Grece.
Nous ne parlerons point des poemes en prose ,
quoiqu'il ait paru quelques ouvrages sous cette
denomination ridicule ; elle etait inconnue au
dix-septieme siecle. La Calprenede, en copiant
dans ses romans toutes les formes usitees par les
poetes epiques, n'osa pourtant croire qu'il put
trouver place dans \\\\ ordre aussi eleve. Quant
a rimmortel Fcneloii, ii etait a. la fois trop mo-
deste, trop ami du gout, trop attache aux doc-
trines de I'antiquite, trop sensible a la veritable
poesie, pour donner le nom de poeme a son Te-
lemaque. Lamotte, homme de beaucoup d'esprit,
mais qui n'avait pas ie sentiment des arts, fut le
premier qui mit an rang des epopees ce beau
CHAPITKE YIT.' -261
roman politique, apparemment pour se nieuagcr
a lui-meme le droit singulier de faire des trage-
dies et des odes en prose. Par une contradiction
bizarre, Lamotte traduisit Vl/iade en vers; ou
plutot il divisa en douze chants un ouvrage ancle,
trop court ponr une traduction, trop lourd pour
nn sommaire de Xlliade. Cette tentative mallieu-
reuse etait loin de pouvoir encourager les traduc-
tions en vers; car Xlliade de Lamotte fut plus
decriee d'abord que la Pharsale de Brebeuf , et
bientot plus oubliee que X^neide de Segrais. Vers
le milieu du dernier siecle , I'abbe Duresnel , aide
par les conseils de Voltaire, interessa laltention
publique en naturalisant parmi nous deux poemes
de Pope, XEssai sur la Critique^ et XEssai sur
V Homme. Long-temps apres, un vrai poete, M. De-
lille, obtint et merita la premiere place parmi
nos traducteurs en vers. II ouvrit, en France, aux
talens que le travail n'epouvante pas une car-
riere ouverte en Italic par Annibal Caro ; en Angle-
terre par Dryden : carriere, penible, etendue, ho-
norable, que Pope, si riche de son propre fonds,
n'a pas dedaignede parcourir. Les Georgiques de
Virgile fonderent la reputation de leur elegant
tradncteur ; nous le retrouvons a I'epoque ac-
luelle traduisant deux poemes cpiques, toujours
digne de ses niodeles et de lui-meme.
Pour la composition , ]K)ur le ton general ,
iG^j. LITTERATUKE FRANCAISE.
pour les details, rien ne ressenible moiiis a ['Eneide
que le Paradis perdu. La perfection de Virgile
et I'inegalite de Milton opposaient au traducteur
des difficultes diversement effrayantes ; mais rien
ne pouvait intimider un ecrivain qui a si profon-
dement etudie les secrets de notre versification
et les inepuisables ressources de la langue poeti-
que. Dans XEneide., quelle foule de beautes a
rendre presentaient le sac de Troie, les amours
de Didon , la descente d'Enee aux enfers : ces
trois chants celebres, le modele et le desespoir
des poetes epiques? Quelle foule de beautes en-
core semees, repandues, prodiguees dans les au-
tres chants : le discours de Junon, la tempete
soulevee par Eole, et se calmant a la voix de Nep-
tune; I'episode d'Andromaque, les jeux celebres
en Sicile, la cour d'Evandre, I'episode d'Euryale
et de Nisus , le conseil des dieux, les harangues de
Drances et de Turnus, et les combats imites
d'TIomere. La traduction de tons ces brillans nior-
ccaux porte I'empreinte plus on moins marquee
du talent de M. Delille ; on y trouve ce qui fait
les poetes : I'eloquence des expressions, le choix
des images, et le charme puissant des beaux
vers.
On savait dcpuis long-temps que M. Delille
traduisait V]^neide\ M. Gaston n'a pas craint de
tenter la meme entreprise. Ce n'est point la une
CHAPlTliE VII. 263
audace vulgaire : avec M. Delille, la iiitte est deja
honorable ; et dans une occasion pareille on pent
reussir encore sans vaincre,, sans laisser meme
la victoire indecise : c'est ce qii'a prouve M. Gas-
ton. 11 n'appartenait qu'a M. Delille de pronver
pour la seconde fois que, dans une tratluction
francaise , on pent hitter contre Virgile : on sent
neanmoins combien les armes sont d'une trempe
inegale. hidependante et sans articles, la langue
latine vole quand la notre marche. D'ailleurs les
vers hexametres , inegaux entre eux , excedent
toujours nos vers alexandrins, et quelquefois de
quatre ou cinq syllabes. Sans rabaisser le merite
eclatant de la traduction de VEneide^ on osera
done faire observer que M. Delille a souvent di-
minue la force du sens en augmentant beaucoup
le nombre des vers. Ce defaut, que tant de qua-
lites rachetent, mais que Ton ne saurait toutefois
dissimuler, aura sans doute frappe JM. Becquey,
auteur d'une traduction recemment publiee des
quatre premiers livres de XEneide. Son travail
est digne d'attention. Ses vers out du lui couter
beaucoup de peine; car M. Becquey ne paraphrase
point : il traduit, et meme avec une extreme exacti-
tude; mais, s'il rend le sens tout entier, quelquefois
les expressions litterales de Virgile ; s'il est presque
toujours correct, s'il n'est jamais surabondant,
nous ignorons comment il arrive que Ton cherche
9.(;4 LITTERATURE FRANCATSE.
en vain chez lui relegance, Iharmoriie, la cou-
leiir de son admirable modele. En traduisant
le plus parfait des poetes anciens, il a souvent
demontre qu'il est possible d'etre a la fois tres-
fidele et tres-peu ressemblant.
M. Delille sembie avoir reuni tons les suffrages
dans sa traduction du Paradis perdu. Non-seule-
nient on y a distingue de celebres morceaux ren-
dus avec un talent consomme, le debut, par
exemple, et cette invocation majestueuse a la-
quelle on pent assigner le premier rang parmi les
invocations epiques; le conseil tenu par les de-
mons, les energiques discours de Satan, le chant
si pur et si vantc des amours d'Adam et Eve, et
la touchante apostrophe du poete a cette lumiere
eternelle Cjui ne brillait plus pour lui; mais on a
reconnu encore que les bizarreries semees en
foule dans I'original etaient adoucies avec art ,
ou supprimces dans la copie. Aussi , nombre de
lecteurs eclaires regardent-ils la traduction du
Paradis perdu comma superieure en general a
celle de VEneide. Si lenr sentiment est fonde,
cette superiorite vient sans doute de ce qu'il est
plus facile d'embellir INIilton, quand il n'est pas
sublime, que d'egaler constamment les beautes
de Virgile , dont c'est deja beaucoup d'approcher.
Quoi qu'il en soil, ces i\i^u\ ouvrages soutiennenl
avec honneur la rennmmee de M. Delille. Que
CHAPITRE Yll. 265
d'autres lui reprochent d'avoir neglige tel mot,
d'avoir modifie telle image; qu'ils veuillent lui
enseigner le latin, I'anglais, et le ramener impe-
rieusement a la traduction litterale, systeme vi-
cieux en prose et ridicule en vers : nous ne sui-
vrons pas leur exemple. Copier servilement des
formes etrangeres, c'est travestir a la foi&sa pro-
pre langue et I'auteur que Ion interprete ; ce n'est
pas traduire : c'est calomnier. Voulez-vous faire
un portrait ressemblant? saisissez la physionomie.
Voidez-vous rendre fidelement un classique, en
con-servant toutes ses pensees? ecrivez, s'il est
possible, comme il eut ecrit dans votre langue;
car ce n'est point le mot , c'est le genie qu'il faut
traduire.
Durant le cours de I'epoque litteraire que nous
parcourons, deux traductions en vers de la Jeru-
salem delh'ree out ete publiees successivement.
Quoiqu'en these generale on doive traduire les
poetes en vers, elles sont loin d'avoir eclipse
I'elegante version en prose donnee autrefois par
M. Lebrun. L'auteur eut la modestie de cacher
son nom ; mais, connue il ne cachait pas son ta-
lent, elle obtint I'honneur remarquable d'etre at-
tribuee a J. -J. Rousseau. Des deux traductions en
vers qui out [)aru depuis, on doit la premiere a
M. Raour-] wormian. Le st\le en est liarmonieux ,
mais un pen faible; et Fauteur aujourd'hui doit
i66 LITTErilTUilE IRANCAISE.
sentir lui-meme combien son ouvrage a besoiii
d'etre pcrfeclioniie. La secoiule, plus travaillee ,
mais mollis fiicile, est pen conforme an genie du
Tasse. Le plus (leuri des poetes de I'Europe mo-
derne v est souvent rendu avec une secheresse
aussi etrangere a ses defauts qu'a ses qualites.
Cette traduction est de M. Clement, le meme qui
jadis a publie de nombreux volumes coiitre Vol-
taire, Saint-Lambert et M. Delille. Nous ne deci-
derons pas s'il a bien fail; mais nous croyons
pouvoir affirmer qu'il eut mieux fait encore de
les etudier, et d'ecrire comme eux.
II est un poeme cyclique dont la marche n'est
pas aussi reguliere que celle de I'epopee, mais qui
du moins en offre toutes les formes de style, et
souvent la composition. Nous voulons parler des
Metamorplioses (VOvide ^ Tun des plus beaux mo-
numens de la poesie latine. M. de Saint- Ange,
dont le talent special est de traduire, a su rendre
en vers francais tons les details de cet immense
ouvraoe, et presque toujours avec une fidelite
scrupuleuse que la prose pourrait a peine egaler.
Pour se faire une juste idee de I'entreprise, il faut
ap[)recier le brillant clief-d'oeuvre d'Ovide. Quelle
richesse dans ces tableaux qui se succedent et se
font valoir par des contrastes perpetuelsl Quelle
variete rapide dans ces narrations qui s'enchai-
nent par un fil imperceptible; et developpent si
CHAPITRE Vll. 267
clairement toot le systeme de la theologie paienne !
Que de genie, ou plutot, que de sortes de genie
dans le poete! Tantot il decrit le palais du Soleil
avec la magnificence d'Homere; tantot il raconte
avec une gaiete maligne les aventures galanles,
les ruses, les larcins meme des habitans de TO-
lympe : ce qui a fait soupronner a Leibnitz que
le but constant du poete etait de tourner en ri-
dicule le paganisme et ses dieux passionnes, faits
a Fimitation des horames. Sans cesse en concur-
rence avec Virgile, Ovide ne lui est pas toujours
inferieur, et lui oppose assez frequemment des
beautes plutot differentes qu'inegales. Moins au-
stere et plus harmonieux que Lucrece, il expose
aussi fidelement que lui les principes des ecoles
philosophiques. Enfin, dans la fable de Myrrlia,
dans les plaintes d'Hecube, dans la dispute des
armes d'Achille, on lui trouve le mouvenient, le
pathetique, I'eloquence des tragiques grecs, dont
i! avait suivi les traces dans sa Medee, si belle au
temoignage de Quintilien, mais qui par maiheur
n'est point arrivee jusqu'a nous. M. de Saint-
Ange a rempli la tache penible qu'il s'etait impo-
see. Or, il fallait , pour la remplir, imiter la sou-
plesse d'Ovide, et prendre comme lui tons les
tons que permet la poesie noble; il fallait encore
se tenir en garde contre Ovide lui-nieme ; car il
est seduisant jusque dans ses defauts; et les or-
iGS IJirERATLIRE FRANCAISE.
iiemens qu'il prudigue iie seraient pas tons admis
par uii gout severe. Ce n'est pourtaut pas de la
recherche que Ion serail eu droit de reprocher a
M. de Saint-Aiige : ce serait peut-etre I'exces cou-
Iraire. Mais, si des mots, des tours famihers de-
parent quelquefois ['elegance de sa diction, si
meme il lui arrive de corriger des abus d'esprit
par un naturei trop facile et trop simple, on doit,
suivant le conseil d'Horace, excuser des fautespeu
nombreuses dans un long ouvrage ou d'ailleurs
les beautes abondent. C'est ainsi qu'a pense le pu-
blic : aussi la traduction des Metamorphoses d'O-
vide a-t-elle ohteuu par degres un succes qui s'ac-
croit chaque jour, et que le temps doit augmenter
encore. Elle vient immediatement apres les belles
traductions de M. Delille : elle en approche, et
restera dans notre langue comme un des bons
ouvrages poetiques de la fin du dix-huitieme sie-
cle. C'est le fruit de trente ans d'etude ; c'est le
produit d'un talent aussi laborieux qu'estimable ,
ct qui merite a la fois des eloges et des recom-
penses.
Ici nous nous garderons bien de negliger une
remarque importante : voila trois celebres traduc-
tions en vers de trois grands poetes; c'est ])lus
(jue n'en presenterait foule autre epoque de la
litlerature franraise, })lus meme que n'en pour-
raieni olfrii- toutes les epocpies prises ensemble.
CHAPITRE YII. u(;y
Et c(^rtes,ce n'est pas faute de tentatives relies ont
tonjoiirs ete nombreuses ; mais , jusqu'a M. De-
lille et a M. de Saint- .4nge, auciine epopee n'avait
ete dignement tradiiite en vers francais. Des tri-
buts moins considerables ont encore angmente
nos richesses. Lebrun a lu, dans nos seances pii-
bliques, deux chants de son poeme, inedit, ayant
pour titre, les Feillees du Pariiasse : ils presen-
tent deux episodes de Virgile : Euryale et Nisus,
dans I'Eneide ; Aristee , dans les Georgiques : Aris-
tee, ou Virgile, terminant un poeme didactique,
atteignait deja la haute epopee ! Les chants de
Ijebrnn ne sont pas des imitations : ce sont des
traductions fideles; et son talent s'y trouve par-
tout. Plusieurs beaux morceaux de Lucain, em-
heliis par I'elegante versification de M. Legouve,
ont fait desirer que le meme traducteur nous
donnat la Pharsale entiere. Si elle ne peut etre
mise au rang des chefs-d'oeuvre epiques, si Ton
peut en perfectionner quelques parties, en abre-
ger quelques details, on y reconnait cependant
la main d'un homme superieur; et les traits de
genie n'y sont point rares : eloge qu'il est rare de
meriter. Nous devons a M. Ginguene un ouvrage
estimable , et qui sera public dans les Memoires
de la classe de litterature ancienne : c'est la tra-
duction en vers d'un poeme latin, tres-varie, tres-
brillanl, parfaitement ecrit : Thetis et Pelee. Ca-
^70 LITTERATIJRE FR/VNCAISE.
tulle, en cet oiivrage, s'eleve au rang des grands
poetes; le seiil Virgile a porte plus loin I'harmo-
nie des vers. II a d'ailleurs des obligations a Ca-
tulle; et de beaux mouveraens d'Ariadne se re-
trouvent dans les discours passionnes de Didon.
Au milieu de cet empressement a faire passer
dans notre poesie les beautes epiques de toutes
les nations, et surtout de I'antiquite, nous conce-
vons que Ton doit etre surpris de ne pas enten-
dre parler des poemes d'Homere. Plusieurs frag-
mens de I'lliade ont ete plutot essayes que rendus;
mais des essais trop faibles ne sonl digues d'au-
cune mention. Homere parmi nous n'a point eu le
meme bonheur que Virgile. Rochefort, malgre son
style trainant et diffus, est encore le plus suppor-
table de ses traducteurs en vers. La traduction
en prose de M. Bitaube a beaucoup de naturel et
d'elegance : elle se fait lire avec un extreme inte-
ret; mais elle est en prose; et quelle prose pent
rendre une telle poesie ? II serait digne du gou-
vernemeut d'encourager quelque jeune talent,
deja remarquable par un style harmonieux et no-
ble, a traduire en vers I'lliade, et, s'il est possible,
rOdyssee. La France doit rendre nn eclatanthom-
mage au genie qui chanta, qui peignit le mieux
rheroisme; au poete qui n'eut point de maitre, et
qui eut pour eleves tons les grands poetes.
^ ^ '*«'^ ^.'^.'^ ■%^^ v«,-«. «
CHAPITRE VIII.
La Poesie didactlque.
Dans la poesie didactique, Lucrece et Virgile
chez les Romains, nous ont laisse des modeles
presque egalement admirables, mais distingues
eiitre enx par des caracteres differens. Lucrece
expose une doctrine : la philosophic d'Epicure;
Virgile enseigne un art : cehii des cultivateurs.
Chez les modernes, c'est encore un art qu'ensei-
gne Boileau dans ce chef-d'oeuvre qui ne produit
pas des poetes, mais qui les forme et les inspire.
Pope et Voltaire exposent une doctrine, I'un dans
XEssai sur V Homme ^ I'autre dans le poeme sur la
Loi naturelle. Du meme genre est le poeme de la
Religion^ par Racine le fils, ouvrage du second
ordre, ou brillent des beautes du premier, au
point que des yeux eclaires ont cru reconnaitre a
quelques touches admirables la main de I'auteur
d'Athalie, comme on voit luire des coups de pin-
ceau de Raphael dans les tableaux de ses eleves.
M. Delille, en composant autrefois le poeme
des Jardins, avait suivi les traces de Virgile et de
Boileau. II les suit encore dans XHomme des
1'ji LirTTiRATlJRE FRANCAISE.
Champs. Les poemes de la Pitie et de V Imagi-
nation se rapprochent des formes didactiqiies de
Lucrece, oon pour le style, mais pour la compo-
sitiou generale. Quant aux details de ces trois
poemes, ils appartiennent presque toujours au
genre descriptif, invention moderne, sur laquelie
nous hasarderons bientot quelques reflexions.
En obtenant beaucoup de succes, \ Homme des
Champs a essuye beaucoup de critiques : il en est
de trop severes, d'autres qui semblent judicieu-
ses. Ce qui a surpris bien des lecleurs, et ce qui
pent decourager ceux qui auraient du gout pour
la vie champetre, c'est que, pour devenir un
homme des champs dans le sens du poete, il faut
commencer par avoir une opulence tres-peu com-
mune au sein des villcs. Il ne parait pas que,
dans les Georgiques, Virgile se soit fort occupt'
des grands proprietaires ; et, quoiqu'il dedie son
poeme a Mecene, et qu'il invoque apres son de-
but la divinite d'Auguste, ce iTest pourtant pas a
Tempereur, ni a son favori, qu'il veut enseigner
I'agriculture. Le poeme de la Pitie, malgre des
tirades brillantes, est, de tons les ouvrages de
M. Delille, celui dont le succes a ete le plus con-
teste; mais le poeme de V Imagination a reuni tons
les suffrages. On sait par coeur les vers eloquens
sur J.-J. Rousseau, Thymne a la beaute, I'episode
touchant de la soeur grise, I'episode si celebre des
CHAPITRE Vlll. 273
catacombes, et dix moiceaux qui portent le ca-
chet de la meme superiorite. La, plus inegal que
dans le poeme des Jardins, M. Delille nous y pa-
rait aussi plus riche; et nous croyons pouvoir
placer ce bel ouvrage au premier rang de ses com-
positions originales. Lauteur y deploie, comma
partout, le genre de talent qui lui est propre : ce-
lui d'exceller dans le difficile. Les details les plus
techniques ne peuvent resister a son art : sont-ils
minutieux, il leur donne de I'lmportance; sont-ils
arides, il les feconde; sont-ils has, il les ennoblit.
Une idee parait-elle impossible a rendre, c'est la
precisement qu'il triomphe; et tons les obstacles
s'aplanissent devant Thabilete du poete.
Apres tant d'eloges, quelque scepticisme nous
sera permis. Le scepticisme, souvent necessaire
en philosophic, n'est pas toujours inutile en lit-
terature. M. Delille s'est fait admirer par les for-
mes d'une versification savante et variee avec un
art infini : usant meme de beaucoup de libertes
dans les ouvrages qu'il a fait paraitre durant I'e-
poque actuelle, il se permet jusqu'aux enjambe-
mens , que Malherbe avait bannis des vers fran-
cais. Racine a constamment observe la regie posee
par Malherbe. Boileau , pen content de s'y sou-
mettre, a cru devoir la consacrer dans son Art
Poetique,comme un perfectionnement remarqua-
ble, et parmi les titres de gloire du vieux fonda-
OEuvres posthumes. III. ' O
0.7/j LIITKIU'IUHK FKANCAISE.
teur tie iiotre poesie. M. Dt'lillo a peiise autre
ment : il prodigue aiissi les coupes singulieres et
les effets d'liarrnouie imitative. Aux enjamberaens
pres, qu'il est difficile d'admottre, tout est bien
la, sauf I'exces; mais, puisque M. Delilleestle cbef
rrune ecole, puisque son cxemple fait autorite,
les principes d'une saine critique nous ordonnent
d'elever ici plusieurs questions, que nous soumet-
tous a sou experience eclairee. En s'occupant trop
de I'harmonie particuliere , i»e nuit-on pas a I'har-
monie generale? On emploie les coupes extraor-
dinaires pour eviter la monotonie de notre ver-
sification; mais, si on les emploie souvent, ne
court-on pas le risque de tomber dans une autre
monotonie, d'autant plus reprehensible qu'elle est
recherchee? Ne blame-ton pas ces com[)ositeurs
([ui negligent la melodic pour etaler leur science
mnsicale? Voit-on que, dans ses tableaux d'his-
toire, Raphael fasse ressortir les muscles de ses
personnages pour montrer qu'il sait dessiner Et,
sans nous ecarler de la poesie, toutes les coupes
de vers ne se trouvent-elles pas dans les ouvra-
ges de Tlacinc et de Roileau? Les coupes hardies
s'y laissent a peine entrevoir. Pourquoi? Cela ne
vient-il pas de ce qu'elles y sont toujours a leur
place et distribuees avec une sage economic? Pour
laire dire : voila un beau travail, il faut etre ha-
bile sans doute; ne faut-il pas I'etre encore da-
CHAPITRE VIII. 275
vantage pour faire croire qu'il n'y a point de
travail ? Les plus savans efforts de Tart surpasse-
ront-ils jamais ce naturel admirable qui caracte-
rise les poetes du dix-septieme siecle, et que Vol-
taire avail conserve? Nous n'affirmons rien; nous
craignons de nous tromper : nous proposons seu-
lement des doutes que M. Delille peut resoudre.
Appliquees a des ouvrages tels que les siens, les
critiques fondees sont de quelque utilite pour
les eleves, sans rien diminuer de sa gloire; mais
elles doivent etre circonspectes et melees d'hom-
mages. Nous I'avons dit, nous le repetons avec
plaisir : il a pris rang parmi les classiques.
Quoique Lebrun n'ait point publie, quoique
meme il n'ait point aclieve son poeme de la Na-
ture, nous croyons devoir faire mention de cet
important ouvrage, dont quelques fragmens ont
paru dans les dernieres annees du dix-huitieme
siecle. Le poeme de Lebrun ressemble a celui de
Lucrece par le genre, par le titre et par le talent;
il en differe beaucoup par les opinions et par le
plan general. La vie champetre, la liberte, le e,e-
nie et I'amour : tels sont les quatre chants du
poeme francais. Voila sans doute uiie division
brillante ; il faudrait connaitre I'ensemble de I'ou-
vrage, pour juger si elle s'accorde avec Tunile
necessaire a toute composition poetique: mais on
peut du moins apprecier les fragmens inseres, du
)8.
276 LITTER ATURE FRANCAISE.
vivant de Tauteiir, dans quelques feiiilles periodi-'
ques. Les coniiaisseurs n'ont pas oublie de tres-'
beaux vers sur Voltaire a Fernev; uiie eleijaiite et
sombre tirade sur la Saint-Barthelemi; une tirade,,
plus considerable et tres-philosophique , sur les
consolations que pent offrir la solitude champetre
aux courtisans disgracies; une troisieme, encore
superieure, sur la chaine des etres, en remontant
par degres d'un infini a I'aulre; enfin, une pro-
fession de foi, pure de superstition, mais pure
aussi d'atlieisme et vraiment religieuse; car le
poete y presente I'existence de Dieu , non pas seu-
lement comme un dogme utile au maintien des
societes, mais comme un principe d'action neces-
saire a Tordre eternel. Des quatre chants de ce
poeme, un seul est complet : le chant du genie;
et ceux d'entre nous qui Tout entendu lire tout
entier ne craignent pas de garantir qu'il suffirait
pour assurer la gloire poetique de Lebrun. 11
nous reste a faire une remarque essentielle : i'au-
teur, pen docile au gout dominant, s'est rigou-
reusement abstenu du genre descriptif, mis a la
mode en France par Saint-Lambert, lorsqu'il pu-
blia le seul ouvrage peut-etre ou ce genre fut a
sa place , I'elegant poeme des Saisons.
Dans les deux litteratures anciennes, les des-
criptions faisaient parlie de tons les genres de
poesie et meme de tous les genres d'ecrire; mais
CHAPITRE VIII. ' 277
aucun Grec , aucun Remain celebre ne composa
de poeme uiiiquement descriptif. Ce genre, invente
dans les colleges par les poetes latins modernes ,
embelli par les Anglais, use par les Allemands,
etait inconnu parmi nous aux maitres de la poesie,
avant Saint-Lambert et M. Delille. Toutefois, dans
les ouvrages de ces deux poetes justement renom-
mes , les defauts essentiels au genre sont rachetes
par les beautes nombreuses qui appartiennent a
leur genie. Les productions de leurs eleves n'ont
pas souvent merite la meme louange. Sansdoute,
M. Castel, dans le poeme des Fleurs ; M. Lalane,
€n deux petits poemes : les Oiseaux de la Ferme^
^t le Potager; M. Michaud, dans le Pnntemps
d'unproscrit, out fait prenve de quelque talent
pour ecrire en vers ; mais savent-ils changer de
ton? savent-ils animer la nature? et les continuel-
les descriptions qu'ils accumulent avec complai-
sance ne fatiguent-elles pas un pen Tattention
du lecteur le plus favorablement dispose? U est un
ouvrage plus etendu, et dont le merite poetique
■est encore plus remarquable : le poeme de la I\'a-
vigation, ^ar M. Esmenard. Un tel sujet,traite en
huit chants, fournissait une ample matiere aux
descriptions : aussi surabondent-elles ; mais, quand
les objets restent les memes, comment varier les
formes du langage? On doit rendre justice a quel-
ques morceaux brillans, a celui, par exemi)le, oii
'j.'jS Lrni:iUTUKE ^ra^ncaise.
i'aiiteur decrit ces canaux tie navigation, nionu-
mens de rindnstrie batave. Cependant, des vers
bien tonrnes, des tirades sonores, ne font point
disparaitre la monotonie, defaut radical de ce
long poeme. Le style en est grave, et meme un
pen trop; il a presque tonjours de I'harmonie,
sonvent de I'elegance, mais rarement de la cha-
lenr, et presque jamais de la precision. Voyez
comme le melange lieureux des preceptes, des
descriptions, des episodes, comme les tons varies,
les details rapides , font le charme continu des Geor-
giques! Il ne fut donne qu'a Virgile d'atteindre a
la perfection; mais on pent du moins etudier chez
hii les formes severes de la composition didacti-
qne, ainsi qn'il etudia Ini-raeme dans Homere les
formes brillantes et majestnenses de I'epopee.
C'etait nn snjet vraiment didactique, c'etait
meme un tres-beau snjet que I'astronomie. Mani-
lins le traita dnrant la plus brillante epoque de la
litterature latine; mais il etait loin d'avoir le ge-
nie de Lncrece; et son poeme n est guere aujour-
d'hui qu'nn monument curieux de la science as-
tronomique au siecle d'Auguste. Le poeme de
V Astronomie , public il y a six ans par M. Gudin,
est beaucoup pins court que celui de Manilius.
La matiere est bien distribuee dans les trois chants
qui le composent. Lauteur a suivi, marque, con-
sacre, les pas de Copernic, de Cialilee, de Kepler,
CHAPITilE VTIl. 279
(le Descartes, crHuyghens,de Cassiiii,de Newton,
(rHerscliel; il n'a pas meine oublie des astroiio-
mes plus moderiies, qui n'out fait qu'exposer iou-
guement les decouvertes du genie; enfiii, c'est
I'ouvrage d'un esprit cultive, sage, ami de loiites
les lumieres. Nous vondrions pouvoir ajouter que
c'est aussi i'ouvrage d'un poete. M. Chenedolle,
dans le Genie de V Homme , a developpe moins de
pliilosophie , mais plus de talent poetique. Des
quatre chants de son poeme, le premier seul est
relatif a I'astronomie. On y trouve d'assez beaux
vers sur la lune ; ils n'egalent pourtant pas le su-
perbe morceau de Lemiere, et quelquefois ils le
rappellent. Le troisieme chant, qui a pour objet
la nature de I'liomme, est termine par un episode
nn peu surcharge de details, mais ou les beautes
compensent les defauts. Ainsi, depuis le dix-hui-
tieme siecle, et specialement depuis Voltaire, la
poesie francaise a parle le langage des philoso-
phes, et meme a penetre dans le domaine des
sciences physiques. Actuellement encore les trois
regnes de la nature sont I'objet des travaux d'un
poete; et Ton pent compter sur un bel ouvrage :
car le sujet est admirable; et le poete est M. De-
hlle.
Si decrire est aujourd'hui fort en usage dans
notre poesie, attendu qu'il est plus difficile de
peindre, traduire et retraduire encore nest pas
28o LITTERATURE FRANCAISE.
inoins a la mode; car inventer est un don tres-
rare. Duraiit la p;riode que nous parcourons,
on a public deux nouvelles traductions en vers
des Georgiques de Virgiie : Tune est de M. Raux;
I'autre est de jVI. Cournand, professeur au college
de France. Elles paraissent tendre egalement a
une fidelite scrupuleuse; et c'est iin genre de me-
rite qu'il serait injuste de leur contester. Mais ce
nierite n'est pas tout ; et la fidelite ne produit pas
toujours la ressemblance , ainsi que nous I'avons
deja remarque. Rien de plus louable sans doute
que de pareilles tentatives : elles prouvent du
moins I'etude approfondie des grands classiques.
II est beau d'ailleurs de ne pas craindre une riva-
lite dangereuse; et nous ne pretendons pas de-
courager I'emulation; mais, comme on doit etre
juste envers tout le monde, nous sommes forces
de le dire : pour le style, la versification, le talent
poetique, les deux essais que nous indiquons sont
bien loin de pouvoir entrer en concurrence avec
la traduction immortelle qui les a precedes, et
qui suffit a notre litterature.
Nous venions de terminer ce chapitre, quand
le nouveau poeme de M. Delille a paru. II est
compose sur un plan tres-vaste, et divise en huit
chants, dont quelques-uns ont une etendue con-
siderable. La lumiere et le feu,rair, I'eau, la terre
font le sujet des quatre premiers; les trois suivans
CHAPITRE YIII. •, 281
sont consacres aux mineraux, aiix vegetaux, au
physique des animaiix ; leur moral et I'analyse de
Thomme forment la matiere da dernier. En suivant
les traces de Buffon, rauteur adopte un grand
nombre d'idees de cet eloquent naturaliste. Elles
etaient belles, et sont embellies. La marche du poete
differe en tout de celle de Lucrece. Nous ne preten-
dons pas en faire un reproche a M. Delille, qui
lui-meme n'aurait du reprocher a Lucrece ni sa
physique, admiseparles anciens, ni sa hardiesse
philosophique, applaudie de Virgile, ni le gout su-
perieur dont il a fait preuve en se bornant a exposer
en beaux vers la theorie generale d'un systeme du
monde. M. Delille est entre dans les details des
I sciences naturelles, et meme avec un succes qui
agrandit notre poesie ; peut-etre aussi en depasse-
t-il lesbornes, qui sont celles du beau. Il se per-
met quelquefois des vers herisses de termes d'e-
cole, et qui semblent purement techniques; d'au-
tres details le ramenent a ce genre descriptif,
infini dans les objets qu'il embrasse, mais tres-li-
mite dans ses formes, et dont le vice radical ne
saurait plus etre conteste, puisqu'il a pu resister
enfin a toute Thabilete de M. Delille. C'est ce que
prouvent quelques endroits de son poeme, qui,
dans ce genre, toutefois, presente plusieurs mor-
ceaux de maitre : la charmante description du co-
libri, par exemple, et, dans une maniere plus
282 LlTTEilATUiiE FIUNCAISE.
large, les descriptions du chieii, du clieval, de
lane, cet humble et laborieux serviteur, dont le
nom ne fiit pas dedaigne par Ja muse lieroique du
chantre d'Achille. Mais Tauteur ne decrit pas seu-
lement : il est peintre, car il est poete. II sait ren-
dre les grands effets de la nature : I'eruption d'un
volcan, les desastres causes par un hiver rigou-
reux, les ravages d'une contagion. Apres avoir
peint un ouragan, voyez avec quel art il rattache
a cette peinture effrayante un episode qui la fait
valoir encore : la destruction de I'armee de Cam-
byse. Observez comme, a Toccasion de I'aurore
boreale, il interprete un phenomene par une fic-
tion ingenieuse et dans le vrai gout de I'antiquite.
Nous negligeons nn episode de Thompson, que
M. Delille a traduit comme il sait traduire ; mais
qui pourrait oublier un autre episode, aussi noble
que touchant: celui des mines de Florence, de cet
asyle souterrain, ou deux chefs de partis contraires
sont reunis, reconcilies et desabuses de I'ambition
par I'infortune? Voila des narratious animees, des
tableaux vivans ! la M. Delille est tout entier. Nous
ne tenterons pas d'expliquer pourquoi d'ameres
censures lui sont aujourd'hui prodiguees par ceux
memes qui naguere lui prodiguaient des louanges
exclusives. Pins jnstes, plus soigneux de la gloire
nationale, fondee en si grande partie sur les mo-
numens litteraires, nous rendons hommage a ce
CHAPITRE VIII. 283
talent inepuisable, qui, bravant la clelicatesse ou-
tree de notre langue poetique, a sii vaiiicre ses
dedains, et la dompter pour I'enrichir ; dont les
defauts brillans sont et seront trop imites, mals
dont les beautes, presque sans nombre, auront
trop pen d'imitateurs ; a qui nous devons huit
poemes ; qui fut celebre a son debut ; qui ecrit
depuis quarante ans , mais qui n a fatigue que
I'envie, et dont le nom restera fameux.
284 LlTTERATUllE FllANCAlSE.
^•'^''V %.'«.'W «.'«^V^-'«/%- «-'%-'^ %^ -^ ^ «^«.'«> V.'^.'^i ^ ^.'^ %,'«,'^ ^.'tt/^ «,^ %,-V^ *■'• '^ % ^/^ ^'^r'W •./«'% ^.'W ^.^r*^
CHAPITRE IX.
Poesie Lyrique.
^s^S>-S>#<&«
Divers petits genres de Poesie.
La poesie lyinque fut parmi nous la premiere
qui ait obtenu des succes confirmes par le temps.
On sait quelle influence elle eiit, entre les mains
de Malherbe, et sur notre poesie entiere, et meme
- sur la langue francaise. C'est en ce genre que fu-
rent composes les premiers essais de Racine. De-
puis, et dans la plenitude de son genie, deux fois,
a I'imitation des Grecs, il fit entendre la poesie
lyrique au milieu de la tragedie; et, comme il lui
etait reserve de parvenir toujours au sommet de
I'art, les choeurs d'Eslher et d'A.tlialie sont encore
les plus beaux chants de la lyre' moderne. Douze
ou quinze odes pleines de verve , et deux ou trois
belles cantates, ont place J.-B. Rousseau parmi
nos grands poetes. Entre lui et Lebrun, nul ne
merite, dans le genre de I'odc, une reputation
brillante et durable. Quelqucs stances ingenieu-
ses, eparses dans le recueil de Lamotte; quelques
strophes pompeuses de Lefranc; quelques traits
CHAPITRE IX. 285
eleves de Thomas, de Malfilatre, de Gilbert, out
obtenu de legitimes eloges ; mais il faiit composer
des ouvrages soutenus, imposans, nombreux,
pour etre justement place parmi les maitres de
la lyre.
Une ode sur le tremblement de terra de Lis-
boime annonca les talens de Lebrun. Son ode a
Voltaire, en faveur de la petite-niece de Gorneille,
est a la fois un bon ouvrage et une bonne action.
Biiffon, son illustre ami, lui inspira deux odes
eloquentes, et dont la derniere est un chef-d'oeu-
vre. Durant I'epoque dont nous presentons le ta-
bleau litteraire , il a lu , dans nos seances publi-
ques, sa belle ode sur I'enthousiasme ; et cette
autre, non moins belle, ou, parvenu a la vieil-
lesse, il remonte jusqu'a son enfance, repasse
en vers brillans sa vie entiere, et se promet, a
I'exemple d'Horace et de Malherbe, une immor-
telle renommee. Entre les nombreux hommages
qu'il a rendus a la liberte, on distingue le chant
qu'il composa sur le combat et I'incendie du vais-
seau nomme le Fengeur. Naguere il a celebre di-
gnement cette memorable campagne ou tant de
succes furent couronnes par la prise de Vienne
et la victoire d'Austerlitz. Il av.ait plus d'un ton,
sans doute : il est elegant et fleuri dans son ode
sur les pajsages; mais, presque toujours, c est
Pindare qu'il aime a suivre, et dont il atteint sou-
u86 LITTERATURE FRAISCAISE.
vent la hauteur. S'il en est aussi pres qu'llorace,
on ne voit pas qu'il sache, coinme le poete latin,
detendre les cordes de sa lyre, meler le plaisir a la
philosopliie, chanter Lydie, Glycere et I'ainour,
et surpasser Anacreon. Selon le judicieux Quinti-
lien, Eschyle eut tant d'elevatiou qu'il porta cette
qualite jusqu'au defaut: on en pourrait dire au-
tant de Lebrun. Mais, s'il est permis de lui repro-
cher le luxe et Tabus des figures , I'audace outree
des expressions , et trop de penchant a niarier des
mots qui ne voulaient pas s'allier ensemble , I'en-
vie seule oserait lui contester une etude appro-
fondie de la langue poetique, une harmonic sa-
vante, et ce beau desordre essentiel au genre
qu'il a specialement cultive. Aussi, quoiqu'il ait
excelle dans I'epigramme, quoiqu'il ait repandu
des beautes remarquables en des poemes que,
par malheur, il n'a point acheves , il devra sur-
tout a ses odes I'immortalite qu'il s'est promise;
et, dut cette justice rendue a sa memoire etonner
quelques preventions contemporaines, il sera
dans la posterite I'un des trois grands lyriques
francais.
C'est ici que nous parlerons dune traduction
en vers des poesies d'Horace, ouvrage conside-
rable, public par M. Daru. Parmi les poetes an-
ciens, Horace est peut-elre le plus difficile a bien
traduire en vers francais : cc n'est pas seulement
CHAPITRE IX. U87
mi poete lyrique ; on troiive en ses ecrits la per-
fection dans pinsienrs genres, et, dans chaque
genre, tons les tons qu'il pent comporter. Pane-
gyriste habile, railleur socratiqne, philosophe ai-
mable, critiqne superieur, homme de plaisir,
homme de cour et toujours libre, Horace se per-
met jusqu'an cynisme : la seule chose en ce grand
poete qn'il soit facile et defendu d'imiter. Com-
ment egaler sa precision sublime, profonde on pi-
qnante? Comment le suivre dans sa course, lors-
qu'il franchit les intermediaires, et va d'idee en
idee par des nuances fugitives, par des mouvemens
rapides, quelquefois par des transitions soudaines?
Son traducteur, done d'un tres-bon esprit, n'accep-
terait pas des louanges cxagerees. Nous n'osons pas
dire, et nous ne croyons pas qu'il ait vaincu toutes
les difficultes d'une telle entreprise : il en est peut-
etre d'insurmontables; il en est plusieurs qu'il a
surmontees. C'est dans les satires et dans les epitres
qu'il nous semble avoir le mieux saisi les beautes
d'llorace; mais partout il a deploy e les ressources
d'un talent exerce, partout cette facilite qu'il faut
avoir pour oser ecrire, et dont il faut se defier
pour bien ecrire; cette clarte sans laquelle il n'y
a point de style; et cette correction continue, qua-
lite rare, et cependant necessaire, du moins si Ton
veut acquerir une reputation qui soit admise par
les gens de lettres.
9.88 LITTERATURE FRANCAISE.
Plusieurs genres tie petits poeraes nous presen-
tent des noms que nous avons deja vus figurer en
d'autres parties de la I literature, ou que nous ver-
rons bjenlot reparaitre avec eclat dans la poesie
dramatique. Quelques epitres de M. Ducis ont em-
belli nos seances : on y reconnait I'independance
qui lui est propre, la libre imagination d'un poete
peintre, et jusqu'a Tempreinte vigoureuse d'un
genie tragique. Une epitre de M. de Fontanes a
M. Boisjolin, suj' les pay sages ^ se fait remarquer
par une maniere large et de tres-heureux details.
Les lecteurs ont accueilli les Souvenirs, la Melan-
colie, le Merits des femmes : productions brillantes,
publiees successivement par M. Legouve. 11 serait
difficile de porter plus loin Telegance du style et
la melodic de la versification. D'ingenieux apo-
logues de M. Arnault ont obtenu, a juste titre,
les applaudissemens d'un nombreux auditoire : en-
tre plusieurs que nous pourrions citer, qui ne se
rappelle cette belle fable du Chene et des Buis-
sons, I'un des meilleurs ouvrages que Ton ait com-
poses dans ce genre apres La Fontaine! C'est aussi
avec succes que M. Ginguene s'est mis au rang
de nos fabulistes : plusieurs de ses apologues ont
ete publics dans la Revue ou dans le Mercure de
France; il en est beaucoup qui n'ont point paru;
la plupart sont contes avec une precision pi-
quante; quelques-uns ont \\n grand sens. En un
CHAPITRE IX. 289
o^enre que noire inimitable La Fontaine n'a pas
rendu moins difficile, I'esprit et I'enjouement de
M. Andrieuxontanime des narrations charmantes,
parmi lesquelles le conte excellent du Meunier sans
Souci nous semble meriter la premiere place. En-
fin, I'ouvrage qui a fait connaitre M. Raynouard,
Socrate an temple (T A glaure ^ unit la sas^esse du
style a la richesse de Tordonnance ; et nos suf-
frafijes unanimes, en lui decernant un prix de poe-
sie, n'ont fait que prevenir les suffrages publics. Au
reste, en ces diverses compositions, si resserrees
dans leur cadre, on voit, ainsi que dans les grands
poemes et les bons ouvrages en prose de I'epoque
actuelle, briller et dominer partout les opinions
d'une saine philosophic, cachet profond du dix-
liuitieme siecle, et marque certaine de Tinfluence
qu'il conservera , sinon sur tons les esprits, du
moins sur tons les esprits distingiies.
On pent associer a cet eloge les discours en vers
de M. Millevoye et de M. Victorin Fabre. Le pre-
mier, deux annees de suite, a remporte le prix de
poesie. Done d'un sens droit, d'un gout pur et
d'une oreille delicate, il developpe un vrai talent
dans un age ou d'heureuses dispositions seraient
deja digues de louanges. Le second , plus jeune
encore, n'a pas autant d'egalite dans le style; mais
son imagination est rapide; et ses idees ont sou-
vent de Teclat. Deux fois en concurrence avec
OEuvres poslhuuips. III. i Q
o.c)o LITTERATURE FRANCAISE.
M. Millevoye, la premiere annee il a merite Tac-
cessit. Ses progres out ete sensibles I'annee sui-
vante; et nous avons meme regrettc de ne poii-
voir liii (Ic'ccrner iin second prix; mais ce resi^ret
n'a pas ete long : Its foncls du prix ont ete faits
par M. de Champagny, alors ministre de I'interieur.
Dans ce dernier concours, M. Bruguieres du Gard
vs'est distingue par une piece de vers tres-bien
ecrite, et que nous avons cru devoir honorerd'une
mention. M. Millevoye, le meme dont nous venous
de parlcr, vient de donner au public un recueil
de ses poesies. II est dans ce recueil un nouvel
ouvrage qui merite beaucoup d'estime a plusieurs
egards : c'est un petit poeme intitide Belzunce,
on In Peste de Marseille. On y desirerait plus de
variete, une ordonnance plus imposante, des epi-
sodes plus louchans et mieux concus : mais on y
trouve de la gravite, de I'elegance, de I'harmonie,
d'energiques tableaux. La poesie d'ailleurs exerce
le ])lus beau de ses droits, lorsqu'elle cliaute les
heros de rhumanile. De ce noinbre est assurement
Belzunce, qui, dans les plus terriblescirconstances,
remplit avec \u\ zele sans bornes les devoirs sacres
de Tepiscopat. l^J'oublions pas que le respectable
eveque de Marseille obtint, dans le dernier siecle,
les liommages poetiques de Pope et de Voltaire;
car les philusophes savent louer les ministres de
la religion, quand les ministres de la leligion savent
prafiquer la verhi.
CHAPITRE IX. 391
On a remarque des pensees fines, des traits pi-
quans, des vers bien tonrnes, dans les satires et
les epltres attribiiees a M. de Freoilly, mais im-
primees sans nom d'auteur. Les epigrammes de
M. Pons de Verdun, reciieillies en un petit vo-
lume, n'ont pas obtenu moins de succes. Presque
toutes dans le genre du conte, elles sont gaies,
sans etre offensantes: seul eloge impossible a don-
ner aux epigrammes de M. Lebrnn, qui, dans ce
£[enre, eut bien peu d'egaux, et ne fut inferieur
a aucun modele. Dans la poesie legere, genre ai-
mable, mais ou Ton est aisement mediocre, il n'est
permis de citer que ceux qui excellent. Les repu-
tations y sont rarement durables. Pavilion, La Fare
et cent autres out disparu : Chaulieu, Gentil-Ber-
nard,surnageront, graces a quelques pieces char-
mantes. Vers la fin du dix-huitieme siecle , au
naturel orne de Gresset , a la grace exquise de
Voltaire, Dorat fit succeder une affeterie qui fut
depuis trop imitee. Plusieurs, dans ces derniers
temps, out cru devoir y joindre les calembours,
esprit faux et subalterne, au-dessous duquel il nV
a rien, mais qui suffit a certains lecteurs. Heureu-
.sement il existe encore en France ini public de
choix, qui sait apprecier I'esprit veritable, et qui
a besoin de le trouver : c'est de ce public qu'il faut
satisfaire la delicatesse. C'est pour lui que M. de ^
Boufflers et M. de Parny, conservant le seul ton
'9-
1CI9. }XV\i'A\ VVVWE FRANCAISE.
couvenable a la poesie legere, y maintieniient en-
core cette politesse elegante qui fait le charme
(les ecrits, comme die fait cehii de la societe.
Qiielqiies traducteurs en vers meritent d'etre
cit^s. L'un d'eux, M. Boisjolin, doit meme etre
compte parmi nos talens les pins jnirs. Sa traduc-
tion de la Foret de //'indsor est un des bons ou-
vrages de Tepoque. Toutes les beautes tie Pope y
sont rendnes; la copie n'est pas inferieure a I'ori-
ginal; et, nous ne craignons pas de le dire, un
poete en etat d'ecrire ainsi jouirait d'une reputa-
tion etendue, s'il avait produit davantage. M. Tis-
sot a voulu enrichir notre poesie des Rucoliques
de Virfifile, Plusieurs avaient echone dans cette
tentative; et Gresset plus completement que tout
autre. Une foule de passages qu'il semblait impos-
sible de rendre avec grace out paru ceder aux
efforts du nouveau Iraducteur; et son travail,
perfectionne comme il vient de I'etre , et comme
il pent Tetre encore, ne sera pas indigne d'etre
consulte par les eleves des ecoles publiqnes. Nous
croyons cependant qu'il a reussi bien davantage
a Iraduire les Baisers de Jean second. La, surtout,
M. Tissot est remarquable par une versification
toujours facile, et qui n'est jamais negligee. Les
dispositions qu'annonce M. Mollevaut reclament
des encouragemens litteraires: il a traduit en vers
toutes les elegies que nous a laissees Tibulle, et
CHAPITRE IX. 293
qui sont restees les modeles dii genre. Nous ii'ai-
firmerons j^as que le traducteur ait pleinemeut
reussi dans son entreprise; mais sa jeunesse doit
donner beaucoup d'esperance. Plus ses talens se
formeront, plus il sentira combien il doit travail-
ler encore pour atteindre a cette poesie elegante^
liarmonieuse et tendre, pleine de mollesse et d'a-
bandon, superieure aux meilieurs vers de Qui-
nault, egale au style charniant de la Berenice de
Racine.
Nous avons deja reinarque que la plupart des
bons romans de I'epoque ont ete composes par
des dames. II en est aussi quelques-unes a qui
nous devons des vers agreables. Les noms de ma-
dame de Beauharnais et de madame de Bourdic
rappellent des succes merites dans la poesie. En
marchant sur Icurs traces, madame de Beaufort
s'est placee pres d'elles. Un discours sur les Divi-
sions des gens de lettres^ et plus encore, une Epitre
aux Femmes^ honorent I'esprit et la raison de ma-
dame Constance de Salm. Qui pourrait oubiier
madame Verdier, si connue par une idylle char-
mante sur la Fontaine de Vauclusel II y a beau-
coup de traits heureux dans le recueil des poesies
de madame Dufresnoy, surtout dans ses Elegies,
ou elle semble avoir piis M. de Parny pour mo-
dele : c'est deja une preuve de gout. Les pieces
intitulees le Sernient, V Abandon^ d'autres encore,
294 liTlEJlATURE FRANCAISE.
offrent des preuves de talent. On ne pent citeravec
uii interet mediocre les six Elegies que madame
Babois a publiees sur la mort de sa fille. Le style
en est constamment pur, la versification d'une
douceur exquise; cette poesie vient du coeur, et
du coeur d'une mere. Ce sont des chants de dou-
leur; un objet adore les rempiit; toutes les idees
sont de tendres souvenirs, et tons les vers sont des
larmes. Nous sommes done loin de partager I'opi-
nion de quelques hommes difficiles, qui croient
devoir interdire aux femmes la culture de la poesie
et des lettres. L'hotel de Rambouillet eut des tra-
vers dont IMoliere fit justice; mais ce n'est pas le
talent qu'il pretendit tourner en ridicule. L'en-
nemi de toute affectation aurait aime le naturel
elegant de la Princesse de Cleves. Deux femmes ce-
lebres furent injustes en vers Racine : elles eurent
grand tort , aussi-bien que Fontenelle , lorsque , dans
une miserable epigramme, il denigrait a-la-fois Es-
l/ier et Allialie : ses Eloges et son Histoire des
Oracles n'en sont pas moins au rang de nos meil-
leurs livres. Ainsi, malgre des jugemens hasardes,
madame de Sevigne reste le modele du genre epis-
tolaire; et, pour expier sans doute le mauvais
sonnet contre Phedre, madame Deshoulieres nous
a laisse trois idylles pleines de grace et de sensi-
bilite. Blamons des preventions particulieres c[ue
rien n'excuse; mais ise les combaltons point par des
CHAPITRE IX. 295
preventions generales, qui seraient encore moins
excusables. Aujoiird'hui, plus que jamais, on doit
applaudir aux femmes qui aiment et qui cidtivent
la litterature. Que, par le charme des ecrits et des
entretiens, elles exercent sur les moeurs une utile
influence. Elles sont douees d'une imagination
souple et facile, d'une extreme delicatesse dans la
maniere de sentir. Ne leur contestons pas la fa~
culte d'ecrire comme elles sentent, et le droit d'etre
inspirees comme elles inspirent.
t96 LriTERATlJRE FKAINCAISE.
CHAPITRE X.
La Tragedie.
Les deux genres de la poesie dramatique sont
plus importans et plus etendus dans notre litte-
rature que tous les autres genres de poesie pris
ensemble. La seule tragedie presente trois nio-
deles illustres. Corneille eut un genie sublime :
il sut creer; il est grand. Racine eut un talent
admirable : il sut embellir, il est parfait. Voltaire
eut un esprit superieur : il etendit les routes de
I'art; il est vaste. Apres ces noms classiques,
d'autres noms peuvent etre cites avec honneur :
Crebillon, Thomas Corneille, Lafosse, Guimond
de la Touclie, Lefranc, Lemiere, de Belloi, La
Ilarpe , out obtenu des succes merites ; mais les
obstacles nombreux dont la carriere est semee
arreterent souvent et les maitres et les eleves;
et, pour nous bonier aux premiers, les cris en-
vieux qua travers le bruit de sa gloire Voltaire
entendit duraiit soixante ans s'elevent encore
sur sa tombe. Avant Voltaire, une cabale ]>uis-
sanlc ct trop ceieijre determina Racine a briser
CHAPITKE X. " .297
sa lyre. Avaiit Racine, criiidignes rivaux, osant
etre jaloux clu fondateur de iiotie scene, oiitra-
gerent cet homme eloquent et profond dont le
genie influa sur tons les genies de son siecle.
L'art du denigrement s'est perfectionne cliez les
censeurs de profession ; niais les moyens sont
restes les niemes. On opposail autrefois Sophocle
a Corneille, Corneille a Racine, Corneille et Ra-
cine a Yoltaire. Aujourdliui, grace a la richesse
toujours croissante de notre theatre , Tenvie, tou-
jours plus riclie, oppose a chaque reputation
contemporaine toutes les renommees consacrees ;
a chaque ouvrage tons les chefs-d'oeuvre de la
scene; a chaque annee deux siecles d'une gloire
incontestable sansdoute, mais qui, chaque annee,
fut contestee. Le denigrement est facile; la vraie
critique ne Test pas. C'est elle que nous avons
tache de prendre pour guide. Par elle, nous
continuerons a nous abstenir d'une censure amere,
qui peut offenser et ne pent instruire, et d'une
louangc exageree, indigne de plaire a des homnies
dignes de louanges.
Un poete celebre,M. Ducis,fixera nos premiers
regards. Le succes A' Hamlet le fit connaitre , il
y a deja quarante ainiees. Le succes de Romeo et
Juliette attira sur iui Fattenlion publique; et le
theatre retentissait encore des applaudisseniens
doniies auxscenes fameuses iW}Ediije clicz Adinele^
298 TJTTERATURE FRANCAISE.
quand M. Ducis obtint rhoniieiir memorable de
lemplacer Voltaire a I'Academie francaise. On doit
comprendre dans la meme epoque le Roi Lear et
Macbeth, qui suivirent iinmediatement OEdipe.
Othello, la cinquieme tragedie que M. Ducis ait
imitee de Shakespeare, appartient a I'epoque
actuelle. Cette piece a paru sur la scene avec deux
catastrophes differentes. II faut en convenir, le
denoument heuieux que M. Ducis a cru devoir
preferer parait contraire an ton general de I'ou-
vrage, et plus encore au caractere d'Othello.
D'un autre cote, le premier denoument semblait
trop dur : on ne s'accoutumait pas a voir le jaloux
Othello tuer Hedelmone, apres une longue expli-
cation. Ce n'est pas ainsi qu'Orosmane, dans I'ac-
ces de sa jalousie, immole une amante adoree;
et Voltaire, en adoptant la catastrophe de la piece
anglaise, s'etaitbien garde d'en imiterles incidens,
la couleur et Texecution ; mais Zaire est le plus in-
teressant des chefs-d'oeuvre. En laissant cette belle
tragedie a la place elevee quelle occupe, soyons
juste pour I'ouvrage de M. Ducis. La terreur y est
fortement soutenue ; on y trouve des scenes pro-
londes, des effets nouveaux, d'energiques details;
on remarque surtout les beaux vers oii la sombre
tyrannic du gouvernement de Venise est peinte
avec une verite si ef fray ante. En composant la
Iragedie kXAbufar, M. Ducis n'a suivi d'aulre
CHAPITRE X. 299
guide que son imagination; et son imagination
I'a bien contluit. Quelle tidelite dans le tableau
des moeurs arabes ? quelle chaleur impetueuse
dans la passion de Pliaran! Combien Salema
est touchante ! Quel interet dans les situations !
Quelle brillante originalite dans le style! La, plus
richement que partout ailleurs, M. Ducis a de-
ploye I'etendue de son talent poetique. Trois de
ses anciens ouvrages out reparu sur la scene avec
des changemens considerables: Olulipe, Macbeth
et Hamlet. OEdipe n'est plus chez Admete : il est
a Colone, ainsi que dans la piece de Sophocie;
et la double action a dispaiu. Peut-etre I'unite
encore n'est-elle pas assez complete : Thesee peut-
etre est trop occupe de son jeune filsHippolyte, que
le spectateur ne voit point; et I'ldee de refan-e
dans xni songe tout le recit de Theramene ne pa-
rait pas des plus heureuses; mais le public a vi-
vement senti comme autrefois les beautes re-
pandues en foule dans les roles d'OEdipe ,
d'Antigone et de Polynice; et ces beautes sont du
premier ordre. II en est d'egales dans Macbeth :
le role principal en est rempli; le role de Frede-
gonde en otfre aussi beaucoup ; et I'auteur I'a
enrichi, durant I'epoque actuelle, fle cette ter-
rible scene de somnambulisme qu'il n'avait ose
tenter autrefois. Le role interessant du jeune
Malcohne est egalement nouveau dans la piece;
:^c)() LlTTEllATUllE FKAISCAISE.
et nous croyons qu'elle est aujourd'hiii, dans son
ensemble, la mcilleiire tragedie de M. Ducis.
Malgre les changemens, Hamlet pourrait essuyer
plus de reproches : Tamour du heros pour Ophe-
lie est tiede et depourvu d'effet ; son delire est
plus sombre qu'imposant; et Ton est en droit de
trouvei" un j)eu monotone une frenesie qui dure
quatre actes ; mais on ne doit qu'admirer lors-
qu'on entend le prince danois, tenant en main
Turne funebre ou sont renfermees les cendres de
son pere, interroger une mere criminelle. Voila
un dialogue pathetique, des traits de maitre, une
scene vraiment superieure; et il faut bien qu'elle
le soit, puisque, malgre I'identite des situations,
elle n'est point eclipsee par la siiperbe scene de
Semiramis et de Niuias. Il est done juste de re-
connaitre en M. Ducis ini des plus strands talens
qui nous restent. II serait possible de desirer qu'il
tVit plus regulier dans ses plans; mais ses plans
sont toujours animes par d'energiques peintures
et de vigoureux details. S'il imite souvent les
compositions etrangeres, aux beautes qu'il em-
prunte, il ajoute des beautes egales. Imiter ainsi,
c'est inventer. Aucun |)oete n'a mieux approlondi
les sentimens de la nature; chez aucun la ten'dresse
filiale ne parle de plus pres au coeur d'un pere :
il fait coulor de vertiieuses larmes, il fait jouer
avec force le ressort puissant de !a terreur; et
CHAPITRE X. 3oi
(1;ins la partie essentielle dela tragedie , dans I'art
d'emouvoir, c'est un veritable modele , que \e
siecle qui commence, et qui se feiicilede le pos-
seder encore, presente a la posterite.
II y a dix sept ans, M. Arnault, tresjeune alors,
lit representer sa premiere tragedie de Marius a
Miiiturne. Le caractere fortement trace du heros,
des traits energiques , la belle scene du Cimbre ,
la simplicite de Taction , la noblesse elevee du
style, assurerent a TcHivrage un briliant succes.
M. Arnault , I'aunee suivante , ne craignit point
d'essayer un sujet dune excessive difficulte, celui
de Lucrece. L'auteur a trop etudie son art pour
ne pas condamner lui-meme aujourd'hui I'amour
de Lucrece pour Sextus; et certes, dans une tra-
gedie pareille, il ne sacrifierait plus a cet esprit
de galanterie que Voltaiie a signale tant de fois
comme le vice radical de notre ancien theatre.
Le delire simule de Brutus, sous la tyrannic de
Tarc[uin , porte un caractere bien autrement tra-
gique. Ce n'etait pas une entreprise vulgaire que
de peindre ce vieux fondateur de la plus illustre
des republiques, cachant tout I'avenir de Rome
dans les replis de son ame profonde, et jouissant
avec delice dun avilissement passager qui assure
la liberie de sa patrie. Cette conception forte et
neuve merite de rester au theatre; et M. Arnault
ne saurait apporter trop de soins a perfection ner
3oa J JTTER ATURE FR ANCAISE.
i'ouvrage ou il a sii rexeciiter. La trafifedie de
Cincinnatus presente, pour ainsi dire, I'age d'or
de la republiqiie romaine; et, ce qui est Lien
honorable pour Tauteur, cette piece, ou triomphe
une liberie sage, qui n'est autre chose que I'em-
pire des bonnes lois, fut composee dans le temps
horrible ou triomphait parmi nous un despotisme
sanguinaire, pare du nom de liberte. Dans Oscar,
Tamour furieux et jaloux , I'amour vraiment tra-
gique, est aux prises avec I'amitie. L'energie des
passions s'y deploie; et la scene de Dermid et de
Fillan est remarquablc par des traits du plus beau
dialogue. Mais de tous les ouvrages de I'auteur,
celui qui a le plus completement reussi , sans en
excepter Marius , c'est la tragethe des Fenitiens.
Et comment ne pas rendre justice aux scenes
touchantes de Blanche et de Moutcassin , aux
nobles developpemens dw role de Capello, sur-
tout a I'effet d'un cinquieme acte, aussi original
que tragique ! En general M. Arnault cherche
toujours et trouve souvent des idees nouvelles;
ses compositions lui appartiennent ; son style est
nourri de pensees; il est dans la force de I'age; et
ce qu'il a fait garantit ce qu'il est en etat de faire
encore. 11 convient peut-etre a des censeurs bas-
sement jaloux de vouloir obscurcir tout succes
auquel ils ne sauraient pretendre; mais il est
de I'honneur des gens de lettres, il est meme de
CHAPITRE X. 3o3
I'interet du public de prefer aiix vrais lalens iin
appiii necessaire a leur dignite comme a leurs
progres.
Peu de temps apres le Marius de M. Arnault,
parut la tragedie de la Mort cV Abel^ coniposee
par M. Legouve. Gette heureuse imitation de
Gessner ne pouvait manquer d'obtenir un grand
succes. On y remarque a la fois la couleur aimable
du role d'Abel, la couleur sombre et tragique du
role de Gain , I'extreme simplicite du plan , I'ele-
gante purete de la diction , beucoup de beautes
et peu de defauts. La tragedie CCEpicharis et
ISeron n'a pas eu moins d'eclat au tbeatre. Ge
n'est point ici le Neron naissant de Britannicus,
un tyran qui va choisir entre le crime et la vertu :
c'est Neron tout entier, dans la perfection de sa
tyrannic , et par la meme dans une situation
moins dramatique; mais les roles d'Epicharis et du
celebre Lucain jettent de I'interet dans la piece;
et la terreur est portee au plus haut point dans
la catastrophe. Loin de son palais qu'il a deserte,
Neron, refugie dans un bumble asyle, y recoit
sans cesse, et coup sur coup, des nouvelles de
plus en plus effrayanles, jusqu'au moment ou il
se tue , pour echapper a In mort des esclaves.
L'agonie dure un acte entier : c'est beaucoup ;
mais I'horreur que le personnage inspire soutient
rattention des spectateurs ; ils jouissent ile la
3o4 LITTERATURE FIUNCAISE.
loiigiienr mcmc dc scs remords ot de ses tonr-
mens : c'est Neron qui raenrl. Apres avoir peint
dans Fabiiis Tausterite des armees romaines, et
cette discipline inflexible qui lui soumit trente
nations , M. Legoiive , remontant jusqu'a ces tra-
giques families dont les crimes et les malhenrs
rctentissent depuis vingt siecles siir tontes les
scenes , a traite dans Eteocle et Poljnice nn sujet
designe par Boilean comme indigne de I'epopee,
et qui peut-etre n'est guere plus convenable au
theatre. Racine, il est vrai , I'avait choisi, mais
dans sa jeunesse, quand il n'etait pas Racine
encore, et qu'il n'avait pas approfondi le grand
art qui lui doit sa perfection. M. Legouve n'a pas
craint des difficultes qu'il a sa franchir en partie:
il a distingue par des nuances bien saisies les deux
personnages principaux, quoiqu'ils soient a pen
pres egalement odieux. Une action sagement con-
duite, et des scenes fortement dialoguees, ren-
dent sa piece recommandable. En faisant paraitre
OEdipe dans les deux derniers actes, comme on
le voit intervenir dans les Phenicienues d'Euri-
pide, il a trouve le moyen de repandre quelque
interet sur un sujet ingrat, et plus terrible que
tragique. Le meme poete, essayant la tragedie
moderne, na pas cm que le sujet de la Mort de
Henri IF fut impossible a traiter. Sa piece a
reussi; mais elleaessuye de nombreuses critiques.
CHAPITRE X. 3
oa
I
On a surtoul reproche a I'auteur d'avoir trop le-
gerement implique dans I'assassinat de Henri IV
le due d'Epernon, la cour d'Espagne, et jusqu'a
la reine Marie de Medicis. Les reponses de M. Le-
gouve sont dignes d'examen. A-t-il ontre- passe
toutefois les privileges dii theatre, an nioins a
regard de Marie? Qu'il nous soit permis de laisser
la difliculte indecise. En penetrant au coeur de
I'ouvrage , ne serait-on pas oblige d'avouer que
le personnage de Henri IV exigeait une toucbe
plus ferme et plus franche ? Des querelles de me-
nage, pour etre confornies a la verite historique ,
atteignent-elles la hauteur de la tragedie et d'un
heros consacre par de si cliers souvenirs ? On
pouvait agiter ces questions avec la politesse qui
devrait toujours distinguer des ecrivains francais,
et la mesure convenable en jugeant les produc-
tions d'un homme de merile ; mais il fallait en
meme temps savoir apprecier I'habilete dont I'au-
teur a fait preuve, soit dans Faction generale,
soit dans les diverses parties de son ouvrage ; les
ressources qu'il a deployees dans les scenes dif-
ficiles; les morceaux eloquens qu'il a semes dans
le beau role de Sully; enfin, cette versification
melodieuse que nous avons deja remarquee dans
ses petits poemes, et que, loin des illusions du
theatre, les lecteurs aiment a retrouver encore
dans les tragedies qu'il a publiees.
OEuvres posthuunes lU. 20
3o6 LTTTERATURE FRANCATSE.
Plusieurs anncos avant les temps dont nous
trarons le tableau litteraire, M. Lemercier, tou-
chaut a ['extreme jeunesse et presque a retifance,
avait essaye le genre tragique. 11 y a quinze ans,
ces essais renouveles promirent davantage ; on en-
trevit meme dans ie Levite d' Ephraim quelques
lueurs d'un beau talent qui se revela bientot, et
brilla de tout son eclat dans la tragedie (X Aga-
memnon. La, nul incident inutile; la marche est
a la fois rapide et sage; Eschyle et Seneque sont
imites, mais avec independance. Le caractere ar-
tificieux et profond d'Egisthe , les agitations de
Clytemnestre, qui resiste avec faiblesse et succombe
a Pascendant du crime; le role naif d'Oreste ado-
lescent, et bien plus encore les scenes, pleines de
verve, de !a prophetesse Cassandre, out determine
les suffrages publics en faveur de cette piece, re-
gardee par les connaisseurs comme un des ouvra-
ges qui out le plus honore la scene tragique a la
fin du dix-huitieme siecle. Depuis, et meme dans
Ophis, qui d'ailleurs est loin d'etre sans beautes,
M. Lemercier semble inferieur a lui-meme. 11 vient
de faire imprimer une tragedie non representee.
Son heros principal est Baudoin, comte de Flan-
dre, celui qui, durant les croisades de Philippe-
Auguste, osa fonder a Constantinople I'ephemere
empire des Latins. 11 y a de grands traits dans
cet ouvrage, moins, il est vrai, dans les roles de
CHAPITRE X. 3o7
Baiidoin et de son epoiise que dans ceiix dii Ve-
iiitien Dandolo , et d'Athanasie , sainte et prophe-
tesse. Cette Cassandre chretienne et la piece en-
tiere prodiiiraient peut-etre an theatre un effet
imposant et religieux, si d'iiabiles acteurs etaient
secondes par un auditoire attentif. Elle contient
pourtant des choses hasardees: Tauteur s'en per-
met dans presque toutes ses productions. II faut
tout dire : on lui reproche d'avoir contracte des
habitudes de style que les spectateurs et les lec-
teurs ne sauraient prendre aussi vite que lui. A
force de vouloir etre neuf, il a, dit-on, dans le
choix des mots et des tournures, une recherche
plus penible qu originale. Nul n'est plus en etat
que M. Lemercier de peser ces observations, et
d'y faire droit, s'il y trouve quelque justesse.
Done d'un esprit etendu, brillant et facile, il n'a
qua redevenir naturel, assure qu'il lui est impos-
sible d'etre vulgaire. A ce prix, de nouveaux suc-
ces I'attendent; el la scene francaise doit compter
sur lui, puisqu'da fait Agamemnon.
Bien different, en ce point, du poete dontnous
venons de parler, c est dans la maturite de I'age
que M. Raynouard a donne sa premiere et jus-
(ju'a present sa seule tragedie connue : les Tem-
pliers. En traitant Thistoire moderne apres Vol-
taire et quelques autres, il ne pouvait choisir un
sujet qui fiit plus heureux. iNon-seulenient il fai-
20.
3o8 LITTERATURE FRANCAISE.
siiit justice (Vuii grand abus dii pouvoir, ce qui
|)lait toiijours aiix hommes rassemblos, mais il
celt5brait des victimes reverees encore en Europe
par des societes nombreuses ; il rendait bommage
aux vertus d'un ordre qui s'est survecu a bii-raeme
par une influence toujours cachee, mais toujours
puissante et prolongee jusqu a nos jours, du moins
s'il faut en croire des historians accredites, d'illus-
tres philosophes, et specialement Condorcet. La
tragedie de M. Raynouard a excite de vifs applau-
disseniens et des censures non moins vives; mais
des critiques passionnes, qu'irrite I'approbation
generale , n'ont pu servir ni I'auteur ni I'art. Pour
reprendreutilement les defauts, on doit sentir les
beautes, et les faire sentir. La marche de la piece
est quelquefois un pen lentc, mais elle n'offre
point d'ecart. Le style n'est pas exempt de seche-
resse, mais il est presque toujours correct; il
nabonde pas en tours poetiques; il est plein de
pensees energiques et saines : on desirerait quel-
quefois plus d'elegance , janiais plus de force et de
precision. Si la scene de Ligneville et les formes
du recit rappellent des pieces deja connues sur la
scene tragique, on ne pent contester a I'auteur
ivA trait superbe de ce meme recit, et, dans les
diffcrens actes, plusieurs traits (I'un dialogue ner-
veux et rapide , des tirades aniraees, beaucoup de
chaleur et de mouvcment. On a generalement
CHAPITRE X. 3o9
senti I'iimtilite du role de la reine; celiii du chan-
celier n'est guere plus utile; et c'etait bien assez
d'uii ministre persecuteur. II serait meme a sou-
haiter que le persoiiuage interessant du conneta-
ble fut lie plus intimement a laclion. Eu regar-
dant de pres Philippe-le-Bel , i\ faut bien le dire
encore, a travers des touches indecises, on cher-
che , sans la trouver, la physionomie de ce prince
reniarquable, qui distingua si bien le temps ou il
devait braver la cour de Rome, et le temps ou il
pouvait la gouverner en Tinvoquant; qui sut cal-
culer tout son regne; qui, despotique et popu-
laire, fit a la fois du bien et du mal, non par in-
clination, mais parinteret, et ne choisit des vertus
et des vices que ce qui pouvait lui etre utile. Mais
quelle dignit*^ imposante^, et souvent quelle noble
eloquence dans les discours du grand - maitre!
Quelle heureuse idee que celle du jeune Marigni ,
associe secretement a ces templiers dont son pere
a jure la ruine, osant prendre leur defense au fort
du peril, revelant son secret quand il ne pent
plus que parlager leur infortune, se devouant
pour eux, mourant avec eux, et commenrant, par
cet heroique sacrifice, le chatiment de son pere
coupable! Voila un personnage bien invente,bien
jete au milieu de Taction ; voila des incidens qui
produisent un interet puissant siu' tons les canu^s,
parce qu'il est fonde sur la morale; el celte belle
3io LITTER ATURE FRANC AISE.
conception tragique, la partie la plus reconinian-
dable de I'ouvragc, suffirait seule pour justifier
I'eclatant succes qu'il a obtenu dans sa noii-
veaute.
Nous avons a parler encore de trois pieces,
puisqu'elles ont reussi d'une maniere marquee :
XAbdelasis de M. de Murville , represente pour la
premiere fois, il y a seize ans, et remis au theatre
I'annee derniere, tient plus du roman que de la
tragedie. Le quatrieme acte offre cependant des si-
tuations fortes, trop fortes meme pour I'ensemble
de la piece ; mais on peut, et par consequent on doit
loner dans cet ouvrage la purete de la diction, la
douceur et I'harmonie des vers. Ces qualites sont
au moins aussi remarquables dans le Joseph de
M. Baour-Lormian. line froide intrigue d'amour,
nne froide conspiration, deparent, il est vrai,
cette tragedie. Joseph ne doit etre occupe que do
son pere et de sa famille ; Simeon n'a pas besoin
de conspirer pour etre odieux; mais le petit role
de Benjamin respire la candeur la plus aimable ;
I'entretien de cet enfant avec Joseph est d'un in-
teret plein de charme; et cette scene, bien concue,
bien ecrite, superieurement jouee, n'a pas contri-
bue mediocrement au succes de la piece entiere.
Une scene entre Joseph et Simeon merite aussi
d'etre distinguee. Au reste, ce sujet a toujours
reussi. On voit par une lettre de madame de
■ CHAPITRE X. ' 3ii
Maintenon que le Joseph de I'abbe Genest, re-
piesente a la coiir, en concurrence avec le chef-
d'oeuvre fXAthalie^ le fit tomber pour la seconde
fois, long-temps apres la mort de Racine. II ne faut
pas trop s'en etonner : les courtisans n'etaient point
assez connaisseurs pour apprecier les beautes se-
veres (XAtlialie. Joseph presente une fable heu-
reuse, pathetique, facile a suivre, facile meme a
traiter. La piece est faite dans la Genese , et mieux
que dans toutes les tragedies composees, soit pour
le college, soit pour le theatre. Lorsqu'on veut
tirer un sujetde la Bible, les petites inventions mo-
dernes ne peuvent que nuire a la verite du ton ge-
neral. Le vrai talent consiste a tout emprunter du
niodele : c'est ce qu'a senti parfaitement , et ce
qu'a fait deux fois noire imniorte! Racine. Ce
grand poete avail trop de gout pour allier des
couleurs disparates, et trop de veritable genie
pour in venter nial a propos.
\] Ariaxerce de M. Delrieu vient d'obtenir aux
representations un succes que la publication de
la piece a tliminue, mais qui n'en est pas moins
legitime a beaucoup d'egards. C'est une imitation
d'un celebre opera de Metastase. Quelques scenes
de fadeur, regardees en Italic comme necessaires
au genre du drame lyrique , ont ete supprimees
avec raison par I'auleur francais. II est facheux
qu'en recompense il ait ajoute deux premiers ac-
3i^ LQTERATURE FRANC AISE.
tes aussi froids qu'inutiles, qui serveiit d'intro-
(liiction a la tragedie, ou plutot qui forment eux-
memes uiie tragedie preliminaire. Jamais la du-
plicite ne fut si evidente; et jamais elle ne fut
moins excusable; car le sujet, tel qu'il est traite
dans la piece originale et dans les trois derniers
actes de la copie, offre des incidens plus multi-
plies qu'aucun des chefs-d'oeuvre de la scene fran-
caise, inferieure toutefois a la scene grecque pour
la simplicite des compositions. Jrtaxerce n'est pas
d'un ef'fet mediocre. Les roles de I'ambitieux Ar-
taban el de son vertueux fils, Arbace, offrent un
contraste aussi frappant que bien soutenu; et, ce
qui vaut mieux encore, du jeu de ces deux carac-
teres naissent les principales situations, entre au-
Ires la scene du jugement, et la scene non moins
]>elle qui denoue la piece. Le ressort est des plus
tragiques; et cette conception de maitre honore le
genie de Metastase. M. Delrieu a risque de legers
changemens, dont quelques-uns sont heureux :
qu'Arbace arrache des mains de son pere le glaive
leint du sang de Xerxes : voila qui est noble et
bien trouve; qu'a I'exemple de Cleopatre, dans
Kodogune, Artaban boive le poison qu'il avait
prepare pour un autre usage : voila qui est con-
forme aux moeurs de ce personnage, atrocement
intrepide; mais qu'Artaxerce porte I'amitie jusqu'a
lirer secretement de prison Arbace, condamne par
CHAPITRE X. 3i3
son propre pere, comme assassin du pere d'Ar-
taxerce: voila qui depasse toiites les convenances.
Cast d'ailleurs faire d'Artaban un conspirateur
maladroit, qui se laisse gagner de vitesse, et ne
sait pas meme prendre ses mesures pour sauver
un fils qu'il a condamne a mort, et qu'il pretend
couronner. Le poete italien joint au merite de
I'invention le merite non moins rare d'un style
aussi noble qu'harmonieux. Pourquoi M. Delrieu
ne I'a-t-il pas imite en tout? Pourquoi sommes-
nous contraints d'avouer que sa piece est ecrite
avec une extreme secheresse? Cependant, a la
suite de cette tragedie, il a public des notes ou
Ton apprend qu'il est fort superieur a Metastase.
Un jour il aura quelque peine a relire ces notes
etranges; peut-etre meme aura-t-il le bon esprit
de les supprimer, quand I'etude lui aura fait sentir
qu'on ne doit ni gater, ni surtout denigrer les mo-
deles, et que, pour s'assurer des louanges dura-
bles, il faut les meriter et les attendre.
Les tragedies les plus remarquables de ces vingt
dernieres annees se distinguent par une action
simple, souventreduite aux seuls personnages qui
lui sont necessaires, degagee de cette foule de
confidens aussi fastidieux qu'inutiles, de ces epi-
sodes qui ne font que retarder la marche des eve-
nemens, etdistraire I'attention des spectateurs;de
ces fadeurs erotiques, si anciennes sur notre tliea-
3i4 LITIEllATURE FKANCAISE.
tre, introduites, par la tyrannic de I'usage, an mi-
lieu dequelques chefs-d'oeuvre; prodiguees paries
pretendus eleves de Racine, frequentes dans les
sombrcs tragedies de Crebdlon, signalees par Vol-
taire, et desormais bannies de la scene comme
indignes de la gravite du cothurne, Le caractere
philosophique imprime par ce grand homme a
la tragedie s est egalement conserve dans le cboix
dequelques sujets, et dans la maniere de les trai-
ler. C'est encore a rexemple de Voltaire que Ton
a tente les diverses routes de Thistoire moderne :
on ne s'est pas meme borne, comme lui, a des
epoques generales ; on a retrace des evenemens
niemorables, on a expose les exces du fanatisme
et les abus du pouvoir avec cetle verite severe qui
convient a la tragedie historique. Nous avionsdeja
des modeles de cette verite dans plusieurs pieces
tirees de I'histoire ancienne; mais^ il faut I'avouer,
I'histoire moderne est bien plus difficile a trailer
au theatre. C'est peu que les moeurs en soient
moins poetiques ; luie religion tout autrement
grave que le polytheisme, en voulant former un
[)Ouvoir separe du pouvoir civil, ou, pour mieux
dire, un pouvoir supreme, en agissant sur I'uni-
versalite des choses humaines, n'aime pourfant
pas a figiirer avec elles sur la scene qui les re-
presente. Comment done traverser le moyen age,
rempli , durant cinq siecles, des guerres du sacer-
CHAPITRE X. 3i5
doce et de Tempire? Comment peindre le seizieme
siecle, ou, depuis Louis XII jusqu'a Henri IV, de-
puis Jules II jusqu'a Sixte-Quint, TEurope entiere
est agitee par des religions rivales et par des dis
cordes sanglantes, quelles n'ont cesse de pro-
duire? Pour les monarques, pour les ministres, ils
ont ete vertueux ou mechans. Ne faut~il pas les
faire parler, les faire agir corame ils ont parie ,
comme ils ont agi? Contredira-t-on tons les his-
toriens, pour flatter la memoire d'un mauvais
prince? Mais quelle estime obtiendront des ou-
trages faits dans cet esprit? Ne produira-t-on sur
la scene que les personnages consacres par la ve-
neration publique? Mais, sans parler des contras-
tes , si indispensables dans les ouvrages dramati-
ques, de quelque genre qu'ils soient, c'est vouloir
ecarter de la tragedie non-seulement ce qu'il y a
de plus moral, mais ce qu'il y a de plus tragique:
le spectacle de la vertu courageuse aux prises
avec le crime puissant. Si Ton eiit jadis observe
ces menagemens etranges, nous n'aurions pas la
Mort de Pompee, Rodogune, Heraclius, JSicotnedey
BiUannicus , Jthalie , Merope et Mahomet. Que
peint la tragedie? des passions. Quelles passions?
celles des hommes qui furent a la tete des Etats.
Que resulte-t-il de ces passions? des crimes etdes
malheurs. De la decoulent la terretir et la pitie :
hors de la, point de tragedie. Elle fut telle chez les
3i6 LITTERATURE FRANCAISE.
Grecs, telle parmi nous, telle en Angleterre, Sa
nature nesaurait changer; mais I'esprit du dernier
siecle et les progres de la raison humaine ont en-
core augmente I'importance du plus grave des gen-
res de poesie. II faut done, pour le bien traiter, sur-
tout aujourd'hui, reunir beaucoup de choses dont
la reunion n'est pourtant pas facile : le talent d'e-
crire en vers avec une dignite simple, energique et
touchante; I'etude continuelle du coeur humain;
une connaissance profonde de I'histoire, de la mo-
rale, de la politique; la haine des prejuges, I'a-
mour de la verite, le desir inalterable et le droit
de servir sa cause.
». -m*^ v-*."* *'».■*% -v* v*"^*. -v^r ^/v^ m^*.-^ %*-»,-». %^«^*, %-%,-». %
CHAPITRE XL
La Comedie.
CoRNEiLLE , qui CFca parmi nous tout Tart dra
matique , a laisse un moclele clans la haute come-
die. En effet , si Ton pent reprocher plusieurs
defauts a la piece du Menteur, du moins le ca-
ractere principal est-il admirablement traite. Un
genie non moins etonnant, Moliere, a qui nul
philosophe n'est superieur, a qui nul poete co-
mique n'est egal , porta tons les genres de comedie
a leur perfection. I^oin de lui , a des intervalles
plus ou moins grands , se font remarquer ses suc-
cesseurs. On aimera toujours la gaite ingenieuse
et brillante de Regnard ; la finesse origjinale de
Dufresny; I'habilete de Destouches, la force co-
mique de Lesage, qui seul atteignit presque Mo-
liere dans le chef-d'oeuvre de Turcaret. Plus tard,
Piron et Cresset, par deux beaux ouvrages, sou-
tinrent la comedie dans son eclat; mais, de leur
temps meme , on la vit melancolique avec La
Chaussee, minaudiere avec Marivaux. Ces defauts
reussirent, ou plutot passerent, grace aux qualites
qui les rachetaient. On negligea cette remarque;
;ii8 LITTERATURE FRANCAISE.
et les defauts furent contagieux , hieiitot meme
exageres. La Chaussee n'avaitete qii'attendrissant;
on (levint sombre; et le style precieux de Mari-
vaiix fut surpasse par un jargon ridicule. Telle
etait parmi nous la cornedie, il y a trente ou
quarante ans. Bien pen d'auteurs surent eviter a
la fois deux ecueils egalement dangereux.
M. Cailhava , qui doit etre compte dans ce
tres-petit nombre , a continue de rester fidele aux
principes de la vraie cornedie. Cest dans le com-
mencement de I'epoque actuelle qu'il a fait re-
presenter les Meiiechmes gre.cs. C'etait une ten-
tative assez bardie, que d'offrir de nouveau sur
la scene un sujet traite par Regnard , avec la verve
inepuisablc qui distingue les productions de ce
charmant poete comique. M. Cailbava, neanmoins,
a completement reussi , en snivant de plus pres
les traces de Plaute quant a Taction, mais en
refondant presque tons les caracteres de la piece
latine. Le public s'est empresse de rendre justice
a la peinlure piquante des moeurs de la Grece,
a la verite des situations, au naturel du dialogue,
au merite rare d'une gaite francbe, qui ne dege-
nere pas en bouffonnerie. Les connaisseurs ont
retrouve dans cet ouvrage le merite qu'ils avaient
senti dans le Tuteur dupe., cornedie qui a fonde
la reputation de I'auteur, et qui tient son rang
parmi les boinies pieces d'iutrigue composees
CHAPITRE XL 319
tluraiit le cours tlu dernier siecle. M. Laujon, run
ties meilleurs chansonniers francais , d'ailleiirs
avantageusemeiit connii par les operas (XEgle^ de
Sihie^ d'hmene et Ismenias ^ et plus encore par
la jolie comedie lyrique de \ Amoureux de quinze
ans , a merite sur la scene francaise un succes
flatteur. Sa petite comedie du Convent brille de
cette fraichenr, et , pour ainsi dire, de cette jeu-
nesse d'esprit qui le fait remarquer encore. II s'est
toujours occupe depuis, il s'occnpe aujourd'hui
meme de nouveaux ouvrages; et le public sourit
avec bienveillance a I'heureux enjouement d'un
vieillard qui a conserve Thabitude d'etre aime,
en ne perdant pas celle d'etre aimable. Quand
M. Laya donna an theatre sa comedie de Yjlini
des lots, deja I'anarchie menacante allait se perdre
dans cette tyrannic qui fut exercee au nom du
peuple; mais le talent lui-meme a besoin de beau-
coup de temps pour bien ecrire, et surtout pour
bien ecrire en vers francais: la piece parait avoir
ete composee trop vite. Quoi qu'il en soit, I'au-
teur y lit preuve d'une noble audace, et de ce
genre d'eloquence qu'une noble audace est sure
de donner. Aussi \ Ami des lots fut-il accueilli par
la faveur publique; car, en ce genre, un nom-
breux auditoire applaudit toujours au courage
dont il ne court point les risques. Pen de temps
apres, M. Francois (de Neufchateau ) attira sur
320 LITTERATURE FRANCAISE.
lui une honorable persecution , en repandant des
idees saines et vraiment philosophiques dans sa
comedie de Pamela. Cette piece obtint a juste
titre un succes qui s'est constamment soutenu :
elle interesse vivement les spectateurs; elle est
conduite avec art; elle est de plus tres-bien ver-
sifiee : c'est , comme on sait , une imitation de
Goldoni, qui lui-meme avait imite le beau roman
de Richardson. Mais, si la forme de I'ouvrage et
I'ordonnance de ses diverses parties appartiennent
a Tauteur italien, les details ont ete bien embellis
par I'auteur francais. Toujours egal a Goldoni
pour la composition des scenes, M. Francois lui
est toujours superieur pour I'execution. Yoila
comme il est difficile et comme il est bon d'imiter.
Ici, nous trouvons a la fois trois poetes comi-
ques digues d'une attention speciale. Le plus
jeune des trois, M. Andrieux, s'etait fait connaitre
avant les deux autres; mais puisque les ouvrages
de Fabre d'Eglantine se presenteiit les premiers
dans les temps que nous parcourons, c'est par lui
que nous allons commencer. Fabre, alors age de
plus de trente ans, donna, sans aucun succes,
deux grandes comedies en vers. II fut denigre
d'abord; et, ce qui est pire , il etait a peu pres
oublie, quand le Philinte de Moliere parut. Moins
on avait espere de I'auteur, et plus le succes de
sa nouvelle comedie fut eclatant. Si Ton en croit
CHAPITRE X. 32 [
J. -J. Rousseau, dans sa lettre siir les spectacles ,
le Philinte du Misanthrope n'est pas seulement un
homme poli: c'est un egoiste. II n'est pas siir que
cette remarque ait beaucoup de justesse; et Mo-
liere , en tracant le caractere d'un personnage , ne
proposait point d'enigme a deviner. Mais tel est
I'ascendant des ecrivains superieurs : quelques
mots hasardes par I'auteur A'Ermle ont fait con-
cevoir une belle comedie. I.a Harpe trouve un
exces de vanite dans I'idee meme de la piece;
La Harpe aurait du mieux s'y connaitre ; et le re-
proche est injuste. L'auteur ne fait pas un nou-
veau Misanthrope, comme d'autres ont fait un
nouveau Tartufe : il se donne pour imitateur; il
adopte les principaux personnages de Moliere ; il
se met a sa suite , et non pas en concurrence
avec lui. Comment La Harpe ne Fa-t-il pas senti?
Pourquoi veut-il affaiblir les eloges qu'il est force
de donner a la comedie du Philinte? On devine
aisement ses motifs : elle avait deux grands torts a
ses yeux : c'etait I'ouvrage d'un de ses contem-
porains; et cet ouvrage avait reussi. Le style
en est plein de defauts, sans doute : quelcjuefois
energique , il est plus souvent dur, incorrect et
bizarre; mais, si la piece etait bien ecrite , apres
les chefs-d'oeuvre de Moliere , toujours seul sur
le trone ou I'a place son genie, quelle haute co-
medie serait comparable au PhilijitcP Depuis cent
OEuvres posthumes. III. 2 I
3>.9. LITTER ATI HE FRANCATSE.
aiinees, la scene comiqiie oftre-t-elle iin role aiissi
brillant, aiissi noble, anssi bien soutenu que le per-
sonnage d'Alceste? N'est-ce pas une situation for-
tement conciie que celle de Philinte puni de son
efifoisme par la fraude meme qu'il tolerait si pai-
siblement quand il n'y voyait que le mal d'autrui?
La plenitude et la simplicite de la fable annon-
cent-elles un esprit vulgaire? Le meme genre de
merite brille encore, mais d'un moindre eclat,
dans les autres productions de Fabre d'Eglantine.
Le Convalescent de qualite abonde en force co-
mique. V Intrigue epistolab-e, dont les incidens et
les details ne prouvent pas un gout difficile, offre
en recompense un dialogue rapide, nne gaiete
continue, qui rachetent bien des defauts,du moins
a la representation. La comedie des Precepteurs ^
ouvrage posthnme , et que I'auteur ne croyait
point avoir acheve, presente une conception phi-
losophique et des scenes originales. Ces diverses
productions sont egalement deparees par ini
mauvais style. U y a plus : Fabre affectait celte
diction singuliere , et I'avait reduite en systeme ;
il ecrivait d'ailleurs tres-vite, secret infaillible
pour mal ecrire. Mais on ne saurait lui contester
ime imagination feconde, de I'art dans les com-
positions, de la vigueur dans la peinture des ca-
racteres; et , raalgre tout ce qu'on pent lui
reprocher , les critiques equitables placeront
CHAPITRE XL 323
toujours Tauteur du Philinte de Moliere parmi
iios vrais poetes comiques.
On a vii paraitre , dans la meme epoqiie, une
comedie, celebre, de Colin d'Harleville; et deja ce
poete avait affermi sa reputation par trois succes.
1J Inconstant, son premier ouvrage, offrait, quant
au fond du sujet , quelques rapports avec Ylire-
solu; m2L\s^9,\ la piece de Destouches n'est pas
aussi faible d'intrigue que celle de Colin , si les
personnages accessoires y sont beaucoup moins
negliges, il s'en faut bieii que le personnage
principal y soit peint d'aussi vives couleurs. L'in-
constant n'est pas seuleraent tres-comique; il est
encore tres-aimable; et ce role, un des mieux
concus qu'il y ait au theatre, est en meme temps,
pour le style , ce que I'auteur a produit de plus
brillant. \JOptimiste et les Chateaux en Espagne
etincellent de traits charmans : I'auteur y a pro-
digue ces details heureux dont il savait enrichir
ses ouvrages; mais on y desirerait, dans les situa-
tions, plus de cette force comique, merite eminent
des pieces de caractere, et que les deux sujets
semblaient appeler. Ce fut alors que Fabre
d'Eglantine se mit en concurrence ouverte avec
Colin d'Harleville. D'abord, sous le titre du Pre-
somptueux y il refit les Chateaux en Espagne; et
la lutte ne lui fut point avantageiise. Bientot, dans
la preface du Philinte de Moliere^ preface indigne
2 1.
32/j LITTER ATURE FRANCATSE.
(I'nne telle piece, il se permit d'attaqiier , sans
auciine mesure, et la comedie de VOptimisle^ et
jnsqu'aiix intentions morales de Tauteiir. A cette
hostilite, si convenable aux detracteurs par etat,
mais si etrange de la part d'un homme de merite,
Colin repondit, comme les vrais talens peuvent
seulsrepondre, pariin excellent oiivrage. PInsieurs
cpialites manqnaicnt a ses premieres productions;
rien ne manque au Fieux Celibataire: le caractere
principal est superienrement dessine; I'artificieuse
gouvernante est d'uiie verite parfaite; chacun des
personnages accessoires est ce qu'il devait etre;
Tinteret, la force comique, animent les differentes
situations; le style est elegant, le dialogue inge-
nieux et vif, I'effet general complet; enfin le
Vieux Celibataire occupe un rang eleve parmi les
comedies du dix-huitieme siecle, et, sans con-
tredit, la premiere place entre les comedies de
Colin d'Harleville. Les ouvrages que I'auteur a
composes depuis sont loin de meriter autant
d'eloges. Toutefois, dans les Moeurs diijour, son
talent se reveille encore, mais a de longs inter-
valles. Son style, d'ailleurs plein de naturel et de
grace, s'affaihlissait depuis quelque temps par
ime maniere expeditive, etqui n'etait pas exempte
d'incorrection; ses vers, souvent depourvus de
cesure, ne conservaient plus, des formes de notre
pocsie,que la rime et lenombredessyllabes. Nous
CHAPIIJIE XL . 3^5
laisons celte leiiiarque j)our les jeuiies geiis, qui
lie riniitent que trop en ce point, le seul ou il
soit aise de I'atteinclie, et plus aise de le surpas-
ser. Les maladies, et les chagrins par qui les ma-
ladies deviennent incurables, nous Tout enleve
trop tot; le sort dont il ne jouissait pas, mais
dont il etait digue, un sort heureux I'aurait con-
serve sans doute a Tamitie qui le regrette , et a
la scene francaise qu'il aurait pu long-temps ho-
norer.
Si quelque poete comique devait se croire un
rival a craindre pour Colin d'Harleville, c'est as-
surement M. Andrieux; mais il a prefere d'etre
ou plutot de rester son ami; car il Tetait presque
des lenlance : il la constamment aide de ses
conseils, de ses talens meme, an point d'ecrire
une scene eiitiere de XOplimisle ; et ce nest pas
la moins bien ecrite. M. Andrieux, dans son coup
d'essai , la petite piece ^Anaxiitiaiidre , s'etait dis-
tingue de tres-bonne lieure par celte diction pure,
elegante et facile, qu'il a toujours conservee. Les
Etourdis firent sa reputation : ce fut a bien juste
titre ; et, depuis les Folies amoureuses^ il serait
peut-etre impossible de citer une seule comedie
en trois actes qui reunisse, an inenie degre
(^ue les Etourdis^ le charnie dune versification
brillante , la gaiete du dialogue, I'originalile des
caracteres et la piquante variete des situations.
3-2G LITTEIUTUKE FRANCAISE.
Plus recenimeiit, dans une petite piece agreable
et morale, et iorsque des claiiieurs violentes s'eie-
vaient contre la philosopbie , M. Andrieux s'est
hoiiore lui-merue, en sacliant honorer la memoire
du philosophe Helvetius. Dans le Soaper d'Au-
teuil, c'est a Moliere qu'il rend hommage : une
intrigue legere, niais interessante, anime la piece,
egayee souvent par les distractions du bon La
Fontaine, et par les saillies plaisantes de Lnlli.
Le ton de cet ouvrage et du precedent et le choix
heureux des sujets devraient eclairer quelques
auteurs niodernes, qui, n'ayant pas etudie les
convenances du tbeatre, y presentent des ecri-
vains mediocres comme des talens superieurs, on,
ce qui est pire encore, y travestissent , sans le
vouloir, des bommes superieurs en hommes
mediocres, et vont jusqu'a leur preter I'ignoble
esprit des calembours. Dans la comedie en cinq
acles intitulee le Tresor, M. Andrieux n'a point
degenere. Une scene de vente a paru surtout for-
tement comique: elle ne surpasse pas neanmoins
la premiere scene ecrite en vers excellens, et I'une
des plus belles expositions que puisse offrir notre
tbeatre. Les qualites distinctives du talent tie
M. Andrieux sont la bnesse et le badinage elegant.
Cbez les Grecs, Thalie elait a la foisMuse et Grace:
c'est un avis dcjnne aux poetes comiques; et per-
sonne ne I'a mieux entendu que M. Andrieux. II
CHAIM i !iE XI. ^ ^ 327
ne coiiit [3oiiil aj3res le.s details agreablcs, iiiais il
les trouve a volonte ; toujuurs plaisanl , jamais
bouffon ; toujours iiigenieux, jamais bel-esprit.
11 a compose des comedies qui ne sont pas con-
nues encore : on doit souiiaiter qu'il les donne
bientot, et qu'il en com|)Ose de nouveiles. II tant
des productions telles que les siennes pour main-
tenir au theatre la purete dc la langue et du gout.
Un digne ami des deux poetes qui viemient de
fixer notre attention, M. Picard, lesasuivis d'assez
])res dans la carriere. Yingt-cirjq comedies qu'i!
a iait re presenter avant I'age de quarante ans
prouvent son extreme facilite. Toutes ne sont pas
d'une egale force ; et I'liabitude de composer ra-
pidement pent menie avoir inline sur I'execution
du plus grand nombre. Beaucoup out reussi ce-
pendant ; et lenr succes n'est point usurpe ; car
elles presentent toujours des idees originales, des
peintures vraies , des ridicules bien saisis. A la
tete de ses comedies en vers nous croyons devoir
placer Mediocre et jritnpaiit , le Mari ambitieua.,
et surtout les Amis de College , piece moins im-
portante que les deux aulres, du moins quant
au fond du sujet, mais plus remarquable par le
merite d'une versification s(jignee. Ses meilleures
comedies en prose nous paraissent etre le Coiitrat
d' union, {3i Petite faille ei les Marionnelles , ou-
vrage Irivole en apparence, mais en elfet Ires-
SaS LITIEUATLKE FKAWCAISE.
philosopliique. 11 faut ajouter a cette liste, deja
considerable, deux pelites pieces fort jolies : les
Ricochets et M. Musard. Nous I'avons assez fait
entendre : eu general les vers de I'auteur sont
pen travailles. Dans sa prose menie, d'ailleurs si
naturelle et si rapide, on voudrait trouver moins
rarement de ces mots forts qui dessinent une
scene, ou qui peignent un caractere, et dont
Turcaret otfre le modele. On pourrait aussi lui
reprocher d'aimer trop a fane justice des ridicules
subalternes, et d'epargner les classes elevees,
chez qui pourtant les ridicules ne sont pas plus
rares que les vices. Ce n'etait pas la pratique de
Moliere : il est vrai que son genie n'etait resserre
par aucune entrave. An reste, la gaiete , I'inven-
tion , I'art d'observer, I'intention prononcee de
corriger les moeurs, et le talent difficile de bien
developper le but moral sans refroidir la comedie:
telles sont les qualites essentielles d'un auteur
comique; et M. Picard les reunit. Aujourd'liui
done qu'il voit sa reputation etablie et ses talens
recompenses, s'il parvient a moins produire en
travaillant davantage, on peut lui garantir, sans
rrop de hardiesse, des succes encore superieurs
a ceux qu'il a justement obtenus.
Nous serons courts en parlant de Dcmoustier;
car nous ne pouvons risquer son eloge. Il a donne
trois comedies en vers : Alceste a la cainpagne ^
CHAPITRE XI. 3'iq
I
le Conciliateur, et les Femmes. La premiere est
completement oubliee; et Ton n'a plus rieii a dire
sur cette faible suite du Misantlirope. Les deux
dernieres, grace au jeu des acteurs, sont encore
ecoutees au theatre, plutot avec indulgence
qu'avec plaisir. On estime I'exposition du Conci-
liateur; mais une fable obscure et mal tissue, de
fades madrigaux, de froides epigrammes, des
roles sans effets , des scenes inutiles , deparent le
reste de la piece. La comedie des Femmes a les
inemes defauts, et merite des reproches plus
graves. Quel est le sujet de cet ouvrage ? Uii
jeune homme entoure de cinq ou six femmes, qui
sont aux petils soins pour lui, qui viennent le
regarder dormir, et qui lui font tour a tour de
tendres declarations : son oncle, seducteur de
profession, survient, reconnait deux ou trois
femmes qu'il a trompees, et s'explique avec elles
en les persiflant. Est-ce bien dans la bonne
compagnie que Demoustier avait observe ces
moeurs singulieres? Quant au style, jamais il n'est
naturel, quoiqu'il soit toujours facile, et souvent
meme beaucoup trop. L'auteur a de I'esprit sans
doute, mais rarement celui qu'il faut avoir. 11 fail
sans cesse des portraits; mais il ne peint pas, il
enlumine : heureusement il est le dernier qui
ait voulu conserver au theatre un genre insipide
et faux que plusieurs beaux -esprits du dix-hui-
3;^o T.ITTER \1 LIRE FR ANCAISE.
tieiiie siecle avaieiit pris nial a [)ropos {xjui la
comedie.
Uii su'n't agreable et des scenes interessantes
out fail reussir la Beile Fermiere, ouvrage de
mademoiselle Candeille. Ce n'est pas sans succes
que Flins a donne sa Jeuiie Hdtesse ^ imitee de
Goldoni. Cependant , malgre quelques vers bieu
touriies, on sent que rautenr franrais n'a pas
toujours assez d'esprit poin^ le besoin qu'il a d'eii
niontrer. La petite piece atiroir qu'il avait donnec
an commencement de la revolution, sous le nom
«lu Revtil iV Epimenide , etait plus ingenieuse et
mieux ecrite. Clieron, mort prefet de la Yienne,
nous a laisse une comedie de caractere, mtilulee
le Tartuje de nioeurs. Quand elle fut representee,
d'aboi'd sous le titre plus modeste de V Homme a
seiitimetis , I'auteur negligea d'avertir que sa piece
etait une copie de VEcole de la inedisance ^ co-
medie celebre de M. Sheridan, et la meilleure
qui ait paru en Angleterre depuis Congreve et
Fielding. En donnant Pamela, M. Francois avait
cru devoir manifester les obligations qu'il avait
a Goldoni; cette fois pourtant la copie etait bien
superieirre a I'onginal. lei M. Sheridan est loin
d'etre egale par son copiste : la piece fraucaise
est en vers; mais la prose nerveuse et concise
de TauUMir- anglais vaut mieux que des vers trai-
Jians et vidcs. Cheron a supprime, il est vrai ,
CHAPiTFxE XL 3^i
qirelques hardiesses ; mais il attiedit les effets
comiqiies; il eiierve la vigueur des scenes; il
decolore les details; et tous les bons mots dispa-
raissent; car il n'y a plus de bons mots ou il n'y
a plus de precision. Cette imitation faible a pour-
tant reussi : en effet les situations restent ; el
iempreinte originale est si forte quelle perce
encore a travers les voiles dun style vague et
d'un dialogue insignifiant. Comment I'auteur, qui,
sous d'autres rapports, etait un homme de beau-
coup de merite, a-t-il rappele, dans le nouveau
titre de sa piece , le chef-d'oeuvre de tous les
theatres comiques : Tartufe ? Un Anglais n'avait
pas eu cette imprudence ; un Francais, au
lieu de provoquer le parallele, aurait dii le luir
avec une crainte respectueuse ; et I'ecrivain donl
nous parlous, done d'une raison tres-saine, etail
plus en etat que personne de sentir les dangers
d'une concurrence impossible a soutenir, meme
pour les talens i\u premier ordre.
On ne tloit pas oublier ici les <juvrages de
M. Duval. La petite piece des Heritiers et celle des
Projets de mariage ruinoncaient un auteur co-
mique. Sa maniere a paru perfectionnee dans la
Jeunesse de Charles II, improprement nommee
la Jeunesse de Henri V. Ce singulior snjet avail
deja tente lauteur ingcnieux du Tableau de Paris;
mais M. Mercier avait ecrit a langlaise, avec une
332 LITTERATURE FRANCAISE.
liberte qui excedait de beaucoup les boriies pres-
criles au theatre fraiicais. M. Duval a merite par
d'heuieux efforts le succes dont jouit sa piece.
En traitant de iiouveau le sujet, il lui a doniie de
la decence, mais sans lui oter du comique; sa
lable est conduite avec art; I'interet croit de scene
en scene; et, ce qui vaut encore mieux dans une
comedie, I'ouvracfe est gai (Tun bout a I'antre.
En iisant le Tyran domestique, il est permis d'y
blamer une versification penible; il est juste d'y
loner quelqnes developpemens du caractere prin-
cipal, et surtout la marclie de la piece. C'est la
que reussit toujours M. Duval. Estimable dans
plusienrs parties de i'art, il est habile dans uiiKt
partie iniportante : la combinaison dn plan.
Deux petites comedies de M. Roger, le Tableau
el \Avocut, sont dignes de louanges a un autre
egard : la seconde est encore une imitation de
Goldoni. Toutes deux sont faibles d'nitrigue ,
mais remarquables par un style correct et par
une versification facile.
L'auteur de la tragedie A'Agamemnon^ M. Le-
mercier, s'est essay e plusienrs fois dans le genre
de la comedie. L'idee de son Pinto est singuliere.
l^resenter sons le point de vne comique et dans
la partie secrete une de ces revolutions qm
cliangent les elats: telle est I'intention de l'auteur.
Peut-etre revenement choisi ne s'y pretail pas
CHAPITRE XI. :^33
beaucoup. Le Portugal delivre de ses oppresseurs
avec tant de courage et d'activite; line revoliitioii
durable et completement faite en quelques heii-
res; line seule victime, Vasconcellos; la multitude
agissante , et soudain le calme rendu a cette mul-
titude redevenue corps de nation : tout cela ne
semblait guere susceprible de ridicule. La du-
chesse de Bragance,qui parut si digne du trone
que son epoux lui dut en partie ; le brave Al-
meida, veritable chef de I'entreprise, et qui,
bien plus que Pinto, en determina le succes;
le cardinal de Richelieu la favorisant de loin , non
pour servir la nation portugaise, mais pour affai-
blir la monarchic espagnole; des noms, des ca-
racteres, des motifs, des resultats d'un tel ordre,
etaient dignes de la tragedie : aussi , dans I'ou-
vrage dont nous parlons , la scene on Pinto vient
rassurer les conjures saisisd'une terreur panique,et
oil il donne le signal de I'attaque, est de beaucoup
la meilleure, precisement parce quelle est tragi-
que : elle est tragique, parce qu'elle est essentielle
au sujet. En ces derniers temps, le meme ecrivain ,
dans sa comedie de Plaute , a imite quelques
scenes de Plaute lui-meme ; mais une conception
ingenieuse, et qui appartient a M. Lemercier,
c'est de representer le poete comique conduisant
une intrigue reelle, faisant agir des personnages,
et les peignant a mesure qu'ils agissent. L'esclave
334 LITTERATURE FRANCAISE.
(run meunier foiule la comedie latine! Le merite
fie cette peinture oiiginale n'a point echappe a
rattention des connaisseurs. Plus recemment en-
core, une action sin)ple , un interet doux, des
vers naturels, le talent d'une actrice charmante,
ont fait applaudir KAssemblee de Famille, come-
die en cinq actes de M. Riboute. II n'y a de force
ni dans Tintrigue, ni dans le comique, ni dans le
style; mais c'cst un premier ouvrage; et le brillant
succes qu'il a obtenu doit encourager Tauteur a
marcher hardiment dans une carriere ou ses pre-
miers pas ont ete si heureux.
Le ton faux et maniere qui defigura long-temps
la comedie a cesse d'etre en honneur durant
cette epoque. Tons les auteurs que nous avons
nommes, tons, excepte Demoustier, ont contri-
bue plus ou moins a ramener le gout egare loin
de sa route. Trois poetes, cependant, M. Andrieux,
Colin (THarleville et Fabre d'Eglantine, ont exerce
a cet egard une influence speciale. Nous nommons
ici M. Andrieux en premiere ligne; et cela est
juste : il a ecrit avant les deux autres, comme
nous I'avons deja remarque. Ses J^tourdis sont
meme anterieurs a I'annee memorable qui est
notre point de depart. Il est assez difficile de
concevoir comment et pourquoi Ton avait intro-
duit sur la scene comique tant de madrigaux en
dialogue, tant de recherche dans les pensees ,
I
CHAPITRE XI. 335
l.'Hit d'affectation dans les ternies. La comedie
peint la societe; il y a plus : dans les pieces infec-
tees de ce jargon que nous avons du blamer sans
reserve, on a voulu peindre la societe choisie; on
ne pouvait la representer sous des couleurs plus
infideles. C'est par le naturel des pensees et des
expressions que brille Fesprit veritable, surtout
quand il est cultive. Le ton de I'hotel de Rani-
bouillet, si en vogue a Paris et a la cour sous la
regence d'Anne d'Autriche, fut relegue dans les
provinces des que Moliere eut donne sa comedie
des Precieuses. Sous Louis XIV , et long-temps
apres lui, le bt)n er.prit de la societe fut perfec-
tionne sans cesse; et le bel- esprit, en paraissant
sur la scene , devait appartenir aux caricatures.
Les tentatives en sens contraire ne peuvent abu-
ser les spectateurs d'un gout delicat. Certains dis-
cours que Marivaux, Boissy , Dorat, et autres ,
font tenir aux personnages les plus iitteressans
de leurs pieces seraient dun effet tres-comique
dans la bouche dun marquis ridicule ou d'une
soubrette deguisee ; il est a presumer que ces
ecrivains trouveront desormais peu d'imitateurs.
Le changement qui s'est opere ne tient pas seu-
lement aux efforts de plusieurs talents reunis :
ce galimatias precieux qui seduisait jadis inie
partie du public ne serait aujourd'liui ni com-
pris, ni supporte; les moeurs sont devenues plus
336 T.mT:RATURE FRANCAISE.
fortes; et ce n'est point par I'exces d'ornemens
que Ic gout pourrait de nouveau se corrompre.
L'idee que nous indiquons sera developpee dans
les considerations generates qui termineront cet
ouvrage. En un mot, la comedie a regagne des
qualites qu'elle avail perdues : le naturel et la
gaiete ; il lui reste a regagner encore la profondeur
dans le choix des sujets et la hardiesse dans I'exe-
cution. L'essentiel est de peindre les mceurs : le
mieux possible est de les corriger, on , dans un sens
plus juste et pourtant plus etendu, de les refaire
par la verite des peintures et I'energie du ridicule.
C'est Tart supreme ; mais il est si difficile qu'a
peine a-t-il ete pratique depuis le maitre de la
scene comique.
a ^ Trois comedies en vers, recueillies en un vo-
«lume, viennent d'etre livrees au jugement des
« lecteurs, sans avoir ete representees a Paris, du
« moins sur un theatre public. M. Pieyre, qui les
« a composees, est connu depuis long-temps par le
« brillant succes de V^cole des Peres, comedie fort
« estimable, imitee de I'Homme prudent de Gol-
« doni : fait qui dans le temps ne fut remarque ni
I. Ces deux, deiniers paragraphes sont iniprimes pour la
premiere fois dans le Tableau de la Litterature Francaise ;
nous les avons places a I'endroit indique par I'auteur lui-meme.
( Note de Vediteur. )
CHAPITRE XL; " ?>?>j
a par les journalistes qui probablement I'igno-
« raient, ni par I'auteur beaiicoup trop lettre pour
« qu'il soit permis de lui adresser le meme repro-
c( che. Ici la piece qui a pour titre Orgueil et Va-
« nite est tiree du meme Goldoui. Cette fois
« M. Pieyre a soin d'en avertir ; mais il a crainl
« qu'elle ne fut plus de mode d'apres les change-
« mens operes dans nos moeurs : car il peint les
« pretentions de quelques bourgeois faufdes a
« prix d'argent dans la bonne compagnie d'une
« petite ville, et les grands airs meles de bassesse
« de quelques provinciales de qualite. C'est pous-
« ser trop loin la crainte : grace a M. Jourdain, qui
« reste en possession de la scene, nous n'avons
« pas oublie ce que Moliere appelle de la gentil-
« hommerie. Sans doute il est des ridicules qui
« n'ont rien d'amusant, meme an theatre ; mais
« c'est au poete a choisir : il n'a que I'embarras du
« choix. Sur trois liommes entetes du meme tra-
ce vers, Fun offense, I'autre ennuie , ini troisieme
« fait rire aux eclats : c'est celui-[a qu'il faut pren-
((dre; il produira son effet dans tons les temps;
« les autres n'appartiennent point a la scene co-
« mique. U Intrigue anglaise est dun genre fort
« serieux : elle offre des scenes energiques. On y
« desirerait , il est vrai , plus de couleur dans le
« style et moins d'embarras dans Taction, line
«jeune personne arrachee aux pieges d'un se-
OEuviTS postbumes. III. 2^
338 LITTER ATITRE FRANC AiSE.
« (lucteur par la coiuluite prudciite d'un pere
« aussi tendre qu'eclaire : tel est en substance le
« fond de cette piece, que M. Pieyre s'abstient
« encore de donner pour une imitation , mais qui
« n'en est pas moins puisee dans une comedie
« anglaise, traduite il y a plus de quarante ans par
« madame Riccoboni. La piece la plus importante
« du recueil est le Garcon de cinquante ans, co-
« medie que I'auleur avait deja publiee sous le titre
« de la Maison de I'oncle. C'est la peinture d'un
« vieux garcon place entre des neveux qui veulent
« etre ses heritiers, et une servante qui pretend
« devenir son epouse. Apres de vives altercations
« les neveux finissent par triompher. Un poete
(« vulgaire, Avisse, est le premier qui ait essaye ce
« sujet heureux. De nos jours, un poete habile
« a su le traiter. Quant a la comedie de M. Pieyre,
« elle n'est pas indigne de quelques eloges : la
« fable en est simple ; le style en est sage ; il y a
« meme des traits piquans. On dit quelquefois :
(c c'est bien; mais, en lisant le Vieux Celibatcdre,
(c on dit toujorns : c'est mieux. M. Pieyre n'aurait
« pas du braver une telle concurrence; et, malgre
« tons les egards que merite le talent dont il a fait
" preuve, nous ne saurions dissimuler qu'elle nuit
« beaucoup a son ouvrage.
« Ramenes naturellement a Colin d'Harleville,
« nous le retrouvons tout entier dans une come-
CHAPITRE XL SSg
" die posthume, intitiilee la Famille bretonne.
« Lorsqu'elle a ete representee pour la premiere
ccfois, ce chapitre etait depuis long-temps ter-
fc mine ; mais un article a part ne sera pas de trop
« pour elle. La vivacite bretonne , la tendre ami-
« tie, les querelles, les racommodemens des deux
« freres , Germain et Marcel, remplissent trois
«actes, files avec art. Les na'ives amours du fils
« de Germain et de sa jeune cousine font partie
« de i'action ; car le voisin Hilaire a une fille a
« marier. Le fils de Germain sera riche; et, selon
« que les freres sont bien ou mal ensemble , Fir-
(c min doit epouser tantot sa cousine, et tantot la
(c fille du voisin. Madame Germain est d'un ca-
« ractere aimable. Par la douceur et I'adresse, elle
« parvient souvent a reconcilier son beau-frere
« et son mari; mais nul n'y contribue aussi bien
« (\\\ Hilaire, et precisement par les efforts qu'il
« fait pour les brouiller sans cesse. Ce sont la
« des idees ingenieuses , de veritables ressorts
« comiques. La diction d'ailleurs est correcte , la
« versification facile , le dialogue rapide. Le pre-
« mier acte est excellent d'un bout a I'autre. Le
« second se soutient par les details, et mieux en-
'c core par deux scenes originales.
« Le troisieme languit d'abord ; mais bientot il
« se releve ; et le denoument ne saurait etre plus
« heureux. Cette jolie piece, Tune des meilleures
22.
34o LITTERATURE FRANCAISE.
« comedies de (^olin , par consecjuent de toute Te-
« poqiie , est precedee d'un prologue non moins
«joli, compose par M. Aiidrieux. Les deux poe-
« tes, les deux amis sont en scene : on croit les
« entendre, et distinguer meme les styles qui se
« melent sans se confondre. Ce prologue a ete
« vivement applaudi. La piece a joui d'un succes
«brillant, et que personne n'a conteste; car on
« aime a rendre justice aux talens qui n'existent
« plus, w ,
if<^^M
fc.%-* 'W'*.-V-«.'«.«,'%,-V%.
CHAPITRE XII.
Le Drnme, les deux Scenes Lyriques,
Coup - d'oeil sur les mojens de soutenir Vart
dramatique.
Malgre quelques scenes atteiulrissantes re-
pandiies de loin en loin dans les comedies que
Terence a imitees de Menandre et d'A.pollodore,
on pent affirmer que les anciens, scveres sur les
limites des genres, ignorerent toujours ce que
parmi nous on est convenu d'appeler drame. On
en peut dire autant des Italiens, qui refirent tous
les arts chez les modernes. Les Espagnols, les An-
glais, Lopes de Vega, Shakespeare, melerent les
deux genres dramatiques dans chacun des deux.
Des Espagnols nous vint la tragi-comedie, dont
Taction n'etait pas toujours heroique : temoin le
Clitandre de Corneille. Depuis le Cid et le Men-
tear, les limites de la tragedie et de la comedie
furent respectees durant plus d'un siecle; enfin
la satiete des chefs-d'oeuvre fit chercher de nou-
velles formes ; et les deux genres furent meles
encore , attend u qu'il est plus facile de tout con-
fondre que d'inventer. La Chaussee, talent esti-
342 LITTERATURE FRANCAISE.
mable, mais qui manquait tout a la fois d'eleva-
tion et de gaiete, fit des comedies larmoyantes ,
que I'abbe Desfontaines voulait appeler Romane-
dies : la commence le drame. C'est un drame que
le Sidney de Gresset , ouvrage plus fort de style ,
mais plus faible de conception que les pieces de
La Chaussee. Nanine et V Enfant prodigue tiennent
de pres a cette famille ; V Ecossaise en fait partie :
c'est la le chef-d'oeuvre du genre. Le Pere de fa-
mille de Diderot n'est guere moins digne d'eloges.
II y a beaucoup d'effet dans le Philosophe sans le
savoir, de Sedaine. Le merite si rare d'une ver-
sification toujours elegante place a un rang eleve
la Melanie de la Harpe, la mieux concue, la
mieux executee, la meilleure a tons egards des
productions de cet ecrivain.
En donnant, au commencement de i'epoquc
actuelle, le drame intitule la Mere coupable , on
X Autje Tartiife , Baumarchais commit, avant Che-
ron , la faute que nous venous de remarquer
dans le chapitre precedent , ct dont le premier
cxemple fut donne par Dorat, a la tete d'une
piece aujourd'hui inconnue, les Proneurs ou ie
Tartufe liltej^aire. Lorque Beaumarchais fit repre-
senter \ Autre Tartufe, on sentit rinconvenance
<le ce litre ambiticux; et le nom de la Merc cou-
pable a prevalu. Quant a I'ouvrage, il est d'un
grand effet : les caracteres y sonl (brlenienl des-
CHAPITRE XII. 343
sines, Taction rapide , I'interet puissant. Cette
piece energique et iieuve , ou tout appartient a
I'auteur, vaut bien mieux que son Eugenie; et
Ton y voit partout les traces de ce talent original
qu'il avait diversement deploye, soit dans son
Barhier de Seville et dans plusieurs parties de son
Figaro, soit dans les eloquens memoires qui fon-
derent sa celebrite. Get ecrivain remarquable est
plein de mauvais gout sans doute, mais il est en
meme temps plein d'esprit, de verve et d'imagi-
nation. II avait jete sur la societe des regards
etendus et profonds. Une vie orageuse avait mis
son caractere a I'epreuve ; et, malgre ses nom-
breux ennemis , il doit laisser \\\\ honorable sou-
venir fonde sur des ouvrages tres -distingues,
comrae aussi sur le noble usage qu'il fit de sa
fortune, en elevant avec tant de frais un monu-
ment immortel a la gloire de Voltaire, et par
consequent a la gloire nationale.
Apres la Mere coupable, quelques autres drames
out obtenu des succes plus ou moins brillans. Le
public a ete fortement emu aux representations
des Victimes cloitrees , ouvrage de M. Monvel,
auteur de I'interessante comediede VAmant bour-
ru, d'une foule de productions agreables, et I'un
des plus grands acteursqui aient brille sur la scene
francaise. C'est encore M. Monvel qui a compose
avec M. Duval un drame intitule la Jeunesse du
3/i4 LITTERATURE IRANCAISE.
(lac de Richelieu, ouvrage dont le sujet patheti-
que est puise dans les Mcmoires de ce courtisan,
})Ius fameux qu'illustre. M. Bouilly a cru pouvoir
consacrer au theatre un trait de bienfaisance , ou
peut-etre line erreur de I'abbe de I'Epee. L'eve-
nement celebre par Tauteur a cause deux proces,
Le premier jugement a ete casse par un jugement
contraire : quant a la piece, elle a ete vivement
applaudie; car elle est touchante, et cela suffit
au tribunal des spectateurs. C'est a des tribunaux
plus graves qu'appartiennent les discussions juri-
diques.
Le theatre ailemand, non moins irregulier que
le theatre anglais, est beaucoup moins riche en
beautes energiques et profondes : il en offre nean-
moins plusieurs dans les pieces de M. Goethe,
de Lessing, de Klopstok. Deja nous avions en fran-
<^ais douze volumes de pieces allemandes. Les par-
tisans de ces singuliers ouvrages ont fait depuis
vingt ans de nouvelles tentatives pour en inspirer
le gout au public de France. On a traduit Schiller
entier; mais on ne s'est point borne a ce tra-
vail utile ; on a transporte sur notre scene son
drame extravagant des Voleurs: il a reussi meme;
et un tel succes n'a pu que nuire a I'art drama-
tique. Lesdramesde M. Kotzebue, bien inferieurs
encore a Schiller, n'ont pas ete dedaignes. Qui
ne connait la vogue assez longue de Misantropie
CHAPITRE XII. 345
€t Repentir! \\ faut le dire cepenclant; ces pieces
viilgaires , oil la familiarite basse est prise pour la
naivete, ime morale rebattue et fastidieiise pour
la philosopbie, le bavardage sentimental pour I'e-
loquence passionnee, rappelient et ne surpassent
point les melodrames qui figurent convenable-
raent sur nos theatres subalternes. Qu'il nous soit
done permis de donner peu d'importance a ces
productions germaniques, et de passer a deux
ouvrages originaux , plus dignes de nous arreter ,
quoiqu'ils ne semblent pas destines a la repre-
sentation.
M. de Lacretelle a public , dans le recueii de
ses oeuvres, un drame intitule le Fils naturel. La
piece que Diderot avait composee sous le meme
titre est loin d'egaler le Pere de /ami lie. Le su-
jet semble avoir ete mieux concu par M. de La-
cretelle. La noble energie de plusieurs caracteres
et la force des situations produisent des scenes
eloquentes ; peut-etre meme cet ouvrage ne serait-
il pas d'un effet vulgaire an theatre, si I'auteur
le resserrait de moitie, et pouvait lassujettir aux
formes reeulieres de la scene francaise. M. Ber-
nardin de Saint-Pierre vient de faire imprimer un
drame, dont le sujet est la Mort de Socrate. Les
derniers momens d'un sage opprime n'ont rien
qui soit fort theatral ; mais c'est un admirable
sujet d'etude. Les traditions des eleves de Socrate
MiG IJTTERATURE FRANCAISE.
et de I'ecole acaclemiqiie sont liabilement fondues
dans quatorze scenes. L'imagination brillante et
le rare talent de Tauteur embellissent tout I'ou-
vrage. C'est dans ce gout et de ce style que Platon
lui-meme aurail; pu Tecrire , s'il avait ecrit en
francais.
Quinault, vrai t'ondateur de la scene lyrique,
y transporta le merveilleux de la mythologie an-
cienne et de la feerie moderne. II merita, par un
style plein de grace et de correction, I'honneur
d'etre nomme a la suite des grands poetes de son
siecle. \pres lui, Fontenelle, Lamotte,Labruyere,
et surtout Bernard, cultiverent avec succes le
genre que I'auteur d'Armide avait porte a sa per-
fection. Quelques operas representes durant notre
epoque peuvent encore obtenir des places parmi
les productions litleraires. Celui de tous qui nous
parait le plus digne d'eloges, soit pour la com-
position , soit pour le style, est YJdrien de M. Hoff-
man, puisque les tragedies lyriques de M. Guillard
sont d'une epoque anterieure. Le Trajan Aq M. Es-
menard offre assez souvent des vers bien tournes,
plusieurs nieme qui en rappellent d'autres mieux
tournes encore ; mais Taction ne marche point;
et rinteret se fait clierchcr dans cet opera, beau
pour les yeux. On ne pent adresser le meme re-
proche a la Vestale de M. Jouy. Cette piece, ecrite
avec purete, composee avec art, sou ten ue d'ail-
CHAPITRE Xll. 3/|7
leurs par un siijet heureusement choisi, presente
au second acte et partout un interet vif et des
situations vraiment dramatiques. Sapho , repre-
sentee sur un autre theatre , appartient toutefois
au meme genre , et ne saurait etre oubliee. On
doit cet ouvrage a madame Constance de Salin.
Une fenime qui cultive avec succes la poesie fran-
caise avait le droit de chanter une femme dont
les fragmens lyriques sont comptes entre les
beaux monumens de la poesie grecque.
Sous la regence du due d'Orleans , lorsque la
gaiete francaise eclatait dans les ecrits et meme
dans les actions, le Vaudeville, si ancien parmi
nous, prenant des formes dramatiques, s'etablit
modestement au preau de la foire. Le theatre oii
il parvinl a se maintenir, non sans beaucoup de
difficultes, fut appele FOpera-comique. Lesage
et Piron ne dedaignerent pas de contribuer a ses
succes. Panard suivit ces hommes celebres ; Fa-
vard et ensuite M. Laujon vinrent plus tard.
Quand I'Opera-comique , reuni a la Comedie Ita-
lienne , fut mis au rang des grands theatres , tons
deux I'ornerent encore: Tun par quelques jolies
pieces lirees des Contes Moraux de Marmontel
ou des Contes charmans de Voltaire, I'autre par
\ Amouieux de quiiize aus ^ interessant ouvr.ige
dont nous avons deja saisi I'occasion de faire I'e-
ioge. Marmontel enrichit cette scene lyricjue de
348 LITTERATURE FRANC AISE.
petites comedies agreablement versifiees. Sedaine,
qui ne savait pas ecrire , mais qui savait peindre,
y presenta des tableaux varies et nombreux. D'Hele
s'y fit remarquer par I'art de nouer et de denouer
une intrigue comique. Dans les Trois Fermiers et
dans Blaise et Babet , M. Monvel peignit avec une
ingenieuse naivete les mcieurs et les passions vil-
lageoises. Nina et Camille, de M. Marsollier, diirent
leurs succes a des situations pathetiques. Le ton
de la comedie noble distingua Euphrosine et Stra-
tonice de M. Hoffman, ouvrages concus, ecrits
avec sagesse, et dignes d'etre embellis par la su-
perbe musiquc de M. Meliul. Durant notre epo-
que , les trois derniers ecrivains que nous venons
de nommer out merite de nouveaux applaudis-
semens par des productions nouvelles ; et M.
Duval, auteur du Prisonnier ^ s'est place pres
d'eux. Pendant long-temps le vaudeville ne repa-
rut plus sur cette scene, qui lui doit son origine.
II y a vingt-cinq ans, M. Piis et M. Rarre ly re-
tablirent avec assez d'eclat. La Veillee villageoise,
les Feiidan gears ^ les Jmoars cTete, offrent des
tableaux pleins de verite et d'agrement. Toutefois
le Vaudeville a cede I'opera-comique aux come-
dies melees d'ariettes. II est aujourd'hui en pos-
session de plnsieuis tlieatres d'un ordre inferieur,
et dont le repertoire n'entre pas dans le cadre
oil nous sommes contraints de nous renfermer.
CHAPITRE XII. 349
C'est avec plaisir que nous avons rendu justice
a des auteurs estimables. Nous apprecions des
Guvrages qui ont exige beaucoup d'esprit ou beau-
coup de sensibilite ; mais I'interet de I'art nous
ordonne en meme temps de rappeler une opi-
nion de Voltaire , dont I'autorite ne saurait etre
invoquee trop souvent en matiere de gout. Ce
conservateur des saines theories , ce modele suc-
cesseur des modeles, craignit pour le theatre na-
tional le succes naissant des comedies melees d'a-
riettes. II sentitque I'habitude d ecouter, d accueil-
hr, de composer des pieces sans developpemens,
nuirait aux productions pkis se^eres, ou doit se
trouver une etude approfondie de Tart dramati-
que. II previt que le nouveau genre serait bien-
tot maitre des theatres de province , pepiniere des
theatres de Paris ; que les chanteurs se multiphe-
raient, mais que les acteurs deviendraient rares;
et que I'espoir d'un succes facile enleverait a la
declamation des talens qui auraientsoutenu I'eclat
de la scene fran^aise. Comme un tel objet lui
semblait interessant pour notre gloire litteraire,
d en parle dans plusieurs ouvrages, il y revient
dans une foule de lettres ; et, depuis la mort de
ce grand poete , une experience de trente ans
n'a que trop veritie ses conjectures.
Encourages par son exemple , nous termine-
rons la partie relative aux ouvrages dramatiques
35o LITTERA.TIIRE FRANCAISE.
|)ar (les observations, qui ne sont pas sans impor-
tance. Le goiivernement a supprime clans Paris
quelques treteaux qui corrompaient a la fois les
moeurs (>t le gout. On a senti generalement la sa-
gesse de cette raesure indispensable. Le Theatre
Francais maintenant reclame une attention eclai-
ree. Les chefs-d'oeuvre de la scene existent; mais
les moyens d'execution ne suffisent plus. Un grand
acteur reste a la tragedie. Dans les deux genres ,
dans la comedie surtout, le public applaudit en-
core a quelques talens precieux, mais qui sont
deja clair-semes. Plusieurs vieillissent; quelques-
uns songent a la retraite ; et Ton entrevoit peu
d'esperances prochaines , apres des pertes si nom-
breuses et si faiblement reparees. 11 semble done
necessaire que I'ecole de declamation soit dans
une activite plus sensible. Ce n'est rien encore :
il est surtout essentiel que le gout de la tragedie
et de la comedie soit ranime par des moyens ef-
ficaces sur les differens theatres de France. Une
vogue momentanee, des applaudisseraens de com-
mande, des reputations de journaux, ne suf-
fisent pas pour donner du talent a des acteurs,
a des actrices, qui n'en sauraient meme acquerir;
mais c'est assez pour les faire recevoir. Des places
ne sont plus vacantes, et pourtant ne sont pas
remplies. Autrefois dix grands taleus paraissaient
ensemble sur la scene franeaise. Ou s'etaient-ils
CHAPITRE XII. 35i
formes? sur les theatres de province. Ces thea-
tres etaient de veritables ecoles; car on n'y cul-
tivait que les genres importans ; et ces ecoles nom-
breuses mainlenaient dans Paris la declamation
theatrale a ce haut degre de perfection qu'elle
avait atteint. Pour y remonter , il faut reprendre
la meme route. Nous avons donne quelque eten-
due a cet article ; mais les lecteurs eclaires ne
regarderont pas comme etranger a la litterature
un objet lie si intimement a I'art dramatique.
Quant a cet art considere en lui-meme, veut-
on qu'il se soutienne? Veut-on meme qu'il fasse
des progres? II faut lui donner beaucoup de lati-
tude. Ecrire en ayant peur de soi, reculer devant
sa pensee, chercher, non ce qu'il y a de mieux ,
mais ce qu'il y a de plus sur a dire; travailler
pour exprimer faiblement ce qu'on a senti avec
force; apres tout cela, redouter encore et les
obstacles certains et les delations probables, au
moins de la part de ces ecrivains subalternes qui
nuiraient gratuitement, quand ils ne nuiraient
pas pour vivre: c'est un tourment qu'il est impos-
sible de supporter long-temps ; et le silence absolu
vaut mieux. Dans un tel etat de choses , les talens
se tairaient; il y aurait toujours beauconp d'ou-
vrages , mais des ouvrages d'ecoliers ; le theatre
serait sans eclat; et ce n'est point a la vraie litte-
ratnre qu'il faudrait imputer cette decadence. Le
352 LITTERATURE FRANCAISE.
cercle des idees no sera jamais, ni trop etroit
pour la mediocrite, ni trop etendu pour le ge-
nie. Des esprits timides, abusant d'un peu d'in-
flaence, interdiront-ils a la tragedie les grands
interets et les passions politiques ? a la comedie ,
le droit d'apercevoir et de peindre les travers
de la ville et de la cour? Des elegies dialoguees,
des farces insignifiantes : voila ce qui restera pour
les deux genres. Est-ce bien la ce qu'il faut aux
Francais du dix-neuvieme siecle ? De tels specta-
cles seront-ils dignes de la gloire nationale , dont
le gouvernement est le depositaire et le soutien?
Si notre theatre , sous Louis XIV , n'avait pas
joui dune liberte qui lui est necessaire, nous au-
rions Campistron et Dancourt, mais non pas Cor-
neille et Moliere. Telles sont les reflexions que
nous croyons devoir enoncer avec une respec-
tueuse confiance. 11 n'est pas de genre d'ecrire
auquel on ne puisse les appliquer ; mais elles in-
teressent plus directement le theatre, partie emi-
nente de notre litterature, qui a perfectionne tant
d'autres parties, et qui, plus que tout le reste,a
rendu noire langue classique chez les diverses na-
tions de I'Europe.
MELANGES
LITTERAIRES.
OEuvres posthnincs. ITT.
a3
l.V^^'* ^.-m.'^.v*. -*.».-». -wv-%.-* *.-«.«,
LECON'
SUR
LES POETES FRAN CMS,
DEPUrS LE REGNE DP. PHILIPPE DE VALOIS JUSQu'a LA FIN
DU KEGNE DE LOUIS XII.
IMous nous somiTies arretes sur les premiers
essais de la poesie fraiicaise.En fait de litterature,
comme en fait d'histoire, les origines authentic] lies
ont droit a une attention particuliere. Nous allons
aujourd'hui tracer rapidement la marclie de cette
meme poesie depuis le temps ou nous sommes
arrives jusqu'a la fin du regne de Louis XII. Les
enfans de Philippe -le- Bel ne firent que paraitre
successivement sur le trone : i!s ne sauraient four-
nir une epoque; mais, sous le regne de Philippe-
de-Valois, deux poetes raeritent de n'etre pas ou-
I. Cette lecon et la suivante sont ties fragniens d'un cours de littera-
ture que I'auteur avait entrepris de faire a I'Athenee. C'est a re^jret que
nous demembrons ici ce grand travail litteraire , auquel Chenier pro-
inettait une brlUante destinee ; mais, la loi du i'"'" germinal an i3, nous
obligeant de publier separement les oeuvres anciennes et les oeuvres
posthumes d'un ineme auteur, nous renvoyons pour les autres lecons
de ce cours de litterature, imprimees du vivant de Chenier, au 4'' vol.
des oeuvres anciennes, pre.sente edition. (A^nte de I'Editeiir.)
23.
356 MKI.\N(;ES
blies clans ce tableau general de iiotre litteratiirc
Ces deux poetes soiit Guillaume de Degnilleville
et Jean Diipin : Tun et Taiitre etaient religieux de
Tordre de Citeaux. Le premier nous a laisse trois
souges en vers : ils sont fort conuus sous le nom
des trois Pelerinages. L'auteur nous apprend que
son admiration pour le roman de la Rose est ce
qui lui inspira le desir d'ecrire lui-meme. II imita,
en elfet, les formes de style et de composition de
cet ouvrage celebre. L'influence du roman de la
Rose se prolongea durant deux siecles. Nous la
retrouverons encore dans les premiers ecrits de
Clement Marot ; raais, ce poete excepte, Guil-
laume deLorris et Jean dcMeung resterent supe-
rieurs aux ecrivains qui les prirent pour modeles,
et nolamment a l'auteur des trois Pelerinages.
Toutefois, ces poemes jouirent d'un succes consi-
derable ; et les deux premiers sont digues de
quelque analyse, an moins par leur singularite.
Dans le Pelerinage de la vie humaine, rauleiu"
decouvrc en soiige la Jerusalem celeste ; elle est
gardee par les anges. II voit a la principale porte
un clierubin arme dun glaive flamboyant, selon
la coutume des cherubins. II apercoit Grace de
Dieu, qui vient a lui : elle lui apprend beaucoup
de choses utiles sur la creation de Ihomme, sur
ie peclie originel, sur les deux alliances succes-
sives, et meme sur la concu[)iscence ; elle lui
LITTERAIRES. 357
donne ensuite les sacremens du bapteme et de la
coiifirniatioii. Mais, taiidis qu'elle vent bieii rin-
struire, Nature, qui survieiit on ne sait com-
ment, ose interrompre le sermon, et fait des ar-
gumens philosophiques. Gnice de Dieu se faclie
en qualite de theologienne ; et Nature s'en va
pour ne plus revenir. Grace de Dieu, maitresse
du champ de bataille, explique a I'auteur le sa-
crement de Teucharistie ; et, pour lui prouver
combien les philosophes out pen d'esprit, elle lui
conte qu'Aristote n'y put rien comprendre, et
qu'il fut vaincu par Sapience dans nn entretien
qu'il eut avec elle. Le songeur, enchante de cette
anecdote, demande le pain de I'eucliaristie : il Fob-
tient, et re(;oit de plus I'echarpe avec le bomdon.
T/ecliarpe a donze clochettes : ce qui vent dire les
douze apotres, et encore les douze articles du
Symbole. Grace de DieuXni donne en merae temps
un casque, un bouclier, une cuirasse, toute Tarniure
d'lin chevalier; rnais il ne vent garder que le cos-
tume de pelerin. Sa protectrice le force au moins
d'accepter des raretes qu'elle reservait ponr une
bomie occasion , a savoir la honde de David et les
cinq pierres qui casserent la tete du geant Goliath.
Le pelerin s'avise de faire quelques objections sur
la nature de Tame; et Grace de Dieu, par une ex-
treme com[)laisance, le depouille nn moment de
son corps : ce qui lui fail concevoir a nicrveillc la
:i58 MELAISGES
difference notable qui existe entre les deux sub-
stances. Apres avoir combattu plusicur? passions
tour a tour arnices centre lui, il tombe entre les
mains de Tribulation; raais il s'en tire en recitant
une oraison a la sainte Vierge. Pour echapper a
de nouveaux ennemis, il se jette dans la mer; au
lieu de s'y noyer, comme on pourrait le croire,
il y rencontre Fortune , qui veut le seduire. II est
force de combattre encore des monstres ennemis
de son salut, comnie, par exemple, Ahattement
mondain , Idolcitrie , Jstrologie et Geomancie : il
se sauv^e dans un monastere, oil il reste trente-
neuf ans. Au bout de ce noviciat, Eiivie, Tra-
hison, Scjlla et ses chiens , trouvent moyen d'en-
trer dans le convent; ils se saisissent du pelerin,
qu'ils battent a outrance. Tandis qii'il pause ses
blessurcs, Ovide vient le consoler, en lui recitant
beaucoup de vers latins. Le pelerin qu'Ovide au-
rait dii mieux inspirer fait un acrostiche snr son
propre nom. Bientot il rencontre la Mort, qui le
frappe de sa faux; et, des qu'il est mort, 11 se
reveille.
Qui croirait qu'apres taut d'extravagaiices I'au-
leur i)uisse en trouver de nouvelles pour remplir
son second poeme ? le Pelerinage de Vdme sepa-
ree du corps. Dans ce nouveau songe, le bon et
le mauvais ange du pelerin se disputent son ame :
Tame, ayant |)cii (reloquence, demande des avo-
LITTERAIRES. '^5c)
cats, entre autres saint Benoit, saint Bernard et
saint Guillaume, le patron dii pelerin. Le proces
s'instruit dans les formes ; et Fame est envoyee en
pnrgatoire. Son bon ange I'y conduit, et iui ra-
conte I'histoire de quelques ames qui se presen-
tent au passage; ensuite ii Iui fait faire un tour
en enfer, et Iui explique tout le spectacle. Au
sortir de I'enfer, il Iui montre en passant le pa-
radis; c'est par la qne finil le songe. La concep-
tion du poeme rappelle un peu la divine comedie
da Dante; niais certes les details et le style n'ont
rien de commun avec la maniere du poete italien,
I'un des hommes qui ont porte le plus loin I'art
difficile de peindre avec les mots. N'oublions pas
Tidee la plus etrange de Guillaume de Deguille-
ville : en voyageant du purgatoire en enfer, Tame
apercoit le corps qui I'enveloppait autrefois ; ce
corps chemine sur la terre sans s'apercevoir qu'il
va tout seul. I^'ame, fachee d'etre exilee en pur-
gatoire , reproclie durement au corps toutes les
sottises qu'il a faites ; mais le corps Iui repond :
c'est la faute , tu n'avais qu'a me mieux conduire.
Comme il n'y a pas de replique, I'ame et le corps
ne poussent pas plus loin le dialogue ; et cliacun
s'en va de son cote. Le troisieme songe, intitule
Le Pelerinage de Jesus-Christ y n'est que la vie de
Jesus, mise en rimes d'apres les quatre evange-
lisles. On n'y pent rien remarqner, si ce n'est pent-
36o MELANGES
etre une discussion entre Marie et Joseph , ou cet
excellent epoux lui cite rautorite de saint Ma-
thiou. Dureste, les Irois poemes sont remplis de
discussions theologiques. Depuis le milieu du trei-
zierne siecle, la scolastique regnait plus ou moins
dans tons les ouvrages considerables; et le Dante,
malgre son genie, n'evita point ce defaut, qu'il a
bien rachete par de nombreuses beautes de style
et par des episodes admirables.
Jean J3upin vaut un pen mieux que son con-
frere ; il est surtout plus raisonnable. Fauchet le
place mal a propos dans le treizieme siecle ; il
naquit au commencement du quatorzieme , et
mourut a la fin du regne de Charles V. Il ecrivit
sous Philippe -de -Valois un ouvrage de quelque
etendue : le Champ vertueux de bonne vie. La
premiere partie est en prose, la seconde en vers
de huit syllabes. Dans toutes les deux , I'auteur
passe en revue les diverses conditions humaines ,
et s'exprime avec beauconp de liberte ; il n'epargne
point les moines, pas meme ceux de I'ordre au-
quel il apparlient. Tl reproche aux eveques, aux
archeveques, aux cardinaux, I'avarice, la simonie
et beaucoup d'autres vices plus graves encore
iiiais que la discretion nous defend de caracte-
riser. D'apres les vers suivans , il ne parait point
assez convaineu de I'infaillibilite du pape, que
cependant il deifie :
LITTER AIRES. 36i
Le pape doit souvent pensci ^
Pour nous en vertus avancer:
II est dieu souverain en terre !
De prier ne se doit lasser,
Tout pretre en saintete passer :
S'autrement fait, je dis qu'il erre.
II peint les juges ecclesiastiques sons cles coii-
leurs bien rembrunies. On est fache de voir les
clercs maltraites , nous ne dirons pas trahis , par
un de leurs proches :
Avarice leur est a destre;
Robes ont d'envie herminees ;
Housses d'hypocrisie fouiTees;
Chapeau de paresse en la teste ;
Leurs maisons sont d'ire parees,
U'orgueil et de gueule fondees ;
De luxure font leur digeste.
II est facile d'observer que I'auteur n'oublie
aucun des sept peches capitaux ; il y ajoute I'hy-
pocrisie, qui n'est point comptee dans ce nombre ,
apparemment parce qu'elle les suppose tons. Nous
citerons encore quelques vers relatifs au proces
des Templiers:
Ou par droit ou par volontes
Furent Templiers condamnes ;
Pape Clement leur fit tel honte :
Puis fut le temple transporte
A I'ospital , noil pas donne;
Ce papo en cur d'argent grand monte.
3Gi MELANGES
Qiioiqiie mauvais, ces vers sont tres-remarqua-
bles. C'est vingt ans apres la mort de Clement V
et de Pliilippe-le-Bel qu'un religieux s'expriine
avec cette franchise. II s'ensuit que les doutes sur
I'equite du jugement rendu contre les Templiers
ne sont pas tout-a-fait aussi modernes que Tout
suppose certaines gens dont la mauvaise foi ne
surpasse point I'ignorance; il s'ensuit de plus qu'a
cette epoque meme Fopiniou n'etait ni esclave ni
trompee; on ne prenait point en France la perse-
cution pour la justice , et les coups d'autorite pour
des preuves.
Nous trouvons sous le roi Jean le poeme des
troi's Maries, compose par Jean de Venette , reli-
gieux carme, et Tun des continuateurs de I'histo-
rien Guillaume de Nangis : ce poeme est piquant
par son ridicule; aussi Lacurne a-t-il bien voulu
lui accorder une ample notice inseree dans les
Memoires de V Acadeniie des Belles -Lettres. Ce
carme pent etre soupconne, sans temerite, d'un
grand penchant a I'ivrognerie : le miracle desnoces
de Cana est celui qui le frappe davantage; 11 le
decrit avec complaisance, s'attendrit en le racon-
lant, regrette de n'avoir pas ete de la noce, et ter-
mine le recit par des souhaits plus digoes d'un
pretre de Bacchus que d'un disciple du prophete
Eli(^ Dans uu autre endroit, mele de francais et
de l;itin, I'auteur declare qu'il n'aime que la fin
LITTERAIRES. 363
de la messe: ce qui est bieii mal pour un honime
de la profession; et, ce qui est pire, la raison
qu'il en donne est encore une raison bachique:
Moult aise suis quant audio
Le pretre dire in principio ;
Car la messe alors est finee ,
Et le pretre a fait sa journee :
Qui veut boire s'y peut aller.
En ce poeme d'une interminable longueur, Jean
de Venette raconte les aventures de la Vierije, de
Marie Cleofe et de Marie Salome; il est an fait des
plus secrets details ; il sait tout ce qui se passait
dans la maison. La chambriere de la Vierge s'ap-
pelait Sarrete ; son apothicaire se nommait Gau-
tier. La naissance de Jesus etoima ffrandement
Joseph, au rapport de Jean de Venette. Nous n'a-
vons pas la force de rapporter ici les reproches
injustes que Joseph adresse a la Vierge, sa femme ,
en cette occasion delicate; mais Lacurne, il y a
plus d'un demi-siecle, les a copies sans scrupule:
ce que nous faisons observer pour bien marquer
la difference des epoques, non pour blamer un
ecrivain dont la vie entiere fut consacree a des
travaux utiles, et qui ne separait point la decence
de la liberte : deux choses dont Talliance etait ne-
cessaire dans un temps oii Ton ne bornait point
la litterature a quelques formules de jonglerie et
de servitude.
364 MELANGES
» «.'X/^^''«-^«.'«'^«-'%>^'«--% W-^^,'^«.'«.'^«^»-^«.'«.'^ v*-*-
LECON
SUR
LES HISTORIENS
FRANCAIS,
HEP111S I.E.S COMMENCF.MENS UK I. V MONAKCUl i. lUSyUAU
REGNK DK LOLIS XII.
1 [. lie faut pas croire que les chroniqaes de
saint Denis fusseiit ecrites dans notre lanejiie des
le temps de I'abbc Suger, comme Tout avaiice mal
a propos les auteurs des melanges d'nne grande
bibliolheque. Le travail qui fut alors execute con-
sistait a completer la collection des chroniques
latines, en suivant les annales d'Aymoin, pour la
premiere race jusqu'a la seizieme annee du regne
de Clevis II; ensuite le livre ties gestes de Dago-
bert^ celui qui a pour litre Les gestes des rois de
France, et le troisieme continuateur de Frede-
gaire; pour la seconde race, les annales dEgiiL-
liard et la f^ie de Charlemagne par ce raeme
liistorien; la Chronique fabuleuse de I'archeveque
Turpin, pour tout ce qui coiicerne Texpedition
tl'lLspagiie; la f-^ie de Louis-le- Debon naive ^ com
LITTERATRES. 365
posee par rastronome on pliitot I'astrologue at-
tache a son service ; et , pour tons les temps qui
suivent jusqu'au regne de Louis VI, divers au-
teurs inconnus , dont les ouvrages rassembles out
forme le cinquieme livre d'Aymoin. La Vie de
Louis VI, par I'abbe Suger, les Gestes de Louis FIl,
que Ton croit du meme auteur, furent ensuite
adoptes dans les clironiqiies; on y ajouta , pour
la fin de ce regne, I'ouvrage anonyme qui porte
le nom diHistoire de Louis VII. Rigord fit une
grande partie de la vie de Philippe-Auguste : elle
fat achevee par Guillaume-le-Rreton, qui peut-
etre aussi composa la Vie de Louis VIII. Ce fut seu-
lement a la cinquieme annee du regne de Phi-
lippe-le-Hardi, comme I'a judicieusement observe
Lacurne, que les Chroniques de saint Denis com-
mencerent a etre ecrites en langue francaise. Alors
la Chronique de Fagord et toutes les anciennes
chroniques furent traduites en francais ; c'est a
Guillaume-de-Nangis que Lacurne attribue cette
traduction. Le meme Guillaimne-de-Nangis tra-
duisit en francais sa Chronique latine sur les
regnes de Louis IX et dePhilippe-le-Hardi. Depuis
ce temps, la langue francaise fut seule en usage
dans la redaction des Chroniques de saint Denis;
mais el les continuerent a n'etre le plus souvent
que des traductions; par exemple, XHistoire latine
de Charles VI, morceau tres-distingue, dont I'au-
?,C£ MELANGES
tciir n'est coiiuu que sous le noin du moiue de
Saint-Denis, se trouve en francais dans les chro-
niques. Le meme rcligieux avail ecrit en latin les
regjies du roi Jean et de Charles V; et il est tres-
probable que les Chroniques fraiicaises ne sont
relativemeiit a cette partie quune traduction de
ces ouvrages que nous avons perdus.
Froissart, qui jouit encore aujourd'hui
de quelque celebrite, nous a laisse une histoire
generale depuis le regne de Philippe -de-Yalois
jusqu'a la fin du quatorzieme siecle. C'est d'apres
Jean-le-Bel qu'il parcourt rapidement les trente
premieres annees; trop jeune alors, il n'avait pu
lui-meme observer les evenemens. II ecrit tout le
reste avec beaucoup de details, souvcnt meme
avec la confiance d'un temoin oculaire. Montaigne
a lone Froissart, mais non pas tout a fait comme
on loue un ecrivain distingue. J'aime^ dit Mon-
taigne, les histoiiens oufort simples on excellens;
et , apres avoir parle des historiens fort simples ,
qui n out pas de quoi j meler quelque chose du
leur, Montaigne ajoute : Tel est, par exemple ,
le ban Froissart, qui marche en ses entreprises
d'une si francJie naivete quajantfait une f ante il
ne craint aucunement de la reconnaitre etcorriger
a Vendroit oil il en est averti. Lacurne a donne
beaucoup plus (Teloges a Froissart; mais je crois
qu'il a ete trop loin; non que cet historien soit
LITTERAJRES. 367
(lepourvu de merite ; son style est toujoiirs sans
nrnement, mais il n'est pas tonjours sans interet:
il y en a dans la maniere dont il raconte la pre-
miere entrevne d'Edouard et de la comtesse de
Salisbnry, en I'lionneur de laqnelle ce monarque
institua Vorche de la Jarretiere. Edouard , en
voyage, se rendait an chatean de cette dame,
qn'il ne connaissait pas encore, et dont le mari
etait alors prisonnier de guerre en France. Elle
fit ouvrir toutes les partes , c'est Froissart qui parle ,
et vint hors tant richement vestue que chacun s'en
esmerveilloit, et ne se pouvoit' on cesser de la regar-
der et remirer sa giande noblesse avec la grand'
he ante , gracieux purler , et maintien quelle auoit.
Froissart peint ensuite I'aimable et somptueuse
reception que la dame de Salisbnry fit an mo-
narque. Edouard devint reveur : les rois sont
presses en amour comme en tout le reste; et la
declaration fut prompte. Voici la reponse de la
comtesse, du moins au rapport de Froissart : Haa,
cher Sii'e , ne me veuilles mie mocquer ne tenter;
je ne pourrois cuider que cefiit a certes ce que vous
dites , ne que si noble et si gentil prince comme
vous etes eiit pense a deshonorer moi et mon mari,
qui est si vaillant chevalier, et encore git pour
vous en prison. H y a de la grace et de la sei'si-
bilite dans celte reponse. On lit encore avec plai-
sir un detail d'un genre bien different : il s'agit
3G8 MELANGES
du fameux prince noir; il faisait ses premieres
armesala bataille de Creci. Un chevalier, le voyant
en peril, va, sans I'en avertir, demander du se-
cours a son pere, Edouard TIL lei, laissons Frois-
sart parler sa langiie. « Si, dit le roi, mon fils
« est-il mort, ou a terre, ou s'il est blece qu'il ne
« se puisse aider. I^e chevalier repondit : nenni ,
« Sire, si Dieii plait; mais il est en diir parti d'ar-
« mes, si auroit bon mestier de votre aide. Le
« roi dit : or retournes devers lui et devers ceux
« qui cy vous ont envoye; et lenr dites de par
« moi qu'ils ne m'envoyent meshiiy querir, ne re-
ft querre, pour aventure qui leur advienne, tant
a que mon fils soit en vie; et leur dites que je
« leur mande qu'ils laissent gaigner a I'enfant ses
« esperons. Mais je veuil, se Dieu I'a ordonne,
« que la journee soit sienne, et que Fhonneur lui
« en demoure, et a ceux a qui je I'ai bailie en
« garde. » On trouve aussi dans Froissart de ces
mots heureux par lesquels un personnage en peint
un autre; celui, par exemple, d'Edouard III sur
Charles V: Il ny eut oncques roi qui moins s'ar-
mdt , et si ny cut oncques roi qui tant me donndt
a /aire; et celui de Charles V lui-meme, lorsqu'il
recommande, en mom^ant , son fils Charles VT
aux dues d'Anjou, de Berri et de Bourgogne :
V enfant est jeiine et de leger esprit; et aura bie/i
mestier quil soit conduit et gouverne de bonne
doctrine.
LITTERAIRES. 369
La critique peut faire a cet historieii des re-
proches de plus d'une espece; et tous sont e^ale-
ment fondes : son style est tres-diffus, siirtout
dans les deux derniers volumes de son histoiie.
II y parle souvent de lui-meme et de ses voyac^es;
et ces deux volumes, composes dans sa vieillesse,
ne valent a aucim egard les deux premiers. Tout
I'ouvrage porte le caractere d'une credulite super-
stitieuse: c'etait I'esprit du terns. D'ailleurs Frois-
sart etait pretre et chanoine. Lacurne vent le dis-
culper en vain d'une partialite constante en faveur
des Anglais : elle eclate surtout quand Froissart
veut la caclier. Lors meme qu'il jiarait jusVe en~
vers Charles V et le connelable Duguesclin, il
laisse percer encore une predilection marquee
pour Edouard III et pour son illustre fds. Il fut
long-tems au service du roi d'Angleterre; il ser-
vit plusieurs autres princes: le comte de Foix,
le due de Brabant, le comte de Blois; ce dernier
etait partisan declare de la France. Ce fut pour
lui qu'il composa ses deux derniers volumes; c'est
la qu'il avoue des erreurs qu'il avait autrefois com-
mises, aveux plus complaisans que naifs , dont
Montaigne a la bonte de lui tenir compte. Voila
ce qui arrive aux ecrivains qui se constituent va-
lets des princes: viennent-ils a changer de livree?
ils sont obliges de se contredire; et, de cette ma-
niere , la verite peut se glisser dans leurs ecrits ,
OEuTres posthnines. HI. 2.^
•',-o MELANGES
iiiais sans liiei a consequence. Je n'ai point dis-
simule ce cjue m'onlonnaient de dire et ramonr
de men pays et la saine critique. Toutefois, mal-
gre les defauts et la partialite de Froissart , son
livre est de cenx qu'il faut lire ; il Y a seme bien
des choses cnrieuses sur les evenemens, snr les
personnages, sur les moeurs des terns qu'il a vus.
Froissart est meme, a tout prendre, Tecrivain le
plus remarquable qui ait existe parmi nous du-
rant ce faible quatorzieme siecle , age ignorant
et belliqueux,oulesguerriers celebresabondaient
en France, en Angleterre, en Allemagne, mais
on les talens litteraires ne se trouvent qu'en
Italic.
Vers le meme terns la vie de Duguesclin fut le
sujet de plusieurs Memoires dont les anteurs sont
inconnus. On y trouve son expedition d'Espagne,
sa conquete de la Bretagne, et tons les hauts faits
d'armes qui fondent si justement sa renommee;
on V voit aussi ses cliagrins et les degouts que
lui donna le roi meme, dont il avait affermi le
trone. Qui ie croirait? ce chevalier breton, que
Charles V avait nomme connetable avec de si
pompeux temoignages d'estime , et qui repara
trente ans de defaites lorsqu'il apparut a la tete
des armees franraises, fut sou peon ne de trahison
par Charles V : soupcons odieux et qui affligent
dans uti roi sage. Indigne de Taffront, Dugiies-
LITTERAIRES. ^71
clin remit an roi I'epee de contietable; et savoir
s'il la reprit est iin point douteux dans I'histoire.
Apres sa mort on lui rend it avec profusion la jus-
tice dont il ne pouvait plus jouir, justice que les
hommes rendent volonliers. II est aussi qnestion
de Duguesclin dans VHistoire dc Charles V ^ par
Christine de Pisan ; mais ce qui regarde le mo-
narque merite ici notre attention speciale. Cetto
femmecelebre, que nous avons deja classee parmi
les poetes, a dans I'histoire moins de methode
que Froissart, et plus de formes de style. Voici
comme elle s'exprime a Toccasion d'un juifqui
fut trompe par un chretien : Volt le roi que la
simplesse dujuiffut vainqueresse de la malice du
chretien. Simplesse est encore du style marotique;
vainqueresse a disparu de la langue, et c'est dom-
mage; vejigeresse ^ enchajiteresse^ n'offensei.t point
les oreilles delicates. Christine nous a conserve
plusieurs belles paroles de Charles V. Un cheva-
lier disait devant lui qu'on est bien heureux d'etre
prince. Le roi repondit : Certes , c'est plus charge
que gloire. Notons ce qui suit. Et comme V autre .,
en repliquant., dit : Eh! Sire, les princes sont si
aises! Je ne sais, ce dit le roi , en signorie felicite ,
excepte en une scale chose. Please vous nous dire
en quoi.^ ce dirent les autres. Certes , dit le roi, en
puissance defaire hien a autrui. Remarqiiez en-
core cetle reponse a des courtisans qui se plai-
2Z}.
37^ MELANGES
gnaieiit de ce qu'il honorait trop lesgeiisde lettres :
Taut que sapience sera honoree en ce royaume , //
continuera a prosperite; mat's quant dehoutee j
sera, il decherra. Christine de Pisan voit partoiit
dans Charles V le protecteur des lettres et des
sciences, vue elevee pour le terns. II est vrai
que parmi ces sciences elle place honorablement
faslrologie ; elle etait fille d'un astrologne ; et
d'adleurs nous avons observe deja que long-tems
apres on inenageait encore une erreiir cherie du
vulgaire, et snrtout des princes. Ne soyons pas
trop exigeans ; c'est bien assez d'aimer les lumie-
res ; il est donne a pen d'hommes d'etre superieurs
a celles qui Ics environnent. II est vrai que, mal-
gre les obstacles, ceux-la font avancer leur siecle;
et c'est la j>ius haute des gloires, corame la plus
basse ignorainie consiste a vouloir faire retrogra-
der ses coiitemporains vers I'ancienne ignorance,
et a reduire en systeme social I'extinction des lu-
inieres pul)liques.
Juvenal des Ursins, archeveque de Rhenns, a
fait, au milieu du quinzieme siecle, une Histoire
de Charles f^l : c'est le plus niethodique des his-
toriens dont nous ayons parle jusqu'a ce moment.
Il dispose les faits avec ordre et dans la forme
des annales; il evite les digressions; et, s'il ra-
conte quelquelois les evenemens arrives hors de
France, ces evenemens licMinent a son sujet, que
LITTERAIRES. 373
jamais il u'abaiuloniie. II ecrit eii veritable ami
(le la France; mais son style a pen de conleni
Cependant repoqne est si terrible c[ne des trails
d'nne extreme simplicite font fremir les lectenrs,
surtout cenx qui ont vecu an milieu des troubles
civils. llraconte quel ascendant la faction de Bour-
gogne ent dans Paris apres Tassassinat i\u due
Jean-sans-peur, sur le pout de Montereai;. Voici
ses paroles : Pourfaire tder uu hotnine il sufjisoit
de dire: celui-la est Annagnac ; mais il nose s ex
pliquer ouvertement sur Isabelle de Baviere : il
se borne a ces mots : Aacane renor/unee etoit que
en I' hotel de la reine se passoieiit plusieurs chases
deshonnetes. Suftisait-il de parler ainsi d'une reine
sans pitie comme sans lionnenr, qui tit deslieri-
ter et bannir son fils, et qui venelit a retrangel'
son epoux, sa fille et la France ? Ne fallait-il pas
an ecrivain plus energiqne et plus hardi pour
peindre ces tems liorribles 011 la tlemence da
prince etait le moindre des ileaux; oii la France
gemissait sous le joug insolent de Tanglais Henri V ;
ou Taudace etait du ppuvoir; oil les factions ui-
ventaient des mots homicides ; ou les crimes res-
taient impunis quand ils n'etaient pas punis pat-
des crimes ?
Gommines loue meme le connetablo
(Louis de Luxembourg, comte de Saint- Paul),
malgre I'arret porte ("ontre lui. // eloit sage et
374 MELANGES
vaillant che\>(Uier , et cjui a^'uit i>u beaucoiip . Ainsi
s'exprime uii serviteur de Louis XI sur iiiie ties
priiicipales viclimes de son maltre : il developpe
habileineiit les intrigues de Louis avec le due de
Bourgogne, coiitre les Flamands; avec leroi d'Au-
gleteire Edouard lY , contre Je due de Bourgogne;
avee les eourtisaus dii roi d'Aiigleterre, contre
leur prince; avec lenipereur Frederic, pour de-
pouiller ensemble le Anc de Bourgogne, et parta-
ger ses depouilles; mais I'empereur Frederic ra-
conte aux ambassadeurs de Louis la fable de
i'ours et des chasseurs : elle est bonne a lire dans
Commiiies. Le sombre despote , inepuisable dans
ses ruses, intrigue meme avec un peuple libre,
avec les Suisses , contre son eternel eimemi ,
Cbarles-le-Temeraire. N'oublions pas ici la remar-
que de I'historien : Loaisluifalsoit plus de guerre
en le laissant Jaire ^ et ial solUcilant etmemis en
secret, que s'ii se Jut declare contre lui. Le due
perit dans une bataille. II ne laisse qu'une fille;
et Louis intrigue avec elle pour la marier an dau-
phin; niais la jeune heritiere de Bourgogne se
trouve plus habile que lui: elle intrigue avec le
due d'Autriche Maxim ilien , qui fut depuis em-
pereur, et lui porte avec sa main tons les bieris
de son o})ulente maison. Commines ne parle point
du proces du due de JNemours, le plus atroee
evenement du regne de Louis XI ; mais il le
I
J.ITTERAIRES. ^75
compte ail numbre des sujets de joie qu'eut ce
prince apres la mort de Charles-Ie-Temeraire. 11
ne fatit pas alterer la naivete du texte : elle est
curieuse. « La joie lut tres-grande au roi de se
« voir au dessus de tons ceux qu'il liaissoit , et
« qui etoieiit ses principaux enneniis. Des uns
« s'etoit venge , comme du connetable de Fiance ,
« du due de Nemours, et de plusieurs autres. Le
« due de Guyenne son frere etoit mort, dont il
« avoit la succession. Toute la maison d Anjou
« etoit morte, comme le roi Rene de Sicile, les
« dues Jean et Nicolas de (^alabre, et puis leur
« cousin, le comte du Maine, depuis comte de
« Provence. Le comte d'Arinaiiiiac avoit ete lue
« a I'estor; et de tons ceux-ci avoit ledit seigneur
« recueilli les successions et les meubles. » On
voit que Louis XI n'oubliait pas ses interets; (^t
Ton voit encore qu'il fallait beaucoup de malheu
reux pour faire son bonheur.
Le talent d(; Commines brille surtout dans les
digressions, et lorsqu'il s'arrete a rellechir sur les
evenemens qu'il vient de raconter. 11 nest pas
sans doute aussi pnjlond que le tut apres hit 1 ita-
lien Machiavel ; inais il est beaucoup plus moral.
Louis Xi avait porte les impols bieii au-dela du
double de ceux que levait son pere. F a-t-il roi,
dit Commines, ou seigneur sur ter re quiaitijouvoir,
outre son domaine ^ de uieltre un uenier sur ses
376 MELAJN(;ES
sujets , sans ottrui et consentement de ceux qui le
doiventpajer, siiion pa?- tyrannie et violence? On
troiive ailleiirs ces mots remarquables de toute
inauiere: // donna beaucoup aux eglises ; en au-
cunes choses eut mieux valu mains; car il pre-
noit des pauvres pour donner d ceux qui nen
avoient aucun besoin. Nc negligeons pas cette
pensee : La guerre entre deux grands princes est
bien aisee a commence r, inais tres-mauvaise a ap-
paiser par les chases qui j adviennent et qui en
descendent. Le trait suivant n'est-il pas heiireux?
C'est grant richesse a uii prince d' avoir un sage
homme en sa compagnie. Commines ne fait-il pas
bien de condaniner les gens qui nontVoeil a autre
chose qua complaire a leurs maitres , eta louer
touies leurs ceuvres ^ salt bonnes ou mauvaises? W
aime les iettres, et (lit quelque part avec beau-
coup de sens : Encar ne me puisse tenir de bldmer
les seigneurs ignarans. II ajoute, a cette occasion,
en parlant des gens de robe longue: « A tons pro-
« pos ils ont une loi au bu, ou une histoire; et
« la meilleuie qui se puisse trouver se tourneroit
« bien a mauvais sens; inais les sages, et qui au-
« roient lu, n'en seroient jamais abuses; ni ne
« seroient les gens si hardis de leur faire enten-
^< dre mensouges. Et croyes que Dieu n'a point
« etabli I'office de roi m d'autre prince pour etn^
« exerce par les betes, et par ceux qui par gloire
LITTERAIRES. 877
« diseiit : Je iie suis pas clerc. S'ils avoient ete ,.
K bieii nourris en leur jeuiiesse, leurs raisons se-
« roient autres, et auroieiit envie qu'on estimat
« leurs personnes et leurs vertus. » Je ne puis me
dispenser de citer encore quelques mots contra
Tignorance. Plus on voit de choses en iin seal
livre que 11 en sawoient voir ensemble et entendre
par experience vingt hoinrnes de rang , vivans Vun
apres V autre. Sans multiplier les citations, ce qui
serait bien facile , recommandons la lecture de
Philippe de Commines : elle est importante. Cest
un historien, car on voit agir ses personnages.
Cest un politique, et le plus delibere penseur
qu'ait eu la France avant Montaigne. C'est deja
meme un ecrivain. Son style est clair, precis,
energique, malgre les tours vieillis et les expres-
sions surannees. C'est qu'il n'ecrit jamais a vide;
et, puisquil tient les idees, il faut bien que les
mots lui viennent. Le metier n'apprend qua faire.
des phrases; I'art consiste en un point unique.
Youlez-vous ecrire ? pensez.
C'est dans les derniers tems de Louis XI qu(^
Philippe de Commines se surpasse. La, rien n'est a
citer; il faut tout lire. Comme il peint dans une
agonie de trois ans ce roi cruel, qui avait per-
fectionne les prisons et les tourmens, s'emprison-
nant, se tourmentant lui-meme dans son chateau
du Plessis-les-iours; multipliant les barreaux de
378 MEL/\]NGES
fer, les broclies de fer, les poiiites de f'er; fuisant
ecarter les passaiis a coups d'arquebuse; chaii-
geant tons les jours de serviteurs; chassant ses
principaux officiers; peu content d'implorer la
Notre-Dame de plomb, confidente de toutos ses
vengeances; faisanl venir la sainte ampoule, qui
n'avait jamais quitte Rlieims; obtenant du pape
le corporal sur lequel avait cbante saint Pierre;
recevant meme du Grand-Turc des reliques eu-
voyees par ambassade ; donnant dix mille ecus
par mois a son medecin, Jacques Coctier; somme
exorbitante aujourd'bui, inconcevable pour le
terns; faisant venir I'bermite de Calabre, saint
Francois de Paule, et le priant a genoux dc lui
prolonger la vie! Plus despote que jamais , ii veuL
tout garder quand tout va s'aneantir avec lui-
meme. Hypocrite jusqu'au dernier soupir, il est
vetu ricliement, lui, toujours neglige a I'exces; il
affecte la sante, quand la mort est sur son visage;
il feint de lire ce qu'il ne voit plus; et, quand il
ne peut plus parle;r, il repond du geste et des
yeux a ce qu'il ne peut plus entendre. Quel fleau
que ce prince ! Ennemi de son peuple comme des
rois ses voisins, persecuteur des grandes maisons
comme de sa propre famille, jaloux de son fils
comme il avait ete rebelle a son pere, se plaisant
avec les Ijommes nourris dans la bassesse, faisanl
nil iiegociateur d'Olivier Ledaim, son barbier;
LITTEKAIKES. 379
ignoble en ses moeurs, en son langage, en ses
vetemens, il fut a la fois le modele et la carica-
ture de la tyrannic. Il eut tout le vouloir du des-
potisme; Richelieu seul en eut tout le pouvoir :
hommes nes tons deux pour le malheur de la
France, et differens, mais egaux en perversite.
Daclos terniine son histoire de Louis XI en de-
clarant que ce fut un roi. C'est mi sarcasme
beaucoup trop fort contre la royaute; et I'ou-
vrage de Duclos, bien inferieur aux Memoiies de
Commines, fait regretter vivementla perte irrepa-
rable de la meme histoire ecrite par Montesquieu,
qui, sans doute, avait traite le sujet comme I'au-
rait traite Tacite.
A la tete des historiens de Charles VlII est
encore Philippe de Commines. Un autre historien,
Pierre de Saligni, ne commence qu'a la troisieme
annee du regne de ce prince, et ne passe point
la septieme. Comme il fut attache au seigneur
de Beaujeu, qui gouvernait alors, on croit qu'il a
bien connu les intrigues de ce regne. Andre de
la Vigne, secretaire de la reine Anne de Bretagne,
a raconte la conquete de Naples. Ces deux ecri-
vains sont mediocres. D'ailleurs , si Charles VIII
fut exempt de vices, il eut de la bonte sans vertu,
et du courage sans caractere. De briilans succes
suivis de revers eclatans; des conquetes inutiles
et de vastes projets deconcertes: voila son regne.
38o MELANGES
Un mot de Conimines le peint : // etait peu cu-
teiiduy inais si boii que meilleur ne se pouvoit
C'est tout le mai ct tout Ic bien qu'on en peu«
(lire. Courons vite a Louis XII, au moins pout
nous consoler d'avoir si long - terns observe
Louis XL Les deux principaux historicns du
pere du peuple furent Jean de Saint Gelais et
Claude de Seyssel, arclieveque de Turin. Le
premier expose les fails avec methode; moins
curieux d'evenemens, le second fait mieux con-
naitre I'liommc. On aime a lire ce detail sur sa
fidelite chevaleresque : « Au regard de la royne
« Anne, duchesse de Rretagne, ainsi qu'il Tavait
« Iionoree , vivant iedit roi Charles, comme sa
« dame et princesse, depuis qu'il Ta epousee, Ta
« toujours si grandement aimee, estimee et che-
« rie, qu'il a en elle mis et dispose toules ses deli-
« ces. » Un peu apres, I'historien ajoute : «Elle le
« merite bien; car de sens, de prudence, d'lion-
ccnetete, de venuste, de gracieusete, il en est
(' peu qui en approchent, moins qui soient sem-
« blables, el nulle qui I'excede. » II y a de I'ele-
gance dans ce tour de phrase. Qu(;lques mo-
dernes peu instruits out reproche a Louis XI J
d'avoir fait declarer nul son mariage avec Jearuie,
pour ej)ouser la fcmme qu'il aimait; mais Jeainie,
lille de Louis XI, et fondatrice des Annoticiades,
iiii fut imposee [)ar force, el comme sterile; car
LiTTERAIRES. 38i
T.ouis XI voulait eteindrc la maison d'Orleans,
qu'il detestait : c'est ce que declare Seyssel. II fait
siir ces deux princes uii rapprochement plein de
justesse : Le j'egne de Louis XI, dit-il, est aussi
(lifferent da regiie present comnie Vempire de
Domitian. de celui de Trajan. Au sujet du cardi-
nal , d'Amboise , on trouve une idee heureuse ex-
primee avec une precision elegante : A iiii tel roi
bien etait convenahle un tel ministre. Ce trait sur
Louis XII n'est pas moins remarquable : Au re-
gard des flatteurs dont les oredles des princes
communenient sont assiegees, ils ne sont pas hieii
venus envers lui. Notez ce qui suit : Et aiine mieux
que ses louanges soient au coeur des honimes quen
la langue. On voit que cet archeveque etait loin
d'etre depourvu du talent d'ecrire.^ Quant au nio-
narque, il servit le peuple et par ses vertus et
par ses defauts; il n'eut ni les prejuges du trone
ni meme ceux du terns. La renommee de bien
des rois leur est superieure. Louis XII, quoique
justement celebre, est superieur a sa renommee.
:>,&■>. MELANGES.
ANALYSE
DE MAHOMET,
• TRAGEDIE DE VOLTAIRE.
A-u maitre de la scene comique appartient Thori-
neur d'avoir le premier demasque rhypocrisie en
plein theatre. II remporta le prix de son art, lors-
qu'il peignit iin deuot de place ^ ourdissant ses
trames obscures dans I'enceinte d'line maison,
dans rinterieur d'une famille; subjuguant le pere,
cherchant a seduire la femnie, a epouser la fille,
a faire chasser le fds, a s'emparer des biens de
tons. Le scelerat, connn trop tard par son im-
prudent bienfaiteur, s'arme contre lui de ses pro-
pres bienfaits, de ses confidences les plus inlimes.
C'est pen de vouloir le depouiller : il court denon-
cer augouvernement, ilrevicnt pour trainer en pri-
son celui qui eut pitie de sa detresse, et qui lui
donna Thospitalite; mais, par un changement sou-
dain, quand il jouit de son odieux triomphe, il
succombe sous I'autorite meme dont il se croyait
LITTERAIRES 38:5
ranxiliaire. Rien ne manque a ce tableau admi-
rable. La haute comedie, grace a Moliere, acquit
cette fois ime importance morale, que, malgre
des formes plus imposantes, la tragedie n'avait
pas egalee encore, et n'atteignit cpie long-tems
apres. Voltaire la lui donna dans Mahomet, le
plus beau monument de la poesie dramatique an
dix-huitieme siecle. A considerer en particulier le
personnage principal, combien il etait difficile de
representer cet Arabe, sans education, sans lu-
mieres acquises, mais done d'un esprit aussi pro-
fond qu'audacieux, qui s'elance des derniers rangs
de la societe, franchit tous les intermediaires ,
commence a cinquante ans et remplit en moins
de dix annees sa carriere immense; conquerant,
roi, legislateur, prophete, toujours imposteur et
toujours grand , si toutefois un imposteur pent
Fetre, et dont les institutions, apres douze siecles,
gouvernent encore une partie de I'Asie, de I'Eu-
rope et de TAfrique ! A prendre le sujet en e^ene-
ral, remonter a Tune des sources de la supersti-
tion et du fanatisme, faire voir comment les
abuseurs des nations, selon le terme de Rossuet,
s'emparent de toutes les passions humaines,
echauffent le courage des guerriers, diriejent Ta-
mour et la haine d'une jeunesse ardente, trom-
pent la credule innocence, oppriment la vertu
courageuse qu'ils n'ont pu effraver ni seduire.
•V
384 MELANGES
brisent tons les liens de la nature , fascnient les
yeux du penple en accumulant les prestiges, en cal-
culant (les crimes qu'ils font passer pour des mi-
racles; elevent uii pouvoir que chaque forfait rend
plus'sacre, leguent enfin aux generations qui les
suivent un heritage de mensonges utiles a quel-
ques-uns, et d'erreurs funestes a la multitude:
voila ce qu'il s'agissait de retracer sur la scene
tragique. Pour oser concevoir une telle entre-
prise, mais surtout pour i'executer dignement, il
fallait etre Voltaire , et Voltaire au plus haut de-
gre d'un talent qu'illustraient deja de nombreux
chefs-d'oeuvre.
Sans pouvoir etre mise au rang des plus belles
expositions tragiques, I'exposition de Mahomet, a
beaucoup d'egards , merite d'etre distinguee. Elle
est claire , simple , animee , d'une precision remar-
quable. Le sherif du senat de la Mecque , Zopire ,
s'entretient avec le senateur Phanor. Il oppose
aux conseils d'une circonspection timide, souvent
decoree du nom de sagesse, cette vertu ferme et
toujours egale, trop amie de I'humanite pour
n'etre pas I'implacable ennemie du mensonge et
de I'oppression. Phanor luirepresente que la jeune
Palmire pourrait devenir lo gage de la paix. Elle
fut nourrie dans les camps de Mahomet , qui I'a
redemandee par ses herauts, depuis que le sort
des derniers coml^ats I'a rendue prisonniere de
LITTER \ IRES. 385
Zopire. Mais le Sherif intrepide ne garde a Maho-
met que la haine de la guerre; il sait qu'avec lui
conclure la paix, c'est accepter la servitude; il
repugne meme a lui rendre Palmire, non par un
amour honteiix a un vieillard , raais par ce tendre
uiteret qu'iuspirent a un pere prive de ses en-
fans, la beaute, la jeunesse et I'innocence, sur-
tout quand elles sont menacees d'etre la proie et
la recompense du crime.
Phanor s'eloigne en voyant Palmire approcher;
car elle a demande a Zopire un entretien secret ,
comme celui-ci I'annonce lui-meme dans les vers
qui terminent la premiere scene. Mais quelle dou-
leur pour lui d'entendre sa captive lui rappeler
quelle est reclamee par Mahomet, et solliciter
son prochain retour dans les camps qui furent sa
patrie ! En I'accueillant par des expressions affec-
tueuses , Zopire exhale son indignation contre Fim-
posteur. La timide et naive Palmire ne dissimule
pas I'horreur que lui inspire un discours si nou-
veau pour elle.Cette horreur naissante est un pre-
mier germe, qui produira des fruits de mort.
Les spectateurs sont prepares de loin a la terrible
catastrophe. Plus Mahomet est revere par la cre-
dule Palmire, plus Zopire la trouve injuste pour
lui-meme, et plus il la plaint, la cherit : fidele
peinture d'un coeur genereux, et I'une de ces beau-
tes qui echappent a la multitude, mais qu'il faut
OEuvres posthnmes. III. 2 3
38(3 MELANGES
[)uiirtanl sjivoir sentir lorsqii'oii veul apprecier de
tels onvrages. Le vieillard refuse de remplir les
voeux impnidens de sa captive, quand Phanor, re-
paraissant tout-a-coup , annonce qu'Omar s'est
presente a Tune des portes de la ville , le glaive
et I'olivier dans les mains , qu'il est merae entre
dans la Mecque, et que Seide raccompagne. A ce
nom , PaUnire est ranimee par Tesperance. line
courte exclamation , le nom de Seide repete par
elle , apprennent ce qui se passe dans son coeur :
elle ne parle point de son amour ; ignore de
Zopire, il est su des spectateurs; et, pour les ins-
truire, un mot a suffi : tel est I'art chez les grands
poetes.
I/entrehen d'Omar et de Zopire termine avec
eclat le premier acte. Le Sherif n'est point seduit
par le double enthousiasme d'un sectaire et d'un
ambitieux qui veut acquerir a son maitre un nou-
veau complice. Ni les louanges prodiguees au con-
querant prophete , ni Tetalage de son pouvoir, ni
Foffre d'y participer, ne peuvent ebranler cette
ame inflexible dans la vertu. L'auteur fait parler
Omar avec une eloquence exaltee , pompeuse, et
qu'embellissent les formes les plus hautes du style
oriental. Une energie pressante anime les re-
ponses de Zopire. Vainement Omar lui annonce
que Mahomet veut le voir et lui parler : ce qui
promet au spectateiir une nouvelle scene, que
LITTERAIRES. 387
celle-ci rend tres-difficile; Zopire ne vent accorder
a Mahomet ni la paix , ni I'entree de la Mecque.
Mais il n'est pas le seul maitre ; et le senat doit
decider : Omar et Zopire y courent ensemble. Les
premiers fils sont tissus ; Taction raarche; la curio-
site, vivement excitee, attend avec impatience etle
personnage principal , et les evenemens qui vont
suivre. : : :-,-■!
Seide et Paimire ouvrent le second acte. lis se
racontent leurs peines mutuelles durant une
longue absence, et font eclater leur joie de se
voir enfin rendiis Fun a I'autre. C'est le lanease
de I'amour, mais d'un amour naif et tendre; et vous
ne trouverez dans tout ce qu'ils disent aucune des
fadeurs qui trop souvent deparent les chefs-d'oeu-
vre meme de la tragedie francaise. Observcz a
quel point les refus de Zopire ont aigri sa jeune
prisonniere, et combien Seide est indigne de les
apprendre. Ainsi s'accroit pour Mahomet leur at-
tachement fanatique. lis voient dans Zopire un
persecuteur, et c'est de I'envoye de Dieu qu'ils
attendent leur delivrance. Ces sentimens sont mar-
ques avec force , et places a la fm de la scene, ou ils
ressortent d'autant plus, qu'ils se lient a la scene
suivante. Omar les anime encore, en venant annon-
cer a Seide et a Paimire son double triomphe sur
Zopire aupres du senat et aupres du peuj)le. Ten-
tree de Mahomet dans les murs de la Mecque, et
lb.
388 MELANGES
l;i publication tie la treve. Le recit est nerveux et
japide. Oinar, unposaut jiisque-la ., reiitre dans la
loule des disciples aussitot qu'a paru son niaitre.
Mahomet, environne de ses guerriers d'elite ,
leur parle avec I'autorite d'un roi,d'un vainqu<>ur,
trim homme inspiiv. 11 les lone en peu de mots,
et les envoie preclier le glaive a la main. Son eton-
nement a la vue de Stride, qui a prevenu ses or-
dres en se rendant comme t)tage dans le palais de
Zopire, et le reproche qu'il lui fait de ne s'etre
pas borne a les attendre , annoncent im sentiment
jaloux, qii irrite encore Tempressement de Palmire
a excuser Timpatience de Seide. Mahomet com-
mande au jeinie homme de rejoindre les autres
guerriers; mais il adoucit ce ton severe quand il
s'adresse a Palmire; et deja I'amant se laisse entre-
voir dans le langage du prophete et du protec-
teur. Reste seul avec Omar, il devoile ses secrets :
il aime Palmire. Et Palmire est aimee de Seide !
Elle semble meme repontlre a cet amour ! Ce n'est
pas leur crime unique : tons deux doivent le jour
a Zopire. Hercide les remit dans leur enfance aux
mains de Mahomet. Voila ce que des censeurs plus
malveillans qu'eclaires ont trouve fort invraisem-
blable : mais quelle invraisemblancc y a-t-il a pre-
senter sur la scene ce qui est arrive cent fois dans
les terns de guerre ? Ce n'est pas d'ailleurs un
incident de la piece: c'est ce qu'on appelle un fait
LITTERAIKES. 389
antecedent. Ce qui tonde raclion dans les d«Hix
chefs-d'oeuvre de la scene antique et de la scene
moderne, I'OEdipe-roi et Athalie, est bien autre-
nient difficile a croire. Je ne pretends pas en faire
un sujet de blame; je m'appuie au contraire sur
de grandes autorites pour rejeter, avec le rnepris
qu'il merite, ce reproche banal d'invraisemblance,
taut prodigue par des homnies qui prononceut
sur les pieces de theatre , sans avoir aucune idee
de I'art dramatique. " ^ ^
Mahomet attend Zopire , et, sitot qui! Ic voil
paraitre, il charge Omar de soins utiles pour la
garde du palais , et lui recommande de revenir
bientot, afin de prendre les resolutions que cette
entrevue rendra convenables. Ici commence une
scene fameuse , ou Voltaire a deploye toutes les
ressources de son genie. Zopire, en arrivant, te-
moigne ses regrets d'etre oblige de recevoir Ven-
nemi du inonde. Aux motifs allegues par Omar,
Mahomet ajoute des motifs, sinon plus forts, du
moins plus specieux. Ge n'est point a I'ambition
de Zopire, c'est a sa raison qu'il parle; et, se de-
pouillant , pour ainsi dire, de son manleau de pro-
phete , c'est en homme, en politique, en legisla-
teur qu'il lui developpe ses projets pour agrandir
le peuple arabe. Mais en vain reclame -t-il les
droits d'lin esprit vaste sur Fimagination i\n vul-
gaire, el ce besoin general d'erreur v\ de servi-
390 MELANGES
tiule , vieille calommc iiitentee coiitre le genre
h 11 main par ceux a qui le niensonge et la tyran-
nic sont necessaiies; et I'interet, idole puissante,
a laqiielle on croit (jiie tout le monrle sacrifie,
quand soi-meme on lui sacrifie tout: Zopire de-
meure immuable, et ne met point sou interet en
balance avec I'equite. Quel lien d'ailleurs peut reu-
nir deux ennemis dont la haine est si bien fon-
dee ? Le fils de Mahomet lui fut ravi par Zopire ;
les enfans de Zopire sont tombes sous le fer de
Mahomet. C'est ce que dit le vieillard lui-meme;
et ici , par une transition savante , le poete donne
a la scene un essor plus rapide , un ton plus tra-
gique. C'est au nom meme des enfans de Zopire
que Mahomet le presse : ils vivent; ils lui seront
rendus s'il tombe aux pieds du prophete; et Ma-
homet deviendra son gendre. Etrange avantage
de I'imposteur, qui prend dans les sentimens les
plus saints, par consequent dans la vertu, de
quoi la combattre! Mais elle triomphe. En appre-
nant une si faible partie du secret, Zopire est
emu, transporte de joie; ses larmes coulent; et
deja, dans ses discours, I'accent paternel resonne
avec une force qui plus tard sera dechirante. Et
p<jurtant son devoir est inexorable : plutot que de
contribuer a I'esclavage de sa patrie , il immole-
rait ses propres enfans : tel est son terrible adieu.
La Harpe, dans son Cours de Litteralure , rend
L1TTER4IRES. ^gi
line justice complete a cette scene, et la trouve
si belle, que, selon son usage, il la transcrit pres-
c[ue toute entiere. A I'avis de J. -J. Rousseau, il
n 'en esl aucune au theatre oil la main cVun grand
niattre soil plus sensihlement enipreinte. Ot elo-
quent philosophe observe encore que, par I'ha-
bilete tlu poete , le sacre caraciere de la vevtii
Veinporte sur V elevation du genie, l^a remarque a
(le la profondeur; et c'est avoir bien saisi le ve-
ritable esprit d'une scene ou Mahomet toulefois
est si imposant; mais, a cet egard, rintention de
I'auteur est trop souvent negligee quand on joue
la piece : peu de Zopires saveiit atteindre a leur
place; et Mahomet I'einporte, au moins par le
bruit. Rousseau fait sur cette meme scene, com
paree a celle d'Omar et de Zopire, une autre ob-
servation tres-importante. Yoici ses termes : « Je
« rne souviens d'avoir trouve dans Omar plus dc
c< chaleur et d'elevation que dans Mahomet lui-
(' meine, et je prenais cela pour un defaul; en y
« pensant niieux j'ai change (ro[)inion. Omar,
« emporte par son fanatisme, ne doit parler de
« son maitre qu'avec cet enthousiasme de zele et
« d'admiration cpii I'eleve au-dessus de Thuma-
« nite; mais Mahomet n'est pas fanatique; c'est
« un fourbe qui, sachant bien qu'il n'est pas ques-
« tion de laire I'inspire vis-a-vis de Zopire, cher-
« die a le gagner par une coiifiance affectee et
^■2 MELANGES
« par cics motifs d'ambilion. Co ton de raison
« doit le reudre moiiis brillaiit qu'Omar, par cela
« ineiiie qu'il est plus grand, et quil sait mieux
« discerner les hommes. » I^a Harpe combat tout
ce passage; il affirme d'abord qu'il y a plus de
chaleur et d'elevation dans les discours de Maho-
met que dans ceux d'Omar; et , confondant des
qualiles fort distinctes, d cite des pensees pro-
fondes, des vers d'une grande portee, sans rien
prouver d'ailleurs contre I'opinion de Rousseau ,
qui se connaissait assez bien en style, et qu'il
n'aurait pas du traiter si magistralement. La Harpe,
en second lieu, me qu'Omar soit fanatique, puis-
qu'il est fourbe aussi bien que son maitre; mais
Fun n'empeche pas I'aulre; et le censeur pour-
rait bien n'avoir pas compris ce qu'il croit avoir
refute, (^ertes Rousseau n'a pas pretendu qu'O-
mar fut sincere et fanatique a la maniere de Seide.
Omar invite Zopire a regner avec Mahomet et
^* Jui. /.e peuple , lui dit-il, est ne pour les grands
komines , pour adorer, pour croire. Voila le fourbe,
et meme le fourbe se demasquant; mais Omar
est fier d'avoir Mahomet pour maitre; et ce mai-
tre, selon lui, doit changer Tunivers. Voila le fa-
natique. On le retrou verait en des tirades cntieres ,
s'il n'etait pas superflu de citer ce que tout le
monde sait par coeur. Au reste , il ne faut pas
croire que la faiblesse d'esprit et I'extreme ere-
L1TTER.4IRES. SgS
dulite soient inseparables du fanatisme : on v est
(leja livre lorsqu'on se laisse subjugiier par un
caractere superieiir. Avec beaucoiip de lumieres,
Jerome de Prague etait fanatique de Jean Hus;
Melanchton, de Luther; Theodore de Beze, de Cal-
vin; dans un autre ordre de choses, Antoine I'e-
tait de Jules-Cesar; Ireton, d'Olivier Cromwel.
Les personnages extraordinaires qui, tour a tour,
fonderent leurs hautes destinees sur d'eclatans
prestiges, eurent toujours a leur disposition deux
especes de fanatiques : les Seides, qui croient
obeir aux ordres de Dieu , que leur transmet un
liomme; et les Omars, qui servent aveuglement
un homrae dont ils out fait leur dieu. Voila ce
que n'a point apercu La Harpe, ce que sentait
Rousseau, ce qu'avait peint Voltaire ; et, s'il n'eut
montre ces deux fanatismes marchant diverse-
ment au meme but, le poete n'eut pas complete
son grand tableau. ,,. ,. , ,
Poursuivons. Omar reparait au depart de Zo- < f*
pire, et vienl annoncer a Mahomet des dangers
pressans. Quoique admis dans la ville, Mahomet
est proscrit par la moitie des senateurs. Demain
Zopire est maitre, et doit le faire perir. Zopire
perira lui-meme : telle est la resolution de Maho-
met. Cependant, comme il veut plaire a la mul-
titude , toute meprisable quelle est, il a besoin
d\ui agent docile, qui lui laisse le fruit du menrtrc ,
394 MKLANGES
et qui en denjcure responsable : ce n'est pas liii,
c'est Omar qui fait choix de Seide. Et pourquoi
du fils de Zopire? est-ce coinme dans Atree,
pour imaginer une horreur de plus? pour le plai-
sir d'ordonner un parricide? non. Seide, otage de
Zopire, peut seul I'aborder eu secret; Seide, le
plus jeune, ie plus ardent, le plus credule des
sectaires, peut seul immoler la victime, en se per-
suadant qu'il est le vengeur de Dieu. Mahomet
semble balancer. II bait dans Zopire un adver-
saire implacable, et dans Seide un rival aime. II
faut les perdre tous deux; mais Fun est pere,
I'autre est frere de Palmire. Mahomet quitte la
scene sans prendre un parti decisif; il veut con-
sulter a loisir son interet, sa haine, et cet amour
dont il rougit; mais les terribles mots de religion,
de necessite , qu'il fait retentir les derniers, laissent
prejuger ce qu'il decidera. Observez qu'ici, comme
dans toute la piece, le poete est loin d'accumuler
les details odieux, a la maniere des tragiques an-
glais. Il se permct bien moins encore de peindre
un capitan du crime, et de lui faire developper
pompeusement des theories d'extravagance an-
tant que d'immoralite. Du reste nulle enflure et
mdle trivialite dans les termes. Les tyrans, chez
Voltaire, ressemblenl en un point au Tibere de
Tacite. lis concoivent, ils executent des projets
infames; mais ils s'exprimenl noblement; ilssavent
l1tterairp:s. 395
que sans I'opinion publique aiicune puissance
n'est durable, et, pour imposer a I'opinion, lais-
sant aux esclaves ce qui est servile, et conservant
]es formes de I'empire, ils sont coupables sans
bassesse, et scelerats avec majeste.
Au commencement de I'acte suivant, Palmire
interroge et presse Seide. Quel sang va couler?
Quelle victime demande le ciel? La reponse de
Seide est loin de la rassurer. II va preter entre
les mains d'Oraar le serment de mourir, s'il le
faut, pour la loi de Dieu ; le reste est encore un
mystere. Mais on parle des projets de Zopire , on
dit qu'il s'agite ; et Palmire craint tout de lui.
Seide exprime avec candeur I'emotion cju'il a
eprouvee lorsqu'il s'est presente comme otage a
ce vieillard qu'il bait, et qu'il voudrait pouvoir
aimer. Palmire, qui partage tons les senlimens
de Seide , avoue qu'elle n'oserait accuser Zopire
sans le respect religieux qu'elle a pour Mahomet.
Ces mots raniment Seide; et, dans I'espoir d'etre
uni bientot a elle par les mains du pontife roi, il
la quitte pour aller preter le serment fatal. L'a-
bandon de deux ames innocentes est bien peint
dans celte scene ; et leurs mouvemens divers
echauffent Taction. Palmire, demeuree seule, est
toute entiere a son inquietude : occupee du peril
de Seide, elle redoute Zopire, elle apprehende
jusqu'a Mahomet; et, quand le prophete s'avance ,
'^c)G MELANGES
ellc court a liii, Ic iiom de Seide sur les ievres.
Quoiqiie Mali<)inet,a ce iiorn , soil trouble pour
la premiere fois , ainsi que Palmire I'observe elle-
nieme ; quoiqu'il ait peine a cacher son courroiix ,
elle n'a qu'une pensee; et, par un transport in-
volontaire, elle nomme a chaque instant Seide;
mais elle garantit qu'il sera docile ; et I'imposteur
est satisfait , si Tamant est offense. Ici nous n'ou-
blierons pas que de nombreux censeurs ont blame
I'amour de Mahomet , comme indigne d'un tel
personnage ; mais eux-memes oubliaient sans
doute qu'il ne faut pas confondre le legislateur
arabe avec les heros austeres de I'ancienne Home;
qu'en disant , I'amour est ma recompense , Vobjet
de mes travaux , il parle conformement a son ca-
ractere historique, a sa legislation sacree; que,
par un dogme expres du Koran , I'amour est I'ob-
jet des travaux de tout musulman fidele, et sa
recompense jusque dans la vie a venir, Les cri-
tiques auraient toutefois raison si I'amour do
Mahomet I'arretait dans sa marche; mais certes,
il n'en est pas ainsi,, puisque celle qu'il aime et
son rival aime sont precisement ceux qu'il fait
agir ])our consommer la mine de son plus redou-
table adversaire. On pourrait se plaindre encore ,
si Mahomet s'exprimait en heros de roman , comme
ont fait souvent sur notre scene et des conquerans et
de vieux monarques; mais Voltaire n'avait garde de
LITTERAIRES. 397
lumber dans ce faux gout, qu'il avait taut cou-
tlamne apres le judicieux Despreaux. lei nulle
declaration d'amour : le spectateur sait la raison
du trouble de Mahomet ;Palmire I'ignore jusqu'au
cinquieme acte. C'est la seulement que Fimpos-
teur lui decouvre ses projets sur elle; mais alors
il s'explique en maitre; et nous verrons s'il attie-
dit I'effet tragique. / .
Des que Palmire est sortie pour aller exciter
le zele de Seide , Mahomet s'affermit dans ses des-
seins de vengeance contre une famille qui Tou-
trage. Omar, agent fidele et prompt, vient an ■
noncer a son maitre que Seide est enchaine par
ies sermens, par la religion, par I'amour; il ne
reste plus qua lui nommer la victime ; Seide est
pret a la frapper. Cette nuit, en ce lieu meme,
Zopire doit invoquer ses dieux ; cette nuit il faut
qu'il perisse. Ainsi parle Omar : Mahomet Tap-
prouve ; et Seide parait
,\
:WjS MEI.ANGES
UN MOT
SUR M. ESMENARD
xLt M. Esmenard !
II faut bien parler avec quelque detail de ce
monsieur Esmenard. C'etait , de toute maniere,
un fort petit homme, subalterne comme poete,
comme fat et comme ignorant. Ayant voyage hors
de France, pendant la revolution, il passait pour
un bel esprit chez les marchands de sucre de
Hambourg; et sa reputation poetique etait meme
parvenue dans quelques comptoirs d'Altona, II
avait cause avec I'abbe DelUle en Suisse, et se fai-
sait passer pour son eleve : maniere sure de le
decrier. Le petit abbe, qui, je ne sais comment,
avait oublie qu'une flute n'est pas un orchestre,
revait alors qu'il otait au moins Voltaire : il vit
Esmenard; il lui prouva, par un vers de Yirgile,
qu'ApoUon lui - meme avait quitte la France ;
qu'ApoUon, c'etait evidemment I'abbe Delille; et
qu'en consequence d'un depart si fatal personne
ne savait plus a Paris la mesure d'un vers, et
LITTERAIRES. 399
qn'oii y avail renonce a la langue francaise pour
adopter le bas - breton. II boiulait majestneuse-
ment la France , qui s'etait mal conduite a son
egard , disait-il : apparemment en lui ouvrant ses
portes, et en le nommant, pendant son absence,
inembre de I'lnstitiit national. Au reste, on pou-
vait esperer de le revoir a Paris , si la republique
voulait bien cesser d'etre , et si , par consideration
pour lui, on se liatait de retablir les abbayes et
la royante. Esmenard, bien endoctrine, revint en
France apres le 18 brumaire. 11 y trouva, dans
le ministre Talleyrand , un protecteur digne dn
protege. II fit une ode en faveur de Bonaparte :
il le comparait au soleil, en mettant, comme il est
juste, le soleil en rang inferieur. Dans un terns
ou les flagorneries les plus lourdes passaient pour
tres- fines, on sut gre a I'auteur d'avoir rajeuni
cette comparaison pen usitee, depuis messieurs
de Go?nbaud, de Gombeiville et de la Menardiere ' ,
I. MM. de Gombaud, de Gomberville et de la Menar-
diere vivaient tons trois vers la fin du seizieme siecle. Dans
les satires de Boileau, il est souvent fait mention d'eux, mais
rarenient a leur avantaij;e. Le premier a fait de plates trage-
dies etqnelques mauvais sonnets, dont un seul merita d'etre
remarque. Il commencait ainsi :
Le grand Montmorency n>5t plus qu'un pen de cendre.
Le second a fait un grand nombrc d'ouvrages en prose et
/,oo MELANGES
poetes dii X Vir" siecle , les Esinenards de leur tems ,
et tres-connus, au moins par les satires deBoileau.
Esmenard , non content de son ode , publia qua-
rante-hiiit vers a compte sur un long poeme de la
Navigation, dont il menacait le public. Ces vers
etaient niediocres, de veritables vers d'ecoliers,
dans la maniere infmiment affaiblie de Delille et
de Fontanes; hommes dont, toute opinion poli-
tique a part , le talent correct et brillant ne pent
etre raisonnablement conteste. Esmenard fit ou
fit faire pour les journaux cinq ou six articles louan-
geurs sur lui , son ode et ses quarante - huit vers;
il parut dans les lycees, dans les coteries, et prit
toutes ses mesures pour etre un grand homme.
Sa comparaison du soleil lui valut une place : on
le fit chef du bureau des theatres, dans la divi-
sion de Tinstruction publique , au ministere de
Tinterieur.
Comme la manie des petites vanites a toujours
en vers dont il reste a peine un souvenir. Quant au troisieme,
le triste succes A'Alinde, tragedie dont on avait preconise I'ex-
cellence par anticipation, lui valut de la part de Boileau une
remontrance severe mais justement meritee. II parait que c'est
contre lui particulicremcnt que sont diri{;;es les vers places en
tete du premier chant de \ Art Poetique. Toutefois il est a re-
niarquer que, sans plus de litres a I'illustration, ces trois mes-
sieurs out eu riionneur de sieger a I'Academie.
[Note de VEditeur.
J.ITTERAIRES. /,or
ete d'agrandir les petites choses, il se disait ef-
frontenient administrateur general de tons les
theatres de France , qiioiqu'il n'en administrat
aucun, pas merae les danseurs de corde. Dans
sa sphere etroite, il sentit qu'il pouvait nuire, et
il nuisit. 11 s'avisa de se croire sur ma route , lors-
qu assiirement j'etais loin de me tronver sur la
sienne. Moitie rancune contre ceux qui n'avaient
point ete ses compagnons de voyage , moitie
basse jalousie contre tout ce qui avait plus de re-
nommee que lui, ce qui embrassait une grande
etendue, le succes ^ Henri VI] I lui porta om-
brage ; et il resolut de i'interrompre. Il signifia
done au citoyen Maheraut, commissaire du gou-
vernement pres le theatre de la republique , que
le premier consul , le ministre et lui se trouvaient
choques de cjuelques passages de cette tragedie ;
que I'auteur, en la retirant , satisferait le premier
consul, lui et le ministre; que, dans tous les cas,
on devait cesser de representer la piece ; que cela
etait arrete entre lui, le premier consul et le mi-
nistre. Je recus cette injonction burlesque avec
le mepris que devait inspirer I'autorite d'Esme-
nard. J'allai trouver le ministre Chaptal, chimiste
habile, homme fort mediocre sur tout le reste,
nul pour les travaux poliliques , a moins qu'on
ne veuille parler d'un projet d'organisation de
I'enseignement, projet qui n'etait propre qu'a tout
OEuvres posthmiics. HI. 20
/,o^ MELANGES
(lesorganiser, et si vicieux que, repousse sur-le-
champ par I'opinion universelle, il echouameme
au conseil d'etat. C'etait, cl'ailleurs, un Languedo-
cien passablement delie, d'abord ministre par
interim , ensuite coufirme par hasard , mais sa-
chant se plier aux circonstances, pt tres-determiiie
a conserver le ministere '. Il me parla de la colere
du premier consul , de mon discours sur les tri-
hunaux speciaux^ et m'invita a retirer la tragedie
A' Henri VIII. Je lui dis que mes opinions, comme
tribun, n'avaient rien de commun avec mes tra-
vaux litteraires , surtout avec une piece de theatre;
que je ne retirerais point la piece; et que, puis-
qu'on voulait interrompre ses representations, il
fallait prendre sur soi de la defendre, ainsi que
Robespierre et ses amis avaient fait defendre , il
y a quelques annees , Charles /Z comme royaliste,
Fenelon comme fanatique , et Cuius Gracchus
comme favorisant I'aristocratie.
I. Le portrait que Chenier donne ici du I'espectable Chaptal
ne ferait pas honneur a son beau caractere , et surtout a son
gout, si sa conscience avait pris part a cette injuste diatribe;
mais il est facile de voir quelle est toute entiere le fruit du
depit le plus marque , et que Chenier crut se venger par Ik
d'une atteinte portee a sa gloire litterairc. Genus irritabile
vatum ! [Note de I'Editeur. ) ,
LITTERAIRES. 4o3
REFLEXIONS
SUR VOLTAIRE'.
OuE de petitesses dans un si grand homme !
voyez comme il recherche , comme il appelle la
louange , sans choix , sans distinction de per-
sonnes ! Chose etonnante , qn'un genie qui me-
I. Ce morceau paraitra curieux en ce qn'il pourra servir a
contre-balancer les louanges continues que Chenier donne a
Voltaire a chaque page de ses ceuvres. Comme poete, il est
vrai, trop souvent il s'abandonne a son enthousiasme; parfois
meme on pourrait lui reprocherd'outrer I'eloge; mais, lorsque,
deposant son hith, Chenier saisit la plume de I'ecrivain, c'est
alors que son gout s'epure, que sa critique devient saine et
judicieuse; c'est alors qu'il est reellcment lui-mcme. I! nous
en offre un long et glorieux exemple dans son Tableau de
la litterature. Il est done probable qu'apres la lecture de ce
fragment sur Voltaire ceux qui out pu taxer Chenier d'une par-
tialite sans bornes (etil en est beaucoup), retracterontbientot
un jugement trop severe, et qui finirait par devenir injusle,
s'ils perseveraient plus long- temps, [Note de rEditeii?-.)
/,o4 MELANCxES '
I itail tant d'eloges les aimat si passionnemeiil ! [.e
desir ties louanges, guide par iin discernement
siir, est precisement ce qui fait les hommes ex-
traordiiiaires ; mais , prive de ce discernement , mais
pousse jusqu'a I'exces, il devient pueril et con-
damnable. Voltaire donne a vingt litterateurs me-
diocres des brevets de celebrite ; et lenrs noms ,
deposes dans ses ecrits, parviendront aiix gene-
rations futures, qui demanderont le titre de teurs
ouvrages.
Ses satires, souvent justes, puisqu'il etait sou-
vent atlaque , souvent plaisantes , originales ,
energiques , et , dans un genre different , egales
aux meilleures du dernier siecle, sont aussi quel-
quefois injustes, pen decentes, et meme indignes
de lui quant a la partie du style : telle est surtout
cette longue et amere diatribe intitulee : la Guerre
de Geneve; facetie injurieuse pour lui seul , et
dirigee principalement contre un philosophe dont
II devait au moins respecter les malheurs, etqu'on
serait tente de nommer son egal , si Voltaire avait
eu des eeaux dans ce siecle.
Mais , tandis qu'il s'efforcait d'accabler des gens
de merite qui, je ne sais comment, lui faisaient
ombraije, il courtisait des rois, et se donnait des
chaines par vanite. Esclave d'un monarque du
nord, qui joignait a de grands talens, a de
grandes qualites, les vices inseparables des des-
LITTERAIRES. 4o5
potes, I'auteur de yierope et du Steele de Louis XIV
allait supporter en Prusse et les degouts arbi-
traires, et, ce qui est pis encore, une admiration
que partageaient avec lui I'auteur de Venus phy-
sique ■ , et le chantre de Manoii ^. : ,
Lisez maintenant les QiarneX?* puTiegyriques du
feu roi Louis XV, prince qui meritait des louan-
ges en quelques parties, mais qu'il exalte en
toute chose, et beaucoup plus que Pline le jeune
n'a jamais exalte le divin Trajan; lisez les vers
et les epitres dedicatoires qu'il adresse tour-a-tour
aux maitresses de Louis XV. Que ce personuage
est pen digne d'un philosophe ! Quel emploi d'en
censer un monarque jusques dans ses faiblesses
honteuses et souvent funestes! Ah! sans degrader
a ce point la poesie, que ne les abandonnait - il
a la severite de I'histoire ? Si des rois reveres
long - temps apres leur regne out pu connaitre
ces erreurs, ils sont reveres malgre elles, et non
pour elles; et, sur un pareil article, Thistorien le
plus flatteur ne temoignerait son adulation que
par le silence.
Attentif a tons les mouvemens de la fortune,
et toujours aussi rapide qu'elle, il chantait les
favoris et les ministres des que la renommee pu-
I Manpcitiiis.
2. L'ablx- Prt'vosl,
4o6 MELA.NGES LITTERAIRES.
bliait leur elevation. Ne doutons point qu'il n'ait
souvent rougi de ses h^ros : aussi lui est-il arrive
quelquefois de se retracter , du moins apres leur
mort. S'il n'eut rendu justice a la memoire de ce
cardinal de Fleuri , qu'il avait tant lone de son
vivant, on pourrait croire que ses louanges etaient
sinceres , et qu'il avait eu le malheur de se trom-
per. Les hommes qui n'ont pas perdu toute pu-
deur conviendront qu'il vaut mieux se tromper
grossierement que de mentir a soi-meme.
Mais peut-etre a-t-il toujours ecrit ce qu'il
pensait ; peut-etre ne s'est-il desabuse qu'a la
mort de ces hommes puissans dont il s'etait fait
le panegyriste. On est heureux, du moins, de se
desabuser si a propos ; et il est assurement tres-
prudent de retracter les eloges qu'on a donnes a
vin«;t ministres , quand on ne pent plus rien
esperer ni ricn craindre d'eux, et quand on est
certain de plaire aux nouveaux favoris en rabais-
sant leurs predecesseurs.
FRAG MENS
PHILOSOPHIQUES ET LITT^RAIRES.
AVIS DE L EDITFAIR
J_jes pieces suivantes que nous offrous au public, sous
le titre de Fragtnens philosophiqucs et litteraires , sont
des passages detaches que nous avons trouves epars dans
les manuscrits ineditsde Chenier. II parait que, quelques
annees avant sa mort, cet ecrivaiu distingue avail concu
le plan dun grand ouviage, et que la plupart des mor-
ceaux que nous iniprimons ici etaient autant de mate-
riaux destines a le composer. Ce qui nous porte a le
croire, c'est qu'en tete de chacun de ces articles il avail
ecrit : Fragment d'un grand ouvrage.
Gonvaincu que le public accueillera avec plaisir lout
ce qui peut enrichir I'edition des ceuvres de notre au-
teur, nous avons reuni et classe , avec le plus d'ordre
qu'il nous a ete possible, ces ebauches philosophiques
et litteraires, qui, nialgre liniperfection inevitable du
premier travail, laissent clairement entrevoir loute I'e-
rendue et la protondeur du sujet qu'il voulait exploiter.
Chenier ofire, dans le premier jet de cette vaste com-
position, dont il est a regrelter que sa mort nous ait
prives si vite, I'exemple tant de fois demontre que le
giand homme se revelejusque dans les moindres choses.
<■■*-*<■<-< c-t-ot-t-* «-<■<>-«-
FRAGMENS
PHILOSOPHIQUES.
»« e« ««««*»« «^« 9
L
Si Dieu venait a parler ou a ecrire, il faudrait
I'eii croire sur sa parole; mais I'autorite d'un
homme n'est rien. Pour avoir raison, quand on
est homme , il faiit deraontrer qu'on a raison ; et
demontrer, ce n'est pas prouver qu'une chose
pent exister ainsi, c'est prouver quelle ne pent
exister autrement; et ne dites pas : les verites
mathematiques sont les seules qu'on puisse de-
montrer. On demontre tout ce qui est soimnis a
la raison humaine, tout ce qui tient aux hommes;
on ne saurait demontrer ce qui ne leur tient pas:
aussi n'y a-t-il pas de demonstration en meta-
physique. Pope , dans un excellent poeme, a voulu
demontrer que tout est bien. Pope n'a rien de-
montre , sinon qu'il avait un grand genie. L'eve-
que d'Avranche, Huet, apres beaucoup d'autres,
a voulu demontrer notre religion; et I'eveque
d'Avranche, avec tout son esprit et ses profondes
connaissances, n'a fait qu'abuser du raisonnement,
en I'exercant sur des matieres qui sont neces-
4i'^ FRAGxMKNS
sairernent aii-dcia dc nous, laiil quo j'aurai be-
soin de loi pour j)enser comme w)iis, je ne vois
que des mots dans ce que vous appelez demons-
tration. Le mystere de I'incarnation , quoiquo
d'ailleurs si respectable, n'est pas plus facile a
prouver evidemment que les mensonges de I'Al-
coran, ou les aventuies du boeuf Apis et du dieu
Vo. On me dit qu'il fait jour : mais j'ouvre les
yeux, et je n'y vois goutte. Telles sont les de-
monstrations des metaphysiciens, avec leurs clii-
meres du libre-arhUre et de Voptirnisme, et taut
d'autres belles choses aussi profondes quutiles.
La unit <lure encore depuis les livres du beau
diseur Platon jusqu'a ceux du methodique et
savant Contlillac. Courage! il faut esperer qn'elle
finira. Pour moi : .
« Raisonncr est remploi do loulc ma inaison ;
« Et Ic rai!*onnement en l)aunil la raison. »
■ II.
SUR LE DESPOTISME.
OiN sait quelle est rongine du despotisme. Une
peuplaile est en guerre contre uno peuplade voi-
sine : le citoyen le plus robuste et le plus cou-
rageux est elu clief de I'armee. L'empire entre..
ses mains nest qu'une commission passagere; un
second chef le rend inamovible ; un troisieme
liereditair(;. Bientot les parens du prince font une
PHILOSOPIIIQUES. 4i3
classe a part; ils out tous les honneuis, tous les
emplois : voila le commencement dune noblesse.
Mais il importe au prince de I'asseoir sur des
bases solides : alors il forme des charges hono-
rifiques, il accorde des privileges, il favorise quel-
ques families; et c'est en donnant ainsi de la puis-
sance a cette noblesse qu'il augmente et affermit
sa propre autorite. . -
Le droit arbitraire d'un seul homme sur la
vie, les biens, la liberie de tous, caracterise le
despotisme. Le monarque n'a point ce droit odieux,
puisque le monarque n'est point an-dessus des
lois. Les tyrans ont voulu le conquerir; ils ont
invente les lettres de cachet , punition ou plus
souvent encore vengeance absurde, quelquefois
obscure et cachee dans I'ombre, lorsqu'il est be-
soin de supplices. Get effroyable usage s'est per-
petue en France, non-seulement sous les tyrans,
mais encore sous les rois faibles, ou meme justes
et bons, grace a des ministres imbeciles ou me-
dians. Les bastilles se sont multipliees ; et tel
homme a portedes chaines pour avoir fait un bon
ouvrage, ou bien pour avoir deplu a la maitresse
d'un roi, d'un ministre, peut-etre meme d'un
premier commis. Potentat revere, les gemisse-
raens de tes sujets formeraient-ils un concert
agreable a ton oreille? Ou, si tu n'es point ne
/ji4 FRAGMENS
cruel, con^ois-tii une condition plus deplorable
que la tienne ? Seduit des I'enfance , dupe de ton
education royale, depuis gouverne, trompe par
des ministres et des prelats, esclave de tes mai-
tresses , de leurs amis , et de ceux de ta couronne !
Malheureux ! tes propres vertus te sont inutiles :
des despotes subalternes t'ont condamne toi-
meme a la servitude; ta cour n'est qu'une vaste
et superbe bastille ou Ton feint de t'adorer : meme
exempt deremords, lu portes en effet des chaines;
et Tor fastueux qui les couvre ne sert qu'a les
rendre plus pesantes.
III.
Le legislateur qui parvient a rendre un peuple
heureux, libre, vertueux, est sans contredit le
premier des liommes. Mais, au point ou en sont
les choses dans I'Europe entiere, quel souverain
oserait entrepiendre cet important ouvrage? En
attendant que la presence d'un homme envoye
du ciel honore des contrees dignes de lui , et
puisse animer lui corps politique, voici, ce me
semble, ce qu'il faudrait faire pour etre un vrai
legislateur. La paresse des citoyens est le plus
grand vice d'un etat : n'encouragez pas, rendez
necessaires le travail et I'industrie ; honorez-les;
gardez-vous de rendre un peuple mercenaire. J'al
connu dans le monde un philosoplie qui pre-
PHILOSOPHIQUES. 4i5
tendait que, dans line chose publique bien goii-
vernee , les lois attacheraient une fletrissure a la
richesse. Get avis vous semble exagere; c'est pour-
tant mon avis maintenant; et , si vous me pro-
mettiez d'y reflechir, j'ose penser qu'il pourrait
devenir le votre.
IV.
Pour meriter le nom d'honnete homme, suffit-
il de ne pas voler, de ne pas tuer? II y a vingt
ou trente ans, je ne sais quel livre philosophiqiie
fut condamne au feu par le parlement de Paris.
Un magistrat, dit-on, commenca son avis de cette
maniere : Jusques a quand, messieurs, ne brule-
rons-nous que des livres?
Cette phrase, digne d'un inquisiteur, pouvait-
elle sortir de la bouche d'un honnete homme? Je
demande si I'intolerance ne suppose pas un man-
que d'humanite , et si Ton pent etre honnete
homme quand on n'est pas homme.
V.
On a ecrit, je ne sais plus oii, que le chance-
lier de I'Hopital soutint dans une occasion que
les rois ne doivent pas rendre compte aux siijets
de leur conduite; et que leur volonte doit pre-
valoir contre les lois. II faut plaindre le chance-
lier de I'Hopital , s'il a dit cette impertinence. Ceux
qui connaissent sa vie et ses ouvrages convien-
4i(i fra(;mens
ilront que ce n'etait pas la sa maniere de penser.
Ce propos est celui d'un homme tres-borne on
tres-lache; et le cliancelier de I'Hopital n'etait ni
run ni I'autre. Cette doctrine est celle du clian-
celier Duprat, qui n'etait point iin homme borne,
mais un homme vil. II accabla la France d'impots,
etablit la venalite des charges , et reussit fort bien
en son tems a souiller la magistrature , et a dimi-
nuer la force des lois.
YI.
Ceux qui ont dit que le siecle dernier etait
bien moins eclaire que celui-ci ont dit une ve-
rite don I il n'est pas perm is de douter, quand on
veut y reflechir. Ceux qui ont deprime le dernier
siecle pour exalter celui-ci ont eu grand tort.
II faut observer d'abord que notre siecle est en-
richi de toutes les lumieres du precedent. Pour
les comparer ensemble, on doit done fixer deux
epoques: la premiere, depuis la fin du seizieme
siecle jusqu'a la fin du dix-septieme; la seconde,
depuis la fin du dix-septieme jusqu'a present. II
ne serait pas tres- utile, mais il serait curieux
d'examiner dans laquelle de ces deux epoques
I'esprit humain a fait le plus de progres.
VIL
L'ima»itiation a des idecs en abondance, mais
PHILOSOPHIQUES. 417
sans ordre ; le genie unit I'ordre et la fecondite ;
on plutot le genie n'est que I'ordre lui-meme.
L'imagination va sans cesse au-dela du but; ses
productions sont gigantesques ; elle peint tout
avec force, mais sans verite. Le genie est toujours
vrai; le genie est la verite meme. Aux yeux du
genie, tout se rassemble, tout prend des formes
energiques. L'imagination n'a point d'yeux , et ne
connalt que des fantomes : elle ne crea jamais ,
puisque rien chez elle n'a une veritable existence.
Le genie seul est createur. L'imagination enfante
le chaos. Le genie le debrouille.
VIIL
Le monde est un vaste cimetiere, ou des mou-
rans se promenent sur des morts.
IX.
Le Poussin , dans un tableau celebre , repre-
sente les bergers d'Arcadie. C'est la vraie pein-
ture de la vie humaine : une danse sur des tom-
beaux.
X. --■
Les siecles devorent les siecles; les cites nou-
velles, debout sur les cadavres des cites antiques,
OEuvres posthumes. III. 9. '1
4i8 FRAGMENS
mcureiit el s'ensevelissent h leur tour; la pensee
de rhomme reste immortelle '.
XI.
Extra vagans ! vous croyez qu'il y a quelqiie
chose de commim cntre Dieu et vous, que Dieu
vous a parle, que Dieu vous a revele ses secrets!
Imbeciles mortels ! si vous parliez a la fourmi qui
rampe sous vos pieds, enteudrait-elle votre Ian-
gage? Et, s'il est vrai qu'aux regards de Dieu vous
soyez plus que la fourmi , du moins vous avouerez
que vous etes beaucoup moins devant ce Dieu
que la fourmi n'est devant vous. Dieu est Tinfini;
vous etes le fini comme cet insecte imperceptible;
et a regard dc Tinfini un million est egal a un.
XII.
Les hommes superieurs influent sur leur epo-
que, mais toutefois ils en dependent. Placez Locke
ail treizieme siecle: a peine eut-il ete saint Glio-
mas; et saint Thomas, au dix-huitieme siecle, au-
rait surpasse Condillac.
1. On retrouvc cette belle pensee vers la fin de I'epitie a
Voliaire.
« Vain fspoirl lout s'eleinl; les concfuerans pcrissent; etc. »
Yoyfz tome III di's OFivbes akciexnes.
PHILOSOPIUQUES. 4,9
/
XIII.
Si Ton voulait ne connaitre que des gens par-
faits , Ton ne vivrait avec personne , excepte avec
soi.
XIV.
II peut exister des vertus avec le fanatisme; il
ii'en est point avec Thypocrisie.
XV.
Les batailles sanglantes dont les generaux font
tant de bruit sont presque toujours de grands
evenemens pour les gazettes , et de petits evene-
mens pour rhisloire.
'^1'
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FRAGMENS LITTERAIRES.
I.
QuFLQUES prosateurs ont assure qu'il est aussi
difficile d'ecrire en prose qii'en vers; ce qui n'est
pas , parce que cela ne pent pas etre. Ainsi Cor-
neille, qui n'ecrivait point la prose avec eclat,
I'ecrivait mieux qu'aucun de ses contemporains
avant Pascal; Boileau Tecrivait avec bc^aucoup de
purete et d'elegance. Deux lettres polemiques de
Racine , et un discours prononce a I'Academie ,
demontrent non pas qu'il pouvait cxceller, mais
qu'il excellait dans la prose. II ne lui a manque
dans I'Histoire de Port-Royal qu'un sujet moins
oiseux et vraiment digne de la gravite de This-
toire. M. de Voltaire n'a guere eu de rivaux dans
cette langue, qui n'est pas la langue poetique; et,
pour en dire mon avis, sa prose est superieure a
ses vers. Moliere, en son genre tempere, ecrivait
egalement bien les deux langues. Au contraire,
de beaux genies parmi les prosateurs sont au-
dessous du mediocre qnand ils veulent etre poetes :
c'est qu'il est plus aise de descendre que de
FRAGMENS LITTERAIRES. 421
monter; et lisez, pour vous en convaincre , les
vers de J. J. Rousseau, une certaine ode de Fe-
nelon, une plus detestable encore de cet eloquent
Bossuet; et, si cela ne vous suffit pas, voyez un
peu ce que Pascal appelle beautes poetiques :
Fatal laurier, bel astre, etc. H y a un peu mieux
que cela dans Britannicus et dans Athalie.
D'autres ont pretendu que toutes les beautes
poetiques peuvent se transporter dans la prose.
Certes , malgre I'affectation de quelques prosateurs
de ce siecle a singer les tours et les locutions
poetiques, je doute qu'un seul osat mettre dans
sa prose ce vers de Malherbe ,
n Et les fruits passeront la promesse des fleurs ; »
Ou ceux-ci de La Fontaine : .
n Mais vous naissez le plus souvent
<( Sur les humides bords des rovaumes du vent. »
Les vers suivans, qui sont CClphigenie^ feraient-
ils un meilleur effet reduits en prose, c'est-a-
dire exempts de la rime, de la mesure et des in-
versions ?
'< Pour comble de inalheur, les dieux, toutes les nuits,
« Des qu'un leger sommeil suspendait mes ennuis ,
« Vengeant de leurs autels le sanglant privilege,
"Me venaient reprocher ma pitie sacrilege,
«Et, presenlant la foudre a mes cspiits confus,
« Le bras deja leve, menaraient mes refns. »
422 FRAGMENS
Qu'est-ce que voudra dire en prose le sanglant
prwilege des autels; la pitie sacrilege cT Agamem-
non ; lafoudre presentee a des esprits ; et des refus
qu'on menace le bras leveP Ce langage est celiii
d'un prophete. Les beautes poetiques n'ont done
rien de commun avec la prose; et ce sont deux
choses absolument separees. Ces exemples prou-
vent de plus que notre poesie ne consiste pas,
comme on I'a souvent imprime (et que de sottises
n'a-t-on pas impriraees!), que notre poesie, dis-
je, ne consiste pas seulement dans la rime, la
mesure et les inversions. Bien est-il vrai qu'il faut
tout cela dans la poesie ; mais il y faut encore une
profusion d'images , une audace de mots dont la
prose ne saurait donner qu'une faible idee. De la
vient qu'un excellent prosateur, traduisant un
excellent poete, est toujours moins precis que
I'original , dont 11 ne peut rendre qu'a force de
mots les tours rapides, les expressions devorantes.
Encore y a-t-il bien des choses qui sont necessai-
rement perdues, outre les inversions; I'harmonie
delicieuse, qu'il faut toujours admirer dans notre
beau Racine, et, pour finir en le citant,
Je ne sais quelle grace
Qui me charme toujours, et jamais ne me lasse.
Il est tout aiissi pen sense d'affirmer qu'il ne
faut pas cherclier rinstruction dans les poetes. II
LITTERAIRES. l^i'b
ya sans doiite des poetes qui pensent pen; mais
penser peu n'est pas I'essence de la poesie. Bien
loin de la! Le style des poetes non penseurs se sent
toujours du vide de leur tete. Quelle difference du
style de J. B. Rousseau a celui de Racine , a celui
des beaux ouvrages de Corneille et de Voltaire,
a celui de quelques excellentes epitres de Boileau,
de I'admirable satire sur rhomme, et des beaux
morceaux de La Fontaine! Pope, malgre son
tout est bien^ ne pensait-il pas assez? L'Essai sur
rhomme en fait foi peut-etre. Y a-t-il en prose
un ouvrage aussi court et aussi instructif , dans
ces vaines questions de metaphysique? Qu'on ne
dise done plus: le poete ne doit pas songer a
instruire. Voila bien, en tout genre d'ecrire,
quel doit etre son premier but; et je ne connais
d'autre poete que celui dont parle Horace :
Itigenium cut sit, cui mens divinior , atque os
Magna sonaturum , etc.
Hoiat. Sat. IV, lib. I.
Il a done, outre I'imagination , une intelligence
divine; et vous voyez bien qu'il doit chanter, non
pas de grands mots, mais de grandes choses.
II.
Les trois fameux tragiques d'Athenes ont sou-
vent travaille sur les meraes sujets. II existait en
4^4 FR/^GMENS
France une Sophonisbe avant celle de Corneille.
De mauvais poetes francais s'etaient exerces, avant
Racine, sur les sujels d'^teocle et de Poljnice,
de Phedre , A'Iphigenie, di Esther. M. de Voltaire
a fait un OEdipe, apres celui de Corneille; une
Mariamne, apres celle de Tristan; un BruLuSy
apres celui de Fontenelle, ou, si Ton veut, de ma-
demoiselle Bernard; une Mort de Cesar, apres
celle de mademoiselle Barbier; une Merope, apres
YAmasis de la Grange et le Telephonte de la
Chapelle; un Oreste, une Semiramis , un Cati-
lina^ un A tree meme, soit du vivant de Crebillon ,
soit apres sa mort. II a toujours ete permis aux
poetes d'essayer de nouveau les sujets qui leur
paraissaient manques par d'autres. Si Ton fait
plus mal , on ne saurait nuire a ses predecesseurs ;
si Ton fait mieux , c'est un service que Ton rend
au public.
III.
Sur les Tragiques Grecs.
Quelques personnes pretendent que les tra-
giques grecs sont declamateurs : cette opinion a
ete, sinon creee, du moins adoptee par feu M. de
Voltaire, en quelques endroits de ses ouvrages.
Je ne la crois pas fondee ; et , pour prouver la
mienne, j'irai chercher ses propres imitations
de Sopliocle, et surtout les imitations d'Euripide,
LITTERAIRES. 425
qui ont illustre notre grand Racine. Lisez, au pre-
mier acte de la Phedre fran^aise, cette belle scene
entre Phedre et sa confidente : elle est a-peu-
pres traduite d'Euripide. Ecrite par un poete
mediocre, cette belle scene serait devenue une de-
clamation fastidieuse. Personne n'a mieiix connu
le vrai langage des passions que ces anciens
Grecs; et si, en traduisant leurs pensees, Se-
neque, Longe-Pierre et d'autres, ont ete decla-
mateurs, c'est qu'ils ont substitue a I'energie, a
la simplicite, a la gravite du style antique, leur
propre style , c'est a dire , la bouffissure et la fai-
blesse. Cette declamation, si injustement repro-
chee aux Grecs, est le defaut qui domine dans
les poetes espagnols. Il se fait remarquer avec
beaucoup d'autres dans cet etrange poete du
Nord , si ridiculement exalte depuis quelques
annees par des gens de lettres francais, dans ce
Shakespeare, qui a mele tous les tons, confondu
tons les caracteres , et qui , pour quelques beautes
dispersees dans trente ouvrages, dont la masse
estaussi monstrueuse que la forme, offre a chaque
instant les fautes les plus ridicules ou puisse
tomber un ecrivain , et souvent porte le delire et
Findecence a un degre humihant pour I'humanite.
4'^C FRAG ME INS
IV.
Sur Corneille et Racine.
CoRNEiLLE etait un genie superieur a Racine;
mais Racine avail un bien plus grand talent que
Corneille. C'est par le talent que Racine I'emporte
sur tons les poetes du lems moderne, et qu'il n'a de
rival que Virgile dans les litteratures anciennes.
V.
Su7' Jean- Bap tiste Piousseau.
J. B. Rousseau est venu apres Boileau et Ra-
cine : il est leur eleve, et, malgre son talent, il
est loin d'egaler ses maitres. Si Malherbe eut ecrit
sous Louis XIV , Racine et Boileau ne lui seraient
pas superieurs.
VI. ; '
Sur Cervantes.
CERVANTEsaeule secret d'etre correct en fai-
sant un ouvrage de plaisanterie qui tient quatre
volumes.
VII.
Sur La Chaussee.
La Chaussee est un auteur estimable , qui ne
connaissait pas mediocrement la societe. Ses vues
LITTERAIRES. 4^7
sont quelquefois tres-fines, ses sujets tres-bieii
concLis; mais, il faut en convenir, son esprit et
ses talens poetiques etaient fort loin d'egaler sa
judiciaire.
VIII.
Sur La Harpe.
On demande pourquoi le sujet de Coriolan a
toujoiirs ete manque, du moins en France. Quel-
ques personnes pensent qii'on ne pent trailer ce
sujet d'une maniere heureuse : I'opinion pourrait
etre fondee , s'il eut ete Tecueil d'un Corneille ,
d'un Racine ou d'un Voltaire.
IX.
Suj' Lefranc de Pompignan.
M. DE Pompignan, considere comme littera-
teur, avait un merite pen commun. II admirait,
il sentait Sophocle et Pindare ; mais il n'etait
point ne pour les atteindre. Une belle strophe et
quelques vers pathetiques ne sauraient le placer
au rang de ces hommes divins. La lecture assidue
de Racine et des anciens modeles avait pu sans
tloute lui former une oreille harmonieuse , mais
non lui donner ce genie bridant qui seul fait les
grands poetes, cette f^condite merveilleuse, cette
hauteur de conception qu'obtiennent a peine trois
4^8 FRACMENS
ou quatre hommes clans iiii siecle favorise de la
nature.
X.
Le principal defaiit du style de notre Didon
francaise est d'etre souvent faible et vague. Ce
style approche quelquefois du style niais. C'est
celui de tons les gens qui ecrivent sans penser;
et par consequent ce sera toujours celui de beau-
coup de monde.
XI.
Sur RotT'ou.
Un style souvent noble et ferme, des carac-
leres tragiques, des beautes d'un ordre superieur ,
placent le Venceslas de Rotrou fort pres des bons
ouvrages de Corneille. Get auteur est mort a
quarante-deux ans, apres avoir fait plus de trente-
six Pieces, en cinq actes, tant comedies que tra-
gedies. Elles sont toutes en vers : le seul Fences-
las est reste. S'il avait mis le tems que lui ont
coute tous ces ouvrages a n'en composer que la
quatrieme partie, Rotrou eut donne un grand
liomme de plus a la nation. Aujourd'hui meme
que la langue est entierement formee, le genie le
plus fecond ne pourrait, dans une vie aussi courte,
fournir, a beaucoup pres, ce nombre etonnant de
grands ouvrages en vera. Une seule piece excel-
LITTERA.IRES. 4^9
lente vaiit mieux que cent volumes m^diocres.
Cette verite n'est pas neuve ; mais elle est tres-
importante; et meme, en lisant les recueils de
nos plus grands maitres, on est tente de la re-
peter souvent.
XII.
SuT' Saint- Evremont.
Saint-Evremont qui a deploye, sinon beau-
coup de profondeur, du moins un bon esprit dans
ce qu'il a ecrit sur le genie philosophique des
anciens Remains, a loue serieusement le grand
Corneille d'avoir fait parler galamment Cesar,
Sophonisbe et Maxime; mais, ce qui est bien pis,
le meme Saint-Evremont s'est plaint de n'avoir
trouve rien de galant dans Ics G^orgiques et dans
\ Eneide.
XIII.
Sw madame de Simiane.
Comme petite-fille de madame de Sevigne , ma-
dame de Simiane se croit forcee d'avoir de i'es-
prit. Elle en a sans doute, et beaucoup ; elle est
encore de la famille; mais I'inimitable n'etait plus.
XIV.
Sur Voltaire .
An lieu d'etre injuste envers Sojjhoclc, M. de
43o FRAGMENS LITTERAIRES.
Voltaire aurait dii , peut-elre meme apres son
succes, refaire son OEdipe; substituer a son
exposition assez commune cette magnifique expo-
sition de Sophocle, la plus belle qu'on puisse
citer dans aucune piece et dans aucune langue ;
aneantir ce role de Philoctete , et ces vieilles
amours de Jocaste, tache monstrueuse dans un
bel ouvrage, et ne point oublier la scene des
adieux d'OEdipe a ses enfans , scene d'un admi-
rable pathetique, et qui contraste parfaitement
avec les scenes terribles qui sont frequentes dans
cette piece.
FIJV DU TOME III ET DERNIER DES OEIJVRES
POSTUUMES.
TABLE
DES MATIERES CONTENUES DANS CE VOLUME.
TABLEAU DE LA LITT^RATURE.
Introduction Page 3
Chapitre premier. — Graramaire; Art de penser; Ana-
lyse de rentendemeut 3o
Chap. II. — Morale, Politique et Legislation 61
Chap. III. — Rhetorique; Critique litteraire gg
Chap. IV. — Art oratoire 126
Chap. V. — L'Histoire i /^a
Chap. VI. — Les Romans 204
Chap. VII. — La Poesie epique : poenie heroique ; poeme
heroi-comiqiie ; imitations ct traductions en vers 249
Chap. VIII. — La Poesie didactique 271
Chap. IX. — Poesie lyrique; Div. petits genres de Poesie . 284
Chap. X. — La Tragedie 296
Chap. XI. — La Comedie 3 1 7
Chap. XII. — Le Drame; les deux scenes lyriques. Coujj-
d'oeil sur les moyens de soutenir I'art dramatique 34 i
MELAISGES LITTERAIRES.
Lecon sur les poetes francais, dcpuis le regne de Philippe
de Valois jusqu';\ la fin du regne de Louis XII 355
I
432 TABLE.
Lf.co!« siir les historians fraiicais ck'puis les cominencc-
nicns dc la monarchic jiisqu'au re^'ne de Louis XII. . . 364
Analyse de la tragedie de Mahomet par Voltaire 382
Un Mot sur M. Esmenard 398
Reflexions siir Voltaire 4o3
Fragmens philosophiqnes 4i ^
Fragmens litteraires 420
FIN PE LA TABLE DES MATIERES.
ki X^^^V ^-fc'* %^^ ■». ^'V*
TABLE
ALPHABETIQUE
J)ES AUTEURS aNCIENS FT MODF.RNES , NATIONAUX ET
ETRANCERS , MENTIONNES DANS CE VOLITME.
A,
GUESSEAU (d'). Orateiu' cclebre, dont les ouvrages ont
eclaire la legislation civile, 76. — La noblesse, I'harmonie,
line elegance continue, mais pen animee, caracterisent ses
nombreux discours , i34.
Alembert (d'). Dans scs Morceaux choisis de Tacite , il est
sec, precis en geomctre et non en grand eciivain , souvent
infidelc an texte, et plus souvent an genie de I'auteur, i6i.
Ai.LART (madame). Eloge de sa traduction du Confessionnal
des Penitens noirs, aSg.
Andrieux (M). Poete distingue dans le conte, 21. — Et dans
le genre coniique, 24. — Son esprit et son cnjoueinent ont
anime des narrations charmantes, 289. — Sa coniedie d'J-
naximandre se distingue par une diction pure , elegante ct
facile , 32 5. — Les Etourdis ont fonde sa reputation ; merite
de cette piece, ibid. — II a lionore la menioire d'Helvetius
et celle de Moliere; mention du Soiiper d'Autruil., ct de la
comedie du Tresor ; qualites distinctivcs du talent de I'au-
teur, 326 et suiv. — Il a contribue a ramener dans la conie-
die le gout egare loin de sa route, 375.
Anquetil. UEsprit de Id Lignr ct Yintriguc du Ciibi/ict :
OEuvics poi^lhuuics. III. 20
434 TABLE
ouvragos iiiu'iessans cl bicn t'crlts, iG8. — II a complctc-
iiu'iit cchoue dans son travail snr VHixtoire Univcrsclle , ibid.
— Son Histoire dc y'/'«/?rt', production sans physionomic ,
long abrege d'cnormcs fatras, 17/1. — Defauts de son ouvrage
intitule: Louis XIV, sa Coiir ct le Regent , i85 ct sim>.
Arnaud (I'abbe). Sos divers ouvrages sur la littcrature ct
sur la musique attircnt ct captivent I'attention la plus diffi-
cile, 108.
Arnauld ( le docteur). A fait avec Nicole la Logiqiic dc Port-
Roynl; eloge de cc livre, 44-
Arnault ( M. ) Ses travaux sur des objets d'instruction pn-
blique, i/j Pootc distingue dans I'apologue, 21 Et
dans la poesie draniatique, 22. — Eloge de ses apologues,
28S. — Considcre comme tragiquc; examen de ses pieces
de theatre, 3oi cl sitiv.
R
Babois (madame). Ses Elegies sur la mort de sa fille, remar-
quables par un style pur, nne versiQcation d'une douceur
exquise , et une poesie qui vient du coeur , 294.
Bacon. A decouvert un nouveau monde dans les sciences,
29. — A montre des choniins nouveaux, signale tons les
ccucils, ct rcjcte comme inutiles aux progres de I'esprit
humain la logique ei la metaphysique des ecoles, 43.
Balzac. A donne a la prose franraisc du nombre et de la
gravite, 126.
Baour-Lorhiian (M). Mentionne comme pootc dramatique,
22. — Quclques morceaux brillans distingucnt ses Pocincs
Gollifjtics , 2G0. — Sa traduction en vers de la Jcritsnlem
delivrec , 266 et siiiv. — Sa tragedie de Joseph, bien ecrite
d'ailleurs, peche par une froide intrigue d'amour et une
froide conspiration , 3 10 et suiv.
Barbl-Mari'.ois (M). Scs travaux dans les diverscs parties
DES AUTEURS. 435
lie reconomie politique, 7. — Talent cxcrce el nouiTi de
connaissances profondes sur tout ce qui tieiit aux finances ,
81.
Barnave. Lone comme orateur, 10.
Barre (M.). L'un des restaurateurs du Vaudeville en France,
348.
Batteux. Son Coiirs de Belles- LcWes n'offrc ni assez d'ins-
truction ni assez d'interet, 99.
Bausset (M. de). Sa Fie de Fenelon, i5.
Beaufort (madame de). S'est distinguee par des vers agi'ea-
bles , 293.
Beauharnais (madame de). Son nom rappelle des succes me-
rites dans la poesie , 293.
Beaumarchais. Auteur distingue dans le drame, 24. — Ses
Memoires dans laffaire de Goezman, i36. — A deploj'e un
talent original dans ses diverses compositions; qualites ct
defauts do cet auteur, 343. — Sa Merc coupcihle ^ piece
energique et neuve, ihid.
Beauvais, eveque de Senez. Ses Oraisons funebres et ses
Sermons, lo. — A prouve qu'on pout reussir a la cuur,
meme en faisant son devoir, 127 et sidv. — A su se borner a
la partie morale de la religion , et n'a traite que rarement le
dogme, ibid, et suii'. — A prevu et annonce une revolution
prochaine, que Louis XV lui-meme entrevoyait malgre les
prestiges du trone, i3i. — Hardi dans la chaire de Ver-
sailles, il a paru timide dans Tassemblee constituante, ibid.
— Depuis Bossuet et Massillon, nul orateur n'a mieux saisi
que lui le ton noble et persuasif qui convient a I'eloquence
de la chaire, i32.
Eeauzee. Sa Graminaire generaie ctraisonnee, ouvrage nouC,
utile, mals d'lm style sec et uiffus , 3o Lc systcme qu'il
a invente pom- noire languc est ingt'nieux, mais eonipliqut',
/,3G TABLE
• 3i. — Sa t induction de Sallustc , infcriciire a ccllcs cjui I'onf
])r(k"etlc(', iHo.
Bkcqijey (M). .Sa tiadiiction des qnatrc preinii'is livics do
V lineidcy 263 et suiv.
Bergasse (M. )• Eloquonl orateur et habile ecrivain, a, dans
lino cause d'adidteic, approfondi une question de morale
pnblique, i36.
Bexon (M.). Eloge de son livre snr la Surete pnblique ct par-
tic uliere , 86.
BiTAiJBE, Sa traduction d'Hamcrc , 270.
Blair ( M. Hugues ) , professeui' a Edimbouii;. Son Cours dc
Rhctorique , ouvrage digne d'une haute estime, et parfaite-
nient concu; il est tonjours juste envers les ecrivains fran-
eais, io5 et sniw
BoT>iN. Son Traitc de la Rrpublique a fourni des idees u
Montesquieu, 76.
BoiLEAC. Son Art poetiquc , chef-d'oeuvre qui ne produit pas
des poetes , mais qui les forme et les inspire, 27 1. — Grand
prosateur, 420.
Bois-Guii.BERT. Sa Dime royal r , ecrite sous la dictee du ma-
rechal Vauban , a jctc quelqiic iumiere sur reconomie pn-
blique, 76.
BoisjoLiN (M.). L'un des talens les plus purs parmi nos tra-
ducteurs en vers; elogc de sa Foret de Windsor , 292.
BoiSMONT (I'abbe de). Elegant ecrivain, mais orateur maniere
ct froid, 127. , .
Boissy-d'Anglas (M.). Louc comme orateur, 11.
BoNALn (M. de). Sa Theoric du pouvoir civil ct religieux n'est
demontree ni par le raisonnement, ni par I'histoirc, 91 et
suiv. — Sa legislation primitive a pour but de faire envi-
sager comme des productions du genie toutes les gothiques
institutions, et d'amencr I'Europe au plus haut dcgre d'in-
DES AUTEIJRS 437
tolerance politique el leliyieiise, 9a et suii.\ — Sa dielion
seche et ses decisions liancliantes ne paiviendronl pas a de-
youtcr I'Eiirope des eciits de Voltaire ct de Montesquieu,
93 et97.
Bonnet (Charles). Ses ouvrages sont reinarquablcs par una
sagacite profonde qui degeneie souvenl en subtilile, /)5.
Bossuel. A, dans ses Oitusons fiinebrcs , porte I'eloquence a
une hauteur ineonnue avant et apres lui, 12G. — Ses enudes
conime sernionaire, 127. — Dans son Disanirs sui l' Hi.stoire
Vuiveracilc , a allie les vues religieuses d'un pontifc aiix
formes d'un grand orateur, 14 i et 174.
BossuT. Son Hisfoiic dcs Matlieinati<iucs , 16.
BouFFLERS(M. de). Cite comme pant'-gvriste academiqne, i/,.
— L'honneur de la poesie erotique, 21 el 292.
BouGKANT (le p.). Eloge de son Histoirc dii traite de ^ycslpha-
lie , 1 4 4 •
BouiLLi (M,). Cite comme auleur diamalique, aS. — Son
drame de \ Abbe de I'Epec , piece touchaiilc, '344.
BouRUALOui.. Sa reputation est exageree a tons egard.', , 104.
— Place connue scrnionnaire a cole de Bossuel, et plus
vante que lui, 127.
BouRGUiCNON (M.). Eloge de ses ecrits .uu la Magistratiue ct
sur les nioyens de perfectionner rinstitution du Jurv, 85.
BoTjRNiAL (M. du). Sa traduction du rouian de Don QuklwlU: ,
aj)preciee, 236.
Brantome. N'a droit d'oblenir place que parmi les conipila-
teurs d'anecdotcs, 143.
Bridaine. Missionnaire. Eloge de son lanieux exorde, loi.
Brosses (le president de). Sa Formation weed 11 ir/ tie des Langues
a jete quelque jour sur les obscurites etyniologiqnes, 3o. —
Sa traduction de Sallastc n'est dignc d'aucun eloge; sa Vic
du ni'jnii; historien, iSg.
438 TABLE
BnuGUiiuEs clu Card (M.). Jcune iaurcat, cite honorablenicnt,
290.
Ijuffier. Quoique jesuite, s'est permis qut'l([uc' pliiiosophic
dans sa Logiquc ct dans sa Mctaphysujiie , l\t%.
BuFFON. En appliqnant I'ait d'ccrire a Thistoire des sciences
et (Ic la natiu'c, a niontrc a quelle hauteur il pouvait at-
leindie, 17. . . >'
BuRNKY (miss). Figure avcc distinction parmi les romancicrs
nioderncs; Cecilia est la raeilleurc de ses productions, 9.38.
BuTET (M.). Sa Lexicographie et sa Lexicoldgie appreciees :
on lui rcproche d'avoir suppose rexistence dc la langue
philosophique, et d'avoir voiilu assnjcttir la gramninire a
ia niarche rigoureusc des sciences physiques et niathenia-
tiqncs, 40 ct suiv.
(Iahanis. a soumis la niedccine a I'analyse de rentendemont,
5. — Exanien de ses Mcmoircs sur les rapports du physique
et du moral de I'homme : il y a reuni avec succes I'analyse
de I'entendement a la pliysiologie transcendante, ct I'art
d'ecrirc a toutes les deux, 53 ct suiv.
Caii.hava. Ses Etudes snrMoliere, 18. — Ses Mcnechmcs grccs ,
piece bicn conduite , ^3. — Son Traitc sur V Art de la Co-
iiiMic ct son livrc specialcment consacre a Moliere sont
i\c\\\ ouvrages propi'cs a former le gout des jeunes ecrivains
qui entrcnt dans la carriere comique, 109 ct .vk/c. — Eloge
dc ses Mencchmcs grccs ct de son Tuteiir, 3i8 ct stiiv.
Caillard. Son Memoire sur la Revolution dc Hollande , 202.
Cambaceres (M.). Loue commc orateur, 11.
Camus. Cite comme habile jurisconsulte ct commc orateur, 1 1 .
CANDEiLtR (mademoiselle). Cc qui a fait r^ussir sa Belle Fer-
miercy 33o.
CvNTWEL. Sa traduction dc la Rhctoriquc dc Blair, inferieurc
a celle de Prevost, io5.
DES AUTEURS. 439
Castel (M.). Digne d'eloges dans la poesic didactique, 20.
— Son poemc des Plantcs apprccic, 277.
Castera (M. de). Sou Histoire die regne dc Catherine , i5. —
Get ouvrage, fort estimable et bien fait en general, nierite
d'etre perfectionnu dans plusieurs parties, 200.
Cazales. Lone comme orateur, 10.
Cervantes. A eu le secret d'etre correct dans nn ouvraue de
plaisanterie de qnatre volumes, 4*^6.
CuAJiFORT. Ses Etudes et Coninicntaires siir La Fontaine , 8.
— On y reconnait la piquante finesse qui caractei'isait ses
ecrits et ses entretiens , 114. — Ses litres comme poete et
comme prosateur, ibid, et suii'. — Injures dont les compi-
lateurs de calomnies out lionore sa memoire, 116.
Champfeu (M. de). Sa traduction dc V Histoire de la Gueirc dc
trente ans , parScliiller, 184.
Chapellier. Lone comme orateur, 10.
Charuox. Disciple de Montaigne; jugement sur son Traite de
la Sagessc , 62.
Chastettay (madame Victorine de). Elogo de sa traduction des
Mysteres d' Udolphc , 239.
Chateaubriand (M. de). Son roman A'Atala, singulier pour la
marche et pour le style ; critique detailiee de cet ouvrage ,
18, 212 clsuiv. — Poetique extraordinaire suivie par I'au-
teur, 217.
Chemiivais. Sermonnaire touchant, mais faible , 127.
Chenepolle (M.). Idee de son poemc du Genie de I'Homme,
oil il a developpe moins de philosophic que de talent poe-
tique, 279.
Chenier (M.-J.). Mentionne comme autcur dramatique, 22.
Cheron. Sou Tartafe dc Moears, copie de Sheridan, inferieurc
a Toriginal, 33o et suii-.
44^> TABLE
Christine de pisan. Celobre par son Hisloire da Charles V,
ft par ses poesies , '^'i. — Eloge de son histoire , ibid.
Clkment (de Dijon). A traduit le Tasse avec ime secheresse
aiissi etrangcre a ses defauts qu'a ses qualites, 266'.
Cochin. Orateur celebie, estimable pour la sagesse etlaclarte,
mais inferieur a d'Aguesseau tomine ecrivain, i34.
Colin d'HAULEViLLE. A eurichi la haute comedle, -ih. — Son
Inconstant est nn des roles les niieux concus qu'il y ait au
tlieatie, '\-x^. ■ — \J Optiinistc et les C/uUcaux en Espagnr
etincellent de traits channans ; mais ils manquent de force
comique, ibid. — Rien ne manque a son /^fW/jc Celibatairc,
3x4 et 339 Dans les Mueurs da Jour, son talent ne se
reveille qu'ii de longs intervalles, -iiS.
CoMMiNEs (Philippe de). Historien nourri dans les intrigues
des coui's , a peint avee <[uel(pie profondciu' le sombre et
dissimule Louis XI, i^'i--, t"t 373 et suiv.
CoNmLLAc. Fondatenr dune txole de philosophie, 5. — Sa
Grammaire generate , chef-d'oeu\ re d'analyse , livre precis
et clair, bien ecrit et bien concu, 3o. — Sa Logique, I'une
des plus courtes et la plus substantielle que Ton ait jamais
ecrite, 45. — ^Sa Theoric des Sensations est son meilleui
ouvrage, ibid. — Dims son Cours d' Histoire ancienne et
niddcrne , il a f'aiblement soutenu sa renommee, si legitime
a d'autres litres, j45.
CoNDORCET. Son Pla/i d'lnstniction publi(jue , estime, 11. —
Son Esquisse des Progres de V Esprit humain , iG. — Ecri-
vain celebie comnie savant et comme philosopln;, 64 et^wtV.
CoNDORCET (madame). Eloge de sa traduction de la Theoric
des Sentintens nioraiix d'Adam Smith , et de ses Lcttrcs sur
In Sympathic , 65 et suiv.
C<Ji.NEii,LF. (P.). Eloge de ses Discuurs sur la Tragedic , et des
(livers exumens (pi'il a (aits de ses pieces, 100. — Tons
DES AUTEURS. 44r
les tons (it; hi haute eloquence sc trouvent dans ses tiag('clies,
i2() et 4^6. — Grand pvosateur, l^1o.
CoTTiN (madamc). Son coup d'essai, CUtire d'Alhc , ne don-
nait que de mediocres esperanccs, 221. — Sa Malciiia est
nn des plus beaux caracteres que puissent offrir les romans
modernes, ibid. — Amelic de Mansfield attache et interesse,
222. — Les Exiles de Siberie respircnt une simplicitc tou-
chante, 223. — La Prise de Jericho , niaiivais ouvrage dans
iin niauvais genre, ibid. — Eloge de Mathilde, ibid. — Qualites
de I'auteur, et regrets exprimes sur sa pertc, 224.
CouRNAND. Sa traduction des Georgiques , tentative louable ,
mais malheureuse, 280.
Court-de-Gebelin. A jete quelque jour sur les obscurites
etymologiques , 3o.
Crebillon fils. Dans ses romans, s'est plu a peindre des
moeurs dont I'existence est restee problematiqiie, 209.
CuviER (M.). Cite comme panegyrisle academique, i4-
D.
Daru (M.). Traducteur elegant d'Hurate , 21. — C'est dans les
Satires et dans les Epitres qu'il en a le inieux saisi lesbeau-
tes, 286 et suiv.
Daunou (M.). Son Plan d' Instruction puhlifjue , estinie, 11.
De Gerando (M.) A recherche les rapports des Signes et de I'Ar t
depenser, 5. — Analyse de sonTJitv/zoiVcacesujet, 4*J el^«<V,
Deouilleville (Guillaume de). Rehgieux de Tordie de Ci-
teaux, etconnu par trois contes en vers, intitules : Les trois
Pelerinages. Examen critique de ces trois oiivrages, 356 et
suiv. - ■
Delille (I'abbe). Classique; sa fecondite, sa richesse de style
dans la poesie didactique, 20. — Vrai poete, a oblenu el
nierite la premiere place parmi nos traducteursenvers,26i.
/|/|.i TABLE
— Sa traduction des Gcorgiqncs a fondu sa reputation, ibid.
— Mrrlte cclatant dc sa traduction de VE/u'ide; observa-
tion criticiue a cc sujet, ibid. — II a reuni tous les suffrages
dans cellc du Paradis perdu, 26 /j. — Dans ses Jardins et
dans VHnmnic dcs Champs, il a suivi les traces de Virgile
et de Boileau; observations sur le dernier de ces poemes,
9.71. — Celui de la Pitic n'a eu qu'iin succes contcste, mais
celui de VTningination a reuni tous les suffrages, ibid et siii{>.
— Considere comme chef d'une ecole, 274 et saiv. — Exa-
nien de son poeme dcs Trois Rogues de la Nature; hom-
mage rendu an talent de I'auteur, qui a enrichi la langue
poetique, et qui, pendant quarante ans qu'il a ecrit, n'a
encore fatigue que I'envie, 280 et suiv.
Delrieu (M.). Examen critique de sa tragedie di" Artaxerce ,
3 1 1 .
Demoustier. Defauts de ses comedies; ils sont tres-graves,
3 28 et suiv.
Descartes. Avec son doutc a fonde parmi nous la saine lo-
gique, 43 et suiv.
Deshoulieres (madamc). A laisse trois id\ lies pleines de grace
et de sensibilite, 294.
Desrenaudes (M.). Sa traduction de la Kie d'Jgricola merite
des eloges, 161.
D'Hele. S'est fait remarqucr sur la scene lyriqne par I'art de
nouer et de denouer une intrigue, 385 et suiv.
Diuerot. Son dialogue entre la marechale de Broglie et lui, et
la suite dc ses dialogues a {'occasion du voyage de M. de
liOugainvillc : eloge de ces deux morceaux, G7 et suiv. — -
Ses Considerations sur le Drame , 100. — Son Pere de Fa-
mille , drame digne d'eloges, 345.
Domergue. An premier rang j)armi les grammairiens ; a cul-
tive avec succes la grammaire generalc et particulicre, 5. —
vServices importans qu'il 0 rcndus A cctte science, 3o et suif.
DES AUTELIIS. 44'3
DoTTEViLLE. Siicct'S merite qu'a eu sa Iratlactiou de Sallitste,
1 59. — Sa traduction complete de Tacite offre beaucoup do
choses cstiraablcs, entr'autres la Vie de cct historien, et
dcs AhiTgi's supplementaircs , 161 et .v«;'(',
DuBOS (I'abbe). Son livre sur la Poesie et la Peinture se dis-
tingue par des apercus ingenieux et feconds, 99. — Eloge
de son Histoire de la Ligue de Cainbrai, i44-
DucHATELET (madamc). Ses Reflexions sur le bonheur, 67.
Ducis. Poete distingue dans I'epitre, 21. — Et dans la tra-
gedie, 22. — Eloge de ses Epitres, 288. — Examen de ses
pieces de theatre, 297 et suiv. — Aucun poete n'a mieux
approfondi les sentimcns de la nature ; c'est un veritable
modele dans I'art d'emouvoir, 3oo.
DucLos. Eloge de ses Remnrqiics sur la Grammalre de Port-
Royal , 3o. — Eci'ivain piquant et pcintre ingenieux des
moeurs, 62. — Son Histoire de Louis XI est le recit , mais
non le tableau du regne, i/jS. — Ses Memoires secrets se
lapprochent davantage de la trcm[)e de son esprit, plus
<iu que profond, ibid. — S'est plu a peindre dans ses
ronians des niceurs dont I'existence est restee problema-
tique, 209.
Ducos (madanie). Eloge de sa Traduction de Y Abhaje de
Grasi'ille , 240.
DuFRESNOY (madame). Son recueil de Poesies offre beaucoup
de traits heureux et des preuves de talent, 2g3,
DuMAusAis. Son Traite des Tropes est le nieilleur livre qui
existe sur la partie figuree du langage , 3o. — Quoiquc
philosophe , il a mis pen d'idees dans sa Logique , 44-
DuMouLiN. Le plus eclaire des jurisconsidtes francais, a con-
tribue au perfectiomiement de notre legislation, 75.
DupATY (le president). S'est honore par ses talens et ses eerils
sur la legislation penale , 78. — Son eloquent plaidoyer
pour trois innocens conflamnes a la roue, 13^).
444 TABLE
DupiN (Jean). Relii^ieux dc rordrc <lc Cileaiix, siipriicui ;t
Ui''gulllc'vlllc, son confrere. Son Champ vcitucax dc bonne
vie est du moins raisoiniahle : examcn de cet nuvrage ,
36o et suiv.
DupoNT de Nemours (M.). Ses travauxdans les diverses uni-
ties de I'econoniie politique. — Eloge de son eciit sur h«
Banquc , 8i.
DupRAT (Ic chancelier). Homme adroit, niais vil, 4i^>-
Dupuis. Son Ovii^inc dcs Culles , id.
DuREAu nE LA MALLE. Sa tiaduction de Sdllustc est la nu-il
k'lire, niais clle poiirrait encore gagner du cote de la coii-
Icur et de I'energie, i58. — Dans cellc de Tacile , il surpasse
presque toujoiu'S ses devanciers; il s'attache aux idees, aux
images, aux expressions de son modele, 162 et sui\>. — An-
iionee de sa traduction |)Ostliume de Titc-Lhc , conime
devant tenir le premier rang parmi ses onvrages, i65.
Di'KESNEL (I'abbe). A naturalise parmi nous deux poemes de
Pope, 261 et .siih'.
DijVAT, (M.). Auteur de comedies estimables, 24- — A reussi
dans I'opera-comique , 25. — Sa Jeunesse de Henri V, ainsi
nommee improprement; ouvrage bien conduit, interessanl
et gai dun bout a I'autre, 33 1. — Son Tyran domcstiqiw,
peniblen)ent versifie, 332. — Estimable dans plusiems par-
ties de I'art, il est habile dans la conibinaison du plan, ibid.
— Son drame sur la Jcuncssc dc Richelieu, 344. — Son
opera-comique du Prisonnier , 348.
E.
EsMENARD. A reussi dans la poesie didacticpie, 20. — Et daii'-
les operas, 25. — Son poeme de la Nm'igatioii offrc des
niorceaux brillans; mais la monotonie en «'St le defaul ra-
tlical, 277. — Son op«'ra de Trojan, beau pour les veux:
Taction ne marche point, et I'interet s'yfait rechcrcher, 346-
— Son portrait, 398.
EsTlENNE fRolK-il \ Sii Crnniniitirr fianruisc , 29.
DES AUTEURS. /,/,j
EsTiENNE (Honri). Ses traitcs rclatifs a notrc langne, 3o.
F
Fabre (M. Victorin). Jeune poete qui a merite line honorable
distinction, ii. — Son imagination est I'apide; et ses idces
ont souvcnt de I'eclat, 289 et suh>.
Fabre d'Eglantine. A cnrichi la haute comedie, 23. — Siic-
ces eclatant do son Philintc; il ne manque a cettc jiiecc
que d'etre bien ecrite, Sao et suiv. — Mention du Conva-
lescent de qunlite , de V Intrigue epistolalre et des Pre-
ceptcurs , "iit. ot suic. — Ses hostilites contre CoUin-d'Har-
leviile: sa Preface duPhilinte , indigne d'une telle piece, 822.
Fantin-Desodoards (]VI.).Son Histnire de France , production
sans physionomie, long abrege d'enormcs fatras, 174.
Fenelon. Son Telemaquc , chef-d'ceuvre a qui nul ouvragc de
morale ne pent etre compare, 63. — Ses Dicdogues sur
I' Eloquence et sa Lettre a V Academic francaise , ouvrages
exquis en litterature , 100. — Son Tcleniaque , partout mo-
dele sur I'antique, partout respirant la poesie et la jdiilo-
sophie des Grecs, semble ecrit par Platon d'apres une
composition d'Homcre, 207. — Ce n'est pas lui qui lui a
donne le nom de poeme , 260.
Feuillet (M. ). Analyse de son Meninirc sur l' Emulation ,
presentee commc base de I'ediication vraiment sociale, 68
tX-suiv. — Esprit exerce, ecrivain sage, et qui, sur les ma-
tieres importantes, est completement an niveau des lumieres
contemporaines, 69 et suiv.
Fielding. Son beau roman de Tom-Jones est un modele
offert aux romanciers: on y sent partout le monde reel, 248.
FiEVEE (M. ). Sa Dot de Suzette , non depourvue d'agremens,
234- — Son Frederic , roman fort inegal , ou les valets seuls
ont les mosurs et le ton qui leur conviennent, ibid, et suif.
Flahaut { inadame de). Ses romans iVAdele dc Scnangc ,
A' Eugene dc Rothelin , etc., 224 et suiv.
446 TABLE
Ki.KCHir.R. Sans etic le rival cle Bossuct dans ses Oraisoiis
faiiehri's , a monfre qiielqucfois (In gonie , et a dc'-ployc
lonjours nne rare liabilote dans la distrU^ntion des parties
oratoires, la construction des periodcs, le choix et I'arran-
gement des mots, 117.
Fleury (I'abbc). Eloge de son petit ouvrage sur le Choix des
Etudes , 99.
Flins. S'a Jcune HStessc , comedie faible de conception, ^70.
— Son Rcvcll d'Ejnmcnide, piece plus ingenieuse et niieu\
('crite, Ibid.
Florian. Son ISuma Ponipllias , faible copie de Tclrmaquc ,
207. — Ses Noiwelles et ses Pastorales , compositions ai-
niables, quoique un peu froides, ibid. — Examen critique de
sa traduction de Don-Quichote , 235 et suiv.
FoNTANES (M. de). Ecrivain distingue eomme poete et corame
prosateur, 19. — S'occupc d'un poeme epique de la Grece
saiivec ; idee de cet ouvrage, 25-2 et siiiv. — Eloge de son
poeme du Verger , et de sa traduction de \ Essni sur
V Homme, de Pope, ibid. — Eloge de son Epitre sur Ics
paysages , 288.
FoNTENELLE. Scs Eloges ct soH Histoire des Oracles sont au
rang de nos meilleurs livres, 29^.
FoRBONNAis. Scs t'crits ont rcpandu des clartes nouvellcs sur
le revenu public et sur I'administration, 78.
FouRCBOY. Habile chimiste, 17.
Frawcais do Nantes (M.). Loue comme orateur, 11.
Francois de Neufchateau (M. ). Cite comme panegyriste aca-
demique, i/j. — Sa Pamela, copie de Goldoni, superienre
a I'original, 23. _ Eloge de cette piece, 32o.
Frenilly (M. de). On remarque des pensecs fines, des traits
piquans et des vers bien tournc's dans ses Satires el ses
Epitres , 291.
DES ALTEURS. 4^7
Froissart, connu comme liistorien,et apprccie de Montaigne,
ot tie Lacurne. Idee de son Histoire generalc dcpiiis Ic rcgite
(le Philippe de Falois jusqu'a la Jin du qaatorzieme siecic ,
366 et suiv.
G.
Gaill\rd. Un style diffus depare les ecrits de cct historien ,
tres-eclaire d'aillcurs, et trop pen apprecie, 146.
Gaoani (I'abbe). Son Dialogue sur Ics fenimcs , 67.
Gallois (M.). Eloge de sa traduction de I'onvrage de Filan-
gieri sur la Science de la Legislation , g4.
Ganilh (M.). Ses travaux dans les diverses parties de I'eeo-
nomie politique, 7. — Son Essai sur le Rev cnu public , livrc
utile ou I'auteur se rapproche beaucoup, dans les principcs,
des philosophes de I'eeole ecossaise, 84.
Garat (M.). Professeur de haute philosophie ; son imagination
brillante a rendu la raison lumineuse, 5 &\. suiv. — ^ Loue
comme orateur, 11. — Et pour son eloquence academique,
i3. — Merite de son Discours place en tele de la derniere
edition du Dictionnaire de I'Academie francaise , 39. —
Apercu de son Cours normal sur l' Analyse de V E ntcndement
humain, ou la superiorite d'esprit est renfoixee par la supe-
riorite de talens, 57 et suiv.
Garnier (M. ). A public sur I'economie politique des ecrits
dignes d'estime , mais a renouvcle \\\\ pen tard plusieurs
opinions decreditecs par les resultats de I'cxamen , 81 et suiv.
— Eloge de sa traduction du traite de Smith, sur la Ri-
cJiesse des Nations , gS.
Gaston (Hyacinthe). Sa traduction de \Encide , appreciee; il
a soutenu avec Delillc ime lutte inegale, 262 et suiv.
Genlis (madame de). Ses romans, estimables dans quelques
parties, mais defectueux i plusieurs egards; examen detaille
a ce sujet, '^17 ot suiv. — Eloge particulicr de cclui de Mn-
denioisellc de Clermont sous les rapports du style, de la nar-
ration et de I'intejvt, •>..>. i.
44« TABLE
Gerbier. Orateiir celebre, a laisse d'imposans souvenirs;
tiontc ans do siicces attestcnt sa supcrioiite. Ses Mcnioircs
imprimes ne donuent dc lui qu'iine idee incomplete, i35.
Gilbert. Ses Poesies /r?'if/ues offrent qiicl(jue.s traits eleves,
285.
GiKGUENK. Son travail sur la Litterature italienne, 9. — II
doit etre compte parmi nos critiques les plus instruits ct les
plus sages, iifi et snn>. — Eloge de ses Rapports sui' les
travaux de I'lnstitut , ibid. — A traduit en vers Thetis et
Pelce , poeme de Catvdle, 269. — S'cst mis avec succes an
rang de nos fabulistes, 288.
GiRARD (I'abbe). A perfectionne I'etude dc la langue par'ses
Sjnonrmes francais , '^o.
Godwin (M.). Son roman de Caleb Williams , vante on ne sait
trop pourqiioi , 237 et stiiv.
Goethe. Romancier allemand ; succes general et legitime de
son Werther; critique de son Alfred , ouvrage incoberent,
•i.l^\ et suiv.
GoMB.\uD. Poete mediocre du dix-septiemc siecle, 399.
GoMBERMLLE. Poetc mcdiocrc du dix-septieme siecle, 399.
Gresset. Son Sidney est un dranie, plus fort de style, mais
plus faible de conception que les pieces dc La Chaussee, 342.
Gretry. Merite de ses compositions musicales, 17.
GuDiN. Son poeme sur la Conquete de Naples demandait plus
de poesic, plus de style, une versification plus soutenue,
une ^)laisanteric plus legere; il est trop long de moitie, 255
et .s7«V. — Son poeme de VAstronomie hien distribue; ou-
vrage d'un esprit sage et cultive, mais non d'un poete, 278.
GuTLLARn. Cite connne auteur d'operas, 25.
Guiraudet. Sa traduction des 0£uvres de Machiavel , supe-
rieure a toutcs celles qui I'onl precedee, 94. — Dclauls dc
DES AUTEURS. 4/19
sa traduction de VHistoirc d' Angleterre dc niadame Macaii-
lai-Graham, 184.
H.
Hamilton. vScs Memoircs de Gramnwnt, 207.
Harrington. A efface dans son Oceana I'Utopie tie Thomas
Morus, 94 et suiv.
Harris. Auteur anglais; merite de son Hermes; traduction
de cet ouvrage, 44-
Helvetius. Hardl dans ses conceptions, anime dans son style ;
ses ouvrages offrent des paradoxes a cote d'utiles verites ;
il a conconrii auxprogres de I'analyse et de i'entendement,
45 et suw .
Renault (le president). Son Abrege chronnlngi({ue de I'His-
toire de France , ouvrage utile, redige sui' un plan neuf et
bien concu, i44«
Henry (M.). Eloge de sa traduction dc VHistoire da Pontijicat
de Leon X, de Roscoe, i8o.
Herodote. Le plus ancien des historiens grecs, surnomme le
chantre et I'Homerede I'Histoire; narrateur fleuri et conteur
agrcable; mis en parallele avec Thucydide; traductions di-
verses de ses ouvrages, 147 a i54.
HoBBES. Substantiel , profond et concis dans son Traite de Ici
Nature Jiumaine , et plus encore dans sa Lngique , ap])elee
Calcul , 4^>
Hoffman (M.). Cite comme auteur d'operas, aS. — Adrien ,
digne d'eloges pour la composition et le style, 346. — Eu-
phrosine et Stratonice se distinguent par le ron de la come-
die noble, 348.
Homere. N'a point eu parmi nous le meme bonheur que Vir-
gUe ; traduction de ses poemes , 270.
Horace. Poete latin , dont les ecrits offrent la perfection dans
plusieurs genres, et dans rjiaque genre tons les tons c|n'il
OEuvres postlmmcs. IK. t>. f)
45o TABLE
pent comportcr; traduction de scs poesies en vers francais,
286 et suiv.
HuF.T (cvcquc d'Avranchc). A de rcsprit, des connaissq.nces
fort etendues , mais ne reussit pas dans scs demonstrations
tlu'oloL;iques, t^ii.
J.
JouY (M. de). A reussi dans les operas, 25. — Eloge de sa
Vestale , 346 clsuiv.
Juvenal des Ursins. Le pins niethodiqne des historiens du
quinzieme siecle. Eloge de son Histoirc de Charles VI, 372.
K.
Kant. Auteur allemand ; sa doctrine sur les idees, 49-
KoTZF.BUE. Ses draincs, transportes sur notre scene, ont en
quelque vogue, 344-
L.
La Bleterie (I'abbe de). La Vie d'Agricola est I'article le plus
estime de son travail sur Tacitc , 162.
La Boetie. Son Discours sur la Servitude volontaire , 76.
La Bruvere. Qualites qui distinguent ses Caracteres , 62.
Lacepede (M ). Considere comme continuateur de Buffon, 17.
La Chaissee. Auteur estimable, 4^6 et saiv.
TiA CiiALOTAis.Energic des Memoires que cc magistral a publics
pendant sa captivite; il a deploye une raison couragcuse en
denoncant les constitutions des Jesuites, i35.
Laclos ( Chauderlos de ). Son roman des Liaisons dange-
rciises , 209.
DES AUTEURS. 45 1
Lacretelle (M.) aine. Son Discours sur la Nature ties Peincs
infamantes , 8. — Jiirisconsulte eclaiie , qui a applique la
philosophic a la legislation; notice de ses divers ouvrages,
88 et suiv. — Examen critique de ses deux ecrits sur Y Elo-
quence de la Chaire et sur \ Eloquence JucUciaire , lo^ et
suiv. — Ses Memnircs pour le comte de Sanois, i36 Son
drame du Fils Naturel, sujet mieux concu que celui de Di-
derot, 345.
La Fayette (madame de). Ses romans de Zai'cle et de la
Princesse cle Clei'cs , 18 et 207.
Lafontaine (M. Auguste.). Romancier allemand. Tous ses
ouvrages respirent les principes de la philanthropic; on v
rencontre des traits charnians; mais il est inegal, 242-
La Harpe. Son Eloge de Racine et ses Commentaires sur ce
poete, 8. — Son Cours cle Lltterature et sa Correspondance
russe ; qualites et defauts de ce litterateiu', ig. — A obtenu
et merite beaucoup de rcnoinmee dans la critique litteraire;
a bien juge les anciens et les auteurs qui I'ont precede,
mais s'est montre partial a I'egard des auteurs con tempo-
rains, 118. — Ennenii acharne de la philosophic du dix-
huitienie siecle, dont il elait autrefois partisan; n'a pas
compris Helvetius qu'il a cru refuter, 119. — Dans sa Co?-
respondance russe, il a sacrifie tous les ecrivains de son
siecle a une seule idole, a lui-meme ; preuves a I'appui de
cette assertion, ibid, et suiv. — Ses plaisantcries lourdes et
indecentes contre Voltaire, 12 r. — Ouvrages qui soutien-
dront sa reputation , malgre lout ce qu'il a fait pour la
compromettre, et meme pour la detruire, 122 et suio. —
Sa traduction de Suetone , t66. — Melanie est la mieux
concue, la mieux executee et la meilleure de ses productions
dramatiques, 379. — Son opinion sur la tragedie de Ma-
homet, par Voltaire, ^91 et siiiv. — Il a manque lo sujet di'
Coriohin , l\i~.
/i5'2 TABLE
J^M-ANNK (M.). Sos pcllts poemt'S du Potagcr ct tics Oiscauj-
tie Id ferine , apprt-cios , 277.
liAMOiGNON. Scs AiTctis ont cclairc la It'gislatlon civile, 7().
L\mothe-le-Vayer. S'estmontre philosophe dans sonouvrage
stir la } ertii des Patens , Ga.
Lamotte-Houdart. Fiit Ic premier qui mit an rang des epopees
le beau roiuan polilique dc Fcnelon , 260. — Sa traduction
der7//«rf^envers, tentative jnaiheureuse justement decriee,
ihid. — Qnelques stances ingenieuses sont eparses dans son
Raiieil lyruiiic , 321.
Lancelot. Sa Gramniaire generate est parnii nous le point de
depart de la science, 29.
Languet (Hubert). Son Traite celebre dc la Puissance legitime
dii Prince sur le Peuple et du Peu.ple sur le Prince , 7^ et
siiiv.
Larchkk. Traducteur CC Hemdote ; a remplace, dans sa nou-
velle edition , les opinions pliilosophiques qui se trouvaient
dans la premiere j)ar des opinions absolnmcnt contraires;
reflexions a ce sujet, 147 et suir.
La Rochefoucauld ( le due de). Misanthrope dont les Maxi-
mes se soutiennent par leur brievete pleine de sens , 62.
Laromiguiere (M.). Cultive avec succes I'analyse infellectuclle;
eloge de scs Memoires imprimes dans le Recueil de I'lnsd-
tiit , sur les mots Jdee et Amdyse des Sensations , 48 et side.
Ladjox. L'un de nos nieilleurs chansonniers; Eloge de ses di-
vers operas, ct de sa petite comedie du Couvent , 2^ ct
3 J 9. — Son Amoureux de Quinze nns , ibid, et 347-
Lavallee (M.). a niontie dn talent et des intentions [)hilan-
lliropiques dans son rf)nian Le Negre cnmme il y a pea de
B lanes, 232. — Ses Lett res d'un Mameliirk ont le tort de
rappeler les formes d'un chef-d'oeuvre inimitable dc Mon-
tesquieu, ibid.
I
DES AUTEURS. 451
Lavoisier. Chimistc habile, 17. ■
Lava (M. ). Sa comcdie de \ Ami des Lois , composiic tiop a
la hate; il y a fait prenvo d'line noble aiidace, 3 19.
Lebrun, due de Plaisance (M.). Ses travaux eu economic po-
litique, 7. — Talent exeice, et nourri de connaissanccs pro-
fondes sur tout cc qui tient aux finances, 81. — Son elei.';ante
version de la Jerusalem delivrec , attribuee a J. J. Rous-
seau, 265.
Lr Brun (Ecouchard.) Aurait soutenu seul la concurrence
avec Delille, s'il avait acheve son poenie de la Nature , 20.
— II est sans enuile dans le genre de I'ode, ibid. — A tra-
duit avec talent deux episodes de Viryile , dans son poeine
inedit des Veillecs da Parnasse, 269. — Idee de son poeme
de la Nature ; mention de divers fragmcns, et rcmarqucs a
ce sujet, 275 et suii'. — Eloge de ses Odes , qui le placent a
cote des grands lyriques tranrais; qualites et defauts de cet
auteur, auquel on ne pent contester une harmonie savante
ct une etude approfondie de la langue poetique, 285 et suiv.
— II a excelle dans I'epigrammc, 291. — Et nc fut, dans ce
genre, infericur a aucun modele, 291.
Lefranc de Pompignan. Ses Odes offrent quclques strophes
pompeuses, 284, 427 et sim>.
Legouve. Pocte distingue dans le genre grave et philosophi-
que, 21. — Et dans la poesie dramatique, 22. — A traduit
egalement plusieurs beaux morceaux de Lucain , 269. —
Ses poemes des Soui'enirs , de la Melancolie et du Merite
des Femmcs , 288. — Considere comme poete tragiquc;
cxamcn de ses pieces de theatre , 3o3 et suiv.
Lemare (M.). Son Cours theorique et pratique de la Langue
francaise joint a un merite reel et a une saine litterature
des formes grossicres ct tranchantes, 36 et i7«('.
Lemercier (M.). Poete distingue dans la poesie dramatique,
4'^4 TABLE
2a. — Sa pirce A'Jgnrni'inno/i est uii des uuvraj^fs qui ont
Ic plus honorc la sccjie tragiquc a la (in du dix-huitieme
sieclo, 3o6. — Ses essais dans le genre de la coniedie : idee
de Pinto et de Plaute , 3 '3 2 ot suiv.
Le Sage. Eloge de son Gilhlas , '207. — Cc livrc charmant
laisse a dcsiror un inttrc't plus vif et plus d'unlte ,d'ac-
tion , •>J\'j.
Leveqtje. Sa traduction de Thucydide , i5i. — Meritc de son
travail sur cet historion, 175. — Dans son Histoire critique
dc la Rrpublique Romainc, il a deprime avec affectation le
peuple dont il ccrit I'histoire, 167 ct suiv.
Levesque (Maurice). Sa traduction dc Suetone ; nierite el
ntilite de sou estimable travail, 166.
Lewis (M.). Romaucicr anglais, a presente dans le Maine une
fable digne des couvens du quinzieme siecle, a/jo et suii'.
L'HospiTAL (le chancelier de). C'esta lui que remontent parnii
nous les sciences politiques , 73. — Il est justifie d'une doc-
trine etrangere a son beau caractere, 4i5.
LiNGENDES. Prelat celebre, du tenis de Louis XIII, par ses
Sermons et ses Oraisons funehres ;\\ avaitcntrevu I'eloquence
de la chaire , ia6.
LiNGUET. Cite comme oratenr poin^ son Memoire dans I'affairc
du comte de Morangioz , i35.
LorvET (J. B. ) Son roman de Faublas , 209.
LccE DE Lancival. Sou poeuie d' Achille ii Scyros doit etre
distingue dc la foule, 19. — Il offrc peu d'action; et le style
n'est pas exempt de recherche, 259.
LucRECE. Poete latin ; modele admirable dans la poesie di-
dactiquc ,271.
DES AUTEURS. 455
M. . ■ ■ /
Mably (I'abbe de). A ajoute peu d'idees a la science dii droit
public, mais I'a servie par une fuulc d'ecrits estimables, 77.
— Ses Observations siir I'Histoire de France, i45.
Macaulai-Graham ( madame ). Son Histoire d'Jngleterre a
obtenu beaucoup de succes; defauts do la traduction qui
enaetcfaite, 184 etsaic.
Machiavel, farneux par son livre dii Prince , g3 elsuiv.
Maine-Biran (M.). Son onvrage de V Influence de I' habitude
sur la faculte de penser, houorablement cite, 48.
Malebranche. a donne dans nn spiritualisnie inaccessible a
la raison huniainc, 44-
Malfilatre. Ses Poesies lyriques offrent quelques traits
eleves, vi85.
Mallet. Son Histoire des Suisses est complete, mais peu de-
taillee ; et le style est sans ornement, 177 et suiv.
Map.ivaux. Moins maniere dans ses romans que dans ses co-
medies , 2og.
Marmontel. Son ouvrage intitule Lecons de Grammaire est
I'une de ses meilleures productions, 5. — II conticnt une
suite d'observations fines ou profondes sur plusieurs des
elemens de notre langue, jYw/. et 38. — Son livre de la
Logique , inferieur aux idees actuelles, 49 et iw/f. — Sa Me-
tajjiiysique porte le meme caractere, ibid Son Belisiurc ;
ses Lecons d'un pere a ses eujans , espece de traite metho-
diqne de morale, 63. — Sa poetique et ses elemens de lit-
terature, 100. — Son Histoire de la Regencc ^ c'crite d'un
style noble et grave, 191 et suiv. — Son Belisaire et ses
Contes niorau.r,7.og. — II a enrichi la scene lyrique de petites
comedies agreablement versiliees , 348.
4:)6 TABLE
Mausollier. Auteur d'operas coniiqiu's agreablcs, i^t. — lis
ont clii leur succes a dos situations pathrtiques, 348.
Mascaron. S'est rapproche de I'eloqucnce de la chaire , i-i6.
Massilion. Cclebre pnklicatciir , I'uii des plus beaux modeles
que nous pri;sentcnt I't'loquence et I'art d'ecrire, 127. —
Les Memoires sur la minorite de Louis XV, publics sous
son nom, sont evidemment supposes, 186 et saw. — A borne
la predication a la morale evangelique, 247.
Masson. Ses Helvetiens , tentative estimable, mais defectueuse,
19 et aSi.
Maury. (M. I'abbe. ), Son Traite sur I' eloquence de la chaire ,
apprecie, 8. — Lone comme orateur, 10. — Aetablil'extreme
superiorite des grands predicateurs francais sur ceux de
I'Angleterre et du reste de I'Europe, 101 et suiv. — Un peu
severe pour Flechier, il n'cst pas completement juste a
I'egard de Massillon, ibid. — Elogo de ses Panegyriques dc
saint Louis et dc saint Augustin , i32 et suiv.
Meloiv. Secretaire du regent; ses ouvrages sur le credit pu-
blic, 7G.
Merlin de Douai. Cite comme habile jurisconsulte, n. — Ses
travaux K'gislatifs, et son Repertoire de Jurisprudence ^ 85.
Mesnardiere ( de la). Auteur dc la tragedie A'Alindc, fameuse
par sa chute au theatre ; il a fait encore quelques pauvres
pieces, soit en vers, soit en prose, 'ifjy et suiv.
Mkzerai. Ilistorien de la Monarchic franraise, I'emporte sur
Daniel ct, a beaucoup d'egards, sur Yeli et ses conlinua-
teurs, i/j3.
MicHAUD (M.). Son poeme, Le Printemps d'un Proscrit, appre-
cie, 277.
MiLi.EVOYE. Poete remarquablo par releganco de sou style,
21. — Done d'un sens droit et d'un goul pur, 289. — Juge-
DES AUTEURS. 45;
nicnt sur le recucil do ses poesies; eloge particiilier clu
poeme de Belzunce, 290. • . •
MiLLOT (I'abbe). Dans ses divers Elemcns d'/ustoire, est court,
impartial ct sage; mais decolore, timide et mediocrement
instructif, 146.
Milton. Traduction de son Paradis perdu , par Dclille ,
264 et saiv.
MiRABEAu. Loue comme orateur, 11. — Notice des ouvrages
qui ont fonde et qui garantissent la reputation de cet ener-
gique ccrivain , 78. — Ses Discours aux Etats-generaux,
cites comme ses meillciu's ouvrages, et comme de beaux
monumens de I'eloquencc tribunitiennc ; ses travaux a
I'Assemblee constituante, i37 et suiv. — Considere conune
ecrivain et comme orateur, i4o et suu<. — Son Histoire dc
la Monarchic prussiennc serait a peine citee si elle n'etait
de lui, 147. — Defectuosites de la traduction de X Histoire
d'Jngletcrre de madame Macaulai-Graham , qu'on lui at-
tribue, 208.
MoLiERE. Sa preface dii Tartufe et plusieurs scenes dc
X Impromptu de Versailles demontrent scides combieu il
excellail dans la theorie de I'art qu'il a porte a la perfec-
tion , 100.
MoLLEVAUT (M.). Sa traduction des Elegies dc Tibulle reclame
des encouragemens, 292, et suiv.
MoNCLAR. Avocat general au parlement d'Aix, a deploye unc
raison courageuse en denoncant les constitutions des Je-
suites, i35.
Montaigne. Jugenient sur ses Essais , 61.
Montesquieu. Son Esprit des Lois , livre seme de quelques
erreurs, mais celle de toutes les productions philosophicjucs
qui doit le plus loug-tenis influer sur les destinees de
I'espece humaine, 7() ctsuiv. — Son Histoire de la s^randeur
458 TABLE
etdc la decadt'.nce des Romains , 14 5.— Regrets sur la pt-rte
de son Histoiic de Louis A'l , ibid. — Ijne traduction de
Tarite est la seule qui cut etc digne de lui, iGo. Ses
Lcttrcs prr.mnes ,Y,rodnction iniportante sous une apparence
frivole, 208.
MoNTjOYE (M.). Ses Romans so soutienncnt par I'interet de
ciniosite; la diction en est trainante, et la composition
charj^ee d'incidens, 23'3.
MoNTOLiEu (niadame de). Eloge de ses traductions desronians
d'Auguste Lafontaine, 242 et suio.
MoNVEL. Distingue commc autcur et commc acteur, 25.
Les F'ictiincs cloitrccs et I'Amant boarru, pieces interes-
santes, 3o'5. — Dans ses operas comiques, a peint avec une
ingenieuse naivete les moeurs et les passions villageoises ,
348.
MoREi. DE ViNDE. Son rouiau de Primcrosc , composition
faible, mais amusante, dont le style n'est pas depourvu de
graces, 23 i.
MouELLET. Son Eloi^c de Marnwntcl , cite, 14. — Merite de
sa traduction des Enfans de I'Jbbaje, 238. — El du Con-
j'cssioniHil des I'c/iitc/is //nirs , 2 3g.
MuLLER. AuLeur ailemand. Son Histoire de la Coufcdcralion
hclvedque , ouvrage important; le traducteur anonymc me-
rite des rcmercimens et des lotianges, 173 clsuiv.
Ml'rville (M.). Mentionne comme auteur dramatique , 22.
— Son Jbdelazis, remarquable par le style, tient plus du
roman (jue de la tragedie, 3 10.
N.
N^ioEON. Son travail sur la philosophic ancienne et mo-
de rne, iG.
DES AUTEURS. 459
IS AivGis (Guillaume de). Historien celebre. Sa traduction de la
Chronique Inline sur les regnes de Louis IX et de Philippe-
le-Hardi ot cflle dc la Chronique de Rigord , fort estimees,
365 et suiv.
Necker. Son petit ecritsur le bonhcur des sots, G7. — Sesecrits
et scs discussions avec Calonne ont ropandu des clartcs
nouvelles sur le revenu public ct I'administration, 78.
IVecker (madame). Examen criticjuc de ses Melanges, qui
decelent une femme de sens et d'esprit, accoutumee a la
lecture des bons livres, et plus encore Ji la conversation
des hommes supericurs, 109.
IVicoLE. A fait avec Arnauld la Logiquc de Port-Rojal ; eloj^e
de ce livre, 44- — Ses Essais de Moraiv, encore estimes , niais
peu Ins, G'2.
o.
Olivet (d'). Son Traite sur la Prosodie a perfectionne I'etude
de la languc, 3o. .
Orleans (le pere d'). Considere comme historien, i44-
OssiAX, Barde ecossais. Traductions de ses poemes , 260.
OviDE. Ses Metamorphoses ^ I'un des plus beaux inonumens
de la poesie latine; examen de ce brillant clief-d'a-uvre ,
3oo et suiv. — Sa traduction par Saint-Ange , ibid.
P.
Palissot. Ses Etudes et Commentaires sur Corneille et Vol-
taire, 8. — Eloge de ses Me moires de Litterature , ibid, ct
112. — Ecrivain elegant et plein de gout, il s'est montre
injuste a I'egaixl de quelques ecrivains illustres dont il eut
merite d'etre I'ami, ii3 et suiv.
Parny. Considere comme nu dc nos meilleurs poetes, 19. —
/,(]() TABLE
L'hoiUK'ur tic la pocsic cioliqiic, ai. — Mciite litu'rairo ilo
la Guerre des Dieux et dc scs autros compositions tpiques ,
254 et suiv. — II maintient encore dans la pocsic legorc ccttc
politessc elegante, charmc des ecrits ct de la societe, 292.
Parseval de GRANDMAisoN. (M.). Scs Amours epiqucs Aecb\cnt
iin auteur cxcrce dans la ^•crsification ct dans I'artdc pcindrc
en poesie, 19 et sSg.
Pascal. Fut tres-eloquent, et de plus d'une maniere, dans un
immortel ecrit poleniique, ou les formes oratoircs ne sont
point admises , 126.
Pastoret (M.). Son livre sin- la Thcoiic des Lois pennies , pro-
duction interessante sous raspectphilosophique et litterairc,
7, 86 et saw.
Patru. a l)anni du barrcau francais le mauvais gout et la bai-
barie; mais son style n'a d'autre qualite que la correction,
Pelisson. S'est eleve jusqu'a I't'loquence dans scs Plaidoyers
pour le surintcndant Fouquct, i34. — Son ouvragc sur la
Conquctc de la Franche-Comte, i43.
Pkrefixe. Hislorien de Henri IV, grave ct digne de conliance,
t43.
Perreau. Scs Elcmcns de Legislation sont d'un historien sage
et d'un bon citoyen , 7 et 85.
Perrot-d'Ablancourt. Sa traduction de Thucydidc , i5i.
PiCARD (M.). Auteur conii(jue. Qualites qui le distinguent, 24-
— A fait vingt-cinq comedies, dont beaucoup out reussi,
et qui presentent toujours des id«';es originales, des pcinturcs
vraies,des ridicules bien saisis, 327. — Ses meilleures pieces
tant en vers qu'en prose, ibid. — Reuuit les qualites essen-
tielles d'un auteur eoini(iue, 328.
PiKVRK (M.). Le brillant succes de son Ecole des Peres, co-
UES AUTEURS. /,6i
mc'die concue avec force, ccritc avcc autant dc purete que
d'esprit, I'a place depuis long- temps aii rang des poetes dis-
tingues de notre eporpie, 336 et suiv. — Parallele entrc sa
comedie du Garcon de cinquante ans et celle du Vieux Celi-
bataire, par Colin -d'Haileville. Son eloge, mais non son
triomphe, ibid.
Pigault-lf.-Brun (M.). Romancier inepuisable et ne sachant
point se borner, 5t32 et sidv Crux de ses ouvragcs qui
meritent une distinction , ibid. — On y jieut blamer de
nombreux ecarts et line imagination vagabonde ; mais on y
doit loner des traits piquans, des boutades heureuscs et des
scenes d'un coniique original , ibid.
Pus (M.). L'un des restaurateurs du Vaudeville en France ,
348.
Pons (M.) de Verdun. Merite de ses E pi gramme s , 291.
Pope. Merite de son poeme de la Boncle de Clicveux cnlevec ,
a58. — Traductions de son Essai sur l' Homme et de VEssai
siir la Critique, 261 et 271. — Et de sa Foret de Windsor ,
292. — II n'a rien demontre en metaphysiquc, 4ii'
PoRTALis. Loue comme orateur, 1 1. — Commepanegyriste, 14.
Porter (Miss.). Son roman, le Polonais , n'est point a negli-
ger, 238.
PouLE (I'abbe). Habile orateur, abondant, pompeux, mais
prolixe et sans variete, 104 et 127.
Prevost (M.). Prnfesseur de philosophic a Geneve; sa traduc-
tion dc la Rhetorique de Blair , rcgardec comme la meil-
leure, 119.
Prevost (I'abbe) serait beaucoup lu, s'il n'avait trop ('crir; sos
romans et ses traductions, 208,
/luu TABLE
QriNAULT. Vrai fondatciir de la scene lyrique, a merite I'hon-
neur d'etre nomine ;i la suite des grands poetes de son siecle,
25 et 346.
R.
Racixe (Jean). Ses Prefaces seules demontrent combien il
excellait dans la theorie de I'art qu'il a porte a sa per-
fection, 100 et 426. — Ses ch(Eiirs iV Esther et ^ Athalie
sent encore les plus beaux chants de la lyre moderne, 284.
— Grand prosateur, 4^0-
Racine (Louis). Ses Reflexions sur la Poesie respirent le sen-
timent des beautes antiques, 100. — Son poeme de la Re-
union, ouvrage du second ordre, ou brillent des beautes dii
premier, 271.
Radcliffe (madame). Examen de ses divers romans, parmi
lesquels les Mysteres d'Eudolphe tienncnt la premiere place;
qualites et defauts de cet auteur, 289 et sidv.
Haix. Sa traduction des Georgiques , tentative louable,mais
malheureuse, 280.
Rayxai. (I'abbe.). Son Hlstoire philosnphique des Deux-Indes ,
livre celebrc qui tlent sa place enlre les monumens de la
philosophic moderne : on y remarque des beautes nom-
breuses et un majcstueux ensemble; mais I'enflure y est trop
souvent a cote de la secheresse , 146.
Raynouard (M.). Poete distingue dans le genre grave et phi-
losophique, 21. — Et dans la poesie dramatique, 22. —
Son Socratc an. Temple d'Jglaure unit la sagesse du style
a la rich esse do I'ordonnance, 289. — Critique raisonnee
de sa tragedic des Tempi iers ; beautes et defauts de cet ou-
vragc, 307 et saiv.
DES AUTEURS. 4G5
Regnault dc Saint- Jean- d'Angely. Loue comnie orateur,
10.
Regnier-Desmarais. Sa Grammaire francaise , quoique impar-
faite, a repandu des lumieres, 3o.
Retz (le cardinal de). Historien digne de la Fronde; rappelle
la maniere brillante et ferme de Salliistc , i43 et suu>.
RiBOUTE (M.). Son Assemhlee de Famille n'a de force ni dans
I'intrigue, ni dans le comiqiie, ni dans le style, et pourtant
elle a reussi, 334-
Richardson. Grand peintre de moeurs, le plus vrai qu'ait eu
I'Angleterre, 208.
RiVAROL. Dans son Discours siir la Langue Francaise , il est
verbeiix , obscur et superficiel ; on sent un liomme de beau-
coup d'esprit qui veut enseigncr ce qu'il aurait besoin
d'apprendre, 39 et siiiv.
Robertson. Eloge de son Histuire de Charles-Quint. Sa su-
periorite sur Schiller, 182.
Roche (madame Regina). Ses Enfans de VAbbaye , joli ro-
man, 238.
Rochefort. Malgre son style trainant et diffus, est encore le
plus supportable des traducteurs en vers d'Homere, 270.
RoEDERER. (M.). Ses travaux dans les diverses parties de I'Ecc-
nomie politique, 7. — Auteur de quelques bonnes disserta-
tions, 81. •
Roger (M.j. Auteur de quelques essais estimables dans le
genre comique, 24. — Ses comedies du Tableau, et de
X Avocat^ 332.
Roi.LiN. Son Traite des Etudes est un de nos nieillcurs livrcs
elementaires, 99. — ^ Simple, elegant et facile dans son His-
toire anciennc , on lui reproche des reflexions pueriles et
une credulite trop complaisante, 144.
RoscOE. Auteur anglais des Histnires dc Laurent dc Mcdiris et
464 TABLE
till Pontificat tie Leon X. Le fond dc ces ouv rages est aussi
riclie qu'interessant, i8o. — Los rechcrchcs del'auteur sont
prccieuses; mais I'ordonnance laisse a desirer, ihitl.
RoTROu. Eloge de son Vcnceslas. Idee de son talent, /,i8.
RoucHKK. Sa traduction de la Richesse ties Nations de Smith
offre des obscurites et de frequentes incorrections, gS.
Rousseau (J-B.), Douzc ou qiiinze Odes pleines de verve, et
deux ou trois belles Cantates, I'ont place parmi nos grands
poetes, 284 et 42G.
Rousseau (J.-.T.). Son Emile , chef-d'oeuvre de philosophic
morale, 63. — Son Contrat social, oil il a developpe de
hautes verites, qui, avant lui, n'avaient etc qu'entrevues, 77.
— Merite de sa traduction du premier livre de I'histoire
de Tacite, 160. — Sa Nouvelle Heloise , 208. — Son opi-
nion relativement a la tragcdie de Mahomet, 392.
RuLHiERE. Son Histoire tie Pologne porte I'empreinte d'un ta-
lent tres-eclatant, i5. —Son Histoire tie la Rtivolution qui
fit montcr Catherine II sur le trone de Russie, quoiquc
tres-courte, est digne de beaucoup dc louanges, i47- —
Analyse de son Histoire de I'Anarcliie de Pologne , qui, bien
qu'imparfaite, maintiendra la gloire de son auteur, ig4 et
suiv. — Examcn critique de son poeme des Jeux de Mains ,
dont la reputation a fini avcc sa publicite, 257 et suiv.
Saint-Ange. Habile et laborieux interprete d'Ovide, 19. —
Merite de sa traduction des Metamorplioses , 266 et suiv.
Saint-Evremont. Done d'un bon esprit philosophique. Idee
de sa doctrine litteraire, 489.
Saint-Gelats (Jean de). Historian methodiquc et fidelc. Son
Histoire de Louis XJI , estimee. 38o.
DES AUTEURS. 465
Saint-Lambert. Son eloge comme poete, comnie philosophe
et moraliste, 6. — Idees generales dc son Catechisme uni-
versel, dont la doctrine n'a d'autre base que la nature de
I'homme et d'autre but que son bonheur, 72 et sidv. —
Honimage par lui rendu i la memoire des hommes illustrcs
dont il avait ete I'eleve et I'ami, 75. — Son excellent poeme
des Saisons est peut-etre le seul ouvrage ou le genre des-
criptif soit a sa place, 276.
Saint -Pierre (I'abbe de). Nombreuses questions politiqucs
qu'il a discutees; homine vertueux, puni pour n'avoir point
flatte I'ombre de Louis XIV , 76.
Saint-Pierre (Bernardin de). Sa Chaumiere Indienne , le plus
moral et le plus court des romans, i8. — Son eloge comme
ecrivain, ihid. — Son reman de Paul et Firginie , remar-
quable par I'intei'ct d'une fable charmante, par la couleur
et la melodic du style, 209 etsuiv. — Sa Chaumiere unit des
vues philosophiques a tous ces genres de meritc , ibid Ces
deux ouvrages places au rang des chefs-d'oeuvre de la lan-
gue, ibid. — Auteur d'un drama sur la Mort de Socrate ,
345 et suiv.
Saint-Real. Son elegant recit de la Conjuration de Venise ,
143.
Saint-Simon (le due de). Ses Memoires, i44-
Sainte-Croix (de) Examen de son ouvrage sur les Historiens
d' Alexandre ; st}'le correct, mais prolixe; critique pen ju-
dicieuse; traits amers contre les conquerans, les republiques
et les philosophes, i54 et sui\>. — Cet ouvrage offie plus
d'erudition que de critique, et beaucoup moins d'idees que
de citations, 393 et suiv.
Saligny (Pierre de). Un des historiens dc Charles VIII, 379.
Salluste. Historien latin; eloge de ses Narrations et de ses
Harangues , diverscment appreciees ii Rome ; regrets sur
OEuvres posthunies. III. -Jf)
/i(;g table
la pcrte de sa graiuK- histoirc; traductions diverses de ses
oiivragcs, t58 et f«»'.
Sai.m (niadame Constance do). Son Epitre aiix Femmes et son
Discours sur les divisions des gens dc lettrcs, 2g3. — Eloge
dc sa piece de Sapho , ^47.
Saurin. Sermonaire piotcstant; oratcur grave, mais neglige,
I '27.
Say (M. J.-B.). Ses travaiix en economie politique, 7. — De
fous les livres composes sur cette science, Ic Trnitc qu'il a
public est le plus coniplet et le plus instructlf, 82 et suiv.
ScARRON. Jngcment sur son Roman cnmiquc et sur ses Nniivel-
Ics , 106 et suiv.
Schiller (M.). Auteur allemand. Son Histoirc dc la Guerre de
trcntc ans, appreciee; traductions qui en ontete faites, 182
et suiv. — Son drame extravagant des Volcurs , trausporte
sur notre scene, n'a pu que nuirc a I'art dramatique, 382.
Sf.daine. Son Philosoplic sans Ic savoir ; drame qui a beau-
coup d'effet, 342. — Ne savait pas eerire, mais savait j)ein-
drc ; a presente sur la scene lyrique des tableaux varies el
nombreux, 348.
Segur {M. de). Son Tableau politifjue dc I' Europe , cite, i5. —
La sagesse et la clarte font le principal merite de son style ;
il salt unir avec beaucoup d'art les differens objets qu'il
embrasse, 201 et suiv.
Servan. Avocat general. Ses ecrits sur la legislation penale ,
78. — Son plaidoyer pour une femnie protestante est panui
nous le plus beau modele de I'eloquence judiciaire, i35.
Sevigne (madauie dc). Reste parmi nous le modele du genre
epistolaire, 2<)4.
Sevssel. Historien de Louis XII, pen digue de son heros,
143. — Sa traduchon de Thucydide , completement oubliee,
i5i.
DES AUTEURS. 4G7
Shakespeare. A mole tous les Ions ct confondu tons les caiac-
teres; dcfauts de ses compositions, 4*5-
SicARD (M.). A cultive avcc siicces la gramnialrc gencralc ft
particuliere, 5. — A clairenient expose les theories de ses
predeccsseurs, 33. Refutation de qiielques censures aux-
qucUes ont donne lieu ses Eleinens dc Grammaire generate,
34 et suU'.
Sieves (M.). Habilete de sa dialectique, 7. — VEsmi sur L's
Privileges, premiere production oil ses talens s'annoncerent
avec eclat, 78 et suiv. — Antres ecrits, remarquablcs par la
hauteur et I'etendue des conceptions, et qui ont fait avan-
cer la science de Torganisation sociale, 92 et siiiv.
Simeon. Loue comrae orateur, 11. '
SiMiANE (madamede); digne petite-fdle de madame de Sevi-
gne, 429.
SiMONDE DE SiSMONDi. A Tcndu uii Veritable service a notre
litterature en traitant VHistoirc des Repuhliques italiennes.
II joint une raison forte a des connaissances etendues; mais
il est inegal, et son livre est digne d'etre perfectionne , 178
et suu<.
SouLAViE. Auteur des Menwircs de Richelieu , ainsi que de
I'ouvrage attribue a Massillon sur la ininorite de Loais XV ^
190. ':-.:•-• y> ■■ • V -. ^ :. ■ ■-: . . :■■■
Stael (madame de). Son ouvrage sur \ Influence des Passions ,
beau siijet traite d'une maniere brillante, niais oil I'esprit
dc parti se laisse apercevoir, C3 et suiv. — C'est dans le
genre des romans que ses talens se sonl deployes avec Ic
plus d'avantage, 226. — Examen critique de Dclphine, Ce
roman offre beaucoup d'idees fines on profondes; mais on
ne saurait admettre le principe qui lui sert dc base, ibid, et
suiv. — Corinne a moins de defauts, plus de beautes, ct des
beautes d'un plus grand ordie, 229 et suii<. — L'auteur est
un des ecrivains qui font le plus d'honneur a notre littera-
ture, 23 I.
4^8 TABLE
SuARD (M.}. 8t>s Discours academifjucs , I'i. — Ses Mclan<yes
dc litteraturc, recueil digne d'une attention particuliere,
rckniissent la politcsse du style, la finesse dcs observations
et le sentiment eclaire des arts, 107 et saw. — Jugement
sur son Histoire du Thcdtrc-Fmiicais , 122.
SuETOiNE. Historien latin; ne peint ni les homnies ni les Glio-
ses; son style manque de nerf et de clialeur : sa verite,
froide et impassible, donne neanmoins une phvsionomie
particuliere et de I'autorile a son histoire ; traductions di-
verses qui en ont ete faites, i65 et siiiv.
Sully. A jete quelques hmiieres sur I'economie publique, 76.
Historien de Henri IV, grave et digne de confiance, i43.
Tacitk. Historien latin, le plus grand peintre de I'antiquite :
diverses traductions qui ont ete faites de scs ouvrages, 160
et Slav. — Son livre est un tribunal ou sont juges en der-
nier ressort les oppriraes et les oppresseurs ; dans cet his-
torien des peuples et des princes , chaque ligne est le cha-
timent des crimes, ou la recompense des vertus, 164.
Talleyrand (M. M.). Son Plan d' Instruction publique consi-
dere comme monument de gloire litteraire, 11.
Target. Cite comme habile jurisconsulte et comme orateur,
IT. — Emule de Gerbier, i35.
Tasse (le). Traductions divejses de sa Jerusalem delivrec , 299.
Thomas. Cite pour son eloquence academicjue, i3. — Digne
appreciateur de I'honnete et du beau, 90 et suiv Son
Essai sur les Eloges , le meilleur t-crit francais sur I'art ora-
toire, est aussi celui qui porte la plus belle empreinte du
caractere et du talent de I'auteur, loi. — Fragmens qui
nous restent de sa Petreide , aSo. — Ses poesies offrent
<iuel(|ues traits elevcs, 285.
DES AUTEURS. 469
Thouret. Cite comme habile juiisconsulte et comnie orateur,
II. — Son Precis sur I'Hiitoirr de France, 1 5. — Examen
detaille de cat ouvrage elementaire, instructif, plein de
sens, ecrit d'un style simple et meme austere, mais concis
et rapide, 169 et suiv.
Thucydide. Historien grec, d'un style concis et nerveux,
unissant I'austerite d'un philosophe i\ I'audace elevee d'un
grand citoyen ; peintre des choses et des hommes ; est mis
en parallele avec Herodote ; diverses traductions de ses ou-
vrages, i5i et suh'.
Thurot (M.). Traducteur distingue de X Hermes eV Harris, a
justement apprecie les travaux de ce philosophe , 35 et suiv.
— Eloge de sa traduction de VHistoire de Laurent de Mc-
dicis , de Roscoe, 180.
TissoT (M.). A traduit avec succes les Bucoliques de Virgllc,
et mieux encore les Baisers de Jean Second, 292.
Tracy (M de). A rassemble les trois sciences (Ideologic,
Grammaire et logique) liees dans un corps d'ouvrage,
comme elles le sont dans la nature, 5. — Ses Elemens d'l-
deologie sont un beau monument de philosophic rationelle;
analyse de cet ouvrage, 5i et suiv.
Treilhard. Cite comme habile jurisconsulte et comme orateur,
II. — Emule de Gerbier, i35.
Tronchet. Cite comme habile juiisconsulte , et comme ora-
teur, II.
Turcot. Ses ccrits ont repaudu des clartes nouvelles sur Ic
revenu public et sur I'administration, 78.
Yenette (Jean). Religieux carme , et Tun des continuateurs
l\']o TABLE
dc Guillaume cle Nangis : son poemc dcs Trois Maries est
piquant par son ridicule. Idee de ce poenie. SGa et suiw
Verdier (madamc). Eloge de ses talcns poetiques, 293.
Vergniaux. Louc commc orateur, 11.
Vertot (I'abbe dc). S'cst fait ime reputation solide ct eten-
diie, en cerivant I'Histoire dc quclques revolutions cele-
bres, 144.
ViGNE (Andre dc la). Un dcs historiens de Charles VIII, 379.
ViRGiLE. Traductions diverses de XEne'ule, '262 et suiv. —
Modele admirable dans la poesic didactique, 27 1 . — Traduc-
tions des Georgiques, 261 et 280. — Et dcs Bucoliques, igT..
VoLNEY. Eloge de ses Fojages, 16. — So<iRuines, ibid. — Son
ecrit sur la Simplification dcs langues orientales ct son
Projet d'un alphabet unique, consideres sous les rapports
de la politique et de la science, 41 et suiv. — Idee generale
dc son ouvrage sur la Loi naturelle, remarquable par les
idees, Ic style et la propriete des expressions, 70 et suiv.
On lui attribue le supplement a VHerodote de Larchcr ,
petit memoirc important par son objet et par le merite d'une
cxcellente redaction, 149.
Voltaire. Commentatcur de Beccaria, 78. — Veritable ar-
bitre du gout ct le plus grand litterateur de I'Europe mo-
dcrne, 100. — Proclame par Blair le chef des historiens du
dernier siccle; le plus moral et le plus religieux des poetes
Iragiques, 106. — Son Commcnlaire siu- Corneille est au-
dessus dc toute comparaison ; mais on y(-"tr<'voit quelques-
fois des erreurs melees aux Iccons d'un grand niaitre, 11 1
et suiv. — Ses ecrits en faveur des Galas et de Sirven, ap-
precies, i35. — Son Charles XII .^ son Essai sur les Mn^urs
vX son Siecle dc Louis XIV ., monumens immortels qui ne
lui laissent aucun rival entre les historiens modernes, i45
et 192. — Ses Romans, ingenicux delasseniens de sa vieil-
Icssc, 208. — La conception de sa Henriade. ressent la jeu-
1
DES AUTEURS. 471
nessed'un grand poete; place qu'elle occupe entre les epo-
pees celebres et dans la poesie elevee, aSo. — S'est montrc
I'egal dc I'Ariostc dans sa Pucelle, 264. — Nanine ct
V Enfant Prodigue tiennent de pres au geni'e du dranie;
X Ecossaise en fait partie, ct e'est le chef-d'oeuvre du genre,
3/i2. — Analyse de son Mahomet , 382 et suiv. — Voltaire
n'a pas de rival dans la prose, 420. — Son opinion sur les
tragiques grecs, refutee, 4^4 ct suw., 4^9 et suiv, — Re-
flexions sur son caractere, 40^'
FIN DE LA TABLE DES AUTEURS.
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