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5«4^.
OEUVRES
DE BOSSUET.
TOME XIII.
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t^ottoetiu^
A VERSAILLES,
LEBEL, Editeur, imprimeur du Roi et de l'Évéché, rue
Satory, u.» 123.
A PARIS,
LE TSORMANT, imprimeur-libraire, ruedeSeine,n.«>3j
PILLET, imprimeur-libraire, rue Christine, n,« 5 5
BRUNOT-LABBE, libraire, quaidesAugustins, u/^33 j
BLAISE, libraire, quai des Augustins , n.** 61 ;
LECLÈRE, libraire, quai des Augustins, n.** 35j
BOSSANGE ET MASSON, imprimeurs - libraires , rue
de Tournon 5
RÉNOUARD, libraire, rue Saint-André-des-Arts;
Chez ( TREUTTEL et VURTS , libraires , rue de Bourbon j
FOUCAULT, libraire, rue des Noyers, n.«* 87 j
AUDOT, libraire, rue des Mathurins- Saint -Jacques,
n.° 18;
POTEY, libraire , rue du Bac;
GOUJON, libraire de LL. AA. RR. Mesdames Duchesses
de Berry et d'OaLÉANs, rue du Bac, n.® 33;
DELAUNAY, libraire, Palais-Royal , galerie de Bois.
A BAYEUX,
GROULT, libraire.
ET A BRUXELLES,
LE CHAROER, libraire.
OEUVRES
DE BOSSUET,
ÉVÊQUE DE MEAUX,
REVUES SUR LES MANUSCRITS ORIGINAUX,
ET LES ÉDITIONS LES PLUS CORRECTES.
TOME XLII.
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A VERSAILLES,
DE L'IMPRIMERIE DE J. A.' LE BEL,
IMPRIMEUR DU ROI.
18.9.
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I ■
LETTRES
SUR l'affaire
DU QUIÉTISME.
BOSSUET. XLII.
LETTRES
SUR l'affaire
DU QUIÉTISME.
LETTRE CCCLXI.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur sa Réponse à M. de Cambrai j la censure des docteurs ; une
bulle de Jean XXII j les précautions à prendre, et les aveux de
Fénélon.
J'ai reçu ici, en y arrivant vendredi pour la Tous-
saint, votre lettre du i4 octobre. Je retourne de-
main à Fontainebleau , dont je ne repartirai qu'avec
le Roi. Je repasserai par ici, et ne tarderai pas d'aller
à Paris.
Je souhaite avoir bientôt des nouvelles du succès
de ma Réponse à celle de M. de Cambrai. Si le cour-
rier a tenu parole, vous devez l'avoir depuis quinze
jours. Je puis vous assurer qu'elle fait ici un prodi-
gieux effet pour la bonne cause, et contre M. de
Cambrai. M. l'abbé Régnier achève sa version à la
campagne. Je lui ai envoyé copie de l'article de
votre lettre qui le regarde ; cela lui donnera du
courage. Je lui ai mandé que quand la décision pré-
céderoit sa version , elle n'en seroit que plus utile
et plus recherchée.
Vous mettez la chose au vrai point de la question ,
4 LETTllES
quand vous la faites consister dans le pur amour du
cinquième degré, placé par M. de Cambrai au-
dessus du pur amour de l'Ecole. Je me suis fort atta-
ché à suivre cette idée dans le Summa et dans la
Préface contre l'Instruction pastorale de M. de
Cambrai, dans le second des cinq Ecrits, et sur-
tout dans ma dernière Réponse vers la fin (i). Il n'y
a qu'à joindre à cela le sacrifice absolu de son salut
éternel et ses dépendances.
Vous avez vu sans doute une sorte de censure ,
signée par beaucoup de docteurs. Le père Roslet a
ordre de vous la communiquer pour la rendre pu-
blique , si vous le jugez à propos : pour moi je n'y
vois nulle difficulté. Quand on Ta dressée et signée ,
j'étois dans mon diocèse, où M. de Paris me l'en-
voya : elle est très-bien. On la donne pour ce qu'elle
est; c'est-à-dire, pour l'avis de beaucoup de parti-
culiers seulement, sans autorité du corps. Elle
rembarrera les Cambrésistes , qui se vantent d'avoir
l'Ecole pour eux, et fera voir l'uniformité de nos
sentimens. Toute cette censure est dans l'esprit de
la Déclaration , du Summa , des In tuto , etc.
Néanmoins voyez sur les lieux avec le père Roslet,
quelle est la disposition des esprits. J'ai vu une
lettre de ce Père, qui nous fait bien connoître l'état
des choses. Faites-lui beaucoup d'honnêtetés de ma
part.
Je vous indique une bulle de Jean XXII contre
les erreurs d'un nommé Ekard , Dominicain de Co-
logne, où sont condamnées vingt-huit propositions,
(*) Rem. sur la Rép. à la Relat. Couclus. §. m j tom. xxx, pag. 20 j
el suiv.
SUR l'affaire du quiétisme. 5
dont plusieurs ressentent beaucoup l'esprit du Quié-
tisme d'aujourd'hui, principalement la septième, la
huitième et la neuvième : mais l'on doit surtout re-
marquer les deux sortes de qualifications employées
dans cette bulle; l'une sur les erreurs précises, et
l'autre sur les ambiguités ; ce qui peut vous fournir
des vues pour insinuer de faire à peu près la même
chose. L'histoire d'Ekard, et la bulle dont je parle,
sont rapportées dans Rainaldus, tom. xv, an. 1^29,
^- l^y 1^> 1^ ^*^' Cet Ekard étoit pourtant un grand
spirituel , très -loué par Taulère et par d'autres,
comme le marque Rainaldus, il>id. n. 73.
Il y a quatre cents ans qu'on voit commencer des
raffinemens de dévotion sur l'union avec Dieu et
sur la conformité à sa volonté, qui ont préparé la
voie aux Quiétistes modernes. C'est pourquoi il se-
roit très-important d'engager Rome à donner une
admonition générale (**) contre l'abus qu'on fait des
paroles des pieux auteurs. Vous en trouverez une
parmi mes mémoires précédons. Il faut tâcher d'ins-
pirer ces vues.
Je ne doute pas que les deux lettres de M. de
Cambrai à M. de Chartres, en réponse à la Lettre
pastorale de ce prélat, ne tombent à Rome entre
vos mains. Dans la première, vous trouverez qu'il
reconnoît un double sens dans son livre, qui, dit-
il, est tellement soutenable l'un et l'autre, qu'à
Rome même on s'est partagé là -dessus. C'est con-
(*) Fleury a donné un extrait de cette bulle, Hist. ecclés. lir. xciir,
n. 59.
(**) Bossuet en avoit dressé une que Ton peut voir ci-dessus,
tom. xu, pag. 284.
6 LETTRES
venir clairement que re'quivoque règne dans tout
l'ouvrage. Je ne crois pas que jamais auteur ait fait
un pareil aveu. Lisez depuis la page cinquante- cin-
quième jusqu'à la soixante- dixième. S'il y a deux
sens soutenal)les selon lui, il faut qu'il y en ait un
troisième mauvais et inexcusable, et ce troisième
sens est le vrai , oh\>iuSj, d'où il avoue qu'on ne sort
que par des explications ambiguës.
Il faut voir aussi à la page soixante-huitième, com-
ment il répond à la protestation qu'il avoit faite de
n'avoir jamais eu d'autre pensée , après avoir avoué
qu'il n'avoit point parlé selon la sienne. Si l'on
n'ouvre pas les yeux à de semblables artifices, on
veut perdre l'Eglise. Trouvez le moyen d'avoir cette
lettre, qui doit être fort répandue à Rome. Faites
voir ces endroits, qui sont plus forts et plus éton-
nans que je ne puis vous le dire.
J'ai envoyé la lettre par laquelle je recommande
M. Madot au grand duc : je vous en enverrai une
autre par le premier ordinaire ; et je serai d'autant
plus ravi de servir ce gentilhomme, qu'il a un frère
ecclésiastique que j'estime fort, et qui nous a com-
muniqué plusieurs de ses lettres, qui sont d'un
homme habile et bien instruit.
Les arrangemens pour mon départ de demain, ne
me donnent pas le loisir de faire réponse au père
Campioni, ni a M. Phelippeaux.
A Mcaux, 2 novembre 1698.
SUR l'affaire du quiétisme.
LETTRE CCCLXII.
DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les notes que le prélat lui avoit envoyée?; les défiances que cet
abbé devoit avoir ; et le soin qu'on auroit en France d'appuyer
ses efforts.
J'ai reçu votre lettre du i4, Monsieur : fai bien
de la joie d'y voir que vous avez reçu le commence-
ment de mes notes sur la réplique de M. de Cam-
brai ; vous aurez eu le reste par les courriers sui-
vans. Je compte que vous en ferez l'usage qu'il faudra
pour le bien de TafTaire : la réplique étant devenue
si secrète, il n'est plus nécessaire que les réponses
paroissent.
Nous n'avons plus qu'à souhaiter que les cardi-
naux travaillent diligemment, et qu'ils recommen*
cent leurs congrégations après les fêtes, comme ils
l'ont promis. Le procédé du sacriste est ridicule de
toutes manières. Défendez - vous bien des coups
fourrés de la cabale : elle va redoubler ses efforts
et ses artifices. On tâchera de vous surprendre, si
l'on peut, et de découvrir toutes vos démarches :
ainsi vous devez assurément. Monsieur, vous fier à
peu de gens, et tout concerter avec nos amis. Le
père Roslet se loue fort de vous : je suis bien aise
que vous soyez content de lui. Il connoît très-bien
la Cour de Rome, et il a un grand zèle pour là
bonne cause : vous pouvez sûremerlt prendre con-
fiance en lui.
8 LETTRES
La nouvelle que le Pape venoit de recevoir à
votre dernière audience , devoit lui donner du cha-
grin : vous fîtes très-bien de ne lui pas parler, dans
cette disposition, long-temps de notre alTaire*
Le compliment du père Alfaro méritoit une sévère
correction : il doit avoir nui à la cause qu'il défend
avec tant de chaleur.
On écrira toujours fortement de ce pays : c'est
tout ce que nous pouvons faire, et prier Dieu qu il
bénisse vos soins et qu'il défende la vérité. Conser-
vez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, et croyez
que je suis à vous, Monsieur, très-sincèrement.
3 Novembre 1698.
LETTRE CCCLXIIL
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la Réponse de Bossuet à M. de Cambrai} ce qui avoit empêché
de parler de l'affaire dans la dernière congrégation des cardi-
naux j et les retards affectés du sacriste.
J'ai reçu par notre courrier extraordinaire, qui
est arrivé ici vendredi matin, dernier du mois d'oc-
tobre, votre Réponse à M. de Cambrai. Il est arrivé
deux jours plus tard qu'il n'auroit fait, par des rai-
sons qu'il m'a dites, et dont il m'a apporté de bonnes
preuves : enfin il est arrivé. Il ne me paroît pas tout-
à-fait content de ce qu'on lui a donné, protestant
avoir dépensé de son argent, et parce qu'il a été
obligé depuis Fontainebleau jusqu'à Turin de pren-
dre un troisième cheval, et parce qu'on ne lui a
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME. Q
pas tenu compte du change de l'argent et du rabais
des monnoies. Je lui ai dit que j'examinerois le tout
exactement, et qu'on ne lui feroit pas d'injustice;
je verrai cela à loisir. Il sera content, à ce qu'il
dit, de tout ce que je déterminerai. Il seroit bon
de m'envoyer un mémoire exact de ce qu'on lui a
donné.
Les fêtes ont empêclié que je n'aie pu faire relier
aussi vite que je l'aurois désiré le livi'e pour Sa Sain-
teté. J'ai pourtant si bien fait, que je l'ai eu ce
matin, quoique jour de fête , relié en maroquin avec
les armes, et un pour le cardinal Spada. Je comp-
tois de le mettre après dîner aux pieds de Sa Sain-
teté; mais il lui a plu de sortir, et cela a rompu
toutes les mesures que j'avois prises pour aujour-
d'hui. J'aurois été bien aise de pouvoir vous rendre
compte par ma lettre du succès de ma visite, mais la
réparation de ce défaut est remise à démain. J'ai
déjà fait prévenir Sa Sainteté sur cela par monsei-
gneur Giori et par le cardinal Spada, à qui j'ai en-
voyé à midi son livre avec une lettre instructive. Tous
les cardinaux du saint Office l'ont eu aujourd'hui,
excepté M. le cardinal de Bouillon à qui je le veux
porter moi-même demain, et qui n'étoit pas visible
aujourd'hui : il se pourra faire même que Sa Sainteté
l'ait avant lui. Cette Eminence ne sait pas encore
que votre réponse m'est parvenue, ni l'arrivée du
courrier. L'usage de M. le cardinal de Bouillon étant
de prévenir sous main le Pape contre ce que je lui
donne, je ne suis pas fâché que le Pape ait votre lettre
avant que ce cardinal en ait connoissajice ; ce qui
sera le plus tard qu'il se pourra.
10 LETTRES
La pièce est admirable, et telle que vos amis la
pouvoient désirer. Si elle e'toit en italien, les par-
tisans de M. de Cambrai seroient couverts de con-
fusion , quelque efTrontes qu ils soient ; mais le fran-
çais ne leur fera pas plaisir. Je doute que par le pre-
mier courrier nous puissions avoir nouvelle de TefFet
que cette réponse aura à Paris et à la Cour. Je vou-
drois bien que M. le nonce l'eût vue avant le lundi,
20 du passé, qui est le jour d'où seront datées les
lettres que nous recevrons par le premier courrier ;
mais nous ne pouvons pas retarder jusque-là la dis-
tribution : la pièce au reste parle par elle-même. Je
vous avoue que quelque bonne opinion que j'eussp
delà hardiesse à mentir de M. de Cambrai , je n'au-
rois jamais cru que les paroles qu'il dit que vous avez
dictées à madame Guyon, des erreurs quelle na^
voit jamais eues , etc. , fussent inventées d*un bout
à l'autre. C'est là le seul prétexte de sa relation ; et
cela étant faux, en vérité il n'a point d'autre parti
à prendre que de se cacher. Vous n'avez rien oublié
dans ce dernier écrit , et tout ce qu'on peut souhaiter
s'y trouve.
L'assemblée du saint Office de demain, s'est tenue
cette après-dînée, à cause d'une chapelle de demain
qui l'empêche. On croyoit avec fondement qu'on y
parleroit de l'affaire dont est question. M. le cardi-
nal Casanate me l'avoit dit il y a huit jours, et ce
matin encore : mais la sortie du Pape cette après-
dînée, venue tout-à-coup , a obligé les cardinaux du
palais d'accompagner Sa Sainteté , et la moitié des
cardinaux manquant à cette congrégation, il n'a pas
été mention de notre affaire, M. le cardinal de
SUR L*AFFAI11E DU QUIÉTISME. II
Bouillon n'a pas voulu y aller. Il n y a eu que cinq
cardinaux qui y aient assisté, qui sont Carpegna,
Casanate, Marescotti, Noris et Ferrari. Ils n'ont
pas laissé de parler un peu entre eux de notre affaire,
mais ce n'a pas été bien sérieusement. Pour moi, je
m'imagine que le Pape souhaite peut-être qu'on en
parle devant lui jeudi prochain. Si je suis assez heu-
reux pour tr(raver demain Sa Sainteté de bonne hu-
meur , je me propose de lui dire , s'il plaît à Dieu ,
bien des choses dans Taudience qu'elle me donnera.
J'ai reçu votre lettre du i3 , de Germigni : vous
étiez occupé ce jour-là à Meaux à recevoir madame
de Lorraine. M. le cardinal de Bouillon paroît un
peu démonté et consterné. Je doute que ses manèges
lui réussissent : il commence sûrement à appréhender
les suites pour son ami. Je n'ose pas dire certaine-
ment, mais plus que vraisemblablement, l'amour
pur est prêt à être condamné comme erroné : tout
au moins c'est là-dessus que je presse, n'étant pas en
peine des autres points. L'état sera assurément con-
damné. Sur les actes, on ne dira rien qui puisse
favoriser M. de Cambrai. Il faut qu'on décide que
dans la pratique les deux motifs ne sont pas sépa-
rables : sans cela je ne serai pas content tout-à-fait ;
avec cela nous aurons tout, et l'illusion sera abattue.
On n'oublie rien pour éclaircir les difficultés. Les
cardinaux Carpegna et Nerli se confirment tous les
jours plus que jamais dans leurs bons sentimens.
M. le Cardinal de Bouillon revint hier de Fres-
cati, et y doit retourner jeudi , après l'assemblée du
saint Office qui se tiendra devant le Pape. Les cardi-
naux haussent les épaules sur le sujet du cardinal de
I5fc LETTRES
Bouillon ; beaucoup disent qu ils n'osent parler : à
la fin on apprendra tout ; on n en sait de'jà que
trop. Je suis bien fâché que du côté de la Cour on
ne puisse pas empêcher le cardinal de Bouillon de
voter. Le père Roslet a eu ce matin une assez longue
audience du Pape : je ne sais pas encore ce qui s'y
est passé; il en rendra apparemment compte à
M. de Paris.
Les cardinaux étudient en vérité fortement.
Tout le salut de TafFaire a été de ne les avoir pas
pressés pendant le mois d'octobre.
La traduction de M. l'abbé Régnier est ici ap-
plaudie et admirée par les connoisseurs , vous pou-
vez l'en assurer. On a ses livres à Florence.
M. l'abbé Régnier se feroit grand honneur en
achevant son ouvrage, c'est-à-dire, en traduisant
votre réponse à M. de Cambrai.
Le sacriste ne se presse pas, il n'a pas encore
remis son vœu. Les cardinaux qui voient ce qu'il a
donné, ne doutent pas que les avis des autres ne lui
aient été communiqués : c'est une mauvaise réfuta-
tion. On est également persuadé de l'intelligence de
ce prélat avec M. le cardinal de Bouillon 5 elle est
certaine.
Rome, ce 4 novembre 1698^1
SUR l'affaire du quiétisme. i3
^J^/^^%r^-fci^(^r%^^'^ ».'%/%*%''W%'%^
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LETTRE CCGLXIV.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur deux lettres du cardinal Spada que le nonce avoit communi-
quées au Roi j les vues qu'il devoit présenter à ce cardinal sur la
décision qu il promettoit; et le danger des ménagemens dont on.
Touloit user.
J'ai reçu ici votre lettre du 21 du mois passé.
Hier M. le nonce me montra chez le Roi deux
lettres de même date, de M. le cardinal Spada, dont
la première portoit que vous l'aviez prié de lui
écrire que vous n'aviez jamais demandé de délai.
Il déclaroit dans les termes les plus clairs et les plus
précis, que bien loin d'en demander, vous n'aviez
pas cessé de presser une décision ; ce que ce car-
dinal déclaroit à ce ministre , afin qu'il se servît de
la connoissance qu'il lui en donnoit.
L'autre lettre de M. le cardinal Spada portoit
une espèce de reconnoissance envers le Roi, de
l'assurance que Sa Majesté avoit donnée au même
nonce, de faire exécuter le jugement du saint
Siège j à quoi il ajoutoit que l'on verroit au plus
tôt une décision qui couperoit la racine du mal ,
comme le Roi le souhaitoit.
M. le nonce s'étant présenté au sortir du dîner du
Roi comme ayant quelque chose à dire , le Roi le
fit entrer dans son cabinet, où ce ministre rendit
compte de la dernière dépêche du cardinal , dont
le Roi fut très-content. Il pressa plus que jamais
I 4 LETTRES
M. le nonce d'écrire de sa part tout ce qu'il y a de
plus fort.
Après ce compte de la dépêche principale , M. le
nonce dit au Roi qu'il ne pouvoit s'empêcher de dire
un mot sur votre sujet, et supplia Sa Majesté d'en-
tendre la lettre de M. le cardinal Spada, qui n étoit
que de quatre lignes. La lecture en fut écoutée
très-agréablement, et le Roi répondit qu'il ne dou-
toit pas que vous n'eussiez dit et fait tout ce qu'il
falloit ; qu'en effet on avoit répandu le bruit que
vous aviez demandé quelque délai , mais qu'il avoit
bien entendu que ce bruit étoit un de ceux que des
ennemis répandent pour en tirer avantage.
M. le nonce en dit autant à M. de Pomponne et à
M. de Torcy , de qui je l'ai su, et qui m'ont ajouté
que la chose s'étoit passée avec le Roi comme je
viens de vous le raconter. M. le nonce a fait cela
avec toute la démonstration possible de bonne vo-
lonté, et toute l'attention à nous faire plaisir. Il a
souhaité que je vous en informasse. Il en rend
compte à M. le cardinal Spada par une lettre de sa
main, et lui spécifie tout ce qu'il a dit et tout ce que
le Roi a répondu.
Je me suis cru obligé d'en faire mes remercîmens
à M. le cardinal Spada par la lettre ci-jointe (*) ,
que vous rendrez le plus tôt que vous pourrez à
cette Eminence, et que vous remercierez tant en
votre nom qu'au mien.
Vous ne manquerez pas de bien faire des remer-
cîmens à M. le nonce par une lettre expresse pour
(*) Nous u'avoQs point ceUe lettre.
^
SUR l'affaire du quiétisme.
cela et de témoigner à tous ses amis , comme nous
sommes sensibles à ses bonnes manières. 11 faut
faire en sorte que cela lui revienne par divers en-
droits. Je vous assure qu'il ne se peut rien de plus
honnête , ni de plus obligeant que son proce'dé.
Vous avez vu par mes précédentes , que le Roi
étoit bien informé et content de votre conduite,
dès le temps du séjour de Gompiègne. Il en avoit
encore été instruit par vos lettres à M. de Paris ,
qui les avoit envoyées à madame de Maintenon,
qui me Ta dit elle-même. Mais ce dernier éclaircis-
sement, poussé jusqu'à la dernière preuve, a pro-
<luit un grand effet.
Je n'ai voulu parler que de ce fait particulier dans
ma lettre à M. le cardinal Spada, pour ne point
mêler l'affaire générale avec la nôtre. Mais vous
pouvez lui dire que je vous ai informé de ce qu'il
avoit mandé à M. le nonce sur la prompte décision
qui doit couper la racine du mal , sur le compte que
ce ministre en a rendu au Roi , et sur la satisfaction
que Sa Majesté en a témoignée, qui est devenue
publique. Vous pourrez- ajouter que le moyen de
couper la racine , est de ne laisser aucune ressource
au livre des Maximes , ni à la doctrine de l'auteur ,
qui a révolté toute la France , et qui soulève à pré-
sent presque toute la chrétienté; que pour peu
qu'on ait de ménagemëns stir delà, M. de Cambrai
souple et adroit comme il est, ne cherchera qu'à
échapper ; ce qui tourneroit au grand dommage de
l'Eglise et de M. de Cambrai lui-même : mais que
plus on frappera fort sur la doctrine du livre, plus
l'auteur sera soumis, et plus l'affaire sera terminée
l6 LETTRES
avantageusement pour la religion ; ce qui n'empê-
chera pas qu'on ne fasse tout le bon traitement pos-
sible à la personne, en la regardant comme soumise
et obéissante, ainsi que ce prélat Ta promis dans ses
dernières déclarations.
Je suis persuadé que M. le cardinal Spada vous
montrera la lettre de M. le nonce, par où vous
verrez l'attention qu'il a eue à vous faire plaisir, et
qu'il désire que vous le sachiez.
Au reste, après une déclaration si authentique
faite au Roi de la part du Pape, je ne crois pas
qu'on puisse reculer, ni s'empêcher de faire quelque
chose de fort. Que signifieroit une bulle qui ne fe-
roit point mention du livre, quand même il au-
roit été condamné par un acte séparé du saint
Office (*)? Allez pourtant au-devant de tout, et
prévoyez tous les côtés dont on peut regarder
la chose.
Quant à l'amour pur de M. de Cambrai , on lais-
seroit la racine du mal en son entier, si l'on ne le
condamnoit pas. Il est absolument nécessaire de le
proscrire , en distinguant l'amour du quatrième de-
gré, de l'amour du cinquième degré, qui est celui
que M. de Cambrai nomme le pur amour. On peut
dire avec certitude, que sur ce point il n'a aucun
auteur pour lui. Vous trouverez dans la Quœstiun-
cula, et surtout dans ma dernière Réponse, Con-
(*) On a vu dans les lettres précédentes de l'abbé Bossuet, que
quelques cardinaux projetoient de réduire les trente-huit propo-
sitions extraites du livre de M. de Cambrai, à sept ou huit, de les
qualifier, de mettre au décret un préambule, dans lequel on expo-
seroit la doctrine catholique , mais de ne nommer, dans le décret,
ni l'auteur ni le livre.
clusion,.
SUR l'affaire du quiétisme. 17
clusion, %. m. de l'état de la question, n. 3, 4> 5, 6,
de quoi faire un excellent me'moire latin ou français
sur cette matière. Vous l'adapterez, mieux que je
ne pourrois le faire ici, aux dispositions pre'sentes
de ceux avec qui vous avez à traiter, et M. Plielip-'
peaux saura bien dire ce qu'il faut.
Il sera utile (*) qu*on trouve à Rome de quoi
mieux attaquer M. de Cambrai qu'on ne Ta fait ici :
nous laisserons aisément cette gloire, à ceux qui, re-
gardant de plus haut que nous, verront plus loin.
Mais de dire qu'on le défende mieux qu'il ne s'est
défendu , c'est dire qu'on l'entend mieux qu'il ne
s'est entendu lui-même.
Il me semble que j'ai démontré en peu de mots
l'inutilité de ses réponses, dans le Quielismus redi-
vwus ; Admonilione prœvid , depuis le n. i jusqu'au
311. En général cette admonition va très-nettement
au-devant de tout. Quant à ceux qui voudroient
avoir égard aux explications de M. de Cambrai, du
nombre desquels je crains que le cardinal Noris et le
cardinal Ferrari ne soient un peu, il faut leur repré-
senter vivement les variations et les erreurs de ces
explications. Consultez la section vu de la jRe/a-
tion. Voyez aussi dans la Réponse aux quatre lettres
de M. de Cambrai, la section xx (**), où je prouve
que l'explication donnée par l'auteur même à la
(*) On peut se rappeler ici ce que Fabbé Bossuet écrivoit à soa
oncle, dans sa lettre pénultième, sur les prétentions du cardinal
Noris, dont M. de Meaux a en vue le discours dans cet article.
(**) Les difFérens passages des livres publiés dans cette contro-
verse, auxquels Bossuet renvoie ici, se trouvent tome xxik, pui^. 65,
383, 395 et suiv. 63 1 j et toiUG xxx, pag. 207 et suiv.
Bossuet. xlii. 2
iB LETTRES
proposition de son livre sur le trouble involontaire
de Jésus -Christ, augmente Terreur au lieu de la
corriger.
Faites bien des re'flexions, et faites-en faire sur
la première lettre de ce prélat à M. de Chartres, et
sur la bulle de Jean XXII contre Ekard, rapportée
dans Raynaldus.
On attend dans peu de jours M. de Monaco : il ne
viendra qu à Versailles.
Il ne faut point du tout songer, comme je vous
l'ai déjà dit, à empêcher M. le cardinal de Bouillon
de voter. Personne n'approuve ici ce projet , par la
raison marquée dans ma lettre précédente. On fera
agir M. de Toureil : aucun de vos avis ne tombe à
terre.
Je ne crois pas devoir donner d'autre préservatif
que mon admonition, contre les expressions exagé-
ra tives et excessives de quelques pieux auteurs , non
plus que contre les spéculations trop abstraites. On
doit regarder dans tout cela ce qui est bon in praxi.
Vous trouverez mon admonition parmi mes mé-
moires précédens. Au reste, il n'est pas possible de
donner des règles fixes , qu'en revenant aux Articles
d'Issy, ce qu'on ne fera pas à Rome; et d'ailleurs il
faudroit y ajouter quelque chose contre les nouvelles
subtilités de M. de Cambrai.
Pour ce qui concerne les Articles, vous trouverez
beaucoup de lumière dans le corollaire du Quietis-
mus redivii^iis (*).
Je rends tous les bons offices possibles au sieur
Poussin : vous pouvez l'en assurer.
O Voyez tome xxix, pag. 49a et suiv.
I
suK l'affaire du quiétisme. 19
M. l'abbë Régnier nous promet au premier jour
la traduction de mon dernier livre (*}.
A Fonlainebleau, ce 10 novembre 1698.
LETTRE CCGLXV.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur deux entretiens qu il avoit eus avec le Pape ; le mécontente-
ment du saint Père à Tégard de M. de Cambrai 5 le refus qu'il
avoit fait de lui accorder les délais qu'il demandoit ^ et les dis-
positions des cardinaux. ^
J'ai reçu les lettres que vous m'avez fait l'honneur
de m'e'crire de Meaux, du i a octobre et du 18. J'ai
reçu en même temps le Mandatum que vous m'a-
dressez, dont j'ai fait l'usage que je vous dirai dans la
suite de cette lettre.
Pour commencer à vous rendre compte de ce qui
s'est passé depuis ma dernière lettre du 4> je vous
dirai que le lendemain je me rendis chez le Pape, à
l'heure que monseigneur Aquaviva m'avoit marquée.
Sa Sainteté avoit déjà fait demander deux ou trois
fois si je nétois pas dans l'antichambre, et avoit
plus d'impatience de me donner audience que moi
d'y être admis. J'entrai d'abord : à peine étois-je
à la porte qu'il me demanda de vos nouvelles , del
caro noslro Vesco\^o ; ce sont ses paroles. Il seroit
trop long de vous rapporter tout ce qu'il me dit
d'obligeant pour vous. Je lui expliquai ce qui me
faisoit venir à ses pieds, et je lui lendis compte de
(*) Les Remarques sur la Réponse de M' de Cambrai à la Relation
du Quiétisme,
aO LETTRES
mon mieux des raisons importantes qui vous avoient
forcé à faire cette dernière réponse. Il me parut
content de toutes, et les approuver. Il se récria sur
l'accusation de la confession révélée, mais d'une
manière très-forte. Ce ne peut être qu'une calomnie ,
me dit-il; et il ajouta que votre réputation étoit
trop établie, pour que cela pût faire la moindre
impression sur l'esprit de personne. Il insista dans
les termes les plus forts , ajoutant que tout retom^
boit sur Farchevêque de Cambrai, qui, surtout de-
puis quelque temps, si prejudicas^a assai , se faisoit
grand tort à Rome comme en France. Pendant tout
ce temps-là Sa Sainteté tendoit la main pour rece-
voir le livre que je faisois semblant de n'oser lui
donner, sachant la peine que lui faisoient les écri-
tures nouvelles. Enfin je me fis en quelque sorte
contraindre de le lui remettre entre les mains : elle
parut me savoir bon gré de la peine que j'avois là-
dessus. Sa Sainteté eut la bonté de me promettre de
s'en faire lire tous les jours quelque chose. Je lui fis
plaisir quand je lui dis qu'on le traduisoit en ita-
lien, exprès pour elle.
Je profitai de cette occasion pour la presser de
faire recommencer les congrégations : elle me promit
de le faire incessamment.
Je lui parlai sur l'amour pur de M. de Cambrai.
Sa Sainteté s'en expliqua avec indignation , me di-
sant expressément que ce n'étoit qu'une illusion.
Pour la^ confirmer, je lui rapportai les paroles du
Deutéronome sur le précepte d'aimer Dieu, utbene
sit tihi ; lui faisant observer que c'étoit précisément
ce que M. de Cambrai appeloit intéressé. Je la sup-
I
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME. 21
pliai de demander aux défenseurs du livre un seul
texte de l'Ecriture sainte, etc.
Je me plaignis du sacriste, qui n'avoit pas achevé
de donner son vœu. Le Pape me répondit, en plai-
santant et en riant, qu'on se passeroit fort bien de
son vœu ; qu'il avoit tant ennuyé par ses longs dis-
cours , que Ton pouvoit bien le tenir quitte de ce
qu'il mettroit par écrit. En vérité, toutes les ré-
ponses qu'il me fit ne sont pas d'un homme de son
âge, et que M. le cardinal de Bouillon veut faire
passer ici pour imbécile. Enfin je finis en lui mar-
quant la joie que toute la France, et en particu-
lier le clergé , avoit reçue des grâces que Sa Sain-
teté avoit faites à M. le nonce, qui étoit respecté,
aimé et honoré de tous ; cela lui fit un grand plaisir.
Au reste. Sa Sainteté me parla du Roi avec une
tendresse et un respect que ses grandes qualités mé-
ritent : elle me le représenta comme le seul pro»
tecteur de la religion ; ajoutant que tout le monde
vouloit s'unir contre lui, mais qu'il seroit toujours
le plus fort. Elle avoit tenu le même discours la
veille au Père procureur-général des Minimes. Cela
se passa mercredi 5 du mois.
Samedi je reçus par le courrier votre écrit
latin (*) : je le fis aussitôt copier pour les cardinaux
et le Pape. J'eus le tout le dimanche au soir. Lundi ,
qui étoit hier, je le fis distribuer à tous les cardi-
naux. J'allai chez tous ; et pour ceux que je ne pou-
voisvoir, j'avois préparé un billet avec votre écrit
cacheté que je laissois : ainsi tous l'ont eu. J'allai
(*) C'est le Mandatum adressé à cet abbé , que nous ayons rap»
porté plus haut, tom. xli, pag. 536.
22 LETTRES
laprès-dînée chez le Pape. Je sus que M. de Clian-
teracy étoit, mais que Sa Sainteté n'avoit pas eu le
temps ou la volonté de le recevoir. Monseigneur
Aquaviva me dit qu'il Favoit remis à ce matin.
Comme j'étois bien aise de savoir, avant que de
parler au Pape, ce que M. de Chanterac lui auroit
dit , et que je me doutois de quelque manœuvre , je
convins avec monseigneur Aquaviva que je retour-
nerois cette après-dînée. Je m'y suis donc rendu.
J'ai commencé par savoir des camériers secrets
italiens» qui sont de mes amis, que M. de Chan-
terac admis chez le Pape, n'avoit fait qu'entrer et
sortir j monseigneur Aquaviva m'a confirmé la
même chose. Sa Sainteté m'a fait appeler, et a
commencé par me dire avec indignation que
l'homme de M. de Cambrai Tétoit venu importuner
ce matin, et avoit eu la hardiesse de lui demander
un délai pour répondre à votre dernière écriture ,
mais qu'elle ne vouloit pas en entendre parler : elle
étoit vraiment en colère. J'ai pris la liberté de lui
dire que la réponse que vouloit entreprendre M. de
Cambrai, et que j'étois sûr qu'il ne pourroit faire,
ne devoit pas la mettre en peine, pourvu qu'elle fût
dans la résolution de ne point donner de délai, qui,
dans les circonstances présentes, étoit inutile et in-
juste ; que les évéques n'avoient jamais prétendu en
demander pour répondre à M. de Cambrai; qu'il
étoit uniquement question d'un petit livre , sur le-
quel on demandoit depuis un an et demi la décision
de Sa Sainteté. J'avois un grand champ pour m'é-
tendre sur tout ce que vous pouvez vous imaginer;
ce que j'ai fait, et Sa Sainteté m'a paru être con-
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 23
tente. Après quoi je lui ai présenté votre écrit ,.
qu elle a fort bien reçu. Elle a voulu que je lui en
disse la substance : je Tai suppliée de vouloir bien se
le faire lire; elle me Ta bien promis, et je l'ai laissée
dans la résolution de n'avoir aucun égard aux injustes
demandes de M. de Cambrai.
Je viens d'apprendre dans le moment , par le
sieur Feydé, agent du grand duc, qui s'est trouvé
chez le Pape quand M. de Chanterac y étoit, et qui.
a parlé au Pape après lui , que Sa Sainteté étoit
hors d'elle , et avoit renvoyé promptement ce
pauvre homme avec indignation ; que Sa Sainteté
lui avoit parlé avec colère de M. de Cambrai et du
livre^ du scandale qu'il causoit, mais que bientôt
on lui donneroit une bonne leçon. M.. Feydé ne
savoit pas que M. de Chanterac eût demandé un,
délai pour répondre ; mais le Pape me l'a dit ea
termes formels.
Au sortir de chez le Pape, jjai été chez le cardinal
Casanate l'avertir de tout,, et chez plusieurs de nos
amis , pour confirmer Sa Sainteté dans sa résolution.
Tout cela est un jeu joué par les protecteurs de
M. de Cambrai, pour tâcher d'alonger ; mais le
sort est jeté. Messieurs les cardinaux s'assemblent
demain matin, par ordre de Sa Sainteté, exprès
pour déterminer de modo procedendi , la manière
de procéder dans cette affaire. Là on verra l'ordre
qu'on tiendra dans l'examen des propositions, qu'on
réduira apparemment sous des chefs principaux ; et
les cardinaux pourront dans chaque congrégation
se fixer sur un chef. J'espère qu'on fera deux con-
grégations par semaine |. ainsi en quatre semaiaes
1l\. LETTRES
ils auront fini. Us me paroissent tous résolus de ne
pas perdre de temps, et de tâcher de sortir promp-
tement d'affaire. Quant au cardinal de Bouillon , je
ne réponds de rien , ou plutôt je reponds de tout.
Avec cela j'avoue que son personnage est difficile à
soutenir. Nous ne pouvons savoir avant demain ce
qui sera réglé. Je vais toujours m'assurant de plus
en plus des cardinaux. J'ose vous dire en confidence
que je serai bien trompé s'il en manque un seul ;
mais avec cela je ne prétends rien assurer. Je crains
toujours qu'on ne fourre quelque petit mot j c'est à
quoi il faut être très- attentif.
Hier je fus deux heures avec le cardinal Carpegna ;
j'en suis content , très-content. Ce matin le cardinal
Ottoboni a eu une explication avec moi , et m'a fait
entendre ce qu'il faut. Je ne me fierois naturellement
ni à l'un ni à l'autre , si je n'étois sûr par moi-même
de leurs théologiens. Le cardinal Albane me promet
monts et' merveilles, et au père Roslet. S'il nous
trompe , il se trompe lui-même le premier. Ce qui
me donne une certaine confiance dans les discours
de ces Eminences, c'est que le cardinal Casanate
me dit que tout va bien, que les cardinaux sont
bien disposés, et surtout les cardinaux papables :
vous voyez ce qui les remue.
Nous sommes parvenus à engager le Pape à con-
sulter le père Serrani; cela a fait un bon effet. Je
travaille à lui faire aussi consulter le père Latenai ;
mais je crois que son parti est déjà pris là-dessus.
La seule chose sur laquelle il y aura plus de dif-
ficulté, sera la condamnation des propositions qui
concernent l'amour pur : mais il faudra que ce cin-
sun l'affaire du QUIÉTISMF. 23
quième amour soit proscrit, malgré les efforts de
la cabale.
Au reste, nos amis du saint Office ont trouvé
dans les pièces secrètes du saint Office des choses
admirables contre M. de Cambrai , apparemment
dans les abjurations de Molinos, de Petrucci , et
d'autres Quiétistes. Dans l'interrogatoire de Molinos
sur la douzième de ses propositions , on a vu qu'il
donnoit la même solution, et avoit le même système
que M. de Cambrai quant à l'intérêt propre, ou
l'amour intéressé, et ce qu'il appeloit propriété,
dont il disoit qu'on se purifîoit en purgatoire.
Malgré ses explications , les qualificateurs persis-
tèrent dans leurs qualifications. Ce que je vous
mande est sûr : je tâcherai d'en avoir la preuve.
Doit-on douter après cela de la condamnation ?
Voilà ce qui m'assure plus que toutes les paroles du
monde , dont je fais à peu près le cas dans ce pays-
ci, que faisoit le pape Ottoboni de celles qu'il
donnoit.
Le père Roslet a reçu, et vous en êtes informé à
cette heure^la censure de douze propositions, signée
par soixante docteurs de Paris. Nous gardons le se-
cret là-dessus, pour porter notre coup à propos. Le
cardinal Casanate en est seul informé : il a en main
la censure. M. le cardinal de Bouillon en a eu vent;
mais il sera le dernier que nous en instruirons. De-
main j'en parlerai au cardinal Spada , et lui dirai
que cette censure a été dressée pour faire voir la
fausseté de ce qu'ont ici avancé les Cambraisiens ,
que la Sorbonne approuvoit leur amour pur. Nous
ferons valoir la modération de cette compagnie et
96 LETTRES
le secret. Je crois que cela sera bien reçu : nous y
donnerons le bon tour qui convient, et nos amis
nous appuieront. Les qualifications pourroient être
plus fortes ; mais cela est toujours bon : je n ai eu
le temps que de la lire en courant.
Je connois M. de Paris, et m'imagine voir tout :
il faut que vous ayez patience, et que l'union pa-
roisse jusqu'au bout. Je suis fâché que vous n'ayezi
pas eu part à ce que ces docteurs ont fait : je crois
que vous n'y auriez rien gâté, quoique je voie bien
que la censure est dans votre esprit.
Ne perdez point de temps pour la traduction ita-
lienne.
Je souhaiterois fort avoir une bonne copie de
votre portrait , et quelques estampes petites et
grandes de la gravure.
Ayez la bonté de nous envoyer, tous les ordi-
naires, quelques exemplaires de vos livres, des pre-
miers et derniers, Relations françaises, italiennes,
et surtout les trois écrits latins dont nous avons ea
très-peu.
M. le cardinal de Bouillon loue fort votre dernier
ouvrage, et avoue qu'il n'y a rien de plus fort , et
qu'il ne croyoit pas qu'on put répondre si bien à ce
que M. de Cambrai avoit dit.
Rome, ce n novembre 1698.
SUR L AFFAIRE DU QUIETISME.
LETTRE CCCLXVI.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur une réponse qu'il dosiroit faire à deux lettres de M. de Cam-
brai j et sur quelques endroits de ses ouvrages, pour aider à une
exposition doctrinale qu'on méditoit à Rome.
Quoique l'ordinaire de Rome ne soit pas venu, je
vous écris au hasard, sans pourtant rien ajouter de
considérable à mes précédentes lettres.
J'ai reçu deux lettres françaises de M. de Cambrai
sur les in tuto. J'ai bien envie d'y répondre (*) sous
ce titre : Le dernier livre , ou l'on montre à M. de
Cambrai qu'il na répondu à rien. Je me contente-
rois de relever les difficultés faites contre son livre ,
sur lesquelles il ne dit mot. Cela le feroit paroître
bien ridicule, et montreroit que comme bon chef de
parti, il n'a d'autre sué que d'entretenir sa réputa-
tion parmi ses partisans , en leur faisant accroire
qu'il répond à tout.
Je vois par diverses lettres qu'on pense toujours à
Rome à faire une exposition doctrinale : cela sera
fort difficile ; néanmoins on en voit un crayon dans
les trente-six propositions de Schola in tuto, quaest. i,
art. i«
Si l'on ne condamne le pur amour de M. de Cam-
brai , qui est celui du cinquième degré , on laissera
renaître le mal. Vous en trouverez la preuve en di-
vers endroits, marqués par mes lettres précédentes,
(*) Bossuet n'exécuta pas ce projet.
28 LETTRES
et surtout dans le Quietismus redii^wus , sect. iv,
cap. V , n. 1 , 2,3,4* Cela n'est nulle part plus net-
tement.
Depuis mes lettres précédentes , j'ai reçu une lettre
très-honnête de M. l'archevêque de Séville (*), avec
un exemplaire de sa Lettre pastorale. Il ne faudra
pas laisser de lui envoyer par son agent le double
de ma lettre , que j'ai adresse'e à M. Phelippeaux.
A Germigny, 16 novembre 1698.
LETTRE CCCLXVII.
DU P. MAUDUIT, DE L'ORATOIRE,
A BOSSUE T.
Il lui adresse un ouvrage qu'il avoit composé contre les erreurs
des Quiétistes.
Je ne sais si votre Grandeur se souvient , qu'un
jour étant allé vous rendre de très-humbles remer-
cîmens du livre latin des trois Traités, dont vous
aviez eu la bonté de me faire présent , il m'échappa
de vous dire qu'il m'étoit venu dans l'esprit quel-
ques pensées sur cette dispute ; que vous eûtes la
complaisance de m'exciter à les écrire , et que vous
ajoutâtes avec une extrême humilité que vous en
profiteriez. Cette parole fut un poids violent pour
(*) On a pu remarquer , dans les lettres précédentes , que Far-
«hevêque de Séville étoit très-opposé au Quiétisme. Nous n'avons
pas la Lettre pastorale dont il est ici question , non plus que sa
lettre à Bossuet, ni celle que Bossuet avoit adressée à Tabbé Phe-
lippeaux pour être envoyée à cet archevêque.
SUR l'affàike du quiétisme. 29
me déterminer à m'en décharger sur le papier. Je
l'ai fait , et je vous les envoie, Monseigneur, comme
un compte que je vous rends de la lecture de vos
excellens ouvrages , et du profit que j'ai tâché d'en
faire. Elles ne tenoient pas, ce me semble, tant de
p-ace en mon esprit : la matière s'est , je ne sais com-
ment, développée jusqu'à faire à peu près un juste
volume ; et l'ouvrage a crû et s'est grossi insensible-
ment sous la plume. Vous êtes, Monseigneur, le
maître absolu de son sort , pour le faire paroître au
jour ou pour le supprimer. Si votre Grandeur y ^
trouve quelque chose d'utile, comme je crois qu'il
y a des endroits capables de faire quelque impression
sur les esprits , vous le pourrez traiter comme un
enfant trouvé, qu'on élève sans connoître ou sans
découvrir ses parens. Que si vous n'y trouvez rien
qui mérite d'entretenir le public , vc^us aurez tou-
jours la bonté de le garder dans votre cabinet (*),
comme un acte de ma déclaration pour votre senti-
ment dans cette controverse , ou plutôt si je l'ose
dire, comme une profession de foi que je fais par
avance, en attendant la décision du saint Siège.
Mais, Monseigneur, de quelque manière que votre
Grandeur en use, toute la grâce que je lui demande,
pour des raisons qu'il lui est aisé de pénétrer, est
de laisser l'auteur jouir de ses ténèbres, et de ne
marquer en aucune manière, ni son nom, ni celui
de sa communauté. Il n'a fait confidence à per-
sonne de son dessein, il lui suffit d'être connu de
vous , et il se croira trop payé de sa peine , si
C*) Il ne paroîl pas que cet ouvrage ait été imprimé, apparem-
ment parce qu'on se croyoit ù la veille de voir terminer TafFaire,
3o LETTRES
VOUS jugez à cette marque qu'il est plus qu'aucun
autre, etc.
l6 Novembre 1698.
LETTRE CCCLXVIII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la Censure des soixante, et celui qui l'a dressée j et sur les
bonnes dispositions du Roi et de M. le nonce.
Depuis ma lettre d'hier, j'ai reçu la vôtre du 28
octobre , dont j'ai rendu compte où il falloit.
M. de Paris a eu quelques accès assez légers de
fièvre tierce : il en a été quitte. Dieu merci, pour
quelques prises de quinquina.
Tous les jours il se présente de nouveaux docteurs
pour signer après les soixante, et le nombre passe
la centaine ; mais on n'a pas voulu multiplier les
signatures.
C'est M. Pirot qui a dressé le fond de l'acte et
les qualifications : ainsi, s'il n'a pas signé, c'est seu-
lement à cause qu'il avoit déjà trop témoigné son
sentiment en travaillant avec nous.
Il n'y a rien à souhaiter du Roi et de M. le nonce,
qui font tout ce qu'il faut, et aussi bien qu'il se
peut.
J'ai fait à merveille la cour de M. Poussin auprès
de MM. de Pomponne et de Torcy, et je conti-
nuerai , sans l'oublier dans l'occasion auprès de
M. Noblet.
Il y a long-temps que je n'ai vu M. le cardinal
SUR l'affaire du quiétisme. 3i
de Janson, qui depuis le départ de Compiègne, et
durant tout Fontain^ebleau , a travaille' à Beauvais
aux affaires de son diocèse.
Vous avez bien fait d'avoir supprimé les remarques
de M. de Paris, qui donnoient à M. de Cambrai ce
qu'il demande.
AGermigny, 17 novembre 1698.
•>«/«>^«/«/»il,^^««/«« «>«/««>«/•> V«/» «>«/««•'•>«>«>«>««•«>«>«
LETTRE CGCLXIX.
DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET.
Sur les Remarques du prélat; les nouvelles lettres de M. de Cam-
brai; le refus que le Pape avoit fait de lui accorder un délai;
les congrégations des cardinaux; et la censure des docteurs de
Paris.
Vos Remarques sur la Réponse à la Relation,
sont fort estimées et goûtées ici. Elles sont acca-
blantes, et elles étoient nécessaires pour faire con-
noître les souplesses et les calomnies de M. de Cam-
brai : il ne cesse pas cependant d'écrire. On vient
de m'avertir qu'il étoit arrivé ce soir deux lettres,
en Réponse à Mjslici in tuto et à Schola m tuto;
mais cela ne fera point d'effet, et ne retardera pas
le jugement.
Vous savez que l'abbé de Chanterac ayant de-
mandé du délai pour répondre à vos Remarques, le
Pape le refusa, et deux jours après intima les con-
grégations pour la décision de l'affaire.
Hier se tint la première congrégation extraordi-
naire, où parla M. le cardinal de Bouillon; du
moins il me dit qu'il avoit beaucoup parlé, et qu'il
3'2 LETTRES
étoit fatigue. Mercredi on continuera , et jeudi se
fera devant le Pape le rapport de ce qui aura e'té
fait ou résolu dans les deux congrégations précé-
dentes ; ce qui continuera jusqu'à la fin.
L'affaire paroît en bon état : les cardinaux sont
instruits et bien intentionnés. Je crois qu'on suivra,
dans la discussion des propositions, le projet de ré-
duction à sept chefs principaux : chacun contient
plusieurs propositions, qu'ils pourront réduire selon
qu'ils le trouveront à propos.
Le vœu des docteurs de Paris aura son effet. On
a voulu exciter la jalousie de cette Cour : mais les
cardinaux les plus sensés ont vu que ce jugement
n'étoit que préparatoire, et que la Faculté de Paris
s'étoit expliquée dans presque toutes les affaires im-
portantes avant que Rome décidât. On a instruit le
Pape, et les lettres de M. le nonce feront impres-
sion. Cela cependant les rassurera contre les faux
bruits qu'on avoit répandus que les docteurs de
Paris favorisoient le livre , et leur fera voir la né-
cessité de qualifier les propositions. Il auroit été à
souhaiter qu'ils eussent eu vos qualifications , qui
sont plus fortes et plus pressées. Ils n'ont point mis
la qualification d'hérétique : il est vrai qu'il y a des
termes équivalens ; mais les équivalens ne sont pas
de saison en ces sortes d'affaires , et ils dévoient qua-
lifier les propositions extraites qui ont été discutées :
autrement on embrouille tout , et on fatigue les car-
dinaux par la diversité des propositions.
L'archevêque de Chieti voudroit bien pouvoir
changer son vœu , voyant qu'il a été surpris : il en
devoit conférer avec monseigneur Giori. Le sacriste
dit
SUR L^AFFAIRE DU QUIÉTISME. 33
dit qu'il voudroit que le livre n'eût jamais paru : il
s'est entièrement déshonoré dans l'esprit des hon-
nêtes gens.
M. le cardinal de Bouillon paroît vouloir revenir
au bon parti : il voit combien il seroit ridicule d'al-
ler contre le torrent. Je crois que le R.oi lui a écrit
fortement par le dewiier courrier , et le rend res-
ponsable du succès. Ainsi il sera forcé de prendre
le bon parti ; et s'il ne le prend pas , il sera aban-
donné de ses confrères. M. le cardinal de Bouillon
ayant vu qu'il étoit mention dans vos Remarques de
trois écrits , me dit qu'il ne les avoit pas vus, et me
pria de les lui faire voir. Il en parut étonné , en de-
manda des extraits , que je lui ai donnés. Il me dit
que les choses n'étoient plus dans l'état où elles se
trouvoient auparavant, et qu'à la fin de l'affaire on
verroit ce qu'il avoit fait; mais qu'il m'en disoit
. trop pour le présent ; que quand l'affaire seroit finie,
il souliaitoit avoir une conversation avec moi, et
qu'il me diroit des choses qu'il ne pouvoit me com-
muniquer aujourd'hui. Je reçus cette marque de
confiance comme je devois. Il avança qu'on n'avoit
jamais vu un tel différend entre des évêques. Je lui
citai saint Augustin et Julien : la comparaison lui
parut un peu forte.
Vous nous avez envoyé une grande quantité de
Remarques : j'aurois souhaité plutôt les écrits latins,
fort estimés des savans, et dont nous n'avons pas eu
soixante exemplaires; mais la chose à présent est
trop avancée. Monsieur l'abbé vous dira les autres
nouvelles. Je suis avec un profond respect, etc.
A Rome, mardi i8 novembre 1698.
BOSSUET. XLIT. 3
34 LETTRES
LETTRE CCCLXX.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les impressions défavorables qu'on avoit voulu donner à Rome
de la Censure des soixante docteurs; [fis avantages de cette Cen-
sure; l'inutilité des efforts de M. de Cambrai pour obtenir des
Universités étrangères quelques témoignages en sa faveur; sur les
assemblées des cardinaux, et la forme dans laquelle ils dévoient
procéder.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Fontainebleau le 27 octobre.
Vous avez vu par ma dernière que je savois la
signature des soixante docteurs, et que nous avions
la pièce en main : sur quoi nous avons pris toutes les
mesures imaginables pour empêcher qu'on ne donnât
à la chose une mauvaise toi:*rnure, comme on en
avoit dessein. Le lendemain de la date de ma lettre,
je sus que M. le nonce avoit écrit ici , un peu alarmé;
et cela, parce qu'il se trouvoit à Fontainebleau sans
vous , et sans pouvoir s'éclaircir avec M. de Paris. Il
écrivoit néanmoins très-modérément, mais avec quel-
que doute. Il n'en falloit pas ici davantage, pour
donner lieu de donner l'alarme à des gens toujours
ombrageux, et qui, aidés par certaines taupes noires,
ne cessent de travailler sous terre contre la France.
Je n'en fus pas plus tôt averti par un cardinal ami ,
qui n'entra dans aucun détail particulier, que j'en
avertis le père Pxoslet, afin qu'il se tînt sur ses
gardes, et qu'il ne communiquât la pièce qu'à ceux
qui la souhaiteroient : le parti a été trouvé très-
SUR l'affaire du quiétisme. 35
sage, et exe'cute' ainsi. Nous avions aisément deviné
les bonnes raisons et les causes de cette signature.
Je vis le cardinal Spada à qui je les expliquai, et qui
les a depuis trouvées conformes à ce que lui a mandé
M. le nonce : il n'a pu les désapprouver ; MM. les
cardinaux Panciatici et Albani de même, aussi bien
que le cardinal Ferrari. Mais surtout ils n'ont rien
eu à répondre aux exemples que nous leur avons
apportés, d'actes semblables faits en pareil cas. Nous
leur avons cité des consultations secrètes des doc-
teurs , des décrets des Facultés dans les affaires de
Luther, et pendant les congrégations de auxiliis ;
ce qui non-seulement fut jugé dans ces temps très-
utile, mais même en quelque manière nécessaire,
pour rendre témoignage à la vérité, et servir de
préparation au jugement de l'Eglise universelle ou
de l'Eglise romaine, qui doit désirer de voir passer
devant elle le plus de témoins qu'il est possible de
la Tradition sur les points contestés. Ces raisons
puissantes ont fermé la bouche à ceux qui vou-
loient faire trouver mauvais ce qu'on venoit de pra-
tiquer. Les lettres du nonce au Pape sont arrivées
là-dessus , et ont confirmé tout ce que nous avions
dit. Je vis le cardinal Spada aussitôt que j'eus reçu
votre lettre et celle de M. de Paris. Le cardinal
Spada sortoit de chez le Pape, et il m'assura qu'il
n'y avoit rien à dire à tout ce qui s'étoit fait , et
qu'on voyoit que c'étoit seulement une préparation
au jugement du saint Siège. Ces paroles-là signifient
beaucoup , ce me semble. Il me parut content lors-
que je lui représentai , que jamais on n'auroit dû
s'imaginer que la plus grande malignité pût trouver
36 LETTTIES
mal un procédé aussi simple et aussi naturel que
celui-là ; que les docteurs avoient autant de respect
pour le saint Sic'ge etpour la personne de Sa Sainteté',
que les e'vêques , dont la patience, avec laquelle ils
attendoient en France le jugement, étoit une marque
Lien sûre.
Je vois bien que le petit chagrin que quelques-
uns ont pu avoir de cet éve'nement, a été de penser
qu'on vouloit leur faire leur leçon. Ils sont bien
aises de témoigner qu'ils n'ont pas besoin qu'on les
instruise. Je leur ai parlé aussi sur ce ton-là , en
les assurant que je m'attendois de leur part à quel-
que chose de plus fort, s'il est possible, et de plus
précis. Ce que j'ai cru qu'on devoit éviter, c'est de
se faire de fête ici , comme si Ton avoit gagné la
victoire. La pièce fera, s'il plaît à Dieu, son effet
d'elle-même ; parce qu'elle est bonne et à pi opos ,
et fait voir en soi le sentiment des gens habiles, et
l'impuissance de la cabale. Je sais que l'abbé de
Chanterac a voulu faire croire que la signature a
été forcée. Il l'a dit à l'assesseur, mais on n'en
croit rien.
J'ai bien fait valoir les efforts inutiles de M. de
Cambrai, pour avoir q«elque chose en sa faveur
de la part des universités d'Espagne , et tout nou-
vellement de celle de Louvain, où il avoit envoyé
un de ses chanoines, nommé Le Comte; mais la ré-
ponse n'a pas été favorable, et la plupart ont dé-
claré que si M. de Cambrai les obligeoit à parler
sur son livre, ce ne pourroit être à son avantage.
Vous devez être informé de tout cela avant nous. Ce
que je vous mande est très-vrai, c'est leur député à
SUR l'affaire du quiéttsmê. 3^
orSe qui me l'a assure. On m'a dit qu'à Alcala en
Espagne, quatte ou cinq docteurs avoient signe'
quelque chose sur l'amour pur, et entre autres un
Jésuite, qui avoit admis le cinquième état de M. de
Cambrai comme possible absolument , mais en
même temps comme non nécessaire , ce qui est le
condamner. On prétend que cela a été envoyé ici
aux confidens , qui n'ont pas jugé à propos jusqu'à
présent d'en faire aucun usage. C'est apparemment
quelque chose qui ne signifie rien. M. le cardinal de
Bouillon feignit ces jours derniers d'être bien aise
de ce que les docteurs de Paris avoient fait, et en-
voya quérir le père Roslet qui ne put lui refuser la
pièce. Je n'ai pas manqué de faire remarquer à tout
le monde combien elle est modérée, et elle l'est
peut-être un peu trop sur les qualifications ; car on
n'y emploie jamais celle d'hérétique, que j'espèi^
qu'on donnera ici à plus d'une proposition.
Mercredi, 12 du mois, MM. les cardinaux s'as-
semblèrent pour délibérer de modo procedendi. Ils
résolurent de parler et de voter sur toutes les pro-
positions l'une après l'autre, mais en les réduisant
sous certains chefs. On prétend que M. le cardinal
de Bouillon proposa quelque expédient qui ne plut
pas. On détermina aussi le jour où l'on s'assemble-
roit extraordinairement pour cette affaire; et on
prit le lundi, en arrêtant que si on ne finissoit pas
ce jour-là de voter sur le chapitre convenu , on ache-
veroit le mercredi, afin d'expédier plus prompte-
ment. Le cardinal Casanate prétend , qu'après
Vexamen des premières propositions on ira vite sur
les autres. Mais je m'imagine que d'abord chacun
38 LETTllKS
voudra parler un peu de temps, après quoi on
abrégera sans doute ; car le Pape et les cardinaux
ont assez envie de conclure , et, si je ne me trompe,
de bien conclure. La cabale est toute étonnée, et
ne sait comment on a fait pour en;pêcher la division
qu'on n'avoit cessé de former parmi les cardinaux ;
mais qui. Dieu merci, je l'ose assurer présentement,
ne se trouvera pas quant au fond de la chose. J'a-
voue que je n'ai pas eu un moment de repos , que
je ne me fusse assuré, à n'en pouvoir douter, qu'on
condamneroit l'amour pur et le cinquième état mar-
qué dans le livre de M. de Cambrai. Si je me trompe,
il faudra dire que les cardinaux les uns après les
autres m'ont manqué de parole. Je vous parle ainsi
h vous : "vous ferez de ceci l'usage que vous jugerez
à propos. Ce que je puis vous dire encore, c'est que
le caractère de M. de Cambrai est bien connu à
présent, malgré les éloges que lui a donnés, dans
toutes les occasions, M. le cardinal de Bouillon.
Il est bon de vous dire que Sa Sainteté, mardi au
soir , 1 1 de ce mois , veille de cette assemblée, en-
voya ordre à l'assesseur de déclarer à MM. les car-
dinaux, qu'elle ne voaloit plus entendre parler de
délai, et qu elle souhaitoit qu'on procédât à la déci-
sion. Par-là il est clair que M. l'abbé de Chanterac
perd toute espérance de délai. Aussi le billet de
M. l'assesseur à MM. les cardinaux, pour indiquer
l'assemblée d'hier , porte précisément que c'est afin
de décider l'affaire de l'archevêque de Cambrai. En
conséquence , on tint hier la première séance , et
MM. les cardinaux commencèrent à voter sur les
premières propositions, M. le cardinal de Bouillon
SUR l'affaire du quiétisme. 89
parla le premier. Le secret inviolable du saint Office
fait que Ton ne peut savoir ce qui s'est passé. M. le
cardinal Casanate m'a dit ce matin qu'il avoit la
bouche cousue, et ne m'a voulu rien dire; mais
son air ouvert et content m'a fait bien augurer du
résultat de l'assemblée. Et assurément il faut deviner
ce qui s'y passe. Dans ces séances, outre les cardi-
naux, il n'y a que l'assesseur qui y assiste et le com-
missaire. Au sortir de chez M. le cardinal Casanate,
j'ai été chez l'assesseur, monseigneur Sperelli, et
chez le coi^imissaire du saint Office. J'ai tant fait de
questions à ce dernier , que d'après ses réponses ,
quelque obscures qu'elles aient été, je n'ai pas lieu
de douter raisonnablement de ce qui suit. Il paroît
que les choses tournent fort bien ; qu'on est con-
venu de regarder comme le fondement du système
de M. de Cambrai , son prétendu amour pur , et
son cinquième état distingué du quatrième qu'on
reconnoît pour l'état de la charité des plus parfaits ;
que votre doctrine est celle que l'on prend pour
règle ; qu'on pense que le motif de la béatitude ,
quoique secondaire de la charité, est inséparable
du motif premier et spécifique; que le cinquième
état est une illusion et la pure doctrine de Molinos.
Que voulez-vous davantage ? Il me semble que si
l'on s'en tient là, on n'a plus rien à désirer. Par le
discours du commissaire du saint Office, je juge que
les cardinaux ne purent tous parler hier ; ils con-
tinueront demain , et peut - être achèveront - ils.
Comme le cardinal Casanate m'a dit qu'il étoit re-
venu bien fatigué, je m'imagine qu'il a parlé. Si cela
est, quatre ou cinq au moins auront parlé, Nerli
4û LETTRES
Carpcgna, Casanalc, Bouillon et Marescotti. Le
cardinal Nerli aura été long. Le commissaire du
saint Office avoit la joie peinte sur le visage, et m'a
assuré d'une décision solennelle qui couperoit la ra-
cine du mal : ce qu'il n'auroit certainement pas foit,
si les choses lui avoient paru douteuses ; car il est
très-zélé pour vous et pour la bonne doctrine, et me
témoigne une amitié particulière.
Il entre dans le moment un ami qui a vu le car-
dinal Carpegna, et qui est très-content de la cen-
sure des docteurs. Il dit qu'il seroit à souhaiter que
tous les docteurs de Paris l'eussent signée ; je la lui
avois portée avant-hier,
M. le cardinal de Bouillon revint hier très-fatigué,
d'avoir, dit-il, parlé très-long-temps. Depuis huit
jours ce cardinal ne sait où il en est. Il veut persuader
qu'il fera mieux qu'on n'a pensé jusqu'à cette heure.
Je crois qu'il voit qu'il seroit seul pour M, de Cam-
brai, De la manière dont le commissaire du saint
Office s'est expliqué, je juge que M. le cardinal de
Bouillon veut nager entre deux eaux. Je ne sais
point encore comment il s'est exprimé hier, et quel
parti il a pris.
M. le cardinal de Bouillon a vu ces jours passés
deux fois le père Roslet et M. Phelippeaux. Il espère
avoir meilleure composition d'eux que de moi , et
leur faire plus aisément croire ce qu'il voudra : ils
sont bien avertis. Au reste, le personnage est difficile
à jouer de la part de cette Eminence.
Quand j'ai parlé de l'empêcher de voter, je n'ai
pas prétendu qu'on le lui défendît précisément;
mais qu'on lui expliquât si nettement les intentions
SUR l'affaire du quiétisme. 4^
du Roi, qu'il fût ol)ligé ou de changer, ou de ne
pas voter. L'impossibilité de réussir dans ses projets
lui aura peut-être fait ouvrir les yeux plus que tout
le reste. Les Jésuites et M. le cardinal de Bouillon
ont joué de leur reste depuis un mois.
J'eus vendredi une assez longue conversation avec
M. le cardinal de Bouillon, qui n'a jamais tant tor-
tillé qu'il le fît dans cet entretien. Il me dit qu'il
avoit à soutenir un personnage très-embarrassant ;
qu'il ne pouvoit, comme ministre, douter des in-
tentions du Roi , qui lui étoient bien manifestées ;
comme cardinal , qu'il avoit sa conscience à satis-
faire; et qu'il étoit bien malheureux de ne pouvoir
pas être simple spectateur comme tant d'autres,
voulant pourtant me faire entendre tout ce que je
n'entendois point. Je puis vous répondre qu'il ne
sait où il en est.
Au reste, il est certain que l'abbé de Clianterac
sait exactement par M. le cardinal de Bouillon tout
ce qui s'est passé au saint Office, tandis que je me
fatigue cruellement le corps et l'esprit pour le de-
viner. C'a été un grand avantage que cet abbé a tou-
jours eu, et qu'il a encore, d'être si aisément et si
sûrement instruit de ce qui se passe; mais je crois à
présent la cabale à bout. Jeudi dernier, le sacriste,
l'abbé de Clianterac , l'assesseur et Alfaro s'assem-
blèrent pour consulter.
. M. le cardinal de Bouillon m'a dit qu'il n'estimoit
que les vœux du sacriste et de Massoulié. Tous les
autres méprisent infiniment le travail du sacriste.
M. Poussin fait tout de son mieux ; les intentions
du Roi sont avec raison pour lui des lois : le car-
4*^ LETTRES
dinal de Bouillon le hait souverainement. Je vous
prie seulement de le faire valoir comme il le mérite*
M. de Chartres fera toujours bien de répondre :
mais ici tout le monde répond pour lui , et M. de
Cambrai a achevé de se perdre par sa Réponse à ce
prélat. Votre dernier ouvrage le couvre seul d'une
éternelle confusion. Pour vous, vous pouvez ré-
pondre, si vous le voulez, aux dernières lettres de
M. de Cambrai. Mais à moins que les choses ne
changent ici , l'écrit que vous ferez ne sera d'aucune
utilité dans ce pays, et je ne crois pas qu'il soit né-
cessaire d'y faire paroître d'autre ouvrage. Pour la
France , où il faut éclair cir la vérité, et prémunir
les fidèles , on ne sauroit trop y pu])lier de bons
écrits. Vous pensez bien cependant, que, quelque
parti que vous preniez à cet égard, j'exécuterai vos
ordres comme vous le souhaiterez. Je vous dirai
seulement, que j'ai en quelque manière promis à Sa
Sainteté que vous n'écririez plus , à moins que vous
n'eussiez de nouvelles raisons bien pressantes pour
le faire. Malgré toutes ces considérations, je suis
assuré que ce que vous écrirez sera si bon , qu'on
sera ravi toujours de le voir. La traduction italienne
de votre réponse est pour le présent la seule pièce
dont nous ayons besoin.
Il faut que M. de Chartres prenne un peu garde
de ne pas donner lieu ici de penser, que le motif se-
condaire soit séparable du motif spécifique dans
l'acte propre de la charité : cela pourroit produire
un mauvais efTet. Ce qu'il a dit là-dessus dans son Ins-
truction, demande d'être expliqué, à ce qu'il a paru
ici à beaucoup de gens qui sont dans vos principes.
I
SUR l'affaire du quiétisme. 4^
L'abbé de Chanterac a tenté, samedi et dimanche,
d'avoir audience du Pape, qui n'a pas voulu la lui
donner : je ne sais s'il y sera parvenu aujourd'hui.
Monseigneur Giori est le même, et fait toujours
très-bien auprès du Pape : il confirmera ce que les
cardinaux feront. Je ne sais si je ne vous ai pas
mandé que M. Phelippeaux avoit dressé un vœu sur
les trente-huit propositions, tout tiré de vos écrits,
et que nous avons fait passer à tous les cardinaux.
Je crois que le cardinal d'Aguirre ne se trouva
pas hier à la congrégation : on m'a dit qu'il n'avoit
pas été averti.
J'ai oublié de vous marquer que M. le cardinal
de Bouillon m'a fait extrêmement valoir une au-
dience qu'il prétend avoir eue du Pape, dans la-
quelle il a, dit-il, parlé contre M. de Cambrai et
pour vous, mieux que je n'aurois pu faire. Il croit
avoir fait grande impression sur le Pape. Si ce qu'il
m'a dit est vrai, il a fort bien fait; n'en parlez qu'à
son frère. Je fais semblant de tout croire.
J'apprends par M. Phelippeaux qu'il est arrivé une
Réponse de M. de Cambrai au Mjstici et au Schola
in tuto. Je ne sais si cela est bien sur : mais quoi
qu'il en soit, il n'est pas à craindre qu'il arrive au-
cun changement dans les dispositions des esprits à
l'égard de ce prélat.
Rome, ce 18 novembre i6t)8.
44 LETTRE*
. «^*^ «/»•« «<«^«.«^«/«/»«/»/%'V«/w%/%/»%«>«
LETTRE CCCLXXI.
DE UABBÉ DE GONDI A UABBÉ BOSSUET.
Sur la traduclion italienne de la Relation sur le Quidtisme; et les
dispositions du grand duc pour seconder à Rome les évêques de
France dans celte affaire.
Son altesse sérënissime le grand duc mon maître,
faisant, avec justice, un prix infini de tous les sa-
vans ouvrages de M. de Meaux , a reçu avec une
extrême joie l'exemplaire de la traduclion en ita-
lien, que M. l'abbé Régnier a faite de la Relation
du Quiétisme ^ que ce digne prélat avoit mise au
jour peu de mois avant. Son Altesse n'a point man-
qué de comprendre incontinent le bon effet que
cette traduction produiroit dans Rome et par toute
l'Italie, attendu la facilité qu'on y auroit par ce
moyen de mieux approfondir la vérité,.» que mon-
dit sieur votre oncle découvre à merveille dans sa-
dite Relation,, et que mondit sieur l'abbé Régnier,
de qui je suis ancien serviteur, et dont je connoîs à
fond le rare mérite, fait goûter par sa version, fidè-
lement faite en italien , à tous nos connationaux
qui n'entendent pas le français. Après ce que je
viens de vous dire, je ne doute point que vous ne
soyez entièrement persuadé que sadite Altesse esti-
mant, comme elle fait, le don que vous lui avez
fait dudit exemplaire, ne vous en remercie avec
une cordialité qui y réponde; et comme elle m'a
chargé de vous en rendre de sa part ce témoignage?
SUR i/affatre du quiétisme. 4^
elle vous prie de lui faire la justice d'en être tout-à-
fait convaincu.
M. de Meaux, aussi bien que les autres e'vêqnes
de France, au nom desquels vous te'moignez leur
satisfaction du soin assidu de Son Altesse Sérënis-
sime à contribuer dans Rome, par tout ce qu'elle
a pu, à la condamnation d'une erreur qui peut
causer tant de de'sordres dans notre sainte religion,
obligent dans cette rencontre Sadite Altesse d'une
manière dont elle n'en sauroit assez faire d'estime,
ni leur en avoir plus de reconnoissance. Vous kii
ferez une grâce toute singulière de les assurer tous
de la vérité de ses sentimens, et du vrai désir qu elle
a de répondre en tout temps aux bontés qu'ils ont
pour elle, par la sincérité de son affection et de son
amitié pour eux. Au reste. Son Altesse ne se las-
sera jamais de poursuivre la bonne cause contre les
fauteurs de la mauvaise; et elle espère, aussi bien
que vous, que dans peu le Pape prononcera con-
formément à nos souhaits, à ceux de la France et
de tous ceux qui aiment la paix dans l'Eglise et
l'honneur du saint Siège.
Je ne saur ois finir cette lettre sans y joindre en-
core mes très -humbles remercîmens pour l'autre
exemplaire de cette même traduction, que je garde
auprès de moi comme une chose précieuse, aussi
bien que son original en français, avec tout ce que
M. de Meaux a mis au jour sur cette matière : vous
supphant de croire que rien ne m'est si cher que
la continuation de vos bonnes grâces, je m'étudie-
rai toujours ^ les mériter par mes services les plus
46 LETTRES
passionnés, étant aussi respectueusement que je le
suis, etc.
Florence, 18 novembre 1698.
LETTRE CCCLXXII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur les raisons qui empêchoient l'impression de la version italienne
de ses Remarques j les interrogatoires que subissoit madame
Guyon j et sur un mémoire qu'il lui avoit envoyé.
Je viens de recevoir votre lettre du 4> qui m'ap-
prend l'arrivée de notre courrier extraordinaire,
avec les Remarques, Elles sont ici jugées accablantes
pour M. de Cambrai. La version italienne est faite ;
mais Anisson fait difficulté de l'imprimer, parce
qu'elle n'aura, dit-il, nul débit ici. Je verrai à Pa-
ris, oîi je serai demain, ce qu'il faudra faire.
L'ùz praxi (*) est le mot sacramental sur lequel
il faut insister, et l'on doit être attentif à bien aver-
tir de l'abus du langage des bons mystiques. Il y a
trois cents ans, c'est-à-dire depuis le temps des Bé-
gards, que le langage se mêle et s'embrouille ; si
l'on n y met fin, le mal augmentera. Le pur amour
et tout ce qui est au-dessus du quatrième degré,
est la source du mal. Je l'ai démontré dans la Con-
clusion des Remarques,
Je ne puis vous envoyer la sainte Thérèse du
C*) Bossuet par ce mot in praxi rappelle ici son Admonition gd-
n&aUf qu'gn a vue ci-dessus, tom* zM} pag, 284.
SUR l'affaiiie duquiétisme. 4?
père de la Rue i*) : voici les extraits qu'on m'en
communiqua dans le temps.
On continue à interroger madame Guyon ; et
M. de Cambrai y est impliqué du côté du com-
merce spirituel. Le père Roslet aura par M. de Pa-
ris le secret de tout cela.
Vous aurez reçu un Mémoire latin par l'ordi-
naire qui partit un peu après le départ de notre
courrier, dans lequel est renfermée une instruction
pour vous (**). Vous y ferez les remarques conve-
nables. Je laisse le tout à votre discrétion.
Nous avons perdu M. de Simoni ; c'est-à-dire,
chacun de nous un second frère. Mon frère a bien
besoin d'être consolé.
Je salue de bon cœur M. Phelippeaux. Il faut
avoir patience jusqu'au bout. On a reçu les livres
dont il m'avoit donné avis. A entendre les nouveaux
venus de Rome, M. le cardinal de Bouillon est un
favori du Pape. Ce n'est pas ce qu'on écrit ici de
tous les côtés. Pour moi, je me réjouis des mesures
respectueuses que vous gardez avec cette Eminence.
On parle ici de vous très-avantageusement.
ui Meaux , 24 novembre 1698.
(*) Nos Mémoires ne nous instruisent point assez sur le fond du
discours dont il s'agit ici. Mais nous savons que le père de la Rue
prêcha le jour de saint Bernard de la même an ée, dans l'église
des Feuillans , à Paris , un sermon dans lequel il combatlit le pré-
tendu amour pur du nouveau Quiétisme, dont il fit voir l'illu-
sion et les funestes conséquences. Il ne fut pas difficile à Taudi-
toire de reconnoîlre M. de Cambrai et madame Guyon dans le
portrait que le prédicateur fit d'Abailard et d'Héloïse. Aussi les
partisans de Fénélon furent-ils très-choqués de ce sermon.
C**) C'est Tinstruclion ou l'ordre donné à l'abbé Bossuet par
48 LETTRES
LETTRE CGCLXXIII.
DE M. DE ]\0 AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
II lui annonce le départ prochain de M. de Monaco, et lui demande
d'instruire exactement les prélats de ce qui se passera.
Je crois que vous aurez su, Monsieur, que c'est
une petite fièvre tierce qui m'empêcha de vous écrire
par le dernier courrier : comme je suis, Dieu merci,
guéri, je ne veux pas manquer de vous remercier de
vos deux dernières lettres.
J'y vois avec plaisir l'espérance que vous avez
d'une bonne condamnation, malgré les efforts de
la cabale. Il faut présentement redoubler les vôtres,
pour faire connoître la vérité; car les partisans du
livre ne manqueront pas sans doute de travailler
avec une nouvelle ardeur à couvrir la mauvaise
doctrine.
J'espère que les autres congrégations feront plus
d'ouvrage que celle du mercredi n'en fit : je suis
bien aise néanmoins qu'elle ait été rompue par la
sortie du Pape, puisque cela marque que Sa Sain-
teté est en parfaite santé.
M. de Monaco s'en ira bientôt ; vous pouvez l'as-
surer : Fintention du Roi est de le faire partir le
plus tôt qu'il se pourra.
Comme nous voici à la crise de l'affaire , je vous
M. de Meaux, que nous avons placé à la suite de la lettre ccclii,
toni. xLi , pag. 536.
prie
sur. l'affaire du quiétisme. 49
prie de ne nous laisser rien ignorer de tout ce qui
se passera ; afin que nous prenions nos mesures de
ce côte'-ci, et que nous vous soutenions fortement.
Je suis toujours, Monsieur, à vous comme vous
savez.
24 Novembre 1698. 8
LETTRE CCCLXXIV.
DU P. BRION, RELIGIEUX CARME, A BOSSUET.
Sur des remarques qu'il avoit faites pour le prélat, et une réfutation
suivie du livre de M. de Cambrai, qu'il avoit composée.
Quelque soin que j'aie pris d'envoyer chez vous ,
pour savoir les jours où vous pourriez venir à Paris,
je n'ai point été' assez heureux pour vous y rencon-
trer, et pour vous présenter les remarques que vous
m'aviez chargé de faire sur les constitutions des
filles du Saint-Sacrement. Tout ce que j'aurois à dé-
sirer, Monseigneur, ce seroit d'avoir bien rempli
la tâche que vous m'avez donnée, en vous faisant
trouver dans ces remarques quelque chose qui fût
digne de votre attention , et qui ne vous fît pas
perdre le temps que vous employez si utilement pour
la défense de l'Eglise. J'espère au moins que vous
connoîtrez par ce petit écrit, que ce n'est pas d'au-
jourd'hui qu'on se prépare à répandre le Quiétisme
en France, et qu'il y a déjà long-temps qu'on jette
la semence d'une si mauvaise doctrine. Il faut espérer
que Rome, après une longue discussion, tâchera
d'en arrêter le cours par la condamnation du
BoSSUET. XLTI. 4
5o LETTRES
livre de M. de Cambrai; et c'est, ce semble, ce
qui devroit de'jà être fait, après tous les éclaircisse-
mens que vous avez donne's avec tant de lumière
sur cette matière.
Quoique je sois très - persuade , Monseigneur,
qu'on ne peut rien ajouter à tout ce que vous avez
écrit sur ce sujet, je vous avouerai cependant que je ne
puis m'empêcher d'avoir quelque regret que vous
n'ayez pas aussi fait paroître ce que j'avois écrit ;
parce qu'il me semble qu'on découvre et fait bien
mieux voir l'erreur d'un livre , lorsqu'on l'examine
d'un bout à l'autre, et qu'on montre que ce n'est
partout qu'un enchaînement de faux principes
et de mauvaises maximes, que quand on se con-
tente d'en extraire quelques propositions , et
qu'on le combat, s'il faut ainsi dire, par parties.
Comme c'est l'esprit qui anime un auteur, et la fin
qu'il se propose, qui fait connoître la bonté ou la
dépravation de son livre, je crois qu'on ne connoît
jamais mieux ces choses qu'en l'examinant d'un bout
à l'autre. C'est là. Monseigneur, ce qui m'a tou-
jours fait penser qu'il seroit bon qu'il parût un
examen suivi du livre de M. de Cambrai. Mais
comme je n'aurai jamais de peine, Monseigneur, à
soumettre mes lumières aux vôtres, c'est ce qui fait
qu'après avoir pris la liberté de vous marquer mon
sentiment, il ne me reste qu'à vous assurer que je
serai toujours très -content de tout ce que vous fe-
rez ; puisque personne ne vous honore plus g^ue moi ,
aet n'est avec un plus grand respect , etc.
Brion , des Carmes des Biilettes de Paris.
24 Novembre i6«j8.
SUR L* A F FAI HE DU QUIÉTISME. 5l
Je pars pour m'en retourner dans ma retraite ;
c est ce qui me fait recourir à la plume, désespe'-
rant de pouvoir avoir l'honneur de vous voir avant
mon de'part.
LETTRE CCCLXXV.
DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET.
Sur reffet que produisoit à Rome la Censure des docteurs de Paris j
une réponse de M. de Cambrai aux Remarques ^ et le caractère!
des examinateurs qui s'étoient déclarés pour lui.
Les choses paroissent aller de mieux en mieux. Le
Pape est immobile dans la re'solution qu'il a prise de
finir bientôt, et de couper toutes les racines, s'il se
peut, du Quiétisme. Les cardinaux achevèrent hier
de parler sur l'amour pur. Le jugement doctrinal des
docteurs 4^ Paris a produit ici un bon elFet ; et les
efforts qu'on a faits pour exciter la jalousie de cette
Cour, ont été inutiles. Les cardinaux ont vu que
c'étoit un jugement préparatoire, usité en semblables
occasions ; et on leur avoit tant de fois dit que la
Sorbonne étoit favorable au livre, qu'il étoit bon
qu'on sût au vrai son sentiment. J'aurois souhaité
qu'on eût qualifié plus de propositions, et que les
qualifications eussent été plus précises et plus fortes :
on auroit mieux fait de se servir des vôtres , qui sont
beaucoup plus justes, et de suivre l'ordre des pro-
positions extraites et examinées en cette Cour.
Il est arrivé, par un courrier extraordinaire,
une lettre en réponse à vos Remarques : on la mé-
prise, et elle ne retardera nullement le jugement-
02 LETTRES
Je n'ai jamais vu tant d'aigreur et de hauteur que
dans cet écrit , et si peu de bonne foi. Je crois de-
voir vous avertir qu'il y a plus d'un an que M. de
Chanterac avoit dit, à qui vouloit l'entendre , que
M. de Cambrai s'étoit confessé à vous. C'étoit alors
une véritable confession sacramentelle. Il suffit de
vous nommer pour témoins, le père Estiennot pro-
cureur-général des Bénédictins, le père Prinslet
procureur-général de Cîteaux , et le père Cambolas
procureur-général des Carmes. Je ne sais comment
il peut dire qu'il n'a pas eu connoissance des trois
écrits que les Jésuites ont ici publiés pour sa défense.
Je sais qu'ils ont été décrits et copiés chez M. de
Chanterac , qu'il les a distribués à tous les exami-
nateurs qui étoient pour lors. Quand j'ai dit à Gra-
lielli que M. le cardinal de Bouillon n'aVoit point
Vu ces écrits, il m'a répondu qu'il avoit souffert
que les partisans du livre disent en sa présence et
celle du Pape des choses très-désavantageuses au
royaume ; et il ajouta : Si vedeva bene ch' egli era
piu atiento a defendere le falsiia del suo amico ,
che al decoro délia Francia : Mais il étoit plus at-
tientif à défendre les erreurs de son ami, qu'à sou-
tenir l'honneur de la France.
M. de Cambrai a tort de dire que les examinateurs
qui ont été pour lui, sont admirés à Rome : ils y
sont entièrement décrédités. On est étonné de leur
engagement et de la puissance de la caljale ; et on
dit publiquement qu'on ne trouveroit pas encore
dans toute l'Italie, cinq théologiens qui eussent osé
prendre un tel parti. L'archevêque de Chieti a avoué
à l'abbé Pequini , qu'il avoit été trompé par Bernini ,
SUR l'affaihe du quiétisme. 53
ci-devant assesseur, et entièrement attache à M. le
cardinal de Bouillon ; qu on lui avoit persuadé
que Je Roi, le clergé, la Sorbonne défendoient
unanimement la doctrine de M. de Cambrai, et
que cela lui étoit dit et confirmé par des gens à
qui il devoit ajouter foi ; mais que dans toutes les
audiences qu'il avoit du Pape, il ne cessoit de lui
dire qu'il falloit condamner le livre, et finir au plus
tôt cette affaire. On m'a assuré que le sacriste disoit
aussi qu'il avoit été trompé par les Jésuites. Ces
messieurs à la fm découvriront ceux qui les ont en-
gagés dans un si mauvais pas. Je vois bien cepen-
dant que M. de Cambrai commence à se prévaloir
de la scandaleuse partialité, et que ce sera pour lui
un moyen de chicaner ou même de persister dans
l'erreur.
Nous aurons demain au saint Office l'abjuration du
frère Bénigne et d'un autre Augustin déchaussé,
dont je vous ai déjà mandé l'histoire lorsqu'ils furent
arrêtés. Il y a dans leur fait du Quiétisme : nous
entendrons demain leur procès.
Le courrier extraordinaire qui a apporté la lettre
de M. de Cambrai, repartit samedi en diligence,
apparemment pour informer le prélat de l'état pré-
sent des affaires. Il doit venir, par un nouveau
courrier, des réponses au Schola et Mystici in tuto :
on avoit cru qu elles étoient déjà arrivées ; mais on
s'étoit trompé.
On fait espérer la fm de l'affaire vers Noël ; je ne
le puis croire : si cela est fini vers le carême, je
serai content.
54- LETTRES
Je VOUS remercie de la bonté que vous avez eue
d'écrire à messieurs du Chapitre pour me tenir pré-
sent : M. Ledieu m'a mandé qu'ils Tavoient accordé.
Je suis avec un profond respect, etc.
A Rome, ce 25 novembre 1698.
LETTRE CCCLXXVL
PE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur rélonnante célérité avec laquelle M. de Cambrai venoit de
publier sa Réponse aux Remarquei de M. de Meauxj la né*
cessité de le réfuter^ Fétat de l'afifaire; et la manière dont
les cardinaux avoient parlé dans les congrégations c^ui s'étoient
tenues.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Meaux, le 27 de ce mois. Vous aurez
su que notre courrier est arrivé ici avec votre Ré-
ponse, cinq jours plus tard qu'il ne devoit. Il étoit
parti de Paris le 18 octobre au matin, et il n'est
arrivé à Rome que le 3 1 du même mois au matin.
Les prétextes qu'il m'a apportés sont tous d'un homme
de mauvaise foi : il n'en faut plus parler.
M. de Cambrai a été mieux servi. Sa Réponse à
vos Remarques est arrivée ici en dix jours, et seroit
venue en huit sans une rivière débordée. L'ouvrage
a été composé aussi vite, et, je l'avoue, avec une
diligence incroyable : je ne doute pas que vous ne
l'ayez eu à Paris aussitôt ou plus tôt que nous. Il y a
apparence qu on lui a envoyé vos Remarques feuille
I
SUR l'^affàtre du quiétisme. 55
à feuille de chez Â^nisson. Cet ouvrage arriva ici
mercredi dernier, c'est-à-dire le 19 de ce mois. Le
vôtre n'a e'té achevé d'imprimer que vers le 17 d'oc-
tobre. La diligence de la composition, de l'impres-
sion et de l'envoi , est assure'ment extraordinaire.
C'est aussi ce qu'il y a de plus glorieux pour l'auteur
dans cette pièce : car il me semble qu'il n'a jamais
donné plus d'avantage contre lui surtout, qu'il le
fait dans sa Réponse. Il y soutient, il y défend ma-
dame Guyon et le sens inconnu de son livre, plus
scandaleusement que jamais. Il y parle avec une
insolence outrée de toutes l^s personnes qui ne sui-
vent pas aveuglément sa cabale. Personne ne doute
qu'il n'ait voulu laisser entendre en plusieurs en-
droits le Roi et madame de Maintenon , surtout
pages 6 et 8. Sa hardiesse, son arrogance et ses im-
postures s'y découvrent plus que jamais. M. le car-
dinal de Bouillon, en m'en parlant la première fois,
quoiqu'il admirât cet ouvrage, et dît que c'étoit le
plus grand effort de l'esprit humain , fut obligé de
m'avouer que M. de Cambrai étoit hors des gonds,
et qu'il défendoit plus que jamais madame Guyon.
Pour moi, je n'y trouve que le caractère d'un char-
latan, d'un déclamateur, et du plus dangereux de
tous les hommes.
Je sais que la plupart des cardinaux ont déclaré à
M. de Chanterac, qu'ils ne liroient pas cet ouvrage;
MM. les cardinaux Spada, Casanate, Marescotti ,
Carpegna et Ferrari, me l'ont dit à moi-même. Ils
ont lu le vôtre avec plaisir, et ils m'en ont parlé
très-avantageusement. Les partisans de M. de Cam-
brai ne laissent pas de faire valoir extrêmement
5G LETTRES
contre vous sa nouvelle Réponse. J'avoue que la
manière dont elle est écrite, le caractère de l'au-
teur, et la cabale horrible dont il est appuyé, m'ont
fait changer de sentiment sur ce que je crus vous
devoir témoigner dans ma dernière lettre, qu'il se^
roit peut-être à propos de ne plus écrire. A présent
je suis convaincu que vous ne devez rien laisser sans
réponse, et qu'il convient que M. de Cambrai vous
trouve toujours prêt à faire triompher la vérité, et
à dévoiler l'imposture et le mensonge. Il faut le
suivre dans tous ses retranchemens , et ne lui laisser
aucun moyen de pouvoir échapper. C'est une bête
féroce , qu'il faut poursuivre , pour l'honneur de
l'épiscopat et de la vérité, jusqu'à ce qu'on l'ait ter-
rassée, et mise hors d'état de ne plus faire aucun
mal. Il donne plus que jamais prise sur lui dans ce
dernier ouvrage. Si j'étois à votre place, je ferois
une réponse sous le titre d'éclaircissemens , et je
l'accablerois. Saint Augustin n'a-t-il pas poursuivi
Julien jusqu'à la mort? Il faut toujours continuer à
parler avec autorité, avec force, d'un style sérieux
et accablant. MM. de Paris et de Chartres voient
l'avantage que M. de Cambrai tire de leur silence
sur les faits les plus faux, qu'il présente comme
avoués par eux. Il est vrai, et je le répète encore,
qu'il n'est plus nécessaire d'écrire par rapport au
jugement de raiFaire, et même par rapport à cette
Cour-ci ; c'est ce que j'ai déclaré hautement au Pape
et aux cardinaux, encore tout nouvellement : mais
par rapport à la France, par rapport à la cabale,
et pour délivrer l'Eglise du plus grand ennemi
qu'elle ait jamais eu, je crois qu'en conscience, ni
SUR l'affaire du quiétisme. 57
les evéques ni le Roi ne peuvent laisser M. de Cam-
brai en repos. Le coup accablant pour lui , sera la
condamnation de son livre et de sa doctrine par le
saint Sie'ge, qui ne tardera pas long-temps. Si vous
e'crivez sur ce dernier ouvrage, comme je crois que
vous le devez faire, il sera bon que ce ne soit pas
en forme de lettre : il me semble qu il n'est pas dé-
cent de se traiter mal par lettre. Au reste, plus cet
adversaire est enragé et outré contre vous, plus il
faut que vous paroissiez le mépriser, et que sans
injures vous Faccabliez par les choses mêmes. Il ne
veut plus payer que d'esprit.
N'ayant pu aller aux pieds de Sa Sainteté, j'ai
vu M. le cardinal Spada et M. l'assesseur, à qui j'ai
fait plaisir de les assurer, que tout ce qui pouvoit
s'écrire actuellement de part et d'autre, n'étoit point
nécessaire pour le jugement de l'alFaire, qui dépen-
doit du seul texte du livre, déféré devant le saint
Siège. C'est ce qu'on entend fort bien à présent.
Il me semble qu'on embarrasser oit fort M. de
Cambrai, si on lui demandoit quel est donc le sens
caché et bon qu'a eu en vue madame Guyon dans
ses livres, et qu'il dit qu'il s'est fait expliquer terme
par terme, parole par parole. Il le doit savoir, pour
l'excuser si positivement ; et s'il ose jamais le décla-
rer, il se trouvera que c'est ce qu'il a voulu expri-
mer dans son livre des Maximes. Vous voyez les
conséquences de ce raisonnement.
M. le cardinal de Bouillon me parla sur le cha-
pitre de la confession, peu avantageusement pour
vous et pour M. de Cambrai en même temps , don-
nant tort à l'un et à l'autre. Je lui répondis si for-
58 LETTllES
tement là-dessus, qu'il n'eut pas un mot à me ré-
pliquer. Son but est d'excuser M. de Cambrai tout
autant qu'il le peut.
Il est de la dernière conse'quence que vous fas-
siez bien entendre à M. le nonce et au Roi , de
quelle ne'cessite' il est qu'on ne laisse pas M. de
Cambrai e'crire le dernier, qu'on de'couvre tous ses
mensonges et qu'on dissipe tous ses artifices. Il s'a-
git de de'fendre la ve'rité, la^ doctrine de l'Eglise et
l'honneur de saints évéques. De ce côté-ci, je n'ou-
blie rien pour faire sentir l'obligation que l'Eglise
catholique doit vous avoir, et aux évêques, d'éclair-
cir et soutenir des vérités aussi importantes. Si vous
composez quelque nouvel ouvrage, faites-le court,
et arrêtez -vous à ce qui mérite réponse, ou de-
mande des éclaircissemens.
Venons à ce qui se passe. On tint hier la seconde
congrégation ; et je pense que le reste des cardi-
naux, qui n'avoient pas parlé dans la première,
l'auront fait dans celle-ci. Les cardinaux Noris et
Ferrari dévoient parler. Je n'ai pu encore savoir
précisément ce qui s'est passé ; mais je puis assurer
que tout aura été bien. Le cinquième état sera traité
d'illusoire, d'erroné, de faux, peut-être d'impie et
d'hérétique. Sans M. le cardinal de Bouillon, qu'on
ne veut pas choquer ouvertement, on auroit fort
maltraité la personne de l'auteur; mais on se con-
tente de parler fortement contre la doctrine.
J'ai su que M. le cardinal de Bouillon avoit eu
quelque dessein de se retirer : mais les Jésuites et
les amis de M. de Cambrai du côté de Paris, l'ont
engagé à aller| jusqu'au bout , pour parer quelques
suK l'affaire du QUIÉTISME. 5()
coups, et au moins tenir en respect les cardinaux et
le Pape. Je sais, à n'en pouvoir douter, que M. le
cardinal de Bouillon a loué extrêmement le per-
sonnel de M. de Cambrai et ses bonnes intentions ,
et qu'il a biaisé sur le reste, ne pouvant néan-
moins approuver le sens rigoureux des propo-
sitions. On ignore encore quelles qualifications il
leur a donné : on croit qu'il ne les remettra qu'au
Pape, quand tous auront expliqué leurs sentimens.
C'est là le point, le reste n'est rien. Le cardinal
Carpegna a parlé dans la première congrégation
très-fortement et très-brièvement; le cardinal Nerli,
comme il m'avoit promis; le cardinal Casanate, di-
vinement, et son discours fit grande impression ; le
cardinal Marescotti avec vigueur et rigueur. Voilà
tous ceux qui parlèrent dans la première congréga-
tion , et M. le cardinal de Bouillon le fit très-lon-
guement. Le mercredi 19, à l'assemblée de la Mi-
nerve, on ne put s'occuper de cette affaire : on jugea
deux Quiétistes, qui doivent demain faire abjuration
semi-publique, où je ne manquerai pas d'assister.
C'est le fameux père Bénigne, qu'on consultoit ici
comme un saint , et un père Paul , de l'Observance
des Petits-Pères, tels que ceux de la place des Vic-
toires. On leur devoit faire faire abjuration à la
Minerve, comme à Molinos; mais en considération
de leur ordre, ils la feront au palais du saint
Office.
Hier se tint notre congrégation, dont je ne sais
pas le détail ; mais encore une fois, la queue aura
suivi la tête. Le cardinal Noris assurément n'aura
pas épargné l'amour pur, qui est, selon moi,#le
6o LETTRES
seul point qui pouvoit faire quelque difEculté, et
sur lequel la cabale infernale a fait le plus d'effort
pour en empêcher la condamnation. Aussi , comme
vous lavez vu par mes prëce'dentes , n'ai-je eu au-
cun repos , que je ne fusse comme assuré que cette
doctrine seroit expressément proscrite. Je leur ai
parlé si fortement là-dessus , qu'ils ont bien vu que
nous ne serions pas contens d'eux, s'ils passoient
légèrement sur cet article, et que nous compterions
qu'ils donneroient gain de cause à M. de Cambrai.
La vérité 'leur a paru clairement démontrée dans
votre doctrine et dans vos ouvrages, et l'illusion et
la fausseté dans ceux de M. de Cambrai. Ils sont
convaincus de la mauvaise foi de cet auteur , et du
péril que court la religion , si son système est épar-
gné : enfin les impressions de la cabale se sont dis-
sipées, et je ne vois plus aucune ressource pour
M. de Cambrai. J'ose dire à présent la victoire as-
surée, si Sa Sainteté vit encore deux mois; et peut-
être l'affaire sera-t-elle terminée plus tôt. Le Pape
est plus résolu que jamais, et M. le cardinal de
Bouillon ne prend plus d'autre parti avec lui que
de parler doucement ; car Sa Sainteté le prévient
sur tout.
Le personnage de M. le cardinal de Bouillon fait
pitié. Sa foiblesse, sa malice, son impuissance le
jettent dans une mélancolie, dont tout le monde
s'aperçoit.
M. le cardinal Casanate parla hier au Pape , et le
Pape lui dit qu'il vouloit l'entretenir in caméra sur
cette affaire. C'est un digne homme : on ne lui rend
pa» justice en France, si l'on s'oppose à le faire
SUR l'affaire du quiétisme. 6i
Pape. Nos cardinaux ne sont guère pour lui ; car
ils sont tous Jésuites, plus ou moins. Il faut que
vous vous me'nagiez beaucoup là-dessus : néanmoins
il est bon que vous agissiez auprès du Roi et de ma-
dame de Maintenon , pour leur faire connoître la
nécessite' d'avoir un Pape de mérite, qui aime l'E*
glise, qui soit savant, et qui puisse abattre les Jé-
suites qui perdront tout un jour. Ce qui fait aper-
cevoir plus clairement à tout le monde que les af-
faires de M. de Cambrai vont mal , c'est la rage de
lous ses partisans , qui disent qu'on ne peut résister
siu Roi. Non assurément, l'on ne peut résister au
Roi , quand il a la vérité pour lui ; et c'est la plus
grande gloire qu'il puisse jamais avoir , le plus beau
fleuron de sa couronne, d'être le défenseur de la
religion et le protecteur des bons évêques.
Venons à la censure des docteurs. La manière
dont l'affaire a été conduite ici de notre part , a
remédié à toutes les mauvaises impressions qu'on a
voulu donner d'abord. Il est vrai que dans les cir-
constances présentes , et surtout depuis un mois ou
deux, cette pièce n'étoit pas nécessaire, vous l'aurez
vu par mes précédentes lettres : mais elle ne laisse
pas d'avoir son effet, de confirmer tout ce que nous
avons dit, et de faire marcher les pusillanimes avec
plus de confiance. Nous avons affecté de publier ici ,
que Ton ne regardoit cette pièce que comme un
témoignage de docteurs particuliers, qui ne pou-
voient souffrir l'idée que M. de Cambrai avoit voulu
donner de leurs sentimens; mais que cet acte n'é-
toit point nécessaire , et que nous ne doutions pas
que le saint Siège ne frappât encore plus fortement.
62 LETTRES
Je VOUS Tai toujours bien dit, qu'il falloit les laisser
commencer , et que quand une fois ils seroient
échauflés, ils n'épargneroient pas M. de Cambrai.
Il étoit question de les laisser insanguinari ^ et vous
verrez que la fin sera plus forte qu'ils ne l'ont d'abord
cru eux-mêmes. C'est à quoi il f:iut avoir l'œil.
Le Pape voit à pre'sent que tout le mal vient d'a-
voir ajouté ses deux évêques. M. de Chieti , l'un
des deux, avoit témoigné vouloir se rétracter : mais
les amis de M. de Cambrai l'en ont empêché, à ce
qu'on prétend. J'eus hier un entretien avec lui assez
vigoureux , dans lequel je lui parlai avec sincérité
et avec respect : jamais homme n'a été si embar-
rassé; je ne sais ce que cela produira.
On dit que l'université de Louvain a refusé net à
M. de Cambrai l'approbation qu'il désiroit; qu'il a
néanmoins arraché de quelques docteurs de Flandres,
inconnus , quelque chose d'ambigu.
On sait ici la condamnation d'Ekard Dominicain,
et l'on en a fait bon usage.
M. Madot , pour qui vous voulez bien vous inté-
resser, n'est pas aimé de M. le cardinal de Bouillon,
à cause qu'il paroît être de mes amis j mais il s'en
moque.
M. de Villeroi est extrêmement chéri ici de tous
ceux qui le connoissent , de moi en particulier , qu'il
a toujours honoré d'une bienveillance particulière ;
je vous supplie de lui vouloir faire un peu ma cour.
La Réponse de M. de Cambrai aux écrits latins
n'est pas encore arrivée; mais on ia promet inces-
samment : elle viendra tard.
On ne peut trop à la Cour presser le nouvel am-
SUR l'aFFAIUE DU I^UIÉTISME. 63
hassadeur dé venir : tout est ici dans la confusion.
Sur Taiticle de re'ciit, où- il s'agit de la confession
de M. de Cambrai, vous avez pour témoins de la
fausseté du fait, M. de Paris et M. Tronson. Qu'y
a-t-il à dire à cela ?
Pour le trente-quatrième article ajouté, c'est une
bagatelle en soi, mais il me semble que M. de Paris
convint dans ses apostilles qu'il fût ajouté ; tout dé-
pend des circonstances. Ses apostilles n'ont été
montrées ici à personne.
Quant aux intentions personnelles de madame
Guyon , les protestations qu'elle feroit pourroient
bien empêcher qu'on ne les condamnât formellement,
mais non pas obliger de l'excuser précisément contre
la teneur du texte et le sens propre et unique, qui
règne partout dans ses écrits. En un mot, on peut
bien supposer, quand une personne est docile, et
ignorante surtout , qu elle n'est pas hérétique for-
mellement, mais non pas qu'elle n'ait pas cru les
erreurs qu'elle a expressément enseignées et im-
primées.
Au reste , il me semble avoir ouï dire que cette
femme avoit eu l'insolence d'ajouter quelque chose à
ce que vous lui aviez donné, et de falsifier ainsi l'acte.
Ne seroit-ce pas sur cela que M. de Cambrai vou-
droit excuser l'acte faux qu'il avoit produit ? Je n'ai
parlé à personne de ce que je vous dis là , et n'en
ai qu'une idée très-confuse.
Le Pape, les cardinaux, tout Rome est témoin
de ce que M. l'abbé de Chanterac a assuré ici publi-
quement , que M. de Cambrai n'avoit vu madame
Guyon que trois fois en sa vie. Cet abbé a avoué
64 LETTRES
depuis qu'il avoit été trompé par M. de Cambrai :
le fiiit est notoire ici, vous pouvez l'avancer hardi-
ment. Sa Sainteté et tous les cardinaux me l'ont
dit ainsi ; cent autres personnes me l'ont confirmé,
M. de la Trémouille, madame des Ursins, enfin
tout le monde.
Pour les écrits composés par les Jésuites en faveur
de M. de Cambrai ; ils ne sont que trop certains :
on trouveroit ici , si l'on vouloit , plusieurs témoins
qui les ont vu écrire chez M. de Chanterac. Les Jé-
suites les distribuoient : M. de Chanterac les a
donnés à tous les examinateurs et à bien d'autres.
Je suis persuadé que messieurs les cardinaux au-
ront fini vers Noël les qualifications des propositions :
après cela on fera la Bulle, je suis encore persuadé
qu'on ne veut plus perdre de temps.
C'est le père Charonnier qui fait le vœu de M. le
cardinal de Bouillon, jugez ce que ce peut être.
Rome, ce 25 novembre 1698.
LETTRE CCCLXXVII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Il lui témoigne la satisfaction qu'il avoit de sa conduite j lui de-
mande les actes du procès de Molinosj et lui donne quelques
avis.
J'ai reçu, aujourd'hui seulement, votre lettre
du II de novembre, et la nouvelle des deux au-
diences très-importantes que vous avez eues de Sa
Sainteté, dont je rendrai compte, et dont j'espère
qu'on
SUR L'AFFAinE DU QUIÉTISME. 65
qu'on sera bien aise. Le Mandatum (*) vous est venu
bien à propos. Hn'y a rien à ajouter aux diligences
que vous faites. On enverra les livres que vous de-
mandez j mais ce ne peut être que par l'ordinaire qui
suivra celui-ci.
Vous ne sauriez trop re'péler à leurs Eminencies,
et au Pape, dans Foccasion , que si l'on mollit lô
moins du monde > on aura > au lieu d'un homme sou-
mi^ , un ostentateur^ un triomphateur et un insul'*-
tateur.
Je sais ce qui s'est trouvé dans les registres secrets
du saint Office sur la doctrine de Molinos (**), con-
forme à la Cambrésienne : ne laissez pas de m'en
envoyer les actes , les plus authentiques qu'il se
pourra.
Je suis bien aise que le Pape ait repoussé si vive*
ment la demande que lui faisoit M. de Chanterac,
pour alonger l'afTaire. On m'a envoyé un extrait
dès vdeuîcdes examinateurs qui nous sont contrantes,
qui est fait par les amis de M. de ToureiL
Je crois vous avoir mandé que l'original de mon
portrait est à Florence, par les ordres du grand
duc qui l'a demandé. Je vous ai rendu compte de
M. de Madot. Son frère l'abbé doit prêcher, et je tâ-
cherai de l'entendre. Je ferai ici la cour de M. l'agent
de Florence, en sorte que cela retourne aux oreilles
de son maître.
(*) II se trouve cl-tlessus, après la lettre du 18 octobre i6g8,
tom. XL!, pag. 536.
C**) Le saint Office ne jugea pas à proJ>os de risndré publiques
toutes les abominations et les obscénités qu'on avoit découvertes
dans V instruction du procès de Moliuos.
BOSSUET. XLti. 5
66 L E T T 11 ES
Je ferai bien votre cour à M. le nonce. Vous avez
raison de croire qu'il est ici en vénération, et que sa
conduite y est au gré de tout le monde. Je vous ai
mandé par mes précédentes , combien elle est obli-
geante pour vous et pour moi.
Nous avons vu ici M. Raguenet et M. Langlois.
Ce dernier a beaucoup d'esprit. Il faut prendre le
bon de tout le monde. M. Tabbé Fiot qui est pré-
sent, veut bien vous assurer de son amitié.
Appuyez principalement sur Vin praxi et re^^i-
%fîscere MoUnosum , et sur l'abus qu'on peut faire
du langage des mystiques, qui ante exortam quœs-
tionem securius loquebantur (*).
Je suis bien aise d'apprendre que l'avis des doc-
teurs de Paris vous sera utile. M. Pirot qui l'a formé,
étoit bien instruit de nos principes.
AVersaines, i .*'" décembre 1698.
LETTRE CCCLXXVIII.
DE M. DE NOAILLES, ABCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les lenteurs de la Cour de Romej la censure des docteurs de
Paris, et les dispositions du nouvel ambassadeur.
Je vois avec plaisir dans votre lettre du 1 1, Mon-
sieur, les bonnes dispositions où vous croyez qu'on
est contre la doctrine du livre ; mais je suis bien
fâché aussi de la lenteur que Ton continue d'avoir à
C*^} Bossuet renvoie ici son neveu tant à l'Admonition générale
qu au Mandatunif dont il a été déjà question plusieurs fois.
SUR l'affaire du quiétisme. 67
juger. Il n'est pas naturel que deux congrégations
(le suite se passent sans rien faire, et qu'à celle du
jeudi il ne se trouve que quatre cardinaux. Il paroît
une affectation à cela, qui me fait craindre qu'on
ne veuille encore alonger, malgré les bonnes inten-
tions du Pape : ainsi pressez toujours tant que vous
pourrez.
L'avis des docteurs, conduit sagement, comme il
le sera, ne peut faire qu'un bon effet : il donnera du
courage aux juges timides, à qui on faisoit craindre
notre Faculté. Vous pouvez dire , Monsieur, à qui
vous jugerez à propos, que je suis sûr de cent signa-
tures nouvelles au moins , quand je voudrai ; qu'ainsi
on peut compter qu'il n'y a rien de plus faux que
les bruits qu'on avoit répandus.
M. de Monaco est ici depuis huit jours, et se pré-
pare à partir incessamment. J'eus hier matin une
grande conférence avec lui : je lui recommandai for-
tement vos intérêts, et le priai d'avoir une liaison
particulière avec vous. Il me le promit très-honnê-
tement : ainsi vous pouvez compter sur lui, et as-
surer à Rome qu'il y arrivera bientôt. Je lui parlai
aussi, comme il falloit, du père Roslet : j'ai oublié
de le lui mander ; je vous prie de le lui dire : j'espère
qu'il vous traitera très-bien l'un et l'autre. Le départ
du courrier me presse de finir. Je suis toujours,
Monsieur, à vous de tot mon cœur.
a Décembre 1698.
68 LETTllES
LETTRE CCCLXXIX.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
^ur la reconnoissance qu'il avoit témoignée envers le nonce,
le désir qu'il avoit que ce prélat en fût instruit j ses soins pour
le succès de raffaire ; les discours des cardinaux dans les con-
grégaiionsj el l'abjuration d'un Augustin, convaincu de Quié-
tisme.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Fontainebleau, du dix novembre. J'ai
rendu aussitôt à M. le cardinal Spada la lettre qui
étoit pour lui. Je n'ai rien oublié, dans cette occa-
sion, pour lui marquer ma reconnoissance et la vô-
tre. Il m'a dit que M. le nonce lui avoit e'ciit là-
dessus, et tout s'est passé fort bien. Je ne doute pas
que ce cardinal n'en écrive à M. le nonce, aussi bien
que M. le prince Vaïni et un autre de ses amis, qui
est ici son correspondant, et qui sont témoins de ma
reconnoissance et de ma sensibilité. Il s'est rencontré
heureusement qu'ils ont su aussi la manière dont
j'avois parlé à Sa Sainteté, il y a un mois, au sujet
de M. le nonce, lui témoignant de votre part et de
celle de M. de Paris et des évéques la joie que l'on
avoit en France de la grâce que Sa Sainteté lui avoit
faite, en le nommant à l'évêché de Brescia. Je crois
vous avoir déjà écrit ce fait, et vous avoir marqué le
plaisir que fit à Sa Sainteté mon compliment, où je
fis entrer tout le bien qu'il y a à dire de ce ministre.
Je vous adresse une lettre pour lui, et suis ravi de
cette occasion de pouvoir l'assurer par moi-même
i
SUR l'affaire du quiétisme. 69
àe restime singulière que fai pour sa personne, et
de la vive reconnoissance que je ressens de ses bon-
tés, que je vous supplie de lui renouveler encore
dans toutes les occasions.
J'espère que si Ton n'a pas été mécontent de moi
jusqu'au mois de septembre, ce que j'ai pu faire
ici le mois d'octobre et le mois dernier, où il y a
eu plus de mouvement à se donner, et dont je vous
ai rendu un compte exact, ne donnera pas sujet
d'être mécontent de moi. Les cardinaux ont été ins-
truits et bien instruits , de manière que j'espère
qu'ils se déclareront tous contre le livre, et que
ceux dont on avoit sujet de se défier le plus, se-
ront ceux qui feront le mieux. Je pourrai vous dire
un jour tout ce que la cabale a remué : mais enfin
ses intrigues ont été vaines ; et il n'y a plus lieu
de douter que le livre et l'amour pur ne soient
proscrits, si Dieu donne encore deux mois de vie
à Sa Sainteté, qui ne s'est jamais mieux portée.
J'ai su, à n'en pouvoir douter, la manière dont
M. le cardinal de Bouillon se comporta la première
fois qu'il parla au saint Office. Il fit un très -long
verbiage, sans rien conclure : il parla autant en fa-
veur de M. de Cambrai que des autres, louant et
blâmant également tout le monde, et parut indif-
férent sur la doctrine de l'amour pur comme sur
les personnes, sans qualifier les propositions ni en
bien ni en mal. Il vouloit voir le parti que chacun
prendroit, pour prendre ensuite le sien. Ce que je
dis est sûr, et je le sais de science certaine. M. le
cardinal de Bouillon pouvoit-il faire mieux pour
M. de Cambrai ?
•JO LETTRES
Dans la seconde congrégation qui se tint il y eut
hier huit jours, le cardinal Spada parla, les cardi-
naux Panciatiçi, Ferrari et Noris le firent aussi, et
on lut le vœu du cardinal d'Aguirre. Tous parlèrent
bien. Les cardinaux Spada et Panciatiçi furent as-
sez courts, mais bien décidés : le cardinal Ferrari
surpassa Tattente, et surtout établit le sens mau-
vais du livre comme incontestable, et en cela il
rendit un grand service : le cardinal Noris qui con-
tinua, s'expliqua bien et fortement. Le vœu du car-
dinal d'Aguirre, qui n'étoit pas présent, fut lu : il
est bon et fort, et il embrasse toutes les proposi-
tions, à ce qu'on m'a assuré.
Je crois vous avoir mandé par ma dernière lettre,
Ja mélancolie que fit paroître M. le cardinal de
Bouillon au sortir de cette congrégation, et le dé-
pit qu'il témoigna : il vit bien qu'il n'y avoit plus
rien à espérer pour son ami.
J'ai su que M. le cardinal Casanate avoit fait une
grande impression : il s'est servi de tout ce qu'il y
a de plus fort, pour établir le vrai sens du livre et
l'intention de l'auteur sur tous les difFérens points.
Il fit très-bien voir qu'il n'y avoit aucun péril dans
votre doctrine, et que celle de M. de Cambrai, au
contraire, en étoit toute remplie. Le cardinal Car^
pegna fit un vœu court, précis, fort, et qui égale à
sa manière celui du cardinal Casanate. Kestoient à
parler les cardinaux Ottoboni et Albani, qui par-
lèrent hier, et qui ont dû imiter les autres. Je n'en
sais encore aucune particularité.
Mercredi dernier, 26 du mois de novembre, se
fit au saint Office l'abjuration du compagnon du
SUR l'affaire du quiétisme. 71
père Bénigne, qui s'appelle le père Pietro Paolo.
Hors l'appareil qui éèoit plus grand à l'abjuration
de Molinos, tout se passa de même. On lut le pro-
cès de ce religieux, qui contenoit les informations
et sa confession. Il abjura, reçut l'absolution, et
fut condamné aux mêmes peines que Molinos. Son
procès, quoiqu'on y eut retranché le plus sale, étoit
plein de si grandes infamies, qu'on ne peut les ima-
giner. On ne sauroit mieux représenter le person-
nage, quen disant qu'il étoit un autre Molinos pour
la doctrine et pour les actions, ayant même à cet
égard enchéri sur son maître. Ce qu'il y a de bien
remarquable, c'est qu'il fut déclaré hérétique for-
mel; et tout ce qu'on lut de ses erreurs, se rédui-
soit à la doctrine de l'amour pur, qu'on nomma
plusieurs fois, à la conformité à la volonté de Dieu,
à l'union avec Dieu, à la séparation de la partie
supérieure d'avec l'inférieure, aux tentations, ob-
sessions, etc. auxquelles le seul remède est de con-
sentir. Je reconnus aisément nos Quiétistes à toute
cette peinture. Je me trouvai placé assez proche et
en face des cardinaux, qui me faisoient tout publi-
quement des signes de la tête toutes les fois qu'on
parloit de l'amour pur. Quand la cérémonie fut
finie, je m'approchai de tous ; et chacun me dit son
petit mot sur la part que je prenois à cette action
et que j'y devois prendre, ajoutant en présence du
cardinal de Bouillon, Ecco l'amore puro, et je leur
répondois : Vamore piirissimo e rafinaiissimo. Ja-
mais homme n'a fait à une action publique une
plus mauvaise figure, que celle que fit M. le cardi-
nal de Bouillon dans cette circonstance. Tout le
7* LETTRES
Biontle s'en aperçut : sa contenance éloit bien dîfr
feiente de celle qu'avoit M. le cardinal d'Estrées à
l'abjuration de Molinos.
M. le cardinal de Bouillon n'a rien négligé pour
que l'abjuration fut faite en secret; mais on n'a
eu aucun égard à ses sollicitatians : si les prièreç
du cardinal Noris, qui est Augustin , ne l'avoient
empêché, elle auroit été prononcée à la Minerve
comme celle de Molinos. On croit que ce n'est paç
sans avoir eu en vue M, de Cambrai , que l'on a
ordonné cette action, et que l'auiour pur a étç
nomnié plusieurs fois. L'abbe de Çhanterac a eu la
curiosité d'assister à cette cérémonie ; mais il a été
bien heureuse d'être derrière les autres : il auroit fait
\ine trèsrmauvaise figure, si on l'avoit vu. U s'en
est retourné tout: consterné et indigné, disoit-il,
contre les cardinaux , à cause des infamies qu'on
avoit lues ainsi publiquement. 11 faut avouer qu'elles
faisoient frémir. Le père Bénigne, quoique très-t
coupable, a été dispensé de cet acte public , à cause
de sa simplicité et de sa bêtise, et il a été condamné à
sept ans de prison. Son compagnon lui faisoit croire
et faire tout ce qu'il vouloit. Le pèr# Bénigne a fait
son abjuration en particulier.
Le lendemain, après la congrégation, M. le car-
dinal de Bouillon est parti pour Frescati , où il est
resté jusqu'à bier matin, qu'il revint pour la con-r
grégation du soir. M. le cardinal de Bouillon a passé
ces quatre jours, seul avec le père Ch^voi^nier,
Jésuite, qui le dirige en t,oiit.
A la congrégation qui se tint hier , parlèrent lesi
cardinaux Ottoboni et Albaiii. M, le cardinal çle
I
SUR l'affaihe du quiétism^. 73
Bouillon recommença et discourut long-temps. Je
ne sais si d autres parlèrent , je ne le crois pas ; car
la congrégation commença assez tard, à cause de l'ab-
sence du cardinal Spada qu'on attendit. Je vis M. le
cardinal de Bouillon au sortir de la congrégation ;
je ne pus l'entretenir en particulier. Mais j'ai su de-
puis qu'il étoit très-content de lui-même, et il croit
avoir bien parlé : il dit aune personne, qu'il falloit
savoir a quoi s'en tenir sur la doctrine de l'amour
pur , et qu'on ne devoit pas se contenter là-dessus
d'un respective. Je ne sais ce que cela veut dire.
Je me doute que M. le cardinal de Bouillon aura
peut-être voulu réparer ce qu'il avoit fait dans la
première congrégation , et qu'il se sera expliqué sur
l'amour pur, voyant son art inutile. Je saurai bientôt
ce qu'il en est, et s'il a donné son vœu sur cet ar-
ticle. La finesse de M. le cardinal de Bouillon sera
à présent de s'étendre et d'alonger. On a déjà dit
qu'il imitoit en tout le sacriste : ainsi il sera le sa-
criste des cardinaux. On doit s'attendre qu'il ne
perdra aucune occasion de servir M. de Cambrai ,
et ne lui fera que le mal qu'il ne pourra s'empêcher
de lui faire, et qu'on feroit malgré lui.
Si les cardinaux continuent à parler si long-
temps, l'affaire ne finira pas si tôt ; mais je suis per-*
suadé qu'après les premières discussions , ils s'arrê-
teront, et seront très-courts : ils le disent eux-
mêmes ainsi. Au reste, je ne doute pas que M. le
cardinal de Bouillon ne cherche à les porter par son
exemple à alonger.
Le mercredi matin on ne parle pas au saint Office
de notre affaire : cette congrégation est réservée aujx
74 ' LETTRES
affaires courantes. Le jeudi on n'en parle pas devant
le Pape, cela seroit inutile : on le fait en particulier ;
et sur la (in on re'sumera le tout en pre'sence de Sa
Sainteté. Je ne puis m'empêcher de croire que cette
affaire sera terminée dans le mois de Janvier. Néan-
moins il ne faut pas laisser de presser du côté de la
Cour. Je n'oublie rien pour faire que le Pape en-
gage les cardinaux à accélérer. Je vous envoie une
lettre, que je viens de recevoir, de monseigneur
Giori sur les dispositions du nonce. Ce qui est cer-
tain, c'est que la congrégation a dessein de bien
faire, et que le succès de l'affaire est à présent assuré.
On n'oublie rien pour l'instruction. Il est inutile
de répandre ici de nouveaux écrits. Ceux qui ont
paru nous suffisent , et ils ont eu leur effet. Mais ne
laissez pas de faire pour la France tout ce que vous
jugerez à propos. Il est nécessaire d'abattre l'orgueil
de M. de Cambrai , et de ne lui laisser aucune es-
pérance de lasser ses adversaires : il faut qu'il voie
au contraire les évéques toujours prêts à le fou-
droyer. Je me sers, et me servirai de toutes vos
vues dans l'occasion.
Quand Zeccadoro s'est aperçu , il y a un mois ,
que ses peines étoient inutiles , il est allé à la cam-
-pagne pour tâcher de tirer son épingle du jeu.
Je vous envoie copie de la lettre que j'ai reçue,
il y a huit jours, de M. l'abbé de Gondi, de la part
de M. le grand duc. M. l'abbé Feydé parle toujours
au Pape comme nous convenons , et agit bien. Vous
pouvez en assurer M. Salviati \ et il est bon que cela
revienne ici à M. l'abbé Feydé, qui en aura plus de
confiance en moi.
SUR l'affaire du quiétisme. ^5
M. le cardinal de Bouillon est le plus lâche de
tous les hommes. Les Jésuites sont au de'sespoir.
Il n'y a ici que les partisans déclares de M. de
Cambrai, qui osent seulement regarder la dernière
Réponse de ce prélat à vos Remarques. Je crois
toujours qu'il est nécessaire que vous le réfutiez for-
tement, et que vous confondiez toutes ses impos-
tures , pour le triomphe de la vérité.
J'oubliois de vous dire que le pauvre abbé de
Barrières me paroît assez intrigué sur ce qu'on lui
mande de Paris , qu'il a un ecclésiastique auprès de
lui qui est fort zélé pour M. de Cambrai ,' et que
cela pourroit lui faire tort. Vous savez, et je vous
prie d'en assurer M. le cardinal d'Estrées, que je,
ne me suis jamais avisé de vous en. dire un mot ,
n'ayant pas imaginé que ce bon homme pût faire
ni bien ni mal, soit qu'il fût pour ou contre M. de
Cambrai. J'en ai toujours parlé ainsi à M. de Bar-
rières, qui se conduit ici sur cette affaire avec toute
la'modération d'une personne aussi sage qu'il est.
Cet ecclésiastique d'ailleurs est un honnête homme,
qui s'imagine à la vérité que l'amour du cinquième
degré est la perfection, et que M, de Cambrai est le
plus grand homme de l'Eglise : je me suis toujours
moqué de lui.
Rome, ce 2 décembre 1698.
76
LETTRES
LETTRE CCCLXXX.
DU MARQUIS D'HARCOURT H,
A BOSSUET.
Il loue les écrits et le zcle de Bossuet contre le Quiétisme , et le
rassure touchant les Universités d'Espagne, qu'on disoit être
favorables à M. de Cambrai.
J'ai r^eçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez
faijt l'honneur de m'écrire, du lo de l'autre mois,
avec celle que vous avez adressée à M. l'archevêque
de Se ville, et les livres qui y étoient joints, que j'a-
vois déjà lus. M. l'archevêque de Rheims m'a fait
l'honneur de me les adresser il y a quelque temps ,
aussi bien que M. l'archevêque de Paris. Quoique je
sois encore moins capable de juger de ces sortes de
matières que d'aucune autre, ils m'ont fait fftrt
grand plaisir. Vous y faites voir trop clairement la
vérité et la pureté de votre doctrine et de votre pro-
cédé, pour que l'on puisse douter un moment de la
fausseté de celle que vous combattez ; à moins qu'on
ne soit entêté de son propre ouvrage , ou d'une nou-
veauté qui plaît toujours à certaines gens, et surtout
aux esprits foibles. Tous ceux qui aiment la pureté
de la religion et le repos de l'Etat, ne sauroient
trop louer votre zèle à détruire un monstre naissant.
Je me suis informé ici soigneusement du chemin
que cela peut faire en Espagne, qui est peu de
(*) Depuis duc, pair, et maréchal de France.
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME. ^j
chose ; car cette monarchie a tellement baissé en,
tout, que l'ignorance y règne de manière que le
seul mot de mjstique y est très-peu connu. L'in-
quisition ne fait la guerre qu'au Judaïsme : et son
principal soin est de conserver une autorité injuste-
ment acquise, et de la pousser au-delà de ses justes
bornes.
J'envoie à M. rarchevêque de Séville la lettre que
vous lui écrivez , et je vous ferai tenir sa réponse
avec soin. Je tâcherai aussi de découvrir ce qui se
passe à Salamanque, où du moins il n'y a que quel-
ques particuliers qui travaillent secrètement. J'aurai
l'honneur de vous informer du tout, comme la per-
sonne du monde qui est avec le plus de respect et
de vénération, etc.
Madrid, 5 décembre 1698.
LETTRE CCCLXXXL
DE BOSSUET A M. DE LA BROUE.
U rinstruit de Vétat de raffaire de M. de Cambrai, et lui apprend
le succès qu'avoit eu sa Réponse à ce prélat.
Je ne me contenterai pas, Monseigneur, de faire
écrire M. l'abbé de Castries , qui ne me le refusera
pas quand je l'en prierai; mais j'écrirai moi-même
en même temps , et dans le temps que vous sou-
haitez. Je ne mentirai pas, quand je dirai que je
souhaite plus devons voir ici, que vous d'y venir.
Les nouvelles de Rome marquent une prochaine
et ferme décision j et je le crois ainsi d'après l'im-
^8 LETTREvS
pression qu a faite ma Re'ponse. Je vois par l'attente
où Ton en étoit, combien la séduction et la préven-
tion d'un grand parti ont d'effet : elles forment jus-
qu'à Rome une prodigieuse cabale; mais ma Ré-
ponse a mis tout le monde en garde contre l'artifice.
Je suis, mon cher Seigneur, avec le respect et la
cordialité que vous savez , etc.
A Paris, le 6 décembre 1698.
LETTRE CCCLXXXII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur les précautions que l'on prenoit pour empêcher les effets de
la mauvaise volonté du cardinal de Bouillon ; le plan d'un ou-
vrage sur rOraison, quil vouloit donner après la conclusion
de l'affaire ; la Censure des docteurs de Paris j et sur les re-
proches qu'on lui faisoit d'avoir traité M. de Cambrai avec
aigreur. •
J'ai reçu votre lettre du 18 novembre. J'ai vu
M. de Paris : nous nous sommes naturellement com-
muniqués ce que vous nous écriviez. Dieu préside
à ce qui se passe. On a donné avis au Roi que M. le
cardinal de Bouillon, ne sachant plus où se tour- SI
ner pour sauver M. de Cambrai, pourroit faire
mettre dans la préface d'une Bulle quelque clause
qui blesseroit les droits du royaume, et en empê-
cheroit l'exécution. LeJR.oi fut touché' de cet avis;
et je crois être assuré qu'il est parti un courrier ex-
près, pour lui porter des ordres bien précis sur cela.
C'est aussi principalement à quoi vous avez à prendre
garde. On veut faire un bien solide. Il ne faut donc
I
SUR l'affaire du quiétisme. ^9
rien qui déroge à une fm si sainte et si grande. C'est
M. de Cambrai qui a porte' l'affaire au Pape, en lui
soumettant son livre. Nous, qui e'tions appele's en
témoignage, nous l'avons rendu à toute l'Eglise :
nous n'avons rien demandé au Pape ; nous ne
sommes ni dénonciateurs ni accusateurs. Le P\.oi a
parlé; et je ne vois rien qui empêche de faire men-
tion de ses instances réitérées. Moyennant cela, tout
ira bien; et l'autorité du Saint Siège mettra fin à
une hérésie dont les suites seroient funestes au chris-
tianisme, si l'on n'y pourvoyoit bientôt.
Je n'écrirai plus du tout. Quand la décision sera
venue, je pourrai sans plus disputer, faire mon se-
cond traité sur les Etats d'oraison, où j'en donnerai
les principes; et je comprendrai dans un seul vo-
lume les cinq traités que j'ai promis. Cela ne peut
être qu'utile ; puisque je suivrai les principes que la
bulle du Pape donnera. Il sera même nécessaire
d'en donner sur ce sujet-là , à cause de l'ignorance
et du galimatias de la plupart des spirituels, et de*
l'abus qu'on fait de l'autorité de l'Ecole. Vous pourrez
même, après que l'affaire sera terminée, insinuer
que si on l'a pour agréable, je dédierai mon ouvrage
au Pape.
Il n'y a rien à ajouter aux principes que j'ai posés
dans le Summa, ensuite dans les In tuto et dans la
Réponse aux quatre lettres. Il n'y aura que l'ordre
à changer, et à procéder par principes, en laissant le
polémique. Le livre est presque tout fait. Je réduis
toute l'oraison à l'exercice de la foi, de l'espérance
et de la charité, après saint Augustin dans sa lettre
à Probe. 3 'expliquerai en détail ce que la foi met
90 LETTRES
dans la prière, ce qu'y met Tesp^rance, ce qu'y riiet
la charité' et le vrai amour. Saint Augustin ira par-
tout à la tête, et saint Thomas sera le premier à sa
suite. Je n'oublierai pas les autres saints, sans mépris
ses les mystiques, que je mettrai en leur rang, qui
sera bien bas, non par mes paroles, mais par lui-
même, comme il convient à des auteurs sans exac-
titude* Je ferai pourtant valoir ce qu'ils ont de bon^
afin que ceux qui les aiment ne se croient pas mé-
prisés.
Pour revenir à notre affaire, je suis ravi que les
signatures des docteurs de cette faculté tournent à
bien. Je n'y trouve en effet qu'une chose à repren-
dre, qui est la foiblesse des qualifications. M. de
Paris en convient ; mais le tour de modestie que vous
y donnez, sauvera tout.
Est-il possible que l'erreur sur le trouble invo-
lontaire de Jésus-Christ échappe , sous prétexte du
passage de saint Thomas, dont j'ai donné une si
claire solution en trois mots, dans mon avertissement
sur les cinq Ecrits^ n. 7 (*)? Il seroit honteux qu'une
proposition que l'auteur a abandonnée et puis re-
prise à la fin , quand il a vu qu'il avoit trouvé des
flatteurs, évite la censure du saint Siège. Repassez
ce que j'ai dit dans la Réponse aux quatre lettres
sect. 20.
Dans le fond M. de Chartres est de même avis
que moi sur les motifs seconds de la charité. Il en a
approuvé, et la doctrine, et les principes établis
dans les Etats d'oraison; mais occupé d'autres af-
faires , il est vrai qu'il n'a pas pris autant de soin
^*) Voyez tom. xxvm, pa§. 35a.
que
i
SUR l'affaire du quiétisme. 8i
que moi de montrer par principes l'inséparaLilité
des deux motifs /comme je l'ai fait dans le Summa
doctrinœ et dans les In tuto.
J'ai clairement démontré que ces deux motifs pou-
voient bien être séparés per mentem et par al)strac-
tion, à l'égard de l'intention explicite, dans des
actes passagers; et c'est le dernier point où l'on peut
aller, en remarquant seulement que l'amour de la
béatitude, subordonné toutefois à la gloire de Dieu,
se trouve, du moins implicitement et virtuellement,
dans tout acte raisonnable. Il n'y a que moi pro-
prement qui ait expliqué ceci par principes, Schoîa
in tuto , Quaest. i, n. 4? prop. 6, 25, 26, 27, 28,
29, 3o, 33; et n. 18, jusqu'au n. 22 et n. 33; ce qui
est prouvé par saint Augustin, n. 228 et suiv. par
saint Thomas q. 11 et m, n. 8, 34, 35 et sui-
yans (*). Réponse aux quatre lettres _, sect. ix et
XV, etc. (**).
Si je vous marque ces endroits , pe n'est pas que
je ne sente que vous avez pris tout cela parfaite-
ment bien.
J'ai vu , dans une lettre du père Estiennot à M. de
Rlieims, que le maître du sacré Palais l'ayant été
voir, l'avoit beaucoup questionné sur l'aigreur que
les Cambrésiens m'imputent. Ha répondu que M. de
Cambrai me devoit tout : qu'il ne faut pas s'étonner
que sur l'accusation formée contre moi d'avoir ré-
vélé sa confession , et sur d'autres imputations extrê-
mement odieuses, j'avois répondu sérieusement; que
pour me bien connoître, il ne falloit que lire les
(*) Voyez tom. xxix, /?, 209 et suiv. 223 et siih'. 23o, 827, et suii',
— {**) Ihid. p. 3o et suiif. 5i et suis'.'
BOSSUET. XLII. 6
B'2 LETTRES
Variations j oii Ton voit autant de modération que
de force. Je pense qu'il faut insister sur cela auprès
des amis particuliers, et notamment auprès du maître
du sacré Palais. Voyez ce que j'ai dit sur ce sujet ,
Réponse aux quatre lettres, sect. 24 (*).
Paris, 7 décembre 1698.
LETTRE CCCLXXXIII.
DE M. DE NO AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur le bon effet de l'avis des docteurs j et les craintes que le prélat
avoit du retardement.
Votre lettre du 18, Monsieur, m'a donné une
grande joie : j'y vois avec un sensible plaisir le bon
effet de l'avis de nos docteurs. Vous l'avez si bien
défendu, que les efforts de la cabale ne pouvoient
pas l'emporter sur vos bonnes raisons : elles sont
sans réplique, et on ne peut les combattre sans
s'exposer à être confondu. Ce que le Pape a dit au
cardinal Albane me paroît merveilleux : j'aurois de
la peine à le croire , si vous n'aviez un aussi bon au-
teur pour garant. Il est impossible, dans cette dis-
position, que cet avis n'avance le jugement, et ne
fortifie ceux des juges qui pouvoient craindre que les
savans ne fussent contre eux.
Ce que vous me mandez des bonnes dispositions
du Pape et des cardinaux, est confirmé par toutes
les lettres de Rome j ainsi il paroît que vos mémoire^
^*) Tom. XXIX, pag. 76, 77.
SUR l'affaire du quiétisme. 85
sont justes. Cela nous donne de grandes espérances ;
mais je ne laisse pas de craindre toujours le retar-
dement. La lenteur est naturelle à votre Cour, et
les partisans du livre veulent toujours reculer. Si
les cardinaux veulent examiner chaque proposition
en particulier, ils donneront belle matière à la ca-
bale pour les obliger d'alonger : ainsi vous ne devez
point, Monsieur, cesser de demander diligence, non-
seulement au Pape qui paroît bien disposé à Tac-
corder , mais aux cardinaux qui peuvent n'être pas
si pressés que Sa Sainteté.
Je comprends aisément Tembarras du cardinal de
Bouillon ; mais c'est sa faute : défiez vous- en toujours.
C'est une bonne chose que le commissaire du saint
Office soit si fort de vos amis ; mais vous n en serez
pas pour cela si bien instruit que l'abbé de Chan-
terac. On continuera à lui révéler les secrets que
vous ne pourrez pénétrer; mais la vérité l'empor-
tera, s'il plaît à Dieu.
J'envoyai, dans le moment que j'eus reçu votre
paquet, la lettre de l'abbé de Toureil.
Vous pouvez assurer M. Poussin que je le ser-
virai de mon mieux : le père Roslet m'en a déjà
écrit.
Je vous demande plus de nouvelles que jamais ;
car elles vont être toutes importantes. Je souhaite
que l'on couronne bientôt vos peines, et que vous
me croyiez toujours à vous, Monsieur, autant que
j'y suis.
Paris, ce 8 décembre 1698.
84 I.ETTRES
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LETTRE CCCLXXXIV.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur ce qui s'étoit passé dans les précédentes congrégations des
cardinaux; les manœuvres du cardinal de Bouillon ; les ordres
que la Cour avoit donnés à ce cardinal, pour empêcher qu'on ne
glissât rien dans la Bulle de contraire à nos maximes j et l'au-
dience que le Pape avoii donnée à cet abbé.
J'ai reçu les deux lettres que vous m'avez fait
l'honneur de m'écrire de Germigny, le 1 6 et le 17 no-
vembre : vous verrez, par la suite de cette lettre, ce
qui m'a déterminé à dépêcher le courrier qui vous
porte ce paquet, et un semblable à M. de Paris.
Vous aurez vu par ma dernière lettre^ du 2 de ce
mois, que vous recevrez plus tôt ou en même temps
que la présente, que je commençois à craindre quel-
ques longueurs, et à soupçonner quelques difficultés
depuis la troisième congrégation qui s'étoit tenue
la veille, et dont je n avois pu savoir le succès quand
j'écrivis le lendemain. J'avois néanmoins bien senti
qu'il y avoit du nouveau , par les discours du car-
dinal Casanate et de quelques autres, qui ne par-
loient pas avec la même certitude de la décision de
cett^ affaire, par l'espèce de joie que je vis sur le
visage v.e M. le cardinal de Bouillon au retour de la
congrégation, et par ce qu'il lui étoit échappé de
dire qu'il ne falloit pas s'en tenir à un respectwe,
mais aller plus avant; ce qui selon moi, ne pouvoit
être dit à bonne intention par le personnage. Je
sentis donc dès ce moment quelcrue mauvais dessein.
SUR l'affaire du quiêtisme. 8j
et quelque changement. J'ai cru ne devoir rien
oublier pour approfondir ce qui en pouvoit être ,
pour savoir, s'il étoit possible, le vrai état des con-
grégations, et ce que faisoit le cardinal de Bouillon;
afin de remédier au mal qu'on pourroit avoir causé,
et vous donner des instructions sûres. Voici ce que
j'ai découvert.
Premièrement, tout ce que je vous ai marqué par
mes précédentes de ce qui s'est passé dans les deux
premières congrégations, est vrai au pied de la lettre.
Excepté M. le cardinal de Bouillon, tous ceux qui
avoient parlé, avoient fait des merveilles. Ils s'é-
toient expliqués en peu de paroles, avoient donné
leurs vœux, et des qualifications précises aux pro-
positions qui concernent l'amour pur, établissant le
vrai sens des propositions, qu'ils faisoient voir être
mauvaises et dans l'intention de l'auteur , et dans tout
le contexte du livre» M. le cardinal de Bouillon re-
vint désolé de ces congrégations. Il ne restoit plus
à parler sur cette matière que le caixlinal Ottoboni
et le cardinal Albani. Je voyois dans les yeux et
dans les discours de tous nos amis une joie bien
marquée : ils me disoient qu'il n'y avoit qu'à les
laisser faire, que tout iroit bien et finiroit prompte-
ment. L'assesseur m'avoit assuré, il n'y avoit pas
quinze jours, qu'à Noël messieurs les cardinaux au-
roient achevé de donner leurs vœux, et qu'il ne
resteroit plus qu'à dresser la bulle. Le Pape et
tous les cardinaux le faisoient assez entendre, et le
croyoient.
Dans ces circonstances arriva le jour où devoit
se tenir la troisième congrégation. Le cardinal Otto-
86 LETTRES
boni parla, ainsi que le cardinal Albani; c'étoient
les derniers, après lesquels revenoit le tour de M. le
cardinal de Bouillon; qui parla très-longuement, et
la congrégation finit. Depuis cette e'poque, il m'est
revenu de tous côtes que l'afTaire tireroit en lon-
gueur, qu*on faisoit des difficultés. Toutes les per-
sonnes qui s'intéressent véritablement à la bonne
cause, en ont été alarmées. Je savois que le Pape
avoit dit, que le tout consistoit h bien s'expliquer
sur le livre de M. de Cambrai. Le commissaire dé-
claroit que celte affaire ne fmiroit pas avant le ca-
rême. Les partisans de M. de Cambrai, qui les der-
nières semaines étoient désespérés, commençoient
à reprendre courage, et à dire que l'affaire ne se
termineroit point. J'ai été aux informations, et j'ai
su par des voies sûres, puisque c'est par le cardinal
Casanate lui-même , et par le père Roslet que le
cardinal Albani a instruit, j'ai su que M. le cardinal
de Bouillon étoit cause de tout ce désordre. Le car-
dinal Casanate me dit hier, que sans cette Eminence
on auroit déjà voté sur vingt propositions ; mais
qu'on ne pouvoit lui imposer silence, et qu'il n'avoit
pas été possible de l'obliger dans les trois premières
congrégations à donner son vœu, ni de savoir ce
qu'il vouloit conclure. Il ne conclut à rien la pre-
mière fois qu'il parla : à la troisième congrégation ,
où il reprit la parole, il fit la même chose; avant-
hier, jour de la quatrième séance, il demanda encore
à parier, et je ne suis pas assuré s'il a donné son
vœu par écrit, comme les cardinaux le lui ont de-
mandé : j'en serai informé avant que de finir cette
lettre. Ce que je sais, c'est que tous les cardinaux
SUR L* AFFAIRE DU QUIÉTISME. 87
paroissoient indignés de l'embarras qu'il met dans
cette affaire, qui sans lui nauroit jamais trouvé et
ne trouveroit point de difficulté.
Le cardinal Casanate dit qu'il se perd dans les
nues avec des raisonnemens plus subtils que ceux du
Jésuite , du Carme et du sacriste ; enfin que tout
son but est d'embrouiller et d'alonger. Le cardi-
nal Aibani a dit au père Roslet que le cardinal de
Bouillon paroît savoir très-mauvais gré à ceux qui
contredisent son sentiment, et qui parlent trop fort
contre M. de Cambrai, et qu'il garde là-dessus très-
peu de mesures. Le cardinal Casanate m'a ajouté
quelques paroles, qui me font juger que la vue de
M. le cardinal de Bouillon est de distinguer deux
sens dans les propositions ; suivant l'un desquels les
propositions sont censurables, mais soutenables se-
lon l'autre, qui est, à l'en croire, celui de M. de
Cambrai , à qui il faut bien nécessairement s*en rap-
porter sur ce qu'il a pensé. J'ai eu en même temps
la satisfaction d'entendre le cardinal Casanate me
dire nettement, qu'on auroit raison de se moquer
du saint Siège, s'il entroit dans nos prétendus dou-
bles sens ; que c'étoit l'affaire du Pape et des car-
dinaux de déterminer si le sens naturel des paroles
étoit bon ou mauvais; que c'étoit-là précisément
sur quoi on consultoit le saint Siège, et sur quoi
il convenoit 4e répondre; qu'ainsi il falloit nécessai-
rement décider, ou que le sens naturel des propo-
sitions de M. de Cambrai étoit bon et catholique,
ou qu'il étoit mauvais et digne de telle ou telle
censure. C'est là en effet le point essentiel, qui me
paroît être bien saisi, non-seulement par le cardi-
88 LETTRES
nal Casanate, mais par presque tous les autres; et
cest aussi ce qui fait enrager M. le cardinal de
Bouillon. Le cardinal Casanate m'a assure' que c'é-
toit une moquerie de vouloir parler plus d'un
quart-d'heure; qu'il ne parleroit jamais davantage,
quand ce seroit à lui à parler ; qu'il e'toit question
de donner son vœu par e'crit, et de qualifier net-
tement les propositions. Enfin il me parla en homme
Lien intentionné , bien persuadé de la bonté de
notre cause, et de la malignité de M. le cardinal
de Bouillon, qu'il dit clairement être le seul à
craindre.
Le cardinal Mbani s'est exprimé à peu près de
la même sorte au père Roslet ; et le cardinal Ca-
sanate lui a répété ce qu'il m'avoit dit à ce sujet.
Ainsi on ne peut savoir plus sûrement les démarches
de M. le cardinal de Bouillon et ses bonnes in-
tentions, dans lesquelles je ne doute pas qu'il ne
persévère jusqu'à la fin, M. le cardinal de Bouillon
par son seul vœu alongera l'affaire plus de deux
mois, sans compter les incidens qu'il ne manquera
pas de faire naître , quand les cardinaux auront
fini , et qu'il s'agira de rédiger la bulle. Je ne sais
pour moi si l'on peut faire pis contre l'Eglise , et
manquer plus essentiellement aux volontés du Roi.
Revenons à la congrégation de lundi dernier, qui
étoit avant -hier, 8 de ce mois. M. le cardinal de
Bouillon y parla encore le premier, très -longue-
ment, et sur famour pur, quoiqu'il se fût déjà
expliqué deux fois sur cette matière, et il s'étendit
sur l'article de l'indifférence. Je ne suis pas assuré
s'il a laissé son vœu relativement aux propositions
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 8^
qui concernent ces deux articles : vous en serez
instruit à la fin de ma lettre. Pour les autres car-
dinaux qui suivoient, ils furent très-courts, et lais-
sèrent leur vœu par écrit sur l'article de rindifFé-
rence. Le cardinal Carpegna parla, et le cardinal
Nerli : le cardinal Casanate qui se trouva un peu
malade, ne voulant pas occasionner aucun retard,
envoya son vœu par e'crit , qu'on lut apparemment.
M. le cardinal de Bouillon avoit été trop long, pour
que d'autres pussent parler.
Il arriva samedi au soir , 6 de ce mois , un cour-
rier extraordinaire, qui apporta les paquets de la
Cour. M. le cardinal de Bouillon étoit à Frescati,
seul avec le père Charonnier : il revint le lende-
main. M. le cardinal de Bouillon parut plus cons-
terné qu'on ne l'a jamais vu. Il a laissé le père
Charonnier à Frescati. J'ai quelque raison de croire
qu'il n'a pas reçu des ordres agréables sur M. de
Cambrai. Si M. le cardinal de Bouillon s'est enfin
déterminé avant-hier à laisser son vœu , je suis per-
suadé que le contenu des dépêches n'y aura pas peu
contribué.
Je le vis lundi au soir, au sortir de la congréga-
tion : il battit extrêmement la campagne, me dit
qu'il voudroit que le secret du saint Office lui permît
de me rapporter la manière dont il venoit de par-
ler. Je suis assuré qu'il ne m'aurait rien dit qui
vaille : il croit endormir tout le monde avec ses
beaux discours, mais il n'y réussit guère.
Hier, après m'être assuré par le cardinal Car-
pegna et le cardinal Casanate que j'avois entre-
tenus, et par le cardinal Albani que le pèxe Roslet
go LETTRES
avoit vu , de Tetat des choses , et que tous les re-
tardemens venoient des embarras que le cardinal
de Bouillon suscitoit malicieusement, et de ses lon-
gueurs affectées, j'allai chez le cardinal Spada, que
je savois avoir reçu, par le même courrier extraor-
dinaire , des lettres pressantes du nonce pour ac-
ce'le'rer. Je le suppliai de vouloir bien engager le
Pape à parler fortement demain à messieurs les car-
dinaux , pour les obliger de parler très-peu , et
de donner leurs vœux par écrit sur les propositions
qu'ils auront à traiter. Il me dit que c'étoit bien
son sentiment, qu'il agissoit ainsi, et presque tous
les cardinaux ; mais qu'on ne pouvoit pas imposer
silence à ceux qui ne vouloient pas finir ; que
le Pape , tout Pape qu'il est , auroit même de la
peine à y réussir; qu'il espéroit néanmoins qu'on
y viendroit ; que ceux ( voulant me parler de M. le
cardinal de Bouillon ) qui n'avoient rien conclu
pendant trois congrégations , avoient commencé
dans la dernière à le faire, et qu'il falloit espérer
que cela continueroit. Je le fis souvenir des paroles
qu'on m'avoit comme données, que vers Noël on
auroit terminé. Il me répondit que naturellement
cela pouvoit être ; mais qu'il ne dépendoit ni du
Pape , ni de lui , que cela fût ainsi ; que MM. les
cardinaux pouvoient seuls disposer du temps.
Il voit bien d'où vient le retard; mais il est très-
modéré , très-sage , et a beaucoup de retenue : il
n'en aper<;oit pas moins les manèges du cardinal
de Bouillon. Je lui parlai fortement sur les deux
sens qu'on vouloit donner aux propositions. Il con-
vint avec iffioï des mêmes principes que le cardinal
SUR l'affaire du quiétisme. 91
Casanate m'avoit exposés, et me parla fort bien là-
dessus. Il m'assura que , quoi qu'on pût faire pour
retarder, cela ne pourroit pas être si long que je
le craîgnois , et que sûrement dans le mois de jan-
vier les cardinaux auront fini. Je pris la liberté de
lui dire que si certaines gens continuoient à agir
comme ils avoient fait, je ne croyois pas qu'on
eût achevé à cette époque , et que c'étoit au Pape
à y mettre ordre; que pour le Roi, il n'y oublioit
rien.
J'ai su par un cardinal , qui n'est pas du saint
Office , le sujet de la dernière dépêche du nonce au
Pape, et du Roi à M. le cardinal de Rouillon. Elle
a pour objet la crainte que le Roi dit avoir avec fon-
dement, que dans la bulle qu'on pourra donner
<îontre M. de Cambrai, ceux qui ont intérêt de
brouiller ne fassent insinuer quelques paroles en
faveur des prétentions de l'infaillibilité du Pape, qui
seroient cause que cette bulle ne pourroit être reçue
dans le royaume, et que le Roi se trouveroit em-
pêché d'exécuter la parole qu'il a donnée au nonce
à ce sujet. C'est pourquoi il ordonne à M. le car-
dinal de Rouillon , de veiller à ce qu'il ne soit rien
inséré dans le décret de contraire h. nos maximes ,
et d'en parler fortement au Pape. Je sais que M. le
cardinal de Rouillon trouve fort hors de propos cette
démarche : mais pour moi, quoique je n'aie pas
entendu parler qu'on eût ici un pareil dessein, je
juge cette précaution excellente ; et je pense même
qu'on a très-bien fait de prévenir de bonne heure
cette Cour, afin delà tenir en respect là-dessus, et
9^ . LETTUES
qu'il ne soit pas question de ce point quand on tra-
vaillera à la bulle. Autrement, on eût fort bien pu
se servir de ce moyen pour faire de nouvelles diffi-
cultés , et causer de nouveaux retardemens.
Je vous dirai qu il y a à peu près un mois que cette
pensée me vint dans la tête. Je la communiquai au
cardinal Casanate , qui me dit que ce ne pourroient
être que des fous qui fussent capables d'avoir cette
idée; quil n étoit pas question ici de Tinfaillibilité
du Pape ; qu'il falloit que le Pape songeât à faire
un décret conforme à la tradition, à l'Ecriture
sainte, aux décrets de ses saints prédécesseurs , et
qu'alors personne ne lui disputeroit qu'en suivant
ces règles il ne fût infaillible. Il m'ajouta que, sans
aller plus loin, il n'y avoit pas deux jours que par-
lant au Pape sur les Jésuites , qui se font valoir au-
près de lui comme les défenseurs des prétentions de
la Cour de Rome, il lui avoit tenu le même dis-
cours ; qu'il lui avoit dit par rapport à l'affaire de
Cambrai , que si Sa Sainteté ne suivoit pas les règles
de la tradition et de l'Ecriture dans son décret , as-
surément elle ne seroit pas infaillible. Je ne sais
comment j'ai oublié dans mes précédentes lettres de
vous marquer ce discours , qui fut tel que je vous
le rapporte. J'avoue que je serois assez curieux de
savoir qui a pu donner cet avis à la Cour. Il faut
qu'il ait été suggéré de bonne part ; et encore une
fois, quoi que M. le cardinal de Bouillon puisse dire,
l'ordre est venu très-à-propos , et ne peut produire
aucun mauvais effet. Cela est d'autant meilleur, que
je sais que M. le cardinal de Bouillon en est très-
I
SUR l'affaire du quiétisme. 93
facile : c'est signe qu'il pensoit peut-être à cette
nouvelle brouillerie ; mais il en trouvera bien quel-
que autre.
Pour vous dire à présent comment se sont com-
portés les cardinaux Ottoboni et Albani , je me
trouve un peu embarrassé. Quant au cardinal Albani,
je pense qu'il est assez décidé; mais il ne va pas aussi
rondement que les autres; c'est sa manière, et ce-
pendant le père Roslet en répond. Pour moi je crains
toujours un peu. Il fera un grand effort, s'il rompt
en visière à son ami le cardinal de Bouillon. Le car-
dinal Ottoboni veut que je croie qu'il va bien ; mais
j'ai remarqué tant de petitesse et d'affectation dans
ses manières, que je crains le parti qu'il aura pris;
malgré les assurances de son théologien , qui m'a
parlé ouvertement là-dessus. Je suis persuadé qu'il
aura un peu biaisé : on le croit ainsi. Je vais sortir
pour voir Sa Sainteté si je puis, et au retour je
reprendrai ma lettre.
Mercredi 10 décembre 1698.
J'achève ma lettre , et me hâte pour faire partir
le courrier.
J'ai vu Sa Sainteté, après avoir su par le père
Roslet l'audience qu'il en avoit eue ce matin. Sa
Sainteté est informée de tout : elle est indignée
contre M. le cardinal de Bouillon, et elle m'a promis
de parler fortement. Elle veut absolument que les
cardinaux donnent leurs vœux et les qualifications
par écrit. Je n'ai oublié aucune des raisons qui
peuvent lui faire connoître de quelle importance il
est de finir bientôt. Il est certain , quelque bonne
t)| LE T TU ES
intention que le Pape ait, qu'il n'y a que le Roi et
le nonce qui puissent le remuer efficacement, et le
de'terminer à agir maigre les impressions de'savan-
tageuses que la cabale ne cesse de lui donner, et les
continuels assauts que les protecteurs de M. de
Cambrai lui livrent. Il le faut soutenir jusqu'à la fin,
et presser plus que jamais la conclusion, coup sur
coup. Il m'a fort demandé des nouvelles de votre
santé. Il sait la petite maladie de M. de Paris et sa
guérison. Il m'a dit qu'enfin certaines gens avoient
commencé à donner par écrit quelque chose. Il
n'aime point le cardinal de Bouillon, mais il le craint.
Qui ne le craindroit?
J'ai vu encore l'assesseur, qui m'a confirmé que
M. le cardinal de Bouillon avoit conclu. Il m'a as-
suré qu'on ne s'arrêteroit point aux prétendus sens
cachés du livre, mais qu'on qualifieroit les propo-
sitions ut sonanty et qu'on vouloit les condamner
in sensu ohvio et natarali. C'est aussi ce que j'ai tâché
de faire comprendre au Pape. Je n'ai rien pu ap-
prendre sur les qualifications que M. le cardinal de
Bouillon pouvoit avoir données aux propositions.
Je suis bien assuré qu'il n'a pas condamné les propo-
sitions dans le sens de son ami , ni dans le sens obvio
et naturali. Il aura apparemment distingué deux
sens, comme s'agissant de propositions équivoques,
qu'il est de l'équité d'expliquer suivant la déclaration
de l'auteur. Il aura condamné la doctrine du cin-
quième état , qui excluroit l'espérance ; mais il aura
soutenu que les propositions ne l'excluent pas dans
le sens qu'y donne M. de Cambrai. Il est difficile
qu'il dise quelque chose de bon ; mais par ce qu'il
SUR l'affaire du QUIÉTISME. (^5
m'a avancé lui-même , par ce que m'ont rapporté
les autres, je suis presque assuré que son vœu va là.
Au moins est-il bien certain que tel qu'il est, il ne
l'a donné qu'à l'extrémité, et qu'après avoir voulu
voir s'il ne pourroit pas former quelque parti. Ce
seroit vouloir se tromper trop visiblement, que de
croire qu'il ne se conduira pas jusqu'à la fin dans le
même esprit, au péril de tout, même d'encourir la
disgrâce du Roi , à qui il croit toujours pouvoir en
imposer. Il agira toujours de mauvaise foi.
Mais quel remède à un si grand scandale ? J'avoue
que je n'en connois point. Après tout ce que ce
cardinal voit , tout ce qu'il sait ; que peut-on faire
de plus, que d'aller à des extrémités qu'on ne sau-
roit conseiller? Je puis vous dire seulement que
tout le monde , les cardinaux et le Pape s'étonnent
de la patience du Roi , et de l'insolence de M. le
cardinal de Bouillon.
L'état des choses , que je n'ai pu écîaircir qu'au-
jourd'hui, m'a déterminé à dépêcher un courrier, et
cela pour plusieurs raisons ; la première, est l'ordre
que vous m'avez donné de le faire dans des conjonc-
tures aussi essentielles; la seconde, afin que l'on voie
à la Cour les mesures qu'on peut prendre , sans
perdre un moment de temps, par rapport au Pape
et à M. le cardinal de Bouillon, et qu'on sache à
<juoi s'en tenir sur la conduite de ce ministre ; la
troisième , est que M. Poussin m'a averti que M. le
cardinal de Bouillon étoit très-inquiet , et se défioit
de ses propres domestiques , qu'il avoit ouvert leurs
lettres, et qu'il craignoit cet ordinaire qu'il ne s'a-
visât peut-être d'envoyer ouvrir celles qu'on portet
9^ LETTRES
roit à là poste ; quatrièmement , parce que M. le
cardinal de Bouillon retarde de huit jours à ren-
voyer le courrier extraordinaire dépêché de la
Cour , et cela afin qu'on ne soit pas informé si tôt
de ce qui se passe ici. Enfin , je me suis déterminé
à prendre cette voie , prévoyant qu'au moyen du
courrier extraordinaire que je dépêche aujourd'hui
et de celui que M. le cardinal de Bouillon renverra
dans huit jours , j'aurai la faculté d'instruire promp-
tement de tout ce qui se fait dans un commence-
ment aussi essentiel que celui-ci.
Le sieur Feydé, agent du grand duc , me donne
un homme sûr qui porte mon paquet à Florence ,
qu'il adresse à M. le grand duc ; et M. le grand
duc fera repartir sur-le-champ un courrier, qui sera
adressé à M. le marquis Salviati, qui vous fera tenir
ma dépêche. Vous verrez avec M, le marquis Sal-
viati à pourvoir aux frais du courrier, et à le ren-
voyer, si vous le jugez à propos : c'est ce dont je
suis convenu avec le sieur Feydé. Je ne pouvois
prendre de voie plus sûre, plus prompte et plus
secrète. Par-là nous ne serons pas à la merci de
quelque fripon, ou qui reste quinze jours en
chemin , ou qui ne puisse courir.
Je vous ai mandé plus d'une fois combien l'agent
de M. le grand duc fait bien ici : je vous prie d'en
parler dans l'occasion.
M. Poussin continue à faire tout ce qu'il peut
pour nous seconder. M. le cardinal de Bouillon le
hait à la mort, et fait tous ses efforts pour que M. le
prince de Monaco ne le prenne pas à son service.
Cela seul devroit opérer un effet contraire. Je vous
prie
SUR l'affaire du quiétisme. 97
prie de ne pas négliger dans cette occasion les in-
térêts de M. Poussin, d'en parler en particulier à
madame de Maintenon , qui est déjà très-bien dis-
posée en sa faveur, aussi bien que tous les ministres.
M. le prince de Monaco, que M. le cardinal de
Bouillon a prié de ne le point continuer dans son
emploi , sera embarrassé ; mais quand il dira que le
Roi et les ministres l'ont souhaité, que pourra ré-
pondre M. le cardinal de Bouillon ? J'en écris au-
tant à M. de Paris.
M. le cardinal de Bouillon croit ne pouvoir être
convaincu , à cause du secret du saint Office , et il
niera tout ; mais les actions et les faits parlent.
M. Madot vouloit vous écrire : je me suis chargé
de vous faire ses très-humbles remercîmens. C'est
un gentilhomme qui a de l'esprit et du mérite, et qui
est très-fort de mes amis.
M. Tabbé de la Trémouille a enfin parlé au Pape ,
à peu près comme j'aurois souhaité qu'il le fît il y a
un an ; mais il m'a assuré avoir bien parlé, et je
Ten remercierai de votre part.
Le Pape m'a déclaré ce soir, ainsi qu'au père
B-Oslet ce matin, qu'il étoit bien éloigné d'improuver
la Censure de la Sorbonne , et le procédé de M. de
Paris à ce sujet.
Les Jésuites ont fait tous leurs efforts auprès du
grand duc , mais inutilement. Ils ne s'oublient pas
ici , et le père Charonnier surtout.
Le Quiétisme s'est découvert dans le royaume de
Naples.
Si le prince de Monaco arrive ici avant la déci-
sion de l'affaire de M. de Cambrai, qu'il n'ait pas
BOSSUET. XLII. ^
'§8' LETTRES
confiance en moi , et ne témoigne point de vigueur
par rapport au succès de cette affaire, il nous fera
plus de mal que de bien. La seule apparence qu'il
auroit de vouloir ménager là-dessus M. le cardinal
de Bouillon, seroit pernicieuse.
On ne publie pas encore ici la réponse aux Mjs-
tici in tiito j qu'on dit arrivée. L'ouvrage que vous
projetez me paroi t bon : tout ce qui viendra de
vous sera bien reçu des honnêtes gens.
J'oubliois de vous dire que la rage des Cambré-
siens, sur la censure des docteurs, a été au point,
qu'ils ont distribué aux cardinaux des lettres ano-
nymes , en italien et en français , excessivement in-
solentes contre M. de Paris, qu'ils accusent d'avoir
forcé les docteurs à signer : mais les déclamations
indécentes n'ont fait ici aucune impression. Les Jé-
suites sont les seuls qui les aient approuvées, parce
qu'ils ont publié les mêmes choses.
Rome, CÉf 10 décembre 1698.
LETTRE CCCLXXXV.
DE BOSSUEï A SON NEVEU.
Sur le jugement qu^on portoit de la dernière Réponse de M. dfc
Cambrai, et sa disposition à cet égard 5 Topposilion de M. de
Paris à de nouveaux écrits, et sur les faits qu'on apprenoit par
les interrogatoires de madame Guyon.
J'ai reçu votre lettre du 2 5 novembre. Je suis
très- content du progrès de l'affaire. Il ne faut point
perdre de temps, à cause du grand âge du Pape.
J'ai reçu la Réponse de M. de Cambrai sur les
I
SUR l'aFFAIHE du QUIÉTISME. 99
Kemarques : je ne l'ai pas encore lue. Mon frère et
M. Ghasot disent que cet ouvrage ne contient que
des redites : je verrai s'il est besoin que je réponde,
M. le nonce paroît y répugner : je prendrai dans
peu mon parti. Si je suivois mon inclination , je nQ
laisserois jamais un méchant esprit débiter impuné-
ment tant de faussetés.
Je conviens que M. le cardinal Gasanate seroit un
grand et digne sujet pour la papauté : j'en parle tou-
jours ici comme je dois. Quand on aimera fortement
FEglise , il ne faudra penser qu'à lui.
M. Tarchevêque de Paris est le plus opposé à ce
qu'on fasse de nouveaux écrits, parce que le cardinal
de Bouillon, à mon avis, aura marqué que le Pape
dc'siroit qu'il n'en parût plus.
Quand M. de Gambrai rejette sur madame de
Maintenon la condamnation que nous faisons de ses
erreurs , il montre ses mauvais desseins.
M. d'Argenson interroge madame Guyon par rap-»^
port à M. de Gambrai ; et l'on a déjà trouvé que c'é-
toit lui que madame Guyon entendoit sous le nom
qui est marqué, Relation^ section vi , n. i8 (*j. La
liaison de celte dame avec lui est manifeste. Il est
prouvé qu elle a commis le crime avec le père la
Combe.
Ge que les partisans de M. de Cambrai ont débité
sur l'approbation donnée à sa doctrine par l'univer-
sité d'Alcala, n'est rien. On parle de la thèse de
Louvain : je la fais chercher, et je ne l'ai pas en-
core vue.
M. de Monaco m'a parlé de vous très-obligeam-
\*) Voyez ci-dessus, tom. xxix, pag. 619, 620.
lOO LETTRES
ment. Je ne partirai pas d'ici pour Meaux sans l'en-
tretenir à fond : j'en suis très-satisfait. Il partira au
commencement de l'année prochaine. J'embrasse
M. Philippeaux, et je suis très-content de sa lettre
du 25 novembre.
Paris, i5 décembre 1698.
LETTRE CCCLXXXVL
DE M. DE NO AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les espérances que lui donnoit cet abbé d'un prompt succès j
le départ prochain de M. de Monaco j et le dernier écrit de
M. de Cambrai.
Vous n'aurez qu'un mot de moi aujourd'hui,
Monsieur ; car j'ai très-peu de temps* Je reçus hier
votre lettre du 26 : elle me donne bien de la joie,
par les bonnes nouvelles que vous me mandez. Il y
a lieu d'espérer qu'enfin la bonne doctrine triom-
phera; mais comme on n'est sûr de rien, surtout
avec de certaines gens, que quand les choses sont
entièrement faites, ne cessez point de presser et de
veiller pour empêcher que les eiibrts et les artifices
de la cabale n'obtiennent encore quelque chose de
préjudiciable à l'Eglise.
M. de Monaco se dispose à partir incessamment :
s'il ne le peut faire à la fin de ce mois, ce sera
au plus tard les premiers jours de l'autre : vous
pouvez l'assurer, car j'en ai eu encore des nouvelles
aujourd'hui.
I
SUR l'aFFAIKE du QUIÉTISME. lOI
Le dernier écrit de M. de Cambrai est bien mau-
vais en toutes manières; mais quelque tort qu'il
ait, rien ne retiendra sa plume qu'une de'cision de
Rome. Il ne faut pas compter qu on le fasse taire à
force de lui répondre : il ne voudra jamais avoir le
dernier, et ne trouvera rien sans réplique. Nous en
conférerons M. de Meaux et moi. Je ne l'ai pas vu
depuis que j'ai lu ce bel ouvrage, qui est ici très-
rare : je l'eus hier quelques heures. Je suis toujours
comme vous savez, Monsieur, à vous de tout mon
cœur,
1 5 Décembre 1698.
LETTRE CCCLXXXVII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les ordres donnés par le Pape pour accélérer; les manœuvres
du cardinal de Bouillon pour alonger ; et la manière dont s'é*
toient passées les dernières congrégations.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Meaux, le 24 novembre. Je vous
écris celle-ci par le courrier extraordinaire, qui doit
partir demain matin. M. Poussin me répond de la
lettre. J'écris en petit caractère par nécessité, afin que
le paquet tienne moins de place.
On tint hier la cinquième congrégation. Il m'a
été impossible d'en savoir encore aucune nouvelle
sûre-, mais avant minuit |e ne désespère pas d'en ap-
prendre , et de joindre à cette lettre ce qu'il faudra
là-dessus. Voici ce qui s'est passé depuis ma dernière
ÎO'2 I.KTTP. ES
4lu 10, envoyée par M. Tabbe Feydé et M. le grand
duc, que je suppose arrive'e avant que vous receviez
celle-ci.
Le Pape m'avoit promis de parler jeudi 1 1 for-
tement à la congrégation. La nuit du lo au ii, le
Pape se trouva un peu incommodé d'un rhume de
cerveau. Il vouloit venir à la congrégation, mais on
Ten empêcha : ce rhume lui continue , mais sans
autre incommodité. Il donna vendredi et samedi ses
audiences accoutumées : avant- hier monseigneur
Giori le vit. Cela a empêché le Pape de pouvoir
faire par lui-même ce qu'il avoit eu la bonté de me
promettre; mais j'ai su qu'il avoit donné ordxe au
cardinïtl Spada de dire ce qu'il fout; et on m'a dé-
claré qu'on avoit pris des mesures pour remédier
aux longueurs : au moins c'est ce qu'on veut que
je croie. Si les remèdes sont efficaces, je ne puis
l'assurer : il paroît seulement que le Pape et les
principaux cardinaux ont bonne intention.
Il est plus que certain que M, le cardinal de
Bouillon fait du pis qu'il peut. Il voit à présent
qu'une définition ne peut être que tragique pour
M. de Cambrai ; et tout son esprit est en consé-
quence tourné à trouver des expédiens pour alon-
ger, à faire naître des difficultés, à perdre le temps
en vains discours, sans conclure, à parler hors de
son rang, même jusqu'à interrompre les autres.
Comme la matière est délicate, subtile, difticile
pour ce pays-ci, on prend l'autorité de décider à
tort et à travers; parce que la langue ne peut trou-
ver des expressions telles qu'on les voudroit. Mais
ce qui est de pis, on propose du travail pour plus
SUR l'affaihe du quiétlsme., lo3
de deux ans j que dis-je? pour plus de cent ans, sous
prétexte de couper, dit-on, la racine du mal. On
soutient qu il ne faut pas se contenter de re'pondre
sur le livre ; mais qu'il faut donner des règles de
langage , examiner de nouveau les mystiques , ce
qu'il y a à retrancher et à approuver dans leurs
livres, faire une exposition de la doctrine de l'E-
glise sur tous les points qui ont quelque rapport au
QuiéLisme, et aux matières agitées. D'un autre côté,
si l'on feint de paroître zélé contre la mauvaise doc-
trine en général, on l'est encore plus pour faire va-
loir les prétendues bonnes intentions de M. de Cam-
brai ; pour soutenir que les propositions du livre
sont susceptibles de plusieurs sens, qu'elles ne sont
pas univoques, voilà le terme; qu'ainsi on ne les
peut condamner absolument. Enfin on s'épuise à
mettre en œuvre mille autres belles raisons, que
vous avez sans doute entendu dire mille fois.
Comme on avoit pré.vu une partie de ces pré-
textes, on avoit eu aussi soin de prévenir sur la per-
sonne et sur tout le reste ; et les efforts que M. le
cardinal de Bouillon a faits pour persuader, n'ont
pas tout-à-fait eu le succès qu'il désiroit. Ce qui lui
réussit parfaitement, c'est en interrompant, en par-
lant hors de son rang, et plus d'une fois, d'alonger
les congrégations, et de marquer ainsi sa bonne vo-
lonté. M. le cardinal de Bouillon, n'a pu, de tous
les cardinaux, entraîner à son avis que le cardinal
Ottoboni, qui m'a trompé net; c'est-à-dire, qu'il
entre dans la justification de quelques sens de l'au-
teur, et qu'il approuve les difficultés et les vues pro-
posées par M, le cardinal de Bouillon. Son tbéolo-^
I04 LETTRES
gien, qui m'avoit assuré de son suffrage, a été, h
ce qu'on m'a dit, gagné par M. le cardinal de
Bouillon, qui lui a promis un évêclié. Je l'ai décou-
vert; et depuis deux jours j'ai fait jouer une batterie
par M. l'abbé Feydé, qui a des moyens plus efficaces
pour faire parvenir à cette dignité, que M. le car-
dinal de Bouillon. Ainsi j'espère quelque change-
ment ; d'autant plus que le cardinal Ottoboni a été
un peu intimidé, et qu'il ne se voit appuyé que de
M. le cardinal de Bouillon, qu'il sent être au fond
moins que rien.
Pour le cardinal Albani , il est certain qu'il a mé-
nagé M. le cardinal de Bouillon et M. de Cambrai,
mais néanmoins d'une manière assez adroite pour
ne pas donner beaucoup de prise sur lui. Il n'a
approuvé en rien le livre, mais il a un peu biaisé
sur les propositions, sur les divers sens, sur les diffi-
cultés de cette affaire, enfin il n'a pas parlé net. Je
le lui ai fait reprocher par le père Boslet. Il s'est
recrié fortement là-dessus, disant qu'il avoit bien
des ennemis, mais qu'on verroit à la fin, s'il étoit
chargé de faire la bulle. J'avoue franchement que
sans le père Roslet, à qui cet adroit politique pro-
met, par rapport à M. de Paris, monts et merveilles
sur cette affaire, je craindrois de lui extrêmement :
mais que dire quand le père Roslet en répond ? Ce
qu'il ne peut excuser, c'est son ambition, qui l'em-
pêche de s'opposer franchement à M. le cardinal de
Bouillon et à ses mauvais desseins. Il en dit au père
Roslet tout ce qu'on en peut dire de désavantageux,
et puis dans Toccasion il appréhende de déplaire à
cette Eminence. Cependant une parole que pa'a dite
SUR l'affaire du quiétisme. io5
le cardinal Casanate, qui est qu'il espéroit qu'il iroit
bien, me met un peu l'esprit en repos sur son sujet.
Mais j'avoue que je vois trop de finesses dans cet
esprit, pour m'y fier absolument. J'ai pris la liberté
de dire au cardinal Albani lui-même, en deux cir-
constances , qu'on ne devoit se fier ici qu'aux actions ,
et non aux paroles. Il a toujours évité , le plus qu'il
a pu, de me parler, sous prétexte quil savoit tout
par le père Roslet, et me faisant assurer qu'il seroit
le plus fort de la congrégation contre le livre, ajou-
tant qu'il en agissoit ainsi pour ne pas donner d'om-
brage : c'est ^a manière, il a fallu s'en tenir là. J'ai
résolu d'avoir avec lui une conversation vigoureuse,
?ans manquer à rien. Il faut avouer que le père
Hoslet fait tout ce qui est possible auprès de lui ;
mais l'un est Français, et l'autre bien Italien.
On ne peut douter de l'ardeur de la cabale, et il
seroit difficile de se tromper sur celle des protecteurs
de M. de Cambrai, qui se manifeste plus que jamais.
Il n'est que trop certain que le père Charonnicr
soutient , plus que personne , M. le cardinal de
Bouillon dans ses premiers engagemens. C'est lui
sûrement qui fait tous ses discours : et que ne doit^
on pas attendre d'un pareil Jésuite ? Il est connu en
France ; il commence à se faire connoître ici pour
un homme sans religion. Deux personnages sages ,
du monde à la vérité, mais dont je suis sûr comme
de moi-même pour la probité, m'ont certifié que le
père Charonnier disoit assez hautement, que pourvu
qu'on vécût bien moralement, toute religion étoit
bonne et probable. En vérité, je le dis devant Dieu,
Je père Charonnier est l'opprobre du genre humain,
106' LETTRES
Il perd le pauvre cardinal de Bouillon. Je suis per-
suade que le plus grand service qu'on pourroit
rendre à l'Etat et à cette Eminence, ce seroit d'or-
donner à M. le cardinal de Bouillon de le renvoyer.
Il n'y a que le Roi qui le puisse faire. Ce que ce
Jésuite a dit contre ce prince et madame de Main-
tenon, ne se peut imaginer. Ils sont bien d'accord
là-dessus, lui et M. le cardinal de Bouillon. En vé-
rité, pour peu qu'on "ait de religion et d'inclination
pour le Roi, on frémit en voyant de pareils per-
sonnages.
Tous les cardinaux assistèrent hier à la congréga-
tion. On m'a dit, et c'est le général de la Minerve ,
que ceux qui veulent trouver plusieurs sens dans
les propositions, pour avoir prétexte d'embrouiller
par-là, se servent de la censure de Sorbonne, disant
que ces docteurs y avoient reconnu eux-mêmes ces
divers sens, et ay oient xn\s des rjuatenus ; qu'ainsi ces
propositions pouvoient avoir un sens contraire : ne
voulant pasvoir que le quatenus dans cetle censure,
désigne le sens obvius et nalurnlis , et le détermine.
L'ingratitude de M. le cardinal de Bouillon à l'é-
gard du P\.oi, qui lui avoit confié ce qu'il y a dans
le monde de plus important, et lui avoit pardonné
avec une générosité sans exemple, étonne ici tout le
monde. Mais après cela, si le Roi ne frappe fort,
on croira ici, plus qu'en tout autre lieu, qu'on peut
l'ofTenser impunément.
Pour moi, dès le premier moment que je vis
M. de Cambrai résolu de venir à Rome malgré le
Roi , je fus persuadé que sa partie étoit faite avec
les Jésuites et M. le cardinal de Bouillon. Sans cela,
s un l'affaire du quiétisme. 107
qui auioit jamais pu s'imaginer que M. de Cambrai
refusât toute voie de conciliation, pour se rendre à
Rome; voyant le Roi si ouvertement déclaré contre
lui, quiécrivoit avec tant de force, qui témoignoit
si hautement sa résolution et ses sentimens, et qui
auroit eu à Rome un ministre fidèle, et de plus
cardinal du saint Office? Il faut donc compter comme
indubitable, que dès que M. le cardinal de Bouillon
vint à Rome, la cabale étoit assurée de lui , et qu'ils
avoient fait dès ce temps ligue offensive et défensive
envers et contre tous. La suite l'a assez démontré , et
on ne le voit que trop. Ce seroit se flatter , que de
s'imaginer que les dispositions puissent changer. Si
vous demandez après cela quel remède on peut ap-
porter à ce grand mal, j'avoue que je ne vois que
deux partis à prendre ; ou bien de continuer à mé-
nager, comme on a fait, M. le cardinal de Bouillon,
en tâchant de le faire revenir par la douceur , et au
pis d'espérer qu'à la fin le Pape se déterminera *
malgré les efforts de la cabale : ou si l'on craint que
par ses intrigues elle ne réussisse à éloigner la déci-.
sion de cette affaire, on pourroit faire envisager à
M. le cardinal de Bouillon le coup prêt à l'accabler ,
lui déclarer qu'on s'en prendra à lui du plus petit
retardement ; et pour lui prouver que ces menaces
sont sérieuses , commencer à les exécuter. Voilà sur
ce qui regarde M. le cardinal de Bouillon.
Par rapport au Pape, le Roi pourroit donner un
mémoire au nonce, dans lequel on marqueroit que
Sa Majesté est avertie des efforts que l'on fait pour
rendre inefficaces les bonnes intentions de Sa Sain-
teté , relativement à la prompte décision de l'affaire
I08 LETTRES ^
du livre ; que les protecteurs dëclare's de M. de
-Cambrai avoient déjà assez fait paroître leur crédit
sur Tesprit du Pape, quand ils l'ont obligé à aug-
menter le nombre des examinateurs , dans le temps
où Ton devoit espérer une décision prompte et ab-
solument nécessaire , demandée par Sa Majesté avec
tant d'instance, et promise par Sa Sainteté; que
par-là ils avoient su mettre la division dans ces as-
semblées , et causer un scandale dont les hérétiques
triomphoient en prenant occasion de tourner en
dérision le saint Siège, dont aussi les mal-intention-
nés de son royaume se servoient pour y mettre la
division et le trouble, et semer impunément de
nouvelles doctrines; que les mêmes protecteurs du
livre, également ennemis de son Etat et du saint
Siège, n'avoient pas moins fait paroître leur pou-
voir et leur malice dans tout le cours des difîerens
e^tamens de ce livre , surtout en empêchant Sa Sain-
teté d'ajouter, comme elle l'avoit résolu, un ou
plusieurs examinateurs au mois de mars , qui au-
roient pu lever le partage, et faire connoître plus
clairement la vérité; que Sa Majesté étoit bien in-
formée qu'on continuoit les mêmes artifices auprès
de Sa Sainteté et de MM. les cardinaux, pour tâcher
de tirer à des longueurs infinies, et d'éterniser une
affaire qui devroit être finie il y a long-temps , pour
l'honneur du Pape et du saint Siège , que les évêques
et les universités de son royaume auroient terminée
bientôt, si Sa Majesté le leur avoit voulu permettre ;
qu'elle l'avoit empêché jusque-là , espérant que Sa
Sainteté auroit quelque égard à ses prières, et au
péril imminent de la religion ; qu'enfin tout ce qu'il
SUR l'affaihe du quiétis^ie. îog
savoit qu'on remuoit à Rome en faveur d'une aussi
pernicieuse doctrine, reconnue pour telle par toutes
les personnes les plus éclairées de son royaume , lui
faisoit appréhender avec raison que Sa Sainteté ne
se laissât surprendre de nouveau, quoiquavec la
meilleure intention, aux artifices de la cabale; qu'il
croyoit être de son devoir de lui présenter là-dessus
le tort que cela feroit à sa réputation, etc.; qu'il
n'étoit question que d'un petit livre, et d'une doc-
trine déjà condamnée par ses prédécesseurs , et dont
on voyoit les funestes effets dans toutes les parties
du monde , jusque sous les yeux de Sa Sainteté 5
qu'enfin Sa Majesté lui demandoit un remède
prompt et efficace à un si grand mal , une décision
qui pût être reçue dans son royaume, sinon qu'il ne
pouvoit s'empêcher de lui déclarer qu'il prendroit
un plus long retardement pour un refus, etc. ; et
qu'au lieu d'attendre une décision qui ne viendroit
peut-être plus à temps, il se croiroit obligé, pour
garantir son royaume d'une pareille peste, d'em-
ployer les moyens que Dieu lui avoit mis en
mam, etc.
Je n'ai pu me dispenser de vous communiquer
ces idées; mais je pense qu'il est absolument néces-
saire de marquer quelque chose de fort, de précis,
sur les protecteurs de M. de Cambrai, sur la faci-
lité du Pape, sur la faveur que trouve ici un arche-
vêque auteur du scandale, perturbateur du repos
de l'Eglise et de son pays ; en un mot, quelque chose
qui pique le Pape, qui mortifie les mal-intentionnés,
qui anime ceux qui servent bien, et qui montre
la verge.
IIO LETTUÊS
Je voudrois qu'on ne menaçât pas précisément,
mais qu'on fît entendre qu'on ne pourroit peut-être
s'empcplier d'appliquer un remède convenable et
prompt à un mal, qui infecte le royaume de toutes
parts; que le Roi se montrât piqué du peu de con- ^
sidération qu'il paroi t que cette Cour-ci a pour sa
personne , pour le bien de l'Eglise et de son royaume,
en faisant sentir que cette conduite n'est pas propre
à l'engager, ni lui, ni les évêques, à s'adresser ja-
mais à Rome dans les affaires qui surviendront.
On ne manque pas de bien prêcher ici cet évan-
gile ; mais un pareil discours dans la bouche du Roi
-feroit tout un autre effet. Surtout il est à propos
d'observer, que la doctrine du livre est manifeste-
ment très-mauvaise, très-pernicieuse; qu'on n'hésite
pas là-dessus en France, et qu'on s'attend que la
décision du saint Siège sera conforme au jugement
qu'on porte de tous côtés du livre.
Comme ceux qui ont dû donner leur avis dans la
congrégation d'hier sur l'article de l'indifférence,
ont déjà bien parlé sur la matière de l'amour pur , je
ne doute pas que cette congrégation ne se soit assez
bien passée; mais ce qui cause tout le mal, ce sont
ceux qui commencent et qui -finissent, qui sont
d'intelligence , et qui trouveront peut-être moyen
d^embrouiller la matière. Sur quoi je puis assurer
que M. le cardinal de Bouillon n'oubliera rien; et il
est difficile, si on le laisse faire, qu'il ne fasse du
mal ; quand il ne feroit que celui d'alonger, qui
enjest certainement un très-grand. Il est en son pou-
voir d'incidenter sans fin; et il n'y manquera pas,
s'il continue à ne pas se soucier de déplaire au Roi.«
SUR l'affaire du QUIÉTTSME. III
Au reste, il ny a pas de temps à perdre, si Ton veut
faire avancer cette Cour-ci. Jugez des longueurs et
des difïïculte's que M. le cardinal de Bouillon peut
seul occasionner, quand il s'agira de dresser la bulle
qui doit passer per manus. Je ne puis m'empêclier
de dire que ce sera un«niracle si la bulle est telle
qu'on la souhaite et qu'on devroit l'espérer, en cas
que M. le cardinal de Eouillon continue ses ma-
nœuvres, et que la crainte du Roi ne lui fasse pas
prendre le parti de se retirer. Vous croyez bien
qu'on ne laissera pas de poursuivre avec courage le
jugement, et que nous n'oublierons rien, comme
nous avons toujours fait, pour obtenir une prompte
et bonne décision. Mais enfin il est à propos qu'on
sache que ce qui ne feroit aucune diOi culte, et ce
qui passeroit tout d'une voix, en souffrira de très-
grandes par la seule présence du cardinal de Bouil-
lon. Je ne laisse pas de très-bien espérer de la fin ;
mais pour répondre qu'elle arrive bientôt , cela ne
se peut, tant que M. le cardinal de Bouillon assis-
tera aux congrégations.
Il revint hier assez abattu de la congrégation. Son
cher père Charonnier s'enferma avec lui très-long-
temps. L'abbé de Chanterac aura déjà été averti de
tout. M. le. cardinal de Bouillon a fait mettre la
congrégation au lundi, afin que je ne pusse pas être
aussi aisément instruit de ce qui s'y passe, et que je
ne sois pas en état d'écrire le mardi suivant : il croit
par-là gagner une huitaine. Je ne doute pas que le
cardinal de Bouillon n'ait déjà fait entendre au Roi
que la décision ne pourra être précise, et laissera
à M. de Cambrai des prétextes pour échapper. J'en
112 LETTRES
vois bien la raison ; c est qu'il veut qu*on ne lui im-
pute pas le mal qu'il a dessein de faire.
Les avertissemens que le Roi a fait donner depuis
peu sur l'article de l'infaillibilité, me paroissent de
plus en plus très-à^propos. Je sais que le cardinal
de Bouillon en est très-fâche, et c'est marque qu'ils
«toient fort nécessaires.
J'eus, vendredi dernier, une conversation de près
de quatre heures tête à tête avec M* le cardinal de
Bouillon, où j'ai approfondi avec lui les principaux
points, tant sur le livre que sur les faits. Il y fut
parlé des intentions du Roi ; il y fut question des
Jésuites. J'ai fait voir clairement à M. le cardinal de
Bouillon l'état des choses d'une manière bien forte :
jamais homme n'a été plus embarrassé, et n'a jamais
montré plus de mauvaise intention et de souplesse.
Il ne pèche pas par ignorance j car il voit tout et
sait tout : mais à quelque prix que ce soit , il veut
défendre le livre et l'excuser. Encore une fois, il
faut toucher fortement.
Je vous envoie une dernière feuille corrigée de
la Réponse de M. de Cambrai, avec un errata , en-
voyée depuis peu à l'abl^é de Chanterac. Il n'y a de
remarquable que \ errata, premièrement parce qu'il
porte en titre : fautes a corriger dans quelques
exemplaires. Donc il y a des exemplaires différens
les uns des autres. En second lieu, dans la seconde
faute à corriger, au lieu de représenté tout court,
ce qui s'entendoit naturellement du Roi et des puis-
sances, et ce que tout le monde a trouvé de la der-
nière insolence, il a corrigé et mis, représenté aux
autres prélats. Vous voyez l'artifice : il aura d'abord
fait
SUR l'affaire du quiétisme- îi3
fait entendre tout ce qu il aura voulu, et puis dans
un errata^ donné après coup, il substituera ce qu'il
lui plaira. 11 n'y a rien du reste de conside'rable. Les
exemplaires distribue's ne seront point changés, et
restent sans cet errata. Au reste, je suis étonné qu'au
24 de novembre vous n'eussiez pas encore vu à
Paris cette insolente Réponse : il y a du mystère
là-dessous. M. de Cambrai a peur sans doute que
vous ne répondiez à temps, ou bien il ne veut dis*-
tribuer son écrit qu'ici ; et cela me paroît bizarre,
extravagant, et d'une mauvaise foi publique^ J'ai
bien fait de vous l'envoyer ; car peut-être ne l'au-
riez-vous pas sans cette précaution.
J'apprends que les Jésuites font tout ce qu'on
peut s'imaginer pour embrouiller l'esprit du Pape,
qui change de situation de jour à autre. Il dit der-
nièrement à une personne, qu'il étoit bon, dans une
affaire aussi importante, d'aller doucement. Il faut
que le Roi pai-le efficacement au nonce. Je ne sais
si le Roi ne pourroit pas témoigner son ressentiment
aux Jésuites, et au père de la Chaise en particulier,
de l'acharnement avec lequel ces Pères continuent à
faire tout ce qui peut lui déplaire. Ne seroit-il pas
aussi à propos que Sa Majesté fît connoître à la fa-
mille du cardinal de Bouillon son mécontentement
de la conduite de ce cardinal?
La défense de M. de Cambrai se réduit à présent
aux deux sens de son livre, le naturel et celui qu'il
a pu avoir en vue. Mais pour le vouloir excuser,
il faudroit premièrement recevoir ses explications
et les approuver, ce que ne peut jamais faire l'Eglise
romaine. Ainsi il n'est question que de finir une
BOSSUET. XLII. 8
Il4 LETTRES
contestation, où l'on demande la condamnation des
propositions d'un livre in sensu ob^io et naturali ,
utjacent ex antecedentibus et consequentibus .
Je viens d'apprendre que la congrégation d'hier
se passa assez heureusement. Le cardinal Casanate
parla fortement , brièvement et bien ; le cardinal
Marescotti sur le même ton ; les cardinaux Spada
etPanciatici firent de même, ainsi que le cardinal
Ferrari : le cardinal Noris ne put parler. Queiques-
vms veulent que le cardinal Noris n'aille pas tout-
à-fait bien ; mais je crois savoir le contraire. La
première congre'gation est à craindre : cependant
les cardinaux Ottoboni et Albani, favorables au
cardinal de Bouillon, sont un peu intimidés.
Le cardinal Impériali est fort jésuite. Ce cardinal
se trouve parent du prince de Monaco : il est néces-
saire qu'on avertisse cet ambassadeur de s'en défier
sur tout. J'ai raison de croire que cette Eminence est
gagnée par le cardinal de Bouillon , et influe beau-
coup dans le mauvais parti que prend le cardinal
Ottoboni. Tous les cardinaux croient ici qu'il aura
grand pouvoir sur l'esprit de l'ambassadeur : il faut
que ce ministre y prenne garde.
J'ai changé d'avis ce matin sur le courrier de M. le
cardinal de Bouillon. M. l'abbé de la Trémouille et
moi dépêchons, à moitié frais, un courrier à Gênes,
qui portera nos paquets au courrier de M. de Torcy ,
qui y est resté malade; M. l'abbé de la Trémouille
pour ses affaires de famille, et moi pour la nôtre.
Le courrier de M. le cardinal de Bouillon, qui doit
aller aussi à Gênes, ne partira que demain matin, et
le nôtre dans peu d'heures pour prendre les devants.
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME. IIO
Encore un coup, le Pape liait M. le cardinal de
Bouillon, mais le craint ; du reste, c'est son favori.
Si vous m'en croyez, ne vous éloignez pas de la
Cour dans ces circonstances importantes : M. de Pa-
ris ne suffit pas.
Je viens, quoique avec beaucoup de peine, à l'ar-
ticle des lettres de change et de Fargent. J'avoue
que c'est la chose du monde qui me fait le plus de
peine, que de vous incommoder là-dessus : mais je
vous supplie de vouloir bien pour un moment vous
mettre à ma place. Que faire dans un pays étran-
ger, tel que celui où je suis, obligé de continuer
ma même dépense, qui n'a cependant pour objet
que le nécessaire? Je ne puis retirer de mon ab-
baye que six ou sept mille francs par année, en-
core avec peine. Mon homme d'affaires n'a pas
laissé de m'en avancer, depuis que je suis ici, plus
de vingt-cinq mille francs. Je ne saurois donc m'a-
dresser pour le surplus qu'à mon père et à vous,
n'ayant dans le monde aucune autre ressource. Le
change est depuis un an à près de vingt pour cent,
c'est le cinquième qu'on paie en pure perte. Ainsi
de vingt mille francs je n'en ai que quinze ; et il ne
m'en faut pas moins assurément , pour vivre ici avec
bienséance et comme j'ai commencé. Il est plus que
certain que je ne fais que les dépenses indispen-
sables, surtout depuis un an, à l'exception de quel-
ques tableaux que j'ai achetés par-ci par-là. Si vous
ne convenez, mon père et vous, là-dessus, je ne sais
où donner de la tête. Je commence depuis trois mois
à ne rien payer que la dépense courante, je dois le
reste. Dans un mois d'ici je me trouverai fort em-
Il6 LETTRES
barrasse, et je me décrierai indubitablement, si Ton
ne vient à mon secours : ce seroit le plus grand cha-
grin que je pusse avoir. Si mon père et vous ne
m'envoyez dans un mois d'ici deux mille écus , il
faut que je me cache , au pied de la lettre. Si je
pouvois emprunter, je ne vous romprois pas la tête
a^sure'ment de mes besoins ; mais je ne suis pas en
lieu propre h cela, vous le sentez bien. Je prends
la liberté d'en écrire autant à mon père, et vous
supplie l'un et l'autre d'y donner ordre, sans perdre
un moment de temps. Jamais occasion n'a été plus
importante pour vous et pour moi. Que dira-t-on
ici, que puis-je dire moi-même, si l'on m'abandonne
à la merci de nos ennemis , que vous et moi met-
tons au désespoir? Je vous supplie de votre côté de
faire quelque effort : je suis persuadé que mon père
vous secondera de bon cœur. Je vous demande mille
et mille pardons de mes libertés ; c'est la pure né-
cessité qui me fait parler.
Je vous adresse une lettre pour M. Toureil , qui
est d'un de ses amis que j'emploie ici très-utilement,
et qui sert bien. Je vous prie de la lui faire tenir
incessamment et sûrement. M. Poussin m'envoie ce
paquet pour M. Noblet , ne se fiant pas au courrier
de M. le cardinal de Bouillon , et croyant le nôtre
plus sur. Le Pape se porte bien , à son rhume près.
Ce qu'il est important qu'on fasse remarquer ici
du côté de la Cour, c'est qu'il n'est question que
de prononcer sur la mauvaise doctrine du livre
de M. de Cambrai , dont on demande un prompt
jugement. Le saint Siège , après cela , peut pro-
mettre une exposition doctrinale plus particulière,
SUR l'affaire du quiétisme. 117
et des règles de langage sur la théologie mystique :
c'est, à dire vrai, ce que Rome n'exe'cutera jamais.
M. l'abbé de Ghanterac va pleurant partout, de-
mandant qu'on sauve la réputation de M. de Cam-
brai, et disant qu'on doit se contenter de mettre la
bonne doctrine en sûreté. Aussi le dessein de la ca-
bale est-il de faire insérer dans la bulle, qu'elle
retardera le plus qu'elle pourra, que quoique les
propositions soient censurables in sensu obvio , elles
ont néanmoins un autre sens, qui est celui de l'au-
teur. Voilà sûrement leur dernière ressource ; mais
il paroît impossible que l'Eglise romaine veuille se
faire moquer d'elle à ce point, en déclarant une
cliose qu'elle ne peut jamais savoir.
Je me doute que M. le grand duc voudra vous
faire l'honnêteté de vous envoyer le cxDurrier de la
semaine passée à ses frais j je ne suis point entré dans
cette disposition, et n'ai pris la liberté d'accepter
l'offre de M. Feydé, qu'à condition que vous paye-
riez le tout à l'envoyé du prince à Paris.
La France et le Roi doivent avoir une éternelle obli-
gation au cardinal Casanate, qui sacrifie tout pour la
vérité. M. le cardinal de Bouillon lui en saura tou-
jours fort mauvais gré.
M. le cardinal de Bouillon n'a pardonné, et ne
pardonnera jamais au Roi et au Pape la nomination
manquée à l'évêché de Liège.
La mort de M. le prince Symoni m'afflige au der-
nier point, et je comprends aisément votre douleur
et celle de mon père : il n'y a que vous qui soye^
capable de le consoler.
Rome, ce 16 décembre 1698»'
IlS LETTRES
LETTRE CCCLXXXVIII.
DU P. LAÏENAI A BOSSUET.
Il loue les soins de Tabbc Bossuet, et le zèle du prélat pour
procurer le triomphe de la vérité.
Je n'ai pas besoin de la fin d'une année pour
renouveler mon très -humble dévouement à votre
Grandeur : ma reconnoissance me représentant con-
tinuellement mon devoir là-dessus, je n'ai aucune
rénovation à faire en cela. Je profiterai pourtant de
la veille d'une nouvelle année, pour la lui souhaiter
très-heureuse avec une longue suite d'autres : l'E-
^ glise, l'Etat et les savans s'intéressant à mes vœux,
ils ne peuvent qu'être exaucés.
M. l'abbé Bossuet, et M. Phelippeaux sont trop
bien informés des affaires du temps, pour qu'il soit
nécessaire que je répète ici ce qu'ils écriront à votre
Grandeur. Je dirai seulement que leur zèle pour les
conduire à line heureuse fin, et les soins qu'ils se
donnent pour obtenir un prompt jugement, étoient
d'une nécessité indispensable. Ces affaires qui dé-
voient finir avec l'année, ne finiront, dit-on, pas
si tôt : le mensonge a toujours trouvé des avocats,
et les vérités les plus constantes n'ont pas laissé
d'avoir besoin d'aussi habiles défenseurs que votre
Grandeur. Tous les gens de bien espèrent pourtant
qu'elle aura la gloire de voir bientôt triompher la
vérité qu'elle défend, et que le siècle présent se
joindra avec les futurs pour lui en témoigner ses
reconnoissances. La mienne^ Monseigneur, ne sau-
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME. lîg
roit être plus parfaite , tant pour les obligations
publiques que pour les personnelles que j'ai à votre
Grandeur. Je fais aussi profession qu'on ne sauroit
être avec plus de soumission, d'attachement et de
respect que je suis, etc.
F. DE Latenat, assistant ge'néral des Carmes.
A Rome, ce 16 décembre 1698.
LETTRE CCCLXXXIX.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le compte que M. de Paris devoît rendre au Roi des manœuvres
du cardinal de Bouillon 5 sur une conversation qu'il avoit eue
avec le prince de Monaco, et sur une clause qu'il falloit éviter
dans la huile.
J'ai reçu votre lettre du 2 par la voie ordinaire,
et aujourd'hui, à neuf heures du matin, celle du
10, par le courrier particulier de Florence. J'ai
conféré sur votre lettre avec M. de Paris, qui va
coucher à Versailles. Il y rendra bon compte , et
dira comment, malgré toutes les bonnes disposi-
tions , on a à craindre des délais et des embrouil-
lemens dans l'afTaire ; que M. le cardinal de Bouillon
en est la seule cause ; qu'il se sert pour cela de longs
discours, qui consument les congrégations sans con-
clure, et de la distinction des deux sens pour em-
brouiller la matière; que sans cela nous aurions
une décision à la fin de ce mois ; que vous vous étiez
cru obligé d'en avertir, à cause du grand péril oit
l'âge du Pape met cette affaire j qu'il est également
l'iO LETTRES
à craindre que de bons cardinaux ne viennent à mou-
rir ; qu'eux-mêmes ne cachent pas la cause de ces dé-
lais; que vous prenez toutes les mesures possibles;
mais que les grands remèdes venant d'ici, vous ne
pouvez vous empêcher de nous donner avis de ce
qui se passe. Nous proposerons au Roi d'e'crire au
Pape, de faire passer sa lettre par le nonce, et de
la tourner de manière qu elle fasse sentir à M. le
cardinal de Bouillon qu'on est averti de ses démar-
ches, et que s'il affecte encore d'alonger, on prendra
de bonnes mesures contre lui.
Je pars demain pour Meaux, d'où je reviendrai
aussitôt après les fêtes. Je laisse ordre de satisfaire
le courrier, qui s'en retournera doucement, et vous
portera quelques exemplaires de la dissertation du
père Alexandre, qui, par parenthèse, est toute
pleine de mes livres. Voilà tout ce que je puis
vous dire.
M. de Salviati , que j'ai vu et remercié ce matin ,
m'a répété deux ou trois fois qu'il croyoit que ce
courrier apportoit quelque nouvelle importante, ou
même la décision. INous saurons, au retour de M. de
Paris, comment le Roi aura pris cet envoi. Pouf
moi , je suis toujours bien aise d'être averti , et
cela ne peut être que très-bon ; mais vous devez
prendre garde aux courriers extraordinaires, non-
seulement par rapport à la dépense, mais par rap-
port à vous, sur qui seul la chose roule. Le père
Roslet sait bien dire que c'est vous qui l'avez voulu
envoyer.
Nous nous sommes cherchés plusieurs fois M. de
Monaco et moi ; enfin je l'ai vu ce matin , et je juge,
SUR l'affaire du QUIÉTTSME. 121
par la manière dont il m'a parlé, que nous devons
attendre de lui toute sorte de confiance. Je n'ai pas
manqué de lui dire que vous rendiez à M. le car-
dinal de Bouillon tous les devoirs qu'exige sa place ;
mais que c'étoit de son côté seul que venoit le retar-
dement et l'embrouillement de cette affaire, sans
quoi elle seroit achevée dans ce mois, sauf l'expédi-
tion de la bulle.
TJiit sonat et Vut jacet , exprimé dans la bulle, ne
vaudroit rien, parce que ce seroit ouvrir une porte
aux évasions par des explications.
Le cardinal Gasanate seroit un digne Pape.
M. Feydé est ici bien servi , aussi bien que M. Pous-
sin. M. de Monaco m'a confirmé qu'on le pressoit
fort de partir avant la fin de l'année ; mais qu'il
tâclieroit de gagner le commencement de l'autre. II
m'a promis de m'avertir de sa marche. Je me déter-
minerai , suivant les circonstances, à revenir ici
aussitôt après les fêtes, sinon au plus tard après le
jour de l'an.
Malgré ce que je vous mande sur les courriers
extraordinaires , qui en effet sont à ménager , à cause
que tout le monde ne sent pas également la néces-
sité où nous sommes d'être avertis de bonne heure,
quand ce ne seroit que de quelques momens de
plus , n'hésitez point dans les occasions importantes ,
lorsqu'il s'agira d'apporter quelque prompt remède
au mal qu'on auroit à craindre.
Le paquet a été rendu à M. de Noirmoustier, sans
dire comment il étoit venu. J'ai fait voir à M. de
Paris la lettre de monseigneur Giori, qui est un
123 LETTRES
homme admirable. Sa lettre est très - consolante
pour nous.
J'ai montré à M. l'abbé Régnier la lettre de
M. l'abbé de Gondi. Nous sommes un peu embar-
rassés pour faire imprimer la version italienne des
Remarques : Anisson qui n'en voit ici aucun débit,
n'y veut pas entrer. Si un libraire de Florence s'en
vouloit charger , il trouveroit là de bons correcteurs.
M. Tabbc Régnier assure qu'il a fait un nouvel ef-
fort pour les Remarques ; que son toscan n'a jamais
été plus fin ni plus pur. Je salue le père Roslet, et
de bon cœur M. Phelippeaux.
A Paris, ce ai décembre 1698.
LETTRE CCCXC. ^
DE M. DE ISfO AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les obstacles apportés à la conclusion; le compte qail en avoit
rendu au Roi; et la liberté avec laquelle la Censure des docteurs
avoit été signée.
Je comptois n'avoir à répondre, Monsieur, qu'à
votre lettre du 2 ; mais je reçus hier celle du 10, qui
me surprit et m'affligea, par les nouveaux obstacles
que vous me mandez que le cardinal de Rouillon met
h la conclusion de l'affaire. J'arrive de Versailles, où
j'ai rendu bon compte de vos lettres : on en écrira
de très-fortes pour lui faire comprendre , s'il est
possible, le tort qu'il a d'en user ainsi. Allez tou-
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 123
iours votre clieniin ; pressez tant que vous pourrez ,
et comptez nue nous vous soutiendrons en ce pays
de toutes nos forces. Il faut s'armer de patience et
de bon courage : pouivu que Dieu nous conserve
le Pape , il faudra bien que l'affaire finisse , malgré
tous les efforts de la cabale. Elle peut chicaner ,
mais elle ne peut résister toujours à la vérité. Mé-
nagez tous nos amis , soutenez-les dans leurs bonnes
dispositions : ils l'emporteront enfin , s'il plaît à
Dieu.
Si vous pouvez vous procurer quelques-unes de
ces lettres anonymes, faites contre moi, vous me
ferez plaisir de me les envoyer.
Assurez, je vous prie, que jamais il n'y a eu
d'acte (*) moins forcé que celui-là. Une grande
partie des signatures fut donnée en mon absence;
et il y a eu si peu de violence, qu'il y a encore au
moins cent docteurs prêts à signer, que j'ai remer-
ciés , ne voulant point en faire signer davantage
que vous ne le demandassiez. Il est tard, je suis obligé
de finir; mon voyage de Versailles m'a empêché
d'écrire plus tôt. Je suis toujours, Monsieur, à vous,
comme vous savez.
22 Décembre 1698.
-{*) La Censure des docteurs de Sorbonnc.
jal LETTRES
k.v.>«^»^/«/» '%/%<«'«>■•.<«<•.«/« ^
LETTRE CCCXCI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les retards de Taffaire; les dernières congrégations; la conver-
sation que cet abbé avoit eue avec les cardinaux Oltoboni et
Albaui j l'audience qu'il avoit eue du Pape j et sur une thèse de
Louvain , relative au Quiétisme.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait Tlionneur
de m'ëcrire de Versailles , le premier de ce mois. Je
suis assure'ment ravi de votre bonne santé; je prie
Dieu qu'il vous la conserve. Vous l'employez trop
bien pour l'utilité de son Eglise ; et il seroit à sou-
haiter que des personnes comme vous, fussent im-
mortelles.
Vous aurez vu , par les deux lettres que vous au-
rez reçues par les deux courriers extraordinaires qui
sont partis depuis quinze jours, le véritable état de
l'affaire, et les efforts inouis des partisans de M. de
Cambrai pour embrouiller la matière et retarder la
décision. C'est tout vous dire qu'ils n'ont plus d'autre
ressource. Leur unique but est de faire durer les
congrégations des cardinaux le plus long-temps qu'il
sera possible, et puis de tâcher d'insérer dans la bulle
quelque parole équivoque que M. de Cambrai puisse
expliquer à son avantage , et qui lui fournisse
moyen de faire quelque procès. Ils voudroient tâ-
cher de lasser la patience du Roi , et brouiller , s'ils
peuvent, cette Cour avec les évéques. Aussi ne
cessent-ils de dire, et le cardinal de Bouillon le ré-
pète sans cesse, que cette affaire ne peut finir nette-
SUR l'aFFAIHE du QUIÉTISME. 125
ment, et qu'il restera toujours quelque queue. J'es-
père ne'anmoins que leurs eiTorts seront inutiles, et
qu'à la fin on fera Lien. Le tout consiste à finir , et
vous verrez par la suite de cette lettre que je n'ou*
blie rien pour y engager.
On tint hier la sixième congre'gation, et les car*
dinaux Noris, Ottoboni et Albani , qui n'avoient
pas encore parlé sur l'indifférence, volèrent. Le
cardinal de Bouillon parla ensuite , à ce qu'il a dit
à une personne. Il étoit fort chagrin, et fort fatigué
au sortir de la congrégation. J'espère savoir , avant
de terminer cette lettre , un peu plus de détail.
Le cardinal Casanate n'assista pas à la congréga-
tion , ayant été obligé de garder le lit à cause d'un
rhume qui lui est survenu la,,veille : mais sa bonté
et son exactitude ordinaires le portèrent, pour n'ar-
rêter en rien les congrégations, à envoyer hier
matin son vœu par écrit, cacheté. Au reste, je crois
que cette précaution aura été inutile, parce que son
tour de parler sur le troisième chapitre ne sera pas
encore venu, et que ce cardinal m'a fait dire qu'il'
pourroit assister et parler lui-même à la congréga-
tion prochaine. Il n'est que trop certain que si le
cardinal de Bouillon se conduisoit, pour la mé-
thode seulement, comme le cardinal Casanate, les
cardinaux auroient fini aux Rois.
J'ai lieu d'espérer que les cardinaux Ottoboni et
Albani auront fait de sérieuses réflexions sur le parti
qu'ils ont pris, et sur ce qu'ils ont à faire. J'ai eu
avec chacun d'eux, depuis huit jours, deux longues
conversations , où je n'ai rien oubHé pour leur faire
voir la vérité, et leur montrer l'illusionnes doubles
l'iG LETTRES
sens (*) , par la pratique constante de l'Eglise uni-
verselle et de l'Eglise romaine, qui en toute occa-
sion n'avoit jamais voulu entrer dans ces sortes
d'excuses des auteurs ; et qui au contraire avoit tou-
jours supposé et même déclaré que le sensus obvias
<<toit le sens de l'auteur, et qu'on le devoit ainsi
présupposer. Enfin je leur ai fait observer , que s'il
y avoit jamais eu auteur qui dût n'être pas excusé
par une distinction aussi chimérique, c'étoit l'arche-
vêque de Cambrai, qui écrivoit après les erreurs
condamnées, pour expliquer la doctrine de l'Eglise
dans la dernière précision théologique, qui vouloit
lever toute équivoque ; et en un mot , que personne
ne méritoit moins de pareils mcnagemens qu'un au-
teur, qui n'avoit jamais donné d'explication qui ne
fiit contradictoire, mauvaise en soi, et qui ne con-
venoit point au texte du livre, comme on pouvoit
l'expérimenter aisément sur son amour naturel et
son prétendu motif intérieur ; explication aban-
donnée par la plus grande partie de ses défenseurs
mêmes. Je crois avoir remarqué que toutes ces rai-
sons démonstratives, jointes à d'autres considéra-
tions, ontj^ait beaucoup d'impression.
Je fus vendredi trois heures avec le théologien
du cardinal Ottoboni, qui m'assura qu'il étoit con-
vaincu de tout ce que je lui disois , et qu'il étoit de
votre sentiment sur tout. Il m'avoua que c'etoit une
moquerie, de vouloir condamner le sens obwius des
propositions, et de vouloir excuser Fauteur. Je crois
C*) C'esl-à-dire, du sens naturel d'un livre, ei du sens que l'au-
teur peut avoir eu dans l'esprit; distinction dont le cardinal de
Bouillon vouloit se servir, pour sauver Thonacui de M. de Cambrai.
SUPt L AFFAIRE DU QUIÉTISME. l^J
avoir démêlé par ses discours que le cardinal Otto-
boni consulte aussi les Jésuites, et qu'il a eu une
prande dispute sur cela avec l'un d'eux. Ce que je
sais , c'est que le cardinal Ottoboni a fait tenir ces
jours passés une congrégation de théologiens, où
l'on m'a dit qu'on avoit résolu de condamner le li-
vre. Si je pouvois savoir ce qui se passa hier à la con-
"^régalion, je serois éclairci"; car le cardinal Ottoboni
vota. Je le saurai apparemment dans peu de jours.
Pour le cardinal Albani , il fait tous ses efforts pour
persuader au père Roslet et à moi qu'il va bien, et
qu'il condamne M. de Cambrai. Mais user de mé-
nagement en cette matière , dans les circonstances
présentes , c'est tout ce qu'on peut faire de pis
contre la bonne doctrine; et il n'est pas possible,
vu l'état des choses, qu'on puisse mieux servir M. de
Cambrai , qui ne demande qu'à trouver quelque
prétexte pour s'excuser lui et sa mauvaise doctrine.
Le père Roslet et moi, nous lui avons représenté
tout ce qu'on peut imaginer, pour le porter à agir
franchement. Je l'ai trouvé ce matin chez le Pape :
il m'a dit qu'il avoit voté Lier; et il m'a prié de
croire que tout alloit bien, qu'il n'y avoit seule-
ment qu'à presser la conclusion. Il m'a ajouté qu'il
n'y auroit point de mal que le Roi parlât effica-
cement au nonce , et que je tâchasse de faire dou-
bler les congrégations ; (|Ue le Pape vouloit qu'on
finît , mais qu il ne savoit comment s'y prendre
pour y parvenir. J'étois déjà résolu d'en parler for-
tement au Pape; et c'étoit là l'objet de l'audience
que j'ai été lui demander ce malin.
Le Pape, qui se porte très-bien, tint vendredi
12b LETTRES
dernier, 19 de ce mois^ consistoire^ et fît deux car-
dinaux, l'arclievéque de Florence qui s'appelle Mo-
rigia, milanois, et Paolucci qui vient de Pologne.
Le premier fut déclare être celui qui fut réservé
in petto dans la première promotion que fit le Pape,
il y a trois ans ; et parce qu'il est le plus ancien
archevêque de la promotion, il est le premier de
toutes les créatures de ce Pape , quoique en-
fanté le dernier. Sa Sainteté a prétendu faire un
cardinal papable. Il a soixante-dix ans : il est d'une
piété exemplaire, et passe pour savant. Ce choix a
surpris tout le monde ; car c'est un homme qui a
très-peu paru dans cette Cour-ci. On prétend que
le grand duc a grande part à cette promotion.
L'archevêque de Chieti comptoit bien être cardi-
nal; jusque-là que le matin du consistoire, dix
laquais lui en vinrent apporter la nouvelle, sur
ce qu'on dit que c'étoit un archevêque ; mais le
Pape l'a minchiojiato. On est persuadé, et je pense
avec raison, que la conduite qu'il a tenue dans l'af-
faire du livre de M. de Cambrai, l'a perdu dans l'es-
prit du Pape. J'en sais quelque chose par moi-même,
qui me crus obligé de parler au Pape, il y a quinze
jours, assez fortement pour lui faire entrevoir ce
qui convenoit là-dessus. Les Cambrésiens auroient
triomphé, si dans les circonstances présentes cet
homme avoit été nommé cardinal ; mais ils ont
été assez mortifiés aussi bien que lui , d'autant plus
qu'on a dit publiquement que l'approbation qu'il
avoit donnée au livre de M. de Cambrai étoit la
cause de son exclusion. S'il avoit voulu croire ses
véritables amis, et moi aussi, qui lui parlai là-
dessus
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME* 1 29
dessus il y a un mois , comme il falloit , et qu'il
se fût de'terminé à avouer franchement à Sa Sainteté
qu'il avoit été trompe', mais qu'il voyoit à présent
la vérité, peut-être auroit-il obtenu le chapeau,
qu'il n'aura jamais selon les apparences; au moins
se seroit*il fait honneur, au lieu qu'on a vu la pau-
vreté de son esprit et de sa conduite. Cet archevêque
avoua il y a huit jours à Tabbé Pecquini , qu'on lui
avoit fait entendre, au commencement de cette af-
faire, que ce seroit faire plaisir au Roi que de favoriser
M. de Cambrai, ajoutant que cette fausseté venoit
du cardinal de Bouillon, et qu'il voyoit bien qu'on
l'avoit trompé. Il l'a bien voulu; car on lui a dit
dans le temps tout ce qu'on pouvoit pour l'affermir
dans son devoir, et il n'a voulu croire que son père
Alfaro.
Il faut à présent vous rendre compte de Faudience
favorable que j'ai eue cette après-dînée de Sa Sainteté.
J'ai commencé par captiver sa bienveillance, en
louant le choix qu'il avoit fait des deux cardinaux,
et en particulier de l'archevêque de Florence. Il a eu
la bonté d'entrer là-dessus dans un grand détail avec
moi, sur les raisons de cette promotion et les
grandes qualités du cardinal Morigia. Il m'a dit
qu'il vouloit l'avoir auprès de lui , qu'il étoit très-
docte; et là-dessus il m'a parlé de la peine qu'il
avoit de faire des cardinaux italiens, qui fussent ar-
chevêques ou évêques ; que les cardinaux étoient
faits pour rester à Rome, qu'autrefois ses prédé-
cesseurs n'en vouloient point d'autres, et obligeoient
les cardinaux, même nationaux, à venir à Rome;
qu'ils avoient même plusieurs fois f»it de grandes
BOSSUET. XLII. 9
l3o LETTRES
instances aux Rois de France, pour les engager k
envoyer les cardinaux de leurs Etats résider a Rome.
Sa Sainteté m*a fait mille questions par rapport à
cela, qu'il seroit trop long de rapporter. Enfin elle
est venue d'elle-même à me parler de vous, et à me
répe'ter toutes les choses obligeantes qu'elle a cou-
tume de me dire sur votre personne.
Le Pape a entame' ensuite TafFaire du livre, et
m'a te'moigné un grand empressement de finir cette
affaire. Après lui avoir représenté les inconvéniens
de tant de longueurs, je lui ai proposé quelques ex-
pédiens. Il goûtoit assez l'expédient de faire donner
les vœux par écrit , sans plus parler : mais il m'a dit
que les cardinaux prétendent que ce n'est pas la
coutume de les empêcher de parler de vive voix ,
qu'on voy oit ainsi le fort et le foible de la cause , et
qu'il trouvoit de grandes difficultés à surmonter là-
dessus. Pour ce qui était de leur limiter un certain
temps pour parler, il a ajouté que cela n'étoit pas
praticable; qu'il ne pouvoitque les exhorter à être
courts, ce qu'il ne cesseroit de faire dans toutes les
occasions , et qu'il a fait nouvellement dans les
deux derniers consistoires , tenus vendredi et hier.
Effectivement j'ai su qu'il les avoit pressés de con^
dure.
Sur ce sujet je n'ai pas eu honte de lui proposer
de doubler les conférences ; et si MM. les cardinaux
ne jugfioient pas à propos de prendre le vendredi,
d'ordonner que la congrégation du mercredi, jour
ordinaire du saint Office, seroit employée à cette
affaire, préférablemeut à toute autre; que Sa Sain-
teté avoit eu la bonté de le leur ordonner ^insi cet
8XIR l'affaire du quiétismè. i3t
été, et qu'à présent cela étoit également pralical)lev
Le saint Père m'a paru entrer dans toutes les choses
que je lui ai représentées à ce sujet, et approuver ma
proposition. Il ne m'a rien promis de positif, mais
j'ai cru entrevoir que son dessein étoit de donner cet
ordre. Je n'oublierai rien cette semaine pour lui
faire mettre fortement en tête l'exécution du projet.
Il m'a assuré qu'il vouloit trouver un expédient ^
pour faire hâter MM. les cardinaux et finir cette
affaire. Je vois bien qu'on lui avoit fait entendre
qu'il ne falloit pas les presser, que le saint Siège
avoit toujours été très-long temps à terminer toutes
les affaires importantes. Car il me l'a dit aujourd'hui
positivement, et m'a ajouté qu'il ne savoit pas si Ton
pourroit trouver quelque moyen de finir cette affaire
sans retour ; ce qui revient à ce que dit le cardinal
de Bouillon.
Je lui ai répondu pertinemment sur ces deux
points. Sur le premier, qu'on avoit déjà fait dix exa-
mens de ce livre, qu'on en voyoit tout le venin, que
tout étoit éclairci, qu'il falloit un prompt remède,
qui ne viendroit plus à temps si l'on différoit. Sur
le second point , je lui ai représenté qu'à chaque
jour suffisoit sa malice, qu'on ne demandoit à Sa
Sainteté que son jugement sur la doctrine de ce li^
vre, en quahfiant les propositions in sensu obvio et
natiirali; que si on formoit la décision précise sans
équivoque, l'affaire seroit finie, que l'archevêque de
Cambrai seroit obligé de se soumettre sans restric-
tion : mais au contraire que j'étois assuré que les
disputes recommenceroient, si l'on lui laissoit lieu
d'éluder la condamnation, en s'attachant à quelques
iSa LETTRES
paroles de la bulle, en un mot si l'on cherchoit des
tempe'ramens pour Texcuser. Il a bien compris ce
que je voulois dire, et il m'a de nouveau déclaré,
avec des démonstrations plus qu'ordinaires de bonté
pour vous et pour moi, qu'il étoit pleinement in-
formé de tout, et qu'assurément il alloit chercher
tous les moyens imaginables de parvenir à une
prompte et bonne décision : ce sont ses dernières
paroles.
Je conclus, par tout ce que j'ai entendu aujour-
d'hui du Pape, qu'il a les mêmes bonnes intentions j
mais qu'on lui a voulu brouiller la cervelle, en cher-
chant à faire naître difficultés sur difficultés. Je ne
voudrois pas répondre que le cardinal Albani n'y
eût quelque part. Nos amis le croient ici, hors le
père Roslet. Il est bien capable, après avoir mis ces
embarras dans l'esprit de Sa Sainteté, de vouloir
par politique paroître presser la fin, et du côté du
Pape et du côté du Roi. Pour le cardinal de Bouil-
lon, par lui-même il n'a aucun crédit sur l'esprit
du Pape. Mais que faire avec le cardinal Albani?
il faut le prendre comme il est, et s'en servir du
mieux qu'il sera possible.
Le cardinal Panciatici va bien, certainement. Le
cardinal Albani a biaisé jusqu'à cette heure , ainsi
que le cardinal Ottoboni, mais sans approuver la
doctrine. Ils se sont bornés à vouloir distinguer le
sens naturel du livre , de celui que l'auteur a pu se
proposer ; peut-être auront-ils changé d'avis.
On est bien content du cardinal Nerli. Le car-
dinal d'Aguirre donnera incessamment son vœu par
^crit sur toutes les propositions.
SUR L AFFAIRE DU QUIKTISME. 1?)6
Il est de conséquence que Ton fasse signer la Cen-
sure par tous les docteuiî's qui seront disposés à le
faire. Ce n'est pas par ostentation, mais pour dé-
truire, par un fait constant, les bruits que les par-
tisans de M. de Cambrai répandent ici , qu'on n'a
pu trouver que ces soixante docteurs qui ont été
contraints, et que tous les autres, dont on s'étoit
vanté qu'on auroit les signatures , l'ont refusée. Une
autre raison pour réunir tous ces suffrages, c'est
qu'on ne sauroit trop produire de ces témoignages,
qui seront autant de contradicteurs publics du livre.
J'en écris fortement à M. de Paris : l'effet n'en peut
être que très-bon ici. La censure une fois faite, le
nombre des signatures est indifférent en soi ; plus il
sera grand, plus il sera propre à confirmer les bien
intentionnés de ce pays-ci, et à montrer qu'il ne
tient qu'au P\.oi et aux évêques de faire décider l'af-
faire en France tout d'une voix. Cela ne peut être
que très-à-propos. Il suffira de dire à M. le nonce
que ces docteurs ont voulu signer. On n'en sera
certainement pas fâché ici, j'ose vous en répondre.
Je vous fais passer une thèse de Louvain, envoyée
ici à M. Hennebel : c'est un écolier de M. Steyaert
qui la soutient. On la prétend composée par ce
docteur. Le président est tout-à-fait dans les inté-
rêts des Jésuites, et Steyaert aussi; ce qui a fait
d'abord craindre qu'iln'y eut de la connivence avec
M. de Cambrai ; néanmoins on sait d'un autre côté
que ce M. Steyaert a été fort choqué contre cet
archevêque , pour avoir refusé ses séminaristes aux
ordres. J'ai lu la thèse avec attention : je n'y vois
rien de favorable à M. de Cambrai : il y a seule-
m
î34 LETTRES
ment dans la troisième position , sm' l'acte pi^pre el
çlicite de la charité, quelque chose qui demande-
roit explication. Mais dans la fm de la même position,
ce qu'il dit de la charité , fondée sur la communica-
tion de la béatitude, paroît tout-à-fait contre M. de
Cambrai. Le père Massoulié est assez content de la
thèse. On voit qu'on a évité, ce me semble, de
s.'expliquer sur l'objet premier et spécifique,^ et sur
le secondaire ; mais an ne l'exclut pas. On y parle
fortement contre un état d'indifférence sur le salut;
ce qui paroît désigner précisément l'erreur des Gam-
brésiens. Vous en jugerez mieux que moi , qui ne
l'ai lue qu'en courant : j'avoue que je ne la trouve
pas nette.
M. Phelippeaux a fait un petit écrit latin fort bon,
sur l'illusion des doubles sens, et la distinction du
sensus obvias d'avec le sens de l'auteur. Si nous
voyons que cette imagination continue à se ré^
pandre , nous le pourons distribuer. Par ce que m'a
dit le Pape, je juge à coup sûr qu'il veut mettre le
cardinal Morigia dan5 le saint Office,
L'abbé Feydé et M. Poussin font de leur mieux ,
çt je m'en sers très-utilement.
La clause in praxi reuiuiscere Molinosum ^ et
l'abus qu'on fait: des mystiques seront énoncés dans
la bulle, ou bien on n'en fera pas.
A Rome, ce a3 décembre 1698.
SUR l'affaire du quiétisme. i35
LETTRE CCCXCII.
DE LOUIS XIV A INNOCENT XII.
Il se plaint des retards qu'on apportoit dans la décîsioa de cette
affaire, et presse le Pape de donner son jugement.
Très-saint Père,
Dans le temps que fespérois de ramitié et ^u zèle
de Votre Sainteté une prompte décision sur le
livre de Tarchevêque de Cambrai, je ne puis ap-
prendre sans douleur que ce jugement, si nécessaire
à la paix de l'Eglise , est encore retardé par les ai^
tifices de ceux qui croient trouver leur intérêt à le
différer. Je vois si clairement les suites fâcheuses de
ces délais , que je croirois ne pas soutenir dignement
le titre de fils aîné de l'Eglise, si je ne réitérois les
instances pressantes que j'ai faites tant de fois à
Votre Sainteté, et si je ne la suppliois dappaiser
enfin les troubles que ce livre a excités dans les
consciences. On ne peut attendre présentement ce
repos que de la décision prononcée par le Père
commun; mais claire, nette ,^ et qui ne puisse rece-
voir de fausses interprétations ; telle enfin qu'il con-
vient qu'elle soit , pour ne laisser aucun doute sur
la doctrine, et pour arracher entièrement la racine
du mal. Je demande , Très-Saint Père , cette déci-
sion à Votre Béatitude, pour le bien de l'Eglise,
pour la tranquillité des fidèles, et pour la propre
gloire de Votre Sainteté. Elle sait combien j'y suis
sensible, et combien je suis persuadé de sa tendresse
l36 LETTRES
paternelle. J'ajouterai à tant de grands motifs qui la
doivent déterminer, la conside'ration que je la prie
de faire de mes instances et du respect fdial avec
lequel je suis , etc.
a3 Décembre i6«j8.
LETTRE GCCXCIII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur les nouvelles instances du Roi.
J'ai reçu votre billet du g. Vous saurez par une
de mes prece'dentes (*) lettres à mon frère, que je
l'ai prie de vous envoyer les l'ësolutions qu'on a
prises ici pour faire accéle'rerrafTaire. Quand la Cour
de Rome verra les nouvelles instances, elle ne
pourra peut-être se dispenser de mander au Roi que
le retardement ne vient que de la part de M. le
cardinal de Bouillon. Je retournerai d'aujourd'hui
en huit à Paris.
A Meaux, 28 décembre 1698.
LETTRE CCCXCIV,
DE BOSSUET A SON NEVEU.
^ur des IcUres que le Roi avoit écrites pour contenir le cardinal
de Bouillon,
J'ai reçu ce matin de Paris votre lettre du 16. On
exposera tout au Roi , qui verra le parti qu'il aura
(*) Celle lettre ne «"est pas retrouvée.
I
suîi l'affaire du quiétismf. i3^
à prendre. Je crois premièrement, qu'il y auroit de
l'inconvénient à défendre au cardinal de Bouillon
d'assister aux congrégations; secondement, que le
Roi ayant écrit fortement au Pape , il faut attendre
reffet de ses lettres. Le Roi paroît irrité, et le car-
dinal de Bouillon ne voit pas à quoi il s'expose; ou
s'il le voit , Dieu veut le punir.
Le Roi a écrit une lettre pressante au Pape, et
une très-forte, à ce qu'on me mande de très-bon
lieu, à M. le cardinal de Bouillon (*).
Je ne comprends pas la difficulté qu'on fait de
s'arrêter au sensus obvias. Jamais on n'en prend
d'autre , et jamais on n'exprime qu'on le prend ;
car c'est le sens naturel auquel on doit toujours
s'attacher. Jamais on n'exprime deux sens, pour
justifier une proposition; et quand elle en a un
mauvais, qui est Yobi^iuSy c'est assez pour la con-
damner, quoiqu'on puisse lui en donner un bon ,
mais forcé; parce qu'on présuppose qu'un homme
qui se mêle d'écrire, doit savoir parler correctement.
Continuez à travailler. Dieu sera avec vous. Je
crois que les lettres du Roi auront leur effet. En
tout cas , elles pourront produire qu'on mandera de
Rome de qui vient le retardement; et alors vous
voyez ce qui en résultera.
(*) Nous avons donné la lettre du Roi au Pape : pour celle que
Sa Majesté écrivit au cardinal de Bouillon, elle nous manque.
L'abbé Phelippeaux eut copie de cotte lettre, qu'il dit être terrible
et mortifiante , et que le cardinal de Bouillon tenoit avec raison
fort secrète. II nous apprend que l'abbé Stufia, secrétaire du car-
dinal de Médicis, la traduisit en italien , et on la répandit à Rome.
Tous les cardinaux en demandèrent des copies, et le cardinal de
Bouillon en fut très-^mécontent.
I"^8 LETTRES
Je serai à Paris samedi prochain sans manquer,
et je ne quitterai plus.
Quand on donne la bulle per manus y on doit
donner en même temps un terme préfix pour en
dire son avis , et ce terme ne peut aller bien loin.
Nous aviserons efficacement , dès que je serai à
Paris, à vous faire la somme que vous demandez,
et on ne vous laissera manquer de rien.
A Meaux, ce 3o décembre 1698.
LETTRE CCCXGV.
DE UABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur le nouvel ambassadeur, et les difficultés qu'il auroit à surmon-
ter j la dernière Réponse de M. de Cambrai, Tordre donné par
le Pape pour doubler les congrégations ; les dispositions des
cardinaux j les longueurs qui éloient à appréhender.
J'ai reçu la lettre que voua m'avez fait l'honneur
de m'écrire, le 7 décembre, de Paris, où je suis
ravi que vous soyez , et où je voudrois que vous
fussiez toujours jusqu'à la conclusion de l'affaire.
Vous ne me parlez pas, dans vos lettres , de l'am-
bassadeur : je suppose que vous aurez fait ce qu'il
faut pendant son séjour. Si madame de Maintenon
n'avoit pas parlé, il ne faudroit pas manquer de
l'engager à écrire. J'ose vous dire que je plains l'am-
bassadeur, qui ne trouvera ici personne qui soit
capable , ou qui se soucie de l'instruire du vrai état
des choses, et qu'on ne cherchera qu'à tromper.
M. le cardinal de Bouillon agira tout de son mieux
pour le faire donnerjdans quelque panneau. M. Pous-
SUR l'affaiiie du quiétisme. i3()
sin , qui ne re:>te pas ici, ne dira pas tout ce qu'il
sait ; et à la Cour on ignore bien des choses. Je **
verrai tout sans me mêler que de ce qui me regarde ,
et à cet e'gard je n'oublierai rien pour le succès de
l'affaire; mais je souhaite, et il est nécessaire , que
l'ambassadeur ait là-dessus quelque confiance en
moi. Vous vous imaginez bien que M. le cardinal de
Bouillon ne négligera rien pour Tempêcher ; et si je
n'ai pas ici beaucoup d'ennemis, j'ai bien des en-
vieux.
Vous devez avoir reçu , depuis la dernière lettre
à laquelle vous me faites réponse, des nouvelles
curieuses et importantes de ce qui s'est passé ici.
Vous aurez été d'autant plus étonné de la Réponse
de M. de Cambrai à vos Remarques „ que je vous
envoyai avec ma lettre du 2 5 novembre, que je vois
que personne ne l'attendoit en France , et que vous
n'en aviez pas la moindre connoissance. Qui que ce
soit, depuis un mois, n'en a écrit ici un seul mot
de Paris. Voilà un procédé bien extraordinaire de
la part de ce prélat, où l'on voit très- clairement sa
mauvaise foi, et le dessein qu'il a de tromper, à
Rome tout le monde. ïi a cru que son affaire étoit
sur le point d'être jugée : il a voulu détruire l'effet
de vos Remarques dans ce pays, et cacher en même
temps en France cet ouvrage, plein d'impostures
et d'outrages contre vous et contre les prélats. C'est
une providence que je me sois avisé de vous l'en-'
voyer. Car qui n'auroit pas cru qu'une lettre qui
vous est adressée, imprimée en français, ne fût
pas distribuée en France avant quç de l'être ici?
Mais la persuasion où je suis des artifices de M. de
•»
ï4^ LETTP. ES
Cambrai, m'a fait soupçonner qu'il pourroit bien
la cacher en France , surtout y ayant mis des choses
très-fortes sur les puissances, qu'il semble attaquer
et designer dans son espèce de Préface. J'ai cru de-
voir faire faire là-dessus des réflexions au Pape et aux
cardinaux, sur qui ce procédé a fait impression,
et il les a confirmés dans l'opinion qu'ils ont de
M. de Cambrai. Son procédé me paroît en effet
bien criant.
Vous avez vu, par ma dernière lettre, les ins-
tances que j'ai faites à Sa Sainteté pour doubler les
congrégations, et l'espérance que j'avois d'y réussir.
Je vous dirai par cette lettre, que le Pape a eu la
bonté de me faire avertir qu'il avoit ordontié ce que
je sollicitois : on commencera de demain en huit à
exécuter cet ordre, parce qu'il n'y a pas de congré-
gation demain à cause de la chapelle. La congréga-
tion qui devoit se tenir demain , s'est tenue aujour-
d'hui ; et les cardinaux qui doivent parler sur l'affaire
de M. de Cambrai, ne s'a ttendant pas à ce changement,
ne pouvoient être prêts. J'avoue que je suis très-aise
de* la résolution dti Pape, M. le cardinal de Bouillon
a fait sous m.ain ce qu'il a pu pour en détourner Sa
Sainteté, sous prétexte que les cardinaux ne pour-
ront être en état de parler deux fois la semaine sur
une matière aussi épineuse que celle-là , et qui de-
mandoit tant d'étude; alléguant que cet arrange-
ment feroit rester en arrière toutes les autres affaires
du saint Office. Mais Sa Sainteté a eu la bonté de
passer sur toutes ces difficultés. On m'a dit que
M. le cardinal de Bouillon ayant su que le Pape
étoit déterminé à prendre ce parti , il le lui avoit
SUR l'affaire du quiétisme. i4i
proposé avant-hier, jour de son audience, pour s'en
faire honneur auprès du Roi. Mais ce fut samedi
que je sus, que dès le mercredi d'auparavant le Pape
s'en étoit exphqué au vice-ge'rent. N'importe, c'est
une disposition fixe. On croira aisément que le car-
dinal de Bouillon, qui ne veut point de lin, n'y aura
pas eu grande part,
Tai eu ce matin une conférence très-longue avec
le commissaire, qui continue à nous servir efficace-
ment, qui ne veut que le bien, et qui déteste l'a-
mour du cinquième degré.
Je sais, à n'en pouvoir douter, que M. le cardinal
de Bouillon fait pis que jamais.
Premièrement, il n'a encore donné de vœu sur
aucun point. M. le cardinal Spada ne m'avoit dit,
il y a quinze jours, qu'il commençoit à le faire,
que pour Tcxcuser, croyant qu'il le remeltroit in-
cessamment; et il ne m'avoit pas dit la vérité, non
plus que le vice-gérent. Ce que je vous mande
aujourd'hui est très -sûr; et tous les cardinaux,
ainsi que le Pape, en sont scandalisés sans oser le
témoigner : mais chacun va son chemin.
En second lieu, le cardinal de Bouillon fait tous
ses efforts pour excuser M. de Cambrai et son livre,
et n'oublie rien à cet effet. La dernière fois qu'il
parla, qui fut le 2 a de ce mois, il le fît très-lon-
guement. Il vint à l'assemblée armé jusqu'aux dentSy
recommença à parler de l'amour pur, au lieu de
discourir sur la matière du sacrifice et des épreuves.
Jamais on n'a parlé avec plus d'assurance et d'un
ton plus affirmatif. M. le cardinal de Bouillon
tourna son discours avec assez d'adresse : il fît va-
14^ LETTRES
loir comme un argument décisif pour l'amour du cin-
quième degré, la difficulté que M. de Chartres se
propose à la page 20 de sa Lettre pastorale ^ qui est
tirée de l'acte propre de la charité et de l'habitude,
«'objectant qu'on peut former de tels actes indépen-
damment de tout rapport à nous. Il poussa cet ar-
gument le mieux qu'il put, le donnant comme une
démonstration, et éludant la réponse qu'on y a faite,
qui est que c'est toujours sans exclusion de l'autre
motif, comme subordonné au premier, et que quand
l'Ecole parle d'acte propre, elle parle de ce qui
spécifie l'acte de la charité, sans vouloir que les deux
motifs soient séparables dans la pratique, autre-
ment que per mentem dans des actes passagers, etc.
et comme vous l'expliquez dans le Schola in tuto.
De plus, on répond quil s'agit, dans le système de
M. de Cambrai, d'un état; et qu'il n'y a point
d'état dans cette vie, où on ne doive exercer les
actes de foi, d'espérance et de charité, selon saint
Paul qui a dit : Nunc autem manent fides , spes ,
charitas , tria hœc , qui est la réponse de M. de
Chartres. J'avoue pour moi, que cet endroit de
M. de Chartres m'a fait toujours de la peine, ne
s'expliquant pas assez nettement sur le motif secon-
daire, qu'il semble exclure de tout acte propre de
la charité. Que veut dire précisément cet acte
propre? Voilà ce quilferoit bieu de développer, en
montrant qu'il ne parle que par abstraction, sans
exclusion dans l'acte même de charité du motif se-
condaire; puisque l'acte de charité emporte néces-
sairement dans son concept formel le désir de la fm
et le désir d'union, quoiqu'on a y fasse pas toujours
SUK l' A F FAI 11 E DU QUIÉTISME. 1^3
une réflexion expresse. Cet acte propre de la charité
m'a toujours fait de la peine , et est le seul fondement
plausible que M. de Cambrai puisse trouver pour
chicaner ; auquel pourtant il est bien aisé de répon-
dre, et il ne sauroit en tirer aucun avantage poup
excuser son livre dans le fond.
M. le cardinal de Bouillon a ensuite apporté,
pour autoriser cet amour du cinquième degré, l'au-
torité de MM. Tiberge et Brisacier ; dont l'un , je
pense que c'est M. Tiberge, a relevé dans une oraison
funèbre imprimée, la disposition de celle qu'il louoit,
qui étoit sœur de M. le cardinal de Bouillon , la-
quelle ne faisoit plus d'actes d'espérance, étant ar-
rivée à un amour et un état plus éminent. Sur quoi
le cardinal de Bouillon s'est écrié : Voilà , Messieurs,
la doctrine et le sentiment des directeurs de madame
de Maintenon, qu'on nous veut donner aujourd'hui
comme contraire à cette doctrine. Je vous laisse
faire les réflexions que vous jugerez à propos sur un
mot dit en passant dans une oraison funèbre , oii
l'on ne met pas toute l'exactitude des écrits théolo-
giques, prononcée avant que ces matières fussent
agitées. On parle alors avec plus de liberté , secu^
riîis loquebantur. Aussi ce qui pouvoit être excusé
auparavant, seroit à présent hérétique, et con-
damné comme tel. Je n'ai pu voir les paroles pré-
cises de l'oraison funèbre citée. Je sais que le cïir-
dinal de Bouillon l'a fait venir, il y a quatre mois ,
de Paris avec grand empressement , et il a dit à la
congrégation que c'étoit u e pièce rare.
11 a produit encore le Combat spirituel^ êi a pré-
tendu que la doctrine de M. de Cambrai étoit pré-
l44 LETTRES
cisément la même que celle de ce livre, qui assurë-
ment y est toute opposée ; et que M. de Cambrai
n'a jamais osé alléguer en sa faveur. Ce qui est plai-
sant , c'est que M. le cardinal de Bouillon s'imagi-
nant que ce livre étoit tout favorable à M. de Cam-
brai, l'a fait imprimer ici en italien depuis trois
mois , sous le nom du père du Bue , Théatin fran-
çois, qui l'a dédié à M. le cardinal de Bouillon, et
qui a mis une dissertation à la tête sur l'auteur du
livre. Il y a long-temps qu'on soupçonne ce père du
Bue d'être favorable à M. de Cambrai et à son
livre : il est fort lié avec les Jésuites et le cardinal
de Bouillon. On a cessé de faire valoir M. du Bellai.
Tout cela, au reste , a fait peu d'impression. A me-
sure qu'on apprend quelque chose , on tâche de re-
médier à tout, et on n oublie rien.
On tint hier, lundi 29, la septième congrégation.
Le cardinal Carpegna aura commencé la matière
des épreuves, et plusieurs cardinaux auront voté. Je
ne sais pas encore qui a parlé , ni même si M. le
cardinal de Bouillon n'a point encore pris la parole.
Mais au fond tout va bien, et chacun suit comme
il a commencé. Le cardinal Casanate continue
d'être incommodé : on a lu son vœu en congrégation,
à ce que m'a assuré le commissaire.
Le discours fort et vigoureux que fît le cardinal
Casanate la première fois , a soutenu tout le monde.
Les cardinaux Carpegna , Nerli , Marescotti , Pan-
ciatici, Ferrari, Noris, ne se démentent pas. Le
cardinal Spada suit bien. Pour le cardinal Albani ,
j'en doute encore , quelque chose qu'il dise. Le car-
dinal Ottoboni agit de la même manière que dans
la
suK l'affaire du quiétisme. 145
la première congrégation : il a cependant assuré
qu'il ne s'étoit pas encore déterminé , mais qu'on
verroit à la fin le parti qu'il prendroit, et qu'on se*
roit content de lui. J'ai pris la liberté de lui faire
dire , que c'étoit mal se conduire et tout du pis, que
de ne pas faire bien à présent. Il est très-embar-
rassé, et je le laisse pour ce qu'il est : cependant je
fais tout ce qui dépend de moi auprès de lui, pour
le remettre dans le bon chemin. J'ai vu dans ces
fêtes tous les cardinaux, et je n'écris rien dont je ne
sois certain. Il seroit bon que M. le cardinal de
Janson profitât de quelque occasion pour écrire au
cardinal Panciatici, et qu'il lui marquât qu'on sait
qu'il prend le bon parti ; que le cardinal d'Estrées
en écrivît autant au cardinal Carpegna et au car-
dinal Noris. Cela produiroit un effet admirable, et
donneroit à ces messieurs une confiance encore plus
grande en moi.
Il arriva, il y a quelques jours, un courrier à
M. de Chanterac, qui lui apporta de nouveaux
livres. Le cardinal Carpegna me dit qu'on débitoit
que c'étoit son livre des Maximes corrigé ; mais cela
ne s'est pas trouvé vrai. Je vous envoie la liste des
livres arrivés : on en fait jusqu'ici grand mystère. On
a pris bien des mesures pour que je ne puisse en avoir
aujourd'hui aucun exemplaire. Le premier de ces
écrits est en latin : c'est apparemment la réponse au
Quietismus, Celui qui paroît être le plus de consé-
quence, c'est le quatrième écrit, qui n'est pas
imprimé , mais seulement manuscrit. Je ne sais pas
ce que ce peut être : je tâcherai de le découvrir.
La première chose que fit à son ordinaire l'abbé de
BOSSUET. XLII. 11^
1 46 LETTRES
Chanterac , ce fut de porter ces écrits au cardinal
de Bouillon , avec lequel il passa trois heures. Le
père Charonnier a le même crédit. Les Jésuites se
portent à tous les excès imaginables , sans garder
aucune mesure. Le Carme et le sacriste vont par-
tout , sollicitaat ouvertement pour M. de Cambrai.
Ils n'oul^lient rien pour ébranler le cardinal Ferrari,
mais inutilement. Le cardinal Ottoboni est à la
campagne, et ne se trouva pas hier à la congré-
gation.
M. le cardinal Morigia sera informé exactement
de l'affaire , avant que d'arriver ici. J'ai fait les di-
ligences convenables à cet effet, et il aura pour sus-
pects ses confrères qui ne haïssent pas l'amour pur :
mais ce cardinal sera sage. Je lui ai déjà fait tenir
les trois écrits latins, ainsi que la Relation en italien,
et M. le grand duc lui parlera. Ce prince agit à votre
égard et au mien avec une bonté extraordinaire.
M. le grand duc a votre portrait dans sa chambre.
Il a su par M. Dupré , que je souhaitois en avoir
copie : il le lui a envoyé aussitôt, et M. Dupré Ta
fait copier par le fils de M. de Troy qui s'est trouvé
dans ce temps à Florence. J'attends cette copie et
celle que vous m'envoyez avec impatience : j'en ferai
faire plus d'une à Rome. Il faut bien qu'on connoisse
ici en toute manière un homme aussi considéré.
M. le grand duc a écrit nouvellement au cardinal
Noris sur l'affaire de M. de Cambrai , et en bons
termes.
Ce n'est pas assez que les congrégations soient
doublées : j'ai dessein d'engager le Pape à faire de-
mander tous les vœux des cardinaux sur les matières
SUR l'affaire du quiétisme. 145
déjà examinées. Il verra au moins que tous ceux qui
ont donné leur vœu, condamnent unanimement la
doctrine de M. de Cambrai ; et que ceux qui n'osent
pas le donner , n'osent en même temps l'approuver
par écrit. S'ils sont contraints de présenter leur vœu ,
on verra clairement ce qu'ils ont dessein de faire.
Il faut aussi penser à faire travailler à la réduction
des propositions à mesure qu'on votera, afin d'a*-
bréger le travail et hâter la conclusion et la rédaction
de la bulle. Je prévois encore de nouvelles difficultés^
quand il s^agira de réduire les propositions : on cher-
chera les moyens de les surmonter. Je crois qu'on
peut assurer présentement, que les cardinaux au*
ront fini dans le mois de janvier de voter sur les
trente-huit propositions. Cela fait , c'est au Pape à
résoudre le reste , et à déterminer la manière dont
la bulle sera dressée. Il semble qu'un mois suffiroit
pour cette opération : mais ce pays-ci est inépui-
sable en longueurs; et il faut s'attendre à en avoir
encore à éprouver , surtout ayant en tête à chaque
pas des ennemis si acharnés, qui mettent tout leur
esprit et tout leur honneur à sauver le tout ou une
partie y ou à ne point finir. M. le cardinal de Bouillon
a proposé en diverses colonnes des sens difFérens ;
mais je vois qu'on s'en moque , et les autres vont
leur train.
Il est à propos que le Roi insinue au nonce, qu'il
convient de prohiber les écrits publiés pour défendre
le livre de M. de Cambrai. Mais on doit prendre
garde que cela ne donne prétexte à quelque nouvel
examen.
Dorénavant il faut que le Roi fasse continuelle-
t48 lettres
ment de nouvelles instances pour accélérer le juge-
ment.
Si quelqu'un e'toit assez liabile pour m'indiquer
quelque moyen pour avoir de l'argent , sans m'a-
dresser à vous et à mon père, assurément vous n'en-
tendriez pas parler de mes besoins ; mais je n'ai ici
aucune ressource. Pour vous faire voir une partie
de ce que je suis obligé de dépenser ici par rapport
à cette affaire, je pourrois vous envoyer un mé-
moire de reliures , copies d'écritures , ports de
lettres et de paquets,- étrennes réglées ici deux fois
Tannée aux valets des cardinaux, des prélats, et
autres dont j'ai affaire, qui monteroit, sans exagéra-
tion , depuis que je suis dans ce pays , à plus de
quatre mille francs ; sans compter les frais des es-
pions et des régals que je suis obligé de faire , et qui
font beaucoup ici, comme on vous le peut dire.
Jugez des autres dépenses pour vivre, etc. Cepen-
dant ce sont des dépenses auxquelles on est con-
traint , à moins que de tout abandonner , et de ne
vouloir pas réussir, ni faire honneur aux personnes
à qui l'on appartient.
Le Pape est en parfaite santé. Il voit bien à pré-
sent que la confiance que vouloit avoir en lui M. le
cardinal de Bouillon, étoit une grimace. Il avoit
un peu donné dans le piège; mais à la fin je pense
qu'il me croira.
J'espère que nous recevrons bientôt des nouvelles
sur les courriers dépêchés, et que le Roi parlera
haut et ferme; il le faut. Il doit voir mieux que ja-
mais la fureur de la cabale.
Je ne sais si je vous ai mandé par le dernier cour-
SUR l'affaliie du quiétisme. i49
ricr les bruits qu'on répand ici, de la résolution où.
Ton dit qu'est le Roi de déclarer son mariage, et
que le fils du Roi vouloit se retirer de la Cour. Plu-
sieurs cardinaux m'ont demandé ce qu'il falloit
penser de ces bruits. Vous vous imaginez bien ce que
je leur ai répondu. Tout cela est débité pour faire
croire qu'il y a à la Cour un parti fort opposé au
Roi et à madame de Maintenon.
Vous ferez bien de lier amitié avec T. qui est
honnête homme, qui a de l'esprit, et qui reviendra
ici. M. de Paris fera tout ce qu'il pourra pour le
gagner.
Rome, 3o décembre 1698.
LETTRE CCCXCVI.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur une thèse soutenue à Douai par les Carmes déchaussés en fa<*
veur des Maximes de M. de Cambrai ; sur un nouveau livre que
préparoit M. de Cambrai j et sur la manière d'entendre les mys-
tiques. •
Je vous souhaite une heureuse année. Je vous prie
de la souhaiter de ma part à nos amis, et, si c'est
la coutume, au Pape même : Dominus vwificet
eiim , et beatiim illumfaciat in terra. Amen. Amen.
Le paquet ci-joint seroit parti par le courrier
extraordinaire , sans un retardement survenu à celui
de Meaux.
Je vous envoie une thèse soutenue à Douai par
les Carmes déchaussés, de concert avec M. de Cam-
brai , qui même a gagné quelques docteurs de cette
l5o LETTRES
université, et qui s'applique extrêmement à ménager
les religieux. Ajoutez que M. d'Arras (*) , évêque
diocésain, quoique sans s'expliquer ouvertement,
est tout Cambrésien dans le cœur; et que s'il y a
quelque évêque qu'on puisse soupçonner de favo-
riser les intérêts de M. de Cambrai, c'est celui-là ,
quoiqu'il soit de nos amis. Nous l'avons vu fort po^
litique par rapport à M. de Cambrai son métropo-
litain. Il est au reste homme de mérite, et un peu
théologien, mais court.
Les bons Pères, après M. de Cambrai, se servent
de r autorité de V opuscule lxiii de saint Thomas,
qui constamment n'est pas de lui. Voyez la note au
lecteur devant l'opuscule xli.
Au fond, cet opuscule est pour nous. L'endroit
que cite la thèse, cap. 2, n. 3, où l'auteur dit, di-^
ligetur Deus propter Deum, n'est pas exclusif du
motif de la béatitude : diligit Deum non salum , etc.
et oh hoc muUo fortius , etc. De plus ce qu'il dit :
diligit multb JbrtiiiSj quod simpliciter in se bonus ,
largus et misericors,, etc. montre que la charité a
égard aux attributs qu'on nomme relatifs, quoi--
qu'on les 'regarde CQmme absolus j et ils le sont en
effet, comme je l'ai remarqué, Schola in tuto ,
prop. ï6, 17, 18.
Le même auteur remarque aussi, ibidem ^ qu'il
y a d'autres motifs d'accroître l'amour, que la seule
excellence de la nature divine. Ainsi le dessein de
cet auteur est de dire seulement, que la charité ne
se porte pas à Dieu comme coïamumc^iK Jinaliter,
{*) Gui de Sève de Rochechouart, nommé évé<jue d'Arras en
jCjOj se démit en faveur de son neveu en 1721.
SUR l'affaire du quiétisme. i5i
et c'est ce qu'il marque expressément cap. i, n. 3,
ni même pr ineip aliter ^ comme il le répète sans cesse
cap. 4> n. 3, cap. 6, n. 3, etc.
Cela étant, la glose de la thèse sur le nequaquam,
exclusive du motivum secundarium y est une addi-
tion à l'auteur contre son intention ; et il faut en-
tendre, selon les autres textes, nequaquam Jinaliier,
et nequaquam princip aliter. Au surplus, l'exclusion
du motif secundarium est directement contre le vrai
sens de saint Thomas, dans l'endroit rapporté au
Schola in tuto , n. 84, 85.
La thèse cite encore le passage de saint Thomas ,
où il dit que la charité ne désire pas que aliquid
ex Deo sibi proveniat, a* 2*, quaest. 23, art. 6; à
quoi j'ai répondu très-précisément, Schola in tuto,
n. i3o, i3i.
Ainsi la thèse qui exclut le motif secundarium ^
et par conséquent qui veut que la béatitude non sit
ullum motivum j est qualifiable comme contraire à
la parole de Dieu écrite et non écrite ; puisqu'il est
constant que la bonté communicative et bienfai-
sante de Dieu, est toujours rapportée dans l'Ecriture
et dans les Pères comme un vrai motif d'aimer.
Ce qu'ajoute la thèse, à la fin, de ratio essentialisj
est une équivoque que j'ai souvent démêlée, où l'on
prend essentialîs pour spécifique. C'est l'erreur per-
pétuelle de M. de Cambrai. Entre le spécifique et
l'accidentel il y a le propre, qu'on nomme essen-
tiel et inséparable, comme je l'ai remarqué, Schola
in tuto, n. î47-
On auroit donc belle prise contre cette thèse;
lOa LETTRES
mais nous ne ferons rien, pour ne point occasion-
ner de diversion, qui est où tend M. de Cambrai.
Sur le quatenus de la consultation des soixante
docteurs, vous avez fort bien remarqué qu'il est
expressif de la raison précise de censurer, et non
indicatif d'un autre sens excusable. Après tout,
quand le saint Siège parlera, il faut qu'il parle plus
précisément.
M. de Cambrai prépare un dernier livre, où il
fera un parallèle de ses propositions avec celles des
mystiques. Il trouvera bien un air confus de ressem-
blance, dont Molinos et plusieurs autres ont abusé;
mais jamais précisément les mêmes choses, sacrifice
absolu, persuasion réfléchie, exclusion du motif
de r intérêt propre, etc. Si l'on ne s'élève une fois
au-dessus des mystiques, même bons, non pas pour
les condamner, mais pour ne prendre point pour
règle leurs locutions peu exactes et ordinairement
outrées, tout est perdu. C'est une illusion dange-
reuse, de pousser à bout ceux qui ont dit dans leurs
excès qu'ils n'avoient de souci, ni de leur salut, ni
de leur perfection, etc. mais seulement de la gloire
de Dieu. Car M. de Cambrai n'ose dire qu'ils n'en
avoient point de souci ; et pour sauver cet incon-
vénient, il leur fait seulement mépriser l'amour na-
turel, dont aucun d'eux n'a parlé. Il faut donc en-r
tendre qu'ils n'en avoient point de souci finaliter ,
principaliter, etc, ; à quoi la décision du concile de
Trente, sess. vi, cap. ii, a un rapport manifeste :
Cum hoc ut imprimis glorificetur Deus, mercedem
quoque intuentur œternam.
SUn l/ AFFAIRE DU QUIÉTISME. l53
Nous attendons avec impatience ce qu'auront pro-
duit les lettres du Roi au Pape et à M. le cardinal
de Bouillon.
M. de Monaco part au premier jour. Il sera bien
averti et bien instruit.
Pour Fargent , mon frère en veut bien payer
2000 livres, dont vous aurez ordre par cet ordi-
naire. Pour moi, ou ce sera par cet ordinaire, à
quoi on travaille actuellement, mais au plus tard
pour Tordinaire prochain. Après cela, roulez dou-
cement. On ne prétend pas que vous diminuiez ce
qui est essentiel pour vous soutenir ; mais cette an-
née est si mauvaise, et nous sommes si chargés de
pauvres, qu'on ne peut pas ce qu'on veut. J'em-
brasse M. Phelippeaux,
Paris, ce 5 janvier 1699,
LETTRE CCCXCVIL
DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET.
Sur les derniers écrits de M. de Cambrai.
Permettez -MOI de vous souhaiter, dans ce com-
mencement d'année, toutes les bénédictions tempo-
relles et spirituelles que votre piété et votre zèle
méritent. Je viens d'achever la lecture des quatre li-
vres que M. de Chanterac a distribués, et qui lui
sont venus par un courrier extraordinaire. Le pre-
mier est une lettre en réponse au Schola in tuto,
qui contient 7 1 pages. Elle est pitoyable : il ne ré-
pond à rien de ce qui est contenu dans votre livre.
l54. LETTRES
Il devoit prouver que les trente-six axiomes qui en
sont le fondement, ou sont faux ou ne sont point
contraires à sa doctrine. Il rebat tout ce qu il avoit
de'jà dit sur les hypothèses impossibles, et ne s'ap-
puie que sur une calomnie visible, qui est que vous
dites que la béatitude est la seule. Tunique et la
totale raison d'aimer. Il me semble que vous n'avez
point assez relevé cet article, qui revient dans tous
ses livres. Le second est une réponse à Quœstiun-
culaj, contenant 55 pages; ce sont des redites.
Le troisième écrit a pour titre : Préjugés décisifs
pour M. l'archevêque de Cambrai contre M, Vévê-
que de Meaux. Il prétend réduire toute sa doctrine
à cinq questions, qu'il suppose admises par MM. de
Chartres et de Paris. Ces questions ne touchent point
le fond de la matière. Première question : La cha-
rité dans ses actes propres, et dans son motif essen-
tiel, n'est -elle pas indépendante du motif de la
béatitude? 2. N'y a-t-il pas un amour naturel de
nous-mêmes, qui est le principe de certains actes
moins parfaits que les actes surnaturels, sans être
vicieux? 3. N'y a-t-il pas en cette vie un état habi-
tuel et non invariable de perfection, où cet amour
purement naturel n'agit plus d'ordinaire tout seul,
et où il ne produit des actes que quand la grâce le
prévient, le forme, le perfectionne et l'élève à l'or-
dre, surnaturel ? 4. N'y a-t-il pas en cette vie un état
habituel et non invariable de perfection, où la cha-
rité, indépendante du motif de la béatitude, pré-
vient d'ordinaire les actes surnaturels des vertus
inférieures, en sorte qu'elle les commande expres-
sément chacun en particulier, qu'elle les ennoblit,
I
SUR l'affaire du quiétisme. i55
les perfectionne, les relève, en y ajoutant son propre
motif? 5. N'est-il pas vrai que la passiveté, dans la-
quelle les mystiques retranchent l'activité', c'est-à-
dire, les actes inquiets et empressés, laisse la vo-
lonté passive dans l'usage de son libre arbitre; en
sorte qu'elle peut résister à l'attrait de la grâce? Il
prétend que c'est cela seul qui compose son système;
que « cinq examinateurs ont déclaré à Sa Sainteté,
3) que le texte du livre pris dans son tout, ne pou-
5) voit signifier qu'une doctrine très -pure; que ce
5> texte doit passer pour correct et pour clair dans
» le sens catholique, puisque ce sens concilie sans
» peine toutes les diverses parties du texte ». La
conclusion porte : « Quand même il y auroit dans
5) mon livre des ambiguités, qui n'y sont pas, et que
5> l'équivoque n'en seroit levée par aucun autre en-
M droit, M. de Meaux auroit du m'inviter charita-
» blement à m'expliquer sur ces endroits ». Il ajoute :
« Que croira-t-on d'un livre, dont les défenses très-
» correctes sont déjà encore plus répandues que le
» livre même dans toute l'Europe? Ces défenses ne
» peuvent plus être séparées du livre qu'elles justi-
» fient; elles ne font plus avec ce livre qu'un seul
» ouvrage, indivisible dans son tout.... Quiconque
» demanderoit encore de nouvelles explications d'un
» livre, déjà tant de fois expliqué, pour en changer
» tant soit peu le texte, paroîtroit songer moins à
» mettre la pure doctrine en sûreté, qu'à flétrir l'au-
» teur ». Ce libelle n'a que douze pages.
Le quatrième , intitulé Libelli propositiones ah
adversariis impugnatœ , testimoniis Sanctorum pro-
piignanturj contient 62 pages : ce sont les trente-
l5(> LETTRES
huit propositions des examinateurs. Les passages
qu'il apporte pour prouver Tamour pur, sont les
mêmes que ceux^de son Instruction pastorale : après
chaque proposition il apporte difiérens témoignages,
et quelquefois ne fait qu'une note, plus ou moins
étendue.
Au reste, tout ce qu'il dit dans tous ces derniers
écrits, n'est que ce qu'ont allégué Alfaro et le sa-
criste dans le temps de l'examen. Je doute fort que
les cardinaux lisent ces derniers ouvrages.
Hier il n'y eut point de congrégation à cause de
la chapelle : elle s'est tenue aujourd'hui, malgré la
fête. On dit que les dernières lettres du Roi y ont
contribué. Le Pape a promis de donner encore la
congrégation qui se tient le mercredi, ce qui avan-
cera le jugement : ainsi les cardinaux pourront finir
vers la fin de janvier. M. l'abbé vous mandera le
détail. On a aujourd'hui commencé le quatrième des
sept articles qu'on discute dans l'examen. Je suis
avec un très-profond respect, etc.
Rome , le mardi 6 janvier 16917.
P. S, M. de Cambrai a omis dans son livre la
quatrième proposition, la dixième et la onzième,
qui se trouvent dans l'extrait des examinateurs : la
quinzième proposition qu'il a mise dans son livre, n'est
point parmi les propositions manuscrites. Les propor-
sitions 23, 24, 26, 3o, sont encore omises. Il a changé
l'ordre que les examinateurs avoient donné aux
propositions; {>eut-être Fa-t-il fîdt à dessein d^ trom-
per. Son livre ne contient que trente-deux proposi-
tions : il a uni la trente-septième avec la cinquième.
SUR l'affaire du quiétisme. i5t
Il dira peut-être qu'on lui a envoyé un exemplaire
en cette forme. Je n'ai pu encore avoir le livre h
moi ; il est rare.
LETTRE CCCXCVIIL
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur les effels que produisoit la lettre du Roi a» cardinal de Bouîl*
Ion, les discours de ce cardinal dans les congrégations j les
causes de Tembarras du Pape 5 le zèle du cardinal Casanalej ses
dispositions à l'égard de la France ; Timpression que la lettre
du Roi avoit faite sur le Pape j et le* matières discutées dans les
dernières congrégations.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Paris, le i5 de'cembre, paf l'ordi-
naire. Depuis, c'est-à-dire samedi, il est arrivé un
courrier extraordinaire de M. de Torcy à M. le car-
dinal de Bouillon, qui lui a porté ses lettres à Fres-
cati , où ce cardinal étoit allé le mercredi matiri
avec sa compagnie ordinaire , le père Charonnier
et un autre Jésuite, et d'où il comptoit revenir hier 5
mais l'arrivée du courrier l'en fit repartir dimanche',
et il eut audience de Sa Sainteté dès le jour même.
Il lui porta une lettre du Roi au sujet de l'affaire
de M. de Cambrai, très-belle et très-pressante : je
n'ai pas encore pu en avoir copie. Je ne sais l'effet
que produiront ces nouve les instances ; mais je ne
doute pas qu'il ne soit avantageux. Ces lettres ser-
viront toujours à réveiller le Pape et cette Cour :
elles animeront ceux qui ont de bonnes intentions,
fortifieront peut-être les foibles qui n'auroient pas
l58 LETTRES
voulu se déclarer, par complaisance pour le cardi-
nal de Bouillon, et feront voir aux malintentionnés,
qu il n'y a point à espérer de changement dans l'es-
prit du Roi , qui connoît ici le vrai intérêt de l'Eglise
et de son royaume, et qui ne peut être surpris par
leurs artifices.
Je ne sais pas le particulier des dépêches de Sa
Majesté; mais par ce qu'ont dit le Pape et le car-
dinal Spada, par l'abattement du cardinal de Bouil-
lon et les mauvais discours qu'il a tenus, je juge
que ce cardinal est très- mortifié, et qu'apparem-
ment on lui aura fait sentir le juste mécontente-
ment qu'on a de sa conduite, et qu'on est instruit
de ses artifices. Je vis hier cette Eminence , et elle
eut peine à cacher son dépit : on ne parla de rien
qui eût rapport à M. de Cambrai ; mais je compris
fort bien son chagrin, dont je fis semblant de ne pas
m'apercevoir. Je ne doute pas que ces nouveaux
coups n'aient été frappés d'après les lettres du lo
du mois passé, envoyées par la voie de Florence.
Quoi qu'il en soit, les lettres sont arrivées très-à-
propos; et elles n'auroient pas servi de beaucoup, si
l'on avoit attendu plus tard : car il est principale-
ment question de presser les opérations, et de faire
voir à cette Cour qu'il faut finir, étant moralement
certain que la fin ne peut être que bonrie , puisque
nous avons assurément le Pape et tous les cardinaux
pour nous. En effet, je ne regarde le cardinal de
Bouillon et le cardinal Ottoboni que comme des
chiens qui aboient, et qui ne font du mal que par
le retardement qu'ils apportent, surtout le cardinal
de Bouillon, qui ne fait que rebattre perpétuelle-
SUR l'affaire du quiétisme. iSq
ment les mêmes choses sur l'amour pur, sur la cha-
rité et les divers sens , n'osant jamais conclure. On
m'assura encore hier de bon lieu, que cette Emi-
nence, la dernière fois qu'elle parla, s'étudia dans
son discours, dont je vous ai rendu compte par ma
lettre du 29 de décembre, à faire valoir pendant
plus d'une grosse heure les nouvelles autorités qu'il
apporta, des directeurs de madame de Main tenon,
du Combat spirituel, et de M. de Chartres sur l'a-
mour pur, et cela lorsqu'il étoit question de parler
sur les dernières épreuves. On a raison de compter
pour temps perdu un temps si mal employé, et avec
tant d'affectation de mauvaise volonté.
Je ne sais comment le cardinal Spada aura écrit au
nonce. Je crains un peu qu'il ne l'ait fait fort su-
perficiellement, et toujours en excusant le cardinal
de Bouillon ; car c'est le caractère du cardinal Spada.
Je m'en suis aperçu plus d'une fois ; et en dernier
lieu il me l'a fait assez connoître, lorsque, sur les
plaintes que je prenois la liberté de lui faire de ce
que le cardinal de Bouillon parloit sans laisser son
vœu, il m'assura que ce cardinal avoit commencé la
veille à voter précisément sur les qualifications des
propositions. Et cependant il est certain encore à
présent, qu'il n'a laissé jusqu'ici de qualification sur
aucune proposition : j'ose avancer que je le sais du
cardinal Albani, du cardinal Casanate précisément,
du commissaire du saint Office, et que pas un seul
des autres cardinaux ne m'a dit le contraire, quand
je le leur ai demandé. Plusieurs même, comme le car-
dinal Panciatici qui est assez franc, et le cardinal
Carpegna, me l'ont assez fait entendre.
l6o LETTRES
Hier le cardinal Gasanate me dit que tous alloient
bien, excepté le cardinal de Bouillon. Quant au
cardinal Ottoboni, il ajouta que c'étoit moins que
rien. Et sur le cardinal Albani , il me fit entendre
qu*il tâtonnoit, mais qu'à la fin il feroit comme les
autres. C'est une vérité plus que certaine, que tout
le mal vient du cardinal de Bouillon. Il fait des
difficultés sur tout : cela est cause que le Pape et les
cardinaux vont avec plus de précaution et de len-
teur. Ainsi au lieu de faciliter les choses, le cardinal
de Bouillon ne cherche qu'à les embarrasser ; et j'ose
dire que c'est une espèce de miracle que les esprits
se soutiennent comme ils font. C'est à la bonté de la
cause qu'on doit l'attribuer, et à la fermeté du Roi ,
qui montre véritablement à toute la terre en cette
occasion, combien la religion lui tient au cœur.
J'espère que les lettres que vous recevrez du i6
décembre, par le courrier de M. de Torcy, vous
confirmeront les dispositions de ce pays - ci. Ces
lettres contiennent une plus ample explication de
celles du lo, et vous pouvez compter que tout ce
que je vous ai mandé, est la pure vérité d'un bout
à l'autre : il y a même plus à augmenter dans mon
récit qu'à y diminuer. Pour moi, en mon particu-
lier, je me fais une religion de ne rien écrire que
ce dont je ne puis douter. J'ose dire que je passe une
infinité de choses sous silence, ou parce qu'elles me
paroissent petites, ou parce que ce ne sont que des
ouï dire, dont je n'ai pas la dernière certitude : il
y a assez de faits certains, sans y en mêler d'autres.
Tout l'artifice, en un mot, de nos adversaires,
tend à tâcher d'établir sur les propositions de M. de
Cambrai
SUR l'affaire du QUIÉTISME. l6l
Cambrai deux sens, dont l'un soit excusable. Pour
l'amour pur, oii s'efîbree de le défendre du mieux
qu'on peut, en se servant de tous les médians ar-
gumens dont;, ce prélat a fait usage : mais tout le
monde est ferme , et je vois qu'on le sera jusqu'à la
fin, de manière que je ne doute presque pas que nos
adversaires ne soient obligés de céder et de souscrire
à la condamnation, quoique tout leur but soit de
Tempêcher.
Si le Roi continue à parler fortement au nonce Sur
les cabales, et particulièrement sur le scandale que
cause la division des qualificateurs, sur l'addition
des trois derniers dans un temps où tout alioit être
fini, sur le sacriste qui s'étoit déclaré partie avant
que d'être juge, sur l'archevêque de Ghieti qui d'a-
bord avoit fait un vœu contre le livre, et que le
père Alfaro, aussi bien que la cabale, ont fait en-
suite changer, en lui inspirant des vues de politi-
que; si, dis-je, le Roi insiste là-dessus, cela fera
des merveilles. Car enfin le seul argument des Cam-
brésiens est à présent la division des examinateurs :
ils n'ont plus exactement autre chose à dire, et le
Pape n'est embarrassé que par cette seule raison. 11
ne fait que répéter ^ cinque , cinque , corne far e me.
Il n'y a pas encore long-temps que Sa Sainteté ap-
pela le commissaire du saint Office, et pendant un
quart-d'heure il ne dit autre chose que ces mots,
cinque , cinque. Le commissaire lui représenta que
les cardinaux n'étoient pas ainsi partagés; et ensuite,
que c'étoit en lui que résidoit spécialement le pou-
voir de décider. 'Ainsi, il faut de la part de la
France remontrer le peu de cas qu'on doit faire des
BOSSUET. XLH. I I
iG'l LETTRES
cinq examinateurs opposés , dont trois auroient dû
être exclus selon toutes les règles divines et humaines;
et faire voir au Pape tout doucement, qu'il a com-
mis une faute considérable , en accordant l'adjonc-
tion des nouveaux examinateurs, qui ont fait tout
le mal, et rejeter néanmoins cette faute sur la cabale
qui Ta trompé. Mais en même temps il est nécessaire
de lui faire voir, qu'il ne convient pas à l'Eglise
romaine de paroître embarrassée sur une matière de
cette nature , qui regarde la foi , qui a déjà été dé-
cidée contre Molinos et les autres Quiétistes ; ni sur
un livre condamné unanimement par les évêques et
les docteurs de France, dont le suffrage a bien au
moins autant de poids que celui des cinq qualifica-
teurs, qui se sont rendus suspects avec autant de
fondement, depuis le premier jusqu'au dernier, en
osant excuser la doctrine de M. de Cambrai.
Les Jésuites vantent ici beaucoup l'éloquence de
M. le cardinal de Bouillon , sa facilité à s'énoncer
dans les congrégations , disant qu'il parle véritable-
ment en maître. Ils ne tiendroient pas de pareils
discours, s'ils entendoient ce que rapportent ceux
qui sont présens aux assemblées , qui assureht que
ce cardinal ne débite fort longuement que des pau-
vretés, et ne fait que des chicanes; qui disent qu'il
joue parmi les cardinaux le personnage du sacriste
parmi les examinateurs. Pour moi qui sais que tout
ce qu'il dit est écrit, et qu'il ne fait que lire ce que
lui a préparé le père Charonnier, qui n'écrit pas
mal en latin ; pour moi qui n'ignore pas combien ce
Père est superficiel en tout, et principalement sur
ces matières , dont je me suis entretenu quelquefois
SUR l'affaihe du quiétisme. i63
avec lui, je ne trouve plus de difficulté à admirer
ce qui n'est rien moins qu'admirable. Ce n'est pas
que le cardinal de Bouillon ne prétende décider
comme un oracle, et ne soit fort mécontent de ceux
qui osent le contredire. Mais il ne laisse pas d'en
trouver ; et généralement les airs de hauteur et de
mépris qu'il prend, ne lui siéent guère , et ne lui at-
tirent pas des applaudissemens. Les cardinaux Ca-
sanate et Nerli sont ceux qui parlent le plus forte-
ment contre tout ce qu'il dit, sans aucun ménage-
ment. Le cardinal Nerli traite hautement d'illusion
dangereuse l'amour du cinquième état , et l'appelle
Vaniore Jilosojico. Dans toutes les chapelles, ils se
font remarquer les uns aux autres toutes les prières
de l'Eglise et de leur bréviaire , dont l'esprit est tout
opposé à la doctrine de M. de Cambrai. Plusieurs
cardinaux, qui ne sont pas du saint Office, m'ont
assuré ce fait.
Le cardinal Casanate est, Dieu merci, en meil-
leure santé. Rien n'est capable de le détourner du
chemin de la vérité : c'est l'homme le plus droit que
je connoisse, qui estime le plus l'Eglise de France
et sa doctrine, et qui a un respect infini pour le Roi,
Il me disoit l'autre jour, que sans le R^oi la religion
couroit grand risque , que le saint Siège n avoit pas
de plus ferme appui , et qu'il falloit ne pas aimer la
religion et le saint Siège pour n'en pas convenir.
Nous parlâmes une fois de l'affaire de la régale. Je
crois qu'on pourroit très-aisément se rapprocher là-
dessus ; et je suis persuadé que si l'on pouvoit faire
entrer dans la négociation le cardinal Casanate, on
ne trouveroit pas beaucoup de difficultés de la part
ît)4 LETTRES
des autres cardinaux et du Pape. Si ron me jugeoit
capable de faire quelque chose là-dessus , au moins
d'essayer et de commencer avant que l'ambassadeur
vînt, peut-être serois-je assez heureux pour lui pré-
parer la voie ; mais il faudroit un grand secret , et
que le cardinal de Bouillon n'eût pas le moindre
vent de cette affaire j ce qui seroit très-aisé. Au
moins servirois-je avec affection et fidélité, et peut-
-etre avec plus de facilité qu'un autre , surtout s'il
Vagissoit de traiter avec le cardinal Casanate, qui
a une confiance en moi que je ne mérite pas , mais
qui est particulière. J'écris ceci à tout événement ,
et vous en ferez l'usage que vous jugerez à propos.
Si l'on vouloit commencer cette négociation , il n'y
auroit pas de temps à perdre, à cause des conjonctures
favorables d'un Pape qui veut faire plaisir au Roi ,
et du cardinal Casanate qui se trouvera peut-être
bien disposé par toute sorte de raisons. Il n'y au-
roit toujours point de mal de me donner quelques
instructions sur ce sujet , dont je vous réponds que
je ne ferai pas mauvais usage.
Pour revenir à nos affaires , je sais de très -bonne
part que le Pape a été très- touché de la lettre du
Roi, et très-fâché que Sa Majesté crût qu'il avoit
quelque part au retardement. On prétend qu'il a
parlé fortement là-dessus au cardinal de Bouillon,
et qu'il lui a fait sentir qu'il savoit que tout le mal
venoit de lui.
Ce cardinal croit donner au Roi une grande
marque qu'il accélère le jugement autant qu'il est
possible, en ayant ïdk mettre au 6, jour des Rois,
la congrégation qui devoit se tenir lundi , 5 de ce
1
SLll l'aFFAïUE du QUIÉÏISME. r(î5
mois, mais qui, à cause de la chapelle , ne pouvoit
avoir lieu. Il n'y a pas, dit ce cardinal, d'exemple
qu'on ait jamais fait tenir ce jour-là de congrégation.
II ne songe pas qu'il auroit été bien plus naturel de
la faire renvoyer au jour d'auparavant, qui étoit le
dimanche. Mais il falloit quelque acte apparent,
pour qu'il pût écrire au Roi qu'il avoit obtenu la
chose du monde la plus extraordinaire ; et cepen-
dant il y a beaucoup moins de part que le Pape,
qui a plus de désir que personne qu'on ne perde
point de temps.
On tint donc mardi, sixième de ce mois, la
huitième congrégation ; et hier matin mercredi , on
s'assembla encore en conséquence de la promesse
de Sa Sainteté, dont je vous ai parlé dans ma pré-
cédente, du 3o de décembre, et de ce qu'il avoit
résolu il y a près de quinze jours. Ce que je vous
marque, afin qu'on ne croie pas que ce soit la lettre
du Roi qui ait fait résoudre qu'on traiteroit encore
le mercredi de l'affaire de M. de Cambrai. Mais la
lettre du Roi servira extrêmement à faire abréger
cette affaire par une autre voie , en faisant prendre
très-certainement au Pape et aux cardinaux des
mesures pour qu'on ne perde pas le temps k tant de
discours vains. Cette lettre portera ensuite à cher-
cher les moyens les plus propres à abréger la rédac-
tion de la bulle , qui auroit pu tenir des temps in-
finis j au lieu qu il y a lieu d'espérer qu'on songera
uniquement à finir cette affaire, et que peut-être le
cardinal de Bouillon ne sera plus assez hardi pour
s'opposer aux bonnes intentions des autres.
Je ne sais pas encore ce qui s'est passé dans les
l66 LETTRES
deux dernières congre'ga lions, parce que je vous
écris cette lettre par le courrier de M. de Torcy ,
qui doit partir demain; mais j'espère avant de la
fermer, savoir quelque chose. Le cardinal Noris ,
que je vis samedi, me dit quil devoit parler le
mardi suivant, et qu il vouloit être très-court, afin
de donner à d'autres cet exemple. Il devoit s'expli-
quer sur le sacrifice et les dernières épreuves. Après
lui les cardinaux Ottoboni et Albani auront parlé.
Le cardinal de Bouillon s'attendoit aussi à le faire :
il étoit allé pour cela j au sortir de chez le Pape, à
Frescati travailler avec le père Charonnier, qui est
toute sa consolation et toute sa ressource.
Je ne puis m'em pêcher de dire que ceux qui pré-
tendent excuser le cardinal de Bouillon sur sa cons-
cience, qui, disent-ils, ne lui permet pas de con-
damner le livre de M. de Cambrai , veulent se laisser
éblouir par un vain prétexte.
Il n'est que trop certain que c'est un engagement
qu'il a pris avant que de venir ici, et avant que
d'examiner la matière. Il est encore très-sûr qu'il
n'a jamais parle franchement là-dessus. Ses ma-
nœuvres le font assez voir, depuis le commencement
de l'afFaire jusqu'à présent. Il a voulu et cru pou-
voir tromper et amuser le Roi comme tout le
monde , et pendant ce temps former ici un parti sur
lequel il comptoit tout rejeter. Si le caractère de
ministre , et de cardinal membre de la congrégation ,
l'embarrassoit , que nechoisissoit-il l'un ou l'autre.
Que ne s'est-il expliqué nettement au Roi ? Pour-
quoi tant de détours, tant de souplesse, pour me
persuader qu'il étoit plus contre M. de Caml>rai
SUR l'affaile du QUIÉTISME. iG'J
qu'on ne pense, jusqu'à me dire qu'il voudroit pou-
voir me montrer son vœu, et qu'il étoit assuré que
j'en serois content ? Pourquoi n'ose-t-il pas sou-
tenir hautement la vérité, et ne défend-il la doc-
trine de M. de Cambrai que par des équivoques ,
par des doubles sens, et qu'en proposant des expé-
diens, qui, si on les approuvoit, éterniseroient
cette malheureuse affaire, et couvriroient de honte
le saint Siège? Quel homme de bon sens pourra ja-
mais s'imaginer que ce soit une délicatesse de cons-
cience , qui l'ait porté à mettre la division parmi les
qualificateurs , en y faisant ajouter , lorsque l'affaire
étoit presque finie, trois examinateurs dont il étoit
assuré, et en s'opposant au choix du père Latenai ,
que Sa Sainteté avoit nommé pour rompre le par-
tage ? Qui pourra jamais penser sérieusement qu'il
«e croie plutôt obligé en conscience de suivre le sen-
timent du père Dez , du père Charonnier et des Jé-
suites, que celui des évêques de France, des plus
célèbres docteurs de Paris et de tout le royaume, et
j'ose dire de tous les théologiens de Rome qui sont
sans passion?
Je ne suis pas le seul ici qui porte ce jugement du
cardinal de Bouillon ; puisque le Pape et tous les
cardinaux ne peuvent s'empêcher de dire, que cette
Eminence fait à Rome un personnage bien odieux
contre son Roi et contre sa patrie , en faveur d'une
cause très-déplorable.
M. l'ablié <ie Chanterac a donné au Pape ces jours
passés les quatre nouveaux écrits de M. de Cambrai ,
t^ue j'espère pouvoir joindre à ce paquet. Il les a
l68 LETTUES
distribués aussi aux cardinaux, qui la plupart oiit
déclaré ne les vouloir pas seulement regarder.
J'oubliai, je pense, dans ma dernière lettre, de
vous parler de M. Langlois, dont M. le cardinal de
Bouillon m'a lu une lettre qu'il lui écrit de Paris,
je crois en date du 7 de décembre, par laquelle il
lui marque tous les discours qu'il vous a tenus, tous
les bruils qui courent à Paris sur ce cardinal ; et en
particulier, que vous lui aviez dit savoir fort bien
qu'il est entièrement favorable à M. de Cambrai , et
qu'il faisoit tous ses efforts , ainsi que les Jésuites,
pour le sauver. J'ai pris avec M. le cardinal ce
récit en badinant, et me suis rejeté sur le zèle de
M. Langlois contre les erreurs de M. de Cambrai.
Un des confidens de M. le cardinal de Bouillon est
ici un nommé Fortin, que vous avez vu il y a dix ans
Feuillant , sous le nom de dom Jean de Saint-Lau-
rent , ou le petit dom Côme. Il est a présent défro^
que par le grand crédit de M. le cardinal de Bouillon,
et est aussi fort bien auprès de lui.
Les Jésuites ne vous épargnent en rien, ni M. l'ar-
clievêque de Paris, ni le Roi, ni madame de Main-
tenon; je parle des Français plutôt que des autres.
J'apprends qu'on a fini la matière des épreuves.
On a bien avancé le quatrième chapitre sur le pro-
prio conatu et l'attente de Ja grâce : on m'a même
assuré que ce chapitre fut fini hier ; on a réduit le
surplus des propositions à trois chapitres. Il y a lieu
d'espérer que chaque semaine on en pourra terminer
un. Le Pape a déclaré qu'il ne vouloit pas qu'on
parlât au saint Office d'autres affaires, que celle de
SUR l'affaire du quiétisme. 169
M. de Cambrai ne fût terminée. Ainsi toute la con-
eréeation du mercredi s'emploie à traiter cette ma-
tière ; celle du lundi de même. Je sais que Sa Sainteté
a dit que tout seroit fmi dans peu de jours , c est-à-
dire à la fm du mois.
Il sera question ensuite de la bulle, qui passera
per manus. Ce seroit un grand coup si l'on en char-
geoit le cardinal Casanate : j'ai lieu de Fespérer, et
je n'oublie rien de ce qui dépend de moi pour y
déterminer le Pape j cela épargneroit bien des
chicanes.
Le cardinal Albani ne fait pas mal à présent, à
ce qu'on dit; mais je ne puis lui pardonner ses tours
de souplesse. Le cardinal Carpegna dit à un de mes
amis, il y a huit jours, que le cardinal Albani avoit
toujours i piedi a due staffe. Pour le cardinal Otto-
boni , il semble revenir et vouloir mieux faire. A
l'égard du cardinal de Bouillon , il a parlé avec un
peu plus de modération , mais néanmoins, à ce qu'on
m'a assuré , toujours dans les mêmes principes. Il est
résolu, à ce qu'on prétend, de ne donner son vœu
qu'à l'extrémité. Cette Eminence veut le plus grand
mal au pauvre Poussin, et l'on croit qu'elle a écrit
fortement à la Cour contre lui , pour l'empêcher
d'être secrétaire du nouvel ambassadeur. Les amis
du cardinal de Bouillon et de M. de Cambrai sont
ici ravis , d'être assurés que Poussin ne restera pas
à Rome. La vengeance est bien indigne ; car il est
très-certain qu'il n'y a que la chaleur avec laquelle
Poussin a parlé de l'alfaiie de M. de Cambrai, qui
lui a attiré la disgrâce du cardinal de Bouillon.
Les amis de M. de Cambrai envoient presque tous
ly^ LETTRES
les jours auprès du Pape, ou Fabroni, ou le père
Alfaro, ou le père Damascène, ou quelque értiis-
saire pareil, pour lui embrouiller Tesprit. On re-
marqua que dimanche, une demi-heure avant que le
cardinal de Bouillon parlât au Pape, ce père Da-
mascène avoit été long-temps avec le saint Père.
L abbé Feydé , qui me l'a dit , eut audience du Pape
après lui , et avant le cardinal de Bouillon. Le Pape
liji dit que ce Père venoit de lui parler sur M. de
Cambrai.
Comment se gouverne M. de Beauvilliers ? Il me
semble bien dangereux, pour le présent et pour l'a-
venir, de le laisser dans la place qu'il occupe. Je ne
doute pas qu'il ne soit toujours le même. Est-il vrai
que M. de Paris a donné pour confesseur à madame
Guyon le père Valois Jésuite ? Cela passe ici pour
certain , et paroît bien extraordinaire.
. On n'attend plus ici M. l'ambassadeur qu'au
mois de mars. Je vous prie de lui parler de mon
induit pour mon abbaye. Si le Roi ou le ministre lui
en pouvoit dire un mot , cela disposeroit la réussite
de mon affaire à son arrivée , et toutes les circons-
tances y concourroient. Ayez la bonté de vous sou-
venir de moi pour ma subsistance, et de prendre
avec mon père les mesures convenables à ce sujet.
Sa Sainteté est en parfaite santé, elle est sortie cette
après-dînée. J'attends mes lettres du 22, pour aller à
son audience.
J'ai attendu à l'extrémité à fermer mon paquet.
On m'avoit promis de me donner les livres de M. de
Cambrai ; on m'a manqué de parole. Je vous en
envoie un des quatre, qui est le plus impertinent :
I
SUR l'affaire du quiétisme. 171
je vous ferai passer les autres par le premier cour-
rier. M. Phelippeaux vous fait le détail de ce qu'ils
contiennent.
Je pense que le dessein des cardinaux est de ne se
pas contenter du respective y dans la condamnation
des propositions du livre.
Rome, ce 8 janvier 1699.
LETTRE CCCXCIX.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur l'état actuel de raffaire j la manière dont le cardinal de Bouil-
lon pourroit justifier sa conduite auprès du Roi 5 et les trois
points sur lesquels les partisans de M. de Cambrai auroient voulu
faire condamner Bossuet.
L'ordinaire de France est arrivé, et je ne reçois
aucune lettre, ni de vous, ni de mon père, ni d'au-
cun de la famille. Cela me fait craindre qu il ne soit
arrivé quelque malheur au paquet, et peut-être que
le cardinal de Bouillon, dans l'inquiétude où il est
de savoir comment on a pu être si tôt averti à la
Cour de ce qui se passe, n'ait été bien aise de voir
votre paquet. Le maître de la poste m'a cependant
assuré qu'il n'étoit rien venu pour moi, que ce
qu'il m'avoit envoyé. Enfin il faut attendre quelques
jours pour éclaircir ce fait : peut-être aussi m'aurez-
vous écrit par le courrier qu'on a redépêché à Flo-
rence. Jusqu'ici je ne laisse pas d'être en peine : on
a peut-être mis trop tard à Paris les lettres à la
poste. Je vous supplie de faire, à tout événement,
quelque démarche à Paris auprès des directeurs de
17'-* LETTRES
la poste, afin qu'ils prennent garde et aient atten-
tion aux paquets qui me seroient adresse's. S'ils re-
cevoient Jà-dcssiis quelque ordre de celui des mi-
nistres qui a à présent la surintendance des postes,
cela assureroit dorénavant mes paquets, soit à Pa-
ris, soit à Lyon et à Rome. Les lettres qui me man-
quent sont celles du 22 décembre.
J'ai reçu la lettre de M. de Paris de même date,
par laquelle j'apprends la réception de mes lettres
du 10, et son voyage à Versailles. J'ai reçu aussi
une lettre de M. de Rheims, qui me marque vous
avoir vu la veille, que vous lui aviez fait voir ma
lettre du 10, et que vous partiez pour Meaux.
Je sors de chez le cardinal Casanate, avec lequel
j'ai été très-long-temps. Il m'a confirmé dans tout
ce que je vous ai mandé jusqu'ici : le secret du saint
Office le rend très-difficile à s'expliquer. Je sais que
l'affaire va bien, et qu'à présent, dans les deux der-
nières congrégations du 6 et du 7 de ce mois, on
a été à pas de géant, ce sont ses propres paroles ;
de manière qu'il espère, si l'on continué, que dans
trois semaines ils auront fini leurs congrégations
entre eux. Ils voteront après devant le Pape ; mais
ce ne sera qu'en déclarant précisément la qualifica-
tion que chacun donne aux propositions, et cela sera
très-court : après quoi^il faudra faire la bulle. Il est
très-vraisemblable que ce sera le cardinal Casanate
qui en sera chargé, comme il l'a été de celle de
Molinos : ce sera un grand coup ; elle passera après
per manus. Il espère que cela ne tiendra que peu de
temps ; mais il faut toujours s'attendre à quelques
longueurs pour ne se pas tromper.
SUR l'affaire du QUIÉTISMÉ. 1-^3
Je présume, par tout ce que j'entends, que le
cardinal de Bouillon se réserve de donner à la fin
les qualifications qu'il jugera à propos aux propo-
sitions. Cela ne l'empêche pas de parler toujours en
faveur de M. de Cambrai, et de tout excuser. On
ne sait pourquoi ce cardinal retarde de jour en
jour à renvoyer son courrier. Il paroît très -embar-
rassé : il est enfermé depuis le matin jusqu'au soir
avec le père Charonnier. Je ne sais si je me trompe,
mais je pense que tout l'artifice du cardinal de
Bouillon, par rapport au Roi, consistera à repré-
senter qu'il veut qu'on coupe entièrement la racine
du mal, en définissant jusqu'aux moindres choses,
et les choses mêmes indécisibles ; ce qui est le plus
beau et le plus sûr prétexte du monde pour em-
pêcher, non-seulement la prompte décision de cette
affaire, mais qu'on puisse jamais la finir. Pour par-
venir à un jugement, il est question de s'arrêter
à l'essentiel de la matière, qui est la distinction du
cinquième et du quatrième état, et l'exclusion du
motif de la béatitude dans l'état des parfaits, sans
prétendre faire le procès aux mystiques, supposé
qu'on veuille condamner M. de Cambrai.
La chose du monde que M. le cardinal de Bouillon
craint le plus, c'est que je ne dépêche quelque cour-
rier et n'écrive par les extraordinaires. Il défend à
tous les courriers de prendre aucun paquet que les
siens ; et celui qui a la direction des postes a ordre
de lui , de ne «laisser partir aucun courrier français
sans son commandement exprès. Voilà une grande
précaution, qui sera très -inutile quand je 1^ vou-
drai , et lorsqu'il sera nécessaire de dépêcher.
1^4 LETTRES
On m'a dit que le cardinal de Bouillon veut , par
ce courrier, écrire au Roi une lettre particulière de
sa main, pour sa justification. Ne faites pas sem-
blant de le savoir j mais il seroit bon de découvrir ce
qu'elle contiendra.
Le Pape a demandé ces jours passés, ce que pré-
tendoit faire le cardinal de Bouillon avec les Jé-
suites et le père Charonnier ; si Charonnier étoit
un grand docteur ; et si le cardinal de Bouillon
croyoit pouvoir faire changer les cardinaux et le
Pape.
Tai sujet, dans toutes les occasions, d'être ici
très -content du père Cambolas. Il n'a pas tenu à
lui qu'il n'ait prêché devant le Pape contre l'amour
pur et les nouveaux mystiques. Son sermon étoit
tout fait ; mais les réviseurs ne le lui ont pas con-
seillé à cause des circonstances, et il a fallu qu'il
changeât son dessein.
M. le cardinal de Bouillon s'est allé renfermer aux
Chartreux, pour écrire : on croit qu'il fera partir
demain matin son courrier.
Il ne tiendroit pas aux amis de M. de Cambrai
qu'on ne vous condamnât ici sur trois points, sur
l'acte propre de la charité, indépendant du motif de
la béatitude, sur la passiveté et l'enchaînement des
puissances, et sur les pieux excès, les saintes folies,
dont vous accusez les plus purs actes d'amour de
Dieu, pratiqués par les plus grands saints. Voilà ce
que les Jésuites vont disant partout. 0n leur répond
comme il faut.
V<^us recevrez par la même voie le paquet d'hier.
Je vais écrire un mot à M. de Paris.
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 1^5
La nouvelle du testament du roi d'Espagne (*),
fait ici grand bruit. On ne sait si le roi de France y
est consentant , ni ce qui en peut arriver : il faut
attendre quelque temps.
Dans le moment on met entre mes mains quatre
livrets de M. de Cambrai, que je vous envoie.
N'oubliez pas de faire donner des ordres à la
poste de Paris , de Lyon et de Rome pour mes
lettres^
Les réponses au Mjstici in tutOj et au Quietismus
redivivus, ne se distribuent pas encore : celle au
Mjstici est arrivée ; mais on dit qu'il y manque quel-
que carton.
Rome, ce 9 janvier 1699.
LETTRE CCCC.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur différens faits rapportés dans les lettres de Rome j et les
nouveaux écrits de M. de Cambrai.
J'ai reçu votre lettre du 28 décembre dernier :
j'y vois la continuation lente des congrégations , et
(*) Il s'agit du testament que Charles II, qui étoit sans enfans,
et qui ne pouvoit en espérer, avoit fait à la fin de Tannée précé-
dente, et par lequel il instituoit le prince électoral de Bavière
son héritier universel. Mais le jeune prince étant mort le 6 février
suivant, le roi d'Espagne fit le 2 octobre de la même année, un
autre testament, par lequel il nommoit héritier de tous ses Etats
Philippe , duc d'Anjou , second fils du Dauphin. Charles mourut
le i.*"" novembre suivant, et Louis XIV fit valoir contre une ligue
puissante les droits de son petit -fils au trrtne d'Espagne, dont
après bien des combats il devint paisible possesseur.
170 LETTRES
que le Pape a toujours les mêmes bonnes intentions.
Nous attendons avec impatience la nouvelle de ce
qu'auront produit les lettres du Roi à Sa Sainteté et
à M. le cardinal de Bouillon. Le courrier n'est pas
encore de retour.
Toutes les lettres de Rome parlent de la nouvelle
de l'archevêque de Chieti (*) , et des emporiemens
sans mesure du cardinal de Bouillon. Le Roi a vu
vos lettres, et est étonné de la conduite de ce car-
dinal.
On va travailler h. avoir les signatures d'un grand
nombre de docteurs. L'écrit de M. Phelippeaux sera
très-utile , si l'on continue à faire fort sur les deux
sens. Les lettres de Rome marquent toutes, que
l'embarras des cardinaux roule particulièrement sur
les sentimens des mystiques.
M. l'archevêque de Cambrai fait répandre ici un
très-petit écrit, intitulé : Préjugés décisifs y qui avec
beaucoup de hauteur, ne contient que des redites
et des affirmations entièrement fausses, il y en a un
autre , sur deux colonnes , dans lequel il fait le pa-
rallèle de la doctrine des mystiques avec la sienne.
C'est à celui-ci qu'il faut répondre, aussitôt qu'on
le pourra avoir. Si vous l'avez, envoyez-le, et ce-
pendant que M. Phelippeaux travaille; le Mjstici
in tuto pourra l'aider. Si M. de Cambrai prétend
s'appuyer de Blosius (**) , vous pouvez tenir pour
(*) On a vu dans les leUres précédentes, que sur la nouvelle qui
s'étoît répandue dans Rome de la nomlDation d'un archevêque au
cardinalat, rarchevêque de Chieti en avoit reçu les complimens.
Mais on sut bientôt que le choix du Pape tomboit sur Jacques-
Antoine Moriggia, railanois, Barnabiie, et archevêque de Florence.
(**; Blosius ou Louis de Blois de Cbàtillon, religieux Bénédictin,
certain
SUR L AFFAtllt fiU QUIÉTISME. Ï^J
certain qu*on ne trouvera jamais clans cet auteur le
sacrifice absolu de son salut, ni les suites de ce sys-
tème, ni l'article m et ses annexes, ni la se'para-
tion des deux parties, poussée au point où ce prélat
la porte. D'ailleurs on ne peut prendre pour règle,
ni pour excuse, les expressions outrées de la plupart
des mystiques : autrement on justifieroit par cette
méthode Molinos, et tous les Quiétistcs.
J'admire les sentimens du Pape sur le séjour des
cardinaux à Rome : il y a long-temps qu'on devroit
avoir rétabli l'ancien usage.
On a raison de dire que ce n'est pas la coutume de
l'Eglise d'opiner seulement par écrit. Il est à sou-
haiter qu'on double les conférences ; mais cela est
difficile, à ce qu'on dit, à cause des autres congré-
gations. Le mieux seroit de bien employer le temps ,
et que le Pape témoignât efficacement qu'on le fâ-
chera , si l'on ne retranche les longs discours.
M. le cardinal de Janson m'a montré votre lettre .'
il est plein de bontés pour nous. M. de Monaco
partira vers la fin du mois, ou au commencement de
l'autre : j'espère qu'il sera instruit de tout.
A Versailles, \i janvier 1699.
et abbé de Liesse en Hainault, étoit un bomme d'une éminente
piété. Ses ouvrages sont estimés. M. de Cambrai voulut justifier sa
doctrine par celle de ce pieux abbé ] mais Bossu^t en fit voir la
différence dans son écrit intitulé : Les passages ^claircis, tom. xxx,
pag. 357 et suiv.
BOSSUET. XLÏI. 12
1^8 LETTIILS
LETTRE CCGCI.
DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les dlfiférens motifs qui dévoient porter Rome à terminer
l'affaire.
J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 23 : j'y vois
avec déplaisir la peine que vous avez toujours à ob-
tenir un jugement. J'espère que la lettre que le Roi
a écrite au Pape, et envoyée par un courrier extraor-
dinaire , obligera de finir. Si on ne veut pas accor-
der cette conclusion , attendue depuis si long-temps ,
et si nécessaire par le besoin qu'en a l'Eglise ; on le
doit du moins par déférence pour un grand Roi, qui
la demande avec instance : la politique et la religion
exigent la même chose dans cette occasion. C'est ce
que vous ne pouvez trop souvent représenter : ceux
qui ne seront pas touchés de l'une, le seront de
l'autre.
Je ne répondrai point au détail de votre lettre ,
parce qu'il est tard. J'arrive de Versailles, où j'ai été
demander au Roi permission de faire signer nos doc-
teurs. Sa Majesté le trouve très-bon, aussi bien que
M. le nonce, à qui j'en ai parlé; ainsi je m'en vais
y travailler incessamment : j'espère vous envoyer
par le premier courrier un grand nombre de si-
gnatures.
Je viens d'écrire au père Roslet : il vous commu-
niquera ma lettre. Je ne lui ai pas mandé que le Roi
suii l'affaire du quiétisme. 179
a fait ôter M. de Cambrai de dessus l'état de sa
maison : vous rapprendrez, s'il vous plaît, à ce bon
Père , et vous le direz l'un et l'autre a qui vous ju*
gérez à propos.
M. de Monaco est toujours sur le point de partir :
j'espère que vous serez content de ses manières à
votre égard. Croyez-moi toujours, Monsieur, à
vous de tout mon cœur.
12 Janvier idj^
LETTRE CCCCII.
DE L'ABBË BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les oljets que l'on avoit traités dans la dernière congrégation,
et ceux dont on devoit s'occuper dans la suivante.
Je ne vous écris qu'un mot par le courrier or-
dinaire, espérant vous écrire plus au long par le
courrier de M. de Torcy, qui arriva ici samedi,
10 de ce mois, peu d'heures avant que l'autre cour-
rier partît. Ce nouveau doit partir après demain,
s'il n'est retardé, comme on a coutume de le faire.
Vous avez su par ma lettre du 9, que je n'avois
point reçu de lettre, ni de vous, ni de mon père,
en un mot que le paquet du 22 décembre me man-
quoit. Je n'ai rien reçu, depuis, et j'attends l'éclair-
cissement de toutes choses par l'ordinaire qui arri-
vera à la fin de la semaine.
Depuis ma lettre du 9, je n'ai rien appris de nou-
veau , et ne puis vous parler que de la congrégation
d'hier lundi, qui est la dixième, et dont je n'ai en-
l80 LETTRES
core aucune nouvelle. Je sais seulement qu'on de-
voit finir le chapitre iv, qui regarde le propre effort
et l'attente de la grâce, et commencer un autre cha-
pitre ; f ignore lequel : je pense que ce sera celui
des vertus et de l'involontaire en Jésus -Christ. On
espéroit pouvoir terminer ce cinquième chapitre
dans la congre'gation de demain, au moins MM. les
cardinaux se préparoient pour cela. Le cardinal
Albani, qui est le dernier, comptoit parler hier et
encore demain. Avant que le courrier de M. de
Torcy parte, j'espère savoir s'il s'est passé quelque
chose de considérable dans la congrégation d'hier,
et ce qui se fera dans celle de demain.
J'étois allé aujourd'hui chez le Pape ; mais il n'a
donné audience à personne , si ce n'est au cardinal
Spada. J'étois bien aise de lui parler sur les nou-
veaux livres de M. de Cambrai, et de lui faire valoir
un peu votre silence. Je n aurois pas manqué de
lui dire un mot sur le scandale de la division des
qualificateurs, et de le faire ressouvenir du pou-
voir de la cabale en cette occasion. Il faut ici et en
France appuyer là-dessus ; car il n'y a pas un mot
à répondre sur ces faits incontestables, qui prouvent
tes secrets et puissans ressorts de la cabale.
Il est certain qu'elle s'est appliquée presque uni-
quement à faire faire sous main au Pape quelques
faux pas , et qu'aucun des cardinaux n'a eu part à
cette manœuvre, excepté le cardinal Albani, que
j'ai toujours soupçonné dès le commencement de
favoriser M. de Cambrai. Le cardinal Spada m'a
avoué encore aujourd'hui, que l'adjonction des der-
niers qualificateurs lui fut aussi nouvelle qu'à moi.
SUR l'affaire du quiétisme. ï8i
Le coup de partie sera que la bulle passe par les
mains du cardinal Casanate : c'est à quoi je n'ou-
blierai rien , et j'ai lieu d'espérer que ce projet
re'ussira.
Je vous remets à la lettre que je vous écrirai par
le courrier extraordinaire, qui, je pense, partira
vendredi ou samedi , et vous la recevrez avant
celle-ci.
Je vous enverrai sous l'enveloppe de M. de Torcy
les livres de M. de Cambrai.
Rome, ce i3 janvier 1699.
LETTRE CCCCIII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur ce qui s^étoit passé dans les dernières congrégations ^ un ordre
du Pape pour obliger les cardinaux à donner leurs qualifica- *
lions j les derniers écrits de M. de Cambrai j et sur une au-
dience que cet abbé avoit eue du Pape.
Je vous écris par le courrier de M. de Torcy, qui
part demain , et qui arriva ici samedi dernier, 10 de
ce mois, peu d'heures avant le départ du premier
courrier. Je crois qu'on aura fait encore par ce
dernier quelque nouvelle instance à M. le cardinal
de Bouillon , relative à l'affaire de M. de Cambrai.
11 alla à l'audience du Pape dès le jour même : apT
paremment il y avoit d'autres affaires mêlées.
Je n'ai point encore reçu votre dépêche du 23 dér
cembre : je l'attends par le premier courrier avec
celle du 29. Je ne puis deviner la cause de ce retar-
dement, qui n'a pas laissé de me faire de la peine î
lS-2 ^ LETTRES
je voudrois bien en savoir le sujet avant que cette
lettre partît.
Depuis mes dernières lettres , du 8 et du 9 de ce
mois, il s'est tenu deux congrégations, celle de
lundi douzième de ce mois, et celle d'hier mercredi.
Dans celle de lundi on acheva de discuter le cha-
pitre IV sur le propre effort et l'attente de la grâce :
on commença même le cinquième chapitre sur l'in-
volontaire et les vertus , lequel ne put être achevé
hier , mais il fut bien avancé. Les cardinaux , à
l'exemple de leur ancien qui bat bien du pays , sont
un peu longs. Ils veulent montrer chacun qu'ils en-
tendent la matière, et résolvent les objections que
certaines gens font : de là vient qu'à chaque congré-
gation, il ne peut guère y avoir que quatre ou cinq
cardinaux qui parlent. On finira dans la congréga-
tion de lundi prochain l'examen du cinquième cha-
pitre. Il n'en restera plus que deux , pour lesquels
U faudra encore cinq ou six congrégations : ainsi
cette discussion ira jusqu'à la mi-février, temps ou
certainement tous les cardinaux auront parlé sur
chacune des propositions, et donné leur vœu, ou au
moins du le donner.
Vous savez bien ce que je vous avois mandé par
une de mes précédentes , que j'espérois faire en sorte
auprès du Pape qu'il ordonneroit que les cardinaux
remissent leurs qualifications sur chacune des pro-
positions discutées jusqu'à présent, afin qu'on pût
commencer à savoir à quoi s'en tenir, et même
travailler à la réduction. J'ai appris ce matin que
Sa Sainteté l'avoit ainsi ordonné, ce qui avoit bien
fâché certaines gens j et je sais de science certaine
SUR l'affaire du quiétisme. i83
que tous ont exécuté cet ordre, de manière que le
cardinal de Bouillon a envoyé au saint Off ce sur
ces propositions trois ou quatre feuilles de papier ,
écrites de la main de Certes. Il ne seroit pas impos-
sible que je ne susse dans quatre ou cinq jours le con-
tenu de son écrit : mais donnez-vous bien de garc'e de
le dire à d'autre qu'à madame de Maintenon et au
Eoi. On seroit bien étonné si je parvenois à en en-
voyer copie, ainsi que le journal de tout ce qui
s'est passé : je ne désespère pas de le pouvoir faire.
Je puis assurer que dans la première congréga-
tion, le cardinal de Bouillon évitant de voter, a
été marqué par ce mot abstinuiu Depuis , il a com-
mencé à distinguer dans les propositions un bon et
un mauvais sens, et a toujours continué ainsi, sans
donner de vœu précis. Pour dire ce qui s'est passé
depuis deux jours, il faut attendre encore, afin de
parler juste : c'est ce que je tâche de faire , ne
voulant rien hasarder sur des objets aussi importans
et aussi difficiles à pénétrer.
Outre les livres que je vous ai déjà envoyés , il y
a encore trois autres livrets , que M. de Ghanterac
distribue depuis deux jours : l'un est la réponse au
Mysiici in tuto ; et l'autre , les principales Propo^^
sitions du livre des Maximes justifiées : je vous en-
voie ces deux livrets. Le troisième est une espèce de
justification des propositions en latin : je l'ai vu
entre les mains d'un cardinal , et n'ai pu examiner
si ce dernier écrit est une traduction du précédent.
M. de Ghanterac distribue avec cela une thèse,
soutenue à Douai par les Carmes déchaussés , que
j'ai encore vue entre les mains de ce cardinal, et
l84 LETTRES
que je n*ai pu avoir à ma disposition. Voilà bien
des livres distribués depuis quinze jours , et bien
dos choses inutiles et redites cent et cent fois.
J'ai cru devoir aller rendre visite au Pape à Toc-
casion de tous ces livrets, sous prétexte de savoir de
lui comment il souhaitoit que vous en usassiez, et
prendre de là occasion de lui parler sur les exami-
nateurs, sur la rédaction de la bulle, etc.
J'y allai mardi l'après - dînée ; mais le Pape ne
donna audience qu'à M. le cardinal Spada.
J'ai été plus heureux aujourd'hui : le saint Père a
eu la bonté de me faire entrer après M. le cardinal
Spada ; voici sur quoi a roulé tout notre entretien,
i.o Je l'ai remercié de la diligence avec laquelle on
travaille à expédier; de ce qu'outre la congrégation
du lundi, il avoit encore destiné celle du mercredi
à l'examen de cette affaire, avant même qu'il eût
reçu la dernière lettre de Sa Majesté , dont il avoit
prévenu les sollicitations. Je lui dis qu'il ne s'agissoit
plus que de couronner l'œuvre par une fin digne
du saint Siège, et une décision honorable pour sa
personne, qui le combleroit de gloire.
Sa Sainteté m'a fait sur cela toutes les protesta-
tions imaginables de ses bonnes intentions, m'assu-
rant de la résolution où elle étoit de finir prompte-
ment. Elle m'a pris à témoin de toutes les affaires
importantes du saint Office, qu'on avoit abandon-
nées pour terminer celle de Cambrai. On ne parle
plus, m'a-t-elle ajouté, que de Cambrai, Cambrai,
Cambrai : nous voulons conclure absolument cette
affaire. J'ai vu le bon effet des instances du Roi et
dç sa lettre j car dans mon audience d'auparavant.
I
SUR l'affaire du quiétisme. i85
le ton du Pape n'étoit pas si affirmatif à beaucoup
près.
2/ Je lui ai témoigné qu'il devoit peu se mettre
en peine de la division des qualificateurs, qui étoit
à présent le seul fort de M. de Cambrai ; puisque
le caractère des qualificateurs favorables au livre,
qui tous ont eu leur engagement précédent, ne mé-
rite pas une grande considération. J'ai commencé
par le Jésuite espagnol Alfaro, et rien n'a été ou-
blié sur ce sujet. Sa Sainteté elle-même m'a avoué,
que c'étoit une grande faute à la société d'avoir pris
un pareil parti dans cette affaire, où le Roi et le
clergé de France s'intéressent si sensiblement. Ga-
brieli, quoique je me sois tu sur Sfondrate, a été
dépeint avec ses couleurs naturelles. J'ai vu que Sa
Sainteté prenoit plaisir k ce que je disois, et je me
suis aperçu quelle n'est pas fâchée d'entendre un
peu dire du mal de certaines gens. M. Rodolovic,
archevêque de Chieti, a été caractérisé assez bien :
ses changemens, ses incertitudes, son abandon aux
Jésuites ont formé les différens traits de son tableau.
Pour le sacriste, sa partialité connue dès le vivant
du cardinal Denhoff, et attestée par plusieurs car-
dinaux, rendoit son jugement entièrement récusable
dans cette affaire.
J'ai passé ensuite à la manière dont ces exami-
nateurs justifient M. de Cambrai, qui est toute op-
posée à celle dont il se défend lui-même. J'ai fait
faire réflexion au saint Père, mais légèrement, pour
ne le pas chagriner, sur les circonstances de cette
adjonction, qui avoit eu lieu dans le temps où tout
alloit finir. Il a répondu à cela par un soupir. Je
l86 LETTRES
lui ai ajouté qu'il se trouveroit consolé par l'una-
nimité des cardinaux; et qu'enfin on devoit espérer
que le Saint-Esprit l'éclaireroit de ses lumières,
pour prononcer un jugement qui terminât toutes
les contestations.
3.0 Je me suis fort étendu sur le procédé peu
loyal de M. de Cambrai, qui cachoit la plupart de
ses livres en France , et surtout la Réponse aux Re-
marques, sur la multitude des écrits dont il acca-
bloit à présent messieurs les cardinaux et Sa Sain-
teté. Je puis vous assurer que le Pape en est indigné,
rien ne le fâchant davantage que de voir des livres
nouveaux bons ou mauvais : tous le mécontentent
également. Je vois bien que les amis de M. de Cam-
brai lui font confondre l'innocent avec les cou-
pables ; en sorte que son indignation contre les
livres pour ou contre la vérité , est exactement la
même. Je m'en suis aperçu, et n'ai pu m'empêcher,
avec tout le respect et toute la modération pos-
sible, de lui parler très-fortement sur ce sujet; lui
faisant voir , et de manière qu'il en est convenu ,
la nécessité de défendre la vérité , de combattre
l'erreur, et la différence qu'un Pape doit mettre
entre ceux qui attaquent les vérités les plus essen-
tielles de la religion, d'avec ceux qui emploient
tous leurs efforts pour les soutenir. Les exemples
des saints évêques ne m'ont pas manqué , ainsi que
ceux des Papes qui ont loué et exalté le zèle de
ces généreux défenseurs de la bonne cause; et j'ai
conclu que j'espérois de Sa Sainteté la même justice
que j'osois lui dire être due à ceux qui soutenôient
dans cette occasion le parti de la vérité. J'ai pris la
SUR l'affaire du quiétisme. 187
liberté de lui demander là-dessus, si en conscience
vous n'étiez pas obligé de répondre à l'accusation
atroce que M. de Cambrai formoit contre vous, en
vous imputant d'avoir révélé sa confession, et d'a-
voir manqué à tous les devoirs de l'amitié et de la
religion.
Je n'ai pu m'empêcher à ce sujet de lui rappeler
vos travaux pour l'Eglise contre les hérétiques ,
dont les brefs d'Innocent XI lui étoient de bons ga-
rans ; et je lui ai fait sentir que la conservation de
votre réputation n'étoit pas indifférente à l'Eglise.
Il faut avouer que Sa Sainteté m'a écouté avec une
patience admirable, et il m'a paru que ce que je lui
ai représenté là-dessus lui a fait impression.
J'ai fini cet article en lui assurant que vous sa-
crifieriez vos propres intérêts à la satisfaction par-
ticulière de Sa Sainteté, pour qui vous aviez un
respect et une déférence extraordinaire; et que je
ne doutois pas que vous n'attendissiez en paix la
décision du saint Siège , qui vous serviroit seule
d'une apologie complète. J'ai ajouté, qu'au surplus
il n'étoit question que du livre des Maximes,
et que tout ce qu'on avoit écrit, n'étoit pas ab-
solument nécessaire à Rome, mais bien en France,
où le mal prenoit tous les jours de nouvelles racines.
En quatrième lieu , sachant que le cardinal Al-
bani insinuoit de faire un bref au lieu d'une bulle,
je lui ai expliqué les raisons essentielles qui dé-
voient l'engager à donner une bulle. Je l'ai fait
ressouvenir de la promesse qu'il en avoit faite ; et
je lui ai représenté qu'il n'y avoit qu'un décret,
publié dans cette forme , qui pût être reçu en
l88 LETTRES \
France selon les lois du royaume. Sa Sainteté a
eu la bonté' de me renouveler sa promesse à cet
e'gard.
Je lui ai parlé clairement sur la chicane quon
faisoit touchant la distinction des sens, qui suffi-
rmt pour rendre inutile et impossible dorénavant
aucune condamnation d'erreur. Le Pape m'a paru
rejeter bien loin cette misérable défaite.
Cette audience a duré près d'une heure. Au sor-
tir de là , j'ai été chez le cardinal Casanate , à qui
j'ai rendu compte de tout, et il a fort approuvé ce
que j'avois dit au Pape. J'espère plus que jamais
que ce sera ce cardinal qui sera chargé de dresser la
bulle. Je n'en ai pas voulu parler au Pape ; mais
je sais que Sa Sainteté l'a résolu ainsi, et quelle
s'en est déclarée : il n'y a pas à craindre qu elle va-
rie , à moins que le cardinal de Bouillon ne la fasse
changer.
Je suis informé que ce cardinal a prié Iç Pape et
le cardinal Spada, d'assurer le Roi qu'il n'y avoit
ici aucune cabale pour M. de Cambrai , et qu'il
pressoit plus qu'un autre le jugement. Je ne sais si
le Pape et le cardinal Spada auront été assez simples
pour entrer dans ses vues. Mais cela ne peut pas
empêcher que tout ce que j'ai mandé ne soit très-
véritable, et que les faits ne soient ici constans et
presque de notoriété publique. Ils sont sûrement
incontestables, à moins qu'on ne dise que tous les
cardinaux et le commissaire s'accordent pour men-
tir j ce qui est impossible.
Je sais que le cardinal de Bouillon a voulu inté-
resser le Pape dans sa querelle , en lui disant qu'on
SUR l'affaire du quiétisme. 189
ecrivoit en France qu'il se laissoit prévenir par la
cabale, et que cette cabale étoit une chimère k
Rome comme à Paris, etc. Mais elle n'est que trop
re'ellej et qui en douteroit, voudroit clouter qu'il fait
jour en plein midi.
J'ai appris aujourd'hui chez le Pape, par quelques-
uns de ses confidens les plus intimes, que Sa Sain-
teté e'toit très-fâchée ce matin contre le cardinal de
Bouillon, parce qu'elle a su que ce cardinal eut
hier chez lui une conférence de trois heures avec
l'ambassadeur de l'Empereur , contre lequel le Pape
est très-indisposé. Sa Sainteté est persuadée, il y a
long-temps , qu'il y a une liaison entre cet ambas-
sadeur et le cardinal de Bouillon.
En vérité, il ne faut pas abandonner le sieur
Poussin : il ne perd aucune occasion de faire bien
connoître les intentions du Roi. Il m'a dit avoir pris
occasion de porter aux cardinaux du saint Office le
factum de M. l'archevêque de Rouen, pour avoir
celle de leur parler sur M. de Cambrai , et de leur
lire plus à loisir la lettre du Roi.
M. de Ghanterac a été ce matin, au sortir des
congrégations, enfermé deux heures avec M. le car-
dinal de Bouillon. Cela ne laisse pas de surprendre
tout le monde. Le père Charonnier est mieux que
jamais avec cette Eminence.
Dans ce moment le courrier de France arrive, et
je reçois vos deux paquets, l'un du 22 décembre,
de Paria, et l'autre du 28, de Meaux. J'ai bien jugé
par l'arrivée de la lettre du Roi et les dépêches au
cardinal de Bouillon, que l'avis que j'avois donné
n'avoit pas été jugé inutile ni négligé. La personne
IQO LETTRÉS
du monde qui aime moins à se faire de fête, c'est
moi : j'ai cru la diligence nécessaire pour le bien de
Taffaire, afin que le remède vînt à temps, et quon
connût les mauvaises intentions du cardinal de
Bouillon, qui sera le même jusqu'à la fin. Vous le
pouvez tenir pour certain , quelque chose qui puisse
jamais arriver : les Jésuites et le cardinal de Bouillon
nous haïront vous et moi tant que nous vivrons.
Apparemment M. de Monaco ne sera pas ici avant
Pàque. Il sera débarrassé d'un grand fardeau dans
cette Cour, si notre affaire est finie, comme il y a
lieu de l'espérere
Le manège de M. l'archevêque de Paris ne me
revient pas : il croit être un grand personnage.
Je m'informerai s'il y auroit lieu à Florence
d'imprimer la traduction italienne de y os Remarques;
mais cela nous conduira trop loin. En vérité,
Anisson me paroît bien intéressé, surtout après les
gros gains qu'il fait d'ailleurs avec vous. On fera
tout ce qu'on pourra pour ôter à M. de Cambrai
toute occasion de chicaner. Il me semble que de
condamner les propositions du livre de M. de Cam-
brai, en les prenant dans toute la suite du texte et
in sensu ob^^io et naturali _, c'est ne laisser aucun
prétexte pour l'excuser. On fera réflexion à tout.
Le cardinal de Bouillon ne sait pas encore d'où
lui vient le coup : je ne me mets guère en peine qu'il
le sache ; il peut en accuser tout B.ome comme moi.
Je croyois franchement que M. le grand duc vous
feroit la galanterie toute entière pour le courrier,
Rome, ce i5 janvier 1699,
un l'affaire du quiétisme. 191
LETTRE CCCCIV.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la manière dont il parle à M. de Paris de certains pointa 5 le
zèle de la princesse des Ursins pour la bonne cause, et les dispo-
sitions de la Cour de Rome et de celles dllalie sur la succession
de TEs pagne.
J'ajoute à ma lettre de cette nuit, que je n'ai
garde de mander à M. l'archevêque de Paris ce que
je vous e'cris, que le Pape désapprouve si fort les
livres bons ou mauvais sans distinction : je me borne
à lui parler des mauvais. Je sais bien l'avantage qu'il
tireroit de mon récit, si je lui disois tout. Je lui
marque même , que le Pape m'a assuré que vous ne
pouviez vous dispenser devons justifier des accusa-
tions atroces de M. de Cambrai ; ce qui est la vérité.
Je vous supplie d'aller voir mademoiselle de Lanti :
cela fera plaisir à madame la princesse des Ursins ,
qui assurément fait son devoir par rapport à vous
et à M. de Cambrai , et qui n'a pas peu nui à M. le
cardinal de Bouillon dans l'esprit de madame de
Maintenon , par le moyen de madame de Noailles.
M. le cardinal de Bouillon en use avec elle indi-
gnement.
Je mande à M. de Paris, pour en faire l'usage
qu'il jugera à propos, que dans les entretiens que
j'ai eus depuis huit jours avec quelques principaux
cardinaux, et quelques ministres qui ne me veulent
point de mal, et qui ont assez de confiance en moi,
j'ai reconnu très-distinctement, et j'ose dire très-
IQi LETTRES
sûrement, que cette Cour, comme toutes les autres
d'Italie, est très-favorable à la Bavière, et qu'elles
s'uniront e'galement sur la succession d'Espagne ,
contre la France et TEmpereur. Je ne doute pas que
M. le cardinal de Bouillon nen soit informé mieux
que je ne puis l'étrek
Rome) 16 janvier 1699.
LETTRE CCCCV.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le mécontentement que le Roi avoit des retardemens ; la con<
duite du cardinal de Bouillon ; une Rrponse à M. de Cambrai
qu'il avoit faite pour M. de Chartres; les raisons qui le portent
à ne laisser rien sans réplique j et sur les nouveaux écrits de
M. de Cambrai.
Votre lettre , du 3o décembre, ne me fut rendue
qu'hier au soir.
L'ordre de doubler les congrégations, fait voir
dans le Pape un vrai dessein de finir ; puisqu'enfin ,
si cette affaire traînoit long-temps, toutes les autres
demeureroient en suspens.
J'attends toujours que vous m'appreniez l'effet
qu'ont produit les lettres du Roi. Je voudrois savoir
encore si vous avez obtenu cette accélération sans
ce secours (*)j car dans ce cas, que ne doit point
(*) On voit, par les lettres de Tabbé Bossuet, que ce fut le 23 dé-
cembre que le Pape lui promit d'ajouter à la congrégation qui s'oc-
cupoit déjà de cette affaire, celle du mercredi, afin d'en accélérer
davantage la conclusion. Or, la lettre du Roi ne lui avoit sûrement
pas encore été présentée, puisqu'elle est du 23 décembre 1698, et
que le courrier qui la porta, n'arriva à Rome que le 3 janvier suivant.
opérer
Sun l'affaire du quiétismê. ig^
opérer une telle instance? d'autant plus que le R.oi,
tout sage qu'il est, paroît, à ceux qui rapprochent,
très-irrité des retardemens, et de la cause qui les
produit. On attribue même à ce secret méconten-
tement la résolution prise de rayer M. de Cambrai
sur letat de cette année, et de donner son loge-
ment ; ce qui fut exécuté la semaine passée. Sa Ma-
jesté attendoit apparemment la décision ; mais la
conjoncture de ce qui se passe à Rome, a fait hâter
l'exécution du projet. Ce n'est pas qu'on puisse rien
imputer ni au Pape ni aux cardinaux : l'on voit bien
ici que tout l'obstacle vient d'un cardinal fran-
çais (*), qui devoit plus que tous les autres, et par
les bienfaits dont il est comblé, et par sa charge,
seconder les pieuses intentions de son maître.
Quand on entend dire ici que M. le cardinal de
Bouillon cite le Combat spirituel et les autres livres
mystiques, et qu'il se rend le défenseur et le docteur
du pur amour, je tranche le mot, tout le monde a
envie de rire; et l'on auroit peine à le croire, si
toutes les lettres de Rome ne le portoient pas. J'a-
voue pour moi que je m'y perds ; et si je crains
beaucoup pour l'Eglise, je crains aussi de fâcheuses
suites pour ce cardinal. Je parle sur cela le moins
que je puis; mais voyant tout le monde instruit du
manège, je ne puis pas faire un mystère de ce qui
est trop public.
On vous enverra cent ou cent vingt signatures de
docteurs, et peut-être plus. Tout le monde signe
avec ardeur, et avec indignation contre le livre. Il
C*) Le cardinal de Bouillon.
BOSSUET. XLIT. I 3
194 LETTRES
y a quelques politiques, en très- petit nombre, aux-
quels on n'a point parlé, pour ne les pas mettre
dans reml)arras. Mais je puis vous assurer que si l'af-
-faire avoit été mise en délibération dans la Faculté,
la censure auroit été unanime.
Vous serez content de l'ambassadeur.
M. de Chartres est assurément de même avis que
moi , puisqu'il a approuvé mon livre des Etats d'O^
raison, où j'ai tout dit; et entre autres choses,
qu'on ne pouvoit en aucun acte raisonnable s'arra-
cher le motif de la béatitude. Il convient, avec toute
TFlcole, qu'on fait pour le motif de la béatitude
comme pour la dernière fin, implicitement ou ex-
plicitement. Quand ce n'est pas explicitement, c'est
alors que les motifs sont sé^divés permentem , comme
vous le dites , mais jamais véritablement ni autre-
ment que par abstraction ; ce qui est au fond tout
ce que je dis. Mais M. de Chartres n'est pas entré
aussi avant que moi dans l'explication et dans les
suites de ces beaux principes. Vous verrez bientôt
une réponse pour lui , sous le nom d'un théologien
qu'il a mis en œuvre, n'ayant pas le loisir de tra-
vailler lui-même. Je l'ai faite (*). Nous croyons ici,
qu'autant qu'il se pourra, il ne faut rien laisser sans
réponse, à cause de l'insolente affirmation de l'au-
teur, qui en vérité perd toute honte, et qui séduit
le peuple. Cependant tout l'épiscopat et tout le doc-
torat est contre lui , tellement magno numéro, que
le reste ne paroît rien.
(*) Elle a été imprimée sous ce litre : Réponse d'un Théologien A
la première lettre de M. l'archef^éc/ue de Cambrai à M. tévêque de
Chartres. On la trouvera ci-dessus, tom, xxx, pag, aa3, et suiv.
SUR l'affaire du quiétisme. Î95
Les livres que M. de Cambrai a fait porter à Rome
par un courrier extraordinaire , sont la réponse au
Mystici et au Schola in tulo _, ad Quœstiunculfijn ;
et en latin, les Propositions de son livre, compa-
re'es à celles des saints qu'il allègue. J'ai tout cela»
Ce n'est rien du tout que fécondité de paroles et
tours d'esprit. Je n'ai que par emprunt le parallèle
en français, et personne ne l'a en latin. Mauvaise
et petite finesse , de cacher ici ce qu'on donne à
Rome : c'est une preuve que l'on veut surprendre.
Mais si la finesse convient au caractère et aux des*
seins de l'auteur, il nous convient à nous d'aller
franchement et nettement. On n'a qu'à nous envoyer
une bonne bulle , nous saurons bien l'exécuter et la
soutenir. En attendant, nos écrits y prépareront les
esprits, et empêcheront l'éblouissement des ignorans
et des faux savans.
On m'a fait voir une lettre, oii l'on raconte une
historiette , qui feroit paroître que le cardinal Ot-
toboni n'estime pas trop M. de Camljrai. Il s'agit de
vers faits par ce cardinal , dans lesquels le livre de
M. de Cambrai est mis au rang des livres hérétiques.
Le cardinal del Giudice le fit remarquer au cardinal
de Bouillon!*).
Je suis très en peine de l'incommodité de M. le
cardinal Casanate. La force de son génie et de ses
discours est bien nécessaire à la bonne cause. Ce së-
roit une de mes joies de voir ce grand homme \ et
si j'étois libre....*
J'attends M. Tiberge, qui doit m'expliquer ce
(*} L'abbé Phelippeaux rapporte ce fait dans sa Hdation, IL part.,
pag. 1G8.
IC)6 LETTRES
qu'on lui objecte sur Foraison funèbre. Cela fait
voir qu'il faut former le langage par une bonne dé-
cision.
Ne soyez point inquiet pour l'argent que vous
demandez. Vous recevrez des lettres de crédit pour
quatre mille livres ; on fera le reste le plus tôt qu'on
pourra. On n'entend pas ici mot des bruits qu'on
répand à Rome sur le père de Valois : on le croit
mort. Nous parlons souvent où il faut des grands
services de Toscane, et on n'oublie pas M. l'abbé
Feydé.
Vous devez prendre garde à ne point parler avec
affectation de mon portrait.
AParis, 19 janvier 1699.
LETTRE CCCCVI.
DE MM. TIBERGE ET DE BRISACIER A BOSSUET.
Sur une proposition qui leur ëtoit altribuée par le cardinal
de Bouillon.
Nous avons fait, M. l'abbé de Brisacier et moi,
Monseigneur, chacun une oraison funèbre de made-
moiselle de Bouillon ; mais nous ne nous souvenons
point ni l'un ni l'autre d'avoir rien dit qui approche
de la proposition que vous nous marquez , « qu'elle
» ne faisoit plus d'actes d'espérance, tant son orai-
» son étoit haute (*) ». On en a fait quelques édi-
(*) Cétoit la proposition que le cardinal de Bouillon avoit citée
dans une des congrégations, où il parloit en faveur de M. de
Cambrai.
SUR L*AFFAIRE DU QUIÉTISME. IQn
tions en Hollande, que nous n'avons pas lues, et qui
ne sont pas entre nos mains ; nous ne savons pas si
on les auroit alte're'es. Mais quoi qu'il en soit, nous
n'avons jamais cru, et ne croirons jamais, que les
âmes, même les plus parfaites, puissent être dis-
pense'es en cette vie de faire des actes d'espérance.
Nous n'avons pas la présomption de croire que notre
sentiment puisse être de quelque poids ; mais s'il
pouvoit être de quelque utilité pour la cause de
l'Eglise de le donner en forme , nous le donnerions
très -volontiers. Nous sommes avec un profond res-
pect , etc.
LETTRE CCCCVII.
DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur râugmentation des congrégations; un écrit secret de M. de
Cambrai, et la sage conduite des examinateurs contraires au livre.
Nous avons reçu vos lettres du 3o , Monsieur : j'y
apprends avec grand plaisir qu'enfin les conférences
vont être doublées. Si ce changement s'est fait avant
l'arrivée du courrier extraordinaire , on peut espérer
que les lettres qu'il a portées, en feront encore un
plus grand. J'attends avec impatience des nouvelles
de ce qu'elles auront produit.
Tous les raisonnemens du cardinal de Bouillon
sont pitoyables ; mais celui qu'il a fait sur Toraison
funèbre de M. Tiberge , est ridicule à Texcès : je ne
crois pas qu'on ait pu le trouver autrement. La dif-
iqB^ lettres
ficiitte sur l'acte et sur Thabitude du pur amour a
^té tellement éclaiçcie , qu'elle ne doit toucher per-
sonne de bon sens : pour le Combat spirituel y je n'y
ai jamais rien trouvé qui approchât de la doctrine
du livre.
Je seroîs bien fâché que l'incommodité du cardinal
Casanate durât, car nous en avons grand besoin^
Sa présence et sa parole soutiendront bien des gens ,
et en retiendront d'autres j mais c'est quelque chose
qu'il envoie son vœu.
Sur ce que vous me mandez, nous n'avons à
craindre que les cardinaux Ottoboni et Albani ;
leur procédé ne paroît pas net j mais il faut attendre
la fin pour en juger plus sûrement.
Il seroit bon d'^avoir cet écrit de M. de Cambrai,
qui n'est que pour les cardinaux : puisqu'on le tient
si secret , on craint la réponse, et cela la rend plus
nécessaire*
On ne doute plus du déchaînement des Jésuites :
il faut s'attendre à en avoir toujours de nouvelles
preuves jusqu'au jugement. Je trouve la conduite
des examinateurs contraires au livre , bien plus
louable que celle des autres : tout le monde doit être
édifié de la modestie des premiers , et blâmer la
chaleur des derniers.^
Vous avez très-bien fait de prévenir le cardinal
Morigia, cela ne peut faire qu'un bon effet. M. de
Monaco va partir dans peu de jours.
J'envoie environ six vingts signatures au père
Boslet; et j'espère en envoyer encore la semaine
prochaine , quelque soin qu'on prenne de retenir
nos docteurs. Croyez-moi touj.ours, je vous con*-
Sun l'affaire du quiéttsme. 199
jure, Monsieur, tout à vous. Je me trompe sur les
signatures : nous en avons cent quarante et une,
qui font, avec les soixante que vous avez déjà, plus
de deux cents.
19 Janvier 169g.
LETTRE CCCCVIII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur ce qui s^étoit passe dans les congrégations, et la manière dont
chaque cardinal avoit parlé.
Vous avez reçu il y a de'jà long-temps les lettres
du 1 5 et 16 de ce mois, par lesquelles je vous accu-
sois la re'ception de vos paquets du 21 décembre et
du 28, et auxquels je vous répondois. Depuis, nous
n'avons eu que la congrégation d'hier lundi , 1 9 de
ce mois, et je ne puis encore vous dire ce qui s'y est
passé. Les cardinaux, à commencer parle cardinal
Casanate , auront continué à voter sur les proposi-
tions 3i , 32 , 33, 34^ 35^ 36 et 38. Je ne sais pas
combien de ces Eminences auront pu parler, mais
vous voyez que l'on avance l'examen. Ces proposi-
tions finies, on reprendra depuis la 18 jusqu'à la 2^ :
on divisera ces propositions en deux chapitres, et
tout sera fait.
Je vous envoie une partie de ce que je vous ai
promis par ma dernière dépêche. Voilà, jour par
jour , ce qui s'est fait jusqu'à mercredi dernier inclu-
sivement, et le nombre des cardinaux qui ont parlé,
et la distribution des proposition» : cela est tiré
^OO LETTRES
exactement du Journal de la congre'gation (*). Il a
e'té impossible jusqu'à présent d'avoir les qualifica-
tions données par chaque cardinal aux propositions :
la personne qui m'a procuré ce que je vous envoie,
n'a pu faire davantage ; mais elle a vu et tenu les
qualifications de tous les cardinaux. Elle n'entend
rien à la matière , ce qui fait qu elle n'a pas retenu
le précis des vœux. Ce que je sais en général , c'est
que tous les cardinaux ont envoyé, il y a huit jours,
leurs vœux, qui sont très-courts, et qui contiennent
seulement la censure de chaque proposition.
Ceux des cardinaux Casanate, Noris, Nerli,
Carpegna, Panciatici, Ferrari, Marescotti et Spada
sont compris chacun en très-peu de paroles , et ont
pour objet différens chapitres qui renferment un
certain nombre de propositions.
Ceux des cardinaux Albani et Ottoboni sont un
peu plus longs, et contiennent des distinctions.
Pour celui du cardinal de Bouillon, il porte sur
chaque proposition en particulier , et la qualifica-
tion qu'il donne à chacune peut bien avoir huit ou
neuf lignes d'écriture. Encore une fois cet ami n'en-
tend rien à la matière , mais d'ailleurs est homme
d'esprit ; et sur les instructions que je lui ai procu-
tées , il s'informera de tout , mieux qu'il n'a fait
encore. Je l'attends avant que de fermer cette lettre :
il lui a paru dans le vœu du cardinal de Bouillon
qu'il distinguoit des sens,
J'avoue que ce Journal m'a fait plaisir : j'y vois
lesprit du cardinal de Bouillon et ses manèges. Que
dites-vous du cardinal Spada , qui suit l'exemple
(*) L'çiitrîût de ce journal u'est point parvenu jusqu'à nous.
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 201
du cardinal de Bouillon? D'abord ne voit-on pas
dans cette Eminence un dessein d'entrer dans ses
vues, et d'avoir de la complaisance pour un mi-
nistre?
J'avois toujours bien remarqué, comme je vous
l'ai e'ciit plus pre'cisément depuis quelque temps ,
dans le cardinal Spada un esprit très-porté à excuser
le cardinal de Bouillon. Le naturel de ce cardinal
l'incline à ces ménagemens ; et peut-être qu'il n'y
est pas peu déterminé par les importunités du car-
dinal de Bouillon, qui veut ne pas être seul cou-
pable d'une manœuvre si déshonorante et aussi affec-
tée. C'est ici en effet une terrible tentation que les
sollicitations d'un cardinal ministre : aussi je m'é-
tonne de la fermeté de certaines gens, et surtout du
cardinal Casanate , que le cardinal de Bouillon à la
lettre ne peut plus souffrir.
Vous remarquerez encore , que quand le tour du
cardinal Ottoboni et du cardinal Albani vient pour
parler, ils prennent ordinairement plus de temps
que les autres dans les congrégations pour le faire.
Le cardinal de Bouillon recommence ensuite de
longs discours qui ne finissent point , et remet à la
prochaine congrégation pour les continuer. Ainsi
il discourt souvent deux fois au lieu d'une : ce que
je sais d'ailleurs de science certaine. Vous observerez
aussi que le cardinal Carpegna a une fois renvoyé
la suite de son discours à une autre congrégation,
et cela pour plaire au cardinal de Bouillon , par le
même motif qui dirige le cardinal Spada. Ils croient
ne pouvoir faire moins pour cette Eminence, que
d'alonger ainsi leurs discours. Je sais que le cardi-
20îi LETTRES
nal de Bouillon fait faire auprès du cardinal Car-
pegna tous les manèges imaginables. Une femme du
même nom, qui est la meilleure amie que le car-
dinal de Bouillon ait ici, et qui assurément, sans
lui faire tort, n'est pas la plus estimable de toutes
les Françaises qui sont à Rome, ne s'épargne pas à
cet égard. '
Voilà mon ami qui entre, voici bien des nou-
velles qu'il m'apprend. Il a vu tous les vœux des
cardinaux , et le commissaire lui a parlé à cœur
ouvert.
Le cardinal de Bouillon est tel que je vous l'ai re-
présenté, soutenant hautement le livre, distinguant
les sens, et condamnant les propositions dans le sens
qu'il prétend que M. de Cambrai les condamne lui-
même dans son livre.
Après le cardinal de Bouillon , qui est le phénix,,
le plus grand partisan de M. de Cambrai est le
cardinal Albani , qui paroît très-porté à l'excuser :
il distingue aussi les sens.
Le cardinal Ottoboni vient ensuite. Il avoit d'a-
bord fait assez mal , mais depuis il s'est un peu
ravisé. Il est moins favorable à M. de Cambrai que
le cardinal Albani , et condamne plus précisément
les principales propositions ; mais cela n'est pas en-
core net : je ne m'y serois jamais attendu.
Le cardinal Carpegna , je ne l'aurois jamais cru ,
biaise quelquefois un peu en certaines choses :
néanmoins en gros il va assez bien. Le cardinal
de Bouillon inspire de la terreur , par les in-
fluences qu'il doit avoir dans l'élection d'un nou-
veau Pape.
SUR l'affaire du quiétisme. 2o3
Pour le cardinal Nerli , voici comment il s'y est
pris. Avant que de voter il a fait sa déclaration ,
dont il a demande acte , qui porte qu'il ne préten-
doit pas jusqu'à présent que le décret dût entrer
dans le particulier de la doctrine des propositions,
mais que c'étoit dans l'intention seulement d'une
simple prohibition du livre qu'il s'expliquoit sur le
fond de la doctrine. Après cette protestation, il
qualifie les propositions en particulier aussi forte-
ment et aussi précisément qu'aucun des plus dé-
cidés, les condamnant comme erronées, téméraires,
tendantes à l'hérésie, etc. Voilà un plaisant mezzo
termine. Ce cardinal a cru satisfaire à sa conscience
en parlant vigoureusement contre la doctrine du
livre ; mais cependant il a voulu ménager le car-
dinal de Bouillon, et les Jésuites dont il est ami,
en protestant comme vous voyez. Je ne l'aurois ja-
mais cru, et toute la congrégation a été trompée.
Il s'exprime, à ce qu'on m'a assuré, aussi fortement
que les bien intentionnés, et censure aussi vigou-
reusement , et tout cela dans la vue de prohiber
simplement le livre. Je suis bien surpris s'il pense
ce qu'il dit. Il croit par -là contenter un peu le
cardinal de Bouillon; mais au fond il proscrit toutes
les erreurs. Ainsi la résolution du Pape étant de
s'expliquer sur le particulier de la doctrine, le Roi
et les évéques le demandant , la protestation du car-
dinal Nerli n'est qu'une chanson. Cela fait seule-
ment voir les ménagemens qu'on veut avoir.
Tous les autres vont rondement, et qualifient
précisément, sans restriction, sans distinction de
sens. Le cardinal Casanate agit et parle, sans au-
2o4 LETTRES
cune considération humaine, en faveur de la vérité,
comme on pouvoit lattendre d'un aussi digne per-
sonnage. Outre les qualifications particulières , il a
conclu à ce qu'on mît encore dans le décret , qu'en
général toute la doctrine du livre , dans toute sa
suite , étoit erronée , tendante à faire illusion , et
renouvelant clairement le Quiétisme. Noris et Fer-
rari font bien, ainsi que tous les autres.
J'ajoute au Journal ceux qui ont parlé hier,
lundi 19. Vous jugez, par tout ce détail particulier,
qu'à peu de cardinaux près tout va bien : vous voyez
en même temps par des faits constans les efforts de
la cabale, et combien les nouvelles instances du Roi
étoient nécessaires.
Vous pouvez compter que ce que je vous marque
dans cette lettre, est très-sûr. Le secret, qu'on peut
dire impénétrable dans le saint Office , est cause
qu'on se trompe quelquefois sur les discours en Vair
qu'on entend. Néanmoins vous voyez que. Dieu
merci, j'ai toujours écrit assez juste : si je me suis
trompé en quelque chose , je rectifie mon erreur à
présent que je suis instruit par pièces. Mais cer-
tainement je ne me suis pas trompé sur le cardinal
de Bouillon , ni guère sur Albani et Ottoboni. Je
ne puis assez mépriser le cardinal Alliani, qui use
d'un procédé honteux par rapport au père Roslet ,
à qui il ne cesse de dire tout le pis qu'il peut du car-
dinal de Bouillon, pour tromper ce bon Père.
Il faut , s'il vous plaît , un grand secret sur tous
ces détails, et ne se fier à personne là-dessus : il n'est
d'aucune utilité en France de faire connoître ces
particularités à des amis. Quant au Roi et à ma-
SUR l'affaire du quiétisme. ao5
dame de Main tenon, il n'y a pas de secret pour eux
ni pour M. de Paris ; mais ce dernier doit le garder
scrupuleusement. Je n'ai communiqué à personne
ce que je vous écris aujourd'hui , pas même à M. Phe-
lippeaux ni au père Roslet , ni à qui que ce soit ; et
personne ne le saura jamais que mon ami et moi. Si
on pouvoit découvrir ici que je suis si bien informé
de ce qui se passe au saint Office , je ne serois pas
en sûreté. Faites bien comprendre à M. de Paris
de quelle conséquence le secret est pour moi et
pour l'affaire. On n'a déjà que trop parlé en France
des faits particuliers que nous écrivons. Tout revient
ici au bout de cinq semaines comme nous l'avons
mandé, et cela peut attirer des affaires à nos amis
de Rome. Il faut se défier de M. le cardinal d'Es-
trées et de M. le cardinal de Janson, qui ont tous
deux leurs vues politiques : les Jésuites de France
bavent faire jouer bien des ressorts.
L'ami qui me sert à présent , n'est connu de moi
que depuis trois semaines. J'espère dorénavant savoir
par son canal tout ce qui se dira dans les congréga-
tions, comme si j'y étois présent.
Le Pape, lorsque les congrégations auront achevé
de discuter la matière, a résolu d'entendre chaque
cardinal seul à seul. Le point essentiel est de finir ;
car, malgré les puissans efforts d'une cabale pleine de
rage, la vérité triomphera.
Je vous supplie de communiquer toute ma lettre à
M. de Paris , à qui je ne puis écrire qu'un mot. Je le
renvoie à vous , et je ne puis trop vous recomman-
der à l'un et à l'autre le secret.
Le cardinal de Bouillon a prétendu animer le Pape
2o6 LETTRES
et les cardinaux contre moi, en disant que j'étois
la cause du mécontentement du Roi , et que j'avois
envoyé un courrier porter des dépêches contre lui.
Je ne sais si cela ne lui est pas aussi revenu par le
nonce. On ne sauroit faire qu'on ignore ce qui est
une fois connu ; mais il eût été à souhaiter qu'on
eût pu se dispenser de publier ces circonstances :
personne jusqu'ici ne s'étoil douté du fait. Au reste,
je ne crains rien , n'ayant donné des avis que dans
la nécessité, et n'ayant jamais rien dit que de
très -vrai.
La liaison entre le cardinal de Bouillon , le père
Charonnier, l'abbé de Chanterac et les Jésuites, est
plus grande que jamais. Je suis informé de tout ce
qu'ils font; mais le détail en seroit trop long.
Le cardinal de Bouillon fit hier tenir la congré-
gation une heure plus tard qu'à l'ordinaire. On dit
qu'il commence à être plus court et plus modeste : il
garde encore des mesures avec moi.
Je n'ai pu avoir la thèse de Douai : en voilà deux
de Louvain, Tune un peu favorable à M. de Cam-
brai, et l'autre contre lui. Mais tout cela ne si-
gnifie rien.
Rome, ce 20 janvier 1699^
SUR l'affaire du quiétisme. 207
«:^>%.x«/».»/v».».-fc^*-»^»^'*»^'»'*'*^'
LETTRE CCCCIX.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la peine qu'il a de voir le cardinal de Bouillon engagé dans une
si mauvaise cause 3 et sur le naéconlenlemeut que le Roi avoit de
sa condt^ite.
J'ai reçu vos lettres du 8 et du 9 , avec celle du 6
de ce mois. Je ne sais rien des dispositions de la Cour
sur les réponses de M. le cardinal de Bouillon.
M. l'abbé Langlois m'a montré la lettre , où cette
Eminence lui écrit ce qu'elle vous avoit dit au sujet
de ma conversation avec ce M. l'abbé Langlois. Cela
ne méritoit pas d'être relevé. On ne peut pas ignorer
que toutes les lettres de Rome et d'Italie parlent de
M. le cardinal de Bouillon , comme d'un défenseur
ardent et sans mesure de M. de Cambrai. On mar-
quoit même dans les lettres des ordinaires précédens ,
qu à un festin solennel , donné par cette Eminence
le jour de sainte Luce, tout le monde avoit été in-
vité selon la coutume, excepté vous. Ce petit fait
m'est revenu de tous côtés, et je n'ai pu répondre
autre chose, sinon que ni vous, ni M. Phelippeaux,
n'en aviez rien mandé ici.
Au surplus , sans faire valoir à M. le cardinal de
Bouillon les sentimens que j'ai pour lui, je ne puis
m'empêcher d'être fâché de voir son nom dans une
cause si mauvaise , et si déshonorante pour ceux
qui s'en mêlent : je ne parle point des autres incon-
véoiens. Oa croit le Roi irrité contre cette Emi-
208 LETTRES
nence, à cause du retardement d'une aflfaire que le
bien de la chrétienté de voit faire aller plus vite.
Je suis en repos, quand je songe que j'ai fait ce
que j'ai pu pour prendre des tempéramens conve-
nables, et ensuite pour la défense de la vérité; ce
que je continuerai jusqu'au dernier soupir, Dieu
aidant. Je crois que cette lettre partira par un
extraordinaire qu'on m'a indiqué.
A Paris 4 ai janvier 1699.
LETTRE CCCGX.
DE M. DE NO AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les motifs qu'on avoit d'espérer plus de célérité , et sur le pe«
de cas qu ou deyoit faire de Tayis des examinateurs favorables
au livre.
Je réponds par celle-ci , Monsieur , à vos deux
lettres du 8 et du 9 : le courrier extraordinaire les
a apportées l'une et l'autre. J'ai bien de la joie du
bon effet de celle qui l'avoit fait aller à Rome. Si
l'on ne fait pas diligence après cela , rien ne la fera
faire. Il y a un grand sujet d'espérer , les congréga-
tions du mercredi étant rétablies, et le Pape en
ayant fait tenir une le jour des Rois , qu'on ira plus
vite. Attendez-vous toujours néanmoins aux alon-
gemens qu'on pourra inventer ; et ne vous lassez
point de les combattre.
Ce seroit un coup de partie, que le cardinal Ca-»
sanate fût chargé de dresser la bulle j la rédaction
en
StJR L* A FF AIRE DU QUIÉTISME. aOQ
en serôit plus courte dans ses mains. Comme il en a
de'jà fait une sur pareille matière , il est plus en
droit et plus en ëtat qu'un autre de faire cette fonc-
tion. Agissez, s'il vous plait, de votre mieux pour
qu elle tombe sur lui*
Il faut bien combattre la peine du Pape sur le
partage des examinateurs, en lui représentant qu'il
ne les faut regarder que comme de simples consul"
teurs , et point comme juges. D'ailleurs, n'y en a^
t-il pas un de ceux qui ont été' favorables au livre ^
qui a changé d'avis , et qui a perdu le chapeau pour
ne l'avoir pas fait plus tôt? N'a-t-on pas fait ajouter
les trois derniers, parce qu'on les avoit gagnés? Leur
autorité ne doit donc pas être d'un grand poids.
Je ne vous dis rien des quatre derniers ouvrages
de M. de Cambrai , car je ne hs ai pas encore vus. Je
me remets à M. de Meaux, qui en a vu du moins
une partie : il vous dira aussi tout ce que le temps ne
me permet pas de vous marquer; car il est tard, et
j'arrive de Versailles. Je suis toujours à vous, Mon-
ieur, comme ^
26 Janvier 169g.
LETTRE GCCCXI.
DE BOSSUET A SON NEVEU*
Suruneniretien du prélat touchant le cardinal de Bouillon; quelques
écrits contre M. de Cambrai, et hs motifs qui les faisoient publier.
Nous n'avons point de lettres de vous par le der-
nier courrier ; mais nous avons reçu par le courrier
BosSUET. XLII. i4
3tia LETTRES
extraordinaire, parti depuis, celles du 8 et du 9.
Je vous en ai accusé la réception par un courrier
extraordinaire de M. le cardinal de Bouillon , dont
on m'avoit donné avis.
Je vous parle dans ma lettre de ce que vous a dit
M. le cardinal de mon entretien avec M. Langlois ,
que ce docteur lui avoit écrit. Il m'en a fait voir la
réponse, qui est enjouée, et telle quil convenoit
à ce personnage. Je lui dis , il est vrai , que nous ne
pouvions pas n'être point attentifs à ce que portent
toutes les lettres de Rome , sur le dévouement
presque sans mesure de M. le cardinal de Bouillon
aux intérêts de M. de Cambrai ; mais en même
temps je lui témoignai ma douleur, à cause de l'in-
térêt que je prends à la gloire de ce cardinal, sans
entrer dans les autres inconvéniens. Cette Eminence
disoit dans sa lettre à M. Langlois, que si je pouvois.
savoir son vœu , j'en serois content. J'oserois lui
dire que cela ne me paroît guère possible , attendu
l'excessive prévention qu'il a témoignée jusqu'à
présent.
Toutes les lettres portent aussi l'étonnement ovt
l'on étoit, de ce qu'au festin de sainte Luce tout le
monde avoit été invité, excepté vous ; ce qui pa-
roissoit bien affecté. Quand on m'en parle, je ne
puis répondre autre chose, sinon que vous et
M. Phelippeaux ne nous en avez rien écrit , et que
je vous trouvois de bon goût d'avoir fait si peu d'at-
tention à de si petites choses. Vous direz à M. le
cardinal ce que vous jugerez à propos de tout cela :
continuez-lui vos respects et les assurances des
miens.
1
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 2H
Vous recevrez par cet ordinaire la Réponse d'un
théologien pour M. de Chartres , et la mienne très-
courte aux Préjugés (*) de M. de Cambrai. Faites
avec prudence la distribution de ces écrits , en re-
pre'sentant que ces re'ponses sont nécessaires pour
empêcher le triomphe du parti de M. de Cambrai ,
et la séduction des peuples, que peut causer le
nombre infini de petits écrits qu'il répand.
La cabale est plus violente que jamais ; mais il n'y
entre ni évêques ni docteurs, Dieu merci. Vous
aurez des signatures de docteurs en très - grand
nombre : si nous en avions voulu encore cinquante,
nous les aurions. M. le nonce m'a montré une lettre
de M. de Cambrai, où il se plaint qu'on a extorque
ces signatures : jamais rien ne fut plus volontaire. Il
écrit d'un ton victorieux, et l'on diroit que c'est moi
dont on examine les Hvres. J'en ai beaucoup de prêts,
et je suis du sentiment que jusqu'à la décision il faut
écrire sur le même ton.
M. l'envoyé de Toscane m'est venu dire, de la
part de son maître , que M. de Madot (**) pouvoit
aller à Florence, et qu'on verroit ce qu'on pourroit
faire pour lui. Je tire bon augure de cette réponse •
C*) Elle est imprimée au tom. xxx, pag. a85 et suw.
(**) Cétoit un gentilhomme français, de la Marche. II avoit étd
attaché au maréchal de la Feuillade, qui l'avoit connu avantageu-
sement dans le service : mais ayant eu le malheur de se battre ea
4uel, il fut obligé de quitter la France, et se retira en Italie, où
Vabbé Bossuet eut occasion de le conuoître. Il se lia d'amitié avec
lui, et le recommanda à son oncle. Le prélat, dans la vue de lui
procurer quelque emploi en pays étranger, s'intéressa en sa faveur
auprès du grand duc, qui honoroit beaucoup le mérite de Tillustre
évéque de Meaux.
21 a LETTRES
qui me paroît être de la main du prince, et j'en al
fait part aussitôt à M. l'abbé de Madot.
Paris, 27 janvier 1699.
LETTRE CCCCXII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur ce qui s'éloit passé dans les dernières congrégations ; la con-
duite et les dispositions des différens cardinaux j une lettre de
M. de Cambrai au Pape j et les incouvéniens d'une clause qu'on
vouloit insérer dans le décret.
J'ai reçu parle dernier courrier vos deux paquets,
l'un de Versailles, du 3o décembre, qui arriva trop
tard; l'autre du 5 janvier, de Paris.
Je n ai pas manqué aux bonnes fêtes de voir nos
amis , et de remplir mon devoir à votre égard. Je
crois vous avoir mandé ce que j'ai dit de votre part
à Sa Sainteté, et la manière paternelle et obligeante
dont elle l'a reçu.
Mercredi, 21 de ce mois, il n'y a eu que les trois
derniers cardinaux , Noris , Ottoboni et Albani qui
aient parlé sur le v*' chapitre. Hier, lundi 26, on
tint la congrégation ordinaire , et sept cardinaux,
savoir les cardinaux de Bouillon, Carpegnà, Nerli,
Casanate, Marescotti, Spada, Panciatici, parlèrent
sur le vi« chapitre , qui contient les xviii'' , xix^ ,
xx^ et XXI* propositions. Les quatre qui restent ,
parleront apparemment demain; et dès la première
congrégation , après celle de demain , on commen-
cera à entamer le dernier chapitre , qui est sur la
matière de la contemplation. Je ne sais si la congre-
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 24l3
galion de lundi prochain, qui est le jour de la Puri-
fication, ne sera pas remise au jour de devant ou au
jour d'après : je ne crois pas qu'on veuille perdre ce
jour. Peut-être la tiendra-t-on le lundi même, n'y
ayant point de chapelle l'après-dînée.
Je n'entrerai point aujourd'hui dans un aussi
grand détail que dans ma dernière lettre. Les choses
sont dans les mêmes dispositions : on peut compter
que tout va bien et assez vite, comme vous voyez,
dans des circonstances qu'on ne peut changer. Le
petit expédient qu'a pris le cardinal Nerli, pour ne
pas déplaire si ouvertement à M. le cardinal de
Bouillon et aux Jésuites , peut-être même à l'arche-
vêque de Chieti qui est son ami intime, ne diminue
en rien la force de san vœu : il est un des plus forts ,
et le cardinal Casanate en parle ainsi. Ce cardinal
me disoit avant-hier , qu'il avoit toujours appréhendé
que le cardinal Nerli n'allât pas si bien , mais qu'il
alloit à merveille. Il méprise cette petite exception ,
qui ne signifie rien qu'une petite condescendance ,
pour ne pas paroître aller tête baissée contre le car-
dinal de Bouillon et ses sentimens. Je n'ai pas laissé
de faire avertir tout doucement le cardinal Nerli du
tort que pourroit causer en cette circonstance à sa
réputation la moindre foiblesse , qu'elle pourroit lui
faire perdre tout le mérite qu'il avoit d'ailleurs. Il
faut traiter les affaires de ce genre avec une grande
délicatesse ; il n'est pas si aisé qu'on le croiroit bien,
de faire faire ce que l'on veut aux gens de ce pays.
Généralement parlant le cardinal Carpegna fait
bien. Le cardinal Ottoboni à présent ne va pas si
mal, et l'on m'a assuré que dans la congrégation de
3l4 LETTRES
mercredi, le cardinal Albani parla assez bien contre
M. de Cambrai. Le cardinal de Bouillon est le même :
il condamne la plupart des propositions, mais dans
un certain sens. Je fais ce que je puis pour parvenir
à avoir précisément ses qualifications, au moins sur
l'amour pur; cela n'est pas si aisé. On m'a néanmoins
fait espérer qu'on me procurer oit copie du vœu de
cette Eminence ; le succès ne dépend que de la
conjoncture.
Le père Roslet m'a dit avoir eu une grande expli-
cation avec le cardinal Albani. Cette Eminence l'as-
sure toujours qu'elle fait des merveilles, mais qu'elle
a beaucoup d'ennemis qui ne disent pas la vérité sur
son sujet. Le bon, c'est qu'il dit toujours au père
lloslet toute sorte de mal du cardinal de Bouillon.
11 l'a engagé à marquer à M. de Paris que l'affaire
ne pouvoit aller mieux ; qu'elle tournoit au gré du
Roi et des évêques , qu'on auroit une décision telle
qu'on la souhaite , et qu'avant le Carême tout seroit
iîni. Pour moi, j'avoue que je ne puis me lier à ce
cardinal : je le regarde comme le plus grand ami des
Jésuites. Depuis le premier jour de cette affaire, il
s'est engagé avec le cardinal de Bouillon ! il veut
tromper également les deux partis. Dès le commen-
cement il nous a fait bien du mal auprès du Pape :
il faut cependant en tirer ce qu'on peut.
Le cardinal Casanate m'a assuré que les cardinaux
Spada et Panciatici alloient bien et rondement. On
ne peut trop dire combien le cardinal Casanate est
pénétré de la matière, et avec quelle force il parle.
Le cardinal de Bouillon ne peut le souffrir ni l'en-
tendre, On remarqua fort bien, il y a huit jours.
SUR l'affaire du quiétisme. siS
que le cardinal de Bouillon qui a coutume d'arriver
toujours le premier, ne voulut pas se trouver au
commencement de la congrégation, parce que le
cardinal Casanate devoit parler. Ce cardinal me dit
avant-hier que le cardinal de Bouillon étoit vif quel-
quefois ; mais ajouta-t-il , ha trowato ancora il ter-
reno vwo j voulant dire qu'il avoit trouve à qui
parler.
Je tiens du cardinal Casanate que plus il lit la
censure de nos docteurs, plus il la trouve foible et
peu digne de la Sorbonne ; ce sont ses propres pa-
roles. J'ai dit tout ce que j'ai cru propre aies excuser,
et en même temps j'ai voulu exciter à faire mieux ,
tout l'univers attendant de l'Eglise romaine une dé-
cision plus pre'cise et plus forte. Il faut ici les pi-
quer d'honneur. Je pense que l'envie de faire mieux
que nos docteurs ne nuira pas à la bonne cause , ni
à la vérité ; Dieu se sert de tout.
Je regarde comme certain que le cardinal Al-
bani (*) ne sera point chargé de rédiger la bulle. Si
cela est, on ne confiera cet ouvrage qu'aux cardi-
naux Noris , Ferrari et Casanate : il ne seroit pas
mauvais que les deux premiers concourussent avec
le dernier.
Je ne vois pas que la thèse de Douai fasse ici im-
pression. Le cardinal Casanate m'a demandé si la
Sorbonne ne la censureroit pas : je lui ai répondu
qu'elle n'en valoit pas la peine. Il en est convenu
avec moi.
Je ne saurois trop vous recommander et à M. de
(*) On verra que l'abbé Bossue t u'éloit pas aussi bien assuré du
fait qu'il le croyoit.
(il 6 LETTRES
Paris le secret sur tout ce que je vous mande de cir-
constances particulières, et sur ce qui concerne nos
amis et nos ennemis : j'excepte ne'anmoins le Roi et
madame de Maintenon. Si Ton parloit, ce seroit le
moyen de m'ôter toute la confiance qu'on peut avoir
en moi. Vous n'ignorez pas que le nonce mande ici
tout ce qu'il peut savoir.
Je fus averti avant allier qu'il y avoit une lettre
de M. de Cambrai au Pape(*), datée du i3 décembre,
très -longue, et à peu près de vingt pages, grand
papier. Je me mis aux champs , et je sus que M. de
Chanterac la présenta à Sa Sainteté il y a environ
quinze jours, la priant de vouloir bien la commu-
niquer à MM, les cardinaux. Le Pape n'en fit pas
grand cas, et ne donna aucun ordre à ce sujet.
M. de Chanterac en alla faire quelque espèce de
plainte à M. l'assesseur , qui mercredi dernier en
parla à Sa Sainteté à son audience. Le Pape la lui
remit pour l'envoyer à MM. les cardinaux. On en
fit deux copies : l'une fut adressée à M. le cardinal
de Bouillon , pour la faire passer ensuite de main
en main au cardinal Carpegna jusqu'au cardinal
Spada ; l'autre fut envoyée en même temps au car-
dinal Panciatici, pour en faire part aux autres car-
dinaux. M. le cardinal de Bouillon reçut la sienne
samedi matin : le cardinal Carpegna l'avoit hier. Si
je puis en avoir copie, je vous l'enverrai : je ne sais
.si on pourra la tirer de quelqu'un. Cette lettre
n'est qu'une répétition en abrégé de ce qu'il a dit
et redit cent et cent fois ; il fait de nouvelles pro-i
(*) Elle est rapportée dans la Relation de fabbé Phelippeaux,
II. psMTt;. pag. 169 et suiy.
r
SUR L AFFAIRE DU QUTÉTISME. 9.1']
testations de soumission et de catholicité ; il assure
qu'il n a fait que se servir des expressions des mys-
tiques les plus approuvés ; qu'on ne peut le con-
damner sans les condamner en même temps. Au
reste, pas un mot de rétractation, à ce qu'on m'a
assuré : il a toujours raison j il est persécuté par ses
implacables ennemis , par leur puissance et leur
cabale ; ils ^e tiennent dans l'oppression, etc. Ainsi
rien de considérable , rien de nouveau; mais il pré-
tend toujours par-là embarrasser. Tout son but et
celui de ses amis tend à présent a faire peur et pitié.
On veut faire appréhender un puissant parti parmi
les évêques et les docteurs , que l'autorité seule du
Roi empêche de s'élever et de parler : on rappelle
à ce sujet les procédés violens dont on a usé dans
le temps de l'assemblée de 1682, à l'occasion de la
Régale. C'est généralement de quoi on remplit tout
Rome actuellement , depuis la lettre du Roi plus
que jamais, et, je l'ose dire, avec une insolence
sans égale. On veut faire pitié , en représentant un
saint archevêque persécuté, et éprouvant les traite-
mens les plus odieux. Ce sont les derniers efforts d'un
parti le plus envenimé qui fut jamais. Vouloir en
douter, c'est vouloir douter qu'il fait jour en plein
midi ; on n'épargne personne.
On débite ici une nouvelle comme venant de chez
M. le cardinal de Bouillon : c'est la mort de ma-
dame Guyon à la Bastille, avec mille circonstances.
Puisque vous ne m'en mandez rien , je prends la li-
berté d'en suspecter la vérité.
Jeudi, au sortir de la congrégation du saint Of-
fice , M. le cardinal de Bouillon alla à Frescati, étu-
3l8 LETTRES
dier avec le pèrQ Charonnier : il n'en revint qu'hier
matin , et ne se trouva pas à la procession ordonnée
par Sa Sainteté, où tous les cardinaux et prélats
assistèrent. C'étoit l'ouverture d'un jubilé, que le
Pape a donné en particulier pour implorer le se-
cours du ciel eu faveur des Catholiques d'Angle-
terre ; et en effet la première station étoit dimanche
à l'église des Anglais, puis à Saint-Jean de Latran,
à Saint -Pierre , etc. L'absence de M. le cardinal de
Bouillon fut très -remarquée, et n'a point été ap-
prouvée dans une occasion aussi frappante , où les
cardinaux même goutteux se sont fait traîner. On a
songé à propos de cela au prince d'Orange, qui
est son parent , et qu'il propose dans toutes les oc-
casions comme le modèle des grands hommes.
Le commissaire du saint Office et le cardinal Ca-
sanate m'ont assuré que tout alloit très-bien.
Le cardinal de Bouillon qualifia hier la proposition
de l'involontaire ut simpliciter hœretica. Je suppose
que c'est parce que M. de Cambrai la rejette, comme
n'étant pas de lui : cela mérite confirmation quant
aux deux parties.
L'abbé de Chanterac a dépêché ces jours -ci un
courrier à M. de Cambrai. Il y a bien lieu de croire
par les allées et venues de M. Certes , et par
d'autres circonstances dont nous sommes instruits,
que c'est de concert avec M. le cardinal de Bouil-
lon : assurément c'est sans jugement téméraire.
J'ai reçu une lettre de M. le nonce, la plus obli-
geante du monde, en réponse à celle que je lui avois
écrite. Je vous prie de lui bien témoigner ma re-
connoissance , et de l'assurer de mon respect : je
I
SUR l'affaire du quiétisme. 219
compte le remercier par le premier ordinaire. Je
vous supplie aussi de lui parler de temps en temps
du bien que je vous écris de son ami le prince
Vaïni. EiFectivement il na rien oublié, et n'oublie
rien de tout ce qui est en son pouvoir et de sa
sphère, soit sur notre affaire , soit sur les intérêts de
la nation. Dernièrement il rendit visite au Pape, et
lui parla comme il faut.
Ne manquez pas , s'il vous plaît , de nous en-
voyer les lettres de D. Francesco de Vasquez, am-
bassadeur d'Espagne au concile de Trente, qu'on
imprime à Londres. La préface, à ce que l'on dit,
parle de l'affaire de Cambrai d'une manière à faire
impression ici , et à prouver le déshonneur et le
mal réel du délai d'un jugement tel qu'il convient.
Il se présente une occasion de servir le R. P. pro-
cureur-général des Augustins, l'un de nos meilleurs
qualificateurs : je vous prie de ne vous pas oublier ;
je demande à M. de Paris la même grâce. On tient
après Pâque à Bologne le chapitre pour l'élection
d'un général : ordinairement on choisit le procu-
reur-général , quand c'est un homme de mérite ;
et celui-ci joint à une grande piété une grande sa-
gesse, une grande connoissance des affaires de son
ordre , un grand savoir. Le cardinal Casanate et
le cardinal Noris, dont il a été écolier, ont pour
lui une amitié particulière. Le Pape l'estime fort ;
et il s'est fait beaucoup d'honneur dans l'affaire de
M. de Cambrai , dans laquelle on a surtout re-
connu en lui une droiture et une probité à toute
épreuve. C'est justement à cause de cela et du
crime qu'il a commis en ne favorisant pas M. de
Cambrai, que l'assistant de Fiance, frère du prin-
220 tEÏTRES
cipal du collège de Bourgogne à Rome , s'opposé
vivement à son élection, et forme une forte cabale
contre lui. Cet assistant est la créature du père de la
Chaise. Il seroit question de faire connoître au Roi
le mérite du sujet et ses adversaires, pour l'enga-
ger à donner des ordres qui tendissent à déconcerter
les projets formés contre lui ; cela produiroit ici un
bon effet par rapport aux autres personnes qui ont
soutenu le parti de la vérité.
Ne manquez pas, je vous prie, de me mander
comment il faut que je traite Tambassadeur.
J'insinue ici, le mieux qu'il m'est possible, tout
ce que vous pensez sur l'expression du sensus ohvius.
Le cardinal Casanate s*est rendu à mes représenta-
tions , et j'espère qu'on ne fera pas autrement. Il est
certain qu'il va sans dire que les propositions ne
sont censurées que dans ce sens , et que l'exprimer
c'est affoiblir la décision. Toutes les condamnations
prononcées par l'Eglise ont toujours été faites sui-
vant cette méthode.
Rome, 27 janvier 1699.
LETTRE CGCCXII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la nécessité de répondre aux nouveaux écrits de M. de Cam-
brai; qu'il faut éviter de compromettre le nonce, et communi-
quer avec précauUou les nouvelles signatures des docteurs dé
Paris.
J'ai reçu votre lettre du i3*, celle du 16, qui est
venue par le courrier extraordinaire, avoit prévenu
toutes les nouvelles.
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 221
Vous devez avoir h présent la Réponse d'un Tliéo-
logien pour M. de Chartres, qui est fort estime'e, et
ma petite Réponse aux Préjugés.
J'ai vu M. le nonce sur ce petit écrit. Je lui ai
représenté la nécessité de détruire ici le mauvais
effet que produit dans le peuple le nombre infini
d'écrits de M. de Cambrai, et la nécessité de nous
y opposer ; sans quoi les émissaires de ce prélat ti-
reroient avantage de notre silence, et l'imputeroient
à impuissance de répondre et à la foiblesse de la
cause. J'ai conclu qu'il falloit répondre, surtout au
traité des principales Propositions (*), qui n'est rien
en soi , mais qui pourtant, selon M. le nonce même,
éblouit beaucoup de monde. Il a ajouté que je ferois
bien d'y répondre. Il m'a même promis d'écrire à
Rome à M. le cardinal Spada que je ferois bien et
qu il me le conseilloit. Il faut user sobrement de ce
dernier mot.
Il est vrai au surplus que si Ton n'écrit pas de
notre côté, tout le monde nous croira battus, et
dira que nous n'avons pour nous que l'autorité, qui,
destituée de raisons, nous abandonneroit bientôt.
Dans votre audience vous avez bien touché toutes
ces choses, et elle est venue fort à propos, quoique
le Pape vous y ait montré plus de patience que
d approbation pour les écrits. Il faudra les faire
courts, et ne les présenter à Rome qu'à ceux que
vous choisirez.
(*) L'écrit de M. de Cambrai , dont il s'agit ici , avoit pour titre :
Les principales propositions du livre des Maximes des Saints , justi-
fiées par des expressions plus for/es des saints auteurs. Bossuet le
réfuta par son écrit intitulé : Les Passages éclaircis, inséré au
tom. XXX, pag. 325 etsuiy.
222 LETTRES
Prenez bien garde aussi aux signatures des doc-
teurs, dont M. le nonce m'a parlé plus douteuse-
naent que la première fois. Il m'a montré deux lettres
de M. de Cambrai -sur ce sujet. Il se plaint, nommé-
ment dans la dernière, qu'on a dit à ceux dont on a
demandé les signatures, que lui nonce l'avoit ap-
prouvé ; ce qui lui a fait de la peine. Ainsi usez en
tout de ménagement, et donnez à propos ces nou-
velles signatures, avec autant de précaution et même
plus que vous n'en avez eu en donnant les premières
souscriptions.
Les nouvelles qu'on voit de Rome, font entendre
que les délibérations des cardinaux dureront encore
tout le mois de février : quelques personnes croient
qu'elles pourroient aller jusqu'au commencement du
Carême. Ne vous relâchez pas j mais redoublez vos
soins sur la fin.
A Paris, 2 février 1699.
MÉMOIRE
Sur la Récrimination,
Vous me marquez dans une de vos dernières
lettres, que la récrimination se réduit à trois chefs,
que je vois aussi marqués dans d'autres lettres , de
même que dans les écrits de M. de Cambrai. Le pre-
mier est sur la charité inséparable du désir de la
béatitude; le second, sur la suspension des puis-
sances et du libre-arbitre ; le troisième, sur les pieux
excès et les amoureuses extravagances.
Je suppose qu'on n'admettra pas une récrimina-
SUll l'affaire du QUIÉTISME. 223
tion dans les formes, et qu'on ne songe en manière
quelconque à me donner des examinateurs ; ce seroit
une illusion trop manifeste : à toutes fins je vous
marquerai ici les endroits où j'ai traité ces matières.
Le premier point a été traité dans les Etats d'o-
raison , liv. X, n. 29, p. 4^7? 4^^? 4^9? 4^<^? 6tc.
463, 4^4? 4^^ ^')? ^^ il f^^t remarquer sur la fin
de ia page ce terme, du moins subordonné y et le
reste jusqu'à la fin du livre.
La même doctrine est expliquée dans les additions^
surtout à la page 47^, etc. 4^i> 4^^? 4^^? 4^^ 5
très - expressément 4^7? 4^8? 49^, et enfin 499
et 5oo (2).
Il faut voir aussi, p. 296 et 297 (3)^ la réprocité
^ de l'amour.
La page 82 (4), etc. donnera aussi un grand
éclaircissement à la vérité. Je ne parle point du
Summa doctrinœ. Le second Ecrit depuis le n. v jus-
qu'au XI, et depuis le n. xv jusqu'au xxiii (5). Le
quatrième Ecrit, i" part. W. Le cinquième y prin-
cipalement n. XI (7). Préface y sect. iv , n. xxxii,
XXXVII, XXXVIII, XXXIX, xLvi, sect. vu efviii (8).
Dans la Réponse aux quatre lettres , ceci est très-
expressément enseigné p. 97 (9) ; et il y est porté
en termes formels, que la béatitude est la fin der-
nière, voulue implicitement ou explicitement, du
commun consentement de toute l'Ecole.
(0 Voyez tom. xxvii , pag. 4^0 et suiv. — («) Ibid, pag. 467 , etc.
471 et suiv. 477» 47^, k^o, 488. — (3) IbiJ. pag. 3j4 et suiv. —
— {^) Ibid. pag. 12^, etc. — (5) Tora. xxviii, pag 4*^ à 4'9î 4^3
à 43i. — (^) IbiJ. pag. 471 et suiv. — 1) Ibid. pag. 5i3, 5i4. —
— (8; Ibid. pag. 556 à 56a j 5705 6o5 à 63o. — (9) Tom. xxix, p. 54-
{^EdiU de Fers.)
2 24 LETTRES
La même chose est expliquée Scholâ in tuto, q. i ,
par trente -six propositions, notamment par la
sixième ; n. 4- ^« n, n, 33 , ^» m , iv , v , vi (0.
Pour la seconde re'crimination qui regarde la
suspension des puissances, tout est dit dans Mys-
tici in tulo , p. i , art, i , tout du long (2},
Quant aux pieux excès , ils de'pendent de deux
principes : l'un est , que quiconque dévoue son
salut, le fait en présupposant la chose impossible :
d'où suit le second principe : Securus hoc fecit; et
la conclusion est, que celui qui sacrifie ainsi son
salut, sachant bien qu'il n'en sera ni plus ni moins,
ne le peut faire que par un excès et par un trans-
port amoureux. Tout cela est expliqué à fond
Scholâ in tuto , q. xii, art. 11, n, 194 et seq. (5).
La sécurité est traitée dans cet article second , et
encore Quietismus redivis^us, p. 899 (4); et les folies
amoureuses, Scholâ in tuto, q. xvi , art. xxi ,
p. 3o6 (5). Il faut voir Scholâ in tuto , q. xiii, de.
fine ultimo , où le principe est expliqué (6).
LETTRE CCCCXIV.
DE BOSSUET A SON NEVEU (*).
Sur la mort de son père, frère du prélat.
Dieu est le maître. Je croyois mon frère entière-
ment délivré de ce fâcheux accident de goutte , qui
(0 Tom. XXX, pag. aog, aïo j aSo, 282 à 2^4- — ^*' ^^'■^' P^a* 9^
à 147. — (3) Ibid. pag. 3i I, 3 12. — (4) IbUl et pag. 453. — (5) Ibid.
pag. 3^5. — (6) Ibid. pag. 334. ( Edit. de Vers.)
\^) Celle lettre est de même date que la précédente, parce que
lui
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 225
lui avoit si vivement serré les mamelles et attaqué
la poitrine. Il s'étoit levé, et avoit fait ses dévotions
à la paroisse, comme un homme qui, sans dire
mot , et ne voulant point nous attrister , songeoit
à sa dernière heure, J'étois à Versailles, pensant à
toute autre chose , et fort réjoui de recevoir de lui
une longue lettre écrite , le mercredi matin , d'une
main très-ferme, et pleine de ses manières ordi-
naires.
Que sert de prolonger le discours? Il en faut venir
à vous dire que la nuit suivante, il appela sur les
trois heures par un coup de cloche , qui ne fit que
faire venir d'inutiles témoins de son passage. On me
manda seulement à Versailles qu'il étoit à l'extré-
mité. Je me vis séparé d'un frère, d'un ami, d'un
tout pour moi dans la vie.
Baissons la tête, et humilions-nous. Consolez-
vous, en servant l'Eglise dans une affaire d'une si
haute importance, où il vous a rendu nécessaire.
Ne soyez en peine de rien : votre présence sera sup-
pléée par moi, par M. Chasot, par votre frère
même. Faites les affaires de Dieu, Dieu fera les
vôtres. Le Roi s'attend que vous n'abandonnerez
pas ; car encore qu'on n'eût pas prévu cette affli-
geante mort, il en a su les dispositions. Ce me se-
roit la plus grande , et presque la seule sensible con-
solation , de vous avoir auprès de moi ; mais offrons
vous et moi ce sacrifice que Dieu demande de nous.
Dieu est tout, faites tout pour lui.
M. Chasot vous instruira du détail. Je me suis
M. de MeauXy quand il écrivit la première , iguoroit encore la mort
de son frère.
BOSSUET. XLII. l5
aaÔ LETTRES
rendu très-attentif à toutes les circonstances, n*en
doutez pas ; mais je veux tâcher de m'e'pargner un
récit trop affligeant, que vous pouvez recevoir
d'ailleurs. On tiendra les affaires très-secrètes : c'est
la vraie sagesse dans ces tristes accidens. Elles sont
bonnes. Dieu merci.
Je vous embrasse de tout mon cœur. Ne vous
embarrassez point de votre dépense : allez toujours
votre train, avec votre retenue et votre prudence
ordinaires. Ma santé est meilleure que ma douleur
ne le devroit permettre. Je me conserverai le mieux
qu'il me sera possible pour le reste de la famille ,
qui a perdu sa consolation et son soutien sur la
terre. Nous avons bien de l'obligation à M. Chasot :
il a beaucoup soulagé feu mon frère dans ces derniers
accidens. Ma sœur est, comme vous pouvez juger ,
plongée dans la douleur. Bon soir, mon cher neveu ;
fortifiez-vous en notre Seigneur.
A Paris, i février 1699.
LETTRE CCCCXV.
DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS^
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur la mort de son père.
J'ai bien du déplaisir. Monsieur, detre obligé de
commencer cette lettre par un triste compliment
sur la mort de M. votre père. Je prends beaucoup
de part à la juste douleur que vous aurez de cette
perte, et vous prie d'être persuadé que je serai tou^
SUR l'affaire du quiétisme. 227
jours fort sensible à tout ce qui pourra vous arriver.
L'âge et l'infirmité' de M. Bossuet pouvoient vous
préparer à le perdre ; mais je sais que , quelque pré-
paré que l'on soit à ces sortes de malheurs, on ne
laisse pas de les sentir bien vivement.
Je ne vous parlerai point d'affaires aujourd'hui :
je vous dirai seulement que j'ai reçu votre lettre
du i5, par le dernier courrier extraordinaire, et
que j'y vois avec plaisir le bon effet de la lettre du
Roi et de vos soins continuels. Cependant nous ne
sommes point encore hors d'affaire , et nous n'y se-
rons qu'à force d'instances et de sollicitations. Mais
en voilà plus que je ne voulois vous en dire : je finis
en vous assurant, Monsieur, que je suis toujours à
vous aussi sincèrement qu'on y puisse être.
a Février 1699.
LETTRE CCCCXVI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les difficultés quon avoit eues à surmonter dans cette afFairej
les obligations qu'on avoit au Roij Fétat des congrégations 5 et
une scène qui s'^étoit passée entre le cardinal de Bouillon et le
cardinal Panciatici.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Versailles , du 12 janvier. Vous au-
rez appris par mes précédentes l'état des choses,
et les motifs d'espérer de voir bientôt la fin d une
affaire, qui naturellement n'en devoit point avoir,
en considérant le génie de cette Cour, la délica-
tesse de la matière, la puissante protection qu'a
Çti8 LETTRES
trouvée ici M. de Cambrai , et surtout la foiblesse
du Pape.
J'avoue franchement que si Ton m'avoit dit, il y
a quatorze mois , les embarras qu'on metlroit dans
cette aftaire , les injustices qu'on feroit en faveur
de M. de Cambrai dans la proce'dure , les différens
examens qu'on seroit obligé d'essuyer sur la même
matière de la part des qualificateurs , soit entre
eux , soit en présence des cardinaux Ferrari e%^
Noris, puis en présence de tous les cardinaux du
saint Office , enfin devant Sa Sainteté ; qu'on m'eût
ajouté que cette discussion s'étendroit à trente-huit
propositions, sur lesquelles dix qualificateurs au-
roient à parler, et des qualificateurs très -divisés,
très-animés , et très - longs ; qu'après cela douze
cardinaux commenceroient à voter, le feroient de
la manière que nous avons vue, et avec toutes les
oppositions qui se sont rencontrées dans leurs dé-
libérations : si , dis-je , je m'étois pu figurer ce qui
s'est passé , je n'aurois jamais cru qu'il fût possible
de vaincre tant d'obstacles en moins de dix ans,
surtout ayant affaire à de pareilles gens. Mais par
bonheur on n'a pu envisager les difficultés que les
unes après les autres, et j'ai toujours vu jour à les
pouvoir surmonter avec un peu de patience ; ce
qui m'a entretenu dans l'espérance de parvenir à
une heureuse conclusion. Enfin l'affaire en est ve-
nue à un point, qu'il m'a paru qu'il falloit tout
ou rien, tant pour l'honneur du saint Siège, que
pour le repos de l'Eglise. Je n'ai cessé d'avoir con-
fiance en la vérité, et en celui qui a soin de son
Eglise 5 et j'ai toujours été persuadé que , pourvu
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME. a^g
qu'on réussît à faire voter les cardinaux sur le
particulier de la doctrine , la décision ne pour-
roi t être que bonne : ce qu'il y a lieu d'espérer plus
que jamais.
Je puis dire avec vérité que c'est le zèle et la fer-
meté du Roi, qui ont amené les choses au point
oii elles sont aujourd'hui ; et tous ceux qui ont ici
défendu la bonne cause, n'ont été que de très-foibles
instrumens. En mon particulier, je confesse que
tout le service que j'ai pu rendre , a été de m'in-
former le mieux qu'il m'a été possible de ce qui se
passoit , de connoître les dispositions des diflerens
personnages , et d'en instruire sans aucune pas-
sion, ayant eu soin de ne mander que ce dont j'é-
tois assuré. J'avoue que ce qui m'a le plus coûté,
a été d'être obligé de démêler les artifices du car-
dinal de Bouillon , et d'avoir à écrire sur son sujet
ce que j'ai été contraint de marquer ; afm que la
vérité ne fût pas en péril , et qu'on pût remédier
à temps au mal qu'il vouloit faire. J'ai fait ici de
mon côté tout ce qui m'a été possible pour le rendre
favorable à la bonne cause , pour l'engager à chan-
ger de sentimens et de conduite, employant pour
l'y déterminer tous les motifs que je croyois les
plus propres à celte fin : mais tous mes efforts ont
été inutiles.
Au reste , je sais de bonne part qu'il voudroit
bien faire croire en France quil n'est pas si dévoué
qu'on se l'imagine à M. de Cambrai ; mais les faits
parlent et les actions. Si ses protestations étoient
vraies , il seroit bien malheureux ; car il n'y a per-
sonne ici de ceux qui le voient ou qui l'entendent ,
23o LKTTRES
personne de ses amis ou de ses ennemis , qui ne le
croie, comme il est en effet, très-décidé pour M. de
Cambrai , et très-ardent à soutenir ses intérêts. Ve-
nons à ce qui se passe.
Il étoit plus que vraisemblable qu'on finiroit le
mercredi, 28 janvier, Texaraen du sixième chapitre;
car il n'y avoit plus que les quatre derniers cardi-
naux qui dussent parler sur cette matière , les sept
premiers ayant fini dans la congrégation du lundi 26*
Mais je ne sais comment il arriva qu'il n'y eut que
le cardinal Ferrari qui vota le 28. On dit que ce
qui empêcha qu'on avançât davantage, fut que les
cardinaux du palais arrivèrent fort tard , et sur-
tout le cardinal Albani, qui devoit parler ce jour-
là. Cela a fait quliier, lundi 2 février, on ne put
commencer le septième chapitre , qui est le dernier,
et qui traite de la méditation et contemplation.
Au moins je m'imagine qu'on ne l'aura pas en-
tamé j car je n'ai pu rien savoir aujourd'hui de pré-
cis et de certain sur ce qui s'est passé dans la con-
grégation , qui fut tenue hier lundi. Ce que je sais,
c'est qu elle dura fort tard, et que pour la première
fois on se servit de flambeaux. Il ne seroit pas im-
possible que M. le cardinal de Bauillon eut com-
mencé à parler. Mais quoi qu'il en soit , il paroît
assuré que les cardinaux auront fini de voter et de
parler, ou lundi prochain, ou de demain en huit,
qui sera le 1 1 de ce mois : ainsi il ne doit plus y
avoir que trois congrégations au plus.
Il s'est passé une scène entre le cardinal Pan-
ciatici et le cardinal de Bouillon, qui est assez
remarquable. Panciatici a toujours été rondement
\
'sur l'affaire du quiétisme. 23i
et fortement contre M. de Cambrai , et en particu-
lier dans la congrégation du lundi de la semaine
passe'e, où il parla le dernier, et battit en ruine les
mauvaises excuses que le cardinal de Bouillon avoit
apportées , pour persuader que ce n'étoit pas M. de
Cambrai, qui avoit mis le mot d'involontaire en
parlant des troubles de Jésus - Christ. Le cardinal
de Bouillon n'a pas cru pouvoir s'en mieux venger,
qu'à l'occasion d'une grâce qu'il demandoit au Pape
en faveur des Jésuites, pour laquelle le Roi a écrit,
et sur laquelle le cardinal Panciatici fait de grandes
difficultés. C'est assez son ordinaire, et son devoir
l'oblige aussi souvent de s'opposer dans ces sortes
de demandes à la facilité du Pape ; car il veut que
les choses aillent selon les règles , et avec les for-
malités prescrites. Mais dans l'affaire dont il s'agit,
le cardinal de Bouillon prétendoit qu'il falloit pas-
ser par-dessus toutes les lois. Jeudi donc , au sortir
de la congrégation tenue en présence du Pape, le
cardinal de Bouillon alla à son ordinaire parler à
Sa Sainteté, lui renouvelant ses instances pour cette
grâce. Le Pape dit qu'il avoit ordonné qu'on l'ac-
cordât; et le cardinal exigea du Pape qu'il fît venir
sur l'heure le cardinal Panciatici , pour savoir les
raisons du délai. Le cardinal Panciatici entra, et
il y eut une très-vive conversation entre le cardinal
de Bouillon et lui. Il sentit fort bien toute l'aigreur
du ton que prenoit avec lui le cardinal de Bouillon ;
et il répondit avec fermeté au Pape , qu'il quitteroit
plutôt sa charge que de faire une chose contre les
règles , soutenant que cette affaire n'étoit pas à
présent en état de passer. Cette mortification q^uQ
a3a LETTRES
le cardinal Panciatici a reçue , d'être obligé de se jus-
tifier devant le cardinal de Bouillon, lui a été très-
sensible ; et efîectivement elle est très - injurieuse
pour un ministre comme lui. On y a bien reconnu
la foible vengeance que prenoit M. le cardinal de
Bouillon : il joue de son reste. M. le cardinal de Jan-
son n'avoit garde d'avoir de ces hauteurs , qui sont
ordinairement très -préjudiciables aux intérêts du
maître.
A propos du cardinal de Janson , je crois qu'il ne
trouvera pas mauvais que je me sois prévalu de Tes-
time que le cardinal Sacripanti a pour lui , et de
son nom, pour rendre ce cardinal favorable à la
bonne cause , et le porter , pour ce qui reste à faire
au sujet de la bulle, à agir auprès du Pape, sur qui
ce cardinal a beaucoup de pouvoir , comme M. le
cardinal de Janson le sait bien. Je crois que cette
aide ne nuira pas. On a ici, depuis le plus grand
jusqu'au plus petit , une vénération et amitié parti-
culières pour le cardinal de Janson , et son absence
n'a rien diminué de ces sentimens. Le cardinal de
Bouillon a eu beau chercher à le décrier : ce qu'il
a fait là-dessus a fort servi à le décrier lui-même.
Je ne sais pourquoi, mais il est très-certain que le
cardinal de Bouillon le hait plus encore qu'il ne fait
le cardinal d'Estrées, ce qui est beaucoup; au moins
en dit-il ouvertement plus de mal.
Je crois savoir sûrement que le cardinal Albani
n'aura point de part à la rédaction de la bulle. J'ai
quelque avis que le Pape en a déjà parlé au car-
dinal Noris, qui commence à s'en occuper : appa-
remment on fera aussi travailler le cardinal Ferrari.
SUR l'aFFAIHE du QUIÉTISME. 233
J'ignore s'ils travailleront conjointement ou séparé-
ment ; je pense qu'ils le feront chacun en particu-
lier, et qu'ils se communiqueront leur travail. Au
moins je souhaite que cela se passe ainsi, et que le
cardinal Casanate ait part à cette besogne. Le car-
dinal Spada me dit hier qu'il n'y avoit rien de dé-
terminé là-dessus : je lui fis voir, du mieux qu'il me
fut possible, de quelle importance il étoit pour
l'honneur du saint Siège que ce travail, qui devoit
couronner l'œuvre, tombât en de bonnes mains. Ce
seroit un grand point que le cardinal Albani fût
exclus de cette opération, et il me paroît assuré
qu'il n'en sera pas chargé. Le père Roslet est con-
venu avec moi qu'il étoit important, quelque as-
surance que lui ait donnée le cardinal Albani, qu'il
ne fut pas le rédacteur : il a bien compris qu'il fal-
loit aller au plus certain.
Il est avéré que le courrier que M. de Chanterac
a dépêché le 25 du mois passé en Flandre , l'a été
par un nommé Pressiat, banquier et créature du
cardinal de Bouillon, et à la suite des conférences
tenues entre cette Eminence, le père Charonnier
et M. de Chanterac. Il y en eut une mémorable
et publique , samedi dernier à midi , chez le car-
dinal , où se trouvèrent l'abbé de Chanterac, le père
Charonnier et M. Certes ; elle dura près de deux
heures. On va, comme vous voyez, la tête levée. On
croit, à présent plus que jamais, devoir faire vanité
de cette union, quelque déplaisir qu'on sache qu'elle
fasse au Roi , que le cardinal de Bouillon n'aimera
jamais assurément ; tant il est ingrat , et tant il a
l'esprit de travers.
2^4 LETTRES
Je n ai pu avoir encore la dernière lettre de M. dtr
Cambrai au Pape ; mais je sais qu'elle ne contient
que des re'pe'titions. Elle porte seulement deux:
choses plus particulières ; par l'une il demande à
nêtre pas obligé de condamner les intentions de
M.""^ Guyon, ni son sens intérieur: dans l'autre il
déclare qu'il est prêt à corriger dans son livre les
expressions qui paroîtront trop fortes, et qu'il ne
pouvoit pas supposer qu'on dût désapprouver, puis-
qu'elles se trouvent toutes dans les meilleurs mys-
tiques. Il ajoute que le saint Siège n'a qu'à lui don-
ner des règles sur cette matière, qu'il les suivra
exactement. Je ne crois pas que cette lettre lui ait
fait grand honneur , et sûrement il n'en tirera pas^
grand profit. On m'apprit hier qu'on distribuoit
un manuscrit en faveur de M. de Cambrait : je ne
sais encore ce que c'est.
Vous devez avoir, il y a déjà long-temps, tous les
nouveaux écrits imprimés de M. de Cambrai, que je
vous ai envoyés. Je fais un bon usage de tout ce
que vous m'écrivez, et je ne laisse perdre aucune
de vos réflexions.
Les passages des mystiques, que M. de Cambrai
a mis en parallèle avec les siens, sont en effet tout
contraires à ce qu'il s'est imaginé. On voit par-là,
non-seulement combien le langage des mystiques est
peu exact, et même outré, et de quelle nécessité il
est de n'en pas faire la règle de la foi j mais encore ,
que M. de Cambrai a surpassé les mystiques les
plus outrés, je parle des anciens, lui qui devoit ré-
duire leur langage à des expressions simples, exactes,,
théologiques, etc.
SUR l'affàihe du quiêtisme. ^35
Le cardinal Ottoboni a dit à un de mes amis,
qu'il falloit que je le crusse un grand minchione^
pour m'imaginer qu'il ne seroit pas contre M. de
Cambrai : avec cela je ne me repens ni ne me ré-
tracte de ce que j'ai cru de lui.
On ne peut trop engager nos docteurs à se décla-
rer : leur avis, et pour ce pays-ci, et pour celui où
ils sont, ne peut faire que du bien.
Vous croyez bien qu'on crie ici persécution sur
tout ce qui arrive de peu avantageux en France à
M. de Cambrai ; mais il faut laisser crier des gens
qui mettent toutes leurs ressources dans des impos-
tures dont on commence à découvrir l'artifice.
Je vous envoie un exemplaire de la bulle pour
le dernier jubilé : cette pièce commence ici à être
rare, et n'en a pas qui veut. J'en ai eu deux exem-
plaires par une faveur singulière. On en fait ici un
mystère depuis quelques jours, et il n'en a couru
qu'un très-petit nombre d'exemplaires. On prétend
que des amis du prince d'Orange ont représenté ici,
qu'il ne falloit pas le traiter de persécuteur, ni taxer
de persécution les rigueurs qu'on exerce contre les
Catholiques en Angleterre et en Irlande. Le car-
dinal Carpegna , qui veut être Pape , ménage ce
prince par considération pour le cardinal Ottoboni
et le cardinal de Bouillon, qui ont ici grande liai-
son avec des Anglais protestans. On assure que ces
cardinaux empêcheront le Pape d^envoyer ce der-
nier jubilé dans les pays étrangers; mais je doute
qu'ils y réussissent. Il seroit vraiment curieux que
le parti du prince d'Orange fût assez fort à Rome,
pour arrêter la publication du jubilé, et empêcher
^36 LETTRES
qu'on ne priât Dieu par toute la chrétienté pour
faire cesser de si cruelles persécutions.
Mon père me mande, et fai vu dans les lettres
écrites de France de bon lieu , qu'on avoit écrit
d'ici que moi, seul de Français, n'avois pas été in-
vité par le cardinal de Bouillon à la fêle de sainte
Luce, et que cela avoit ici un peu surpris tout le
monde. Vous savez, mon père et vous, que je ne
vous en ai pas dit un seul mot dans mes lettres,
n'ayant pas cru que cette bagatelle valut la peine
d'être mandée, et n'ayant pas jugé devoir attribuer
au maître le compliment ambigu que me fit M. Cer-
tes, son espèce de maître de chambre, d'après le-
quel je pris le parti d'aller dîner chez moi a^ec
quelques-uns de mes amis, de peur d'incommoder
à un somptueux dîner, où l'on étoit très-pressé.
Je n'ai reçu aucun ordre précis pour l'argent ,
dont vous avez la bonté de me parler dans votre
lettre du 5 : mon père me mande seulement que
vous avez eu la bonté de tomber d'accord de tout;
que M. Souin lui vient de dire que le correspon-
dant de M. Ghaberé a ordre de me faire toucher
3000 liv. Mon père ajoute , que si j'ai besoin de
toute la somme , je puis tirer sur lui, qu'il en paiera
sa part selon que vous en êtes convenus : je serai
obligé de le faire par le premier courrier.
J'écris à M. de Paris qu'il est nécessaire que le
Roi parle à M. le nonce sur le décret qui doit sui-
vre la bulle, et par lequel il est à propos de prohi-
ber les livres faits pour la défense de celui des
Maximes. J'en ai déjà parlé au cardinal Casanate,
qui a pleinement approuvé ce projet, et qui m'a
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 23^
promis de m appuyer ici fortement pour rexe'cution.
Unissez- vous avec M. de Paris auprès du Roi, pour
l'engager à agir à cet e'gard , et ne perdez pas de
temps, s'il vous plaît.
Il y a ici une nouvelle Lettre de M. de Cambrai
a M. de Meaux sur la charité^ qu'on n'a pas en-
core vue. M. de Chanterac a commencé à la distri-
buer aux cardinaux : je n'ai pu l'avoir pour ce cour-
rier. Que peut-il dire de nouveau?
Rome, ce 3 février 1699.
LETTRE CCCCXVII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la mort de son père j les lettres de M. de Cambrai au îionce ,
et la réponse qu'il devoit faire à la Censure des docteurs j dif-
férens faits louchant la Lettre du Théologien de M. de Chartres 5
et sur deux libelles, Tun contre M. de Noailles, Tautre contre
rédition de saint Augustin.
Vous avez bien besoin que Dieu vous soutienne
dans le coup que vous venez de recevoir : c'est lui
qui frappe , c'est lui qui console. Vous êtes seul , et
ce nous seroit une espèce de consolation mutuelle de
pleurer ensemble le plus honnête homme, le plus
ferme , le plus agréable , le plus tendre qui fut ja-
mais. C'en est fait ; et il n'y a qu'à baisser la tête , et
à se consoler en servant Dieu. Vous en avez une
grande occasion ; et Dieu vous a mis en tête une
cabale si puissante , si artificieuse , si dangereuse ,
qu'il y va de tout pour l'Eglise. Ainsi rappelez
toutes vos forces, et songez qu'il faut qu'il en coûte
238 LETTRES
quand on est appelé de Dieu pour défendre la vé-
rité, et s'exposer seul pour elle à la fureur de ses
ennemis.
J'ai reçu votre lettre du 20, et le journal. M. de
Paris a tout vu. On a fait un extrait pour la Cour,
qui sera rendu à madame de Maintenon. Aucune
autre personne n'en a eu communication. Le journal
est si bien fait, qu'on croit être témoin oculaire de
tout ce qui y est rapporté.
M. de Cambrai a écrit au nonce trois superbes
lettres sur les signatures des docteurs. Il dit qu'il ré-
pondra, et en demande la permission à M. le nonce,
qui ne répliquera rien. Il se plaint que ces signatures
sont extorquées , tronquées , etc.
Nous attendons un écrit de ce prélat sur les qua-
lifications des docteurs. Il est ravi d'avoir occasion
d'écrire par anticipation contre les qualifications
qu'il craint de Rome.
Le père Dez et le père Gaillard sortent d'ici : ils
m'ont dit que le père Charonnier leur avoit écrit,
qu'il croyoit que le décret de censure du livre arri-
veroit aussitôt que sa lettre.
La lettre du Roi (*) est admirable, et digne d'un
Constantin et d'un Charlemagne. Tout y est de sen-
timent : il faut être Roi pour écrire ainsi. Le secret
sur le journal et les vœux des cardinaux est bien re-
commandé.
La lettre du Théologien de M. de Chartres fait
ici un effet prodigieux : on ne devine point quel en
est l'auteur. M. de Chartres y a mis de sa main beau-
coup dlexcellentes choses. Remarquez bien ce qu'on
(*) Elle est ci-dessus, pag. i35.
SUR L AFFAIRE DU QUIÉTISME. ^89
dit dans cette lettre sur les prières que M. de
Cambrai avoit compose'es avant ces disputes ; c'est
vers la fin.
M. le nonce a bien remarqué que M. de Cam-
brai s'engageroit terriblement, s'il s'avise d'écrire,
comme il en menace, sur les qualifications des
docteurs.
Je^suis bien en peine de la manière dont la triste
nouvelle de la mort de votre père vous sera venue.
Je crains les lettres étrangères, et les contre -temps
qui les accompagnent. Je n aurai point de repos que
je n'aie votre réponse.
Ce seroit un grand malheur que le cardinal Al-
bani fît la bulle : il faut toucher cette corde délica-
tement. Je suppose que, malgré les mauvais offices,
Dieu vous donnera les moyens de vous maintenir
dans la bienveillance du Pape.
M. le Prince (*) nous fait mille amitiés au sujet de
notre malheur. Je lui ai demandé sa protection pour
la famille , sans rien articuler ; et il l'a promise de
l'air le plus sincère du monde.
Je crains d'avoir oublié de vous parler d'un libelle
contre M. de Paris (**), qui a été brûlé par la main
(*) De Bourbon-Condé.
("^J II étoit intitulé : Problème ecclésiastique proposé à M. Vahhé
Boileau de V archevêché, etc. h L'auteur alors inconnu de ce li-
j> belle satirique, dit M. d'Aguesseau, opposoit Louis- Antoine de
}> Noailles, évêque de Châlons, à Louis-Antoine deNoailles, ar-
0 chevêque de Paris \ et demandoit malignement lequel des deux
» on devoit croire, ou l'approbateur des Réflexions du père Ques-
V nel sur le nouveau Testament, ou le censeur du livre de VJEx-
h position de la Foi. Il se jouoit avec assez d'esprit, dans cet
ii ouvrage, sur la contradiction qu'il croyoit trouver entre l'é-
It^O LETTRES
du bourreau, le lo janvier dernier. Ce prélat y est
accusé d'être le chef des Jansénistes, et d'en avoir
donné la profession de foi dans la seconde partie
de son Instruction pastorale sur cette matière (*). Son
Jansénisme est attaché principalement à l'approba-
tion du livre du père Quesnel sur le nouveau Testa-
ment. On s'en avise bien tard , après que ce livre
a passé sans atteinte durant feu M. de Paris, et
après cinq ans d'approbation de celui-ci comme
évêque de Châlons.
On s'avise aussi , après dix ans , d'accuser de Jan-
sénisme , par un libelle , l'édition bénédictine de
saint Augustin (**}, à cause des notes, des lettres
u vêque et l'ardievêque,... C'est ainsi que fut donné comme le
» premier signal de cette guerre fatale, que le livre du père Ques-
» nel a depuis allumée dans l'Eglise. Le soupçon tomba d'abord
}> sur les Jésuites j mais le véritable auteur de ce fameux ouvrage
p fut enfin démasqué quelques années après. D. Thierry , Béné-
»> dictin de la congrégation de Saint- Vannes, et Janséniste des
» plus outrés, qui fut mis à la Bastille par ordre du Roi, avoua
}) dans la suite que c'étoit lui qui avoit composé le Problème ».
(Voyez Mdm. sur les affaires de l'Eglise de France, depuis 1697
jusqu'en 1710, par le chancelier d'Aguesseau 5 tom. xiii de ses
OEuvres, p. iqS )• Ou persuada néanmoins à M. de Noailles que les
Jésuites étoient les auteurs du Problème , et il en conçut contre eux
le plus vif ressentiment. Ce fut pour le satisfaire que le Parle-
ment de Paris ordonna, par un arrêt du 10 janvier 1699, que cet
écrit seroit brûlé; ce qui fut exécuté le i5, suivant d'Avrigny,
devant la porte de Notre-Dame. [Edit. de f^ers.)
C*) Cette seconde partie de V Instruction pastorale de M. d«
Noailles, du 20 août 1696, avoit pour auteur Bossuet, coTime il
l'avoua à l'abbé Ledieu. Nous avons donné cette Instruction à la
fin du tome vu. [Edit. de Vers.)
C**) Peut-être Bossuet veut-il parler ici de la Lettre de Vabl4
de *** aux RjR. PP. Bénédictins de la congrégation de Saint-
majuscules,
s un i/affaire du quiétisme. 24 1
majuscules, et des renvois. Certaines gens voudroient
bien faire une diversion au Quiétisme, en réveillant
la querelle du Jansénisme j mais on ne prendra pas
le change.
Paris , 9 février 1 69g.
LETTRE CCCCXVIIL
DE UABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les discours des partisans de M. de Cambrai à l'égard de la
Censure des soixante docteurs j la manière dont le cardinal Ca-
sanate devoit présenter dans son vœu le plan de la bulle j et les
causes de l'embarras qu'on pouvoit trouver dans la rédaction.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Paris, du 19 janvier. Le père Roslet
a reçu en même temps la signature de plus de cent
quarante docteurs, que M. de Paris lui a adressée.
Voilà un consentement bien unanime de nos doc-
teurs ; et je ne sais pas ce que les amis de M. de
Cambrai pourront dire, après avoir assuré si hau-
tement qu on n'avoit pu trouver que les soixante
premiers qui eussent voulu condamner M. de Cam-
Maur, sur le dernier tome de leur édition de saint uiugustin , impri-
mée à Rome en 1698. On disoit quelle étoit d'un abbé allemand,
et Dupin l'attribue au père Lallemant, Jésuite. Elle fut mise à
X Index à Rome, par décret du 1 juin 1700, ainsi que deux autres
lettres contre la même édition 5 l'une sous le nom d'u/i abbé corn-
mandataire y et l'autre sous celui à! un Bénédictin non réformé. Il
seroit malaisé de décider de laquelle de ces trois lettres il est ici
question. Au reste, le général des Bénédictins et le provincial des
Jésuites se réunirent , d'après le désir du Roi , pour imposer à cet
égard im silence réciproque à leurs religieux. {^JEdit. de f^ers.)
BoSSUET XLII, 16
îj'^ LETTRES
brai, et qui encore la plupart ne l'avoient fait que
par force. Mais il ne faut pas s'étonner de la har-
diesse qu'ils ont à mentir, leur chef leur en donnant
un si bel exemple. Leurs impostures font toujours
un petit effet pendant quelque temps ; et cela leur
sert au moins à quelque chose. Ce n'est pas que,
dans l'esprit des honnêtes gens, cette conduite ne
leur soit très-préjudiciable. Je sais que le Pape a été
prévenu heureusement parles lettres du nonce, dès
le précédent ordinaire, sur les nouvelles signatures,
et qu'il les a approuvées, ainsi que les cardinaux, à
l'exception de celui que vous pouvez deviner, à qui
cet accord de la Faculté de Paris contre son ami n'a
pas fait grand plaisir.
Dieu merci, le cardinal Casanate jouit depuis un
mois d'une bonne santé. Je le vis il y a trois jours ,
et il me dit que puisque Dieu lui donnoit de la
santé, il vouloit l'employer bien. Il ne sait pas en-
core si le Pape le chargera de la rédaction de la
bulle; mais nous sommes convenus qu'il disposera
les choses de cette manière. Il remettra son vœu au
Pape sur les trente-huit propositions ; puis il dira
comment il est d'avis qu'on les arrange pour les
condamner. Il réduira toute la matière sous sept
chapitres, selon qu'elle l'a été dans l'examen; puis
il rassemblera sur chaque point les propositions
principales, qu'il représentera de la manière qu'elles
doivent être conçues pour être le plus nettement
condamnées , en suivant toujours les propres paroles
de l'auteur, et retranchant seulement des propo-
sitions des qualificateurs ce qui est inutile, et qui
ne serviroit qu'à embrouiller le fond. En un mot.
s tu l' AFFAIRE DU QUI ET I S ME. ^43
il réduira toute la matière dans son vœu par écrit ^
comme il croit quelle doit être exposée dans la
bulle. C'est à présent le plus grand service qu'il
puisse rendre , et qui peut abréger beaucoup si le
Pape a bonne intention. J'ai bien de la peine à
croire qu'on puisse l'empécLer de lui donner une
particulière autorité dans la rédaction de la bulle.
Il est vraisemblable que le Pape en chargera ses
deux créatures, les cardinaux Ferrari et Noris, avec
le cardinal Casanate ; mais il n'y a rien encore de
déterminé là- dessus. Je vous envoie la lettre que
m'écrivit hier monseigneur Giori : il parle par con-
jecture, mais il n'y a rien de certain à cet égard.
Je crois seulement la chose très -vraisemblable, et
c'est ce qu'on doit faire. Si l'on ne le fait pas, ce
ne sera pas faute d'instruction ; car le Pape sait tout.
Il y a plus de deux mois que je vois l'importance
de ce choix , et qu'on travaille efficacement à le
faire tomber sur un cardinal bien intentionné et
capable. Le cardinal de Bouillon, le cardinal Al-
bani, Fabroni et les Jésuites font tout leur possible
pour empêcher que ce ne soit le cardinal Casanate,
et pour faire donner la commission au cardinal Al-
bani : mais je crois qu'en cela ils ne réussiront pas,
au moins sur le dernier article; quoique, à dire
vrai, on ne peut répondre de rien avec un Pape si
foible et si facile à se laisser surprendre.
Je vous envoie la lettre de M. de Cambrai au
Pape : elle donne ce me semble beau jeu contre lui.
Quelque superficielle qu'elle soit, on fait ici tout
remarquer à mesure que l'occasion s'en présente.
Je ne vous envoie pas la nouvelle lettre de ce prélat
^44 LETTRES
sur la charité, parce que je n'ai encore pu Tavoir.
Je ne connois que les cardinaux du saint Office qui
l'aient.
L'ouvrage du théologien qui défend M. de Char-
tres, ne sauroit venir trop tôt.
C'est bien fait , selon moi , de ne rien laisser sans
réponse : il faut parler fortement et avec autorité,
comme vous avez toujours fait, supposant toujours
la décision du saint Siège telle qu elle doit être. Le
Roi ne pouvoit rien faire de mieux dans la cir-
constance, que de déclarer, en retranchant M. de
Cambrai des états de la maison des princes, qu'il
ne croyoit plus devoir user de ménagement à l'égard
de ce prélat.
Toutes les raisonnettes de M. le cardinal de Bouil-
lon ont fait très-peu d'impression.
S'il y a quelque embarras par rapport au fond de
la matière, et pour la confection de la bulle, il
vient uniquement de la confusion des propositions
extraites, qu'il faudra nécessairement qu'on déve-
loppe, si l'on veut faire quelque chose de bien et
d'honorable pour le saint Siège.
Demain, ii février, on finira. Les trois derniers
cardinaux sont les seuls qui restent à voter, comme
vous le verrez par ce que je vous envoie.
La manière de procéder pour ce qui suit, n'est
J)as encore déterminée. Je crois que le Pape voudra
entendre les cardinaux en public et en particulier :
cela doit être, et sera apparemment très -court;
puis on chargera quelqu'un de dresser la bulle, qui,
après avoir passé per manus, doit être signée par le
Pape. Dieu le veuille, et bientôt.
SUR l'affaire du quiétisme. 24^
On parlera apparemment, jeudi 12, devant le
Pape de modo tenendi dans le reste de Taffaire :
peut-être même tiendra-t-on une congrégation lundi
prochain, où les cardinaux discuteront entre eux ce
qu'il y a à faire. Le cardinal de Bouillon y sera, et
n'épargnera rien assurément pour embrouiller. Mais
on est résolu de lui tenir tête : le cardinal Casa-
nate surtout, qui est le chef, et qui est persuadé
qu'il y va du bien de l'Eglise, de l'honneur du saint
Siège, et du repos de la France, s'opposera ferme-
ment aux désirs du cardinal de Bouillon, car il ne
craint rien , Dieu merci. Je n'ose pas dire la même
chose d.es autres, dont plusieurs sont assez foibles,
et ne veulent pas si franchenient rompre en visière
au cardinal de Bouillon. Ce n'est pas que tous ne
condamnent le livre, mais tous ne le font pas de la
même manière et avec la même force. On ne doit
pourtant pas appréhender que la doctrine du livre
ne soit pas condamnée, au moins persanne n'en
doute à présent quant au fond; mais les amis de
M. de Cambrai soutiennent qu'il faut ménager en
quelque chose ce prélat , qui ne mérite assurément
que d'éprouver une juste sévérité. Au reste, on
n'oubliera aucune des représentations qu'on doit
faire, pour obtenir qu'on rende à la vérité une
pleine justice. Imaginez -vous quelle facilité on au-
roit trouvée, si le cardinal de Bouillon avoit fait
un autre personnage ? Il est vrai qu'il y a bien de
quoi rire, de voir ce cardinal devenu docteur et
défenseur de l'amour pur.
Il est certain que le cardinal de Bouillon vouloit
absolument qu'on ne condamnât pas la propositioa
2!\6 LETÏllES
du trouble involontaire en Je'sus - Christ , comme
étant de M. de Cambrai. Il prétendoit qu'on l'en
crût sur sa parole, disant qu'il étoit à Paris lorsque
le livre parut ; que M. de Cambrai protesta d'abord
que cette proposition n'e'toit pas de lui, que M. de
Chevreuse lui avoit avoué la vérité, etc. Il sup-
porta impatiemment la résistance qu'il trouva dans
les cardinaux pour épargner en cela son ami ; et
malgré lui la proposition fut déclarée être du livre,
et condamnée comme les autres. On n'hésita pas
même à la qualifier d'hérétique.
M. le cardinal de Bouillon alla jeudi à Frescati :
il avoit achevé de parler la veille sur le dernier cha-
pitre. Il y mena sa compagnie ordinaire , le père
Charonnier ; et il y ajouta M. de Barrières, qui
l'accompagna pour la première fois. Il en revint
dimanche au soir, pour assister à la congrégation
d'hier.
Il est arrivé ici une affaire qui intrigue fort le
cardinal de Bouillon et cette Cour, qui peut même
avoir quelque suite, et dont il est bon que vous
soyez instruit. Voici le fait.
Il y a environ un mois qu'on attaqua l'écuyer de
M. le cardinal de Bouillon. C'étoit à la vérité la
nuit, mais par un si beau clair de lune, et lui étant
si à découvert, que personne n'a cru que ce fût une
méprise. On a soupçonné quelques personnes : le
gouverneur a fait des diligences pour découvrir
l'auteur de l'attentat, et néanmoins on n'a vu au-
cun effet de ses riecherches. L'affront étoit sensible
pour M. le cardinal de Bouillon, et le devoit être :
cependant on n'a pas vu qu'il fit aucune démarche
SUR l'affaihe du quiétisme. 247
pour en tirer raison. Il s'est contenté de faire con-
duire, il y a environ quinze jours, dans sa maison
un cocher de madame la princesse Carpegna, qui
s'e'toit retire dans une église trois jours auparavant,
et l'a tenu chez lui dans une étroite prison. Le Pape
n'en a rien su, ou a fait semblant de l'ignorer quelque
temps. Enfin, averti de cette entreprise faite contre
son autorité, qui le Llessoit d'autant plus, qu'une
se^iblable action , commise par l'ambassadeur de
l'Empereur, étoit la cause des brouilleries de ce mi-
nistre et de son maître avec cette Cour; le Pape,
dis- je, informé du fait, et sachant que M. le cardi-
nal de Bouillon étoit à Frescati, envoya chercher en
diligence le sieur Poussin, son secrétaire, pour se
plaindre de cet attentat, et le fit avec beaucoup de
véhémence. M. Poussin trouva le secret de l'appai-
ser, en lui disant que le prisonnier étoit déjà sorti ;
et en même temps il sut mettre l'honneur du mi-
nistre à couvert, autant qu'il étoit en son pouvoir.
Le Pape fut satisfait, et l'on assure qu'il traita très^
bien ce petit ministre, et parut très-content de lui.
Je sais d'une personne, qui eut audience de Sa Sain-
teté un moment après, que Sa Sainteté en dit mille
biens.
Le bruit de cette affaire se répandit aussitôt dans
Rome. Elle ne fait pas honneur au ministre, d'au-
tant plus qu'on assure que le prisonnier n'étoit sorti ,
que le soir. Pour moi , je puis dire sûrement qu'il
fut conduit hors de Rome, et qu'on Fa fait embar-
quer pour qu'on n'en entendît jamais parler. Gela
occasionne toute sorte de mauvais raisonnemens»
Ce qui est de fâcheux, c'est que Sa Sainteté s'ima-
248 LETTRES
gine que M. le cardinal de Bouillon étoit de concert
avec l'ambassadeur de l'Empereur, afin de rendre
son aflfaire commune, et que c'est par l'adresse de ce
ministre que notre cardinal a fait ce faux pas. Je ne
crois rien de tout cela ; mais cette Cour en est per-
suade'e, et on le dit hautement. On prétend même
que le Pape s'en plaindra au Roi. Vous en enten-
drez parler apparemment; et il est impossible qu'une
chose qui fait ici tant de bruit, n'aille pas jusqu'à la
Cour. On dit ici mille et mille choses sur cela, que
je laisserai rapporter à d'autres. Ce qui est certain,
c'est que le cardinal de Bouillon est foible, sans pru-
dence ni cervelle.
J'ai vu les vers du cardinal Ottoboni, qui me les
envoya des premiers, et m'invita a sa musique. Il
voulut par-là me donner une grande preuve qu'il
étoit contraire à M. de Cambrai : mais cela n'avoit
rien de commun avec ce qui se passoit au saint
Office, et je savois ce qui en étoit. Aussi je pris la
liberté de lui dire que je ne doutois pas que son
vœu ne fût encore plus précis, et que c'étoit là la
pierre de touche. Ce fut une malice de la part du
cardinal del Giudice, de faire remarquer au cardi-
nal de Bouillon le sens de ces vers : ce cardinal me
l'avoua au sortir de cette musique.
M. de Bru, correspondant ici de M. Chaberé, m'a
dit encore ce matin n'avoir ordre de me donner que
aooo liv. que j'ai prises de lui, en même temps
quatre autres mille livres d'une autre personne, et
j'ai tiré une lettre de change de 4ooo livres sur
M. Souin, payable à quinze jours de vue : de ces
quatre mille livres mon père en paiera deux, comme
SUR l'affaire du quiétisme. ^49
vous en êtes convenus ensemble. J'ai cru cette voie
plus courte et plus commode pour le paiement,
puisque par là vous aurez jusqu'à la fin du mois
pour rembourser la somme, et que moi de mon
côté je suis pressé de payer ce que je dois. M. de
Bru m'a donné aussi les 2000 liv. Vous ne croiriez
pas que pour ces 6000 liv. j'ai payé quatorze cents
livres ou environ de change, et n'ai touché que
4600 livres, le change étant à près de sS pour cent.
C'est vraiment une opération ruineuse.
Borne, ce 10 février 1699.
LETTRE CCCCXIX.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur les disposilîons du prince de Monaco 5 la manière dont le Roi
lui avoit parlé touchant l'affairé de M. de Cambrai j et sur le
projet d'une rétractation de Fénélon, négociée par le cardinal
de Bouillon.
J'ai reçu votre lettre du 27 janvier, et je viens de
la lire à M. l'archevêque de Paris, qui avoit reçu de
vous les mêmes détails,
M, le prince de Monaco a pris son dernier congé,
et doit partir mercredi ou jeudi. J'eus avec lui sa-
medi une longue conversation, où il témoigna toute
sorte d'amitié et de confiance pour vous. Madame
de Maintenon lui a parlé avec la dernière force. Le
Roi lui dit dans le dernier adieu, qu'il avoit de
grandes affaires à Rome ; mais qu'il devoit assurer
le Pape , qu'il n'en avoit point qui lui tînt tant au
cœur que celle de l'archevêque de Cambrai j qu'il
:>.5o LETTRES
lie pouvoit trop inculquer que le bien de l'Eglise et
de son royaume, et la gloire de Sa Sainteté, de-
mandoient une décision prompte, nette, précise,
sans ambiguité, sans retour, et qui coupât la racine
du mal. Il me dit qu'il vous écriroit, et qu'il pourroit
recevoir encore de vos lettres à Monaco, oii le Roi
lui permet d'être quinze jours.
Votre jugement sur le cardinal Albani est très-
juste. Vous faites bien de n'être pas la dupe de ses
beaux discours ; mais vous avez raison de dire qu'il
faut en tirer le meilleur parti qu'on pourra.
La censure de nos docteurs est assurément trop
foible. Au reste , ce ne sera pas un si grand mal ,
si l'on fait mieux à Rome, comme vous me donnez
lieu de l'espérer.
Il y a trois nouvelles lettres de M. de Cambrai
qui me sont adressées : deux roulent sur la Censure
des Docteurs, avec ce titre : Lettre I et II h M. TeVe-
que de Meaux , sur douze propositions qu'il veut
faire censurer par les docteurs de Paris (*).
La première commence ainsi : « Je ne puis vous
3) regarder autrement que comme la source de tous
3) les desseins qu'on a formés contre moi , et je prends
5) l'Eglise à témoin de celui qui vient d'éclater, etc. »
Partout il me dit : vou^ tronquez , vous altérez _, etc.
comme si j'étois l'auteur de la censure ; au lieu qu'il
est vrai que je n'ai eu aucune part, ni au conseil ni
à l'exécution, et je n'ai rien su, ni des qualifications
ni des signatures : je dis rien , qu'après que tout a
(*) Bossuet répondit à ces trois lettres dans X Avertissement sur
les signatures des docteurs ^ qu'il a placé à la tête des Passages
€fclaircis. Voyez tona. xxx, pag. 3of). [Edie. de Fers.)
SUR l'affaire du quiétisme. aSi
été fait. M. le nonce Fa su dès l'origine, et je le priai
même, lorsque j'en fus informe', de le mander à
]\ome; ce qu'il m'a dit avoir fait.
Outre ces deux lettres, il y en a une troisième sur
la Charité, qui m'est aussi adressée : c'est une nou-
velle répétition. L'acharnement de M. de Cambrai à
me mettre toi.t sur le dos, a pour principe, outre la
haine qu'il me porte , le dessein de faire voir que je
suis sa partie formelle, et de me rendre en cette
cause, non-seulement suspect, mais encore odieux.
Si j'avois eu la moindre part à la Censure, elle
seroit plus juste, par conséquent plus forte, et l'on
n'auroit pas omis des propositions capitales.
M. l'archevêque de Paris m'a dit que M. le car-
dinal de Bouillon négocioit avec l'abljé de Chantera c
une rétractation de M. de Cambrai ; le tout afin
d'arrêter la décision, puis de gagner du temps pen-
dant qu'on nous la communiquera. Il faut s'attendre
à tous les artifices. Vous aurez à veiller, si cela
arrive, aux tentatives que fera M. de Cambrai pour
me faire exclure , comme son ennemi. C'est ce qui
ne se fit jamais. Saint Cyrille , qui s'étoit déclaré dé-
nonciateur de Nestorius auprès du Pape, loin d'être
exclus du jugement, y présida. Cela est capital, et
donneroit lieu à tout éluder. D'ailleurs, j'ai seul la
clef de cette affaire : c'est où il faut être attentif plus
qu'à tout le reste. Le courrier de l'abbé de Chanterac
est chargé de l'instruction qu'on envoie à M. de Cam-
brai pour cette rétractation.
Le livre de Vargas (*) n'est composé que de lettres
(*j Les Lettres et Mémoires de François Vargas^ jurisconsulte es-
pagnol, concernant le concile de Trente , dont l'abbé Bossuet de-
25îi LETTRES
atroces contre le concile de Trente, avec une pre'~
face de le Vassor Tapostat, qui soutient Molinos
contre le zèle de l'Eglise romaine, et qui prétend
qu'il ne falloit pas crier à l'hërétique contre M. de
Cambrai, auteur d'une spiritualité raffinée, dont le
nouveau Testament ne dit mot, parce que, quelque
inconnue qu'elle ait été aux apôtres, elle ne fait
aucun mal ; et que si elle est hérétique, il y a long-
temps que cette hérésie a cours dans l'Eglise romaine.
Le Vassor ajoute que M. de Paris et M. de Meaux
ont dérogé aux libertés gallicanes, en permettant
que cette affaire fut portée à Rome, et que le Roi
s'est laissé trop engager à cette poursuite. Cet igno-
rant malicieux abuse du nom de libertés gallicanes.
Je vous donne ce petit extrait en attendant le livre,
dont je vous enverrai un exemplaire aussitôt que je
le pourrai.
Il est certain que les Anglais ont traduit le livre
des Maximes avec de grands éloges , et que les Hol-
landais impriment un recueil des ouvrages des deux
partis , avec une Préface en faveur de M. de Cam-
brai.
On agira efficacement pour le procureur-général
des Augustins (*). Le principal du collège de Bour-
mandoit un exemplaire à son oncle, mis en français, et publiés à
Amsterdam avec plusieurs autres lettres et mémoires de Pierre Mal-
venda, et de quelques autres évêques espagnols, au commencement
de 1699, par Michel le Vassor, d'abord prêtre de l'Oratoire, et
depuis ministre anglican, connu principalement par sa mauvaise
histoire de Louis XIII.
(*) Il se nommoit Nicolas Serrani, et avoit été un des examina-
teurs du livre des Maximes., contre lequel il s'étoit fortement dc-
elaré.
SUR l'affaire du quiétisme. ^53
gogne, Colombet, frère de l'assistant, est celui à
qui la tête a tourné pour avoir trop travaillé pour
M. de Cambrai.
Vous jugez bien de l'impatience que j'ai d'avoir de
vos nouvelles. Consolez -vous, et songez que vous
servez Dieu et son Eglise. Ne vous laissez point abattre
par la douleur, quoiqu'elle soit juste.
J'embrasse M. Plielippeaux de tout mon cœur.
Tout le diocèse se signale envers nous à Toccasion
de notre malheur. On n'en revient pas , et nous
trouvons à tout moment que mon frère nous manque.
Dieu, Dieu, et c'est tout.
A Versailles , 1 6 février 1 69g.
LETTRE GCCCXX.
DE M. DE NO AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur Fespérance d'une prochaine conclusion j la leUre de M. de
Cambrai au Pape ; la Censure des docteurs de Sorbonne , et le
mécontentement qu en témoignoit M. de Cambrai.
Je reçus hier. Monsieur, votre lettre du 27. Je
suis surpris et même fâché de ce que j'y vois que vous
n'en aviez point reçu de moi, non plus que le père
Roslet. Je n'ai pas manqué un seul courrier de vous
écrire à l'un ou à l'autre ; ainsi il faut que mes lettres
aient été retenues. Tâchez de savoir ce qui en est,
afm que nous prenions des mesures pour empêcher
que cela n'arrive davantage.
J'ai conféré ce matin à Versailles la lettre que
a54 LETTULS
VOUS m'avez éciite, avec celle qu'a reçue M. de
Meaux : nous y avons trouvé à peu près les mêmes
choses, par conséquent que Taflaire va bien, et
quelle finira heureusement dans ce mois. Cette
«spérance me fait grand plaisir; cependant il ne
faut s'assurer de rien, que le jugement ne soit pro-
nonce'. Continuez vos sollicitalions avec la même
attention et la même vigueur : surtout prenez garde
qu'on ne soit attendri de cette nouvelle lettre de
M. de Cambrai. Vous savez combien il est adroit et
pathétique .
Le père Roslet me mande sa conversation avec le
cardinal Albani : je lui réponds de ne s'y pas fier, à
moins qu'il ne rende ses actions conformes à ses
discours.
Le cardinal Casanate fera mieux la bulle qu'aucun
autre ; mais il n'y aura pas d'inconvénient qu'on
lui donne les cardinaux Noris et Ferrari pour y tra-
vailler avec lui : pourvu que le cardinal Albani n'en
soit pas, nous serons bien.
La négligence du cardinal de Bouillon à assister
à la cérémonie de ce nouveau jubilé, n'est pas excu-
sable : il est étonnant qu'il garde si peu de mesures.
Je ne manquerai pas de dire au Roi ce que vous
me mandez de M. le prince Vaïni, et de faire de
mon mieux pour le père procureur-général des
Augustins : j'en parlerai fortement.
Je crains que les paquets que je vous ai envoyés,
et que vous n'avez pas reçus, ne scient ceux qui con-
tenoient cent quarante-six signatures de docteurs
tout à la fois : il seroit fâcheux qu'elles fussent sup-
primées j il y auroit pourtant remède. Si la censure
SUR l' A F F A I II E DU Q U I É T I S M E. 2 55
ne paroît pas assez forte, dites, s'il vous plaît, que
c'est par modestie et par respect pour le saint Siège
qu'on ne Ta pas chargée davantage. M. de Cambrai
ne la trouve pas trop foible ; car il n'a jamais crie' si
haut qu'il fait depuis cette censure. Croyez-moi
toujours, Monsieur, à vous autant que j'y suis.
Il n'est point vrai que madame Guyon soit morte ;
elle se porte au contraire très-bien : c'est une femme
qui la servoit, qui mourut il y a cinq ou six semaines.
M. de Monaco part demain.
Comptez sur un aussi grand secret de ma part
que vous pouvez le de'sirer.
16 Février 161)9.
LETTRE CCCCXXI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. ^
Sur rinutilité des nouvelles tentatives du cardinal de Bouillon pour
sauver M. de Cambrai ; le résultat des dernières congrégations;
la manière dont les qualifications pourroient être prononcées
dans la bulle; et sur une audience que cet abbé avoit eue du
Pape.
J'ai reçu en même temps, par le courrier ordi-
naire , les deux lettres que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrirej l'une du 27 janvier, et l'autre du 22,
que vous croyiez qui devoit arriver par un extraor-
dinaire qui n'est pas parti, mais qui m'a e'té rendue
sûrement. J'ai reçti en même temps le paquet de la
Piéponse aux préjugés y que j'ai distribuée aussitôt
aux cardinaux et dans Rome. Cet e'crit est venu
fort à propos, et a été bien reçu, étant fort court,
256 LETTRES
et paroissant dans une circonstance où la quantité
des libelles de M. de Cambrai > remplis d'une har-
diesse et d'une effronterie étonnante, d'un ton de
hauteur insupportable, a fait sentir ici le caractère
de l'auteur , et la nécessité qu'il y a de lui tenir tête.
La disposition est d'autant meilleure, que MM. les
cardinaux connoissent à présent par eux-mêmes la
pernicieuse doctrine du livre des Maximes ^ et ne
peuvent quêtre bien aises qu'on instruise le public,
qu'on lui dévoile de plus en plus l'esprit dangereux
de M. de Cambrai. Je n'ai pas jugé à propos de pré-
senter votre écrit au Pape , quoique j'aie eu aujour-
d'hui de lui une audience dont je vous rendrai
compte.
J'ai dit partout que ce petit ouvrage n'étoit fait que
pour la France, et avoit pour but d'empêcher que
les peuples ne fussent séduits par le nombre des
libelles que M. de Cambrai répand de tous côtés, et
que son parti ne triomphât du silence qu'on garde-
roit dans ces circonstances.
Nous n'avons point encore reçu ici l'écrit du
Théologien de M. de Chartres , que Ton distribuera
sans dire que c'est vous qui en êtes l'auteur : cela
fera bien mieux.
Venons aux affaires essentielles. Je vous dirai donc
que ma première pensée ces jours-ci étoit de dépê-
cher un courrier, pour informer de tout ce qui s'est
passé dans la dernière congrégation et depuis ; mais
ayant fait réflexion qu'il falloit un remède présent ,
et qu'il ne pouvoit venir que de ce pays-ci , j'ai cru
que cette dépêche n'étoit pas absolument nécessaire ,
et qu'il n'importoit pas qu'on sût huit jours plus tôt
ou
SUR l'affaire du quiétisme. 357
ou plus tard les nouveaux et extraordinaires efforts
qu'on a faits pour sauver M. de Cambrai, en désho-
norant la France et le saint Siège. Les auteurs de
ce complot n'ont pas réussi , Die i merci : la vigueur
de nos amis a soutenu le bon parti, et Ta emporta.
Voici ce qui s'est passé mercredi ^ 11 de ce mois.
Les trois derniers cardinaux parlèrent sur le der-
nier chapitre. Après qu'ils eurent fini , le cardinal
de Bouillon fit une harangue, dans laquelle il ras-
sembla tout ce qui pouvoit le plus contribuer à faire
épargner M. de Cambrai, relevant sa piété, son
savoir, etc. Il joignit à cela des considérations poli-
tiques^ exagéra ce qu'il y avoit à craindre d'un
homme innocent, éloquent, appuyé, et qu'on
poussoit à bout.. Il voulut aussi intéresser le saint
Siège pour un évêque prêt à se sacrifier pour son
autorité, ses maximes, etc. Enfin, il conclut en
disant qu'il n'y avoit que le seul intérêt de la vé-
rité qui le faisoit parler, puisqu'on savoit que la
Cour n'étoit pas favorable à M. de Cambrai.
On le laissa dire tout ce qu'il voulut sur toutes
ces considérations et sur les propositions du livre,
qu'il soutenoit qu'on pouvoit entendre dans un boa
sens, conforme à celui de sainte Thérèse, de saint
François de Sales, etc., prétendant qu'il étoit de
la dernière conséquence, et de l'honneur du saint
Siège, de déclarer les différens sens des proposi-
tions, pour ne pas confondre les bons mystiques
avec les mauvais. Après quoi MM. les cardinaux
résolurent, avant que de parler devant le Pape, de
tenir les congrégations nécessaires et préliminaires
pour convenir de modo tenendi. Et pressés par Sa
BossuET. xLii. 17
Îi58 LETTRES
Sainteté, qui veut absolument finir, ils arrêtèrent
de s'assembler le vendredi suivant, 1 3 de ce mois,
hier lundi i6, et demain mercredi i8 du mois, afin
de pouvoir commencer à parler devant le Pape dès
jeudi prochain.
M. le cardinal de Bouillon prétend avoir obtenu
comme par force la congrégation du vendredi, et
croit qu'on doit lui en avoir une obligation éter-
nelle : il m'en a parlé à peu près dans ces termes.
On sait bien à quoi s'en tenir. Si l'on veut l'en
croire , on lui sera redevable de tout , et personne
n'aura frappé plus fortement que lui M. de Cam-
brai. Ce qu'il y a de certain, c'est que, comme l'ont
dit les cardinaux Panciatici, Carpegna et Casanate,
il fait beaucoup de bruit et très-peu d'effet.
La matière qui devoit se traiter dans les dernières
congrégations des cardinaux, était de la dernière
conséquence. Les partisans de M. de Cambrai, qui
sont en très-petit nombre parmi les cardinaux, pré-
tendoient le sauver, au moins en partie, par la dif-
ficulté qu'on trouveroit dans l'exécution de ce qu'il
y avoit à faire. D'abord les propositions sont trop
longues, et ont été extraites à l'avantage de M. de
Cambrai ; néanmoins ce sont celles qu'on a exami-
nées et qualifiées. Si on les refait, si on les change,
c'est un nouveau travail, sujet à mille chicanes : ce
ne sont plus, diront les fauteurs de M. de Cambrai,
les mêmes propositions qualifiées. Les qualifier de
nouveau, c'est recommencer tout l'ouvrage. Vous
vous imaginez aisément tous, les tours artificieux
et plausibles qu'on peut donner à ces difficultés,
dans la vue d'embrouiller l'afïkire. De plus, on al-
SUR l'affaiue du QUTÉTISME. 25()
lègue que, quant aux qualifications de ces proposi-
tions, cliaque cardinal a, il est vrai, donné les
siennes ; mais que tous ne conviennent pas dans
les mêmes qualifications, et que par exemple le plus
grand nombre ne s'accorde pas à taxer d'he'rélique
ou d'erronée telle proposition. Voilà un nouvel em-
barras, et qui augmente encore par les instances
qu'ils font pour qu'on distingue les sens des propo-
sitions, prétendant trouver l'exemple et le fonde-
ment de cette distinction dans la Censure des doc-
teurs de Sorbonne. Tous ces incidens leur faisoient
espérer qu'ils rendroient l'aifaire interminable, ou
qu'au moins ils gagneroient quelque cliose, et obtiea-
droient des modifications.
Je fus heureusement , dès le mercredi matin ,
averti de tout ce qui se passoit. Je sus que le car-
dinal Casanate étoit un peu inquiet : il m'avoit f it
dire que ce moment étoit tempus tenebrarum ; qu'on
s'assembleroit le vendredi, et qu'il n'y avoit pas de
temps à perdre pour soutenir et confirmer les es-
prits. Je me mis aussitôt en marche pour aller visi-
ter les principaux cardinaux ; et les premiers qui
voulurent bien me parler, s'ouvrirent franchement
à moi sur le fond de tout ce que je viens de vous
exposer. J'entrai avec eux dans tout le particulier
des difficultés : je levai celles qui les embarrassoient,
et je les laissai fermement résolus de n'épargner en
rien M. de Cambrai. Mais aucun ne me marqua une
plus forte détermination que le cardinal Carpegna ,
qui devoit prendre la parole après le cardinal de
Bouillon, et qui me dit franchement qu'il s'agissoit
ici de l'honneur du saint Siège, à quoi il falloit sa-
a6o LETTRES
crifier toute considération humaine, voulant parler
de l'amitié du cardinal de Bouillon. Assuré de lui
et de son théologien , je vis le cardinal Nerli , que
je trouvai tout tremblant, qui me demanda s'il n'y
avoit rien à craindre du parti de M. de Cambrai y
quon disoit puissant. Je fis mon possible pour le
rassurer, et il me parut revenu de ses craintes \ mais
vous savez ce qui me le fait un peu appréhender.
Je fis parler comme il falloit au cardinal Marescotti
par le commissaire du saint Office. Je vis le cardi-
nal Spada , que j'avois disposé avec douceur à suivre
le cardinal Casanate. Pour le cardinal Panciatici, je
fus bien vite assuré de ses bonnes dispositions. A
l'égard des théologiens, je sus qu'ils étoient déter-
minés à bien faire. Je fis avertir le cardinal Casa-
nate du succès de toutes mes démarches.
On tint le vendredi la congrégation qui devoit
examiner les différens chefs dont je viens de vous
parler, et ce qui restoit à faire. Le cardinal de
Bouillon recommença avec plus de force que jamais
ses débats , insista fortement sur la distinction des
sens, comme sur une chose absolument nécessaire et
de justice, en cas qu'on voulût qualifier les proposi-
tions, soit respectivement, soit privativement. Il
ajouta qu'à la vérité cela ne pouvoit se faire si vite ,
■dans l'état où étoient les propositions, mais qu'il
falloit s'occuper de ce travail ; insinuant que si l'on
ne le vouloit pas, on pouvoit se tirer de cet embarras
en condamnant le livre en général , comme conte-
nant des propositions équivoques, ambiguës, dan-
gereuses, et qui en un certain sens étoient erro-
nées, etc. Voilà où il espéroit en venir, mais il trouva
SUR lVffaire du quiétisme. 261
à qui parler; et en un mot, dans la congre'gation de
vendredi, qui dura cinq grosses heures, et dans celle
d'hier, il a eu le chagrin de voir Favis des cardinaux
bien intentionnés prévaloir au sien. On rejeta donc
la distinction des sens; on résolut de condamner et
qualifier les propositions de M. de Cambrai, comme
on a toujours condamné et qualifié les propositions
erronées, hérétiques et mauvaises, sans entrer dans
aucune modification qui pût donner lieu à l'auteur
de dire qu'on ne les avoit pas condamnées dans son
sens. On a arrêté de réduire ks propositions comme
elles doivent l'être, pour en faire voir tout le vice et
le venin, et on y appliquera les qualifications déjà
prononcées. Sans perdre de temps on parlera en
bref devant le Pape , qui après fera dresser la bulle
en conformité, et chargera qui il jugera à propos âe
tout ce qui restera à faire.
Je sus hier du cardinal Gasanate que tout alloit
bien; mais il ajouta ces propres paroles : Qu'on avoit
fait le diable, et qu'on avoit même poussé jusqu'à
manquer d'honnêteté, jusqu'à dire des choses dures;
qu'on vouloit faire la loi ; mais qu'on avoit tenu
ferme, et qu'avec un peu de patience la vérité triom-
pheroit pleinement, et dans peu. Tout ce que je vous
dis là va être bientôt public.
Le cardinal de Bouillon a dit à M. l'abbé de la
Trémouille, et à bien des gens, que son avis étoit et
seroit toujours, de distinguer dans les propositions
le bon sens d'avec le mauvais ; que la Sorbonne en
avoit donné l'exemple par son çuatenuSj quiindiquoit
qu'il pouvoit y avoir un autre sens. Je savois la dif-
ficulté il y a long -temps; et dans les conférences
2()2 LKTTllES
que fai eues avec les cardinaux, je les ai fait conve-
nir qu'il falloit faire une qualification plus précise,
en disant : Hœc propositio ^ quœ excluait, etc., ou
quia, ou le participe excludens , ce qui détermine-
roit précisément que le sens de la proposition est le
sens du livre. La plupart avoient pensé à mettre
tanq'iam; mais je leur ai fait voir que cela n'étoit
pas si précis, et il m'a paru qu'ils se sont rendus. Ce
qui est de certain, c'est qu'ils ont exclu le quatenus ,
comme n'étant pas assez expressif. Il me semble que
c'est tout ce qu'on peut demander.
Je ne vois pas encore qu'on soit déterminé si
Ton se contentera dans le décret d'un respective, en
mettant toutes les qualifications in gïobo. Les cardi-
naux Casanate, Noris et Ferrari, tenteront autre
chose : mais peut-être que l'application des qualifi-
cations à chacune des propositions en particulier
alongeroit beaucoup; parce que, comme je l'ai dit
ci-devant, les cardinaux ne s'accordent pas précisé-
ment jusqu'à cette heure dans leurs voeux, sur cette
attribution spéciale des qualifications différentes.
Néanmoins, j'espère que la diversité de leur juge-
ment à cet égard ne se trouvera pas si grande, qu'ils
ne puissent se rapporter. Cela dépend d'un détail
que je ne puis savoir encore assez précisément : aussi
je ne dis rien de positif à ce sujet. Les qualifications
particulières seroient à souhaiter, si elles sont fortes
et nettes»: pour peu qu'il dût y avoir d'affoiblisse-
ment, le respective seroit peut-être meilleur, plus
court, et laisseroit les évêques maîtres de l'applica-
tion. M. de Cambrai ne pourroit pas même s'en
plaindre, puisqu'on le traiteroit comme Molinos.
SUll L AFFAIRE DU Q U I É T I S 31 E. 26J
Le Pape n'ignore rien de tout ce qui se passe, et
parle très-mal, à beaucoup de gens, du cardinal de
Bouillon. Je ne sais s'il n'a pas eu le courage d'en
mander quelque chose au nonce, cela seroit bien à
souhaiter : mais le cardinal Spada, par qui tout
passe, aura eu de la peine à laisser éclater en France
le ressentiment du Pape à l'égard du cardinal de
Bouillon. Quoi qu'il en soit, le mécontentement du
saint Père est tel que je vous le marque.
J'ai cru devoir me présenter devant le Pape dans
ces conjonctures, pour savoir plus précisément par
moi-même ses dispositions. Je l'ai vu aujourd'hui, et
il aparu aussi bien aise de me voir. Je ne vous rappor-
terai pas tout ce que je lui ai dit : toute ma conver-
sation a eu pour fin de lui faire comprendre la né-
cessité d'une décision qui fît honneur au saint Siège.
Je lui ai fait observer que c'étoit là ce que le Pvoi
avoit en vue, aussi bien que les évêques j ce que de-
mandoit le bien de l'Eglise, et la réputation par-
ticulière de Sa Sainteté. J'ai ajouté ce que j'ai cru de
plus propre à l'animer. Il m'a répondu sur tout avec
sa bonté ordinaire, m'a assuré qu'on verroit bientôt
par des effets les sentimens qu'il avoit dans le cœur,
qu'il pressoit les cardinaux, que tout avançoit, et
qu'il étoit résolu de les entendre cette semaine,
quatre à quatre, jeudi, vendredi et samedi prochains.
Je ne l'aurois pas cru, si je ne Pavois entendu moi-
même : il me Ta répété deux fois, me voyant surpris,
mais très-agréablement. Il paroît content des cardi-
naux qu'il appelle barbons : il dit qu'ils ont bien
fait voir qu'ils en savent plus que les autres qualifi-
cateurs, et mille choses pareilles. J'ai tâché enfia;
^64 LETTRES
de lui faire comprendre de quelle nécessite il étoit
d'abattre l'orgueil de M. de Cambrai, qui triomphe-
roit pour peu qu'on l'épargnât : il m'a re'pondu que
je devois là-dessus avoir l'esprit en repos ; et sur sa
parole j'en dormirai mieux cette nuit.
Comme je commence à voir le champ de bataille
un peu plus libre et plus assuré, j'ai cru qu'il n'étoit
pas hors de propos d'insinuer au cardinal Casanate,
au cardinal Carpegna et aux théologiens, qu'il se-
roit de l'honneur du saint Siège et de son autorité ,
d'exiger de M. de Cambrai une soumission pure et
simple à la buUe et à la condamnation des proposi-
tions, avec une rétractation des erreurs proscrites
dans la bulle. Ce point ne plaira pas à M. le cardinal
de Bouillon j mais j'espère qu'on pourra ordonner
quelque chose de semblable, et en même temps on
prendra garde de ne blesser en rien nos évêques. Jç
vous en parlerai plus précisément dans huit jours :
j'espère , Dieu aidant , qu'on fera tout ce qui con-»
viendra.
Le parti cambrésien est bien consterné. Le père
Charonnier est enfermé tous les jours des six heures
entières avec le cardinal de Bouillon : il est plus que
sûr qu'ils travaillent ensemble sur tout cela. Les Jé-
suites disent tout publiquement, que M. de Cam-
brai est sacrifié à la passion de madame de Main-
tenon.
L'abbé de Chanterac répond que M, de Cambrai a
reçu plusieurs lettres des docteurs de Paris, qui gé-
missent sous l'oppression.
Tous les discours du cardinal de Bouillon et des
Jésuites tendent à présent à faire peur du crédit du
ï
Sun l'affaire du quiétisme. 263
parti de M. de Cambrai , et de son esprit. Le car-
dinal de Bouillon disoit l'antre jour, qu'on auroit
beau faire, qu'on liroit toujours les livres de ce
prélat.
Je vous envoie cet écrit latin contre les quatre
propositions que M. de Cambrai avoit envoyées à
Louvain, et qui est fait par M. Navens, licencié en
théologie de la Faculté de Louvain, habile homme,
grand directeur de religieuses , et qui a connu par
expérience le mal de la doctrine de l'amour pur. Ce
théologien est chanoine de Saint-Paul à Liège. L'écrit
me paroît très-bon.
Je crois que vous serez content de ma réponse sur
sainte Luce. Je méprise bien d'autres choses, et vais
toujours mon chemin.
Je vous envoie une lettre de M. Phelippeaux, que
j'ai ouverte, pour voir si je n'apprendrois rien de
nouveau. Eiïectivement j'y ai découvert une chose
qui m'a paru très-nouvelle, qui est qu'il a un com-
merce réglé de lettres avec M. de Paris. Ce qui me
surprend le plus, c'est qu'il me l'a toujours caché
avec un extrême soin, m'ayant souvent dit qu'il
n'écrivoit à personne, qu'à vous quelquefois, et
qu'il sait que j'informe assurément M. de Paris plus
exactement de tout qu'il ne peut jamais faire, puis-
que tout passe par mes mains. Je remarque depuis
long-temps qu'il ne va pas assez rondement avec
moi (*). L'ambition et un peu de vanité lui occupent
la cervelle. Je vois par sa lettre, qu'il ne vous avoit
C*) Ces petites brouillçries , quel quen fut le motif, n'erapê-
clîoient pas que Fabbé Phelippeaux ne fût un homme de mérite et
a un vrai savoir, comme Bossuet le témoigne assez dans ses lettres.
266 LETTKES
pas mieux averti que moi de son attention à instruire
M. rie Paris. II s'excuse comme il peut auprès de
vous : quant à moi, il n'osera jamais me le dire. Je
n'aurois eu garde de ne pas trouver très- bon qu'il
écrivît tant qu'il voudroit, et surtout à M. de Paris ;
mais il me semble qu'il le devoit faire de concert
avec moi et avec vous ; avec moi surtout, pour
prendre garde de ne rien mander que de conforme
à ce que je pouvois savoir et écrire. Je crois que
vous ferez bien de lui mander sur cet article , que
vous êtes bien éloigné de désapprouver qu'il écrive à
M. de Paris, devant présumer par toutes sortes de
raisons, qu'il ne le fait que d'intelligence avec moi.
Ne soyez au reste point en peine de mon procédé à
son égard : j'ose dire qu'il est plein de prudence et
de modération, sans que personne puisse s'aperce-
voir qu'il manque quelquefois à ce qu'il vous doit et
à moi. Vous savez que je ne vous ai jamais rien té-
moigné à ce sujet; mais ce que je trouve dans cette
lettre , me fait voir un peu plus clair , et me donne
lieu de connoître ce dont je doutois seulement. Ne
témoignez rien à M. de Paris ; car notre homme s'en
feroit immanquablement un mérite auprès de lui.
Vous me croirez, si vous voulez ; mais j'ai eu besoin
ici d'un flegme et d'une fermeté, dont je ne me
croyois pas capable : je ne prétends pas me louer.
Voilà la plus insolente lettre que M. de Cambrai
ait jamais écrite : je l'ai bien fait remarquer aux car-
dinaux. Voyez un peu comme il parle du tribunal
du saint Office, où le crédit, à l'entendre, empê-
chera que vous ne soyez censuré.
Je finis, parce que la poste part. Je n'ai le temps
SUR l'affaire du quiétisme. '26"]
que d'écrire deux lignes à M. de Paris : je vous prie
de lui faire part de ma lettre. Je doute qu'on l'ait
informe si exactement de tout.
Rome, 17 février 1699.
LETTRE CCCCXXII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur quatre propositions présentées par M. de Cambrai àruniversité
de Louvain j et sur deux nouvelles lettres de ce prélat.
Votre lettre du 3, fait si bien voir la suite de
l'afTaire et le doigt de Dieu dans cette conduite, que
j'ai cru devoir en donner copie pour la Cour, oii je
suis assuré qu'elle sera lue, comme j'en ai prié.
Vous voilà presque au bout de cette épineuse
carrièt e , où il y a eu de si surprenantes aventures.
Je me console beaucoup , quand je sens approcher
le temps de votre retour. Mais il faut voir la bulle
faite et publiée , et l'eflet que produira la réception
qu'on en fera dans le royaume. Car ce sera un pas
assez délicat, quoique, si j'y puis quelque chose, il
n'y aura aucune difficulté.
Les propositions présentées à Louvain par M. de
Cambrai {*) , sont captieuses : mais ce qu'il y a de
plus surprenant , c'est que ce prélat , qui prend pour
(*) Ces Propositions étoient au nombre de quatre. L'auteur, pour
capter l'approbation des docteurs, avoit eu soin de déguiser le
fond du système. Mais il ne put réussir dans son projet, aucun
docteur n'ayant voulu répondre à sa consultation. On trouve ces
quatre propositions dans la Relation du Quiéiiume, de l'abbé Phe-
lippeaux, part. II, pag. i56, iS;.
2^8 lettp.es
un si étrange attentat contre Rome les signatures
d'ici, trouve très-bon d'en recliercber à Louvain.
On m'a rendu deux lettres de M. de Cambrai,
qui me sont adressées, dans lesquelles il m'impute
les signatures, qui pourtant ont été faites sans que
j'y aie eu aucune part ; et une troisième sur la Cha-
rité, où il ne fait que recommencer, avec une nou-
velle aigreur, ce qu'il m'a déjà reproclié si injuste-
ment. Nous attendons la suite du Jubilé au sujet de
la persécution d'Angleterre.
Il faut bien prier Dieu que la bulle soit mise en
bonnes mains, et ^ue l'on coupe la racine d'un si
grand mal.
J'ai oublié de vous dire dans mes lettres précé-
dentes , que madame Guyon n'est rien moins que
morte (*).
J'embrasse M. Phelippeaux,
A Versaillçs, 23 février 1699.
LETTRE GCCCXXIIL
DE BOSSUET A ^. DE LA BROUE.
Sur la mort de son frère ; l'état de TafFaire ; et les dernières lettres
de M. de Cambrai.
Vous savez mieux que personne, Monseigneur,
ce que j'ai perdu. Quel frère ! quel ami ! quelle dou-
ceur ! quel conseil ! quelle probité ! tout y étoit.
Dieu a tout ôté ; et je me trouve si seul , qu'à peine
(*) On a vu que le bruit avoit couru à Rome qu'elle étoit déccdée ,
et que l'abbé Bossuet ayoil prié son oncle de Tinstruire sur ce fait.
SUR l'affaiïie du quiétismè. 269
me puis-je soutenir. A cela il n'y a qu'à dire, Dieu
est maître et un bon maître ; et Jésus-Christ, selon
sa parole, nous tient lieu de tout.
Je crois bien qu'à présent, et dès le mercredi 11^
les délibérations sont achevées, et la condamnation
du livre résolue ; c'est tout ce qu'on peut savoir. Je
souffre du délai de votre arrivée ; mais j'entends bien
que les mal convertis vous demandent vos soins. Je
suis ce que vous savez.
Il est vrai qu'il est bien étrange que M. de Cam-
brai parle si hautement, à la veille d'une rétracta-
tion ; et le changement sera bien grand et bien sou-
dain. Il m'écrit trois dernières lettres, dont l'une
n'est qu'une répétition sur la charité; les deux au-
tres me reprochent les signatures des docteurs, aux-
quelles tout le monde sait que j'ai aussi peu de part
que vous qui en êtes à cent lieues. Je n'étois pas si
loin , étant à Meaux ; mais je n y pensois en nulle
manière.
A Versailles, a4 février 169g.
LETTRE CGCCXXIV.
DU CARDINAL DE BOUILLON A BOSSUET.
Sur la mort de son frère.
Je prends trop de part, Monsieur, à ce qui vous
touche, pour ne pas ressentir avec beaucoup de dé-
plaisir la perte que vous venez de faire. Les senti-
mens de vénération, d'estime et d'amitié pour vous,
Monsieur, sont gravés trop avant dans mon cœur,
ÎI-'O LETTRES
et depuis trop long-temps, pour qu'il puisse y arri-
ver aucun changement , quelque peu de justice que
vous me puissiez rendre. Comptez que , sans jamais
être ma dupe sur rien, vous devez être persuadé
qu'on ne peut vous honorer plus que je fais et que
j'ai toujours fait, vous demandant la continuation
de votre amitié comme une des choses du monde
que j'ai toujours désirée avec plus d'ardeur.
Rome, 24 fȔvrier 1699.
LETTRE CCCCXXV.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la grande perte que cet abbé avoit faite par la mort de sou
père ; le résultat de la dernière congrégation j et trois autres
congrégations tenues devant le Pape.
Après Dieu, en qui je mets toute ma confiance,
aux ordi-es duquel je me soumets, et de qui j'attends
toute grâce et toute consolation, vous êtes le seul,
mon cher oncle, sur la terre, de qui je puisse rece-
voir la consolation dont j'ai besoin dans mon amère
douleur. En perdant un si bon père, j'ai fait une
perte irréparable, et que je ressens telle qu'elle est.
Nous n'avons plus, mon frère et moi, que vous,
mon cher oncle, qui nous puissiez tenir lieu de
père. En mon particulier, je vous ai toujours re-
gardé comme tel ; et je reconnois plus que jamais
que vous en avez toutes les quahtés à mon égai^d,
par les véritables bontés et la tendre amitié que vous
voulez bien me témoigner en cetle occasion; c'est
SUR LAFFAIllE DU QUIÉïISME. 2^1
mon unique consolation. Aussi puis-je vous assurer
que je ne me propose de joie le reste de ma vie, que
celle de pouvoir vous plaire et vous contenter de
plus en plus. En cela je satisferai à mon inclination,
à mon devoir, et aux sentimens d'un père qui ne
souhaitoit rien de plus ardemment au monde. Ce
coup, je l'avoue, m'est aussi sensible et aussi doulou-
reux qu'il le doit être ; mais Dieu ne m'a pas aban-
donne. Votre lettre et les sentimens tendres, nobles
et chrétiens, dont elle est remplie, m'ont donné la
force nécessaire pour me soutenir ; et après deux
jours de larmes, que je n'ai pu refuser à la nature,
je me suis trouvé en état d'agir à mon ordinaire
dans une affaire ou je ne suis nullement nécessaire,
où tout autre que moi auroit mieux réussi en toutes
manières ; mais dans laquelle la bonne volonté, l'at-
tention que j'ai eue à suivre vos ordres , et la con-
fiance que quelques amis ont en moi, m'ont rendu
moins inutile. Vous pouvez être assuré que je ne
pense à rien que par rapport à cette affaire, dont
je reconnois de plus en plus l'importance, et de
quelle conséquence il est pour le repos de l'Eglise
en général, et en particulier de la France, qu'elle
finisse bien. Les ennemis de la paix de l'une et de
l'autre mettent tout en œuvre pour les troubler,
comme je continuerai à vous en rendre compte un
peu plus bas.
Pour ce qui regarde mes affaires particulières,
j'en écris plus au long à mon frère et à M. Cbasot ,
et ils vous feront part de ce que je leur marque. Je
ne laisserai pas de vous dire que je ne trouve rien de
plus sage et de plus à propos , que la résolution que
27-^ LETTRES
VOUS avez prise avec mon frère. J'approuverai tou-
jours tout ce que vous réglerez, et le tiendrai pour
bien fait. Je me (ie entièrement à mon frère ; je con-
nois sa probité , son amitié pour moi : il sait bien
que tout ce que f aurai, sera toujours plus à lui qu'à
moi. J'aurois bien souhaité que mon pauvre père eût
eu la consolation de le voir marié avant que de
mourir. Gela vous est réservé, mon cher oncle; et
je crois qu'on n'y doit point perdre de temps. Je
n'entrerai pas pour aujourd'hui dans un plus grand
détail là-dessus avec vous ; mais vous me permettrez
de le faire dans la suite. Je regarde M. Chasot comme
un second frère , à qui nous devons tous nous con-
fier : je lui adresse une procuration en blanc, telle
qu'il me la demande. Je m'en rapporte à vous pour
l'usage qu'on en fera , et vous êtes maître de la faire
remplir du nom de qui vous jugerez à propos.
Tous mes amis m'ont donné en cette triste occa-
sion toutes les marques possibles d'amitié. M. le
cardinal de Bouillon en particulier m'a fait l'hon-
neur de me venir voir dès le lendemain , et m'a té-
moigné toute sorte de bontés, et par rapport à vous,
et par rapport à moi. Apparemment il vous écrira,
et vous ne sauriez trop le remercier. La première
chose que je fis avant-hier , fut de lui aller rendre
mes respects.
J'ai les dernières obligations à M. de la Trémouille
et à madame la princesse des Ursins . Il ne tint pas
au premier de prévenir les nouvelles fâcheuses. qui
pouvoient me venir d'ailleurs , et me surprendre ;
mais il n'en fut pas le maître. Cette mort étoit
marquée tout du long dans les avis de France,
qu'on
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 2^3
quon reçut par le courrier de Venise, qui arriva
quelques heures avant celui de France. Je reçus
votre paquet dès le soir du jeudi ; et n'y voyant rien
de la triste nouvelle que je savois, je me doutai que
vous vous seriez adressé à quelque ami pour m'y
faire préparer ; ce qui étoit effectivement ainsi.
Après un si fâcheux événement, vous croyez bien
que j'ai quelque impatience de me voir réuni à vous,
et au reste de ma famille. Mais cette juste impatience
ne me fera rien faire ni contre mon devoir, ni contre
le bien de l'alFaire qui me retient ici. Selon toutes
les apparences , il est impossible qu'elle ne soit pas
finie entièrement dans le mois prochain ; et je crois
pouvoir assurer que dans ce temps la bulle sera
faite et parfaite. S'il est nécessaire, comme il le
peut être , que j'attende ici les nouvelles de sa récep-
tion en France, je le ferai ; afin que s'il y a quelque
difficulté, on puisse travailler ici à les lever. Il ne
sera pas moins important de veiller dans ces pre-
miers momens , à ce que les amis de M. de Cambrai
ne forment quelques tentatives, pour faire passer
des soumissions ambiguës; ou ne cherchent à faire
écrire au Pape quelque bref, dont M. de Cambrai
puisse se prévaloir. J'attendrai à cet égard vos ordres
avec patience, trop heureux de pouvoir n'être pas
inutile le reste du temps que je pourrai être ici , et
qui ne sauroit, ce me semble, s'étendre bien loin.
J'ai pris le deuil dans toutes les formes ; des gens
sages et prudens me l'ont conseillé, et je m'y suis
déterminé d'autant plus vite , qu'on commençoit à
dire que je n'attendrois pas la fin de cette affaire
pour partir. Ces discours ne faisoient déjà pas
BOSSUET. XLTI. ï8
2^4 LETTRES
plaisir à plusieurs de mes amis de ce pays-ci , ainsi
qu'à des cardinaux qui craignent le cardinal de
Bouillon à Tarrivée de l'ambassadeur , et à qui ce
cardinal tâche de faire peur autant qu'il lui est
possible. En vingt-quatre heures mon deuil a été
préparé, et dimanche je fis en cet état quelques
visites nécessaires. J'assure à tout le monde que je
resterai ici autant qu'il le faudra, non-seulement
jusqu'à la publication de la bulle, mais encore jus-
qu'à ce qu'on en sache l'effet.
J'ai su que l'abbé de Chanterac ne compte pas
partir si tôt. Je vais à présent vous rendre compte de
ce qui s'est passé depuis ma dernière lettre.
Mardi , 1 8 de ce mois , il y eut congrégation
entre MM. les cardinaux, de modo procedendi ; et
le cardinal de Bouillon renouvela ses instances avec
la même vivacité, pour la distinction des sens, qu'il
appelle détermination du sens, par un quatenus , à
l'exemple, dit-il, de la Censure des docteurs, qui
puisse laisser en son entier un certain sens qu'il
attribue à l'auteur. Mais les cardinaux continuent
leur opposition avec vigueur. Ce débat est allé si
loin, et a été si vif de la part de M. le cardinal de
Bouillon, dans ces dernières congrégations, que
cette Eminence a dit des choses très-dures au car-
dinal Casanate, qu'il prit à partie .comme l'ennemi
personnel de M. de Cambrai ; ce sont ses propres
termes. Je n'aurois pas cru que cela eût pu être,
quoique gens dignes de foi me l'eussent assuré ven-
dredi dernier , si je ne l'avois ouï de la bouche même
du cardinal Casanate. Avant-hier, dimanche, quand
je l'allai voir , il en étoit encore tout ému. Il me dit
SUR l'affaiue du QUIÉTISME. 2*^5
qu'il y avoit à soulTrir, quand on avoit en tête un
pareil homme ; mais que nulle conside'ration , nulle
crainte ne le feroit jamais départir de la vérité', et
de ce qu'il croyoit convenir à l'honneur du saint
Siège et au bien de l'Eglise. Il m'assura en termes
formels tout ce que je viens de vous rendre : ahhiamo
sofferLo délie scornate y qui veut dire qu'il avoit
essuyé bien des affronts. Je ne pus m'empécher de
lui répondre que ces affronts retomboient, et re-
tomberoient infaiUiblement sur ceux qui préten-
doient les faire. Il m'avoua qu'il voyoit bien, de-
puis quelque temps principalement, que le dessein
des amis de M. de Cambrai étoit de faire peur aux
cardinaux, et par rapport à leur intérêt particu-
lier, et par rapport à la personne de M. de Cam-
brai lui-même, qu'on rend ici plus formidable qu'il
ne l'est en effet , en insinuant qu'on doit appré-
hender de pousser à bout un grand archevêque , etc.
et proposant dans cette vue des remèdes plus doux,
mais qui, semblables aux palliatifs, ne guérissent
pas le mal , et l'augmentent bien plutôt. Au reste ,
on tient ferme.
Cependant tous ces procédés sont toujours très-
fâcheux; car on y voit un dessein arrêté d'obtenir
quelque chose en faveur de M. de Cambrai. Ce
dessein durera jusqu'au bout; et qui sait ce qu'on
pourra faire faire au Pape dans la conclusion? Je
suis persuadé qu'on ne peut plus rien effectuer d'es-
sentiellement préjudiciable à la bonne cause ; mais il
ne faut rien à M. de Cambrai , pour lui donner pré-
texte de brouiller et de recommencer les disputes.
C'est un grand malheur que le cardinal de Bouillon
276 LETTRES
soit opiniâtre au point où il Test : en vérité, sans le
brave cardinal Gasanate, qui a tenu ferme sur tout,
le cardinal de Bouillon auroit emporté quelque
chose; et malgré l'état oii en est l'affaire, il faut
veiller et être en garde pour éviter les surprises.
Le cardinal de Bouillon prétend se mettre à cou-
vert auprès du Roi , en disant qu'il presse une dé-
termination précise des sens, et une conclusion
comme le Roi la souhaite : voilà de quelle manière
il presse le jugement. Je puis vous assurer que le
Pape est plus envieux de finir que lui.
. Il y a eu, comme le Pape m'avoit fait l'honneur
de me le dire , trois congrégations des cardinaux ,
qui ont été tenues jeudi, vendredi et samedi dernier
€n présence de Sa Sainteté : tous y aSvSistèrent, et
quatre parlèrent à chaque congrégation. Les cardi-
naux de Bouillon, Carpegna, Nerli et Gasanate par-
lèrent le jeudi; Marescotti, Spada, Panciatici et
Ferrari, le vendredi; samedi, Noris, Ottoboni et
Albani. Ils parlèrent par ordre du Pape sur toutes
les propositions, et les qualifièrent. Ces congréga-
tions ont été tenues ad honores; car le Pape n'entend
rien à ces discussions. Il est vrai qu'en récompense
il a une grande confiance au Saint-Esprit*
11 est à présent question de réduire les proposi-
tions, et de les disposer comme elles doivent être
mises dans la bulle. Il se tint hier matin à la Mi-
nerve une congrégation entre les cardinaux sur cet
objet, et sur la manière de former le décret : on chi-
canera peut-être encore là-dessus. Je ne sais, au
reste, ce qui s'est passé. Le commissaire, que je vis
hier un moment, me dit seulement que je serois
strii l'affaire du quiétisme. 277
content. C'est quelque chose qu'on ne gâte rien : mais
jusqu'ici tout va bien parmi le gros des cardinaux ,
et je puis dire presque tous ; car les cardinaux Otto-
boni et Albani ne battent plus que d'une aile. Ils
voudroient adoucir les qualifications , principale-
ment le cardinal Albani, quoiqu'ils ne sachent près*
que comment s'y prendre; et l'on prétend qu'ils ne
sont point d'accord avec le cardinal de Bouillon.
Toutefois il fut résolu dans cette congrégation, qu'on
condamneroit et qualifieroit les principales proposi-
tions, ou par des qualifications particulières, comme
les cardinaux l'ont pratiqué dans leurs vœux, ou par
un respective y comme l'ont été celles de Molinos. On
ne distinguera aucun sens, le quatenus est exclus. La
bulle sera dressée dans une forme prDpre à ne causer
aucune opposition, car on veut qu'elle soit reçue ea
France : voilà, ce me semble, l'essentiel. Sur tous les
autres points moins importans, on ne s'oublie pas.
J'ai repassé tout ce que vous m'avez écrit de temps
à autre, j'en ai fait des mémoires, dont je me sers
pour insinuer ces choses là où il est le plus à propos.
Ce qu'il y a d'assuré, c'est qu'on veut finir. Depuis
quinze jours le travail va même si vite, que quel-
ques cardinaux ont dit qu'ils avoient peur qu'on ne
cherchât à étrangler l'affaire ; mais qu'il étoit trop
tard, et que le mal étoit trop connu.
On m'a assuré un fait qui est assez singulier, s'il
est vrai, comme je le crois. Le cardinal de Bouillon
dans une congrégation allégua, contre ce qu'avoit
dit le cardinal Noris sur la distinction des sens, une
autorité, tirée d'un ouvrage de ce cardinal même,
en faveur des propositions susceptibles de plusieurs
2^8 LETTIIES
sens, et d'un auteur vivant qui s'expliquoit. Le car*
dinal Noris se récria sur-le-champ ; et à la congré-
gation suivante il apporta un écrit, où il faisoit voir
le peu de rapport qu'il y avoit entre ce qu'avoit ob-
jecté le cardinal de Bouillon, et la thèse qu'il soute-
noit. Cela a fait une scène assez curieuse. Je vis le
cardinal Noris avant-hier un moment, qui m'en a
assez dit pour m'assurer qu'il est ferme , et que tout
ira bien. J'avoue que je ne laisse pas d'appréhender
à tous les instans. Le cardinal Nerli est un trembleur
qui raisonne fort bien , mais qui , au moment de
prendre une résolution , craint trop d'engager le saint
Siège. Je ne perds aucune occasion de le raffermir.
Le cardinal Carpegna m'a tenu parole, et s'est fait
honneur dans les dernières congrégations ; c'est le
premier qui parle après le cardinal de Bouillon.
On a fait ces jours passés courir à Rome un bruit
sur M. de Paris, auquel je ne croyois pas que qui que
ce soit pût ajouter foi; mais néanmoins il s'est si fort
répandu, que plusieurs personnes très-sensées m'en
ont parlé, et qu'elles ne savoient qu'en penser. On
vouloit absolument que M. de Paris eût retranché
du Sal^e le mater misericordiœ y comme injurieux à
Dieu et à notre Seigneur Jésus-Christ. Vous jugez
bien ce que j'ai répondu là-dessus. On veut rendre
ici odieux les é\ êques de France , principalement
M. de Paris et vous : leurs ennemis sont déchaînés.
On répand ces sortes de bruits, surtout parmi les
femmes; et la moitié de Rome s'y laisse prendre, n'y
ayant personne qui ait intérêt de s'en éclaircir. Ce
discours impertinent s'est débité jusque chez des car-
dinaux.
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 279
Ma santé est bonne, Dieu merci. Conservez long-
temps la vôtre pour le bien de son Eglise, a qui vous
êtes si utile dans ce temps de division et de trouble,
oii le démon suscite de tous les côtés des ennemis
contre la vérité. Par rapport à nous, vous êtes la
seule personne chère et nécessaire qui nous reste au
monde.
Vous aurez apparemment l'écrit que je vous en-
voie de M. de Cambrai contre la Censure des doc-
teurs : je vous l'adresse à tout événement. Il est rempli
d'insolence et de mauvaise foi : on le distribue ici
partout. Encore un coup, on veut faire peur. M. de
Cambrai s'en prend à vous surtout, pour pouvoir
parler plus librement : au reste, cela vous fait hon-
neur. Il parlera bientôt contre le Pape et les cardi-
naux, si l'on ne réprime sa témérité.
Je me recommande à vous, mon cher oncle. J'ai
bien des occasions ici de me dissiper, mais guère de
me consoler de notre perte commune. Mon pauvre
père n'a besoin que de prières, et pour nous sa perte
exige de fortes consolations; mais il faut se sou-
mettre , et vouloir ce que Dieu veut en adorant ses
jugemens.
L'affectation de M. de Cambrai, de marquer que
la Censure des docteurs lui est venue de Paris ^ fait
voir la fausseté de ses discours. Je suis sûr que cette
pièce lui a été envoyée de Rome ; et cela étant, il faut
qu'il l'ait reçue de M. le cardinal de Bouillon, qui
seul des cardinaux de la congrégation a pu la lui
faire tenir. Personne ici, outre quelques cardinaux,
n'a eu copie de la Censure : le fait est sûr. A Paris
on aura encore été aussi secret : il est donc clair que
aSo LETTRES
M. de Cambrai n'a pu avoir communication de la
pièce que de Rome , et par le canal du cardinal de
Bouillon ; mais n'importe.
M. Tabbe' Pirot m'a e'crit, dans la conjoncture de
la mort de mon père, une lettre qui m'a également
touché et consolé. Je tâcherai de lui écrire aujour-
d'hui; mais si je ne le pouvois pas, étant accablé,
ce sera pour le premier ordinaire ; et je vous prie par
avance, d'avoir la bonté de lui témoigner la recon-
noissance iiifinie que je ressens de son amitié et de
ses bontés.
Le Pape a appris ce matin au cardinal de Bouil-
lon la mort du Prince électoral de Bavière, et le
cardinal n'a pu retenir ses larmes. Tout le monde
en a été témoin , il n'a pas cherché à cacher sa dou-
leur : cette Eminence a sa sœur mariée au frère du
père de ce prince.
Je viens de recevoir dans le moment un billet de
main sûre : je vous en envoie copie, sans y ajouter
ni diminuer.
« Tout ce qui fut arrêté hier. Monsieur, c'est que
» quelques cardinaux disant qu'il ne faudroit pas
» condamner par le décret chaque proposition en
» particulier, mais en général, ou du moins respec-
» tive ; et les autres cardinaux soutenant qu'il fal-
» loit les condamner chacune selon qu'elles le mé~
» ritoient, ce conflit fit qu'on résolut qu'il falloit
» s'en remettre à ce que diroit le Pape : on le saura
» jeudi prochain. Espérez que les choses iront
» bien , etc. »
Je serai demain matin plus instruit : suivant ce
que j'apprendrai, et s'il est nécessaire, j'irai aux
sur. l'affadie du quiétismi?. 281
pieds de Sa Sainteté', je n'oublierai rien assurément.
Il y a apparence que le dessein du cardinal de
Bouillon, en attaquant publiquement, comme il Ta
fait, le cardinal Casanate, a été de le rendre sus-
pect de partialité , et d'empêcher qu'il ne soit
chargé de faire la bulle. Je tiens cela comme cer-
tain , quoique je ne le sache pas positivement.
La récrimination n'est pas à craindre ; et je puis
vous répondre que qui que ce soit n'osera la pro-
poser sérieusement, surtout à présent.
Rome, ce 24 février 1699.
LETTRE CCCCXXVI.
DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET.
Sur la perte que le prélat venoît de faire par la mort de son frère j
et sur l'état de l'affaire.
J'ai pris toute la part que je devois à l'affliction
qui vous est arrivée. J'ai été .sensiblement touché de
cette perte, et j'ai pleuré le défunt comme mon pro-
pre père. Je sais les bontés qu'il avoit pour moi, et
j'en conserverai toujours un tendre souvenir. Il est
difficile de trouver un homme qui ait le cœur aussi
bon, aussi généreux et aussi bienfaisant qu'il l'avoit.
J'espère qu'ayant été toute sa vie si plein de ten-
dresse pour les autres, il aura trouvé miséricorde
auprès du Seigneur. Quoique sa mort ait été pré-
cipitée, elle n'a pas été imprévue pour lui : je sais
qu'il s'y préparoit depuis long-temps, et Dieu voulant
récompenser sfes bonnes œuvres, l'a retiré prompte-
^82 LETTRES
ment à lui, sans lui faire souifrir ou sentir les ap-
proches amères de la mort. Il y a long-temps qu'il
souflfroit avec patience, avec une foi vive et une
ferme attente d'une meilleure vie. Vous avez plus
perdu, Monseigneur, que personne, en perdant un
frère qui vous aimoit si tendrement, et avec qui
vous viviez dans une si douce intelligence. Votre
douleur est juste; mais comme personne n'est mieux
instruit des grandes ve'rités de la religion, personne
n'est plus en état d'en tirer les consolations qui vous
sont nécessaires. La foi et l'espérance des biens éter-
nels que vous défendez avec tant de zèle, seront
votre consolation , et arrêteront le cours de vos
larmes. A votre exemple, M. l'abbé, après avoir
donné à la nature ce qu'elle exigeoit dans une con-
joncture si affligeante, n'a pas abandonné les inté-
rêts de l'Eglise, qu'il a tâché de défendre ici le plus
vivement qu'il a pu. La perte qu'il a faite ne ralen-
tira pas son zèle, et vous pouvez. Monseigneur,
vous tenir sur cela en repos. J'espère que dans peu
il sera consolé par le succès que nous attendons.
Les cardinaux votèrent jeudi, vendredi et samedi
derniers devant le Pape, qui, malgré son âge, a
donné ces trois audiences consécutives, dans l'ar-
deur qu'il a de terminer cette affaire. Hier il y eut
congrégation à la Minerve, où Ton traita de modo
extrahendi Propositiones et decreti conficiendi. Il
n'y aura plus de congrégation extraordinaire. Il ne
reste plus à attendre que le décret du saint Office
et la bulle du Pape. M. le cardinal de Bouillon est
demeuré dans ses senti mens jusqu'à la fin.
On vous envoie deux lettres contre la Censure de
SUR l'affaire du QUIÉTISME. Îl83
Paris , très-injurieuses aux docteurs, où Fauteur fait
paroître plus que jamais sa passion contre votre
personne. Je souhaiterois que les docteurs fissent
connoître par quelque réponse, qu'ils n'ont été ni
pre'venus ni séduits. M. l'abbé vous mandera l'état
où Ton est. Je suis avec un profond respect, etc.
A Rome, ce 24 février 1699.
Je rouvre mon paquet, pour vous donner avis
d'un fait que j'ai toujours oublié de vous mander.
M. le cardinal de Bouillon, faisant à Noël la visite
de grâce au saint Office avec les autres cardinaux,
y trouva un Français enfermé depuis trois ou qua-
tre ans. C'est un clerc de Saint- Sulpice, enfermé
pour le Quiétisme ; je n'en sais point le nom : c'est
M. le cardinal lui-même qui l'a dit aux pères Cam-
bolas et Latenai, de qui je l'ai appris. Il seroit bon
d'approfondir ce fait. Peut-être seroit-ce quelque
disciple de M. de Cambrai, qu'on auroit envoyé à
Rome. M. de Paris peut en faire les perquisitions. Il
sera difficile ici de savoir son nom, car le secret est
impénétrable : je ferai cependant mes diligences.
M. Ledieu me mande que Saint-Sulpice refuse de
signer la Censure de Sorbonne ; je n'en suis pas sur-
pris. Ne négligez pas, je vous prie, cet éclaircis-
sement.
LETTRES
LETTRE CCGCXXVII.
DE UABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur les congrégations tenues devant le Pape ; les efforts du cardi-
nal de Bouillon pour porter les cardinaux à épargner M. de Cam-
brai; les mesures prises par l'abbé Bossuet pour engager le Pape
à unir le cardinal Casanate aux cardinaux rédacteurs de la bulle.
. Cette lettre vous sera rendue par M. de Paris :
elle va par un courrier extraordinaire qui arriva ici
hier pour un bénéfice, et que M. le cardinal de
Bouillon doit redépêcher ce soir pour prévenir la
Cour sur tout ce qui se passe de considérable. Ce
courrier se veut bien charger en secret d'un paquet
pour M. de Paris.
J'ai reçu le coup de la nouvelle de la mort de mon
père avec la douleur que vous pouvez vous imaginer,
mais aussi avec toute la résignation que je dois à la
volonté de Dieu. Je vous écrivis mardi dernier,
24 de février, sur ce sujet : je ne veux pas renou-
veler notre douleur. J'ai perdu tout ce qu'on pou-
voit perdre, et je ressentirai ce malheur toute ma
vie , ayant perdu un père très-aimable et qui m'ai-
moit tendrement. Mais Dieu m'a fait la grâce de me
soutenir, et ma douleur m'a permis d'agir à mon
ordinaire dans les circonstances critiques dont je
vais vous rendre compte.
Je reprendrai en peu de mots, ce que je vous
mandois touchant l'afïkire par ma dernière lettre.
Vous aurez vu par celle du 17 de février , la ré-
solution du Pape , de tenir trois congrégations trois
SUR l'affaire du QUIÉTTSME. 285
jours de suite pour entendre MM. les cardinaux,
qui avoient ordre de parler devant lui, quatre
chaque jour, sur les trente-huit propositions. Sa
Sainteté eut la bonté de m'en instruire ce jour-là
même; ce qui fut ainsi exécuté. Samedi, 21 de fé-
vrier^ les trois derniers cardinaux, Noris, Ottoboni
et Albani parlèrent. Le saint Père les a écoutés avec
une attention et une patience admirables , quelque
longues que fussent les congrégations, et quelque
fatigue que cela lui causât. Comme il restoit quel-
ques difficultés relatives aux propositions, sur les-
quelles les cardinaux n'étoient pas d'aceord ; on
arrêta que ces Eminences tiendroient entre elles le
lundi suivant une congrégation sur la rédaction des
propositions, c'est-à-dire, pour convenir quelles
propositions on pourroit retrancher dans les trente-
huit , dans le cas où il s'en trouveroit de moins im-
portantes , ou qui pourroient être contenues dans
les autres. On devoit aussi aviser dans cette congré-
gation si l'on ne réformeroit pas certaines proposi-
tions, auxquelles les qualificateurs favorables à M, de
Cambrai avoient fait ajouter par force au commence-
ment certaines paroles qui sembloient excuser M. de
Cambrai , et faire un sens contradictoire. Les autres
qualificateurs avoient bien voulu souffrir cette espèce
d'altération par amour de la paix, et pour ôter tout
prétexte aux longueurs qu'on cherchoit à occasionner
dans ce temps-là. Telle fut la matière de la congré-
gation qui se tint lundi , 23 de février.
Avant de passer plus avant , il est bon que vous sa-
chiez ce que vous verrez plus au long dans ma lettre
de mardi dernier, 24 février, qui est que dans les
286 LETTRES
congrégations du vendredi i3 feVrier et du lundi i6,
préparatoires à celles qui se dévoient tenir en pré-
sence du Pape , le cardinal de Bouillon , sans exa-
gérer, avoit parlé avec une hauteur et une force
incroyables en faveur de M. de Cambrai. Il em-
ploya pour le faire épargner , toutes les considéra-
tions qu'il crut plus capables de frapper les esprits
dans les circonstances présentes. Il alla jusqu'à faire
remarquer à quoi il s'exposoit par rapport au Roi ,
qu'on savoit peu favorable à M. de Cambrai : mais il
ajouta que la vérité seule le faisoit parler et agir; qu'il
voyoit mieux qu'aucun Italien les suites fâcheuses
qui en résulteroient pour l'Eglise et pour le saint
Siège, si l'on poussoit à bout un grand et saint
archevêque, qui, désespéré et vif comme il étoit, se-
roit peut-être capable de se porter à de grandes
extrémités ; qu'il falloit songer à faire une décision
qui, mettant la vérité à couvert, ne flétrît pas sa
personne; que rien n'étoit mieux pour cela, que de
déterminer par un quatenus le sens dans lequel on
condamnoit la mauvaise doctrine des propositions ;
que par cette conduite le saint Siège ne s'exposoit à
aucune contradiction, ni de la part desévêques, ni
de la part de M. de Cambrai qui convenoit de ce
sens ; que les disputes sur le sens d'un auteur ne
peuvent intéresser que les parties acharnées les unes
contre les autres; que l'Eglise romaine ne devoit se
montrer partiale à l'égard de personne, et qu'il étoit
de sa sagesse de laisser de côté les disputes inu-
tiles, etc. Tous ces beaux discours furent sans
succès ; et le cardinal de Bouillon voyant les car-
dinaux résolus à ne faire aucune distinction de
SUR l'affaire du quiétisme. 287
sens, et à vouloir condamner les propositions pure-
ment et simplement, s'emporta terriblement, jusqu'à
interrompre et prendre à partie en particulier le
cardinal Casanate, auquel il dit des choses très-
dures. Je ne l'aurois jamais cru, si ce cardinal, que
je vis dimanche dernier, ne meTavoit avoué, et ne
m'avoit dit en termes exprès qu'il avoit reçu des
affronts, mais que tout cela ne l'empêcheroit pas
d'aller son chemin dans une chose aussi impoi tante
pour l'Eglise et l'honneur du saint Siège. Il m'ajouta
que le cardinal de Bouillon lui avoit reproché d'être
l'ennemi personnel de M. de Cambrai; sur quoi
celui-ci fut obligé de répondre comme il devoit.
Tous les cardinaux furent très-scandalisés ; et ces
manières hautaines ne les ont rendus que plus fermes
à s'opposer aux efforts impérieux du cardinal de
Bouillon. Us sont surtout choqués de l'air de doc-
teur et de maître qu'il prend sur tous les points de
doctrine, et du ton impérieux avec lequel il exige
qu'on suive son opinion. Aussitôt que je sus le fait re-
latif au cardinal Casanate, je ne doutai point que le
cardinal de Bouillon ne se fût porté à cet éclat pour
rendre le cardinal Casanate suspect, et parvenir à
donner de lui au Pape des impressions désavanta-
geuses , afin qu'il ne fût pas chargé de la rédaction
de la bulle; ce qui n'a pas manqué d'arriver,
comme vous le verrez dans la suite.
Revenons à la congrégation du lundi 23 de février,
tenue principalement sur la manière de réduire les
propositions. Quand il fut question de ce point, le
cardinal de Bouillon se signala de nouveau, s'oppo-
sant formellement à ce qu'on retouchât aux propo-
288 LETTRES
sitions, et insistant pour qu'on y laissât tout ce qui
pouvoit contribuer à excuser M. de Cambrai, et
rendre les qualifications plus douces. On ne tint pas
grand compte de ce qu'il dit , et il s'aigrit de nou-
veau , mais avec aussi peu de succès. Les cardinaux
Carpegna, Casanate, Marescotti et Panciatici prin-
cipalement , parlèrent sans aucune considération
humaine, comme le demandoient l'iionneur du saint
Siège et le triomphe de la vérité' : ils conclurent à
la réforme des propositions, aussi bien que presque
tous les autres, les uns avec plus de ménagement
pour le cardinal de Bouillon que les autres. On remit
pourtant la décision de tout au Pape. Le cardinal
Nerli proposa , pour accorder les différentes vues ,
un moyen plus court, qui étoit de ne point publier
de propositions, mais de faire une condamnation
générale du livre , comme contenant une doctrine
erronée, hérétique, etc. ce qui revient au projet
de ce cardinal dont je vous ai déjà instruit, et qui
répond à la timidité de son caractère : il n'y eut que
lui de ce sentiment. On parla aussi de la condamna-
tion in globoy avec le respective ^ et l'attribution
des qualifications différentes à chaque proposition.
On remit le tout à la décision du Pape.
Sa Sainteté fut informée dès le lundi même , par
M. l'assesseur, de ce qui s'étoit passé. Le mardi
matin, M. le cardinal de Bouillon eut audience du
saint Père, avant qu'il eût déclaré quels cardinaux
il vouloit députer pour la réforme des propositions
et pour faire le décret. On ne douta pas, quand on
vit l'événement , que ce ne fut dans cette audience
qu'il cLit obtenu du Pape, qu'on ne députeroit pour
cet
SUR l'aFFATHE t)U QUIÉTISME. 289
cet effet que le cardinal Albani avec les deux cardi-
naux théologiens, Noris et Ferrari, et que le car-
dinal Casanate seroit exclus. Car aussitôt après
l'audience, le Pape envoya quérir Albani et Ferrari,
et leur ordonna de s'assembler chez Noris , pour ré-
former les propositions et pour dresser le décret ; ce
qu'ils commencèrent dès le même jour, et ont con-
tinué toutes les après-dînées. Je n'en savois encore
rien le mardi au soir 24? loi'sque je vous écrivis.
L'exclusion du cardinal Casanate a paru d'autant
plus certainement un coup du cardinal de Bouillon,
que le cardinal Spada avoit dit le lundi au cardinal
Casanate que le Pape le destinoità ce travail : le car-
dinal Albani m'avoit assuré la même chose. Le Pape
s'en étoit ouvert au père Pera : il ne l'avoit pas en-
core déclaré publiquement, mais la i^ésolution pa-
roissoit iixek
Vous jugez bien de ma douleur, cfuand j'appris
cette belle affaire le mercredi. Je crus ne devoir pas
perdre de temps ; et avant que les congrégations
fussent plus avancées, je me déterminai à représenter
moi-même au Pape les inconvéniens d'une pareille
disposition , le tort qu'il se faisoit de ne pas appeler
dans une affaire de cette conséquence, un ancien
cardinal, le seul par les mains de qui toutes les affai-
res importantes du saint Siège avoient passé, et en
particulier celle de Molinos, celle de Flandre tout
nouvellement, etc. un cardinal en un mot, en qui
tout le sacré Collège et toute la congrégation du saint
Office avoient une entière confiance, etc.
Je me présentai donc chez le Pape. Je vis le cardi-
nal Spada qui en sortoit, et qui me dit que Sa Sain-
BossuET. xLii. 19
ggo LETTRES
teté alloit me faire appeler : mais elle changea d avis ;
et apparemment pour ne pas m'entendre, elle fit
renvoyer tous ceux qui attendoient audience, par
son maître-de-cliambre. Je n'en fus pas fâché dans le
fond, ayant peur que le Pape n'eût encore suspecté
davantage le cardinal Casanate, s'il m'avoit ouï lui
en parler. Je ne l'aurois pourtant fait que de l'avis
de gens sages. Mais enfin je changeai de batterie. Je
vis le cardinal Albani, je vis l'abbé Feydé, je vis deux
autres personnes. Le père Roslet ne s'endormit pas
non plus. On a parlé au Pape de tous les côtés. Et
quoiqu'il eût répondu aux premiers qui lui firent des
remontrances sur le peu d'estime qu'il témoignoit
pour le cardinal Casanate : Oh per questo non lo vo-
gliamo; néanmoins hier matin il se rendit, et dès ce
jour les trois cardinaux s'assemblèrent chez cette
Eminence, et ils continueront de le faire jusqu'à la
fin. Le cardinal de Bouillon est au désespoir de ce
changement.
Le père Roslet et moi avons déclaré au cardinal
Albani, que si l'on montroit le moindre affoiblisse-
ment, si l'on mettoit un seul mot qui fût favorable à
M. de Cambrai, tout retomberoit sur lui.
M. le cardinal de Bouillon commençoit déjà à
s'égayer : vendredi il resta trois heures avec le cardi-
nal Albani, et hier matin deux avec le cardinal Noris.
Je ne crois pas qu'il s'amuse si fort désormais avec le
cardinal Casanate.
Je vous envoie copie du billet que l'assesseur a
écrit avant-hier au soir à chaque cardinal, qui vous
instruira de l'état de l'affaire.
3 e suis à présent en repos, depuis que je sais que
SUR l'affaire du quiétisme. 291
le cardinal Casanate est à la tête des rédacteurs. Tout
ëtoit à craindre autrement. Je n ai pas dormi depuis
quatre jours, ni le père Roslet non plus. Je n'ai pas le
temps d'écrire à M. de Paris.
J'embrasse mon pauvre frère de tout mon cœur,
et ma tante. Je me fie à mon frère comme à moi-
même, et il doit compter que tout ce que j'ai au
monde est plus à lui qu'à moi.
La rage du cardinal de Bouillon et des Jésuites
augmente ; mais le Pape est résolu de finir prompte-
ment. Le cardinal de Bouillon fait semblant de
presser ; mais le Pape a plus envie que personne de
voir l'affaire terminer.
Rome, i.^'mars 1699.
LETTRE CCCCXXVIII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Siir les différens écrits de M. de Cambrai publiés nouvellement '^
une réponse qu'il y ayoit faite j et sur les dispositions du cardi-
nal Casanate.
Je reçus hier votre lettre du 10 février : j'attends
avec impatience de vos nouvelles sur notre malheur.
J'espère que Dieu vous aura donné la force de sacri-
fier, autant qu'il sera possible, votre juste douleur
à son Eglise.
Nous ne verrons bien clair que par vos lettres de
l'ordinaire prochain. Peut-être que M. le cardinal de
Bouillon donnera des nouvelles de la conclusion par
un extraordinaire. La lettre de M. de Cambrai au
agîi LETTRES
Pape, n*est qu'une ennuyeuse répétition de ce qu'il
avoit déjà dit. Il ne peut oublier madame Guyon. Je
ne crois pas que ce soin, non plus que le reste de sa
lettre, lui fasse honneur.
Vous avez vu par mes précédentes, que fai deux
lettres de ce prélat contre noi au sujet des signatures
des docteurs, une troisième sur la Charité , et une
quatrième en réponse à ma Réponse sur les Préjugés,
On parle encore d'un supplément à sa Tradition^
que je n'ai pas. Vous recevrez ma réponse sur Les
principales Propositions j, sous le titre de Passages
éclairais (*). On a jugé cette réponse absolument né-
cessaire, pour empêcher la séduction dans un certain
étage du peuple, qui se laisseroit gagner si l'on se
taisoit. Faites valoir cette raison, que M', le nonce a
approuvée, et dont il a connu la vérité par expé-
rience. Au surplus. Dieu merci, les docteurs ne se
laissent pas entamer, et encore moins les évêques.
M. de Cambrai affecte toujours de répondre, et met
la victoire dans la facilité à répéter éternellement les
mêmes choses, dans l'artifice et dans la hauteur. Si
Rome le ménage, on perdra tout : Et erunt noyissima
pejora prioribus.
Je suis ravi de la bonne disposition de M. le cardi-
nal Casanate. C'est lui qui est appelé à sauver l'Eglise.
Nous faisons bien connoître le service qu'il lui rend,
ainsi qu'au clergé et à la France.
Les derniers écrits de M. de Cambrai sont excessi-
vement outrés. Vous dites la messe, me dit-il, et
vous écrivez cela ! Il s'agit de la contrariété qu'il pré-
tend trouver entre M. de Chartres et moi. Il ne ré-
l*) Voyçz (on*, xxx , })ag, 325 et suiv.
1
SUR l'affaire du quiétisme. 293
pond cependant pas à Tappiobalion donnée par ce
piëlat au livre des Etats j, où j'ai avancé sur la fin la
proposition qu'il m'impute à erreur. M. de Char-
tres, dans son Instruction pastorale y dit, il est vrai,
qu'il a soutenu comme une opinion d'école l'indé-
pendance du motif de la charité de tout motif par
rapport à nous. Mais il explique expressément qu'il
entend parler du motif spécificatif. Or je n'ai jamais
nié l'indépendance du motif de la charité en ce sens;
et je l'ai d'autant moins nié, que ce prélat inculque
en même temps que les motifs secondaires sont aug-
mentatifs et excitatifs; ce qui suffit pour mon inten-
tion contre M. de Cambrai. Au reste, il est bien cer-
tain que j'ai expliqué cette vérité avec plus de soin
que M. de Chartres ; mais il eût fallu un trop long
discours pour développer tout cela.
Je ne crois pas qu'il faille parler du décret prohi-
bitif des livres faits pour expliquer et défendre celui
des Maximes y que l'on ne voie la délibération conclue.
Souvenez -vous de l'union de tous les motifs in
■praxij et de l'abus qu'on fait des mystiques.
Dans un Mémoire in-4^ sur les signatures des
docteurs, imprimé à Cambrai et qui nous est venu
de là, on lit ces mots sur la fin : « Rome a un ex-
» trême intérêt , qui est tout fondé sur sa réputation ,
» de montrer qu'on ne gagne rien avec elle en vou-
» lant lui faire la loi a. Sur sa réputation! Kst-ce
donc là cette pierre sur laquelle Jésus-Christ a fondé
TEglise romaine? et n'est-ce pas là un discours poli»
tique, et non théologique?
J'embrasse M. Phelippeaux.
A Paris, 2 mars 1699.
294 LETTRES
LETTRE CCCCXXIX.
DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les longueurs que Ton pouvoit apporter à la conclusion de
raffaire ^ et la conduite du cardinal de Bouillon.
Je réponds par celle-ci, Monsieur, aux deux vô-
tres du 3 et du lo de février. Je ne le ferai pas
aussi amplement que je voudrois, à cause que je
suis revenu tard de Versailles. De plus, je n aurois
rien à vous dire aujourd'hui, sinon qu'il faut vous
attendre toujours à de nouveaux efforts de la cabale
pour empêcher ou alToihlir le jugement. Elle de-
vroit bien être confondue par le démenti honteux
que le grand nombre de signatures des docteurs lui
donne : mais on a beau l'abattre, elle se relève tou-
jours. Ainsi il n'y a rien à espérer que de la con-
clusion : pressez-la tant que vous pourrez. On peut
encore amuser dans l'extension de la bulle, si l'on
n'a pas véritablement intention de finir. Si le cardi-
nal Casanate y travaille avec les cardinaux Noiis et
Ferrari, les choses iront bien, et diligemment. La
conduite du cardinal de Bouillon est toujours pi-
toyable; mais je ne suis plus surpris de rien, il faut
s'attendre à tout de sa part.
Voilà la lettre que vous désirez pour le père pro-
cureur-général des Augustins : assurez-le, s'il vous
plaît, que je voudrois pouvoir faire davantage pour
son service, et qu'en toute occasion je soutiendrai
SUR l'affaire du QUIÉTISME. ^9^
avec plaisir ses intérêts. Je finis pour ne pas perdre
le courrier, et suis toujours à vous, Monsieur, de
tout mon cœur.
3 Mars 169g.
» w*/»>«''*'m>«'«>^«^*^«>«^b>»i ^
LETTRE CCCCXXX.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur l'objet d'une nouvelle congrégation j la manière dont on pré-
sumoit que le décrel seroit tourné ^ et le mécontentement des
cardinaux touchant l'exclusion du cardinal Casanate.
Je ne vous re'péterai pas ce que je vous ai marqué
dans ma lettre d avant-hier, sur la manière dont le
cardinal Casanate avoit été exclus et rétabli. Je vous
dirai seulement que le cardinal de Bouillon n'a pu
se contenir là-dessus : on dit qu'il prend cela comme
un affront qu'on lui a fait. Il alla hier matin chez
le Pape, et en sortit très - enflammé ; voilà tout ce
que j'en sais. Comme il avoit été voir les jours pré-
cédens les trois cardinaux députés, en politique
adroit il rendit hier au cardinal Casanate une vi-
site, mais très -courte. Il veut pouvoir écrire qu'il
n'oublie rien pour presser le jugement, et que l'on
lui doit tout si Ton fait quelque cliose de bien. A
cela près, je souhaite que l'on fasse bien; et il im-
porte peu qu'on croie que le cardinal de Bouillon
ou d'autres y ont contribué : l'essentiel est qu'on
fasse bien. On m'assura hier, mais je n'en crois rien ,
que le cardinal de Bouillon avoit demandé au Pape
qu'on le joignît aux quatre autres pour la rédaction
de la bulle : ce que je sais, c'est qu'hier au soir le
commissaire et l'assesseur allèrent chez le cardinal
de Bouillon.
Ce matin il y a eu une congrégation à la Minerve
de tous les cardinaux, apparemment en conséquence
de la lettre dont vous recevrez copie dans mon pa-
quet d'avant-hier ; le but de cette congrégation a
dii être de régler ce qui regarde les vingt-trois pro-
positions rajustées par les députés. J*ai appris que
ces députés ont ajouté, après les vingt-trois propo-
sitions, qu'il y en avoit beaucoup d'autres à cen-
surer; mais quelles se réduisoient à ces vingt- trois
principales, et que la censure des vingt- trois est
bonne. Je ne sais pas encore précisément si l'on met-^
tra le respectwe. S'ils le font , ce ne sera pas pour
s'épargner la fatigue d'un travail qui est tout fait,
mais ce sera pour ne pas s'engager ; car vous Savez
qu'on tremble toujours ici. Au reste, M. de Cam-
brai ne se trouvera guère soulagé de se voir traité
comme Ta été Molinos.
Présentement je sais que les députés travaillent à
la Préface de la bulle. Je crois qu'on prendra le parti
de faire un narré de tout ce qui s'est passé de consi-
dérable dans cette affaire, de marquer comment elle
a été portée à Pvome, les instances du Roi pour en
procurer le jugement , la Déclaration des eVe-
queSj, etc. Je ne crois pas après cela qu'il soit ques-
tion d'épargner M. de Cambrai, et de ne le pas
nommer. Je dors en repos depuis que je sais que le
cardinal Casanate est à la tête. Soyez assuré que ce
n'a pas été sans un terrible effort, qu'on a fait ré^
tablir ce cardinal dans ses anciennes fonctions. Le
SUR l'affaire du quiétisme. 297
cardinal Albani y a contribue autant que qui que
ce soit. M. Daurat a parle' et fait parler fortement.
En un mot, le Pape a vu tout le sacré CoUe'ge scan-
dalisé à la lettre du traitement fait au cardinal Ga-
sanate. Si son exclusion avoit duré, les congréga-
tions ne se seroient pas passées sans quelque tumulte :
les anciens cardinaux se seroient ligués pour contre-
dire les trois députés sur le moindre mot. Ç'auroit
été un beau charivari : le cardinal de Bouillon au-
roit profité de la dissention pour brouiller encore
davantage les esprits, et reculer le jugement. On a
représenté le tout au Pape, qui a bien vu quil y
alloit de sa réputation que les choses se passassent
pacifiquement. Le cardinal Panciatici a parlé en
cette occasion au Pape comme il convenoit : on lui
a de grandes obligations. Il a toujours été le même,
et s'est attiré par-là la disgrâce du cardinal de Bouil-
lon , d'e qui il fait très-peu de cas. Je sais en parti-
culier que jeudi dernier, 26 de février, le cardinal
Panciatici et le cardinal Casanate furent obligés, en
présence de Sa Sainteté, de se défendre ouvertement
contre le cardinal de Bouillon qui les attaquoit, et
il y eut des paroles fortes dites de part et d'autre.
Je sais le fait très-certainement. Il seroit ensuite as-
sez plaisant que le cardinal de Bouillon voulût per-
suader, que de pareils procédés ont pour but de
procurer la condamnation de M. de Cambrai. Ce
seroit assurément vouloir persuader qu'il fait nuit
en plein midi.
Tout va. Dieu merci, fort bien; et ce n'est plus
un secret que M. de Cambrai doive être condamné
vigoureusement.
298 LETTRES
On aura Tceil à tout. Je n'aurois pas cru que les
affaires eussent dû aller si vivement qu'on les mène
depuis quinze jours.
Le cardinal Casanate a fait témoigner au père
Roslet et à moi sa reconnoissance de toutes les dé-
marches qu'il sait que nous avons faites, pour sou-
tenir riionneur dû à sa personne et à son mérite : il
a eu un singulier plaisir de tout ce qui s'est passé.
Les Jésuites attachés au parti cambrésien triom-
phoient, et se seroient vantés d'avoir donné l'exclu-
sion au cardinal. Vous ne pouvez vous imaginer
quel parti ils ont autour du Pape : j'ose vous dire
que Sa Sainteté en est obsédée; mais Dieu et la vé-
rité seront plus forts que tous les complots des
hommes.
Vous voyez combien le secret est nécessaire sur
tout. Le cardinal Garpegna m'a bien tenu parole ;
il a été ferme dans le bon parti , malgré toutes les
intrigues dont on s'est servi auprès de lui, pour le
porter à favoriser M. de Cambrai. Le cardinal Al-
bani est un politique qui ne veut pas manquer en
tout au cardinal de Bouillon ; mais il sera forcé de
suivre les autres. Il en faut tirer ce qu'on peut.
Jusqu'ici je ne me suis pas brouillé avec lui ; ce
n'est pas peu, car je lui ai parlé bien fortement.
Je lui ai donné des louanges sur ce qu'il vient de
faire en faveur du cardinal Casanate, et je lui ai in-
sinué qu'il avoit en quelque sorte réparé par-là les
ménagemens dont il avoit usé à l'égard de M. de
Cambrai.
Comme vous recevrez cette lettre peut-être avant
celle de mardi dernier, je vous adresse l'écrit de
Sun l'affaire du quiétisme. 299
M. de Cambrai contre vous et nos docteurs. Il n y a
point de doute qu'il n'ait voulu fronder les cen-
sures, avant que celle de Rome qu'il craint ne fut
publiée. Son parti est bien centriste, et n'en est pas
moins anime' : les Jésuites disent hautement que
Rome se perd.
Le père Charonnier est un plaisant homme, de
faire l'ignorant à l'égard des manœuvres du cardi-
nal de Bouillon. C'est lui qui règle en tout cette
Eminence, et qui l'excite à se conduire comme elle
fait. Il sait mieux qu'elle tout ce qui se passe au
saint Office , et il est enfermé tous les jours des
quatre heures avec ce cardinal.
Vous me mandez par vos précédentes, que je dois
recevoir des lettres d'un théologien pour M. de
Chartres : je n'en ai reçu que deux exemplaires,
adressés par M. Ledieu à M. Phelippeaux, que j'en-
voyai sur-le-champ aux cardinaux Noris et Ferrari ,
qui parloient le lendemain devant Sa Sainteté : il
n'y a à Rome que ces deux exemplaires. Il n'en est
venu aucun pour moi, sous quelque enveloppe que
ce soit, et je ne connois personne qui en ait reçu.
Je ne sais pourquoi les trois courriers qui sont ar-
rivés depuis, n'en ont point apporté : j'en suis très-
fâché. J'ai lu les pièces qui sont à la fin, et je les ai
fait remarquer à ces deux cardinaux.
Nous avons su ici toute l'affaire du libelle contre
M. de Paris. J'ai montré à plusieurs cardinaux le
plaidoyer de M. d'Aguesseau et l'arrêt du parlement:
cela a produit ici un bon effet pour M. de Paris. Je
ne lui ai rien écrit sur ce sujet, l'ayant toujours
oublié, et ne pensant dans mes lettres qu'à notre
30O LETTRES
affaire. Faites-lui mes excuses, je vous prie; je ne
crois pas avoir le temps de lui écrire par ce courrier,
qui me presse. Le père Roslet lui marque tout, et
vous avez la bonté de lui montrer ce que je vous
écris.
M. de Cambrai doit envoyer encore incessam-
ment un écrit latin sur les propositions des docteurs
et celles du saint Office : on ne Ta pas reçu icij ce
sera après la mort le médecin»
Vous ferez bien d'écrire toujours.
Je suis persuadé que ce qui porte cette Cour à
vouloir bientôt conclure, ce sont les écrits continuels
de M. de Cambrai.
3e finis en vous assurant que ma santé est bonne ,
et que Dieu m'a donné des forces pour ne pas me
laisser abattre.
Rome, 3 mars 1699.
LETTRE CCCCXXXI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les changemens faits au décret, dans l'intervalle du lemps où
le cardinal Casanate s'étoit trouvé exclus; une visite que le car
dinal de Bouillon avoit inutilement rendue à cette iÇlminence
pour la gagner; et sur une démarche peu convenable q_u'on ayoit
fait faire au Pape.
Le courrier qui devoit porter les deux lettres que
je vous ai écrites, dimanche i^'^ mars, et cette après-
dînée, ne part plus. Apparemment lé cardinal de
Bouillon a soupçonné qu'il pouvoit nous avoir aver-
tis , et qu'il étoit attaché à la maison de M. l'arche-
SUR l'affaire du quiêtisme. 3oi
véque de Paris. Il ne laissera pas à son retour de
porter le paquet jusqu'à Lyon, aussi vite que le
courrier ordinaire , et plus sûrement.
Depuis ma lettre de cette après-dînée, j'ai appris
de lieu très-sûr les choses importantes que je vais
vous marquer, et dont quelques-unes ne paroîtroient
pas vraisemblables. Je ne les croirois pas moi-même,
si je ne les savois aussi certainement que si je les
avois vues.
Premièrement, il faut que vous sachiez que le
cardinal de Bouillon a été soigneux de profiter de
l'exclusion du cardinal Casanate , pendant les quatre
jours qu'il n'a pas e'té appelé avec les trois autres ,
Noris, Albani et Ferrari. Il s'est donné tous les
mouvemens convenables à la circonstance ; et dans
les conférences qu'il a eues, ou par lui-même, ou
par ses émissaires, avec les trois cardinaux, il a
obtenu qu'on changeroit, pour favoriser M. de
Cambrai , quelque chose aux résolutions prises dans
les congrégations entre les cardinaux, relativement
aux propositions qu'on devoit retrancher ou aug-
menter. Il avoitde plus fait consentir qu'on mît, sur
la proposition de l'involontaire en Jésus-Christ, que
l'auteur l'avoit rejetée comme n'étant pas de lui.
J'oubliois aussi qu'un des points déjà convenus entre
ces trois personnages, étoit qu'on ne nommeroit pas
l'auteur 5 et leur intention étoit de l'épargner le
plus qu'il leur seroit possible. Le cardinal Casanate,
aussitôt qu il fut joint aux trois autres, c'est-à-dire
samedi dernier, 28 février, s'opposa vigoureuse-
ment à ces changemens; soutint qu'il n'étoit pas
permis de rien changer aux délibérations prises et
302 LETTRES
arrêtées par la congrégation ; répéta les raisons pé-
remptoires qui ol)ligeoient à mettre la proposition
de l'involontaire comme étant de l'auteur, aussi bien
que les autres de son livre. Il fit encore voir que ce
seroit se moquer , que de ne pas nommer l'auteur ,
puisqu'il falloit nécessairement mettre le titre du
livre tout entier , avec l'année de l'impression , etc.
Et sur ce que quelqu'un d'entre eux inclinoit à la
douceur , et vouloit' excuser M. de Cambrai sur les
déclarations postérieures à son livre ; le cardinal
Casanate dit qu'il falloit en référer à la congrégation.
Le cardinal de Bouillon, qui avoit été voir ces
derniers jours les cardinaux Albani et Noris, et qui
avoit eu des conférences de trois heures avec eux,
avoit de même visité le cardinal Ferrari. En consé-
quence il ne crut pas pouvoir se dispenser de rendre
le même devoir au cardinal Casanate, et voulut tâ-
cher d'en gagner quelque chose. Il fut donc hier
chez lui, et ne le persuada point du tout sur les
chefs précédens. Il lui parla aussi de la Préface du
décret ; et comme les cardinaux avoient d'abord
pensé qu'il ne seroit pas mal de faire un narré de
la manière dont l'affaire étoit venue à Rome, le
cardinal de Bouillon insista fortement pour qu'on
n'en fît rien, et montra des lettres du Roi qui lui
ordonnoit d'empêcher qu'on le nommât, ainsi que
les évêques de France. Le cardinal Casanate se ren-
dit, et l'assura qu'on suivroit les intentions du Roi,
et que cela n'en seroit que mieux. Quoique le car-
dinal de Bouillon se modérât dans cette conférence,
il ne laissoit pas d'être très- échauffé, et de repré-
senter de quelle importance il étoit pour le repos du
SUR l'affaîre du quiétisme. 3o3
saint Siège, qu'on ne poussât pas à rextre'mité un
aussi grand homme que M. de Cambrai.
Ce matin la congrégation des cardinaux s'est te-
nue sur les chefs qui divisoient les commissaires, et
c'est là où, sans vouloir exagérer, le cardinal de
Bouillon a joué de son reste. Il a parlé avec une
folie inouie ; ce sont les propres termes d'une per-
sonne présente : il n'y a rien qu'il n'ait dit en faveur
de M. de Cambrai ; il s'est même emporté contre la
rage, ainsi s'est- il exprimé, de M. de Meaux et de
M. de Paris. Il a fait paroître la France toute en
feu, si l'on poussoit à bout un homme terrible. Il a
de nouveau proposé l'explication des sens, et enfin
a dit que si l'on changeoit les propositions des qua-
lificateurs, il falloit recommencer les délibérations,
puisque ce n'étoit plus les mêmes. Il a pris à té-
moins le ciel et la terre, etc. Très -heureusement
pour l'honneur du saint Siège, les cardinaux ont
tenu ferme : le cardinal Carpegna a parlé avec une
vigueur sans égale. Pour le cardinal Nerli, plus ti-
mide qu'un lièvre, il n'a pas jugé à propos de se
trouver à l'assemblée, prévoyant les fureurs du car-
dinal de Bouillon ; il s'est excusé sur sa santé. Le
cardinal Casanate a représenté avec sagesse et avec
force les inconvéniens de s'arrêter aux raisons, plus
spécieuses que fondées, du cardinal de Bouillon, et
a détruit tous ses beaux argumens. Les autres ont
suivi presque tout d'une voix. Le cardinal Pancia-
tici n'a pas manqué son coup, non plus que Ma-
rescotti. Les plus foibles ont été les derniers à se
décider. Le cardinal Ottoboni a mieux fait que ses
premiers avis n'avoient fait espérer : enfin la con-
3o4 LETTRES
gregation a tenu ferme à suivre les règles, en s'ar-
rétant aux articles de'libe'rés, et elle a passé outre
aux oppositions formées. On doit rendre compte du
tout jeudi devant le Pape.
Le cardinal de Bouillon , et le parti qui entrevoit
depuis long-temps la fermeté de la congrégation, n'a
rien oublié pour ébranler le Pape. La même cabale
dont il est environné, et qui a obtenu de lui, je l'ose
dire, depuis le commencement de Taffaire beaucoup
plus qu'on ne devoit accorder à M. de Cambrai, étoit
donc parvenue depuis huit jours à faire exclure le
cardinal Casanate , et à lui substituer le cardinal
Albani. Il a fallu tous les efforts imaginables pour
remettre les choses en règle. Cette même cabale vient
de faire faire au Pape une démarche , que jamais Pape
n'a faite. Sa Sainteté envoya hier l'assesseur et le
commissaire à tous les cardinaux, pour leur recom-
mander de traiter avec douceur la personne de M. de
Cambrai , et de l'épargner en tout ce qui n'est pas
essentiel. Le Pape s'est expliqué de manière à leur
donner à entendre qu'on lui feroit plaisir de ménager
ce prélat autant qu'il seroit possible. Faites là-dessus
toutes les réflexions que vous voudrez j le fait est
constant, et un cardinal l'a trouvé si étrange, qu'il a
cru devoir me faire avertir. Je n'attends que la pointe
du jour pour aller faire mes plaintes respectueuses
au Pape. Je lui dirai que je ne puis croire un bruit
répandu dans Rome , etc. Je verrai ce qu'il dira , et
là-dessus je parlerai comme il convient, avec tout le
respect que je dois, auquel je n'ai jamais manqué et
ne manquerai jamais, s'il plaît à Dieu. Il est de con-
séquence de ne pas perdre de temps j car jeudi on
doit
suii l'affaihe du QUIÉTISME. ?)o5
doit déterminer devant lui bien des choses. C'est un
coup du ciel, et un effet visible de Tassistance di-
vine, que quelque cardinal n'ait pas molli ce matin,
après des avances si imposantes. Cest là, je l'ose dire,
un signe sûr que Dieu veut que la vérité triomphe.
Avec cela tout est à craindre du Pape, et nous
n'avons rien à appréhender que de sa foiblesse. Voyez
où nous en sommes réduits. Ce n'est pas qu'il ne lui
fut bien difficile, quand il le voudroit, d'aller contre
les vœux de la congrégation ; mais ce mal est souvent
bientôt fait , et se trouve ensuite irréparable. Je
n'oublierai rien demain pour parler efficacement au
Pape, et je lui ferai encore parler.
Je puis dire avec vérité que Ton doit tout au car-
dinal Casanate ; sa fermeté , sa fidélité , sa religion
sont admirables. Il a soutenu tous les autres, qui ont
pris courage à son exemple pour lutter contre le
cardinal de Bouillon. On a encore beaucoup d'obli-
gation au cardinal Garpegna , qui le premier a tou-
jours paré les coups du cardinal de Bouillon, aussi
bien que le cardinal Panciatici , comme vous l'avez
vu par mes précédentes*
Mais qu'il est étrange et affligeant de voir ici un
ambassadeur du Roi solliciter publiquement, et avec
une fureur inconcevable, en faveur d'un prélat cou-
pable de tant d'erreurs; qui s'est constamment refusé
à tous les efforts de charité qu'on n'a cessé de faire
pour le ramener ; qui a soutenu devant le saint Siège
jusqu'à ce moment ses erreurs , avec une opiniâtreté
et une hauteur prodigieuse; qui a employé dans ses
écrits les moyens les plus odieux, le parjure, les
mensonges, les faussetés de toute espèce, pour se
BossuET. xLii. 20
3o6 LETTRES
justifier et décrier ses adversaires : qu'il est, dis^je,
étonnant de voir dans de pareilles circonstances le
ministre de Sa Majesté se consumer en manœuvres,
pour sauver un pareil homme, contre les intentions
de son prince, malgré les dispositions de la France,
les vœux des cardinaux, Topinion de Rome entière!
C'est un spectacle inoui, et auquel personne ne de-
voit jamais s'attendre.
Il est bon de remarquer qu'autant on s'est peu
pressé au commencement pour accélérer cette affaire,
autant depuis quinze jours on presse les délibérations
les plus importantes, d'une manière inusitée à Rome.
Je ne doute pas que le principal but du cardinal de
Bouillon et de la cabale ne soit de tâcher, dans la
précipitation, d'emporter quelque chose, ou des
cardinaux ou du Pape. C'est ce qu'a pensé le car-
dinal Carpegna, qui me le dit il y a quinze jours,
ainsi que le cardinal Casanate. Mais Dieu n'a pas
encore permis qu'ils réussissent dans leur dessein
jusqu'à présent. Le cardinal de Bouillon prétend se
faire un grand mérite de cette diligence, et croit sous
ce voile couvrir toutes ses malversations. L'engage-
ment de ce cardinal et des Jésuites est terrible, et
signifie beaucoup. Ni le Roi, ni leur devoir, ni la
religion ne saur oient les contenir. Ils veulent perdre
leurs ennemis, ou ceux qu'ils se figurent tels, et ils
espèrent être soutenus en France ; car sans cela ils
ne«e conduiroient pas comme ils font.
Le général des Jésuites a été depuis trois semaines
crier partout miséricorde , et il a répété ses lamen-
tations ou ses déclamations chez tous les cardinaux.
A l'en croire, tout est perdu si l'on condamne M. de
SUR l'affaire du quiétisme. 3o^
Cambrai. H ne seroit pas impossible que, selon ce qui
se passera jeudi prochain, qui est après- demain , je
ne de'péchasse un courrier; non pour chercher quel-
que remède aux nouveaux embarras qui pourroient
survenir, parce que selon les apparences il viendroit
trop tard, mais pour instruire des dernières résolu-
tions qui doivent se prendre ce jour -là. Le cardinal
de Bouillon médite d'envoyer un courrier à l'insu de
tout le monde : il veut tromper, et n'a jamais voulu
autre chose.
Je n'écris qu'un mot à M. Tarchevêque de Paris ,
et le renvoie aux lettres que je vous ai écrites, et
qui arriveront probablement en même temps. Je
croyois pouvoir répondre à M. l'abbé Pirot par cet
ordinaire; mais je n'ai pu disposer d'un moment
pour le faire. La manière dont il m'a écrit sur la
mort de mon père, m'a donné une consolation par-
ticulière, et j'en aurai une reconnoissance éternelle.
Le pauvre chevalier de la Grotte (*) se recom-
mande à vous auprès de M. le duc du Maine : il y
aura trois ans vers la fin de ce mois qu'il est hors de
France ; on ne lui a fait toucher que deux ans de sa
pension : il sera réduit à demander l'aumône, si l'on
n'a la charité de l'aider; c'en est une grande. Il s'est
rendu aux instances que je lui ai faites, pour qu'il
restât en pays connu ; mais j'espérois qu'on conti-
nueroit de lui fournir les moyens de subsister. Quand
M. de Monaco sera venu, nous tâcherons de faire
quelque chose pour lui. On lui rendroit un bon ser-
vice, si l'on pouvoit lui procurer de France quelque
(*; C'est le chevalier Tartare , dont il a été plusieurs fois question
dans cette correspondance. Y oyez, tom. xxxviii, j»tf^. 354 ^' ^"*^*
3o8 LETTRES
recommandation un peu importante auprès de cet
ambassadeur.
Il s'en est peu manqué que le cardinal de Bouillon
n'ait traité tous les cardinaux d'ânes : il a au moins
dit quelque chose d'approchant. On ne peut rien de
plus imprudent que ses procédés : aussi ses manières
lui ont-elles mal réussi.
L'agent de Florence m'aide en tout ce qui dépend
de lui, et est un bon acteur. L'archiprêtre (*) est ex-
cellent. Poussin ne s'oublie pas, et le cardinal de
Bouillon lui veut tout le mal possible.
LETTRE CCCCXXXII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur Tétat de sa santé, et une audience qu'il avoît eue du Pape.
M. de Paris aura la bonté de vous communiquer
la dépêche importante que je lui adresse, sur ce qui
se passe ici de surprenant (**). Je ne vous en dis pas
un mot, n'ayant pas un moment de temps à perdre.
Vous aurez la bonté de satisfaire le courrier qui
retourne : c'est Lantivaux, qui vous dira tout, et
qui est un galant homme.
C*) M. Daurat, ancien archiprêtre de Pamiers, qui «voit quitté
ce diocèse à cause des affaires de la. Régale, et s'étoit réfugié à
Rome.
(**) La lettre que Pabbé Bûssuet éerivoit à M. de Paris, et à la-
quelle il renvoie ici sou oncle, a été perdue. Les lettres suivantes y
suppléeront. On peut voir aussi, sur le projet des Canons, dont il
sera beaucoup question par la suite, la Relation de Fabbé Phclip'
peaux, part. II, pag. 21a «l 21 3.
SUR l'affaire du quiétisme. 3o9
J ai reçu votre lettre du i6, de Versailles; j'en ai
fait bon usage.
Ma santé est meilleure, Dieu merci, que ma juste
douleur et Finquiétude où je suis perpétuellement
ne le devroient permettre. Je me sens plus de force
que je ne croyois.
Permettez-moi, mon cher oncle, de vous embras-
ser de tout mon cœur.
Je vis hier Sa Sainteté, qui vous a comblé d'ami-
tiés et de bénédictions.
J'embrasse toute la famille de tout mon cœur.
Vous verrez par ma lettre à M. de Paris, qu'il n'y
a pas un moment de temps à perdre.
LETTRE CCCCXXXIII.
DE M. DE NO AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur le déchaînement du cardinal de Bouillon j et Fattenlion à
empêcher les longueurs.
Je reçus hier. Monsieur, votre lettre du 17, et
M. de Meaux me communiqua sur - le - champ la
sienne, qu'on lui apporta chez moi où il avoit dîné.
Je ne suis point surpris de ce que vous lui mandez,
car je me suis toujours bien attendu au déchaîne-
ment du cardinal de Bouillon. Il faut s'en défendre,
et nous y opposer de toutes nos forces : j'espère
que vous le ferez jusqu'au bout, avec le même cou-
rage et là même appHcation que vous l'avez fait
jusqu'à présent. Nous ferons en ce pays tout ce qui
3 I O L i: T T R E s
se pourra pour vous appuyer. Pressez toujours la
conclusion, et empêchez les longueurs dans la ré-
daction de la bulle, où elles ne manqueront pas, si
Ton ne presse. Je remets le reste à M. de Meaux.
Nous conférâmes hier long-temps sur votre lettre :
il vous écrira amplement aujourd'hui, et cest assez
qu'il le fasse. Je finis donc en vous assurant que je
suis toujours à vous. Monsieur, très-sincèrement.
9 Mars 1699.
LETTRE CCCCXXXIV.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Il Texhorte à ne pas se laisser accabler, et lui annonce une nouveUe
Réponse à M. de Cambrai.
J'ai vu , par votre lettre du 1 7 février, les effroya-
bles mouvemens que s'est donnée la cabale et son
chef, dans les trois dernières assemblées depuis celle
du mercredi 1 1 . La première nouvelle qui m'en est
venue, est rabrégé_que vous en donniez à M. de
Rheims, et qu'il reçut vendredi 6. Nos lettres n'é-
tant arrivées que dimanche 9, j'ai tout communi-
qué à M. de Paris, à qui j'ai envoyé l'extrait de votre
lettre. M. Chasot part pour le porter aujourd'hui à
la Cour, où je ne puis aller à cause d'un rhume.
Votre audience fait voir que tout se dispose à une
prompte et vigoureuse décision : Dieu en soit béni,
et du repos qu'il vous a donné, dont vous aviez un
grand besoin pour vous soutenir dans le malheur
que vous deviez apprendre sitôt après.
SÛR i/aftaire du quiétisme. 3ii
J'attends avec impatience et tremblement vos
lettres prochaines, par lesquelles je saurai comment
vous aurez appris la triste nouvelle de la mort de
mon frère. J'espère que Dieu vous aura donné de la
force, et que vous ne vous serez pas laissé abattre,
surtout dans une ciiconstance où vous avez à sou-
tenir la cause de l'Eglise, pour laquelle il est vi-
sible que la Sagesse éternelle a arrêté et préparé
votre voyage. J'ai pris ce moment, comme le plus
favorable, pour aller faire à Meaux un voyage de
trois jours.
Au pied de la lettre, j'ai été aussi surpris que
vous du commerce que vous me mandez de M. Phe-
lippeaux avec M. de Paris. J'en ai porté le même
jugement que vous, et pour la même raison j'ai cru
qu'il le falloit dissimuler très-profondément.
Je crois que M. le nonce enverra à Rome, par
l'ordinaire de ce jour, la réponse aux Propositions (*)
que vous devez avoir reçues. Vous n'avez à Rome
qu'à en user comme vous avez fait de la Réponse
aux Préjugés, Vous avez bien raison de dire que
ces réponses étoient tout-à-fait nécessaires. Je ne
ferai plus rien du tout, puisque les choses sont si
disposées à une bonne décision j j'ai satisfait au prin-
cipal. Les amis de M. de Cambrai sont ici fort cons-
ternés. On vous enverra peut-être dans ce paquet
une addition d'un seul feuillet.
Paris , 9 mars 169g.
t*) Cet ouvrage a pour litre ; Les Passages éclaircis. II est pré-
cédé d'un divertissement y dans lequel Bossuet répond à ce que
M. de Cambrai lui imputoit au sujet de la Censure des docteurs de
Paris. F oyez tom. xxx, pag. 309 et suiv. {Edit. de Vers. )
3l2
LETÏ fi£S
LETTRE CCCCXXXV.
DE M. *** A BOSSUET.
Sur les manœuvres des partisans de M. de Cambrai , et la préten-
due rétracLalion d'un des docteurs qui avoient signé la censure
de son livre.
Ayant été obligé de revenir chez moi sans pou-
voir passer chez vous, Monseigneur, j'ai cru vous
devoir mander ce que vouloit dire M. Giori au père
Roslet, en cas que vous ne le sachiez pas. C'est qu'il
avoit découvert que M. Fabroni, qui est entière-
ment dévoué aux partisans de M. de Cambrai, a été
faire une retraite de huit jours (*) au Giésu. Le pré-
texte étoit les exercices spirituels, et le vrai motif
un conciliabule où se sont trouvés les principaux
Jjésuites et le père Charonnier, et où Ton a délibéré
sur les moyens de faire naître de nouvelles lon-
gueurs, surtout pour tâcher de porter le Pape à
écrire un bref exhortatoire à M. de Cambrai , pour
lui dire de mieux expliquer sa doctrine. Voilà le
fait, dont vous voyez les conséquences. M. de Paris
a l'extrait, et Fa porté à Versailles. Je lui ai dit ce
soir tout ce que j'ai cru de meilleur sur cela. Je vous
salue, Monseigneur, avec tout le respect possible.
Bossuet ajoute à cette lettre les paroles suivantes :
C'est l'explication d'un billet de M. Giori au
père Boslet, que nous lûmes hier à l'archevêché :
(*) On verra par les lettres suivantes quel étoit l'objet précis de
ceUe retraite.
SUR l'affaire du quiétisme. 3x3
on Ta reçu par le cardinal d'Estrées j ignorez les
noms.
On pourra porter à Rome le bruit répandu ici
depuis quelques jours, que le père Roline, Augustin
estimé, s'est repenti en mourant d'avoir signé avec
les docteurs. Cela est très-faux ; et M. le syndic a en
main une attestation contraire, signée du prieur et
des autres docteurs de la Faculté.
9 Mars 1699,
k*'»'%<'V»'»««.«/*i»/»<^<»/«/*i'*'»».*/» 'W*^^'».»»^/»»
LETTRE CCCCXXXVI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur ce qui s'étoit passé au sujet du projet des Canons j l'audience
que le saint Père lui avoit donnée , et sur ce qu'il savoit du con-
tenu du décret, qui étoit soumis à Fexamen des cardinaux.
Je crois que vous attendez avec impatience les
nouvelles de ce pays-ci dans les conjonctures pré-
sentes. Après avoir su par ma lettre du 6, adressée
à M. de Paris , les brouilleries que la cabale avoit
non-seulement voulu mettre, et avoit effectivement
mises dans notre affaire, vous ne serez pas fâché
d'apprendre par celle-ci que Dieu y a pourvu ; que
le Pape paroît revenu des impressions qu'on lui
avoit données , et qui étoient profondément gravées
dans son esprit, qu'enfin on a lieu d'espérer dans
peu de jours une décision bonne et honorable au
saint Siège. Malgré cela je n'ose rien assurer; et
après ce qui vient d'arriver , on ne doit répondre
de rien que la chose ne soit faite et parfaite.
014 LÊTTUtlS
Vous aurez su le projet nouveau , et tout ce qui
s'est passé jusqu'au samedi, 7 de ce mois, que j'é-
crivis encore un mot à M. de Paris. En voici la suite.
Selon ce que je ra'étois proposé, je fis parvenir
jusqu'aux oreilles du Pape , que j'étois informé de
tous les eflbrts de la cabale auprès de sa personne ,
des desseins que l'on méditoit , des ordres que Sa
Sainteté avoit donnés touchant le nouveau projet.
J'ajoutois que cet événement avoit fait une telle im-
pression sur mon esprit, et me donnoit une si grande
appréhension qu'on ne prît quelque résolution con-
traire à l'honneur du saint Siège et au bien de la
France^ que j'en étois tout troublé ; et dans la sup-
position où je ne verrois point de changement
prompt dans les dispositions de Sa Sainteté, j'hé^i-
tois si je ne devois pas aller promptement informer
moi-même Sa Majesté de ce qui se passoit, afin
qu'elle pût prendre là-dessus les résolutions conve-
nables au bien de son royaume , que ses ennemis ne
clierchoient qu'à troubler; mais qu'avant tout, je
ne négliger ois rien pour faire connoître à Sa Sain-
teté le déshonneur dont on vouloit couvrir sa per-
sonne et son pontificat.
Le père Roslet alla tout bonnement déclarer mes
intentions au cardinal Albani, lequel vint aussitôt
en rendre compte au Pape. Je ne sais si ce fut l'im-
pression que fit ce discours sur Sa Sainteté, ou
l'impatience qui lui est naturelle, qui la détermina
le samedi à midi, à faire assembler les cardinaux le
dimanche pour dire leur sentiment sur le projet des
Canons. Les cardinaux ne surent cette congrégation
qu'à la nuit. J'en fus averti en même temps, et que
sxjii l'affaihe du quiétisme. 3i5
le cardinal de Bouillon avoit été fort étonné de cet
ordre, auquel il est vraisemblable qu'il n'avoit au-
cune part. J'avois commencé à porter à quelques
cardinaux le Mémoire italien (*) que vous auiez
reçu, et dès le soir même tous les cardinaux en
eurent copie. Cette congrégation inopinément assem-
blée, et dans, un jour extraordinaire, me donna
d'abord de l'appréhension; je craignis quelque nou-
veau tour de la cabale. Je sus l'épouvantable ma-
chine que le Carme (**), le sacriste, Fabroni et les
Jésuites faisoient remuer, qu'il n'y avoit rien qu'ils
n'eussent tenté auprès des cardinaux. Je compris
bien que la chose dont la cabale se soucioit le
moins, étoit qu'on fît des canons, et qu'ils avoient
pour unique but d'anéantir les délibérations prises
par les cardinaux, d'empêcher la publication des
propositions condamnées sans distinction de sens ,
et sans qu'on eût égard aux explications de l'auteur ;
qu'ils vouloient faire en sorte qu'on se contentât de
condamner le livre et la doctrine en général ; et que
pour y parvenir ils avoient bien vu qu'il falloit
donner atteinte aux arrêtés de la congrégation, et
bouleverser ainsi tout le plan du décret. C'est à quoi
en effet tendoit le nouveau projet qu'ils avoient
conçu , et déjà il étoit à craindre que la cabale ne
gagnât quelques cardinaux. Chieti s'étoit promis
d'attirer le cardinal Nerli , qui penchoit déjà à une
(*; C'est celui que composa l'abbé Phelippeaux le jour même,
pour montrer rinsuffisance et le danger de ces Canons. Voyez sa
JRelation, part. ÎI, pag. 218 et suiv.
(**) Le père Philippe, Fun des examinateurs, dont il a sourent été
parlé.
»^IO LETTRES
condamnation générale. Le cardinal de Bouillon
étoit prêt h tout pour sauver son ami ; le cardinal
Albani le suivoit infailliblement. Les Jésuites comp-
toient engager de nouveau Ottoboni dans leur parti.
Mais le plus fâcheux, et ce qui m'étonna, je Ta-
voue , c'est que le cardinal Ferrari , gagné il y a
long-temps par le Carme, étoit entré plus avant
qu'aucun dans cette conspiration : c'étoit lui qui
avoit proposé les canons au Pape, et qui l'avoit en-
gagé dans toutes les démarches qu'il avoit faites.
On n'avoit pas de temps à perdre ; et dans la soirée
du samedi et la matinée du dimanche on fit repré-
senter aux cardinaux Nerli , Ottoboni , Albani et
Ferrari tout ce qu'on put pour les ramener au bon
parti. Le dimanche je vis l'assesseur et le commis-
saire. L'assesseur, quoique assurément un des plus
ardens pour épargner M. de Cambrai , et intime
ami des Jésuites et de Fabroni, fut obligé de con-
venir de l'inutilité du projet, et de l'impossibilité de
son exécution. Pour le commissaire , il en étoit bien
persuadé. L'après-dînée j'allai aux pieds de Sa Sain-
teté : cette audience fut assurément très-curieuse j je
vais vous en faire un détail le plus brièvement qu'il
me sera possible.
Le cardinal Spada sortoit d'avec le Pape ; le car-
dinal Albani y avoit été le matin , et je n'ai pas lieu
de douter qu'ils ne lui eussent parlé tous deux d'un
Mémoire italien qu'ils avoient reçu de ma part. Le
Pape se mit à rire aussitôt qu'il me vit. A la pre-
mière génuflexion que je fis, il me demanda ce que
je voulois de lui. Je lui dis que je ne pouvois m'em-
pêcher de lui avouer, que cette fois-ci je venois en
sun l'affaire du QUIÉTISME. Sl'J
tremblant à ses pieds. Et pourquoi , me dit - il ?
Parce que, lui dis-je , saint Père , Rome retentit
d'une nouveauté. Il ne me laissa pas achever, il me
dit d'un ton fort affirmatif ; Sono ciarle , sono
chiacchiere , chiacchiere ; et me répéta dix fois de
suite ce terme, qui veut dire, ce sont des contes ,
des bruits ridicules. Quand je vins au détail de ces
bruits relatifs au nouveau projet, il trouva à propos
de me dire que ce n'avoit jamais été son intention ;
que j'étois mal informé; qu'il vouloit finir, et
qu'absolument il me promettoit que tout seroit dé-
terminé dans cette semaine. Cela étant, lui dis-je,
saint Père, on ne doit point craindre les Canons et
toute la canonade qu'on nous avoit fait appréhender,
étant sûr qu'en huit jours on ne pouvoit dresser
cette batterie, puisque peut-être des années ne se-
roient pas trop longues pour un pareil dessein. Je
pris occasion de là de lui faire voir la difficulté qu'il
y avoit de former des Canons , dans lesquels il fal-
loit tant de précision, de clarté, et une exactitude
qui obligeoit de peser jusqu'aux moindres syl-
labes, etc. Et pour revenir au fait, j'ajoutai qu'il
n'étoit pas question ici d'un pareil travail , puisqu'il
s'agissoit de décider sur la doctrine bonne ou mau-
vaise des propositions tirées du livre de M. de Cam-
brai; que c'étoit ces propositions qu'on discutoit ici
depuis deux ans, que MM. les cardinaux avoient
qualifiées et censurées en sa présence.
A ces discours , je vis Sa Sainteté prête à me nier
tout, jusqu'à vouloir me faire douter qu'il y eût
jamais eu des propositions extraites. Je pris la li-
berté de lui rappeler la notoriété de ce fait, dont
3l8 LETTRES
tout Tuiiivers etoit instruit. Je connus de là sûre-
ment que les impressions qu'on lui avoit données,
tendoient à lui faire redouter la publication de la
censure de ces propositions. J insistai fort là-dessus,
le faisant souvenir de ce qu'il m'avoit dit le jeudi
d'auparavant , que le livre de M. de Caml)rai e'toit
plein d'erreurs. Je lui représentai que cela ne pou-
voit être, si ces erreurs n'étoient contenues dans
quelques propositions qu'on pût produire ; que
c'étoit précisément de ce point dont il avoit été
tant question parmi les qualificateurs et les cardi-
naux, et qu'enfin c'étoient ces propositions que les
cardinaux avoient qualifiées et censurées. Sur ces
mots il me dit : Que veut dire cela , censurées par
les cardinaux? Tocca a noi , tocca à noi , siamo
padroni. Je lui accordai aisément que c'étoit sans
doute à lui à faire la bulle, qu'on devoit espérer
que l'assistance du Saint-Esprit ne lui manqueroit
pas quand il en seroit question ; mais je le fis con-
venir néanmoins qu'il falloit que cela se fît consilio
fratrum ; que les cardinaux choisis par Sa Sainteté
à cet effet, étoient ses frères, ses véritables con-
seillers, qui formoient le sénat de l'Eglise romaine,
et appelés in partem sollicimdinis pastoralis. J'ap-
puyai beaucoup là - dessus, m'apercevant que Fa-
broni et la cabale lui avoient mis dans la tête qu'il
falloit compter les vœux des cardinaux pour rien ,
que le Pape seul devoit tout faire ; et sous ce pré-
texte lui avoient persuadé de ne suivre en rien leurs
avis ; à quoi il est très-incliné naturellement. Je lui
fis voir avec respect, qu'il y alloit du repos de sa
conscience de s'en rapporter aux cardinaux commis
I
suii l'affaire du quiétisme. 3ig
pour juger de la foi , et non à ce que des brouillons,
ennemis particuliers de la France , des évêques et
du Roi, pouvoient lui inspirer. J'insistai sur la cen-
sure des propositions qu'il étoit ne'cessaire de pu-
blier, sans quoi il ne satisferoit point, ni à la de-
mande du Roi et des ëvéques, ni à celle de M. de
Cambrai, ni à ses promesses. Il m'assura qu'il étoit
dans la disposition de faire ce qui seroit de mieux ,
et me dit qu'on ne devoit pas douter de ses bonnes
intentions. Assurément je n'eus pas de peine à en
convenir avec lui ; et effectivement il veut le bien ;
mais sa foiblesse et sa facilité lui font faire quelque-
fois de terribles faux pas. Enfin je finis; et en pre-
nant sa bénédiction , je crus lui devoir répéter que
pour contenter le Roi et les évéques , et pour l'hon-
neur du saint Siège, il falloit une censure de la doc-
trine et des propositions.
Je remarquai en général dans ses discours une
grande honte d'avoir donné dans ce beau projet des
Canons; néanmoins une forte opposition à mettre
au jour la censure des propositions, une grande
envie de sauver la réputation de M. de Cambrai ,
beaucoup de crainte de s'engager trop , et surtout
le génie napolitain au souverain degré.
La congrégation se tenoit pendant ce temps-là,
pour délibérer sur le projet des Canons ; et bientôt
nous apprîmes qu'à l'exception du cardinal de
Bouillon qui parla le premier , et ne croyoit pas être
abandonné, tous, même le cardinal Albani et le
cardinal Ferrari, s'étoient accordés, unanimi con-
sensu , à rejeter le projet , et avoient conclu stare
in decretis, La congrégation finit à la nuit. M^ le
oCtO LETTRES
cardinal de Bouillon, qui déjà ne se portoit pas
bien , se trouva si foible, qu'il ne pouvoit se sou-
tenir : il fit pitié à tous les cardinaux , il se fit porter
dans son carrosse, et étant arrivé chez lui, il ne
put monter les degrés ; on fut obligé de le monter
en chaise. Ce que je vous dis-là est vrai à la lettre.
L'assesseur alla au sortir de là apprendre à Sa
Sainteté la délibération de la congrégation ; et je
sais que l'assesseur a dit, que lePapeavoit témoigné
quelque peine de voir rejeter aussi unanimement
un projet , dont on lui avoit donné une si belle idée.
Hier le saint Père appela le cardinal Ferrari ; ce
qui a fait croire qu'il l'avoit chargé de nouveau de
réformer le décret arrêté. Comme on savoit que le
Pape vouloit finir incessamment, et que dans ce
cas la congrégation de demain et celle de jeudi se-
roient les dernières , ces allées et venues du cardinal
Ferrari chez le Pape faisoient appréhender aux gens
bien intentionnés, qu'on ne machinât quelque mau-
vais dessein. Les cardinaux Casanate et Nerli m'ont
fait avertir ce soir de ce qui se passoit, et j'ai un
peu craint , sachant que les efforts des partisans de
M. de Cambrai ne tendent à présent, qu'à faire
ajouter au décret quelque chose d'ambigu sur les
explications postérieures de ce prélat, en insinuant
que dans la condamnation des propositions on ne
les prétendoit pas comprendre, ou au moins en
marquant qu'on ne les avoit pas examinées. Mais je
viens d'apprendre dans le moment l'état de TafFaire ,
et je tiens le fait d'une personne par qui la minute
du décret a passé depuis une heure.
Le Pape a envoyé quérir l'assesseur cette après-
dînée
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 3^1
dînee, et cela je l'ai vu de mes yeux, étant alors à
parler à M. le cardinal Spada chez Sa Sainteté, pour
le prier de la faire souvenir de la promesse qu'elle
avoit bien voulu me faire de finir cette semaine.
L'assesseur a eu ordre d'envoyer ce soir le décret
minuté à MM. les cardinaux, pour le revoir demain
matin entre eux, et puis terminer jeudi, le tout en
sa présence.
Ce décret mïtiuté n'a été porté au saint Office
pour en faire des copies qu'à une demi-heure de
nuit ; et les copies n'ont pu être faites et envoyées
chez les cardinaux que depuis deux heures ; c'est-à-
dire vers les dix heures de France. La plupart au-
ront été déjà endormis, lorsque la pièce leur sera
parvenue. Cela est un peu précipité; mais j'espère
que s'il y a quelque chose d'ajouté contre la déter-
mination des cardinaux , l'addition sera rejetée avec
force : le corps du décret est intact, et bien nous en
a pris d'y veiller.
Je n'ai pu avoir copie de ce décret , à cause de la
grande précipitation avec laquelle il a été rédigé ;
mais on m'a assuré que les vingt-trois propositions
y sont rapportées tout du long, et les qualifications
mises respective. Je me suis toujours bien douté
qu'on ne trouveroit pas lieu de faire davantage, à
cause de la difficulté de s'accorder sur chaque quali-
fication particulière , et jDarce que les cardinaux de
Bouillon et autres, comme Albani, chicanent sur
tout. On m'assure que le titre du livre y est décrit
dans son entier , et on n'a rien remarqué qui tendît
à excuser les explications de M. de Cambrai : on n'y
parle que du livre. Le décret ne contiendra sans
BOSSUET. XLII. 21
#322 LETTRES
doute que ce qui a été résolu avec les cardinaux.
Au reste, il est mis dans cette minute qu'elle est
rédige'e par le cardinal Albani, qui n'aura jamais
osé altérer ce que les cardinaux ont arrêté , ou tous
ensemble, ou par leurs députés. Il n'y a pas même
d'apparence que le cardinal Ferrari ait eu la direc-
tion du décret , le cardinal Albani étant très- jaloux
de ne pas céder ses droits à un autre.
Demain , au sortir de la congrégation , nous en
saurons davantage , et plus encore jeudi. On m'a dit
une chose qui me fâcheroit, qui est qu'on n'avoit
pas remarqué que la qualification d'hérétique fût
mise parmi les autres, et j'en ai peur; mais ce sera
toujours beaucoup , si après cela nous avons dans
les circonstances présentes un décret net sur les pro-
positions du livre, et qu'elles y soient notées de
toutes les autres qualifications les plus expressives.
Vous pensez bien que si j'avois pu être assuré que
les cardinaux rejetassent si fortement le nouveau
projet, que Sa Sainteté eût suivi leur avis et eût
voulu finir si promptement , et qu'on eût témoigné
tant de mépris pour le cardinal de Bouillon , j'aurois
pu ne pas dépêcher le courrier extraordinaire. Mais ,
en vérité, dans le doute où j'étois avec raison, dans
la peine où je voyois le cardinal Casanate et nos
amis sur l'entêtement effroyable que le Pape té-
moignoit , et sur les manœuvres du cardinal de
Bouillon, des Jésuites, des cinq qualificateurs et
de toute la cabale ; si les choses eussent mal tour-
nées, j'aurois cru avoir à me reprocher toute ma
vie de n'avoir pas eu recours aux derniers moyens
qui me restoient. Car enfin je sais que ce qui arrê-
SUR l'affaire du quiétisme. 3-13
toit le plus le Pape , c étoit l'assurance que le car-
dinal de Bouillon lui donn(5it qu'on contenteroit le
Roi , en me'nageant le plus qu'on pourroit la per-
sonne et les explications de M. de Cambrai. Ainsi
il étoit nécessaire que le Roi s'expliquât là-dessus ;
et quand le décret sur le livre passeroit jeudi , il
sera toujours bon que cette Cour connoisse au vrai
les intentions de Sa Majesté. Rien ne pourra contri-
buer davantage à faire condamner dans la suite les
livres publiés par M. de Oambrai pour la défense
de ses Maximes. Il est certain qu'on ne devroit pas
hésiter un moment à prononcer cette condamna-
tion ; mais le cardinal de Bouillon l'empêchera ap-
paremment tant qu'il sera à Rome. Cette Eminence
est dans le dernier abattement, et paroît comme au
désespoir; sa santé est très-languissante. Il dit au
sortir de la congrégation, que l'on ne pouvoit pas
lui reprocher d'avoir voulu retarder, mais seule-
ment d'avoir tout hasardé pour servir ses amis ;
croyant se donner par-là une grande louange , et ne
songeant pas que pour ses amis prétendus , il a trahi
la vérité , la religion et son Roi.
Le cardinal Casanate me lit dire, le lendemain du
départ du courrier, qu'il serôit bon que la Cour
prît des mesures auprès du Pape, en cas qu'il restât
obstiné, et qu'on ne pouvoit avertir trop tôt le Roi,
Il ajouta qu'en attendant, s'il y avoit quelque pé-
ril, il trouveroit bien le moyen d'enclouer l'affaire
pour quelques semaines. C'étoit tout ce qu'on pou-
voit désirer dans la circonstance. On ne sauroit as-
sez faire sentir combien on est redevable à cette
Eminence.
324 LETTRES
Le général des Je'suites fut encore hier chez le
Pape. La conduite qu'ils tiennent dans cette affaire,
est assure'ment un engagement du corps. Le père
Roslet eut dimanche matin audience de Sa Sainteté,
qui lui nia tout, comme à moi.
La cabale ne croyoit jamais qu'on pût venir à
bout de faire condamner les propositions, le car-
dinal de Bouillon agissant si puissamment pour l'em-
pêcher, étant assuré d'Albani, et ayant gagné Fer-
rari. Ce dernier a trompé tout le monde ; car il at
d'abord censuré les propositions, puis il a tourné
tout d'un coup par foiblesse, se laissant aller aux
sollicitations du Carme, le père Philippe : j'ai tou-
jours appréhendé ses liaisons avec cette Eminence.
Zeccadoro a été le négociateur entre le cardinal de
Bouillon et le cardinal Ferrari.
U faut attendre à jeudi pour parler sûrement des
suites, mais il y a lieu de bien espérer. Je ne crains
que Fabroni auprès de Sa Sainteté. Cet homme lui-»,
a fait voir les enfers ouverts, si elle consentoit à la
censure des propositions, dont les semblables, lui
a-t-il dit, se trouvent dans tous les mystiques. Il
n'a pas aussi manqué de lui bien faire valoir la
sainteté personnelle de M. de Cambrai.
J'ai reçu votre lettre du i6 février. Nous atten-
dons M. de Monaco à la fin de ce mois. La rétrac-
tation de M. de Cambrai viendra tard, si elle arrive.
J'en doute, et le courrier sera parti pour l'avertir
seulement de ce qui se passe.
Je n'ai pas eu un moment de repos tous ces jours-
ci , et à peine ai-je pu rester quatre heures dans mon
lit; mais ma santé ne laisse pas d'être bonne, Dieu
SUR l'affaire du quiétisme. 82^
merci ; j'aurai le temps de me reposer, l'afTaire finie.
Je ne crois pas que je me puisse jamais consoler
de la perte que nous avons faite, je la sentirai toute
ma vie.
Je n'écris qu'un mot à M. de Paris, je le renvoie
cette fois-ci à vous, la poste allant partir.
Il est nécessaire que vous répondiez au parallèle
de M. de Cambrai (*).
Rome, 10 mars 1699.
LETTRE CCCCXXXVIL
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur le contenu du bref contre le livre des Maximes y et la manière
dont les choses s'étoient passées à la conclusion.
Dieu est plus fort que les hommes : la vérité en-
fin a triomphé. Hier le décret fut arrêté en présence
du Pape, qui le signa. La bulle est déjà faite en
conformité , et on l'imprime à l'heure qu'il est : elle
sera affichée et publiée demain. Dieu soit loué..
Avant que de vous rapporter tout ce qui s'est
passé depuis huit jours, de quelle manière on a re-
médié au mal qu'on vouloit faire, et comment on
a dissipé les efforts de l'enfer déchaîné, je vous dirai
d'abord en substance ce que contient de principal
et d'important la Constitution, dont Je doute que
je puisse avoir un exemplaire avant le départ de ce
(*) Cesl l'ouvrage intitulé : Les principales Propositions du Hure
des Maximes justifiées , etc. auquel Bossuet a répondu par celui
qui a pour titre : Les Passages éclaircis, etc. Voyez tora. xsx >
pag. SaS et suiv. {^Edil, de Vers.)
326 LETTRES
courrier, quoique je n'oublie rien pour y parvenir.
Je sais que M. le cardinal de Bouillon veut l'avoir
seul ce soir : il empêchera peut-être que le père Ros-
let et moi nous ne l'ayons.
On m'a assuré que c'étoit une bulle (*) dans toutes
les formes, dans laquelle l'on ne parle point de l'In-
quisition : on y met motuproprio, mais on y ajoute,
ex consilio Tlieologorum _, Cardinalium _, etc. deli-
beratione maturd et diligenti examine habito. Le
cardinal de Bouillon ne s'est mis en peine de rien
sur cela. Il auroit même laissé parler de Y Inquisi-
tion sans mot dire. Pour peu qu'il eût voulu, on
n'auroit pas mis l'expression motu proprio. J'en ai
parlé, mais le cardinal Albani et le cardinal Casa-
nate aussi m'ont assuré que cette clause étoit reçue
en France, de la manière dont elle étoit tournée
dans le décret. Le cardinal Casanate en a fait ôter
tout ce qui regardoit l'Inquisition; et le Pape, sur
les représentations qui lui ont été faites, y a con-
senti aisément.
On ne parle, dans ce décret, ni du Roi ni des
évêques. Le titre du livre des Maximes et le nom de
l'auteur y sont insérés sans déguisement.
Il renferme vingt-trois propositions principales,
qui sont rapportées dans leur entier, et qu'on con-
damne si^e in sensu obvio, sit^e in contextu senten^
tiarum et libri , tanquam respective erronças, teme-
varias^ scandalosas _, piarum aurium offensivas,
inducentes in errores ab apostolicd Sede damnatas,
avec quelques autres qualifications également fortes.
C) On verra, par la suite de ceUe lettre, que Tabbé Bossuet n'é-
loit pas exactement iulorraé de ce fait.
SUR l'affaire du quiétisme. 327
La qualification d'héiëtique ne s'y trouve pas, quoi-
que la proposition de Tinvolon taire en Jésus-Christ
soit du nombre des vingt-trois, et qu'on l'ait trans-
crite sans restriction ni modification, comme étant
du livre, et par conséquent de l'auteur. Je vous di-
rai dans la suite de quelle manière le tout s'est fait.
On ne condamne pas seulement telle édition du
livre ; on en condamne toutes les éditions et toutes
les traductions. Les différentes clauses, usitées dans
les bulles en pareil cas n'y sont pas oubliées. On a
ôté seulement celle de igné comburantiir , qui n'est
pas essentielle. Il n'est pas dit un mot qui tende à
excuser le sens de l'auteur, ni ses explications. Ces
paroles, swe in sensu ob\^io, siue ex coniextu lihri et
senieniiarum , destinées à caractériser l'intention du
décret, paroissent aller au-devant des chicanes qu'on
auroit pu faire sur le sens de J'auteur et de ses expli-
cations. On ne sauroit désormais les alléguer, puis-
qu'il est manifeste que ces explications, contraires
au sens condamné, ohvio , ne sont ni bonnes ni
recevables, vu qu'elles seroient encore contraires au
texte du livre et à toute la suite de son exposé, et
n'y conviennent pas.
Les propositions en particulier se verront dans
la bulle : je n'en puis savoir le détail au juste ; mais
vous voyez, par ce que je viens de vous marquer,
que l'essentiel se trouve dans le décret. La doctrine
du livre de M. de Cambrai, expressément condam-
née, est flétrie sans ressource pour ne laisser rien
à désirer. Je conviens qu'il auroit fallu qu'on eiit
ajouté la qualification d'hérétique, et l'on auroit dû
qualifier chaque proposition en particulier -, mais
SaS LETTRES
sans entrer ici dans les raisons qui ont contraint
de ne pas insister plus long -temps sur ces deux
points, je m'imagine que vous les pénétrez bien.
Il a paru ici trop difficile de donner exactement
à chaque proposition ses qualifications propres,
d'autant plus qu'il n'étoit pas aisé de faire convenir
les cardinaux. A chaque proposition il auroit fallu
livrer autant de batailles contre les amis de M. de
Cambrai ; et c'étoit ce qu'ils demandoient, uni-
quement pour embrouiller et pour éterniser cette
affaire , sous prétexte de rendre la décision plus
exacte : toutefois on en seroit venu à bout , si M. le
cardinal de Bouillon n'avoit pas été dans les con-
grégations ; mais les personnes les mieux disposées ,
et qui souhaitoient le plus qu'on appliquât les qua-
lifications, ont jugé la chose trop embarrassante, trop
hasardeuse, pour oser insister. Ainsi elles ont cru,
dans des circonstances si malheureuses pour l'Eglise
et pour la France, qu'il falloit se contenter des qua-
lifications générales, dont la plupart convenoient
avec le respective. Et de plus, c'est assez le style
des bulles ; outre que cette manière de qualifier est
moins sujette à être contredite, et laisse la liberté
d'appliquer aux propositions les qualifications qu'on
juge les plus convenables parmi les diverses qualifi-
cations réunies.
Il n'y a que celle d'hérétique qui manque. Quatre
des forts cardinaux, Panciatici, Garpegna, Gasanate
et Marescotti, vouloient qu'on la mît, et soutenoient
que c'étoit la qualification que méritoit surtout la
proposition de l'involontaire en Jésus-Ghrist ; mais
les autres cardinaux ont molli, principalement les
suii l'affaire du quiétisme. 829
cardinaux Noris et Ferrari, qui, joints au cardinal
de Bouillon et au cardinal Albani, Tout emporté. Le
Pape en est cause plus que personne : le terme d'hé-
rétique lui a fait peur. Le reste relTrayoit bien en-
core, mais il a été obligé de le passer.
C'est encore le Pape qui a demandé, à l'instiga-
tion de Fabroni, qu'on ne mît pas igné comburan-
tur. Voilà l'idée générale de la constitution.
Voici ce qui s'est passé depuis mes dernières let-
tres, portées par le courrier extraordinaire. Je ne
vous rapporterai les choses qu'en abrégé, vous les
ayant mandées déjà très au long par ma lettre de
mardi.
Aussitôt que le courrier qui alloit vous apprendre
le projet des douze Canons, fut parti, je crus qu'il
n'y auroit pas de mal de faire un peu de bruit, et
de faire porter jusqu'au Pape mes plaintes sur une
pareille conduite. Le père Roslet alla chez le car-
dinal Albani, et lui parla fortement. Il lui dit qu'il
m'avoit vu très- troublé, et en doute si je ne devois
pas partir en poste pour venir avertir le Roi de
tout ce que tramoit une cabale furieuse, à la tête
de laquelle on le mettoit, pour rendre inutiles les
bonnes intentions de Sa Sainteté, et éterniser une
aiFaire déjà terminée entre les cardinaux. Ce dis-
cours fit l'efTet que nous pouvions souhaiter. Le car-
dinal étonné alla rendre compte de tout au Pape,
qui poussé par la précipitation naturelle de son gé-
nie, et les angoisses que la durée de cette affaire lui
donne depuis un mois, se détermina le samedi 7 à
envoyer quérir l'assesseur, et à faire intimer pour
le lendemain dimanche la congrégation des cardi-
33o LETTRES
naux, afin qu'ils donnassent leur avis sur le projet
proposé qui lui tenoit toujours fort au cœur. Les
cardinaux, qui ne s'attendoient guère à cette con-
vocation, en furent surpris, et plus que tous le
cardinal de Bouillon, qui ne put cacher son me'-
contentement, et qui s'enferma aussitôt avec le père
Charonnier jusqu'à minuit.
On ne s'endormit pas pendant ce temps-là. J'allai
dès le samedi porter chez les cardinaux le Me'moire
italien que vous avez en français , et nos amis tra-
vaillèrent à disposer les esprits à une ferme résistance.
Ce qui me porta à ne point perdre de temps,
c'est l'avis qu'on me donna que le cardinal Ferrari,
gagné par le cardinal de Bouillon, et en particu-
lier par le Carme, son ami intime et son compa-
triote, dont j'avois toujours appréhendé les insi-
nuations , c'est dis-je que ce cardinal avoit proposé
et fait goûter à Sa Sainteté le nouveau projet , en
lui inspirant des craintes sur tous les autres plans,
soit par rapport aux mystiques , soit par rapport à
la personne de M. de Cambrai, qui l'exhortoit à
ménager, insistant surtout pour qu'on ne mît point
au jour les propositions de son livre.
Je vis dès le dimanche l'assesseur et le commissaire,
de qui j'appris beaucoup de choses. J'ose dire que le
dimanche à midi j'étois comme assuré que le projet
seroit rejeté, et qu'on s'en tiendroit aux délibérations
prises. Je vis que les cardinaux bien intentionnés,
étoient disposés à s'unir pour empêcher toute autre
détermination -, et nous n'avions à appréhender que
les cardinaux de Bouillon , Ferrari et Albani , mais
plus que tous le Pape lui-même.
SUR l'affaire tu QUIÉTISME. 33 1
Le dimanche matin nous convînmes avec le père
Roslet qu'il iioit le malin chez le Pape, et moi
l'après-dînée. Cela fut ainsi exécuté. Le père Roslet
rend compte exactement de son audience à M. de
Paris : il parla fortement au Pape , entra dans un
grand détail avec lui. Le Pape lui parut fort em-
barrassé, fort irrésolu , fort porté k épargner M. de
Cambrai , et très-troublé. J'allai donc après dîné
chez Sa Sainteté : il seroit trop long de vous faire le
récit exact de ce qu'il me dit, je n'en ai pas le
temps , et d'ailleurs je vous ai rapporté fort au long
les choses dans ma lettre de mardi dernier, lo de
ce mois. Je vous marquerai donc seulement que Sa
Sainteté jugea à propos de me nier le nouveau projet
des Canons, me disant par plusieurs reprises que
c'étoient de faux bruits. Je vis bien que le saint Père
commençoit à être honteux de ce qu'il avoit fait ,
mais j'aperçus en même temps en lui une grande
disposition pour épargner en tout M. de Cambrai
et sa doctrine. On lui avoit fait une si furieuse peur
de la publication des propositions, que Sa Sainteté
n'a jamais voulu convenir avec moi qu'il y eut eu des
propositions extraites et censurées par les cardinaux*
Je pris la liberté de lui rappeler avec assurance ce
que le public savoit, et de lui représenter ce qui
convenoit, sur la fin de cette affaire, à sa gloire, à
la paix de la France, et au repos de sa conscience,
qui étoit de suivre le sentiment de son conseil. Je
vous remets là-dessus à ma lettre de mardi qui vous
étonnera, mais qui contient la pure vérité. J'ins-istai
fortement sur la nécessité de mettre au jour les
propositions sur lesquelles il étoit question de pro-
332 LETTRES
noncer, lui faisant sentir que sans cela, ni le Roi,
ni les ëvêques, ni l'Europe entière, n'auroient pas
sujet d'être contens. Je lui remontrai qu'en agissant
autrement , on donneroit lieu à M. de Cambrai et
à ses adliérens de soutenir qu'on n'a pu condamner
les propositions , ni juger le fond de sa doctrine 5 ce
qui seroit e'terniser toutes les disputes. Je le lui
prouvai clairement, et en prenant sa be'ne'diction à
genoux je lui repétai encore les mêmes discours.
Je n'ai jamais vu une personne si troublée, si
agitée qu'il l'étoit. Il me promit néanmoins , sur ce
que je lui dis que les amis de M. de Cambrai triom-
phoient, et- disoient plus hautement que jamais
qu'on ne verroit pas de décision, et que le saint
Siège n'oseroit condamner les propositions d'un si
grand archevêque; il me promit, dis-je, que tout
iîniroit cette semaine, et me déclara qu'il étoit bien
fatigué de cette affaire. Je lui dis que si cela étoit , il
n'y avoit pas à craindre qu'il voulût faire des Canons,
qui demanderoient une longue discussion pour ne
rien avancer que de parfaitement exact.
Pendant ce temps, la congrégation des cardinaux
se tenoit à la Minerve : elle dura près de quatre
heures. Toujours pour son malheur, le cardinal de
Bouillon parla le premier. Il appuya vivement le
nouveau projet, comme plus digne du saint Siège,
moins sujet à contradiction , moins flétrissant pour
M. de Cambrai, ce qui est le point le plus intéres-
sant pour lui. On ne le pourroit croire; il resta seul
de son avis. Les premiers et anciens cardinaux par-
lèrent si fortement contre, que le cardinal Ferrari,
quoique promoteur de cette nouveauté, et le cardi-
SUR l'affaire du quiétisme. 333
nal Albani qui la secondoit, se virent oblige's d'a-
bandonner le cardinal de Bouillon : il fut ainsi con-
clu qu'on rejeteroit les Canons avec tout l'ensemble
du projet, et Ton résolut de s'en tenir à ce qui avoit
été décidé dans les congrégations précédentes. Le
cardinal de Bouillon sortit plus mort que vif; il ne
put descendre les degrés de la salle, ni remonter
ceux de son appartement, qu'en chaise à porteurs.
Malgré tout cela, la cabale ne se tint pas pour
vaincue. Le Pape toujours prévenu , et même résolu
à prendre, disoit-il, le parti le plus doux, envoya
quérir le cardinal Ferrari et le cardinal Albani, et
leur ordonna le lundi matin de dresser le décret,
et de le tenir prêt pour le mercredi matin, jour
auquel il vouloit que les cardinaux déterminassent
tout jusqu'au moindre mot, voulant absolument
finir jeudi, comme il Favoit promis.
Le cardinal Ferrari, et principalement le cardi-
nal Albani, gagnés très-certainement par la cabale,
travaillèrent à ménager, autant qu'ils pouvoient,
M. de Cambrai ; et ils sont cause qu'on n'a pas
porté les choses aussi loin qu'on auroit dû, et qu'on
n'a pas traité ce prélat comme on convient qu'il le
méritoit. La rédaction ne fut achevé que le mardi
au soir à la nuit, et ne put être copiée et envoyée
chez les cardinaux per nianus qu'à près de minuit.
Ils furent étonnés le lendi main, à la pointe du jour,
de trouver chez eux cette pièce, sur laquelle ils
auroient à parler sur-le-champ. Les bien intention-
nés prirent aussitôt leur parti, très-résolus de faire
de leur mieux, et de s'opposer à tous les changemens
préjudiciables qui auroient été faits dans le décret.
334 LETTllES
Ils montrèrent en efl'et leur zèle et leur courage
dans rassemblée, de manière qu'oïl retrancha bien
de petits mots glissés par- ci par -là, et qu'on en
ajouta d'autres , supprimés à dessein d'alToiblir la
décision. Il n'y eut pas moyen de faire mettre la
qualification d'hérétique, la pluralité des voix l'em-
porta ; on crut que le reste étoit assez fort et pro-
duiroit le même effet : la soumission de M. de Cam-
brai au saint Siège servit de motif pour la refuser.
Enfin le décret passa, comme vous le voyez, après
des efforts inouis de la part du cardinal de Bouil-
lon pour renouveler les disputes , pour faire parler
des explications de l'auteur, et rayer cette clause :
'swe in sensu ob^^io^ swe ex connexione sententia-
rum. Il chercha encore à faire peur, soutint tou-
jours que les tempéramens par lui proposés seroient
du goût du Roi et de la France, et enfin débita
de nouveau tout ce qu'il avoit déjà répété cent et
cent fois. Mais on crut n'en avoir que trop fait, et
l'on n'eut aucun égard à tous les propos de cette
Eminence.
Le Pape fut instruit dès le moment de la dernière
délibération des cardinaux, et envoya l'assesseur
chez le cardinal Casanate, pour convenir de tout,
afin qu'il n'y eût plus rien à faire pour le lendemain.
Je fus averti sur-le-champ que l'essentiel étoit fait
et arrêté : jugez de ma joie; car la précipitation
avec laquelle on opéroit depuis un certain temps,
me faisoit tout appréhender.
Hier enfin jeudi, en une demi-heure l'affaire fut
consommée devant Sa Sainteté, qui ne permit pas
au cardinal de Bouillon de se répandre à son ordi-
SUR l'affaire du quiétisme. 335
naire en vains discours, comme il comptoit le faire.
Le Pape commença par dire qu'il vouloit exécuter
ce qui avoit été déterminé dans la congrégation,
fit lire le décret, le signa, et finit cette grande af-
. faire à la honte éternelle de M. de Cambrai et de
ses protecteurs. Après Dieu on doit tout, je dis
tout au cardinal Casanate. Il s'est ouvert avec moi
plus que jamais, m'a dit qu'il avoit reçu pour cette
cause toute sorte d'outrages de la part du cardinal
de Bouillon-, qu'il n'avoit pas été le seul maltraité
parce ministre, qui a attaqué tous les cardinaux,
excepté un, m'a-t-il dit, qui a fait encore plus de
mal que lui , parce qu'il est plus adroit j c'est le
cardinal Albani.
Du reste, il m'a confirmé tout ce que je savois,
et ce que je vous ai mandé du vœu du cardinal de
Bouillon. Il n'a jamais rien laissé par écrit à la con-
grégation j on n'a pu tirer de lui que des qualifica-
tions équivoques, comme je vous l'ai marqué, dans
lesquelles, en cherchant à distinguer les sens, il n'ou-
blioit rien pour excuser l'auteur. Il a embrassé tous
les projets qui alloient à justifier le livre et les in-
tentions de M. ^e Cambrai. Il a tourmenté le Pape
et les cardinaux, à un point qui ne se peut imagi-
ner. Enfin, après les délibérations arrêtées, il s'est
étudié, en précipitant la conclusion, à obtenir quel-
que chose de favorable par adresse et par surprise.
S'il n'a pas réussi comme il l'espéroit, il fera bien
valoir à ses amis la note à'hérétique qu'il a empê-
chée. Il est sûr que s'il n'avoit pas assisté aux con-
grégations, le livre sans aucune contradiction auroit
été condamné tout d'une voix, et flétri de la ma-
336 LETTRES
nière la plus forte. Lui seul a fait tout le mal, et
ce seroit se tromper que de croire qu'il n'en fera
pas toute sa vie ; il est trop engagé.
Je sais qu'il dit à présent qu'on n'en demeurera
pas là y que le saint Siège n'a rien fait qui vaille,
qu'il falloit aller plus au fond.
Il est certain qu'il a proposé d'examiner tous les
mystiques avec le livre de M. de Cambrai, et de
donner une décision générale sur tout l'ensemble de
leur doctrine. Il a traité d'ennemis personnels de
M. de Cambrai ceux qui ont rejeté cette proposi-
tion, qui n'étoit que pour éluder la condamnation
du livre, en prolongeant l'affaire. Tout ce qu'il a
demandé n'avoit point d'autre but ; et il n'est ici
personne qui ne soit instruit de ses intentions, mon-
trées trop à découvert pour qu'on les ignore.
Jugez de la désolation du parti.
Vous saurez bientôt ce que vous aurez à faire
sur tout cela : je n'ai pas de conseil à vous don-
ner ; je me suis d'ailleurs assez expliqué. Si l'on n'a
pas fait une bulle, comme on devoit s'y attendre, .
ce n'est pas faute d'avoir représenté là -dessus au
cardinal de Bouillon ce qu'il convenoit. Je lui en ai
parlé cent fois, et j'ai cru qu'il avoit des ordres sur
cela. Je me doute bien que s'il n'a pas agi à cet
effet, c'est qu'il désire que le décret ne soit pas reçu
en France, et il suppose que le motu proprio pourra
empêcher la réception du bref. Il falloit en outre
qu'il s'arrêtât à cette forme, pour déterminer le
Pape à donner au cardinal Albani le principal soin
de la rédaction, attendu que c'est lui qui a la di-
rection des brefs de cette espèce , et non des autres.
Si
SUR l'affaire du quiétisme. 33^
Si Ton avoit eu le temps de se reconnoître, je crois
que j'aurois fait entendre raison aux uns et aux
autres. Je fis cependant avertir de to t cela le car-
dinal Alhani, qui me re'pondit que je ne me miàse
pas en peine, que le de'cret seroit tel qu'il falloit
pour la France. Aujourd'hui le cardinal Casanate
m'a dit que cette sorte de bulle étoit des plus au-
thentiques, et qu'il en fit hier ôter ce qui regarde
l'Inquisition, quoique le cardinal de Bouillon n'eût
fait sur ce point aucune représentation; mais qu'il
s'étoit souvenu de celles que je lui avois fartes au-
paravant.
Le cardinal Casanate m'a dit encore, que si à
présent M. de Cambrai ne donnoit une rétractation
nette et précise de ses erreurs, il méritoit qu'on
sévît fortement contre lui. Je verrai et remercierai
demain Sa Sainteté, qui n'a jamais eu assurément
que des intentions droites et justes, mais qu'une ca-
bale trop puissante troubloit et démontoit à tout
moment.
Le Père procureur général des Minimes vient de
voir le Pape, qui lui a avoué toute la violence de
la cabale, lui déclarant qu'on ne l'avoit pas laissé
un instant tranquille ; que ce qu'il a souffert est
inoui ; mais il a ajouté qu'enfin il étoit en repos, et
qu'il souhaitoit que le Roi et les évéques fussent
contens : le père Roslet fait le détail de cette visite
à M. de Paris.
J'ai su certainement que le Pape, le jeudi même
qu'il proposa le projet des Canons aux cardinaux,
parla durement au cardinal de Bouillon, qui vouloit
le forcer d'ordonner aux cardinaux de l'approuver.
BOSSUET. XLII. 2 2
338 LETTRES
Vous verrez dans huit jours, par toutes les lettres
de Rome, la fureur avec laquelle le cardinal de
Bouillon s'est conduit ; cela est public , et \nï a
attiré le mépris et l'indignation universelle.
Le Pape a demandé au père Roslet si je n'enver-
rois pas un courrier, indépendamment de celui qu<;
le cardinal de Bouillon enverroit ; que cela étoit
nécessaire, et qu'il me le conseilloit. On lui a ré-
pondu que je faisois actuellement ma dépêche, et
que cela m'erapêchoit d'aller à ses pieds dès aujour-
d'hui. Dites bien des choses, je vous prie, pour moi
à M. le nonce, afin que Texpression de mes senti-
mens pour les services qu'il nous a rendus, puisse
retentir jusqu'ici.
Peut-être sera-t-on surpris ici dans le cas où le
Roi, d'après mes lettres portées par le dernier cour-
rier, se seroit déterminé à écrire quelque chose de
fort au Pape 9 mais j'ai fait mon devoir. Le cardinal
Casanate me fit dire le lendemain du départ de mes
dépêches, qu'il me conseilloit de prendre ce parti,
parce qu'on ne pouvoit répondre de la personne du
Pape dans le trouble et la prévention oii il étoit;
me promettant que dans l'intervalle de la réponse,
il travailleroit à suspendre le coup, s'il voyoit qu'on
voulût aller en avant. Je lui ai appris la manière
dont je m'étois conduit, et il a très-approuvé ce que
j'avois fait. Je verrai s'il convient à présent que je
prévienne là-dessus le cardinal Spada. Je serai tou-
jours bien aise que le Roi témoigne son opposition
au projet si vivement soutenu par le cardinal de
Bouillon et la cabale. Cela confirmera le Pape dans
ce qu'il a fait, et le précautionnera contre les soUi-
SUR l'affaire du quïétisme. 339
citations qu'on ne manquera pas de lui faire, pour
extorquer de lui quelque chose en faveur de M. de
Cambrai.
Au reste, que la France ne vienne plus traiter ici
ses affaires, au moins tant qu'il y aura à Rome un
cardinal de Bouillon; qu'elle fasse tout par elle-
même , en conservant toujours le respect dû au
saint Sie'ge.
Si les évêques et les parlemens trouvoient la
moindre difficulté à publier cette constitution , à
cause de quelques clauses contraires aux usages du
royaume, je ne crois pas qu'il faille rien faire de
nouveau, ni rien accorder qui préjudicie aux Ui^ages
de la France, qu'on ne sauroit trop conserver. Je
suis persuadé qu'à la première réquisition du Roi,
le Pape fera la constitution dans une autre forme,
telle qu'on pourra la désirer. En tout cas, les évê-
ques sont en droit de faire ce qui conviendra le
mieux au bien de leurs peuples, et d'exiger de
M. de Cambrai ce qu'ils jugeront nécessaire à l'af-
fermissement du dépôt.
Je crois vous avoir mandé que le général des Jé-
suites a été, depuis un mois, solliciter publique-
ment tous les cardinaux, et qu'il a été traité assez
durement par quelques-uns d'eux, qui lui ont re-
proché, et entre autres le cardinal Nerli, que sa
compagnie ne soutenoit en toute occasion que les
mauvaises doctrines. Les Carmes ne se sont pas ou-
bliés, et ont bien intrigué avec la cabale. Mais les
Dominicains ont fait leur devoir, le général à leur
tête, quoique avec prudence.
Le père Roslet a fait au-delà de tout ce qu'on
34o LETTRES
pouvoit désirer, et a Lien suivi les ordres et les in-
tentions de M. de Paris : j'ai toute sorte de sujet de
me louer de lui.
Je vous recommande, ainsi qu'à M. de Paris, le
courrier, qui veut bien me faire Tamitië de porter
cette dépêche : il a servi ici en mille choses. Il a
vu par lui-même ce qu'a fait le cardinal de Bouil-
lon, et le connoît jusque dans le fond de Famé. Il
a été charmé de rendre ce dernier service aux évê-
ques et à son pa3^s : il fera une grande diligence. Il
n'est pas fort bien dans ses affaires : je vous prie de
prendre soin de fournir aux frais de son retour,
qu'il disposera à loisir. Il est généreux, et ne vou-
dra peut-être pas qu'on le dédommage : mais comme
il fait cette course pour m'obliger uniquement, et
pour vous rendre compte comme à M. de Paris des
choses, car il sait presque tout ce qui regarde M. le
cardinal de Bouillon, il est juste de ne pas abuser
de sa complaisance : j'écris à mon frère d'entrer
aussi dans sa dépense. Je lui donne, en partant d'ici,
deux cents écus romains avec un ordre pour Lyon 5
ce qui lui suffira pour aller. Il verra, en passant,
M. le grand duc, et vous rendra compte de sa visite.
Je reçus avant-hier les lettres du 2 3 février : j'at-
tends avec impatience des nouvelles de la.réception
du jugement de l'affaire.
Le cardinal Gasanate m'a dit ce matin qu'il n'a
pas tenu à lui qu'on n'eût mieux fait et plus forte-
ment; mais qu'il a eu peur, si l'on retardoit encore,
qu'on ne profitât des délais pour faire naître de
nouveaux embarras, qu'il ne seroit pas le maître de
surmonter. Il m'a avoué franchement qu'on devoit
SUR. l'affaire du quiétisme. 341
mettre la qualification d'hérétique, et que cétoit
son avis; mais que le Pape avoit conclu in mitio-
rem. IJ ne faut rien dire de tout cela qu'au Pvoi, à
madame de Maintenon et à M. de Paris, et se con-
tenter de ce qu'on a obtenu avec tant de peine, qui
au fond peut suffire.
Le jubilé pour les Catholiques d'Angleterre, per-
sécutés par le prince d'Orange, n'a eu aucune suite,
et on n'en a plus parlé.
Les plus foibles de tous les examinateurs ont été
les théologiens : la Scholastique perd tout ici.
Je n'ai osé aller voir le cardinal de Bouillon de-
puis farrêt prononcé. Il a envoyé quérir le père
Roslet, pour lui dire les plus belles choses du monde.
Il va à présent s'épuiser en mensonges, pour per-
suader à la Cour, ou qu'on lui doit tout ce qui s'est
fait de bien, ou qu'il vouloit mieux faire j mais que
ma cabale l'en a empêché^ ne cherchant qu'à faire
du mal à M. de Cambrai, pour contenter la haine
qu'il prétend que vous lui portez. Il a parlé ici con-
formément à ces nobles idées.
Pour parler dans l'exacte vérité, et rendre justice
à tout le monde, je dois dire que paimi les Français
qui sont ici, les seuls qui aient fait leur devoir, sans
respect humain , pour servir les évêques , sont le
père Roslet, M. Phelippeaux et moi, et les amis de
M. de Tourreil. Le père général de la Minerve a été
bien, mais avec politique. Je ne parle pas de nos
bons qualificateurs, ni du père Latenai et du père
Cambolas, à qui on a obligation. Je ne prétends au
reste faire tort à personne, c'est seulement pour vous
montrer le peu de secours que nous avons eu.
34^ LETTRES
M. Madot vous dira le reste : il faut toujours se
rejouir de la fin d'une pareille affaire. J'en rends
grâces à Dieu, et n'ai de douleur que de ne pas
partager cette joie avec mon pauvre père.
Voilà le bref et les exemplaires que j'ai pu en
avoir : j'ai cru le courrier nécessaire pour informer
de la vérité, qui sera bien déguisée par M. le cardinal
de Bouillon. Je serois bien satisfait si la Cour pou-
voit donner quelque gratification au courrier, qui a
ses raisons pour n'être pas nommé.
Le cardinal Casanate vouloit qu'on n*omît pas la
proposition de la contemplation négative; mais les
théologiens et le cardinal Albani ne l'ont pas secondé.
i3 Mars 1699.
LETTRE CCCCXXXVIIL
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le Mémoire envoyé à Rome par le Roi contre le projet des
Canons, et la suite des opérations.
Vous verrez par le prompt départ de ce courrier,
dépêché extraordinairement, comment le Roi a pris
la nouvelle du projet des Canons. Je vous envoie le
Mémoire que nous avons dressé (*), par oii vous
verrez les raisons dont ce prince a été touché. On
le lui a donné ce matin. Nous lui avons parlé M. de
Paris et moi dans les mêmes sentimens, mais à di-
verses heures, pour ne point donner une scène sans
nécessité au courtisan, attentif à cette affaire plus
C^) Ce Mémoire, que nous donnons après la lettre de M. de Paris,
fut composé par BossueL
SUR i/aFFAIR-E du QLIÉTISME. 34^
qu'on ne peut vous le dire. Le Me'moire est fort ;
M. de Paris Ta présenté au monarque.
Vous voyez que fai reçu non-seulement vos lettres
du ^4 février par l'ordinaire, mais encore celles du
premier et du 3 de ce mois, et celle du 5 à moi
adressée, et que j'ai vu celles du 6 et du 7 écrites à
M. de Paris. J'espère que les cardinaux auront mis
fin à cet incident, et auront bien su empêcher qu'on
ne commette, par de telles manœuvres, l'autorité du
saint Siège. C'est en vérité tout pousser à bout et à
toute outrance, et s'égarer au delà de toute mesure.
Dieu sera le protecteur de sa cause.
Vous ne devez pas vous repentir de nous avoir
averti ; et si nous pouvions encore avoir ce projet
de Canons, nous ne plaindrions pas l'argent ni la
peine. J'ai offert de satisfaire Lantivaux qui a fait
une diligence extraordinaire, étant arrivé le i4 au
soir : M. de Paris a voulu y pourvoir. Nous nous
portons bien, Dieu merci. Le courrier a ordre de
prendre nos lettres , de les rendre à leur adresse , et
aussi de nous rapporter les réponses. J'ai peur qu'à
la fin le cardinal de Bouillon ne se fasse tort : c'est
à lui à se garder.
Quand les choses seront décidées, vous aurez en-
core à attendre pour savoir les démarches de M. de
Cambrai et l'effet de la réception de la bulle. Il ne
faut point se commettre à demander la prohibition
des livres en explication. Voici la lettre osten-
sible (*) ; vous en ferez l'usage que vous voudrez.
ji Paris f 16 mars 1699.
(*) C'est celle qui suit : celle-ci n'étoit que pour l'abbé Bossuet.
\EdU. de Fers.)
344 LETTRES
H «/«/•>«/•.■«<'«/« V-«'»'^«/« «/«/««/«^t
LETTRE CCCCXXXIX.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le projet des Canons ^ les inconvéniens dans lesquels Rome
lornberoit, si elle s'arrétoit à ce projet j et sur les motifs de
confiance dans le péril où la vérité se trouvoil.
Un bruit se répand ici d'un nouveau projet qu'on
a donne' aux cardinaux, de la part du Pape : la
source en vient de Cambrai. On publie que ces Emi-
nences sont partagées, comme l'ont été les qualifi-
cateurs. On compte quatorze voix , y compris
M, l'assesseur et M. le commissaire; et de ces qua-
torze, on en donne sept à M. de Cambrai. Ce bruit
remplissoit hier toute la Cour. On dit qu'il s'agit
de certains canons sur la vie spirituelle, dressés il y
a long-temps par M. de Cambrai lui-même, limés
par le père Charonnier, et proposés par M. le car-
dinal de Bouillon avec, dit-on, une ardeur et une
hauteur inouie. Par ce moyen, plus de censure pré-
cise du livre; il deviendra une règle à toute épreuve
après un si long examen. On donnera pareille auto-
rité aux explications qui l'auront sauvé; et les dé-
fenseurs de la vérité demeureront accablés par une
cabale de niystiques, composée, malgré les évêques
et les docteurs, de fanatiques ralliés sous un non^
autorisé, parmi lesquels les femmes dominent : voilà
l'état où sera l'Eglise, si ce projet prévaut.
Pour moi je ne comprends pas les ménagemens
qu'on cherche à avoir pour M. de Cambrai, qu'on
veut trouver si terrible ou si considérable, qu'on
SUR l'affaire du quiétisme. 345
aime mieux hasarder tout que de le noter comme il
le me'rite. Nous voyons son livre jugé mauvais et
rempli d'erreurs, sans qu'on veuille les marquer.
Quand tout est fait, rien n'est fait, et c'est tou-
jours à recommencer. Je parle ainsi, selon les bruits
qu'on re'pand; mais au reste je n'en puis rien croire.
On diroit que M. de Cambrai est le seul ëvêque
dans l'Eglise, dont l'esprit et la piété doivent être
considérés. Il semble que l'on compte pour rien un
archevêque de Paris , aussi saint , aussi habile, aussi au-
torisé, aussi zélé pour le saint Siège que celui-ci ; qui a
sous sa charge plus de savans hommes, qu'il n'y en
a peut-être dans tout le reste de la chrétienté. Il
est vrai qu'il ne veut pas se faire craindre à l'Eglise,
à Dieu ne plaise. On ne peut pas lui donner des
airs menaçans, si contraires à sa modestie et à sa
douceur ; mais lui doit-on pour cela préférer M. de
Cambrai avec son caractère hautain , qui croit
éblouir le monde par l'adresse qu'il a pour excuser
tout?
On parle des grands services qu'il est capable de
rendre-, et j'en conviens, s'il s'étoit tourné d'une
autre sorte, si jusqu'ici on eût vu son zèle et ses ta-
lens se tourner à autre chose qu'à la défense de ma-
dame Guyon ; et si , pour premier ouvrage de ré-
putation, il n'avoit pas composé un livre qu'on met
en toutes les langues, même depuis peu en espagnol,
^iin de porter par tous les autres pays le feu qu'il a
mis dans le sien.
On vante ici le beau dessein de donner des règles
à toute l'Eglise sur la spiritualité. C'est un ouvrage
encore de cinq ou six mois, et l'on veut cependant
346 LETTRES
que toute la chrétienté, attentive à la conduite de
Rome, la voie elle-même détruire son propre tra-
vail et les délibérations de tant de grands cardinaux,
commencées depuis quatre mois, et se jeter dans
un abîme de difficultés, dans une source d'équivo-
ques inévitables avec un esprit si fécond en inter-
prétations nouvelles, et qui tâche d'accoutumer le
monde à faire dire aux paroles tout ce qu'il lui
plaît; et cela sans nécessité, seulement pour sauver
un livre, du moins inutile, équivoque et dangereux,
quand on voudroit l'exempter des autres notes plus
graves, dont on le reconnoît digne.
On est étonné en France que M. le cardinal de
Bouillon ose se donner cette autorité, de vouloir
faire changer le premier dessein approuvé du Roi
et des évêques. Vous savez combien je suis de ses
serviteurs; mais où il s'agit de la foi, tout doit céder.
Ici on ne s'est pas encore avisé de le suivre , du
moins en matière de doctrine spirituelle ; et quelque
respect qu'on ait pour le rang qu'il tient dans le
sacré collège, on n'en est pas moins surpris d'en-
tendre publier par les amis de M. de Cambrai, qu'il
maîtrise Rome; et que tant de gens aiment mieux
le croire sur ce qu'on veut présumer des sentimens
du Roi, que le Roi lui-même, qui s'explique si clai-
rement, et avec autant de respect pour le saint
Siège, qu'aucun Roi ait jamais fait.
Je vous envoie une douzaine d'exemplaires de la
Lettre du Théologien avoué par M. de Chartres,
qui convainc M. de Cambrai d'avoir altéré mani-
festement le sens du concile de Trente , et d'avoir
varié jusqu'au point de changer une explication qu'il
SUR l'affaire du quiétisme. 347
avoit donnée sous les yeux de Dieu , comme celle
qu'il avoit eue toujours en vue.
Je vous envoie aussi ma réponse aux propositions
principales de M. de Cambrai, avec un avertisse-
ment sur les signatures des docteurs , que ce prélat
m'attribue , quoiqu'il soit notoire que je n'y ai au-
cune part : mais ce prélat m'a toujours imputé, et
veut encore continuer à m'imputer tout ce qu'il
lui plaît.
Après cela, il n'y a plus qu'à prier Dieu qu'il ins-
pire au vicaire de Jésus- Christ une décision digne
de la chaire de saint Pierre, et à mettre sa confiance
en Jésus-Christ , qui ne manquera jamais à son
Eglise , quoiqu'on tâche de jeter Rome dans des
adoucissemens, je l'ose dire, qui mettroient tout en
feu, et son autorité en compromis.
Je vous confirme qu'on remplit tout Paris du
bruit du nouveau partage de la congrégation. Actuel-
lement on me le rapporte de tous côtés. Je vous
laisse à penser ce que cela donne lieu de dire sur ce
qui nous reste à faire, si Rome ne veut pas prendre
un bon parti. Ces discours, qu'on ne peut empêcher,
me percent le cœur. On croit ce qui vient de ce
côté-là ; parce qu'on voit M. de Cambrai mieux
averti que qui que ce soit, de ce qui se passe à
Rome. Il est bien certain qu'on lui rend compte de
tout, et il est vrai que nous n'apprenons la plupart
des choses que par les bruits que répandent ses
partisans. On ne sauroit trop tôt faire taire une
cabale remuante et hardie, mais foible au fond,
puisqu'elle a contre elle tout l'épiscopat et tous les
docteurs, appuyés d'un Roi comme le noire, qu'il
^.|b LETTRES
semble ici h tout le monde qu'on veut amuser. Je ne
dis rien davantage ; et content de gémir devant Dieu
du pe'ril de la chre'tienté, j'en reviens à la confiance
et h la prière.
Il nous avoit toujours semblé que M. de Cambrai
recevroit de Rome tout le bon traitement possible,
si en excusant sa personne, à cause de la soumission
qu'il a témoignée , on condamnoit son livre selon
ses mérites avec la doctrine qu'il contient; c'est ce
qu'on attend ici, et l'on n'y peut attendre autre
chose.
A Paris, 16 mars 1699.
LETTRE CCCCXL.
DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A-L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les inconvénieus du projet des Canons.
Vous avez très-bien fait, Monsieur, de nous
avertir si promptement du nouveau piège qu'on
vous tend à Rome. Lantivaux a fait une fort grande
diligence, car il me rendit avant -hier i4, sur les
sept heures du soir, vos lettres du 6 et du 7. Nous
n'avons pas perdu de temps de notre côté, car je fus
dès hier coucher à Versailles, et ce matin j'ai rendu
compte au R.oi de tout ce que vous me mandez. Sa
Majesté a compris aisément les inconvéniens de ce
beau projet, et a pris sur-le-champ le parti de dé-
pêcher un courrier extraordinaire , pour porter en-
core une lettre de Sa Majesté au Pape, et des ordres
SUR l'affaire du quiétisme. 349
très-pressans, et durs même, au cardinal de Bouillon.
M. de Meaux a parlé aussi ce malin au Roi , et a
vu comme moi son zèle sur cette affaire. Nous vous
écrivons par l'extraordinaire, voyant bien qu'il ne
se faut pas fier à l'ordinaire. J'ai fait des plaintes
de ce qu'on supprime nos paquets ; cela n'est pas
permis.
Rien n'est à mon avis plus mal imaginé que le
nouveau projet qu'on propose : il mettroit un nou-
veau trouble dans l'Eglise, au lieu de lui rendre la
paix; car chacun raisonneroit sur ces canons sui-
vant ses préventions et son intérêt. L'auteur pré-
tendroit y trouver la justification de son livre, et
les mystiques les plus outrés se croiroient en liberté
de soutenir toutes leurs maximes. Le Roi n'auroit
pas ce qu'il a demandé, et qu on lui a promis tant
de fois; et il auroit la douleur de voir augmenter
le mal qu'il a voulu guérir. Il presse , depuis
près de deux ans, pour avoir une décision nette et
précise; et il n'auroit que des règles générales, qu'il
est toujours aisé d'éluder, et qui n'attaqueroient pas
plus le livre dont est question, que les plus anciens
ouvrages de mysticité. Je trouve d'ailleurs que ce
parti ne convient pas mieux pour la gloire du Pape
et l'honneur du saint Siège : car il ne peut être
honorable qu après avoir fait un examen aussi long
et aussi solennel d'un livre qui peut être lu en trois
heures, il paroisse à toute l'Eglise qu'on n'ose le
juger. Et n'est-ce pas beaucoup commettre l'auto-
rité, que de faire des canons qui ne pourront être
reçus qu'avec beaucoup de peine ^ et seront rejetés
apparemment en plusieurs endroits ? Les magistrats
35o LETTRES
pourront même s'y opposer, sous prétexte que les
formes n'auront pas été gardées : ainsi en toutes
manières, no^^issimus error pejor erit priore. Vous
ne sauriez par conséquent trop combattre ce mau-
vais parti : on vous envoie des forces nouvelles de
ce pays-ci pour vous y aider; cest pourquoi j'espère
que vous en viendrez à bout heureusement.
Je me suis toujours attendu en mon particulier à
tous les efforts et les artifices imaginables de la part
de la cabale : je compte qu'ils dureront et augmen-
teront même, s'il est possible, jusqu'à la fin de l'af-
faire. Il n'y a qu'un jugement définitif, bien clair et
bien direct contre le livre, qui puisse les arrêter
entièrement : ne cessez donc point de le presser ;
nous vous aiderons toujours de ce côté-ci de notre
mieux, et j'espère que Dieu soutiendra sa cause.
Vous avez fait un grand coup, d'avoir remis le
cardinal Gasanate dans la députation dont on l'avoit
exclus ; cela me fait espérer que ce courrier trouvera
le mal réparé.
M. de Meaux vous envoie le réponse de M. de
Chartres. Le courrier va partir, ainsi je finis au-
jourd'hui 17, et je suis toujours, Monsieur, à vous^
de tout mon cœur.
Il faut Vous dire encore, que le retranchement
qu'on dit que j'ai fait aux litanies, est entièrement
faux, il n'y a pas le plus petit fondement du monde.
16 Mars 1699.
SUR l'affaire du quiétisme. 35
MÉMOIRE
ENVOYÉ A ROME PAR LE ROI,
Contre le -projet des Canons qu'on vouloît substituer à la
condamnation du livre de M. de Cambrai.
Sa Majesté apprend avec étonnement et avec dou-
leur, qu'après toutes ses instances, et après tant de
promesses de Sa Sainteté, réitérées par son nonce,
de couper promptement jusqu'à la racine, par une
décision précise , le mal que fait dans tout son
royaume le livre de l'archevêque de Cambrai, lors-
que tout sembloit tei miné , et que ce livre étoit re-
connu rempli d'erreurs par tant de congrégations
des cardinaux, et par le Pape lui-même, les par-
tisans de ce livre proposoient un nouveau projet qui
tendoit à rendre inutiles toutes les délibérations, et
à renouveler toutes les disputes.
Le bruit répandu dans Rome de ce projet , le fait
consister dans un certain nombre de canons qu'on
donneroit à examiner aux cardinaux, dans lesquels
l'on établiroit la saine doctiine sur la spiritualité^
en laissant le livre en son entier.
Cette discussion, plus difficile que toutes celles
qui ont précédé sur la censure des propositions, ou
se feroit précipitamment et sans l'exactitude re-
quise dans un ouvrage si délicat, ou rejetteroit cette
affaire dans de nouvelles longueurs dont on ne sor-
tiroit jamais: et cependant le mal, qui demande les
remèdes les plus efficaces et les plus prompts , iroit
352 LETTRES
toujours en augmentant, comme il a fait, jusqu'à
l'infini. On venoit naître tous les jours de nouvelles
difîicultcs et de nouveaux incidens par les subtiles
interprétations d'un esprit fécond en inventions cap-
tieuses, comme il paroît par tous ses écrits.
Ainsi , loin de terminer par un seul coup , en
prononçau' sur le livre et sur sa doctrine , comme il a
été tant de fois promis, les disputes qui mettent le
feu dans son royaume, Sa Majesté les verroit croître
sous ses yeux, sans que le Pape, à qui il a eu re-
cours avec une révérence et confiance filiale, daignât
y apporter le remède.
Ce qui étonne le plus, c'est qu'on ait ce ména-
gement pour un livi'e reconnu mauvais, et pour un
auteur qui voudroit se faire craindre, encore qu'il
ait contre lui tous les évéques du royaume et la
Sorbonne , dont deux cent cinquante docteurs
viennent encore d'expliquer leurs sentimens.
Sa Majesté ne peut croire que, sous un pontificat
comme celui-ci, on tombe dans un si fâcheux afFoi-
blissement ; et l'on voit bien que Sa Majesté ne
pourra recevoir ni autoriser dans son royaume que
ce qu elle a demandé, et ce qu'on lui a promis, sa-
voir un jugement net et précis sur un livre qui met
son royaume en combustion, et sur une doctrine
qui le divise : toute autre décision étant inutile pour
finir une affaire de cette importance, et qui tient
depuis si long-temps toute la chrétienté en attente.
Il est visible que ceux qui proposent ce nouveau
projet, à la fin d'une affaire tant examinée, ne songent
pas à l'honneur du saint Siège, dont ils ne craignent
point de commettre l'autorité dans un abîme de diffi-
/ cultes.
SUR l'affaire du qutétisme. 353
cultes, mais seulement à sauver un livre déjà re-
connu digne de censure.
. Il seroit trop douloureux à Sa Majesté de voir
naître parmi ses sujets un nouveau schisme, dans le
temps qu'elle s'applique de toutes ses forces à éteindre
celui de Calvin. Et si elle voit prolonger par des raé-
nagemens qu'on ne comprend pas, une affaire qui
paroissoit être à sa fin, elle saura ce qu'elle aura à
faire, et prendra des résolutions convenables; espé-
rant toujours néanmoins que Sa Sainteté ne voudra
pas la réduire à de si fâcheuses extrémités.
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EPISTOLA CCCCXLI.
D. FRANClSCrCAMPIONI,
AD EPISCOPUM MELDÉNSEM.
De ejus pro fide strenuis laboribus, et de Sedis apostolicae judicio
Praelati doctrinam confirmante.
Quos Cyrillo , aliisque christianis heroibus ab
errorum strage revertentibus , olim plausus occi-
nuit Ecclesiae, necesse esset in unam hanc meam
epistolam congerere, ut vobiscum, Praesul amplis*
sime, gratularer pro exantlatis ad biennium liic in
Urbe laboribus, quo exscindet'entur aliéna prorsuS
à verâ charitate dogmata in Mysticam invecta. Re-
scripta prodierunt ab apostolicâ Sede, contra quam
praevalere nunquam poterunt portae inferi. Impiuni
est, iniquum est quod illa rejicit : pium est, sanc-
tum est quod ilia suscipit. Omnem porrô pietatem,
omnemque sanctitatem debebit Ecclesia per onine
BOSSUET. XLII. 33
354 LETTRES
sœculum vestrse illustrissimae Dominationi. Vestrum
est, quod deinceps Mystica erit non araplitis para-
logia, sed tlieologia : vestrum est, quod tuti in pos-
terum figent pedem ascetae : vestrum est, si non ul-
tra se separabunt à Deo, qui, quia credebant magls
uniri Deo , arcebant se à consecutione Dei , sive
aeternâ per indifFerentiam ad beatitudinem, sive tem-
porali per indifFerentiam ad virtutes, quae sunt unica
via ad beatitudinem.
Quod theologi et philosopbi morales iraperfectam
constanter asserant amicitiam utilem, credebatur,
ut perfecta esset amicitia hominis ad Deum, exclu-
dendam fore omnem utilitatem, etiam quae est ho-
nestas ipsa : volais doctrinâ prœeuntibus, Ecclesia
Romana, mater et magistra omnium Ecclesiarum^
sua auctoritate declaravit non esse perfectiorem
amicitiam, quàm si Deus ametur uti perpétué pos-
sidendus.
Sanè amoris est, quô vehementior est, vehemen-
tiùs desiderare prœsentiam amati, eoquefrui, et in
eo quiescere. Dicatur imperfecta charitas, ubi liomo
ex desiderio remunerationis aeternœ, quod est aclus
S3cundarius diaritatis, movetur ad amandum pro-
pter se Deum, qui est actus priraarius; ubi tamen
intentio actûs primarii intendit secundarium, per-
fectio secundarii tune ostendit perfectionem prima-
rii. In omni statu vel naturœ, vel gratia?, quo plus
potest forma in actum primarium , plus etiam posse
débet in secundarium. Cùm haec indita sint naturis
rerum , ignorabantur tamen vel sub ipso lumine
gratiae. Porro vestrum est, quod hœc veluti lucerna
fulgoris illuminet totura corpus Ecclesise : vestrum,'
I
SUR l'affaire du quiétisme. 355
quia vos islic in Galliis, hic in Urbe curastis aceendi
lucernam et poni super candelabrum, ut luceret
omnibus qui in domo sunt. Fuistis enim et lilc in
Urbe per vestri omnino similem illustrissimum ne-
potem, cujus attentioni, zelo, vigilanliae etdoctrinae
post vos acceptara Ecclesia referet omnem lucem,
quam ab apostolico candeîabro in totam Ecclesiam
suâ constitutione sanctissimà diiJ'udit Pétri successor
Innocentius XII, féliciter regnans.
Vobis igitur de tantis in Ecclesiam meritis gra-
tulor ; et spero, quam verœ charitatis notionem apo-
stolicâ curastis auctoritate firmari, confirmandam
quamprimùm vestri de Statibus Orationis libri, à
me in italicum translati elucubratione, quam pro
suâ prudentiâ ante totius causas terminationem cen-
sebat reverendissimus Pater sacri apostolici Palatii
magister, non conferre ut evulgaretur. Si tan ta porro
vobis est seges exultationis et laetitiœ ob rem chris-
tianam viriliter assertam , colligere possim ego spi*
cam gaudii , quod summum mihi erit si semper
agnoscar humillimus, etc.
Romae, 17 Mardi 1699.
LETTRE CCCCXLII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur les difficultés qu il a fallu surmoHter pour obtenir le jugement
rendu, et les circonsiances qui l'ont accompagné et suivi.
Plus j'approfondis tout ce qui s'est passé, plus je
reconnois manifestement le doigt de Dieu dans la
356 LETTRES
décision de TafTaire de M. de Cambrai. Car d'abord
je puis dire, sans blesser la vérité, que le cardinal
de Bouillon s'étoit fait de cette affaire son affaire
propre, ou, pour mieux dire, qu il n'en avoit point
d'autre depuis la grâce de la coadjutorerie (*) obte-
nue 5 et qu'il a employé , sans ménagement et sans
retenue, en faveur de M. de Cambrai tout le crédit,
toute l'autorité que lui donnent ici sa qualité de
sous-doyen du sacré Collège, son titre de cardinal
du saint Office, et son caractère de ministre d'un si
grand Roi. Mais quoiqu'un pareil adversaire , si
puissant et si animé, fût déjà plus que suffisant pour
mettre de terribles obstacles à une heureuse conclu-
sion, on avoit encore à se défendre des intrigues
d'autres protecteurs non moins redoutables. En
elîet, jamais le corps des Jésuites n'a paru plus uni
avec son général qu'en cette occasion, ni plus ouver-
tement déclaré contre les évêques de France, ni
plus ardent à soutenir un parti, qu'il l'a été à servir
celui de M. de Cambrai, et à protéger sa doctrine.
Mais qui peut dire combien d'appuis ils ont su se
procurer pour fortifier leur cabale? Outre les cinq
qualificateurs , gagnés par les amis de M. de Cam-
brai, qui entrain oient avec eux une infinité de dis-
ciples et de partisans qu'ils trouvoient dans la pré-
lature et le sacré Collège : outre nombre de ceux qui
approchent de plus près la personne du Pape, et en
qui Sa Sainteté a le plus de confiance , qui étoient
vendus au cardinal de Bouillon et aux Jésuites, et
par eux à M. de Cambrai ; Dieu avoit permis que le
(*^ La coadjutorerie de l'abbaye de Cluni dont il étoit abbé , qu'il
avoit obtenue pour son neveu.
SUR l'affaire du quiétisme. SS-J
Pape même, maigre tout ce qui venoit de la part du
Roi et du nonce, malgré ses bonnes intentions, fût
tellement prévenu et contre les évêques, et en fa-
veur de M. de Cambrai , que j'ose dire que c'est un
miracle qu'on Tait pu résoudre à ce qu'il a fait.
Cette prévention terrible du Pape , ne m'a paru
clairement, je l'avoue, que dans les derniers temps :
mais j'ai reconnu très-certainement que c'étoit le
fondement des espérances du cardinal de Bouillon
et de M. de Cambrai, et que l'instrument dont il
s'étoit servi pour lui concilier le Pape, étoit le car-
dinal Albani , avec lequel celte Eminence avoit
formé une union très- étroite à son arrivée, qui s'en-
tretenoit par l'entremise de Zeccadoro qui a tou-
jours eu le secret de l'un et de l'autre. Fabroni,
l'intime ami du cardinal Albani , et à qui le Pape se
fie beaucoup, confirmoit le soir le saint Père dans
les sentimens qu' Albani lui insinuoit le matin. Il n'a
pas fallu moins que les coups de foudre qui sont
venus de France, pour réveiller quelqjiefois le Pape,
qui, au bout de quelques jours, retomboit dans ses
premières préventions et dans la résolution fixe de
sauver la réputation de M. de Cambrai avec sa per-
sonne , et de l'épargner en tout. Cela n'a paru que
trop visiblement les trois dernières semaines. Je vous
ai mandé les faits, et à M. de Paris. Tout ce que je
vous ai marqué est la vérité même , et je ne vous ai
pas encore tout dit. Car j'ai su depuis , par la bouche
de quatre cardinaux, qui ont voulu s'excuser au-
près de moi de n'avoir pas mis la qualification d'hé-
rétique, et qui me l'ont assuré, que le Pape leur
avoit fait dire qu'il ne vouloit pas qu'on l'ajoutât ,
358 LETTRES
et qu'il ne la passeroit jamais. Les cardinaux Casa-
nate, Màrescotli, Carpegna et Noris m'ont déclaré
ce fait; et avant-Hier, le dernier me rapporta que le
Pape le lui avoit envoyé dire , et le lui avoit dit à
lui-même, aussi bien qu'aux cardinaux Albani et
Ferrari. Il est difficile de porter plus loin les ména-
gemens. Sans cela et malgré toute la cabale, M. de
Cambrai auroit été condamné aussi fortement que
Molinos, et avec d'autant plus de justice, comme
me l'ont dit les cardinaux ci-dessus nommés, que sa
doctrine étant la même dans le fond, elle n'en étoit
que plus pernicieuse pour être déguisée et masquée ;
et lui que plus inexcusable, d'avoir soutenu avec
tant d'artifice et d'opiniâtreté, de semblables erreurs,
après la condamnation de Molinos. Mais de plus,
quand le reste de sa doctrine n'auroit pas mérité
d'être traité d'hérétique, la proposition de l'invo-
lontaire en Jésus-Christ, étant reconnue comme
appartenant réellement à son livre , et la congré-
gation ayant jugé ses défenses à cet égard frivoles
et inadmissibles, on ne pouvoit se dispenser de
joindre aux autres qualifications celle d'hérétique.
Le Pape lui-même, quand on lui en parle, ne sait,
pour toute excuse , que répondre que la Sorbonne
ne l'a pas employée. C'est une défaite du cardinal
Albani , qui a trouvé moyen de la faire goûter au
Pape. Les autres cardinaux croyoient au contraire
que c'étoit précisément pour cette raison qu'il fal-
loit que le saint Siège apposât cette qualification.
Mais, en un mot, le Pape a voulu qu'on prît le
parti le plus doux ; et les amis de la vérité, qui
voy oient tout à craindre des préventions du saint
I
SUR l'affaire du quiétisme. 359
Père et des artifices de la cabale , se sont relâchés
sur cet article, pour ne pas hasarder Tessentiel
qu'ils avoient emporté. Il faut avouer que l'essentiel
se trouve dans le décret, et que quoique M. de
Cambrai y soit traité avec beaucoup de ménage-
ment, néanmoins la condamnation de ses erreurs y
est formelle et décisive : les principales propositions
sont exprimées clairement et flétries ; le système est
renversé de fond en comble; l'amour pur y est nommé
et proscrit. Quoiqu'on n'ait pas parlé des explica-
tions de l'auteur et des livres qu'il a faits pour sa
défense , de peur de donner prétexte à quelque nou-
veau retardement, en occasionnant d'autres chi-
canes , la clause swe in sensu ob^^io ^ swe attenta
connexione sententiarum , qui est prise , comme
vous voyez , de la bulle contre Eckard , renverse
toutes les explications, prévient tous les faux-fuyans,
et met à couvert les expressions des bons mystiques ,
sans approuver leurs exagérations. M. de Cambrai
ne peut plus dire qu'on n'a eu attention qu'à son
livre, sans rapport aux explications. En effet, il est
certain qu'on les a toutes examinées à fond , qu'on
a reçu toutes les défenses qu'il a voulu donner ,
qu'on les lui a même demandées, et qu'elles ont
servi de prétexte pour différer l'examen dans les
commencemens; que c'est sur le fondement de ses
explications, que l'on a inventé tant de chicanes en
sa faveur pour sauver sa doctrine r cependant malgré
tout cela l'on condamne ses propositions , non-
seulement in sensu ohvio ; mais encore par rapport
à ce qui précède et ce qui suit, par rapport à tout
le système qui étoit la seule échappatoire de M. de
36o LETTRES
Cambrai , comme on le voit dans toutes ses dé-
fenses.
Ainsi on juge que ses explications ne sont pas
recevables, ne convenant pas au texte de son livre.
A la ve'rité on ne déclare pas qu'elles soient mau-
vaises en elles-mêmes, parce qu'on n'est pas inter-
rogé juridiquement là-dessus ; mais on témoigne
assez qu elles sont inadmissibles par rapport au livre :
c'est une conséquence nécessaire qu'on tire de la
condamnation de la doctrine in sensu obvio et at^
tenlâj, etc. De plus Y interesse propriwn exprimé dans
les propositions condamnées, marque clairement
qu'on a rejeté sa prétendue ejçpliçation et de l'amour
pur et de la mercénarité ; et toutes les défenses de
l'auteur tombent par là, J'avoue que c'est ce qui
m'a paru de mieux dans cette constitution ; car
cela va au-devant de l'abus qu'on voudroit faire des
mystiques, et prévient toutes les chicanes de M. de
Cambrai.
On pourra, quand on voudra, passer sans un
jiouvel examen à la prohibition de toutes ses dé-
fenses. Je vous dirai les démarches que j'ai déjà
faites là-dessus ; mais il faut avoir patience : on ne
peut guère se dispenser de prononcer cette prohi-
bition , après avoir frappé le premier coup qui doit
entraîner le second,
3e ne croyois pas avoir le temps de faire dans
cette lettre des réflexions sur les propositions en
particulier, Vous remarquerez bien qu'il y en a
quelques-unes d'oubliées ; et c'est une entreprise
des députés , avant que le cardinal Casanate leur
fi^t uni, Je dois vous dire franchement qu'ils avoient
SUR l'affaire du quiétisme. 36i
tout gâté : ils marquoient qu'on n'avoit ni examiné
ni improuvé les explications de l'auteur : non exa-
minatis nec improbatis explicationibus . C'étoit sur
quoi insistoit fortement le cardinal Albani, con-
formément à son vœu et à celui du cardinal de
Bouillon , pour donner lieu par^là à la distinction
des sens. On ne nommoit pas M. de Cambrai ; il
paroissoit qu'on avoit peur de lui. Sur sa proposi-
tion de l'involontaire , ou on la retranchoit , ou on
mettoit par apostille quam auctor non agnoscit
suam ; en un mot, on énervoit tout. On avoit en-
core retranché quelques propositions sur le propre
effort, sur la contemplation, etc. Cela étoit déjà
envoyé per manus à MM. les cardinaux, dès le
vendredi au soir 27 février, sans la participation
du cardinal Casanate qui n'avoit pas été appelé. Le
samedi, le Pape croyant la chose faite, ordonna
une congrégation chez le cardinal Casanate par
complaisance, et ce fut dans cette congrégation que
tout fut rétabli; au moins le cardinal Albani céda
sur une partie , et sur le reste on convint de s'en
rapporter à la congrégation, laquelle le mardi d'a-
près confirma ce que le cardinal Casanate avoit ré-
tabli. On ne voulut pas trop insister sur les propo-
sitions retranchées, premièrement parce que les
trois premiers députés insistèrent et firent des chi-
canes : en second lieu , parce qu'elles sont virtuelle-
ment renfermées dans celles qu'on a laissées , et
qu'à la fm on fit ajouter sans approbation des autres
non exprimées ; ce qui autorise à rejeter notam-
ment les propositions que les évêques ont réprouvées,
et que les cardinaux n'ont pas qualifiées , n'étant pas
3()2 LETTRES
flans le nombre des trente-huit , et paroissant comme
étrangères au système.
La qualification à'hœresi proxima a e'té encore
épargnée par expresse volonté du Pape. Le cardinal
Albani qui tortille toujours, a mis ces paroles am-
biguës : ex cujus lectione et usu , fidèles sensim in
errores ah Ecclesiâ jamdamnatos INDVCI POSSENT.
On vouloit qu'il mît que les propositions inducunt
in errores; mais lui, ne cherchant qu'à affbiblir le
décret, l'a fait tomber sur la lecture et l'usage du
livre, et a encore mis sensim et induci passent _, tous
termes qui énervent la censure. Il a fallu cepen-
dant lui passer ces altérations, pour obtenir l'essen-
tiel ; tant il est fâcheux que le cardinal Casanate
n'ait pas été chargé, comme il convenoit, de la ré-
daction. On auroit vu de quelle manière cette cons-
titution auroit été dressée; le cardinal m'en avoit
dit le projet. Il auroit commencé, sans faire men-
tion du Roi ni des évêques, puisqu'on ne le vouloit
pas, à parler des maux que la pernicieuse doctrine
du Quiétisme avoit causés dans le monde, et seroit
venu de là au soulèvement occasionné par le livre
de M. de Cambrai : il auroit ensuite rapporté les
propositions répréhensibles, auxquelles il eût donné
ou les qualifications particulières, ce qui étoit diffi-
cile dans les circonstances présentes , ou bien il
auroit réuni les difiérentes qualifications avec le res-
pective, et défendu du même trait les livres faits
en conséquence. Peut-être auroit-il pris de là occa-
sion de faire une admonition, dans le goût de celle
que vous m'envoyâtes sur la lecture des mystiques.
Ce n'est pas là le plan que les premiers rédacteurs
SUR l'affaire du QUIÉTISMl?. 363
ont suivi, et parmi les points qu'ils ont conserve's,
on en trouve plusieurs qui sont hors de Tordre, et
traite's bien inincement, parce qu'ils ne chcrchoient
qu'à dénaturer la censure.
Mais ce qui marque le plus les mauvaises inten-
tions de la cabale et son industrie, c'est l'adresse
qu'elle a eue de faire commuer cette constitution en
un bref, au lieu de la bulle que le Roi avoit de-
mandée expressément, et donné ordre à M. le car-
dinal de Bouillon de solliciter. C'étoit aussi dans
cette forme que le nonce avoit promis à Sa Majesté
de la part du Pape, que se feroit la décision; et Sa
Sainteté m'en avoit assuré vingt fois. Le fait est
si certain, que le Pape s'est imaginé avoir donné
une bulle. Et pour éviter à cet égard les méprises ,
j'en avois parlé souvent au cardinal Alljani, et il n'y
a pas encore dix jours que je lui ai rappelé cet objet.
Mais on voit bien à présent les raisons qui ont dé-
terminé à suivre un autre plan. Pour l'exécuter,
on a toujours fait entendre au Pape que ce seroit
faire un affront au cardinal Albani , que de ne le pas
charger de rédiger le décret ; quoique si l'on avoit
dessein de donner une bulle , le soin de la dresser
n'appartenoit point de droit au cardinal Albani,
qui par sa place n'est secrétaire que des brefs. Mais
on avoit besoin de son ministère, pour dénaturer
le fond et la forme du décret. Si l'on eût fait aper-
cevoir au Pape la différence qu'il y avoit entre une
bulle et un bref, et si , convaincu que la constitu-
tion n'étoit pas nécessairement du ressort du car-
dinal Albani, il l'eût confiée à un autre, certaine-
ment ses bonnes intentions n'eussent pas été frustrées,
ob4 LETTRES
et nous n'eusrions pas eu autant sujet de nous re~
crier. Le motif qui a porté les partisans de M. de
Cambrai à de'sirer un bref plutôt qu'une bulle ,
n'est pas difficile à deviner. lis ne sont pas fâciie's
qu'on trouve en France quelque difficulté à auto-
riser cette pièce , et ils n'ont rien négligé pour
qu'elle fût le moins authentique qu'il seroit pos-
sible. Peut-être encore y entendent - ils quelque
autre finesse que le temps découvrira. Ce qui paroît
certain, c'est que cela a été machiné; et je ne vois
pas comment. M r; cardinal de Bouillon peut s'ex-
cuser d'avoir laii " mettre le motii proprio , qui est
essentiel à la nature des brefs, et qui ne manquera
pas assurément de causer de l'embarras dans la ré-
ception.
Le Roi et les évêques savent ce qu'ils ont à faire
en pareil cas. S'il m'est permis de dire ce que je
pense, il me paroît qu'on peut prendre deux partis.
Ou l'on s'en tiendra à ce bref, et on ne demandera
ici rien de plus ; ou bien on croira nécessaire de re-
nouveler les instances pour faire changer le bref en
bulle.
Si Ton prend ce dernier parti, je puis déjà vous
dire que je vois ici les principaux cardinaux disposés
à donner satisfaction là-dessus au Roi et aux évê-
ques. J'ai cru qu'il étoit à propos de prévenir à ce
sujet les cardinaux Spada, Casanate, Noris et même
le cardinal Albani. Je leur ai représenté doucement
les difficultés, l'étonnement oU \e Roi seroit peut-
être, de ne voir qu'un bref motu proprio ^ quand il
attendoit une bulle en forme. Ils ont fort bien com-
pris mes raisons , m'ont répondu que la moindre
SUR l'affaire du quiétisme. 365
parole qu'eût dite M. le cardinal de Bouillon, on
auroit accordé sans difficulté sa demande. Tout ce
que je leur ai observé, leur a paru nouveau, excepté
au cardinal Albani , à qui j'avois expliqué la chose
plusieurs fois ; et tous sont convenus qu'aux pre-
mières réquisitions du Roi, le Pape se rendra à ses
désirs, et qu'on pourra adresser la bulle, pour les
besoins particuliers de la France, ad Episcopos
Galliœ j avec quelque préambule ; ou bien qu'on
mettra tout simplement : Innocenîius , servus ser-
porum Dei, et qu'on ôtera l'e?. pression motu pvo-
prio. . ^
J'ai déjà proposé au cardinal Albani pour modèle
d'une bulle telle quil la faudroit, la bulle de Be-
noît XII sur la matière de la vision de Dieu, qui
renferme nettement la clause ex consilio fralrum
Cardinalium. Il me paroi t qu'on ne fait aucune dif-
ficulté d'exécuter ce projet.
J'ai cru devoir, sans assurer qu'on fut content on
non en France de la forme du bref, remontrer les
obstacles, afin qu'on ne fût pas étonné de ce qu'on
pourroit écrire à ce sujet, et pour pouvoir vous dire
par avance les dispositions de cette Cour et des
cardinaux sur ce point. En vérité c'est une belle
malice au cardinal de Bouillon et au cardinal Al-
bani, d'avoir ainsi dénaturé les choses. Pour moi je
ne l'ai pu empêcher, à cause de la précipitation plus
qu'étonnante avec laquelle ce bref a passé per ma-
nus; les cardinaux ne l'ayant pas eu à la lettre une
demi-heure avant la congrégation ; et tout ce que
j'ai pu faire, a été d'avertir de tout le cardinal Al-
bani et le cardinal Casanate, qui a empêché qu'on ne
366 LETTRES
parlât dans le bref de l'Inq^iisition qui étoit nom-
mée; ce qu'il fit ôter lorsque le cardinal de Bouillon
fut parti , comme me Ta dit encore ce matin le car-
dinal Albani.
- Suppose' que Ton juge à propos de s'en tenir à ce
bref, ce que je ne crois pas, pouvant avoir une
bulle, je suis assuré que les évêques ne feront rien
de préjudiciable aux coutumes du royaume, et que,
sans se départir du respect dû au saint Siège, ils se
conduiront avec la dignité convenable à leur ca-
ractère ; en sorte qu'on n'ait pas à leur reproclier de
la foiblesse et une trop grande condescendance pour
cette Cour, qui ne cherche en tout que ses avan-
tages, et qu'à profiter des occasions d'établir son
autorité prétendue. Je ne doute pas que les évêques
ne se montrent véritablement évêques, en soutenant
leur autorité, qui les rend ici respectables.
Il est temps de vous rendre compte de l'audience
que j'eus de Sa Sainteté le lendemain que je vous
écrivis; ce fut samedi, 1 4 de ce mois.
On ne pouvoit me recevoir avec plus de bonté
que le Pape la fait. Il commença par me dire : Eh
bien! vous aviez peur que nous ne fissions pas bien;
mais je crois que vous êtes content. Sur quoi je lui
fis voir que ce n'étoit pas sans fondement que je
craignois : je pris occasion de là, de lui parler de la
furieuse cabale qui l'environnoit, et je ne manquai
pas de lui attribuer tout le bon succès de cette af-
faire. Je tâchai de lui insinuer les réflexions conve-
nables sur les surprises qu'on avoit voulu lui faire,
et de le porter à convenir qu'on ne l'avoit jamais
tant tourmenté. Il m'avoua bonnement qu'il ne s'é-
SUR l'affaire du quiétisme. 367
toit jamais trouvé en de pareilles angoisses : Questi
mistici , questi mistici mi dicevano che non si poteva
condannare le proposizioni delV Arci^esco^o, senza
condannare sanla Teresa. Ces mystiques ne ces-
soient de me re'peter qu'on ne pouvoit condamner
les propositions de cet archevêque, sans condamner
aussi sainte Thérèse, etc. Là -dessus, je pris la li-
berté de lui demander quels étoient ceux qui ser-
voient mieux l'Eglise, et qui faisoient plus d'hon-
neur aux Saints, ou ceux qui confondoient sainte
Thérèse et sa doctrine avec celle de M. de Cambrai,
et qui disoient qu'on ne pouvoit condamner l'une
sans l'autre ; ou bien les évêques, et vous en parti-
culier, qui souteniez que la doctrine des saints mys-
tiques étoit toute opposée aux pernicieux systèmes
de M. de Cambrai. Il me répondit que j'avois rai-
son. Après plusieurs réflexions pareilles, il me de-
manda si je croyois que M. de Cambrai se soumît.
Je lui répondis que je n'en doutois pas un seul mo-
ment, non-seulement à cause des protestations qu'il
a faites, mais encore parce qu'il n'y avoit plus rien
à espérer pour lui que par cette voie. Là- dessus il
me dit que le Roi l'obligeroit bien de faire ce qu'il
falloit. Sa Sainteté ajouta qu'elle ne doutoit pas
que les évêques n'agissent avec douceur à l'égard de
M. de Cambrai. Je lui répondis qu'il me paroissoit
que la première chose qu'on devoit faire, étoit d'at-
tendre ce que M. de Cambrai feroit ; et qu'au cas
qu'il reconnût avec une soumission sincère ses er-
reurs, et satisfit l'Eglise, je pouvois répondre non-
seulement de la douceur des évêques, mais encore
de leur véritable joie et de celle de tout le clergé ;
368 LETTRES
que vous en particulier, vous lui ouvririez des en-
trailles de père, que vous aviez toujours eues pour
lui ; que vous n'en aviez jamais voulu qu'à Terreur,
et n'étiez entré dans les détails sur les faits, qu'y
étant forcé pour vous justifier et faire connoître la
vérité. Quoique le Pape me parût assez tranquille,
je ne laissai pas de remarquer qu'on lui avoit fait
peur de cet archevêque ; sur quoi je le rassurai. Et
quant .'i la cruauté avec laquelle les amis de M. de
Cambrai prétendent qu'on l'a traité, je lui dis très-
librement qu'il n'avoit pas ce reproche a faire ; que
jamais aucun errant aussi opiniâtre n'avoit été traité
dans toute la suite de cette affaire et à la fin avec
plus d'égard et de ménagement. Je le fis ressouvenir
des instances qu'il avoit faites, il y a deux ans,
avant que l'affaire vînt à Rome, pour qu elle se ter-
minât en France ; lui rappelai ce que le Pioi , le
nonce, les évêques avoient fait pour cela pendant
six mois, employant toutes les voies de douceur
sans pouvoir rien obtenir de son oJjstination. Le
Pape, fut fort consolé de ces réflexions, et me dit :
Il est vrai, c'est lui qui l'a voulu ; il a voulu venir
ici, il a voulu être condamné; nous avons fait tout
ce que nous avons pu pour lui, mais il est trop opi-
niâtre. Le bon Pape versoit de temps en temps des
larmes, quand il se sentoit soulagé. Il seroit trop
long de vous rapporter tout ce qu'il me dit. Je tâ-
chai de ne rien oublier de ce qui pouvoit le confir-
mer et consoler.
Je ne jugeai pas à propos de lui parler pour lors,
ni delà qualification d'hérétique qui avoit été omise,
ni de la conversion de la bulle promise en un simple
bref:
sun i-'affaike du quiétisme. 3^9
bref: cela viendra clans son temps. De peur que je
ne l'oublie, je vous dirai que le cardinal Albani,
pour me justifier son motaproprio, m'a allégué que
M. le cardinal de Bouillon avoit souhaité qu'on ne
mît point que c'étoit à la réquisition des évéques
ni du Roi. Cela étant, me dit -il, il falloit bien
mettre que c'étoit motu proprio, La raison est pi-
toyable.
De tous les cardinaux ceux qui se sont le plus
mal conduits dans cette affaire, ce sont sans contre-
dit le cardinal de Bouillon et le cardinal Albani ,
qui ont toujours agi et parlé sur les mêmes prin-
cipes et dans les mêmes vues. Après eux les plus
foibles ont été les cardinaux Ferrari et Noris. Ces
deux-ci ont fort bien voté sur les propositions, ils
ont foudroyé la doctrine de Tamour pur et le sys-
tème de M. de Cambrai; mais le cardinal Ferrari,
toujours tremblant, a suivi sur la fin les impressions
du Carme, et a cherché à empêcher qu'on ne rap-
portât les propositions, craignant qu'on ne s'enga-
geât trop à cause des mystiques. Four le cardinal
Noris, apparemment afin d'entrer dans l'esprit du
Pape, et de ne pas déplaire au cardinal de Bouil-
lon qui se déclaroit ouvertement, il étoit porté à
tout adoucir, et parloit de chaque objet avec indif-
férence. Ces deux cardinaux se sont montrés vrais
fraii , le dernier principalement.
Les anciens cardinaux se sont conduits comme
vous l'avez vu dans mes lettres , et ont soutenu la
cause avec une vigueur incroyable : je ne parle pas
du cardinal Casanate qui mérite tant d'éloges. Le
cardinal Panciatici et le cardinal Marescotti se sont
BossuET. XLii. 24
3'JO LETTRES
signales : le cardinal Neiii a bien fait, mais comme
vous savez. Le cardinal Carpegna a toujours été
rondement, et il a l'avantage de s'être toujours mon-
tré le premier opposé au cardinal de Bouillon, après
lequel il parloit. Le cardinal Spada a agi douce-
ment, selon son humeur. Le cardinal Ottoboni a
réparé à la fin ce qu'il avoit fait au commencement :
le petit bruit que j'ai fait sur son chapitre, l'a ré-
veillé ; il a senti qu'il avoit pris un mauvais parti ,
et la hauteur du cardinal de Bouillon l'a piqué.
Le cardinal Albani s'étoit toujours flatté qu'ea
caressant le père Roslet, en lui faisant de fausses
confidences, en disant mille maux du cardinal de
Bouillon, il le persuaderoit de ses bonnes intentions
pour les évéques , et qu'en même temps par ce
moyen il nous prendroit pour dupes l'un et l'autre.
Il faut avouer qu'il a trompé le père Roslet; mais
pour moi, qui avois suspendu mon jugement à soa
égard jusqu'à ce que je le visse agir, et qui ai tou-
jours eu mes raisons pour me défier de lui et le croire
lié avec le cardinal de Bouillon, je vous l'ai toujours
dit, il ne m'a pas abusé long -temps. Je me suis
aperçu de sa fourberie : j'en ai averti le père Roslet
qui ne m'a pas cru , et ne me croit pas encore , quoique
tout le monde lui dise le contraire, et qu'il soit plus
que certain qu'il n'a pas tenu au cardinal Albani
qu'on n'ait tout gâté, et qu'en effet il ait beaucoup
affoibli le bref comme vous le voyez. Il a même
poussé l'adoucissement jusque sur le sive in sensu
ob\^io j, sive in etc. car dans la bulle de Jean XXII,
il y a tam quant, etc. ce qui est conjonctif; et le
cardinal Casanate insistoit pour qu'on mît et in
SUR l'affaire du quiétisme. 87*
sensu ohyio et attenta connexione senientiaruni Mais
il n'y a pas eu moyen de le faire parler nettement.
Le cardinal Albani a usé partout de finesse j mais
maigre' lui le swe n'est pas mauvais.
Ce qdi est de plaisant^ c'est que le Pape s'est en-*
tendu , sans le vouloir , avec le cardinal Albani
pour tromper le pauvre père Rosletjet qui ne le
seroit pas après des protestations si solennelles, &i
souvent réitérées ? Le cardinal Albani me craint
comme le feu, et je ne crains personne, ayant la yé*
rite pour moi.
Au reste, le cardinal Casanate et les théologiens
de Rome prétendent que la note d'erronea est plus
forte que celle d'hœresi proxima, et qu'elle vient
immédiatement après Yhœretica, étant précise et di^
recte, et Xhœresi proxima indirecte.
C'est à présent aux évêques à voir, s'il faut que le
B-oi demande qu'on condamne et défende les livres
faits en défense du livre des Maxines. Je suis per-
suadé qu'on le doit , et qu'on l'accordera ici sans
nouvel examen ; mais il faut que le Roi le demande
comme chose nécessaire, sans quoi le cardinal de
Bouillon l'empêchera toujours. J'ai déjà fait con-
venir les cardinaux Marescotti, Panciatici, Noris
et Casanate, que cela se doit.
Le cardinal de Bouillon a poussé son acharne-
ment à soutenir M. de Cambrai jusqu'au bout ; car
dans la dernière congrégation, il interrompit trois
fois la lecture du décret ; il proposa des adoucisse-
mens, que Sa Sainteté ne comprit pas, sur la pro-
position de l'involontaire ; fit de nouvelles instances
sur les explications non examinées. Le Pape ne ré-
3'j2 LETTRES
pondit autre cliose sinon awanti, ai^antlj poursuivez ,
dit-il, à celui qui lisoit; et les cardinaux tout d'une
voix, répliquèrent par un oi6o j oibo , et on passa
outre. Le cardinal Casanate me le racontoit hier,
et en rioit encore.
Le cardinal de Bouillon n'a pas jugé à propos de
me donner le moindre signe de vie depuis le juge-
ment. Il a fait partir son courrier sans me faire de-
mander si je voulois écrire; ce qui me détermina,
voyant le sien parti, à dépêcher le mien six heures
après. Je l'ai vu depuis deux fois : il ne m'a pas
ouvert la bouche sur M. de Cambrai , ni sur cette
affaire. Personne n'oseroit en parler devant lui.
Cela paroît extraordinaire ; mais cela est vrai. Ce
qu'il dit présentement, c'est que si on l'avoit voulu
croire, on auroit mieux fait. Jugez comment on
auroit traité M. de Cambrai, en suivant ses avis,
et quel eût été le décret s'il avoit été Pape.
Tout ce qui est à craindre à présent, c'est qu'on
ne fasse faire au Pape quelque cliose en faveur de
M. de Cambrai, en l'engageant à lui écrire quelque
bref équivoque. Je ferai mes diligences là-dessus. Il
est bon que le Roi s'explique à cet égard. Tout est à
appréhender de la part du cardinal de Bouillon, qui
menace toujours qu'on va voir un schismo , et le
bon Pape tremble.
Je ne sais ce qu'on fera de M. le cardinal de
Bouillon, mais il est bien dangereux de le laisser à
Rome : il ne peut plus faire que du mal. Tout le
monde en parle de cette manière, relativement aux
affaires du Roi et à celles de la religion.
M. Charmot , procureur -général des Missions
SUR l'affaire du quiétisme. 373
étrangères, a servi la bonne cause avec une fidélité
et une fermeté sans exemple. Je vous prie d'en bien
rendre témoignage où il faut ; c'est un saint prêtre,
digne d'estime et de vénération.
M. Giori mérite un remercîment pour le zèle et
la vigueur avec lesquels il a soutenu la vérité. Les
évêques ne doivent pas prodiguer ici leurs compli-
mens ; très-peu de gens les méritent. Tout le monde
se réjouit avec moi, et moi je me réjouis avec tous,
de la lin d'une affaire qui m'est commune avec tout
le monde chrétien. Je n'ai pas entendu parler des
Jésuites depuis long-temps.
La cabale est dans un abattement effroyable :
la douleur est peinte sur le visage des amis de M. de
Cambrai. M. de Chanterac alla dès vendredi aux
pieds de Sa Sainteté, et il pleura à chaudes larmes.
Il promet une soumission entièie de la part de
M. de Cambrai ; il dit lui avoir écrit ce qu'il falloit
là- dessus. Il ne s'attendoit pas à ce jugement, et
n'en revient pas.
Le cardinal de Bouillon a été très-fâché quant il
a su que M. Madot étoit parti : je ne sais s'il n'é-
crira pas contre lui à la Cour. J'ai dit ici qu'il ne
devoit aller que jusqu'à Gênes, d'où il dépêcheroit
un courrier. Vous communiquerez, s'il vous plaît,
ma lettre à M. de Paris , à qui je n'écris qu'un mot,
ne pouvant le faire plus amplement. Je suppose que
lui et vous n'aurez pas manqué de garder toutes mes
lettres, qui sont les seuls mémoires qui me resteront
de ce qui s'est passé. Ce sont, je puis vous en assurer,
des mémoires très-fidèles.
On attend ici avec impatience M. de Monaco, qui
doit arriver avant ï^âque.
3']i Ietthes
M. le prince Vaïni va en France : M. le cardinal
de Bouillon prétend que c'est sa cre'ature. Je ne sais
ce qu'il dira de lui : il sait la vérité; il ne la dira
peut-être pas ; mais je ne crois pas aussi qu'il ose le
justifier : il prendra , s'il fait bien , le parti du si-
lence, je le lui ai conseillé. Faites-lui bien des amitiés,
je vous en prie, et bien des respects pour moi h
M. le nonce,
La petite communauté du père Estiennot a paru
toujours être du bon parti, et lui aussi.
M. Phelippeaux est un peu lionteux de son pro-
cédé. Je ne fais pas semblant d'être informé de tout
ce qui le regarde ; et j'irai toujours mon chemin ,
l'aimant assurément plus qu'il ne m'aime.
Je n'ai pas épargné ma peine pour écrire, ayant
cru nécessaire de répéter souvent, pour faire mieux
connoître un pays éloigné, et n'avoir rien à me re-
procher.
Je mande à M. de Rlieims et à M. le cardinal de
Janson, que vous les instruirez de tout le détail de
Ja tin de cette affaire,
A Rome, 17 mars 1^99.
LETTRE CCCCXLTIL
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le bref contre M. de Cambrai j le contentement du Roi, du
clergé et de la ville.
C'est vraiment un coup du ciel, que ce qui s'est
fait. Les qualifications ne peuvent être ni plus sages,
ni plus fortes, ni mieux appliquées. Le cardinal Ca-
SUR l'affaire du quiétisme. 375
sanate et le cardinal Panciatici, sont vraiment des
hommes admirables. Rien ne fera jamais plus d'hon-
neur à la chaire de saint Pierre que cette de'cision,
ni au sacré Colie'ge que de posse'der de si grands
sujets. Nous ne cessons ici d'en faire Teloge. Il n'y a
qu'une seule chose à désirer ; c'est qu'on eut fait une
bulle en forme, comme celle contre Molinos. Je ne
sais s'il se trouvera un exemple d'une décision de
foi par un bref sub annulo Piscatoris „ ou qu'une
décision de cette sorte ait été reçue en France. Je
ne doute point que le cardinal de Bouillon n'ait
laissé passer cela exprès. Mais ces petits défauts de
formalité se peuvent si aisément réparer , et sans
aucun intérêt du saint Siège, qu'il faut tâcher de ne
s'en point embarrasser.
Je n'ai point encore vu le Roi, ni M. de Paris,
qui l'a vu; mais je sais qu'il est ravi, et qu'hier il
prenoit plaisir à parler à tout le monde de la bulle;
car il l'appelle toujours ainsi. Nous verrons dans peu
ce que lui diront, sur la réception de ce bref, les
officiers de son parlement. Je chercherai tous les
exemples, et par l'ordinaire prochain je vous ins-
truirai plus amplement sur ce point. Si l'on a quel-
que chose à proposer à Rome, on attendra l'arrivée
de l'ambassadeur, qui doit y être dans peu. On sera
bien aise aussi de voir quel parti prendra M. de
Cambrai, qui n'a aucun moyen de reculer.
Je puis vous assurer que tous lesévêques, toute
la Sorbonne et tout Paris sont ravis. On donne des
louanges immortelles au Pape, comme au restaura-
teur de la religion, que cette «ecte artificieuse alloit
renverser avec son faux air de piété. Le parti de
3^6 LETTRES
M. de Cambrai est mort, et je ne crois pas qu'il
puisse se relever de ce coup, ni qu'il ose seulement
souffler. Rendez grâces à Dieu de vous avoir con-
duit par la main.
A Paris, ce 23 mars 1699.
I
kv»'%<%/%i*/%.'«/».«/»'*rfc*/»,»
LETTRE CCGCXLIV.
DE M. DE NOAII.LES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur rheureuse conclivsion de l'affaire.
Je ne ferai , Monsieur, que me réjouir avec vous
de rheureux succès de vos travaux : je suis ravi de
l'avantage que l'Eglise y trouve, et j'ai en même
temps une fort grande joie de l'honneur qui vous
en revient. En demeurera-t-on au bref, n aurons-
nous point une bulle ? Gela seroit plus authentique
et plus conforme à nos usages : mais nous avons
toujours l'essentiel; et c'est beaucoup, attendu les
grands efforts de la cabale. Je n'ai point encore vu
M. de Meaux depuis cette bonne nouvelle, parce
que je fus avant-hier à Versailles, et n'en revins
qu'hier au soir. J'espère le voir aujourd'hui , et ap-
prendre par lui le détail que vous lui écrivez. Je ne
vous en dirai pas davantage, parce que le courrier
va partir et que je n'en sais pas encore assez. Je
finis en vous assurant. Monsieur, de la part que je
prends à votre joie et à votre gloire dans cette affaire,
et vous priant de me croire à vous très-sincèrement,
A Paris, ce 24 ^^^^ *%9'
SUR l'affaire du quiétisme. 3^7
LETTRE CCCCLXV.
DE L'ABBE PHELIPPEAUX A BOSSUET.
Sur difi'érens changemens que le Pape devoit faire parmi les
nonces.
Voila une lettre que l'agent de M. l'archevêque
de Séville m'a donnée pour vous faire tenir. J'y
joins des vers qu'un de vos diocésains , se trouvant
à Rome, m'a apportés. C'est maintenant de votre
côté que nous attendons des nouvelles. Je souhaite
que vous soyez content des expressions et de la con^
damnation portée dans le bref, afin que je puisse
vous aller revoir. La reine de Pologne est arrivée
aujourd'hui , aussi bien que les cardinaux Morigia
et la Grange. On parle d'une promotion en faveur
de M. Jacometti, auditeur du Pape, à qui on don-
nera la charge de préfet de la signature, vacante
par la mort du cardinal Cavalerini. On parle aussi
de rappeler tous les nonces. On dit que le Pape
n'est pas content de Santa-Croce qui est à Vienne;
qu'il donnera l'archevêché de Milan à Archinto,
nonce en Espagne; et qu'il a fait assurer Delphino
que cela ne Tempêchera pas d'être cardinal, et qu'à
la place de Delphino on enverra Gualtieri, vice-
Jégat d'Avignon, à qui le Pape vient de donner deux
prieurés dans le Comtat, vacans par la mort de
Cavalerini. Mais ces nouvelles ne vous toucheront
guère, non plus que moi. M. de Chanterac reste en-
core ici : il a expédié un couri'ier à Cambrai , dont
378 LETTRES
il attendra la réponse. Je suis avec un profond res-
pect, etc.
A Rome, ce mardi 24 mars i6gg.
k.'«^»/»<W* »/*«•,
LETTRE CCCCXLVI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur la oaiise des adoucisseraens du bref j les manèges du cardinal
de Bouillon 5 les senliraens des savans de Rome sur le fond de
celte affaire, et les discours des partisans de M. de Cambrai.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Paris , les de ce mois. Je compte que
vous aurez vu, à l'heure qu'il est , le bref et reçu le
courrier. Je ne sais si M. Madot aura passé Gênes, et
sera allé jusqu'à Paris : je l'avois prié de dépêcher de
Gênes un courrier , en cas qu'il ne se portât pas au-
delà. Comme il est plein d'amitié pour moi, et de re-
connoissance pour vous, je ne doute presque pas qu'il
n'ait voulu aller s'aboucher avec vous et M. de Paris ;
et je ne crois pas inutile l'entrevue que vous aurez
avec lui , et dont vous pourrez apprendre ce qui se
passe ici mieux que de qui que ce soit. Il est très-
bien instruit de tout , il a tout vu , il a de l'esprit
et du discours. Ce sont, je l'ose dire, ces bonnes
qualités, et la crainte que le cardinal de Bouillon
a qu'il ne rende bon compte de sa conduite , qui
lui attire à présent la haine que cette Eminence té-
moigne assez publiquement contre lui, depuis qu'elle
a su qu'il étoit parti. Auparavant il lui faisoit fort
froid à cause de l'attachement qu'il témoignoit pour
SUR L'AFFAinE DU QUIÉTISME. 3'JC)
moi, et de la liberté avec laquelle il parloit sur l'af-
faire de M. de Cambrai : néanmoins , par politique,
il le soufFroit quelquefois chez lui , oii M. Madot a
des amis. Mais depuis qu'il est parti , c'est une fu-
reur et un déchaînement contre lui, que je n'aurois
jamais imaginé. M. le cardinal de Bouillon n'ose pas
dire, au moins en public, qu'il trouve mauvais que
j'aie dépêché un courrier, quoique cela le pique
fort; et tout tombe sur le pauvre M. Madot, qu'on
n'épargne pas : je crois même savoir que Ton a écrit
en Cour contre lui, et qu'on en dit tout le mal ima-
ginable. On prétend surtout lui faire un crime d'être
parti sans prendre congé de M. le cardinal de
Bouillon ; mais on voit bien qu'il ne le pouvoit pas ,
à moins de hasarder son voyage; étant comme cer-
tain que cette Eminence ne lui auroit pas permis
de partir, soit en le lui défendant, soit en empê-
chant qu'il trouvât des chevaux. Et puisqu'il n'avoit
aucune obligation particulière à M. le cardinal de
Bouillon, il n'étoit pas prudent de courir les risques,
en remplissant un simple cérémonial, de manquer
l'affaire essentielle. Je vous prie de bien dire ce qu'il
faut là-dessus. Il n'est question que du départ de
Rome : quant à l'arrivée à Paris, personne n'en
peut et n'en doit rien savoir , si ce n'est vous , moi
et M. de Paris ; car il est bien certain qu'il ne peut
pas se montrer : ainsi toute la peine que s'est donnée
M. le cardinal de Bouillon en écrivant contre lui,
sera bien injuste, et ne montrera que sa passion
extrême.
S'il étoitvrai, comme on me l'a assuré, que M. le
cardinal de Bouillon ait aussi écrit contre moi, à
380 LETTRES
l'occasion du courrier que j'ai de'péchd, et qu'il ait
prétendu que je ne l'aurois pas du , je suis persuadé
que je n'ai pas besoin de me justifier à cet égard.
Tout le monde m'auroit blâmé de n'avoir pas averti
les évêques, dans une occasion si importante, des
particularités du jugement, et de ne leur avoir pas
fait part de tout ce qui concernoil la conclusion de
cette affaire. Il me semble, comme il a paru au Pape,
aux ministres et à tous les cardinaux , que M. le
cardinal de Bouillon n'ayant pas jugé à propos de
me donner avis du courrier qu'il dépêchoit, et de
m'offrir de faire partir mes lettres par cette voie ,
je n'avois d'autre parti à prendre que de dépêcher
après lui un courrier pour porter mes instructions.
Quant à lui en demander permission , rien ne m'y
obligeoit ; et tout vouloit que je ne le fisse pas , ne
devant pas douter qn'il ne trouvât le moyen de
m'arrêter, ou par autorité, ou avec le secours de
ses ruses ordinaires. Pour vous dire à présent si le
courrier que j'ai dépêché arrivera plus tôt que le
sien, je ne puis le savoir, et je ne dois pas le sup-
poser, le courrier de M. le cardinal ayant huit
heures d'avance sur le mien : si après cela son cour-
rier court mal et que le mien coure mieux, c'est
leur affaire; je n'ai point à en répondre, non plus
que M. le cardinal de Bouillon. Au reste, je ne
trouverois pas un trop grand inconvénient quand le
mien seroit arrivé avant le sien. C'est un courrier
qui vous est dépêché ou à M. de Paris; il n'est
adressé ni aux ministres, ni au Roi; et lorsque vous
aurez reçu les dépêches, c'est à vous à juger si vous
devez avertir ou non Sa Majesté. Je ne crois pas
SUR l'affaire du quiétisme. 38i
que le Roi et les ministres se soucient fort de cette
formalité ; mais cela ne me regarde pas. Je fais seu-
lement mon devoir en vous de'pêchant un courrier ,
pour vous instruire de ce qu'il vous importe de sa-
voir, ne pouvant le faire par une autre voie. J'étois
d'autant plus obligé de le faire dans cette occasion ,
que je devois rendre compte promptement de ce qui
s'étoit passé, surtout après les obstacles qu'on venoit
d'éprouver la semaine d'auparavant, qui m'avoient
déterminé à dépêcher un courrier.
J'entre dans tous ces détails pour ma justification ,
parce que je sais le bruit que M. le cardinal de
Bouillon a fait sur la conduite que j'ai tenue, quoi-
que tout le monde ici l'ait approuvée, excepté les
gens gagés pour l'applaudir, et qui sont en petit
nombre. Je n'ai eu, en tout cela, d'autre vue que
celle de faire mon devoir , et j'ai toujours été bien
éloigné de chercher a lui donner du chagrin. Si en
m'acquittant des obligations de ma charge, j'ai eu le
malheur d'encourir sa haine et son indignation ,
j^-en suis fâché ; mais j'avoue franchement que je ne
suis pas dans la disposition , pour obtenir ses bonnes
grâces, de me corriger d'un pareil défaut.
La vérité est que M. le cardinal de Bouillon est
dans le dernier désespoir de la mauvaise réussite de
ses grands desseins. Il a de la peine d'être obligé de
me faire des honnêtetés : il n'est pas fâché de trouver
un prétexte pour me témoigner du froid, et dissi-
muler la cause de son chagrin.
Ces jours derniers cette Eminence a été à Frescati ,
seule avec le père Charonnier : j'aurois pris la liberté
de lui parler sur tout cela, si j'avois pu l'entretenir.
38a LETTRES
Je remarquai la dernière fois que je la vis un froid
nouveau ; j'en ai depuis su la raison , c'est le dé-
part du courrier; il s'en faut consoler. Parlons
d'autre chose.
J'attends avec grande impatience de vos nouvelles
sur le bref, quant au fond et quant à la forme. J'ap-
prends tous les jours sur le fond la confirmation de
ce que je vous ai écrit dans mes lettres précédentes.
Il est certain que la douceur avec laquelle on a traité
M. de Cambrai , a été recommandée par le Pape, à
qui le cardinal de Bouillon, qui a mis en œuvre
toutes sortes de moyens, est parvenu, avec le se-
cours de ses amis, le cardinal Albani et Fabroni, à
inspirer beaucoup de prévention contre les évêques,
et de ménagemens pour M. de Cambrai. Mais, mal-
gré tous les efforts de la cabale , tout ce qu'il a pu
obtenir, c'est qu'on ne qualifiât pas d'hérétique une
doctrine qui le mérite : tout ce qui est de foible dans
le bref vient de cette source. Ainsi on a obligation
du bien, je le dis franchement, au cardinal Casa-
nate, et du mal au cardinal de Bouillon, qui, pour
son ami, a trahi la vérité, la religion, l'honneur de
son pays et de sa nation , ce qu'il doit au Roi et à
lui-même.
Il n'y a personne qui n'ait admiré la modération
dont le Roi a usé jusqu'ici à l'égard du cardinal de
Bouillon. Je puis dire qu'il n'y a personne ici a pré-
sent qui ne s'attende, l'affaire étant conclue, de
voir quelque marque publique et frappante du juste
ressentiment que doit avoir le Roi d'une conduite
aussi méprisante envers lui, qui tendoit à excuser
un livre et une doctrine aussi pernicieuse, dont les
I
Sun l'affaire du quiétisme. 383
suites le pouvoient être encore plus, tant par rap-
port aux consciences, que par rapport au repos de
l'Etat.
Quant à la forme du bref, vous savez le remède
aisé qu'on peut apporter aux défauts qui s'y trou-
vent. Le cardinal Albani m'a fait proposer par le
père Roslet, de prévenir par une bulle, les deman-
des et peut-être les plaintes de la France ; mais j'ai
répondu que ce n'étoit pas à moi à rien dire là-dessus.
Je sais que le cardinal de Bouillon fait semblant
d'être fâché qu'on n'ait pas donné une bulle ; mais
c'est qu'il a su que je m'en plaignois, ainsi que -du
motu proprio : car dans le fond il en est bien aise ,
et croit par là rendre la décision moins authentique
en France. Rien ne lui étoit plus aisé que de faire
prendre pour modèle la bulle contre Molinos ; sur-
tout étant averti, il y a long-temps, qu'on vouloit
une bulle, et une bulle qui ne blessât point les
usages du royaume , qu'il ne lui est pas permis
d'ignorer.
Autant l'abbé de Chanterac parle sagement par
rapport à la soumission que doit M. de Cambrai,
autant le cardinal de Bouillon menace et fait appré-
hender un schisme. Le Pape est très-agité là-dessus,
et s'exprime quelquefois comme un homme qui se
repent d'avoir frappé si rudement M. de Cambrai,
quoiqu'il soit traité avec trop de douceur ; mais le
cardinal Albani et Fabroni ne cessent de le lui ré-
péter, à l'instigation du cardinal de Bouillon. On a
même remarqué de la colère dans le Pape contre le
cardinal Casanate , qu'il dit être la cause de tout ce
qu'il a fait. La cabale des Jésuites et du cardinal de
384 LETTRES
Bouillon qui hait beaucoup ce cardinal, emploie
contre ce grand homme tous les artifices imaginables
pour le rendre suspect au Pape; et cela est très-aisé :
on veut par-là empêcher le bien qu'il peut faire. A
quelques-uns néanmoins le Pape témoigne être sa-
tisfait de son jugement , assurant qu'on en sera
très-content en France : il dit même naturellement,
deux jours après la décision, e ita la botta, qui veut
dire, le coup est parti-, mais depuis on lui brouille
la tête le plus qu'on peut. On prétend par -là deux
choses; l'une, engager le Pape d'écrire au Roi en fa-
veur de M. de Cambrai, pour peu qu'il se soumçtte,
afin qu'on oublie le passé ; l'autre , de déterminer le
saint Père à donner quelques marques d'estime à
M. de Cambrai, dont il puisse se parer. L'on peut
compter que la cabale n'espère plus rien que de ce
pays-ci.
J'ai cru être obligé de parler ces jours passés au
cardinal Spada sur le bruit qui couroit, qu'on vou-
loit que le Pape écrivît quelque bref consolant à M. de
Cambrai, et je lui ai bien fait voir les conséquences
d'une pareille démarche, me paroissant indigne du
Pape de faire des avances en pareilles circonstances.
Il m'assura que le Pape ne feroit rien qui pût pré-
judicier à la sentence prononcée, et à la dignité du
saint Siège. Il me donna à entendre en même temps
que le Pape, en envoyant le bref au Roi, lui avoit
témoigné qu'il seroit à souhaiter qu'on finît toutes
les disputes. Je lui ai répondu que cela dépendoit
uniquement de la conduite que tiendroit M. de
Cambrai ; et qu'après qu'il se seroit pleinement sou-
mis, il ne resteroit plus aux évêques que de bien
prêcher
SUR l'affaire du quiétisme. 385
prêcher et de bien instruire leurs peuples sur la
bonne doctrine , en les précautionnant contre la
mauvaise, conformément au décret prononcé par
TEglise romaine, et que ce n'étoit pas là disputer,
mais confirmer ce qu'avoit fait le saint Siège. Il ne
faut pas manquer de le faire , quoi qu'on puisse
écrire d'ici, où Ton tremble sur tout. On doit en
France songer à remédier au mal qu'a produit l'ob-
stination de M. de Cambrai, la fureur de la cabale,
la lenteur et la foiblesse de cette Cour.
Je puis vous dire, comme le sachant de science
certaine, que tous les gens de bien et les savans qui
sont ici, attendent de la France, le vrai soutien de
la religion, que sur cette matière en particulier,
les évêques de l'Eglise gallicane ne manqueront pas
de suppléer à ce qu'on n'a pas fait encore ici, et
qu'ils auront soin de réduire les mystiques au rang
qu'ils méritent. Ils espèrent que dans les instructions
relatives qu'ils donneront, ils diront à cet égard
tout ce qu'il faudra, que même ils parleront là-dessus
avec autorité : il faudra seulement éviter, par rap-
port à ce pays-ci , <le ne le pas faire en forme de ca-»^
nons et d'articles. Tout le reste sera ici ttès-ap-
prouvé, très-bien reçu et confirmé dans l'occasion.
Je sais que tout le saint Office est dans cette disposi-
tion , et que les mystiques y sont à présent craints et
méprisés.
On ne fait pas difficulté ici de dire que TEgUse
vous a les plus grandes obligations d'avoir dé-
masqué une doctrine aussi pernicieuse et aussi raffi-
née que celle de l'amour pur : ainsi le livre que vous
méditez, ne peut être que bien reçu, pourvu qu'il
BOSSUET, XLII. 25
386 LETTRES
soit court. On compte ici que vous avez eu pleine-
ment la victoire, et que par contre-coup votre doc-
trine a e'te' trouvée irréprochable sur tous les points,
et approuvée en tout. On n'en a point parlé, il est
vrai ; mais vous avez été examiné avec autant de ri-
gueur que M. de Cambray, non-seulement par rap-
port à la manière dont vous le convainquez d'erreur,
mais encore par rapport à vos principes ; l'un et
l'autre étant trop liés ensemble pour qu'on n'ait pas
entré dans cette discussion , et la cal)ale trop animée
pour manquer de chercher les moyens de se venger.
J'attends vos Passages éclaircis , que je distri-
buerai ici sagement : cela produira un bon effet re-
lativement aux mystiques. Il est bon de les expli-
quer, de montrer qu'ils sont bien éloignés de la
doctrine de M. de Cambrai et des Quiétistes ; mais
il est aussi nécessaire qu'on soit persuadé qu'ils ont
exagéré, comme vous l'avez toujours dit, et comme
M. de Cambrai est obligé de l'avouer lui-même. La
clause, swe attenta s ententiarum connexione , sauve
Jes bons mystiques , confond M. de Cambrai , et donne
lieu de dire tout ce qu'il conviendra sur les expres-
sions particulières des mystiques,
Qu'avez -vous pensé de la batterie des Canons,
et des artifices de la cabale? J'ai appris que la même
idée étoit venue aux protecteurs de Molinos : elle
fut proposée par le cardinal Azolini, et on la rejeta
également.
Lres politiques croient que la Cour romaine s'est
fait tort de n'avoir pas ménagé M. de Cambrai, qui
lui promettoit de soutenir son autorité contre les
^iutres évêques de France, et de protéger les moines.
SUR l'affaihe du quiétisme. 387
Soyez assuré qu'on a fait ici envisager tous les beaux
côtés de M. de Cambrai , pour lui attirer des par-
tisans; et qu'on n'a pas, au contraire, manqué de
représenter tout ce qui pouvoit rendre odieux les
évéques, leur doctrine et le Roi. A présent les amis
de M. de Cambrai disent à l'oreille, que ce prélat
reviendra plus triomphant que jamais sous le fils et
le petit-fils du Iloi, et qu'il n'est seulement question
que de le sauver dans ce moment de la fureur de ses
ennemis. Ils craignent fort, avec raison, qu'on imite
à son égard, la conduite qu'on a tenue envers le
cardinal Petrucci, à qui on lit quitter son évêché^
quoique après la condamnation de Molinos il se fût
soumis à tout. Le soupçon d'avoir donné dans les
égaremens de ce fanatique , suffit pour qu'on le ju-
geât incapable de faire bien dans sa place, et il s'en
fallut peu qu'on ne lui ôtât même le chapeau.
C'est à présent de tous nos Français à qui aura
mieux fait paroître son zèle contré M. de Cambrai.
Vous savez ce que je vous ai mandé : M. l'abbé de
la Tremoille et le général de la Minerve ont tou-
jours été droit , mais avec des ménagemens pour
M. le cardinal de Rouillon. Il est bon de ne le pas
témoigner en France, quoique je Taie dit franche-
ment au premier. Si vous voulez même m'obliger ,
vous m'enverrez pour l'un et pour l'autre des lettres
de remercîmens, relatives à ce que je vous ai marqué
chaque fois , ainsi qu'à M. de Paris, de la bonne vo-
lontéqu'ils témoignoienten toute occasion* Il est très-
certain que le général des Jacobins s'est toujours
très-bien comporté, et qu'il a surtout parlé aux car-
dinaux comme il convenoit. Il auroit été volontiers
388 LETTRES
d'avis d'une condamnation générale; mais fai tenu
ferme, et déclaré q^u'elle seroit non-seulement insuf-
fisante, mais encore pernicieuse dans les circon-
stances présentes, après un examen si authentique,
rose dire que faî parlé si haut là-dessus, qu'il a
fallu se rendre à mes représentations. Pour peu
qu'on eût molli, on n'obtenoit rien de bon. Je suis
même persuadé que si la Sorbonne avait mis la qua-
lification d'hérétique à la proposition de l'involon-
taire, et à celles de l'amour pur et du sacrifice du
salut joint au désespoir, on n'auroiit pu se dispenser
ici d'en faire autant ; mais comme ils ont vu que les
docteurs s'en étoierit abstenus, ils ont cru pouvoir
suivre leur exemple par tempérament, sans s'expo-
ser à de justes reproches.
Cependant les savans de (iette ville n'ont point
approuvé la manière foiblé aVéc laquelle la consti-
tution a été rédigée.- On sait bien dire qu'on y recon-
noîtroit la plume et le génie du secrétaire, le cardinal
Albani , quand même il n'auroit pas mis son nom.
Je ne crois pas que le saint Siège se soit jamais
servi de bref dans les matières de doctrine, et pour
la condamnation de propositions spécialement mar-
quées. Je vois clairement qu'on a pris pour modèle
de ce qu'on vient de faire, le bref de Clément IX,
de l'an 1668, contre le Rituel d'Alet : Sensim induci
passent in errores jam damnatos , est pris de là, et
tombe dans ce bref sur les propositions , et dans
celui de M. de Cambrai sur le livre en général. Dans
celui de Clément IX on condamne au feu , dans ce-
lui-ci on omet cette note. On a encore évité de mar-
quer dans celui-ci qu'on défend, sous peine d'ex-
SUR l'affaire du quiétisme. 389
communication, de tenir les propositions ; ce qu'on
met partout, quand elles sont rapportées. Le bref
de Cle'ment IX , sur le nouveau Testament de Mons ,
contient les mêmes choses ; mais le motu proprio
n'y est pas.
Au reste, à moins que vos ordres ne m'arrêtent,
ce que je ne puis prévoir, je me dispose à partir
d'ici vers le commencement du mois de mai , pour
pouvoir arriver à Venisq à l'Ascension. Je ne man-
querai pas de passer à Florence, pour y rendre
mes respects à M. le grand duc , et y revoir nos
amis. Je ne doute pas qu'avant ce temps je ne puisse
avoir terminé ici ce qui pourroit rester à faire,
lorsque j'aurai su les résolutions de la Cour et des
évêques , et le parti que M. de Cambrai aura pris.
Au reste, je m'en rapporte entièrement à vous, et
quelque désir que j'aie de retourner auprès de votre
personne, vous serez toujours le maître de me faire
faire ce que vous jugerez le plus à propos.
Rome, ce 24 mars 1699.
LETTRE CCCCXLVII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la satisfaction qu'on avoit du bref contre M. de Cambrai ; les
avantages de ce décret j la manière dont Fénélon avoit écrit au
nonce, et avoit appris sa condamnation j et sur la spumissioa
avec laquelle le bref étoit reçu.
Nous avons vu par vos lettres du 10, que vous
aviez préparé et prévu ce que nous avons appris
par le courrier du i3. Dieu soit loué à jamais.
3c)0 LETTRES
On attend ici , pour prendre une resolution sur
Texe'cution de ce bref, le paquet de M. le nonce,
qu'on ne pourra recevoir que par l'ordinaire pro-
chain. Cependant vous pouvez assurer le Pape et les
cardinaux que le bref est estime' , applaudi , reçu
avec joie par le Roi, par les évéques, et par tout
Paris et toute la Cour. 11 y a long-tenips que l'Eglise
romaine n'avoit fait un décret ni si beau, ni si pré-
cis. On marquera tout le respect possible au saint
Siège.
La seule difficulté est, qu'il n'y a point d'adresse
aux évêques. Le reste n'est rien du tout. J'espère
qu'on trouvera les moyens de donner à un bref de
cette importance, toute l'autorité qui convient à
une décision aussi formelle et aussi authentique du
saint Siège.
La précision du bref consiste principalement en
quatre points. Premièrement, à condamner le livre
quocumqiie idiomate : par conséquent, la propre
version latine de M. de Cambrai, que nous avons
accusée de fausseté; et l'on a bien remarqué que
dans la version latine des propositions condamnées
par le bref, on ne s'est point servi de celle de M. de
Cambrai. Secondement, en ce qu'il est dit que le
livre induit ('*') sensim in errores ah Ecclesid catho-
licâ jam damnatôs ; ce qui confirme tout ce que
nous avons dit sur ce sujet. Troisièmement, en ce
qu'il déclare ces propositions perniciosas in praxi;
ce qui appuie encore ce que nous avons dit sur
les conséqufeilces. Quatrièmement, en ce que qua-
(*) Le bref dit sculernent/jue les ^xo^s^ûXx^m pourroientinduire ^
î/2£/ttc//70^5enf. (Edit. de Vers.) > i <. :
SUR l'a FF AI 11 E DU QUIÉTISME. 89!
lifîant les propositions d'e/v-oweâ^^ ^ avec la clause
sii^e in sensu obv^io , swe ex connexione senientia-
rum ; il exclut nettement toutes les explications.
Jamais on n'a fait censure si docte ni si profonde;
et je voiis assure, sans rien exagérer, que nous en
sommes ravis. '. ./i^xiri^
Tout le monde vous loué, et on est fort content
de votre conduite.
M. le cardinal de Bouillon a e'crit au Roi qu'il
avoit cacheté son avis signé de lui avant la décision,
et scellé de son cachet et de celui du père Roslet, par
lequel il constateroit qu'il avoit pris un sentiment
meilleur, et plus capable de déraciner l'erreur que
tout ce qui a été fait. On a fait voir au Roi , qu'ap-
paremment il avoit dit ce qu'il savoit de meilleur
dans les congrégations, et que cela, bien assurément,
n'e'toit rien qui vaille, et ne tendoit qu'à tout détruire
et à élever le Molinosisme sur le fond du livre.
Il a écrit à M. le nonce en ces termes : « Voilà le
» décret, Dieu veuille qu'il donne la paix à l'Eglise ».
Vous verrez bien assurément le consentement uni-
versel de Tépiscopat. '>
Par une lettre écrite du t4 à M. le nonce, M. de
Cambrai demande d'abord trois choses : l'une, que
si la doctrine de son livre est mauvaise, on la con-
damne nettement; l'autre, que si elle est ambiguë, on
lui déclare nettement le parti qu'il a à prendre; la
troisième, que si elle est bonne, on le déclare au-
thentiquement et nettement, pour empêcher les avan-
tages qu'on pourroit prendre sur lui : qu'au reste,
si l'on ne parle pas avec la netteté qu'il demande,
m-
392 LETTRES
il ne laissera pas d'être soumis; mais que d'autres
écriront contre la décision.
Il dit encore, dans la même lettre, que M. de
Meaux répand partout , qu'il n'aura qu'une soumis-
sion apparente et extérieure , et qu'il faut que lui,
M. de Meaux, rétracte ses erreurs, notamment sur
la charité et la passiveté.
Il conclut enfin sa lettre, en disant que le Pape
lui doit montrer en quoi il est contraire aux saints
canonisés qu'il a cites. Ainsi , voilà le Pape obligé
h faire un livre contre M. de Cambrai. Cette lettre
a été trouvée fort menaçante, et en même temps
pleine d'impertinence. . . t . j,. >
Nous avons nouvelle qui! a appris sa condamna-
lion le aS, deux heures avant le sermon qu'il devoit
faire, et qu'il a tourné son. sermon, sans rien spé-
cifier, sur la soumission aveugle qui étoit due aux
supérieurs et aux ordres de la Providence.
J'ai été chez M, de Beauvilliers me réjouir avec lui
de sa soumission , et l'assurer que je n'ai pas seule-
ment songé à dire ce que M. de Cambrai m'impute
dans sa lettre à M. le nonce.
Jam,ais décision du saint Siège n'a été reçue avec
plus de souraissioïi et de joie. M. de Beauvilliers et
M. de Chevreuse ont envoyé leurs exemplaires du
livre des Maximes à M. de Paris; et tout le monde
les imite, sans attendre que le bref soit publié dans
le3 formes.
Cette décision tournera à l'honneur du saint Siège j
cela s'appelle /2^5o/M^a j docta et cauta censura. Vous
ne sauriez aller trop tôt aux pieds du Pape, pour
SUR l'affaire du quiétisme. 398
lui témoigner ma profonde vénération et ma grande
joie, ni témoigner trop promptement à ces doctes et
courageux cardinaux , et surtout au cardinal Gasa-
nate, mon admiration.
On fait dire ici au cardinal d*A guirre , Dominus
Meldensis vult vincere ^ est justwn : vult trium"
phare j nimis est. M. de Meaux veut vaincre, cela
est juste; il veut triompher, c'est trop. Je ne veux
non plus vaincre que triompher \ et l'un et l'autre
n'appartiennent qu'à la vérité et à la chaire de saint
Pierre.
Je ne puis vous dire en détail ce qu'on fait : on ne
prendra des mesures , qu'après avoir vu le paquet
de M. le nonce. Le Roi m'appela dès qu'il me vit.
Je lui fis connoître, le mieux que je pus, ce qu'on
devoit au Pape et aux grands cardinaux. Tout à
vous.
A Versailles, lundi 3o mars 1699.
LETTRE CCCCXLVIII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A M. DE NO AILLES,
ARCHEVÊQUE DE PARIS.
Sur les dernières lettres du Roi contre le projet des Canons \ la
bonne conduite du nonce pendant le cours de cette afiaire j et
le mécontentement du Pape de n''avoir pas donné une bulle-
Je me sers de l'occasion du courrier extraordi-
naire, qui a apporté les. ordres que vous savez, et
vos lettres avec celles de M. de Meaux, pour vous
écrire. Il a ordre de se tenir prêt à partir cette
3();î. LETTRES
nuit. M. le cardinal de Bouillon s'e'toit douté du
courrier que j avois envoyé sur le nouveau projet
des Canons : il n'a pas laissé d'être très -surpris et
très-mortifié d'une réponse si prompte, si nette et
si pleine d'improbation de ce projet favori. Le cour-
rier arriva jeudi, 26 de ce mois, et le cardinal alla
le lendemain matin chez le Pape, faisant semblant
de porter des nouvelles fâcheuses d'Espagne.
Cependant on n'a pas laissé de se douter du vrai
sujet de sa visite, et on a su qu'il y avoit une lettre
du Roi au Pape, qui contenoit de nouvelles instances
pour le jugement. Quoiqu'il semble que cette dé-
pêche soit venue dans un temps où l'on n'en avoit
plus besoin, je suis persuadé que, par rapport aux
circonstances présentes, cette déclaration du Roi
produira un bien, en faisant. connoître pius certai-
nement à cette Cour qu'elle n'a pas sujet de se re-
pentir d'en avoir trop fait, et qu'elle ne pouvoit pas
en faire moins pour répondre aux justes et pres-
santes sollicitations de la France contre un si mau-
vais livre.
Je ne sais comment M. le cardinal de Bouillon,
aura tourné les choses au Pape : sans doute il aura
bien témoigné ne pas approuver le zèle de ceux qui
ont cru devoir faire avertir le Roi de ce qui se pas-
^oit ici. Mais j'espère que le Pape aura bien com-
pris qu'ils y étoient obligés en honneur et en con-
science : en tout cas ils ont voulu n'avoir rien à se
reprocher, et n'ont écrit que la pure vérité. J'avois
prévenu le cardinal Spada, il y a huit ou dix jours,
du compte que j'avois cru devoir rendre en France
de ce, qui regardait le projet des Canons, afin qu*il
SUR l'affaiïie du quiéttsme. 395
ne fut pa5 étonne des lettres un peu fortes qui pour-
roient venir là-dessus. Il me dit que j avois fort bien
fait, et que le tout ayant été réparé par un prompt
jugement, les plaintes que ce projet occasionneroit,
ne serviroient qu'à confirmer le Pape dans le parti
qu'il avoit pris; et tel est TefTet qui doit résulter
des lettres du Roi, si l'on ne prend pas plaisir à
aigrir l'esprit du Pape. Je n'ai pu encore rien savoir
de positif sur ce point, ayant été obligé de garder
la chambre cinq ou six jours. Je sais que le cardi-
nal de Bouillon a été deux heures enfermé avec le
cardinal Spada, pour écrire apparemment de con-
cert en Cour. Je ne veux pas supposer qu'ils ne
marquent pas la vérité.
Avant l'arrivée du courrier on avoit embrouillé
de nouveau l'esprit du Pape, qui avoit dit, sur la
demande qu'on feroit peut-être d'une bulle en forme
au lieu d'un bref, qu'il n'en avoit déjà que trop fait.
Mais ces discours ne doivent pas faire craindre qu'il
refuse à cet égard ce qui pourroit convenir, quand
on le lui demandera ; et je crois qu'on ne doit pas
hésiter d'agir incessamment, si on ne l'a déjà fait.
On aimera ici beaucoup mieux accorder une pareille
demande, que de ne pas voir niettre à exécution le
décret en France.
'11 est très-certain que le moiu proprio n'est essen-
tiel ni aux bulles, ni aux brefs, même par rap-
port à Rome. Je trouve plusieurs bulles, oti il n'est
point, surtout celles qui ont été publiées en France :
quand on met ej: consilio fratrum , et audiiis Car-
àinalihus , etc. ordinairement on ne met point le
niolu proprio , comme on le peut voir dans la bulle
•^9^ LETTRES
de Molinos, et dans la bulle que ce Pape-ci a faite
contre le ne'potisme, la plus authentique qui ait ja-
mais e'te'. Pour les bulles et brefs où l'on met le motu
proprioj ordinairement on n'y met pas auditis Cmt
dinalibiLS. C'est ce qu'on remarque dans le bref de
Clément IX, contre le Rituel d'AIet, et dans la
bulle de ce Pape-ci sur la vénalité des charges de la
chambre. Quant aux brefs sans motu proprio ^ il n'y
a qu'à voir le bref de Clément IX contre le nouveau
Testament de Mons, où il est dit auditis Cardina-
libus , etc. sans le motu proprio; et celui de Clé-
ment X, de l'an 1673, qui contient la suppression
des confréries , sous le nom du Bon Pasteur. Les
deux brefs de Clément IX sont de l'an 1668.
On peut encore remarquer que dans les brefs
et bulles où l'on retranche le moiu proprio, il n'est
point nécessaire d'exprimer qu'ils aient été requis
par personne, comme me le soutenoit le cardinal
Albani, qui cherchoit par-là à excuser sa mauvaise
tournure. Mais la maxime est fausse , car ils font
les brefs et les bulles dans la forme qu'il leur plaît,
et ils doivent les construire pour les royaumes
étrangers dans celles qui y sont admises : ainsi , en
cas que le motu, proprio , et la forme du bref, fassent
de la peine en France, on ne doit pas bési^ter à
demander ici une bulle d'un autre style, et l'on
n'hésitera pas ici à la donner.
M. Giori mérite des remercîmens particuliers du
zèle et de la sincérité qu'il a montrés dans cette
affaire; ce qui n'est pas peu pour un Italien.
Vous aurez bientôt à Paris, M. le prince Vaïni,
qui a rendu à la bonne cause tous les services qu'il
SUR l'affaire du quiétisme. 397
a pu. Le cardinal de Bouillon s'attend qu'il dira
beaucoup de bien de lui ; mais je crois qu'il con-
noîtra assez le terrain pour ne pas exagérer, de peur
de n'être pas cru.
Les Je'suites sont plus abattus du coup qu'aucfun
autre : il semble que chacun d'eux a été condamné
dans la personne de M. de Cambrai ; cela est vi-
sible.
Par tout ce qui m'est revenu, depuis près de
deux ans que cette contestation dure , il me paroît
certain que M. le nonce s'est conduit , à l'égard des
évêques, du Roi et du Pape, comme il convenoit pour
le succès de l'affaire et l'honneur du saint Siège.
Cela étoit bien nécessaire; et autrement, il y avoit
tout à craindre de la terrible prévention du Pape ,
qui , malgré tant de recommandations , a été près de
faire bien du mal.
On vient de m'assurer, de très-bonne part, que
le Pape est très-fâché de n'avoir pas fait une bulle
en forme, et d'être obligé d'y revenir. Le cardinal
Albani veut faire retomber la faute sur le cardinal
Casanate, mais sans fondement, ce dernier ayant
toujours eu dessein de donner une bulle, dont j'ai
vu le projet; mais quand il a senti que le cardinal
Albani vouloit absolument se rendre maître , il l'a
laissé faire un plat de son métier, c'est-à-dire, un
bref au secrétaire des brefs.
La reine de Pologne et le cardinal son père, font
le spectacle de Rome depuis huit jours. Il y a eu
ce matin consistoire, et le Pape a donné le chapeau
au cardinal Morigia, et au cardinal d'Arquien ou
de la Grange. La goutte a pris cette nuit à ce car-
898 LETTRES
l^inal^ et Fa empêché de faire le jeune homme à cette
çére'monie.
Pendaat que j'écrivois cette lettre, le révérend
père Cambolas est venu me voir, et m'a dit un fait
arrivé ce matin, qui est assez curieux. Le prieur du
couvent où il habite, et qui est en même temps curé
de la paroisse, lui a dit avoir exhorté ce matin à la
mort un jeune prêtre de vingt-cinq ans, auquel il a
^entendu faire un acte d'amour parfait, qui conte-
noit le sacrifice absolu de son éternité, demandant
en termes formels à Dieu qu'il le damnât , afin que
sa justice et sa gloire en parussent davantage. Ce
bon père a été effrayé d'une pareille disposition; et
ce n'a pas été sans peine qu'il a fait faire au mou-
rant des actes de foi et d'espérance, et des demandes
expresses du salut ; après quoi il lui a administré les
sacremens , et il est mort. Au sortir de là ce reli-
gieux a raconté le tout à son général, au père Gam-
bo as, et à plusieurs autres des principaux religieux.
Le fait est constant , et me confirme dans le soup-
çon que j'ai toujours eu, que cette pernicieuse doc-
trine est plus enracinée dans Rome qu'on ne le
croit. Plût à Dieu qu'elle ne le soit pas autant en
France.
Rome, ce 3o mars 1699,
SUR l'aFFAIUE du QUIÉTISMIÎ. 3()9
LETTRE CCCCXLIX.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur un Induit qu'il désiioit obtenir; des remercîmens qu'il conve-
noit de faire à ceux qui avoient servi avec zèle dans la cause; et
le sujet pour lequel le cardinal de Bouillon interrompit la lec-
ture du bref.
Un grand rhume, avec an peu de fièvre, m'em-
pêche de vous écrire longuement. Je vous envoie
copie de la lettre que je dictai hier pour M. de Paris,
par laquelle vous apprendrez tout ce qui peut vous
intéresser.
Je songe très-sérieusement à partir aussitôt que
je le pourrai, et que j'en aurai la liberté , c'est-à-dire,
après avoir vu ici ce qu'on jugera à propos de faire
en France, et ce que M. de Cambrai fera. J'espère
le savoir à peu près au commencement de mai, et
pouvoir être ainsi à Venise à l'Ascension. Mais je
serois bien aise de ne pas sortir de ce pays-ci, sans
faire les derniers efforts pour obtenir l'Induit pour
les bénéfices de mon abbaye. Les circonstances seront
favorables ; et si M. le prince de Monaco veut bien
m'aider là-dedans, je compte en venir à bout. Voyez,
s'il vous plaît, en quoi vous pouvez m'aider du côté
du Roi et du nonce. Si M. de Monaco pouvoit dire
ici que cela fera plaisir au Roi, ce seroit un bon
moyen pour réussir. Il faut toujours que vous en
écriviez à ce ministre et à M. le cardinal Panciatici.
Vous ne devez pas oublier dans votre lettre de lui
témoigner la satisfaction qu'on a du zèle avez lequel
40O LEtTRES
il s'est porté contre Terreur. Vous ferez bien aussi
d'e'crire au cardinal Casanate, relativement à Taffaire
terminée, une lettre de confiance. On doit tout
attendre de son amitié pour vous, et de son zèle
pour l'honneur de l'Eglise. Je m'attends que vous
e'crirez aussi une belle lettre à M. Giori, sur son
zèle et les services qu'il a rendus.
J'ai reçu, par le courrier de M. de Torcy, une
douzaine d'exemplaires des Passages é claire is , et
de la Réponse du Théologien de M. de Chartres. Je
me suis fait lire le premier écrit, et je l'ai trouvé
excellent et démonstratif; on l'attendoit ici.
J'apprends dans le moment que Sa Sainteté té-
moigne n'être pas fâchée des nouvelles instances du
Roi , voyant par là que la condamnation du livre de
M. de Cambrai en sera reçue plus agréablement. On
m'a dit aussi qu'il commence à s'apercevoir de l'ar-
tifice du cardinal Albani, auteur du bref. Il est
fâché de n'avoir pas fait une bulle, au moins il le
témoigne.
On vient encore de m'assurer, de plusieurs en-
droits , qu'il paroît de plus en plus être bien aise de
ce quil a fait, depuis les lettres du Roi et les ap-
plaudissemens qu'a donnés à son décret le grand duc,
qui véritablement s'est comporté à merveille dans
cette affaire.
L'obtention de l'Induit que je désire, est de
grande conséquence pour moi, et peut être fort
utile à d'honnêtes gens, à qui je serai par là en état
de rendre service.
Je ne puis trop vous recommander M. Madot : je
vous ai écrit, par ma lettre du 24, bien des choses
sur
SUR l'affaire du QUIÉTISME* 4^1
sur ce chapitre. Le cardinal de Bouillon est furieux
contre lui , parce qu'il le craint.
Les dépenses extraordinaires ont été ici plus loia
qu on ne pourroit se Timaginer. Mais j'ai cru ne de-
voir rien épargner, pour réussir dans une affaire
où il s^agissoit de Tintérét de l'Eglise et du bien
de l'Etat, et où tout rouloit, j'ose vous le dire,
sur moi.
Je ne sais si je Vous ai tharqué précisément à quel
sujet le cardinal de Bouillon interrompit la lecture
du bref, qui se faisoit en présence du Pape, le
lundi 12, jour du jugement. Ce fut pour demander
quon«ajoutàt après les propositions, ces mots:
quas auctor non agnoscit suas. Il se fondoit sur ce
qu'on n'a pas interrogé juridiquement l'auteur,
comme l'avoit été Molinos , qui reconnut ses propo-
sitions ; et que loin d'être autorisé par l'aveu de
M. de Cambrai, il protestoit au contraire qu'on
tronquoit et altéroit ses textes. Mais les belles re-
présentations du cardinal de Bouillon ne touchèrent
personne ; il fut sifflé par les cardinaux , et le Pape
ordonna qu'on passât outre : trois fois cependant il
interrompitja lecture, et trois fois on méprisa tous
ses vains discours»
Je vous envoie quelques exemplaires du bref, pour
tous servir, en cas qu'on ne juge pas à propos de
l'imprimer en France.
Rome^ ce 3i mars 1699.
BOSSUET. 1Llu, 26
402 LETTRES
EPISTOLA CCCCL.
CAMERACENSIS ARCHIEPISCOPI AD INNOCENTIUM XII (*).
Pontifici renuntiat se censurae libri siii adhaerere, eumque, per
Mandatum, sine ullà restriclione condemnaturum , simul atque
id sibi à Rege licere resciverit.
Sanctissime Pater,
AuDiTABeatitudinis Vestrae demeo libello senten-
tiâ , verba mea dolore plena sunt j sed animi sub-
(*) Celle lettre, et les trois pièces que nous y joignons, quoi-
qu'elles ne soient pas tout-à-fait de même date, som troif impor-
tantes pour être omises dans celle correspondance. Elles sont
d'ailleurs nécessaires pour rintelligence des lettres postérieures de
Bossuct et de son neveu. Nous ajoutons ici quelques faits relatifs
à ces pièces, dont il est bon que le lecteur soit instruit.
Dès que le bref contre le livre des Maximes eut été publié à
Rome, Fabbé de Chaaterac Texpédia à rarchevêque de Cambrai
par un courrier. Avant de Tavoir reçu, ce prélat, qui avait d'abord
appris par Paris la condamnation de son livre, manda à l'abbé de
Chanterac qu'il atlendoit la bulle pour mesurer sur ses paroles celles
de son mandement d'acceptation, qu'il se proposoit défaire le plus
f impie et le plus court possible. Il neut pas plus tôt reçu le bref,
qu'il acheva son mandement, et écrivit au marquis de Barbezieux,
secrétaire d'Etat, afin d'avoir l'agrément du Roi pour le publier.
Sans attendre la réponse du ministre, ne voulant pas que le Pape
eût le moindre doute sur son entière soumission , il envoya à l'abbé
de Chanterac une lettre (celle du 4 avril) pour être remise à Sa
Sainteté, avec une copie de son mandement projeté, qu'il ne vou-
loit pas encore faire présenter officiellement, de peur, disoit-il,
qu'on ne lefà passer pour mauvais Français , si on sauoit qu'il eût
reconnu un jugement de Rome sans y avoir été autorisé par le Roi.
Le 27 avril, il se tint à Rome une congrégation dans laquelle
on lut la lettre de Fénélon au Pape, et celle qu'il avoit écrite à l'é-
vêque d'Arras, dont ce prélat avoit répandu des copies. Tout le
monde en fut satisfait, et le Pape chargea le cardinal Albaui de
Sun L'ArFAIllE DU QUIÉTISME. ^o'S
missio et docilitas dolorem supei ant. Non jam com-
memoio innocentiam , probra, totqne èxplicationes
ad purgandam docti inam scriptas. Praeterita omiiia
omitto loqui. Jam apparavi Mandatum per totam
hanc diœcesim propagandum, quo censurae apo-
stolicœ huiuillimè adhserens, libellum cum viginti
tribus propositionibus excerptis, simpHciter, abso-
lutè et absque ullâ vel restrictionis umbrâ condem-
nabo, eâdem pœnâ prohibens , ne quis hujus diœcesis
libellum ant légat, aut domi servet. Quod Man-
datum, Beatissime Pater, in lucem edere certuni
est, simul atque id mihi per Regem licere rescivero.
Tum in me nihil morœ erit, quominus id intimae et
plenissimse submissionis spécimen per omnes Eccle-
sias, necnon et per gentes haereticas dissemilietur.
Nunquam enim me pudebit à Pétri successore cor-
rigi, cuifratres confnmandi partes commissae sunt.
Adservandam sanorum verborum formam, igilur
faire à l'arcbevéque de Cambtai;Une réponse honorable. Le bref
éloit dressé, quand Fabbé Bossuet en ayant ou connoissance, par-
vint, à force d'intrigues, à le faire supprimer. {^Voj ez ses lettres
des 5, la eï 19 mai y ci-après. )
Dans cet intervalle, Fénélon avoit reçu la réponse du minislfe
pour la publication de son mandement. Aussitôt il s'empressa do
renvoyer au Pape, avec une nouvelle lettre. (C'est celle du 10 avril,
qui paroit ici pour la première fois.) On verra, dans les lettres de
Tabbé Bossuet, qu'il se donna bien des mouvemens pour en avoir
communication; mais inutilement. Elle fut tenue si secrète, qu'ex-
cepté le cardinal Albani et probablement le cardinal de Bouil-
lon , aucun des autres n'en eut Connoissance. Le Pape y répondit
par son bref du J2 mai. Voyea VHist, de Fénélon, liv. ni, n. 77
et suiv. tom. 11, pag. 254 et suiv. 3* édit.
Nous n'insérons pas ici le mandement de Fénélon, parce qu'il
se trouve dans la Relaiion faite à FAssemMée de 1700, ci-dessus,
lom. XXX, pag. 453 et suiv. {Edit. de Vers.)
4o4 LETTRES
libellus in perpetuum repi obetur. Intra paucissimos
dies id ratunfi faciam. NuUa erit distinctionis umbra
levissima , quâ decretum eludi possit , aut tantula
excusatio unquam adhibeatur. Vereor equidem ,
uti par est, ne Beatitudini vestrae sollicitudine om-
nium Ecclesiaium occupatae molestas sim. Verùm
ubi Mandatum ad illius pedes brevi mittendum , ut
submissionis absolutae signum, bénigne accepeiit,
meum erit serumnas omnes silentio perferre. Sum-
mâ cum observantiâ et devoto animi cultu ero in
perpetuum, etc.
Franciscus, archiep. Cameracensis.
Cameraci, 4 aprilis 1699.
LETTRE CCCCLI.
DE FÉNÉLON A L'ÉVÊQUE D'ARRAS.
Il lui annonce sa soumission absolue à la condamnation de son livre ,
et lu publication prochaine de son mandement à ce sujet.
Permettez-moi , Monseigueur , de vous dire gros-
sièrement, que vous avez été trop réservé en gardant
le silence. Qui est-ce qui me parlera , sinon vous ,
qui êtes l'ancien de notre province ? Il n'y a rien ,
Monseigneur, que vous ne me puissiez dire sans
aucun ménagement. Quoique je sente ce qui vient
d'être fait, je dois néanmoins vous dire que je me
sens plus en paix que je n'y étois il y a quinze jours.
Toute ma conduite est décidée. Mon supérieur, en
décidant, a déchargé ma conscience. Il ne me reste
plus qu'à me soumettre , à me taire et à porter la
SUR l'affaire du quiétisme. 4o5
croix dans le silence. Oserai-je vous dire que c'est
un état qui porte avec lui la consolation pour un
homme droit, qui ne veut regarder que Dieu, et
qui ne tient point au moi;ide. Mon mandement est
devenu , Dieu merci , mon unique affaire , et il est
déjà fait. J'ai tâché de choisir les termes les plus
courts , les plus simples et les plus absolus. Il seroit
déjà publié , si je n'attendois les ordres du Roi , que
j'ai demandés à M. de Barbezieux , pour ne blesser
point les usages du royaume , par rapport à la ré-
ception des bulles et autres actes juridiques de Pvome.
Voilà, Monseigneur, Tunique raison qui retarde la
publication de mon mandement. Il coûte, sans
doute, de s'humilier ; mais la moindre résistance au
saint Siège coûteroit cent fois davantage à mon
cœur; et j'avoue que je ne puis comprendre qu'il y
ait à hésiter en une telle occasion. On souffre, mais
on ne délibère pas un moment. Je serai , etc.
EPISTOLA CCCCLII.
CAMERACENSIS ARCHIEPISCOPI AD INNOCENTIUM XII.
Mandatum , quod epislolà praecedenti renunliaverat , Pontifici mit-
tens suam Brevi apostolico plenissîmam adhœsionem itérât, sen-
susque reverentiae et amoris filialis erga Ecclesiam matrem atque
optimum Fontifîcem, significat.
Sajvctissime Pater,
Mandatum , quod jam per hanc diœcesim propa-
latur, ad Beatitudinis Vestrae pedes humillimè sisto,
ut certior fiat me apostoUco Brevi, quo libellus de
sanctorum Placiùsij etc. damnatus est, plenissimèj^
4o6 LETTRES
simplicissimè , et absque ullà restrictione adhseï ère.
Ex scriptis apologeticis per biennium excusis, ni
fallor, innotuit me, in eclendo libelle, illusioni
patrocinai i nullatenus voluisse ; imo fuisse infensis-
simum. Insuper, ut iisdem scriptis declaravi, nihil
certè piguisset ab eo tuendo desistere, ad pacem
componendam. Verùm , sanctissime Pater, religio
vetuit, ne alienae sententiae, reluctante conscientiâ,
bbsequerer, ad repudiandum uniformem, ut mihi
tum videbatur, totSanctorum cujusque aetatis ser-
monem , nisi Sedis apostolicae auctoritas accederet.
Etenim testis est mibi cordium scrutator et judex
Deus, id potissimùm mihi cordi fuisse, ut sancto-
rum expérimenta et dicta, in libello simpliciter re-
lata, plerumque temperarentur. Unde arbitrabar
me abunde consuluisse, ne textus unquam trahi
posset ad sensum alienum ab eo, quemin apologe-
ticis scriptis ingénue et constanter asserui. Verum-
tamen, sanctissime Pater, jam meum est credere
mentem meam eo in libello malè esse explicitam ,
meque in cautionibus adversùs errorem adhibendis
proposito arduo excidisse. Ad hoc fatendum facile
me movet tanta auctoritas, quam suscipiens tan-
tulasingenii vires nihili facio. Igitur nihil queror,
nihil postulo, sanctissime Pater. Hoc unum mihi
solatio erit, scilicet tribulationem humili et obe-
dienti animo, quoad vixero, perferre. Eadem prorsus
erit semper, Deo dante, erga Sedem apostolicam
reverentia et devotio ; idem constans erga Ecclesiam
matrem et magistram amor filialis. Easdem preces
singulis diebus fundam, ut piissimus Pontifex gre-
gem dominicum fructuosè, pacificè ac diutissimè
suii l'affaire du quiétisme. 4^7
pascat. Sternum ero intima cum observantiâ, et
religioso animi cultu, sanctissime Pater, etc.
Cameraci, lo aprilis 1699.
CCCCLIII.
BREVE INNOCENTII XII
AD ARCHIEPISCOPUM CAMERACEWSEM.
INNOCENTIUS PAPA XII.
VcNEiiAiiiLis Frater, Ubi primùm accepimus Fra-
ternitatis tuœ, mense aprili proximè elapso, ad nos
datas litteras, unaque cum illis exemplar Mandati ,
quo apostolicae nostrae, libri à te editi cum viginti
tribus inde excerptis propositionibus, damnation!
humiliter adhœrens, eam commisso tibi gregi prompto
obsequentique animo edixisti ; summoperè lœtati
sumus. Novo siquidem hoc debitœ ac sincerae tuae
erga nos et hanc sanctam Sedem devotionis atque
obedientiae argumento , illam quam de Fraternitate
tuâ jampridem anim(t conceperamus, opinionem
abunde confirmasti. Nec sanè aliud nobis de te pol-
licebamur; qui ejusmodi voluntatis tuae propositum
diserte expiicasti , ex quo ab hâc cœterarum matre
et magistrâ Ecclesiâ doceri ac corrigi démisse postu-
lans, paratas ad suscipiendum verbum veritatis
aures exhibuisti ; ut quid tibi aliisque de libro tuo
praefato, contentâque in eo doctrinâ sentiendum
esset , prolato à nobis judicio statueretur. Tuœ ita-
que sollicitudinis zelum , quo pontificiae sanctioni
alacriter obsecutus fuisti , plurimiim in Domino
4o8 LETTRES
commendantes, pastoralibus laboribus ac votis tuis
adjutorem et protectorem omnipotentem Deum ex
animo precamur ; tibique , venerabilis Frater ,
apostolicam benedictionem peramanter impei timur.
DatumRomae, sub annulo Piscatoris, die 12 Mail,
anno 1699, pontificatûs nostri octavo.
LETTRE CCCCLIV.
DE BOSSUET A M. DE NQAILLES,
ARCHEVEQUE DE TARIS.
II lui rend compte des lettres quil avoit reçues; et juge peu né-
cessaire et dangereux de dema,nder une bielle à la place du
bref.
Permettez-moi, Monseigneur, dans la petite peine
que j'ai à écrire, de vous rendre compte, par une
main étrangère, des lettres que j'ai reçues de mon
neveu, hier et aujourd'hui, du 24 et du 3i mars.
M. le cardinal de Bouillon étoit fort fâché contre
M. Madot, et je crois être obligé de vous en avertir,
afin que vous préveniez les mauvais offices, tant
contre lui, que contre mon neveu. Le sujet de sa
plainte est, qu'il nous a avertis, vous et moi, par
un homme exprès, et que ce gentilhomme lui a offert
son ministère pour cela. Mais, outre toutes les rai-
sons pour lesquelles il ne pouvoit pas s'en dispenser,
le Pape lui avoit fait expressément témoigner qu'il
le devoit faire ; craignant apparemment qu'on ne
tournât de l'autre côté la chose au désavantage de
Sa Sainteté et des congrégations, surtout des der^
îiiçves qu'elle a fait tepir devant elle,
SUR L*AFFAIIIE DU QUIÉTISME. 4^9
Le cardinal de Bouillon traite mon neveu avec
un froid inoui. Mais j'ose vous dire qu'il ne s'en tour-
mente pas beaucoup, et qu'il continue à ne man-
quer en rien h ce quil lui doit. On apprend tous
les jours, de plus en plus, son obstination à défendre
M. de Cambrai ; et je ne sais si vous savez que ,
jusqu'au jeudi que le décret fut donné, il vouloit
qu'on mît après l'énoncé des propositions, que M. de
Cambrai ne les avouoit pas, quoiqu'elles fussent con-
çues dans les propres termes de son livre ; ce qui
fut sifflé par les cardinaux, si on ose employer ce
terme , et rejeté par le Pape avec force.
Il est bien constant qu'il n'a tenu qu'à lui qu'on
ait fait une bulle avec tous ses accompagnemens ,
et on n'a pris le parti d'un bref, que pour mettre
l'afFaire entre les mains du cardinal Albani ; mais
tous les adoucissemens de ce cardinal , n'empêchent
pas la force de la constitution. Tous les gens de bien
à Rome en sont ravis, et bénissent Dieu d'avoir si
bien inspiré le Pape , malgré la cabale dont il étoit
obsédé. Au reste, il est remarquable que dès le temps
de Molinos, le cardinal Azolin, qui étoit porté à le
sauver, proposa de faire des canons ; ce qui fut rejeté
alors, comme il l'a été aujourd'hui.
Par la lettre du 3 1, M. le cardinal de Bouillon
étoit encore plus fâché de ce qu'on avoit averti du
projet des canons. Mais quoique les lettres du Roi
soient arrivées après la chose faite, elles n'ont pas
laissé de réjouir beaucoup le Pape, qui a jugé par-là
que le Roi seroit content de sa décision ; ce que le
saint Père désiroit beaucoup. M. le grand duc lui a
fait témoigner unç vraie joie de sa prononciation ;
4lO L ET THES
ce qui Ta extrêmement satisfait. Au surplus, tous
les avis portent, qu'on obtiendroit aise'ment de faire
clianger le bref en bulle : mais plus je pense à cette
affaire, plus je trouve que la sagesse du Roi lui fait
prendre le bon parti, de se contenter de ce qu'il a,
qui aussi est pleinement suffisant, sans entamer au-
cune nouvelle négociation ; parce qu il y auroit tou-
jours, sinon du doute, au moins une longueur et de
l'embarras sans nécessité, avec quelque sorte d'affoi-
blissement de ce qui a été fait, puisqu'on voudroit
le corriger.
Mon neveu m'envoie un billet de M. Giori , où
il marque, qu'ayant rencontré M. le cardinal de
Bouillon, et lui ayant fait le salut qu'il devoit, ce
cardinal avoit affecté de ne le pas rendre. Il traite
ainsi tous ceux qu'il n'a pas pu attirer à ses sen-
limens, et continue à faire peur de M. de Cam-
brai.
Nous sommes bien heureux de trouver un prince,
que sa grande autorité et sa grande sagesse mettent
au-dessus des minuties. C'est aussi un avantage que
M. le premier président sache si bien ce que c'est
que l'Eglise et l'épiscopat, surtout quand il s'agit
de la foi, dont Jésus-Christ a mis le dépôt entre les
mains des évêques. Je prie Dieu qu il bénisse ce
que vous aurez à dire sur ce sujet - là, pour lever
les impressions qu'on voudroit donner.
M. Phehppeaux me mande que le prince Vaïni
doit arriver bientôt à la Cour, et qu'on lui doit sa-
voir gré d'avoir si bien fait. Il m'envoie deux lettres
de M. l'archevêque de Séville, qui marque qu'on ne
connoissoit en Espagne, de ce qui s'est écrit dans
SUR l'affaire du quiétisme. 4iï
cette querelle, que votre seule Instruction pastorale
en latin.
J'attends de jour en jour la soumission de M. de
Cambrai, et je ne doute point qu'elle ne soit nette.
Les lardons de Hollande continuent à se déchaîner
contre moi, et à donner des espérances que, par
la définition qu'on demandera au Pape de la charité,
je serai condamné, quoique avec moins d'éclat que
M. de Cambrai. Je finis en vous assurant de ma sin-
cère et perpétuelle obéissance.
AMeaux, 4 avril 1699.
t. '«/«^ '«/»,'» ^•«/««/«/^'«/«A '«/W» -«/«^ «/«.^««/«^x
LETTRE CCCCLV.
DE BOSSUET AU CARDINAL D'AGUIRRE.
Il lui témoigne être fort jaloux de son amitié, et se justifie des
fausses idées qu on avuit voulu lui donner de sa personne.
Comme ce n'est que le seul respect qui a suspendu
mes lettres à Votre Eminence , après le jugement
d'une cause, où j'ai été plus mêlé que je ne voulois,
je reprends l'ancien exercice de l'amitié cordiale que
vous avez bien voulu qui fôt entre nous. Elle est , Mon-
seigneur, accompagnée, de ma part, d'un tendre res-
pect qui ne mourra jamais : j'espère toujours du côté
de Votre Eminence les mêmes bontés. On m'a donné
sur ce sujet-là quelque peine , en voulant me per-
suader qu'elle avoit un peu écouté certains discours
contre la douceur et la modération de ma conduite.
Ma conscience , qui est pure de ce côté-là sous les
yeux de Dieu, se justifiera aisément envers un homme
4 12 LETTRKS
aussi bon et aussi juste que Votre Eminence. Conti-
nuez-moi donc , Monseigneur , vos mêmes bontés :
j'ai été un peu envieux des marques que j'en ai vues
en d'autres mains ; mais ça été sans me défier d'une
amitié qui fait ma joie ; et je suis, comme j'ai' tou-
jours été , avec le même respect , etc.
Versailles, 6 avril 1699.
LETTRE CCCCLVL
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le bref contre M, de Cambraij la soumission de ce prélat; et
les démarches de Bossuet pour dissiper les préventions contre lui.
Votre lettre du 17 mars, fait voir au doigt et à
l'œil le coup visible de la main de Dieu , dans la con-
damnation du livre de M. l'archevêque de Cambrai.
Quelques adoucissemens qu'on ait tâché d'apporter
à la censure, elle ne laisse pas d'être fulminante. Ce
qui a paru ici de plus étrange, c'est le défaut de
formalités. Elle est sans bref au Roi (*), sans aucune
clause aux évêques pour l'exécution 5 sans rien noti-
fier à M, de Cambrai lui-même, qui, faute de cela,
pourroit prétendre cause d'ignorance du tout. Mais
on suppléera à tous ces défauts, sans fatiguer da-
vantage la Cour de Rome , de peur de s'exposer à
essuyer de nouvelles tracasseries.
(*) Le Pape adressa au Roi un bref, en réponse à la kttre que
Sa Majesté lui avoit écrite le i6 mars, sur le projet des Canons. Le
Pape annonce au Roi, dans ce bref, le décret qu il venoil de rendre
contre le livre des Maximes. Ce bref se trouve dans la Relation de
l'Assemhle'e de 1700, tom. xxx, pag. 4l9- {JSdit. de Vers.) •
suii l'affatue du quiétisme. 4i^
Je ne puis encore dire précisément ce qu'on fera.
Vous pouvez seulement tenir pour assuré que la
France signalera son respect et sa soumission en-
vers le saint Siège , et ne laissera pas tomber à terre
le décret que le Saint-Esprit lui a inspiré, quelque
destitué qu'il soit des formalités ordinaires en ce
royaume. Il nous a paru étonnant que M. le nonce
n'ait eu aucun ordre particulier , ni pour le Roi , ni
pour M. de Cambrai , ni pour les évêques. Il semble
que Rome ait eu peur du coup qu'elle a frappé , et
qu'elle craigne M. de Cambrai , comme un homme
capable de former un grand parti dans le royaume.
Vous la pouvez rassurer de ce c6té-là. Nous savons
gré à ce prélat de sa soumission ; mais je vous assure
que s'il prenoit un autre parti , de quoi il est fort
éloigné, il ne trouver oit pas un seul homme en état
de se remuer pour lui. Il se prépare à la soumis-
sion , et vous en verrez la preuve dans la copie d'une
de ses lettres à M. d'Arras {*) , que ce prélat vient
de m'envoyer, et que je vous envoie.
Nous croyons qu'en réponse à la lettre qu'il a
écrite à M. de Rarbezieux , comme au secrétaire
d'Etat de sa province , le Roi lui fera écrire qu il
peut faire telle soumission qu'il trouvera à propos.
J'espère qu'il n'oubliera pas ce qu'il doit dire, pour
Teconnoître son erreur et donner gloire à la vérité ,
et qu'il parlera moins de croix , que de soumission
à une décision du saint Siège. La croix doit être
pour un Chrétien une persécution pour la justice ;
mais la condamnation d'une erreur doit être acceptée
par un autre principe. Dieu lui inspirera les termes
{*) Elle est imprimée ci-dessus, pag, 4o4'
4l4 LETTT.ES
propres, el comme il les appelle, les plus comts ,
les plus simples et les plus absolus.
M. le nonce m'a parlé de ne plus écrire , et a lu
au Roi une grande dépêche de trois ou quatre pages
pour cela. Je lui ai répondu fort franchement, que
personne n'avoit ici l'envie d'écrire contre M. de
Cambrai, ni de le harceler ; mais j'ai ajouté en même
temps , qu'on ne pouvoit s'accommoder d'une dé-
fense en égalité d'écrire de part et d'autre. Peut-
être pourroit-on , en certains cas , faire de telles
défenses, quand les questions sont obscures et dou-
teuses , et les esprits trop échauffés ; mais je soutiens
qu'après une décision, la défense d'écrire doit être
faite uniquement à ceux qui ont combattu la vérité ;
et que si on l'étend à ceux qui l'ont défendue, on
donne lieu à ses ennemis de triompher, et on con-
fond la vérité avec Terreur.
Il nous a montré lui-même une lettre , où M. de
Cambrai dit nettement, que s'il n'écrit pas, d'autres
pourront écrii^e. En ce cas, faudroit-il se taire? La
matière de l'oraison est-elle si indifférente, qu'on
puisse n'en plus parler dans l'Eglise. Un tel ordre y
je l'ose dire , feroit peu d'honneur au saint Siège.
Il est convenable , sans doute , que les défenseurs de
la vérité écrivent avec précaution et sans irriter les
esprits ; mais il ne faut pas croire que nous accep-
tions des défenses en égalité. C'est ce que je vous
recommande de bien faire entendre à Rome.- Vous
pouvez ajouter en même temps, que je suis peut-
être un de ceux qui ait le moins d'envie d'écrire
sur cette matière. Mais j'avoue que des ordres sur ce
sujet ne me sembleroient ni honorables pour Rome,
I
SUR l'affaire du qutéttsme. 4^^
ni équitables pour moi , qui n ai jamais mis la main
a la plume que pour défendre l'Eglise.
M. le nonce me dit en même temps, qu'on m'ex-
hortoit à travailler à ramener M. de Cambrai. Je
lui répondis avec la même franchise, que je n'étois
pas en demeure de ce côté-là. En effet, aussitôt que
j'eus nouvelle de la censure, je fis écrire à M. de
Cambrai par M. le duc de Beauvilliers , que j'avoiâ
vu une lettre de ce prélat (*) , dans laquelle il m'ac-
cusoit de répandre de tous côtés que sa soumission
ne seroit qu'apparente et extérieure ; que cela étoit
bien éloigné de ma pensée , et que je souhaitois qu'il
le sut, afin de prévenir ceux qui tâchoient de Tai-
grir contre moi.
Je n'ai reçu aucune réponse à ce compliment, et
je demeure en repos , toujours prêt à faire tous les
pas que la charité la plus tendre et la plus sincère
pourra m'inspirer , sans donner aucunes bornes à ces
sentimens.
Il sera temps que vous songiez au retour, quand
vous aurez vu l'effet des soumissions de M. de Cam-
brai, et de celles de toute la France. Nous ne dou-
tons pas que ceux qui ont tant travaillé à adoucit'
une sentence très-juste et très-nécessaire , ne tâchent
d'inspirer encore quelque chose qui raffoiblisse, en
faisant peur de M. de Cambrai, qui n'est assurément
à craindre en rien, que dans le cas où l'on entreroit
dans de foibles ménagemens, par une politique in-
digne de Rome.
Tout est calme et tout le sera dans le royaume ;
t'*) Elle étoit écrite au nonce, Bcssuet eu parle dans sa lettre Jii
3o mars, ci-dessus, pag. icji. [Edct. de P^ers.)
4l6 LETTRES
car nous ne songeons tous tant que nous sommes,
qu'à faire régner et triompher doucement et modes^
tement la vérité et l'autorité du saint Siège, sans y
mêler la moindre aigreur contre la personne de M. de
Cambrai.
Nous nous en allons dans nos diocèses , et tout
sera en suspens durant les solennités pascales. Pré-
sentez les bonnes fêtes de ma part au grand cardinal
Casanate , et assurez , dans l'occasion , de mes res-
pects ces courageux défenseurs de la vérité, qui font
la gloire de l'Eglise romaine, et qui la feront res-
pecter par les hérétiques.
A Versailles , 6 avril 1 699.
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LETTRE CCCCLVII.
DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les défauts du bref, auxquels on travailloit à suppléer.
J'ai reçu votre lettre du 1 7 , Monsieur , et j'ai lu
celle que vous avez écrite à M. de Meaux. Je me
remets à ce qu'il vous mandera : nous travaillons à
suppléer aux défauts du bref, et j'espère que nous en
viendrons à bout. On nous donne de la peine de
gaieté de cœur, car on auroit pu fort aisément évi-
ter les fautes qu'on a faites : on les a laissé faire de
propos délibéré, pour nous faire incidenter; mais le
fond doit emporter la forme dans une occasion aussi
importante.
Le père Roslet est fort content de vous 5 je suis
fort
I
SUR l'affaire du quiétisme. 4^7
fort aise que vous le soyez de lui. Je lui ai toujours
recommandé de prendre des mesures avec vous :
Dieu les a bénites, il faut l'en louer. Croyez-moi
toujours, je vous conjure, Monsieur, à vous de tout
mon cœur.
6 Avril 1699.
LETTRE CCCGLVIII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
i5ur ses démêlés avec le cardinal de Bouillon, relativement au cour-
rier qu'*il avoit dépêché j «t sur le retardement de M. de Monaco.
Depuis le courrier extraordinaire qui partit d'ici
il y a six jours , et qui m'avoit apporté les lettres
^u 17 du mois de mars, sur le fameux projet des
Canons, je n'ai reçu , par l'ordinaire , que votre lettre
idu 16, avec vos trois lettres de complimens, que j'ai
rendues. M. le cardinal de Bouillon reçut la sienne,
avec des protestations extraordinaires de vénération
pour vous ; mais il accompagna ces belles expressions
de beaucoup de sécheresses pour moi , qui me tiens
pour dit ce qu'il faut là*dessus. Il prend pour pré*
texte de sa mauvaise humeur contre moi , l'envoi dii
courrier que j'ai dépéché, c'est-à-dire, du pauvre
M. de Madot, qu'il prétend avoir tmité le sien avec
peu d'égard pour son altesse et pour le Rt)i même, à
qui il l'adressoit. On lui a écrit de Lyon que M. de
Madot avoit manqué de parole à son courrier, qu'il
s'étoit chargé de prendre un billet de poste pour eux
deux : et que cependant il étoit parti seul, ce qui
BoSSUET. XLII. an
4l8 LETTRES
avoit oblige ce courrier d'en dépêcher un tout frais
de Lyon, qui attraperoit sans doute M. de Madot,
et arriveroit bien devant lui, de quoi assurément je
me soucie fort peu.
M. le cardinal de Bouillon prit plaisir de me lire
cette lettre en bonne compagnie, avec un certain air
que je compris fort bien. Mais j'y répondis en badi-
nant, ne prenant aucunement sur mon compte ce
quil disoit de M. de Madot, et ne voulant disputer
aucun fait. Je lui dis néanmoins que tout ce qu'on
lui mandoit de M. de Madot me paroissoit peu vrai-
semblable et très -outré, surtout ce qu'il ajoutoit
que M. de Madot, par son argent, avoit fait arrêter
son courrier cinq heures à Pise : je lui fis voir que
cela ne pouvoit être, puisqu'il auroit fallu pour cela
qu'il eût gagné M. le grand-duc même, qui étoit alors
à Pise en personne. Enfin, sur ce qu'il me dit
qu'il étoit bien aise de m'apprendre que son paquet
arriveroit avant le mien , je l'assurai, en riant, et
d'un ton qui convenoit à la matière , que je n'avois
jamais pensé qu'un courrier parti huit heures après
le sien, et dépêché à vous, qui seriez apparemment à
Meaux, pût porter le premier en Cour cette nou-
velle. Du reste, je soutins que je n'avois pu, dans les
circonstances, me dispenser de faire ce que j'avois
fait. Je ne voulus entrer avec lui dans aucune sorte
de justification , et je lui parlai toujours d'un air res-
pectueux, mais très-assuré et très-peu embarrassé :
pour lui il le fit d'un air un peu enflammé, mais
néanmoins sans me dire une parole qui pût me mar-
quer ouvertement qu'il s'en prenoit à moi; et je fis
semblant de ne point apercevoir son mécontente-
I
SUR l'affaire du quiétisme. 4^9
meht. Je ne Tai pas vu depuis ce temps-là, et je le
verrai dorénavant très-rarement. Il a peine à cacher
son chagrin ; il ne peut revenir de la condamnation
de son cher ami, à (jui il avoit promis un plus heu-
reux sort. J'ai bien remarqué que la dépêche du
dernier courrier de la Cour ne Ta pas biep disposé à
mon égard ; mais il faut se consoler et avoir patience.
je suis bien sûr que jamais M. le cardinal de Bouillon
n^osera avoir aucun éclaircissement avec moi sur ce
qui regarde sa conduite dans cette affaire. Il n'a ja-
mais tenté d'entrer là-dessus avec moi dans quelque
discussion; marque certaine qu'il sent son tort, et
qu'il voit bien qu'il ne lui seroit pas aisé de me fair^
convenir de ce que je sais n'être pas vrai.
J'ai appris par M. Anisson, de Lyon, que M. l'in^*
tendant de cette ville, à qui M. de Madot avoit laissé
un exemplaire du bref, lui en avoit fait part, et qu'il
Vavoit fait imprimer aussitôt»
Comme je ne douté pas que lios courriers ne
soient arrivés à Paris , au plus tard le dimanche 22 dé
mars, j'espère^ par l'ordinaire prochain, qui arrivera
demain, et qui apportera les lettres du 23 ou du 24
au matin, savoir ce que vous aurez jugé du bref^
quant au fond et quant à la forme. Mes lettres, de-
puis quatre semaines, vous auront tout expliqué; et
je ne vois ici rien de nouveau dans les dispositions de
cette Cour, qui est grandement impatiente de sàvoii*
comment la décision sera reçue en France, et ce que
fera M. de Cambrai.
On est ici bien fâché du retardement de M. de
Monaco, qui écrit ici que la goutte lui a repris à
420 LETTRES
Monaco, avec une fièvre très-forte, et qu'elle a cou-
tume, dans ce temps-ci, de lui durer quelque temps.
Si cet ambassadeur n'àrrivoit pas ici dans le courant
du mois, cela dérangeroit beaucoup mes mesures.
Tous les honnêtes gens, je Fose dire, souhaitent fort
que je puisse le voir à Rome. Le cardinal de Bouillon,
au contraire, désireroit grandement que je fusse déjà
îparti. Il ne craint ici que moi, et s'imagine faire en-
tendre tout ce qu'il voudra à Tambassadeur , tant
par rapport à lui, que par rapport à moi et à ceux
dont il veut se venger. D'ailleurs, j'ai besoin de lui
pour obtenir l'Induit pour les bénéfices qui dépen-
dent de mon abbaye. J'avoue que cela m'inquiète
fort , car je voudrois partir avant les grandes cha-
îeiirs, et pouV cela je né puis retarder plus long-temps
qu'à la fin de mai. Mais dans ce plan, je suppose que
tout ce qui peut regarder raffaire de M. de Cambrai,
sera terminé avant ce temps.
On voudroit bien ici, qu'avant de partir, je fisse
quelques instances au tape sur TafTaire deSfondrate,
pour la faire reprendre, et que j^en parlasse a*ux car-
dînaux.. J'attendrai là-dessus ce que vous jugerez à
propos de m'en écrire. Je pourrai faire des repré-
sentations sur cette affaire, quand je prendrai congé
de Sa Sainteté et des cardinaux.
On commence demain rafïaire des idolâtries chi-
noises. Selon toutes les apparences, lés Jésuites se-
ront condamnés. Le caràinal de Bouillon et le car-
dinal Albani ne s'oublieront pas pour parer le coup,
s'ils peuvent.
Plus je me trouve 'de repos, plus je mé sens affligé
SUR l'affaire du quiétisme. 4^1
et pénétré de douleur, de la perte que nous avons
faite i*). Je n'ai pu encore prendre sur moi de faire
réponse aux complimens que j'ai reçus là-dessus : je
remets d'ordinaire en ordinaire.
Rome, ce 7 avril 1699.
LETTRE CCCCLIX.
DE BOSSUET A L'ABBÉ RENAUDOT.
Sur les bons offices du nonce, et les sentiooens du prélat pouif
M. de Cambrai.
J'ai reçu ce matin, Monsieur, avant mon départ
pour Issy , le paquet que vous m'avez envoyé , et je
vous en rends grâces très - humbles. J'aurois bien
voulu conférer un moment avec vous sur ce sujet-là.
Mais cela se pourra faire à une autre fois, puisque
je serai sans faute, s'il plaît à Dieu, à Paris, le mer-
credi d'après Pâque. Je yous supplie, en attendant,
de vouloir bien témoigner à M. le nonce, que plus
je reçois de lettres de mon neveu et de mes amis,
plus je vois sensiblement l'obligation extrême que
nous lui avons. Vous ne sauriez trop lui en marquer
ma reconnoissance. On ne peut point être long-
temps sans recevoir la soumission de M. rarchevê-
que de Cambrai : je ne doute point qu'elle ne soit
comme il faut, et j'en prie Dieu de tout mon cœur.
Je lui ai fait une avance de civilité, à laquelle il
n'a point trouvé à propos de rien répondre. H me
suffit qu'il fasse bien envers le public, et je serai tou-«
{*) Celle de son père.
4^2 LETTRES
jours des plus aisés h. contenter. J*espère qu à voirie
ordinaire vous aurez toujours la bonté' de m^avertir,
et la justice de croire que je suis à vous comme à
moi-même.
A Meaux, 1 1 avril 1699.
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EPISTOLA CCCCLX.
D. CAMPIONI AD EPISCOPUxM MELDENSEM.
Approbationem quam Prjela^us Dissertationi de necessitate amoris
divini dederat, extoUit.
Utinam, quo vestra illustrissima Dominatio fa-
tetur se laborasse , morbi causa , non fuerit nimis
ïïiolesta lectio mei liberculi. Aliam sanè non diceret,
qui mea metiretur ex me ; verumtamen danda sunt
laetiora vestrçe benignitati, quâ me suscipitis et mea
nimis gratanter. Antidotus illa est satis efficax, cujus
vim supprimere nec valeat calumnia viridantior.
Absit igitur infaustum liocce prognosticum. Cogi-
tem fausta quœque, nam omma vestraç benignilatis
plenissima. Quare cum illustrissima Domjnatione
vestra gratulor de salute restitutâ , sed et mecum
de attestatione exhibitâ dissertationi de necessitate
anioris Dei. Sanè argumentum operis non poterat
non placere Prœsuli, qui totus Dei amorem spirat :
argument! tractatio non poterat displiçere Praesuli
in Galliis, quarura ecclesiasticus ordo totus est, ut
operibus, verbis et scriptis fîrmet traditionem non
interruptam ex Scripturâ et Patribus de necessitate
amoris praedicti. Et si argumenta grandia semper
SUR l^affAire du QUIÉTISME. ^2^
tractarent animae grandes, quia tractata pro digni-
tate semper dignioribus placèrent; sed quoniam non
semper tractant fabrilia fabri, argumentum grande
perdit plerumque dignitatem ex humilitate trac-
tantis. Vestrae nihilominus illustrissimœ Domina-
tionis testimonium, utpote ob doctrinam, pietateni
et dignitatem omni exceptione majus, universo no-
tum faciet argumentum adeo grande, si non digne,
saltem à me haud indigne tractari. Quam tenui, ob
fines in mea ad illustrissimam vestram Dominatio-
nem sub die 3 octobris praeteriti expositos, sclio-
lastica methodus non erit ingrata in GalUis, nunc
jam vestro fui ta praesidio. Adstat Ecclesiœ Galliarum
Regina charitas in vestitu deaurato, circumdata va-
rietate multiplicium graduum. Ratihabitione vestrâ,
quae comparatur imperio, misit jam nobilis Regina
ancillas, nempe scholasticam , ut vocarent ad arcem
et ad mœnia civitatis. Utinam Catholici omnes in
eam veniant unanimes, uno ore dicentes : Qui non
amat Dominum. Jeswn Christum^ anatliema sit. Et
quidem ut omnes radicentur in charitate perfectâ,
satagit illustrissima vestra Dominatio opère, verbo
et exemplo. Faxit Deus ut saltem imperfectioris nc-
cessitatem, quam asserui, peccatoribus qui piè vû-
lunt vivere in Ghristo omnes agnoscant, et idipsum
sapiant.
Dilata est post festa Paschalia cognitio causas
notae vestrae illustrissimae Dominationi : exitum ape-
riam suo tempore. Intérim subscribor, etc.
Roms, 7 aprilis 1699.
4^4 LETTRES
LETTRE CCGCLXI.
DE BOSSUET AU CARDINAL D'AGUIRRE.
Sur la nécessité de réprimer le Quiétisme , et d'en prévenir les
suites funestes.
Quand j'eus l'honneur de vous écrire par le der-
nier ordinaire, la lettre de Votre Eminence ne m'a-
voit pas encore été rendue. Elle m'a comblé de joie,
par les marques sensibles qu'elle contenoit de votre
tendre et précieuse amitié. Je sais, Monseigneur,
avec quel zèle Votre Eminence a concouru à la su-
prême décision du saint Siège. Elle arrête un mal
qui menaçoit la France et toute l'Eglise , de suites,
plus dangereuses encore que celles qu'on a peut-^
être vues : le reste s'achèvera deçà avec toute pru-
dence et douceur ; mais la chose , Monseigneur ^
étoit venue au point où il falloit éclater, et bien
haut. Je me réjouis au dernier point de voir recom-^
mencer notre commerce. Mon neveu m'apprendra
bientôt de vos nouvelles; et je supplie Votre Emi-
nence de lui conserver quelque part dans l'honneur
de vos bonnes grâces. Je suis avec le respect le plus,
sincère , etc.
A Meaux, le 23 avril 1699^
SUR l'affaihe du quii^:tisme. 4^^
LETTRE CCCCLXII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sar le parti que Ton devoit prendre à Tégard du bref, et la lettre
de M. de Cambrai à M. d'xirras.
Je reçus vendredi lo et samedi ii, en partant
pour Meaux , vos lettres du 24 et du 3 1 mars , avec
la copie de celle à M. de Paris, du 3o. Je vous écris
par une main étrangère, h cause d'une petite ébul-
lition (*), dont il ne faut point du tout être en peine.
Dieu merci. Je souhaite que votre rhume se passe de
même.
Il est inutile de parler davantage du bref. On le
recevra comme il est, et on le fera valoir du mieux
qu'il sera possible. On trouve ce parti plus conve-
nable, que d'entamer de nouvelles négociations, et
de s'exposer à voir peut-être affoiblir encore le ju-
gement, en le faisant réformer. Je retournerai à
Paris, Dieu aidant, le mercredi d'après Pâque, pour
voir de près ce qui se fera.
La lettre de M. de Cambrai à M. d'Arras , est ici
prise fort diversement. La cabale l'exalte , et les
gens désintéressés y trouvent beaucoup d'ambiguités
et de faste.
(*) Cette indisposition étoit une écésjpèle considérable, occa-
sionnée , selon Fagon , médecin du prélat , par la mauvaise nour-
riture du carême , et par un rhume négligé. Bossuet consentit avec
bien de la peine , comme l'exigea Fagou , à rompre le jeûne et le
maigre, et à prendre du repos.
426 LET^TRES
Je me rejouis beaucoup de votre prochain retour,
et je ne vois rien qui doive vous arrêter.
A Meanx, ce iî^ avril 1699.
LETTRE CCCCLXIII.
DE UABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur Taudience qu'il avoit eue du Papej la joie que ce pontife et les
cardinaux avoient de la satisfaction du Roi et des évéques ; l'es
raisons qui pourroient empêcher de convertir le bref en bulle; et
sur les questions que le Pape avoit faites à cet abbé touchant
madame de Maintenon.
J'ai reçu les lettres du 2 5 mars, et celle en par-
ticulier que vous m'avez fait l'honneur de m'ëcrire,
qui m'a comblé de jaie. C'est à présent que je puis
dire que je suis content, puisque vous l'êtes, de la
décision , et que le Roi , avec tous ceux qui aiment
la religion et le bien de l'Etat , sont satisfaits. Je
n'ai jamais souhaité autre récompense que celle-là,
des peines que je puis avoir prises. C'est dans Rome
une joie universelle, d'apprendre les témoignages
que le Roi a donnés de sa satisfaction.
Je reçus, jeudi 9 de ce mois, les lettres de M. de
Paris, les vôtres et celles de M. de Rheims. Je ne
crus pas devoir perdre un moment de temps pour
aller aux pieds du Pape, que je savois être dans une
inquiétude et une impatience extrêmes , de savoir la
manière dont sa décision auroit été accueillie par le
Roi et par les évêques. Je me doutai bien que le
cardinal de Bouillon ne se presseroit pas de lui rien
apprendre là -dessus. Je vis, un moment avant le
Sun l'affaire du quiétisme. 4^7
Pape, le cardinal Spada, à qui je dis que je venois
porter aux pieds du Pape , les lettres que j'avois re-
çues de France. Il me rapporta ce que M. le nancc
lui écrivoit de la satisfaction toute particulière de
Sa Majesté, et des témoignages de bonté pour lui,
et de reconnoissance envers le Pape, qu,e le Roi lui
avoit donnés, dont il alloit rendre compte au Pape,
ce qu'il fit aussitôt ; et Sa Sainteté ayant su que
î'étois là, quoiqu'elle ne donnât audience à personne,
à cause de son rhume , elle eut la bonté de me faire
entrer.
Il seroit difficile de vous exprimer la joie que le
Pape ressentit de tout ce que je lui dis. Il voulut
que je lui lusse ce que vous m'écriviez , ainsi que
M. de Paris : je lui lus aussi l'article de la lettre de
M. de Rheims. Il me témoigna être très -fâché de n'a^
voir pas fait une bulle ; qu'il ne savoit pas comment
cela étoit arrivé; que si on lui avoit fait la moindre
observation là-dessus , il en auroit donné cent pour
une , mais qu'on ne lui avoit rien représenté à cet
égard, non plus que surle molii proprio. Quand il
entendit ce que vous me mandiez , que vous ne sa-
viez pas s'il y avoit quelque exemple d'une décision
de foi , avec l'expression des propositions condam-
nées, faite par un bref 5w^ annulo Piscatoris j il me
répondit qu'on l'avoit assuré qu'il y en avoit ; et sur
ce que vous ajoutiez, qui eut été reçue en France
en cette forme , il me dit encore que oui. Je crus
devoir lui déclarer que les difficultés pour la récep-
tion, ne viendroient pas de la part du Roi ni des
évéques , mais seulement de la part des parlemens,
qui avoient leurs règles et leurs usages ;, dont ils ne
4^S LETTRES
se départoient pas. Je vis bien clairement qu'il étoit
fâché de n'avoir pas donné une bulle en forme; mais
qu'à présent il voudroit bien qu'on pût se contenter
de son bref, 1^ chose étant faite. Je crus qu'il étoit
à propos de le laisser en suspens à cet égard ; afia
que si on avoit quelque chose à demander , on pût
le faire plus aisément , et qu'on Ty trouvât préparé.
Il se mit à rire, quand je lui lus l'endroit d'une lettre,
qui marquoit qu'on croyoit que s'il y avoit quelque
chose de nouveau à solliciter, on feroitbien d'attendre
l'arrivée de l'ambassadeur, qu'on comptoit devoir
être bientôt ici.
A propos de cela , le Pape me demanda des nou-
velles de M. de Monaco. Il me parut qu'il souhai-
toit fort qu'il vînt, et me dit qu'on faisoit courir le
bruit à Rome qu'il n'arriveroit qu'au mois d'octobre.
Je lui lus un article d'une lettre que je venois de
recevoir de M. de Monaco, par lequel il me mar-
quoit que sans la goutte qui le retenoit immobile
dans son lit, il seroit déjà ici, et qu'il n'attendoit
pour partir que le moment où il pourroit se traîner ;
Iddio sia benedeito ^ me dit-il.
Comme je le vis de très -bonne humeur et sans
aucune impatience de me congédier, je lui dis que
ce n'étoit pas seulement en France qu'on lui don-
noit des louanges et des bénédictions, mais que de
tous les royaumes du monde il viendroit des appro-
bations de sa décision ; qu'en Espagne on étoit dis-
posé à l'égard de cette pernicieuse doctrine de M. de
Cambrai , comme en France \ je lui montrai à ce
sujet la relation de Salamanque, que je vous envoie.
Il me répondit d'abord : Qu'importe des Espagnols,
I
SUR l'affaire bu quiétisme. 4^9
pourvu qu'on soit content en France. Mais après
que je lui eus représenté qu en matière de foi et de
doctrine , on ne pouvoit trop désirer le consente-
ment universel de toutes les parties dfe église, qui
étoit le vrai témoignage de la tradition , il me ré-
pliqua que je disois vrai, et voulut que je lui lusse
cette relation, qui lui fît grand plaisir. Il me répéta
plusieurs fois, il Quietismo francese de la Relation;
et me dit que c'étoit à présent au Roi à acliever ce
qu'il avoit commencé ; qu'il falloit espérer que l'ar-
chevêque de Cambrai reconnoîtroit ses erreurs Ct
s'humilieroit ; q*u il altendoit les nouvelles de ce pays-
là avec grande impatience : il donne des losanges
infinies à M. de Paris et à vous.
Sur ce qu'il me dit qu'il âui'oit été à souhaiter
qu'on n'eut pas tant écrit, je le suppliai de vouloir
bien distinguer ceux qui écrîvoietit pour soutenii-
Terreur, d'^avèc ceux que la vérité faisoit parler ; et
qu'il devoit cette justice aux évêque's qui avoi'ent été
obligés dé défendre l'ancienne dodtrine de l'Eglise
contre des nouveautés aussi p'ernicieuses. Il eut la
bonté de me dire, qu'il me pribit de croire qu'il reii-
doit là-dçssus une entière justice aux évéqûes, et
qu'il étoît ires 'èapace de tout ce' que je lui' âvoFs
toujours repVè^nté là-dessus. ïl me rapporta ce tjue
M. le nonce écriv oit, du contentement de Sa Majesté,
ajoutant qu'il en avoit une joie et une consolation
infinie , comme de tt)ut ce que je lui tnârqu^i^ de
vôtre part et 'de celle de IVf ^ de Pàfris. îl ïihi't,' en
m*ora6nnâht de venir le voir toutes lés fois que je
le voudrois , et surtout quand je recevrois des nou-
velles de France, afin de l'instruire de tout ce qui se
43o ttetTllES
passcroit sur raflfaire* Il m'avoit dit que le cardinal
de Bouillon ne tarderoit pas ce jour-là, ou le len-
demain, de venir lui témoigner la satisfaction du Roi
et de toute la France. Mais il a été trompé; car le
cardinal de Bouillon a laissé passer tout le jeudi ,
le vendredi et le samedi, sans faire là-dessus la moin-
dre diligence. Cette Eminence apprit samedi dernier,
par son courrier, que M. de Madot l'avoit laissé
derrière lui à Lyon. Ce cardinal alla le lendemain,
dimanche, chez le Pape, apparemment luifairepart
de ses dépêches.
J ai vu tous les cardinaux de la Congrégation , à
qui j!ai appris, comme à Sa Sainteté, le contente-
ment de la France; ils m'en ont tous témoigné
une joie sensible : ils conviennent qu'on devoit faire
tme bulle ; mais ils disent que c'est la faute de M. le
cardinal de Bouillon et du cardinal Albani , qui
sont également auteurs du molu proprio. Les cardi-
naux Carpegna, Noris et Panciatici, qui ont vu de-
puis jeudi le cardinal de Bouillon ou en congréga-
tion ou en chapelle , m'ont dit qu'il ne leur avoit
pas ouvert la bouche de la manière dont le jugement
avoit été reçu en France, et sans moi ils seroient
encore à le savoir. Jamais consternation n'a été plus
grande chez le cardinal de Bouillon , que depuis les
nouvelles arrivées de France. Pour moi , je ne con-
çois pas ce que cette Eminence pouvoit s'imaginer.
Il y a déjà quelques jours que je n'ai pas jugé à
propos d'aller chez M. le cardinal de Bouillon. Je
sais qu'il paroît de mauvaise humeur contre moi , à
cause du courrier. Voilà un prétexte bien léger , et
jpe n'est pas là assurément ce qui le touche le plus.
SUR L*AFFAIIIE DU QUIÉTISME. /\.3ï
Je ne manquerai en rien à ce que je lui dois ; mais
avec sa permission , je ne me repentirai jamais de ce
que j'ai fait, n'ayant fait que ce que je devois. On
vient de me dire une chose de lui , que je ne crois
pas, quoiqu'elle me soit rapportée de bonne part;
mais encore un coup, je ne le puis croire* On assure
qu'il a dit à un Français, que vous ne eonnoissez
pas, et qui est un de ses favoris, qu'il ne garderoit
plus aucune mesure avec moi . Je saurai dans peu ce qui
en est ; et si le fait se trouve vrai , je pense que le
mieux que je pourrai faire pour éviter tout inconvé-
nient, sera de ne pas aller chez lui, jusqu'à ce que
j'apprenne qu'il soit radouci. Je vous prie de pré-
venir le Roi là -dessus. Je puis vous assurer que je
n'ai cessé d'avoir pour lui tous les égards que je lui
devois. Il est vrai que je n'ai rien oublié pour par-
venir à la condamnation du livre de M* de Cambrai,
et pour dissiper les terreurs paniques qu'on vouloit
donner à cette Cour au sujet de ce prélat : mais je
ne crois pas avoir mérité par -là l'indignation d'un
cardinal qui aimeroit la religion, et d'un ministre
qui auroit à cœur les intérêts de son maître ^ dont je
devois supposer qu'il suivroit en tout les intentions.
Je sais que M J le cardinal de Bouillon prétend
s'être justifié à merveille sur les Canons, et avoir
prouvé qu'il n'y a eu aucune part ; et cela par le té-
moignage du Pape et du cardinal Spada. Il rejette
tout sur le Carme, qui a, dit-il, un pouvoir infini
sur l'esprit du Pape. Il se peut faire, et je n'ai ja-
mais dit le contraire, qu'un autre que le cardinal
de Bouillon eût proposé au Pape cet expédient;
mais que ce n'ait pas été de concert avec lui , qui fut
43a LETTRES
seul dans les congrégations de l'avis des Canons, et
qui les soutint avec tant de vivacité , il sera difficile
de se le pei^uader dans les circonstances présentes.
Je sais fort bien que ce fut le cardinal Ferrari et le
j>ère Philippe, général des Carmes, qui firent im-
pression sur le Pape ; mais qui n'aperçoit la main
secrète qui a fait jouer tant de ressorts? Au reste ,
n'importe : à présent que tout est fini , Dieu merci,
je penserai tout ce qu'on voudra. Je veux croire
métiiè, puisqu'on prétend nous faire douter des faits
ies plus cdnstans, que les Jésuites, comme ils dé-
•sirent le persuader, ont toujours condamné et ana-
tliématisé le livre des Maximes^ quoiqu'il soit aussi
certain^ qu'il l'est qu'il fait jour en plein midi ^
qu'ils en ont été les plus ardens défenseurs.
Tous les cardinaux que j'ai vus , me confirment ,
les uns après les ati très, la partialité étrange du
cardinal de Bouillon : les uns me disent une chose,
les autres une autre , et tout se rapporte à merveille.
Le cardinal Noris me dit encore hier , que le ju-
gement qu'èii à^veit r^iidu coiitrè M. de Cambrai,
étoit le plus douic qu'il^pût jamais espérer. Il ne
veut pas que je crbie qu'il a eu plus de part que per-
sonne à ces meiiagemens ; il refétte tout sur le car-
dinal Albani; Ce cardinal m'a montre, dans les Mé-
moires du clergé, -un exemple d'un bref motu pro-
prioy sur lequel le Roï a donné des lettres-patentes.
C'est la prohibition de la traduction du Missel
romaïti, eh français > faite^ jpar Alexandre VÏI (*).
(*) Le bref dont il s'agit ici , n^a jamais , çpmme le dit Bossuet
dans sa lettre du 4 mal suivant, été porté au parlement y ni les let-
tres-patentes vues. Et en effet le Roi ne donna point de leltres-pa-
Mais
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 4^^
Mais la question est de savoir si ces lettres-patentes
ont e'té homologuées au parlement , ce qui n'est pas
marqué. Il est vrai que le Roi dit dans ses lettres-
patentes , que ce bref, qu'il qualifie d'universel ou
général, ne contient rien qui soit contraire aux
libel'tés de l'Eglise gallicane; d'où le cardinal
Noris Conclut que le motuproprio et la forme de ce
bref ne blessent en rien les usages du royaume. Ce
qu'il y a de vrai , c'est qu'il ne s'agit dans ce btef
que de la simple prohibition d'un livre. Mais je ne
crois pas qu'on trouve, comme vous dites, une dé-
cision de foi, avec l'expression des propositions
condamnées par un hiei s iib annulo Piscatoris , qui
ait été reçue en France. La seule chose qui pourra
empêcher qu'on ne se prête ici à changer le bref en
bulle et à en ôter le motu proprio , c'est qu'il Se'm-
blera par-là que le Pape consent et trouve bon qu'on
ne reçoive ses jugemens , que quand ils sont faits en
forme de bulle et sans le motuproprio. Cette délica-
tesse fera toute la difficulté; néanmoins je périse
qu'on pourra trouver, si on le veut , quelque expé-
dient pour arranger les choses. Par les lettres du
prochain ordinaire, je verrai ce que vous nous écrirez
là-dessus.
J'ai oublié de vous dire que le Pape, en deux:
endroits de votre lettre, jeta- des larmes de jpiet^i et
. i " ■ ,.•■■/ . ^ -, -. . . M . ■ ' f
■^entes sur ce bref 5 mais le clergé obtînt, le 4 avril 1661, uii sirhpie
arrêt du conseil pour en ordonner rexécntion : arrêt (jui est mal-
à-propos qualifié de lettres-patentes ôaxnaAaL Relation des délibéra-
tions du Clergé, imprimée en lô;;^. On n'a eu en France ,,ai\q}xlQ
Bossuet, aucun égard à ce bref; et l'on fut obligé, pour t instruction
des nouveaux Catholiques, de répandr'é ^dei 'miïUers d'ëithtplâtrés
de la messe en français. • ; .' "i-'j; ''.'.U^ ."»•! i '-/.■;;(| \' >
Bossu ET. XLTT. 28
434 LETTRES
le bon cardinal Casanate aussi. Ce cardinal appelle
le Quiétisme de M. de Cambrai ; il molinosismo
togato : le molinosisme habillé de long, c'est-à-
dire, comme un ecclésiastique, sous un habit de
piété'.
Le cardinal Spada est ravi de joie; le cardinal
Panciatici aussi. Je lui ai bien dit qu'on lui rend
la justice qui lui est due.
Ce qui me cause, je Tavoue, un plaisir infini,
c'est de voir que tous , je Tose dire , me témoignent
une bonté particulière , et veulent bien même me
marquer un peu d'estime. Pour vous, sans flatterie,
vous êtes regardé comme le défenseur de la religion ,
et comme le premier homme de l'Eglise.
Vous verrez , par la copie que je vous envoie de
la lettre de M. de Monaco , que je Fai instruit de
la fin de cette affaire. Il en est véritablement charmé.
Le cardinal de Bouillon a trouvé mauvais que j'aie
pris cette liberté, et que j'aie tenu la même conduite
à l'égard du grand-duc.
Le cardinal Spada a dit ce matin que M. de
Cambrai avoit su sa condamnation, et qu'il avoit
témoigné , dans un sermon qu'il avoit fait le jour de
l'Annonciation à son peuple , sa soumission à ses
supérieurs : apparemment le cardinal de Bouillon
aura appris cette nouvelle par ses lettres du 3i.
L'abbé de Chanterac alla chez lui peu de temps
après l'arrivée du courrier.
Le duc de Barwick est ici , et se fait estimer de
tout le monde ; plusieurs cardinaux m'en ont parlé
très-avantageusement. Il seroit bien à souhaiter que
ce pays-ci fût plus touché qu'il ne l'a été , jusqu'à
SUR l'affaire du quiétisme. 4^^
cette heure, du malheureux état des affaires de la
religion en Angleterre, et qu'on fût plus sensible à
la situation d'un Roi (*), qui a tout quitté pour
Jésus-Christ.
Je ne souhaite plus ici que Tavrivée de Tambas-
sadeur, pouf tout ce que vous savez. Je ne puis
retarder mon départ qu'au plus jusqu'à la fin de
mai ou au premier de juin , temps où je compte
me mettre en route, à moins que vos ordres ne
m'arrêtent ; mais j'espère que vous serez aussi aise
que moi-même de mon retour.
J'ai oublié de vous parler , dans mes dernières
lettres, d'un écrit, qu'on dit avoir été composé en
faveur de M. de Paris, contre l'écrit injurieux du
Problême j, qui fut brûlé par la main du bourreau il
y a quelque temps. On prétend qu'on a arrêté la
publication de cette réponse, et l'on dit que c'est
vous qui avez conseillé qu'on ne la fît pas paroître
encore. Je sais que les Jésuites font une espèce de
petit triomphe de cela, disant que le Problème est
fondé en si bonnes raisons, qu'on n'ose l'attaquer :
ayez la bonté de me mander ce qui en est.
Il est arrivé ici, je ne sais par où ni comment,
peut-être par le courrier du cardinal de Bouillon,
des exemplaires de la Réponse de M, de Cambrai à
vos Passages éclairais j et au Théologien de M. de
Chartres : celui qui me les devoit remettre les a
donnés au père Roslet , qui devroit bien les envoyer
à M. de Paris.
Je n'ai pu m'empêcher d'avoir la curiosité de lire
ce que tous avoit écrit le père Augustin. J'avoue
(*) Jacques II.
436 LE TT Pi ES
que j'ai été plus que surpris de la nouvelle qu'il voua
apprend de Tabjuration de ce seigneur (*). Je le con-
nois particulièrement. Nous avons parlé souvent de
religion : je lui ai fait lire votre Exposition. Il est
très-doux et honnête homme ; mais je l'ai cru jusqu'à
cette heure très-éloigné de se faire catholique. J'ose
dire que si je le voyois, je ne le croirois pas, sachant
ce que je sais. Je suis persuadé que le père Augustin
se trompe là-dessus, comme sur toutes les particu-
larités qu'il vous écrit de Fabroni, etc. Ne parlez
pas de cette abjuration ; car si elle est vraie, ce que
je saurai bientôt, ce seroit un jeune homme perdu
absolument, quant à sa fortune; c'est le plus riche
particulier d'Angleterre. Sa famille est ennemie jurée
de celle du roi Jacques , et a fait mourir son père.
Remarquez un peu si on n'ouvre pas mes paquets;
je me défie de Rouillé de Lyon, qui est livré au car-
dinal de Bouillon.
Je mets sur une feuille à part ce qui s'est passé
entre le Pape et moi, au sujet de madame de Main-
tenon ; vous en ferez l'usage que vous jugerez à
propos. Le Pape m'a dit qu'il ne doutoit pas que ma-
dame de Maintenon n'eût eu une grande joie du
jugement. A ce sujet il m'a demandé d'oti étoit venue
la grande amitié de madame de Maintenon pour
M. de Cambrai , et comment étoit arrivé le change-
ment de ses dispositions à l'égard de ce prélat. J'ai
bien vu ce qui l'engageoit à me parler ainsi : j'ai cru
être obligé de lui expliquer les raisons pour lesquelles
toute personne pieuse et qui a de l'esprit, pouvoit
(*) ta lelire de ce religieux nous manque , et nous ne saurions
dire quel étoit le seigneur dont il parloit.
SUR 1,'affàtiie dit QUIÉTISME. 4'^7
avoir conçu de Testime pour M. de Cambrai , qui
av oit trompé tout le monde, et vous tout le premier.
Je lui ai fait remarquer en même temps la provi-
dence particulière de Dieu, qui n'a pas permis qu'une
personne comme madame de Maintenon se laissât
entraîner, ainsi qu'une infinité d'autres, par l'élo-
quence de M. de Cambrai ; ni que la confiance qu'elle
avoit en lui et l'estime qu'elle en faisoit, allât jusqu'à
se laisser séduire par ses faux systèmes. J'ai ajouté
qu'on ne pouvoit avoir une preuve plus évidente,
non-seulement du discernement de cette dame , mais
encore de la protection de Dieu, qui l'avoit soute-
nue , et de l'assistance de son esprit qui l'avoit éclairée.
Alors je lui ai rapporté tous les efforts de madame de
Maintenon pour ramener M. de Cambrai ; ce que
vous avez fait de concert avec elle ; l'inutilité de tous
les ménagemens; enfin faveuglement où cet homme
est tombé peu à peu, et qui en est venu au point de
le conduire à donner au public, comme une chose
sainte, des maximes infernales. Je n'ai pas oublie ce
qu'on avoit fait jusqu'à son éloignement de la Cour,
pour l'engager à rentrer dans la bonne voie : j'ai fait
connoître son obstination, et, si je l'ose dire, son
orgueil, qui étoit l'unique cause de sa perte, sans
compter son ingratitude envers ses véritables amis et
ses bienfaiteurs. Je me suis aperçu que ces discours
faisoient impression sur Sa Sainteté, et lui in'spi-
roient de l'indignation pour M. de Cambrai J> en fa-
veur de qui il étoit prévenu au-delà de toute expres-
sion. Il a loué beaucoup la prudence de madame de
Maintenon , son esprit et sa modestie : il ne m'a pas
été difficile de dire sur une aussi belle matière ce qui
438 LETTRES
convenoit. Il est vrai que quand je fais attention à tout
ce que fai vu, f admire principalement la bonté sin-
gulière de Dieu envers madame de Maintenon : il Ta
réservée, sans doute, pour protéger dans cette occa-
sion les bons évêques et la véritable piété.
A Rome, ce i4 avril 169g.
CCCCLXIV.
MÉMOIRE
Présenté au Roi le i8 am/ 1699, au sujet des assemblées
provinciales projetées par Sa Majesté,
Le concile de Trente, dans sa session xxiv de
Reformatione , ch, 2, jugeant à propos de rétablir
}'usage des conciles provinciaux, qui avoit été in-
terrompu , ordonna à tous les métropolitains de
les convoquer de trois en trois ans.
En exécution d'un décret si utile pour la réfor-
^lation de l'Eglise , M. le cardinal de Lorraine ,
archevêque de Rheims , tint à son retour de Trente
un concile de sa province, en i564, dans son église
ïnétropolitaine.
On en a tenu depuis un second à Rheims , un à
Rouen , deux à Bordeaux , un à Tours , un à Bourges ,
un à Aix , un à Toulouse.
Le dernier de ces conciles provinciaux est le
second de Bordeaux , qui fut assemblé en 1624 '•>
tellement qu'en soixante ans on en a tenu neuf en
France.
M- le cardinal du Perron , archevêque de Sens ,
SUR l'affaire du quiétisme. 4^9
assembla à Paris en 1612 messieurs les évêques de sa
province, pour la condamnation du livre du doc-
teur Richer.
M. Farchevêque d'Aix tint , dans la même année ,
une pareille assemble'e de sa province , pour la même
raison.
Ces deux dernières assemblées , tenues pendant
la minorité de Louis XIII , eurent la même forme
que celles qu'on projette de convoquer aujourd'hui.
Aucuns commissaires de nos rois n'ont été pré-
sens aux séances des conciles provinciaux , ni des
assemblées dont on vient de parler.
On feroit donc une chose nouvelle, si Ton pre-
noit le parti d'en envoyer dans les assemblées dont
il s'agit aujourd'hui.
D'ailleurs qu'est-ce que ces commissaires y feroient ?
Ils n'y seroient pas pour y délibérer avec nous, ni
pour nous aider de leurs lumières : ils ne pourroient
donc passer que pour des inspecteurs envoyés par
le Roi, afin de nous contenir, pour ainsi dire , dans
notre devoir ; comme si Sa Majesté se défiant de ceux
de notre ordre , croyoit devoir nous faire tous veiller
par des laïques , et ne pouvoir s'assurer de notre
fidélité qu'avec cette précaution , qui nous désho-
noreroit dans l'esprit des peuples , et aviiiroit notre
ministère dans nos diocèses.
Je dis plus : car j'ose avancer que cette nouveauté
empêcher oit le bien que le Roi veut faire , et feroit
une plaie mortelle à nos libertés , qu'il a pourtant
un véritable intérêt de maintenir contre toutes les
vaines prétentions de la Cour de Rome.
Sa Majesté croit que pour étouifer dans ses Etats
44<> LETTRES
la doctrine erronée et pernicieuse du livre de M. de
Catîibrâi , elle doit procurer la publication du juge-
ment que le Pape vient de rendre contre ce livre.
On èonvient que cette publicatioif est nécessaire , et
qu*elle sera très-utile ; mais il- faut tabler sur nos
maximes, suivant lesquelles un jugement du Pape,
en matière de foi , ne doit point être publié en
France, qu'après une acceptatio'n Solennelle de ce
jugement., faite dans une foi^me canonique, |>arles
archevêques et évêqués dit royaume. Une des con-
ditions essentielles à cettef acceptation, est qu'elle
soit entièrement libre, Pas^eroit-éllë de bonne foi
pour l'être, si les peuples voyoieht des'commissaires
du Roi dans nos assembléeS'?-Peut-On nier que leur
présence n'y portât un air de contrainte, qu'on ne
trianqueroit pas d'ialléguer quelque jour, pour don-
ner atteinteà tout ce qu'on y fera?
Le Pioi voudroit-il, en pareille matière, ordonner,
sans aucune nécessite, une nouveauté de cette con-
séquence , et si affligeante: piour* le premier ordre de
son royaume, composé de prélats,, ses sujets , tous
aussi attachés à son service et à sa personne sacrée y
qu'ils le doivent être par. leur état et par leiir recon-
noissance^ etidont Sa Majesté a^a jamais eu liè« de
SQUpçoiiner la fidélité ? ^q i-jb hic^iii <.m>.\j ji. ivic."
L'exemple que leKoi donherèit-en cetie océàsïob;
Seroitxi'autant plus dangereux , que ses ' successeurs,
niême îes plusl sages ,'xfi oir ci 6;at,pa^vbi-r<,eri'jt)0piijte
Stti^tép jrégler leur conduite sur tout :ce. iqm ilsj ver^
roientiavoir été pratiqué dans le long et glorieux
règne de Sa «Majesté. Ainsi l'Eglise qui, est libre,
courrait risque y par cet exemple, dont on^poUrroit
I
SUR l'affaire du quiétisme. 44*
abuser clans les siècles à venir, d'être asservie contre
l'intention du prince incomparable, qui lui donne
tous les jours des marques si éclatantes et si effec-
tives de sa protection.
LETTRE CCCCLXV.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le mandement de M. de Cambrai; le mécontentement du car-
dinal de Bouillon à Tégayd de son neveu ; et la manière dont oïl
se proposoit d'agir en France relativement au bref.
Je n'ai reçu par l'ordinaire , qu'une lettre de
M'. Phelippeaux , du 3i mars. Je commencerai celle-
ci par vous annoncer le mandement latin et français
de monseigneur l'archevêque de Cambrai, que nous
vous envoyons , et je vous dirai les réflexions qu'on
a faites sur cette piède/'-'^* -'-'
Tout le monde a remarqué d'abord qu'il ne dit pas
même que le livre soit de lui ; il s'en est désappro-
prië, et il a e'crit en quelque endroit, dans un de ses
livres imprimés, qu'il n'y prenoit point de part. Ma-
dame Guyoti eh a usé de même. On est encoie plus
étonné que, très-sensible à son humiliation, il ne le
paroisse en aucune sorte à son erreur, ni au mal-
heur qu'il a eu de la vouloir répandre. Il dira, quand
il lûî plaira, qu''iln*a point avoué d'erieûr 3 çt il lui
sera aussi aisé de s'excuser, .qii'iJ la .excusé madame
Guyon. Car encore qu'il ne puisse pas se servir du
prétexte de l'ignorance, il saura bien , s'il le veut, en
trouver d'autres, et il n'en manquera jauiais, I^a
clause de son mandement, où il veut qu'on ne se sau-
44^ LETTRES
vienne de lui que pour reconnoître sa docilité, supé-
rieure à celle de la moindre brebis du troupeau,
n est pas moins extraordinaire. Il veut qu'on oublie
tout, excepté ce qui lui est avantageux. Enfin ce
mandement est trouvé fort sec , et Ton dit qu'il est
d'un homme qui n'a songé qu'à se mettre à couvert
de Rome, sans avoir aucune vue de l'édification pu-
blique. Les rétractations qu'on a dans l'antiquité, et,
entre autres , celle de Leporius (*) , dictée par saint
Augustin, sont d'un autre caractère.
Malgré tous les défauts de ce mandement, je crois
que Rome doit s'en contenter ; parce qu'après tout,
l'essentiel y est riç-à-ric , et que l'obéissance est
pompeusement étalée. Il faut d'ailleurs se rendre fa-
cile, pour le bien de la paix, à recevoir les soumis-
sions, et à finir les affaires. Ainsi ces réflexions se-
ront pour vous et pour M. Phelippeaux seulement;
mais je serai bien aise que tous deux vous vous
rendiez attentifs à ce que diront à Rome les gens
d'esprit.
(*) La rétractation de Leporius, moine des Gaules, condamné
parProcule, évêque de Marseille , et par quelques autres évêques
des Gaules, est en effet un modèle digne d'être proposé à tous ceux
qui auroient eu le malheur d'errer dans la foi. Les erreurs de Le-
porius rouloient sur le myslère de Tlncarnaiion, et tendoient à in-
troduire deux personnes en Jésus-Christ, c'esl-à-dire, qu'il établis-
soit le nestorianisme , avant même que Nestorius eut enfanté son
hérésie. Instruit par les leçons de saint Augustin , auprès duquel il
s'étoit réfugié , et touché des exhortations de ce charitable pasteur,
il voulut réparer le scandale qu'il avoit donné, eu confessant, dans
Tamcrtume de son cœur, ses égaremens. On peut voir la rétracta-
tion de Leporius dans Cassien, lib. i de Incarn. Dom. c. iv; dans
les conciles des Gaules du père Sirmond, tom. i, pag. Sa j et dans
YHist. ecclésiastique de M. Fleury, liv. xxiv, n. 49- Voyez aussi
saint Augustin, Epist. ccxixj tom. n, col. 81 1.
SUR l'affaire du quiétisme. 44^
11 est grand bruit de Téclat de M. le cardinal de
Bouillon contre vous (*). M. de Paris, en mon ab-
sence, a pris fort votre parti. Je serai samedi pro-
chain à la Cour, au retour du Roi de Marli. Il ne faut
être en peine de rien : vous avez satisfait à votre
devoir en nous avertissant, le reste ne roule point
sur vous. Il est constant , par trop d'endroits , que
M. le cardinal de Bouillon se déclaroit avec un excès
qu on ne pouvoit pas dissimuler. Dans une affaire
de la nature de celle-ci, comme il s'agissoit de la foi
et du tout pour la religion , la mollesse ou la com-
plaisance auroit été un crime; et M. le cardinal de
Bouillon, dans son cœur, ne peut vous savoir mau-
vais gré de n'y être pas tombé. Je suis persuadé que
vous ne perdrez aucune occasion de lui rendre vos
respects, et de Tappaiser, s'il se peut,' avant votre
départ. Je souhaite toujours que ce départ soit dans
le temps que vous avez destiné.
Je n'ai pas encore de réponse de la Cour sur ce
que j'y ai mandé touchant votre Induit. Il faut atten-
dre que j'y sois pour agir moi-même. Il seroit prin-
cipalement à propos de faire agir M. l'ambassadeur ;
mais comme il a la goutte à Monaco , on ne croit
pas que vous l'ayez si tôt qu'on pensoit.
Je souhaite que mes lettres à MM. les cardinaux
Casanate, d'Aguirre et Spada, soient rendues, et que
vous leur ayez bien fait mes complimens sincères et
respectueux.
C*) Le cardinal de Bouillon faisoit un crime à Tabbé Bossuet,
comme on Fa déjà vu, d'avoir envoyé à Paris M. de Madot, pour
y porter le bref. Les lettres postérieures apprendront les suites de
cette tracasserie.
I 14 LETTIVES
Vous entendrez bientôt dire qu'on aura fait pour
la nouvelle constitution tout ce qu'il y a de plus
fort, avec le respect convenable pour le saint Sie'ge,
et en conservant tous les droits de Tépiscopat.
On dit, mais en ternies ge'néraux, que M. le nonce
nous veut accommoder. avec M. de Cambrai. Nous
verrons; mais assurément je ne souffrirai point d'éga-
lité, par rapport à la défense d'écrire.
La paresse, plutôt que l'incommodité, me fait
écrire d'une main. étrangère. Du reste j'ai fait tout
l'office tant du jeudi saint que d'aujourd'hui, en mé
dispensant des matines et de prêcher,
' Ann ' ■' ^'■!''/.iiii, •= ■•• ' ••-) nos '..
AMeaux, ce 19 avril idq^.
mv t'i-'-- ; '■■■' ■ ■■'• •' ■■
LETTRE CCCCLXVI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la satisfsictijon qajavq^t le. Pape îJu, ^09 accueil ,<{u'on avoit f«it
en France à son décret; Iç contentement du cardinal Casanate^j
et le chagrin dn c'arcîmaï de Bouillon.
,. J'ai reçu mercredi, i5 de ce mois, la lettre que
vous m'avez fait l'honneur de m'ecrire de Versailles,
le 3o mars; iet daAsIe moment M. Phelippéaux fit
retenir date pQujf léi^ pour le bénéfice que vous dé-
sirez lui procurer. Je ne doiite pas qu'il ne vous en
écrive et remercie aujourd'hui. La chose sera diffi-
cile ; mais je n'y oublierai rien de mon côté, et
j'emploierai tout ce que je saurai pour qu'il puisse
profiter de la grâce que vous voulez bien lui faire. Il
arriva, le mardi ij, un courrier extraordinaire dé-
SUR l'affaire du quiétisme. 44^
pêche pour bénéfice. On ne peut pas encore savoir
si quelque religieux aura pris date par ce courrier.
Votre lettre du 2 avril, venue par le courrier de
M, le cardinal de Bouillon, qui arriva , comme vous
l'avez vu par ma dernière lettre, le samedi 11 de ce
mois, ne m'a été rendue que le vendredi saint, 17
de ce mois ; M. le cardinal de Bouillon n'ayant pas
voulu qu'on portât plus tôt le paquet adressé au
correspondant de M. Cliabéré. Si cette lettre m'avoit
été rendue à l'arrivée du courrier, la date de M. Phe-
lippeaux seroit certainement antérieure à toute
autre. On aura l'œil à tout ce qui se passera, et on
fera toutes les démarches nécessaires.
Rien ne manque à ma joie, puisque le Roi, vous
et tous les évêques en France continuez d'être con-
tens de la décision. Ces dispositions causent ici une
satisfaction incroyable, et au Pape plus qu'à per-
sonne.
J'allai samedi, comme il me l'avoit ordonné, lui
rendre compte de ce que vous m'écriviez. Je lui lus
les articles de votre lettre du 3o , qui pouvoient
lui faire plaisir; et j'eus avec le Saint Père, sur le
passé, le présent et l'avenir, relativement à l'affaire
de M. de Cambrai , une conversation aussi conso- ^
lante pour moi et pour vous que l'on pût désirer. Le
Pape est à présent très- persuadé qu'il n'y a que
l'amour de la vérité et de la religion, et la nécessité
de réprimer une secte naissante, qui vous ait porté
à vous élever contre M. de Cambrai, et qui vous ait
engagé à faire ce que vous avez fait. Il vous donna
toutes les louanges que vous méritez. Il me dit que
c'étoit M. de Cambrai qui avoit voulu se perdre , et
44^> tEttHÊS
troubler le repos de l'Eglise , eri refusdnt toutes les
voies de douceur, et toutes les confe'rences que vous
lui aviez proposées , et en continuant à écrire avec
l'emportement et l'obstination qu'il aVoit montrés
jusqu'au bout. Il espère néanmoins qu'il obéira , et
prend pour une bonne marque ce qu'on sait qu'il dit
à son peuple^ le jour de l'Annonciation.
Je lui ai lu l'article de votre lettre du 3o et du 2
avril» Il a grande impatience de savoir que son nonce
ait présenté au Roi le bref en forme. Il me répéta
qu'il étoit très-fâché que ce ne fût pas une bulle,
qu'il en auroit donné cent pour une j mais qu'on ne
lui en avoit pas parlé, ni fait faire les réflexions
convenables là-dessus. Il fut très-content de ce que
je lui dis, que le Roi et les évéques étoient très-dis-
posés à autoriser un bref qui contenoit une décision
si importante pour l'Eglise. Je crus ne devoir pas
assurer positivement qu'on trouveroit les moyens de
réparer les défauts, et qu'on passeroit par-dessus
les formalités , afin de laisser la liberté de déterminer
ce qu'on jugera le plus à propos. Ce n'est pas une
chose nouvelle qu'on change un bref en bulle. On
m'a assuré que la condamnation de Molinos se fit
d'abord par un bref ; je l'ai cherché , mais je ne l'ai
pas encore trouvé. Enfin tout ce que vous ferez sera
bien fait ; et je suppose que si on trouve les moyens
d'autoriser ce bref, ce ne sera pas aux dépens ni de
l'autorité royale et épiscopale , ni des libertés et
usages du royaume.
Au reste, on ne peut pas me donner plus de té-
moignages de bonté, et si je l'ose dire, d'amitié,
que le fit Sa Sainteté. J'en fus d'autant plus aise,
1
1
SUR l'affaire du quiétisme. 44?
que je craignois que la manière forte avec laquelle
favois été obligé de lui parler très- souvent , n'eût
fait quelque mauvaise impression sur son esprit
contre moi ; mais je puis assurer à présent qu'il n'en
est pas ainsi. Il me paroît au contraire que recon-
noissant de jour en jour la vérité de tout ce que je
lui disois, et la fausseté des discours de nos adver-
saires, et voyant le peu de fondement qu'il y avoit
aux craintes qu'on vouloit lui donner de la con-
damnation de M. de Cambrai , il est plus content
de moi et de mon procédé que je ne le mérite. Vous
croyez bien que je fais mon devoir auprès des car-
dinaux.
Le cardinal Casanate est plus charmé qu'aucun,
qu'on soit satisfait en France de la décision et de
sa conduite. Je l'ai vu ce matin ; il est fort scan-
dalisé et des derniers livres de M. de Cambrai, et
de ce qui lui en revient. Il appréhende bien que sa
soumission ne soit qu'extérieure et forcée j et il m'a
dit franchement ce matin, qu'il étoit bien dange-
reux de laisser ce prélat dans le poste qu il occupe,
et qu'il ne doutoit point que le Roi n'y mît ordre.
Vous pouvez compter qu'il vous estime et vous aime
véritablement.
Le cardinal de Bouillon continue à paroître peu
content de ce qu'on a fait ici, et de la joie que cha-
cun témoigne. Il dit qu'il croit que M. de Caml)rai
se soumettra extérieurement, mais qu'avant deux
ans on verra le feu rallumé plus vivement, et qu'on
a mis un méchant emplâtre à cette plaie. Ce car-
dinal se fait mépriser, et tout le monde se moque
de lui. Il est peu satisfait de la Gazette de France
44^ LETTRES
du 28, sur deux articles. Le premier, qui regarde
raml)assadeur de l'Empereur , où il est dit qu'il ne
se trouva que deux cardinaux à la fête que ce mi-
nistre donna. Il s'imagine que le gazetier a voulu
le designer, comme e'tant l'un de ces deux cardi-
naux. Le second article qui lui déplaît, est ce que
la gazette dit du cardinal Casanate. Le cardinal de
Bouillon pre'tend prouver par cet article, qu'il sup-
pose venir de mes relations, qu'elles sont fausses
ou peu exactes ; et il soutient que jamais le cardinal
Casanate n'a e'te nommé par le Pape, pour re'diger
le décret , bien qu'il fût destiné in petto : et c'est
précisément ce que j'ai toujours mandé, si vous vous
en souvenez, quoique monseigneur Giori et nombre
de gens bien informés m'aient toujours assuré que
ce cardinal avoit été nommé d'abord avec les deux
cardinaux tliéologiens Noris et Ferrari. Vous vous
souviendrez que je vous envoyai une lettre de mon-
seigneur Giori, qui le marquoit précisément, et
que je vous écrivis en même temps que je le croyois
bien destiné , mais qu'il n'y avoit rien de déclaré
là-dessus. Ce qui est vrai, c'est que le cardinal Spada
avoit dit au cardinal Casanate que le Pape l'avoit
destiné pour le travail. Voilà les bagatelles qu'on
prétend relever.
J'ai jugé à propos de faire parler au cardinal de
Bouillon, qui a aussi trouvé bon de nier ce qu'on
lui avoit fait dire sur mon sujet. J'ai donc été chez
lui à l'ordinaire, et il n'a été question de rien. Je
suis ])ien aise que les choses se passent ainsi. M. le
cardinal de Bouillon n'osera jamais avoir aucun
éclaircissement avec moi. f
Le
SUR l'affaire du quiétisme. 449
Le mystère du vœu cacheté (*), est une autre
petite finesse qui ne lui re'ussira pas mieux que tant
d'autres qu'il a mises en œuvre. Le père Roslet ne
m'en avoit rien dit. Je lui en parlai avant-hier,
comme sachant le fait de Rome. Il me dit que le
cardinal de Bouillon lui avoit demandé le secret,
qu'il n'étoit pas vrai qu'il eût mis son cachet avant
la condamnation, puisque ce fut après le décret
signé par le Pape; du reste qu'il n' avoit eu aucune
connoissance de ce que cet écrit Contenoit. Vous ne
me mandez point si vous avez vu cet écrit. Il a pu
être envoyé au Roi, par le courrier extraordinaire
qui a porté le bref. On a fort bien répondu à cela, et
suivant la vérité.
Je n'entends pas bien la difficulté qu'on fait sur
t:e que le bref n'est pas adressé aux évêques. Né
suffit-il pas qu'il le soit au Roi , et que le Roi l'a-
dresse après aux prélats? La lettre de M. de Cambrai
à M. le nonce marque bien le caractère de l'esprit
du personnage.
Ce qu'on fait dire au cardinal d'Aguirre, n'est pas
vrai. Il n'a point tenu le propos que vous rapportez
dans votre lettre.
Je parie que le père Dez voudra persuader à pré-
sent qu'il a toujours condamné le livre des Maximes.
Le cardinal Nerli a raconté à M. le cardinal Ca-
sanate et au cardinal Marescotti , la manière dont
il avoit traité le général des Jésuites.
Si M. de Monaco ne venoit pas ici avant la fin dé
mai, cela romproit bien mes mesures. Mais quoi
(*) Il en est parlé dans la lettre ccccxlvii, ci-dessus, pag. Sgi.
BOSSUET. XLII. 29
45o LETTRES
qu il puisse arriver , je prendrai mes re'solutîons
d'après ce que vous me manderez.
M. le cardinal de Bouillon voudroit faire récom-
penser ici tous ceux qui se sont déclarés pour M. de
Cambrai, et il commence par Zeccadoro, pour qui
il veut absolument obtenir des grâces du Pape , em-
ployant à cet effet le nom du Roi. Cela seroit d'un
bien peinicieux exemple. Les évêques et le Roi n ont
pas eu, en cette occasion, un plus grand ennemi-
Je l'ai trouvé partout dans mon chemin , et je puis
rendre un témoignage assuré de sa mauvaise con-
duite. Le cardinal de Bouillon a encore résolu d'em-
pêcher le procureur -général des Augustins d'être
général de son ordre. Il n'y a rien ici que l'assistant
de France ne fasse dans cette vue : il veut soulever
contre lui tous les Français de Rome. L'ambassa-
deur n'arrivera pas assez à temps pour leur parler,
avant qu'ils aillent à Boulogne où se tient le cha-
pitre général, dans le mois de mai. Il faudroit que
M. l'archevêque et les ministres envoyassent leurs
ordres en droiture à Boulogne sur cela, au moins
qu'ils parlassent aux supérieurs à Paris, d'une ma-
nière à se faire obéir.
Rome, ce ai avril 1699.
SUR l'affaihe du quiétisme. 4^^
LETTRE CCCCLXVIL
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la manière dont on devoit procéder à l'acceptation du bref
contre le livre des Maximts.
Je ne vous annoncerai point de lettres reçues. Il
n'est point venu d'ordinaire , et l'on croit qu'il a
manqué, pour cette fois, par quelque accident qui
ne m'est point connu.
Je ne puis mieux vous instruire de ce que le Boi
a résolu pour la réception delà Constitution, qu'en
vous envoyant la lettre de Sa Majesté à M. de
Paris (*). Il y en aura une pareille à tous les métro-
politains. Celle de M. de Paris lui a déjà été adressée,
et il nous a convoqués pour le i3 mai. Tout se fera
de la manière la plus convenable.
Le tour qu'on prend de n'expédier de lettres-pa-
tentes, qu'après l'avis des évêques, est tout-à-fait
ecclésiastique; et jamais rien n'aura été reçu avec
plus de solennité. Vous verrez, par la lettre du Roi,
qu'on tient M. de Cambrai pour bien soumis ; et on
le doit, afin de voir la fin de cette affaire. Sur ce
fondement, on lui adressera la Constitution, comme
aux autres métropolitains, avec une très -légère
différence.
A Paris, ce 27 avril 1699.
K*) Cette lettre du Roi est insérée dans la Relation de Rassemblée
*ie 1700, ci-dessus j lom. xxx, pag. 456. {Edit. de Fers.)
452 LETTRES
LETTRE CCCCLXVIII.
DE L'ABBË BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la cause des défauts du bref; la conversation de cet abbé avec
le cardinal Spadaj l'audience qu'il avoit eue du Pape ; les senli-
mcns de ce pontife pourBossuetj la congrégation qu'il avoit in-
diquée, relativement au bref, et ce qu on y avoit résolu.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait Fhonneur
de m'e'crire de Versailles , du 6 de ce mois. Vous
aurez vu dans toutes mes lettres à qui l'on s'en doit
prendre, si l'on a négligé ici les moyens qui pou-
voient contribuer à rendre le succès complet. On a
voulu tout afFoiblir -, et par la précipitation extrême
avec laquelle l'affaire a été poussée les derniers jours,
on m'a ôté la facilité de remédier à ce qui manque.
Mais il est inutile de répéter ce que vous savez déjà.
Venons à ce qui se passe.
Samedi dernier, après avoir reçu les lettres, j'allai
d'abord chez le cardinal Spada qui avoit reçu les
dépêches de M., le nonce ; ainsi je ne lui appris, je
pense, rien de nouveau, en lui lisant les articles
de votre lettre, qu'il étoit bon qu'il vît. Je lui fis
bien remarquer ce qui regarde les défenses d'écrire.
Il excusa là-dessus M. le nonce, et les ordres qu'il
avoit reçus, disant qu'on ne prétendoit rien défen-
dre , mais seulement qu'on croyoit que rien n'obli-
geoit encore à écrire, et qu'on souhaitoit la paix,
si cela étoit possible. Je fis bien valoir vos sentimens
de douceur et de charité, auxquels vous ne donne-
riez point de bornes ; votre intention et celle des
SUR l'affaire du quiétisme. 4^^
bons évéques, étant seulement de faire régner et
triompher doucement et modestement la ve'rite', sans
mêler la moindre insulte envers la personne de M. de
Cambrai. Aussi, loin de désapprouver ici cette con-
duite , on ne cessera d y applaudir. Mais ce qui obli-
gea à faire écrire sur ce sujet à M. le nonce, c'est
la terreur qu'on inspiroit de M. de Cambrai et de
sa puissante cabale. Comme ils voient qu'on leur a
donné de fausses craintes, ils se rassurent de jour
en jour, et c'est à quoi je tâche de ne rien oublier.
Quant au bref, on répond toujours la même chose,
c'est-à-dire qu'on n'y a pas pensé, et qu'il n'y a eu
aucune mauvaise intention à cet égard. Pour le bref
particulier qu'on auroit dû écrire au Roi, le car-
dinal Spada avoue qu'il eût été convenable de le
faire; mais il s'excuse sur l'inadvertance, unique
cause de cette omission. Si Ton n'a pas notifié le
jugement à M. de Cambrai , c'est qu'on a cru qu'il
suffisoit que le Pape lui-même en eût donné con-
noissance, et fait part à son agent ici. On avoitbién
pensé à lui écrire là-dessus, mais on avoit craint de
s'engager par-là, et de faire quelque chose dont il
tirât avantage, la circonstance étant délicate, et
moi-même lui ayant témoigné que cette démarche
pouvoit avoir des suites dangereuses. Il est vrai que
je lui représentai qu'il me paroissoit peu honorable
au Pape, d'écrire, comme les partisans de M. de
Cambrai le vouloient, à cet archevêque, pour l'exhor-
ter à se soumettre. Mais cela n'empêchoit pas de
donner ordre au nonce en France de lui notifier la
décision prononcée sur son livre. Ils voient bien leur
négligence , et c'est assez qu'ils la sentent. Comme
''ir):'i LETTRES
VOUS prétendez suppléer à tout, et que ni le Roi,
ni les évêques ne demandent rien à cette Cour, je
me suis borné à faire connoître la bonne volonté des
évêques et leur respect pour le saint Siège.
M. le cardinal Spada alla chez le Pape, et lui
rendit compte de ses dépêches et de ma conversa-
tion. Sa Sainteté me fit appeler, sachant que j'at-
tendois sa commodité. Aussitôt qu'elle me vit, elle
ne me laissa pas le temps de parler, et commença à
me demander de vos nouvelles : comment se portoit
ce grand évoque, ce défenseur de la foi? mais dans
les termes les plus forts que vous puissiez jamais
vous imaginer, jusqu'à me dire que votre conser-
vation et votre santé étoient nécessaires au bien de
l'Eglise ; qu'il prioit Dieu continuellement pour vous,
et vous portoit dans son cœur, etc. Après quoi le
Pape me demanda ce qu'on disoit en France; si on
continuoit toujours à être content. Je lui dis ce qu'il
falloit là-dessus, l'assurant du parfait contentement
de tous les états, quant au fond. Sur les formalités,
je lui représentai avec respect ce qu'on croyoit qui
eût été convenable. Il me demanda ce qu'on souhai-
teroit qu'il fit ; et je lui répondis que je ne savois
pas les ordres que pouvoit avoir M. le cardinal de
Bouillon, mais qu'il me paroissoit, par les lettres
de M. de Paris et de vous, qu'on espéroit trouver
les moyens de ne pas laisser tomber à terre un dé-
cret aussi nécessaire, sans fatiguer davantage le saint
Siège. Je ne laissai pas de lui représenter de quel
poids auroit été une bulle. Sa Sainteté me parut
vraiment affligée de n'en avoir pas fait une : et après
m' avoir dit que c'étoit principalement à certaine
I
SUR l'affaire du quiétisme. 455
personne à l'en avertir, voulant sans doute parler
du cardinal de Bouillon, elle m'ajouta, en riant,
qu'elle avoit aussi envie de s'en prendre à moi ; qu'à
la moindre instance que je lui eusse faite là-dessus,
elle l'auroit donnée. A cela je pris la liberté de lui
répondre,, que j'avois bien alors à penser à d'autr;Ç\i3l)
objets qu'à des formalités, sur lesquelles je ne croyois
pas qu'il y eût la moindre difficulté ; que je lui avouois
que, dans ce moment critique, je ne m'occupois qu'à
sauver l'essentiel, en représentant là-dessus à Sa
Sainteté que je voyois attendrie par la cabale, ce
qui convenoit à sa gloire, à celle du saint Siège, à
l'état de la France, et aux intentions du plus grand
Roi du monde. Cependant je suppliai le saint Pèf.Ç)
de se souvenir que toujours je lui avois parlé de
bulle , que lui - même m'avoit toujours donné à
entendre qu'il ne comptoit pas faire autre chose.
Quant au détail dans lequel je n'étois pas entré fort^
avant avec lui , je lui dis que je m'en étois expliqijj^
très-souvent avec le cardinal Albani , et que j'avois.
déclaré expressément qu'on demandoit une bulle,
et nommément six jours avant la conclusion ; que
j'étois sûr que ce cardinal ne le nieroit pas. Sur quoi,
il me répliqua que je de vois le lui dire à lui-même,
et qu'il faut lui tout dire ; qu'on ne seroit pas daps,
cette peine, si je lui avois parlé clairement là-dessuSi;
le lui témoignai en riant que je voulois bien prendre
sur moi une partie de la faute, mais qu'il devoit
aussi, en bonne justice ,^^ en jeter l'autre partie sur
ses ministres. Sa Sainteté me dit : Il faut m'excuser;.
comme vous n'êtes pas obligé de savoir nos usages ,
je ne suis pas obligée de savoir ceux de Eranee^.
4^^ LETTRES
mais je vous prie de croire qu'il n'y a eu aucune
mauvaise intention de ma part. Il me paroît que
les défauts de son bref le peinent , et qu'il auroit
bien voulu trouver quelque expédient pour y reme'-
dier. Je crus qu'il ëtpit bon de le laisser dans cette
disposition. Après quoi le Pape agre'a que je lui
lusse certains endroits de votre lettre , relatifs à la
manière de recevoir le bref. Je passai l'article des
défenses d'e'crire, ayant bien connu, par l'atten-
tion qu'il avoit à vous louer, que M. le cardinal
Spadà lui en avoit rendu compte 5 et cela me suf-
fisoit.
Je lui rapportai ensuite que les partisans de M. de
Cambrai disoient, qu'il sembloit que Rome eut peur
du coup qu'elle avoit frappé, et craignoit M. de
Cambrai comme un homme qui pouvoit exciter des
partialités dans lé royaume; et qu'à présent la Cour
de Rome ne pensoit qu'à afFoiblir ce qu elle avoit fait.
Sa Sainteté , sur cela , m'assura qu'elle n'avoit agi
qu'après une mûre délibération ; qu'elle étoit bien
résolue de soutenir son décret, et que rien ne seroit
capable d'ébranler sa résolution. J'ai toujours cru
qu'il étoit de la dernière importance d'appuyer sur
ces articles, de piquer le Pape d'honneur, aussi bien
que cette Cour, et de leur bien faire connoître la
foiblesse du parti de M. de Cambrai ^ et à cet égard
on me croit plus que jamais, depuis qu'on a su la
manière dont la Cour, la ville, le Roi, les évêques
avoient reçu la condamnation des erreurs de M. de
Cambrai.
Je lus à Sa Sainteté la lettre de M. de Cambrai
à M. d'Arras, que vous m'avez envoyée. Elle remar-
1
su 11 l'affatîie du quiétisme. 4^7
qua fort bien l'expression de porter sa croix , et me
dit qu'il pensoit sans doute mieux qu il ne s'expri-
moit. Je vis bien que la lettre lui paroissoit sèche ;
et je ne pus m'empêcher de lui dire , que je ne dou-
tois pas que M. de Cambrai ne se servît des termes
de soumission et d'obéissance dans les mandemens
qu'il faisoit pour son diocèse, et dans les lettres qu'il
écrivoit ici ; mais que je ne pouvois m'empêcher de
craindre qu'il ne dît pas une parole qui tendît à
avouer qu'il s'étoit trompé, et qu'il avoit enseigné
des erreurs : ce qui me paroissoit être essentiel, pour
juger si véritablement son esprit et son cœur étoient
soumis, s'il étoit véritablement revenu de ses pré-
ventions, et avoit abandonné ses sentimens. En un
mot, j'observai qu'il falloit qu'il dît son Confiteor,
s'il vouloit recevoir l'absolution. Sa Sainteté en con-
vint ; et je vois bien qu'on remarque tout ici , qu'on
ne se laissera pas tromper par les soumissions appa-
rentes que pourra Faire M. de Cambrai : quodDeus
omen av^ertaU
Je trouvai occasion de parler de M. le nonce, et
de l'obligation que la France et le saint Siège lui
avoient. Je ne puis vous exprimer la joie que Sa
Sainteté eut de ce que je lui dis là -dessus, et de
quelle manière elle s'expliqua sur ce prélat. Cela
passe tout ce que j'en puis dire. La conversation
roula sur lui pendant un quart d'heure, et ce fut
à qui en diroit plus de bien.
J'avois vu, il y a quinze jours, Sa Sainteté si bien
disposée et si pleine d'estime pour madame de Main-
tenon, que je crus ne lui pas déplaire de l'en entre-
tenir de nouveau. Par la manière dont elle me parla
/i 5 8 L E T T 11 K s
de sa vertu et de son mérite, je jugeai Lien que je
lui avois fait plaisir. Elle me dit : C'est une dame
que Dieu a re'servée pour le bien de la religion et de
la vraie pie'té. Le Pape est véritablement pénétré
d'estime et d'affection pour elle. Comme je sais les
impressions que les ennemis de l'Etat et de l'Eglise
ont voulu donner ici contre madame de Maintenon,
je crois qu'il est nécessaire de ne point perdre d'oc-
casion, principalement auprès des cardinaux, de leur
faire connoître son mérite , qui est le fondement de
la confiance du Roi. Je crois, par-là, rendre témoi-
gnage à la vérité, et faire mon devoir de bon Fran-
çais. Je suis aussi bien assuré de vous faire plaisir,
connoissant vos sentimens pour cette dame ; et à
cette occasion je dois vous dire que madame la prin-
cesse des Ursihs , que les principaux cardinaux voient
souvent, leur inspire la plus grande considération
pour madame de Maintenon. Je le sais d'eux-mêmes,
plusieurs m'ayant assuré plus d'une fois que tout ce
que je pouvois leur en rapporter, s'accordoit par-
faitement à ce que madame la princesse des Ursins
leur en disoit.
Je rends compte à M. le cardinal de Janson de ce
que le Pape voulut bien me déclarer sur une affaire
fâcheuse arrivée h Malte, entre M. son neveu et un
frère bâtard de M. le duc de Mantoue. On voit bien
que Sa Sainteté prend un véritable intérêt à ce qui
peut toucher cette Eminence.
J'ai vu la lettre de Sa Majesté au Pape , du 6 avril ,
pour le remercier. Elle est courte, mais elle est par-
faitement juste et très-belle.
Hier, lundi au matin , M. de Chanterac alla chez
SUH l'aFFATRE du QUIÉTISME. 4^9
le Pape, et lui porta une lettre de M. de Cambrai
sur sa condamnation.
Hier matin Sa Sainteté intima une congrégation
de cardinaux du saint Office pour raprès-dînée. Je
me doutai qu'il s'agissoit de quelque chose qui pou-
voit regarder les dépêches de M. le nonce. J'ai couru
ce matin pour en apprendre des nouvelles. Je n'ai
pu voir le cardinal Casanate; mais il m'a fait dire
que le secret étoitinviolable.J'ai vu le cardinal Spada
qui m'a dit, que l'objet de la congrégation étoit de
faire part aux cardinaux de la lettre du Roi et de celle
de M. de Cambrai. Je n'ai pu rien tirer que par con-
jecture de l'assesseur et du commissaire. Je me suis
bien aperçu cependant qu'il avoit été question du
bref, et de la bulle qu'on eût désirée à la place. Je
soupçonne que Sa Sainteté a voulu savoir l'avis de
la congrégation sur cela , et si l'on pouvoit faire
une bulle , pour donner plus de satisfaction à la
France. Par ce que m'a dit l'assesseur , je suis bien
trompé si les cardinaux n'ont pas été d'avis de ne
rien changer, et d'en demeurer au bref. Néanmoins
gens qui pensent être bien informés , viennent de
m'assurer qu'il avoit passé à la pluralité des voix ,
qu'on pouvoit faire une bulle. Selon les dispositions
des esprits, cela me paroît difficile à croire. Avant
que de finir cette lettre, j'espère savoir positivement
ce qui en est, d'un endroit qui ne m'a jamais abusé,
comme vous l'avez pu reconnoître par expérience.
Le grand secret qu'on observe là-dessus me fait ju-
ger qu'on n'a point résolu de changer le bref en
bulle. Si cela avoit été déterminé , le cardinal Ca-
çanate me l'aurpit fait dire. Je vous avoue que je
40'o LETTRES
ne laisse pas d'être très-ciuieux de savoir en de'tail
ce qui s'est passe' dans cette congrégation. Tous les
cardinaux y ëtoient, à l'exception des cardinaux
Marescotti et Ottoboni. Sans doute le cardinal de
Bouillon instruira le Roi de la délibération.
Je n'ai pas encore vu la lettre de M. de Cambrai
à Sa Sainteté. Le cardinal Spada m'a dit qu'elle
étoit belle et toute soumise. Il m'a pourtant avoué
qu'il paroissoit n'être pas content et souffrir, et
qu'il n'y reconnoissoit en aucune façon qu'il s'étoit
trompé. Je m'en étois bien douté. Le cardinal de
Bouillon loue fort cette lettre. L'abbé Péquigni , à
qui M. le cardinal de Bouillon l'a fait voir, m'a dit
qu'elle étoit écrite en latin flamand, très-sèche, et
qu'on sentoit fort bien qu'il ne se soumettoit que
par force , plus par crainte du Roi que du Pape ;
en un mot , toute dans l'esprit de la lettre à
M. d'Arras. Je n'ai pu me la procurer ; mais M. le
cardinal Spada m'a dit qu'il l'envoyoit à M. le nonce :
ainsi vous la verrez par son moyen. Il marque, dans
cette lettre, que son mandement est tout prêt; que
ce qui l'empêche de le publier, c'est qu'il attend
là-dessus les ordres du Roi qu'il a demandés.
On fait bien de ne rien demander ici sur le bref*^
tant que le cardinal de Bouillon y sera, et de se
passer de cette cour le plus qu'il est possible. Les
évêques ne peuvent-ils pas faire valoir leur auto-
rité , en recevant la décision du saint Siège par
forme de jugement, et approuvant la doctrine con-
tenue, comme conforme à celle de l'Eglise? après
quoi l'autorité royale viendroit prêter son secours
pour l'exécution. Vous savez mieux ce qu'il y a à
SUR L^AFFAIIIE DU QUIÉTI3ME. 4^ i
faire que nous, et vous ne manquerez pas de relever
Tautoritë e'piscopale d'une manière convenable.
Le motif que fai pour croire que les cardinaux
ne voudront rien faire de nouveau , c'est que le car-
dinal Casanate, qui étoit d'avis d'une bulle, et qui est
très-fâché qu'on ne l'ait pas faite , m'a paru trouver
quelque difFiculté à pre'sent de convertir le bref en
bulle. Il faudroit, selon lui, pour ce changement,
qu'il arrivât quelque nouvel accident qui pût donner
prétexte à former un autre décret ; mais il pense
qu'il ne conviendroit pas de le faire, tant que la
France ne le demande pas. Si l'on n a pas adressé le
bref, qu'on appelle ici bref général, par vin bref par-
ticulier au Roi, on a manqué, il est vrai, à une bien-
séance essentielle; et le cardinal Casanate avoue que
cela est mal. G'étoit au cardinal Spada à savoir son
métier; mais ce défaut ne suffit pas, selon eux, pour
commuer le décret.
Au reste, Sa Sainteté a eu la bonté de témoigner
là satisfaction qu'elle a de moi à plusieurs personnes,
et en des termes qui me font honte. Monseigneur
Giori et le père général de la Minerve en sont té-
moins : j'avoue que ce témoignage de sa bienveillance
me donne une consolation particulière.
Rien ne m'arrête ici que TafFaire de mon Induit.
Je voudrois y voir M. de Monaco, que je crois à pré»
sent en chemin. J'espère qu'il sera ici pour la mi-mai ,
et je compte partir avant le 8 de juin; plus tôt si je
puis. En un mot , il n'y a que vos ordres précis qui
puissent me retenir ici cet été. Je vous obéirai assu-
rément; mais ce ne sera pas sans souffrir, à l'exemple
de M. de Cambrai. Il est bien fâcheux que je ne
4^2 LETTRES
puisse pas partir dans les premiers jours du mois
prochain , à cause des chaleurs ; mais il faut faire
de nécessité vertu , et attendre ce que feront la
France et M. de Cambrai.
La fermeté et la conduite du cardinal Casanate ,
dans l'affaire de M. de Cambrai, lui ont fait ici
tant d'honneur, que la congrégation lui a envoyé
l'examen de l'affaire des Jésuites et de MM. des Mis-
sions étrangères, sur les idolâtries chinoises. Les
cardinaux Noris et Ferrari lui sont joints. Aujour-
d'hui commence la première congrégation. Le Pape
a approuvé la résolution de la congrégation. Il y a
apparence qu'on fera bonne justice; et la congréga-
tion suivra sans doute les résolutions que prendront
ces trois cardinaux, dont le cardinal Casanate est le
maître.
Le père général de la Minerve et le père Mas-
soulié vous prient de leur accorder votre protection,
pour un établissement qu'ils veulent faire à Tou-
louse d'une chaire de théologie. Ils vous adressent ,
aussi bien qu'à M. de Paris, des mémoires sur cela.
Il semble que l'affaire des Bénédictins et des Jé-
suites veuille s'échauffer (*) : vous ne m'en mandez
rien. On dit M. de Chartres fort prévenu en faveur
des Jésuites.
J'apprends , dans ce moment , que les cardinaux
résolurent hier de ne point changer le bref en bulle,
à cause des raisons que je vous ai exposées ci-de-
Vant, et que le cardinal Albani avoit voulu soutenir
ce qu'il avoit fait. Apparemment le nonce ne dira
(*) Voyez la lettre ccccxviij et la note de la page "i^o. {Edit.
de Fers.)
SUR l'affaihe du quiétisme. 4^3
rien de cette résolution ; mais je la crois certaine.
Je vous envoie les deux derniers livrets de M. de
Cambrai contre vous et M. de Chartres. La disposi-
tion étoit belle pour la soumission. Il a voulu avoir
répondu à tout. Je ne sais comment il pourra s'em-
pêcher de répondre au bref, et de prendre le Pape à
partie. Ne sera-ce pas vous qui aurez dicté son juge-
ment ? Ce qu'il dit sur le concile de Trente me pa-
roît bien hardi, et bien digne de censure. Pour moi,
je le crois non-seulement téméraire, mais hérétique
formellement.
Rome, ce 28 avril 1699.
LETTRE CCCCLXIX.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la manière dont on devoit recevoir le bref du Pape; l'affaire
de Sfondratej et les dispositions du cardinal de Bouillon.
On a reçu enfin, mais hier au soir seulement,
votre lettre du 7 avril. M. de Madot, qui partira
cette nuit, vous portera cette réponse. Je lui ai fait
part de ce qu'on disoit contre vous, et de ce que
vous aviez répondu pour votre défense. Il vous en
dira lui-même son sentiment, qui se trouve conforme
au vôtre.
Vous verrez, par la lettre dont je vous envoie
copie {*) , la résolution qu'on a prise ici, pour l'exé-
cution de la constitution apostolique. On la recevra
(*) Celte lettre éloit celle du Roi aux archevêques. Il tn a été parlé
ci-des.sus, lettre cccclxvh.
4(>4 LETTRES
avec tout le respect dû au saint Siège, et avec la plus
grande solennité.
Si les evcques entrent dans cette affaire, c'est
parce qu'il le faut, conformément à nos maximes,
pour authentiquer la constitution, et faire exécuter
ce qui y est porté, après l'avoir reçue canonique-
ment, etc.
J'ai rendu compte de ce qu'on projette à M. le
nonce , qui en a paru assez content , et qui le sera
lout-à-fait, quand il aura vu les lettres du Roi.
M. de Paris nous a convoqués pour le i3 de mai.
On adressera une pareille lettre à tous les métro*
politains, et à M. de Cambrai même, avec quelque
légère différence tirée des circonstances de sa per-
sonne. Par ce moyen tout sera fini , du consente-
ment de tout le monde , et il n'y aura pas de ques-
tion de fait. C'est pourquoi l'on veut se contenter
de la soumission de cet archevêque, quoiqu'on voie
bien ce qui y manque; combien elle diffère de celle
de Leporius, dictée par saint Augustin, et se trouve
peu conforme à ce que les auteurs du temps mar-
quent de celle de Gilbert de la Poirée (*).
Je vis hier, chez le Roi, M. le prince de Vaïni,
(*) Gilbert de la Poirée, évêque de Poitiers, étoit savant, mais
trop livré aux subtilités de la philosophie d'Aristote. Il voulut juger
des choses divines par les faux raisonnemens d'une vaine dialec-
tique, et s'égara sur le mystère de la Trinité. Saint Bernard, plein
de zèle pour la doctrine catholique, attaqua fortement se^ erreurs,
le convainquit dans le concile tenu à Rheiros en t 1 48 , par Eu-
gène m, et dressa une profession de foi toute contraire, qui fut
adoptée par le concile. Gilbert se^ soumit , et condamna humble-
ment les fausses opinions (Ju'il avoit avancées. Voyez S. Bernard, in
Cant. Serm. txxx, tom. i, col. i546j et Labbe, Concil. tom. x.
pag. II 20. ^
qui
I
SUR l'affaihe du quiétisme. 4^5
qui me parla de vous de la manière du monde la plus
obligeante. Il me fît tant d'honnêtetés, de la part de
Sa Sainteté, que j'en étois tout confus. Il me témoi-
gna qu'il avoit beaucoup de particularités à me dire.
Je tâcherai de le voir demain à Paris.
On ne croit pas que M. le prince de Monaco
puisse être sitôt à Rome, la goutte le retenant à
Monaco, Je vous envoie une lettre à toutes fins
pour lui, sur votre induit. Le Roi lui a fait écrire de
vous accorder ses bons offices auprès du Pape et des
ministres.
Vous faites bien de ne cesser de rendre tous vos
respects à M. le cardinal de Bouillon : n'oubliez paî;
de le bien assurer des miens.
On doute que vous puissiez voir M. le prince de
Monaco à Rome. Je trouve très-bon que vous diffé-
riez le plus que vous pourrez, pour toutes les rai-
sons que vous me marquez , et surtout par rapport
à votre induit , >çupposé que vous voyiez jour à
réussir. Mais enfin il faut revenir le plus tôt qu'il sera
possible.
Il faudra remettre à l'extrémité l'affaire de Sfon-
drate. Il sera bien délicat d'en parler au Pape, et de
le chagriner, pendant qu'il semble qu'il n'y a qu'à
se réjouir de ce qu'il vient de faire pour TEglise.
Faites cependant avec bon conseil, ce que Dieu vous
inspirera. Il est vrai que rien ne seroit plus glorieux
à ce pontificat, que de voir ce digne Pape sacrifier
tout à la vérité et au bien de l'Eglise.
J'ai vu ici entre les mains de M. de Janson , des
lettres admirables de M. l'abbé Péquigni. Témoignez-
lui bien qu'on sait ici avec quel esprit, quel savoir
BOSSUET. XLII. 3o
^66 LETTRES
et quel zèle il a parlé pour la bonne cause , et avec
quelle bonté il écrit sur mon sujet. Je lui en ai une
obligation que vous ne sauriez assez lui témoigner ^
et dont il me paroît que le témoignage lui sera
agréable.
Vous faites bien de ménager M. Phelippeaux :
c'est un homme qui nous est utile ici. Je compte beau-
coup sur le soulagement que je recevrai de vous;
mais il nous faut des seconds. Celui que j'ai dans ce
pays (*), n'est pas de la force de M. Phelippeaux, à
beaucoup près.
M. de Torcy entre dans le moment, et me rend
une lettre de M. le cardinal de Bouillon à cachet vo-
lant (**). Il est bon que vous en voyiez la copie ; mais
quoique je vous l'envoie , ne faites pas encore sem-
blant de la savoir. Je juge à propos d'envoyer une
réponse au cardinal , par le même canal. Cepen-
dant, comme vous voyez qu'il veut revenir, faites
tous les pas convenables, et continuez à ne manquer
en rien envers lui, comme je veux faire moi-même.
^ Versailles f ce 29 avril 169g.
C^) Bossuet veut parler de l'abbé de Saint-André , d'abord curé
de Vareddes, et ensuite grand-vicaire du prélat.
(**) Elle est imprimée à la suite de cette lettre , avec la réponse
de Bossuet. {Edit de Vers.)
SUR, l'affaire Dû quiétisme. 4^7
%/*/%,\^/^'%/*>%>\^»/%r%/'%/%>*'*^
LETTRE CCCCLXX.
DU CARDINAL DE BOUILLON A BOSSUET.
Sur les inécontentemens que lui avoient donnés son neveu.
Sans entrer, Monsieur, dans aucun détail, qui
seroit trop long et trop ennuyeux pour vous et pour
moi , je ne puis résister plus long-temps aux mou-
vemens d'estime, de vénération et d'amitié que j'ai
pour vous ; sentimens qui sont gravés si avant dans
mon cœur depuis près de quarante ans.
Ce sont ces sentimens. Monsieur, qui m'obligent
de vous priei" d'être persuadé, que le peu de sujet
que j'ai de me louer de la conduite de M. votre
neveu, n'est pas capable de me faire jamais changer
à votre égard ; et de vous demander en même tenips
la continuation de votre amitié, qui m'a toujours
été si chère , vous assurant que je suis très-prêt de
reprendre en votre considération , à l'égard de
M. votre neveu , les sentimens avec lesquels j'étois
venu ici, et qui m'avoient obligé de vous supplier,
aussi bien que lui, de me faire l'amitié de prendre
un appartement chez moi, pour y être de la même
manière qu'il auroit été chez vous.
Je ne vous aurois encore rien mandé, Monsieur,
du peu de sujet que j'ai eu en plusieurs occasions de
me louer de M* votre neveu, si j'avois pu, avec
honneur , lui cacher un dernier fait , devenu trop
public , peu rempli d'égards pour moi , et pour le
poste dont le Roi m'a bien voulu honorer ici. Mais
468 LETTRES
m'ëtant "vu obligé de lui donner au moins quelque
signe de vie sur ce fait , quoiqu avec toute Fatten-
lion que j'aurai toute ma vie pour une personne qui
vous appartient de si près , et qui vous est si chère ,
j'ai cru que je devois en même temps vous donner
une preuve de ma confiance et de la sincérité avec
laquelle je vous ai toujours honoré et vous hono-
rerai jusqu'au tombeau ; me flattant aussi que cette
malheureuse affaire du livre de M. de Cambrai étant
finie ici, mettra fin aux froideurs qu'elle a pu pro-
duire dans votre cœur contre moi (*). C'est la grâce
que je vous demande, et de me croire tout à vous.
Le card. de Bouillon.
Mon écriture est naturellement si mauvaise, et je
me trouve tourmenté d'une si grande fluxion dans la
tête , que je me suis servi de la main d'une personne
en qui j'ai une confiance entière.
A Rome, ce 7 avril 1699.
K*|**^/»'*'%^'W».*'«'^^
LETTRE CCCCLXXI.
DE BOSSUET AU MARQUIS DE TORCY.
Il lui envoie sa réponse à M. le cardinal de Bouillon, pour m-
prendre lecture.
Vous voulez bien, Monsieur, que je prenne la
liberté de faire passer ma réponse à M. le cardinal
de Bouillon , par le même canal dont il s'est servi
(*) Le cardinal n'avoit commencé à écrire de sa main (ju'à ces
mois : le corps de la lettre, dit M. Ledieu, secrétaire de Bossuet,
ctoit de récriture du père Charounier, Jésuite.
suii l'affaike Du quiétisme- 4^9
pour faire venir sa lettre jusqu'à moi. Gomme il vous
a envoyé sa lettre ouverte, j'en fais autant de la
mienne. Comme lui, je vous supplie de la lire, et
s'il est arrivé. Monsieur, que le Roi ait su quelque
chose de ses plaintes et de ses honnêtetés , j'ose en-
core vous supplier de vouloir bien donner à Sa
Majesté une pareille connoissance de mes réponses.
Je vous fais cette prière avec confiance , comme je
suis avec respect , etc.
A Paris, ce 3 mai 1699.
LETTRE CCCCLXXIL
DE BOSSUET AU CARDmAL DE BOUILLON.
Il justifie son neveu sur Fenvoi de son courrier 5 et lui moa^e
réqtrité de sa conduite dans raffaire du Quiétisme.
J'ai reçu par les mains de M. le marquis de Torcy ,
la lettre de votre Eminence, du 7 avril. Elle lïie fut
rendue mercredi dernier, et j'ai cru devoir faire
passer ma réponse par le même canal.
Je ne puis assez me louer de la bonté avec laquelle"
cette lettre est écrite ; et après vous éd avoir fait
mes très - humbles remercîmens , j'accepte , au nom
de mon neveu et au mien, le retour que vous lui
offrez dans l'honneur de vos bonnes grâces.
Je suis d'accord , Monseigneur, que ces choses
se doivent faire, sans trop entrer dans le détail.
Mais je ne dois point omettre qu'assurément on n'a
pas fait un fidèle rapport à votre Ëminence, quand
on lui a dit que mon neveu avoit voulu que le cour-
47*> LETTRES
rier qu'il m'a envoyé devançât le vôtre. Il n'a eu
garde de donner de pareils ordres, ou d'avoir de
semblables vues; puisque e'tant contre le respect
dû au caractère de ministre que porte votre Emi-
nence, ilauroit manqué non-seulement contre vous,
mais encore contre le Roi même ; de quoi nous
sommes incapables, mon neveu et moi.
II est vrai qu'il nous a dépêché un courrier extraor-
dinaire, à M. de Paris et à moi, aussitôt après le bref
publié. Mais il ne pouvoit s'en dispenser , puisqu'il
étoit nécessaire que nous sussions la manière dont
les choses s'étoient passées , parce qu'elles pouvoient
beaucoup influer sur la manière de procéder à la
réception de ce bref. Mais pour devancer votre cour-
rier, c'étoit chose à laquelle nous ne pensions pas ,
et qui paroissoit impossible, le vôtre étant parti
onze heures avant que mon neveu eût son^é à faire
partir M. de Madot.
Ce gentilhomme m'a assuré positivement qu'on
ne lui avoit pas touché un seul mot de ce dessein.
Mon neveu à qui votre Eminence s'est exphquée sur
ce soupçon, m'assure la même chose; et je vous
^supplie très-humblement, Monseigneur , de n'avoir
aucun égard au récit contraire, tant envers mon
neveu , qu'envers M. de Madot, qui doit être bien-'
tôt à Rome.
Quant au froid que votre Eminence me reproche
au sujet du livre de M. l'archevêque de Cambrai,
sans revenir à ces détails , je supplie seulement votre
Eminence de se souvenir de ce que j'eus l'honneur
de lui dire à l'hôtel de Chaulnes, et de vous bien
persuader que je n'ai jamais fait mon affaire de
SUR l'affaiue du quiétisme. 4?!
celle-ci, ni pris d'autre part dans le succès, que
celui que devoit y prendre tout évêque fidèle à son
ministère. Après ce petit mot, Monseigneur, dont
j'ai cru ne pouvoir me dispenser , je n'ai plus rien à
vous dire, sinon que je suis à votre égard dans mon
état naturel, conforme à tous les devoirs de respect
et d'amitié , puisque vous voulez , Monseigneur ,
que je parle ainsi, auxquels je suis obligé par tous
ces titres, que je prendrai toujours plaisir de recon-
noître, plus encore par les effets dont je puis être
capable , que par les paroles.
Agréez sur ce fondement que mon neveu ait l'hon-
neur de vous approcher avec toute la confiance que
mérite le renouvellement de vos bontés, et qu'il
vous rende tous les respects que nous vous devons
l'un et l'autre. Je suis et serai toujours avec ces res-
pectueux sentimens, Monseigneur, etc.
A Paris, ce 3 mai 1699.
LETTRE CCCCLXXIII.
DE BOSSUET A M. DE LA BROUE.
Sur les difficultés qu'il trouve à la translation de son évêché à
Masereltes; sur Tafiaire du Quiétisme, et le bref du Pape.
Avant, Monseigneur, que de répondre à votre
lettre du 9 avril, que j'ai reçue à Meaux, j'ai voulu
en communiquer, selon votre ordre, à M. d'A-
guesseau , dont voici le sentiment. Il ne croit pas
que le Roi soit en état d'entrer dans cette construc-
tion. Le mieux, selon lui, que vous puissiez obtenii',
47* LETTRES
est une imposition sur votre diocèse \ encore la croit-
il prématurée, dans Taccablemenl où sont les peuples.
Je ne crois pas que l'exemple de Blois nous serve
beaucoup. Levécbé de Blois paroît au Roi plus né-
cessaire, qu'une simple translation de votre évêclié
à Maserettes; et de plus, M. de Chartres, en faveur
de qui s'est faile cette érection, est le prélat du
royaume le plus favorisé, par les raisons que vous
savez ^). Quand, après 'des difficultés, vous trou-
verez à propos de tenter la chose, vous devez dresser
un placct au Roi, en envoyer une copie à M. de
Paris, et une au père de la Chaise, auxquels vous
en écrirez. J'aiderai auprès de l'un et de l'autre,
çt dans l'occasion , auprès du Roi ; tout ce que je
lerois au-delà, nuiroit plutôt qu'il ne serviroit : et
au reste, vous savez bien que la bonne volonté ne
me manque pas^
Je parlai à M. d'Aguesseau du dessein de venir
ici. Il me dit que vous aviez à y prendre garde, et
qu''on avoit ttiâl t'o unie, auprès 'îTiTTÏoi, le séjour
que vous y avez fait du temps de votre affaire. Voilà ,
Monseigneur, ce qui regarde vos intérêts particu-
liers, qui seront, comme vous savez, toujours les
miens.
Quant à l'ai^iiçç générale j voiis voyez Iç tour qu'elle
prend; et si votre métropolitain ne vous a pas encore
envoyé copie de la lettre circulaire que le Roi écrit
aux archevêques, celle que vous devez recevoir par
M. l'abbé de Catelan vx)us instruira du tout. Vous
voyez qu'on ne pouvoit pas donner dans cette affaire
un tour plus avantageux à kl diose, plus honorable
(*J II éloit directeur de madame de Maialenon.
SUR l'atfaire du quiétisme. 4^73
à l'Eglise, ni plus canonique. Il faut achever celte
affaire, avant que de penser à aucune instruction
pour le peuple. En écrivant à pre'sent, on sembleroit
vouloir harceler M. de Cambrai , qui joue, quoique
assez sèchement, le personnage d'un homme sou-
mis, et qu'on veut regarder comme tel, afin que
l'affaire paroisse finie de son consentement. M. l'abbé
de Catelan ne vous a pas laissé ignorer son mande-
ment sur ce bref. On commence à répandre de petits
écrits contre M. de Cambrai : on fait réimprimer,
sous main , quelques-uns de ses ouvrages contre
moi. Dieu, qui a amené cette affaire à une conclu-
sion si heureuse, achèvera le reste. Le motu proprio
n'arrêtera pas. Le parlement ne rejette cette clause
que dans les affaires que l'on prétend, avec raison,
qui se doivent faire à l'instance et réquisition du
Roi. Ainsi dans le bref d'érection de l'archevêché
de Paris, cette clause n'empêcha pas l'effet du bref;
mais il fut dit seulement qu'on n'y auroit point
d'égard, et qu'une autre fois on exprimeroit adChris-^
tianissimi Régis instantiam et reqiiisitionem ; ce qui
a été pratiqué dans les érections d'Albi et de Blois.
' Je m'en retourne dans mon diocèse, jusqu'au i3>
qui est le jour de notre assemblée provinciale. On
doit à la bonté et à la iagesse du Roi tout ce qu'on
fait dans cette aflfeire^ M. de Paris y a servi l'Eglise
très-iitikment, aussi bien que M. de Rheims, qui
sera député <le la province à l'aSsemblée générale
de ^700; ce qui semble le désigi^Ler président. J'ai
toujours le même besoin et la même envie de vous
voir, et suis, comme vous savez, etc.
A Paris, ce 2 mai 1699.
474 LETTRES j«
LETTRE CCCCLXXIV.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur les dispositions apparentes du cardinal de Bouillon à l'égard de
Fabbé Bossuet j la prochaine assemblée de la province de Paris ;
l'opposition de la Cour romaine pour les livres relatifs au Quié-
tismej et les services secrets que le prélat rendoit à l'Eglise.
J'ai reçu votre lettre du i4 avril. Vous voyez à
présent qu'on est content du bref, tel qu'il est , et
qu'on ne pense qu'à le publier avec toute la solen-
nité possible.
Vous verrez, par la lettre que M. le cardinal de
Bouillon m'a écrite, et par ma réponse dont je vous
envoie copie , que vous n'avez qu'à vous p^senler
chez lui, en faisant peut-être demander quand il l'aura
pour agréable. Ne craignez rien du côté de la Cour.
Je vais à Meaux mercredi, pour revenir lundi
prochain, être mardi à l'archevêché, pour préparer
l'assemblée, et la tenir le lendemain. Tout sera fait
en un jour.
Il ne faut plus disputer sur la nature et reffet du
bref. Celui contre le Missel de Voisin, donné par
Alexandre VII, n'a jamais été porté au parlement,
ni les lettres-patentes vues. On n'a eu, en France,
aucun égard à ce bref; et l'on fut obligé, pour
l'instruction des nouveaux catholiques, de répandre
des milliers d'exemplaires de la messe en français.
Je suis très-content de la lettre que vous a écrite
M. le prince de Monaco , et je souhaite qu'il arrive
bientôt,
SUR l'affaire du quiétisme. 47^
On a envoyé la lettre de cachet à M. de Cam-
brai, comme aux autres métropolitains, en le sup-
posant soumis. Tâchez de désabuser le Pape et ses
ministres, de l'opposition qu'ils ont pour les livres
qu'on pourroit publier sur la matière. Ceux qu'on
imprime par inondation pour l'erreur , perver-
tissent tous les esprits , si l'on se tait. Malgré les
décisions prononcées dans les différens temps contre
les faux dogmes, les Pères ont bien senti les dangers
que couroient les peuples : aussi n'ont-ils cessé de
les prémunir, en parlant en faveur de la vérité contre
l'erreur.
Il n'est pas vrai, comme on l'a dit, que j'aie fait
supprimer un ouvrage composé contre le Problème,
Je vois bien ce qu'on veut dire. On a déguisé une
vieille affaire de trois ans, et qui n'étoit rien (*). Si
Von savoit tout, on verroit que je sers l'Eglise dans
les choses qu'on ne sait pas, plus que dans celles qu'on
sait. Cela soit dit entre nous et pour nous seuls :
retribuetur vobis in resiirrectione justorum. J'em-
brasse M. Phelippeaux.
Soyez un peu attentif à ce qui se passe sur l'édi-
tion bénédictine de saint Augustin. Ayez soin de
votre santé, et pensez au retour , aussitôt après
l'arrivée de M. l'ambassadeur. Vous avez bien raison
de vous affliger : vous trouverez un grand vide dans
la maison. Dieu est tout.
A Paris, ce 4 mcù 1699.
(*) Bossuet a ici en vue son Av^cnissement sur le lare des Bé-'
flexions morales , dont il ne fit point usage dans le temps qu'il le
composa. Voyez rAvertissement mis en tête de la première classe
des OEwresj ci-dessus, tom. i, p. lxiy. (£t/à. de Fers.)
47^ LETTRES
LETTRE CCCCLXXV.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la délibération de la dernière congrégation, touchant le chan-
gement du bref en bulle j les deux lettres de M. de Cambrai au
Pape j el les démarches de Fabbé Bos^^uet au sujet du bref que le
saint Père dcvoil adresser à ce prélat.
JVi reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'e'crire de Meaux, du 12 avril, par laquelle
j'apprends votre incommodité. Quoique je voie bien
que ce n'est presque rien , je suis très -fâché du
moindre petit mal que vous pouvez avoir; et je ne
serai en repos, que quand je saurai, comme je l'es-
père, par l'ordinaire prochain, que vous êtes entiè-
rement guéri.
Vous avez su , par ma lettre du dernier courrier ,
la congrégation des cardinaux, convoquée et tenue
le lundi 27 avril, sur les affaires et les conjonctures
présentes.
Quoiqu'on veuille dire ici qu'o» changera le bref
en bulle , je sais que ce n'est point à présent l'in-
tention du Pape ni des cardinaux. Si, dans la con-
grégation de lundi, le cardinal de Bouillon et le car-
dinal Ottoboni avoient été d'avis de ce changement,
on l'auroit fait. Mais ils parlèrent, à ce qu'an m'a
assuré, si fortement pour le bref, soutenant non-
seulement qu'il falloit à présent se donner bien de
garde de faire une bulle, mais encore qu'on auroit
eu tort d'en donner une au commencement; ils sou-
tinrent, dis-je, si vivement leurs opérations, que le
SUR l'affaire du <5uiétisme. 477
reste des cardinaux s'accorda aisément à ne rien faire
de nouveau, pour ne pas préjudicier à l'autorité du
Pape, et afin qu'on ne puisse pas dire qu'on consent
ici que les bulles et les brefs ne soient pas reçus
en France dans une certaine forme. Ils convinrent
néanmoins qu'il auroit été mieux de faire une bulle
d'abord, et qu'il n'y auroit eu aucune difficulté, si
Ton y eût pensé.
Je sais que le cardinal de Bouillon et le cardinal
Albani ont dit, que c'étoit moi qui avois fait naîlre
cette difficulté. Le Pape et les cardinaux savent bien
ce qui en est, et ce que je leur ai toujours dit, dès
le commencement, sur la forme du jugement. Ils
voient bien à présent que j'avois raison de leur dire
qu'en France on n'approuveroit ni le bref, ni le
motu proprio, quoiqu'on piit être très-content de la
substance du décret.
Quant à la congrégation qui s'est tenue sur ces
objets, et sur les lettres du Roi et de M. de Cambrai ,
je sais que c'est le Pape seul qui l'a voulue, et qui
l'a fait convoquer ; apparemment d'après les lettres
de M. le nonce, qui lui aura témoigné que le chan-
gement du bref pourroit faire plaisir au Roi , qui
pourtant ne le vouloit pas demander. On lut, dans
la congrégation, sa lettre.
Pour moi, loin de faire jamais instance là-dessus^
ni au Pape, ni aux cardinaux, je leur ai toujours
déclaré que les évéques ne demandoient rien de plus,
et qu'on ne songeoit qu'à suppléer au défaut de for-
malité, sans rien désirer davantage. Je l'avois dé-
claré, la veille, au Pape d'une manière très-précise
4;^ LETTRES
et très-forte > comme je vous Tai mande' plus ample-
ment dans ma dernière lettre.
Mais tout cela n'est rien. Le point essentiel est la
démarche que les partisans de M. de Cambrai veulent
faire faire au Pape en faveur du coupable > qu'on
voudroit qui fut traité comme innocent.
Je vous ai déjà mandé qu'on lut, dans la même
congrégation , et la lettre du Roi au Pape, du 6 avril,
en remercîment, dont on fut très - content , et la
lettre de M. de Cambrai qui commence par Auditâ
B. K. de meo libello sententiâj etc, dont je vous en--
voie copie, en cas que M. le nonce ne vous Tait pas
communiquée. On la lut^ et les partisans de M. de
Cambrai l'applaudirent si fort, et dirent si haute-
ment qu'elle méritoit une réponse honorable, que
personne ne voulut s'y opposer. Ils m'ont presque
tous assuré depuis, qu'on ne fit pas toutes les ré-
flexions nécessaires. La soumission sans restriction
dont elle fait parade , le respect pour le saint Siège
qu'elle étale , leur firent impression , et par-dessus
tout, les instances de M. le cardinal de Bouillon les
entraînèrent.
Je ne sus, que le mercredi, qu'on préparoit un
bref qui devoit être adressé à M. de Cambrai. Je
me doutai du piège qu'on tendoit : je fis si bien, que
j'eus copie de la lettre en question. Je vous avoue,
qu'au lieu d'en être édifié, j'en fus scandalisé au
dernier point. Il ne me fut pas difficile d'en décou-
vrir tout l'orgueil et tout le venin ; et il me semble
qu'il n'y a qu'à la lire sans passion , pour en être
indigné. Bien loin d'y trouver M. de Cambrai, hu-
SUR l'affaire du quiétisme. 479
niilié, repentant, et console' de sortir enfin de ses
ténèbres -, pour de'couvrir la lumière ; on y voit un
homme outré de douleur, qui.en fait gloire, qui se
donne pour innocent, Jam non commemoro inno-
centiam; qui a la hardiesse de nommer probra, des
outrages, les justes et nécessaires procédés des évê-
ques, qui n'ont été que trop justifiés par la condam-
nation du saint Siège ; qui enfin ose parler de ses
explications, comme si elles mettoient sa doctrine
à couvert , au lieu qu'on a jugé tout le contraire ,
toique explicationes ad pui^gandam doctrinam scrip-
ias. Il laisse, dit-il, cela à part, comme si le Pape
n'y avoit pas fait assez d'attention , et que ce qu'il
avance, fût une chose incontestable ; prœterita om-
nia mitto loqui. En vérité, peut-on rieii de moins
humble et de plus hardi que de pareilles expres-
sions, dans la bouche d'un l^mme qui parle ainsi à
son juge aussitôt après sa condamnation? On voit
bien par-là ce qu'on doit penser de sa soumission,
qu'il n'est plus permis de croire sincère, et qui ne
peut être que forcée : voilà franchement ce que j'en
pense.
Comme je sus en même temps qu'on préparoit un
bref très-honorable pour M. de Cambrai , avec une
diligence incroyable , sans même vouloir attendre
son mandement, je crus devoir faire faire à Sa Sain-
teté , et aux principaux cardinaux toutes les ré-
flexions nécessaires sur cette démarche , et leur en
montrer les dangereuses conséquences. J'ai tâché de
leur faire sentir combien il importoit de ne laisser
rien sortir d'ici , dont M. de Cambrai pût se préva-
loir. Je l'ai fait avec douceur, prenant occasion de
48o LE T THE s
leur parler , en leur rendant compte de ce qui se
passe, et leur suggérant les re'flexions qu'ils n'ont
pas faites, ou qu'ils n'ont pas voulu faire, que je
leur ai insinué qu'on ne manqueroit pas de faire en
France, ajoutant que je craignois que cette superbe
lettre n'aclievât de perdre M. de Cambrai en France,
quand elle y seroit vue.
Le petit bruit que j'ai cru devoir faire là-dessus,
et mes remontrances ont produit leur effet. Le bref
qui étoit préparé et minuté, a été arrêté au moins
jusqu'ici. Il s'est trouvé beureusement que , depuis
six jours, M. le cardinal de Bouillon étoit allé en
campagne, à trente milles d'ici, d'où il ne revint
qu'bier. Pendant ce temps, le mandement de M. de
Cambrai est arrivé. Il l'a fait porter au Pape par
M. de Chanterac, avec une nouvelle lettre. Ce man-
dement est imprimé ei\ latin et en français : je vous
envoie le latin.
D'abord M. Gozzadini avoit été cbargé par le
Pape de dresser le bref. Le cardinal Albani en a été
jaloux , et a travaillé à avoir cette commission ,
dans le dessein apparemment de se rendre maître
de la tournure, et de servir M. de Cambrai. J'ai su
tout le détail de ce qui s'est passé là-dessus par Goz-
zadini lui-même, qui a été piqué de se voir écon-
duit, et qui m'a tout dit.
Je ne sais si le cardinal Albani n'a pas été content
de la manière dont le bref étoit disposé, et ne l'a
pas trouvé assez favorable. Quoi qu'il en soit, Goz-
zadini m'a dit qu'il voyoit bien des détours et de la
politique dans cette manœuvre. J'ai su par lui qu'il
y avoit une seconde lettre de M. de Cambrai, qui
accompagnoit
I
s un l'affaire du quiétisme. 4^ï
accoinpagnoit le mandement, et plus entoi tille'e que
la première. H la eue entre les mains , et ma déclaré
avoir tout remis au cardinal Albani. Il ne m'a pas
e'té possible de voir cette seconde lettre , ni de sa-
voir ce qu'elle contient. Néanmoins elle existe sûre-
ment, et le cardinal Albani n'a pas ose me la nier.
Le Pape m'a avoué qu'il l'avoit reçue. Je vois avec
cela qu'on en fait un grand mystère. Aucun autre
que le cardinal Albani ne l'a vue, excepté Gozza-
dini , par les mains de qui elle a d'abord passé» Les
cardinaux, à qui j'en ai touché quelque chose,
m'ont tous dit qu'ils n'en avoient pas entendu parler.
Il n'est pas jusqu'au cardinal Spada , qui m'a juré
ce matin n'en savoir rien. Mais je l'ai bien assuré de
Texistence de cette lettre , et lui ai dit de plus qu'elle
étoit entre les mains du cardinal Albani. Le mystère
qu'on en fait , m'est non-seulement très-suspect ,
mais je tiens pour certain , par ce que m'a dit Goz-
zadini , qu'elle est tournée de manière a embarrasser
même le cardinal Albani. Je me doute qu'on y de*
mande quelque nouvelle explication , et qu'on y
parle peut-être avec plus de hauteur , que dans la
première.
Je présume encore que les partisans de M. de Cam*
brai ont dessein de faire supprimer cette seconde
lettre, et d'empêcher qu'il n'en soit question dans
la réponse qu'on lui fera.
Je ne vous dis pas toutes les réflexions que j'ai
fait faire aux cardinaux là-dessus , en particulier au
cardinal Albani. Je n'ai rien oublié 5 et s'ils pèchent
à présent, ce ne sera pas par ignorance. Il est fâcheux
que. la congrégation ait d'abord consenti à une ré-
BOSSUET. xui. 3i
482 LETTRES
ponse ; mais ils avouent presque tous qu'ils n'ont
pas fait assez d'attention aux expressions de la lettre ;
et je vois que si la réponse passe par leurs mains,
les bons cardinaux sont résolus de ne laisser rien
insérer que de juste et d'honorable au saint Sïé^e.
J'ai cru devoir faire connoître au cardinal Albani,
que tout retomberoit sur lui, si Ton faisoit quelque
chose de mal; et qu'au moins, pour qu'il pût se
disculper, il falloit que le tout fût de nouveau exa-
miné par MM. les cardinaux. 11 est convenu que
cela devoit être , et m'a assuré que cela seroit aussi.
Comme il étoit question d'arrêter le coup, je lui ai
fait sentir que rien ne pressoit pour faire une ré-
ponse. Je lui ai même insinué, comme aux autres
cardinaux , qu'il n'y avoit pas de nécessité de ré-
pondre à M. de Cambrai par un bref, et qu'on avoit
mille autres moyens de lui faire savoir qu'on rece-
voit sa soumission, telle qu'il la donnoit; que M. le
nonce étoit suffisant pour cela ; et qu'enfin , si l'on
vouloit écrire , on le devoit faire d'une manière qui
iie tirât point à conséquence, et que, sans faire
paroître trop de mécontentement, on pouvoit, avec
dignité , lui montrer ce qui restoit à faire pour
édifier l'Eglise , et consoler le père commun des
fidèles.
Je vois manifestement que le but du cardinal Al^
bani , et celui du cardinal de Bouillon , car l'un et
l'autre me l'ont fait assez connoître , est de faire in-
sinuer, dans la réponse à M. de Cambrai, qu'on na
pas prétendu condamner ses intentions, ni toucher
à ses explications et au sens de l'auteur. C'est là-
dessus que j'ai parié fortement, en montrant l'illu-
M
SUR l'affaip.^e du QUTÉTISME. ' 4^"^
sion de cette conduite. Ces deux Emiiiences ont e'té
obligées de convenir avec moi, au moins de paroles,
qu'on avoit condamné le sens du livre et des pro-
positions, non -seulement à certains égards, mais
sur tous les points de vue, puisqu'on avoit ajouté
et attenta sententiarum connexione. J'ai conclu qu'il
me paroissoit , après cela , ridicule de dire que le
sens du livre n'étoit pas le sens de l'auteur, et d'un
auteur qui avoit su, autant que personne , ce qu'il
vouloit dire , assurément bien capable d'expliquer
nettement ses pensées, et qui avouoit aussi que le
sens obtins et natiiralis étoit le sens unique de son
livre.
Ils n'ont eu rien à répondre à cette démonstration ,
et tous les autres cardinaux m'ont avoué que ces rai-
sons étoient péremptoires. Cependant, telle est l'in-
tention des cardinaux Albani et Bouillon 5 et hier
encore, le cardinal de Bouillon me dit clairement
que le Pape, en condamnant le livre de M. de Cam-
brai, n'avoit pas prétendu condamner le sens de l'au-
teur, ni ses explications; et par-là il prétendoit
excuser l'article de sa lettre au Pape, qui relève son
innocence, et sauver ses explications. Voyez un peu
où l'on en seroit , si on entroit dans de pareilles
idées. Il est pourtant très à craindre qu'on n'ai -
rache ici quelque chose qui les favorise. Je ferai
tout de mon mieux , tant que j'y serai , pour l'em-
pêcher ; mais je suis bien éloigné de répondre que
je réussirai, quoique je n'oublie rien à cet effet.
Malheureusement , je trouve toujours de certains
pas faits , qui rendent le succès des démarches d'une
difficulté incroyable.
484 LETTRES
L'esprit du Pape et de cette Cour, est générale-
ment de recevoir, pour argent comptant, tout ce
que fera M. de Cambrai , et de lui montrer une
grande douceur. Ils disent, che bisogna serrar gli
occhi , ed ahbracciarlo. Je fis rire le Pape , quand
je lui répondis qu'il falloit donc si bien l'embrasser,
et si bien le serrer, qu'il ne pût échapper, et qu'on
fît, si l'on pouvoit, crever l'apostume qu'il conser-
voit dans le cœur 5 que c'étoit le seul moyen de le
guérir. Le Pape est convenu avec moi, qu'il voyoit
très-bien qu'il n'étoit pas persuadé d'avoir erré. Le
cardinal Albani m'a parlé de même , et je puis dire
que tous les cardinaux pensent ainsi. Néanmoins
j'aperçois une envie extrême de le bien traiter. Le
Pape s'imagine qu'après l'avoir bien ménagé, son
esprit s'appaisera, et que tout sera fini; ce qu'il
souhaite fort. Mais la chose n'est pas aussi facile
qu'il le pense, surtout tant qu'on paroîtra appré-
hender M. de Cambrai.
Je vis le Pape dimanche, et lui parlai de movi
mieux, et avec toute la modération possible : je ne
manquai néanmoins pas de lui faire connoître tout
ce qu'il devoit savoir. Il ne me parut pas plus con-
tent qu'il ne faut de M. de Cambrai ; avec cela je
sentis qu'il étoit porté à lui tout passer. Je vois bien
qu'il est très-pressé par la cabale.
Sa Sainteté , en mon particulier, me donna dé
si grandes marques de bonté, et du contentement
qu'elle avoit de ma conduite, qu'elle voulut bien
me dire, en propres termes, qu'elle se croyoit dans
l'obligation de le faire témoigner au Roi par M. le
nonce ; et il ne sera pas impossible qu'elle ne le
SUR l'affaire du quiétisme. 4^5
fasse , dès cet ordinaire. J'avoue que j'en suis péne'-
tré de reconnoissance.
Le saint Père me parla avec tant de confiance,
sur une infinité de choses, que je crus pouvoir m'in-
former de lui-même de la vérité d'un bruit qui court,
, depuis quelques jours, dans Rome, que Sa Sainteté
veut rappeler M. le nonce de France. Ses amis en ont
été en peine, et on m'a prié de sonder le Pape là-
dessus ; ce que je fis le plus heureusement du monde
et le plus naturellement. Le Pape me parla à cœur
ouvert, et m'avoua franchement que son absence de
son évêché lui faisoit de la peine. Il me dit que,
pour cette raison , il rappeloit le nonce d'Espagne ,
qu'il vient de nommer à l'archevêché de Milan. Je
tâchai de lui faire comprendre que , dans certaines
occasions , il falloit préférer le bien général à un
bien particulier; qu'on pouvoit suppléer la personne
d'un évéque dans un diocèse ; mais qu'un nonce aussi
agréable a la France et au Roi que M. Delfîni, qui
raaintenoit si bien l'union entre les deux puissances,
étoit si nécessaire à l'Eglise, qu'on pouvoit dire que
ce bien général devoit l'emporter sur le bien parti:-
culier de le rendre à son diocèse. Je lui rapportai
l'exemple de M. le cardinal de Janson. Je vis bien
que ces réflexions lui faisoient impression, et il me
dit que cela ne seroit pas pour le moment ; mais
néanmoins je compris parfaitement qu'on ne doit
pas être sans appréhension là -dessus. J'ai cru être
obligé d'avertir M, le cardinal de Bouillon des dis-
positions du Pape sur ce sujet , sachant l'estime que
le Roi et les évêques font de M. le nonce. J'en ai
aussi averti un ami de M. le nonce, et vous pou-
4^^ LETTIIES
vez lui en témoigner ce que vous jugerez k propos.
Il m'a paru que M. le cardinal de Bouillon e'toit bien
disposé en sa faveur.
Il ny a pas lieu selon moi de douter, que la con-
duite de M. de Cambrai et ses lettres ne lui soient
inspirées par le cardinal de Bouillon et ses adhérens,
pour brouiller de nouveau. Voyez la finesse de la
cabale : on publie en France le mandement de M. de
Cambrai, qui, quoique sec et sans repentir, ne
laisse pas de pouvoir passer, parce qu il y condamne
son livre dans la même forme que le bref; et en
même temps il écrit ici des lettres qui renferment
tout le venin de son esprit et de son cœur, et on
fait les derniers efibrts pour lui procurer de Rome
une approbation et une réponse bonorable. Je suis
bien sûr que , quand ces lettres paroîtront en France,
elles n'y plairont pas, et gâteront tout ce qu'il a pu
faire, dont on se contentoit, quelque médiocre qu il
soit. On voit bien qu'il a été forcé de se soumettre,
de peur d'être excommunié par le Pape, et d'être
enfermé par l'autorité royale, comme un hérétique
et un perturbateur du repos public.
Je vous envoie un billet de M. Giori qui est bien
scandalisé de tout ceci , et qui parle clair.
On ne peut exalter davantage la lettre de M. de
Cambrai , que l'a exaltée publiquement ici M. le
cardinal de Bouillon. Il fut tout étonné du commen-
taire que j'en fis à lui-même tête à tête. La conver-
sation fut douce; mais je ne lui laissai rien ignorer
sur les dispositions de la France, et sur le tort que
M. de Cambrai se feroit immanquablement par de
telles lettres, et sur le préjudice que l'on causeroit
SUR L'ArrATRE DU QUIÉTISME. 4^7
au saint Siège, si l'on faisoit, en faveur de ce prélat,
quelque chose qui put lui donner occasion de re-
muer. Il souiTroit un peu, mais j'allai toujours mon
chemin. Je me plaignis de même du bref et du motu
proprio, lui marquant tous les défauts du décret.
Alors il fut un peu plus vif, et me dit très-natu-
rellement que j'étois mal informé, et qu'il falloit
un bref et non une bulle. Je ne laissai pas de lui
montrer le contraire, par bien des exemples; sur
quoi il ne me parut pas fort au fait. A l'égard du
moLu proprio , il me dit à la lettre des pauvretés, et
demeura muet à mes raisons. Au surplus , nous sor-
tîmes les meilleurs amis du monde.
Le cardinal Casanate, qui n'avoit pas voulu s'op-
poser seul au torrent, dans la dernière congrégation,
au sujet de la réponse à M. de Cambrai , a été per-
suadé par mes raisons; et si l'on remet l'affaire sur
le tapis, j'espère qu'il fera son devoir.
Le cardinal Marescotti n'assista pas à la congréga-
tion. Je l'ai vu : il ne me paroi t pas être d'avis qu'on
fasse un bref approbatif. Il comprend fort bien l'or-
gueil et la hardiesse du coupable.
Le cardinal Nerli n'a pas assisté à la congrégation,
non plus que le cardinal Ottoboni.
Je dois vous dire, devant Dieu et en conscience,
que si l'on ne trouve pas le moyen de retirer de Rome
le cardinal de Bouillon, et bientôt, l'Eglise en souf-
frira beaucoup ; car ce cardinal empêche tout le bien
et soutient tout le mal. Je le dis sans passion : il est
incorrigible.
On n'a pas voulu accorder à M. Phelippeaux la
grâce qu'il demandoit pour le bénéfice que vous dé-
488 LETTRES
siiiez lui procurer. 11 est ici presque impossible de
faire passer un bénéfice régulier en commende ; pour
la continuation d'une commende , cela est plus aisé.
On dit ici, et le père Roslet me l'a assuré, que le
parlement ne recevroit jamais le bref. Cela, n'a rieu
de commun avec l'acceptation des évêques. Je ne
puis m'empecher d'approuver la conduite du parle-
ment, si l'on ne trouve point d'exemple dehvef motu
proprio qu'il ait reçu. Mais cette difficulté peut ne
pas arrêter les évêques. Je ne puis m'empêclier de
dire que l'on leur fournit une belle occasion de
montrer leur autorité. Ne pourroient-ils pas, dans
leurs délibérations , proscrire avec le livre tous les
écrits faits pour le justifier? Le Roi peut et doit, ce
me semble , les défendre comme le livre ; et les évê-^
ques , se fondant sur la décision du Pape , sont ea
droit de les déclarer contenir une doctrine mauvaise
et dangereuse, par cela seul qu'ils sont faits pour
soutenir un livre pernicieux, etc. On trouvera ici
très-bon tout ce qu'on fera là-dessus : au moins ne
le pourra-t-on blâmer ; et il me paroît aljsolument
nécessaire , dans les circonstances présentes de pren-^
dre ce parti.
PourJes mandemens, les évêques les feront dans
leurs diocèses, comme ils les jugeront convenables. Ils
feront bien , et seront ici très-approuvés , d'y com-^
battre la fausse spiritualité, et d'y donner des règles
sur les mystiques, qui en empêchent l'abus.
On m'a assuré que les Jésuites, et en particulier
un certain père Semeri, Français, ne se tiennent pas
pour bien battus sur le livre de M. de Cambrai, au-
quel ils veulent donner un bon sens.
SUR l'affaire du quiétisme. 4^9»
J'attends M. de Monaco avec la dernière impa-
tience : je ne donnerai aucune de mes lettres sur mon
induit, qu'il ne soit venu, à moins que je ne voie
qu'il retarde trop. Pour la lettre à M. le cardinal de
Bouillon , je n'ai garde de la lui donner. Je dois être
comme assuré qu'il me traverseroit de tout son pou-
voir; et ce ne sera pas lui qui me fera réussir ni au-
près du Pape, ni auprès du cardinal Panciatici, de
qui tout dépend. Son entremise, au contraire, seroit
le vrai moyen de me faire refuser la grâce que je
sollicite. Il n'y auroit que le cas où le Roi lui ordon-
neroit d'en parler au Pape, où il pourroit ne pas
me nuire ; mais je souliaiterois fort que les ordres
pussent s'adresser à l'ambassadeur qu'on attend in-
cessamment.
L'affaire de MM. des Missions contre les Jésuites,
sur les idolâtries chinoises, est enclouée. Le cardinal
Casanate a cédé au cardinal Noris et au cardinal
Ferrari , qui ne cherchent qu'à alônger. Ils ont donné
à l'affaire un tour, qui doit occasionner des longueurs
infinies. Plus je fais réflexion sur ce que je vois, plus
je trouve que c'est une espèce de miracle que la con-
damnation de M. de Cambrai. On m'a dit que M. le
cardinal de Bouillon avoit déclaré, qu'il ne compre-
noit pas comment elle s'étoit consommée.
Il y a un plaisant article dans la gazette de Ro-
terdam, contre les deux cardinaux (*), partisans de
M. de Cambrai. Celle de la Haie est toujours favo-
rable à M. de Cambrai. Le gazetier entretient ici
correspondance avec le père Charonnier , et avec
Certes , valet de chambre du cardinal de Bouillon.
(*) Le cardinal de Bouillon et le cardinal Albani.
49^ LETTRES
Le pauvre M. de Madot n est pas bien à la cour de
M. le cardinal de Bouillon.
Il est de conséquence que vous communiquiez ma
lettre à M. de Paris, et je pense à madame de Main-
tenon. Je dis toujours tout ce que je sais au pèfe
Roslet, qui en rend compte à M. de Paris ; mais il
est bon qu'il le sache encore par moi-même.
Rome, ce 5 mai 1699.
LETTRE CCCCLXXVI.
DU P. CLOCHE, GÉNÉRAL DES DOMINICAIINS,
ABOSSUET.
Sur les services qu'il avoit rendus à la vérité dans raflaire de M- de
Cambrai, et sur un écrit contre saint Augustin et saint Thomas.
J'ai une extrême consolation que les religieux de
mon ordre, dans une affaire aussi importante que
celle qu'a occasionné Texamen du livre de M. l'ar-
chevêque de Cambrai, aient pu, en suivant la doc-
trine de saint Thomas, contribuer à en faire faire la
condamnation. Vos grandes lumières, Monseigneur,
y ont eu la meilleure part, et les soins infatigables
de M. Tabbé Bossuet, qui a veillé à tout, qui a
éclairci, dans les occasions, les difficultés qu'on avoit,
€t qui a si prudemment pris son temps, soit auprès
de Sa Sainteté, soit auprès des cardinaux, qu'il a
sagement évité tous les détours qu'on eût donnés
peut-être, sans sa vigilance, à cette grande affaire.
J'ai eu. Monseigneur, de la bonne volonté : vous
avez tout fait, et on peut dire que votre Grandeur
SUR l'affaire du quiétisme. 49^
n'a presque rien laissé à faire aux autres. L'Eglise
entière vous en a obligation ; et si la France voit une
erreur arrêtée , qui pouvoit troubler la paix que le
Roi a donnée , Tune et l'autre doivent avouer que
votre Grandeur a bien travaillé, et fort heureuse-
ment, pour en découvrir le venin.
On nous donne avis qu'il paroît à Paris quelque
petit livre qui attaque saint Augustin et saint Tho-
mas : s'il paroît en cette Cour , on tâchera de faire
connoître la témérité de l'auteur. Si on méprise les
pères et les docteurs de l'Eglise, il est à craindre
qu'on ne travaille à ruiner la religion. Tant que
Dieu conservera votre Grandeur, on aura un grand
défenseur. C'est, Monseigneur, ce que je demande
à Dieu avec tout mon ordre. Je vous prie d'être per-
suadé que je suis avec une parfaite soumission , etc.
Fr. Antonin Cloche, ministre général des Frèr. Préch.
Rome, ce 5 mai 169g.
LETTRE CCCCLXXVII.
DU P. MASSOULIÉ, DOMINICAIN, A BOSSUET.
Sur les grands avantages qu'on avoit retirés des écrits du prélat,
pour soutenir la vérité dans l'atFairc de M. de Cambrai.
L'honneur que votre Grandeur m'a fait, exige de
moi que je lui en rende de très -humbles actions de
grâces. M. l'abbé Bossuet m'a témoigné que votre
Grandeur avoit été satisfaite du soin que j'ai pris de
mon côté pour défendre la vérité dans cette grande
affaire, qui a été traitée en cette Cour. Quand je
49* LETTRES
n aurois pas eu quelque connoissance cle la doctrine
de saint Thomas, il ne m'auroit pas été difficile de
Gonnoître cette vérité, en lisant les incomparables
livres que votre Grandeur a donnés au public. C'est
h. votre Grandeur que tous ceux qui ont défendu la
cause de Dieu et la véritable piété, doivent les lu^
uiières dont ils avoient besoin. Je m'estimerois heu-
reux, si le service que j'ai tâché de rendre dans cette
occasion , pou voit contribuer quelque chose pour
mériter la protection de votre- Grandeur dans les
affaires, qui touchent notre ordre et la doctrine de
saint Thomas , qu on tâche en beaucoup d'endroits
de nous empêcher d'enseigner. Je ne manquerai pas.
Monseigneur, d'offrir à Dieu mes vœux, afin qu'il
conserve long-temps votre Grandeur pour, le bien
de son Eglise et l'honneur du royaume. Je suis. avec
un profond respect,
F. Antonin Massoulié, de Tordre des Frèr. Précli,
Rome, ce 5 mai 169g.
ik«/*>'»ii »/«/%«/«/»,'«
LETTRE CGCCLXXVIII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur les assemblées provincMes, relîtiives a racceptation du décret
de Rome 5 et la nécessité du prochain départ de cet abbé.
J'arrive de Meaux , et je reçois votre lettre du 21
avril. Je suis bien aise que le Pape soit content, : il
le sera encore davantage, quand il verra ce qui a
été fait et ce qui se fera. M. de Cambrai a convoqué
son assemblée provinciale pour le aS , comme M. de
SUR l'affaire du quiétisme. 49^
Rheims pour le 24 ; la nôtre est pour meixredi.
Ce qu'on appelle l'adresse aux évêques, dans une
bulle, c'est la clause : mandantes venerahilibus fra*
tribus nos tris Patriarchis , Archiepiscopis j etc. , ce
qui saisit les évêques , et les rend exécuteurs du décret
ou de la bulle. C'est la manière de procéder la plus
canonique et la plus exécutoire j mais elle n'est pas
universelle, c'est-à-dire, dans toutes les bulles.
Le père Dez nie en effet qu'il ait jamais approuvé
le livre de M. de Cambrai : il avoue qu'il étoit neutre ,
et rien de plus , dans cette affaire. Vous avez vu par
mes précédentes ce que m'a écrit M. le cardinal de
Bouillon, et la réponse que j'ai faite. On ne parle
point que M. de Monaco soit en état de partir si tôt.
Ainsi s'il n'arrive pas à la fin du mois , vous ne pou-
vez vous dispenser de partir, étant important de ne
\ous pas arrêter davantage à Rome après l'affaire
conclue.
Tout le monde juge ici , comme le cardinal Casa-
nate , que M. de Cambrai est plus soumis à l'exté-
rieur que persuadé. Mais on veut et on doit accep-
ter sa soumission telle qu'elle est, afin que ce soit
une affaire finie.
Je suppose que vous établirez à Rome, pour ce
qui regardera votre induit et autres choses occur-
rentes, une bonne correspondance. N'oubliez pas
d'assurer de mes respects et de ma vénération le car-
dinal Casanate , et ne revenez pas sans me rapporter
la bénédiction particulière du Pape, après avoir
assuré Sa Sainteté de ma dévotion et des vœux con-
tinuels que je fais pour sa santé.
On n'a rien vu ici du vœu du cardinal de Bouillon.
494 LETTRES
Tout cela n'est qu illusion et amusement, et on le
voit bien.
A Paris, ce ii mai 1699.
LETTRE CCCCLXXIX.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la soumission de M. de Cambrai; le bref qu'on devoit lui adres
ser; la seconde lettre de ce prélat au Pape; et la fidélité avec
laquelle Tabbé Bossuet avoit rapporté les faits.
Vous aurez vu , par mes précédentes, que les gens
d'esprit et de bien ne pensent pas autrement à Rome
qu'en France, de la conduite de M. de Cambrai et
de son mandement. Je crois que la première lettre
au Pape, que vous avez reçue, aura confirmé les
gens désintéressés, et qui ne veulent pas se laisser
éblouir, qu'on ne peut se soumettre avec moins
d'humilité que le fait cet archevêque ; puisque par
ses lettres et son mandement, il fait sentir à tout
le monde qu'il prétend être innocent, et qu'il n'est
revenu sur rien de sa fausse et dangereuse spiritua-
lité. J'ai eu la consolation de faire avouer ici au
Pape et aux cardinaux, qu'ils ne pensent pas que
dans le cœur il soit changé, et qu'il croie s'être
trompé. M. le cardinal Albani m'a déclaré être per-
suadé qu'il étoit le même qu'auparavant sur sa doc-
trine. Tout cela néanmoins n'a pas empêché qu'on
n'ait résolu de lui répondre par un bref. Il est vrai
qu'on en a mesuré toutes les paroles , à ce que
m'ont dit le cardinal Spada et le cardinal Gasanate.
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 49^
Ils m'ont assuré qu'il étoit fort sec, qu'il n'en pour-
roit tirer aucun avantage, et que le décret du saint
Siège n'en souffrir oit aucune atteinte. Je ne sais s'ils
auront suivi ce que j'ai pris la liberté de leur insi-
nuer, qui étoit de ne point parler des lettres écrites
par cet archevêque, mais seulement du mandement
par lequel il se soumet et condamne son livre, et
de bien appuyer sur la condamnation que lui-même
en fait; en un mot, de faire entendre que le Pape
approuve et reçoit sa soumission, parce qu'il con-
damne ses erreurs, et se soumet de cœur et de bouche
à la censure. J'ai aussi pris la liberté de représenter
qu'il seroit peut-être à propos, le Pape ne voulant
rien accorder qui pût déplaire au Roi et aux évê-
ques, de faire passer ce bref par les mains de M. le
nonce, qui pourroit, avant que de l'envoyer à M. de
Cambrai , le faire voir au Roi.
Enfin, j'ai cru ne pouvoir trop insister sur les
conséquences de la démarche qu'on faisoit faire au
Pape, qui pouvoit avoir des suites fâcheuses. Je ne
saurois répondre de ce qu'on fera ou de ce qu'on a
peut-être déjà fait. Ce que je sais, c'est que le bref a
été résolu, à la sollicitation du cardinal de Bouillon ;
mais il n'étoit pas encore expédié avant-hier. Tout
ce que j'ai pu faire a été de représenter ce qu'il
convenoit : au moins ne prétendront-ils pas cause
d'ignorance; et Sa Sainteté ne me pourra pas dire
que je ne l'aie pas avertie de tout elle-même, aussi
bien que les cardinaux.
La seconde lettre de M. de Cambrai, c'est-à-dire,
celle qui accompagne le mandement, fut lue au
saint Office dans la dernière congrégation. Mais pas
49^> LETTRES
un cardinal n'en a eu copie; le seul cardinal Albani,
et peut-être le cardinal de Bouillon , l'ont apparem-
ment : elle n'est pas meilleure que la j remière. Le
grand mystère qu'on en fait, ou plutôt Fimpe'né-
trable secret qu'on garde sur cette lettre, me fait
juger qu'elle est pire que la première. Si elle e'toit
plus modeste, et telle qu'il faut, on en verroit bientôt
voler mille copies, et je vois bien que ce que Gozza-
dini m'a dit là-dessus est vrai. Je crois vous l'avoir
écrit par mon autre lettre. Les cardinaux Nerli,
Casanate et Carpegna, que favois avertis de cette
seconde lettre , m'ont dit l'avoir entendu lire , et
n'en paroissoicnt pas trop contens : ils n'en ont pu
avoir copie , et me l'ont demande'e. Mais où la
prendrois-je ? J'ai dit au cardinal Spada , qu'il me
sembloit qu'on ne pouvoit se dispenser d'en envo}'er
copie à M. le nonce, à qui on avoit envoyé la pre-
mière ; et que pour moi j'avois cru être obligé d'a-
vertir de cette seconde lettre, que j'avois sujet de
croire plus mauvaise que la première , et qu'on
devoit juger telle jusqu'à ce' qu'on la vît.
Les cardinaux que je viens de nommer, m'ont
assuré qu'il n'y avoit rien, dans le bref en réponse,
dont M. de Cambrai put tirer avantage. Néanmoins
je vois bien qu'ils ne voudr oient pas garantir que le
cardinal Albani n'y ajoutât quelque petit mot du
sien. Ce qui le leur fait craindre, c'est que ce bref né
leur a pas été envoyé per manus j, et ils n'en ont en-
tendu qu'une simple lecture. Un mot est bientôt
ajouté ; et qui osera dire après quelque chose ? Je
vous avoue, pour moi, que ^e crains tout du car-
dinal A-lbani et du cardinal de Bouillon , et que je
regarderai
SUR l'affaire du quiétisme. 497
regarderai comme un miracle , si le bref ne dit pas
plus qu'il ne faut.
Je ne sais si Ton aura pris la voie de M. le nonce
pour faire tenir ce bref, mais je ne puis me per-
suader quon ne lui en envoie au moins copie, pour
le faire voir.
M. de Cbanterac part incessamment, s'il n'est
de'jà parti. On m'a dit qu'il étoit chargé du bref;
mais je ne le crois pas, et je ne puis m'empêclier de
croire qu'on le fera passer par les mains du nonce.
J'attends avec impatience le détail de ce qu'on
aura fait en France , et je souhaiterois en savoir des
nouvelles avant mon de'part, pour avoir le plaisir et
la satisfaction d'en faire part au Pape et aux car-
dinaux.
Je vais prendre incessamment congé de MM, les
cardinaux , comptant de partir vers le 8 du mois
prochain. Ayez la bonté d'adresser vos lettres doré-
navant à Florence, à M. Dupré, qui sera informé
de ma route.
Je suis sensiblement obligea M. de Paris de toutes
ses bontés. Je n'ai rien fait par passion. Dieu merci.
Je n'ai jamais eu en vue que la vérité et le service de
l'Eglise ; et si je savois avoir jamais avancé un mot
contraire à la vérité, je n'aurois aucune honte d'a-
vouer que j'ai été trompé. J'aurai toujours le res-
pect que je dois pour M. le cardinal de Bouillon ;
mais je lui parlerai toujours avec sincérité. Il n'a pas
jugé à propos d'avoir aucun éclaircissement avec
moi; et tout se passe avec honnêteté de sa part^
respect et retenue de la mienne.
Leslettres de M. de Cambrai au Pape ne paroissent
BOSSUET, XLII. 32
498 LETTRES
pas faites clans la vue de vouloir s'accommoder avec
les évêqués, à moins que vous ne vouliez tomber
d'accord de son innocence, convenir des outrages
{probra) dont vous Tavez accablé, et que ses expli-
cations sont bonnes, et justifient son livre. Si vous
le faites, il ne faut pas faire difficulté de souffrir
l'égalité.
Je viens d'apprendre, dans le moment, qu'il est
constant que le curé de Seurre, condamné à être
brûlé, a été ici près de deux mois sous le nom de
l'abbé de la Roche, et que M. le cardinal de Bouillon
en a été averti. Il est parti ce matin , et prend la
route de Florence : il repasse en France ; Dieu l'a-
veugle. Je saurai tout ce qui le regarde dans peu.
Je ne puis assez m'étonner du silence de certaines
gens qui Font connu ici, et qui se sont contentées
d'avertir le cardinal de Bouillon. Si je l'avois su , ou
il seroit sorti plus tôt de Rome , ou on Tauroit fait
arrêter.
J'ai oublié de vous marquer une circonstance de
la congrégation du lundi îiy avril, où on lut la
première lettre de M. de Cambrai avant l'arrivée du
mandement. Elle fut extrêmement exaltée par le
cardinal de Bouillon. Le cardinal Casanate ne la
trouva pas si merveilleuse, et dit doucement qu'il
croyoit, avant que de prendre la résolution de ré-
pondre par un bref, qu'il falloit attendre le man-
dement, et voir comment il seroit conçu. Le car-
dinal de Bouillon reprit, avec un ton de hauteur,
que si Calvin avoit fiùt une soumission pareille à
. cette lettre, on auroit dû le recevoir à bras ouverts,
et ne pas attendre tant de formalités , et s'étendit
SUR l'affaire du quiétisme. 499
sur les louanges de M. de Cambrai. On ne voulut
pas le contredire ; on accorda tout ce qu'il demanda,
et il passa à la pluralité, qu'on feroit un bref, même
avant l'arrive'e du mandement.
A Rome, ce 12 mai i6gg.
LETTRE CCCCLXXX.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le jugement qu'on portoit à Rome de la soumission de M. de
Cambrai j le procès-verbal de l'assemblée provinciale de Paris,
qu'il lui envoyoit j et sur ce qu'où pensoit du Télémaque,
J'ai reçu votre lettre du 28 avril. Le Pape a trop
de bonté pour moi , et vous ne sauriez lui marquer
assez ma vive et profonde reconnoissance.
M. le prince Vaïni m'a fait voir ce matin , dans
une lettre de M. l'abbé Pequigni , les sentimens qu'il
vous a fait l'honneur de vous expliquer. Ne partez
pas, je vous prie, sans me procurer l'amitié d'un
si honnête homme , si bien intentionné et si savant.
Je me doutois bien qu'on sentiroit à Rome la sé-
cheresse de M. de Cambrai, comme on la sent ici.
Il est l)eau au Pape d'avoir témoigné qu'il croit que
ce prélat pense mieux qu'il ne s'explique, et nous
voulons le croire aussi pour le bien de la paix ;
mais nous serons secrètement attentifs à ses dé-
marches.
Je vous envoie à toutes fins le procès-verbal de
notre assemblée, avant qu'on l'imprime. Tenez-le
fort caché : ne le montrez à qui que ce soit , qu'à
5oO LETTRES
M. Phelippeaux, et qu'il n'en sorte de vos maing
aucune copie. J'espère qu'il fera honneur à notre
métropolitain et à la province. Entre nous, on y a
adouci bien des choses. Vous trouverez dans ce que
je vous envoie beaucoup de fautes de copistes. Je
vous avertis aussi qu'on a changé dans l'original
plusieurs expressions, qu'on n'a pas eu le loisir
d'insérer dans cette copie : suppléez à tout.
Quant à votre départ, s'il ne faut attendre que
huit ou quinze jours pour voir à Rome M. l'ambas-
sadeur, j'y consens; sinon je remets à votre pru-
dence d'engager l'afFaire de votre induit, et d'en
venir attendre ici l'événement, par le secours de
M. de Monaco. J'ai lu ce matin toute votre lettre à
M. de Paris, à Conflans, d'où je viens.
J'avois tant de choses à vous écrire la dernière
fois, que l'affaire des Bénédictins (*) m'échappa. Elle
feit pourtant grand bruit parmi les savans. M. de
Chartres a paru prévenu contre eux. J'ai tâché de
l'appaiser un peu.
Votre conversation avec le Pape sur madame de
Maintenon, est considérable : il en sera fait men-
tion. Je vais samedi à Versailles : on est à Marly
jusqu'à ce temps là. On ne peut trop marquer l'o-
bligation qu'on a ici à M. le nonce.
LeTélémaque de M. de Cambrai est, sous le nom
du fils d'Ulysse , un roman instructif pour monsei-
gneur le duc de Bourgogne. Cet ouvrage partage
les esprits : la cabale Tadmire ; le reste du monde
le trouve peu sérieux et peu digne d'un prêtre.
(*) La dispute, comme on l'a déjà vu, rouloit sur la nouvelle édi-
tion de saint Augustin.
J
SUR l'affaire du quiétisme. 5oi
N'oubliez pas, à Florence, de faire souvenir le
grand duc, qu'il m'a fait Tiionneur de me promettre
son portrait et ceux de sa se'rénissime famille , pour
orner mon cabinet de Gcrmigny avec ceux de mes
maîtres.
A Paris, ce 18 mai 1699.
LETTRE CCCGLXXXI.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur la manière de procéder des évêques dans la réception du bref;
le compte que cet abbé en avoit rendu au cardinal Spada et au
Pape j et ce qui s'étoit passé à l'occasion du bref adressé à M. de
Cambrai.
Je vois avec plaisir, par la lettre de Sa Majesté
à MM. les archevêques , le tour qu'on a pris sur la
réception de la constitution. Je vous avoue que rien
ne pouvoit être plus selon mon goût et selon mes
idées. Je me suis toujours bien attendu, qu'en té-
moignant pour le saint Siège le respect qui lui est
dû , on ne laisseroit pas avilir l'autorité épiscopale ;
et assurément on ne pouvoit rien faire de plus canO"«-
nique ni de plus authentique. La manière dont le
B-oi parle de la soumission de M. de Cambrai , est
telle que je souhaitois que le Pape en parlât dans
son bref à cet archevêque , pour l'engager peut-
être plus qu'il ne veut, mais autant qu'il est né-
cessaire.
Aussitôt que j'ai eu reçu ces nouvelles , j'ai cra
qu il étoit à propos de voir d'abord M. le cardinal
Spada et puis Sa Sainteté^ pour connoître comment
502 LETTRES
la conduite de la France seroit ici prise, et avoir
lieu de faire valoir le zèle dii Roi et le respect qu'il
témoignoit en cette occasion pour le saint Siéj^e et
la personne du Pape, ayant trouvé le moyen de
suppléer à tous les défauts de formalité qui man-
quoient à la constitution.
M. le cardinal Spada étoit déjà informé par le
nonce, qui ne lui avoit pourtant pas envoyé copie
de la lettre du Roi , et qui souhaita que je lui en fisse
la lecture. J'arrêtai sur les endroits où il falloit, et
qui marquent l'obéissance qu'on veut rendre au saint
Siège. Ce ministre m'en parut content, et me dit
qu'il falloit regarder cette affaire comme une affaire
fmie ; ce dont je l'assurai. Il eut la bonté de me
dire ce que Sa Sainteté lui avoit ordonné d'écrire
à M. le nonce sur mon sujet , pour qu'il le témoi-
gnât au Roi , et j'en suis confus. Il a exécuté cet
ordre dès l'ordinaire dernier, à ce qu'il m'a déclaré.
Après avoir vu M. le cardinal Spada, je vis le
Pape, qui me combla de bontés, et qui me dit que
je ne devois pas le remercier d'une chose à laquelle
il étoit obligé : après quoi nous passâmes à ce que
le Roi venoit de faire , que je tâchai de lui expliquer
de manière qu'il m'en parut content , aussi bien que
xle la conduite des évêques. Il seroit trop long de
vous rapporter ce qui fut dit là-dessus. Il me dit que
le Roi auroit souhaité qu'on lui eût envoyé la cons-
■titution2« cartapecoruy c'est-à-dire, en parchemin,
voulant marquer par-là qu'il n'y avoit d'autre diffé-
rence entre le bref et une bulle. C'est une plaisan-
terie du cardinal Albani, qui a cherché à tourner
en ridicule la distinction qu'on faisoit d'un bref
SUR l'affaire du QUIÉTISME. 5o3
d'avec une bulle. Je fus obligé d'expliquer douce-
ment à Sa Sainteté' de quelle importance étoient
certaines formalités, quand il s'agissoit de ne pas
innover dans un royaume. Il me parut que le Pape
entroit dans les raisons que je lui exposois, et je
suis persuadé qu'il ne me parlera plus de cariape-
cora, La conversation roula un moment sur M. de
Cambrai. Je vis bien, par la manière dont le saint
Père s'expliqua sur son sujet, qu'il n'est pas bien
persuadé que ce prélat croie encore avoir tort.
Néanmoins, comme il veut finir, il fait semblant
de penser favorablement de ses dispositions. Le bref
qui devoit lui être adressé est expédié, et en voici
toute l'histoire en peu de mots.
Dès qu'il eut été résolu dans la première congré-
gation qu'on écriroit un bref à M. de Cambrai ,
M. Gozzadini, secrétaire des brefs, fit la minute de
celui-ci. Dans ces entrefaites arriva le mandement
de M. de Cambrai, avec une seconde lettre de ce
prélat. Ces deux nouvelles pièces, jointes aux ré-
flexions que je fis faire au Pape et aux cardinaux sur
la première lettre de M. de Cambrai , furent cause
qu'on changea un peu de plan : M. le cardinal Albani
se fit tout remettre entre les mains , et composa un
bref à sa mode. On le lut dans la congrégation du
jeudi 7 mai , et on vouloit que les cardinaux dissent
sur-le-champ leurs avis; mais le cardinal Casanate
insista pour qu'on envoyât copie du bref à chaque
cardinal, afin de l'examiner avec plus de soin, et
de donner leur avis avec plus de maturité, l'affaire
étant très-délicate et très-importante, et dans des
circonstances qui demandoient de la réflexion. En
5o4 LETTRES
conséquence, il fut re'solu qu'on enveiroit le bref
per manus : cela fut exécuté , et on en retrancha
plus de la moitié. Le cardinal Casanate vouloit
qu'on prît une tournure différente, et il proposa
même un autre projet du bref : mais parce qu'il ne
parut pas assez favorable à M. de Cambrai , ses par-
tisans s'échaulTèrent beaucoup, pour empêcher qu'il
ne fût adopté. L'amour-propre rendit le cardinal
A.lbani encore plus ardent à soutenir son ouvrage ;
car il crut que c'étoit lui faire affront , que de ne
pas se servir du corps de sa lettre. Ainsi on s'en
tint à son bref, avec les différentes corrections qui
y avoient été faites. Le cardinal Casanate m'a avoué,
que dans cet état même il ne lui plaisoit pas entière-
ment. Néanmoins il m'a assuré qu'on en avoit re-
tranché tout ce qui pouvoit donner lieu à de nou-
velles disputes, observant que si on parloit de la
piété de M. de Cambrai , cela ne touchoit point au
fond , vu que ce point étoit étranger à l'affaire.
Le projet du bref du cardinal Casanate étoit
précis , et ne contenoit rien dont on pût abuser.
On auroit dit à M. de Cambrai qu'on n'attendoit
pas moins de lui que la soumission qu'il témoignoit
dans son mandement, après avoir tant de fois pro-
testé dans ses défenses, qu'il se rendroit au jugement
du saint Siège ; qu'on étoit bien aise de voir l'exécu-
tion de ses promesses , qu'on espéroit et même qu'on
ne doutoit pas qu'il n'eût dans le cœur ce qu'il fai-
soit paroître dans ses expressions; enfin, qu'on.
Texhortoit à demeurer ferme dans ses résolutions ,
et de continuer à détester une doctrine et des prin-
cipes, dont il voyoit résulter dans tout le monde
4
SUR l'affaire du quiétisme. 5o5
chrétien de si pernicieuses conse'quences. Voilà à
peu près l'idée du bref que le cardinal Casanate
avoit proposé, et qu'il n'a pas été possible de faire
approuver, à cause des amis de M. de Cambrai.
Enfin, il avoit été comme arrêté par le Pape,
qu'on enverroit le bref à M. le nonce, pour le com-
muniquer au Roi et aux évêques, avant que de
l'adresser à M. de Cambrai. Mais les amis de cet ar-
chevêque , ont tant tourmenté le cardinal Spada et
le Pape, qu'on a donné le bref à M. de Chanterac,
et on s'est contenté d'en faire passer une copie à M. le
nonce. Le cardinal Albani a assuré le père Roslet du
contraire, et l'en a persuadé. Mais ce que je vous
dis est vrai : je l'ai voulu savoir du Pape même, qui
me l'a confirmé ; et M. le nonce a ordre de vous mon-
trer cette copie , ainsi qu'à M. de Paris.
Il n'y a pas eu moyen, quoi que j'aie pu faire,
d'avoir copie ni de la seconde lettre de M. de Cam-
brai , ni du bref qu'on lui écrit : cela me confirme
dans la pensée, que cette seconde lettre n'est pas
meilleure que la première. Je crois être bien informé,
que dans cette lettre, M. de Cambrai rejette le mal-
heur qu'il a eu sur la sublimité de la matière qu'il
avoit entrepris d'expliquer , et sur la foiblesse de son
génie, qui n'a pu atteindre par des expressions con-
venables à une si haute doctrine ; ce qui a fait qu'il
a pu se tromper. Vous voyez l'artifice de cette
pensée , et combien il est revenu de sa spiritualité.
Mais je sens bien qu'on ne produira jamais cette
seconde lettre , quoique ici on fasse courir le bruit
qu'elle est plus humble que la première. Si elle étoit
telle qu'il faut, on ne manqueroit pas de Ja faire
5o6 LETTRES
valoir. La plupart des cardinaux trouvent assez
mauvais qu'on ne leur ait pas envoyé copie du bref,
après les corrections faites ; et l'on a peur que le
cardinal Albani n'y ait ajouté du sien dans l'expé-
dition.
Le Pape et le cardinal Spada m'ont paru contens
des résolutions prises en France : mais je suis le plus
trompé du monde, si cette Cour, dans le fond, n'est
pas un peu fâchée de l'autorité qu'on donne aux
évêques; cependant on ne fait pas semblant de le
sentir. Le cardinal Casanate, à qui j'ai donné copie
de la lettre du Roi, m'a paru très-content. Je l'ai
prié d'en dire son sentiment au Pape et au cardinal
Spada : il m'a promis de le faire. M. de Chanterac
partit jeudi dernier avec son bref.
On ne sait encore rien de certain sur l'arrivée de
M. deMonaco. Son écuyeretson secrétaire sont cepen-
dant déjà rendus. D'après les nouvelles que m'appor-
tera M. des Roches, je prendrai ma résolution, pour
demander moi-même la grâce de mon induit. Je
prépare tout à cet effet, et je le tenterai peu de jours
avant mon départ. Pour mieux réussir, je compte
toujours partir vers le 8 de juin, sans délai.
Ce que je vous mandai, par ma dernière lettre,
du curé de Seurre , est très-avéré. Il étoit ici depuis
la mi-carême ; il ne s'est point déguisé. Il eut la
hardiesse , le jour des Rameaux , d'assister a la cha-
pelle, et de prendre des rameaux de la main du car-
dinal Paolucci , officiant. Il a signé des quittances
de son nom propre. Il vouloit demeurer chez le père
Estiennot ; Dieu l'aveugloit manifestement. Il a pris
ici plusieurs lettres de recommandation pour Avi-
SUR l'affaire du quiétisme. 5o7
gnon. On croyoit qu'il étoit venu à Rome pour se
faire absoudre au saint Office ; mais il ne s'y est pas
présenté. Il a été reconnu, quinze jours avant son
départ, par un gentilhomme Franc-Comtois, nommé
le marquis de Broscia , qui s'est contenté de le faire
suivre. M. le cardinal de Bouillon fut averti de son
départ le jour même, et on m'a assuré qu'il le faisoit
poursuivre. Il lui sera très-aisé de le faire arrêter. Je
ne prétends rien assurer ; mais il est très-vraisem-
blable que M. le cardinal a tout su , le marquis de
Broscia étant tous les jours chez cette Eminence.
A Rome, ce 19 mai 1699.
LETTRE CCCCLXXXII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la lettre de M. de Cambrai au Pape 5 et la manière de procéder
des évêques pour l'acceptation du bref.
J'ai reçu votre lettre du 5 ; je la lus hier à M. de
Paris, qui en a rendu compte à la Cour. On est étonné
de trois mots de la lettre de M. de Cambrai au Pape :
Innocentiam , probra, explicationes. M. de Cambrai
pourroit dire ailleurs tout ce qu'il voudroit, sans
que nous songeassions un moment à nous en plain-
dre, désirant, autant qu'il nous est possible, de ne
donner à ce prélat aucune occasion d'exciter de nou-
veaux troubles. Mais aujourd'hui qu'il nous attaque
devant le saint Siège, si l'on ne nous fait pas justice,
nous ne pouvons nous taire sans nous confesser cou-
pables.
^oS LETTRES
Innocentiam. Nous n'accusons point ses mœurs ;
à Dieu ne plaise. Il n'en a pas même été question ,
mais de sa seule doctrine. Or, si sa doctrine est in-
nocente, que devient le bref? C'est le saint Siège et
son décret qu'on attaque, et non pas nous.
Prohra. Quels outrages avons-nous faits à M. de
Cambrai? Tout ce que nous avons dit contre sa doc-
trine et contre son livre, est de mot à mot ce qui est
porté dans la constitution. Si nous avons dit que le
livre étoit plein d'erreurs , portant à de pernicieuses
pratiques, capables d'induire à des doctrines déjà
condamnées, telles que celles des Begards, de Moli-
nos , des Quiétistes et de madame Guyon j la bulle
dit-elle autre chose?
Quand il nous a forcés , par ses reproches les plus
violens et les plus amers , à découvrir la source du
mal, on a démontré son attachement insensé pour
une femme trompeuse et fanatique ; mais seulement
par rapport à l'approbation qu'il donnoit à sa spi-
ritualité, à sa doctrine et à ses livres, qui ne respi-
roient que le Quiétisme. Peut-on excuser les efforts
qu'il a faits pour la justifier? Veut-on laisser établir
qu'un livre plein d'erreurs, selon toute la suite de son
texte, ait été fait avec une bonne intention ? C'est
une excuse inouie , inventée exprès pour mettre à
couvert madame Guyon, et pour se mettre à couvert
lui-même par le même principe.
Explicationes. Si elles sont justes, si elles con-
viennent au livre, le saint Père a mal condamné le
livre in sensu obi^io , ex connexione sententiarum, etc.
Il ne faut que brûler le bref, si ces explications sont
reçues.
I
SUR L*AFFAIRE DU QUIÉTISME. 5o9
Indépendamment de cela, on est prêt à faire voir
dans les explications du pre'lat , autant et d'aussi
grandes erreurs que dans son livre même.
Cependant si Ton lui passe toutes ces excuses,
mises par lui-même sous les yeux du Pape, et si on
le loue, c'est les approuver. Tout Tunivers publiera
qu'on laisse la liberté à M. de Cambrai de se plain-
dre des injustices et des opprobres qu'on lui a faits,
comme si nos accusations étoient des calomnies, et
toutes ses excuses justes et légitimes, puisque le Pape
les ayant vues, non -seulement n'en aura rien dit,
mais encore aura comblé l'auteur de louanges.
Ce seroit là véritablement no\^issimus error pejor
priore. On espère que le même esprit qui a présidé
aux congrégations précédentes , empêchera qu'on
n'afroiI)lisse ce qui y a été fait.
Ajoutons encore œrumnas. Est-ce vin si grand
malheur d'être repris de ses erreurs? M. de Cambrai
ne se plaint que de la correction , en évitant d'avouer
sa faute. Si l'on passe cela à Rome , et si celui qui
avance de telles choses n'en remporte que des louan-
ges, il se trouvera non -seulement mieux traité que
les défenseurs de la vérité, mais encore honoré par
le saint Siège , pendant que les autres demeureront
chargés du reproche d être des calomniateurs.
Dieu détournera ce malheur. On ne dira rien ici :
on attendra, dans la ferme espérance, que Rome,
assistée d'en haut, ne se démentira pas , et n'affoi-
blira pas son propre ouvrage.
Quant à la manière dont nous avons procédé pour
l'acceptation du bref, on trouve dans saint Antonin ,
parlant des décrets apostoliques, qu'ils ont été, ac-
5lO LETTRES
ceptala , examinata et approhata ; ce qui est plus
que nous n'avons voulu dire (*).
On trouve dans le même auteur, qui n'est pas
suspect à Rome , sur le motu proprio, que c'étoit le
terme dont on se servoit , lorsque le Pape parloit
comme docteur particulier. Cette formule est très-
nouvelle : jamais elle n'a été usitée en cas pareil ; et
néanmoins nous recevons par respect un décret où
cette clause se trouve.
Tenez pour certain que le bref d'Alexandre VII,
sur la traduction du Missel, n'a jamais été appuyé
de ce qui s'appelle lettres-patentes , ni porté au Par-
lement.
Au surplus , il suffit de voir l'intitulation au nom
du Pape , et sa décision faite avec la pleine autorité
de son conseil, confirmée par le jugement des Eglises
particulières, pourreconnoître, que de droit, on y
doit toute obéissance. Voilà les maximes dont la
France ne se départira jamais.
J'espère demain entretenir ici M. le nonce.
Madame des Ursins mande des merveilles de
vous.
S'il ne tient qu'à attendre un peu pourvoir M. l'am-
bassadeur, je suis d'avis que vous l'attendiez. Je suis
bien aise, à cela près, que vous vous disposiez à
partir le 8 de juin. J'embrasse M. Piielippeaux. Il
me tarde bien de vous voir tous les deux.
Je viens d'écrire à madame la princesse, pour lui
demander des lettres pour la Cour de Modène (*^j ; et
(*) Rome ne fut pas contente des clauses mises dans les procès-
verbaux , pour maintenir le droit des évêques.
C**) L'abbé Bossuet désiroit que son oncle lui procurât des lettres
SUR l'affaire du quiétisme. 5ii
j'espère que madame de Hanovre, d'elle-même, vou-
dra bien se souvenir un peu de moi, et des bontés
dont m'iionoroit madame la princesse Palatine sa
mère.
A Versailles, ce aS mai iCgg.
LETTRE CCCCLXXXIIL
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les procédés violens du cardinal de Bouillon à Tégard de M. de
Madot; le tumulte occasionné par les gens de ce cardinal, à l'en-
trée de l'ambassadeur de Florence à Borne j et l'approLatiou que
donnoient les cardinaux à la conduite des évêques de France.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire, du 4 niai , par le courrier ordinaire, et
le lendemain vos paquets du 29 avril, par M. de
Madot, qui est enfin arrivé, après avoir été obligé
de rester plus de huit jours en chemin, malade : il
est arrivé en bonne santé. Vous croyez bien que j'ai
été ravi de le revoir, et d'apprendre de vive voix la
confirmation et les détails de ce que je savois déjà ,
et la véritable disposition de la Cour à l'égard de
M. de Cambrai, de M. le cardinal de Bouillon, et de
tout le reste. Je suis très-aise que vous soyez content
de ce gentilhomme : pour lui il est plus que satisfait
de vous et de son voyage , qui a déplu , aussi bien
que son retour, si fortement à M. le cardinal de
Bouillon , que je ne doute pas que vous ne soyez
surpris de la vivacité, pour ne pas dire violence,
de recommandation pour les différentes Cours d'Italie, par les-
quelles il devoit passer en revenant en France.
5l2 LETTRES
qu'il a témoignée à ce sujet. Je vais vous en faire
tout le détail , auquel vous croyez bien que j'ai eu
quelque part.
M. de Madot arriva donc ici vendredi, vers le
midi : il descendit chez moi, où je le trouvai, au
retour de quelques visites que j'avois été obligé de
faire. Auprès dîné je le conduisis très- incognito à la
Trinité du Mont, chez le père Roslet, évitant toutes
les rues de passage, et surtout le palais de M. le car-
dinal de Bouillon. Ce n'étoit pas par crainte, comme
vous le jugez bien , de quelque insulte ; mais par
ménagement, et par égard pour la colère et l'indi"
gnation qu'il avoit plu à M. le cardinal de Bouillon
de témoigner très-légèrement contre ce gentilhomme,
et ne voulant pas que cette Eminence crût qu'on cher-
choit à le narguer. De la Trinité du Mont, je le con-
duisis vers la nuit chez madame la princesse des
Ursins, où je le laissai. J'eus encore cet égard , et si
vous voulez, ce respect pour M. le cardinal de Bouil-
lon , de ne le pas loger chez moi. Il est vrai néanmoins
que désirant pourvoir à sa sûreté, je l'avois logé vis-
à-vis de chez moi, où il étoit tout comme avec moi.
M. le cardinal de Bouillon sut, vers les deux heures
de nuit, c'est-à-dire, vers les dix heures de France,
que M. de Madot étoit arrivé. Sa tête s'échauffa si
fort à cette nouvelle, qu'il n'eut pas un moment de
repos, jusqu'à ce qu'on eût cherché partout Rome
M. Poussin, son secrétaire, à qui il ordonna, en
présence de M. le duc de Barwick et de plusieurs
autres, de me venir dire, de sa part, ce que vous
verrez écrit dans le billet que je vous envoie. M. Pous-
sin ayant ordre de me trouver, et de ne pas me laisser
coucher
SUR l'affaire du quiétisme. 5i3
coucher sans me faire savoir les intentions et les
conseils de son Eminence, visita inutilement plu-
sieurs maisons , où il ne me trouva pas. Enfin il
parla chez moi à M. Phelippeaux, et lui dicta le billet
ci-inclus (*), écrit de la main de M. Phelippeaux,
excepté les mots soulignés, qui sont de la main du
sieur Poussin.
Je reçus donc, avant que de me coucher, ce billet
qui, je vous assure, ne m'empêcha pas de dormir,
d'autant plus que le criminel de lèse-altesse n étant
pas logé chez moi, M. le cardinal navoit pas, ce
me semble, le moindre petit prétexte de se fâcher
contre moi. J allai dès le lendemain, samedi, de très-
bonne heure, chez M, le cardinal de Bouillon, pour
m'expliquer avec lui sur ce sujet, et pour lui rendre
compte de ma conduite, qui ne pouvoit être, ce me
semble, plus modérée, ni plus pleine d'égards et de
considération pour lui. M. le cardinal voulut d'abord
me parler légèrement et un pied en l'air ; mais sur
ce que je pris la liberté de lui demander une demi-
heure de conversation sérieuse, il eut la bonté de me
l'accorder ; et je pris cette occasion , que je désirois
il y a long -temps, pour entrer avec lui dans des
(*) « Monsieur Poussin est passé ici, pour vous dire, Monsieur,
î> de la part de M. le cardinal de Bouillon , que comme il se pour-
» roit faire que des gens attachés à lui se portassent sans son ordre
» à quelque extrémité à Tégard de M. de Madot, qu''on lui a dit
» loger chez vous, il vous conseiUoit de l'en faire sortir en vingt-
î> quatre heures : ce que je vous écris, afin que vous sachiez, avant
» de vous coucher, ce que M. Poussin m'a dit par ordre de M. le
» cardinal. Je l'ai assuré qu'il ne logeoit pas chez vous i).
Phelippeaux.
Ce 22 mai au soir.
BOSSUET. XLIl. 33
5l4 LETTRES
explications convenables sur toute ma conduite à.
son égard, par rapport à l'affaire de M. de Cambrai»
Je l'assurai, en termes pleins de respect et d'égards,
que je n'avois rien fait, rien dit, ni rien écrit, que
je ne fusse prêt de soutenir, et de lui déclarer à lui-
même , s'il le vouloit bien ; qu'ayant toujours agi
dans cette affaire, la tête levée et en vue du service
du Roi, des évêques et de la vérité, j'aurois été le
plus coupable et le dernier des hommes, si je n'avois
pas averti, en France et ici, des pièges qu'on vou-
loit tendre pour embrouiller la décision de cette
affaire ; et si j'avois manqué d'être attentif à toutes
les démarches qu'on faisoit pour empêcher le juge-
ment , dans une cause où il y alloit de tout pour la
religion ; où Fhonneur et la réputation des évêques,
du Roi même, étoient intéressés; qui, enfin, a rem-
porté la victoire , qui suit tôt ou tard la vérité. Je
lui dis que j'étois prêt a le satisfaire sur tous les
points, s'il jugcoit à propos d'entrer avec moi dans
les détails nécessaires. Je vous proteste que je m'en
serois bien tiré, et lui fort mal : aussi ne crut-il pas
devoir accepter mes offres, et se borna-t-il à me ré-
pondre qu'il avoit fait son devoir sur tout; et que
s'il étoit à recommencer, il agiroit de même, ne se
repentant point de ce qu'il avoit fait; qu'il voyoit
bien qu'il se trouvoit dans des circonstances fâcheuses,
et qu'on étoit prévenu faussement contre lui, mais
qu'il étoit au-dessus de tout, etc.
Je vins ensuite à ce qui regarde M. de Madot, et
je lui représentai tout ce que vous pouvez savoir, lui
protestant, de la part de M. de Madot, que tout ce
dont on l'accusoit à l'égard de son courrier, étoit
SUR L*AFFAIRE DU QUIÉTISME. 5l5
un tissu de faussetés. M. le cardinal de Bouiîîon me
parut très-irrite' contre M. de Mado% ne voulant en
aucune manière écouter ses justifications, et lui fai-
sant l'honneur de se déclarer son ennemi. Sur ce qui
me touchoit, il n'eut pas un mot à répondre à mes
raisons, et ne put improuver la conduite que j'avois
tenue à son égard; et j'ose dire qu'il fut content de
la manière dont je m'expliquai avec lui là -dessus.
Il fut si satisfait, qu'il le témoigna dès le soir même
à M. le duc de Barwick, disant qu'on ne pouvoit
mieux lui parler que je l'avois fait. Je ne laissai pour-
tant pas de l'assurer que je ne pouvois ni ne devois
abandonner M. de Madot, qui s'étoit bien voulu sa-
crifier pour me rendre service, et auquel vous et
M. de Paris vous intéressiez; ce qu'il m'a paru ne
pas trouver mauvais. Il est vrai que je lui exposai
mes raisons avec toutes les mesures imaginables. Il
navoit pas encore reçu votre lettre, qui a passé par
les mains de M. de Torcy, et dont vous m'avez en-
voyé la copie. Je lui en ai dit la substance, lui dé-
clarant que vous me la rapportiez dans votre lettre.
Sur M. de Madot, il m'ajouta qu'il avoit su qu'on
vouloit engager M. le grand duc à le prendre à son
service ; mais qu'il venoit de faire déclarer à l'agent
de ce prince, qu'il ne doutoit pas qu'il ne le chassât
3e ses Etats à sa considération, et qu'il le poursui-
vroit partout où il se retireroit. Cela me parut un
peu vio-ent, et tout le monde en juge de même.
Que veut-il donc que devienne ce pauvre malheu-
reux gentilhomme, qui ne peut demeurer en France,
qu'il ne sauroit souffrir à Rome, et qu'il prétend
empêcher d'entrer au service d'un prince, ami de
5l6 LETTIVES
la France? Où se réfugiei a-t-il , lui qu'il sait n'avoir
jamais voulu s'engager au service d'aucune puis-
sance qui pût être ennemie du Roi? Mais j'espère
que les bons offices de cette Eminence ne nuiront
pas à M. de Madot, auprès d'un prince aussi pieux
et aussi généreux que M. le grand duc. Sûrement
il préférera de remplir les engagemens qu'il a pris
avec M. de Paris, avec vous, avec M. d'Estrées et
M. de Janson, plutôt que de satisfaire la haine de
M. le cardinal de Bouillon , qui est poussée aussi
loin qu'elle le peut être.
M. le cardinal de Bouillon a encore trouvé très-
mauvais, qu'à l'entrée de l'ambassadeur du grand
duc, qui se fit avant-hier, dimanche, M. de Madot
ait été dans un carrosse de cet ambassadeur ; et il
a fait de cette action une affaire d'Etat. Enfin, inca-
pable de garder aucune mesure, son ressentiment
a éclaté avec une force qui passe tout ce qu'on peut
dire. Malgré tant de mauvais procédés, M. de Madot
s'est toujours conduit avec sagesse et circonspec-
tion. Il est resté à Rome publiquement (*) , pour
(*) M. de Madot, si vivement exposé à la colère du cardinal dô
Bouillon, ne resta que deux ou trois jours à Rome pour y ter-
miner ses aflaires. Il se rendit de là à Florence auprès du grand
duc, qui, à la recommandation de MM. Bossuet, de Janson et
de Noailles, lui avoit donné de l'emploi dans ses troupes. Le car-
dinal de Bouillon écrivit au grand duc pour l'engager à lui relirer
sa faveur, et à le congédier de ses Etats. Mais ce prince, ne croyant
pas devoir sacrifier ce gentilhomme , répondit au cardinal qu'il
avoit retenu M. de Madot à son service, sur le bon témoignage
que M. de Meaux et M- de Paris, en qui il avoit une entière con-
fiance, lui en avoient rendu , et qu'il ne voyoit aucune raison x>our
ne pas tenir la parole qu'il leur avoit donnée. Cest ce que ce prince
fil connoître à Févêque de Meaux , par sa lettre du 22 mai 1699.
SUR L*^AFFATE.E DU QUIÉTISME. ^TJ
mettre ordre à ses affaires, jusqu'à ce soir, qu'il
vient de partir pour Florence ; et M. le cardinal de
Bouillon a e'vaporé en Tair son injuste colère.
Dans la conversation que j'eus avec cette Emi-
nence, elle médit, qu'en tout autre temps> on au-
roit puni exemplairement en France M. de Madot ;
mais qu'il voyoit bien qu'il seroit au contraire peut-
être récompensé. Il ne dissimule guère le mécon-
tentement qu'il a du R.oi. M. de Madot vous Vendra
compte de tout , aussi bien qu'à- M. de Paris.
Vous apprendrez, par les nouvelles publiques,
l'éclatante affaire qu'a eue à l'entrée de l'ambassa-
deur de Florence , M. le cardinal de Bouillon avec
l'ambassadeur de l'Empereur. Le carrosse que cet
ambassadeur avoit envoyé à cette entrée, a, été
obligé de céder à celui de M. le cardinal, et les
gens de l'ambassadeur firent sagement; car il y avoit
le long de la route des hommes armés pour soutenir
k carrosse de M. le cardinal, et qui auroient fait
mal passer le temps aux gens de l'ambassadeur. Ce
qui fut un peu fâcheux^ et qui doit avoir déplu à
M. le cardinal , c'est que quelques Français, s'avi-
sèrent de courir avant les carrosses, l'épée nue,
jusque dans Rome même. Le fait a paru, un peu
violent, et le procédé trop public. On s'attendoit
aujourd'hui à une bataille réelle , à l'occasion du
cortège qui devoit accompagner l'ambassadeur de
Florence à Monte Gavallo.
L'ambassadeur de l'Empereur armoit publique-
ment : on ne s'endormoit pas chez M. le cardinal,
q.ui avoit près de mille hommes sous les armes. Mais
5l8 LETTRES
une lieure avant le départ, l'ambassadeur de Flo-
rence a jugea propos de prétexter une indisposition,
et a contre-mandé tous ses équipages. Il doit aller
demain, sans cortège, à l'audience de Sa Sainteté :
cela s'est fait de concert avec le Pape; et on est
persuadé que l'ambassadeur de l'Empereur n'est pas
fâché d'être sorti dé cet embarras. M. le cardinal
de Bouiilon en doit être bien aise aussi. L'ambassa-
deur de l'Empereur , qui est haï ici extrêmement,
couroit grand risqué. Vous croyez bien que ces
deux ministres sont extrêmement animés l'un contre
l'autre, et j'en sais bien la raison : depuis trois
mois leurs dispositions son t. changées ; mais cela se-
roit trop long à expliquerwîmH'î
Cette affaire est prise ici très^diversement, La ma-
nière avec laquelle les choses ont été conduites, a
eu ses contradicteurs et ses critiques, en très-grand
nombre. La seule haine qu'on porte à l'ambassa-
deiir de l'Empereur, pourra calmer les esprits sur
le procédé du cardinal de Bouillon.
Je compte toujours partir vers le 8 du mois pro-
chain , c'estràrdire , dans quinze jours, et je vais
agir pour mon induit, sans plus attendre M. de
Monaco.
On sait ici l'affaire des Bénédictins- avec les Jé-
suites; mais elle. ne fait aucun bruit, et ôft sera
très-favorable aux premiers. «/î>b im
Je n'entamerai point l'affaire de Sfondrate. Je
sais, il y a long-temps, ce qui retient M. l'arche-
vêque de Paris sur cela. Il croit, par sfeâ ménage-
mens, devenir cardinal. Le cardinal Albani se sert
SUR l'affaire DU QUIÉTISME. 5l9
de ce moyen pour amortir son zèle , et croit par-
là pouvoir tout faire impune'ment pour le cardinal
de Bouillon et pour M. de Cambrai.
Je verrai Sa Sainteté incessamment. Je dis ce qu'il
convient sur la nécessité de défendre les écrits de
M. de Cambrai, explicatifs de son livre. Il faut
toujours agir en France, à cet égard, de la manière
la plus avantageuse , et parler sur la doctrine plus
fortement que jamais : tout sera approuvé ici.
Au reste , le curé de Seurre est arrêté. Le saint
Office ne s'est pas fié aux diligences que pouvoit
faire le cardinal de Bouillon. Il a dépêché sur son
chemin , et ce malheureux a été arrêté à Florence :
il doit être conduit ici incessamment; on le dit
même déjà arrivé. On prétend qu'il y a aussi des
femmes arrêtées, qui lui tenoient bonne compagnie
à Rome, et qu'il avoit emmenées de France. Je ne
sais que dire du cardinal de Bouillon sur tout cela.
Il est assez probable qu'il aime mieux que ces mal-
heureux soient arrêtés ici, que s'ils Tavoient été en
France : car le secret des informations du saint
Office étant impénétrable , on ne saura rien de toutes
les erreurs oii le fanatisme de leurs maximes les a
précipités.
Fabroni et sa cabale ont fait le P. Gabrieli, l'un
des examinateurs les plus zélés pour M. de Cambrai,
général de son ordre (*).
On traverse tant qu'on peut notre procureur-
général des Augustins.
Le cardinal Casanate et les autres cardinaux que
j'ai vus, trouvent très-bon ce qu'on fait en France
(*) n fat fait cardinal bientôt après. *^^ ^' <
^20 LETTÏtIS
pour racceptation de leur de'ciet : ïh sont fort con-
tens qu'on ait donné le nom de constitution à leur
bref.
Je me porte bien, Dieu merci, et ne respire
qu'après le moment où je partirai d'ici, et surtout
après celui où je vous reverrai..
A Rome, ce 26 mai 1699,
LETTRE CCCCLXXXIV.
BE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le bref qu'on devoit adresser à Fénélon ,• les procés-verbaux.
des assemblées de Rheims et de Cambrai j et sur la conduite
qae les évéques youloieiit tenir à Fégard die M. de Cambrai.
Nous attendons, avec impatience, le bref qu'on;
doit écrire à M. de Cambrai ; et nous osons espérer
que ceux qui seront chargés de le dresser ,^ auront
égard à l'utilité de l'Eglise et à la dignité du saint
Siège, plus qu'à quelque petite complaisance qui
ne feroit qu'enorgueillir un esprit superbe , efe
donner des forces à un parti tombé.
On est ici fort content du procès-verbal de las-i
semblée de Rheims, que je vous envoie. Mais j'aime-
rois encore mieux vous pouvoir envoyer celui de
Cambrai, où M. de Saint-Omer ayant proposé,,
comme Paris et .Rheims, la suppression de tous les
livres faits en défense de celui des Maximes , M. de
Cambrai s'y est opposé de toute sa force par de
méchantes raisons, et s'est vu contraint de pro-
noncer, à la pluralité des voix, en énonçant que
SUR l'affaire du quiétisme. Sa*
c'étoit contre son avis, que le Roi seroit supplié de
supprimer tous ses livres. On voit par le peu de
crédit qu'il a eu dans sa province, combien peu il
trouvera de camplaisan<:e dans les autres. Assuré-
ment il n'a et n'aura pas pour lui un seul évéque.
M. d'Arras a voulu, en quelque sorte, éluder l'ac-
ceptation , par des ménagemens opposés aux senti-
mens de tout le reste des évêques : mais enfin elle a
passé dans le fond; et voilà déjà quatre provinces,
e'est-à-dire, celle de Toulouse, qui a commencé,
celles de Paris , de Rheims et de Cambrai , qui sont
uniformes.
M. de Saint-Omer et M. de Tournai ont fait ex-
pliquer M. de Cambrai sur sa soumission, plus qu'il
n avoit fait encore ; et quoiqu'on eût pu le pousser
davantage , on a mieux aimé pour le bien de la
paix , se contenter de ce qu'il a dit. Il continue à
se renfermer et à travailler, on ne sait à quoi. Pour
moi je pars vendredi pour mon diocèse. J'y passerai
les fêtes , avec Foctave du saint Sacrement.
Quoi qu'on fasse, nous ne dirons rien sur ce
qu'écrit M. de Cambrai de son innocence , des ou-
trages qu'il prétend avoir reçus, et de ses explica-
tions. C'est lui qui nous agace de gaieté de cœur ;
mais nous voulons être les plus sages, et le traiter
avec toute sorte d'honnêteté et de douceur. On m'as-
sure que sur leproèra^ qui, dans le fond, attaque
plus le bref que nous, puisque nous n'avons rien dit
de son livre que ce que le saint Siège en a décidé ,
il a dit qu'il m' avoit en vue, lorsqu'il écrivoit ce
mot , parce que je l'ai nommé le Montan de la
Friscille. Mais je me suis assez expliqué. Ni Eusèbe
52 2 LETTRES
de Cesarée, et les auteurs qu'il cite, ni saint Epi-
phane , ni saint Jérôme, ni saint Augustin, ni Phi-
lastrius, n'accusent Montan d'autre commerce avec
les fausses propliétesses , que de celui d'une fausse
spiritualité. Au surplus , je lui ai fait faire des hon-
nêtetés depuis la censure , auxquelles il n'a pas ré-
pondu un seul mot. D'autres personnes ont voulu
s'entremettre entre ses amis et moi : j'ai répondu
très-honnêtement, comme je ferai toujouré.
Le père de la Ferté a été relégué à Blois, avec
défense de prêcher, à ce qu'on prétend, pour avoir
parlé en chaire très -ouvertement contre le Roi et
madame de Maintenon.
J'embrasse M. Phelippeaux. Venez vite. Ma santé
est bonne, Dieu merci.
A Paris, ce i.*'"iuin 1699.
>.«/«/« «/«/«*
LETTRE CCCCLXXXV.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les assemblées tenues pour la réceplion du décret contre M. do
Cambrai; TafFaire du cardinal de Bouillon avec Tambassadeur
de l'Empereur j l'entretien que l'abbé Bossuet avoit eu à ce sujet
avec le Pape.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire , du 1 1 mai. Votre assemblée n'étoit pas
encore faite ; mais par un courrier extraordinaire
nous avons appris ce qui s'y éloit passé, et les réso-
lutions prises, conformes aux intentions de Sa Ma-
jesté, marquées par sa lettre. Les mandemens qu'on
doit donner dans chaque diocèse, produiront leur
s un l'affaire du QUIÉTISME. 523
effet et suppléeront à tout. Je puis vous assurer que
les cardinaux approuvent fort les mesures qu'on a
prises en France, pour procurer de Tautlienticité à
la constitution. Cela ne fait pas ici la moindre dif-
ficulté, quoiqu'ils aient bien senti que l'Kglise de
France autorisoit par-là l'article de la déclaration,
nïsi Ecclesiœ consensus accesserit. Quelques-uns me
l'ont dit, et on commence ici à ne pas trouver cette
doctrine si affreuse : il n'y a que manière de la leur
présenter.
Le Pape est disposé de même, je vous en réponds,
et il reçoit à merveille tout ce que je lui dis là-
dessus.
Quoiqu'on attende à présent M. de Monaco de
jour en jour , ayant envoyé quérir les galères à
Marseille dès le i5 de mai, et une partie de ses gens
étant déjà arrivés à Civita-Veccliia , j'ai cru ne de-
voir pas tarder plus long-temps les démarches né-
cessaires sur l'affaire de mon induit. J'ai travaillé
depuis trois semaines à bien disposer en général le
Pape et le cardinal Panciatici à me vouloir renvoyer
content. J'ai cru trouver la conjoncture favorable,
et j'ai rendu ce matin votre lettre et celle de M. le
cardinal de Janson à M. le cardinal Panciatici , qui
a reçu très-bien ma proposition , et m'a dit de par-
ler au Pape. C'est ce que j'ai fait aujourd'hui ; et Sa.
Sainteté m'a donné des marques pariicUÎières de
bonté , m'assurant qu'elle désiroit me faire plaisir
ainsi qu'à vous. Si M. le cardinal Dataire n'empê-
che le succès, je puis dire que je suis assuré du Pape.
M. le cardinal Casanate , à qui j'ai rendu votre
lettre, et dont je vpus envoie la réponse, m'a pro-
52/f LETTRES
mis de faire de son mieux auprès de M. le cardinal
Panciatici, qui est son grand ami. J'ai rendu aussi
votre lettre au cardinal Spada, qui m'a assuré qu'il
s'intéresseroit pour moi auprès de Sa Sainteté. Nous
saurons ce que cela aura opéré. Dans le cas où je
verrois que l'on feroit difficulté d'accorder ma de-
m^ande, j'aurois recours alors à M. de Monaco, s'il
étoit arrivé à temps : mais je pense que dans les cir-
constances présentes, le Pape sera bien aise de me
renvoyer content , en me faisant quelque grâce.
Je souhaite ardemment voir M. de Monaco avant
de partir ; mais j.e ne puis m'arrêter ici au-delà de
la semaine prochaine ; et je compte partir le lo oa
le 12, au plus tard.
Je prends congé de MM. les cardinaux, tant de-
ceux du saint Office, que des autres, et ils me com-
blent de bontés.
L'affaire de l'armement des ministres (*) , fait ici
plus de fracas que jamais. Le Pape témoigne une*
grande indignation contre M. le cardinal de Bouillon,
et il lui a refusé audience : on prétend même que
le Saint Père est résolu de ne le plus entendre. S»
Sainteté envoya quérir avant-hier M. Poussin, se-
crétaire de ce cardinal , pour lui ouvrir son cœur.
C'est une chose publique que les Autrichiens ai-
grissent infiniment l'esprit du Pape; et le Saint Père,
qui craint d'être regardé comme trop partial pour
la France, paroît vouloir prendre feu dans cette
occasion. On blâme ici généralement la manière si
publique et si éclatante dont cette affaire a été con-
duite ; mais on ne désapprouve pas que M. le cardinal
C*) Celle qui est rapportée dans la lettre cccclsxxiii.
SUR l'affaire djj quiétisme. 5:^5
ait voulu être le plus fort en cas d'attaque : on sou-
haiteroit seulement que les précautions qu'il prenoit
eussent eu moins de publicité'. Ce que je puis dire,
c'est que M. le cardinal de Bouillon n'est pas heu-
reux, et qu'il est mal servi.
Sa Sainteté voudroit bien que le Roi ne se fâ'chât
pas du refus d'audience qu'il fait à M. le cardi-
nal de Bouillon. Elle a demandé plusieurs fois de
mes nouvelles , ces jours passés , à M. Aquaviva ,
son maître de chambre, et à monseigneur Gozza-
dini, leur disant pourquoi je ne l'allois point voir,
et s'informant si j'étois parti : ils m'en ont averti.
J'ai bien vu que le Pape vouloit un peu me faire
part de son mécontentement. J'ai cru devoir préve-
nir M. le cardinal de Bouillon que j'allois aujour-
d'hui aux pieds du Pape pour recevoir ses ordres ,
afin que, d'après ce qu'il me feroit savoir, je pusse
parler conformément à ses intentions , et lui rendre
ce petit service. Il n'a pas jugé à propos de me don-
ner aucune instruction. J'ai été chez le Pape , qui
m'a parlé plus d'une demi-heure , presque les larmes
aux yeux , sur ce qui venoit de se passer , et avec
des sentiraens dignes d'admiration pour le Roi. Il
m'a fait l'honneur de m'entendre; et sans aflecter la
.justification de M. le cardinal de Bouillon, je lui ai
dit tout ce qui étoit possible , pour l'empêcher de
prendre un engagement qui pût déplaire au Roi,
en le mettant en parallèle avec ses ennemis. J'ai
insinué que le refus d'audience à M. le cardinal de
Bouillon, comme ministre de Sa Majesté, pourroit
paroître un peu outrageant ; et j'ai fait connoître ,
que dans le fond M. le cardinal de Bouillon n'avoit
526 LETTRES
pas eu tort de se mettre en état de défense, pour
que ses gens ne pussent être maltraités par ceux de
l'ambassadeur de l'Empereur, qui avoient eu l'in-
solence de le faire déjà une fois. Je puis dire que
Sa Sainteté ne m'a pas paru si aigrie qu'elle l'étoit
au commencement : elle n'a cessé de me répéter
qu'elle craignoit bien que le Roi ne fût pas informé
delà vérité, et m'a marqué une grande impatience de
voir M. de Monaco.
Le malheur de M. le cardinal de Bouillon , et
dont le service du Roi se ressent, c'est qu'il ne mé-
nage personne pour parler au Pape , tandis que les
Autrichiens ont tous les jours mille gens qui le font
pour eux; et c'est une espèce de miracle que le Pape
soit naturellement si bien disposé en faveur de la
France. M. le cardinal de Bouillon ne sait à la lettre
OLi il en est. J'ai été lui rendre compte de ce qui
s'étoit passé entre Sa Sainteté et moi : il m'a fort re-
mercié. Pour moi je sais fort bien distinguer le mi-
nistre d'avec l'altesse. C'est ce que j'ai pris la liberté
de dire au Pape, qui en a ri, et l'a trouvé fort bon.
Je voudrois que dans cette occasion il prît le parti
de distinguer l'un d'avec l'autre. Je vous assure qu'il
n'est pas impossible de lui faire entendre raison là-
dessus; mais j'ai peur qu'on ne s'y prenne mal. Je
ne sais pas comment on agira pour concilier les es-
prits : je crains que cette affaire ne devienne très-
sérieuse, si l'on n'y apporte un prompt remède. Le
cardinal de Bouillon est outré contre le Pape; et le
grand motif qui anime le Pape, c'est le mépris public
qu'on fera de son autorité dans Rome, s'il souffre de
pareilles entreprises.
SUR l'affAthe du quiétisme. 527
Sa Sainteté m'a fort parle du curé de Seurre, et
m'a dit qu'on pourroit découvrir bien des choses par
lui ; ce qui m'a donné occasion de lui parler de cette
matière, de madame Guyon et de la cabale : il est
à présent reso capace di tutto.
Dans les visites de congé que je fais aux cardinaux ,
je leur insinue qu'il est important qu'on défende les
explications et écrits publiés par M. de Cambrai
pour la justification de son livre. Je démontre la né-
cessité de cette prohibition, d'une manière à ne pas
recevoir de réplique ; et je fais sentir que c'est une
conséquence du décret prononcé. Je ne désespère pas
qu'on ne fasse quelque chose à cet égard, surtout si
M. le nonce en parle.
Au reste, vous ne pouvez vous imaginer la mau-
vaise humeur, pour ne rien dire de plus, que le car-
dinal de Bouillon a témoignée, en apprenant la ré-
ponse de M. le grand duc sur M. de Madot. Ce
prince plein d'équité, a fait savoir à ce cardinal qu'il
vous avoit donné sa parole, ainsi qu'à M. de Paris,
de prendre à son service ce gentilhomme, dont on
lui répondoit, et qu'il ne pouvoit honorablement y
manquer. Cette mortification, jointe au refus que
l'ambassadeur du grand duc a fait de lui accorder le
titre d'altesse, a grandement aigri l'esprit du cardi-
nal de Bouillon contre l'ambassadeur et son maître.
Ce cardinal est résolu de se venger de l'affront qu'il
prétend lui être fait en sa qualité de ministre du Roi.
Il est bon que Sa Majesté en soit informée.
Vous ne pouvez vous imaginer l'impatience que
j'ai de partir et de vous revoir. C'est mon unique
affaire, et la seule qui me puisse donner de la joie.
528 LETTRES
M. le duc de Banvick part demain. Le Pape a
demandé aux cardinaux, pour les pauvres catholi-
ques d'Angleterre, quelques secours d argent : ils
ont accordé le revenu de six mois de leurs rétribu-
tions.
Rome, ce 2 juin 169g.
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LETTRE CCCCLXXXVL
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur la conduite qu'avoit tenue M. de Cambrai dans rassemblée
de sa province j et sur sa soumission.
Je continue à vous écrire par Florence , quoique
je pense que pour avoir l'honneur de voir M. l'am-
bassadeur, vous serez à Rome plus long-temps que
vous ne pensiez. Vous avez vu, par mes précédentes,
le résultat de l'assemblée de Cambrai, où cet arche-
vêque a prononcé à la pluralité des voix, que le Roi
seroit supplié de supprimer ses écrits. Il a voulu spé-
cifier qu'il prononçoit ainsi contre son avis. Quant
à sa soumission, il y auroit beaucoup de choses à
dire; mais on a voulu être content, et ne prendre
pas garde si les discours étoient bien suivis. On a été
étonné de M. d'Arras, qui, seul de tous les évêques
de France , a témoigné ne pas approuver ce que di-
sent tous les autres du royaume, quoiqu'il soit pris
de mot à mot des procès-verbaux des assemblées du.
clergé.
Nous vous attendons avec impatience. Je ne sais
si je vous ai mandé la mort funeste de l'abbé de la
Châtre,
SUR l'affaire du QUIÉTISME. S'iQ
Châtre, par une chute de carrosse. Sa charge est
donnée à l'abbé de Sourches.
A Meaux, ce 7 juin 1699.
LETTRE CCCCLXXXVII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur le bref du Pape à M. de Cambrai j et la forme d^acceplatioû
du décret contre sou livre.
Je n'ai reçu que ce malin votre lettre de Rome,
du 19 mai. Nous avons vu le bref adressé à M. de
Cambrai, le 12 mai, en réponse à la lettre de ce
prélat, qui accompagnoit son mandement. Ainsi il
n'est fait nulle mention de celle du 4 avril , qui le
promettoit seulement, et que vous m'avez envoyée.
Il faut qu'on ait jugé que la seconde lettre étoit plus
digne de réponse, que celle où il étoit parlé de V in-
nocence j etc. Le temps, peut-être, nous en instruira
davantage. Le bref, tel qu'il est, ne dit rien du tout,
dont M. de Cambrai puisse tirer avantage. Il est fort
sec, et ne loue précisément que son obéissance et
sa soumission à vouloir être instruit, et recevoir la
parole de vérité de l'Eglise mère et maîtresse.
Si l'on a quelque jalousie à B-ome de l'autorité
qu'on donne aux évêques, elle pourra augmenter,
lorsqu'on verra la manière dont elle a été exercée ;
mais enfin, on n'a fait que répéter ce qui avoit été
pratiqué par nos prédécesseurs. M, le nonce a paru
content. Il ne m'a point dit qu'il eût ordre de parler
en votre faveur à celte Cour, ni de témoigner qu'oix
BosSUET. XLII. 3f
53o LETTRES
fût content de vous en celle de Rome. Il m'a seule-
ment promis d'en parler dans roccasion, sans me
dire qu'il en eût ordre, et m'a fait mille remercî-
mens de Ja manière dont vous vous étiez exprimé à
son sujet auprès de Sa Sainteté et de ses ministres.
Je vous envoie à toute fm le procès-verbal de Cam-
brai : vous devez avoir reçu le nôtre : M. de Rheims
vous a envoyé le sien. Vous y verrez, bien exprimé,
que le consentement des évêques aux constitutions
apostoliques , est réellement un acte d'autorité qui
exclut l'obéissance aveugle , qui ne convient à per-
sonne, et encore moins à ceux qui sont par leur
caractère docteurs de l'Eglise. N'entrez point dans
tout ce détail , et assurez seulement en général que
les évêques ont intention de rendre au saint Siège
le respect qui lui est dû. On ne fera pas seulement
semblant ici qu'on craigne d'avoir déplu, pour peu
que ce soit.
A Meaux, ce 8 juin 169g.
LETTRE CGCCLXXXVIII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur le procés-verbal de l'assemblée provinciale de Paris ; et le
mécontentement qu avoit le Pape du cardinal de Bouillon.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire de Paris, le 18 mai. Je suis ravi du bon
succès et des résolutions de votre assemblée. Je n'ai
communiqué à qui que ce soit le procès-verbal que
vous m'avez envoyé : j'ose vous dire que j'en suis
SLR l'affaire du quiétisme. 53i
très-content. Ce sont des évêques qui parlent, et qui
savent ce qu'ils doivent à leur caractère et au saint
Sie'ge. On sentira bien ici ce que les évêques veulent
dire; mais comme ils suivent les traces de leurs an-
cêtres , et témoignent beaucoup de respect pour la
personne du Pape et pour le saint Siège, on ne
soufflera pas. M. larchevêque s'est fait un honneur
immortel, et toute la province s'est acquis beau*
coup de gloire, par les délibérations formées dans
son assemblée. Rien n'est plus sage, ni mieux en-
tendu, ni plus ecclésiastique et plus régulier. La
précaution de faire chacun un mandement simple ,
sans s'étendre, plaira ici infiniment, et elle est trè£-
sage. Cela n'empêchera pas dans la suite les évêques
de donner les instructions qu'ils jugeront nécessaires
à leurs peuples ; mais il s'agit à présent de finir cette
affaire, et de ne point disputer. Vous aurez vu, par
mes lettres précédentes, combien je souhaitois qu'on
défendît les écrits faits pour la défense du livre
condamné, et je suis ravi de la résolution prise sur
ce point.
Je suis impatient de savoir ce que vous aurez dit
de la lettre de M. de Cambrai au Pape, et des ma-
nœuvres qu'on a employées ici pour lui procurer
un bon succès. L'affaire est finie, il n'en faut plus
parler. Mais il n'a pas tenu à la cabale qu'il n'y eût
une queue, et c'est encore à quoi tendent toutes ses
intrigues ; mais on y sera attentif plus que jamais.
J'attendrai encore cette semaine M. de Monaco,
qui devroit être arrivé, et qu'on espère voir de jour
en jour. Mais après ce délai, je pars sans retard
la semaine prochaine.
532 LETTRES
M. le cardinal Panciatici m'a conseillé de voir le
Pape encore une fois, et de lui renouveler ma de-
mande de l'induit. Sa Sainteté est fort bien disposée
pour moi ; mais elle appréhende les conséquences,
parce que tout le monde pourroit solliciter de pa-
reilles grâces, qu'elle a peine à accorder, et qu'elle
a refusées, non-seulement à M. de Rheims, mais à
beaucoup d'autres. Le cardinal Panciatici m'a pour-
tant dit qu'il falloit que je la pressasse, et qu'il me
serviroit de son mieux : cela me fait bien augurer.
Je suis persuadé que si M. de Monaco arrivoit à
temps, et que je fusse encore à Rome, le Pape ne
feroit aucune difficulté de m'accorder cette grâce.
Mais je veux savoir cette semaine à quoi m'en tenir.
Je tâcherai d'obtenir ma demande sans le secours de
M. l'ambassadeur., Si je ne le puis, je laisserai les choses
dans un tel état, que M. de Monaco pourra toujours
faire de nouvelles instances, s'il le veut bien. Je ne
puis m'empêcher d'espérer tout de la bonté du Pape.
Je vous prie de bien remercier M. le cardinal de
Janson, qui a bien voulu m'envoyer une seconde
lettre pour M. le cardinal Panciatici. C'est à pré-
sent qu'on sent, plus que jamais, la perte qu'on a
faite ici au départ de M. le cardinal de Janson. Le
Pape et les cardinaux le témoignent hautement, et
avec des expressions, qui font bien voir de quelle
estime toute cette Cour est pénétrée pour cette Emi-
nence. Tout ce que je pourrois vous en dire, n'ap-
proclieroit pas de l'expression (Je ces sentimens. 3'ai
reçu une lettre de M. le nonce, très-honnête et très-
obligeante : on ne pense plus, si je ne me trompe,
a le rappeler.
St'R L'.AFFAtllE DU QUIÉTISME. 63^
Sa Sainteté continue à refuser audience à M. le
cardinal de Bouillon, et paroît toujours irritée contre
lui : elle attend avec plus d'impatience que per-
sonne M. de Monaco. Néanmoins on croit que ce
refus ne durera pas long- temps, et que le Pape fera
céder son ressentiment à Festime et à Tamitié infinie
quïl a pour le Roi , et qu'il distinguera le ministre
d'avec la personne, pour laquelle il a un mépris sou-
verain. C'est le parti que l'on tâche de lui insinuer.
Entre nous, j'y travaille plus que personne; et comme
non suspect, on me croit un peu. Le Pape souhai-
toit fort que l'on fût contre M. le cardinal de Bouillon
en tout : mais on a cru devoir prendre un parti mi-
toyen , qui est le plus sage et le plus convenable ; et
au lieu d'aigrir le Pape , de chercher à adoucir son
esprit.
Il faut néanmoins avouer que le Pape a toutes
sortes de raisons de se plaindre du cardinal de Bouil-
lon , qui a manqué de sens dans la conduite qu'il a
tenue, et qui a agi plutôt par vanité et ostentation,
que par nécessité ; car il est certain que l'ambassa-
deur de l'Empereur n'avoit pas armé. Ainsi le car-
dinal Ta fait sans égard , sans circonspection et sans
nécessité. Il auroit pu, dans la crainte de quelque
insulte, être sur ses gardes; mais la manière dont
il l'a fait, est des plus pitoyables, et très-injurieuse
pour la personne et l'autorité du prince. La preuve
qu'on a que l'ambassadeur de l'Empereur n'àvoit
point armé, c'est que le gouverneur de Rome, qui
est ennemi déclaré de ce ministre , et qui sait tout
ce qui se passe dans Rome, en a assuré le Pape. Je
le sais de l'un et de l'autre, à n'en pouvoir douter :
534 LETTRES
par conséquent le cardinal de Bouillon n'avoit au-
cun motif pour faire un si grand e'clat, et causer
tant de rumeur.
J'espère que M. Tabbé Péquigni sera toujours de
nos amis.
Rome, ce 9 juin 1699.
MÉMOIRE
DE BOSSUET A LOUIS XIV,
SuP un ordre envoyé à l'abbé Bossuet par le cardinal
de Bouillon,
Là peine de M. le cardinal de Bouillon, et des
autres amis de M. de Cambrai , à voir Tabbe' Bossuet
à Rome en état de nous avertir de ce qui se passoit,
a paru par trop d'endroits pour n'être pas remar-
quée. On se servit, pour l'intimider et l'obliger à
sortir de Rome, delà noire calomnie, dont les in-
venteurs ont été si visiblement confondus par le té-
moignage de tout Rome. Depuis, dans le temps
qu'on vouloit , non pas hâter , mais étrangler et
précipiter l'affaire, M. le cardinal de Bouillon a
mandé que l'abbé Bossuet proposoit des retardemens,
ce qui ne s'est pas trouvé véritable ; et on ne répète
pas ce qu'il a eu à essuyer de mauvais offices, pour
les soins qu'il a eus de nous avertir.
Ce n'étoit pas p^tr curiosité que nous désirions
d'être informés; c'étoit pour en rendre compte au
Roi, et parce que ces avis fidèles donnoient le
SUR l'affaire du quiétisme. 535
moyen de prévenir les difficultés, qui naissoient à
chaque pas dans cette affaire.
Quand le jugement a paru, il n'étoit pas moins
nécessaire que nous fussions bien instruits des dispo-
sitions de la Cour de Rome ; parce qu'il falloit les
savoir , pour prendre des mesures justes dans l'exé-
cution. Ainsi l'abbé Bossuet nous dépêcha selon sa
coutume j et à cette dernière occasion, ce fut M. de
Madot, un de ses amis, qui vint nous apporter la
nouvelle.
M. le cardinal de Bouillon éclata à cette fois avec
emportement, et ses amis répandirent à Rome qu'il
feroit assassiner ce gentilhomme, s'il osoit jamais y
retourner. Mais n'osant dire qu'il lui sût si mauvais
gré d'être parti à la prière de l'abbé Bossuet pour
nous apporter les nouvelles , il prit pour prétexte
de son indignation , que ce gentilhomme avoit pro-
mis d'arriver à Paris avant le courrier que ce car-
dinal dépêchoit au Roi : à quoi non-seulement on
n'avoit point songé, mais on ne pouvoit même pas
le faire, puisque M. de Madot nétoit parti que
quinze ou vingt heures après ce courrier dépêché au
Roi. Ainsi cette circonstance ajoutée au fait , n'étoit
que le prétexte du véritable sujet de la colère de
M. le cardinal , qui en effet étoit fâché qu'on nous
avertît.
Ce gentilhomme retourné à Rome le 22 de mai ,
alla dîner chez l'abbé Bossuet, qui le mena chez le
père Roslet, Minime, à qui il avoit des lettres à
rendre de M. l'archevêque de Paris , et de là sur le
soir chez madame la princesse des Ursins , où se
trouvent tous les Français , et dont il est serviteur.
536 LETTRES
Cependant M. le cardinal de Bouillon ayant
voulu croire que l'abbë Bossuet le logeoit chez lui (*) ,
ce qui n'étoit pas, puisqu'il avoit un autre logis
arrêté, a fait à cet abbé TafFront de lui envoyer ,
sous le nom de conseil, Tordre dont on a joint la
copie ; et pour le faire avec tout l'éclat qu'il souhai-
toit, il fit chercher partout Rome M. Poussin, secré-
taire de l'ambassade, à qui il commanda, devant
douze ou quinze personnes , de trouver , à quelque
lieure que ce fût , l'abbé Bossuet , pour lui faire sa-
voir ce qu'il lui prescrivoit avec tant de hauteur et
de menaces.
Le lendemain l'abbé Bossuet se rendit chez M. le
cardinal , pour lui représenter , avec le respect dont
il n'a jamais manqué envers lui, qu'il auroit pu lui
épargner l'affront de lui envoyer un tel ordre avec
tant d'éclat, puisqu'il étoit vrai qu'il n'avoit jamais
logé M. de Madot , et qu'il n' avoit point à en ré-
pondre. Voilà pour ce qui regarde l'abbé Bossuet.
Pour ce qui touche M. de Madot , c'est un mal-
heureux gentilhomme , qui , ayant toujours été
avec honneur dans le service, s'est vu contraint de
se réfugier à Rome depuis trois ou quatre ans , pour
une rencontre qu'on a qualifiée de duel , en atten-
dant qu'il pût se justifier et rentrer dans les bonnes
grâces du Roi.
Il n'a jamais voulu prendre de parti avec les en-
nemis de son maître , et s'est donné à la fin à M. le
grand duc, jusqu'à ce qu'il ait le bonheur d'éclaircir
sa malheureuse affaire. Dans la peine de trouver
quelqu'un qui se chargeât des dépêches de l'abbé
(*) II n'y a jamais logé.
SUR l'afpaike du quiétisme. 537
Bossuet, il avoit été obligé de le dépêcher. Il est
demeuré sous un autre nom chez Févêque de Meaux,
et n'a vu que M. le cardinal de Janson, qui le con-
noissoit de Rome comme un homme de mérite, et
M. larchevêque de Paris, sur qui l'évéque de Meaux
s'est reposé, pour dire sur ce sujet à Sa Majesté ce
qu'il trouveroit nécessaire.
Il est demeuré à Rome quatre ou cinq jours seu-
lement, pour quelques affaires dont il y étoit chargé.
Si M. le cardinal de Bouillon, comme ministre du
Boi , lui eût ordonné de partir plus tôt, il l'eût fait ;
car il a trouvé moyen de lui faire dire qu'il seroit
parti à l'instant, toujours prêt à respecter jusqu'à
l'ombre de l'autorité de son Roi. Cet ordre lui étant
refusé, il n'a pas jugé à propos de s'ébranler des
menaces ; et ses affaires finies dans le moins de
temps qu'il a pu, il s'est rendu à Florence, aux
ordres de M. le grand duc. M. le cardinal continue
à le poursuivre dans cette Cour , et le menace de
le perdre auprès de ce prince, ne voulant laisser
aucun asile à un malheureux, dont tout le crime est
de nous avoir apporté des nouvelles , que nous
avions raison de souhaiter.
Cependant on peut assurer qu'il est homme de
cœur et de service, bien connu pour tel par les
plus honnêtes gens de la Cour, parmi lesquels je
nommerai M. de Chaseron, qui en a parlé avec
distinction.
L'évéque de Meaux espère que Sa Majesté, dai-
gnant écouter ces faits, n'improuvera pas la con-
duite de l'abbé Bossuet , et qu'il paroîtra que les
menaces de M. le Cardinal de Bouillon ne sont ni
538 LETTRES
justes ni généreuses j que ses hauteurs sont à contre-
temps, et, si on ose ajouter ce mot, un peu petites.
Ce Mémoire devoit être présenté au Roi. Bossuet Ten-
voya à madame de Maintenon, qu'il pria, par le billet
suivant, de l'appuyer auprès de Sa Majesté.
M. le marquis de Torcy a été instruit par M. le
cardinal de Bouillon (*) , des honnêtetés qu'il a faites
à Tévêque de Meaux sur le sujet de l'abbé Bossuet.
C'est pourquoi on a été obligé de l'instruire de cette
affaire , afin qu'il en pût rendre compte à Sa Majesté.
Mais on a cru qu'on devoit ici circonstancier davan-
tage les choses, afin qu'il vous plût. Madame, pré-
venir plus efficacement les mauvais offices.
•}• J. BÉNIGNE, évéque de Meaux.
A Meaux, le 12 juin 1699.
Madame de Maintenon répondit par le billet suivant :
J'ai fait voir au Roi , Monsieur, tout ce que vous
m'avez envoyé. Il m'ordonne de vous assurer que
M. votre neveu n'a à craindre aucun mauvais office.
On trouve seulement qu'il a eu tort de se servir
d'un homme accusé d'un duel. Je suis, Monsieur, à
mon ordinaire, votre très-humble et très-obéissante
'^^^v^"^^> Maintenon.
2 9 /wm 1699.
(*) Lettre de ce cardinal à M. de Meaux, du 7 avril 1699.
suK l'affaire du quiétisme. 539
LETTRE CCCCLXXXIX.
DE UABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur le mécontentement qu'on avoit à Rome des délibérations des
évêques, relatives au bref du Papej et l'entreiien que Tabbé
Bossuet avoit eu à ce sujet avec le cardinal Casanate.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait Fhonneur
de m'e'crire de Versailles, du 25 mai.
On reçut enfin, samedi i3, nouvelle sûre, que
M. de Monaco e'toit arrivé le 10 à Gênes ; cela étant,
on l'attend d'heure en heure. M. le cardinal de
Bouillon et madame la princesse des Ursins ont
envoyé leurs carrosses au-devant de lui à Civita-
Vecchia. On ne doute pas qu'il n'arrive cette se-
maine, et il peut paroître à tout moment. Tout
veut que je l'attende ; mais aussitôt que je l'aurai
vu, je pars sans aucun retardement.
J'ai reçu trois imprimés des procès-verbaux de
votre assemblée , qui m'ont été adressés par M. Le-
dieu. Je crois pouvoir vous assurer que cette Cour
ne sera rien moins que contente du personnage
qu'y font les évêques ; mais je suis le plus trompé
du monde, si elle ose en témoigner de la peine, au
moins publiquement. Comme j'ai su que le cardinal
Spada avoit envoyé ce procès-verbal de la part du
Pape au cardinal Casanate, j'allai hier chez cette
Eminence, pour voir ce qu'elle m'en diroit. Elle
l'avoit lu et renvoyé au cardinal Spada , avec quel-
ques notes sur les endroits qui lui paroissoient les
plus délicats. Généralement cette Cour sent le coup,
54o LETTKES
et voit réduit en pratique le nisi Ecclesiœ consensus
accesseritj, du quatrième article de l'assemblée
de 1682.
Le cardinal Casanate me dit franchement qu'il
avoit cru que les évêques ne parleroient pas si for-
tement, et che il negozio anderebbe piu piano; c'est-
à-dire, qu'on ne diroit rien qui pût faire de la peine
à cette Cour. Je le fis entrer dans le particulier des
points qu'il pouvoit trouver repréliensibles , et il ne
put me citer que deux endroits : l'un, où. l'on dit
que « les évêques ne doivent point être réputés sim-
» pies exécuteurs des jugemens des papes » ; et l'au-
tre, page suivante, où il est dit des décrets des
papes, « qu'étant suivis du consentement de toute
» l'Eglise, ils ont entièrement fini les questions. Par
» où, dit-il, on semble rappeler le quatrième article
» de l'assemblée de 1682, nisi Ecclesiœ consensus
» accesserit » .
Il ne me fut pas difficile de justifier ces deux en-
droits, ainsi que l'esprit qui a dirigé à cet égard le
procès-verbal; et après avoir établi que les évêques,
hors des conciles généraux et dans les conciles gé-
néraux, sont véritables juges des matières de foi, il
ne put pas raisonnablement disconvenir de la con-
séquence, qu'ils ne dévoient pas être réputés simples
exécuteurs, etc. Mais il n'eut rien à me répondre ,
quand je lui fis voir qu'on ne recevroit pas avec
plus de soumission et de respect, et d'une autre
manière, un décret d'un concile général convoqué
par le Pape, où le Pape auroit présidé, et auquel
l'Eglise de France n'auroit pas assisté; qu'en ce cas
l'acceptation de l'Eglise de France seroit nécessaire,
sur. l'affaire du quiétisme, 54 i
et qu'alors les ëvêques seroient aussi bien juges de la
foi et de la conformité des décrets avec la tradition,
que s'ils prononçoient dans le concile.
Quant au consentement de l'Eglise , qui , sans
concile général, finissoit les affaires, je lui montrai
que c'étoit un fait appuyé sur des exemples fameux,
comme celui de la condamnation de l'hérésie de Pe-
lage , qui avoit fait dire à saint Augustin , après
l'acquiescement des églises dispersées au jugement
des évêques d'Afrique et du Pape : Causa Jînita est.
Enfin je lui représentai que les évêques de France
n'avoient fait que suivre pied à pied la conduite de
leurs prédécesseurs.
Il convint avec moi du droit des évêques de juger
en première instance. Mais ce qui fait de la peine
ici, c'est que les évêques yettilîent juger après la dé-
cision du Pape, ce qui est, dit-on, une marque de
supériorité. Je lui demandai si les évêques, dans les
conciles généraux, n'étoient pas de vrais juges,
quoique les papes eussent prononcé sur la matière
contestée; et c'est à quoi on ne sauroit répondre
que du verbiage. Il m'avoua à la fin que le tout pou-
voit passer, et étoit fait avec grande adresse; mais
qu'il savoit qu'on vouloit s'alarmer là -dessus, et
qu'il l'empêcheroit de tout son possil)le. Je l'en ai
supplié, et il m'a paru très-bien disposé.
Il faut avouer que dans cette Gour, durus est hic
sermo. Mais il faut qu'ils le passent, par la raison
qu'on ne peut rien faire contre la vérité, et qu'ils
craignent le clergé de France.
Cette circonstance ne m'est pas trop favorable
pour la grâce que je demande.
542 LETTRES
Je vis samedi le Pape, qui m'accabla d'honnêtete's,
et me dit les choses les plus obligeantes pour vous,
mais qui me parut très-difficile sur le fait de mon
induit. Il m'a dit qu'il y penseroit et repenseroit.
Franchement je crains bien de ne le pouvoir em-
porter sans M. de Monaco ; ce sera ma dernière
ressource. Je prendrai dans deux jours congé de Sa
Sainteté, et verrai ce qui en est et ce qu'on en peut
attendre.
Enfin le Pape donna audience jeudi , au sortir du
saint Office, à M. le cardinal de Bouillon, et j'en ai
été très-aise. Je sais et du Pape et de M. Aquaviva ,
que M. le cardinal de Bouillon lui parla un peu
durement. Il m'a paru que Sa Sainteté avoit été très-
mécontente de cette Eminence ; mais elle a bien
foulu user d'indulgence, par amitié pour le Roi,
dont M. le cardinal de Bouillon est ambassadeur.
Quant à sa personne, on ne peut pas, je vous assure,
en être plus mal satisfait que le Pape Test.
On m'a averti que M. le cardinal de Bouillon
avoit écrit en Cour, que j'avois traversé son au-
dience : il seroit bien ingrat et bien méchant, si cela
étoit. Je puis assurer que j'ai agi tout au contraire,
et que j'ai pris la liberté de témoigner au Pape, qu'il
ne pouvoit rien faire de plus agréable au Roi , que
de recevoir son ministre. M. le cardinal de Bouillon
m'a fait l'honneur de me remercier des démarches
qu'il sait que j'ai faites dans cette affaire ; et je puis
vous assurer que ce qui a le plus déterminé le Pape
à accorder l'audience, a été de voir que tous les
Français, même ceux que M. le cardinal de Bouillon
n'aimoit pas, étoient tous réunis à lui procurer cette
SUR l'affaire du quiétisme. 543
grâce, et tâchoient d'engager le saint Père à distin-
guer le ministre du cardinal.
M. Giori n'oublie aucun bon office auprès de Sa
Sainteté' pour obtenir ma grâce j mais je puis vous
assurer, et je crois m'y connoître, qu'elle est bien
moins disposée pour moi à présent, qu'elle l'étoit
il y a huit jours. Je ne fais et ne ferai point sem-
blant de m'en apercevoir.
Rome, ce lôjuiu 1699.
LETTRE CCCCXC.
DE UABBË PHELIPPEAUX A BOSSUET.
Sur le procès - verbal de rasaemble'e provinciale de Paris j deux
écrits déférés à l'Inquisition j et Taffaire du curé de Seurre.
Le procès -verbal de rassemblée provinciale de
Paris , est également plein de sagesse et de science
ecclésiastique : on y donne à Rome tout ce qui lui
convient, et on conserve avec force et avec gravité
l'honneur de l'épiscopat et les libertés fondamen-
tales de l'Eglise de France. On sent bien l'esprit
qui a gouverné cette assemblée. Par-là M. de Cam-
brai, aussi bien que ses adhérens, demeurent sans
ressource ; l'erreur est bien notifiée à tout le monde
chrétien , et rien n'est plus éclatant que la condam-
nation de son livre.
On a déféré à l'inquisition le Post scriptum (*) ,
C*) Cet écrit a pour titre : Post scriptum de la seconde Lettre
d'un Théologien à M. Vévêque de Meaux , avec des remarques sur
le nouveau bref du Pape. Il est rapporté tout entier dans la Rela"
tion de Tabbé PhelippeauX; IL part. p. aSo.
544 LETTRES
contenant des remarques sur le bref, et la solution
du problème ecclésiastique. Je ne doute nullement
que l'un et l'autre ouvrage ne reçoivent bientôt la
fle'trissure qu'ils méritent.
Le curé de Seurre pourra bien, dans la suite,
donner un spectacle à Rome j et cette Cour demeu-
rera persuadée de la justice du procédé des trois
évêques , et de la nécessité où ils éLoient de s'élever
contre cette secte, si répandue et si dangereuse.
On parle diversement de l'audience que M. le car-
dinal prétend avoir eue du Pape le jeudi après la
congrégation du saint Office, tenue devant Sa Sain-
teté. On attend incessamment M. de Monaco : il est
temps qu'il arrive et que nous partions. Je suis avec
un profond respect, etc.
Rome, ce i6 juin 1699.
LETTRE CCCCXCI.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Il soubaile qu'on ménage Tautorité du saint Siège j et approuve la
conduite de son neveu dans TafFaire du cardinal de Bouillon.
Votre lettre du 2 m'a été envoyée ce matin par
un exprès de votre frère, par lequel je réponds.
Plus Rome est raisonnable , plus je souhaite qu'on
la ménage et qu'on en conserve l'autorité, oii con-
siste le salut, et le soutien de l'Eglise et de la ca-
tholicité.
J'attends avec impatience le succès de votre de-
mande pour l'induit. Les lettres que m'ont écrit sur
ce
SUR l'affaire du quiétisme. 545
ce sujet M. le cardinal Panciatici et M. le cardinal
Gasanate, en réponse aux miennes, sont très-obli-
geantes, particulièrement celle du dernier.
Je suis ravi de la réponse du grand duc , sur le
sujet de M. de Madot. J ai instruit amplement sur
cette affaire, et j'ai envoyé des mémoires les plus
circonstanciés que j'ai pu, par les voies les plus
efficaces.
Vous avez bien fait de parler au Pape comme vous
avez fait. Je rendrai compte de tout, et M. le car-
dinal de Bouillon doit vous être fort obligé. Il ne
paroît pas qu'à la Cour on prenne grande part à
son démêlé avec l'ambassadeur de l'Empereur, dont
on sait les causes ; et on s'en explique presque pu-
bliquement.
Meaux, ce 20 juin 169g.
LETTRE CCCCXCII.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONGLE.
Sur le cardinal de Bouillon et le pHnce de Monaco.
Je n'ai point reçu de lettre de Paris les deux der-
niers ordinaires , je suppose que je trouverai le tout
à Florence, d'où je vous écrirai la première fois.
M. Poussin vous dira tout le particulier de ce qui
se passe ici. Il me presse d'écrire sur le cardinal de
Bouillon, et la dernière affaire qu'il a eue. Je vous
dirai que ce cardinal a tout sujet de se louer de moi;
,mais il est assez malin pour ne le vouloir pas faire :
au contraire, il n'aime pas les gens à qui il peut avoir
BoSSUET, XLII. 35
546 LETTRES
quelque obligation. Au reste, ce que j'ai cru devoir
feôre, je l'ai fait par un autre principe, que celui
d'avoir l'honneur de ses bonnes grâces.
J'ai commencé ce matin à entretenir M. le prince
de Monaco. J'en suis très-content ; il fera assurément
des merveilles. Il est capable de tout, veut être ins-
truit, est noble, magnifique, et aime le Roi. Le Pape
ne peut plus souffrir le cardinal de Bouillon, et veut
voir le prince de Monaco , quoiqu'il n'ait pas fait
son entrée.
Je parlerai demain à ce ministre de la gi^âce que
je deqiande, et que je n'aurai point sans son se-
cours.
Rome, ce ^5 juin 1699.
LETTRE CCCCXCIIL
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les Lontés que le Pape lui avoit témoignées dans son audience
de congé j et la sensation que faisoit à Rome le procès -verbal
de rassemblée de Cambrai.
JevoujS écris un mot par le courrier que M. de
Monaco renvoie à la Cour. Je pars sans faute de-
main. J'ai pris congé ce matin de Sa Sainteté, dont
j'ai reçu toutes les marques de bonté imaginables
poiu^ vous et pour moi. Je vous rendrai compte du
particulier de cette audience. Le Pape m'a prié de
vous assurer, aussi bien que M. de Paris, de son
affection , de son estime , et de tout ce que vous
pouvez désirer. J'ai entendu sa messe ce matin , il se
1
SUR l'affaire du quiétisme. 547
porte fort bien. J'ai su qu'il avoit de la peine à
m'accorder la grâce de l'induit , que je lui ai de-
mande'e : il a dit qu'il craignoit l'exemple. J'ai cru
ne devoir pas hasarder un refus , parce que M. de
Monaco auroit plus de peine ensuite à ramener le
Pape. Le ministre a reçu des ordres de s'employer pour
moi dans cette affaire. Je lui ai remis votre lettre,
et il m'a comblé de bontés. Il veut demander cette
grâce à Sa Sainteté à sa première audience : je lui
ai donné toutes les instructions nécessaires. M. le
cardinal Panciatici m'a encore donné parole ce ma-
tin , qu'il ne me seroit pas contraire. M. l'ambassa-
deur commencera par lui parler de cette affaire. J'ai
lieu de tout espérer des offices de ce ministre, qui
eut samedi sa première audience de Sa Sainteté,
conduit par M. le cardinal de Bouillon. On ne peut
être plus content que l'est de lui le Pape , qui m'a
fait l'honneur de s'étendre beaucoup avec moi sur
ce sujet, ce matin.
Je vous dirai les correspondances que j'ai établies
ici, qui sont sûres, bonnes et secrètes. Comptez, à
coup sûr, que je pars demain. Je ferai le moins de
séjour qu il me sera possible dans les lieux où je
serai obligé de m'arrêter. J'ai une impatience très*
grande de me voir hors d'ici, et de pouvoir vous re-
joindre.
On ne fera ici semblant de rien sur vos assem-
blées j on sait tout. On a vu le procès-verbal de Cam-
brai ; on y reconnoît bien l'esprit de M. de Cambrai
et ses bonnes intentions : cela ne lui fait pas hon-
neur.
Rome, ce 29 juin 169g.
548> LETTRES
LETTRE CGCCXCIV.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur le jugement qu on portoit à Rome de la conduite de M. de
Cambrai dans l'assemblée de sa province j et le silence politique
de la Cour de Rome à l*égard de ces assemblées.
Nous partîmes hier de Rome en bonne santé, Dieu
merci , et sommes arrivés jusqu'ici en très-bon état.
J'ai laissé à Rome tout tranquille sur ce qui se
passe en France dans les assemblées provinciales.
On a lu le procès -verbal de Cambrai : ils y voient
manifestement le caractère et l'esprit de l'auteur.
M. le cardinal Casanate m'a dit avant-hier, que
M. Févéque de Saint -Omer avoit fait ce que les
cardinaux du saint Office dévoient faire , en ;obli-
geant M. de Cambrai de s'expliquer plus clairement -,
et que l'attache de cet archevêque à ses explications,
faisoit bien voir les sentimens qu'il retenoit dans son
cœur. On ne parlera de rien. Je suis sûr que la Cour
de Rome n'osera faire le moindre bruit sur ce qui
se passe dans les assemblées. Elle voudroit bien
qu'elles fussent toutes finies, pour n'en entendre
plus parler.
M. de Monaco est bien résolu de ne rien oublier
pour m'obtenir mon induit. J'ai appris un moment
avant que de partir de Rome , qu'un de mes amis
ayant parlé de cette affaire au Pape, et lui ayant
représenté que c'étoit une grâce qu'il pouvoit m'ac-
corder, et qu'il paroissoit même un peu dur de
me la refuser dans les circonstances présentes. Je
SUR l'affaire du quiétisme. 549
Pape avoit témoigné être disposé à me la faire, et
avoit demandé mon placet. J'en ai fait avertir M. de
Monaco, pour qu'il pût profiter des dispositions
favorables de Sa Sainteté, qui a la bonté de témoi-
gner à tout le monde son contentement à mon égard.
De Poggi-Bonzi, à vingt milles de Florence, 3 juillet 1609.
LETTRE CCCCXGV.
DE UABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Sur les bontés que le grand duc lui avoit témoignées j l'estime et
Tamitié qu^il avoit fait paroître pour le prélat.
J'arrivai ici le lendemain de ma lettre précédente.
J'ai trouvé cette Cour comme je l'avois laissée, et
en particulier M. le grand duc, plus honnête et plus
plein de bonté que jamais pour vous et pour moi.
Comme M. l'envoyé de France m'a voulu loger cette
fois chez lui , M. le grand duc s'est contenté de m'en-
voyer un magnifique présent de toutes sortes de ra-
fraîchissemens et de provisions. J'ai eu l'honneur de
le voir trois fois dans les quatre jours que j'ai été
ici, plus d'une heure chaque fois. Il m'a paru, comme
à tout le monde , que ce prince avoit quelque plaisir
de m'entretenir. Nous avons parlé de bien des choises,
dont je vous rendrai compte quand je vous verrai,
et vous jugerez de la confiance qu'il a bien voulu
avoir en moi, et qu'il compte sur vous comme sur un
ami. Les sentimens qu'il a pour vous, et les expres-
sions avec lesquelles il les témoigne^ sont au-delà de
tout ce que je puis vous dire.
550 LETTRES
Le premier jour que j'eus l'honneur de le voir, il
me dit qu'il m'attendoit, pour voir avec moi ce qu'il
pourroit faire pour M. de Madot; et puis il m'ajouta
qu'il lui avoit destiné le commandement d'une com*
pagnie de carabiniers à cheval , de deux cents maî-
tres, qui est tout ce qu'il a de meilleur, de plus
honorable, et de plus utile en même temps. Vous
jugez combien j'ai été sensible à ces marques essen-
tielles de bonté, M. de Madot est plus que content :
il vous écrira en détail et plus au long ce que c'est
que cet emploi. S. A. S. m'a promis de vous envoyer
son portrait et ceux de sa maison, que vous souhai-
tez; et la demande que je lui en ai faite, lui a été
très-agréable. Vous lui ferez assurément plaisir de
lui écrire, pour le remercier des bontés dont elle
m'a de nouveau honoré, de ce qu'elle a fait pour
M. de Madot à votre seule considération , et des por-
traits qu'elle m'a promis pour orner votre salon de
Germigny.
J'ai vu M. le cardinal de Médicis à sa campagne,
et ici deux fois M. le grand prince et madame la
grande princesse, qui m'ont parfaitement bien reçu.
Madame la grande princesse m'a mené voir, dans la
chambre où elle couche, les portraits des princes ses
neveux, et de madame la duchesse de Bourgogne.
Elle m'a paru très-sensible à l'attention que la cour
de France a eue, de lui faire le plaisir de lui envoyer
ces portraits.
Vous aurez vu, par mes précédentes, l'esprit de
la cour de Rome sur tout ce qui se passe en France :
je n'ai rien appris de nouveau. Je puis vous dire
qu'autant mes amis, et en particulier madame la
SUR l'affaire du quiétisme. 55i
princesse des Ûrsins, ont été fâchés de me voir
partir , autant M. le cardinal de Bouillon en a été
ravi : c'est une épine à son pied de moins. Cette
Eminence m'a dit un adieu très-tendre, m'a em-
brassé, et m'a chargé de vous dire que rien ne pou-
voit empêcher qu'elle ne vous honorât et ne vous
aimât toute sa vie.
M. l'ambassadeur m'a paru vouloir faire des mer-
veilles pour mon induit. J'espère , plus que jamais ,
l'obtenir par son moyen. M. le grand duc fera aussi
agir sous main.
Je vous envoie une lettre de M. le nonce, que j'ai
reçue à Rome , par laquelle vous verrez les ordres
qu'il a reçus du Pape par M. le cardinal Spada sur
mon chapitre (*), et que tout ce que je vous ai
mandé là-dessus est bien vrai. Ne perdez pas cette
lettre , je vous en prie.
Vous avez raison de toujours supposer que la
cour de Rome est contente de la réception de son
décret en France. Ils n'oseront jamais , ou je serois
bien trompé, faire paroi tre là- dessus aucun mécon-
tentement.
On n'a point fait mention, dans le bref de Sa Sain-
teté à M. de Cambrai, de la première lettre, où il
parle de innocentiam , etc. par deux raisons : Tune,
pour ne pas témoigner l'approuver en rien ; et l'au-
tre , parce qu'il n'adressoit pas son mandement par
cette lettre. On a parlé de la seconde, par laquelle
(") On a vu dans les leUres précédentes, que le nonce avoit eu
ordre de Sa Sainteté, de témoigner au Roi la satisfaction qu'elle
avoit de la conduite de l'abbé Bossuet à Rome.
552 LETTRES
il envoyoit sa soumission, et qu'on n'a jamais pia
voir ici.
IloTence, 9 juillet 1699.
LETTRE CCCCXCVL
DE M. DE NO AILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS,
A L'ABBÉ BOSSCET.
Il justifie la manière dont les évéques avoient accepté le bref
du Pape.
Il y a quelque temps que je ne vous ai écrit.
Monsieur, parce que je vous croyois en chemin;
mais apprenant par votre lettre du 16, que vous
étiez encore à Rome, je ne veux pas manquer à vous
remercier de votre soin à me mander ce qui se passe
où vous êtes.
Je comptois bien qu'on seroit un peu fâché de
ce que notre procès -verbal porte de favorable à
l'épiscopat; mais j'espère que les réflexions appaise-
ronl ies premiers mouvemens de chagrin. On verra,
par les autres procès-verbaux, que nous avons été
bien modérés ; et on trouvera qu'en toute occasion
semblable les évéques en ont usé de même, sur-
tout ceux de France. Notre conscience et notre
honneur ne nous permettoient pas de faire au-
trement.
Je compte que vous aurez eu M. de Monaco peu
de jours après la date de votre lettre, et qu'ainsi
vous êtes présentement en marche. Je vous souhaite
SUR l'afi^^^ii'^e du quiétisme. 553
un heureux voyage et une prompte arrivée en ce
pays. Je me fais par avance un grand plaisir de vous
y entretenir de vos peines et de vos exploits, et de
vous assurer de vive voix, Monsieur, que je suis à
vous avec les sentimens que vous méritez.
Le 6 juillet 1699.
LETTRE CCCCXCVII.
DU PRINCE DE MONACO A BOSSUET.
Sur le désir qu'il avoit d'obtenir pour son neveu Tindult qu il solli-
citoit, et les expressions honorables avec lesquelles le Pape avoit
parlé de ce prélat.
J'ai reçu la lettre. Monsieur, dont vous m'avez
honoré, le 29 du mois de mai : je suis très-sensible
aux expressions obligeantes que vous me faites de
votre amitié, qui m'est infiniment chère, et que je
voudrois bien pouvoir mériter par de véritables ser-
vices.
M. l'abbé Bossuet est parti depuis quelques jours :
j'en ai été très-fâché. Il m'a laissé un Mémoire an
sujet de l'induit de son abbaye, pour lequel il avoit
déjà fait quelque tentative inutile auprès du Pape.
Je prendrai mon temps pour faire de nouvelles ins-
tances à Sa Sainteté, en conséquence même de ce
que m'en a écrit M. le marquis de Torcy de la part
du Roi ; et il ne tiendra pas à mes soins ni à mes
sollicitations, que vous. Monsieur, et M. votre ne-
veu, n'ayez tous deux en cela un entier conten-
tement.
554 LETTRES
Je n'ai encore été admis qu'une fois à Faudience
du saint Père, j*en aurai bientôt une autre : cepen-
dant il m'a déjà parlé très-avantageusement de vous,
m'ayant dit, en propres termes, qu'il vous regar-
doit comme un évéque également doué de vertus,
de piété et de doctrine. M. le cardinal de Bouillon
étoit présent, et je lui dois la justice de vous dire
qu'il fit sur cela son devoir, de même manière que
je fis le mien. Je souhaite avoir de fréquentes occa-
sions de le remplir par d'autres endroits, afin de
vous donner des preuves convaincantes de la pas-
sion sincère avec laquelle je suis bien certainement.
Monsieur, etc.
A Rome, ce 7 juillet i6gg.
LETTRE CCCCXCVIII.
DE BOSSUET A SON NEVEU.
Sur une lettre du prince de Monaco et sur la duchesse de Bourgogne.
J'ai reçu vos lettres de Rome, du 27 et du 29
juin, par des courriers extraordinaires, et depuis
par l'ordinaire celle du 23. Selon celle du 29, vous
devez être parti le lendemain. M. de Monaco n'avoit
pas encore reçu ma lettre que vous lui avez ren-
due. Il promettoit d'agir pour votre induit , le
plus efficacement qu'il lui seroit possible, et parloit
très - obligeamment pour vous à M. le marquis de
Torcy.
Je me réjouis avec vous du plaisir que vous avez
eu d'embrasser M. le comte de Brionne , qui vous
SUR l'affaire du quiétisme. 555
aura procuré une bonne réception dans la cour de
Turin. Je n'en puis point douter, après la manière
obligeante dont madame la duchesse de Bourgogne
a bien voulu écrire de vous et de moi. Cette
princesse est toujours la merveille et les délices de
la Cour : elle croît sensiblement; et on est ravi de
l'avoir. Je pars demain pour Meaux , où quelques
affaires iç'appellent. J'embrasse M. Phelippeaux.
A Paris, ce 12 juillet 1699.
i.«/«>^-«>«>%'«/«'^i
LETTRE CCCCXCIX.
DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.
Il lui rend compte des honnêtetés qu'il a reçues à Bologne, et
surtout à la cour de Modène.
Je partis , comme vous l'avez vu par ma lettre du
9 de ce mois, de Florence la nuit du même jour que
je passai les montagnes très-fâcheuses de l'Apennin ,
qui durent près de trente lieues jusqu'à Bologne,
où j'arrivai le lendemain 10 à midi. Je suis resté le
samedi et le dimanche à Bologne, où j'ai vu les
deux cardinaux qui y résident, quaje n'avoispas vus
à Rome. L'un est le cardinal Buoncompagno, ar-
chevêque, et l'autre, le cardinal Dada, légat. Le
premier est un très -excellent évêque et très bon
homme; et l'autre, un très-habile homme, et qui a
beaucoup d'esprit, très-informé de tout ce qui se
passe partout. Il me donna le dimanche un dîner
magnifique, et ces deux cardinaux m'ont fait toutes
les amitiés et les honneurs imaginables. M. le car-
556 LETTllES
dinal Buoncompagno vouloit absolument me loger
chez lui. Je me suis tiré de tous ses complimens, en
partant de Bologne, hier lundi, à la pointe du
jour.
Je suis arrivé ici en trois heures. J'y ai trouvé cette
Cour. J'ai vu Taprès-dînée madame la duchesse de
Brunswick, qui m'a fait mille et mille honnêtetés,
et dont j'ai reçu tous les bons traitemens imaginables.
Madame la princesse avoit eu la bonté de lui écrire
en particulier sur mon chapitre; et cette princesse
est pleine pour vous de tous les sentimens d'estime
et d'amitié que vous pouvez désirer, aussi bien que
M. le duc de Modène, qui, quoique incommodé^
voulut me faire l'honneur de me voir, et me dit sur
vous tout ce que Ton peut dire, en me chargeant
de vous assurer des témoignages de son estime et de
son amitié.
Je crois que vous ne pouvez vous dispenser de
lui écrire sur ce sujet, ou il faudra, dans la lettre
que vous écrirez à madame la duchesse de Bruns-
wick, faire un article particulier sur les témoi-
gnages de bonté de ce prince, tant envers vous
qu'envers moi. Je ne sais s'il y auroit quelque diffi-
culté sur le traitement que des évêques doivent à
madame de Brunswick : je ne crois pas qu'il puisse
y en avoir. Le titre d'altesse lui est dû sans diffi-
culté, les électeurs ayant un rang distingué des
autres princes, même souverains, jusqu'à avoir la
préséance sur M. le duc de Savoie, qui leur a cédé.
Je voulois partir la nuit passée pour Ferrare et
Venise , mais mesdames les duchesses de Brunswick
et de Modène m'ont retenu encore aujourd'hui, pour
Sun l'affaire du QUIÉTÏSME. 55^
me faire voir ]a maison de campagne de M. le duc ,
qui est fort belle ; après quoi je partirai pour pour-
suivre ma route.
Si le temps reste couvert demain, comme il lest
aujourd'hui , et qu'en arrivant à la pointe du jour à
Ferrare , je puisse voir le cardinal Astalli , légat , et
le cardinal Paolucci , archevêque , je me trouverai
demain au soir bien près de Venise , quoiqu'il y ait
plus de cent milles d'ici ; mais le chemin est le plus
beau du monde. J'y serai après-demain au plus tard.
Je ne resterai à Venise que le moins qu'il me sera
possible ; et j'espère en pouvoir repartir lundi ou
mardi 2 1 , pour m'acheminer vers Milan , par
Padoue , Ve'rone , Mantoue , Parme , Plaisance et
Pavie. Je ne m'arrêterai partout que quelques
heures, voulant arriver à Turin avant, s'il est pos-
sible , que le duc en parte. J'espère recevoir de vos
nouvelles à Venise, et je vous écrirai de là.
Modèue, ce i4iiiiïlet.
LETTRE D.
DU P. ROSLET, MINIME, A L'ABBË BOSSUET.
Sur le mandement de M. de Meauxj et sur le Discours de M. d'A-
guesseau, et l'arrêt du Parlement pour la réception du bref
qu'on avoit traduit , et qu'on vouloit faire censurer.
J'ai reçu. Monsieur, avec un très-grand plaisir y
vos deux lettres du 28 septembre , qui m'ont appris
le favorable accueil que vous avez reçu du Koi , en
558 LETTRES
présence de toute sa Cour. J'en ai fait part à vos
amis , qui m'en ont tous te'moigné beaucoup de joie.
Pour moi, je souhaite de tout mon cœur que ce
bon commencement ait des suites aussi heureuses et
aussi éclatantes que vous le méritez.
On ne m'a remis que quatre exemplaires du man-
dement de monseigneur de Meaux, qui a eu ici
l'approbation universelle. Je n'ai pu le donner
qu'aux cardinaux Casanate, Panciatici et Albane,
qui vous remercient et vous honorent parfaite-
ment.
Le cardinal Ottoboni s'est avisé de faire traduire
en latin et en italien , le discours de M. d'Aguesseau
et l'arrêt du parlement, et en a répandu beaucoup
de copies, qui ont excité un si grand murmure,
qu'on ne parloit de rien moins que de faire censu-
rer ledit arrêt. Mais il n'en sera rien ; les malveillans
seront confondus : car j'ai vu le Pape et les cardi-
naux, et leur ai fait connoître que la protestation
faite par les cours souveraines, ne tombant que sur
des formalités contraires aux usages de France, et
n'ayant pas empêché qu'on n'acceptât avec respect
et avec éloge le jugement apostolique, il n'y avoit
nulle raison de se plaindre, que de ceux qui avoient
empêché qu'on ne donnât une bulle, espérant peut-
être que ce défaut rendroit la condamnation du
mauvais livre inutile. J'ai agi dans cette petite né-
gociation suivant les ordres de M. l'ambassadeur,
qui n'a pas jugé e^ propos de se plaindre lui-même
avant coup, faisant toutes choses avec une souve-
raine prudence.
SUR l'affaire du quiétisme. 559
J'ai rendu vos lettres à dom Louis et au père La-
tenai. M. Charmot vous doit écrire le bon e'tat de
son affaire : les quesoti sont régle's ; il en doit en-
voyer copie aujourd'hui, ou l'ordinaire prochain.
On tient la condamnation du culte de Confucius
inévitable. Personne ne vous honore plus parfaite-
ment que je fais et que je ferai toute ma vie.
Fr. Z. R.OSLET, Minime.
Le 20 octobre 169g.
LETTRE DL
DU P. LATENAI, CARME, A L'ABBÉ BOSSUET.
Sur les dispositions des esprits à Tégard des procès-verbaux des
assemblées des évêques de France , et particulièrement à l'égard
du Discours de M. d'Aguesseau.
Les procès -verbaux sur le bref, n'ont pas fait
grand bruit au commencement, comme vous savez :
on ne s'est pas même fort ému tout d'abord du Dis-
cours de M. d'Aguesseau. Le Pape, à qui on en lut
quelques endroits , parut en être satisfait, quoiqu'il
supposât qu'il finiroit par des protestations contre
le motu proprioj et en faveur du droit des évêques,
pour juger de la doctrine en première instance. A la
fm pourtant, il s^est élevé un grand bruit contre
toutes ces pièces. Un Espagnol, dit-on, a traduit le
Discours avec des réflexions malignes. On s'est mis
en état de les combattre et de rassurer les esprits
alarmés; on croit même y avoir réussi : cela pa-
56o LETTRES
roissoit au moins à l'extérieur ; je doute cependant
que cela soit tout-à-fait ainsi, et autant que nos
Français le croient. Mon doute n'est pas sans fonde-
ment : comme ne'anmoins l'importance de l'affaire
et la coutume de cette Cour ne permettent pas de
croire qu'on précipite rien, quand même on vou-
droit pousser les choses à bout ; un peu d'attention
sur cette affaire découvrira bientôt les desseins ca-
chés, s'il est vrai qu'il y en ait contre nous. Je suis
très-persuadé que le Pape est fort disposé à appaiser
toutes choses; mais vous savez, Monsieur, qu'on a
envie de finquiéter, et que ces gens-là ne sont pas
de nos amis. Ainsi il est comme obligé d'agir exté-
rieurement contre son inclination , pour calmer les
esprits.
Je ne vous dis rien de l'affaire de la Chine, on
vous en informera mieux par ailleurs : on assure
qu'elle est en fort bon état, et que Ton a dressé les
articles dans des termes si précis, que les Jésuites
même, s'ils en étoient les juges, ne pourroient que
les condamner.
On a enfin découvert la belle chapelle de Saint-
Ignace : il y paroît tant de richesses, qu'elles font
peur à nos Romains ; ils la regardent comme une
forteresse , d'où la Société menace tout le monde de
sa puissance. Pour moi, qui fais plus de réflexions
morales que politiques, je la considère comme l'ou-
vrage et la merveille de l'opinion probable.
Vous savez, Monsieur, la disgrâce du père Dias,
par la défense d'approcher du palais du Pape, et de
parler à aucun de ses ministres : vous savez encore
avec
SUE. l'affaire du quiétisme. 56i
avec quelle fierté il y répondit, en prétendant que
cette défense ne regardoit que l'Empereur, son am-
bassadeur, le roi d'Espagne, avec le vice - roi de
Naples, et non lui. Le Pape fait agir à la cour de
Madrid, afin qu'on rappelle ce religieux. Je vous
supplie d'être persuadé qu'on ne peut être avec plus
de respect que je suis, etc.
Rome, 20 octobre 1699.
RÉQUISITOIRE
Pour T enregistrement du Bref contre le Iwre des
Maximes des Saints,
Prononcé par M. d'Aguesseau, avocat-général, le 14 août 1699,
Ce jour, les grand* chambre et tournelle assemblées, les
gens du Roi sont entrés, et M.® Henri-François d'Agues-
seau, avocat dudit seigneur Roi, portant la parole, ont
dit:
Messieurs,
Nous apportons à la Cour des lettres-patentes , par les-
quelles il a plu au Roi d'ordonner l'enregistrement et la
publication de la constitution de notre saint père le Pape,
qui condamne le livre intitulé : Explication des maximes
des Saints sur la vie intérieure , composé par messire
François de Salignac de Fénélon, archevêque de Cambrai;
et nous nous estimons heureux de pouvoir vous annoncer
en même temps la conclusion de cette grande aflfaire, qui,
après avoir tenu toute l'Eglise en suspens pendant plus de
deux années, lui a donné autant de joie et de consolation
BOSSUET. XLII. 36
56îî' LETTRES
dans sa fin, qu'elle lui avoit causé de douleur et d'inquié-
tude dans son commencement.
Ce saint, ce glorieux ouvrage, dont le succès inte'ressoit
également la religion et l'Etat, le sacerdoce et l'Empire,
est le fruit précieux de leur parfaite intelligence. Jamais
les deux puissances suprêmes, que Dieu a établies pour
gouverner les hommes, n'ont concouru avec tant de zèle,
disons même avec tant de bonheur , à la fin qui leur est
commune, c'est-à-dire, à la gloire de celui qui prononce
ses oracles par la bouche de l'Eglise , et qui les fait exécuter
par l'autorité des rois.
Des ténèbres _, d'autant plus dangereuses qu'elles em-
pruntoient l'apparence et l'éclat de la plus vive lumière,
commençoient à couvrir la face de l'Eglise. Les esprits les
plus élevés , les âmes les plus célestes ^ trompées par les
fausses lueurs d'une spiritualité éblouissante, étoient celles
qui couroient avec le plus d'ardeur après l'ombre d'une
perfection imaginaire ; et si Dieu n' avoit abrégé ces jours
d'illusion et d'égarement, les élus même, s'il est possible,
et s'il nous est permis de le dire après l'Ecriture, auroient
été en danger d'être séduits.
La vérité s'est fait entendre par la voix du Pape, et
par celle des évêques : elle a appelé la lumière, et la lu-
mière est sortie du sein des ténèbres. Il n'a fallu qu'une
parole pour dissiper les nuages de l'erreur j et le remèdes
a été si prompt et si efficace, qu'il a effacé jusqu'au sou-
venir du mal dont nous étions menacés.
Un des plus saints pasteurs que Dieu, dans sa miséri-
corde, ait jamais donnés à son Eglise, un Pape digne par
son éminente piété d'être né dans ces siècles heureux où
le ciel met toit au nombre de ses saints tous ceux que
Rome avoit élevés au rang de ses pontifes , est celui que
la Providence a choisi pour faire ce discernement si né-
cessaire , mais si difficile, entre la vraie et la fausse spiri-
tualité. La gloire en étoit due à un pontificat si pur , si
SUR l'affaire du quiétisme. 563
désintéressé , si pacifique; il semble que Dieu^ dont les
yeux sont toujours ouverts «ur les besoins de son Eglise,
ait prolonge les jours de notre saint pontife^ qu'il ait ra-
nime sa vieillesse comme celle de Taigle, pour parler eu*
core le langage de l'Ecriture , et qu'il lui ait inspiré une
nouvelle ardeur à l'extrémité de sa course, pour le mettre
en état d'être non-seulement l'auteur, mais le consomma-
teur de ce grand ouvrage.
L'Eglise gallicane, représentée par les assemblées des
évéques de ses métropoles, a joint son suffrage à celui du
saint Siège : animée par l'exemple et par lés doctes écrits
de ces illustres prélats qui se sont déclarés si hautement
les zélés défenseurs de la saine doctrine, elle a rendu uii
témoignage éclatant de la pureté de sa foi. La vérité n'a
jamais remporté une victoire si célèbre ni si complète sur
l'erreur; aucune voix discordante n'a troublé ce saint con-
cert , cette heureuse harmonie des oracles de l'Eglise. Et
quelle a été sa joie , lorsqu'elle a vu celui de ses pasteurs
dont elle auroit pu craindre la contradiction , si son cœur
avoit été complice de son esprit , plus humble et plus
docile que la dernière brebis du troupeau, prévenir le
jugement des évêques, se hâter de prononcer contre lui-
même une triste, mais salutaire censure, et rassurer
l'Eglise effrayée de la nouveauté de sa doctrine, par là
protestation aussi prompte que solennelle d'une soumission
sans réservée, d'une obéissance sans bornes, et d'un ac-
quiescement sans ombre de restriction I
Que restoit-il après cela, si ce n'est qu'un roi dont le
règne victorieux n'a été qu'un long triomphe, encore plus
pour la religion que pour lui-même. Voulût toujours mé-
riter le titre auguste de protecteur de l'Eglise et d'é-
vêque extérieur, en joignant les armes visibles de la
puissance royale à la force invisible de l'autorité ecclé-
siastique?
G'eât lui, qiii^ après avoir donné aux évêques la sainte
564 LETTRES
consolation de traiter en commun des affaires de la foî,
suivant la pureté de Tancienne discipline, met aujour-
d'hui le dernier sceau à leurs délibérations , en ordonnant
que la constitution du Pape, acceptée par les Eglises de
son royaume, sera reçue, publiée, et exécutée dans ses
Etats.
Nous avons vu avec plaisir les évéques renouvela en
faveur de ce grand prince, ces saintes acclamations, ces
vœux si tendres et si touclians que les Pères des conciles
généraux ont faits autrefois en faveur des empereurs ro-
mains. Qu'il nous soit permis d'emprunter aussi leurs élo-
quentes expressions, et de dire après eux avec encore
plus de vérité : Grâces immortelles au nouveau David , au
nouveau Constantin , illustre par ses conquêtes, plus illustre
encore par son zèle pour la religion. Vainqueur des enne-
mis de l'Etat, il triomphe avec plus de joie de ceux de
l'Eglise. Destructeur de l'hérésie, vengeur de la foi, auteur
cle la paix , plein de ce double esprit qui forme les grands
rois et les grands évêques , roi et prêtre tout ensemble ;
ce sont les termes du concile de Chalcédoine : que la Pro-
vidence , qui lui a donné ce cœur royal et sacerdotal , le
conserve long-temps sur la terre pour la gloire de la reli-
gion , et pour notre bonheur : que le Dieu qu'il fait ré-
gner en sa place, étende le cours de sa vie au-delà des
bornes de la nature; et que le Roi du ciel protège toujours
celui de la terre. Ce sont les vœux des pasteurs, ce sont
les prières des Eglises ; et nous osons dire , Messieurs ,
que ce sont encore plus, s'il est possible, et vos souhaits et
les nôtres*
Ne craindrons-nous point de mêler à des applaudisse-
mens si justement m.érités, les protestations solennelles
que le public attend de nous en cette occasion , contre les
conséquences que l'on pourroit tirer un jour de l'extérieur
et de l'écorce d'une constitution qui ne renferme rien dans
sa substance, que de saint et de vénérable.
SUR l'affaire du quiétisme. 565
Maïs sans attester ici avec nos illustres pre'de'cesseurs ,
la foi de ce serment inviolable qui nous a dévoués à la
défense des droits sacrés de l'Eglise et de l'Etat , ne nous
suffit -il pas de pouvoir nous rendre ce témoignage à
nous-mêmes, que nous marchons avec autant de confiance
que de simplicité, dans la route que nos pasteurs nous
ont tracée?
Comme eux, nous adhérons à cette doctrine si pure que
le chef de l'EgHse , le successeur de saint Pierre , le vicaire
de Jésus-Christ, le père commun de tous les fidèles, vient
de confirmer par sa décision.
Mais comme eux aussi, et nous devons dire même,
encore plus qu'eux, nous sommes obligés de conserver
religieusement le dépôt précieux de Tordre public, que
le Roi veut bien confier à notre ministère, et de le trans-
mettre à nos successeurs, aussi pur^ aussi entier, aussi
Tespectable que nous Tavons reçu de ceux qui nous ont
précédés.
Après cela, nous ne nous engagerons point dans de
longues dissertations, ni sur la forme générale de la cons-
titution dont nous venons au nom du Roi requérir l'enre-
gistrement, ni sur les clauses particulières qu'elle ren-
ferme.
Nous savons que le pouvoir des évêques et l'autorité
attachée à leur caractère d'être juges des causes qui re-
gardent la foi , est un droit aussi ancien que la religion ,
aussi divin que l'institution de l'épiscopat, aussi immuable
que la parole de Jésus-Christ même :
Que cette doctrine établie par l'Ecriture, confirmée par
le premier usage de l'Eglise naissante , soutenue par
l'exemple de ce qui s'est passé d'âge en âge et de géné-
ration en génération dans les causes de la foi, transmise
jusqu'à nous par les Pères et par les docteurs de l'Eglise,
enseignée par les plus saints papes, attestée dans tous les
siècles par la bouche de ceux qui composent la chaîne in-
^66 LETTRES
dissoluble de la Tradition , et surtout par les témoignages
anciens et nouveaux de l'Eglise de France , n'a pas besoin
du secours de notre foible voix, pour e ire regardée comme
une de ces vérités capitales que l'on ne peut attaquer sans
ébranler l'édifice de l'Eglise dans ses plus solides fonde -
mens.
Que si des esprits peu éclairés avoient besoin de preuves
pour être convaincus de cette grande maxime, il suffiroit
de les renvoyer aux savans actes de ces assemblées provin-
ciales , que la postérité conservera comme un monument
glorieux des lumières et de l'érudition de l'Eglise galli-
cane.
C'est là qu'ils apprendront beaucoup mieux que dans,
nos paroles quelle multitude de faits , quelle nuée de té-
moins s'élèvent en faveur de l'unité de l'épiscopat.
C'est là qu'ils reconnoîtront que si la division des
royaumes^ la distance des lieux, la conjoncture des affaires ,
la grandeur du mal , le danger d'en difféier le remède ,
ne permettent pas toujours de suivre l'ancien ordre et
les premiers vœux de l'Eglise, en assemblant les éveques ;
il faut au moins qu'ils examinent séparément ce qu'ils
n'ont pu décider en commun , et que leur consente-
ment, exprès ou tacite, imprime à une décision véné-
rable par elle-même, le sacré caractère d'un dogme de
la foi.
Et soit que les évêques de la province étouffent l'erreur
dans le lieu qui l'a vu naître, comme il est presque tour
jours arrivé dans les premiers siècles de l'Eglise; soit
qu'ils se contentent d'adresser leurs consultations au sou-
verain pontife sur des questions dont ils auroient pu être
les premiers juges comme nous l'avons vu encore prati-
quer dans ce siècle; soit que les empereurs et les rois con-
sultent eux-mêmes et le Pape et les éveques, comme
l'Orient et l'Occident en fournissent d'illustres exemples;
soit enfin que le vigilance 4^ saint Siège prévienne celle
sur. l'affaiue du quiétisme. 56^
des autres Eglises, comme on Ta souvent remarque' dans
ces derniers temps ; la forme de la décision peut être dif-
férente, quand il ne s'agit que de censurer la doctrine,
et non pas de condamner la personne de son auteur ; mais
le droit des éveques demeure inviolablement le même ,
puisqu'il est vrai de dire qu'ils jugent toujours également,
soit que leur jugement précède , soit qu'il accompagne ,
ou qu'il suive celui du premier Siège.
Ainsi , au milieu de toutes les révolutions qui altèrent
souvent l'ordre extérieur des jugemens, rien ne peut,
ébranler cette maxime incontestable qui est née avec l'E-
glise, et qui ne finira qu'avec elle : que chaque siège,
dépositaire de la foi et de la tradition de ses pères, est en
droit d'en rendre témoignage , ou séparément , ou dans
l'assemblée des évoques; et que c'est de ces rayons parti-
culiers que se forme ce grand corps de lumière, qui,
jusqu'à la consommation des siècles, fera toujours trem-
bler l'erreur , et triompher la vérité.
Nous sommes même persuadés que jamais il n'a été
moins nécessaire de rappeler ces grands principes de
l'ordre hiérarchique , que sous le sage pontificat du Pape
qui nous gouverne.
Successeur aes vertus encore plus que de la dignité du
grand saint Grégoire , il croiroit , comme ce saint Pape ,
se faire une injure à lui-même, s'il donnoit la moindre
atteinte au pouvoir de ses frères les évêques : mihi inju-
riam facio y si fratrum meorum jura perturba. Il sait
comme lui_, que l'honneur de l'Eglise universelle est
son plus grand honneur ; que la gloire des évêques est
sa véritable gloire j et que plus on rehausse l'éclat de
leur grandeur, plus on relève la dignité de celui que
la Providence divine a certainement placé au-dessus
d'eux.
Il aspire à être aussi saint , mais non pas plus puissant
dans l'Eglise, que ces fermes colonnes de la vérité , saint
568 LETTRES
Innocent, saint Léon, saint Martin, et tant d'autres saints
pontifes, qui, tous e'galement assis dans la chaire du
prince des apôtres , n'ont pas cru avilir la dignité du saint
Siège, lorsqu'ils ont jugé que le suffrage des évêques de-
voil affermir irrévocablement l'autorité de leur décision^
et que c'étoit à ce caractère sensible d'une parfaite union
des membres avec leurs chefs , que tous les Chrétiens
étoient obligés de reconnoître la voix de la vérité et le
jugement de Dieu même.
Nous pourrions donc dire avec confiance, qu'il ne se-
roit pas absolument nécessaire de protester ici en faveur
du pouvoir et de l'autorité des évéques , si nous étions
assurés d'obtenir toujours de la faveur du ciel un Pape
semblable à celui qu'il laisse encore à la terre.
Mais comme les temps ne seront peut être pas toujours
aussi tranquilles , aussi éclairés , aussi heureux que ceux
dans lesquels nous vivons , nous ne pouvons nous dis-
penser , Messieurs , de vous supplier ici de prévenir par
une modification salutaire, les avantages que l'ignorance
ou l'ambition des siècles à venir pourroit tirer un jour de
ce qui s'est passé touchant la constitution du Pape que
nous avons l'honneur de vous présenter.
Dispensateurs d'une portion si considérable de l'auto-
rité du Roi, consacrez-la, comme lui, à la défense et à
la gloire de l'Eglise j conciliez par un sage tempérament
les intérêts du Pape avec ceux des évêques; recevez son
jugement avec une profonde vénération, mais sans af-
foiblir l'autorité des autres pasteurs. Que le Pape soit
toujours le plus auguste , mais non pas l'unique juge de
notre foi; que les évêques soient toujours assis après lui^
mais avec lui, pour exercer le pouvoir que Jésus-Christ
leur a donné en commun d'instruire les nations et d'être
dans tous les temps et dans tous les lieux les lumières du
monde.
Après avoir envisagé la constitution que nous apportons
Sun LAFFAIIIE DU QUIÉTISME. 56*1)
à la Cour , par rapport à la forme générale de la déci-
sion, deux clauses particulières qui y sont insérées, at-
tirent encore Tattenlion de notre ministère.
L'une est la clause qui porte, que la constitution est
ëmanée du propre mouvement de Sa Sainteté.
Clause qui ne s'accorde ni avec l'ancien usage de l'Eglise,
suivant lequeHes dérisions du Pape dévoient être for-
mées dans son^-concile , ni avec la discipline présente,
dans laquelle cet ancien concile est représenté par le
collège des cardinaux.
Clause que les docteurs ultramontains ont même re-
gardée comme peu honorable au saint Siège; puisque
selon eux , dans sa première origine , elle faisoit considérer
la décision du Pape , plutôt comme l'ouvrage d'un doc-
teur particulier, que comme le jugement du chef de
l'Eglise.
Clause enfin contre laquelle nos pères se sont élevés
en 1623 et en 1646, et qui, quoique beaucoup plus
innocente dans la conjoncture de cette affaire , ne doit
jamais être approuvée parmi nous , quand même on
ne pourroit lui opposer que la crainte des consé-
quences.
L'autre clause est celle qui prononce une défense géné-
rale de lire le livre condamné , même a l'égard de ceux
qui ont besoin d!une mention expresse.
Il seroit inutile de s'étendre ici sur .la nouveauté et sur
les inconvéniens de cette clause. Yous savez. Messieurs,
de quelle importance il est de ne se relâcher jamais de
l'observation exacte de ces grandes maximes que les papes
eux-mêmes nous ont enseignées, lorsqu'ils ont reconnu
qu'il y a des personnes qui ne sont jamais comprises
ni dans les décrets du saint Siège , ni dans les Canons
des conciles , quelque générale que soit leur disposi-
tion , si elles n'y sont nommément et expressément dé-
signées.
5yO LETTRES
Nous sommes convaincus que l'on n'abusera jamais de
ce style nouveau , qui semble donner atteinte indirecte-
ment à cette maxime inviolable j et trop de raisons nous
empêchent de craindre un pareil abus, pour vouloir en
relever ici les conse'quences.
Mais quelque assurance que nous ayons sur ce sujet ,
nous manquerions à ce que nous devons au Roi , au pu-
blic , à nous-mêmes, si nous ne déclarions au moins
que nous ne pouvons approuver une clause qu'il nous
suffit de regarder comme nouvelle , pour ne la pas re-
cevoir.
Telles sont , Messieurs , toutes les observations que
notre devoir nous oblige de faire, et sur la forme géné-
rale , et sur les clauses particulières de la constitution.
Nous n'avons eu qu'un seul but en vous les expliquant ;
et tout ce que notre ministère exige de nous, après l'ac-
ceptation solennelle des Eglises de France , se réduit à
vous proposer aujourd'hui d'imiter cette simple, mais
utile protestation que nous trouvons dans les souscriptions
d'un ancien concile d'Espague : Salvâ priscorum Canonum
auctoritate.
C'est sur ce modèle que nous avons cru devoir former
les conclusions que nous avons prises par écrit en la ma-
nière accoutumée; nous les déposons entre vos mains,
et nous les soumettons avec respect à la supériorité de
vos lumières.
C'est par vos yeux que le Pvoi veut examiner l'extérieur
et la forme du bref que nous vous apportons ; c'est à vous
qu'il confie la défense des droits sacrés de sa couronne,
et ce qui ne lui est pas moins cher , la conservation des
saintes libertés de l'Eglise gallicane ; persuadé que , bien
loin d'altérer cette heureuse concorde que nous voyons
régner entre l'Empire et le sacerdoce , vous l'alTermirez
par la sagesse de vos délibérations, afin que les vœux
communs de l'Eglise et de l'Etat soient également exaucés^
suii l'affaire du quiétisme. 571
et que ne séparant plus les ouvrages de deux puissances
qui procèdent du même principe, et qui tendent à la
même fin, nous respections en même temps, selon la
pensée d'un ancien auteur ecclésiastique , et la majesté
du Roi dans les décrets du souverain Pontife , et la sainteté
du souverain Pontife dans les ordonnances du Roi : Ita
sublimes istœ personœ tantâ unanimitate jiwganiur, ut
Rex in Romano Ponlifice _, et Romanus Pontijex inve-
niatur in Rege,
C'est dans cette vue que nous requérons qu'il plaise à
la Cour ordonner que les lettres-patentes du Roi en forme
de déclaration , et la constitution du Pape , seront en-
registrées , lues et publiées en la manière ordinaire ,
aux charges portées par les conclusions que nous remet-
tons entre ses mains avec les lettres-patentes et la consti-
tution.
LETTRE DU.
DE BOSSUET A M. DE RANGÉ
ANCIEN ABBE DE LA TRAPPE,
I
Il lui envoie la Relation sur Tafliaire de Cambrai, et la Censure de
rassemblée du clergé de France, et s'excuse de ne pouvoir, celle
année, aller à la Trappe.
Monsieur deSéez, votre cher évêque, se charge,
mon révérend Père , de vous envoyer avec cette
lettre, un exemplaire de la Relation sur l'affaire de
Cambrai, et un de la Censure de notre assemblée.
Je ne doute pas que vous ne rendiez grâces à Dieu
5-^2 LETTRES
de nous avoir inspiré ces deux choses, qui seront,
s'il plaît à Dieu, utiles à l'Eglise. Il me resteroit une
chose à faire , qui seroit la consolation de vous aller
voir; mais je crains d'être privé cette année de cette
joie, par le besoin que j'ai d'aller chez moi, après
quatre moi^ d'absence, sans presque avoir eu le
temps de pourvoir aux affaires de mon diocèse. Ai-
mez-moi toujours, mon révérend Père, et soyez
persuadé de mon inviolable attachement à votre
personne et à la sainte maison.
A Saint-Germain, ce 16 septembre 1700.
DIII.
MANDEMENT
DE Mo"^ FRANÇOIS DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON,
ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI,
Pour la publication de la Constitution de notre saint père
le Pape , portant condamnation du livre intitulé :
Explication des Maximes des Saints, etc,
François, par la miséricorde de Dieu, etc. à tout
le clergé tant séculier que régulier, et à tous les
fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction en
notre Seigneur.
Quoiqu'il ne reste à aucun devons, mes très-
chers Frères , rien à apprendre touchant la Consti-
#
suii'l'affaire T)u quiétisme. 573
lution de notre saint père le Pape, en forme die bref,
dont nous vous instruisîmes par notre Mandement
du 9 avril 1699 (*), et que nous fîmes ensuite in-
se'rer tout du long dans le procès -verbal de notre
assemblée provinciale, répandu par nos soins dans
tous les Pays-Bas, nous voulons bien néanmoins,
pour plus grande précaution , vous le rapporter ici
traduit en français.
Suit le Bref tout entier en langue française.
Vous savez, mes très-chers Frères, que par notre
premier Mandement nous avons adhéré audit Bref
simplement, absolument, sans ombre de restriction,
condamnant avec les mêmes qualifications, tout ce
qui y est condamné, et défendant la lecture du livre
sous les mêmes peines. C'est pourquoi nous n'avons
rien à ajouter audit Mandement ; et comme nous
avions déjà fait enregistrer ledit Bref au greffe de
notre ofTicialité, il ne nous reste qu'à ordonner que,
conformément à la délibération de notre assemblée
provinciale, et à la Déclaration du Roi qui l'a suivie,
le présent Mandement , avec le Bref qui y est inséré,
sera lu d'un bout à l'autre dans toutes les églises de
ce diocèse, et que, selon notre premier Mandement,
les exemplaires du livre , s'il y en avoit encore quel-
qu'un dans les mains des fidèles , nous seront rap-
(*) On a déjà vu ce premier Mandement dans la Relation de ras-
semblée de 1700, tom. XXX, p. 453, etc. Dom Déforis paroît n'avoir
pas connu celui-ci j du moin;i il ne Fa point donné. ( Edit de Vers. )
5^4 LETTRES SUR l'aFFAIIIE DU QUIÉTISME.
portés sans aucun retardement. Fait à Lessines, dans
le cours de nos visites, le 3o septembre 1700 (*).
Signé François , archevêque duc de Cambrai.
Par Monseigneur,
Des Axges, secrétaire.
(*) M. Tarchevêque de Cambrai n'a publié ce second Mande-
ment, au sujet de la condamnation de son livre, qu'après un
ordre qui lui fut donné de la part du Roi, de se conformer à
tous les autres évéques, lesquels, en exécution des délibérations
prises dans leurs assemblées provinciales , avoient ordonné par
tous les diocèses la publicalioa de la Gonstilutioa dlniiocent Xll.
(iVote de Vabbé Ledlcu)
i
LETTRES
ÉCRITES A BOSSUEÏ
PAR DIVERSES PERSONNES.
^
AVERTISSEMENT.
Les lettres suivantes, qui terminent celte cor-
respondance , ont été écrites à Bossuet , soit par
ses amis , soit par des savans qu'il mettoit à con-
tribution pour des recherches sur divers points
de critique ou d'histoire, par rapport aux ouvrages
dont il s'occupoit pour la défense de la religion.
Quoique nous n'ayons pas les réponses qu'il y a
faites, les détails curieux qu'on trouve dans la
plupart de ces lettres, feroient regretter leur sup-
pression.
D. Déforis en les publiant , les avoit classées par
ordre de date : nous avons préféré réunir à la suite
les unes des autres les lettres des mêmes personnes,
parce qu'elles roulent ordinairement sur les mêmes
matières.
Nous avons mis en tête trois lettres de Bossuet
qui n'avoient point été imprimées jusqu'à nos
jours. Elles nous ont été connues trop tard pour
les placer dans les volumes précédens.
LETTRES
LETTRES
DIVERSES.
LETTRE PREMIÈRE.
DE BOSSUET A M. DE VERNON,
PROCUREUR DU ROI AU PRESIDIAL DE MEAUX (*).
Il le prie d'empêcher les assemblées, et les représentations qui
pourroient porter au mal.
Il n'y a rien de plus important que d'empêcher
les assemblées, et de châtier ceux qui excitent les
autres ; ainsi je ne puis que louer votre zèle, et vous
remercier de l'avis que vous me donnez de ce qui
se passe. Pendant que vous prenez tant de soin de
réprimer les mal-convertis, je vous prie de veiller
aussi à l'édification des catholiques, et d'empêcher
les marionnettes, où les représentations honteuses,
les discours impurs, et l'heure même des assemblées
porte au mal. Il m'est bien fâcheux, pendant que je
tâche à instruire le peuple le mieux que je puis,
qu'on m'amène de tels ouvriers, qui en détruisent
plus en un moment , que je n'en puis édifier par un
long travail. Je suis de tout mon cœur, comme vous
savez, etc.
A Paris, 18 nouembrc 1686.
(*) L'original de celte lettre est conservé à Meaux par un des
descendans de M. de Vernon, qui nous en a donné coramuui-
cation. {Edit. de f^ers.)
BoSSUET. XUI. 37
5^8 LETTRES DIVERSES.
LETTRE IL
DE BOSSUET A LA MARQUISE DE LAVAL (*).
JI lui témoigne sa joie de la nomination de Fénélon à la place
de précepteur du duc de Bourgogne.
Hier, madame, je ne fus occupé que du bonheur
de l'Eglise et de TEtat. Aujourd'hui que j'ai eu le
loisir de réfléchir avec plus d'attention sur votre
joie, elle m'en a donné une très-sensible. M. votre
père, un ami de si grand mérite et si cordial, m'est
revenu dans Tesprit. Je me suis représenté comme il
seroit à cette occasion , et à un si grand éclat d'un
mérite qui se cachoit avec tant de soin. Enfin, Ma-
dame, nous ne perdrons pas M. l'abbé de Fénélon;
vous pourrez en jouir; et moi, quoique provincial,
je m'échapperai quelquefois pour l'aller embrasser,
Recevez , je vous en conjure , les témoignages de ma
joie, et les assurances du respect avec lequel je
suis, etc.
A, Germigny, ce i g août i(
C^) Marie-Thérèse-Françoise, fille du marquis Antoine de Féné-
lon. Elle épousa en premières noces le marquis de Montmorenci-
Laval, et en secondes noces le comte de Fénélon, son cousin-
germain, frère de rarchevêque de Cambrai. Elle mourut en 1726.
Voy. YHist. de Féndorij Pièces justifie, du liv. i, n. 5. {£dit. de
Fers.)
LETTRES DIVERSES. 679
LETTRE III.
DE BOSSUET A M.me DE MAINTENON.
Il l'instruit de la soumission de Tabbé Couet (*).
Je crois, Madame, que vous aurez agréable que
je prenne la liberté de vous donner avis que M. Couet
a présenté ce matin , signé de sa main , à M. le car-
dinal de Noailles, à M. Farchevêque de Lyon, à
M. de Rouen et à moi, Tacte que nous avions minuté
la veille, M. Je cardinal et moi, avec MM. de Toul,
de Chartres et de Noyon. Cet acte sera utile à con-
fondre ceux dont la désobéissance a scandalisé l'E-
glise. Pour moi , Madame , je crois voir de la doci-
lité à M. Couet , et c'est par où j'espère qu'il sera
utile à défendre la vérité. C'est d'ailleurs un homme
qui pourra travailler long-temps; et c'eût été dom-
mage qu'il se fût rendu inutile. Je souhaite, Ma-
dame, que tout se réduise à l'obéissance, lu Ordon-
nance de M. le cardinal reçoit beaucoup d'honneur
dans l'acte nouvellement signé. Je crois que M. de
Rouen aura l'honneur demain de le présenter au
(*) L'abbé Couet, grand-vicaire de Rouen, étoit soupçonné d'être
l'auteur du Cas de conscience sur le jansénisme, qui fît tant de bruit
en 1703, et qu'on a attribué depuis, avec plus de fondement, au
docteur Petitpied. Louis XIV ne consentit à laisser cet abbé à
Rouen , qu'à condition qu il donneroit une déclaration qui put dis-
siper les soupçons élevés sur sa doctrine; et il chargea Bossuet de
terminer cette affaire. L'abbé Couet signa la déclaration dressée
par Tévêque de Meaux, qui s'empressa d'en instruire madame de
Maintenon par cette lettre. Voyez, sur ce fait, Vllist. de Bossuet ^
liv. XIII, n. 4. {JSdit. de Vers.)
58o LETTRES DIVERSES.
Roi, et de recevoir les marques de la bon le' ordinaire
de Sa Majesté. J'espère après cela retourner bientôt
à Versailles, et me pre'senter à vous.
Paris, 9 juin lyoS.
LETTRE IV.
DE M. L'ABBÉ FLEURY A BOSSUET.
Sur la mort de M. l'abbé de Vares, garde de la bibliothèque du Roi.
J'étois à Villeneuve quand je reçus votre lettre,
qui fut mardi sur les huit heures du ^ir. Je n'arri-
vai ici hier qu'environ à la même heure ; parce que,
n'e'tanl pas maître de ma voiture, je ne pus partir
aussitôt que j'aurois désiré. J'eus encore le temps
d'envoyer chez le médecin , qui me manda que
M. l'abbé de Vares étoit très- mal, et qu'il devoit
recevoir ce matin le viatique. Il Tavoit déjà reçu
quand je suis arrivé chez lui, qui étoit sur les huit
heures et demie. On m'a dit qu'il m'avoit demandé,
et il a témoigné être bien aise de me voir. Je lui ai
trouvé la poitrine fort engagée, grande difficulté de
parler et même d'ouïr j mais la connoissance entière,
et les sentimens très-chrétiens. Je lui ai dit quelques
paroles de saint Paul , sachant qu'il le méditoit
continuellement, et quelques versets des Psaumes,
surtout In domum Domini ihimus : sur quoi il a
témoigné une grande consolation de penser à la
sainte cité, et à la bonne compagnie que l'on y trou-
vera. J'ai continué à lui dire quelques paroles de
l'Ecriture, de temps en temps; et j'ai vu comme il
LETTRES DIVERSES. 58 I
les goûtoit, par ce qu'il ajoutoit de lui-même. Il a
voulu reposer; et j'ai été aux Filles de saint Thomas,
cil j'ai dit la messe pour un malade à l'extrémité.
Le médecin étoit venu, qui n'en attendoit plus rien,
et jugeoit toutefois qu'il iroit jusqu'au soir. Cepen-
dant j'avois envoyé quérir M. Bouret, notaire, parce
qu'il vouloit faire son testament. Peu de temps après,
voyant qu'il s'afFoiblissoit , j'ai proposé d'envoyer
quérir l'extrême-onction. Les notaires sont venus,
et il a eu encore assez de liberté d'esprit, pour leur
expliquer lui-même ses intentions. Comme ils aclie-
voient d'écrire, M. de Cornouaille est venu avec les
saintes huiles, et a trouvé le malade si bas qu'il a
commencé par les onctions. Il a toutefois eu encore
le temps de dire les prières , puis tout de suite celles
des agonisans, pendant lesquelles il a expiré, un
peu avant midi. Il a philosophé jusqu'à la fin, de-
mandant pourquoi la maladie s'appeloit un mal, et
pourquoi tant de gens s'assembloient autour de lui ,
paroissant alarmés de son état. Jusqu'à la fm il a
témoigné une grande confiance en Dieu , quoique
mêlée de quelque légère crainte qui passoit vite.
M. Pessole et M. Clément ont envoyé quérir aussi-
tôt, d'un côté M. l'abbé de Saint-Luc, et de l'autre
M. de la Chapelle. Cependant je m'en suis allé dîner
chez M. l'abbé Renaudot, pour ne pas m'éloigner
en cas qu'on eût besoin de moi. M. l'abbé de Saint-
Luc y est venu, qui nous a compté ce qui s'étoit
passé, et comme M. de la Chapelle s'étoit chargé
des clefs, suivant l'ardre qu'il avoit de M. de Lou-
vois : ainsi n'ayant plus rien à faire à la bil)lio-
thèque, je n'ai pas cru devoir y retourner. J'espère
^S'.i LETTRES DIVERSES.
aller demain à l'entei rement , et m'en retourner
samedi à Villeneuve , où M. le contrôleur-ge'néral
doit être encore huit jours. Après cela j'espère vous
aller trouver , si vous ne m'ordonnez le contraire.
M. l'abbe' Renaudot se réveille vivement en cette
occasion, et remue toutes les machines dont il se
peut aviser. Vous le verrez par cette lettre de M. le
Prince. Je l'ai assuré qu'elle étoit fort inutile, et que
vous étiez autant bien disposé à son égard qu'il le
pouvoit souhaiter. Toutefois puisqu'elle est écrite ,
il a fallu vous l'envoyer. M. l'abbé de Saint-Luc lui
a offert très-honnêtement ses bons offices auprès de
M. l'archevêque de Rheims, et lui en doit écrire dès
aujourd'hui. Pour moi. Monseigneur, si on me fai-
soit l'honneur de m'en demander mon avis, vous
savez ce que je vous en ai dit plusieurs fois ; et que
pour le bien de la chose, sans aucun égard des per-
sonnes, je n'en vois point qui convienne mieux à cet
emploi que lui. Au reste, la gazette ne l'occupe pas
autant que je pensois. Il ne laisse pas d'étudier beau-
coup d'ailleurs : ce qu'il écrit en fait foi ; et le com-
merce qu'il a avec tous les savans, dedans et dehors
le royaume, feroit honneur à ceux qui le choisi-
roient. Je ne manquerai pas d'en dire ma pensée à
M. le contrôleur-général.
M. l'abbé de Vares a l'avantage d'être regretté de
tout le monde. M. l'abbé Galois m'en parla avec de
grands sentimens d'estime, la dernière fois que je le
vis; et prévoyant ce malheur, il le regrettoit par
avance. Le pauvre M. Clément, quoiqu'il eût eu les
petits chagrins que vous savez , ne laisse pas de le
regretter, craignant de trouver pis. Il est tout étourdi
LETTRES DIVERSES. 583
de ces cliangemens, et me'rite que l'on prenne soin
de le conserver. Le pauvre M. Pessole me fait grande
compassion, et je ne sais ce qu'il deviendra ni ce
qu'on pourra faire pour lui. Mais il est inutile, Mon-
seigneur, de vous représenter tout cela : vous le
voyez comme moi; et personne ne pe'nètre mieux
que vous toutes les conse'quences de cette mort. Pour
moi, je voudrois bien en tirer des conséquences qui
me fussent utiles ; et il me semble que cet exemple
venant tout-à-coup sur celui de M. d'Amboile, de-
vroit bien m'apprendre à mépriser la vie et tout ce
que l'on y appelle établissement, pour ne songer à
en faire que dans le ciel. Vous m'y aiderez , Mon-
seigneur, par vos bonnes instructions et vos bons
exemples, et encore plus par vos prières, que je vous
demande avec votre sainte bénédiction.
Fleury.
A Paris, ce jeudi 28 septembre 1684.
LETTRE V.
DE M. L'ABBÉ DE SAINT-LUC.
Sur le même sujet.
Vous aurez appris. Monseigneur, par les lettres
de Pessole et de M. Fleury la triste nouvelle de la
mort de notre pauvre ami M. de Vares. Vous n'en
aurez pas été surpris : car vous me marquiez dans
votre dernière lettre que vous n'en espériez plus
rien; et j'ai vu que vous en étiez vivement touché.
En vérité. Monseigneur, je ne saurois me consoler
de cette perte; elle me paroît irréparable pour tous
584 LETTRES DIVERSES.
ses amis'. Il est rare d'en trouver de ce mérite, et
d'une société si douce et si agréable. On n'a pas
assurément d'afîliction plus sensible en cette vie, et
lien ne doit plus servir à nous en détacher. Je l'avois
été voir avant-hier, et j'y menai M. Duchêne qui le
jugea en grand péril. Je lui en dis quelque chose
dans la conversation : il me parut qu'il m'entendolt
assez. En effet, il s'est disposé à ce dernier moment
comme un homme bien pénétré des vérités de la
religion, qu'il méditoit toujours pendant sa mala-
die, et a eu le bonheur de mourir entre les bras de
M. Fleury. Je suis arrivé un moment trop tard : j'ai
trouvé le pauvre Pessole fort désolé, et incertain de
ce qu'il devoit faire des clefs dont il étoit chargé.
M. de la Chapelle, averti par Clément, est venu
aussitôt, et a dit que M. de Louvois lui avoit donné
ordre en partant de se rendre à la bibliothèque dès
qu'il sauroit la mort, de mettre son cachet h toutes
les serrures, et de prendre les clefs. Je lui ai conseillé
de les remettre avec le registre, et de donner avis
de tout à M. de Rheims. Je ne doute pas que vous
n'ayez la bonté de lui recommander fortement ce
pauvre garçon, qui perd tout son appui : son affec-
tion et sa fidélité méritent qu'on fasse quelque chose
pour lui , outre qu'il est assez inteUigent et fort
exact.
L'abbé Renaudot espère aussi que vous écrirez ei).
sa faveur. M. de Fleury et moi sommes convenus que
l'on ne pouvoit trouver un meilleur sujet et plus
capable de cet emploi , par son érudition et le com-
merce qu'il a avec tous les gens de lettres. La Gazette
ne l'occupe pas assez, pour l'empêcher de s'y donner
LETTRES DIVERSES. 585
tout entier : d'ailleurs il a du bien , et ne cherchera
pas à faire son profit aux dépens du service. Vous
connoissez la disposition où est M. de Rheims à son
égard 5 et je crois qu'il vous sera aisé de faire encore
celui-là, qui en sera très-reconnoissant. Je suis, avec
un attachement inviolable, absolument à vous.
L'abbé de Saint-Luc,
A Paris, ce 28 septembre 1684.
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LETTRE VI.
DE M. UABBË FLEURY.
Sur la mort de M. de Cordemoy.
Eh bien! Monseigneur, il a plu à Dieu de frapper
encore ce terrible coup, et de nous ôter M. Corde-
moy. Il me semble que je ne vois plus que des morts;
et à peine sais-je si je suis en vie moi-même : du moins
sais-jebien que si j'ai tant soit peu de raison, je ne
dois pas me promettre un moment de vie. Quatre amis
de cette force perdus en deux mois ! Mais il n'est
point question de lamenter; il faut songer aux vi-
vans, et avoir soin de la pauvre famille de notre
ami. Il m'a passé par l'esprit que peut-être ne seroit-
il pas impossible de conserver la charge ou la pension
pour le fils, qui est à Lyon, et de l'engager à conti-
nuer l'Histoire (*}. Je crois qu'en un an ou deux,
{*) VHlstoire de France : M. de Cordemoy avoit écrit celle des
deux prenuères races, qui a été publiée après sa mort, en deux vo-
lumes in-folio. Louis XIV, comme le désiroient les amis du délunl,
chargea son fils de continuer celte Histoire. Il avança beaucoup
586 LETTllES DIVERSES.
laborieux comme il est , avec un fort bon esprit , il
auroit bien autant d'avance que le père pouvoit en
avoir, vu la jeunesse, la fraîcheur et la mémoire,
et qu'il n'auroit aucun autre soin. Un de ses jeunes
frères Ty pourroit aider ; et je crois que ces deux
jeunes hommes se donnant tout entiers à cet ou-
vrage, ils y réussiroient plutôt que quelqu'un des sa-
vans que nous connoissons ; ou plutôt, je n'en connois
point que je pusse indiquer pour cet ouvrage. Je crois
bien que cela sera difficile à obtenir ; mais quand on
n'obtiendroit qu'une partie de la pension , ce leur
seroit toujours un grand secours. Peut-être cette
affaire mériteroit bien que vous fissiez un tour à
Fontainebleau ; car elle aura besoin d'être puissam-
ment sollicitée : et vous savez mieux que moi que si
ces sortes de grâces ne s'obtiennent sur-le-champ,
et par la compassion d'une mort récente , il n'y a
rien à faire ensuite. Je sais bien, Monseigneur, que
je ne hasarde rien de vous dire toutes mes pensées. Il
m'importe seulement de savoir votre résolution ; afin
que si vous demeurez à Meaux, je me rende inces-
samment auprès de vous. Cependant je vous de-
mande, avec un profond respect, vos prières et
votre sainte bénédiction (*).
A Paris, ce 1 5 octobre i68\.
celle de la troisième race 5 mais son travail n'a pas été donné au
public.
(*) Nous aurions placé ici une lettre du grand Condé àBossuet,
sur la mort de plusieurs des amis du prélat, si elle n'eût pas été
donnée dans Y Histoire de Bossuel, tom. 11, pag. 346. {^Edit. de
Vers.)
l^ETTRES DIVERSES. 58^
LETTRE VIL
DE M. OBRECHT,
PRETEUR ROYAL AU SENAT DE STRASBOURG ^*X
Sur les changemens que les Lulhérieus ont faits dans la confession
d'Ausbourg, et ce qu'ils alléguoient pour s"'en justifier.
Je réponds un peu tard à celle que votre Gran-
deur m'a fait l'honneur de m'écrire, du 26 de mars ;
parce qu'elle m'a été rendue dans un temps que
j'étois surchargé d'affaires plus qu'à l'ordinaire , et
qu'ayant changé de maison , je n'ai pas pu si tôt
transporter ma bibliothèque, qui est encore actuel-
lement dans la dernière confusion. Cependant je
m'étois déterminé d'abord de satisfaire votre Gran-
deur, sur ce qu'elle désire de savoir touchant la di-
versité des éditions de la confession d'Ausbourg.
C'est une matière qui a été bien battue et rebat-
tue en Allemagne, et on en a fait des livres tout
entiers, tant pour accuser cette diversité que pour la
défendre. Celui qui l'a traitée avec le plus d'étendue
est Laurentius Forerus , dans plusieurs traités qu'il
a publiés en l'an 1628, 1629, i63o.Mais comme il a
vu que ses raisons n'avoient pas tout le poids qu'elles
dévoient , à cause qu'étant parties de la plume d'un
(*) Ulric Obrecht, savant distingué , né à Strasbourg le 23 juil-
let 1646, avoit été élevé dans la /religion protestante. Il fit abjura-
tion entre les mains de Bossuet en i684; et mourut le 6 août 1701.
On trouve des détails intércssans sur sa vie et ses travaux dans X His-
toire de Bossuet y Pièces justifie, du livre vu, tom. 11, pag. 433 et
suiy. {Edit. de Vers,)
588 LEJTllES DIVEUSES.
Jésuite, les Luthériens eurent moyen de les faire at-
tribuer à la passion et à la haine mortelle qu'il y a
entre eux et cet ordre, il îès reproduisit quelques
années après, revêtues d'un nom illustre, dans le
Spéculum veritatis Brandenburgicœ , du marquis
Christian - Guillaume , imprimé en l'an i633 : sui-
vant en cela les traces de Pistorius, qui avoit traité
la même matière sous le nom de Jacques , marquis
de Baden, dans les motifs de sa conversion, publiés
en 1591. M. le cardinal de Hesse la fit aussi éplucher
par Thomas Henrici, dans un ouvrage intitulé :
Anatomia Augustance Confessionis. Et tout nouvel-
lement, M. l'évêque de Neustadt a fait ramasser, dans
un traité qui a pour titre , Augustana et Anti-Au-
gustana Confessio , tout ce qui a été dit autrefois à
ce sujet : et M. l'électeur de Saxe a fait répondre
par un professeur de Leipsick appelé Valentinus Al-
berti. L'un et l'autre de ces deux ouvrages est écrit
en allemand, aussi bien que la plupart de ceux qui
les ont précédés.
A ce que je me souviens, on reproche aux Luthé-
riens principalement les changemens qui paroissent
dans l'édition qui a été faite de la confession d'Aus-
bourg à Wirtemberg, en l'an 1 54o, et la diversité qu'il
y a entre cette édition et toutes celles qui lui sont
antérieures , depuis celle de l'an i53o. En outre on
leur objecte que de plusieurs exemplaires allemands,
même des plus authentiques, comme sont ceux qui
sont dans la bibliothèque de l'Empereur, et dans les
archives de l'empire à Mayence , il n'y en a pas deux
qui se ressemblent, non plus que l'édition allemande
de l'an i58o, et celle de 1628, dont ils font le plus
LETTRES DIVERSES. SScj
de cas ; et que les exemplaires latins en dilïerent
encore davantage. Le nombre des passages où l'on
leur montre cette discrepance , est presque infini ,
de plus grande et de moindre importance.
Les Luthe'riens, dans leurs réponses, commencent
par rejeter entièrement l'e'dition de Wirtemberg de
l'an 1 540. Ils disent qu'elle est un effet de la foiblesse
de Mélancton, qui s'est voulu accorder par-là avec
les Suisses; qu'elle n'a jamais été reçue parmi eux;
qu'au contraire l'auteur en a été repris sévèrement
au nom de l'électeur de Saxe par son chancelier
nommé Pontanus, et qu'il a été obligé de l'aban-
donner entièrement, aux colloques de Worms et
de Ratisbonne.
Quant aux autres éditions, ils disent qu'il y en a
qui ont été corrompues par les imprimeurs ; et qu'ils
ne reconnoissent que celles qui ont été données par
autorité publique, comme sont celles de l'an 1626,
in Pupillu A, C. et celle de i58o, in Formula Con-
cordiœ. Ils avouent que le texte latin n'est pas tout-
à-fait conforme à l'allemand quant aux paroles;
mais qu'il retient pourtant le même sens : que la
Confession a été traduite de l'allemand en latin, et
l'Apologie du latin en allemand : que dans l'vme et
dans l'autre il faut examiner la traduction sur l'ori-
ginal , et non pas combattre l'original par la traduc-
tion : que dans les exemplaires qui se trouvent dans
les bibliothèques et dans les archives, il y a des
variétés ; mais qui la plupart n'importent rien , et
n'altèrent pas le sens : que s'il y a des changemens,
des additions , des omissions , c'est pour donner non
5gO LETTllES DIVERSES.
pas une doctrine nouvelle, mais plus nette et plus
claire.
A ces faits ils ajoutent les réflexions suivantes :
Que dans l'Eglise chrétienne il a toujours été per-
mis de changer les symboles et les confessions de
foi : que cela a été remarqué même dans le symbole
des apôtres, dans celui de saint Athanase, et prin-
cipalement dans celui de Constantinople, où TEglise
latine a cru avoir la liberté d'ajouter le Filioque,
qui n'étoit pas dans le grec : que l'Eglise romaine
leur peut d'autant moins reprocher leurs additions
et changemens , qu elle - même s'est servie d'une
grande liberté à changer par exemple l'édition Vul-
gate, selon l'aveu de Clément VIII dans sa préface,
le canon de la messe, la profession de foi, où ils
soutiennent que la foi du concile de Trente est alté-
rée par des additions, comme, par exemple, de
jurer l'obéissance au Pape; et par des changemens,
comme doit être celui de l'article de l'invocation
des saints, que la profession veut faire passer pour
nécessaire, quoique le concile ne Tait proposée que
comme utile : que la doctrine du concile de Cons-
tance a été changée par celui de Latran, touchant
l'autorité des papes sur les conciles : qu'il ne sert
de rien de dire que leur confession a été changée
dans les diverses éditions, attendu qu'ils ont tou-
jours publié hautement qu'ils se tiendront insépara-
blement à l'exemplaire qu'ils ont présenté à Charles V,
et qu'ils n'ont jamais refusé de laisser juger leur doc-
trine selon cet exemplaire-là, sans se prévaloir d'au-
cun des changemens qu'on leur oppose.
LETTRES DIVERSES. ^QI
J'espère que M. le Correur aura fait son devoir :
il y a déjà du temps que je l'eu ai averti. Il demeure
dans la rue Montmartre, vis-à-vis de la Jussienne,
chez M. le commissaire Fleury.
J'ai reçu les excellens ouvrages que votre Gran-
deur m'a envoyés par le coche, et j'ai rendu les
exemplaires où ils ëtoient destine's. En mon par-
ticulier je lui en ai une obligation infinie ; et ne
souhaite rien au monde si passionnément, que d'a-
voir l'occasion de témoigner réellement avec com-
bien de vénération et de respect je suis, etc.
Obrecht.
 Strasbourg, ce i." mai 1686.
LETTRE VIII.
DU MÊME.
Sur les principes des Proleslans touchant la polj-^gamie, etPasage
qu ils en avoierit fait à Tégard du Landgrave de Hesse.
Je réponds un peu tard à la lettre que votre Gran-
deur m'a fait l'honneur de m'écrire du 6 du mois
passé; parce qu'elle m'a été rendue lorsque j'étois
occupé à instruire quelques procès de conséquence
que la ville de Strasbourg a au conseil souverain
d'Alsace , et qui doivent encore être jugés avant les
vacances. J'espérois en outre de trouver ici les deux
derniers tomes de M. Varillas, où il doit avoir mis
l€S deux pièces sur lesquelles votre Grandeur me
demande quelque éclaircissement. Mais comme nos
libraires ne les ont pas encore apportés, je n'en
pourrai donner que des conjectures.
592 LETTRES DIVERSES.
Je présume donc que ce seront les mêmes que
celles que feu M. l'électeur Palatin Charles-Louis a
déjà fait publier autrefois, pour couvrir ou autoriser
en quelque façon le concubinage dans lequel il vi-
voit avec la dame de Deyenfeld. C'est dans un livre
qu'il fait écrire en allemand par un de ses conseillers,
et qu'il envoya lui-même à la plupart des Cours ,
comme aussi aux savans d'Mlemagne. Il m'en adressa
aussi un exemplaire, avec un paquet pour feu M. le
Prince : mais il me défendit fortement de mander
d'où m'étoit venu ledit paquet. Cet ouvrage a pour
titre : Considérations ou Réflexions conscientieuses
sur le mariage , en tant qu'il est fondé dans le droit
divin et en celui de nature ; a^^ec un éclaircissement
des questions agitées Jusqu'à présent touchant l'adul-
tère, la séparation , et particulièrement la poly-
gamie. Il a été publié en l'an 1679 , sous le nom em-
prunté de Daphnœus Arcuarius , sous lequel est
caché celui de Laurentius Baeger ; parce o^Arcus
signifie en allemand Bognu,
Dans la quatrième partie, chapitre i, Fauteur
ayant proposé la question , si dans le temps de la
nouvelle alliance il y a eu des docteurs qui aient
permis la polygamie ; et après avoir fait dire au car-
dinal Bellarmin qu'il s'étonnoit de ce que les Luthé-
riens reprochoient au pape Grégoire III d'avoir
permis à un mari, dont la femme étoit malade, de
prendre une seconde femme, puisque Luther avoit
été dans le même sentiment : il fait semblant de vou-
loir embrasser la défense de Luther, et de le vouloir
purger de cette doctrine ; mais insensiblement il
tourne la phrase, et le charge de preuves si con-
vaincantes.
LETTRES DIVERSES. 5^3
vaincante , qu'il n'en laisse aucun doute au lecteur ;
et conclut, à la fin du chapitre, que Luther a effec-
tivement enseigné ce qu'on lui impose, et fait voir
que c'est à tort qu'on le veut excuser , en disant que
ce n'a été que vers le commencement de sa réforme ,
<:omme s'il avoit changé de sentiment dans ses der-
niers écrits.
Entre autres, il produit aussi en allemand et en
latyi l'Avis doctrinal sur le dessein du Landgrave,
aussi bien que le contrat de mariage : l'un et l'autre
est autorisé des mêmes notaires que votre Grandeur
me marque. Mais quant à l'avis allemand , que je
tiens pour l'original, il n'est signé que de Luther,
de Mélancton et de Bucer ; et je crois que les autres
théologiens n'ont signé le latin que quelque temps
après. L'allemand est indubitablement du style de
Mélancton ; mais le latin me paroît être sorti de
la plume de Melander. Arcuarius assure que ces
pièces ont été tirées des archives d'un prince d'Alle-
magne, qu'il ne les publie que parce qu'il est pleine-
ment convaincu de leur autorité. Il ajoute en outre
l'instruction que le Landgrave a donnée à Bucer
pour négocier cette affaire auprès de Luther et de
Mélancton , et pour obtenir d'eux un avis favo-
rable.
Votre Grandeur ne me marque pas si M. de
Varillas a aussi donné cet acte , qui est assurément
la pièce principale, et qui fait voir les ressorts que
le Landgrave a remués , pour arracher de ces mes-
sieurs une décision telle qu'il la souhaitoit. Elle n'est
qu'en allemand : mais si votre Grandeur la désire,
je la ferai traduire , et la lui enverrai au plus tôt.
BOSSUET. XLII. 38
5gf4 LETTRES DIVERSES.
Du reste il ne faut pas s'e'tonner si les historiens
de ce temps-là ne parlent pas avec plus de de'tail de
Ce mariage : car en conse'quence de l'avis, on avoit
pris de si belles précautions pour le cacher, que
personne n'en a jamais rien su qu'à demi. Il est vrai
qu'on l'a reproché à Luther aussi bien qu'au Land-
grave même , dans des écrits publics : mais l'un et
l'autre dans leurs réponses se sont tirés d'affaire en
habiles rhétoriciens : de sorte que quand on a lu ce
qu'ils en disent, on est aussi savant qu'auparavant ;
c'est-à-dire, qu'en ne rien avouant, ils ne nient
néanmoins rien.
« Vous me reprochez, écrit le Landgrave contre
» Henri le jeune, duc de Brunswick, apud Hortle-
» derum „ de caiisis belli Germanici, anno i54o,
» qu'il a éclaté de moi comme si j'avois pris une
M seconde femme, la première étant encore vivante :
» sur quoi je vous déclare que si vous, ou qui que ce
j) soit, dit que j'aie contracté encore un mariage
3) non chrétien, ou que j'aie fait quelque chose qui
» ne convienne pas à un prince chrétien, il me
» l'impose par pure calomnie. Car quoique envers
» Dieu je me reconnoisse pour un pauvre pécheur,
>» je vis pourtant en ma foi et en ma conscience de-
» vant lui d'une telle manière , que mes confesseurs
3) ne me tiennent pas pour un homme non chrétien ,
» et que je ne donne scandale à personne, et suis
» avec la princesse ma femme, en bonne intelli-
3) gence, amitié et concorde, etc. »
« On reproche au Landgrave , écrit Luther,
» (tom. VII, Jenens. German. foL 4^^) que c'est
» un polygame. Je n'en ferai pas beaucoup de pa-
LETTRES DIVERSES. 5gS
» rôles ici. Le Landgrave est assez fort, et a des
» gens assez savans pour se défendre. Quant à moi ,
» je connois une seule princesse ou Landgravine de
» Hesse, qui est et doit être nommée la femme et la
M mère en Hesse ; et il n'y en a point d'autre qui
» puisse porter ou engendrer de jeunes Landgraves,
)) que la princesse qui est fille de George duc de
» Saxe ». Car effectivement il étoit assez pourvu
par le contrat de mariage que la nouvelle épouse
n'auroit pas la qualité de landgravine, et que ses
enfans ne seroient point Landgraves. L'instruction
donnée à Bucer est admirable sur ce sujet.
Quant à l'élévation de l'Eucliaristie , je ne crois
pas qu'on puisse trouver la moindre chose dans les
liturgies des églises protestantes d'Allemagne, qui
en fait de cérémonies sont tout -à-fait stériles, outre
que Ton sait que l'élévation a été abrogée par
Luther même, en l'an i543; et cela en faveur du
même Landgrave y pour lequel il avoit passé le
dogme de la polygamie. J'en ai fait copier l'extrait
ci-joint de l'histoire de Peucerus, gendre de Mélanc-
ton, qui a été témoin oculaire des choses qu'il écrit.
Je lis l'oraison funèbre (*) que votre Grandeur m'a
fait la grâce de m'envoyer par la voie de M. de
Chamilly : je vois déjà qu'elle est entièrement pro-
portionnée à la grandeur de son sujet, et à la répu-
tation de son auteur.
Je suis avec un profond respect, etc.
De Strasbourg , ce 10 juin 1687. ^
(*) L'oraison funèbre de Louis dç Bourbon, prince de Cond«.
Sg^ LETTRES DIVERSES.
LETTRE IX.
DU MÊME.
Sur le même sujet.
Ce mot n'est que pour accompagner rinstruction
que votre Grandeur m'a bien voulu demander. C est
une pièce bien plate , et qui pourroit suffira toute
seule pour dépeindre exactement le génie du Land-
grave. Je Tai fait traduire mot pour mot ; afin que
si votre Grandeur a peut-être le dessein d'en donner
une traduction française, elle puisse entrer d'autant
plus facilement dans le vrai sens de l'auteur. Je me
suis souvenu , depuis ma dernière lettre , que la
Consultation de Luther est aussi dans ses ouvrages,
tome VII de l'édition allemande d'Altenbourg, signée
de lui seul, mais tellement tronquée , qu'il est im-
possible d'y rien comprendre : et à la regarder au
dehors , on diroit qu'il a été d'un sentiment con-
traire : mais en la considéiant attentivement, on
voit d'abord les endroits où elle a été falsifiée.
Je suis avec un très-profond respect, etc.
A Strasbourg, ce i4 juillet 1687.
$■
LETTRES DIVERSES. 5g']
LETTRE X.
DU MÊME.
Sur le dessein qu^avoit Bossuet de combatlre en particulier le lu-
théranisme, la manière de le faire, et différens ouvrages propre»
à ce dessein.
Je viens de recevoir la lettre que votre Grandeur
m'a fait l'honneur de m'adresser par la voie de M. le
marquis de Chamilly , du 22 du mois passé. J'ai
d'abord loué Dieu , et remercié M. le landgrave de
Hesse dans mon cœur, d'avoir inspiré à votre Gran-
deur le dessein de combattre en particulier le lu-
théranisme; et j'en prévois effectivement trop bien
les fruits pour ne pas tout quitter, afin d'y contribuer
de tout ce que je pourrai avoir acquis de connois-
sance en cette matière.
M. de Seckendorff a rendu son travail désagréa-
ble, même à ceux de son parti , pour avoir suivi
pied à pied l'histoire du père Maimbourg. Ainsi il est
facile de deviner le sort qu'auroit quiconque le vou-
droit imiter.
Il m'a toujours paru que pour tirer de l'Histoire
du Luthéranisme l'avantage que nous devons cher-
cher en l'attaquant, et qui ne peut tendre qu'à dé-
tromper ceux qui y sont engagés présentement, il
faudroit se retrancher à examiner le but que les Lu-
thériens eux-mêmes veulent que les auteurs et les
premiers protecteurs de leur Réforme se soient pro-
posé, et de le confronter avec l'état présent de leur
Eglise, qui en doit être le fruit. 11$ prétendent^ et
ByS LETTRES DIVERSES.
c'est là , si ma mémoire ne me trompe , Tunique
dessein du grand ouvrage de M. de SeckendorfT, que
les uns et les autres n'ont agi que par un pur motif
de piété, et dans la vue de rétablir la pureté primi-
tive du christianisme, en corrigeant les erreurs, et
en retranchant les abus qu'ils attribuent à l'Egîise
romaine.
Je n'ai jamais trouvé à propos de contester avec
eux là-dessus : mais lorsqu'ils me le disent, je leur
allègue les Soeiriiens, les Anabaptistes, les Puritains,
otc. et je leur fais insensiblement avouer que l'on
peut fie tromper p|i se proposant une pureté imagi-
naire, c'estrà-dire, !en voulant réformer ce qui n'a
pas besoin ou qui ne souffre point de réforme. Et en
menant ensuite k Tétat présent de leur Eglise, je leur
demande -' A^çfî-i-vpus une doctrine plus pure que
n'ei^tiCeJle de J'Eglise romaine sur les articles sur
lesquels vous avez fait schisme ? Etes-vous parvenus
a^^JC: cuUiQ puremeat spirituel , et détaché de toutes
l^S traditions et^^nventjous humaines? Votre disci^
pliïie ÇîSt-^lle entiè^eiï^ent conforme à celle de l'Eglise
primitive ? Avez-vous trouvé le secret de changer en
or, ou en quelque matière moins sujette à la fragi-
lité, ksyàsçf§ de terre , dans lesquels l'apôtre dit que
portent 1?, tr^spr de la connoissance de Dieu ceux
qui sont constitués pour éclairer les autres? etc.
Cette; méthode peut mener à e'puiser tout ce qu'il y
a jd-e^sentiid 4p|ns; la ÇiOptroyerse, et a néanmoins
Gfîl^ 4f2 commode, qu'en la suivant on sç peut donner
ui;ï.^;C£|r;riiè|:e aussi. longue ou aussi courte que l'on
veut; ! T
Si yoXiQ Grandeur me fait la grâce dç m'indiquer
LETTRE» DIVERSES. !Sgi)
le plan qu'elle se sera forme', je pourrai peut-être
lui fournir des mémoires, que le public ne recevra
pas avec moins d'avidité que ceux qui ont été pro-
duits par M. de Seckendorff. Mais comme ils sont la
plupart en allemand, je supplie votre Grandeur de
me mander si elle a des personnes à la main qui en-
tendent assez ladite langue pour les traduire , ou si
elle désire que je les fasse traduire ici : auquel cas je
prierai le révérend père d'Aubanton, recteur du
collège des Jésuites en cette ville, d'y employer
quelques-uns de ses régens 3 et si votre Grandeur
lui en écrivpit aussi un mot, cela serviroit à avancer
la besogne.
L'ouvrage de Hortlederus n'est qu'un recueil d'ac-
tes publics, aussi en allemand. Ainsi il faudra se
réduire au même secours à l'égard des pièces dont
votre Grandeur aura besoin. Les annales d'Abraha^
mus Scultetus ne peuvent servir que par quelques
extraits de lettres, ^ qu'il y çi insérées, et qui n'ont
pas été publiées ailleurs ; je les .chercherai chezpps
libraires , aussi bien que îTiam pacis Dionysii Ca-
pucini. Un livre dont votre Grandeur pourra diffici-
lement se passer, est , }^ita Melanchilionis j per Ca-
merarium. Je ne doute pas que votre Grandeur ne
l'ait lu ; mais pour le pouvoir employer utilement a
l'exécution de son dessein , il a besoin de quelques
éclaircissemens , que j'écrirai à la marge d'un exem-
plaire que je me donnerai l'honneur de lui adresser
par la première commodité ; n'ayant rien tant à
cœur que de témoigner ayec combien de respect je
suis, etc.
A Strasbourg, ce lo mai iGg-a.
600 LETTRES DIVERSES.
%'%>»%'»/% V«/«i«/«^k>%/«/«>%/«/»>«
1
LETTRE XL
DU MÊME.
Sur difTéreus ouvrages des Frolestans , relatifs aux matières que
Bossuet avoit desseia de traiter.
J'ai été bien aise d'apprendre par celle que votre
Grandeur m'a fait l'honneur de m'écrire , qu'elle a
approuve mon projet , et que le sieur Rehra lui a
remis la vie de Mélancton , que je lui avois confiée.
J'avois cru en trouver un exemplaire chez nos li-
braires , pour y ajouter mes remarques : mais cela
m'ayant manqué, j'ai pris le parti d'adresser à votre
Grandeur celui dont je me suis servi autrefois, et
auquel j'ai fait écrire alors celles qui y paroissent ,
et qui sont la plupart tirées des mémoires de Caspar
Cruciger, intime ami de Mélancton. J'ai mis de-
puis au coche de Paris , qui doit arriver à Meaux
dimanche prochain, l'ouvrage de Hulterus contre
Hospinien, contenant l'histoire de la Formule de
concorde, sous ce titre, Concordia concors ; comme
aussi Supplementum Bistorice Ecclesiasticœ , tiré
des lettres de mes aïeux , et publié par le sieur Fecht
mon beau-frère , qui est présentement le premier
professeur en théologie à Rostock, et surintendant,
comme ils les appellent, du duché de Meckel-
bourg; et enfin l'Apologie de la faculté de théologie
à Wirtemberg, contre l'histoire écrite par Peuce-
rus, gendre de MéJancton, qu'il me semble avoir
vue chez votre Grandeur : cependant si elle ne l'a-
voit point j je pourrois la lui fournir. Les Annales
LETTRES DIVERSES. 6o I
^Ahrahami Sculteti ne se trouvent point ici : mais
j'espère de les avoir de Baie , où j'ai écrit pour cet
effet. Quant à Hottingerus , qui a écrit plusieurs
volumes sur Thistoire de TEglise, je supplie votre
Grandeur de me mander lequel de ses ouvrages
elle désire.
Du reste j'ai commencé à donner de l'occupation
au père d'Aubanton, en lui remettant l'original de
l'écrit de Bucer , signé de sa main et des principaux
ministres d'ici , que M. Seckendorff rapporte en
son dernier volume, page 539, ^^^ pourra servir
d'exemple que l'on ne doit pas trop se fier à ses
extraits. Car en venant aux chefs de la doctrine,
après avoir remarqué la distinction , inter capita
necessaria et non necessaria, il poursuit : Singulatim
porrb disserit de justifie alloue , fide et bonis ope-
ribus; insinuant par-là sans doute que Buceï* a
tenu ces chefs pro necessariis : mais il ne dit pas
que tout le raisonnement de Bucer ne tend qu'à
montrer qu'après les éclaircissemens que l'on s'étoit
donnés de part et d'autre, il ne restoit plus de
contestation déjà alors entre les parties sur ces ar-
ticles ; établissant de son côté tout haut la nécessité
des bonnes œuvres.
Quant au dessein de votre Grandeur, je ne doute
pas qu'elle n'ait remarqué que pour prouver que
l'on enseignoit et croyoit dans l'Eglise cathohque
ce qu'il y a de bon dans la Réforme , les Rituels ou
Agendes des Eglises particulières d'Allemagne, dont
on se servoit en ce temps-là , sont d'un grand se-
cours. J'en ai vu quelques-uns à Paris dans labibho-
thèque de feu M. l'abbé Dufort, qui ont passé de-
602 LETTRES DIVERSES.
puis, à ce qu'on m'a dit, en celle de M. Tarche-
vêque de Rheims. Le livre de Flaccus Illyricus ,
qu'il a intitulé, Catalogus testium veritatis , peut
encore être utile au même but : et quant à la pré-
tendue divinité de l'esprit de Luther, on ne man-
quera pas de bons mémoires pour la rabattre. Je
m'y emploierai de mon mieux, étant avec un très-
profond respect , etc.
A Strasbourg, ce lo juin 1692.
LETTRE XIL
DE DOM CLAUDE DEVERT,
TRÉSORIER DE l' ABBAYE DE CLUNI ^*\
Sur la communion SOUS une seule espèce.
J'ai reçu ici la lettre que vous m^avez fait l'hon-
neur de m'écrire de Germigny : mais n'ayant point
ayecmoi les paroles du manuscrit de Corbie, je vous
prie de vouloir bien attendre jusqu'à ce que je re-
tourne au lieu où est la copie que j'en ai faite, pour
vous l'envoyer aussitôt. Je ne pense pas qu'on re-
trouve celui de saint Denis, l'ayant fait chercher
exprès depuis six mois : mais vous pouvez compter
que c'est la même chose que celui de Corbie, l'ayant
vu et lu moi-même ; et je suis d'autant plus croyable
sur cela, que je n'ai recherché tous ces manuscrits
{*) Il est connu par plusieurs ouvrages, mais principaleratnl par
son Explication lillérale et historique des ceWinonies de l'Eglise , en
4 vol. in-S°, dont les deux derniers n^ont été publiés qu'après sa
mort arrivée le premier jour de mai i^oS.
LETTllES DIVERSES. 6o3
que dans la vue d y trouver de quoi confirmer l'opi-
nion de ceux qui croient la consécration de l'espèce
du vin par le mélange de celle du pain : sur quoi, si
vous vouliez bien que je visse ce que vous répondez
à cela, peut-être trouveriez-vous en moi, plus que
dans un Protestant même, des difficultés qui vous
obHgeroient de satisfaire à tout.
J'ai envoyé depuis huit jours à M. de Cerbelle un
endroit d'un pontifical que j'ai trouvé à Senlis, que
je ne doute point qu'il ne vous ait fait tenir. Il est
visible par ces paroles que quoique les enfans ne
communiassent que sous l'espèce du vin , on croyoit
néanmoins qu'ils recevoient le corps et le sang ;
puisqu'on leur disoit : Corpus cum sanguine Domini
nostri Jesu Christi custodiat, etc. mettant même le
corps in recto , et le sang seulement in obliquo.
Je crois qu'il faut lire dans le concile de Tolède
in armario j et non in imaginario ordine _, ainsi que
je l'ai lu en plusieurs endroits. Et en effet, ce fut à
peu près en ce temps-là qu'on cessa de réserver dans
les armoires, au moins en quelques endroits, les
hosties pour les malades, et qu'on les exposa sur
l'autel dans des tabernacles suspendus, au-dessous
néanmoins de la croix qui étoit toujours plus élevée,
comme nous le voyons encore dans quelques cathé-
drales; sub crucis titulo. Je suis avec respect, etc.
Devert.
Au prieuré de Saint-Pierre d'Abbeville, ce 30 juillet 1686.
6o4
LETTRES DIVERSES.
LETTRE XIII.
DU MÊME.
IJ lui envoie l'extrait d'un ancien cérémonial de Corbie , qui prou-
voit qu'on ne communioit le Vendredi saint que sous une seule
espèce.
Voila la copie du manuscrit de Corbie, c'est-à-
dire, la Rubrique du Vendredi saint : celui de saint
Denis, qui est égaré, porte précisément les mêmes
termes. Je crois qu'on vous aura fait voir ce que j'ai
extrait d'un Pontifical romain, touchant la commu-
nion des enfans. Je suis avec un profond respect, etc.
Abbeville, ce i6 août 1686.
« Composite coi-pore Domini in corporali super
» altare, etincensato, dicet Dominus Abbas Confi-
nai teor, et incipiet cantare Oremus : Prœceptis salu-
» taribus monitij et Pater nosier, et Libéra nosj
» (juœsiimus j Domine. Fractiofiet; et postfractio-
» nem dicet secundo, Peromnia sœcula sœculorum:
» Conventus respondebit. Amen. Pax Domini, et
» jégnus Deij et Hœc sacrosancta commixtio, non
» dicentur; sed frustum fractionis sinet cadere infra
» calicem, nihil dicendo. Domine Jesu Chris te. Cor-
» pus Domini, Quod ore suwpsimus, dicenturj sed
» sanguis nonnominabitur.P/aceû^z/^/nondicetur.
5) Omnibus communicatis, capiet quisque de vino
» per fistulam , et post bibet, calicibus ante majus
» altare paratis. De corpore Domini nihil debebit
» remanere. Omnibus communicatis, et Domina
LETTRES DIVERSES. 6o5
» Abbate devestito , sonabuntur Vesperi , et di-
)ï centur ».
Cette autorité est précise pour marquer qu on ne
croyoit pas dans Corbie, il y a buit cents ans, non
plus qu'à Saint-Remi en France, que le vin le Ven-
dredi saint devînt le sang de notre Seigneur par le
mélange du pain; puisqu'il est dit expressément que
sanguis non nominabiturj et ensuite que ce qu'ils
prenoient par un chalumeau étoit du vin. On peut
observer ici en passant, qu'ils faisoient ce vendredi-là
la même cérémonie que s'ils eussent communies sous
l'espèce du vin ; puisqu'ils prenoient ce vin avec le
chalumeau, et dans des calices préparés sur l'autel,
quoiqu'ils crussent pourtant que ce n'étoit que du
vin. La même cérémonie se pratiquoit aussi à Cluni
au commencement de ce siècle encore; c'est-à-dire,
on prenoit du vin dans des calices ce jour-là, et avec
le chalumeau, quoique les Missels de notre ordre
nous marquent précisément que ce n'étoit que du
vin : et par-là on répond au raisonnement de ceux
qui concluent que l'on croyoit que c étoit le sang de
notre Seigneur ; parce qu'extérieurement on donnoit
les mêmes marques de respect, que si effectivement
ce l'eût été. On voit encore par-là, que le vin que
l'on donne encore aujourd'hui à l'ordination, et aux
grands jours en quelques églises, après la commu-
nion, n'est point, comme on le croit, une ablution,
ni pour aider à avaler les espèces ; mais une suite de
l'ancienne communion sous l'espèce du vin ; c'est-à-
dire, qu'on a continué la même cérémonie, quoique
ce ne fut plus que du vin.
6o6 LETTRES DIVERSES.
Votre Graadeur pourroit en passant dire un mot
de la communion du Vendredi saint, qui étoit com-
mune à tout le monde, et non au prêtre seulement
comme elle Test aujourd'hui. Elle ne trouvera pas
un ancien Cérémonial ni Missel qui n'en fasse men-
tion : Omnes communicant ; c'est toujours ainsi
qu'ils s'expriment. J'ai une dissertation toute prête
là-dessus : mais quand votre Grandeur en aura dit
un mot, ce sera encore une autorité pour moi. Cela
se fait encore en plusieurs monastères de l'ordre de
Cluni, et on rétablit cette communion partout.
LETTRE XIV.
DU MÊME.
Sur la communion sous une seule espèce , et quelques difficultés
qui y ont rapport.
Votre lettre du 22 juillet ne fait que de m'être
rendue 5 ce que j'impute à la fausse adresse. J'eus pu
en ce temps-là me donner l'honneur de vous aller
joindre ou à Meaux ou à Paris : présentement quel-
ques commissions importantes de M. le cardinal de
Bouillon me retiennent en ce pays-ci. Cela n'em-
pêche point, si vous le souhaitez, et s'il est encore
temps, que je ne vous envoie ce que je pense, et ce
que je sais de la consécration par le mélange : et
comme cette question me paroît de la dernière con-
séquence, si vous le désirez, j'en ferai une manière
de dissertation, où je tâcherai de faire tout entrer;
et à laquelle, si vous voulez bien vous donner la
LETTRES DIVERSES. Go'J
peine de re'pondre, comme je sais que vous le ferez
aise'ment, vous aurez satisfait à tout, et de'truit par
conséquent tout le livre du ministre , qui ne roule
que là-dessus.
Je crois que vous aurez reçu une seconde fois
l'extrait du manuscrit de Corbie, que j'ai adressé, il
y a près de deux mois, à votre hôtel à Paris. A l'égard
de celui de Senlis, il me paroît au contraire qu'il
est à souhaiter qu'il soit moins ancien ; les Protes-
tans, ce me semblé, ne doutant pas que les enfans
n'aient autrefois communié sous la seule espèce du
vinj mais disant, comme le ministre la Roque, qu'on
n'en sauroit donner de preuves depuis le douzième
siècle. Voici ce que j'ai lu autrefois dans un ordi-
naire manuscrit de l'église de Soissons, qu'ils ap-
pellent le Mandatum j vous verrez, si cela vous ac-
commode encore, Communicato JEpiscopo , corn-
municet infantes baptizatos de sanguine sacrato ^
dicens : Sanguis Domini nostri Jesu Chrisii ciisto-
diat te in vitam œternam^ amen. Ce manuscrit est
de la fin du douzième siècle, ou du commencement
du treizième, qui est le temps de la vie de Philippe
Auguste et d'Isabelle sa femme, qui y sont nommés
dans la prière Christus vincet, aussi l)ien que l'évê^
que Nivelo, qui vivoit aussi en ce temps-là-
Autrefois, dans l'église d'Amiens, en communiant
les enfans nouvellement baptisés, le samedi saint,
sous la seule espèce du vin ; on leur disoit : Corpus
et sanguis , etc, ce qui appuie le manuscrit de
Senlis.
Je suis impatient de voir votre ouvrage, qui sera
d'une grande utilité. H y a des gens que je. sais que
6o8 ' LETTRES DIVERSES.
VOUS estimez beaucoup, et qui ne sont pas éloignés
du sentiment de la consécration par le mélange : ils
méritent bien votre application pour les détromper^
Le ministre la Roque est visiblement de mauvaise
foi en plusieurs endroits. Il ne sait ce qu'il dit quand
il interprète les paroles d'Innocent I de la commu-
nion comuie du sacrifice : car on a toujours com-
munié à Rome le Vendredi saint, et l'Ordre romain
y est précis. Je crois comme lui que Yabsque san-
guine Domini ne se rapporte pas à communicent,
mais à oblatas servandas ahsque sanguine Do-
mini. Je suis, Monseigneur, avec tout le respect
possible.
Au prieuré de Saint-Pierre d'Abbeville, ce a6 septembre 1686.
LETTRE XV.
DU MÊME.
Sur un ancien cérémonial de l'abbaye de Saint-Denis, conforme,
pour Ja communion du Vendredi saint , à celui de Fabbaye de
Corbie.
On m'a dit que votre Grandeur travailloit actuel-
lement à répondre au ministre la Roque sur la com-
munion sous les deux espèces; et comme il ma paru
que je vous avois fait plaisir de vous envoyer un
endroit du cérémonial de Corbie sur la communion
du Vendredi saint, je suis bien aise aussi de vous
dire que je lus l'année passée, mot pour mot, la
même chose dans celui de l'abbaye de saint Denis,
qui me parut de sept ou huit cents ans. J'ai été cette
année
LETTRES DIVERSES. 609
année pour le revoir ; mais je ne l'ai plus trouvé y
quoique je Taie fait chercher, et il faut que quel-
qu'un l'ait enlevé. J'en fis même un extrait , qui est
tout pareil à celui de l'abbaye de Corbie, et oh il
paroît visiblement que quoique les Moines fissent ce
jour-là, à l'égard du vin, les mêmes cérémonies
qu'ils faisoient les autres jours à l'égard du sang de
Notre-Seigneur , néanmoins ils croyoient , comme
il est précisément marqué dans ce cérémonial , que
ce n'étoit que du vin , même après le mélange avec
l'espèce du pain.
Je suis avec tout le respect possible , etc.
A Paris, ce 28 juin 1687.
LETTRE XVL
DE DOM MABILLON.
Sur les paroles de l'Ordre romain touchant la communion du
Vendredi saint.
J'ai examiné, suivant vos ordres, nos anciens
cérémoniaux romains, touchant la messe des pré-
sanclifiés pour le Vendredi saint. Je Tai trouvée par^
tout depuis le dixième siècle ; mais je n'ai rien trouvé
ni pour ni contre avant ce temps-là. Il n'y a qu'un
Ordre romain tiré d'un manuscrit de Saint-Gai, qui
porte expressément la communion le Vendredi
saint ; et ce manuscrit me paroît être au moins de
huit cents ans : et on ne peut douter de l'antiquité
de cet Ordre , d'autant qu'il est cité en propres
termes par Amalaire , au chapitre xv du livre pre*
BOSSUET. XLII. 3^
6ïO LFyTTnES DIVERSES.
mier des Offices ecclésiastiques^ dès le commence*
ment du chapitre. Pour ce qui est de l'addition ou
interprétation de l'archidiacre, qui porte que, in eâ
statione , ubi Apostolicus salutat crucem , nemo
communicat : cela s'entend, à mon avis, du peuple,
et non pas du Pape lorsqu'il officioit ce jour-là ; en-
core bien que dans cet Ordre romain de Saint-Gai,
il soit porté expressément que lors même que le
Pape officie, communicant omnes. Voilà, Monsei-
gneur, ce que j'ai pu trouver là-dessus : si je trouve
quelque chose davantage dans la suite , je ne man-
querai pas de vous en donner avis. Je n'aurois pas
tant différé à m'acquitter de ce devoir, si je n'avois
su que votre Grandeur étoit ces jours passés à Fon-
tainebleau. Maintenant que vous êtes de retour,
permettez - moi , s'il vous plaît. Monseigneur, de
vous remercier de toutes les bontés que nous avons
reçues de vous pendant notre séjour à Germigny,
et de vous assurer qu'on ne peut être avec plus de
reconnoissance et de respect que je suis, etc.
Fr, J. Mabillon^ moine Bénédictin.
A Paris, ce 29 octobre 1686.
LETTRE XVII.
DE M. L'ABBÉ RENAUDOT.
Sur différens points de la liturgie des Grecs, le pontifical de
M. Habert, et les affaires d'Ecosse.
Je viens , Monseigneur , de recevoir la lettre que
yous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 8 de ce
LETTRES DIVERSES. 6l I
mois. Comme la discussion plus ample des faits dont
vous voulez être éclairci pouiroit aller à quelques
jours , et qu il faut même que je la fasse hors de
chez moi, parce que je nai pas tous les livres dont
j'ai besoin pour cela, je commencerai à vous rendre
un compte sommaire de ce que j'en sais.
Les Grecs célèbrent la liturgie parfaite le Jeudi
saint, comme le témoigne Siméon de Thessalo-
nique dans sa réponse lvii : Chm et in magno jeju-
nio j Sabbato et Dominicd ^ perfectam Missani ce-
lebramus , et in aliis etiam jejuniis quœ violare
nef as ^ veluti Vigilid Christi Natalium , Luminum ,
et magna Feriâ quintâ ita peragimus ^ nec in illis
jejunium sohimus , quod perfecto sacrificio utaniur.
Ce passage est cité par Allatius , dans sa Disserta-
tion de la liturgie des présanctifiés, pages 1675 et
1576, au bout du livre de perpétua consensu. Je
suis trompé si cette discipline n'est marquée aussi
dans le Typicon que je consulterai. Il semble que
Balsamon et Zonare , aussi bien que les autres cano-
nistes grecs , n'aient pas excepté le Jeudi saint. Mais
comme Siméon est postérieur, et que l'usage pré-
sent appuie son témoignage, il n'y a point de dif-
ficulté.
Les autres orientaux célèbrent ce même jour la
liturgie entière , qtioique la plupart des églises aient
la liturgie des présanctifiés.
Pour le Samedi saint , vous savez , Monseigneur ,
que la messe qui se dit depuis quelques siècles parmi
nous, se disoit autrefois la nuit, et l'oraison le
marque formellement. Les Grecs et les Orientaux
en ont toujours usé de même ; et quoique le samedi
6l'2. LETTRES DIVERSES.
fût un jour de liturgie parfaite, même en carême,
on ne ce'lébroit ne'anmoins la liturgie à peu près
qu'à la même heure. Ainsi on sauvoit en même
temps deux points de discipline ; celui du jeûne , et
celui de célébrer la liturgie le samedi. Les Orientaux
non Grecs appellent ce samedi le grand Samedi , et
le jeudi, la cinquième Férié des Mystères; non-
seulement à cause de l'institution, mais aussi à
cause de la célébration solennelle de l'Eucharistie,
qui se faisoit en ce même jour.
Il est vrai. Monseigneur, comme vous le remar-
quez très -bien, que les Grecs ont brodé souvent
plus que de raison les rites : mais les autres Levantins
n'ont pas moins fait. Ainsi il est fort difficile de faire
une critique exacte des rites grecs par cette compa-
raison. Sur celui qui est en question, nous trouvons
que les Orientaux ont la messe des présanctifiés , et
qu'ils en fondent l'usage sur le Canon xlix de Lao-
dicée qu'ils ont dans leurs Collections. Le mot de
Panis qui y est employé, est ordinairement inter-
prêté Courbant c'est-à-dire, l'Eucharistie;, ou le
corps et le sang de Jésus-Christ. Les Melchites seuls,
qui ont les Canons in Trullo dans leurs Collections,
appuient aussi cette coutume sur le Canon lu. Mais
je n'ai point trouvé jusqu'à présent ni un office parti-
culier pour la messe des présanctifiés , ni aucun dé-
tail de cette discipline parmi les Jacobites cophtes
ou syriens , ni parmi les Nestoriens. Ces derniers ,
dont la discipline ecclésiastique à l'égard des rites est
la plus simple de toutes, ne m'ont pas encore fourni
de preuves authentiques, d'où on puisse juger si
cette cérémonie étoit également en usage parmi eux.
LETTRES DIVERSES. 6l3
Je n'ai point sur cela de meilleures preuves que des
faits écartés et des argumens négatifs. Peut-être man-
quons-nous de livres : car fai découvert bien des
choses que j'avois ignorées long-temps, faute d'avoir
connu un auteur, ou faute de l'avoir eu. Madame la
chancelière.Seguier a dû être en purgatoire, pour
avoir refusé toute sa vie la communication d'un théo-
logien nestorien, que j'ai trouvé autre part, et où
j'ai appris mille choses nouvelles. Ainsi , Monsei-
gneur, je vous demande un peu de temps pour ce fait
particulier, afin de reprendre mes idées, et tâcher
de découvrir ce que je n'ai pu sur cela savoir certai-
nement.
J'oubliois à vous dire sur le jeûne du Samedi saint,
que la coutume presque générale des Orientaux est
de ne point manger depuis le soir du Jeudi saint jus-
qu'au jour de Pâque. Cela se pratique encore par la
plupart des Levantins. Ainsi on disoit la liturgie
comme on vouloit, et on le fait encore, plus tôt ou
plus tard ; parce qu'on se fait un scrupule de manger
tout ce jour-là.
Il y a peu de gens versés dans les écrits des théolo-
giens grecs des temps postérieurs , qui fassent cas du
pontifical de M. Habert. Cette partie d'érudition lui
manquoit, quoique très -nécessaire pour traiter sa
matière. On a trouvé à redire qu'il n'ait pas mieux
désigné les manuscrits. J'ai ouï dire à des savans qu'il
s'en étoit rapporté à d'autres, et que les copistes ou
''lui-même s'étoient acquittés fort négligemment de
leur devoir. Vous êtes plus capable que personne de
juger du reste.
J'espère dans huit ou dix jours vous écrire sur
6l4 LETTRES DIVERSES.
tout ceci un peu moins confusément : je ne serois paJ
si long-temps, sans le désordre ordinaire de ma vie,
qui renverse bien mes études. J'étois aujourd'hui po-
litique ; demain je pourrai être théologien ; après-
demain correcteur d'imprimerie. Ainsi je suis quel-
quefois huit jours à faire ce qu'un autre feroit en un.
M. Pirot tient M. Simon ; mais votre présence nous
est nécessaire pour cela et pour bien d'autres choses ,
surtout pour ce qui me regarde. Je vous assure,
Monseigneur, que je souhaiterois bien souvent re-
trouver ce bien que j'avois autrefois. Vous savez
qu'en ce temps-là je me suis voué à vous, et que je
ne puis avoir une plus grande joie que de faire tout
ce que vous voudrez bien m'ordonner. Tout ce que
je pourrois jamais faire ne remplira jamais mes de-
voirs. J'espère que la bénédiction que vous donnerez
à mes études, et que je vous demande, me les rendra
utiles. Si lorsqu'il s'agit de vous obéir elles ne m'é-
toient pas trop agréables, je serois assuré d'y trou-
ver du mérite.
Les affaires d'Ecosse vont très-mal : le parlement
est prorogé, parce qu'il n'a pas voulu consentir à un
acte pour décharger les catholiques du serment du
test. Le pauvre milord chancelier a eu des peines in-
croyables, et sans aucun succès. Il étoit parti pour
venir à Londres, et j'espère. Monseigneur, vous en
mander bientôt des nouvelles. Je suis, avec tout le
respect possible, etc.
Renaudot.
A Paris, ce lo juillet 1687.
LETTRES DIVERSES. 6l5
POSTCRIPTUM.
Sur l'origine de la prière pour les morts parmi les Juifs , et la nature
de leur purgatoire.
Le passage que les Protestans citent ordinairement
pour attribuer à l'exemple de Rabbi Akiba le pre-
mier usage de la prière pour les morts , se trouve
dans la Gémara du Talmud, au traité Calla. Voici
les termes dont l'histoire y est rapportée. « Un jour
» Rabbi Akiba se promenant rencontra un homme
» chargé de bois, et le fardeau étoit si pesant, qu'il
» excédoit la charge d'un âne ou d'un cheval. Rabbi
a) Akiba lui demanda s'il étoit un homme ou un
» spectre : l'autre répondit qu'il étoit un homme
» mort depuis quelque temps, et qu'il étoit obligé
» de porter tous les jours une pareille charge de bois
» en purgatoire, où il étoit brûlé à cause des péchés
>♦ qu'il avoit commis en ce monde. Rabbi Akiba lui
1) demanda s'il n'avoit point laissé d'enfans, le nom
i) de sa femme, de ses enfans , et le lieu de leur de-
» meure. Après que le spectre eut répondu à toutes
» ces questions, Rabbi Akiba alla chercher le fds du
» défunt, lui apprit la prière qui commence par le mot
» Kadisch , c'est-à-dire, saint, et qui se trouve dans
» les Rituels des Juifs, lui promettant que son père
» seroit délivré du purgatoire s'il la récitoit tous les
» jours. Le fils ayant appris l'oraison commença à la
» réciter tous les jours. Au bout de quelque temps,
» le défunt apparut en songe à Rabbi Akiba, le
» remercia, et lui dit que par ce moyen il avoit
» été délivré du purgatoire , et qu'il étoit dans le
» jardin d'Eden «; c'est-à-dire, dans le paradis ter-
6l6 LETTRES DIVERSES»
restrc, où les Juifs supposent que vont les âmes de
leurs bienheureux.
Ce n'est pas sur cette seule tradition que les Juifs
ont Tusage de la prière pour les morts : elle est cons-
tamment en usage, de temps immémorial, dans
toutes les synagogues. Dans le Rituel Espagnol, qui
est le plus généralement reçu, et qui tient à leur
égard le même rang que le Rituel Romain parmi
nous, il y a une longue prière qui se doit dire lors-
qu'on porte un mort en terre. Elle contient entre
autres choses ces paroles : « Â.yez pitié de lui, Sei-
» gneur Dieu vivant, maître du monde, avec lequel
» est la, source de la vie : que toujours il marche du
3) côté de la vie, et que son ame repose in fascicula
» vitce-, c'est-à-dire, parmi le n'ombre des élus à la
» vie éternelle. Que Dieu miséi icordieux , selon
» l'étendue de sa miséricorde, lui pardonne ses ini-
» quités j que ses bonnes œuvres soient devant ses
» yeux, et que devant lui il soit mis au nombre des.
3) fidèles ; qu'il marche en sa présence dans les terres
» de vie » : et ensuite ils répètent l'oraison ci-dessus.
« Que les portes des cieux vous soient ouvertes :
» puissiez-vous voir la ville de paix , et les taberna-*
» clés de sûreté : que les anges de paix viennent au-
» devant de vous avec joie ; que le grand-prêtre vous
» reçoive et vous conduise : que votre ame aille dans
3) la caverne double d'Abraham, et de là sur les Ché-
» rubins, et de là au jardin d'Eden : que l'ange Michel
» vous ouvre les portes du sanctuaire ; qu'il offre
3) votre ame comme une oblation à Dieu ; que l'ange
» rédempteur vous accompagne jusqu'aux portes des
» lieux agréables, où sont les Israélites, etc. »
LETTRES DIVERSES. 6l'J
Toutes les autres prières qui se trouvent dans
Toffice des sépultures , que les Juifs appellent Seder
uibelut^ ou Ordre du deuil, sont remplies de sem-
blables expressions. Ces prières sont la plupart fort
anciennes, et peut-être ne le sont-elles pas moins
que la tradition de Rabbi Akiba.
Il est aussi parlé du purgatoire dans le Traité tal-
mudique des Bénédictions, chapitre III. « L'ame,
» disent ces rabbins , ne va pas dans le ciel aussitôt
M qu'elle est séparée du corps ; mais elle demeure
» errante dans ce monde durant douze mois, au bout
j^desquels elle retourne dans le sépulcre. Elle souffre
5) cependant beaucoup de tourmens dans le purga-
» toire : enfin au bout de douze mois elle entre dans
3) le ciel, où elle jouit du repos ».
Le purgatoire des Juifs n'est pas notre purgatoire :
car ils croient que presque tous les Israélites y vont ;
qu'ils n'y sont que durant un an ; et qu'ensuite les
âmes, et même, selon l'opinion de quelques-uns,
les corps se rendent par des canaux souterrains dans
la terre d'Israël, d'où ils vont après dans le paradis
d'Eden. Tous les Israélites^, disoit le rabbi Eliezer,
et dont la sentence est insérée dans le Talmud, ont
part au monde à venir; c'est-à-dire, à la béatitude.
Ils n'en excluent que les excommuniés, et des gens
qui meurent chargés de crimes. Et comme tous ceux
qui meurent dans la communion judaïque sont sau^
vés, aussi presque tous passent par le purgatoire.
Ils ont une tradition d'une peine qui arrive après
la mort , lorsqu'un ange vient au tombeau , et
qu'avec une chaîne de fer toute rouge il frappe trois
6l8 LETTRES DIVERSES.
fois le mort. Ils prient aussi pour être délivrés de
cette peine.
Rabbi Akiba vivoit sous Hadrien, et il fut un des
sectateurs du faux messie Bar-Cocba, ou Bar-Co-
kiba : il fut exécuté à mort après la prise de la ville
de Bitter. Il est aisé de voir s'il y a aucun fondement
à dire que la prière pour les morts est fondée sur
l'histoire de rabbi Akiba; puisque les Juifs marquent
seulement qu'il leur apprit une certaine prière effi-
cace pour la délivrance des âmes, et qu'ils ne disent
pas qu'il fut auteur de la coutume de prier pour les
morts , qui est considérée parmi eux comme éta-
blie par toute l'antiquité de leur tradition.
LETTRE XVIII.
DU MEME.
Sur les différentes confessions de foi des Anglicans, et sur Molinos.
Comme je sais, Monseigneur, que vous travaillez
actuellement sur l'ouvrage (*) que nous attendons
avec impatience, et que ce que vous m'avez mar-
qué dans votre lettre y a quelque rapport, j'ai cru
ne devoir pas différer à vous donner sur ce sujet les
éclaircissemens nécessaires; en attendant que j'aie
fait une plus exacte recherche de ce que je ne sais
pas : car je n'ai pas parmi mes livres cette Confes-
sion de foi que vous me marquez; et quoique je la
{*) V Histoire des Variations^ dont la première édition parut
en 1688. .
LETTRES DIVERSES. 6l()
connoisse, je pourrois néanmoins me tromper si je
vous en parlois affirmativement avant que de l'avoir
trouvée. J'irai pour cela à la bibliothèque du Roi ,
remuer tout ce qu'il y a de semblables livres; parce
qu'il y a trop long-temps que je les ai maniés , pour
m'en fier à ma mémoire. Voici cependant, Monsei-
gneur, ce que j'ai à vous dire de certain sur l'ori-
ginal , dont la vôtre doit être la traduction.
Cette Confession de foi, imprimée à Cambridge
en latin, en i656, doit être la même que celle qui
fut imprimée en anglais dès l'an i652. Celle-ci reçut
sa dernière forme en 1647, ^^^^ l'assemblée géné-
rale des Ecossais rebelles, à Edimbourg, et fut au-
torisée par un acte du 27 août (6 septembre) de la
même année , pour servir d'acte d'uniformité en
matière de religion pour les trois royaumes , en
conséquence de la ligue solennelle, ou Convenant,
qui avoit été arrêtée dès le mois de décembre i643.
Les théologiens de l'assemblée de Westminster , qui
commença en i644? avoient dressé des articles de re-
ligion , tous conformes à la créance des Calvinistes
presbytériens. Les commissaires d'Ecosse , tous Pres-
bytériens, travaillèrent ensuite avec eux, et en ré-
glèrent la plus grande partie.
Cet ouvrage, qui fut d'abord proposé en diverses
manières, toutes plus ridicules les unes que les au-
tres, ne fut réglé et réduit à la forme qui est dans
les éditions anglaises d'Edimbourg et de Londres ,
qu'en 1647. ^^ contient une Confession de foi en
trente-trois chapitres : le premier, de la sainte Ecri-
ture; le trente-troisième, du dernier jugement ; le
grand Catéchisme , et le petit Catéchisme qui fut
6?.6 LETTRES DIVERSES.
fait le dernier; ensuite le Directoire pour le service
public de Dieu , selon qu'il devoit être pratiqué
dans les trois royaumes.
Ce Directoire fut ordonné par acte du Parlement
rebelle , le i3 (3) janvier i644 j mais il ne fut mis en
lumière que long-temps après. Par cet acte, le Livre
des communes prières, le Rituel de l'ordination, et
tous autres ayant rapport à l'épiscopat, furent abolis ;
et tous les actes d'Edward VI, d'Elisabeth, de Jacques
et de Charles I.", pour établir l'uniformité de la re-
ligion et du service , furent cassés. Cet acte , le Conve-
nant , et par conséquent la Confession de foi , les Caté-
chismes grand et petit, et le Directoire furent depuis
cassés par le grand acte de la quatorzième année de
Charles II, 1662; par lequel tous les Anglais sont
obligés à renoncer à tous ces actes précédons des
rebelles, nommément au Convenant, et à tout ce qui
fut fait en conséquence contre les actes d'uniformité,
particulièrement contre ceux d'Elisabeth.
Le Roi régnant n'a pas dérogé à ces actes par un
autre acte solennel, qui porte avec soi le consente-
ment de toute la nation assemblée en Parlement.
Mais ayant accordé (*) par une proclamation et par
des déclarations particulières, qui sont des actes du
second ordre, émanés du pouvoir et prérogative
royale de dispenser des lois, ces actes de 1662 et
ceux d'Elisabeth subsistent encore, et ont une en-
tière autorité à l'égard de l'Eglise anglicane établie
par les lois.
(*) Il manque ici quelques mots nécessaires au sens de la phrase :
nous aimons mieux les laisser suppléer par le lecteur , que de rien '
Iiasarden
I
LETTRES DIVERSES. 62 I
Ainsi, Monseigneur, la Confession , etc. imprimes
depuis 1645 jusqu'en 1660, à Cambridge et ailleurs,
ne peuvent être considérés que comme des actes des
rebelles, formés sur le même bureau où on dressa
la sentence de mort contre Charles I."', et les sen-
tences par lesquelles Tépiscopat , et toute la forme
de la religion anglicane fut entièrement renversée^
Cela soit dit par rapport à TEtat.
Par rapport à l'Eglise, vous avez très-bien jugé
que cette confession et les catéchismes sont purement
calvinistes, et n'ont aucun rapport à la véritable
croyance de l'Eglise anglicane. Aussi l'université
d'Oxford, quoique quelques-uns de ses membres
fussent engagés dans le parti des parlementaires, se
contenta de céder à la violence en se taisant sur ces
articles : mais elle ne les adopta jamais avec les for-
malités solennelles, comme fit celle de Cambridge,
qui étoit toute remplie de presbytériens qui firent
la traduction que vous avez.
Voici les confessions de foi les plus solennelles ,
qui ont été faites en Angleterre par l'autorité légi-
time des rois et du parlement.
La première est celle d'Edward VI, faite en i552,
et publiée en i553, sous ce titre : Articuli de qui-
bus in Sjnodo Londinensi , anno Domini i552^ ad
tollendam opinionum dissensionem , et consensum
verœ Religionis Jirmanduîrij inter episcopos et alios
eruditos viros convenerat, regid auctoritate in îuceni
editi. Excusum Londini apud Reginaldum TVolJium,
Regiœ Majestatis in latinis tjpographum , an. Dont.
1 553. Il y en a une édition anglaise de la même année,
chez Jean Day. Ils contiennent quarante-deux articles.
622 LETTRES DIVERSES.
La deuxième est de i562 : ArUculi de quihus con-
venu inler archiepiscopos et episcopos uiriusque
provinciœ et Clerum unwersum in Sjnodo Londini^
anno 1 562 , secundiim computationem Ecclesiœ An-
glicanœ^ ad toUendam opinionuin dissensionem et
consensum in vera Relis^ione firmandiim , edili
auctoritate Serenissimœ Reginœ. Londini , apud
Joannem Day, 1 67 1 . Ils furent imprimés en 1 562 ,
et ne furent confirmés que cette année-là , suivant
CCS paroles qui sont à la fin : Hic Liber antedic-
torum articuloruni jam denuo approbatus est par
assensum et consensum Serenissimœ Reginœ Elisu"
bethœ Dominœ nostrœ , Dei gratid Angliœ , Fran^
ciœ et Hiberniœ Reginœ , Defensoris Fidei; et re^
tinendus , et pcr totiim Regnum Angliœ cxequendus.
Qui articuli et lectisuntj et denuo confirmati sub-
scriptione D. Archiepiscopi et Episcoporum supe-
rioris do mus ^ et totius Cleri inferioris domûs _, in
convocatione j, anno Domini iS^i. Il y a en tout
quarante articles, en y comprenant ce dernier. Ces
articles, ou confession de foi, appelés communé-
ment les articles de i562, sont la règle certaine de
la créance de l'Eglise anglicane conformiste. On n'y
a fait aucune innovation que par la confession de
foi des parlementaires, qui est celle que vous avez.
Car le roi Jacques, à son avènement à la couronne,
confirma ces articles d'Elisabeth ; et Charles I.""^ de
même : ce qu'ils y ajoutèrent fut quelques points
concernant la discipline ecclésiastique el la hiérar-
chie, qui n'ont pas de rapport à mon sujet.
Le roi Charles II, à son rétablissement, établit,
par l'acte solennel dont il a été parlé ci-dessHS ,
LETTRES DIVERSES. 623
qu'on feroit une déclaration formelle avec serment
de renoncer au Convenant, et à la doctrine de ceux
qui disent qu'on peut prendre les armes contre son
roi; qu'on se conformeroit à la Liturgie et au Rituel
de la consécration des prêtres et évêques : et ces
articles sont devenus articles de foi pour les Anglais,
comme celui du test (*) , par lequel on renonce à la
doctrine de la transsubstantiation , qui fut établi
huit ou dix ans après ; car je ne me souviens pas
précisément de l'année. Depuis ce temps-là, il n'y a
eu aucune innovation.
Il est à remarquer qu'il y a une grande différence
entre les articles d'Edward et ceux d'Elisabeth , en
plusieurs articles. Le docteur Heylin, Protestant
très-modeste, les a fait imprimer e regione dans son
Histoire de la Réformation , avec des chiffres qui
étoient faits pour renvoyer à des notes qu'il avoit
promises , et qui furent supprimées; parce qu'appa-
remment il ne jugea pas à propos de les publier. Je
transcrirai ici l'article xxviii d'Elisabeth, avec la
différence de celui d'Edv^ard VL
Cœna Domini non est tantum signiim mutuœ he^
nevoleniiœ christianorum inter sese ; verum potiits
est Sacramentum noslrce per mortem Christi re-
demptionis, Edward, idem.
uitque adeo , rithj digne et cum jide sumentihus ,
•panis quem frangimus est communicatio corporis
(*) Test signifie épreuve^ et le serment qu'il impose à tous ceux
qui doivent exercer en Angleterre quelque office public, est ainsi
appelé, parce qu'il sert à manifester leurs sentiraens sur la religion.
Le parlement établit ce serment en 1678, sous Charles II, pour
s'opposer plus efficacement aux vues pacifiques de ce prince, en
faveur des catholiques.
6'24 LETTRES DIVERSES.
Christi; simililer poculum benedictionis est commu-
jiicatio sangiUnis Christi, Edward, idem.
Partis et vini transsubstanlialio in Eucharistia ,
ex sacris Litteris probari non potest; sed apertis
Scripturœ verbis adversatur j Sacramenti naturam
es^ertity et multarum superstilionum dcdit occasio-
nem. Ces paroles, sont ajoutées, et ne sont point
dans l'article d'Edward , où suivent ces paroles sup-
primées entièrement dans Elisabeth.
Ciim naturœ humanœ veritas requirat ut unius
ejusdemque hominis corpus in multis locis simul esse
non possit , sed in uno aliquo et dejinito loco esse
oporteat ; idcirco Christi corpus in multis et diversis
locis eodem tempore prœsens esse non potest. Et
quoniam , ut tradunt sacrœ Lilterœ , Christus in
cœlum fuit sublatus , et ibi usque ad Jinem sœculi
est permansurus , non débet quisquam Jîdelium car-
nis ejus et sanguinis realem et corporalem , ut lo^
quuntur, prœsentiam in Eucharistia vel credere vel
projîteri.
Elisabeth poursuit par ces paroles, qui ne se trou-
vent point dans Edward.
Corpus Christi datus accipitur et manducatur in
Cœna , tantum cœlesti et spiritali ratione. Médium,
autem quo corpus Christi accipitttr et manducatur
in Cœna , jides est,
Sacramentum Eucharistiœ ex institutione Christi
non serv^abatur ; circumferebatur , eleuabatur , nec
adorabatur. Cet article est dans tous les deux.
Impii et jide vivâ destituti , licet carnaliter et
visibiliter , ut Augustinus loquitur, corporis et san-
guinis Christi Sacramentum dentibus premant j nullo
tamen
LETTRES DIVERSES. 625
tamen modo Chrisli participes efficiuntur; sed potiiis
tantœ rei Sacramentum seu sjmbolum ad judicium
sihi manducant et hihunt. Cet article manque en-
tièrement à ceux d'Edward VI.
Cela vous fera voir, Monseigneur, quelle est Fef-
fronterie ou Tignorance de Burnet, qui, dans son
Histoire , rapporte les paroles latines que votis avez
lues , et que vous trouverez conformes dans le sens
à cet article supprimé par celui d'Elisabeth, sans
marquer que c'étoit le sens de celui d'Edward :
d'oii Ton peut juger de la vérité de la conséquence
qu'il en tire , qui est toute contraire à celle que tire
Heylin dans sa Préface de la Vie de William Laud,
archevêque de Cantorbéry.
Burnet dit ; « Cela fait voir que la doctrine de
)> l'Eglise , souscrite par toute la convocation ou
» assemblée du clergé, étoit alors contraire à la
» doctrine de la présence réelle ou corporelle dans
» le sacrement ». En quoi il commet une insigne
falsification , en donnant à entendre que réelle est
la même chose que corporelle. Or, Heylin établit
et prouve que l'Eglise anglicane n'exclut que la pré-
sence corporelle, et tient la présence réelle. H cite
Ridley, qui dit que dans le sacrement de l'autel est
le corps et le sang naturel de Jésus-Christ. Alexandre
Nowel, prolocuteur de la convocation de i562, où
la transsubstantiation fut déclarée contraire à l'Ecri-
ture , qui dans son catéchisme dit : Question. Cce-
lestis pars et ah omni sensu externo longe disjuncta ,
quœnam est? Réponse. Corpus et sanguis Christi ^
quœfidelibus in Cœna Dominica prœhentur, ab illis
accipiuntur, comeduntur et bibuntur, cœlesti tantîini
BOSSUET. XLII. ^o
626 LETTRES DIVERSES.
et spirituall modo , vere tamen atque re ipsâ. Il en
cite encore d'autres, et surtout ce passage d' Andrews,
évêque de Winchester, qui , écrivant contre Bellar-
niin , dit : Prœscjitiam credimus non minus quhm
vos veram; deinde de prœsentiœ modo nihll temerh
dejinimus. Je vous ai extrait l'article de l'eucharis-
tie : si vous avez besoin de ceux de la justification .
je vous les enverrai ; ils sont aussi purement calvi-
nistes. Voilà pour ce qui regarde la confession de
foi.
PourMolinos, je crois, Monseigneur, que vous
avez vu le décret par lequel ses propositions sont
censurées au nombre de soixante-huit, qui est im-
primé. Il y a outre cela le procès entier, qui tient
plus d'une main de papier, que j'ai lu : mais on ne
me l'a pas envoyé , et je n'ai osé prier mes amis de
ce pays-là de me faire une si longue copie. Mais j'ai
un extrait de tout ce long procès , fait de main de
maître , avec diverses lettres ; tout à votre comman-
dément. Il faut quelques jours pour copier tout
cela. J'ai aussi le procès en extrait de ses deux dis-
ciples , dont les erreurs étoient encore plus grande^.
J'attendrai vos ordres sur tout cela.
Il est vrai qu'on fait des affaires à M. le cardinal
de Grenoble sur sa Lettre pastorale, que le Pape
fait examiner. Toutes ces affaires ont fort chagriné
le saint Père , qui de colère a été un mois au lit 5 car
il se porte à merveilles.
Molinos étoit un des plus grands scélérats qu'on
puisse s'imaginer. Il est vrai qu'il dirigeoit M. Fa-
voriti, et qu'il l'a assisté à la mort. Il n'y a or-
dures exécrables qu'il n'ait commises pendant vingt-
LETTRES DIVERSES. 627
deux ans, sans se confesser, Par le procès, il paroît
qu'il a avoue toutes ces choses. On y marque celles
qu'il a niées. J'aurai l'honneur de vous en mander
plus de nouvelles dans queîqifes jours. Il est temps
de finir cette lettre qui n'est que trop longue , en
vous assurant toujours, Monseigneur, de la conti-
nuation de mes très-humbles respects.
Je remercie M. l'abbé Fleury de son souvenir, et
le salue avec votre permission.
A Paris, ce i3 octobre 1687.
LETTRE XIX.
DE M. LE FEUVRE, DOCTEUR DE SORBONNE.
Sur une conclusion que Ton prétendoit avoir élé faite par la Faculté
de théologie touchant le mariage do Henri VIII.
Il y a trois semaines que je n'ai point la liberté de
mon appartement ni de mes livres *, c'est ce qui m'a
empêché jusqu'ici de répondre à votre? Grandeur sur
ce qu'elle a voulu savoir de moi, touchant une con-
clusion que l'on dit avoir été faite par notre Faculté
sur le mariage de Henri VIII. Je vous dirai , Mon-
seigneur, ce que j'en peux savoir ; vous avouant
que je n'ai sur ce sujet que des conjectures, les re-
gistres de ce temps ne se trouvant plus dans nos
archives.
Il est vrai que Burnet rapporte cette conclusion
toute entière dans son premier livre en anglais
page 62 de son Recueil : mais la difficulté est de
savoir si elle a été véritablement faite par notre
6^8 LETTRES DIVERSES»
Faculté, telle que Burnet nous la rapporte^ au si
elle est supposée.
Sur quoi mon sentiment est qu'il est certain que
notre Faculté a été consultée sur ce sujet, et quelle
a répondu à la consultation qu'on lui avoit faite.
Cela paroît par les lettres originales du premier
président Liset, qui étoit chargé de ménager la Fa-
culté sur cette affaire. Ces lettres sont dans la biblio-
thèque du Roi, et elles marquent que la Faculté a
donné en ce temps son avis. Et M.e Charles du
Moulin, dans ses notes sur le conseil 602 de Decius,
imprimées à Francfort l'an i587, ^^ parle de cette
manière : Hanc quœstionem in magno fervoTe vidi
in Sorbona ^ anno 1 53o j et tandem mense junio
steterunt quadraginta duo Sorbonicipro affirmàtiva ,
quôd Papa potest, quinque vero remittendum Eccle-
siœ papali : sed quinquaginta très majorem parlem
facientes tenuerunt pro negativa : de qua parum ou-
randum; quia corrvpti angelotis anglicis ita cem-
suerimt, ut vidi per attestationes , jussu Francisci.
Galliarum Régis , factas per defunctos Dufresnet
et Poliot, Parlamenti Parisiensis Prœsides , quihus
Beda Decanus Sorbonce, et Lisetus, tune ejusdem
Parlamenti Prœses primus, multum grayabantun
Voilà ce qui me fait croire qu'il y a eu un avis de
notre Faculté sur ce sujet. Mais je crois aussi que
l'avis que rapporte Burnet n'est pas celui que la
Faculté a donné.
Premièrement le style de cette conclusion, telle
qu'elle est rapportée par Burnet , n'est point con-
forme à celui dont la Faculté se servoit en ce siècle.
Cela paroît par la confrontation que l'on en peut
LETTRES DIVERSES. 629
faire avec les autres monumens de notre compagnie
que nous avons du même temps, comme les deux
Censures contre Erasme, faites en i526 et 1527 ; les
articles proposés à François I.er^ en i542, et la
censure contre du Moulin en i552. Aussi je me sou-
viens que cette pièce faisant de la peine à un de mes
amis, il demanda à M. Burnet, lorsqu'il vint à Paris,
s'il avoit vu l'original : il lui avoua franchement qu'il
ne l'avoit jamais vu , mais seulement une copie dans
un livre anglais imprimé sous Henri VIII.
En second lieu, la pièce que rapporte ledit sieur
Burnet dit que l'avis de la Faculté a été donné, iina"
nîmi consensu ad pluralitatem vocum : ce qui ne
convient pas avec ce qu'en dit du Moulin, qui rap-
porte que le sentiment pour Henri VIII ne l'emporta
que de six suffrages.
Troisièmement , les lettres du président Liset di-
sent que l'avis que la Faculté donna ne plut pas au
Roi : d'où on doit conclure qu'il étoit autre que
celui que l'on nous rapporte ; puisque celui que l'on
nous rapporte satisfaisant entièrement les préten-
tions de Henri VIII, il devoit nécessairement plaire
à François I.", qui vouloit pour lors faire plaisir à
ce Roi. Ce que dit M. Liset s'accorde assez avec l'état
des temps oii l'on dit que cet avis a été donné. Tout
le monde sait que François I." étoit irrité pour lors
contre la Faculté , qu'il lui fit Talfront de vouloir
que les ouvrages d'Erasme fussent examinés par
toutes les compagnies de l'Université , conjointe-
ment avec celle de théologie , à qui il déclara ne
pouvoir se fier ; qu'il avoit fait emprisonner, et en-
suite exiler le syndic et plusieurs autres docteurs.
63o LETTRES DIVERSES.
Une compagnie tout récemment maltraitée n'est
guère en état de satisfaire , sur un point difficile, aux
désirs d'un prince dont elle ressent si vivement l'in-
dignation. Enfin , si la Faculté avoit répondu à
Henri VIII de la manière que Burnet nous le rap-
porte , il n'auroit pas été nécessaire qu'Elisabeth eût
consulté la Faculté de droit canon de Paris , pour
savoir si le mariage de son père étoit légitime ; la
réponse de la Faculté de théologie prévalant elle
seule à tout ce que les autres Facultés du même lieu
pouvoient décider. Or nous avons dans la bibliothè-
que de M, Colbert, la réponse en original de cette
Faculté sur cette consultation.
Quant à ce que du Moulin rapporte de la nôtre,
je m'étonne qu'il parle de visu , manquant en deux
faits dans son rapport : premièrement dans la date
de la réponse de la Faculté, qu'il dit avoir été faite
au mois de juin ; et selon la pièce que produit Bur-
net, elle n'a été faite qu'au mois de juillet : secon-
dement, en faisant entrer dans cette affaire Beda,
qui étoit pour lors exilé.
Voilà, Monseigneur, ce que je sais présentement
sur ce sujet : sitôt que je serai plus à moi, et que
j'aurai la liberté entière de mon appartement , que
les maçons ont jusqu'ici occupé, j'approfondirai plus
la chose , et ne manquerai pas d'envoyer à votre
Grandeur ce que j'aurai trouvé. Je suis avec tout le
respect possible , etc.
Le Feu v RE, professeur en théologie.
Ce i3 mai 1687.
LETTRES DIVERSES. 63 I
LETTRE XX.
DE M. PIROT, DOCTEUR DE SORBONNE.
Sur le même sujet que la précédente, et sur quelques autres faits.
J'ai fait copier la lettre circulaire de M. le cardinal
le Camus sitôt que je Tai pu avoir, et je vous l'envoie
comme vous me l'avez ordonné. J'y aurois joint la
copie de l'acte qui est venu de Rome au sujet des
Quie'tistes, si je l'avois pu : mais la personne de qui
je le voulois emprunter, Tavoit donne' à M. l'arche-
vêque, qui n'est pas présentement en état qu'on lui
parle de cela. Je ne sais que M. l'official qui lui
parle, quoiqu'il se porte mieux, dont la médecine
qu'on lui a fait prendre aujourd'hui est une marque.
J'ai fort pensé, depuis que nous avons parlé de la
consultation que cite Burnet, à éclaircir ce fait. Il
est vrai que Fra-Paolo, dans son premier livre de
Y Histoire du Concile, dit que Henri VIH voulut
consulter sur son affaire les Universités de l'Europe ;
et que la plus grande partie des théologiens de Paris
favorisa son dessein, en prononçant que la dispense
qu'il avoit obtenue de Rome pour épouser Cathe-
rine, veuve de son frère, étoit nulle ; mais qu'on veut
que son avis étoit plus fondé sur les dons du roi
d'Angleterre que sur la raison. M. de Thou, dans
son livre premier, page 28, met à peu près la même
chose en ces termes : Rex , qui jam ante annum ,
Calharinâ repudiatd , Bolenani duxerat, exquisitis
prius diversorum theologorum sententiis imprimis^
632 LETTRES DIVERSES.
(jue Paris iejis iitm f qui, uti riimor erat , pretio COT'
ruptiy consilio et divortio subscripserant. Cet his-
torien ne dit pas que la Faculté' fut consultée ; au
lieu que le premier, parlant de la plus grande par-
tie, semble avoir lu du Moulin, ou du moins écrit
sur ses Mémoires. C'est lui qui parle le plus dis-
tinctement de la consultation. J'ai eu peine à trou-
ver l'endroit : j'ai pour cela parcouru toutes ses
œuvres, et je ne l'ai point vu dans celles qui por-
tent son nom , qui sont en trois tomes.
Enfin j'ai vu ce qu'il a fait sur les conseils de
Decius , grand jurisconsulte milanais du siècle der-
nier , qui n'est pas imprimé sous son nom ; mais
qu'on sait assez être de lui. Ce sont des notes sur
l'ouvrage de cet Italien, imprimées en marge, dont
l'auteur n'est point nommé au titre, mais seulement
marqué par la qualité d'un grand jurisconsulte , cé-
lèbre en Allemagne et en France. Il se fait lui-même
assez connoître de temps en temps dans ses obser-
vations, en citant ses ouvrages. Il parle de la ques-
tion du mariage de Henri VIII, sur le conseil 602
de Decius, à l'occasion de ce qu'en dit Decius lui-
même , qui avoit été consulté par ce Roi , et qui y
répond dans ce conseil, posant pour principe que
le pape Jules II avoit pu donner la dispense, et que
le cas de faire épouser une même personne à deux
frères, l'un d'eux l'épousant après la mort de l'autre,
n'excède pas le pouvoir du Pape ; mais dans l'appli-
cation trouvant nullité dans la bulle, qu'il prétend
subreptice pour deux raisons : la première et la
principale, fondée sur ce qu'elle est accordée pour
le bien de la paix ; comme s'il y avoit eu guerre qui
LETTRES DIVERSES. 633
dût cesser par cette alliance, quoique tout fût en
paix pour lors , et qu'il n'y eût nul trouble à crain-
dre, ainsi que le cas l'exposoit : l'autre, qu'on n'eût
pas marqué au saint Siège dans la supplique de la
dispense qu'on avoit demandée pour le mariage de
Henri VIII avec Catherine, veuve de son frère Artus,
qu'il étoit seulement dans sa douzième ou treizième
année , ainsi encore incapable de contracter, n'ayant
pas l'âge de puberté; ce qui pouvoit rendre la grâce
plus difficile, et dont par conséquent la réticence
donnoit atteinte à la bulle. C'est le biais que prend
cet auteur pour satisfaire en même temps, dit celui
qui a fait les notes, à son Pape, c'est son terme,
à qui il faisoit profession de devoir bien de la re-
çonnoissance, et au Roi : ut eâdem fide Papœ suo
et Régi satisfaceret.
Je souliaiterois que vous lussiez vous-même Decius
dans ce conseil 602, vous y auriez du plaisir; et je
suis sûr que vous voudriez voir encore le troisième,
où il renvoie, quand il dit que s'il se trouvoit en
cette question , sur le pouvoir du Pape pour la dis-
pense du mariage, partage entre les théologiens et
les docteurs de droit canon , il faudroit s'attacher
aux derniers, et quitter les autres : ce qu'il avoit
déjà avancé au sujet de l'usure , demeurant d'accord
que dans l'interprétation de l'Ecriture sur les actions
de Jésus -Christ, les théologiens doivent être suivis
préférablement aux canonistes ; mais qu'il en est tout
au contraire sur la morale et sur la pratique, comme
sur le baptême, sur le mariage, sur le vœu, sur la
simonie, sur l'usure, etc. et que dans ces matières,
il se faut peu mettre en peine de ce que tiennent
C)S^ LETTRES DIVERSES.
les théologiens contre les de'crétistes. C'est en cet
endroit que du Moulin dit dans une note, au con-
seil 602, que Decius, dans sa pre'tention de main-
tenir le droit canon, a raison de n'avoir aucun égard
à la théologie ; parce que, dit-il, on pourroit crain-
dre, en consultant la parole de Dieu, de renverser
le droit canon : et merito ne verbo Dei inspecta
ey^ertatiir.
Mais pour me renfermer en ce que cet auteur,
qui , comme vous voyez, ménage peu le droit canon,
et cite son Traité contre les petites dates qui le fait
assez découvrir, dit de raffaire d'Angleterre; il fait
combattre d'abord les théologiens entre eux, pour
décider si le Pape peut donner la dispense dont il
étoit question ; et rapporte sur cela Richard et Scot
qui le nient, saint Thomas qui tient l'affirmative, et
Paludanus qui ne sait à quoi s'en tenir. Il dit en-
suite qu'il a vu en i53o cette question agitée avec
beaucoup de chaleur en Sorbonne ; qife quarante-
deux docteurs avoient cru que la dispense avoit pu
être accordée à Henri, et que son mariage étoit bon ;
cinq avoient renvoyé la chose à examiner à l'Eglise
qu'il appelle l'Eglise papale, ne cherchant pas à mar-
quer un grand respect pour Pvome ; et cinquante-
trois avoient dit que la dispense étoit nulle, et que
le raifriage n'étoit pas valable; qu'on ne devoit avoir
aucun égard pour ce dernier sentiment, quoiqu'il
l'emportât ; parce que ceux qui y étoient entrés
avoient été gagnés par des angelots d'Angleterre,
comme il l'avoit reconnu dans des informations faites
par ordre de François L", par deux présidens du
parlement, Dufresnet et Poliot, et qui avoient fort
LETTRES DIVERSES. 635
déplu au premier pre'sident , qui e'toit pour lors
M. Liset, et à Bède, doyen de la Faculté', (il dcvoit
dire syndic. ) Voici les mots latins de du Moulin :
Hanc quœstionem in magno fervore vidi in Sor-
bona _, anno i53o; et tandem mense junio steterunt
{juadragijita duo Sorbonici pro affirniativâ , quod
Papa potest; qidnque uerb remiltendum Ecclesiœ
papali; sed quinquaginta treSj, majorem partent fa-
cienles, tenueriint pro ne^ali^a : de qua parum cu-
randum ; quia corrupti angeïotis anglicis ila cen-
suerunt, ut vidi per atlestationes , jussu Francise!
Franciœ régis ^ factas per defunctos Dufresnet et
Poliol parlamenti Parisiensis prœsides, quibus Beda
decanus Sorbonœ , et Lisetiis tune ejusdem parla-
menti prœses primus multum gras'abantur. De qffir-
math'â quoque , quœ erat una senlentia Sorhonœ,
paruni curandum; quia fundatur in eo quod censent
nihil de toto veteri Testamento remancre de jure
di^ino, prœter Decalogwn j etc.
Il cite ensuite Tostat , qu'il prétend avoir cru que
Fempêchement au premier degré n'est plus que de
droit humain ; mais il ne prend pas son sens. Vous
savez l'éloignement qu'il avoit des théologiens catho-
liques, et surtout de la Faculté de Paris, dont il se
plaint si fort à la fin de la glose qu'il a faite sur
Fédit de Charles VI en i4o6, au sujet des annates,
qu'il a mis à la fin de ce qu'il a écrit contre les
petites dates, en commentant l'édit de Henri II
de i55o. Il accuse les théologiens de l'avoir per-
sécuté, et de lui avoir attiré une si grande haine,
qu'il avoit été obligé de se retirer en Allemagne.
Ce qu'il dit de la consultation qui y fut faite sur
636 LETTRES DIVERSES.
le mariage de Henri avec Catherine, ne peut pas
beaucoup servir à justifier ce prince. Il nomme les
parties dans sa glose, et il y parle ouvertement de
la chose ; au lieu que Decius prend des noms sup-
posés, quoiqu'il dise que c'est une question propose'e
par des princes et venue d'Angleterre, de'signant
Henri par le nom à' Olimbardus , et Catherine par
celui de Barbara,
Quand les choses se seroient passées comme il les
raconte , cela ne feroit pas en faveur de Henri :
ce seroit une confusion pour les docteurs de Paris,
mais qui ne déchargeroit pas ce prince ; au con-
traire , leur lâcheté ne feroit que le charger. Aussi
du Moulin ne regarde-t-il pas cet avis, qui favori-
soit la passion du Roi , comme le vrai sentiment de
la Faculté, il dit au contraire que ce vrai sentiment
étoit conire, et que ce ne fut que par corruption
que la pluralité alla à déclarer la dispense nulle. H
n'est point marqué dans du Moulin que la chose se
fit dans une assemblée : mais il semble qu'il le sup-
pose , quand il dit que les cinquante-trois faisoient
la plus grande partie, et que cela avoit été examiné
avec grande contention : quœstionem in magno
ferifore.
Burnet n'apporte la prétendue conclusion de la
Faculté que pour faire voir que ce Roi avoit été de
bonne foi, et n'avoit rien fait qu'après avoir pris
conseil. Le témoignage de ce jurisconsulte est bien
éloigné de cela. Je n'ai pas vu l'acte que rapporte
Burnet dans son troisième volume, qui n'est pas
encore public en France : je l'ai seulement vu cité
dans le premier. Mais sur ce que vous m'avez fait
LETTRES DIVERSES» 687
rtontieuT de me dire qu'il est daté des Mathurins
en i53i, je puis assurer qu'il est très-suspect, et
qu'il n')'^ a guère de caractère de fausseté plus sur
que celui-là. Je ne le prends pas simplement pour
Tannée , qui ne convient pas à celle que du Moulin
marque un an auparavant : je joins l'année et le
lieu de la scène ; cela ne peut se rapporter.
Je vois dans nos censures, dont nous avons un
livre en yélin jusqu'à i523, que depuis la censure de
Luther, qui fut faite en Sarbonne le i5 avril i52ï,
et que je vois la première de toutes datée de ce lieu,
il n'y en a eu qu'une faite aux Mathurins deux mois
après, le 19 juin iSai, sur six propositions présen-
tées par l'évéque de Séez à examiner. La même an-
née, au i" décembre, celle qui fut portée contre
le sentiment de Faber s^ur les trois Madeleines, est
en Sorbonnej et toutes les autres contre Melancton
et autres, données les années suivantes, sont du
même lieu. Ainsi on peut assurer que la censure de
Luther est le commencement des assemblées en
Sorbonne : depuis quoi nous ne voyons qu'une cen-
sure faite deux mois après aux Mathurins ; mais que
toute la suite est en Sorbonne , et q«e plus de huit
ans avant la date de la consultation citée par Burnet,
les assemblées s'étoient établies en Sorbonne , où
elles se sont depuis toujours tenues : ce qui fait con-
noître la supposition de celle de i53o ou i53i,
qu on date des Mathurins.
On vous avoit parlé de la censure d'Erasme : je
vous dis, quand vous m'en parlâtes, qu'assurément
elle étoit depuis celle de Luther, et qu'elle avoit
été faite en Sorbonne. Il n'y a qu'à voir l'acte dans
63}^ LETTRES DIVERSES.
Erasme même, au tome de son Apologie, qui est le
plus gros de ses ouvrages, d'où on l'a restitué dans
nos registres ; ceux de ce temps-là nous ayant e'té
enleve's du temps que Bède fut relégué au Mont
Saint-Michel, où il mourut. Vous trouverez que la
Faculté a fait deux censures de cet auteur : l'une ,
de ses colloques, dont elle a tiré beaucoup de pro-
positions qu'elle qualifie d'erronées, de scandaleuses
et d'impies; elle est du i6 mai iSafi : l'autre, qui
est la grande , partagée en trente-deux chefs ou
titres de propositions, tirées de ses paraphrases sur
le nouveau Testament et de ses autres livres, datée
du 17 décembre 1527 , qui avoit été proposée dès
la fin de juillet en 162.6. Ces deux censures et toutes
les assemblées nécessaires pour les porter, ont été
faites en Sorbonne : in collegio Sorbonœ , porte la
première ; et la seconde : apud collegium Sorbonœ,
Je ne dis rien du style, qu'on m'a dit être fort
différent de celui dant la Faculté se servoit en ces
occasions, ni de la forme qui paroît avoir été ob-
servée pour la conduite de l'affaire et qui y est dé-
duite, qui paroît aussi, à ceux qui l'ont lu, peu
convenable aux usages de la Faculté. Je ne l'ai pas,
lu, et je n'en puis juger par moi-même.
Le père Lami (*) me fit l'honneur de me venir
voir avant-hier. Il n'entre pas fort dans votre avis
sur le latin de son ouvrage, qui m'a paru bon. Il
dit qu'il vous a exposé qu'il avoit deux livres à y
joindre, de l'immortalité de l'ame et de la possibilité
de l'Incarnation , qui doivent être pour tout le
monde. Il m'a cependant dit qu'il feroit ce qu'on
(* Dom François Lami, Bénédictin.
LETTRES DIVERSES. 63()
voudroit ; et je crois qu'il mettra son français en
latin. Je le trouve un fort honnête homme , d'une
grande since'rité, fort sage, d'un entier de'sintéres-
sement , également humble et éclaire'.
Ce n'est pas là tout-à-fait le caractère du cri-
tique (*) de l'Ecriture, qui a eu l'honnêteté de
donner une lettre au public adressée à moi , et que
je n'ai jamais vue : elle est, à ce qu'on m'a dit, sur
l'inspiration des auteurs sacrés. Bien des gens l'ont
lue, la République des Lettres en parle; mais je
n'en ai rien vu ; et le mois de la République où il en
est parlé, n'est pas encore venu jusqu'à moi. Je ne
crois pas que l'auteur prétende à l'avenir avoir au-
cun commerce d'approbation avec moi, en en usant
ainsi. Il dit qu'il n'a pas mis mon nom : mais il a
mis tant de lettres initiales du nom et de l'emploi ,
que tous ceux qui en ont vu le titre m'ont deviné.
Je me mets fort peu en peine de cela , et je n'ai pas
fait de grandes diligences pour le voir; mais il me
paroît assez extraordinaire qu'on tienne cette con-
duite.
Je ne vous donnois pas les autres années les sujets
des conférences de Paris : mais comme j'achève ma
lettre celles de cette année se présentent à moi; et
parce qu'elles sont sur une nouvelle matière ,
M. l'archevêque ayant souhaité qu'après les sacre-
mens qu'on a expliqués on prît l'Evangile, je les
mets en mon paquet. Je vous supplie seulement que
personne ne les voie si tôt : elles n'ont été encore
vues que par l'auteur et par l'imprimeur. M. l'ar-
chevêque et M. l'ofTicial n'en ont rien vu , et ils se
C*; Richard Simon.
G^O LETTRES DIVERSES.
sont fiés de tout à celui qui en étoit cliargé. M. l'of-
licial les devoit demain porter aux Calendes; mais
cela est diffe'ié à cause de la maladie. Je ne vous
les envoie que par respect : j'en ai pour vous plus
que personne , et je suis , avec le plus de dévoue-
ment et de fidélité , etc. t^
' riROT.
Eu Sorbonne, ce 7 juin 1687.
LETTRE XXL
DE DOM BERNARD DE MONTFAUCON.
Sur les livres Deutcrocanouiques.
J'envoie à votre Grandeur quelques passages qui
prouvent Fauth-enticité des livres qu'on nomme Deu-
térocanoniques. Parmi ceux-là, il y en a deux qui
me paroissent convaincans : l'un est d'Origène, qui
dit clairement que ces livres aussi bien que les autres
sont la parole de Dieu , verbum Dei : il les met au
nombre des livres divins, dwinorum voluminum ; et
dans la suite il fait entendre que l'Eglise les regar-
doit comme Ecriture sainte, aussi bien que les Evan-
giles. Il spécifie au même endroit les livres de Tobie,
Judith et la Sagesse. Les témoignages de saint Atha-
nase me paroissent encore plus forts : non-seulement
il les cite, mais il s'en sert fort souvent pour établir
des dogmes de foi , et en particulier du livre de la
Sagesse. Ce qu'il y a de plus remarquable , est qu'il
s'en sert contre les hérétiques , et que pas un n'en a
jamais récusé l'autorité ; ce qui fait voir qu'on les
regardoit partout comme des livres divins, dont on
pôuvoit
LETTRES DIVERSES. 64-1
pouvoit se servir en matière de foi. On pourroit
grossir le petit recueil que j'envoie à voire Grandeur ;
mais cela demande du temps. Je n'ai pris que ce que
j'ai trouvé sur mes mémoires : si je trouve quelque
autre chose en chemin faisant, je ne manquerai pas
d'en donner avis à votre Grandeur. Je suis avec un
profond respect, etc.
Fr. Bernard de Montfaùcon, M. B.
i
LETTRE XXII.
DE M. L'ABBË DE LANGERON.
Sur son Commentaire de l'Apocaljpse, et en particulier sur Paul
de Saraosate, que Bossuet croyoit voir dans fétoile qui tomboit
du ciel.
J'ai lu, Monseigneur, toutes les notes sur l'Apo-
calypse , et je vous avoue que j'ai été frappé comme
un homme qui verroit naître tout d'un coup une
grande lumière dans un lieu fort obscur. J'ai exa-
miné le Commentaire, le texte à la main : le gros
du dessein est merveilleux, et je mettrois ma maia
au feu que saint Jean n'a pu en avoir d'autre. Le
détail surprend encore plus ; et la facilité avec la-
quelle on dénoue les endroits qui paroissoient les
plus impénétrables , comme le nom de la bête , les
666 trouvés dans Diodes Augustus, la béte qui est
la huitième, qui n'est plus, qui étoit des sept, les
deux bêtes et le reste ; il faudroit citer le livre en-
tier. Je trouve. Monseigneur, dans le récit et les
notes un style un peu trop magnifique : ces deux
Bossuet. xni. ^i
(S,|îi LETTRES DIVERSES,
genres demandent une grande simplicité , et vous
êtes plein de fentes par où le sublime échappe de
tous côtés. La principale difficulté est sur Paul de
Samosate : l'abbé de Fénélon vous a envoyé son
docte Commentaire. Vous donnez permission à tous
les philosophes, Monseigneur, de raisonner sur vos
ouvrages ; je m'en vais donc raisonner aussi , et à
perte de vue.
Après avoir lu exactement et plusieurs fois votre
explication et celle de l'abbé de Fénélon, fai trouvé
qu'en général, et à facilité égale de faire quadrer
le texte aux deux sens , celui des Barbares occiden-
taux étoit préférable à celui de Paul de Samosate ;
parce qu'il entre immédiatement dans le plan du
livre, qui est de représenter l'Empire persécutant
l'Eglise , et puni. Paul de Samosate n'entre point dans
ce dessein. L'Empire ne s'en sert point pour affliger
l'Eglise : il n'est point contre cet Empire un instru-
ment de la vengeance divine : il sort manifestement
du système général; et c'est par -là que je me suis
répandu à une raison que je vous ai entendu dire à
l'abbé de Fénélon, et qui me frappoit. Saint Jean,
disiez-vous, auroit manqué au but de la prophétie,
qui est de préparer l'Eglise contre les maux qui dé-
voient la tenter, s'il n'eût pas parlé des hérésies , qui
dévoient être la plu? dangereuse des tentations. La
réponse est fjicije : saint Jean ne prédit qu'un ordre
de maux , savoir : -jeux que l'Empire romain devoit
faire ressentir à l'Eglise ; donc il ne devoit point par-
ler de Paul de Samosate, qui est hors de cet ordre.
D'ailleurs saint Paul avoit averti l'Eglise de la néces-
sité des hérésies : Nam et oporlet hœreses esse : il
LETTRES DIVERSES. 64^
avoit découvert les desseins de Dieu , quand il les
permet, qui sont de manifester ceux qui ont une
vertu éprouvée ; ut qui prohati suni manifesti fiant :
un second avis n'étoit point nécessaire.
L'étoile tombée du ciel me paroissoit heureuse-
ment expliquée par la chute d'un grand docteur
d'un des premiers sièges : la convenance des hym-
nes (*) rapportés par Eusèbe me frappoit. Mais j'ai
trouvé que comme dans le Chapitre vi, verset i3,
vous expliquez la chute de toutes les étoiles , des
calamités en général qui vont fondre sur l'Empire ;
rien n'est plus naturel lorsque saint Jean vient dans
le détail, que de représenter une calamité particu-
lière par la chute d'une seule étoile. Ainsi entendant
par cette étoile tombante les Goths qui rompent les
digues de l'Empire , vous êtes autorisé par le style
même de l'Apocalypse, qui peint les plaies de l'Em-
pire sous la ligure des astres qui tombent en terre.
Ce qui m'a fait tenir le plus long-temps pour Paul
de Samosate, c'est le puits de l'abîme ouvert, la
fumée qui s'élève, les sauterelles qui sortent de cette
fumée : je trouvois qu'il étoit plus naturel d'enten-
dre par-là les hérétiques envoyés par la puissance
infernale, qu'une armée d'ennemis qui n'attaquent
que la vie présente ; surtout l'Ecriture ne faisant
jamais sortir les Babyloniens, ni les Assyriens, ni
les autres du puits de l'abîme, c'est-à-dire, de l'enfer.
Sur cela je ne répète point les raisons de l'abbé de
Fénélon : premièrement que le démon sous la figure
d'exterminateur est à la tête des Barbares, et qu'ainsi
(*) Les hymnes que les disciples de Paul de Samosate avoieut faits
eu son honneur.
644 LETTRES DIVERSES»
ii ne faut pas s'étonner qu'ils sortent de son royaume :
secondement, que ces peuples n'avoient aucuns pays
ni connus, ni fixes, et qu'ils paroissoient tout d'un
coup comme si la terre les eût enfantés.
Je vous marque seulement une réflexion que j'ai
faite en lisant le chapitre xx : le caractère du démon,
à la tête des hérétiques, n'est pas celui de l'ange
exterminateur, mais de l'esprit de séduction; ou du
moins le second lui est bien plus naturel. D'où vient
que saint Jean, qui dans le chapitre xx lui donne le
nom de Satan, et le peint comme séducteur , ne le
représente pas avec les mêmes traits dans le cha-
pitre IX , mais avec tous ceux d'un destructeur, sinon
parce que dans ce chapitre ix il ne trompe point les
hommes, mais qu'il commence par l'inondation des
Barbares la ruine de l'Empire romain.
Enfin, Monseigneur, pour vous prendre par quel-
que chose de plus fort encore, je vous donnerai
quatre millions, si vous ôtez Paul de Samosate :
voyez de combien je surpasse votre libéralité, qui
ne va jamais qu'à cent mille écus. Je profiterai de
l'avis sur le temps de Germigny , et je pourrai bien
y arriver le même jour que vous, Monseigneur. Je
souhaite de n'y point trouver Paul de Samosate;
mais plutôt les Goths, les Alains, les Francs, les
Hérules, etc. Je suis, Monseigneur, avec un pro-
fond respect, etc.
I7abbé de Langer on.
Le Samedi saint i68S.
tETTltES DIVERSES. 645
RÉFLEXIONS
DE M. L'ABBÉ DE FËNÉLON,
Sur te chapitre ix de l' apocalypse (*).
I. « Le cinquième ange sonna de la trompette,
» et je vis une étoile qui tomboit du ciel sur la terre j
ï) et la. clef du puits de Tabîme lui fut donnée ».
Voici de nouvelles calamités annoncées par la
trompette : ce n'est plus le peuple Juif; mais l'Empire
idolâtre et persécuteur qui est menacé. Voyez verset
20 de ce chapitre. On ne doit s'attendre de trouver
ici aucune calamité de l'Eglise; au contraire, elle
est consolée par les plaies de ses persécuteurs. Ces
plaies sont sensibles, éclatantes, et elles regardent
les biens temporels. U ne s'agit pas de peines invi-
sibles et spirituelles.
Paul de Samosate ne peut être l'étoile, puisque
sa chute ne fait aucune désolation dans l'Empire. Il
n'a pas même mérité une si grande place dans les vi-
sions de saint Jean. Il n'est point le premier qui a
nié la divinité de Jésus-Christ ; Cérinthe l'avoit fait
avec beaucoup plus d'éclat. La secte de Paul ne fut
jamais nombreuse. La chaire d'Antioche qu'il oc-
cupa ne paroît avoir donné aucune autorité à ses
erreurs. Les Ai'iens qui ont été les seuls considé-
rables ennemis de la divinité de Jésus-Christ, n'ont
C*) Ces réflexions. étant citées dans la lettre précédente , et s'étant
trouvées [ointes à celte lettre, nous ayons cru devoir les rapporter
ici, d'autant plus quelles sont courtes.
64C LETTllES DIVERSES»
point été les disciples de Paul. Ses disciples, qui di-
soient dans un hymne qu'il étoit descendu du ciel ,
ne lui donnoient par-là qu'une louange assez vul-
gaire , surtout dans la poésie. Il n'y a aucun rap-
port entre descendre du ciel et en tomber. Un homme
qui descend du ciel est lin homme que le ciel donne
pour le bonheur de la terre : une étoile qui en tombe
représente un accident funeste.
Cette étoile qui tombe est donc la vengeance qui
vient d'en haut. Dans les prophètes , les astres ob-
scurcis ou éteints sont une affreuse désolation. L'E-
vangile représente à la chute de Jérusalem les étoiles
qui tombent, etc. Saint Jean lui-même peint les
maux de l'Empire par la chute des étoiles, cha-
pitre VI, verset i3. Cette vengeance, qui vient
d'en haut, ouvre l'abîme pour en faire sortir les
maux : c'est là que Dieu tient en réserve les trésors de
colère , et le ciel les en tire pour frapper la terre.
II. « Et elle ouvrit le puits de l'abîme ; et il s'é-
» leva du puits une fumée, comme la fumée d'une
» grande fournaise; et le ciel et l'air furent obscurcis
5) par la fumée du puits ».
Voici quelque chose de bien plus étendu que l'é-
vénement de Paul de Samosate. Il s'agit de la terre
entière qui est en feu par la chute d'un astre. C'est
sans doute l'Empire embrasé. La fumée marque la
guerre : le ciel et l'air obscurcis montrent un temps
d'aveuglement, de tristesse mortelle, et de confusion
générale. C'est un tourbillon infernal, d'oii les ca-
lamités vont sortir.
III. tt De la fumée du puits sortirent sur la terre
LETTRES DIVERSES. 6^'^
» des sauterelles ; et il leur fut donné une puissaace
» comme celle qu'ont les scorpions de la terre ».
Les biens viennent toujours d'en haut, et les maux
de l'enfer. C'est le prince des ténèbres , l'ancien en-
nemi du genre humain , qui préside à toutes les ca-
lamités. L'enfer animoit les peuples barbares qui
commencèrent à inonder l'Empire sous Valérien.
Outre l'idolâtrie, qui faisoit régner sur eux le dé-
mon, ils étoient possédés d'une cruauté infernale.
Ils sortent comme de l'abîme ; car les terres sep-
tentrionales, où Dieu les avoit tenus en réserve pour
frapper Rome, étoient inconnues. Cette origine
étoit obscure et affreuse, surtout à des peuples mé-
ridionaux, à qui saint Jean parle. Les Barbares
sont représentés par des sauterelles. Comme ces in-
sectes, ils étoient innombrables, sautant de terre en
terre, errans et vagabonds de pays en pays, rava-
geant tout par leurs incursions : semblables à des
scorpions , ils sont pleins de venin ; ils n'inondent
la terre que pour faire du mal,
IV. « Et il leur fut commandé de ne blesser point
» l'herbe de la terre, ni tout ce qui est verd, ni tous
» les arbres ; mais seulement les hommes qui n'ont
» point le signe de Dieu sur leurs fronts ».
Ces insectes ne sont pas comme les insectes ordi-
naires : ils ravageront par l'ordre de Dieu , non les
fruits de la campagne, mais les peuples des villes qu'ils
démoliront. Ne voyons-nous pas que les Goths et
les autres Barbares épargnèrent les Chrétiens, pen-
dant que les Païens furent l'objet de leur fureur ?
648 LETTRES DIVERSES.
c'est proprement l'Empire qu'ils attaquent. Quoique
cette circonstance ne soit arrivée que dans la suite,
saint Jean la montre par avance, pour marquer le
caractère de ces peuples.
Ici je ne reconnois point les hérétiques : car on
ne sauroit dire d'eux qu'épargnant les autres hommes,
ils ont été cruels contre les païens. Voilà une cala-
mité qui tombe directement sur l'Empire idolâtre.
Ces barbares n'attaquent pas comme les sauterelles
communes les fruits de la terre : au contraire, ils
n^attaquent que les hommes, pour se mettre en leur
place j car ils ne demandoient que des tenes à cul-
tiver sous un ciel plus doux que le leur.
. %<%/«%/«'%^-^
LETTRE XXIII.
DE M. DES MAHIS, CHANOmE D'ORLÉANS {*),
II lui parle des Pères qui ont vu Rome dans la Babylone de TApo-
calypse , et lui marque pourquoi les plus anciens ne Tont pas
déclaré clairement.
Je me donne l'honneur de vous envoyer les pas-
sages qui m'ont persuadé que plusieurs des anciens
ont expliqué de la désolation de Rome, ce que
C* Marin Grosteste, seigneur des Mahis, né à Paris le 22 décem-
bre r649, fut d'abord élevé dans la religion protestante, dont ses
parens faisoient profession. Ses connoissances, son zèle et ses ta-
lens le firent choisir dans la suite pour ministre de Bionne, où léa
Calvinistes d'Orléans tenoient leurs assemblées. Mais bientôt la
grâce lui ouvrit les yeux, et lui fit apercevoir les égaremens de
sa secte. Il fît son abjuration à Paris, entre les mains de M. de.
Coislin, évêque d'Orléans, le jour de l'Ascension, 27 mai 1681.
Quelques années après, il embrassa Tétat ecclésiastique, fit ensuite
LETTRES DIVERSES* 649
TApocalypse dit de Babylone. Saint Jérôme n e'toit
pas tout seul de ce sentiment j puisqu'il dit , sur le
chapitre xlvii d'Isaïe : Quidam non ipsam Babjlo-
nem ^ sed Romanam urhem interpretantur j quœ in
Apocalypsi Joannis et in Epistolâ Pétri Babjlon
specialiter appellatur ; et cuncta quœ nunc ad Ba-
hjlonem dicuntur , illius ruinœ conuenire testantur.
Il marque, dans son e'pître à Algasie , pourquoi
noire Seigneur a jugé à propos d'envelopper, sous
l'obscurité des visions, ce qu'il a voulu faire prédire
de la ruine de Rome : « Si les Apôtres, dit-il, en
» avoient parlé clairement, ils auroient pu donner
» lieu à la persécution contre l'Eglise naissante » :
Justa causa persecutionis in orientem tune Eccle-
siani consurgerevidehatur (0. II est évident que cette
même raison a dû obliger les Pères , qui voy oient ce
sens dans l'Apocalypse , de ne le mettre pas dans
leurs écrits, et même d'en entretenir peu les peuples,
que leurs discours imprudens sur ces matières, selon
le rapport de Lucien dans son P hilopatrios, faiisoient
regarder comme des ennemis de l'Empire romain.
Quand la proximité du temps de l'accomplisse-
ment fit regarder la publication de ce sens comme
une chose utile, ceux qui, nonobstant le silence af-
fecté de la tradition sur ce sujet , reconnurent cette
vérité par la lecture même de la parole de Dieu, la
plusieurs missions par ordre du. Roi dans le Poitou, et notamment
àLuçon, qui eurent beaucoup de succès, et il fut pourvu d'un ca-
nonicat par M. de Coislin , qui s'empressa de l'attacher à son église.
Ce respectable ecclésiastique mourut dans la vigueur de Tâge, le
16 octobre 1694, n'ayant atteint que sa quarante^cinquième année»
(0 Tom. IV, p. 309.
()0O LETTIIES DIVERSES.
proposèrent avec une grande assurance. Saint Jé-
rôme, dans son épître à Marcelle, en fait un fon-
dement de son exhortation pour laisser Rome, et
venir dans la Terre-Sainte. Il y a peu de lieu de
douter que ce ne fût aussi là une des raisons de Mé-
lanie, quand elle obligeoit ses parens de renoncer à
tous leurs biens , et quelle leur disoit : Filii ^ plus-
çuam quadringentis ah hinc annis scriptum est :
Ultima hora est : quid ergo îubenter ac volenies im-
inoraminiin vanitatevitœ? ne forte veniant dies An-
tichristi, et nonpossitis Jieri compotes vestris opihus.
Je n'ai pas présentement, Monseigneur, les ou-
vrages dont f ai tiré les extraits que j'ai l'honneur de
vous envoyer; mais je crois les avoir copiés avec
exactitude. Vous verrez , dans les auteurs mêmes ,
s'ils peuvent servir, comme je l'avois pensé, à prou-
ver que ce n'est point un sens inconnu à l'antiquité,
que celui qui applique à la ruine de Rome par les
Barbares , ce que dit l'Apocalypse touchant la chute
de Babylone. Ce rae sera une très-grande joie , Mon-
seigneur , de me déterminer tout-à-fait sur cette ma-
tière par le parti que vous choisirez. Je bénis Dieu de
ce qu'il vous a mis au cœur de la traiter : c'est là un
grand secours pour les nouveaux catholiques ; et
ils en profiteront d'autant plus , qu'il leur viendra
dans un temps où leur nouveau prophète a eu la
hardiesse de fixer positivement un commencement
éclatant de l'accomplissement de ses imaginations
sur ce sujet, et où par conséquent leur fausseté
prouvée par une expérience sensible, disposera plu-
sieurs esprits à goûter une explication solide des
oracles de l'Apocalypse.
LETTRES DIVERvSES. 65l
Je n'ai pu trouver, Monseigneur, le premier ou»
vrage de M. Jurieu , qui est son livre contre le sieur
Dhuisseau de Saumur , sur le livre intitulé : la Réii-r
nion du Christianisme. Voici le traite' de la Puis-
sance de r Eglise, quil a fait contre Louis du
Moulin son oncle, me'decin à Londres, et célèbre
indépendant, dont la folie étoit l'entreprise de
ruiner la puissance de Vexcommunication.
Je vous prie très-humblement , Monseigneur , de
m'accorder le secours de votre bénédiction pour un
voyage dans le diocèse de Luçon, oîi je vais dans
deux jours; et d'être persuadé de mes vœux ardens
pour votre conservation , comme une grâce très-pré-
cieuse à l'Eglise, et de ma plus profonde vénération
pour votre personne. C'est avec ces sentimens que
je serai toute ma vie, etc. j^^^ ^^^^^
A Orléans, ce 5 mai 1688.
LETTRE XXIV.
DU MÊME.
Sur les aUeintes portées à la morale par les Sociniens^
Je n'ai pu faire un examen aussi exact que je l'eusse
voulu des passages dans lesquels les Sociniens défi-
gurent la morale : j'en ai seulement marqué quel-
ques-uns de Socin, de Wolzogenius et de Crellius,
sur la compatibilité des actes les plus mauvais avec
le salut, quand ils n'ont pas encore formé une habi-
tude; sur la guerre, sur le serment et contre la ma-
gistrature. Socin et Wolzogenius trouvent cette ma-
653 LETTUES DIVERSES.
gistrature incompatible avec le salut; parce qu'on y
a attaché l'obligation de condamner les criminels à la
mort. On pourroit , Monseigneur , si vous le souhaitez ,
consulter sur ces matières les autres Sociniens, qui ne
sont pas dans la Bibliothèque des Frères polonais,
comme Brenius, Ostorodus, Smalciiis, Volkelius.
J'aurois feuilleté les trois volumes de Hoornbeek contre
les Sociniens, si je les eusse eus, afin de choisir quel-
ques-unes des déclara tionsles plus for tes de ces héréti-
ques contre les vérités de la morale. Le Summa contro^
versiarum du même auteur pourroit aussi fournir
divers exemples des entreprises qui ont été faites par
d'autres novateurs de ces derniers temps contre la mo -
raie, dans les petites listes des propositions contro-
versées, qui sont à la fin de chacune de ses dissertations
contre les hérétiques. On pourroit là trouver de
nouveaux exemples du peu de sûreté de la morale
entre ceux qui ont abandonné la voie de Tautorité.
C'est là , ce me semble , une des vérités qu'il est fe
plus à propos de faire sentir y parce que le discours
ordinaire de ceux qui penchent vers la tolérance, est
qu'il suffit de s'attacher à la sanctification , et que les
devoirs de la morale chrétienne sont clairs dans la
sainte Ecriture, et non controversés.
Si M. de la Bruyère n'a pas encore rendu YAi^is
aiue réfugiés (*), ayez la bonté. Monseigneur, de le
faire revenir : divers nouveaux Catholiques l'ont de-
mandé. Je vous prie aussi très-humblement de penser
à l'afîaire de M. de Lanbouinière ; afin que ce gentil-
le) Ecrit attribué à Bayle , et qui lui attira, de la part du ministre
Jurieu, une violente persécution; parce que l'auteur, au jugement
de ce fanatique, faisoit paroître trop de modération dans son ouvrago>
LETTTRES DIVERSES. 653
homme passe de sa galère dans quelque commu-
nauté', où il y ait plus lieu d'espérer quelque effet des
efforts que madame des Coulandres sa sœur, qui est
si bien convertie, feroit pour sa conversion. Le temps
de mon retour n'est pas encore- bien de'terminé. Je
suis avec le plus profond respect, etc-
A Paris, ce 27 juillet 1691.
LETTRE XXV.
DE M. L'ABBÉ DE FÉNÉLON.
Sur le Mémoire de Bossuet contre le docteur Dupin (*).
J'ai lu , Monseigneur, votre Mémoire sur les ou-
vrages de M. Dupin, et je n'oserois vous dire tout le
plaisir qu'il m'a fait : il y a seulement un petit en-
droit oii MM. de Court, de Langeron, de Fleury et
moi nous trouvons tous que vous allez un peu au-
delà des paroles de l'auteur, dans la censure que vous
en faites. Puisque vous serez ici environ huit jours
après Pâque, il faut attendre à examiner cet endroit
avec vous. Cependant je n'enverrai point le Mémoire
à M. Pirot : pour M. Racine, je lui montrerai votre
lettre dès que je le verrai. J'ai été ravi de voir la vi-
gueur mesurée du vieux docteur et du vieux évêque.
Je m'imaginois vous voir en calotte à oreilles, tenant
M. Dupin comme un aigle tient dans ses serres un
foible épervier.
A Versailles, ce 3 mars 1692.
(*) Ce Mémoire a été donné ci-dessus, tom. xxx, pag. 47^ et suiv-
{Edit. du Vers.)
654- LETTRES DIVERSES.
LETTRE XXVI.
DU MÊME.
Sur les erreurs de M. Dupin , et les ménagemens dont il désiroit
qu'on usât pour le porter à les réparer.
M. Racine est venu me parler de M. Dupin , qui
sa plaint , Monseigneur, de ressentir votre indigna-
tion sans l'avoir méritée. Vous l'avez traité en
pleine Sorbonne , dit-il, comme un Socinien : vous
l'avez dénoncé à M. l'archevêque de Paris et à M. le
chancelier. Pour M. l'archevêque, il assure que ce
prélat lui a témoigné une bonté paternelle. M. Ra-
cine , qui est son très - proche parent , n'a point
voulu néanmoins entrer dans ses intérêts, suppo-
sant qu'il n'étoit pas à soutenir, puisque vous le
condamniez. M. Racine se borne à désirer de lui
faire connoître son tort, et de travailler à le ra-
mener dans le bon chemin , quand vous aurez eu la
charité de lui expliquer les égaremens de son parent.
Il me paroît, Monseigneur, que M. Racine dans
toute cette affaire est aussi touché qu'il le doit être
du respect qui vous est dû, et des motifs de zèle
pour la religion qui vous animent. Je lui ai con-
seillé de disposer son parent à écouter de bons con-
seils, et à ne craindie point de réparer ses fautes.
Il m'a promis d'y travailler, et de tâcher de l'em-
pêcher d'aller chez M. l'archevêque de Paris, qui lui
avoit promis quatre docteurs pour examiner son
livre, et pour l'approuver par son autorité, s'il n'a
LETTRES DIVERSES. 655
point de venin. Quand vous viendrez ici après
Pâque, M. Racine vous suppliera de nous expli-
quer tout ce que vous connoissez de rëpréhensible
dans les ouvrages de M. Dupin ; après quoi il fera
ses efforts pour lui faire réparer le passé, et pour
lui faire prendre d autres maximes par rapport à
Favenir. Je crois, Monseigneur, que vous serez
content , si M. Dupin répond aux bons desseins de
M. Racine; puisque vous ne prenez d'autre intérêt
que celui de la religion dans cette affaire.
A Versailles, ce 23 mars 1692. - »
LETTRE XXVII.
DU MÊME.
Sur le Mémoire de Bossuet, contre les erreurs de M. Dupin , et le
procès du prélat avec l'abbesse de Jouarre.
Vous ne VOUS trompez point. Monseigneur, quand
vous croyez m'avoir mandé d'envoyer votre Mémoire
à M. Pirot. Mais je vous avois ensuite représenté '
qu'un endroit me paroissoit avoir besoin d'un peu
de révision. Vous me répondîtes que vous l'examine-
riez avec le petit concile de Versailles. Je comptois
donc qu'il falloit garder le Mémoire jusqu'à votre
retour : on me disoit qu'il étoit si prochain , que je
ne faisois aucun scrupule de l'attendre. Je ne com-
prenois pas même sur votre lettre que la chose fut si
pressée; mais puisqu'elle l'est, je l'envoie sans plus
grand retardement à M. Pirot. Je voudrois que les
chemins vous fussent aussi libres qu'au Mémoire :
656 LETTRES DIVERSES.
mais je vois bien que l'evêque et Tabbesse (*) se sont
bloqués Tun l'autre : il me tarde d'apprendre qu'un
bon arrêt ait levé le blocus. Je ne veux point que
vous perdiez ce blé : l'honneur du cardinal romain
y est trop intéressé; et je ne consens point qu'il soit
déclaré simoniaque. Quand vous reviendrez , vous
nous raconterez les merveilles du printemps de Ger-
migny. Le nôtre commence à être beau : si vous ne
voulez pas le croire , Monseigneur , venez le voir,
A Versailles, ce 25 avril 1692.
LETTRE XXVI IL
DU MÊME.
Sur son Mémoire contre les erreurs de M. Dupin, et le désir qu'il
avoit de le voir à Versailles.
Il m'est impossible, Monseigneur, de vous expli-
quer ce que nous avions remarqué dans un endroit
de votre Mémoire. Je l'ai envoyé à M. Pirot ; et vous
savez qu'il faut avoir les termes devant les yeux pour
pouvoir entrer dans cette discussion : je crois même
que de telles choses ne se font bien que de vive
voix. Après tout, l'endroit n'est pas essentiel; et
(*) L'abbesse de Jouarre, avec laquelle Bossuet avoit un procès
touchant l'exemption de cette abbaye. Elle payoit aux évêques de
Meaux une redevance annuelle de plusieurs muids de blé, que Tab-
besse prétendoit avoir élé contractée envers eux, à cause de celle
exemption : et Bossuet Tayant attaquée et frtit supprimer, l'abbesse
à sot tour demanda d'être déchargée de la redevance , ce qui oc-
casionna le procès dont il est ici question. On en a vu les pièces,
tom. vil, pag. 37 et suiv. {EdU. dt Vers.)
VOUS
LETTRES DIVERSES, 65']
VOUS avez tant de choses inexcusables à reprocher à
M. Dupin , qu'il ne peut manquer d'être confondu :
Dieu veuille qu'il soit aussi corrigé. Si vous étiez
venu ici avant le départ de la Cour, on auroit pu rai-
sonner avec M. Racine, et engager par lui M. Dupin
à venir ici pour recevoir vos leçons : mais madame de
Jouarre vous tient en prison. Quand même vous
viendriez maintenant, ce seroit trop tard j car M. Ra-
cine n'y sera plus.
Je ne vous parle ni de Germigny, ni du prin-
temps , ni des doux zéphirs. Les vents les plus fu-
rieux qui sortirent du sac donné par Eole à Ulysse,
semblent déchaînés pour ramener l'hiver et pour trou-
bler l'Océan. Il faut espérer que ce mauvais temps sera
fini avant que le prince d'Orange puisse être prêt.
On dit qu'il y a en Angleterre beaucoup de gens qui
seront ravis de se défaire de lui. Pour vous, Mon-
seigne^ir, nous courons risque de n'avoir pas si tôt
l'honneur de vous voir , car le pauvre Versailles ne
vous sera plus rien en Tabsence du Roi : ce sera une
raison ajoutée à tant d'autres pour souhaiter son
prompt retour. M. l'abbé de Maulevrier assure que
M. l'abbé Bossuet se porte bien, et travaille à ses
affaires ; n'en soyez pas en peine,
A Versailles, ce 4 mai 1692.
BoSSUET. XLII. 4^
658 LETTRES DIVERSES.
LETTRE XXIX.
DU MÊME.
Sur les changemens que Bossuet dcsiroit faire dans certains usages
de Fabbaye de Jouarre.
J'ai reçu, Monseigneur, la réponse de madame
de Soubise (*) : elle me mande qu'elle me fera une
réponse précise après que madame sa fille aura vu
ma lettre. J'ai oublié devons dire qu'elle vouloit fort
deux ans au lieu d^un 5 et je ne doute pas qu'elle
ne le demande plus que jamais^ si elle vous donne
une sûreté par écrit. C'est à vous, Monseigneur ,^
à examiner si vous pourriez user de cette condes-
cendance , ayant cette sûreté par écrit. Réponse
précise, s'il vous plaît, là-dessus.
Il me paroît qu'elle voudroit fort , avant que de
conclure sur les fèves, savoir quelle sera la fin de
votre visite commencée à Jouarre. Elle craint que
vous n ayez d'autres choses à demander, qui tirent
(*) Cette lettre regarde rétablissement du scrutin dans l'abbaye
de Jouarre, pour toutes les délibérations capitulaires, et principa-
lement pour les réceptions des filles. Madame de Soubise craignant
que cette voie secrète ne diminuât Tautorité de madame Fabbesse
de Jouarre sa fille , chercha tous les moyens de l'empêcher, et em-
ploya tous les amis de M. Tévêque de Meaux, pour tirer cette affaire
en longueur, en la mettant en négociation. Voilà pourquoi M. l'abbé
de Fénélon en entendit parler. Mais cela n'empêcha aucunement
le dessein de M. Tévêque de Meaux, et le scrutin fut établi à Jouarre
sans aucune opposition, en l'année iCgS, au mois de janvier, à la
réception de madame de Soubise, sœur de madame Tabbesse. Note
de l'abbé Ledicu y secrétaire de Éossuet.Yoyez la lettre de Bossuet à
l'abbesse de Jouarre, tom. xxxix, pag. 492 et suiv. [Edit. de Vers.)
LETTRES DIVERSES. 6^9
à conséquence contre madame l'abbesse : elle me
presse de vous demander instamment que vous vous
déclariez là -dessus; afin qu'elle sache à quoi s'en
tenir pour le tout, et qu'on ne soit point à recom-
mencer sur d'autres articles, après avoir passé celui des
fèves. Examinez donc, s'il vous plaît, Monseigneur,
si vous pouvez vous expliquer sur toutes les choses
que vous croyez avoir à régler pour faire la clôture
de votre visite, et pour être content de la discipline
entière de la maison. Cet article demande, aussi bien
que l'autre , une réponse prompte et décisive : erl
tout cela je ne veux que vous témoigner mon zèle et
mon respect, etc.
A Versailles, ce 16 décembre 1694.
>■'*/« «/^-K
LETTRE XXX.
DE M. GERBAIS, DOCTEUR DE SORBONNE (*).
Il le sollicite en faveur.de M. Dupiu.
Je vous cherchai deux fois la semaine iderniere %.
Paris; mais sans avoir le bonheur de vous rencon-
trer : c*étoit, Monseigneur, pour pouvoir vous en-
tretenir au sujet de M. Dupin notre confrère, qui est
désolé d'avoir eu le malheur de vous-jdéplaire en ce
(*) Jean Gerbais, docteur de Sorbonné, professeur d'éloquence
au collège royal, et principal du collège de Rbeims, étoit un savant
distingué. Il a publié plusieurs ouviagta sur les matières ecclésias-
tiques. Celui qui a pour titre : De Causis M-joriùus , fut condamné
à Rome en 1680. Il mourut en 1699, âgé de soixante-dix ans. [Edit.
de Vers )
66o LETTRES DIVERSES.
qu'il a écrit du sentiment, ou plutôt des manières de
parler de certains Pères des premiers siècles, sur la
matière du pèche' originel. Il prétendoit. Monsei-
gneur , en faisant la critique de ces Pères, avoir suffi-
samment mis à couvert le dogme, ayant dit que
c'étoit cependant le sentiment et la doctrine com-
mune de l'Eglise ,~que les enfans naissoient coupa-
bles. Mais si vous jugez que cela ne suffise pas , et
qu'on puisse faire un mauvais usage de ses critiques,
nonobstant cette précaution, il se soumet à réparer
et à réformer ce qui pourroit être pris contre ses
intentions, et à donner des éclaircissemens dont vous
serez vous-même l'arbitre.
Il m'a prié, Monseigneur, de vous faire connoître
sa disposition ; et je le fais d'autant plus volontiers,
que je suis persuadé qu'il est bon de calmer cette
petite tempête, pour ne pas donner occasion à nos
frères errans d-e dire , que les habiles gens parmi les
catholiques ne sont pas d'accord sur le péché origi-
nel. D'ailleurs, M. Dupin, qui consacre sa vie au
travail, et qui peut être utile à l'Eglise, mérite bien
d'être un peu ménagé ; et ce seroit dommage de le
flétrir ou de le barrer dans sa course , en montrant
surtout tant de docilité. J'espère, Monseigneur, que
vous y aurez quelque égard ; et que si le zèle que vous
avez pour la vérité est grand, votre charité ne sera
pas moindre. Si vous ne rejetez pas tout-à-fait la
proposition que je vous fais, nous aurons l'honneur,
M. Dupin et moi , de vous voir au premier voyage
que vous ferez à Paris, pour prendre les mesurés que
vous jugerez les plus convenables , et recevoir vos
ordres, que j'exécuterai, en ce qui sera de moi, avec
I
LETTRES DIVERSES. 66l
une fidélité parfaite , comme je suis avec un respect
très-parfait, etc.
Gerbais, docteur de Sorbonne.
A Paris, ce 18 mars 1691.
LETTRE XXXI.
DE M. PIROT, DOCTEUR DE SORBONNE.
Sur un ecclésiastique proposé pour une cure du diocèse de Meaux ,
et sur M. Dupin.
J*Ai examiné, comme vousPaviez souhaité, l'homme
que madame la chancelière vous a recommandé pour
une cure. Il me fut amené lundi par un ecclésiastique
qui demeure chez elle. Je l'interrogeai en sa pré-
sence, pour le faire lui-même juge du témoignage
que j'en pourrois rendre , comme je savois qu'il étoit
capable d'en juger : cela fut de cinq quarts-d'heure
sans interruption ; et je me trouve très-embarrassé,
pour vous dire décisivement ce que j'en pense. Je ne
le tins si long-temps que pour le promener sur bien
des matières, et voir si je trouverois à lui faire plaisir
en sauvant le bien de l'Eglise qu'on lui veut confier,
et mettant par-là ma conscience à couvert sur la
commission. Je ne lui demandai du dogme qu'autant
qu'il en faut pour catéchiser, et ne lui proposai sur
les sacremens et les autres usages de pratique , que
des questions générales pour des cas qui peuvent à
tout moment se présenter à un curé. Il me répondit
mal sur quelques-unes, et fort médiocrement sur les
autres. Je fis ce que je pus pour le disposer à passer
encore quelques mois dans saint Nicolas où il est,
662 LETTRES DIVERSES.
quoique peut-être il n'en devînt pas beaucoup plus
habile; ne paroissant point avoir sur cela grande
ouverture. Je dis à M. Lempereur, qui est Teccle'sias-
tique de madame la cliancelière qui me l'amena ,
J'embarras où j'e'tois, et que j'aurois l'honneur de
vous voir ; ou , si vous partiez trop tôt pour cela, de
vous écrire naïvement comme cela s'e'toit passé, sans
rien déterminer. Il m'est revenu voir ce matin , et
m'a pressé encore de vous rendre compte. Je lui ai
encore témoigné ma peine sur cela , et lui ai promis
d'avoir l'honneur de vous écrire dès aujourd'hui , et
je lui ai même dit en propres termes ce que por-
tcroit ma lettre. Je lui tiens parole sur tous ces deux
chefs.
Je crois que vous devez essayer de faire agréer à
madame la chancelière que ce bon prêtre, dont on
dit beaucoup de bien pour la probité et pour l'appli-
cation à ses fonctions , continue à servir l'Eglise en
second en quelque vicariat; puisqu'on ne manque
pas de sujets pour remplir le poste dont il s'agit ,
quoiqu'on le dise d'un revenu fort mince. C'est une
dame d'une si éminente piété, et si équitable en
toutes choses , que j'espère qu'elle déférera en cela
à vos prières. Si, prévenue de la capacité de l'homme,
elle persiste; comme vous ne choisissez pas, et que
vous n'êtes pas obligé de chercher le plus digne, mais
d'examiner si celui qu'ort vous offre est indigne ou
non, je crois qu'après avoir inutilement fait tout ce
que vous aurez pu pour faire qu'on vous en nomme
un autre; à considérer que la paroisse est petite,
qu'elle est très-voisine de Jully, qui peut bien être
une décharge en quelques occasions pour le curé,
LETTRES DIVERSES. 663
que riiomme est connu dans le lieu, qu'il a vicarié
dans le quartier approuvé de vous , qu'il cate'chise ,
comme il dit qu'il le fait même à saint Nicolas, qu'il
n'est pas tout-à-fait ignorant ; puisque après tout
indépendamment de toute recommandation , je ne
voudrois pas prononcer absolument qu'il fût inca-
pable de tenir ce bénéfice, et me contenterois de le
remettre encore à quatre ou cinq mois de séminaire,
après quoi on le pourroit encore interroger : tout
cela pesé, je crois que vous pouvez, (avec la pré-
caution que j'ai marquée, de faire trouver bon à
madame la chancelière que pour le mieux il serve
en qualité de vicaire en quelque paroisse de votre
diocèse, et qu'elle vous nomme un autre curé) si
elle n'entre pas en cette proposition, le recevoir, sans
engager votre conscience, curé dans cette petite
cure, et lui donner votre visa. Voilà comme j'en
userois, Monseigneur, si vous m'ordonnez de vous le
dire. J'ai dit que j'aurois l'honneur de vous écrire en
ce sens pour ne pas tromper.
Je n'ai rien ouï dire sur le Mémoire (*) que vous
avez donné; peut-être est-il passé des mains du sei-
gneur à l'auteur : il faut laisser tout venir sur cela.
Je ne puis croire qu'on néglige l'avis : mais je suis
surpris que celui qui y est le premier intéressé ne
me soit pas venu chercher, depuis le premier du
mois que je lui fis voir le grand intérêt qu'il avoit de
prévenir sur cela ce qui pourroit arriver, et de sa-
tisfaire l'Eglise ; et qu'il me promit de sa part qu'il
en viendroit conférer avec moi , et qu'il feroit ce
qu'on voudroit : j'attendrai encore quelques jours.
(*) Le Mémoire sur M. Dupin , remis à M. le chancelier.
664 LETTRES DIVERSES.
Mais faites savoir, je vous prie, Monseigneur, la re-
solution que vous prenez pour la cure à madame la
cliancelière : elle attend cela au premier jour. Je l'ai
promis à M. Lempereur, et je m'en vais lui mander
que j'ai eu l'honneur àe vous en écrire. Je suis avec
plus de respect que personne, etc.
En Sorbonne, ce i3 mars 169X
I
> »/»^^*'»/»*/»/* *-»«».
LETTRE XXXIL
DU MÊME.
Sur un entretien qu'il avoit eu avec M. Dupin , et une visite qu'il»
aYoient rendue ensemble à M. rarcbevêque de Paris.
Comme j'étois sur le point de vaus rendre compte
de ce que f ai fait sur rafFaire de M. Dupin , je reçois
la lettre que vous me fîtes Thonneur de m'écrira
hier, où vous me marquez avoir eu quelque avis que
monseigneur Tarchevêque avoit mande M. Dupin ^
et qu'il lui avoit dit que vous lui aviez mis en main
un Mémoire. Il n'y a dans la nouvelle que vous en
avez apprise qu'une partie de vraie; et il faut vous
en faire un petit détail. Sur votre première lettre , je
vis M. l'archevêque , comme nous en étions conve-
nus : je lui lus, par le même ordre que vous m'aviez
donné, votre lettre faite pour cela; et il en fut très-
<X)ntent pour o^ qui l'y regardoit. Ce fut lundi der-
nier que cela se passa : \e n'avois pu avoir audience
de lui plus tôt ; il fut un peu indisposé la semaine der-
nière. Il me dit qu'il avoit été lui-même frappé de ce
que cet auteur avoit dit sur les images; et que M. le
LETTRES DIVERSES. 66ù
nonce, avant sa mort, étoit venu à Tar chevêche lui
faire des plaintes de ses livres. Il m'ordonna de le lui
amener le lendemain à neuf heures. J'écrivis un billet
à M. Dupin sur l'heure , et il me joignit à l'issue de
ma leçon. Nous eûmes un entretien assez long sur
tous les chefs de votre lettre, où il y a une petite
liste des chapitres d'erreur. J'avois son livre à la
main , et je parcourus avec lui tous les endroits, lui
marquant ce qui m'y paroissoit d'outré. Il comprit
assez que je ne lui parlois que pour le servir , et
que pour chercher avec lui quelque biais de sauver
son honneur autant qu'on pourroit, en trouvant a
mettre à couvert la foi de l'Eglise, et levant tout ce
qui pourroit faire quelque peine au public, qui
pourroit en être offensé.
Il me vint prendre le lendemain : je vis un moment
M. l'archevêque avant qu'il fût appelé , et je l'ins-
truisis de notre conversation. Il le fit entrer, et lui
parla bien , avec douceur et avec force : il lui té-
moigna les démarches qu'avoit faites feu M. le nonce
à ce sujet, le scandale qu'il avoit eu lui-même de la
manière dont il parle du culte des images, et ce qu'il
avoit appris d'un Mémoire qu'avoit fait M. de
Meaux. Mais il étoit bien hors d'état de lui dire que
vous le lui eussiez fait donner : il ne Ta point vu, et
il n'en sait rien que par moi , qui ne le connois que
par ce que vous m'avez fait l'honneur de m'en dire.
Il lui dit qu'il ne le vouloit pas pousser ; mais qu'il
falloit satisfaire la religion , et pour cela mettre la
chose entre trois ou quatre docteurs qui ne lui se-
roient point suspects, mais qui ne seroient pas aussi
de ses approbateurs. Il voulut bien dire qu'il y pen-
66G LIiTTRES DIVERSES.
seroit , qu'il les clioisii oit en m'en donnant avis , et
quil m'en met l roi t.
M. Dapin parut docile, et promit de faire tout
ce qu'on souhaiter oit. Il me pria , en sortant , de
faire que M. Gerbais en fût. J'en parlai sur Fheure
à M. l'archevêque, qui n'y entra pas : je ne sais s'il
sera plus à son goût ; car il a pris quelque temps
pour choisir des examinateurs. Il lui faut donner
quelques jours avant que de revenir à la cliarge.
M. Dupin me fit mercredi apporter ses livres. Je n'ai
rien reçu de la part de monseigneur le chancelier.
Je ne sais à quoi il tient; à moins qu'il n'ait donné
le Mémoire à quelqu'un , pour lui en rendre compte
avant qu'il me vienne. Je croyois que M. Dupin l'eût
eu, et il me sembloit que vous lui aviez dit que vous
le vouliez bien ; mais je vois qu'il ne l'a pas eu. Je
n'ai, non plus que vous, nulle nouvelle de madame
la chancelière ; et cela marque apparemment qu'elle
ne pense plus à la cure pour l'homme qu'elle pré-
sentoit. N'imputez , je vous supplie , Monseigneur ,
le retardement de ma lettre à aucune raison de
précaution : il n'y en a aucune à votre égard. Je sais
comme vous usez de tout : mais j'attendois si ce Mé-
moire me viendroit de la chancellerie. Je suis avec
un profond respect , etc.
En Sorbcnne, ce 21 mars 1692.
LE,TTRES DIVERSES. 667
LETTRE XXXIII.
DE M. GERBAIS, DOCTEUR DE SORBONNE.
Sur les dispositions de M. Dupin.
Voici une lettre de M. Dupin , qu il m'a prié d'ac-
compagner d'une des miennes. Il a diffère' à vous
écrire, parce qu'il CvSpéroit qu'on lui communi-
queroit le Mémoire, qui a été mis entre les mains
de M. l'archevêque, et qu'il pourroit après l'avoir
lu s'expliquer plus précisément. Mais comme non-
seulement on ne lui a pas comm .nique ce Mémoire,
mais qu'on ne lui a même rien fait dire ni savoir
depuis qu'il fut mandé chez M. l'archevêque, il a
cru ne pouvoir être plus long-temps sans vous mar-
quer ses sentimens et sa disposition , de laquelle je
suis persuadé que vous serez content. Si M. l'arche-
vêque n'étoit pas saisi de ralTaire, je suis sûr que
nous l'aurions terminée chez vous en moins d'une
matinée, et cela sans bruit et sans éclat. M. le chan-
celier, à qui je rendis compte ii y a quelques jours
d'une commission dont il m'avoit chargé, m'avoit
promis de m'envoyer le mémoire que vous lui aviez
laissé sur le sujet de M. Dupin : mais apparemment
il l'a oubhé, ou il a changé de sentiment; car il
ne m'a pas été remis. Et ainsi ne sachant ce qu'il
contient, il ne m'a pas été possible de conférer avec
M. Dupin , ni de prendre avec lui les mesures con-
venables pour vous satisfaire, et pour éviter les mau-
vaises interprétations que l'on pourroit donner aux
668 LETTRES DIVERSES.
choses qu'il a écrites. Si vous désirez m'ordonner
quelque chose là -dessus, j'obéirai avec plaisir,
et avec la même soumission avec laquelle je serai
toujours, etCc
A Paris, ce 12 avril 1692.
Je viens d'apprendre. Monseigneur, depuis ma
lettre écrite, que M. l'archevêque de Paris a envoyé
quérir M. Dupin, qu'il lui a fait voir un mémoire
que M. Pirot lui avoit rendu de votre part ; et que
là-dessus M. Dupin avoit témoigné à M. l'arche-
vêque, quil étoit prêt de donner telle satisfaction
et tels éclaircissemens qu'il plairoit à sa Grandeur de
lui prescrire. J'aurois mieux aimé, Monseigneur,
que cela se fût terminé avec vous.
LETTRE XXXIV.
DE M. DUPIN.
Sur les erreurs dont il étoit accusé.
Jamais je n'ai été plus désolé que quand j'ai appris
que j'avois le malheur d'avoir avancé , dans mes ou-
vrages , des choses que vous jugiez dignes de cen-
sure. Je me serois donné l'honneur de vous aller
voir pour tâcher de me justifier auprès de vous, et
vous assurer en même temps de mon attachement
sincère à la doctrine de l'Eglise , et de la soumission
que j'avois pour tout ce que vous souhaiteriez de
moi. Mais n'ayant pas osé prendre cette liberté,
sans que vous m'eussiez fait témoigner que vous le
LETTRES DIVERSES. 66^
souhaitiez, je me contentai de le dire à des per-
sonnes qui m'en parlèrent de votre part, par les-
quelles je croyois que vous apprendriez la disposition
où j'étois. Ayant bien compris, par la suite, qu'on
n'en avoit point informe' votre Grandeur, j'ai pris
la liberté de vous en faire écrire par M. Gerbais,
qui m'a fait la grâce de me montrer votre réponse ,
par laquelle j'ai reconnu avec joie que vous aviez
encore quelque bonté pour moi. Je vous prie,
Monseigneur, de me la vouloir continuer, et
d'être persuadé que j'aurai toujours pour vous tout
le respect et la soumission que je vous dois , étant
avec un profond respect , -p
A Paris, ce 12 avril 1692.
LETTRE XXXV.
DE M. ARNAULD, DOCTEUR DE SORBOISNE.
Il le félicite du dessein qu'il avoit d'écrire pour la défense de saint
Augustin contre Richard Simon; et lui demande son jugement
sur divers écrits.
J'ai appris avec bien de la joie ce que l'on nous
mande, que vous vous sentez porté par un mouve-
ment de l'esprit de Dieu , à écrire pour la défense de
la grâce chrétienne, et de l'autorité de saint Augus-
tin, contre la prétention téméraire du faux cri-
tique (*). Rien n'est plus digne d'un évêque, à qui
Dieu a donné de si grands talens pour écrire et pour
parler, que de les eiiiployer pour une si bonne cause
C*) Richard Simon.
670 LETTRES DIVERSES.
La grâce que vous soutiendrez , Monseigneur , sera
aussi votre soutien; et le saint dont vous maintien-
drez l'autorité, contre la censure indiscrète d'un
e'crivain sans jugement, vous obtiendra de Dieu les
mêmes lumières et le même zèle dont il a été rempli
pour éclaircir la doctrine de TEglise contre une des
plus dangereuses de toutes les hérésies.
A l'égard du critique, je crois , Monseigneur, que
vous aurez remarqué que dans le jugement qu'il porte
des commentateurs du nouveau Testament, il re-
garde comme un défaut, dans ceux mêmes qui sont
le plus estimés, de s'être attachés à la doctrine des
saints Pères, et principalement de saint Augustin ,
touchant la grâce et la prédestination. C'est ce qu'on
peut voir dans ce qu'il dit de Salsbout, d'Estius et
de Jansénius d'Ipres. Ainsi, selon ce critique, on ne
doit suivre que les règles de la grammaire, et non
pas la théologie et la tradition , pour bien expliquer
le nouveau Testament. Si Ton fait autrement, ce
n'est pas le sens de saint Paul que l'on donne : c'est
celui que Ton s'est formé sur ses propres préjugés.
Rien ne peut être, à mon avis, plus favorable aux
Sociniens ; et je me souviens d'avoir lu autrefois,
dans une Vie de Fauste Socin , que n'ayant point
étudié , il étoit plus propre que personne à trouver
le vrai sens de l'Ecriture.
Je reviens au sujet qui me fait écrire cette lettre.
Vous voulez bien, Monseigneur, que je prenne cette
occasion pour vous exposer quelques pensées que j'ai
eues sur la grâce, et les soumettre à votre jugement.
Et ce qui me fait espérer par avance que vous ne les
désapprouverez pas, c'est ce que l'on m'a mandé,
LETTRES DIVERSES. - ()^ I
que la neuvième partie des Difficultés sur le sieur
Steyaerl, ne vous avoit pas déplu : car il y a beau-
coup de ces pensées qui y sont marquées, quoi-
qu'elles n'y soient pas traitées à fond. Je ne prétends
pas non plus les traiter ici; mais vous marquer seu-
lement, Monseigneur, quelques écrits que je serois
bien aise que vous vissiez , afin que vous m'en disiez
votre avis.
Le premier est un petit écrit latin, de Liber-
tate {*}. Ce qui me le fit faire est un engagement où
je me trouvai, d'examiner quel est le vrai sentiment
de saint Thomas touchant le libre-arbitre. M'étant
aperçu que ce que saint Thomas a écrit sur cette
matière dans ses premiers ouvrages, ne s'accorde pas
avec ce qu'il en a écrit dans le dernier, qui est sa
Somme , je crus que c'étoit à sa Somme qu'il se fal-
loit uniquement arrêter. J'en ramassai tous les pas-
sages', et il me parut évidemment :
Premièrement, que l'amour béatifique n'étoit point
libre, selon ce saint.
Secondement , que le désir d'être heureux ne Té-
toit point non plus.
Troisièmement , que hors ces deux cas toute vo-
lonté délibérée étoit libre , et que ce que dit saint
Bernard est très-vrai : U6i voluntaSy ibi libertas.
Quatrièmement, que la meilleure et la plus courte
notion qu'on puisse avoir du libre-arbitre, est de
^) Il est imprimé dans le tome premier du Recueil des Traités de
M, Arnauld, sur la grâce générale, dans la Justification de ce doc-
teur, publiée par le père Quesuel, et dans le recueil qui a pour
litre : Causa Arnaldina.
6'^2 LETTRES DIVERSES.
dire , comme saint Thomas , que c'est poteslas ou
facullas ad opposita.
Cinquièmement , que quoique cela semble signi-
fier la même chose que rindiffe'rence , il est néan-
moins plus avantageux de se servir du premier que
de ce dernier. Car le mot ^indifférence semble mar-
quer un équilibre, qui n'est nullement ne'cessaire au
libre-arbitre , et semble opposé aux déterminations
infaillibles, qui ne sont point du tout contraires à
la liberté : au lieu qu'on ne trouve point ces deux
inconvéniens dans ces mots , facullas ad opposita ,
comme on le comprendra mieux par un exemple. On
offre des présens à un bon juge pour le corrompre.
Quoiqu'il se trouve absolument déterminé à ne les
point accepter, il est certain néanmoins que c'est
librement qu'il les refuse. On demeure d'accord de
la chose ; il ne s'agit quje de l'expression. Ne sem-
ble-t-il pas , Monseigneur , que ce seroit faire tort
à la vertu de ce juge incorruptible, si, pour mar-
quer qu'il a fait cela librement, on disoit qu'il a été
dans l'indifférence d'accepter ou de refuser ces pré-
sens? Car cela pourroit marquer la disposition d'un
homme médiocrement vertueux , qui auroit hésité
s'il les accepteroit ou s'il les refuseroit. Mais on ne
donne pas cette i'iée, quand on dit seulement qu'il
a eu le pouvoir d'accepter ou de refuser ces présens;
puisque l'on conçoit facilement que de deux choses
opposées, qui dépendent de notre libre -arbitre,
quelque déterminé que l'on soit de faire l'une, on
pourroit faire l'autre si on le vouloit. Et c'est la
raison pourquoi on n'est pas libre à l'égard du bon-
heur
LETTRES DIVERSES. 673
lieur en général , parce qu on est tellement déter-
miné par une nécessité naturelle à vouloir être heu-
reux, que nous ne pouvons pas dire : Si je pouvois,
si je voulois ne pas vouloir être heureux.
Un autre écrit que je serois bien aise , Monsei-
gneur, que vous voulussiez prendre la peine d^exa-
miner, est d'une autre nature. C'est un écrit polé-
mique sur une dispute entre deux amis (*), qui sont
toujours demeurés dans une union parfaite de charité
et d'amitié, quoiqu'ils se trouvent présentement divi-
sés sur un point sur lequel ils ont été long-temps par-
faitement d'accord. Ce n'est pas qu'ils ne le soient
sur le capital de la doctrine : mais il y a des questions
incidentes dont ils n'ont pu convenir, et je souliaite-
rois. Monseigneur, que vous en voulussiez être le juge.
On examine dans ce second écrit i"^*) cette nouvelle
pensée : Que tous les hommes seroient dans une
impuissance physique de faire le bien salutaire ,
laquelle rendroit excusables ceux qui manqueroient
de le faire, s'ils n'en étoient déhvrés par une grâce
générale, actuelle, intérieure et surnaturelle, non-
seulement préparée et offerte, mais actuellement
donnée à tous et à chacun en particulier. C'est le
sujet du différend.
Le troisième écrit est plus court , et d'une forme
extraordinaire ; car on y a suivi la méthode des
géomètres (***). Il est différent du précédent, en ce
(*) Cette dispute étoit entre M. Arnauld lui-même , et M. Nicole j
et la suite de la lettre en marquera l'objet.
(**) Il a pour titre : Du Pouvoir physique. Cet écrit elles suivans
«ont imprimes dans le Recueil déjà cité,
^**) Il est intitulé : Ecrit géométrique de la Grâce générale. ''
BOSSUET. XLIÏ. 4'^
674 LETTRES DIVERSES.
que dans le précédent on combat un système de doc-
trine dont on n'a pu convenir , en renversant le
principe sur lequel on Tavoit établi ; au lieu que
dans celui-ci on le combat parles suppositions qu'il
enferme, dont on fait voir, ce me semble, démons-
trativement la fausseté.
Il y a encore deux autres écrits ; l'un latin , qui a
pour titre : Dissertatio bipartita, an veritas pro-
positionum quœ necessarib et immutabiliter aperce
suntj videantur à nobis in prima et increatâ veritaie
quœ Deus est : etAn^ quiamat castitatem Del quam-
libet aliam virtutem moralem , eo ipso amet œter-
nam, quœ in Deo est, rationem castitatis (*).
Et l'autre français (**), sur le même sujet, pour
répondre à ce qu'un savant religieux, à qui vous avez.
Monseigneur, fait l'honneur de témoigner de l'afFec-
tion , avoit opposé à la dissertation latine. Ce der-
nier écrit contient diverses choses qui peuvent beau-
coup servir à éclaircir ce qui est traité dans le troi-
sième écrit.
Souffrez, Monseigneur, que je prenne la liberté
de vous dire encore qu'il y a une chose qui me pa-
roît importante dans la matière de la grâce. Je n'en
ai rien écrit en particulier ; mais je crois l'avoir bien
expliquée dans ma dissertation théologique touchant
la proposition censurée, partie m, article 11 et ar-
ticle IV. On y marque les différentes opinions des
(*) Dans cette Dissertation , Tauteur combattoit en particulier le
sentiment du célèbre Huygens, docteur de Louvain.
(**) Cet écrit a pour titre, Règles du bon sens, etc. et est dirigé
contre dora François Lami, qui avoit entrepris de réfuter la Dis-
serta lion de M. Arnauld.
LETTRES DIVERSES. 6^5
théologiens touchant la grâce actuelle, qui est le
principe de la bonne volonté; les uns la mettant in
misericordid Dei et forma inliœrente , et les autres,
in solâ misericordid Dei, quœ interius motum mentis
operatur. Or je suis persuadé que cette dernière
opinion est celle de saint Augustin et de saint Tho-
mas , et la plus conforme à la raison ; et qu'en la
suivant il est bien plus aisé d'expliquer l'efficace de la
grâce, et de concilier cette efficace avec la liberté,
lors surtout que Ton définit le Xihre-divhïive , facultas
ad oppositaj comme a fait saint Thomas. Car, selon
les principes de ce saint, je veux librement tout ce
que je veux, n'étant point déterminé à le vouloir par
une nécessité naturelle, qui m'ôteroit le pouvoir de
vouloir le contraire. Ainsi Jésus-Christ a voulu très-
librement souffrir la mort ensuite du commande-
ment qu'il en avoit reçu de son Père, queîï[ue dé-
terminé qu'il y ait été; parce que c'est son amour qui
l'y a déterminé, ^t non une nécessité naturelle qui
l'auroit nécessairement attaché à vouloir mourir.
De combien d'autres choses souhaiterois-je. Mon-
seigneur, vous pouvoir entretenir? Mais ce n'en est
pas encore le temps ; et je ne sais si , à l'âgé où je
suis, je dois me flatter que ce temps vienne jamais
pour moi. Je vous avoue , Monseigneur, que s'il y a
quelque chose qui me touche dans Tétat où Dieu
veut que je sois, ce sont ces sortes de privations.
Il m'a fait la grâce de les porter avec beaucoup de
paix et de tranquillité : j'espère qu'il me soutiendra
par sa miséricorde jusqu'à la fin , et qu'il mè rendra
fidèle à suivre la voie par laquelle il veut que j*aille
h. lui. Vos prières j Monseigneur, et votre bénédic-
Sn6 LETTRES DIVERSES.
tion peuvent beaucoup contribuer à m'en obtenir la
grâce. C'est avec une grande confiance que je vous
demande Tun et l'autre, comme c'est avec un pro-
fond respect que je serai toujours, etc.
Antoine Arnauld , doct. de Sorb.
Juillet 1693.
LETTRE XXXVI.
DE M. PIROT, DOCTEUR DE SORBONNE.
Il lui rapporte difFérens textes des Pères , qui ont pris le mot de
personne pour celui de nature.
Il est aisé de vous satisfaire sur la curiosité que
vous avez de savoir si le mot de personne , soit en
grec, soit en latin, a été pris pour celui de nature ^
et si saint Atlianase et saint Ambroise ont parlé
quelque part comme s'ils eussent reconnu deux per-
sonnes en Jésus-Christ. Je suis très-persuadé que pas
un des deux n'a mis en Jésus-Christ deux personnes ,
à prendre le mot de personne dans un sens propre;
et vous remarquez fort bien. Monseigneur, que le
prerpier, au contraire, dit positivement h npôduTtov,
Il le dit plus d'une fois dans le seul petit traité qu'il
a fait, de Incarnaùone Verhi /^ei"^ contre Paul de
Samosate, qui est son ouvrage, quoique M. Du-
pin s'imagine sans raison qu'il n'est pas de lui : il le
dit de même ailleurs. Mais Facundus Hermianensis,
dans son livre xi, chapitre 11, cite un endroit de
saint Athanase comme tiré d'une épître ad Antio-
clienos , où ce Père dit formellement : Duas per-
LETTRES DIVERSES. 677
sonas de Domino inveniens , unam quiclem circa
hominem, aller am autem circa Verhum. Il est vrai
que cette ëpître ne se trouve pas dans saint Atha-
nase ; et c est de ces Œuvres que l'injure des temps
nous a enlevées. Nous en avons une qui porte ce
titre , et où cela n'est point : mais il n'y a pas d'ap-
parence d'accuser Facundus de citer faux. Le père
Sirmond, dans ses notes, dit que c'est une autre
épître que celle que nous avons ; remarquant au
reste que saint Athanase n'a pu mettre en Jésus-
Christ deux personnes, mais seulement deux na-
tures parfaites.
Saint Ambroise , au livre ii, de Fide, chapitre iv
des anciennes éditions , qui dans la dernière est
le viii, numéro 60, parle ainsi de Jésus-Christ :
Minor in natura hominis; et miraris si ex persona
hominis Patreni dixit majorem , qui in persona
ïiominis se vermern dixit esse j non hominem. Les
Pères de Saint-Maur mettent cette note : Pauîb du-
rior videtiir ea locutio, quippe quœ hominis naturam
personamque saltem voce tenus confundat. Et ils
font encore une autre note semblable au livre iv ,
ancienne édition, chapitre m, et nouvelle chap. vi,
numéro 69. Quams^is ex personœ hominis incarnati
susceptione loqueretur ; ce sont lés paroles de saint
Ambroise en cet endroit, et voici ce qu'y disent les
Scholiastes : Jam monuimusvocem personœ non sem-
per stricte etscholastico rigore sumptam ab Ambrosio.
Et sane hoc loco nihil aliud sonat , nisi in quantum
homo. Qu'on fasse sur cela toute la glose qu'on vou-
dra : si on dit qu'il est visible que saint Ambroise ne
prend là le mot de personne qu'a^a^iVè pour une
678 LETTRES DIVERSES.
qualité de nature , je l'avoue ; mais il est toujours
vrai qu'il l'a ainsi pris , quoique ailleurs il ne laisse
nul lieu de douter de sa foi. Le père Petau, au
livre IV de la Trinité, chapitres i, 11, m et iv, mais
particulièrement en ce dernier, et au livre v de l'In-
carnation, chapitre VII, numéros 7, 8, 10 et autres,
est à lire sur les différentes notions des termes à'usie,
d^hjpostase ^ de nature^ àe personne ^ etc. : mais.
Monseigneur, vous saurez mieux trouver tout cela,
que je ne pourrois vous l'indiquer. Pardon de ma
liberté : je suis avec un très-profond respect , etc.
En Sorbonne, ce 9 septembre lô^S.
P. S. J'aurois pu apporter encore, outre l'au-
torité de saint Athanase tirée de Facundus , celle
d'Eustathe d'Antioclie, que Facundus cite au même
livre XI, chapitre i, pour prouver qu'il a mis aussi
deux personnes en Jésus-Christ : mais comme cela
me paroît moins formel , je ne l'ai pas marqué.
LETTRE XXXVIL
pu MÊME.
Sur la doctrine de Gerspn, touchant les décisions des évéques, et
sur les propositions cjui dévoient être censiirées par l'assemblée
du clergé de 1700.
Il me semble qu'il y a bien du temps que je n'ai
eu de vos nouvelles ; pardonnez-moi si je débute si
familièrement : la bonté dont vous voulez bien me
faire l'honneur d'en user avec moi , m'a accoutumé
à vous parler avec cette liberté. Depuis le jour que
LETTRES DIVERSES. (^79
VOUS me marquâtes que «vous me donneriez vos or-
dres ( je crois qu'il y a plus de trois semaines ) , je
n'en ai reçu aucun de vous. Vous m'aviez ordonné
de regarder l'autorité des évêques dans Gerson , sur
le sujet des décisions dans la censure qu'ils ont droit
de faire , dont je vous avois entretenu autrefois : je
m'engageai à revoir ce qu'il en avoit dit dans son
traité , de Examinatione Doctrinarum. Je le fis aussi,
et j'étois tout prêt à vous en rendre compte sur le
premier ordre : apparemment vous aurez vous-même
voulu examiner la chose. Si cela n'étoit pas, j'y
suppléerai aisément quand il vous plaira : en atten-
dant vous pourrez à loisir voir ce que dit cet auteur,
particulièrement dans deux endroits où il traite
cette matière, ex professa . Le premier est dans la
première partie de ses ouvrages , dans son traité de
Examinatione Doctrinarum , partie première, con-
sidération III , où il marque le pouvoir des évêques
de faire dans leurs diocèses un article de foi, en
usant de leur droit avec les précautions convenables :
l'autre est dans la quatrième partie de ses Œuvres,
page 223, où en un feuillet il établit sa doctrine de
Propos itionibus ah Episcopo hœreticandis ; et mar-
que en quelle occasion un évêque doit user du pou-
voir qu'il a de déclarer une proposition hérétique.
Si grand qu'on dit que soit le secret que les pré-
lats se sont promis sur la liste des propositions à
condamner, tout le monde ne laisse pas d'en parler
ici. On dit qu'il y a un cahier imprimé, de 160 pag.,
et qu'il fut donné à toute l'assemblée lundi dernier.
Je croyois que vous m'eussiez dit que vous me don-
neriez des ordres sur cela ; cependant je n'en ai rien
68o LETTRES DIVERSES.
SU, et jusqu'à présent je n'ai point vu rimprimé, et
ne sais de quoi il s'agit. Vous savez , Monseigneur ,
que je ne me mêJe de rien, si on ne m'y fait entrer;
et avec un autre même je n'en parlerois pas : ce n'est
que l'attachement que j'ai à votre personne , et que
j'aurai toujours inviolablement, qui me fit vous offrir
tout ce qui seroit à ma portée. Je ne doute pas que
vous ne soyez l'ame de tout ce qui se fait , et que
tout ne se décide uniquement par vos conseils. Vous
savez qu'en quelque temps que ce soit , et pour quel-
que affaire qui puisse être de mon ressort, personne
n'est si absolument en votre main que moi. Pardon
de toutes mes libertés ; je n'en suis pas avec un res-
pect moins profond, etc.
En Sorbonne, ce 21 juillet 1700.
>•'%/«/«■ '»'«/W*v«/%>1b'«i^«'^V«
LETTRE XXXVIII.
DU P. DE LA RUE, JÉSUITE.
Sur la conduite de M. Téveque d'AIais à l'égard des Réunis de son
diocèse ; et combien il seroit nécessaire que tous les évêques
prissent sur ce sujet une résolution uniforme.
Ujv commencement de siècle si heureux doit faire
souhaiter que les personnes, qui, comme vous, ont
fait l'honneur du siècle passé, le soient encore long-
temps de celui-ci. Vous avez part à ce souhait, Mon-
seigneur, plus qu aucun prélat du monde; et c'est
avec ces vœux que j'ose vous présenter mes respects
au commencement de cette année.
H vous a plu, Monseigneur, de me demander,
LETTRES DIVERSES. 68 I
lorsque je partis de Paris , il y a un ati, un compte
fidèle de ce que je remarquerois en ce pays sur les
affaires de la religion. J'eus l'honneur de vous man-
der après Pâque ce qui se passoit à Montauban ; je
vais vous parler des Cévènes et du diocèse d'Alais,
où je travaille depuis quatl-e mois.
L'ouvrage y est plus avancé qu'ailleurs, pour deux
raisons : l'une, est qu'on ne l'a point interrompu
dans le temps même de la guerre ; et l'autre , est la
conduite particulière que monseigneur l'évêque
d'Alais a jugé a propos d'y observer.
Cette conduite est différente des autres, en ce qu'il
ne s'est pas contenté de porter ses diocésains au seul
devoir de la messe et des sermons ; mais en général à
tous les exercices de la religion catholique.
Il s'est fondé sur ce que les anciennes lois pénales,
portées par les empereurs et les rois, et souvent de-
mandées par l'Eglise contre les hérétiques de toutes
sectes, n'ont jamais fait cette distinction de la messe
et de l'instruction , d'avec les sacremens et les autres
exercices.
Il s'appuie encore sur ce que les édits du Roi, qui
obligent tous ses sujets à mourir catholiques , sous
peine de confiscation de leurs biens, les engagent
conséquemment à vivre entièrement catholiques.
Sur ces principes, il ne reconnoît pour catholi-
ques, que ceux qui en accomplissent tous les devoirs.
Il n'accorde les grâces , les attestations pour rece-
voir les pensions, les autres marques de distinction,
la délivrance des enfans qui avoient été ôtés aux
pères ef auxparens, qu'à ceux dont non-seulement
la personne, mais la maison entière jusqu'aux do-
682 LETTRES DIVERSES.
mestiques, s'acquitte entièrement et habituellement,
au moins depuis un an , de tous les exercices catho-
liques.
D'un autre côte, pour prévenir les mauvais effets
de l'hypocrisie , il défend très - expressément aux
curés et aux confesseurs, de recevoir à la participa-
tion des sacremens aucun de ceux dont la foi leur
paroît en quelque façon suspecte : il en a même
exclus certains en particulier, dont il sait la mau-
vaise foi par la connoissance qu'il a de leur conduite
ou de leurs discours.
Ces deux pratiques unies ensemble , et toujours
observées avec la même vigilance et la même fermeté ;
l'une, d'exhorter à tous les devoirs; l'autre, de n'ad-
mettre au devoir des sacremens que ceux qui en pa-
roissent vraiment dignes, ont mis l'ouvrage delà con-
version au point où on le voit dans les Cévènes. Il
semble en effet que ce soit le seul moyen de préserver
les lois du prince du péril et de l'inutilité, et de
mettre les pasteurs à couvert du reproche d'indiffé-
rence et de néghgence sur ce sujet. Avec ces précau-
tions on ne peut imputer l'hypocrisie qu'à celui qui
la commet ; puisque toutes les puissances font pré-
cisément, pour l'empêcher, ce qu'il leur convient de
faire.
Que n'est -il possible. Monseigneur, que l'on
prenne partout là-dessus une résolution uniforme,
ou selon ces mesures , ou selon d'autres que l'on ju-
gera meilleures, et qui le seront en effet, pourvu
qu'elles soient encore plus efficaces : car toutes celles
qui tendent à rendre les lois inutiles , et S: laisser
croupir les Réunis dans l'irréligion , ne peuvent être
LETTRES DIVERSES. 683
conformes au zèle et à la piété de Sa Majesté, ni à
la prudence de ses ministres. Il arrive cependant que
la diversité de conduite et de maximes nuit autant
au progrès de la conversion, que le pourroit faire
Tabandonnement entier de cet important ouvrage.
Nousl'éprouvons ainsi parl'endurcissement des jeunes
gens , que l'inexercice de la religion a rendus depuis
quinze ans plus intraitables que leurs pères : ce qui
doit faire trembler pour l'avenir, si l'on ne convient
promptement du vrai moyen de les engager à l'exer-
cice. Au nom de Dieu, qui vous a donné, Monsei-
gneur , la force de commencer cette sainte révolution ,
employez toute la lumière, l'ardeur et le crédit que
vous avez , pour voir de vos propres yeux la fin et la
perfection de votre ouvrage. On ne peut s'imaginer
parmi les nouveaux convertis que le Roi la veuille
efficacement, tandis que Ton remarque tant de di-
versité , et même d'opposition , dans le procédé de
ceux qui font exécuter ses ordres dans les provinces.
Pardonnez -moi, Monseigneur, cette expression de
ma franchise et de ma sincérité, et me faites l'honneur
de croire que je suis avec une profonde vénération et
un parfait dévouement, etc.
C. DE LA Rue, J.
A Nimes, ce 17 janvier 1701.
Je vais prêcher le carême à Nîmes , et retournerai
ensuite travailler dans les Cévènes.
684 LETTRES DIVERSES.
LETTRE XXXIX.
DE M. VUITASSE, PROFESSEUR DE SORBONNE.
Sur ce qu'on l'a accusé injustement de penser comme M. Cailly
sur la Transsubstantiation.
Etajvt allé après dîné chez M. Tabbé Pirot, il m'a
montre une lettre que votre Grandeur lui a fait l'hon-
neur de lui écrire, dans laquelle elle lui marque qu'on
lui a mandé que je suis du sentiment de M. Cailly;
ce qu'elle ne peut croire. Je ne saurois, Monseigneur,
assez remercier votre Grandeur de cet avis qu'elle
m'a fait donner, et de l'affection qu'elle me témoigne
en cette occasion. Ce sont de nouvelles marques de
votre bonté qui me touchent infiniment : mais j'ose
néanmoins ajouter, Monseigneur, qu'en ce que vous
pensez de moi sur cet article, ce n'est pas seulement
une grâce que votre Grandeur me fait, mais encore
une justice qu'elle me rend ; puisque la vérité est que
je suis et ai toujours été très-éloigné de la nouvelle
explication dont il s'agit.
Je n'ai pas lu, Monseigneur, le livre de M. Cailly :
mais par ce que j'en ai pu appr/îndre , il me semble
que ce n'est pas tant l'opinion de Durand qu'il suit ,
que le premier sentiment de M. Descartes, que rap-
porte M. Baillet dans la vie de ce philosophe ; ce qui
est assez différent.
Durand, imbu des idées ordinaires de la philoso-
phie péripatéticienne, mettoit, selon toutes les ap-
parences, une distinction réelle entre la matière et
LETTRES DIVERSES. <685
la forme substantielle du pain, et disoit que dans
FEuchai istie la forme étoit détruite et changée ; mais
que la matière demeuroit et passoit sous la forme du
corps de notre seigneur Jésus-Christ, à peu près
comme la matière des alimens passe sous la forme
du corps de Thomme qui s'en nourrit.
Descartes au contraire prétendoit que rien ne se
détruisoit dans le pain , ni matière ni forme ; mais
que le pain, sans aucun changement physique, réel
et effectif, de corps inanimé qu'il étoit auparavant,
devenoit le corps de Jésus-Christ, par la consécra-
tion et par l'union qu'il plaisoit alors à Dieu de
mettre entre Famé de Jésus-Christ et ce quis'appeloit
pain auparavant.
Bien loin. Monseigneur, de donner dans cessen-
timens, je les ai réfutés si expressément et si for-
mellement , que je suis étrangement surpris qu'on
ait pu mêles imputer. J'ai été aussitôt chercher mes
cahiers, que j'ai montrés à M. l'abbé Pirot, et qui,
je crois , en a été satisfait.
C'est, Monseigneur, dans l'article m de la ii^ ques-
tion de mon traité de l'Eucharistie, que j'examine
la manière dont se fait la transsubstantiation : De
modo quo fit transsiihstantiatio. Là, après avoir
marqué les différentes opinions des philosophes sur
la composition des corps et la distinction des acci-
dens, je dis que le sentiment de presque tous les
théologiens est que non-seulement toute la substance
du pain est changée en la substance du corps de
Jésus-Christ, mais que la quantité même demeure
comme le sujet de tous les autres accidens qui pa-
roissent : sentiment dont j'avertis qu'il ne seroit pas
686 LETTRES DIVERSES.
trop sur de s'écarter : Neque forte tutum fuerit aliam
opinionein aniplecti aut defendere.
Je ne laisse pas cependant^ Monseigneur, d'ex-
poser ensuite d'une manière historique les autres
façons d'expliquer ce mystère; et voici comment
j'en parle : Quocirca quorumdani , qui audaciores
ah eo discedere non dubitaruntj varia placita, his-
toriée tanlunt et eruditionis causa , memorabimus .
Je commence par celle de Durand ; et après avoir
rapporté en quoi elle consiste, et quels sont ses fon-
demens , j'ajoute : Videant autem quihus illa opinio
non displicet , quâ via eam concilient cum iîlo Con-
cilii Tridentini canone ^ quo sancitur fieri totius
substanliœ panis in corpus Christi conversionem.
Etsi enim mutationes universœ , quœ passim con-
tinguntj dicantur à philosophis Peripateticis con-
i^ersiones totius in totum , et forte cogitari posset
Sjnodi fulmen in eos solummodo cadere , qui
partent tantiim liostiœ aliquando consecrari existi-
marunt ^ expendant an non saltem perstringantur
eo quod additur. Statim enim Sjnodus declarans
quidnam h pane post consecrationem super sit, sub-
jicit manere duntaxat species panis et vini.
De là je passe, Monseigneur, à l'explication de
M. Descartes, que j'ai vue développée avec plus d'é-
tendue dans un manuscrit attribué à un K. P. Béné-
dictin, nommé des Gabets {^). J'observe d'abord
(*) Dom Robert des Gabets , religieux Bénédictin de la congré-
gation de Saint- Vannes , très-distingué dans son corps par son éru-
dition, son application à l'élude, et son zèle pour en inspirer l'a-
mour à ses confrères. Son trop grand dévouement aux principes de
la philosophie de Descaries, l'engagea dans des opinions nouvelles
LETTRES DIVERSES. 687
qu elle est dure , et que ceux qui s'y attachent font
tout ce qu'ils peuvent pour l'adoucir : Cujus pro-
nuntiati acerbitatem ut emolUant. Je l'expose en-
suite 5 après quoi je la réfute en ces termes :
At miilla opponi possunt , eaque clarissima , ex
decretis Ecclesiœ , ipsisque adeo Scripturis petita.
Primum , quod in Eucharistia non tanlîirn debeat
esse corpus ChristijSedetiam caro etsanguis Christi:
panis autem posset forte dici corpus Christi , at non
ver a ipsius caro , etc,
Secundum , quod corpus Christi eucharisticum sit
illud idem, quod pro nobis traditum est et cruci-
Jîxum : id autem de pane dici non potest.
Tertium , quod oporteat idem esse corpus j, quod
ex Maria Vir^ine nalum est : at neque id de pane
dici unquam potest.
Quartum, quod ibi admittendum sit corpus Christi
omnibus organis instructum ad functiones animœ
necessariis j qualc in hominibus est : atin pane , etc.
Quintum , quod fiât transsubstantiatio , id est
conversio totius substaniiœ panis et vini. Ergo non
manet eadem materia eademque forma , quaa
ante, etc.
Sextum , quod si maneant tantum species panis ,
ut définit Synodus , ergo panis destruitur.
Septimum , quod corpus Christi ibi non di^idatur,
et dangereuses sur la manière dont Jésus-Christ est dans FEucha-
ristie. On en fut justement alarmé, et on l'obligea de s'expliquer;
ce qu'il fit, par une déclaration qui marquoit sa soumission à la
doctrine de l'Eglise. Nicole, en deux de ses lettres, la Lxxxiii" et
la txxxiv", a très-solidement réfuté le sentiment de dom des Gabets,
et très-bien montré la vanité de toutes ces opinions, quune cu-
riosité trop inquiète ne «esse d'enfanter.
688 LETTRES DIVERSES.
dum species frangunlur : divideretur autein si çst
partis.
Octa^fum , quod suh specie panis corpus Christi
ianthm sit vi verborum , sans;uis autein vi conco-
mitaniiœ et connexionis naturalis, t^ud partes Christi
Domini j qui jam à mortuis resurrexit non amplius
moriturus j inter se copulantur : at , etc.
Enfin voici, Monseigneur, comme je conclus:
Kerum ista sufjiciant de illd quorumdam recentio-
mm opinione , quœ à Catholicis et cathoLico sane
animo profecta , nimiiim meo quidem judicio de-
torta estj nec salis cum fidei nostrœ placitis cohœ-
rere videlur. Lubrica certe est, eoque solo nomine
à Theologis non facile admitlcnda : de quâ ne
verbum quidem fecissemus , nisijam édita in lucem ,
nos , ut eam silentio non transiremus , admonuisset.
Il me semble, Monseigneur, que j'en dis là autant
que je devois par rapport à mon dessein : car quoi-
que je ne fasse qu'indiquer les dogmes auxquels il
paroît que cette explication donne atteinte, c'en est
assez pour en donner un extrême éloignement. Je
parle avec la modestie qui convient à un tlie'ologien,
et à moi plus qu'à tout autre , en me servant du mot
videtur. C'est aux évêques à décider ce qui en est
et ce qu'on en doit croire, et particulièrement à
vous, Monseigneur, que nous considérons comme
une des brillantes lumières de l'Eglise. J'insinue assez
ouvertement que ce système tend par lui-même à
détruire ce que la tradition et le concile enseignent
touchant la transsubstantiation : mais j'attendois que
l'Eglise prononçât (*). J'adhère à ce que votre Crân-
es) 11 paroît que Vuiiasse a voulu éviter de donner dans la suite
deur
lette.es diverses. 689
deur en a jugé, et prends la liberté de la remercier
encore une fois de ses bontés à mon égard. Dès que
je saurai qu'elle sera à Paris, je ne manquerai pas
d'aller me présenter à sa porte, pour le faire de vive
voix. Dans l'espérance d'avoir cet honneur, je suis
et serai toute ma vie avec le profond respect que je
dois, etc. Vttt^ .
' VUITASSE,
En Sorbonne, ce 6 avril 1701.
k-W^"»/»/»
LETTRE XL.
DE M. CAPPERONNIER , LICENCIÉ EN THÉOLOGIE.
Sur le danger des écrits de Richard Simon, et sur la signification
de quelques expressions grecques du nouveau Testament.
J'ai appris avec joie que votre dessein étoit d'écrire
non-seulement contre la traduction du nouveau Tes-
tament, imprimée à Trévoux ; mais encore contre les
autres livres de M. Simon , c'est-à-dire , contre la
critique qu'il a faite des livres sacrés : car cette cri-
tique est une pierre de scandale pour les théolo-
giens, et elle peut être cause que les libertins blasphè-
ment contre la majesté des saints livres. Sous la belle
apparence d'érudition grecque et hébraïque , elle
cache un secret poison, qu'on peut avaler d'autant
plus aisément qu'on s'en aperçoit moins d'abord. On
peut dire en ce sens, que la traduction du nouveau
occasion aux reproches qui lui avoient été faits ; car on ne retrouve
point dans son Traité de l'Eucharistie, imprimé en 1720, les diHé-
rens morceaux qu il rapporte ici de ses cahiers : nçiais il se contente
de rejeter en deux mots les opinions qu'il expose dans cette lettre.
BOSSUET. XLÏI. 44
690 LETTRES DIVERSES.
Testament n'est pas le plus méchant livre que M. Si-
mon ait fait : sa Critique sur l'ancien et le nouveau
Testament est beaucoup plus dangereuse. Il falloit
aller à la source du mal, comme je vois que vous
en avez le dessein.
Je ne doute pas, Monseigneur, qu'en écrivant
contre M. Simon, vous n'observiez une règle qu'il
a donnée lui-même à ceux qui veulent écrire contre
les Sociniens et autres errans. C'est, dit M. Simon,
qu'il ne faut rien proposer de foible contre eux ; car
cela ne serviroit qu'à les entretenir dans leurs er-
reurs.
Comme M. Simon veut triompher en fait de grec
et d'hébreu ; comme c'est par cet endroit qu'il jette
de la poudre aux yeux des lecteurs ignorans, et qu'il
attire plusieurs personnes dans son parti, il faut
apporter une grande exactitude h examiner toutes
les difficultés qui dépendent du grec et de l'hébreu :
car si on lui donne la moindre prise de ce côté-là, il
ne manquera pas de s'en prévaloir auprès des igno-
rans et des foibles, qui croiront qu'en attaquant
M. Simon on en veut à l'érudition grecque et hé-
braïque.
Encore un coup, Monseigneur, je suis persuadé
que vous observerez qette règle en écrivant contre
M. Simon , et surtout contre sa téméraire critique
des livres sacrés. Cependant l'importance qu'il y a
d'observer cette règle m'oblige de représenter à votre
Grandeur, avec tout le respect que je lui dois, que
dans le premier écrit qui vient de paroître de votre
part, cette importante règle n'a point été observée
partout. Je n'ai à la vérité qu'un seul endroit à
I
LETTRES DIVERSES. 69I
produire, où elle n a point été observée ; mais cet en-
droit me paroît d'une assez grande conséquence pour
être représenté à votre Grandeur, avec tout le respect
qu'un diacre et licencié de Sorbonne doit à un grand
docteur, et à un grand évêque de notre France.
Vous dites. Monseigneur, dans la page n5 de
votre première Instruction sur le noui^eau Testament
imprimé à Trévoux , que
revscr^at ne signifie naître ou être né dans aucun
endroit de l'Evangile. C'est partout uniquement
ysvvâff^-ai; il faut corriger ainsi, 7evvàff.9^ae.
Cependant j'ai trouvé dans le nouveau Testament
plusieurs endroits où le verbe 72v£(7.^at signifie naître :
les voici.
Notre Seigneur dit au figuier, qu'il avoit trouvé
sans fruit, les paroles que Fauteur delà Vulgate tra-
duit ainsi (0 : Nunquam ex te fructus nascatur in
sempiternum , yiv/îTai.
Rom. I, 3. De Jîlio suo qui natus («) est , tow
ysvo^svou, ex semine David secundiim carnem.
Galat. IV, 4- Misit Deus Filium suum natum (*) ex
muliere j ysvô/xsvov èz ytivcct/.ôç,
I, Petr. III , 6. Sara cujus natœ estis filiœ , li
èysvh^nrs TîV.va.
Voilà, Monseigneur, quatre passages où le verbe
yevéa^^ai semble signifier naître , sans que j'aie trouvé
aucune variété dans les éditions du nouveau Testa*»
ment que j'ai consultées.
(0 Malt. XXI. 19.
(<»} Bossuet, dans les remarques qu'il a faites sur cette lettre, ob-
serve que la Vulgate traduit, /<acf «5. — (^) Bossuet observe que la
Yulgate traduit, y^cf «m.
692 LETTRES DIVERSES.
En voici quatre autres où le verbe yîvso-^ae signifie
aussi naître : mais ils ne me paroissent pas si dé-
cisifs ; parce qu'on ne les lit pas de la même manière
dans toutes les éditions.
Notre Seigneur dit de Judas (0 : Bonum erat
ci si natus non esset, à où/, èyevhâr,, homo ille. Dans
quelques éditions, on lit syewh^ri (a), du verbe
Il est dit de Jacob et Esaii i"^) : Cîim nondum nali
esseni, y-^t^^ ycx.p yevvj^évTwv. Dans quelques éditions
on lit, ysvvyjôsvTwv (*).
Il est ditdesenfans d'Abraham (3) : Ex uno nati ip)
sunt, àtfi^ ivoç sysvriQYi(rxv. Dans d'autres éditions, il y a,
Il est dit des débauchés (4) : Isti verb tanquamirra-
tionalia animalia , quœ solâ naturâ duce ducuntur^,
nata ad, etc. 7£y£v»j//sva. Dans d'autres éditions, on
lit yeysvvyjptg'va (e), du Verbe 7evvà(T0a«.
Comme il ne s'agit que du nouveau Testament,
il n'est pas nécessaire de remarquer que dans les
auteurs profanes, yîy-JtoBa.t ou yivsffBcctj aussi bien que
ystvsff^at, signifient souvent naître. Par exemple,
dans Homère (^) : La maison où je suis né, o^itt^wtov
yevô/xyjv.
(0 Matt. XXVI. 24. — W Hom. ix. 1 1. — (3) Hebr. xi. 12. — (4) //.
Petr. II. 12. — C^) Homer. Odjrss.
(°) Bossuet observe que dans rédition de Mons , à trois colonnes,
on lit, eysvvviôii. — C'') Bossuet observe que dans l'édition à trois co-
lonnes, on lit, ysv'ifiùévTuv. — ('') Bossuet observe que la Vulgate tra-
duit , orti. — (<^} Bossuet observe que dans Fédition à trois colonnes,
on lit, syew^&iia-xv. — W Bossuet observe qu'on lit ainsi dans rédi-
tion à trois colonnes.
LETTRES DIVERSES. €g3
Dans Isocrate , « Ne pas laisser d'autres héritiers
» que ceux à qui nous avons donné naissance » ,
TT^yjv roiiç è^ ri^SiV ygyovoraç (').
Platon dit aussi : Non nohis solum nati sumus ,
comme traduit Cicéron , où;^ aùrù fjtovw yg'yovev (2).
Et encore dans le Timée, ytyvôpsvov xaè àîroXXwfAsvov ,
Quod gignitur et interit , comme traduit encore
Cicéron.
On trouve dans Démosthène, veysvïîff^at xa^w;, /20-
nesto loco esse natum i}).
Aristote dit : E quihus nascitur, èÇwv y^yverae, ab
lis augetur (4).
On lit dans Plutarque ces mots : « Croyez-vous
» qu'il y ait de la différence entre n'être point né,
3) et mourir après être né » ? yj [^h ysvé<TOa.i, y) ysvôiievov
«Troyevsc^ae (5).
Cela nous montre quelle précaution il faut ap-
porter, pour bien juger de la signification des mots
grecs, surtout dans le nouveau Testament. Il n'y a
pas long-temps que l'homme de Paris qui sache mieux
le grec, prétendoit avoir trouvé une nouvelle preuve
de la divinité de Jésus -Christ dans ces paroles du
démon : bpzîÇw as rèv 0£Ôv (6)j qu'il traduisoit : adjura
te Deum ^ te qui Deus es,
J'étois d'abord ravi de cette découverte ; afin de
joindre ce passage à plusieurs autres du nouveau
Testament, où Jésus -Christ est appelé Dieu. Mais
après l'avoir examiné de plus près , je trouvai qu'il
(0 Isocrates ad Philipp, — («) Plato, ep. ix. — (3) yirist. Ethic. II.
— (4) Demosth. Epilaph. — \^) Plutarq. Consolât, ad Jpoll. —
C^) Marc. V. 7.
6c)4 LETTRES DIVERSES.
falioit bien se donner de garde de s'en servir ; de
crainte, comme dit quelque part saint Thomas, que
les liére'tiques ne s'imaginent que nous fondions
notre foi sur de foibles principes. Voici les raisons
que favois d'entrer dans ce sentiment.
Premièrement , Fauteur de la Vulgate a traduit :
Adjuro te per Deum,
Secondement, il y a d'autres endroits où o^vl^u-»
•ii^ci. signifie conjurer de la part, ou bien au nom de
quelqu'un. En voici des exemples.
O/îxtÇopev u/xàç tov lyjdoûv : id est j Adjuramus vos
per Jesum, comme on lit dans la Vulgate (»^
Ô/sxt'Çw v/xàç TOV Kû/)«ov : id est , Adjuro vos per Do-
minum , comme on lit dans la Vulgate (»).
M. Simon lui-même, qui se pique tant de gré-
cisme , a très-mal traduit ces paroles d'Euthyme sur
saint Jean : ô Trar/îp èy(yô)cyj<7ev ha. vrâvTwv b yjCta; èÇov(Tiâ(7)i
§ik T«ç Tréç-swç. Voici la traduction de M. Simon (3) :
« Il a plu au Père que le Fils donnât le pouvoir à tous
» parla foi». Voilà une insigne falsification. E^oufftaÇgtv
ne signifie pas donner le pouvoir; mais dominer,
avoir pouvoir, exercer son pouvoir. Euthyme veut
dire que l'intention du Père céleste a été' que le Fils
dominât sur tous les hommes par la foi. Et en effet ,
disoit Jésus-Christ lui-même : Data est mihi omnis
potestas (4) : Dcdisti ei potestatem omnis carnis (5).
Cela suffit pour que nous nous défiions de M. Simon,
même pour ce qui regarde le grec. Je crois avoir
(0 Act. XIX, 1 3. — (») / Thessal. v. 27. — (3) ffist. critiq. des Corn-
mentat. du nouv. Testant, chap, xxiZf pag. 421. —> (4) Matt. xxviii.
ifi. — {S) Joan. XVII. i.
I
LETTRES DIVERSES. 6gS
encore quelques passages grecs qu'il a mal traduits
dans ses critiques. Je suis, Monseigneur, avec un
très-profond respect, etc.
C. Capperonnier , diacre , licencié en the'ologie.
A Paris, 1702.
«.^>^'%/*>«>«^>«/IW«— >«/V^'«^'«^>'»^^
LETTRE XLI.
DU MÊME.
Il lui communique plusieurs textes de Platon , qui montrent que ce
philosophe a donné au mot substance une signification fort
étendue.
La manière douce et honnête dont votre Grandeur
me reçut, la première fois que j'eus l'honneur de lui
faire la révérence , me fait prendre la liberté de vous
communiquer quelques remarques que j'ai faites sur
Platon. Elles me paroissent importantes pour défen-
dre le dogme catholique de la transsubstantiation;
parce qu'elles font voir que ce divin philosophe a
donné le nom de oùala. à tout ce qui est réel, soit sub-
stance soit accident, soit être physique soit être
moral. Votre Grandeur en jugera elle-même.
Premier passage de Platon , dans le Cratyle ^ p^g^ 4"^^
de V édition de Serranus,
SocRÀTE. « Ne vous semble-t-il pas que la couleur,
j) par exemple, et les autres choses dont nous parlions
5) présentement, ont leur substance? où /.«i ovGla$ov.ït
» ffot elvat i/.â^w. Quoi , la couleur et la voix n'ont-elles
» pas une certaine substance, aussi bien que toutes
» les autres choses auxquelles on donne le nom
» d'êtres? oOx Ïçim qùgLt. tlç é/taTs'pw avrcûv ».
696 LETTRES DIVERSES.
Hermogène. « Pour moi je crois que cela est
» vrai ».
SocRATE. « Hé bien , si quelqu'un vouloit repré-
» senter la substance de chaque chose par des lettres
» et par des syllabes , ne vous marqueroit-il pas par-
» là ce que chaque chose est ou n'est pas » ?
Second passage de Platon, dans le Charmidej page 168,
parlant de la voix, de la couleur, etc.
Il dit : « Ce qui est capable d'agir sur soi-même
» ne doit il pas avoir la chose sur quoi son pouvoir
» s'étend? où xaî èxetvïjv Ifsi rrjv oùo-tav Ttfoq ^v h iùva^tç
» aÙToû >3v. ». « Par exemple, si on s'entend soi-même,
» on doit avoir du son; si on se voit, on doit avoir
» de la couleur en soi-même ». Voilà donc le son et
la couleur qualifiés du nom d'oùaia.
Troisième passage de Platon , dans le The'éte'le , page 1 55.
Il dit : « Ils ne mettent pas au rang des êtres réels
» les actions, les productions, et toutes les autres
» choses invisibles : où/ à.7toâ;)(^ôiisvot wç sv oùfji'aç iiépei ».
Platon donne ici le nom d'oùaîa aux actions et aux
autres êtres moraux qui sont comme des accidens.
Quatrième passage de Platon j dans le The'e'te'te, page i36
de V édition de Marsile Ficin.
« Notre ame se mouvant elle-même, et comparant
» ces choses entre elles, nous fait juger de la sub-
» stance de ces deux êtres et de leur contrariété ; elle
» nous fait même juger de la substance de cette con-
» trariété, -t^tt tïîv ohnix^ «ut^ç èyavT«oT>3Toç ». On voit
que Platon donne le nom de substance oùffîa à la con-
LETTRES DIVERSES. 6g'j
trariété des êtres. Or cette contrariété n'est qu'une
simple qualité, et un pur accident.
Que les Calvinistes viennent après cela nous ob-
jecter certains passages des Pères, où ces saints doc-
teurs donnent le nom d'oùdta , de substance, aux
symboles eucharistiques après la consécration. Ne
sommes-nous pas en droit de leur répondre que les
Pères, après le divin philosophe, ont pu appeler
oùdt'av de simples accidens et qualités corporelles ,
comme sont la couleur, la figure et le son, qui sont
les exemples mêmes dont Platon se sert dans les pas-
sages que nous venons de citer.
C'est à vous, Monseigneur, comme au premier
théologien du clergé de France, que j'ai voulu com-
muniquer ces remarques. Si vous les approuvez, je
croirai avoir fait une bonne découverte. Je me re-
commande toujours à l'honneur de votre protection.
Si j'osois, je vous la demanderois présentement au
sujet d'une chaire de philosophie, qui vaque actuel-
lement au collège royal par la démission de M. Dupin.
Il me semble que ces chaires sont fondées pour ensei-
gner la philosophie grecque et latine. Si par votre
protection et par votre crédit je pouvois obtenir celle
qui vaque , je tâcherois d'y faire des leçons de phi-
losophie grecque, et surtout de la platonicienne,
que votre Grandeur sait avoir été fort estimée des
Pères grecs et latins. Je suis avec un très-profond
respect, etc.
1703.
698 LETTRES DIVERSES.
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LETTRE XLIL
DE M. UÉVÉQUE D'ARRAS (*).
II lui demande ses bons offices, pour rétablir la paix et le bon
ordre dans TUniversité de Douai.
J'apprends, Monseigneur, avec bien du plaisir,
que Sa Majesté vous a nommé pour commissaire , au
sujet de la plainte qui lui a été portée de l'état dé-
plorable oîi se trouve à présent l'Université de Douai,
et particulièrement la Faculté de théologie , qui est
réduite , si j'ose me servir de ce terme , à rien , et
que j'ai vue autrefois si florissante. J'y dois prendre
un intérêt particulier comme évêque diocésain ; et il
y a long-temps que je gémis sur les mauvais choix
que l'on a faits pour y remplir les chaires de théolo-
gie, quand elles ont vaqué, et sur les mauvais su-
jets que l'on a proposés pour cela au Roi. Comme
il est à propos, Monseigneur, que vous soyez ins-
truit de l'état des choses , j'ai cru que vous ne pou-
viez mieux l'être que par le recteur même de cette
Université, homme droit, de beaucoup de mérite,
et à qui vous pouvez prendre confiance, qui s'est
chargé de vous envoyer un mémoire sur ce sujet.
C'est un grand bien que vous ferez, si vous voulez
bien honorer cette Université de votre protection
dans cette occasion si considérable, pour la remettre
(*) Guy de Sève de Rochechouart, un des cinq évêques qui écri-
virent à Innocent XII, pour demander la condamnation du livre
du cardinal Sfondrate, sur la Prédestination.
LJITTRES DIVERSES. 699
dans son premier lustre. Je vous la demande pour
elle; et pour moi, la grâce d'être bien persuadé
du respect sincère avec lequel, Monseigneur, je
suis, etc.
GuY_, e'véque d'Arras.
A Douai, ce 25 juillet 1702.
LETTRE XLÎII.
DE M. MONNIER DE RICHARDIN,
RECTEUR DE l'uNIVERSITÉ DE DOUAI.
Il se félicite de ce que le prélat a été nommé par Sa Majesté com-
missaire, pour travailler à rendre à cette Université sa première
splendeur.
Nous avons appris avec une joie extrême qu'il a
plu au Roi de nommer des commissaires, pour tra-
vailler au rétablissement de l'Université de Douai ,
et que Sa Majesté a jeté les yeux sur votre Gran-
deur. Cet ouvrage est digne de vous , Monseigneur.
Vous savez quelle a été autrefois la réputation de
notre compagnie, tant par rapport à la profonde
doctrine qu'à la solide piété ; et toutes choses se
trouvent maintenant disposées à rendre à ce corps
célèbre son ancienne splendeur. Je prends la liberté
de joindre ici un mémoire succinct de l'état auquel
rUniversité est réduite, et d'autres pièces qui y ont
rapport. Je suis avec un profond respect, etc.
MoNNiER DE RicnARDiN , rcct. dc TUniv. de Douai.
ADoaai, ce 38 juillet 1702.
700 LETTRES DIVERSES.
««««/^««m. '%«.«.'»«.'*/%««/»-'«/».'««/«/%'«/«/«. 1
MÉMOIRE
POUR UUNIVERSIÏË DE DOUII.
Il n'y a pas plus de quinze ans que les abus et les
désordres, qui se trouvent à présent dans l'Université de
Douai, s*y sont introduits. Avant ce temps elle florissoit
encore, et elle s'est vue depuis tomber peu à peu dans
le triste état où elle est aujourd'hui. Ne pouvant se rele-
ver par elle-même, elle a eu recours aux bontés du Roi,
persuadée que sous un règne aussi juste et aussi glorieux
que le sien, on ne verroit pas périr des études si fa-
meuses et si utiles à l'Eglise que celles de Douai. Le prin-
cipal secours qu'elle attend des commissaires qu'il a plu
au Roi de nommer, n'est pas de juger des contestations
entre des particuliers. L'Université n'a point d'autre par-
tie qu'elle-même : il s'agit de bien connoître ses besoins
et ses maux , et d'y apporter les remèdes nécessaires.
En attendant que nosseigneurs les commissaires puissent
être informés en détail de tous les désordres auxquels il
faut remédier, il a paru nécessaire de leur en donner une
idée générale, mais suffisante pour qu'ils puissent con-
noître la nécessité d'en être instruits plus à fond.
Les principaux articles dont ils devront être informés,
sont :
L L'état de chaque faculté, dont l'Université est com-
posée.
U. Les études des collèges.
in. Le gouvernement des séminaires.
IV. Les fondations et leur exécution.
V. La discipline pour les mœurs des écoliers,
VI. Le temporel de l'Université.
On ne donne dans ce premier Mémoire qu'une teinture
des choses les plus pressées dans chacun de ces articles.
J
LETTRES DIVERSES. '}OI
LES FACULTÉS.
CELLE DE THÉOLOGIE.
Il n'y a pas fort long-temps que la Faculté de théologie
étoit encore florissante. Il y avoit dans cette Faculté des
professeurs d'un mérite distingué : on les consultoit de
toutes parts; leurs leçons étoient fréquentées, et les
écoles se soutenoient avec réputation et avec éclat. Le
Roi y a mis depuis les professeurs d'Espalunghe et Tour-
néli, docteurs de Sorbonne, qui s'y sont acquis aussi
beaucoup de réputation et d'estime : mais l'un étant
mort, et l'autre devenu professeur de Sorbonne, cette
Faculté est tombée dans une entière décadence ; en sorte
qu'on peut dire sans exagérer, qu'il ne lui en reste plus
que le nom.
Ceux qui la composent à présent sont le sieur de laVer
dure, très-distingué autrefois par son mérite; mais ac-
tuellement hors d'état de professer et d'aucun travail, à
cause de ses infirmités; le sieur de Cerf, qui est d'un grand
âge, et qui n'a jamais eu de réputation; le sieur Del-
court, dont M. l'évéque d'Arras a été obligé de censurer
publiquement la doctrine, et de la lui faire désavouer
par un acte public, et dans une matière qui n'alloit à
rien moins qu'à saper les fondemens de la foi ; enfin le
sieur Amand , que de curé de village on a fait choisir il
y a quelque temps pour professeur de catéchisme , pour
le mettre en état, comme on vient de faire, de l'élever
plus haut sans concours et sans examen , qu'on croit qu'il
auroit peine à soutenir. Les autres docteurs n'étant pas
de la Faculté étroite, sont sans fonction. Le nombre en
est petit ; celui des licenciés est plus grand : mais toute
cette Faculté diminue. Il se trouve cependant parmi ses
gradués, qui demeurent dans l'obscurité, des hommes
d'un mérite reconnu, et capables de remphr les pre-
mières places.
rjOOt LETTRES DIVERSES.
Le peu de capacité des proferseurs rend les écoles pu-
bliques de'sertes. De près de six cents tliéologiens qui étu-
dient à Douai, il n'y a que trente ou trente-cinq écoliers
sous le sieur Pierrard, qui professe pour le sieur de la
Verdure : cependant il est habile homme, et vient d'en
donner des marques dans le concours qui est ouvert ,• mais
comme il n'est dans cette chaire qu'en passant , et comme
par emprunt , les écoliers ne s'y attachent pas. Il n'y a
que quinze écoliers sous le sieur de Cerf, environ trente
sous le sieur Delcourt, et huit ou dix sous le sieur Amand :
encore n'en auroient-ils pas tous ce nombre , si les écoliers
qui demeurent comme pensionnaires ou comme boursiers
dans les séminaires dont ils sont présidens, ne se trouv oient
dans une espèce de nécessité de prendre leurs cahiers :
et l'on peut dire que si les religieux de saint Vaast,
d'Arras , qui ont un collège à Douai où ils enseignent la
théologie , mais dont les écoles ne sont pas académiques ,
et les pères Jésuites qui y enseignent aussi , n'y attiroient
des écoliers, il n'en resteroit presque aucun; et les évéques
des provinces voisines seroient privés du secours qu'ils
tirent des théologiens qui étudient à Douai.
Le peu d'assiduité et la négligence avec laquelle quel-
ques-uns de ces professeurs font leurs classes , achèvent de
les décréditer , surtout le sieur Delcourt , dont les ab-
sences sont très-fréquentes, et qui lorsqu'il professe par
lui-même, n'arrive souvent qu'après son heure; se con-
tente de dicter un quart-d'heure, et d'expliquer un autre
quart-d'heure , puis se retire.
Le sieur de la Verdure n'étant plus en état de travailler,
le sieur Delcourt se trouve le seul censeur des thèses , sur
lesquelles il se donne une autorité despotique en refusant
de les signer, et les arrêtant par-là tant qu'il lui plaît,
lorsque ceux qui les soutiennent ne se trouvent pas de
son sentiment. La plupart des présidens de séminaires ,
et des professeurs en théologie des ordres religieux, et
d'autres personnes distinguées, en ont porté leurs plaintes
LETTRES DIVERSES. •Jfo3
à M. l'ëvéque d'Arras par une requête en forme, signée
d'eux. On joint ici une copie de cette requête et du mé-
moire qui y étoit joint.
On informera nosseigneurs les commissaires , dans un
me'moire séparé de celui-ci , des plaintes particulières qui
regardent le sieur Amand, qui a cru être en droit de
monter sans concours et sans examen à une chaire de
théologie, contre le droit et Tusage de cette Université.
Il suffit quant à présent que nosseigneurs les commissaires
soient informés de deux choses.
Premièrement, que sans parler du défaut de talens
extérieurs dans le sieur Amand, sa seule incapacité le
rend absolument inhabile à l'emploi qu'il occupe , et en-
core plus à celui auquel il a cru être en droit de s'élever :
c'est un fait aisé à vérifier , en faisant examiner ledit sieur
Amand par des théologiens, qu'il plaira à nosdits sei-
gneurs de nommer à cet effet.
Secondement^ qu'à la mort du feu sieur Estier, doc-
teur de Sorbonne , et professeur en théologie , homme de
mérite , les proviseurs de l'Université supplièrent Sa Ma-
jesté de vouloir rétablir le concours , pour conférer aux
plus dignes les chaires des professeurs , conformément à
l'ancien usage de ladite Université, et à l'arrêt du con-
seil du 3o avril 1681. Le sieur Armand, professeur du
catéchisme, contre cet usage et la teneur de cet arrêt,
a prétendu monter de plein droit à la quatrième chaire
de théologie , et s'en est fait pourvoir , laissant sa chaire
de catéchisme au concours. Les proviseurs de l'Université
qui virent un brevet de Sa Majesté en faveur dudit sieur
Amand, n'eurent d'autre parti à prendre que celui de s*y
soumettre par provision, sauf à eux de se pourvoir par-de-
vant les commissaires qu'ils demandoienl au Roi pour con-
noître spécialement de cette affaire , et ont mis la chaire
du sieur Amand au concours. Le jour indiqué pour l'ou-
verture de ce concours, cinq des concourans présentèrent
une requête au recteur et aux proviseurs de l'Université ,
■^04 LETTRES DIVERSES.
tendante à récuser pour juge le sieur Delcourt , pour les
raisons reprises dans ladite requête. Les proviseurs ont
fait part de celte requête à M. de Bagnols, intendant de
Flandre j et le sieur de Bagnols Ta renvoyée auxdits pro-
viseurs pour en connoître. Us l'ont communiquée au sieur
Delcourt , ont déclaré les causes de récusation recevables ,
et en conséquence ont nommé un autre docteur en sa
place ; et attendu les infirmités du sieur de la Verdure et
du sieur de Cerf, ils ont encore nommé deux autres doc-
teurs pour remplir leurs places, ainsi qu'il se peut voir
par la sentence jointe à ce Mémoire- Le sieur Delcourt a
voulu se pourvoir contre cette sentence au parlement de
Tournai : mais ce tribunal s'est abstenu de juger, a déclaré
son incompétence, et a renvoyé les parties par-devant
Sa Majesté; ordonnant cependant que le concours, dont
il avoit d'abord suspendu la suite , se continueroit : et de
fait le concours s'est continué en public avec les solennités
ordinaires , et se continue encore actuellement par-devant
les docteurs, juges délégués à cet effet par lesdits provi-
seurs, tant à cause de leur droit d'y pourvoir au défaut
des autres, qu'en conséquence du renvoi de M. l'inten-
dant, et de l'arrêt du parlement de Tournai.
Il est évident , par l'état où se trouve cette Faculté ,
qu'elle périt et se détruit entièrement par le mépris dans
lequel l'a fait tomber le peu de mérite des personnes qui
la remplissent. Le concours qui est ouvert donnera lieu
d'y mettre d'excellens sujets qui s'y présentent, non-
seulement pour remplir la chaire vacante par le décès du
sieur Estier, mais pour donner des coadjuteurs à ceux des
professeurs que leurs infirmités ou leur grand âge mettent
hors d'état de professer absolument, ou de le faire avec
l'assiduité nécessaire , ainsi qu'il s'est pratiqué en pareil
cas dans cette même Université.
LES FACULTÉS DES DROITS.
Les deux Facultés de droit canon et civil sont les moins
endommagées :
I.ETTRES DIVERSES. 7o3
endommagées : les ordonnances du Roi pour les études du
droit dans son royaume, s'y exécutent exactement. Les
chaires des professeurs ne s*y confèrent que jDar le con-
cours : on ne laisse pas cependant , contre le sentiment de
quelques-uns des professeurs, de recevoir de temps en
temps aux degrés des écoliers qui n'ont pas toutes les
qualités qu'exige l'édit du Roi de 1679; et c'est le seul
abus à réformer.
LA FACULTÉ DE MEDECINE.
Cette Faculté est presque entièrement tombée, sans
qu'on puisse accuser les professeurs de sa chute. Après
avoir été pi)uvus de leurs chaires par le concours, ils
trouvèrent la discipline des écqles en mauvais état ; les
leçons étoient négligées, les quatre thèses que les écoliers
dévoient faire pour parvenir au degré de licence, étoient
réduites à deux, et on passoit facilement sans que les
examens fussent fort rigoureux.
Les professeurs modernes travaillèrent à remédier à ces
maux : ils se rendirent assidus à leurs leçons , obligèrent
les écoliers à les fréquenter , choisirent les matières les
plus utiles et les plus curieuses, établirent un théâtre
anatomique et un jardin des simples, obligèrent les éco-
liers aux quatre thèses et à deux examens, et se tinrent
fermes à refuser les degrés à ceux qu'ils en jugeroient in-
dignes.
Cette exactitude , bien loin de repeupler les écoles , les
a rendues presque désertes. Les écohers ] pour éviter une
rigueur qui leur paroi t dure , mais qui cependant est né-
cessaire, vont à quelque Université peu fameuse en
France, où dès le jour même de leur arrivée , et, s'ils le
veulent, sans sortir de l'hôtellerie, ils obtiennent des
lettres de licencié et de docteur en médecine , en vertu
desquelles ils viennent exercer la médecine dans les pays
conquis. Il y va de la santé et de la vie des hommes de
remédier à cet abus, dans lequel on supplie nosseigneurs
BossuET. XLir. 4'^
706 LETTRES DIVEUSES.
les commissaires de vouloir entrer. On pourra lorsqu'ils en
auront pris une parfaite connoissance , leur suggérer quel-
ques moyens, auxquels on a pensé, pour remédier à cet
inconvénient.
LA FACULTÉ DES ARTS.
Il seroit à souhaiter que les honoraires des professeurs
des langues grecque et hébraïque , et de l'histoire, pussent
leur fournir une honnête subsistance. Ces places si néces-
saires dans une Université, deviendroient plus utiles à celle
de Douai : mais ces trois professeurs n'ont actuellement
que cent florins d'appointement , encore n'en sont-ils pas
payés : on n'ose pour cette raison se plaindre *de la négli-
gence de quelques-uns d'eux.
LES COLLÈGES.
Le collège du Roi est le premier et le plus ancien col-
lège de l'Université : c'est une maison de fondation
royale , située sur les ruines de l'ancien château de Douai.
Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas, en fit
don à l'Université, au nom du Roi catholique son fonda-
teur. Ce collège est le plus pauvre de l'Université : il ne
laisse pas néanmoins de se soutenir par le soin que quel-
ques particuliers en ont pris. On y a rétabli les humanités^
qui avoient été interrompues plus de trente années : mais
si on pouvoit 'y mettre le nombre de professeurs néces-
saires, ces humanités fleuriroient parfaitement, et fe-
roient une émulation utile aux belles-lettres. La ville de
Douai demande qu'on ne laisse pas tomber ces humanités ,
à cause des secours qu'elle en tirej et il y va constamment
du bien public de les soutenir : il ne sera pas difficile d'en
trouver les moyens.
LES SÉMINAIRES.
On ne reconnoît plus le séminaire du Roi depuis la mort
du sieur d'Espalunghe, docteur deSorbonne , qui en étoit
LETTRES DIVERSES. 'JO'j
président : il est absolument déchu depuis que le sieur
Delcourt lui a succède'. Ce pre'sident est presque toujours
absent de son séminaire j et lorsqu'il y est, il s'y applique
très-peu: de là vient le désordre dans l'économie du tem-
porel , et dans la discipline des mœurs : aussi le nombre
d'ecclésiastiques dont le séminaire étoit autrefois rempli,
est-il très-considérablement diminué. Depuis huit ans que
le sieur Delcourt est président , il n'a rendu aucuns
comptes. Le sieur de la Verdure , proviseur de ce sémi-
naire , n'est pas à la vérité en état de les entendre, mais
il est facile de commettre quelqu'un qui les entende à son
défaut , et cela est absolument nécessaire.
Le séminaire de la Motte avoit été employé à usage de
casernes , contre le consentement de l'Université : on veut
encore le destiner à usage de manufacture. L'Université
fait tous ses eftbrts pour l'empêcher, parce qu'elle voit
avec peine perdre un de ses plus beaux séminaires , et
dans lequel on peut entretenir sans peine vingt boursiers
et un président. La contestation entre l'Université et
l'entrepreneur de la nouvelle manufacture, étoit par-de-
vant M. zimelot, conseiller d'état, avant la nomination
des commissaires j et si cette affaire, qui regarde l'Univer-
sité, revenoit à leur bureau, ils pourroient la juger avec
toutes les autres.
LES FONDATIONS.
Il y a grand nombre de bourses annexées à des collèges
particuliers^ on ne sait par qui elles sont remplies, ni si on
en acquitte les charges. Il y a peu d'Université qui ait
plus de fondations pieuses que celle de Douai , et il y en
a peu où elles soient plus mal exécutées : elles ont besoin
d'un sérieux examen.
LA DISCIPLINE.
Il résulte des désordres ci- dessus, que les écoliers se
dérangent .-leur temps se perd, leur études souffrent,
i
no8 LETTRES tHVERSES.
leurs mœurs se dérèglent^ et il est diflicile de retenir des
jeunes gens en particulier , quand ils ne sont pas retenus
dans les coUëgcs et dans les séminaires. Il s'ensuit de là que
la juridiction de l'Université' reçoit de rudes atteintes, et
que les autres juridictions voisines s'en prévalent à son
préjudice j et qu'empiétant sur son autorité , les suppôts
de l'Université la méprisent, et s'écartent de l'obéissance
qu'ils doivent , et deviennent quelquefois incorrigibles.
LE TEMPOREL.
Si rûniv^rsité jouissoit de ses revenus, son temporel
Lien réglé aideroit à la soutenir : mais elle n'en est pas
payée; et elle a encore besoin de l'autorité du Roi pour
recouvrer la subsistance nécessaire à ses professeurs , qui
n'ont rien touclié de leurs gages depuis liuit ans.
CONCLUSION.
Pour connoître à fond et plus en détail tous ces maux^
et y apporter les remèdes nécessaires, il seroit à sou-
haiter que nosseigneurs les commissaires pussent en
prendre t:onnoissance par eux-mémès , ou que du moins
quelqu'un d'eux put venir sur les lieux faire la visite de
cette Université. Mais comme il n'est pas à présumer que
des personnes de la dignité de nosdits seigneurs , et aussi
employées qu'elles sont auprès du Roi, puissent se trans-
porter à Douai ; ladite Université demande avant tout
comme une chose essentiellement nécessaire , qu'il plaise
à nosseigneurs les commissaires de déléguer sur les lieux
une ou plusieurs personnes , que leur dignité , leur carac-
tère et leur mérite puissent tendre dignes de leur con-
fiance; auxquelles on donne pouvoir conjointement ou
séparément de faire les visites _, d'examiner les fonda-
tions, faire rendre les comptes, recevoir les plaintes, et
généralement prendre connoissance du tout; pour leurs
procès-verbaux être renvoyés à nosdits seigneurs, çt être
par eux ordonné ce que de raison.
CÉTTRES DIVERS Eir» 709
LETTRE XLIV. '
DE M. DE FLEURY, ÉVÊQUE DE FRÉJUS (*).
Sur riuslruction de Bossuet, contre Richard Simon.
Le sieur Anisson , Monseigneur , m'a retardé
long-temps le plaisir de lire votre dernier livre ; car
je ne l'ai reçu que depuis deux jours, et je n'ai pu
le quitter sans Tachever. Vous êtes en vérité le dé-
fenseur de l'Eglise ; et je crois qu'on dira de vous
comme de saint Jacques, que les hérétiques n'ose-
iont paroître à découvert tant que vous vivrez. II
n'y a quà souhaiter que ce soit bien long-temps;
puisque vous ne perdez non-seulement rien de votre
force et de votre vivacité; mais qu'il semble au
contraire que Dieu vous la renouvelle. Vous faites
Lien paroître ce misérable Simon, tel qu'il est; et
avec tout son orgueil et sa présomption , je
doute qu'il ose reparoître. Votre livre te terrasse,
et le fait voir, aussi bien que ses approbateurs
et protecteurs, infiniment méprisable. Vous ne dites
qu'un mot de ces derniers ; mais il y en a assez
pour les faire rougir de honte. Vous serez peut-
être cause, quoique sans le vouloir, que ce mal-
heureux Socinien caché lèvera le masque ; car
quel crédit peut-il avoir présentement parmi les
catholiques? Vos instructions, Monseigneur, ont
(*) André-Hercule de Fleurjr, depuis précepteur de Louis XV,
cardinal, et premier ministre.
710 LETTRES DIVERSES.
cela de bon, qu'outre Tutilité, elles attachent et
font plaisir. Je ne serois pas étonné qu'elles fissent
cet effet. sur moi, par la prévention que fai pour
tout ce qui vient de vous; mais j'apprends qu'elles
ont fait la même impression sur tout le monde.
Quand vous ferez quelque nouvel ouvrage , je don-
nerai des ordres pour l'avoir plus promptement, et
je prendrai la liberté de vous donner une autre
adresse. On m'avoit alarmé sur votre santé, et sur
quelque menace d'un mal bien fâcheux; mais j'es-
père qu'elle n'est point fondée. Vous savez, Mon-
seigneur, à quel point je m'y intéresse, et le res-
pectueux et inviolable attachement que je conser-
verai toute ma vie pour vous,
AFrcjus, ce 3o mai 1703.
LETTRE XLV. ,
DE M. DE BISSY, ÉVÊQUE DE TOUL (*).
Sur un mandement qu'il avoit donné contre l'usure.
Je suis ravi d'apprendre , par la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire , que vous ap-
prouvez mon mandement sur l'usure. Puisque vous
me témoignez désirer d'en savoir les suites , je vous
envoie la défense que la cour de Lorraine a fait de
le publier, et en même temps je vous demande
votre avis , comme au Père des évêques de France ,
C*) Henri de Thiard de Bissy , qui succéda Tannée suivante à Bos-
suet dans le siège de Meau3(.
LETTRES DIVERSES. nu
pour savoir ce que je dois faire pour une matière de
cette importance. En ai-je assez fait en envoyant
mon mandement à tous mes doyens ruraux et aux
chefs des communautés, pour m'opposer, autant
que je le dois , au^ erreurs contenues dans le libelle
que j'ai condamné ? ou dois- je encore faire davan-
tage , après la défense du Souverain de publier mon
ordonnance ? et en ce cas-là , que dois-je faire ? Il
ne s'agit pas ici d'un point de discipline ou de juri-
diction ; mais d'une matière de foi , de doctrine et de
mœurs. C'est un usage commun en Lorraine , de
prêter sur de simples obligations, et d'en tirer du
profit. Je suivrai vos avis, Monseigneur, sachant
qu'ils sont pleins de lumière et de sagesse. Je prie
Dieu de tout mon cœur qu'il vous rende une santé
parfaite. Je suis avec tout l'attachement et le respect
possible, etc.
AToul, ce 1 novembre iroS.
«««/%'«/«/%'*-«^>»/«/%-«/«.'«-«/*>^^
LETTRE XLVI.
DE M. PUSSYRAN (*).
Il menace Bossuet d'écrire contre lui, s'il ne se déclare pas
ouvertement contre le Silence respectueux.
On a appris que votre Grandeur travailloit contre
le Silence respectueux. On en seroit édifié, si on
(*) Nous n'avons pu rien découvrir sur ce M. Pussyran. Sa lettre,
qui est sans date, paroît avoir été écrite en 1703, à l'occasion du
fameux Cas de conscience. Le Censeur de l'édition de dom Déforis
dissuadoit ce religieux de l'imprimer j celui-ci n'y voulut point
■^12 LETTRES DIVERSES.
n'avoit su depuis, que vous supposez dans cet ou-
vrage que l'Eglise n'est pas infaillible sur les faits
doctrinaux, et que vous n'exigez des fidèles qu'un
simple pre'jugé en faveur des décisions de l'Eglise. Si
vous prévariquez jusqu'à ce point , vous devez vous
attendre que les docteurs catholiques fondront sur
vous; et qu'en vous relevant sur cet article, ils ne
vous épargneront pas sur les autres fautes de vos ou-
vrages. J'en ai en mon particulier un recueil assez
ample pour vous donner du chagrin le reste de votre
vie, dût-elle être bien plus longue qu'on n'a lieu de
l'espérer. Eh ! Monseigneur , si vous voulez avoir
l'honneur de défendre l'Eglise, défendez-la sans la
trahir; et ne contirmez pas le juste soupçon qu'on
a eu que vous ne faisiez pas, à l'égard des nou-
velles hérésies , ce qu'on devoit attendre d'un prélat
de votre distinction. Il faut même que je vous avoue
qu'il y a déjà sur votre chapitre un petit volume
tout prêt, sous ce titre : Rétractation de messire
Bénigne Bossuet j, évêque de Meaux. H est plein
d'onction , et de vérité; l'auteur écrit d'une manière
à se faire lire. Vous ne pouvez vous épargner cette
consentir. Mais il se^arda bien, en la publiant, de dire que Tauleur
ëtoit mal informé des sentimens de Bossuet sur ce qui fait le sujet
de sa lettre. G'étoit alors, en effet, que l'évéque de Meaux compo-
soit, swv V auto rite des Jugemens ecclésiastiques, un ouvrage, dont
le but étoit de montrer « par des faits constans, des actes autben-
» tiques et des exemples certains, le droit perpétuel de TEglise,
» et qu'elle a toujours exercé, d'exiger des fidèles leur consente -
» ment et leur approbation expresse à ses jugemens, avec une per-
1i suasion entière et absolue dans F intérieur ». On peut voir ce qui
reste de cet écrit de Bossuel, ci-dessus, tom. xxxvii , pag. 166 et
5uiv. {^Edit, de f^ers.^
LETTRES DIVERSES- ^l3
critique publique, qu'en vous déclarant sans me'na-
gement contre les fauteurs du Silence respectueux.
Au reste, monseigneur, quand vous expliquerez la
grâce efficace par elle-même, appliquez-vous bien à
la distinguer de celle de Calvin , premier auteur de
cette expression. Je suis, etc.
J. B. P USSYRAN, D.
FIN DU TOME QUARANTE-DEUXIEME.
TABLE
DU TOME QUARANTE-DEUXIÈME.
LETTRES SUR L'AFFAIRE DU QUIÉTISME.
Lettre CCCLXI. De Bossuet à son neveu. Sur sa Réponse à M. de
Cambrai j la censure des docteurs; une bulle de Jean XXIIj les
précautions à prendre, et les aveux de Fénélon. Page 3
CCCLXII. De M. de lYoailles, archevêque de Paris, à V abbé Bos-
suet. Sur les notes que le prélat lui avoit envoyées 5 les défiances
que cet abbé déçoit avoir; et le soin qu'on auroit en France
d'appuyer ses efforts. 7
CCCLXIII. De V abbé Bossuet à son oncle. Sur la Réponse de Bossuet
à M. de Cambrai; ce qui avoit empêché de parler de l'affaire
dans la dernière congrégation des cardinaux ; et les retards af-
fectés du sacriste. 8
CCCLXIV. De Bossuet à son neveu. Sur deux lettres du cardinal
Spada que le nonce avoit communiquées au Roi ; les vues qu'il
devoit présenter à ce cardinal sur la décision qu'il promettoit ;
et le danger des ménagemens dont on vouloit user. i3
CCCLXV. De l'abbé Bossuet à son oncle. Sur deux entretiens qu'il
avoit eus avec le Pape ; le mécontentement du saint Père à l'é-
gard de M. de Cambrai ; le refus qu'il avoit fait de lui accorder
les délais qu'il demandoit; et les dispositions des cardinaux. 19
CCCLXVI. De Bossuet à son neveu. Sur une réponse qu'il désiroit
faire à deux lettres de M. de Cambrai ; et sur quelques endroits
de ses ouvrages , pour aider à une exposition doctrinale qu'on
médiloit à Rome. 27
CCCLXVII. Du P. Mauduit, de V Oratoire , à Bossuet. Il lui
adresse un ouvrage qu'il avoit composé contre les erreurs des
Quiétisles. 28
CCCLXVIII. De Bossuet à son neveu. Sur la Censure des soixante ,
et celui qui l'a dressée ; et sur les bonnes dispositions du Roi
et de M. le nonce. 3o
CCCLXIX. De l'abbé Phelippeaux à Bossuet. Sur les Remarques du
prélat; les nouvelles leltres de M. de Cambrai; le refus que le
T.\BLE. ^l5
Pape avoit fait de lui accorder un délai; les congrégations des
cardinaux; et la Censure des docteurs de Paris. Page '6i
CCCLXX. De Vahhé Bossuet à son onclç. Sur les impressions défa-
vorables qu'on avoit voulu donner à Piome de la Censure des
soixante docteurs; les avantages de cette Censure; l'inutilité des
efforts de M. de Cambrai pour obtenir des Universités étrangères
quelques témoignages en sa faveur; sur les assemblées des cardi-
naux, et la forme dans laquelle ils dévoient procéder. 34
CCCLXXI. De Vahhé de Gondi à Pab'é Bossuet. Sur la traduction
italienne de la Btlation sur le Quiétisine,- et les dispositions du
grand duc pour seconder à Rome les évéques de France dans
cette affaire. 44
CCCLXXII. De Bossuet à son neveu. Sur les raisons qui empé-
choient l'impression de la viTsion italienne de ses Remarques ;
les interrogatoires que subissoit madame Gujon ; et sur un mé-
moire qu'il lui avoit envoyé. 4^
CCCLXXIII. De M. de JYoailleSj archeuéque de Paris, à Vabbé
Bossuet. II lui annonce le départ prochain de M. de Monaco, et
lai demande d'instruire exactement les prélats de ce qui se pas-
sera. 4^
CCCLXXI V. Du P. Brian, religieux Carme, à Bossuet. Sur des
remarques qu'il avoit faites pour le prélat, et une réfutation suivie
du livre de M. de Cambrai, qu'il avoit composée. 49
CCCLXXV. De Vabhë Phelippeaux à Bossuet. Sur Teffet que pro-
duisoit à Rome la Censure des docteurs de Paris; une réponse de
M de Cambrai aux Remarques , et le caractère des examinateurs
qui s'étoient déclarés pour lui. 5i
CCCLXXVI. De Vahbé Bossuet à son oncle. Sur rétonnanle célé-
rité avec laquelle M. de Cambrai venoit de publier sa Réponse
aux Remarques de M. de Meaux; la nécessité de le réfuter;
Fétat de l'affaire; et la manière dont les cardinaux avoient parlé
dans les congrégations qui s'étoient tenues. 54
CCCLXXVII. De Bossuet à son neveu. Il lui témoigne la satisfac-
tion qu'il avoit de sa conduite ; lui demande les actes du pro-
cès de ISloIinos; et lui donne quelques avis. 64
CCCLXXVIII. De M. de JSfoailles, archevêque de Paris , à Vabbé
Bossuet. Sur les lenteurs de la Cour de Rome; la Censure des
docteurs de Paris, et les dispositions du nouvel ambassadeur. QQ
CCCLXXIX. De Vabbé Bossuet à son oncle. Sur la reconnoissance
qu'il avoit témoignée envers le nonce , le désir qu'il avoit que
ce prélat en fui instruit ; ses soins pour le succès de l'affaire; les
7l6 'TABLE,
discours des cardinaux dans les congrégations ; et Tabjuration
d'un Augustin, convaincu de Quiétisme. -P^r^c 6S
CCGLXXX. Du marquis d* H arcourt f ambassadeur en Espagne y à
Bossuet. Il loue les écrits et le zèle de Bossuet contre le Quié-
tisme , et le rassure touchant les Universités d'Espagne , qu'on
disoit être favorables à M. de Cambrai. n6
CCCLXXXI. De Bossuet à M. de la Broue. Il l'instruit de l'état
de Taffaire de M. de Cambrai, et lui apprend le succès qu'avoit
eu sa Réponse à ce prélat. ^7
CCCLXXXII. De Bossuet à son nei^eu. Sur les précautions que
l'on prenoit pour empêcher les effets de la mauvaise volonté du
cardinal de Bouillon j le plan d'un ouvrage sur l'Oraison , qu'il
vouloit donner après la conclusion de l'affaire j la Censure des
docteurs de Paris 5 et sur les reproches qu'on lui faisoit d'avoir
traité M. de Cambrai avec aigreur. 78
CCCLXXXIII. De M. de Noailles, archevêque de Paris, à Vabhë
Bossuet. Sur le bon effet de l'avis des docteurs j et les craintes
que le prélat avoit du retardement. Sa
CCCLXXXI V. De Vahhé Bossuet à son oncle. Sur ce qui s'éloit
passé dans les précédentes congrégations des cardinaux^ les ma-
nœuvres du cardinal de Bouillon j les ordres que la Cour avoit
donnés à ce cardinal, pour empêcher qu'on ne glissât rien dans
la Bulle de contraire à nos maximes j et l'audience que le Pape
avoii donnée à cet abbé. 84
CCCLXXXV- De Bossuet à son neveu. Sur le jugement qu'on por-
toit de la dernière Réponse de M. de Cambrai , et sa disposition
à cet égard 5 l'opposition de M. de Paris à de nouveaux écrits j
et sur les faits qu'on apprenoit par les interrogatoires de ma-
dame Guyon. 98
CCCLXXXVI. De M. de Nouilles, archevêque de Paris, à l'abbé
Bossuet. Sur les espérances que lui donnoit cet abbé d'un prorapt
succès ; le départ prochain de M. de Monaco ; et le dernier
écrit de M. de Cambrai. 100
CCCLXXXVII. De l'abbé Bossuet à son oncle. Sur les ordres don-
nés par le Pape pour accélérer j les manœuvres du cardinal de
Bouillon pour alongerj et la manière dont s'étoient passées le»
dernières congrégations. 101
CCCLXXXVIII. Du P. Laienai à Bossuet. Il loue les soins de
l'abbé Bossuet, et le zèle du prélat pour procurer le triomphe
de la vérité. 118
CCCLXXXIX. De Bossuet à son neveu. Sur le compte que M. de
TABlt:, 717
Paris devoit rendre au Roi des manœuvres-^du cardinal de Bouil-
lon j sur une conversation qu'il avoit eue avec le prince de Mo-
naco, et sur une clause qu'il falloit éviter dans la bulle. Page 1 19
CCCXC. De M. de NoailleSf archei'éque de Paris, à Vahhé Bossuet.
Sur les obstacles apportés à la conclusion 5 le compte qu'il en
avoit rendu au Roij et la liberté avec laquelle la Censure des
docteurs avoit été signée. 122
CCCXCI. De Pabhé Bossuet à son oncle. Sur ks retards de TafFairej
les dernières congrégations 5 la conversation que cet abbé avoit
eue avec les cardinaux Oltoboni et Albani ^ Faudience qu'il
avoit eue du Papej et sur une thèse de Louvain, relative au
Quiétisme. 124
CCCXCII. De Louis XIV à Innocent XII. Il se plaint des retards
qu'on apportoit dans la décision de cette affaire, et presse le
Pape de donner son jugement. i35
CCCXCIII. De Bossuet à son neveu. Sur les nouvelles instances du
Roi. i36
CCCXGIV. De Bossuet à son neveu. Sur des lettres que le Roi
avoit écrites pour contenir le cardinal de Bouillon. llid.
CCCXCV. De Vahhé Bossuet à son oncle. Sur le nouvel ambassa-
deur, et les difficultés qu'il auroit à surmonter j la dernière Ré-
ponse de M. de Cambrai, Tordre donné par le Pape pour dou-
bler les congrégations ^ les dispositions des cardinaux 5 les
longueurs qui éloient à appréhender. i38
CCCXCVI. De Bossuet à son neveu. Sur une thèse soutenue à Douai
par les Carmes déchaussés en faveur des Maximes de M. de
Cambrai 5 sur un nouveau livre que préparoit M. de Cambrai ;^et
sur la manière d'entendre les mystiques. l49
CCCXCVII. De rahbé Phelippeaux à Bossuet, Sur les derniers écrits
de M. de Cambrai. i53
CCCXCVIII. De Vahhé Bossuet à son oncle. Sur les effets que pro-
duisoit la lettre du Roi au cardinal de Bouillon , les discours de
ce cardinal dans les congrégations ; les causes de l'embarras du
Pape; le zèle du cardinal Casanate; ses dispositions à l'égard de
la France ; l'impression que la lettre du Roi avoit faite sur le Pape j
et les matières discutées dans les dernières congrégations. 1 57
CCCXCIX. De Vahhé Bossuet à son oncle. Sur l'état actuel de l'af-
faire; la manière dont le cardinal de Bouillon pourroit justifier
sa conduite auprès du Roi; et les trois points sur lesquels les
partisans de M. de Cambrai auroient voulu faire condamner Bos-
suet» 171
^l8 TABLE.
CCCC. De Bossuet à son neveu. Sur diRercns faits rapportés dans
les lettres de Roaie j et les nouveaux écrits de M. de Cambrai.
Page 175
CCCCI. De M. de Noailles , archei'êcjue de Paris ^ à Vahhé Bossuet.
Sur les difierens motifs qui dévoient porter Rome à terminer
FalFaire. 178
CCCCII. De Vubbé Bossuet à son oncle. Sur les o^jets que Ton avoit
traités dans la dernière congrégation, et ceux dont on devoit
s'occuper dans la suivante. 17^
CCCCIII. De Vahbë Bossuet à son oncle. Sur ce qui s'étoit passé
dans les dernières congrégations} un ordre du Pape pour obliger
les cardinaux à donner leurs qualifications j les derniers écrits
de M. de Cambrai j et sur une audience que cet abbé avoit
eue du Pape. 181
CCCCIV. De tahhé Bossuet à son oncle. Sur la manière dont il
parle à M. de Paris de certains points j le zèle de la princesse
dcsUrsins pour la bonne cause, et les dispositions dé la Cour de
Rome ei de celles d'Italie sur la succession de l'Espagne. 191
CCCCV. De Bossuet à son neveu. Sur le mécontentement que le
Roi avo't des retardemens; la conduite du cardinal de Bouillon j
une Réponse à M. de Cambrai qu'il avoit faite pour M. de Char-
tres ; les raisons qui le portent à ne laisser rien sans réplique }
et sur les nouveaux écrits de M. de Cambrai. 192
CCCGVI. De MM. Tiherge et de Bdsucier à Bossuet. Sur une pro-
position qui leur étoit attribuée par le cardinal de Bouillon. 19G
CCCC VII. De M. de JVoailleSj archevêque de Paris , à L'abbé Bos-
suet. Sur l'augmentation des congrégations ; un écrit secret de
M. de Cambrai, et la sage conduite des examinateurs contraires
au livre. 197
CCCCVIII. De V abbé Bossuet à son oncle. Sur ce qui s'étoit passé
dans lés congrégations, et la manière dont chaque cardinal avoit
parlé. 109
CGCCIX. De Bossuet à son neveu. Sur la peine qu'il a de voir le
cardinal de Bouillou engagé dans une si mauvaise cause j et sur
le mécontentement que le Roi avoit de sa conduite. 207
CCCCX De M. de Noailles , archevêque de Paris, à l'abbé Bos-
suet. Sur les motifs qu'on avot d'espérer plus de célérité, et sur
le peu de cas qu'on devoit faire de l'avis- des examinateurs fa-
vorables au livre. 208
CCCGXÏ. De Bossuet à son neveu. Sur un entretien du prélat tou-
TABLE. 719
chant le cardinal de Bouillon; quelques écrits contre M. de Cam-
brai , et les motifs qui les faisoient publier. Page 209
CCCCXII. De Vabbd JSossuet à son oncle. Sur ce qui s'étoit passé
dans les dernières congrégations; la conduite et les dispositions
des différens cardinaux; une lettre de M. de Cambrai au Papej
et les inconvéniens d'une clause qu'on vovdoit insérer dans le dé-
cret. 212
CCCCXIII.j De Bossuet à son nei^en. Sur la nécessité de répondre
aux nouveaux écrits de M. de Cambrai; qu'il faut éviter de com-
promettre le nonce, et communiquer avec précaution les nou-
velles signatures des docteurs dé Paris. 220
MÉMOIRE sur la Récrimination. aa-a
CCCCXIV. De Bossuet à son neveu. Sur la mort de son père,. frère
du prélat. 224
CCCCXV. De M. de Nouilles, archet^éque de Paris, à Vahh^ Bos-
suet. Sur la mort de son père. 226
CCCCXYI. De Vahhë Bossuet â son oncle. Sur les difficultés qu on
avoit eues à surmonter dans cette affaire ; les obligations qu'on
avoit au Roi; l'état des congrégations; et une scéue qui s'étoit
passée entre le cardinal de Bouillon et le cardinal Pancialici. 227
CCCGXYII. De Bossuet à son nei^eu. Sur la mort de son père; les
lettres de M. de Cambrai au nonce , et la réponse qu'il devoit faire
à la Censure des docteurs; ditféiens faits touchant la Lettre du
Théologien àe M. de Chartres; et sur deux libelles, Pun contre
M. de Noailles , l'autre contre l'édition de saint Augustin. 287
CCCCXTIII. De Vabhë Bossuet à son oncle. Sur les discours des
partisans de M. de Cambrai à l'égad de la Censure des soixante
docteurs ; la manière dont le cardinal Casanate devoit présenter
dans son vœu le plan de la bulle ; et les causes de Pembarras
qu'on pouvoit trouver dans la rédaction. 24*
CCCCXIX De Bossuet à son neveu. Sur les dispositions du prince
de Monaco; la manière dont le Roi lui avoit parlé touchant l'af-
faii:e de M. de Cambrai; et sur le projet d'une rétractation de
Fénélon , négociée par le cardinal de Bouillon. 249
CCCCXX. De M. de Nouilles, archevêque de Paris, à VabbéBos-
suet. Sur l'espérance d'une prochaine conclusion; la lettre de
M. de Cambrai au Pape; la Censure des docteurs de Sorbonne,
et le mécontentement qu'en témoignoit M. de Cambrai. 253
CCCCXXI. De r abbé Bossuet à son oncle. Sur l'inutilité des nou-
velles tentatives du cardinal de Bouillon pour sauver M. de Cam-»
brai} le résultat des dernières congrégations ; la manière dont
720 TAULE.
les qualifications pourroient être prononcée» dans la bulle 5 et
sur une audience que cet abbé avoit eue du Pape. Page 255
CCCCXXIJ De Bossuet à son neveu. Sur quatre propositions pré-
sentées par M. de Cambrai à l'Université de Louvaiu j et sur deux
nouvelles lettres de ce prélat. 26»
CCCCXXIII. De Bossuet à M. de la Broue. Sur la mort de son
frère j l'état de FatTairej et les dernières lettres de M. de Cam-
brai. 268
CGCCXXIV. "Du cardinal de Bouillon à Bossuet. Sur la mort de
son frère. 269
CCCCXXV. De Vahbd Bossuet à son oncle. Sur la grande perle que
cet abbé avoit faite par la mort de son père 5 le résultat de la
dernière congrégation j et trois autres congrégations tenues de-
vant le Pape. 2^/0
CCCCXXVI. De Vabhé Phelippeaux à Bossuet. Sur la perte que le
prélat venoit de faire par la mort de son frère j et sur l'état de
l'affaire. 281
CCCCXXVII. De Vabhé Bossuet à son oncle. Sur les congrégations
tenues devant le Pape ; les efforts du cardinal de Bouillon pour
porter les cardinaux à épargner M. de Cambrai j lès mesures prises
par l'abbé Bossuet pour engager le Pape à unir le cardinal Casa-
nate aux cardinaux rédacteurs de la bulle. 284
CCCCXXVIII. De Bossuet à son neveu. Sur les différens écrits de
M. de Cambrai publiés nouvellement j une réponse qu'il y avoit
faite; et sur les dispositions du cardinal Casanate. agi
CCCCXXIX. De M. de Nouilles^ archevêque de Paris, à Vabhe!
Bossuet. Sur les longueurs que Ton pouvoit apporter à la con-
clusion de l'affaire; et la conduite du cardinal de Bouillon. 294
ÇCGCXXX. De Vabhé Bossuet à son oncle. Sur Tobjet d'une nou-
velle congrégation; la manière dont on présumoit que le décret
seroit tourné ; ec le mécontentement des cardinaux touchant
l'exclusion du cardinal Casanate. agS
CCCCXXXI. De Vahbé Bossuet à son oncle. Sur les changemens
faits au décret, dans l'intervalle du temps où le cardinal Casa-
nate s'étoit trouvé exclus ; une visite que le cardinal de Bouilloa
avoit inutilement rendue à cette Emiuence pour la gagner ; et sur
une démarche peu convenable qu'on ayoit fait faire au Pape. 3o»
CCCCXXXII. De Vabhé Bossuet à son oncle. Sur Tétat de sa santé,
et une audience qu'il avoit eue du Pape. 3o5
CCCCXXXIII. De M. de Nouilles , archevêque de Paris, à Vabhé
Bossuet.
TABLE. ^21
Sossuet. Sur le déchaînement du cardinal de Bouillon ; et Tat-
teniion à empêcher les longueurs. Page Sog
CCCCXXXIV. De Bossuet à son nei^eu. Il l'exhorte à ne pas se
laisser accabler, et lui annonce une nouvelle Réponse à M. do
Cambrai. 3io
CCCCXXXV. De M. *** à Bossuet. Sur les manœuvres des parti-
sans de M. de Cambrai, et la prétendue rétractation d'un des
docteurs qui avoient signé la censure de son livre. 3i2
CCCCXXXVI. De Vabbë Bossuet à son oncle. Sur ce qui s'étoit
passé au sujet du projet des Canonsj Taudience que le saint Père
lui avoit donnée, et sur ce qu'il savoit du contenu du décret, qui
étoit soumis à l'examen des cardinaux. 3i3
CCCCXXXVII. De Vabbd Bossuet à son oncle. Sur le contenu du
bref contre le livre des Maximes, et la manière dont les choses
s'étoient passées à la conclusion. 325
CCCGXXXVIII. De Bossuet à son nei^eu. Sur le Mémoire envoyé
à Rome par le Roi contre le projet des Canons, et la suite des
opérations. 34 a
CCCCXXXIX. De Bossuet à son neueu. Sur le projet des Ca-
nons ^j les inconvéniens dans lesquels Rome tomberoit, si elle
s'arrêtoit à ce projet • et sur les motifs de confiance dans le
péril où la vérité se trouvoit. 344
CCCCXL. De M. de NoaiUcs, archevêque de Paris ^ à l'abbé Bos-
suet. Sur les inconvéûîeus du projet des Canons. 348
MÉMOIRE envoyé à Rome par le Roi , contre le projet des Canons
qu'on vouloit substituer à la condamnation du livre de M. de
Cambrai. 35 1
GCCCXLI. Du B. P. François Campioni à Bossuet. Sur les travaux
du prélat pour la défense de la foi, et le jugement du saint Siège
en faveur de sa doctrine. 353
CCCCXLII. De F abbe' Bossuet à son oncle. Sur les difficultés qu'il a
fallu surmonter pour obtenir le jugement rendu, et les circon-
stances qui l'ont accompagné et suivi. 355
CCCCXLIIL De Bossuet à son neveu. Sur le bref contre M. de
Cambrai ; le contentement du Roi, du clergé et de la ville. 3^4
CCCCXLIV. De M. de Nouilles , arche^'êque de Paris ^ à U abbé Bos-
suet. Sur l'heureuse conclusion de TafFaire. 3^6
CCCCXLV. De Vabbé Phelippeaux à Bossuet. Sur difï'érens chan-
gemens que le Pape devoit faire parmi les nonces. 377
CCCXLVÏ. De l'abbé Bossuet à son oncle. Sur la cause des adoucis-
BOSSUET. XLII. 4^
^22 TABLE,
«eraens dii bref^ les manèges du cardind de Bowiîlonj les seiili-
mens des savans de Rome sur le fond de cette affaire , et les
discours des partisans de M. de Cambrai. P^ge 5/8
CCCCX.LVII. De Bossuet d scm neveu. Sur la salisfaclion qu'on
avoit du bref contre M. de Cambrai f les avantages de ce décret;
la manière dont Fénélon avoit écrit au nonce , et avoit appris sa
condamnation; et sur la soumission mec laquelle le bref étoit
rc eu. 389
CCCGXLVÎIï. De t abbé Bossuet à M, de Noaittes , archevêque de
Paris. Sur les dernières lettres du Roi contre le projet des Ca-
nons ; la bonne eouduite du nonce pendant le cours ùe celte
«IFatrc ; et le mécontentement du Pape de n avoir pas donoé uae
bulle. 393
CCCCXLIX. De Vahlé Bossuet à son onde. Sur tin induit qu^il dé-
siroit obtenir; des remercimens qu'il eonvenoit de faire à ceux
qui avoienl servi avec zèle dans la cause; et le sujet pour lequel
le cardinal de Bouillon interrompit la lecture du bref. 399
CCCCL. De Fénélon au pape Innocent XII, Il lui proteste de sa
soumission à la censure de son livre , et lui annonce qu'il j adhé«
rera sans restriction, par un Mandement qu'il publiera aussitôt
qu'il aura Tagrémenl du Roi. 4^2
CCCCLI. Du même à M. îévêque d*Arras. Il lui annonce sa soumis-
sion absolue à la condamnation de son livre, et la publication
prochaine de son Mandement à ce sujet. 4^4
CCCCLÏI. Du même au pape Innocent XII. En lui envoyant son
Mandement, il renouvelle sa soumission entière au bref aposto-
lique, et exprime les scnttmens de son respect et de son amour
filial envers l'Eglise romaine, et envers le souverain Pontife.
4o5
tlCCCLIII. Bref d'Innocent XII à Parchevcque de Cambrai. i\o'j
CCCCLIV. De Bossuel à M. de Nouilles, archevêque de Paris. I|
lui rend compte des lettres qu'il avoit reçues ; et juge peu né-
cessaire et dangereux de demander une bulle à la place au
bref. 4o8
CCCCLV. De Bossuet au cardinal d'Aguirre. Il lui témoigne être
. fort Jaloux de son amitié, et se justifie des fausses idées qu'où
avoit voulu lui donner de sa personne- 4^ '
CCCCLVI. De Bossuet à son neveu. Sur le bref contre M. de Cam-
brai; la soumission de ce prélat; et les démarches de Bossuet
pour dissiper ses préventions contre lui. 4' *
CCCGLYII. De M. de Noailks, archevêque de Paris ^ à Vabké
TABLE. 728
Bossuet. Sur les défauts du bref, auxquels on Iravailloit à sup-
pléer. ^"8^ 4*^
CCCCLVIII. De Vabhé Bossuet à son oncle. Sur ses démêlés avec le
cardinal de Bouillon, relativement au courrier qu il avoit dépê-
ché 5 et sur le retardement de M. de Monaco. 4 '7
CCCCLIX. De Bossuet à Vahh€ Renaudot. Sur les bons offices du
nonce, et les sentimens du prélat pour M. de Cambrai. ^"ii
CCCCLX. Du R. P. Campioni à Bossuet. "Sur l'approbation que le
prélat avoit donnée à sa Dissertation de la nécessité de l'amour
de Dieu. 4^-^
CCCCLXI. De Bossuet au cardinal d'Aguirre. Sur la nécessilé de
réprimer le Quiétisme , et d'en prévenir les suites funestes. 4^4
CCCCLXII. De Bossuet à son ncweu. Sur le parti que Ton devoit
prendre à Tégard du bref, et la lettre de M. de Cambrai à
M. d'Arras. 4^5
CCCCLXIII. De Vahbé Bossuet à son oncle. Sur l'audience qu'il avoit
eue du Pape 5 la joie que ce pontife et les cardinaux avoient de
la satisfaction du Roi et des évêques ; les raisons qui pourroient
empêcher de convertir le bref en bulle j et sur les questions que
le Pape avoit faites à cet abbé touchant madame de Mainlenon.
426
CCCCLXIV. MÉMOIRE présenté au Roi le 18 avril 1699, ^^ ^^]^^ ^^^
assemblées provinciales projetées par Sa Majesté. 4^8
CCCCLXV. De Bossuet à son neveu. Sur le Mandement de M. de
Cambrai; le mécontentement du cardinal de Bouillon à Tégard de
son neveu ; et la manière dont on se proposoit d'agir en France
relativement au bref. 44 ^
CCCCLXYI. De Vahbé Bossuet à son oncle. Sur la satisfaction
qu'avoit le Pape du bon accueil qu'on avoit fait en France à son
décret; le contentement du cardinal Casanate; et le chagrin du
cardinal de Bouillon. 444
CCCCLXYII. De Bossuet à son net^eu. Sur la manière dont on
devoit procéder à Facceplation du bref contre le livre des Maxi-
mes. /\5i
CCCCLXTIII. De l'abbé Bossuet à son oncle. Sur la cause des dé-
fauts du bref j la conversation de cet abbé avec le cardinal Spada ;
l'audience quil avoit eue du Pape; les sentimens de ce pontife
pour Bossuet; la congrégation qu'il avoit indiquée relativement
au bref, et ce quW y avoit résolu. 4^^
CCCCLXIX. De Bossuet à son neveu. Sur la manière dont on
•J2^ TABLE*
devoit recevoir le bref du Pape; l'âfFaire de Sfondratê; et les dis-
positions du cardinal de Bouillon. Page 463
CGCCLXX. Du cardinal de Bouillon à Bossuet. Sur les méconten-
temens que lui avoient donnés son neveu. 4^7
CCCGLXXI. De Bossuet au marquis de Torcy. Il lui envoie sa ré-
ponse à M. le cardinal de Bouillon , pour en prendre lecture. 4^8
CCCCLXXII. De Bossuet au cardinal de Bouillon, Il justifie son
neveu sur Fenvoi de son courrier ; et lui montre Féquité de sa
conduite dans l'affaire du Quiétisme. 4^)
CCCCLXXIIÏ. De Bossuet à M. de la Broue. Sur les difficultés qu'il
trouve à la translation de son évéché à Maserettes j sur rafiaire
du Quiétisme, ei le bref du Pape. ^"ji
CCCCLXXIV. De Bossuet à son neveu. Sur les dispositions appa-
rentes du cardinal de Bouillon à Fégard de Tabbé Bossuet; la
prochaine assemblée de la province de Paris ; l'opposition de la
Cour romaine pour les livres relatifs au Quiétisme; et les services
secrets que le prélat rendoit à FEglise. 474
CGCCLXX V". De Vabbé Bossuet à son oncle. Sur la délibération
de la dernière congrégation, touchant le changement du bref en
bulle ; les deux lettres de M. de Cambrai au Pape; et les démar-
ches de Fabbé Bossuet au sujet du bref que le saint Père devoit
adresser à ce prélat. 4 76
CCCCLXXVI. Du P. Cloche, général des Dominicains^ à Bossuet.
Sur les services qu'il avoit rendus à la vérité dans l'affaire de
M. de Cambrai, et sur un écrit contre saint Augustin et saint
Thomas. 49**
CCCCLXXVII. Du P. MassouUéy Dominicain , à Bossuet. Sur les
grands avantages qu'on avoit retirés des écrits du prélat, pour
soutenir la vérité dans l'affaire de M. de Cambrai. 49 1
CCCGLXXVIII. De Bossuet à son nev>eu. Sur les assemblées pro-
vinciales, relatives à Facceptation du décret de Rome; et la né-
cessité du prochain départ de cet abbé. 49*
CCCCLXXIX. De l'abbé Bossuet à son oncle. Sur la soumission de
M. de Cambrai ; le bref qu'on devoit lui adresser ; la seconde lettre
de ce prélat au Pape; et la fidélité avec laquelle Fabbé Bossuet
avoit rapporté les faits. 494
CCCCLXXX. De Bossuet à son neifeu. Sur le jugement qu'on por-
toit à Rome de la soumission de M. <4e Cambrai; le procès-verbal
Ae Fasserablée provinciale de Paria, qu'il lui envoyoit; et sur ce
qu'on pensoit du Télémaque. 499
CCCCLXXXI. De Vabbé Bossuet a son oncle. Sur la manière de
TABLE. 7^5
procéder des évêques dans la réception du bref; le compte que
cet abbé en avoit rendu au cardinal Spada et au Pape; et ce qui
s'étoit passé à l'occasion du bref adressé à M. de Cambrai.
Page 5oi
CCCCLXXXII. De Bossuet à son neveu. Sur la lettre de M. de
Cambrai au Pape ; et la manière de procéder des évêques pour
l'acceptation du bref. 607
CCCCLXXXIII. De Vàbhë Bossuet à son oncle. Sur les procédés
violens du cardinal de Bouillon à l'égard de M. de Madot; le tu-
multe occasionné par les gens de ce cardinal, à l'entrée de l'am-
bassadeur de Florence à Bome ; et l'approbation que donnoient
les cardinaux à la conduite des évêques de France. 5ii
CCCCLXXXIV. De Bossuet à son ne^'eu. Sur le bref qu'on devoit
adresser à Fénélon; les procès-verbaux des assemblées de Rbeims
et de Cambrai; et sur la conduite que les évêques vouloient tenir
à l'égard de M. de Cambrai. Sac
CCCCLXXXV. De V abbé Bossuet à son oncle. Sur les assemblées
tenues pour la réception du décret contre M. de Cambrai ; l'afFaire
du cardinal de Bouillon avec Tambassadeiir de l'Empereur j l'en-
tretien que l'abbé Bossuet avoit eu à ce sujet avec le Pape. 522
CCCCLXXXVI. De Bossuet à son îieveu. Sur la conduite qu'avoit
tenue M. de Cambrai dans l'assemblée de sa province; et sur
sa soumission. 523
CCCCLXXXVII. De Bossuet à son ne^^eu. Sur le bref du Pape à
M. de Cambrai; et la forme d'acceptation du décret contre sou
livre. 529
CCCCLXXXVIII. De Vabbe' Bossuet à son oncle. Sur le procès-verbal
de l'assemblée provinciale de Paris ; et le mécontentement qu'a-
voit le Pape du cardinal de Bouillon. 53o
MÉMOIRE de Bossuet à Louis XIV, sur un ordre envoyé à l'abbé Bos-
suet par le cardinal de Bouillon. 534
CCCCLXXXIX. De l'abbé Bossuet à son oncle. Sur le méconten-
tement qu'on avoit à Rome des délibérations des évêques, rela-
tives au bref du Pape ; et l'entretien que l'abbé Bossuet avoit
eu à ce sujet avec le cardinal Casanate. SSq.
CCCCXC. De t abbé Phelipp eaux à Bossuet. Sur le procès-verbal de
l'assemblée provinciale de Paris ; deux écrits déférés à l'Inquisi-
tion; et l'affaire du curé de Seurre. 543
CCCCXCI. De Bossuet à son nei^eu. Il souhaite qu'on ménage l'au-
torité du saint Siège; et approuve la conduite de son neveu dans
Taffaire du cardinal de Bouillon. 5^4
"^26 TABLE.
CGCCXCII. De VabhéBossuei à son oncle. Sur le cardinal de Bouil-'
Ion et le prince de Monaco. Page 545
CCCCXCIII. De Vabbë Bossuet à son oncle. Sur les boutés que le
Pape lui avoit témoignées dans son audience de congé j et la sen-
sation que faisoil à Rome le procès -verbal de l'assemblée de
Cambrai. 54^
CCCCXCIV. De Vabbe' Bossuet à son oncle. Sur le jugement qu on
j>ortoit à Rome de la conduite de M. de Cambrai dans l'assem-
blée de sa province; et le silence politique de la Cour de Rome
à Pégard de ces assemblées. 548
CCCCXCV. De Vabhë Bossuet à son oncle. Sur les bontés que le
Grand-Duc lui avoit témoignées; l'estime et l'amitié qu'il avoit
fait paroître pour le prélat. 549
CCCCXCVI. De M. de Noailles, archevêque de Paris ^ à Vabbë
Bossuet. Il justifie la manière dont les évêques avoient accepté
le bref du Pape. 552
CCCCXCVII. Du prince de Monaco à Bossuet. Sur le désir qu'il
avoit d'obtenir pour son neveu l'induit qu'il sollicitoit, et les ex-
pressions honorables avec lesquelles le Pape avoit parlé de ce
prélat. 553
CCCCXCVni. De Bossuet à son neveu. Sur une lettre du prince de
Monaco, eX sur la duchesse de Bourgogne. 554
CCCCXCÎX. De VaJbë Bossuet à son oncle. Il lui rend compte des
honnêtetés qu'il a reçues à Bologne, et surtout à la cour de Mo-
dène. 555
D. Du P. Roslet, Minime, à Vabbë Bossuet. Sur le Mandement de
M. de Meaux; et sur le Discours de M. d'Aguesseau , et l'arrêt du
Parlement pour la réception du bref, qu'on avoit traduit, et
qu'on vouloit faire censurer. 557
DI. Du P. Latenai, Carme, à Vabbë Bossuet. Sur les dispositions
des esprits à l'égard des procès-verbaux des assemblées des évêques
de France , et particulièrement à l'égard du Discours de M. d'A-
guesseau. 559
RÉQUISITOIRE de M. d'Aguesseau pour l'enregistrement du bref
contre le livre des Maximes des Saints. 56 1
DÏI. De Bossuet à M. de Bancë, ancien abbë de la Trappe. Il lui
envoie la Relation sur l'affaire de Cambrai, et la Censure de l'as-
semblée du clergé de France, et s'excuse de ne pouvoir, cette
année, aller à la Trappe. 571
DllI. Mandement de M. François de Salignac de la Mothe Féné-
lon, archevêque de Cambrai, pour la publication de la Consli-
TABLE. 727
tution de notre saint père le Pape , portant condamnation du livre
intitulé : Explication des Maximes des Saints, etc. Page 572
LETTRES DIVERSES.
Avertissement. ^76
Lettre première. De Bossuet à M. de F'ernon, procureur du Roi
au présidial de Meaux. Il le prie d'empêcher les assemblées, et
les représentations qui pourroient porter au mal. 677
II. De Bossuet à la marquise de Laval. Il lui témoigne sa joie de la
nomination de Fénélon à la place de précepteur du duc de
Bourgogne. ^7"
III. De Bossuet à madame de Maintenon. Il l'instruit de la soumis-
sion de Fabbé Couet. ^10
IV. De M. Vahhë Fleury à Bossuet. Sur la mort de M. Tabbé de
Tares, garde de la bibliothèque du Roi. 58o
V. De M. ïahhéde Saint-Luc. Sur le même sujet. 583
VI. De M. Vahhë Fleury. Sur la mort de M. de Cordemoy. 585
VII. De M. Obrecht, préteur royal nu sénat de Strasbourg. Sur les
' changemens que les Luthériens ont faits dans la confession d'Aus-
bourg, et ce qu'ils alléguoient pour s'en justifier. 587
VIII. Du même. Sur les principes des Protestans louchant la poly-
gamie, et l'usage qu'ils en avoient fait à l'éîjard du Landgrave de
Hesse. Sgi
ÏX. Du même. Sur le même sujet. 596
X. Du même. Sur le dessein qu'avoit Bossuet de combattre en
particulier le luthéranisme, la manière de le faire, et difFérens
ouvrages propres à ce dessein. 597
XI. Du même. Sur difFérens ouvrages des Protestans, relatifs aux
matières que Bossuet avoit dessein de traiter. 600
XII. De dom Claude Deverl., trésorier de l'abbaye de Cluni. Sur la
communion sous une seule espèce. 602
XIII. Du même. Il lui envoie Fextrait d'un ancien cérémonial de
Corbie, qui prouvoit qu'on ne communioit le Vendredi saint que
sous une seule espèce. 60 1
XIV. Du même. Sur la communion sous une seule espèce , et quel-
ques difficultés qui y ont rapport. 606
XV. Du même. Sur un ancien cérémonial de Fabbaye de Sainl-
Denis, conforme, pour la communion du Vendredi saint, a ce-
lui de Fabbaye de Corbie. 60S
7^^8 TABLE.
XVI. De dom Mahillon. Sur les paroles de l'Ordre romain touchant
la communion du Vendredi saint. Page 609
XVII. De M. tabhë Renaudol. Sur différens points de la liturgie des
Grecs, le Pontifical de M. Habert, et les affaires d'Ecosse. 610
XVIII. Du même. Sur les différentes confessions de foi des Angli-
cans, et sur Molinos. 618
XIX. De M.le Feuvre, docteur de Sorhonne. Sur une conclusion
que Ton prétendoit avoir été faite par la Faculté de théologie,
touchant le mariage de Henri VIII. 627
XX De M. Pirot, docteur de Sorbonne. Sur le même sujet que la
précédente, et sur quelques autres faits. 63 1
XXI. De dom Bernard de Montfaucon. Sur les livres Deutérocano-
niques. 64o
XXII. De M. Vahhé de Longeron. Sur son Commentaire de l'Apo-
calypse, et en particulier sur Paul de Saraosate, que Bossuet
croyoit voir dans Téioile qui tomboit du ciel. 64 1
RÉFLEXIONS de M. l'abbé dePénélon, sur le chapitre ix de l'Apo-
calypse. 645
XXIII. De M. desMahis^ chanoine <?'0//èa«J. Il lui parle des Pères
qui ont vu Rome dans la Babylone de l'Apocalypse, et lui marque
pourquoi les plus anciens ne Tont pas déclaré clairement. 648
XXIV. Du même. Sur les atteintes portées à la morale par les Soci-
niens. 651
XXV. De M. Vahhé de Fénélon. Sur le Mémoire de Bossuet contre
le docteur Dupin. 653
XX VF. Du même. Sur les erreurs de M. Dupin , et les ménagemens
dom il désiroit qu'on usât pour le porter à les réparer. 65^
XXVII. Du même. Sur le Mémoire de Bossuet, contre les erreurs
de M. Dupin, et le procès du prélat avec l'abbesse de Jouarre-
655
XXVIII. Du même. Sur son Mémoire contre les erreurs de M. Du-
pin, et le désir qu'il avoit de le voir à Versailles. 656
XXIX. Du même. Sur les changemens que Bossuet désiroit faire
dans certains usages de Tabbaye de Jouarre. 658
XXX. De M. Gerbais, docteur de Sorbonne. Il le sollicite en faveur
de M. Dupin. 659
XXXI. De M. Pirot j docteur de Sorbonne. Sur un ecclésiastique
proposé pour une cure du diocèse de Meaux, et sur M. Dupin.
661
XXXII. Du même. Sur un entretien qu'il avoit eu avec M. Dupin ,
TAULE. 'jog
et une visite qu ils avoient rendue ensemLle à M. rarclievéque
de Paris. Page 664
XXXIII. De M, GerhaiSj docteur de Sorhonne. Sur les dispositions
de M. Dupin. 66'j
XXXIV. De M. Dupin. Sur les erreurs dont il étoit accusé. 668
XXXV. De M. ^rnauld, docteur de Sorhonne, Il le félicite du
dessein qu'il avoit d'écrire pour la défense de saint Augustin
contre Richard Simon j et lui demande son jugement sur divers
écrits. ' 669
XXXVI. De M. Pirot, docteur de Sorhonne. Il lui rapporte diffé-
rens textes des Pères, qui ont pris le mot de personne pour celui
de nature, Q'jQ
XXXVII. Du même. Sur la doctrine de Gerson , touchant les déci-
sions des évéques, et sur les propositions qui dévoient être cen-
surées par l'assemblée du clergé de 1 700. Q'j^
XXXVIÏl. Du P. de la Rue, Jésuite. Sur la conduite de M. l'évéque
d'Alais à l'égard des Réunis de son diocèse j et combien il sc-
roit nécessaire que tous les évêques prissent sur ce sujet une ré-
solution uniforme. 680
XXXIX. De M. T^uitasse, professeur de Sorhonne. Sur ce qu'on l'a
accusé injustement de penser comme M. Cailly sur la Trans-
substantiation. 684
XL. De M. Capperonnier^ licencié en théologie. Sur le danger des
écrits de Richar4 Simon, et sur la signification de quelques ex-
pressions grecques du nouveau Testament. 689
XLI. Du même. Il lui communique plusieurs textes de Platon , qui
montrent que ce philosophe a donné au mot substance une signi-
fication fort étendue. 695
XLII. De M. Vévêque d'Arras. Il lui demande ses bons offices,
pour rétablir la paix et le bon ordre dans FUniversité de Douai.
698
XLIII. De M. Monnier de Richardin, recteur de l'Université de
Douai. Il se félicite de ce que le prélat a été nommé par Sa
Majesté commissaire, pour travailler à rendre à cette Univer-
sité sa première splendeur. 699
MÉMOIRE pour l'Université de Douai. ' 700
XLIV. De M. de Fleury, évêque de Fréjus. Sur Tlnstruction de
Bossuet, contre Richard Simon. 709
XLV. De M. de Bissf, évêque de Toul. Sur un mandement qu'il
avoit donné contre l'Usure. -nio
•^30 TABLE.
XL VI. De M. Pussyran. Il menace Bossuet d'écrire contre lui,
s'il ne se déclare pas ouvertement contre le Silence respec-
tueux. Page 7 1 1
FIN DE LA TAr.LE DU TOME QUARANTE-DEUXIEME.
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