N TME CUSTODY Of TME
BOSTON PUBLIC LiBRARY.
5HELF N°
OEUVRES
POSTHUMES
1> E
FREDERIC II
ROI DE PRUSSE-
Tome 1 1 L
Seconde édition originale.
i.'iitSjS.muJtsAU^%s'f3e^iunsmjeam
BERLIN,
GHEz VOSS JKT FILS ET DECKER ut FILS.
1788.
1-^
r}^lmoiJ•■,■.J^ iMMt ui'i.iwwimn
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME III.
OU Tome L
DE
L'HISTOIRE
DE LA GUERRE DE SEPT ANS.
C H A P. I.
Des arrangemens intérieurs de la Prusse et de l Au-
triche durant la paix. Page 13.
Chap. il
De la Guerre et de la Politique depuis i"] ^6 jus-
qu'à 1756. C2g.
Chap. III.
Cause de la rupture entre la France et l'Angle-
terre ; négociation de Milord Holderness ; al-
liance de la Prusse et de l Angleterre j offres
de Mr Rouillé ; ambassade du Duc de Ni ver-
nois ; la France piquée ; guerre déclarée aux
Anglois ; le Duc de Richelieu prend le Cap
Breton; hateaux plats qui épouvante: les An-
Tome III. -
- -.glms ; ils font venir des Hanovriens et des
Hessûis ; les Russes se renforcent sur la fron^
tière- de la Prusse ; les Autrichiens rassemolert
deux années en Bohème; intelligence dans les
archives de Dresde , où tout le mystère d'ini-
quité se découvre ;' brouilleries avec l Autriche;
raisons pour déclarer la guerre; première dis"
position des troupes ; projet de campagne. 39.
Chap. IV.
Marche en Saxe ; fameux camp de Pirna ; entrée
en Bohème; bataille de Lowositz ; campagne
du maréchal Schwerin ; secours de Schandau
battu; prise des Saxons; quartiers d'hiver;
cordon. 84.
Chap. V.
De l'hiver de 1"] 56 à 1737. 120.
Chap. VI.
Campagne <:/e 1737. 13g.
Chap. VIL
De l'hiver de 1737 à 1738. 238.
Chap. VIIL
Campagne de 1738. Q71.
Chap. IX,
De l'hiver <:/g 1 738 a 1739. 34^'
Vv
HISTOIRE
DE
LA GUERRE DE SEPT ANS,
Tome L
Tome UT,
AVANT- P ROP os.
^ ' A V o I s tracé le tableau des deux
guerres que nous avons faites en Si-
lésie et en Bohème ; c'étoit Touvrage
d'un jeune homme ^ et la suite de
cette démangeaison d'écrire qui en
Europe est devenue une espèce de
maladie épidémique. Depuis la paix
de 1746 j'avois renoncé à l'histoire,
parce que des intrigues politique 5 si
elles ne mènent à rien, ne méritent
pas plus de considération que des tra-
casseries de société; et quelques dé-
tails sur l'administration intérieure d'un
Etat ne fournissent pas une matière
suffisante à l'histoire. La guerre qui sur-
vint en 1756 me fit changer de senti-
ment : elle avoit été préparée avec tant
d'art et d'artifice; le nombre des ennemis
A 2
4 Avant-propos.
qui nous la firent , étoit si supérieur
aux forces prussiennes, qu'un sujet aussi
important ne me parut pas indigne
d'être transmis à la postérité. Pour cet
efFet, à la fin de chaque campagne je
dressai des mémoires sur les événemens
qu'elle avoit produits , et dont j'avois
le souvenir tout récent; mais ces faits
se trouvant fort liés avec la politique ,
je fus obligé de la faire entrer dans mon
plan. J'ai eu en vue dans cet ouvrage
deux objets principaux : l'un^de prouver
à la postérité et de mettre en évidence
qu'il n'a pas dépendu de moi d'éviter
cette guerre ; que l'honneur et le bien,
de l'État m'ont empêché de consentir
à la paix sous d'autres conditions que
celles qui l'ont fait conclure : Fautre,
de détailler toutes les opérations mi-
litaires avec le plus de clarté et de pré-
cision qu'il m'a été possible , pour
laisser un recueil authentique des si-
Avant-propos. 5
tuations avantageuses ou peu favora-
bles qui se trouvent dans les provin-
ces et dans les royaumes où la guerre
sera portée , toutes les fois que la mai-
son de Brandebourg aura des démêlés
avec celle d'Autriche.
Le succès d'une guerre dépend en
grande partie de l'habileté du général 5
de la connoissance des lieux qu'il oc-
cupe, et de Fart avec lequel il sait tirer
avantage du terrain, soit en empêchant
l'ennemi de prendre des postes qui
pourroient le favoriser , soit en choi-
sissant lui-même les plus convenables
à ses desseins. La lecture de ces mé-
moires en fournira quantité d'exemples.
Pour peu qu'on y prête attention, on
appercevra le parti que les Autrichiens
ont tiré de certaines positions, et celui
que les Prussiens ont tiré de quelques
autres. A Dieu ne plaise qu'on revoie
une seconde guerre aussi compliquée
■A3
6 Avant- PROPOS.
et aussi difficile que celle que nous ve-
nons de terminer ! Il n'est pas probable
qu'un pareil enchaînement de causes
ramène de long-temps les mêmes con-
jonélures que celles où nous nous
sommes trouvés. Lorsque la Prusse
n'aura pas à combattre contre tant de
puissances 5 elle pourra toujours couvrir
l'éleclorat de Brandebourg et la Silésie,
en entrant tout de suite avec l'armée
en Bohème. C'est dans une occasion
semblable où les camps de la Saxe et
de la Bohème ^ dont j'ai parlé avec
détail 5 pourront être d'usage ^ et abré-
geront le travail de ceux qui condui-
ront les années; car une des choses les
plus difficiles à la guerre, c'estjorsqu'on
la porte dans quelque contrée peu
connue, de savoir s'y orienter d'abord.
On est souvent contraint de prendre
des positions au hasard, faute de con-
noître les bonnes qui se trouvent quel-
Av A NT-PROPOS. 7
quefois dans le voisinage; on ne fait
que tâtonner 5 et si l'on èe campe mal,
on s'expose aux plus grands risques : au
lieu qu'en trouvant des campemens re-
connus bons par l'expérience, on a jeu
plus sûr, et l'on procède plus méthodi-
quement. J'observerai cependant que
les camps sont bons ou mauvais rela-
tivement aux circonstances : par exem-
ple , celui de Torgau est admirable
quand vous avez 70^000 hommes pour
le remplir ; il est défectueux , si vous
n'avez que 30,000 hommes contre
60,000 , parce qu'il vous étend trop 5
vous affoiblit par conséquent, et que
l'ennemi, s'il veut, pourra percer de
côté ou d'autre à l'endroit que vous
aurez le moins garni. Un camp est comme
un vêtement; il ne doit être ni trop lar-
ge , ni trop étroit pour celui qui le
porte. Cependant, s'il faut choisir, il
vaut mieux avoir du monde de reste
A 4
8 Avant-propos.
qu'on ne peut placer , que d'en avoir
trop peu. Il est d'autres camps qui cou-
vrent une partie du terrain, mais qui
deviennent défectueux, si l'ennemi par
ses mouvemens change de direction ;
par exemple le camp de Landshut, tout
admirable qu'il est pour couvrir la basse
Silésie, devient mauvais et de défense
nulle, aussitôt que les Impériaux tien^
nent Glatz et Wartha, parce qu'ils le
tournent tout-à-fait. Dans des cas sem^
blables, le jugement doit di61er le parti
qu'il faut prendre; il doit empêcher sur-
tout que l'imitation ne devienne servile,
et par cela même mauvaise; pourquoi?
parce que deux hommes ne se trouvent
jamais dans une situation tout-à-fait
semblable. Il y aura quelque chose de
comparable dans leurs positions ; je le
veux : mais examinez-les bien, ces po--
sitions, vous trouverez des variétés in-^
finies dans le détail ^ parce que la nature;
Avant-propos. g
féconde en tout sens, ne fait pas les
mêmes physionomies, et ne répète pas
les mêmes événemens. Ce seroit donc
mal raisonner que de dire : M. de
Luxembourg s'est trouvé dans le cas où
je suis; il s'en est tiré de cette manière;
donc je ferai la même chose. Les faits
passés sont bons pour nourrir l'imagi-
nation et meubler la mémoire. C'est un
répertoire d'idées qui fournit de la ma-
tière 5 que le jugement doit passer au
creuset pour l'épurer. Je le répète donc;
les détails de la dernière guerre ne
doivent servir qu'à augmenter le ma-
gasin des idées militaires, et à constater
quelques positions principales, qui de-
meureront fixes, tant que les pays ne
changeront pas de forme, et cjue la na-
ture ne sera pas bouleversée. Il est très-
probable que les généraux autrichiens
lie s'écarteront pas de la méthode du
maréchal Daun ( qui est sans contredit
lo Avant- PROPOS.
la bonne ) , et qu'à la première guerre
on les trouvera aussi attentifs à se bien
poster, qu'ils l'ont été dans celle-ci. Cela
m'oblige d'observer qu'un général aura
tort, s'il se hâte d'attaquer l'ennemi dans
des postes de montagnes , ou dans des
terrains coupés. La nécessité des con-
jonctures m'a forcé quelquefois d'en
venir à cette extrémité ; mais lorsqu'on
fait une guerre à puissance égale, on
peut se procurer des avantages plus sûrs
parla ruse et par l'adresse, sans s'expo-
ser à d'aussi grands risques. Accumulez
beaucoup de petits avantages ; leur
somme en produira de grands. D'ailleurs
l'attaque d'un poste bien défendu est un
morceau de dure digestion : vous pou-
vez facilement être repoussé et battu.
Vous ne l'emportez qu'en sacrifiant
des 15 et des 20,000 hommes; ce qui
fait une brèche cruelle dans une armée.
Les recrues, supposé que vous en trou-
Avant- PROPOS, n
viez en abondance, réparent le nombre,
mais non pas la qualité des soldats que
vous avez perdus. Votre pays se dépeu-
ple en renouvelant votre armée; vos
troupes dégénèrent 5 et si la guerre est
longue 5 vous vous trouvez enfin à la
tête de paysans mal exercés 5 mal discipli-
nés, avec lesquels vous osez à peine pa-
roître devant l'ennemi. Ala bonne heure
qu'on s'écarte des règles dans une situa-
tion violente; la nécessité seule peut faire
recourir aux remèdes désespérés: comme
on donne de l'émétique au malade, lors-
qu'il ne reste aucune ressource pour le
guérir. Mais ce cas excepté, il faut, selon
moi , procéder avec plus de ménage-
ment, et n'agir qu'avec poids et mesure 5
parce que celui qui à la guerre donne le
moins au hazard , est le plus habile.
Il ne me reste plus qu'un mot à dire
sur le style que j'ai adopté. J'ai été si
excédé du Je et du Afc/, que je me suis
12 Avant- PROPOS.
décidé à parler en troisième personne
de ce qui me regarde. Il m'auroit été
insupportable, dans un aussi long ou-
vrage 5 de parler toujours en mon pro-
pre nom. Du reste je me suis fait une
loi de m'attacher scrupuleusement à la
vérité 5 et d'être impartial ; parce que
Tanimosité et la haine d'un auteur n'ins-
truisent personne j et c^u'il y a de la foi-
blesse, et de la pusillanimité même, à ne
pas dire du bien de ses ennemis, et à ne
leur pas rendre la justice qu'ils méritent.
Si malgré moi je me suis éloigné de cette
règle que je me suis prescrite, la posté-
rité me le pardonnera, et me corrigera
où je mérite d'être repris. Tout ce que
je pourrois ajouter à ce que je viens de
dire seroit superflu, et peut-être qu'un
ouvrage, fait, comme celui-ci, pour être
îu par peu de personnes , pouvoit se
passer tout-à-fait d'avant-propos.
A Potsdam le 3 de Mars 1764.
CHAPITRE I.
Des arrangemens intérieurs de la Prusse
et de l'Autriche durant la paix.
L
A paix dont jouissolt l'Europe permit à
toutes les puissances de tourner leur attention
fur l'intérieur de leurs Etats. Le Roi com-
mença par réformer les abus qui s'étoient intro-
duits dans la police générale. Il travailla , â
l'aide de nouveaux établissemens , à l'augmen-
tation de ses finances; il s'appliqua à raffermir
la discipline militaire , à perfectionner les for-
teresses 5 et à faire pour son armée des amas de
toutes les armes et fournitures nécessaires , dont
il se fait dans la guerre une si prodigieuse con-
sommation.
14 HIST. DE LA GUERRE
La justice , mal administrée durant le régne
précédent, et qui étoit devenue très - injuste ,
méritoit des soins , et une attention particulière.
L'on s'étoit accoutumé à éluder les lois. Les
procureurs faisoient un trafic honteux de la
bonne foi ; il suffisoit d'être riche pour ga-
gner sa cause , et d'être pauvre pour la perdre.
Ces abus, devenant de jour en jour plus intolé-
rables, demandoient nécessairement une ré-
forme, tant pour les personnes des juges, des
avocats et des procureurs , que pour les lois
mêmes, qu'il falloit éclaircir, et dont surtout
il falloit retrancher ces formalités qui, ne tou-
chant point au fond de la cause, prolongent
les procédures.
• Le Roi chargea son grand chancelier de Coc-
ceji de ce travail. C'étoit un homme d'un carac-
tère intègre et droit, dont la vertu et la probité
étoient dignes des beaux temps de la répu-
blique romaine ; savant et éclairé , il sembloit,
comme Tribonien, être né pour la législation
et pour le bonheur des hommes. Ce savant
jvuisconsulte entreprit avec tant de zèle cet
ouvrage pénible et délicat , qu'après un an d'un
travail assidu les cours souveraines de justice ^
DESEPTANS. 15
purgées de tous les sujets qui en a voient fait
la honte , furent remplies par des magistrats
vertueux. Le nouveau code des lois pour
toutes les provinces de la domination prus-
sienne fut achevé, et après qu'il eut été ap-
prouvé par les Etats, ces lois furent promul-
guées. On étendit ses vues jusques sur l'avenir;
et comme l'expérience des choses humaines
apprend que les meilleures institutions se cor-
rompent, ou deviennent inutiles, si l'on en
détourne les yeux, et si l'on ne ramène pas
ceux qui doivent les observer aux premiers prin-
cipes qui en ont posé les fondemens , on régla
qu'il se feroit tous les trois ans une visite gé-
nérale des cours souveraines de justice , pour
tenir la main à l'observation des nouvelles lois,
et pour punir les officiers de justice qui auroient
prévariqué. Cet ordre nouveau, introduit dans
la justice , raffermit le bonheur des citoyens ,
en assurant les possessions de chaque famille :
chacun put vivre en paix à l'abri des lois , qui
régnèrent seules.
Quelques soins que le feu Roi se fût don-
nés pour régler et arranger les finances de l'Etat,
il n'avoit pu tout faire : il n'eut ni le temps ni
l6 HIST. DE LA GUERRE
les moyens d'achever un aussi grand ouvrage:
et ce qui restoit à perfectionner étoit immense ^
tant pour les terres à défricher que pour les
manufactures à établir . le commerce à étendre
et l'industrie à encourager. Les premières an-
nées du rè^ne du Roi furent données à la
guerre , et il ne put tourner son attention sur
l'intérieur , qu'après avoir assuré la tranquillité
au dehors. Il y avoit le long de l'Oder, depuis
Swinemunde jusqu'à Kustrin. de vastes marais,
qui peut-être de tout temps avoient été incultes.
On forma le projet de défricher cette contrée.
On tira un canal depuis Kustrin jusqu a Wrie-
tzen 5 qui saigna ces terres marécageuses , où deux
mille familles furent établies. On continua de-
puis Schwedt jusqu'au-delà de Stettin ces éta-
blissemens , et douze cents familles y trouvèrent
une vie aisée et abondante ; cela fit une nou-
velle petite province , que l'industrie conquit sur
l'ignorance et sur la paresse. Les fabriques de
laine , qui étoient assez considérables , man-
quoient cependant de fileurs ; on en fit venir
des pays étrangers, et l'on en forma diiîérens
villages de deux cents familles chacun. Dans
le duché de Magde bourg c'étoit un usage im-
mémorial
DE SEPT ANS. 17
niémbrial, que les habitans du Vogtland vins-
sent y faire la récolte , après laquelle ils s'en
retournoient chez eux. Le Roi leur donna des
fctablissemens dans le duché , et fixa ainsi dans
ses Etats un grand nombre de ces étrangers.
Par les différentes opérations que nous venons
de rapporter , le pays s'accrut pendant cette
paix de qSo nouveaux villages. Le soin des cam-
pagnes ne fit pas négliger celui des villes. Le
Roi en bâtit une nouvelle sur la Swine, dont
elle tire son nom, et en fit en même temps .un
port, nommé Svvinemunde, à l'embouchure de
roder, en creusant davantage le canal, et en
nettoyant ce bassin. La ville de Stettin y
profita le péage qu elle payoit autrefois aux
Suédois en passant à Wolgast par la Peene , ce
cjui contribua beaucoup à rendre son commerce
plus florissant , et y attira dés étrangers. On
établit dans toutes les villes de nouvelles ma-
nufactures : celles d'étoffes riches et de velours
trouvèrent la place qui leur convenoit le mieux
à Berlin; les velours légers et les étoffes unies
s'établirent à Potsdam ; Splittgerber fournit
à toutes les provinces le sucre qu'il raffinoit. à
Berlin. Une fabrique de basin rendit la ville
Tome ni. B
iS HIST. DE LA GUERRE
de Brandebourg florissante. A Francfort sur
o
roder on fabriqua du cuir de Russie; à Berlin,
à Magdebourg et à Potsdam, des bas et des
mouchoirs de soie. La fabrique de Wegely
s'accrut du double. Les plantations de mûriers
furent encouragées dans toutes les provinces;
les personnes attachées aux églises donnèrent
l'exemple aux cultivateurs, et leur enseignèrent
à élever cet insecte précieux qui originairement
vient des Indes , et dont le duvet fait la soie.
Dans des lieux où il y avoit du bois en abon-
dance, que l'éloignement des rivières empêchoit
de débiter, on établit des ferronneries, qui dans
peu fournirent aux forteresses et aux besoins
de l'armée des canons de fer, des boulets et des
bombes. On trouva dans la principauté de
Minden et dans le comté de la Mark de nou-
velles salines, qui furent raffinées. On perfec-
tionna celles de Halle, en y construisant, pour
la gradation du sel , des bâtimens qui épar-
gnent le bois. En un mot l'industrie fut encou-
ragée dans la capitale et dans les provinces. Le
Roi remit en vigueur le droit d'étappe que les
Saxons avoient disputé à la ville de Magde-
bourg , et par le moyen de quelques douanes
DE SEPT ANS. IQ
établies sur les frontières, le commerce des pro-
vinces prussiennes fut presque en équilibre avec
^elui de la Saxe. La compagnie d'Emden
établit un négoce important à la Cliine. En
diminuant les droits d'exportation à Stettin ,
Kœnigsberg et Colberg , les revenus des doua-
nes augm.entèrent du double. Il résulta de
ces diverses opérations de finances , que , sans
compter les revenus de la Silésie et de l'Ost-
Frise, et sans que le Roi chargeât ses peuples
d'un denier de nouvel impôt, les revenus de
la couronne se trouvèrent augmentés en 1736
de I5Q0O5OOO écus; et d'après un dénombre-
ment que l'on fit des habitans de toutes les
provinces , leur nombre se monta à 5 millions
d'ames. Comme il est certain que le nombre
des sujets fait la richesse des Etats , la Prusse
pouvoit alors se compter du double plus puis-
sante qu'elle ne l'avoit été dans les dernières
années de Frédéric-Guillaume, père du Roi.
Les finances et la justice n'absorbèrent pas
toute l'attention du Roi; le militaire, cet ins-
trument de la crloire et de la conservation des
Etats 5 ne fut pas négligé. Le Roi le surveilla
de près , pour que la discipline et la suboïdi-
B -
20 HIST. DE LA GUEUrvE
nation fussent rigoureusement maintenues" dans
chaque province. Les troupes se rassembloient
régulièrement toutes les années dans des camps
de paix, où on les dressoit aux grandes évolu-
tions et aux manœuvres. L'infanterie s'exer-
çoit aux difïerens déploiemens, aux formations,
aux attaques de plaine, aux attaques de postes,
aux défenses de villages et de retranchemens ,
aux passages de rivières, aux marches couvertes
à colonnes renversées, aux retraites, et enfin à
toutes les manœuvres qu'il faut faire devant
rennemi. La cavalerie s'exerçoit aux différen-
tes attaques serrées et à intervalles, aux recon-
noissances, ou fourrages verts et secs , aux diffé-
rentes formations , et à prendre des points de
vue sur des alignemens prescrits. On poussa,
dans quelques régimens dont les cantons étoient
les plus peuplés , le nombre des surnuméraires
par compagnie à 36 hommes , et à 24 au
moins : quoiqu'on ne fit aucune nouvelle le-
vée, le nombre de ces surnuméraires faisoit sur
le total de l'armée une augmentation de j 0,000
combattans. Tous les bataillons , tous les ré-
gimens de cavalerie avoient à leur tête de vieux
comniandans, officiers éprouvés, pleins de va-
DESEPTANS. 21
leur et de mérite. Le corps des capitaines
étoit composé d'hommes mûrs , solides , et
braves. Les subalternes étoient choisis; plusieurs
étoient pleins de capacité et dignes d'être éle-
vés à des grades supérieurs. En un mot l'ap-
plication et l'émulation qui régnoient dans cette
armée , étoient admirables. Il n'en étoit pas
de même des généraux , quoiqu'il y en eût
quelques-uns d'un vrai m.érite. Le plus grand
nombre avoit, avec beaucoup de valeur, beau-
coup d'indolence. On suivoit l'ordre du ta-
bleau pour l'avancement , de sorte que l'an-
cienneté du service et non les talens décidoient
de la fortune. Cet abus étoit ancien; il n'a-
voit porté aucun préjudice dans les guerres pré-
cédentes, parce que le Roi, n'agissant qu'avec
une armée, n'avoit pas besoin de faire beau-
coup de détachemens, et que les troupes et les
généraux autrichiens, auxquels il eut à faire ,
li'étoient que médiocres , et avoient entière-
ment négligé la tactique. Le Roi fit une bonne
acquisition en attirant de Russie le maréchal
Keith à son service. C'étoit un homme doux
dans le commerce , ayant des vertus et des
mœurs , habile en son métier , et qui , avec la
B 3
22 HIST. DE LA GUERRE
plus grande politesse, étoit d'une valeur héroï-
que dans un jour de combat. Le corps de
l'artillerie avoit été augmenté. Le Roi le porta
à trois bataillons , dont le dernier étoit destiné
pour les garnisons. Il étoit bien exercé et en
bon état , mais trop peu nombreux pour la
profusion d'artillerie et de bouches à feu que
la mode introduisit bientôt dans les armées.
Ils auroit fallu le doubler; mais comme cela
n'avoit point été usité dans les guerres précé-
dentes 5 et que ces deux bataillons avoient sufR
au service qu'on en demandoit , on ne songea
pas d'abord à l'augmenter. Durant la paix on
construisit les ouvrages de Schvveidnitz , et l'on
perfectionna ceux de Neisse , de Cosel , de
Glatz et de Glogau. Schweidnitz devoit ser-
vir de dépôt pour l'armée, au cas que la guerre
se portât en Bohème sur cette frontière ; et
comme les Autrichiens avoient montré peu de
capacité dans la dernière guerre pour l'attaque
et la défense des places , on se contenta de
construire légèrement ces ouvrages : ce qui étoit
dans le fond très -mal raisonné, car les places
ne se construisent pas pour un temps , mais
pour toujours ; et qui pouvoit garantir d'ail-
DE SEPT ANS. 23
leurs que Tlmpératrice -reine n'attirât pas quel-
que habile ingénieur à son service, qui, appor-
tant avec lui un art qui manquoit à Farmée
autrichienne , le lui enseignât et le rendît com-
mun ? Mais si l'on fit des fautes , on eut dans
la suite sujet de s'en repentir, et d'apprendre à
raisonner plus solidement.
D'autre part on prévit qu'une armée en bon
état et bien entretenue ne suffit pas pour faire
la guerre, mais qu'il faut de grosses provisions
de réserve, pour l'armer, pour l'habiller, et la
renouveler, pour ainsi dire; ce qui donna lieu
à faire de grands amas de toutes sortes de four-
nitures , de selles, étriers, mords, bottes, gi-
bernes , ceinturons , etc. On conservoit dans
Tarsenal 50,000 fusils, 20,000 sabres, 12,000
épées , autant de pistolets , de carabines et de
bandoulières; en un mot tout ce qu'il faut sans
cesse renouveler , et que le temps ne donne
pas toujours le moyen d'avoir assez prompte-
ment dans le besoin. On avoit fait fondre de
la grosse artillerie, consistant en 80 pièces de
batterie, et en 20 mortiers, qui fut déposée
dans la forteresse de Neisse. Les amas de pou-
dre à canon que l'on avoit faits, montoient à
B i
24 HIST. DE LA GUERRE
565O00 quintaux, répartis dans les différentes
places du royaume. Les magasins d'abondance
étoient remplis de 36,000 vvinspels de farines et
de iQ,ooo d'avoine; de sorte que par ces mesu-
res et par ces arrangemens préalables tout étoit
préparé pour la guerre qu'on prévoyoit, et qui
ne paroissoit pas éloignée. Dans l'année 1755
le Roi fit même une augmentation dans les
régimens de garnison. Ceux de Silésie furent
portés à huit bataillons, ceux de Prusse à trois ,
ceux de la Marche électorale à deux ; ce qui
fait en tout 13 bataillons. Dans un pays pau-
vre le souverain ne trouve pas de ressources
dans la bourse de ses sujets , et son devoir
est de suppléer par sa prudence et sa bonne
économie aux dépenses extraordinaires , qui de-
viennent indispensables. Les fourmis amassent
en été ce qu'elles consomment en hiver, et le
prince doit ménager durant la paix les sommes
qu'il faut dépenser dans la guerre. Ce point ,
malheureusement si important, n'avoit pas été
oublié, et la Prusse se trouvoit en état de faire
quelques campagnes de ses propres fonds; en
un mot elle étoit prête à paroître dans l'arène
au premier signal , et à se mesurer avec ses en-
DESEPTANS. 25
nemis. Vous verrez dans la suite combien cette
précaution fut utile , et la nécessité où se trouve
un roi de Prusse , par la situation bizarre de ses
provinces, d'être armé et préparé à tout événe-
ment 5 pour ne pas servir de jouet à ses voisins
et à ses ennemis. Il auroit fallu au contraire en
faire davantage , si les facultés de l'Etat l'avoient
permis; car le Roi a voit dans la personne de Tlm*
pératrice - reine une ennemie ambitieuse et vin-
dicative, d'autant plus dangereuse, qu'elle étoit
femmie, entêtée de ses opinions, et implacable.
Cela étoit si vrai , que dès-lors elle préparoit
dans le silence du cabinet les grands projets
qui éclatèrent dans la suite. Cette Princesse ,
dévorée d^ambition , vouloit aller à la gloire
par tous les chemins ; elle mit dans ses finances
un ordre inconnu à ses ancêtres , et non-seu-
lement répara par de bons arrangemens ce
qu'elle avoit perdu par les provinces cédées au
roi de Prusse et au roi de Sardaigne, mais
même augmenta considérablement ses revenus.
Le comte Haugwitz devint contrôleur général
de ses finances. Sous son administration les re-
venus de l'Impératrice montèrent à 36 millions
de florins ou 24 millions d'écus. L'empereur
20 HIST. DE LA GUERRE
Charles VI, son père, possesseur du royaume
de Naples , de la Servie , et de la Silésie n'en
avoit pas eu autant. L'Empereur son époux ,
qui n'osoit se mêler des affaires du gouverne-
ment, se jeta dans celles du négoce; il ména-
geoit tous les ans de grosses sommes de ses
revenus de Toscane , et les faisoit valoir dans
le commerce. Il établissoit des manufactures,
etprêtoit sur gages; il entreprit la livraison des
uniformes, des armes, des chevaux et des ha-
bits d'ordonnance pour toute l'armée impériale.
Associé avec un comte Boltza et un marchand
nommé Schimmelmann , il avoit pris à ferme les
douanes de la Saxe, et en l'année 1736 il livra
même le fourrage et la farine à l'armée du
Roi, qui étoit en guerre avec l'Impératrice son
épouse. Durant la guerre l'Empereur avançoit
des sommes considérables à cette Princesse sur
de bons nantissemens. Il étoit en un mot le
banquier de la cour.
L'Impératrice avoit senti dans les guerres
précédentes la nécessité d'une meilleure disci-
pline. Elle choisit des généraux actifs , et ca-
pables de l'introduire dans ses troupes : de
vieux officiers, peu propres aux emplois qu'ils
DE SEPT ANS. 27
occupoient, furent renvoyés avec des pensions,
et remplacés par des jeunes gens de condition,
pleins d'ardeur et d'amour pour le métier de la
guerre. On formoit toutes les années des
camps dans les provinces , où les troupes
étoient exercées par des commissaires-inspec-
teurs bien versés dans les grandes manœu-
vres de la guerre. L'Impératrice se rendit elle-
même à différentes reprises dans les camps de
Prague et d'Olmutz, pour animer les troupes
par sa présence et par ses libéralités. Elle savoit
faire valoir mieux qu'aucun prince ces distinc-
tions auxquelles on attache tant de prix ;
elle récompensoit les officiers qui lui étoient
recommandés par ses généraux , excitant par-
tout l'émulation, les talens , et le désir de lui
plaire. En même temps se formoit une école
d'artillerie sous la direction du Prince de Lich-
tenstein : il porta ce corps à six bataillons , et
l'usage des canons à cet abus inouï auquel
il est parvenu de nos jours; par zèle pour
l'Impératrice il dépensa pour cet objet au-delà
de cent mille écus de son propre bien. En-
fin 5 pour ne rien négliger de ce qui pouvoit
avoir rapport au militaire , l'Impératrice fonda
28 HIST. DE LA GUEKRE
près de Vienne un collège où la jeune noblesse
étoit instruite dans tous les arts qui ont rapport
à la guerre ; elle attira d'habiles professeurs de
géométrie , de fortification , de géographie et
d'histoire, qui formèrent des sujets capables: ce
qui devint une pépinière d'officiers pour son
armée. Par tous ces soins le militaire acquit
dans ce pays un degré de perfection où il n'é-
toit jamais parvenu sous les empereurs de la
maison d'Autriche , et une femme exécuta des
desseins dignes d'un grand homme. Cette prin-
cesse , qui portoit ses vues sur toutes les parties
de l'administration , peu satisfaite de la manière
dont les affaires étrangères et politiques s'é-
toient jusqaes-là traitées, fit choix du comte
Kaunitz sur la fin de l'année 1755. Elle lui
donna la patente de premier ministre , pour
qu'une seule tête réunît toutes les branches du
gouvernement. Nous aurons lieu dans son
o
temps de faire connoître plus particulièrement
cet homme, qui joua un si grand rôle: il entra
dans tous les sentimens de sa souveraine ; il eut
l'art de flatter ses passions et de s'attirer sa con-
fiance. Dès qu'il parvint au ministère , il tra-
vailla à former des alliances, et à isoler le roi
DE SEPT ANS. 29
de Prusse, pour préparer les voies à ce projet,
que l'Impératrice avoit tant à cœur, de recou-
vrer la Silésie , et d'abaisser ce Prince ; mais
comme c'est là proprement la matière du cha-
pitre suivant , nous n'en dirons pas davantage
sur ce sujet.
Voilà comment ces deux puissances durant
la paix se préparoient à la guerre , telles que
deux athlètes , qui aiguisent leurs armes, et qui
brûlent de l'impatience de s'en servir.
CHAPITRE IL
De la Guerre et de la Politique depuis
1746 Jusqu'à 1756.
JLiA paix de Dresde eut le destin de la plupart 1746.
des traités qui se sont faits entre les souverains;
elle suspendit les hostilités, sans déraciner les
germes de discorde qui subsistoient entre l'Au-
triche et la Prusse, Quelque dissimulation
qu'employât la cour de Vienne , elle avoit le
cœur trop ulcéré de la perte de la Silésie, pour
30 HIST. DE LA GUERRE
que les effets de son animosité et de sa haine ne
lui échappassent point , et ne se manifestassent
pas enfin. La guerre entre ces deux puissances
n'avoit donc point été terminée proprement ,
mais elle avoit changé de forme ; et quoique
les armées ne se combattissent plus en campagne,
les Autrichiens continuoient les hostilités du
fond de leur cabinet. La ruse, l'intrigue, l'ar-
tifice, étoient les armes dont ils se servoient,
pour brouiller les Prussiens avec toutes les cours
de l'Europe, et pour leur susciter, s'il étoit pos-
sible , des ennemis jusques aux extrémités de
notre globe ; nous en rapporterons des témoi-
gnages sufBsans : mais pour mettre plus d'ordre
et plus de clarté dans ce que nous allons dire,
nous parcourrons successivement les événement
principaux qui arrivèrent dans les différentes
cours de l'Europe. Et comme après la paix
de Dresde la guerre ne laissa pas de conti-
nuer entre la cour de Vienne et l'Angleterre
d'une part, et la France et l'Espagne de l'au-
tre 5 nous nous voyons obligés d'en faire un
tableau raccourci , pour ne rien omettre de
ce qui peut servir à l'intelligence de cette
histoire.
DESEPTANS. 3!
Les armées impériales et alliées ne prospé- Guerre,
rérent pas en Flandre , où elles avoient le ^"^^'^^'^
■*■ et
maréchal de Saxe en tête. A la fin de cette France.
année ce Maréchal gagna la bataille de Rocoux. ^746.
On en attribua la perte en partie au prince de
Waldeck, qui s'étoit mal posté, et en partie
aux Autrichiens, qui ne soutinrent pas les Hol-
landois. Le prince Charles de Lorraine, après
avoir été spectateur de la défaite des Hoîlandois,
envoya le prince Louis de Bronswic pour cou-
vrir leur retraite; il s'en acquitta si bien, que
les alliés gagnèrent Mastricht , sans que les
François , qui les poursuivoient , pussent les
entamer.
Le maréchal de Saxe ouvrit la campagne 1747.
suivante par la prise de la plupart des places
de la Flandre hoUandoise. Louis XV se rendit
en personne à l'armée. La présence du Roi et
de ses Ministres fut un surcroît d'embarras pour
le comte de Saxe, et une charge pour Farmée.
Les courtisans remplissoient le camp d'intrigues,
et contrecarroient le général ; une cour aussi
nombreuse demandoit par jour 10.000 rations
pour les chevaux des équipages. Mais ni la
cour de Versailles , ni les ennemis de la France
32 HIST. DE LA GUERRE
ne purent empêcher le comte de Saxe de con-
server la supériorité durant cette campagne. Il
avoit d'abord formé le projet d'assiéger Mastricht;
pour en imposer à l'ennemi , il feignit d'en vou-
loir à Bergen -op- zoom. Le duc de Cumber-
land s'apperçut de la feinte, se mit en marche
et gagna promptement les environs de Mas-
tricht. Le Comte, se voyant prévenu, quitta
en hâte son camp de Malines, et se porta au-
delà de S. Tron sur les hauteurs de Henderen.
Les alhés , qui se trouvoient dès la veille à la
commanderie de Yons , négligèrent d'occuper
cette hauteur importante : indécis sur le choix
de leur champ de bataille , et vacillant dans leurs
résolutions, ils mirent le feu à des villages et
l'éteignirent ; garnirent ces villages de troupes ,
qu'ils retirèrent ensuite; et après avoir embrasé
le village de Lafeld le matin de l'action, ils
l'éteignirent encore et y placèrent du monde,
quoiqu'à Q,ooo pas au-devant de leur front.
Ce fut à ce village où la bataille s'engagea. Le
maréchal de Saxe , témoin des mouvemens
inconséquens des alliés , crut que Lafeld étoit
vide de troupes; il se proposa de s'en saisir, et
le trouva garni d'ermemis. L'attaque commença
sur
DE SEPT ANS. 33
sur le cliamp , et à force de la renouveler et de
sacrifier du monde, les François emportèrent
le villag*; ce qui décida l'action. Les alliés se
retirèrent à Mastriclit, sans que le maréchal de
Saxe les poursuivît, parce que M. de Clermont-
Tonnerre se dispensa de charger l'ennemi avec
sa cavalerie , malgré les ordres réitérés qu'il
avoit reçus; cette désobéissance à son général
lui valut le bâton de maréchal de France.
Louis XV ne gagna donc proprement par cette
victoire que le stérile avantage de camper sur
le champ de bataille , et le duc de Cumberland,
quoique battu , garantit Mastricht d'un siège.
Pour ne pas laisser néanmoins écouler inutile-
ment la campagne , le comte de Saxe se ra-
battit sur Bergen-op-zoom. Il chargea M. de
Lœwendahl de cette difficile entreprise. Les
excellens ouvrages de Coehorn , et l'art admi-
rable avec lequel il avoit construit les mines
de cette place, la défendirent presque seuls,
M. de Cronstrom en étoit gouverneur ; il avoit
90 ans ; son esprit étoit caduc et son corps in-
firme. La garnison n'étoit pas des meilleures,
et les officiers , sans expérience , ne savoient s'ils
dévoient employer les mines ou l'inondation
Tome IIL C
34 HIST. DE LA GUEKPvE
pour leur défense ; ils eurent le sort de cet âne
fameux dans l'école , qu'on dit être mort de
faim entre deux boisseaux d'avoine, pour n'a-
voir pu faire un choix. Les François donnèrent
l'assaut à la place, et l'empoitèient sans trouver
presque de résistance; à peine le gouverneur
çut-il le temps de se sauver en bonnet de nuit et
en robe de chambre. Cet exploit termina pour
cette année les succès des François en Flandre.
La fortune fut moins contraire aux Impé-
riaux en Italie et eu Provence. La révolution
arrivée à Gènes ht à la vérité manquer l'expé-
dition du comte de Braun sur Toulon. Cette •
révolution se fit par hazard. Les Autrichiens
maltraitoient quelques bourgeois qui travail-
loient à embarquer de l'artillerie pour Antibes.
Le peuple s'ameuta,* soutint ses concitoyens in-
sultés , et dans les premiers accès de sa fureur
chassa de Gènes le marquis de Botta et toute
la garnison autrichienne. Ce contrecoup fit
manquer l'armée de Provence de vivres et de
munitions , et obligea M. de Braun à vider
cette province. Il mita son retour le siège de-
vant Gènes; mai^ cette ville le soutint sans suc-
comber. La France y envoya des secours sous
DE SEPT ANS. 33
M. de Bouflers et depuis sous le duc de Riche*
lien ; ils prirent tous deux de si justes mesures ,
qu'ils rendirent les efforts des Autrichiens inu-*
tiles. Les troupes françoises et espagnoles, com-
binées sous M. de Belle-ïsle 5 voulurent, après
la retraite de M. de Braun , se rouvrir le chemin
de l'Italie. Les François s'approchèrent les pre-
miers du col de l'Assiette. M. de Belle -Isle,
trouvant ce poste foiblement défendu , jugea
qu'il pourroit l'insulter ; il manda les Espa-
gnols pour l'attaquer à forces réunies, et les
Espagnols différèrent trois jours avant de le
joindre. Cela donna le temps au roi de
Sardaigne de renforcer ceux qui défendoient
cette gorge , qu'il lui importoit si fort de con-
server. Sur cela les Espagnols arrivèrent , et
quoique les conjonctures ne fussent plus les mê-
mes que lorsque M. de Belle-Isle avoit mandé
ce renfort , il n'en voulut point avoir le dé-
menti ; il attaqua donc les Sardes avec beau-
coup de vigueur, et après avoir employé tout
ce que lui pouvoit inspirer le courage et l'au-
dace, il se fit tuer en arrachant de ses mains
une palissade du retranchement ennemi : ne
pouvant surmonter les obstacles que la nature
C q
36 HIST. DE LA GUERRE
et l'art lui avoient opposés, ses efforts ne servi-
rent qu'à augmenter ses pertes. Les troupes
des deux couronnes furent partout repoussées,
et le nombre d'officiers de condition et des
plus grandes maison? , qui périrent , mit toute la
France en deuil. Le public, souvent injuste,
rempli de préjuges, et apparemment mal ins-
truit , taxa cette entreprise de témérité ; elle
n'étoit que hardie, et n'auroit pas manqué, si
M. de Belle -îsle eût pu exécuter son projet
lorsqu'il le conçut, et si la lenteur des Espa-
gnols ne lui eût pas fait perdre les lauriers qu'il
étoit près de cueillir.
1748. Cependant les François se dédommageoient
en Flandre des mauvais succès qu'ils avoient
eus vers les Alpes. Le génie du comte de
Saxe avoit pris de l'ascendant sur tous les enne-
mis de la France. Ce maréchal ouvrit la cam-
pagne en mettant son armée en marche sur plu-
^^^ sieurs colonnes. L'une menaçoit Luxembourg ,
d'Aix-la ^ , ^
chapelle, l'autre Bois-le-Buc, une autre Venlo ; leurs
inouvemens vinrent se réunir à Mastricht, dont
elles formèrent l'investissement et firent le siège.
Mais quelque brillans que fussent les succès du
comte de Saxe , ses triomphes m.êmes com-
DE SEPT ANS. 37
mençoient à devenir onéreux à la France. On
en étoit à la huitième campagne, et la durée
d'une guerre dont les commencemens avoient
été funestes , épuisoit la nation. Toutes les
puissances belligérantes s'en lassoient de mê-
me ; après avoir souvent changé de cause ,
elle n'en avoit aucune à la fin. Le moment
de la frénésie étoit passé : elles pensèrent sérieu-
sement à la paix, et entrèrent en négociation;
chacune sentoit ses plaies secrètes et avoit
besoin de tranquillité pour les guérir. Les An-
glois craignoient d'augmenter leurs dettes na-
tionales, chef-d'œuvre du crédit idéal, dont
l'abus pronostique une faillite entière. La cour
impériale , soutenue des subsides de l'Angle-
terre , auroit à la vérité continué la guerre aussi
long-temps que ses alliés lui en auroient fourni
les moyens : cependant elle consentit à la paix ,
afin de ménager ses ressources pour un projet
qui lui tenoit plus à cœur que la guerre de
Flandre. La P^rance se ressentoit de ses grandes
dépenses ; elle avoit de plus à craindre que la
disette n'occasionnât la famine dans ses provin-
ces méridionales , dont les ports étoient blo-
qués par les flottes angloises. A ces raisons
C 3
38 HIST. DE LA GUEP.IIE
d'état, que le ministère de Versailles alléguoit
en public , se joignoient des causes secrètes , qui
furent ses plus puissans motifs. Depuis peu Ma-
dame de Pompadour étoit devenue la maîtresse
du Roi ; elle appréhendoit que la continuation
de la guerre n'engageât Louis XV à se mettre
tous les ans à la tête de son armée. Les absen-
ces sont dangereuses pour les favoris et pour les
maîtresses ; elle comprit que pour fixer le cœur
de son amant, il falloit écarter tout prétexte qui
pût l'éloigner d'elle, en un mot qu'il falloit faire
la paix; et dès-lors elle y travailla de tout son
pouvoir. Lorsque M. de S. Séverin partit de
Versailles pour Aix- la -chapelle en qualité de
Plénipotentiaire , elle lui dit ces propres mots :
î9 Au moins souvenez-vous ^ Monsieur^ de ne pas
9* revenir sans la paix ; le Roi la veut à tout
^» prix, -59 Le congrès s'assembla donc à Aix-la-
chapelle. La ville de Mastricht se rendit et la
paix fut publiée. Par ce traité la France rendit
à la maison d'Autriche toutes ses conquêtes en
Flandre et en Brabant; moyennant quoi l'Im-
pératrice céda les duchés de Parme et de Plai-
sance à Don Philippe , réversibles toutefois à
la maison d'Autriche , puisqu'il étoit stipulé
DE SEPT ANS. 39"
que lorsque Don Carlos monteroit sur le trône
d'Espagne , Don Philippe lui succéderoit au
royaume de Naples : et il est remarquable que
cet article ainsi conçu fut ratifié sans la partici-
pation ni le consentement du roi d'Espagne ,
de celui de Naples , et de Don Philippe. Aussi
témoignèrent-ils leur mécontentement, en pro-
testant contre toutes les mesures prises à Aix-la-
chapelle , contraires à l'indépendance de leurs
couronnes. Les intérêts de la France et de
l'Angleterre furent réglés dans le 7™" article, où
l'Angleterre s'engage à rendre le cap Breton
aux P'rançois , et où les deux couronnes se ga-
yanlissent leurs possessions respectives en Amé-
rique , selon la teneur du traité d'Utrecht; elles
convinrent toutefois de nommer des commis-
saires pour vider quelques différens sur les li-
mites du Canada. Enfin l'article -22 contient la
garantie de la Silésie par toutes les puissances.
Il est visible, pour peu qu'on y donne d'at-
tention, que cette paix faite à la' hâte étoit
l'ouvrage d'un mouvement précipité , et que
les puissances sacrifioient à l'embarras présent de
leurs affaires les intérêts de l'avenir. On étei-
gnoit d'une part l'incendie qui embrasoit l'Eu-
c 4
40 HIST. DE LA GUEllKE
rope 5 et de l'autre on amassoit des matières
combustibles , propres à prendre feu à la pre-
mière occasion. Il ne falloit que la mort du
roi d'Espagne pour exciter de nouveaux trou-
bles, et les limites indéterminées du Canada
ne pouvoient manquer de mettre un jour les
François aux prises avec les Anglois. Quelque-
fois une campagne de plus , ou de la fermeté
dans les négociations , termineroit pour long-
temps les querelles des souverains ; mais on
préfère les palliatifs aux topiques , et une
trêve que l'on signe par impatience , à une
paix solide.
^^ ^^ La cour de Vienne aVoit perdu par cette
c,our de , _,. .
Vienne, guerre les duchés de Silésie , de Parme et de
Plaisance. Elle souffroit impatiemment cette di-
minution de puissance; et comme elle en reje-
toit la faute principale sur les Anglois , qu elle
n'accusoit pas sans raison de sacrifier les intérêts
de leurs alliés aux leurs propres, cela la dégoû-
toit de cette alliance et la portoit à sonder le
terrain à la cour de Versailles, afin d'essayer
de détacher cette puissance de la Prusse , et en
même temps de trouver quelque expédient
pour concilier les intérêts des deux cours. Le
DE SEPT ANS. 4I
comte Kaunitz, duquel ce projet venoit parti-
culièrement 5 étant plénipotentiaire de l'Impé-
ratrice - reine à Aix-la-chapelle , ne tarda pas
à en faire les premières ouvertures à M. de S.
Séverin , en lui disant par manière d'insinua-
tion, que si la France vouloit s'entendre avec
la maison d'Autriche , il y auroit des engage-
mens de bienséance à prendre entre les deux
cours 5 moyennant lesquels la Flandre et le
Brabant pourroient demeurer en propriété à Sa
Majesté très-chrétienne 5 pourvu qu'elle voulût
obliger le roi de Prusse à restituer la Silésie à
l'Impératrice - reine. L'appât étoit bien pro-
pre à tenter la cour de Versailles, si Louis XV,
excédé de la guerre qu'il venoit de terminer,
n'eût craint d'en recommencer une nouvelle .
pour exécuter ce projet; de sorte que M. de
S. Séverin déclina ces offres, tout avantageu-
ses qu'elles étoient.
Le comte Kaunitz ne s'en tint pas là ; cet ^e la
homme , si frivole dans ses goûts et si profond France.
dans les affaires, fut envoyé comme ambassa-
deur à Paris. Il y travailla, avec une assiduité
et une adresse infniie jà ùire revenir les François
de cette haine irréconcihable; qui depuis P^ran-
42. HIST DE LA GUERRE
çois I et Charles V subsiste entre les maisons
de Bourbon et de Habspourg ; il répétoit sou-
vent aux ministres , que l'agrandissement des
Prussiens étoit leur ouvrage, qu'ils en avoient
été payés d'ingratitude el qu'ils ne tireroient
aucun parti d'un allié qui n'agissoit que pour
ses propres intérêts; d'autres fois il leur disoit,
comme si la force de la conviction lui eût arra-
ché ces paroles: ->•> Il est temps. Messieurs, que
î» vous sortiez de la tutelle où les rois de Prusse
^9 et de Sardaigne et nombre de petits Princes
9? vous tiennent ; leur politique ne tend qu'à
î5 semer la zizanie entre les grandes puissances,
î5 ce ciui leur procure des moyens d'agrandisse-
59 ment : nous ne faisons la guerre cpie pour
î? eux; il n'y a qu'à nous entendre, et nous
V prêter mutuellement à des arrangemens qui en
" ôtant tout sujet de diiférent entre les premières
55 puissances de l'Europe, servent de base à une
5» paix solide et permanente. » Ces idées paru-
rent d'abord bizarres à une nation qui avoit pris
l'habitude , par une longue suite de guerres , de
regarder la maison impériale comme son enne-
mie perpétuelle. Quoique le ministère françois
se sentît flatté de l'idée de ces grandes puissances
DE SEPT ANS. 43
qui donneroient des lois à l'Europe , et de cette
paix perpétuelle, cependant d'autres considé«
rations le retenoient encore. Le comte Kaunitz,
sans se rebuter 5 revint souvent à la charge ; à
force de répéter les mêmes propos , la cour de
France , se familiarisant avec ces idées , vint à se
persuac^r insensiblement que ces deux gran-
des maisons n'étoient pas aussi incompatibles
que leurs ancêtres l'avoient cru. Il falloit du
temps à ce germe pour se développer et pour
se fortifier. Toutefois la doctrine du comte
Kaunitz fit des prosélytes, et causa quelques re-
froidissemens entre la cour de Versailles et celle
de Berlin. On le remarqua surtout à la mission
de milord Tirconel à Berlin. Ce ministre ,
effarouché de cette idée de tutelle que le
comte Kaunitz avoit tant rebattue , parloit sans
cesse avec affectation de l'indépendance des
grandes puissances. Un jour il tint même des
propos assez imprudens , dont le sens étoit :
Pour peu que le rci de Prusse tergiverse avec
nous ^ nous le laisserons tomber^ et il sera écrasé.
Les François conservèrent cependant les dehors
d'une amitié de bienséance vis-à-vis du Roi,
quoique la cour de Versailles , ne regardant pas
44 HIST. BE LA GUEHRE
des liaisons à prendre avec l'Impératrice -reine
comme impossibles, ne se sentît plus d'éloigne-
ment pour elle. Les choses restèrent en France
sur ce pied , jusqu'à ce que les vexations des An-
£[lois obligèrent Louis XV à recourir aux armes.
I^e La cour de V ienne , ne trouvant pas dans
celle de Versailles autant de iacuite qu elle se
l'étoit promis, toujours occupée cependant à
lier sa partie , se tourna vers celle de Péter-
bourg, où elle mit tout en mouvement pour
rendre son union plus étroite avec îa Russie , et
pour brouiller l'impératrice Elisabeth avec le *
roi de Prusse; un ministre russe étoit sûr que
sa haine contre la Prusse lui étoit payée , et les
Autrichiens en augmentoient le salaire, à me- ,
sure qu'il y mettoit plus d'aigreur. Ceux qui
étoient à la tête du gouvernement ne cher-
choient donc qu'à semer la discorde entre les
cours de Péterbourg et de Berlin, et une chose
innocente par elle - même leur en fournit le
prétexte. La nécessité d'établir une balance
dans le Nord avoit déterminé la France , la
Prusse et la Suède, à faire une triple alliance.
Le comte Bestuchew affecta d'en prendre om-
brage; il remplit l'Impératrice d'appréhensions ^
DESEPTANS, 45
et porta les clioses au point, que tout de suite
les Russes formèrent des camps considérables
en Finlande sur les frontières des Suédois , et
en Livonie vers celles de la Prusse. Ces dé-
monstrations se renouvelèrent depuis toutes les
années. Dans des conjonctures aussi critiques ly^o.
il s'éleva un différent entre la Russie et la Suède
touchant les limites de la Finlande , qu'on n'a-
voit pas assez exactement déterminées par le
, traité d'Abo. Ce prétexte fâcheux donnoit aux
Russes la liberté de commencer la guerre, lors-
qu'ils le jugeroient à propos. La cour de
Vienne fomenta ces dissensions, dans le dessein
d'inquiéter le roi de Prusse , et de l'induire à
quelque fausse démarche , qui pût le commettre
avec la Russie. Cependant l'Impératrice -reine
se contenta de fournir des alimens à l'aic^reur
des deux cours , sans précipiter le moment de
la rupture. La situation où le Roi se trouvoit
étoit délicate et embarrassante ; elle auroit pu
devenir dangereuse , s'il n'eût pas eu le bon-
heur d'être informé des desseins les plus secrets
de ses ennemis, en se procurant toute la cor-
respondance des ministres de Saxe avec les
cours de Vienne et de Péteibouro;. Le comte
46 HIST. DE LA GUERIIE
de ''^^'■'' se sentoit humilié par la paix de Dres*
de ; il étoit jaloux de la puissance du Roi , et
travailloit de concert avec la cour de Vienne à
Péterbourg, pour y communiquer la haine et
l'envie dont il étoit dévoré. Ce ministre ne
respiroit que la guerre; il se flattoit de profiter
des premiers troubles de l'Europe , pour abais-
ser un voisin dangereux de la Saxe; il compre-
noit que cet électorat ne seroit pas épargné , et
que les premiers efforts des Prussiens s*y porte-
roient: et toutefois il laissoit dépérir l'état mili-
taire. Nous n'examinerons pas si sa conduite
fut bien conséquente; il ne devoit pas ignorer
que tout Etat se trompe, qui 5 au lieu de se re-
poser sur ses propres forces, se fie à celles de
ses alliés.
Il n'y avoit donc rien de caché pour le Roi ;
et les fréquentes nouvelles qu'il recevoit, lui
servoient comme de boussole pour se diriger
au milieu des écueils qu'il avoit à éviter , et
l'empêchoient de prendre de pures démonstra--
tions pour un dessein formé de lui déclarer in-
cessamment la guerre. L'ascendant de la cour
de Vienne sur celle de Péterbourg augmentoit
cependant de jour en jour; il devoit s'accroître
DE SEPT ANS. 47
rapidement, parce que l'esprit du Ministre étoit
préparé à recevoir favorablement les impres-
sions qu'on pouvoit lui donner des Prussiens.
Le comte de Bestuchew avoit soupçonné M.
de Mardefeld, ministre du Roi, d'être d'intelli-
gence avec M. de la Chétardie, pour lui fiiie
perdre son poste. Afin de se venger de ces
(
offenses particulières , il engagea l'Impératrice
à conclure une alliance avec les cours de Vien-
ne et de Londres. Ce traité étoit avantageux à Traité
la Russie par deux raisons: premièrement par- " *^
ce que Tunion de la maison d'Autriche étoit
convenable à la Russie, pour s'opposer conjoin-
tement aux entreprises de la Porte; et en second
lieu par les subsides de l'Angleterre , qui depuis
inondèrent Péterbour;^. Les choses étant ainsi
disposées, il ne fut pas difficile à l'Impératrice-
reine de rompre toute correspondance entre la
Prusse et la Russie ; ni les ménagemens que le
Roi gardoit dans ces circonstances scabreuses , ni
une conduite toujours mesurée qu'il tint vis-à-vis
de la cour de Péterbourg, ne purent em.pècher
que les choses n'en vinssent bientôt à un éclat.
Un homme d'une extraction obscure , re- 1753.
vêtu du caractère de ministre de Russie, fut
/
48 HIST. D£ LA GUEPvRE
l'instrument dont M. de Bestuchew se servit
pour brouiller les deux cours. Ce ministre ,
chargé de saisir la première occasion d'en ve-
nir à une rupture , prit le premier prétexte
qui se présenta pour remplir les intentions de
sa cour. Le Roi donnoit des fêtes à Charlot-
tembourg à l'occasion du mariage du prince
Henri avec la princesse de Hesse. Les ministres
étrangers y parurent : le fourrier de la cour eut
ordre de les inviter tous à souper; il s'acquit-
ta de sa commission, mais il ne put trouver
le ministre russe , qui étoit parti exprès une
demi-heure avant les autres. Ce ministre dé-
clara le lendemain qu'il ne paroîtroit plus à la
cour après l'aHront fait à l'Impératrice en sa
personne , et qu'il attendroit le retour de son
Courier de Péterbourg , pour régler sa conduite
ultérieure sur les ordres qu'il en recevroit : ce
Courier arriva ; le ministre russe partit sur le
champ et furtivement de Berlin , escorté pen-
dant qu'il traversoit la ville par les secrétaires
de légation autrichiens et anglois. L'évasion
de ce ministre obligea le Roi à rappeler égale-
ment son ministre de Péterbourg. Dès que les
Autrichiens furent délivrés en Russie d'un mi-
nistre
D E s E P T A N s. 49
nistre prussien qui les gênoit, ils lâchèrent la
bride à leur mauvaise volonté, et n'eurent point
honte de débiter les mensonges et les calom-
nies les plus atroces , pour envenimer l'esprit
de l'impératrice Elisabeth contre le Roi. Ils
lui persuadèrent que ce Prince avoit tramé un
complot contre sa vie, afin d'élever le prince
Iwan sur le trône. L'Impératrice , qui étoit
d'un caractère indolent et facile, les crut sur
leur parole , voulant s'épargner la peine d'exami-
ner la chose , et conçut pour le Roi une haine
irréconciliable. La France n'avoit dans ce
temps aucun ministre à Péterbourg ; celui que
la Suède y eutretenoit étoit plus russe que
suédois , et par conséquent peu propre à servir
le Roi : de sorte qu'il n'y avoit aucune voie
pour parvenir à l'Impératrice, et pour la tirer
de l'erreur où la jetoient le ministre d'Autriche
et ses créatures. La cour de Vienne , satisfaite
des sentimens de haine et d'animosité dont elle
avoit rempli la cour de Péterbourg contre la
Prusse 5 étoit trop habile pour pousser les choses
plus loin ; elle se contenta d'avoir disposé les
esprits à la rupture , mais n'en voulut pas pré-
cipiter l'événement , pour achever ses arrange-
Tome III. D
1755.
50 HIS T. DELA GUERRE
mens intérieurs, et pour attendre qu*une occa-
sion favorable lui permît de mettre au jour ses
vastes projets. C'étoit ainsi que la cour de
Vienne agitoit toute l'Europe, et tramoit sour-
dement contre la Prusse une confédération que
le premier événement important devoit faire
éclater.
Cependant les différens que la Suède avoit
avec la Russie pour les frontières de la Finlande
furent terminés à l'amiable ; mais vers la fin de
l'année 1756 il se fit dans ce royaume une
espèce de révolution, dont nous ne saurions
nous dispenser de parler en peu de mots , parce
que ses suites influèrent sur les affaires générales
de l'Europe : voici ce qui y donna lieu. La
cour s'étoit depuis long -temps brouillée avec
les sénateurs du parti françois , à cause d'une
place de major général vacante, que le Roi
destinoit à M. de Lieven , et le sénat à M. de
Fersen. Le sénat l'emporta. La cour , vive-
ment piquée de cet affront , contraria depuis
dans toutes les occasions le parti françois. Les
comtes de Brahé et de Horn , et le sieur de
Wrangel , avec nombre de seigneurs des pre-
mières familles du royaume, attachés au parti
DE SEPT ANS. 5I
de la cour, lui firent espérer la supériorité à la
diète, en faisant élire un maréchal qui fût en-
tièrement à sa dévotion. Cependant l'événe-
ment tourna d'une manière toute opposée, et
le comte Fersen , ennemi de la cour , obtint
cette charge par les intrigues et l'appui de la
faction françoise. Dans cette diète, commencée
le 17 Octobre 1755, le sénat, fier de sa supé-
riorité, présenta un mémoire aux Etats, pour
décider le grand différent qui subsistoit entre lui
et le Roi au sujet de la distribution des charges.
Comme les juges étoient à la disposition de
l'ambassadeur de France , le sénat triomplia ;
il abusa de sa victoire , et s'en servit pour dimi-
nuer cette ombre d'autorité dont le Roi avoit
joui jusqu'alors selon les lois du royaume. L'in-
solence de ces magistrats alla même jusqu'à
dépouiller la Reine des joyaux de la couronne,
et de ceux qui lui avoient été donnés; il s'en
fallut peu qu'au mépris de la majesté souveraine
ces sénateurs séditieux n'entreprissent de ren-
verser le trône. Ces procédés outrageans firent
de vives impressions sur la cour, et sur ceux
qui lui étoient attachés , principalement sur
l'esprit des comtes Brahé et Horn et du sieur de
D Q
52 HIST. DE LA GUEUPcE
Wrangel. Ces seignei/rs s'assemblèrent dans
les premiers mouvemens de leur indignation,
et résolurent de changer par un coup hardi la
forme du gouvernement. Le Roi n'eut pas
assez d'ascendant sur eux, pour les engager à
tempérer îe parti violent qu'ils avoient pris:
leurs mesures , concertées tumultuairement ,
furent plus mal exécutées encore ; et par un
mélange d'audace et de timidité, ils hésitèrent
su iTioment de l'exécution. Une entreprise
différée est d'ordinaire découverte ; quelques?
amis foibles, auxquels ils s'étoient confiés, les
trahirent. Le sénat prit des mesures vigou-
reuses, pour se mettre à l'abri de toute entre-
prise. Le comte Brahé fut arrêté ; le sieur de
Wrangel et quelques autres seigneurs de ce
parti eurent le bonheur de se sauver. Le nom
du Koi parut dans la déposition des conjurés.
Enfin le comte Brahé, et plusieurs personnes
d'une naissance obscure, périrent sur l'écha-
faud, et le Roi fut entièrement dépouillé des
prérogatives dont son prédécesseur et lui avoient
joui selon la forme de gouvernement établie
depuis la mort de Charles XîL Dès - lors
M. d'Lîavrincourt, ambassadeur de France, fut
DE SEPT ANS. 53
véritablement roi de Suède ; il gouverna des-
potiquement cette nation, et l'engagea depuis
dans la guerre d'Allemagne d'une manière irré-
gulière , et opposée aux constitutions du gou-
vernement : ce qui ne seroit pas arrivé, si le roi
légitime avoit conservé l'autorité dont il dcvoit
jouir selon les lois. Tout le service que le roi
de Prusse put rendre à son beau-frère, fut de
représenter à la cour de Versailles qu'il seroit
séant de faire chanc^er de conduite au ministre
o
arrogant qui mettoit toute la Suède en com-
bustion ; mais la France aimoit mieux voir
M. d'Havrincourt à la tête de ce royaume que
celui qui en étoit le roi légitime.
L'année précédente il étoit survenu un Bu Dane-
autre démêlé , mais moins fâcheux , entre la 1704.
Prusse et le Danemarck. C'étoit au sujet d'un
procès que la comtesse de Bentinck avoit avec
son mari. Cette femme avoit cédé au comte
de Bentinck une terre située sur la frontière
de rOstfrise, et depuis elle s'étoit repentie du
contrat formel qu'elle avoit passé pour cet
objet. Les juges ordonnèrent le séquestre : le
Roi, en qualité de directeur du cercle de
Wcstphalie, devoit en être chargé; la cour de
D 3
54 HIST. DE LA GUEB.IIE
Vienne en donna la commission au roi de
Danemarck. Ce prince y envoya des troupes;
les Prussiens les prévinrent ; le roi de Da-
nemarck prit feu, et il auroit employé des
menaces , si sa modération ne l'avoit retenu.
Cependant cette affaire fut appaisée par la
médiation de la France. Tout le monde étoit
content : mais la comtesse de Bentinck, qui
aimoit à chicaner , rompit l'accord qu'on avoit
moyenne; elle alla plaider à Vienne, d'où elle
retourna dans son comté; et comme personne
ne parut disposé à se mêler de ses affaires, son
procès demeura indécis.
Il sembloit qu'il se fût répandu en Europe
gieterre. j^jr^^t cctte paix uu csprit de discorde qui
1755. divisoit toutes les cours. Il survint au Roi des
diff'érens avec l'Angleterre , qui pensèrent le
commettre avec cette couronne. Durant la
dernière guerre les armateurs anglois avoient
enlevé quelques vaisseaux appartenant à des
marchands prussiens. Les Anglois étoient juge
et partie dans leur propre cause , de sorte que
le tribunal de leur amirauté déclara ces vais-
seaux de bonne prise. Le Roi , après avoir fait
les représentations convenables à la cour de
DE SEPT ANS. 53
Londres, mit l'affaire en négociation. Les An-
glois ne se relâchèrent point, et tinrent peu de
compte de ce qu'on alléguoit sur l'illégalité de
leurs procédés; enfin, après avoir inutilement
épuisé toutes les voies de conciliation, il ne
resta d'autre expédient, pour indemniser les
sujets prussiens., que de mettre en séquestre la
somme que le Roi devoit aux Anglois, selon
qu il s'y étoit engagé par la paix de Breslau.
C'étoit le remboursement de 1,800,000 écus,
que la maison d'Autriche avoit em^pruntés sur
la Silésie , pour soutenir la guerre contre la
Porte en 1737 et 1738. Le dernier terme qui
restait à acquitter des 300,000 écus fut arrêté.
Les Anglois en furent irrités; cela donna lieu à
des déclarations assez vives de part et d'autre :
le ministre d'Autriche à Londres se donna de
grands mouvemens pour envenimer cette affaire,
et peut-être auroit-elle eu des suites, si une
querelle beaucoup plus grave entre la France
et l'Angleterre au sujet du Canada n'y eût fait
diversion.
Il n'y eut pas jusqu'au duc de Meclden- Duc de
î • * ^ 1 ^ ^- j ^ Mecklen-
bourg qui, se reposant sur la protection dont
il jouissoit de la part de la cour impériale, ne 1755,
36 HIST. DE LA GUERRE
s'émancipât à chicaner le Roi. Il s'agissoit des
levées de soldats, dont les ancêtres du Roi
avoient été en possession de temps immémo-
rial dans le Mecklenbourg. Le dnc à l'insti-
gation de la cour de Vienne s'y opposa , et
le Roi se fit justice à lui-même ; on enleva
quelques soldats mecklenbourgeois , et l'on ar-
rêta cjuelques baillis qui s'étoient opposés aux
1755. enrôlemens. Le Duc fit grand bruit; mais
voyant que ses éclats n'aboutissoient à rien , il
prit le parti de s'accommoder, et l'affaire fut
terminée à l'amiable. Bientôt après , lorsque
rimpératrice-reine vit la guerre sur le point de
s'allumer entre l'Angleterre et la France, cher-
chant un prétexte pour rompre avec la Prusse ,
elle persuada au duc de Mecklenbourg de por-
ter ses plaintes à la diète de Ratisbonne. La
cour de Arienne auroit voulu faire passer la
chose pour une violation de la paix de West-
phalie , et se servir de ce prétexte pour déclarer
la guerre au Roi et pour réclamer en même
temps le secours des puissances qui avoient
garanti cette paix. Nous verrons" dans la suite
de cet ouvrage que ce prétexte ayant manqué
à la cour de Vienne , il ne ui fut pas difficile
DE SEPT ANS.
57
d'en trouver un autre. L'occasion qu'elle dési-
roit avec impatience ne tarda pas à se pré-
senter ; elle la saisit avec empressement. Lors-
que les souverains veulent en venir à une
rupture, ce n'est pas la matière du manifeste
qui les arrête ; ils prennent leur parti , ils font
la guerre, et laissent à quelque jurisconsulte
laborieux le soin de les justifier.
Si nous n'avons pas fait mention de la Hol- De la
lande dans cet ouvrage , c'est que depuis la ^"^^^^^*
guerre de 1740, sur-tout depuis la mort du Portugal.
Stadhouder, elle ne jouoit aucun rôle en Eu- ^^^^'
jope. Il ne nous reste qu'à rapporter succinte-
ment une calamité singulière , dont le Portu-
gal se ressentit, et qui faillit à bouleverser ce
royaume. Il éprouva un tremblement de terre
dont les secousses furent si violentes, qu'elles
détruisirent la ville de Lisbonne; les maisons,
les églises, les palais, tout fut boideversé, en-
glouti, ou dévoré par les flammes échappées
des entrailles de la terre. Il y périt entre 13
et QO5O00 âmes ; beaucoup d'autres villes et
villages de ce royaume furent ébranlés ou ren-
versés. Ce tremblement de terre se fit sentir le
long des côtes de l'Océan jusqu'aux frontières
58 HIST. DE LA GUERRE
de la Hollande. On ne peut attribuer la cause
de ce malheur qu'aux efforts d'un feu souter-
ïain, qui, resserré dans les entrailles de la terre,
s'est creusé un canal , et a formé un gouffre
sous le Portugal, d'où il tend à s'échapper et
à se mettre en liberté ; et peut - être qu'un
jour la postérité verra naître un volcan à la
place où Lisbonne a subsisté jusqu'ici. Mais
on eût dit que ce n'étoit pas assez des fléaux
du ciel pour affliger ce malheureux globe;
peu après la méchanceté* des hommes arma
leurs mains impies ; ils se déchirèrent pour un
vil amas de boue ; la haine , l'obstination , la
vengeance se portèrent aux derniers excès.
Toute l'Europe nagea dans le sang, et le mal
moral dont le genre humain fut la victime,
surpassa de beaucoup le mal physique dont
Lisbonne avoit éprouvé la rigueur.
uHitumnJMUUijmatuium:^
DE SEPT ANS.
59
CHAPITRE III.
Cause de la rupture entre la France et
ï Angleterre ; négociation de milord
Holderness ; alliance de la Prusse et
de l'Angleterre; ofres de M. Rouillé;
ambassade du duc de Niçernois ; la
France piquée; guerre déclarée aux
Anglois; le duc de Richelieu prend le
cap Breton; bateaux plats qui épou-
vantent les Anglois ; ils font venir des
Hanovriens et des Hessois; les Russes
se renforcent sur la frontière de la
Prusse; les Autrichiens rassemblent
deux armées en Bohème; intelligence
dans les archives de Dresde^ ou tout le.
mystère d'iniquité se découvre; brouil-
leries avec T Autriche; raisons pour
déclarer la guerre ; première disposi-
tion des troupes ; projet de campagne.
/i-PRÈS nous ctre fait une idée de la situation
où se trouvoient les puissances de l'Europe au
l'j jj.
6o HIST. DE LA GUERRE
commencement de l'année 1755,1! faudra vou:5
mettre sous les yeux les causes des dissensions
qui donnèrent lieu à la guerre entre la France
et l'Angleterre. Les affaires présentes tiennent
si fort aux événemens passés, qu'il faut remon-
ter au traité d'Utrecht pour arriver aux sources
de ces brouilleries. Elles tirent leur origine
d'anciens démêlés que les François avoient eus
avec les Anglois sur les limites du Canada.
Louis XIV, pressé de conclure le traité d'U-
trecht , afin de détacher la reine Anne de la
grande alliance, ordonna à ses plénipotentiaires
de signer sans chicane. Ces plénipotentiaires se
servirent de termes équivoques, pour marquer
les limites du Canada sur lesquelles rouloit
le différent. Ce que la France gagnoit par ce
.traité, valoitplus que toutes ses possessions dans
cette contrée stérile. Mais dès que les troubles
de l'Europe furent appaisés , les Anglois et les
François interprétèrent chacun à leur avantage
l'article des limites de leurs possessions en Amé-
rique. Il y eut quelques débats entre les colo-
nies de ces deux nations , sans cependant que
ces querelles sourdes dégénérassent en hostilités
ouvertes. Par le traité de paix d'Aix-la-cha-
DESEPTAKS. 6l
pelle on auroit dû applanir toutes les difficultés.
M. de S. Séverin et ses collègues, obligés par
les ordres réitérés de la cour de France d'accé-
lérer la signature des préliminaires , renvoyè-
rent la discussion des limites de ces colonies à
l'examen des commissaires que les deux cours
nommeroient après la conclusion de la paix : ces
commissaires s'étant assemblés, loin que leurs
conférences rapprochassent les esprits des deux
nations , le mécontentement et l'aigreur n'allè-
rent qu'en augmentant. L'ambassade du duc
de Mirepoix, et la négociation qu'il entama à
Londres , ne produisit rien ; on se reprochoit
mutuellement de la mauvaise foi. Les trou-
pes angloises et françoises dans l'Amérique en
venoient à des hostilités ; elles s'enlevoient des
forts , et on se faisoit déjà la guerre sans se l'être
déclarée. Dans les relations de ces contrées les
officiers anglois ne manquoient pas de rejeter
la faute de leurs violences sur les François : ils
envoyoient de part et d'autre des factums,
pour justifier leur conduite; la ville de Londres
en étoit inondée. La nation angloise, facile à
s'enflammer lorsqu'elle croit avoir à se plaindre
de la France , déjà mécontente de la paix d'Aix-
02 HIST. DE LA GUERRE
la -chapelle, ne respiroit que la guerre; la
conduite du duc de Cumberland acheva de
rendre cette fermentation générale. Il voyoit
que le grand âge du Pvoi son père l'approchoit
des bornes de la vie ; pour augmenter son
crédit, et pour avoir plus d'influence dans le
régne suivant , il avoit formé le dessein de rem-
plir le conseil de ses créatures , et de faire passer
tous les grands emplois de la couronne à des
personnes cjui lui fussent entièrement dévouées.
Il s'étoit déterminé dans son choix en faveur du
sieur Fox , qu'il destinoit à la place de chef de
la trésorerie , et à tous les emplois dont le duc
de Newcastle étoit revêtu. Mais cette élévation
du sieur Fox ne pouvoit avoir lieu qu'en dépla-
çant le duc de Newcastle : et cela étoit d'autant
plus difficile , que ce seigneur jouissoit d'un
grand crédit sur l'esprit du Roi; qu'il étoit con-
sidéré dans le parlement par ses longs services,
par sa vertu, et par son bon naturel; qu'il étoit
estimé de la nation à cause de ses immenses
richesses, de toutes les places qu'il avoit à don-
ner, et enfin du nombre de membres du parle-
ment que ses possessions lui donnoient le droit
d'élire. Le duc de Cumberland imagina que
DE SEPT ANS. 63
le meilleur moyen pour faire abandonner au
duc de Newcastle ses grands emplois, seroit
d'engager la nation dans une guerre avec la
France , par où il mettroit le ministre dans la
nécessité d'ajouter de nouvelles dettes à celles
dont le gouvernement étoit déjà surchargé; ce
qui fourniroit des griefs à l'opposition : ou bien
il se flattoit de profiter des mauvais succès pos*
sibles au commencement d'une guerre, pour en
rejeter la faute sur le ministre , et le détermi-
• ner à force d'inquiétudes et de persécutions à
renoncer de lui-même à ses emplois. Ce projet
étoit vaste et compliqué. Pour le mettre en
exécution, il falloit commencer par envenimer
les querelles des deux nations , et les porter à
rompre la paix. Cela fut f;icile : au seul nom
de François le peuple de Londres entre en
fureur ; les matières combustibles étoient ras-
semblées , elles s'embrasèrent bien vite. Ce
peuple fougueux obligea le roi George à faire
quelques arméniens. Une démarche en entraî-
na insensiblement une autre; on en vint à des
voies de fait; des violences donnèrent lieu à
des représailles, et dès la fin de 1754 ^^ guerre
. entre les deux nations parut inévitable. On
64 HIST. DE LA GUERRE
remarqua cependant que le ministère de Ver-
sailles agit avec plus de mesure et de modé-
ration , et que les mauvais pïocédés venoient
tous de la part des Anglois.
Les deux R-ois, se voyant rhénacés de la
guerre , tâchèrent chacun de leur côté de fortifiez
leur parti, en resserrant les anciennes alliances,
ou en en formant de nouvelles. Le Roi fut alors
recherché par les François et par les Anglois. Son
alliance avec la cour de Versailles n'étoit point
expirée : toutefois les possessions des François
aux Indes étoient exceptées des garanties de
la Prusse; et dans ces conjonctures il paroissoit
que le partage des Prussiens seroit de demeurer
neutres pendant ces troubles , et d'en être les
simples spectateurs. Ce n'étoit pas ce que l'on
pensoit à Versailles ; la cour paroissoit croire
que le roi de Prusse étoit à l'égard de la
France , ce qu'est un despote de V alachie à
l'égard de la Porte, c'est-à-dire, un prince sub-
ordonné , et obligé de faire la guerre dès qu'on
lui en envoie l'ordre. Elle se persuadoit de
plus , qu'en portant la guerre dans l'électorat de
Hanovre, elle feroit mollir le roi de la Grande-
Bretagne 5 et termineroit ainsi au centre de
TEm-
DE SEP T A NS. 65
l'Empire les difîérens qui subsistoient aux In-
des entre elle et les Anglois. M. Rouillé, alors
ministre des affaires étrangères , dit un jour à
M. de Knyphausen, dans l'intention d'engager
le Roi à contribuer à cette diversion : ^9 Ecrivez ,
« Monsieur , au roi de Prusse, qu'il nous assiste
'>'> dans l'expédition de Hanovre; il y a là de
•>•> quoi piller : le trésor du roi d'Angleterre est
If' bien fourni, le Roi n'a qu'à le prendre; c'est,
->•> Monsieur, une bonne capture." Le Roi lui
fit répondre que de pareilles propositions étoient
convenables pour négocier avec d'autres , et
qu'il espéroit qu'à l'avenir M. Rouillé vou-
droit bien apprendre à distinguer les personnes
avec lesquelles il avoit à traiter. Ces négocia-
tions devinrent plus vives sur la fin de 1755.
Le roi George , informé du dessein des François ^
alarmé de l'orage qui menaçoit son électorat,
se persuada que la manière la plus sûre de le
conjurer étoit de conclure luie alliance défen-
sive avec la Prusse; il savoit que les liens qui
unissoient le roi de Prusse au roi de France
étoient sur le point de finir, parce que le terme
du traité de Versailles expiroit au mois de Mars
de l'année 1756, et il chargea mylord Holder^
TomQ III. E
66 HIST. DE LA GUERRE
nes3 , son secrétaire d'état , d'entamer la négo-
ciation avec la cour de Berlin. Mylord Hol-
derness , incertain des dispositions du roi de
Prusse sur cette alliance, pour ne point exposer
son maître à un refus direct, en hasarda les
premières propositions par le duc de Bronswic.
Ces ouvertures se iirent sous le prétexte d'assu-
rer le repos de l'Allem.agne contre le danger
dont la menaçoit une guerre prochaine. On
demandoit au Roi d'entrer dans des mesures
qui pussent assurer et allermer la tranc[uillité
publique. Cette proposition tiroit à grande
conséquence : dans la situation où se trouvoit
alors la Prusse, le parti qu'elle alioit prendre
influoit sur la paix et sur la guerre. Si l'on
renouveloit le traité avec la France , il falloit
attaquer l'électorat de Hanovre; ce qui étoit
s'attirer sur les bras les forces des Anglois , des
Autrichiens et des Russes. Si l'on concluoit
une alliance avec l'Angleterre , il étoit probable
que les François ne portoient point la guerre
dans l'Empire, et que la Prusse se trouveroit
liée avec la Grande-Bretagne et avec la Russie;
ce c[ui sembloit obliger l'Impératrice -reine à
demeurer en paix, quelque envie qu'elle eût de
DE SEPT ANS. 6/
reconquérir la Silésie, et quelques préparatifs
qu'elle eût faits pour agir aussitôt que l'occa-
sion le lui permettroit. Avant que de se dé-
terminer, le Roi jugea néanmoins à propos de
s'assurer de la façon de penser de la cour de
Russie : mais comme il avoit dans la personne
du chancelier Bestucliew un ennemi déclaré, il
ne. fut pas possible de tirer des éclaircissemens
directs de Péterbourg même , où toute intelli-
gence entre les deux cours étoit rompue; il eut
donc recours au S^ de Klinggra^fF, sbn ministre
à la cour impériale, et à mylord Holderness
lui-même , pour savoir dans quels termes la
Russie étoit avec l'Angleterre , et surtout si
c'étoit la cour de Vienne ou celle de Londres
qui avoit plus d'influence à Péterbourg. Le S^.
de Klinggrseiï répondit que les Russes étant une
nation intéressée, il n'y avoit aucun doute
qu'ils ne fussent plus attachés à ceux qui pou-
voient les acheter , qu'à ceux qui n'avoient rien
à leur donner; que l'Impératrice -reine man-
quoit souvent de ressources pour ses propres
dépenses; cju'ainsi les Russes s'en tiendroient
aux Anglois , que des richesses immenses met-
toient en état de leur payer de gros subsides.
E Q
68 HIST. DE LA GUERRE
La réponse de mylord Holderness portoit que
l'intelligence entre l'Angleterre et la Russie étant
parfaite , le roi George comptoit fermement
sur l'amitié de l'impératrice Elisabeth. Les in-
formations que le Roi tiroit de son ministre à
la Haye se trouvèrent quadrer si bien avec ce
qu'on lui avoit écrit de Vienne et de Londres,
qu'il crut que tant de personnes ne pou voient
se tromper toutes sur le même sujet , et que
leurs conjectures étant les mêmesj elles dévoient
être justes. Ce fut ce Cjui le détermina ; il
entra en négociation avec l'Angleterre, et fit
répondre à mylord Holderness cju'il n'étoit pas
éloigné de prendre avec le roi de la Grande-
Bretagne des mesures innocentes, défensives, et
uniquement relatives à la neutralité de l'Alle-
magne. Ces deux puissances se trouvant d'ac-
cord sur les principes de leurs liaisons , elles
parvinrent bientôt à la conclusion du traité, qui
fut signé à Londres le 16 Janvier 1736. Ce
traité contenoit quatre articles , dont les trois
premiers étoient relatifs aux garanties récipro-
ques que ces deux puissances se donnoient pour
la sûreté de leurs propres Etats ; le dernier re-
gardoit directement l'Allemagne, et portoit des
DE SEPT ANS. 69
engagemens pour empêcher que des troupes
étrangères n'y entrassent. Il y avoit deux ar-
ticles secrets ; on convenoit par l'un que les
Pays - bas autrichiens seroient exceptés de la
garantie de l'Allemagne, et par l'autre l'Angle-
terre s'engageoit à payer 20,000 livres sterlings
aux négocians prussiens qui avoient à prétendre
un dédommagement des prises non restituées
que les Anglois avoient faites sur eux pendant
la dernière guerre. Ce traité arriva , signé , à
Berlin environ un mois après que le duc de
Nivernois s'y fut rendu. Louis XV envoyoit
ce seigneur au Roi , pour renouveler l'alliance
de Versailles dont le terme alloit finir, et plus
encore pour faire entrer la Prusse dans le projet
que la France méditoit contre l'électorat de Ha-
novre. L'argument le plus fort qu'employa le
duc de Nivernois , pour engager le Roi dans
cette alliance et dans cette guerre , fut de lui
offrir la souveraineté de l'île de Tabago. Il
faut savoir qu'après la guerre de 1740 les Fran-
çois avoient donné cette île au comte de
Saxe ; et comme les Anglois en parurent très-
mécontens, il fut stipulé qu'elle demeureroit
déserte et ne pourroit être cultivée par aucune
E3
yO HIST.^ DE LA GUERKE
nation. Cette offre étoit trop singulière pour
être reçue. Le Roi tourna la chose en plaisan-
terie, et pria le duc de Nivernois de jeter les
yeux sur quelqu'un qui fût plus propre que
lui à devenir gouverneur de l'île de Barataria;
il déclina de même le renouvellement d'alliance
et la guerre dont il avoit été question; et pour
agir avec la plus grande candeur vis-à-vis de
la France, pour la convaincre de l'innocence
des nouveaux engagemens qu'il avoit pris avec
l'Angleterre, il ne fit point difficulté de mon-
trer en original au duc de Nivernois le traité
qui venoit d'être signé à Londres. La nouvelle
de cette alliance causa une vive sensation à
Versailles dans l'esprit de Louis XV et de son
conseil; peu s'en fallut qu'ils ne dissent que le
ïoi de Prusse s'étoit révolté contre la France.
Examiné par un esprit impartial , le fait étoit
différent. L'alliance de la Prusse avec la France
alloit expirer dans deux mois; le Roi en qualité
de souverain étoit autorisé à contracter des liai-
sons avec des peuples qui pouvoient assurer à
ses Etats leur plus grand avantage. Il ne man-
quoit donc ni à sa parole ni à son bonheur en
s'unissant avec le roi d'Angrleterre, surtout dans
DESEPTANS. yi
la vue de maintenir en paix par ces nouveaux
arrangemens et ses Etats et toute l'Allemagne.
Mais les P'rançois n'entendirent pas raison : il
ne s'agissoit à Versailles que de la défection du
roi de Prusse , qui abandonnoit perfidement
ses anciens alliés; et la cour se répandit en re-
proches qui firent juger qu'elle ne borneroit
pas son ressentiment à de sim.ples paroles.
Nous avons vu dans le chapitre précédent
par combien de ruses et de souplesse la cour
de Vienne tâchoit de se rapprocher de celle
de Versailles , et avec quelle application le
comte Kaunitz avoit profité de son séjour à
Paris pour familiariser l'esprit de la nation
françoise avec l'idée de l'alliance autrichienne.
Uii moment d'humeur de Louis XV , et la
mode qui s'introduisoit dans le conseil de Ver-
sailles de déclamer contre le roi de Prusse ,
firent tout d'un coup germer cette semence.
La vivacité extrême de la nation françoise lui
fit envisager une alliance avec la maison d'Au-
triche comme un rafinement supérieur de po-
litique. Sur cela le comte de Starenberg fut
chargé par l'Impératrice-reine de proposer l'al-
liance entre les deux cours. On fut bientôt
72 IIIST. DE LA GUERRE
d'accord, parce qu'on vouloit la même chose
des deux côtés; elle fut signée au nom du roi
très-Chrétien par M. Rouillé et l'abbé de Ber-
nis le g de Mai 1756. Ce fameux traité de
Versailles , annoncé avec tant d'ostentation ,
nommé l'Union des grandes puissances , étoit
de sa nature défensif , et contenoit en substance
la promesse d'un secours de 24,000 hommes,
au cas qu'une des puissances contractantes fût
attaquée. Ce fut cependant cette alliance qui
encouragea l'Impératrice -reine à l'exécution
du grand projet qu'elle méditoit depuis long-
temps,
L'union que les maisons d'Autriche et de
Bourbon venoient de former , commençoit à
faire soupçonner que le traité de Londres
pourroit ne pas maintenir la tranquillité de
l'Allemagne. La paix ne tenoit plus qu'à un
cheveu; il ne s'agissoit que d'un prétexte, et
quand il ne faut que cela, la guerre est comme
déclarée; bientôt elle parut inévitable, car on
apprit que tous les politiques s'étoient trom-
pés sur le compte de la Russie» Cette puissance,
chez laquelle les intrigues des ministres autri-
chiens prévalurent , rompit avec l'Angleterre
DESEPTANS. 73
à cause de l'alliance que le^oi de la Grande-
Bretagne avoit conclue avec le roi de Prusse.
M. de Bestuchevv s'étoit trouvé un moment
indécis entre sa passion pour les guinées , et la
haine qu'il avoit pour le Roi; mais la haine
l'emporta. L'impératrice Elisabeth , ennemie
de la nation Françoise depuis la dernière am-
bassade de M. de la Chétardie , aima mieux se
liguer avec elle que de conserver une ombre
d'union avec une puissance qui avoit la Prusse
pour alliée. La cour de Vienne , agissant dans
toutes les cours de l'Europe , profitoit des pas-
sions des souverains et de leurs ministres, pour
les attirer à soi, et les gouverner selon les fins
qu'elle se proposoit.
Durant ces reviremens de système si subits
et si inattendus , les vaisseaux anglois ne gar-
doient plus de mesures avec les François ; leurs
vexations et les attentats qu'ils commettoient ,
poussèrent le roi de France presque malgré lui
à leur déclarer la guerre. Les François annon-
cèrent avec ostentation qu'ils se préparoient à.
faire de leur côté une descente en Angleterre ;
ils répandirent des troupes le long des côtes de
la Bretagne et de la Normandie ; ils firent
74 KIST. DE LA GUERRE
construire des bat«aux plats, pour transporter
ces troupes, et assemblèrent quelques vaisseaux
à Brest. Ces démonstrations épouvantèrent
les Anglois; il y eut des momens où cette
nation 5 qui passe pour si sage, se crut perdue.
Le roi George , afin de la rassurer , eut re-
cours à des troupes Hanoviiennes et Hessoi-
ses, qu'il fit passer dans le royaume. On prit
ainsi le change à Londres ; les François y trou-
vèrent leur compte , et tandis qu'ils faisoient
cet appareil pour un débarquement vis-à-vis
des côtes de la Grande-Bretagne , ils firent
une descente dans l'île de Minorque. Le duc
de Richelieu, chargé de cette expédition, mit
le siège devant Port-Mahon. Les An^rlois ne
o o
s'apperçurent du dessein des François , que
lorsqu'ils l'eurent exécuté ; ils envoyèrent
néanmoins une flotte dans la Méditerannée au
secours de la place assiégée : leur amiral Byng
fut battu par l'escadre françoise. Le gouver-
nement anglois , pour se disculper aux yeux
d'une populace furieuse du malheur qui ve-
noit d'arriver , fut obligé de lui sacrifier une
victime , et fit arquebuser l'amiral Byng , dont
bien des personnes sensées prétendoient prou-
DESEPTANS. 73
ver l'innocence. Le duc de Richelieu essaya
en vain de faire brèche à Port-Mahon, dont
les ouvrages sont taillés dans le roc ; impatient
de ce que le siège tiroit en longueur, il fit
donner un assaut général à la place : les Fran-
çois l'escaladèrent et la prirdpit.
Pendant que la fortune favorisoit les Fran-
çois dans le Sud de l'Kurope , les affaires du
Nord devenoient de jour en jour plus criti-
ques ; les Russes formoient en Livonie des
camps plus forts et plus considérables que tous
ceux qu'ils y avoient eus les années précéden-
tes. La cour de Russie étoit induite à ces dé-
marches par celle de Vienne , qui réclamoit le
traité de Péterbourg , comme si la guerre étoit De l'an-
déclarée, et comme si le cas de l'assistance a voit
1746.
lieu. Une armée de 30,000 Moscovites sur la
frontière de la Prusse devenoit un objet impor-
tant; quelle que fût la cause de cet armement,
l'eff^et en paroissoit redoutable. Le Roi avoit
un canal par lequel il tiroit des avis certains
sur les projets de ses ennemis , qui étoient
près d'éclater; c'étoit un commis de la chan-
cellerie secrète de Dresde, qui remettoit toutes
les semaines au ministre prussien les dépêches
76 HIST. DE LA GUERRE
que sa cour recevoit de Péterbourg et de
Vienne , ainsi que la copie de tous les traités
qu'il avoit trouvés dans les archives. Il parut
par ces écrits que la cour de Russie s'excusoit
de ne pouvoir entreprendre la guerre cette
année, à cause que sa flotte n'étoit pas en état
d'entrer en mer ; mais elle promettoit en re-
vanche de plus grands efforts pour l'année pro-
chaine. Sur ces éclaircissemens le Roi prît le
parti d'envoyer , en guise de réserve , un corps
enPoméranie, composé de 10 bataillons et de
20 escadrons. Ces troupes se cantonnèrent
Août, aux environs de Stolpe , où elles ne pouvoient
donner aucune jalousie à la Russie , et où néan-
moins elles étoient à portée de renforcer le
maréchal de Lehwald, dès qu'il seroit dans le
cas d'appréhender quelque entreprise de la part
des ennemis.
Bientôt la cour de Vienne rassembla plus
de troupes en Bohème qu'à son ordinaire : elle
en forma deux armées; l'une, sous les ordres
du prince Piccolomini , campa près de Kœnigs-
graetz ; la principale , commandée par le maré-
chal Braun ( Broune), s'établit près de Prague.
Ce n'étoit pas assez : la cour amassa en Bohème
DE SEPT ANS. 77
des magasins de guerre ; elle fit rassembler des
chevaux pour le transport des vivres , et pour
la nombreuse artillerie qu'elle vouloit employer
dans son armée; en un mot elle faisoit de ces
préparatifs qui d'ordinaire n'ont lieu que lors-
qu'une puissance se propose d'en attaquer une
autre. Les dépêches de Dresde, qui venoient
au Roi, étoient remplies des projets que for-
moit la cour de Vienne d'attaquer les états du
Roi 5 et apprenoient que faute d'un meilleur
prétexte l'ïmpératiice- reine s'en tiendroit à
celui que fournissoit le difîérent que le Roi
avoit eu avec le duc de Mecklenbourg. Ce
o
différent étoit une bagatelle , et l'affaire étoit
accommodée et assoupie. Il s'étoit agi du droit-
de faire des recrues. Le Duc s'étoit avisé de
trouver mauvais qu'on l'exerçât; après qu'on
lui eut prouvé la justice de la chose, comme il
ne vouloit pas se rendre, le Roi se fit justice à
lui-même. Quoiqu'il ne fût plus question de
cette misère, l'Impératrice voulut la rappeler;
elle prétendoit faire envisager les procédés du
Roi comme contraires aux lois de l'Empire, et
comme une violation de la paix de Westpha-
lie : ce qui devoit l'engager à prendre fait et
78 HIST. DE LA GUERRE
cause pour le duc de Mecklenbourg , et à ré-
clamer l'assistance de tous les garans de cette
paix de Westplialie. La connoissance qui- vint
au Roi de ce dessein, jointe aux mouvemens
de trois armées sur ses frontières > qui mena-
çoient d'un jour à l'autre d'une rupture ouver-
te, donna lieu à l'explication que demanda
le Roi à la cour de Vienne sur la cause de ce
grand armement; on pria cette cour de faire
une réponse cathégorique , pour qu'on sût si
elle avoit intention de maintenir I5 paix avec
le Roi, ou de la rompre. La réponse du comte
Kaunitz se trouva conçue en termes équivo-
ques et ambigus; mais il s'expliqua plus ouver-
tement avec le comte de Flemming, ministre
du Roi de Pologne à Vienne, lequel rendit
compte de cet entretien dans une relation à sa
cour. La copie de cette dépêche fut envoyée
incontinent de Dresde à Berlin; le comte Flem-
ming y dit : ^' Le comte Kaunitz se propose
î' d'inquiéter le Roi par ses réponses et de le
î' pousser à commettre les premières hostilités.»
ïl est vrai que le style en étoit si arrogant et
si fier, qu'il en résultoit assez clairement que
rimpératrice-reine vouloit la guerre , et même
DE SEPT ANS. 7g
qu'elle vouloit que le E.oi passât pour l'agrcs-.
seur. Il étoit néanmoins probable que cette
année s'écouleroit encore sans que les ennemis
de la Prusse en vinssent aux dernières extrémi-
tés, parce que la cour de Péterbourg vouloit
différer la guerre jusqu'à l'année suivante , et
qu'il étoit apparent que l'Impératrice -reine
attendroit que tous ses alliés fussent prêts, pour
attaquer le Roi à forces réunies. Ces considé-
rations dormérent lieu d'examiner ce problè-
me : s'il étoit plus avantageux de prévenir ses
ennemis en les attaquant incontinent, ou s'il
valoit mieux attendre qu'ils eussent achevé
leurs grands préparatifs , en remettant à leur
discrétion les entreprises qu'ils trouveroient
bon de former. Quelque parti que l'on prît
dans ces conjonctures , la guerre étoit égale-
ment sûre et inévitable; il falloit donc cal-
culer s'il y auroit plus d'avantage à la dif-
férer de quelques mois , ou à la commen-
cer incessamment ? Vous verrez par la suite
de cette histoire que le roi de Pologne étoit
un des plus zélés partisans de l'union que
rimpératrice - reine avoit formée contre la
Prusse. L'armée saxonne étoit foible ; on
8o HIST. DE LA GUEURE
savoit qu'elle montoit à peu près à 18,000
hommes : mais on savoit aussi que pendant
l'hiver même cette armée devoit être augmen-
tée 5 et qu'on vouloit la porter au nombre de
40,000 combattans. En différant la guerre , le
Roi donnoit donc le temps à ce voisin mal in-
tentionné de se rendre plus formidable ; sans
compter que la Russie ne pouvant pas entrer en
action cette année , et la Saxe n'ayant pas
achevé de perfectionner ses arrangemens, ces
conjonctiu'es paroissoient favorables , pour ga-
gner sur les ennemis . en les prévenant dés la
première campagne , des avantages cju'on per-
droit par une délicatesse déplacée , si l'on ren-
voyoit les opérations à Tannée suivante. De
plus , par cette inaction on facilitoit aux en-
nemis le moyen de fondre à forces réunies
sur les états du Roi , qui auroient servi de
théâtre aux combats dès l'ouverture de la pre-
mière campagne ; au lieu qu'en portant la
guerre chez les voisins dont les mauvais des-
seins étoient mis en évidence, on fétablissoit
chez eux, et l'on ménageoit par là les provin-
ces de la domination prussienne. Quant k
ce nom si terrible d'agresseur, c'étoit un vain
/ • épouvaîitail 5
DE SEPT ANS. 8l
épouvantail, qui ne pouvoit en imposer qu'à
des esprits timides : il n'y falloit faire aucune
attention dans une conjoncture importante , où
il s'agissoit du salut de la patrie ; puisque le
véritable agresseur est sans doute celui qui
oblige l'autre à s'armer, et à le prévenir par
l'entreprise d'une guerre moins difficile, pour
en éviter une plus dangereuse, parce que de
deux maux il faut choisir le moindre. Après
tout, que les ennemis du Roi l'accusassent d'être
agresseur , ou qu'ils ne le fissent point , cela
revenoit au même, et ne changeoit rien au fond
de l'affaire , la conjuration des puissances de
l'Europe contre la Prusse étant toute formée.
L'impératrice-reine, celle de Russie, le roi de
Pologne étoient d'accord et sur le point d'en-
trer en action, de sorte que le Roi n'en auroit
eu ni un ami de moins, ni un ennemi de plus.
Enfin il s'agissoit du salut de l'État et du main-
tien de la maison de Brandebourg : n'auroit-ce
pas été dans un cas aussi grave, aussi important,
commettre en politique une faute impardon-
nable 5 que de s'arrêter à de vaines formalités ,
dont on ne doit pas s'écarter dans le cours
ordinaire des choses 5 mais auxquelles il ne faut
Tome lll. F
82 lîïST. DE LA GUEURE
pas se soumettre dans des cas extraordinaires
comme celui-ci, où l'irrésolution et la lenteur
auroient tout perdu, et où l'on ne pouvoit se
sauver qu'en prenant une résolution vigoureuse
et prompte , et en l'exécutant avec activité ?
Les différentes raisons que nous venons d'al-
léguer déterminèrent le Roi à prévenir ses
ennemis : il fit signifier à la cour de Vienne
qu'il prenoit sa réponse pour une déclaration
de guerre 5 et qu'il se préparoit à la lui faire;
il travailla ensuite aux dispositions nécessaires
pour mettre les troupes en mouvement. Pour
Août, cette année la Prusse n'avoit rien à craindre de
la part de la P^ussie par les raisons que nous
avons rapportées plus haut, de sorte que le
maréchal Lehvvald se contenta de rassembler
aux environs de Kœnigsberg les troupes qu'il
avoit sous ses ordres, afin de les avoir à portée,
et de pouvoir les mettre en campagne, si les
circonstances l'exigeoient.
Le Roi se proposa d'attaquer les Autrichiens
avec deux armées. Le maréchal Schwérin , qui
jceçut le commandement de celle de Silésie,
devoit pénétrer dans le cercle de Kœnigsgrastz;
l'autre , opposée aux Saxons et aux Autrichiens
DE SEPT AN3. Sj
en même temps y devant être naturellement
la plus forte, fut formée des régimens de la
Pom.éranie, de TÉlectorat, du duché de Ma g-
debourg, et des provinces de la Westphalie.
Le Roi voulut la commander en personne :
son dessein étoit d'entrer en Saxe sur plusieurs
colonnes en même temps ; ou pour désarmer
les troupes, si on les trouvoit répandues dans
leurs quartiers ; ou pour les combattre , si on
les trouvoit rassemblées en corps , afin de ne
point garder mi ennemi à dos en avançant en
Bohème, et s'exposer à une perfidie semblable
à celle des Saxons en l'année 1744. Le Roi se
trouvoit autorisé à cette démarche par l'ex-
périence du passé 5 par les engagemens que
les Saxons avoient avec la maison d'Autriche 5
enfin par leurs mauvaises intentions , qui se
manifestoient dans les dépêches de tous leurs
ministres , que le Roi avoit en main ; ainsi des
raisons tirées du droit , de la politique et de la
guerre appuyoient et justifioient sa conduite.
Il fut en même temps résolu de gagner dans
cette première campagne le plus de terrain
qu'on pourroit, pour mieux couvrir les Etat*
du Roij en éloigner la guerre autant qu'il seroit
F 2
84 HIST. DE LA GUERRE
possible, et la porter en Bohème, pour peu que
cela parût faisable. Telles furent les dispositions
générales qu'opposa le Roi à la ligue des plus
grandes puissances de l'Europe, qui alloient
l'assaillir. Bientôt les troupes prussiennes se
mirent en marche , et commencèrent leurs opé-
rations en Saxe et en Bohème, comme nous
en rendrons compte dans le chapitre suivant.
CHAPITRE IV.
Marche en Saxe; fameux camp dePirnai
entrée en Bohème; bataille de Lowo-^
Jitz; campagne du maréchal Schwérin;
fecours de Schandau, battu; prise des
Saxons; quartiers d'hiver; cordon»
JtL N commençant cette guerre , il falloit préa-
lablement ôter aux Saxons les moyens de s'en
mêler et de nuire aux Prussiens. Pour porter la
guerre en Bolième , on avoit l'électorat de Saxe
à traverser; si Ton ne s'en rendoit pas maître.
DESEPTANS, 85
on laissoit un ennemi derrière soi , qui, en ôtant
la libre navigation de l'Elbe aux Prussiens , les
obligeoit à quitter la Bohème aussitôt que le
roi de Pologne le voudroit. Les Saxons en
avoient usé ainsi dans la guerre de 1744, où,
en interdisant cette navigation aux troupes du
Roi, ils rendirent son expédition infructueuse.
On ne se fondoit pas sur des conjectures vagues,
pour leur supposer le même dessein. On avoit
en main les preuves de leur mauvaise volonté;
ainsi ç'auroit été commettre une faute irrémis-
sible en politique , que de ménager par foi-
blesse un prince allié de l'Autriche, qui n'atten-
doit à se déclarer ouvertement pour elle que
le moment où il pourroit le faire impunément :
de plus, comme le Roi prévoyoit que la plus
grande partie de l'Europe se préparoit à l'atta-
quer, il ne pouvoit couvrir la Marche électo-
rale de Brandebourg qu'en occupant la Saxe, où
il valoit mieux établir le théâtre de la guerre
qu'aux environs de Berlin. Il fut donc résolu
de porter la guerre en Saxe , de s'assurer de
l'Elbe, et de tâcher, pour peu que l'occasion
s'en présentât favorable, de désarmer les trou-
pes saxonnes.
F 3
86 HIST. DE LA GUERRE
Au mouvement que quelques régimens firent
pour se rendre de la Poméranie dans TElecto-
rat, les troupes saxonnes prirent une position
entre l'Elbe et la Mulde ; elles entrèrent peu
après dans leurs quartiers ordinaires, et bientôt
elles se rassemblèrent de nouveau en canton-
nant. Toutes ces marches et contremarches ne
donnèrent point le change : le Roi savoit posi-
tivement que le dessein de la cour étoit d'as-
sembler l'armée au camp de Pirna , où les
Saxons, occupant une position inattaquable,
croyoient pouvoir attendre en sûreté les secours
cjue les Autrichiens leur avoient fait espérer, et
cependant ils se flattoient d'amuser les Prus-
siens par de frivoles négociations; de sorte que
sans faire attention aux différentes marches de
ces troupes , on s'en tint au projet de se porter
incessamment avec l'armée au déboucher de la
Bohème.
Le Roi divisa son armée en trois corps. La
marche de ces trois colonnes se dirigea sur
Pirna, qui fut le centre de leur réunion com-
mune. La première partit de Magdebourg aux
ordres du prince Ferdinand de Bronswic; elle
prit le chemin de Leipsic et passa par Borne ^
DE SEPT ANS. 87
Chemnitz, Frcyberg et Dippoldis^valda , pour
se rendre à Cotta. La seconde colonne, où se
trouvoit le Roi, marcha sur Pretsch, tandis que
le prince Maurice de Dessau se rendit maître de
Wittenberg; après quoi ce détachement, réuni
au reste du corps , passa l'Elbe à Torgau , d'où
le Roi se porta par Strehlen et Lommatsch à
Wilsdruf. Ce fut là qu'on apprit avec certi-
tude que toutes les troupes saxonnes s'étoient
rendues àpirna, que le Roi y étoit en personne,
qu'il n'y avoit point de garnison à Dresde, mais
que la Reine y étoit dem.eurée. Le Roi ht
complimenter la reine de Pologne, et les tïou-
pes prussiennes entrèrent dans cette -capitale,
en observant une si exacte discipline que per-
sonne n'eut à s'en plaindre. L'armée campa
près de Dresde, d'où elle s'avança le lendemain
vers Pirna, et se posta entre l'Elbe, Sédelitz et
Zest. La troisième colonne sous le comman-
dement du prince de Bévern traversa la Lusace ,
où ayant été jointe à Elstervverda par Q5 esca-
drons de cuirassiers et de housards venant de
la Silésie , elle se porta sur Bautzen , sur Stol-
pen, et enfin sur Lohmen. Le prince Ferdi-
nand arriva en même temps à Cotta , de sorte
F 4
88 HIST. DE LA GUERRE
que par la jonction de ces trois colonnes aux
environs de Pirna , les troupes saxonnes se
trouvèrent entièrement bloquées. Cependant
le voisinage de tant d'armées ne donna lieu à
aucun incident ; on ne commit aucune hosti-
lité. Les Saxons souffrirent avec beaucoup de
civilité qu'on les affamât , et chacun de son
côté tâcha d'assurer son étabh.ssement le mieux
qu'il put. Le roi de Pologne , dans l'intention
de gagner du temps, entama une négociation:
il étoit plus aisé pour les Saxons d'écrire que
de se battre ; ils firent à plusieurs reprises des
propositions 5 qui, n'ayant rien de solide, furent
xejetées ; leur but étoit d'obtenir une parfaite
neutralité, et le Roi ne pouvoit y donner les
mains , parce que les engagemens du roi de
Pologne avec la cour de Vienne et la Russie
lui étoient trop bien connus. Les Saxons cepen-
dant faisoient retentir toute l'Europe de leurs
cris; ils répandoient les bruits les plus inju-
rieux aux Prussiens sur leur invasion dans cet
Electorat : il étoit nécessaire de désabuser le
public de toutes ces calomnies, qui, n'étant
point réfutées, s'accréditoient et remplissoient
l'Europe de préjugés contre la conduite du
BE SEPT ANS. 89
Roi. Depuis long-temps il "possédoit la copie
des traités du roi de Pologne et des relations
de ses ministres aux cours étrangères. Quoique
ces pièces justifiassent pleinement les entre-
prises de la Prusse , on ne pouvoit en tirer
parti. Si on les eût publiées , les Saxons les
auïoient taxées de pièces supposées et forgées
à plaisir, pour autoriser une conduite auda-
cieuse qu'on ne pouvoit soutenir que par des
mensonges. C'est ce qui obligea d'avoir recours
aux pièces originales qui se trouvoient encore
dans les archives de Dresde. Le Roi donna
des ordres pour qu'on s'en saisît; elles étoient
toutes emballées et prêtes à être envoyées en
Pologne. La Reine , qui en fut informée , vou-
lut s'y opposer ; on eut bien de la peine à
lui faire comprendre qu'elle feroit mieux de
céder par complaisance pour le roi de Prusse,
et de ne point se roidir contre une entre-
prise qui 5 quoique moins mesurée qu'on n'au-
joit souhaité, étoit cependant la suite d'une
nécessité absolue. Le premier usage qu'on
fit de ces archives fut d'en donner l'extrait
connu au public sous le titre de Mémoire
raisonné sur les desseins dangereux des cours
go HIST. DE LA GUERRE
de Viejine et de Dresde , avec les pièces justifi-
catives.
Pendant que cette scène se passoit au château
de Dresde 5 les troupes prussiennes et saxonnes
demeuroient dans l'inaction, le roi de Pologne
s'amusant de l'espérance des secours autrichiens
qui dévoient lui venir, et le roi de Prusse
ne pouvant rien entreprendre contre un ter-
rain vis-à-vis duquel le nombre et la valeur
devenoient inutiles. Il ne sera pas hors de pro-
pos 5 pour l'intelligence des événemens que
nous aurons à rapporter dans la suite , que
nous entrions dans un détail circonstancié sur
le fameux camp de Pirna, et sur la position
que les troupes saxonnes y occupoient. La
nature s'étoit complue, dans ce terrain bizarre,
à former une espèce de forteresse, à laquelle
l'art n'avoit que peu ou rien à ajouter. A l'o-
ïient de cette position coule l'Elbe entre des
ïochers , qui en rétrécissant son cours la ren-
dent plus rapide ; la droite des Saxons s'ap-
puyoit à la petite forteresse de Sonuenstein
près de l'Elbe : dans un bas -fond, au pied de
ces rochers, est située la ville de Pirna dont le
camp tire son nom; le front, qui fait face au
DESEPTANS. gi
Nord, s'étend jusqu'au Kohlberg; celui-ci fait
comme le bastion de cette courtine , devant
laquelle règne un ravin de 60 à 80 pieds de
profondeur , qui de Là tournant vers la gauche
entoure tout le camp , et va aboutir au pied
du Kœnigstein. Du Kohlberg, qui forme une
espèce d'angle , une chaîne de rochers dont
les Saxons occupoient la crête , ayant l'aspect
tourné vers l'Occident, va, laissant Rottendorf
■ devant soi, et se rétrécissant vers Struppen et
Léopoldsheim, se terminer aux bords de l'Elbe
à Kœnigstein. Les Saxons, trop foibles pour
jemplir le contour de ce camp , qui présentoit
de tous côtés des rochers inabordables , se bor-
nèrent à bien garnir les passages difficiles , et
cependant les seuls par lesquels on pût venir à
eux; ils y pratiquèrent des abattis, des redou-
tes et des palissades; à quoi il leur étoit facile
de réussir, vu les immenses forêts de pin dont
les cimes de ces monts font chargées. Ce camp,
un des plus forts de l'Europe , ayant été exa-
miné et reconnu en détail , fut jugé à l'abri des
surprises et des attaques; et comme le temps et
la disette pouvoient seuls vaincre tant d'obsta-
cles, on résolut de le bloquer étroitement, pour
g2 HIST. DE LA GUERRE
empêcher que les troupes saxonnes ne tirassent
des vivres des environs , et d'en user en tout
comme dans un siège en forme. Dans cette vue
le Roi destina une partie de son monde à faire
la circonvallation de ce camp , et l'autre fut
employée à former l'armée d'observation. Cette
disposition, la meilleure qu'on pût imaginer
dans ces conjonctures, étoit d'autant plus sage,
que les Saxons, s'étant réfugiés en hâte sur ces
rochers, n'avoient pas eu le temps d'amasser
beaucoup de subsistances, et que ce qu'ils en
avoient ne pouvoit les mener tout au plus
qu'à deux mois. Bientôt les troupes du Roi
occupèrent tous les passages par lesquels les
recours ou les vivres auroient pu arriver aux
Saxons. Le Prince de Bévern avec sa division
prit les postes de Lohmen , Wehlen , Obers-
waden et Schandau tout le long de l'Elbe ; sa
droite communiquoit à la division du Roi par
le pont qui fut construit proche de la brique-
terie ; 10 bataillons et lo escadrons, qui cam-
poient auprès du Roi , occupoient l'emplace-
ment depuis l'Elbe et le village de Sédelitz
jusqu'à Zest, où commençcit la division du
prince Maurice , qui s'étendoit au - delà de
DE SEPT ANS, 93
Cotta par des détachemens qu'il avoît poussés
à Léopoldsheim , Markersdorf , Hennersdorf,
et Nœllendorf : en tout 38 bataillons et 30
escadrons servoient à former cette circonval-
lation dont nous venons de parler.
D'autre part le maréchal Keith eut le com-
mandement de l'armée d'observation; elle con-
sistoit en Qg bataillons et en 70 escadrons. Le
prince Ferdinand de Bronsvvic entra le premier
en Bohème avec l'avant - garde ; ayant passé
Péterswalde, il rencontra à Nœllendorf M. de
Wied, général autrichien, avec 10 bataillons
de grenadiers et de la cavalerie à proportion;
il le délogea du village : l'Autrichien prit la
fuite 5 et le Prince poursuivit sa marche. Le
maréchal Keith approcha immédiatement après
d'Aussig, et se campa à Johnsdorf , d'où il dé-
tacha M. de Mannstein , qui s'empara du châ- Septem-
teau de Tetschen , pour assurer la navigation
de l'Elbe. Les choses en restèrent là en Saxe
et dans cette partie de la Bohème jusqu'à la fin
du mois. D'un autre côté M. de Piccolomini
campoit avantageusement près de Kœnigsgrstz
sur les hauteurs situées entre le confluent de
l'Adler et de l'Elbe. Son camp , de figure angu-
94 HIST. BE LA GUEÎIRE
laire , n etoit abordable d'aucun côté. Le maré-
chal de Schwérin venoit de déboucher avec
son armée par le comté de Glatz, d'où il s'a-
vança d'abord à Nachod, puis sur les bords de
la Métau, et enfin sur Aujest, où il défit M. de
Buccow, qui, venant au-devant de lui avec un
corps de cavalerie, se fit bien battre et perdit
Qoo hommes. Le maréchal de Schwérin ne
pouvoit rien entreprendre sur M. de Piccolo-
mini dans le poste où se tenoient les Autri-
chiens; il n'y avoit aucun grand projet à for-
mer, ni pour des sièges, ni pour des batailles;
et comme la saison étoit d'ailleurs assez avan-
cée , il se contenta de consommer toutes les
subsistances qu'il trouva en Bohème , et four-
ragea jusques sous les canons de l'armée impé-
riale , sans que M. de Piccolomini fît mine de
s'en appercevoir. Un détachement de housards
prussiens défit 400 dragons ennemis ^Droche
de Hohenmaut , et en ramena la plus grande
partie prisonniers.. C'est à quoi se bornèrent
les entreprises du maréchal de Schwx-rin, pa£
la raison que M. de Piccolomini, se gardant
bien de faire des mouvemens, demeura scru-
puleusement renfermé dans son camp, qui
DE SEPT ANS, 95
valoit mieux qu'une infinité de places de
guerre.
Les grands coups ne purent se porter cette
année que par l'armée du Roi. Cette armée
avoit les Saxons à prendre, et les secours qui
pouvoient leur venir, à éloigner. Les choses
s'embrouiiloient de jour en jour davantage de
ce côté-là. Quoiqu'on eût enfermé le camp de
Pirna de manière à empêcher l'entrée des vivres
et des secours , il avoit été toutefois impossible
d'occuper tous les sentiers qui traversent les
forêts et les rochers des environs. Cela faisoit
que le roi de Pologne entretenoit encore,
quoiqu'avec peine, une correspondance avec
la cour de Vienne ; et Ton apprit sur la fin
de Septembre que le maréchal Braun avoit
reçu des ordres de sa cour de dégager à tout
prix les troupes saxonnes que les Piussiens
bloquoient à Pirna. Le maréchal Braun , qui
s'étoit avancé avec son armée à Budin , avoit
trois moyens d'exécuter ce projet : l'un de
marcher contre le maréchal Keith, et de bat-
tre cette armée 5 ce qui n'étoit pas facile; le
second, de prendre le chemin de Billin et de
Tœplitz , et d'entrer en Saxe , soit par le Bas-
gG HIST. DE LA GUERRE
berg, soit par Nœllendorf ; mais ce mouvement
Tobligeoit à prêter le flanc au maréchal Keitll,
et exposoit à être ruinés tous les magasins qu'il
avoit entre Budin et Prague. Le troisième moyen
qui lui restoit étoit d'envoyer un détachement
à la rive droite de FElbe , qui, prenant par Bœli-
misch Leippa, Schlukenau , et Rumbourg, se
rendit à Schandau. Cette dernière expédition
ne pouvoit mener à rien de décisif, parce que
les Prussiens, par le moyen de leur pont de
Schandau, pouvoient envoyer des secours dans
cette partie, et que le terrain du côté d'Oberra-
then et Schandau, coupé, difficile, et suscep-
tible de chicanes , fournit des passages assez
impraticables , pour qu'un bataillon y puisse
arrêter une armée entière. Comme ce moment
critique alloit décider de toute la campagne, le
Roi jugea que sa personne seroit nécessaire en
Bohème, pour s'opposer aux entreprises' que
ses ennemis pouvoient former. Il arriva le q 8 au
camp de Johnsdorf ; les troupes y étoient pos-
tées sur un terrain étroit , dominé par des émi-
nences, le dos appuyé contre un escarpement
de rocher si serré, qu'on auroit eu de la peine,
dans le cas d'une action, à porter des secours
d'une
DE SEPT ANS. 5)7
d'une partie de ce camp à l'autre , sans s'exposer
à de grands embarras. Cette position se trou-
vant telle 5 qu'il falloit l'abandonner à l'approche
de l'ennemi , elle fut quittée le lendemain. On
étoit trop éloigné du maréchal Braun , pour
en avoir des nouvelles , et comme il étoit im-
portant d'observer ses mouvemens de plus près,
le Roi se mit à la tête de Favant-garde , com-
posée de 8 bataillons et de qo escadrons, et
s'avança à Tirmitz , où il apprit que le maréchal
Braun passeroit le lendemain l'Eger proche de
Budin ; c'étoit précisément le temps de l'ap-
procher pour éclairer ses démarches , et de le
combattre même, si l'occasion s'en présentoit.
Dans la situation où se trouvoient les choses , Septem-
les projets de ceux qui commandoient ces ar-
mées étoient si opposés, qu'il falloit nécessai-
rement qu'ils en vinssent à une décision, soit
que le maréchal Braun voulût se frayer le pas^
sage en Saxe l'épée à la main , soit qu'il n'agît
que par des détachemens. Le 30 l'armée du
Koi le suivit sur deux colonnes : à peine l'avant-
garde eut-elle gagné la croupe du Pascopol ^
qu'elle découvrit un camp dans la plaine de
Lowositz; la droite s'en appuyoit à Wielhotta;
Tome III. G
C)8 lïIST. DE LA GUERRE
. Lowositz étoit devant son front ; Sulowitz se
trouvoit devant sa gauche , dont l'extrémité
se prolongeoit derrière l'étang de Schirkowitz»
L'avant - garde poursuivit sa marche : elle dé-
logea de Welmina quelques centaines de pan-
do urs; ils occupoient un poste d'avertissement.
Ce village est situé dans un bassin entouré de
rochers, dont la plupart sont taillés en forme
de pain de sucre;, cependant cette hauteur et
le bassin même dominent les plaines des en-
virons. Le Roi fit avancer en diligence son
infanterie , pour occuper les vignes et les dé-
bouchés du côté de la plaine de Lowositz. Les
troupes arrivèrent vers les dix heures, et pas-
sèrent la nuit au bivouac à peu de distance der-
rière l'avant-garde, qui étoit postée vis-à-vis
Octobre, de l'ennemi. Le lendemain i d'Octobre on
fut reconnoître dès la pointe du jour ce camp
qu'on avoit découvert la veille; un brouillard
épais étendu sur la plaine empêcha de distin-
guer les objets. On voyoit comme à travers
un crêpe la ville de Lowositz , et à côté , de
la cavalerie en deux troupes , dont chacune
paroissoit être de cinq escadrons. Sur cela on
déploya l'armée; une colonne d'infanterie se
X)E SEPT ANS. 99
forma par la droite , Fautre par la gauche : la
cavalerie se mit en seconde ligne ; car le ter-
rain 5 trop étendu pour la petite armée du
Roi 5 l'obligea d'employer 20 bataillons pour
sa première ligne , de sorte qu'il ne lui en resta
qu'une réserve de 4. Les autres se trouvoient,
ou à la garde des magasins , ou en détachemens.
Le champ de bataille sur lequel les troupes du
Roi se formèrent, alloit en s'élargissant par la
gauche. Le penchant des montagnes vers Lowo-
sitz est couvert de vignes divisées en petits en-
clos de pierre à hauteur d'appui, qui distin-
guent les limites des propriétaires; M. de Braun
avoit garni ces enclos de pandours , pour arrêter
les Prussiens : ce qui fit qu'à mesure que .les
bataillons de la gauche se formoient , ils s'en-
gngeoient avec l'ennemi aussitôt qu'ils entroient
en ligne. Cependant ce feu étoit mal nourri;
et comme les pandours ne faisoient pas une ré-
sistance vic^oureuse, l'on se confirma dans l'opi-
nion où l'on étoit, que ce détachement qu'on
avoit vu la veille campé dans ces environs, se
préparoit à la retraite , et que les pandours qui
tirailloient dans ces vignes et les troupes de
cavalerie répandues dans la plaine , étoient des-
G 3
100 HIST. DE LA GUEKRE
tinés à faire l'arrière - garde des autres. Cela
paroissoit d'autant plus plausible, que l'on ne
découvroit aucune trace d'une armée. On se
trompoit fort dans ces suppositions; car les pre-
mières troupes qu'on avoit vues à Lowositz ,
étoient l'avant -garde de M. de Braun. Les
Autrichiens ignoroient la marche de l'armée du.
Roi, et n'en furent informés qu'en la voyant
déboucher de Welmina : le maréchal Braun
en fut averti par le général qui commandoit
son avant -garde; sur quoi la nuit même il
vint le joindre avec son armée à Lowositz. Le
brouillard dont nous avons parlé dura jusques
vers les ii heures, et ne se dissipa tout-à-fait
que lorsque l'action fut près de finir. En sup-
posant toujours qu'on n'avoit à faire cju'à une
arrière-garde , on fit tirer quelques volées de
canon contre la cavalerie autrichienne; ce qui
l'inquiéta et la fit changer de position et de
form.e à plusieurs reprises : tantôt elle se mettoit
en échiquier , quelquefois sur trois lignes , puis
en ligne contigiie ; quelquefois cinq ou six
troupes tirant vers leur gauche disparoissoient,
bientôt après elles paroissoient plus nombreuses
qu'elles ne sembloient être au commencement.
DE SEPT ANS. loi
Enfin ennuyé de cette manœuvre oiseuse, qui
faisoit perdre le temps et n'avançoit point les
affaires , le Roi crut qu'en faisant charger cette
cavalerie par une vingtaine d'escadrons de
dragons, cette arrière - garde seroit bien vite
dissipée , et le combat terminé. Sur quoi les
dragons descendirent des hauteurs, et se for-
mèrent au bas sous la protection de l'infanterie
prussienne ; ils choquèrent et renversèrent tout
ce qu'ils trouvèrent vis-à-vis d'eux. En pour-
suivant les fuyards , ils reçurent du village de
Sulovvitz en flanc et de front un feu de petites
armes et d'artillerie qui les ramena à la position
où ils s'étoient formés au pied des vignes. On
jugea dès-lors qu'il ne s'agissoit plus d'arrière-
garde, mais quQ le maréchal Braun se trouvoit
avec les Autrichiens vis-à-vis de l'armée. Le
Roi voulut retirer sa cavalerie , pour la remettre
en seconde ligne sur la hauteur; mais par des
quiproquo, malheureusement trop fréquens les
jours de bataille, il arriva que tous les cuirassiers
s'étoient joints aux dragons , et qu'avant cjue
l'aide de camp pût leur apporter les ordres du
Roi , s'abandonnant à leur impétuosité et au
désir de se signaler 3 ils donnèrent pour la se-
G 3
102 HIST. DE LA GUERRE
conde fois : ils eurent bientôt culbuté la ca-
valerie ennemie, et quoiqu'ils reçussent le mê-
me feu qui avoit ramené les dragons à la
première charge, ils poursuivirent les Autri-
chiens jusqu'à trois mille pas ; emportés par
leur ardeur ils franchirent un fossé largç de 50
pieds, à trois cents pas au-delà duquel un autre
fossé plus profond encore couvroit l'infanterie
impériale. M. de Braun fit aussitôt jouer 60
pièces de ses batteries contre la cavalerie prus-
sienne , et la força de revenir se former de nou-
veau au pied de la montagne; ce qu'elle exé-
cuta avec ordre , n'étant point poursuivie. Le
Roi, ne voulant plus risquer qu'elle se livrât à
de pareilles saillies , la fit repasser en seconde
ligne derrière son infanterie. Pendant que
cette cavalerie revenoit, le feu de la gauche
commençoit à devenir et plus vif et plus con-
sidérable ; le maréchal Braun vouloit chan-
ger l'état de la question; se voyant sur le point
d'être assailli , il aima mieux attaquer lui-même.
Dans cette vue il avoit fait filer qo bataillons
derrière Lowositz, qui s'étant glissés successive-
ment le lonci: de l'Elbe vinrent soutenir les
pandours qui se battoient dans les vignes, et
DE SEPT ANS. I03
tâchèrent même de tourner le flanc gauche des
Prussiens. L'infanterie les repoussa vigoureu-
sement; elle força les enclos des vignes les uns
après les autres , et descendant dans la plai-
ne, elle poursuivit quelques bataillons enne-
mis 5 qui de frayeur se précipitèrent dans l'Elbe.
Une autre troupe de fuyards se jeta dans les
premières maisons de Lowositz , faisant mine
de s'y défendre ; alors quelques bataillons de
la droite furent détachés , pour renforcer la
gauche de manière que la gauche des Prussiens
s'appuyât à l'Elbe , et dans cette disposition
elle s'avança fièrem^ent d'un pas déterminé sur
Lowositz, sans que la droite de l'armée du Roi
quittât la hauteur où elle étoit appuyée. Les
grenadiers tirèrent dans les maisons par les por-
tes et les fenêtres ; ils y mirent enftn le feu ,
pour achever plus vite ; et quoique ces trou-
pes eussent consumé toute leur poudre , cela
n'empêcha pas que les régimens d'ItzenpHtz et
de Manteufel n'entrassent dans Lowositz la
bayonnette baissée , et ne forçassent neuf ba-
taillons tout frais , que M. de Braun y a voit
envoyés, à leur céder la place et à prendre 1li
fuite. Alors toutes les troupes de l'ennemi qui
G 4
104 HIST. DE LA GUERRE
avoient combattu dans cette partie, lâchèrent
le pied, et cédèrent la victoire aux Prussiens.
Le Roi ne put pas profiter de ce succès autant
qu'il l'auroit souhaité, parce qu'il n'avoit pro-
prement battu que l'aile droite des impériaux;
ils occupoient encore le village de Sulowitz , et
comme leur gauche se trouvoit postée derrière
le fossé dont nous avons parlé , ils ne don-
nèrent point prise à la cavalerie prussienne.
En même temps M, de Braun fit faire un beau
mouvement à ses troupes; il fit avancer quel-
ques brigades de sa gauche qui n'avoient point
combattu , dont il se servit pour couvrir ses
troupes débandées, qui sortoient de Lowositz
et s'enfuyoient en grand désordre. Il se retira
la nuit, et fit occuper Leutmeritz par un dé-
tachement qui rompit le pont de l'Elbe qu'il
avoit devant lui. Le Maréchal avec le gros
de son armée reprit son camp de Budin , et
détruisit tous les ponts de l'Eger , pour en em-
pêcher le passage aux Prussiens. L'armée du
Roi perdit en morts et blessés iQoo hommes
à ce combat; MM. de Ouadt et de Luderitz .,
tous deux généraux de bataille , y furent tués ;
on ne fit que 700 prisonniers, parmi lesquels
DE SEPT ANS. 105
un prince Lobkowitz, général des Impériaux.
Si la cavalerie avoit pu être employée sur la fin
de l'action, le nombre des prisonniers eût été
bien plus considérable. Le prince de Bévern
fut détaché le lendemain avec 85O00 hommes
à Schirkowitz , village situé à la droite de la
position du Roi, à demi -chemin de Budin.
Il envoya de son camp des partis le long
de l'Eger pour en reconnoître les passa g-^s,
et plus encore pour donner de l'attention et
causer de la jalousie à M. de Braun , afin de
le contenir par ces démonstrations , et l'empê-
cher de penser à secourir le roi de Pologne et
les troupes saxonnes. L'armée de Bohème s'en
tint là ; trop foible pour rien entreprendre
contre l'ennemi, elle se contenta de l'observer.
Le Roi ne pouvoit en effet agir offensivement.
Pour donner vraiment de la jalousie à M. de
Braun, il falloit passer l'Eger, et dans ce cas
le détachement des Impériaux de Leutmeritz,
se trouvant derrière les Prussiens , étoit à portée
de leur enlever leur magasin d'Aussig : de plus,
en passant l'Eger on s'éloignoit trop de sa ligne
de défense , et l'on se mettoit hors de portée
d'envoyer en Saxe de prompts secours. Si Ton
.106 HIST DE LA GUERRE
se déterminoit à prendre Leutmeritz, loin de
gagner par là, on se trouvoit dans un plus grand
embarras , parce qu'on s'affoiblissoit par la gar-
nison que demandoit cette ville , et que ne
pouvant pas garnir les hauteurs qui l'environ-
nent et qui la dominent, on auroit exposé cet-
te garnison à être enlevée aussitôt qu'attaquée.
Toutes ces raisons firent que le Roi fut obligé
de se contenter d'avoir gagné une bataille au
commencement de cette guerre , et qu'il borna
ses projets à empêcher que M. de Braun ne
fit des détachemens, ou, s'il en faisoit, à pou-
voir en envoyer de tout aussi forts au secours
du camp de la Saxe. L'armée prussienne de
Bohème étoit de la moitié plus foible que celle
des Impériaux ; mais les troupes étoient si
bonnes , si bien disciplinées , et les officiers si
pleins de valeur, qu'elles se comptoient, si non
supérieures, du moins égales à l'ennemi. Quelle
que soit la bonne opinion qu'on a de soi-
mêm^e, la sécurité est toujours dangereuse à la
guerre , et il vaut mieux prendre des précau-
tions superflues, que de négliger les nécessaires;
et comme le nombre étoit du côté des Autri-
chiens, que d'ailleurs le Roi auroit pu se voir
DE SEPT ANS. 107
obligé de faire des détachemens , il ordonna
qu'on travaillât à élever quelques batteries , et
à retrancher les parties les plus foibles de son
camp : ces mesures se trouvèrent d'autant plus
sages 5 qu'on apprit le 6 que M. de Braun
avoit détaché à la sourdine quelques régimens
de son armée; que ce corps, taxé à 65000 hom-
mes 5 ayant passé par Raudnltz , s'avançoit vers
Bœhmisch-Leippa , pour suivre de là la route qui
mène en Saxe. Quoique ce détachement ne
causât pas de grandes aj^préhensions , le Roi
en avertit le margrave Charles et le prince
Maurice demeurés en Saxe , et se mit à la tête
d'un renfort de cavalerie, pour les mener au
camp de Sédelitz , où il nétoit resté que 30
escadrons; ce qui n'étoit pas suffisant pour
arrêter les Saxons, sur-tout s'ils avoient entrepris
de percer du côté de Hohendorf et de Tœplitz.
Sa Majesté partit le 13 de Lowositz avec 15
escadrons , et arriva le 1 4 à midi à son armée ,
cju'elle trouva à Struppen , quartier que le roi
de Pologne avoit occupé durant tout le temps
c[ue les Saxons avoient été bloqués.
Les choses avoient entièrement changé de
face en Saxe, depuis que le Roi avoit pris le
108 HIST. DE LA GUERRE
commandement de son armée en Bohème. La
bataille de Lowositz avoit frappé la cour; elle
n espéroit que foiblement l'assistance des Impé-
riaux. Les troupes étant d'ailleurs menacées
d'une disette prochaine, les généraux saxons
voulurent se frayer eux-mêmes un chemxin à tra-
vers les Prussiens; leur projet étoit de se sauver
en passant l'Elbe , et ils tentèrent de jeter un
pont à Wilsted : vis-à-vis de ce lieu se trouvoit
une redoute prussienne, qui coula à fond quel-
ques-uns de leur bateaux; ce qui dérangea
leurs mesures. Ils changèrent alors de dessein,
et firent transporter leurs pontons à Halbstadt,
cju'ils regardoient comme l'endroit le plus pro-
pre et le plus convenable pour leur sortie ,
surtout à cause des secours que INÎ. de Braun
venoit de leur promettre de nouveau. Toutes
les opérations que les armées firent alors dans
ces contrées , se trouvoient si intimement liées
avec la nature du terrain , que nous sommes
cbhgés pour l'Intelligence du lecteur de lui en
donner l'idée la plus nette que nous pourrons.
Par la description que nous avons faite du poste
de Pirna , on a pu juger de la force de son
assiette; mais s'il étoit difficile de l'emporter, il
DE SEPT ANS» lOg
n'étoit pas moins difRcile d'en sortir. La plus
naturelle, la plus aisée de ses issues est par Léo-
poldsheim; en descendant de leurs rochers, les
Saxons prenoient , par Hermersdorf et Nœllen-
dorf, le chemin de la Bohème. Ce n'est pas
à dire qu'ils auroient forcé ce passage sans perte ;
il y avoit toutefois apparence qu'ils auroient
sauvé une partie de leur monde. Tœplitz une
fois gagné , ils ne rencontroient plus que de lé-
gers obstacles, et personne ne pouvoit les em-
pêcher de se joindre par Éger aux Autrichiens.
Il y a toute apparence que les généraux saxons
ne connoissoient pas les situations de Halbstadt,
de Burkersdorf, de Schandau, de Ziegenruck,
et surtout qu'ils ignoroient la disposition dans
laquelle les Prussiens occupoient ces postes;
sans quoi ils ne se seroient jamais engagés dans
une aussi mauvaise affaire. M. de Lestvvitz
étoit posté avantageusement avec 1 1 bataillons
et 15 escadrons entre Schandau et un village
nommé Wendische-Fehre. M. de Braun, qui
étoit entré en Saxe à la tête de son détache-
ment, vint se camper vis-à-vis de lui. Les
Autrichiens occupèrent les villages de Mittel-
dorf et d'Altendorf ; mais trouvant M. de Lest-
IIO HIST. DE LA GUEURE
witz plus fort qu'ils ne Tavoîent prévu , ils
n'eurent garde de l'attaquer. M. de Braun ne
pouvoit pas se porter sur Burkersdorf , dont une
chaîne de rochers impraticables le séparoit; il ne
trouvoit pas son compte à s'engager avec M. de
Lestwitz ; et cependant , pour prêter la main
aux Saxons du côté d'Altstadt , il étoit obligé de
faire défiler son monde deux à deux par des
chemins étroits vis-à-vis des Prussiens , et sous
le feu de leurs petites ^mes. De tous ces diflé-
rens partis il n'y en avoit aucun qu'un homme
expérimenté, comme l'étoit M. de Braun, pût
prendre sans risquer sa réputation ; il aima donc
mieux se tenir dans l'inaction, que de mener
inutilement ses troupes à la boucherie. Du
Octobre, côté d'Altstadt ^ où les Saxons avoient résolu
de passer l'Elbe , est à la rive droite de ce
fleuve une petite plaine , dominée par le Lilien-
stein, rocher escarpé, qui en borne une partie;
aux deux côtés de ce rocher se présentoient cinq
bataillons prussiens , aux ordres de M. de
Retzow 5 derrière des abattis qui en forme do
croissans alloient s'appuyer des deux côtés au
coude que l'Elbe forme en cet endroit; cinq
cents pas derrière ce poste 6 bataillons et j
DE SEPT ANS* 111
escadrons occupoient le défilé de Eurkersdorf;
derrière ce défilé se trouve une chaîne de ro-
chers âpres et escarpés, nommé le Ziegenruck,
qui, embrassant tout ce terrain , aboutit des deux
côtés à l'Elbe. Pour percer de ce côté-là, les
Saxons avoient donc trois postes à forcer con-
sécutivement, les uns plus redoutables que
les autres. Ce fut néanmoins pour tenter leur
évasion de ce côté qu'ils commencèrent dès le
onze d'Octobre à établir leurs ponts. Les
Prussiens se gardèrent bien de les traverser dans
cet ouvrage. Leur descente de Tirmsdorf vers
l'Elbe étoit assez praticable; mais lorsque leurs
ponts furent achevés , et que de l'autre bord ils
voulurent monter le rocher pour gagner la
plaine d'Altstadt, ils ne trouvèrent qu'un sentier
étroit qui servoit aux pêcheurs. Il fallut inie
demi-journée pour y faire passer deux batail-
lons ; les pluies abondantes qui tombèrent ,
achevèrent d'abymer ce chemin : ils furent
obligés d'abandonner leurs canons, qu'il étoit
impossible de transporter à l'autre rive; ainsi
toute leur artillerie resta sur les retranchemens
qu'ils venoient de quitter. La lenteur de leur
passage fut cause que la cavalerie, l'infanterie.
112 HIST. BE LA GUERRE
le bagage , l'arnère-garde de tout ce corps pêle-
mêle et en désordre demeurèrent aux environs
de Struppen. Le 13 , avant le jour, le prince
Maurice d'Anhalt fut le premier averti de l'éva-
sion des Saxons ; l'armée prit sur le champ les
armes, et se mettant sur sept colonnes, elle gra-
vit encore avec peine contre ces rochers de
Pirma, tout abandonnés qu'ils étoient de leurs
défenseurs ; les généraux la formèrent sur la
crête de ces montagnes entre le Sonnenstein et
Rottendorf. M. de Ziethen avec ses housards
attaqua aussitôt l'arrière-garde de l'ennemi, et
la poussa jusqu'à Tirmsdorf; les compagnies
franches, et les chasseurs prussiens se logèrent
dans un bois proche de cette arrière-garde, d'où
ils l'incommodèrent beaucoup par leur feu.
Le prince Maurice, qui survint, envoya le ré-
giment de Prusse infanterie occuper une hau-
teur derrière les Saxons. A peine eut- on tiré
deux coups de canon de cette colline , que
les Saxons , surpris de recevoir du feu d'un
endroit duquel ils n'en attendoient pas , et mis
en désordre, prirent soudain la fuite; les hou-
sards se jetèrent sur le bagage, qu'ils pillèrent,
et les chasseurs se glissèrent dans un bois voi-
sin
DE SEPT AN Sa II3
sîn de l'Elbe, d'où ils tirèrent sur l'arrière-garde
saxonne , qui achevoit de passer le pont. Ils
perdirent alors entièrement la tête : ils coupè-
rent eux-mêmes les cables de leur pont; le
courant l'entraîna jusqu'à Rathen, où les Prus-
siens le prirent. Le prince Maurice fit aussitôt
camper les troupes sur les hauteurs de StTup-
pen ; leur gauche alloit vers l'Elbe , et leur
droite se prolongeoit derrière un ravin profond
qui va se perdre du côté de Hennersdoif.
Telle étoit la situation des choses, lorsque le
Roi arriva avec ses dragons à Struppen. Les
Saxons attendoient un certain signal dont ils
étoient convenus avec les Impériaux, pour at-
taquer de concert les Prussiens : ce signal ne se
donna point ; ce qui acheva de leur faire per-
dre toute espérance. Ils ne furent que trop con-
vaincus alors, en voyant la manière dont M. de
Retzow étoit posté, qu'il leur étoit impossible
de se faire jour eux-mêmes. D'un autre côté
le roi de Pologne , qui s'étoit réfugié au Kœ-
nigstein , pressoit de là vivement ses généraux
d'attaquer M. de Retzoiv à Lilienstein , et le
comte Rutowsky lui remontroit à son tour avec
force l'inutilité de cette entreprise, qui mèneroit
Tome III. ' H
114 HIST. BE LA GUERRE
à une effusion Je sang et à un massacre dont
après tout le Roi ne pourroit tirer aucun avan-
tage. M. de Braun se trouvoit dans un cas
aussi embarrassant , mais moins fâcheux : il avoit
devant lui un corps de troupes prussiennes, su-
périeur en nombre; et comme toute communi-
cation lui étoit coupée avec le Kœnigstein, qu'il
rencontroit des empêchemens physiques dans
toutes les entreprises qu il pouvoit former pour
décraa;er les Saxons , et qu'il avoit à craindre
que ces troupes se rendant prisonnières à son
insu, il n'eût aussitôt toute l'armée prussienne
sur les bras, il jugea la situation de l'armée sa-
Oçtobre. xonne désespérée, et ne pensant plus qu'à sau-
ver son propre détachement, il se retira le 14
en Bohème. Les housards prussiens le suivi-
rent; M. de Warneri battit son arrière -garde
et passa 300 grenadiers cravates au hl de l'épée.
Cette entreprise si mal exécutée donna lieu
aux reproches les plus injurieux, que se firent
les généraux saxons et les généraux autri-
chiens ; ils avoient tort les uns et les autres.
Le général saxon , qui avoit fait le projet de
cette évasion 5 étoit le seul coupable; il avoit
sans doute consulté des cartes fautives ; il n'a-
DE SEPT ANS, II5
voit jamais été sur les lieux , dont la situation
lai étoit inconnue : car quel homme sensé cîioi-
sira pour sa retraite un défilé qui passe par des
rochers escarpés dont l'ennemi est le maître ?
Ces lieux tout-à-fait contraires par leur posi-
tion aux manœuvres que les Autrichiens et les
Saxons avoient dessein d'y faire , furent les
vraies causes des malheurs que ces derniers y
éprouvèrent; tant l'étude du terrain est impor-
tante, tant la situation des lieux décide des en-
treprises militaires et de la fortune des Etats.
Le roi de Pologne fut du haut du Kœnigstein
spectateur de la situation déplorable où se
trouvoient ses troupes, manquant de pain, en-
tourées d'ennemis, et ne pouvant pas même par
une résolution désespérée se faire jour aux dé-
pens de leur sang , parce que toute ressource
leur étoit ôtée; pour ne les point voir périr de
faim et de misère , il fut obligé de consentir
qu'elles se rendissent prisonnières de guerre, et
qu'elles missent bas les armes.
Le comte Rutowsky fut chargé de dresser
cette triste capitulation. Tout ce corps se rendit,
et les officiers s'engagèrent sur leur honneur à
ne plus servir contre les Prussiens dui'ant cette
H o
Il6 HIST. DE LA GUERRE
guerre; comme on comptoit sur leur paroîe,
on les relâcha. Pour ne point humilier un en-
nemi vaincu , le R.oi fit rendre au roi de Po-
logne les drapeaux, les étendards et les timba-
les qui appartenoient à ses troupes ; il consen-
tit aussi d'accorder la neutralité à la forteresse de
Kœnigstein. Mais dans le temps même qu'il
tâchoit d'adoucir le sort du roi de Pologne ,
celui - ci concluoit en secret un traité avec
i'Impératrice-reine , par lequel il lui cédoit ,
moyennant un certain subside, 4 régimens de
dragons et q pulks d'ulans, qu'il entretenoit
en Pologne : ces procédés ne servoient qu'à
justifier la conduite que les Prussiens avoient
tenue jusqu'alors. Le roi de Pologne , dé-
goûté de la guerre plus que jamais après la
scène qui venoit de se passer, demanda le libre
passage pour sa personne , afin d'aller s'établir
en Pologne; non-seulement on le lui accorda,
mais on poussa l'attention jusqu'à faire retirer
toutes les troupes prussiennes qui se trouvoient
sur son passage , pour dérober à sa vue des objets
qui ne pou voient que lui faire de la peine. Il
partit le 18 avec ses deux fils et son ministre
pour Varsovie.
DE SEPT ANS. II7
Larmée saxonne qui venoit de se rendre
consistoit en 17,000 têtes; l'artillerie qu'on prit
passa 80 pièces de canon. Le Roi distribua
ces troupes , et en forma vingt nouveaux ba-
taillons d'infanterie : mais il commit la faute de
n'y point mêler de ses sujets, à l'exception des
officiers , qui étoient tous de ses Etats ; cette
faute influa dans la suite sur le peu d'usage
qu'on tira de ces régimens , et sur les mauvais
services qu'ils rendirent. Après la reddition
des Saxons le Roi retourna en Bohème , pour
en retirer son armée. Le maréchal Keith quitta
le Q3 le camp de Lowositz, et se replia sur
Linay, sans que l'ennemi le suivît; le régiment
d'Itzenplitz 5 qui gardoit un gué de l'Elbe au
village de Solesel , fut attaqué cette nuit même,
et se défendit si bien , cjue non content de re-
pousser l'ennemi , il lui fit encore des prison-
niers. De Linay larmée continua paisiblement
sa marche par Nœllendorf, Schœnwalde , Gis-
hubel 5 et arriva le 30 en Saxe : le Roi la fit
cantonner entre Pirna et les frontières de la
Bohème.
En même temps que l'armée du Roi entroit
en Saxe , le maréchal de Schwérin quittoit les
H 3
llS HIST. BE I.A GUERRE
environs de Kœnigsgrzelz et se retiroit en Silésie.
Comme il étoit en marche vers Skalitz, il fut
suivi par quelques milliers de Hongrois , qui
harceloient son arrière -garde. Le Maréchal,
Kovem- qui n'entencloit pas raillerie, se mit à la tête
bre. "■ ...
d'une partie de sa cavalerie , fondit brusquement
sur eux , les défit , et les poursuivit jusqu'à
Smirsitz, après quoi il reprit tranquillement sa
marche , et se trouva avec son armée le q de
Novembre sur la frontière de la Silésie.
La tranquillité dans laquelle se tinrent les
ennemis perm.it de faire entrer de bonne heure
les troupes dans leurs quartiers ; on forma le
cordon pour les quartiers d'hiver. Le prince
Maurice eut le commandement de la division
qu'on envoya à Chemnitz etàZwickau, d'où
il envoya des détachemens pour garder les gor-
ges de la Bohème , et fit retrancher les postes
d'Ausche, d'Oelsnitz, et du Basberg : Pvî. de
Hulsen commandoit les brigades de Freyberg
et de Dippoldisvvalde , et tenoit les postes de
Sayda 3 de Frauenberg, et d'Einsidel. Le Roi
confia à M. de Zastrovv la gorge de Gishubel,
et le passage de Hœhlendorf ; de là, en passant
rElbCj le cordon prenoit de Dresde par Bi-^
BE SEPT ANS. lig
schofsvverda jusqu'à Bautzen , où une tête de
10 bataillons et d'autant d'escadrons étoit prête
à porter des secours où le besoin le demande-
roit. M. de Lestvvitz se tenoit à Zittau avec 6
bataillons; pour assurer sa communication, il
avoit des détachemens à Hirsclifelde , Ostritz ,
et Marienthal. Le prince de Bévern avoit les
postes de Gœrlitz et de Lauban sous ses ordres ,
avec 10 bataillons et 35 escadrons. M. de
Winterfeld et le prince de Wurtemberg , qui
allèrent avec un détachement en Silésie, conti-
nuoient le cordon , en prenant de Greifîenberg
et Hirschberg, à Landshut et Friedland. M. de
Fouquet couvroit le comté de Glatz; un autre
corps de l'armée du maréchal de Schvvérin hi-
verna du côté de Neustadt, et servit à couvrir
la haute Silésie contre les incursions que les
Impériaux auroient pu y faire de la Moravie.
Ce fut dans cette disposition que les troupes
prussiennes passèrent l'hiver de 1736 à 1737.
H 4
120 HIST. DE LA GUERRE '
CHAPITRE V.
i)e Vhi^cr de 1756 à 1757.
L
1' I N VA s I o N des Prussiens en Saxe causa une
vive sensation en Europe; plusieurs cours n'en
savoient pas les raisons , ou , ne voulant pas
même les connoître, blâmoient et désapprou-
voient la conduite du Roi, Le roi de Pologne
crioit contre la violence des Prussiens; ses mi-
nistres dans les cours étrangères exagéroient les
maux de la Saxe , envenimoient et calomnioient
les démarches les plus innocentes du Roi. Ces
clameurs retentissoient à Versailles , à Péter-
bourg j et par toute l'Europe. Le roi de
France étoit déjà piqué de ce que le roi de
Prusse , au lieu de renouveler le traité de
Versailles , venoit de conclure avec le roi d'An-
gleterre l'alliance de Londres. D'un côté , les
ministres autrichiens aigrissoient l'esprit de la
nation fiançoise, pour l'entraîner dans la guerre
d'Allemagne; d'un autre, on se servoit des lar-
mes de la Daupliine pour émouvoir la com-
. DE SEPT ANS, 121
passion de Louis XV , afin qu'il prît le parti du
roi de Pologne. Le roi très- Chrétien se ren-
dit à d'aussi vives sollicitations, et résolut de
porter la guerre en Allemagne. Il ne suspendit
les effets de cette démarche que pour la colojer
par un prétexte apparent et naturel; M. de
Broglio , ambassadeur de France en Saxe , eut
ordre de le fournir , en donnant lieu aux
Prussiens d'insulter à son caractère. C'étoit
l'homme le plus propre qu'on pût choisir pour
brouiller des cours. La commission dont il
étoit chargé donna lieu à la conduite bizarre
o
qu'il tint pendant que les Saxons étoient blo-
qués dans leur camp de Pirna. Il étoit demeuré
à Dresde ; il voulut à différentes reprises se ren-
dre à Struppen auprès du roi de Pologne :
quoique cela fat généralement défendu , il
voulut forcer les gardes , pour s'attirer des vio-
lences de leur part; il essaya inutilement de pas-
ser la chaîne des vedettes; on lui opposa, toutes
les fois qu'il tenta de le faire , tant de politesse
et tant de fermeté, qu'il ne put se rendre au-
près du roi de Pologne , ni trouver un prétexte
léger pour brouiller le roi de Prusse et le roi
de France. Cela impatienta la coui de Ver-
122 HIST. DE LA GUERE.E
sailles , qui, sans chercher d'autres détours, ren-
voya M. de Knyphausen, ministre prussien à
Paris , et rappela M. de Valori qui résidoit à
Berlin. Cette démarche d'éclat obHgea le Roi,
à son retour de Bohème , de faire signifier à M.
de Broglio à Dresde, où le Roi établissoit son
quartier, que toute intelligence venant d'être
rompue entre les deux cours par le rappel des
mmistres, il n'étoit plus séant qu'un ambassa-
deur de P'rance résidât dans un lieu où se
trouvoit Sa Majesté, et qu'il n'avoit qu'à se pré-
parer à partir incessamment pour aller trouver
le roi de Pologne, auprès duquel il étoit ac-
crédité. M. de Broglio reçut cette déclaration
avec cet air de dignité et de hauteur que les mi-
nistres François savent prendre lorsqu'ils se sou-
viennent des belles années de Louis XP/. Ce-
pendant il n'en partit pas moins promptement
pour Varsovie. La cour de Versailles, qui vou-
loit la rupture , et qui , ayant perdu de vue le
point fixe de sa politique de pousser la guerre
par mer contre les Anglois, ne se conduisoit que
par ses caprices et des impulsions étrangères,
déclara qu'elle regardoit l'invasion des Prussiens
en Saxe comme une violation de la paix de
DE SEPT ANS. I23
Wesîphalie, dont elle étoit garante; elle crut
le prétexte de cette garantie suffisant pour se
mêler de cette guerre, et pour y entraîner
même les Suédois. L'abbé de Bernis , qui
avoit été le promoteur de l'alliance conclue
avec la maison d'Autriche , reçut le poste qu'a-
voit eu M. Rouillé, et devint ministre des af-
faires étrangères. Enfin l'impétuosité Françoise,
qui pousse l'esprit de cette nation d'un extrême
à l'autre , l'inconséquence des ministres , l'ani-
mosité dont le roi de France étoit déjà rempli
contre le roi de Prusse , la nouveauté et la
mode, accréditèrent tellement à la cour cette
alliance des Autrichiens , qu'on la considéroit
comme un chef-d'œuvre de politique. Les mi-
nistres impériaux étoient seuls à la mode; et ils
se servirent si adroitement de l'influence qu'ils
avoient dans le conseil de Louis XV", qu'au
lieu de 04,000 hommes d'auxiliaires que la
France étoit obligée de donner à l'Impératrice-
icine , ils intriguèrent si bien, que le printemps
suivant 100,000 François passèrent le Rhin.
Bientôt les Suédois furent sommés par le mi-
nistère de Versailles de remplir la garantie du
traité de ^yestphalie. Le sénat de cette nation
124 HIST. DE LA GUERRE
étoit depuis long-temps aux gages de la Fran-
ce. Quoique jes constitutions du royaume dé-
fendent en termes exprés et positifs de ne point
déclarer la guerre sans le consentement des trois
ordres qui forment la diète ou les états géné-
raux 5 les partisans de la France violèrent cette
loi fondamentale , et passant par-dessus toutes les
formalités usitées en pareils cas , ils adoptèrent
aveuglément les mesures que le roi de France
leur prescrivoit. Pendant que la cour de Ver-
sailles préparoit si laborieusement les moyens
de bouleverser l'Allemagne , un fou pensa cau-
ser une révolution en France; c'étoit un fana-
tique obscur, qui, ayant servi en qualité de do-
mestique dans un couvent de Jésuites en Flan-
dre , se proposa d'assassiner Louis XV. Ce mal-
heureux, nommé Damiens, se rendit à Versailles,
pour y épier le moment d'exécuter son abo-
minable projet. Un soir que le Roi devoit
partir pour Choisi , cet insensé se glisse dans
la foule, approche du Ro-i par derrière, et lui
plonge son couteau dans le côté. Il fut arrêté
sur le champ. La blessure du monarque fut
trouvée légère. Le parlement se saisit du coupa-
ble ; les prisons furent remplies de personnes
DE SEPT ANS. 125
qu'il avoît chargées par ses dépositions, mais
qui étant innocentes recouvrèrent la liberté ;
et jusqu'à présent le public n'a été instruit que
vaguement des motifs qui ont porté ce monstre
à cet attentat atroce. La cour de Vienne , qui
agissoit si puissamment à Versailles , n'étoit pas
moins diligente à intriguer chez les autres
puissances de l'Europe; elle dépeignoit à Pé-
terbourg l'entrée des Prussiens en Saxe sous les
couleurs les plus noires : c'étoit une injure faite
à la Russie ; c'étoit braver les forces de cet em-
pire; c'étoit un mépris manifeste des garanties
que l'impératrice Elisabeth avoit données au
roi de Pologne de son électorat. Pour appuyer
ces insinuations , les Autrichiens prodiguoientà
Péterbourg les calomnies contre la Prusse, et
les sommes d'argent qu'ils y répandoient ne
furent pas inutiles à leur dessein. Pour hâter la
marche des troupes russes , l'Impératrice-reine
promit de payer annuellement un subside de
deux millions d'écus à l'impératrice Elisabeth:
cette somme étoit proprement payée par la
France ; c'étoit l'évaluation du contingent qu'elle
•devoit à l'Autriche, qui par ce subside enga-
geoit la Russie à déclarer la guerre à la Prusse.
126 HIST. DE LA GUERRE
Cependant les ministres de l'Impératrice-
reine ne travailloient pas avec moins de zèle
à Ratisbonne pour engager dans ces trou-
bles les Etats de l'Empire ; de leur côté les
François intimidèrent la diète par leurs me-
naces, au point qu'elle souscrivit aveuglément
aux volontés de la cour de Vienne : il fut
résolu par les conclusions de cette diète que le
S, Empire formeroit ime armée d'exécution ,
qui s'âvanceroit tout droit dans l'électorat de
Brandebourg. Le commandement de cette
armée fut décerné au prince de Hildbourghau-
sen, maréchal au service d'Autriche. Alors le
fiscal de l'Empire se mit sur les ranp-s; il avan-
ça que les rois de Prusse et d'Angleterre dé-
voient être mis au ban de l'Empire : quelques
princes représentèrent que , si autrefois l'élec-
teur de Bavière avoit été condamné à ce ban,
cela ne s'étoit fait qu'après sa défaite à la
bataille de Hcechstsedt, et que dès que les ar-
mées impériales en auroient gagné de pareilles ,
il seroit- libre à chacun de procéder contre les
deux Rois. La France comprit que si l'on
se précipitoit à publier cet arrêt, la cour de
Vienne commettroit sa dignité, et qu'il y au-
DE SEPT ANS. loy
roit à craindre de plus, que les deux Rois et
leurs adhérens ne se séparassent entièrement du
saint Empire romain; ils firent toutes ces repré-
sentations à Vienne, et conseillèrent à la Reine
d'attendre les succès de la fortune, pour penser
ensuite aux mesures ultérieures qu'elle auroit
à prendre. Quoique cet avis prévalût , cela
n'empêcha pas le fiscal d'agir avec une indé-
cence et une grossièreté insupportables contre
des Rois , envers lesquels des ennemis même
observent communément des procédés honnê-
tes et respectueux. Il auroit été difficile de ré-
pondre aux écrits injurieux et amers de cette
diète 5 si M. de Plotho , ministre du Roi à Ra-
tisbonne, n'eût pas eu le talent et l'adresse de
tremper sa plume dans le même fiel. Le style
de la cour impériale n'étoit pas plus doux: ou
le distinguoit néanmoins des écrits du fiscal
o
par des insolences pleines de fierté et par quel-
que chose de plus piquant, mêlé d'arrogance
et de hauteur. Le Roi, indigné contre ces pro-
cédés, fit insinuer à l'Impératrice qu'on pou-
voit être ennemi sans se dire des injures; qu'il
suffisoit aux souverains de vider leurs débats
par répée, sans prostituer leur dignité par des
128 HIST. DE LA GUERRE
écrits en style des halles : ces remontrances fu-
rent long-temps vaines, et n'acquirent du poids
qu'après le gain de quelques batailles.
Tandis que toute l'Europe s'armoit contre
les rois de Prusse et de la Grande - Bretagne ,
l'Angleterre se trouvoit dans une subversion
générale, qui engourdissoit le gouvernement,
et seroit devenue préjudiciable aux intérêts de
la nation , si des changemens survenus à pro-
pos n'avoient encore à temps redressé les cho-
ses. Les dissensions domestiques qui agitoient
r
l'intérieur de l'Etat, étoient fomentées par le
duc de Cumberland , qui se flattoit de par-
venir à remplir de ses créatures les premiers
L'hiver postes : c'étoit lui qui avoit soulevé la nation
ce i;jo (-QiTj^pg }gg François; c'étoit lui qui avoit allu-
mé la guerre , dans l'espérance que le ministère
ne pourroit pas se soutenir en un temps de
trouble. Les premières entreprises des Anglois
tournèrent si mal, qu'ils perdirent Port-Ma-
hon ; ce fut là le prétexte dont se servit le \
parti de ce prince, pour taxer le duc de Nevv-
castle de malhabileté. A l'ouverture du par-
lement les esprits s'échauffèrent, Fanimosité des
partis redoubla 5 et tant de ressorts furent mis
en
DE SEPT ANS* 129
tn œuvre par les intrigues du duc de Cum-
berland , que le duc de Newcasde , fatigué
par la faction plutôt que vaincu, résigna ses
emplois; le parti de Cumberîand', triomphant,
fit donner les sceaux au S*". Fox, créature du
Prince. Cependant ce nouvel arrangement
ne put se soutenir; M. Fox quitta de lui-mê-
me cette place qu'on lui avoit fait obtenir par
tant d'intrigues, et le duc de Newcastle ren-
tra dans ses charges. Ces déplacemens de
ministres n'auroient cependant pas tiré à con-
séquence , s'il n'en avoit résulté une espèce
d'inaction et de léthargie dans les affaires : les
o
ministres et les grands étoient plus occupés de
l'intérêt de leurs factions , que des mesures à
prendre contre la France. Plus animés contre
leurs compétiteurs que contre les ennemis de
la nation, ils ne prenoient aucune mesure pour
la campagne prochaine. Personne ne pensoit
à former des projets pour la guerre de mer
jusqu'alors malheureuse, encore moins pour la
guerre qui étoit sur le point d'embraser l'Alle-
magne. Ce qui intéressoit le plus le Roi dans
ce moment, c'étoit de faire prendre aux An-
glois des mesures relatives à la guerre du con-
Tome ///. I
130 HIST. BE LA GUERRE
tinent; et comme il prévoyoit en gros sur quoi
pourroient rouler les opérations de l'armée
françoise dans l'Empire y il envoya au roi
d'Angleterre un projet qu'il avoit dressé pour
la défense commune de l'Allemagne. Ce mé^
moire rouloit sur les points suivans : il pro-
posoit de maintenir Wésel, pour en faire la
place d'armes des alliés , par où l'on restoit le
maître de passer le Rhin; il demancloit qu'on
assemblât l'armée en un lieu convenable derriè-
re la Lippe entre Wésel et Lippstadt ; cette posi-
tion donnoit lavantage de porter les troupes se-
lon le besoin, soit vers le Kbin, soit vers le Wéser,
De plus, si les François marchoient en Hesse,
l'armée de la Lippe , en s'avançant vers Franc- ■
fort, les obligeoit à quitter prise, et en at-
tendant que les opérations auroient éloigné
du Rhin l'armée alliée , la forteresse de Wé-
sel auroit assez occupé les François , pour
donner le temps de venir â son secours; d'ail-
leurs, tant que cette place tenoit, il n'étoit pas
à présumer que les troupes françoises du bas
Rhin s'enfonçassent trop dans la Westphalie.
Le roi d'Angleterre, qui s'étoit peu appliqué
1 ces sortes de matières , lut le projet sans en
DE SEPTANS. I3I
comprendre l'importance , et comme il y étoit
question de soutenir Wésel , il se défia des rai-
sons dont le roi de Prusse se servoi't; il avoit
en revanche une confiance entière en ses mi-
nistres de Hanovre , qui ne cessoient de lui
représenter qu'il falloit se borner à la défense
du Wéser. Cette idée étoit fausse en tout sens,
parce que le Wéser est presque généralement
guéable et que sa rive opposée à Télectorat
de Hanovre domine l'autre , de sorte que la na-
ture n'a pas voulu, quoi qu'en pût dire M. de
Munchhausen 5 que jamais général habile se
servît de cette rivière dans le sens qu'il propo-
soit. Son avis prévalut néanmoins, et tout ce
qu'on put obtenir du roi d'Angleterre fut
qu'il consentît à faire repasser les troupes hano-
vriennes et hessoises en Allemagne. Le man-
que d'harmonie entre le Roi, les Anglois et
les Hanovriens mit le premier dans le cas de
prendre des mesures difterentes de celles qu'il
avoit imaîjinées pour le duché de Clèves et la
forteresse de Wésel: obligé d'abandonner cette
place, il donna des ordres pour qu'on ruinât
une partie des ouvrages; il ht transporter par
mer à Mogdebourg la nombreuse artillerie qui
I 2
132 HIST. DE LA GUERRE
garnissoit les remparts; et la garnison eut ordre
d'évacuer la ville, et de se retirer à Bielefeld,
pour se joindre au printemps à l'armée alliée,
qui devoit s'y assembler sous les ordres du duc
de Cumberland. Après la preuve que les mi-
nistres de Hanovre avoient donnée du crédit
qu'ils avoient sur l'esprit du roi d'Angleterre ,
il étoit clair que pour aller à la source d'où
partoient les résolutions, il falloit s'adresser à
eux. On avoit tout à craindre pour l'armée
du duc de Cumberland , moins commandée
par ce prince que par un tas de jurisconsultes
qui n'avoient jamais vu de camp, ni lu de livre
qui traitât de l'art militaire, mais se croyoient
égaux aux Marlborougli et aux Eugène. Les
intérêts du Roi étoient trop liés avec ceux
du roi d'Angleterre , pour qu'il vît de sang
froid le mauvais parti qu'on alloit prendre : se
flattant de le prévenir, il envoya M. de Schmet-
tau à Hanovre. Ce général fit à ces magistrats
présomptueux et ignorans les représentations
les plus énergiques , pour les faire renoncer au
projet de campagne qu'ils avoient formé ; il
leur en démontra les défauts ; il leur en prédit
les conséquences , mais le tout en vain ; s'il
BE SEPT ANS. 133
leur avoit parlé arabe , ils l'auroient tout autant
compris. Ces ministres , dont l'esprit étoit
resserré dans une sphère étroite, ne savoient pas
assez de dialectique pour suivre un raisonne-
ment militaire; leur peu de lumières les rendoit
méfians, et la crainte d'être trompés dans une
matière qui leur étoit inconnue, augmentoit
l'opiniâtreté naturelle avec laquelle ils sou-
tenoient leurs opinions : toutes ces raisons
rendirent la mission de M. de Sçhmettau in-
fructueuse.
Les François, plus fins qu'eux, leur avoient
persuadé fermement qu'ils ne vouloient que
traverser leur pays; que leur projet de campa*
gne n'étoit calculé que contre le roi de Prusse;
qu'en un mot ils vouloient assiéger Magde-
bourg, et que pourvu que les Hanovriens se
tinssent spectateurs tranquilles de cette scène
durant le cours des opérations de la campagne ,
leur pays seroit épargné, et leurs personnes en
considération. Ces ministres furent la dupe de
leur crédulité, et les François les punirent de la
perfidie qu'ils vouloient commettre envers le
roi de Prusse, comme on le verra dans le récit
de la campagne prochaine,
13
134 HIST DE LA GUERRE
Pendant que toutes ces négociations agi-
toient l'Europe, le Roi étoit à Dresde, où la
reine de Pologne lui donnoit d'autres embar-
ras. Cette princesse , en faisant complimenter
tous 'les jours le Roi par son grand -maître le
com.te de Ouestenberg, en lui prodiguant des
assurances d'amitié, entretenoit des intelligen-
ces secrètes avec les généraux autrichiens , et
les avertissoit de tout ce qu'elle étoit à portée
d'apprendre,. Ces iricnées donnèrent lieu aux
précautions que l'on prit pour découvrir la
correspondance. Comme on fouilloit exacte-
ment aux portes tous les ballots , toutes les
marchandises et les paquets qui venoient de
Bohème, on ouvrit un jour une caisse de bou-
dins adressés à Madame Ogilvi, grande-maî-
tresse de la Reine , qui avoit des terres aux en^
virons de Leutmeritz; en examinant ces bou-
dins on les trouva tous farcis de lettres. Cette
découverte rendit la cour plus retenue dans ses
correspondances. Cependant le même train
continuoit toujours , avec la différence qu'on
s'y prenoit avec plus de finesse. Ce n'étoit pas
à quoi se bornoit la mauvaise volonté de la
Reine; car elle envoyoit des émissaires dana
DE SEPT ANS. 135
toutes les garnisons où le Roi formoit ces récri-
^ o
jîiens nouvellement levés des Saxons pris au
Lîlienstein; elle les faisoit exciter à la sédition,
à la révolte et à la désertion. Elle en débaucha
beaucoup , et fut cause qu'au commencement
de la campagne des corps entiers se soulevè-
rent et passèrent du côté des ennemis. Le des-
. sein du roi de Polog;ne et de ses alliés étoit
de rétablir ces corps en Hongrie, pour les met-
tre sur le pied où ils étoient avant que les Prus-
siens les prissent : ils assemblèrent des soldats ;
mais manquant d'officiers, ils eurent recours à
un moyen dont l'histoire ne fournit aucun
exemple de la part de princes laïques. On
dispensa les officiers saxons de la parole d'hon-
neur qu'ils avoient donnée aux Prussiens de
île plus servir contre eux, et plusieurs officiers
furent assez lâches pour obéir. Dans des siècles
d'ignorance on trouve des papes qui relevoient
les peuples du serment de fidélité qu'ils avoient
prêté à leurs souverains ; on trouve un cardi-
nal Julien Césarini qui oblige un Ladislas , roi
de Hongrie, à violer la paix qu'il avoit jurée
à Soliman. Ce crime, qui autorisa le parjure,
li'avoit été que celui de quelques pontifes
14
136 HIST. DE LA GUERRE
ambitieux et implacables , mais jamais celui
des rois, chez lesquels on devroic retrouver la
bonne foi , fût - elle bannie du reste de la
terre. Si j'insiste sur de pareils traits , c'est
qu'ils caractérisent l'esprit d'animosité et l'a-
charnement opiniâtre qui régnoient dans cette
guerre , et qui la distinguent de toutes les
autres. Cependant la France et l'Autriche ne
retirèrent pas de ces régimens saxons les servi-
ces qu'ils en attendoient ; ils en furent pour
leur argent et pour leur dispense.
Dans cette effervescence générale les trou-
pes ennemies ne furent pas plus tranquilles
dans leurs quartiers, que les négociateurs ne
l'étoient pour leurs intrigues. Les corps cjue
le Roi avoit en Lusace furent les plus exposés
aux entreprises qu'on forma contre eux. Cette
province fait du côté de Zittau une espèce de
point qui s'enfonce en Bohème et va toujours
en se rétrécissant. Les Autrichiens environnè-
rent cette partie de la Saxe par de gros déta-
chemens qu'ils avoient à Friedland , à Gabel^
et à Rom.bours;. Ces détachemens , commandés
par de jeunes officiers qui cherchoient avec ar-
deur les occasions de se distinguer 5 furent presr
DE SEPT ANS. I37
que pendant tout Fliiver en campagne. Le
prince de Lœvvensteln étoit à la tête do l'un ,
et M. de Lascy , fils du Maréchal , qui avoit
servi avec distinction en Russie , conduisoit l'au-
tre. Ils entreprirent tantôt sur le poste d'Os-
tritz , tantôt sur celui de Hirschfeld ou de Ma-
rienthal, et quoiqu'ils ne parvinssent point
à surprendre les officiers prussiens qui défen-
doient ces postes , ils tuèrent toutefois du
monde inutilement. M. de Blumenthal, major
au régiment Henri, perdit la vie dans une oc-*
casion pareille , et plusieurs soldats , dont on
auroit pu tirer de meilleurs services, y périrent.
Le corps de M. de Lestvvitz à Zittau, celui du
prince de Bévern à Gœrlitz, furent fatigués par
des alertes perpétuelles, étant obligés d'envoyer
des secours tantôt d'un côté, tantôt de l'autre;
l'inquiétude et l'activité des Autrichiens les tin-
rent continuellement sur pied et en action. Mais
les ennemis se fortifièrent dans ces environs des
troupes de Flandre qui venoient joindre leur
armée ; à la longue la partie seroit devenue
inégale , et comme il falloit nécessairement des
renforts aux Prussiens, pour qu'ils se soutinssent
en Lusace , le Roi y fit avancer la réserve qui
I3S fîlST. DE LA GUERRE
jusqu'alors avoit occupé en Foméranie la partie
de cette province la plus voisine de la Prusse.
D'abord la destination de ces troupes avoit été
de joindre le maréchal de Leliwald , pour le
mettre plus en état de résister à l'armée des
Russes ; mais le besoin le plus pressant l'emporta
sur celui qu'on ne voyoit que dans Téloigne-
ment : il falloit considérer qu'en partageant
avec trop d'égalité l'armée en trois corps, au-
cun des trois ne seroit assez fort pour frapper
un coup vigoureux et décisif; au lieu qu'en
rassemblant une grosse masse en Saxe, on pou-
voit espérer de remporter dès le com^men-
cement de la campagne un avantage assez
considérable sur les Impériaux , pour que
leurs alliés en fussent étourdis , et que même
quelques-uns d'eux se désistassent des desseins
de guerre et de conquête qu'enfantoit leur
ambition.
Les régimens prussiens qui venoient de la
Poméranie arrivèrent vers le milieu de Mars à
Gœrlitz; on les employa à fortifier les postes
qui n'étoient pas assez garnis de troupes, et de-
puis qu'ils furent en Lusace, les ennemis se
tinrent tranquilles.
DE SEP T ANS. 139
Vers ce temps-là le Roi fit un tour en Si-
lésie 5 pour s'aboucher avec le maYechal de
Schwérin ; ils se virent à Haynau. On y arrêta
le projet de la campagne prochaine, et l'on
prit les mesures les plus justes pour en dérober
la connoissance à l'armée même ; après quoi le
Roi retourna en Saxe , et tout s'y prépara ,
ainsi qu'en Silésie , à exécuter ces desseins aussi-
tôt que la saison et les arrangemens relatifs aux
subsistances pourroient le permettre.
CHAPITRE VL
Campagne de 1757*
X-jES troupes prussiennes entrèrent en canton- Avril.
TxCment sur la fin de Mars; elles étoient par-
tagées en quatre corps dilTérens. Le prince
Maurice commandoit aux environs de Zwi-
ckau ; le Roi avec le gros de l'armée se tenoit
entre Dresde, Pirna^ Gishubel et Dippoldis^val-
de; le prince de Bévern avoit rassemblé aux
environs de Zittau le corps qui avoit hiverné
140 HIST. DE LA GUERRE
en Lusace , et le maréchal de Schvvérin s*étoit
avancé avec son armée sur les frontières de la
Bohème entre Glatz, Friedland et Landshut.
Le projet de campagne qu'on avoit formé
étoit que ces quatre corps , pénétrant à la fois
en Bohème , arrivassent par différentes di-
rections à Prague, qui leur serviroit de point
de ralliement. On pouvoit se promettre que
ce grand mouvement jetteroit une confusion
étonnante dans les difrérens corps des ennemis
répandus dans leurs quartiers: on pouvoit espé-
rer d'en surprendre quelques - uns et d'avoir
occasion d'engager des affaires particulières avec
les autres , pour en faire périr une partie en
détail ; ce qui donneroit un ascendant et une
supériorité aux Prussiens pour le reste de la
campagne, et pourroit les mener à une action
décisive , dont le succès fixeroit le sort de cette
guerre. Rien n'étoit plus important que de
cacher ce projet; il ne pouvoit réussir qu'en en
dérobant la connoissance et le soupçon même
aux ennemis , et à la cour de Saxe , qui tra-
hissoit les Prussiens , et à l'armée , pour que
l'imprudence ne le divulguât pas. Afin d'en
imposer également à tout le monde 5 en fit for-
DE SEPT ANS. 141
tifier et pallissader la ville de Dresde , pour la
mettre en état de défense. Le Roi choisit en même
temps un certain nombre de camps avantageux
à l'entour de Dresde, comme s'il se préparoit à
une guerre défensive. Ces camps furent mar-
qués à Cotta, Maxen, Possendorf, au Wind-
berg et à Moren. Les chasseurs saxons qu'on y
employa n'eurent rien de plus pressé que d'en
avertir la cour , et la reine de Pologne ne
manqua pas aussitôt d'en informer les généraux
autrichiens. On ne s'en tint pas uniquement à
ces fausses démonstrations , et pour endormir
davantage les généraux ennemis , on fit quel-
ques foibles incursions en Bohème, comme si
l'on vouloit se venger par là des partis que les
ennemis avoient envoyés pendant l'hiver en
Lusace , pour inquiéter les Prussiens. Dans
cette vue le prince Maurice fit une course vers
Éger; le maréchal Keith entreprit à Schlukenau
un détachement autrichien , qui ne l'attendit
pas ; le prince de Bévern surprit à Bœhmisch
Friedland 400 fantassins et pandours , qui se ren-
dirent prisonniers. Toutes ces petites entre-
prises entretinrent les Impériaux dans leur sécu-
rité; il» se persuadèrent que le Roi se bornoit
I
142 HIST. DE LA GUERRE
Avril, à leur donner de petites alarmes , et ils ne le
soupçonnèrent pas de plus grands desseins.
Les différens corps de l'armée prussienne
se mirent en mouvement, les uns le Qo, les
29. autres le 29 d'Avril. Le prince Maurice péné-
tra en Bolième par le Basberg , d'où il s'avança
sur Commotau. Le Roi se campa à Nœllen-
dorf ; il poussa son avant-garde à Karwitz ,
d'oi^i. de Zastrow fut détaché avec sa brip^ade,
pour occuper Aussig et chasser les Autrichiens
du château de Tetschen. Le lendemain l'ar-
mée se rendit à Linay, où le prince Maurice ^
qui venoit de Brix, la joignit. Tous les quar-
tiers autrichiens se replièrent en-delà de l'Eger
à l'approche des Prussiens : le château de Tet-
schen ne se rendit que le q 7 ; M. de Zastrow
eut le malheur d'y être tué. L'armée passa
ensuite le Pascbpol , et traversant les plaines de
24. Lowositz 5 elle vint se camper à Trebniîz. On
occupa le Hasenberg, et la droite s'appuya au
Pascopol. Cette position se trouva vis-à-vis
de celle que le maréchal Braun venoit de pren-
dre à Budin : on sa voit que ce miaréchal y
attendoit le lendemain une division de ses
troupes 5 qui avoit hiverné dans les cercles
DE SEPT ANS. 143
de Saaz et d'Eger; on voulut tenter de préve-
nir cette jonction , et même essayer si Ton ne
pourroit pas combattre ce corps avant qu'il
fût à portée du camp de Budin. Pour cet
effet il fi.it résolu que la nuit même l'armée
passeroit l'Eger à un mille et demi au-dessus
du camp de M. de Braun; et si l'occasion ne se
présentoit pas de battre cette division qui étoit
en chemin 5 du moins devoit-il résulter de
cette manœuvre qu'en tournant la position de
M. de Braun, on l'obligeroit à l'abandonner.
On établit en conséquence deux ponts à Kosch-
titz; ils ne furent achevés que le lendemain
matin , que les troupes passèrent l'Eger. Les
housards qu'on envoya aussitôt à la découverte
rencontrèrent près de Pénitz la division qui
devoit joindre M. de Braun. Cette division ^
étant informée du passage des Prussiens , se
replia sur Welwarn , sans qu'il fût possible de
l'entamer, parce que la moitié de l'armée avoit
à peine passé la rivière. Le maréchal Braun ne
tarda pas à s'appercevoir que son poste étoit
tourné ; il comprit qu'il ne pouvoit se joindre
avec les troupes qui lui venoient qu'en se reti-
rant à Welwarn , et il se mit aussitôt en marche
144 HIST. DE LA GUERRE
pour y arriver : les housards prussiens harcelè-
rent son arrière-garde , et firent quelques pri-
25' sonniers. L'armée du Roi se campa à Budin et
employa le lendemain à réparer les ponts de
l'Eger, pour assurer la communication de la
Saxe : les magasins importans que les ennemis
avoient à Martinowe , à Budin, et à Karwatitz,
tombèrent entre les mains des Prussiens ; ce
qui facilita considérablement la subsistance des
troupes. De Budin l'armée s'avança sur Wel-
warn, que l'ennemi venoit d'abandonner et
l'on poussa jusqu'à Tuchomirsitz une avant-
garde composée de 40 escadrons et de tous
30. les grenadiers de l'armée; le Roi, qui s'y trou-
A^oit: , vit r umée de M. de Braun , qui étoit
encore en marche. Derrière ces colonnes qui dé-
filoient, suivoit une arrière -ç^arde dont la con-
tenance mal assurée fit naître l'envie de l'atta-
quer; M, de Ziethen donna dessus et fit 30a
prisonniers. Des le commencement les en-
Mai, nemis s'étoient postés sur le Weisse-Berg,- ils
l'abandonnèrent le 2 de Mai : l'avant - garde
prussienne s'en saisit . et vit l'ennemi passer la
ville de Prague , et prendre un camp de l'autre
coté de la Moldau. L'armée du Roi occupa le
même
DE SEPT ANS. 145
même jour tous les environs de la ville, et en
forma une espèce de circonvaliation ; sa droite
^appuyoit à la haute Moldau , d'où le camp al-
loit, en embrassant S. Roc et le couvent de la
Victoire , s'appuyer à Podbaba à la basse Moldau.
Durant cette marche de l'armée du Roi , le
prince de Bévern avoit poussé de son côté les
opérations avec vigueur : il étoit entré le qo
d'Avril en Bohème , en s'avançant par Krottau
et Kratzen sur Machendorf ; sa cavalerie battit
en marche un détachement autrichien, qui s'a-
vançoit pour faire une reconnoissance. L'en-
nemi avoit pris à Reichenberg une position
avantageuse ; le comte de Kœnigseck com-
mandoit ce corps , dont on évaluoit la force à
285O00 combattans. Ce fut le qi d'Avril que
le prince de Bévern se mit en mouvemeiit pour
l'attaquer; il s'avança sur deux colonnes, pre-
nant le chemin de Habendorf vers l'armée
ennemie. Il falloit passer une chaussée pour y
arriver. Ce déhlé , que les ennemis ne pou-
voient défendre avec la mousquéterie , n'arrêta
guères les Prussiens. Au-delà de ce passage se
trouvoit le corps de M. de Kœnigseck , auquel
il avoit donné la forme d'un cercle. La cava-
Tome m K
146 HIST. DE LA GUERRE
lerie autrichienne occupoit le centre de ce cer-*
cle , et se trouvoit rangée en trois lignes sur
une petite plaine, enchâssée entre les deuxailé^
d'infanterie qui alloient en avançant, le dos
appuyé à d'épaisses forêts, ayant en quelques
endroits des abattis devant elle , et des redou-
tes garnies dartilleiie dont le feu protégeoit
la cavalerie. La droite du prince de Bévern
attaqua la gauche de l'ennemi ; 1 5 escadrons
prussiens chargèrent en même temps cette cava-
lerie impériale dans la plaine, et la m.irent en
déroute. Le prince de Wurtemberg y fit des
prodiges de valeur. Alors M. de Lestwitz at-
taqua la droite de l'ennemi et les redoutes qui
couvroient Reichenberg, et quoiqu'il traversât
diiTérens déhlés avant que d'y arriver , néan-
moins le régiment de Darmstadt, commandé
par le colonel de liertzberg , força ces redou-
tes , et obligea l'ennemi à prendre la fuite ; on
le poursuivit de hauteur en hauteur jusqu'à
Kochlitz et à Dorffel. La difficulté de ce terrain
montueux, et rim.possibilité qu'il y a que des
troupes qui veulent demeurer en ordre, puis-
sent atteindre un ennemi qui fuit à la déban-
dade 5 empêchèrent le prince de Bévern de rui-
DE SEPT ANS. 147
ner entièirement ce corps. Les Autrichiens per-
dirent environ 1800 hommes à cette action,
dont 800 furent pris par le prince de Bévern.
La perte des Prussiens ne passa pas 300 hom-
mes, parce que l'ennemi ne leur avoit pas op-
posé une résistance opiniâtre. Le prince de Bé-
vern suivit à Libenau M. de Kœnigseck, où un
défilé impraticable, derrière lequel ce général
avoit formé son monde , l'empucha de tentet
de nouvelles entreprises.
De ce côté les Prussiens n'auroient pu pé-
nétrer plus avant en Bohème, si le maréchal de
Schwérin en survenant ne les eût secondés à
propos. L'armée de Silésie fut la première qui
entra en Bohème le 18 d'Avril; elle déboucha
dans ce royaume par 5 différens chemins. Une
de ces colonnes qui se dirigeoit sur Schatzlar
pensa y surprendre les princes de Saxe , qui s'y
trouvoient : celle qui prenoit la route de Gul-
dene-Els rencontra 300 pandours, qui d'un ro-
cher escarpé défendoient le passage aux Prus-
siens; M. de Winterfeld trouva le moyen de
faire gravir contre ces rocs quelques troupes,
qui prirent ces pandours à revers , et les passè-
rent au fil de l'épée : les trois autres colon-
K <2
148 HIST. DE LA GUERRE
nés 5 qui débouchèrent par le comté de Glatz ,
n'ayant point rencontré d'ennemis sur leur che-
min 5 joignirent toutes le maréchal de Schwérin
à Kœnigshof. Ce maréchal, ayant des nouvel-
les de ce qui s'étoit passé du côté du prince de
Bévern , se porta derrière M. de Kœnigseck,
qu'il pensa surprendre dans son camp de Libe-
nau; les Autrichiens décampèrent en hâte et
voulurent diriger leur marche sur Jung-Buntz-
lau : M. de Schwérin les y prévint encore , et
s'empara en même temps du magasin considé-
rable que les ennemis avoient formé à Kosma-
nos. Ce fut à cet endroit où le corps de la Lu-
sace joignit l'armée de la Silésie. Cependant
M. de Kœnigseck s'avançoit à grandes journées
vers Prague ; le maréchal le suivit à Bénatek ,
d'où il détacha, pour talonner l'ennemi de plus
près, M. de Wartenberg qui délit près de Alt-
Buntzlau l'arrière- garde autrichienne, forte de
1500 hommes, dont le plus grand nombre fut
tué ou pris; mais ce brave général, un des
meilleurs officiers de cavalerie de l'armée, y per-
dit la vie , et fut universellement regretté. M.
de Fouquet, marchant alors avec l'avant-garde
du maréchal à Buntzlau, s'y arrêta jusqu'au 4
DE SEP T ANS. 149
de Mai, pour rétablir les ponts de l'Elbe, que Mai.
l'ennemi avoit rompus pour assurer sa retraite.
Le même jour le Maréchal fit passer la rivière à
son armée et se campa à un mille et demi de
Prague.
Une partie des troupes que M. de Picco-
lomini avoit commandées Tannée précédente,
n'étoit pas encore assemblée; le maréchal Daun
en avoit reçu le commandement après la mort
du premier. Sur le bruit des différentes inva-
sions des Prussiens , ce maréchal reçut ordre de
rassembler son armée, et de la mener droit à
Prague ; M. de Braun l'attendoit avec d'au-
tant plus d'impatience , cju'il voyoit que tou-
tes les forces des Prussiens alloient incessam-
ment fondre sur lui. Le Roi étoit instruit de
la marche du maréchal Daun; mais son armée
ne pouvoit rien entreprendre contre M. de
Braun 5 qui étoit couvert par la'Moldau et
par la ville de Prague : d'ailleurs les choses
en étoient venues au point , que le sort des
deux armées devoit nécessairement se décider
par une bataille; et puisqu'on ne pouvoit l'en-
gager qu'à l'autre rive de la Moldau , le Roi
résolut d'attaquer M. de Braun avant sa jonction
K 3
150 HIST. BE LA GUERRE
avec M. Daun. Pour cet effet on construisit
un pont-'sur la Moldau prés de Selz, et le Roi
le passa à la tête d'un détachement de 20 ba-
taillons et de 40 escadrons; c'étoit le 5 de Mai.
Ce prince eut le temps de reconnoître la posi-
tion des ennemis; il trouva le front de M. de
Braun d'un trop difficile abord pour l'attaquer,
et s'apperçut qu'en tournant la droite des enne-
mis le terrain présentoit un aspect plus avan-
tageux pour un engagement. Le lendemain de
grand matin les deux armées prussiennes se joi-
gnirent à la portée du canon des ennemis; on
résolut de les attaquer tout de suite. La gauche
des Autrichiens s'appuyoit sur la montagne de
Ziska 5 et se trouvoit protégée par les ouvrages
de Prague; un ravin de plus de cent pied de
profondeur couvroit son front ; la droite se
terminoit sur une hauteur , au pied de laquelle
se trouve le village de Sterboholi. Pour ren-
dre plus égal le combat qu'on méditoit, il falloit
contraindre M. de Braun d'abandonner une
partie de ces montagnes , et de longer dans
la plaine. A cette fin le Roi changea son
ordre de bataille : l'armée avoit défilé en co-
lonnes rompues; on la mit sur deux lignes, et
DESEPTANS. .151
on la fit marcher par la gauche , en prenant
le chemin de Postchernitz. Dès que M. de
Braun s'apperçut de ce mouvement , il prit sa
réserve de grenadiers , sa cavalerie de la gauche
et sa seconde ligne d'infanterie , avec lesquels
il côtoya les Prussiens 5 en tenant une ligne
parallèle. C'étoit précisément ce qu'on vouloit.
L'armée du Roi poussa à Bichowitz par des dé-
filés et des marais qui séparèrent un peu les
troupes; la cavalerie prussienne fila au travers
de ce village, où elle trouva une plaine bornée
par un étang, qui lui présentoit précisément la
distance qu'il lui falloit pour se former, et em-
boîtée entre ce village et cet étang, ses flancs
se trouvoient à l'abri d'insulte : elle attaqua
vigoureusement la cavalerie autrichienne; après
trois charges consécutives, elle l'enfonça, et la
mit entièrement en déroute. A peine 10 ba-
taillons de la gauche furent-ils formés , avant
que la seconde ligne pût les joindre , qu'ils at-
taquèrent l'ennemi avec plus de précipitation
et de courage que de prudence; ils essuyèrent
un feu d'artillerie prodigieux , et furent re-
poussés, mais non assurément avec honte, car
les plus braves ofTiciers et la moitié des batail-*
K 4
152 HIST. DE LA GUERRE
Ions étoient couchés sur le carreau. Le mare'
chai de Schwérin, qui malgré son grand âge
conservoit encore tout le feu de sa jeunesse ,
voyant avec indignation des Prussiens repoussés,
et saisissant un drapeau , se mit à la tête de son
régiment , le conduisit à la charge , et fit des
efforts de valeur extraordinaires ; mais comme
il n'y avoit point encore de troupes pour le
soutenir, il succomba et fut tué, terminant ainsi
une vie glorieuse par une mort qui la couvroit
d'un nouveau lustre. La seconde ligne arriva
sur ces entrefaites : le Roi attira encore à lui
le prince Ferdinand de Bronswic avec quelques
régimens , et le combat se rétablit d'autant plus
facilement , que M. de Treskovv , avec sa bri-
gade, cjui étoit tant soit peu plus à droite , avoit
percé la ligne des ennemis. Le Roi fit alors
avancer les régimens de Charles et de Jeune-
Bronswic 5 jeignit M. de Treskow, et avec ce
corps poussa l'infanterie autrichienne au-delà
de ses tentes, qu'elle n'avoit pas eu le temps
d'abattre. Dès ce moment la déroute devint
générale à la droite des ennemis; on demanda
de la cavalerie , pour profiter de ce désordre :
malheureusem^ent les housards et les dragons
DE SEPT ANS, 153
étoient tombés sur du bagage ennemi qui s'en-
fuyoit, et ils arrivèrent trop tard pour donner
dans l'infanterie, qui sans cette circonstance au-
roit toute été prise ou passée au fil de l'épée.
Cela n'empêcha pas le Roi de poursuivre vive-
ment l'ennemi. On envoya M. de Puttkammer
avec des housards vers la Sasava , où s'étoit
sauvée une partie des fuyards , et avec le gros
des troupes on s'avança vers le Wischerad , de
sorte que la gauche des Autrichiens étoit en-
tièrement coupée de sa droite.
La droite de l'armée du Roi n'étoit point
destinée à combattre , à cause de ce profond
ravin dont nous avons parlé, qui étoit devant
elle, et du désavantage que le terrain lui don-
noit; mais elle ne laissa pas d'être engagée par
l'imprudence de M. de Mannstein , qu*un
courage trop bouillant emportoit quelque-
fois. Cette valeur fougueuse, qui s'embrasoit
à la vue de l'ennemi, le fit avancer sans qu'il
en eût reçu l'ordre ; il attaqua l'ennemi tout de
suite. Le prince Henri et le prince de Bé-
vern , qui en désapprouvant sa conduite ne
voulurent cependant pas l'abandonner , furent
forcés de le soutenir ; l'infanterie prussienne
154 HIST. DE LA GUERRE
gravit contre des rochers escarpés , défendus
par toute la gauche des Autrichiens et par une
nombreuse artillerie. Le prince Ferdinand de
Brons\vic , s*appercevant que le combat s'enga-
^eoit de ce côté-là , et devenant d'ailleurs inu-
tiîe à la gauche où il n'y avoit plus d'ennemis
vis-à-vis de lui , prit les Autrichiens en flanc et
à dos : ce secours seconda si à propos les eHorts
du prince Henri , qu'il s'empara de trois bat-
teries des ennemis , et qu'il les poursuivit de
montagne en montagne. Les vaincus , coupés
de la Sasava par le corps du Roi derrière eux
au village de Michéle, ne virent d'autre salut
pour eux que de se jeter dans la ville de Pra-
gue ; ils tentèrent de se sauver du côté du
Wischeiad , où la cavalerie du Roi les repoussa
à trois reprises ; ils essayèrent aussi d'échapper
du côté de Kœnigsaal , mais encore ils en furent
empêchés par le maréchal de Keith , dont l'ar-
mée occupoit toutes les hauteurs au pied des-
quelles ils dévoient passer. On savoit à la vé-
rité que des fuyards de l'armée impériale s'é-
toient jetés dans Prague; toutefois on en igno-
roit le nombre, de sorte que l'on se contenta
d'investir la ville et de la bloquer aussi bien
DE SEPT ANS, I55
que l'obscurité et l'espèce de confusion qui suit
les victoires, purent le permettre. Cette ba-
taille 5 qui s'engagea vers les g heures du matin ,
dura, y compris la poursuite, jusqu'à 8 heures
du soir. Ce fut une des plus meurtrières de ce
siècle : les ennemis y perdirent 24,000 hommes,
dont 5,000 furent faits prisonniers, parmi les-
quels 30 officiers; on leur prit d'ailleurs 1 1 éten-
dards et 60 pièces de canon; la perte des Prussiens
monta à 18,000 combattans, sans compter le
maréchal de Schwérin, qui seul valoit au-delà
de 10,000 hommes. Sa mort flétrissoit les lau-
riers de la victoire, achetée par un sang trop
précieux. Ce jour vit tomber les colonnes de
l'infanterie prussienne : MM. de P'ouquet et de
Winterfeld furent dangereusement blessés : là
perdirent la vie M. de Hautcharmoy , MM. de
Goltz, le prince de Holstein, M. de Mann-
stein , d'Anhalt , et nombre de vaillans officiers
et de vieux soldats, qu'une guerre sanglante
et cruelle ne donna pas le temps de remplacer.
Le lendemain le Roi envoya M. de Kroc-
kow à Prague, pour sommer la ville de se ren-
dre ; ce général fut bien étonné d'y trouver le
prince Charles de Lorraine , et d'apprendre
156 HIST. DE LA GUERRE
avec certitude que 40,000 7\utnchiens5 sauvés
de la bataille , étoient enfermés dans ses mu-
railles. Cette nouvelle obligea le Roi à pren-
dre des mesures différentes ; il s'empara de la
montagne de Ziska , où se campa la droite de
l'armée, d'où le front, en occupant toutes les
vignes qui regardent Prague , alloit par Michéle
aboutir à Podoli à la Moldau. On y construisit
un pont, pour avoir la communication assurée
de ce côté-là avec le maréchal Keith , et on
en fit un de même à Branick sur la basse Mol-
dau. La ville de Praç^ue ne sauroit être con-
o
sidérée comme une place de guerre : située
dans un fond, elle est entourée par des vignes
et des rochers qui la dominent également de
tous les côtés; ses fossés sont secs, ses ouvrages
revêtus d'une maçonnerie légère, les parapets
en beaucoup d'endroits trop minces, les cour-
tines trop longues ; tous ces ouvrages avoient
été si fort négligés pendant la paix , qu'en dif-
férens endroits ils étoient insultables : mais la
garnison ne l'étoit pas; pour l'attaquer en for-
me, il falloit une armée plus nombreuse que
la prussienne, surtout après les détachemens
qu'on avoit été obligé de faire , et dont nous
DE SEPT ANS. 157
aurons lieu de parler incessamment. Ces rai-
sons firent que le Roi se contenta de bloquer la
ville 5 en essayant de prendre la garnison par
la famine. On se flatta de mettre le feu par un
bombardement aux magasins d'abondance; 011
fit venir des mortiers et du canon; on établit
trois grandes batteries, l'une à la montagne de
Ziska , l'autre devant Michéle , et la troisième
du côté du maréchal Keith vers le Strohhof :
mais tout cela fut inutile; la ville avoit des
bastions casemates, où les vivres trouvèrent
un abri contre tous les efforts de l'artillerie
prussienne.
Pendant que ces arrangemens se faisoient
autour de Prague , le maréchal Daun s'étoit
avancé avec son corps à Teutschbrodt; d'abord
le Roi lui opposa M. de Ziethen, et peu de
temps après le prince de Bévern, qui, se trou-
vant à la tête de QO5OOO hommes . se porta
premièrement à Kaurzim , puis à Kuttenberg,
faisant toujours reculer devant lui le maréchal
Daun : celui-ci se retira jusqu'à Haber; mais
chaque pas qu'il faisoit en arrière Tapprochoit
de ses secours, et lui donnoit le moyen d'atti-
ler à lui les débris de la bataille de Prague , qui,
158 HIST. DE LA GUERRE
s^étant sauvés au-delà de la Sasava , purentyfle
rejoindre. D'un autre côté le Roi fit partir
pour l'Empire le colonel Mayer avec ses vo-
lontaires et environ 500 housards , pour don-
ner l'épouvante aux princes d'Allemagne, re-
tarder la réunion de l'armée des cercles, et en
même temps pour alarmer les pédans de Ra-
tisbonne , dont l'éloquence insultante violoit
toutes les régies de la bienséance. Mayer en-
tra dans l'évêché de Bamberg; de là il s'étendit
vers Nurnberg; il fit déserter de Ratisbonne ces
députés arrogans, qui se croyoient les juges des
rois 5 et de là il pénétra dans le haut Paîatinat.
L'électeur de Bavière et plusieurs princes à qui
cette irruption donna de l'inquiétude , dépu-
tèrent vers le Roi, pour traiter de leurs inté-
rêts; enfin tout l'Empire auroit abandormé le
parti de l'Impératrice-reine , si une de ces ré-
volutions ordinaires à la guerre , et qui entre
dans les jeux de la fortune , n'eût traversé la
prospérité des Prussiens. Nous verrons dans la
continuation de cette guerre, combien il arriva
de ces vicissitudes cjui renversoient tantôt les
espérances des Prussiens , tantôt celles des Impé-
riaux. Cependant le blocus de Prague conti-
DE SEPT ANS» 15g
nuoit; on bombaïdoit la ville : mais les Autri-
chiens faisoient des sorties fréquentes. Un jour
ils voulurent attaquer les batteries du Strolihof.
Le prince Ferdinand de Prusse y accourut et
les rechassa jusqu'à leur chemin couvert avec
une perte de douze cents hommes. Une au-
tre fois ils tentèrent une sortie du côté du Wi-
scherad, avec si peu de précaution et de pré-
voyance, que prêtant le flanc à des batteries
prussiennes placées vers Podoli , le canon les lit
rentrer dans Prague dans le plus grand désor-
dre. Une autre fois le prince de Lorraine fit
avec 4,000 hommes une sortie du Petit-côté ;
ces troupes prirent une flèche défendue par 50
soldats : mais bientôt M. de Retzow les re-
poussa et les poursuivit jusqu'aux portes de la
ville. Les Prussiens eurent dans ce siège les
ennemis et les élémens à combattre : un orage
violent et des nuages qui crevèrent, grossirent
subitement les eaux de la Moldau ; leur impé-
tuosité brisa le pont de Branick , le courant
l'entraîna vers le pont de Prague ; les ennemis
en enlevèrent 24 pontons, mais qo autres leur
échappèrent , et à Podoli on les recouvra.
Le grand nombre de bombes que les Prussiens
l6o HIST. DE LA GUERRE
avoient jetées dans Prague , avoient considé-
rablement endommagé certains quartiers de la
ville; ]e feu avoit même consumé une boulan-
gerie des ennemis : les déserteurs déposoient
unanimement que les vivres commençoient à
manquer , et qu'au lieu de viande de bouche-
rie la garnison se nourrissoit de chair de che-
val. Il étoit fâcheux qu'on ne gagnât rien cqn-
tre cette ville, ni par la force, ni par la ruse,
et qu'il fallût tout attendre du bénéfice du
temps : il n'y avoit que la famine et le dés-
espoir qui pussent forcer le prince de Lorraine
à se faire jour l'épée à la main à travers les
assiégeans ; car ils étoient fortifiés dans leurs
quartiers de manière à l'obliger après quelques
efforts inutiles à se rendre*
Le projet de prendre Prague avec l'armée
qui la défendoit auroit cependant réussi , si
on avoit pu lui donner le temps de parvenir à
sa maturité; mais il fallut s'opposer au maré-
chal Daun, il fallut se battre, et l'on fut mal-
heureux. Nous avons laissé le prince de Bé-
vern campé à Kuttenberg, et le maréchal Daun
à Haber ; ce maréchal y fut joint par tout ce
que la cour put tirer des garnisons des pays
héréditaires
DE SEPT ANS. i6l
héréditaires et de troupes de la Hongrie , outre
les fuyards de la bataille de Prague, en sorte
que son armée , composée au commencement
de la campagne de 14,000 hommes, se trouvoit
forte alors de 60,000 combattans. L'accroisse-
ment de cette armée dérangeoit toutes les com-
binaisons précédentes des projets du Roi ; il
falloit nécessairement renforcer le prince de
Bévern, pour qu'il pût au moins se soutenir
contre une armée du triple supérieure à la
sienne ; d'un autre côté il étoit dangereux d'af-
o
foiblir l'armée du siège , qui avoit une vaste
circonférence à défendre , et qui pouvoit être
attaquée d'un jour à l'autre par 40,000 hommes
renfermés dans cette ville. On trouva cepen-
dant moyen , en économisant les postes , en for-
tifiant les uns , en resserrant les autres , de faire
une épargne de 10 bataillons et de cio esca-
drons. Ce détachement pouvoit s'éloigner, mais
ce ne de voit pas être pour long- temps, ou le
blocus en auroit souffert. Pour que l'on prît
Prague et l'armée qui la défendoit , il étoit in-
dispensable d'éloigner le maréchal Daun de
cette contrée , parce que les troupes .employées
â en faire la circonvallation, quoique bien pos-
Tome III. L
'Lin,
162 HIST. DE LA GUERRE
tées pour repousser des sorties, n'étoient que
sur une ligne, et ne pouvoient défendre leur
front et leur dos en même temps; et parce
qu'en se laissant resserrer autour de Prague, les
Prussiens auroient manqué de subsistances, la
cavalerie étant déjà obligée d aller chercher le
fourrage à 4 ou 5 milles du camp. Ces consi-
dérations importantes déterminèrent le Roi à
se mettre en personne à la tête de ce détache-
ment, pour joindre le prince de Bévern, et
juger sur les lieux du parti qu'il seroit plus
convenable de prendre. Le Roi partit le 13 de
Prague; M. de Treskovv fut détaché en même
temps, pour nettoyer les bords de la Sasava,
que les troupes légères du maréchal Daun
commençoient d'infester. Le Roi poursuivit sa
marche par Schwarz -Kosteletz à Malotitz, où
il fut joint par M. cle Treskow, qui avoit pris
une route à droite. L'intention du Roi étoit
d'arriver à Kolin, pour se joindre au prince de
Bévern; il trouva devant lui un corps consi-
dérable, qui campoit à Zasmuky; c'étoit M. de
Nadasti, qui avoit pris cette position, par la-
quelle il coupoit déjà en quelque manière le
prince de Bévern .de l'armée prussienne. Bien-
DE SEPT ANS, 163
tôt on découvrit de loin sur le chemin de Kolin
deux colonnes qui prenoient la route de Kaur-
2im ; on apprit par ceux qui furent les recon-
noître , que c'étoit le prince de Bévern qui
venoit se joindre aux troupes du Roi. Le jour
îomboit , la nuit survint avant l'arrivée du
Prince , de sorte que l'on se contenta de faire
camper les troupes autant que l'obscurité vou-
lut le permettre. On fut étonné du mouve-
ment du prince de Bévern, auquel on ne s'at-
tendoit pas ; il se fit à l'occasion de ce qui
s'étoit passé la veille : il avoit été attaqué le 13
à Kuttenberg par M. de Nadasti , qu'il avoic
repoussé , en même temps que le maréchal
Daun avoit fait un mouvement sur son flanc,
qui l'avoit obligé, pour ne point être tourné,
de quitter sa position de Kuttenberg , et de
prendre celle de Kolin ; là il reçut des avis
que les Autrichiens campés à Wisoka se prépa-
roient à l'attaquer le lendemain; pour n'en
point courir le risque , il aima mieux aller au
devant du détachement prussien, qu'il savoit
en marche pour le renforcer. On voulut le len- 16.
demain reconnoître les chemins de Wisoka,
pour juger de la disposition où se trouvoient
L 9
364 HIST. DE LA GUEPvRE
les ennemis ; cependant on ne put y réussir , à
cause de l'épaisseur des forêts , et du nombre
des pandours qui les remplissoient. Le même
jour 4,000 Cravates attaquèrent un convoi qui
venoit de Nymbourg à l'armée; il étoit escorté
par Qoo fantassins aux ordres de M. de Biller-
beck, major dans le régiment Henri : ce brave
officier se défendit 3 heures contre le nombre
qui Tassailloit 5 jusqu'à l'arrivée du secours qui
le dégagea, sans avoir perdu la plus petite par-
tie de son convoi, et l'on ne trouva à dire à
son monde que 7 blessés; ce qui 'est une perte
peu considérable, si l'on fait attention au corps
qui l'attaqua. D'aussi petits détails ne devien-
nent dignes de l'histoire qu'autant qu'ils peu-
vent servir d'exemple pour prouver ce Cjue
peuvent à la guerre la valeur et la fermeté,
soutenues par ime bonne disposition. Le ter-
rain où les Prussiens étoient campés n'étoit pas
assez avantageux pour qu'on pût y attendre
l'ennemi avec sûreté ; le Roi vouloit se porter
avec l'armée à Scwoischitz, dont les environs
sont susceptibles de défense : mais à peine l'ar-
mée se fut-elle mise en marche pour prendre
cette position 5 qu'on vit paroître celle du mare-
DE SEPT ANS. 165
chai Daun, qui se forma prés de Scwoischitz en
une espèce de triangle, dont la gauche .tiroit
vers Zasmuky et la droite vers l'Elbe; le front
vis-à-vis de Kaurzim et de Malotitz étoit cou-
vert par une prairie bourbeuse, à travers la-
quelle serpentoit un ruisseau marécageux. Ce
mouvement des ennemis produisit un change-
ment nécessaire dans la disposition des Prus-
siens : l'armée prit une autre direction; elle
gagna plus vers la gauche et s'approcha de
Nymbourg; elle se campa, ayant Planiany vers
la gtiuche de son front, et à sa droite Kaur-
zim, où l'on jeta un bataillon pour assurer le
flanc de l'armée. On rencontra près de Planiany
un corps d'Autrichiens , dont l'intention ne
pouvoit être que de s'emparer du dépôt que
les Prussiens avoîent à Nymbourg; on contrai-
gnit ce corps à se replier, et il prit poste sur
une hauteur derrière Planiany, où il demeura
la nuit. La situation du Roi devenoit de jour
en jour plus critique et plus embarrassante; sa
position ne valoit rien; son camp étoit étroit,
acculé contre des montagnes ; son front se trou-
voit à la vérité inabordable par le marais et le
ïuisseau qui séparoient les deux armées , mais
L 3
l66 KIST. DE LA GUEKPvE
il n'en étoit pas de même de la droite , mal
appuyée à Kaurzim, et que le maréchal Daun
étoit maître de tourner dès qu'il le voudroit,
en se portant de Zasmuky sur Malotitz. Si les
ennemis eussent fait ce mouvement, toute l'ar-
mée étoit prise en flanc et battue sans res-
source. Il se présentoit d'autre part une multi-
tude d'objets à remplir, trop contraires pour
qu'il fût possible de les concilier tous , et l'on
ne pouvoit en négliger aucun sans un préjudice
considérable. Il falloit couvrir les magasins de
Brandeis et de Nymbourg, d'où l'armée d'ob-
servation tiroit son pain; il falloit protéger le
blocus de Prague, en empêchant avec un corps
foible une armée supérieure du double d'y
détacher des troupes , ou d'en approcher. Plus
l'infériorité des Prussiens dêvenoit sensible,
plus ils avoient à craindre à la longue d'essuyer
quelque échec considérable; car en supposant
même qu'ils eussent pu se soutenir dans le
camp où ils étoient, il ne leur en étoit pas
moins impossible d'empêcher le maréchal Daun
d'envoyer un gros détachement , qui , longeant
les bords de la Savasa, seroit venu à dos des
corps prussiens qui campoient entre Bramck
DE SEPT ANS. 167
et Michéle, et cette armée du siège, attaquée
par derrière pendant que de la ville le prince
de Lorraine auroit fait une sortie , se seroit
trouvée entre deux feux, et auroit par consé-
quent été totalement battue. Si le Roi, pre-
nant un autre parti , eût trouvé convenable
de se retirer à Kosteletz ou à Teutschbrodt , il
y trouvoit des camps plus avantageux : mais
les inconvéniens dont nous venons de parler
n'en subsistoient pas moins ; car en s'appro-
cîiant de l'Elbe on couvroit les magasins; en
laissant le chemin libre vers Prague , et en tirant
plus vers la Sasava , on protégeoit mieux lo
siège , et l'on découvroit les dépôts , dont la
perte s'en seroit promptement ensuivie , sans
compter qu'en perdant du terrain où il y avoit
du fourrage , l'armée en se retirant se resser-
ïoit dans un pays épuisé et où les vivres avoient
été consumés d'avance. Il se présentoit d'au-
tres considérations plus fortes encore. Le maré-
chal Daun commandoit une armée de 60,000
hommes, que l'Impératrice-reine avoit rassem-
blée à grands fraix : étoit-il à présumer qu'on
souffrît impunément à Vienne , ayant autant
de troupes en Bohème, que les Prussiens fissent
L4
l68 HIST. DE LA GUERRE
dans Prague le prince de Lorraine et 405000
hommes prisonniers de guerre en présence de
cette armée ? On savoit même que le maré-
chal Daun avoit ordre de tout risquer pour
délivrer le prince de Lorraine. Il s'agissoit
donc proprement de se déterminer, ou à lais-
ser aux ennemis la liberté d'attaquer les trou-
pes prussiennes dans leur poste, ou à les pré-
venir et à les attaquer soi-même. Ajoutons à
ces considérations que depuis que le maréchal
Daun se trouvoit fort, il étoit impossible de
prendre Prague sans gagner une seconde ba-
taille , et qu'il auroit été honteux pour les armes
d'en lever le siège à l'approche de l'ennemi ,
vu que tout ce qui pouvoit arriver de pis étoit
d'abandonner cette entreprise , au cas que l'en-
nemi remportât la victoire. Indépendamment
de tout ce que nous venons de dire , une raison
plus importante encore obligeoit d'en venir à
une décision ; c'est qu'en gagnant encore une
bataille , le Roi prenoit sur les Impériaux une
entière supériorité. Les princes de l'Empire ,
déjà incertains et indécis , l'auroient conjuré
de leur accorder la neutralité. Les François se
seroient trouvés dérangés et peut-être arretéis
DE SEPT ANS» 169
dans leurs opérations en Allemagne. Les Sué-
dois en seroient devenus plus pacifiques et
plus circonspects. La cour de Péterbourg môme
auroit fait des réflexions , parce que le Roi se
seroit vu dans une situation à pouvoir envoyer
sans risque des secours à son armée de Prusse,
et même à celle du due de Cumberland. Voilà
quels furent les motifs importans qui engagè-
rent le Roi à attaquer le lendemain le maréchal
Daun dans son poste.
On se mit en marche le 18 de grand matin.
M. de Treskovv avec lavant-garde délogea d'a-
bord ce coips^nnemi qui s'étoit campé la veille
sur les hauteurs derrière Planiany; ce début
étoit nécessaire pour nettoyer le chemin de
Kolin, sur lequel l'armée devoit marcher en
deux colonnes. Elle défila sur deux lignes par la
gauche vis-à-vis celle des ennemis. Le maréchal
Daun 5 qui découvrit le mouvement , changea
aussitôt son front, et marchant par sa droite,
longea la croupe des montagnes qui vont vers
Kolin. M. de Nadasti s'étoit placé devant l'ar-
mée du Roi avec 4 à 5,000 housards , qu'un
corps de cavalerie poussoit d'espace en espace;
ce qui lallentit la marche des colonnes. On con-
lyO HIST. DE LA GUERRE
tinua de presser ainsi ces troupes légères, jusqu'à
ce qu'on eût gagné une éminence qu'il falloit
occuper nécessairement pour attaquer l'ennemi.
Comme les troupes n'arrivèrent pas aussi promp-
tement pour le bien des affaires qu'il auroit été
à désirer, le Roi profita de ce temps pour assem-
bler les officiers généraux, et pour convenir avec
eux de la disposition de la bataille. Une auberge
se trouvoit sur le chemin que tenoient les trou-
pes ; l'on y découvroit distinctement l'ordre dans
lequel le maréchal Daun avoit rangé ses trou-
pes , et toutes les parties du terrain sur lequel il
falloit agir. Ce fat dans ce lieu-là qu'on prit les
mesures suivantes. ïl fut résolu d'attaquer la
droite de l'ennemi, parce qu'elle étoit mal ap-
puyée j et parce que c'étoit l'endroit le plus acces-
sible : le front des Autrichiens s'étendoit sur des
rochers âpres et escarpés, au pied desquels des
villages dans la plaine étoient remplis de pan-
dours; mais plus ils étoient inexpugnables dans
cette partie , moins ils l'étoient à leur droite :
l'endroit par lequel la gauche des Prussiens
devoit attaquer , étoit une hauteur qu'ils occu-
poient déjà; de là se présentoit un cimetière
isolé 3 garni de Cravates , et qu'il falloit empor-
DE SEPT ANS. lyi
1er; ensuite en tournant un peu plus à gauche,
on prenoit l'armée du maréchal Daun à dos et
en flanc. Pour soutenir cette attaque 5 il falloit
la nourrir de toute l'infanterie prussienne qui
se trouvoit dans l'armée; par cette raison le Roi
se proposa de refuser entièrement sa droite aux
ennemis , et défendit sévèrement aux officiers qui
la commandoient de dépasser le grand chemin
de Kolin; cela étoit d'autant plus sensé, que la
partie de l'armée autrichienne postée vis-à-vis
de cette droite, occupoit un terrain inabor-
dable : si la position que le Roi avoit prescrite
à ses troupes avoit été observée , il auroit été
miaître durant l'action de faire filer selon le
besoin des bataillons , pour soutenir les brigades
qui avoient la première attaque. Outre ce que
nous venons de dire, M. de Ziethen eut ordre
de tenir tête à M. de Nadasti avec 40 escadrons,
pour qu'il ne troublât pas l'infanterie prussienne
dans ses opérations; le reste de la cavalerie fut
placé en réserve derrière les lignes. Lorsque
tout fut réglé, M. de Hulsen partit à la tête de
7 bataillons et de 14 pièces d'artillerie, pour
engager l'action ; des 24 bataillons qui res-
suient 5 6 formèrent la seconde ligne et les 15
172 HIST. DE LA GUERRE
autres la première. Telle fut cette disposition,
qui auroit rendu les Prussiens victorieux , si
elle avoit été suivie: mais voici ce qui arriva.
M. de Zietben attaqua le corps de Nadasti,
dont la déroute fut générale ; il le poursuivit
jusqu a Kolin , de sorte qu'il fut séparé des
Autrichiens, et que de toute la journée il ne
fut plus à portée de nuire aux entreprises du
Roi. A une heure après midi M. de Hulsen
attaqua le cimetière, et le village de la hauteur,
où il ne rencontra pas grande résistance; il se
rendît maître ensuite de deux batteries , cha-
cune de 12 pièces de canon. Tout succédoit
aux voeux des Prussiens dans cette première
attaque : mais voici les fautes qui causèrent la
perte de la bataille. Le prince Maurice , qui
conduisoit la gauche de l'infanterie, au lieu de
l'appuyer derrière ce village que M. de Hulsen
venoit d'emporter, la forma à mille pas de cette
hauteur; cette ligne étoit en l'air; le Roi s'en
apperçut, et la mena près du pied de cette hau-
teur: en même temps on entendit un feu assez
vif à la droite. Obligé de se hâter et ne pou-
vant faire autrement, il remplit les vides qui se
trouvoient dans sa ligne par les bataillons de 1:^,
DE SEI*T ANS. 173
seconde; il se rendit aussitôt à la droite, pour
savoir de quoi il étoit question : il trouva que
M. de Mannstein, qui avoit engagé sa brigade si
mal à propos à la bataille de Prague , venoit de
retomber dans la même faute; il avoit apperçu
des pandours dans un village proche du chemin
que la colonne tenoit ; il lui prend fantaisie de
les en délos:er; il entre contre ses ordres dans
le village, en chasse l'ennemi, le poursuit, et
se trouve sous le feu de mitraille des batteries
autrichiennes; à son tour on l'attaque, et la
droite de l'infanterie marche à son secours.
Lorsque le Roi arriva sur les lieux, Taffaire
étoit si sérieusement engagée, qu'il n*y avoit
plus moyen de retirer les troupes sans être
battu ; bientôt la gauche entra également en
jeu, ce que les généraux auroient pu cependant
empêcher. Alors la bataille devint générale, et
ce qu'il y avoit de fâcheux, c'est que le Roi
n'en pouvoit être que spectateur, n'ayant pas
un bataillon de reste dont il pût disposer. Le
maréchal Daun profita en grand général des
fautes des Prussiens ; il fit filer derrière son
front sa réserve , qui vint à son tour attaquer
M. de Hulsen jusqu'alors victorieux; il se sou-
174 HIST. DE I.A GUEKRK
tint néanmoins, et si on avoit pu lui fournit
quatre bataillons frais, la bataillé étoit gagnée;
il repoussa encore cette réserve autrichienne :
les dragons de Normann donnèrent alors dans
l'infanterie ennemie , la dispersèrent , et lui pri-
rent 5 drapeaux ; ils attaquèrent ensuite les
carabiniers saxons , qu'ils chassèrent jusqu'à
Kolin. Pendant ces entrefaites l'infanterie prus-
sienne du centre et de la droite avoit gacrné
o o
quelque terrain, sans cependant avoir emporté
d'avantage considérable. Ces bataillons , qui
tous avoient beaucoup souffert du canon et du
feu des petites armes , étant fondus à moitié ,
faisoient entr'eux des intervalles du triple plus
grands qu'ils ne dévoient l'être, et comme il
n'y avoit ni seconde ligne, ni réserve , il fallut
y suppléer par des régimens de cuirassiers^
qu'on plaça à quelque distance derrière ces
ouvertures* Le réaiment de Prusse cavalerie
o
attaqua même un gros de l'infanterie ennemie,
et l'auroit détruit , si une batterie chargée à
mitraille n'eût pas joué à propos contre lui; il
rebroussa chemin en confusion, et renversa' les
régimens de Bévern et de Henri oui étoient
derrière lui • l'ennemi s'apperçut de ce désor-
DE SEPT ANS. 175
^re; il lâcha aussitôt sa cavalerie, qui, profitant
de ce moment, rendit la confusion générale.
Le Roi voulut faire charger des cuirassiers qui
étoient à portée et qui auroient pu réparer le
mal en partie; il lui fut impossible de les met-
tre en mouvement : il eut recours à deux esca-
drons de Truchses , qui prirent la cavalerie
ennemie en flanc, et la ramenèrent au pied de
ces montagnes. Il n'y avoit de cette ligne d'in-
fanterie que le premier bataillon des gardes qui
tînt encore à la droite; il avuit repoussé qua-
tre bataillons d'infanterie et deux régimens de
cavalerie qui avoient voulu l'entourer : mais un
bataillon, quelque bravoure qu'il ait, ne sau-
roit seul gagner une bataille. M. de Hulsen^
avec son infanterie et quelque cavalerie qu'on
lai avoit envoyée , se maintenoit encore sur
son terrain , savoir sur cet emplacement dont
il avoit chassé les Autrichiens au commence-
ment de l'action ; il y resta jusqu'au soir à g
heures, qu'il fut obligé de se retirer, de même
que l'armée. Le prince Maurice mena les trou-
pes à Nymbourg, où il passa l'Elbe , sans qu'un
seul housard de l'ennemi le suivît. Cette action
coûta au Roi 8,oco hommes de sa m.eilleure
176 HÏST. DE LA GUERRE
infanterie ; il y perdit i5 pièces de canon j
qui ne purent être transportées , les chevaux
en ayant été tués. Après que le Roi eut donné
ses ordres aux généraux pour la retraite des
troupes, il courut au plus pressé, se rendit à
son armée de Prague , où il ne put arriver que
le lendemain au soir, et l'on fit des dispositions
pour lever le blocus de la ville, que le funeste
événement de Kolin ne permettoit plus de
continuer.
Ce qu'il y eut de singulier dans l'action que
nous venons de rapporter, fut que déjà l'in-
fanterie autrichienne commençoit à se retirer,
que la cavalerie devoit en faire autant, lors-
qu'un colonel d'Ayassas de son propre mouve-
ment attaqua l'infanterie prussienne avec ses dra-
gons, au moment où les cuirassiers de Prusse
y mirent la confusion , et où les succès firent
révoquer les premiers ordres. Sans doute cjue
l'embarras où se trouvoient les Autrichiens après
une affaire aussi opiniâtre , les empêcha de pour-
suivre les Prussiens ; cependant ils étoient vic-
torieux. Si le maréchal Daun avoit eu plus de
résolution et d'activité , il est certain que son
armée auroit pu arriver le 20 devant Prague et
que
BE SEPT AN Se 177
que les suites de la bataille de Kolin seroient
devenues plus funestes pour les Prussiens que
leur défaite même. Le qo de grand matin les
Prussiens levèrent le blocus de Prague. Le
corps qui avoit campé du côté de Michéle se
retira au-delà de l'Elbe par Alt-Buntzlau et Bran-
deis 5 pour se joindre à l'armée de Kolin qui cam-
poit à Nymbourg. Le corps du maréchal Keith
devoit se replier sur Welwarn , afin de couvrir
les magasins de Leutmeritz et d'Aussig ; des con-
tretemps s'en mêlèrent, les ponts ne furent pas
enlevés assez vite , on fut obligé d'attendre ,
et le maréchal Keith ne put quitter son camp
qu'à 1 1 heures. Les Prussiens de Michéle étoient
partis à 3 heures du matin. Le prince de Lor-
raine 5 qui eut d'abord des avis de la bataille
que le maréchal Daun venoit de gagner , se '
prépara à faire une sortie sur les troupes du
maréchal Keith prêtes à lever le piquet. Il sor-
tit du Petit-côté et canonna vivement les deux
colonnes prussiennes qui se retiroient par le
couvent de la Victoire : les grenadiers de l'ar-
rière-garde calmèrent l'impétuosité des ennemis,
et le prince de Prusse prit une position à Ree-
sin 5 d'où il protégea la retraite des troupes.
Tome m M
178 HIST. DE LA GUEURE
Les Prussiens n'eurent que qoo hommes tant de
tués que de blessés dans cette affaire ; le prince
de Lorraine y gagna q pièces de 3 livres , dont
les chevaux furent tués, seul trophée qu'il rem-
porta de son expédition. Le corps avec lequel
le Roi avoit marché à Brandeis prit le lende-
main le cam.p de Lissa, où il. se joignit au dé-
bris des troupes de Kolin. L'on supposoit que
le maréchal Daun agiroit contre l'armée du Roi,
et le prince de Lorraine contre celle du maré-
chal Keith 5 et l'on se trompa. Les Autrichiens
perdirent beaucoup de temps à faire avancer
leurs magasins; au bout de huit jours les deux
armées autrichiennes se joignirent à Brandeis.
Le prince de Prusse prit le commandement de
l'armée de Lissa , avec laquelle il marcha à Jung*
Buntzlau, et bientôt à Bœhmisch-Leippa. Le
Roi prit le chemin de Melnick, pour se joindre
au maréchal Keith avec un renfort qu'il lui me-
na; il passa l'Elbe à Leutmeritz : afin de ne pas
perdre cependant la communication avec le
prince de Prusse, il laissa le prince Henri avec
yn détachement à Trebotschau à la rive droite
de l'Elbe. L'armée du Roi s'étendoit dans la
plaine entre Leutmeritz et Lowositz; quelques
BESEPTANS. 379
bataillons occupoient le Pascopol et le défilé de
Welmina : les gorges de la Saxe etoient gardées
par de nouvelles levées. La ville de Leutme- juiUet.
ritz avoit servi de dépôt pour le siège de Pra-
gue; c'étoit le grand magasin et l'hôpital de
l'armée : cette ville , située dans un fond , ne
pouvoit se défendre que par les camps qui oc-
cupoient les montagnes qui l'environnent. On
travailla 5 aussitôt que les troupes y arrivèrent,
à la débarrasser des malades , des munitions
et de l'artillerie qu'on y gardoit ; quelque acti-
vité qu'on mît à presser tous ces transports , on
ne put les achever que le qo de Juillet. Au
commencement de ce mois M. de Nadasti s'ao-
procha de l'armée, se campa à Gastorf vis-à-vis
du corps du prince Henri, et mit tout en œu-
vre pour interrompre la communication que
les Prussiens entretenoient entre le camp de
Leutmeritz et celui de Leippa ; en quoi il n'eut
pas de peine à réussir , en répandant ses pan-
dours dans les forets et dans les défilés en grand
nombre qui se trouvent dans cette partie de la
Bohème. A la rive gauche de l'Elbe il ne pa-
rut qu'un petit corps d'Autrichiens commandé
par le S"^. Laudon. Ce partisan 5 à la tète de"
M s
.l8o HIST DE LA GUERRE
Q5O00 pandours, s'étoit posté au pied du Pasco-
pol , d'où il infestoit les grands chemins , in-
quiétoit les détachemens et faisoit des coups peu
considérables. Celui qui lui réussit le mieux
devint funeste à M. de Mannstein , célèbre
pour avoir engagé la bataille de Prague , et
avoir causé la perte de celle de Kolin. Ce gé-
néral se faisoit transporter en Saxe , pour y cher-
cher la guérison de ses blessures ; il étoit es-
corté par Qoo hommes de nouvelles levées:
Laudon l'attaque en chemin , le désordre se
met dans l'escorte. Mannstein sort de sa voiture,
prend son épée , se défend en désespéré, et re-
fusant le C[uartier qu'on lui offre , est tué sur la
place. La guerre se faisoit avec plus de vigueiu
du côté du prince de Prusse. Le prince de Lor-
raine et le maréchal Daun, après s'être joints 5
quittèrent Brandeis et suivirent le prince de
Prusse ; ils se campèrent à Nimes , où ils tour-
noient son flanc gauche , et gagnoient sur les
Prussiens une marche sur Gabel. Le général
o
Puttkammer défendoit le château de cette ville,
où le prince de Prusse l'avoit envoyé avec 4 ba-
taillons 5 pour faciliter les convois que son ar-
mée tiroit de Zittau. Si le prince de Prusse
DE SEPT ANS. l8l
eût pris le parti de marcher incontinent à Ga-
bel, les Autrichiens n'auroient rien g^gné par
leur mouvement; mais le prince, qui n'en sen-
tit pas d'abord les conséquences, demeura tran-
quille dans son camp, et laissa faire à l'ennemi
ce qu'il lui plut. Le maréchal Daun fit partir
un détachement de 20,000 hommes, qui atta-
qua M. de Putt^ammer à Gabel : ce général ,
après une vigoureuse résistance et trois jours
de tranchée ouverte, n'étant point secouru, fut
obligé de se rendre prisonnier de guerre. Le
prince de Prusse comprit l'importance de ce
poste après l'avoir perdu : le droit chemin de
son camp à Zittau passe par Gabel; ce chemin
lui étant interdit , celui qui lui restoit passe par
Kumbourg et fait un détour de quelques mil-
les; on ne peut y passer que sur une colonne.
L'armée fut obligée de le prendre; elle y per-
dit du bagage , et des pontons qui se brisèrent
dans des chemins étroits entre des rochers. Le
Prince arriva à Zittau en décrivant un arc, et
le maréchal Daun par la corde. M. de Schmet-
tau, qui commandoit Tavant-garde des Prus-
siens, trouva en approchant de Zittau les Au-
trichiens établis sur l'Eckartsberg ; c'est le poste
M 3
iSl HIST. DE LA GUERRE
le plus important de cette contrée; il domine
sur la ville et commande aux environs. L'armée
du prince de Prusse occupa une hauteur oppo-
sée au camp des ennemis , la ville de Zittau de-
vant sa droite entre les deux armées, sa gauche
étendue sur la montagne de Hennersdorf. Le
Prince pouvoit soutenir la ville, sans pouvoir
néanmoins empêcher les Impériaux de l'insulter.
Le maréchal Daun, excité par le prince Charles
de Saxe, fit bombarder la ville. Zittau a des rues
étroites , la plupart des toits sont en bardeau ; le
feu y prit , le bardeau communiqua l'incendie
aux différens quartiers de la ville à la fois , les
maisons s'écroulèrent et les passages furent bou-
chés par les débris. Le prince de Prusse se vit
obligé d'en retirer la garnison ; les troupes qui
occupoient l'extrémité opposée ne purent re-
gagner l'armée, ne trouvant que des flammes
et des ruines sur leur passage, de sorte que le
colonel Dierke avec 150 pioniers et le colo-
nel Kleist avec 80 soldats du Margrave Henri
tombèrent entre les mains des ennemis. La
ville de Zittau n'étant en elle-même d'aucune
conséquence, on ne fut sensible à ce malheur
qu'à cause du magasin considérable qui s'y
BE SEPT ANS. 183
trouvoit. Après qu'il eut été consumé par les
flammes , l'armée du prince de Prusse ne pouvant
tirer sa subsistance et son pain que de Dresde,
il auroit fallu transporter ce pain de 1 2 milles,
pour qu'il arrivât au camp ; et comme il se
présentoit des difBcultés insurmontables à ce
transport, le prince fut obligé de se rapprocher
de ses vivres ; il décampa de Zittau sans être
suivi par l'ennemi, et prit une position pour
l'armée aux environs de Bautzen.
Dès que le Roi fut informé de la perte de
Gabel , il se proposa d'évacuer Leutmeritz ,
pour retourner en Saxe. La ville de Leutme-
ritz étoit vide ; les munitions de guerre et
de bouche étoient déjà arrivées à Dresde , et
comme il n'y avoit point de temps à perdre,
le prince Henri passa l'Elbe : après qu'il eut
rejoint le Roi, l'armée alla se camper entre Su-
lowitz et Lowositz. M. de Nadasti, qui avoit Aoûl
suivi l'arrière - garde de S. A. R. attaqua les
grands gardes du camp : on le reçut vertement;
il fut repoussé avec perte , et repassa prompte-
ment l'Elbe, Les jours suivans l'armée se re-
plia sur Linay , de là sur Nœllendorf et sur
Pirna. Un détachement de 200 hommes de
M 4
184 HÏST. DE LA GUERRE
nouvelles levées , qui gardoit le Schreckenstein ,
fut attaqué et pris par M. Laudoii; les postes
d'Aussig et de Tetschen furent évacués sans perte.
Le Roi laissa le prince Maurice à Gishubel; il
lui donna 14 bataillons et 10 escadrons, pour
défendre cette gorge , et se mit en marche avec
le reste de ses troupes, voulant joindre le prin-
ce de Prusse à Bautzen. Ce prince , qui étoit
tombé malade, quitta l'armée et ne fit depuis
que languir. Le Roi s'avança d'abord avec un
détachement de Bautzen à Weissenberg ; il en
délogea M. de Beck, qui se replia vers Bern-
stadt. Les arrangemens qu'il fallut faire pour
rétablir l'ordre dans les vivres et préparer de
nouveaux caissons , arrêtèrent le Roi quinze '
jours. Ce prince étoit pressé par les progrès
des François à sa droite, et des Russes à sa gau-
che; il étoit obligé de détacher; ce qui lui ins-
pira le dessein de marcher aux Autrichiens, et
d'essayer de s'en délivrer, avant que de s'afîoi-
blir par des détachemens : il se mit en marche
le 16 pour Bernstadt; le Roi menoit la colonne
de la gauche , le prince de Bronsvvic celle de
la droite. Ils pensèrent entourer M. de Beck
sur une montagne près de Sohland, et ce parti»
DE SEPT ANS. 1S5
i3.n ne se sauva qu'en perdant une partie de
son monde. On apprit à Bernstadt qu'un dé-
tachement des ennemis s'assembloit à Ostritz;
M. de Werner y fut aussitôt envoyé ; il fut sur
le point de prendre M. de Nadasti , dont il en-
leva le bagage et les troupes qui l'escortoient.
On trouva parmi ses papiers des lettres origina-
les de la reine de Pologne , qui donnoit des
avis à ce général de tout ce qii'elle savoit des
Prussiens, et lui proposoit quelques projets de
surprise; le Roi envoya ces originaux à M. de
Finck, commandant de Dresde, pour les mon-
trer à la Reine, afin qu'elle comprît qu'on étoit
au fait de toutes ses menées. Le Roi détacha 17,
5 bataillons de Bernstadt, pour prendre poste
à Gœrlitz, et avec le gros de l'armée il marcha
droit aux Autrichiens. Le maréchal Daun
campoit encore à l'Eckartsberg; il ne fit faire
qu'un mouvement à ses troupes, pour qu'elles
présentassent le front aux Prussiens. Ce poste
étoit inattaquable : à la gauche une montagne
taillée en forme de bastion, hérissée de 60 piè-
ces de douze livres, flanquoit la moitié de son
armée; devant le front s'étend dans un bas-
fond le village, de Wittgenau , le long duquel
l86 HIST. DE LA GUERRE
coule un ruisseau entre des rochers escarpés.
Trois chemins se présentoient pour traverser
ce village 5 qui menoient à l'ennemi, et dont
le plus large " pouvoit contenir une voiture.
La droite du maréchal s'appuyoit à la Neisse;
au-delà de cette rivière campoit M. de Na-
dasti avec la réserve de l'armée sur une hauteur,
d'où il pouvoit avec 30 pièces de gros calibre
balayer tout le front de l'armée impériale. Les
deux armées n'étoient séparées que par le fond
de Wittgenau; toute la journée se passa à se
18. canonner réciproquement. Le lendemain on
fit passer la Neisse à Hirschfeld à un corps aux
ordres de M. de Winterfeld , pour reconnoître
s'il n'y auroit pas moyen d'engager une affaire
avec M. de Nadâsti ; ce qui auroit porté le ma-
réchal Daun à le secourir, et auroit donné lieu
à un combat général. Mais la difficulté du
terrain s'opposa encore à cette entreprise , et il
fallut y renoncer. Rien n'auroit été plus avan-
tageux pour le Roi dans ces circonstances que
d'engager une affaire décisive ; il n'avoit point
de temps à perdre : un gros de François étoit
à Erfurt; l'armée du duc de Cumberland étoit
acculée à Stade; le duché de Magdebourg et
DE SEPT ANS. 187
la vieille Marche se trouvoient exposés aux in-
cursions des François; une armée suédoise avoit
passé la Peene près d'Anclam; les troupes des
cercles étoient en mouvement pour s'avancer
en Saxe. Mais l'impossibilité de combattre 20.
dans ce terrain difficile et impraticable , et la
nécessité de faire de prompts détachemens ,
obligèrent le Roi à se retirer. L'infanterie se
o
replia par ligne, sans que l'ennemi fît mine de
s'en appercevoir. L'armée marcha à Bernstadt,
et se campa sur les hauteurs de Jauernick jus-
qu'à la Neisse; au-delà de cette rivière le corps
de M. de Winterfeld s'étendit jusqu'à Rado-
meritz. On envoya un détachement pour rele-
ver la brigade de Gœrlitz, avec laquelle M. de
Grumbkow eut ordre de se rendre en Silésie,
pour nettoyer les frontières des partis ennemis,
qui y commettoient des désordres , et pour
veiller en même temps à la sûreté de la forte-
resse de Schweidnitz. Le Roi remit le com-
mandement de l'armée au prince de Bévern , sS.
en lui adjoignant M. de Winterfeld , auquel
proprem^ent il donnoit sa confiance ; il leur
recommanda surtout de couvrir avec soin les
frontières de la Silésie; après quoi il partit avec
l88 HÎST. DE LA GUERRE
18 bataillons et 30 escadrons, pour s'opposer
aux entreprises des François et des troupes de
l'Empire. Alin de ne point interrompre les
événemens de cette campagne , tous liés les uns
aux autres, nous n'avons pas fait mention de la
campagne de l'armée alliée, commandée par
le duc de Cumberland ; la liaison des choses
exige que nous en fassions à présent une courte
récapitulation.
Campa- Dès le commencement d'Avril les François
duc de occupèrent les villes de Clèves et de Wésel ,
Cumber- ^^ [{^ j-jg rencontrèrent aucune résistance. Le
land.
comte de Gisors s'empara de Cologne , dont
les François avoient dessein de faire leur place
d'armes. M. d'Etrées , cjui de voit prendre le
' commandement de l'armée , y arriva les pre-
miers jours du mois de Mai; il s'avança le q6
et campa avec toutes ses troupes à Munster.
Le duc de Cumberland rassembla les siennes
à Bielefeld, d'où il avoit poussé un détache-
ment à Paderborn à l'approche de M. d'Etrées,
dont l'armée se campa à Rhéda. Le duc se
retira à Herford, sur quoi les François envoyè-
rent un détachement dans le pays de Hesse,
qui 5 n"y trouvant aucune opposition, s'empara
ÎDE SEPT ANS. 189
de tout le landgraviat; Cassai même, qui en
est la capitale, se rendit après une foible résis-
tance. Le duc de Cumberland , ne voulant
faire ferme que derrière le Wéser, selon le pro-
jet des ministres de Hanovre, qui croyoient le Juillet,
passage de ce fleuve plus difficile que celui du
Rhin, le fit passer à ses troupes sur les ponts
qu'il avoit fait préparer dans les villages de
Rhemun et de Vlotho ; il donna en même temps
des ordres pour qu'on travaillât à fortifier les
villes de Munden et de Hameln; c'étoit y pen-
ser bien tard. Les François de leur côté se
portèrent sur Corbie; un de leurs détachemenSy
ayant passé le Wéser , donna lieu au duc de
changer sa position, et il se campa la droite à
Hameln , la gauche à Afferde. Le duc d'Or-
léans fit en même temps établir des ponts à
Munden pour y passer le Wéser. Le duc de
Cumberland , qui s'attendoit à être attaqué •
dans peu, rappela à lui tous ses clétachemens,
et les rassembla à Hastenbeck , dont on lui avoit
dépeint la position comme admirable. La droite
de son armée s'y trouvoit bien appuyée; au
centre les troupes se replioient en forme de
coude; devant elles se trouvoit un bois et dans
igO HIST. DE LA GUERRE
ce bois un ravin assez considérable. L armée
françoise s'approcha de celle des alliés; le 23 se
passa en reconnoissances de la part de M. d'E-
trées 5 et en canonnades de la part du duc de *
26. Cumberland. Le lendemain les François atta-
quèrent sa gauche en se glissant par ce ravin
au fond du bois; ils emportèrent la batterie du
centre des alliés. Le prince héréditaire de
Bronswic la reprit l'épée à la main , et fit con-
noître par ce coup d'essai que la nature le desti-
noit à devenir un héros. En même temps un
colonel hanovrien, nommé Breitenbach , se
* détache de lui-même, rassemble les premiers
bataillons qu'il rencontre , entre dans le bois ^
prend les François à dos, les chasse et s'em-
pare de leurs canons et de leurs drapeaux : tout
le monde croit la bataille gagnée par les alliés..
M. d'Etrées , qui voit ses troupes en déroute y
• ordonne la retraite; le duc d'Orléans s'y op-
pose : enhn , au grand étonnement de toute
l'armée françoise , on apprend que le duc de
Cumberland est en pleine marche, et qu'il se
replie sur Hameln. Le prince héréditaire fut
obligé d'abandonner cette batterie qu'il avoit
reprise avec tant de gloire, et la retraite se fit
DE SEPT ANS. ^igi
avec tant de précipitation, qu'on oublia mê-
me ce brave colonel Breitenbach qui avoit si
bien mérité dans cette journée; ce digne officier
demeura seul maître du champ de bataille ,
partit la nuit pour joindre l'armée, apportant
ses trophées au Duc, qui pleura d.e désespoir de
s'être trop précipité la veille à quitter un champ
de bataille qu'on ne lui disputoit plus. Quel- Août.
ques représentations que lui fissent le duc de
Bronswic et des généraux de son armée , on ne
put jamais le dissuader de continuer sa retraite.
Il marcha d'abord à Nienbourg, ensuite à Ver-
den , d'où il prit par Rotenbourg et Bremer-
vœrde le chemin de Stade. Par cette manœu-
vre malhabile il abandonna tout le pays à la
discrétion des François; Hameln fut d'abord
occupé par le duc de Fitzjames : mais ce qu'il
y eut de singulier et de remarquable , fut que
M. d'Etrées fut rappelé pour avoir remporté
une victoire. Le duc de Richelieu, auquel
la cour donna le commandement de cette ar-
mée , arriva le 7 à Munden; il prit Hanovre,
le duc d'Ayen Bronswic, et M. le Voyer Wol-
fenbuttel. Il envoya le prince de Soubise
avec un détachement de Q3.000 hommes à
192# HIST. DE LA 'GUERRE
Erfurt 5 où il de voit être joint par l'armée des
cercles et un détachement d'Autrichiens. Il se
mit de son côté à la poursuite des alliés , passa
l'Aller, et se campa à Verden. M. d'Armen-
tiéres s'empara en même temps de Brème le
Sept. 1 de Septembre. L'armée françoise s'avança
vers Rotenbourg, dans l'intention d'attaquer
le duc de Cumberland; elle ne l'y trouva plus;
ce prince s'étoit déjà replié sur Bremervœrde ,
évitant depuis la journée de Hastenbeck tout
engagement avec l'ennemi. Dés que le Roi eut
remarqué par les manœuvres du duc de Cum-
berland qu'il se bornoit à défendre le Wéser,
il prévit tout ce qui en résulteroit, et rappela les
6 bataillons qu'il avoit dans cette armée, pour
les jeter dans Magdebourg; ce qui se fit très-à-
propos, comme nous le verrons dans la suite.
On voit par le tableau que nous venons de
présenter , que le duché de Magdebourg étoit
menacé de l'invasion des François, et la ville
d'un siège; que la Saxe alloit devenir la proie
de cette armée qui s'assembloit à Erfurt; que les
garnisons de Dresde et de Torgau allaient être
perdues; enfin que Berlin, cette capitale sans
défense , étoit sur le point d'être envahie par les
Suédois
DE SEPT ANS. ^193
Suédois , qui avoient pénétré dans la Marche
uckerane, et qui ne trouvoient qu'une poignée
de monde qui s'opposât à leurs progrés. Dans
ces conjonctures les raisons les plus pressantes
demandoient qu'un corps de troupes marchât
contre tant d'ennemis. Le Roi se chargea de
ce commandement, et se mit à la tête de peu
de monde, pour ne point afïbiblir son armée
de Silésie, qui avoit à combattre l'ennemi le
plus redoutable.
Le prince de Bévern , auquel il restoît 50 Août
bataillons et 110 escadrons, se campa après le
départ du Roi à la Landeskrone près de Gœr-
litz. M. de Winterfeld plaça son détache-
ment de l'autre côté de la Neisse sur le Holz-
berg proche du village de Moys. Le Prince fit
transporter son magasin de Bautzen à Gœrlitz,
Le maréchal Daun et le prince de Lorraine se Sept,
campèrent vis-à-vis de lui à Aussig, et déta-
chèrent M, de Nadasti à Schœnberg , pour ob-
server M. de Winterfeld. Le comte de Kau-
nitz venoit d'arriver à l'armée autrichienne 5
pour s'aboucher avec les généraux et régler les
opérations ultérieures de la campagne, M. de
Nadasti, pour lui faire sa cour, se proposa d'at-
Tome m N
194 HIST. BE LA GUEURE
taquer le poste de M. de Winterfeld au Holz-
berg. Ce poste n étoit garni que de deux ba-
taillons; les dix autres du même corps cam-
poient à trois mille pas en arrière plus près de
Gœrlitz. Lé jour que l'attaque se fit, M. de
Winterfeld étoit auprès du duc de Bévern ^
avec lequel il avoit quelques arrangemens à
prendre : on vint lui dire que l'ennemi atta-
quoit son poste; il y accourut; mais le Holz-
berg étoit emporté avant qu'il y arrivât : il vou-
lut en déloger l'ennemi , s'avança à la tête de
quatre bataillons, et eut le malheur d'être blessé
•mortellement. M. de Nadasti, content de l'a-
vantage qu'il venoit de remporter, se retira de
lui-même à Schœnberg; les Prussiens perdirent
1200 hommes à cette affaire, et nombre de bra-
ves ofiiciers. M. de Winterfeld mourut de sa
blessure, et fut d'autant plus regretté dans ces
circonstances, qu'il étoit l'homme le plus né-
cessaire à l'armée du prince de Bévern , et que
le Roi n'avoit compté que sur lui dans les ra.e-
sures qu'il avoit prises pour la défense de la
Silésie. Le lendemain de cette affaire le prince
de Bévern leva son camp; il se rendit par Catho-
lisch-Hennersdorf et Naumbourg à Lignitz, et
i)E SEPT ANS. 195
négligea de prendre le camp de Lœwenberg ou
celui de Schmutseifen , par lesquels il auroit
couvert la Silésie; et non content d'abandon-
ner les frontières, il acheva de s'afïoiblir en dé-
tachant 13,000 hommes, qu'il jeta dans difié-
rentes places. Ces fautes entraînèrent les mal-
heurs cjui l'accablèrent à la fin de la campagne.
Le maréchal Daun suivit les Prussiens; il mar-
cha par Lœwenberg et Goldberg, et se campa
sur les hauteurs de Wahlstadt. Les Prussiens
étoient dans un fond, la droite à Lignitz, la
Katzbach à dos , et la gauche au village de
Becîa-en ; ils avoient tout à craindre dans ce
terrain : un ennemi entreprenant en eût profité ;
le maréchal Daun ne l'étoit pas. Cependant
un après - midi , animé par le vin et par les
discours du chevalier de Montazet , le prince
de Lorraine voulut emporter quelque avantage
sur l'ennemi : il fit avancer huit à dix bataillons
de grenadiers et du canon, avec lesquels il fit
attaquer le village de Beckren. Ce détache-
ment étoit trop foible contre une armée; il n'é-
toit point soutenu; il fut repoussé par les troU"
pes que le prince de Bévern fit avancer de la
ligne pour soutenir le village : le régiment de
N 5
igS HIST. DE LA GUERRE
Prusse infanterie se distingua surtout à cette
action. Cet essai fit comprendre au prince de
Bévern que sa position étoit mauvaise , son
camp mal pris, sa situation bazardée. Appré-
liendant d'être attaqué le lendemain avec d^s
forces plus considérables , il repassa la nuit mê-
me la Katzbach, et marchant à Parchwitz, il
y trouva un corps d'Impériaux qui lui dis-
puta le .passage de la Katzbach ; il fit des ponts
sur l'Oder, passa ce fleuve et se rendit par sa
Octobre. live droite le i d'Octobre à Breslau : ayant
repassé l'Oder sur le pont de la ville , il prit
poste derrière le petit ruisseau de la Lohe , où
il se retrancha ; les Autrichiens se placèrent
vis-à-vis de lui à Lissa. La cour de Vienne
avoit négocié des troupes de l'électeur de Ba-
vière et du duc de Wurtem.berg, qu'elle en-
voya alors en Silésie: -ces corps se joignirent, à
la réserve de M. de Nadasti , aux environs de
Schweidnitz, dont ils dévoient faire le siège.
Nous suspendrons pour quelques momens le
Sept, récit de la campagne de Silésie, pour suivre le
Carapa- Roi dans son expédition contre les François.
s""^°^- Il se rendit d'abord à Diesde , d'où il
tre les
Fvançoi?. détacha M. de Seidlitz avec un régiment de
DE SEPT ANS. I97
housards et un régiment de dragons pour Leip-
sic 5 . afin de donner la chasse à M. de Turpin ,
qui avec des troupes légères rodoit du côté de
Halle. Les François se retirèrent à l'approche
des Prussiens , de sorte que M. de Seidlitz, de-
venant inutile dans cette partie, vint rejoindre
le Roi entre Grimma et Rœtha : de Rœtha
les troupes marchèrent à Pégau; Tennemi y
avoit détaché deux régimens de housards im-
périaux, Ceczeni et Esterhasi. Cette ville est
située de l'autre côté de l'Elster, sur^ laquelle
un pont de pierre aboutit à la porte. L'en-
nemi avoit garni cette porte et quelques toits
des maisons voisines, pour en défendre l'en-
trée. ~ M. de Seidlitz fit mettre pied à terre
à une centaine de housards , qui forcèrent la
porte; le gros du régiment les suivit et entra
dans Pégau- au plein galop : MM. de Seculi et
de Kleist traversent la ville en sortant par la
porte opposée; ils trouvent ces deux régimens
ennemis postés derrière un chemin creux; ils
les attaquent, les renversent, les poursuivent
jusqu'à Zeitz, et en ramènent 350 prisonniers.
Le lendemain l'armée du Roi se porta sur
Naumbourg; l'avant-garde y rencontra 6 esca-
N 3
igi) IIISÏ. DE LA GUERRE
drons de ceux qu'elle avoit battus la veille; ils
furent bientôt dissipés , et perdirent surtout
beaucoup de monde en passant le pont de la
Saale , proche de Schul-Pforte : on rétablit ce
S Sept, pont, et les troupes le passèrent, pour se ren-
dre à Buttstett. Ce fut là qu'on reçut la nou-
velle de cette fameuse convention signée entre
le duc de Cumberland et le duc de Richelieu
à Closter-Seven ; ce traité fut négocié par un
comte Lynar, ministre du roi de Danemarck :
il y fut stipulé que les hostilités cesseroient; que
les troupes de Hesse, de Bronswic et de Gotha
seroient envoyées dans leur pays ; que celles
de Hanovre demeureroient tranquillem.ent à
Stade à l'autre bord de TJElbe dans un district
qui leur fut assigné; on ne régla rien touchant
Télectorat de Hanovre , ni contributions , ni
restitutions , de sorte que cet Etat se trouvoit
abandonné à la discrétion des François. A peine
cette convention fut-elle conclue , que sans
en attendre la ratification , le duc de Cum-
berland s'en retourna en Angleterre , et le
duc de Richelieu se prépara de son côté à
faire une invasion dans la principauté de Hal-
berstadt.
DESEPTAKS. 19g
Vers ce temps - là on intercepta dans l'ar-
mée prussienne des lettres du comte Lynar au
comte de Reuss ; ces deux hommes étoient de
la secte qu'on nomme Piétistes. Le comte Ly-
nar, en parlant à son ami de cette négociation,
lui dit : ^9 L'idée qui me vint de faire cette con-
99 vention étoit une inspiration céleste ; le S.
9' Esprit m'a donné la force d'arrêter les progrés
^5 des armes françoises, comme autrefois Josué
59 arrêta le soleil : Dieu tout-puissant, qui tient
*v l'univers en ses mains, s'est servi de moi in-
î9 digne , pour épargner ce sang luthérien , ce
99 précieux sang hanovrien qui alloit être répan-
•»9 du. ->'> Le malheur a voulu que le comte Ly-
nar s'est applaudi tout seul; nous le laisserons
entre Josué et le soleil , pour revenir à des
objets plus importans. Cette indigne conven-
tion acheva de déranger les affaires du Roi ; sa
soi-disante armée étoit de 18,000 hommes, et
il se trouvoit réduit à faire un détachement
pour couvrir Magdebourg , ou pour en renfor-
cer la garnison. Cependant , comme M. de
Soubise se trouvoit à Erfurt, il voulut tenter
les moyens de l'en éloigner , afin de pouvoir
s'affoiblir ensuite avec moins de dang;er. Il s'a-
N 4
200 HIST. DE LA GUERRE
vança pour cet effet à Erfurt avec QjOOo che-
vaux 5 un bataillon franc , et deux bataillons
de grenadiers ; sa surprise fut extrême , lors-
qu'il vit l'armée françoise décamper de la Cy-
riacsbourg en sa présence. M. de Soubise , ne
se croyant pas en sûreté à Erfurt, se retira
effectivement à Gotha. A peine fut - il parti
, qu'on somma la ville de se rendre, et l'on con-
vint par la capitulation, que le Pétersberg de-
meureroit neutre , que la ville seroit occupée
par les Prussiens , et que l'ennemi évacueroit
la Cyriacsbourg. Dès que les troupes eurent
pris une espèce de position auprès d'Erfurt, le
prince Ferdinand de Bronswic partit de l'ar-
mée avec 5 bataillons et 7 escadrons , pour
couvrir Magdebourg, et tenir tête à l'armée de
M. de Richelieu. Ce prince pouvoit encore se
ôo. renforcer de 6 bataillons , qu'il auroit tirés de
la place; mais ces mesures, les seules que l'on
pût prendre dans ces conjonctures , étoient foi-
blesj et insuffisantes pour résister à 30,000 Fran-
çois. Le prince Ferdinand, bien résolu de
suppléer par son habileté au peu de moyens
qu'on lui fournissoit, prit un détour pour se
rendre à Magdebourg; en marchant par jEgeln^
BE SEPT ANS. 201
il donna sur le régiment de Lusignan , dont il
fit 400 hommes prisonniers; de là il vint se
poster fièrement à Wanzieben, d'où il sembloit
défier M. de Richelieu, qui campoit à Halber-
stadt. Les partis prussiens eurent de la supé-
riorité sur les François pendant toute la fin de
cette campagne , et il se passa peu de jours
qu'ils n'amenassent des 'prisonniers au prince.
Dans l'état où se trouvoit le Roi , il falloit avoir
recours à tout, employer lajuse et la négocia-
tion , enfin tous les moyens possibles pour
adoucir la situation des affaires; d'ailleurs on ne
perdoit, en faisant des tentatives, que la peine
d'avoir imaginé des expédiens frivoles. Dans
cette intention le colonel Balby partit déguisé
en bailli , pour se rendre auprès du duc de
Richelieu: il connoissoit ce duc, avec lequel
il avoit fait quelques campagnes en Flandre,
Balby devoit faire des propositions pour rame-
ner la cour de Versailles à des sentimens plus
doux et plus pacifiques ; il s'apperçut que le
duc de Richelieu , se défiant de son crédit , ne
croyoit pas avoir assez d'influence auprès du mi-
nistère et du Roi, pour changer leur système et
leur opinion sur l'alliance avec la maison d'Au-
202 HIST. DE LA GUERRE
triche, alliance qui récemment conclue plaisoit
par sa nouveauté même. Cet émissaire, voyant
que tout ce qu'il pourroit dire sur ce sujet ne
méneroit à rien, se rabattit à demander au Duc
qu'il voulût au moins avoir quelques ménage-
mens pour les provinces du Roi où il faisoit
la guerre.
Bientôt le Roi fut encore obligé d'affoi-
blir son armée par un nouveau détachement;
il envoya le prince Maurice à Leipsic avec
lo bataillons et lo escadrons, pour s'y tenir
dans une position centrale , d'où il fût à portée
de se joindre dans le besoin au Roi , ou au
prince Ferdinand, et d'où il pût avoir l'œil
sur M. de Marshall , campé à Bautzen avec
13,000 Autrichiens : ce dernier corps inquiétoit
avec d'autant plus de raison , que la Lusace
étant ouverte, on avoit à craindre qu'il ne fît
une irruption dans l'électorat et n'allât même à
Berlin. Cette capitale étoit également menacée
du côté de la Poméranie par les Suédois, dont
M. de Manteufel avec 500 housards et quatre
bataillons retardoit les progrès. Après que ces
deux corps eurent quitté le camp d'Erfurt, il
ne resta plus au Roi que 8 bataillons et c;
DE SEPT ANS. QO3
escadrons. Si rennemi s'étoit apperçu de la foi-
blesse de ce corps , il n'est pas douteux qu il ne
se fût mis en action; c'est ce qu'il falloit empê-
cher sur toute chose , et ce qui fit recourir à dif-
férens expédiens, pour en imposer au peuple
d'Erfurt, et aux François mêmes: par cette rai-
son les troupes ne campèrent point ; l'infanterie
étoit répandue dans les villages voisins de la
ville ; on la fit changer à différentes reprises de
quartiers , et comme chaque fois les régimens
changeoient aussi de nom , cela multiplioit l'or-
dre de bataille que les espions recueilloient avec
soin, pour en instruire le prince de Soubise,
Deux jours après que les Prussiens eurent pris 1^»
Erfurt, le Roi fit une reconnoissance vers Gotha
avec 20 escadrons de housards et de dragons,
pour essayer si l'on n'en pourroit pas déloger
ces deux régimens de housards impériaux si
souvent battus; cela réussit au-delà de ce qu'on
devoit espérer : l'appréhension que ces housards
avoient des Prussiens , précipita leur retraite;
proche de Gotha ils avoient un déhlé à passer,
où ils perdirent 180 hommes; on les poursui-
vit même jusqu'à la vue d'Eisenach, où cam-
poit M. de Soubise , qui venoit d'être joint
204 HIST. DE LA GUERRE
par le prince de Hildbourghausen , général en
50. chef de l'année des cercles. La maison ducale
fut charmée de se voir débarrassée de ces hôtes
indiscrets; elle avoit également à se plaindre
des François et des Autrichiens : les François
avoient commis des violences au château , dont
ils avoient enlevé les canons; et les officiers
autrichiens , peu mesurés dans leurs propos ,
s'étoient comportés avec une arrogance non
convenable envers des princes souverains d'une
des plus anciennes maisons de l'Empire. M. de
Seidlitz demeura avec cette cavalerie à Gotha ,
pour veiller de là sur les mouvemens de l'en-
nemi 5 et avertir à temps la petite armée d'Er-
furt 5 afin que dans le besoin elle pût se replier
avant l'approche de l'armée d'Eisenach. Peu
de jours après il fut attaqué par un corps bien
supérieur au sien. Le prince de Hildbourg-
hausen voulut signaler son commandement
par un coup d'éclat; il proposa au prince de
Soubise de déloger les Prussiens de Gotha.
Tous deux se mirent en marche avec les gre-
nadiers de leur armée , la cavalerie autrichienne,
Laudon et ses pandours , et toutes les trou-
pes légères de l'armée françoise. M. de Seidlitz
DE SEPT ANS, 205
fut averti à temps du projet que les ennemis
formoient contre lui; bientôt il les vit paroî-
tre : une colonne de cavalerie embrassoit Go-
tha par la droite, en cheminant sur la crête
des hauteurs qui vont vers la Thuringe; une
autre colonne de cavalerie , ayant les housards
devant elle , venoit à gauche du côté de Lan-
gensalza; les pandours à la tête deS grena-
diers formoient la colonne du centre. M. de
Seidlitz s'étoit mis en bataille à une certaine
distance de Gotha, les housards en première
ligne, les dragons de Meinicke en seconde: il
avoit envoyé les dragons de Gzettritz à un dé-
filé qui étoit à un demi-mille derrière lui, avec
ordre de se mettre sur un rang, pour former
un front étendu qui pût en imposer aux enne-
mis; ce qui n'empêchoit pas que ce régiment Octobre
ne fût très-à-portée de protéger sa retraite, s'il
s'étoit vu obligé de céder au nombre. Cette v
manœuvre habile et rusée fit prendre le change
au prince de Hildbourghausen; il pensa que
l'armée prussienne , qu'il croyoit considérable,
^ étoit en marche pour soutenir M. de Seidlitz,
et que cette grande ligne de cavalerie qu'il
découvroit, alloit incessamment fondre sur
206 HIST. DE LA GUEKRE
lui. M. de Seidlitz s apperçut , par la conte-
nance mal assurée des housards autrichiens ,
que son stratagème faisoit impression; il les
poussa insensiblement , et de choc en choc
gagnant toujours du terrain, il les obligea à
repasser ce défilé où ils avoient peu de jours
auparavant tant souffert ; la colonne de cavalerie^
qui faisoit la droite des ennemis, se retira en
même temps. M. de Seidlitz alors envoya
quelques housards et dragons dans Gotha ; ils
y entrèrent précisément comme le prince de
Darmstadt avec les troupes des cercles com-
mençoit à s'en retirer, et y firent nombre de
prisonniers. La précipitation avec laquelle le
prince de Darmstadt abandonna Gotha , pen-
sa devenir funeste à M. de Soubise; il étoit
au château , et ne s'attendoit pas à une aussi
prompte évacuation; il n'eut que le temps de
se jeter à cheval pour s'enfuir bien vite : 160
soldats et trois officiers de marque furent pris
dans cette journée par les Prussiens. Tout au^
tre officier que M, de Seidlitz se seroit applaudi
de se tirer de ce mauvais pas sans perte; M,
de Seidlitz n'auroit pas été satisfait de lui-mê-
me 5 s'il ne s'en fût pas tiré avec avantage.
DE SEPT ANS. 207
Cet exemple prouve que la capacité et la réso-
lution d*un général décident plus à la guerre
que le nombre des troupes. Un homme mé-
diocre 5 qui se fût trouvé dans de pareilles cir-
constances, découragé par l'appareil imposant
des ennemis , se seroit retiré à leur approche et
auroit perdu la moitié de son monde dans une
affaire d'ariiére-garde , que cette cavalerie su-
périeure auroit engagée au plus vite. Le bon
emploi de ce régiment de dragons étendu et
montré de loin à l'ennemi procura à M. de
Sêidlitz le moyen d'acquérir beaucoup de gloire
dans une affaire aussi épineuse.
Le Roi n'avoit pu jusqu'alors que tenir les
choses en suspens ; il ne pouvoit rien entre-
prendre et devoit tout attendre du bénéfice du "
temps. Il se tint tranquillement à Erfurt, jus-
qu'à ce qu'il apprit qu'un détachement fran- ^
çois de l'armée de Westphalie étoit en chemin
pour se rendre par la Hesse à Langensalza.
Comme il ne devoit pas attendre l'arrivée de
ce corps, qui pouvoit lui tomber à dos, il ré-
solut de se retirer avant son approche. Le bruit
se répandant d'ailleurs que M. de Haddick tra-
versoit la Lusace poux pénétrer dans le Brande-
208 HIST. DE LA GUERRE
bourg, le prince Maurice avoit été obligé de
o-asner Torgau à tire d'aile ; il de voit vraisem-
blablement pousser de là jusqu'à Berlin. Le
Roi 5 n'ayant donc aucun secours à attendre , ne
jugea pas à propos de prolonger davantage
son séjour à Erfurt , et pour ne rien bazarder
mal à propos, il se replia sur l'Eckartsberg ; des
courriers fréquensy arrivèrent de Dresde; M. de
Finck marquoit que le corps de Marshall étoit
sur le point de quitter Bautzen , pour suivre
celui de Haddick : il étoit certain que le prince
Maurice n'étoit pas assez fort pour résister à
ces deux généraux ; cela fit résoudre le Roi à
lui mener un renfort. Les troupes repassèrent
la Saale à Naumbourg : le maréchal Keith se
jeta avec quelques bataillons dans Leipsic ! le
Roi passa l'Elbe à Torgau , et marcha sur An-
naberg , où il apprit que la ville de Berlin
en avoit été quitte pour une contribution de
QOO5O00 écus quelle avoit payée aux Autri-
chiens; que M. de Haddick n'avoit pas attendu
l'arrivée du prince Maurice pour se retirer, et
que M. de Marshall étoit demeuré immobile
dans son camp de Bautzen. La première idée
qui lui vint alors fut de couper la retraite à
M.
DE.SÇPT ANS* 209
M. de Haddik ; il se rendit en conséquence
à Herzberg. Le prince Maurice étoit. sur son
retour , et le Roi voulut lattendre , parce
que Haddik avoit .déjà repassé Cottbus ; il
demeura quelques jours dans cette position,
pour s'éclaircir sur les projets ultérieurs des
François , qui dévoient décider du paiti qu'il
avoit à prendre, soit de s'opposer à leurs entrer
prises, soit, au cas que la campagne de Thu-
ïinge fût finie, de tourner vers la Silésie, pour
dégager Schweidnitz, dont M. de Nadasti com-
mençoit à former le siège.
Mais les ennemis entraînèrent le Roi dans 26.
des opérations qu'il ne pouvoit pas prévoir
alors. Le départ des Prussiens d'Erfurt enga-
gea M. de Soubise à passer la Saale et à s'ap-
procher de Leipsic ; le maréchal Keith en
donna avis , demandant avec empressement
des secours : il fallut accourir au plus pressé.
Le Roi prit sur le champ avec sa petite troupe as.
le chemin de Leipsic ; il nettoya d'abord la
rive droite de la Mulde , où M. de Custine
s'étoit avancé avec quelques brigades : après
quoi il entra à Leipsic, où il fut joint par le
prince Maurice et par le piince Ferdinand de
Tome lîL O
2 10 HIST. DE LA GUERRE
Bronswic. On se rendit d'abord maître de la
grande chaussée qui mène à Lutzen. Le 30
larmée se trouvant rassemblée , elle alla se
camper à Altranstsedt, d'où M. de Retzow fut
détaché en avant pour garder le défilé de Ri-
pach. La nuit même le Roi se mit en marche
pour tomber sur les quartiers ennemis disper-
sés à l'entour de Weissenfels : ils se sauvèrent,
hors celui de Weissenfels. On attaqua les trois
portés de la ville , avec ordre aux officiers de
gagner sans délai le pont de la Saale , pour
qu'on fût maître de ce passage important. La
ville fut forcée , on y prit 500 hommes ; mais
ceux de la garnison , qui s'étoient sauvés,
avoient mis le feu au pont couvert, qui, étant
tout d€ charpente, s'embrasa facilement: il n'y
eut pas moyen d'éteindre l'incendie , parce que
l'ennemi embusqué derrière les murs à l'autre
bord faisoit un si gros feu de mousquéterie,
que tous ceux qui s'empressoient à conserver
le pont étoient tués ou blessés. Bientôt de
nouvelles troupes parurent de l'autre côté de
la rivière, dont le nombre, qui alloit toujours
en grossissant , convainquit de l'impossibilité
de tenter le passage de la Saale à cet endroit
DE SEPT ANS. 211
Mais comme ce n'étoit que la tête de l'armée
qui étoit arrivée à Weissenfels , et que la partie
la plus considérable des troupes étoit encore
en pleine marche, on leur fit prendre la direc-
tion de Mersebourg , dans l'espérance de pou-
voir se servir du pont de cette ville.
Lorsque le maréchal Keith y arriva , il Novem-
trouva que les François y étoient établis et
que le pont étoit rompu : il ne balança pas
sur le parti qui lui restoit à prendre ; il prit
quelques bataillons, et se rendit à Halle, dont
il délogea les François , et rétablit le pont qu'ils
y avoient également détruit. L'armée du Roi
se trouvoit donc alors avoir sa droite à Halle,
son centre vis - à - vis de Mersebourg , et sa
gauche à Weissenfels , couverte par la Saale,
assurant sa communication derrière cette rivière
par des corps détachés, qui veiiloient égale-
ment sur les démarches des ennemis. Le maré-
chal Keith passa le premier cette rivière proche
de Halle. Sur ce mouvement, qui ne pouvoit
être d'aucune conséquence pour les François j
M. de Soubise abandonna tous les bords de
la Saale , et se replia sur le village de S. Michel.
Les Prussiens employèrent ce jour et la nuit
02
212 HÏST. DE LA GUEHRE
suivante à rétablir les ponts de Weisseniels et
de Mersebourg : le 3 de grand matin le Roi
et le prince Maurice les ayant passés , leurs
colonnes' et celle du maréchal Keith se diri-
gèrent sur Rosbach , où elles avoient ordre
de se joindre. Le Roi se détaclia pendant la
marche avec quelc^ue cavalerie , pour reçon-
noître la position des ennemis : elle étoit des
plus mauvaises. Les housards par étourderie
poussèrent jusques dans le camp, et enlevèrent
des chevaux de la cavalerie, et des soldats qu'ils
4. arrachèrent de leurs tentes : ces circonstances,
jointes au peu de précautions des généraux
françois, déterminèrent le Roi à marcher le len-
demain pour les attaquer.
L'armée quitta son camp avant la pointe du
jour ; toute la cavalerie faisoit l'avant - garde.
Lorsqu'elle arriva sur les lieux d'où on avoit
îa veille reconnu le poste des ennemis , elle
ne les y trouva plus : sans doute que M. de
Soubise, ayant fait réflexion sur la défectuosité
de son camp, en avoit changé la nuit même î
il avoit étendu ses troupes sur une hauteur
devant laquelle régnoit un ravin ; sa droite
s'appuyoit à un bois qu'il avoit fortifié d'un
DE SEPT ANS. 213
abatis et de trois redoutes garnies d'artillerie;
sa gauche étoit environnée par un grand étang
qu'on ne pouvoit pas tourner. L'armée du Roi
se trouvoit trop foible en infanterie pour brus-
quer un poste aussi formidable; pour peu que
la défense eût été opiniâtre , on ne Tauroit
emporté qu'en y sacrifiant vingt mille hom-
mes. Le Roi jugea que cette entreprise sur-
passoit ses forces , et il envoya des ordres à
l'infanterie de passer un défilé marécageux qui
se trouvoit prés de là, pour prendre le camp
de Braunsdorf; la cavalerie la suivit, faisant
l 'arriére-garde. Dès que les François virent que
les troupes prussiennes se replioient, ils firent
avancer leurs piquets avec de l'artillerie , et
canonnèrent beaucoup , mais sans effet. Tout ce
qu'ils avoient de musiciens et de trompettes,
leurs tambours et leurs fifres se faisoient enten-
dre 5 comme s'ils avoient gagné une victoire.
Quelque peu agréable que fût cr- spectacle pour
des gens qui n'avoient jamais craint d'ennemi,
il fallut dans ces circonstances le considérer d'un
œil indifférent, et opposer le flegme allemand
à la pétulance et à la gaieté française. On apprit 5,
la nuit même que l'ennemi faisoit un mouve-
o 3
2 14 HÎST. DE LA GUEURE
ment de sa gauche à sa droite : les housards
se mirent en campagne dés la pointe du jour;
ils entrèrent dans le camp que les François
venoient de quitter^ et apprirent des paysans
qu'ils avoient pris le chemin de Weissenfels.
Peu après un corps assez considérable se forma
vis-à-vis de la droite des Prussiens ; il avoit
l'air d'une arrière -garde, ou d'une troupe qui
couvre la marche d'une armée. Les Prussiens
tenoient peu de compte de ces mouvemens,
parce que leur camp étoit couvert, tant le front
que les deux ailes, par un marais impraticable,
et qu'il n'y avoit que trois chaussées étroites
par lesquelles on pût venir à eux. On ne pou-
voit donc supposer que trois desseins à l'en-
nemi : celui de se retirer par Freybourg , dans
la haute- Thuringe, parce que les subsistances
lui manquoient; celui de prendre Weissen-
fels, dont cependant les ponts étoient détruits;
ou enfin celui de gagner Mersebourg avant le
Roi , pour lui couper le passage de la Saale.
Or l'armée prussienne en étoit beaucoup plus
près que celle des François. Cette manœuvre
étoit d*autant moins à craindre, qu'elle menoit
à une bataille dont on pouvoit se promettre
DESEPTANS. 215
un succès heureux , puisqu'on n'auroit point
de poste à forcer. Le Roi envoya beaucoup
de partis en campagne, et attendit tranquille-
ment dans son camp que les intentions des
ennemis se fussent plus clairement dévelop-
pées : car un mouvement précipité, ou fait à
contretemps 5 auroit tout gâté. Des nouvelles,
tantôt fausses, tantôt vraies, que rapportoient
les batteurs d'estrade, entretinrent cette incer-
titude jusques vers midi , qu'on apperçut -la
tête des colonnes françoises , qui à une certaine
distance tournoient la gauche des Prussiens.
Les troupes des cercles disparurent aussi insen-
siblement de leur ancien camp, de sorte que
ce corps qu'on prenoit pour une arriére-garde,
et qui étoit en effet la réserve de M. de S. Ger-
main , demeura seul vis-à-vis des Prussiens.
Le Roi fut lui-même reconnoître la marche
de M. de Soubise , et fut convaincu qu'elle
étoit dirigée sur Mersebourg : les François mar-
choient très - lentement , parce qu'ils avoient
formé différens bataillons en colonnes , ce qui
les arrêtoit chaque fois que les chemins étroits
les obligeoient de se rompre. Il étoit deux
Jieures lorsque les Prussiens abattirent leurs ten-
O 4
2l6 HIST. DE LA GUERRE
tes ; ils firent un quart de conversion à gauche
et se mirent en marche. Le Roi côtoya l'armée
de M. de Soubise ; ses troupes étoient couvertes
par le marais qui vient de Braunsdorf, et qui,
s'étendant à un grand quart de lieue de là, se
perd à q,ooo pas de Rosbach. M. de Seidlitz
faisoit l'avant-garde avec toute la cavalerie ; il
eut ordre de se glisser par des bas -fonds dont
cette contrée est remplie , pour tourner la cava-
lerrie Françoise et fondre sur les têtes de leurs
colonnes, avant qu'elles eussent le temps de se
former. Le Roi ne put laisser au prince Ferdi-
nand, qui commandoit ce jour -là la droite de
l'armée , que les vieilles gardes de la cavale-
rie 5 qu'il mit sur un rang pour en faire montre;
ce qui se pouvoit d'autant mieux, qu'une par-
tie du marais de Braunsdorf couvroit cette
droite. Les deux armées en se côtoyant s'ap-
prochoient toujours davantage. L'armée du Roi
tenoit soigneusement une petite élévation qui
va droit à Rosbach; celle des François, qui
ne connoissoit pas apparemment le terrain,
marchoit par un fonlj, Le Roi fit établir une
batterie sur cette hauteur, dont les effets devin-
rent décisifs dans l'action. Les François en éta-
DE SEPT ANS. 217
blirent une vis-à-vis dans un fond , et comme
elle tiroit de bas en haut, elle ne produisit
aucun effet. Pendant qu'on prenoit ces arran-
gemens de part et d*autre , M. de Seidlitz avoit
tourné la droite des ennemis, sans qu'ils s*en
apperçussent; il fondit alors avec impétuosité
sur cette cavalerie : les deux régimens autri-
chiens formèrent un front , et soutinrent le
choc ; mais se trouvant abandonnés par les
François, à l'exception du régiment de Fitz-
james qui donna , ils furent presque entière-
ment détruits. L'infanterie des deux armées
étoit encore en marche, et leurs têtes n'étoient
qu'à la distance de cinq cents pas : la Roi auroit
voulu gagner le village de Reichardswerben;
mais comme il restoit 600 pas à faire pour y
arriver , et qu'on s'attendoit d'un moment à l'au-
tre à voir l'action s'engager , il y détacha le maré-
chal Keîth avec 3 bataillons , en quoi consistoit
toute sa seconde hgne : leîloi s'avança en même
temps à 200 pas des deux lignes françoises, et
s'apperçut que leur ordre de bataille étoit com-
posé de bataillons en colonnes alternativement
enlacés 'dans des bataillons étendus. Cette aile
de M. de Soubise étoit en l'air, et la cavalerie
2i8 HIST. DE LA GUERRE
prussienne étant occupée à poursuivre celle des
ennemis, on ne put se servir que de l'infanterie
pour déborder l'aile : dans cette vue le Roi mit
en ligne deux bataillons de grenadiers qui fai-
soient un crochet à son flanc gauche; ils eurent
ordre , au moment que les François avance-
roient, de faire une demi -conversion à droite,
ce qui les portoit nécessairement sur le flanc de
l'ennemi. Cette disposition fut exécutée ponc-
tuellement. Aussi dés que les François avancè-
rent, ils reçurent le feu de ces grenadiers en
flanc, et après avoir essuyé tout au plus trois
décharges du régiment de Bronswic, on vit que
leurs coloimes se pressoient vers la gauclie: elles
eurent bientôt resserré ces bataillons étendus
qui les séparoient ; la masse de cette infanterie
devenoit de moment en moment plus grosse,
plus lourde et plus confuse ; plus elle se pré-
cipitait sur la gauche, plus elle étoit débordée
par le front des Prussiens. Tandis que le désor-
dre alloit en croissant dans l'armée de M. de
Soubise, le Roi fut averti qu'un corps de cava-
lerie ennemie se présentoit derrière ses troupes;
il fit rassembler en hâte les premiers escadrons
que l'on put trouver : à peine les eut-il oppo-
I) E s E P T A K s. 219
ses à ceux qui se montroient derrière son front,
que ces derniers se retirèrent avec promptitude;
alors les gardes-du-corps et les gendarmes furent
employés contre l'infanterie françoise , qui se
trouvoit dans le plus grand désordre; la cava-
lerie l'attaqua, et l'ayant facilement dispersée,
elle fit un nombre considérable de François
prisonniers. Il étoit 6 heures du soir quand ce
choc se donna : le temps étoit couvert, et l'obs^
curité si grande , qu'il y auroit eu de l'impru-
dence à poursuivre Tennemi , quelle que fût la
confusion dans laquelle continuoit sa déroute.
Le Roi se contenta d'envoyer à sa poursuite
différens partis de cuirassiers, de dragons et de
housards , dont aucun ne passoit 30 maîtres.
Pendant cette action 10 bataillons de la droite
des Prussiens avoient gardé le fusil sur l'épaule
sans charger : le prince Ferdinand de Brons-
wic, qui les commandoit, n'avoit pas quitté le
marais de Braunsdorf, servant à couvrir une
partie de son front; il avoit chassé les troupes
des cercles qui lui étoient opposées , par quel-
ques volées de canon, et leur avoit fait lâcher
le pied. Il n'y eut que 7 bataillons de l'armée
du Roi qui furent dans le feu, et tout l'enga-"
220 HÎST. BE LA GUEURE
gement du combat jusqu'à la décision ne dura
qu'une heure et demie. Le lendemain le Roi
partit dès la pointe du jour avec les housards et
les dragons; il suivit les traces des ennemis, qui
s'étoient retirés par Freybourg. L'infanterie eut
ordre de prendre le même chemin; l'arrière-
garde Françoise y étoit encore : les dragons
mirent pied à terre et chassèrent des jardins
quelques détachemens ennemis; ensuite on fit
des dispositions pour attaquer le château : mais
l'ennemi n'en attendit pas l'exécution, il repassa
rUnstrut en hâte et brûla ses ponts. Les détache-
mens que le Roi avoit faits la veille arrivèrent
alors successivement ; les uns amenoient des offi-
ciers, d'autres des soldats, d'autres des canons,
enfin aucun d'eux ne revint les mains vides.
On travailla cependant avec tant de diligence
à rétablir le pont de l'Unstrut , qu'en moins
d'une heure il fut en état de servir. L'armée de
M. de Soubise s'étoit répandue par tant de
chemins , qu'on ne savoit lequel suivre. Les
paysans assuroient que le plus grand nombre
des fuyards avoit pris la route de l'Eckartsberg,
et le Roi y marcha avec ses troupes : pendant
toute cette journée le nombre des prisonniers
DE SEPT ANS» 221
augmenta; tous les détachemens envoyés en dif-
féiens lieux en amenèrent. Cependant on trouva
l'Eckartsberg garni par un corps des cercles, qui
pouvoit être de 5 à 65O00 hommes. Le Roi, qui
n avoit d'autre infanterie que les volontaires de
Meyer, les embusqua avec des housards dans
un bois voisin de ce camp , avec ordre d'al-
larmer l'ennemi toute la nuit. Les ennemis,
mécontens de ce qu'on troubioit leur sommeil ,
abandonnèrent leur poste, et perdirent quatre
cents hommes avec 10 pièces de canon. M. de
Lentulus, qui les suivit le lendemain jusqu'à
Erfurt , leur enleva encore huit cents homrnes 5
qu'il ramena au Roi. La journée de Rosbach
avoit coûté 105000 hommes à l'armée de M. de
Soubise. Les Prussiens en prirent 7,000 prison-
niers : ils y gagnèrent de plus 63 canons, ij
étendards, 7 drapeaux et une paire de timbales.
Il est certain cju'à considérer la conduite des
généraux François , on auroit de la peine à l'ap-
prouver : leur intention étoit sans contredit de
chasser les Prussiens de la Saxe; mais l'intérêt
de leurs alliés ne demandoit-il pas plutôt
c[u'ils se bornassent simplement à contenir le
Roi vis-à-vis -d'eux, pour donner au maréchal
222 HIST. DE LA GUERRE
Daun et au Prince de Lorraine le temps d'ache-
ver la conquête de la Silésie ? Pour peu qu'ils
eussent encore arrêté le Roi en Thuringe , cette
conquête étoit non - seulement faite , mais la
saison devenoit de plus si rude et si avancée,
qu'il auroit été impossible aux Prussiens de
faire en Silésie les progrès dont nous aurons
incessamment occasion de parier : et quant à la
bataille qu'ils engagèrent si mal à propos, il
est certain que M. de Soubise, par son incerti-
tude et par sa disposition, mit de la possibilité
à ce qu'une poignée de monde vînt à bout de
le vaincre. Mais la manière dont la cour de
France distinguoit le mérite de ses généraux^
parut plus surprenante que le reste : M. d'ÉtréeSj,
pour avoir gagné la bataille de Hastenbeck, fut
rappelé; M. de Soubise, pour avoir perdu celle
de Rosbach , fut déclaré peu après maréchal de
France. La bataille de Rosbach ne procura pro-
prement au Roi que la liberté d'aller chercher
de nouveaux dangers en Silésie. Cette victoire
ne devint importante que par l'impression
quelle fit sur les François et sur les débris
de l'armée du duc de Cumberland. D'un côté
M. de Richelieu 5 dèsi qu'il en reçut la nou"
DE SEPT ANS. 223
velîe, quitta son camp de Halberstadt , et se
retira dans Télectorat de Hanovre : de l'autre,
les troupes alliées , prêtes à mettre les armes
bas, reprirent courage, et conçurent des espé-
rances. Un changement avantageux , arrivé à
peu près dans le même temps dans le minis-
tère britannique, et dont nous parlerons bien-
tôt , donna un nouveau nerf au gouvernement
anglois. Ces ministres, honteux de la tache que
la convention de Closter- Seven imurîmoit à
leur nation , résolurent avec d'autant plus de
justice de la rompre, qu'elle n'avoit été ratifiée
ni par le roi d'Angleterre , ni par le roi de
France ; ils travaillèrent d'abord à remettre l'ar-
mée de Stade en activité : le Roi d'Angleterre,
dégoûté du duc de Cumberland , qui avoit
perdu la confiance des troupes , voulut mettre
un autre général à leur tête ; il demanda au
Roi le prince Ferdinand de Bronsvvic, dont la
réputation justement acquise s'étoit répandue
en Europe. Quoique les Prussiens perdissent par
son absence un bon général, dont ils avoient
besoin , il étoit toutefois si important de rele-
ver cette armée des alliés, que le Roi ne put
se refuser à cette demande. Le prince Ferdi-
224 HIST. DE LA GUERRE
nand partit, se rendit à Stade par des chemins
détournés , et trouva répandu aux environs un
corps de 30,000 hommes , que les François par
inconséquence et par légèreté avoient négligé
de désarmer.
Le Roi revint de l'Eckartsberg à Frey-
bourg, en même temps qu'un détachement,
que le maréchal Keith avoit envoyé à Quer-
furt , retourna de la pouisuite des François.
Les paysans mêmes des environs amenoient
des prisonniers : ils étoient outrés des sacrilèges
que les soldats de M. de Soubise avoient com-
mis dans les églises luthériennes ; les choses
pour lesquelles le peuple a le plus de vénéra-
tion avoient été profanées avec une indécence
grossière , et la fougue effrénée des François
avoit miis tous les paysans de la Thuringe dans
les intérêts de la Prusse.
Cependant le Roi étoit sur son départ ; les
affaires de la Silésie demandoient sa présence
et des secours ; il se proposa de marcher droit
à Schvveidnitz , pour en faire lever le siège à
M. de Nadasti. Il partit de Leipsic le 1 2 de
Novembre à la tête de 19 bataillons et de q8
escadrons. Le maréchal Keith marcha en même
temps
DE SEPT ANS. 225
terhps avec un petit corps , pour pénétrer en
Bohème du côté de Leutmeritz , afin de faci-
liter au R.oi le passage de la Lusace , et d'obliger
par cette diversion M. de Marshall à quitter les
environs de Bautzen et de Zittau. Le maré-
chal Keith prit un magasin considérable que les
ennemis avoient à Leutmeritz, d'où il fit mine
de s'avancer vers Prague. Le Roi entra en
même temps en Lusace ; il délogea M. de Had-
dick de Grossenhayn , et M. de Marshall à son
approche se replia sur Lœbau : pendant la mar-
che de Bautzen au Weissenberg , on fit tour-
ner une tête de colonne vers Lœbau, et à son
aspect M. de Marshall se replia sur Gabel ; le
Roi poursuivit ensuite sa route sans empêche-
ment. En arrivant à Goerlitz il reçut la il-
cheuse nouvelle de la reddition de Sdiweid-
nitz. Cette place fut prise de la manière sui-
vante. M. de Nadasti avoit ouvert la tranchée
le 27 d'Octobre entre le fort de Bœgendorf et
la tuilerie; sa troisième parallèle éroit achevée
le 10 de Novembre. La garnison avoit fait
quelques sorties avec succès, et quoique les
bombes eussent ruiné une partie de la ville ,
l'ennemi n'avoit pas encore emporté d'ouvrage;
Tome III P
2 26 HIST. DE LA GUERKE
impatient cVêtre aussi peu avancé, M. de Na-
dasti résolut de risquer un coup de main : la
nuit du 1 1 il fit donner un assaut général à tou-
tes les redoutes qui environnent le corps de la
place ; deux furent prises. Ce malheur fit tour-
ner la tête à M. de Seers, qui étoit gouverneur
de la place, et à M, de Grumbkow , qui lui
etoit adjoint; ils capitulèrent, et se rendirent
prisonniers de guerre avec leur garnison, consis-
tant en lo escadrons de housards et lo batail-
lons d'infanterie. Les Autrichiens désarmèrent
ces soldats , et comme la plupart étoient silé-
siens , ils leur donnèrent des passeports et la
liberté de retourner dans leurs villages. Cet
événement ne pouvoit pas arriver plus mal à
propos 5 pour déranger les projets du Roi.
Toutefois sa jonction avec le prince de Bévern
en devenoit d'autant plus nécessaire , qu'il étoit
> aisé de prévoir que M. de Naclasti, ayant pris
Schweidnitz, joindroit le maréchal Daun , pour
accabler ce qui restoit de Prussiens près de
Breslau. Le Roi a voit à la vérité ordonné au
prince de Bévern d'attaquer l'ennemi , et de ne
pas souffrir qu'on prît Schweidnitz pour ainsi
dire à sa vue : la chose étoit très-faisable, vu la
i BE SEPT ANS. 227
position des Autrichiens à Lissa; le prince de
Bévern n'avoit qu'un mouvement à faire pour
se porter sur le flanc de l'ennemi, qu'il auroit
battu probablement; alors le siège de Schweid-
nitz étoit levé, et les Impériaux déconcertés :
au lieu que si l'on demeuroit dans l'inaction,
M. de Nadasti ne pouvoit manquer à la longue
de prendre une place qui n'avoit point de se-
cours à espérer, et toutes ces troupes ennemies,
venant à fondre sur les Prussiens , auroient enfin
forcé les retranchemens de la Lohe. Le mal-
heur voulut que ce Prince ne comprît pas la
force de ces raisons; les généraux le détermi-
nèrent cependant un jour à tenter cette entre-
prise; il sortit de son camp, et battit les troupes
légères qui couvroient le flanc droit des Autri-
chiens : alors au lieu d'attaquer l'armée , et de
la pousser dans l'Oder , comme cela seroit arrivé,
son incertitude, le peu de confiance qu'il avoit
en lui-même , et la crainte d'une entreprise
dont l'événement n'est jamais d'une certitude
évidente, le retinrent; il crut en avoir fait assez,
et il ramena les troupes dans ses retranchemens.
Le Roi arriva à Naumbourg sur le Queis le 24
de Novembre; il y apprit la victoire des Au-
P Q
228 HIST. BE LA GUERRE
trichiens sur le prince de Bévern , et la perte
de Breslau. Tout ce dont on avoit averti le
prince de Bévern n'étoit arrivé que trop exac-
tement; M. de Nadasti avoit joint le prince de
Lorraine et le maréchal Daun, et les ennemis,
impatiens d'achever leur conquête, ne perdi-
rent point de temps pour mettre leur projet en
exécution. La nuit du q i au a q de Novembre
ils construisirent devant le front des Prussiens
4 grandes batteries de grosses pièces de canon ;
les emplacemens qu'ils prirent étoient entre
Pilsnitz et Gross-Mochber. Le prince de Bévern
se contenta d'être spectateur de cet ouvrage ,
qu'il leur laissa achever tranquillement, tandis
que ces apprêts annonçoient les desseins du ma-
réchal Daun sur les retranchemens prussiens. M.
i2. de Nadasti lono;ea la Lohe et se forma vers Ga-
bitz; le prince de Bévern crut que c'étoit pour
lui venir à dos, quoique cela fût difficile, et il
s'affoiblit encore par un détachement qui se ren-
dit à Gabitz aux ordres de M. deZiethen, pour
s'opposer de ce côté aux entreprises des ennemis.
Le front du camp prussien derrière la Lohe étoit
couvert par des redoutes , ouvertes par les gor-
ges , mal placées . dont quelques - unes même
DE SEPT ANS. 229
etoient dominées par l'autre live : on n'avoit
pas même en l'attention d'y faire distribuer
assez de canon; la plus grande partie de l'artil-
lerie demeura dans un retranchement que le
prince de Bévern avoit fait faire dans un bas-
fond , pour couvrir son flanc de la Lohe vers le
faubourg de Breslau. Le maréclial Daun, cjui
avoit eu le tem^ps de bien voir et de bien exa-
miner toutes ces né^lio;ences et toutes ces bé-
o o
vues, les fit tourner à son avantage. L'attaque
commença le 2 'i à g heures du matin ; c^uel-
ques redoutes furent prises et reprises alterna-
tivement ; on fit agir la cavalerie prussienne
dans un marais , où elle ne pouvoit pas com-
battre, et où elle fut foudroyée par 60 canons
que les Autrichiens avoient en batterie au-delà
du ruisseau. Cependant , malgré tant de fausses
mesures, les Prussiens ne perdoient point en-
core de terrain. A la gauche vers Gabitz M. de
o
Zïethen non seulement repoussa les attaques,
mais poursuivit M. de Nadasti jusqu'au-delà
de la Lohe , et les ennemis en déroute se reti-
rèrent derrière le ruisseau de Schweidnitz. Pen-
dant ce temps-là les Autrichiens qui attaquoient
le prince de Bévern avoient passé la Lohe sous
p 3
230 HIST. DE LA GUEPvRE
la protection de leur artillerie; ils prirent aussi-
tôt les redoutes prussiennes par le^î gorges : les
troupes se défendirent bien, et les Prussiens les
en délogèrent à diverses fois ; le prince Fer-
dinand de Prusse repoussa même une partie
des ennemis jusqu'à la Lohe; mais ils étoient
en trop grand nombre, le camp étoit perdu et
la nuit close. Quoiqu'il y eût encore des res-
sources, le prince de Bévern ne les vit pas; il
repassa l'Oder dans la première consternation,
et jeta M. de Lestwitz avec 8 bataillons dans
Breslau : il perdit ainsi 80 pièces de canons, et
près de 8,000 hommes, que l'attaque du camp
de Lissa ne lui auroit pas coûtés. Les Autri-
chiens prétendirent que cette action leur avoit
mis 18,000 hommes hors de combat, et il est
vrai que les villages des environs étoient rem-
plis de leurs blessés. Le lendemain , ou pour
inieux dire la nuit, le prince de Bévern s'avisa
d'aller reconnoître le corps de M. de Beck qui
campoit près de lui; il étoit seul, et se laissa
prendre par des pandours. M. de Kyau, qui
étoit après lui le plus ancien des généraux, prit
le commandement des troupes , et sans aviser
à ce qu'il y avoit à faire, il se mit en chemin
DE SEPT ANS. 23I
pour Glogau. A peine M. de Lestwitz se crut- il
isolé clans Biesîau, c^u'il perdit la tramontane;
les Autrichiens s'approchèrent de cette capitale,
et M. de Lestvvitz, qui jusqu'alors avoit eu la
réputation d'un brave officier, sans attendre
que l'ennemi tirât un seul coup de canon con- 24.
tre les remparts, demanda à capituler, et ob-
tint la libre sortie avec armes et bagages; il sor-
tit deux jours après avec sa garnison , dont la
moitié déserta sur le cliemin que M. de Kyau
avoit pris.
Le Roi reçut à la ftjis toutes ces nouvelles
accablantes. Sans s'appesantir sur les désastres qui
venoient d'arriver, il ne songea qu'au remède,
et força de marche, pour gagner les bords de
roder. En chemin il se détourna de Lisnitz,
que les Autrichiens a voient fait fortifier , et
poussant droit à Parchwitz , son avant -garde
donna à l'improviste sur un détachement des
ennemis, cjui fut bien battu et dont 300 hom-
mes furent faits prisonniers; il arriva à Parch-
witz le q8, ayant fait le chemin de Leipsic à
roder en iq jours. Le Roi vouloit que M. de
Kyau passât l'Oder à Koben; mais il ne put
pas y réussir , parce que la plupart des troupes
p 4
232 HIST. DE LA GUERRE
avoient déjà gagné Glogau. Dans ces conjonctu-
res le temps étoit ce qu'il avoit de plus pré-
cieux; il n'y avoit point de rnomens à perdre; il
falloit ou attaquer incessamment les Autrichiens
à tout prix 5 et les mettre hors de la Silésie , ou
se résoudre à perdre cette province pour jamais.
L'armée 5 qui repassa l'Oder à Glogau, ne put
pécem- joindre les troupes du Roi que le q de Décem"
bre; cette armée étoit découragée et dans l'ac-
cablement d'une défaite récente. On prit les ofR-
ciers par le point d'honneur; on leur rappela le
souvenir de leurs anciens exploits ; on tâcha de
dissiper les idées tristes dont l'impression étoit
fraîche : le vin fut même une ressource pour
ranimer ces esprits abattus. Le Roi parla aux
soldats; il leur fit distribuer des vivres gratis.
Enfin on épuisa tous les moyens que l'imagina^
tion pouvoit fournir, et que le temps permet^
toit, pour réveiller dans les troupes cette con^
fiance sans laquelle l'espérance de la victoire est
vaine, Déjà les physionomies commençoient
à s'éclaircir, et ceux qui venoient de battre les
François à Rosbach persuadèrent à leurs com-
pagnons de prendre bon courage. Quelque
peu de repos refit le soldat, et l'armée se trouva
1
DE SEPT ANS. 233
disposée à laver , aussitôt que l'occasion s'en
présenteroit, l'affront qu'elle avoit reçu le 22.
Le Roi chercha cette occasion, et bientôt elle
se trouva : il avança le 4 à Neumarkt ; il étoit
avec l'avant-garde des housards , et apprit que
l'ennemi établissoit sa boulangerie dans cette
ville, c^u'elle étoit garnie de pandours, et qu'on
y attendoit dans peu l'armée du maréchal Daun.
La hauteur située au-delà de Neumarkt donnoit
un avantage considérable à l'ennemi, si on lui
permettoit de l'occuper •. la difficulté étoit de
prendre cet endroit ; l'infanterie n'étoit point
arrivée 5 et ne pouvoit joindre l'avant-garde
qu'au soir; on n'avoit point de canon; les seules
troupes dont on pouvoit tirer parti étoient des
îiousards. On se résolut à faire de nécessité ver-
tu. Le Roi, ne voulant pas souffrir que le prince
de Lorraine vînt se camper vis-à-vis de lui ,
fit mettre pied à terre à quelques escadrons de
housards; ils enfoncèrent la porte de la ville;
nn régiment, qui les suivoit à cheval, y entra
au plein galop ; un autre régiment par les fau-
bourgs gagna la porte de Breslau, et l'entre-
prise réussit au point, que 800 Cravates furent
faits prisonniers par les housards. On occupa
234 HIST. DE LA GUERRE
aussitôt l'emplacement du camp, et l'on y trou-
va les piquets et les traces que les ingénieurs
autrichiens y avoient laissés pour marquer la
position de leurs troupes. Le piince de Wur-
temberg prit le commandement de lavant-gar-
de; on le renforça le soir de lo bataillons, avec
lesquels il se campa à Kammendorf. Le même
jour la cavalerie passa encore le défilé; le gros
de l'infanterie cantonna dans la ville de Neu-
markt et dans les villacres voisins. Des nou-
o
velles positives arrivèrent alors au Roi, par les-
quelles il apprit que le prince de Lorraine avoit
quitté le camp de la Lobe , et s'étoit avancé
au-delà de Lissa ; que son armée avoit sa droite
appuyée au village de Nypern , sa gauche à
Golau , et à dos le petit ruisseau de Schvveid-
nitz. Le Roi se réjouit de trouver l'ennemi
dans une position qui facilitoit son entreprise;
car il étoit obligé et résolu d'attaquer les Au-
trichiens partout où il les trouveroit, fût-ce
même au Zobtenberg. On travailla d'abord
à la disposition de la marche , et l'armée se mit
5. en mouvement le 5 avant l'aube du tour : elle
étoit précédée par une avant -garde de 60 es-
cadrons et de 10 bataillons 5 à la tête de la-
DE SEPT ANS. 235
quelle le Roi s'étoit mis en personne ; les qua-
tre colonnes de l'armée la suivoient à une pe-
tite distance; l'infanterie formoit celles du cen-
tre 5 et celles des ailes étoient composées de
cavalerie. L'avant - garde en approchant du
village de Born découvrit une grande ligne de
o 00
cavalerie , dont la droite tiroit vers Lissa , et dont
la gauche , qui étoit plus avancée , s'appuyoit à
un bois que l'armée du Roi avoit à sa droite.
On crut d'abord que c'étoit une aile de l'armée
autrichienne, dont on ne découvroit pas le cen-
tre : ceux qui en firent la reconnoissance assu-
rèrent que c'étoit une avant-garde ; on apprit
même qu'elle étoit commandée par le général
Nostitz, et que le corps consistoit en quatre
régimens de dragons saxons , et deux de hou-
sards impériaux. Pour jouer à jeu sûr , on fit
glisser les 10 bataillons dans le bois qui cou-
vroit le flanc gauche de M. de Nostitz ; sur
quoi'la cavalerie prussienne, qui s'étoit formée,
fondit dessus avec beaucoup de vivacité : dans
un moment ces régimens furent dissipés , et
poursuivis jusques devant le front de l'armée
autrichienne; on leur prit 5 officiers et 800
hommes, cîu'on renvoya le long des colonne-^
236 HIST. DE LA GUERRE
à Neumarkt, pour animer le soldat par l'exem-
ple de ce succès. Le Roi eut de la peine à con-
tenir la fougue des housards , que leur ardeur
transportoit ; ils etoient sur le point de don-
ner au milieu de l'armée autrichienne , lors-
qu'on les rassembla entre les villages de Heyde
et de Frobelvitz à une portée de canon de l'en-
nemi. On disting:uoit si bien de là l'armée im-
périale, qu'on auroit pu la compter homme par
homme : sa droite , qu'on savoit à Nypern ,
étoit cachée par le grand bois de Lissa ; mais
du centre jusqu'à la gauche rien n'échappoit à
la vue. A la première inspection de ces trou-
pes et d'après le terrain on jugea qu'il falloit
porter les grands coups à l'aile gauche de cette
armée : elle étoit étendue sur un tertre chargé
de sapins , mais mal appuyée ; ce poste forcé , on
gagnoit l'avantage du terrain pour le reste de la
bataille , parce que de là il va toujours en des-
cendant et en s'abaissant vers ?vypern : au lieu
qu'en s'attachant au centre les troupes de l'aile
droite autrichienne auroient pu, en traversant
le bois de Lissa , tomber en flanc sur les assail-
lans : et après tout il auroit toujours fallu finir
par l'attaque de ce tertre, qui dominoit sur
DE SEPT ANS. 237
toute cette plaine. Ç'auroit été réserver la be-
sogne la plus dure et la plus difficile pour la
fin 5 où les troupes harassées , è^ fatiguées du
combat , ne sont plus propres aux grands efforts;
au lieu qu'en commençant par l'opération la
plus rude , on profitoit de la première ardeur
du soldat, et le reste de l'ouvrage devenoit aisé»
Par une suite de ces raisons on disposa incessam-
ment l'armée pour l'attaque de la gauche. Les
colonnes qui étoient dans l'ordre du déploie-
ment furent renversées; on les mit sur deux
lignes, et les pelotons par quart de conversion
se mirent à défiler par la droite : le Roi avec
ses housards côtoya la marche de son armée sur
une chaîne de tertres qui cachoit à l'ennemi les
mouvemens qui se faisoient derrière ; et se
trouvant entre les deux armées , il observoit
celles des Autrichiens, et dirigeoit la marche de
la sienne. Il envoya des officiers de confiance ,
les uns pour observer la droite du maréchal
Daun , les autres vers Canth pour veiller aux
démarches de M. de Draskowitz, qui y avoit
son camp ; on reconnut en même temps 1 en-
nemi le long du ruisseau de Schweidnitz , pour
être sûr qu'il ne pût rien venir à dos lorsque
238 HIST. DE LA GUERUE
l'armée engageroit le combat. Le projet que
le Roi se préparoit d'exécuter étoit de porter
toute son armée sur le flanc gauche des Impé-
riaux, de faire les plus grands efforts avec sa
droite , et de refuser sa gauche avec tant de pré-
voyance , qu'il n'eût point à craindre des fautes
semblables à celles qu'on avoit faites à la ba-
taille de Prague, et qui avoient causé la perte de
celle de Kolin. Déjà M. de Wédel, quidevoit
avec ses 10 bataillons de l'avant-c^arde former la
première attacjue, s'étoit rendu devant l'armée;
déjà les têtes des colonnes avoient gagné le
ruisseau de Schweidnitz , sans que l'ennemi s'en
fû% apperçu. Le maréchal Daun prit le mou-
vement des Prussiens pour une retraite , et dit
au prince de Lorraine : Ces gens s en vont , lais-
sons-hs faire. Cependant M., de Wédel s'étoit
formé devant les deux li^^nes d'infanterie de
la droite ; son attaque étoit soutenue par une
batterie de 20 pièces de iq livres, dont le
Roi avoit dépouillé les remparts de Giogau.
La première ligne reçut ordre d'avancer eru
échelons , les bataillons k ^o pas de distance en
arrière les uns des autres , de sorte que la ligne
étant en mouvement, l'extrémité de la droite s©
DE SEPT ANS. 239
trouvoit de mille pas plus avancée que Textré-
mité de la gauche; et cette disposition la mit
dans l'impossibilité de s'engager sans ordïe.
Sur cela M. de Wédel attaqua le bois où com-
mandoit M. Nadasti; il n'y trouva pas grande
résistance, et l'emporta assez vite. Les géné-
raux autrichiens, se voyant tournés et pris en
flanc , essayèrent de changer cle position ; ils
voulurent , mais trop tard , former une ligne
parallèle au front des Prussiens : tout l'art des
généraux du Roi fut employé à ne leur en pas
donner le temps. Les Prussiens s'établissoient
déjà sur une hauteur qui commande le village
de Leuthen; dans l'instant où l'ennemi vou-
lut y jeter de l'infanterie, une seconde batterie
de QO pièces de iq livres tira sur eux si fort à
propos , qu'ils en perdirent l'envie et se retirè-
rent. Du côté de M. de Wédel les Autri-
chiens se saisirent d'une butte voisine du ruis-
seau , pour l'empêcher de balayer leur ligne
d'une aile à l'autre; M. de Wédel ne les y souf-
frit pas long-temps , et après un combat plus
long et plus opiniâtre que le précédent, ils fu-
rent forcés à céder le terrain. M. de Ziethen,
en même temps chargea la cavalerie ennemie
240 HÏST. DE LA GUERRE
et la mit en déroute; quelques escadrons de sa
droite reçurent en flanc , des broussailles qui
bordoient le ruisseau , une décharge à mi-
traille. Ce feu, partant à l'improviste , les ra-
mena, et ils se reformèrent auprès de l'infan-
terie. Les officiers cjui avoient eu la commis-
sion d'observer la droite du maréchal Daun ,
vinrent alors avertir le Roi qu'elle îraversoit le
bois de Lissa, et alloit paroître incessamment
dans la plaine; sur quoi M. de Driesen reçut
ordre d'avancer avec Taile oauche de la cava-
leiie prussienne. Lorsque les cuirassiers autri-
chiens commencèrent à se former près de Leu-
then, la batterie du centre de l'armée du Roi
les salua par une décharge de toute son artille^
lie; M. de Driesen en même temps les attaqua;
la mêlée ne fut pas longue; les Impériaux fu-
rent dispersés et s'enfuirent à vau- de -route.
Une ligne d'infanterie, qui s'étoit formée à côté
de ces cuirassiers derrière Leuthen, fut prise en
flanc par le régiment de Bareuth . qui , la re-
jetant sur les volontaires de \Vunsch , en prit
deux régimens entiers avec officiers et dra^
o
peaux. Alors la cavalerie ennemie étant tout
à fait dissipée 3 le Roi fit avancer le centre de
son
DE SEPT ANS. 24I
son infanterie sur Leutlien. Le feu fut vif
et court 5 parce que l'infanterie autrichienne
n'étoit qu'éparpillée entre les maisons et les jar-
dins. Au déboucher du village , on apperçut
une nouvelle ligne d'infanterie que les géné-
raux autrichiens formoient sur une éniinence
près du moulin à vent de Ségeschutz. L'armée
du Roi eut quelque temps à souffrir de leur
feu : mais les ennemis ne s'étoient pas apper-
çus dans cette confusion que le corps de M.
de Wédel étoit dans leur voisinage ; ils furent
tout à coup pris en flanc et à dos par ce brave
et habile général , et sa belle manœuvre , en
fixant la victoire, termina cette importante jour-
née. Le Roi 5 ramassant les premières troupes
qui se présentèrent, se mit à la poursuite des
ennemis avec les cuirassiers de Seidlitz et un
bataillon de Jung-Stutterheim; il s'avança, diri-
geant sa marche entre le ruisseau de Schweid-
nitz et le bois de Lissa. L'obscurité devint si
grande , qu'il poussa quelques cavaliers en avant
pour reconnoître les forêts, et pour donner des
nouvelles ; de temps à autre il fit tirer quel-
ques volées de canon vers Lissa, où le gros de
l'armée autrichienne s'étoit enfui : à l'appro-
Tome ni. Q
242 HIST. DE LA GUERRE
che de ce bourg l'avant-garde essuya une dé-
charge d'environ deux bataillons , dont per-
sonne ne fut blessé ; elle y répondit par quel-
ques volées de canon, en poursuivant toujours
sa marche. Chemin faisant les cuirassiers de
Seidlitz amenoient des prisonniers par bandes.
Arrivé à Lissa, le Roi trouva toutes les maisons
pleines de fuyards et de gens débandés de l'ar-
mée impériale ; il s'empara d'abord du pont ,
où 11 plaça ses canons, avec ordre de tirer tant
qu'il y auroit de la poudre. Sur le chemin de
Breslau , par où Fennemi se retiroit, il fit jeter
des pelotons d'infanterie dans les maisons les
plus voisines du ruisseau de Schweidnitz, afin
de tirer sur l'autre bord pendant toute la nuit^
soit pour entretenir la terreur chez les vaincus,
soit pour les empêcher de jeter sur Tautre bord
des troupes qui en disputassent le passage le
lendemain. Cette bataille avoit commencé à
une heure de l'après - midi ; il en étoit huit
lorsque le Roi avec son avant-garde vint à Lissa.
Son armée étoit forte de 33,000 hommes, lors-
qu'elle engagea l'action avec celle des Impé-
riaux, qu'on disoit monter à 6o,ouo combat-
tans. Si le jour n'eût pas enfin manqué aux
DE SEPT ANS. - 243
Prussiens, cette bataille aurolt été la plus dé-
cisive de ce siècle. Les troupes n'eurent pas
le temps de se reposer ; elles partirent de Lissa
qu'il étoit encore nuit , ramassèrent pendant
la marche nombre de traîneurs des ennemis , et
arrivèrent vers les dix heures sur les bords de la
Lohe 5 où malgré une forte arrière-garde com-
mandée par M. de Serbelloni , postée auprès
de Gross-Mochber , 10 bataillons passèrent ce
ruisseau ; on les forma dans un ravin à l'abri
du canon des Autrichiens , et l'on embusqua
les housards derrière des villages et des censés,
où ils étoient couverts et à portée d'agir aussi-
tôt que cela deviendroit nécessaire. M. de
Serbelloni hâta sa retraite autant qu'il put, et
se replia vers les deux heures de l'après-midi
sur Breslau ; M. de Ziethen , avec tous les hou-
sards, Qo escadrons de dragons et 16 bataillons,
le suivit de près. Une partie du monde de l'Au-
trichien se jeta sans ordre dans Breslau. Cette
arrière-garde , pleine de terreur et se retirant
en confusion , perdit beaucoup de soldats dans
sa marche. M. de Ziethen poursuivit l'armée
du maréchal Daun par Borau , Reichenbach,
Kunzendorf à Reichenau , où il fut joint par
O 2
244 HÎST. DE LA GUERRE
M. de Fouquet, qui venoit avec quelques trou-
pes de Glatz. Ces deux généraux poussèrent
les Autrichiens jusqu'en Bohème. Le Roi de
son côté forma le 7 la circonvallation de Bres-
lau; on prit poste au faubourg de S. Nicolas 5
à Gabitz, aux Lehmgruben, à Hube et Dur-
gensch : et comme la raison de guerre vouloit
qu'on enfermât la ville également de l'autre
côté de l'Oder, le Roi envoya ordre à M. de
Wied, qui avoit été malade à Brieg, d'en sortir
avec 3 bataillons, auxquels on joignit 5 esca-
drons, pour se poster sur la grande chaussée qui
mène de Breslau à Hundsfeld; il s'y retrancha
le mieux qu'il put , pour empêcher la garnison
de se sauver en Pologne, au cas qu'elle voulût
le tenter. On se prépara au siège; le Roi tira
les munitions, les canons, les mortiers dont on
avoit besoin, des forteresses de Brieg et de
Neisse. Le 10 six bataillons prirent possession du
faubourg d'Ohlau; ces troupes s'établirent au
couvent des Frères de la miséricorde, dont ils
chassèrent les pandours. M. de Forcade prit
poste au cimetière de S. Maurice , où l'on
construisit une batterie à l'abri des murailles;
et pour distraire l'attention du Commandant
DE SEPT ANS, 245
et de la garnison, le prince Ferdinand de Prusse
établit au faubourg de S. Nicolas une bat-
terie et un bout de tranchée , qui firent croire
à l'ennemi que c'étoit de ce côté -là que les
Prussiens vouloient pousser leurs attaques , tan-
dis que M. de Balby faisoit sa parallèle depuis
le cimetière de S. Maurice jusques vis-à-vis
de la porte de Schweidnitz; de cette parallèle
deux grandes batteries croisantes dirigeoient
leur feu sur le Taschenbastion , et sur le ca-
valier qui le commande. Les assiégés se défen-
dirent mollement. Ils tentèrent par le fau-
bourg de Pologne du côté de M. de Wied une
foible sortie , où ils perdirent 300 hommes.
Le 16 une bombe mit par hazard le feu au
magasin de poudre du Taschenbastion ; l'é-
paule sauta çt ses décombres formèxent une
espèce de brèche. Le froid devint si violent,
que le Commandant craignit cme malgré ses
précautions, les fossés étant gelés, les Prussiens
ne donnassent un assaut à la place ; il craignit
d'être pris d'emblée : il savoit d'ailleurs que
l'armée impériale étant rechassée en Bohèm^e ,
il n'avoit aucun secours à en attendre. Ces
différentes considérations le portèrent à capitu-
03
245 HIST. DE LA GUERRE
jer, et il se rendit lui et toute sa garnison pii-
sonniers de guerre; il se trouva que 14,000
hommes en avoient assiégé 1 7,000. Mais il falloit
considérer qu'une partie de cette garnison étoit
composée des fuyards de Leuthen , et qu'en
général ni les fortifications, ni le nombre des
soldats ne défendent une ville , mais cj^ue tout
dépend de la tête plus ou moins forte et du
courage déterminé de celui qui y commande.
Nous avons rapporté sans interruption les évène-
inens de cette expédition de Silésie; peut-être ne
sera-t-on pas fâché de trouver ici le résumé des
pertes qu'y firent les deux parties belligérantes.
Les Prussiens ne perdirent à la bataille de
Leuthen en morts et blessés que 2660 hommes^
parce qu'ils trouvèrent , si l'on excepte la pre-
mière attaque, un terrain qui les favorisa.
Les Autrichiens y perdirent 307 officiers,
2I5O00 soldats, 134 canons, 5g drapeaux. MM.
de Ziethen et de Fouquet firent 2,500 prison-
niers dans la poursuite. La prise de Breslau
coûta aux ennemis 13 généraux, 6S6 officiers,
et 375635 soldats. Somme totale 41,447 hom-
mes 5 dont l'armée impériale se trouvoit afîoî-
blie à son retour en Bohème.
DE SEPT ANS. Q47
Quoique cette campagne eût été longue ,
dure et pénible; quoique sa fin fût aussi heu-
reuse qu'on eût pu l'espérer , il restoit encore
une expédition à faire , tant les dérangemens
arrivés en Silésie étoient considérables; il falloit
reprendre la ville de Lignitz, où les Impériaux
avoient fait des inondations et des ouvrages.
Le Roi y avoit envoyé M. de Driesen , qui
avec un corps de cavalerie tenoit cette ville
investie depuis le 16. Le prince Maurice y ar-
riva le Q3 avec un détachement d'infanterie,
pour en faire le siège dans les régies. Les ap-
prêts s'en firent, le canon arriva. M. de Bu-
low , que le maréchal Daun y avoit établi en
qualité de commandant, préféra la conservation
de sa garnison à une défense qu'il n'auroit pu
soutenir à la longue; il capitula, et demanda
la libre sortie pour ses troupes ; ce qu'on lui
accorda volontiers , parce que les troupes étoient
fatiguées à l'excès , et la gelée si forte , que les
pèles et les pioches ne pouvoient plus ouvrir
la terre. Les ouvrages et les écluses de la ville
furent rases, ahji que si les ennemis s'en empa-
roient une seconde fois, ils ne pussent pas si
vite la remettre en état de défense 5^ et en
Q4
248 HIST. DE LA GUERRE
faire une place d'armes. Toute la cavalerie
fut ensuite employée à former le blocus de
Schweidnitz; on réserva le siège de cette place
pour le printemps prochain. Le corps de M.
de Ziethen forma un cordon qui prit de
Schmiedeberg par Landshut, Friedland, Brau-
nau 5 se terminant à Gîatz. Les troupes en-
Janvier, trérent le 6 de Janvier en quartier d'hiver, et
le Roi demeura à Breslau, afin de veiller lui-
même à tout , et de préparer ce qui étoit né-
cessaire 5 pour que l'armée rétablie et en bon
état pût de bonne heure ouvrir la campagne
prochaine.
Campa- Pour terminer l'histoire de tous les événe-
Prusse, niens de cette année, il nous reste a rapporter
ce qui se passa en Prusse entre MM. de Lehwald
et d'Apraxin, et ce que firent les Suédois en
Poméranie. Le maréchal Apraxin s'approcha
au mois de Juin des frontières de la Prusse
à la tête de 100,000 hommes; le gros de son
armée marcha vers Grodno , capitale de la Li-
thuanie polonoise. M. de Fermor , avec un
corps de q 0,000 hommics, secondé par la fiotte
russe, mit le siècle devant Mémel. La ville fut
rendue par capitulation le 3 de Juillet. M. de
DE SEPT ANS. 24g
Lehwald s'étoit proposé de défendre les bords
du Prégel , et s'étoit campé à Insterboiirg, d'où
il observoit M. d'Apraxin. Après la prise de Mé-
mel l'armée ennemie pénétra en Prusse , s'ap-
prochant d'insterbourg; M. de Fermor s'avança
de son côté vers le Prégel. Il semble que c'é-
toit le moment où le Maréchal Lehwald auroit
dû prendre un parti décisif, pour se battre
avec un de ces généraux; il n'en trouva peut-
être pas l'occasion favorable. Le corps de M.
de P'ermor, qui arriva à Tilsit, lui donna de
la jalousie; il craignit d'être tourné et se retira à
Wélau. Il avoit dans son armée deux régimens
de housards qui faisoient au plus 2,400 hom-
mes 5 et ces housards non-seulement résistèrent
à IQ5O00 Tartares et Cosaques que les Russes
traînoient avec eux, mais remportèrent de plus
durant toute cette campagne des avantages si-
gnalés sur ces ennemis. Après la retraite du ma- Août,
réclial Lehwald , M. d'Apraxin , n'étant gêné
par personne, se joignit à Insterbourg avec M.
de Fermor; ils s'avancèrent tous les deux en
côtoyant l'Aller, et vinrent se camper à Jaegern-
dorf à un mille et demi de l'armée prussienne.
Le Roi avoit donné carte blanche à M. de
250 HIST. DE LA GUERRE
Lehwald, pour prendre tel parti qu'il jugeroit
à propos 5 tant à cause de l'éloignement des
lieux , que parce que des partis qui souvent ro-
doient autour de l'armée du Roi auroient pu
intercepter des dépêches de cette conséquence.
M. de Lehvvald, qui craignoit qu'un Corps de
Russes ne s'approchât de Kœnigsberg, dont les
ouvrages sont trop vastes pour être défendus ,
et ne prît , pendant qu'il seroit contenu par le
maréchal russe, cette capitale où il avoit ses
magasins, crut qu'il ne pouvoit empêcher l'en-
nemi de tenter une pareille entreprise qu'en lui
livrant bataille, et résolut d'aller l'attaquer dans
son camp de Jœgerndorf. îl se mit en marche
le 29, et se porta dans un bois où il étoit pré-
cisément dans le flanc des Russes ; s'il avoit
attaqué cette armée tout de suite , il y a appa-
rence qu'il l'auroit fait avec succès. Quoique
son corps ne montât qu'à 24,000 hommes, il
pouvoit espérer de remporter des avantages ,
parce que les Russes furent surpris de le voir ar-
river, qu'ils ne s'attendoient pas à être attaqués,
et qu'il régnoit une grande confusion dans leur
camp; ils étoient outre cela mal postés, et rien
îie l'em.pêchoit de marcher droit à eux. Il est
DE SEPT ANS. 25I
impossible de dire quelles raisons le retinrent,
et lui firent différer jusqu'au lendemain ce qu'il
pouvoit exécuter sur le champ. Il engagea l'af-
faire le 30. D'abord les housards et les dragons
prussiens firent plier devant eux la cavalerie
russe et les Cosaques qui leur étoient opposés,
et les rechassèrent jusqu'à leur camp. Les en-
nemis avoient changé l^ nuit de position, d'où
il résulta que les dispositions que le maréchal de
Lehwald avoit faites la veille pour les attaquer
dans le terrain où il les avoit trouvés ne c|ua-
droient plus avec l'emplacement où ils étoient
alors : sa cavalerie de la gauche attaqua néan-
moins celle des Russes, et la rejeta derrière son
front; mais elle y essuya un feu si violent d'ar-
tillerie et de mitraille, qu'elle fut oblicrée de
rejoindre l'infanterie prussienne. C'étoit dans
le moment où M. de Lehwald attaquoit im
bois rempli d'abattis , dans lequel les Russes
avoient placé leurs grenadiers; le bois étoit au
centre de l'armée de M. d'Apraxin ; ces grena-
diers furent battus et presque tous détruits :
mais le terrain fourré où cette action se passa ca-
choit aux Prussiens une manœuvre que faisoient
alors les ennemis , et qui devint funeste aux
252 HIST. DE LA GUERRE
premiers ; M. de Romanzow s'avançoit avec
2 0 bataillons de la seconde ligne des Russes.,
pour soutenir ces grenadiers ; il se porta en
flanc et à dos de l'infanterie prussienne; elle
perdit insensiblement du terrain et fut enfin
obligée de se retirer. Cela se fit en bon ordre;
les dragons et les housards couvrirent sa retraite.
Ce corps, qui ne fut point poursuivi par l'en-
nemi 5 revint à Wélau reprendre son ancien
camp. Le Maréchal ne perdit dans cette affaire
en morts, blessés, et prisonniers que 1400 hom-
mes et 1 "^j canons. M. d'Apraxin demeura en-
core quelques jours dans son camp de Jaegern-
Sept. dorf. Le 7 de Septembre il fit mine de passer
l'Aller 5 pour se porter en droiture sur Kœnigs-
berg : mais il falloit bien c^u'il n'eût pas cette
expédition fort à cœur ; car ayant trouvé un
corps prussien qui lui disputoit le passage de
cette rivière , il se désista de son entreprise.
î?» Dix jours après il décampa subitement de Jae-
çerndorf , et se retira vers les frontières de
la Pologne. Le maréchal de Lehwald le
suivit pour la forme jusqu'à Tilsit , moins
dans le dessein d'engager quelque affaire d'ar-
xière- garde que pour en imposer au public;
DE SEPT ANS. 253
la disproportion des forces étoit trop grande
entre ces deux armées, et l'échec qu'il avoit
reçu étoit trop récent : d'ailleurs il obtenoit son
but sans courir de risques; car l'ennemi se re-
tirant de soi-même en Pologne , il n'y avoit
qu'à le laisser tranquillement poursuivre sa mar-
che. M. d'Apraxin évacua toute la Prusse , à
l'exception de Mémel , dont les Russes demeu-
rèrent en possession. L'armée prussienne s'ar-
rêta aux environs de Tilsit, trop heureuse de
s'être débarrassée d'un ennemi aussi formidable
à si bon marché. Mais si elle avoit échappé aux
malheurs qui la menaçoient dans cette campa-
gne, il n'étoit pas probable qu'elle jouît à la
longue de la même fortune. Le maréchal de
Lehvvald eût-il possédé tous les talens du prince
Eugène, comment pouvoit-il dans la suite de
la guerre résister avec Q45000 Prussiens à 100,000
Russes ? Le Roi avoit tant d'ennemis à com-
battre, et ses troupes étoient si considérable-
ment fondues , qu'il lui étoit impossible d'en-
voyer des secours à son armée de Prusse ; il
étoit à craindre , et l'on pouvoit même le pré-
voir , que les Russes, étendant leurs connoissan-
ces et leurs vues , ne corrigeassent les fautes
2 54 HIST. DE LA GUERRE
qu'ils avoient faites, et ne détachassent, en ou-
vrant la campagne suivante , un corps considé-
rable vers la Vistule , qui exposeroit M. de Leh-
wald au risque d'être coupé de la Poméranie.
On avoit tout lieu de croire qu'étant entouré
par des ennemis aussi nombreux, il auroit le
même sort que le duc de Cumberland, avec
la différence que les Russes , moins polis que les
François , Tauroient contraint de mettre les
armes bas.
D'une autre part les Suédois n'avoient fait
des progrès en Poméranie que parce qu'ils n'a-
voient rencontré aucune résistance; ils étoient
en possession d'Anclam , de Demmin , et du
fort de Peenamunde , qu'ils avoient pris après
un siège de quinze jours. La garnison de Stet-
tin consistoit en lo bataillons de milice, que
les Etats de la Poméranie avoient levés. M.
de Manteufel, à la tête de 4 bataillons, n'é-
toit pas en état de former de grandes entrepri-
ses. En laissant la distribution des armées telle
qu'elle étoit alors, le Roi couroit les plus grands
Jiazards pour celle de Prusse , et risquoit en
même temps de voir la Poméranie envahie
par les Suédois. ïl résolut donc de concentrer
DE SEPT ANS. 235
davantage ses forces , pour procéder avec
plus de sûreté, et d'abandonner les extrémités
de ses Etats, que le nombre de ses ennemis
ne lui permettoit plus de défendre. Ces motifs
firent rappeler de Tilsit M. de Lehwald avec
son armée ; il marcha d'abord en Poméranie
contre les Suédois , qu'il délogea prompte-
ment d'Anclam et de Demmin; il les poussa
bientôt sous le canon de Stralsund , où ces
troupes, ne se croyant pas en sûreté, se réfugiè-
rent dans l'île de Kugen. Une grande gelée
qui survint ensuite fit prendre tout le bras
de mer qui sépare la Poméranie de cette île.
Le maréchal de Lehwald auroit pu profiter
de l'occasion , si son grand âge ne l'en eût
empêché, pour passer avec son armée sur la
glace dans File, ou il auroit détruit toutes ces
troupes suédoises : au moins un coup pareil
auroit-il délivré le Roi pour un temps d'un
ennemi qui faisoit une diversion fâcheuse.
Quoique le maréchal de Lehvv^ald n'eût pas
entrepris tout ce qui étoit faisable , il fit tou-
tefois dans cette courte expédition trois mille
prisonniers sur les Suédois. Un détachement,
qu'il envoya assiéger le fort de Peenamunde,
256 HIST. DE LA GUERRE
ne le reprit qu'au mois de Mars de l'année
suivante.
La multitude d'objets qu'il y a voit à rem-
plir pendant cette campagne étoit immense ;
et comme on se trouvoit pressé de faire de tous
les côtés des efforts , on ne pouvoit y réussir qu'en
employant les mêmes troupes en différens en-
droits. Le prince Ferdinand de Bronsvvic avoit
trop peu de cavalerie dans son armée , il lui en
falloit nécessairement pour l'entreprise qu'il mé-
ditoit. Comme il importoit au Roi que les
François fussent chassés de la basse Saxe et du
bas Rhin, pour y contribuer de sa part autant
que sa situation le lui permettoit, il détacha 10
escadrons de dragons , et 5 escadrons de hou-
sards de l'armée du maréchal de Lehwald, avec
ordre de joindre le prince Ferdinand de Bron-
svvic à Stade. Ce prince tenta d'abord une
entreprise sur Zell , qui ne réussit pas, d'un
côté parce que le maréchal de Richelieu, l'ayant
prévenu, l'empêcha de passer l'Aller, et de l'au-
tre parce que ce pays aride, où il n'y a que
des bruyères , ne put fournir à sa subsistance.
Nonobstant cette entreprise manquée, il se ren-
dit peu après maître de Harbourg. Le Roi
convint
DE SEPT ANS. 257
convint ensuite avec lui du projet de sa campa-
gne. Son avis alloit à ce que les alliés se portas-
sent sur le Wéser, par deux raisons, dont la pre-
mière étoit de ne point ruiner les capitales de
l'électorat de Hanovre et du duché de Bron-
swic par les sièges qu'il faudroit faire pour
les reprendre; la seconde étoit la crainte d'ê-
tre coupés du Rhin, qui porteroit les P'ran-
çois à évacuer d'eux-mêmes ces provinces , sur-
tout si un détachement des troupes prussiennes
se montroit en même temps du côté de Bron-
svvic. Le prince Henri , qui étoit demeuré en
Saxe pour se faire guérir d'une blessure qu'il
avoit reçue à Rosbach , devoit commander
ce détachement. Tout fut bien concerté , et
nous verrons au commencement de la cam-
pagne suivante les succès qui accompagnèrent
le prince Ferdinand dans l'exécution de cette
^entreprise.
Tome lit R
258 HIST. BE LA GUERRE
CHAPITRE VIL
De V hiver de 1757 à 1758.
A maïs campagne n'avoit été plus féconde en
ïévolutions subites de la fortune , que celle que
nous venons de décrire. Cette espèce de hazard
qui préside aux évènemens de la guerre s'étoit
insolemment joué du destin des parties belli-
gérantes; tantôt il avoit favorisé les Prussiens
de succès brillans , et tantôt il les avoit préci-
pites dans un abyme de malheurs. Les Kusses
avoient gagné une bataille en Prusse, et se
retiroient de ce royaume comme s'ils avoient
été battus. Les François , sur le point de désar-
mer le duc de Cumberland, paroissoient les ar-
bitres de l'Allemagne; mais à peine cette nou-
velle a-t-elle le temps de se répandre en Eu-
rope , quon apprend la défaite d'une de leurs
armées, et qu'on voit comme ressusciter cette
armée du duc de Cumberland qu'on croyoit
n'exister déjà plus. Cette suite d'événemens
décisifs et contraire?, avoit comme étourdi l'Eu-
DE SEPTANS. 25g
rope; on voyoit de l'incertitucle dans les pro-
jets, des desseins renversés aussitôt que conçus,
et de nombreux corps de troupes presque dé-
truits en un seul jour. Il fallut quelques mo-
mens de tranquillité pour que les esprits se
recueillissent , et que chaque puissance pût
considérer de sang froid la situation où eUe se
trouvoit. D'un côté l'ardent désir de la ven-
geance, l'ambition blessée, le dépit, le déses-
poir remirent les armes à la main aux empereurs
et aux rois qui formoient la grande alliance; de
l'autre la nécessité de continuer la guerre et
quelques rayons d'espérance portèrent la Prusse
à faire les plus grands efforts pour se soutenir.
Un nouveau ferment donna un nouveau degré
d'activité à la politique, et les cours , chacune
de son côté , se préparèrent à pousser la guerre
avec plus d'acharnement, de fureur et d'opi-
niâtreté que par le passé. Voilà en général le
tableau des passions qui agitoient les princes et
leurs ministres. La nature de cet ouvrage exige
que nous entrions dans de plus grands détails ,
et que nous parcourions successivement toutes
les cours de TKurope, pour nous représenter
distinctement ce qui se passolt dans chacune,
R a
Ù.6o HIST. DE LA GUERKE
Il s*étoit fait dès Tautomne dernière un
changement dans le ministère britannique. M.
Fox 5 qui s'y étoit intrus par les intrigues du
duc de Cumberland , s'apperçut qu'il ne pou-
voit plus se soutenir dans ce poste contre la ca-
bale qui lui étoit opposée : il résolut de se
démiettre volontairement de ses charges , et fut
remplacé par M. Pitt , que son éloquence et
son génie élevé rendoient l'idole de la nation;
c'étoit la meilleure tête de l'Angleteire. Il
avoit subjugué la Chambre basse par la force
de la parole ; il y régnoit, il en étoit pour ainsi
dire l'ame. Parvenu au timon des aflaires , il
appliqua toute l'étendue de son génie à rendre
sa patrie la dominatrice des mers , et pensant
en grand homme il fut india;né de la conven-
tion de Closter-Seven , qu'il regardoit comme
l'opprobre des Anglois. Ses premiers pas dans
sa nouvelle carrière tendirent tous à faire abolir
jusqu'à la mémoire de ce traité honteux; ce
fut lui qui persuada au Roi d'Angleterre de
mettre le prince Ferdinand de Bronswic à la
tête de l'armée des alliés , et de le demander
au roi de Prusse; ce fut lui qui proposa de
renforcer les troupes d'Allemagne par un corps
DE SEPT ANS. 261
d' Anglais , qui les joignit effectivement dans
l'année 1756. De plus il jugea convenable à
la gloire de sa nation de renouveler les alliances
qu'elle avoit contractées tant avec le roi de
Prusse qu'avec divers princes d'Allemagne. II
conclut un traité avec le Roi * par l'un des
articles le roi d'Angleterre s'engageoit à payer
au roi de Prusse un subside annuel de 4 mil-
lions d'écûs 5 lequel fut continué jusqu'en 1761.
Le Roi se trouvoit dans la nécessité d'accepter
ce subside , qui d'ailleurs répugnoit à sa fa-
çon de penser : mais les François Favoient dé-
pouillé des provinces qu'il possédoit dtms le bas
Rhin ; il étoit à la veille de voir envahir la Prusse
par les Russes ; ce qui pouvoit d'autant moins
s'empêcher ; que le maréchal Lehwald avoit
été contraint d'accourir en Poméranie , pour
s'opposer aux Suédois. Après tout, ce subside
étoit le seul secours qu'on pût tirer de l'Angle-
terre , puisqu'elle avoit décliné à plusieurs re-
prises la demande qu'on lui avoit faite d'en-
voyer une escadre dans la Baltique. M. Pitt
envoya dans ce temps le chevalier Keith en
Russie 5 pour balancer par ses intrigues celles
du parti françois et autrichien , et pour tenter
R 3
202. HIST. DE LA GUERRE
de dessiller les yeux à l'Impératrice, aveuglée
par les préventions qu'on lui avoit inspirées
contre le roi de Prusse. M. Goderick partit
dans une vue à peu près semblable pour la
Suéde ; mais le parti françois , qui dominoit
despotiquement dans le sénat de Stockholm ,
£t jouer tous ses ressorts pour interdire à cet
Anglois l'entrée du royaume : M. Goderick resta
en Danemarck, et les sénateurs s'applaudirent
d'avoir empêché c]ue l'argent de l'Angleterre
ne culbutât leur système. Tandis que M. Pitt
prenoit de si justes mesures pour la politique,
les ports de la Grande-Bretagne se remplissoient
de vaisseaux; les projets pour la campagne de
mer e*: de terre étoient arrêtés , et une acti-
vité nouvelle ranimoit toutes les branches du
gouvernement.
Le chevalier Keith , qui pendant ces entre-
faites étoit arrivé à Péterbourg , n'y. trouva
point la cour dans inie disposition favorable
aux commissions dont il étoit chargé : les mi-
nistres d'Autriche, de France, de Saxe y étoient
toîit-puissans par le moyen de leurs intrigues
et de leurs profusions; ils avoient gagné le fa-
vori d'Elisabeth , qui gouvernoit alors l'Impé-
DE SEPT ANS. 263
ratrice et par conséquent l'empire. Les minis-
tres, mécontens du peu de progrès de Tarmée
russe 5 surtout de sa retraite à la fin de la cam-
' pagne dernière, tâchoient de faire passer leur
enthousiasme guerrier dans l'esprit de l'Impéra-
trice, et l'excitoient à faire dans la campagne
prochaine de plus grands efforts que par le
passé; ils s'apperçurent que leurs menées étoient
secrétem.ent traversées par le grand cliancelier
Bestuchevv, et résolurent de le culbuter , co'm-
me en effet ils y réussirent. Nous avons dé-
peint dans cet ouvrage ce comte Bestuchew
comme un homme qui par passion s'étoit fait
un piincipe d'être l'ennemi juré des Prussiens;
mais il changea de système , pour plaire au
Grand-duc , qu'il prévoyoit devoir bientôt par-
venir au trône ; il dressa l'instruction du maré-
chal Apraxin d'une manière aussi favorable aux
intérêts du Roi que les conjonctures le permet-
toient , et fut l'unique cause de ce que les Rus-
ses évacuèrent les Etats du Roi à la fm de la
campagne. M. de Bestuchevv fut encouragé
dans cette conduite par les conseils du grand-
duc et de la grande-duchesse de Russie, qui
tous les deux avoient les sentimens les plus
R 4
264 HIST. DE LA GUERRE
favorables à la cause du Roi. Le Grand -duc,
prince de Holstein par sa naissance , avoit puisé
dans l'histoire de ses ancêtres une haine impla-
cable contre les Danois , causée par les injusti^
ces que les rois de Danemarck avoient faites à
sa famille; craignant alors que les affaires du
Roi ne prissent une tournure qui l'obligeât à
se lier avec les Danois , il lui offrit son crédit et
tous les services qu'il pourroit lui rendre en
Russie 5 pourvu qu'il n'entrât en aucun engage-
ment avec ces ennemis constans du Holstein.
Le Roi accepta l'offre ; il promit de ne faire
aucun traité avec le Danemarclc , et quoique
cette condescendance ne lui valût pas d'avanta-
ges actuels 5 on verra par la suite de cet ouvrage
que cette liaison étroite avec le grand -duc de
R.U3sie bouleversa les grands projets des Autri-
chiens. Avec quelque secret que toutes ces
affaires se traitassent , il en perça cependant
quelque chose; les ministres de France et d'Au-
triche s'apperçurent d'une variation de conduite
du côté du Grand -chancelier; ils eurent con-
noissance des ordres qu'il avoit expédiés pour
le maréchal Apraxin , et se servirent du favori
de l'Impératrice pour faire disgracier ce minis-
DE SEPT ANS. 265
tre 5 et causer toutes sortes de désagrémens à
la jeune cour. Depuis ce moment tout plia
devant ces ambassadeurs en Russie , et ils en-
traînèrent l'impératrice Elisabeth dans des me-
sures violentes et peu conformes aux véritables
intérêts de son empire.
La cour de Vienne avoit reçu des secousses
si fortes à la fin de la dernière campagne , que
sa constance en fut ébranlée. Elle s'étoit crue
sur le point de terminer la guerre , et regardoit
comme faite la conquête de la Silésie; déchue
tout à coup de ces idées flatteuses, elle avoit vu
son armée ruinée, et les débris s'en sauver avec
peine en Bohème. Ces m.alheurs inattendus
rallentirent son ardeur pour la guerre, et tant
de projets avortés diminuèrent son éloigne-
ment , ou plutôt son aversion insurmontable
pour la paix. Le style de sa chancellerie et les
écrits de Ratisbonne s'adoucirent. Cependant
l'aigreur et la grossièreté y reparurent aussitôt
que les espérances revinrent. Tant que dura
la première impression de l'infortune , i'Impé-
latrice-reine voulut se rapprocher du Roi , soit
pour entamer une négociation , soit pour se
foire une réputation de magnanimité. Le comte
266 HÏST. DE Lx\ GUERRE '
Kaunitz avertit le Roi d'une conspiration ima-
ginaire formée contre lui , dans laquelle deux
Napolitains et un Pvlilanois avoient trempé.
Le Roi lui fit répondre , qu'il étoit obligé à
l'Impératrice de l'avis qu'elle vouloit bien lui
donner, mais que comme il y avoit deux m.a-
niéres d'assassiner, l'une par le poignard, l'au-
tre par des écrits injurieux et déshonorans , il
assuroit l'Impératrice qu'il faisoit peu de cas de
la première, et qu'il étoit infiniment plus sen-
sible à la seconde. Cela n'empêcha pas que
l'indécence et le scandale de ces écrits ne con-
tinuât 5 et ne s'accrût même selon que les suc-
cès de la c!;uerre favorisèrent les armes autri-
chiennes. La France apprit avec un sensible
chagrin les dispositions pacifiques de l'Impé-
xatrice- reine, parce que la défection de cette
princesse auroit porté un préjudice considéra-
ble à ses affaires , tant qu'elle demeuroit en
îii'erre avec les An^lois sur m.er et en Allemagne.
o o ^-J
Louis XV, piqué de la tache que l'aiiaire de
Rosbach avoit imprimée à ses armes , "espéroit
de trouver dans la continuation de la t^uerre
l'occasion de prendre sa revanche; et les mi-
nistres de la France travaillèrent à Vienne avec
DE SEPT ANS. 267
une application infinie à ranimer toutes les
passions calmées de cette cour. La honte pour
une grande puissance d'être atiattue par un petit
prince fit le plus d'impression sur l'esprit de l'Im-
pératrice; l'ancienne animosité contre la Prusse
se réveilla, les dispositions pour la paix s'éva-
nouirent 5 et les liaisons d'amitié et d'intelli-
gence entre les cours de Vienne et de Versailles
se resserrèrent plus intimement : ainsi bien loin
que les succès des Prussiens rebutassent les puis-
sances avec lesquelles ils étoient en guerre, ils
les engagèrent à redoubler leurs efforts pour pa-
roître plus redoutables et plus dangereux c^ue
jamais à l'ouverture de la campagne prochaine.
Le Roi prenoit de son côté des mesures
semblables pour rétablir pendant l'hiver l'ar-
mée 5 et la remettre en état d'agir avec vigueur.
11 s'agissoit de réparer les pertes qu'avoient en-
traînées sept batailles rangées que les Prussiens
avoient livrées à leurs ennemis, ^flais les rava-
ges de la guerre n'approchoiént pas des rava-
ges que les maladies épidémiques faisoient dans
les hôpitaux ; c'étoient des espèces de fièvres
chaudes , accompagnées de tous les symptômes
de la peste : les malades tomboient eu délire
268 IIÎST. DE LA GUERRE
le premier jour de la maladie; il leur venoit
des charbons au cou ou bien aux aisselles; que
les médecins saignassent, ou ne saignassent point,
cela étoit égal; la mort emportoit indifférem-
ment tous ceux qui se trouvoient atteints de ce
mal; le poison étoit même si violent, ses pro-
grès si rapides , ses effets si prompts , que dans
trois jours il mettoit un homme au tombeau.
On se servit sans effet de toutes sortes de remè-
des : enfin on eut recours à l'émétique , qui
réussit ; on en délaya trois grains dans une me-
sure d'eau , on en fit boire au malade jusqu'à
ce que le remède commençât d'opérer , et ce
fut un spécifique souverain contre cette mala-
die; car depuis que l'on s'en servit, de cent
personnes à qui on le fit prendre , il en périt à
peine trois. Sans doute que les causes de la
maladie n'étoient qu'une transpiration arrêtée
par le froid, et des indigestions causées par de
mauvaises nourritures; il n'y avoit que de for-
tes évacuations qui pussent y remédier.
Quoique les pertes de l'armée dans les hô-
pitaux fussent considérables, on parvint cepen-
dant à rassembler pendant l'hiver la plupart
des recrues dont on avoit besoin pour la recom-
B£ SEPT ANS. 269
pléter; mais il fut impossible de s'en servir dés
le printemps, parce que c'étoient la plupart des
paysans, qu'il falîoit exercer et discipliner, et que
la campagne commença de très-bonne heure.
La maison royale perdit cette année la
Reine-mère. Le Roi reçut cette funeste nou-
velle après la bataille de Kolin , et dans un
temps où la fortune s'étoit le plus déclarée con-
tre les Prussiens ; il en fut vivement touché : il
avoit vénéré et adoré cette Princesse comme une »
tendre mère, dont les vertus et les grandes qua-
lités faisoient l'admiration de ceux qui avoient
le bonheur de l'approcher. Sa mort n'occa-
sionna pas un deuil de cérémonie , mais fut
une calamité publique; les grands regrettèrent
son abord facile et gracieux, les petits sa dé-
bonnaireté , les pauvres leur refuge , les mal-
heureux leur ressource, les gens de lettres leur
protectrice , et tous ceux de sa famille , qui
avoient l'honneur de lui appartenir de plus
près , croy oient avoir perdu une partie d'eux-
mêmes , et se sentoient plus frappés qu elle du
coup qui venoit de l'emporter.
Dans cette même année le Sultan Osman
finit ses jours ; son successeur passa pour un
270 lîîST. DE LA GUERRE
prince plus hardi et plus entreprenant que lui»
Le bruit de sa réputation réchauffa dès son avè-
nement au trône les intrigues du ministre de
Prusse à la Porte. îl s'agissoit d'être admis aux
audiences du Grand-seigneur. Il y avoit plus
d'un an que le S^ de Rexin postuloit cette fa-
veur, et il falloit l'obtenir pour entamer les né-
gociations dont il étoit chargé avec le Grand-
visir et avec les principaux officiers de la cou-
ronne. Nous verrons dens la suite de cet ou-
vrage les différentes formes cjue prit cette né-
gociation 5 et nous aurons lieu de remarquer
souvent combien peu les nations orientales
sont propres à suivre les principes d'une bonne
et saine politique. Ce défaut vient surtout de
leur grande ignorance sur les intérêts des prin-
ces de lEurope, de la vénalité de ces peuples,
et du vice du gouvernement , qui assujettit
tout ce qui est relatif à la paix et à la guerre
aux décisions du Mufti, sans le fetfa duquel il
seroit impossible de mettre en mouvement les
troupes ottomannes.
DE SEPT ANS. 2/1
CH A P IT R E VIII.
Campagne de 17 58.
E prince Ferdinand de Bronswic fut cette révrler.
année le premier qui ouvrit la campagne : il
avoit une forte tache à remplir ; il ne s'agissoit
pas de moins que de chasser 80,000 François
de la basse Saxe et de la VVestphalie , avec
30,000 Hanovriens qui trois mois auparavant
avoient été prés de m^ettre les armes bas , et de
signer un traité honteux. Il détacha un corps
sur le Wéser , qui se rendit maître de Verden,
et un autre sous le Prince héréditaire, qui mar-
cha des deux côtés de ce fleuve . pour c^aizner
Hoya, dont ce jeune héros s'empara par sa va-
leur et par sa bonne conduite. M. de Saint-
Germain fut à peine instruit de ces progrés,
qu'il évacua Brème , où il avoit une garnison
de 12 bataillons; avec 14 autres, Cjui hiver-
noicnt dans le voisinage , il prit le chemin de ,
la Westphalie/ Tandis que le Prince hérédi- Ums.
taire prenoit Hoya , dont le pont sur le Wéser
272 HIST DE LA GUERRE
devenoit important pour les alliés , le prince
Ferdinand de Bronswic passoit l'Aller avec le
gros de ses troupes. M. de Beust, qui faisoit
son avant-garde , surprit aux environs de Ha-
novre le régiment de Poleresky, et le fit pri-
sonnier. Cet accident joint à la marche du
prince Henri, qui par le Mansfeld et le Hildes-
heim s'étoit approché de la ville de Bronswic ^
déconcerta les généraux françois, et détermina
M. de Clermont, qui venoit de relever le ma-
réchal de Richelieu , à évacuer Bronswic, Wol-
fenbuttel , et Hanovre en même temps. L'ar-
mée du prince Ferdinand marcha droit à Min-
den. , où s'étant jointe aux détachemens du
'Wéser, elle assiégea d'abord cette ville. Le
comte de Clermont , ayant passé le Wéser à
Hameln , envoya M. de Broglio aux environs
de Buckebourg, pour secourir Minden; mais ce
2;énéral, ne trouvant pas l'occasion de rien en-
treprendre contre les alliés, ne fut que specta-
teur de la prise de cette ville, dont la garnison
se rendit prisonnière de guerre. Après cet évé-
nement M. de Brogiio tourna vers Paderborn,
pour rejoindre le prince de Clermont , et l'ar-
mée des alliés marcha à Bielefeld; surquoi les
François
DE SEPT ANS. 273
François , étourdis de cette révolution subite
dans leurs affaires, évacuèrent Lippstadt, Hamm
et Munster. Le comte de Glermont , qui n'a-
voit plus de pied en Allemagne , repassa le
Rhin à Wésel , et cantonna son armée à l'autre
bord de ce fleuve. Le prince f'erdinand s'ar- Avril*
rêta à Munster, et répandit ses troupes aux
environs , pour leur donner le temps de se
refaire des fatigues qu'elles avoient souffertes
par des opérations continuelles dans une saison
rude et peu avancée. Les alliés prirent 11,000 Mai,
François prisonniers dans cette courte expédi-
tion, qui peut être comparée à cette belle cam-
pagne du maréchal de Turenne, lorsque péné-
trant par Thann et Béfort il surprit les Impériaux
répandus dans leurs quartiers en Alsace , et les
força de repasser le Rhin. Ce fut le q de Juin Juin,
que le prince Ferdinand passa ce fleuve avec
^on armée au-dessous d'Emmerich ; il avoit
gagné des bateliers hoUandois , qu'il ne put
engager néanmoins à construire ce pont que sur
le territoire de la république ; de là il s'avança
bientôt dans le pays de Cléves. Quelques trou-
pes françoises furent surprises dans leurs quar-
tiers; mais le gros ioi^nit l'armée, qui s'étoit
Tome m. vS
274 HÏST. DE LA GUERUE
assemblée proche de Créfeld. Le prince Fer-
dinand occupa la ville de Clèves; il laissa quel-
ques troupes aux ordres de M. d'Irnhof pour
couvrir son pont d'Emmerich, et avec l'armée
alliée il remonta la rive gauche du Rhin , où il
se trouva vers le qo du mois à une marche du
comte de Clermont : il résolut d'attaquer l'ar-
mée Françoise, dans l'espérance que s'il gagnoit
sur elle une victoire complète, il pourroit re-
prendre Wésel, et retransporter le théâtre de
la guerre au-delà du Rhin. Le prince se fit
joindre pour cet effet par M. de Wangenheim,
qui avoit été du côté de Kaiserswerth , et se
porta sur Clcrster-camp. A son approche M.
de Saint- Germ.ain abandonna la ville de Cré-
feld, et se retira à un mille en arrière, pour se
rapprocher du comte de Clermont , qui cam-
poit alors à Nuys; M. de Clermont le joignit
à Vischern.
Ce fut le 23 Juin que le prince Ferdinand
quitta son camp de Hast et de Kempen, pour
attaquer M.*de Clermont; il divisa son armée
en trois corps, dont l'un commandé par M. de
Wangenheim se présenta sur le front de l'en-
nemi, pour le contenir, pendant que le gros
DE SEPT ANS. 275
€Îes alliés , tournant la gauche des François , se
présenta sur leur flanc entre Vischern et Anrod.
Il y avoit dans cette partie derrière un ruisseau
un boulevard ou Landwehr dont les François
avoient profité pour se poster ; l'infanterie des
alliés les en délogea après un combat assez
rude. Les carabiniers françois volèrent alors
au secours de cette infanterie, et le comte de
Gisors, qui les menoit, attaqua vivement l'in-
fanterie du prince Ferdinand ; le Comte fut
tué, et sa troupe découragée prit la fuite : alors
le prince de Holstein donna dessus avec les dra-
gons prussiens, et acheva de la dissiper. Pen-
dant ce choc le Prince héréditaire avec une par-
tie de la droite des alliés avoit gagné sur les
derrières de la position des François ; ce qui
acheva de décontenancer le comte de Cler-
mont , qui , se croyant sur le point d'être en-
tamé sur son front par M. de Wangenheim, se
voyant pris en flanc par le prince Ferdinand, et
près d'être entièrement tourné par le Prince hé-
réditaire , abandonna le champ de bataille ; il se
retira à Nuys , puis à Weringhen , et ensuite à
Cologne. Le prince Ferdinand , pour profiter
de sa victoire , détaclia le Prince héréditaire ^
S 3
276 HIST. DE LA GUEURE
qui piit Pturemonde par capitulation , et poussa
des partis jusqu'aux portes de Bruxelles, tan-
dis que M. de Wangenheim , qui avoit été en-
voyé avec 4 bataillons dans le duché de Ber-
gen 5 assiégea Dusseldorf , où il y en avoit huit,
et la ville se rendît par capitulation le 8 de
Juillet. Juillet. On y trouva un magasin considérable,
établi pour l'armée françoise. Cependant le
prince Ferdinand , apprenant c^ue l'ennemi ras-
sembloit des forces contre lui, se fit rejoindre
par le corps du Prince héréditaire au couvent de
S. Nicolas où il' campoit. Le début de M. de
Clermont engagea la cour de Versailles à le rap-
peler 5 et il fut remplacé par M. de Contades.
Ce Maréchal fit incessamment avancer l'armée,
pour lui rendre la confiance qu'elle avoit per-
due; pendant ce temps-là M. de Chevert, qui
étoit à Wésel , où les François avoient laissé
une nombreuse garnison, sortit de cette place
avec un corps considérable pour battre M.
d'îmhof j qui gardoit le pont des alliés proche
d'Emmerich. Ce général en eut vent ; il se
mit avec tout son corps en embuscade sur le
chemin que M. de Chevert devoit tenir, le
battit et lui prit beaucoup de monde. Ces
DE SEPT ANS. 277
heureux succès du prince Ferdinand auroient
empêché les François de repasser le Rlun , et
l'auroient enfin mené à la prise de Wésel sur la
fin de la campagne , si une diversion ne Tavoit
obligé lui-même à repasser ce fleuve , pour
rétablir les affaires en Hesse et dans la basse
Saxe, Dès le 1 1 de Juillet M. de Soubise s'é-
toit mis en marche ; il avoit été joint à Hanau
par 13,000 Wurtembergeois. Le prince Fer*
dinand avoit laissé dans le pays de Hesse le
prince d'Ysenbourg avec environ 7,000 hom-
mes ; celui-ci se retira de Marbourg à l'appro-
che de lavant-garde Françoise, commandée par
M. de Broglio, et passa la Fulde : les François
l'attaquèrent dans la position qu^il avoit prise
près de Sangerhausen, et il fut obligé décéder
au nombre après un combat qui dura 6 heu-
res; il se retira à Eimbeck, et s'établit dans les
montagnes , se bornant à conserver sa commu-
nication avec Hanovre. Le prince de Soubise
alors, ne trouvant nulle part aucune résistance,
occupa Nordheim , Manden , et Gœttingue.
Cependant M. de Contades, qui jugeoit que la Août.
diversion de M. de Soubise obligeroit bien-
tôt les alliés à rétrograder, s'avança sur eux^
S3
278 HIST. DE LA GUERRE
et occupa même le poste de Brugen, qui étoit
sur leur gaucl;ie ; mais le prince Ferdinand , qui
ne pouvoit souffrir ce voisinage dangereux, en
fit déloger les François par le Prince héréditaire :
il résolut en même temps de se replier sur la
Niers pour s'approcher des secours qui lui ve-
noient d'Angleterre. Les François firent la
même marche , et furent cependant prévenus
par les alliés. Le prince Ferdinand, qui sen-
toit que le seul moyen de se soutenir au-delà
du Rhin étoit de battre M. de Contades , fit des
dispositions pour engager une affaire; mais M.
de Contades ne trouva pas à propos de risquer
le combat, et se retira à Dalen : sur cjuoi le
prince Ferdinand se porta sur Wachtendonk; le
Prince héréditaire , qui conduisoit lavant-garde^
en chassa les François, et toute l'armée repassa
la Niers. Le prince Ferdinand , ne pouvant
plus se soutenir avec son armée au-delà du
Rhin , retira la garnison de Ruremonde , qui
trouva le moyen de se dérober dans le temps
même que l'ennemi sommoit la place. Toute
cette armée repassa le Rhin sur son pont de
Griethausen entre le 8 et le 10 d'Août. On fut
obligé d'évacuer Dusseldorf en même temps, et
DE SEPT ANS. 279
M. de Hardenberg, qui y commandoit, se ren-
dit en diligence à Lippstadt , pour mettre en
défense ce poste important. Peu de jours après
les François passèrent le Rhin , et s'étendirent
jusqu'à Dôrsten, en se couvrant de la Lippe.
Le 14 le prince Ferdinand fut joint à Bœck-
holt par iQjOoo Anglois que lai amenoit mi-
îord Marlborough. M. de Contades fut en me-
me temps renforcé dans son camp de FLilteren
par 5 à 65000 Saxons que les Autrichiens avoient
rasseinblés en Hongrie , et dont le prince Xa-
vier, second fils du roi de Pologne, avoit pris
le commandement. Le prince Ferdinand dé-
tacha M. d'Imhof à Créfeld , et M. de Post à
Dalmen ; mais sur les mouvemens que firent
îes ennemis vers Lunen , le Prince héréditaire
fut détaché pour renforcer le corps de Dalmen.
Le prince Ferdinand le suivit promptement
avec l'armée, et le Prince héréditaire repoussa
les François jusques à Halteren. Dans ces cir-
constances on trouva bon de détacher M. d'O-
berg avec un corps de g, 000 hommes, pour
passer la Lippe, et se porter dans l'évêché de
Paderborn , tant pour interrompre la commu-
nication des deux armées françoises, que pour
s 4
28o HIST. DE LA GUEURE
être à portée dans le besoin de prêter ia main
au prince d' Ysenbourg. Sur ces entrefaites , et
pendant que le prince d' Ysenbourg s'étoit tenu
près d'Eimbeck, M. de Soubise avoit occupé
Cassel 5 Gœttingue ^ et quelques places sur la
Werra: alors il forma le dessein de s'emparer de
^•pf. Hamelri; mais il fut obligé de s'en désister, lors-
qu'il apprit que le prince Ferdinand avoit repassé
le Rhin; il évacua ensuite Munden, Gœttin-
gue, et tout ce qu'il avoit occupé dans le pays
de Hanovre, pour se renforcer sur laDiémel:
il resta dans cette position jusqu'au 3 de Sep-
tembre, et n'opposant à M. d'Oberg que M.
I du Mesnil , qu'il laissa sur la Diemel , il s'a-
vança successivement de Munden, Gœttingue,
II. à Nordheim. Le prince d'Ysenbourg fut obligé
de quitter Eimbeck à l'approclie des François ,
et se retira à Coppenbrugge, où il fut joint par
quelques régimens de l'armée des alliés ; alors
il s'avança en même temps que M. d'Oberg sur
Holzmunden. Ce mouvement fit craindre à
M. de Soubise, qui étoit à Gœttingue, qu on
ne le coupât de Cassel, et repliant aussitôt ses
corps, il se rendit en diligence dans la Hesse.
Les troupes des alliés et des François arrivèrent
DE SEPT ANS. 281
presque en même temps devant Cassel, où elles
se campèrent vis-à-vis les unes des autres.
Tous ces mouvemens n'avoient pas influé sur
les opérations du prince Ferdinand; il suivoit
son objet, qui étoit d'observer l'armée de M.
de Contades. Les François , ayant vainement
tenté de surprendre le Prince héréditaire à Hal-
teren , et y ayant été repoussés avec une pertQ
considérable, tournèrent leurs vues d'un autre
côté. M. de Contades détacha M. de Chevert Octobre,
avec 20,000 hommes, pour joindre M. de Sou-
bise, et lui donner par ce renfort assez de supé-
riorité pour pouvoir accabler le prince d'Ysen-
bourg , et pour occuper en même temps le
prince P'erdinand de manière à l'empêcher de
faire des détachemens pour la Hesse; il se porta
à Hamm avec son armée et poussa M. de Che-
vreuse jusqu'à Sœst. Sur ce mouvement les
alliés se replièrent sur Munster, d'où le Prince
héréditaire fut détaché à Warendorf sur l'Em.s 5,
et le prince de Holstein à Telgade. M. de
Soubise, ayant sur ces entrefaites reçu son ren-
fort, ne perdît point de temps pour s'en servir.
Le prince d'Ysenbourg, informé de l'arrivée de
M. de Chevert 5 repassa la Fulde^ et se retira
282 HIST. DE I.A GUERRE
successivement devant l'ennemi jusqu'à Lutter-
berg 5 pour ne point être coupé de Munden :
les ennemis l'y attaquèrent avec une si grande
supériorité , qu'il fut obligé de leur céder le
champ de bataille avec une perte de 1 6 canons
et d'environ 2,000 hommes; il se retira par
Dransfeld et Gœttingue à Mœringue. Cet évé-
nement obligea le prince Ferdinand à quitter
Munster; il y laissa une bonne garnison, et
arriva le 1 7 avec son armée à Lippstadt. Le
Prince héréditaire marcha le lendemain pour
surprendre M. de Chevreuse , cjui étoitàSœst:
la surprise n'eut pas lieu , parce que les François
furent avertis de la marche des alliés; néanmoins
après un léger combat les François se retirèrent
et abandonnèrent toutes les provisions qu'ils
avoient amassées à Sœst. Le prince Ferdinand
prit incontinent son camp auprès de cette ville,
ce cjul engagea M. de Chevert à changer de
route ; il avoit quitté M. de Soubise après
l'affaire de Lutterberg, et ne put joindre M. de
Contades qu'en prenant un grand détour. Aus-
sitôt que M. de Chevert eut quitté l'armée de
Hesse, M. d"Obexg passa le Wéser à Holzmun-
den, et poursuivant sa marche il joignit le 21
DE SEPT ANS. 283
d'Octobre à Sœst l'armée des alliés. La posi-
tion où se trouvoit le prince Ferdinand inter- Novem-
rompit la communication des deux armées fran-
çoises 5 et quelque supérieures qu'elles fussent
en nombre à celles des alliés, cela n'empêcha
pas que M. de Soubise ne crût sa position aven-
turée; il évacua en conséquence Cassel et toute 22.
la Hesse, et repassa le Mein à Hanau avec tou-
tes ses troupes. La campagne auroit été finie,
si M. de Contades n'eût encore essayé de sur-
prendre Munster; I\I. d'Armentières s'étoit ap-
proché de cette ville à la tête de 15,000 Fran-
çois , et avoit pris un camp proche de la place
pour ouvrir incessamiment la tranchée : mais M.
d'Imhof arriva le 26 à Warendorf, suivi du .
duc de Holstein , en même temps que M. de
Wangenheim avec un gros détachement oc-
cupa le camp de Rhéda. Tous ces mouvemens,
qui menaçoient de couper M. d'Armentières
de Wésel , et une petite affaire qu'engagea le
major Bulovv , le firent résoudre à renoncer à
son projet; il repassa la Lippe le o. de Novem-
bre , et bientôt après l'armée françoise prit le
chemin de Wésel, pour entrer dans ses quar-
tiers d'hiver à l'autre bord du Rhin. Il ne res-
284 IIIST. DE LA GUERRE
toit plus en Hesse que Marbourg , où les Fran-
çois eussent pied; le Prince héréditaire y fut
envoyé , et n'employa que peu de jours à cette
expédition. Après la prise de cette place les
alliés 5 maîtres de toute la Westphalie et de la
basse Saxe , entrèrent dans leurs quartiers.
Durant cette belle campagne du prince Fer-
dinand, le Roi n'étoit pas demeuré oisif contre
. Jes Autrichiens; il se préparait à tirer tout le
parti possible de la bataille de Leuthen , et des
suites que cette bataille avoit eues. Dès le
Janvier, mois de Janvier M. de Werner avoit été dé-
^' taché dans la haute Silésie. Quelque supério-
rité qu'eût l'ennemi sur sa troupe, il l'avoit con-
traint de se replier en Moravie , de sorte que
les Prussiens occupèrent dès-lors Troppau et
Jœgerndorf. Le Roi jugeoit cette avance
nécessaire pour pouvoir exécuter ses projeta.
L'expédition , qui se fit au mois de Janvier ,
ne parut à l'ennemi qu'une suite de la ba-
taille de Leuthen , et servit à nettoyer toute
la Silésie des troupes autrichiennes. Les choses
Mars, en restèrent là jusqu'au 14 de Mars, que
l'armée se mit en marche pour commencer les
opérations de la campagne. On savoit '(^ue
DE SEPT ANS. 285
les ennemis n'étoient pas assez avancés dans
leurs arrangemens , pour s'opposer aux desseins
que le Roi formoit, de sorte que ce temps fut
jugé le plus propre à changer en siège régulier le
blocus de Schweidnitz. Le Roi se mit à la tête
de l'armée d'observation , et se cantonna de-
puis Landshut jusqu'à Friedland ; le prince
Maurice eut le commandement de cette gauche,
d'où il communiquoit par Wustengiersdorf à
Braunau, et M. de Fouquet commandoit le
corps qui couvroit cette gorge de la Silésie.
Le Roi établit son quartier général à Grissau,
qui étoit au centre de la position que ses trou-
pes occupoient. Le gros de l'armée ennemie
étoit encore dans ses cantonnemens aux envi-
rons de Kœnigsgrsetz et de Jaromirs ; le maréchal
Daun 5 qui en avoit seul le commandement ,
avoit poussé en avant le corps de Laudon à
Trautenau , et celui de Beck à Nachod. Les AtûL
armées étant dans cette position ; M. de Tres-
kow investit de plus près la ville de Schweid-
nitz. La tranchée ne put être ouverte que la
_nuit du 1 au q d'Avril; Tattaque fut dirigée sur
le fort de la Potence , comme l'endroit le moins
bien fortifié, et le plus commode pour y con-
286 HIST. DE LA GUERRE
diiire les munitions de guerre. Bientôt 24 ca-
nons, Qo mortiers et 16 obusiers furent mis en
batterie. Cet ouvrage, souvent dérangé par
l'artillerie des assiégés, ne put être entièrement
perfectionné que le 8 , et dès le 10 on occupa
une flèche que l'ennemi fut obligé d'abandon-
ner; cette flèche 5 qui nous approchoit à 100
pas du fort de la Potence, donna lieu au coup
de main qu'on tenta sur cet ouvrage, pour ter-
miner d'autant plus promptement le siège. Les
canons du fort de l'Eau et de celui de la Po-
tence ayant été démontés dès le 1^^ on donna
l'assaut à l'ouvrage après minuit ; on le tourna
par la gorge, et 1000 grenadiers l'emportèrent
avec une perte si légère, qu'elle ne mérite pas
d'être rapportée. Le Commandant, déconte-
nancé par une action aussi vigoureuse, battit la
chamade; il se rendit prisonnier de guerre avec
la garnison : le comte de Thierhaimb évacua la
ville le iS 5 et sa troupe, forte de 5,000 hom-
mes, fut dispersée dans les différentes places de
la Silésie et de la Marche électorale.
Ce siège, si heureusement et si prompte-
ment terminé, fournit au Roi la facilité d'exécu-
ter de plus grands projets; son dessein étoit de
DE SEPT ANS. 287
pénétrer dans la Moravie, et de prendre Ol-
mutz : non pas pour conserver cette place ,
car on prévoyoit dès-lors la diversion que les
Russes 5 qui s'étoient emparés de la Prusse, se
préparoient à faire en Poméranie et dans les
Marches de Brandebourg; mais afin d'amuser
durant toute la campagne les Autrichiens dans
cette partie éloignée des Etats du Pvoi , pour
avoir le temps et la facilité de s'opposer en at-
tendant avec des forces considérables à larmée
russe. Pour exécuter ce plan , il falloit de né-
cessité en imposer au maréchal Daun , afin de
gagner sur lui quelques marches , et le temps
de s'établir aux environs d'Olmutz avant son
arrivée. Dans cette intention l'armée du Roi
se retira des montagnes dans les plaines de
Schweidnitz et de Reichenbach , sous prétexte
d"y refaire les troupes des fatigues du siège, et
d'attendre les recrues qui dévoient la joindre.
M. de Ziethen avec un corps demeura dans les
environs de Landshut, d'où il tira un cordon
jusques à Friedland, et M. de P'ouquet entra
dans le comté de Glatz, pour en garder tous
les débouchés. Ces deux corps , qui mas-
quoient les mouvemens de l'armée derrière les
\
288 HIST. DE LA GUERRE
montagnes , avoient encore l'avantase d'empê-
cher les Autrichiens de recevoir des nouvelles
qui pussent les éclairer sur les intentions des
Mai. Prussiens. Pendant que ces dispositions don-
noient le change à l'ennemi , l'armée du Roi
marcha à Neisse , où elle se sépara en deux
f
colonnes, dont une, où le Roi se trouvoit en
personne , prit le chemin de Troppau , et l'au-
tre , que conduisoit le maréchal Keith . celui
de Jasgerndorf. Ces deux colonnes débouchè-
rent le 3 de Mai dans les plaines d'Olmutz ,
l'une par Gibau, et l'autre par Sternberg; M.
de Fouquet les suivit aussitôt qu'il remarqua
que l'ennemi, ayant pris l'allarme , quittoit les
environs de Kœnigsgrstz, pour se porter sur
Hohemaut. Il prit le chemin de Neisse, d'où
il convoya nos munitions de guerre et de bou-
che pour le siège jusqu'à Olmutz. C'étoit le 1 2 ,
et le même jour l'armée d'observation passa la
Morava à Llttau. Le Roi s'avança jusqu'à Hole-
schau; M. de Ville y campoit avec 7 régimens
de cavalerie : il fut attaqué par le. prince de
Wurtemberg et poussé au-delà de Prostnitz vers
Wischau. Le Prince campa son corps à Prost-
nitz, et il y demeura pour observer l'ennemi
^
(iU
DE SEPT ANS. qSq
du coté de Wischau et de Brunn , ayant sous
lui 4 régimens de dragons , i de housards et
4 bataillons. Le maréchal Keith , ayant fait l'in-
vestissement d'Olmutz 5 ouv^rit la tranchée le.
Î2 7 de Mai; il plaça de l'antre côté de la Mo-
rava les lo escadrons de Bareuth, 500 housards,
et quelques bataillons francs ^ qui se campè-
rent proche d'un village nommé Dolein. Pour
que le maréchal Keith et l'armée du siège fus-
sent plus en sûreté, on jugea qu'il falloit éloi-
gner davantage M. de Ville; il pensa être surpris
dans son camp , et ne crut trouver de sûreté
qu'en se retirant près des ouvrages de Brunn,
L'armée d'observation occupa en même temps
toutes les positions qu'on avoit eu le temps de
lui choisir; en conséquence de quoi le margrave
Charles prit le camp de Neustadt, le prince
Maurice celui de Littau , M. de Wédel celui
de Namiest, et le Roi occupa cette partie des
hauteurs qui régnent entre Prostnitz et Ho-
lescliau depuis Namiest jusqu'à Studenitz. M.
de Puttkammer arriva le lo de Juin à l'armée, juin,
sans avoir été inquiété dans sa route , avec le
convoi qu'il conduisoit. M. de Ziethen , c^ui
fut attaqué à Grissau par l'ennemi, le repoussa.
Tome III, T
2gO HIST. DE LA GUERRE
et remarquant que toutes les forces des Autri-
chiens tiroient vers la Moravie , il quitta les
montagnes et joignit presque en même temps
que M. de Puttkammer l'armée du E.oi. Ce-
pendant les munitions de guerre et de bouche
n'étant pas suffisantes pour le siège, on fit pré-
parer un nouveau convoi en Silésie , tant pour
pousser les attaques que pour renforcer l'armée.
Il y a apparence que ce siège auroit mieux
réussi 5 si l'on n'avoit pas ouvert les tranchées
de trop loin , et qu'on n'eût pas été obligé
d'abandonner les premières batteries , parce
cju'elles tiroient sans effet ; ce qui consuma
beaucoup de munitions inutilement. Sur ces
entrefaites l'avant - garde du maréchal Daun
aux ordres de M. de Harsch entra en Moravie,
et se campa vis-à-vis du prince Maurice sur
les coteaux d'AUerheiligen , non loin de Littau.
M. de Harsch tenta , mais sans succès , de sur-
prendre cette ville. Le maréchal Daun , qui
le suivoit, s'étoit porté sur Géwitsch, d'où il
détacha un corps de 6,000 hommes, cjui s'éta-
blit à Prérau. Cette position obligea le maré-
chal Keith à placer ses dragons à Wisternitz et
ses compagnies franches à Bistrovann et à Kosut-
bjî sept ans. 291
chan. Les vues du maréchal Daun alloient à
jeter du secours dans la ville assiégée . sans s'ex-
poser à une action, dont la perte auroit en-
traîné la réduction d'Olmutz. Il fit attaquer
de nuit le village de Kosutchan, défendu par 5»
un bataillon franc, et l'obligea de lui céder le
terrain ; les dragons de Bareuth , qui avoient
passé la nuit au bivouac, par une négligence dii
colonel Meyer, qui les commandoit, n'atten-
dirent pas pour desseller le retour des partis
qu'ils avoient envoyés à la découverte : l'en-
nemi arriva en poussant leurs patrouilles avec
impétuosité ; il fondit sur leurs tentes , ne leur
donnant pas le temps d'en sortir. Le régiment
perdit 300 hommes , et auroit été totalement
ruiné, si le bataillon de Nimschewsky ne fût ar-
rivé à temps pour forcer l'ennemi à précipiter
sa retraite. Ce succès des Autrichiens leur fit
prendre goût aux expéditions nocturnes; ils
attaquèrent trois fois le régiment de Ziethen à
Kostelitz , et furent toutes les trois fois repoussés
avec une perte assez considérable. Les batail-
lons francs de Le Noble et de Rapin ne furent
pas aussi heureux ; le margrave Charles les avoit
envoyés à Sternberg , d'où ils dévoient se rendre
T o
29^ HIST. DE LA GUERRE
à Barn pour couvrir un convoi , qui arriva
le 10 ; ils furent assez maltraités par les pan-
dours , et perdirent 500 hommes dans cette
affaire. Mais revenons à des objets plus con-
sidérables. La position de l'armée autrichienne ^
et principalement le corps qu'elle avoit détaché
à Prérau , exigeoit que la ville d'Olmutz fût
mieux enfermée au-delà de la Morava ; il sem-
bloit que le corps du Margrave à Neustadt n'y
fût pas essentiellement nécessaire , et comme
on n'avoit pas trop de troupes, le Margravo
alla se poster de façon que sa gauche occuDoit
un pont que nous avions à Commothau sur
la Morava, et que sa droite s'étendoit jusqu'à
notre pont de Holitz. Cependant, tandis que
les Prussiens changeoient leur position , M. de
Bulau , colonel autrichien , avoit trouvé le
moyen de se glisser dans la ville, et d'amener
à M. de Marshall , qui en étoit gouverneur ,
un secours de iqoo hommes.
Le maréchal Daun vint peu de jours après
déboucher dans la plaine, et se camper à Prett-
litz entre Prostnitz et Wischau; il y fut informé
que les Prussiens attendoient un grand convoi ,
dont dépendoit la réussite du siège , parce
DE SEPT ANS. 293
que les munitions commençoient à manquer.
Ce convoi étoit couvert par 8 bataillons et
4000 convalescens , tant de la cavalerie que
de l'infanterie, qu'on avoit enrégimentés pour
s'en servir durant cette marche. Le tout partit
le 25 de Juin de Troppau. Le maréchal Daun
tourna ses vues sur ce convoi ; il envoya M.
de Janus à Bahrn , et M. de Laudon à Liebe
pour l'intercepter. Sur cela le Roi détacha M.
de Ziethen avec Qo escadrons et 3 bataillons;
il rencontra ce convoi près de Gibau. Le gé-
néral Laudon l'attaqua le lendemain; après un jg,
combat de 3 heures il fut obligé de se replier.
Le transport avançoït très-lentement à cause des
chemins rompus, et le maréchal Daun profita
de ce temps pour renforcer MM. Janus et Laudon
de 85O00 hommes. Le 30 le convoi fut atta-
qué de nouveau entre Bautsch et Domstadt ; à
peine looo hommes de cavalerie. 4 bataillons,
et 400 chariots eurent-ils ouvert la marche,
et passé le défilé de Domstadt , que l'ennemi
se porta avec toutes ses forces de Bahrn et de
Liebe sur ce convoi , de sorte que ces deux
colonnes de l'ennemi, venant à se joindre, cou-
pèrent l'avant-garde qui venoit de passer le dé-
T 3
2g4 HIST. BE LA GUERRE
filé , du reste du corps qui suivoit. M. de Zie-
theu , qui étoit avec le gros du convoi , fit
charger vigoureusement une des ailes de l'en-
nemi ; mais le nombre étoit trop dispropor-
tionné pour qu'il pût réussir, de sorte qu'après
avoir vaillamment combattu , il fut contraint
de se retirer avec la plus grande partie de son
inonde sur Troppau : il y perdit le général
Puttkammer et 800 hommes, sans compter tout
le convoi et le trésor de l'armée, qui tomba
entre les mains de l'ennemi. Ce malheur fut
cause de la levée du siège. Si ce convoi eût
pu arriver , la ville étoit prise en moins de
quinze jours, parce que l'on avoit achevé la
troisième parallèle , et que l'on commençoit
d'en déboucher avec les sappes. Mais quelque
apparentes que fussent ces espérances , il fallut
y renoncer, pour sauver Tarmée, qui en pro-
longeant son séjour en Moravie auroit manqué
de subsistance, il y avoit deux chemins pour
le retour; l'un qui mène dans la haute Silésie,
par lequel l'armée étoit venue , et l'autre qui
traverse la Bohème , et mène ou dans le comté
de Glatz, ou par Braunau en Silésie. L'ennemi
s'étoit préparé à rendre la première route difficile.
DE SEPT ANS. Sgj
Laudon, Jiinus et S. Ignon y étoient demeurés
depuis l'aflaire des convois ; le maréchal Daun
s'étoit porté même avec son armée à Tobischau ,
de sorte qu'on avoit à craindre , en prenant
ce chemin , d'avoir deux corps ennemis sur
les flancs , et sans cesse le maréchal Daun
derrière l'arrière-garde, qui laharcèleroit. En un
mot 5 cette marche n'auroit été qu'une bataille
perpétuelle, dans laquelle l'armée auroit perdu
l'artillerie du siège , ses équipages , ses biessés ;
peut - être même y auroit - elle rencontré sa
ruine entière au passage de la Morava , que
l'ennemi pouvoit lui rendre funeste. Ces con-
sidérations déterminèrent promptement le Roi
à se tourner vers la Bohème , parce que l'ennemi
li'étant pas préparé de ce côté-là, on pouvoit
gagner deux marches sur lui , ce qui étoit un
article important pour l'artillerie et le bagage
dont l'armée étoit chargée.
La nuit du i au q de Juillet le Roi quitta juillet,
son camp 5 et partit avec toutes ses troupes,
partagées en deux colonnes. Le prince Maurice
lit l'avant-garde de celle où se trouvoit le Roi ,
qui passa par Konitz , Tribau , Zwittau , et vint
à Leitomischel , où elle s'empara d'un dépôt
T 4
i
296 HIST. DE LA GUEUPvï:
des ennemis : la seconde , sous la conduite du
maréchal Keith , en se retirant de ses tranchées
n'abandonna que 4 mortiers et un canon in-
transportables 5 parce que les afîuts en étoient
cassés; elle prit le chemin de Littau, Miiglitz
et Tiibau. Toute cette marche jusques-là
ne fut point troublée par l'ennemi , par la
raison que le maréchal Daun, ayant fait toutes
ses dispositions pour les chemins de la haute
Siîésie , ne put pas retirer assez promptement
ses troupes pour agir en force du côté de la
Bohème ; néanmoins M, de Lascy , qui campoit
à Gibau , voulut entreprendre sur l'arriére-
garde, obligée de passer le défilé de Krenau,
pour marcher à Zwittau. Il se saisit de ce
village avec ses grenadiers ; mais il en fut
promptement délogé par M. de Wied , et les
troupes continuèrent leur chemin sans être
inquiétées. Le maréchal Keith avoit partagé sa
colonne en trois corps , dont celui de M. de
Retzow 5 ayant traversé Hohemaut , et s'ap-
prochant des collines de Holitz , trouva ces
hauteurs occupées par Tennemi ; il se saisit d'une
chapelle cjui est sur uv.e hauteur vis-à-vis
de celle aue l'ennemi^tenoit : on commença
DE SEPT ANS. 297
par se canoner réciproquement , M. de Retzow
continuant à faire filer son convoi et son escorte
en même temps. Le général de S. Ignon ,
qui commandoit les ennemis , crut ce moment
propre pour attaquer les Prussiens; il fondit
avec 1100 chevaux sur le régiment de Biédovv
cuirassiers , qu'il obligea de se replier. Sur
ces entrefaites arriva un lieutenant, avec 50
housards , cjue le Roi avoit chargé de dé-
pêches pour le maréchal Keith ; ce brave
officier , nommé Kurzhagen , donna avec son
peu de monde si à propos sur le flanc de M. de
S. Ignon 5 qu'il ramena les cuirassiers : la cava-
lerie prussienne accourut aussi et rechassa les
Autrichiens avec perte de 6 officiers et de 300
hommes. Le maréchal Keith , arrivant avec
sa colonne précisément lorsque l'ennemi étoit
en déroute , fit prendre en revers l'infanterie
ennemie , qui se maintenoit encore sur les hau-
teurs ; ce qui précipita sa fuite par des forêts
épaisses qui protégoient sa retraite. Pendant que
îe maréchal Keith étoit occupé avec les ennemis
et ses convois, le Roi, ayant pris les devans,
étoit arrivé dès le onze près de Kœnigsgraetz.
M. de Buccow couvroit cette ville avec environ
2g8 HIST. DE LA GUERPvE
7,000 hommes 5 qu'il avoit; campés derrière
l'Elbe 5 et dans des retranchemens qui entou-
roient les faubourgs. Dès que les troupes furent
arrivées , on plaça quelques bataillons vers
Hota sur l'Adler, et l'on y construisit une bat-
terie , pour prendre à revert M. de Buccow dans
ses retranchemens ; en même temps un autre
corps passa l'Adler plus haut, qui devoit atta-
quer le lendemain dès la pointe du jour ce
retranchement. On vouloit aussi faire passer
l'Elbe à un gros corps de cavalerie , pour couper
toute retraite aux Autrichiens ; mais les ponts
ne purent être achevés que le 13 au matin.
M. de Buccow n'attendit pas que cet ouvrage
fût achevé ; il évacua la nuit m-ême ses retran-
chemens et la ville, et se retira vers Clumetz.
Le mênre jour , le Roi, étant averti que M. de
Retzow étoit attaqué à Holitz , y marcha avec
un corps de cavalerie; mais l'affaire étoit déjà
décidée, et le maréchal Keith conduisit heureu-
sement jusqu'à Kœnigsgrsetz toute l'artillerie
du siège d'Olmutz , 1500 blessés et malades,
outre toutes les m.unitions de guerre et de
bouche qui appartenoient à l'armée du Rqu
Dès que toutes les troupes fuient rassemblées ,
BE SEPT ANS. 299
elles se campèrent au confluent de l'Adler et 14.
de l'Elbe, ayant devant leur front la ville de
Kœnigsgrastz , occupée par 6 bataillons.
Le premier soin du Roi fut de se débarrasser
du gros bagage qu'on avoit traîné d'Olmutz à
Kœnigsgrastz, et M. de Fouquet fut com^mandé
avec 16 bataillons, et autant d'escadrons, pour
conduire à Glatz l'artillerie , les blessés et les
chariots superflus. L'ennemi avoit déjà quelque
dessein de harceler les Prussiens dans ces passa-
ges ; le même jour M. de Laudon s'étoit posté
avec 4,000 hommes dans le bois d'Opotschna.
Comme on en étoit instruit , et que le Roi
vouloit assurer la marche de M. de Fouquet sur
Neustadt , il prit quelques troupes avec lui et
marcha droit sur M. Laudon ; l'Autrichien pensa
être surpris : mais comme le bois favorisoit sa
retraite, on ne put lui enlever que 100 Cra-
vates; il se retira vers Holitz , et le Roi tint Iti
poste d'Opotschna, jusqu'à ce que M. de Fou-
quet eut paisiblement conduit à Glatz son
convoi. D'abord après son arrivée il détacha lO,
M. de Schenkendorf l'aîné à Reinerz , M. de
Golze au Hunulberg , et lui-même il occupa le
camp de Nachod, pour couvrir le dos de l'armée.
300 HIST. DE LA GUERRE
La promptitude de la marche avoît donné assez
d'avance pour prendre tous ces arrangemens,
avant que le maréclial Daun pût s'approcher
de l'armée prussienne; il arriva le qq , et prit
son camp sur les hauteurs de Clum et de
Libitschau, au-delà de l'Elbe, en même tem.ps
que le Roi revint d'Opotschna rejoindre le
gros de ses troupes S'il ne se fût agi que des
Autrichiens , on amoit fini la campagne , sans
quitter la Boîième que pour prendre des quar-
tiers d'hiver ; mais l'invasion dont les Russes
menaçoient la Poméranie et la nouvelle Marche
obligeoit le Roi de ramener ses troupes en
Silésie 5 pour pouvoir de là porter des secours
aux endroits qui en auroient le plus besoin.
On fit entrer dans ce projet toutes les mesures
qui pouvoient assurer les frontières de la Silésie ;
en conséquence on eut soin d'enlever tous
les fourages et toutes les provisions du cercle
de Kœnigsgraetz, pour empêcher le maréchal
Daun , faute de magasins , d'agir de ce côté
contre la Silésie. Cela lui devint en eflet im-
possible 5 parce qu'il avoit été obligé au com-
mencement de la campagne de diriger toutes
ses subsistances du côté de Biunn, qu'ensuite
DE SEPT ANS, 3OI
l'armée prussienne lui avoit enlevé dans sa
marche tous les dépôts qu'il avoit en Bohème ,
et qu'enfin on avoit consumé les fourages du
cercle de Kœnigsgraetz. On quitta donc la nuit
da 25 le camp de Kœnigsgraetz. Les pandours
attaquèrent les faubourgs de la ville dans le
temps qu'on voulut l'évacuer; le général Sal-
dein et le colonel Blankensée y furent tués ;
on perdit 70 hommes. L'armée du Roi se
replia par Caravalhotta sur Rochonitz ; M/^ Lau-
don, S. Ignon et Lascy suivirent l'arriére-garde
avec environ 13,000 hommes , et quoiqu'ils
essayassent de l'entamer, ils ne purent point y
réussir, et furent vigoureusement repoussés par
les housards de Puttkammer. Pour faire passer
à l'ennemi l'envie de harceler les arrière-gardes,
on prépara le lendemain une embuscade ; ce
fut au passage de la Métau : on occupa avec
10 bataillons et qo escadrons un bois qui se
trouve sur ce chemhi , et qui tire de Jaromirs
à la Métau ; après quoi l'armée se mit en
marche , et ne présenta à l'ennemi qu'une foible
arrière-garde de housards. M. de Laudon , qui
s'échaufloit facilement , voulut donner dessus;
alors la cavalerie , »n sortant de l'embuscade, le
302 HIST. DE JLA GUERRE
prit dans tous les sens ; il fut fort maltraité , et
perdit 300 hommes. Après cette petite correc-
tion l'armée du Roi poursuivit paisiblement
sa marche , et se campa entre Boruslawitz et
Gessnitz; et Ton détacha M. de Retzow, pour
couvrir la droite de l'armée au passage des
Août, montagnes. M. de Retzow délogea M. Janus
de Studenitz , et le Roi occupa le camp de
Skalitz. Dans l'emplacement où l'armée étoit
campée il se trouvoit une hauteur sur la droite ,
dont il falioiî nécessairement se mettre en pos-
session; le Roi y plaça les volontaires de Le
Noble 5 comme un appât qu'il présentoit à
l'ennemi , et 6 bataillons , campés dans une espèce
de ravin , avoient ordre de soutenir ce poste en
cas d'attaque. Ce qu'on avoit prévu arriva ;
8. M. de Laudon vint de nuit pour surprendre Le
Noble : il fut reçu autrement qu'il ne s'y stten-
doit ; on le mit en fuite, et, sans compter les
morts et les blessés, il y perdit 6 officiers et
70 hommes. Le maréchal Daun avoit cependant
fait longer à son armée le cours de l'Elbe, de
sorte qu'elle s'étendoit depuis Kœnigsgrstz jus-
qu'à Jaromirs vers Kœnigshof. Le Roi se campa
le lendemain à Wisoka, et M. de Retzow à
DE SJEPT ANS, 3O3
Starkstadt. La marche se poursuivit de Wisoka
à Politz et Wernersdorf 5 sans qu'on fût suivi par
les ennemis. Le 8 toutes les troupes reprirent
le camp de Giissau et de Landshut.
La diversion à laquelle on s'étoit attendu
de la part des Russes se fit pendant ce retour
de Bohème : M. Fermor s'étoit avancé en plu-
sieurs corps, de la Prusse, sur les frontières de
la Poméranie et de la nouvelle Marche; M. de
Platen avoit observé les ennemis de Stolpe, où
il avoit été tout l'hiver en détachement. Sur
ces avis le comte de Dohna avoit reçu l'ordre
dès le mois de juin de lever le blocus de Stral-
sund, pour s'approcher de fOder, afin de s'op-
poser aux Russes de quelque côté qu'ils vou-
lussent pénétrer dans les états du Roi. JM. de
Fermor s'étoit avancé de Posen à Kœnigswald ,
Méseritz, et Closter Paradies, où il campoi&cn
3 corps. Le comte de Dohna détacha M. de
Kanitz à Reppen , pour observer l'ennemi ,
d'où M. de Malachowsky fit une course jus-
qu'à Sternberg et en délogea les Russes. Le
comte de Dohna , qui n'étoit pas assez en
force pour répandre des détachemens , attira â
lui M. de Platen, et se borna à disputer aux
304 HIST. DE LA GUERKE
ennemis le passage de l'Oder; il se campa pour
cet effet à Francfort. La partie cependant n'é-
toit pas égale : comme le moindre échec qu'au-
ïoit souffert le corps du comte de Dohna
devenoit préjudiciable à l'état, et pouvoit en-
traîner après soi la ruine totale de la Marche
électorale , le Roi prit le parti de s'y rendre
en personne avec un renfort assez considérable
pour donner aux troupes prussiennes une es-
pèce d'égalité avec celles des ennemis ; ce ren-
fort consistoit en 16 bataillons et q8 escadrons.
La plus grande partie de l'armée aux ordres
du maréchal Keith et du margrave Charles
demeura dans le camp de Landshut , pour
garder les frontières de la Silésie. Le Roi diri-
gea sa marche par Ronstock, Lignitz, Hinzen-
dorf , Dakau , Wartenberg , Schertendorf , Cros-
sen 5 Ziebingen , à Francfort , où il apprit que
M. de Fermor , s'étant avancé par Landsberg à
Cammin et à Tamsel, avoit fait bombarder la
i5. ville de Kustrin, qui avoit été mise en cendres,
après avoir rejeté toutes les propositions de ca-
pitulation que le général Stoffel avoit faites à
M. de Schack, qui en étoit commandant. Ces
entreprises de l'ennemi avoient engagé le comte
DE SEPT ANS. 303
de Dohna à rapprocher son corps de cette
forteresse , pour la mieux soutenir. Ce fut dans
ce camp près de Gorgast, le qq Août, que le
Roi joignit le comte de Dohna. Les Russes
avoient étabh leurs parallèles précisément au
déboucher de la chaussée qui conduit de Kustria
à Tamsel , et leurs batteries étoient construites
de manière que l'armée n auroit pu déboucher
de la place , sans s'exposer à faire des perte$
considérables , mais inutiles. Le Roi résolut
cependant d'attaquer l'ennemi ; il falloit se
battre , afin de se débarrasser pour un temps
d'une armée , et gagner celui de se tourner d'un
autre côté. Le Roi pouvoit donc employer trois
semaines à cette expédition; mais comment la
terminer si vite sans en venir aux mains ? Le
maréchal Daun, qu'on avoit quitté à JaromJrs,
pouvoit dans cet intervalle se tourner , ou vers
la Silésie, ou vers la Saxe, et il falloit pouvoir
s'y rendre dans les différeris cas, selon que le
besoin le demanderoit. Le Roi jugea donc qu'il
falloit en imposer à l'ennemi par de fausses
démonstrations; on fit des batteries vis-à-vis de
Dréwitz, et l'on occupa les digues de TOder,
comme si efîcctivement on avoit dessein de
Tome ///. V
• 306 ÎIIST. DE LA GUERRE
passer ce fleuve dans les environs; en même
temps le Roi renforça la garnison de Kustrin de
4 bataillons. Il avoit envoyé M. de Kanitz à
Wrietzen , pour rassembler tous les bateaux
qui se trouvoient dans cette partie sur l'Oder.
Tandis que rarm>ée marchoit la nuit du <2^ en
remontant l'Oder jusqu'à Gustebiese , où elle
fut jointe par M. de Kanitz, qui amena suffi-
samment de bateaux pour la construction du
pont, on se donna tant de soins pour l'achever,
cjue toute l'armée l'eut passé à midi ; elle con-
tinua sa marche jusqu'au village de Clossow ,
où elle se campa; et par cette position elle coupa
déjà le corps de M. de Fermor de celui de
M. Romanzow , qui étoit du côté de Schvvedt ,
où il avoit dessein de passer l'Oder. Le 24
l'armée se campa à Dermitzel vis-à-vis de M. de
Fefmor , qui sur le mjouvement des Prussiens
avoit levé le siège de Kustrin , et s'étoit fait
joindre par la division de M. Czernichef, avec
laquelle et le gros de ses troupes il prit une
position entre les villages de Quartzchen et de
Zicker , ayant un ruisseau marécageux devant
son front; ces troupes campoient en quarré,
selon l'usage que le maréchal Munnich avoit
j)E SEPT ANS, 307
suivi en faisant la guerre aux Turcs dans la petite
Tartarie. Le même jour que l'armée prussienne 55,
arriva 5 le Roi s'empara du moulin de Damm,
et du pont qui passe le ruisseau ; son avant-garde
prit possession de la forêt de Massin , par
laquelle il falloit passer pour tourner le camp
des ennemis. Le lendemain l'armée déboucha
sur 4 colonnes dans la plaine, prés du village de
Batzelovv : les ennemis av oient laissé entre ce
village et Cammin le gros de leur bagage sous
une petite escorte : si l'on avoit été moins pressé^
on auroit pu le leur enlever sans peine , et les
obliger par quelques marches à quitter le pays;
mais il falloit ^n venir à une décision , dont on
de voit tout attendre, vu la disposition bizarre
que l'ennemi avoit donnée à sa bataille. La
marche de l'armée continua donc sur Zorndorf ,
où le Roi se proposoit d'attaquer la face opposée
du quarré, vis-à-vis de laquelle on avoit été à
Dermitzèl. Les Cosaques mirent le feu à Zorn-
'dorf ; ce qui embarrassa un peu , parce que la
grosse artillerie devoit passer ce village , pour
former des batteries vis-à-vis de l'ennemi. La
gauche , destinée à faire la première attaque ,
s'appuyoit à un fond qui tire vers Wilkersdorf.
V 9
308 HIST. DE LA GUERRE
M. de Manteufel commandoit la premiéra
attaque 5 consistant en lo bataillons; il étoit
soutenu par la gauche de la première ligne ,
commandée par M. de Kanitz , et par la seconde
ligne de l'armée. On se servit de quelques
ravins , à l'abri desquels on mit la cavalerie de
la gauche contre rartillerie de l'ennemi, et où
toutefois elle étoit â portée d'agir dès que cela
seroit trouvé nécessaire. Les ordres du Roi
portoient que la première attaque , en avançant
constamment , s'appuyât à ce ravin , qui la
conduisoit directement sur la droite des Russes ;
mais par des coiitretemps et des mésentendus il
arriva qu'elle s'en écarta en approchant de
l'ennemi , de façon que M. de Kanitz , qui
devoit être derrière M. de Manteufel , se trouva
à sa droite. L'attaque fut repou^sée , et l'infan-
terie revint en assez grande confusion ; mais ,
comme l'ennemi étoit aussi en désordre, le Roi
fit ordonner à M. de Seidlitz de le charger incon-
tinent: il forma trois colonnes, ciui percèrent
en même temps le quarré ; et en moins d'un
quart- d'heure tout le champ de bataille fut
nettoyé d'ennemis : ce qui se sauva de l'armée
russe pasîa ce fond qu'elle avoit à sa droite, et
DE SEPT ANS., 309
commença de se réformer vers Quartschen. Le
Roi prit alors l'infanterie de sa droite , avec
laquelle il fit un quart de conversion , et la
forma vis-à-vis de ce fond. On voulut le faire
passer aux troupes à diflérentes reprises ; mais
elles revenoient après un court espace de temps,
sans qu'on en comprît d'abord la raison : c'est
que la caisse militaire des Russes et tout l'équi-
page de leurs généraux étoient dans ce fond;
les troupes 5 an lieu de le passer, comme elles le
pouvoient, s'amusoient à piller, et revenoient
dés qu'elles étoient bien chargées de butin. La
cavalerie ne pouvoit agir dans cette partie à
cause des marais dont ce fond étoit rempli; cela
réduisit les Prussiens à canoner l'ennemi , ce
qu'ils continuèrent jusqu'à nuit close. La bataille
avoit commencé à g heures du matin, et ne
finit qu'à 8 heures et demie du soir. Les Russes
se retirèrent dans le bois de Tamsel , où toutes
leurs troupes se miient en peloton, la cavalerie
au centre , entourée de l'infanterie. Ils per-
dirent à cette action 103 canons, 27 drapeaux
et étendards, 82 officiers, parmi lesquels 3
généraux; environ 2,000 prisonniers, et pour
le moins 13.000 hommes qu'ils laissèrent sur
V 3
3ÎO HÎST. DE LA GU'EPvRE
la. place , parce que la cavalerie ne leur fit
point quartier. L'armée du Roi y perdit M. de
Ziethen , général des cuirassiers, 60 officiers
rnorts ou blessés, et environ iqoo hommes,
avec Qo pièces de canon. Le lendemain qS
l'armée du E.oi prit une position très -voisine
de l'armée russe ; on n'étoit qu'à laoo pas les
uns des autres. Si Ton avoit eu suffisamment
de munitions , on les auroit attaqués ; on fut
obligé de se contenter d'une canonade , qui
ne fut pas même aussi vive qu'on l'auroit désiré ,
à cause qu'il faîloit ménager la poudre. Il n'y
eut point de tentes dressées de part ni d'autre.
.. Les dragons russes essayèrent d'attaquer l'infan-
teiie prussienne ; ils furent vivement repoussés
par le régiment de Kreytzen. Pendant ractiori
de la veille et durant cette journée c'étoit un
spectacle afireux que de voir tous les villages
voisins , auxquels les Cosaques avoient mis
le feu, et qui rassembloient dans ces environs
toutes les calamités dont l'humanité peut être
affligée. Cependant les canons prussiens tiroient
avec succès , parce qu'il étoit presque impos-
sible aux artilleurs de jnanquer la grosse masse
que l'ennemi formoit ; au lieu que les leurs
DE SEPT ANS. 311
tiroient sans le moindre efFet. On reçut vers
le soir quelque peu de munitions , dont les
batteries firent un si bon usage, que la place
devenant dès-lors insoutenable pour les Pvusses ,
ils la quittèrent la nuit même, et allèrent se
camper à Cammin. Le Roi les suivit : on fit
encore quelques centaines de prisonniers sur
leur arrière - garde , et l'on se campa devant
Tamsel proclie des ennem.is. La perte de cette
bataille obligea M. de K.omanzow à quitter
en hâte les environs de l'Oder et de Stargard ,
pour accélérer sa jonction avec M. de Fermor,
qui bientôt se retira à Vietz, puis à Landsberg,
où il rassembla toutes ses troupes. Le Roi le
poursuivit jusqu'à Blumberg.
Pendant cjue l'armée prussienne étoit occupée
contre les Russes , M. Laudon avoit traversé
la Lusace 5 dans l'intention de les joindre; et
il l'auroit fait, s'il n'avoit trouvé le prince
François de Bronswic dans son chemin ; le Roi
i'avoit détaché à Beesko du camp de Tamsel.
Ce prince , après lui avoir enlevé diflérens
partis , obligea l'ennemi à se replier sur Lubben.
Des raisons plus fortes que celle-là empêchèrent
le Roi de pousser plus loin les avantages qu'il
V 4
JI2 HIST. DE LA GUERRE
a voit remportés sur les Russes ; il falloit accourir
en Saxe au secours de S. A. R. le prince Henri.
M. de Dohna , en conséquence de ce nouvel
arrangement , resta vis-à-vis des Russes , et le
Roi partit , pour se joindre au prince son frère ,
avec le même corps qu'il avoit amené dans
1 electorat. L'éclaircissement des faits demande
que nous rapportions succinctement ce qui
s'étoit passé jusqu'alors en Saxe. Dès le mois
Juillet, de Juillet S. A. R. avoit occupé le camp de
Tschopa 5 pour s'opposer aux troupes des
cercles , commandées par le prince de Deux-
ponts, auquel étoit joint un corps d'Autrichiens
'aux ordres de M. de Haddick. S. A. R. fit
chasser un détachepient des ennemis c(ui occu-
poit le Basberg ; et comme le gros corps des
cercles ne s'étoit pas encore avancé , on se
borna à la petite guerre , dans laquelle les
Prussiens eurent l'avantage, faisant en différentes
ïencontres des prisonniers sur les ennemis , du
r.ombre desquels M. de Pvîitrowsky , général
des Autrichiens , fut le plus considérable.
Août, 2. S. A. R. ayant des nouvelles de l'approche d'un
corps d'ennemis , commandé par M. Dombale,
qui s'avançoit sur Zwickau , détacha M. de Finie
BE SEPT ANS. 313
pour le déloger de la SaXe; ce qui réussit au
point, qu'on l'obligea de se replier sur E,eichen-
bach. Bientôt après , la présence du Prince
devenant nécessaire aux environs de Dresde , â
cause que le prince de Deuxponts prenoit par 6.
la Bohème le chemin de Tœplitz , l'armée mar-
cha par Chemnitz , et s'établit à Dippoldiswalda,
tenant M. de Hulsen avec un détachement à
Freyberg, et M. de Knobloch à Maxen. Pen-
dant ce temps un autre corps des cercles s'étant 20.
posté à Waldkirchen , il fut attaqué et battu
par M. de Kleist. Mais comme M. de Haddick
è'avançoit vers Cotta, S. A. R. changea sa po-
sition; elle prit le camp de Sedelitz proche de
Pirna , et garnit devant elle les villages de
Zehista et de Zuschendorf ; de là l'armée prit
le camp de Gamig, qui lui étoit plus conve-
nable. Bientôt le prince de Deuxponts parut;
il occupa les hauteurs de Struppen , tenant à
sa gauche M. de Haddick, qui s'étendoit de
îlothwernsdorf à Cotta. îl résolut de prendre
le Sonnenstein, qui incommodoit sa position;
il y fit avancer quelques mortiers, et M. de
Grape, qui y commandoit, se rendit mal à
propos et fut fait prisonnier de guerre. En même
314 HIST. DE LA GUERKE
temps le maréchal Daun s'étoit avancé en Lusace;
il avoit laissé un détachement de QOjOoo hom-
mes, aux ordres de MM. de Harsch et de Ville,
qui campoit entre Jaegerndorf et Troppau. L'in-
tention du Maréchal étoit de se servir de ce corps
pour faire le siège de Neisse, dès que l'éhjigne-
ment de l'armée prussienne pourroit permettre
de tenter cette entreprise ; il avoit espéré que
l'invasion des Russes attireroit vers eux toutes
les forces du Roi, et comme ses espérances se
trouvèrent trompées de ce côté-là, il s'avança
en Lusace, pour y attirer les Prussiens, et don-
ner à M. de Harsch le temps d'achever son
siège. Il s'étoit d'abord avancé jusqu'à Kœ-
nigsbruck , où il apprit la défaite des Russes ;
sur quoi abandonnant les desseins qu'il pouvoit
avoir sur Meissen ou sur Torgau, il se replia
sur Stolpen. Bientôt il borda l'Elbe de difîé-
lens détachemens , dans l'intention de passer
ce fleuve à Pilnitz, et de prendre à dos la po-
sition des Prussiens à Gam^ig , pendant que le
. prince de Deuxponts et M. de Haddick les
entameroient de front. Le prince Henri , qui
étoit informé de ces projets, en donna avis au
Koi; ce qui occasionna la marche rapide de
DE SEPT ANS. 315
cejul-ci, pour se joindre au prince son frère.
D'abord le maréchal de Keith et le prince Char- Sept,
les eurent ordre de quitter la Silésie, pour se
joindre en Lusace aux troupes du Roi. M. de
Fouquet demeura à Landshut , et on lui com-
mit la garde des débouchés de la Bohème. Le
corps du Roi partit le 2 de Blumberg, et pas-
sant par Manchenau , Mulrose , Trebatz , Lub-
ben, Doberbek, Elsterwerda, arriva le g à Do-
britz près de Grossenhayn , où le maréchal Keith
et le Margrave le joignirent , dont le corps
avoit passé par Hartmansdorf , Priebus , Moska ,
Spremberg, Senftenberg. MM. de Werner et
de Mœring avoient battu , chemin faisant, l'un
à Priebus et l'autre à Spremberg , deux déta-
chemens autrichiens, et leur avoient fait au-delà
de 500 prisonniers. L'armée se campa le iq en-
tre Boksdorf et Reichenberg , d'où le Roi s'a-
boucha avec le prince son frère, pour prendre
ensemble les mesures convenables aux circons-
tances présentes. Le même soir l'armée se mit
en marche ; il s'agissoit d'occuper les hauteurs
de Weissig avant l'ennemi. Les Autrichiens
o
avoient au Cerf blanc un poste qu'il falloit dé-
loger; le Roi y marcha tout droit, et M. de
3l6 HIST. DE LA GUERHE
Wédel par un chemin qui vient de Radeberg,
et qui tourne cette position ; les Autrichiens
furent forcés de se retirer , et dés que les
têtes de l'armée eurent gagné les hauteurs de
Weissig , elles donnèrent sur des housards et
des dragons qui s'y étoient rendus dans l'in-
tention de protéger le campement du maré-
chal Daun ; celui-ci s'y étoit avancé , pour y
tracer la position des troupes. Tous ces corps
furent repliés, et l'armée du Roi prit le camp
de Schœnfeld vis-à-vis du camp du maré-
chai Daun , qui s'étendoit de Lohmen par
Stolpen vers Bischofsvverder. On assura aussitôt
la communication des deux armées prussiennes
par des ponts sur l'Elbe. L'armée du Roi étoit
arrivée à propos , car M. de Lascy étoit com-
mandé avec tous les grenadiers autrichiens pour
construire le pont de Pilnitz , et il faut avouer
que le maréchal Daun auroit eu tout le temps
d'exécuter ce dessein avant l'arrivée du Roi ,
s'il avoit été dans son caractère d'agir avec
plus de vivacité et de promptitude. Le même
jour que l'armée prit la position de Schœnfeld,
le général de Retzow fut envoyé avec un dé-
tachement pour déloger M. Laudon de Rade-*
DE SEPT ANS. 317
berg ; l'Autrichien se retira sur Arnsdorf et
Fischbach. On résolut de l'entamer de nou-
veau dans ce poste : pour cet effet le prince
François avec quelques bataillons se présenta
sur son front ; M. de Retzow le tourna par sa
droite et le Roi par la gauclie. Il est à pré-
sumer que ce coips auroit été ruiné, si tous
les ressorts eussent bien joué en même temps;
mais il arrive d'ordinaire que de semblables
projets ne réussissent qu'en partie : Lauclon
perdit cependant au-delà de 300 hommes dans
cette affaire ; il se sauva par le bois et occupa 27.
les monticules de Harta , où il campa sous la
protection du canon du maréchal Daun. Ces
petits avantages ne décidoient rien; un des ob-
jets principaux dans les circonstances où se
trouvoient les armées, étoit d'éloigner l'armée
impériale des bords de l'Elbe. Il étoit diffi-
cile d'y réussir autrement qu'en lui donnant de
la jalousie sur les convois qu'elle tiroit de Zit-
tau, afin d'obliger le maréchal Daun à faire les
mouvemens qu'on clésiroit. Le Roi quitta son
camp de Schœnberij , et se porta avsc son ar-
mée sur Ramnau; par cette position les Prus-
siens s'approchoieut du flanc de l'ennemi , et
3l8 HIST. BE LA GUEHUE
pour lui causer plus d'inquiétude M. de Re-
tzow se rendit à Bautzen , et s'y établit avec
son corps. Laudon occupoit encore vis-à-vis de
notre gauche proche de Bischofswerder une hau-
teur dont on résolut de se rendre maître. Pour
cet effet le piince de Wurtemberg tourna les
Autrichiens à dos , et le Roi se présenta sur leur
front. M. Laudon n'attendit point que l'affaire
s'engageât , mais se replia en grande confusion
au-delà de Bischofswerder; nous occupâmes
son camp et la ville. Le maréchal Daun crai-
gnit à son tour crue la position des Prussiens
ne lui portât préjudice; il avait renoncé dans
ce rnomicnt aux projets qu'il avoit formés sur
l'armée du prince Henri ; il fut obligé de se
rapprocher de ses vivres, et se proposa en même
temps de choisir un poste par lequel il pût
couper les Prussiens de la Silésie, pour donner
à M. de Harsch le temps d'assiéger et de pren-
Octobre, dre Neisse. Ce fut enfin le 5 d'Octobre que le
Maréchal abandonna les environs de l'Elbe,
- et que passant par Kruse et Neukirch , il se
campa à Kitîitz sur les hauteurs de Lœbau jus-
qu'au Stremioerg. Le prince de Durlach fut
posté avec sa réserve de Pteichenbach et Arns-
BE SEPT ANS. 31g
dorf vers Doberschutz. Sur ce mouvement de
l'ennemi M. de Retzow fut envoyé occuper le
Weissenberg. L'armée marciia à Bautzen , d'où
M. de Wédel fut détaché avec 6 bataillons et
quelque cavalerie , pour s'opposer aux Sué-
dois"', qui s'étoient avancés jusqu'à Pasevvalk.
De Bautzen l'armée du Roi s'avança vers l'en- iS-
nemi , et prit sa position entre Hochkirchen et
Kottitz 5 le quartier général à Radewitz. L'ar-
més se trouvoit alors affoiblie par le départ du
détachement de M. de Wédel, et par la grosse
garnison qu'il falloit tenir dans Bautzen , pour
couvrir la boulangerie contre les entreprises de
l'ennemi. Le projet du R.oi étoit , en prenant
le camp de Hochkirchen , de cacher aux Au-
trichiens son véritable dessein , qui étoit de se
joindre à M. de Retzow posté à côté de notre
flanc gauche , et de tomber conjointement sur
le prince de Durlach du côté de Débitsch , ce
qui ne pouvoit s'exécuter que la nuit du 34
au 13 5 à cause que l'approvisionnement des
vivres pour l'armée ne pouvoit pas être arrangé
plutôt. Cependant une partie du convoi nous
joignit le 1 q. Le maréchal Keith , qui en étoit,
fut attaqué en chemin par Laudon ; Tennemi
320 HIST. DE LA GUEURE
fut repoussé avec perte de. 80 hommes. Un
prince de Lichtenstein , lieutenant-colonel au
régiment de Lœvenstein, fut du nombre des
prisonniers. Après cette affaire Laudon , ayant
rassemblé ses troupes dispersées , s'établit avec
elles dans un bois qui étoit à un gros quart de
lieue d'Allemagne au-delà de notre droite, vis-
à-vis du village de Hochkirchen; un fond ma-
récageux séparoit notre flanc droit de ces hau-
teurs. La bataille dont nous allons parler
incessamment , nous oblige d'entrer dans un
détail plus circonstancié du terrain que les deux
armées occupoient. Le village de Hochkirchen,
où s'appuyoit la droite du Roi, est situé sur
une éminence: un cimetière d'une maçonnerie
épaisse , capable de contenir un bataillon ,
domine sur toute la contrée; le village s'étend
en long, et formoit le flanc naturel de Tarmée:
il était garni de 6 bataillons; une batterie de
13 canons étoit construite à l'angle du front et
du flanc; devant la ligne du front coule un
o
ruisseau entre des bords de rochers ; aux pieds
de la hauteur de Hochkirchen se trouvent un
moulin et quelques cabanes, où l'on avoit placé
un bataillon franc, pour défendre le passage;
ce
DE SEPT ANS. 32 1
ce 'qui étoit d'autant plus sûr, qu'il se trou-
voit sous la protection de notre canon vers
Radevvitz, où étoit le quartier général. Une
partie du camp passoit le ruisseau , à cause
des hauteurs qu'il falloit nécessairement occu-^
per 5 et de la communication avec le corps
de M. de Retzow , qu'on assuroit et dont on
abrégeoit le chemin par cette position. La
droite du maréchal Daun, comme nous l'avons
dit, s'appuyoit sur le Stremberg ; son centre
étoit sur des hauteurs inexpugnables; sa gauche
tiroit vers Jauernick et Sornitz. Il fit préparer
en secret des chemins pour 4 colonnes , qui
Gonduisoient au bois dont M. Laudon avoit
pris possession. Son projet étoit d'attaquer l'ar-
mée prussienne par 4 endroits à la fois, savoir
par le poste de Laudon j par le moulin qu'oc-
cupoit le bataillon franc, par cette partie vers
Kottitz qui se trouvoit au-delà du ruisseau ; et
la quatrième attaque devoit se faire par le
prince de Durlach sur le poste du Weissen-
berg , où commandoit M. de R.etzow. Ce fut
la nuit du 13 au 14 d'Octobre que le maréchal
Daun exécuta son dessein. L'attaque du mou-
lin gardé par le bataillon franc fut la première;
Tome III. X
3^2 HIST. DE LA GUERKE
les ennemis l'emportèrent sans grande peine. îln
même temps Laudon, ayant trouvé le moyen
de se glisser avec ses pandoiirs à dos de l'ar-
mée, mit le feu au village de Hochkirchen, ce
qui obligea les bataillons qui le gardoient à
l'abandonner. L'ennemi se saisit dans cette con-
fusion de la batterie qui étoit à la pointe du
village : en même temps le brave major Lange
se jeta avec un bataillon du margrave Charles
dans le cimetière de Hochkirchen. L'armée
n'eut que le temps de prendre les armes , et
non celui d'abattre les tentes. Le Roi entendit
tirer le canon , et quoiqu'il ne fût averti de
rien, il prit d'abord 3 brigades du centre, avec
lesquelles il marcha à la droite; les ténèbres
étoient si épaisses, qu'on ne voyoit pas à un
pas devant soi. On s'apperçut d'abord que l'en-
nemi étoit maître de notre grande batterie,
parce que les boulets de canon voloient dans
le camp, et qu'il auroit été impossible qu'ils
eussent pu y parvenir des batteries de l'en-
nemi. Le village de Hochkirchen en flammes
fut le fanal qui éclaira nos dispositions. Le Roi
prit par le derrière de son camp pour tour-
ner ce village; dans la marche on donna sur
DE SEPT ANS. 323
un corps de grenadiers autrichiens, dont 300
furent pris ; mais dans la confusion du combat,
n'ayant pas du monde de reste pour les gar-
der, la plupart s'échappèrent. Notre infanterie
tourna Hochkirchen. et commençoit à pousser
les Autrichiens , lorsque quelques escadrons
ennemis, qu'on ne pouvoit pas distinguer dans
l'obscurité , la ramenèrent. Les gendarmes et
le régiment de Vasold firent une charge fort
vive; tout ce cju'ils rencontrèrent, plia devant
eux; mais ne pouvant pas se diriger dans l'obs-
curité , ils donnèrent sur de l'infanterie pos-
tée à ce bois que Laudon avoit occupé dès la
veille : tout le canon des Autrichiens y étoit,
et l'infanterie bien et avantageusement établie;
ce canon tirant à mitraille força la cavalerie
prussienne à se retirer auprès de son infante-
rie. D'un autre côté le maréchal Keith et le
prince Maurice d'Anhalt voulurent reprendre
la batterie qui étoit perdue; ils se mirent à la
tête de quelques bataillons , pour traverser le
xillage de Hochkirchen; le chemin qui passe
le village est étroit , à peine sept hommes de
front pouvoient-ils y tenir, et ils trouvèrent,
en voulant débouclier de là , que le* Autri-
X 3
324 HIST. DE LA GUERRE
chiens les déboidoient si considérablement ^
qu'ils ne purent jamais se former, pour mener
leurs troupes à la charge ; ils furent aussitôt
contraints de se replier. Le maréchal Keith y
fut tué 5 M. de Geist mortellement blessé et le
prince Maurice dangereusement. Quoiqu'à dif- „
férentes reprises on tentât de passer le village ,
il n'y eut pas moyen de réussir ; l'incendie
étoit trop considérable, et la bataille fut per-
due. Pour couvrir la retraite, le Roi envoya
des ordres à M. de Retzovv de le joindre inces-
samment. Ce général avoit trois fois repoussé
le prince de Durlach. Comme ce dernier ne
pouvoit venir à lui qu'en traversant un défilé,
M. de Retzow y laissa entrer le nombre d'enne-
mis qu'il lui plut 5 après quoi il les chargea et
les culbuta avec une perte considérable dans le
lieu dont ils avoient débouché; cette manœu-
vre s'étoît répétée à trois reprises, lorsqu'il fut
obligé de rejoindre l'armée. Il vint à propos
à notre gauche. Le Roi avoit été contraint de
la dégarnir, pour porter des secours à sa droite;
cependant il ne put pas arriver assez à temps
pour empêcher que le bataillon de Kleist ne
fût entouré par l'ennemi j et contraint de mettre
DE SEPT A K s, 325
les armes bas. La droite de l'armée se soutenoit,
quelque effort que fît l'ennemi pour dépasser
le village de Hochkirchen. La bataille avoit
commencé à 4 heures, à 10 le cimetière fut
emporté, le village et la batterie étoient déjà
perdus; l'ennemi se trouvoit trop bien établi
pour qu'on pût le déloger ; un gros corps de
cavalerie venoit à dos de l'armée , M. de Retzovv
avoit abandonné le Weissenberg : dans ces cir-
constances la position de l'armée n'étoit plus
soutenable , et il ne restoit d'autre parti à pren-
dre que celui de la retraite. La cavalerie des-
cendit la première des hauteurs dans la plaine,
pour couvrir la marche de l'infanterie. La droite
de l'infanterie prit alors le chemin de Dober-
schutz, où l'on marqua le camp, et le corps de
M. de Retzow fit l'arrière-garde de l'armée. La
cavalerie autrichienne attaqua la nôtre à diffé-
rentes reprises , mais elle fut vigoureusement
repoussée par M. de Seidlitz et par le prince de
Wurtemberg. Le camp que l'armée prit étoit
bon, proche de Bautzen, entouré d'un dou-
ble fossé marécageux , et sur des collines qui
n'étoient dominées d'aucun côté. Le maréchal
Daun retourna le même jour dans son ancien
X3
326 HIST. BE LA GUERRE
camp 5 et il ne p^rut pas qu'il eût gagné la
victoire. Les Prussiens perdirent, comme nous
en avons touché quelque chose, des personnes
dignes par leur grand mérite d'être regrettées,
le maréchal Keith, le prince François de Brons-
wic et M. de Geist; presque tous les Généraux
eurent des contusions ou des blessures , ainsi,
que le Roi , le margrave Charles , et tant d'au-
tres qu'il seroit trop long de nommer. Nous
perdîmes 3,000 hommes, la plupart d'infante-
ïie 5 et il ne nous resta du nombre des pri-
sonniers que nous avions faits, qu'un général
nommé Vitteleschi et 700 hommes.
Pendant que tout ceci se passoit en Lusace,
MM. de Ville et de Harsch tenoient Neisse
étroitement bloqué : on étoit informé qu'un
train d'artillerie de 100 canons et de 40 mor-
tiers devoit partir d'Olmutz pour se rendre en
Silésie. En combinant avec ces préparatifs l'effet
qu'une victoire gagnée devoit produire sur l'es-
prit des Autricliiens , il étoit facile de prévoir
que le siège de Neisse en seroit la suite. Cette
place étoit trop importante pour que le Roi
n'employât pas tous les moyens imaginables
de la sauver ; cependant on ne pouvoit en
DE SEPT ANS. 327
faire lever le siège qu'en marchant en Silésie
avec une armée. La difficulté étoit de ne point
déranger les affaires d'un côté pour les rétablir
de l'autre. Enfin sur la nouvelle c^ue les Russes
avoient abandonné Stargard, et dirigeoient leur
marche par Reez et Galles sur la Pologne, le
Roi prit les mesures suivantes : il attua à lui
le Prince son frère avec 10 bataillons, et du
canon pour remplacer celui que l'on avoit
perdu; le comte de Dohna reçut ordre de se
rendre en Saxe , et de ne laisser en Poméranie
qu'un corps sous M. de Platen , pour secourir
Colberg, que M. de Palmbach assiégeoit avec
15,000 Russes; il fut averti de diriger sa marche
sur Torgau, pour pouvoir de là se tourner du
côté qui auroit le plus besoin de sa présence;
M. de Finie prit le commandement du reste du
corps du prince Henri, qui tenoit le camp de
Gamig. Tandis que ces ordres partoient , le
maréchal Daun s'avança , et vint se camper
proche de l'armée du Roi. Un détachement
couvroit son flanc à Buciiwald , sa droite s'ap-
puyoit à Canne'vviiZ, d'où la ligne prenoit par
Belgern, Wurchen, Dressa, en forme de demi-
cintre convexe par Grubschutz et Strela ; sa
X4
328 HIST. BE LA GUERRE
réserve prit le poste de Hocbldrchen. Quelque
formidable que fût l'aspect de ces troupes, les
Prussiens en avoient d'autant moins à craindre,
qu^à peine les Autrichiens eurent-ils pris cette
position 5 cju'i! s se retranchèrent jusqu'aux dents.
Les deux points qui méritoient une attention
sérieuse, étoient la conservation de Bautzen, où
se trouvoient les vivres et la boulangerie de l'ar-
o
mée, et le moulin de Malschwitz , qui est sur
une hauteur, dont il ne falîoit pas souffrir que
l'ennemi s'emparât. Le Roi garantit la ville de
Bautzen contre les entreprises des Autrichiens
par un corps intermédiaire , qu'il plaça entre
cette ville et sa droite, et pour le moulin à
l'extrémité de la gauche, il n'y mit que des
vedettes de housards , pour que l'ennemi ne
s'apperçût point de l'importance dont nous
étoit ce poste. La raison d'en user ainsi étoit
que le moulin se trouvoit à la distance d'un
quart de mille de la gauche, de sorte qu'en gar-
dant la position de l'armée, on ne pou voit pas
le soutenir à cause de son éloignement, et l'im-
portance de ce moulin consistoit en ce que dans
la marche que le Roi méditoit de faire, il ne
pouvoit pas gagner Gœrlitz avant le maréchal
BE SEPT ANS. 32g
Daun, si les cololmes ne passoient au pied de
ce moulin, de sorte qu'au cas que l'ennemi y
eût placé des troupes , il falloit passer la Sprée
derrière le camp et la repasser plus bas , ce qui
faisoit un circuit de deux milles de détour
pour les troupes. Le maréchal Daun de son
côté supposoit que le Roi , lorsqu'il apprendroit
le siège de Neisse , ne trouveroit aucun autre
expédient pour se rendre en Silésie que celui
de l'attaquer, et ce fut là la raison qui lui fit
prendre cette position de Cannewitz et de Wur-
chen 5 et qui lui donna l'idée de se retrancher.
Cela parut même par une lettre qu'il écrivit à
M. de Harsch , dans laquelle il dit : " Faites
•5' votre siège tranquillement; je tiens le Roi,
■5» il est coupé de la Silésie, et s'il m'attaque, je
•>» vous en rendrai bon compte. '' Il en arriva
tout différemment de ce que le Maréchal ima-
ginoit. Le prince Henri partit avec son détache-
ment de Gamig; il passa par Marienschein , et
arriva le q 1 à l'armée du Roi , sans rencontrer
d'ennemis sur sa route. Tous les préparatifs de
la marche ne purent être achevés cjue le 24,
et le même soir l'armée se mit en mouvement.
La garnison de Bautzen servit d'escorte aux
TJ.
330 HIST. DE LA GUERRE
vivres de l'armée ; ce corps prit les devans dès
la nuit précédente , et passa par Kumerau, Neu-
dorf, Trauben et Culmen. L'armée marcha sur
deux colonnes. On forma l'arrière-garde sur la
hauteur du moulin à vent, d'où l'on prit par
Leichnau , Ischmitz , tournant entièrement la
droite de l'ennemi ; ensuite on se porta sur
Weyersdorf 5 et de là sur UUersdorf , où l'armée
campa. M. de Mœring , qui a voit eu l'avant-
earde du bagage, surprit près d'UUersdorf 300
cavaliers autrichiens, dont peu se sauvèrent, et
la colonne du Roi ayant donné près de Weyers-
dorf sur un bataillon de pandours qui ne se
croyoit pas exposé à l'ennemi , ce bataillon fut
totalement détruit. Le lendemain q6 l'armée
devança le jour, pour gagner Gœrlitz avant le
maréchal Daun. L'avant -garde, composée de
housards et de dragons, y arriva la première;
elle trouva d'abord un corps de cavalerie posté
derrière un défilé du côté de Pvauchertsvvalde :
il n'étoit pas possible de l'attaquer dans cette
position avantageuse; on fit en escarmouchant
ce que l'on put pour l'engager à combattre,
mais inutilemxent. On apprit enfin par un trans-
fuç^e que c'étoit le corps des carabiniers et gre-
DE SEPT ANS. 331
nadîers à cheval , commandé par un général
espagnol nommé d'Ayassas , et sur cet éclair-
cissement on résolut de choquer la fierté espa-
gnole, pour engager ce Général à passer le
défilé et à se laisser battre : pour cet effet des
housards le provoquèrent; il passa le défilé en
fureur et fondit sur ceux dont il se croyoit
insulté. Aussitôt les dragons le chargèrent et
culbutèrent sa troupe dans le même défilé qu'il
avoit passé avec tant d'imprudence. Il y perdit
800 hommes , que les Prussiens firent prison-
niers, d'Ayassas se sauva sous la montagne dj
Landskron, où le prince de Durlach venoit d'ar-
river avec la réserve qu'il comm.andoit. L'in-
fanterie de l'avant -garde prussienne arriva en
même temps, on s'en servit pour s'emparer de
Gœrlitz, qui se rendit sans grandes difficultés.
L'armée du Roi y appuya sa gauche , sa droite
fut poussée à Girbiesdorf et Ebersbach. Ce
flanc étoit couvert par un ruisseau bourbeux ,
qui coule dans un fond dont le revers du côté
des Prussiens étoit escarpé. Les Autrichiens arri-
vèrent l'après-midi; le maréchal Daun étendit
son armée derrière la Landskron , d'Osseg vers
Marckersdorf. Le Roi fut obligé de rester dans
332. HIST. DE LA GUERRE
ce camp , pour donner quelques jours à l'arran-
gement des vivres, de sorte que l'armée ne put
se mettre en marche que le 30. Les troupes
décampèrent de nuit , pour passer la Neisse
avant que l'ennemi en pût être informé. On
trouva M. Laudon embusqué dans le bois de
Schœnberg. Les Prussiens faisoient cette marche
légèrement, parce que les bagages et les vivres
avoient pris la route de Naumbourg-am-Queis.
L'arrière-garde fut toutefois attaquée proche de
Schœnberg , et ce ne fut qu'une bataille durant
toute la route : M. Laudon y étoit encouragé
par un renfort de iq,ooo hom.mes que le maré-
chal Daun lui avoit envoyé; de son côté S.A. R-
le prince Henri , qui commandoit cette arrière-
garde, fit de si bonnes dispositions en soute-
nant les brigades réciproquement , en posta
d'autres si à propos , afin de recevoir celles qui
se retiroient pour continuer leur chemin, qu*il
n'y eut que du temps de perdu. A la vérité,
M. de Bulow, lieutenant-général et environ qoo
soldats furent blessés ; il n'y eut d'ailleurs de
tués que 15 hommes tout au plus. A Laubau
il fallut préparer des ponts sur le Quels , ce qui
fit perdre un jour. Le 1 de Novembre l'armée
DE SEPT ANS. 333
prit la route de la Silésie; on se prépara surtout Novem-
à bien recevoir l'ennemi à l'arrière-garde , car sa ^^^'
force se trouvoit assez considérable pour méri-
ter cette attention. Le camp prussien avoit ses
deux ailes sur deux croupes de montagnes, qui
aboutissoient chacune vers le Oueis ; plus on
approchoit de Lauban , plus les hauteurs domi-
noient celle du camp. On forma sûr chacune
de ces hauteurs une arrière -garde séparée. Le
Roi se trouvoit à la croupe de la droite , le
Mugrave à celle de la gauche, des housards
furent placés dans le fond entre ces deux corps
d'infanterie pour agir selon le besoin. Derrière
ces premiers corps , des brigades d'infanterie et
d'artillerie en échelons occupoient les hauteurs
dominantes , pour que chaque corps qui se
replioit, pût se retirer sous la protection d'un
autrd. Au premier mouvement rétrograde (jue
firent les troupes prussiennes , M. Laudon accou-
rut plein d'ardeur pour entamer cette arrière-
garde ; il ne s'en fallut presque rien que les
housards ne le fissent prisonnier. Il voulut
occuper le premier emplacement que le Roi
venoit de quitter, il y menoit déjà son artille-
rie, mais le feu préparé des batteries prussien-
334 HIST. DE LA GUERKE
nés démonta son canon , mit son infanterie en
désordre, et l'obligea de s'enfuir. II tâcha de
renouveler cette manœuvre à trois reprises , et
toujours inutilement, car des feux préparés
de même que le premier lui firent essuyer la
même chose. Les housards de Puttkammer,
embusqués dans un bois, donnèrent enfin sur
son monde, et le dégoûtèrent pour ce jour-là
d'inquiéter la marche des Prussiens. S. A.R. ,
qui s'étoit postée à l'autre bord du Queis , y
reçut l'arrière -garde, après quoi le Roi et son
frère se séparèrent; le Roi marcha par Lœvv'en-
berg 5 Pombsen , Jauernick et Girelsdorf à Nos-
sen, le prince Henri se rendit à Landshut, où
il releva M. de Fouquet, qui vint joindre le
Roi sur la route de Neisse.
M. de Harsch assiégeoit Neisse depuis le qo
d'Octobre. Son attaque étoit dirigée sur le fort
de Prusse du côté de Heidersdorf. La seconde
parallèle achevée se trouvoit à 30 toises du
chemin couvert , et toutes les batteries étoient .
montées. Quoique le maréchal Daun y eût '
envoyé des secours par le chemin de Siiber-
berg, sur le bruit répandu de l'approche du
Rpi les Autrichien* levèrent le siège. M. de
\
DE SEPT ANS. 335
Treskow, commandant de la place, saisit ce
moment , et fit une sortie où l'ennemi perdit
800 hommes; MM. de Harsch et de Ville se
retirèrent en hâte, ils passèrent la Neisse et se
replièrent par Ziegenhals à J'^gerndorf , en
abandonnant aux environs de Neisse des amas
considérables de munitions de guerre , qu'on
ne leur donna pas le temps de transporter.
M. de Fouquet suivit les ennemis dans la
haute Silésie , et s'établit à Neustadt , d'où il
pouvoit le mieux les observer. A peine les
troupes furent -elles arrivées près de Neisse,
que le Roi entreprit une nouvelle expédition.
Après le départ des Prussiens de la Lusaçe,
le maréchal Daun avoit pris le 4 d'Octobre
le chemin de l'Elbe; le 7 il passa cette rivière
à Lohmen, et prit le camp de Pirna : M. de
Finck , qui étoit demeuré à Gémich (Gamig)
depuis l'absence de S. A. R. , ne put mainte-
nir cette position contre un nombre aussi supé-
rieur d'ennemis; il se replia sur le Windberg,
et de là sur Kesselsdorf , pendant que le maré-
chal Daun détacha les troupes des cercles vers
Eulenbourg, Torgau et Leipsic. Le comte de
Dohna étoit en marche de ce côté-là. Les Russes,
336 HIST. DE LA GUERRE
comme nous l'avons dit, avoient pris le chemin
de la Pologne, à l'exception de M. de Palm-
bach, qui, avec un détachement de quelques
milliers d'hommes avoit entrepris le siège de
Colberg, Ce général russe avoit poussé ses tra-
vaux avec force le q6 et le 27 d'Octobre, il
donna des assauts consécutifs au chemin cou-
vert de la place , et fut chaque fois vigoureuse-
ment repoussé ; il préparoit un nouvel assaut
pour le 2g, et les Russes avoient même arrangé
ides bateaux, au moyen desquels ils se flattoient
de passer le fossé capital , pour emporter la
place d'emblée. Le comte de Dohna ayant en-
voyé M. de Platen au secours de Colberg, ce
Général battit auprès de Greiffenberg un corps
d^observation que les Russes y avoient placé ,
après quoi il s'avança jusqu'à Treptow. Son arri-
vée dégoûta M. de Palmbach de sièges et d'as-
o o
sauts ; il se retira par Cœsshn et par Bublitz en
Pologne. La tranchée fut ouverte le 3 et la place
dégagée le 2g d'Octobre. Le sieur de Heyden,
commandant de la place, se distingua durant
ce siège par ses bonnes dispositions , sa vigi-
lance et sa fermeté. Le comte de Dohna attira
à lui M. de Wédel , qui avoit agi contre les
Suédois .
DE SEPT ANS. 337
Suédois 5 qui les avoit battus à Fehrbellin ,
poussé par Ruppin au-delà de Prenzlow, qui
avoit enlevé le détachement entier de Hessen-
stein dans la seigneurie de M. d'Arnim , et que
la victoire avoit suivi partout. M. de Man-
teufel le releva avec moins de troupes , et pen-
dant la marche de la Saxe M. de Wédel con-
duisit l'avant - garde du comte de Dohna.
Lorsque M. de Haddick arriva près de Torgau, 12
Tavant - garde prussienne y parut en même
temps ; M. de Haddick se replia par le bois sur i5»
Eulenbourg ; M. de Wédel le suivit à la trace ,
et quoique les ponts de TElster fussent rom-
pus , la cavalerie prussienne passa la rivière à
gué, et donna si à propos sur l'ennemi, que M.
de Haddick perdit qoo hommes et 3 canons.
Le comte de Dohna suivit M. de Wédel d'Eu-
lenbourg; il s'avança vers Leipsic, que .l'armée
des cercles avoit investi. Le prince de Deux-
ponts 5 intimidé par l'échec que M. de Eladdick
venoit d'essuyer, n'attendit pas l'approche des
Prussiens; le siècre fut levé : il se retira en hâte
sur Colditz ; de là il tourna vers Plauen , et
alla prendre dans l'Empire des quartiers du
côté de Hof et de Bareuth.
Tome m Y
338 HIST. DE LA GUERRE
Pendant que le prince de Deuxponts et M,
de Haddick fuyoient vers l'Empire, le maré-
chal Daun s'approchoit de Dresde. Le corps
prussien, trop exposé à Kesselsdorf , passa l'Elbe,
et se campa au faubourg du nouveau Dresde,
entre le Fischhaus et les Scheunen, M. de
Schmettau, qui étoit commandant de Dresde ^
voyant que les Autrichiens se préparoient à
s'emparer du faubourg de Pirna, y fit mettre
le feu. Le maréchal Daun ménageoit la jeune
cour qui étoit dans la ville; il est à présumer
que sans elle il auroit été plus entreprenant;
cependant les fossés de la place étoient bons.
Le Roi avoit quitté la Silésie; son avant-garde
se trouvoit au ^yeissenberg , de sorte que le
Commandant pouvoit en toute sûreté atten-
dre l'arrivée de ce secours. Le retour du Roi
acheva de déranger les projets du maréchal
Daun. Le comte de Dohna avoit expédié l'ar-
mée des cercles: la saison étoit avancée, et l'ar-
ïnée du Roi pouvoit dans trois marches être à
Dresde : toutes ces considérations inspirèrent au
maréchal Daun le dessein de se retirer. Il dé^
campa le 13 de Grunau et de Leibnitz , et rentra
Qîi Bohème , où il mit ses troupes en quartiers
BE SEPT ANS* 339
d'hîver. Sur la nouvelle de son départ 5 le mar-
grave Charles, qui étoit avec le gros de l'armée
à Gœrlitz , reçut ordre de ramener les troupes
en Silésie. Le Roi, qui étoit au Weissenberg,
poussa jusqu'à Dresde , où les arrangemens se
firent pour les quartiers d'hiver. Le comte de
Dohna retourna dans la Poméranie et le Meck-
lenbourg; M. de Hulsen s'établit à Freyberg
^ur les frontières de la Bohème ; M. d'Itzen-
plitz commanda à Zwickau ; et en Silésie on
tira un cordon le long des frontières de la Bo-
hème , de Greifenberg à Glatz; pour M. de
Fouquet, il occupa Jaegerndorf, Léobschutz,
Neustadt et les environs.
Nous n'avons fait cju'une légère mention
de la campagne des Suédois , auxquels on
n'avoit opposé que des détachemens de la gar-
nison de Stettin, jusqu'à ce que le Roi détacha
M. de Wédel du camp de Ramnau en Lusace.
Les prouesses des Suédois consistoient à péné-
trer dans le plat pays, lorsqu'ils n'y trouvoient
aucune opposition; un foible détachement les
réduisoit à la défensive, et bien loin d'avoir fait
des conquêtes , ils se trouvèrent trop heureux
qu'on leur permît pendant l'hiver de se can-
Y 3
340 HIST. DE LA GUERRE
tonner aux environs de Stralsund. Nous avons
également passé sous silence quelques détache-
niens que S. A. R. fit au commencement du
printemps vers Bareuth et Bamberg ; MM. de
Driesen et Meyer furent chargés de ces petites
expéditions , dont le but étoit de ralentir les
opérations de l'armée des cercles , et de répan-
dre la terreur chez les princes d'Allemagne qui
s'étoient déclarés contre le Roi.
Vous trouverez , en considérant le total de
cette campagne, qu'elle se distingue des autres
par la quantité des sièges qui furent levés ; il
n'y eut que deux places de prises , Schweidnitz
par les Prussiens , et le Sonnenstein par les
troupes de l'Empire. D'ailleurs le Roi leva le
siège d'Olmutz, les Russes ceux de Kustrin et
de Colberg, les Autrichiens ceux de Neisse et
de Dresde, et les troupes des cercles ceux de
Torgau et de Leipsic.
Après la fin de cette longue et fatigante cam-
pagne le Roi ayant fait raser les ouvrages du
Sonnenstein, retourna en Silésie, où il établit
son quartier général à Breslau.
DE SEPT ANS. 341
CHAPITRE IX.
De riih^er de 1758 à 1759.
J_/ A famille royale perdit cette année deux
personnes illustres; l'une fut le prince de Prusse,
tombé en langueur , qui fut emporté dès le
commencement de Juin par un catarre sufïo-
catif 5 dans le temps que les Prussiens assiégeoient
Olmutz. Son bon cœur et ses connoissances ,
qui annonçoient pour l'avenir un gouvernement
doux et heureux , le firent regretter. La mar-
grave de Bareuth fut la seconde. C'étoit une
princesse d'un rare mérite ; elle avoit l'esprit
cultivé et orné des plus belles connoissances,.
un génie propre à tout . et un talent singulier
pour tous les arts. Ces heureux dons de la
nature faisoient cependant la moindre partie de
son éloge. La bonté de son cosur , ses incli-
nations généreuses et bienfaisantes, la noblesse
et l'élévation de son ame , la douceur de son
caractère , réunissoient en elle les avantages
brillans de l'esprit à un fond de vertu solide,
Y 3
342 HIST. DE LA GUERUE
qiîi ne se démentit jamais. Elle éprouva sou-
vent l'ingratitude de ceux qu'elle avoit comblés
de biens et de faveurs, sans qu'on pût citer un
exemple qu'elle eût jamais manqué à personne.
La plus tendre, la plus constante amitié unissoit
le Roi et cette digne sœur. Ces liens s'étoient
formés dés leur première enfance ; la même
éducation et les, mêmes sentimens les avoient
resserrés ; une fidélité à toute épreuve des deux
parts les rendit indissolubles. Cette princesse,
dont la santé étoit foible, prit si fort à cœur les
dangers qui menaçoient sa famille, que le cha-
grin acheva de ruiner son tempérament. Son
mal se déclara bientôt ; les médecins reconnu-
, rent que c'étoit une hydropisie formée ; leurs
remèdes ne purent point la sauver; elle mou-
175s. rut le 14 d'Octobre avec un courage et une
fermeté d'ame digne des plus intrépides phi-
losophes. Ce fut le jour même où le Roi fut
battu à Hochkirchen par les Autrichiens. Les
Romains n'auroient pas mancjué d'attribuer à
ce jour ime fatalité , à cause de deux coups
aussi sensibles dont le Roi fut frappé en même
temps. Dans ce siècle éclairé on est revenu de
ces stupides erreurs qui faisoient croire à des
BE SEPT ANS. 343
jours heureux ou sinistres. La vie des hommes
ne tient qu'à un cheveu ; le gain ou la perte
d'une bataille ne dépend que d'une bagatelle.
Nos destins sont une suite de l'enchaînement
, général des causes secondes, qui dans la foule
des évènemens qu'elles amènent en doivent
nécessairement produire d'avantageux et de
funestes. La même année termina le pontificat
du pape Benoît , le moins supersdtieux et le
plus éclairé des pontifes qui depuis long-temps
eussent occupé le siège de Rome. Les factions
françoise, espagnole et autrichienne lui donnè-
rent pour successeur le Vénitien Rezzonico ,
qui prit le nom de Clément XIII. La diiTé-
rence du génie de ces deux papes frappa d'au-
tant plus le public, que Clément, peut-être
bon prêtre , manquoit des talens nécessaires
aux souverains de Rome pour gouverner leurs
Etats et l'Église universelle. Ses premiers pas
dans le gourverneinent pontifical furent de
fausses démarches; il envoya au maréchal Daun
une toque et une épée bénites , pour avoir
battu les Prussiens à Hochkirclien, quoique de
tels présens, selon l'usnge de la cour/omaine,
ne se fassent qu'à des généi-aux qui ont vaincu
Y 4
344 HIST. DE LA GUERRE
des nations infidèles , ou dompté des peuples
barbares. Cette conduite le brouilloit donc
nécessairement avec le roi de Prusse, qu'il de-
voit ménager à cause du grand nombre des su-
jets catholiques établis dans les Etats de sa domi-
nation. Ce Pape eut avec le Roi de Portugal
des démêlés plus importans au sujet des Jésuites.
Ces pères avoient fait la guerre aux Espagnols
et auxPurtugais dans le Paraguay, et les avoient
même battus. Depuis ces brouilleries le roi
de Portugal ne jugea plus convenable de con-
fier les secrets de sa conscience et de son gou-
vernement à des membres d'une société qui avoit
agi comme ennemie de son royaume. 11 renvoya
le Jésuite dont il s'étoit servi , et choisit un con-
fesseur d'un autre ordre de religieux. Les Jésuites,
pour se venger de cet affront , qui droit d'au-
tant plus à conséquence que la conduite du E.oi
pouvoit être imitée par d'autres souverains, ca-
balèrent dans l'Etat et excitèrent contre le gou-
vernement tous les grands du royaume sur les-
quels ils avoient du crédit. Le père Malagrida ,
animé d'un zèle plus ardent, d'une haine théo-
logale plus vive que ses confrères , parvint par
ses intrigues à tramer une conspiration contre la
DE SEPT ANS. 345
personne du Roi , dont le duc d'Aveiros se dé-
clara le chef. Ce duc , sachant que le Roi de-
voit se promener en carosse, embusqua des
conjurés sur le chemin où le prince devoit
passer. Le cocher fut tué du premier coup , et
du second le Roi eut le bras cassé. Long-temps
après, le secret de la conjuration fut découvert
par des lettres que les chefs du parti écrivoient
au Brésil pour y causer un soulèvement. Le
duc d'Aveiros et ses complices furent arrêtés;
ils déposèrent unanimement que cet attentat
leur avoit été suggéré par les Jésuites, instiga-
teurs de tout ce qui venoit d'arriver. Le R.oi
voulut faire une punition exemplaire des au-
teurs de cet abominable complot. Son juste
ressentiment , armé des lois , soutenu par les
tribunaux , devoit éclater contre les Jésuites.
Le Pape prit leur défense et s'y opposa ouver-
tement. Toutefois ces pères furent bannis
du royaume; ils allèrent à Rome, où ils furent
recueillis non comme des rebelles et des traî-
tres , mais comme des martyrs qui avoient
souffert héroïquement pour la foi. Jamais Ijl
cour de Rome n'avoit donné un tel scandale.
Quelque vicieux que. fussent les pontifes que
346 HIST. DE LA GUERRE
les siècles précédens avoient détestés, aucun
d'eux cependant ne s'étoit ouvertement déclaré
le protecteur du crime et des assassinats. La
conduite peu judicieuse du Pape parut influer
sur tout le clergé; la toque bénite qu'il avoit
envoyée au maréchal Daun excita une efferves-
cence de zèle bizarre chez les souverains ecclé-
siastiques d'Allemagne. L'électeur de Cologne
antr'autres publia un édit dans ses États , par
lequel il défendoit à ses sujets protestans, sous
de grièves peines , de se réjouir des avantages
que les Prussiens ou les alliés pourroient rem-
porter sur leurs ennemis. Ce fait, qui par lui-
même mérite peu d'être rapporté , doit pour-
tant être cité, parce c^u'il caractérise l'absurdité
des mœurs d'un siècle dans lequel la raison a
fait d'ailleurs tant de progrès. Mais ces farces ,
qui se passoient aux petites cours , n'attiroient
sur elles que les sifflets du public, au lieu que
les passions qui agitoient les grandes cours dt?
l'Europe, produisoient des scènes plus funestes'
et plus tragiques. Nous avons vu, il n'y a pas
long-temps, à Versailles l'abbé de Bernis de-
venir ministre des affaires étrangères, et bientôt
cardinal, pour avoir signé le traité de Vienne»
DE SEPT ANS. 347
Tant qu'il fut question d'établir sa fortune ,
toutes les voies" lui furent égales pour y par-
venir; mais aussitôt qu'il se vit établi, il tacha
de se maintenir dans ses emplois en se condui-
sant par des principes moins variables et plus
conformes aux intérêts permanens de l'Etat.
Ses vues se tournèrent toutes du côté de la
paix, afin de terminer d'une part une guerre
dont il ne prévoyoit que des désavantages , et
d'une autre pour tirer sa nation d'une alliance
contrainte et forcée , dont la France portoit le
fardeau, et dont la maison d'Autriche devoit
seule retirer tout le fruit et toute l'utilité.
S'adressant à l'Angleterre par des voies sourdes
et secrètes, il y entama une négociation pour
la paix; mais la marquise de Pompadour étoit
d'un sentiment contraire, et aussitôt il se vit
arrêté dans ses mesures. Ses actions imprudentes
rélevèrent, ses vues sages le perdirent; il fut
disgracié pour avoir parlé de paix, et envoyé
en exil dans l'évêché d'Aix. M. de Choiseul ,
lorrain de nation , ambassadeur de France à
la cour de Vienne , fils de M. de Stainville ,
ambassadeur de l'Empereur à Paris , devint mi-
nistre des affaires étrangères à la place du Car-
348 HIST, DE LA GUEKRE
dinal disgracie. Il signala son entrée dans le'
ministère par un nouveau traité d'alliance qu'il
conclut avec la cour de Vienne , et dont nous
donnons la copie à la fin de ce chapitre , pour
ne point interrompre le tableau général que
nous offrons au lecteur. En le parcourant vous
vous appercevrez de l'ascendant que la cour
de Vienne avoit pris sur celle de Versailles , et
qui n'alla depuis qu'en augmentant. M. de
Choiseul, non content du traité désavantageux
qu'il venoit de conclure avec l'Impératrice-
reine, ordonna au nom du Roi à l'académie des
inscriptions de frapper une médaille qui éter-
nisât la mémoire de cet événement. Ces deux
cours ne s'en tinrent pas là : elles employèrent
leur commun crédit à la cour de Péterbourg
pour ranimer la haine de l'impératrice Elisabeth
contre le roi de Prusse; elles lui représentèrent
qu'il convenoit de laver la tache que ses trou-
pes avoient reçue à Zorndorf , en mettant le
printemps prochain une armée plus nombreuse
en campagne. Son favori ne cessoit de lui ré-
péter que pour changer en terreur le m-épris
des Prussiens pour les Russes , il falloit ordon-
ner aux généraux qui commanderoient ces
DE SEPT ANS. 349
troupes 5 d'agir avec la plus grande vigueur , et de
suivre en tout les impulsions qu'ils recevroient
des puissances alliées. Toutes ces insinuations
menoient au but qu'avoit la cour de Vien-
ne 5 de charger ses alliés des hazards de la
guerre, et de se ménager pour en retirer seule
l'avantage.
Le roi de Pologne étoit mêlé dans toutes
ces intrigues; non seulement il aigrissoit la cour
de Péterbourg contre celle de Berlin, mais vou-
lant encore tirer de l'amitié de l'impératrice Eli-
sabeth des avantages pour sa famille , il la solli-
cita de procurer par son assistance le duché de
Courlande à son troisième fils , le prince Char-
les. L'Impératrice, favorable aux Saxons, con-
sentit à cet établissement, et Auguste II investit
son fils de ce duché. Le nouveau duc alla à
Péterbourg , pour remercier l'Impératrice de
cette faveur. Ce prince inquiet et ardent prit
part à toutes les intrigues de la cour ; ses pro-
cédés le brouillèrent avec le Grand-duc et son
épouse ; il s'attira leur inimitié , et cette haine
le perdit dans la suite.
Tandis que l'impératrice de Russie donnoit
des duchés et s'approprioit des royaumes, elle
350 HIST. DE LA GUERRE
n'étoit pas elle-même sans appréhension; elle
craignoit que les Anglois, alliés des Prussiens
et mécontens de la conduite des Russes envers
eux depuis le eommencement de la guerre 5
n'envoyassent une flotte dans la Baltique, pour
brûler le port de Cronschlott. Pour prévenir de
pareilles entreprises, ses ministres négocièrent
un traité d'association avec les couronnes de
Suède et de Danemarclc , afin d'interdire le pas-
sage du Sund aux flottes étrangères. Cette
convention , où les Suédois trouvoient leur
compte 5 et à laquelle les subsides de la France
obligeoient les Danois de se conformer, fut
promptement conclue entre ces trois puissances,
L'Angleterre ne s'embarrassoit guères des mesu-
res que prenoient les puissances du Nord , pour
défendre à ses escadres l'entrée de la Baltique ;
elle dominoit sur l'Océan et sur toutes les autres
mers , sans s'inquiéter de la Baltique , ni du Sund.
Ses amiraux Bocscawen et Amhorst avoient piis
Cap Breton : le S^. Keppel s'étoit rendu maî-
tre de l'île de Corée sur les côtes d'Afrique. Les
Indes leur offroient des conquêtes; les côtes du
Daneniarck, de la Suéde, de la Russie ne leur
en offroient aucune. Ces grands"" progrès de?
DE SEPT ANS. 351
Anglois ne soulageoient point le Roi du far-
deau qu'il portoit et des risques que sa cou-
ronne avoit à courir. Il avoit demandé en
vain aux Anglois une escadre , pour couvrir
ses ports de la Baltique , menacés par les armé-
niens des flottes russes et suédoises. Le sieur
de Rexin, ministre du Roi à la Porte, fut sans
cesse traversé dans sa négociation par le sieur
Porter, ministre de la Grande-Bretagne. D'ail-
leurs, le nouvel empereur des Turcs, sans édu-
cation, étoit ignorant dans les affaires, et d'une
timidité extrême , tant par la crainte d'être dé-
trôné que par celle du mauvais succès de ses
armes , s'il s'engageoit dans une guerre avec
la maison d'Autriche. Quelque grandes que
fussent les sommes qui passoient à cette cour,
quelque voie de corruption qu'on tentât, les
affaires n'en furent guères avancées , à cause
que les Autrichiens et les François répandoient
de l'argent et faisoient des largesses avec la
même profusion, et que les Turcs trouvoient
plus leur compte à recevoir des récompenses
pour ne rien faire que pour entrer en action.
Les efforts inutiles que le Roi avoit faits à la
Porte 5 le persuadèrent de plus en plus que
352 HIST. DE LA GUERRE
n'ayant aucun secours étranger à attendre, il ne
devoit recourir qu'à ses propres ressources. Son
attention se tourna uniquement sur son arméej
on leva autant de monde que Ton put, on
arma, on remonta, on approvisionna les trou-
pes, afin de s'opposer dans la campagne pro-
chaine avec une armée bien conditionnée et
nombreuse, à la multitude d'ennemis que les
Prussiens auroient à combattre.
Extrait du traité d'alliance conclu
à Versailles le 30 Décembre 1758
entre l'Impératrice - reine et le roi
de France.
Ce traité paroît avoir été conclu en opposi-
tion de la convention de subsides qui avoit été
signée le 1 1 Avril de la même année entre les
cours de Prusse et d'Angleterre. Il en est fait
mention dans le préambule , et il y est dit en
autant de termes : Que comme on ne pouvait
espérer de rétablir la tranquillité de F Allemagne
que par ïaffoiblissement de la puissance perni-
cieuse du roi de Prusse , le roi très - Chrétien et
f Impératrice - reine avoieut jugé à propos de
resserrer les nœuds de leur union par un traité
de
]DE SEPT ANS. 353
cortfirmanf du traité de Versailles du 1 de Mai
17365 et de consfenir des moyens les plus pro-
pres pour forcer f agresseur de donner satisfaction
aux lésés et sûreté pour ï avenir , et pour établir
solidement le repos de ï Allemagne ^ en réduisant
le roi de Prusse dans des bornes qui ne lui per^
missent plus de troubler^ au gré de son ambitioji
et de celle de [Angleterre ^ la tranquillité générale
et celle de ses voisins. On passe ensuite au traité
même, qui contient les articles suivans:
Art. 1. Les deux parties confirment le traité
de Versailles du 1 Mai 1736, et le prennent
pour base de la présente convention.
Q. Le roi de P'rance promet de fournir à
rimpératrice-reine , pendant tout le cours de la
présente guerre, un secours de 18,000 hommes
d'infanterie et de 6,000 hommes de cavalerie,
soit en troupes, soit en argent, au choix de
rimpératrice-reine.
3. Ce secours en argent est évalué à 3 mil^
lions 456,000 florins par aîi.
4. Le roi de France se charge seul du sub-
side à payer à la Suède.
3. Il promet de soudoyer le corps des trou-
pes saxonnes, et de le renvoyer à la disposition
Tome III. Z
354 HIST. DE LA GUERRE
de l'Impératrice - reine , dés qu elle le deman-
dera.
6. Les deux parties s'engagent de procurer
au roi de Pologne, électeur de Saxe, non seule-
ment la restitution de ses Etats , mais aussi un
dédommagement proportionné.
7. Le roi de France promet d'employer
cent mille hommes en Allemagne , pour cou-
vrir les Pays - bas autrichiens et les Etats de
l'empire.
8. La sûreté des côtes de Flandres ayant
exigé que les places d'Ostende et de Nieuport
fussent mises à l'abri de toute insulte , et le
Roi très-Chrétien ayant voulu se charger de la
défense de ces deux places , elles demeureront
confiées à la garde de ses troupes pendant
tout le temps que durera la présente guerre
entre la France et l'Angleterre ; mais cet arran-
gement, uniquement relatif à la sûreté desdi-
tes places, ne doit porter aucun préjudice au
droit de souveraineté de l'Impératrice-reine.
9. Le roi de France promet cependant de
restituer les places de Nieuport et d'Ostende,
même avant sa paix avec lAngleterre, &i on
en convenoit ultérieurement.
DE SEPT ANS. •353
10. Les pays conquis sur le roi de Prusse
seront gouvernés et administrés au nom et par
les commissaires de l'Impératrice - reine ; mais-
les revenus publics appartiendront au Roi très-
Chrétien, à l'exception de 40,000 florins pré-
levables pour les frais de l'administration.
11. Les deux parties s'engagent à terminer
à l'amiable les discussions particulières qu'elles
pourroient avoir.
1 2. Le Roi très- Chrétien promet de faire tous
ses efiorts pendant la guerre, et d'employer aux
conférences pour la paix ses bons oflices les
plus efficaces , pour qu'au traité à conclure
entre l'Impératrice- reine et le roi de Prusse,
le duché de Silésie et le comté de Glatz soient
cédés et assurés à la maison d'Autriche, et il se
charge d'avance de la garantie de tout ce qui
sera stipulé à cet égard entre l'Impératrice-reine
et le roi de Prusse.
13. Les deux parties s'engagent à ne faire
ni paix ni trêve avec leurs ennemis communs ,
que d'un parfait concert. Le roi de France
promet de ne faire ni paix ni trêve avec le roi
d'Angleterre 5 sans convenir avec lui qu'il fer;j
tous ses efforts pour engager le roi de Prusse
Z 2
356 HIST. DE LA GUEURE
à accorder à Sa Majesté impériale des condi-
tions justes et honorables 5 ou du moins sans
obliger le roi d'Angleterre à promettre qu'il
ne donnera plus de secours au roi de Prusse;
et l'Impératrice -reine s'engage à ne faire ni
paix ni trêve avec le roi de Prusse qu'aux
mêmes conditions.
14. Pour rassurer les Etats protestans , on
confirme le traité de Westphalie , et on s'ac-
corde d'inviter la couronne de Suède d'accéder
au présent traité.
13. L'Impératrice -reine renonce à son droit
de réversion des duchés de Parme, de Plai^
sance et de Guastalle , en faveur des descendans
mâles de l'Infant Don Philippe.
i5. Les deux parties s'engagent d'agir de
concert avec le duc de Parme auprès du roi
des deux Siciles, pour fixer l'ordre de succes-
sion dans le royaume des deux Siciles.
17. En retour de la renonciation énoncée
dans l'ardcle 13, le Roi très - Chrétien promet
d'employer ses bons offices pour déterminer le
roi de Naples à céder à l'Empereur ses préten-
tions sur les biens allodiaux des maisons de
Médicis et de Farnèse.
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DE SEPT ANS. 357
18. L'Infant duc de Parme renonce à ses
prétentions sur les biens allodiaux des maisons
de Médicis et de Farnése, aussi bien que sur les
villes de Bozzolo et de Sabionetta.
ig. Le Roi très -Chrétien promet de con-
courir par ses bons offices pour que l'archiduc
Joseph soit élu roi des Romains , d'une ma-
nière conforme aux constitutions de l'Empire.
Qo. Les deux parties conviennent de ne
prendre aucunes mesures par rapport à la fu-
ture élection d'un roi de Pologne , que d'un
concert commun ; et leur but n'étant que de
maintenir la liberté de la nation polonoise, elles
déclarent dés-à-présent , c]ue si le choix libre
de la république venoit à tomber sur un prince
de la maison de Saxe , elles l'appuieront de
leur mieux.
Qi. L'Impératrice-reîne étant convenue avec
le duc de Modène du mariage de l'archiduc
Léopold avec la princesse de Modène , et
voulant demander à l'Empereur et à l'Empire
l'expectative à la succession féodale de Modène
en faveur de l'archiduc Léopold , à condition
que les Etats de Modène ne soient jamais unis
à la masse des Etats de la maison d'Autriche ,
33§ HIST. DE LA GUERRE 5 CtC.
le roi de France promet d y concourir par ses
bons offices.
î2Q. On invitera d'accéder à ce traité, l'Em-
pereur 5 l'impératrice de Russie , et les rois de
Suède et de Pologne.
Les deux derniers articles , ainsi que les trois
articles séparés, ne roulent cpe sur de ^simples
formalités.
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