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Full text of "Oeuvres posthumes de Frédéric II, roi de Prusse"

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N  TME  CUSTODY  Of  TME 

BOSTON     PUBLIC   LiBRARY. 


5HELF    N° 


OEUVRES 


POSTHUMES 


1>  E 


FREDERIC   II 


ROI   DE    PRUSSE- 


Tome    1 1 L 

Seconde  édition  originale. 


i.'iitSjS.muJtsAU^%s'f3e^iunsmjeam 


BERLIN, 

GHEz    VOSS    JKT    FILS    ET    DECKER    ut    FILS. 

1788. 


1-^ 


r}^lmoiJ•■,■.J^  iMMt  ui'i.iwwimn 


TABLE  DES  MATIÈRES 

CONTENUES   DANS  LE   TOME   III. 

OU  Tome  L 

DE 

L'HISTOIRE 
DE  LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


C  H  A  P.       I. 

Des  arrangemens  intérieurs  de  la  Prusse  et  de  l Au- 
triche durant  la  paix.  Page     13. 

Chap.     il 

De  la  Guerre  et  de  la  Politique  depuis  i"] ^6  jus- 
qu'à 1756.  C2g. 

Chap.  III. 
Cause  de  la  rupture  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre ;  négociation  de  Milord  Holderness  ;  al- 
liance de  la  Prusse  et  de  l Angleterre  j  offres 
de  Mr  Rouillé  ;  ambassade  du  Duc  de  Ni  ver- 
nois  ;  la  France  piquée  ;  guerre  déclarée  aux 
Anglois  ;  le  Duc  de  Richelieu  prend  le  Cap 
Breton;  hateaux  plats  qui  épouvante:  les  An- 
Tome  III.  - 


-  -.glms  ;  ils  font  venir  des  Hanovriens  et  des 
Hessûis  ;  les  Russes  se  renforcent  sur  la  fron^ 
tière-  de  la  Prusse  ;  les  Autrichiens  rassemolert 
deux  années  en  Bohème;  intelligence  dans  les 
archives  de  Dresde  ,  où  tout  le  mystère  d'ini- 
quité se  découvre ;' brouilleries  avec  l Autriche; 
raisons  pour  déclarer  la  guerre;  première  dis" 
position  des  troupes  ;  projet  de  campagne.    39. 

Chap.     IV. 

Marche  en  Saxe  ;  fameux  camp  de  Pirna  ;  entrée 
en  Bohème;  bataille  de  Lowositz  ;  campagne 
du  maréchal  Schwerin  ;  secours  de  Schandau 
battu;  prise  des  Saxons;  quartiers  d'hiver; 
cordon.  84. 

Chap.     V. 
De  l'hiver  de  1"] 56  à  1737.  120. 

Chap.     VI. 
Campagne  <:/e  1737.  13g. 

Chap.     VIL 

De  l'hiver  de  1737  à  1738.  238. 

Chap.     VIIL 
Campagne  de  1738.  Q71. 

Chap.     IX, 

De  l'hiver  <:/g  1  738  a  1739.  34^' 


Vv 


HISTOIRE 

DE 

LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS, 


Tome  L 


Tome  UT, 


AVANT-  P  ROP  os. 


^  '  A  V  o  I  s  tracé  le  tableau  des  deux 
guerres  que  nous  avons  faites  en  Si- 
lésie  et  en  Bohème  ;  c'étoit  Touvrage 
d'un  jeune  homme  ^  et  la  suite  de 
cette  démangeaison  d'écrire  qui  en 
Europe  est  devenue  une  espèce  de 
maladie  épidémique.  Depuis  la  paix 
de  1746  j'avois  renoncé  à  l'histoire, 
parce  que  des  intrigues  politique  5  si 
elles  ne  mènent  à  rien,  ne  méritent 
pas  plus  de  considération  que  des  tra- 
casseries de  société;  et  quelques  dé- 
tails sur  l'administration  intérieure  d'un 
Etat  ne  fournissent  pas  une  matière 
suffisante  à  l'histoire.  La  guerre  qui  sur- 
vint en  1756  me  fit  changer  de  senti- 
ment :  elle  avoit  été  préparée  avec  tant 
d'art  et  d'artifice;  le  nombre  des  ennemis 

A  2 


4  Avant-propos. 

qui  nous  la  firent ,  étoit  si  supérieur 
aux  forces  prussiennes,  qu'un  sujet  aussi 
important   ne   me   parut   pas   indigne 
d'être  transmis  à  la  postérité.  Pour  cet 
efFet,  à  la  fin  de  chaque  campagne  je 
dressai  des  mémoires  sur  les  événemens 
qu'elle  avoit  produits ,  et  dont  j'avois 
le  souvenir  tout  récent;  mais  ces  faits 
se  trouvant  fort  liés  avec  la  politique , 
je  fus  obligé  de  la  faire  entrer  dans  mon 
plan.   J'ai  eu  en  vue  dans  cet  ouvrage 
deux  objets  principaux  :  l'un^de  prouver 
à  la  postérité  et  de  mettre  en  évidence 
qu'il  n'a  pas  dépendu  de  moi  d'éviter 
cette  guerre  ;  que  l'honneur  et  le  bien, 
de  l'État  m'ont  empêché  de  consentir 
à  la  paix  sous  d'autres  conditions  que 
celles  qui  l'ont  fait  conclure  :  Fautre, 
de  détailler  toutes  les  opérations  mi- 
litaires avec  le  plus  de  clarté  et  de  pré- 
cision   qu'il   m'a    été   possible ,    pour 
laisser  un  recueil  authentique  des  si- 


Avant-propos.  5 

tuations  avantageuses  ou  peu  favora- 
bles qui  se  trouvent  dans  les  provin- 
ces et  dans  les  royaumes  où  la  guerre 
sera  portée ,  toutes  les  fois  que  la  mai- 
son de  Brandebourg  aura  des  démêlés 
avec  celle  d'Autriche. 

Le  succès  d'une  guerre  dépend  en 
grande  partie  de  l'habileté  du  général  5 
de  la  connoissance  des  lieux  qu'il  oc- 
cupe, et  de  Fart  avec  lequel  il  sait  tirer 
avantage  du  terrain,  soit  en  empêchant 
l'ennemi  de  prendre  des  postes  qui 
pourroient  le  favoriser ,  soit  en  choi- 
sissant lui-même  les  plus  convenables 
à  ses  desseins.  La  lecture  de  ces  mé- 
moires en  fournira  quantité  d'exemples. 
Pour  peu  qu'on  y  prête  attention,  on 
appercevra  le  parti  que  les  Autrichiens 
ont  tiré  de  certaines  positions,  et  celui 
que  les  Prussiens  ont  tiré  de  quelques 
autres.  A  Dieu  ne  plaise  qu'on  revoie 
une  seconde  guerre  aussi  compliquée 

■A3 


6  Avant- PROPOS. 

et  aussi  difficile  que  celle  que  nous  ve- 
nons de  terminer  !  Il  n'est  pas  probable 
qu'un  pareil  enchaînement  de  causes 
ramène  de  long-temps  les  mêmes  con- 
jonélures  que  celles  où  nous  nous 
sommes  trouvés.  Lorsque  la  Prusse 
n'aura  pas  à  combattre  contre  tant  de 
puissances  5  elle  pourra  toujours  couvrir 
l'éleclorat  de  Brandebourg  et  la  Silésie, 
en  entrant  tout  de  suite  avec  l'armée 
en  Bohème.  C'est  dans  une  occasion 
semblable  où  les  camps  de  la  Saxe  et 
de  la  Bohème  ^  dont  j'ai  parlé  avec 
détail  5  pourront  être  d'usage  ^  et  abré- 
geront le  travail  de  ceux  qui  condui- 
ront les  années;  car  une  des  choses  les 
plus  difficiles  à  la  guerre,  c'estjorsqu'on 
la  porte  dans  quelque  contrée  peu 
connue,  de  savoir  s'y  orienter  d'abord. 
On  est  souvent  contraint  de  prendre 
des  positions  au  hasard,  faute  de  con- 
noître  les  bonnes  qui  se  trouvent  quel- 


Av  A  NT-PROPOS.  7 

quefois  dans  le  voisinage;  on  ne  fait 
que  tâtonner 5  et  si  l'on  èe  campe  mal, 
on  s'expose  aux  plus  grands  risques  :  au 
lieu  qu'en  trouvant  des  campemens  re- 
connus bons  par  l'expérience,  on  a  jeu 
plus  sûr,  et  l'on  procède  plus  méthodi- 
quement. J'observerai  cependant  que 
les  camps  sont  bons  ou  mauvais  rela- 
tivement aux  circonstances  :  par  exem- 
ple ,  celui  de  Torgau  est  admirable 
quand  vous  avez  70^000  hommes  pour 
le  remplir  ;  il  est  défectueux ,  si  vous 
n'avez  que  30,000  hommes  contre 
60,000 ,  parce  qu'il  vous  étend  trop  5 
vous  affoiblit  par  conséquent,  et  que 
l'ennemi,  s'il  veut,  pourra  percer  de 
côté  ou  d'autre  à  l'endroit  que  vous 
aurez  le  moins  garni.  Un  camp  est  comme 
un  vêtement;  il  ne  doit  être  ni  trop  lar- 
ge ,  ni  trop  étroit  pour  celui  qui  le 
porte.  Cependant,  s'il  faut  choisir,  il 
vaut  mieux  avoir  du  monde  de  reste 

A  4 


8  Avant-propos. 

qu'on  ne  peut  placer ,  que  d'en  avoir 
trop  peu.  Il  est  d'autres  camps  qui  cou- 
vrent une  partie  du  terrain,  mais  qui 
deviennent  défectueux,  si  l'ennemi  par 
ses  mouvemens  change  de  direction  ; 
par  exemple  le  camp  de  Landshut,  tout 
admirable  qu'il  est  pour  couvrir  la  basse 
Silésie,  devient  mauvais  et  de  défense 
nulle,  aussitôt  que  les  Impériaux  tien^ 
nent  Glatz  et  Wartha,  parce  qu'ils  le 
tournent  tout-à-fait.  Dans  des  cas  sem^ 
blables,  le  jugement  doit  di61er  le  parti 
qu'il  faut  prendre;  il  doit  empêcher  sur- 
tout que  l'imitation  ne  devienne  servile, 
et  par  cela  même  mauvaise;  pourquoi? 
parce  que  deux  hommes  ne  se  trouvent 
jamais  dans  une  situation  tout-à-fait 
semblable.  Il  y  aura  quelque  chose  de 
comparable  dans  leurs  positions  ;  je  le 
veux  :  mais  examinez-les  bien,  ces  po-- 
sitions,  vous  trouverez  des  variétés  in-^ 
finies  dans  le  détail  ^  parce  que  la  nature; 


Avant-propos.  g 

féconde  en  tout  sens,  ne  fait  pas  les 
mêmes  physionomies,  et  ne  répète  pas 
les  mêmes  événemens.  Ce  seroit  donc 
mal  raisonner  que  de  dire  :  M.  de 
Luxembourg  s'est  trouvé  dans  le  cas  où 
je  suis;  il  s'en  est  tiré  de  cette  manière; 
donc  je  ferai  la  même  chose.  Les  faits 
passés  sont  bons  pour  nourrir  l'imagi- 
nation et  meubler  la  mémoire.  C'est  un 
répertoire  d'idées  qui  fournit  de  la  ma- 
tière 5  que  le  jugement  doit  passer  au 
creuset  pour  l'épurer.  Je  le  répète  donc; 
les  détails  de  la  dernière  guerre  ne 
doivent  servir  qu'à  augmenter  le  ma- 
gasin des  idées  militaires,  et  à  constater 
quelques  positions  principales,  qui  de- 
meureront fixes,  tant  que  les  pays  ne 
changeront  pas  de  forme,  et  cjue  la  na- 
ture ne  sera  pas  bouleversée.  Il  est  très- 
probable  que  les  généraux  autrichiens 
lie  s'écarteront  pas  de  la  méthode  du 
maréchal  Daun  (  qui  est  sans  contredit 


lo  Avant- PROPOS. 

la  bonne  ) ,  et  qu'à  la  première  guerre 
on  les  trouvera  aussi  attentifs  à  se  bien 
poster,  qu'ils  l'ont  été  dans  celle-ci.  Cela 
m'oblige  d'observer  qu'un  général  aura 
tort,  s'il  se  hâte  d'attaquer  l'ennemi  dans 
des  postes  de  montagnes ,  ou  dans  des 
terrains  coupés.  La  nécessité  des  con- 
jonctures m'a  forcé  quelquefois  d'en 
venir  à  cette  extrémité  ;  mais  lorsqu'on 
fait  une  guerre  à  puissance  égale,  on 
peut  se  procurer  des  avantages  plus  sûrs 
parla  ruse  et  par  l'adresse,  sans  s'expo- 
ser à  d'aussi  grands  risques.  Accumulez 
beaucoup  de  petits  avantages  ;  leur 
somme  en  produira  de  grands.  D'ailleurs 
l'attaque  d'un  poste  bien  défendu  est  un 
morceau  de  dure  digestion  :  vous  pou- 
vez facilement  être  repoussé  et  battu. 
Vous  ne  l'emportez  qu'en  sacrifiant 
des  15  et  des  20,000  hommes;  ce  qui 
fait  une  brèche  cruelle  dans  une  armée. 
Les  recrues,  supposé  que  vous  en  trou- 


Avant- PROPOS,  n 

viez  en  abondance,  réparent  le  nombre, 
mais  non  pas  la  qualité  des  soldats  que 
vous  avez  perdus.  Votre  pays  se  dépeu- 
ple en  renouvelant  votre  armée;  vos 
troupes  dégénèrent  5  et  si  la  guerre  est 
longue  5  vous  vous  trouvez  enfin  à  la 
tête  de  paysans  mal  exercés 5  mal  discipli- 
nés,  avec  lesquels  vous  osez  à  peine  pa- 
roître  devant  l'ennemi.  Ala  bonne  heure 
qu'on  s'écarte  des  règles  dans  une  situa- 
tion violente;  la  nécessité  seule  peut  faire 
recourir  aux  remèdes  désespérés:  comme 
on  donne  de  l'émétique  au  malade,  lors- 
qu'il ne  reste  aucune  ressource  pour  le 
guérir.  Mais  ce  cas  excepté,  il  faut,  selon 
moi ,  procéder  avec  plus  de  ménage- 
ment, et  n'agir  qu'avec  poids  et  mesure  5 
parce  que  celui  qui  à  la  guerre  donne  le 
moins  au  hazard ,  est  le  plus  habile. 

Il  ne  me  reste  plus  qu'un  mot  à  dire 
sur  le  style  que  j'ai  adopté.  J'ai  été  si 
excédé  du  Je  et  du  Afc/,  que  je  me  suis 


12  Avant- PROPOS. 

décidé  à  parler  en  troisième  personne 
de  ce  qui  me  regarde.  Il  m'auroit  été 
insupportable,  dans  un  aussi  long  ou- 
vrage 5  de  parler  toujours  en  mon  pro- 
pre nom.  Du  reste  je  me  suis  fait  une 
loi  de  m'attacher  scrupuleusement  à  la 
vérité  5  et  d'être  impartial  ;  parce  que 
Tanimosité  et  la  haine  d'un  auteur  n'ins- 
truisent personne  j  et  c^u'il  y  a  de  la  foi- 
blesse,  et  de  la  pusillanimité  même,  à  ne 
pas  dire  du  bien  de  ses  ennemis,  et  à  ne 
leur  pas  rendre  la  justice  qu'ils  méritent. 
Si  malgré  moi  je  me  suis  éloigné  de  cette 
règle  que  je  me  suis  prescrite,  la  posté- 
rité me  le  pardonnera,  et  me  corrigera 
où  je  mérite  d'être  repris.  Tout  ce  que 
je  pourrois  ajouter  à  ce  que  je  viens  de 
dire  seroit  superflu,  et  peut-être  qu'un 
ouvrage,  fait,  comme  celui-ci,  pour  être 
îu  par  peu  de  personnes ,  pouvoit  se 
passer  tout-à-fait  d'avant-propos. 
A  Potsdam  le  3  de  Mars  1764. 


CHAPITRE    I. 


Des  arrangemens  intérieurs  de  la  Prusse 
et  de  l'Autriche  durant  la  paix. 


L 


A  paix  dont  jouissolt  l'Europe  permit  à 
toutes  les  puissances  de  tourner  leur  attention 
fur  l'intérieur  de  leurs  Etats.  Le  Roi  com- 
mença par  réformer  les  abus  qui  s'étoient  intro- 
duits dans  la  police  générale.  Il  travailla ,  â 
l'aide  de  nouveaux  établissemens ,  à  l'augmen- 
tation de  ses  finances;  il  s'appliqua  à  raffermir 
la  discipline  militaire  ,  à  perfectionner  les  for- 
teresses 5  et  à  faire  pour  son  armée  des  amas  de 
toutes  les  armes  et  fournitures  nécessaires ,  dont 
il  se  fait  dans  la  guerre  une  si  prodigieuse  con- 
sommation. 


14  HIST.    DE    LA    GUERRE 

La  justice ,  mal  administrée  durant  le  régne 
précédent,  et  qui  étoit  devenue  très  -  injuste  , 
méritoit  des  soins ,  et  une  attention  particulière. 
L'on  s'étoit  accoutumé  à  éluder  les  lois.  Les 
procureurs  faisoient  un  trafic  honteux  de  la 
bonne  foi  ;  il  suffisoit  d'être  riche  pour  ga- 
gner sa  cause ,  et  d'être  pauvre  pour  la  perdre. 
Ces  abus,  devenant  de  jour  en  jour  plus  intolé- 
rables, demandoient  nécessairement  une  ré- 
forme, tant  pour  les  personnes  des  juges,  des 
avocats  et  des  procureurs  ,  que  pour  les  lois 
mêmes,  qu'il  falloit  éclaircir,  et  dont  surtout 
il  falloit  retrancher  ces  formalités  qui,  ne  tou- 
chant point  au  fond  de  la  cause,  prolongent 
les  procédures. 

•  Le  Roi  chargea  son  grand  chancelier  de  Coc- 
ceji  de  ce  travail.  C'étoit  un  homme  d'un  carac- 
tère intègre  et  droit,  dont  la  vertu  et  la  probité 
étoient  dignes  des  beaux  temps  de  la  répu- 
blique romaine  ;  savant  et  éclairé ,  il  sembloit, 
comme  Tribonien,  être  né  pour  la  législation 
et  pour  le  bonheur  des  hommes.  Ce  savant 
jvuisconsulte  entreprit  avec  tant  de  zèle  cet 
ouvrage  pénible  et  délicat ,  qu'après  un  an  d'un 
travail  assidu  les  cours  souveraines  de  justice  ^ 


DESEPTANS.  15 

purgées  de  tous  les  sujets  qui  en  a  voient  fait 
la  honte  ,  furent  remplies  par  des  magistrats 
vertueux.  Le  nouveau  code  des  lois  pour 
toutes  les  provinces  de  la  domination  prus- 
sienne fut  achevé,  et  après  qu'il  eut  été  ap- 
prouvé par  les  Etats,  ces  lois  furent  promul- 
guées. On  étendit  ses  vues  jusques  sur  l'avenir; 
et  comme  l'expérience  des  choses  humaines 
apprend  que  les  meilleures  institutions  se  cor- 
rompent,  ou  deviennent  inutiles,  si  l'on  en 
détourne  les  yeux,  et  si  l'on  ne  ramène  pas 
ceux  qui  doivent  les  observer  aux  premiers  prin- 
cipes qui  en  ont  posé  les  fondemens ,  on  régla 
qu'il  se  feroit  tous  les  trois  ans  une  visite  gé- 
nérale des  cours  souveraines  de  justice ,  pour 
tenir  la  main  à  l'observation  des  nouvelles  lois, 
et  pour  punir  les  officiers  de  justice  qui  auroient 
prévariqué.  Cet  ordre  nouveau,  introduit  dans 
la  justice  ,  raffermit  le  bonheur  des  citoyens , 
en  assurant  les  possessions  de  chaque  famille  : 
chacun  put  vivre  en  paix  à  l'abri  des  lois ,  qui 
régnèrent  seules. 

Quelques  soins  que  le  feu  Roi  se  fût  don- 
nés pour  régler  et  arranger  les  finances  de  l'Etat, 
il  n'avoit  pu  tout  faire  :  il  n'eut  ni  le  temps  ni 


l6  HIST.    DE    LA    GUERRE 

les  moyens  d'achever  un  aussi  grand  ouvrage: 
et  ce  qui  restoit  à  perfectionner  étoit  immense  ^ 
tant  pour  les  terres  à  défricher  que  pour  les 
manufactures  à  établir  .  le  commerce  à  étendre 
et  l'industrie  à  encourager.  Les  premières  an- 
nées du  rè^ne  du  Roi  furent  données  à  la 
guerre ,  et  il  ne  put  tourner  son  attention  sur 
l'intérieur  ,  qu'après  avoir  assuré  la  tranquillité 
au  dehors.  Il  y  avoit  le  long  de  l'Oder,  depuis 
Swinemunde  jusqu'à  Kustrin.  de  vastes  marais, 
qui  peut-être  de  tout  temps  avoient  été  incultes. 
On  forma  le  projet  de  défricher  cette  contrée. 
On  tira  un  canal  depuis  Kustrin  jusqu  a  Wrie- 
tzen  5  qui  saigna  ces  terres  marécageuses ,  où  deux 
mille  familles  furent  établies.  On  continua  de- 
puis Schwedt  jusqu'au-delà  de  Stettin  ces  éta- 
blissemens ,  et  douze  cents  familles  y  trouvèrent 
une  vie  aisée  et  abondante  ;  cela  fit  une  nou- 
velle petite  province ,  que  l'industrie  conquit  sur 
l'ignorance  et  sur  la  paresse.  Les  fabriques  de 
laine  ,  qui  étoient  assez  considérables ,  man- 
quoient  cependant  de  fileurs  ;  on  en  fit  venir 
des  pays  étrangers,  et  l'on  en  forma  diiîérens 
villages  de  deux  cents  familles  chacun.  Dans 
le  duché  de  Magde bourg  c'étoit  un  usage  im- 
mémorial 


DE     SEPT     ANS.  17 

niémbrial,  que  les  habitans  du  Vogtland  vins- 
sent y  faire  la  récolte  ,  après  laquelle  ils  s'en 
retournoient  chez  eux.  Le  Roi  leur  donna  des 
fctablissemens  dans  le  duché ,  et  fixa  ainsi  dans 
ses  Etats  un  grand  nombre  de  ces  étrangers. 
Par  les  différentes  opérations  que  nous  venons 
de  rapporter  ,  le  pays  s'accrut  pendant  cette 
paix  de  qSo  nouveaux  villages.  Le  soin  des  cam- 
pagnes ne  fit  pas  négliger  celui  des  villes.  Le 
Roi  en  bâtit  une  nouvelle  sur  la  Swine,  dont 
elle  tire  son  nom,  et  en  fit  en  même  temps  .un 
port,  nommé  Svvinemunde,  à  l'embouchure  de 
roder,  en  creusant  davantage  le  canal,  et  en 
nettoyant  ce  bassin.  La  ville  de  Stettin  y 
profita  le  péage  qu  elle  payoit  autrefois  aux 
Suédois  en  passant  à  Wolgast  par  la  Peene ,  ce 
cjui  contribua  beaucoup  à  rendre  son  commerce 
plus  florissant ,  et  y  attira  dés  étrangers.  On 
établit  dans  toutes  les  villes  de  nouvelles  ma- 
nufactures :  celles  d'étoffes  riches  et  de  velours 
trouvèrent  la  place  qui  leur  convenoit  le  mieux 
à  Berlin;  les  velours  légers  et  les  étoffes  unies 
s'établirent  à  Potsdam  ;  Splittgerber  fournit 
à  toutes  les  provinces  le  sucre  qu'il  raffinoit.  à 
Berlin.  Une  fabrique  de  basin  rendit  la  ville 
Tome  ni.  B 


iS  HIST.    DE    LA    GUERRE 

de  Brandebourg    florissante.    A  Francfort  sur 

o 

roder  on  fabriqua  du  cuir  de  Russie;  à  Berlin, 
à  Magdebourg  et  à  Potsdam,  des  bas  et  des 
mouchoirs  de  soie.  La  fabrique  de  Wegely 
s'accrut  du  double.  Les  plantations  de  mûriers 
furent  encouragées  dans  toutes  les  provinces; 
les  personnes  attachées  aux  églises  donnèrent 
l'exemple  aux  cultivateurs,  et  leur  enseignèrent 
à  élever  cet  insecte  précieux  qui  originairement 
vient  des  Indes  ,  et  dont  le  duvet  fait  la  soie. 
Dans  des  lieux  où  il  y  avoit  du  bois  en  abon- 
dance, que  l'éloignement  des  rivières  empêchoit 
de  débiter,  on  établit  des  ferronneries,  qui  dans 
peu  fournirent  aux  forteresses  et  aux  besoins 
de  l'armée  des  canons  de  fer,  des  boulets  et  des 
bombes.  On  trouva  dans  la  principauté  de 
Minden  et  dans  le  comté  de  la  Mark  de  nou- 
velles salines,  qui  furent  raffinées.  On  perfec- 
tionna celles  de  Halle,  en  y  construisant,  pour 
la  gradation  du  sel ,  des  bâtimens  qui  épar- 
gnent le  bois.  En  un  mot  l'industrie  fut  encou- 
ragée dans  la  capitale  et  dans  les  provinces.  Le 
Roi  remit  en  vigueur  le  droit  d'étappe  que  les 
Saxons  avoient  disputé  à  la  ville  de  Magde- 
bourg ,  et  par  le  moyen  de  quelques  douanes 


DE     SEPT     ANS.  IQ 

établies  sur  les  frontières,  le  commerce  des  pro- 
vinces prussiennes  fut  presque  en  équilibre  avec 
^elui  de  la  Saxe.  La  compagnie  d'Emden 
établit  un  négoce  important  à  la  Cliine.  En 
diminuant  les  droits  d'exportation  à  Stettin  , 
Kœnigsberg  et  Colberg ,  les  revenus  des  doua- 
nes augm.entèrent  du  double.  Il  résulta  de 
ces  diverses  opérations  de  finances ,  que ,  sans 
compter  les  revenus  de  la  Silésie  et  de  l'Ost- 
Frise,  et  sans  que  le  Roi  chargeât  ses  peuples 
d'un  denier  de  nouvel  impôt,  les  revenus  de 
la  couronne  se  trouvèrent  augmentés  en  1736 
de  I5Q0O5OOO  écus;  et  d'après  un  dénombre- 
ment que  l'on  fit  des  habitans  de  toutes  les 
provinces ,  leur  nombre  se  monta  à  5  millions 
d'ames.  Comme  il  est  certain  que  le  nombre 
des  sujets  fait  la  richesse  des  Etats ,  la  Prusse 
pouvoit  alors  se  compter  du  double  plus  puis- 
sante qu'elle  ne  l'avoit  été  dans  les  dernières 
années  de  Frédéric-Guillaume,  père  du  Roi. 

Les  finances  et  la  justice  n'absorbèrent  pas 
toute  l'attention  du  Roi;  le  militaire,  cet  ins- 
trument de  la  crloire  et  de  la  conservation  des 
Etats  5  ne  fut  pas  négligé.  Le  Roi  le  surveilla 
de  près ,  pour  que  la  discipline  et  la  suboïdi- 

B  - 


20  HIST.    DE    LA    GUEUrvE 

nation  fussent  rigoureusement  maintenues" dans 
chaque  province.  Les  troupes  se  rassembloient 
régulièrement  toutes  les  années  dans  des  camps 
de  paix,  où  on  les  dressoit  aux  grandes  évolu- 
tions et  aux  manœuvres.    L'infanterie   s'exer- 
çoit  aux  difïerens  déploiemens,  aux  formations, 
aux  attaques  de  plaine,  aux  attaques  de  postes, 
aux  défenses  de  villages  et  de  retranchemens  , 
aux  passages  de  rivières,  aux  marches  couvertes 
à  colonnes  renversées,  aux  retraites,  et  enfin  à 
toutes  les   manœuvres   qu'il  faut  faire  devant 
rennemi.   La  cavalerie  s'exerçoit  aux  différen- 
tes attaques  serrées  et  à  intervalles,  aux  recon- 
noissances,  ou  fourrages  verts  et  secs ,  aux  diffé- 
rentes formations ,  et  à  prendre  des  points  de 
vue  sur  des  alignemens  prescrits.   On  poussa, 
dans  quelques  régimens  dont  les  cantons  étoient 
les  plus  peuplés ,  le  nombre  des  surnuméraires 
par    compagnie    à   36    hommes  ,    et   à   24   au 
moins  :  quoiqu'on  ne  fit  aucune  nouvelle  le- 
vée, le  nombre  de  ces  surnuméraires  faisoit  sur 
le  total  de  l'armée  une  augmentation  de  j  0,000 
combattans.    Tous  les  bataillons ,  tous  les  ré- 
gimens de  cavalerie  avoient  à  leur  tête  de  vieux 
comniandans,  officiers  éprouvés,  pleins  de  va- 


DESEPTANS.  21 

leur  et  de  mérite.  Le  corps  des  capitaines 
étoit  composé  d'hommes  mûrs ,  solides  ,  et 
braves.  Les  subalternes  étoient  choisis;  plusieurs 
étoient  pleins  de  capacité  et  dignes  d'être  éle- 
vés à  des  grades  supérieurs.  En  un  mot  l'ap- 
plication et  l'émulation  qui  régnoient  dans  cette 
armée ,  étoient  admirables.  Il  n'en  étoit  pas 
de  même  des  généraux ,  quoiqu'il  y  en  eût 
quelques-uns  d'un  vrai  m.érite.  Le  plus  grand 
nombre  avoit,  avec  beaucoup  de  valeur,  beau- 
coup d'indolence.  On  suivoit  l'ordre  du  ta- 
bleau pour  l'avancement ,  de  sorte  que  l'an- 
cienneté du  service  et  non  les  talens  décidoient 
de  la  fortune.  Cet  abus  étoit  ancien;  il  n'a- 
voit  porté  aucun  préjudice  dans  les  guerres  pré- 
cédentes, parce  que  le  Roi,  n'agissant  qu'avec 
une  armée,  n'avoit  pas  besoin  de  faire  beau- 
coup de  détachemens,  et  que  les  troupes  et  les 
généraux  autrichiens,  auxquels  il  eut  à  faire  , 
li'étoient  que  médiocres ,  et  avoient  entière- 
ment négligé  la  tactique.  Le  Roi  fit  une  bonne 
acquisition  en  attirant  de  Russie  le  maréchal 
Keith  à  son  service.  C'étoit  un  homme  doux 
dans  le  commerce ,  ayant  des  vertus  et  des 
mœurs ,  habile  en  son  métier ,  et  qui ,  avec  la 

B  3 


22  HIST.    DE    LA    GUERRE 

plus  grande  politesse,  étoit  d'une  valeur  héroï- 
que dans  un  jour  de  combat.  Le  corps  de 
l'artillerie  avoit  été  augmenté.  Le  Roi  le  porta 
à  trois  bataillons ,  dont  le  dernier  étoit  destiné 
pour  les  garnisons.  Il  étoit  bien  exercé  et  en 
bon  état ,  mais  trop  peu  nombreux  pour  la 
profusion  d'artillerie  et  de  bouches  à  feu  que 
la  mode  introduisit  bientôt  dans  les  armées. 
Ils  auroit  fallu  le  doubler;  mais  comme  cela 
n'avoit  point  été  usité  dans  les  guerres  précé- 
dentes 5  et  que  ces  deux  bataillons  avoient  sufR 
au  service  qu'on  en  demandoit ,  on  ne  songea 
pas  d'abord  à  l'augmenter.  Durant  la  paix  on 
construisit  les  ouvrages  de  Schvveidnitz ,  et  l'on 
perfectionna  ceux  de  Neisse ,  de  Cosel ,  de 
Glatz  et  de  Glogau.  Schweidnitz  devoit  ser- 
vir de  dépôt  pour  l'armée,  au  cas  que  la  guerre 
se  portât  en  Bohème  sur  cette  frontière  ;  et 
comme  les  Autrichiens  avoient  montré  peu  de 
capacité  dans  la  dernière  guerre  pour  l'attaque 
et  la  défense  des  places  ,  on  se  contenta  de 
construire  légèrement  ces  ouvrages  :  ce  qui  étoit 
dans  le  fond  très -mal  raisonné,  car  les  places 
ne  se  construisent  pas  pour  un  temps ,  mais 
pour  toujours  ;   et  qui  pouvoit  garantir  d'ail- 


DE     SEPT     ANS.  23 

leurs  que  Tlmpératrice  -reine  n'attirât  pas  quel- 
que habile  ingénieur  à  son  service,  qui,  appor- 
tant avec  lui  un  art  qui  manquoit  à  Farmée 
autrichienne ,  le  lui  enseignât  et  le  rendît  com- 
mun ?  Mais  si  l'on  fit  des  fautes ,  on  eut  dans 
la  suite  sujet  de  s'en  repentir,  et  d'apprendre  à 
raisonner  plus  solidement. 

D'autre  part  on  prévit  qu'une  armée  en  bon 
état  et  bien  entretenue  ne  suffit  pas  pour  faire 
la  guerre,  mais  qu'il  faut  de  grosses  provisions 
de  réserve,  pour  l'armer,  pour  l'habiller,  et  la 
renouveler,  pour  ainsi  dire;  ce  qui  donna  lieu 
à  faire  de  grands  amas  de  toutes  sortes  de  four- 
nitures ,  de  selles,  étriers,  mords,  bottes,  gi- 
bernes ,  ceinturons ,  etc.  On  conservoit  dans 
Tarsenal  50,000  fusils,  20,000  sabres,  12,000 
épées ,  autant  de  pistolets ,  de  carabines  et  de 
bandoulières;  en  un  mot  tout  ce  qu'il  faut  sans 
cesse  renouveler  ,  et  que  le  temps  ne  donne 
pas  toujours  le  moyen  d'avoir  assez  prompte- 
ment  dans  le  besoin.  On  avoit  fait  fondre  de 
la  grosse  artillerie,  consistant  en  80  pièces  de 
batterie,  et  en  20  mortiers,  qui  fut  déposée 
dans  la  forteresse  de  Neisse.  Les  amas  de  pou- 
dre à  canon  que  l'on  avoit  faits,  montoient  à 

B  i 


24  HIST.    DE    LA   GUERRE 

565O00  quintaux,  répartis  dans  les  différentes 
places  du  royaume.  Les  magasins  d'abondance 
étoient  remplis  de  36,000  vvinspels  de  farines  et 
de  iQ,ooo  d'avoine;  de  sorte  que  par  ces  mesu- 
res et  par  ces  arrangemens  préalables  tout  étoit 
préparé  pour  la  guerre  qu'on  prévoyoit,  et  qui 
ne  paroissoit  pas  éloignée.  Dans  l'année  1755 
le  Roi  fit  même  une  augmentation  dans  les 
régimens  de  garnison.  Ceux  de  Silésie  furent 
portés  à  huit  bataillons,  ceux  de  Prusse  à  trois , 
ceux  de  la  Marche  électorale  à  deux  ;  ce  qui 
fait  en  tout  13  bataillons.  Dans  un  pays  pau- 
vre le  souverain  ne  trouve  pas  de  ressources 
dans  la  bourse  de  ses  sujets ,  et  son  devoir 
est  de  suppléer  par  sa  prudence  et  sa  bonne 
économie  aux  dépenses  extraordinaires ,  qui  de- 
viennent indispensables.  Les  fourmis  amassent 
en  été  ce  qu'elles  consomment  en  hiver,  et  le 
prince  doit  ménager  durant  la  paix  les  sommes 
qu'il  faut  dépenser  dans  la  guerre.  Ce  point , 
malheureusement  si  important,  n'avoit  pas  été 
oublié,  et  la  Prusse  se  trouvoit  en  état  de  faire 
quelques  campagnes  de  ses  propres  fonds;  en 
un  mot  elle  étoit  prête  à  paroître  dans  l'arène 
au  premier  signal ,  et  à  se  mesurer  avec  ses  en- 


DESEPTANS.  25 

nemis.  Vous  verrez  dans  la  suite  combien  cette 
précaution  fut  utile ,  et  la  nécessité  où  se  trouve 
un  roi  de  Prusse ,  par  la  situation  bizarre  de  ses 
provinces,  d'être  armé  et  préparé  à  tout  événe- 
ment 5  pour  ne  pas  servir  de  jouet  à  ses  voisins 
et  à  ses  ennemis.  Il  auroit  fallu  au  contraire  en 
faire  davantage ,  si  les  facultés  de  l'Etat  l'avoient 
permis;  car  le  Roi  a  voit  dans  la  personne  de  Tlm* 
pératrice  -  reine  une  ennemie  ambitieuse  et  vin- 
dicative, d'autant  plus  dangereuse,  qu'elle  étoit 
femmie,  entêtée  de  ses  opinions,  et  implacable. 
Cela  étoit  si  vrai ,  que  dès-lors  elle  préparoit 
dans  le  silence  du  cabinet  les  grands  projets 
qui  éclatèrent  dans  la  suite.  Cette  Princesse  , 
dévorée  d^ambition ,  vouloit  aller  à  la  gloire 
par  tous  les  chemins  ;  elle  mit  dans  ses  finances 
un  ordre  inconnu  à  ses  ancêtres ,  et  non-seu- 
lement répara  par  de  bons  arrangemens  ce 
qu'elle  avoit  perdu  par  les  provinces  cédées  au 
roi  de  Prusse  et  au  roi  de  Sardaigne,  mais 
même  augmenta  considérablement  ses  revenus. 
Le  comte  Haugwitz  devint  contrôleur  général 
de  ses  finances.  Sous  son  administration  les  re- 
venus de  l'Impératrice  montèrent  à  36  millions 
de  florins  ou  24  millions  d'écus.   L'empereur 


20  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Charles  VI,  son  père,  possesseur  du  royaume 
de  Naples ,  de  la  Servie ,  et  de  la  Silésie  n'en 
avoit  pas  eu  autant.  L'Empereur  son  époux  , 
qui  n'osoit  se  mêler  des  affaires  du  gouverne- 
ment, se  jeta  dans  celles  du  négoce;  il  ména- 
geoit  tous  les  ans  de  grosses  sommes  de  ses 
revenus  de  Toscane ,  et  les  faisoit  valoir  dans 
le  commerce.  Il  établissoit  des  manufactures, 
etprêtoit  sur  gages;  il  entreprit  la  livraison  des 
uniformes,  des  armes,  des  chevaux  et  des  ha- 
bits d'ordonnance  pour  toute  l'armée  impériale. 
Associé  avec  un  comte  Boltza  et  un  marchand 
nommé  Schimmelmann ,  il  avoit  pris  à  ferme  les 
douanes  de  la  Saxe,  et  en  l'année  1736  il  livra 
même  le  fourrage  et  la  farine  à  l'armée  du 
Roi,  qui  étoit  en  guerre  avec  l'Impératrice  son 
épouse.  Durant  la  guerre  l'Empereur  avançoit 
des  sommes  considérables  à  cette  Princesse  sur 
de  bons  nantissemens.  Il  étoit  en  un  mot  le 
banquier  de  la  cour. 

L'Impératrice  avoit  senti  dans  les  guerres 
précédentes  la  nécessité  d'une  meilleure  disci- 
pline. Elle  choisit  des  généraux  actifs ,  et  ca- 
pables de  l'introduire  dans  ses  troupes  :  de 
vieux  officiers,  peu  propres  aux  emplois  qu'ils 


DE     SEPT     ANS.  27 

occupoient,  furent  renvoyés  avec  des  pensions, 
et  remplacés  par  des  jeunes  gens  de  condition, 
pleins  d'ardeur  et  d'amour  pour  le  métier  de  la 
guerre.  On  formoit  toutes  les  années  des 
camps  dans  les  provinces ,  où  les  troupes 
étoient  exercées  par  des  commissaires-inspec- 
teurs bien  versés  dans  les  grandes  manœu- 
vres de  la  guerre.  L'Impératrice  se  rendit  elle- 
même  à  différentes  reprises  dans  les  camps  de 
Prague  et  d'Olmutz,  pour  animer  les  troupes 
par  sa  présence  et  par  ses  libéralités.  Elle  savoit 
faire  valoir  mieux  qu'aucun  prince  ces  distinc- 
tions auxquelles  on  attache  tant  de  prix  ; 
elle  récompensoit  les  officiers  qui  lui  étoient 
recommandés  par  ses  généraux ,  excitant  par- 
tout l'émulation,  les  talens ,  et  le  désir  de  lui 
plaire.  En  même  temps  se  formoit  une  école 
d'artillerie  sous  la  direction  du  Prince  de  Lich- 
tenstein  :  il  porta  ce  corps  à  six  bataillons ,  et 
l'usage  des  canons  à  cet  abus  inouï  auquel 
il  est  parvenu  de  nos  jours;  par  zèle  pour 
l'Impératrice  il  dépensa  pour  cet  objet  au-delà 
de  cent  mille  écus  de  son  propre  bien.  En- 
fin 5  pour  ne  rien  négliger  de  ce  qui  pouvoit 
avoir  rapport  au  militaire ,  l'Impératrice  fonda 


28  HIST.    DE    LA    GUEKRE 

près  de  Vienne  un  collège  où  la  jeune  noblesse 
étoit  instruite  dans  tous  les  arts  qui  ont  rapport 
à  la  guerre  ;  elle  attira  d'habiles  professeurs  de 
géométrie  ,  de  fortification  ,  de  géographie  et 
d'histoire,  qui  formèrent  des  sujets  capables:  ce 
qui  devint  une  pépinière  d'officiers  pour  son 
armée.  Par  tous  ces  soins  le  militaire  acquit 
dans  ce  pays  un  degré  de  perfection  où  il  n'é- 
toit  jamais  parvenu  sous  les  empereurs  de  la 
maison  d'Autriche ,  et  une  femme  exécuta  des 
desseins  dignes  d'un  grand  homme.  Cette  prin- 
cesse ,  qui  portoit  ses  vues  sur  toutes  les  parties 
de  l'administration ,  peu  satisfaite  de  la  manière 
dont  les  affaires  étrangères  et  politiques  s'é- 
toient  jusqaes-là  traitées,  fit  choix  du  comte 
Kaunitz  sur  la  fin  de  l'année  1755.  Elle  lui 
donna  la  patente  de  premier  ministre  ,  pour 
qu'une  seule  tête  réunît  toutes  les  branches  du 
gouvernement.     Nous    aurons    lieu    dans    son 

o 

temps  de  faire  connoître  plus  particulièrement 
cet  homme,  qui  joua  un  si  grand  rôle:  il  entra 
dans  tous  les  sentimens  de  sa  souveraine  ;  il  eut 
l'art  de  flatter  ses  passions  et  de  s'attirer  sa  con- 
fiance. Dès  qu'il  parvint  au  ministère  ,  il  tra- 
vailla à  former  des  alliances,  et  à  isoler  le  roi 


DE     SEPT     ANS.  29 

de  Prusse,  pour  préparer  les  voies  à  ce  projet, 
que  l'Impératrice  avoit  tant  à  cœur,  de  recou- 
vrer la  Silésie  ,  et  d'abaisser  ce  Prince  ;  mais 
comme  c'est  là  proprement  la  matière  du  cha- 
pitre suivant ,  nous  n'en  dirons  pas  davantage 
sur  ce  sujet. 

Voilà  comment  ces  deux  puissances  durant 
la  paix  se  préparoient  à  la  guerre  ,  telles  que 
deux  athlètes ,  qui  aiguisent  leurs  armes,  et  qui 
brûlent  de  l'impatience  de  s'en  servir. 


CHAPITRE    IL 

De  la  Guerre  et  de  la  Politique  depuis 
1746  Jusqu'à  1756. 


JLiA  paix  de  Dresde  eut  le  destin  de  la  plupart  1746. 
des  traités  qui  se  sont  faits  entre  les  souverains; 
elle  suspendit  les  hostilités,  sans  déraciner  les 
germes  de  discorde  qui  subsistoient  entre  l'Au- 
triche et  la  Prusse,  Quelque  dissimulation 
qu'employât  la  cour  de  Vienne ,  elle  avoit  le 
cœur  trop  ulcéré  de  la  perte  de  la  Silésie,  pour 


30  HIST.    DE    LA    GUERRE 

que  les  effets  de  son  animosité  et  de  sa  haine  ne 
lui  échappassent  point ,  et  ne  se  manifestassent 
pas  enfin.  La  guerre  entre  ces  deux  puissances 
n'avoit  donc  point  été  terminée  proprement , 
mais  elle  avoit  changé  de  forme  ;  et  quoique 
les  armées  ne  se  combattissent  plus  en  campagne, 
les  Autrichiens  continuoient  les  hostilités  du 
fond  de  leur  cabinet.  La  ruse,  l'intrigue,  l'ar- 
tifice, étoient  les  armes  dont  ils  se  servoient, 
pour  brouiller  les  Prussiens  avec  toutes  les  cours 
de  l'Europe,  et  pour  leur  susciter,  s'il  étoit  pos- 
sible ,  des  ennemis  jusques  aux  extrémités  de 
notre  globe  ;  nous  en  rapporterons  des  témoi- 
gnages sufBsans  :  mais  pour  mettre  plus  d'ordre 
et  plus  de  clarté  dans  ce  que  nous  allons  dire, 
nous  parcourrons  successivement  les  événement 
principaux  qui  arrivèrent  dans  les  différentes 
cours  de  l'Europe.  Et  comme  après  la  paix 
de  Dresde  la  guerre  ne  laissa  pas  de  conti- 
nuer entre  la  cour  de  Vienne  et  l'Angleterre 
d'une  part,  et  la  France  et  l'Espagne  de  l'au- 
tre 5  nous  nous  voyons  obligés  d'en  faire  un 
tableau  raccourci ,  pour  ne  rien  omettre  de 
ce  qui  peut  servir  à  l'intelligence  de  cette 
histoire. 


DESEPTANS.  3! 

Les  armées  impériales  et  alliées  ne  prospé-    Guerre, 
rérent   pas    en   Flandre ,    où    elles  avoient   le   ^"^^'^^'^ 

■*■  et 

maréchal  de  Saxe  en  tête.  A  la  fin  de  cette  France. 
année  ce  Maréchal  gagna  la  bataille  de  Rocoux.  ^746. 
On  en  attribua  la  perte  en  partie  au  prince  de 
Waldeck,  qui  s'étoit  mal  posté,  et  en  partie 
aux  Autrichiens,  qui  ne  soutinrent  pas  les  Hol- 
landois.  Le  prince  Charles  de  Lorraine,  après 
avoir  été  spectateur  de  la  défaite  des  Hoîlandois, 
envoya  le  prince  Louis  de  Bronswic  pour  cou- 
vrir leur  retraite;  il  s'en  acquitta  si  bien,  que 
les  alliés  gagnèrent  Mastricht  ,  sans  que  les 
François  ,  qui  les  poursuivoient ,  pussent  les 
entamer. 

Le  maréchal  de  Saxe  ouvrit  la  campagne  1747. 
suivante  par  la  prise  de  la  plupart  des  places 
de  la  Flandre  hoUandoise.  Louis  XV  se  rendit 
en  personne  à  l'armée.  La  présence  du  Roi  et 
de  ses  Ministres  fut  un  surcroît  d'embarras  pour 
le  comte  de  Saxe,  et  une  charge  pour  Farmée. 
Les  courtisans  remplissoient  le  camp  d'intrigues, 
et  contrecarroient  le  général  ;  une  cour  aussi 
nombreuse  demandoit  par  jour  10.000  rations 
pour  les  chevaux  des  équipages.  Mais  ni  la 
cour  de  Versailles ,  ni  les  ennemis  de  la  France 


32  HIST.    DE    LA    GUERRE 

ne  purent  empêcher  le  comte  de  Saxe  de  con- 
server la  supériorité  durant  cette  campagne.  Il 
avoit  d'abord  formé  le  projet  d'assiéger  Mastricht; 
pour  en  imposer  à  l'ennemi ,  il  feignit  d'en  vou- 
loir à  Bergen -op- zoom.  Le  duc  de  Cumber- 
land  s'apperçut  de  la  feinte,  se  mit  en  marche 
et  gagna  promptement  les  environs  de  Mas- 
tricht. Le  Comte,  se  voyant  prévenu,  quitta 
en  hâte  son  camp  de  Malines,  et  se  porta  au- 
delà  de  S.  Tron  sur  les  hauteurs  de  Henderen. 
Les  alhés ,  qui  se  trouvoient  dès  la  veille  à  la 
commanderie  de  Yons ,  négligèrent  d'occuper 
cette  hauteur  importante  :  indécis  sur  le  choix 
de  leur  champ  de  bataille ,  et  vacillant  dans  leurs 
résolutions,  ils  mirent  le  feu  à  des  villages  et 
l'éteignirent  ;  garnirent  ces  villages  de  troupes  , 
qu'ils  retirèrent  ensuite;  et  après  avoir  embrasé 
le  village  de  Lafeld  le  matin  de  l'action,  ils 
l'éteignirent  encore  et  y  placèrent  du  monde, 
quoiqu'à  Q,ooo  pas  au-devant  de  leur  front. 
Ce  fut  à  ce  village  où  la  bataille  s'engagea.  Le 
maréchal  de  Saxe ,  témoin  des  mouvemens 
inconséquens  des  alliés ,  crut  que  Lafeld  étoit 
vide  de  troupes;  il  se  proposa  de  s'en  saisir,  et 
le  trouva  garni  d'ermemis.  L'attaque  commença 

sur 


DE     SEPT     ANS.  33 

sur  le  cliamp ,  et  à  force  de  la  renouveler  et  de 
sacrifier  du  monde,  les  François  emportèrent 
le  villag*;  ce  qui  décida  l'action.  Les  alliés  se 
retirèrent  à  Mastriclit,  sans  que  le  maréchal  de 
Saxe  les  poursuivît,  parce  que  M.  de  Clermont- 
Tonnerre  se  dispensa  de  charger  l'ennemi  avec 
sa  cavalerie ,  malgré  les  ordres  réitérés  qu'il 
avoit  reçus;  cette  désobéissance  à  son  général 
lui  valut  le  bâton  de  maréchal  de  France. 
Louis  XV  ne  gagna  donc  proprement  par  cette 
victoire  que  le  stérile  avantage  de  camper  sur 
le  champ  de  bataille ,  et  le  duc  de  Cumberland, 
quoique  battu ,  garantit  Mastricht  d'un  siège. 
Pour  ne  pas  laisser  néanmoins  écouler  inutile- 
ment la  campagne  ,  le  comte  de  Saxe  se  ra- 
battit sur  Bergen-op-zoom.  Il  chargea  M.  de 
Lœwendahl  de  cette  difficile  entreprise.  Les 
excellens  ouvrages  de  Coehorn ,  et  l'art  admi- 
rable avec  lequel  il  avoit  construit  les  mines 
de  cette  place,  la  défendirent  presque  seuls, 
M.  de  Cronstrom  en  étoit  gouverneur  ;  il  avoit 
90  ans  ;  son  esprit  étoit  caduc  et  son  corps  in- 
firme. La  garnison  n'étoit  pas  des  meilleures, 
et  les  officiers ,  sans  expérience ,  ne  savoient  s'ils 
dévoient  employer  les  mines  ou  l'inondation 
Tome  IIL  C 


34  HIST.    DE    LA    GUEKPvE 

pour  leur  défense  ;  ils  eurent  le  sort  de  cet  âne 
fameux  dans  l'école  ,  qu'on  dit  être  mort  de 
faim  entre  deux  boisseaux  d'avoine,  pour  n'a- 
voir pu  faire  un  choix.  Les  François  donnèrent 
l'assaut  à  la  place,  et  l'empoitèient  sans  trouver 
presque  de  résistance;  à  peine  le  gouverneur 
çut-il  le  temps  de  se  sauver  en  bonnet  de  nuit  et 
en  robe  de  chambre.  Cet  exploit  termina  pour 
cette  année  les  succès  des  François  en  Flandre. 
La  fortune  fut  moins  contraire  aux  Impé- 
riaux en  Italie  et  eu  Provence.  La  révolution 
arrivée  à  Gènes  ht  à  la  vérité  manquer  l'expé- 
dition du  comte  de  Braun  sur  Toulon.  Cette  • 
révolution  se  fit  par  hazard.  Les  Autrichiens 
maltraitoient  quelques  bourgeois  qui  travail- 
loient  à  embarquer  de  l'artillerie  pour  Antibes. 
Le  peuple  s'ameuta,*  soutint  ses  concitoyens  in- 
sultés ,  et  dans  les  premiers  accès  de  sa  fureur 
chassa  de  Gènes  le  marquis  de  Botta  et  toute 
la  garnison  autrichienne.  Ce  contrecoup  fit 
manquer  l'armée  de  Provence  de  vivres  et  de 
munitions ,  et  obligea  M.  de  Braun  à  vider 
cette  province.  Il  mita  son  retour  le  siège  de- 
vant Gènes;  mai^  cette  ville  le  soutint  sans  suc- 
comber. La  France  y  envoya  des  secours  sous 


DE     SEPT     ANS.  33 

M.  de  Bouflers  et  depuis  sous  le  duc  de  Riche* 
lien  ;  ils  prirent  tous  deux  de  si  justes  mesures , 
qu'ils  rendirent  les  efforts  des  Autrichiens  inu-* 
tiles.  Les  troupes  françoises  et  espagnoles,  com- 
binées sous  M.  de  Belle-ïsle  5  voulurent,  après 
la  retraite  de  M.  de  Braun ,  se  rouvrir  le  chemin 
de  l'Italie.  Les  François  s'approchèrent  les  pre- 
miers du  col  de  l'Assiette.  M.  de  Belle -Isle, 
trouvant  ce  poste  foiblement  défendu ,  jugea 
qu'il  pourroit  l'insulter  ;  il  manda  les  Espa- 
gnols pour  l'attaquer  à  forces  réunies,  et  les 
Espagnols  différèrent  trois  jours  avant  de  le 
joindre.  Cela  donna  le  temps  au  roi  de 
Sardaigne  de  renforcer  ceux  qui  défendoient 
cette  gorge ,  qu'il  lui  importoit  si  fort  de  con- 
server. Sur  cela  les  Espagnols  arrivèrent ,  et 
quoique  les  conjonctures  ne  fussent  plus  les  mê- 
mes que  lorsque  M.  de  Belle-Isle  avoit  mandé 
ce  renfort ,  il  n'en  voulut  point  avoir  le  dé- 
menti ;  il  attaqua  donc  les  Sardes  avec  beau- 
coup de  vigueur,  et  après  avoir  employé  tout 
ce  que  lui  pouvoit  inspirer  le  courage  et  l'au- 
dace, il  se  fit  tuer  en  arrachant  de  ses  mains 
une  palissade  du  retranchement  ennemi  :  ne 
pouvant  surmonter  les  obstacles  que  la  nature 

C  q 


36  HIST.    DE    LA    GUERRE 

et  l'art  lui  avoient  opposés,  ses  efforts  ne  servi- 
rent qu'à  augmenter  ses  pertes.  Les  troupes 
des  deux  couronnes  furent  partout  repoussées, 
et  le  nombre  d'officiers  de  condition  et  des 
plus  grandes  maison? ,  qui  périrent ,  mit  toute  la 
France  en  deuil.  Le  public,  souvent  injuste, 
rempli  de  préjuges,  et  apparemment  mal  ins- 
truit ,  taxa  cette  entreprise  de  témérité  ;  elle 
n'étoit  que  hardie,  et  n'auroit  pas  manqué,  si 
M.  de  Belle -îsle  eût  pu  exécuter  son  projet 
lorsqu'il  le  conçut,  et  si  la  lenteur  des  Espa- 
gnols ne  lui  eût  pas  fait  perdre  les  lauriers  qu'il 
étoit  près  de  cueillir. 
1748.  Cependant  les  François  se  dédommageoient 
en  Flandre  des  mauvais  succès  qu'ils  avoient 
eus  vers  les  Alpes.  Le  génie  du  comte  de 
Saxe  avoit  pris  de  l'ascendant  sur  tous  les  enne- 
mis de  la  France.  Ce  maréchal  ouvrit  la  cam- 
pagne en  mettant  son  armée  en  marche  sur  plu- 
^^^      sieurs  colonnes.  L'une  menaçoit  Luxembourg , 

d'Aix-la     ^  ,  ^ 

chapelle,  l'autre  Bois-le-Buc,  une  autre  Venlo  ;  leurs 
inouvemens  vinrent  se  réunir  à  Mastricht,  dont 
elles  formèrent  l'investissement  et  firent  le  siège. 
Mais  quelque  brillans  que  fussent  les  succès  du 
comte  de    Saxe ,    ses  triomphes  m.êmes  com- 


DE     SEPT     ANS.  37 

mençoient  à  devenir  onéreux  à  la  France.  On 
en  étoit  à  la  huitième  campagne,  et  la  durée 
d'une  guerre  dont  les  commencemens  avoient 
été  funestes  ,  épuisoit  la  nation.  Toutes  les 
puissances  belligérantes  s'en  lassoient  de  mê- 
me ;  après  avoir  souvent  changé  de  cause , 
elle  n'en  avoit  aucune  à  la  fin.  Le  moment 
de  la  frénésie  étoit  passé  :  elles  pensèrent  sérieu- 
sement à  la  paix,  et  entrèrent  en  négociation; 
chacune  sentoit  ses  plaies  secrètes  et  avoit 
besoin  de  tranquillité  pour  les  guérir.  Les  An- 
glois  craignoient  d'augmenter  leurs  dettes  na- 
tionales,  chef-d'œuvre  du  crédit  idéal,  dont 
l'abus  pronostique  une  faillite  entière.  La  cour 
impériale ,  soutenue  des  subsides  de  l'Angle- 
terre ,  auroit  à  la  vérité  continué  la  guerre  aussi 
long-temps  que  ses  alliés  lui  en  auroient  fourni 
les  moyens  :  cependant  elle  consentit  à  la  paix , 
afin  de  ménager  ses  ressources  pour  un  projet 
qui  lui  tenoit  plus  à  cœur  que  la  guerre  de 
Flandre.  La  P^rance  se  ressentoit  de  ses  grandes 
dépenses  ;  elle  avoit  de  plus  à  craindre  que  la 
disette  n'occasionnât  la  famine  dans  ses  provin- 
ces méridionales ,  dont  les  ports  étoient  blo- 
qués  par  les    flottes  angloises.    A    ces  raisons 

C  3 


38  HIST.   DE    LA    GUEP.IIE 

d'état,  que  le  ministère  de  Versailles  alléguoit 
en  public ,  se  joignoient  des  causes  secrètes  ,  qui 
furent  ses  plus  puissans  motifs.  Depuis  peu  Ma- 
dame de  Pompadour  étoit  devenue  la  maîtresse 
du  Roi  ;  elle  appréhendoit  que  la  continuation 
de  la  guerre  n'engageât  Louis  XV  à  se  mettre 
tous  les  ans  à  la  tête  de  son  armée.  Les  absen- 
ces sont  dangereuses  pour  les  favoris  et  pour  les 
maîtresses  ;  elle  comprit  que  pour  fixer  le  cœur 
de  son  amant,  il  falloit  écarter  tout  prétexte  qui 
pût  l'éloigner  d'elle,  en  un  mot  qu'il  falloit  faire 
la  paix;  et  dès-lors  elle  y  travailla  de  tout  son 
pouvoir.  Lorsque  M.  de  S.  Séverin  partit  de 
Versailles  pour  Aix- la -chapelle  en  qualité  de 
Plénipotentiaire ,  elle  lui  dit  ces  propres  mots  : 
î9  Au  moins  souvenez-vous  ^  Monsieur^  de  ne  pas 
9*  revenir  sans  la  paix  ;  le  Roi  la  veut  à  tout 
^»  prix,  -59  Le  congrès  s'assembla  donc  à  Aix-la- 
chapelle.  La  ville  de  Mastricht  se  rendit  et  la 
paix  fut  publiée.  Par  ce  traité  la  France  rendit 
à  la  maison  d'Autriche  toutes  ses  conquêtes  en 
Flandre  et  en  Brabant;  moyennant  quoi  l'Im- 
pératrice céda  les  duchés  de  Parme  et  de  Plai- 
sance à  Don  Philippe  ,  réversibles  toutefois  à 
la  maison  d'Autriche  ,   puisqu'il   étoit  stipulé 


DE     SEPT     ANS.  39" 

que  lorsque  Don  Carlos  monteroit  sur  le  trône 
d'Espagne ,  Don  Philippe  lui  succéderoit  au 
royaume  de  Naples  :  et  il  est  remarquable  que 
cet  article  ainsi  conçu  fut  ratifié  sans  la  partici- 
pation ni  le  consentement  du  roi  d'Espagne  , 
de  celui  de  Naples ,  et  de  Don  Philippe.  Aussi 
témoignèrent-ils  leur  mécontentement,  en  pro- 
testant contre  toutes  les  mesures  prises  à  Aix-la- 
chapelle ,  contraires  à  l'indépendance  de  leurs 
couronnes.  Les  intérêts  de  la  France  et  de 
l'Angleterre  furent  réglés  dans  le  7™"  article,  où 
l'Angleterre  s'engage  à  rendre  le  cap  Breton 
aux  P'rançois ,  et  où  les  deux  couronnes  se  ga- 
yanlissent  leurs  possessions  respectives  en  Amé- 
rique ,  selon  la  teneur  du  traité  d'Utrecht;  elles 
convinrent  toutefois  de  nommer  des  commis- 
saires pour  vider  quelques  différens  sur  les  li- 
mites du  Canada.  Enfin  l'article  -22  contient  la 
garantie  de  la  Silésie  par  toutes  les  puissances. 

Il  est  visible,  pour  peu  qu'on  y  donne  d'at- 
tention,  que  cette  paix  faite  à  la' hâte  étoit 
l'ouvrage  d'un  mouvement  précipité ,  et  que 
les  puissances  sacrifioient  à  l'embarras  présent  de 
leurs  affaires  les  intérêts  de  l'avenir.  On  étei- 
gnoit  d'une  part  l'incendie  qui  embrasoit  l'Eu- 

c  4 


40  HIST.    DE    LA    GUEllKE 

rope  5  et  de  l'autre  on  amassoit  des  matières 
combustibles ,  propres  à  prendre  feu  à  la  pre- 
mière occasion.  Il  ne  falloit  que  la  mort  du 
roi  d'Espagne  pour  exciter  de  nouveaux  trou- 
bles, et  les  limites  indéterminées  du  Canada 
ne  pouvoient  manquer  de  mettre  un  jour  les 
François  aux  prises  avec  les  Anglois.  Quelque- 
fois une  campagne  de  plus ,  ou  de  la  fermeté 
dans  les  négociations  ,  termineroit  pour  long- 
temps les  querelles  des  souverains  ;  mais  on 
préfère  les  palliatifs  aux  topiques  ,  et  une 
trêve  que  l'on  signe  par  impatience  ,  à  une 
paix  solide. 
^^  ^^         La  cour  de  Vienne  aVoit  perdu   par    cette 

c,our   de  ,  _,.       . 

Vienne,  guerre  les  duchés  de  Silésie ,  de  Parme  et  de 
Plaisance.  Elle  souffroit  impatiemment  cette  di- 
minution de  puissance;  et  comme  elle  en  reje- 
toit  la  faute  principale  sur  les  Anglois ,  qu  elle 
n'accusoit  pas  sans  raison  de  sacrifier  les  intérêts 
de  leurs  alliés  aux  leurs  propres,  cela  la  dégoû- 
toit  de  cette  alliance  et  la  portoit  à  sonder  le 
terrain  à  la  cour  de  Versailles,  afin  d'essayer 
de  détacher  cette  puissance  de  la  Prusse ,  et  en 
même  temps  de  trouver  quelque  expédient 
pour  concilier  les  intérêts  des  deux  cours.  Le 


DE     SEPT     ANS.  4I 

comte  Kaunitz,  duquel  ce  projet  venoit  parti- 
culièrement 5  étant  plénipotentiaire  de  l'Impé- 
ratrice -  reine  à  Aix-la-chapelle ,  ne  tarda  pas 
à  en  faire  les  premières  ouvertures  à  M.  de  S. 
Séverin ,  en  lui  disant  par  manière  d'insinua- 
tion, que  si  la  France  vouloit  s'entendre  avec 
la  maison  d'Autriche ,  il  y  auroit  des  engage- 
mens  de  bienséance  à  prendre  entre  les  deux 
cours  5  moyennant  lesquels  la  Flandre  et  le 
Brabant  pourroient  demeurer  en  propriété  à  Sa 
Majesté  très-chrétienne  5  pourvu  qu'elle  voulût 
obliger  le  roi  de  Prusse  à  restituer  la  Silésie  à 
l'Impératrice  -  reine.  L'appât  étoit  bien  pro- 
pre à  tenter  la  cour  de  Versailles,  si  Louis  XV, 
excédé  de  la  guerre  qu'il  venoit  de  terminer, 
n'eût  craint  d'en  recommencer  une  nouvelle  . 
pour  exécuter  ce  projet;  de  sorte  que  M.  de 
S.  Séverin  déclina  ces  offres,  tout  avantageu- 
ses qu'elles  étoient. 

Le  comte    Kaunitz  ne  s'en  tint  pas  là  ;  cet    ^e  la 
homme ,  si  frivole  dans  ses  goûts  et  si  profond  France. 
dans  les  affaires,  fut  envoyé  comme  ambassa- 
deur à  Paris.  Il  y  travailla,  avec  une  assiduité 
et  une  adresse  infniie  jà  ùire  revenir  les  François 
de  cette  haine  irréconcihable;  qui  depuis  P^ran- 


42.  HIST    DE    LA    GUERRE 

çois  I  et  Charles  V  subsiste  entre  les  maisons 
de  Bourbon  et  de  Habspourg  ;  il  répétoit  sou- 
vent aux  ministres ,  que  l'agrandissement  des 
Prussiens  étoit  leur  ouvrage,  qu'ils  en  avoient 
été  payés  d'ingratitude  el  qu'ils  ne  tireroient 
aucun  parti  d'un  allié  qui  n'agissoit  que  pour 
ses  propres  intérêts;  d'autres  fois  il  leur  disoit, 
comme  si  la  force  de  la  conviction  lui  eût  arra- 
ché ces  paroles:  ->•>  Il  est  temps.  Messieurs,  que 
î»  vous  sortiez  de  la  tutelle  où  les  rois  de  Prusse 
^9  et  de  Sardaigne  et  nombre  de  petits  Princes 
9?  vous  tiennent  ;  leur  politique  ne  tend  qu'à 
î5  semer  la  zizanie  entre  les  grandes  puissances, 
î5  ce  ciui  leur  procure  des  moyens  d'agrandisse- 
59  ment  :  nous  ne  faisons  la  guerre  cpie  pour 
î?  eux;  il  n'y  a  qu'à  nous  entendre,  et  nous 
V  prêter  mutuellement  à  des  arrangemens  qui  en 
"  ôtant  tout  sujet  de  diiférent  entre  les  premières 
55  puissances  de  l'Europe,  servent  de  base  à  une 
5»  paix  solide  et  permanente.  »  Ces  idées  paru- 
rent d'abord  bizarres  à  une  nation  qui  avoit  pris 
l'habitude ,  par  une  longue  suite  de  guerres ,  de 
regarder  la  maison  impériale  comme  son  enne- 
mie perpétuelle.  Quoique  le  ministère  françois 
se  sentît  flatté  de  l'idée  de  ces  grandes  puissances 


DE     SEPT     ANS.  43 

qui  donneroient  des  lois  à  l'Europe ,  et  de  cette 
paix  perpétuelle,  cependant  d'autres  considé« 
rations  le  retenoient  encore.  Le  comte  Kaunitz, 
sans  se  rebuter  5  revint  souvent  à  la  charge  ;  à 
force  de  répéter  les  mêmes  propos ,  la  cour  de 
France ,  se  familiarisant  avec  ces  idées ,  vint  à  se 
persuac^r  insensiblement  que  ces  deux  gran- 
des maisons  n'étoient  pas  aussi  incompatibles 
que  leurs  ancêtres  l'avoient  cru.  Il  falloit  du 
temps  à  ce  germe  pour  se  développer  et  pour 
se  fortifier.  Toutefois  la  doctrine  du  comte 
Kaunitz  fit  des  prosélytes,  et  causa  quelques  re- 
froidissemens  entre  la  cour  de  Versailles  et  celle 
de  Berlin.  On  le  remarqua  surtout  à  la  mission 
de  milord  Tirconel  à  Berlin.  Ce  ministre , 
effarouché  de  cette  idée  de  tutelle  que  le 
comte  Kaunitz  avoit  tant  rebattue ,  parloit  sans 
cesse  avec  affectation  de  l'indépendance  des 
grandes  puissances.  Un  jour  il  tint  même  des 
propos  assez  imprudens ,  dont  le  sens  étoit  : 
Pour  peu  que  le  rci  de  Prusse  tergiverse  avec 
nous  ^  nous  le  laisserons  tomber^  et  il  sera  écrasé. 
Les  François  conservèrent  cependant  les  dehors 
d'une  amitié  de  bienséance  vis-à-vis  du  Roi, 
quoique  la  cour  de  Versailles ,  ne  regardant  pas 


44  HIST.    BE    LA    GUEHRE 

des  liaisons  à  prendre  avec  l'Impératrice -reine 
comme  impossibles,  ne  se  sentît  plus  d'éloigne- 
ment  pour  elle.  Les  choses  restèrent  en  France 
sur  ce  pied  ,  jusqu'à  ce  que  les  vexations  des  An- 
£[lois  obligèrent  Louis  XV  à  recourir  aux  armes. 
I^e  La   cour  de    V  ienne  ,  ne  trouvant  pas  dans 

celle  de  Versailles  autant  de  iacuite  qu  elle  se 
l'étoit  promis,  toujours  occupée  cependant  à 
lier  sa  partie ,  se  tourna  vers  celle  de  Péter- 
bourg,  où  elle  mit  tout  en  mouvement  pour 
rendre  son  union  plus  étroite  avec  îa  Russie ,  et 
pour  brouiller  l'impératrice  Elisabeth  avec  le  * 
roi  de  Prusse;  un  ministre  russe  étoit  sûr  que 
sa  haine  contre  la  Prusse  lui  étoit  payée ,  et  les 
Autrichiens  en  augmentoient  le  salaire,  à  me-  , 
sure  qu'il  y  mettoit  plus  d'aigreur.  Ceux  qui 
étoient  à  la  tête  du  gouvernement  ne  cher- 
choient  donc  qu'à  semer  la  discorde  entre  les 
cours  de  Péterbourg  et  de  Berlin,  et  une  chose 
innocente  par  elle  -  même  leur  en  fournit  le 
prétexte.  La  nécessité  d'établir  une  balance 
dans  le  Nord  avoit  déterminé  la  France  ,  la 
Prusse  et  la  Suède,  à  faire  une  triple  alliance. 
Le  comte  Bestuchew  affecta  d'en  prendre  om- 
brage; il  remplit  l'Impératrice  d'appréhensions  ^ 


DESEPTANS,  45 

et  porta  les  clioses  au  point,  que  tout  de  suite 
les  Russes  formèrent  des  camps  considérables 
en  Finlande  sur  les  frontières  des  Suédois  ,  et 
en  Livonie  vers  celles  de  la  Prusse.  Ces  dé- 
monstrations se  renouvelèrent  depuis  toutes  les 
années.  Dans  des  conjonctures  aussi  critiques  ly^o. 
il  s'éleva  un  différent  entre  la  Russie  et  la  Suède 
touchant  les  limites  de  la  Finlande ,  qu'on  n'a- 
voit  pas  assez  exactement  déterminées  par  le 
,  traité  d'Abo.  Ce  prétexte  fâcheux  donnoit  aux 
Russes  la  liberté  de  commencer  la  guerre,  lors- 
qu'ils le  jugeroient  à  propos.  La  cour  de 
Vienne  fomenta  ces  dissensions,  dans  le  dessein 
d'inquiéter  le  roi  de  Prusse  ,  et  de  l'induire  à 
quelque  fausse  démarche ,  qui  pût  le  commettre 
avec  la  Russie.  Cependant  l'Impératrice -reine 
se  contenta  de  fournir  des  alimens  à  l'aic^reur 
des  deux  cours ,  sans  précipiter  le  moment  de 
la  rupture.  La  situation  où  le  Roi  se  trouvoit 
étoit  délicate  et  embarrassante  ;  elle  auroit  pu 
devenir  dangereuse ,  s'il  n'eût  pas  eu  le  bon- 
heur d'être  informé  des  desseins  les  plus  secrets 
de  ses  ennemis,  en  se  procurant  toute  la  cor- 
respondance des  ministres  de  Saxe  avec  les 
cours  de  Vienne  et  de  Péteibouro;.  Le  comte 


46  HIST.    DE    LA    GUERIIE 

de  ''^^'■''  se  sentoit  humilié  par  la  paix  de  Dres* 
de  ;  il  étoit  jaloux  de  la  puissance  du  Roi ,  et 
travailloit  de  concert  avec  la  cour  de  Vienne  à 
Péterbourg,  pour  y  communiquer  la  haine  et 
l'envie  dont  il  étoit  dévoré.  Ce  ministre  ne 
respiroit  que  la  guerre;  il  se  flattoit  de  profiter 
des  premiers  troubles  de  l'Europe ,  pour  abais- 
ser un  voisin  dangereux  de  la  Saxe;  il  compre- 
noit  que  cet  électorat  ne  seroit  pas  épargné ,  et 
que  les  premiers  efforts  des  Prussiens  s*y  porte- 
roient:  et  toutefois  il  laissoit  dépérir  l'état  mili- 
taire. Nous  n'examinerons  pas  si  sa  conduite 
fut  bien  conséquente;  il  ne  devoit  pas  ignorer 
que  tout  Etat  se  trompe,  qui  5  au  lieu  de  se  re- 
poser sur  ses  propres  forces,  se  fie  à  celles  de 
ses  alliés. 

Il  n'y  avoit  donc  rien  de  caché  pour  le  Roi  ; 
et  les  fréquentes  nouvelles  qu'il  recevoit,  lui 
servoient  comme  de  boussole  pour  se  diriger 
au  milieu  des  écueils  qu'il  avoit  à  éviter ,  et 
l'empêchoient  de  prendre  de  pures  démonstra-- 
tions  pour  un  dessein  formé  de  lui  déclarer  in- 
cessamment la  guerre.  L'ascendant  de  la  cour 
de  Vienne  sur  celle  de  Péterbourg  augmentoit 
cependant  de  jour  en  jour;  il  devoit  s'accroître 


DE     SEPT     ANS.  47 

rapidement,  parce  que  l'esprit  du  Ministre  étoit 
préparé  à  recevoir  favorablement  les  impres- 
sions qu'on  pouvoit  lui  donner  des  Prussiens. 
Le  comte  de  Bestuchew  avoit  soupçonné  M. 
de  Mardefeld,  ministre  du  Roi,  d'être  d'intelli- 
gence avec  M.  de  la  Chétardie,  pour  lui  fiiie 

perdre  son  poste.    Afin   de  se   venger  de  ces 

( 

offenses  particulières ,  il  engagea  l'Impératrice 
à  conclure  une  alliance  avec  les  cours  de  Vien- 
ne et  de  Londres.  Ce  traité  étoit  avantageux  à  Traité 
la  Russie  par  deux  raisons:  premièrement  par-  "  *^ 
ce  que  Tunion  de  la  maison  d'Autriche  étoit 
convenable  à  la  Russie,  pour  s'opposer  conjoin- 
tement aux  entreprises  de  la  Porte;  et  en  second 
lieu  par  les  subsides  de  l'Angleterre  ,  qui  depuis 
inondèrent  Péterbour;^.  Les  choses  étant  ainsi 
disposées,  il  ne  fut  pas  difficile  à  l'Impératrice- 
reine  de  rompre  toute  correspondance  entre  la 
Prusse  et  la  Russie  ;  ni  les  ménagemens  que  le 
Roi  gardoit  dans  ces  circonstances  scabreuses ,  ni 
une  conduite  toujours  mesurée  qu'il  tint  vis-à-vis 
de  la  cour  de  Péterbourg,  ne  purent  em.pècher 
que  les  choses  n'en  vinssent  bientôt  à  un  éclat. 

Un  homme  d'une  extraction  obscure  ,   re-  1753. 
vêtu  du  caractère  de  ministre  de  Russie,  fut 

/ 


48  HIST.    D£    LA    GUEPvRE 

l'instrument  dont  M.   de  Bestuchew  se  servit 
pour  brouiller  les  deux  cours.   Ce  ministre  , 
chargé  de  saisir  la  première  occasion  d'en  ve- 
nir à  une   rupture ,   prit  le  premier  prétexte 
qui  se  présenta  pour  remplir  les  intentions  de 
sa  cour.   Le  Roi  donnoit  des  fêtes  à  Charlot- 
tembourg  à   l'occasion   du  mariage   du  prince 
Henri  avec  la  princesse  de  Hesse.  Les  ministres 
étrangers  y  parurent  :  le  fourrier  de  la  cour  eut 
ordre  de  les  inviter  tous  à  souper;  il  s'acquit- 
ta de   sa   commission,  mais  il  ne  put  trouver 
le  ministre  russe  ,   qui  étoit  parti   exprès  une 
demi-heure   avant  les  autres.    Ce   ministre  dé- 
clara le  lendemain  qu'il  ne  paroîtroit  plus  à  la 
cour   après   l'aHront  fait  à  l'Impératrice  en  sa 
personne ,  et  qu'il  attendroit  le  retour  de  son 
Courier  de  Péterbourg ,  pour  régler  sa  conduite 
ultérieure  sur  les  ordres  qu'il  en  recevroit  :  ce 
Courier  arriva  ;  le  ministre  russe   partit   sur  le 
champ  et  furtivement  de  Berlin ,  escorté  pen- 
dant qu'il  traversoit  la  ville  par  les  secrétaires 
de   légation    autrichiens    et   anglois.    L'évasion 
de  ce  ministre  obligea  le  Roi  à  rappeler  égale- 
ment son  ministre  de  Péterbourg.  Dès  que  les 
Autrichiens  furent  délivrés  en  Russie  d'un  mi- 
nistre 


D  E    s  E  P  T    A  N  s.  49 

nistre  prussien  qui  les  gênoit,  ils  lâchèrent  la 
bride  à  leur  mauvaise  volonté,  et  n'eurent  point 
honte  de  débiter  les  mensonges  et  les  calom- 
nies les  plus  atroces ,  pour  envenimer  l'esprit 
de  l'impératrice  Elisabeth  contre  le  Roi.  Ils 
lui  persuadèrent  que  ce  Prince  avoit  tramé  un 
complot  contre  sa  vie,  afin  d'élever  le  prince 
Iwan  sur  le  trône.  L'Impératrice ,  qui  étoit 
d'un  caractère  indolent  et  facile,  les  crut  sur 
leur  parole ,  voulant  s'épargner  la  peine  d'exami- 
ner la  chose ,  et  conçut  pour  le  Roi  une  haine 
irréconciliable.  La  France  n'avoit  dans  ce 
temps  aucun  ministre  à  Péterbourg  ;  celui  que 
la  Suède  y  eutretenoit  étoit  plus  russe  que 
suédois ,  et  par  conséquent  peu  propre  à  servir 
le  Roi  :  de  sorte  qu'il  n'y  avoit  aucune  voie 
pour  parvenir  à  l'Impératrice,  et  pour  la  tirer 
de  l'erreur  où  la  jetoient  le  ministre  d'Autriche 
et  ses  créatures.  La  cour  de  Vienne ,  satisfaite 
des  sentimens  de  haine  et  d'animosité  dont  elle 
avoit  rempli  la  cour  de  Péterbourg  contre  la 
Prusse  5  étoit  trop  habile  pour  pousser  les  choses 
plus  loin  ;  elle  se  contenta  d'avoir  disposé  les 
esprits  à  la  rupture ,  mais  n'en  voulut  pas  pré- 
cipiter l'événement ,  pour  achever  ses  arrange- 
Tome  III.  D 


1755. 


50  HIS  T.   DELA   GUERRE 

mens  intérieurs,  et  pour  attendre  qu*une  occa- 
sion favorable  lui  permît  de  mettre  au  jour  ses 
vastes  projets.  C'étoit  ainsi  que  la  cour  de 
Vienne  agitoit  toute  l'Europe,  et  tramoit  sour- 
dement contre  la  Prusse  une  confédération  que 
le  premier  événement  important  devoit  faire 
éclater. 

Cependant  les  différens  que  la  Suède  avoit 
avec  la  Russie  pour  les  frontières  de  la  Finlande 
furent  terminés  à  l'amiable  ;  mais  vers  la  fin  de 
l'année  1756  il  se  fit  dans  ce  royaume  une 
espèce  de  révolution,  dont  nous  ne  saurions 
nous  dispenser  de  parler  en  peu  de  mots ,  parce 
que  ses  suites  influèrent  sur  les  affaires  générales 
de  l'Europe  :  voici  ce  qui  y  donna  lieu.  La 
cour  s'étoit  depuis  long -temps  brouillée  avec 
les  sénateurs  du  parti  françois ,  à  cause  d'une 
place  de  major  général  vacante,  que  le  Roi 
destinoit  à  M.  de  Lieven ,  et  le  sénat  à  M.  de 
Fersen.  Le  sénat  l'emporta.  La  cour ,  vive- 
ment piquée  de  cet  affront ,  contraria  depuis 
dans  toutes  les  occasions  le  parti  françois.  Les 
comtes  de  Brahé  et  de  Horn ,  et  le  sieur  de 
Wrangel ,  avec  nombre  de  seigneurs  des  pre- 
mières familles  du  royaume,  attachés  au  parti 


DE    SEPT    ANS.  5I 

de  la  cour,  lui  firent  espérer  la  supériorité  à  la 
diète,  en  faisant  élire  un  maréchal  qui  fût  en- 
tièrement à  sa  dévotion.    Cependant  l'événe- 
ment tourna  d'une  manière  toute  opposée,  et 
le  comte  Fersen ,  ennemi  de  la  cour ,  obtint 
cette  charge  par  les   intrigues  et  l'appui  de  la 
faction  françoise.  Dans  cette  diète,  commencée 
le  17  Octobre  1755,  le  sénat,  fier  de  sa  supé- 
riorité,  présenta  un  mémoire  aux  Etats,  pour 
décider  le  grand  différent  qui  subsistoit  entre  lui 
et  le  Roi  au  sujet  de  la  distribution  des  charges. 
Comme  les  juges  étoient  à   la  disposition  de 
l'ambassadeur  de  France ,  le   sénat  triomplia  ; 
il  abusa  de  sa  victoire ,  et  s'en  servit  pour  dimi- 
nuer cette  ombre  d'autorité  dont  le  Roi  avoit 
joui  jusqu'alors  selon  les  lois  du  royaume.  L'in- 
solence   de   ces  magistrats   alla  même  jusqu'à 
dépouiller  la  Reine  des  joyaux  de  la  couronne, 
et  de  ceux  qui  lui  avoient  été  donnés;  il  s'en 
fallut  peu  qu'au  mépris  de  la  majesté  souveraine 
ces  sénateurs  séditieux  n'entreprissent  de  ren- 
verser le  trône.   Ces  procédés  outrageans  firent 
de  vives  impressions  sur  la  cour,  et  sur  ceux 
qui  lui   étoient  attachés  ,   principalement   sur 
l'esprit  des  comtes  Brahé  et  Horn  et  du  sieur  de 

D   Q 


52  HIST.    DE    LA    GUEUPcE 

Wrangel.     Ces   seignei/rs    s'assemblèrent   dans 
les  premiers  mouvemens  de  leur  indignation, 
et  résolurent  de  changer  par  un  coup  hardi  la 
forme   du   gouvernement.    Le  Roi  n'eut   pas 
assez  d'ascendant  sur  eux,  pour  les  engager  à 
tempérer   îe  parti   violent  qu'ils  avoient  pris: 
leurs    mesures  ,    concertées   tumultuairement , 
furent  plus  mal  exécutées  encore  ;  et  par  un 
mélange  d'audace  et  de  timidité,  ils  hésitèrent 
su    iTioment   de    l'exécution.     Une    entreprise 
différée  est   d'ordinaire   découverte  ;    quelques? 
amis  foibles,  auxquels  ils  s'étoient  confiés,  les 
trahirent.     Le    sénat   prit   des   mesures  vigou- 
reuses, pour  se  mettre  à  l'abri  de  toute  entre- 
prise.   Le  comte  Brahé  fut  arrêté  ;  le  sieur  de 
Wrangel  et  quelques    autres   seigneurs  de  ce 
parti  eurent  le  bonheur  de  se  sauver.  Le  nom 
du  Koi  parut  dans  la  déposition  des  conjurés. 
Enfin  le  comte  Brahé,  et  plusieurs  personnes 
d'une  naissance  obscure,  périrent    sur  l'écha- 
faud,  et  le  Roi  fut  entièrement  dépouillé  des 
prérogatives  dont  son  prédécesseur  et  lui  avoient 
joui  selon  la  forme  de  gouvernement  établie 
depuis    la    mort   de    Charles  XîL     Dès  -  lors 
M.  d'Lîavrincourt,  ambassadeur  de  France,  fut 


DE    SEPT    ANS.  53 

véritablement  roi  de  Suède  ;  il  gouverna  des- 
potiquement  cette  nation,  et  l'engagea  depuis 
dans  la  guerre  d'Allemagne  d'une  manière  irré- 
gulière ,  et  opposée  aux  constitutions  du  gou- 
vernement :  ce  qui  ne  seroit  pas  arrivé,  si  le  roi 
légitime  avoit  conservé  l'autorité  dont  il  dcvoit 
jouir  selon  les  lois.  Tout  le  service  que  le  roi 
de  Prusse  put  rendre  à  son  beau-frère,  fut  de 
représenter  à  la  cour  de  Versailles  qu'il  seroit 
séant  de  faire  chanc^er  de  conduite  au  ministre 

o 

arrogant  qui  mettoit  toute  la  Suède  en  com- 
bustion ;  mais  la  France  aimoit  mieux  voir 
M.  d'Havrincourt  à  la  tête  de  ce  royaume  que 
celui  qui  en  étoit  le  roi  légitime. 

L'année  précédente  il  étoit  survenu  un  Bu  Dane- 
autre  démêlé ,  mais  moins  fâcheux  ,  entre  la  1704. 
Prusse  et  le  Danemarck.  C'étoit  au  sujet  d'un 
procès  que  la  comtesse  de  Bentinck  avoit  avec 
son  mari.  Cette  femme  avoit  cédé  au  comte 
de  Bentinck  une  terre  située  sur  la  frontière 
de  rOstfrise,  et  depuis  elle  s'étoit  repentie  du 
contrat  formel  qu'elle  avoit  passé  pour  cet 
objet.  Les  juges  ordonnèrent  le  séquestre  :  le 
Roi,  en  qualité  de  directeur  du  cercle  de 
Wcstphalie,  devoit  en  être  chargé;  la  cour  de 

D  3 


54  HIST.    DE    LA    GUEB.IIE 

Vienne  en  donna  la  commission  au  roi  de 
Danemarck.  Ce  prince  y  envoya  des  troupes; 
les  Prussiens  les  prévinrent  ;  le  roi  de  Da- 
nemarck prit  feu,  et  il  auroit  employé  des 
menaces ,  si  sa  modération  ne  l'avoit  retenu. 
Cependant  cette  affaire  fut  appaisée  par  la 
médiation  de  la  France.  Tout  le  monde  étoit 
content  :  mais  la  comtesse  de  Bentinck,  qui 
aimoit  à  chicaner ,  rompit  l'accord  qu'on  avoit 
moyenne;  elle  alla  plaider  à  Vienne,  d'où  elle 
retourna  dans  son  comté;  et  comme  personne 
ne  parut  disposé  à  se  mêler  de  ses  affaires,  son 
procès  demeura  indécis. 

Il  sembloit  qu'il  se  fût  répandu  en  Europe 
gieterre.  j^jr^^t  cctte  paix  uu  csprit  de  discorde  qui 
1755.  divisoit  toutes  les  cours.  Il  survint  au  Roi  des 
diff'érens  avec  l'Angleterre  ,  qui  pensèrent  le 
commettre  avec  cette  couronne.  Durant  la 
dernière  guerre  les  armateurs  anglois  avoient 
enlevé  quelques  vaisseaux  appartenant  à  des 
marchands  prussiens.  Les  Anglois  étoient  juge 
et  partie  dans  leur  propre  cause ,  de  sorte  que 
le  tribunal  de  leur  amirauté  déclara  ces  vais- 
seaux de  bonne  prise.  Le  Roi ,  après  avoir  fait 
les  représentations  convenables  à  la  cour  de 


DE    SEPT    ANS.  53 

Londres,  mit  l'affaire  en  négociation.  Les  An- 
glois  ne  se  relâchèrent  point,  et  tinrent  peu  de 
compte  de  ce  qu'on  alléguoit  sur  l'illégalité  de 
leurs  procédés;  enfin,  après  avoir  inutilement 
épuisé  toutes  les  voies  de  conciliation,  il  ne 
resta  d'autre  expédient,  pour  indemniser  les 
sujets  prussiens.,  que  de  mettre  en  séquestre  la 
somme  que  le  Roi  devoit  aux  Anglois,  selon 
qu  il  s'y  étoit  engagé  par  la  paix  de  Breslau. 
C'étoit  le  remboursement  de  1,800,000  écus, 
que  la  maison  d'Autriche  avoit  em^pruntés  sur 
la  Silésie  ,  pour  soutenir  la  guerre  contre  la 
Porte  en  1737  et  1738.  Le  dernier  terme  qui 
restait  à  acquitter  des  300,000  écus  fut  arrêté. 
Les  Anglois  en  furent  irrités;  cela  donna  lieu  à 
des  déclarations  assez  vives  de  part  et  d'autre  : 
le  ministre  d'Autriche  à  Londres  se  donna  de 
grands  mouvemens  pour  envenimer  cette  affaire, 
et  peut-être  auroit-elle  eu  des  suites,  si  une 
querelle  beaucoup  plus  grave  entre  la  France 
et  l'Angleterre  au  sujet  du  Canada  n'y  eût  fait 
diversion. 

Il  n'y   eut   pas  jusqu'au   duc   de   Meclden-    Duc  de 

î  •  *         ^  1  ^      ^-         j       ^   Mecklen- 

bourg  qui,  se  reposant  sur  la  protection  dont 

il  jouissoit  de  la  part  de  la  cour  impériale,  ne      1755, 


36  HIST.    DE    LA    GUERRE 

s'émancipât  à  chicaner  le  Roi.  Il  s'agissoit  des 
levées  de  soldats,  dont  les  ancêtres  du  Roi 
avoient  été  en  possession  de  temps  immémo- 
rial dans  le  Mecklenbourg.  Le  dnc  à  l'insti- 
gation de  la  cour  de  Vienne  s'y  opposa ,  et 
le  Roi  se  fit  justice  à  lui-même  ;  on  enleva 
quelques  soldats  mecklenbourgeois ,  et  l'on  ar- 
rêta cjuelques  baillis  qui  s'étoient  opposés  aux 
1755.  enrôlemens.  Le  Duc  fit  grand  bruit;  mais 
voyant  que  ses  éclats  n'aboutissoient  à  rien  ,  il 
prit  le  parti  de  s'accommoder,  et  l'affaire  fut 
terminée  à  l'amiable.  Bientôt  après  ,  lorsque 
rimpératrice-reine  vit  la  guerre  sur  le  point  de 
s'allumer  entre  l'Angleterre  et  la  France,  cher- 
chant un  prétexte  pour  rompre  avec  la  Prusse , 
elle  persuada  au  duc  de  Mecklenbourg  de  por- 
ter ses  plaintes  à  la  diète  de  Ratisbonne.  La 
cour  de  Arienne  auroit  voulu  faire  passer  la 
chose  pour  une  violation  de  la  paix  de  West- 
phalie ,  et  se  servir  de  ce  prétexte  pour  déclarer 
la  guerre  au  Roi  et  pour  réclamer  en  même 
temps  le  secours  des  puissances  qui  avoient 
garanti  cette  paix.  Nous  verrons"  dans  la  suite 
de  cet  ouvrage  que  ce  prétexte  ayant  manqué 
à  la  cour  de  Vienne ,  il  ne    ui  fut  pas  difficile 


DE    SEPT    ANS. 


57 


d'en  trouver  un  autre.  L'occasion  qu'elle  dési- 
roit  avec  impatience  ne  tarda  pas  à  se  pré- 
senter ;  elle  la  saisit  avec  empressement.  Lors- 
que les  souverains  veulent  en  venir  à  une 
rupture,  ce  n'est  pas  la  matière  du  manifeste 
qui  les  arrête  ;  ils  prennent  leur  parti ,  ils  font 
la  guerre,  et  laissent  à  quelque  jurisconsulte 
laborieux  le  soin  de  les  justifier. 

Si  nous  n'avons  pas  fait  mention  de  la  Hol-     De  la 
lande  dans   cet  ouvrage  ,   c'est  que  depuis   la   ^"^^^^^* 
guerre  de   1740,  sur-tout  depuis  la  mort  du    Portugal. 
Stadhouder,  elle  ne  jouoit  aucun  rôle  en  Eu-      ^^^^' 
jope.  Il  ne  nous  reste  qu'à  rapporter  succinte- 
ment  une  calamité  singulière ,   dont  le  Portu- 
gal se  ressentit,  et  qui  faillit  à  bouleverser  ce 
royaume.  Il  éprouva  un  tremblement  de  terre 
dont  les  secousses  furent  si  violentes,  qu'elles 
détruisirent  la  ville  de  Lisbonne;  les  maisons, 
les  églises,  les  palais,  tout  fut  boideversé,  en- 
glouti, ou  dévoré  par  les  flammes  échappées 
des   entrailles  de  la  terre.   Il  y  périt  entre  13 
et   QO5O00   âmes  ;   beaucoup  d'autres  villes  et 
villages  de  ce  royaume  furent  ébranlés  ou  ren- 
versés. Ce  tremblement  de  terre  se  fit  sentir  le 
long  des  côtes  de  l'Océan  jusqu'aux  frontières 


58  HIST.    DE    LA    GUERRE 

de  la  Hollande.  On  ne  peut  attribuer  la  cause 
de  ce  malheur  qu'aux  efforts  d'un  feu  souter- 
ïain,  qui,  resserré  dans  les  entrailles  de  la  terre, 
s'est  creusé  un  canal ,  et  a  formé  un  gouffre 
sous  le  Portugal,  d'où  il  tend  à  s'échapper  et 
à  se  mettre  en  liberté  ;  et  peut  -  être  qu'un 
jour  la  postérité  verra  naître  un  volcan  à  la 
place  où  Lisbonne  a  subsisté  jusqu'ici.  Mais 
on  eût  dit  que  ce  n'étoit  pas  assez  des  fléaux 
du  ciel  pour  affliger  ce  malheureux  globe; 
peu  après  la  méchanceté*  des  hommes  arma 
leurs  mains  impies  ;  ils  se  déchirèrent  pour  un 
vil  amas  de  boue  ;  la  haine ,  l'obstination  ,  la 
vengeance  se  portèrent  aux  derniers  excès. 
Toute  l'Europe  nagea  dans  le  sang,  et  le  mal 
moral  dont  le  genre  humain  fut  la  victime, 
surpassa  de  beaucoup  le  mal  physique  dont 
Lisbonne  avoit  éprouvé  la  rigueur. 


uHitumnJMUUijmatuium:^ 


DE    SEPT    ANS. 


59 


CHAPITRE   III. 

Cause  de  la  rupture  entre  la  France  et 
ï Angleterre  ;  négociation  de  milord 
Holderness  ;  alliance  de  la  Prusse  et 
de  l'Angleterre;  ofres  de  M.  Rouillé; 
ambassade  du  duc  de  Niçernois  ;  la 
France  piquée;  guerre  déclarée  aux 
Anglois;  le  duc  de  Richelieu  prend  le 
cap  Breton;  bateaux  plats  qui  épou- 
vantent les  Anglois  ;  ils  font  venir  des 
Hanovriens  et  des  Hessois;  les  Russes 
se  renforcent  sur  la  frontière  de  la 
Prusse;  les  Autrichiens  rassemblent 
deux  armées  en  Bohème;  intelligence 
dans  les  archives  de  Dresde^  ou  tout  le. 
mystère  d'iniquité  se  découvre;  brouil- 
leries  avec  T Autriche;  raisons  pour 
déclarer  la  guerre  ;  première  disposi- 
tion des  troupes  ;  projet  de  campagne. 


/i-PRÈS  nous  ctre  fait  une  idée  de  la  situation 
où  se  trouvoient  les  puissances  de  l'Europe  au 


l'j  jj. 


6o  HIST.    DE    LA    GUERRE 

commencement  de  l'année  1755,1!  faudra  vou:5 
mettre  sous  les  yeux  les  causes  des  dissensions 
qui  donnèrent  lieu  à  la  guerre  entre  la  France 
et  l'Angleterre.  Les  affaires  présentes  tiennent 
si  fort  aux  événemens  passés,  qu'il  faut  remon- 
ter au  traité  d'Utrecht  pour  arriver  aux  sources 
de  ces  brouilleries.  Elles  tirent  leur  origine 
d'anciens  démêlés  que  les  François  avoient  eus 
avec  les  Anglois  sur  les  limites  du  Canada. 
Louis  XIV,  pressé  de  conclure  le  traité  d'U- 
trecht ,  afin  de  détacher  la  reine  Anne  de  la 
grande  alliance,  ordonna  à  ses  plénipotentiaires 
de  signer  sans  chicane.  Ces  plénipotentiaires  se 
servirent  de  termes  équivoques,  pour  marquer 
les  limites  du  Canada  sur  lesquelles  rouloit 
le  différent.  Ce  que  la  France  gagnoit  par  ce 
.traité,  valoitplus  que  toutes  ses  possessions  dans 
cette  contrée  stérile.  Mais  dès  que  les  troubles 
de  l'Europe  furent  appaisés ,  les  Anglois  et  les 
François  interprétèrent  chacun  à  leur  avantage 
l'article  des  limites  de  leurs  possessions  en  Amé- 
rique. Il  y  eut  quelques  débats  entre  les  colo- 
nies de  ces  deux  nations ,  sans  cependant  que 
ces  querelles  sourdes  dégénérassent  en  hostilités 
ouvertes.     Par  le  traité  de  paix  d'Aix-la-cha- 


DESEPTAKS.  6l 

pelle  on  auroit  dû  applanir  toutes  les  difficultés. 
M.  de  S.  Séverin  et  ses  collègues,  obligés  par 
les  ordres  réitérés  de  la  cour  de  France  d'accé- 
lérer la  signature  des  préliminaires ,  renvoyè- 
rent la  discussion  des  limites  de  ces  colonies  à 
l'examen  des  commissaires  que  les  deux  cours 
nommeroient  après  la  conclusion  de  la  paix  :  ces 
commissaires  s'étant  assemblés,  loin  que  leurs 
conférences  rapprochassent  les  esprits  des  deux 
nations ,  le  mécontentement  et  l'aigreur  n'allè- 
rent qu'en   augmentant.    L'ambassade   du   duc 
de  Mirepoix,  et  la  négociation  qu'il  entama  à 
Londres ,  ne  produisit  rien  ;  on  se  reprochoit 
mutuellement  de   la  mauvaise  foi.    Les   trou- 
pes angloises  et  françoises  dans  l'Amérique  en 
venoient  à  des  hostilités  ;  elles  s'enlevoient  des 
forts ,  et  on  se  faisoit  déjà  la  guerre  sans  se  l'être 
déclarée.  Dans  les  relations  de  ces  contrées  les 
officiers  anglois  ne  manquoient  pas  de  rejeter 
la  faute  de  leurs  violences  sur  les  François  :  ils 
envoyoient  de   part  et   d'autre    des   factums, 
pour  justifier  leur  conduite;  la  ville  de  Londres 
en  étoit  inondée.    La  nation  angloise,  facile  à 
s'enflammer  lorsqu'elle  croit  avoir  à  se  plaindre 
de  la  France ,  déjà  mécontente  de  la  paix  d'Aix- 


02  HIST.    DE    LA    GUERRE 

la -chapelle,  ne  respiroit  que  la  guerre;  la 
conduite  du  duc  de  Cumberland  acheva  de 
rendre  cette  fermentation  générale.  Il  voyoit 
que  le  grand  âge  du  Pvoi  son  père  l'approchoit 
des  bornes  de  la  vie  ;  pour  augmenter  son 
crédit,  et  pour  avoir  plus  d'influence  dans  le 
régne  suivant ,  il  avoit  formé  le  dessein  de  rem- 
plir le  conseil  de  ses  créatures ,  et  de  faire  passer 
tous  les  grands  emplois  de  la  couronne  à  des 
personnes  cjui  lui  fussent  entièrement  dévouées. 
Il  s'étoit  déterminé  dans  son  choix  en  faveur  du 
sieur  Fox  ,  qu'il  destinoit  à  la  place  de  chef  de 
la  trésorerie ,  et  à  tous  les  emplois  dont  le  duc 
de  Newcastle  étoit  revêtu.  Mais  cette  élévation 
du  sieur  Fox  ne  pouvoit  avoir  lieu  qu'en  dépla- 
çant le  duc  de  Newcastle  :  et  cela  étoit  d'autant 
plus  difficile  ,  que  ce  seigneur  jouissoit  d'un 
grand  crédit  sur  l'esprit  du  Roi;  qu'il  étoit  con- 
sidéré dans  le  parlement  par  ses  longs  services, 
par  sa  vertu,  et  par  son  bon  naturel;  qu'il  étoit 
estimé  de  la  nation  à  cause  de  ses  immenses 
richesses,  de  toutes  les  places  qu'il  avoit  à  don- 
ner, et  enfin  du  nombre  de  membres  du  parle- 
ment que  ses  possessions  lui  donnoient  le  droit 
d'élire.    Le  duc  de  Cumberland  imagina  que 


DE    SEPT    ANS.  63 

le  meilleur  moyen  pour  faire  abandonner  au 
duc  de  Newcastle  ses  grands  emplois,  seroit 
d'engager  la  nation  dans  une  guerre  avec  la 
France  ,  par  où  il  mettroit  le  ministre  dans  la 
nécessité  d'ajouter  de  nouvelles  dettes  à  celles 
dont  le  gouvernement  étoit  déjà  surchargé;  ce 
qui  fourniroit  des  griefs  à  l'opposition  :  ou  bien 
il  se  flattoit  de  profiter  des  mauvais  succès  pos* 
sibles  au  commencement  d'une  guerre,  pour  en 
rejeter  la  faute  sur  le  ministre ,  et  le  détermi- 

•  ner  à  force  d'inquiétudes  et  de  persécutions  à 
renoncer  de  lui-même  à  ses  emplois.  Ce  projet 
étoit  vaste  et  compliqué.  Pour  le  mettre  en 
exécution,  il  falloit  commencer  par  envenimer 
les  querelles  des  deux  nations ,  et  les  porter  à 
rompre  la  paix.  Cela  fut  f;icile  :  au  seul  nom 
de  François  le  peuple  de  Londres  entre  en 
fureur  ;  les  matières  combustibles  étoient  ras- 
semblées ,  elles  s'embrasèrent  bien  vite.  Ce 
peuple  fougueux  obligea  le  roi  George  à  faire 
quelques  arméniens.  Une  démarche  en  entraî- 
na insensiblement  une  autre;  on  en  vint  à  des 
voies  de  fait;  des  violences  donnèrent  lieu  à 
des  représailles,  et  dès  la  fin  de  1754  ^^  guerre 

.  entre   les   deux  nations  parut  inévitable.    On 


64  HIST.    DE    LA    GUERRE 

remarqua  cependant  que  le  ministère  de  Ver- 
sailles agit  avec  plus  de  mesure  et  de  modé- 
ration ,  et  que  les  mauvais  pïocédés  venoient 
tous  de  la  part  des  Anglois. 

Les  deux  R-ois,  se  voyant  rhénacés  de  la 
guerre ,  tâchèrent  chacun  de  leur  côté  de  fortifiez 
leur  parti,  en  resserrant  les  anciennes  alliances, 
ou  en  en  formant  de  nouvelles.  Le  Roi  fut  alors 
recherché  par  les  François  et  par  les  Anglois.  Son 
alliance  avec  la  cour  de  Versailles  n'étoit  point 
expirée  :  toutefois  les  possessions  des  François 
aux  Indes  étoient  exceptées  des  garanties  de 
la  Prusse;  et  dans  ces  conjonctures  il  paroissoit 
que  le  partage  des  Prussiens  seroit  de  demeurer 
neutres  pendant  ces  troubles ,  et  d'en  être  les 
simples  spectateurs.  Ce  n'étoit  pas  ce  que  l'on 
pensoit  à  Versailles  ;  la  cour  paroissoit  croire 
que  le  roi  de  Prusse  étoit  à  l'égard  de  la 
France  ,  ce  qu'est  un  despote  de  V  alachie  à 
l'égard  de  la  Porte,  c'est-à-dire,  un  prince  sub- 
ordonné ,  et  obligé  de  faire  la  guerre  dès  qu'on 
lui  en  envoie  l'ordre.  Elle  se  persuadoit  de 
plus ,  qu'en  portant  la  guerre  dans  l'électorat  de 
Hanovre,  elle  feroit  mollir  le  roi  de  la  Grande- 
Bretagne  5    et  termineroit   ainsi   au   centre  de 

TEm- 


DE     SEP  T    A  NS.  65 

l'Empire  les  difîérens  qui  subsistoient  aux  In- 
des entre  elle  et  les  Anglois.  M.  Rouillé,  alors 
ministre  des  affaires  étrangères  ,  dit  un  jour  à 
M.  de  Knyphausen,  dans  l'intention  d'engager 
le  Roi  à  contribuer  à  cette  diversion  :  ^9  Ecrivez , 
«  Monsieur ,  au  roi  de  Prusse,  qu'il  nous  assiste 
'>'>  dans  l'expédition  de  Hanovre;  il  y  a  là  de 
•>•>  quoi  piller  :  le  trésor  du  roi  d'Angleterre  est 
If'  bien  fourni,  le  Roi  n'a  qu'à  le  prendre;  c'est, 
->•>  Monsieur,  une  bonne  capture."  Le  Roi  lui 
fit  répondre  que  de  pareilles  propositions  étoient 
convenables  pour  négocier  avec  d'autres  ,  et 
qu'il  espéroit  qu'à  l'avenir  M.  Rouillé  vou- 
droit  bien  apprendre  à  distinguer  les  personnes 
avec  lesquelles  il  avoit  à  traiter.  Ces  négocia- 
tions devinrent  plus  vives  sur  la  fin  de  1755. 
Le  roi  George ,  informé  du  dessein  des  François  ^ 
alarmé  de  l'orage  qui  menaçoit  son  électorat, 
se  persuada  que  la  manière  la  plus  sûre  de  le 
conjurer  étoit  de  conclure  luie  alliance  défen- 
sive  avec  la  Prusse;  il  savoit  que  les  liens  qui 
unissoient  le  roi  de  Prusse  au  roi  de  France 
étoient  sur  le  point  de  finir,  parce  que  le  terme 
du  traité  de  Versailles  expiroit  au  mois  de  Mars 
de  l'année  1756,  et  il  chargea  mylord  Holder^ 
TomQ  III.  E 


66  HIST.    DE    LA    GUERRE 

nes3 ,  son  secrétaire  d'état ,  d'entamer  la  négo- 
ciation avec  la  cour  de  Berlin.  Mylord  Hol- 
derness  ,  incertain  des  dispositions  du  roi  de 
Prusse  sur  cette  alliance,  pour  ne  point  exposer 
son  maître  à  un  refus  direct,  en  hasarda  les 
premières  propositions  par  le  duc  de  Bronswic. 
Ces  ouvertures  se  iirent  sous  le  prétexte  d'assu- 
rer le  repos  de  l'Allem.agne  contre  le  danger 
dont  la  menaçoit  une  guerre  prochaine.  On 
demandoit  au  Roi  d'entrer  dans  des  mesures 
qui  pussent  assurer  et  allermer  la  tranc[uillité 
publique.  Cette  proposition  tiroit  à  grande 
conséquence  :  dans  la  situation  où  se  trouvoit 
alors  la  Prusse,  le  parti  qu'elle  alioit  prendre 
influoit  sur  la  paix  et  sur  la  guerre.  Si  l'on 
renouveloit  le  traité  avec  la  France  ,  il  falloit 
attaquer  l'électorat  de  Hanovre;  ce  qui  étoit 
s'attirer  sur  les  bras  les  forces  des  Anglois ,  des 
Autrichiens  et  des  Russes.  Si  l'on  concluoit 
une  alliance  avec  l'Angleterre ,  il  étoit  probable 
que  les  François  ne  portoient  point  la  guerre 
dans  l'Empire,  et  que  la  Prusse  se  trouveroit 
liée  avec  la  Grande-Bretagne  et  avec  la  Russie; 
ce  c[ui  sembloit  obliger  l'Impératrice -reine  à 
demeurer  en  paix,  quelque  envie  qu'elle  eût  de 


DE     SEPT     ANS.  6/ 

reconquérir  la  Silésie,  et  quelques  préparatifs 
qu'elle  eût  faits  pour  agir  aussitôt  que  l'occa- 
sion le  lui  permettroit.  Avant  que  de  se  dé- 
terminer, le  Roi  jugea  néanmoins  à  propos  de 
s'assurer  de  la  façon  de  penser  de  la  cour  de 
Russie  :  mais  comme  il  avoit  dans  la  personne 
du  chancelier  Bestucliew  un  ennemi  déclaré,  il 
ne.  fut  pas  possible  de  tirer  des  éclaircissemens 
directs  de  Péterbourg  même ,  où  toute  intelli- 
gence entre  les  deux  cours  étoit  rompue;  il  eut 
donc  recours  au  S^  de  Klinggra^fF,  sbn  ministre 
à  la  cour  impériale,  et  à  mylord  Holderness 
lui-même  ,  pour  savoir  dans  quels  termes  la 
Russie  étoit  avec  l'Angleterre  ,  et  surtout  si 
c'étoit  la  cour  de  Vienne  ou  celle  de  Londres 
qui  avoit  plus  d'influence  à  Péterbourg.  Le  S^. 
de  Klinggrseiï  répondit  que  les  Russes  étant  une 
nation  intéressée,  il  n'y  avoit  aucun  doute 
qu'ils  ne  fussent  plus  attachés  à  ceux  qui  pou- 
voient  les  acheter ,  qu'à  ceux  qui  n'avoient  rien 
à  leur  donner;  que  l'Impératrice -reine  man- 
quoit  souvent  de  ressources  pour  ses  propres 
dépenses;  cju'ainsi  les  Russes  s'en  tiendroient 
aux  Anglois ,  que  des  richesses  immenses  met- 
toient  en  état  de  leur  payer  de  gros  subsides. 

E  Q 


68  HIST.    DE    LA    GUERRE 

La  réponse  de  mylord  Holderness  portoit  que 
l'intelligence  entre  l'Angleterre  et  la  Russie  étant 
parfaite  ,  le  roi  George  comptoit  fermement 
sur  l'amitié  de  l'impératrice  Elisabeth.  Les  in- 
formations que  le  Roi  tiroit  de  son  ministre  à 
la  Haye  se  trouvèrent  quadrer  si  bien  avec  ce 
qu'on  lui  avoit  écrit  de  Vienne  et  de  Londres, 
qu'il  crut  que  tant  de  personnes  ne  pou  voient 
se  tromper  toutes  sur  le  même  sujet ,  et  que 
leurs  conjectures  étant  les  mêmesj  elles  dévoient 
être  justes.  Ce  fut  ce  Cjui  le  détermina  ;  il 
entra  en  négociation  avec  l'Angleterre,  et  fit 
répondre  à  mylord  Holderness  cju'il  n'étoit  pas 
éloigné  de  prendre  avec  le  roi  de  la  Grande- 
Bretagne  des  mesures  innocentes,  défensives,  et 
uniquement  relatives  à  la  neutralité  de  l'Alle- 
magne. Ces  deux  puissances  se  trouvant  d'ac- 
cord sur  les  principes  de  leurs  liaisons ,  elles 
parvinrent  bientôt  à  la  conclusion  du  traité,  qui 
fut  signé  à  Londres  le  16  Janvier  1736.  Ce 
traité  contenoit  quatre  articles  ,  dont  les  trois 
premiers  étoient  relatifs  aux  garanties  récipro- 
ques que  ces  deux  puissances  se  donnoient  pour 
la  sûreté  de  leurs  propres  Etats  ;  le  dernier  re- 
gardoit  directement  l'Allemagne,  et  portoit  des 


DE     SEPT     ANS.  69 

engagemens  pour  empêcher  que  des  troupes 
étrangères  n'y  entrassent.  Il  y  avoit  deux  ar- 
ticles secrets  ;  on  convenoit  par  l'un  que  les 
Pays  -  bas  autrichiens  seroient  exceptés  de  la 
garantie  de  l'Allemagne,  et  par  l'autre  l'Angle- 
terre s'engageoit  à  payer  20,000  livres  sterlings 
aux  négocians  prussiens  qui  avoient  à  prétendre 
un  dédommagement  des  prises  non  restituées 
que  les  Anglois  avoient  faites  sur  eux  pendant 
la  dernière  guerre.  Ce  traité  arriva ,  signé  ,  à 
Berlin  environ  un  mois  après  que  le  duc  de 
Nivernois  s'y  fut  rendu.  Louis  XV  envoyoit 
ce  seigneur  au  Roi ,  pour  renouveler  l'alliance 
de  Versailles  dont  le  terme  alloit  finir,  et  plus 
encore  pour  faire  entrer  la  Prusse  dans  le  projet 
que  la  France  méditoit  contre  l'électorat  de  Ha- 
novre. L'argument  le  plus  fort  qu'employa  le 
duc  de  Nivernois ,  pour  engager  le  Roi  dans 
cette  alliance  et  dans  cette  guerre  ,  fut  de  lui 
offrir  la  souveraineté  de  l'île  de  Tabago.  Il 
faut  savoir  qu'après  la  guerre  de  1740  les  Fran- 
çois avoient  donné  cette  île  au  comte  de 
Saxe  ;  et  comme  les  Anglois  en  parurent  très- 
mécontens,  il  fut  stipulé  qu'elle  demeureroit 
déserte  et  ne  pourroit  être  cultivée  par  aucune 

E3 


yO  HIST.^  DE    LA    GUERKE 

nation.  Cette  offre  étoit  trop  singulière  pour 
être  reçue.  Le  Roi  tourna  la  chose  en  plaisan- 
terie, et  pria  le  duc  de  Nivernois  de  jeter  les 
yeux  sur  quelqu'un  qui  fût  plus  propre  que 
lui  à  devenir  gouverneur  de  l'île  de  Barataria; 
il  déclina  de  même  le  renouvellement  d'alliance 
et  la  guerre  dont  il  avoit  été  question;  et  pour 
agir  avec  la  plus  grande  candeur  vis-à-vis  de 
la  France,  pour  la  convaincre  de  l'innocence 
des  nouveaux  engagemens  qu'il  avoit  pris  avec 
l'Angleterre,  il  ne  fit  point  difficulté  de  mon- 
trer en  original  au  duc  de  Nivernois  le  traité 
qui  venoit  d'être  signé  à  Londres.  La  nouvelle 
de  cette  alliance  causa  une  vive  sensation  à 
Versailles  dans  l'esprit  de  Louis  XV  et  de  son 
conseil;  peu  s'en  fallut  qu'ils  ne  dissent  que  le 
ïoi  de  Prusse  s'étoit  révolté  contre  la  France. 
Examiné  par  un  esprit  impartial ,  le  fait  étoit 
différent.  L'alliance  de  la  Prusse  avec  la  France 
alloit  expirer  dans  deux  mois;  le  Roi  en  qualité 
de  souverain  étoit  autorisé  à  contracter  des  liai- 
sons avec  des  peuples  qui  pouvoient  assurer  à 
ses  Etats  leur  plus  grand  avantage.  Il  ne  man- 
quoit  donc  ni  à  sa  parole  ni  à  son  bonheur  en 
s'unissant  avec  le  roi  d'Angrleterre,  surtout  dans 


DESEPTANS.  yi 

la  vue  de  maintenir  en  paix  par  ces  nouveaux 
arrangemens  et  ses  Etats  et  toute  l'Allemagne. 
Mais  les  P'rançois  n'entendirent  pas  raison  :  il 
ne  s'agissoit  à  Versailles  que  de  la  défection  du 
roi  de  Prusse ,  qui  abandonnoit  perfidement 
ses  anciens  alliés;  et  la  cour  se  répandit  en  re- 
proches qui  firent  juger  qu'elle  ne  borneroit 
pas  son  ressentiment  à  de  sim.ples  paroles. 

Nous  avons  vu  dans  le  chapitre  précédent 
par  combien  de  ruses  et  de  souplesse  la  cour 
de  Vienne  tâchoit  de  se  rapprocher  de  celle 
de  Versailles ,  et  avec  quelle  application  le 
comte  Kaunitz  avoit  profité  de  son  séjour  à 
Paris  pour  familiariser  l'esprit  de  la  nation 
françoise  avec  l'idée  de  l'alliance  autrichienne. 
Uii  moment  d'humeur  de  Louis  XV ,  et  la 
mode  qui  s'introduisoit  dans  le  conseil  de  Ver- 
sailles de  déclamer  contre  le  roi  de  Prusse , 
firent  tout  d'un  coup  germer  cette  semence. 
La  vivacité  extrême  de  la  nation  françoise  lui 
fit  envisager  une  alliance  avec  la  maison  d'Au- 
triche comme  un  rafinement  supérieur  de  po- 
litique. Sur  cela  le  comte  de  Starenberg  fut 
chargé  par  l'Impératrice-reine  de  proposer  l'al- 
liance entre  les  deux   cours.    On  fut   bientôt 


72  IIIST.    DE    LA    GUERRE 

d'accord,  parce  qu'on  vouloit  la  même  chose 
des  deux  côtés;  elle  fut  signée  au  nom  du  roi 
très-Chrétien  par  M.  Rouillé  et  l'abbé  de  Ber- 
nis  le  g  de  Mai  1756.  Ce  fameux  traité  de 
Versailles ,  annoncé  avec  tant  d'ostentation  , 
nommé  l'Union  des  grandes  puissances  ,  étoit 
de  sa  nature  défensif ,  et  contenoit  en  substance 
la  promesse  d'un  secours  de  24,000  hommes, 
au  cas  qu'une  des  puissances  contractantes  fût 
attaquée.  Ce  fut  cependant  cette  alliance  qui 
encouragea  l'Impératrice -reine  à  l'exécution 
du  grand  projet  qu'elle  méditoit  depuis  long- 
temps, 

L'union  que  les  maisons  d'Autriche  et  de 
Bourbon  venoient  de  former ,  commençoit  à 
faire  soupçonner  que  le  traité  de  Londres 
pourroit  ne  pas  maintenir  la  tranquillité  de 
l'Allemagne.  La  paix  ne  tenoit  plus  qu'à  un 
cheveu;  il  ne  s'agissoit  que  d'un  prétexte,  et 
quand  il  ne  faut  que  cela,  la  guerre  est  comme 
déclarée;  bientôt  elle  parut  inévitable,  car  on 
apprit  que  tous  les  politiques  s'étoient  trom- 
pés sur  le  compte  de  la  Russie»  Cette  puissance, 
chez  laquelle  les  intrigues  des  ministres  autri- 
chiens prévalurent ,  rompit  avec  l'Angleterre 


DESEPTANS.  73 

à  cause  de  l'alliance  que  le^oi  de  la  Grande- 
Bretagne  avoit  conclue  avec  le  roi  de  Prusse. 
M.  de  Bestuchevv  s'étoit  trouvé  un  moment 
indécis  entre  sa  passion  pour  les  guinées ,  et  la 
haine  qu'il  avoit  pour  le  Roi;  mais  la  haine 
l'emporta.  L'impératrice  Elisabeth ,  ennemie 
de  la  nation  Françoise  depuis  la  dernière  am- 
bassade de  M.  de  la  Chétardie ,  aima  mieux  se 
liguer  avec  elle  que  de  conserver  une  ombre 
d'union  avec  une  puissance  qui  avoit  la  Prusse 
pour  alliée.  La  cour  de  Vienne ,  agissant  dans 
toutes  les  cours  de  l'Europe ,  profitoit  des  pas- 
sions des  souverains  et  de  leurs  ministres,  pour 
les  attirer  à  soi,  et  les  gouverner  selon  les  fins 
qu'elle  se  proposoit. 

Durant  ces  reviremens  de  système  si  subits 
et  si  inattendus ,  les  vaisseaux  anglois  ne  gar- 
doient  plus  de  mesures  avec  les  François  ;  leurs 
vexations  et  les  attentats  qu'ils  commettoient  , 
poussèrent  le  roi  de  France  presque  malgré  lui 
à  leur  déclarer  la  guerre.  Les  François  annon- 
cèrent avec  ostentation  qu'ils  se  préparoient  à. 
faire  de  leur  côté  une  descente  en  Angleterre  ; 
ils  répandirent  des  troupes  le  long  des  côtes  de 
la   Bretagne    et   de   la  Normandie  ;    ils   firent 


74  KIST.    DE    LA    GUERRE 

construire  des  bat«aux  plats,  pour  transporter 
ces  troupes,  et  assemblèrent  quelques  vaisseaux 
à  Brest.  Ces  démonstrations  épouvantèrent 
les  Anglois;  il  y  eut  des  momens  où  cette 
nation  5  qui  passe  pour  si  sage,  se  crut  perdue. 
Le  roi  George ,  afin  de  la  rassurer ,  eut  re- 
cours à  des  troupes  Hanoviiennes  et  Hessoi- 
ses,  qu'il  fit  passer  dans  le  royaume.  On  prit 
ainsi  le  change  à  Londres  ;  les  François  y  trou- 
vèrent leur  compte ,  et  tandis  qu'ils  faisoient 
cet  appareil  pour  un  débarquement  vis-à-vis 
des  côtes  de  la  Grande-Bretagne  ,  ils  firent 
une  descente  dans  l'île  de  Minorque.  Le  duc 
de  Richelieu,  chargé  de  cette  expédition,  mit 
le  siège  devant  Port-Mahon.  Les  An^rlois  ne 

o  o 

s'apperçurent  du  dessein  des  François ,  que 
lorsqu'ils  l'eurent  exécuté  ;  ils  envoyèrent 
néanmoins  une  flotte  dans  la  Méditerannée  au 
secours  de  la  place  assiégée  :  leur  amiral  Byng 
fut  battu  par  l'escadre  françoise.  Le  gouver- 
nement anglois ,  pour  se  disculper  aux  yeux 
d'une  populace  furieuse  du  malheur  qui  ve- 
noit  d'arriver ,  fut  obligé  de  lui  sacrifier  une 
victime ,  et  fit  arquebuser  l'amiral  Byng ,  dont 
bien  des  personnes  sensées  prétendoient  prou- 


DESEPTANS.  73 

ver  l'innocence.  Le  duc  de  Richelieu  essaya 
en  vain  de  faire  brèche  à  Port-Mahon,  dont 
les  ouvrages  sont  taillés  dans  le  roc  ;  impatient 
de  ce  que  le  siège  tiroit  en  longueur,  il  fit 
donner  un  assaut  général  à  la  place  :  les  Fran- 
çois l'escaladèrent  et  la  prirdpit. 

Pendant  que  la  fortune  favorisoit  les  Fran- 
çois dans  le  Sud  de  l'Kurope ,  les  affaires  du 
Nord  devenoient  de  jour  en  jour  plus  criti- 
ques ;  les  Russes  formoient  en  Livonie  des 
camps  plus  forts  et  plus  considérables  que  tous 
ceux  qu'ils  y  avoient  eus  les  années  précéden- 
tes. La  cour  de  Russie  étoit  induite  à  ces  dé- 
marches par  celle  de  Vienne ,  qui  réclamoit  le 
traité  de  Péterbourg ,  comme  si  la  guerre  étoit  De  l'an- 

déclarée,  et  comme  si  le  cas  de  l'assistance  a  voit 

1746. 

lieu.  Une  armée  de  30,000  Moscovites  sur  la 
frontière  de  la  Prusse  devenoit  un  objet  impor- 
tant; quelle  que  fût  la  cause  de  cet  armement, 
l'eff^et  en  paroissoit  redoutable.  Le  Roi  avoit 
un  canal  par  lequel  il  tiroit  des  avis  certains 
sur  les  projets  de  ses  ennemis ,  qui  étoient 
près  d'éclater;  c'étoit  un  commis  de  la  chan- 
cellerie secrète  de  Dresde,  qui  remettoit  toutes 
les  semaines  au  ministre  prussien  les  dépêches 


76  HIST.    DE    LA    GUERRE 

que  sa  cour  recevoit  de  Péterbourg  et  de 
Vienne ,  ainsi  que  la  copie  de  tous  les  traités 
qu'il  avoit  trouvés  dans  les  archives.  Il  parut 
par  ces  écrits  que  la  cour  de  Russie  s'excusoit 
de  ne  pouvoir  entreprendre  la  guerre  cette 
année,  à  cause  que  sa  flotte  n'étoit  pas  en  état 
d'entrer  en  mer  ;  mais  elle  promettoit  en  re- 
vanche de  plus  grands  efforts  pour  l'année  pro- 
chaine. Sur  ces  éclaircissemens  le  Roi  prît  le 
parti  d'envoyer ,  en  guise  de  réserve ,  un  corps 
enPoméranie,  composé  de  10  bataillons  et  de 
20  escadrons.  Ces  troupes  se  cantonnèrent 
Août,  aux  environs  de  Stolpe  ,  où  elles  ne  pouvoient 
donner  aucune  jalousie  à  la  Russie  ,  et  où  néan- 
moins elles  étoient  à  portée  de  renforcer  le 
maréchal  de  Lehwald,  dès  qu'il  seroit  dans  le 
cas  d'appréhender  quelque  entreprise  de  la  part 
des  ennemis. 

Bientôt  la  cour  de  Vienne  rassembla  plus 
de  troupes  en  Bohème  qu'à  son  ordinaire  :  elle 
en  forma  deux  armées;  l'une,  sous  les  ordres 
du  prince  Piccolomini ,  campa  près  de  Kœnigs- 
graetz  ;  la  principale  ,  commandée  par  le  maré- 
chal Braun  (  Broune),  s'établit  près  de  Prague. 
Ce  n'étoit  pas  assez  :  la  cour  amassa  en  Bohème 


DE     SEPT     ANS.  77 

des  magasins  de  guerre  ;  elle  fit  rassembler  des 
chevaux  pour  le  transport  des  vivres ,  et  pour 
la  nombreuse  artillerie  qu'elle  vouloit  employer 
dans  son  armée;  en  un  mot  elle  faisoit  de  ces 
préparatifs  qui  d'ordinaire  n'ont  lieu  que  lors- 
qu'une puissance  se  propose  d'en  attaquer  une 
autre.  Les  dépêches  de  Dresde,  qui  venoient 
au  Roi,  étoient  remplies  des  projets  que  for- 
moit  la  cour  de  Vienne  d'attaquer  les  états  du 
Roi  5  et  apprenoient  que  faute  d'un  meilleur 
prétexte  l'ïmpératiice- reine  s'en  tiendroit  à 
celui  que  fournissoit  le  difîérent  que  le  Roi 
avoit  eu  avec  le  duc  de  Mecklenbourg.    Ce 

o 

différent  étoit  une  bagatelle  ,  et  l'affaire  étoit 
accommodée  et  assoupie.  Il  s'étoit  agi  du  droit- 
de  faire  des  recrues.  Le  Duc  s'étoit  avisé  de 
trouver  mauvais  qu'on  l'exerçât;  après  qu'on 
lui  eut  prouvé  la  justice  de  la  chose,  comme  il 
ne  vouloit  pas  se  rendre,  le  Roi  se  fit  justice  à 
lui-même.  Quoiqu'il  ne  fût  plus  question  de 
cette  misère,  l'Impératrice  voulut  la  rappeler; 
elle  prétendoit  faire  envisager  les  procédés  du 
Roi  comme  contraires  aux  lois  de  l'Empire,  et 
comme  une  violation  de  la  paix  de  Westpha- 
lie  :  ce  qui  devoit  l'engager  à  prendre  fait  et 


78  HIST.    DE    LA    GUERRE 

cause  pour  le  duc  de  Mecklenbourg ,  et  à  ré- 
clamer l'assistance  de  tous  les  garans  de  cette 
paix  de  Westplialie.  La  connoissance  qui-  vint 
au  Roi  de  ce  dessein,  jointe  aux  mouvemens 
de  trois  armées  sur  ses  frontières  >  qui  mena- 
çoient  d'un  jour  à  l'autre  d'une  rupture  ouver- 
te, donna  lieu  à  l'explication  que  demanda 
le  Roi  à  la  cour  de  Vienne  sur  la  cause  de  ce 
grand  armement;  on  pria  cette  cour  de  faire 
une  réponse  cathégorique ,  pour  qu'on  sût  si 
elle  avoit  intention  de  maintenir  I5  paix  avec 
le  Roi,  ou  de  la  rompre.  La  réponse  du  comte 
Kaunitz  se  trouva  conçue  en  termes  équivo- 
ques et  ambigus;  mais  il  s'expliqua  plus  ouver- 
tement avec  le  comte  de  Flemming,  ministre 
du  Roi  de  Pologne  à  Vienne,  lequel  rendit 
compte  de  cet  entretien  dans  une  relation  à  sa 
cour.  La  copie  de  cette  dépêche  fut  envoyée 
incontinent  de  Dresde  à  Berlin;  le  comte  Flem- 
ming y  dit  :  ^'  Le  comte  Kaunitz  se  propose 
î'  d'inquiéter  le  Roi  par  ses  réponses  et  de  le 
î'  pousser  à  commettre  les  premières  hostilités.» 
ïl  est  vrai  que  le  style  en  étoit  si  arrogant  et 
si  fier,  qu'il  en  résultoit  assez  clairement  que 
rimpératrice-reine  vouloit  la  guerre  ,  et  même 


DE     SEPT     ANS.  7g 

qu'elle  vouloit  que  le  E.oi  passât  pour  l'agrcs-. 
seur.  Il  étoit  néanmoins  probable  que  cette 
année  s'écouleroit  encore  sans  que  les  ennemis 
de  la  Prusse  en  vinssent  aux  dernières  extrémi- 
tés, parce  que  la  cour  de  Péterbourg  vouloit 
différer  la  guerre  jusqu'à  l'année  suivante ,  et 
qu'il  étoit  apparent  que  l'Impératrice -reine 
attendroit  que  tous  ses  alliés  fussent  prêts,  pour 
attaquer  le  Roi  à  forces  réunies.  Ces  considé- 
rations dormérent  lieu  d'examiner  ce  problè- 
me :  s'il  étoit  plus  avantageux  de  prévenir  ses 
ennemis  en  les  attaquant  incontinent,  ou  s'il 
valoit  mieux  attendre  qu'ils  eussent  achevé 
leurs  grands  préparatifs ,  en  remettant  à  leur 
discrétion  les  entreprises  qu'ils  trouveroient 
bon  de  former.  Quelque  parti  que  l'on  prît 
dans  ces  conjonctures  ,  la  guerre  étoit  égale- 
ment sûre  et  inévitable;  il  falloit  donc  cal- 
culer s'il  y  auroit  plus  d'avantage  à  la  dif- 
férer de  quelques  mois  ,  ou  à  la  commen- 
cer incessamment  ?  Vous  verrez  par  la  suite 
de  cette  histoire  que  le  roi  de  Pologne  étoit 
un  des  plus  zélés  partisans  de  l'union  que 
rimpératrice  -  reine  avoit  formée  contre  la 
Prusse.     L'armée    saxonne    étoit    foible  ;    on 


8o  HIST.    DE    LA    GUEURE 

savoit  qu'elle  montoit  à  peu  près  à  18,000 
hommes  :  mais  on  savoit  aussi  que  pendant 
l'hiver  même  cette  armée  devoit  être  augmen- 
tée 5  et  qu'on  vouloit  la  porter  au  nombre  de 
40,000  combattans.  En  différant  la  guerre ,  le 
Roi  donnoit  donc  le  temps  à  ce  voisin  mal  in- 
tentionné de  se  rendre  plus  formidable  ;  sans 
compter  que  la  Russie  ne  pouvant  pas  entrer  en 
action  cette  année ,  et  la  Saxe  n'ayant  pas 
achevé  de  perfectionner  ses  arrangemens,  ces 
conjonctiu'es  paroissoient  favorables ,  pour  ga- 
gner sur  les  ennemis .  en  les  prévenant  dés  la 
première  campagne ,  des  avantages  cju'on  per- 
droit  par  une  délicatesse  déplacée ,  si  l'on  ren- 
voyoit  les  opérations  à  Tannée  suivante.  De 
plus  ,  par  cette  inaction  on  facilitoit  aux  en- 
nemis le  moyen  de  fondre  à  forces  réunies 
sur  les  états  du  Roi ,  qui  auroient  servi  de 
théâtre  aux  combats  dès  l'ouverture  de  la  pre- 
mière campagne  ;  au  lieu  qu'en  portant  la 
guerre  chez  les  voisins  dont  les  mauvais  des- 
seins étoient  mis  en  évidence,  on  fétablissoit 
chez  eux,  et  l'on  ménageoit  par  là  les  provin- 
ces de  la  domination  prussienne.  Quant  k 
ce  nom  si  terrible  d'agresseur,  c'étoit  un  vain 
/  •  épouvaîitail  5 


DE    SEPT    ANS.  8l 

épouvantail,  qui  ne  pouvoit  en  imposer  qu'à 
des  esprits  timides  :  il  n'y  falloit  faire  aucune 
attention  dans  une  conjoncture  importante ,  où 
il  s'agissoit  du  salut  de  la  patrie  ;  puisque  le 
véritable  agresseur  est  sans  doute  celui  qui 
oblige  l'autre  à  s'armer,  et  à  le  prévenir  par 
l'entreprise  d'une  guerre  moins  difficile,  pour 
en  éviter  une  plus  dangereuse,  parce  que  de 
deux  maux  il  faut  choisir  le  moindre.  Après 
tout,  que  les  ennemis  du  Roi  l'accusassent  d'être 
agresseur ,  ou  qu'ils  ne  le  fissent  point ,  cela 
revenoit  au  même,  et  ne  changeoit  rien  au  fond 
de  l'affaire ,  la  conjuration  des  puissances  de 
l'Europe  contre  la  Prusse  étant  toute  formée. 
L'impératrice-reine,  celle  de  Russie,  le  roi  de 
Pologne  étoient  d'accord  et  sur  le  point  d'en- 
trer en  action,  de  sorte  que  le  Roi  n'en  auroit 
eu  ni  un  ami  de  moins,  ni  un  ennemi  de  plus. 
Enfin  il  s'agissoit  du  salut  de  l'État  et  du  main- 
tien de  la  maison  de  Brandebourg  :  n'auroit-ce 
pas  été  dans  un  cas  aussi  grave,  aussi  important, 
commettre  en  politique  une  faute  impardon- 
nable 5  que  de  s'arrêter  à  de  vaines  formalités , 
dont  on  ne  doit  pas  s'écarter  dans  le  cours 
ordinaire  des  choses  5  mais  auxquelles  il  ne  faut 
Tome  lll.  F 


82  lîïST.    DE    LA    GUEURE 

pas  se  soumettre  dans  des  cas  extraordinaires 
comme  celui-ci,  où  l'irrésolution  et  la  lenteur 
auroient  tout  perdu,  et  où  l'on  ne  pouvoit  se 
sauver  qu'en  prenant  une  résolution  vigoureuse 
et  prompte ,  et  en  l'exécutant  avec  activité  ? 

Les  différentes  raisons  que  nous  venons  d'al- 
léguer déterminèrent  le  Roi  à  prévenir  ses 
ennemis  :  il  fit  signifier  à  la  cour  de  Vienne 
qu'il  prenoit  sa  réponse  pour  une  déclaration 
de  guerre  5  et  qu'il  se  préparoit  à  la  lui  faire; 
il  travailla  ensuite  aux  dispositions  nécessaires 
pour  mettre  les  troupes  en  mouvement.  Pour 
Août,  cette  année  la  Prusse  n'avoit  rien  à  craindre  de 
la  part  de  la  P^ussie  par  les  raisons  que  nous 
avons  rapportées  plus  haut,  de  sorte  que  le 
maréchal  Lehvvald  se  contenta  de  rassembler 
aux  environs  de  Kœnigsberg  les  troupes  qu'il 
avoit  sous  ses  ordres,  afin  de  les  avoir  à  portée, 
et  de  pouvoir  les  mettre  en  campagne,  si  les 
circonstances  l'exigeoient. 

Le  Roi  se  proposa  d'attaquer  les  Autrichiens 
avec  deux  armées.  Le  maréchal  Schwérin ,  qui 
jceçut  le  commandement  de  celle  de  Silésie, 
devoit  pénétrer  dans  le  cercle  de  Kœnigsgrastz; 
l'autre ,  opposée  aux  Saxons  et  aux  Autrichiens 


DE     SEPT     AN3.  Sj 

en  même  temps  y  devant  être  naturellement 
la  plus  forte,  fut  formée  des  régimens  de  la 
Pom.éranie,  de  TÉlectorat,  du  duché  de  Ma  g- 
debourg,  et  des  provinces  de  la  Westphalie. 
Le  Roi  voulut  la  commander  en  personne  : 
son  dessein  étoit  d'entrer  en  Saxe  sur  plusieurs 
colonnes  en  même  temps  ;  ou  pour  désarmer 
les  troupes,  si  on  les  trouvoit  répandues  dans 
leurs  quartiers  ;  ou  pour  les  combattre ,  si  on 
les  trouvoit  rassemblées  en  corps ,  afin  de  ne 
point  garder  mi  ennemi  à  dos  en  avançant  en 
Bohème,  et  s'exposer  à  une  perfidie  semblable 
à  celle  des  Saxons  en  l'année  1744.  Le  Roi  se 
trouvoit  autorisé  à  cette  démarche  par  l'ex- 
périence du  passé  5  par  les  engagemens  que 
les  Saxons  avoient  avec  la  maison  d'Autriche  5 
enfin  par  leurs  mauvaises  intentions ,  qui  se 
manifestoient  dans  les  dépêches  de  tous  leurs 
ministres ,  que  le  Roi  avoit  en  main  ;  ainsi  des 
raisons  tirées  du  droit ,  de  la  politique  et  de  la 
guerre  appuyoient  et  justifioient  sa  conduite. 
Il  fut  en  même  temps  résolu  de  gagner  dans 
cette  première  campagne  le  plus  de  terrain 
qu'on  pourroit,  pour  mieux  couvrir  les  Etat* 
du  Roij  en  éloigner  la  guerre  autant  qu'il  seroit 

F  2 


84  HIST.    DE    LA    GUERRE 

possible,  et  la  porter  en  Bohème,  pour  peu  que 
cela  parût  faisable.  Telles  furent  les  dispositions 
générales  qu'opposa  le  Roi  à  la  ligue  des  plus 
grandes  puissances  de  l'Europe,  qui  alloient 
l'assaillir.  Bientôt  les  troupes  prussiennes  se 
mirent  en  marche ,  et  commencèrent  leurs  opé- 
rations en  Saxe  et  en  Bohème,  comme  nous 
en  rendrons  compte  dans  le  chapitre  suivant. 


CHAPITRE    IV. 

Marche  en  Saxe; fameux  camp  dePirnai 

entrée  en  Bohème;  bataille  de  Lowo-^ 

Jitz;  campagne  du  maréchal  Schwérin; 

fecours  de  Schandau,  battu;  prise  des 

Saxons;  quartiers  d'hiver;  cordon» 


JtL  N  commençant  cette  guerre ,  il  falloit  préa- 
lablement ôter  aux  Saxons  les  moyens  de  s'en 
mêler  et  de  nuire  aux  Prussiens.  Pour  porter  la 
guerre  en  Bolième ,  on  avoit  l'électorat  de  Saxe 
à  traverser;  si  Ton  ne  s'en  rendoit  pas  maître. 


DESEPTANS,  85 

on  laissoit  un  ennemi  derrière  soi ,  qui,  en  ôtant 
la  libre  navigation  de  l'Elbe  aux  Prussiens ,  les 
obligeoit  à  quitter  la  Bohème  aussitôt  que  le 
roi  de  Pologne  le  voudroit.  Les  Saxons  en 
avoient  usé  ainsi  dans  la  guerre  de  1744,  où, 
en  interdisant  cette  navigation  aux  troupes  du 
Roi,  ils  rendirent  son  expédition  infructueuse. 
On  ne  se  fondoit  pas  sur  des  conjectures  vagues, 
pour  leur  supposer  le  même  dessein.  On  avoit 
en  main  les  preuves  de  leur  mauvaise  volonté; 
ainsi  ç'auroit  été  commettre  une  faute  irrémis- 
sible en  politique ,  que  de  ménager  par  foi- 
blesse  un  prince  allié  de  l'Autriche,  qui  n'atten- 
doit  à  se  déclarer  ouvertement  pour  elle  que 
le  moment  où  il  pourroit  le  faire  impunément  : 
de  plus,  comme  le  Roi  prévoyoit  que  la  plus 
grande  partie  de  l'Europe  se  préparoit  à  l'atta- 
quer, il  ne  pouvoit  couvrir  la  Marche  électo- 
rale de  Brandebourg  qu'en  occupant  la  Saxe,  où 
il  valoit  mieux  établir  le  théâtre  de  la  guerre 
qu'aux  environs  de  Berlin.  Il  fut  donc  résolu 
de  porter  la  guerre  en  Saxe ,  de  s'assurer  de 
l'Elbe,  et  de  tâcher,  pour  peu  que  l'occasion 
s'en  présentât  favorable,  de  désarmer  les  trou- 
pes saxonnes. 

F  3 


86  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Au  mouvement  que  quelques  régimens  firent 
pour  se  rendre  de  la  Poméranie  dans  TElecto- 
rat,  les  troupes  saxonnes  prirent  une  position 
entre  l'Elbe  et  la  Mulde  ;  elles  entrèrent  peu 
après  dans  leurs  quartiers  ordinaires,  et  bientôt 
elles  se  rassemblèrent  de  nouveau  en  canton- 
nant. Toutes  ces  marches  et  contremarches  ne 
donnèrent  point  le  change  :  le  Roi  savoit  posi- 
tivement que  le  dessein  de  la  cour  étoit  d'as- 
sembler l'armée  au  camp  de  Pirna ,  où  les 
Saxons,  occupant  une  position  inattaquable, 
croyoient  pouvoir  attendre  en  sûreté  les  secours 
cjue  les  Autrichiens  leur  avoient  fait  espérer,  et 
cependant  ils  se  flattoient  d'amuser  les  Prus- 
siens par  de  frivoles  négociations;  de  sorte  que 
sans  faire  attention  aux  différentes  marches  de 
ces  troupes ,  on  s'en  tint  au  projet  de  se  porter 
incessamment  avec  l'armée  au  déboucher  de  la 
Bohème. 

Le  Roi  divisa  son  armée  en  trois  corps.  La 
marche  de  ces  trois  colonnes  se  dirigea  sur 
Pirna,  qui  fut  le  centre  de  leur  réunion  com- 
mune. La  première  partit  de  Magdebourg  aux 
ordres  du  prince  Ferdinand  de  Bronswic;  elle 
prit  le  chemin  de  Leipsic  et  passa  par  Borne  ^ 


DE     SEPT     ANS.  87 

Chemnitz,  Frcyberg  et  Dippoldis^valda ,  pour 
se  rendre  à  Cotta.  La  seconde  colonne,  où  se 
trouvoit  le  Roi,  marcha  sur  Pretsch,  tandis  que 
le  prince  Maurice  de  Dessau  se  rendit  maître  de 
Wittenberg;  après  quoi  ce  détachement,  réuni 
au  reste  du  corps ,  passa  l'Elbe  à  Torgau ,  d'où 
le  Roi  se  porta  par  Strehlen  et  Lommatsch  à 
Wilsdruf.  Ce  fut  là  qu'on  apprit  avec  certi- 
tude que  toutes  les  troupes  saxonnes  s'étoient 
rendues  àpirna,  que  le  Roi  y  étoit  en  personne, 
qu'il  n'y  avoit  point  de  garnison  à  Dresde,  mais 
que  la  Reine  y  étoit  dem.eurée.  Le  Roi  ht 
complimenter  la  reine  de  Pologne,  et  les  tïou- 
pes  prussiennes  entrèrent  dans  cette  -capitale, 
en  observant  une  si  exacte  discipline  que  per- 
sonne n'eut  à  s'en  plaindre.  L'armée  campa 
près  de  Dresde,  d'où  elle  s'avança  le  lendemain 
vers  Pirna,  et  se  posta  entre  l'Elbe,  Sédelitz  et 
Zest.  La  troisième  colonne  sous  le  comman- 
dement du  prince  de  Bévern  traversa  la  Lusace , 
où  ayant  été  jointe  à  Elstervverda  par  Q5  esca- 
drons de  cuirassiers  et  de  housards  venant  de 
la  Silésie ,  elle  se  porta  sur  Bautzen ,  sur  Stol- 
pen,  et  enfin  sur  Lohmen.  Le  prince  Ferdi- 
nand arriva  en  même  temps  à  Cotta ,  de  sorte 

F  4 


88  HIST.    DE    LA    GUERRE 

que  par  la  jonction  de  ces  trois  colonnes  aux 
environs  de  Pirna ,  les  troupes  saxonnes  se 
trouvèrent  entièrement  bloquées.  Cependant 
le  voisinage  de  tant  d'armées  ne  donna  lieu  à 
aucun  incident  ;  on  ne  commit  aucune  hosti- 
lité. Les  Saxons  souffrirent  avec  beaucoup  de 
civilité  qu'on  les  affamât ,  et  chacun  de  son 
côté  tâcha  d'assurer  son  étabh.ssement  le  mieux 
qu'il  put.  Le  roi  de  Pologne  ,  dans  l'intention 
de  gagner  du  temps,  entama  une  négociation: 
il  étoit  plus  aisé  pour  les  Saxons  d'écrire  que 
de  se  battre  ;  ils  firent  à  plusieurs  reprises  des 
propositions  5  qui,  n'ayant  rien  de  solide,  furent 
xejetées  ;  leur  but  étoit  d'obtenir  une  parfaite 
neutralité,  et  le  Roi  ne  pouvoit  y  donner  les 
mains ,  parce  que  les  engagemens  du  roi  de 
Pologne  avec  la  cour  de  Vienne  et  la  Russie 
lui  étoient  trop  bien  connus.  Les  Saxons  cepen- 
dant faisoient  retentir  toute  l'Europe  de  leurs 
cris;  ils  répandoient  les  bruits  les  plus  inju- 
rieux aux  Prussiens  sur  leur  invasion  dans  cet 
Electorat  :  il  étoit  nécessaire  de  désabuser  le 
public  de  toutes  ces  calomnies,  qui,  n'étant 
point  réfutées,  s'accréditoient  et  remplissoient 
l'Europe  de  préjugés   contre   la    conduite  du 


BE    SEPT    ANS.  89 

Roi.  Depuis  long-temps  il  "possédoit  la  copie 
des  traités  du  roi  de  Pologne  et  des  relations 
de  ses  ministres  aux  cours  étrangères.  Quoique 
ces  pièces  justifiassent  pleinement  les  entre- 
prises de  la  Prusse ,  on  ne  pouvoit  en  tirer 
parti.  Si  on  les  eût  publiées ,  les  Saxons  les 
auïoient  taxées  de  pièces  supposées  et  forgées 
à  plaisir,  pour  autoriser  une  conduite  auda- 
cieuse qu'on  ne  pouvoit  soutenir  que  par  des 
mensonges.  C'est  ce  qui  obligea  d'avoir  recours 
aux  pièces  originales  qui  se  trouvoient  encore 
dans  les  archives  de  Dresde.  Le  Roi  donna 
des  ordres  pour  qu'on  s'en  saisît;  elles  étoient 
toutes  emballées  et  prêtes  à  être  envoyées  en 
Pologne.  La  Reine ,  qui  en  fut  informée ,  vou- 
lut s'y  opposer  ;  on  eut  bien  de  la  peine  à 
lui  faire  comprendre  qu'elle  feroit  mieux  de 
céder  par  complaisance  pour  le  roi  de  Prusse, 
et  de  ne  point  se  roidir  contre  une  entre- 
prise qui  5  quoique  moins  mesurée  qu'on  n'au- 
joit  souhaité,  étoit  cependant  la  suite  d'une 
nécessité  absolue.  Le  premier  usage  qu'on 
fit  de  ces  archives  fut  d'en  donner  l'extrait 
connu  au  public  sous  le  titre  de  Mémoire 
raisonné  sur  les  desseins  dangereux  des  cours 


go  HIST.    DE    LA    GUERRE 

de  Viejine  et  de  Dresde ,  avec  les  pièces  justifi- 
catives. 

Pendant  que  cette  scène  se  passoit  au  château 
de  Dresde  5  les  troupes  prussiennes  et  saxonnes 
demeuroient  dans  l'inaction,  le  roi  de  Pologne 
s'amusant  de  l'espérance  des  secours  autrichiens 
qui  dévoient  lui  venir,  et  le  roi  de  Prusse 
ne  pouvant  rien  entreprendre  contre  un  ter- 
rain vis-à-vis  duquel  le  nombre  et  la  valeur 
devenoient  inutiles.  Il  ne  sera  pas  hors  de  pro- 
pos 5  pour  l'intelligence  des  événemens  que 
nous  aurons  à  rapporter  dans  la  suite ,  que 
nous  entrions  dans  un  détail  circonstancié  sur 
le  fameux  camp  de  Pirna,  et  sur  la  position 
que  les  troupes  saxonnes  y  occupoient.  La 
nature  s'étoit  complue,  dans  ce  terrain  bizarre, 
à  former  une  espèce  de  forteresse,  à  laquelle 
l'art  n'avoit  que  peu  ou  rien  à  ajouter.  A  l'o- 
ïient  de  cette  position  coule  l'Elbe  entre  des 
ïochers ,  qui  en  rétrécissant  son  cours  la  ren- 
dent plus  rapide  ;  la  droite  des  Saxons  s'ap- 
puyoit  à  la  petite  forteresse  de  Sonuenstein 
près  de  l'Elbe  :  dans  un  bas -fond,  au  pied  de 
ces  rochers,  est  située  la  ville  de  Pirna  dont  le 
camp  tire  son  nom;  le  front,  qui  fait  face  au 


DESEPTANS.  gi 

Nord,  s'étend  jusqu'au  Kohlberg;  celui-ci  fait 
comme  le  bastion  de  cette  courtine  ,  devant 
laquelle  règne  un  ravin  de  60  à  80  pieds  de 
profondeur ,  qui  de  Là  tournant  vers  la  gauche 
entoure  tout  le  camp ,  et  va  aboutir  au  pied 
du  Kœnigstein.  Du  Kohlberg,  qui  forme  une 
espèce  d'angle  ,  une  chaîne  de  rochers  dont 
les  Saxons  occupoient  la  crête  ,  ayant  l'aspect 
tourné  vers  l'Occident,  va,  laissant  Rottendorf 
■  devant  soi,  et  se  rétrécissant  vers  Struppen  et 
Léopoldsheim,  se  terminer  aux  bords  de  l'Elbe 
à  Kœnigstein.  Les  Saxons,  trop  foibles  pour 
jemplir  le  contour  de  ce  camp ,  qui  présentoit 
de  tous  côtés  des  rochers  inabordables ,  se  bor- 
nèrent à  bien  garnir  les  passages  difficiles ,  et 
cependant  les  seuls  par  lesquels  on  pût  venir  à 
eux;  ils  y  pratiquèrent  des  abattis,  des  redou- 
tes et  des  palissades;  à  quoi  il  leur  étoit  facile 
de  réussir,  vu  les  immenses  forêts  de  pin  dont 
les  cimes  de  ces  monts  font  chargées.  Ce  camp, 
un  des  plus  forts  de  l'Europe ,  ayant  été  exa- 
miné et  reconnu  en  détail ,  fut  jugé  à  l'abri  des 
surprises  et  des  attaques;  et  comme  le  temps  et 
la  disette  pouvoient  seuls  vaincre  tant  d'obsta- 
cles, on  résolut  de  le  bloquer  étroitement,  pour 


g2  HIST.    DE    LA    GUERRE 

empêcher  que  les  troupes  saxonnes  ne  tirassent 
des  vivres  des  environs ,  et  d'en  user  en  tout 
comme  dans  un  siège  en  forme.  Dans  cette  vue 
le  Roi  destina  une  partie  de  son  monde  à  faire 
la  circonvallation  de  ce  camp  ,  et  l'autre  fut 
employée  à  former  l'armée  d'observation.  Cette 
disposition,  la  meilleure  qu'on  pût  imaginer 
dans  ces  conjonctures,  étoit  d'autant  plus  sage, 
que  les  Saxons,  s'étant  réfugiés  en  hâte  sur  ces 
rochers,  n'avoient  pas  eu  le  temps  d'amasser 
beaucoup  de  subsistances,  et  que  ce  qu'ils  en 
avoient  ne  pouvoit  les  mener  tout  au  plus 
qu'à  deux  mois.  Bientôt  les  troupes  du  Roi 
occupèrent  tous  les  passages  par  lesquels  les 
recours  ou  les  vivres  auroient  pu  arriver  aux 
Saxons.  Le  Prince  de  Bévern  avec  sa  division 
prit  les  postes  de  Lohmen ,  Wehlen ,  Obers- 
waden  et  Schandau  tout  le  long  de  l'Elbe  ;  sa 
droite  communiquoit  à  la  division  du  Roi  par 
le  pont  qui  fut  construit  proche  de  la  brique- 
terie ;  10  bataillons  et  lo  escadrons,  qui  cam- 
poient  auprès  du  Roi ,  occupoient  l'emplace- 
ment depuis  l'Elbe  et  le  village  de  Sédelitz 
jusqu'à  Zest,  où  commençcit  la  division  du 
prince  Maurice  ,    qui   s'étendoit   au  -  delà   de 


DE     SEPT     ANS,  93 

Cotta  par  des  détachemens  qu'il  avoît  poussés 
à  Léopoldsheim  ,  Markersdorf ,  Hennersdorf, 
et  Nœllendorf  :  en  tout  38  bataillons  et  30 
escadrons  servoient  à  former  cette  circonval- 
lation  dont  nous  venons  de  parler. 

D'autre  part  le  maréchal  Keith  eut  le  com- 
mandement de  l'armée  d'observation;  elle  con- 
sistoit  en  Qg  bataillons  et  en  70  escadrons.  Le 
prince  Ferdinand  de  Bronsvvic  entra  le  premier 
en  Bohème  avec  l'avant  -  garde  ;  ayant  passé 
Péterswalde,  il  rencontra  à  Nœllendorf  M.  de 
Wied,  général  autrichien,  avec  10  bataillons 
de  grenadiers  et  de  la  cavalerie  à  proportion; 
il  le  délogea  du  village  :  l'Autrichien  prit  la 
fuite  5  et  le  Prince  poursuivit  sa  marche.  Le 
maréchal  Keith  approcha  immédiatement  après 
d'Aussig,  et  se  campa  à  Johnsdorf ,  d'où  il  dé- 
tacha M.  de  Mannstein ,  qui  s'empara  du  châ-  Septem- 
teau  de  Tetschen  ,  pour  assurer  la  navigation 
de  l'Elbe.  Les  choses  en  restèrent  là  en  Saxe 
et  dans  cette  partie  de  la  Bohème  jusqu'à  la  fin 
du  mois.  D'un  autre  côté  M.  de  Piccolomini 
campoit  avantageusement  près  de  Kœnigsgrstz 
sur  les  hauteurs  situées  entre  le  confluent  de 
l'Adler  et  de  l'Elbe.  Son  camp ,  de  figure  angu- 


94  HIST.    BE    LA    GUEÎIRE 

laire ,  n  etoit  abordable  d'aucun  côté.  Le  maré- 
chal de  Schwérin  venoit  de  déboucher  avec 
son  armée  par  le  comté  de  Glatz,  d'où  il  s'a- 
vança d'abord  à  Nachod,  puis  sur  les  bords  de 
la  Métau,  et  enfin  sur  Aujest,  où  il  défit  M.  de 
Buccow,  qui,  venant  au-devant  de  lui  avec  un 
corps  de  cavalerie,  se  fit  bien  battre  et  perdit 
Qoo  hommes.  Le  maréchal  de  Schwérin  ne 
pouvoit  rien  entreprendre  sur  M.  de  Piccolo- 
mini  dans  le  poste  où  se  tenoient  les  Autri- 
chiens; il  n'y  avoit  aucun  grand  projet  à  for- 
mer, ni  pour  des  sièges,  ni  pour  des  batailles; 
et  comme  la  saison  étoit  d'ailleurs  assez  avan- 
cée ,  il  se  contenta  de  consommer  toutes  les 
subsistances  qu'il  trouva  en  Bohème ,  et  four- 
ragea jusques  sous  les  canons  de  l'armée  impé- 
riale ,  sans  que  M.  de  Piccolomini  fît  mine  de 
s'en  appercevoir.  Un  détachement  de  housards 
prussiens  défit  400  dragons  ennemis  ^Droche 
de  Hohenmaut ,  et  en  ramena  la  plus  grande 
partie  prisonniers..  C'est  à  quoi  se  bornèrent 
les  entreprises  du  maréchal  de  Schwx-rin,  pa£ 
la  raison  que  M.  de  Piccolomini,  se  gardant 
bien  de  faire  des  mouvemens,  demeura  scru- 
puleusement renfermé    dans  son  camp,   qui 


DE     SEPT     ANS,  95 

valoit    mieux    qu'une    infinité    de    places    de 
guerre. 

Les  grands  coups  ne  purent  se  porter  cette 
année  que  par  l'armée  du  Roi.  Cette  armée 
avoit  les  Saxons  à  prendre,  et  les  secours  qui 
pouvoient  leur  venir,  à  éloigner.  Les  choses 
s'embrouiiloient  de  jour  en  jour  davantage  de 
ce  côté-là.  Quoiqu'on  eût  enfermé  le  camp  de 
Pirna  de  manière  à  empêcher  l'entrée  des  vivres 
et  des  secours ,  il  avoit  été  toutefois  impossible 
d'occuper  tous  les  sentiers  qui  traversent  les 
forêts  et  les  rochers  des  environs.  Cela  faisoit 
que  le  roi  de  Pologne  entretenoit  encore, 
quoiqu'avec  peine,  une  correspondance  avec 
la  cour  de  Vienne  ;  et  Ton  apprit  sur  la  fin 
de  Septembre  que  le  maréchal  Braun  avoit 
reçu  des  ordres  de  sa  cour  de  dégager  à  tout 
prix  les  troupes  saxonnes  que  les  Piussiens 
bloquoient  à  Pirna.  Le  maréchal  Braun  ,  qui 
s'étoit  avancé  avec  son  armée  à  Budin ,  avoit 
trois  moyens  d'exécuter  ce  projet  :  l'un  de 
marcher  contre  le  maréchal  Keith,  et  de  bat- 
tre cette  armée  5  ce  qui  n'étoit  pas  facile;  le 
second,  de  prendre  le  chemin  de  Billin  et  de 
Tœplitz ,  et  d'entrer  en  Saxe ,  soit  par  le  Bas- 


gG  HIST.    DE    LA    GUERRE 

berg,  soit  par  Nœllendorf  ;  mais  ce  mouvement 
Tobligeoit  à  prêter  le  flanc  au  maréchal  Keitll, 
et  exposoit  à  être  ruinés  tous  les  magasins  qu'il 
avoit  entre  Budin  et  Prague.  Le  troisième  moyen 
qui  lui  restoit  étoit  d'envoyer  un  détachement 
à  la  rive  droite  de  FElbe ,  qui,  prenant  par  Bœli- 
misch  Leippa,  Schlukenau ,  et  Rumbourg,  se 
rendit  à  Schandau.  Cette  dernière  expédition 
ne  pouvoit  mener  à  rien  de  décisif,  parce  que 
les  Prussiens,  par  le  moyen  de  leur  pont  de 
Schandau,  pouvoient  envoyer  des  secours  dans 
cette  partie,  et  que  le  terrain  du  côté  d'Oberra- 
then  et  Schandau,  coupé,  difficile,  et  suscep- 
tible de  chicanes ,  fournit  des  passages  assez 
impraticables  ,  pour  qu'un  bataillon  y  puisse 
arrêter  une  armée  entière.  Comme  ce  moment 
critique  alloit  décider  de  toute  la  campagne,  le 
Roi  jugea  que  sa  personne  seroit  nécessaire  en 
Bohème,  pour  s'opposer  aux  entreprises'  que 
ses  ennemis  pouvoient  former.  Il  arriva  le  q  8  au 
camp  de  Johnsdorf  ;  les  troupes  y  étoient  pos- 
tées sur  un  terrain  étroit ,  dominé  par  des  émi- 
nences,  le  dos  appuyé  contre  un  escarpement 
de  rocher  si  serré,  qu'on  auroit  eu  de  la  peine, 
dans  le  cas  d'une  action,  à  porter  des  secours 

d'une 


DE     SEPT     ANS.  5)7 

d'une  partie  de  ce  camp  à  l'autre ,  sans  s'exposer 
à  de  grands  embarras.    Cette  position  se  trou- 
vant telle  5  qu'il  falloit  l'abandonner  à  l'approche 
de  l'ennemi ,  elle  fut  quittée  le  lendemain.  On 
étoit  trop  éloigné  du  maréchal   Braun ,  pour 
en  avoir  des  nouvelles ,  et  comme  il  étoit  im- 
portant d'observer  ses  mouvemens  de  plus  près, 
le  Roi  se  mit  à  la  tête  de  Favant-garde ,  com- 
posée de  8  bataillons  et  de  qo  escadrons,  et 
s'avança  à  Tirmitz ,  où  il  apprit  que  le  maréchal 
Braun  passeroit  le  lendemain  l'Eger  proche  de 
Budin  ;   c'étoit  précisément  le  temps  de  l'ap- 
procher pour  éclairer  ses  démarches ,  et  de  le 
combattre  même,  si  l'occasion  s'en  présentoit. 
Dans  la  situation  où  se  trouvoient  les  choses ,   Septem- 
les  projets  de  ceux  qui  commandoient  ces  ar- 
mées étoient  si  opposés,  qu'il  falloit  nécessai- 
rement qu'ils  en  vinssent  à  une  décision,  soit 
que  le  maréchal  Braun  voulût  se  frayer  le  pas^ 
sage  en  Saxe  l'épée  à  la  main ,  soit  qu'il  n'agît 
que   par  des  détachemens.   Le  30  l'armée  du 
Koi  le  suivit  sur  deux  colonnes  :  à  peine  l'avant- 
garde  eut-elle  gagné  la  croupe  du  Pascopol  ^ 
qu'elle  découvrit  un  camp  dans  la  plaine  de 
Lowositz;  la  droite  s'en  appuyoit  à  Wielhotta; 
Tome  III.  G 


C)8  lïIST.    DE    LA    GUERRE 

.  Lowositz  étoit  devant  son  front  ;  Sulowitz  se 
trouvoit   devant  sa   gauche ,    dont  l'extrémité 
se  prolongeoit  derrière  l'étang  de  Schirkowitz» 
L'avant  -  garde  poursuivit  sa  marche  :  elle  dé- 
logea de  Welmina  quelques  centaines  de  pan- 
do  urs;  ils  occupoient  un  poste  d'avertissement. 
Ce  village  est  situé  dans  un  bassin  entouré  de 
rochers,  dont  la  plupart  sont  taillés  en  forme 
de  pain  de  sucre;,  cependant  cette  hauteur  et 
le  bassin  même  dominent  les  plaines  des  en- 
virons.    Le  Roi   fit  avancer  en  diligence    son 
infanterie ,   pour  occuper  les  vignes  et  les  dé- 
bouchés du  côté  de  la  plaine  de  Lowositz.  Les 
troupes  arrivèrent  vers  les  dix  heures,  et  pas- 
sèrent la  nuit  au  bivouac  à  peu  de  distance  der- 
rière l'avant-garde,  qui  étoit  postée  vis-à-vis 
Octobre,  de  l'ennemi.    Le  lendemain  i   d'Octobre    on 
fut  reconnoître  dès  la  pointe  du  jour  ce  camp 
qu'on  avoit  découvert  la  veille;  un  brouillard 
épais  étendu  sur  la  plaine  empêcha  de  distin- 
guer les  objets.   On  voyoit  comme  à  travers 
un  crêpe  la  ville  de  Lowositz  ,  et  à  côté ,   de 
la   cavalerie  en    deux  troupes ,  dont  chacune 
paroissoit  être  de  cinq  escadrons.  Sur  cela  on 
déploya  l'armée;  une  colonne  d'infanterie  se 


X)E     SEPT    ANS.  99 

forma  par  la  droite ,  Fautre  par  la  gauche  :  la 
cavalerie  se  mit   en  seconde  ligne  ;  car  le  ter- 
rain 5    trop   étendu   pour   la  petite   armée   du 
Roi  5  l'obligea  d'employer   20  bataillons  pour 
sa  première  ligne ,  de  sorte  qu'il  ne  lui  en  resta 
qu'une  réserve  de  4.  Les  autres  se  trouvoient, 
ou  à  la  garde  des  magasins ,  ou  en  détachemens. 
Le  champ  de  bataille  sur  lequel  les  troupes  du 
Roi  se  formèrent,  alloit  en  s'élargissant  par  la 
gauche.  Le  penchant  des  montagnes  vers  Lowo- 
sitz  est  couvert  de  vignes  divisées  en  petits  en- 
clos de  pierre  à  hauteur  d'appui,   qui  distin- 
guent les  limites  des  propriétaires;  M.  de  Braun 
avoit  garni  ces  enclos  de  pandours ,  pour  arrêter 
les  Prussiens  :  ce  qui  fit  qu'à  mesure  que  .les 
bataillons  de  la  gauche  se  formoient ,  ils  s'en- 
gngeoient  avec  l'ennemi  aussitôt  qu'ils  entroient 
en  ligne.  Cependant  ce  feu  étoit   mal  nourri; 
et  comme  les  pandours  ne  faisoient  pas  une  ré- 
sistance vic^oureuse,  l'on  se  confirma  dans  l'opi- 
nion où  l'on  étoit,  que  ce  détachement  qu'on 
avoit  vu  la  veille  campé  dans  ces  environs,  se 
préparoit  à  la  retraite ,  et  que  les  pandours  qui 
tirailloient  dans  ces  vignes   et   les  troupes  de 
cavalerie  répandues  dans  la  plaine ,  étoient  des- 

G  3 


100  HIST.    DE    LA    GUEKRE 

tinés  à  faire  l'arrière  -  garde  des  autres.  Cela 
paroissoit  d'autant  plus  plausible,  que  l'on  ne 
découvroit  aucune  trace  d'une  armée.  On  se 
trompoit  fort  dans  ces  suppositions;  car  les  pre- 
mières troupes  qu'on  avoit  vues  à  Lowositz , 
étoient  l'avant -garde  de  M.  de  Braun.  Les 
Autrichiens  ignoroient  la  marche  de  l'armée  du. 
Roi,  et  n'en  furent  informés  qu'en  la  voyant 
déboucher  de  Welmina  :  le  maréchal  Braun 
en  fut  averti  par  le  général  qui  commandoit 
son  avant -garde;  sur  quoi  la  nuit  même  il 
vint  le  joindre  avec  son  armée  à  Lowositz.  Le 
brouillard  dont  nous  avons  parlé  dura  jusques 
vers  les  ii  heures,  et  ne  se  dissipa  tout-à-fait 
que  lorsque  l'action  fut  près  de  finir.  En  sup- 
posant toujours  qu'on  n'avoit  à  faire  cju'à  une 
arrière-garde ,  on  fit  tirer  quelques  volées  de 
canon  contre  la  cavalerie  autrichienne;  ce  qui 
l'inquiéta  et  la  fit  changer  de  position  et  de 
form.e  à  plusieurs  reprises  :  tantôt  elle  se  mettoit 
en  échiquier ,  quelquefois  sur  trois  lignes ,  puis 
en  ligne  contigiie  ;  quelquefois  cinq  ou  six 
troupes  tirant  vers  leur  gauche  disparoissoient, 
bientôt  après  elles  paroissoient  plus  nombreuses 
qu'elles  ne  sembloient  être  au  commencement. 


DE     SEPT     ANS.  loi 

Enfin  ennuyé  de  cette  manœuvre  oiseuse,  qui 
faisoit  perdre  le  temps  et  n'avançoit  point  les 
affaires ,  le  Roi  crut  qu'en  faisant  charger  cette 
cavalerie  par  une  vingtaine  d'escadrons  de 
dragons,  cette  arrière  -  garde  seroit  bien  vite 
dissipée ,  et  le  combat  terminé.  Sur  quoi  les 
dragons  descendirent  des  hauteurs,  et  se  for- 
mèrent au  bas  sous  la  protection  de  l'infanterie 
prussienne  ;  ils  choquèrent  et  renversèrent  tout 
ce  qu'ils  trouvèrent  vis-à-vis  d'eux.  En  pour- 
suivant les  fuyards ,  ils  reçurent  du  village  de 
Sulovvitz  en  flanc  et  de  front  un  feu  de  petites 
armes  et  d'artillerie  qui  les  ramena  à  la  position 
où  ils  s'étoient  formés  au  pied  des  vignes.  On 
jugea  dès-lors  qu'il  ne  s'agissoit  plus  d'arrière- 
garde,  mais  quQ  le  maréchal  Braun  se  trouvoit 
avec  les  Autrichiens  vis-à-vis  de  l'armée.  Le 
Roi  voulut  retirer  sa  cavalerie ,  pour  la  remettre 
en  seconde  ligne  sur  la  hauteur;  mais  par  des 
quiproquo,  malheureusement  trop  fréquens  les 
jours  de  bataille,  il  arriva  que  tous  les  cuirassiers 
s'étoient  joints  aux  dragons  ,  et  qu'avant  cjue 
l'aide  de  camp  pût  leur  apporter  les  ordres  du 
Roi ,  s'abandonnant  à  leur  impétuosité  et  au 
désir  de  se  signaler  3  ils  donnèrent  pour  la  se- 

G   3 


102  HIST.    DE    LA    GUERRE 

conde  fois  :  ils  eurent  bientôt  culbuté  la  ca- 
valerie ennemie,  et  quoiqu'ils  reçussent  le  mê- 
me feu  qui  avoit  ramené  les  dragons  à  la 
première  charge,  ils  poursuivirent  les  Autri- 
chiens jusqu'à  trois  mille  pas  ;  emportés  par 
leur  ardeur  ils  franchirent  un  fossé  largç  de  50 
pieds,  à  trois  cents  pas  au-delà  duquel  un  autre 
fossé  plus  profond  encore  couvroit  l'infanterie 
impériale.  M.  de  Braun  fit  aussitôt  jouer  60 
pièces  de  ses  batteries  contre  la  cavalerie  prus- 
sienne ,  et  la  força  de  revenir  se  former  de  nou- 
veau au  pied  de  la  montagne;  ce  qu'elle  exé- 
cuta avec  ordre ,  n'étant  point  poursuivie.  Le 
Roi,  ne  voulant  plus  risquer  qu'elle  se  livrât  à 
de  pareilles  saillies ,  la  fit  repasser  en  seconde 
ligne  derrière  son  infanterie.  Pendant  que 
cette  cavalerie  revenoit,  le  feu  de  la  gauche 
commençoit  à  devenir  et  plus  vif  et  plus  con- 
sidérable ;  le  maréchal  Braun  vouloit  chan- 
ger l'état  de  la  question;  se  voyant  sur  le  point 
d'être  assailli ,  il  aima  mieux  attaquer  lui-même. 
Dans  cette  vue  il  avoit  fait  filer  qo  bataillons 
derrière  Lowositz,  qui  s'étant  glissés  successive- 
ment le  lonci:  de  l'Elbe  vinrent  soutenir  les 
pandours  qui  se  battoient  dans  les  vignes,  et 


DE     SEPT     ANS.  I03 

tâchèrent  même  de  tourner  le  flanc  gauche  des 
Prussiens.  L'infanterie  les  repoussa  vigoureu- 
sement; elle  força  les  enclos  des  vignes  les  uns 
après  les  autres ,  et  descendant  dans  la  plai- 
ne, elle  poursuivit  quelques  bataillons  enne- 
mis 5  qui  de  frayeur  se  précipitèrent  dans  l'Elbe. 
Une  autre  troupe  de  fuyards  se  jeta  dans  les 
premières  maisons  de  Lowositz ,  faisant  mine 
de  s'y  défendre  ;  alors  quelques  bataillons  de 
la  droite  furent  détachés ,  pour  renforcer  la 
gauche  de  manière  que  la  gauche  des  Prussiens 
s'appuyât  à  l'Elbe  ,  et  dans  cette  disposition 
elle  s'avança  fièrem^ent  d'un  pas  déterminé  sur 
Lowositz,  sans  que  la  droite  de  l'armée  du  Roi 
quittât  la  hauteur  où  elle  étoit  appuyée.  Les 
grenadiers  tirèrent  dans  les  maisons  par  les  por- 
tes et  les  fenêtres  ;  ils  y  mirent  enftn  le  feu  , 
pour  achever  plus  vite  ;  et  quoique  ces  trou- 
pes eussent  consumé  toute  leur  poudre  ,  cela 
n'empêcha  pas  que  les  régimens  d'ItzenpHtz  et 
de  Manteufel  n'entrassent  dans  Lowositz  la 
bayonnette  baissée  ,  et  ne  forçassent  neuf  ba- 
taillons tout  frais ,  que  M.  de  Braun  y  a  voit 
envoyés,  à  leur  céder  la  place  et  à  prendre  1li 
fuite.  Alors  toutes  les  troupes  de  l'ennemi  qui 

G  4 


104  HIST.    DE    LA    GUERRE 

avoient  combattu  dans  cette  partie,  lâchèrent 
le  pied,  et  cédèrent  la  victoire  aux  Prussiens. 
Le  Roi  ne  put  pas  profiter  de  ce  succès  autant 
qu'il  l'auroit  souhaité,  parce  qu'il  n'avoit  pro- 
prement battu  que  l'aile  droite  des  impériaux; 
ils  occupoient  encore  le  village  de  Sulowitz ,  et 
comme  leur  gauche  se  trouvoit  postée  derrière 
le   fossé  dont  nous  avons  parlé ,   ils  ne  don- 
nèrent point  prise   à  la   cavalerie   prussienne. 
En  même  temps  M,  de  Braun  fit  faire  un  beau 
mouvement  à  ses  troupes;  il  fit  avancer  quel- 
ques brigades  de  sa  gauche  qui  n'avoient  point 
combattu  ,  dont  il  se  servit  pour  couvrir   ses 
troupes  débandées,  qui  sortoient  de  Lowositz 
et  s'enfuyoient  en  grand  désordre.  Il  se  retira 
la  nuit,  et  fit  occuper  Leutmeritz  par  un  dé- 
tachement qui  rompit  le  pont  de  l'Elbe  qu'il 
avoit   devant   lui.    Le   Maréchal  avec   le    gros 
de  son  armée  reprit  son  camp   de  Budin ,  et 
détruisit  tous  les  ponts  de  l'Eger  ,  pour  en  em- 
pêcher le  passage  aux  Prussiens.   L'armée  du 
Roi  perdit  en  morts  et  blessés  iQoo  hommes 
à  ce  combat;  MM.  de  Ouadt  et  de  Luderitz  ., 
tous  deux  généraux  de  bataille  ,  y  furent  tués  ; 
on  ne  fit  que  700  prisonniers,  parmi  lesquels 


DE     SEPT     ANS.  105 

un  prince  Lobkowitz,  général  des  Impériaux. 
Si  la  cavalerie  avoit  pu  être  employée  sur  la  fin 
de  l'action,  le  nombre  des  prisonniers  eût  été 
bien  plus  considérable.  Le  prince  de  Bévern 
fut  détaché  le  lendemain  avec  85O00  hommes 
à  Schirkowitz ,  village  situé  à  la  droite  de  la 
position  du  Roi,  à  demi -chemin  de  Budin. 
Il  envoya  de  son  camp  des  partis  le  long 
de  l'Eger  pour  en  reconnoître  les  passa  g-^s, 
et  plus  encore  pour  donner  de  l'attention  et 
causer  de  la  jalousie  à  M.  de  Braun  ,  afin  de 
le  contenir  par  ces  démonstrations ,  et  l'empê- 
cher de  penser  à  secourir  le  roi  de  Pologne  et 
les  troupes  saxonnes.  L'armée  de  Bohème  s'en 
tint  là  ;  trop  foible  pour  rien  entreprendre 
contre  l'ennemi,  elle  se  contenta  de  l'observer. 
Le  Roi  ne  pouvoit  en  effet  agir  offensivement. 
Pour  donner  vraiment  de  la  jalousie  à  M.  de 
Braun,  il  falloit  passer  l'Eger,  et  dans  ce  cas 
le  détachement  des  Impériaux  de  Leutmeritz, 
se  trouvant  derrière  les  Prussiens ,  étoit  à  portée 
de  leur  enlever  leur  magasin  d'Aussig  :  de  plus, 
en  passant  l'Eger  on  s'éloignoit  trop  de  sa  ligne 
de  défense ,  et  l'on  se  mettoit  hors  de  portée 
d'envoyer  en  Saxe  de  prompts  secours.  Si  Ton 


.106  HIST    DE    LA    GUERRE 

se  déterminoit  à  prendre  Leutmeritz,  loin  de 
gagner  par  là,  on  se  trouvoit  dans  un  plus  grand 
embarras ,  parce  qu'on  s'affoiblissoit  par  la  gar- 
nison que  demandoit  cette  ville  ,  et  que  ne 
pouvant  pas  garnir  les  hauteurs  qui  l'environ- 
nent et  qui  la  dominent,  on  auroit  exposé  cet- 
te garnison  à  être  enlevée  aussitôt  qu'attaquée. 
Toutes  ces  raisons  firent  que  le  Roi  fut  obligé 
de  se  contenter  d'avoir  gagné  une  bataille  au 
commencement  de  cette  guerre  ,  et  qu'il  borna 
ses  projets  à  empêcher  que  M.  de  Braun  ne 
fit  des  détachemens,  ou,  s'il  en  faisoit,  à  pou- 
voir en  envoyer  de  tout  aussi  forts  au  secours 
du  camp  de  la  Saxe.  L'armée  prussienne  de 
Bohème  étoit  de  la  moitié  plus  foible  que  celle 
des  Impériaux  ;  mais  les  troupes  étoient  si 
bonnes ,  si  bien  disciplinées ,  et  les  officiers  si 
pleins  de  valeur,  qu'elles  se  comptoient,  si  non 
supérieures,  du  moins  égales  à  l'ennemi.  Quelle 
que  soit  la  bonne  opinion  qu'on  a  de  soi- 
mêm^e,  la  sécurité  est  toujours  dangereuse  à  la 
guerre ,  et  il  vaut  mieux  prendre  des  précau- 
tions superflues,  que  de  négliger  les  nécessaires; 
et  comme  le  nombre  étoit  du  côté  des  Autri- 
chiens, que  d'ailleurs  le  Roi  auroit  pu  se  voir 


DE     SEPT     ANS.  107 

obligé  de  faire  des  détachemens ,  il  ordonna 
qu'on  travaillât  à  élever  quelques  batteries ,  et 
à  retrancher  les  parties  les  plus  foibles  de  son 
camp  :  ces  mesures  se  trouvèrent  d'autant  plus 
sages  5  qu'on  apprit  le  6  que  M.  de  Braun 
avoit  détaché  à  la  sourdine  quelques  régimens 
de  son  armée;  que  ce  corps,  taxé  à  65000  hom- 
mes 5  ayant  passé  par  Raudnltz ,  s'avançoit  vers 
Bœhmisch-Leippa ,  pour  suivre  de  là  la  route  qui 
mène  en  Saxe.  Quoique  ce  détachement  ne 
causât  pas  de  grandes  aj^préhensions ,  le  Roi 
en  avertit  le  margrave  Charles  et  le  prince 
Maurice  demeurés  en  Saxe ,  et  se  mit  à  la  tête 
d'un  renfort  de  cavalerie,  pour  les  mener  au 
camp  de  Sédelitz  ,  où  il  nétoit  resté  que  30 
escadrons;  ce  qui  n'étoit  pas  suffisant  pour 
arrêter  les  Saxons,  sur-tout  s'ils  avoient  entrepris 
de  percer  du  côté  de  Hohendorf  et  de  Tœplitz. 
Sa  Majesté  partit  le  13  de  Lowositz  avec  15 
escadrons ,  et  arriva  le  1 4  à  midi  à  son  armée , 
cju'elle  trouva  à  Struppen ,  quartier  que  le  roi 
de  Pologne  avoit  occupé  durant  tout  le  temps 
c[ue  les  Saxons  avoient  été  bloqués. 

Les  choses  avoient  entièrement   changé   de 
face  en  Saxe,  depuis  que  le  Roi  avoit  pris  le 


108  HIST.   DE    LA    GUERRE 

commandement  de  son  armée  en  Bohème.  La 
bataille  de  Lowositz  avoit  frappé  la  cour;  elle 
n  espéroit  que  foiblement  l'assistance  des  Impé- 
riaux. Les  troupes  étant  d'ailleurs  menacées 
d'une  disette  prochaine,  les  généraux  saxons 
voulurent  se  frayer  eux-mêmes  un  chemxin  à  tra- 
vers les  Prussiens;  leur  projet  étoit  de  se  sauver 
en  passant  l'Elbe  ,  et  ils  tentèrent  de  jeter  un 
pont  à  Wilsted  :  vis-à-vis  de  ce  lieu  se  trouvoit 
une  redoute  prussienne,  qui  coula  à  fond  quel- 
ques-uns de  leur  bateaux;  ce  qui  dérangea 
leurs  mesures.  Ils  changèrent  alors  de  dessein, 
et  firent  transporter  leurs  pontons  à  Halbstadt, 
cju'ils  regardoient  comme  l'endroit  le  plus  pro- 
pre et  le  plus  convenable  pour  leur  sortie , 
surtout  à  cause  des  secours  que  INÎ.  de  Braun 
venoit  de  leur  promettre  de  nouveau.  Toutes 
les  opérations  que  les  armées  firent  alors  dans 
ces  contrées ,  se  trouvoient  si  intimement  liées 
avec  la  nature  du  terrain ,  que  nous  sommes 
cbhgés  pour  l'Intelligence  du  lecteur  de  lui  en 
donner  l'idée  la  plus  nette  que  nous  pourrons. 
Par  la  description  que  nous  avons  faite  du  poste 
de  Pirna  ,  on  a  pu  juger  de  la  force  de  son 
assiette;  mais  s'il  étoit  difficile  de  l'emporter,  il 


DE     SEPT     ANS»  lOg 

n'étoit  pas  moins  difRcile  d'en  sortir.  La  plus 
naturelle,  la  plus  aisée  de  ses  issues  est  par  Léo- 
poldsheim;  en  descendant  de  leurs  rochers,  les 
Saxons  prenoient ,  par  Hermersdorf  et  Nœllen- 
dorf,  le  chemin  de  la  Bohème.  Ce  n'est  pas 
à  dire  qu'ils  auroient  forcé  ce  passage  sans  perte  ; 
il  y  avoit  toutefois  apparence  qu'ils  auroient 
sauvé  une  partie  de  leur  monde.  Tœplitz  une 
fois  gagné ,  ils  ne  rencontroient  plus  que  de  lé- 
gers obstacles,  et  personne  ne  pouvoit  les  em- 
pêcher de  se  joindre  par  Éger  aux  Autrichiens. 
Il  y  a  toute  apparence  que  les  généraux  saxons 
ne  connoissoient  pas  les  situations  de  Halbstadt, 
de  Burkersdorf,  de  Schandau,  de  Ziegenruck, 
et  surtout  qu'ils  ignoroient  la  disposition  dans 
laquelle  les  Prussiens  occupoient  ces  postes; 
sans  quoi  ils  ne  se  seroient  jamais  engagés  dans 
une  aussi  mauvaise  affaire.  M.  de  Lestvvitz 
étoit  posté  avantageusement  avec  1 1  bataillons 
et  15  escadrons  entre  Schandau  et  un  village 
nommé  Wendische-Fehre.  M.  de  Braun,  qui 
étoit  entré  en  Saxe  à  la  tête  de  son  détache- 
ment, vint  se  camper  vis-à-vis  de  lui.  Les 
Autrichiens  occupèrent  les  villages  de  Mittel- 
dorf  et  d'Altendorf  ;  mais  trouvant  M.  de  Lest- 


IIO  HIST.    DE    LA    GUEURE 

witz  plus  fort  qu'ils  ne  Tavoîent  prévu ,  ils 
n'eurent  garde  de  l'attaquer.  M.  de  Braun  ne 
pouvoit  pas  se  porter  sur  Burkersdorf ,  dont  une 
chaîne  de  rochers  impraticables  le  séparoit;  il  ne 
trouvoit  pas  son  compte  à  s'engager  avec  M.  de 
Lestwitz  ;  et  cependant ,  pour  prêter  la  main 
aux  Saxons  du  côté  d'Altstadt ,  il  étoit  obligé  de 
faire  défiler  son  monde  deux  à  deux  par  des 
chemins  étroits  vis-à-vis  des  Prussiens ,  et  sous 
le  feu  de  leurs  petites  ^mes.  De  tous  ces  diflé- 
rens  partis  il  n'y  en  avoit  aucun  qu'un  homme 
expérimenté,  comme  l'étoit  M.  de  Braun,  pût 
prendre  sans  risquer  sa  réputation  ;  il  aima  donc 
mieux  se  tenir  dans  l'inaction,  que  de  mener 
inutilement  ses  troupes  à  la  boucherie.  Du 
Octobre,  côté  d'Altstadt  ^  où  les  Saxons  avoient  résolu 
de  passer  l'Elbe  ,  est  à  la  rive  droite  de  ce 
fleuve  une  petite  plaine ,  dominée  par  le  Lilien- 
stein,  rocher  escarpé,  qui  en  borne  une  partie; 
aux  deux  côtés  de  ce  rocher  se  présentoient  cinq 
bataillons  prussiens  ,  aux  ordres  de  M.  de 
Retzow  5  derrière  des  abattis  qui  en  forme  do 
croissans  alloient  s'appuyer  des  deux  côtés  au 
coude  que  l'Elbe  forme  en  cet  endroit;  cinq 
cents  pas  derrière  ce  poste  6  bataillons  et  j 


DE     SEPT     ANS*  111 

escadrons  occupoient  le  défilé  de  Eurkersdorf; 
derrière  ce  défilé  se  trouve  une  chaîne  de  ro- 
chers âpres  et  escarpés,  nommé  le  Ziegenruck, 
qui,  embrassant  tout  ce  terrain ,  aboutit  des  deux 
côtés  à  l'Elbe.  Pour  percer  de  ce  côté-là,  les 
Saxons  avoient  donc  trois  postes  à  forcer  con- 
sécutivement,  les  uns  plus  redoutables  que 
les  autres.  Ce  fut  néanmoins  pour  tenter  leur 
évasion  de  ce  côté  qu'ils  commencèrent  dès  le 
onze  d'Octobre  à  établir  leurs  ponts.  Les 
Prussiens  se  gardèrent  bien  de  les  traverser  dans 
cet  ouvrage.  Leur  descente  de  Tirmsdorf  vers 
l'Elbe  étoit  assez  praticable;  mais  lorsque  leurs 
ponts  furent  achevés ,  et  que  de  l'autre  bord  ils 
voulurent  monter  le  rocher  pour  gagner  la 
plaine  d'Altstadt,  ils  ne  trouvèrent  qu'un  sentier 
étroit  qui  servoit  aux  pêcheurs.  Il  fallut  inie 
demi-journée  pour  y  faire  passer  deux  batail- 
lons ;  les  pluies  abondantes  qui  tombèrent , 
achevèrent  d'abymer  ce  chemin  :  ils  furent 
obligés  d'abandonner  leurs  canons,  qu'il  étoit 
impossible  de  transporter  à  l'autre  rive;  ainsi 
toute  leur  artillerie  resta  sur  les  retranchemens 
qu'ils  venoient  de  quitter.  La  lenteur  de  leur 
passage  fut  cause  que  la  cavalerie,  l'infanterie. 


112  HIST.    BE    LA   GUERRE 

le  bagage ,  l'arnère-garde  de  tout  ce  corps  pêle- 
mêle  et  en  désordre  demeurèrent  aux  environs 
de  Struppen.  Le  13  ,  avant  le  jour,  le  prince 
Maurice  d'Anhalt  fut  le  premier  averti  de  l'éva- 
sion  des  Saxons  ;  l'armée  prit  sur  le  champ  les 
armes,  et  se  mettant  sur  sept  colonnes,  elle  gra- 
vit encore  avec  peine  contre  ces  rochers  de 
Pirma,  tout  abandonnés  qu'ils  étoient  de  leurs 
défenseurs  ;  les  généraux  la  formèrent  sur  la 
crête  de  ces  montagnes  entre  le  Sonnenstein  et 
Rottendorf.  M.  de  Ziethen  avec  ses  housards 
attaqua  aussitôt  l'arrière-garde  de  l'ennemi,  et 
la  poussa  jusqu'à  Tirmsdorf;  les  compagnies 
franches,  et  les  chasseurs  prussiens  se  logèrent 
dans  un  bois  proche  de  cette  arrière-garde,  d'où 
ils  l'incommodèrent  beaucoup  par  leur  feu. 
Le  prince  Maurice,  qui  survint,  envoya  le  ré- 
giment de  Prusse  infanterie  occuper  une  hau- 
teur derrière  les  Saxons.  A  peine  eut- on  tiré 
deux  coups  de  canon  de  cette  colline  ,  que 
les  Saxons  ,  surpris  de  recevoir  du  feu  d'un 
endroit  duquel  ils  n'en  attendoient  pas ,  et  mis 
en  désordre,  prirent  soudain  la  fuite;  les  hou- 
sards se  jetèrent  sur  le  bagage,  qu'ils  pillèrent, 
et  les  chasseurs  se  glissèrent  dans  un  bois  voi- 
sin 


DE    SEPT    AN  Sa  II3 

sîn  de  l'Elbe,  d'où  ils  tirèrent  sur  l'arrière-garde 
saxonne  ,  qui  achevoit  de  passer  le  pont.  Ils 
perdirent  alors  entièrement  la  tête  :  ils  coupè- 
rent eux-mêmes  les  cables  de  leur  pont;  le 
courant  l'entraîna  jusqu'à  Rathen,  où  les  Prus- 
siens  le  prirent.  Le  prince  Maurice  fit  aussitôt 
camper  les  troupes  sur  les  hauteurs  de  StTup- 
pen  ;  leur  gauche  alloit  vers  l'Elbe ,  et  leur 
droite  se  prolongeoit  derrière  un  ravin  profond 
qui  va  se  perdre  du  côté  de  Hennersdoif. 
Telle  étoit  la  situation  des  choses,  lorsque  le 
Roi  arriva  avec  ses  dragons  à  Struppen.  Les 
Saxons  attendoient  un  certain  signal  dont  ils 
étoient  convenus  avec  les  Impériaux,  pour  at- 
taquer de  concert  les  Prussiens  :  ce  signal  ne  se 
donna  point  ;  ce  qui  acheva  de  leur  faire  per- 
dre toute  espérance.  Ils  ne  furent  que  trop  con- 
vaincus alors,  en  voyant  la  manière  dont  M.  de 
Retzow  étoit  posté,  qu'il  leur  étoit  impossible 
de  se  faire  jour  eux-mêmes.  D'un  autre  côté 
le  roi  de  Pologne  ,  qui  s'étoit  réfugié  au  Kœ- 
nigstein ,  pressoit  de  là  vivement  ses  généraux 
d'attaquer  M.  de  Retzoiv  à  Lilienstein  ,  et  le 
comte  Rutowsky  lui  remontroit  à  son  tour  avec 
force  l'inutilité  de  cette  entreprise,  qui  mèneroit 
Tome  III.      '  H 


114  HIST.    BE    LA    GUERRE 

à  une  effusion  Je  sang  et  à  un  massacre  dont 
après  tout  le  Roi  ne  pourroit  tirer  aucun  avan- 
tage.   M.    de    Braun   se  trouvoit  dans    un  cas 
aussi  embarrassant ,  mais  moins  fâcheux  :  il  avoit 
devant  lui  un  corps  de  troupes  prussiennes,  su- 
périeur en  nombre;  et  comme  toute  communi- 
cation lui  étoit  coupée  avec  le  Kœnigstein,  qu'il 
rencontroit  des  empêchemens  physiques  dans 
toutes  les  entreprises  qu  il  pouvoit  former  pour 
décraa;er  les  Saxons ,  et  qu'il  avoit  à  craindre 
que  ces  troupes  se  rendant  prisonnières  à  son 
insu,  il  n'eût  aussitôt  toute  l'armée  prussienne 
sur  les  bras,  il  jugea  la  situation  de  l'armée  sa- 
Oçtobre.   xonne  désespérée,  et  ne  pensant  plus  qu'à  sau- 
ver son  propre  détachement,  il  se  retira  le  14 
en   Bohème.    Les  housards  prussiens  le  suivi- 
rent; M.  de  Warneri  battit  son  arrière -garde 
et  passa  300  grenadiers  cravates  au  hl  de  l'épée. 
Cette   entreprise    si  mal  exécutée  donna  lieu 
aux  reproches  les  plus  injurieux,  que  se  firent 
les    généraux  saxons    et    les    généraux    autri- 
chiens ;  ils  avoient  tort  les  uns  et  les  autres. 
Le  général  saxon ,  qui  avoit  fait  le  projet  de 
cette  évasion  5  étoit  le  seul  coupable;   il  avoit 
sans  doute  consulté  des  cartes  fautives  ;  il  n'a- 


DE     SEPT     ANS,  II5 

voit  jamais  été  sur  les  lieux ,  dont  la  situation 
lai  étoit  inconnue  :  car  quel  homme  sensé  cîioi- 
sira  pour  sa  retraite  un  défilé  qui  passe  par  des 
rochers  escarpés  dont  l'ennemi  est  le  maître  ? 
Ces  lieux  tout-à-fait  contraires  par  leur  posi- 
tion aux  manœuvres  que  les  Autrichiens  et  les 
Saxons  avoient  dessein  d'y  faire  ,  furent  les 
vraies  causes  des  malheurs  que  ces  derniers  y 
éprouvèrent;  tant  l'étude  du  terrain  est  impor- 
tante, tant  la  situation  des  lieux  décide  des  en- 
treprises  militaires  et  de  la  fortune  des  Etats. 
Le  roi  de  Pologne  fut  du  haut  du  Kœnigstein 
spectateur  de  la  situation  déplorable  où  se 
trouvoient  ses  troupes,  manquant  de  pain,  en- 
tourées d'ennemis,  et  ne  pouvant  pas  même  par 
une  résolution  désespérée  se  faire  jour  aux  dé- 
pens de  leur  sang ,  parce  que  toute  ressource 
leur  étoit  ôtée;  pour  ne  les  point  voir  périr  de 
faim  et  de  misère ,  il  fut  obligé  de  consentir 
qu'elles  se  rendissent  prisonnières  de  guerre,  et 
qu'elles  missent  bas  les  armes. 

Le  comte  Rutowsky  fut  chargé  de  dresser 
cette  triste  capitulation.  Tout  ce  corps  se  rendit, 
et  les  officiers  s'engagèrent  sur  leur  honneur  à 
ne  plus  servir  contre  les  Prussiens  dui'ant  cette 

H  o 


Il6  HIST.   DE    LA    GUERRE 

guerre;  comme  on  comptoit  sur  leur  paroîe, 
on  les  relâcha.  Pour  ne  point  humilier  un  en- 
nemi vaincu  ,  le  R.oi  fit  rendre  au  roi  de  Po- 
logne les  drapeaux,  les  étendards  et  les  timba- 
les qui  appartenoient  à  ses  troupes  ;  il  consen- 
tit aussi  d'accorder  la  neutralité  à  la  forteresse  de 
Kœnigstein.  Mais  dans  le  temps  même  qu'il 
tâchoit  d'adoucir  le  sort  du  roi  de  Pologne  , 
celui  -  ci  concluoit  en  secret  un  traité  avec 
i'Impératrice-reine  ,  par  lequel  il  lui  cédoit , 
moyennant  un  certain  subside,  4  régimens  de 
dragons  et  q  pulks  d'ulans,  qu'il  entretenoit 
en  Pologne  :  ces  procédés  ne  servoient  qu'à 
justifier  la  conduite  que  les  Prussiens  avoient 
tenue  jusqu'alors.  Le  roi  de  Pologne ,  dé- 
goûté de  la  guerre  plus  que  jamais  après  la 
scène  qui  venoit  de  se  passer,  demanda  le  libre 
passage  pour  sa  personne ,  afin  d'aller  s'établir 
en  Pologne;  non-seulement  on  le  lui  accorda, 
mais  on  poussa  l'attention  jusqu'à  faire  retirer 
toutes  les  troupes  prussiennes  qui  se  trouvoient 
sur  son  passage ,  pour  dérober  à  sa  vue  des  objets 
qui  ne  pou  voient  que  lui  faire  de  la  peine.  Il 
partit  le  18  avec  ses  deux  fils  et  son  ministre 
pour  Varsovie. 


DE     SEPT     ANS.  II7 

Larmée  saxonne  qui  venoit  de  se  rendre 
consistoit  en  17,000  têtes;  l'artillerie  qu'on  prit 
passa  80  pièces  de  canon.  Le  Roi  distribua 
ces  troupes ,  et  en  forma  vingt  nouveaux  ba- 
taillons d'infanterie  :  mais  il  commit  la  faute  de 
n'y  point  mêler  de  ses  sujets,  à  l'exception  des 
officiers ,  qui  étoient  tous  de  ses  Etats  ;  cette 
faute  influa  dans  la  suite  sur  le  peu  d'usage 
qu'on  tira  de  ces  régimens ,  et  sur  les  mauvais 
services  qu'ils  rendirent.  Après  la  reddition 
des  Saxons  le  Roi  retourna  en  Bohème ,  pour 
en  retirer  son  armée.  Le  maréchal  Keith  quitta 
le  Q3  le  camp  de  Lowositz,  et  se  replia  sur 
Linay,  sans  que  l'ennemi  le  suivît;  le  régiment 
d'Itzenplitz  5  qui  gardoit  un  gué  de  l'Elbe  au 
village  de  Solesel ,  fut  attaqué  cette  nuit  même, 
et  se  défendit  si  bien ,  cjue  non  content  de  re- 
pousser l'ennemi  ,  il  lui  fit  encore  des  prison- 
niers. De  Linay  larmée  continua  paisiblement 
sa  marche  par  Nœllendorf,  Schœnwalde ,  Gis- 
hubel  5  et  arriva  le  30  en  Saxe  :  le  Roi  la  fit 
cantonner  entre  Pirna  et  les  frontières  de  la 
Bohème. 

En  même  temps  que  l'armée  du  Roi  entroit 
en  Saxe  ,  le  maréchal  de  Schwérin  quittoit  les 

H  3 


llS  HIST.    BE    I.A    GUERRE 

environs  de  Kœnigsgrzelz  et  se  retiroit  en  Silésie. 
Comme  il  étoit  en  marche  vers  Skalitz,  il  fut 
suivi  par  quelques  milliers  de  Hongrois ,  qui 
harceloient  son  arrière -garde.  Le  Maréchal, 
Kovem-  qui  n'entencloit  pas  raillerie,  se  mit  à  la  tête 

bre.  "■  ... 

d'une  partie  de  sa  cavalerie ,  fondit  brusquement 
sur  eux ,  les  défit ,  et  les  poursuivit  jusqu'à 
Smirsitz,  après  quoi  il  reprit  tranquillement  sa 
marche ,  et  se  trouva  avec  son  armée  le  q  de 
Novembre  sur  la  frontière  de  la  Silésie. 

La  tranquillité  dans  laquelle  se  tinrent  les 
ennemis  perm.it  de  faire  entrer  de  bonne  heure 
les  troupes  dans  leurs  quartiers  ;  on  forma  le 
cordon  pour  les  quartiers  d'hiver.  Le  prince 
Maurice  eut  le  commandement  de  la  division 
qu'on  envoya  à  Chemnitz  etàZwickau,  d'où 
il  envoya  des  détachemens  pour  garder  les  gor- 
ges de  la  Bohème ,  et  fit  retrancher  les  postes 
d'Ausche,  d'Oelsnitz,  et  du  Basberg  :  Pvî.  de 
Hulsen  commandoit  les  brigades  de  Freyberg 
et  de  Dippoldisvvalde ,  et  tenoit  les  postes  de 
Sayda  3  de  Frauenberg,  et  d'Einsidel.  Le  Roi 
confia  à  M.  de  Zastrovv  la  gorge  de  Gishubel, 
et  le  passage  de  Hœhlendorf  ;  de  là,  en  passant 
rElbCj  le  cordon  prenoit  de  Dresde  par  Bi-^ 


BE     SEPT     ANS.  lig 

schofsvverda  jusqu'à  Bautzen  ,  où  une  tête  de 
10  bataillons  et  d'autant  d'escadrons  étoit  prête 
à  porter  des  secours  où  le  besoin  le  demande- 
roit.  M.  de  Lestvvitz  se  tenoit  à  Zittau  avec  6 
bataillons;  pour  assurer  sa  communication,  il 
avoit  des  détachemens  à  Hirsclifelde ,  Ostritz , 
et  Marienthal.  Le  prince  de  Bévern  avoit  les 
postes  de  Gœrlitz  et  de  Lauban  sous  ses  ordres , 
avec  10  bataillons  et  35  escadrons.  M.  de 
Winterfeld  et  le  prince  de  Wurtemberg ,  qui 
allèrent  avec  un  détachement  en  Silésie,  conti- 
nuoient  le  cordon ,  en  prenant  de  Greifîenberg 
et  Hirschberg,  à  Landshut  et  Friedland.  M.  de 
Fouquet  couvroit  le  comté  de  Glatz;  un  autre 
corps  de  l'armée  du  maréchal  de  Schvvérin  hi- 
verna du  côté  de  Neustadt,  et  servit  à  couvrir 
la  haute  Silésie  contre  les  incursions  que  les 
Impériaux  auroient  pu  y  faire  de  la  Moravie. 

Ce  fut  dans  cette  disposition  que  les  troupes 
prussiennes  passèrent  l'hiver  de  1736  à  1737. 


H  4 


120  HIST.    DE    LA    GUERRE  ' 


CHAPITRE    V. 

i)e  Vhi^cr  de  1756  à  1757. 


L 


1'  I N  VA  s  I  o  N  des  Prussiens  en  Saxe  causa  une 
vive  sensation  en  Europe;  plusieurs  cours  n'en 
savoient  pas   les  raisons ,    ou  ,  ne  voulant  pas 
même  les  connoître,  blâmoient  et  désapprou- 
voient  la  conduite  du  Roi,  Le  roi  de  Pologne 
crioit  contre  la  violence  des  Prussiens;  ses  mi- 
nistres dans  les  cours  étrangères  exagéroient  les 
maux  de  la  Saxe ,  envenimoient  et  calomnioient 
les  démarches  les  plus  innocentes  du  Roi.  Ces 
clameurs  retentissoient  à  Versailles ,  à  Péter- 
bourg  j    et    par    toute    l'Europe.    Le    roi    de 
France  étoit  déjà  piqué  de  ce   que  le  roi   de 
Prusse  ,    au  lieu   de   renouveler   le   traité    de 
Versailles ,  venoit  de  conclure  avec  le  roi  d'An- 
gleterre l'alliance  de  Londres.   D'un  côté  ,  les 
ministres  autrichiens  aigrissoient  l'esprit  de  la 
nation  fiançoise,  pour  l'entraîner  dans  la  guerre 
d'Allemagne;  d'un  autre,  on  se  servoit  des  lar- 
mes de  la  Daupliine  pour  émouvoir  la  com- 


.       DE    SEPT    ANS,  121 

passion  de  Louis  XV ,  afin  qu'il  prît  le  parti  du 
roi  de  Pologne.  Le  roi  très- Chrétien  se  ren- 
dit à  d'aussi  vives  sollicitations,  et  résolut  de 
porter  la  guerre  en  Allemagne.  Il  ne  suspendit 
les  effets  de  cette  démarche  que  pour  la  colojer 
par  un  prétexte  apparent  et  naturel;  M.  de 
Broglio ,  ambassadeur  de  France  en  Saxe ,  eut 
ordre  de  le  fournir  ,  en  donnant  lieu  aux 
Prussiens  d'insulter  à  son  caractère.  C'étoit 
l'homme  le  plus  propre  qu'on  pût  choisir  pour 
brouiller  des  cours.  La  commission  dont  il 
étoit    chargé   donna  lieu  à  la  conduite  bizarre 

o 

qu'il  tint  pendant  que  les  Saxons  étoient  blo- 
qués dans  leur  camp  de  Pirna.  Il  étoit  demeuré 
à  Dresde  ;  il  voulut  à  différentes  reprises  se  ren- 
dre  à  Struppen  auprès    du  roi    de   Pologne  : 
quoique    cela    fat    généralement    défendu ,   il 
voulut  forcer  les  gardes ,  pour  s'attirer  des  vio- 
lences de  leur  part;  il  essaya  inutilement  de  pas- 
ser la  chaîne  des  vedettes;  on  lui  opposa,  toutes 
les  fois  qu'il  tenta  de  le  faire ,  tant  de  politesse 
et  tant  de  fermeté,  qu'il  ne  put  se  rendre  au- 
près du  roi  de  Pologne ,  ni  trouver  un  prétexte 
léger  pour  brouiller  le  roi  de  Prusse  et  le  roi 
de  France.    Cela  impatienta  la  coui  de  Ver- 


122  HIST.    DE    LA    GUERE.E 

sailles  ,  qui,  sans  chercher  d'autres  détours,  ren- 
voya M.  de  Knyphausen,  ministre  prussien  à 
Paris  ,  et  rappela  M.  de  Valori  qui  résidoit  à 
Berlin.  Cette  démarche  d'éclat  obHgea  le  Roi, 
à  son  retour  de  Bohème ,  de  faire  signifier  à  M. 
de  Broglio  à  Dresde,  où  le  Roi  établissoit  son 
quartier,  que  toute  intelligence  venant  d'être 
rompue  entre  les  deux  cours  par  le  rappel  des 
mmistres,  il  n'étoit  plus  séant  qu'un  ambassa- 
deur de  P'rance  résidât  dans  un  lieu  où  se 
trouvoit  Sa  Majesté,  et  qu'il  n'avoit  qu'à  se  pré- 
parer à  partir  incessamment  pour  aller  trouver 
le  roi  de  Pologne,  auprès  duquel  il  étoit  ac- 
crédité. M.  de  Broglio  reçut  cette  déclaration 
avec  cet  air  de  dignité  et  de  hauteur  que  les  mi- 
nistres François  savent  prendre  lorsqu'ils  se  sou- 
viennent des  belles  années  de  Louis  XP/.  Ce- 
pendant il  n'en  partit  pas  moins  promptement 
pour  Varsovie.  La  cour  de  Versailles,  qui  vou- 
loit  la  rupture  ,  et  qui ,  ayant  perdu  de  vue  le 
point  fixe  de  sa  politique  de  pousser  la  guerre 
par  mer  contre  les  Anglois,  ne  se  conduisoit  que 
par  ses  caprices  et  des  impulsions  étrangères, 
déclara  qu'elle  regardoit  l'invasion  des  Prussiens 
en  Saxe  comme  une  violation  de  la  paix  de 


DE    SEPT    ANS.  I23 

Wesîphalie,  dont  elle  étoit  garante;  elle  crut 
le  prétexte  de  cette  garantie  suffisant  pour  se 
mêler  de  cette  guerre,  et  pour  y  entraîner 
même  les  Suédois.  L'abbé  de  Bernis  ,  qui 
avoit  été  le  promoteur  de  l'alliance  conclue 
avec  la  maison  d'Autriche ,  reçut  le  poste  qu'a- 
voit  eu  M.  Rouillé,  et  devint  ministre  des  af- 
faires étrangères.  Enfin  l'impétuosité  Françoise, 
qui  pousse  l'esprit  de  cette  nation  d'un  extrême 
à  l'autre ,  l'inconséquence  des  ministres  ,  l'ani- 
mosité  dont  le  roi  de  France  étoit  déjà  rempli 
contre  le  roi  de  Prusse  ,  la  nouveauté  et  la 
mode,  accréditèrent  tellement  à  la  cour  cette 
alliance  des  Autrichiens ,  qu'on  la  considéroit 
comme  un  chef-d'œuvre  de  politique.  Les  mi- 
nistres impériaux  étoient  seuls  à  la  mode;  et  ils 
se  servirent  si  adroitement  de  l'influence  qu'ils 
avoient  dans  le  conseil  de  Louis  XV",  qu'au 
lieu  de  04,000  hommes  d'auxiliaires  que  la 
France  étoit  obligée  de  donner  à  l'Impératrice- 
icine ,  ils  intriguèrent  si  bien,  que  le  printemps 
suivant  100,000  François  passèrent  le  Rhin. 
Bientôt  les  Suédois  furent  sommés  par  le  mi- 
nistère de  Versailles  de  remplir  la  garantie  du 
traité  de  ^yestphalie.  Le  sénat  de  cette  nation 


124  HIST.    DE    LA    GUERRE 

étoit  depuis  long-temps  aux  gages  de  la  Fran- 
ce. Quoique  jes  constitutions  du  royaume  dé- 
fendent en  termes  exprés  et  positifs  de  ne  point 
déclarer  la  guerre  sans  le  consentement  des  trois 
ordres  qui  forment  la  diète  ou  les  états  géné- 
raux 5  les  partisans  de  la  France  violèrent  cette 
loi  fondamentale ,  et  passant  par-dessus  toutes  les 
formalités  usitées  en  pareils  cas ,  ils  adoptèrent 
aveuglément  les  mesures  que  le  roi  de  France 
leur  prescrivoit.  Pendant  que  la  cour  de  Ver- 
sailles préparoit  si  laborieusement  les  moyens 
de  bouleverser  l'Allemagne ,  un  fou  pensa  cau- 
ser une  révolution  en  France;  c'étoit  un  fana- 
tique obscur,  qui,  ayant  servi  en  qualité  de  do- 
mestique dans  un  couvent  de  Jésuites  en  Flan- 
dre ,  se  proposa  d'assassiner  Louis  XV.  Ce  mal- 
heureux, nommé  Damiens,  se  rendit  à  Versailles, 
pour  y  épier  le  moment  d'exécuter  son  abo- 
minable projet.  Un  soir  que  le  Roi  devoit 
partir  pour  Choisi ,  cet  insensé  se  glisse  dans 
la  foule,  approche  du  Ro-i  par  derrière,  et  lui 
plonge  son  couteau  dans  le  côté.  Il  fut  arrêté 
sur  le  champ.  La  blessure  du  monarque  fut 
trouvée  légère.  Le  parlement  se  saisit  du  coupa- 
ble ;  les  prisons  furent  remplies  de  personnes 


DE    SEPT    ANS.  125 

qu'il  avoît  chargées  par  ses  dépositions,  mais 
qui   étant   innocentes   recouvrèrent  la  liberté  ; 
et  jusqu'à  présent  le  public  n'a  été  instruit  que 
vaguement  des  motifs  qui  ont  porté  ce  monstre 
à  cet  attentat  atroce.   La  cour  de  Vienne ,  qui 
agissoit  si  puissamment  à  Versailles ,  n'étoit  pas 
moins    diligente   à  intriguer    chez    les    autres 
puissances  de  l'Europe;  elle  dépeignoit  à  Pé- 
terbourg  l'entrée  des  Prussiens  en  Saxe  sous  les 
couleurs  les  plus  noires  :  c'étoit  une  injure  faite 
à  la  Russie  ;  c'étoit  braver  les  forces  de  cet  em- 
pire; c'étoit  un  mépris  manifeste  des  garanties 
que  l'impératrice  Elisabeth   avoit  données  au 
roi  de  Pologne  de  son  électorat.  Pour  appuyer 
ces  insinuations ,  les  Autrichiens  prodiguoientà 
Péterbourg  les  calomnies  contre  la  Prusse,  et 
les  sommes  d'argent   qu'ils  y  répandoient   ne 
furent  pas  inutiles  à  leur  dessein.  Pour  hâter  la 
marche  des  troupes  russes ,  l'Impératrice-reine 
promit  de  payer  annuellement  un  subside  de 
deux  millions  d'écus  à  l'impératrice  Elisabeth: 
cette  somme   étoit   proprement  payée  par  la 
France  ;  c'étoit  l'évaluation  du  contingent  qu'elle 
•devoit  à  l'Autriche,   qui  par  ce  subside  enga- 
geoit  la  Russie  à  déclarer  la  guerre  à  la  Prusse. 


126  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Cependant  les  ministres  de  l'Impératrice- 
reine  ne  travailloient  pas  avec  moins  de  zèle 
à  Ratisbonne  pour  engager  dans  ces  trou- 
bles  les  Etats  de  l'Empire  ;  de  leur  côté  les 
François  intimidèrent  la  diète  par  leurs  me- 
naces,  au  point  qu'elle  souscrivit  aveuglément 
aux  volontés  de  la  cour  de  Vienne  :  il  fut 
résolu  par  les  conclusions  de  cette  diète  que  le 
S,  Empire  formeroit  ime  armée  d'exécution  , 
qui  s'âvanceroit  tout  droit  dans  l'électorat  de 
Brandebourg.  Le  commandement  de  cette 
armée  fut  décerné  au  prince  de  Hildbourghau- 
sen,  maréchal  au  service  d'Autriche.  Alors  le 
fiscal  de  l'Empire  se  mit  sur  les  ranp-s;  il  avan- 
ça que  les  rois  de  Prusse  et  d'Angleterre  dé- 
voient être  mis  au  ban  de  l'Empire  :  quelques 
princes  représentèrent  que  ,  si  autrefois  l'élec- 
teur de  Bavière  avoit  été  condamné  à  ce  ban, 
cela  ne  s'étoit  fait  qu'après  sa  défaite  à  la 
bataille  de  Hcechstsedt,  et  que  dès  que  les  ar- 
mées impériales  en  auroient  gagné  de  pareilles , 
il  seroit-  libre  à  chacun  de  procéder  contre  les 
deux  Rois.  La  France  comprit  que  si  l'on 
se  précipitoit  à  publier  cet  arrêt,  la  cour  de 
Vienne  commettroit  sa  dignité,  et  qu'il  y  au- 


DE    SEPT    ANS.  loy 

roit  à  craindre  de  plus,  que  les  deux  Rois  et 
leurs  adhérens  ne  se  séparassent  entièrement  du 
saint  Empire  romain;  ils  firent  toutes  ces  repré- 
sentations à  Vienne,  et  conseillèrent  à  la  Reine 
d'attendre  les  succès  de  la  fortune,  pour  penser 
ensuite  aux  mesures  ultérieures  qu'elle  auroit 
à  prendre.  Quoique  cet  avis  prévalût ,  cela 
n'empêcha  pas  le  fiscal  d'agir  avec  une  indé- 
cence et  une  grossièreté  insupportables  contre 
des  Rois ,  envers  lesquels  des  ennemis  même 
observent  communément  des  procédés  honnê- 
tes et  respectueux.  Il  auroit  été  difficile  de  ré- 
pondre aux  écrits  injurieux  et  amers  de  cette 
diète  5  si  M.  de  Plotho ,  ministre  du  Roi  à  Ra- 
tisbonne,  n'eût  pas  eu  le  talent  et  l'adresse  de 
tremper  sa  plume  dans  le  même  fiel.  Le  style 
de  la  cour  impériale  n'étoit  pas  plus  doux:  ou 
le  distinguoit   néanmoins   des   écrits    du  fiscal 

o 

par  des  insolences  pleines  de  fierté  et  par  quel- 
que chose  de  plus  piquant,  mêlé  d'arrogance 
et  de  hauteur.  Le  Roi,  indigné  contre  ces  pro- 
cédés, fit  insinuer  à  l'Impératrice  qu'on  pou- 
voit  être  ennemi  sans  se  dire  des  injures;  qu'il 
suffisoit  aux  souverains  de  vider  leurs  débats 
par  répée,  sans  prostituer  leur  dignité  par  des 


128  HIST.    DE    LA    GUERRE 

écrits  en  style  des  halles  :  ces  remontrances  fu- 
rent long-temps  vaines,  et  n'acquirent  du  poids 
qu'après  le  gain  de  quelques  batailles. 

Tandis  que  toute  l'Europe  s'armoit  contre 
les  rois  de  Prusse  et  de  la  Grande  -  Bretagne  , 
l'Angleterre  se  trouvoit  dans  une  subversion 
générale,  qui  engourdissoit  le  gouvernement, 
et  seroit  devenue  préjudiciable  aux  intérêts  de 
la  nation ,  si  des  changemens  survenus  à  pro- 
pos n'avoient  encore  à  temps  redressé  les  cho- 
ses. Les  dissensions  domestiques  qui  agitoient 

r 

l'intérieur  de  l'Etat,  étoient  fomentées  par  le 
duc  de  Cumberland ,  qui  se  flattoit  de  par- 
venir à  remplir  de  ses  créatures  les  premiers 
L'hiver  postes  :  c'étoit  lui  qui  avoit  soulevé  la  nation 
ce  i;jo  (-QiTj^pg  }gg  François;  c'étoit  lui  qui  avoit  allu- 
mé  la  guerre ,  dans  l'espérance  que  le  ministère 
ne  pourroit  pas  se  soutenir  en  un  temps  de 
trouble.  Les  premières  entreprises  des  Anglois 
tournèrent  si  mal,  qu'ils  perdirent  Port-Ma- 
hon  ;  ce  fut  là  le  prétexte  dont  se  servit  le  \ 
parti  de  ce  prince,  pour  taxer  le  duc  de  Nevv- 
castle  de  malhabileté.  A  l'ouverture  du  par- 
lement les  esprits  s'échauffèrent,  Fanimosité  des 
partis  redoubla  5  et  tant  de  ressorts  furent  mis 

en 


DE     SEPT    ANS*  129 

tn  œuvre  par  les  intrigues  du  duc  de  Cum- 
berland  ,  que  le  duc  de  Newcasde  ,  fatigué 
par  la  faction  plutôt  que  vaincu,  résigna  ses 
emplois;  le  parti  de  Cumberîand',  triomphant, 
fit  donner  les  sceaux  au  S*".  Fox,  créature  du 
Prince.  Cependant  ce  nouvel  arrangement 
ne  put  se  soutenir;  M.  Fox  quitta  de  lui-mê- 
me cette  place  qu'on  lui  avoit  fait  obtenir  par 
tant  d'intrigues,  et  le  duc  de  Newcastle  ren- 
tra dans  ses  charges.  Ces  déplacemens  de 
ministres  n'auroient  cependant  pas  tiré  à  con- 
séquence ,  s'il  n'en  avoit  résulté  une  espèce 
d'inaction  et  de  léthargie  dans  les  affaires  :  les 

o 

ministres  et  les  grands  étoient  plus  occupés  de 
l'intérêt  de  leurs  factions ,  que  des  mesures  à 
prendre  contre  la  France.  Plus  animés  contre 
leurs  compétiteurs  que  contre  les  ennemis  de 
la  nation,  ils  ne  prenoient  aucune  mesure  pour 
la  campagne  prochaine.  Personne  ne  pensoit 
à  former  des  projets  pour  la  guerre  de  mer 
jusqu'alors  malheureuse,  encore  moins  pour  la 
guerre  qui  étoit  sur  le  point  d'embraser  l'Alle- 
magne. Ce  qui  intéressoit  le  plus  le  Roi  dans 
ce  moment,  c'étoit  de  faire  prendre  aux  An- 
glois  des  mesures  relatives  à  la  guerre  du  con- 
Tome  ///.  I 


130  HIST.    BE    LA    GUERRE 

tinent;  et  comme  il  prévoyoit  en  gros  sur  quoi 
pourroient   rouler   les    opérations    de    l'armée 
françoise    dans    l'Empire  y   il    envoya    au    roi 
d'Angleterre  un  projet  qu'il  avoit  dressé  pour 
la  défense  commune  de  l'Allemagne.  Ce  mé^ 
moire   rouloit  sur  les  points  suivans  :  il  pro- 
posoit  de  maintenir  Wésel,  pour  en  faire  la 
place  d'armes  des  alliés ,  par  où  l'on  restoit  le 
maître  de  passer  le  Rhin;  il  demancloit  qu'on 
assemblât  l'armée  en  un  lieu  convenable  derriè- 
re la  Lippe  entre  Wésel  et  Lippstadt  ;  cette  posi- 
tion donnoit  lavantage  de  porter  les  troupes  se- 
lon le  besoin,  soit  vers  le  Kbin,  soit  vers  le  Wéser, 
De  plus,  si  les  François  marchoient  en  Hesse, 
l'armée  de  la  Lippe ,  en  s'avançant  vers  Franc-  ■ 
fort,   les  obligeoit  à  quitter  prise,   et  en  at- 
tendant  que    les   opérations    auroient    éloigné 
du  Rhin  l'armée  alliée ,  la  forteresse  de  Wé- 
sel   auroit    assez    occupé    les    François ,    pour 
donner  le  temps  de  venir  â  son  secours;  d'ail- 
leurs, tant  que  cette  place  tenoit,  il  n'étoit  pas 
à  présumer  que  les  troupes  françoises  du  bas 
Rhin  s'enfonçassent  trop  dans  la  Westphalie. 
Le  roi  d'Angleterre,  qui  s'étoit  peu  appliqué 
1  ces  sortes  de  matières ,  lut  le  projet  sans  en 


DE     SEPTANS.  I3I 

comprendre  l'importance ,  et  comme  il  y  étoit 
question  de  soutenir  Wésel ,  il  se  défia  des  rai- 
sons dont  le  roi  de  Prusse  se  servoi't;  il  avoit 
en  revanche  une  confiance  entière  en  ses  mi- 
nistres de  Hanovre  ,  qui  ne  cessoient  de  lui 
représenter  qu'il  falloit  se  borner  à  la  défense 
du  Wéser.  Cette  idée  étoit  fausse  en  tout  sens, 
parce  que  le  Wéser  est  presque  généralement 
guéable  et  que  sa  rive  opposée  à  Télectorat 
de  Hanovre  domine  l'autre ,  de  sorte  que  la  na- 
ture n'a  pas  voulu,  quoi  qu'en  pût  dire  M.  de 
Munchhausen  5  que  jamais  général  habile  se 
servît  de  cette  rivière  dans  le  sens  qu'il  propo- 
soit.  Son  avis  prévalut  néanmoins,  et  tout  ce 
qu'on  put  obtenir  du  roi  d'Angleterre  fut 
qu'il  consentît  à  faire  repasser  les  troupes  hano- 
vriennes  et  hessoises  en  Allemagne.  Le  man- 
que d'harmonie  entre  le  Roi,  les  Anglois  et 
les  Hanovriens  mit  le  premier  dans  le  cas  de 
prendre  des  mesures  difterentes  de  celles  qu'il 
avoit  imaîjinées  pour  le  duché  de  Clèves  et  la 
forteresse  de  Wésel:  obligé  d'abandonner  cette 
place,  il  donna  des  ordres  pour  qu'on  ruinât 
une  partie  des  ouvrages;  il  ht  transporter  par 
mer  à  Mogdebourg  la  nombreuse  artillerie  qui 

I  2 


132  HIST.    DE    LA    GUERRE 

garnissoit  les  remparts;  et  la  garnison  eut  ordre 
d'évacuer  la  ville,  et  de  se  retirer  à  Bielefeld, 
pour  se  joindre  au  printemps  à  l'armée  alliée, 
qui  devoit  s'y  assembler  sous  les  ordres  du  duc 
de  Cumberland.  Après  la  preuve  que  les  mi- 
nistres de  Hanovre  avoient  donnée  du  crédit 
qu'ils  avoient  sur  l'esprit  du  roi  d'Angleterre , 
il  étoit  clair  que  pour  aller  à  la  source  d'où 
partoient  les  résolutions,  il  falloit  s'adresser  à 
eux.  On  avoit  tout  à  craindre  pour  l'armée 
du  duc  de  Cumberland ,  moins  commandée 
par  ce  prince  que  par  un  tas  de  jurisconsultes 
qui  n'avoient  jamais  vu  de  camp,  ni  lu  de  livre 
qui  traitât  de  l'art  militaire,  mais  se  croyoient 
égaux  aux  Marlborougli  et  aux  Eugène.  Les 
intérêts  du  Roi  étoient  trop  liés  avec  ceux 
du  roi  d'Angleterre  ,  pour  qu'il  vît  de  sang 
froid  le  mauvais  parti  qu'on  alloit  prendre  :  se 
flattant  de  le  prévenir,  il  envoya  M.  de  Schmet- 
tau  à  Hanovre.  Ce  général  fit  à  ces  magistrats 
présomptueux  et  ignorans  les  représentations 
les  plus  énergiques ,  pour  les  faire  renoncer  au 
projet  de  campagne  qu'ils  avoient  formé  ;  il 
leur  en  démontra  les  défauts  ;  il  leur  en  prédit 
les   conséquences  ,  mais  le  tout  en  vain  ;    s'il 


BE    SEPT     ANS.  133 

leur  avoit  parlé  arabe ,  ils  l'auroient  tout  autant 
compris.  Ces  ministres  ,  dont  l'esprit  étoit 
resserré  dans  une  sphère  étroite,  ne  savoient  pas 
assez  de  dialectique  pour  suivre  un  raisonne- 
ment militaire;  leur  peu  de  lumières  les  rendoit 
méfians,  et  la  crainte  d'être  trompés  dans  une 
matière  qui  leur  étoit  inconnue,  augmentoit 
l'opiniâtreté  naturelle  avec  laquelle  ils  sou- 
tenoient  leurs  opinions  :  toutes  ces  raisons 
rendirent  la  mission  de  M.  de  Sçhmettau  in- 
fructueuse. 

Les  François,  plus  fins  qu'eux,  leur  avoient 
persuadé  fermement  qu'ils  ne  vouloient  que 
traverser  leur  pays;  que  leur  projet  de  campa* 
gne  n'étoit  calculé  que  contre  le  roi  de  Prusse; 
qu'en  un  mot  ils  vouloient  assiéger  Magde- 
bourg,  et  que  pourvu  que  les  Hanovriens  se 
tinssent  spectateurs  tranquilles  de  cette  scène 
durant  le  cours  des  opérations  de  la  campagne , 
leur  pays  seroit  épargné,  et  leurs  personnes  en 
considération.  Ces  ministres  furent  la  dupe  de 
leur  crédulité,  et  les  François  les  punirent  de  la 
perfidie  qu'ils  vouloient  commettre  envers  le 
roi  de  Prusse,  comme  on  le  verra  dans  le  récit 
de  la  campagne  prochaine, 

13 


134  HIST    DE    LA    GUERRE 

Pendant  que  toutes  ces  négociations  agi- 
toient  l'Europe,  le  Roi  étoit  à  Dresde,  où  la 
reine  de  Pologne  lui  donnoit  d'autres  embar- 
ras. Cette  princesse ,  en  faisant  complimenter 
tous 'les  jours  le  Roi  par  son  grand -maître  le 
com.te  de  Ouestenberg,  en  lui  prodiguant  des 
assurances  d'amitié,  entretenoit  des  intelligen- 
ces secrètes  avec  les  généraux  autrichiens  ,  et 
les  avertissoit  de  tout  ce  qu'elle  étoit  à  portée 
d'apprendre,.  Ces  iricnées  donnèrent  lieu  aux 
précautions  que  l'on  prit  pour  découvrir  la 
correspondance.  Comme  on  fouilloit  exacte- 
ment aux  portes  tous  les  ballots  ,  toutes  les 
marchandises  et  les  paquets  qui  venoient  de 
Bohème,  on  ouvrit  un  jour  une  caisse  de  bou- 
dins adressés  à  Madame  Ogilvi,  grande-maî- 
tresse de  la  Reine ,  qui  avoit  des  terres  aux  en^ 
virons  de  Leutmeritz;  en  examinant  ces  bou- 
dins on  les  trouva  tous  farcis  de  lettres.  Cette 
découverte  rendit  la  cour  plus  retenue  dans  ses 
correspondances.  Cependant  le  même  train 
continuoit  toujours ,  avec  la  différence  qu'on 
s'y  prenoit  avec  plus  de  finesse.  Ce  n'étoit  pas 
à  quoi  se  bornoit  la  mauvaise  volonté  de  la 
Reine;  car  elle   envoyoit  des  émissaires  dana 


DE     SEPT    ANS.  135 

toutes  les  garnisons  où  le  Roi  formoit  ces  récri- 

^  o 

jîiens  nouvellement  levés  des  Saxons  pris  au 
Lîlienstein;  elle  les  faisoit  exciter  à  la  sédition, 
à  la  révolte  et  à  la  désertion.  Elle  en  débaucha 
beaucoup ,  et  fut  cause  qu'au  commencement 
de  la  campagne  des  corps  entiers  se  soulevè- 
rent et  passèrent  du  côté  des  ennemis.  Le  des- 
.  sein  du  roi  de  Polog;ne  et  de  ses  alliés  étoit 
de  rétablir  ces  corps  en  Hongrie,  pour  les  met- 
tre sur  le  pied  où  ils  étoient  avant  que  les  Prus- 
siens les  prissent  :  ils  assemblèrent  des  soldats  ; 
mais  manquant  d'officiers,  ils  eurent  recours  à 
un  moyen  dont  l'histoire  ne  fournit  aucun 
exemple  de  la  part  de  princes  laïques.  On 
dispensa  les  officiers  saxons  de  la  parole  d'hon- 
neur qu'ils  avoient  donnée  aux  Prussiens  de 
île  plus  servir  contre  eux,  et  plusieurs  officiers 
furent  assez  lâches  pour  obéir.  Dans  des  siècles 
d'ignorance  on  trouve  des  papes  qui  relevoient 
les  peuples  du  serment  de  fidélité  qu'ils  avoient 
prêté  à  leurs  souverains  ;  on  trouve  un  cardi- 
nal Julien  Césarini  qui  oblige  un  Ladislas ,  roi 
de  Hongrie,  à  violer  la  paix  qu'il  avoit  jurée 
à  Soliman.  Ce  crime,  qui  autorisa  le  parjure, 
li'avoit    été    que    celui    de   quelques   pontifes 

14 


136  HIST.    DE    LA    GUERRE 

ambitieux  et  implacables ,  mais  jamais  celui 
des  rois,  chez  lesquels  on  devroic  retrouver  la 
bonne  foi ,  fût  -  elle  bannie  du  reste  de  la 
terre.  Si  j'insiste  sur  de  pareils  traits ,  c'est 
qu'ils  caractérisent  l'esprit  d'animosité  et  l'a- 
charnement opiniâtre  qui  régnoient  dans  cette 
guerre ,  et  qui  la  distinguent  de  toutes  les 
autres.  Cependant  la  France  et  l'Autriche  ne 
retirèrent  pas  de  ces  régimens  saxons  les  servi- 
ces qu'ils  en  attendoient  ;  ils  en  furent  pour 
leur  argent  et  pour  leur  dispense. 

Dans  cette  effervescence  générale  les  trou- 
pes ennemies  ne  furent  pas  plus  tranquilles 
dans  leurs  quartiers,  que  les  négociateurs  ne 
l'étoient  pour  leurs  intrigues.  Les  corps  cjue 
le  Roi  avoit  en  Lusace  furent  les  plus  exposés 
aux  entreprises  qu'on  forma  contre  eux.  Cette 
province  fait  du  côté  de  Zittau  une  espèce  de 
point  qui  s'enfonce  en  Bohème  et  va  toujours 
en  se  rétrécissant.  Les  Autrichiens  environnè- 
rent cette  partie  de  la  Saxe  par  de  gros  déta- 
chemens  qu'ils  avoient  à  Friedland ,  à  Gabel^ 
et  à  Rom.bours;.  Ces  détachemens ,  commandés 
par  de  jeunes  officiers  qui  cherchoient  avec  ar- 
deur les  occasions  de  se  distinguer  5  furent  presr 


DE     SEPT     ANS.  I37 

que  pendant  tout  Fliiver  en  campagne.  Le 
prince  de  Lœvvensteln  étoit  à  la  tête  do  l'un , 
et  M.  de  Lascy ,  fils  du  Maréchal ,  qui  avoit 
servi  avec  distinction  en  Russie ,  conduisoit  l'au- 
tre. Ils  entreprirent  tantôt  sur  le  poste  d'Os- 
tritz ,  tantôt  sur  celui  de  Hirschfeld  ou  de  Ma- 
rienthal,  et  quoiqu'ils  ne  parvinssent  point 
à  surprendre  les  officiers  prussiens  qui  défen- 
doient  ces  postes ,  ils  tuèrent  toutefois  du 
monde  inutilement.  M.  de  Blumenthal,  major 
au  régiment  Henri,  perdit  la  vie  dans  une  oc-* 
casion  pareille ,  et  plusieurs  soldats ,  dont  on 
auroit  pu  tirer  de  meilleurs  services,  y  périrent. 
Le  corps  de  M.  de  Lestvvitz  à  Zittau,  celui  du 
prince  de  Bévern  à  Gœrlitz,  furent  fatigués  par 
des  alertes  perpétuelles,  étant  obligés  d'envoyer 
des  secours  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre; 
l'inquiétude  et  l'activité  des  Autrichiens  les  tin- 
rent continuellement  sur  pied  et  en  action.  Mais 
les  ennemis  se  fortifièrent  dans  ces  environs  des 
troupes  de  Flandre  qui  venoient  joindre  leur 
armée  ;  à  la  longue  la  partie  seroit  devenue 
inégale ,  et  comme  il  falloit  nécessairement  des 
renforts  aux  Prussiens,  pour  qu'ils  se  soutinssent 
en  Lusace ,  le  Roi  y  fit  avancer  la  réserve  qui 


I3S  fîlST.    DE    LA    GUERRE 

jusqu'alors  avoit  occupé  en  Foméranie  la  partie 
de  cette  province  la  plus  voisine  de  la  Prusse. 
D'abord  la  destination  de  ces  troupes  avoit  été 
de  joindre  le  maréchal  de  Leliwald ,  pour  le 
mettre  plus  en  état  de  résister  à  l'armée  des 
Russes  ;  mais  le  besoin  le  plus  pressant  l'emporta 
sur  celui  qu'on  ne  voyoit  que  dans  Téloigne- 
ment  :  il  falloit  considérer  qu'en  partageant 
avec  trop  d'égalité  l'armée  en  trois  corps,  au- 
cun des  trois  ne  seroit  assez  fort  pour  frapper 
un  coup  vigoureux  et  décisif;  au  lieu  qu'en 
rassemblant  une  grosse  masse  en  Saxe,  on  pou- 
voit  espérer  de  remporter  dès  le  com^men- 
cement  de  la  campagne  un  avantage  assez 
considérable  sur  les  Impériaux  ,  pour  que 
leurs  alliés  en  fussent  étourdis ,  et  que  même 
quelques-uns  d'eux  se  désistassent  des  desseins 
de  guerre  et  de  conquête  qu'enfantoit  leur 
ambition. 

Les  régimens  prussiens  qui  venoient  de  la 
Poméranie  arrivèrent  vers  le  milieu  de  Mars  à 
Gœrlitz;  on  les  employa  à  fortifier  les  postes 
qui  n'étoient  pas  assez  garnis  de  troupes,  et  de- 
puis qu'ils  furent  en  Lusace,  les  ennemis  se 
tinrent  tranquilles. 


DE    SEP  T    ANS.  139 

Vers  ce  temps-là  le  Roi  fit  un  tour  en  Si- 
lésie  5  pour  s'aboucher  avec  le  maYechal  de 
Schwérin  ;  ils  se  virent  à  Haynau.  On  y  arrêta 
le  projet  de  la  campagne  prochaine,  et  l'on 
prit  les  mesures  les  plus  justes  pour  en  dérober 
la  connoissance  à  l'armée  même  ;  après  quoi  le 
Roi  retourna  en  Saxe ,  et  tout  s'y  prépara  , 
ainsi  qu'en  Silésie  ,  à  exécuter  ces  desseins  aussi- 
tôt que  la  saison  et  les  arrangemens  relatifs  aux 
subsistances  pourroient  le  permettre. 

CHAPITRE     VL 

Campagne  de  1757* 

X-jES  troupes  prussiennes  entrèrent  en  canton-  Avril. 
TxCment  sur  la  fin  de  Mars;  elles  étoient  par- 
tagées en  quatre  corps  dilTérens.  Le  prince 
Maurice  commandoit  aux  environs  de  Zwi- 
ckau  ;  le  Roi  avec  le  gros  de  l'armée  se  tenoit 
entre  Dresde,  Pirna^  Gishubel  et  Dippoldis^val- 
de;  le  prince  de  Bévern  avoit  rassemblé  aux 
environs  de  Zittau  le  corps  qui  avoit  hiverné 


140  HIST.   DE    LA    GUERRE 

en  Lusace ,  et  le  maréchal  de  Schvvérin  s*étoit 
avancé  avec  son  armée  sur  les  frontières  de  la 
Bohème  entre  Glatz,  Friedland   et  Landshut. 
Le   projet    de    campagne    qu'on    avoit    formé 
étoit  que  ces  quatre  corps ,  pénétrant  à  la  fois 
en    Bohème ,    arrivassent    par    différentes    di- 
rections à  Prague,  qui  leur  serviroit  de  point 
de  ralliement.   On  pouvoit  se  promettre  que 
ce  grand  mouvement  jetteroit  une  confusion 
étonnante  dans  les  difrérens  corps  des  ennemis 
répandus  dans  leurs  quartiers:  on  pouvoit  espé- 
rer d'en  surprendre  quelques  -  uns   et  d'avoir 
occasion  d'engager  des  affaires  particulières  avec 
les  autres ,  pour  en  faire  périr  une  partie  en 
détail  ;  ce  qui  donneroit  un  ascendant  et  une 
supériorité  aux  Prussiens  pour   le  reste  de  la 
campagne,  et  pourroit  les  mener  à  une  action 
décisive ,  dont  le  succès  fixeroit  le  sort  de  cette 
guerre.    Rien   n'étoit   plus   important    que  de 
cacher  ce  projet;  il  ne  pouvoit  réussir  qu'en  en 
dérobant  la  connoissance  et  le  soupçon  même 
aux  ennemis ,  et  à  la  cour  de  Saxe ,  qui  tra- 
hissoit  les  Prussiens ,  et  à  l'armée ,  pour  que 
l'imprudence  ne  le  divulguât   pas.   Afin  d'en 
imposer  également  à  tout  le  monde  5  en  fit  for- 


DE     SEPT     ANS.  141 

tifier  et  pallissader  la  ville  de  Dresde ,  pour  la 
mettre  en  état  de  défense.  Le  Roi  choisit  en  même 
temps  un  certain  nombre  de  camps  avantageux 
à  l'entour  de  Dresde,  comme  s'il  se  préparoit  à 
une  guerre  défensive.  Ces  camps  furent  mar- 
qués à  Cotta,  Maxen,  Possendorf,  au  Wind- 
berg  et  à  Moren.  Les  chasseurs  saxons  qu'on  y 
employa  n'eurent  rien  de  plus  pressé  que  d'en 
avertir  la  cour ,  et  la  reine  de  Pologne  ne 
manqua  pas  aussitôt  d'en  informer  les  généraux 
autrichiens.  On  ne  s'en  tint  pas  uniquement  à 
ces  fausses  démonstrations ,  et  pour  endormir 
davantage  les  généraux  ennemis ,  on  fit  quel- 
ques foibles  incursions  en  Bohème,  comme  si 
l'on  vouloit  se  venger  par  là  des  partis  que  les 
ennemis  avoient  envoyés  pendant  l'hiver  en 
Lusace ,  pour  inquiéter  les  Prussiens.  Dans 
cette  vue  le  prince  Maurice  fit  une  course  vers 
Éger;  le  maréchal  Keith  entreprit  à  Schlukenau 
un  détachement  autrichien ,  qui  ne  l'attendit 
pas  ;  le  prince  de  Bévern  surprit  à  Bœhmisch 
Friedland  400  fantassins  et  pandours ,  qui  se  ren- 
dirent prisonniers.  Toutes  ces  petites  entre- 
prises entretinrent  les  Impériaux  dans  leur  sécu- 
rité; il»  se  persuadèrent  que  le  Roi  se  bornoit 

I 


142  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Avril,  à  leur  donner  de  petites  alarmes ,  et  ils  ne  le 
soupçonnèrent  pas  de  plus  grands  desseins. 

Les   différens   corps   de   l'armée  prussienne 
se  mirent  en  mouvement,  les  uns  le   Qo,  les 

29.  autres  le  29  d'Avril.  Le  prince  Maurice  péné- 
tra en  Bolième  par  le  Basberg  ,  d'où  il  s'avança 
sur  Commotau.  Le  Roi  se  campa  à  Nœllen- 
dorf  ;  il  poussa  son  avant-garde  à  Karwitz , 
d'oi^i.  de  Zastrow  fut  détaché  avec  sa  brip^ade, 
pour  occuper  Aussig  et  chasser  les  Autrichiens 
du  château  de  Tetschen.  Le  lendemain  l'ar- 
mée se  rendit  à  Linay,  où  le  prince  Maurice  ^ 
qui  venoit  de  Brix,  la  joignit.  Tous  les  quar- 
tiers autrichiens  se  replièrent  en-delà  de  l'Eger 
à  l'approche  des  Prussiens  :  le  château  de  Tet- 
schen ne  se  rendit  que  le  q  7  ;  M.  de  Zastrow 
eut  le  malheur  d'y  être  tué.  L'armée  passa 
ensuite  le  Pascbpol ,  et  traversant  les  plaines  de 

24.  Lowositz  5  elle  vint  se  camper  à  Trebniîz.  On 
occupa  le  Hasenberg,  et  la  droite  s'appuya  au 
Pascopol.  Cette  position  se  trouva  vis-à-vis 
de  celle  que  le  maréchal  Braun  venoit  de  pren- 
dre à  Budin  :  on  sa  voit  que  ce  miaréchal  y 
attendoit  le  lendemain  une  division  de  ses 
troupes  5    qui   avoit  hiverné   dans  les    cercles 


DE     SEPT     ANS.  143 

de  Saaz  et  d'Eger;  on  voulut  tenter  de  préve- 
nir cette  jonction  ,  et  même  essayer  si  Ton  ne 
pourroit  pas  combattre  ce  corps  avant  qu'il 
fût  à  portée  du  camp  de  Budin.  Pour  cet 
effet  il  fi.it  résolu  que  la  nuit  même  l'armée 
passeroit  l'Eger  à  un  mille  et  demi  au-dessus 
du  camp  de  M.  de  Braun;  et  si  l'occasion  ne  se 
présentoit  pas  de  battre  cette  division  qui  étoit 
en  chemin  5  du  moins  devoit-il  résulter  de 
cette  manœuvre  qu'en  tournant  la  position  de 
M.  de  Braun,  on  l'obligeroit  à  l'abandonner. 
On  établit  en  conséquence  deux  ponts  à  Kosch- 
titz;  ils  ne  furent  achevés  que  le  lendemain 
matin  ,  que  les  troupes  passèrent  l'Eger.  Les 
housards  qu'on  envoya  aussitôt  à  la  découverte 
rencontrèrent  près  de  Pénitz  la  division  qui 
devoit  joindre  M.  de  Braun.  Cette  division ^ 
étant  informée  du  passage  des  Prussiens ,  se 
replia  sur  Welwarn ,  sans  qu'il  fût  possible  de 
l'entamer,  parce  que  la  moitié  de  l'armée  avoit 
à  peine  passé  la  rivière.  Le  maréchal  Braun  ne 
tarda  pas  à  s'appercevoir  que  son  poste  étoit 
tourné  ;  il  comprit  qu'il  ne  pouvoit  se  joindre 
avec  les  troupes  qui  lui  venoient  qu'en  se  reti- 
rant à  Welwarn ,  et  il  se  mit  aussitôt  en  marche 


144  HIST.    DE    LA    GUERRE 

pour  y  arriver  :  les  housards  prussiens  harcelè- 
rent son  arrière-garde ,  et  firent  quelques  pri- 
25'  sonniers.  L'armée  du  Roi  se  campa  à  Budin  et 
employa  le  lendemain  à  réparer  les  ponts  de 
l'Eger,  pour  assurer  la  communication  de  la 
Saxe  :  les  magasins  importans  que  les  ennemis 
avoient  à  Martinowe ,  à  Budin,  et  à  Karwatitz, 
tombèrent  entre  les  mains  des  Prussiens  ;  ce 
qui  facilita  considérablement  la  subsistance  des 
troupes.  De  Budin  l'armée  s'avança  sur  Wel- 
warn,  que  l'ennemi  venoit  d'abandonner  et 
l'on  poussa  jusqu'à  Tuchomirsitz  une  avant- 
garde  composée  de  40  escadrons  et  de  tous 
30.  les  grenadiers  de  l'armée;  le  Roi,  qui  s'y  trou- 
A^oit: ,  vit  r  umée  de  M.  de  Braun  ,  qui  étoit 
encore  en  marche.  Derrière  ces  colonnes  qui  dé- 
filoient,  suivoit  une  arrière -ç^arde  dont  la  con- 
tenance  mal  assurée  fit  naître  l'envie  de  l'atta- 
quer; M,  de  Ziethen  donna  dessus  et  fit  30a 
prisonniers.  Des  le  commencement  les  en- 
Mai,  nemis  s'étoient  postés  sur  le  Weisse-Berg,- ils 
l'abandonnèrent  le  2  de  Mai  :  l'avant  -  garde 
prussienne  s'en  saisit .  et  vit  l'ennemi  passer  la 
ville  de  Prague ,  et  prendre  un  camp  de  l'autre 
coté  de  la  Moldau.  L'armée  du  Roi  occupa  le 

même 


DE     SEPT    ANS.  145 

même  jour  tous  les  environs  de  la  ville,  et  en 
forma  une  espèce  de  circonvaliation  ;  sa  droite 
^appuyoit  à  la  haute  Moldau ,  d'où  le  camp  al- 
loit,  en  embrassant  S.  Roc  et  le  couvent  de  la 
Victoire ,  s'appuyer  à  Podbaba  à  la  basse  Moldau. 
Durant  cette  marche  de  l'armée  du  Roi ,  le 
prince  de  Bévern  avoit  poussé  de  son  côté  les 
opérations  avec  vigueur  :  il  étoit  entré  le  qo 
d'Avril  en  Bohème ,  en  s'avançant  par  Krottau 
et  Kratzen  sur  Machendorf  ;  sa  cavalerie  battit 
en  marche  un  détachement  autrichien,  qui  s'a- 
vançoit  pour  faire  une  reconnoissance.  L'en- 
nemi avoit  pris  à  Reichenberg  une  position 
avantageuse  ;  le  comte  de  Kœnigseck  com- 
mandoit  ce  corps ,  dont  on  évaluoit  la  force  à 
285O00  combattans.  Ce  fut  le  qi  d'Avril  que 
le  prince  de  Bévern  se  mit  en  mouvemeiit  pour 
l'attaquer;  il  s'avança  sur  deux  colonnes,  pre- 
nant le  chemin  de  Habendorf  vers  l'armée 
ennemie.  Il  falloit  passer  une  chaussée  pour  y 
arriver.  Ce  déhlé ,  que  les  ennemis  ne  pou- 
voient  défendre  avec  la  mousquéterie ,  n'arrêta 
guères  les  Prussiens.  Au-delà  de  ce  passage  se 
trouvoit  le  corps  de  M.  de  Kœnigseck ,  auquel 
il  avoit  donné  la  forme  d'un  cercle.  La  cava- 
Tome  m  K 


146  HIST.    DE    LA    GUERRE 

lerie  autrichienne  occupoit  le  centre  de  ce  cer-* 
cle  ,  et  se  trouvoit  rangée  en  trois  lignes  sur 
une  petite  plaine,  enchâssée  entre  les  deuxailé^ 
d'infanterie  qui  alloient  en  avançant,  le  dos 
appuyé  à  d'épaisses  forêts,  ayant  en  quelques 
endroits  des  abattis  devant  elle ,  et  des  redou- 
tes garnies  dartilleiie  dont  le  feu  protégeoit 
la  cavalerie.  La  droite  du  prince  de  Bévern 
attaqua  la  gauche  de  l'ennemi  ;  1 5  escadrons 
prussiens  chargèrent  en  même  temps  cette  cava- 
lerie  impériale  dans  la  plaine,  et  la  m.irent  en 
déroute.  Le  prince  de  Wurtemberg  y  fit  des 
prodiges  de  valeur.  Alors  M.  de  Lestwitz  at- 
taqua la  droite  de  l'ennemi  et  les  redoutes  qui 
couvroient  Reichenberg,  et  quoiqu'il  traversât 
diiTérens  déhlés  avant  que  d'y  arriver ,  néan- 
moins le  régiment  de  Darmstadt,  commandé 
par  le  colonel  de  liertzberg ,  força  ces  redou- 
tes ,  et  obligea  l'ennemi  à  prendre  la  fuite  ;  on 
le  poursuivit  de  hauteur  en  hauteur  jusqu'à 
Kochlitz  et  à  Dorffel.  La  difficulté  de  ce  terrain 
montueux,  et  rim.possibilité  qu'il  y  a  que  des 
troupes  qui  veulent  demeurer  en  ordre,  puis- 
sent atteindre  un  ennemi  qui  fuit  à  la  déban- 
dade 5  empêchèrent  le  prince  de  Bévern  de  rui- 


DE    SEPT    ANS.  147 

ner  entièirement  ce  corps.  Les  Autrichiens  per- 
dirent environ  1800  hommes  à  cette  action, 
dont  800  furent  pris  par  le  prince  de  Bévern. 
La  perte  des  Prussiens  ne  passa  pas  300  hom- 
mes, parce  que  l'ennemi  ne  leur  avoit  pas  op- 
posé une  résistance  opiniâtre.  Le  prince  de  Bé- 
vern suivit  à  Libenau  M.  de  Kœnigseck,  où  un 
défilé  impraticable,  derrière  lequel  ce  général 
avoit  formé  son  monde ,  l'empucha  de  tentet 
de  nouvelles  entreprises. 

De  ce  côté  les  Prussiens  n'auroient  pu  pé- 
nétrer plus  avant  en  Bohème,  si  le  maréchal  de 
Schwérin  en  survenant  ne  les  eût  secondés  à 
propos.  L'armée  de  Silésie  fut  la  première  qui 
entra  en  Bohème  le  18  d'Avril;  elle  déboucha 
dans  ce  royaume  par  5  différens  chemins.  Une 
de  ces  colonnes  qui  se  dirigeoit  sur  Schatzlar 
pensa  y  surprendre  les  princes  de  Saxe ,  qui  s'y 
trouvoient  :  celle  qui  prenoit  la  route  de  Gul- 
dene-Els  rencontra  300  pandours,  qui  d'un  ro- 
cher escarpé  défendoient  le  passage  aux  Prus- 
siens; M.  de  Winterfeld  trouva  le  moyen  de 
faire  gravir  contre  ces  rocs  quelques  troupes, 
qui  prirent  ces  pandours  à  revers ,  et  les  passè- 
rent au  fil  de  l'épée  :  les  trois  autres  colon- 

K   <2 


148  HIST.    DE    LA    GUERRE 

nés  5  qui  débouchèrent  par  le  comté  de  Glatz , 
n'ayant  point  rencontré  d'ennemis  sur  leur  che- 
min 5  joignirent  toutes  le  maréchal  de  Schwérin 
à  Kœnigshof.  Ce  maréchal,  ayant  des  nouvel- 
les de  ce  qui  s'étoit  passé  du  côté  du  prince  de 
Bévern  ,  se  porta  derrière  M.  de  Kœnigseck, 
qu'il  pensa  surprendre  dans  son  camp  de  Libe- 
nau;  les  Autrichiens  décampèrent  en  hâte  et 
voulurent  diriger  leur  marche  sur  Jung-Buntz- 
lau  :  M.  de  Schwérin  les  y  prévint  encore ,  et 
s'empara  en  même  temps  du  magasin  considé- 
rable que  les  ennemis  avoient  formé  à  Kosma- 
nos.  Ce  fut  à  cet  endroit  où  le  corps  de  la  Lu- 
sace  joignit  l'armée  de  la  Silésie.  Cependant 
M.  de  Kœnigseck  s'avançoit  à  grandes  journées 
vers  Prague  ;  le  maréchal  le  suivit  à  Bénatek , 
d'où  il  détacha,  pour  talonner  l'ennemi  de  plus 
près,  M.  de  Wartenberg  qui  délit  près  de  Alt- 
Buntzlau  l'arrière- garde  autrichienne,  forte  de 
1500  hommes,  dont  le  plus  grand  nombre  fut 
tué  ou  pris;  mais  ce  brave  général,  un  des 
meilleurs  officiers  de  cavalerie  de  l'armée,  y  per- 
dit la  vie ,  et  fut  universellement  regretté.  M. 
de  Fouquet,  marchant  alors  avec  l'avant-garde 
du  maréchal  à  Buntzlau,  s'y  arrêta  jusqu'au  4 


DE     SEP  T     ANS.  149 

de  Mai,  pour  rétablir  les  ponts  de  l'Elbe,  que     Mai. 
l'ennemi  avoit  rompus  pour  assurer  sa  retraite. 
Le  même  jour  le  Maréchal  fit  passer  la  rivière  à 
son  armée  et  se  campa  à  un  mille  et  demi  de 
Prague. 

Une  partie  des  troupes  que  M.  de  Picco- 
lomini  avoit  commandées  Tannée  précédente, 
n'étoit  pas  encore  assemblée;  le  maréchal  Daun 
en  avoit  reçu  le  commandement  après  la  mort 
du  premier.  Sur  le  bruit  des  différentes  inva- 
sions des  Prussiens ,  ce  maréchal  reçut  ordre  de 
rassembler  son  armée,  et  de  la  mener  droit  à 
Prague  ;  M.  de  Braun  l'attendoit  avec  d'au- 
tant plus  d'impatience  ,  cju'il  voyoit  que  tou- 
tes les  forces  des  Prussiens  alloient  incessam- 
ment fondre  sur  lui.  Le  Roi  étoit  instruit  de 
la  marche  du  maréchal  Daun;  mais  son  armée 
ne  pouvoit  rien  entreprendre  contre  M.  de 
Braun  5  qui  étoit  couvert  par  la'Moldau  et 
par  la  ville  de  Prague  :  d'ailleurs  les  choses 
en  étoient  venues  au  point ,  que  le  sort  des 
deux  armées  devoit  nécessairement  se  décider 
par  une  bataille;  et  puisqu'on  ne  pouvoit  l'en- 
gager qu'à  l'autre  rive  de  la  Moldau  ,  le  Roi 
résolut  d'attaquer  M.  de  Braun  avant  sa  jonction 

K  3 


150  HIST.    BE    LA    GUERRE 

avec  M.  Daun.   Pour  cet  effet  on   construisit 
un  pont-'sur  la  Moldau  prés  de  Selz,  et  le  Roi 
le  passa  à  la  tête  d'un  détachement  de  20  ba- 
taillons et  de  40  escadrons;  c'étoit  le  5  de  Mai. 
Ce  prince  eut  le  temps  de  reconnoître  la  posi- 
tion des  ennemis;  il  trouva  le  front  de  M.  de 
Braun  d'un  trop  difficile  abord  pour  l'attaquer, 
et  s'apperçut  qu'en  tournant  la  droite  des  enne- 
mis le  terrain  présentoit  un  aspect  plus  avan- 
tageux pour  un  engagement.  Le  lendemain  de 
grand  matin  les  deux  armées  prussiennes  se  joi- 
gnirent à  la  portée  du  canon  des  ennemis;  on 
résolut  de  les  attaquer  tout  de  suite.  La  gauche 
des  Autrichiens  s'appuyoit  sur  la  montagne  de 
Ziska  5  et  se  trouvoit  protégée  par  les  ouvrages 
de  Prague;  un  ravin  de  plus  de  cent  pied  de 
profondeur   couvroit   son   front  ;   la   droite  se 
terminoit  sur  une  hauteur  ,  au  pied  de  laquelle 
se  trouve  le  village  de  Sterboholi.   Pour  ren- 
dre  plus  égal  le  combat  qu'on  méditoit,  il  falloit 
contraindre  M.    de   Braun    d'abandonner    une 
partie   de   ces  montagnes ,   et  de   longer  dans 
la  plaine.    A    cette    fin   le   Roi    changea   son 
ordre  de  bataille  :  l'armée  avoit  défilé  en  co- 
lonnes rompues;  on  la  mit  sur  deux  lignes,  et 


DESEPTANS.  .151 

on  la  fit  marcher  par  la  gauche ,  en  prenant 
le  chemin  de  Postchernitz.  Dès  que  M.  de 
Braun  s'apperçut  de  ce  mouvement ,  il  prit  sa 
réserve  de  grenadiers ,  sa  cavalerie  de  la  gauche 
et  sa  seconde  ligne  d'infanterie ,  avec  lesquels 
il  côtoya  les  Prussiens  5  en  tenant  une  ligne 
parallèle.  C'étoit  précisément  ce  qu'on  vouloit. 
L'armée  du  Roi  poussa  à  Bichowitz  par  des  dé- 
filés et  des  marais  qui  séparèrent  un  peu  les 
troupes;  la  cavalerie  prussienne  fila  au  travers 
de  ce  village,  où  elle  trouva  une  plaine  bornée 
par  un  étang,  qui  lui  présentoit  précisément  la 
distance  qu'il  lui  falloit  pour  se  former,  et  em- 
boîtée entre  ce  village  et  cet  étang,  ses  flancs 
se  trouvoient  à  l'abri  d'insulte  :  elle  attaqua 
vigoureusement  la  cavalerie  autrichienne;  après 
trois  charges  consécutives,  elle  l'enfonça,  et  la 
mit  entièrement  en  déroute.  A  peine  10  ba- 
taillons de  la  gauche  furent-ils  formés ,  avant 
que  la  seconde  ligne  pût  les  joindre ,  qu'ils  at- 
taquèrent l'ennemi  avec  plus  de  précipitation 
et  de  courage  que  de  prudence;  ils  essuyèrent 
un  feu  d'artillerie  prodigieux  ,  et  furent  re- 
poussés, mais  non  assurément  avec  honte,  car 
les  plus  braves  ofTiciers  et  la  moitié  des  batail-* 

K  4 


152  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Ions  étoient  couchés  sur  le  carreau.  Le  mare' 
chai  de  Schwérin,  qui  malgré  son  grand  âge 
conservoit  encore  tout  le  feu  de  sa  jeunesse  , 
voyant  avec  indignation  des  Prussiens  repoussés, 
et  saisissant  un  drapeau ,  se  mit  à  la  tête  de  son 
régiment ,  le  conduisit  à  la  charge  ,  et  fit  des 
efforts  de  valeur  extraordinaires  ;  mais  comme 
il  n'y  avoit  point  encore  de  troupes  pour  le 
soutenir,  il  succomba  et  fut  tué,  terminant  ainsi 
une  vie  glorieuse  par  une  mort  qui  la  couvroit 
d'un  nouveau  lustre.  La  seconde  ligne  arriva 
sur  ces  entrefaites  :  le  Roi  attira  encore  à  lui 
le  prince  Ferdinand  de  Bronswic  avec  quelques 
régimens ,  et  le  combat  se  rétablit  d'autant  plus 
facilement ,  que  M.  de  Treskovv ,  avec  sa  bri- 
gade, cjui  étoit  tant  soit  peu  plus  à  droite  ,  avoit 
percé  la  ligne  des  ennemis.  Le  Roi  fit  alors 
avancer  les  régimens  de  Charles  et  de  Jeune- 
Bronswic  5  jeignit  M.  de  Treskow,  et  avec  ce 
corps  poussa  l'infanterie  autrichienne  au-delà 
de  ses  tentes,  qu'elle  n'avoit  pas  eu  le  temps 
d'abattre.  Dès  ce  moment  la  déroute  devint 
générale  à  la  droite  des  ennemis;  on  demanda 
de  la  cavalerie ,  pour  profiter  de  ce  désordre  : 
malheureusem^ent  les  housards  et  les  dragons 


DE     SEPT     ANS,  153 

étoient  tombés  sur  du  bagage  ennemi  qui  s'en- 
fuyoit,  et  ils  arrivèrent  trop  tard  pour  donner 
dans  l'infanterie,  qui  sans  cette  circonstance  au- 
roit  toute  été  prise  ou  passée  au  fil  de  l'épée. 
Cela  n'empêcha  pas  le  Roi  de  poursuivre  vive- 
ment l'ennemi.  On  envoya  M.  de  Puttkammer 
avec  des  housards  vers  la  Sasava  ,  où  s'étoit 
sauvée  une  partie  des  fuyards ,  et  avec  le  gros 
des  troupes  on  s'avança  vers  le  Wischerad ,  de 
sorte  que  la  gauche  des  Autrichiens  étoit  en- 
tièrement coupée  de  sa  droite. 

La  droite  de  l'armée  du  Roi  n'étoit  point 
destinée  à  combattre  ,  à  cause  de  ce  profond 
ravin  dont  nous  avons  parlé,  qui  étoit  devant 
elle,  et  du  désavantage  que  le  terrain  lui  don- 
noit;  mais  elle  ne  laissa  pas  d'être  engagée  par 
l'imprudence  de  M.  de  Mannstein  ,  qu*un 
courage  trop  bouillant  emportoit  quelque- 
fois. Cette  valeur  fougueuse,  qui  s'embrasoit 
à  la  vue  de  l'ennemi,  le  fit  avancer  sans  qu'il 
en  eût  reçu  l'ordre  ;  il  attaqua  l'ennemi  tout  de 
suite.  Le  prince  Henri  et  le  prince  de  Bé- 
vern  ,  qui  en  désapprouvant  sa  conduite  ne 
voulurent  cependant  pas  l'abandonner ,  furent 
forcés   de  le   soutenir  ;  l'infanterie  prussienne 


154  HIST.    DE    LA    GUERRE 

gravit  contre  des  rochers  escarpés  ,  défendus 
par  toute  la  gauche  des  Autrichiens  et  par  une 
nombreuse  artillerie.  Le  prince  Ferdinand  de 
Brons\vic ,  s*appercevant  que  le  combat  s'enga- 
^eoit  de  ce  côté-là ,  et  devenant  d'ailleurs  inu- 
tiîe  à  la  gauche  où  il  n'y  avoit  plus  d'ennemis 
vis-à-vis  de  lui ,  prit  les  Autrichiens  en  flanc  et 
à  dos  :  ce  secours  seconda  si  à  propos  les  eHorts 
du  prince  Henri ,  qu'il  s'empara  de  trois  bat- 
teries des  ennemis ,  et  qu'il  les  poursuivit  de 
montagne  en  montagne.  Les  vaincus ,  coupés 
de  la  Sasava  par  le  corps  du  Roi  derrière  eux 
au  village  de  Michéle,  ne  virent  d'autre  salut 
pour  eux  que  de  se  jeter  dans  la  ville  de  Pra- 
gue ;  ils  tentèrent  de  se  sauver  du  côté  du 
Wischeiad ,  où  la  cavalerie  du  Roi  les  repoussa 
à  trois  reprises  ;  ils  essayèrent  aussi  d'échapper 
du  côté  de  Kœnigsaal ,  mais  encore  ils  en  furent 
empêchés  par  le  maréchal  de  Keith ,  dont  l'ar- 
mée occupoit  toutes  les  hauteurs  au  pied  des- 
quelles ils  dévoient  passer.  On  savoit  à  la  vé- 
rité que  des  fuyards  de  l'armée  impériale  s'é- 
toient  jetés  dans  Prague;  toutefois  on  en  igno- 
roit  le  nombre,  de  sorte  que  l'on  se  contenta 
d'investir  la  ville  et  de  la  bloquer  aussi  bien 


DE    SEPT    ANS,  I55 

que  l'obscurité  et  l'espèce  de  confusion  qui  suit 
les  victoires,  purent  le  permettre.  Cette  ba- 
taille 5  qui  s'engagea  vers  les  g  heures  du  matin , 
dura,  y  compris  la  poursuite,  jusqu'à  8  heures 
du  soir.  Ce  fut  une  des  plus  meurtrières  de  ce 
siècle  :  les  ennemis  y  perdirent  24,000  hommes, 
dont  5,000  furent  faits  prisonniers,  parmi  les- 
quels 30  officiers;  on  leur  prit  d'ailleurs  1 1  éten- 
dards et  60  pièces  de  canon;  la  perte  des  Prussiens 
monta  à  18,000  combattans,  sans  compter  le 
maréchal  de  Schwérin,  qui  seul  valoit  au-delà 
de  10,000  hommes.  Sa  mort  flétrissoit  les  lau- 
riers de  la  victoire,  achetée  par  un  sang  trop 
précieux.  Ce  jour  vit  tomber  les  colonnes  de 
l'infanterie  prussienne  :  MM.  de  P'ouquet  et  de 
Winterfeld  furent  dangereusement  blessés  :  là 
perdirent  la  vie  M.  de  Hautcharmoy ,  MM.  de 
Goltz,  le  prince  de  Holstein,  M.  de  Mann- 
stein ,  d'Anhalt ,  et  nombre  de  vaillans  officiers 
et  de  vieux  soldats,  qu'une  guerre  sanglante 
et  cruelle  ne  donna  pas  le  temps  de  remplacer. 
Le  lendemain  le  Roi  envoya  M.  de  Kroc- 
kow  à  Prague,  pour  sommer  la  ville  de  se  ren- 
dre ;  ce  général  fut  bien  étonné  d'y  trouver  le 
prince    Charles  de  Lorraine ,    et  d'apprendre 


156  HIST.    DE    LA    GUERRE 

avec  certitude  que  40,000  7\utnchiens5  sauvés 
de  la  bataille ,  étoient  enfermés  dans  ses  mu- 
railles. Cette  nouvelle  obligea  le  Roi  à  pren- 
dre des  mesures  différentes  ;  il  s'empara  de  la 
montagne  de  Ziska ,  où  se  campa  la  droite  de 
l'armée,  d'où  le  front,  en  occupant  toutes  les 
vignes  qui  regardent  Prague  ,  alloit  par  Michéle 
aboutir  à  Podoli  à  la  Moldau.  On  y  construisit 
un  pont,  pour  avoir  la  communication  assurée 
de  ce  côté-là  avec  le  maréchal  Keith ,  et  on 
en  fit  un  de  même  à  Branick  sur  la  basse  Mol- 
dau. La  ville  de  Praç^ue  ne  sauroit  être  con- 

o 

sidérée  comme  une  place  de  guerre  :  située 
dans  un  fond,  elle  est  entourée  par  des  vignes 
et  des  rochers  qui  la  dominent  également  de 
tous  les  côtés;  ses  fossés  sont  secs,  ses  ouvrages 
revêtus  d'une  maçonnerie  légère,  les  parapets 
en  beaucoup  d'endroits  trop  minces,  les  cour- 
tines trop  longues  ;  tous  ces  ouvrages  avoient 
été  si  fort  négligés  pendant  la  paix ,  qu'en  dif- 
férens  endroits  ils  étoient  insultables  :  mais  la 
garnison  ne  l'étoit  pas;  pour  l'attaquer  en  for- 
me, il  falloit  une  armée  plus  nombreuse  que 
la  prussienne,  surtout  après  les  détachemens 
qu'on  avoit  été  obligé  de  faire ,  et  dont  nous 


DE    SEPT    ANS.  157 

aurons  lieu  de  parler  incessamment.  Ces  rai- 
sons firent  que  le  Roi  se  contenta  de  bloquer  la 
ville  5  en  essayant  de  prendre  la  garnison  par 
la  famine.  On  se  flatta  de  mettre  le  feu  par  un 
bombardement  aux  magasins  d'abondance;  011 
fit  venir  des  mortiers  et  du  canon;  on  établit 
trois  grandes  batteries,  l'une  à  la  montagne  de 
Ziska ,  l'autre  devant  Michéle ,  et  la  troisième 
du  côté  du  maréchal  Keith  vers  le  Strohhof  : 
mais  tout  cela  fut  inutile;  la  ville  avoit  des 
bastions  casemates,  où  les  vivres  trouvèrent 
un  abri  contre  tous  les  efforts  de  l'artillerie 
prussienne. 

Pendant  que  ces  arrangemens  se  faisoient 
autour  de  Prague  ,  le  maréchal  Daun  s'étoit 
avancé  avec  son  corps  à  Teutschbrodt;  d'abord 
le  Roi  lui  opposa  M.  de  Ziethen,  et  peu  de 
temps  après  le  prince  de  Bévern,  qui,  se  trou- 
vant à  la  tête  de  QO5OOO  hommes  .  se  porta 
premièrement  à  Kaurzim ,  puis  à  Kuttenberg, 
faisant  toujours  reculer  devant  lui  le  maréchal 
Daun  :  celui-ci  se  retira  jusqu'à  Haber;  mais 
chaque  pas  qu'il  faisoit  en  arrière  Tapprochoit 
de  ses  secours,  et  lui  donnoit  le  moyen  d'atti- 
ler  à  lui  les  débris  de  la  bataille  de  Prague ,  qui, 


158  HIST.    DE    LA    GUERRE 

s^étant  sauvés  au-delà  de  la  Sasava ,  purentyfle 
rejoindre.  D'un  autre  côté  le  Roi  fit  partir 
pour  l'Empire  le  colonel  Mayer  avec  ses  vo- 
lontaires et  environ  500  housards ,  pour  don- 
ner l'épouvante  aux  princes  d'Allemagne,  re- 
tarder la  réunion  de  l'armée  des  cercles,  et  en 
même  temps  pour  alarmer  les  pédans  de  Ra- 
tisbonne  ,  dont  l'éloquence  insultante  violoit 
toutes  les  régies  de  la  bienséance.  Mayer  en- 
tra dans  l'évêché  de  Bamberg;  de  là  il  s'étendit 
vers  Nurnberg;  il  fit  déserter  de  Ratisbonne  ces 
députés  arrogans,  qui  se  croyoient  les  juges  des 
rois  5  et  de  là  il  pénétra  dans  le  haut  Paîatinat. 
L'électeur  de  Bavière  et  plusieurs  princes  à  qui 
cette  irruption  donna  de  l'inquiétude ,  dépu- 
tèrent vers  le  Roi,  pour  traiter  de  leurs  inté- 
rêts; enfin  tout  l'Empire  auroit  abandormé  le 
parti  de  l'Impératrice-reine  ,  si  une  de  ces  ré- 
volutions ordinaires  à  la  guerre ,  et  qui  entre 
dans  les  jeux  de  la  fortune ,  n'eût  traversé  la 
prospérité  des  Prussiens.  Nous  verrons  dans  la 
continuation  de  cette  guerre,  combien  il  arriva 
de  ces  vicissitudes  cjui  renversoient  tantôt  les 
espérances  des  Prussiens ,  tantôt  celles  des  Impé- 
riaux. Cependant  le  blocus  de  Prague  conti- 


DE    SEPT    ANS»  15g 

nuoit;  on  bombaïdoit  la  ville  :  mais  les  Autri- 
chiens faisoient  des  sorties  fréquentes.  Un  jour 
ils  voulurent  attaquer  les  batteries  du  Strolihof. 
Le  prince  Ferdinand  de  Prusse  y  accourut  et 
les  rechassa  jusqu'à  leur  chemin  couvert  avec 
une  perte  de  douze  cents  hommes.  Une  au- 
tre fois  ils  tentèrent  une  sortie  du  côté  du  Wi- 
scherad,  avec  si  peu  de  précaution  et  de  pré- 
voyance, que  prêtant  le  flanc  à  des  batteries 
prussiennes  placées  vers  Podoli ,  le  canon  les  lit 
rentrer  dans  Prague  dans  le  plus  grand  désor- 
dre. Une  autre  fois  le  prince  de  Lorraine  fit 
avec  4,000  hommes  une  sortie  du  Petit-côté  ; 
ces  troupes  prirent  une  flèche  défendue  par  50 
soldats  :  mais  bientôt  M.  de  Retzow  les  re- 
poussa et  les  poursuivit  jusqu'aux  portes  de  la 
ville.  Les  Prussiens  eurent  dans  ce  siège  les 
ennemis  et  les  élémens  à  combattre  :  un  orage 
violent  et  des  nuages  qui  crevèrent,  grossirent 
subitement  les  eaux  de  la  Moldau  ;  leur  impé- 
tuosité brisa  le  pont  de  Branick  ,  le  courant 
l'entraîna  vers  le  pont  de  Prague  ;  les  ennemis 
en  enlevèrent  24  pontons,  mais  qo  autres  leur 
échappèrent  ,  et  à  Podoli  on  les  recouvra. 
Le  grand  nombre  de  bombes  que  les  Prussiens 


l6o  HIST.    DE    LA    GUERRE 

avoient  jetées  dans  Prague ,  avoient  considé- 
rablement endommagé  certains  quartiers  de  la 
ville;  ]e  feu  avoit  même  consumé  une  boulan- 
gerie des  ennemis  :  les  déserteurs  déposoient 
unanimement  que  les  vivres  commençoient  à 
manquer ,  et  qu'au  lieu  de  viande  de  bouche- 
rie la  garnison  se  nourrissoit  de  chair  de  che- 
val. Il  étoit  fâcheux  qu'on  ne  gagnât  rien  cqn- 
tre  cette  ville,  ni  par  la  force,  ni  par  la  ruse, 
et  qu'il  fallût  tout  attendre  du  bénéfice  du 
temps  :  il  n'y  avoit  que  la  famine  et  le  dés- 
espoir qui  pussent  forcer  le  prince  de  Lorraine 
à  se  faire  jour  l'épée  à  la  main  à  travers  les 
assiégeans  ;  car  ils  étoient  fortifiés  dans  leurs 
quartiers  de  manière  à  l'obliger  après  quelques 
efforts  inutiles  à  se  rendre* 

Le  projet  de  prendre  Prague  avec  l'armée 
qui  la  défendoit  auroit  cependant  réussi ,  si 
on  avoit  pu  lui  donner  le  temps  de  parvenir  à 
sa  maturité;  mais  il  fallut  s'opposer  au  maré- 
chal Daun,  il  fallut  se  battre,  et  l'on  fut  mal- 
heureux. Nous  avons  laissé  le  prince  de  Bé- 
vern  campé  à  Kuttenberg,  et  le  maréchal  Daun 
à  Haber  ;  ce  maréchal  y  fut  joint  par  tout  ce 
que  la  cour  put  tirer  des  garnisons  des  pays 

héréditaires 


DE     SEPT     ANS.  i6l 

héréditaires  et  de  troupes  de  la  Hongrie ,  outre 
les  fuyards  de  la  bataille  de  Prague,  en  sorte 
que  son  armée ,  composée  au  commencement 
de  la  campagne  de  14,000  hommes,  se  trouvoit 
forte  alors  de  60,000  combattans.  L'accroisse- 
ment de  cette  armée  dérangeoit  toutes  les  com- 
binaisons précédentes  des  projets  du  Roi  ;  il 
falloit  nécessairement  renforcer  le  prince  de 
Bévern,  pour  qu'il  pût  au  moins  se  soutenir 
contre  une  armée  du  triple  supérieure  à  la 
sienne  ;  d'un  autre  côté  il  étoit  dangereux  d'af- 

o 

foiblir  l'armée  du  siège ,  qui  avoit  une  vaste 
circonférence  à  défendre ,  et  qui  pouvoit  être 
attaquée  d'un  jour  à  l'autre  par  40,000  hommes 
renfermés  dans  cette  ville.  On  trouva  cepen- 
dant moyen ,  en  économisant  les  postes ,  en  for- 
tifiant les  uns ,  en  resserrant  les  autres ,  de  faire 
une  épargne  de  10  bataillons  et  de  cio  esca- 
drons. Ce  détachement  pouvoit  s'éloigner,  mais 
ce  ne  de  voit  pas  être  pour  long- temps,  ou  le 
blocus  en  auroit  souffert.  Pour  que  l'on  prît 
Prague  et  l'armée  qui  la  défendoit ,  il  étoit  in- 
dispensable d'éloigner  le  maréchal  Daun  de 
cette  contrée  ,  parce  que  les  troupes  .employées 
â  en  faire  la  circonvallation,  quoique  bien  pos- 
Tome  III.  L 


'Lin, 


162  HIST.    DE    LA  GUERRE 

tées  pour  repousser  des  sorties,  n'étoient  que 
sur  une  ligne,  et  ne  pouvoient  défendre  leur 
front  et  leur  dos  en  même  temps;  et  parce 
qu'en  se  laissant  resserrer  autour  de  Prague,  les 
Prussiens  auroient  manqué  de  subsistances,  la 
cavalerie  étant  déjà  obligée  d  aller  chercher  le 
fourrage  à  4  ou  5  milles  du  camp.  Ces  consi- 
dérations importantes  déterminèrent  le  Roi  à 
se  mettre  en  personne  à  la  tête  de  ce  détache- 
ment, pour  joindre  le  prince  de  Bévern,  et 
juger  sur  les  lieux  du  parti  qu'il  seroit  plus 
convenable  de  prendre.  Le  Roi  partit  le  13  de 
Prague;  M.  de  Treskovv  fut  détaché  en  même 
temps,  pour  nettoyer  les  bords  de  la  Sasava, 
que  les  troupes  légères  du  maréchal  Daun 
commençoient  d'infester.  Le  Roi  poursuivit  sa 
marche  par  Schwarz -Kosteletz  à  Malotitz,  où 
il  fut  joint  par  M.  cle  Treskow,  qui  avoit  pris 
une  route  à  droite.  L'intention  du  Roi  étoit 
d'arriver  à  Kolin,  pour  se  joindre  au  prince  de 
Bévern;  il  trouva  devant  lui  un  corps  consi- 
dérable, qui  campoit  à  Zasmuky;  c'étoit  M.  de 
Nadasti,  qui  avoit  pris  cette  position,  par  la- 
quelle il  coupoit  déjà  en  quelque  manière  le 
prince  de  Bévern  .de  l'armée  prussienne.  Bien- 


DE     SEPT     ANS,  163 

tôt  on  découvrit  de  loin  sur  le  chemin  de  Kolin 
deux  colonnes  qui  prenoient  la  route  de  Kaur- 
2im  ;  on  apprit  par  ceux  qui  furent  les  recon- 
noître  ,  que  c'étoit  le  prince  de  Bévern  qui 
venoit  se  joindre  aux  troupes  du  Roi.  Le  jour 
îomboit  ,  la  nuit  survint  avant  l'arrivée  du 
Prince ,  de  sorte  que  l'on  se  contenta  de  faire 
camper  les  troupes  autant  que  l'obscurité  vou- 
lut le  permettre.  On  fut  étonné  du  mouve- 
ment du  prince  de  Bévern,  auquel  on  ne  s'at- 
tendoit  pas  ;  il  se  fit  à  l'occasion  de  ce  qui 
s'étoit  passé  la  veille  :  il  avoit  été  attaqué  le  13 
à  Kuttenberg  par  M.  de  Nadasti ,  qu'il  avoic 
repoussé  ,  en  même  temps  que  le  maréchal 
Daun  avoit  fait  un  mouvement  sur  son  flanc, 
qui  l'avoit  obligé,  pour  ne  point  être  tourné, 
de  quitter  sa  position  de  Kuttenberg ,  et  de 
prendre  celle  de  Kolin  ;  là  il  reçut  des  avis 
que  les  Autrichiens  campés  à  Wisoka  se  prépa- 
roient  à  l'attaquer  le  lendemain;  pour  n'en 
point  courir  le  risque ,  il  aima  mieux  aller  au 
devant  du  détachement  prussien,  qu'il  savoit 
en  marche  pour  le  renforcer.  On  voulut  le  len-  16. 
demain  reconnoître  les  chemins  de  Wisoka, 
pour  juger  de  la  disposition  où  se  trouvoient 

L  9 


364  HIST.    DE    LA    GUEPvRE 

les  ennemis  ;  cependant  on  ne  put  y  réussir ,  à 
cause  de  l'épaisseur  des  forêts ,  et  du  nombre 
des  pandours  qui  les  remplissoient.  Le  même 
jour  4,000  Cravates  attaquèrent  un  convoi  qui 
venoit  de  Nymbourg  à  l'armée;  il  étoit  escorté 
par  Qoo  fantassins  aux  ordres  de  M.  de  Biller- 
beck,  major  dans  le  régiment  Henri  :  ce  brave 
officier  se  défendit  3  heures  contre  le  nombre 
qui  Tassailloit  5  jusqu'à  l'arrivée  du  secours  qui 
le  dégagea,  sans  avoir  perdu  la  plus  petite  par- 
tie de  son  convoi,  et  l'on  ne  trouva  à  dire  à 
son  monde  que  7  blessés;  ce  qui 'est  une  perte 
peu  considérable,  si  l'on  fait  attention  au  corps 
qui  l'attaqua.  D'aussi  petits  détails  ne  devien- 
nent dignes  de  l'histoire  qu'autant  qu'ils  peu- 
vent servir  d'exemple  pour  prouver  ce  Cjue 
peuvent  à  la  guerre  la  valeur  et  la  fermeté, 
soutenues  par  ime  bonne  disposition.  Le  ter- 
rain où  les  Prussiens  étoient  campés  n'étoit  pas 
assez  avantageux  pour  qu'on  pût  y  attendre 
l'ennemi  avec  sûreté  ;  le  Roi  vouloit  se  porter 
avec  l'armée  à  Scwoischitz,  dont  les  environs 
sont  susceptibles  de  défense  :  mais  à  peine  l'ar- 
mée se  fut-elle  mise  en  marche  pour  prendre 
cette  position  5  qu'on  vit  paroître  celle  du  mare- 


DE     SEPT     ANS.  165 

chai  Daun,  qui  se  forma  prés  de  Scwoischitz  en 
une  espèce  de  triangle,  dont  la  gauche  .tiroit 
vers  Zasmuky  et  la  droite  vers  l'Elbe;  le  front 
vis-à-vis  de  Kaurzim  et  de  Malotitz  étoit  cou- 
vert par  une  prairie  bourbeuse,  à  travers  la- 
quelle serpentoit  un  ruisseau  marécageux.  Ce 
mouvement  des  ennemis  produisit  un  change- 
ment nécessaire  dans  la  disposition  des  Prus- 
siens :  l'armée  prit  une  autre  direction;  elle 
gagna  plus  vers  la  gauche  et  s'approcha  de 
Nymbourg;  elle  se  campa,  ayant  Planiany  vers 
la  gtiuche  de  son  front,  et  à  sa  droite  Kaur- 
zim, où  l'on  jeta  un  bataillon  pour  assurer  le 
flanc  de  l'armée.  On  rencontra  près  de  Planiany 
un  corps  d'Autrichiens  ,  dont  l'intention  ne 
pouvoit  être  que  de  s'emparer  du  dépôt  que 
les  Prussiens  avoîent  à  Nymbourg;  on  contrai- 
gnit ce  corps  à  se  replier,  et  il  prit  poste  sur 
une  hauteur  derrière  Planiany,  où  il  demeura 
la  nuit.  La  situation  du  Roi  devenoit  de  jour 
en  jour  plus  critique  et  plus  embarrassante;  sa 
position  ne  valoit  rien;  son  camp  étoit  étroit, 
acculé  contre  des  montagnes  ;  son  front  se  trou- 
voit  à  la  vérité  inabordable  par  le  marais  et  le 
ïuisseau  qui  séparoient  les  deux  armées ,  mais 

L  3 


l66  KIST.    DE    LA  GUEKPvE 

il  n'en  étoit  pas  de  même  de  la  droite ,  mal 
appuyée  à  Kaurzim,  et  que  le  maréchal  Daun 
étoit  maître  de  tourner  dès  qu'il  le  voudroit, 
en  se  portant  de  Zasmuky  sur  Malotitz.  Si  les 
ennemis  eussent  fait  ce  mouvement,  toute  l'ar- 
mée étoit  prise  en  flanc  et  battue  sans  res- 
source. Il  se  présentoit  d'autre  part  une  multi- 
tude d'objets  à  remplir,  trop  contraires  pour 
qu'il  fût  possible  de  les  concilier  tous ,  et  l'on 
ne  pouvoit  en  négliger  aucun  sans  un  préjudice 
considérable.  Il  falloit  couvrir  les  magasins  de 
Brandeis  et  de  Nymbourg,  d'où  l'armée  d'ob- 
servation tiroit  son  pain;  il  falloit  protéger  le 
blocus  de  Prague,  en  empêchant  avec  un  corps 
foible  une  armée  supérieure  du  double  d'y 
détacher  des  troupes ,  ou  d'en  approcher.  Plus 
l'infériorité  des  Prussiens  dêvenoit  sensible, 
plus  ils  avoient  à  craindre  à  la  longue  d'essuyer 
quelque  échec  considérable;  car  en  supposant 
même  qu'ils  eussent  pu  se  soutenir  dans  le 
camp  où  ils  étoient,  il  ne  leur  en  étoit  pas 
moins  impossible  d'empêcher  le  maréchal  Daun 
d'envoyer  un  gros  détachement ,  qui ,  longeant 
les  bords  de  la  Savasa,  seroit  venu  à  dos  des 
corps  prussiens  qui  campoient   entre  Bramck 


DE     SEPT    ANS.  167 

et  Michéle,  et  cette  armée  du  siège,  attaquée 
par  derrière  pendant  que  de  la  ville  le  prince 
de  Lorraine   auroit  fait    une   sortie  ,   se  seroit 
trouvée  entre  deux  feux,  et  auroit  par  consé- 
quent été   totalement  battue.  Si  le  Roi,  pre- 
nant  un   autre   parti ,  eût  trouvé   convenable 
de  se  retirer  à  Kosteletz  ou  à  Teutschbrodt ,  il 
y  trouvoit   des  camps  plus  avantageux  :  mais 
les  inconvéniens  dont  nous  venons  de  parler 
n'en   subsistoient  pas   moins  ;  car   en  s'appro- 
cîiant   de  l'Elbe  on  couvroit  les  magasins;  en 
laissant  le  chemin  libre  vers  Prague ,  et  en  tirant 
plus  vers  la  Sasava ,  on  protégeoit  mieux   lo 
siège ,  et  l'on  découvroit  les  dépôts ,  dont  la 
perte  s'en  seroit  promptement  ensuivie ,  sans 
compter  qu'en  perdant  du  terrain  où  il  y  avoit 
du  fourrage  ,  l'armée  en  se  retirant  se  resser- 
ïoit  dans  un  pays  épuisé  et  où  les  vivres  avoient 
été  consumés  d'avance.    Il  se  présentoit  d'au- 
tres considérations  plus  fortes  encore.  Le  maré- 
chal Daun  commandoit  une  armée  de  60,000 
hommes,  que  l'Impératrice-reine  avoit  rassem- 
blée à  grands  fraix  :  étoit-il  à  présumer  qu'on 
souffrît  impunément  à  Vienne  ,  ayant  autant 
de  troupes  en  Bohème,  que  les  Prussiens  fissent 

L4 


l68  HIST.    DE    LA    GUERRE 

dans  Prague  le  prince  de  Lorraine  et  405000 
hommes  prisonniers  de  guerre  en  présence  de 
cette  armée  ?  On  savoit  même  que  le  maré- 
chal Daun  avoit  ordre  de  tout  risquer  pour 
délivrer  le  prince  de  Lorraine.  Il  s'agissoit 
donc  proprement  de  se  déterminer,  ou  à  lais- 
ser aux  ennemis  la  liberté  d'attaquer  les  trou- 
pes prussiennes  dans  leur  poste,  ou  à  les  pré- 
venir et  à  les  attaquer  soi-même.  Ajoutons  à 
ces  considérations  que  depuis  que  le  maréchal 
Daun  se  trouvoit  fort,  il  étoit  impossible  de 
prendre  Prague  sans  gagner  une  seconde  ba- 
taille ,  et  qu'il  auroit  été  honteux  pour  les  armes 
d'en  lever  le  siège  à  l'approche  de  l'ennemi , 
vu  que  tout  ce  qui  pouvoit  arriver  de  pis  étoit 
d'abandonner  cette  entreprise ,  au  cas  que  l'en- 
nemi remportât  la  victoire.  Indépendamment 
de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire ,  une  raison 
plus  importante  encore  obligeoit  d'en  venir  à 
une  décision  ;  c'est  qu'en  gagnant  encore  une 
bataille ,  le  Roi  prenoit  sur  les  Impériaux  une 
entière  supériorité.  Les  princes  de  l'Empire , 
déjà  incertains  et  indécis  ,  l'auroient  conjuré 
de  leur  accorder  la  neutralité.  Les  François  se 
seroient  trouvés  dérangés  et  peut-être  arretéis 


DE     SEPT     ANS»  169 

dans  leurs  opérations  en  Allemagne.  Les  Sué- 
dois en  seroient  devenus  plus  pacifiques  et 
plus  circonspects.  La  cour  de  Péterbourg  môme 
auroit  fait  des  réflexions ,  parce  que  le  Roi  se 
seroit  vu  dans  une  situation  à  pouvoir  envoyer 
sans  risque  des  secours  à  son  armée  de  Prusse, 
et  même  à  celle  du  due  de  Cumberland.  Voilà 
quels  furent  les  motifs  importans  qui  engagè- 
rent le  Roi  à  attaquer  le  lendemain  le  maréchal 
Daun  dans  son  poste. 

On  se  mit  en  marche  le  18  de  grand  matin. 
M.  de  Treskovv  avec  lavant-garde  délogea  d'a- 
bord ce  coips^nnemi  qui  s'étoit  campé  la  veille 
sur  les  hauteurs  derrière  Planiany;  ce  début 
étoit  nécessaire  pour  nettoyer  le  chemin  de 
Kolin,  sur  lequel  l'armée  devoit  marcher  en 
deux  colonnes.  Elle  défila  sur  deux  lignes  par  la 
gauche  vis-à-vis  celle  des  ennemis.  Le  maréchal 
Daun  5  qui  découvrit  le  mouvement ,  changea 
aussitôt  son  front,  et  marchant  par  sa  droite, 
longea  la  croupe  des  montagnes  qui  vont  vers 
Kolin.  M.  de  Nadasti  s'étoit  placé  devant  l'ar- 
mée du  Roi  avec  4  à  5,000  housards ,  qu'un 
corps  de  cavalerie  poussoit  d'espace  en  espace; 
ce  qui  lallentit  la  marche  des  colonnes.  On  con- 


lyO  HIST.    DE    LA    GUERRE 

tinua  de  presser  ainsi  ces  troupes  légères,  jusqu'à 
ce  qu'on  eût  gagné  une  éminence  qu'il  falloit 
occuper  nécessairement  pour  attaquer  l'ennemi. 
Comme  les  troupes  n'arrivèrent  pas  aussi  promp- 
tement  pour  le  bien  des  affaires  qu'il  auroit  été 
à  désirer,  le  Roi  profita  de  ce  temps  pour  assem- 
bler les  officiers  généraux,  et  pour  convenir  avec 
eux  de  la  disposition  de  la  bataille.  Une  auberge 
se  trouvoit  sur  le  chemin  que  tenoient  les  trou- 
pes ;  l'on  y  découvroit  distinctement  l'ordre  dans 
lequel  le  maréchal  Daun  avoit  rangé  ses  trou- 
pes ,  et  toutes  les  parties  du  terrain  sur  lequel  il 
falloit  agir.  Ce  fat  dans  ce  lieu-là  qu'on  prit  les 
mesures  suivantes.  ïl  fut  résolu  d'attaquer  la 
droite  de  l'ennemi,  parce  qu'elle  étoit  mal  ap- 
puyée j  et  parce  que  c'étoit  l'endroit  le  plus  acces- 
sible :  le  front  des  Autrichiens  s'étendoit  sur  des 
rochers  âpres  et  escarpés,  au  pied  desquels  des 
villages  dans  la  plaine  étoient  remplis  de  pan- 
dours;  mais  plus  ils  étoient  inexpugnables  dans 
cette  partie ,  moins  ils  l'étoient  à  leur  droite  : 
l'endroit  par  lequel  la  gauche  des  Prussiens 
devoit  attaquer ,  étoit  une  hauteur  qu'ils  occu- 
poient  déjà;  de  là  se  présentoit  un  cimetière 
isolé  3  garni  de  Cravates ,  et  qu'il  falloit  empor- 


DE     SEPT     ANS.  lyi 

1er;  ensuite  en  tournant  un  peu  plus  à  gauche, 
on  prenoit  l'armée  du  maréchal  Daun  à  dos  et 
en  flanc.  Pour  soutenir  cette  attaque  5  il  falloit 
la  nourrir  de  toute  l'infanterie  prussienne  qui 
se  trouvoit  dans  l'armée;  par  cette  raison  le  Roi 
se  proposa  de  refuser  entièrement  sa  droite  aux 
ennemis ,  et  défendit  sévèrement  aux  officiers  qui 
la  commandoient  de  dépasser  le  grand  chemin 
de  Kolin;  cela  étoit  d'autant  plus  sensé,  que  la 
partie  de  l'armée  autrichienne  postée  vis-à-vis 
de  cette  droite,  occupoit  un  terrain  inabor- 
dable :  si  la  position  que  le  Roi  avoit  prescrite 
à  ses  troupes  avoit  été  observée  ,  il  auroit  été 
miaître  durant  l'action  de  faire  filer  selon  le 
besoin  des  bataillons ,  pour  soutenir  les  brigades 
qui  avoient  la  première  attaque.  Outre  ce  que 
nous  venons  de  dire,  M.  de  Ziethen  eut  ordre 
de  tenir  tête  à  M.  de  Nadasti  avec  40  escadrons, 
pour  qu'il  ne  troublât  pas  l'infanterie  prussienne 
dans  ses  opérations;  le  reste  de  la  cavalerie  fut 
placé  en  réserve  derrière  les  lignes.  Lorsque 
tout  fut  réglé,  M.  de  Hulsen  partit  à  la  tête  de 
7  bataillons  et  de  14  pièces  d'artillerie,  pour 
engager  l'action  ;  des  24  bataillons  qui  res- 
suient 5  6  formèrent  la  seconde  ligne  et  les  15 


172  HIST.    DE    LA   GUERRE 

autres  la  première.  Telle  fut  cette  disposition, 
qui  auroit  rendu  les  Prussiens  victorieux  ,  si 
elle  avoit  été  suivie:  mais  voici  ce  qui  arriva. 
M.  de  Zietben  attaqua  le  corps  de  Nadasti, 
dont  la  déroute  fut  générale  ;  il  le  poursuivit 
jusqu  a  Kolin ,  de  sorte  qu'il  fut  séparé  des 
Autrichiens,  et  que  de  toute  la  journée  il  ne 
fut  plus  à  portée  de  nuire  aux  entreprises  du 
Roi.  A  une  heure  après  midi  M.  de  Hulsen 
attaqua  le  cimetière,  et  le  village  de  la  hauteur, 
où  il  ne  rencontra  pas  grande  résistance;  il  se 
rendît  maître  ensuite  de  deux  batteries ,  cha- 
cune de  12  pièces  de  canon.  Tout  succédoit 
aux  voeux  des  Prussiens  dans  cette  première 
attaque  :  mais  voici  les  fautes  qui  causèrent  la 
perte  de  la  bataille.  Le  prince  Maurice  ,  qui 
conduisoit  la  gauche  de  l'infanterie,  au  lieu  de 
l'appuyer  derrière  ce  village  que  M.  de  Hulsen 
venoit  d'emporter,  la  forma  à  mille  pas  de  cette 
hauteur;  cette  ligne  étoit  en  l'air;  le  Roi  s'en 
apperçut,  et  la  mena  près  du  pied  de  cette  hau- 
teur: en  même  temps  on  entendit  un  feu  assez 
vif  à  la  droite.  Obligé  de  se  hâter  et  ne  pou- 
vant faire  autrement,  il  remplit  les  vides  qui  se 
trouvoient  dans  sa  ligne  par  les  bataillons  de  1:^, 


DE    SEI*T    ANS.  173 

seconde;  il  se  rendit  aussitôt  à  la  droite,  pour 
savoir  de  quoi  il  étoit  question  :  il  trouva  que 
M.  de  Mannstein,  qui  avoit  engagé  sa  brigade  si 
mal  à  propos  à  la  bataille  de  Prague ,  venoit  de 
retomber  dans  la  même  faute;  il  avoit  apperçu 
des  pandours  dans  un  village  proche  du  chemin 
que  la  colonne  tenoit  ;  il  lui  prend  fantaisie  de 
les  en  délos:er;  il  entre  contre  ses  ordres  dans 
le  village,  en  chasse  l'ennemi,  le  poursuit,  et 
se  trouve  sous  le  feu  de  mitraille  des  batteries 
autrichiennes;  à  son  tour  on  l'attaque,  et  la 
droite  de  l'infanterie  marche  à  son  secours. 
Lorsque  le  Roi  arriva  sur  les  lieux,  Taffaire 
étoit  si  sérieusement  engagée,  qu'il  n*y  avoit 
plus  moyen  de  retirer  les  troupes  sans  être 
battu  ;  bientôt  la  gauche  entra  également  en 
jeu,  ce  que  les  généraux  auroient  pu  cependant 
empêcher.  Alors  la  bataille  devint  générale,  et 
ce  qu'il  y  avoit  de  fâcheux,  c'est  que  le  Roi 
n'en  pouvoit  être  que  spectateur,  n'ayant  pas 
un  bataillon  de  reste  dont  il  pût  disposer.  Le 
maréchal  Daun  profita  en  grand  général  des 
fautes  des  Prussiens  ;  il  fit  filer  derrière  son 
front  sa  réserve ,  qui  vint  à  son  tour  attaquer 
M.  de  Hulsen  jusqu'alors  victorieux;  il  se  sou- 


174  HIST.    DE   I.A  GUEKRK 

tint  néanmoins,  et  si  on  avoit  pu  lui  fournit 
quatre  bataillons  frais,  la  bataillé  étoit  gagnée; 
il  repoussa  encore  cette  réserve  autrichienne  : 
les  dragons  de  Normann  donnèrent  alors  dans 
l'infanterie  ennemie ,  la  dispersèrent ,  et  lui  pri- 
rent 5  drapeaux  ;  ils  attaquèrent  ensuite  les 
carabiniers  saxons  ,  qu'ils  chassèrent  jusqu'à 
Kolin.  Pendant  ces  entrefaites  l'infanterie  prus- 
sienne du  centre  et  de   la  droite  avoit  gacrné 

o  o 

quelque  terrain,  sans  cependant  avoir  emporté 
d'avantage  considérable.  Ces  bataillons ,  qui 
tous  avoient  beaucoup  souffert  du  canon  et  du 
feu  des  petites  armes  ,  étant  fondus  à  moitié , 
faisoient  entr'eux  des  intervalles  du  triple  plus 
grands  qu'ils  ne  dévoient  l'être,  et  comme  il 
n'y  avoit  ni  seconde  ligne,  ni  réserve  ,  il  fallut 
y  suppléer  par  des  régimens  de  cuirassiers^ 
qu'on  plaça  à  quelque  distance  derrière  ces 
ouvertures*    Le  réaiment   de   Prusse  cavalerie 

o 

attaqua  même  un  gros  de  l'infanterie  ennemie, 
et  l'auroit  détruit ,  si  une  batterie  chargée  à 
mitraille  n'eût  pas  joué  à  propos  contre  lui;  il 
rebroussa  chemin  en  confusion,  et  renversa' les 
régimens  de  Bévern  et  de  Henri  oui  étoient 
derrière  lui  •  l'ennemi  s'apperçut  de  ce  désor- 


DE     SEPT    ANS.  175 

^re;  il  lâcha  aussitôt  sa  cavalerie,  qui, profitant 
de  ce  moment,  rendit  la  confusion  générale. 
Le  Roi  voulut  faire  charger  des  cuirassiers  qui 
étoient  à  portée  et  qui  auroient  pu  réparer  le 
mal  en  partie;  il  lui  fut  impossible  de  les  met- 
tre en  mouvement  :  il  eut  recours  à  deux  esca- 
drons de  Truchses  ,  qui  prirent  la  cavalerie 
ennemie  en  flanc,  et  la  ramenèrent  au  pied  de 
ces  montagnes.  Il  n'y  avoit  de  cette  ligne  d'in- 
fanterie que  le  premier  bataillon  des  gardes  qui 
tînt  encore  à  la  droite;  il  avuit  repoussé  qua- 
tre bataillons  d'infanterie  et  deux  régimens  de 
cavalerie  qui  avoient  voulu  l'entourer  :  mais  un 
bataillon,  quelque  bravoure  qu'il  ait,  ne  sau- 
roit  seul  gagner  une  bataille.  M.  de  Hulsen^ 
avec  son  infanterie  et  quelque  cavalerie  qu'on 
lai  avoit  envoyée ,  se  maintenoit  encore  sur 
son  terrain  ,  savoir  sur  cet  emplacement  dont 
il  avoit  chassé  les  Autrichiens  au  commence- 
ment de  l'action  ;  il  y  resta  jusqu'au  soir  à  g 
heures,  qu'il  fut  obligé  de  se  retirer,  de  même 
que  l'armée.  Le  prince  Maurice  mena  les  trou- 
pes à  Nymbourg,  où  il  passa  l'Elbe ,  sans  qu'un 
seul  housard  de  l'ennemi  le  suivît.  Cette  action 
coûta  au  Roi  8,oco  hommes  de  sa  m.eilleure 


176  HÏST.    DE    LA  GUERRE 

infanterie  ;  il  y  perdit  i5  pièces  de  canon  j 
qui  ne  purent  être  transportées ,  les  chevaux 
en  ayant  été  tués.  Après  que  le  Roi  eut  donné 
ses  ordres  aux  généraux  pour  la  retraite  des 
troupes,  il  courut  au  plus  pressé,  se  rendit  à 
son  armée  de  Prague ,  où  il  ne  put  arriver  que 
le  lendemain  au  soir,  et  l'on  fit  des  dispositions 
pour  lever  le  blocus  de  la  ville,  que  le  funeste 
événement  de  Kolin  ne  permettoit  plus  de 
continuer. 

Ce  qu'il  y  eut  de  singulier  dans  l'action  que 
nous  venons  de  rapporter,  fut  que  déjà  l'in- 
fanterie autrichienne  commençoit  à  se  retirer, 
que  la  cavalerie  devoit  en  faire  autant,  lors- 
qu'un colonel  d'Ayassas  de  son  propre  mouve- 
ment attaqua  l'infanterie  prussienne  avec  ses  dra- 
gons, au  moment  où  les  cuirassiers  de  Prusse 
y  mirent  la  confusion ,  et  où  les  succès  firent 
révoquer  les  premiers  ordres.  Sans  doute  cjue 
l'embarras  où  se  trouvoient  les  Autrichiens  après 
une  affaire  aussi  opiniâtre ,  les  empêcha  de  pour- 
suivre les  Prussiens  ;  cependant  ils  étoient  vic- 
torieux. Si  le  maréchal  Daun  avoit  eu  plus  de 
résolution  et  d'activité  ,  il  est  certain  que  son 
armée  auroit  pu  arriver  le  20  devant  Prague  et 

que 


BE     SEPT    AN  Se  177 

que  les  suites  de  la  bataille  de  Kolin  seroient 
devenues  plus  funestes  pour  les  Prussiens  que 
leur  défaite  même.  Le  qo  de  grand  matin  les 
Prussiens  levèrent  le  blocus  de  Prague.  Le 
corps  qui  avoit  campé  du  côté  de  Michéle  se 
retira  au-delà  de  l'Elbe  par  Alt-Buntzlau  et  Bran- 
deis  5  pour  se  joindre  à  l'armée  de  Kolin  qui  cam- 
poit  à  Nymbourg.  Le  corps  du  maréchal  Keith 
devoit  se  replier  sur  Welwarn ,  afin  de  couvrir 
les  magasins  de  Leutmeritz  et  d'Aussig  ;  des  con- 
tretemps s'en  mêlèrent,  les  ponts  ne  furent  pas 
enlevés  assez  vite  ,  on  fut  obligé  d'attendre  , 
et  le  maréchal  Keith  ne  put  quitter  son  camp 
qu'à  1 1  heures.  Les  Prussiens  de  Michéle  étoient 
partis  à  3  heures  du  matin.  Le  prince  de  Lor- 
raine 5  qui  eut  d'abord  des  avis  de  la  bataille 
que  le  maréchal  Daun  venoit  de  gagner  ,  se  ' 
prépara  à  faire  une  sortie  sur  les  troupes  du 
maréchal  Keith  prêtes  à  lever  le  piquet.  Il  sor- 
tit du  Petit-côté  et  canonna  vivement  les  deux 
colonnes  prussiennes  qui  se  retiroient  par  le 
couvent  de  la  Victoire  :  les  grenadiers  de  l'ar- 
rière-garde  calmèrent  l'impétuosité  des  ennemis, 
et  le  prince  de  Prusse  prit  une  position  à  Ree- 
sin  5  d'où  il  protégea  la  retraite  des  troupes. 
Tome  m  M 


178  HIST.    DE    LA    GUEURE 

Les  Prussiens  n'eurent  que  qoo  hommes  tant  de 
tués  que  de  blessés  dans  cette  affaire  ;  le  prince 
de  Lorraine  y  gagna  q  pièces  de  3  livres ,  dont 
les  chevaux  furent  tués,  seul  trophée  qu'il  rem- 
porta de  son  expédition.  Le  corps  avec  lequel 
le  Roi  avoit  marché  à  Brandeis  prit  le  lende- 
main le  cam.p  de  Lissa,  où  il. se  joignit  au  dé- 
bris des  troupes  de  Kolin.  L'on  supposoit  que 
le  maréchal  Daun  agiroit  contre  l'armée  du  Roi, 
et  le  prince  de  Lorraine  contre  celle  du  maré- 
chal Keith  5  et  l'on  se  trompa.  Les  Autrichiens 
perdirent  beaucoup  de  temps  à  faire  avancer 
leurs  magasins;  au  bout  de  huit  jours  les  deux 
armées  autrichiennes  se  joignirent  à  Brandeis. 
Le  prince  de  Prusse  prit  le  commandement  de 
l'armée  de  Lissa ,  avec  laquelle  il  marcha  à  Jung* 
Buntzlau,  et  bientôt  à  Bœhmisch-Leippa.  Le 
Roi  prit  le  chemin  de  Melnick,  pour  se  joindre 
au  maréchal  Keith  avec  un  renfort  qu'il  lui  me- 
na; il  passa  l'Elbe  à  Leutmeritz  :  afin  de  ne  pas 
perdre  cependant  la  communication  avec  le 
prince  de  Prusse,  il  laissa  le  prince  Henri  avec 
yn  détachement  à  Trebotschau  à  la  rive  droite 
de  l'Elbe.  L'armée  du  Roi  s'étendoit  dans  la 
plaine  entre  Leutmeritz  et  Lowositz;  quelques 


BESEPTANS.  379 

bataillons  occupoient  le  Pascopol  et  le  défilé  de 
Welmina  :  les  gorges  de  la  Saxe  etoient  gardées 
par  de  nouvelles  levées.  La  ville  de  Leutme-  juiUet. 
ritz  avoit  servi  de  dépôt  pour  le  siège  de  Pra- 
gue; c'étoit  le  grand  magasin  et  l'hôpital  de 
l'armée  :  cette  ville  ,  située  dans  un  fond  ,  ne 
pouvoit  se  défendre  que  par  les  camps  qui  oc- 
cupoient les  montagnes  qui  l'environnent.  On 
travailla  5  aussitôt  que  les  troupes  y  arrivèrent, 
à  la  débarrasser  des  malades  ,  des  munitions 
et  de  l'artillerie  qu'on  y  gardoit  ;  quelque  acti- 
vité qu'on  mît  à  presser  tous  ces  transports  ,  on 
ne  put  les  achever  que  le  qo  de  Juillet.  Au 
commencement  de  ce  mois  M.  de  Nadasti  s'ao- 
procha  de  l'armée,  se  campa  à  Gastorf  vis-à-vis 
du  corps  du  prince  Henri,  et  mit  tout  en  œu- 
vre pour  interrompre  la  communication  que 
les  Prussiens  entretenoient  entre  le  camp  de 
Leutmeritz  et  celui  de  Leippa  ;  en  quoi  il  n'eut 
pas  de  peine  à  réussir ,  en  répandant  ses  pan- 
dours  dans  les  forets  et  dans  les  défilés  en  grand 
nombre  qui  se  trouvent  dans  cette  partie  de  la 
Bohème.  A  la  rive  gauche  de  l'Elbe  il  ne  pa- 
rut qu'un  petit  corps  d'Autrichiens  commandé 
par  le  S"^.  Laudon.  Ce  partisan  5  à  la  tète  de" 

M  s 


.l8o  HIST    DE    LA    GUERRE 

Q5O00  pandours,  s'étoit  posté  au  pied  du  Pasco- 
pol ,  d'où  il  infestoit  les  grands  chemins ,  in- 
quiétoit  les  détachemens  et  faisoit  des  coups  peu 
considérables.  Celui  qui  lui  réussit  le  mieux 
devint  funeste  à  M.  de  Mannstein  ,  célèbre 
pour  avoir  engagé  la  bataille  de  Prague  ,  et 
avoir  causé  la  perte  de  celle  de  Kolin.  Ce  gé- 
néral se  faisoit  transporter  en  Saxe ,  pour  y  cher- 
cher la  guérison  de  ses  blessures  ;  il  étoit  es- 
corté par  Qoo  hommes  de  nouvelles  levées: 
Laudon  l'attaque  en  chemin ,  le  désordre  se 
met  dans  l'escorte.  Mannstein  sort  de  sa  voiture, 
prend  son  épée ,  se  défend  en  désespéré,  et  re- 
fusant le  C[uartier  qu'on  lui  offre ,  est  tué  sur  la 
place.  La  guerre  se  faisoit  avec  plus  de  vigueiu 
du  côté  du  prince  de  Prusse.  Le  prince  de  Lor- 
raine et  le  maréchal  Daun,  après  s'être  joints  5 
quittèrent  Brandeis  et  suivirent  le  prince  de 
Prusse  ;  ils  se  campèrent  à  Nimes ,  où  ils  tour- 
noient son  flanc  gauche ,  et  gagnoient  sur  les 

Prussiens  une   marche  sur   Gabel.   Le  général 

o 

Puttkammer  défendoit  le  château  de  cette  ville, 
où  le  prince  de  Prusse  l'avoit  envoyé  avec  4  ba- 
taillons 5  pour  faciliter  les  convois  que  son  ar- 
mée tiroit  de  Zittau.  Si  le  prince  de  Prusse 


DE     SEPT     ANS.  l8l 

eût  pris  le  parti  de  marcher  incontinent  à  Ga- 
bel,  les  Autrichiens  n'auroient  rien  g^gné  par 
leur  mouvement;  mais  le  prince,  qui  n'en  sen- 
tit pas  d'abord  les  conséquences,  demeura  tran- 
quille dans  son  camp,  et  laissa  faire  à  l'ennemi 
ce  qu'il  lui  plut.  Le  maréchal  Daun  fit  partir 
un  détachement  de  20,000  hommes,  qui  atta- 
qua M.  de  Putt^ammer  à  Gabel  :  ce  général , 
après  une  vigoureuse  résistance  et  trois  jours 
de  tranchée  ouverte,  n'étant  point  secouru,  fut 
obligé  de  se  rendre  prisonnier  de  guerre.  Le 
prince  de  Prusse  comprit  l'importance  de  ce 
poste  après  l'avoir  perdu  :  le  droit  chemin  de 
son  camp  à  Zittau  passe  par  Gabel;  ce  chemin 
lui  étant  interdit ,  celui  qui  lui  restoit  passe  par 
Kumbourg  et  fait  un  détour  de  quelques  mil- 
les; on  ne  peut  y  passer  que  sur  une  colonne. 
L'armée  fut  obligée  de  le  prendre;  elle  y  per- 
dit du  bagage ,  et  des  pontons  qui  se  brisèrent 
dans  des  chemins  étroits  entre  des  rochers.  Le 
Prince  arriva  à  Zittau  en  décrivant  un  arc,  et 
le  maréchal  Daun  par  la  corde.  M.  de  Schmet- 
tau,  qui  commandoit  Tavant-garde  des  Prus- 
siens, trouva  en  approchant  de  Zittau  les  Au- 
trichiens établis  sur  l'Eckartsberg  ;  c'est  le  poste 

M  3 


iSl  HIST.    DE    LA    GUERRE 

le  plus  important  de  cette  contrée;  il  domine 
sur  la  ville  et  commande  aux  environs.  L'armée 
du  prince  de  Prusse  occupa  une  hauteur  oppo- 
sée au  camp  des  ennemis ,  la  ville  de  Zittau  de- 
vant sa  droite  entre  les  deux  armées,  sa  gauche 
étendue  sur  la  montagne  de  Hennersdorf.  Le 
Prince  pouvoit  soutenir  la  ville,  sans  pouvoir 
néanmoins  empêcher  les  Impériaux  de  l'insulter. 
Le  maréchal  Daun,  excité  par  le  prince  Charles 
de  Saxe,  fit  bombarder  la  ville.  Zittau  a  des  rues 
étroites ,  la  plupart  des  toits  sont  en  bardeau  ;  le 
feu  y  prit ,  le  bardeau  communiqua  l'incendie 
aux  différens  quartiers  de  la  ville  à  la  fois ,  les 
maisons  s'écroulèrent  et  les  passages  furent  bou- 
chés par  les  débris.  Le  prince  de  Prusse  se  vit 
obligé  d'en  retirer  la  garnison  ;  les  troupes  qui 
occupoient  l'extrémité  opposée  ne  purent  re- 
gagner l'armée,  ne  trouvant  que  des  flammes 
et  des  ruines  sur  leur  passage,  de  sorte  que  le 
colonel  Dierke  avec  150  pioniers  et  le  colo- 
nel Kleist  avec  80  soldats  du  Margrave  Henri 
tombèrent  entre  les  mains  des  ennemis.  La 
ville  de  Zittau  n'étant  en  elle-même  d'aucune 
conséquence,  on  ne  fut  sensible  à  ce  malheur 
qu'à  cause   du  magasin  considérable    qui   s'y 


BE     SEPT    ANS.  183 

trouvoit.  Après  qu'il  eut  été  consumé  par  les 
flammes ,  l'armée  du  prince  de  Prusse  ne  pouvant 
tirer  sa  subsistance  et  son  pain  que  de  Dresde, 
il  auroit  fallu  transporter  ce  pain  de  1 2  milles, 
pour  qu'il  arrivât  au  camp  ;  et  comme  il  se 
présentoit  des  difBcultés  insurmontables  à  ce 
transport,  le  prince  fut  obligé  de  se  rapprocher 
de  ses  vivres  ;  il  décampa  de  Zittau  sans  être 
suivi  par  l'ennemi,  et  prit  une  position  pour 
l'armée  aux  environs  de  Bautzen. 

Dès  que  le  Roi  fut  informé  de  la  perte  de 
Gabel ,  il  se  proposa  d'évacuer  Leutmeritz , 
pour  retourner  en  Saxe.  La  ville  de  Leutme- 
ritz étoit  vide  ;  les  munitions  de  guerre  et 
de  bouche  étoient  déjà  arrivées  à  Dresde  ,  et 
comme  il  n'y  avoit  point  de  temps  à  perdre, 
le  prince  Henri  passa  l'Elbe  :  après  qu'il  eut 
rejoint  le  Roi,  l'armée  alla  se  camper  entre  Su- 
lowitz  et  Lowositz.  M.  de  Nadasti,  qui  avoit  Aoûl 
suivi  l'arrière  -  garde  de  S.  A.  R.  attaqua  les 
grands  gardes  du  camp  :  on  le  reçut  vertement; 
il  fut  repoussé  avec  perte ,  et  repassa  prompte- 
ment  l'Elbe,  Les  jours  suivans  l'armée  se  re- 
plia sur  Linay ,  de  là  sur  Nœllendorf  et  sur 
Pirna.    Un  détachement   de    200  hommes   de 

M  4 


184  HÏST.    DE    LA    GUERRE 

nouvelles  levées ,  qui  gardoit  le  Schreckenstein  , 
fut  attaqué  et  pris  par  M.  Laudoii;  les  postes 
d'Aussig  et  de  Tetschen  furent  évacués  sans  perte. 
Le  Roi  laissa  le  prince  Maurice  à  Gishubel;  il 
lui  donna  14  bataillons  et  10  escadrons,  pour 
défendre  cette  gorge ,  et  se  mit  en  marche  avec 
le  reste  de  ses  troupes,  voulant  joindre  le  prin- 
ce de  Prusse  à  Bautzen.  Ce  prince  ,  qui  étoit 
tombé  malade,  quitta  l'armée  et  ne  fit  depuis 
que  languir.  Le  Roi  s'avança  d'abord  avec  un 
détachement  de  Bautzen  à  Weissenberg  ;  il  en 
délogea  M.  de  Beck,  qui  se  replia  vers  Bern- 
stadt.  Les  arrangemens  qu'il  fallut  faire  pour 
rétablir  l'ordre  dans  les  vivres  et  préparer  de 
nouveaux  caissons ,  arrêtèrent  le  Roi  quinze  ' 
jours.  Ce  prince  étoit  pressé  par  les  progrès 
des  François  à  sa  droite,  et  des  Russes  à  sa  gau- 
che; il  étoit  obligé  de  détacher;  ce  qui  lui  ins- 
pira le  dessein  de  marcher  aux  Autrichiens,  et 
d'essayer  de  s'en  délivrer,  avant  que  de  s'afîoi- 
blir  par  des  détachemens  :  il  se  mit  en  marche 
le  16  pour  Bernstadt;  le  Roi  menoit  la  colonne 
de  la  gauche ,  le  prince  de  Bronsvvic  celle  de 
la  droite.  Ils  pensèrent  entourer  M.  de  Beck 
sur  une  montagne  près  de  Sohland,  et  ce  parti» 


DE     SEPT     ANS.  1S5 

i3.n  ne  se  sauva  qu'en  perdant  une  partie  de 
son  monde.  On  apprit  à  Bernstadt  qu'un  dé- 
tachement des  ennemis  s'assembloit  à  Ostritz; 
M.  de  Werner  y  fut  aussitôt  envoyé  ;  il  fut  sur 
le  point  de  prendre  M.  de  Nadasti ,  dont  il  en- 
leva le  bagage  et  les  troupes  qui  l'escortoient. 
On  trouva  parmi  ses  papiers  des  lettres  origina- 
les de  la  reine  de  Pologne  ,  qui  donnoit  des 
avis  à  ce  général  de  tout  ce  qii'elle  savoit  des 
Prussiens,  et  lui  proposoit  quelques  projets  de 
surprise;  le  Roi  envoya  ces  originaux  à  M.  de 
Finck,  commandant  de  Dresde,  pour  les  mon- 
trer à  la  Reine,  afin  qu'elle  comprît  qu'on  étoit 
au  fait  de  toutes  ses  menées.  Le  Roi  détacha  17, 
5  bataillons  de  Bernstadt,  pour  prendre  poste 
à  Gœrlitz,  et  avec  le  gros  de  l'armée  il  marcha 
droit  aux  Autrichiens.  Le  maréchal  Daun 
campoit  encore  à  l'Eckartsberg;  il  ne  fit  faire 
qu'un  mouvement  à  ses  troupes,  pour  qu'elles 
présentassent  le  front  aux  Prussiens.  Ce  poste 
étoit  inattaquable  :  à  la  gauche  une  montagne 
taillée  en  forme  de  bastion,  hérissée  de  60  piè- 
ces de  douze  livres,  flanquoit  la  moitié  de  son 
armée;  devant  le  front  s'étend  dans  un  bas- 
fond  le  village,  de  Wittgenau ,  le  long  duquel 


l86  HIST.    DE    LA    GUERRE 

coule  un  ruisseau  entre  des  rochers  escarpés. 
Trois  chemins  se  présentoient  pour  traverser 
ce  village  5  qui  menoient  à  l'ennemi,  et  dont 
le  plus  large  "  pouvoit  contenir  une  voiture. 
La  droite  du  maréchal  s'appuyoit  à  la  Neisse; 
au-delà  de  cette  rivière  campoit  M.  de  Na- 
dasti  avec  la  réserve  de  l'armée  sur  une  hauteur, 
d'où  il  pouvoit  avec  30  pièces  de  gros  calibre 
balayer  tout  le  front  de  l'armée  impériale.  Les 
deux  armées  n'étoient  séparées  que  par  le  fond 
de  Wittgenau;  toute  la  journée  se  passa  à  se 
18.  canonner  réciproquement.  Le  lendemain  on 
fit  passer  la  Neisse  à  Hirschfeld  à  un  corps  aux 
ordres  de  M.  de  Winterfeld ,  pour  reconnoître 
s'il  n'y  auroit  pas  moyen  d'engager  une  affaire 
avec  M.  de  Nadâsti  ;  ce  qui  auroit  porté  le  ma- 
réchal Daun  à  le  secourir,  et  auroit  donné  lieu 
à  un  combat  général.  Mais  la  difficulté  du 
terrain  s'opposa  encore  à  cette  entreprise ,  et  il 
fallut  y  renoncer.  Rien  n'auroit  été  plus  avan- 
tageux pour  le  Roi  dans  ces  circonstances  que 
d'engager  une  affaire  décisive  ;  il  n'avoit  point 
de  temps  à  perdre  :  un  gros  de  François  étoit 
à  Erfurt;  l'armée  du  duc  de  Cumberland  étoit 
acculée  à  Stade;  le  duché  de  Magdebourg  et 


DE     SEPT     ANS.  187 

la  vieille  Marche  se  trouvoient  exposés  aux  in- 
cursions des  François;  une  armée  suédoise  avoit 
passé  la  Peene  près  d'Anclam;  les  troupes  des 
cercles  étoient  en  mouvement  pour  s'avancer 
en  Saxe.  Mais  l'impossibilité  de  combattre  20. 
dans  ce  terrain  difficile  et  impraticable ,  et  la 
nécessité  de  faire  de  prompts  détachemens  , 
obligèrent  le  Roi  à  se  retirer.  L'infanterie   se 

o 

replia  par  ligne,  sans  que  l'ennemi  fît  mine  de 
s'en  appercevoir.  L'armée  marcha  à  Bernstadt, 
et  se  campa  sur  les  hauteurs  de  Jauernick  jus- 
qu'à la  Neisse;  au-delà  de  cette  rivière  le  corps 
de  M.  de  Winterfeld  s'étendit  jusqu'à  Rado- 
meritz.  On  envoya  un  détachement  pour  rele- 
ver la  brigade  de  Gœrlitz,  avec  laquelle  M.  de 
Grumbkow  eut  ordre  de  se  rendre  en  Silésie, 
pour  nettoyer  les  frontières  des  partis  ennemis, 
qui  y  commettoient  des  désordres ,  et  pour 
veiller  en  même  temps  à  la  sûreté  de  la  forte- 
resse de  Schweidnitz.  Le  Roi  remit  le  com- 
mandement de  l'armée  au  prince  de  Bévern ,  sS. 
en  lui  adjoignant  M.  de  Winterfeld ,  auquel 
proprem^ent  il  donnoit  sa  confiance  ;  il  leur 
recommanda  surtout  de  couvrir  avec  soin  les 
frontières  de  la  Silésie;  après  quoi  il  partit  avec 


l88  HÎST.    DE    LA    GUERRE 

18  bataillons  et  30  escadrons,  pour  s'opposer 

aux  entreprises  des  François  et  des  troupes  de 

l'Empire.    Alin   de    ne  point  interrompre  les 

événemens  de  cette  campagne ,  tous  liés  les  uns 

aux  autres,  nous  n'avons  pas  fait  mention  de  la 

campagne  de  l'armée  alliée,  commandée   par 

le  duc  de  Cumberland  ;  la  liaison  des   choses 

exige  que  nous  en  fassions  à  présent  une  courte 

récapitulation. 

Campa-        Dès  le  commencement  d'Avril  les  François 

duc  de   occupèrent  les  villes  de   Clèves  et  de  Wésel , 

Cumber-  ^^  [{^  j-jg  rencontrèrent  aucune  résistance.    Le 

land. 

comte  de  Gisors  s'empara  de  Cologne  ,  dont 
les  François  avoient  dessein  de  faire  leur  place 
d'armes.  M.  d'Etrées ,  cjui  de  voit  prendre  le 
'  commandement  de  l'armée  ,  y  arriva  les  pre- 
miers jours  du  mois  de  Mai;  il  s'avança  le  q6 
et  campa  avec  toutes  ses  troupes  à  Munster. 
Le  duc  de  Cumberland  rassembla  les  siennes 
à  Bielefeld,  d'où  il  avoit  poussé  un  détache- 
ment  à  Paderborn  à  l'approche  de  M.  d'Etrées, 
dont  l'armée  se  campa  à  Rhéda.  Le  duc  se 
retira  à  Herford,  sur  quoi  les  François  envoyè- 
rent un  détachement  dans  le  pays  de  Hesse, 
qui 5  n"y  trouvant  aucune  opposition,  s'empara 


ÎDE    SEPT    ANS.  189 

de  tout  le  landgraviat;  Cassai  même,  qui  en 
est  la  capitale,  se  rendit  après  une  foible  résis- 
tance. Le  duc  de  Cumberland  ,  ne  voulant 
faire  ferme  que  derrière  le  Wéser,  selon  le  pro- 
jet des  ministres  de  Hanovre,  qui  croyoient  le  Juillet, 
passage  de  ce  fleuve  plus  difficile  que  celui  du 
Rhin,  le  fit  passer  à  ses  troupes  sur  les  ponts 
qu'il  avoit  fait  préparer  dans  les  villages  de 
Rhemun  et  de  Vlotho  ;  il  donna  en  même  temps 
des  ordres  pour  qu'on  travaillât  à  fortifier  les 
villes  de  Munden  et  de  Hameln;  c'étoit  y  pen- 
ser bien  tard.  Les  François  de  leur  côté  se 
portèrent  sur  Corbie;  un  de  leurs  détachemenSy 
ayant  passé  le  Wéser ,  donna  lieu  au  duc  de 
changer  sa  position,  et  il  se  campa  la  droite  à 
Hameln  ,  la  gauche  à  Afferde.  Le  duc  d'Or- 
léans fit  en  même  temps  établir  des  ponts  à 
Munden  pour  y  passer  le  Wéser.  Le  duc  de 
Cumberland ,  qui  s'attendoit  à  être  attaqué  • 
dans  peu,  rappela  à  lui  tous  ses  clétachemens, 
et  les  rassembla  à  Hastenbeck ,  dont  on  lui  avoit 
dépeint  la  position  comme  admirable.  La  droite 
de  son  armée  s'y  trouvoit  bien  appuyée;  au 
centre  les  troupes  se  replioient  en  forme  de 
coude;  devant  elles  se  trouvoit  un  bois  et  dans 


igO  HIST.    DE    LA    GUERRE 

ce  bois  un  ravin  assez  considérable.  L  armée 
françoise  s'approcha  de  celle  des  alliés;  le  23  se 
passa  en  reconnoissances  de  la  part  de  M.  d'E- 
trées  5  et  en  canonnades  de  la  part  du  duc  de  * 
26.  Cumberland.  Le  lendemain  les  François  atta- 
quèrent sa  gauche  en  se  glissant  par  ce  ravin 
au  fond  du  bois;  ils  emportèrent  la  batterie  du 
centre  des  alliés.  Le  prince  héréditaire  de 
Bronswic  la  reprit  l'épée  à  la  main ,  et  fit  con- 
noître  par  ce  coup  d'essai  que  la  nature  le  desti- 
noit  à  devenir  un  héros.  En  même  temps  un 
colonel  hanovrien,    nommé    Breitenbach ,    se 

*  détache  de  lui-même,  rassemble  les  premiers 
bataillons  qu'il  rencontre ,  entre  dans  le  bois  ^ 
prend  les  François  à  dos,  les  chasse  et  s'em- 
pare de  leurs  canons  et  de  leurs  drapeaux  :  tout 
le  monde  croit  la  bataille  gagnée  par  les  alliés.. 
M.  d'Etrées ,  qui  voit  ses  troupes  en  déroute  y 

•  ordonne  la  retraite;  le  duc  d'Orléans  s'y  op- 
pose :  enhn  ,  au  grand  étonnement  de  toute 
l'armée  françoise ,  on  apprend  que  le  duc  de 
Cumberland  est  en  pleine  marche,  et  qu'il  se 
replie  sur  Hameln.  Le  prince  héréditaire  fut 
obligé  d'abandonner  cette  batterie  qu'il  avoit 
reprise  avec  tant  de  gloire,  et  la  retraite  se  fit 


DE    SEPT    ANS.  ^igi 

avec  tant  de  précipitation,  qu'on  oublia  mê- 
me ce  brave  colonel  Breitenbach  qui  avoit  si 
bien  mérité  dans  cette  journée;  ce  digne  officier 
demeura  seul  maître  du  champ  de  bataille  , 
partit  la  nuit  pour  joindre  l'armée,  apportant 
ses  trophées  au  Duc,  qui  pleura  d.e  désespoir  de 
s'être  trop  précipité  la  veille  à  quitter  un  champ 
de  bataille  qu'on  ne  lui  disputoit  plus.  Quel-  Août. 
ques  représentations  que  lui  fissent  le  duc  de 
Bronswic  et  des  généraux  de  son  armée ,  on  ne 
put  jamais  le  dissuader  de  continuer  sa  retraite. 
Il  marcha  d'abord  à  Nienbourg,  ensuite  à  Ver- 
den  ,  d'où  il  prit  par  Rotenbourg  et  Bremer- 
vœrde  le  chemin  de  Stade.  Par  cette  manœu- 
vre malhabile  il  abandonna  tout  le  pays  à  la 
discrétion  des  François;  Hameln  fut  d'abord 
occupé  par  le  duc  de  Fitzjames  :  mais  ce  qu'il 
y  eut  de  singulier  et  de  remarquable ,  fut  que 
M.  d'Etrées  fut  rappelé  pour  avoir  remporté 
une  victoire.  Le  duc  de  Richelieu,  auquel 
la  cour  donna  le  commandement  de  cette  ar- 
mée ,  arriva  le  7  à  Munden;  il  prit  Hanovre, 
le  duc  d'Ayen  Bronswic,  et  M.  le  Voyer  Wol- 
fenbuttel.  Il  envoya  le  prince  de  Soubise 
avec  un  détachement  de   Q3.000   hommes   à 


192#       HIST.   DE    LA   'GUERRE 

Erfurt  5  où  il  de  voit  être  joint  par  l'armée  des 
cercles  et  un  détachement  d'Autrichiens.  Il  se 
mit  de  son  côté  à  la  poursuite  des  alliés ,  passa 
l'Aller,  et  se  campa  à  Verden.  M.  d'Armen- 
tiéres  s'empara  en  même  temps  de  Brème  le 
Sept.  1  de  Septembre.  L'armée  françoise  s'avança 
vers  Rotenbourg,  dans  l'intention  d'attaquer 
le  duc  de  Cumberland;  elle  ne  l'y  trouva  plus; 
ce  prince  s'étoit  déjà  replié  sur  Bremervœrde , 
évitant  depuis  la  journée  de  Hastenbeck  tout 
engagement  avec  l'ennemi.  Dés  que  le  Roi  eut 
remarqué  par  les  manœuvres  du  duc  de  Cum- 
berland qu'il  se  bornoit  à  défendre  le  Wéser, 
il  prévit  tout  ce  qui  en  résulteroit,  et  rappela  les 
6  bataillons  qu'il  avoit  dans  cette  armée,  pour 
les  jeter  dans  Magdebourg;  ce  qui  se  fit  très-à- 
propos,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite. 
On  voit  par  le  tableau  que  nous  venons  de 
présenter ,  que  le  duché  de  Magdebourg  étoit 
menacé  de  l'invasion  des  François,  et  la  ville 
d'un  siège;  que  la  Saxe  alloit  devenir  la  proie 
de  cette  armée  qui  s'assembloit  à  Erfurt;  que  les 
garnisons  de  Dresde  et  de  Torgau  allaient  être 
perdues;  enfin  que  Berlin,  cette  capitale  sans 
défense ,  étoit  sur  le  point  d'être  envahie  par  les 

Suédois 


DE    SEPT    ANS.  ^193 

Suédois  ,  qui  avoient  pénétré  dans  la  Marche 
uckerane,  et  qui  ne  trouvoient  qu'une  poignée 
de  monde  qui  s'opposât  à  leurs  progrés.  Dans 
ces  conjonctures  les  raisons  les  plus  pressantes 
demandoient  qu'un  corps  de  troupes  marchât 
contre  tant  d'ennemis.  Le  Roi  se  chargea  de 
ce  commandement,  et  se  mit  à  la  tête  de  peu 
de  monde,  pour  ne  point  afïbiblir  son  armée 
de  Silésie,  qui  avoit  à  combattre  l'ennemi  le 
plus  redoutable. 

Le  prince  de  Bévern  ,  auquel  il  restoît  50  Août 
bataillons  et  110  escadrons,  se  campa  après  le 
départ  du  Roi  à  la  Landeskrone  près  de  Gœr- 
litz.  M.  de  Winterfeld  plaça  son  détache- 
ment de  l'autre  côté  de  la  Neisse  sur  le  Holz- 
berg  proche  du  village  de  Moys.  Le  Prince  fit 
transporter  son  magasin  de  Bautzen  à  Gœrlitz, 
Le  maréchal  Daun  et  le  prince  de  Lorraine  se  Sept, 
campèrent  vis-à-vis  de  lui  à  Aussig,  et  déta- 
chèrent M,  de  Nadasti  à  Schœnberg ,  pour  ob- 
server M.  de  Winterfeld.  Le  comte  de  Kau- 
nitz  venoit  d'arriver  à  l'armée  autrichienne  5 
pour  s'aboucher  avec  les  généraux  et  régler  les 
opérations  ultérieures  de  la  campagne,  M.  de 
Nadasti,  pour  lui  faire  sa  cour,  se  proposa  d'at- 
Tome  m  N 


194  HIST.    BE    LA    GUEURE 

taquer  le  poste  de  M.  de  Winterfeld  au  Holz- 
berg.  Ce  poste  n  étoit  garni  que  de  deux  ba- 
taillons; les  dix  autres  du  même  corps  cam- 
poient  à  trois  mille  pas  en  arrière  plus  près  de 
Gœrlitz.  Lé  jour  que  l'attaque  se  fit,  M.  de 
Winterfeld  étoit  auprès  du  duc  de  Bévern  ^ 
avec  lequel  il  avoit  quelques  arrangemens  à 
prendre  :  on  vint  lui  dire  que  l'ennemi  atta- 
quoit  son  poste;  il  y  accourut;  mais  le  Holz- 
berg  étoit  emporté  avant  qu'il  y  arrivât  :  il  vou- 
lut en  déloger  l'ennemi ,  s'avança  à  la  tête  de 
quatre  bataillons,  et  eut  le  malheur  d'être  blessé 
•mortellement.  M.  de  Nadasti,  content  de  l'a- 
vantage qu'il  venoit  de  remporter,  se  retira  de 
lui-même  à  Schœnberg;  les  Prussiens  perdirent 
1200  hommes  à  cette  affaire,  et  nombre  de  bra- 
ves ofiiciers.  M.  de  Winterfeld  mourut  de  sa 
blessure,  et  fut  d'autant  plus  regretté  dans  ces 
circonstances,  qu'il  étoit  l'homme  le  plus  né- 
cessaire à  l'armée  du  prince  de  Bévern ,  et  que 
le  Roi  n'avoit  compté  que  sur  lui  dans  les  ra.e- 
sures  qu'il  avoit  prises  pour  la  défense  de  la 
Silésie.  Le  lendemain  de  cette  affaire  le  prince 
de  Bévern  leva  son  camp;  il  se  rendit  par  Catho- 
lisch-Hennersdorf  et  Naumbourg  à  Lignitz,  et 


i)E    SEPT    ANS.  195 

négligea  de  prendre  le  camp  de  Lœwenberg  ou 
celui  de  Schmutseifen ,  par  lesquels  il  auroit 
couvert  la  Silésie;  et  non  content  d'abandon- 
ner les  frontières,  il  acheva  de  s'afïoiblir  en  dé- 
tachant 13,000  hommes,  qu'il  jeta  dans  difié- 
rentes  places.  Ces  fautes  entraînèrent  les  mal- 
heurs cjui  l'accablèrent  à  la  fin  de  la  campagne. 
Le  maréchal  Daun  suivit  les  Prussiens;  il  mar- 
cha par  Lœwenberg  et  Goldberg,  et  se  campa 
sur  les  hauteurs  de  Wahlstadt.  Les  Prussiens 
étoient  dans  un  fond,  la  droite  à  Lignitz,  la 
Katzbach  à  dos  ,  et  la  gauche  au  village  de 
Becîa-en  ;  ils  avoient  tout  à  craindre  dans  ce 
terrain  :  un  ennemi  entreprenant  en  eût  profité  ; 
le  maréchal  Daun  ne  l'étoit  pas.  Cependant 
un  après  -  midi ,  animé  par  le  vin  et  par  les 
discours  du  chevalier  de  Montazet ,  le  prince 
de  Lorraine  voulut  emporter  quelque  avantage 
sur  l'ennemi  :  il  fit  avancer  huit  à  dix  bataillons 
de  grenadiers  et  du  canon,  avec  lesquels  il  fit 
attaquer  le  village  de  Beckren.  Ce  détache- 
ment  étoit  trop  foible  contre  une  armée;  il  n'é- 
toit  point  soutenu; il  fut  repoussé  par  les  troU" 
pes  que  le  prince  de  Bévern  fit  avancer  de  la 
ligne  pour  soutenir  le  village  :  le  régiment  de 

N  5 


igS  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Prusse  infanterie  se  distingua  surtout  à  cette 
action.  Cet  essai  fit  comprendre  au  prince  de 
Bévern  que  sa  position  étoit  mauvaise ,  son 
camp  mal  pris,  sa  situation  bazardée.  Appré- 
liendant  d'être  attaqué  le  lendemain  avec  d^s 
forces  plus  considérables ,  il  repassa  la  nuit  mê- 
me la  Katzbach,  et  marchant  à  Parchwitz,  il 
y  trouva  un  corps  d'Impériaux  qui  lui  dis- 
puta le  .passage  de  la  Katzbach  ;  il  fit  des  ponts 
sur  l'Oder,  passa  ce   fleuve  et  se  rendit  par  sa 

Octobre.  live  droite  le  i  d'Octobre  à  Breslau  :  ayant 
repassé  l'Oder  sur  le  pont  de  la  ville  ,  il  prit 
poste  derrière  le  petit  ruisseau  de  la  Lohe ,  où 
il  se  retrancha  ;  les  Autrichiens  se  placèrent 
vis-à-vis  de  lui  à  Lissa.  La  cour  de  Vienne 
avoit  négocié  des  troupes  de  l'électeur  de  Ba- 
vière et  du  duc  de  Wurtem.berg,  qu'elle  en- 
voya alors  en  Silésie:  -ces  corps  se  joignirent,  à 
la  réserve  de  M.  de  Nadasti ,  aux  environs  de 
Schweidnitz,  dont  ils  dévoient  faire  le  siège. 
Nous  suspendrons  pour  quelques  momens  le 
Sept,     récit  de  la  campagne  de  Silésie,  pour  suivre  le 

Carapa-     Roi  dans  son  expédition  contre  les  François. 

s""^°^-         Il   se   rendit    d'abord    à   Diesde ,    d'où   il 

tre    les 

Fvançoi?.    détacha  M.  de  Seidlitz   avec  un  régiment  de 


DE    SEPT    ANS.  I97 

housards  et  un  régiment  de  dragons  pour  Leip- 
sic  5 .  afin  de  donner  la  chasse  à  M.  de  Turpin  , 
qui  avec  des  troupes  légères  rodoit  du  côté  de 
Halle.  Les  François  se  retirèrent  à  l'approche 
des  Prussiens ,  de  sorte  que  M.  de  Seidlitz,  de- 
venant inutile  dans  cette  partie,  vint  rejoindre 
le  Roi  entre  Grimma  et  Rœtha  :  de  Rœtha 
les  troupes  marchèrent  à  Pégau;  Tennemi  y 
avoit  détaché  deux  régimens  de  housards  im- 
périaux, Ceczeni  et  Esterhasi.  Cette  ville  est 
située  de  l'autre  côté  de  l'Elster,  sur^  laquelle 
un  pont  de  pierre  aboutit  à  la  porte.  L'en- 
nemi avoit  garni  cette  porte  et  quelques  toits 
des  maisons  voisines,  pour  en  défendre  l'en- 
trée. ~  M.  de  Seidlitz  fit  mettre  pied  à  terre 
à  une  centaine  de  housards  ,  qui  forcèrent  la 
porte;  le  gros  du  régiment  les  suivit  et  entra 
dans  Pégau-  au  plein  galop  :  MM.  de  Seculi  et 
de  Kleist  traversent  la  ville  en  sortant  par  la 
porte  opposée;  ils  trouvent  ces  deux  régimens 
ennemis  postés  derrière  un  chemin  creux;  ils 
les  attaquent,  les  renversent,  les  poursuivent 
jusqu'à  Zeitz,  et  en  ramènent  350  prisonniers. 
Le  lendemain  l'armée  du  Roi  se  porta  sur 
Naumbourg;  l'avant-garde  y  rencontra  6  esca- 

N  3 


igi)  IIISÏ.    DE    LA    GUERRE 

drons  de  ceux  qu'elle  avoit  battus  la  veille;  ils 
furent  bientôt  dissipés  ,  et  perdirent  surtout 
beaucoup  de  monde  en  passant  le  pont  de  la 
Saale  ,  proche  de  Schul-Pforte  :  on  rétablit  ce 
S  Sept,  pont,  et  les  troupes  le  passèrent,  pour  se  ren- 
dre à  Buttstett.  Ce  fut  là  qu'on  reçut  la  nou- 
velle de  cette  fameuse  convention  signée  entre 
le  duc  de  Cumberland  et  le  duc  de  Richelieu 
à  Closter-Seven  ;  ce  traité  fut  négocié  par  un 
comte  Lynar,  ministre  du  roi  de  Danemarck  : 
il  y  fut  stipulé  que  les  hostilités  cesseroient;  que 
les  troupes  de  Hesse,  de  Bronswic  et  de  Gotha 
seroient  envoyées  dans  leur  pays  ;  que  celles 
de  Hanovre  demeureroient  tranquillem.ent  à 
Stade  à  l'autre  bord  de  TJElbe  dans  un  district 
qui  leur  fut  assigné;  on  ne  régla  rien  touchant 
Télectorat  de  Hanovre  ,  ni  contributions ,  ni 
restitutions ,  de  sorte  que  cet  Etat  se  trouvoit 
abandonné  à  la  discrétion  des  François.  A  peine 
cette  convention  fut-elle  conclue ,  que  sans 
en  attendre  la  ratification  ,  le  duc  de  Cum- 
berland s'en  retourna  en  Angleterre ,  et  le 
duc  de  Richelieu  se  prépara  de  son  côté  à 
faire  une  invasion  dans  la  principauté  de  Hal- 
berstadt. 


DESEPTAKS.  19g 

Vers  ce  temps  -  là  on  intercepta  dans  l'ar- 
mée prussienne  des  lettres  du  comte  Lynar  au 
comte  de  Reuss  ;  ces  deux  hommes  étoient  de 
la  secte  qu'on  nomme  Piétistes.  Le  comte  Ly- 
nar, en  parlant  à  son  ami  de  cette  négociation, 
lui  dit  :  ^9  L'idée  qui  me  vint  de  faire  cette  con- 
99  vention  étoit  une  inspiration  céleste  ;  le  S. 
9'  Esprit  m'a  donné  la  force  d'arrêter  les  progrés 
^5  des  armes  françoises,  comme  autrefois  Josué 
59  arrêta  le  soleil  :  Dieu  tout-puissant,  qui  tient 
*v  l'univers  en  ses  mains,  s'est  servi  de  moi  in- 
î9  digne ,  pour  épargner  ce  sang  luthérien ,  ce 
99  précieux  sang  hanovrien  qui  alloit  être  répan- 
•»9  du.  ->'>  Le  malheur  a  voulu  que  le  comte  Ly- 
nar s'est  applaudi  tout  seul;  nous  le  laisserons 
entre  Josué  et  le  soleil  ,  pour  revenir  à  des 
objets  plus  importans.  Cette  indigne  conven- 
tion acheva  de  déranger  les  affaires  du  Roi  ;  sa 
soi-disante  armée  étoit  de  18,000  hommes,  et 
il  se  trouvoit  réduit  à  faire  un  détachement 
pour  couvrir  Magdebourg ,  ou  pour  en  renfor- 
cer la  garnison.  Cependant ,  comme  M.  de 
Soubise  se  trouvoit  à  Erfurt,  il  voulut  tenter 
les  moyens  de  l'en  éloigner ,  afin  de  pouvoir 
s'affoiblir  ensuite  avec  moins  de  dang;er.  Il  s'a- 

N  4 


200  HIST.    DE    LA    GUERRE 

vança  pour  cet  effet  à  Erfurt  avec  QjOOo  che- 
vaux 5  un  bataillon  franc ,  et  deux  bataillons 
de  grenadiers  ;  sa  surprise  fut  extrême ,  lors- 
qu'il vit  l'armée  françoise  décamper  de  la  Cy- 
riacsbourg  en  sa  présence.  M.  de  Soubise ,  ne 
se  croyant  pas  en  sûreté  à  Erfurt,  se  retira 
effectivement  à  Gotha.  A  peine  fut  -  il  parti 
,  qu'on  somma  la  ville  de  se  rendre,  et  l'on  con- 
vint par  la  capitulation,  que  le  Pétersberg  de- 
meureroit  neutre ,  que  la  ville  seroit  occupée 
par  les  Prussiens  ,  et  que  l'ennemi  évacueroit 
la  Cyriacsbourg.  Dès  que  les  troupes  eurent 
pris  une  espèce  de  position  auprès  d'Erfurt,  le 
prince  Ferdinand  de  Bronswic  partit  de  l'ar- 
mée avec  5  bataillons  et  7  escadrons ,  pour 
couvrir  Magdebourg,  et  tenir  tête  à  l'armée  de 
M.  de  Richelieu.  Ce  prince  pouvoit  encore  se 
ôo.  renforcer  de  6  bataillons ,  qu'il  auroit  tirés  de 
la  place;  mais  ces  mesures,  les  seules  que  l'on 
pût  prendre  dans  ces  conjonctures ,  étoient  foi- 
blesj  et  insuffisantes  pour  résister  à  30,000  Fran- 
çois. Le  prince  Ferdinand,  bien  résolu  de 
suppléer  par  son  habileté  au  peu  de  moyens 
qu'on  lui  fournissoit,  prit  un  détour  pour  se 
rendre  à  Magdebourg;  en  marchant  par  jEgeln^ 


BE    SEPT    ANS.  201 

il  donna  sur  le  régiment  de  Lusignan ,  dont  il 
fit  400  hommes  prisonniers;  de  là  il  vint  se 
poster  fièrement  à  Wanzieben,  d'où  il  sembloit 
défier  M.  de  Richelieu,  qui  campoit  à  Halber- 
stadt.  Les  partis  prussiens  eurent  de  la  supé- 
riorité sur  les  François  pendant  toute  la  fin  de 
cette  campagne ,  et  il  se  passa  peu  de  jours 
qu'ils  n'amenassent  des  'prisonniers  au  prince. 
Dans  l'état  où  se  trouvoit  le  Roi ,  il  falloit  avoir 
recours  à  tout,  employer  lajuse  et  la  négocia- 
tion ,  enfin  tous  les  moyens  possibles  pour 
adoucir  la  situation  des  affaires;  d'ailleurs  on  ne 
perdoit,  en  faisant  des  tentatives,  que  la  peine 
d'avoir  imaginé  des  expédiens  frivoles.  Dans 
cette  intention  le  colonel  Balby  partit  déguisé 
en  bailli ,  pour  se  rendre  auprès  du  duc  de 
Richelieu:  il  connoissoit  ce  duc,  avec  lequel 
il  avoit  fait  quelques  campagnes  en  Flandre, 
Balby  devoit  faire  des  propositions  pour  rame- 
ner la  cour  de  Versailles  à  des  sentimens  plus 
doux  et  plus  pacifiques  ;  il  s'apperçut  que  le 
duc  de  Richelieu  ,  se  défiant  de  son  crédit ,  ne 
croyoit  pas  avoir  assez  d'influence  auprès  du  mi- 
nistère et  du  Roi,  pour  changer  leur  système  et 
leur  opinion  sur  l'alliance  avec  la  maison  d'Au- 


202  HIST.    DE    LA    GUERRE 

triche,  alliance  qui  récemment  conclue  plaisoit 
par  sa  nouveauté  même.  Cet  émissaire,  voyant 
que  tout  ce  qu'il  pourroit  dire  sur  ce  sujet  ne 
méneroit  à  rien,  se  rabattit  à  demander  au  Duc 
qu'il  voulût  au  moins  avoir  quelques  ménage- 
mens  pour  les  provinces  du  Roi  où  il  faisoit 
la  guerre. 

Bientôt  le  Roi  fut  encore  obligé  d'affoi- 
blir  son  armée  par  un  nouveau  détachement; 
il  envoya  le  prince  Maurice  à  Leipsic  avec 
lo  bataillons  et  lo  escadrons,  pour  s'y  tenir 
dans  une  position  centrale ,  d'où  il  fût  à  portée 
de  se  joindre  dans  le  besoin  au  Roi ,  ou  au 
prince  Ferdinand,  et  d'où  il  pût  avoir  l'œil 
sur  M.  de  Marshall ,  campé  à  Bautzen  avec 
13,000  Autrichiens  :  ce  dernier  corps  inquiétoit 
avec  d'autant  plus  de  raison ,  que  la  Lusace 
étant  ouverte,  on  avoit  à  craindre  qu'il  ne  fît 
une  irruption  dans  l'électorat  et  n'allât  même  à 
Berlin.  Cette  capitale  étoit  également  menacée 
du  côté  de  la  Poméranie  par  les  Suédois,  dont 
M.  de  Manteufel  avec  500  housards  et  quatre 
bataillons  retardoit  les  progrès.  Après  que  ces 
deux  corps  eurent  quitté  le  camp  d'Erfurt,  il 
ne  resta  plus  au  Roi  que  8   bataillons  et  c; 


DE    SEPT    ANS.  QO3 

escadrons.  Si  rennemi  s'étoit  apperçu  de  la  foi- 
blesse  de  ce  corps ,  il  n'est  pas  douteux  qu  il  ne 
se  fût  mis  en  action;  c'est  ce  qu'il  falloit  empê- 
cher sur  toute  chose ,  et  ce  qui  fit  recourir  à  dif- 
férens  expédiens,  pour  en  imposer  au  peuple 
d'Erfurt,  et  aux  François  mêmes:  par  cette  rai- 
son les  troupes  ne  campèrent  point  ;  l'infanterie 
étoit  répandue  dans  les  villages  voisins  de  la 
ville  ;  on  la  fit  changer  à  différentes  reprises  de 
quartiers ,  et  comme  chaque  fois  les  régimens 
changeoient  aussi  de  nom ,  cela  multiplioit  l'or- 
dre de  bataille  que  les  espions  recueilloient  avec 
soin,  pour  en  instruire  le  prince  de  Soubise, 
Deux  jours  après  que  les  Prussiens  eurent  pris  1^» 
Erfurt,  le  Roi  fit  une  reconnoissance  vers  Gotha 
avec  20  escadrons  de  housards  et  de  dragons, 
pour  essayer  si  l'on  n'en  pourroit  pas  déloger 
ces  deux  régimens  de  housards  impériaux  si 
souvent  battus;  cela  réussit  au-delà  de  ce  qu'on 
devoit  espérer  :  l'appréhension  que  ces  housards 
avoient  des  Prussiens ,  précipita  leur  retraite; 
proche  de  Gotha  ils  avoient  un  déhlé  à  passer, 
où  ils  perdirent  180  hommes;  on  les  poursui- 
vit même  jusqu'à  la  vue  d'Eisenach,  où  cam- 
poit  M.  de  Soubise ,  qui  venoit  d'être  joint 


204  HIST.   DE    LA    GUERRE 

par  le  prince  de  Hildbourghausen ,  général  en 
50.      chef  de  l'année  des  cercles.  La  maison  ducale 
fut  charmée  de  se  voir  débarrassée  de  ces  hôtes 
indiscrets;  elle  avoit  également  à  se  plaindre 
des  François  et  des  Autrichiens  :  les  François 
avoient  commis  des  violences  au  château ,  dont 
ils  avoient  enlevé  les  canons;  et  les  officiers 
autrichiens ,   peu   mesurés  dans  leurs  propos  , 
s'étoient   comportés   avec  une   arrogance  non 
convenable  envers  des  princes  souverains  d'une 
des  plus  anciennes  maisons  de  l'Empire.  M.  de 
Seidlitz  demeura  avec  cette  cavalerie  à  Gotha , 
pour  veiller  de  là  sur  les  mouvemens  de  l'en- 
nemi 5  et  avertir  à  temps  la  petite  armée  d'Er- 
furt  5  afin  que  dans  le  besoin  elle  pût  se  replier 
avant  l'approche  de   l'armée  d'Eisenach.    Peu 
de  jours  après  il  fut  attaqué  par  un  corps  bien 
supérieur  au   sien.   Le   prince  de  Hildbourg- 
hausen  voulut   signaler    son    commandement 
par  un  coup  d'éclat;  il  proposa  au  prince  de 
Soubise    de    déloger   les   Prussiens   de   Gotha. 
Tous  deux  se  mirent  en  marche  avec  les  gre- 
nadiers de  leur  armée ,  la  cavalerie  autrichienne, 
Laudon  et  ses  pandours ,  et  toutes  les  trou- 
pes légères  de  l'armée  françoise.  M.  de  Seidlitz 


DE     SEPT     ANS,  205 

fut  averti  à  temps  du  projet  que  les  ennemis 
formoient  contre  lui;  bientôt  il  les  vit  paroî- 
tre  :  une  colonne  de  cavalerie  embrassoit   Go- 
tha par  la  droite,  en  cheminant  sur  la  crête 
des  hauteurs  qui  vont  vers  la  Thuringe;  une 
autre  colonne  de  cavalerie ,  ayant  les  housards 
devant  elle ,  venoit  à  gauche  du  côté  de  Lan- 
gensalza;    les   pandours   à  la  tête    deS    grena- 
diers formoient  la  colonne  du  centre.  M.  de 
Seidlitz  s'étoit  mis  en  bataille  à  une   certaine 
distance  de  Gotha,  les   housards  en  première 
ligne,  les  dragons  de  Meinicke  en  seconde:  il 
avoit  envoyé  les  dragons  de  Gzettritz  à  un  dé- 
filé qui  étoit  à  un  demi-mille  derrière  lui,  avec 
ordre  de  se  mettre  sur  un  rang,  pour  former 
un  front  étendu  qui  pût  en  imposer  aux  enne- 
mis; ce  qui  n'empêchoit  pas  que  ce  régiment  Octobre 
ne  fût  très-à-portée  de  protéger  sa  retraite,  s'il 
s'étoit  vu  obligé  de  céder  au  nombre.    Cette       v 
manœuvre  habile  et  rusée  fit  prendre  le  change 
au  prince  de  Hildbourghausen;  il  pensa  que 
l'armée  prussienne ,  qu'il  croyoit  considérable, 
^    étoit  en  marche  pour  soutenir  M.  de  Seidlitz, 
et  que  cette   grande  ligne  de   cavalerie   qu'il 
découvroit,   alloit  incessamment    fondre    sur 


206  HIST.    DE    LA    GUEKRE 

lui.   M.  de  Seidlitz  s  apperçut ,  par  la  conte- 
nance mal  assurée  des  housards  autrichiens  , 
que  son   stratagème  faisoit  impression;  il  les 
poussa  insensiblement ,    et  de   choc  en  choc 
gagnant  toujours  du  terrain,  il  les  obligea  à 
repasser  ce  défilé  où  ils  avoient  peu  de  jours 
auparavant  tant  souffert  ;  la  colonne  de  cavalerie^ 
qui  faisoit  la  droite  des  ennemis,  se  retira  en 
même    temps.    M.    de   Seidlitz   alors    envoya 
quelques  housards  et  dragons  dans  Gotha  ;  ils 
y  entrèrent  précisément  comme  le  prince  de 
Darmstadt  avec  les  troupes  des   cercles   com- 
mençoit  à  s'en  retirer,  et  y  firent  nombre  de 
prisonniers.   La  précipitation  avec  laquelle  le 
prince  de  Darmstadt  abandonna  Gotha  ,  pen- 
sa devenir  funeste  à   M.  de  Soubise;  il  étoit 
au  château ,  et  ne  s'attendoit  pas  à  une  aussi 
prompte  évacuation;  il  n'eut  que  le  temps  de 
se  jeter  à  cheval  pour  s'enfuir  bien  vite  :  160 
soldats  et  trois  officiers  de  marque  furent  pris 
dans  cette  journée  par  les  Prussiens.  Tout  au^ 
tre  officier  que  M,  de  Seidlitz  se  seroit  applaudi 
de  se  tirer  de  ce  mauvais  pas  sans  perte;  M, 
de  Seidlitz  n'auroit  pas  été  satisfait  de  lui-mê- 
me 5   s'il  ne   s'en  fût  pas  tiré  avec  avantage. 


DE    SEPT     ANS.  207 

Cet  exemple  prouve  que  la  capacité  et  la  réso- 
lution d*un  général  décident  plus  à  la  guerre 
que  le  nombre  des  troupes.  Un  homme  mé- 
diocre 5  qui  se  fût  trouvé  dans  de  pareilles  cir- 
constances, découragé  par  l'appareil  imposant 
des  ennemis ,  se  seroit  retiré  à  leur  approche  et 
auroit  perdu  la  moitié  de  son  monde  dans  une 
affaire  d'ariiére-garde ,  que  cette  cavalerie  su- 
périeure auroit  engagée  au  plus  vite.  Le  bon 
emploi  de  ce  régiment  de  dragons  étendu  et 
montré  de  loin  à  l'ennemi  procura  à  M.  de 
Sêidlitz  le  moyen  d'acquérir  beaucoup  de  gloire 
dans  une  affaire  aussi  épineuse. 

Le  Roi  n'avoit  pu  jusqu'alors  que  tenir  les 
choses  en  suspens  ;  il  ne  pouvoit  rien  entre- 
prendre et  devoit  tout  attendre  du  bénéfice  du  " 
temps.  Il  se  tint  tranquillement  à  Erfurt,  jus- 
qu'à ce  qu'il  apprit  qu'un  détachement  fran-  ^ 
çois  de  l'armée  de  Westphalie  étoit  en  chemin 
pour  se  rendre  par  la  Hesse  à  Langensalza. 
Comme  il  ne  devoit  pas  attendre  l'arrivée  de 
ce  corps,  qui  pouvoit  lui  tomber  à  dos,  il  ré- 
solut de  se  retirer  avant  son  approche.  Le  bruit 
se  répandant  d'ailleurs  que  M.  de  Haddick  tra- 
versoit  la  Lusace  poux  pénétrer  dans  le  Brande- 


208  HIST.   DE   LA    GUERRE 

bourg,  le  prince  Maurice  avoit  été  obligé  de 
o-asner  Torgau  à  tire  d'aile  ;  il  de  voit  vraisem- 
blablement  pousser  de  là  jusqu'à  Berlin.    Le 
Roi  5  n'ayant  donc  aucun  secours  à  attendre ,  ne 
jugea  pas  à  propos   de  prolonger    davantage 
son  séjour  à  Erfurt ,  et  pour  ne  rien  bazarder 
mal  à  propos,  il  se  replia  sur  l'Eckartsberg  ;  des 
courriers  fréquensy  arrivèrent  de  Dresde;  M.  de 
Finck  marquoit  que  le  corps  de  Marshall  étoit 
sur  le  point  de  quitter  Bautzen ,  pour  suivre 
celui  de  Haddick  :  il  étoit  certain  que  le  prince 
Maurice  n'étoit  pas  assez  fort  pour  résister  à 
ces  deux  généraux  ;  cela  fit  résoudre  le  Roi  à 
lui  mener  un  renfort.  Les  troupes  repassèrent 
la  Saale  à  Naumbourg  :  le  maréchal  Keith  se 
jeta  avec  quelques  bataillons  dans  Leipsic  !  le 
Roi  passa  l'Elbe  à  Torgau ,  et  marcha  sur  An- 
naberg ,   où   il  apprit   que   la  ville  de  Berlin 
en  avoit  été  quitte  pour  une  contribution  de 
QOO5O00  écus   quelle  avoit  payée  aux  Autri- 
chiens; que  M.  de  Haddick  n'avoit  pas  attendu 
l'arrivée  du  prince  Maurice  pour  se  retirer,  et 
que  M.  de  Marshall  étoit  demeuré  immobile 
dans  son  camp  de  Bautzen.  La  première  idée 
qui  lui  vint  alors  fut  de  couper  la  retraite  à 

M. 


DE.SÇPT    ANS*  209 

M.  de  Haddik  ;  il  se  rendit  en  conséquence 
à  Herzberg.  Le  prince  Maurice  étoit.  sur  son 
retour  ,  et  le  Roi  voulut  lattendre ,  parce 
que  Haddik  avoit  .déjà  repassé  Cottbus  ;  il 
demeura  quelques  jours  dans  cette  position, 
pour  s'éclaircir  sur  les  projets  ultérieurs  des 
François ,  qui  dévoient  décider  du  paiti  qu'il 
avoit  à  prendre,  soit  de  s'opposer  à  leurs  entrer 
prises,  soit,  au  cas  que  la  campagne  de  Thu- 
ïinge  fût  finie,  de  tourner  vers  la  Silésie,  pour 
dégager  Schweidnitz,  dont  M.  de  Nadasti  com- 
mençoit  à  former  le  siège. 

Mais  les  ennemis  entraînèrent  le  Roi  dans  26. 
des  opérations  qu'il  ne  pouvoit  pas  prévoir 
alors.  Le  départ  des  Prussiens  d'Erfurt  enga- 
gea M.  de  Soubise  à  passer  la  Saale  et  à  s'ap- 
procher de  Leipsic  ;  le  maréchal  Keith  en 
donna  avis  ,  demandant  avec  empressement 
des  secours  :  il  fallut  accourir  au  plus  pressé. 
Le  Roi  prit  sur  le  champ  avec  sa  petite  troupe  as. 
le  chemin  de  Leipsic  ;  il  nettoya  d'abord  la 
rive  droite  de  la  Mulde  ,  où  M.  de  Custine 
s'étoit  avancé  avec  quelques  brigades  :  après 
quoi  il  entra  à  Leipsic,  où  il  fut  joint  par  le 
prince  Maurice  et  par  le  piince  Ferdinand  de 

Tome  lîL  O 


2  10  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Bronswic.  On  se  rendit  d'abord  maître  de  la 
grande  chaussée  qui  mène  à  Lutzen.  Le  30 
larmée  se  trouvant  rassemblée  ,  elle  alla  se 
camper  à  Altranstsedt,  d'où  M.  de  Retzow  fut 
détaché  en  avant  pour  garder  le  défilé  de  Ri- 
pach.  La  nuit  même  le  Roi  se  mit  en  marche 
pour  tomber  sur  les  quartiers  ennemis  disper- 
sés à  l'entour  de  Weissenfels  :  ils  se  sauvèrent, 
hors  celui  de  Weissenfels.  On  attaqua  les  trois 
portés  de  la  ville ,  avec  ordre  aux  officiers  de 
gagner  sans  délai  le  pont  de  la  Saale  ,  pour 
qu'on  fût  maître  de  ce  passage  important.  La 
ville  fut  forcée ,  on  y  prit  500  hommes  ;  mais 
ceux  de  la  garnison  ,  qui  s'étoient  sauvés, 
avoient  mis  le  feu  au  pont  couvert,  qui,  étant 
tout  d€  charpente,  s'embrasa  facilement:  il  n'y 
eut  pas  moyen  d'éteindre  l'incendie ,  parce  que 
l'ennemi  embusqué  derrière  les  murs  à  l'autre 
bord  faisoit  un  si  gros  feu  de  mousquéterie, 
que  tous  ceux  qui  s'empressoient  à  conserver 
le  pont  étoient  tués  ou  blessés.  Bientôt  de 
nouvelles  troupes  parurent  de  l'autre  côté  de 
la  rivière,  dont  le  nombre,  qui  alloit  toujours 
en  grossissant ,  convainquit  de  l'impossibilité 
de  tenter  le  passage  de  la  Saale  à  cet  endroit 


DE     SEPT     ANS.  211 

Mais  comme  ce  n'étoit  que  la  tête  de  l'armée 
qui  étoit  arrivée  à  Weissenfels ,  et  que  la  partie 
la  plus  considérable  des  troupes  étoit  encore 
en  pleine  marche,  on  leur  fit  prendre  la  direc- 
tion de  Mersebourg ,  dans  l'espérance  de  pou- 
voir se  servir  du  pont  de  cette  ville. 

Lorsque  le  maréchal  Keith  y  arriva  ,  il  Novem- 
trouva  que  les  François  y  étoient  établis  et 
que  le  pont  étoit  rompu  :  il  ne  balança  pas 
sur  le  parti  qui  lui  restoit  à  prendre  ;  il  prit 
quelques  bataillons,  et  se  rendit  à  Halle,  dont 
il  délogea  les  François  ,  et  rétablit  le  pont  qu'ils 
y  avoient  également  détruit.  L'armée  du  Roi 
se  trouvoit  donc  alors  avoir  sa  droite  à  Halle, 
son  centre  vis  -  à  -  vis  de  Mersebourg  ,  et  sa 
gauche  à  Weissenfels ,  couverte  par  la  Saale, 
assurant  sa  communication  derrière  cette  rivière 
par  des  corps  détachés,  qui  veiiloient  égale- 
ment sur  les  démarches  des  ennemis.  Le  maré- 
chal Keith  passa  le  premier  cette  rivière  proche 
de  Halle.  Sur  ce  mouvement,  qui  ne  pouvoit 
être  d'aucune  conséquence  pour  les  François  j 
M.  de  Soubise  abandonna  tous  les  bords  de 
la  Saale ,  et  se  replia  sur  le  village  de  S.  Michel. 
Les  Prussiens  employèrent  ce  jour  et  la  nuit 

02 


212  HÏST.    DE    LA    GUEHRE 

suivante  à  rétablir  les  ponts  de  Weisseniels  et 
de  Mersebourg  :  le  3  de  grand  matin  le  Roi 
et  le  prince  Maurice  les  ayant  passés  ,  leurs 
colonnes'  et  celle  du  maréchal  Keith  se  diri- 
gèrent sur  Rosbach ,  où  elles  avoient  ordre 
de  se  joindre.  Le  Roi  se  détaclia  pendant  la 
marche  avec  quelc^ue  cavalerie ,  pour  reçon- 
noître  la  position  des  ennemis  :  elle  étoit  des 
plus  mauvaises.  Les  housards  par  étourderie 
poussèrent  jusques  dans  le  camp,  et  enlevèrent 
des  chevaux  de  la  cavalerie,  et  des  soldats  qu'ils 
4.  arrachèrent  de  leurs  tentes  :  ces  circonstances, 
jointes  au  peu  de  précautions  des  généraux 
françois,  déterminèrent  le  Roi  à  marcher  le  len- 
demain pour  les  attaquer. 

L'armée  quitta  son  camp  avant  la  pointe  du 
jour  ;  toute  la  cavalerie  faisoit  l'avant  -  garde. 
Lorsqu'elle  arriva  sur  les  lieux  d'où  on  avoit 
îa  veille  reconnu  le  poste  des  ennemis ,  elle 
ne  les  y  trouva  plus  :  sans  doute  que  M.  de 
Soubise,  ayant  fait  réflexion  sur  la  défectuosité 
de  son  camp,  en  avoit  changé  la  nuit  même  î 
il  avoit  étendu  ses  troupes  sur  une  hauteur 
devant  laquelle  régnoit  un  ravin  ;  sa  droite 
s'appuyoit  à   un  bois  qu'il  avoit  fortifié  d'un 


DE     SEPT    ANS.  213 

abatis  et  de  trois  redoutes  garnies  d'artillerie; 
sa  gauche  étoit  environnée  par  un  grand  étang 
qu'on  ne  pouvoit  pas  tourner.  L'armée  du  Roi 
se  trouvoit  trop  foible  en  infanterie  pour  brus- 
quer un  poste  aussi  formidable;  pour  peu  que 
la  défense  eût  été  opiniâtre  ,  on  ne  Tauroit 
emporté  qu'en  y  sacrifiant  vingt  mille  hom- 
mes. Le  Roi  jugea  que  cette  entreprise  sur- 
passoit  ses  forces ,  et  il  envoya  des  ordres  à 
l'infanterie  de  passer  un  défilé  marécageux  qui 
se  trouvoit  prés  de  là,  pour  prendre  le  camp 
de  Braunsdorf;  la  cavalerie  la  suivit,  faisant 
l 'arriére-garde.  Dès  que  les  François  virent  que 
les  troupes  prussiennes  se  replioient,  ils  firent 
avancer  leurs  piquets  avec  de  l'artillerie  ,  et 
canonnèrent  beaucoup ,  mais  sans  effet.  Tout  ce 
qu'ils  avoient  de  musiciens  et  de  trompettes, 
leurs  tambours  et  leurs  fifres  se  faisoient  enten- 
dre 5  comme  s'ils  avoient  gagné  une  victoire. 
Quelque  peu  agréable  que  fût  cr- spectacle  pour 
des  gens  qui  n'avoient  jamais  craint  d'ennemi, 
il  fallut  dans  ces  circonstances  le  considérer  d'un 
œil  indifférent,  et  opposer  le  flegme  allemand 
à  la  pétulance  et  à  la  gaieté  française.  On  apprit  5, 
la  nuit  même  que  l'ennemi  faisoit  un  mouve- 

o  3 


2  14  HÎST.    DE    LA    GUEURE 

ment  de  sa  gauche  à  sa  droite  :  les  housards 
se  mirent  en  campagne  dés  la  pointe  du  jour; 
ils  entrèrent  dans  le  camp  que  les  François 
venoient  de  quitter^  et  apprirent  des  paysans 
qu'ils  avoient  pris  le  chemin  de  Weissenfels. 
Peu  après  un  corps  assez  considérable  se  forma 
vis-à-vis  de  la  droite  des  Prussiens  ;  il  avoit 
l'air  d'une  arrière -garde,  ou  d'une  troupe  qui 
couvre  la  marche  d'une  armée.  Les  Prussiens 
tenoient  peu  de  compte  de  ces  mouvemens, 
parce  que  leur  camp  étoit  couvert,  tant  le  front 
que  les  deux  ailes,  par  un  marais  impraticable, 
et  qu'il  n'y  avoit  que  trois  chaussées  étroites 
par  lesquelles  on  pût  venir  à  eux.  On  ne  pou- 
voit  donc  supposer  que  trois  desseins  à  l'en- 
nemi :  celui  de  se  retirer  par  Freybourg ,  dans 
la  haute- Thuringe,  parce  que  les  subsistances 
lui  manquoient;  celui  de  prendre  Weissen- 
fels, dont  cependant  les  ponts  étoient  détruits; 
ou  enfin  celui  de  gagner  Mersebourg  avant  le 
Roi  ,  pour  lui  couper  le  passage  de  la  Saale. 
Or  l'armée  prussienne  en  étoit  beaucoup  plus 
près  que  celle  des  François.  Cette  manœuvre 
étoit  d*autant  moins  à  craindre,  qu'elle  menoit 
à  une  bataille  dont  on  pouvoit  se  promettre 


DESEPTANS.  215 

un  succès  heureux  ,  puisqu'on  n'auroit  point 
de  poste  à  forcer.  Le  Roi  envoya  beaucoup 
de  partis  en  campagne,  et  attendit  tranquille- 
ment dans  son  camp  que  les  intentions  des 
ennemis  se  fussent  plus  clairement  dévelop- 
pées :  car  un  mouvement  précipité,  ou  fait  à 
contretemps 5  auroit  tout  gâté.  Des  nouvelles, 
tantôt  fausses,  tantôt  vraies,  que  rapportoient 
les  batteurs  d'estrade,  entretinrent  cette  incer- 
titude jusques  vers  midi  ,  qu'on  apperçut  -la 
tête  des  colonnes  françoises ,  qui  à  une  certaine 
distance  tournoient  la  gauche  des  Prussiens. 
Les  troupes  des  cercles  disparurent  aussi  insen- 
siblement de  leur  ancien  camp,  de  sorte  que 
ce  corps  qu'on  prenoit  pour  une  arriére-garde, 
et  qui  étoit  en  effet  la  réserve  de  M.  de  S.  Ger- 
main ,  demeura  seul  vis-à-vis  des  Prussiens. 
Le  Roi  fut  lui-même  reconnoître  la  marche 
de  M.  de  Soubise ,  et  fut  convaincu  qu'elle 
étoit  dirigée  sur  Mersebourg  :  les  François  mar- 
choient  très  -  lentement ,  parce  qu'ils  avoient 
formé  différens  bataillons  en  colonnes ,  ce  qui 
les  arrêtoit  chaque  fois  que  les  chemins  étroits 
les  obligeoient  de  se  rompre.  Il  étoit  deux 
Jieures  lorsque  les  Prussiens  abattirent  leurs  ten- 

O  4 


2l6  HIST.    DE    LA    GUERRE 

tes  ;  ils  firent  un  quart  de  conversion  à  gauche 
et  se  mirent  en  marche.  Le  Roi  côtoya  l'armée 
de  M.  de  Soubise  ;  ses  troupes  étoient  couvertes 
par  le  marais  qui  vient  de  Braunsdorf,  et  qui, 
s'étendant  à  un  grand  quart  de  lieue  de  là,  se 
perd  à  q,ooo  pas  de  Rosbach.  M.  de  Seidlitz 
faisoit  l'avant-garde  avec  toute  la  cavalerie  ;  il 
eut  ordre  de  se  glisser  par  des  bas -fonds  dont 
cette  contrée  est  remplie ,  pour  tourner  la  cava- 
lerrie  Françoise  et  fondre  sur  les  têtes  de  leurs 
colonnes,  avant  qu'elles  eussent  le  temps  de  se 
former.  Le  Roi  ne  put  laisser  au  prince  Ferdi- 
nand, qui  commandoit  ce  jour -là  la  droite  de 
l'armée ,  que  les  vieilles  gardes  de  la  cavale- 
rie 5  qu'il  mit  sur  un  rang  pour  en  faire  montre; 
ce  qui  se  pouvoit  d'autant  mieux,  qu'une  par- 
tie du  marais  de  Braunsdorf  couvroit  cette 
droite.  Les  deux  armées  en  se  côtoyant  s'ap- 
prochoient  toujours  davantage.  L'armée  du  Roi 
tenoit  soigneusement  une  petite  élévation  qui 
va  droit  à  Rosbach;  celle  des  François,  qui 
ne  connoissoit  pas  apparemment  le  terrain, 
marchoit  par  un  fonlj,  Le  Roi  fit  établir  une 
batterie  sur  cette  hauteur,  dont  les  effets  devin- 
rent décisifs  dans  l'action.    Les  François  en  éta- 


DE     SEPT     ANS.  217 

blirent  une  vis-à-vis  dans  un  fond ,  et  comme 
elle  tiroit  de  bas  en  haut,  elle  ne  produisit 
aucun  effet.  Pendant  qu'on  prenoit  ces  arran- 
gemens  de  part  et  d*autre ,  M.  de  Seidlitz  avoit 
tourné  la  droite  des  ennemis,  sans  qu'ils  s*en 
apperçussent;  il  fondit  alors  avec  impétuosité 
sur  cette  cavalerie  :  les  deux  régimens  autri- 
chiens formèrent  un  front  ,  et  soutinrent  le 
choc  ;  mais  se  trouvant  abandonnés  par  les 
François,  à  l'exception  du  régiment  de  Fitz- 
james  qui  donna  ,  ils  furent  presque  entière- 
ment détruits.  L'infanterie  des  deux  armées 
étoit  encore  en  marche,  et  leurs  têtes  n'étoient 
qu'à  la  distance  de  cinq  cents  pas  :  la  Roi  auroit 
voulu  gagner  le  village  de  Reichardswerben; 
mais  comme  il  restoit  600  pas  à  faire  pour  y 
arriver ,  et  qu'on  s'attendoit  d'un  moment  à  l'au- 
tre à  voir  l'action  s'engager ,  il  y  détacha  le  maré- 
chal Keîth  avec  3  bataillons ,  en  quoi  consistoit 
toute  sa  seconde  hgne  :  leîloi  s'avança  en  même 
temps  à  200  pas  des  deux  lignes  françoises,  et 
s'apperçut  que  leur  ordre  de  bataille  étoit  com- 
posé de  bataillons  en  colonnes  alternativement 
enlacés 'dans  des  bataillons  étendus.  Cette  aile 
de  M.  de  Soubise  étoit  en  l'air,  et  la  cavalerie 


2i8  HIST.  DE    LA    GUERRE 

prussienne  étant  occupée  à  poursuivre  celle  des 
ennemis,  on  ne  put  se  servir  que  de  l'infanterie 
pour  déborder  l'aile  :  dans  cette  vue  le  Roi  mit 
en  ligne  deux  bataillons  de  grenadiers  qui  fai- 
soient  un  crochet  à  son  flanc  gauche;  ils  eurent 
ordre  ,  au  moment  que  les  François  avance- 
roient,  de  faire  une  demi -conversion  à  droite, 
ce  qui  les  portoit  nécessairement  sur  le  flanc  de 
l'ennemi.  Cette  disposition  fut  exécutée  ponc- 
tuellement. Aussi  dés  que  les  François  avancè- 
rent, ils  reçurent  le  feu  de  ces  grenadiers  en 
flanc,  et  après  avoir  essuyé  tout  au  plus  trois 
décharges  du  régiment  de  Bronswic,  on  vit  que 
leurs  coloimes  se  pressoient  vers  la  gauclie:  elles 
eurent  bientôt  resserré  ces  bataillons  étendus 
qui  les  séparoient  ;  la  masse  de  cette  infanterie 
devenoit  de  moment  en  moment  plus  grosse, 
plus  lourde  et  plus  confuse  ;  plus  elle  se  pré- 
cipitait sur  la  gauche,  plus  elle  étoit  débordée 
par  le  front  des  Prussiens.  Tandis  que  le  désor- 
dre alloit  en  croissant  dans  l'armée  de  M.  de 
Soubise,  le  Roi  fut  averti  qu'un  corps  de  cava- 
lerie ennemie  se  présentoit  derrière  ses  troupes; 
il  fit  rassembler  en  hâte  les  premiers  escadrons 
que  l'on  put  trouver  :  à  peine  les  eut-il  oppo- 


I)  E    s  E  P  T    A  K  s.  219 

ses  à  ceux  qui  se  montroient  derrière  son  front, 
que  ces  derniers  se  retirèrent  avec  promptitude; 
alors  les  gardes-du-corps  et  les  gendarmes  furent 
employés  contre  l'infanterie  françoise ,  qui  se 
trouvoit  dans  le  plus  grand  désordre;  la  cava- 
lerie l'attaqua,  et  l'ayant  facilement  dispersée, 
elle  fit  un  nombre  considérable  de  François 
prisonniers.  Il  étoit  6  heures  du  soir  quand  ce 
choc  se  donna  :  le  temps  étoit  couvert,  et  l'obs^ 
curité  si  grande ,  qu'il  y  auroit  eu  de  l'impru- 
dence à  poursuivre  Tennemi ,  quelle  que  fût  la 
confusion  dans  laquelle  continuoit  sa  déroute. 
Le  Roi  se  contenta  d'envoyer  à  sa  poursuite 
différens  partis  de  cuirassiers,  de  dragons  et  de 
housards  ,  dont  aucun  ne  passoit  30  maîtres. 
Pendant  cette  action  10  bataillons  de  la  droite 
des  Prussiens  avoient  gardé  le  fusil  sur  l'épaule 
sans  charger  :  le  prince  Ferdinand  de  Brons- 
wic,  qui  les  commandoit,  n'avoit  pas  quitté  le 
marais  de  Braunsdorf,  servant  à  couvrir  une 
partie  de  son  front;  il  avoit  chassé  les  troupes 
des  cercles  qui  lui  étoient  opposées ,  par  quel- 
ques volées  de  canon,  et  leur  avoit  fait  lâcher 
le  pied.  Il  n'y  eut  que  7  bataillons  de  l'armée 
du  Roi  qui  furent  dans  le  feu,  et  tout  l'enga-" 


220  HÎST.    BE   LA    GUEURE 

gement  du  combat  jusqu'à  la  décision  ne  dura 
qu'une  heure  et  demie.  Le  lendemain  le  Roi 
partit  dès  la  pointe  du  jour  avec  les  housards  et 
les  dragons;  il  suivit  les  traces  des  ennemis,  qui 
s'étoient  retirés  par  Freybourg.  L'infanterie  eut 
ordre  de  prendre  le  même  chemin;  l'arrière- 
garde  Françoise  y  étoit  encore  :  les  dragons 
mirent  pied  à  terre  et  chassèrent  des  jardins 
quelques  détachemens  ennemis;  ensuite  on  fit 
des  dispositions  pour  attaquer  le  château  :  mais 
l'ennemi  n'en  attendit  pas  l'exécution,  il  repassa 
rUnstrut  en  hâte  et  brûla  ses  ponts.  Les  détache- 
mens que  le  Roi  avoit  faits  la  veille  arrivèrent 
alors  successivement  ;  les  uns  amenoient  des  offi- 
ciers, d'autres  des  soldats,  d'autres  des  canons, 
enfin  aucun  d'eux  ne  revint  les  mains  vides. 
On  travailla  cependant  avec  tant  de  diligence 
à  rétablir  le  pont  de  l'Unstrut ,  qu'en  moins 
d'une  heure  il  fut  en  état  de  servir.  L'armée  de 
M.  de  Soubise  s'étoit  répandue  par  tant  de 
chemins ,  qu'on  ne  savoit  lequel  suivre.  Les 
paysans  assuroient  que  le  plus  grand  nombre 
des  fuyards  avoit  pris  la  route  de  l'Eckartsberg, 
et  le  Roi  y  marcha  avec  ses  troupes  :  pendant 
toute  cette  journée  le  nombre  des  prisonniers 


DE     SEPT     ANS»  221 

augmenta;  tous  les  détachemens  envoyés  en  dif- 
féiens  lieux  en  amenèrent.  Cependant  on  trouva 
l'Eckartsberg  garni  par  un  corps  des  cercles,  qui 
pouvoit  être  de  5  à  65O00  hommes.  Le  Roi,  qui 
n  avoit  d'autre  infanterie  que  les  volontaires  de 
Meyer,  les  embusqua  avec  des  housards  dans 
un  bois  voisin  de  ce  camp ,  avec  ordre  d'al- 
larmer  l'ennemi  toute  la  nuit.  Les  ennemis, 
mécontens  de  ce  qu'on  troubioit  leur  sommeil , 
abandonnèrent  leur  poste,  et  perdirent  quatre 
cents  hommes  avec  10  pièces  de  canon.  M.  de 
Lentulus,  qui  les  suivit  le  lendemain  jusqu'à 
Erfurt ,  leur  enleva  encore  huit  cents  homrnes  5 
qu'il  ramena  au  Roi.  La  journée  de  Rosbach 
avoit  coûté  105000  hommes  à  l'armée  de  M.  de 
Soubise.  Les  Prussiens  en  prirent  7,000  prison- 
niers :  ils  y  gagnèrent  de  plus  63  canons,  ij 
étendards,  7  drapeaux  et  une  paire  de  timbales. 
Il  est  certain  cju'à  considérer  la  conduite  des 
généraux  François ,  on  auroit  de  la  peine  à  l'ap- 
prouver :  leur  intention  étoit  sans  contredit  de 
chasser  les  Prussiens  de  la  Saxe;  mais  l'intérêt 
de  leurs  alliés  ne  demandoit-il  pas  plutôt 
c[u'ils  se  bornassent  simplement  à  contenir  le 
Roi  vis-à-vis  -d'eux,  pour  donner  au  maréchal 


222  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Daun  et  au  Prince  de  Lorraine  le  temps  d'ache- 
ver la  conquête  de  la  Silésie  ?  Pour  peu  qu'ils 
eussent  encore  arrêté  le  Roi  en  Thuringe ,  cette 
conquête  étoit  non  -  seulement  faite ,  mais  la 
saison  devenoit  de  plus  si  rude  et  si  avancée, 
qu'il  auroit  été  impossible  aux  Prussiens  de 
faire  en  Silésie  les  progrès  dont  nous  aurons 
incessamment  occasion  de  parier  :  et  quant  à  la 
bataille  qu'ils  engagèrent  si  mal  à  propos,  il 
est  certain  que  M.  de  Soubise,  par  son  incerti- 
tude et  par  sa  disposition,  mit  de  la  possibilité 
à  ce  qu'une  poignée  de  monde  vînt  à  bout  de 
le  vaincre.  Mais  la  manière  dont  la  cour  de 
France  distinguoit  le  mérite  de  ses  généraux^ 
parut  plus  surprenante  que  le  reste  :  M.  d'ÉtréeSj, 
pour  avoir  gagné  la  bataille  de  Hastenbeck,  fut 
rappelé;  M.  de  Soubise,  pour  avoir  perdu  celle 
de  Rosbach ,  fut  déclaré  peu  après  maréchal  de 
France.  La  bataille  de  Rosbach  ne  procura  pro- 
prement au  Roi  que  la  liberté  d'aller  chercher 
de  nouveaux  dangers  en  Silésie.  Cette  victoire 
ne  devint  importante  que  par  l'impression 
quelle  fit  sur  les  François  et  sur  les  débris 
de  l'armée  du  duc  de  Cumberland.  D'un  côté 
M.  de  Richelieu  5  dèsi    qu'il  en  reçut  la  nou" 


DE    SEPT    ANS.  223 

velîe,  quitta  son  camp  de  Halberstadt ,  et  se 
retira  dans  Télectorat  de  Hanovre  :  de  l'autre, 
les  troupes  alliées ,  prêtes  à  mettre  les  armes 
bas,  reprirent  courage,  et  conçurent  des  espé- 
rances. Un  changement  avantageux ,  arrivé  à 
peu  près  dans  le  même  temps  dans  le  minis- 
tère britannique,  et  dont  nous  parlerons  bien- 
tôt ,  donna  un  nouveau  nerf  au  gouvernement 
anglois.  Ces  ministres,  honteux  de  la  tache  que 
la  convention  de  Closter- Seven  imurîmoit  à 
leur  nation  ,  résolurent  avec  d'autant  plus  de 
justice  de  la  rompre,  qu'elle  n'avoit  été  ratifiée 
ni  par  le  roi  d'Angleterre  ,  ni  par  le  roi  de 
France  ;  ils  travaillèrent  d'abord  à  remettre  l'ar- 
mée de  Stade  en  activité  :  le  Roi  d'Angleterre, 
dégoûté  du  duc  de  Cumberland  ,  qui  avoit 
perdu  la  confiance  des  troupes ,  voulut  mettre 
un  autre  général  à  leur  tête  ;  il  demanda  au 
Roi  le  prince  Ferdinand  de  Bronsvvic,  dont  la 
réputation  justement  acquise  s'étoit  répandue 
en  Europe.  Quoique  les  Prussiens  perdissent  par 
son  absence  un  bon  général,  dont  ils  avoient 
besoin ,  il  étoit  toutefois  si  important  de  rele- 
ver cette  armée  des  alliés,  que  le  Roi  ne  put 
se  refuser  à  cette  demande.    Le  prince  Ferdi- 


224         HIST.    DE    LA    GUERRE 

nand  partit,  se  rendit  à  Stade  par  des  chemins 
détournés ,  et  trouva  répandu  aux  environs  un 
corps  de  30,000  hommes ,  que  les  François  par 
inconséquence  et  par  légèreté  avoient  négligé 
de  désarmer. 

Le  Roi  revint  de  l'Eckartsberg  à  Frey- 
bourg,  en  même  temps  qu'un  détachement, 
que  le  maréchal  Keith  avoit  envoyé  à  Quer- 
furt  ,  retourna  de  la  pouisuite  des  François. 
Les  paysans  mêmes  des  environs  amenoient 
des  prisonniers  :  ils  étoient  outrés  des  sacrilèges 
que  les  soldats  de  M.  de  Soubise  avoient  com- 
mis dans  les  églises  luthériennes  ;  les  choses 
pour  lesquelles  le  peuple  a  le  plus  de  vénéra- 
tion avoient  été  profanées  avec  une  indécence 
grossière  ,  et  la  fougue  effrénée  des  François 
avoit  miis  tous  les  paysans  de  la  Thuringe  dans 
les  intérêts  de  la  Prusse. 

Cependant  le  Roi  étoit  sur  son  départ  ;  les 
affaires  de  la  Silésie  demandoient  sa  présence 
et  des  secours  ;  il  se  proposa  de  marcher  droit 
à  Schvveidnitz  ,  pour  en  faire  lever  le  siège  à 
M.  de  Nadasti.  Il  partit  de  Leipsic  le  1 2  de 
Novembre  à  la  tête  de  19  bataillons  et  de  q8 
escadrons.  Le  maréchal  Keith  marcha  en  même 

temps 


DE     SEPT     ANS.  225 

terhps  avec  un  petit  corps ,  pour  pénétrer  en 
Bohème  du  côté  de  Leutmeritz ,  afin  de  faci- 
liter au  R.oi  le  passage  de  la  Lusace ,  et  d'obliger 
par  cette  diversion  M.  de  Marshall  à  quitter  les 
environs  de  Bautzen  et  de  Zittau.  Le  maré- 
chal Keith  prit  un  magasin  considérable  que  les 
ennemis  avoient  à  Leutmeritz,  d'où  il  fit  mine 
de  s'avancer  vers  Prague.  Le  Roi  entra  en 
même  temps  en  Lusace  ;  il  délogea  M.  de  Had- 
dick  de  Grossenhayn ,  et  M.  de  Marshall  à  son 
approche  se  replia  sur  Lœbau  :  pendant  la  mar- 
che de  Bautzen  au  Weissenberg ,  on  fit  tour- 
ner une  tête  de  colonne  vers  Lœbau,  et  à  son 
aspect  M.  de  Marshall  se  replia  sur  Gabel  ;  le 
Roi  poursuivit  ensuite  sa  route  sans  empêche- 
ment. En  arrivant  à  Goerlitz  il  reçut  la  il- 
cheuse  nouvelle  de  la  reddition  de  Sdiweid- 
nitz.  Cette  place  fut  prise  de  la  manière  sui- 
vante. M.  de  Nadasti  avoit  ouvert  la  tranchée 
le  27  d'Octobre  entre  le  fort  de  Bœgendorf  et 
la  tuilerie;  sa  troisième  parallèle  éroit  achevée 
le  10  de  Novembre.  La  garnison  avoit  fait 
quelques  sorties  avec  succès,  et  quoique  les 
bombes  eussent  ruiné  une  partie  de  la  ville  , 
l'ennemi  n'avoit  pas  encore  emporté  d'ouvrage; 
Tome  III  P 


2  26  HIST.    DE    LA  GUERKE 

impatient  cVêtre  aussi  peu  avancé,  M.  de  Na- 
dasti  résolut  de  risquer  un  coup  de  main  :  la 
nuit  du  1 1  il  fit  donner  un  assaut  général  à  tou- 
tes les  redoutes  qui  environnent  le  corps  de  la 
place  ;  deux  furent  prises.  Ce  malheur  fit  tour- 
ner la  tête  à  M.  de  Seers,  qui  étoit  gouverneur 
de  la  place,  et  à  M,  de  Grumbkow  ,    qui  lui 
etoit  adjoint;  ils  capitulèrent,  et  se  rendirent 
prisonniers  de  guerre  avec  leur  garnison,  consis- 
tant en  lo  escadrons  de  housards  et  lo  batail- 
lons d'infanterie.    Les  Autrichiens  désarmèrent 
ces  soldats  ,  et  comme  la  plupart  étoient  silé- 
siens ,  ils  leur  donnèrent  des  passeports  et  la 
liberté  de   retourner    dans   leurs  villages.    Cet 
événement  ne  pouvoit  pas  arriver  plus  mal  à 
propos  5    pour    déranger    les   projets    du   Roi. 
Toutefois  sa  jonction  avec  le  prince  de  Bévern 
en  devenoit  d'autant  plus  nécessaire  ,  qu'il  étoit 
>  aisé  de  prévoir  que  M.  de  Naclasti,  ayant  pris 
Schweidnitz,  joindroit  le  maréchal  Daun  ,  pour 
accabler  ce   qui   restoit  de   Prussiens   près   de 
Breslau.  Le  Roi  a  voit  à  la  vérité  ordonné  au 
prince  de  Bévern  d'attaquer  l'ennemi ,  et  de  ne 
pas  souffrir  qu'on  prît  Schweidnitz  pour  ainsi 
dire  à  sa  vue  :  la  chose  étoit  très-faisable,  vu  la 


i         BE     SEPT     ANS.  227 

position  des  Autrichiens  à  Lissa;  le  prince  de 
Bévern  n'avoit  qu'un  mouvement  à  faire  pour 
se  porter  sur  le  flanc  de  l'ennemi,  qu'il  auroit 
battu  probablement;  alors  le  siège  de  Schweid- 
nitz  étoit  levé,  et  les  Impériaux  déconcertés  : 
au  lieu  que  si  l'on  demeuroit  dans  l'inaction, 
M.  de  Nadasti  ne  pouvoit  manquer  à  la  longue 
de  prendre  une  place  qui  n'avoit  point  de  se- 
cours à  espérer,  et  toutes  ces  troupes  ennemies, 
venant  à  fondre  sur  les  Prussiens ,  auroient  enfin 
forcé  les  retranchemens  de  la  Lohe.  Le  mal- 
heur voulut  que  ce  Prince  ne  comprît  pas  la 
force  de  ces  raisons;  les  généraux  le  détermi- 
nèrent cependant  un  jour  à  tenter  cette  entre- 
prise; il  sortit  de  son  camp,  et  battit  les  troupes 
légères  qui  couvroient  le  flanc  droit  des  Autri- 
chiens :  alors  au  lieu  d'attaquer  l'armée ,  et  de 
la  pousser  dans  l'Oder ,  comme  cela  seroit  arrivé, 
son  incertitude,  le  peu  de  confiance  qu'il  avoit 
en  lui-même ,  et  la  crainte  d'une  entreprise 
dont  l'événement  n'est  jamais  d'une  certitude 
évidente,  le  retinrent;  il  crut  en  avoir  fait  assez, 
et  il  ramena  les  troupes  dans  ses  retranchemens. 
Le  Roi  arriva  à  Naumbourg  sur  le  Queis  le  24 
de  Novembre;  il  y  apprit  la  victoire  des  Au- 

P    Q 


228  HIST.    BE    LA    GUERRE 

trichiens  sur  le  prince  de  Bévern ,  et  la  perte 
de  Breslau.  Tout  ce  dont  on  avoit  averti  le 
prince  de  Bévern  n'étoit  arrivé  que  trop  exac- 
tement; M.  de  Nadasti  avoit  joint  le  prince  de 
Lorraine  et  le  maréchal  Daun,  et  les  ennemis, 
impatiens  d'achever  leur  conquête,  ne  perdi- 
rent point  de  temps  pour  mettre  leur  projet  en 
exécution.  La  nuit  du  q  i  au  a  q  de  Novembre 
ils  construisirent  devant  le  front  des  Prussiens 
4  grandes  batteries  de  grosses  pièces  de  canon  ; 
les  emplacemens  qu'ils  prirent  étoient  entre 
Pilsnitz  et  Gross-Mochber.  Le  prince  de  Bévern 
se  contenta  d'être  spectateur  de  cet  ouvrage , 
qu'il  leur  laissa  achever  tranquillement,  tandis 
que  ces  apprêts  annonçoient  les  desseins  du  ma- 
réchal Daun  sur  les  retranchemens  prussiens.  M. 
i2.  de  Nadasti  lono;ea  la  Lohe  et  se  forma  vers  Ga- 
bitz;  le  prince  de  Bévern  crut  que  c'étoit  pour 
lui  venir  à  dos,  quoique  cela  fût  difficile,  et  il 
s'affoiblit  encore  par  un  détachement  qui  se  ren- 
dit à  Gabitz  aux  ordres  de  M.  deZiethen,  pour 
s'opposer  de  ce  côté  aux  entreprises  des  ennemis. 
Le  front  du  camp  prussien  derrière  la  Lohe  étoit 
couvert  par  des  redoutes ,  ouvertes  par  les  gor- 
ges ,  mal  placées .  dont  quelques  -  unes  même 


DE     SEPT     ANS.  229 

etoient  dominées  par  l'autre  live  :  on  n'avoit 
pas  même  en  l'attention  d'y  faire  distribuer 
assez  de  canon;  la  plus  grande  partie  de  l'artil- 
lerie demeura  dans  un  retranchement  que  le 
prince  de  Bévern  avoit  fait  faire  dans  un  bas- 
fond  ,  pour  couvrir  son  flanc  de  la  Lohe  vers  le 
faubourg  de  Breslau.  Le  maréclial  Daun,  cjui 
avoit  eu  le  tem^ps  de  bien  voir  et  de  bien  exa- 
miner toutes  ces  né^lio;ences  et  toutes  ces  bé- 

o    o 

vues,  les  fit  tourner  à  son  avantage.  L'attaque 
commença  le  2  'i  à  g  heures  du  matin  ;  c^uel- 
ques  redoutes  furent  prises  et  reprises  alterna- 
tivement ;  on  fit  agir  la  cavalerie  prussienne 
dans  un  marais ,  où  elle  ne  pouvoit  pas  com- 
battre,  et  où  elle  fut  foudroyée  par  60  canons 
que  les  Autrichiens  avoient  en  batterie  au-delà 
du  ruisseau.  Cependant ,  malgré  tant  de  fausses 
mesures,  les  Prussiens  ne  perdoient  point  en- 
core de  terrain.  A  la  gauche  vers  Gabitz  M.  de 

o 
Zïethen  non  seulement  repoussa  les  attaques, 

mais  poursuivit  M.  de  Nadasti  jusqu'au-delà 
de  la  Lohe ,  et  les  ennemis  en  déroute  se  reti- 
rèrent derrière  le  ruisseau  de  Schweidnitz.  Pen- 
dant ce  temps-là  les  Autrichiens  qui  attaquoient 
le  prince  de  Bévern  avoient  passé  la  Lohe  sous 

p  3 


230  HIST.    DE    LA    GUEPvRE 

la  protection  de  leur  artillerie;  ils  prirent  aussi- 
tôt les  redoutes  prussiennes  par  le^î  gorges  :  les 
troupes  se  défendirent  bien,  et  les  Prussiens  les 
en  délogèrent  à  diverses  fois  ;  le  prince  Fer- 
dinand de  Prusse  repoussa  même  une  partie 
des  ennemis  jusqu'à  la  Lohe;  mais  ils  étoient 
en  trop  grand  nombre,  le  camp  étoit  perdu  et 
la  nuit  close.  Quoiqu'il  y  eût  encore  des  res- 
sources, le  prince  de  Bévern  ne  les  vit  pas;  il 
repassa  l'Oder  dans  la  première  consternation, 
et  jeta  M.  de  Lestwitz  avec  8  bataillons  dans 
Breslau  :  il  perdit  ainsi  80  pièces  de  canons,  et 
près  de  8,000  hommes,  que  l'attaque  du  camp 
de  Lissa  ne  lui  auroit  pas  coûtés.  Les  Autri- 
chiens prétendirent  que  cette  action  leur  avoit 
mis  18,000  hommes  hors  de  combat,  et  il  est 
vrai  que  les  villages  des  environs  étoient  rem- 
plis  de  leurs  blessés.  Le  lendemain ,  ou  pour 
inieux  dire  la  nuit,  le  prince  de  Bévern  s'avisa 
d'aller  reconnoître  le  corps  de  M.  de  Beck  qui 
campoit  près  de  lui;  il  étoit  seul,  et  se  laissa 
prendre  par  des  pandours.  M.  de  Kyau,  qui 
étoit  après  lui  le  plus  ancien  des  généraux, prit 
le  commandement  des  troupes ,  et  sans  aviser 
à  ce  qu'il  y  avoit  à  faire,  il  se  mit  en  chemin 


DE     SEPT     ANS.  23I 

pour  Glogau.  A  peine  M.  de  Lestwitz  se  crut- il 
isolé  clans  Biesîau,  c^u'il  perdit  la  tramontane; 
les  Autrichiens  s'approchèrent  de  cette  capitale, 
et  M.  de  Lestvvitz,  qui  jusqu'alors  avoit  eu  la 
réputation  d'un  brave  officier,  sans  attendre 
que  l'ennemi  tirât  un  seul  coup  de  canon  con-  24. 
tre  les  remparts,  demanda  à  capituler,  et  ob- 
tint la  libre  sortie  avec  armes  et  bagages;  il  sor- 
tit deux  jours  après  avec  sa  garnison  ,  dont  la 
moitié  déserta  sur  le  cliemin  que  M.  de  Kyau 
avoit  pris. 

Le  Roi  reçut  à  la  ftjis  toutes  ces  nouvelles 
accablantes.  Sans  s'appesantir  sur  les  désastres  qui 
venoient  d'arriver,  il  ne  songea  qu'au  remède, 
et  força  de  marche,  pour  gagner  les  bords  de 
roder.  En  chemin  il  se  détourna  de  Lisnitz, 
que  les  Autrichiens  a  voient  fait  fortifier  ,  et 
poussant  droit  à  Parchwitz  ,  son  avant -garde 
donna  à  l'improviste  sur  un  détachement  des 
ennemis,  cjui  fut  bien  battu  et  dont  300  hom- 
mes furent  faits  prisonniers;  il  arriva  à  Parch- 
witz le  q8,  ayant  fait  le  chemin  de  Leipsic  à 
roder  en  iq  jours.  Le  Roi  vouloit  que  M.  de 
Kyau  passât  l'Oder  à  Koben;  mais  il  ne  put 
pas  y  réussir ,  parce  que  la  plupart  des  troupes 

p  4 


232  HIST.    DE    LA  GUERRE 

avoient  déjà  gagné  Glogau.  Dans  ces  conjonctu- 
res le  temps  étoit  ce  qu'il  avoit  de  plus  pré- 
cieux; il  n'y  avoit  point  de  rnomens  à  perdre;  il 
falloit  ou  attaquer  incessamment  les  Autrichiens 
à  tout  prix  5  et  les  mettre  hors  de  la  Silésie  ,  ou 
se  résoudre  à  perdre  cette  province  pour  jamais. 
L'armée  5  qui  repassa  l'Oder  à  Glogau,  ne  put 
pécem-  joindre  les  troupes  du  Roi  que  le  q  de  Décem" 
bre;  cette  armée  étoit  découragée  et  dans  l'ac- 
cablement d'une  défaite  récente.  On  prit  les  ofR- 
ciers  par  le  point  d'honneur;  on  leur  rappela  le 
souvenir  de  leurs  anciens  exploits  ;  on  tâcha  de 
dissiper  les  idées  tristes  dont  l'impression  étoit 
fraîche  :  le  vin  fut  même  une  ressource  pour 
ranimer  ces  esprits  abattus.   Le  Roi  parla  aux 
soldats;  il  leur  fit  distribuer  des  vivres  gratis. 
Enfin  on  épuisa  tous  les  moyens  que  l'imagina^ 
tion  pouvoit  fournir,  et  que  le  temps  permet^ 
toit,  pour  réveiller  dans  les  troupes  cette  con^ 
fiance  sans  laquelle  l'espérance  de  la  victoire  est 
vaine,    Déjà  les  physionomies  commençoient 
à  s'éclaircir,  et  ceux  qui  venoient  de  battre  les 
François  à  Rosbach  persuadèrent  à  leurs  com- 
pagnons  de  prendre   bon    courage.    Quelque 
peu  de  repos  refit  le  soldat,  et  l'armée  se  trouva 


1 

DE     SEPT     ANS.  233 

disposée  à  laver ,  aussitôt  que  l'occasion   s'en 
présenteroit,  l'affront  qu'elle  avoit  reçu  le  22. 
Le  Roi  chercha  cette  occasion,  et  bientôt  elle 
se  trouva  :  il  avança  le  4  à  Neumarkt  ;  il  étoit 
avec  l'avant-garde  des  housards ,  et  apprit  que 
l'ennemi  établissoit  sa  boulangerie  dans  cette 
ville,  c^u'elle  étoit  garnie  de  pandours,  et  qu'on 
y  attendoit  dans  peu  l'armée  du  maréchal  Daun. 
La  hauteur  située  au-delà  de  Neumarkt  donnoit 
un  avantage  considérable  à  l'ennemi,  si  on  lui 
permettoit  de  l'occuper  •.  la  difficulté  étoit  de 
prendre  cet  endroit  ;  l'infanterie  n'étoit  point 
arrivée  5  et  ne  pouvoit  joindre  l'avant-garde 
qu'au  soir;  on  n'avoit  point  de  canon;  les  seules 
troupes  dont  on  pouvoit  tirer  parti  étoient  des 
îiousards.  On  se  résolut  à  faire  de  nécessité  ver- 
tu. Le  Roi,  ne  voulant  pas  souffrir  que  le  prince 
de  Lorraine  vînt  se  camper  vis-à-vis  de  lui  , 
fit  mettre  pied  à  terre  à  quelques  escadrons  de 
housards;  ils  enfoncèrent  la  porte  de  la  ville; 
nn  régiment,  qui  les  suivoit  à  cheval,  y  entra 
au  plein  galop  ;  un  autre  régiment  par  les  fau- 
bourgs gagna  la  porte  de  Breslau,  et  l'entre- 
prise réussit  au  point,  que  800  Cravates  furent 
faits  prisonniers  par  les  housards.    On  occupa 


234  HIST.    DE    LA  GUERRE 

aussitôt  l'emplacement  du  camp,  et  l'on  y  trou- 
va les  piquets  et  les  traces  que  les  ingénieurs 
autrichiens  y  avoient  laissés  pour  marquer  la 
position  de  leurs  troupes.  Le  piince  de  Wur- 
temberg prit  le  commandement  de  lavant-gar- 
de;  on  le  renforça  le  soir  de  lo  bataillons,  avec 
lesquels  il  se  campa  à  Kammendorf.  Le  même 
jour  la  cavalerie  passa  encore  le  défilé;  le  gros 
de  l'infanterie  cantonna  dans  la  ville  de  Neu- 
markt  et  dans   les  villacres  voisins.   Des  nou- 

o 

velles  positives  arrivèrent  alors  au  Roi,  par  les- 
quelles il  apprit  que  le  prince  de  Lorraine  avoit 
quitté  le  camp  de  la  Lobe  ,  et  s'étoit  avancé 
au-delà  de  Lissa  ;  que  son  armée  avoit  sa  droite 
appuyée  au  village  de  Nypern  ,  sa  gauche  à 
Golau ,  et  à  dos  le  petit  ruisseau  de  Schvveid- 
nitz.  Le  Roi  se  réjouit  de  trouver  l'ennemi 
dans  une  position  qui  facilitoit  son  entreprise; 
car  il  étoit  obligé  et  résolu  d'attaquer  les  Au- 
trichiens partout  où  il  les  trouveroit,  fût-ce 
même  au  Zobtenberg.  On  travailla  d'abord 
à  la  disposition  de  la  marche  ,  et  l'armée  se  mit 
5.  en  mouvement  le  5  avant  l'aube  du  tour  :  elle 
étoit  précédée  par  une  avant -garde  de  60  es- 
cadrons et  de   10  bataillons  5  à  la  tête  de  la- 


DE     SEPT     ANS.  235 

quelle  le  Roi  s'étoit  mis  en  personne  ;  les  qua- 
tre colonnes  de  l'armée  la  suivoient  à  une  pe- 
tite distance;  l'infanterie  formoit  celles  du  cen- 
tre 5  et  celles  des  ailes  étoient  composées  de 
cavalerie.  L'avant  -  garde  en  approchant  du 
village  de  Born  découvrit  une  grande  ligne  de 

o  00 

cavalerie ,  dont  la  droite  tiroit  vers  Lissa ,  et  dont 
la  gauche  ,  qui  étoit  plus  avancée  ,  s'appuyoit  à 
un  bois  que  l'armée  du  Roi  avoit  à  sa  droite. 
On  crut  d'abord  que  c'étoit  une  aile  de  l'armée 
autrichienne,  dont  on  ne  découvroit  pas  le  cen- 
tre :  ceux  qui  en  firent  la  reconnoissance  assu- 
rèrent que  c'étoit  une  avant-garde  ;  on  apprit 
même  qu'elle  étoit  commandée  par  le  général 
Nostitz,  et  que  le  corps  consistoit  en  quatre 
régimens  de  dragons  saxons  ,  et  deux  de  hou- 
sards  impériaux.  Pour  jouer  à  jeu  sûr  ,  on  fit 
glisser  les  10  bataillons  dans  le  bois  qui  cou- 
vroit  le  flanc  gauche  de  M.  de  Nostitz  ;  sur 
quoi'la  cavalerie  prussienne,  qui  s'étoit  formée, 
fondit  dessus  avec  beaucoup  de  vivacité  :  dans 
un  moment  ces  régimens  furent  dissipés ,  et 
poursuivis  jusques  devant  le  front  de  l'armée 
autrichienne;  on  leur  prit  5  officiers  et  800 
hommes,  cîu'on  renvoya  le  long  des  colonne-^ 


236  HIST.   DE    LA    GUERRE 

à  Neumarkt,  pour  animer  le  soldat  par  l'exem- 
ple de  ce  succès.  Le  Roi  eut  de  la  peine  à  con- 
tenir la  fougue  des  housards ,  que  leur  ardeur 
transportoit  ;  ils  etoient  sur  le  point  de  don- 
ner au  milieu  de  l'armée  autrichienne  ,  lors- 
qu'on les  rassembla  entre  les  villages  de  Heyde 
et  de  Frobelvitz  à  une  portée  de  canon  de  l'en- 
nemi.  On  disting:uoit  si  bien  de  là  l'armée  im- 
périale,  qu'on  auroit  pu  la  compter  homme  par 
homme  :  sa  droite ,  qu'on  savoit  à  Nypern , 
étoit  cachée  par  le  grand  bois  de  Lissa  ;  mais 
du  centre  jusqu'à  la  gauche  rien  n'échappoit  à 
la  vue.  A  la  première  inspection  de  ces  trou- 
pes et  d'après  le  terrain  on  jugea  qu'il  falloit 
porter  les  grands  coups  à  l'aile  gauche  de  cette 
armée  :  elle  étoit  étendue  sur  un  tertre  chargé 
de  sapins ,  mais  mal  appuyée  ;  ce  poste  forcé  ,  on 
gagnoit  l'avantage  du  terrain  pour  le  reste  de  la 
bataille ,  parce  que  de  là  il  va  toujours  en  des- 
cendant et  en  s'abaissant  vers  ?vypern  :  au  lieu 
qu'en  s'attachant  au  centre  les  troupes  de  l'aile 
droite  autrichienne  auroient  pu,  en  traversant 
le  bois  de  Lissa ,  tomber  en  flanc  sur  les  assail- 
lans  :  et  après  tout  il  auroit  toujours  fallu  finir 
par  l'attaque  de   ce  tertre,    qui   dominoit  sur 


DE     SEPT    ANS.  237 

toute  cette  plaine.  Ç'auroit  été  réserver  la  be- 
sogne la  plus  dure  et  la  plus  difficile  pour  la 
fin  5  où  les  troupes  harassées ,  è^  fatiguées  du 
combat ,  ne  sont  plus  propres  aux  grands  efforts; 
au  lieu  qu'en  commençant  par  l'opération  la 
plus  rude  ,  on  profitoit  de  la  première  ardeur 
du  soldat,  et  le  reste  de  l'ouvrage  devenoit  aisé» 
Par  une  suite  de  ces  raisons  on  disposa  incessam- 
ment l'armée  pour  l'attaque  de  la  gauche.  Les 
colonnes  qui  étoient  dans  l'ordre  du  déploie- 
ment furent  renversées;  on  les  mit  sur  deux 
lignes,  et  les  pelotons  par  quart  de  conversion 
se  mirent  à  défiler  par  la  droite  :  le  Roi  avec 
ses  housards  côtoya  la  marche  de  son  armée  sur 
une  chaîne  de  tertres  qui  cachoit  à  l'ennemi  les 
mouvemens  qui  se  faisoient  derrière  ;  et  se 
trouvant  entre  les  deux  armées ,  il  observoit 
celles  des  Autrichiens,  et  dirigeoit  la  marche  de 
la  sienne.  Il  envoya  des  officiers  de  confiance , 
les  uns  pour  observer  la  droite  du  maréchal 
Daun ,  les  autres  vers  Canth  pour  veiller  aux 
démarches  de  M.  de  Draskowitz,  qui  y  avoit 
son  camp  ;  on  reconnut  en  même  temps  1  en- 
nemi le  long  du  ruisseau  de  Schweidnitz ,  pour 
être  sûr  qu'il  ne  pût  rien  venir  à  dos  lorsque 


238  HIST.    DE    LA  GUERUE 

l'armée  engageroit  le  combat.  Le  projet  que 
le  Roi  se  préparoit  d'exécuter  étoit  de  porter 
toute  son  armée  sur  le  flanc  gauche  des  Impé- 
riaux, de  faire  les  plus  grands  efforts  avec  sa 
droite ,  et  de  refuser  sa  gauche  avec  tant  de  pré- 
voyance ,  qu'il  n'eût  point  à  craindre  des  fautes 
semblables  à  celles  qu'on  avoit  faites  à  la  ba- 
taille de  Prague,  et  qui  avoient  causé  la  perte  de 
celle  de  Kolin.  Déjà  M.  de  Wédel,  quidevoit 
avec  ses  10  bataillons  de  l'avant-c^arde  former  la 
première  attacjue,  s'étoit  rendu  devant  l'armée; 
déjà  les  têtes  des  colonnes  avoient  gagné  le 
ruisseau  de  Schweidnitz ,  sans  que  l'ennemi  s'en 
fû%  apperçu.  Le  maréchal  Daun  prit  le  mou- 
vement des  Prussiens  pour  une  retraite ,  et  dit 
au  prince  de  Lorraine  :  Ces  gens  s  en  vont ,  lais- 
sons-hs  faire.  Cependant  M.,  de  Wédel  s'étoit 
formé  devant  les  deux  li^^nes  d'infanterie  de 
la  droite  ;  son  attaque  étoit  soutenue  par  une 
batterie  de  20  pièces  de  iq  livres,  dont  le 
Roi  avoit  dépouillé  les  remparts  de  Giogau. 
La  première  ligne  reçut  ordre  d'avancer  eru 
échelons ,  les  bataillons  k  ^o  pas  de  distance  en 
arrière  les  uns  des  autres ,  de  sorte  que  la  ligne 
étant  en  mouvement,  l'extrémité  de  la  droite  s© 


DE     SEPT     ANS.  239 

trouvoit  de  mille  pas  plus  avancée  que  Textré- 
mité  de  la  gauche;  et  cette  disposition  la  mit 
dans  l'impossibilité  de  s'engager  sans  ordïe. 
Sur  cela  M.  de  Wédel  attaqua  le  bois  où  com- 
mandoit  M.  Nadasti;  il  n'y  trouva  pas  grande 
résistance,  et  l'emporta  assez  vite.  Les  géné- 
raux autrichiens,  se  voyant  tournés  et  pris  en 
flanc ,  essayèrent  de  changer  cle  position  ;  ils 
voulurent ,  mais  trop  tard ,  former  une  ligne 
parallèle  au  front  des  Prussiens  :  tout  l'art  des 
généraux  du  Roi  fut  employé  à  ne  leur  en  pas 
donner  le  temps.  Les  Prussiens  s'établissoient 
déjà  sur  une  hauteur  qui  commande  le  village 
de  Leuthen;  dans  l'instant  où  l'ennemi  vou- 
lut y  jeter  de  l'infanterie,  une  seconde  batterie 
de  QO  pièces  de  iq  livres  tira  sur  eux  si  fort  à 
propos ,  qu'ils  en  perdirent  l'envie  et  se  retirè- 
rent. Du  côté  de  M.  de  Wédel  les  Autri- 
chiens se  saisirent  d'une  butte  voisine  du  ruis- 
seau ,  pour  l'empêcher  de  balayer  leur  ligne 
d'une  aile  à  l'autre;  M.  de  Wédel  ne  les  y  souf- 
frit pas  long-temps  ,  et  après  un  combat  plus 
long  et  plus  opiniâtre  que  le  précédent,  ils  fu- 
rent forcés  à  céder  le  terrain.  M.  de  Ziethen, 
en  même  temps  chargea  la  cavalerie  ennemie 


240  HÏST.    DE    LA    GUERRE 

et  la  mit  en  déroute;  quelques  escadrons  de  sa 
droite  reçurent  en  flanc  ,  des  broussailles  qui 
bordoient  le    ruisseau  ,    une   décharge   à  mi- 
traille. Ce  feu,  partant  à  l'improviste ,  les  ra- 
mena, et  ils  se  reformèrent  auprès  de  l'infan- 
terie.  Les  officiers  cjui  avoient  eu  la  commis- 
sion d'observer  la  droite  du  maréchal  Daun , 
vinrent  alors  avertir  le  Roi  qu'elle  îraversoit  le 
bois  de  Lissa,  et  alloit  paroître  incessamment 
dans  la  plaine;  sur  quoi  M.  de  Driesen  reçut 
ordre  d'avancer  avec  Taile  oauche  de  la  cava- 
leiie  prussienne.  Lorsque  les  cuirassiers  autri- 
chiens commencèrent  à  se  former  près  de  Leu- 
then,  la  batterie  du  centre  de  l'armée  du  Roi 
les  salua  par  une  décharge  de  toute  son  artille^ 
lie;  M.  de  Driesen  en  même  temps  les  attaqua; 
la  mêlée  ne  fut  pas  longue;  les  Impériaux  fu- 
rent dispersés  et   s'enfuirent   à   vau- de -route. 
Une  ligne  d'infanterie,  qui  s'étoit  formée  à  côté 
de  ces  cuirassiers  derrière  Leuthen,  fut  prise  en 
flanc  par  le  régiment  de  Bareuth .  qui ,  la  re- 
jetant sur  les  volontaires  de  \Vunsch ,  en  prit 
deux   régimens    entiers   avec   officiers   et   dra^ 

o 

peaux.   Alors  la  cavalerie   ennemie  étant  tout 
à  fait  dissipée 3  le  Roi  fit  avancer  le  centre  de 

son 


DE    SEPT    ANS.  24I 

son  infanterie  sur  Leutlien.  Le  feu  fut  vif 
et  court  5  parce  que  l'infanterie  autrichienne 
n'étoit  qu'éparpillée  entre  les  maisons  et  les  jar- 
dins. Au  déboucher  du  village ,  on  apperçut 
une  nouvelle  ligne  d'infanterie  que  les  géné- 
raux autrichiens  formoient  sur  une  éniinence 
près  du  moulin  à  vent  de  Ségeschutz.  L'armée 
du  Roi  eut  quelque  temps  à  souffrir  de  leur 
feu  :  mais  les  ennemis  ne  s'étoient  pas  apper- 
çus  dans  cette  confusion  que  le  corps  de  M. 
de  Wédel  étoit  dans  leur  voisinage  ;  ils  furent 
tout  à  coup  pris  en  flanc  et  à  dos  par  ce  brave 
et  habile  général ,  et  sa  belle  manœuvre ,  en 
fixant  la  victoire,  termina  cette  importante  jour- 
née. Le  Roi  5  ramassant  les  premières  troupes 
qui  se  présentèrent,  se  mit  à  la  poursuite  des 
ennemis  avec  les  cuirassiers  de  Seidlitz  et  un 
bataillon  de  Jung-Stutterheim;  il  s'avança,  diri- 
geant sa  marche  entre  le  ruisseau  de  Schweid- 
nitz  et  le  bois  de  Lissa.  L'obscurité  devint  si 
grande ,  qu'il  poussa  quelques  cavaliers  en  avant 
pour  reconnoître  les  forêts,  et  pour  donner  des 
nouvelles  ;  de  temps  à  autre  il  fit  tirer  quel- 
ques volées  de  canon  vers  Lissa,  où  le  gros  de 
l'armée  autrichienne  s'étoit  enfui  :  à  l'appro- 
Tome  ni.  Q 


242  HIST.    DE    LA    GUERRE 

che  de  ce  bourg  l'avant-garde  essuya  une  dé- 
charge d'environ  deux  bataillons ,  dont  per- 
sonne ne  fut  blessé  ;  elle  y  répondit  par  quel- 
ques volées  de  canon,  en  poursuivant  toujours 
sa  marche.  Chemin  faisant  les  cuirassiers  de 
Seidlitz  amenoient  des  prisonniers  par  bandes. 
Arrivé  à  Lissa,  le  Roi  trouva  toutes  les  maisons 
pleines  de  fuyards  et  de  gens  débandés  de  l'ar- 
mée impériale  ;  il  s'empara  d'abord  du  pont  , 
où  11  plaça  ses  canons,  avec  ordre  de  tirer  tant 
qu'il  y  auroit  de  la  poudre.  Sur  le  chemin  de 
Breslau ,  par  où  Fennemi  se  retiroit,  il  fit  jeter 
des  pelotons  d'infanterie  dans  les  maisons  les 
plus  voisines  du  ruisseau  de  Schweidnitz,  afin 
de  tirer  sur  l'autre  bord  pendant  toute  la  nuit^ 
soit  pour  entretenir  la  terreur  chez  les  vaincus, 
soit  pour  les  empêcher  de  jeter  sur  Tautre  bord 
des  troupes  qui  en  disputassent  le  passage  le 
lendemain.  Cette  bataille  avoit  commencé  à 
une  heure  de  l'après  -  midi  ;  il  en  étoit  huit 
lorsque  le  Roi  avec  son  avant-garde  vint  à  Lissa. 
Son  armée  étoit  forte  de  33,000  hommes,  lors- 
qu'elle engagea  l'action  avec  celle  des  Impé- 
riaux,  qu'on  disoit  monter  à  6o,ouo  combat- 
tans.    Si  le  jour  n'eût  pas  enfin  manqué  aux 


DE     SEPT     ANS.  -    243 

Prussiens,  cette  bataille  aurolt  été  la  plus  dé- 
cisive de  ce  siècle.  Les  troupes  n'eurent  pas 
le  temps  de  se  reposer  ;  elles  partirent  de  Lissa 
qu'il  étoit  encore  nuit ,  ramassèrent  pendant 
la  marche  nombre  de  traîneurs  des  ennemis ,  et 
arrivèrent  vers  les  dix  heures  sur  les  bords  de  la 
Lohe  5  où  malgré  une  forte  arrière-garde  com- 
mandée par  M.  de  Serbelloni  ,  postée  auprès 
de  Gross-Mochber ,  10  bataillons  passèrent  ce 
ruisseau  ;  on  les  forma  dans  un  ravin  à  l'abri 
du  canon  des  Autrichiens ,  et  l'on  embusqua 
les  housards  derrière  des  villages  et  des  censés, 
où  ils  étoient  couverts  et  à  portée  d'agir  aussi- 
tôt que  cela  deviendroit  nécessaire.  M.  de 
Serbelloni  hâta  sa  retraite  autant  qu'il  put,  et 
se  replia  vers  les  deux  heures  de  l'après-midi 
sur  Breslau  ;  M.  de  Ziethen ,  avec  tous  les  hou- 
sards, Qo  escadrons  de  dragons  et  16  bataillons, 
le  suivit  de  près.  Une  partie  du  monde  de  l'Au- 
trichien se  jeta  sans  ordre  dans  Breslau.  Cette 
arrière-garde  ,  pleine  de  terreur  et  se  retirant 
en  confusion ,  perdit  beaucoup  de  soldats  dans 
sa  marche.  M.  de  Ziethen  poursuivit  l'armée 
du  maréchal  Daun  par  Borau  ,  Reichenbach, 
Kunzendorf  à  Reichenau  ,  où  il  fut  joint  par 

O  2 


244  HÎST.    DE    LA    GUERRE 

M.  de  Fouquet,  qui  venoit  avec  quelques  trou- 
pes de  Glatz.  Ces  deux  généraux  poussèrent 
les  Autrichiens  jusqu'en  Bohème.  Le  Roi  de 
son  côté  forma  le  7  la  circonvallation  de  Bres- 
lau;  on  prit  poste  au  faubourg  de  S.  Nicolas  5 
à  Gabitz,  aux  Lehmgruben,  à  Hube  et  Dur- 
gensch  :  et  comme  la  raison  de  guerre  vouloit 
qu'on  enfermât  la  ville  également  de  l'autre 
côté  de  l'Oder,  le  Roi  envoya  ordre  à  M.  de 
Wied,  qui  avoit  été  malade  à  Brieg,  d'en  sortir 
avec  3  bataillons,  auxquels  on  joignit  5  esca- 
drons, pour  se  poster  sur  la  grande  chaussée  qui 
mène  de  Breslau  à  Hundsfeld;  il  s'y  retrancha 
le  mieux  qu'il  put ,  pour  empêcher  la  garnison 
de  se  sauver  en  Pologne,  au  cas  qu'elle  voulût 
le  tenter.  On  se  prépara  au  siège;  le  Roi  tira 
les  munitions,  les  canons,  les  mortiers  dont  on 
avoit  besoin,  des  forteresses  de  Brieg  et  de 
Neisse.  Le  10  six  bataillons  prirent  possession  du 
faubourg  d'Ohlau;  ces  troupes  s'établirent  au 
couvent  des  Frères  de  la  miséricorde,  dont  ils 
chassèrent  les  pandours.  M.  de  Forcade  prit 
poste  au  cimetière  de  S.  Maurice  ,  où  l'on 
construisit  une  batterie  à  l'abri  des  murailles; 
et  pour  distraire  l'attention  du  Commandant 


DE    SEPT    ANS,  245 

et  de  la  garnison,  le  prince  Ferdinand  de  Prusse 
établit  au  faubourg  de  S.  Nicolas  une  bat- 
terie et  un  bout  de  tranchée ,  qui  firent  croire 
à  l'ennemi  que  c'étoit  de  ce  côté -là  que  les 
Prussiens  vouloient  pousser  leurs  attaques ,  tan- 
dis que  M.  de  Balby  faisoit  sa  parallèle  depuis 
le  cimetière  de  S.  Maurice  jusques  vis-à-vis 
de  la  porte  de  Schweidnitz;  de  cette  parallèle 
deux  grandes  batteries  croisantes  dirigeoient 
leur  feu  sur  le  Taschenbastion ,  et  sur  le  ca- 
valier qui  le  commande.  Les  assiégés  se  défen- 
dirent mollement.  Ils  tentèrent  par  le  fau- 
bourg de  Pologne  du  côté  de  M.  de  Wied  une 
foible  sortie  ,  où  ils  perdirent  300  hommes. 
Le  16  une  bombe  mit  par  hazard  le  feu  au 
magasin  de  poudre  du  Taschenbastion  ;  l'é- 
paule sauta  çt  ses  décombres  formèxent  une 
espèce  de  brèche.  Le  froid  devint  si  violent, 
que  le  Commandant  craignit  cme  malgré  ses 
précautions,  les  fossés  étant  gelés,  les  Prussiens 
ne  donnassent  un  assaut  à  la  place  ;  il  craignit 
d'être  pris  d'emblée  :  il  savoit  d'ailleurs  que 
l'armée  impériale  étant  rechassée  en  Bohèm^e  , 
il  n'avoit  aucun  secours  à  en  attendre.  Ces 
différentes  considérations  le  portèrent  à  capitu- 

03 


245  HIST.    DE    LA    GUERRE 

jer,  et  il  se  rendit  lui  et  toute  sa  garnison  pii- 
sonniers  de  guerre;  il  se  trouva  que  14,000 
hommes  en  avoient  assiégé  1  7,000.  Mais  il  falloit 
considérer  qu'une  partie  de  cette  garnison  étoit 
composée  des  fuyards  de  Leuthen ,  et  qu'en 
général  ni  les  fortifications,  ni  le  nombre  des 
soldats  ne  défendent  une  ville ,  mais  cj^ue  tout 
dépend  de  la  tête  plus  ou  moins  forte  et  du 
courage  déterminé  de  celui  qui  y  commande. 
Nous  avons  rapporté  sans  interruption  les  évène- 
inens  de  cette  expédition  de  Silésie;  peut-être  ne 
sera-t-on  pas  fâché  de  trouver  ici  le  résumé  des 
pertes  qu'y  firent  les  deux  parties  belligérantes. 

Les  Prussiens  ne  perdirent  à  la  bataille  de 
Leuthen  en  morts  et  blessés  que  2660  hommes^ 
parce  qu'ils  trouvèrent ,  si  l'on  excepte  la  pre- 
mière attaque,  un  terrain  qui  les  favorisa. 

Les  Autrichiens  y  perdirent  307  officiers, 
2I5O00  soldats,  134  canons,  5g  drapeaux.  MM. 
de  Ziethen  et  de  Fouquet  firent  2,500  prison- 
niers dans  la  poursuite.  La  prise  de  Breslau 
coûta  aux  ennemis  13  généraux,  6S6  officiers, 
et  375635  soldats.  Somme  totale  41,447  hom- 
mes 5  dont  l'armée  impériale  se  trouvoit  afîoî- 
blie  à  son  retour  en  Bohème. 


DE    SEPT    ANS.  Q47 

Quoique  cette  campagne  eût  été  longue  , 
dure  et  pénible;  quoique  sa  fin  fût  aussi  heu- 
reuse qu'on  eût  pu  l'espérer  ,  il  restoit  encore 
une  expédition  à  faire ,  tant  les  dérangemens 
arrivés  en  Silésie  étoient  considérables;  il  falloit 
reprendre  la  ville  de  Lignitz,  où  les  Impériaux 
avoient  fait  des  inondations  et  des  ouvrages. 
Le  Roi  y  avoit  envoyé  M.  de  Driesen  ,  qui 
avec  un  corps  de  cavalerie  tenoit  cette  ville 
investie  depuis  le  16.  Le  prince  Maurice  y  ar- 
riva le  Q3  avec  un  détachement  d'infanterie, 
pour  en  faire  le  siège  dans  les  régies.  Les  ap- 
prêts s'en  firent,  le  canon  arriva.  M.  de  Bu- 
low ,  que  le  maréchal  Daun  y  avoit  établi  en 
qualité  de  commandant,  préféra  la  conservation 
de  sa  garnison  à  une  défense  qu'il  n'auroit  pu 
soutenir  à  la  longue;  il  capitula,  et  demanda 
la  libre  sortie  pour  ses  troupes  ;  ce  qu'on  lui 
accorda  volontiers ,  parce  que  les  troupes  étoient 
fatiguées  à  l'excès ,  et  la  gelée  si  forte ,  que  les 
pèles  et  les  pioches  ne  pouvoient  plus  ouvrir 
la  terre.  Les  ouvrages  et  les  écluses  de  la  ville 
furent  rases,  ahji  que  si  les  ennemis  s'en  empa- 
roient  une  seconde  fois,  ils  ne  pussent  pas  si 
vite   la   remettre    en   état   de  défense  5^  et  en 

Q4 


248  HIST.    DE    LA    GUERRE 

faire  une  place  d'armes.  Toute  la  cavalerie 
fut  ensuite  employée  à  former  le  blocus  de 
Schweidnitz;  on  réserva  le  siège  de  cette  place 
pour  le  printemps  prochain.  Le  corps  de  M. 
de  Ziethen  forma  un  cordon  qui  prit  de 
Schmiedeberg  par  Landshut,  Friedland,  Brau- 
nau  5  se  terminant  à  Gîatz.  Les  troupes  en- 
Janvier,  trérent  le  6  de  Janvier  en  quartier  d'hiver,  et 
le  Roi  demeura  à  Breslau,  afin  de  veiller  lui- 
même  à  tout ,  et  de  préparer  ce  qui  étoit  né- 
cessaire 5  pour  que  l'armée  rétablie  et  en  bon 
état  pût  de  bonne  heure  ouvrir  la  campagne 
prochaine. 
Campa-  Pour  terminer  l'histoire  de  tous  les  événe- 
Prusse,  niens  de  cette  année,  il  nous  reste  a  rapporter 
ce  qui  se  passa  en  Prusse  entre  MM.  de  Lehwald 
et  d'Apraxin,  et  ce  que  firent  les  Suédois  en 
Poméranie.  Le  maréchal  Apraxin  s'approcha 
au  mois  de  Juin  des  frontières  de  la  Prusse 
à  la  tête  de  100,000  hommes;  le  gros  de  son 
armée  marcha  vers  Grodno  ,  capitale  de  la  Li- 
thuanie  polonoise.  M.  de  Fermor ,  avec  un 
corps  de  q 0,000  hommics,  secondé  par  la  fiotte 
russe,  mit  le  siècle  devant  Mémel.  La  ville  fut 
rendue  par  capitulation  le  3  de  Juillet.  M.  de 


DE    SEPT    ANS.  24g 

Lehwald  s'étoit  proposé  de  défendre  les  bords 
du  Prégel ,  et  s'étoit  campé  à  Insterboiirg,  d'où 
il  observoit  M.  d'Apraxin.  Après  la  prise  de  Mé- 
mel  l'armée  ennemie  pénétra  en  Prusse ,  s'ap- 
prochant  d'insterbourg;  M.  de  Fermor  s'avança 
de  son  côté  vers  le  Prégel.    Il  semble  que  c'é- 
toit  le  moment  où  le  Maréchal  Lehwald  auroit 
dû  prendre   un  parti  décisif,   pour   se  battre 
avec  un  de  ces  généraux;  il  n'en  trouva  peut- 
être  pas  l'occasion  favorable.   Le  corps  de  M. 
de  P'ermor,   qui  arriva  à  Tilsit,  lui  donna  de 
la  jalousie;  il  craignit  d'être  tourné  et  se  retira  à 
Wélau.  Il  avoit  dans  son  armée  deux  régimens 
de  housards  qui  faisoient  au  plus  2,400  hom- 
mes 5  et  ces  housards  non-seulement  résistèrent 
à  IQ5O00  Tartares  et  Cosaques  que  les  Russes 
traînoient  avec  eux,  mais  remportèrent  de  plus 
durant  toute  cette  campagne  des  avantages  si- 
gnalés sur  ces  ennemis.  Après  la  retraite  du  ma-  Août, 
réclial  Lehwald ,    M.    d'Apraxin  ,  n'étant  gêné 
par  personne,  se  joignit  à  Insterbourg  avec  M. 
de  Fermor;  ils  s'avancèrent  tous  les  deux  en 
côtoyant  l'Aller,  et  vinrent  se  camper  à  Jaegern- 
dorf  à  un  mille  et  demi  de  l'armée  prussienne. 
Le  Roi   avoit   donné  carte  blanche  à  M.  de 


250  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Lehwald,  pour  prendre  tel  parti  qu'il  jugeroit 
à  propos  5  tant  à  cause  de  l'éloignement  des 
lieux ,  que  parce  que  des  partis  qui  souvent  ro- 
doient  autour  de  l'armée  du  Roi  auroient  pu 
intercepter  des  dépêches  de  cette  conséquence. 
M.  de  Lehvvald,  qui  craignoit  qu'un  Corps  de 
Russes  ne  s'approchât  de  Kœnigsberg,  dont  les 
ouvrages  sont  trop  vastes  pour  être  défendus , 
et  ne  prît ,  pendant  qu'il  seroit  contenu  par  le 
maréchal  russe,  cette  capitale  où  il  avoit  ses 
magasins,  crut  qu'il  ne  pouvoit  empêcher  l'en- 
nemi de  tenter  une  pareille  entreprise  qu'en  lui 
livrant  bataille,  et  résolut  d'aller  l'attaquer  dans 
son  camp  de  Jœgerndorf.  îl  se  mit  en  marche 
le  29,  et  se  porta  dans  un  bois  où  il  étoit  pré- 
cisément dans  le  flanc  des  Russes  ;  s'il  avoit 
attaqué  cette  armée  tout  de  suite ,  il  y  a  appa- 
rence qu'il  l'auroit  fait  avec  succès.  Quoique 
son  corps  ne  montât  qu'à  24,000  hommes,  il 
pouvoit  espérer  de  remporter  des  avantages  , 
parce  que  les  Russes  furent  surpris  de  le  voir  ar- 
river, qu'ils  ne  s'attendoient  pas  à  être  attaqués, 
et  qu'il  régnoit  une  grande  confusion  dans  leur 
camp;  ils  étoient  outre  cela  mal  postés,  et  rien 
îie  l'em.pêchoit  de  marcher  droit  à  eux.    Il  est 


DE     SEPT     ANS.  25I 

impossible  de  dire  quelles  raisons  le  retinrent, 
et  lui  firent  différer  jusqu'au  lendemain  ce  qu'il 
pouvoit  exécuter  sur  le  champ.  Il  engagea  l'af- 
faire le  30.  D'abord  les  housards  et  les  dragons 
prussiens  firent  plier  devant  eux  la  cavalerie 
russe  et  les  Cosaques  qui  leur  étoient  opposés, 
et  les  rechassèrent  jusqu'à  leur  camp.  Les  en- 
nemis avoient  changé  l^  nuit  de  position,  d'où 
il  résulta  que  les  dispositions  que  le  maréchal  de 
Lehwald  avoit  faites  la  veille  pour  les  attaquer 
dans  le  terrain  où  il  les  avoit  trouvés  ne  c|ua- 
droient  plus  avec  l'emplacement  où  ils  étoient 
alors  :  sa  cavalerie  de  la  gauche  attaqua  néan- 
moins celle  des  Russes,  et  la  rejeta  derrière  son 
front;  mais  elle  y  essuya  un  feu  si  violent  d'ar- 
tillerie et  de  mitraille,  qu'elle  fut  oblicrée  de 
rejoindre  l'infanterie  prussienne.  C'étoit  dans 
le  moment  où  M.  de  Lehwald  attaquoit  im 
bois  rempli  d'abattis ,  dans  lequel  les  Russes 
avoient  placé  leurs  grenadiers;  le  bois  étoit  au 
centre  de  l'armée  de  M.  d'Apraxin  ;  ces  grena- 
diers furent  battus  et  presque  tous  détruits  : 
mais  le  terrain  fourré  où  cette  action  se  passa  ca- 
choit  aux  Prussiens  une  manœuvre  que  faisoient 
alors  les  ennemis ,  et  qui  devint  funeste  aux 


252  HIST.    DE    LA    GUERRE 

premiers  ;  M.  de  Romanzow  s'avançoit  avec 
2  0  bataillons  de  la  seconde  ligne  des  Russes., 
pour  soutenir  ces  grenadiers  ;  il  se  porta  en 
flanc  et  à  dos  de  l'infanterie  prussienne;  elle 
perdit  insensiblement  du  terrain  et  fut  enfin 
obligée  de  se  retirer.  Cela  se  fit  en  bon  ordre; 
les  dragons  et  les  housards  couvrirent  sa  retraite. 
Ce  corps,  qui  ne  fut  point  poursuivi  par  l'en- 
nemi 5  revint  à  Wélau  reprendre  son  ancien 
camp.  Le  Maréchal  ne  perdit  dans  cette  affaire 
en  morts,  blessés,  et  prisonniers  que  1400  hom- 
mes  et  1  "^j  canons.  M.  d'Apraxin  demeura  en- 
core quelques  jours  dans  son  camp  de  Jaegern- 

Sept.  dorf.  Le  7  de  Septembre  il  fit  mine  de  passer 
l'Aller  5  pour  se  porter  en  droiture  sur  Kœnigs- 
berg  :  mais  il  falloit  bien  c^u'il  n'eût  pas  cette 
expédition  fort  à  cœur  ;  car  ayant  trouvé  un 
corps  prussien  qui  lui  disputoit  le  passage  de 
cette  rivière ,  il   se  désista   de   son   entreprise. 

î?»  Dix  jours  après  il  décampa  subitement  de  Jae- 
çerndorf ,  et  se  retira  vers  les  frontières  de 
la  Pologne.  Le  maréchal  de  Lehwald  le 
suivit  pour  la  forme  jusqu'à  Tilsit  ,  moins 
dans  le  dessein  d'engager  quelque  affaire  d'ar- 
xière- garde  que  pour  en   imposer  au  public; 


DE    SEPT    ANS.  253 

la  disproportion  des  forces  étoit  trop  grande 
entre  ces  deux  armées,  et  l'échec  qu'il  avoit 
reçu  étoit  trop  récent  :  d'ailleurs  il  obtenoit  son 
but  sans  courir  de  risques;  car  l'ennemi  se  re- 
tirant de  soi-même  en  Pologne  ,  il  n'y  avoit 
qu'à  le  laisser  tranquillement  poursuivre  sa  mar- 
che. M.  d'Apraxin  évacua  toute  la  Prusse  ,  à 
l'exception  de  Mémel ,  dont  les  Russes  demeu- 
rèrent en  possession.  L'armée  prussienne  s'ar- 
rêta aux  environs  de  Tilsit,  trop  heureuse  de 
s'être  débarrassée  d'un  ennemi  aussi  formidable 
à  si  bon  marché.  Mais  si  elle  avoit  échappé  aux 
malheurs  qui  la  menaçoient  dans  cette  campa- 
gne,  il  n'étoit  pas  probable  qu'elle  jouît  à  la 
longue  de  la  même  fortune.  Le  maréchal  de 
Lehvvald  eût-il  possédé  tous  les  talens  du  prince 
Eugène,  comment  pouvoit-il  dans  la  suite  de 
la  guerre  résister  avec  Q45000  Prussiens  à  100,000 
Russes  ?  Le  Roi  avoit  tant  d'ennemis  à  com- 
battre, et  ses  troupes  étoient  si  considérable- 
ment fondues ,  qu'il  lui  étoit  impossible  d'en- 
voyer des  secours  à  son  armée  de  Prusse  ;  il 
étoit  à  craindre ,  et  l'on  pouvoit  même  le  pré- 
voir ,  que  les  Russes,  étendant  leurs  connoissan- 
ces  et  leurs  vues  ,  ne  corrigeassent  les  fautes 


2  54  HIST.    DE    LA    GUERRE 

qu'ils  avoient  faites,  et  ne  détachassent,  en  ou- 
vrant la  campagne  suivante ,  un  corps  considé- 
rable vers  la  Vistule  ,  qui  exposeroit  M.  de  Leh- 
wald  au  risque  d'être  coupé  de  la  Poméranie. 
On  avoit  tout  lieu  de  croire  qu'étant  entouré 
par  des  ennemis  aussi  nombreux,  il  auroit  le 
même  sort  que  le  duc  de  Cumberland,  avec 
la  différence  que  les  Russes ,  moins  polis  que  les 
François ,  Tauroient  contraint  de  mettre  les 
armes  bas. 

D'une  autre  part  les  Suédois  n'avoient  fait 
des  progrès  en  Poméranie  que  parce  qu'ils  n'a- 
voient rencontré  aucune  résistance;  ils  étoient 
en  possession  d'Anclam ,  de  Demmin ,  et  du 
fort  de  Peenamunde ,  qu'ils  avoient  pris  après 
un  siège  de  quinze  jours.  La  garnison  de  Stet- 
tin  consistoit  en  lo  bataillons  de  milice,  que 
les  Etats  de  la  Poméranie  avoient  levés.  M. 
de  Manteufel,  à  la  tête  de  4  bataillons,  n'é- 
toit  pas  en  état  de  former  de  grandes  entrepri- 
ses. En  laissant  la  distribution  des  armées  telle 
qu'elle  étoit  alors,  le  Roi  couroit  les  plus  grands 
Jiazards  pour  celle  de  Prusse  ,  et  risquoit  en 
même  temps  de  voir  la  Poméranie  envahie 
par  les  Suédois.  ïl  résolut  donc  de  concentrer 


DE     SEPT     ANS.  235 

davantage  ses  forces  ,  pour  procéder  avec 
plus  de  sûreté,  et  d'abandonner  les  extrémités 
de  ses  Etats,  que  le  nombre  de  ses  ennemis 
ne  lui  permettoit  plus  de  défendre.  Ces  motifs 
firent  rappeler  de  Tilsit  M.  de  Lehwald  avec 
son  armée  ;  il  marcha  d'abord  en  Poméranie 
contre  les  Suédois ,  qu'il  délogea  prompte- 
ment  d'Anclam  et  de  Demmin;  il  les  poussa 
bientôt  sous  le  canon  de  Stralsund ,  où  ces 
troupes,  ne  se  croyant  pas  en  sûreté,  se  réfugiè- 
rent dans  l'île  de  Kugen.  Une  grande  gelée 
qui  survint  ensuite  fit  prendre  tout  le  bras 
de  mer  qui  sépare  la  Poméranie  de  cette  île. 
Le  maréchal  de  Lehwald  auroit  pu  profiter 
de  l'occasion  ,  si  son  grand  âge  ne  l'en  eût 
empêché,  pour  passer  avec  son  armée  sur  la 
glace  dans  File,  ou  il  auroit  détruit  toutes  ces 
troupes  suédoises  :  au  moins  un  coup  pareil 
auroit-il  délivré  le  Roi  pour  un  temps  d'un 
ennemi  qui  faisoit  une  diversion  fâcheuse. 
Quoique  le  maréchal  de  Lehvv^ald  n'eût  pas 
entrepris  tout  ce  qui  étoit  faisable ,  il  fit  tou- 
tefois dans  cette  courte  expédition  trois  mille 
prisonniers  sur  les  Suédois.  Un  détachement, 
qu'il  envoya  assiéger  le  fort  de  Peenamunde, 


256  HIST.    DE    LA    GUERRE 

ne  le  reprit  qu'au  mois  de   Mars   de  l'année 
suivante. 

La  multitude  d'objets  qu'il  y  a  voit  à  rem- 
plir pendant  cette  campagne  étoit  immense  ; 
et  comme  on  se  trouvoit  pressé  de  faire  de  tous 
les  côtés  des  efforts ,  on  ne  pouvoit  y  réussir  qu'en 
employant  les  mêmes  troupes  en  différens  en- 
droits. Le  prince  Ferdinand  de  Bronsvvic  avoit 
trop  peu  de  cavalerie  dans  son  armée ,  il  lui  en 
falloit  nécessairement  pour  l'entreprise  qu'il  mé- 
ditoit.  Comme  il  importoit  au  Roi  que  les 
François  fussent  chassés  de  la  basse  Saxe  et  du 
bas  Rhin,  pour  y  contribuer  de  sa  part  autant 
que  sa  situation  le  lui  permettoit,  il  détacha  10 
escadrons  de  dragons ,  et  5  escadrons  de  hou- 
sards  de  l'armée  du  maréchal  de  Lehwald,  avec 
ordre  de  joindre  le  prince  Ferdinand  de  Bron- 
svvic à  Stade.  Ce  prince  tenta  d'abord  une 
entreprise  sur  Zell  ,  qui  ne  réussit  pas,  d'un 
côté  parce  que  le  maréchal  de  Richelieu,  l'ayant 
prévenu,  l'empêcha  de  passer  l'Aller,  et  de  l'au- 
tre parce  que  ce  pays  aride,  où  il  n'y  a  que 
des  bruyères ,  ne  put  fournir  à  sa  subsistance. 
Nonobstant  cette  entreprise  manquée,  il  se  ren- 
dit peu  après   maître   de   Harbourg.    Le  Roi 

convint 


DE    SEPT    ANS.  257 

convint  ensuite  avec  lui  du  projet  de  sa  campa- 
gne. Son  avis  alloit  à  ce  que  les  alliés  se  portas- 
sent sur  le  Wéser,  par  deux  raisons,  dont  la  pre- 
mière étoit  de  ne  point  ruiner  les  capitales  de 
l'électorat  de  Hanovre  et  du  duché  de  Bron- 
swic  par  les  sièges  qu'il  faudroit  faire  pour 
les  reprendre;  la  seconde  étoit  la  crainte  d'ê- 
tre coupés  du  Rhin,  qui  porteroit  les  P'ran- 
çois  à  évacuer  d'eux-mêmes  ces  provinces ,  sur- 
tout si  un  détachement  des  troupes  prussiennes 
se  montroit  en  même  temps  du  côté  de  Bron- 
svvic.  Le  prince  Henri ,  qui  étoit  demeuré  en 
Saxe  pour  se  faire  guérir  d'une  blessure  qu'il 
avoit  reçue  à  Rosbach ,  devoit  commander 
ce  détachement.  Tout  fut  bien  concerté  ,  et 
nous  verrons  au  commencement  de  la  cam- 
pagne suivante  les  succès  qui  accompagnèrent 
le  prince  Ferdinand  dans  l'exécution  de  cette 
^entreprise. 


Tome  lit  R 


258  HIST.    BE    LA    GUERRE 

CHAPITRE  VIL 

De  V hiver  de    1757  à  1758. 


A  maïs  campagne  n'avoit  été  plus  féconde  en 
ïévolutions  subites  de  la  fortune ,  que  celle  que 
nous  venons  de  décrire.  Cette  espèce  de  hazard 
qui  préside  aux  évènemens  de  la  guerre  s'étoit 
insolemment  joué  du  destin  des  parties  belli- 
gérantes; tantôt  il  avoit  favorisé  les  Prussiens 
de  succès  brillans ,  et  tantôt  il  les  avoit  préci- 
pites dans  un  abyme  de  malheurs.  Les  Kusses 
avoient  gagné  une  bataille  en  Prusse,  et  se 
retiroient  de  ce  royaume  comme  s'ils  avoient 
été  battus.  Les  François ,  sur  le  point  de  désar- 
mer le  duc  de  Cumberland,  paroissoient  les  ar- 
bitres de  l'Allemagne;  mais  à  peine  cette  nou- 
velle a-t-elle  le  temps  de  se  répandre  en  Eu- 
rope ,  quon  apprend  la  défaite  d'une  de  leurs 
armées,  et  qu'on  voit  comme  ressusciter  cette 
armée  du  duc  de  Cumberland  qu'on  croyoit 
n'exister  déjà  plus.  Cette  suite  d'événemens 
décisifs  et  contraire?,  avoit  comme  étourdi  l'Eu- 


DE     SEPTANS.  25g 

rope;  on  voyoit  de  l'incertitucle  dans  les  pro- 
jets,  des  desseins  renversés  aussitôt  que  conçus, 
et  de  nombreux  corps  de  troupes  presque  dé- 
truits en  un  seul  jour.  Il  fallut  quelques  mo- 
mens  de  tranquillité  pour  que  les  esprits  se 
recueillissent  ,  et  que  chaque  puissance  pût 
considérer  de  sang  froid  la  situation  où  eUe  se 
trouvoit.  D'un  côté  l'ardent  désir  de  la  ven- 
geance, l'ambition  blessée,  le  dépit,  le  déses- 
poir remirent  les  armes  à  la  main  aux  empereurs 
et  aux  rois  qui  formoient  la  grande  alliance;  de 
l'autre  la  nécessité  de  continuer  la  guerre  et 
quelques  rayons  d'espérance  portèrent  la  Prusse 
à  faire  les  plus  grands  efforts  pour  se  soutenir. 
Un  nouveau  ferment  donna  un  nouveau  degré 
d'activité  à  la  politique,  et  les  cours ,  chacune 
de  son  côté ,  se  préparèrent  à  pousser  la  guerre 
avec  plus  d'acharnement,  de  fureur  et  d'opi- 
niâtreté que  par  le  passé.  Voilà  en  général  le 
tableau  des  passions  qui  agitoient  les  princes  et 
leurs  ministres.  La  nature  de  cet  ouvrage  exige 
que  nous  entrions  dans  de  plus  grands  détails , 
et  que  nous  parcourions  successivement  toutes 
les  cours  de  TKurope,  pour  nous  représenter 
distinctement  ce  qui  se  passolt  dans  chacune, 

R  a 


Ù.6o  HIST.    DE    LA    GUERKE 

Il  s*étoit  fait  dès  Tautomne  dernière  un 
changement  dans  le  ministère  britannique.  M. 
Fox  5  qui  s'y  étoit  intrus  par  les  intrigues  du 
duc  de  Cumberland ,  s'apperçut  qu'il  ne  pou- 
voit  plus  se  soutenir  dans  ce  poste  contre  la  ca- 
bale qui  lui  étoit  opposée  :  il  résolut  de  se 
démiettre  volontairement  de  ses  charges ,  et  fut 
remplacé  par  M.  Pitt ,  que  son  éloquence  et 
son  génie  élevé  rendoient  l'idole  de  la  nation; 
c'étoit  la  meilleure  tête  de  l'Angleteire.  Il 
avoit  subjugué  la  Chambre  basse  par  la  force 
de  la  parole  ;  il  y  régnoit,  il  en  étoit  pour  ainsi 
dire  l'ame.  Parvenu  au  timon  des  aflaires  ,  il 
appliqua  toute  l'étendue  de  son  génie  à  rendre 
sa  patrie  la  dominatrice  des  mers ,  et  pensant 
en  grand  homme  il  fut  india;né  de  la  conven- 
tion  de  Closter-Seven ,  qu'il  regardoit  comme 
l'opprobre  des  Anglois.  Ses  premiers  pas  dans 
sa  nouvelle  carrière  tendirent  tous  à  faire  abolir 
jusqu'à  la  mémoire  de  ce  traité  honteux;  ce 
fut  lui  qui  persuada  au  Roi  d'Angleterre  de 
mettre  le  prince  Ferdinand  de  Bronswic  à  la 
tête  de  l'armée  des  alliés ,  et  de  le  demander 
au  roi  de  Prusse;  ce  fut  lui  qui  proposa  de 
renforcer  les  troupes  d'Allemagne  par  un  corps 


DE     SEPT     ANS.  261 

d' Anglais ,  qui  les  joignit  effectivement  dans 
l'année  1756.  De  plus  il  jugea  convenable  à 
la  gloire  de  sa  nation  de  renouveler  les  alliances 
qu'elle  avoit  contractées  tant  avec  le  roi  de 
Prusse  qu'avec  divers  princes  d'Allemagne.  II 
conclut  un  traité  avec  le  Roi  *  par  l'un  des 
articles  le  roi  d'Angleterre  s'engageoit  à  payer 
au  roi  de  Prusse  un  subside  annuel  de  4  mil- 
lions d'écûs  5  lequel  fut  continué  jusqu'en  1761. 
Le  Roi  se  trouvoit  dans  la  nécessité  d'accepter 
ce  subside ,  qui  d'ailleurs  répugnoit  à  sa  fa- 
çon de  penser  :  mais  les  François  Favoient  dé- 
pouillé des  provinces  qu'il  possédoit  dtms  le  bas 
Rhin  ;  il  étoit  à  la  veille  de  voir  envahir  la  Prusse 
par  les  Russes  ;  ce  qui  pouvoit  d'autant  moins 
s'empêcher  ;  que  le  maréchal  Lehwald  avoit 
été  contraint  d'accourir  en  Poméranie  ,  pour 
s'opposer  aux  Suédois.  Après  tout,  ce  subside 
étoit  le  seul  secours  qu'on  pût  tirer  de  l'Angle- 
terre ,  puisqu'elle  avoit  décliné  à  plusieurs  re- 
prises la  demande  qu'on  lui  avoit  faite  d'en- 
voyer une  escadre  dans  la  Baltique.  M.  Pitt 
envoya  dans  ce  temps  le  chevalier  Keith  en 
Russie  5  pour  balancer  par  ses  intrigues  celles 
du  parti  françois  et  autrichien ,  et  pour  tenter 

R  3 


202.  HIST.    DE    LA    GUERRE 

de  dessiller  les  yeux  à  l'Impératrice,  aveuglée 
par  les  préventions  qu'on  lui  avoit  inspirées 
contre  le  roi  de  Prusse.  M.  Goderick  partit 
dans  une  vue  à  peu  près  semblable  pour  la 
Suéde  ;  mais  le  parti  françois ,  qui  dominoit 
despotiquement  dans  le  sénat  de  Stockholm , 
£t  jouer  tous  ses  ressorts  pour  interdire  à  cet 
Anglois  l'entrée  du  royaume  :  M.  Goderick  resta 
en  Danemarck,  et  les  sénateurs  s'applaudirent 
d'avoir  empêché  c]ue  l'argent  de  l'Angleterre 
ne  culbutât  leur  système.  Tandis  que  M.  Pitt 
prenoit  de  si  justes  mesures  pour  la  politique, 
les  ports  de  la  Grande-Bretagne  se  remplissoient 
de  vaisseaux;  les  projets  pour  la  campagne  de 
mer  e*:  de  terre  étoient  arrêtés  ,  et  une  acti- 
vité nouvelle  ranimoit  toutes  les  branches  du 
gouvernement. 

Le  chevalier  Keith ,  qui  pendant  ces  entre- 
faites étoit  arrivé  à  Péterbourg  ,  n'y.  trouva 
point  la  cour  dans  inie  disposition  favorable 
aux  commissions  dont  il  étoit  chargé  :  les  mi- 
nistres d'Autriche,  de  France,  de  Saxe  y  étoient 
toîit-puissans  par  le  moyen  de  leurs  intrigues 
et  de  leurs  profusions;  ils  avoient  gagné  le  fa- 
vori  d'Elisabeth ,  qui  gouvernoit  alors  l'Impé- 


DE     SEPT     ANS.  263 

ratrice  et  par  conséquent  l'empire.  Les  minis- 
tres, mécontens  du  peu  de  progrès  de  Tarmée 
russe  5  surtout  de  sa  retraite  à  la  fin  de  la  cam- 
' pagne  dernière,  tâchoient  de  faire  passer  leur 
enthousiasme  guerrier  dans  l'esprit  de  l'Impéra- 
trice, et  l'excitoient  à  faire  dans  la  campagne 
prochaine  de  plus  grands  efforts  que  par  le 
passé;  ils  s'apperçurent  que  leurs  menées  étoient 
secrétem.ent  traversées  par  le  grand  cliancelier 
Bestuchevv,  et  résolurent  de  le  culbuter  ,  co'm- 
me  en  effet  ils  y  réussirent.  Nous  avons  dé- 
peint dans  cet  ouvrage  ce  comte  Bestuchew 
comme  un  homme  qui  par  passion  s'étoit  fait 
un  piincipe  d'être  l'ennemi  juré  des  Prussiens; 
mais  il  changea  de  système  ,  pour  plaire  au 
Grand-duc ,  qu'il  prévoyoit  devoir  bientôt  par- 
venir au  trône  ;  il  dressa  l'instruction  du  maré- 
chal Apraxin  d'une  manière  aussi  favorable  aux 
intérêts  du  Roi  que  les  conjonctures  le  permet- 
toient ,  et  fut  l'unique  cause  de  ce  que  les  Rus- 
ses  évacuèrent  les  Etats  du  Roi  à  la  fm  de  la 
campagne.  M.  de  Bestuchevv  fut  encouragé 
dans  cette  conduite  par  les  conseils  du  grand- 
duc  et  de  la  grande-duchesse  de  Russie,  qui 
tous  les   deux  avoient  les  sentimens  les   plus 

R  4 


264  HIST.    DE    LA    GUERRE 

favorables  à  la  cause  du  Roi.  Le  Grand -duc, 
prince  de  Holstein  par  sa  naissance ,  avoit  puisé 
dans  l'histoire  de  ses  ancêtres  une  haine  impla- 
cable  contre  les  Danois ,  causée  par  les  injusti^ 
ces  que  les  rois  de  Danemarck  avoient  faites  à 
sa  famille;  craignant  alors  que  les  affaires  du 
Roi  ne  prissent  une  tournure  qui  l'obligeât  à 
se  lier  avec  les  Danois ,  il  lui  offrit  son  crédit  et 
tous  les  services  qu'il  pourroit  lui  rendre  en 
Russie  5  pourvu  qu'il  n'entrât  en  aucun  engage- 
ment avec  ces  ennemis  constans  du  Holstein. 
Le  Roi  accepta  l'offre  ;  il  promit  de  ne  faire 
aucun  traité  avec  le  Danemarclc ,  et  quoique 
cette  condescendance  ne  lui  valût  pas  d'avanta- 
ges actuels  5  on  verra  par  la  suite  de  cet  ouvrage 
que  cette  liaison  étroite  avec  le  grand -duc  de 
R.U3sie  bouleversa  les  grands  projets  des  Autri- 
chiens. Avec  quelque  secret  que  toutes  ces 
affaires  se  traitassent ,  il  en  perça  cependant 
quelque  chose;  les  ministres  de  France  et  d'Au- 
triche s'apperçurent  d'une  variation  de  conduite 
du  côté  du  Grand -chancelier;  ils  eurent  con- 
noissance  des  ordres  qu'il  avoit  expédiés  pour 
le  maréchal  Apraxin ,  et  se  servirent  du  favori 
de  l'Impératrice  pour  faire  disgracier  ce  minis- 


DE     SEPT     ANS.  265 

tre  5  et  causer  toutes  sortes  de  désagrémens  à 
la  jeune  cour.  Depuis  ce  moment  tout  plia 
devant  ces  ambassadeurs  en  Russie ,  et  ils  en- 
traînèrent  l'impératrice  Elisabeth  dans  des  me- 
sures violentes  et  peu  conformes  aux  véritables 
intérêts  de  son  empire. 

La  cour  de  Vienne  avoit  reçu  des  secousses 
si  fortes  à  la  fin  de  la  dernière  campagne ,  que 
sa  constance  en  fut  ébranlée.  Elle  s'étoit  crue 
sur  le  point  de  terminer  la  guerre ,  et  regardoit 
comme  faite  la  conquête  de  la  Silésie;  déchue 
tout  à  coup  de  ces  idées  flatteuses,  elle  avoit  vu 
son  armée  ruinée,  et  les  débris  s'en  sauver  avec 
peine  en  Bohème.  Ces  m.alheurs  inattendus 
rallentirent  son  ardeur  pour  la  guerre,  et  tant 
de  projets  avortés  diminuèrent  son  éloigne- 
ment ,  ou  plutôt  son  aversion  insurmontable 
pour  la  paix.  Le  style  de  sa  chancellerie  et  les 
écrits  de  Ratisbonne  s'adoucirent.  Cependant 
l'aigreur  et  la  grossièreté  y  reparurent  aussitôt 
que  les  espérances  revinrent.  Tant  que  dura 
la  première  impression  de  l'infortune ,  i'Impé- 
latrice-reine  voulut  se  rapprocher  du  Roi ,  soit 
pour  entamer  une  négociation ,  soit  pour  se 
foire  une  réputation  de  magnanimité.  Le  comte 


266  HÏST.    DE    Lx\    GUERRE  ' 

Kaunitz  avertit  le  Roi  d'une  conspiration  ima- 
ginaire formée  contre  lui ,  dans  laquelle  deux 
Napolitains  et  un  Pvlilanois  avoient  trempé. 
Le  Roi  lui  fit  répondre ,  qu'il  étoit  obligé  à 
l'Impératrice  de  l'avis  qu'elle  vouloit  bien  lui 
donner,  mais  que  comme  il  y  avoit  deux  m.a- 
niéres  d'assassiner,  l'une  par  le  poignard,  l'au- 
tre par  des  écrits  injurieux  et  déshonorans  ,  il 
assuroit  l'Impératrice  qu'il  faisoit  peu  de  cas  de 
la  première,  et  qu'il  étoit  infiniment  plus  sen- 
sible à  la  seconde.  Cela  n'empêcha  pas  que 
l'indécence  et  le  scandale  de  ces  écrits  ne  con- 
tinuât 5  et  ne  s'accrût  même  selon  que  les  suc- 
cès de  la  c!;uerre  favorisèrent  les  armes  autri- 
chiennes.  La  France  apprit  avec  un  sensible 
chagrin  les  dispositions  pacifiques  de  l'Impé- 
xatrice- reine,  parce  que  la  défection  de  cette 
princesse  auroit  porté  un  préjudice  considéra- 
ble à  ses  affaires  ,  tant  qu'elle  demeuroit  en 
îii'erre  avec  les  An^lois  sur  m.er  et  en  Allemagne. 

o  o  ^-J 

Louis  XV,  piqué  de  la  tache  que  l'aiiaire  de 
Rosbach  avoit  imprimée  à  ses  armes ,  "espéroit 
de  trouver  dans  la  continuation  de  la  t^uerre 
l'occasion  de  prendre  sa  revanche;  et  les  mi- 
nistres de  la  France  travaillèrent  à  Vienne  avec 


DE     SEPT    ANS.  267 

une  application  infinie  à  ranimer  toutes  les 
passions  calmées  de  cette  cour.  La  honte  pour 
une  grande  puissance  d'être  atiattue  par  un  petit 
prince  fit  le  plus  d'impression  sur  l'esprit  de  l'Im- 
pératrice; l'ancienne  animosité  contre  la  Prusse 
se  réveilla,  les  dispositions  pour  la  paix  s'éva- 
nouirent 5  et  les  liaisons  d'amitié  et  d'intelli- 
gence entre  les  cours  de  Vienne  et  de  Versailles 
se  resserrèrent  plus  intimement  :  ainsi  bien  loin 
que  les  succès  des  Prussiens  rebutassent  les  puis- 
sances avec  lesquelles  ils  étoient  en  guerre,  ils 
les  engagèrent  à  redoubler  leurs  efforts  pour  pa- 
roître  plus  redoutables  et  plus  dangereux  c^ue 
jamais  à  l'ouverture  de  la  campagne  prochaine. 
Le  Roi  prenoit  de  son  côté  des  mesures 
semblables  pour  rétablir  pendant  l'hiver  l'ar- 
mée 5  et  la  remettre  en  état  d'agir  avec  vigueur. 
11  s'agissoit  de  réparer  les  pertes  qu'avoient  en- 
traînées sept  batailles  rangées  que  les  Prussiens 
avoient  livrées  à  leurs  ennemis,  ^flais  les  rava- 
ges de  la  guerre  n'approchoiént  pas  des  rava- 
ges que  les  maladies  épidémiques  faisoient  dans 
les  hôpitaux  ;  c'étoient  des  espèces  de  fièvres 
chaudes ,  accompagnées  de  tous  les  symptômes 
de  la  peste  :  les  malades  tomboient  eu  délire 


268  IIÎST.    DE    LA    GUERRE 

le  premier  jour  de  la  maladie;  il  leur  venoit 
des  charbons  au  cou  ou  bien  aux  aisselles;  que 
les  médecins  saignassent,  ou  ne  saignassent  point, 
cela  étoit  égal;  la  mort  emportoit  indifférem- 
ment tous  ceux  qui  se  trouvoient  atteints  de  ce 
mal;  le  poison  étoit  même  si  violent,  ses  pro- 
grès si  rapides ,  ses  effets  si  prompts  ,  que  dans 
trois  jours  il  mettoit  un  homme  au  tombeau. 
On  se  servit  sans  effet  de  toutes  sortes  de  remè- 
des :  enfin  on  eut  recours  à  l'émétique  ,  qui 
réussit  ;  on  en  délaya  trois  grains  dans  une  me- 
sure d'eau  ,  on  en  fit  boire  au  malade  jusqu'à 
ce  que  le  remède  commençât  d'opérer ,  et  ce 
fut  un  spécifique  souverain  contre  cette  mala- 
die; car  depuis  que  l'on  s'en  servit,  de  cent 
personnes  à  qui  on  le  fit  prendre ,  il  en  périt  à 
peine  trois.  Sans  doute  que  les  causes  de  la 
maladie  n'étoient  qu'une  transpiration  arrêtée 
par  le  froid,  et  des  indigestions  causées  par  de 
mauvaises  nourritures;  il  n'y  avoit  que  de  for- 
tes évacuations  qui  pussent  y  remédier. 

Quoique  les  pertes  de  l'armée  dans  les  hô- 
pitaux fussent  considérables,  on  parvint  cepen- 
dant à  rassembler  pendant  l'hiver  la  plupart 
des  recrues  dont  on  avoit  besoin  pour  la  recom- 


B£     SEPT     ANS.  269 

pléter;  mais  il  fut  impossible  de  s'en  servir  dés 
le  printemps,  parce  que  c'étoient  la  plupart  des 
paysans,  qu'il  falîoit  exercer  et  discipliner,  et  que 
la  campagne  commença  de  très-bonne  heure. 

La  maison  royale  perdit  cette  année  la 
Reine-mère.  Le  Roi  reçut  cette  funeste  nou- 
velle après  la  bataille  de  Kolin ,  et  dans  un 
temps  où  la  fortune  s'étoit  le  plus  déclarée  con- 
tre les  Prussiens  ;  il  en  fut  vivement  touché  :  il 
avoit  vénéré  et  adoré  cette  Princesse  comme  une  » 
tendre  mère,  dont  les  vertus  et  les  grandes  qua- 
lités faisoient  l'admiration  de  ceux  qui  avoient 
le  bonheur  de  l'approcher.  Sa  mort  n'occa- 
sionna pas  un  deuil  de  cérémonie  ,  mais  fut 
une  calamité  publique;  les  grands  regrettèrent 
son  abord  facile  et  gracieux,  les  petits  sa  dé- 
bonnaireté ,  les  pauvres  leur  refuge ,  les  mal- 
heureux leur  ressource,  les  gens  de  lettres  leur 
protectrice ,  et  tous  ceux  de  sa  famille ,  qui 
avoient  l'honneur  de  lui  appartenir  de  plus 
près ,  croy oient  avoir  perdu  une  partie  d'eux- 
mêmes  ,  et  se  sentoient  plus  frappés  qu  elle  du 
coup  qui  venoit  de  l'emporter. 

Dans  cette  même  année   le  Sultan  Osman 
finit  ses  jours  ;   son  successeur  passa  pour  un 


270  lîîST.    DE    LA    GUERRE 

prince  plus  hardi  et  plus  entreprenant  que  lui» 
Le  bruit  de  sa  réputation  réchauffa  dès  son  avè- 
nement au  trône  les  intrigues  du  ministre  de 
Prusse  à  la  Porte.  îl  s'agissoit  d'être  admis  aux 
audiences  du  Grand-seigneur.  Il  y  avoit  plus 
d'un  an  que  le  S^  de  Rexin  postuloit  cette  fa- 
veur, et  il  falloit  l'obtenir  pour  entamer  les  né- 
gociations dont  il  étoit  chargé  avec  le  Grand- 
visir  et  avec  les  principaux  officiers  de  la  cou- 
ronne. Nous  verrons  dens  la  suite  de  cet  ou- 
vrage les  différentes  formes  cjue  prit  cette  né- 
gociation 5  et  nous  aurons  lieu  de  remarquer 
souvent  combien  peu  les  nations  orientales 
sont  propres  à  suivre  les  principes  d'une  bonne 
et  saine  politique.  Ce  défaut  vient  surtout  de 
leur  grande  ignorance  sur  les  intérêts  des  prin- 
ces de  lEurope,  de  la  vénalité  de  ces  peuples, 
et  du  vice  du  gouvernement ,  qui  assujettit 
tout  ce  qui  est  relatif  à  la  paix  et  à  la  guerre 
aux  décisions  du  Mufti,  sans  le  fetfa  duquel  il 
seroit  impossible  de  mettre  en  mouvement  les 
troupes  ottomannes. 


DE     SEPT     ANS.  2/1 


CH  A  P  IT  R  E    VIII. 

Campagne  de  17  58. 


E  prince  Ferdinand  de  Bronswic  fut  cette  révrler. 
année  le  premier  qui  ouvrit  la  campagne  :  il 
avoit  une  forte  tache  à  remplir  ;  il  ne  s'agissoit 
pas  de  moins  que  de  chasser  80,000  François 
de  la  basse  Saxe  et  de  la  VVestphalie  ,  avec 
30,000  Hanovriens  qui  trois  mois  auparavant 
avoient  été  prés  de  m^ettre  les  armes  bas ,  et  de 
signer  un  traité  honteux.  Il  détacha  un  corps 
sur  le  Wéser ,  qui  se  rendit  maître  de  Verden, 
et  un  autre  sous  le  Prince  héréditaire,  qui  mar- 
cha des  deux  côtés  de  ce  fleuve .  pour  c^aizner 
Hoya,  dont  ce  jeune  héros  s'empara  par  sa  va- 
leur et  par  sa  bonne  conduite.  M.  de  Saint- 
Germain  fut  à  peine  instruit  de  ces  progrés, 
qu'il  évacua  Brème ,  où  il  avoit  une  garnison 
de  12  bataillons;  avec  14  autres,  Cjui  hiver- 
noicnt  dans  le  voisinage ,  il  prit  le  chemin  de  , 

la  Westphalie/   Tandis  que  le  Prince  hérédi-  Ums. 
taire  prenoit  Hoya ,  dont  le  pont  sur  le  Wéser 


272  HIST    DE    LA    GUERRE 

devenoit  important  pour  les  alliés ,  le  prince 
Ferdinand  de  Bronswic  passoit  l'Aller  avec  le 
gros  de  ses  troupes.  M.  de  Beust,  qui  faisoit 
son  avant-garde  ,  surprit  aux  environs  de  Ha- 
novre le  régiment  de  Poleresky,  et  le  fit  pri- 
sonnier. Cet  accident  joint  à  la  marche  du 
prince  Henri,  qui  par  le  Mansfeld  et  le  Hildes- 
heim  s'étoit  approché  de  la  ville  de  Bronswic  ^ 
déconcerta  les  généraux  françois,  et  détermina 
M.  de  Clermont,  qui  venoit  de  relever  le  ma- 
réchal de  Richelieu  ,  à  évacuer  Bronswic,  Wol- 
fenbuttel ,  et  Hanovre  en  même  temps.  L'ar- 
mée du  prince  Ferdinand  marcha  droit  à  Min- 
den. ,  où  s'étant  jointe  aux  détachemens  du 
'Wéser,  elle  assiégea  d'abord  cette  ville.  Le 
comte  de  Clermont ,  ayant  passé  le  Wéser  à 
Hameln ,  envoya  M.  de  Broglio  aux  environs 
de  Buckebourg,  pour  secourir  Minden;  mais  ce 
2;énéral,  ne  trouvant  pas  l'occasion  de  rien  en- 
treprendre contre  les  alliés,  ne  fut  que  specta- 
teur de  la  prise  de  cette  ville,  dont  la  garnison 
se  rendit  prisonnière  de  guerre.  Après  cet  évé- 
nement M.  de  Brogiio  tourna  vers  Paderborn, 
pour  rejoindre  le  prince  de  Clermont ,  et  l'ar- 
mée des  alliés  marcha  à  Bielefeld;  surquoi  les 

François 


DE     SEPT    ANS.  273 

François ,  étourdis  de  cette  révolution  subite 
dans  leurs  affaires, évacuèrent  Lippstadt,  Hamm 
et  Munster.  Le  comte  de  Glermont ,  qui  n'a- 
voit  plus  de  pied  en  Allemagne  ,  repassa  le 
Rhin  à  Wésel ,  et  cantonna  son  armée  à  l'autre 
bord  de  ce  fleuve.  Le  prince  f'erdinand  s'ar-  Avril* 
rêta  à  Munster,  et  répandit  ses  troupes  aux 
environs ,  pour  leur  donner  le  temps  de  se 
refaire  des  fatigues  qu'elles  avoient  souffertes 
par  des  opérations  continuelles  dans  une  saison 
rude  et  peu  avancée.  Les  alliés  prirent  11,000  Mai, 
François  prisonniers  dans  cette  courte  expédi- 
tion, qui  peut  être  comparée  à  cette  belle  cam- 
pagne du  maréchal  de  Turenne,  lorsque  péné- 
trant par  Thann  et  Béfort  il  surprit  les  Impériaux 
répandus  dans  leurs  quartiers  en  Alsace ,  et  les 
força  de  repasser  le  Rhin.  Ce  fut  le  q  de  Juin  Juin, 
que  le  prince  Ferdinand  passa  ce  fleuve  avec 
^on  armée  au-dessous  d'Emmerich  ;  il  avoit 
gagné  des  bateliers  hoUandois ,  qu'il  ne  put 
engager  néanmoins  à  construire  ce  pont  que  sur 
le  territoire  de  la  république  ;  de  là  il  s'avança 
bientôt  dans  le  pays  de  Cléves.  Quelques  trou- 
pes françoises  furent  surprises  dans  leurs  quar- 
tiers; mais  le  gros  ioi^nit  l'armée,  qui  s'étoit 
Tome  m.  vS 


274  HÏST.    DE    LA    GUERUE 

assemblée  proche  de  Créfeld.  Le  prince  Fer- 
dinand occupa  la  ville  de  Clèves;  il  laissa  quel- 
ques troupes  aux  ordres  de  M.  d'Irnhof  pour 
couvrir  son  pont  d'Emmerich,  et  avec  l'armée 
alliée  il  remonta  la  rive  gauche  du  Rhin ,  où  il 
se  trouva  vers  le  qo  du  mois  à  une  marche  du 
comte  de  Clermont  :  il  résolut  d'attaquer  l'ar- 
mée Françoise,  dans  l'espérance  que  s'il  gagnoit 
sur  elle  une  victoire  complète,  il  pourroit  re- 
prendre Wésel,  et  retransporter  le  théâtre  de 
la  guerre  au-delà  du  Rhin.  Le  prince  se  fit 
joindre  pour  cet  effet  par  M.  de  Wangenheim, 
qui  avoit  été  du  côté  de  Kaiserswerth ,  et  se 
porta  sur  Clcrster-camp.  A  son  approche  M. 
de  Saint- Germ.ain  abandonna  la  ville  de  Cré- 
feld, et  se  retira  à  un  mille  en  arrière,  pour  se 
rapprocher  du  comte  de  Clermont ,  qui  cam- 
poit  alors  à  Nuys;  M.  de  Clermont  le  joignit 
à  Vischern. 

Ce  fut  le  23  Juin  que  le  prince  Ferdinand 
quitta  son  camp  de  Hast  et  de  Kempen,  pour 
attaquer  M.*de  Clermont;  il  divisa  son  armée 
en  trois  corps,  dont  l'un  commandé  par  M.  de 
Wangenheim  se  présenta  sur  le  front  de  l'en- 
nemi, pour  le  contenir,  pendant  que  le  gros 


DE     SEPT    ANS.  275 

€Îes  alliés ,  tournant  la  gauche  des  François ,  se 
présenta  sur  leur  flanc  entre  Vischern  et  Anrod. 
Il  y  avoit  dans  cette  partie  derrière  un  ruisseau 
un  boulevard  ou  Landwehr  dont  les  François 
avoient  profité  pour  se  poster  ;  l'infanterie  des 
alliés  les  en  délogea  après  un  combat  assez 
rude.  Les  carabiniers  françois  volèrent  alors 
au  secours  de  cette  infanterie,  et  le  comte  de 
Gisors,  qui  les  menoit,  attaqua  vivement  l'in- 
fanterie du  prince  Ferdinand  ;  le  Comte  fut 
tué,  et  sa  troupe  découragée  prit  la  fuite  :  alors 
le  prince  de  Holstein  donna  dessus  avec  les  dra- 
gons prussiens,  et  acheva  de  la  dissiper.  Pen- 
dant ce  choc  le  Prince  héréditaire  avec  une  par- 
tie de  la  droite  des  alliés  avoit  gagné  sur  les 
derrières  de  la  position  des  François  ;  ce  qui 
acheva  de  décontenancer  le  comte  de  Cler- 
mont ,  qui ,  se  croyant  sur  le  point  d'être  en- 
tamé sur  son  front  par  M.  de  Wangenheim,  se 
voyant  pris  en  flanc  par  le  prince  Ferdinand,  et 
près  d'être  entièrement  tourné  par  le  Prince  hé- 
réditaire ,  abandonna  le  champ  de  bataille  ;  il  se 
retira  à  Nuys ,  puis  à  Weringhen ,  et  ensuite  à 
Cologne.  Le  prince  Ferdinand ,  pour  profiter 
de  sa  victoire  ,  détaclia  le  Prince  héréditaire  ^ 

S  3 


276  HIST.    DE    LA    GUEURE 

qui  piit  Pturemonde  par  capitulation  ,  et  poussa 
des  partis  jusqu'aux  portes  de  Bruxelles,  tan- 
dis que  M.  de  Wangenheim  ,  qui  avoit  été  en- 
voyé avec  4  bataillons  dans  le  duché  de  Ber- 
gen 5  assiégea  Dusseldorf ,  où  il  y  en  avoit  huit, 
et  la  ville  se  rendît  par  capitulation  le  8  de 
Juillet.  Juillet.  On  y  trouva  un  magasin  considérable, 
établi  pour  l'armée  françoise.  Cependant  le 
prince  Ferdinand  ,  apprenant  c^ue  l'ennemi  ras- 
sembloit  des  forces  contre  lui,  se  fit  rejoindre 
par  le  corps  du  Prince  héréditaire  au  couvent  de 
S.  Nicolas  où  il' campoit.  Le  début  de  M.  de 
Clermont  engagea  la  cour  de  Versailles  à  le  rap- 
peler 5  et  il  fut  remplacé  par  M.  de  Contades. 
Ce  Maréchal  fit  incessamment  avancer  l'armée, 
pour  lui  rendre  la  confiance  qu'elle  avoit  per- 
due; pendant  ce  temps-là  M.  de  Chevert,  qui 
étoit  à  Wésel ,  où  les  François  avoient  laissé 
une  nombreuse  garnison,  sortit  de  cette  place 
avec  un  corps  considérable  pour  battre  M. 
d'îmhof  j  qui  gardoit  le  pont  des  alliés  proche 
d'Emmerich.  Ce  général  en  eut  vent  ;  il  se 
mit  avec  tout  son  corps  en  embuscade  sur  le 
chemin  que  M.  de  Chevert  devoit  tenir,  le 
battit  et   lui  prit    beaucoup  de    monde.    Ces 


DE    SEPT    ANS.  277 

heureux  succès  du  prince  Ferdinand  auroient 
empêché  les  François  de  repasser  le  Rlun  ,  et 
l'auroient  enfin  mené  à  la  prise  de  Wésel  sur  la 
fin  de  la  campagne ,  si  une  diversion  ne  Tavoit 
obligé  lui-même  à  repasser  ce  fleuve  ,  pour 
rétablir  les  affaires  en  Hesse  et  dans  la  basse 
Saxe,  Dès  le  1 1  de  Juillet  M.  de  Soubise  s'é- 
toit  mis  en  marche  ;  il  avoit  été  joint  à  Hanau 
par  13,000  Wurtembergeois.  Le  prince  Fer* 
dinand  avoit  laissé  dans  le  pays  de  Hesse  le 
prince  d'Ysenbourg  avec  environ  7,000  hom- 
mes ;  celui-ci  se  retira  de  Marbourg  à  l'appro- 
che de  lavant-garde  Françoise,  commandée  par 
M.  de  Broglio,  et  passa  la  Fulde  :  les  François 
l'attaquèrent  dans  la  position  qu^il  avoit  prise 
près  de  Sangerhausen,  et  il  fut  obligé  décéder 
au  nombre  après  un  combat  qui  dura  6  heu- 
res; il  se  retira  à  Eimbeck,  et  s'établit  dans  les 
montagnes ,  se  bornant  à  conserver  sa  commu- 
nication avec  Hanovre.  Le  prince  de  Soubise 
alors,  ne  trouvant  nulle  part  aucune  résistance, 
occupa  Nordheim  ,  Manden  ,  et  Gœttingue. 
Cependant  M.  de  Contades,  qui  jugeoit  que  la  Août. 
diversion  de  M.  de  Soubise  obligeroit  bien- 
tôt les  alliés  à  rétrograder,  s'avança    sur  eux^ 

S3 


278  HIST.    DE    LA    GUERRE 

et  occupa  même  le  poste  de  Brugen,  qui  étoit 
sur  leur  gaucl;ie  ;  mais  le  prince  Ferdinand ,  qui 
ne  pouvoit  souffrir  ce  voisinage  dangereux,  en 
fit  déloger  les  François  par  le  Prince  héréditaire  : 
il  résolut  en  même  temps  de  se  replier  sur  la 
Niers  pour  s'approcher  des  secours  qui  lui  ve- 
noient  d'Angleterre.  Les  François  firent  la 
même  marche  ,  et  furent  cependant  prévenus 
par  les  alliés.  Le  prince  Ferdinand,  qui  sen- 
toit  que  le  seul  moyen  de  se  soutenir  au-delà 
du  Rhin  étoit  de  battre  M.  de  Contades  ,  fit  des 
dispositions  pour  engager  une  affaire;  mais  M. 
de  Contades  ne  trouva  pas  à  propos  de  risquer 
le  combat,  et  se  retira  à  Dalen  :  sur  cjuoi  le 
prince  Ferdinand  se  porta  sur  Wachtendonk;  le 
Prince  héréditaire ,  qui  conduisoit  lavant-garde^ 
en  chassa  les  François,  et  toute  l'armée  repassa 
la  Niers.  Le  prince  Ferdinand ,  ne  pouvant 
plus  se  soutenir  avec  son  armée  au-delà  du 
Rhin  ,  retira  la  garnison  de  Ruremonde ,  qui 
trouva  le  moyen  de  se  dérober  dans  le  temps 
même  que  l'ennemi  sommoit  la  place.  Toute 
cette  armée  repassa  le  Rhin  sur  son  pont  de 
Griethausen  entre  le  8  et  le  10  d'Août.  On  fut 
obligé  d'évacuer  Dusseldorf  en  même  temps,  et 


DE     SEPT     ANS.  279 

M.  de  Hardenberg,  qui  y  commandoit,  se  ren- 
dit en  diligence  à  Lippstadt ,  pour  mettre  en 
défense  ce  poste  important.  Peu  de  jours  après 
les  François  passèrent  le  Rhin  ,  et  s'étendirent 
jusqu'à  Dôrsten,  en  se  couvrant  de  la  Lippe. 

Le  14  le  prince  Ferdinand  fut  joint  à  Bœck- 
holt  par  iQjOoo  Anglois  que  lai  amenoit  mi- 
îord  Marlborough.  M.  de  Contades  fut  en  me- 
me  temps  renforcé  dans  son  camp  de  FLilteren 
par  5  à  65000  Saxons  que  les  Autrichiens  avoient 
rasseinblés  en  Hongrie ,  et  dont  le  prince  Xa- 
vier, second  fils  du  roi  de  Pologne,  avoit  pris 
le  commandement.  Le  prince  Ferdinand  dé- 
tacha M.  d'Imhof  à  Créfeld ,  et  M.  de  Post  à 
Dalmen  ;  mais  sur  les  mouvemens  que  firent 
îes  ennemis  vers  Lunen ,  le  Prince  héréditaire 
fut  détaché  pour  renforcer  le  corps  de  Dalmen. 
Le  prince  Ferdinand  le  suivit  promptement 
avec  l'armée,  et  le  Prince  héréditaire  repoussa 
les  François  jusques  à  Halteren.  Dans  ces  cir- 
constances on  trouva  bon  de  détacher  M.  d'O- 
berg  avec  un  corps  de  g, 000  hommes,  pour 
passer  la  Lippe,  et  se  porter  dans  l'évêché  de 
Paderborn ,  tant  pour  interrompre  la  commu- 
nication des  deux  armées  françoises,  que  pour 

s  4 


28o  HIST.    DE    LA    GUEURE 

être  à  portée  dans  le  besoin  de  prêter  ia  main 
au  prince  d' Ysenbourg.  Sur  ces  entrefaites ,  et 
pendant  que  le  prince  d' Ysenbourg  s'étoit  tenu 
près  d'Eimbeck,  M.  de  Soubise  avoit  occupé 
Cassel  5  Gœttingue  ^  et  quelques  places  sur  la 
Werra:  alors  il  forma  le  dessein  de  s'emparer  de 

^•pf.  Hamelri;  mais  il  fut  obligé  de  s'en  désister,  lors- 
qu'il apprit  que  le  prince  Ferdinand  avoit  repassé 
le  Rhin;  il  évacua  ensuite  Munden,  Gœttin- 
gue, et  tout  ce  qu'il  avoit  occupé  dans  le  pays 
de  Hanovre,  pour  se  renforcer  sur  laDiémel: 
il  resta  dans  cette  position  jusqu'au  3  de  Sep- 
tembre, et  n'opposant  à  M.  d'Oberg  que  M. 
I  du  Mesnil ,  qu'il  laissa  sur  la  Diemel ,  il  s'a- 
vança successivement  de  Munden,  Gœttingue, 

II.  à  Nordheim.  Le  prince  d'Ysenbourg  fut  obligé 
de  quitter  Eimbeck  à  l'approclie  des  François , 
et  se  retira  à  Coppenbrugge,  où  il  fut  joint  par 
quelques  régimens  de  l'armée  des  alliés  ;  alors 
il  s'avança  en  même  temps  que  M.  d'Oberg  sur 
Holzmunden.  Ce  mouvement  fit  craindre  à 
M.  de  Soubise,  qui  étoit  à  Gœttingue,  qu  on 
ne  le  coupât  de  Cassel,  et  repliant  aussitôt  ses 
corps,  il  se  rendit  en  diligence  dans  la  Hesse. 
Les  troupes  des  alliés  et  des  François  arrivèrent 


DE    SEPT    ANS.  281 

presque  en  même  temps  devant  Cassel,  où  elles 
se  campèrent  vis-à-vis  les  unes  des  autres. 
Tous  ces  mouvemens  n'avoient  pas  influé  sur 
les  opérations  du  prince  Ferdinand;  il  suivoit 
son  objet,  qui  étoit  d'observer  l'armée  de  M. 
de  Contades.  Les  François  ,  ayant  vainement 
tenté  de  surprendre  le  Prince  héréditaire  à  Hal- 
teren  ,  et  y  ayant  été  repoussés  avec  une  pertQ 
considérable,  tournèrent  leurs  vues  d'un  autre 
côté.  M.  de  Contades  détacha  M.  de  Chevert  Octobre, 
avec  20,000  hommes,  pour  joindre  M.  de  Sou- 
bise,  et  lui  donner  par  ce  renfort  assez  de  supé- 
riorité pour  pouvoir  accabler  le  prince  d'Ysen- 
bourg  ,  et  pour  occuper  en  même  temps  le 
prince  P'erdinand  de  manière  à  l'empêcher  de 
faire  des  détachemens  pour  la  Hesse;  il  se  porta 
à  Hamm  avec  son  armée  et  poussa  M.  de  Che- 
vreuse  jusqu'à  Sœst.  Sur  ce  mouvement  les 
alliés  se  replièrent  sur  Munster,  d'où  le  Prince 
héréditaire  fut  détaché  à  Warendorf  sur  l'Em.s  5, 
et  le  prince  de  Holstein  à  Telgade.  M.  de 
Soubise,  ayant  sur  ces  entrefaites  reçu  son  ren- 
fort, ne  perdît  point  de  temps  pour  s'en  servir. 
Le  prince  d'Ysenbourg,  informé  de  l'arrivée  de 
M.  de  Chevert  5  repassa  la  Fulde^  et  se  retira 


282  HIST.  DE    I.A    GUERRE 

successivement  devant  l'ennemi  jusqu'à  Lutter- 
berg  5  pour  ne  point  être  coupé  de  Munden  : 
les  ennemis  l'y  attaquèrent  avec  une  si  grande 
supériorité  ,  qu'il  fut  obligé  de  leur  céder  le 
champ  de  bataille  avec  une  perte  de  1 6  canons 
et  d'environ  2,000  hommes;  il  se  retira  par 
Dransfeld  et  Gœttingue  à  Mœringue.  Cet  évé- 
nement obligea  le  prince  Ferdinand  à  quitter 
Munster;  il  y  laissa  une  bonne  garnison,  et 
arriva  le  1 7  avec  son  armée  à  Lippstadt.  Le 
Prince  héréditaire  marcha  le  lendemain  pour 
surprendre  M.  de  Chevreuse ,  cjui  étoitàSœst: 
la  surprise  n'eut  pas  lieu ,  parce  que  les  François 
furent  avertis  de  la  marche  des  alliés;  néanmoins 
après  un  léger  combat  les  François  se  retirèrent 
et  abandonnèrent  toutes  les  provisions  qu'ils 
avoient  amassées  à  Sœst.  Le  prince  Ferdinand 
prit  incontinent  son  camp  auprès  de  cette  ville, 
ce  cjul  engagea  M.  de  Chevert  à  changer  de 
route  ;  il  avoit  quitté  M.  de  Soubise  après 
l'affaire  de  Lutterberg,  et  ne  put  joindre  M.  de 
Contades  qu'en  prenant  un  grand  détour.  Aus- 
sitôt que  M.  de  Chevert  eut  quitté  l'armée  de 
Hesse,  M.  d"Obexg  passa  le  Wéser  à  Holzmun- 
den,  et  poursuivant  sa  marche  il  joignit  le  21 


DE    SEPT    ANS.  283 

d'Octobre  à  Sœst  l'armée  des  alliés.  La  posi- 
tion où  se  trouvoit  le  prince  Ferdinand  inter-  Novem- 
rompit  la  communication  des  deux  armées  fran- 
çoises  5  et  quelque  supérieures  qu'elles  fussent 
en  nombre  à  celles  des  alliés,  cela  n'empêcha 
pas  que  M.  de  Soubise  ne  crût  sa  position  aven- 
turée; il  évacua  en  conséquence  Cassel  et  toute  22. 
la  Hesse,  et  repassa  le  Mein  à  Hanau  avec  tou- 
tes ses  troupes.  La  campagne  auroit  été  finie, 
si  M.  de  Contades  n'eût  encore  essayé  de  sur- 
prendre Munster;  I\I.  d'Armentières  s'étoit  ap- 
proché de  cette  ville  à  la  tête  de  15,000  Fran- 
çois ,  et  avoit  pris  un  camp  proche  de  la  place 
pour  ouvrir  incessamiment  la  tranchée  :  mais  M. 
d'Imhof  arriva  le  26  à  Warendorf,  suivi  du  . 
duc  de  Holstein  ,  en  même  temps  que  M.  de 
Wangenheim  avec  un  gros  détachement  oc- 
cupa le  camp  de  Rhéda.  Tous  ces  mouvemens, 
qui  menaçoient  de  couper  M.  d'Armentières 
de  Wésel ,  et  une  petite  affaire  qu'engagea  le 
major  Bulovv  ,  le  firent  résoudre  à  renoncer  à 
son  projet;  il  repassa  la  Lippe  le  o.  de  Novem- 
bre ,  et  bientôt  après  l'armée  françoise  prit  le 
chemin  de  Wésel,  pour  entrer  dans  ses  quar- 
tiers d'hiver  à  l'autre  bord  du  Rhin.  Il  ne  res- 


284  IIIST.    DE    LA    GUERRE 

toit  plus  en  Hesse  que  Marbourg ,  où  les  Fran- 
çois eussent  pied;  le  Prince  héréditaire  y  fut 
envoyé ,  et  n'employa  que  peu  de  jours  à  cette 
expédition.  Après  la  prise  de  cette  place  les 
alliés  5  maîtres  de  toute  la  Westphalie  et  de  la 
basse  Saxe  ,  entrèrent  dans  leurs  quartiers. 

Durant  cette  belle  campagne  du  prince  Fer- 
dinand, le  Roi  n'étoit  pas  demeuré  oisif  contre 
.   Jes  Autrichiens;  il  se  préparait  à  tirer  tout  le 
parti  possible  de  la  bataille  de  Leuthen ,  et  des 
suites  que   cette   bataille  avoit    eues.    Dès    le 
Janvier,  mois  de  Janvier  M.  de  Werner  avoit  été  dé- 
^'       taché  dans  la  haute  Silésie.  Quelque  supério- 
rité qu'eût  l'ennemi  sur  sa  troupe,  il  l'avoit  con- 
traint de  se  replier  en  Moravie ,  de  sorte   que 
les  Prussiens   occupèrent   dès-lors  Troppau  et 
Jœgerndorf.      Le    Roi    jugeoit    cette     avance 
nécessaire  pour  pouvoir  exécuter   ses  projeta. 
L'expédition ,    qui  se  fit  au  mois  de  Janvier , 
ne   parut  à  l'ennemi   qu'une  suite  de  la  ba- 
taille de  Leuthen  ,  et  servit  à  nettoyer  toute 
la  Silésie  des  troupes  autrichiennes.  Les  choses 
Mars,  en   restèrent    là  jusqu'au    14    de    Mars,     que 
l'armée  se  mit  en  marche  pour  commencer  les 
opérations   de  la  campagne.    On   savoit  '(^ue 


DE     SEPT     ANS.  285 

les  ennemis  n'étoient  pas  assez  avancés  dans 
leurs  arrangemens ,  pour  s'opposer  aux  desseins 
que  le  Roi  formoit,  de  sorte  que  ce  temps  fut 
jugé  le  plus  propre  à  changer  en  siège  régulier  le 
blocus  de  Schweidnitz.  Le  Roi  se  mit  à  la  tête 
de  l'armée  d'observation ,  et  se  cantonna  de- 
puis Landshut  jusqu'à  Friedland  ;  le  prince 
Maurice  eut  le  commandement  de  cette  gauche, 
d'où  il  communiquoit  par  Wustengiersdorf  à 
Braunau,  et  M.  de  Fouquet  commandoit  le 
corps  qui  couvroit  cette  gorge  de  la  Silésie. 
Le  Roi  établit  son  quartier  général  à  Grissau, 
qui  étoit  au  centre  de  la  position  que  ses  trou- 
pes occupoient.  Le  gros  de  l'armée  ennemie 
étoit  encore  dans  ses  cantonnemens  aux  envi- 
rons de  Kœnigsgrsetz  et  de  Jaromirs  ;  le  maréchal 
Daun  5  qui  en  avoit  seul  le  commandement , 
avoit  poussé  en  avant  le  corps  de  Laudon  à 
Trautenau ,  et  celui  de  Beck  à  Nachod.  Les  AtûL 
armées  étant  dans  cette  position  ;  M.  de  Tres- 
kow  investit  de  plus  près  la  ville  de  Schweid- 
nitz. La  tranchée  ne  put  être  ouverte  que  la 
_nuit  du  1  au  q  d'Avril;  Tattaque  fut  dirigée  sur 
le  fort  de  la  Potence ,  comme  l'endroit  le  moins 
bien  fortifié,  et  le  plus  commode  pour  y  con- 


286  HIST.    DE    LA    GUERRE 

diiire  les  munitions  de  guerre.  Bientôt  24  ca- 
nons, Qo  mortiers  et  16  obusiers  furent  mis  en 
batterie.  Cet  ouvrage,  souvent  dérangé  par 
l'artillerie  des  assiégés,  ne  put  être  entièrement 
perfectionné  que  le  8  ,  et  dès  le  10  on  occupa 
une  flèche  que  l'ennemi  fut  obligé  d'abandon- 
ner; cette  flèche  5  qui  nous  approchoit  à  100 
pas  du  fort  de  la  Potence,  donna  lieu  au  coup 
de  main  qu'on  tenta  sur  cet  ouvrage,  pour  ter- 
miner d'autant  plus  promptement  le  siège.  Les 
canons  du  fort  de  l'Eau  et  de  celui  de  la  Po- 
tence  ayant  été  démontés  dès  le  1^^  on  donna 
l'assaut  à  l'ouvrage  après  minuit  ;  on  le  tourna 
par  la  gorge,  et  1000  grenadiers  l'emportèrent 
avec  une  perte  si  légère,  qu'elle  ne  mérite  pas 
d'être  rapportée.  Le  Commandant,  déconte- 
nancé par  une  action  aussi  vigoureuse,  battit  la 
chamade;  il  se  rendit  prisonnier  de  guerre  avec 
la  garnison  :  le  comte  de  Thierhaimb  évacua  la 
ville  le  iS  5  et  sa  troupe,  forte  de  5,000  hom- 
mes, fut  dispersée  dans  les  différentes  places  de 
la  Silésie  et  de  la  Marche  électorale. 

Ce  siège,  si  heureusement  et  si  prompte- 
ment terminé,  fournit  au  Roi  la  facilité  d'exécu- 
ter de  plus  grands  projets;  son  dessein  étoit  de 


DE    SEPT    ANS.  287 

pénétrer  dans  la  Moravie,  et  de  prendre  Ol- 
mutz  :  non  pas  pour  conserver  cette  place , 
car  on  prévoyoit  dès-lors  la  diversion  que  les 
Russes  5  qui  s'étoient  emparés  de  la  Prusse,  se 
préparoient  à  faire  en  Poméranie  et  dans  les 
Marches  de  Brandebourg;  mais  afin  d'amuser 
durant  toute  la  campagne  les  Autrichiens  dans 
cette  partie  éloignée  des  Etats  du  Pvoi ,  pour 
avoir  le  temps  et  la  facilité  de  s'opposer  en  at- 
tendant avec  des  forces  considérables  à  larmée 
russe.  Pour  exécuter  ce  plan ,  il  falloit  de  né- 
cessité en  imposer  au  maréchal  Daun ,  afin  de 
gagner  sur  lui  quelques  marches ,  et  le  temps 
de  s'établir  aux  environs  d'Olmutz  avant  son 
arrivée.  Dans  cette  intention  l'armée  du  Roi 
se  retira  des  montagnes  dans  les  plaines  de 
Schweidnitz  et  de  Reichenbach  ,  sous  prétexte 
d"y  refaire  les  troupes  des  fatigues  du  siège,  et 
d'attendre  les  recrues  qui  dévoient  la  joindre. 
M.  de  Ziethen  avec  un  corps  demeura  dans  les 
environs  de  Landshut,  d'où  il  tira  un  cordon 
jusques  à  Friedland,  et  M.  de  P'ouquet  entra 
dans  le  comté  de  Glatz,  pour  en  garder  tous 
les  débouchés.  Ces  deux  corps  ,  qui  mas- 
quoient  les  mouvemens  de  l'armée  derrière  les 


\ 


288  HIST.    DE    LA    GUERRE 

montagnes ,  avoient  encore  l'avantase  d'empê- 
cher les  Autrichiens  de  recevoir  des  nouvelles 
qui  pussent  les  éclairer  sur  les  intentions  des 
Mai.  Prussiens.  Pendant  que  ces  dispositions  don- 
noient  le  change  à  l'ennemi ,  l'armée  du  Roi 

marcha  à  Neisse  ,  où  elle  se  sépara   en   deux 
f 
colonnes,  dont  une,  où  le  Roi  se  trouvoit  en 

personne ,  prit  le  chemin  de  Troppau ,  et  l'au- 
tre ,  que  conduisoit  le  maréchal  Keith  .  celui 
de  Jasgerndorf.  Ces  deux  colonnes  débouchè- 
rent le  3  de  Mai  dans  les  plaines  d'Olmutz , 
l'une  par  Gibau,  et  l'autre  par  Sternberg;  M. 
de  Fouquet  les  suivit  aussitôt  qu'il  remarqua 
que  l'ennemi,  ayant  pris  l'allarme ,  quittoit  les 
environs  de  Kœnigsgrstz,  pour  se  porter  sur 
Hohemaut.  Il  prit  le  chemin  de  Neisse,  d'où 
il  convoya  nos  munitions  de  guerre  et  de  bou- 
che pour  le  siège  jusqu'à  Olmutz.  C'étoit  le  1  2  , 
et  le  même  jour  l'armée  d'observation  passa  la 
Morava  à  Llttau.  Le  Roi  s'avança  jusqu'à  Hole- 
schau;  M.  de  Ville  y  campoit  avec  7  régimens 
de  cavalerie  :  il  fut  attaqué  par  le.  prince  de 
Wurtemberg  et  poussé  au-delà  de  Prostnitz  vers 
Wischau.  Le  Prince  campa  son  corps  à  Prost- 
nitz, et  il  y  demeura  pour  observer  l'ennemi 

^ 
(iU 


DE    SEPT    ANS.  qSq 

du  coté  de  Wischau  et  de  Brunn ,  ayant  sous 
lui  4  régimens  de  dragons ,  i  de  housards  et 
4  bataillons.  Le  maréchal  Keith ,  ayant  fait  l'in- 
vestissement d'Olmutz  5  ouv^rit  la  tranchée  le. 
Î2  7  de  Mai;  il  plaça  de  l'antre  côté  de  la  Mo- 
rava  les  lo  escadrons  de  Bareuth,  500  housards, 
et  quelques  bataillons  francs  ^  qui  se  campè- 
rent proche  d'un  village  nommé  Dolein.  Pour 
que  le  maréchal  Keith  et  l'armée  du  siège  fus- 
sent plus  en  sûreté,  on  jugea  qu'il  falloit  éloi- 
gner davantage  M.  de  Ville;  il  pensa  être  surpris 
dans  son  camp  ,  et  ne  crut  trouver  de  sûreté 
qu'en  se  retirant  près  des  ouvrages  de  Brunn, 
L'armée  d'observation  occupa  en  même  temps 
toutes  les  positions  qu'on  avoit  eu  le  temps  de 
lui  choisir;  en  conséquence  de  quoi  le  margrave 
Charles  prit  le  camp  de  Neustadt,  le  prince 
Maurice  celui  de  Littau  ,  M.  de  Wédel  celui 
de  Namiest,  et  le  Roi  occupa  cette  partie  des 
hauteurs  qui  régnent  entre  Prostnitz  et  Ho- 
lescliau  depuis  Namiest  jusqu'à  Studenitz.  M. 
de  Puttkammer  arriva  le  lo  de  Juin  à  l'armée,  juin, 
sans  avoir  été  inquiété  dans  sa  route  ,  avec  le 
convoi  qu'il  conduisoit.  M.  de  Ziethen ,  c^ui 
fut  attaqué  à  Grissau  par  l'ennemi,  le  repoussa. 
Tome  III,  T 


2gO  HIST.    DE    LA    GUERRE 

et  remarquant  que  toutes  les  forces  des  Autri- 
chiens tiroient  vers  la  Moravie ,  il  quitta  les 
montagnes  et  joignit  presque  en  même  temps 
que  M.  de  Puttkammer  l'armée  du  E.oi.  Ce- 
pendant les  munitions  de  guerre  et  de  bouche 
n'étant  pas  suffisantes  pour  le  siège,  on  fit  pré- 
parer un  nouveau  convoi  en  Silésie ,  tant  pour 
pousser  les  attaques  que  pour  renforcer  l'armée. 
Il  y  a  apparence  que  ce  siège  auroit  mieux 
réussi  5  si  l'on  n'avoit  pas  ouvert  les  tranchées 
de  trop  loin ,  et  qu'on  n'eût  pas  été  obligé 
d'abandonner  les  premières  batteries  ,  parce 
cju'elles  tiroient  sans  effet  ;  ce  qui  consuma 
beaucoup  de  munitions  inutilement.  Sur  ces 
entrefaites  l'avant  -  garde  du  maréchal  Daun 
aux  ordres  de  M.  de  Harsch  entra  en  Moravie, 
et  se  campa  vis-à-vis  du  prince  Maurice  sur 
les  coteaux  d'AUerheiligen ,  non  loin  de  Littau. 
M.  de  Harsch  tenta ,  mais  sans  succès ,  de  sur- 
prendre cette  ville.  Le  maréchal  Daun ,  qui 
le  suivoit,  s'étoit  porté  sur  Géwitsch,  d'où  il 
détacha  un  corps  de  6,000  hommes,  cjui  s'éta- 
blit à  Prérau.  Cette  position  obligea  le  maré- 
chal Keith  à  placer  ses  dragons  à  Wisternitz  et 
ses  compagnies  franches  à  Bistrovann  et  à  Kosut- 


bjî   sept  ans.  291 

chan.    Les  vues  du  maréchal  Daun    alloient  à 
jeter  du  secours  dans  la  ville  assiégée .  sans  s'ex- 
poser à  une  action,   dont  la  perte  auroit  en- 
traîné la  réduction   d'Olmutz.    Il  fit   attaquer 
de  nuit  le  village  de  Kosutchan,  défendu  par      5» 
un  bataillon  franc,  et  l'obligea  de  lui  céder  le 
terrain  ;   les   dragons  de  Bareuth ,  qui  avoient 
passé  la  nuit  au  bivouac,  par  une  négligence  dii 
colonel  Meyer,  qui  les  commandoit,  n'atten- 
dirent pas  pour  desseller  le  retour  des  partis 
qu'ils  avoient  envoyés  à  la  découverte  :  l'en- 
nemi arriva  en  poussant  leurs  patrouilles  avec 
impétuosité  ;  il  fondit  sur  leurs  tentes ,  ne  leur 
donnant  pas  le  temps  d'en  sortir.   Le  régiment 
perdit  300  hommes ,  et  auroit  été  totalement 
ruiné,  si  le  bataillon  de  Nimschewsky  ne  fût  ar- 
rivé à  temps  pour  forcer  l'ennemi  à  précipiter 
sa  retraite.   Ce  succès  des  Autrichiens  leur  fit 
prendre  goût  aux    expéditions   nocturnes;   ils 
attaquèrent  trois  fois  le  régiment  de  Ziethen  à 
Kostelitz ,  et  furent  toutes  les  trois  fois  repoussés 
avec  une  perte  assez  considérable.  Les  batail- 
lons francs  de  Le  Noble  et  de  Rapin  ne  furent 
pas  aussi  heureux  ;  le  margrave  Charles  les  avoit 
envoyés  à  Sternberg ,  d'où  ils  dévoient  se  rendre 

T  o 


29^  HIST.    DE    LA    GUERRE 

à    Barn  pour   couvrir  un  convoi ,   qui   arriva 
le  10  ;  ils  furent  assez  maltraités  par  les  pan- 
dours ,    et  perdirent  500  hommes   dans  cette 
affaire.   Mais   revenons  à  des  objets  plus  con- 
sidérables. La  position  de  l'armée  autrichienne  ^ 
et  principalement  le  corps  qu'elle  avoit  détaché 
à  Prérau  ,  exigeoit  que  la  ville  d'Olmutz  fût 
mieux  enfermée  au-delà  de  la  Morava  ;  il  sem- 
bloit  que  le  corps  du  Margrave  à  Neustadt  n'y 
fût  pas  essentiellement  nécessaire ,  et  comme 
on  n'avoit  pas  trop   de  troupes,  le  Margravo 
alla  se  poster  de  façon  que  sa  gauche  occuDoit 
un  pont  que  nous   avions  à  Commothau  sur 
la  Morava,  et  que  sa  droite  s'étendoit  jusqu'à 
notre  pont  de  Holitz.    Cependant,  tandis  que 
les  Prussiens  changeoient  leur  position ,  M.  de 
Bulau  ,    colonel    autrichien  ,    avoit   trouvé   le 
moyen  de  se  glisser  dans  la  ville,  et  d'amener 
à  M.  de  Marshall ,   qui  en  étoit  gouverneur , 
un  secours  de  iqoo  hommes. 

Le  maréchal  Daun  vint  peu  de  jours  après 
déboucher  dans  la  plaine,  et  se  camper  à  Prett- 
litz  entre  Prostnitz  et  Wischau;  il  y  fut  informé 
que  les  Prussiens  attendoient  un  grand  convoi , 
dont  dépendoit  la    réussite  du   siège ,   parce 


DE     SEPT     ANS.  293 

que  les  munitions  commençoient  à  manquer. 
Ce  convoi  étoit  couvert  par  8  bataillons  et 
4000  convalescens ,  tant  de  la  cavalerie  que 
de  l'infanterie,  qu'on  avoit  enrégimentés  pour 
s'en  servir  durant  cette  marche.  Le  tout  partit 
le  25  de  Juin  de  Troppau.  Le  maréchal  Daun 
tourna  ses  vues  sur  ce  convoi  ;  il  envoya  M. 
de  Janus  à  Bahrn ,  et  M.  de  Laudon  à  Liebe 
pour  l'intercepter.  Sur  cela  le  Roi  détacha  M. 
de  Ziethen  avec  Qo  escadrons  et  3  bataillons; 
il  rencontra  ce  convoi  près  de  Gibau.  Le  gé- 
néral Laudon  l'attaqua  le  lendemain;  après  un  jg, 
combat  de  3  heures  il  fut  obligé  de  se  replier. 
Le  transport  avançoït  très-lentement  à  cause  des 
chemins  rompus,  et  le  maréchal  Daun  profita 
de  ce  temps  pour  renforcer  MM.  Janus  et  Laudon 
de  85O00  hommes.  Le  30  le  convoi  fut  atta- 
qué de  nouveau  entre  Bautsch  et  Domstadt  ;  à 
peine  looo  hommes  de  cavalerie.  4  bataillons, 
et  400  chariots  eurent-ils  ouvert  la  marche, 
et  passé  le  défilé  de  Domstadt ,  que  l'ennemi 
se  porta  avec  toutes  ses  forces  de  Bahrn  et  de 
Liebe  sur  ce  convoi ,  de  sorte  que  ces  deux 
colonnes  de  l'ennemi,  venant  à  se  joindre,  cou- 
pèrent l'avant-garde  qui  venoit  de  passer  le  dé- 

T  3 


2g4  HIST.    BE    LA    GUERRE 

filé ,  du  reste  du  corps  qui  suivoit.  M.  de  Zie- 
theu  ,   qui  étoit  avec  le  gros    du   convoi ,   fit 
charger  vigoureusement  une  des  ailes  de  l'en- 
nemi ;   mais  le  nombre  étoit  trop   dispropor- 
tionné pour  qu'il  pût  réussir,  de  sorte  qu'après 
avoir  vaillamment  combattu  ,  il  fut  contraint 
de  se  retirer  avec  la  plus  grande  partie  de  son 
inonde    sur  Troppau  :   il  y  perdit  le  général 
Puttkammer  et  800  hommes,  sans  compter  tout 
le  convoi  et  le  trésor  de  l'armée,  qui  tomba 
entre  les  mains  de  l'ennemi.    Ce  malheur  fut 
cause  de  la  levée  du  siège.    Si  ce  convoi  eût 
pu  arriver ,    la   ville   étoit  prise  en  moins  de 
quinze  jours,   parce  que  l'on  avoit  achevé  la 
troisième  parallèle ,   et   que  l'on  commençoit 
d'en  déboucher  avec  les  sappes.  Mais  quelque 
apparentes  que  fussent  ces  espérances ,  il  fallut 
y  renoncer,  pour  sauver  Tarmée,  qui  en  pro- 
longeant son  séjour  en  Moravie  auroit  manqué 
de  subsistance,  il  y  avoit  deux  chemins  pour 
le  retour;  l'un  qui  mène  dans  la  haute  Silésie, 
par  lequel  l'armée  étoit  venue  ,   et  l'autre  qui 
traverse  la  Bohème ,  et  mène  ou  dans  le  comté 
de  Glatz,  ou  par  Braunau  en  Silésie.  L'ennemi 
s'étoit  préparé  à  rendre  la  première  route  difficile. 


DE    SEPT    ANS.  Sgj 

Laudon,  Jiinus  et  S.  Ignon  y  étoient  demeurés 
depuis  l'aflaire  des  convois  ;  le  maréchal  Daun 
s'étoit  porté  même  avec  son  armée  à  Tobischau , 
de  sorte  qu'on  avoit  à  craindre  ,  en  prenant 
ce  chemin  ,  d'avoir  deux  corps  ennemis  sur 
les  flancs  ,  et  sans  cesse  le  maréchal  Daun 
derrière  l'arrière-garde,  qui  laharcèleroit.  En  un 
mot  5  cette  marche  n'auroit  été  qu'une  bataille 
perpétuelle,  dans  laquelle  l'armée  auroit  perdu 
l'artillerie  du  siège  ,  ses  équipages  ,  ses  biessés  ; 
peut  -  être  même  y  auroit  -  elle  rencontré  sa 
ruine  entière  au  passage  de  la  Morava  ,  que 
l'ennemi  pouvoit  lui  rendre  funeste.  Ces  con- 
sidérations déterminèrent  promptement  le  Roi 
à  se  tourner  vers  la  Bohème  ,  parce  que  l'ennemi 
li'étant  pas  préparé  de  ce  côté-là,  on  pouvoit 
gagner  deux  marches  sur  lui ,  ce  qui  étoit  un 
article  important  pour  l'artillerie  et  le  bagage 
dont  l'armée  étoit  chargée. 

La  nuit  du  i  au  q  de  Juillet  le  Roi  quitta  juillet, 
son  camp  5  et  partit  avec  toutes  ses  troupes, 
partagées  en  deux  colonnes.  Le  prince  Maurice 
lit  l'avant-garde  de  celle  où  se  trouvoit  le  Roi , 
qui  passa  par  Konitz  ,  Tribau ,  Zwittau ,  et  vint 
à  Leitomischel  ,  où  elle  s'empara  d'un  dépôt 

T  4 


i 

296  HIST.    DE    LA    GUEUPvï: 

des  ennemis  :  la  seconde  ,  sous  la  conduite  du 
maréchal  Keith ,  en  se  retirant  de  ses  tranchées 
n'abandonna  que  4  mortiers  et  un  canon  in- 
transportables 5  parce  que  les  afîuts  en  étoient 
cassés;  elle  prit  le  chemin  de  Littau,  Miiglitz 
et  Tiibau.  Toute  cette  marche  jusques-là 
ne  fut  point  troublée  par  l'ennemi  ,  par  la 
raison  que  le  maréchal  Daun,  ayant  fait  toutes 
ses  dispositions  pour  les  chemins  de  la  haute 
Siîésie  ,  ne  put  pas  retirer  assez  promptement 
ses  troupes  pour  agir  en  force  du  côté  de  la 
Bohème  ;  néanmoins  M,  de  Lascy ,  qui  campoit 
à  Gibau  ,  voulut  entreprendre  sur  l'arriére- 
garde,  obligée  de  passer  le  défilé  de  Krenau, 
pour  marcher  à  Zwittau.  Il  se  saisit  de  ce 
village  avec  ses  grenadiers  ;  mais  il  en  fut 
promptement  délogé  par  M.  de  Wied  ,  et  les 
troupes  continuèrent  leur  chemin  sans  être 
inquiétées.  Le  maréchal  Keith  avoit  partagé  sa 
colonne  en  trois  corps ,  dont  celui  de  M.  de 
Retzow  5  ayant  traversé  Hohemaut ,  et  s'ap- 
prochant  des  collines  de  Holitz ,  trouva  ces 
hauteurs  occupées  par  Tennemi  ;  il  se  saisit  d'une 
chapelle  cjui  est  sur  uv.e  hauteur  vis-à-vis 
de  celle  aue  l'ennemi^tenoit  :  on  commença 


DE    SEPT    ANS.  297 

par  se  canoner  réciproquement ,  M.  de  Retzow 
continuant  à  faire  filer  son  convoi  et  son  escorte 
en  même  temps.  Le  général  de  S.  Ignon , 
qui  commandoit  les  ennemis  ,  crut  ce  moment 
propre  pour  attaquer  les  Prussiens;  il  fondit 
avec  1100  chevaux  sur  le  régiment  de  Biédovv 
cuirassiers ,  qu'il  obligea  de  se  replier.  Sur 
ces  entrefaites  arriva  un  lieutenant,  avec  50 
housards  ,  cjue  le  Roi  avoit  chargé  de  dé- 
pêches pour  le  maréchal  Keith  ;  ce  brave 
officier  ,  nommé  Kurzhagen ,  donna  avec  son 
peu  de  monde  si  à  propos  sur  le  flanc  de  M.  de 
S.  Ignon  5  qu'il  ramena  les  cuirassiers  :  la  cava- 
lerie prussienne  accourut  aussi  et  rechassa  les 
Autrichiens  avec  perte  de  6  officiers  et  de  300 
hommes.  Le  maréchal  Keith ,  arrivant  avec 
sa  colonne  précisément  lorsque  l'ennemi  étoit 
en  déroute ,  fit  prendre  en  revers  l'infanterie 
ennemie ,  qui  se  maintenoit  encore  sur  les  hau- 
teurs ;  ce  qui  précipita  sa  fuite  par  des  forêts 
épaisses  qui  protégoient  sa  retraite.  Pendant  que 
îe  maréchal  Keith  étoit  occupé  avec  les  ennemis 
et  ses  convois,  le  Roi,  ayant  pris  les  devans, 
étoit  arrivé  dès  le  onze  près  de  Kœnigsgraetz. 
M.  de  Buccow  couvroit  cette  ville  avec  environ 


2g8  HIST.    DE    LA   GUERPvE 

7,000  hommes  5  qu'il  avoit;  campés  derrière 
l'Elbe  5  et  dans  des  retranchemens  qui  entou- 
roient  les  faubourgs.  Dès  que  les  troupes  furent 
arrivées  ,  on  plaça  quelques  bataillons  vers 
Hota  sur  l'Adler,  et  l'on  y  construisit  une  bat- 
terie ,  pour  prendre  à  revert  M.  de  Buccow  dans 
ses  retranchemens  ;  en  même  temps  un  autre 
corps  passa  l'Adler  plus  haut,  qui  devoit  atta- 
quer le  lendemain  dès  la  pointe  du  jour  ce 
retranchement.  On  vouloit  aussi  faire  passer 
l'Elbe  à  un  gros  corps  de  cavalerie ,  pour  couper 
toute  retraite  aux  Autrichiens  ;  mais  les  ponts 
ne  purent  être  achevés  que  le  13  au  matin. 
M.  de  Buccow  n'attendit  pas  que  cet  ouvrage 
fût  achevé  ;  il  évacua  la  nuit  m-ême  ses  retran- 
chemens et  la  ville,  et  se  retira  vers  Clumetz. 
Le  mênre  jour  ,  le  Roi,  étant  averti  que  M.  de 
Retzow  étoit  attaqué  à  Holitz ,  y  marcha  avec 
un  corps  de  cavalerie;  mais  l'affaire  étoit  déjà 
décidée,  et  le  maréchal  Keith  conduisit  heureu- 
sement jusqu'à  Kœnigsgrsetz  toute  l'artillerie 
du  siège  d'Olmutz  ,  1500  blessés  et  malades, 
outre  toutes  les  m.unitions  de  guerre  et  de 
bouche  qui  appartenoient  à  l'armée  du  Rqu 
Dès  que  toutes  les  troupes  fuient  rassemblées  , 


BE    SEPT    ANS.  299 

elles  se  campèrent  au  confluent  de  l'Adler  et      14. 
de  l'Elbe,  ayant  devant  leur  front  la  ville  de 
Kœnigsgrastz ,  occupée  par  6  bataillons. 

Le  premier  soin  du  Roi  fut  de  se  débarrasser 
du  gros  bagage  qu'on  avoit  traîné  d'Olmutz  à 
Kœnigsgrastz,  et  M.  de  Fouquet  fut  com^mandé 
avec  16  bataillons,  et  autant  d'escadrons,  pour 
conduire  à  Glatz  l'artillerie ,  les  blessés  et  les 
chariots  superflus.  L'ennemi  avoit  déjà  quelque 
dessein  de  harceler  les  Prussiens  dans  ces  passa- 
ges ;  le  même  jour  M.  de  Laudon  s'étoit  posté 
avec  4,000  hommes  dans  le  bois  d'Opotschna. 
Comme  on  en  étoit  instruit ,  et  que  le  Roi 
vouloit  assurer  la  marche  de  M.  de  Fouquet  sur 
Neustadt ,  il  prit  quelques  troupes  avec  lui  et 
marcha  droit  sur  M.  Laudon  ;  l'Autrichien  pensa 
être  surpris  :  mais  comme  le  bois  favorisoit  sa 
retraite,  on  ne  put  lui  enlever  que  100  Cra- 
vates; il  se  retira  vers  Holitz  ,  et  le  Roi  tint  Iti 
poste  d'Opotschna,  jusqu'à  ce  que  M.  de  Fou- 
quet eut  paisiblement  conduit  à  Glatz  son 
convoi.  D'abord  après  son  arrivée  il  détacha  lO, 
M.  de  Schenkendorf  l'aîné  à  Reinerz ,  M.  de 
Golze  au  Hunulberg ,  et  lui-même  il  occupa  le 
camp  de  Nachod,  pour  couvrir  le  dos  de  l'armée. 


300  HIST.    DE    LA    GUERRE 

La  promptitude  de  la  marche  avoît  donné  assez 
d'avance  pour  prendre  tous  ces  arrangemens, 
avant  que  le  maréclial  Daun  pût  s'approcher 
de  l'armée  prussienne;  il  arriva  le  qq  ,  et  prit 
son  camp  sur  les  hauteurs  de  Clum  et  de 
Libitschau,  au-delà  de  l'Elbe,  en  même  tem.ps 
que  le  Roi  revint  d'Opotschna  rejoindre  le 
gros  de  ses  troupes  S'il  ne  se  fût  agi  que  des 
Autrichiens  ,  on  amoit  fini  la  campagne  ,  sans 
quitter  la  Boîième  que  pour  prendre  des  quar- 
tiers d'hiver  ;  mais  l'invasion  dont  les  Russes 
menaçoient  la  Poméranie  et  la  nouvelle  Marche 
obligeoit  le  Roi  de  ramener  ses  troupes  en 
Silésie  5  pour  pouvoir  de  là  porter  des  secours 
aux  endroits  qui  en  auroient  le  plus  besoin. 
On  fit  entrer  dans  ce  projet  toutes  les  mesures 
qui  pouvoient  assurer  les  frontières  de  la  Silésie  ; 
en  conséquence  on  eut  soin  d'enlever  tous 
les  fourages  et  toutes  les  provisions  du  cercle 
de  Kœnigsgraetz,  pour  empêcher  le  maréchal 
Daun  ,  faute  de  magasins ,  d'agir  de  ce  côté 
contre  la  Silésie.  Cela  lui  devint  en  eflet  im- 
possible 5  parce  qu'il  avoit  été  obligé  au  com- 
mencement de  la  campagne  de  diriger  toutes 
ses  subsistances  du  côté  de  Biunn,  qu'ensuite 


DE    SEPT    ANS,  3OI 

l'armée  prussienne  lui  avoit  enlevé  dans  sa 
marche  tous  les  dépôts  qu'il  avoit  en  Bohème , 
et  qu'enfin  on  avoit  consumé  les  fourages  du 
cercle  de  Kœnigsgraetz.  On  quitta  donc  la  nuit 
da  25  le  camp  de  Kœnigsgraetz.  Les  pandours 
attaquèrent  les  faubourgs  de  la  ville  dans  le 
temps  qu'on  voulut  l'évacuer;  le  général  Sal- 
dein  et  le  colonel  Blankensée  y  furent  tués  ; 
on  perdit  70  hommes.  L'armée  du  Roi  se 
replia  par  Caravalhotta  sur  Rochonitz  ;  M/^  Lau- 
don,  S.  Ignon  et  Lascy  suivirent  l'arriére-garde 
avec  environ  13,000  hommes  ,  et  quoiqu'ils 
essayassent  de  l'entamer,  ils  ne  purent  point  y 
réussir,  et  furent  vigoureusement  repoussés  par 
les  housards  de  Puttkammer.  Pour  faire  passer 
à  l'ennemi  l'envie  de  harceler  les  arrière-gardes, 
on  prépara  le  lendemain  une  embuscade  ;  ce 
fut  au  passage  de  la  Métau  :  on  occupa  avec 
10  bataillons  et  qo  escadrons  un  bois  qui  se 
trouve  sur  ce  chemhi ,  et  qui  tire  de  Jaromirs 
à  la  Métau  ;  après  quoi  l'armée  se  mit  en 
marche ,  et  ne  présenta  à  l'ennemi  qu'une  foible 
arrière-garde  de  housards.  M.  de  Laudon  ,  qui 
s'échaufloit  facilement ,  voulut  donner  dessus; 
alors  la  cavalerie  ,  »n  sortant  de  l'embuscade,  le 


302  HIST.    DE    JLA    GUERRE 

prit  dans  tous  les  sens  ;  il  fut  fort  maltraité ,  et 
perdit  300  hommes.  Après  cette  petite  correc- 
tion  l'armée    du   Roi   poursuivit  paisiblement 
sa  marche ,    et  se  campa  entre  Boruslawitz  et 
Gessnitz;  et  Ton  détacha  M.  de  Retzow,  pour 
couvrir  la  droite   de   l'armée    au  passage    des 
Août,      montagnes.    M.  de  Retzow   délogea  M.  Janus 
de   Studenitz  ,  et  le  Roi    occupa  le   camp  de 
Skalitz.    Dans  l'emplacement  où  l'armée   étoit 
campée  il  se  trouvoit  une  hauteur  sur  la  droite  , 
dont  il  falioiî  nécessairement  se  mettre  en  pos- 
session; le  Roi   y  plaça  les  volontaires  de  Le 
Noble  5   comme  un  appât  qu'il  présentoit   à 
l'ennemi ,  et  6  bataillons ,  campés  dans  une  espèce 
de  ravin  ,  avoient  ordre  de  soutenir  ce  poste  en 
cas  d'attaque.    Ce    qu'on  avoit   prévu    arriva  ; 
8.      M.  de  Laudon  vint  de  nuit  pour  surprendre  Le 
Noble  :  il  fut  reçu  autrement  qu'il  ne  s'y  stten- 
doit  ;  on  le  mit  en  fuite,  et,  sans  compter  les 
morts  et  les  blessés,  il  y  perdit  6  officiers   et 
70  hommes.  Le  maréchal  Daun  avoit  cependant 
fait  longer  à  son  armée  le  cours  de  l'Elbe,  de 
sorte  qu'elle  s'étendoit  depuis  Kœnigsgrstz  jus- 
qu'à Jaromirs  vers  Kœnigshof.  Le  Roi  se  campa 
le  lendemain  à   Wisoka,  et  M.  de  Retzow  à 


DE     SJEPT     ANS,  3O3 

Starkstadt.  La  marche  se  poursuivit  de  Wisoka 
à  Politz  et  Wernersdorf 5  sans  qu'on  fût  suivi  par 
les  ennemis.  Le  8  toutes  les  troupes  reprirent 
le  camp  de  Giissau  et  de  Landshut. 

La  diversion  à  laquelle  on  s'étoit  attendu 
de  la  part  des  Russes  se  fit  pendant  ce  retour 
de  Bohème  :  M.  Fermor  s'étoit  avancé  en  plu- 
sieurs corps,  de  la  Prusse,  sur  les  frontières  de 
la  Poméranie  et  de  la  nouvelle  Marche;  M.  de 
Platen  avoit  observé  les  ennemis  de  Stolpe,  où 
il  avoit  été  tout  l'hiver  en  détachement.  Sur 
ces  avis  le  comte  de  Dohna  avoit  reçu  l'ordre 
dès  le  mois  de  juin  de  lever  le  blocus  de  Stral- 
sund,  pour  s'approcher  de  fOder,  afin  de  s'op- 
poser aux  Russes  de  quelque  côté  qu'ils  vou- 
lussent pénétrer  dans  les  états  du  Roi.  JM.  de 
Fermor  s'étoit  avancé  de  Posen  à  Kœnigswald , 
Méseritz,  et  Closter  Paradies,  où  il  campoi&cn 
3  corps.  Le  comte  de  Dohna  détacha  M.  de 
Kanitz  à  Reppen  ,  pour  observer  l'ennemi  , 
d'où  M.  de  Malachowsky  fit  une  course  jus- 
qu'à Sternberg  et  en  délogea  les  Russes.  Le 
comte  de  Dohna ,  qui  n'étoit  pas  assez  en 
force  pour  répandre  des  détachemens ,  attira  â 
lui  M.  de  Platen,  et  se  borna  à  disputer  aux 


304  HIST.   DE    LA    GUERKE 

ennemis  le  passage  de  l'Oder;  il  se  campa  pour 
cet  effet  à  Francfort.  La  partie  cependant  n'é- 
toit  pas  égale  :  comme  le  moindre  échec  qu'au- 
ïoit  souffert  le  corps  du  comte  de  Dohna 
devenoit  préjudiciable  à  l'état,  et  pouvoit  en- 
traîner après  soi  la  ruine  totale  de  la  Marche 
électorale  ,  le  Roi  prit  le  parti  de  s'y  rendre 
en  personne  avec  un  renfort  assez  considérable 
pour  donner  aux  troupes  prussiennes  une  es- 
pèce d'égalité  avec  celles  des  ennemis  ;  ce  ren- 
fort consistoit  en  16  bataillons  et  q8  escadrons. 
La  plus  grande  partie  de  l'armée  aux  ordres 
du  maréchal  Keith  et  du  margrave  Charles 
demeura  dans  le  camp  de  Landshut ,  pour 
garder  les  frontières  de  la  Silésie.  Le  Roi  diri- 
gea sa  marche  par  Ronstock,  Lignitz,  Hinzen- 
dorf ,  Dakau ,  Wartenberg ,  Schertendorf ,  Cros- 
sen  5  Ziebingen ,  à  Francfort ,  où  il  apprit  que 
M.  de  Fermor ,  s'étant  avancé  par  Landsberg  à 
Cammin  et  à  Tamsel,  avoit  fait  bombarder  la 
i5.  ville  de  Kustrin,  qui  avoit  été  mise  en  cendres, 
après  avoir  rejeté  toutes  les  propositions  de  ca- 
pitulation que  le  général  Stoffel  avoit  faites  à 
M.  de  Schack,  qui  en  étoit  commandant.  Ces 
entreprises  de  l'ennemi  avoient  engagé  le  comte 


DE     SEPT     ANS.  303 

de   Dohna  à  rapprocher    son    corps    de  cette 
forteresse ,  pour  la  mieux  soutenir.  Ce  fut  dans 
ce  camp  près  de  Gorgast,  le  qq  Août,  que  le 
Roi  joignit   le  comte   de  Dohna.    Les  Russes 
avoient  étabh  leurs  parallèles  précisément  au 
déboucher  de  la  chaussée  qui  conduit  de  Kustria 
à  Tamsel ,  et  leurs  batteries  étoient  construites 
de  manière  que  l'armée  n  auroit  pu  déboucher 
de  la  place  ,    sans  s'exposer  à  faire  des  perte$ 
considérables ,   mais  inutiles.     Le  Roi   résolut 
cependant   d'attaquer    l'ennemi  ;    il  falloit   se 
battre  ,  afin  de  se  débarrasser  pour  un  temps 
d'une  armée  ,  et  gagner  celui  de  se  tourner  d'un 
autre  côté.  Le  Roi  pouvoit  donc  employer  trois 
semaines  à  cette  expédition;  mais  comment  la 
terminer  si  vite  sans  en  venir  aux  mains  ?  Le 
maréchal  Daun,  qu'on  avoit  quitté  à  JaromJrs, 
pouvoit  dans  cet  intervalle  se  tourner  ,  ou  vers 
la  Silésie,  ou  vers  la  Saxe,  et  il  falloit  pouvoir 
s'y  rendre  dans  les  différeris  cas,  selon  que  le 
besoin  le  demanderoit.  Le  Roi  jugea  donc  qu'il 
falloit  en  imposer   à  l'ennemi  par  de  fausses 
démonstrations;  on  fit  des  batteries  vis-à-vis  de 
Dréwitz,  et  l'on  occupa  les  digues  de  TOder, 
comme  si  efîcctivement  on   avoit  dessein  de 
Tome  ///.  V 


•     306  ÎIIST.   DE    LA    GUERRE 

passer  ce  fleuve  dans  les  environs;   en  même 
temps  le  Roi  renforça  la  garnison  de  Kustrin  de 
4  bataillons.    Il  avoit  envoyé  M.  de  Kanitz  à 
Wrietzen  ,  pour  rassembler  tous  les  bateaux 
qui  se  trouvoient  dans  cette  partie  sur  l'Oder. 
Tandis  que  rarm>ée  marchoit  la  nuit  du  <2^  en 
remontant  l'Oder  jusqu'à  Gustebiese ,  où  elle 
fut  jointe  par  M.  de  Kanitz,  qui  amena  suffi- 
samment de  bateaux  pour  la  construction   du 
pont,  on  se  donna  tant  de  soins  pour  l'achever, 
cjue  toute  l'armée  l'eut  passé  à  midi  ;  elle  con- 
tinua  sa  marche  jusqu'au  village  de  Clossow , 
où  elle  se  campa;  et  par  cette  position  elle  coupa 
déjà  le  corps  de   M.  de  Fermor    de   celui  de 
M.  Romanzow ,  qui  étoit  du  côté  de  Schvvedt , 
où  il  avoit  dessein  de   passer  l'Oder.     Le  24 
l'armée  se  campa  à  Dermitzel  vis-à-vis  de  M.  de 
Fefmor ,  qui  sur  le  mjouvement  des  Prussiens 
avoit  levé  le   siège  de  Kustrin  ,  et  s'étoit  fait 
joindre  par  la  division  de  M.  Czernichef,  avec 
laquelle   et  le  gros  de  ses  troupes  il  prit  une 
position  entre  les  villages  de  Quartzchen  et  de 
Zicker ,  ayant  un  ruisseau  marécageux  devant 
son   front;    ces  troupes  campoient  en  quarré, 
selon  l'usage  que  le  maréchal  Munnich  avoit 


j)E     SEPT     ANS,  307 

suivi  en  faisant  la  guerre  aux  Turcs  dans  la  petite 
Tartarie.  Le  même  jour  que  l'armée  prussienne  55, 
arriva  5  le  Roi  s'empara  du  moulin  de  Damm, 
et  du  pont  qui  passe  le  ruisseau  ;  son  avant-garde 
prit  possession  de  la  forêt  de  Massin  ,  par 
laquelle  il  falloit  passer  pour  tourner  le  camp 
des  ennemis.  Le  lendemain  l'armée  déboucha 
sur  4  colonnes  dans  la  plaine,  prés  du  village  de 
Batzelovv  :  les  ennemis  av oient  laissé  entre  ce 
village  et  Cammin  le  gros  de  leur  bagage  sous 
une  petite  escorte  :  si  l'on  avoit  été  moins  pressé^ 
on  auroit  pu  le  leur  enlever  sans  peine ,  et  les 
obliger  par  quelques  marches  à  quitter  le  pays; 
mais  il  falloit  ^n  venir  à  une  décision ,  dont  on 
de  voit  tout  attendre,  vu  la  disposition  bizarre 
que  l'ennemi  avoit  donnée  à  sa  bataille.  La 
marche  de  l'armée  continua  donc  sur  Zorndorf , 
où  le  Roi  se  proposoit  d'attaquer  la  face  opposée 
du  quarré,  vis-à-vis  de  laquelle  on  avoit  été  à 
Dermitzèl.  Les  Cosaques  mirent  le  feu  à  Zorn- 
'dorf  ;  ce  qui  embarrassa  un  peu ,  parce  que  la 
grosse  artillerie  devoit  passer  ce  village  ,  pour 
former  des  batteries  vis-à-vis  de  l'ennemi.  La 
gauche ,  destinée  à  faire  la  première  attaque , 
s'appuyoit  à  un  fond  qui  tire  vers  Wilkersdorf. 

V    9 


308  HIST.    DE    LA    GUERRE 

M.  de  Manteufel  commandoit  la  premiéra 
attaque  5  consistant  en  lo  bataillons;  il  étoit 
soutenu  par  la  gauche  de  la  première  ligne  , 
commandée  par  M.  de  Kanitz ,  et  par  la  seconde 
ligne  de  l'armée.  On  se  servit  de  quelques 
ravins ,  à  l'abri  desquels  on  mit  la  cavalerie  de 
la  gauche  contre  rartillerie  de  l'ennemi,  et  où 
toutefois  elle  étoit  â  portée  d'agir  dès  que  cela 
seroit  trouvé  nécessaire.  Les  ordres  du  Roi 
portoient  que  la  première  attaque ,  en  avançant 
constamment  ,  s'appuyât  à  ce  ravin ,  qui  la 
conduisoit  directement  sur  la  droite  des  Russes  ; 
mais  par  des  coiitretemps  et  des  mésentendus  il 
arriva  qu'elle  s'en  écarta  en  approchant  de 
l'ennemi  ,  de  façon  que  M.  de  Kanitz ,  qui 
devoit  être  derrière  M.  de  Manteufel ,  se  trouva 
à  sa  droite.  L'attaque  fut  repou^sée ,  et  l'infan- 
terie revint  en  assez  grande  confusion  ;  mais , 
comme  l'ennemi  étoit  aussi  en  désordre,  le  Roi 
fit  ordonner  à  M.  de  Seidlitz  de  le  charger  incon- 
tinent: il  forma  trois  colonnes,  ciui  percèrent 
en  même  temps  le  quarré  ;  et  en  moins  d'un 
quart- d'heure  tout  le  champ  de  bataille  fut 
nettoyé  d'ennemis  :  ce  qui  se  sauva  de  l'armée 
russe  pasîa  ce  fond  qu'elle  avoit  à  sa  droite,  et 


DE     SEPT     ANS.,  309 

commença  de  se  réformer  vers  Quartschen.  Le 
Roi  prit  alors  l'infanterie  de  sa  droite  ,  avec 
laquelle  il  fit  un  quart  de  conversion ,  et  la 
forma  vis-à-vis  de  ce  fond.  On  voulut  le  faire 
passer  aux  troupes  à  diflérentes  reprises  ;  mais 
elles  revenoient  après  un  court  espace  de  temps, 
sans  qu'on  en  comprît  d'abord  la  raison  :  c'est 
que  la  caisse  militaire  des  Russes  et  tout  l'équi- 
page de  leurs  généraux  étoient  dans  ce  fond; 
les  troupes  5  an  lieu  de  le  passer,  comme  elles  le 
pouvoient,  s'amusoient  à  piller,  et  revenoient 
dés  qu'elles  étoient  bien  chargées  de  butin.  La 
cavalerie  ne  pouvoit  agir  dans  cette  partie  à 
cause  des  marais  dont  ce  fond  étoit  rempli;  cela 
réduisit  les  Prussiens  à  canoner  l'ennemi ,  ce 
qu'ils  continuèrent  jusqu'à  nuit  close.  La  bataille 
avoit  commencé  à  g  heures  du  matin,  et  ne 
finit  qu'à  8  heures  et  demie  du  soir.  Les  Russes 
se  retirèrent  dans  le  bois  de  Tamsel ,  où  toutes 
leurs  troupes  se  miient  en  peloton,  la  cavalerie 
au  centre  ,  entourée  de  l'infanterie.  Ils  per- 
dirent à  cette  action  103  canons,  27  drapeaux 
et  étendards,  82  officiers,  parmi  lesquels  3 
généraux;  environ  2,000  prisonniers,  et  pour 
le  moins  13.000  hommes  qu'ils  laissèrent  sur 

V  3 


3ÎO  HÎST.    DE    LA  GU'EPvRE 

la.  place  ,  parce  que  la  cavalerie  ne  leur  fit 
point  quartier.  L'armée  du  Roi  y  perdit  M.  de 
Ziethen ,  général  des  cuirassiers,  60  officiers 
rnorts  ou  blessés,  et  environ  iqoo  hommes, 
avec  Qo  pièces  de  canon.  Le  lendemain  qS 
l'armée  du  E.oi  prit  une  position  très -voisine 
de  l'armée  russe  ;  on  n'étoit  qu'à  laoo  pas  les 
uns  des  autres.  Si  Ton  avoit  eu  suffisamment 
de  munitions  ,  on  les  auroit  attaqués  ;  on  fut 
obligé  de  se  contenter  d'une  canonade ,  qui 
ne  fut  pas  même  aussi  vive  qu'on  l'auroit  désiré , 
à  cause  qu'il  faîloit  ménager  la  poudre.  Il  n'y 
eut  point  de  tentes  dressées  de  part  ni  d'autre. 
..  Les  dragons  russes  essayèrent  d'attaquer  l'infan- 
teiie  prussienne  ;  ils  furent  vivement  repoussés 
par  le  régiment  de  Kreytzen.  Pendant  ractiori 
de  la  veille  et  durant  cette  journée  c'étoit  un 
spectacle  afireux  que  de  voir  tous  les  villages 
voisins  ,  auxquels  les  Cosaques  avoient  mis 
le  feu,  et  qui  rassembloient  dans  ces  environs 
toutes  les  calamités  dont  l'humanité  peut  être 
affligée.  Cependant  les  canons  prussiens  tiroient 
avec  succès  ,  parce  qu'il  étoit  presque  impos- 
sible aux  artilleurs  de  jnanquer  la  grosse  masse 
que  l'ennemi  formoit  ;    au  lieu    que  les  leurs 


DE     SEPT     ANS.  311 

tiroient  sans  le  moindre  efFet.  On  reçut  vers 
le  soir  quelque  peu  de  munitions  ,  dont  les 
batteries  firent  un  si  bon  usage,  que  la  place 
devenant  dès-lors  insoutenable  pour  les  Pvusses , 
ils  la  quittèrent  la  nuit  même,  et  allèrent  se 
camper  à  Cammin.  Le  Roi  les  suivit  :  on  fit 
encore  quelques  centaines  de  prisonniers  sur 
leur  arrière  -  garde  ,  et  l'on  se  campa  devant 
Tamsel  proclie  des  ennem.is.  La  perte  de  cette 
bataille  obligea  M.  de  K.omanzow  à  quitter 
en  hâte  les  environs  de  l'Oder  et  de  Stargard  , 
pour  accélérer  sa  jonction  avec  M.  de  Fermor, 
qui  bientôt  se  retira  à  Vietz,  puis  à  Landsberg, 
où  il  rassembla  toutes  ses  troupes.  Le  Roi  le 
poursuivit  jusqu'à  Blumberg. 

Pendant  cjue  l'armée  prussienne  étoit  occupée 
contre  les  Russes  ,  M.  Laudon  avoit  traversé 
la  Lusace  5  dans  l'intention  de  les  joindre;  et 
il  l'auroit  fait,  s'il  n'avoit  trouvé  le  prince 
François  de  Bronswic  dans  son  chemin  ;  le  Roi 
i'avoit  détaché  à  Beesko  du  camp  de  Tamsel. 
Ce  prince ,  après  lui  avoir  enlevé  diflérens 
partis ,  obligea  l'ennemi  à  se  replier  sur  Lubben. 
Des  raisons  plus  fortes  que  celle-là  empêchèrent 
le  Roi  de  pousser  plus  loin  les  avantages  qu'il 

V  4 


JI2  HIST.    DE    LA    GUERRE 

a  voit  remportés  sur  les  Russes  ;  il  falloit  accourir 
en  Saxe  au  secours  de  S.  A.  R.  le  prince  Henri. 
M.  de  Dohna  ,  en  conséquence  de  ce  nouvel 
arrangement ,  resta  vis-à-vis  des  Russes  ,  et  le 
Roi  partit ,  pour  se  joindre  au  prince  son  frère  , 
avec  le  même  corps  qu'il  avoit  amené  dans 
1  electorat.  L'éclaircissement  des  faits  demande 
que  nous  rapportions  succinctement  ce  qui 
s'étoit  passé  jusqu'alors  en  Saxe.  Dès  le  mois 
Juillet,  de  Juillet  S.  A.  R.  avoit  occupé  le  camp  de 
Tschopa  5  pour  s'opposer  aux  troupes  des 
cercles ,  commandées  par  le  prince  de  Deux- 
ponts,  auquel  étoit  joint  un  corps  d'Autrichiens 
'aux  ordres  de  M.  de  Haddick.  S.  A.  R.  fit 
chasser  un  détachepient  des  ennemis  c(ui  occu- 
poit  le  Basberg  ;  et  comme  le  gros  corps  des 
cercles  ne  s'étoit  pas  encore  avancé  ,  on  se 
borna  à  la  petite  guerre  ,  dans  laquelle  les 
Prussiens  eurent  l'avantage,  faisant  en  différentes 
ïencontres  des  prisonniers  sur  les  ennemis ,  du 
r.ombre  desquels  M.  de  Pvîitrowsky  ,  général 
des  Autrichiens  ,  fut  le  plus  considérable. 
Août,  2.  S.  A.  R.  ayant  des  nouvelles  de  l'approche  d'un 
corps  d'ennemis  ,  commandé  par  M.  Dombale, 
qui  s'avançoit  sur  Zwickau ,  détacha  M.  de  Finie 


BE     SEPT     ANS.  313 

pour  le  déloger  de  la  SaXe;  ce  qui  réussit  au 
point,  qu'on  l'obligea  de  se  replier  sur  E,eichen- 
bach.  Bientôt  après  ,  la  présence  du  Prince 
devenant  nécessaire  aux  environs  de  Dresde ,  â 
cause  que  le  prince  de  Deuxponts  prenoit  par  6. 
la  Bohème  le  chemin  de  Tœplitz ,  l'armée  mar- 
cha par  Chemnitz ,  et  s'établit  à  Dippoldiswalda, 
tenant  M.  de  Hulsen  avec  un  détachement  à 
Freyberg,  et  M.  de  Knobloch  à  Maxen.  Pen- 
dant ce  temps  un  autre  corps  des  cercles  s'étant  20. 
posté  à  Waldkirchen ,  il  fut  attaqué  et  battu 
par  M.  de  Kleist.  Mais  comme  M.  de  Haddick 
è'avançoit  vers  Cotta,  S.  A.  R.  changea  sa  po- 
sition; elle  prit  le  camp  de  Sedelitz  proche  de 
Pirna ,  et  garnit  devant  elle  les  villages  de 
Zehista  et  de  Zuschendorf  ;  de  là  l'armée  prit 
le  camp  de  Gamig,  qui  lui  étoit  plus  conve- 
nable. Bientôt  le  prince  de  Deuxponts  parut; 
il  occupa  les  hauteurs  de  Struppen ,  tenant  à 
sa  gauche  M.  de  Haddick,  qui  s'étendoit  de 
îlothwernsdorf  à  Cotta.  îl  résolut  de  prendre 
le  Sonnenstein,  qui  incommodoit  sa  position; 
il  y  fit  avancer  quelques  mortiers,  et  M.  de 
Grape,  qui  y  commandoit,  se  rendit  mal  à 
propos  et  fut  fait  prisonnier  de  guerre.  En  même 


314  HIST.    DE    LA   GUERKE 

temps  le  maréchal  Daun  s'étoit  avancé  en  Lusace; 
il  avoit  laissé  un  détachement  de  QOjOoo  hom- 
mes, aux  ordres  de  MM.  de  Harsch  et  de  Ville, 
qui  campoit  entre  Jaegerndorf  et  Troppau.  L'in- 
tention du  Maréchal  étoit  de  se  servir  de  ce  corps 
pour  faire  le  siège  de  Neisse,  dès  que  l'éhjigne- 
ment  de  l'armée  prussienne  pourroit  permettre 
de  tenter  cette  entreprise  ;  il  avoit  espéré  que 
l'invasion  des  Russes  attireroit  vers  eux  toutes 
les  forces  du  Roi,  et  comme  ses  espérances  se 
trouvèrent  trompées  de  ce  côté-là,  il  s'avança 
en  Lusace,  pour  y  attirer  les  Prussiens,  et  don- 
ner à  M.  de  Harsch  le  temps  d'achever  son 
siège.  Il  s'étoit  d'abord  avancé  jusqu'à  Kœ- 
nigsbruck ,  où  il  apprit  la  défaite  des  Russes  ; 
sur  quoi  abandonnant  les  desseins  qu'il  pouvoit 
avoir  sur  Meissen  ou  sur  Torgau,  il  se  replia 
sur  Stolpen.  Bientôt  il  borda  l'Elbe  de  difîé- 
lens  détachemens ,  dans  l'intention  de  passer 
ce  fleuve  à  Pilnitz,  et  de  prendre  à  dos  la  po- 
sition des  Prussiens  à  Gam^ig ,  pendant  que  le 
.  prince  de  Deuxponts  et  M.  de  Haddick  les 
entameroient  de  front.  Le  prince  Henri ,  qui 
étoit  informé  de  ces  projets,  en  donna  avis  au 
Koi;  ce   qui  occasionna   la  marche  rapide  de 


DE     SEPT     ANS.  315 

cejul-ci,  pour  se  joindre  au  prince  son  frère. 
D'abord  le  maréchal  de  Keith  et  le  prince  Char-  Sept, 
les  eurent  ordre  de  quitter  la  Silésie,  pour  se 
joindre  en  Lusace  aux  troupes  du  Roi.  M.  de 
Fouquet  demeura  à  Landshut ,  et  on  lui  com- 
mit la  garde  des  débouchés  de  la  Bohème.  Le 
corps  du  Roi  partit  le  2  de  Blumberg,  et  pas- 
sant par  Manchenau ,  Mulrose ,  Trebatz ,  Lub- 
ben,  Doberbek,  Elsterwerda,  arriva  le  g  à  Do- 
britz  près  de  Grossenhayn ,  où  le  maréchal  Keith 
et  le  Margrave  le  joignirent ,    dont   le   corps 
avoit  passé  par  Hartmansdorf ,  Priebus ,  Moska , 
Spremberg,  Senftenberg.  MM.  de  Werner  et 
de  Mœring  avoient  battu  ,  chemin  faisant,  l'un 
à  Priebus  et  l'autre  à  Spremberg ,  deux  déta- 
chemens  autrichiens,  et  leur  avoient  fait  au-delà 
de  500  prisonniers.  L'armée  se  campa  le  iq  en- 
tre Boksdorf  et  Reichenberg ,  d'où  le  Roi  s'a- 
boucha avec  le  prince  son  frère,  pour  prendre 
ensemble  les  mesures  convenables  aux  circons- 
tances présentes.   Le  même  soir  l'armée  se  mit 
en  marche  ;  il  s'agissoit  d'occuper  les  hauteurs 
de   Weissig    avant    l'ennemi.    Les  Autrichiens 

o 

avoient  au  Cerf  blanc  un  poste  qu'il  falloit  dé- 
loger; le  Roi  y  marcha  tout  droit,  et  M.  de 


3l6  HIST.    DE    LA  GUERHE 

Wédel  par  un  chemin  qui  vient  de  Radeberg, 
et  qui  tourne  cette  position  ;  les  Autrichiens 
furent  forcés  de  se  retirer  ,  et  dés  que  les 
têtes  de  l'armée  eurent  gagné  les  hauteurs  de 
Weissig  ,  elles  donnèrent  sur  des  housards  et 
des  dragons  qui  s'y  étoient  rendus  dans  l'in- 
tention de  protéger  le  campement  du  maré- 
chal Daun  ;  celui-ci  s'y  étoit  avancé  ,  pour  y 
tracer  la  position  des  troupes.  Tous  ces  corps 
furent  repliés,  et  l'armée  du  Roi  prit  le  camp 
de  Schœnfeld  vis-à-vis  du  camp  du  maré- 
chai  Daun  ,  qui  s'étendoit  de  Lohmen  par 
Stolpen  vers  Bischofsvverder.  On  assura  aussitôt 
la  communication  des  deux  armées  prussiennes 
par  des  ponts  sur  l'Elbe.  L'armée  du  Roi  étoit 
arrivée  à  propos  ,  car  M.  de  Lascy  étoit  com- 
mandé avec  tous  les  grenadiers  autrichiens  pour 
construire  le  pont  de  Pilnitz ,  et  il  faut  avouer 
que  le  maréchal  Daun  auroit  eu  tout  le  temps 
d'exécuter  ce  dessein  avant  l'arrivée  du  Roi , 
s'il  avoit  été  dans  son  caractère  d'agir  avec 
plus  de  vivacité  et  de  promptitude.  Le  même 
jour  que  l'armée  prit  la  position  de  Schœnfeld, 
le  général  de  Retzow  fut  envoyé  avec  un  dé- 
tachement pour  déloger  M.  Laudon  de  Rade-* 


DE     SEPT     ANS.  317 

berg  ;   l'Autrichien    se   retira  sur   Arnsdorf  et 
Fischbach.    On  résolut   de   l'entamer  de  nou- 
veau dans  ce  poste  :  pour  cet  effet  le  prince 
François  avec  quelques  bataillons  se  présenta 
sur  son  front  ;  M.  de  Retzow  le  tourna  par  sa 
droite  et  le   Roi  par  la  gauclie.  Il  est  à  pré- 
sumer que  ce  coips  auroit  été  ruiné,   si  tous 
les  ressorts  eussent  bien  joué  en  même  temps; 
mais   il  arrive  d'ordinaire  que  de  semblables 
projets    ne  réussissent    qu'en   partie  :    Lauclon 
perdit  cependant  au-delà  de  300  hommes  dans 
cette  affaire  ;  il  se  sauva  par  le  bois  et  occupa      27. 
les  monticules  de  Harta ,  où  il  campa  sous  la 
protection  du  canon  du  maréchal  Daun.    Ces 
petits  avantages  ne  décidoient  rien;  un  des  ob- 
jets   principaux   dans    les  circonstances   où    se 
trouvoient  les  armées,  étoit  d'éloigner  l'armée 
impériale   des  bords   de  l'Elbe.    Il   étoit  diffi- 
cile d'y  réussir  autrement  qu'en  lui  donnant  de 
la  jalousie  sur  les  convois  qu'elle  tiroit  de  Zit- 
tau,  afin  d'obliger  le  maréchal  Daun  à  faire  les 
mouvemens  qu'on  clésiroit.  Le  Roi  quitta  son 
camp  de  Schœnberij ,  et  se  porta  avsc  son  ar- 
mée sur  Ramnau;  par  cette  position  les  Prus- 
siens s'approchoieut  du  flanc  de  l'ennemi ,   et 


3l8  HIST.    BE    LA  GUEHUE 

pour  lui  causer  plus  d'inquiétude  M.  de  Re- 
tzow  se  rendit  à  Bautzen ,  et  s'y  établit  avec 
son  corps.  Laudon  occupoit  encore  vis-à-vis  de 
notre  gauche  proche  de  Bischofswerder  une  hau- 
teur dont  on  résolut  de  se  rendre  maître.  Pour 
cet  effet  le  piince  de  Wurtemberg  tourna  les 
Autrichiens  à  dos ,  et  le  Roi  se  présenta  sur  leur 
front.  M.  Laudon  n'attendit  point  que  l'affaire 
s'engageât ,  mais  se  replia  en  grande  confusion 
au-delà  de  Bischofswerder;  nous  occupâmes 
son  camp  et  la  ville.  Le  maréchal  Daun  crai- 
gnit à  son  tour  crue  la  position  des  Prussiens 
ne  lui  portât  préjudice;  il  avait  renoncé  dans 
ce  rnomicnt  aux  projets  qu'il  avoit  formés  sur 
l'armée  du  prince  Henri  ;  il  fut  obligé  de  se 
rapprocher  de  ses  vivres,  et  se  proposa  en  même 
temps  de  choisir  un  poste  par  lequel  il  pût 
couper  les  Prussiens  de  la  Silésie,  pour  donner 
à  M.  de  Harsch  le  temps  d'assiéger  et  de  pren- 
Octobre,  dre  Neisse.  Ce  fut  enfin  le  5  d'Octobre  que  le 
Maréchal  abandonna  les  environs  de  l'Elbe, 
-  et  que  passant  par  Kruse  et  Neukirch  ,  il  se 
campa  à  Kitîitz  sur  les  hauteurs  de  Lœbau  jus- 
qu'au Stremioerg.  Le  prince  de  Durlach  fut 
posté  avec  sa  réserve  de  Pteichenbach  et  Arns- 


BE     SEPT    ANS.  31g 

dorf  vers  Doberschutz.  Sur  ce  mouvement  de 
l'ennemi  M.  de  Retzow  fut  envoyé  occuper  le 
Weissenberg.  L'armée  marciia  à  Bautzen ,  d'où 
M.  de  Wédel  fut  détaché  avec  6  bataillons  et 
quelque  cavalerie  ,  pour  s'opposer  aux  Sué- 
dois"', qui  s'étoient  avancés  jusqu'à  Pasevvalk. 
De  Bautzen  l'armée  du  Roi  s'avança  vers  l'en-  iS- 
nemi ,  et  prit  sa  position  entre  Hochkirchen  et 
Kottitz  5  le  quartier  général  à  Radewitz.  L'ar- 
més  se  trouvoit  alors  affoiblie  par  le  départ  du 
détachement  de  M.  de  Wédel,  et  par  la  grosse 
garnison  qu'il  falloit  tenir  dans  Bautzen ,  pour 
couvrir  la  boulangerie  contre  les  entreprises  de 
l'ennemi.  Le  projet  du  R.oi  étoit ,  en  prenant 
le  camp  de  Hochkirchen ,  de  cacher  aux  Au- 
trichiens son  véritable  dessein ,  qui  étoit  de  se 
joindre  à  M.  de  Retzow  posté  à  côté  de  notre 
flanc  gauche ,  et  de  tomber  conjointement  sur 
le  prince  de  Durlach  du  côté  de  Débitsch ,  ce 
qui  ne  pouvoit  s'exécuter  que  la  nuit  du  34 
au  13  5  à  cause  que  l'approvisionnement  des 
vivres  pour  l'armée  ne  pouvoit  pas  être  arrangé 
plutôt.  Cependant  une  partie  du  convoi  nous 
joignit  le  1  q.  Le  maréchal  Keith ,  qui  en  étoit, 
fut  attaqué  en  chemin  par  Laudon  ;  Tennemi 


320         HIST.    DE    LA     GUEURE 

fut  repoussé  avec  perte  de.  80  hommes.  Un 
prince  de  Lichtenstein  ,  lieutenant-colonel  au 
régiment  de  Lœvenstein,  fut  du  nombre  des 
prisonniers.  Après  cette  affaire  Laudon  ,  ayant 
rassemblé  ses  troupes  dispersées ,  s'établit  avec 
elles  dans  un  bois  qui  étoit  à  un  gros  quart  de 
lieue  d'Allemagne  au-delà  de  notre  droite,  vis- 
à-vis  du  village  de  Hochkirchen;  un  fond  ma- 
récageux séparoit  notre  flanc  droit  de  ces  hau- 
teurs. La  bataille  dont  nous  allons  parler 
incessamment ,  nous  oblige  d'entrer  dans  un 
détail  plus  circonstancié  du  terrain  que  les  deux 
armées  occupoient.  Le  village  de  Hochkirchen, 
où  s'appuyoit  la  droite  du  Roi,  est  situé  sur 
une  éminence:  un  cimetière  d'une  maçonnerie 
épaisse  ,  capable  de  contenir  un  bataillon , 
domine  sur  toute  la  contrée;  le  village  s'étend 
en  long,  et  formoit  le  flanc  naturel  de  Tarmée: 
il  était  garni  de  6  bataillons;  une  batterie  de 
13  canons  étoit  construite  à  l'angle  du  front  et 

du  flanc;    devant  la  ligne  du  front  coule  un 

o 

ruisseau  entre  des  bords  de  rochers  ;  aux  pieds 
de  la  hauteur  de  Hochkirchen  se  trouvent  un 
moulin  et  quelques  cabanes,  où  l'on  avoit  placé 
un  bataillon  franc,  pour  défendre  le  passage; 

ce 


DE     SEPT     ANS.  32 1 

ce  'qui  étoit  d'autant  plus  sûr,  qu'il  se  trou- 
voit  sous  la  protection  de   notre   canon  vers 
Radevvitz,  où   étoit    le   quartier  général.    Une 
partie  du  camp    passoit   le   ruisseau ,    à   cause 
des  hauteurs  qu'il  falloit  nécessairement  occu-^ 
per  5  et   de  la   communication  avec   le   corps 
de  M.  de  Retzow ,  qu'on  assuroit  et  dont  on 
abrégeoit   le   chemin    par    cette   position.    La 
droite  du  maréchal  Daun,  comme  nous  l'avons 
dit,  s'appuyoit  sur  le  Stremberg  ;  son  centre 
étoit  sur  des  hauteurs  inexpugnables;  sa  gauche 
tiroit  vers  Jauernick  et  Sornitz.  Il  fit  préparer 
en  secret  des  chemins  pour  4  colonnes ,   qui 
Gonduisoient    au   bois  dont  M.  Laudon  avoit 
pris  possession.  Son  projet  étoit  d'attaquer  l'ar- 
mée prussienne  par  4  endroits  à  la  fois,  savoir 
par  le  poste  de  Laudon  j  par  le  moulin  qu'oc- 
cupoit  le  bataillon  franc,  par  cette  partie  vers 
Kottitz  qui  se  trouvoit  au-delà  du  ruisseau  ;  et 
la   quatrième   attaque    devoit   se    faire   par    le 
prince  de  Durlach  sur  le   poste  du  Weissen- 
berg ,  où   commandoit  M.  de  R.etzow.   Ce  fut 
la  nuit  du  13  au  14  d'Octobre  que  le  maréchal 
Daun  exécuta  son  dessein.  L'attaque  du  mou- 
lin gardé  par  le  bataillon  franc  fut  la  première; 
Tome  III.  X 


3^2  HIST.    DE    LA    GUERKE 

les  ennemis  l'emportèrent  sans  grande  peine.  îln 
même  temps  Laudon,  ayant  trouvé  le  moyen 
de  se  glisser  avec  ses  pandoiirs  à  dos  de  l'ar- 
mée, mit  le  feu  au  village  de  Hochkirchen,  ce 
qui  obligea  les  bataillons  qui  le  gardoient  à 
l'abandonner.  L'ennemi  se  saisit  dans  cette  con- 
fusion de  la  batterie  qui  étoit  à  la  pointe  du 
village  :  en  même  temps  le  brave  major  Lange 
se  jeta  avec  un  bataillon  du  margrave  Charles 
dans  le  cimetière  de  Hochkirchen.  L'armée 
n'eut  que  le  temps  de  prendre  les  armes ,  et 
non  celui  d'abattre  les  tentes.  Le  Roi  entendit 
tirer  le  canon ,  et  quoiqu'il  ne  fût  averti  de 
rien,  il  prit  d'abord  3  brigades  du  centre,  avec 
lesquelles  il  marcha  à  la  droite;  les  ténèbres 
étoient  si  épaisses,  qu'on  ne  voyoit  pas  à  un 
pas  devant  soi.  On  s'apperçut  d'abord  que  l'en- 
nemi étoit  maître  de  notre  grande  batterie, 
parce  que  les  boulets  de  canon  voloient  dans 
le  camp,  et  qu'il  auroit  été  impossible  qu'ils 
eussent  pu  y  parvenir  des  batteries  de  l'en- 
nemi. Le  village  de  Hochkirchen  en  flammes 
fut  le  fanal  qui  éclaira  nos  dispositions.  Le  Roi 
prit  par  le  derrière  de  son  camp  pour  tour- 
ner ce  village;  dans  la  marche  on  donna  sur 


DE     SEPT    ANS.  323 

un  corps  de  grenadiers  autrichiens,  dont  300 
furent  pris  ;  mais  dans  la  confusion  du  combat, 
n'ayant  pas  du  monde  de  reste  pour  les  gar- 
der, la  plupart  s'échappèrent.  Notre  infanterie 
tourna  Hochkirchen.  et  commençoit  à  pousser 
les  Autrichiens  ,  lorsque  quelques  escadrons 
ennemis,  qu'on  ne  pouvoit  pas  distinguer  dans 
l'obscurité  ,  la  ramenèrent.  Les  gendarmes  et 
le  régiment  de  Vasold  firent  une  charge  fort 
vive;  tout  ce  cju'ils  rencontrèrent,  plia  devant 
eux;  mais  ne  pouvant  pas  se  diriger  dans  l'obs- 
curité ,  ils  donnèrent  sur  de  l'infanterie  pos- 
tée à  ce  bois  que  Laudon  avoit  occupé  dès  la 
veille  :  tout  le  canon  des  Autrichiens  y  étoit, 
et  l'infanterie  bien  et  avantageusement  établie; 
ce  canon  tirant  à  mitraille  força  la  cavalerie 
prussienne  à  se  retirer  auprès  de  son  infante- 
rie. D'un  autre  côté  le  maréchal  Keith  et  le 
prince  Maurice  d'Anhalt  voulurent  reprendre 
la  batterie  qui  étoit  perdue;  ils  se  mirent  à  la 
tête  de  quelques  bataillons  ,  pour  traverser  le 
xillage  de  Hochkirchen;  le  chemin  qui  passe 
le  village  est  étroit ,  à  peine  sept  hommes  de 
front  pouvoient-ils  y  tenir,  et  ils  trouvèrent, 
en  voulant  débouclier  de  là ,  que  le*  Autri- 

X  3 


324  HIST.    DE   LA    GUERRE 

chiens  les  déboidoient  si  considérablement  ^ 
qu'ils  ne  purent  jamais  se  former,  pour  mener 
leurs  troupes  à  la  charge  ;  ils  furent  aussitôt 
contraints  de  se  replier.  Le  maréchal  Keith  y 
fut  tué  5  M.  de  Geist  mortellement  blessé  et  le 
prince  Maurice  dangereusement.  Quoiqu'à  dif-  „ 
férentes  reprises  on  tentât  de  passer  le  village  , 
il  n'y  eut  pas  moyen  de  réussir  ;  l'incendie 
étoit  trop  considérable,  et  la  bataille  fut  per- 
due. Pour  couvrir  la  retraite,  le  Roi  envoya 
des  ordres  à  M.  de  Retzovv  de  le  joindre  inces- 
samment. Ce  général  avoit  trois  fois  repoussé 
le  prince  de  Durlach.  Comme  ce  dernier  ne 
pouvoit  venir  à  lui  qu'en  traversant  un  défilé, 
M.  de  Retzow  y  laissa  entrer  le  nombre  d'enne- 
mis qu'il  lui  plut  5  après  quoi  il  les  chargea  et 
les  culbuta  avec  une  perte  considérable  dans  le 
lieu  dont  ils  avoient  débouché;  cette  manœu- 
vre s'étoît  répétée  à  trois  reprises,  lorsqu'il  fut 
obligé  de  rejoindre  l'armée.  Il  vint  à  propos 
à  notre  gauche.  Le  Roi  avoit  été  contraint  de 
la  dégarnir,  pour  porter  des  secours  à  sa  droite; 
cependant  il  ne  put  pas  arriver  assez  à  temps 
pour  empêcher  que  le  bataillon  de  Kleist  ne 
fût  entouré  par  l'ennemi  j  et  contraint  de  mettre 


DE     SEPT     A  K  s,  325 

les  armes  bas.  La  droite  de  l'armée  se  soutenoit, 
quelque  effort  que  fît  l'ennemi  pour  dépasser 
le  village  de  Hochkirchen.  La  bataille  avoit 
commencé  à  4  heures,  à  10  le  cimetière  fut 
emporté,  le  village  et  la  batterie  étoient  déjà 
perdus;  l'ennemi  se  trouvoit  trop  bien  établi 
pour  qu'on  pût  le  déloger  ;  un  gros  corps  de 
cavalerie  venoit  à  dos  de  l'armée ,  M.  de  Retzovv 
avoit  abandonné  le  Weissenberg  :  dans  ces  cir- 
constances la  position  de  l'armée  n'étoit  plus 
soutenable ,  et  il  ne  restoit  d'autre  parti  à  pren- 
dre que  celui  de  la  retraite.  La  cavalerie  des- 
cendit la  première  des  hauteurs  dans  la  plaine, 
pour  couvrir  la  marche  de  l'infanterie.  La  droite 
de  l'infanterie  prit  alors  le  chemin  de  Dober- 
schutz,  où  l'on  marqua  le  camp,  et  le  corps  de 
M.  de  Retzow  fit  l'arrière-garde  de  l'armée.  La 
cavalerie  autrichienne  attaqua  la  nôtre  à  diffé- 
rentes reprises ,  mais  elle  fut  vigoureusement 
repoussée  par  M.  de  Seidlitz  et  par  le  prince  de 
Wurtemberg.  Le  camp  que  l'armée  prit  étoit 
bon,  proche  de  Bautzen,  entouré  d'un  dou- 
ble fossé  marécageux ,  et  sur  des  collines  qui 
n'étoient  dominées  d'aucun  côté.  Le  maréchal 
Daun  retourna  le  même  jour  dans  son  ancien 

X3 


326  HIST.    BE    LA    GUERRE 

camp  5  et  il  ne  p^rut  pas  qu'il  eût  gagné  la 
victoire.  Les  Prussiens  perdirent,  comme  nous 
en  avons  touché  quelque  chose,  des  personnes 
dignes  par  leur  grand  mérite  d'être  regrettées, 
le  maréchal  Keith,  le  prince  François  de  Brons- 
wic  et  M.  de  Geist;  presque  tous  les  Généraux 
eurent  des  contusions  ou  des  blessures ,  ainsi, 
que  le  Roi ,  le  margrave  Charles ,  et  tant  d'au- 
tres qu'il  seroit  trop  long  de  nommer.  Nous 
perdîmes  3,000  hommes,  la  plupart  d'infante- 
ïie  5  et  il  ne  nous  resta  du  nombre  des  pri- 
sonniers que  nous  avions  faits,  qu'un  général 
nommé  Vitteleschi  et  700  hommes. 

Pendant  que  tout  ceci  se  passoit  en  Lusace, 
MM.  de  Ville  et  de  Harsch  tenoient  Neisse 
étroitement  bloqué  :  on  étoit  informé  qu'un 
train  d'artillerie  de  100  canons  et  de  40  mor- 
tiers devoit  partir  d'Olmutz  pour  se  rendre  en 
Silésie.  En  combinant  avec  ces  préparatifs  l'effet 
qu'une  victoire  gagnée  devoit  produire  sur  l'es- 
prit  des  Autricliiens ,  il  étoit  facile  de  prévoir 
que  le  siège  de  Neisse  en  seroit  la  suite.  Cette 
place  étoit  trop  importante  pour  que  le  Roi 
n'employât  pas  tous  les  moyens  imaginables 
de   la   sauver  ;  cependant   on  ne   pouvoit  en 


DE    SEPT    ANS.  327 

faire  lever  le  siège  qu'en  marchant  en  Silésie 
avec  une  armée.  La  difficulté  étoit  de  ne  point 
déranger  les  affaires  d'un  côté  pour  les  rétablir 
de  l'autre.  Enfin  sur  la  nouvelle  c^ue  les  Russes 
avoient  abandonné  Stargard,  et  dirigeoient  leur 
marche  par  Reez  et  Galles  sur  la  Pologne,  le 
Roi  prit  les  mesures  suivantes  :  il  attua  à  lui 
le  Prince  son  frère  avec  10  bataillons,  et  du 
canon  pour  remplacer  celui  que  l'on  avoit 
perdu;  le  comte  de  Dohna  reçut  ordre  de  se 
rendre  en  Saxe ,  et  de  ne  laisser  en  Poméranie 
qu'un  corps  sous  M.  de  Platen ,  pour  secourir 
Colberg,  que  M.  de  Palmbach  assiégeoit  avec 
15,000  Russes;  il  fut  averti  de  diriger  sa  marche 
sur  Torgau,  pour  pouvoir  de  là  se  tourner  du 
côté  qui  auroit  le  plus  besoin  de  sa  présence; 
M.  de  Finie  prit  le  commandement  du  reste  du 
corps  du  prince  Henri,  qui  tenoit  le  camp  de 
Gamig.  Tandis  que  ces  ordres  partoient ,  le 
maréchal  Daun  s'avança  ,  et  vint  se  camper 
proche  de  l'armée  du  Roi.  Un  détachement 
couvroit  son  flanc  à  Buciiwald ,  sa  droite  s'ap- 
puyoit  à  Canne'vviiZ,  d'où  la  ligne  prenoit  par 
Belgern,  Wurchen,  Dressa,  en  forme  de  demi- 
cintre   convexe   par  Grubschutz    et  Strela  ;  sa 

X4 


328  HIST.    BE    LA    GUERRE 

réserve  prit  le  poste  de  Hocbldrchen.  Quelque 
formidable  que  fût  l'aspect  de  ces  troupes,  les 
Prussiens  en  avoient  d'autant  moins  à  craindre, 
qu^à  peine  les  Autrichiens  eurent-ils  pris  cette 
position  5  cju'i!  s  se  retranchèrent  jusqu'aux  dents. 
Les  deux  points  qui  méritoient  une  attention 
sérieuse,  étoient  la  conservation  de  Bautzen,  où 
se  trouvoient  les  vivres  et  la  boulangerie  de  l'ar- 

o 

mée,  et  le  moulin  de  Malschwitz ,  qui  est  sur 
une  hauteur,  dont  il  ne  falîoit  pas  souffrir  que 
l'ennemi  s'emparât.  Le  Roi  garantit  la  ville  de 
Bautzen  contre  les  entreprises  des  Autrichiens 
par  un  corps  intermédiaire ,  qu'il  plaça  entre 
cette  ville  et  sa  droite,  et  pour  le  moulin  à 
l'extrémité  de  la  gauche,  il  n'y  mit  que  des 
vedettes  de  housards  ,  pour  que  l'ennemi  ne 
s'apperçût  point  de  l'importance  dont  nous 
étoit  ce  poste.  La  raison  d'en  user  ainsi  étoit 
que  le  moulin  se  trouvoit  à  la  distance  d'un 
quart  de  mille  de  la  gauche,  de  sorte  qu'en  gar- 
dant la  position  de  l'armée,  on  ne  pou  voit  pas 
le  soutenir  à  cause  de  son  éloignement,  et  l'im- 
portance de  ce  moulin  consistoit  en  ce  que  dans 
la  marche  que  le  Roi  méditoit  de  faire,  il  ne 
pouvoit  pas  gagner  Gœrlitz  avant  le  maréchal 


BE     SEPT    ANS.  32g 

Daun,  si  les  cololmes  ne  passoient  au  pied  de 
ce  moulin,  de  sorte  qu'au  cas  que  l'ennemi  y 
eût  placé  des  troupes ,  il  falloit  passer  la  Sprée 
derrière  le  camp  et  la  repasser  plus  bas ,  ce  qui 
faisoit  un  circuit  de  deux  milles  de  détour 
pour  les  troupes.  Le  maréchal  Daun  de  son 
côté  supposoit  que  le  Roi ,  lorsqu'il  apprendroit 
le  siège  de  Neisse ,  ne  trouveroit  aucun  autre 
expédient  pour  se  rendre  en  Silésie  que  celui 
de  l'attaquer,  et  ce  fut  là  la  raison  qui  lui  fit 
prendre  cette  position  de  Cannewitz  et  de  Wur- 
chen  5  et  qui  lui  donna  l'idée  de  se  retrancher. 
Cela  parut  même  par  une  lettre  qu'il  écrivit  à 
M.  de  Harsch  ,  dans  laquelle  il  dit  :  "  Faites 
•5'  votre  siège  tranquillement;  je  tiens  le  Roi, 
■5»  il  est  coupé  de  la  Silésie,  et  s'il  m'attaque,  je 
•>»  vous  en  rendrai  bon  compte.  ''  Il  en  arriva 
tout  différemment  de  ce  que  le  Maréchal  ima- 
ginoit.  Le  prince  Henri  partit  avec  son  détache- 
ment de  Gamig;  il  passa  par  Marienschein ,  et 
arriva  le  q  1  à  l'armée  du  Roi ,  sans  rencontrer 
d'ennemis  sur  sa  route.  Tous  les  préparatifs  de 
la  marche  ne  purent  être  achevés  cjue  le  24, 
et  le  même  soir  l'armée  se  mit  en  mouvement. 
La  garnison  de  Bautzen  servit    d'escorte    aux 


TJ. 


330  HIST.    DE    LA    GUERRE 

vivres  de  l'armée  ;  ce  corps  prit  les  devans  dès 
la  nuit  précédente ,  et  passa  par  Kumerau,  Neu- 
dorf,  Trauben  et  Culmen.  L'armée  marcha  sur 
deux  colonnes.  On  forma  l'arrière-garde  sur  la 
hauteur  du  moulin  à  vent,  d'où  l'on  prit  par 
Leichnau  ,  Ischmitz  ,  tournant  entièrement  la 
droite  de  l'ennemi  ;  ensuite  on  se  porta  sur 
Weyersdorf  5  et  de  là  sur  UUersdorf ,  où  l'armée 
campa.  M.  de  Mœring  ,  qui  a  voit  eu  l'avant- 
earde  du  bagage,  surprit  près  d'UUersdorf  300 
cavaliers  autrichiens,  dont  peu  se  sauvèrent,  et 
la  colonne  du  Roi  ayant  donné  près  de  Weyers- 
dorf sur  un  bataillon  de  pandours  qui  ne  se 
croyoit  pas  exposé  à  l'ennemi ,  ce  bataillon  fut 
totalement  détruit.  Le  lendemain  q6  l'armée 
devança  le  jour,  pour  gagner  Gœrlitz  avant  le 
maréchal  Daun.  L'avant -garde,  composée  de 
housards  et  de  dragons,  y  arriva  la  première; 
elle  trouva  d'abord  un  corps  de  cavalerie  posté 
derrière  un  défilé  du  côté  de  Pvauchertsvvalde  : 
il  n'étoit  pas  possible  de  l'attaquer  dans  cette 
position  avantageuse;  on  fit  en  escarmouchant 
ce  que  l'on  put  pour  l'engager  à  combattre, 
mais  inutilemxent.  On  apprit  enfin  par  un  trans- 
fuç^e  que  c'étoit  le  corps  des  carabiniers  et  gre- 


DE     SEPT     ANS.  331 

nadîers  à  cheval ,  commandé  par  un  général 
espagnol  nommé  d'Ayassas ,  et  sur  cet  éclair- 
cissement on  résolut  de  choquer  la  fierté  espa- 
gnole, pour  engager  ce  Général  à  passer  le 
défilé  et  à  se  laisser  battre  :  pour  cet  effet  des 
housards  le  provoquèrent;  il  passa  le  défilé  en 
fureur  et  fondit  sur  ceux  dont  il  se  croyoit 
insulté.  Aussitôt  les  dragons  le  chargèrent  et 
culbutèrent  sa  troupe  dans  le  même  défilé  qu'il 
avoit  passé  avec  tant  d'imprudence.  Il  y  perdit 
800  hommes ,  que  les  Prussiens  firent  prison- 
niers, d'Ayassas  se  sauva  sous  la  montagne  dj 
Landskron,  où  le  prince  de  Durlach  venoit  d'ar- 
river avec  la  réserve  qu'il  comm.andoit.  L'in- 
fanterie de  l'avant -garde  prussienne  arriva  en 
même  temps,  on  s'en  servit  pour  s'emparer  de 
Gœrlitz,  qui  se  rendit  sans  grandes  difficultés. 
L'armée  du  Roi  y  appuya  sa  gauche ,  sa  droite 
fut  poussée  à  Girbiesdorf  et  Ebersbach.  Ce 
flanc  étoit  couvert  par  un  ruisseau  bourbeux , 
qui  coule  dans  un  fond  dont  le  revers  du  côté 
des  Prussiens  étoit  escarpé.  Les  Autrichiens  arri- 
vèrent l'après-midi;  le  maréchal  Daun  étendit 
son  armée  derrière  la  Landskron ,  d'Osseg  vers 
Marckersdorf.  Le  Roi  fut  obligé  de  rester  dans 


332.  HIST.    DE    LA    GUERRE 

ce  camp ,  pour  donner  quelques  jours  à  l'arran- 
gement des  vivres,  de  sorte  que  l'armée  ne  put 
se  mettre  en  marche  que  le  30.  Les  troupes 
décampèrent  de  nuit ,  pour  passer  la  Neisse 
avant  que  l'ennemi  en  pût  être  informé.  On 
trouva  M.  Laudon  embusqué  dans  le  bois  de 
Schœnberg.  Les  Prussiens  faisoient  cette  marche 
légèrement,  parce  que  les  bagages  et  les  vivres 
avoient  pris  la  route  de  Naumbourg-am-Queis. 
L'arrière-garde  fut  toutefois  attaquée  proche  de 
Schœnberg ,  et  ce  ne  fut  qu'une  bataille  durant 
toute  la  route  :  M.  Laudon  y  étoit  encouragé 
par  un  renfort  de  iq,ooo  hom.mes  que  le  maré- 
chal Daun  lui  avoit  envoyé;  de  son  côté  S.A.  R- 
le  prince  Henri ,  qui  commandoit  cette  arrière- 
garde,  fit  de  si  bonnes  dispositions  en  soute- 
nant les  brigades  réciproquement ,  en  posta 
d'autres  si  à  propos ,  afin  de  recevoir  celles  qui 
se  retiroient  pour  continuer  leur  chemin,  qu*il 
n'y  eut  que  du  temps  de  perdu.  A  la  vérité, 
M.  de  Bulow,  lieutenant-général  et  environ  qoo 
soldats  furent  blessés  ;  il  n'y  eut  d'ailleurs  de 
tués  que  15  hommes  tout  au  plus.  A  Laubau 
il  fallut  préparer  des  ponts  sur  le  Quels  ,  ce  qui 
fit  perdre  un  jour.  Le  1  de  Novembre  l'armée 


DE     SEPT     ANS.  333 

prit  la  route  de  la  Silésie;  on  se  prépara  surtout  Novem- 
à  bien  recevoir  l'ennemi  à  l'arrière-garde ,  car  sa  ^^^' 
force  se  trouvoit  assez  considérable  pour  méri- 
ter cette  attention.  Le  camp  prussien  avoit  ses 
deux  ailes  sur  deux  croupes  de  montagnes,  qui 
aboutissoient  chacune  vers  le  Oueis  ;  plus  on 
approchoit  de  Lauban  ,  plus  les  hauteurs  domi- 
noient  celle  du  camp.  On  forma  sûr  chacune 
de  ces  hauteurs  une  arrière -garde  séparée.  Le 
Roi  se  trouvoit  à  la  croupe  de  la  droite  ,  le 
Mugrave  à  celle  de  la  gauche,  des  housards 
furent  placés  dans  le  fond  entre  ces  deux  corps 
d'infanterie  pour  agir  selon  le  besoin.  Derrière 
ces  premiers  corps ,  des  brigades  d'infanterie  et 
d'artillerie  en  échelons  occupoient  les  hauteurs 
dominantes  ,  pour  que  chaque  corps  qui  se 
replioit,  pût  se  retirer  sous  la  protection  d'un 
autrd.  Au  premier  mouvement  rétrograde  (jue 
firent  les  troupes  prussiennes ,  M.  Laudon  accou- 
rut plein  d'ardeur  pour  entamer  cette  arrière- 
garde  ;  il  ne  s'en  fallut  presque  rien  que  les 
housards  ne  le  fissent  prisonnier.  Il  voulut 
occuper  le  premier  emplacement  que  le  Roi 
venoit  de  quitter,  il  y  menoit  déjà  son  artille- 
rie, mais  le  feu  préparé  des  batteries  prussien- 


334  HIST.    DE    LA    GUERKE 

nés  démonta  son  canon ,  mit  son  infanterie  en 
désordre,  et  l'obligea  de  s'enfuir.  II  tâcha  de 
renouveler  cette  manœuvre  à  trois  reprises ,  et 
toujours  inutilement,  car  des  feux  préparés 
de  même  que  le  premier  lui  firent  essuyer  la 
même  chose.  Les  housards  de  Puttkammer, 
embusqués  dans  un  bois,  donnèrent  enfin  sur 
son  monde,  et  le  dégoûtèrent  pour  ce  jour-là 
d'inquiéter  la  marche  des  Prussiens.  S.  A.R. , 
qui  s'étoit  postée  à  l'autre  bord  du  Queis  ,  y 
reçut  l'arrière -garde,  après  quoi  le  Roi  et  son 
frère  se  séparèrent;  le  Roi  marcha  par  Lœvv'en- 
berg  5  Pombsen ,  Jauernick  et  Girelsdorf  à  Nos- 
sen,  le  prince  Henri  se  rendit  à  Landshut,  où 
il  releva  M.  de  Fouquet,  qui  vint  joindre  le 
Roi  sur  la  route  de  Neisse. 

M.  de  Harsch  assiégeoit  Neisse  depuis  le  qo 
d'Octobre.  Son  attaque  étoit  dirigée  sur  le  fort 
de  Prusse  du  côté  de  Heidersdorf.  La  seconde 
parallèle  achevée  se  trouvoit  à  30  toises  du 
chemin  couvert ,  et  toutes  les  batteries  étoient . 
montées.  Quoique  le  maréchal  Daun  y  eût  ' 
envoyé  des  secours  par  le  chemin  de  Siiber- 
berg,  sur  le  bruit  répandu  de  l'approche  du 
Rpi  les  Autrichien*  levèrent  le  siège.  M.  de 


\ 


DE     SEPT    ANS.  335 

Treskow,  commandant  de  la  place,  saisit  ce 
moment ,  et  fit  une  sortie  où  l'ennemi  perdit 
800  hommes;  MM.  de  Harsch  et  de  Ville  se 
retirèrent  en  hâte,  ils  passèrent  la  Neisse  et  se 
replièrent  par  Ziegenhals  à  J'^gerndorf ,  en 
abandonnant  aux  environs  de  Neisse  des  amas 
considérables  de  munitions  de  guerre ,  qu'on 
ne  leur  donna  pas  le  temps  de  transporter. 

M.  de  Fouquet  suivit  les  ennemis  dans  la 
haute  Silésie  ,  et  s'établit  à  Neustadt ,  d'où  il 
pouvoit  le  mieux  les  observer.  A  peine  les 
troupes  furent -elles  arrivées  près  de  Neisse, 
que  le  Roi  entreprit  une  nouvelle  expédition. 
Après  le  départ  des  Prussiens  de  la  Lusaçe, 
le  maréchal  Daun  avoit  pris  le  4  d'Octobre 
le  chemin  de  l'Elbe;  le  7  il  passa  cette  rivière 
à  Lohmen,  et  prit  le  camp  de  Pirna  :  M.  de 
Finck ,  qui  étoit  demeuré  à  Gémich  (Gamig) 
depuis  l'absence  de  S.  A.  R. ,  ne  put  mainte- 
nir cette  position  contre  un  nombre  aussi  supé- 
rieur d'ennemis;  il  se  replia  sur  le  Windberg, 
et  de  là  sur  Kesselsdorf ,  pendant  que  le  maré- 
chal Daun  détacha  les  troupes  des  cercles  vers 
Eulenbourg,  Torgau  et  Leipsic.  Le  comte  de 
Dohna  étoit  en  marche  de  ce  côté-là.  Les  Russes, 


336  HIST.    DE    LA    GUERRE 

comme  nous  l'avons  dit,  avoient  pris  le  chemin 
de  la  Pologne,  à  l'exception  de  M.  de  Palm- 
bach,  qui,  avec  un  détachement  de  quelques 
milliers  d'hommes  avoit  entrepris  le  siège  de 
Colberg,  Ce  général  russe  avoit  poussé  ses  tra- 
vaux avec  force  le  q6  et  le  27  d'Octobre,  il 
donna  des  assauts  consécutifs  au  chemin  cou- 
vert de  la  place ,  et  fut  chaque  fois  vigoureuse- 
ment repoussé  ;  il  préparoit  un  nouvel  assaut 
pour  le  2g,  et  les  Russes  avoient  même  arrangé 
ides  bateaux,  au  moyen  desquels  ils  se  flattoient 
de  passer  le  fossé  capital ,  pour  emporter  la 
place  d'emblée.  Le  comte  de  Dohna  ayant  en- 
voyé M.  de  Platen  au  secours  de  Colberg,  ce 
Général  battit  auprès  de  Greiffenberg  un  corps 
d^observation  que  les  Russes  y  avoient  placé , 
après  quoi  il  s'avança  jusqu'à  Treptow.  Son  arri- 
vée dégoûta  M.  de  Palmbach  de  sièges  et  d'as- 

o  o 

sauts  ;  il  se  retira  par  Cœsshn  et  par  Bublitz  en 
Pologne.  La  tranchée  fut  ouverte  le  3  et  la  place 
dégagée  le  2g  d'Octobre.  Le  sieur  de  Heyden, 
commandant  de  la  place,  se  distingua  durant 
ce  siège  par  ses  bonnes  dispositions ,  sa  vigi- 
lance et  sa  fermeté.  Le  comte  de  Dohna  attira 
à  lui  M.  de  Wédel  ,  qui  avoit  agi  contre  les 

Suédois . 


DE    SEPT    ANS.  337 

Suédois  5  qui  les  avoit  battus  à  Fehrbellin , 
poussé  par  Ruppin  au-delà  de  Prenzlow,  qui 
avoit  enlevé  le  détachement  entier  de  Hessen- 
stein  dans  la  seigneurie  de  M.  d'Arnim ,  et  que 
la  victoire  avoit  suivi  partout.  M.  de  Man- 
teufel  le  releva  avec  moins  de  troupes ,  et  pen- 
dant la  marche  de  la  Saxe  M.  de  Wédel  con- 
duisit l'avant  -  garde  du  comte  de  Dohna. 
Lorsque  M.  de  Haddick  arriva  près  de  Torgau,  12 
Tavant  -  garde  prussienne  y  parut  en  même 
temps  ;  M.  de  Haddick  se  replia  par  le  bois  sur  i5» 
Eulenbourg  ;  M.  de  Wédel  le  suivit  à  la  trace  , 
et  quoique  les  ponts  de  TElster  fussent  rom- 
pus ,  la  cavalerie  prussienne  passa  la  rivière  à 
gué,  et  donna  si  à  propos  sur  l'ennemi,  que  M. 
de  Haddick  perdit  qoo  hommes  et  3  canons. 
Le  comte  de  Dohna  suivit  M.  de  Wédel  d'Eu- 
lenbourg;  il  s'avança  vers  Leipsic,  que  .l'armée 
des  cercles  avoit  investi.  Le  prince  de  Deux- 
ponts  5  intimidé  par  l'échec  que  M.  de  Eladdick 
venoit  d'essuyer,  n'attendit  pas  l'approche  des 
Prussiens;  le  siècre  fut  levé  :  il  se  retira  en  hâte 
sur  Colditz  ;  de  là  il  tourna  vers  Plauen  ,  et 
alla  prendre  dans  l'Empire  des  quartiers  du 
côté  de  Hof  et  de  Bareuth. 

Tome  m  Y 


338  HIST.    DE    LA    GUERRE 

Pendant  que  le  prince  de  Deuxponts  et  M, 
de  Haddick  fuyoient  vers  l'Empire,  le  maré- 
chal Daun  s'approchoit  de  Dresde.  Le  corps 
prussien,  trop  exposé  à  Kesselsdorf ,  passa  l'Elbe, 
et  se  campa  au  faubourg  du  nouveau  Dresde, 
entre  le  Fischhaus  et  les  Scheunen,  M.  de 
Schmettau,  qui  étoit  commandant  de  Dresde  ^ 
voyant  que  les  Autrichiens  se  préparoient  à 
s'emparer  du  faubourg  de  Pirna,  y  fit  mettre 
le  feu.  Le  maréchal  Daun  ménageoit  la  jeune 
cour  qui  étoit  dans  la  ville;  il  est  à  présumer 
que  sans  elle  il  auroit  été  plus  entreprenant; 
cependant  les  fossés  de  la  place  étoient  bons. 
Le  Roi  avoit  quitté  la  Silésie;  son  avant-garde 
se  trouvoit  au  ^yeissenberg  ,  de  sorte  que  le 
Commandant  pouvoit  en  toute  sûreté  atten- 
dre l'arrivée  de  ce  secours.  Le  retour  du  Roi 
acheva  de  déranger  les  projets  du  maréchal 
Daun.  Le  comte  de  Dohna  avoit  expédié  l'ar- 
mée des  cercles:  la  saison  étoit  avancée,  et  l'ar- 
ïnée  du  Roi  pouvoit  dans  trois  marches  être  à 
Dresde  :  toutes  ces  considérations  inspirèrent  au 
maréchal  Daun  le  dessein  de  se  retirer.  Il  dé^ 
campa  le  13  de  Grunau  et  de  Leibnitz ,  et  rentra 
Qîi  Bohème ,  où  il  mit  ses  troupes  en  quartiers 


BE    SEPT    ANS*  339 

d'hîver.  Sur  la  nouvelle  de  son  départ  5  le  mar- 
grave Charles,  qui  étoit  avec  le  gros  de  l'armée 
à  Gœrlitz ,  reçut  ordre  de  ramener  les  troupes 
en  Silésie.  Le  Roi,  qui  étoit  au  Weissenberg, 
poussa  jusqu'à  Dresde ,  où  les  arrangemens  se 
firent  pour  les  quartiers  d'hiver.  Le  comte  de 
Dohna  retourna  dans  la  Poméranie  et  le  Meck- 
lenbourg;  M.  de  Hulsen  s'établit  à  Freyberg 
^ur  les  frontières  de  la  Bohème  ;  M.  d'Itzen- 
plitz  commanda  à  Zwickau  ;  et  en  Silésie  on 
tira  un  cordon  le  long  des  frontières  de  la  Bo- 
hème ,  de  Greifenberg  à  Glatz;  pour  M.  de 
Fouquet,  il  occupa  Jaegerndorf,  Léobschutz, 
Neustadt  et  les  environs. 

Nous  n'avons  fait  cju'une  légère  mention 
de  la  campagne  des  Suédois  ,  auxquels  on 
n'avoit  opposé  que  des  détachemens  de  la  gar- 
nison de  Stettin,  jusqu'à  ce  que  le  Roi  détacha 
M.  de  Wédel  du  camp  de  Ramnau  en  Lusace. 
Les  prouesses  des  Suédois  consistoient  à  péné- 
trer dans  le  plat  pays,  lorsqu'ils  n'y  trouvoient 
aucune  opposition;  un  foible  détachement  les 
réduisoit  à  la  défensive,  et  bien  loin  d'avoir  fait 
des  conquêtes ,  ils  se  trouvèrent  trop  heureux 
qu'on  leur  permît  pendant  l'hiver  de  se  can- 

Y   3 


340  HIST.    DE   LA    GUERRE 

tonner  aux  environs  de  Stralsund.  Nous  avons 
également  passé  sous  silence  quelques  détache- 
niens  que  S.  A.  R.  fit  au  commencement  du 
printemps  vers  Bareuth  et  Bamberg  ;  MM.  de 
Driesen  et  Meyer  furent  chargés  de  ces  petites 
expéditions ,  dont  le  but  étoit  de  ralentir  les 
opérations  de  l'armée  des  cercles ,  et  de  répan- 
dre la  terreur  chez  les  princes  d'Allemagne  qui 
s'étoient  déclarés  contre  le  Roi. 

Vous  trouverez ,  en  considérant  le  total  de 
cette  campagne,  qu'elle  se  distingue  des  autres 
par  la  quantité  des  sièges  qui  furent  levés  ;  il 
n'y  eut  que  deux  places  de  prises ,  Schweidnitz 
par  les  Prussiens  ,  et  le  Sonnenstein  par  les 
troupes  de  l'Empire.  D'ailleurs  le  Roi  leva  le 
siège  d'Olmutz,  les  Russes  ceux  de  Kustrin  et 
de  Colberg,  les  Autrichiens  ceux  de  Neisse  et 
de  Dresde,  et  les  troupes  des  cercles  ceux  de 
Torgau  et  de  Leipsic. 

Après  la  fin  de  cette  longue  et  fatigante  cam- 
pagne le  Roi  ayant  fait  raser  les  ouvrages  du 
Sonnenstein,  retourna  en  Silésie,  où  il  établit 
son  quartier  général  à  Breslau. 


DE     SEPT     ANS.  341 

CHAPITRE    IX. 

De   riih^er  de  1758  à  1759. 


J_/  A  famille  royale  perdit  cette  année  deux 
personnes  illustres;  l'une  fut  le  prince  de  Prusse, 
tombé  en  langueur  ,  qui  fut  emporté  dès  le 
commencement  de  Juin  par  un  catarre  sufïo- 
catif  5  dans  le  temps  que  les  Prussiens  assiégeoient 
Olmutz.  Son  bon  cœur  et  ses  connoissances , 
qui  annonçoient  pour  l'avenir  un  gouvernement 
doux  et  heureux ,  le  firent  regretter.  La  mar- 
grave de  Bareuth  fut  la  seconde.  C'étoit  une 
princesse  d'un  rare  mérite  ;  elle  avoit  l'esprit 
cultivé  et  orné  des  plus  belles  connoissances,. 
un  génie  propre  à  tout .  et  un  talent  singulier 
pour  tous  les  arts.  Ces  heureux  dons  de  la 
nature  faisoient  cependant  la  moindre  partie  de 
son  éloge.  La  bonté  de  son  cosur ,  ses  incli- 
nations généreuses  et  bienfaisantes,  la  noblesse 
et  l'élévation  de  son  ame ,  la  douceur  de  son 
caractère  ,  réunissoient  en  elle  les  avantages 
brillans  de  l'esprit  à  un  fond  de  vertu  solide, 

Y  3 


342  HIST.    DE    LA    GUERUE 

qiîi  ne  se  démentit  jamais.  Elle  éprouva  sou- 
vent l'ingratitude  de  ceux  qu'elle  avoit  comblés 
de  biens  et  de  faveurs,  sans  qu'on  pût  citer  un 
exemple  qu'elle  eût  jamais  manqué  à  personne. 
La  plus  tendre,  la  plus  constante  amitié  unissoit 
le  Roi  et  cette  digne  sœur.  Ces  liens  s'étoient 
formés  dés  leur  première  enfance  ;  la  même 
éducation  et  les,  mêmes  sentimens  les  avoient 
resserrés  ;  une  fidélité  à  toute  épreuve  des  deux 
parts  les  rendit  indissolubles.  Cette  princesse, 
dont  la  santé  étoit  foible,  prit  si  fort  à  cœur  les 
dangers  qui  menaçoient  sa  famille,  que  le  cha- 
grin acheva  de  ruiner  son  tempérament.  Son 
mal  se  déclara  bientôt  ;  les  médecins  reconnu- 
,  rent  que  c'étoit  une  hydropisie  formée  ;  leurs 
remèdes  ne  purent  point  la  sauver;  elle  mou- 
175s.  rut  le  14  d'Octobre  avec  un  courage  et  une 
fermeté  d'ame  digne  des  plus  intrépides  phi- 
losophes. Ce  fut  le  jour  même  où  le  Roi  fut 
battu  à  Hochkirchen  par  les  Autrichiens.  Les 
Romains  n'auroient  pas  mancjué  d'attribuer  à 
ce  jour  ime  fatalité  ,  à  cause  de  deux  coups 
aussi  sensibles  dont  le  Roi  fut  frappé  en  même 
temps.  Dans  ce  siècle  éclairé  on  est  revenu  de 
ces  stupides  erreurs  qui  faisoient  croire  à  des 


BE    SEPT    ANS.  343 

jours  heureux  ou  sinistres.  La  vie  des  hommes 
ne  tient  qu'à  un  cheveu  ;  le  gain  ou  la  perte 
d'une  bataille  ne  dépend  que  d'une  bagatelle. 
Nos  destins  sont  une  suite  de  l'enchaînement 
,  général  des  causes  secondes,  qui  dans  la  foule 
des  évènemens  qu'elles  amènent  en  doivent 
nécessairement  produire  d'avantageux  et  de 
funestes.  La  même  année  termina  le  pontificat 
du  pape  Benoît ,  le  moins  supersdtieux  et  le 
plus  éclairé  des  pontifes  qui  depuis  long-temps 
eussent  occupé  le  siège  de  Rome.  Les  factions 
françoise,  espagnole  et  autrichienne  lui  donnè- 
rent pour  successeur  le  Vénitien  Rezzonico  , 
qui  prit  le  nom  de  Clément  XIII.  La  diiTé- 
rence  du  génie  de  ces  deux  papes  frappa  d'au- 
tant plus  le  public,  que  Clément,  peut-être 
bon  prêtre ,  manquoit  des  talens  nécessaires 
aux  souverains  de  Rome  pour  gouverner  leurs 
Etats  et  l'Église  universelle.  Ses  premiers  pas 
dans  le  gourverneinent  pontifical  furent  de 
fausses  démarches;  il  envoya  au  maréchal  Daun 
une  toque  et  une  épée  bénites  ,  pour  avoir 
battu  les  Prussiens  à  Hochkirclien,  quoique  de 
tels  présens,  selon  l'usnge  de  la  cour/omaine, 
ne  se  fassent  qu'à  des  généi-aux  qui  ont  vaincu 

Y  4 


344  HIST.  DE    LA    GUERRE 

des  nations  infidèles ,  ou  dompté  des  peuples 
barbares.  Cette  conduite  le  brouilloit  donc 
nécessairement  avec  le  roi  de  Prusse,  qu'il  de- 
voit  ménager  à  cause  du  grand  nombre  des  su- 
jets catholiques  établis  dans  les  Etats  de  sa  domi- 
nation. Ce  Pape  eut  avec  le  Roi  de  Portugal 
des  démêlés  plus  importans  au  sujet  des  Jésuites. 
Ces  pères  avoient  fait  la  guerre  aux  Espagnols 
et  auxPurtugais  dans  le  Paraguay,  et  les  avoient 
même  battus.  Depuis  ces  brouilleries  le  roi 
de  Portugal  ne  jugea  plus  convenable  de  con- 
fier les  secrets  de  sa  conscience  et  de  son  gou- 
vernement à  des  membres  d'une  société  qui  avoit 
agi  comme  ennemie  de  son  royaume.  11  renvoya 
le  Jésuite  dont  il  s'étoit  servi ,  et  choisit  un  con- 
fesseur d'un  autre  ordre  de  religieux.  Les  Jésuites, 
pour  se  venger  de  cet  affront ,  qui  droit  d'au- 
tant plus  à  conséquence  que  la  conduite  du  E.oi 
pouvoit  être  imitée  par  d'autres  souverains,  ca- 
balèrent  dans  l'Etat  et  excitèrent  contre  le  gou- 
vernement tous  les  grands  du  royaume  sur  les- 
quels ils  avoient  du  crédit.  Le  père  Malagrida , 
animé  d'un  zèle  plus  ardent,  d'une  haine  théo- 
logale plus  vive  que  ses  confrères ,  parvint  par 
ses  intrigues  à  tramer  une  conspiration  contre  la 


DE     SEPT     ANS.  345 

personne  du  Roi ,  dont  le  duc  d'Aveiros  se  dé- 
clara le  chef.  Ce  duc ,  sachant  que  le  Roi  de- 
voit  se  promener  en  carosse,  embusqua  des 
conjurés  sur  le  chemin  où  le  prince  devoit 
passer.  Le  cocher  fut  tué  du  premier  coup ,  et 
du  second  le  Roi  eut  le  bras  cassé.  Long-temps 
après,  le  secret  de  la  conjuration  fut  découvert 
par  des  lettres  que  les  chefs  du  parti  écrivoient 
au  Brésil  pour  y  causer  un  soulèvement.  Le 
duc  d'Aveiros  et  ses  complices  furent  arrêtés; 
ils  déposèrent  unanimement  que  cet  attentat 
leur  avoit  été  suggéré  par  les  Jésuites,  instiga- 
teurs de  tout  ce  qui  venoit  d'arriver.  Le  R.oi 
voulut  faire  une  punition  exemplaire  des  au- 
teurs de  cet  abominable  complot.  Son  juste 
ressentiment ,  armé  des  lois ,  soutenu  par  les 
tribunaux ,  devoit  éclater  contre  les  Jésuites. 
Le  Pape  prit  leur  défense  et  s'y  opposa  ouver- 
tement. Toutefois  ces  pères  furent  bannis 
du  royaume;  ils  allèrent  à  Rome,  où  ils  furent 
recueillis  non  comme  des  rebelles  et  des  traî- 
tres ,  mais  comme  des  martyrs  qui  avoient 
souffert  héroïquement  pour  la  foi.  Jamais  Ijl 
cour  de  Rome  n'avoit  donné  un  tel  scandale. 
Quelque  vicieux  que. fussent  les  pontifes  que 


346  HIST.    DE    LA    GUERRE 

les  siècles  précédens  avoient  détestés,   aucun 
d'eux  cependant  ne  s'étoit  ouvertement  déclaré 
le  protecteur  du  crime  et  des  assassinats.    La 
conduite  peu  judicieuse  du  Pape  parut  influer 
sur  tout  le  clergé;  la  toque  bénite  qu'il  avoit 
envoyée  au  maréchal  Daun  excita  une  efferves- 
cence de  zèle  bizarre  chez  les  souverains  ecclé- 
siastiques d'Allemagne.  L'électeur  de  Cologne 
antr'autres  publia  un  édit  dans  ses  États ,  par 
lequel  il  défendoit  à  ses  sujets  protestans,  sous 
de  grièves  peines ,  de  se  réjouir  des  avantages 
que  les  Prussiens  ou  les  alliés  pourroient  rem- 
porter sur  leurs  ennemis.  Ce  fait,  qui  par  lui- 
même  mérite  peu  d'être  rapporté  ,  doit  pour- 
tant être  cité,  parce  c^u'il  caractérise  l'absurdité 
des  mœurs  d'un  siècle  dans  lequel  la  raison  a 
fait  d'ailleurs  tant  de  progrès.  Mais  ces  farces , 
qui  se  passoient  aux  petites  cours ,  n'attiroient 
sur  elles  que  les  sifflets  du  public,  au  lieu  que 
les  passions  qui  agitoient  les  grandes  cours  dt? 
l'Europe,  produisoient  des  scènes  plus  funestes' 
et  plus  tragiques.   Nous  avons  vu,  il  n'y  a  pas 
long-temps,  à  Versailles  l'abbé  de  Bernis  de- 
venir ministre  des  affaires  étrangères,  et  bientôt 
cardinal,  pour  avoir  signé  le  traité  de  Vienne» 


DE    SEPT    ANS.  347 

Tant  qu'il  fut  question  d'établir  sa  fortune , 
toutes  les  voies"  lui  furent  égales  pour  y  par- 
venir; mais  aussitôt  qu'il  se  vit  établi,  il  tacha 
de  se  maintenir  dans  ses  emplois  en  se  condui- 
sant par  des  principes  moins  variables  et  plus 
conformes   aux  intérêts  permanens   de   l'Etat. 
Ses  vues  se  tournèrent  toutes   du  côté   de   la 
paix,  afin  de  terminer  d'une  part  une  guerre 
dont  il  ne  prévoyoit  que  des  désavantages ,  et 
d'une  autre  pour  tirer  sa  nation  d'une  alliance 
contrainte  et  forcée ,  dont  la  France  portoit  le 
fardeau,  et  dont  la  maison  d'Autriche  devoit 
seule    retirer  tout    le   fruit    et   toute   l'utilité. 
S'adressant  à  l'Angleterre  par  des  voies  sourdes 
et  secrètes,  il  y  entama  une  négociation  pour 
la  paix;  mais  la  marquise  de  Pompadour  étoit 
d'un  sentiment  contraire,  et  aussitôt  il  se  vit 
arrêté  dans  ses  mesures.  Ses  actions  imprudentes 
rélevèrent,  ses  vues  sages  le  perdirent;  il  fut 
disgracié  pour  avoir  parlé  de  paix,  et  envoyé 
en  exil  dans  l'évêché  d'Aix.  M.  de  Choiseul , 
lorrain  de  nation ,  ambassadeur   de    France   à 
la  cour  de  Vienne  ,  fils  de   M.  de  Stainville , 
ambassadeur  de  l'Empereur  à  Paris ,  devint  mi- 
nistre des  affaires  étrangères  à  la  place  du  Car- 


348  HIST,    DE    LA    GUEKRE 

dinal  disgracie.  Il  signala  son  entrée  dans  le' 
ministère  par  un  nouveau  traité  d'alliance  qu'il 
conclut  avec  la  cour  de  Vienne ,  et  dont  nous 
donnons  la  copie  à  la  fin  de  ce  chapitre  ,  pour 
ne  point  interrompre  le  tableau  général  que 
nous  offrons  au  lecteur.  En  le  parcourant  vous 
vous  appercevrez  de  l'ascendant  que  la  cour 
de  Vienne  avoit  pris  sur  celle  de  Versailles ,  et 
qui  n'alla  depuis  qu'en  augmentant.  M.  de 
Choiseul,  non  content  du  traité  désavantageux 
qu'il  venoit  de  conclure  avec  l'Impératrice- 
reine,  ordonna  au  nom  du  Roi  à  l'académie  des 
inscriptions  de  frapper  une  médaille  qui  éter- 
nisât la  mémoire  de  cet  événement.  Ces  deux 
cours  ne  s'en  tinrent  pas  là  :  elles  employèrent 
leur  commun  crédit  à  la  cour  de  Péterbourg 
pour  ranimer  la  haine  de  l'impératrice  Elisabeth 
contre  le  roi  de  Prusse;  elles  lui  représentèrent 
qu'il  convenoit  de  laver  la  tache  que  ses  trou- 
pes avoient  reçue  à  Zorndorf ,  en  mettant  le 
printemps  prochain  une  armée  plus  nombreuse 
en  campagne.  Son  favori  ne  cessoit  de  lui  ré- 
péter que  pour  changer  en  terreur  le  m-épris 
des  Prussiens  pour  les  Russes ,  il  falloit  ordon- 
ner   aux    généraux    qui   commanderoient   ces 


DE    SEPT    ANS.  349 

troupes  5  d'agir  avec  la  plus  grande  vigueur ,  et  de 
suivre  en  tout  les  impulsions  qu'ils  recevroient 
des  puissances  alliées.  Toutes  ces  insinuations 
menoient  au  but  qu'avoit  la  cour  de  Vien- 
ne 5  de  charger  ses  alliés  des  hazards  de  la 
guerre,  et  de  se  ménager  pour  en  retirer  seule 
l'avantage. 

Le  roi  de  Pologne  étoit  mêlé  dans  toutes 
ces  intrigues;  non  seulement  il  aigrissoit  la  cour 
de  Péterbourg  contre  celle  de  Berlin,  mais  vou- 
lant encore  tirer  de  l'amitié  de  l'impératrice  Eli- 
sabeth des  avantages  pour  sa  famille ,  il  la  solli- 
cita de  procurer  par  son  assistance  le  duché  de 
Courlande  à  son  troisième  fils ,  le  prince  Char- 
les. L'Impératrice,  favorable  aux  Saxons,  con- 
sentit à  cet  établissement,  et  Auguste  II  investit 
son  fils  de  ce  duché.  Le  nouveau  duc  alla  à 
Péterbourg  ,  pour  remercier  l'Impératrice  de 
cette  faveur.  Ce  prince  inquiet  et  ardent  prit 
part  à  toutes  les  intrigues  de  la  cour  ;  ses  pro- 
cédés le  brouillèrent  avec  le  Grand-duc  et  son 
épouse  ;  il  s'attira  leur  inimitié  ,  et  cette  haine 
le  perdit  dans  la  suite. 

Tandis  que  l'impératrice  de  Russie  donnoit 
des  duchés  et  s'approprioit  des  royaumes,  elle 


350  HIST.    DE    LA    GUERRE 

n'étoit  pas  elle-même  sans  appréhension;  elle 
craignoit  que  les  Anglois,  alliés  des  Prussiens 
et  mécontens  de  la  conduite  des  Russes  envers 
eux  depuis  le  eommencement  de  la  guerre  5 
n'envoyassent  une  flotte  dans  la  Baltique,  pour 
brûler  le  port  de  Cronschlott.  Pour  prévenir  de 
pareilles  entreprises,  ses  ministres  négocièrent 
un  traité  d'association  avec  les  couronnes  de 
Suède  et  de  Danemarclc ,  afin  d'interdire  le  pas- 
sage du  Sund  aux  flottes  étrangères.  Cette 
convention  ,  où  les  Suédois  trouvoient  leur 
compte  5  et  à  laquelle  les  subsides  de  la  France 
obligeoient  les  Danois  de  se  conformer,  fut 
promptement  conclue  entre  ces  trois  puissances, 
L'Angleterre  ne  s'embarrassoit  guères  des  mesu- 
res que  prenoient  les  puissances  du  Nord  ,  pour 
défendre  à  ses  escadres  l'entrée  de  la  Baltique  ; 
elle  dominoit  sur  l'Océan  et  sur  toutes  les  autres 
mers ,  sans  s'inquiéter  de  la  Baltique ,  ni  du  Sund. 
Ses  amiraux  Bocscawen  et  Amhorst  avoient  piis 
Cap  Breton  :  le  S^.  Keppel  s'étoit  rendu  maî- 
tre de  l'île  de  Corée  sur  les  côtes  d'Afrique.  Les 
Indes  leur  offroient  des  conquêtes;  les  côtes  du 
Daneniarck,  de  la  Suéde,  de  la  Russie  ne  leur 
en  offroient  aucune.    Ces  grands""  progrès  de? 


DE    SEPT    ANS.  351 

Anglois  ne  soulageoient  point  le  Roi  du  far- 
deau qu'il  portoit  et  des  risques  que  sa  cou- 
ronne avoit  à  courir.  Il  avoit  demandé  en 
vain  aux  Anglois  une  escadre  ,  pour  couvrir 
ses  ports  de  la  Baltique ,  menacés  par  les  armé- 
niens des  flottes  russes  et  suédoises.  Le  sieur 
de  Rexin,  ministre  du  Roi  à  la  Porte,  fut  sans 
cesse  traversé  dans  sa  négociation  par  le  sieur 
Porter,  ministre  de  la  Grande-Bretagne.  D'ail- 
leurs, le  nouvel  empereur  des  Turcs,  sans  édu- 
cation, étoit  ignorant  dans  les  affaires,  et  d'une 
timidité  extrême ,  tant  par  la  crainte  d'être  dé- 
trôné que  par  celle  du  mauvais  succès  de  ses 
armes  ,  s'il  s'engageoit  dans  une  guerre  avec 
la  maison  d'Autriche.  Quelque  grandes  que 
fussent  les  sommes  qui  passoient  à  cette  cour, 
quelque  voie  de  corruption  qu'on  tentât,  les 
affaires  n'en  furent  guères  avancées  ,  à  cause 
que  les  Autrichiens  et  les  François  répandoient 
de  l'argent  et  faisoient  des  largesses  avec  la 
même  profusion,  et  que  les  Turcs  trouvoient 
plus  leur  compte  à  recevoir  des  récompenses 
pour  ne  rien  faire  que  pour  entrer  en  action. 
Les  efforts  inutiles  que  le  Roi  avoit  faits  à  la 
Porte  5   le  persuadèrent  de  plus   en  plus  que 


352  HIST.    DE    LA    GUERRE 

n'ayant  aucun  secours  étranger  à  attendre,  il  ne 
devoit  recourir  qu'à  ses  propres  ressources.  Son 
attention  se  tourna  uniquement  sur  son  arméej 
on  leva  autant  de  monde  que  Ton  put,  on 
arma,  on  remonta,  on  approvisionna  les  trou- 
pes, afin  de  s'opposer  dans  la  campagne  pro- 
chaine avec  une  armée  bien  conditionnée  et 
nombreuse,  à  la  multitude  d'ennemis  que  les 
Prussiens  auroient  à  combattre. 

Extrait  du  traité  d'alliance  conclu 
à  Versailles  le  30  Décembre  1758 
entre  l'Impératrice  -  reine  et  le  roi 
de  France. 

Ce  traité  paroît  avoir  été  conclu  en  opposi- 
tion de  la  convention  de  subsides  qui  avoit  été 
signée  le  1 1  Avril  de  la  même  année  entre  les 
cours  de  Prusse  et  d'Angleterre.  Il  en  est  fait 
mention  dans  le  préambule ,  et  il  y  est  dit  en 
autant  de  termes  :  Que  comme  on  ne  pouvait 
espérer  de  rétablir  la  tranquillité  de  F  Allemagne 
que  par  ïaffoiblissement  de  la  puissance  perni- 
cieuse du  roi  de  Prusse ,  le  roi  très  -  Chrétien  et 
f  Impératrice  -  reine  avoieut  jugé  à  propos  de 
resserrer  les  nœuds  de  leur  union  par  un  traité 

de 


]DE     SEPT     ANS.  353 

cortfirmanf  du  traité  de  Versailles  du  1  de  Mai 
17365  et  de  consfenir  des  moyens  les  plus  pro- 
pres pour  forcer  f  agresseur  de  donner  satisfaction 
aux  lésés  et  sûreté  pour  ï avenir ,  et  pour  établir 
solidement  le  repos  de  ï Allemagne  ^  en  réduisant 
le  roi  de  Prusse  dans  des  bornes  qui  ne  lui  per^ 
missent  plus  de  troubler^  au  gré  de  son  ambitioji 
et  de  celle  de  [Angleterre  ^  la  tranquillité  générale 
et  celle  de  ses  voisins.  On  passe  ensuite  au  traité 
même,  qui  contient  les  articles  suivans: 

Art.  1.  Les  deux  parties  confirment  le  traité 
de  Versailles  du  1  Mai  1736,  et  le  prennent 
pour  base  de  la  présente  convention. 

Q.  Le  roi  de  P'rance  promet  de  fournir  à 
rimpératrice-reine ,  pendant  tout  le  cours  de  la 
présente  guerre,  un  secours  de  18,000  hommes 
d'infanterie  et  de  6,000  hommes  de  cavalerie, 
soit  en  troupes,  soit  en  argent,  au  choix  de 
rimpératrice-reine. 

3.  Ce  secours  en  argent  est  évalué  à  3  mil^ 
lions  456,000  florins  par  aîi. 

4.  Le  roi  de  France  se  charge  seul  du  sub- 
side à  payer  à  la  Suède. 

3.  Il  promet  de  soudoyer  le  corps  des  trou- 
pes saxonnes,  et  de  le  renvoyer  à  la  disposition 
Tome  III.  Z 


354  HIST.    DE    LA    GUERRE 

de  l'Impératrice  -  reine  ,  dés  qu  elle  le  deman- 
dera. 

6.  Les  deux  parties  s'engagent  de  procurer 
au  roi  de  Pologne,  électeur  de  Saxe,  non  seule- 
ment la  restitution  de  ses  Etats ,  mais  aussi  un 
dédommagement  proportionné. 

7.  Le  roi  de  France  promet  d'employer 
cent  mille  hommes  en  Allemagne ,  pour  cou- 
vrir  les  Pays  -  bas  autrichiens  et  les  Etats  de 
l'empire. 

8.  La  sûreté  des  côtes  de  Flandres  ayant 
exigé  que  les  places  d'Ostende  et  de  Nieuport 
fussent  mises  à  l'abri  de  toute  insulte  ,  et  le 
Roi  très-Chrétien  ayant  voulu  se  charger  de  la 
défense  de  ces  deux  places ,  elles  demeureront 
confiées  à  la  garde  de  ses  troupes  pendant 
tout  le  temps  que  durera  la  présente  guerre 
entre  la  France  et  l'Angleterre  ;  mais  cet  arran- 
gement,  uniquement  relatif  à  la  sûreté  desdi- 
tes  places,  ne  doit  porter  aucun  préjudice  au 
droit  de  souveraineté  de  l'Impératrice-reine. 

9.  Le  roi  de  France  promet  cependant  de 
restituer  les  places  de  Nieuport  et  d'Ostende, 
même  avant  sa  paix  avec  lAngleterre,  &i  on 
en  convenoit  ultérieurement. 


DE     SEPT     ANS.  •353 

10.  Les  pays  conquis  sur  le  roi  de  Prusse 
seront  gouvernés  et  administrés  au  nom  et  par 
les  commissaires  de  l'Impératrice  -  reine  ;  mais- 
les  revenus  publics  appartiendront  au  Roi  très- 
Chrétien,  à  l'exception  de  40,000  florins  pré- 
levables  pour  les  frais  de  l'administration. 

11.  Les  deux  parties  s'engagent  à  terminer 
à  l'amiable  les  discussions  particulières  qu'elles 
pourroient  avoir. 

1 2.  Le  Roi  très- Chrétien  promet  de  faire  tous 
ses  efiorts  pendant  la  guerre,  et  d'employer  aux 
conférences  pour  la  paix  ses  bons  oflices  les 
plus  efficaces  ,  pour  qu'au  traité  à  conclure 
entre  l'Impératrice- reine  et  le  roi  de  Prusse, 
le  duché  de  Silésie  et  le  comté  de  Glatz  soient 
cédés  et  assurés  à  la  maison  d'Autriche,  et  il  se 
charge  d'avance  de  la  garantie  de  tout  ce  qui 
sera  stipulé  à  cet  égard  entre  l'Impératrice-reine 
et  le  roi  de  Prusse. 

13.  Les  deux  parties  s'engagent  à  ne  faire 
ni  paix  ni  trêve  avec  leurs  ennemis  communs , 
que  d'un  parfait  concert.  Le  roi  de  France 
promet  de  ne  faire  ni  paix  ni  trêve  avec  le  roi 
d'Angleterre  5  sans  convenir  avec  lui  qu'il  fer;j 
tous  ses  efforts  pour  engager  le  roi  de  Prusse 

Z  2 


356  HIST.    DE    LA    GUEURE 

à  accorder  à  Sa  Majesté  impériale  des  condi- 
tions justes  et  honorables  5  ou  du  moins  sans 
obliger  le  roi  d'Angleterre  à  promettre  qu'il 
ne  donnera  plus  de  secours  au  roi  de  Prusse; 
et  l'Impératrice -reine  s'engage  à  ne  faire  ni 
paix  ni  trêve  avec  le  roi  de  Prusse  qu'aux 
mêmes  conditions. 

14.  Pour  rassurer  les  Etats  protestans  ,  on 
confirme  le  traité  de  Westphalie ,  et  on  s'ac- 
corde d'inviter  la  couronne  de  Suède  d'accéder 
au  présent  traité. 

13.  L'Impératrice -reine  renonce  à  son  droit 
de  réversion  des  duchés  de  Parme,  de  Plai^ 
sance  et  de  Guastalle ,  en  faveur  des  descendans 
mâles  de  l'Infant  Don  Philippe. 

i5.  Les  deux  parties  s'engagent  d'agir  de 
concert  avec  le  duc  de  Parme  auprès  du  roi 
des  deux  Siciles,  pour  fixer  l'ordre  de  succes- 
sion dans  le  royaume  des  deux  Siciles. 

17.  En  retour  de  la  renonciation  énoncée 
dans  l'ardcle  13,  le  Roi  très  -  Chrétien  promet 
d'employer  ses  bons  offices  pour  déterminer  le 
roi  de  Naples  à  céder  à  l'Empereur  ses  préten- 
tions sur  les  biens  allodiaux  des  maisons  de 
Médicis  et  de  Farnèse. 


1 

DE    SEPT    ANS.  357 

18.  L'Infant  duc  de  Parme  renonce  à  ses 
prétentions  sur  les  biens  allodiaux  des  maisons 
de  Médicis  et  de  Farnése,  aussi  bien  que  sur  les 
villes  de  Bozzolo  et  de  Sabionetta. 

ig.  Le  Roi  très -Chrétien  promet  de  con- 
courir par  ses  bons  offices  pour  que  l'archiduc 
Joseph  soit  élu  roi  des  Romains  ,  d'une  ma- 
nière conforme  aux  constitutions  de  l'Empire. 

Qo.  Les  deux  parties  conviennent  de  ne 
prendre  aucunes  mesures  par  rapport  à  la  fu- 
ture élection  d'un  roi  de  Pologne  ,  que  d'un 
concert  commun  ;  et  leur  but  n'étant  que  de 
maintenir  la  liberté  de  la  nation  polonoise,  elles 
déclarent  dés-à-présent ,  c]ue  si  le  choix  libre 
de  la  république  venoit  à  tomber  sur  un  prince 
de  la  maison  de  Saxe  ,  elles  l'appuieront  de 
leur  mieux. 

Qi.  L'Impératrice-reîne  étant  convenue  avec 
le  duc  de  Modène  du  mariage  de  l'archiduc 
Léopold  avec  la  princesse  de  Modène ,  et 
voulant  demander  à  l'Empereur  et  à  l'Empire 
l'expectative  à  la  succession  féodale  de  Modène 
en  faveur  de  l'archiduc  Léopold ,  à  condition 
que  les  Etats  de  Modène  ne  soient  jamais  unis 
à  la  masse  des  Etats  de  la  maison  d'Autriche  , 


33§  HIST.    DE    LA    GUERRE  5    CtC. 

le  roi  de  France  promet  d  y  concourir  par  ses 
bons  offices. 

î2Q.  On  invitera  d'accéder  à  ce  traité,  l'Em- 
pereur 5  l'impératrice  de  Russie ,  et  les  rois  de 
Suède  et  de  Pologne. 

Les  deux  derniers  articles ,  ainsi  que  les  trois 
articles  séparés,  ne  roulent  cpe  sur  de  ^simples 
formalités. 


iPUiMan'-ajMa.  MumniWBBaggoiaPBB 


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