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Full text of "Oeuvres; revues sur les manuscrits originaux et les éditions les plus correctes"

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OEUVRES 

DE  BOSSUET. 


TOME  XIII. 


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A  VERSAILLES, 

LEBEL,  Editeur,  imprimeur  du  Roi  et  de  l'Évéché,  rue 
Satory,  u.»  123. 

A  PARIS, 

LE  TSORMANT, imprimeur-libraire,  ruedeSeine,n.«>3j 
PILLET,  imprimeur-libraire,  rue  Christine,  n,«  5  5 
BRUNOT-LABBE,  libraire,  quaidesAugustins,  u/^33  j 
BLAISE,  libraire,  quai  des  Augustins ,  n.**  61  ; 
LECLÈRE,  libraire,  quai  des  Augustins,  n.**  35j 
BOSSANGE  ET  MASSON,  imprimeurs  -  libraires ,  rue 
de  Tournon  5 

RÉNOUARD,  libraire,  rue Saint-André-des-Arts; 
Chez  (    TREUTTEL  et  VURTS  ,  libraires ,  rue  de  Bourbon  j 
FOUCAULT,  libraire,  rue  des  Noyers,  n.«*  87  j 
AUDOT,  libraire,  rue  des  Mathurins- Saint -Jacques, 

n.°  18; 
POTEY,  libraire ,  rue  du  Bac; 
GOUJON,  libraire  de  LL.  AA.  RR. Mesdames  Duchesses 

de  Berry  et  d'OaLÉANs,  rue  du  Bac,  n.®  33; 
DELAUNAY,  libraire,  Palais-Royal ,  galerie  de  Bois. 

A  BAYEUX, 

GROULT,  libraire. 

ET  A  BRUXELLES, 

LE  CHAROER,  libraire. 


OEUVRES 

DE  BOSSUET, 

ÉVÊQUE    DE    MEAUX, 

REVUES  SUR  LES  MANUSCRITS  ORIGINAUX, 
ET  LES  ÉDITIONS  LES  PLUS  CORRECTES. 

TOME  XLII. 


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A  VERSAILLES, 

DE  L'IMPRIMERIE  DE  J.  A.' LE  BEL, 

IMPRIMEUR    DU    ROI. 

18.9. 


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LETTRES 


SUR    l'affaire 


DU   QUIÉTISME. 


BOSSUET.    XLII. 


LETTRES 

SUR  l'affaire 

DU   QUIÉTISME. 

LETTRE  CCCLXI. 

DE   BOSSUET  A   SON   NEVEU. 

Sur  sa  Réponse  à  M.  de  Cambrai  j  la  censure  des  docteurs  ;  une 
bulle  de  Jean  XXII j  les  précautions  à  prendre,  et  les  aveux  de 
Fénélon. 

J'ai  reçu  ici,  en  y  arrivant  vendredi  pour  la  Tous- 
saint, votre  lettre  du  i4  octobre.  Je  retourne  de- 
main à  Fontainebleau ,  dont  je  ne  repartirai  qu'avec 
le  Roi.  Je  repasserai  par  ici,  et  ne  tarderai  pas  d'aller 
à  Paris. 

Je  souhaite  avoir  bientôt  des  nouvelles  du  succès 
de  ma  Réponse  à  celle  de  M.  de  Cambrai.  Si  le  cour- 
rier a  tenu  parole,  vous  devez  l'avoir  depuis  quinze 
jours.  Je  puis  vous  assurer  qu'elle  fait  ici  un  prodi- 
gieux effet  pour  la  bonne  cause,  et  contre  M.  de 
Cambrai.  M.  l'abbé  Régnier  achève  sa  version  à  la 
campagne.  Je  lui  ai  envoyé  copie  de  l'article  de 
votre  lettre  qui  le  regarde  ;  cela  lui  donnera  du 
courage.  Je  lui  ai  mandé  que  quand  la  décision  pré- 
céderoit  sa  version ,  elle  n'en  seroit  que  plus  utile 
et  plus  recherchée. 

Vous  mettez  la  chose  au  vrai  point  de  la  question , 


4  LETTllES 

quand  vous  la  faites  consister  dans  le  pur  amour  du 
cinquième  degré,  placé  par  M.  de  Cambrai  au- 
dessus  du  pur  amour  de  l'Ecole.  Je  me  suis  fort  atta- 
ché à  suivre  cette  idée  dans  le  Summa  et  dans  la 
Préface  contre  l'Instruction  pastorale  de  M.  de 
Cambrai,  dans  le  second  des  cinq  Ecrits,  et  sur- 
tout dans  ma  dernière  Réponse  vers  la  fin  (i).  Il  n'y 
a  qu'à  joindre  à  cela  le  sacrifice  absolu  de  son  salut 
éternel  et  ses  dépendances. 

Vous  avez  vu  sans  doute  une  sorte  de  censure , 
signée  par  beaucoup  de  docteurs.  Le  père  Roslet  a 
ordre  de  vous  la  communiquer  pour  la  rendre  pu- 
blique ,  si  vous  le  jugez  à  propos  :  pour  moi  je  n'y 
vois  nulle  difficulté.  Quand  on  Ta  dressée  et  signée , 
j'étois  dans  mon  diocèse,  où  M.  de  Paris  me  l'en- 
voya :  elle  est  très-bien.  On  la  donne  pour  ce  qu'elle 
est;  c'est-à-dire,  pour  l'avis  de  beaucoup  de  parti- 
culiers seulement,  sans  autorité  du  corps.  Elle 
rembarrera  les  Cambrésistes ,  qui  se  vantent  d'avoir 
l'Ecole  pour  eux,  et  fera  voir  l'uniformité  de  nos 
sentimens.  Toute  cette  censure  est  dans  l'esprit  de 
la  Déclaration  ,  du  Summa ,  des  In  tuto  ,  etc. 
Néanmoins  voyez  sur  les  lieux  avec  le  père  Roslet, 
quelle  est  la  disposition  des  esprits.  J'ai  vu  une 
lettre  de  ce  Père,  qui  nous  fait  bien  connoître  l'état 
des  choses.  Faites-lui  beaucoup  d'honnêtetés  de  ma 
part. 

Je  vous  indique  une  bulle  de  Jean  XXII  contre 
les  erreurs  d'un  nommé  Ekard ,  Dominicain  de  Co- 
logne, où  sont  condamnées  vingt-huit  propositions, 

(*)  Rem.  sur  la  Rép.  à  la  Relat.  Couclus.  §.  m  j  tom.  xxx,  pag.  20  j 
el  suiv. 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  5 

dont  plusieurs  ressentent  beaucoup  l'esprit  du  Quié- 
tisme d'aujourd'hui,  principalement  la  septième,  la 
huitième  et  la  neuvième  :  mais  l'on  doit  surtout  re- 
marquer les  deux  sortes  de  qualifications  employées 
dans  cette  bulle;  l'une  sur  les  erreurs  précises,  et 
l'autre  sur  les  ambiguités  ;  ce  qui  peut  vous  fournir 
des  vues  pour  insinuer  de  faire  à  peu  près  la  même 
chose.  L'histoire  d'Ekard,  et  la  bulle  dont  je  parle, 
sont  rapportées  dans  Rainaldus,  tom.  xv,  an.  1^29, 
^-  l^y  1^>  1^  ^*^'  Cet  Ekard  étoit  pourtant  un  grand 
spirituel ,  très -loué  par  Taulère  et  par  d'autres, 
comme  le  marque  Rainaldus,  il>id.  n.  73. 

Il  y  a  quatre  cents  ans  qu'on  voit  commencer  des 
raffinemens  de  dévotion  sur  l'union  avec  Dieu  et 
sur  la  conformité  à  sa  volonté,  qui  ont  préparé  la 
voie  aux  Quiétistes  modernes.  C'est  pourquoi  il  se- 
roit  très-important  d'engager  Rome  à  donner  une 
admonition  générale  (**)  contre  l'abus  qu'on  fait  des 
paroles  des  pieux  auteurs.  Vous  en  trouverez  une 
parmi  mes  mémoires  précédons.  Il  faut  tâcher  d'ins- 
pirer ces  vues. 

Je  ne  doute  pas  que  les  deux  lettres  de  M.  de 
Cambrai  à  M.  de  Chartres,  en  réponse  à  la  Lettre 
pastorale  de  ce  prélat,  ne  tombent  à  Rome  entre 
vos  mains.  Dans  la  première,  vous  trouverez  qu'il 
reconnoît  un  double  sens  dans  son  livre,  qui,  dit- 
il,  est  tellement  soutenable  l'un  et  l'autre,  qu'à 
Rome  même  on  s'est  partagé  là -dessus.  C'est  con- 

(*)  Fleury  a  donné  un  extrait  de  cette  bulle,  Hist.  ecclés.  lir.  xciir, 
n.  59. 

(**)  Bossuet  en  avoit  dressé  une  que  Ton  peut  voir  ci-dessus, 
tom.  xu,  pag.  284. 


6  LETTRES 

venir  clairement  que  re'quivoque  règne  dans  tout 
l'ouvrage.  Je  ne  crois  pas  que  jamais  auteur  ait  fait 
un  pareil  aveu.  Lisez  depuis  la  page  cinquante- cin- 
quième jusqu'à  la  soixante- dixième.  S'il  y  a  deux 
sens  soutenal)les  selon  lui,  il  faut  qu'il  y  en  ait  un 
troisième  mauvais  et  inexcusable,  et  ce  troisième 
sens  est  le  vrai ,  oh\>iuSj,  d'où  il  avoue  qu'on  ne  sort 
que  par  des  explications  ambiguës. 

Il  faut  voir  aussi  à  la  page  soixante-huitième,  com- 
ment il  répond  à  la  protestation  qu'il  avoit  faite  de 
n'avoir  jamais  eu  d'autre  pensée ,  après  avoir  avoué 
qu'il  n'avoit  point  parlé  selon  la  sienne.  Si  l'on 
n'ouvre  pas  les  yeux  à  de  semblables  artifices,  on 
veut  perdre  l'Eglise.  Trouvez  le  moyen  d'avoir  cette 
lettre,  qui  doit  être  fort  répandue  à  Rome.  Faites 
voir  ces  endroits,  qui  sont  plus  forts  et  plus  éton- 
nans  que  je  ne  puis  vous  le  dire. 

J'ai  envoyé  la  lettre  par  laquelle  je  recommande 
M.  Madot  au  grand  duc  :  je  vous  en  enverrai  une 
autre  par  le  premier  ordinaire  ;  et  je  serai  d'autant 
plus  ravi  de  servir  ce  gentilhomme,  qu'il  a  un  frère 
ecclésiastique  que  j'estime  fort,  et  qui  nous  a  com- 
muniqué plusieurs  de  ses  lettres,  qui  sont  d'un 
homme  habile  et  bien  instruit. 

Les  arrangemens  pour  mon  départ  de  demain,  ne 
me  donnent  pas  le  loisir  de  faire  réponse  au  père 
Campioni,  ni  a  M.  Phelippeaux. 

A  Mcaux,  2  novembre  1698. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme. 

LETTRE  CCCLXII. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  notes  que  le  prélat  lui  avoit  envoyée?;  les  défiances  que  cet 
abbé  devoit  avoir  ;  et  le  soin  qu'on  auroit  en  France  d'appuyer 
ses  efforts. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  i4,  Monsieur  :  fai  bien 
de  la  joie  d'y  voir  que  vous  avez  reçu  le  commence- 
ment de  mes  notes  sur  la  réplique  de  M.  de  Cam- 
brai ;  vous  aurez  eu  le  reste  par  les  courriers  sui- 
vans.  Je  compte  que  vous  en  ferez  l'usage  qu'il  faudra 
pour  le  bien  de  TafTaire  :  la  réplique  étant  devenue 
si  secrète,  il  n'est  plus  nécessaire  que  les  réponses 
paroissent. 

Nous  n'avons  plus  qu'à  souhaiter  que  les  cardi- 
naux travaillent  diligemment,  et  qu'ils  recommen* 
cent  leurs  congrégations  après  les  fêtes,  comme  ils 
l'ont  promis.  Le  procédé  du  sacriste  est  ridicule  de 
toutes  manières.  Défendez  -  vous  bien  des  coups 
fourrés  de  la  cabale  :  elle  va  redoubler  ses  efforts 
et  ses  artifices.  On  tâchera  de  vous  surprendre,  si 
l'on  peut,  et  de  découvrir  toutes  vos  démarches  : 
ainsi  vous  devez  assurément.  Monsieur,  vous  fier  à 
peu  de  gens,  et  tout  concerter  avec  nos  amis.  Le 
père  Roslet  se  loue  fort  de  vous  :  je  suis  bien  aise 
que  vous  soyez  content  de  lui.  Il  connoît  très-bien 
la  Cour  de  Rome,  et  il  a  un  grand  zèle  pour  là 
bonne  cause  :  vous  pouvez  sûremerlt  prendre  con- 
fiance en  lui. 


8  LETTRES 

La  nouvelle  que  le  Pape  venoit  de  recevoir  à 
votre  dernière  audience ,  devoit  lui  donner  du  cha- 
grin :  vous  fîtes  très-bien  de  ne  lui  pas  parler,  dans 
cette  disposition,  long-temps  de  notre  alTaire* 

Le  compliment  du  père  Alfaro  méritoit  une  sévère 
correction  :  il  doit  avoir  nui  à  la  cause  qu'il  défend 
avec  tant  de  chaleur. 

On  écrira  toujours  fortement  de  ce  pays  :  c'est 
tout  ce  que  nous  pouvons  faire,  et  prier  Dieu  qu  il 
bénisse  vos  soins  et  qu'il  défende  la  vérité.  Conser- 
vez-moi l'honneur  de  vos  bonnes  grâces,  et  croyez 
que  je  suis  à  vous,  Monsieur,  très-sincèrement. 

3  Novembre  1698. 


LETTRE  CCCLXIIL 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  la  Réponse  de  Bossuet  à  M.  de  Cambrai}  ce  qui  avoit  empêché 
de  parler  de  l'affaire  dans  la  dernière  congrégation  des  cardi- 
naux j  et  les  retards  affectés  du  sacriste. 

J'ai  reçu  par  notre  courrier  extraordinaire,  qui 
est  arrivé  ici  vendredi  matin,  dernier  du  mois  d'oc- 
tobre, votre  Réponse  à  M.  de  Cambrai.  Il  est  arrivé 
deux  jours  plus  tard  qu'il  n'auroit  fait,  par  des  rai- 
sons qu'il  m'a  dites,  et  dont  il  m'a  apporté  de  bonnes 
preuves  :  enfin  il  est  arrivé.  Il  ne  me  paroît  pas  tout- 
à-fait  content  de  ce  qu'on  lui  a  donné,  protestant 
avoir  dépensé  de  son  argent,  et  parce  qu'il  a  été 
obligé  depuis  Fontainebleau  jusqu'à  Turin  de  pren- 
dre un  troisième  cheval,  et  parce  qu'on  ne  lui  a 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  Q 

pas  tenu  compte  du  change  de  l'argent  et  du  rabais 
des  monnoies.  Je  lui  ai  dit  que  j'examinerois  le  tout 
exactement,  et  qu'on  ne  lui  feroit  pas  d'injustice; 
je  verrai  cela  à  loisir.  Il  sera  content,  à  ce  qu'il 
dit,  de  tout  ce  que  je  déterminerai.  Il  seroit  bon 
de  m'envoyer  un  mémoire  exact  de  ce  qu'on  lui  a 
donné. 

Les  fêtes  ont  empêclié  que  je  n'aie  pu  faire  relier 
aussi  vite  que  je  l'aurois  désiré  le  livi'e  pour  Sa  Sain- 
teté. J'ai  pourtant  si  bien  fait,  que  je  l'ai  eu  ce 
matin,  quoique  jour  de  fête ,  relié  en  maroquin  avec 
les  armes,  et  un  pour  le  cardinal  Spada.  Je  comp- 
tois  de  le  mettre  après  dîner  aux  pieds  de  Sa  Sain- 
teté; mais  il  lui  a  plu  de  sortir,  et  cela  a  rompu 
toutes  les  mesures  que  j'avois  prises  pour  aujour- 
d'hui. J'aurois  été  bien  aise  de  pouvoir  vous  rendre 
compte  par  ma  lettre  du  succès  de  ma  visite,  mais  la 
réparation  de  ce  défaut  est  remise  à  démain.  J'ai 
déjà  fait  prévenir  Sa  Sainteté  sur  cela  par  monsei- 
gneur Giori  et  par  le  cardinal  Spada,  à  qui  j'ai  en- 
voyé à  midi  son  livre  avec  une  lettre  instructive.  Tous 
les  cardinaux  du  saint  Office  l'ont  eu  aujourd'hui, 
excepté  M.  le  cardinal  de  Bouillon  à  qui  je  le  veux 
porter  moi-même  demain,  et  qui  n'étoit  pas  visible 
aujourd'hui  :  il  se  pourra  faire  même  que  Sa  Sainteté 
l'ait  avant  lui.  Cette  Eminence  ne  sait  pas  encore 
que  votre  réponse  m'est  parvenue,  ni  l'arrivée  du 
courrier.  L'usage  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  étant 
de  prévenir  sous  main  le  Pape  contre  ce  que  je  lui 
donne,  je  ne  suis  pas  fâché  que  le  Pape  ait  votre  lettre 
avant  que  ce  cardinal  en  ait  connoissajice  ;  ce  qui 
sera  le  plus  tard  qu'il  se  pourra. 


10  LETTRES 

La  pièce  est  admirable,  et  telle  que  vos  amis  la 
pouvoient  désirer.  Si  elle  e'toit  en  italien,  les  par- 
tisans de  M.  de  Cambrai  seroient  couverts  de  con- 
fusion ,  quelque  efTrontes  qu  ils  soient  ;  mais  le  fran- 
çais ne  leur  fera  pas  plaisir.  Je  doute  que  par  le  pre- 
mier courrier  nous  puissions  avoir  nouvelle  de  TefFet 
que  cette  réponse  aura  à  Paris  et  à  la  Cour.  Je  vou- 
drois  bien  que  M.  le  nonce  l'eût  vue  avant  le  lundi, 
20  du  passé,  qui  est  le  jour  d'où  seront  datées  les 
lettres  que  nous  recevrons  par  le  premier  courrier  ; 
mais  nous  ne  pouvons  pas  retarder  jusque-là  la  dis- 
tribution :  la  pièce  au  reste  parle  par  elle-même.  Je 
vous  avoue  que  quelque  bonne  opinion  que  j'eussp 
delà  hardiesse  à  mentir  de  M.  de  Cambrai ,  je  n'au- 
rois  jamais  cru  que  les  paroles  qu'il  dit  que  vous  avez 
dictées  à  madame  Guyon,  des  erreurs  quelle  na^ 
voit  jamais  eues ,  etc.  ,  fussent  inventées  d*un  bout 
à  l'autre.  C'est  là  le  seul  prétexte  de  sa  relation  ;  et 
cela  étant  faux,  en  vérité  il  n'a  point  d'autre  parti 
à  prendre  que  de  se  cacher.  Vous  n'avez  rien  oublié 
dans  ce  dernier  écrit ,  et  tout  ce  qu'on  peut  souhaiter 
s'y  trouve. 

L'assemblée  du  saint  Office  de  demain,  s'est  tenue 
cette  après-dînée,  à  cause  d'une  chapelle  de  demain 
qui  l'empêche.  On  croyoit  avec  fondement  qu'on  y 
parleroit  de  l'affaire  dont  est  question.  M.  le  cardi- 
nal Casanate  me  l'avoit  dit  il  y  a  huit  jours,  et  ce 
matin  encore  :  mais  la  sortie  du  Pape  cette  après- 
dînée,  venue  tout-à-coup ,  a  obligé  les  cardinaux  du 
palais  d'accompagner  Sa  Sainteté ,  et  la  moitié  des 
cardinaux  manquant  à  cette  congrégation,  il  n'a  pas 
été  mention  de  notre  affaire,   M.   le  cardinal  de 


SUR    L*AFFAI11E    DU    QUIÉTISME.  II 

Bouillon  n'a  pas  voulu  y  aller.  Il  n  y  a  eu  que  cinq 
cardinaux  qui  y  aient  assisté,   qui  sont  Carpegna, 
Casanate,  Marescotti,   Noris  et  Ferrari.  Ils  n'ont 
pas  laissé  de  parler  un  peu  entre  eux  de  notre  affaire, 
mais  ce  n'a  pas  été  bien  sérieusement.  Pour  moi,  je 
m'imagine  que  le  Pape  souhaite  peut-être  qu'on  en 
parle  devant  lui  jeudi  prochain.  Si  je  suis  assez  heu- 
reux pour  tr(raver  demain  Sa  Sainteté  de  bonne  hu- 
meur ,  je  me  propose  de  lui  dire ,  s'il  plaît  à  Dieu  , 
bien  des  choses  dans  Taudience  qu'elle  me  donnera. 
J'ai  reçu  votre  lettre  du  i3 ,  de  Germigni  :  vous 
étiez  occupé  ce  jour-là  à  Meaux  à  recevoir  madame 
de  Lorraine.   M.  le  cardinal  de  Bouillon  paroît  un 
peu  démonté  et  consterné.  Je  doute  que  ses  manèges 
lui  réussissent  :  il  commence  sûrement  à  appréhender 
les  suites  pour  son  ami.  Je  n'ose  pas  dire  certaine- 
ment, mais  plus  que  vraisemblablement,   l'amour 
pur  est  prêt  à  être  condamné  comme  erroné  :  tout 
au  moins  c'est  là-dessus  que  je  presse,  n'étant  pas  en 
peine  des  autres  points.  L'état  sera  assurément  con- 
damné. Sur  les  actes,  on  ne  dira  rien  qui  puisse 
favoriser  M.  de  Cambrai.  Il  faut  qu'on  décide  que 
dans  la  pratique  les  deux  motifs  ne  sont  pas  sépa- 
rables  :  sans  cela  je  ne  serai  pas  content  tout-à-fait  ; 
avec  cela  nous  aurons  tout,  et  l'illusion  sera  abattue. 
On  n'oublie  rien  pour  éclaircir  les  difficultés.  Les 
cardinaux  Carpegna  et  Nerli  se  confirment  tous  les 
jours  plus  que  jamais  dans  leurs  bons  sentimens. 

M.  le  Cardinal  de  Bouillon  revint  hier  de  Fres- 
cati,  et  y  doit  retourner  jeudi ,  après  l'assemblée  du 
saint  Office  qui  se  tiendra  devant  le  Pape.  Les  cardi- 
naux haussent  les  épaules  sur  le  sujet  du  cardinal  de 


I5fc  LETTRES 

Bouillon  ;  beaucoup  disent  qu  ils  n'osent  parler  :  à 
la  fin  on  apprendra  tout  ;  on  n  en  sait  de'jà  que 
trop.  Je  suis  bien  fâché  que  du  côté  de  la  Cour  on 
ne  puisse  pas  empêcher  le  cardinal  de  Bouillon  de 
voter.  Le  père  Roslet  a  eu  ce  matin  une  assez  longue 
audience  du  Pape  :  je  ne  sais  pas  encore  ce  qui  s'y 
est  passé;  il  en  rendra  apparemment  compte  à 
M.  de  Paris. 

Les  cardinaux  étudient  en  vérité  fortement. 
Tout  le  salut  de  TafFaire  a  été  de  ne  les  avoir  pas 
pressés  pendant  le  mois  d'octobre. 

La  traduction  de  M.  l'abbé  Régnier  est  ici  ap- 
plaudie et  admirée  par  les  connoisseurs ,  vous  pou- 
vez l'en  assurer.  On  a  ses  livres  à  Florence. 

M.  l'abbé  Régnier  se  feroit  grand  honneur  en 
achevant  son  ouvrage,  c'est-à-dire,  en  traduisant 
votre  réponse  à  M.  de  Cambrai. 

Le  sacriste  ne  se  presse  pas,  il  n'a  pas  encore 
remis  son  vœu.  Les  cardinaux  qui  voient  ce  qu'il  a 
donné,  ne  doutent  pas  que  les  avis  des  autres  ne  lui 
aient  été  communiqués  :  c'est  une  mauvaise  réfuta- 
tion. On  est  également  persuadé  de  l'intelligence  de 
ce  prélat  avec  M.  le  cardinal  de  Bouillon  5  elle  est 
certaine. 

Rome,  ce  4  novembre  1698^1 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i3 


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LETTRE  CCGLXIV. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  deux  lettres  du  cardinal  Spada  que  le  nonce  avoit  communi- 
quées au  Roi  j  les  vues  qu'il  devoit  présenter  à  ce  cardinal  sur  la 
décision  qu  il  promettoit;  et  le  danger  des  ménagemens  dont  on. 
Touloit  user. 

J'ai  reçu  ici  votre  lettre  du  21  du  mois  passé. 
Hier  M.  le  nonce  me  montra  chez  le  Roi  deux 
lettres  de  même  date,  de  M.  le  cardinal  Spada,  dont 
la  première  portoit  que  vous  l'aviez  prié  de  lui 
écrire  que  vous  n'aviez  jamais  demandé  de  délai. 
Il  déclaroit  dans  les  termes  les  plus  clairs  et  les  plus 
précis,  que  bien  loin  d'en  demander,  vous  n'aviez 
pas  cessé  de  presser  une  décision  ;  ce  que  ce  car- 
dinal déclaroit  à  ce  ministre ,  afin  qu'il  se  servît  de 
la  connoissance  qu'il  lui  en  donnoit. 

L'autre  lettre  de  M.  le  cardinal  Spada  portoit 
une  espèce  de  reconnoissance  envers  le  Roi,  de 
l'assurance  que  Sa  Majesté  avoit  donnée  au  même 
nonce,  de  faire  exécuter  le  jugement  du  saint 
Siège  j  à  quoi  il  ajoutoit  que  l'on  verroit  au  plus 
tôt  une  décision  qui  couperoit  la  racine  du  mal , 
comme  le  Roi  le  souhaitoit. 

M.  le  nonce  s'étant  présenté  au  sortir  du  dîner  du 
Roi  comme  ayant  quelque  chose  à  dire ,  le  Roi  le 
fit  entrer  dans  son  cabinet,  où  ce  ministre  rendit 
compte  de  la  dernière  dépêche  du  cardinal ,  dont 
le  Roi  fut  très-content.  Il  pressa  plus  que  jamais 


I 4  LETTRES 

M.  le  nonce  d'écrire  de  sa  part  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  fort. 

Après  ce  compte  de  la  dépêche  principale  ,  M.  le 
nonce  dit  au  Roi  qu'il  ne  pouvoit  s'empêcher  de  dire 
un  mot  sur  votre  sujet,  et  supplia  Sa  Majesté  d'en- 
tendre la  lettre  de  M.  le  cardinal  Spada,  qui  n  étoit 
que  de  quatre  lignes.  La  lecture  en  fut  écoutée 
très-agréablement,  et  le  Roi  répondit  qu'il  ne  dou- 
toit  pas  que  vous  n'eussiez  dit  et  fait  tout  ce  qu'il 
falloit  ;  qu'en  effet  on  avoit  répandu  le  bruit  que 
vous  aviez  demandé  quelque  délai ,  mais  qu'il  avoit 
bien  entendu  que  ce  bruit  étoit  un  de  ceux  que  des 
ennemis  répandent  pour  en  tirer  avantage. 

M.  le  nonce  en  dit  autant  à  M.  de  Pomponne  et  à 
M.  de  Torcy ,  de  qui  je  l'ai  su,  et  qui  m'ont  ajouté 
que  la  chose  s'étoit  passée  avec  le  Roi  comme  je 
viens  de  vous  le  raconter.  M.  le  nonce  a  fait  cela 
avec  toute  la  démonstration  possible  de  bonne  vo- 
lonté, et  toute  l'attention  à  nous  faire  plaisir.  Il  a 
souhaité  que  je  vous  en  informasse.  Il  en  rend 
compte  à  M.  le  cardinal  Spada  par  une  lettre  de  sa 
main,  et  lui  spécifie  tout  ce  qu'il  a  dit  et  tout  ce  que 
le  Roi  a  répondu. 

Je  me  suis  cru  obligé  d'en  faire  mes  remercîmens 
à  M.  le  cardinal  Spada  par  la  lettre  ci-jointe  (*) , 
que  vous  rendrez  le  plus  tôt  que  vous  pourrez  à 
cette  Eminence,  et  que  vous  remercierez  tant  en 
votre  nom  qu'au  mien. 

Vous  ne  manquerez  pas  de  bien  faire  des  remer- 
cîmens à  M.  le  nonce  par  une  lettre  expresse  pour 

(*)  Nous  u'avoQs  point  ceUe  lettre. 


^ 


SUR  l'affaire  du   quiétisme. 


cela  et  de  témoigner  à  tous  ses  amis ,  comme  nous 
sommes  sensibles  à  ses  bonnes  manières.  11  faut 
faire  en  sorte  que  cela  lui  revienne  par  divers  en- 
droits. Je  vous  assure  qu'il  ne  se  peut  rien  de  plus 
honnête ,  ni  de  plus  obligeant  que  son  proce'dé. 

Vous  avez  vu  par  mes  précédentes ,  que  le  Roi 
étoit  bien  informé  et  content  de  votre  conduite, 
dès  le  temps  du  séjour  de  Gompiègne.  Il  en  avoit 
encore  été  instruit  par  vos  lettres  à  M.  de  Paris , 
qui  les  avoit  envoyées  à  madame  de  Maintenon, 
qui  me  Ta  dit  elle-même.  Mais  ce  dernier  éclaircis- 
sement, poussé  jusqu'à  la  dernière  preuve,  a  pro- 
<luit  un  grand  effet. 

Je  n'ai  voulu  parler  que  de  ce  fait  particulier  dans 
ma  lettre  à  M.  le  cardinal  Spada,  pour  ne  point 
mêler  l'affaire  générale  avec  la  nôtre.  Mais  vous 
pouvez  lui  dire  que  je  vous  ai  informé  de  ce  qu'il 
avoit  mandé  à  M.  le  nonce  sur  la  prompte  décision 
qui  doit  couper  la  racine  du  mal ,  sur  le  compte  que 
ce  ministre  en  a  rendu  au  Roi ,  et  sur  la  satisfaction 
que  Sa  Majesté  en  a  témoignée,  qui  est  devenue 
publique.  Vous  pourrez- ajouter  que  le  moyen  de 
couper  la  racine ,  est  de  ne  laisser  aucune  ressource 
au  livre  des  Maximes ,  ni  à  la  doctrine  de  l'auteur , 
qui  a  révolté  toute  la  France ,  et  qui  soulève  à  pré- 
sent presque  toute  la  chrétienté;  que  pour  peu 
qu'on  ait  de  ménagemëns  stir  delà,  M.  de  Cambrai 
souple  et  adroit  comme  il  est,  ne  cherchera  qu'à 
échapper  ;  ce  qui  tourneroit  au  grand  dommage  de 
l'Eglise  et  de  M.  de  Cambrai  lui-même  :  mais  que 
plus  on  frappera  fort  sur  la  doctrine  du  livre,  plus 
l'auteur  sera  soumis,  et  plus  l'affaire  sera  terminée 


l6  LETTRES 

avantageusement  pour  la  religion  ;  ce  qui  n'empê- 
chera pas  qu'on  ne  fasse  tout  le  bon  traitement  pos- 
sible à  la  personne,  en  la  regardant  comme  soumise 
et  obéissante,  ainsi  que  ce  prélat  Ta  promis  dans  ses 
dernières  déclarations. 

Je  suis  persuadé  que  M.  le  cardinal  Spada  vous 
montrera  la  lettre  de  M.  le  nonce,  par  où  vous 
verrez  l'attention  qu'il  a  eue  à  vous  faire  plaisir,  et 
qu'il  désire  que  vous  le  sachiez. 

Au  reste,  après  une  déclaration  si  authentique 
faite  au  Roi  de  la  part  du  Pape,  je  ne  crois  pas 
qu'on  puisse  reculer,  ni  s'empêcher  de  faire  quelque 
chose  de  fort.  Que  signifieroit  une  bulle  qui  ne  fe- 
roit  point  mention  du  livre,  quand  même  il  au- 
roit  été  condamné  par  un  acte  séparé  du  saint 
Office  (*)?  Allez  pourtant  au-devant  de  tout,  et 
prévoyez  tous  les  côtés  dont  on  peut  regarder 
la  chose. 

Quant  à  l'amour  pur  de  M.  de  Cambrai ,  on  lais- 
seroit  la  racine  du  mal  en  son  entier,  si  l'on  ne  le 
condamnoit  pas.  Il  est  absolument  nécessaire  de  le 
proscrire ,  en  distinguant  l'amour  du  quatrième  de- 
gré, de  l'amour  du  cinquième  degré,  qui  est  celui 
que  M.  de  Cambrai  nomme  le  pur  amour.  On  peut 
dire  avec  certitude,  que  sur  ce  point  il  n'a  aucun 
auteur  pour  lui.  Vous  trouverez  dans  la  Quœstiun- 
cula,  et  surtout  dans  ma  dernière  Réponse,  Con- 

(*)  On  a  vu  dans  les  lettres  précédentes  de  l'abbé  Bossuet,  que 
quelques  cardinaux  projetoient  de  réduire  les  trente-huit  propo- 
sitions extraites  du  livre  de  M.  de  Cambrai,  à  sept  ou  huit,  de  les 
qualifier,  de  mettre  au  décret  un  préambule,  dans  lequel  on  expo- 
seroit  la  doctrine  catholique ,  mais  de  ne  nommer,  dans  le  décret, 
ni  l'auteur  ni  le  livre. 

clusion,. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  17 

clusion,  %.  m.  de  l'état  de  la  question,  n.  3,  4>  5,  6, 
de  quoi  faire  un  excellent  me'moire  latin  ou  français 
sur  cette  matière.  Vous  l'adapterez,  mieux  que  je 
ne  pourrois  le  faire  ici,  aux  dispositions  pre'sentes 
de  ceux  avec  qui  vous  avez  à  traiter,  et  M.  Plielip-' 
peaux  saura  bien  dire  ce  qu'il  faut. 

Il  sera  utile  (*)  qu*on  trouve  à  Rome  de  quoi 
mieux  attaquer  M.  de  Cambrai  qu'on  ne  Ta  fait  ici  : 
nous  laisserons  aisément  cette  gloire,  à  ceux  qui,  re- 
gardant de  plus  haut  que  nous,  verront  plus  loin. 
Mais  de  dire  qu'on  le  défende  mieux  qu'il  ne  s'est 
défendu ,  c'est  dire  qu'on  l'entend  mieux  qu'il  ne 
s'est  entendu  lui-même. 

Il  me  semble  que  j'ai  démontré  en  peu  de  mots 
l'inutilité  de  ses  réponses,  dans  le  Quielismus  redi- 
vwus  ;  Admonilione  prœvid ,  depuis  le  n.  i  jusqu'au 
311.  En  général  cette  admonition  va  très-nettement 
au-devant  de  tout.  Quant  à  ceux  qui  voudroient 
avoir  égard  aux  explications  de  M.  de  Cambrai,  du 
nombre  desquels  je  crains  que  le  cardinal  Noris  et  le 
cardinal  Ferrari  ne  soient  un  peu,  il  faut  leur  repré- 
senter vivement  les  variations  et  les  erreurs  de  ces 
explications.  Consultez  la  section  vu  de  la  jRe/a- 
tion.  Voyez  aussi  dans  la  Réponse  aux  quatre  lettres 
de  M.  de  Cambrai,  la  section  xx  (**),  où  je  prouve 
que  l'explication  donnée  par  l'auteur  même   à  la 

(*)  On  peut  se  rappeler  ici  ce  que  Fabbé  Bossuet  écrivoit  à  soa 
oncle,  dans  sa  lettre  pénultième,  sur  les  prétentions  du  cardinal 
Noris,  dont  M.  de  Meaux  a  en  vue  le  discours  dans  cet  article. 

(**)  Les  difFérens  passages  des  livres  publiés  dans  cette  contro- 
verse, auxquels  Bossuet  renvoie  ici,  se  trouvent  tome  xxik,  pui^.  65, 
383,  395  et  suiv.  63 1  j  et  toiUG  xxx,  pag.  207  et  suiv. 

Bossuet.  xlii.  2 


iB  LETTRES 

proposition  de  son  livre  sur  le  trouble  involontaire 
de  Jésus -Christ,  augmente  Terreur  au  lieu  de  la 
corriger. 

Faites  bien  des  re'flexions,  et  faites-en  faire  sur 
la  première  lettre  de  ce  prélat  à  M.  de  Chartres,  et 
sur  la  bulle  de  Jean  XXII  contre  Ekard,  rapportée 
dans  Raynaldus. 

On  attend  dans  peu  de  jours  M.  de  Monaco  :  il  ne 
viendra  qu  à  Versailles. 

Il  ne  faut  point  du  tout  songer,  comme  je  vous 
l'ai  déjà  dit,  à  empêcher  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
de  voter.  Personne  n'approuve  ici  ce  projet ,  par  la 
raison  marquée  dans  ma  lettre  précédente.  On  fera 
agir  M.  de  Toureil  :  aucun  de  vos  avis  ne  tombe  à 
terre. 

Je  ne  crois  pas  devoir  donner  d'autre  préservatif 
que  mon  admonition,  contre  les  expressions  exagé- 
ra tives  et  excessives  de  quelques  pieux  auteurs ,  non 
plus  que  contre  les  spéculations  trop  abstraites.  On 
doit  regarder  dans  tout  cela  ce  qui  est  bon  in  praxi. 
Vous  trouverez  mon  admonition  parmi  mes  mé- 
moires précédens.  Au  reste,  il  n'est  pas  possible  de 
donner  des  règles  fixes ,  qu'en  revenant  aux  Articles 
d'Issy,  ce  qu'on  ne  fera  pas  à  Rome;  et  d'ailleurs  il 
faudroit  y  ajouter  quelque  chose  contre  les  nouvelles 
subtilités  de  M.  de  Cambrai. 

Pour  ce  qui  concerne  les  Articles,  vous  trouverez 
beaucoup  de  lumière  dans  le  corollaire  du  Quietis- 
mus  redivii^iis  (*). 

Je  rends  tous  les  bons  offices  possibles  au  sieur 
Poussin  :  vous  pouvez  l'en  assurer. 

O  Voyez  tome  xxix,  pag.  49a  et  suiv. 


I 


suK  l'affaire  du   quiétisme.  19 

M.  l'abbë  Régnier  nous  promet  au  premier  jour 
la  traduction  de  mon  dernier  livre  (*}. 

A  Fonlainebleau,  ce  10  novembre  1698. 

LETTRE  CCGLXV. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  deux  entretiens  qu  il  avoit  eus  avec  le  Pape  ;  le  mécontente- 
ment du  saint  Père  à  Tégard  de  M.  de  Cambrai  5  le  refus  qu'il 
avoit  fait  de  lui  accorder  les  délais  qu'il  demandoit  ^  et  les  dis- 
positions des  cardinaux.  ^ 

J'ai  reçu  les  lettres  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'e'crire  de  Meaux,  du  i  a  octobre  et  du  18.  J'ai 
reçu  en  même  temps  le  Mandatum  que  vous  m'a- 
dressez, dont  j'ai  fait  l'usage  que  je  vous  dirai  dans  la 
suite  de  cette  lettre. 

Pour  commencer  à  vous  rendre  compte  de  ce  qui 
s'est  passé  depuis  ma  dernière  lettre  du  4>  je  vous 
dirai  que  le  lendemain  je  me  rendis  chez  le  Pape,  à 
l'heure  que  monseigneur  Aquaviva  m'avoit  marquée. 
Sa  Sainteté  avoit  déjà  fait  demander  deux  ou  trois 
fois  si  je  nétois  pas  dans  l'antichambre,  et  avoit 
plus  d'impatience  de  me  donner  audience  que  moi 
d'y  être  admis.  J'entrai  d'abord  :  à  peine  étois-je 
à  la  porte  qu'il  me  demanda  de  vos  nouvelles ,  del 
caro  noslro  Vesco\^o  ;  ce  sont  ses  paroles.  Il  seroit 
trop  long  de  vous  rapporter  tout  ce  qu'il  me  dit 
d'obligeant  pour  vous.  Je  lui  expliquai  ce  qui  me 
faisoit  venir  à  ses  pieds,  et  je  lui  lendis  compte  de 

(*)  Les  Remarques  sur  la  Réponse  de  M'  de  Cambrai  à  la  Relation 
du  Quiétisme, 


aO  LETTRES 

mon  mieux  des  raisons  importantes  qui  vous  avoient 
forcé  à  faire  cette  dernière  réponse.  Il  me  parut 
content  de  toutes,  et  les  approuver.  Il  se  récria  sur 
l'accusation  de  la  confession  révélée,  mais  d'une 
manière  très-forte.  Ce  ne  peut  être  qu'une  calomnie , 
me  dit-il;  et  il  ajouta  que  votre  réputation  étoit 
trop  établie,  pour  que  cela  pût  faire  la  moindre 
impression  sur  l'esprit  de  personne.  Il  insista  dans 
les  termes  les  plus  forts ,  ajoutant  que  tout  retom^ 
boit  sur  Farchevêque  de  Cambrai,  qui,  surtout  de- 
puis quelque  temps,  si  prejudicas^a  assai ,  se  faisoit 
grand  tort  à  Rome  comme  en  France.  Pendant  tout 
ce  temps-là  Sa  Sainteté  tendoit  la  main  pour  rece- 
voir le  livre  que  je  faisois  semblant  de  n'oser  lui 
donner,  sachant  la  peine  que  lui  faisoient  les  écri- 
tures nouvelles.  Enfin  je  me  fis  en  quelque  sorte 
contraindre  de  le  lui  remettre  entre  les  mains  :  elle 
parut  me  savoir  bon  gré  de  la  peine  que  j'avois  là- 
dessus.  Sa  Sainteté  eut  la  bonté  de  me  promettre  de 
s'en  faire  lire  tous  les  jours  quelque  chose.  Je  lui  fis 
plaisir  quand  je  lui  dis  qu'on  le  traduisoit  en  ita- 
lien, exprès  pour  elle. 

Je  profitai  de  cette  occasion  pour  la  presser  de 
faire  recommencer  les  congrégations  :  elle  me  promit 
de  le  faire  incessamment. 

Je  lui  parlai  sur  l'amour  pur  de  M.  de  Cambrai. 
Sa  Sainteté  s'en  expliqua  avec  indignation ,  me  di- 
sant expressément  que  ce  n'étoit  qu'une  illusion. 
Pour  la^ confirmer,  je  lui  rapportai  les  paroles  du 
Deutéronome  sur  le  précepte  d'aimer  Dieu,  utbene 
sit  tihi  ;  lui  faisant  observer  que  c'étoit  précisément 
ce  que  M.  de  Cambrai  appeloit  intéressé.  Je  la  sup- 


I 


SUR   L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  21 

pliai  de  demander  aux  défenseurs  du  livre  un  seul 
texte  de  l'Ecriture  sainte,  etc. 

Je  me  plaignis  du  sacriste,  qui  n'avoit  pas  achevé 
de  donner  son  vœu.  Le  Pape  me  répondit,  en  plai- 
santant et  en  riant,  qu'on  se  passeroit  fort  bien  de 
son  vœu  ;  qu'il  avoit  tant  ennuyé  par  ses  longs  dis- 
cours ,  que  Ton  pouvoit  bien  le  tenir  quitte  de  ce 
qu'il  mettroit  par  écrit.  En  vérité,  toutes  les  ré- 
ponses qu'il  me  fit  ne  sont  pas  d'un  homme  de  son 
âge,  et  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  veut  faire 
passer  ici  pour  imbécile.  Enfin  je  finis  en  lui  mar- 
quant la  joie  que  toute  la  France,  et  en  particu- 
lier le  clergé ,  avoit  reçue  des  grâces  que  Sa  Sain- 
teté avoit  faites  à  M.  le  nonce,  qui  étoit  respecté, 
aimé  et  honoré  de  tous  ;  cela  lui  fit  un  grand  plaisir. 
Au  reste.  Sa  Sainteté  me  parla  du  Roi  avec  une 
tendresse  et  un  respect  que  ses  grandes  qualités  mé- 
ritent :  elle  me  le  représenta  comme  le  seul  pro» 
tecteur  de  la  religion  ;  ajoutant  que  tout  le  monde 
vouloit  s'unir  contre  lui,  mais  qu'il  seroit  toujours 
le  plus  fort.  Elle  avoit  tenu  le  même  discours  la 
veille  au  Père  procureur-général  des  Minimes.  Cela 
se  passa  mercredi  5  du  mois. 

Samedi  je  reçus  par  le  courrier  votre  écrit 
latin  (*)  :  je  le  fis  aussitôt  copier  pour  les  cardinaux 
et  le  Pape.  J'eus  le  tout  le  dimanche  au  soir.  Lundi , 
qui  étoit  hier,  je  le  fis  distribuer  à  tous  les  cardi- 
naux. J'allai  chez  tous  ;  et  pour  ceux  que  je  ne  pou- 
voisvoir,  j'avois  préparé  un  billet  avec  votre  écrit 
cacheté  que  je  laissois  :  ainsi  tous  l'ont  eu.  J'allai 

(*)  C'est  le  Mandatum  adressé  à  cet  abbé ,  que  nous  ayons  rap» 
porté  plus  haut,  tom.  xli,  pag.  536. 


22  LETTRES 

laprès-dînée  chez  le  Pape.  Je  sus  que  M.  de  Clian- 
teracy  étoit,  mais  que  Sa  Sainteté  n'avoit  pas  eu  le 
temps  ou  la  volonté  de  le  recevoir.  Monseigneur 
Aquaviva   me  dit  qu'il   Favoit  remis  à    ce   matin. 
Comme  j'étois  bien  aise  de  savoir,    avant  que  de 
parler  au  Pape,  ce  que  M.  de  Chanterac  lui  auroit 
dit ,  et  que  je  me  doutois  de  quelque  manœuvre ,  je 
convins  avec  monseigneur  Aquaviva  que  je  retour- 
nerois  cette  après-dînée.   Je  m'y  suis  donc  rendu. 
J'ai    commencé  par  savoir   des  camériers    secrets 
italiens»  qui  sont  de  mes  amis,  que  M.  de  Chan- 
terac admis  chez  le  Pape,  n'avoit  fait  qu'entrer  et 
sortir  j    monseigneur    Aquaviva    m'a    confirmé   la 
même  chose.  Sa  Sainteté  m'a  fait  appeler,   et  a 
commencé    par    me    dire    avec    indignation    que 
l'homme  de  M.  de  Cambrai  Tétoit  venu  importuner 
ce  matin,  et  avoit  eu  la  hardiesse  de  lui  demander 
un  délai  pour  répondre  à  votre  dernière  écriture , 
mais  qu'elle  ne  vouloit  pas  en  entendre  parler  :  elle 
étoit  vraiment  en  colère.  J'ai  pris  la  liberté  de  lui 
dire  que  la  réponse  que  vouloit  entreprendre  M.  de 
Cambrai,  et  que  j'étois  sûr  qu'il  ne  pourroit  faire, 
ne  devoit  pas  la  mettre  en  peine,  pourvu  qu'elle  fût 
dans  la  résolution  de  ne  point  donner  de  délai,  qui, 
dans  les  circonstances  présentes,  étoit  inutile  et  in- 
juste ;  que  les  évéques  n'avoient  jamais  prétendu  en 
demander  pour  répondre  à  M.  de  Cambrai;   qu'il 
étoit  uniquement  question  d'un  petit  livre  ,  sur  le- 
quel on  demandoit  depuis  un  an  et  demi  la  décision 
de  Sa  Sainteté.  J'avois  un  grand  champ  pour  m'é- 
tendre  sur  tout  ce  que  vous  pouvez  vous  imaginer; 
ce  que  j'ai  fait,  et  Sa  Sainteté  m'a  paru  être  con- 


SUR   l'affaire   du    QUIÉTISME.  23 

tente.  Après  quoi  je  lui  ai  présenté  votre  écrit ,. 
qu  elle  a  fort  bien  reçu.  Elle  a  voulu  que  je  lui  en 
disse  la  substance  :  je  Tai  suppliée  de  vouloir  bien  se 
le  faire  lire;  elle  me  Ta  bien  promis,  et  je  l'ai  laissée 
dans  la  résolution  de  n'avoir  aucun  égard  aux  injustes 
demandes  de  M.  de  Cambrai. 

Je  viens  d'apprendre  dans  le  moment ,  par  le 
sieur  Feydé,  agent  du  grand  duc,  qui  s'est  trouvé 
chez  le  Pape  quand  M.  de  Chanterac  y  étoit,  et  qui. 
a  parlé  au  Pape  après  lui ,  que  Sa  Sainteté  étoit 
hors  d'elle ,  et  avoit  renvoyé  promptement  ce 
pauvre  homme  avec  indignation  ;  que  Sa  Sainteté 
lui  avoit  parlé  avec  colère  de  M.  de  Cambrai  et  du 
livre^  du  scandale  qu'il  causoit,  mais  que  bientôt 
on  lui  donneroit  une  bonne  leçon.  M..  Feydé  ne 
savoit  pas  que  M.  de  Chanterac  eût  demandé  un, 
délai  pour  répondre  ;  mais  le  Pape  me  l'a  dit  ea 
termes  formels. 

Au  sortir  de  chez  le  Pape,  jjai  été  chez  le  cardinal 
Casanate  l'avertir  de  tout,,  et  chez  plusieurs  de  nos 
amis ,  pour  confirmer  Sa  Sainteté  dans  sa  résolution. 

Tout  cela  est  un  jeu  joué  par  les  protecteurs  de 
M.  de  Cambrai,  pour  tâcher  d'alonger  ;  mais  le 
sort  est  jeté.  Messieurs  les  cardinaux  s'assemblent 
demain  matin,  par  ordre  de  Sa  Sainteté,  exprès 
pour  déterminer  de  modo  procedendi ,  la  manière 
de  procéder  dans  cette  affaire.  Là  on  verra  l'ordre 
qu'on  tiendra  dans  l'examen  des  propositions,  qu'on 
réduira  apparemment  sous  des  chefs  principaux  ;  et 
les  cardinaux  pourront  dans  chaque  congrégation 
se  fixer  sur  un  chef.  J'espère  qu'on  fera  deux  con- 
grégations par  semaine  |.  ainsi  en  quatre  semaiaes 


1l\.  LETTRES 


ils  auront  fini.  Us  me  paroissent  tous  résolus  de  ne 
pas  perdre  de  temps,  et  de  tâcher  de  sortir  promp- 
tement  d'affaire.  Quant  au  cardinal  de  Bouillon ,  je 
ne  réponds  de  rien ,  ou  plutôt  je  reponds  de  tout. 
Avec  cela  j'avoue  que  son  personnage  est  difficile  à 
soutenir.  Nous  ne  pouvons  savoir  avant  demain  ce 
qui  sera  réglé.  Je  vais  toujours  m'assurant  de  plus 
en  plus  des  cardinaux.  J'ose  vous  dire  en  confidence 
que  je  serai  bien  trompé  s'il  en  manque  un  seul  ; 
mais  avec  cela  je  ne  prétends  rien  assurer.  Je  crains 
toujours  qu'on  ne  fourre  quelque  petit  mot  j  c'est  à 
quoi  il  faut  être  très- attentif. 

Hier  je  fus  deux  heures  avec  le  cardinal  Carpegna  ; 
j'en  suis  content ,  très-content.  Ce  matin  le  cardinal 
Ottoboni  a  eu  une  explication  avec  moi ,  et  m'a  fait 
entendre  ce  qu'il  faut.  Je  ne  me  fierois  naturellement 
ni  à  l'un  ni  à  l'autre ,  si  je  n'étois  sûr  par  moi-même 
de  leurs  théologiens.  Le  cardinal  Albane  me  promet 
monts  et'  merveilles,  et  au  père  Roslet.  S'il  nous 
trompe ,  il  se  trompe  lui-même  le  premier.  Ce  qui 
me  donne  une  certaine  confiance  dans  les  discours 
de  ces  Eminences,  c'est  que  le  cardinal  Casanate 
me  dit  que  tout  va  bien,  que  les  cardinaux  sont 
bien  disposés,  et  surtout  les  cardinaux  papables  : 
vous  voyez  ce  qui  les  remue. 

Nous  sommes  parvenus  à  engager  le  Pape  à  con- 
sulter le  père  Serrani;  cela  a  fait  un  bon  effet.  Je 
travaille  à  lui  faire  aussi  consulter  le  père  Latenai  ; 
mais  je  crois  que  son  parti  est  déjà  pris  là-dessus. 

La  seule  chose  sur  laquelle  il  y  aura  plus  de  dif- 
ficulté, sera  la  condamnation  des  propositions  qui 
concernent  l'amour  pur  :  mais  il  faudra  que  ce  cin- 


sun   l'affaire   du    QUIÉTISMF.  23 

quième  amour  soit  proscrit,  malgré  les  efforts  de 

la  cabale. 

Au  reste,  nos  amis  du  saint  Office  ont  trouvé 
dans  les  pièces  secrètes  du  saint  Office  des  choses 
admirables  contre  M.  de  Cambrai ,  apparemment 
dans  les  abjurations  de  Molinos,  de  Petrucci ,  et 
d'autres  Quiétistes.  Dans  l'interrogatoire  de  Molinos 
sur  la  douzième  de  ses  propositions ,  on  a  vu  qu'il 
donnoit  la  même  solution,  et  avoit  le  même  système 
que  M.  de  Cambrai  quant  à  l'intérêt  propre,  ou 
l'amour  intéressé,  et  ce  qu'il  appeloit  propriété, 
dont  il  disoit  qu'on  se  purifîoit  en  purgatoire. 
Malgré  ses  explications ,  les  qualificateurs  persis- 
tèrent dans  leurs  qualifications.  Ce  que  je  vous 
mande  est  sûr  :  je  tâcherai  d'en  avoir  la  preuve. 
Doit-on  douter  après  cela  de  la  condamnation  ? 
Voilà  ce  qui  m'assure  plus  que  toutes  les  paroles  du 
monde ,  dont  je  fais  à  peu  près  le  cas  dans  ce  pays- 
ci,  que  faisoit  le  pape  Ottoboni  de  celles  qu'il 
donnoit. 

Le  père  Roslet  a  reçu,  et  vous  en  êtes  informé  à 
cette  heure^la  censure  de  douze  propositions,  signée 
par  soixante  docteurs  de  Paris.  Nous  gardons  le  se- 
cret là-dessus,  pour  porter  notre  coup  à  propos.  Le 
cardinal  Casanate  en  est  seul  informé  :  il  a  en  main 
la  censure.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  en  a  eu  vent; 
mais  il  sera  le  dernier  que  nous  en  instruirons.  De- 
main j'en  parlerai  au  cardinal  Spada ,  et  lui  dirai 
que  cette  censure  a  été  dressée  pour  faire  voir  la 
fausseté  de  ce  qu'ont  ici  avancé  les  Cambraisiens , 
que  la  Sorbonne  approuvoit  leur  amour  pur.  Nous 
ferons  valoir  la  modération  de  cette  compagnie  et 


96  LETTRES 

le  secret.  Je  crois  que  cela  sera  bien  reçu  :  nous  y 
donnerons  le  bon  tour  qui  convient,  et  nos  amis 
nous  appuieront.  Les  qualifications  pourroient  être 
plus  fortes  ;  mais  cela  est  toujours  bon  :  je  n  ai  eu 
le  temps  que  de  la  lire  en  courant. 

Je  connois  M.  de  Paris,  et  m'imagine  voir  tout  : 
il  faut  que  vous  ayez  patience,  et  que  l'union  pa- 
roisse jusqu'au  bout.  Je  suis  fâché  que  vous  n'ayezi 
pas  eu  part  à  ce  que  ces  docteurs  ont  fait  :  je  crois 
que  vous  n'y  auriez  rien  gâté,  quoique  je  voie  bien 
que  la  censure  est  dans  votre  esprit. 

Ne  perdez  point  de  temps  pour  la  traduction  ita- 
lienne. 

Je  souhaiterois  fort  avoir  une  bonne  copie  de 
votre  portrait  ,  et  quelques  estampes  petites  et 
grandes  de  la  gravure. 

Ayez  la  bonté  de  nous  envoyer,  tous  les  ordi- 
naires, quelques  exemplaires  de  vos  livres,  des  pre- 
miers et  derniers,  Relations  françaises,  italiennes, 
et  surtout  les  trois  écrits  latins  dont  nous  avons  ea 
très-peu. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  loue  fort  votre  dernier 
ouvrage,  et  avoue  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  fort ,  et 
qu'il  ne  croyoit  pas  qu'on  put  répondre  si  bien  à  ce 
que  M.  de  Cambrai  avoit  dit. 
Rome,  ce  n  novembre  1698. 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIETISME. 


LETTRE   CCCLXVI. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  une  réponse  qu'il  dosiroit  faire  à  deux  lettres  de  M.  de  Cam- 
brai j  et  sur  quelques  endroits  de  ses  ouvrages,  pour  aider  à  une 
exposition  doctrinale  qu'on  méditoit  à  Rome. 

Quoique  l'ordinaire  de  Rome  ne  soit  pas  venu,  je 
vous  écris  au  hasard,  sans  pourtant  rien  ajouter  de 
considérable  à  mes  précédentes  lettres. 

J'ai  reçu  deux  lettres  françaises  de  M.  de  Cambrai 
sur  les  in  tuto.  J'ai  bien  envie  d'y  répondre  (*)  sous 
ce  titre  :  Le  dernier  livre ,  ou  l'on  montre  à  M.  de 
Cambrai  qu'il  na  répondu  à  rien.  Je  me  contente- 
rois  de  relever  les  difficultés  faites  contre  son  livre , 
sur  lesquelles  il  ne  dit  mot.  Cela  le  feroit  paroître 
bien  ridicule,  et  montreroit  que  comme  bon  chef  de 
parti,  il  n'a  d'autre  sué  que  d'entretenir  sa  réputa- 
tion parmi  ses  partisans ,  en  leur  faisant  accroire 
qu'il  répond  à  tout. 

Je  vois  par  diverses  lettres  qu'on  pense  toujours  à 
Rome  à  faire  une  exposition  doctrinale  :  cela  sera 
fort  difficile  ;  néanmoins  on  en  voit  un  crayon  dans 
les  trente-six  propositions  de  Schola  in  tuto,  quaest.  i, 
art.  i« 

Si  l'on  ne  condamne  le  pur  amour  de  M.  de  Cam- 
brai ,  qui  est  celui  du  cinquième  degré ,  on  laissera 
renaître  le  mal.  Vous  en  trouverez  la  preuve  en  di- 
vers endroits,  marqués  par  mes  lettres  précédentes, 

(*)  Bossuet  n'exécuta  pas  ce  projet. 


28  LETTRES 

et  surtout  dans  le  Quietismus  redii^wus ,  sect.  iv, 
cap.  V  ,  n.  1 ,  2,3,4*  Cela  n'est  nulle  part  plus  net- 
tement. 

Depuis  mes  lettres  précédentes ,  j'ai  reçu  une  lettre 
très-honnête  de  M.  l'archevêque  de  Séville  (*),  avec 
un  exemplaire  de  sa  Lettre  pastorale.  Il  ne  faudra 
pas  laisser  de  lui  envoyer  par  son  agent  le  double 
de  ma  lettre ,  que  j'ai  adresse'e  à  M.  Phelippeaux. 

A  Germigny,  16  novembre  1698. 


LETTRE  CCCLXVII. 

DU  P.  MAUDUIT,  DE  L'ORATOIRE, 

A    BOSSUE  T. 

Il  lui  adresse  un  ouvrage  qu'il  avoit  composé  contre  les  erreurs 
des  Quiétistes. 

Je  ne  sais  si  votre  Grandeur  se  souvient ,  qu'un 
jour  étant  allé  vous  rendre  de  très-humbles  remer- 
cîmens  du  livre  latin  des  trois  Traités,  dont  vous 
aviez  eu  la  bonté  de  me  faire  présent ,  il  m'échappa 
de  vous  dire  qu'il  m'étoit  venu  dans  l'esprit  quel- 
ques pensées  sur  cette  dispute  ;  que  vous  eûtes  la 
complaisance  de  m'exciter  à  les  écrire ,  et  que  vous 
ajoutâtes  avec  une  extrême  humilité  que  vous  en 
profiteriez.  Cette  parole  fut  un  poids  violent  pour 

(*)  On  a  pu  remarquer ,  dans  les  lettres  précédentes ,  que  Far- 
«hevêque  de  Séville  étoit  très-opposé  au  Quiétisme.  Nous  n'avons 
pas  la  Lettre  pastorale  dont  il  est  ici  question ,  non  plus  que  sa 
lettre  à  Bossuet,  ni  celle  que  Bossuet  avoit  adressée  à  Tabbé  Phe- 
lippeaux pour  être  envoyée  à  cet  archevêque. 


SUR  l'affàike  du  quiétisme.  29 

me  déterminer  à  m'en  décharger  sur  le  papier.  Je 
l'ai  fait ,  et  je  vous  les  envoie,  Monseigneur,  comme 
un  compte  que  je  vous  rends  de  la  lecture  de  vos 
excellens  ouvrages ,  et  du  profit  que  j'ai  tâché  d'en 
faire.  Elles  ne  tenoient  pas,  ce  me  semble,  tant  de 
p-ace  en  mon  esprit  :  la  matière  s'est ,  je  ne  sais  com- 
ment, développée  jusqu'à  faire  à  peu  près  un  juste 
volume  ;  et  l'ouvrage  a  crû  et  s'est  grossi  insensible- 
ment sous  la  plume.  Vous  êtes,  Monseigneur,  le 
maître  absolu  de  son  sort ,  pour  le  faire  paroître  au 
jour  ou  pour  le  supprimer.  Si  votre  Grandeur  y  ^ 
trouve  quelque  chose  d'utile,  comme  je  crois  qu'il 
y  a  des  endroits  capables  de  faire  quelque  impression 
sur  les  esprits ,  vous  le  pourrez  traiter  comme  un 
enfant  trouvé,  qu'on  élève  sans  connoître  ou  sans 
découvrir  ses  parens.  Que  si  vous  n'y  trouvez  rien 
qui  mérite  d'entretenir  le  public ,  vc^us  aurez  tou- 
jours la  bonté  de  le  garder  dans  votre  cabinet  (*), 
comme  un  acte  de  ma  déclaration  pour  votre  senti- 
ment dans  cette  controverse ,  ou  plutôt  si  je  l'ose 
dire,  comme  une  profession  de  foi  que  je  fais  par 
avance,  en  attendant  la  décision  du  saint  Siège. 

Mais,  Monseigneur,  de  quelque  manière  que  votre 
Grandeur  en  use,  toute  la  grâce  que  je  lui  demande, 
pour  des  raisons  qu'il  lui  est  aisé  de  pénétrer,  est 
de  laisser  l'auteur  jouir  de  ses  ténèbres,  et  de  ne 
marquer  en  aucune  manière,  ni  son  nom,  ni  celui 
de  sa  communauté.  Il  n'a  fait  confidence  à  per- 
sonne de  son  dessein,  il  lui  suffit  d'être  connu  de 
vous ,  et  il  se   croira   trop   payé   de  sa  peine  ,  si 

C*)  Il  ne  paroîl  pas  que  cet  ouvrage  ait  été  imprimé,  apparem- 
ment parce  qu'on  se  croyoit  ù  la  veille  de  voir  terminer  TafFaire, 


3o  LETTRES 

VOUS  jugez  à  cette  marque  qu'il  est  plus  qu'aucun 
autre,  etc. 


l6  Novembre  1698. 


LETTRE  CCCLXVIII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  la  Censure  des  soixante,  et  celui   qui  l'a  dressée  j  et  sur  les 
bonnes  dispositions  du  Roi  et  de  M.  le  nonce. 

Depuis  ma  lettre  d'hier,  j'ai  reçu  la  vôtre  du  28 
octobre ,  dont  j'ai  rendu  compte  où  il  falloit. 

M.  de  Paris  a  eu  quelques  accès  assez  légers  de 
fièvre  tierce  :  il  en  a  été  quitte.  Dieu  merci,  pour 
quelques  prises  de  quinquina. 

Tous  les  jours  il  se  présente  de  nouveaux  docteurs 
pour  signer  après  les  soixante,  et  le  nombre  passe 
la  centaine  ;  mais  on  n'a  pas  voulu  multiplier  les 
signatures. 

C'est  M.  Pirot  qui  a  dressé  le  fond  de  l'acte  et 
les  qualifications  :  ainsi,  s'il  n'a  pas  signé,  c'est  seu- 
lement à  cause  qu'il  avoit  déjà  trop  témoigné  son 
sentiment  en  travaillant  avec  nous. 

Il  n'y  a  rien  à  souhaiter  du  Roi  et  de  M.  le  nonce, 
qui  font  tout  ce  qu'il  faut,  et  aussi  bien  qu'il  se 
peut. 

J'ai  fait  à  merveille  la  cour  de  M.  Poussin  auprès 
de  MM.  de  Pomponne  et  de  Torcy,  et  je  conti- 
nuerai ,  sans  l'oublier  dans  l'occasion  auprès  de 
M.  Noblet. 

Il  y  a  long-temps  que  je  n'ai  vu  M.  le  cardinal 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  3i 

de  Janson,  qui  depuis  le  départ  de  Compiègne,  et 
durant  tout  Fontain^ebleau ,  a  travaille'  à  Beauvais 
aux  affaires  de  son  diocèse. 

Vous  avez  bien  fait  d'avoir  supprimé  les  remarques 
de  M.  de  Paris,  qui  donnoient  à  M.  de  Cambrai  ce 
qu'il  demande. 

AGermigny,  17  novembre  1698. 


•>«/«>^«/«/»il,^^««/««  «>«/««>«/•>  V«/»  «>«/««•'•>«>«>«>««•«>«>« 


LETTRE  CGCLXIX. 

DE  L'ABBÉ  PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. 

Sur  les  Remarques  du  prélat;  les  nouvelles  lettres  de  M.  de  Cam- 
brai; le  refus  que  le  Pape  avoit  fait  de  lui  accorder  un  délai; 
les  congrégations  des  cardinaux;  et  la  censure  des  docteurs  de 
Paris. 

Vos  Remarques  sur  la  Réponse  à  la  Relation, 
sont  fort  estimées  et  goûtées  ici.  Elles  sont  acca- 
blantes, et  elles  étoient  nécessaires  pour  faire  con- 
noître  les  souplesses  et  les  calomnies  de  M.  de  Cam- 
brai :  il  ne  cesse  pas  cependant  d'écrire.  On  vient 
de  m'avertir  qu'il  étoit  arrivé  ce  soir  deux  lettres, 
en  Réponse  à  Mjslici  in  tuto  et  à  Schola  m  tuto; 
mais  cela  ne  fera  point  d'effet,  et  ne  retardera  pas 
le  jugement. 

Vous  savez  que  l'abbé  de  Chanterac  ayant  de- 
mandé du  délai  pour  répondre  à  vos  Remarques,  le 
Pape  le  refusa,  et  deux  jours  après  intima  les  con- 
grégations pour  la  décision  de  l'affaire. 

Hier  se  tint  la  première  congrégation  extraordi- 
naire, où  parla  M.  le  cardinal  de  Bouillon;  du 
moins  il  me  dit  qu'il  avoit  beaucoup  parlé,  et  qu'il 


3'2  LETTRES 

étoit  fatigue.  Mercredi  on  continuera ,  et  jeudi  se 
fera  devant  le  Pape  le  rapport  de  ce  qui  aura  e'té 
fait  ou  résolu  dans  les  deux  congrégations  précé- 
dentes ;  ce  qui  continuera  jusqu'à  la  fin. 

L'affaire  paroît  en  bon  état  :  les  cardinaux  sont 
instruits  et  bien  intentionnés.  Je  crois  qu'on  suivra, 
dans  la  discussion  des  propositions,  le  projet  de  ré- 
duction à  sept  chefs  principaux  :  chacun  contient 
plusieurs  propositions,  qu'ils  pourront  réduire  selon 
qu'ils  le  trouveront  à  propos. 

Le  vœu  des  docteurs  de  Paris  aura  son  effet.  On 
a  voulu  exciter  la  jalousie  de  cette  Cour  :  mais  les 
cardinaux  les  plus  sensés  ont  vu  que  ce  jugement 
n'étoit  que  préparatoire,  et  que  la  Faculté  de  Paris 
s'étoit  expliquée  dans  presque  toutes  les  affaires  im- 
portantes avant  que  Rome  décidât.  On  a  instruit  le 
Pape,  et  les  lettres  de  M.  le  nonce  feront  impres- 
sion. Cela  cependant  les  rassurera  contre  les  faux 
bruits  qu'on  avoit  répandus  que  les  docteurs  de 
Paris  favorisoient  le  livre ,  et  leur  fera  voir  la  né- 
cessité de  qualifier  les  propositions.  Il  auroit  été  à 
souhaiter  qu'ils  eussent  eu  vos  qualifications ,  qui 
sont  plus  fortes  et  plus  pressées.  Ils  n'ont  point  mis 
la  qualification  d'hérétique  :  il  est  vrai  qu'il  y  a  des 
termes  équivalens  ;  mais  les  équivalens  ne  sont  pas 
de  saison  en  ces  sortes  d'affaires ,  et  ils  dévoient  qua- 
lifier les  propositions  extraites  qui  ont  été  discutées  : 
autrement  on  embrouille  tout ,  et  on  fatigue  les  car- 
dinaux par  la  diversité  des  propositions. 

L'archevêque  de  Chieti  voudroit  bien  pouvoir 
changer  son  vœu ,  voyant  qu'il  a  été  surpris  :  il  en 
devoit  conférer  avec  monseigneur  Giori.  Le  sacriste 

dit 


SUR    L^AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  33 

dit  qu'il  voudroit  que  le  livre  n'eût  jamais  paru  :  il 
s'est  entièrement  déshonoré  dans  l'esprit  des  hon- 
nêtes gens. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  paroît  vouloir  revenir 
au  bon  parti  :  il  voit  combien  il  seroit  ridicule  d'al- 
ler contre  le  torrent.  Je  crois  que  le  R.oi  lui  a  écrit 
fortement  par  le  dewiier  courrier ,  et  le  rend  res- 
ponsable du  succès.    Ainsi  il  sera  forcé  de  prendre 
le  bon  parti  ;  et  s'il  ne  le  prend  pas ,  il  sera  aban- 
donné de  ses  confrères.  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
ayant  vu  qu'il  étoit  mention  dans  vos  Remarques  de 
trois  écrits ,  me  dit  qu'il  ne  les  avoit  pas  vus,  et  me 
pria  de  les  lui  faire  voir.  Il  en  parut  étonné ,  en  de- 
manda des  extraits  ,  que  je  lui  ai  donnés.  Il  me  dit 
que  les  choses  n'étoient  plus  dans  l'état  où  elles  se 
trouvoient  auparavant,  et  qu'à  la  fin  de  l'affaire  on 
verroit  ce  qu'il  avoit  fait;   mais   qu'il  m'en  disoit 
.  trop  pour  le  présent  ;  que  quand  l'affaire  seroit  finie, 
il  souliaitoit  avoir  une  conversation  avec  moi,   et 
qu'il  me  diroit  des  choses  qu'il  ne  pouvoit  me  com- 
muniquer aujourd'hui.   Je  reçus   cette  marque  de 
confiance  comme  je  devois.  Il  avança  qu'on  n'avoit 
jamais  vu  un  tel  différend  entre  des  évêques.  Je  lui 
citai  saint  Augustin  et  Julien  :  la  comparaison  lui 
parut  un  peu  forte. 

Vous  nous  avez  envoyé  une  grande  quantité  de 
Remarques  :  j'aurois  souhaité  plutôt  les  écrits  latins, 
fort  estimés  des  savans,  et  dont  nous  n'avons  pas  eu 
soixante  exemplaires;  mais  la  chose  à  présent  est 
trop  avancée.  Monsieur  l'abbé  vous  dira  les  autres 
nouvelles.  Je  suis  avec  un  profond  respect,  etc. 

A  Rome,  mardi  i8  novembre  1698. 

BOSSUET.     XLIT.  3 


34  LETTRES 


LETTRE  CCCLXX. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  impressions  défavorables  qu'on  avoit  voulu  donner  à  Rome 
de  la  Censure  des  soixante  docteurs;  [fis  avantages  de  cette  Cen- 
sure; l'inutilité  des  efforts  de  M.  de  Cambrai  pour  obtenir  des 
Universités  étrangères  quelques  témoignages  en  sa  faveur;  sur  les 
assemblées  des  cardinaux,  et  la  forme  dans  laquelle  ils  dévoient 
procéder. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Fontainebleau  le  27  octobre. 

Vous  avez  vu  par  ma  dernière  que  je  savois  la 
signature  des  soixante  docteurs,  et  que  nous  avions 
la  pièce  en  main  :  sur  quoi  nous  avons  pris  toutes  les 
mesures  imaginables  pour  empêcher  qu'on  ne  donnât 
à  la  chose  une  mauvaise  toi:*rnure,  comme  on  en 
avoit  dessein.  Le  lendemain  de  la  date  de  ma  lettre, 
je  sus  que  M.  le  nonce  avoit  écrit  ici ,  un  peu  alarmé; 
et  cela,  parce  qu'il  se  trouvoit  à  Fontainebleau  sans 
vous ,  et  sans  pouvoir  s'éclaircir  avec  M.  de  Paris.  Il 
écrivoit  néanmoins  très-modérément,  mais  avec  quel- 
que doute.  Il  n'en  falloit  pas  ici  davantage,  pour 
donner  lieu  de  donner  l'alarme  à  des  gens  toujours 
ombrageux,  et  qui,  aidés  par  certaines  taupes  noires, 
ne  cessent  de  travailler  sous  terre  contre  la  France. 
Je  n'en  fus  pas  plus  tôt  averti  par  un  cardinal  ami , 
qui  n'entra  dans  aucun  détail  particulier,  que  j'en 
avertis  le  père  Pxoslet,  afin  qu'il  se  tînt  sur  ses 
gardes,  et  qu'il  ne  communiquât  la  pièce  qu'à  ceux 
qui  la  souhaiteroient  :  le  parti  a  été  trouvé  très- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  35 

sage,  et  exe'cute'  ainsi.  Nous  avions  aisément  deviné 
les  bonnes  raisons  et  les  causes  de  cette  signature. 
Je  vis  le  cardinal  Spada  à  qui  je  les  expliquai,  et  qui 
les  a  depuis  trouvées  conformes  à  ce  que  lui  a  mandé 
M.  le  nonce  :  il  n'a  pu  les  désapprouver  ;  MM.  les 
cardinaux  Panciatici  et  Albani  de  même,  aussi  bien 
que  le  cardinal  Ferrari.  Mais  surtout  ils  n'ont  rien 
eu  à  répondre  aux  exemples  que  nous  leur  avons 
apportés,  d'actes  semblables  faits  en  pareil  cas.  Nous 
leur  avons  cité  des  consultations  secrètes  des  doc- 
teurs ,  des  décrets  des  Facultés  dans  les  affaires  de 
Luther,  et  pendant  les  congrégations  de  auxiliis  ; 
ce  qui  non-seulement  fut  jugé  dans  ces  temps  très- 
utile,  mais  même  en  quelque  manière  nécessaire, 
pour  rendre  témoignage  à  la  vérité,  et  servir  de 
préparation  au  jugement  de  l'Eglise  universelle  ou 
de  l'Eglise  romaine,  qui  doit  désirer  de  voir  passer 
devant  elle  le  plus  de  témoins  qu'il  est  possible  de 
la  Tradition  sur  les  points  contestés.  Ces  raisons 
puissantes  ont  fermé  la  bouche  à  ceux  qui  vou- 
loient  faire  trouver  mauvais  ce  qu'on  venoit  de  pra- 
tiquer. Les  lettres  du  nonce  au  Pape  sont  arrivées 
là-dessus ,  et  ont  confirmé  tout  ce  que  nous  avions 
dit.  Je  vis  le  cardinal  Spada  aussitôt  que  j'eus  reçu 
votre  lettre  et  celle  de  M.  de  Paris.  Le  cardinal 
Spada  sortoit  de  chez  le  Pape,  et  il  m'assura  qu'il 
n'y  avoit  rien  à  dire  à  tout  ce  qui  s'étoit  fait ,  et 
qu'on  voyoit  que  c'étoit  seulement  une  préparation 
au  jugement  du  saint  Siège.  Ces  paroles-là  signifient 
beaucoup ,  ce  me  semble.  Il  me  parut  content  lors- 
que je  lui  représentai ,  que  jamais  on  n'auroit  dû 
s'imaginer  que  la  plus  grande  malignité  pût  trouver 


36  LETTTIES 

mal  un  procédé  aussi  simple  et  aussi  naturel  que 
celui-là  ;  que  les  docteurs  avoient  autant  de  respect 
pour  le  saint  Sic'ge  etpour  la  personne  de  Sa  Sainteté', 
que  les  e'vêques ,  dont  la  patience,  avec  laquelle  ils 
attendoient  en  France  le  jugement,  étoit  une  marque 
Lien  sûre. 

Je  vois  bien  que  le  petit  chagrin  que  quelques- 
uns  ont  pu  avoir  de  cet  éve'nement,  a  été  de  penser 
qu'on  vouloit  leur  faire  leur  leçon.  Ils  sont  bien 
aises  de  témoigner  qu'ils  n'ont  pas  besoin  qu'on  les 
instruise.  Je  leur  ai  parlé  aussi  sur  ce  ton-là ,  en 
les  assurant  que  je  m'attendois  de  leur  part  à  quel- 
que chose  de  plus  fort,  s'il  est  possible,  et  de  plus 
précis.  Ce  que  j'ai  cru  qu'on  devoit  éviter,  c'est  de 
se  faire  de  fête  ici ,  comme  si  Ton  avoit  gagné  la 
victoire.  La  pièce  fera,  s'il  plaît  à  Dieu,  son  effet 
d'elle-même  ;  parce  qu'elle  est  bonne  et  à  pi  opos  , 
et  fait  voir  en  soi  le  sentiment  des  gens  habiles,  et 
l'impuissance  de  la  cabale.  Je  sais  que  l'abbé  de 
Chanterac  a  voulu  faire  croire  que  la  signature  a 
été  forcée.  Il  l'a  dit  à  l'assesseur,  mais  on  n'en 
croit  rien. 

J'ai  bien  fait  valoir  les  efforts  inutiles  de  M.  de 
Cambrai,  pour  avoir  q«elque  chose  en  sa  faveur 
de  la  part  des  universités  d'Espagne ,  et  tout  nou- 
vellement de  celle  de  Louvain,  où  il  avoit  envoyé 
un  de  ses  chanoines,  nommé  Le  Comte;  mais  la  ré- 
ponse n'a  pas  été  favorable,  et  la  plupart  ont  dé- 
claré que  si  M.  de  Cambrai  les  obligeoit  à  parler 
sur  son  livre,  ce  ne  pourroit  être  à  son  avantage. 
Vous  devez  être  informé  de  tout  cela  avant  nous.  Ce 
que  je  vous  mande  est  très-vrai,  c'est  leur  député  à 


SUR  l'affaire  du  quiéttsmê.  3^ 

orSe  qui  me  l'a  assure.  On  m'a  dit  qu'à  Alcala  en 
Espagne,  quatte  ou  cinq  docteurs  avoient  signe' 
quelque  chose  sur  l'amour  pur,  et  entre  autres  un 
Jésuite,  qui  avoit  admis  le  cinquième  état  de  M.  de 
Cambrai  comme  possible  absolument ,  mais  en 
même  temps  comme  non  nécessaire ,  ce  qui  est  le 
condamner.  On  prétend  que  cela  a  été  envoyé  ici 
aux  confidens ,  qui  n'ont  pas  jugé  à  propos  jusqu'à 
présent  d'en  faire  aucun  usage.  C'est  apparemment 
quelque  chose  qui  ne  signifie  rien.  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  feignit  ces  jours  derniers  d'être  bien  aise 
de  ce  que  les  docteurs  de  Paris  avoient  fait,  et  en- 
voya quérir  le  père  Roslet  qui  ne  put  lui  refuser  la 
pièce.  Je  n'ai  pas  manqué  de  faire  remarquer  à  tout 
le  monde  combien  elle  est  modérée,  et  elle  l'est 
peut-être  un  peu  trop  sur  les  qualifications  ;  car  on 
n'y  emploie  jamais  celle  d'hérétique,  que  j'espèi^ 
qu'on  donnera  ici  à  plus  d'une  proposition. 

Mercredi,  12  du  mois,  MM.  les  cardinaux  s'as- 
semblèrent pour  délibérer  de  modo  procedendi.  Ils 
résolurent  de  parler  et  de  voter  sur  toutes  les  pro- 
positions l'une  après  l'autre,  mais  en  les  réduisant 
sous  certains  chefs.  On  prétend  que  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  proposa  quelque  expédient  qui  ne  plut 
pas.  On  détermina  aussi  le  jour  où  l'on  s'assemble- 
roit  extraordinairement  pour  cette  affaire;  et  on 
prit  le  lundi,  en  arrêtant  que  si  on  ne  finissoit  pas 
ce  jour-là  de  voter  sur  le  chapitre  convenu ,  on  ache- 
veroit  le  mercredi,  afin  d'expédier  plus  prompte- 
ment.  Le  cardinal  Casanate  prétend ,  qu'après 
Vexamen  des  premières  propositions  on  ira  vite  sur 
les  autres.  Mais  je  m'imagine  que  d'abord  chacun 


38  LETTllKS 

voudra  parler  un  peu  de  temps,  après  quoi  on 
abrégera  sans  doute  ;  car  le  Pape  et  les  cardinaux 
ont  assez  envie  de  conclure ,  et,  si  je  ne  me  trompe, 
de  bien  conclure.  La  cabale  est  toute  étonnée,  et 
ne  sait  comment  on  a  fait  pour  en;pêcher  la  division 
qu'on  n'avoit  cessé  de  former  parmi  les  cardinaux  ; 
mais  qui.  Dieu  merci,  je  l'ose  assurer  présentement, 
ne  se  trouvera  pas  quant  au  fond  de  la  chose.  J'a- 
voue que  je  n'ai  pas  eu  un  moment  de  repos ,  que 
je  ne  me  fusse  assuré,  à  n'en  pouvoir  douter,  qu'on 
condamneroit  l'amour  pur  et  le  cinquième  état  mar- 
qué dans  le  livre  de  M.  de  Cambrai.  Si  je  me  trompe, 
il  faudra  dire  que  les  cardinaux  les  uns  après  les 
autres  m'ont  manqué  de  parole.  Je  vous  parle  ainsi 
h  vous  :  "vous  ferez  de  ceci  l'usage  que  vous  jugerez 
à  propos.  Ce  que  je  puis  vous  dire  encore,  c'est  que 
le  caractère  de  M.  de  Cambrai  est  bien  connu  à 
présent,  malgré  les  éloges  que  lui  a  donnés,  dans 
toutes  les  occasions,  M.  le  cardinal  de  Bouillon. 

Il  est  bon  de  vous  dire  que  Sa  Sainteté,  mardi  au 
soir ,  1 1  de  ce  mois ,  veille  de  cette  assemblée,  en- 
voya ordre  à  l'assesseur  de  déclarer  à  MM.  les  car- 
dinaux, qu'elle  ne  voaloit  plus  entendre  parler  de 
délai,  et  qu  elle  souhaitoit  qu'on  procédât  à  la  déci- 
sion. Par-là  il  est  clair  que  M.  l'abbé  de  Chanterac 
perd  toute  espérance  de  délai.  Aussi  le  billet  de 
M.  l'assesseur  à  MM.  les  cardinaux,  pour  indiquer 
l'assemblée  d'hier ,  porte  précisément  que  c'est  afin 
de  décider  l'affaire  de  l'archevêque  de  Cambrai.  En 
conséquence ,  on  tint  hier  la  première  séance  ,  et 
MM.  les  cardinaux  commencèrent  à  voter  sur  les 
premières  propositions,  M.  le  cardinal  de  Bouillon 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  89 

parla  le  premier.  Le  secret  inviolable  du  saint  Office 
fait  que  Ton  ne  peut  savoir  ce  qui  s'est  passé.  M.  le 
cardinal  Casanate  m'a  dit  ce  matin  qu'il  avoit  la 
bouche  cousue,  et  ne  m'a  voulu  rien  dire;  mais 
son  air  ouvert  et  content  m'a  fait  bien  augurer  du 
résultat  de  l'assemblée.  Et  assurément  il  faut  deviner 
ce  qui  s'y  passe.  Dans  ces  séances,  outre  les  cardi- 
naux, il  n'y  a  que  l'assesseur  qui  y  assiste  et  le  com- 
missaire. Au  sortir  de  chez  M.  le  cardinal  Casanate, 
j'ai  été  chez  l'assesseur,  monseigneur  Sperelli,  et 
chez  le  coi^imissaire  du  saint  Office.  J'ai  tant  fait  de 
questions  à  ce  dernier ,  que  d'après  ses  réponses , 
quelque  obscures  qu'elles  aient  été,  je  n'ai  pas  lieu 
de  douter  raisonnablement  de  ce  qui  suit.  Il  paroît 
que  les  choses  tournent  fort  bien  ;  qu'on  est  con- 
venu de  regarder  comme  le  fondement  du  système 
de  M.  de  Cambrai ,  son  prétendu  amour  pur ,  et 
son  cinquième  état  distingué  du  quatrième  qu'on 
reconnoît  pour  l'état  de  la  charité  des  plus  parfaits  ; 
que  votre  doctrine  est  celle  que  l'on  prend  pour 
règle  ;  qu'on  pense  que  le  motif  de  la  béatitude , 
quoique  secondaire  de  la  charité,  est  inséparable 
du  motif  premier  et  spécifique;  que  le  cinquième 
état  est  une  illusion  et  la  pure  doctrine  de  Molinos. 
Que  voulez-vous  davantage  ?  Il  me  semble  que  si 
l'on  s'en  tient  là,  on  n'a  plus  rien  à  désirer.  Par  le 
discours  du  commissaire  du  saint  Office,  je  juge  que 
les  cardinaux  ne  purent  tous  parler  hier  ;  ils  con- 
tinueront demain ,  et  peut  -  être  achèveront  -  ils. 
Comme  le  cardinal  Casanate  m'a  dit  qu'il  étoit  re- 
venu bien  fatigué,  je  m'imagine  qu'il  a  parlé.  Si  cela 
est,  quatre  ou  cinq  au  moins  auront  parlé,  Nerli 


4û  LETTRES 

Carpcgna,  Casanalc,  Bouillon  et  Marescotti.  Le 
cardinal  Nerli  aura  été  long.  Le  commissaire  du 
saint  Office  avoit  la  joie  peinte  sur  le  visage,  et  m'a 
assuré  d'une  décision  solennelle  qui  couperoit  la  ra- 
cine du  mal  :  ce  qu'il  n'auroit  certainement  pas  foit, 
si  les  choses  lui  avoient  paru  douteuses  ;  car  il  est 
très-zélé  pour  vous  et  pour  la  bonne  doctrine,  et  me 
témoigne  une  amitié  particulière. 

Il  entre  dans  le  moment  un  ami  qui  a  vu  le  car- 
dinal Carpegna,  et  qui  est  très-content  de  la  cen- 
sure des  docteurs.  Il  dit  qu'il  seroit  à  souhaiter  que 
tous  les  docteurs  de  Paris  l'eussent  signée  ;  je  la  lui 
avois  portée  avant-hier, 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  revint  hier  très-fatigué, 
d'avoir,  dit-il,  parlé  très-long-temps.  Depuis  huit 
jours  ce  cardinal  ne  sait  où  il  en  est.  Il  veut  persuader 
qu'il  fera  mieux  qu'on  n'a  pensé  jusqu'à  cette  heure. 
Je  crois  qu'il  voit  qu'il  seroit  seul  pour  M,  de  Cam- 
brai, De  la  manière  dont  le  commissaire  du  saint 
Office  s'est  expliqué,  je  juge  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  veut  nager  entre  deux  eaux.  Je  ne  sais 
point  encore  comment  il  s'est  exprimé  hier,  et  quel 
parti  il  a  pris. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  vu  ces  jours  passés 
deux  fois  le  père  Roslet  et  M.  Phelippeaux.  Il  espère 
avoir  meilleure  composition  d'eux  que  de  moi ,  et 
leur  faire  plus  aisément  croire  ce  qu'il  voudra  :  ils 
sont  bien  avertis.  Au  reste,  le  personnage  est  difficile 
à  jouer  de  la  part  de  cette  Eminence. 

Quand  j'ai  parlé  de  l'empêcher  de  voter,  je  n'ai 
pas  prétendu  qu'on  le  lui  défendît  précisément; 
mais  qu'on  lui  expliquât  si  nettement  les  intentions 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^ 

du  Roi,  qu'il  fût  ol)ligé  ou  de  changer,  ou  de  ne 
pas  voter.  L'impossibilité  de  réussir  dans  ses  projets 
lui  aura  peut-être  fait  ouvrir  les  yeux  plus  que  tout 
le  reste.  Les  Jésuites  et  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
ont  joué  de  leur  reste  depuis  un  mois. 

J'eus  vendredi  une  assez  longue  conversation  avec 
M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qui  n'a  jamais  tant  tor- 
tillé qu'il  le  fît  dans  cet  entretien.  Il  me  dit  qu'il 
avoit  à  soutenir  un  personnage  très-embarrassant  ; 
qu'il  ne  pouvoit,  comme  ministre,  douter  des  in- 
tentions du  Roi ,  qui  lui  étoient  bien  manifestées  ; 
comme  cardinal ,  qu'il  avoit  sa  conscience  à  satis- 
faire; et  qu'il  étoit  bien  malheureux  de  ne  pouvoir 
pas  être  simple  spectateur  comme  tant  d'autres, 
voulant  pourtant  me  faire  entendre  tout  ce  que  je 
n'entendois  point.  Je  puis  vous  répondre  qu'il  ne 
sait  où  il  en  est. 

Au  reste,  il  est  certain  que  l'abbé  de  Clianterac 
sait  exactement  par  M.  le  cardinal  de  Bouillon  tout 
ce  qui  s'est  passé  au  saint  Office,  tandis  que  je  me 
fatigue  cruellement  le  corps  et  l'esprit  pour  le  de- 
viner. C'a  été  un  grand  avantage  que  cet  abbé  a  tou- 
jours eu,  et  qu'il  a  encore,  d'être  si  aisément  et  si 
sûrement  instruit  de  ce  qui  se  passe;  mais  je  crois  à 
présent  la  cabale  à  bout.  Jeudi  dernier,  le  sacriste, 
l'abbé  de  Clianterac ,  l'assesseur  et  Alfaro  s'assem- 
blèrent pour  consulter. 

.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  m'a  dit  qu'il  n'estimoit 
que  les  vœux  du  sacriste  et  de  Massoulié.  Tous  les 
autres  méprisent  infiniment  le  travail  du  sacriste. 
M.  Poussin  fait  tout  de  son  mieux  ;  les  intentions 
du  Roi  sont  avec  raison  pour  lui  des  lois  :  le  car- 


4*^  LETTRES 

dinal  de  Bouillon  le  hait  souverainement.  Je  vous 
prie  seulement  de  le  faire  valoir  comme  il  le  mérite* 

M.  de  Chartres  fera  toujours  bien  de  répondre  : 
mais  ici  tout  le  monde  répond  pour  lui ,  et  M.  de 
Cambrai  a  achevé  de  se  perdre  par  sa  Réponse  à  ce 
prélat.  Votre  dernier  ouvrage  le  couvre  seul  d'une 
éternelle  confusion.  Pour  vous,  vous  pouvez  ré- 
pondre, si  vous  le  voulez,  aux  dernières  lettres  de 
M.  de  Cambrai.  Mais  à  moins  que  les  choses  ne 
changent  ici ,  l'écrit  que  vous  ferez  ne  sera  d'aucune 
utilité  dans  ce  pays,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  soit  né- 
cessaire d'y  faire  paroître  d'autre  ouvrage.  Pour  la 
France ,  où  il  faut  éclair cir  la  vérité,  et  prémunir 
les  fidèles ,  on  ne  sauroit  trop  y  pu])lier  de  bons 
écrits.  Vous  pensez  bien  cependant,  que,  quelque 
parti  que  vous  preniez  à  cet  égard,  j'exécuterai  vos 
ordres  comme  vous  le  souhaiterez.  Je  vous  dirai 
seulement,  que  j'ai  en  quelque  manière  promis  à  Sa 
Sainteté  que  vous  n'écririez  plus ,  à  moins  que  vous 
n'eussiez  de  nouvelles  raisons  bien  pressantes  pour 
le  faire.  Malgré  toutes  ces  considérations,  je  suis 
assuré  que  ce  que  vous  écrirez  sera  si  bon ,  qu'on 
sera  ravi  toujours  de  le  voir.  La  traduction  italienne 
de  votre  réponse  est  pour  le  présent  la  seule  pièce 
dont  nous  ayons  besoin. 

Il  faut  que  M.  de  Chartres  prenne  un  peu  garde 
de  ne  pas  donner  lieu  ici  de  penser,  que  le  motif  se- 
condaire soit  séparable  du  motif  spécifique  dans 
l'acte  propre  de  la  charité  :  cela  pourroit  produire 
un  mauvais  efTet.  Ce  qu'il  a  dit  là-dessus  dans  son  Ins- 
truction, demande  d'être  expliqué,  à  ce  qu'il  a  paru 
ici  à  beaucoup  de  gens  qui  sont  dans  vos  principes. 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^ 

L'abbé  de  Chanterac  a  tenté,  samedi  et  dimanche, 
d'avoir  audience  du  Pape,  qui  n'a  pas  voulu  la  lui 
donner  :  je  ne  sais  s'il  y  sera  parvenu  aujourd'hui. 

Monseigneur  Giori  est  le  même,  et  fait  toujours 
très-bien  auprès  du  Pape  :  il  confirmera  ce  que  les 
cardinaux  feront.  Je  ne  sais  si  je  ne  vous  ai  pas 
mandé  que  M.  Phelippeaux  avoit  dressé  un  vœu  sur 
les  trente-huit  propositions,  tout  tiré  de  vos  écrits, 
et  que  nous  avons  fait  passer  à  tous  les  cardinaux. 

Je  crois  que  le  cardinal  d'Aguirre  ne  se  trouva 
pas  hier  à  la  congrégation  :  on  m'a  dit  qu'il  n'avoit 
pas  été  averti. 

J'ai  oublié  de  vous  marquer  que  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  m'a  fait  extrêmement  valoir  une  au- 
dience qu'il  prétend  avoir  eue  du  Pape,  dans  la- 
quelle il  a,  dit-il,  parlé  contre  M.  de  Cambrai  et 
pour  vous,  mieux  que  je  n'aurois  pu  faire.  Il  croit 
avoir  fait  grande  impression  sur  le  Pape.  Si  ce  qu'il 
m'a  dit  est  vrai,  il  a  fort  bien  fait;  n'en  parlez  qu'à 
son  frère.  Je  fais  semblant  de  tout  croire. 

J'apprends  par  M.  Phelippeaux  qu'il  est  arrivé  une 
Réponse  de  M.  de  Cambrai  au  Mjstici  et  au  Schola 
in  tuto.  Je  ne  sais  si  cela  est  bien  sur  :  mais  quoi 
qu'il  en  soit,  il  n'est  pas  à  craindre  qu'il  arrive  au- 
cun changement  dans  les  dispositions  des  esprits  à 
l'égard  de  ce  prélat. 

Rome,  ce  18  novembre  i6t)8. 


44  LETTRE* 


.  «^*^  «/»•«  «<«^«.«^«/«/»«/»/%'V«/w%/%/»%«>« 


LETTRE  CCCLXXI. 

DE  UABBÉ  DE  GONDI  A  UABBÉ  BOSSUET. 

Sur  la  traduclion  italienne  de  la  Relation  sur  le  Quidtisme;  et  les 
dispositions  du  grand  duc  pour  seconder  à  Rome  les  évêques  de 
France  dans  celte  affaire. 

Son  altesse  sérënissime  le  grand  duc  mon  maître, 
faisant,  avec  justice,  un  prix  infini  de  tous  les  sa- 
vans  ouvrages  de  M.  de  Meaux ,  a  reçu  avec  une 
extrême  joie  l'exemplaire  de  la  traduclion  en  ita- 
lien, que  M.  l'abbé  Régnier  a  faite  de  la  Relation 
du  Quiétisme ^  que  ce  digne  prélat  avoit  mise  au 
jour  peu  de  mois  avant.  Son  Altesse  n'a  point  man- 
qué de  comprendre  incontinent  le  bon  effet  que 
cette  traduction  produiroit  dans  Rome  et  par  toute 
l'Italie,  attendu  la  facilité  qu'on  y  auroit  par  ce 
moyen  de  mieux  approfondir  la  vérité,.»  que  mon- 
dit  sieur  votre  oncle  découvre  à  merveille  dans  sa- 
dite  Relation,,  et  que  mondit  sieur  l'abbé  Régnier, 
de  qui  je  suis  ancien  serviteur,  et  dont  je  connoîs  à 
fond  le  rare  mérite,  fait  goûter  par  sa  version,  fidè- 
lement faite  en  italien ,  à  tous  nos  connationaux 
qui  n'entendent  pas  le  français.  Après  ce  que  je 
viens  de  vous  dire,  je  ne  doute  point  que  vous  ne 
soyez  entièrement  persuadé  que  sadite  Altesse  esti- 
mant, comme  elle  fait,  le  don  que  vous  lui  avez 
fait  dudit  exemplaire,  ne  vous  en  remercie  avec 
une  cordialité  qui  y  réponde;  et  comme  elle  m'a 
chargé  de  vous  en  rendre  de  sa  part  ce  témoignage? 


SUR  i/affatre  du  quiétisme.  4^ 

elle  vous  prie  de  lui  faire  la  justice  d'en  être  tout-à- 
fait  convaincu. 

M.  de  Meaux,  aussi  bien  que  les  autres  e'vêqnes 
de  France,  au  nom  desquels  vous  te'moignez  leur 
satisfaction  du  soin  assidu  de  Son  Altesse  Sérënis- 
sime  à  contribuer  dans  Rome,  par  tout  ce  qu'elle 
a  pu,  à  la  condamnation  d'une  erreur  qui  peut 
causer  tant  de  de'sordres  dans  notre  sainte  religion, 
obligent  dans  cette  rencontre  Sadite  Altesse  d'une 
manière  dont  elle  n'en  sauroit  assez  faire  d'estime, 
ni  leur  en  avoir  plus  de  reconnoissance.  Vous  kii 
ferez  une  grâce  toute  singulière  de  les  assurer  tous 
de  la  vérité  de  ses  sentimens,  et  du  vrai  désir  qu  elle 
a  de  répondre  en  tout  temps  aux  bontés  qu'ils  ont 
pour  elle,  par  la  sincérité  de  son  affection  et  de  son 
amitié  pour  eux.  Au  reste.  Son  Altesse  ne  se  las- 
sera jamais  de  poursuivre  la  bonne  cause  contre  les 
fauteurs  de  la  mauvaise;  et  elle  espère,  aussi  bien 
que  vous,  que  dans  peu  le  Pape  prononcera  con- 
formément à  nos  souhaits,  à  ceux  de  la  France  et 
de  tous  ceux  qui  aiment  la  paix  dans  l'Eglise  et 
l'honneur  du  saint  Siège. 

Je  ne  saur  ois  finir  cette  lettre  sans  y  joindre  en- 
core mes  très -humbles  remercîmens  pour  l'autre 
exemplaire  de  cette  même  traduction,  que  je  garde 
auprès  de  moi  comme  une  chose  précieuse,  aussi 
bien  que  son  original  en  français,  avec  tout  ce  que 
M.  de  Meaux  a  mis  au  jour  sur  cette  matière  :  vous 
supphant  de  croire  que  rien  ne  m'est  si  cher  que 
la  continuation  de  vos  bonnes  grâces,  je  m'étudie- 
rai toujours  ^  les  mériter  par  mes  services  les  plus 


46  LETTRES 

passionnés,  étant  aussi  respectueusement  que  je  le 
suis,  etc. 

Florence,  18  novembre  1698. 


LETTRE  CCCLXXII. 

DE   BOSSUET  A   SON   NEVEU. 

Sur  les  raisons  qui  empêchoient  l'impression  de  la  version  italienne 
de  ses  Remarques  j  les  interrogatoires  que  subissoit  madame 
Guyon  j  et  sur  un  mémoire  qu'il  lui  avoit  envoyé. 

Je  viens  de  recevoir  votre  lettre  du  4>  qui  m'ap- 
prend l'arrivée  de  notre  courrier  extraordinaire, 
avec  les  Remarques,  Elles  sont  ici  jugées  accablantes 
pour  M.  de  Cambrai.  La  version  italienne  est  faite  ; 
mais  Anisson  fait  difficulté  de  l'imprimer,  parce 
qu'elle  n'aura,  dit-il,  nul  débit  ici.  Je  verrai  à  Pa- 
ris, oîi  je  serai  demain,  ce  qu'il  faudra  faire. 

L'ùz  praxi  (*)  est  le  mot  sacramental  sur  lequel 
il  faut  insister,  et  l'on  doit  être  attentif  à  bien  aver- 
tir de  l'abus  du  langage  des  bons  mystiques.  Il  y  a 
trois  cents  ans,  c'est-à-dire  depuis  le  temps  des  Bé- 
gards,  que  le  langage  se  mêle  et  s'embrouille  ;  si 
l'on  n  y  met  fin,  le  mal  augmentera.  Le  pur  amour 
et  tout  ce  qui  est  au-dessus  du  quatrième  degré, 
est  la  source  du  mal.  Je  l'ai  démontré  dans  la  Con- 
clusion des  Remarques, 

Je  ne  puis  vous  envoyer  la  sainte  Thérèse  du 

C*)  Bossuet  par  ce  mot  in  praxi  rappelle  ici  son  Admonition  gd- 
n&aUf  qu'gn  a  vue  ci-dessus,  tom*  zM}  pag,  284. 


SUR  l'affaiiie  duquiétisme.  4? 

père  de  la  Rue  i*)  :  voici  les  extraits  qu'on  m'en 
communiqua  dans  le  temps. 

On  continue  à  interroger  madame  Guyon  ;  et 
M.  de  Cambrai  y  est  impliqué  du  côté  du  com- 
merce spirituel.  Le  père  Roslet  aura  par  M.  de  Pa- 
ris le  secret  de  tout  cela. 

Vous  aurez  reçu  un  Mémoire  latin  par  l'ordi- 
naire qui  partit  un  peu  après  le  départ  de  notre 
courrier,  dans  lequel  est  renfermée  une  instruction 
pour  vous  (**).  Vous  y  ferez  les  remarques  conve- 
nables. Je  laisse  le  tout  à  votre  discrétion. 

Nous  avons  perdu  M.  de  Simoni  ;  c'est-à-dire, 
chacun  de  nous  un  second  frère.  Mon  frère  a  bien 
besoin  d'être  consolé. 

Je  salue  de  bon  cœur  M.  Phelippeaux.  Il  faut 
avoir  patience  jusqu'au  bout.  On  a  reçu  les  livres 
dont  il  m'avoit  donné  avis.  A  entendre  les  nouveaux 
venus  de  Rome,  M.  le  cardinal  de  Bouillon  est  un 
favori  du  Pape.  Ce  n'est  pas  ce  qu'on  écrit  ici  de 
tous  les  côtés.  Pour  moi,  je  me  réjouis  des  mesures 
respectueuses  que  vous  gardez  avec  cette  Eminence. 
On  parle  ici  de  vous  très-avantageusement. 

ui  Meaux  ,  24  novembre  1698. 

(*)  Nos  Mémoires  ne  nous  instruisent  point  assez  sur  le  fond  du 
discours  dont  il  s'agit  ici.  Mais  nous  savons  que  le  père  de  la  Rue 
prêcha  le  jour  de  saint  Bernard  de  la  même  an  ée,  dans  l'église 
des  Feuillans ,  à  Paris ,  un  sermon  dans  lequel  il  combatlit  le  pré- 
tendu amour  pur  du  nouveau  Quiétisme,  dont  il  fit  voir  l'illu- 
sion et  les  funestes  conséquences.  Il  ne  fut  pas  difficile  à  Taudi- 
toire  de  reconnoîlre  M.  de  Cambrai  et  madame  Guyon  dans  le 
portrait  que  le  prédicateur  fit  d'Abailard  et  d'Héloïse.  Aussi  les 
partisans  de  Fénélon  furent-ils  très-choqués  de  ce  sermon. 

C**)   C'est  Tinstruclion  ou  l'ordre  donné  à  l'abbé  Bossuet  par 


48  LETTRES 


LETTRE   CGCLXXIII. 

DE  M.  DE  ]\0 AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ   BOSSUET. 

II  lui  annonce  le  départ  prochain  de  M.  de  Monaco,  et  lui  demande 
d'instruire  exactement  les  prélats  de  ce  qui  se  passera. 

Je  crois  que  vous  aurez  su,  Monsieur,  que  c'est 
une  petite  fièvre  tierce  qui  m'empêcha  de  vous  écrire 
par  le  dernier  courrier  :  comme  je  suis,  Dieu  merci, 
guéri,  je  ne  veux  pas  manquer  de  vous  remercier  de 
vos  deux  dernières  lettres. 

J'y  vois  avec  plaisir  l'espérance  que  vous  avez 
d'une  bonne  condamnation,  malgré  les  efforts  de 
la  cabale.  Il  faut  présentement  redoubler  les  vôtres, 
pour  faire  connoître  la  vérité;  car  les  partisans  du 
livre  ne  manqueront  pas  sans  doute  de  travailler 
avec  une  nouvelle  ardeur  à  couvrir  la  mauvaise 
doctrine. 

J'espère  que  les  autres  congrégations  feront  plus 
d'ouvrage  que  celle  du  mercredi  n'en  fit  :  je  suis 
bien  aise  néanmoins  qu'elle  ait  été  rompue  par  la 
sortie  du  Pape,  puisque  cela  marque  que  Sa  Sain- 
teté est  en  parfaite  santé. 

M.  de  Monaco  s'en  ira  bientôt  ;  vous  pouvez  l'as- 
surer :  Fintention  du  Roi  est  de  le  faire  partir  le 
plus  tôt  qu'il  se  pourra. 

Comme  nous  voici  à  la  crise  de  l'affaire ,  je  vous 

M.  de  Meaux,  que  nous  avons  placé  à  la  suite  de  la  lettre  ccclii, 
toni.  xLi ,  pag.  536. 

prie 


sur.  l'affaire  du  quiétisme.  49 

prie  de  ne  nous  laisser  rien  ignorer  de  tout  ce  qui 
se  passera  ;  afin  que  nous  prenions  nos  mesures  de 
ce  côte'-ci,  et  que  nous  vous  soutenions  fortement. 
Je  suis  toujours,  Monsieur,  à  vous  comme  vous 
savez. 

24  Novembre  1698.  8 


LETTRE   CCCLXXIV. 

DU  P.  BRION,  RELIGIEUX  CARME,  A  BOSSUET. 

Sur  des  remarques  qu'il  avoit  faites  pour  le  prélat,  et  une  réfutation 
suivie  du  livre  de  M.  de  Cambrai,  qu'il  avoit  composée. 

Quelque  soin  que  j'aie  pris  d'envoyer  chez  vous , 
pour  savoir  les  jours  où  vous  pourriez  venir  à  Paris, 
je  n'ai  point  été'  assez  heureux  pour  vous  y  rencon- 
trer, et  pour  vous  présenter  les  remarques  que  vous 
m'aviez  chargé  de  faire  sur  les  constitutions  des 
filles  du  Saint-Sacrement.  Tout  ce  que  j'aurois  à  dé- 
sirer, Monseigneur,  ce  seroit  d'avoir  bien  rempli 
la  tâche  que  vous  m'avez  donnée,  en  vous  faisant 
trouver  dans  ces  remarques  quelque  chose  qui  fût 
digne  de  votre  attention ,  et  qui  ne  vous  fît  pas 
perdre  le  temps  que  vous  employez  si  utilement  pour 
la  défense  de  l'Eglise.  J'espère  au  moins  que  vous 
connoîtrez  par  ce  petit  écrit,  que  ce  n'est  pas  d'au- 
jourd'hui qu'on  se  prépare  à  répandre  le  Quiétisme 
en  France,  et  qu'il  y  a  déjà  long-temps  qu'on  jette 
la  semence  d'une  si  mauvaise  doctrine.  Il  faut  espérer 
que  Rome,  après  une  longue  discussion,  tâchera 
d'en   arrêter    le    cours  par  la   condamnation    du 

BoSSUET.    XLTI.  4 


5o  LETTRES 

livre  de  M.  de  Cambrai;  et  c'est,  ce  semble,  ce 
qui  devroit  de'jà  être  fait,  après  tous  les  éclaircisse- 
mens  que  vous  avez  donne's  avec  tant  de  lumière 
sur  cette  matière. 

Quoique  je  sois  très  -  persuade ,  Monseigneur, 
qu'on  ne  peut  rien  ajouter  à  tout  ce  que  vous  avez 
écrit  sur  ce  sujet,  je  vous  avouerai  cependant  que  je  ne 
puis  m'empêcher  d'avoir  quelque  regret  que  vous 
n'ayez  pas  aussi  fait  paroître  ce  que  j'avois  écrit  ; 
parce  qu'il  me  semble  qu'on  découvre  et  fait  bien 
mieux  voir  l'erreur  d'un  livre ,  lorsqu'on  l'examine 
d'un  bout  à  l'autre,  et  qu'on  montre  que  ce  n'est 
partout  qu'un  enchaînement  de  faux  principes 
et  de  mauvaises  maximes,  que  quand  on  se  con- 
tente d'en  extraire  quelques  propositions  ,  et 
qu'on  le  combat,  s'il  faut  ainsi  dire,  par  parties. 
Comme  c'est  l'esprit  qui  anime  un  auteur,  et  la  fin 
qu'il  se  propose,  qui  fait  connoître  la  bonté  ou  la 
dépravation  de  son  livre,  je  crois  qu'on  ne  connoît 
jamais  mieux  ces  choses  qu'en  l'examinant  d'un  bout 
à  l'autre.  C'est  là.  Monseigneur,  ce  qui  m'a  tou- 
jours fait  penser  qu'il  seroit  bon  qu'il  parût  un 
examen  suivi  du  livre  de  M.  de  Cambrai.  Mais 
comme  je  n'aurai  jamais  de  peine,  Monseigneur,  à 
soumettre  mes  lumières  aux  vôtres,  c'est  ce  qui  fait 
qu'après  avoir  pris  la  liberté  de  vous  marquer  mon 
sentiment,  il  ne  me  reste  qu'à  vous  assurer  que  je 
serai  toujours  très -content  de  tout  ce  que  vous  fe- 
rez ;  puisque  personne  ne  vous  honore  plus  g^ue  moi , 
aet  n'est  avec  un  plus  grand  respect ,  etc. 

Brion  ,  des  Carmes  des  Biilettes  de  Paris. 

24  Novembre  i6«j8. 


SUR    L*  A  F  FAI  HE    DU    QUIÉTISME.  5l 

Je  pars  pour  m'en  retourner  dans  ma  retraite  ; 
c  est  ce  qui  me  fait  recourir  à  la  plume,  désespe'- 
rant  de  pouvoir  avoir  l'honneur  de  vous  voir  avant 
mon  de'part. 


LETTRE  CCCLXXV. 

DE  L'ABBÉ  PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. 

Sur  reffet  que  produisoit  à  Rome  la  Censure  des  docteurs  de  Paris  j 
une  réponse  de  M.  de  Cambrai  aux  Remarques  ^  et  le  caractère! 
des  examinateurs  qui  s'étoient  déclarés  pour  lui. 

Les  choses  paroissent  aller  de  mieux  en  mieux.  Le 
Pape  est  immobile  dans  la  re'solution  qu'il  a  prise  de 
finir  bientôt,  et  de  couper  toutes  les  racines,  s'il  se 
peut,  du  Quiétisme.  Les  cardinaux  achevèrent  hier 
de  parler  sur  l'amour  pur.  Le  jugement  doctrinal  des 
docteurs  4^  Paris  a  produit  ici  un  bon  elFet  ;  et  les 
efforts  qu'on  a  faits  pour  exciter  la  jalousie  de  cette 
Cour,  ont  été  inutiles.  Les  cardinaux  ont  vu  que 
c'étoit  un  jugement  préparatoire,  usité  en  semblables 
occasions  ;  et  on  leur  avoit  tant  de  fois  dit  que  la 
Sorbonne  étoit  favorable  au  livre,  qu'il  étoit  bon 
qu'on  sût  au  vrai  son  sentiment.  J'aurois  souhaité 
qu'on  eût  qualifié  plus  de  propositions,  et  que  les 
qualifications  eussent  été  plus  précises  et  plus  fortes  : 
on  auroit  mieux  fait  de  se  servir  des  vôtres ,  qui  sont 
beaucoup  plus  justes,  et  de  suivre  l'ordre  des  pro- 
positions extraites  et  examinées  en  cette  Cour. 

Il  est  arrivé,  par  un  courrier  extraordinaire, 
une  lettre  en  réponse  à  vos  Remarques  :  on  la  mé- 
prise, et  elle  ne  retardera  nullement  le  jugement- 


02  LETTRES 

Je  n'ai  jamais  vu  tant  d'aigreur  et  de  hauteur  que 
dans  cet  écrit ,  et  si  peu  de  bonne  foi.  Je  crois  de- 
voir vous  avertir  qu'il  y  a  plus  d'un  an  que  M.  de 
Chanterac  avoit  dit,  à  qui  vouloit  l'entendre  ,  que 
M.  de  Cambrai  s'étoit  confessé  à  vous.  C'étoit  alors 
une  véritable  confession  sacramentelle.  Il  suffit  de 
vous  nommer  pour  témoins,  le  père  Estiennot  pro- 
cureur-général des  Bénédictins,  le  père  Prinslet 
procureur-général  de  Cîteaux ,  et  le  père  Cambolas 
procureur-général  des  Carmes.  Je  ne  sais  comment 
il  peut  dire  qu'il  n'a  pas  eu  connoissance  des  trois 
écrits  que  les  Jésuites  ont  ici  publiés  pour  sa  défense. 
Je  sais  qu'ils  ont  été  décrits  et  copiés  chez  M.  de 
Chanterac ,  qu'il  les  a  distribués  à  tous  les  exami- 
nateurs qui  étoient  pour  lors.  Quand  j'ai  dit  à  Gra- 
lielli  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'aVoit  point 
Vu  ces  écrits,  il  m'a  répondu  qu'il  avoit  souffert 
que  les  partisans  du  livre  disent  en  sa  présence  et 
celle  du  Pape  des  choses  très-désavantageuses  au 
royaume  ;  et  il  ajouta  :  Si  vedeva  bene  ch'  egli  era 
piu  atiento  a  defendere  le  falsiia  del  suo  amico  , 
che  al  decoro  délia  Francia  :  Mais  il  étoit  plus  at- 
tientif  à  défendre  les  erreurs  de  son  ami,  qu'à  sou- 
tenir l'honneur  de  la  France. 

M.  de  Cambrai  a  tort  de  dire  que  les  examinateurs 
qui  ont  été  pour  lui,  sont  admirés  à  Rome  :  ils  y 
sont  entièrement  décrédités.  On  est  étonné  de  leur 
engagement  et  de  la  puissance  de  la  caljale  ;  et  on 
dit  publiquement  qu'on  ne  trouveroit  pas  encore 
dans  toute  l'Italie,  cinq  théologiens  qui  eussent  osé 
prendre  un  tel  parti.  L'archevêque  de  Chieti  a  avoué 
à  l'abbé  Pequini ,  qu'il  avoit  été  trompé  par  Bernini , 


SUR  l'affaihe   du  quiétisme.  53 

ci-devant  assesseur,  et  entièrement  attache  à  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  ;  qu  on  lui  avoit  persuadé 
que  Je  Roi,  le  clergé,  la  Sorbonne  défendoient 
unanimement  la  doctrine  de  M.  de  Cambrai,  et 
que  cela  lui  étoit  dit  et  confirmé  par  des  gens  à 
qui  il  devoit  ajouter  foi  ;  mais  que  dans  toutes  les 
audiences  qu'il  avoit  du  Pape,  il  ne  cessoit  de  lui 
dire  qu'il  falloit  condamner  le  livre,  et  finir  au  plus 
tôt  cette  affaire.  On  m'a  assuré  que  le  sacriste  disoit 
aussi  qu'il  avoit  été  trompé  par  les  Jésuites.  Ces 
messieurs  à  la  fm  découvriront  ceux  qui  les  ont  en- 
gagés dans  un  si  mauvais  pas.  Je  vois  bien  cepen- 
dant que  M.  de  Cambrai  commence  à  se  prévaloir 
de  la  scandaleuse  partialité,  et  que  ce  sera  pour  lui 
un  moyen  de  chicaner  ou  même  de  persister  dans 
l'erreur. 

Nous  aurons  demain  au  saint  Office  l'abjuration  du 
frère  Bénigne  et  d'un  autre  Augustin  déchaussé, 
dont  je  vous  ai  déjà  mandé  l'histoire  lorsqu'ils  furent 
arrêtés.  Il  y  a  dans  leur  fait  du  Quiétisme  :  nous 
entendrons  demain  leur  procès. 

Le  courrier  extraordinaire  qui  a  apporté  la  lettre 
de  M.  de  Cambrai,  repartit  samedi  en  diligence, 
apparemment  pour  informer  le  prélat  de  l'état  pré- 
sent des  affaires.  Il  doit  venir,  par  un  nouveau 
courrier,  des  réponses  au  Schola  et  Mystici  in  tuto  : 
on  avoit  cru  qu  elles  étoient  déjà  arrivées  ;  mais  on 
s'étoit  trompé. 

On  fait  espérer  la  fm  de  l'affaire  vers  Noël  ;  je  ne 
le  puis  croire  :  si  cela  est  fini  vers  le  carême,  je 
serai  content. 


54-  LETTRES 

Je  VOUS  remercie  de  la  bonté  que  vous  avez  eue 
d'écrire  à  messieurs  du  Chapitre  pour  me  tenir  pré- 
sent :  M.  Ledieu  m'a  mandé  qu'ils  Tavoient  accordé. 
Je  suis  avec  un  profond  respect,  etc. 

A  Rome,  ce  25  novembre  1698. 


LETTRE   CCCLXXVL 

PE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

Sur  rélonnante  célérité  avec  laquelle  M.  de  Cambrai  venoit  de 
publier  sa  Réponse  aux  Remarquei  de  M.  de  Meauxj  la  né* 
cessité  de  le  réfuter^  Fétat  de  l'afifaire;  et  la  manière  dont 
les  cardinaux  avoient  parlé  dans  les  congrégations  c^ui  s'étoient 
tenues. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Meaux,  le  27  de  ce  mois.  Vous  aurez 
su  que  notre  courrier  est  arrivé  ici  avec  votre  Ré- 
ponse, cinq  jours  plus  tard  qu'il  ne  devoit.  Il  étoit 
parti  de  Paris  le  18  octobre  au  matin,  et  il  n'est 
arrivé  à  Rome  que  le  3 1  du  même  mois  au  matin. 
Les  prétextes  qu'il  m'a  apportés  sont  tous  d'un  homme 
de  mauvaise  foi  :  il  n'en  faut  plus  parler. 

M.  de  Cambrai  a  été  mieux  servi.  Sa  Réponse  à 
vos  Remarques  est  arrivée  ici  en  dix  jours,  et  seroit 
venue  en  huit  sans  une  rivière  débordée.  L'ouvrage 
a  été  composé  aussi  vite,  et,  je  l'avoue,  avec  une 
diligence  incroyable  :  je  ne  doute  pas  que  vous  ne 
l'ayez  eu  à  Paris  aussitôt  ou  plus  tôt  que  nous.  Il  y  a 
apparence  qu  on  lui  a  envoyé  vos  Remarques  feuille 


I 


SUR  l'^affàtre  du  quiétisme.  55 

à  feuille  de  chez  Â^nisson.  Cet  ouvrage  arriva  ici 
mercredi  dernier,  c'est-à-dire  le  19  de  ce  mois.  Le 
vôtre  n'a  e'té  achevé  d'imprimer  que  vers  le  17  d'oc- 
tobre. La  diligence  de  la  composition,  de  l'impres- 
sion et  de  l'envoi ,  est  assure'ment  extraordinaire. 
C'est  aussi  ce  qu'il  y  a  de  plus  glorieux  pour  l'auteur 
dans  cette  pièce  :  car  il  me  semble  qu'il  n'a  jamais 
donné  plus  d'avantage  contre  lui  surtout,  qu'il  le 
fait  dans  sa  Réponse.  Il  y  soutient,  il  y  défend  ma- 
dame Guyon  et  le  sens  inconnu  de  son  livre,  plus 
scandaleusement  que  jamais.  Il  y  parle  avec  une 
insolence  outrée  de  toutes  l^s  personnes  qui  ne  sui- 
vent pas  aveuglément  sa  cabale.  Personne  ne  doute 
qu'il  n'ait  voulu  laisser  entendre  en  plusieurs  en- 
droits le  Roi  et  madame  de  Maintenon ,  surtout 
pages  6  et  8.  Sa  hardiesse,  son  arrogance  et  ses  im- 
postures s'y  découvrent  plus  que  jamais.  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon,  en  m'en  parlant  la  première  fois, 
quoiqu'il  admirât  cet  ouvrage,  et  dît  que  c'étoit  le 
plus  grand  effort  de  l'esprit  humain ,  fut  obligé  de 
m'avouer  que  M.  de  Cambrai  étoit  hors  des  gonds, 
et  qu'il  défendoit  plus  que  jamais  madame  Guyon. 
Pour  moi,  je  n'y  trouve  que  le  caractère  d'un  char- 
latan, d'un  déclamateur,  et  du  plus  dangereux  de 
tous  les  hommes. 

Je  sais  que  la  plupart  des  cardinaux  ont  déclaré  à 
M.  de  Chanterac,  qu'ils  ne  liroient  pas  cet  ouvrage; 
MM.  les  cardinaux  Spada,  Casanate,  Marescotti , 
Carpegna  et  Ferrari,  me  l'ont  dit  à  moi-même.  Ils 
ont  lu  le  vôtre  avec  plaisir,  et  ils  m'en  ont  parlé 
très-avantageusement.  Les  partisans  de  M.  de  Cam- 
brai ne  laissent   pas  de  faire  valoir  extrêmement 


5G  LETTRES 

contre  vous  sa  nouvelle  Réponse.  J'avoue  que  la 
manière  dont  elle  est  écrite,  le  caractère  de  l'au- 
teur, et  la  cabale  horrible  dont  il  est  appuyé,  m'ont 
fait  changer  de  sentiment  sur  ce  que  je  crus  vous 
devoir  témoigner  dans  ma  dernière  lettre,  qu'il  se^ 
roit  peut-être  à  propos  de  ne  plus  écrire.  A  présent 
je  suis  convaincu  que  vous  ne  devez  rien  laisser  sans 
réponse,  et  qu'il  convient  que  M.  de  Cambrai  vous 
trouve  toujours  prêt  à  faire  triompher  la  vérité,  et 
à  dévoiler  l'imposture  et  le  mensonge.  Il  faut  le 
suivre  dans  tous  ses  retranchemens ,  et  ne  lui  laisser 
aucun  moyen  de  pouvoir  échapper.  C'est  une  bête 
féroce ,  qu'il  faut  poursuivre ,  pour  l'honneur  de 
l'épiscopat  et  de  la  vérité,  jusqu'à  ce  qu'on  l'ait  ter- 
rassée, et  mise  hors  d'état  de  ne  plus  faire  aucun 
mal.  Il  donne  plus  que  jamais  prise  sur  lui  dans  ce 
dernier  ouvrage.  Si  j'étois  à  votre  place,  je  ferois 
une  réponse  sous  le  titre  d'éclaircissemens ,  et  je 
l'accablerois.  Saint  Augustin  n'a-t-il  pas  poursuivi 
Julien  jusqu'à  la  mort?  Il  faut  toujours  continuer  à 
parler  avec  autorité,  avec  force,  d'un  style  sérieux 
et  accablant.  MM.  de  Paris  et  de  Chartres  voient 
l'avantage  que  M.  de  Cambrai  tire  de  leur  silence 
sur  les  faits  les  plus  faux,  qu'il  présente  comme 
avoués  par  eux.  Il  est  vrai,  et  je  le  répète  encore, 
qu'il  n'est  plus  nécessaire  d'écrire  par  rapport  au 
jugement  de  raiFaire,  et  même  par  rapport  à  cette 
Cour-ci  ;  c'est  ce  que  j'ai  déclaré  hautement  au  Pape 
et  aux  cardinaux,  encore  tout  nouvellement  :  mais 
par  rapport  à  la  France,  par  rapport  à  la  cabale, 
et  pour  délivrer  l'Eglise  du  plus  grand  ennemi 
qu'elle  ait  jamais  eu,  je  crois  qu'en  conscience,  ni 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  57 

les  evéques  ni  le  Roi  ne  peuvent  laisser  M.  de  Cam- 
brai en  repos.  Le  coup  accablant  pour  lui ,  sera  la 
condamnation  de  son  livre  et  de  sa  doctrine  par  le 
saint  Sie'ge,  qui  ne  tardera  pas  long-temps.  Si  vous 
e'crivez  sur  ce  dernier  ouvrage,  comme  je  crois  que 
vous  le  devez  faire,  il  sera  bon  que  ce  ne  soit  pas 
en  forme  de  lettre  :  il  me  semble  qu  il  n'est  pas  dé- 
cent de  se  traiter  mal  par  lettre.  Au  reste,  plus  cet 
adversaire  est  enragé  et  outré  contre  vous,  plus  il 
faut  que  vous  paroissiez  le  mépriser,  et  que  sans 
injures  vous  Faccabliez  par  les  choses  mêmes.  Il  ne 
veut  plus  payer  que  d'esprit. 

N'ayant  pu  aller  aux  pieds  de  Sa  Sainteté,  j'ai 
vu  M.  le  cardinal  Spada  et  M.  l'assesseur,  à  qui  j'ai 
fait  plaisir  de  les  assurer,  que  tout  ce  qui  pouvoit 
s'écrire  actuellement  de  part  et  d'autre,  n'étoit  point 
nécessaire  pour  le  jugement  de  l'alFaire,  qui  dépen- 
doit  du  seul  texte  du  livre,  déféré  devant  le  saint 
Siège.  C'est  ce  qu'on  entend  fort  bien  à  présent. 

Il  me  semble  qu'on  embarrasser  oit  fort  M.  de 
Cambrai,  si  on  lui  demandoit  quel  est  donc  le  sens 
caché  et  bon  qu'a  eu  en  vue  madame  Guyon  dans 
ses  livres,  et  qu'il  dit  qu'il  s'est  fait  expliquer  terme 
par  terme,  parole  par  parole.  Il  le  doit  savoir,  pour 
l'excuser  si  positivement  ;  et  s'il  ose  jamais  le  décla- 
rer, il  se  trouvera  que  c'est  ce  qu'il  a  voulu  expri- 
mer dans  son  livre  des  Maximes.  Vous  voyez  les 
conséquences  de  ce  raisonnement. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  me  parla  sur  le  cha- 
pitre de  la  confession,  peu  avantageusement  pour 
vous  et  pour  M.  de  Cambrai  en  même  temps ,  don- 
nant tort  à  l'un  et  à  l'autre.  Je  lui  répondis  si  for- 


58  LETTllES 

tement  là-dessus,  qu'il  n'eut  pas  un  mot  à  me  ré- 
pliquer. Son  but  est  d'excuser  M.  de  Cambrai  tout 
autant  qu'il  le  peut. 

Il  est  de  la  dernière  conse'quence  que  vous  fas- 
siez bien  entendre  à  M.  le  nonce  et  au  Roi ,  de 
quelle  ne'cessite'  il  est  qu'on  ne  laisse  pas  M.  de 
Cambrai  e'crire  le  dernier,  qu'on  de'couvre  tous  ses 
mensonges  et  qu'on  dissipe  tous  ses  artifices.  Il  s'a- 
git de  de'fendre  la  ve'rité,  la^  doctrine  de  l'Eglise  et 
l'honneur  de  saints  évéques.  De  ce  côté-ci,  je  n'ou- 
blie rien  pour  faire  sentir  l'obligation  que  l'Eglise 
catholique  doit  vous  avoir,  et  aux  évêques,  d'éclair- 
cir  et  soutenir  des  vérités  aussi  importantes.  Si  vous 
composez  quelque  nouvel  ouvrage,  faites-le  court, 
et  arrêtez -vous  à  ce  qui  mérite  réponse,  ou  de- 
mande des  éclaircissemens. 

Venons  à  ce  qui  se  passe.  On  tint  hier  la  seconde 
congrégation  ;  et  je  pense  que  le  reste  des  cardi- 
naux, qui  n'avoient  pas  parlé  dans  la  première, 
l'auront  fait  dans  celle-ci.  Les  cardinaux  Noris  et 
Ferrari  dévoient  parler.  Je  n'ai  pu  encore  savoir 
précisément  ce  qui  s'est  passé  ;  mais  je  puis  assurer 
que  tout  aura  été  bien.  Le  cinquième  état  sera  traité 
d'illusoire,  d'erroné,  de  faux,  peut-être  d'impie  et 
d'hérétique.  Sans  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qu'on 
ne  veut  pas  choquer  ouvertement,  on  auroit  fort 
maltraité  la  personne  de  l'auteur;  mais  on  se  con- 
tente de  parler  fortement  contre  la  doctrine. 

J'ai  su  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  avoit  eu 
quelque  dessein  de  se  retirer  :  mais  les  Jésuites  et 
les  amis  de  M.  de  Cambrai  du  côté  de  Paris,  l'ont 
engagé  à  aller|  jusqu'au  bout ,  pour  parer  quelques 


suK   l'affaire   du    QUIÉTISME.  5() 

coups,  et  au  moins  tenir  en  respect  les  cardinaux  et 
le  Pape.  Je  sais,  à  n'en  pouvoir  douter,  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  a  loué  extrêmement  le  per- 
sonnel de  M.  de  Cambrai  et  ses  bonnes  intentions , 
et  qu'il   a   biaisé  sur  le  reste,   ne  pouvant  néan- 
moins   approuver    le    sens  rigoureux    des   propo- 
sitions.  On  ignore  encore  quelles  qualifications  il 
leur  a  donné  :  on  croit  qu'il  ne  les  remettra  qu'au 
Pape,  quand  tous  auront  expliqué  leurs  sentimens. 
C'est  là  le  point,  le  reste  n'est  rien.    Le   cardinal 
Carpegna   a  parlé  dans   la   première  congrégation 
très-fortement  et  très-brièvement;  le  cardinal  Nerli, 
comme  il  m'avoit  promis;  le  cardinal  Casanate,  di- 
vinement, et  son  discours  fit  grande  impression  ;  le 
cardinal  Marescotti  avec  vigueur  et  rigueur.  Voilà 
tous  ceux  qui  parlèrent  dans  la  première  congréga- 
tion ,  et  M.  le  cardinal  de  Bouillon  le  fit  très-lon- 
guement. Le  mercredi  19,  à  l'assemblée  de  la  Mi- 
nerve, on  ne  put  s'occuper  de  cette  affaire  :  on  jugea 
deux  Quiétistes,  qui  doivent  demain  faire  abjuration 
semi-publique,  où  je  ne  manquerai  pas  d'assister. 
C'est  le  fameux  père  Bénigne,  qu'on  consultoit  ici 
comme  un  saint ,  et  un  père  Paul ,  de  l'Observance 
des  Petits-Pères,  tels  que  ceux  de  la  place  des  Vic- 
toires. On  leur  devoit  faire  faire  abjuration   à  la 
Minerve,  comme  à  Molinos;  mais  en  considération 
de  leur  ordre,  ils  la   feront  au   palais  du   saint 
Office. 

Hier  se  tint  notre  congrégation,  dont  je  ne  sais 
pas  le  détail  ;  mais  encore  une  fois,  la  queue  aura 
suivi  la  tête.  Le  cardinal  Noris  assurément  n'aura 
pas  épargné  l'amour  pur,  qui  est,  selon  moi,#le 


6o  LETTRES 

seul  point  qui  pouvoit  faire  quelque  difEculté,  et 
sur  lequel  la  cabale  infernale  a  fait  le  plus  d'effort 
pour  en  empêcher  la  condamnation.  Aussi ,  comme 
vous  lavez  vu  par  mes  prëce'dentes ,  n'ai-je  eu  au- 
cun repos ,  que  je  ne  fusse  comme  assuré  que  cette 
doctrine  seroit  expressément  proscrite.  Je  leur  ai 
parlé  si  fortement  là-dessus  ,  qu'ils  ont  bien  vu  que 
nous  ne  serions  pas  contens  d'eux,  s'ils  passoient 
légèrement  sur  cet  article,  et  que  nous  compterions 
qu'ils  donneroient  gain  de  cause  à  M.  de  Cambrai. 
La  vérité 'leur  a  paru  clairement  démontrée  dans 
votre  doctrine  et  dans  vos  ouvrages,  et  l'illusion  et 
la  fausseté  dans  ceux  de  M.  de  Cambrai.  Ils  sont 
convaincus  de  la  mauvaise  foi  de  cet  auteur ,  et  du 
péril  que  court  la  religion ,  si  son  système  est  épar- 
gné :  enfin  les  impressions  de  la  cabale  se  sont  dis- 
sipées, et  je  ne  vois  plus  aucune  ressource  pour 
M.  de  Cambrai.  J'ose  dire  à  présent  la  victoire  as- 
surée, si  Sa  Sainteté  vit  encore  deux  mois;  et  peut- 
être  l'affaire  sera-t-elle  terminée  plus  tôt.  Le  Pape 
est  plus  résolu  que  jamais,  et  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  ne  prend  plus  d'autre  parti  avec  lui  que 
de  parler  doucement  ;  car  Sa  Sainteté  le  prévient 
sur  tout. 

Le  personnage  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  fait 
pitié.  Sa  foiblesse,  sa  malice,  son  impuissance  le 
jettent  dans  une  mélancolie,  dont  tout  le  monde 
s'aperçoit. 

M.  le  cardinal  Casanate  parla  hier  au  Pape ,  et  le 
Pape  lui  dit  qu'il  vouloit  l'entretenir  in  caméra  sur 
cette  affaire.  C'est  un  digne  homme  :  on  ne  lui  rend 
pa»  justice  en  France,  si  l'on  s'oppose  à  le  faire 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  6i 

Pape.  Nos  cardinaux  ne  sont  guère  pour  lui  ;  car 
ils  sont  tous  Jésuites,  plus  ou  moins.  Il  faut  que 
vous  vous  me'nagiez  beaucoup  là-dessus  :  néanmoins 
il  est  bon  que  vous  agissiez  auprès  du  Roi  et  de  ma- 
dame de  Maintenon ,  pour  leur  faire  connoître  la 
nécessite'  d'avoir  un  Pape  de  mérite,  qui  aime  l'E* 
glise,  qui  soit  savant,  et  qui  puisse  abattre  les  Jé- 
suites qui  perdront  tout  un  jour.  Ce  qui  fait  aper- 
cevoir plus  clairement  à  tout  le  monde  que  les  af- 
faires de  M.  de  Cambrai  vont  mal ,  c'est  la  rage  de 
lous  ses  partisans ,  qui  disent  qu'on  ne  peut  résister 
siu  Roi.  Non  assurément,  l'on  ne  peut  résister  au 
Roi ,  quand  il  a  la  vérité  pour  lui  ;  et  c'est  la  plus 
grande  gloire  qu'il  puisse  jamais  avoir ,  le  plus  beau 
fleuron  de  sa  couronne,  d'être  le  défenseur  de  la 
religion  et  le  protecteur  des  bons  évêques. 

Venons  à  la  censure  des  docteurs.  La  manière 
dont  l'affaire  a  été  conduite  ici  de  notre  part ,  a 
remédié  à  toutes  les  mauvaises  impressions  qu'on  a 
voulu  donner  d'abord.  Il  est  vrai  que  dans  les  cir- 
constances présentes  ,  et  surtout  depuis  un  mois  ou 
deux,  cette  pièce  n'étoit  pas  nécessaire,  vous  l'aurez 
vu  par  mes  précédentes  lettres  :  mais  elle  ne  laisse 
pas  d'avoir  son  effet,  de  confirmer  tout  ce  que  nous 
avons  dit,  et  de  faire  marcher  les  pusillanimes  avec 
plus  de  confiance.  Nous  avons  affecté  de  publier  ici , 
que  Ton  ne  regardoit  cette  pièce  que  comme  un 
témoignage  de  docteurs  particuliers,  qui  ne  pou- 
voient  souffrir  l'idée  que  M.  de  Cambrai  avoit  voulu 
donner  de  leurs  sentimens;  mais  que  cet  acte  n'é- 
toit point  nécessaire ,  et  que  nous  ne  doutions  pas 
que  le  saint  Siège  ne  frappât  encore  plus  fortement. 


62  LETTRES 

Je  VOUS  Tai  toujours  bien  dit,  qu'il  falloit  les  laisser 
commencer ,  et  que  quand  une  fois  ils  seroient 
échauflés,  ils  n'épargneroient  pas  M.  de  Cambrai. 
Il  étoit  question  de  les  laisser  insanguinari  ^  et  vous 
verrez  que  la  fin  sera  plus  forte  qu'ils  ne  l'ont  d'abord 
cru  eux-mêmes.  C'est  à  quoi  il  f:iut  avoir  l'œil. 

Le  Pape  voit  à  pre'sent  que  tout  le  mal  vient  d'a- 
voir ajouté  ses  deux  évêques.  M.  de  Chieti ,  l'un 
des  deux,  avoit  témoigné  vouloir  se  rétracter  :  mais 
les  amis  de  M.  de  Cambrai  l'en  ont  empêché,  à  ce 
qu'on  prétend.  J'eus  hier  un  entretien  avec  lui  assez 
vigoureux ,  dans  lequel  je  lui  parlai  avec  sincérité 
et  avec  respect  :  jamais  homme  n'a  été  si  embar- 
rassé; je  ne  sais  ce  que  cela  produira. 

On  dit  que  l'université  de  Louvain  a  refusé  net  à 
M.  de  Cambrai  l'approbation  qu'il  désiroit;  qu'il  a 
néanmoins  arraché  de  quelques  docteurs  de  Flandres, 
inconnus  ,  quelque  chose  d'ambigu. 

On  sait  ici  la  condamnation  d'Ekard  Dominicain, 
et  l'on  en  a  fait  bon  usage. 

M.  Madot ,  pour  qui  vous  voulez  bien  vous  inté- 
resser, n'est  pas  aimé  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon, 
à  cause  qu'il  paroît  être  de  mes  amis  j  mais  il  s'en 
moque. 

M.  de  Villeroi  est  extrêmement  chéri  ici  de  tous 
ceux  qui  le  connoissent ,  de  moi  en  particulier ,  qu'il 
a  toujours  honoré  d'une  bienveillance  particulière  ; 
je  vous  supplie  de  lui  vouloir  faire  un  peu  ma  cour. 
La  Réponse  de  M.  de  Cambrai  aux  écrits  latins 
n'est  pas  encore  arrivée;  mais  on  ia  promet  inces- 
samment :  elle  viendra  tard. 

On  ne  peut  trop  à  la  Cour  presser  le  nouvel  am- 


SUR    l'aFFAIUE    DU    I^UIÉTISME.  63 

hassadeur  dé  venir  :  tout  est  ici  dans  la  confusion. 
Sur  Taiticle  de  re'ciit,  où-  il  s'agit  de  la  confession 
de  M.  de  Cambrai,  vous  avez  pour  témoins  de  la 
fausseté  du  fait,  M.  de  Paris  et  M.  Tronson.  Qu'y 
a-t-il  à  dire  à  cela  ? 

Pour  le  trente-quatrième  article  ajouté,  c'est  une 
bagatelle  en  soi,  mais  il  me  semble  que  M.  de  Paris 
convint  dans  ses  apostilles  qu'il  fût  ajouté  ;  tout  dé- 
pend des  circonstances.  Ses  apostilles  n'ont  été 
montrées  ici  à  personne. 

Quant  aux  intentions  personnelles  de  madame 
Guyon ,  les  protestations  qu'elle  feroit  pourroient 
bien  empêcher  qu'on  ne  les  condamnât  formellement, 
mais  non  pas  obliger  de  l'excuser  précisément  contre 
la  teneur  du  texte  et  le  sens  propre  et  unique,  qui 
règne  partout  dans  ses  écrits.  En  un  mot,  on  peut 
bien  supposer,  quand  une  personne  est  docile,  et 
ignorante  surtout ,  qu  elle  n'est  pas  hérétique  for- 
mellement, mais  non  pas  qu'elle  n'ait  pas  cru  les 
erreurs  qu'elle  a  expressément  enseignées  et  im- 
primées. 

Au  reste ,  il  me  semble  avoir  ouï  dire  que  cette 
femme  avoit  eu  l'insolence  d'ajouter  quelque  chose  à 
ce  que  vous  lui  aviez  donné,  et  de  falsifier  ainsi  l'acte. 
Ne  seroit-ce  pas  sur  cela  que  M.  de  Cambrai  vou- 
droit  excuser  l'acte  faux  qu'il  avoit  produit  ?  Je  n'ai 
parlé  à  personne  de  ce  que  je  vous  dis  là ,  et  n'en 
ai  qu'une  idée  très-confuse. 

Le  Pape,  les  cardinaux,  tout  Rome  est  témoin 
de  ce  que  M.  l'abbé  de  Chanterac  a  assuré  ici  publi- 
quement ,  que  M.  de  Cambrai  n'avoit  vu  madame 
Guyon  que  trois  fois  en  sa  vie.  Cet  abbé  a  avoué 


64  LETTRES 

depuis  qu'il  avoit  été  trompé  par  M.  de  Cambrai  : 
le  fiiit  est  notoire  ici,  vous  pouvez  l'avancer  hardi- 
ment. Sa  Sainteté  et  tous  les  cardinaux  me  l'ont 
dit  ainsi  ;  cent  autres  personnes  me  l'ont  confirmé, 
M.  de  la  Trémouille,  madame  des  Ursins,  enfin 
tout  le  monde. 

Pour  les  écrits  composés  par  les  Jésuites  en  faveur 
de  M.  de  Cambrai  ;  ils  ne  sont  que  trop  certains  : 
on  trouveroit  ici ,  si  l'on  vouloit ,  plusieurs  témoins 
qui  les  ont  vu  écrire  chez  M.  de  Chanterac.  Les  Jé- 
suites les  distribuoient  :  M.  de  Chanterac  les  a 
donnés  à  tous  les  examinateurs  et  à  bien  d'autres. 

Je  suis  persuadé  que  messieurs  les  cardinaux  au- 
ront fini  vers  Noël  les  qualifications  des  propositions  : 
après  cela  on  fera  la  Bulle,  je  suis  encore  persuadé 
qu'on  ne  veut  plus  perdre  de  temps. 

C'est  le  père  Charonnier  qui  fait  le  vœu  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon,  jugez  ce  que  ce  peut  être. 

Rome,  ce  25  novembre  1698. 


LETTRE   CCCLXXVII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Il  lui  témoigne  la  satisfaction  qu'il  avoit  de  sa  conduite  j  lui  de- 
mande les  actes  du  procès  de  Molinosj  et  lui  donne  quelques 
avis. 

J'ai  reçu,  aujourd'hui  seulement,  votre  lettre 
du  II  de  novembre,  et  la  nouvelle  des  deux  au- 
diences très-importantes  que  vous  avez  eues  de  Sa 
Sainteté,  dont  je  rendrai  compte,  et  dont  j'espère 

qu'on 


SUR    L'AFFAinE    DU    QUIÉTISME.  65 

qu'on  sera  bien  aise.  Le  Mandatum  (*)  vous  est  venu 
bien  à  propos.  Hn'y  a  rien  à  ajouter  aux  diligences 
que  vous  faites.  On  enverra  les  livres  que  vous  de- 
mandez j  mais  ce  ne  peut  être  que  par  l'ordinaire  qui 
suivra  celui-ci. 

Vous  ne  sauriez  trop  re'péler  à  leurs  Eminencies, 
et  au  Pape,  dans  Foccasion ,  que  si  l'on  mollit  lô 
moins  du  monde  >  on  aura  >  au  lieu  d'un  homme  sou- 
mi^  ,  un  ostentateur^  un  triomphateur  et  un  insul'*- 
tateur. 

Je  sais  ce  qui  s'est  trouvé  dans  les  registres  secrets 
du  saint  Office  sur  la  doctrine  de  Molinos  (**),  con- 
forme à  la  Cambrésienne  :  ne  laissez  pas  de  m'en 
envoyer  les  actes ,  les  plus  authentiques  qu'il  se 
pourra. 

Je  suis  bien  aise  que  le  Pape  ait  repoussé  si  vive* 
ment  la  demande  que  lui  faisoit  M.  de  Chanterac, 
pour  alonger  l'afTaire.  On  m'a  envoyé  un  extrait 
dès  vdeuîcdes  examinateurs  qui  nous  sont  contrantes, 
qui  est  fait  par  les  amis  de  M.  de  ToureiL 

Je  crois  vous  avoir  mandé  que  l'original  de  mon 
portrait  est  à  Florence,  par  les  ordres  du  grand 
duc  qui  l'a  demandé.  Je  vous  ai  rendu  compte  de 
M.  de  Madot.  Son  frère  l'abbé  doit  prêcher,  et  je  tâ- 
cherai de  l'entendre.  Je  ferai  ici  la  cour  de  M.  l'agent 
de  Florence,  en  sorte  que  cela  retourne  aux  oreilles 
de  son  maître. 

(*)  II  se  trouve  cl-tlessus,  après  la  lettre  du  18  octobre  i6g8, 
tom.  XL!,  pag.  536. 

C**)  Le  saint  Office  ne  jugea  pas  à  proJ>os  de  risndré  publiques 
toutes  les  abominations  et  les  obscénités  qu'on  avoit  découvertes 
dans  V instruction  du  procès  de  Moliuos. 

BOSSUET.   XLti.  5 


66  L  E  T  T  11  ES 

Je  ferai  bien  votre  cour  à  M.  le  nonce.  Vous  avez 
raison  de  croire  qu'il  est  ici  en  vénération,  et  que  sa 
conduite  y  est  au  gré  de  tout  le  monde.  Je  vous  ai 
mandé  par  mes  précédentes ,  combien  elle  est  obli- 
geante pour  vous  et  pour  moi. 

Nous  avons  vu  ici  M.  Raguenet  et  M.  Langlois. 
Ce  dernier  a  beaucoup  d'esprit.  Il  faut  prendre  le 
bon  de  tout  le  monde.  M.  Tabbé  Fiot  qui  est  pré- 
sent, veut  bien  vous  assurer  de  son  amitié. 

Appuyez  principalement  sur  Vin  praxi  et  re^^i- 
%fîscere  MoUnosum ,  et  sur  l'abus  qu'on  peut  faire 
du  langage  des  mystiques,  qui  ante  exortam  quœs- 
tionem  securius  loquebantur  (*). 

Je  suis  bien  aise  d'apprendre  que  l'avis  des  doc- 
teurs de  Paris  vous  sera  utile.  M.  Pirot  qui  l'a  formé, 
étoit  bien  instruit  de  nos  principes. 

AVersaines,  i  .*'"  décembre  1698. 


LETTRE  CCCLXXVIII. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ABCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  lenteurs  de  la  Cour  de  Romej  la  censure  des  docteurs  de 
Paris,  et  les  dispositions  du  nouvel  ambassadeur. 

Je  vois  avec  plaisir  dans  votre  lettre  du  1 1,  Mon- 
sieur, les  bonnes  dispositions  où  vous  croyez  qu'on 
est  contre  la  doctrine  du  livre  ;  mais  je  suis  bien 
fâché  aussi  de  la  lenteur  que  Ton  continue  d'avoir  à 

C*^}  Bossuet  renvoie  ici  son  neveu  tant  à  l'Admonition  générale 
qu  au  Mandatunif  dont  il  a  été  déjà  question  plusieurs  fois. 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  67 

juger.  Il  n'est  pas  naturel  que  deux  congrégations 
(le  suite  se  passent  sans  rien  faire,  et  qu'à  celle  du 
jeudi  il  ne  se  trouve  que  quatre  cardinaux.  Il  paroît 
une  affectation  à  cela,  qui  me  fait  craindre  qu'on 
ne  veuille  encore  alonger,  malgré  les  bonnes  inten- 
tions du  Pape  :  ainsi  pressez  toujours  tant  que  vous 
pourrez. 

L'avis  des  docteurs,  conduit  sagement,  comme  il 
le  sera,  ne  peut  faire  qu'un  bon  effet  :  il  donnera  du 
courage  aux  juges  timides,  à  qui  on  faisoit  craindre 
notre  Faculté.  Vous  pouvez  dire ,  Monsieur,  à  qui 
vous  jugerez  à  propos,  que  je  suis  sûr  de  cent  signa- 
tures nouvelles  au  moins ,  quand  je  voudrai  ;  qu'ainsi 
on  peut  compter  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  faux  que 
les  bruits  qu'on  avoit  répandus. 

M.  de  Monaco  est  ici  depuis  huit  jours,  et  se  pré- 
pare à  partir  incessamment.  J'eus  hier  matin  une 
grande  conférence  avec  lui  :  je  lui  recommandai  for- 
tement vos  intérêts,  et  le  priai  d'avoir  une  liaison 
particulière  avec  vous.  Il  me  le  promit  très-honnê- 
tement :  ainsi  vous  pouvez  compter  sur  lui,  et  as- 
surer à  Rome  qu'il  y  arrivera  bientôt.  Je  lui  parlai 
aussi,  comme  il  falloit,  du  père  Roslet  :  j'ai  oublié 
de  le  lui  mander  ;  je  vous  prie  de  le  lui  dire  :  j'espère 
qu'il  vous  traitera  très-bien  l'un  et  l'autre.  Le  départ 
du  courrier  me  presse  de  finir.  Je  suis  toujours, 
Monsieur,  à  vous  de  tot  mon  cœur. 

a  Décembre  1698. 


68  LETTllES 


LETTRE   CCCLXXIX. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

^ur  la  reconnoissance  qu'il  avoit  témoignée  envers  le  nonce, 
le  désir  qu'il  avoit  que  ce  prélat  en  fût  instruit  j  ses  soins  pour 
le  succès  de  raffaire  ;  les  discours  des  cardinaux  dans  les  con- 
grégaiionsj  el  l'abjuration  d'un  Augustin,  convaincu  de  Quié- 
tisme. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Fontainebleau,  du  dix  novembre.  J'ai 
rendu  aussitôt  à  M.  le  cardinal  Spada  la  lettre  qui 
étoit  pour  lui.  Je  n'ai  rien  oublié,  dans  cette  occa- 
sion, pour  lui  marquer  ma  reconnoissance  et  la  vô- 
tre. Il  m'a  dit  que  M.  le  nonce  lui  avoit  e'ciit  là- 
dessus,  et  tout  s'est  passé  fort  bien.  Je  ne  doute  pas 
que  ce  cardinal  n'en  écrive  à  M.  le  nonce,  aussi  bien 
que  M.  le  prince  Vaïni  et  un  autre  de  ses  amis,  qui 
est  ici  son  correspondant,  et  qui  sont  témoins  de  ma 
reconnoissance  et  de  ma  sensibilité.  Il  s'est  rencontré 
heureusement  qu'ils  ont  su  aussi  la  manière  dont 
j'avois  parlé  à  Sa  Sainteté,  il  y  a  un  mois,  au  sujet 
de  M.  le  nonce,  lui  témoignant  de  votre  part  et  de 
celle  de  M.  de  Paris  et  des  évéques  la  joie  que  l'on 
avoit  en  France  de  la  grâce  que  Sa  Sainteté  lui  avoit 
faite,  en  le  nommant  à  l'évêché  de  Brescia.  Je  crois 
vous  avoir  déjà  écrit  ce  fait,  et  vous  avoir  marqué  le 
plaisir  que  fit  à  Sa  Sainteté  mon  compliment,  où  je 
fis  entrer  tout  le  bien  qu'il  y  a  à  dire  de  ce  ministre. 
Je  vous  adresse  une  lettre  pour  lui,  et  suis  ravi  de 
cette  occasion  de  pouvoir  l'assurer  par  moi-même 


i 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  69 

àe  restime  singulière  que  fai  pour  sa  personne,  et 
de  la  vive  reconnoissance  que  je  ressens  de  ses  bon- 
tés, que  je  vous  supplie  de  lui  renouveler  encore 
dans  toutes  les  occasions. 

J'espère  que  si  Ton  n'a  pas  été  mécontent  de  moi 
jusqu'au  mois  de  septembre,  ce  que  j'ai  pu  faire 
ici  le  mois  d'octobre  et  le  mois  dernier,  où  il  y  a 
eu  plus  de  mouvement  à  se  donner,  et  dont  je  vous 
ai  rendu  un  compte  exact,  ne  donnera  pas  sujet 
d'être  mécontent  de  moi.  Les  cardinaux  ont  été  ins- 
truits et  bien  instruits ,  de  manière  que  j'espère 
qu'ils  se  déclareront  tous  contre  le  livre,  et  que 
ceux  dont  on  avoit  sujet  de  se  défier  le  plus,  se- 
ront ceux  qui  feront  le  mieux.  Je  pourrai  vous  dire 
un  jour  tout  ce  que  la  cabale  a  remué  :  mais  enfin 
ses  intrigues  ont  été  vaines  ;  et  il  n'y  a  plus  lieu 
de  douter  que  le  livre  et  l'amour  pur  ne  soient 
proscrits,  si  Dieu  donne  encore  deux  mois  de  vie 
à  Sa  Sainteté,  qui  ne  s'est  jamais  mieux  portée. 

J'ai  su,  à  n'en  pouvoir  douter,  la  manière  dont 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  se  comporta  la  première 
fois  qu'il  parla  au  saint  Office.  Il  fit  un  très -long 
verbiage,  sans  rien  conclure  :  il  parla  autant  en  fa- 
veur de  M.  de  Cambrai  que  des  autres,  louant  et 
blâmant  également  tout  le  monde,  et  parut  indif- 
férent sur  la  doctrine  de  l'amour  pur  comme  sur 
les  personnes,  sans  qualifier  les  propositions  ni  en 
bien  ni  en  mal.  Il  vouloit  voir  le  parti  que  chacun 
prendroit,  pour  prendre  ensuite  le  sien.  Ce  que  je 
dis  est  sûr,  et  je  le  sais  de  science  certaine.  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  pouvoit-il  faire  mieux  pour 
M.  de  Cambrai  ? 


•JO  LETTRES 

Dans  la  seconde  congrégation  qui  se  tint  il  y  eut 
hier  huit  jours,  le  cardinal  Spada  parla,  les  cardi- 
naux Panciatiçi,  Ferrari  et  Noris  le  firent  aussi,  et 
on  lut  le  vœu  du  cardinal  d'Aguirre.  Tous  parlèrent 
bien.  Les  cardinaux  Spada  et  Panciatiçi  furent  as- 
sez courts,  mais  bien  décidés  :  le  cardinal  Ferrari 
surpassa  Tattente,  et  surtout  établit  le  sens  mau- 
vais du  livre  comme  incontestable,  et  en  cela  il 
rendit  un  grand  service  :  le  cardinal  Noris  qui  con- 
tinua, s'expliqua  bien  et  fortement.  Le  vœu  du  car- 
dinal d'Aguirre,  qui  n'étoit  pas  présent,  fut  lu  :  il 
est  bon  et  fort,  et  il  embrasse  toutes  les  proposi- 
tions, à  ce  qu'on  m'a  assuré. 

Je  crois  vous  avoir  mandé  par  ma  dernière  lettre, 
Ja  mélancolie  que  fit  paroître  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  au  sortir  de  cette  congrégation,  et  le  dé- 
pit qu'il  témoigna  :  il  vit  bien  qu'il  n'y  avoit  plus 
rien  à  espérer  pour  son  ami. 

J'ai  su  que  M.  le  cardinal  Casanate  avoit  fait  une 
grande  impression  :  il  s'est  servi  de  tout  ce  qu'il  y 
a  de  plus  fort,  pour  établir  le  vrai  sens  du  livre  et 
l'intention  de  l'auteur  sur  tous  les  difFérens  points. 
Il  fit  très-bien  voir  qu'il  n'y  avoit  aucun  péril  dans 
votre  doctrine,  et  que  celle  de  M.  de  Cambrai,  au 
contraire,  en  étoit  toute  remplie.  Le  cardinal  Car^ 
pegna  fit  un  vœu  court,  précis,  fort,  et  qui  égale  à 
sa  manière  celui  du  cardinal  Casanate.  Kestoient  à 
parler  les  cardinaux  Ottoboni  et  Albani,  qui  par- 
lèrent hier,  et  qui  ont  dû  imiter  les  autres.  Je  n'en 
sais  encore  aucune  particularité. 

Mercredi  dernier,  26  du  mois  de  novembre,  se 
fit  au  saint  Office  l'abjuration  du  compagnon  du 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  71 

père  Bénigne,  qui  s'appelle  le  père  Pietro  Paolo. 
Hors  l'appareil  qui  éèoit  plus  grand  à  l'abjuration 
de  Molinos,  tout  se  passa  de  même.  On  lut  le  pro- 
cès de  ce  religieux,  qui  contenoit  les  informations 
et  sa  confession.  Il  abjura,  reçut  l'absolution,  et 
fut  condamné  aux  mêmes  peines  que  Molinos.  Son 
procès,  quoiqu'on  y  eut  retranché  le  plus  sale,  étoit 
plein  de  si  grandes  infamies,  qu'on  ne  peut  les  ima- 
giner. On  ne  sauroit  mieux  représenter  le  person- 
nage, quen  disant  qu'il  étoit  un  autre  Molinos  pour 
la  doctrine  et  pour  les  actions,  ayant  même  à  cet 
égard  enchéri  sur  son  maître.  Ce  qu'il  y  a  de  bien 
remarquable,  c'est  qu'il  fut  déclaré  hérétique  for- 
mel; et  tout  ce  qu'on  lut  de  ses  erreurs,  se  rédui- 
soit  à  la  doctrine  de  l'amour  pur,  qu'on  nomma 
plusieurs  fois,  à  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu, 
à  l'union  avec  Dieu,  à  la  séparation  de  la  partie 
supérieure  d'avec  l'inférieure,  aux  tentations,  ob- 
sessions, etc.  auxquelles  le  seul  remède  est  de  con- 
sentir. Je  reconnus  aisément  nos  Quiétistes  à  toute 
cette  peinture.  Je  me  trouvai  placé  assez  proche  et 
en  face  des  cardinaux,  qui  me  faisoient  tout  publi- 
quement des  signes  de  la  tête  toutes  les  fois  qu'on 
parloit  de  l'amour  pur.  Quand  la  cérémonie  fut 
finie,  je  m'approchai  de  tous  ;  et  chacun  me  dit  son 
petit  mot  sur  la  part  que  je  prenois  à  cette  action 
et  que  j'y  devois  prendre,  ajoutant  en  présence  du 
cardinal  de  Bouillon,  Ecco  l'amore  puro,  et  je  leur 
répondois  :  Vamore  piirissimo  e  rafinaiissimo.  Ja- 
mais homme  n'a  fait  à  une  action  publique  une 
plus  mauvaise  figure,  que  celle  que  fit  M.  le  cardi- 
nal de  Bouillon  dans  cette  circonstance.  Tout  le 


7*  LETTRES 

Biontle  s'en  aperçut  :  sa  contenance  éloit  bien  dîfr 
feiente  de  celle  qu'avoit  M.  le  cardinal  d'Estrées  à 
l'abjuration  de  Molinos. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'a  rien  négligé  pour 
que  l'abjuration  fut  faite  en  secret;  mais  on  n'a 
eu  aucun  égard  à  ses  sollicitatians  :  si  les  prièreç 
du  cardinal  Noris,  qui  est  Augustin ,  ne  l'avoient 
empêché,  elle  auroit  été  prononcée  à  la  Minerve 
comme  celle  de  Molinos.  On  croit  que  ce  n'est  paç 
sans  avoir  eu  en  vue  M,  de  Cambrai ,  que  l'on  a 
ordonné  cette  action,  et  que  l'auiour  pur  a  étç 
nomnié  plusieurs  fois.  L'abbe  de  Çhanterac  a  eu  la 
curiosité  d'assister  à  cette  cérémonie  ;  mais  il  a  été 
bien  heureuse  d'être  derrière  les  autres  :  il  auroit  fait 
\ine  trèsrmauvaise  figure,  si  on  l'avoit  vu.  U  s'en 
est  retourné  tout:  consterné  et  indigné,  disoit-il, 
contre  les  cardinaux  ,  à  cause  des  infamies  qu'on 
avoit  lues  ainsi  publiquement.  11  faut  avouer  qu'elles 
faisoient  frémir.  Le  père  Bénigne,  quoique  très-t 
coupable,  a  été  dispensé  de  cet  acte  public  ,  à  cause 
de  sa  simplicité  et  de  sa  bêtise,  et  il  a  été  condamné  à 
sept  ans  de  prison.  Son  compagnon  lui  faisoit  croire 
et  faire  tout  ce  qu'il  vouloit.  Le  pèr#  Bénigne  a  fait 
son  abjuration  en  particulier. 

Le  lendemain,  après  la  congrégation,  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  est  parti  pour  Frescati ,  où  il  est 
resté  jusqu'à  bier  matin,  qu'il  revint  pour  la  con-r 
grégation  du  soir.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  passé 
ces  quatre  jours,  seul  avec  le  père  Ch^voi^nier, 
Jésuite,  qui  le  dirige  en  t,oiit. 

A  la  congrégation  qui  se  tint  hier ,  parlèrent  lesi 
cardinaux  Ottoboni  et  Albaiii.  M,  le  cardinal  çle 


I 


SUR  l'affaihe  du  quiétism^.  73 

Bouillon  recommença  et  discourut  long-temps.  Je 
ne  sais  si  d  autres  parlèrent ,  je  ne  le  crois  pas  ;  car 
la  congrégation  commença  assez  tard,  à  cause  de  l'ab- 
sence du  cardinal  Spada  qu'on  attendit.  Je  vis  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  au  sortir  de  la  congrégation  ; 
je  ne  pus  l'entretenir  en  particulier.  Mais  j'ai  su  de- 
puis qu'il  étoit  très-content  de  lui-même,  et  il  croit 
avoir  bien  parlé  :  il  dit  aune  personne,  qu'il  falloit 
savoir  a  quoi  s'en  tenir  sur  la  doctrine  de  l'amour 
pur ,  et  qu'on  ne  devoit  pas  se  contenter  là-dessus 
d'un  respective.  Je  ne  sais  ce  que  cela  veut  dire. 

Je  me  doute  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  aura 
peut-être  voulu  réparer  ce  qu'il  avoit  fait  dans  la 
première  congrégation ,  et  qu'il  se  sera  expliqué  sur 
l'amour  pur,  voyant  son  art  inutile.  Je  saurai  bientôt 
ce  qu'il  en  est,  et  s'il  a  donné  son  vœu  sur  cet  ar- 
ticle. La  finesse  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  sera 
à  présent  de  s'étendre  et  d'alonger.  On  a  déjà  dit 
qu'il  imitoit  en  tout  le  sacriste  :  ainsi  il  sera  le  sa- 
criste  des  cardinaux.  On  doit  s'attendre  qu'il  ne 
perdra  aucune  occasion  de  servir  M.  de  Cambrai , 
et  ne  lui  fera  que  le  mal  qu'il  ne  pourra  s'empêcher 
de  lui  faire,  et  qu'on  feroit  malgré  lui. 

Si  les  cardinaux  continuent  à  parler  si  long- 
temps, l'affaire  ne  finira  pas  si  tôt  ;  mais  je  suis  per-* 
suadé  qu'après  les  premières  discussions ,  ils  s'arrê- 
teront, et  seront  très-courts  :  ils  le  disent  eux- 
mêmes  ainsi.  Au  reste,  je  ne  doute  pas  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  ne  cherche  à  les  porter  par  son 
exemple  à  alonger. 

Le  mercredi  matin  on  ne  parle  pas  au  saint  Office 
de  notre  affaire  :  cette  congrégation  est  réservée  aujx 


74  '  LETTRES 

affaires  courantes.  Le  jeudi  on  n'en  parle  pas  devant 
le  Pape,  cela  seroit  inutile  :  on  le  fait  en  particulier  ; 
et  sur  la  (in  on  re'sumera  le  tout  en  pre'sence  de  Sa 
Sainteté.  Je  ne  puis  m'empêcher  de  croire  que  cette 
affaire  sera  terminée  dans  le  mois  de  Janvier.  Néan- 
moins il  ne  faut  pas  laisser  de  presser  du  côté  de  la 
Cour.  Je  n'oublie  rien  pour  faire  que  le  Pape  en- 
gage les  cardinaux  à  accélérer.  Je  vous  envoie  une 
lettre,  que  je  viens  de  recevoir,  de  monseigneur 
Giori  sur  les  dispositions  du  nonce.  Ce  qui  est  cer- 
tain, c'est  que  la  congrégation  a  dessein  de  bien 
faire,  et  que  le  succès  de  l'affaire  est  à  présent  assuré. 

On  n'oublie  rien  pour  l'instruction.  Il  est  inutile 
de  répandre  ici  de  nouveaux  écrits.  Ceux  qui  ont 
paru  nous  suffisent ,  et  ils  ont  eu  leur  effet.  Mais  ne 
laissez  pas  de  faire  pour  la  France  tout  ce  que  vous 
jugerez  à  propos.  Il  est  nécessaire  d'abattre  l'orgueil 
de  M.  de  Cambrai ,  et  de  ne  lui  laisser  aucune  es- 
pérance de  lasser  ses  adversaires  :  il  faut  qu'il  voie 
au  contraire  les  évéques  toujours  prêts  à  le  fou- 
droyer. Je  me  sers,  et  me  servirai  de  toutes  vos 
vues  dans  l'occasion. 

Quand  Zeccadoro  s'est  aperçu ,  il  y  a  un  mois , 
que  ses  peines  étoient  inutiles ,  il  est  allé  à  la  cam- 
-pagne  pour  tâcher  de  tirer  son  épingle  du  jeu. 

Je  vous  envoie  copie  de  la  lettre  que  j'ai  reçue, 
il  y  a  huit  jours,  de  M.  l'abbé  de  Gondi,  de  la  part 
de  M.  le  grand  duc.  M.  l'abbé  Feydé  parle  toujours 
au  Pape  comme  nous  convenons ,  et  agit  bien.  Vous 
pouvez  en  assurer  M.  Salviati  \  et  il  est  bon  que  cela 
revienne  ici  à  M.  l'abbé  Feydé,  qui  en  aura  plus  de 
confiance  en  moi. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  ^5 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  est  le  plus  lâche  de 
tous  les  hommes.  Les  Jésuites  sont  au  de'sespoir. 

Il  n'y  a  ici  que  les  partisans  déclares  de  M.  de 
Cambrai,  qui  osent  seulement  regarder  la  dernière 
Réponse  de  ce  prélat  à  vos  Remarques.  Je  crois 
toujours  qu'il  est  nécessaire  que  vous  le  réfutiez  for- 
tement, et  que  vous  confondiez  toutes  ses  impos- 
tures ,  pour  le  triomphe  de  la  vérité. 

J'oubliois  de  vous  dire  que  le  pauvre  abbé  de 
Barrières  me  paroît  assez  intrigué  sur  ce  qu'on  lui 
mande  de  Paris ,  qu'il  a  un  ecclésiastique  auprès  de 
lui  qui  est  fort  zélé  pour  M.  de  Cambrai ,'  et  que 
cela  pourroit  lui  faire  tort.  Vous  savez,  et  je  vous 
prie  d'en  assurer  M.  le  cardinal  d'Estrées,  que  je, 
ne  me  suis  jamais  avisé  de  vous  en.  dire  un  mot , 
n'ayant  pas  imaginé  que  ce  bon  homme  pût  faire 
ni  bien  ni  mal,  soit  qu'il  fût  pour  ou  contre  M.  de 
Cambrai.  J'en  ai  toujours  parlé  ainsi  à  M.  de  Bar- 
rières, qui  se  conduit  ici  sur  cette  affaire  avec  toute 
la'modération  d'une  personne  aussi  sage  qu'il  est. 
Cet  ecclésiastique  d'ailleurs  est  un  honnête  homme, 
qui  s'imagine  à  la  vérité  que  l'amour  du  cinquième 
degré  est  la  perfection,  et  que  M,  de  Cambrai  est  le 
plus  grand  homme  de  l'Eglise  :  je  me  suis  toujours 
moqué  de  lui. 

Rome,  ce  2  décembre  1698. 


76 


LETTRES 


LETTRE  CCCLXXX. 

DU   MARQUIS   D'HARCOURT  H, 


A  BOSSUET. 

Il  loue  les  écrits  et  le  zcle  de  Bossuet  contre  le  Quiétisme ,  et  le 
rassure  touchant  les  Universités  d'Espagne,  qu'on  disoit  être 
favorables  à  M.  de  Cambrai. 

J'ai  r^eçu,  Monsieur,  la  lettre  que  vous  m'avez 
faijt  l'honneur  de  m'écrire,  du  lo  de  l'autre  mois, 
avec  celle  que  vous  avez  adressée  à  M.  l'archevêque 
de  Se  ville,  et  les  livres  qui  y  étoient  joints,  que  j'a- 
vois  déjà  lus.  M.  l'archevêque  de  Rheims  m'a  fait 
l'honneur  de  me  les  adresser  il  y  a  quelque  temps , 
aussi  bien  que  M.  l'archevêque  de  Paris.  Quoique  je 
sois  encore  moins  capable  de  juger  de  ces  sortes  de 
matières  que  d'aucune  autre,  ils  m'ont  fait  fftrt 
grand  plaisir.  Vous  y  faites  voir  trop  clairement  la 
vérité  et  la  pureté  de  votre  doctrine  et  de  votre  pro- 
cédé, pour  que  l'on  puisse  douter  un  moment  de  la 
fausseté  de  celle  que  vous  combattez  ;  à  moins  qu'on 
ne  soit  entêté  de  son  propre  ouvrage ,  ou  d'une  nou- 
veauté qui  plaît  toujours  à  certaines  gens,  et  surtout 
aux  esprits  foibles.  Tous  ceux  qui  aiment  la  pureté 
de  la  religion  et  le  repos  de  l'Etat,  ne  sauroient 
trop  louer  votre  zèle  à  détruire  un  monstre  naissant. 

Je  me  suis  informé  ici  soigneusement  du  chemin 
que  cela  peut  faire  en  Espagne,    qui  est  peu  de 

(*)  Depuis  duc,  pair,  et  maréchal  de  France. 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  ^j 

chose  ;  car  cette  monarchie  a  tellement  baissé  en, 
tout,  que  l'ignorance  y  règne  de  manière  que  le 
seul  mot  de  mjstique  y  est  très-peu  connu.  L'in- 
quisition ne  fait  la  guerre  qu'au  Judaïsme  :  et  son 
principal  soin  est  de  conserver  une  autorité  injuste- 
ment acquise,  et  de  la  pousser  au-delà  de  ses  justes 
bornes. 

J'envoie  à  M.  rarchevêque  de  Séville  la  lettre  que 
vous  lui  écrivez  ,  et  je  vous  ferai  tenir  sa  réponse 
avec  soin.  Je  tâcherai  aussi  de  découvrir  ce  qui  se 
passe  à  Salamanque,  où  du  moins  il  n'y  a  que  quel- 
ques particuliers  qui  travaillent  secrètement.  J'aurai 
l'honneur  de  vous  informer  du  tout,  comme  la  per- 
sonne du  monde  qui  est  avec  le  plus  de  respect  et 
de  vénération,  etc. 

Madrid,  5  décembre  1698. 

LETTRE  CCCLXXXL 

DE  BOSSUET  A  M.  DE  LA  BROUE. 

U  rinstruit  de  Vétat  de  raffaire  de  M.  de  Cambrai,  et  lui  apprend 
le  succès  qu'avoit  eu  sa  Réponse  à  ce  prélat. 

Je  ne  me  contenterai  pas,  Monseigneur,  de  faire 
écrire  M.  l'abbé  de  Castries ,  qui  ne  me  le  refusera 
pas  quand  je  l'en  prierai;  mais  j'écrirai  moi-même 
en  même  temps ,  et  dans  le  temps  que  vous  sou- 
haitez. Je  ne  mentirai  pas,  quand  je  dirai  que  je 
souhaite  plus  devons  voir  ici,  que  vous  d'y  venir. 

Les  nouvelles  de  Rome  marquent  une  prochaine 
et  ferme  décision  j  et  je  le  crois  ainsi  d'après  l'im- 


^8  LETTREvS 

pression  qu  a  faite  ma  Re'ponse.  Je  vois  par  l'attente 
où  Ton  en  étoit,  combien  la  séduction  et  la  préven- 
tion d'un  grand  parti  ont  d'effet  :  elles  forment  jus- 
qu'à Rome  une  prodigieuse  cabale;  mais  ma  Ré- 
ponse a  mis  tout  le  monde  en  garde  contre  l'artifice. 
Je  suis,  mon  cher  Seigneur,  avec  le  respect  et  la 
cordialité  que  vous  savez ,   etc. 

A  Paris,  le  6  décembre  1698. 


LETTRE  CCCLXXXII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  les  précautions  que  l'on  prenoit  pour  empêcher  les  effets  de 
la  mauvaise  volonté  du  cardinal  de  Bouillon  ;  le  plan  d'un  ou- 
vrage sur  rOraison,  quil  vouloit  donner  après  la  conclusion 
de  l'affaire  ;  la  Censure  des  docteurs  de  Paris  j  et  sur  les  re- 
proches qu'on  lui  faisoit  d'avoir  traité  M.  de  Cambrai  avec 
aigreur.  • 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  18  novembre.  J'ai  vu 
M.  de  Paris  :  nous  nous  sommes  naturellement  com- 
muniqués ce  que  vous  nous  écriviez.  Dieu  préside 
à  ce  qui  se  passe.  On  a  donné  avis  au  Roi  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon,  ne  sachant  plus  où  se  tour-  SI 
ner  pour  sauver  M.  de  Cambrai,  pourroit  faire 
mettre  dans  la  préface  d'une  Bulle  quelque  clause 
qui  blesseroit  les  droits  du  royaume,  et  en  empê- 
cheroit  l'exécution.  LeJR.oi  fut  touché' de  cet  avis; 
et  je  crois  être  assuré  qu'il  est  parti  un  courrier  ex- 
près, pour  lui  porter  des  ordres  bien  précis  sur  cela. 
C'est  aussi  principalement  à  quoi  vous  avez  à  prendre 
garde.  On  veut  faire  un  bien  solide.  Il  ne  faut  donc 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  ^9 

rien  qui  déroge  à  une  fm  si  sainte  et  si  grande.  C'est 
M.  de  Cambrai  qui  a  porte'  l'affaire  au  Pape,  en  lui 
soumettant  son  livre.  Nous,  qui  e'tions  appele's  en 
témoignage,  nous  l'avons  rendu  à  toute  l'Eglise  : 
nous  n'avons  rien  demandé  au  Pape  ;  nous  ne 
sommes  ni  dénonciateurs  ni  accusateurs.  Le  P\.oi  a 
parlé;  et  je  ne  vois  rien  qui  empêche  de  faire  men- 
tion de  ses  instances  réitérées.  Moyennant  cela,  tout 
ira  bien;  et  l'autorité  du  Saint  Siège  mettra  fin  à 
une  hérésie  dont  les  suites  seroient  funestes  au  chris- 
tianisme, si  l'on  n'y  pourvoyoit  bientôt. 

Je  n'écrirai  plus  du  tout.  Quand  la  décision  sera 
venue,  je  pourrai  sans  plus  disputer,  faire  mon  se- 
cond traité  sur  les  Etats  d'oraison,  où  j'en  donnerai 
les  principes;  et  je  comprendrai  dans  un  seul  vo- 
lume les  cinq  traités  que  j'ai  promis.  Cela  ne  peut 
être  qu'utile  ;  puisque  je  suivrai  les  principes  que  la 
bulle  du  Pape  donnera.  Il  sera  même  nécessaire 
d'en  donner  sur  ce  sujet-là ,  à  cause  de  l'ignorance 
et  du  galimatias  de  la  plupart  des  spirituels,  et  de* 
l'abus  qu'on  fait  de  l'autorité  de  l'Ecole.  Vous  pourrez 
même,  après  que  l'affaire  sera  terminée,  insinuer 
que  si  on  l'a  pour  agréable,  je  dédierai  mon  ouvrage 
au  Pape. 

Il  n'y  a  rien  à  ajouter  aux  principes  que  j'ai  posés 
dans  le  Summa,  ensuite  dans  les  In  tuto  et  dans  la 
Réponse  aux  quatre  lettres.  Il  n'y  aura  que  l'ordre 
à  changer,  et  à  procéder  par  principes,  en  laissant  le 
polémique.  Le  livre  est  presque  tout  fait.  Je  réduis 
toute  l'oraison  à  l'exercice  de  la  foi,  de  l'espérance 
et  de  la  charité,  après  saint  Augustin  dans  sa  lettre 
à  Probe.  3 'expliquerai  en  détail  ce  que  la  foi  met 


90  LETTRES 

dans  la  prière,  ce  qu'y  met  Tesp^rance,  ce  qu'y  riiet 
la  charité'  et  le  vrai  amour.  Saint  Augustin  ira  par- 
tout à  la  tête,  et  saint  Thomas  sera  le  premier  à  sa 
suite.  Je  n'oublierai  pas  les  autres  saints,  sans  mépris 
ses  les  mystiques,  que  je  mettrai  en  leur  rang,  qui 
sera  bien  bas,  non  par  mes  paroles,  mais  par  lui- 
même,  comme  il  convient  à  des  auteurs  sans  exac- 
titude* Je  ferai  pourtant  valoir  ce  qu'ils  ont  de  bon^ 
afin  que  ceux  qui  les  aiment  ne  se  croient  pas  mé- 
prisés. 

Pour  revenir  à  notre  affaire,  je  suis  ravi  que  les 
signatures  des  docteurs  de  cette  faculté  tournent  à 
bien.  Je  n'y  trouve  en  effet  qu'une  chose  à  repren- 
dre, qui  est  la  foiblesse  des  qualifications.  M.  de 
Paris  en  convient  ;  mais  le  tour  de  modestie  que  vous 
y  donnez,  sauvera  tout. 

Est-il  possible  que  l'erreur  sur  le  trouble  invo- 
lontaire de  Jésus-Christ  échappe ,  sous  prétexte  du 
passage  de  saint  Thomas,  dont  j'ai  donné  une  si 
claire  solution  en  trois  mots,  dans  mon  avertissement 
sur  les  cinq  Ecrits^  n.  7  (*)?  Il  seroit  honteux  qu'une 
proposition  que  l'auteur  a  abandonnée  et  puis  re- 
prise à  la  fin ,  quand  il  a  vu  qu'il  avoit  trouvé  des 
flatteurs,  évite  la  censure  du  saint  Siège.  Repassez 
ce  que  j'ai  dit  dans  la  Réponse  aux  quatre  lettres 
sect.  20. 

Dans  le  fond  M.  de  Chartres  est  de  même  avis 
que  moi  sur  les  motifs  seconds  de  la  charité.  Il  en  a 
approuvé,  et  la  doctrine,  et  les  principes  établis 
dans  les  Etats  d'oraison;  mais  occupé  d'autres  af- 
faires ,  il  est  vrai  qu'il  n'a  pas  pris  autant  de  soin 

^*)  Voyez  tom.  xxvm,  pa§.  35a. 

que 


i 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  8i 

que  moi  de  montrer  par  principes  l'inséparaLilité 
des  deux  motifs  /comme  je  l'ai  fait  dans  le  Summa 
doctrinœ  et  dans  les  In  tuto. 

J'ai  clairement  démontré  que  ces  deux  motifs  pou- 
voient  bien  être  séparés  per  mentem  et  par  al)strac- 
tion,  à  l'égard  de  l'intention  explicite,  dans  des 
actes  passagers;  et  c'est  le  dernier  point  où  l'on  peut 
aller,  en  remarquant  seulement  que  l'amour  de  la 
béatitude,  subordonné  toutefois  à  la  gloire  de  Dieu, 
se  trouve,  du  moins  implicitement  et  virtuellement, 
dans  tout  acte  raisonnable.  Il  n'y  a  que  moi  pro- 
prement qui  ait  expliqué  ceci  par  principes,  Schoîa 
in  tuto ,  Quaest.  i,  n.  4?  prop.  6,  25,  26,  27,  28, 
29,  3o,  33;  et  n.  18,  jusqu'au  n.  22  et  n.  33;  ce  qui 
est  prouvé  par  saint  Augustin,  n.  228  et  suiv.  par 
saint  Thomas  q.  11  et  m,  n.  8,  34,  35  et  sui- 
yans  (*).  Réponse  aux  quatre  lettres  _,  sect.  ix  et 
XV,  etc.  (**). 

Si  je  vous  marque  ces  endroits ,  pe  n'est  pas  que 
je  ne  sente  que  vous  avez  pris  tout  cela  parfaite- 
ment bien. 

J'ai  vu ,  dans  une  lettre  du  père  Estiennot  à  M.  de 
Rlieims,  que  le  maître  du  sacré  Palais  l'ayant  été 
voir,  l'avoit  beaucoup  questionné  sur  l'aigreur  que 
les  Cambrésiens  m'imputent.  Ha  répondu  que  M.  de 
Cambrai  me  devoit  tout  :  qu'il  ne  faut  pas  s'étonner 
que  sur  l'accusation  formée  contre  moi  d'avoir  ré- 
vélé sa  confession ,  et  sur  d'autres  imputations  extrê- 
mement odieuses,  j'avois  répondu  sérieusement;  que 
pour  me  bien  connoître,  il  ne  falloit  que  lire  les 

(*)  Voyez  tom.  xxix,  /?,  209  et  suiv.  223  et  siih'.  23o,  827,  et  suii', 
—  {**)  Ihid.  p.  3o  et  suiif.  5i  et  suis'.' 

BOSSUET.     XLII.  6 


B'2  LETTRES 

Variations  j  oii  Ton  voit  autant  de  modération  que 
de  force.  Je  pense  qu'il  faut  insister  sur  cela  auprès 
des  amis  particuliers,  et  notamment  auprès  du  maître 
du  sacré  Palais.  Voyez  ce  que  j'ai  dit  sur  ce  sujet , 
Réponse  aux  quatre  lettres,  sect.  24  (*). 

Paris,  7  décembre  1698. 


LETTRE  CCCLXXXIII. 

DE  M.  DE  NO  AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ   BOSSUET. 

Sur  le  bon  effet  de  l'avis  des  docteurs  j  et  les  craintes  que  le  prélat 
avoit  du  retardement. 

Votre  lettre  du  18,  Monsieur,  m'a  donné  une 
grande  joie  :  j'y  vois  avec  un  sensible  plaisir  le  bon 
effet  de  l'avis  de  nos  docteurs.  Vous  l'avez  si  bien 
défendu,  que  les  efforts  de  la  cabale  ne  pouvoient 
pas  l'emporter  sur  vos  bonnes  raisons  :  elles  sont 
sans  réplique,  et  on  ne  peut  les  combattre  sans 
s'exposer  à  être  confondu.  Ce  que  le  Pape  a  dit  au 
cardinal  Albane  me  paroît  merveilleux  :  j'aurois  de 
la  peine  à  le  croire ,  si  vous  n'aviez  un  aussi  bon  au- 
teur pour  garant.  Il  est  impossible,  dans  cette  dis- 
position, que  cet  avis  n'avance  le  jugement,  et  ne 
fortifie  ceux  des  juges  qui  pouvoient  craindre  que  les 
savans  ne  fussent  contre  eux. 

Ce  que  vous  me  mandez  des  bonnes  dispositions 
du  Pape  et  des  cardinaux,  est  confirmé  par  toutes 
les  lettres  de  Rome  j  ainsi  il  paroît  que  vos  mémoire^ 

^*)  Tom.  XXIX,  pag.  76,  77. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  85 

sont  justes.  Cela  nous  donne  de  grandes  espérances  ; 
mais  je  ne  laisse  pas  de  craindre  toujours  le  retar- 
dement. La  lenteur  est  naturelle  à  votre  Cour,  et 
les  partisans  du  livre  veulent  toujours  reculer.  Si 
les  cardinaux  veulent  examiner  chaque  proposition 
en  particulier,  ils  donneront  belle  matière  à  la  ca- 
bale pour  les  obliger  d'alonger  :  ainsi  vous  ne  devez 
point,  Monsieur,  cesser  de  demander  diligence,  non- 
seulement  au  Pape  qui  paroît  bien  disposé  à  Tac- 
corder ,  mais  aux  cardinaux  qui  peuvent  n'être  pas 
si  pressés  que  Sa  Sainteté. 

Je  comprends  aisément  Tembarras  du  cardinal  de 
Bouillon  ;  mais  c'est  sa  faute  :  défiez  vous- en  toujours. 
C'est  une  bonne  chose  que  le  commissaire  du  saint 
Office  soit  si  fort  de  vos  amis  ;  mais  vous  n  en  serez 
pas  pour  cela  si  bien  instruit  que  l'abbé  de  Chan- 
terac.  On  continuera  à  lui  révéler  les  secrets  que 
vous  ne  pourrez  pénétrer;  mais  la  vérité  l'empor- 
tera, s'il  plaît  à  Dieu. 

J'envoyai,  dans  le  moment  que  j'eus  reçu  votre 
paquet,  la  lettre  de  l'abbé  de  Toureil. 

Vous  pouvez  assurer  M.  Poussin  que  je  le  ser- 
virai de  mon  mieux  :  le  père  Roslet  m'en  a  déjà 
écrit. 

Je  vous  demande  plus  de  nouvelles  que  jamais  ; 
car  elles  vont  être  toutes  importantes.  Je  souhaite 
que  l'on  couronne  bientôt  vos  peines,  et  que  vous 
me  croyiez  toujours  à  vous,  Monsieur,  autant  que 
j'y  suis. 

Paris,  ce  8  décembre  1698. 


84  I.ETTRES 


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LETTRE  CCCLXXXIV. 

DE  L'ABBÉ   BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  ce  qui  s'étoit  passé  dans  les  précédentes  congrégations  des 
cardinaux;  les  manœuvres  du  cardinal  de  Bouillon  ;  les  ordres 
que  la  Cour  avoit  donnés  à  ce  cardinal,  pour  empêcher  qu'on  ne 
glissât  rien  dans  la  Bulle  de  contraire  à  nos  maximes j  et  l'au- 
dience que  le  Pape  avoii  donnée  à  cet  abbé. 

J'ai  reçu  les  deux  lettres  que  vous  m'avez  fait 
l'honneur  de  m'écrire  de  Germigny,  le  1 6  et  le  17  no- 
vembre :  vous  verrez,  par  la  suite  de  cette  lettre,  ce 
qui  m'a  déterminé  à  dépêcher  le  courrier  qui  vous 
porte  ce  paquet,  et  un  semblable  à  M.  de  Paris. 

Vous  aurez  vu  par  ma  dernière  lettre^  du  2  de  ce 
mois,  que  vous  recevrez  plus  tôt  ou  en  même  temps 
que  la  présente,  que  je  commençois  à  craindre  quel- 
ques longueurs,  et  à  soupçonner  quelques  difficultés 
depuis  la  troisième  congrégation  qui  s'étoit  tenue 
la  veille,  et  dont  je  n  avois  pu  savoir  le  succès  quand 
j'écrivis  le  lendemain.  J'avois  néanmoins  bien  senti 
qu'il  y  avoit  du  nouveau ,  par  les  discours  du  car- 
dinal Casanate  et  de  quelques  autres,  qui  ne  par- 
loient  pas  avec  la  même  certitude  de  la  décision  de 
cett^  affaire,  par  l'espèce  de  joie  que  je  vis  sur  le 
visage  v.e  M.  le  cardinal  de  Bouillon  au  retour  de  la 
congrégation,  et  par  ce  qu'il  lui  étoit  échappé  de 
dire  qu'il  ne  falloit  pas  s'en  tenir  à  un  respectwe, 
mais  aller  plus  avant;  ce  qui  selon  moi,  ne  pouvoit 
être  dit  à  bonne  intention  par  le  personnage.  Je 
sentis  donc  dès  ce  moment  quelcrue  mauvais  dessein. 


SUR  l'affaire  du  quiêtisme.  8j 

et  quelque  changement.  J'ai  cru  ne  devoir  rien 
oublier  pour  approfondir  ce  qui  en  pouvoit  être , 
pour  savoir,  s'il  étoit  possible,  le  vrai  état  des  con- 
grégations, et  ce  que  faisoit  le  cardinal  de  Bouillon; 
afin  de  remédier  au  mal  qu'on  pourroit  avoir  causé, 
et  vous  donner  des  instructions  sûres.  Voici  ce  que 
j'ai  découvert. 

Premièrement,  tout  ce  que  je  vous  ai  marqué  par 
mes  précédentes  de  ce  qui  s'est  passé  dans  les  deux 
premières  congrégations,  est  vrai  au  pied  de  la  lettre. 
Excepté  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  tous  ceux  qui 
avoient  parlé,  avoient  fait  des  merveilles.  Ils  s'é- 
toient  expliqués  en  peu  de  paroles,  avoient  donné 
leurs  vœux,  et  des  qualifications  précises  aux  pro- 
positions qui  concernent  l'amour  pur,  établissant  le 
vrai  sens  des  propositions,  qu'ils  faisoient  voir  être 
mauvaises  et  dans  l'intention  de  l'auteur ,  et  dans  tout 
le  contexte  du  livre»  M.  le  cardinal  de  Bouillon  re- 
vint désolé  de  ces  congrégations.  Il  ne  restoit  plus 
à  parler  sur  cette  matière  que  le  caixlinal  Ottoboni 
et  le  cardinal  Albani.  Je  voyois  dans  les  yeux  et 
dans  les  discours  de  tous  nos  amis  une  joie  bien 
marquée  :  ils  me  disoient  qu'il  n'y  avoit  qu'à  les 
laisser  faire,  que  tout  iroit  bien  et  finiroit  prompte- 
ment.  L'assesseur  m'avoit  assuré,  il  n'y  avoit  pas 
quinze  jours,  qu'à  Noël  messieurs  les  cardinaux  au- 
roient  achevé  de  donner  leurs  vœux,  et  qu'il  ne 
resteroit  plus  qu'à  dresser  la  bulle.  Le  Pape  et 
tous  les  cardinaux  le  faisoient  assez  entendre,  et  le 
croyoient. 

Dans  ces  circonstances  arriva  le  jour  où  devoit 
se  tenir  la  troisième  congrégation.  Le  cardinal  Otto- 


86  LETTRES 

boni  parla,  ainsi  que  le  cardinal  Albani;  c'étoient 
les  derniers,  après  lesquels  revenoit  le  tour  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon;  qui  parla  très-longuement,  et 
la  congrégation  finit.  Depuis  cette  e'poque,  il  m'est 
revenu  de  tous  côtes  que  l'afTaire  tireroit  en  lon- 
gueur, qu*on  faisoit  des  difficultés.  Toutes  les  per- 
sonnes qui  s'intéressent  véritablement  à  la  bonne 
cause,  en  ont  été  alarmées.  Je  savois  que  le  Pape 
avoit  dit,  que  le  tout  consistoit  h  bien  s'expliquer 
sur  le  livre  de  M.  de  Cambrai.  Le  commissaire  dé- 
claroit  que  celte  affaire  ne  fmiroit  pas  avant  le  ca- 
rême. Les  partisans  de  M.  de  Cambrai,  qui  les  der- 
nières semaines  étoient  désespérés,  commençoient 
à  reprendre  courage,  et  à  dire  que  l'affaire  ne  se 
termineroit  point.  J'ai  été  aux  informations,  et  j'ai 
su  par  des  voies  sûres,  puisque  c'est  par  le  cardinal 
Casanate  lui-même ,  et  par  le  père  Roslet  que  le 
cardinal  Albani  a  instruit,  j'ai  su  que  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  étoit  cause  de  tout  ce  désordre.  Le  car- 
dinal Casanate  me  dit  hier,  que  sans  cette  Eminence 
on  auroit  déjà  voté  sur  vingt  propositions  ;  mais 
qu'on  ne  pouvoit  lui  imposer  silence,  et  qu'il  n'avoit 
pas  été  possible  de  l'obliger  dans  les  trois  premières 
congrégations  à  donner  son  vœu,  ni  de  savoir  ce 
qu'il  vouloit  conclure.  Il  ne  conclut  à  rien  la  pre- 
mière fois  qu'il  parla  :  à  la  troisième  congrégation , 
où  il  reprit  la  parole,  il  fit  la  même  chose;  avant- 
hier,  jour  de  la  quatrième  séance,  il  demanda  encore 
à  parier,  et  je  ne  suis  pas  assuré  s'il  a  donné  son 
vœu  par  écrit,  comme  les  cardinaux  le  lui  ont  de- 
mandé :  j'en  serai  informé  avant  que  de  finir  cette 
lettre.  Ce  que  je  sais,  c'est  que  tous  les  cardinaux 


SUR    L*  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  87 

paroissoient  indignés  de  l'embarras  qu'il  met  dans 
cette  affaire,  qui  sans  lui  nauroit  jamais  trouvé  et 
ne  trouveroit  point  de  difficulté. 

Le  cardinal  Casanate  dit  qu'il  se  perd  dans  les 
nues  avec  des  raisonnemens  plus  subtils  que  ceux  du 
Jésuite ,  du  Carme  et  du  sacriste  ;  enfin  que  tout 
son  but  est  d'embrouiller  et  d'alonger.  Le  cardi- 
nal Aibani  a  dit  au  père  Roslet  que  le  cardinal  de 
Bouillon  paroît  savoir  très-mauvais  gré  à  ceux  qui 
contredisent  son  sentiment,  et  qui  parlent  trop  fort 
contre  M.  de  Cambrai,  et  qu'il  garde  là-dessus  très- 
peu  de  mesures.  Le  cardinal  Casanate  m'a  ajouté 
quelques  paroles,  qui  me  font  juger  que  la  vue  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  est  de  distinguer  deux 
sens  dans  les  propositions  ;  suivant  l'un  desquels  les 
propositions  sont  censurables,  mais  soutenables  se- 
lon l'autre,  qui  est,  à  l'en  croire,  celui  de  M.  de 
Cambrai ,  à  qui  il  faut  bien  nécessairement  s*en  rap- 
porter sur  ce  qu'il  a  pensé.  J'ai  eu  en  même  temps 
la  satisfaction  d'entendre  le  cardinal  Casanate  me 
dire  nettement,  qu'on  auroit  raison  de  se  moquer 
du  saint  Siège,  s'il  entroit  dans  nos  prétendus  dou- 
bles sens  ;  que  c'étoit  l'affaire  du  Pape  et  des  car- 
dinaux de  déterminer  si  le  sens  naturel  des  paroles 
étoit  bon  ou  mauvais;  que  c'étoit-là  précisément 
sur  quoi  on  consultoit  le  saint  Siège,  et  sur  quoi 
il  convenoit  4e  répondre;  qu'ainsi  il  falloit  nécessai- 
rement décider,  ou  que  le  sens  naturel  des  propo- 
sitions de  M.  de  Cambrai  étoit  bon  et  catholique, 
ou  qu'il  étoit  mauvais  et  digne  de  telle  ou  telle 
censure.  C'est  là  en  effet  le  point  essentiel,  qui  me 
paroît  être  bien  saisi,  non-seulement  par  le  cardi- 


88  LETTRES 

nal  Casanate,  mais  par  presque  tous  les  autres;  et 
cest  aussi  ce  qui  fait  enrager  M.  le  cardinal  de 
Bouillon.  Le  cardinal  Casanate  m'a  assure'  que  c'é- 
toit  une  moquerie  de  vouloir  parler  plus  d'un 
quart-d'heure;  qu'il  ne  parleroit  jamais  davantage, 
quand  ce  seroit  à  lui  à  parler  ;  qu'il  e'toit  question 
de  donner  son  vœu  par  e'crit,  et  de  qualifier  net- 
tement les  propositions.  Enfin  il  me  parla  en  homme 
Lien  intentionné ,  bien  persuadé  de  la  bonté  de 
notre  cause,  et  de  la  malignité  de  M.  le  cardinal 
de  Bouillon,  qu'il  dit  clairement  être  le  seul  à 
craindre. 

Le  cardinal  Mbani  s'est  exprimé  à  peu  près  de 
la  même  sorte  au  père  Roslet  ;  et  le  cardinal  Ca- 
sanate lui  a  répété  ce  qu'il  m'avoit  dit  à  ce  sujet. 
Ainsi  on  ne  peut  savoir  plus  sûrement  les  démarches 
de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  et  ses  bonnes  in- 
tentions, dans  lesquelles  je  ne  doute  pas  qu'il  ne 
persévère  jusqu'à  la  fin,  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
par  son  seul  vœu  alongera  l'affaire  plus  de  deux 
mois,  sans  compter  les  incidens  qu'il  ne  manquera 
pas  de  faire  naître ,  quand  les  cardinaux  auront 
fini ,  et  qu'il  s'agira  de  rédiger  la  bulle.  Je  ne  sais 
pour  moi  si  l'on  peut  faire  pis  contre  l'Eglise ,  et 
manquer  plus  essentiellement  aux  volontés  du  Roi. 

Revenons  à  la  congrégation  de  lundi  dernier,  qui 
étoit  avant -hier,  8  de  ce  mois.  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  y  parla  encore  le  premier,  très -longue- 
ment, et  sur  famour  pur,  quoiqu'il  se  fût  déjà 
expliqué  deux  fois  sur  cette  matière,  et  il  s'étendit 
sur  l'article  de  l'indifférence.  Je  ne  suis  pas  assuré 
s'il  a  laissé  son  vœu  relativement  aux  propositions 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  8^ 

qui  concernent  ces  deux  articles  :  vous  en  serez 
instruit  à  la  fin  de  ma  lettre.  Pour  les  autres  car- 
dinaux qui  suivoient,  ils  furent  très-courts,  et  lais- 
sèrent leur  vœu  par  écrit  sur  l'article  de  rindifFé- 
rence.  Le  cardinal  Carpegna  parla,  et  le  cardinal 
Nerli  :  le  cardinal  Casanate  qui  se  trouva  un  peu 
malade,  ne  voulant  pas  occasionner  aucun  retard, 
envoya  son  vœu  par  e'crit ,  qu'on  lut  apparemment. 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  avoit  été  trop  long,  pour 
que  d'autres  pussent  parler. 

Il  arriva  samedi  au  soir ,  6  de  ce  mois ,  un  cour- 
rier extraordinaire,  qui  apporta  les  paquets  de  la 
Cour.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  étoit  à  Frescati, 
seul  avec  le  père  Charonnier  :  il  revint  le  lende- 
main. M.  le  cardinal  de  Bouillon  parut  plus  cons- 
terné qu'on  ne  l'a  jamais  vu.  Il  a  laissé  le  père 
Charonnier  à  Frescati.  J'ai  quelque  raison  de  croire 
qu'il  n'a  pas  reçu  des  ordres  agréables  sur  M.  de 
Cambrai.  Si  M.  le  cardinal  de  Bouillon  s'est  enfin 
déterminé  avant-hier  à  laisser  son  vœu ,  je  suis  per- 
suadé que  le  contenu  des  dépêches  n'y  aura  pas  peu 
contribué. 

Je  le  vis  lundi  au  soir,  au  sortir  de  la  congréga- 
tion :  il  battit  extrêmement  la  campagne,  me  dit 
qu'il  voudroit  que  le  secret  du  saint  Office  lui  permît 
de  me  rapporter  la  manière  dont  il  venoit  de  par- 
ler. Je  suis  assuré  qu'il  ne  m'aurait  rien  dit  qui 
vaille  :  il  croit  endormir  tout  le  monde  avec  ses 
beaux  discours,  mais  il  n'y  réussit  guère. 

Hier,  après  m'être  assuré  par  le  cardinal  Car- 
pegna et  le  cardinal  Casanate  que  j'avois  entre- 
tenus, et  par  le  cardinal  Albani  que  le  pèxe  Roslet 


go  LETTRES 

avoit  vu ,  de  Tetat  des  choses ,  et  que  tous  les  re- 
tardemens  venoient  des  embarras  que  le  cardinal 
de  Bouillon  suscitoit  malicieusement,  et  de  ses  lon- 
gueurs affectées,  j'allai  chez  le  cardinal  Spada,  que 
je  savois  avoir  reçu,  par  le  même  courrier  extraor- 
dinaire ,  des  lettres  pressantes  du  nonce  pour  ac- 
ce'le'rer.  Je  le  suppliai  de  vouloir  bien  engager  le 
Pape  à  parler  fortement  demain  à  messieurs  les  car- 
dinaux ,  pour  les  obliger  de  parler  très-peu ,  et 
de  donner  leurs  vœux  par  écrit  sur  les  propositions 
qu'ils  auront  à  traiter.  Il  me  dit  que  c'étoit  bien 
son  sentiment,  qu'il  agissoit  ainsi,  et  presque  tous 
les  cardinaux  ;  mais  qu'on  ne  pouvoit  pas  imposer 
silence  à  ceux  qui  ne  vouloient  pas  finir  ;  que 
le  Pape ,  tout  Pape  qu'il  est ,  auroit  même  de  la 
peine  à  y  réussir;  qu'il  espéroit  néanmoins  qu'on 
y  viendroit  ;  que  ceux  (  voulant  me  parler  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  )  qui  n'avoient  rien  conclu 
pendant  trois  congrégations ,  avoient  commencé 
dans  la  dernière  à  le  faire,  et  qu'il  falloit  espérer 
que  cela  continueroit.  Je  le  fis  souvenir  des  paroles 
qu'on  m'avoit  comme  données,  que  vers  Noël  on 
auroit  terminé.  Il  me  répondit  que  naturellement 
cela  pouvoit  être  ;  mais  qu'il  ne  dépendoit  ni  du 
Pape ,  ni  de  lui ,  que  cela  fût  ainsi  ;  que  MM.  les 
cardinaux  pouvoient  seuls  disposer  du  temps. 

Il  voit  bien  d'où  vient  le  retard;  mais  il  est  très- 
modéré  ,  très-sage ,  et  a  beaucoup  de  retenue  :  il 
n'en  aper<;oit  pas  moins  les  manèges  du  cardinal 
de  Bouillon.  Je  lui  parlai  fortement  sur  les  deux 
sens  qu'on  vouloit  donner  aux  propositions.  Il  con- 
vint avec  iffioï  des  mêmes  principes  que  le  cardinal 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  91 

Casanate  m'avoit  exposés,  et  me  parla  fort  bien  là- 
dessus.  Il  m'assura  que ,  quoi  qu'on  pût  faire  pour 
retarder,  cela  ne  pourroit  pas  être  si  long  que  je 
le  craîgnois ,  et  que  sûrement  dans  le  mois  de  jan- 
vier les  cardinaux  auront  fini.  Je  pris  la  liberté  de 
lui  dire  que  si  certaines  gens  continuoient  à  agir 
comme  ils  avoient  fait,  je  ne  croyois  pas  qu'on 
eût  achevé  à  cette  époque ,  et  que  c'étoit  au  Pape 
à  y  mettre  ordre;  que  pour  le  Roi,  il  n'y  oublioit 
rien. 

J'ai  su  par  un  cardinal ,  qui  n'est  pas  du  saint 
Office ,  le  sujet  de  la  dernière  dépêche  du  nonce  au 
Pape,  et  du  Roi  à  M.  le  cardinal  de  Rouillon.  Elle 
a  pour  objet  la  crainte  que  le  Roi  dit  avoir  avec  fon- 
dement, que  dans  la  bulle  qu'on  pourra  donner 
<îontre  M.  de  Cambrai,  ceux  qui  ont  intérêt  de 
brouiller  ne  fassent  insinuer  quelques  paroles  en 
faveur  des  prétentions  de  l'infaillibilité  du  Pape,  qui 
seroient  cause  que  cette  bulle  ne  pourroit  être  reçue 
dans  le  royaume,  et  que  le  Roi  se  trouveroit  em- 
pêché d'exécuter  la  parole  qu'il  a  donnée  au  nonce 
à  ce  sujet.  C'est  pourquoi  il  ordonne  à  M.  le  car- 
dinal de  Rouillon ,  de  veiller  à  ce  qu'il  ne  soit  rien 
inséré  dans  le  décret  de  contraire  h.  nos  maximes , 
et  d'en  parler  fortement  au  Pape.  Je  sais  que  M.  le 
cardinal  de  Rouillon  trouve  fort  hors  de  propos  cette 
démarche  :  mais  pour  moi,  quoique  je  n'aie  pas 
entendu  parler  qu'on  eût  ici  un  pareil  dessein,  je 
juge  cette  précaution  excellente  ;  et  je  pense  même 
qu'on  a  très-bien  fait  de  prévenir  de  bonne  heure 
cette  Cour,  afin  delà  tenir  en  respect  là-dessus,  et 


9^  .  LETTUES 

qu'il  ne  soit  pas  question  de  ce  point  quand  on  tra- 
vaillera à  la  bulle.  Autrement,  on  eût  fort  bien  pu 
se  servir  de  ce  moyen  pour  faire  de  nouvelles  diffi- 
cultés ,  et  causer  de  nouveaux  retardemens. 

Je  vous  dirai  qu  il  y  a  à  peu  près  un  mois  que  cette 
pensée  me  vint  dans  la  tête.  Je  la  communiquai  au 
cardinal  Casanate ,  qui  me  dit  que  ce  ne  pourroient 
être  que  des  fous  qui  fussent  capables  d'avoir  cette 
idée;  quil  n étoit  pas  question  ici  de  Tinfaillibilité 
du  Pape  ;  qu'il  falloit  que  le  Pape  songeât  à  faire 
un  décret  conforme   à  la  tradition,    à  l'Ecriture 
sainte,  aux  décrets  de  ses  saints  prédécesseurs  ,  et 
qu'alors  personne  ne  lui  disputeroit  qu'en  suivant 
ces  règles  il  ne  fût  infaillible.  Il  m'ajouta  que,  sans 
aller  plus  loin,  il  n'y  avoit  pas  deux  jours  que  par- 
lant au  Pape  sur  les  Jésuites ,  qui  se  font  valoir  au- 
près de  lui  comme  les  défenseurs  des  prétentions  de 
la  Cour  de  Rome,  il  lui  avoit  tenu  le  même  dis- 
cours ;  qu'il  lui  avoit  dit  par  rapport  à  l'affaire  de 
Cambrai ,  que  si  Sa  Sainteté  ne  suivoit  pas  les  règles 
de  la  tradition  et  de  l'Ecriture  dans  son  décret ,  as- 
surément elle  ne  seroit  pas  infaillible.   Je  ne  sais 
comment  j'ai  oublié  dans  mes  précédentes  lettres  de 
vous  marquer  ce  discours ,  qui  fut  tel  que  je  vous 
le  rapporte.  J'avoue  que  je  serois  assez  curieux  de 
savoir  qui  a  pu  donner  cet  avis  à  la  Cour.  Il  faut 
qu'il  ait  été  suggéré  de  bonne  part  ;  et  encore  une 
fois,  quoi  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  puisse  dire, 
l'ordre  est  venu  très-à-propos ,  et  ne  peut  produire 
aucun  mauvais  effet.  Cela  est  d'autant  meilleur,  que 
je  sais  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  en  est  très- 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  93 

facile  :  c'est  signe  qu'il  pensoit  peut-être  à  cette 
nouvelle  brouillerie  ;  mais  il  en  trouvera  bien  quel- 
que autre. 

Pour  vous  dire  à  présent  comment  se  sont  com- 
portés les  cardinaux  Ottoboni  et  Albani ,  je  me 
trouve  un  peu  embarrassé.  Quant  au  cardinal  Albani, 
je  pense  qu'il  est  assez  décidé;  mais  il  ne  va  pas  aussi 
rondement  que  les  autres;  c'est  sa  manière,  et  ce- 
pendant le  père  Roslet  en  répond.  Pour  moi  je  crains 
toujours  un  peu.  Il  fera  un  grand  effort,  s'il  rompt 
en  visière  à  son  ami  le  cardinal  de  Bouillon.  Le  car- 
dinal Ottoboni  veut  que  je  croie  qu'il  va  bien  ;  mais 
j'ai  remarqué  tant  de  petitesse  et  d'affectation  dans 
ses  manières,  que  je  crains  le  parti  qu'il  aura  pris; 
malgré  les  assurances  de  son  théologien ,  qui  m'a 
parlé  ouvertement  là-dessus.  Je  suis  persuadé  qu'il 
aura  un  peu  biaisé  :  on  le  croit  ainsi.  Je  vais  sortir 
pour  voir  Sa  Sainteté  si  je  puis,  et  au  retour  je 
reprendrai  ma  lettre. 

Mercredi  10  décembre  1698. 

J'achève  ma  lettre ,  et  me  hâte  pour  faire  partir 
le  courrier. 

J'ai  vu  Sa  Sainteté,  après  avoir  su  par  le  père 
Roslet  l'audience  qu'il  en  avoit  eue  ce  matin.  Sa 
Sainteté  est  informée  de  tout  :  elle  est  indignée 
contre  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et  elle  m'a  promis 
de  parler  fortement.  Elle  veut  absolument  que  les 
cardinaux  donnent  leurs  vœux  et  les  qualifications 
par  écrit.  Je  n'ai  oublié  aucune  des  raisons  qui 
peuvent  lui  faire  connoître  de  quelle  importance  il 
est  de  finir  bientôt.  Il  est  certain ,  quelque  bonne 


t)|  LE  T  TU  ES 


intention  que  le  Pape  ait,  qu'il  n'y  a  que  le  Roi  et 
le  nonce  qui  puissent  le  remuer  efficacement,  et  le 
de'terminer  à  agir  maigre  les  impressions  de'savan- 
tageuses  que  la  cabale  ne  cesse  de  lui  donner,  et  les 
continuels  assauts  que  les  protecteurs  de  M.  de 
Cambrai  lui  livrent.  Il  le  faut  soutenir  jusqu'à  la  fin, 
et  presser  plus  que  jamais  la  conclusion,  coup  sur 
coup.  Il  m'a  fort  demandé  des  nouvelles  de  votre 
santé.  Il  sait  la  petite  maladie  de  M.  de  Paris  et  sa 
guérison.  Il  m'a  dit  qu'enfin  certaines  gens  avoient 
commencé  à  donner  par  écrit  quelque  chose.  Il 
n'aime  point  le  cardinal  de  Bouillon,  mais  il  le  craint. 
Qui  ne  le  craindroit? 

J'ai  vu  encore  l'assesseur,  qui  m'a  confirmé  que 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  avoit  conclu.  Il  m'a  as- 
suré qu'on  ne  s'arrêteroit  point  aux  prétendus  sens 
cachés  du  livre,  mais  qu'on  qualifieroit  les  propo- 
sitions ut  sonanty  et  qu'on  vouloit  les  condamner 
in  sensu ohvio  et  natarali.  C'est  aussi  ce  que  j'ai  tâché 
de  faire  comprendre  au  Pape.  Je  n'ai  rien  pu  ap- 
prendre sur  les  qualifications  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  pouvoit  avoir  données  aux  propositions. 
Je  suis  bien  assuré  qu'il  n'a  pas  condamné  les  propo- 
sitions dans  le  sens  de  son  ami ,  ni  dans  le  sens  obvio 
et  naturali.  Il  aura  apparemment  distingué  deux 
sens,  comme  s'agissant  de  propositions  équivoques, 
qu'il  est  de  l'équité  d'expliquer  suivant  la  déclaration 
de  l'auteur.  Il  aura  condamné  la  doctrine  du  cin- 
quième état ,  qui  excluroit  l'espérance  ;  mais  il  aura 
soutenu  que  les  propositions  ne  l'excluent  pas  dans 
le  sens  qu'y  donne  M.  de  Cambrai.  Il  est  difficile 
qu'il  dise  quelque  chose  de  bon  ;   mais  par  ce  qu'il 


SUR   l'affaire   du    QUIÉTISME.  (^5 

m'a  avancé  lui-même ,  par  ce  que  m'ont  rapporté 
les  autres,  je  suis  presque  assuré  que  son  vœu  va  là. 
Au  moins  est-il  bien  certain  que  tel  qu'il  est,  il  ne 
l'a  donné  qu'à  l'extrémité,  et  qu'après  avoir  voulu 
voir  s'il  ne  pourroit  pas  former  quelque  parti.  Ce 
seroit  vouloir  se  tromper  trop  visiblement,  que  de 
croire  qu'il  ne  se  conduira  pas  jusqu'à  la  fin  dans  le 
même  esprit,  au  péril  de  tout,  même  d'encourir  la 
disgrâce  du  Roi ,  à  qui  il  croit  toujours  pouvoir  en 
imposer.  Il  agira  toujours  de  mauvaise  foi. 

Mais  quel  remède  à  un  si  grand  scandale  ?  J'avoue 
que  je  n'en  connois  point.  Après  tout  ce  que  ce 
cardinal  voit ,  tout  ce  qu'il  sait  ;  que  peut-on  faire 
de  plus,  que  d'aller  à  des  extrémités  qu'on  ne  sau- 
roit  conseiller?  Je  puis  vous  dire  seulement  que 
tout  le  monde ,  les  cardinaux  et  le  Pape  s'étonnent 
de  la  patience  du  Roi ,  et  de  l'insolence  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon. 

L'état  des  choses ,  que  je  n'ai  pu  écîaircir  qu'au- 
jourd'hui, m'a  déterminé  à  dépêcher  un  courrier,  et 
cela  pour  plusieurs  raisons  ;  la  première,  est  l'ordre 
que  vous  m'avez  donné  de  le  faire  dans  des  conjonc- 
tures aussi  essentielles;  la  seconde,  afin  que  l'on  voie 
à  la  Cour  les  mesures  qu'on  peut  prendre ,  sans 
perdre  un  moment  de  temps,  par  rapport  au  Pape 
et  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et  qu'on  sache  à 
<juoi  s'en  tenir  sur  la  conduite  de  ce  ministre  ;  la 
troisième ,  est  que  M.  Poussin  m'a  averti  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  étoit  très-inquiet ,  et  se  défioit 
de  ses  propres  domestiques  ,  qu'il  avoit  ouvert  leurs 
lettres,  et  qu'il  craignoit  cet  ordinaire  qu'il  ne  s'a- 
visât peut-être  d'envoyer  ouvrir  celles  qu'on  portet 


9^  LETTRES 

roit  à  là  poste  ;  quatrièmement ,  parce  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  retarde  de  huit  jours  à  ren- 
voyer le  courrier  extraordinaire  dépêché  de  la 
Cour ,  et  cela  afin  qu'on  ne  soit  pas  informé  si  tôt 
de  ce  qui  se  passe  ici.  Enfin ,  je  me  suis  déterminé 
à  prendre  cette  voie ,  prévoyant  qu'au  moyen  du 
courrier  extraordinaire  que  je  dépêche  aujourd'hui 
et  de  celui  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  renverra 
dans  huit  jours ,  j'aurai  la  faculté  d'instruire  promp- 
tement  de  tout  ce  qui  se  fait  dans  un  commence- 
ment aussi  essentiel  que  celui-ci. 

Le  sieur  Feydé,  agent  du  grand  duc ,  me  donne 
un  homme  sûr  qui  porte  mon  paquet  à  Florence , 
qu'il  adresse  à  M.  le  grand  duc  ;  et  M.  le  grand 
duc  fera  repartir  sur-le-champ  un  courrier,  qui  sera 
adressé  à  M.  le  marquis  Salviati,  qui  vous  fera  tenir 
ma  dépêche.  Vous  verrez  avec  M,  le  marquis  Sal- 
viati  à  pourvoir  aux  frais  du  courrier,  et  à  le  ren- 
voyer, si  vous  le  jugez  à  propos  :  c'est  ce  dont  je 
suis  convenu  avec  le  sieur  Feydé.  Je  ne  pouvois 
prendre  de  voie  plus  sûre,  plus  prompte  et  plus 
secrète.  Par-là  nous  ne  serons  pas  à  la  merci  de 
quelque  fripon,  ou  qui  reste  quinze  jours  en 
chemin ,  ou  qui  ne  puisse  courir. 

Je  vous  ai  mandé  plus  d'une  fois  combien  l'agent 
de  M.  le  grand  duc  fait  bien  ici  :  je  vous  prie  d'en 
parler  dans  l'occasion. 

M.  Poussin  continue  à  faire  tout  ce  qu'il  peut 
pour  nous  seconder.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  le 
hait  à  la  mort,  et  fait  tous  ses  efforts  pour  que  M.  le 
prince  de  Monaco  ne  le  prenne  pas  à  son  service. 
Cela  seul  devroit  opérer  un  effet  contraire.  Je  vous 

prie 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  97 

prie  de  ne  pas  négliger  dans  cette  occasion  les  in- 
térêts de  M.  Poussin,  d'en  parler  en  particulier  à 
madame  de  Maintenon ,  qui  est  déjà  très-bien  dis- 
posée en  sa  faveur,  aussi  bien  que  tous  les  ministres. 
M.  le  prince  de  Monaco,  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  a  prié  de  ne  le  point  continuer  dans  son 
emploi ,  sera  embarrassé  ;  mais  quand  il  dira  que  le 
Roi  et  les  ministres  l'ont  souhaité,  que  pourra  ré- 
pondre M.  le  cardinal  de  Bouillon  ?  J'en  écris  au- 
tant à  M.  de  Paris. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  croit  ne  pouvoir  être 
convaincu ,  à  cause  du  secret  du  saint  Office ,  et  il 
niera  tout  ;  mais  les  actions  et  les  faits  parlent. 

M.  Madot  vouloit  vous  écrire  :  je  me  suis  chargé 
de  vous  faire  ses  très-humbles  remercîmens.  C'est 
un  gentilhomme  qui  a  de  l'esprit  et  du  mérite,  et  qui 
est  très-fort  de  mes  amis. 

M.  Tabbé  de  la  Trémouille  a  enfin  parlé  au  Pape , 
à  peu  près  comme  j'aurois  souhaité  qu'il  le  fît  il  y  a 
un  an  ;  mais  il  m'a  assuré  avoir  bien  parlé,  et  je 
Ten  remercierai  de  votre  part. 

Le  Pape  m'a  déclaré  ce  soir,  ainsi  qu'au  père 
B-Oslet  ce  matin,  qu'il  étoit  bien  éloigné  d'improuver 
la  Censure  de  la  Sorbonne ,  et  le  procédé  de  M.  de 
Paris  à  ce  sujet. 

Les  Jésuites  ont  fait  tous  leurs  efforts  auprès  du 
grand  duc ,  mais  inutilement.  Ils  ne  s'oublient  pas 
ici ,  et  le  père  Charonnier  surtout. 

Le  Quiétisme  s'est  découvert  dans  le  royaume  de 
Naples. 

Si  le  prince  de  Monaco  arrive  ici  avant  la  déci- 
sion de  l'affaire  de  M.  de  Cambrai,  qu'il  n'ait  pas 

BOSSUET.    XLII.  ^ 


'§8'  LETTRES 

confiance  en  moi ,  et  ne  témoigne  point  de  vigueur 
par  rapport  au  succès  de  cette  affaire,  il  nous  fera 
plus  de  mal  que  de  bien.  La  seule  apparence  qu'il 
auroit  de  vouloir  ménager  là-dessus  M.  le  cardinal 
de  Bouillon,  seroit  pernicieuse. 

On  ne  publie  pas  encore  ici  la  réponse  aux  Mjs- 
tici  in  tiito  j  qu'on  dit  arrivée.  L'ouvrage  que  vous 
projetez  me  paroi t  bon  :  tout  ce  qui  viendra  de 
vous  sera  bien  reçu  des  honnêtes  gens. 

J'oubliois  de  vous  dire  que  la  rage  des  Cambré- 
siens,  sur  la  censure  des  docteurs,  a  été  au  point, 
qu'ils  ont  distribué  aux  cardinaux  des  lettres  ano- 
nymes ,  en  italien  et  en  français ,  excessivement  in- 
solentes contre  M.  de  Paris,  qu'ils  accusent  d'avoir 
forcé  les  docteurs  à  signer  :  mais  les  déclamations 
indécentes  n'ont  fait  ici  aucune  impression.  Les  Jé- 
suites sont  les  seuls  qui  les  aient  approuvées,  parce 
qu'ils  ont  publié  les  mêmes  choses. 

Rome,  CÉf  10  décembre  1698. 


LETTRE  CCCLXXXV. 

DE  BOSSUEï  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  jugement  qu^on  portoit  de  la  dernière  Réponse  de  M.  dfc 
Cambrai,  et  sa  disposition  à  cet  égard  5  Topposilion  de  M.  de 
Paris  à  de  nouveaux  écrits,  et  sur  les  faits  qu'on  apprenoit  par 
les  interrogatoires  de  madame  Guyon. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  2  5  novembre.  Je  suis 
très- content  du  progrès  de  l'affaire.  Il  ne  faut  point 
perdre  de  temps,  à  cause  du  grand  âge  du  Pape. 

J'ai  reçu  la  Réponse  de  M.  de  Cambrai  sur  les 


I 


SUR    l'aFFAIHE    du    QUIÉTISME.  99 

Kemarques  :  je  ne  l'ai  pas  encore  lue.  Mon  frère  et 
M.  Ghasot  disent  que  cet  ouvrage  ne  contient  que 
des  redites  :  je  verrai  s'il  est  besoin  que  je  réponde, 
M.  le  nonce  paroît  y  répugner  :  je  prendrai  dans 
peu  mon  parti.  Si  je  suivois  mon  inclination  ,  je  nQ 
laisserois  jamais  un  méchant  esprit  débiter  impuné- 
ment tant  de  faussetés. 

Je  conviens  que  M.  le  cardinal  Gasanate  seroit  un 
grand  et  digne  sujet  pour  la  papauté  :  j'en  parle  tou- 
jours ici  comme  je  dois.  Quand  on  aimera  fortement 
FEglise ,  il  ne  faudra  penser  qu'à  lui. 

M.  Tarchevêque  de  Paris  est  le  plus  opposé  à  ce 
qu'on  fasse  de  nouveaux  écrits,  parce  que  le  cardinal 
de  Bouillon,  à  mon  avis,  aura  marqué  que  le  Pape 
dc'siroit  qu'il  n'en  parût  plus. 

Quand  M.  de  Gambrai  rejette  sur  madame  de 
Maintenon  la  condamnation  que  nous  faisons  de  ses 
erreurs ,  il  montre  ses  mauvais  desseins. 

M.  d'Argenson  interroge  madame  Guyon  par  rap-»^ 
port  à  M.  de  Gambrai  ;  et  l'on  a  déjà  trouvé  que  c'é- 
toit  lui  que  madame  Guyon  entendoit  sous  le  nom 
qui  est  marqué,  Relation^  section  vi ,  n.  i8  (*j.  La 
liaison  de  celte  dame  avec  lui  est  manifeste.  Il  est 
prouvé  qu  elle  a  commis  le  crime  avec  le  père  la 
Combe. 

Ge  que  les  partisans  de  M.  de  Cambrai  ont  débité 
sur  l'approbation  donnée  à  sa  doctrine  par  l'univer- 
sité d'Alcala,  n'est  rien.  On  parle  de  la  thèse  de 
Louvain  :  je  la  fais  chercher,  et  je  ne  l'ai  pas  en- 
core vue. 

M.  de  Monaco  m'a  parlé  de  vous  très-obligeam- 

\*)  Voyez  ci-dessus,  tom.  xxix,  pag.  619,  620. 


lOO  LETTRES 

ment.  Je  ne  partirai  pas  d'ici  pour  Meaux  sans  l'en- 
tretenir à  fond  :  j'en  suis  très-satisfait.  Il  partira  au 
commencement  de  l'année  prochaine.  J'embrasse 
M.  Philippeaux,  et  je  suis  très-content  de  sa  lettre 
du  25  novembre. 

Paris,  i5  décembre  1698. 


LETTRE  CCCLXXXVL 

DE  M.  DE  NO  AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  espérances  que  lui  donnoit  cet  abbé  d'un  prompt  succès  j 
le  départ  prochain  de  M.  de  Monaco  j  et  le  dernier  écrit  de 
M.  de  Cambrai. 

Vous  n'aurez  qu'un  mot  de  moi  aujourd'hui, 
Monsieur  ;  car  j'ai  très-peu  de  temps*  Je  reçus  hier 
votre  lettre  du  26  :  elle  me  donne  bien  de  la  joie, 
par  les  bonnes  nouvelles  que  vous  me  mandez.  Il  y 
a  lieu  d'espérer  qu'enfin  la  bonne  doctrine  triom- 
phera; mais  comme  on  n'est  sûr  de  rien,  surtout 
avec  de  certaines  gens,  que  quand  les  choses  sont 
entièrement  faites,  ne  cessez  point  de  presser  et  de 
veiller  pour  empêcher  que  les  eiibrts  et  les  artifices 
de  la  cabale  n'obtiennent  encore  quelque  chose  de 
préjudiciable  à  l'Eglise. 

M.  de  Monaco  se  dispose  à  partir  incessamment  : 
s'il  ne  le  peut  faire  à  la  fin  de  ce  mois,  ce  sera 
au  plus  tard  les  premiers  jours  de  l'autre  :  vous 
pouvez  l'assurer,  car  j'en  ai  eu  encore  des  nouvelles 
aujourd'hui. 


I 


SUR    l'aFFAIKE    du    QUIÉTISME.  lOI 

Le  dernier  écrit  de  M.  de  Cambrai  est  bien  mau- 
vais en  toutes  manières;  mais  quelque  tort  qu'il 
ait,  rien  ne  retiendra  sa  plume  qu'une  de'cision  de 
Rome.  Il  ne  faut  pas  compter  qu  on  le  fasse  taire  à 
force  de  lui  répondre  :  il  ne  voudra  jamais  avoir  le 
dernier,  et  ne  trouvera  rien  sans  réplique.  Nous  en 
conférerons  M.  de  Meaux  et  moi.  Je  ne  l'ai  pas  vu 
depuis  que  j'ai  lu  ce  bel  ouvrage,  qui  est  ici  très- 
rare  :  je  l'eus  hier  quelques  heures.  Je  suis  toujours 
comme  vous  savez,  Monsieur,  à  vous  de  tout  mon 
cœur, 

1 5  Décembre  1698. 


LETTRE  CCCLXXXVII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  ordres  donnés  par  le  Pape  pour  accélérer;  les  manœuvres 
du  cardinal  de  Bouillon  pour  alonger  ;  et  la  manière  dont  s'é* 
toient  passées  les  dernières  congrégations. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Meaux,  le  24  novembre.  Je  vous 
écris  celle-ci  par  le  courrier  extraordinaire,  qui  doit 
partir  demain  matin.  M.  Poussin  me  répond  de  la 
lettre.  J'écris  en  petit  caractère  par  nécessité,  afin  que 
le  paquet  tienne  moins  de  place. 

On  tint  hier  la  cinquième  congrégation.  Il  m'a 
été  impossible  d'en  savoir  encore  aucune  nouvelle 
sûre-,  mais  avant  minuit  |e  ne  désespère  pas  d'en  ap- 
prendre ,  et  de  joindre  à  cette  lettre  ce  qu'il  faudra 
là-dessus.  Voici  ce  qui  s'est  passé  depuis  ma  dernière 


ÎO'2  I.KTTP.  ES 

4lu  10,  envoyée  par  M.  Tabbe  Feydé  et  M.  le  grand 
duc,  que  je  suppose  arrive'e  avant  que  vous  receviez 
celle-ci. 

Le  Pape  m'avoit  promis  de  parler  jeudi  1 1  for- 
tement à  la  congrégation.  La  nuit  du  lo  au  ii,  le 
Pape  se  trouva  un  peu  incommodé  d'un  rhume  de 
cerveau.  Il  vouloit  venir  à  la  congrégation,  mais  on 
Ten  empêcha  :  ce  rhume  lui  continue ,  mais  sans 
autre  incommodité.  Il  donna  vendredi  et  samedi  ses 
audiences  accoutumées  :  avant- hier  monseigneur 
Giori  le  vit.  Cela  a  empêché  le  Pape  de  pouvoir 
faire  par  lui-même  ce  qu'il  avoit  eu  la  bonté  de  me 
promettre;  mais  j'ai  su  qu'il  avoit  donné  ordxe  au 
cardinïtl  Spada  de  dire  ce  qu'il  fout;  et  on  m'a  dé- 
claré qu'on  avoit  pris  des  mesures  pour  remédier 
aux  longueurs  :  au  moins  c'est  ce  qu'on  veut  que 
je  croie.  Si  les  remèdes  sont  efficaces,  je  ne  puis 
l'assurer  :  il  paroît  seulement  que  le  Pape  et  les 
principaux  cardinaux  ont  bonne  intention. 

Il  est  plus  que  certain  que  M,  le  cardinal  de 
Bouillon  fait  du  pis  qu'il  peut.  Il  voit  à  présent 
qu'une  définition  ne  peut  être  que  tragique  pour 
M.  de  Cambrai  ;  et  tout  son  esprit  est  en  consé- 
quence tourné  à  trouver  des  expédiens  pour  alon- 
ger,  à  faire  naître  des  difficultés,  à  perdre  le  temps 
en  vains  discours,  sans  conclure,  à  parler  hors  de 
son  rang,  même  jusqu'à  interrompre  les  autres. 
Comme  la  matière  est  délicate,  subtile,  difticile 
pour  ce  pays-ci,  on  prend  l'autorité  de  décider  à 
tort  et  à  travers;  parce  que  la  langue  ne  peut  trou- 
ver des  expressions  telles  qu'on  les  voudroit.  Mais 
ce  qui  est  de  pis,  on  propose  du  travail  pour  plus 


SUR  l'affaihe  du  quiétlsme.,  lo3 

de  deux  ans  j  que  dis-je?  pour  plus  de  cent  ans,  sous 
prétexte  de  couper,  dit-on,  la  racine  du  mal.  On 
soutient  qu  il  ne  faut  pas  se  contenter  de  re'pondre 
sur  le  livre  ;  mais  qu'il  faut  donner  des  règles  de 
langage ,  examiner  de  nouveau  les  mystiques ,  ce 
qu'il  y  a  à  retrancher  et  à  approuver  dans  leurs 
livres,  faire  une  exposition  de  la  doctrine  de  l'E- 
glise sur  tous  les  points  qui  ont  quelque  rapport  au 
QuiéLisme,  et  aux  matières  agitées.  D'un  autre  côté, 
si  l'on  feint  de  paroître  zélé  contre  la  mauvaise  doc- 
trine en  général,  on  l'est  encore  plus  pour  faire  va- 
loir les  prétendues  bonnes  intentions  de  M.  de  Cam- 
brai ;  pour  soutenir  que  les  propositions  du  livre 
sont  susceptibles  de  plusieurs  sens,  qu'elles  ne  sont 
pas  univoques,  voilà  le  terme;  qu'ainsi  on  ne  les 
peut  condamner  absolument.  Enfin  on  s'épuise  à 
mettre  en  œuvre  mille  autres  belles  raisons,  que 
vous  avez  sans  doute  entendu  dire  mille  fois. 

Comme  on  avoit  pré.vu  une  partie  de  ces  pré- 
textes, on  avoit  eu  aussi  soin  de  prévenir  sur  la  per- 
sonne et  sur  tout  le  reste  ;  et  les  efforts  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  a  faits  pour  persuader,  n'ont 
pas  tout-à-fait  eu  le  succès  qu'il  désiroit.  Ce  qui  lui 
réussit  parfaitement,  c'est  en  interrompant,  en  par- 
lant hors  de  son  rang,  et  plus  d'une  fois,  d'alonger 
les  congrégations,  et  de  marquer  ainsi  sa  bonne  vo- 
lonté. M.  le  cardinal  de  Bouillon,  n'a  pu,  de  tous 
les  cardinaux,  entraîner  à  son  avis  que  le  cardinal 
Ottoboni,  qui  m'a  trompé  net;  c'est-à-dire,  qu'il 
entre  dans  la  justification  de  quelques  sens  de  l'au- 
teur, et  qu'il  approuve  les  difficultés  et  les  vues  pro- 
posées par  M,  le  cardinal  de  Bouillon.  Son  tbéolo-^ 


I04  LETTRES 

gien,  qui  m'avoit  assuré  de  son  suffrage,  a  été,  h 
ce  qu'on  m'a  dit,  gagné  par  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  qui  lui  a  promis  un  évêclié.  Je  l'ai  décou- 
vert; et  depuis  deux  jours  j'ai  fait  jouer  une  batterie 
par  M.  l'abbé  Feydé,  qui  a  des  moyens  plus  efficaces 
pour  faire  parvenir  à  cette  dignité,  que  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon.  Ainsi  j'espère  quelque  change- 
ment ;  d'autant  plus  que  le  cardinal  Ottoboni  a  été 
un  peu  intimidé,  et  qu'il  ne  se  voit  appuyé  que  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qu'il  sent  être  au  fond 
moins  que  rien. 

Pour  le  cardinal  Albani ,  il  est  certain  qu'il  a  mé- 
nagé M.  le  cardinal  de  Bouillon  et  M.  de  Cambrai, 
mais  néanmoins  d'une  manière  assez  adroite  pour 
ne  pas  donner  beaucoup  de  prise  sur  lui.  Il  n'a 
approuvé  en  rien  le  livre,  mais  il  a  un  peu  biaisé 
sur  les  propositions,  sur  les  divers  sens,  sur  les  diffi- 
cultés de  cette  affaire,  enfin  il  n'a  pas  parlé  net.  Je 
le  lui  ai  fait  reprocher  par  le  père  Boslet.  Il  s'est 
recrié  fortement  là-dessus,  disant  qu'il  avoit  bien 
des  ennemis,  mais  qu'on  verroit  à  la  fin,  s'il  étoit 
chargé  de  faire  la  bulle.  J'avoue  franchement  que 
sans  le  père  Roslet,  à  qui  cet  adroit  politique  pro- 
met, par  rapport  à  M.  de  Paris,  monts  et  merveilles 
sur  cette  affaire,  je  craindrois  de  lui  extrêmement  : 
mais  que  dire  quand  le  père  Roslet  en  répond  ?  Ce 
qu'il  ne  peut  excuser,  c'est  son  ambition,  qui  l'em- 
pêche de  s'opposer  franchement  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  et  à  ses  mauvais  desseins.  Il  en  dit  au  père 
Roslet  tout  ce  qu'on  en  peut  dire  de  désavantageux, 
et  puis  dans  Toccasion  il  appréhende  de  déplaire  à 
cette  Eminence.  Cependant  une  parole  que  pa'a  dite 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  io5 

le  cardinal  Casanate,  qui  est  qu'il  espéroit  qu'il  iroit 
bien,  me  met  un  peu  l'esprit  en  repos  sur  son  sujet. 
Mais  j'avoue  que  je  vois  trop  de  finesses  dans  cet 
esprit,  pour  m'y  fier  absolument.  J'ai  pris  la  liberté 
de  dire  au  cardinal  Albani  lui-même,  en  deux  cir- 
constances ,  qu'on  ne  devoit  se  fier  ici  qu'aux  actions , 
et  non  aux  paroles.  Il  a  toujours  évité ,  le  plus  qu'il 
a  pu,  de  me  parler,  sous  prétexte  quil  savoit  tout 
par  le  père  Roslet,  et  me  faisant  assurer  qu'il  seroit 
le  plus  fort  de  la  congrégation  contre  le  livre,  ajou- 
tant qu'il  en  agissoit  ainsi  pour  ne  pas  donner  d'om- 
brage :  c'est ^a  manière,  il  a  fallu  s'en  tenir  là.  J'ai 
résolu  d'avoir  avec  lui  une  conversation  vigoureuse, 
?ans  manquer  à  rien.  Il  faut  avouer  que  le  père 
Hoslet  fait  tout  ce  qui  est  possible  auprès  de  lui  ; 
mais  l'un  est  Français,  et  l'autre  bien  Italien. 

On  ne  peut  douter  de  l'ardeur  de  la  cabale,  et  il 
seroit  difficile  de  se  tromper  sur  celle  des  protecteurs 
de  M.  de  Cambrai,  qui  se  manifeste  plus  que  jamais. 
Il  n'est  que  trop  certain  que  le  père  Charonnicr 
soutient ,  plus  que  personne ,  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  dans  ses  premiers  engagemens.  C'est  lui 
sûrement  qui  fait  tous  ses  discours  :  et  que  ne  doit^ 
on  pas  attendre  d'un  pareil  Jésuite  ?  Il  est  connu  en 
France  ;  il  commence  à  se  faire  connoître  ici  pour 
un  homme  sans  religion.  Deux  personnages  sages , 
du  monde  à  la  vérité,  mais  dont  je  suis  sûr  comme 
de  moi-même  pour  la  probité,  m'ont  certifié  que  le 
père  Charonnier  disoit  assez  hautement,  que  pourvu 
qu'on  vécût  bien  moralement,  toute  religion  étoit 
bonne  et  probable.  En  vérité,  je  le  dis  devant  Dieu, 
Je  père  Charonnier  est  l'opprobre  du  genre  humain, 


106'  LETTRES 

Il  perd  le  pauvre  cardinal  de  Bouillon.  Je  suis  per- 
suade que  le  plus  grand  service  qu'on  pourroit 
rendre  à  l'Etat  et  à  cette  Eminence,  ce  seroit  d'or- 
donner à  M.  le  cardinal  de  Bouillon  de  le  renvoyer. 
Il  n'y  a  que  le  Roi  qui  le  puisse  faire.  Ce  que  ce 
Jésuite  a  dit  contre  ce  prince  et  madame  de  Main- 
tenon,  ne  se  peut  imaginer.  Ils  sont  bien  d'accord 
là-dessus,  lui  et  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  En  vé- 
rité, pour  peu  qu'on  "ait  de  religion  et  d'inclination 
pour  le  Roi,  on  frémit  en  voyant  de  pareils  per- 
sonnages. 

Tous  les  cardinaux  assistèrent  hier  à  la  congréga- 
tion. On  m'a  dit,  et  c'est  le  général  de  la  Minerve  , 
que  ceux  qui  veulent  trouver  plusieurs  sens  dans 
les  propositions,  pour  avoir  prétexte  d'embrouiller 
par-là,  se  servent  de  la  censure  de  Sorbonne,  disant 
que  ces  docteurs  y  avoient  reconnu  eux-mêmes  ces 
divers  sens,  et  ay oient xn\s des rjuatenus ;  qu'ainsi  ces 
propositions  pouvoient  avoir  un  sens  contraire  :  ne 
voulant  pasvoir  que  le  quatenus  dans  cetle  censure, 
désigne  le  sens  obvius  et  nalurnlis  ,  et  le  détermine. 

L'ingratitude  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  à  l'é- 
gard du  P\.oi,  qui  lui  avoit  confié  ce  qu'il  y  a  dans 
le  monde  de  plus  important,  et  lui  avoit  pardonné 
avec  une  générosité  sans  exemple,  étonne  ici  tout  le 
monde.  Mais  après  cela,  si  le  Roi  ne  frappe  fort, 
on  croira  ici,  plus  qu'en  tout  autre  lieu,  qu'on  peut 
l'ofTenser  impunément. 

Pour  moi,  dès  le  premier  moment  que  je  vis 
M.  de  Cambrai  résolu  de  venir  à  Rome  malgré  le 
Roi ,  je  fus  persuadé  que  sa  partie  étoit  faite  avec 
les  Jésuites  et  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  Sans  cela, 


s  un  l'affaire  du   quiétisme.  107 

qui  auioit  jamais  pu  s'imaginer  que  M.  de  Cambrai 
refusât  toute  voie  de  conciliation,  pour  se  rendre  à 
Rome;  voyant  le  Roi  si  ouvertement  déclaré  contre 
lui,  quiécrivoit  avec  tant  de  force,  qui  témoignoit 
si  hautement  sa  résolution  et  ses  sentimens,  et  qui 
auroit  eu  à  Rome  un  ministre  fidèle,  et  de  plus 
cardinal  du  saint  Office?  Il  faut  donc  compter  comme 
indubitable,  que  dès  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
vint  à  Rome,  la  cabale  étoit  assurée  de  lui ,  et  qu'ils 
avoient  fait  dès  ce  temps  ligue  offensive  et  défensive 
envers  et  contre  tous.  La  suite  l'a  assez  démontré ,  et 
on  ne  le  voit  que  trop.  Ce  seroit  se  flatter ,  que  de 
s'imaginer  que  les  dispositions  puissent  changer.  Si 
vous  demandez  après  cela  quel  remède  on  peut  ap- 
porter à  ce  grand  mal,  j'avoue  que  je  ne  vois  que 
deux  partis  à  prendre  ;  ou  bien  de  continuer  à  mé- 
nager, comme  on  a  fait,  M.  le  cardinal  de  Bouillon, 
en  tâchant  de  le  faire  revenir  par  la  douceur ,  et  au 
pis  d'espérer  qu'à  la  fin  le  Pape  se  déterminera  * 
malgré  les  efforts  de  la  cabale  :  ou  si  l'on  craint  que 
par  ses  intrigues  elle  ne  réussisse  à  éloigner  la  déci-. 
sion  de  cette  affaire,  on  pourroit  faire  envisager  à 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  le  coup  prêt  à  l'accabler , 
lui  déclarer  qu'on  s'en  prendra  à  lui  du  plus  petit 
retardement  ;  et  pour  lui  prouver  que  ces  menaces 
sont  sérieuses  ,  commencer  à  les  exécuter.  Voilà  sur 
ce  qui  regarde  M.  le  cardinal  de  Bouillon. 

Par  rapport  au  Pape,  le  Roi  pourroit  donner  un 
mémoire  au  nonce,  dans  lequel  on  marqueroit  que 
Sa  Majesté  est  avertie  des  efforts  que  l'on  fait  pour 
rendre  inefficaces  les  bonnes  intentions  de  Sa  Sain- 
teté ,  relativement  à  la  prompte  décision  de  l'affaire 


I08  LETTRES  ^ 

du  livre  ;  que  les  protecteurs  dëclare's  de  M.  de 
-Cambrai  avoient  déjà  assez  fait  paroître  leur  crédit 
sur  Tesprit  du  Pape,  quand  ils  l'ont  obligé  à  aug- 
menter le  nombre  des  examinateurs ,  dans  le  temps 
où  Ton  devoit  espérer  une  décision  prompte  et  ab- 
solument nécessaire ,  demandée  par  Sa  Majesté  avec 
tant  d'instance,  et  promise  par  Sa  Sainteté;  que 
par-là  ils  avoient  su  mettre  la  division  dans  ces  as- 
semblées ,  et  causer  un  scandale  dont  les  hérétiques 
triomphoient  en  prenant  occasion  de  tourner  en 
dérision  le  saint  Siège,  dont  aussi  les  mal-intention- 
nés de  son  royaume  se  servoient  pour  y  mettre  la 
division  et  le  trouble,  et  semer  impunément  de 
nouvelles  doctrines;  que  les  mêmes  protecteurs  du 
livre,  également  ennemis  de  son  Etat  et  du  saint 
Siège,  n'avoient  pas  moins  fait  paroître  leur  pou- 
voir et  leur  malice  dans  tout  le  cours  des  difîerens 
e^tamens  de  ce  livre  ,  surtout  en  empêchant  Sa  Sain- 
teté d'ajouter,  comme  elle  l'avoit  résolu,  un  ou 
plusieurs  examinateurs  au  mois  de  mars ,  qui  au- 
roient  pu  lever  le  partage,  et  faire  connoître  plus 
clairement  la  vérité;  que  Sa  Majesté  étoit  bien  in- 
formée qu'on  continuoit  les  mêmes  artifices  auprès 
de  Sa  Sainteté  et  de  MM.  les  cardinaux,  pour  tâcher 
de  tirer  à  des  longueurs  infinies,  et  d'éterniser  une 
affaire  qui  devroit  être  finie  il  y  a  long-temps  ,  pour 
l'honneur  du  Pape  et  du  saint  Siège ,  que  les  évêques 
et  les  universités  de  son  royaume  auroient  terminée 
bientôt,  si  Sa  Majesté  le  leur  avoit  voulu  permettre  ; 
qu'elle  l'avoit  empêché  jusque-là ,  espérant  que  Sa 
Sainteté  auroit  quelque  égard  à  ses  prières,  et  au 
péril  imminent  de  la  religion  ;  qu'enfin  tout  ce  qu'il 


SUR  l'affaihe  du  quiétis^ie.  îog 

savoit  qu'on  remuoit  à  Rome  en  faveur  d'une  aussi 
pernicieuse  doctrine,  reconnue  pour  telle  par  toutes 
les  personnes  les  plus  éclairées  de  son  royaume  ,  lui 
faisoit  appréhender  avec  raison  que  Sa  Sainteté  ne 
se  laissât  surprendre  de  nouveau,  quoiquavec  la 
meilleure  intention,  aux  artifices  de  la  cabale;  qu'il 
croyoit  être  de  son  devoir  de  lui  présenter  là-dessus 
le  tort  que  cela  feroit  à  sa  réputation,  etc.;  qu'il 
n'étoit  question  que  d'un  petit  livre,  et  d'une  doc- 
trine déjà  condamnée  par  ses  prédécesseurs  ,  et  dont 
on  voyoit  les  funestes  effets  dans  toutes  les  parties 
du  monde ,  jusque  sous  les  yeux  de  Sa  Sainteté  5 
qu'enfin  Sa  Majesté  lui  demandoit  un  remède 
prompt  et  efficace  à  un  si  grand  mal ,  une  décision 
qui  pût  être  reçue  dans  son  royaume,  sinon  qu'il  ne 
pouvoit  s'empêcher  de  lui  déclarer  qu'il  prendroit 
un  plus  long  retardement  pour  un  refus,  etc.  ;  et 
qu'au  lieu  d'attendre  une  décision  qui  ne  viendroit 
peut-être  plus  à  temps,  il  se  croiroit  obligé,  pour 
garantir  son  royaume  d'une  pareille  peste,  d'em- 
ployer   les    moyens    que    Dieu  lui    avoit   mis   en 


mam,  etc. 


Je  n'ai  pu  me  dispenser  de  vous  communiquer 
ces  idées;  mais  je  pense  qu'il  est  absolument  néces- 
saire de  marquer  quelque  chose  de  fort,  de  précis, 
sur  les  protecteurs  de  M.  de  Cambrai,  sur  la  faci- 
lité du  Pape,  sur  la  faveur  que  trouve  ici  un  arche- 
vêque auteur  du  scandale,  perturbateur  du  repos 
de  l'Eglise  et  de  son  pays  ;  en  un  mot,  quelque  chose 
qui  pique  le  Pape,  qui  mortifie  les  mal-intentionnés, 
qui  anime  ceux  qui  servent  bien,  et  qui  montre 
la  verge. 


IIO  LETTUÊS 

Je  voudrois  qu'on  ne  menaçât  pas  précisément, 
mais  qu'on  fît  entendre  qu'on  ne  pourroit  peut-être 
s'empcplier  d'appliquer  un  remède  convenable  et 
prompt  à  un  mal,  qui  infecte  le  royaume  de  toutes 
parts;  que  le  Roi  se  montrât  piqué  du  peu  de  con-  ^ 
sidération  qu'il  paroi t  que  cette  Cour-ci  a  pour  sa 
personne ,  pour  le  bien  de  l'Eglise  et  de  son  royaume, 
en  faisant  sentir  que  cette  conduite  n'est  pas  propre 
à  l'engager,  ni  lui,  ni  les  évêques,  à  s'adresser  ja- 
mais à  Rome  dans  les  affaires  qui  surviendront. 
On  ne  manque  pas  de  bien  prêcher  ici  cet  évan- 
gile ;  mais  un  pareil  discours  dans  la  bouche  du  Roi 
-feroit  tout  un  autre  effet.  Surtout  il  est  à  propos 
d'observer,  que  la  doctrine  du  livre  est  manifeste- 
ment très-mauvaise,  très-pernicieuse;  qu'on  n'hésite 
pas  là-dessus  en  France,  et  qu'on  s'attend  que  la 
décision  du  saint  Siège  sera  conforme  au  jugement 
qu'on  porte  de  tous  côtés  du  livre. 

Comme  ceux  qui  ont  dû  donner  leur  avis  dans  la 
congrégation  d'hier  sur  l'article  de  l'indifférence, 
ont  déjà  bien  parlé  sur  la  matière  de  l'amour  pur ,  je 
ne  doute  pas  que  cette  congrégation  ne  se  soit  assez 
bien  passée;  mais  ce  qui  cause  tout  le  mal,  ce  sont 
ceux  qui  commencent  et  qui  -finissent,  qui  sont 
d'intelligence ,  et  qui  trouveront  peut-être  moyen 
d^embrouiller  la  matière.  Sur  quoi  je  puis  assurer 
que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'oubliera  rien;  et  il 
est  difficile,  si  on  le  laisse  faire,  qu'il  ne  fasse  du 
mal  ;  quand  il  ne  feroit  que  celui  d'alonger,  qui 
enjest  certainement  un  très-grand.  Il  est  en  son  pou- 
voir d'incidenter  sans  fin;  et  il  n'y  manquera  pas, 
s'il  continue  à  ne  pas  se  soucier  de  déplaire  au  Roi.« 


SUR    l'affaire    du     QUIÉTTSME.  III 

Au  reste,  il  ny  a  pas  de  temps  à  perdre,  si  Ton  veut 
faire  avancer  cette  Cour-ci.  Jugez  des  longueurs  et 
des  difïïculte's  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  peut 
seul  occasionner,  quand  il  s'agira  de  dresser  la  bulle 
qui  doit  passer  per  manus.  Je  ne  puis  m'empêclier 
de  dire  que  ce  sera  un«niracle  si  la  bulle  est  telle 
qu'on  la  souhaite  et  qu'on  devroit  l'espérer,  en  cas 
que  M.  le  cardinal  de  Eouillon  continue  ses  ma- 
nœuvres, et  que  la  crainte  du  Roi  ne  lui  fasse  pas 
prendre  le  parti  de  se  retirer.  Vous  croyez  bien 
qu'on  ne  laissera  pas  de  poursuivre  avec  courage  le 
jugement,  et  que  nous  n'oublierons  rien,  comme 
nous  avons  toujours  fait,  pour  obtenir  une  prompte 
et  bonne  décision.  Mais  enfin  il  est  à  propos  qu'on 
sache  que  ce  qui  ne  feroit  aucune  diOi culte,  et  ce 
qui  passeroit  tout  d'une  voix,  en  souffrira  de  très- 
grandes  par  la  seule  présence  du  cardinal  de  Bouil- 
lon. Je  ne  laisse  pas  de  très-bien  espérer  de  la  fin  ; 
mais  pour  répondre  qu'elle  arrive  bientôt ,  cela  ne 
se  peut,  tant  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  assis- 
tera aux  congrégations. 

Il  revint  hier  assez  abattu  de  la  congrégation.  Son 
cher  père  Charonnier  s'enferma  avec  lui  très-long- 
temps. L'abbé  de  Chanterac  aura  déjà  été  averti  de 
tout.  M.  le. cardinal  de  Bouillon  a  fait  mettre  la 
congrégation  au  lundi,  afin  que  je  ne  pusse  pas  être 
aussi  aisément  instruit  de  ce  qui  s'y  passe,  et  que  je 
ne  sois  pas  en  état  d'écrire  le  mardi  suivant  :  il  croit 
par-là  gagner  une  huitaine.  Je  ne  doute  pas  que  le 
cardinal  de  Bouillon  n'ait  déjà  fait  entendre  au  Roi 
que  la  décision  ne  pourra  être  précise,  et  laissera 
à  M.  de  Cambrai  des  prétextes  pour  échapper.  J'en 


112  LETTRES 

vois  bien  la  raison  ;  c  est  qu'il  veut  qu*on  ne  lui  im- 
pute pas  le  mal  qu'il  a  dessein  de  faire. 

Les  avertissemens  que  le  Roi  a  fait  donner  depuis 
peu  sur  l'article  de  l'infaillibilité,  me  paroissent  de 
plus  en  plus  très-à^propos.  Je  sais  que  le  cardinal 
de  Bouillon  en  est  très-fâche,  et  c'est  marque  qu'ils 
«toient  fort  nécessaires. 

J'eus,  vendredi  dernier,  une  conversation  de  près 
de  quatre  heures  tête  à  tête  avec  M*  le  cardinal  de 
Bouillon,  où  j'ai  approfondi  avec  lui  les  principaux 
points,  tant  sur  le  livre  que  sur  les  faits.  Il  y  fut 
parlé  des  intentions  du  Roi  ;  il  y  fut  question  des 
Jésuites.  J'ai  fait  voir  clairement  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  l'état  des  choses  d'une  manière  bien  forte  : 
jamais  homme  n'a  été  plus  embarrassé,  et  n'a  jamais 
montré  plus  de  mauvaise  intention  et  de  souplesse. 
Il  ne  pèche  pas  par  ignorance  j  car  il  voit  tout  et 
sait  tout  :  mais  à  quelque  prix  que  ce  soit ,  il  veut 
défendre  le  livre  et  l'excuser.  Encore  une  fois,  il 
faut  toucher  fortement. 

Je  vous  envoie  une  dernière  feuille  corrigée  de 
la  Réponse  de  M.  de  Cambrai,  avec  un  errata ,  en- 
voyée depuis  peu  à  l'abl^é  de  Chanterac.  Il  n'y  a  de 
remarquable  que  \ errata,  premièrement  parce  qu'il 
porte  en  titre  :  fautes  a  corriger  dans  quelques 
exemplaires.  Donc  il  y  a  des  exemplaires  différens 
les  uns  des  autres.  En  second  lieu,  dans  la  seconde 
faute  à  corriger,  au  lieu  de  représenté  tout  court, 
ce  qui  s'entendoit  naturellement  du  Roi  et  des  puis- 
sances, et  ce  que  tout  le  monde  a  trouvé  de  la  der- 
nière insolence,  il  a  corrigé  et  mis,  représenté  aux 
autres  prélats.  Vous  voyez  l'artifice  :  il  aura  d'abord 

fait 


SUR  l'affaire  du  quiétisme-  îi3 

fait  entendre  tout  ce  qu  il  aura  voulu,  et  puis  dans 

un  errata^  donné  après  coup,  il  substituera  ce  qu'il 

lui  plaira.  11  n'y  a  rien  du  reste  de  conside'rable.  Les 

exemplaires  distribue's  ne  seront  point  changés,  et 

restent  sans  cet  errata.  Au  reste,  je  suis  étonné  qu'au 

24  de  novembre  vous  n'eussiez    pas  encore  vu   à 

Paris  cette  insolente  Réponse  :  il  y  a  du  mystère 

là-dessous.  M.  de  Cambrai  a  peur  sans  doute  que 

vous  ne  répondiez  à  temps,  ou  bien  il  ne  veut  dis*- 

tribuer  son  écrit  qu'ici  ;  et  cela  me  paroît  bizarre, 

extravagant,  et  d'une  mauvaise  foi  publique^  J'ai 

bien  fait  de  vous  l'envoyer  ;  car  peut-être  ne  l'au- 

riez-vous  pas  sans  cette  précaution. 

J'apprends  que  les  Jésuites  font  tout  ce  qu'on 
peut  s'imaginer  pour  embrouiller  l'esprit  du  Pape, 
qui  change  de  situation  de  jour  à  autre.  Il  dit  der- 
nièrement à  une  personne,  qu'il  étoit  bon,  dans  une 
affaire  aussi  importante,  d'aller  doucement.  Il  faut 
que  le  Roi  pai-le  efficacement  au  nonce.  Je  ne  sais 
si  le  Roi  ne  pourroit  pas  témoigner  son  ressentiment 
aux  Jésuites,  et  au  père  de  la  Chaise  en  particulier, 
de  l'acharnement  avec  lequel  ces  Pères  continuent  à 
faire  tout  ce  qui  peut  lui  déplaire.  Ne  seroit-il  pas 
aussi  à  propos  que  Sa  Majesté  fît  connoître  à  la  fa- 
mille du  cardinal  de  Bouillon  son  mécontentement 
de  la  conduite  de  ce  cardinal? 

La  défense  de  M.  de  Cambrai  se  réduit  à  présent 
aux  deux  sens  de  son  livre,  le  naturel  et  celui  qu'il 
a  pu  avoir  en  vue.  Mais  pour  le  vouloir  excuser, 
il  faudroit  premièrement  recevoir  ses  explications 
et  les  approuver,  ce  que  ne  peut  jamais  faire  l'Eglise 
romaine.  Ainsi  il  n'est  question  que  de  finir  une 

BOSSUET.    XLII.  8 


Il4  LETTRES 

contestation,  où  l'on  demande  la  condamnation  des 
propositions  d'un  livre  in  sensu  ob^io  et  naturali , 
utjacent  ex  antecedentibus  et  consequentibus . 

Je  viens  d'apprendre  que  la  congrégation  d'hier 
se  passa  assez  heureusement.  Le  cardinal  Casanate 
parla  fortement ,  brièvement  et  bien  ;  le  cardinal 
Marescotti  sur  le  même  ton  ;  les  cardinaux  Spada 
etPanciatici  firent  de  même,  ainsi  que  le  cardinal 
Ferrari  :  le  cardinal  Noris  ne  put  parler.  Queiques- 
vms  veulent  que  le  cardinal  Noris  n'aille  pas  tout- 
à-fait  bien  ;  mais  je  crois  savoir  le  contraire.  La 
première  congre'gation  est  à  craindre  :  cependant 
les  cardinaux  Ottoboni  et  Albani,  favorables  au 
cardinal  de  Bouillon,  sont  un  peu  intimidés. 

Le  cardinal  Impériali  est  fort  jésuite.  Ce  cardinal 
se  trouve  parent  du  prince  de  Monaco  :  il  est  néces- 
saire qu'on  avertisse  cet  ambassadeur  de  s'en  défier 
sur  tout.  J'ai  raison  de  croire  que  cette  Eminence  est 
gagnée  par  le  cardinal  de  Bouillon ,  et  influe  beau- 
coup dans  le  mauvais  parti  que  prend  le  cardinal 
Ottoboni.  Tous  les  cardinaux  croient  ici  qu'il  aura 
grand  pouvoir  sur  l'esprit  de  l'ambassadeur  :  il  faut 
que  ce  ministre  y  prenne  garde. 

J'ai  changé  d'avis  ce  matin  sur  le  courrier  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon.  M.  l'abbé  de  la  Trémouille  et 
moi  dépêchons,  à  moitié  frais,  un  courrier  à  Gênes, 
qui  portera  nos  paquets  au  courrier  de  M.  de  Torcy , 
qui  y  est  resté  malade;  M.  l'abbé  de  la  Trémouille 
pour  ses  affaires  de  famille,  et  moi  pour  la  nôtre. 
Le  courrier  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qui  doit 
aller  aussi  à  Gênes,  ne  partira  que  demain  matin,  et 
le  nôtre  dans  peu  d'heures  pour  prendre  les  devants. 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  IIO 

Encore  un  coup,  le  Pape  liait  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  mais  le  craint  ;  du  reste,  c'est  son  favori. 
Si  vous  m'en  croyez,  ne  vous  éloignez  pas  de  la 
Cour  dans  ces  circonstances  importantes  :  M.  de  Pa- 
ris ne  suffit  pas. 

Je  viens,  quoique  avec  beaucoup  de  peine,  à  l'ar- 
ticle des  lettres  de  change  et  de  Fargent.  J'avoue 
que  c'est  la  chose  du  monde  qui  me  fait  le  plus  de 
peine,  que  de  vous  incommoder  là-dessus  :  mais  je 
vous  supplie  de  vouloir  bien  pour  un  moment  vous 
mettre  à  ma  place.  Que  faire  dans  un  pays  étran- 
ger, tel  que  celui  où  je  suis,  obligé  de  continuer 
ma  même  dépense,  qui  n'a  cependant  pour  objet 
que  le  nécessaire?  Je  ne   puis  retirer  de  mon  ab- 
baye que  six  ou  sept  mille  francs  par  année,  en- 
core  avec   peine.    Mon   homme   d'affaires   n'a   pas 
laissé  de  m'en  avancer,  depuis  que  je  suis  ici,  plus 
de  vingt-cinq  mille  francs.  Je  ne  saurois  donc  m'a- 
dresser  pour  le  surplus  qu'à  mon  père  et  à  vous, 
n'ayant  dans  le  monde  aucune  autre  ressource.  Le 
change  est  depuis  un  an  à  près  de  vingt  pour  cent, 
c'est  le  cinquième  qu'on  paie  en  pure  perte.  Ainsi 
de  vingt  mille  francs  je  n'en  ai  que  quinze  ;  et  il  ne 
m'en  faut  pas  moins  assurément ,  pour  vivre  ici  avec 
bienséance  et  comme  j'ai  commencé.  Il  est  plus  que 
certain  que  je  ne  fais  que  les  dépenses  indispen- 
sables, surtout  depuis  un  an,  à  l'exception  de  quel- 
ques tableaux  que  j'ai  achetés  par-ci  par-là.  Si  vous 
ne  convenez,  mon  père  et  vous,  là-dessus,  je  ne  sais 
où  donner  de  la  tête.  Je  commence  depuis  trois  mois 
à  ne  rien  payer  que  la  dépense  courante,  je  dois  le 
reste.  Dans  un  mois  d'ici  je  me  trouverai  fort  em- 


Il6  LETTRES 

barrasse,  et  je  me  décrierai  indubitablement,  si  Ton 
ne  vient  à  mon  secours  :  ce  seroit  le  plus  grand  cha- 
grin que  je  pusse  avoir.  Si  mon  père  et  vous  ne 
m'envoyez  dans  un  mois  d'ici  deux  mille  écus ,  il 
faut  que  je  me  cache ,  au  pied  de  la  lettre.  Si  je 
pouvois  emprunter,  je  ne  vous  romprois  pas  la  tête 
a^sure'ment  de  mes  besoins  ;  mais  je  ne  suis  pas  en 
lieu  propre  h  cela,  vous  le  sentez  bien.  Je  prends 
la  liberté  d'en  écrire  autant  à  mon  père,  et  vous 
supplie  l'un  et  l'autre  d'y  donner  ordre,  sans  perdre 
un  moment  de  temps.  Jamais  occasion  n'a  été  plus 
importante  pour  vous  et  pour  moi.  Que  dira-t-on 
ici,  que  puis-je  dire  moi-même,  si  l'on  m'abandonne 
à  la  merci  de  nos  ennemis ,  que  vous  et  moi  met- 
tons au  désespoir?  Je  vous  supplie  de  votre  côté  de 
faire  quelque  effort  :  je  suis  persuadé  que  mon  père 
vous  secondera  de  bon  cœur.  Je  vous  demande  mille 
et  mille  pardons  de  mes  libertés  ;  c'est  la  pure  né- 
cessité qui  me  fait  parler. 

Je  vous  adresse  une  lettre  pour  M.  Toureil ,  qui 
est  d'un  de  ses  amis  que  j'emploie  ici  très-utilement, 
et  qui  sert  bien.  Je  vous  prie  de  la  lui  faire  tenir 
incessamment  et  sûrement.  M.  Poussin  m'envoie  ce 
paquet  pour  M.  Noblet ,  ne  se  fiant  pas  au  courrier 
de  M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  et  croyant  le  nôtre 
plus  sur.  Le  Pape  se  porte  bien ,  à  son  rhume  près. 
Ce  qu'il  est  important  qu'on  fasse  remarquer  ici 
du  côté  de  la  Cour,  c'est  qu'il  n'est  question  que 
de  prononcer  sur  la  mauvaise  doctrine  du  livre 
de  M.  de  Cambrai ,  dont  on  demande  un  prompt 
jugement.  Le  saint  Siège  ,  après  cela ,  peut  pro- 
mettre une  exposition  doctrinale  plus  particulière, 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  117 

et  des  règles  de  langage  sur  la  théologie  mystique  : 
c'est,  à  dire  vrai,  ce  que  Rome  n'exe'cutera  jamais. 

M.  l'abbé  de  Ghanterac  va  pleurant  partout,  de- 
mandant qu'on  sauve  la  réputation  de  M.  de  Cam- 
brai, et  disant  qu'on  doit  se  contenter  de  mettre  la 
bonne  doctrine  en  sûreté.  Aussi  le  dessein  de  la  ca- 
bale est-il  de  faire  insérer  dans  la  bulle,  qu'elle 
retardera  le  plus  qu'elle  pourra,  que  quoique  les 
propositions  soient  censurables  in  sensu  obvio  ,  elles 
ont  néanmoins  un  autre  sens,  qui  est  celui  de  l'au- 
teur. Voilà  sûrement  leur  dernière  ressource  ;  mais 
il  paroît  impossible  que  l'Eglise  romaine  veuille  se 
faire  moquer  d'elle  à  ce  point,  en  déclarant  une 
cliose  qu'elle  ne  peut  jamais  savoir. 

Je  me  doute  que  M.  le  grand  duc  voudra  vous 
faire  l'honnêteté  de  vous  envoyer  le  cxDurrier  de  la 
semaine  passée  à  ses  frais  j  je  ne  suis  point  entré  dans 
cette  disposition,  et  n'ai  pris  la  liberté  d'accepter 
l'offre  de  M.  Feydé,  qu'à  condition  que  vous  paye- 
riez le  tout  à  l'envoyé  du  prince  à  Paris. 

La  France  et  le  Roi  doivent  avoir  une  éternelle  obli- 
gation au  cardinal  Casanate,  qui  sacrifie  tout  pour  la 
vérité.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  lui  en  saura  tou- 
jours fort  mauvais  gré. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'a  pardonné,  et  ne 
pardonnera  jamais  au  Roi  et  au  Pape  la  nomination 
manquée  à  l'évêché  de  Liège. 

La  mort  de  M.  le  prince  Symoni  m'afflige  au  der- 
nier point,  et  je  comprends  aisément  votre  douleur 
et  celle  de  mon  père  :  il  n'y  a  que  vous  qui  soye^ 
capable  de  le  consoler. 

Rome,  ce  16  décembre  1698»' 


IlS  LETTRES 

LETTRE   CCCLXXXVIII. 

DU  P.  LAÏENAI  A  BOSSUET. 

Il  loue  les  soins  de  Tabbc  Bossuet,  et  le  zèle  du  prélat  pour 
procurer  le  triomphe  de  la  vérité. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  la  fin  d'une  année  pour 
renouveler  mon  très -humble  dévouement  à  votre 
Grandeur  :  ma  reconnoissance  me  représentant  con- 
tinuellement mon  devoir  là-dessus,  je  n'ai  aucune 
rénovation  à  faire  en  cela.  Je  profiterai  pourtant  de 
la  veille  d'une  nouvelle  année,  pour  la  lui  souhaiter 
très-heureuse  avec  une  longue  suite  d'autres  :  l'E- 
^  glise,  l'Etat  et  les  savans  s'intéressant  à  mes  vœux, 
ils  ne  peuvent  qu'être  exaucés. 

M.  l'abbé  Bossuet,  et  M.  Phelippeaux  sont  trop 
bien  informés  des  affaires  du  temps,  pour  qu'il  soit 
nécessaire  que  je  répète  ici  ce  qu'ils  écriront  à  votre 
Grandeur.  Je  dirai  seulement  que  leur  zèle  pour  les 
conduire  à  line  heureuse  fin,  et  les  soins  qu'ils  se 
donnent  pour  obtenir  un  prompt  jugement,  étoient 
d'une  nécessité  indispensable.  Ces  affaires  qui  dé- 
voient finir  avec  l'année,  ne  finiront,  dit-on,  pas 
si  tôt  :  le  mensonge  a  toujours  trouvé  des  avocats, 
et  les  vérités  les  plus  constantes  n'ont  pas  laissé 
d'avoir  besoin  d'aussi  habiles  défenseurs  que  votre 
Grandeur.  Tous  les  gens  de  bien  espèrent  pourtant 
qu'elle  aura  la  gloire  de  voir  bientôt  triompher  la 
vérité  qu'elle  défend,  et  que  le  siècle  présent  se 
joindra  avec  les  futurs  pour  lui  en  témoigner  ses 
reconnoissances.  La  mienne^  Monseigneur,  ne  sau- 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  lîg 

roit  être  plus  parfaite ,  tant  pour  les  obligations 
publiques  que  pour  les  personnelles  que  j'ai  à  votre 
Grandeur.  Je  fais  aussi  profession  qu'on  ne  sauroit 
être  avec  plus  de  soumission,  d'attachement  et  de 
respect  que  je  suis,  etc. 

F.  DE  Latenat,  assistant  ge'néral  des  Carmes. 

A  Rome,  ce  16  décembre  1698. 

LETTRE  CCCLXXXIX. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  compte  que  M.  de  Paris  devoît  rendre  au  Roi  des  manœuvres 
du  cardinal  de  Bouillon  5  sur  une  conversation  qu'il  avoit  eue 
avec  le  prince  de  Monaco,  et  sur  une  clause  qu'il  falloit  éviter 
dans  la  huile. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  2  par  la  voie  ordinaire, 
et  aujourd'hui,  à  neuf  heures  du  matin,  celle  du 
10,  par  le  courrier  particulier  de  Florence.  J'ai 
conféré  sur  votre  lettre  avec  M.  de  Paris,  qui  va 
coucher  à  Versailles.  Il  y  rendra  bon  compte ,  et 
dira  comment,  malgré  toutes  les  bonnes  disposi- 
tions ,  on  a  à  craindre  des  délais  et  des  embrouil- 
lemens  dans  l'afTaire  ;  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
en  est  la  seule  cause  ;  qu'il  se  sert  pour  cela  de  longs 
discours,  qui  consument  les  congrégations  sans  con- 
clure, et  de  la  distinction  des  deux  sens  pour  em- 
brouiller la  matière;  que  sans  cela  nous  aurions 
une  décision  à  la  fin  de  ce  mois  ;  que  vous  vous  étiez 
cru  obligé  d'en  avertir,  à  cause  du  grand  péril  oit 
l'âge  du  Pape  met  cette  affaire  j  qu'il  est  également 


l'iO  LETTRES 

à  craindre  que  de  bons  cardinaux  ne  viennent  à  mou- 
rir ;  qu'eux-mêmes  ne  cachent  pas  la  cause  de  ces  dé- 
lais; que  vous  prenez  toutes  les  mesures  possibles; 
mais  que  les  grands  remèdes  venant  d'ici,  vous  ne 
pouvez  vous  empêcher  de  nous  donner  avis  de  ce 
qui  se  passe.  Nous  proposerons  au  Roi  d'e'crire  au 
Pape,  de  faire  passer  sa  lettre  par  le  nonce,  et  de 
la  tourner  de  manière  qu  elle  fasse  sentir  à  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  qu'on  est  averti  de  ses  démar- 
ches, et  que  s'il  affecte  encore  d'alonger,  on  prendra 
de  bonnes  mesures  contre  lui. 

Je  pars  demain  pour  Meaux,  d'où  je  reviendrai 
aussitôt  après  les  fêtes.  Je  laisse  ordre  de  satisfaire 
le  courrier,  qui  s'en  retournera  doucement,  et  vous 
portera  quelques  exemplaires  de  la  dissertation  du 
père  Alexandre,  qui,  par  parenthèse,  est  toute 
pleine  de  mes  livres.  Voilà  tout  ce  que  je  puis 
vous  dire. 

M.  de  Salviati ,  que  j'ai  vu  et  remercié  ce  matin , 
m'a  répété  deux  ou  trois  fois  qu'il  croyoit  que  ce 
courrier  apportoit  quelque  nouvelle  importante,  ou 
même  la  décision.  INous  saurons,  au  retour  de  M.  de 
Paris,  comment  le  Roi  aura  pris  cet  envoi.  Pouf 
moi ,  je  suis  toujours  bien  aise  d'être  averti ,  et 
cela  ne  peut  être  que  très-bon  ;  mais  vous  devez 
prendre  garde  aux  courriers  extraordinaires,  non- 
seulement  par  rapport  à  la  dépense,  mais  par  rap- 
port à  vous,  sur  qui  seul  la  chose  roule.  Le  père 
Roslet  sait  bien  dire  que  c'est  vous  qui  l'avez  voulu 
envoyer. 

Nous  nous  sommes  cherchés  plusieurs  fois  M.  de 
Monaco  et  moi  ;  enfin  je  l'ai  vu  ce  matin ,  et  je  juge, 


SUR   l'affaire    du    QUIÉTTSME.  121 

par  la  manière  dont  il  m'a  parlé,  que  nous  devons 
attendre  de  lui  toute  sorte  de  confiance.  Je  n'ai  pas 
manqué  de  lui  dire  que  vous  rendiez  à  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  tous  les  devoirs  qu'exige  sa  place  ; 
mais  que  c'étoit  de  son  côté  seul  que  venoit  le  retar- 
dement et  l'embrouillement  de  cette  affaire,  sans 
quoi  elle  seroit  achevée  dans  ce  mois,  sauf  l'expédi- 
tion de  la  bulle. 

TJiit  sonat  et  Vut  jacet ,  exprimé  dans  la  bulle,  ne 
vaudroit  rien,  parce  que  ce  seroit  ouvrir  une  porte 
aux  évasions  par  des  explications. 

Le  cardinal  Gasanate  seroit  un  digne  Pape. 
M.  Feydé  est  ici  bien  servi ,  aussi  bien  que  M.  Pous- 
sin. M.  de  Monaco  m'a  confirmé  qu'on  le  pressoit 
fort  de  partir  avant  la  fin  de  l'année  ;  mais  qu'il 
tâclieroit  de  gagner  le  commencement  de  l'autre.  II 
m'a  promis  de  m'avertir  de  sa  marche.  Je  me  déter- 
minerai ,  suivant  les  circonstances,  à  revenir  ici 
aussitôt  après  les  fêtes,  sinon  au  plus  tard  après  le 
jour  de  l'an. 

Malgré  ce  que  je  vous  mande  sur  les  courriers 
extraordinaires ,  qui  en  effet  sont  à  ménager ,  à  cause 
que  tout  le  monde  ne  sent  pas  également  la  néces- 
sité où  nous  sommes  d'être  avertis  de  bonne  heure, 
quand  ce  ne  seroit  que  de  quelques  momens  de 
plus ,  n'hésitez  point  dans  les  occasions  importantes , 
lorsqu'il  s'agira  d'apporter  quelque  prompt  remède 
au  mal  qu'on  auroit  à  craindre. 

Le  paquet  a  été  rendu  à  M.  de  Noirmoustier,  sans 
dire  comment  il  étoit  venu.  J'ai  fait  voir  à  M.  de 
Paris  la  lettre  de  monseigneur  Giori,   qui  est  un 


123  LETTRES 

homme  admirable.  Sa  lettre   est   très  -  consolante 
pour  nous. 

J'ai  montré  à  M.  l'abbé  Régnier  la  lettre  de 
M.  l'abbé  de  Gondi.  Nous  sommes  un  peu  embar- 
rassés pour  faire  imprimer  la  version  italienne  des 
Remarques  :  Anisson  qui  n'en  voit  ici  aucun  débit, 
n'y  veut  pas  entrer.  Si  un  libraire  de  Florence  s'en 
vouloit  charger  ,  il  trouveroit  là  de  bons  correcteurs. 
M.  Tabbc  Régnier  assure  qu'il  a  fait  un  nouvel  ef- 
fort pour  les  Remarques  ;  que  son  toscan  n'a  jamais 
été  plus  fin  ni  plus  pur.  Je  salue  le  père  Roslet,  et 
de  bon  cœur  M.  Phelippeaux. 

A  Paris,  ce  ai  décembre  1698. 


LETTRE  CCCXC.    ^ 

DE  M.  DE  ISfO AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ   BOSSUET. 

Sur  les  obstacles  apportés  à  la  conclusion;  le  compte  qail  en  avoit 
rendu  au  Roi;  et  la  liberté  avec  laquelle  la  Censure  des  docteurs 
avoit  été  signée. 

Je  comptois  n'avoir  à  répondre,  Monsieur,  qu'à 
votre  lettre  du  2  ;  mais  je  reçus  hier  celle  du  10,  qui 
me  surprit  et  m'affligea,  par  les  nouveaux  obstacles 
que  vous  me  mandez  que  le  cardinal  de  Rouillon  met 
h  la  conclusion  de  l'affaire.  J'arrive  de  Versailles,  où 
j'ai  rendu  bon  compte  de  vos  lettres  :  on  en  écrira 
de  très-fortes  pour  lui  faire  comprendre ,  s'il  est 
possible,  le  tort  qu'il  a  d'en  user  ainsi.  Allez  tou- 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  123 

iours  votre  clieniin  ;  pressez  tant  que  vous  pourrez  , 
et  comptez  nue  nous  vous  soutiendrons  en  ce  pays 
de  toutes  nos  forces.  Il  faut  s'armer  de  patience  et 
de  bon  courage  :  pouivu  que  Dieu  nous  conserve 
le  Pape  ,  il  faudra  bien  que  l'affaire  finisse  ,  malgré 
tous  les  efforts  de  la  cabale.  Elle  peut  chicaner , 
mais  elle  ne  peut  résister  toujours  à  la  vérité.  Mé- 
nagez tous  nos  amis ,  soutenez-les  dans  leurs  bonnes 
dispositions  :  ils  l'emporteront  enfin ,  s'il  plaît  à 
Dieu. 

Si  vous  pouvez  vous  procurer  quelques-unes  de 
ces  lettres  anonymes,  faites  contre  moi,  vous  me 
ferez  plaisir  de  me  les  envoyer. 

Assurez,  je  vous  prie,  que  jamais  il  n'y  a  eu 
d'acte  (*)  moins  forcé  que  celui-là.  Une  grande 
partie  des  signatures  fut  donnée  en  mon  absence; 
et  il  y  a  eu  si  peu  de  violence,  qu'il  y  a  encore  au 
moins  cent  docteurs  prêts  à  signer,  que  j'ai  remer- 
ciés ,  ne  voulant  point  en  faire  signer  davantage 
que  vous  ne  le  demandassiez.  Il  est  tard,  je  suis  obligé 
de  finir;  mon  voyage  de  Versailles  m'a  empêché 
d'écrire  plus  tôt.  Je  suis  toujours,  Monsieur,  à  vous, 
comme  vous  savez. 

22  Décembre  1698. 
-{*)  La  Censure  des  docteurs  de  Sorbonnc. 


jal  LETTRES 


k.v.>«^»^/«/» '%/%<«'«>■•.<«<•.«/«  ^ 


LETTRE   CCCXCI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  retards  de  Taffaire;  les  dernières  congrégations;  la  conver- 
sation que  cet  abbé  avoit  eue  avec  les  cardinaux  Oltoboni  et 
Albaui  j  l'audience  qu'il  avoit  eue  du  Pape  j  et  sur  une  thèse  de 
Louvain ,  relative  au  Quiétisme. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  Tlionneur 
de  m'ëcrire  de  Versailles ,  le  premier  de  ce  mois.  Je 
suis  assure'ment  ravi  de  votre  bonne  santé;  je  prie 
Dieu  qu'il  vous  la  conserve.  Vous  l'employez  trop 
bien  pour  l'utilité  de  son  Eglise  ;  et  il  seroit  à  sou- 
haiter que  des  personnes  comme  vous,  fussent  im- 
mortelles. 

Vous  aurez  vu  ,  par  les  deux  lettres  que  vous  au- 
rez reçues  par  les  deux  courriers  extraordinaires  qui 
sont  partis  depuis  quinze  jours,  le  véritable  état  de 
l'affaire,  et  les  efforts  inouis  des  partisans  de  M.  de 
Cambrai  pour  embrouiller  la  matière  et  retarder  la 
décision.  C'est  tout  vous  dire  qu'ils  n'ont  plus  d'autre 
ressource.  Leur  unique  but  est  de  faire  durer  les 
congrégations  des  cardinaux  le  plus  long-temps  qu'il 
sera  possible,  et  puis  de  tâcher  d'insérer  dans  la  bulle 
quelque  parole  équivoque  que  M.  de  Cambrai  puisse 
expliquer  à  son  avantage ,  et  qui  lui  fournisse 
moyen  de  faire  quelque  procès.  Ils  voudroient  tâ- 
cher de  lasser  la  patience  du  Roi ,  et  brouiller ,  s'ils 
peuvent,  cette  Cour  avec  les  évéques.  Aussi  ne 
cessent-ils  de  dire,  et  le  cardinal  de  Bouillon  le  ré- 
pète sans  cesse,  que  cette  affaire  ne  peut  finir  nette- 


SUR    l'aFFAIHE    du    QUIÉTISME.  125 

ment,  et  qu'il  restera  toujours  quelque  queue.  J'es- 
père ne'anmoins  que  leurs  eiTorts  seront  inutiles,  et 
qu'à  la  fin  on  fera  Lien.  Le  tout  consiste  à  finir  ,  et 
vous  verrez  par  la  suite  de  cette  lettre  que  je  n'ou* 
blie  rien  pour  y  engager. 

On  tint  hier  la  sixième  congre'gation,  et  les  car* 
dinaux  Noris,  Ottoboni  et  Albani ,  qui  n'avoient 
pas  encore  parlé  sur  l'indifférence,  volèrent.  Le 
cardinal  de  Bouillon  parla  ensuite ,  à  ce  qu'il  a  dit 
à  une  personne.  Il  étoit  fort  chagrin,  et  fort  fatigué 
au  sortir  de  la  congrégation.  J'espère  savoir  ,  avant 
de  terminer  cette  lettre  ,  un  peu  plus  de  détail. 

Le  cardinal  Casanate  n'assista  pas  à  la  congréga- 
tion ,  ayant  été  obligé  de  garder  le  lit  à  cause  d'un 
rhume  qui  lui  est  survenu  la,,veille  :  mais  sa  bonté 
et  son  exactitude  ordinaires  le  portèrent,  pour  n'ar- 
rêter en  rien  les  congrégations,  à  envoyer  hier 
matin  son  vœu  par  écrit,  cacheté.  Au  reste,  je  crois 
que  cette  précaution  aura  été  inutile,  parce  que  son 
tour  de  parler  sur  le  troisième  chapitre  ne  sera  pas 
encore  venu,  et  que  ce  cardinal  m'a  fait  dire  qu'il' 
pourroit  assister  et  parler  lui-même  à  la  congréga- 
tion prochaine.  Il  n'est  que  trop  certain  que  si  le 
cardinal  de  Bouillon  se  conduisoit,  pour  la  mé- 
thode seulement,  comme  le  cardinal  Casanate,  les 
cardinaux  auroient  fini  aux  Rois. 

J'ai  lieu  d'espérer  que  les  cardinaux  Ottoboni  et 
Albani  auront  fait  de  sérieuses  réflexions  sur  le  parti 
qu'ils  ont  pris,  et  sur  ce  qu'ils  ont  à  faire.  J'ai  eu 
avec  chacun  d'eux,  depuis  huit  jours,  deux  longues 
conversations ,  où  je  n'ai  rien  oubHé  pour  leur  faire 
voir  la  vérité,  et  leur  montrer  l'illusionnes  doubles 


l'iG  LETTRES 

sens  (*) ,  par  la  pratique  constante  de  l'Eglise  uni- 
verselle et  de  l'Eglise  romaine,  qui  en  toute  occa- 
sion n'avoit  jamais  voulu  entrer  dans  ces  sortes 
d'excuses  des  auteurs  ;  et  qui  au  contraire  avoit  tou- 
jours supposé  et  même  déclaré  que  le  sensus  obvias 
<<toit  le  sens  de  l'auteur,  et  qu'on  le  devoit  ainsi 
présupposer.  Enfin  je  leur  ai  fait  observer ,  que  s'il 
y  avoit  jamais  eu  auteur  qui  dût  n'être  pas  excusé 
par  une  distinction  aussi  chimérique,  c'étoit  l'arche- 
vêque de  Cambrai,  qui  écrivoit  après  les  erreurs 
condamnées,  pour  expliquer  la  doctrine  de  l'Eglise 
dans  la  dernière  précision  théologique,  qui  vouloit 
lever  toute  équivoque  ;  et  en  un  mot ,  que  personne 
ne  méritoit  moins  de  pareils  mcnagemens  qu'un  au- 
teur, qui  n'avoit  jamais  donné  d'explication  qui  ne 
fiit  contradictoire,  mauvaise  en  soi,  et  qui  ne  con- 
venoit  point  au  texte  du  livre,  comme  on  pouvoit 
l'expérimenter  aisément  sur  son  amour  naturel  et 
son  prétendu  motif  intérieur  ;  explication  aban- 
donnée par  la  plus  grande  partie  de  ses  défenseurs 
mêmes.  Je  crois  avoir  remarqué  que  toutes  ces  rai- 
sons démonstratives,  jointes  à  d'autres  considéra- 
tions, ontj^ait  beaucoup  d'impression. 

Je  fus  vendredi  trois  heures  avec  le  théologien 
du  cardinal  Ottoboni,  qui  m'assura  qu'il  étoit  con- 
vaincu de  tout  ce  que  je  lui  disois ,  et  qu'il  étoit  de 
votre  sentiment  sur  tout.  Il  m'avoua  que  c'etoit  une 
moquerie,  de  vouloir  condamner  le  sens  obwius  des 
propositions,  et  de  vouloir  excuser  Fauteur.  Je  crois 

C*)  C'esl-à-dire,  du  sens  naturel  d'un  livre,  ei  du  sens  que  l'au- 
teur peut  avoir  eu  dans  l'esprit;  distinction  dont  le  cardinal  de 
Bouillon  vouloit  se  servir,  pour  sauver  Thonacui  de  M.  de  Cambrai. 


SUPt    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  l^J 

avoir  démêlé  par  ses  discours  que  le  cardinal  Otto- 
boni  consulte  aussi  les  Jésuites,  et  qu'il  a  eu  une 
prande  dispute  sur  cela  avec  l'un  d'eux.  Ce  que  je 
sais ,  c'est  que  le  cardinal  Ottoboni  a  fait  tenir  ces 
jours  passés  une  congrégation  de  théologiens,  où 
l'on  m'a  dit  qu'on  avoit  résolu  de  condamner  le  li- 
vre. Si  je  pouvois  savoir  ce  qui  se  passa  hier  à  la  con- 
"^régalion,  je  serois  éclairci";  car  le  cardinal  Ottoboni 
vota.  Je  le  saurai  apparemment  dans  peu  de  jours. 

Pour  le  cardinal  Albani ,  il  fait  tous  ses  efforts  pour 
persuader  au  père  Roslet  et  à  moi  qu'il  va  bien,  et 
qu'il  condamne  M.  de  Cambrai.  Mais  user  de  mé- 
nagement en  cette  matière ,  dans  les   circonstances 
présentes ,  c'est  tout  ce    qu'on   peut   faire  de   pis 
contre  la  bonne  doctrine;  et  il  n'est  pas  possible, 
vu  l'état  des  choses,  qu'on  puisse  mieux  servir  M.  de 
Cambrai ,  qui   ne  demande   qu'à  trouver   quelque 
prétexte  pour  s'excuser  lui  et  sa  mauvaise  doctrine. 
Le  père  Roslet  et  moi,  nous  lui  avons  représenté 
tout  ce  qu'on  peut  imaginer,  pour  le  porter  à  agir 
franchement.  Je  l'ai  trouvé  ce  matin  chez  le  Pape  : 
il  m'a  dit  qu'il  avoit  voté  Lier;  et  il  m'a  prié  de 
croire  que  tout  alloit  bien,   qu'il  n'y  avoit  seule- 
ment qu'à  presser  la  conclusion.  Il  m'a  ajouté  qu'il 
n'y  auroit  point  de  mal  que  le  Roi  parlât  effica- 
cement au  nonce ,  et  que  je  tâchasse  de  faire  dou- 
bler les  congrégations  ;  (|Ue  le  Pape  vouloit  qu'on 
finît ,   mais  qu  il   ne  savoit  comment   s'y  prendre 
pour  y  parvenir.  J'étois  déjà  résolu  d'en  parler  for- 
tement au  Pape;  et  c'étoit  là  l'objet  de  l'audience 
que  j'ai  été  lui  demander  ce  malin. 

Le  Pape,  qui  se  porte  très-bien,  tint  vendredi 


12b  LETTRES 

dernier,  19  de  ce  mois^  consistoire^  et  fît  deux  car- 
dinaux, l'arclievéque  de  Florence  qui  s'appelle  Mo- 
rigia,  milanois,  et  Paolucci  qui  vient  de  Pologne. 
Le  premier  fut  déclare  être  celui  qui  fut  réservé 
in  petto  dans  la  première  promotion  que  fit  le  Pape, 
il  y  a  trois  ans  ;  et  parce  qu'il  est  le  plus  ancien 
archevêque  de  la  promotion,  il  est  le  premier  de 
toutes  les  créatures  de  ce  Pape  ,  quoique  en- 
fanté le  dernier.  Sa  Sainteté  a  prétendu  faire  un 
cardinal  papable.  Il  a  soixante-dix  ans  :  il  est  d'une 
piété  exemplaire,  et  passe  pour  savant.  Ce  choix  a 
surpris  tout  le  monde  ;  car  c'est  un  homme  qui  a 
très-peu  paru  dans  cette  Cour-ci.  On  prétend  que 
le  grand  duc  a  grande  part  à  cette  promotion. 

L'archevêque  de  Chieti  comptoit  bien  être  cardi- 
nal; jusque-là  que  le  matin  du  consistoire,  dix 
laquais  lui  en  vinrent  apporter  la  nouvelle,  sur 
ce  qu'on  dit  que  c'étoit  un  archevêque  ;  mais  le 
Pape  l'a  minchiojiato.  On  est  persuadé,  et  je  pense 
avec  raison,  que  la  conduite  qu'il  a  tenue  dans  l'af- 
faire du  livre  de  M.  de  Cambrai,  l'a  perdu  dans  l'es- 
prit du  Pape.  J'en  sais  quelque  chose  par  moi-même, 
qui  me  crus  obligé  de  parler  au  Pape,  il  y  a  quinze 
jours,  assez  fortement  pour  lui  faire  entrevoir  ce 
qui  convenoit  là-dessus.  Les  Cambrésiens  auroient 
triomphé,  si  dans  les  circonstances  présentes  cet 
homme  avoit  été  nommé  cardinal  ;  mais  ils  ont 
été  assez  mortifiés  aussi  bien  que  lui ,  d'autant  plus 
qu'on  a  dit  publiquement  que  l'approbation  qu'il 
avoit  donnée  au  livre  de  M.  de  Cambrai  étoit  la 
cause  de  son  exclusion.  S'il  avoit  voulu  croire  ses 
véritables  amis,  et  moi  aussi,  qui  lui  parlai  là- 
dessus 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME*  1 29 

dessus  il  y  a  un  mois ,  comme  il  falloit ,  et  qu'il 
se  fût  de'terminé  à  avouer  franchement  à  Sa  Sainteté 
qu'il  avoit  été  trompe',  mais  qu'il  voyoit  à  présent 
la  vérité,  peut-être  auroit-il  obtenu  le  chapeau, 
qu'il  n'aura  jamais  selon  les  apparences;  au  moins 
se  seroit*il  fait  honneur,  au  lieu  qu'on  a  vu  la  pau- 
vreté de  son  esprit  et  de  sa  conduite.  Cet  archevêque 
avoua  il  y  a  huit  jours  à  Tabbé  Pecquini ,  qu'on  lui 
avoit  fait  entendre,  au  commencement  de  cette  af- 
faire, que  ce  seroit  faire  plaisir  au  Roi  que  de  favoriser 
M.  de  Cambrai,  ajoutant  que  cette  fausseté  venoit 
du  cardinal  de  Bouillon,  et  qu'il  voyoit  bien  qu'on 
l'avoit  trompé.  Il  l'a  bien  voulu;  car  on  lui  a  dit 
dans  le  temps  tout  ce  qu'on  pouvoit  pour  l'affermir 
dans  son  devoir,  et  il  n'a  voulu  croire  que  son  père 
Alfaro. 

Il  faut  à  présent  vous  rendre  compte  de  Faudience 
favorable  que  j'ai  eue  cette  après-dînée  de  Sa  Sainteté. 
J'ai  commencé  par  captiver  sa  bienveillance,  en 
louant  le  choix  qu'il  avoit  fait  des  deux  cardinaux, 
et  en  particulier  de  l'archevêque  de  Florence.  Il  a  eu 
la  bonté  d'entrer  là-dessus  dans  un  grand  détail  avec 
moi,  sur  les  raisons  de  cette  promotion  et  les 
grandes  qualités  du  cardinal  Morigia.  Il  m'a  dit 
qu'il  vouloit  l'avoir  auprès  de  lui ,  qu'il  étoit  très- 
docte;  et  là-dessus  il  m'a  parlé  de  la  peine  qu'il 
avoit  de  faire  des  cardinaux  italiens,  qui  fussent  ar- 
chevêques ou  évêques  ;  que  les  cardinaux  étoient 
faits  pour  rester  à  Rome,  qu'autrefois  ses  prédé- 
cesseurs n'en  vouloient  point  d'autres,  et  obligeoient 
les  cardinaux,  même  nationaux,  à  venir  à  Rome; 
qu'ils  avoient  même  plusieurs  fois  f»it  de  grandes 

BOSSUET.    XLII.  9 


l3o  LETTRES 

instances  aux  Rois  de  France,  pour  les  engager  k 
envoyer  les  cardinaux  de  leurs  Etats  résider  a  Rome. 
Sa  Sainteté  m*a  fait  mille  questions  par  rapport  à 
cela,  qu'il  seroit  trop  long  de  rapporter.  Enfin  elle 
est  venue  d'elle-même  à  me  parler  de  vous,  et  à  me 
répe'ter  toutes  les  choses  obligeantes  qu'elle  a  cou- 
tume de  me  dire  sur  votre  personne. 

Le  Pape  a  entame'  ensuite  TafFaire  du  livre,  et 
m'a  te'moigné  un  grand  empressement  de  finir  cette 
affaire.  Après  lui  avoir  représenté  les  inconvéniens 
de  tant  de  longueurs,  je  lui  ai  proposé  quelques  ex- 
pédiens.  Il  goûtoit  assez  l'expédient  de  faire  donner 
les  vœux  par  écrit ,  sans  plus  parler  :  mais  il  m'a  dit 
que  les  cardinaux  prétendent  que  ce   n'est  pas  la 
coutume  de  les  empêcher  de  parler  de  vive  voix , 
qu'on  voy oit  ainsi  le  fort  et  le  foible  de  la  cause ,  et 
qu'il  trouvoit  de  grandes  difficultés  à  surmonter  là- 
dessus.  Pour  ce  qui  était  de  leur  limiter  un  certain 
temps  pour  parler,  il  a  ajouté  que  cela  n'étoit  pas 
praticable;  qu'il  ne  pouvoitque  les  exhorter  à  être 
courts,  ce  qu'il  ne  cesseroit  de  faire  dans  toutes  les 
occasions  ,  et  qu'il  a  fait  nouvellement   dans   les 
deux  derniers  consistoires ,  tenus  vendredi  et  hier. 
Effectivement  j'ai  su  qu'il  les  avoit  pressés  de  con^ 
dure. 

Sur  ce  sujet  je  n'ai  pas  eu  honte  de  lui  proposer 
de  doubler  les  conférences  ;  et  si  MM.  les  cardinaux 
ne  jugfioient  pas  à  propos  de  prendre  le  vendredi, 
d'ordonner  que  la  congrégation  du  mercredi,  jour 
ordinaire  du  saint  Office,  seroit  employée  à  cette 
affaire,  préférablemeut  à  toute  autre;  que  Sa  Sain- 
teté avoit  eu  la  bonté  de  le  leur  ordonner  ^insi  cet 


8XIR  l'affaire  du  quiétismè.  i3t 

été,  et  qu'à  présent  cela  étoit  également  pralical)lev 
Le  saint  Père  m'a  paru  entrer  dans  toutes  les  choses 
que  je  lui  ai  représentées  à  ce  sujet,  et  approuver  ma 
proposition.  Il  ne  m'a  rien  promis  de  positif,  mais 
j'ai  cru  entrevoir  que  son  dessein  étoit  de  donner  cet 
ordre.  Je  n'oublierai  rien  cette  semaine  pour  lui 
faire  mettre  fortement  en  tête  l'exécution  du  projet. 
Il  m'a  assuré  qu'il  vouloit  trouver  un  expédient  ^ 
pour  faire  hâter  MM.  les  cardinaux  et  finir  cette 
affaire.  Je  vois  bien  qu'on  lui  avoit  fait  entendre 
qu'il  ne  falloit  pas  les  presser,  que  le  saint  Siège 
avoit  toujours  été  très-long  temps  à  terminer  toutes 
les  affaires  importantes.  Car  il  me  l'a  dit  aujourd'hui 
positivement,  et  m'a  ajouté  qu'il  ne  savoit  pas  si  Ton 
pourroit  trouver  quelque  moyen  de  finir  cette  affaire 
sans  retour  ;  ce  qui  revient  à  ce  que  dit  le  cardinal 
de  Bouillon. 

Je  lui  ai  répondu  pertinemment  sur  ces  deux 
points.  Sur  le  premier,  qu'on  avoit  déjà  fait  dix  exa- 
mens de  ce  livre,  qu'on  en  voyoit  tout  le  venin,  que 
tout  étoit  éclairci,  qu'il  falloit  un  prompt  remède, 
qui  ne  viendroit  plus  à  temps  si  l'on  différoit.  Sur 
le  second  point ,  je  lui  ai  représenté  qu'à  chaque 
jour  suffisoit  sa  malice,  qu'on  ne  demandoit  à  Sa 
Sainteté  que  son  jugement  sur  la  doctrine  de  ce  li^ 
vre,  en  quahfiant  les  propositions  in  sensu  obvio  et 
natiirali;  que  si  on  formoit  la  décision  précise  sans 
équivoque,  l'affaire seroit  finie,  que  l'archevêque  de 
Cambrai  seroit  obligé  de  se  soumettre  sans  restric- 
tion :  mais  au  contraire  que  j'étois  assuré  que  les 
disputes  recommenceroient,  si  l'on  lui  laissoit  lieu 
d'éluder  la  condamnation,  en  s'attachant  à  quelques 


iSa  LETTRES 

paroles  de  la  bulle,  en  un  mot  si  l'on  cherchoit  des 
tempe'ramens  pour  Texcuser.  Il  a  bien  compris  ce 
que  je  voulois  dire,  et  il  m'a  de  nouveau  déclaré, 
avec  des  démonstrations  plus  qu'ordinaires  de  bonté 
pour  vous  et  pour  moi,  qu'il  étoit  pleinement  in- 
formé de  tout,  et  qu'assurément  il  alloit  chercher 
tous  les  moyens  imaginables  de  parvenir  à  une 
prompte  et  bonne  décision  :  ce  sont  ses  dernières 
paroles. 

Je  conclus,  par  tout  ce  que  j'ai  entendu  aujour- 
d'hui du  Pape,  qu'il  a  les  mêmes  bonnes  intentions  j 
mais  qu'on  lui  a  voulu  brouiller  la  cervelle,  en  cher- 
chant à  faire  naître  difficultés  sur  difficultés.  Je  ne 
voudrois  pas  répondre  que  le  cardinal  Albani  n'y 
eût  quelque  part.  Nos  amis  le  croient  ici,  hors  le 
père  Roslet.  Il  est  bien  capable,  après  avoir  mis  ces 
embarras  dans  l'esprit  de  Sa  Sainteté,  de  vouloir 
par  politique  paroître  presser  la  fin,  et  du  côté  du 
Pape  et  du  côté  du  Roi.  Pour  le  cardinal  de  Bouil- 
lon, par  lui-même  il  n'a  aucun  crédit  sur  l'esprit 
du  Pape.  Mais  que  faire  avec  le  cardinal  Albani? 
il  faut  le  prendre  comme  il  est,  et  s'en  servir  du 
mieux  qu'il  sera  possible. 

Le  cardinal  Panciatici  va  bien,  certainement.  Le 
cardinal  Albani  a  biaisé  jusqu'à  cette  heure ,  ainsi 
que  le  cardinal  Ottoboni,  mais  sans  approuver  la 
doctrine.  Ils  se  sont  bornés  à  vouloir  distinguer  le 
sens  naturel  du  livre ,  de  celui  que  l'auteur  a  pu  se 
proposer  ;  peut-être  auront-ils  changé  d'avis. 

On  est  bien  content  du  cardinal  Nerli.  Le  car- 
dinal d'Aguirre  donnera  incessamment  son  vœu  par 
^crit  sur  toutes  les  propositions. 


SUR    L  AFFAIRE    DU     QUIKTISME.  1?)6 

Il  est  de  conséquence  que  Ton  fasse  signer  la  Cen- 
sure par  tous  les  docteuiî's  qui  seront  disposés  à  le 
faire.  Ce  n'est  pas  par  ostentation,  mais  pour  dé- 
truire, par  un  fait  constant,  les  bruits  que  les  par- 
tisans de  M.  de  Cambrai  répandent  ici ,  qu'on  n'a 
pu  trouver  que  ces  soixante  docteurs  qui  ont  été 
contraints,  et  que  tous  les  autres,  dont  on  s'étoit 
vanté  qu'on  auroit  les  signatures ,  l'ont  refusée.  Une 
autre  raison  pour  réunir  tous  ces  suffrages,  c'est 
qu'on  ne  sauroit  trop  produire  de  ces  témoignages, 
qui  seront  autant  de  contradicteurs  publics  du  livre. 
J'en  écris  fortement  à  M.  de  Paris  :  l'effet  n'en  peut 
être  que  très-bon  ici.  La  censure  une  fois  faite,  le 
nombre  des  signatures  est  indifférent  en  soi  ;  plus  il 
sera  grand,  plus  il  sera  propre  à  confirmer  les  bien 
intentionnés  de  ce  pays-ci,  et  à  montrer  qu'il  ne 
tient  qu'au  P\.oi  et  aux  évêques  de  faire  décider  l'af- 
faire en  France  tout  d'une  voix.  Cela  ne  peut  être 
que  très-à-propos.  Il  suffira  de  dire  à  M.  le  nonce 
que  ces  docteurs  ont  voulu  signer.  On  n'en  sera 
certainement  pas  fâché  ici,  j'ose  vous  en  répondre. 

Je  vous  fais  passer  une  thèse  de  Louvain,  envoyée 
ici  à  M.  Hennebel  :  c'est  un  écolier  de  M.  Steyaert 
qui  la  soutient.  On  la  prétend  composée  par  ce 
docteur.  Le  président  est  tout-à-fait  dans  les  inté- 
rêts des  Jésuites,  et  Steyaert  aussi;  ce  qui  a  fait 
d'abord  craindre  qu'iln'y  eut  de  la  connivence  avec 
M.  de  Cambrai  ;  néanmoins  on  sait  d'un  autre  côté 
que  ce  M.  Steyaert  a  été  fort  choqué  contre  cet 
archevêque ,  pour  avoir  refusé  ses  séminaristes  aux 
ordres.  J'ai  lu  la  thèse  avec  attention  :  je  n'y  vois 
rien  de  favorable  à  M.  de  Cambrai  :  il  y  a  seule- 


m 


î34  LETTRES 

ment  dans  la  troisième  position ,  sm' l'acte  pi^pre  el 
çlicite  de  la  charité,  quelque  chose  qui  demande- 
roit  explication.  Mais  dans  la  fm  de  la  même  position, 
ce  qu'il  dit  de  la  charité ,  fondée  sur  la  communica- 
tion de  la  béatitude,  paroît  tout-à-fait  contre  M.  de 
Cambrai.  Le  père  Massoulié  est  assez  content  de  la 
thèse.  On  voit  qu'on  a  évité,  ce  me  semble,  de 
s.'expliquer  sur  l'objet  premier  et  spécifique,^  et  sur 
le  secondaire  ;  mais  an  ne  l'exclut  pas.  On  y  parle 
fortement  contre  un  état  d'indifférence  sur  le  salut; 
ce  qui  paroît  désigner  précisément  l'erreur  des  Gam- 
brésiens.  Vous  en  jugerez  mieux  que  moi ,  qui  ne 
l'ai  lue  qu'en  courant  :  j'avoue  que  je  ne  la  trouve 
pas  nette. 

M.  Phelippeaux  a  fait  un  petit  écrit  latin  fort  bon, 
sur  l'illusion  des  doubles  sens,  et  la  distinction  du 
sensus  obvias  d'avec  le  sens  de  l'auteur.  Si  nous 
voyons  que  cette  imagination  continue  à  se  ré^ 
pandre ,  nous  le  pourons  distribuer.  Par  ce  que  m'a 
dit  le  Pape,  je  juge  à  coup  sûr  qu'il  veut  mettre  le 
cardinal  Morigia  dan5  le  saint  Office, 

L'abbé  Feydé  et  M.  Poussin  font  de  leur  mieux  , 
çt  je  m'en  sers  très-utilement. 

La  clause  in  praxi  reuiuiscere  Molinosum  ^  et 
l'abus  qu'on  fait:  des  mystiques  seront  énoncés  dans 
la  bulle,  ou  bien  on  n'en  fera  pas. 

A  Rome,  ce  a3  décembre  1698. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i35 

LETTRE  CCCXCII. 

DE  LOUIS  XIV  A  INNOCENT  XII. 

Il  se  plaint  des  retards  qu'on  apportoit  dans  la  décîsioa  de  cette 
affaire,  et  presse  le  Pape  de  donner  son  jugement. 

Très-saint  Père, 

Dans  le  temps  que  fespérois  de  ramitié  et  ^u  zèle 
de  Votre  Sainteté  une   prompte   décision    sur    le 
livre  de  Tarchevêque  de  Cambrai,  je  ne  puis  ap- 
prendre sans  douleur  que  ce  jugement,  si  nécessaire 
à  la  paix  de  l'Eglise ,  est  encore  retardé  par  les  ai^ 
tifices  de  ceux  qui  croient  trouver  leur  intérêt  à  le 
différer.  Je  vois  si  clairement  les  suites  fâcheuses  de 
ces  délais ,  que  je  croirois  ne  pas  soutenir  dignement 
le  titre  de  fils  aîné  de  l'Eglise,  si  je  ne  réitérois  les 
instances  pressantes  que   j'ai   faites  tant  de  fois  à 
Votre  Sainteté,  et  si  je  ne  la  suppliois  dappaiser 
enfin  les  troubles  que  ce  livre  a  excités  dans  les 
consciences.  On  ne  peut  attendre  présentement  ce 
repos  que  de  la  décision  prononcée  par  le   Père 
commun;  mais  claire,  nette ,^  et  qui  ne  puisse  rece- 
voir de  fausses  interprétations  ;  telle  enfin  qu'il  con- 
vient qu'elle  soit ,  pour  ne  laisser  aucun  doute  sur 
la  doctrine,  et  pour  arracher  entièrement  la  racine 
du  mal.  Je  demande ,  Très-Saint  Père ,  cette  déci- 
sion à  Votre  Béatitude,  pour  le  bien  de  l'Eglise, 
pour  la  tranquillité  des  fidèles,   et  pour  la  propre 
gloire  de  Votre  Sainteté.  Elle  sait  combien  j'y  suis 
sensible,  et  combien  je  suis  persuadé  de  sa  tendresse 


l36  LETTRES 

paternelle.  J'ajouterai  à  tant  de  grands  motifs  qui  la 
doivent  déterminer,  la  conside'ration  que  je  la  prie 
de  faire  de  mes  instances  et  du  respect  fdial  avec 
lequel  je  suis ,   etc. 
a3  Décembre  i6«j8. 


LETTRE  GCCXCIII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  les  nouvelles  instances  du  Roi. 

J'ai  reçu  votre  billet  du  g.  Vous  saurez  par  une 
de  mes  prece'dentes  (*)  lettres  à  mon  frère,  que  je 
l'ai  prie  de  vous  envoyer  les  l'ësolutions  qu'on  a 
prises  ici  pour  faire  accéle'rerrafTaire.  Quand  la  Cour 
de  Rome  verra  les  nouvelles  instances,  elle  ne 
pourra  peut-être  se  dispenser  de  mander  au  Roi  que 
le  retardement  ne  vient  que  de  la  part  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon.  Je  retournerai  d'aujourd'hui 
en  huit  à  Paris. 

A  Meaux,  28  décembre  1698. 


LETTRE  CCCXCIV, 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

^ur  des  IcUres  que  le  Roi  avoit  écrites  pour  contenir  le  cardinal 
de  Bouillon, 

J'ai  reçu  ce  matin  de  Paris  votre  lettre  du  16.  On 
exposera  tout  au  Roi ,  qui  verra  le  parti  qu'il  aura 

(*)  Celle  lettre  ne  «"est  pas  retrouvée. 


I 


suîi  l'affaire  du  quiétismf.  i3^ 

à  prendre.  Je  crois  premièrement,  qu'il  y  auroit  de 
l'inconvénient  à  défendre  au  cardinal  de  Bouillon 
d'assister  aux  congrégations;  secondement,  que  le 
Roi  ayant  écrit  fortement  au  Pape ,  il  faut  attendre 
reffet  de  ses  lettres.  Le  Roi  paroît  irrité,  et  le  car- 
dinal de  Bouillon  ne  voit  pas  à  quoi  il  s'expose;  ou 
s'il  le  voit ,  Dieu  veut  le  punir. 

Le  Roi  a  écrit  une  lettre  pressante  au  Pape,  et 
une  très-forte,  à  ce  qu'on  me  mande  de  très-bon 
lieu,  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon  (*). 

Je  ne  comprends  pas  la  difficulté  qu'on  fait  de 
s'arrêter  au  sensus  obvias.  Jamais  on  n'en  prend 
d'autre ,  et  jamais  on  n'exprime  qu'on  le  prend  ; 
car  c'est  le  sens  naturel  auquel  on  doit  toujours 
s'attacher.  Jamais  on  n'exprime  deux  sens,  pour 
justifier  une  proposition;  et  quand  elle  en  a  un 
mauvais,  qui  est  Yobi^iuSy  c'est  assez  pour  la  con- 
damner, quoiqu'on  puisse  lui  en  donner  un  bon , 
mais  forcé;  parce  qu'on  présuppose  qu'un  homme 
qui  se  mêle  d'écrire,  doit  savoir  parler  correctement. 

Continuez  à  travailler.  Dieu  sera  avec  vous.  Je 
crois  que  les  lettres  du  Roi  auront  leur  effet.  En 
tout  cas ,  elles  pourront  produire  qu'on  mandera  de 
Rome  de  qui  vient  le  retardement;  et  alors  vous 
voyez  ce  qui  en  résultera. 

(*)  Nous  avons  donné  la  lettre  du  Roi  au  Pape  :  pour  celle  que 
Sa  Majesté  écrivit  au  cardinal  de  Bouillon,  elle  nous  manque. 
L'abbé  Phelippeaux  eut  copie  de  cotte  lettre,  qu'il  dit  être  terrible 
et  mortifiante ,  et  que  le  cardinal  de  Bouillon  tenoit  avec  raison 
fort  secrète.  II  nous  apprend  que  l'abbé  Stufia,  secrétaire  du  car- 
dinal de  Médicis,  la  traduisit  en  italien ,  et  on  la  répandit  à  Rome. 
Tous  les  cardinaux  en  demandèrent  des  copies,  et  le  cardinal  de 
Bouillon  en  fut  très-^mécontent. 


I"^8  LETTRES 

Je  serai  à  Paris  samedi  prochain  sans  manquer, 
et  je  ne  quitterai  plus. 

Quand  on  donne  la  bulle  per  manus  y  on  doit 
donner  en  même  temps  un  terme  préfix  pour  en 
dire  son  avis ,  et  ce  terme  ne  peut  aller  bien  loin. 

Nous  aviserons  efficacement ,  dès  que  je  serai  à 
Paris,  à  vous  faire  la  somme  que  vous  demandez, 
et  on  ne  vous  laissera  manquer  de  rien. 

A  Meaux,  ce  3o  décembre  1698. 


LETTRE  CCCXGV. 

DE  UABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  le  nouvel  ambassadeur,  et  les  difficultés  qu'il  auroit  à  surmon- 
ter j  la  dernière  Réponse  de  M.  de  Cambrai,  Tordre  donné  par 
le  Pape  pour  doubler  les  congrégations  ;  les  dispositions  des 
cardinaux  j  les  longueurs  qui  éloient  à  appréhender. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  voua  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire,  le  7  décembre,  de  Paris,  où  je  suis 
ravi  que  vous  soyez ,  et  où  je  voudrois  que  vous 
fussiez  toujours  jusqu'à  la  conclusion  de  l'affaire. 

Vous  ne  me  parlez  pas,  dans  vos  lettres ,  de  l'am- 
bassadeur :  je  suppose  que  vous  aurez  fait  ce  qu'il 
faut  pendant  son  séjour.  Si  madame  de  Maintenon 
n'avoit  pas  parlé,  il  ne  faudroit  pas  manquer  de 
l'engager  à  écrire.  J'ose  vous  dire  que  je  plains  l'am- 
bassadeur, qui  ne  trouvera  ici  personne  qui  soit 
capable  ,  ou  qui  se  soucie  de  l'instruire  du  vrai  état 
des  choses,  et  qu'on  ne  cherchera  qu'à  tromper. 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  agira  tout  de  son  mieux 
pour  le  faire  donnerjdans  quelque  panneau.  M.  Pous- 


SUR  l'affaiiie  du   quiétisme.  i3() 

sin  ,  qui  ne  re:>te  pas  ici,  ne  dira  pas  tout  ce  qu'il 
sait  ;  et  à  la  Cour  on  ignore  bien  des  choses.  Je  ** 
verrai  tout  sans  me  mêler  que  de  ce  qui  me  regarde  , 
et  à  cet  e'gard  je  n'oublierai  rien  pour  le  succès  de 
l'affaire;  mais  je  souhaite,  et  il  est  nécessaire ,  que 
l'ambassadeur  ait  là-dessus  quelque  confiance  en 
moi.  Vous  vous  imaginez  bien  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  ne  négligera  rien  pour  Tempêcher  ;  et  si  je 
n'ai  pas  ici  beaucoup  d'ennemis,  j'ai  bien  des  en- 
vieux. 

Vous  devez  avoir  reçu ,  depuis  la  dernière  lettre 
à  laquelle  vous  me  faites  réponse,  des  nouvelles 
curieuses  et  importantes  de  ce  qui  s'est  passé  ici. 
Vous  aurez  été  d'autant  plus  étonné  de  la  Réponse 
de  M.  de  Cambrai  à  vos  Remarques  „  que  je  vous 
envoyai  avec  ma  lettre  du  2  5  novembre,  que  je  vois 
que  personne  ne  l'attendoit  en  France ,  et  que  vous 
n'en  aviez  pas  la  moindre  connoissance.  Qui  que  ce 
soit,  depuis  un  mois,  n'en  a  écrit  ici  un  seul  mot 
de  Paris.  Voilà  un  procédé  bien  extraordinaire  de 
la  part  de  ce  prélat,  où  l'on  voit  très- clairement  sa 
mauvaise  foi,  et  le  dessein  qu'il  a  de  tromper,  à 
Rome  tout  le  monde.  ïi  a  cru  que  son  affaire  étoit 
sur  le  point  d'être  jugée  :  il  a  voulu  détruire  l'effet 
de  vos  Remarques  dans  ce  pays,  et  cacher  en  même 
temps  en  France  cet  ouvrage,  plein  d'impostures 
et  d'outrages  contre  vous  et  contre  les  prélats.  C'est 
une  providence  que  je  me  sois  avisé  de  vous  l'en-' 
voyer.  Car  qui  n'auroit  pas  cru  qu'une  lettre  qui 
vous  est  adressée,  imprimée  en  français,  ne  fût 
pas  distribuée  en  France  avant  quç  de  l'être  ici? 
Mais  la  persuasion  où  je  suis  des  artifices  de  M.  de 


•» 


ï4^  LETTP.  ES 

Cambrai,  m'a  fait  soupçonner  qu'il  pourroit  bien 
la  cacher  en  France  ,  surtout  y  ayant  mis  des  choses 
très-fortes  sur  les  puissances,  qu'il  semble  attaquer 
et  designer  dans  son  espèce  de  Préface.  J'ai  cru  de- 
voir faire  faire  là-dessus  des  réflexions  au  Pape  et  aux 
cardinaux,  sur  qui  ce  procédé  a  fait  impression, 
et  il  les  a  confirmés  dans  l'opinion  qu'ils  ont  de 
M.  de  Cambrai.  Son  procédé  me  paroît  en  effet 
bien  criant. 

Vous  avez  vu,  par  ma  dernière  lettre,  les  ins- 
tances que  j'ai  faites  à  Sa  Sainteté  pour  doubler  les 
congrégations,  et  l'espérance  que  j'avois  d'y  réussir. 
Je  vous  dirai  par  cette  lettre,  que  le  Pape  a  eu  la 
bonté  de  me  faire  avertir  qu'il  avoit  ordontié  ce  que 
je  sollicitois  :  on  commencera  de  demain  en  huit  à 
exécuter  cet  ordre,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  congré- 
gation demain  à  cause  de  la  chapelle.  La  congréga- 
tion qui  devoit  se  tenir  demain ,  s'est  tenue  aujour- 
d'hui ;  et  les  cardinaux  qui  doivent  parler  sur  l'affaire 
de  M.  de  Cambrai,  ne  s'a ttendant  pas  à  ce  changement, 
ne  pouvoient  être  prêts.  J'avoue  que  je  suis  très-aise 
de*  la  résolution  dti  Pape,  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
a  fait  sous  m.ain  ce  qu'il  a  pu  pour  en  détourner  Sa 
Sainteté,  sous  prétexte  que  les  cardinaux  ne  pour- 
ront être  en  état  de  parler  deux  fois  la  semaine  sur 
une  matière  aussi  épineuse  que  celle-là ,  et  qui  de- 
mandoit  tant  d'étude;  alléguant  que  cet  arrange- 
ment feroit  rester  en  arrière  toutes  les  autres  affaires 
du  saint  Office.  Mais  Sa  Sainteté  a  eu  la  bonté  de 
passer  sur  toutes  ces  difficultés.  On  m'a  dit  que 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  ayant  su  que  le  Pape 
étoit  déterminé  à  prendre  ce  parti ,  il  le  lui  avoit 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i4i 

proposé  avant-hier,  jour  de  son  audience,  pour  s'en 
faire  honneur  auprès  du  Roi.  Mais  ce  fut  samedi 
que  je  sus,  que  dès  le  mercredi  d'auparavant  le  Pape 
s'en  étoit  exphqué  au  vice-ge'rent.  N'importe,  c'est 
une  disposition  fixe.  On  croira  aisément  que  le  car- 
dinal de  Bouillon,  qui  ne  veut  point  de  lin,  n'y  aura 
pas  eu  grande  part, 

Tai  eu  ce  matin  une  conférence  très-longue  avec 
le  commissaire,  qui  continue  à  nous  servir  efficace- 
ment, qui  ne  veut  que  le  bien,  et  qui  déteste  l'a- 
mour du  cinquième  degré. 

Je  sais,  à  n'en  pouvoir  douter,  que  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  fait  pis  que  jamais. 

Premièrement,  il  n'a  encore  donné  de  vœu  sur 
aucun  point.  M.  le  cardinal  Spada  ne  m'avoit  dit, 
il  y  a  quinze  jours,  qu'il  commençoit  à  le  faire, 
que  pour  Tcxcuser,  croyant  qu'il  le  remeltroit  in- 
cessamment; et  il  ne  m'avoit  pas  dit  la  vérité,  non 
plus  que  le  vice-gérent.  Ce  que  je  vous  mande 
aujourd'hui  est  très -sûr;  et  tous  les  cardinaux, 
ainsi  que  le  Pape,  en  sont  scandalisés  sans  oser  le 
témoigner  :  mais  chacun  va  son  chemin. 

En  second  lieu,  le  cardinal  de  Bouillon  fait  tous 
ses  efforts  pour  excuser  M.  de  Cambrai  et  son  livre, 
et  n'oublie  rien  à  cet  effet.  La  dernière  fois  qu'il 
parla,  qui  fut  le  2 a  de  ce  mois,  il  le  fît  très-lon- 
guement. Il  vint  à  l'assemblée  armé  jusqu'aux  dentSy 
recommença  à  parler  de  l'amour  pur,  au  lieu  de 
discourir  sur  la  matière  du  sacrifice  et  des  épreuves. 
Jamais  on  n'a  parlé  avec  plus  d'assurance  et  d'un 
ton  plus  affirmatif.  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
tourna  son  discours  avec  assez  d'adresse  :  il  fît  va- 


14^  LETTRES 

loir  comme  un  argument  décisif  pour  l'amour  du  cin- 
quième degré,  la  difficulté  que  M.  de  Chartres  se 
propose  à  la  page  20  de  sa  Lettre  pastorale ^  qui  est 
tirée  de  l'acte  propre  de  la  charité  et  de  l'habitude, 
«'objectant  qu'on  peut  former  de  tels  actes  indépen- 
damment de  tout  rapport  à  nous.  Il  poussa  cet  ar- 
gument le  mieux  qu'il  put,  le  donnant  comme  une 
démonstration,  et  éludant  la  réponse  qu'on  y  a  faite, 
qui  est  que  c'est  toujours  sans  exclusion  de  l'autre 
motif,  comme  subordonné  au  premier,  et  que  quand 
l'Ecole  parle  d'acte  propre,  elle  parle  de  ce  qui 
spécifie  l'acte  de  la  charité,  sans  vouloir  que  les  deux 
motifs  soient  séparables  dans  la  pratique,  autre- 
ment que  per  mentem  dans  des  actes  passagers,  etc. 
et  comme  vous  l'expliquez  dans  le  Schola  in  tuto. 
De  plus,  on  répond  quil  s'agit,  dans  le  système  de 
M.  de  Cambrai,  d'un  état;  et  qu'il  n'y  a  point 
d'état  dans  cette  vie,  où  on  ne  doive  exercer  les 
actes  de  foi,  d'espérance  et  de  charité,  selon  saint 
Paul  qui  a  dit  :  Nunc  autem  manent  fides ,  spes , 
charitas ,  tria  hœc ,  qui  est  la  réponse  de  M.  de 
Chartres.  J'avoue  pour  moi,  que  cet  endroit  de 
M.  de  Chartres  m'a  fait  toujours  de  la  peine,  ne 
s'expliquant  pas  assez  nettement  sur  le  motif  secon- 
daire, qu'il  semble  exclure  de  tout  acte  propre  de 
la  charité.  Que  veut  dire  précisément  cet  acte 
propre?  Voilà  ce  quilferoit  bieu  de  développer,  en 
montrant  qu'il  ne  parle  que  par  abstraction,  sans 
exclusion  dans  l'acte  même  de  charité  du  motif  se- 
condaire; puisque  l'acte  de  charité  emporte  néces- 
sairement dans  son  concept  formel  le  désir  de  la  fm 
et  le  désir  d'union,  quoiqu'on  a  y  fasse  pas  toujours 


SUK    l' A  F  FAI  11  E    DU    QUIÉTISME.  1^3 

une  réflexion  expresse.  Cet  acte  propre  de  la  charité 
m'a  toujours  fait  de  la  peine ,  et  est  le  seul  fondement 
plausible  que  M.  de  Cambrai  puisse  trouver  pour 
chicaner  ;  auquel  pourtant  il  est  bien  aisé  de  répon- 
dre, et  il  ne  sauroit  en  tirer  aucun  avantage  poup 
excuser  son  livre  dans  le  fond. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  ensuite  apporté, 
pour  autoriser  cet  amour  du  cinquième  degré,  l'au- 
torité de  MM.  Tiberge  et  Brisacier  ;  dont  l'un  ,  je 
pense  que  c'est  M.  Tiberge,  a  relevé  dans  une  oraison 
funèbre  imprimée,  la  disposition  de  celle  qu'il  louoit, 
qui  étoit  sœur  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  la- 
quelle ne  faisoit  plus  d'actes  d'espérance,  étant  ar- 
rivée à  un  amour  et  un  état  plus  éminent.  Sur  quoi 
le  cardinal  de  Bouillon  s'est  écrié  :  Voilà ,  Messieurs, 
la  doctrine  et  le  sentiment  des  directeurs  de  madame 
de  Maintenon,  qu'on  nous  veut  donner  aujourd'hui 
comme  contraire  à  cette  doctrine.  Je  vous  laisse 
faire  les  réflexions  que  vous  jugerez  à  propos  sur  un 
mot  dit  en  passant  dans  une  oraison  funèbre  ,  oii 
l'on  ne  met  pas  toute  l'exactitude  des  écrits  théolo- 
giques, prononcée  avant  que  ces  matières  fussent 
agitées.  On  parle  alors  avec  plus  de  liberté ,  secu^ 
riîis  loquebantur.  Aussi  ce  qui  pouvoit  être  excusé 
auparavant,  seroit  à  présent  hérétique,  et  con- 
damné comme  tel.  Je  n'ai  pu  voir  les  paroles  pré- 
cises de  l'oraison  funèbre  citée.  Je  sais  que  le  cïir- 
dinal  de  Bouillon  l'a  fait  venir,  il  y  a  quatre  mois , 
de  Paris  avec  grand  empressement ,  et  il  a  dit  à  la 
congrégation  que  c'étoit  u  e  pièce  rare. 

11  a  produit  encore  le  Combat  spirituel^  êi  a  pré- 
tendu que  la  doctrine  de  M.  de  Cambrai  étoit  pré- 


l44  LETTRES 

cisément  la  même  que  celle  de  ce  livre,  qui  assurë- 
ment  y  est  toute  opposée  ;  et  que  M.  de  Cambrai 
n'a  jamais  osé  alléguer  en  sa  faveur.  Ce  qui  est  plai- 
sant ,  c'est  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  s'imagi- 
nant  que  ce  livre  étoit  tout  favorable  à  M.  de  Cam- 
brai, l'a  fait  imprimer  ici  en  italien  depuis  trois 
mois  ,  sous  le  nom  du  père  du  Bue ,  Théatin  fran- 
çois,  qui  l'a  dédié  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et 
qui  a  mis  une  dissertation  à  la  tête  sur  l'auteur  du 
livre.  Il  y  a  long-temps  qu'on  soupçonne  ce  père  du 
Bue  d'être  favorable  à  M.  de  Cambrai  et  à  son 
livre  :  il  est  fort  lié  avec  les  Jésuites  et  le  cardinal 
de  Bouillon.  On  a  cessé  de  faire  valoir  M.  du  Bellai. 
Tout  cela,  au  reste ,  a  fait  peu  d'impression.  A  me- 
sure qu'on  apprend  quelque  chose ,  on  tâche  de  re- 
médier à  tout,  et  on  n  oublie  rien. 

On  tint  hier,  lundi  29,  la  septième  congrégation. 
Le  cardinal  Carpegna  aura  commencé  la  matière 
des  épreuves,  et  plusieurs  cardinaux  auront  voté.  Je 
ne  sais  pas  encore  qui  a  parlé ,  ni  même  si  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  n'a  point  encore  pris  la  parole. 
Mais  au  fond  tout  va  bien,  et  chacun  suit  comme 
il  a  commencé.  Le  cardinal  Casanate  continue 
d'être  incommodé  :  on  a  lu  son  vœu  en  congrégation, 
à  ce  que  m'a  assuré  le  commissaire. 

Le  discours  fort  et  vigoureux  que  fît  le  cardinal 
Casanate  la  première  fois ,  a  soutenu  tout  le  monde. 
Les  cardinaux  Carpegna ,  Nerli ,  Marescotti ,  Pan- 
ciatici,  Ferrari,  Noris,  ne  se  démentent  pas.  Le 
cardinal  Spada  suit  bien.  Pour  le  cardinal  Albani , 
j'en  doute  encore ,  quelque  chose  qu'il  dise.  Le  car- 
dinal Ottoboni  agit  de  la  même  manière  que  dans 

la 


suK  l'affaire  du   quiétisme.  145 

la  première  congrégation  :  il  a  cependant  assuré 
qu'il  ne  s'étoit  pas  encore  déterminé ,  mais  qu'on 
verroit  à  la  fin  le  parti  qu'il  prendroit,  et  qu'on  se* 
roit  content  de  lui.  J'ai  pris  la  liberté  de  lui  faire 
dire ,  que  c'étoit  mal  se  conduire  et  tout  du  pis,  que 
de  ne  pas  faire  bien  à  présent.  Il  est  très-embar- 
rassé, et  je  le  laisse  pour  ce  qu'il  est  :  cependant  je 
fais  tout  ce  qui  dépend  de  moi  auprès  de  lui,  pour 
le  remettre  dans  le  bon  chemin.  J'ai  vu  dans  ces 
fêtes  tous  les  cardinaux,  et  je  n'écris  rien  dont  je  ne 
sois  certain.  Il  seroit  bon  que  M.  le  cardinal  de 
Janson  profitât  de  quelque  occasion  pour  écrire  au 
cardinal  Panciatici,  et  qu'il  lui  marquât  qu'on  sait 
qu'il  prend  le  bon  parti  ;  que  le  cardinal  d'Estrées 
en  écrivît  autant  au  cardinal  Carpegna  et  au  car- 
dinal Noris.  Cela  produiroit  un  effet  admirable,  et 
donneroit  à  ces  messieurs  une  confiance  encore  plus 
grande  en  moi. 

Il  arriva,  il  y  a  quelques  jours,  un  courrier  à 
M.  de  Chanterac,  qui  lui  apporta  de  nouveaux 
livres.  Le  cardinal  Carpegna  me  dit  qu'on  débitoit 
que  c'étoit  son  livre  des  Maximes  corrigé  ;  mais  cela 
ne  s'est  pas  trouvé  vrai.  Je  vous  envoie  la  liste  des 
livres  arrivés  :  on  en  fait  jusqu'ici  grand  mystère.  On 
a  pris  bien  des  mesures  pour  que  je  ne  puisse  en  avoir 
aujourd'hui  aucun  exemplaire.  Le  premier  de  ces 
écrits  est  en  latin  :  c'est  apparemment  la  réponse  au 
Quietismus,  Celui  qui  paroît  être  le  plus  de  consé- 
quence, c'est  le  quatrième  écrit,  qui  n'est  pas 
imprimé ,  mais  seulement  manuscrit.  Je  ne  sais  pas 
ce  que  ce  peut  être  :  je  tâcherai  de  le  découvrir. 

La  première  chose  que  fit  à  son  ordinaire  l'abbé  de 

BOSSUET.    XLII.  11^ 


1 46  LETTRES 

Chanterac ,  ce  fut  de  porter  ces  écrits  au  cardinal 
de  Bouillon ,  avec  lequel  il  passa  trois  heures.  Le 
père  Charonnier  a  le  même  crédit.  Les  Jésuites  se 
portent  à  tous  les  excès  imaginables ,  sans  garder 
aucune  mesure.  Le  Carme  et  le  sacriste  vont  par- 
tout ,  sollicitaat  ouvertement  pour  M.  de  Cambrai. 
Ils  n'oul^lient  rien  pour  ébranler  le  cardinal  Ferrari, 
mais  inutilement.  Le  cardinal  Ottoboni  est  à  la 
campagne,  et  ne  se  trouva  pas  hier  à  la  congré- 
gation. 

M.  le  cardinal  Morigia  sera  informé  exactement 
de  l'affaire ,  avant  que  d'arriver  ici.  J'ai  fait  les  di- 
ligences convenables  à  cet  effet,  et  il  aura  pour  sus- 
pects ses  confrères  qui  ne  haïssent  pas  l'amour  pur  : 
mais  ce  cardinal  sera  sage.  Je  lui  ai  déjà  fait  tenir 
les  trois  écrits  latins,  ainsi  que  la  Relation  en  italien, 
et  M.  le  grand  duc  lui  parlera.  Ce  prince  agit  à  votre 
égard  et  au  mien  avec  une  bonté  extraordinaire. 

M.  le  grand  duc  a  votre  portrait  dans  sa  chambre. 
Il  a  su  par  M.  Dupré ,  que  je  souhaitois  en  avoir 
copie  :  il  le  lui  a  envoyé  aussitôt,  et  M.  Dupré  Ta 
fait  copier  par  le  fils  de  M.  de  Troy  qui  s'est  trouvé 
dans  ce  temps  à  Florence.  J'attends  cette  copie  et 
celle  que  vous  m'envoyez  avec  impatience  :  j'en  ferai 
faire  plus  d'une  à  Rome.  Il  faut  bien  qu'on  connoisse 
ici  en  toute  manière  un  homme  aussi  considéré. 
M.  le  grand  duc  a  écrit  nouvellement  au  cardinal 
Noris  sur  l'affaire  de  M.  de  Cambrai ,  et  en  bons 
termes. 

Ce  n'est  pas  assez  que  les  congrégations  soient 
doublées  :  j'ai  dessein  d'engager  le  Pape  à  faire  de- 
mander tous  les  vœux  des  cardinaux  sur  les  matières 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  145 

déjà  examinées.  Il  verra  au  moins  que  tous  ceux  qui 
ont  donné  leur  vœu,  condamnent  unanimement  la 
doctrine  de  M.  de  Cambrai  ;  et  que  ceux  qui  n'osent 
pas  le  donner ,  n'osent  en  même  temps  l'approuver 
par  écrit.  S'ils  sont  contraints  de  présenter  leur  vœu , 
on  verra  clairement  ce  qu'ils  ont  dessein  de  faire. 

Il  faut  aussi  penser  à  faire  travailler  à  la  réduction 
des  propositions  à  mesure  qu'on  votera,  afin  d'a*- 
bréger  le  travail  et  hâter  la  conclusion  et  la  rédaction 
de  la  bulle.  Je  prévois  encore  de  nouvelles  difficultés^ 
quand  il  s^agira  de  réduire  les  propositions  :  on  cher- 
chera les  moyens  de  les  surmonter.  Je  crois  qu'on 
peut  assurer  présentement,  que  les  cardinaux  au* 
ront  fini  dans  le  mois  de  janvier  de  voter  sur  les 
trente-huit  propositions.  Cela  fait ,  c'est  au  Pape  à 
résoudre  le  reste ,  et  à  déterminer  la  manière  dont 
la  bulle  sera  dressée.  Il  semble  qu'un  mois  suffiroit 
pour  cette  opération  :  mais  ce  pays-ci  est  inépui- 
sable en  longueurs;  et  il  faut  s'attendre  à  en  avoir 
encore  à  éprouver ,  surtout  ayant  en  tête  à  chaque 
pas  des  ennemis  si  acharnés,  qui  mettent  tout  leur 
esprit  et  tout  leur  honneur  à  sauver  le  tout  ou  une 
partie  y  ou  à  ne  point  finir.  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
a  proposé  en  diverses  colonnes  des  sens  difFérens  ; 
mais  je  vois  qu'on  s'en  moque ,  et  les  autres  vont 
leur  train. 

Il  est  à  propos  que  le  Roi  insinue  au  nonce,  qu'il 
convient  de  prohiber  les  écrits  publiés  pour  défendre 
le  livre  de  M.  de  Cambrai.  Mais  on  doit  prendre 
garde  que  cela  ne  donne  prétexte  à  quelque  nouvel 
examen. 

Dorénavant  il  faut  que  le  Roi  fasse  continuelle- 


t48  lettres 

ment  de  nouvelles  instances  pour  accélérer  le  juge- 
ment. 

Si  quelqu'un  e'toit  assez  liabile  pour  m'indiquer 
quelque  moyen  pour  avoir  de  l'argent ,  sans  m'a- 
dresser  à  vous  et  à  mon  père,  assurément  vous  n'en- 
tendriez pas  parler  de  mes  besoins  ;  mais  je  n'ai  ici 
aucune  ressource.  Pour  vous  faire  voir  une  partie 
de  ce  que  je  suis  obligé  de  dépenser  ici  par  rapport 
à  cette  affaire,  je  pourrois  vous  envoyer  un  mé- 
moire de  reliures ,  copies  d'écritures ,  ports  de 
lettres  et  de  paquets,-  étrennes  réglées  ici  deux  fois 
Tannée  aux  valets  des  cardinaux,  des  prélats,  et 
autres  dont  j'ai  affaire,  qui  monteroit,  sans  exagéra- 
tion ,  depuis  que  je  suis  dans  ce  pays ,  à  plus  de 
quatre  mille  francs  ;  sans  compter  les  frais  des  es- 
pions et  des  régals  que  je  suis  obligé  de  faire ,  et  qui 
font  beaucoup  ici,  comme  on  vous  le  peut  dire. 
Jugez  des  autres  dépenses  pour  vivre,  etc.  Cepen- 
dant ce  sont  des  dépenses  auxquelles  on  est  con- 
traint ,  à  moins  que  de  tout  abandonner  ,  et  de  ne 
vouloir  pas  réussir,  ni  faire  honneur  aux  personnes 
à  qui  l'on  appartient. 

Le  Pape  est  en  parfaite  santé.  Il  voit  bien  à  pré- 
sent que  la  confiance  que  vouloit  avoir  en  lui  M.  le 
cardinal  de  Bouillon,  étoit  une  grimace.  Il  avoit 
un  peu  donné  dans  le  piège;  mais  à  la  fin  je  pense 
qu'il  me  croira. 

J'espère  que  nous  recevrons  bientôt  des  nouvelles 
sur  les  courriers  dépêchés,  et  que  le  Roi  parlera 
haut  et  ferme;  il  le  faut.  Il  doit  voir  mieux  que  ja- 
mais la  fureur  de  la  cabale. 

Je  ne  sais  si  je  vous  ai  mandé  par  le  dernier  cour- 


SUR  l'affaliie  du  quiétisme.  i49 

ricr  les  bruits  qu'on  répand  ici,  de  la  résolution  où. 
Ton  dit  qu'est  le  Roi  de  déclarer  son  mariage,  et 
que  le  fils  du  Roi  vouloit  se  retirer  de  la  Cour.  Plu- 
sieurs cardinaux  m'ont  demandé  ce  qu'il  falloit 
penser  de  ces  bruits.  Vous  vous  imaginez  bien  ce  que 
je  leur  ai  répondu.  Tout  cela  est  débité  pour  faire 
croire  qu'il  y  a  à  la  Cour  un  parti  fort  opposé  au 
Roi  et  à  madame  de  Maintenon. 

Vous  ferez  bien  de  lier  amitié  avec  T.  qui  est 
honnête  homme,  qui  a  de  l'esprit,  et  qui  reviendra 
ici.  M.  de  Paris  fera  tout  ce  qu'il  pourra  pour  le 
gagner. 

Rome,  3o  décembre  1698. 


LETTRE   CCCXCVI. 

DE   BOSSUET  A   SON   NEVEU. 

Sur  une  thèse  soutenue  à  Douai  par  les  Carmes  déchaussés  en  fa<* 
veur  des  Maximes  de  M.  de  Cambrai  ;  sur  un  nouveau  livre  que 
préparoit  M.  de  Cambrai  j  et  sur  la  manière  d'entendre  les  mys- 
tiques.   • 

Je  vous  souhaite  une  heureuse  année.  Je  vous  prie 
de  la  souhaiter  de  ma  part  à  nos  amis,  et,  si  c'est 
la  coutume,  au  Pape  même  :  Dominus  vwificet 
eiim  ,  et  beatiim  illumfaciat  in  terra.  Amen.  Amen. 

Le  paquet  ci-joint  seroit  parti  par  le  courrier 
extraordinaire ,  sans  un  retardement  survenu  à  celui 
de  Meaux. 

Je  vous  envoie  une  thèse  soutenue  à  Douai  par 
les  Carmes  déchaussés,  de  concert  avec  M.  de  Cam- 
brai ,  qui  même  a  gagné  quelques  docteurs  de  cette 


l5o  LETTRES 

université,  et  qui  s'applique  extrêmement  à  ménager 
les  religieux.  Ajoutez  que  M.  d'Arras  (*)  ,  évêque 
diocésain,  quoique  sans  s'expliquer  ouvertement, 
est  tout  Cambrésien  dans  le  cœur;  et  que  s'il  y  a 
quelque  évêque  qu'on  puisse  soupçonner  de  favo- 
riser les  intérêts  de  M.  de  Cambrai,  c'est  celui-là  , 
quoiqu'il  soit  de  nos  amis.  Nous  l'avons  vu  fort  po^ 
litique  par  rapport  à  M.  de  Cambrai  son  métropo- 
litain. Il  est  au  reste  homme  de  mérite,  et  un  peu 
théologien,  mais  court. 

Les  bons  Pères,  après  M.  de  Cambrai,  se  servent 
de  r autorité  de  V opuscule  lxiii  de  saint  Thomas, 
qui  constamment  n'est  pas  de  lui.  Voyez  la  note  au 
lecteur  devant  l'opuscule  xli. 

Au  fond,  cet  opuscule  est  pour  nous.  L'endroit 
que  cite  la  thèse,  cap.  2,  n.  3,  où  l'auteur  dit,  di-^ 
ligetur  Deus  propter  Deum,  n'est  pas  exclusif  du 
motif  de  la  béatitude  :  diligit  Deum  non  salum ,  etc. 
et  oh  hoc  muUo  fortius ,  etc.  De  plus  ce  qu'il  dit  : 
diligit  multb  JbrtiiiSj  quod  simpliciter  in  se  bonus , 
largus  et  misericors,,  etc.  montre  que  la  charité  a 
égard  aux  attributs  qu'on  nomme  relatifs,  quoi-- 
qu'on  les  'regarde  CQmme  absolus  j  et  ils  le  sont  en 
effet,  comme  je  l'ai  remarqué,  Schola  in  tuto , 
prop.  ï6,  17,  18. 

Le  même  auteur  remarque  aussi,  ibidem ^  qu'il 
y  a  d'autres  motifs  d'accroître  l'amour,  que  la  seule 
excellence  de  la  nature  divine.  Ainsi  le  dessein  de 
cet  auteur  est  de  dire  seulement,  que  la  charité  ne 
se  porte  pas  à  Dieu  comme  coïamumc^iK Jinaliter, 

{*)  Gui  de  Sève  de  Rochechouart,  nommé  évé<jue  d'Arras  en 
jCjOj  se  démit  en  faveur  de  son  neveu  en  1721. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i5i 

et  c'est  ce  qu'il  marque  expressément  cap.  i,  n.  3, 
ni  même  pr ineip aliter ^  comme  il  le  répète  sans  cesse 
cap.  4>  n.  3,  cap.  6,  n.  3,  etc. 

Cela  étant,  la  glose  de  la  thèse  sur  le  nequaquam, 
exclusive  du  motivum  secundarium  y  est  une  addi- 
tion à  l'auteur  contre  son  intention  ;  et  il  faut  en- 
tendre, selon  les  autres  textes,  nequaquam Jinaliier, 
et  nequaquam  princip aliter.  Au  surplus,  l'exclusion 
du  motif  secundarium  est  directement  contre  le  vrai 
sens  de  saint  Thomas,  dans  l'endroit  rapporté  au 
Schola  in  tuto ,  n.  84,  85. 

La  thèse  cite  encore  le  passage  de  saint  Thomas , 
où  il  dit  que  la  charité  ne  désire  pas  que  aliquid 
ex  Deo  sibi  proveniat,  a*  2*,  quaest.  23,  art.  6;  à 
quoi  j'ai  répondu  très-précisément,  Schola  in  tuto, 
n.  i3o,  i3i. 

Ainsi  la  thèse  qui  exclut  le  motif  secundarium  ^ 
et  par  conséquent  qui  veut  que  la  béatitude  non  sit 
ullum  motivum  j  est  qualifiable  comme  contraire  à 
la  parole  de  Dieu  écrite  et  non  écrite  ;  puisqu'il  est 
constant  que  la  bonté  communicative  et  bienfai- 
sante de  Dieu,  est  toujours  rapportée  dans  l'Ecriture 
et  dans  les  Pères  comme  un  vrai  motif  d'aimer. 

Ce  qu'ajoute  la  thèse,  à  la  fin,  de  ratio  essentialisj 
est  une  équivoque  que  j'ai  souvent  démêlée,  où  l'on 
prend  essentialîs  pour  spécifique.  C'est  l'erreur  per- 
pétuelle de  M.  de  Cambrai.  Entre  le  spécifique  et 
l'accidentel  il  y  a  le  propre,  qu'on  nomme  essen- 
tiel et  inséparable,  comme  je  l'ai  remarqué,  Schola 
in  tuto,  n.  î47- 

On  auroit  donc  belle  prise  contre  cette  thèse; 


lOa  LETTRES 

mais  nous  ne  ferons  rien,  pour  ne  point  occasion- 
ner de  diversion,  qui  est  où  tend  M.  de  Cambrai. 
Sur  le  quatenus  de  la  consultation  des  soixante 
docteurs,  vous  avez  fort  bien  remarqué  qu'il  est 
expressif  de  la  raison  précise  de  censurer,  et  non 
indicatif  d'un  autre  sens  excusable.  Après  tout, 
quand  le  saint  Siège  parlera,  il  faut  qu'il  parle  plus 
précisément. 

M.  de  Cambrai  prépare  un  dernier  livre,  où  il 
fera  un  parallèle  de  ses  propositions  avec  celles  des 
mystiques.  Il  trouvera  bien  un  air  confus  de  ressem- 
blance, dont  Molinos  et  plusieurs  autres  ont  abusé; 
mais  jamais  précisément  les  mêmes  choses,  sacrifice 
absolu,   persuasion  réfléchie,   exclusion  du  motif 
de  r intérêt  propre,  etc.  Si  l'on  ne  s'élève  une  fois 
au-dessus  des  mystiques,  même  bons,  non  pas  pour 
les  condamner,  mais  pour  ne  prendre  point  pour 
règle  leurs  locutions  peu  exactes  et  ordinairement 
outrées,  tout  est  perdu.  C'est  une  illusion  dange- 
reuse, de  pousser  à  bout  ceux  qui  ont  dit  dans  leurs 
excès  qu'ils  n'avoient  de  souci,  ni  de  leur  salut,  ni 
de  leur  perfection,  etc.  mais  seulement  de  la  gloire 
de  Dieu.  Car  M.  de  Cambrai  n'ose  dire  qu'ils  n'en 
avoient  point  de  souci  ;  et  pour  sauver  cet  incon- 
vénient, il  leur  fait  seulement  mépriser  l'amour  na- 
turel, dont  aucun  d'eux  n'a  parlé.  Il  faut  donc  en-r 
tendre  qu'ils  n'en  avoient  point  de  souci  finaliter , 
principaliter,  etc,  ;  à  quoi  la  décision  du  concile  de 
Trente,  sess.  vi,  cap.  ii,  a  un  rapport  manifeste  : 
Cum  hoc  ut  imprimis  glorificetur  Deus,  mercedem 
quoque  intuentur  œternam. 


SUn    l/ AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  l53 

Nous  attendons  avec  impatience  ce  qu'auront  pro- 
duit les  lettres  du  Roi  au  Pape  et  à  M.  le  cardinal 
de  Bouillon. 

M.  de  Monaco  part  au  premier  jour.  Il  sera  bien 
averti  et  bien  instruit. 

Pour  Fargent ,  mon  frère  en  veut  bien  payer 
2000  livres,  dont  vous  aurez  ordre  par  cet  ordi- 
naire. Pour  moi,  ou  ce  sera  par  cet  ordinaire,  à 
quoi  on  travaille  actuellement,  mais  au  plus  tard 
pour  Tordinaire  prochain.  Après  cela,  roulez  dou- 
cement. On  ne  prétend  pas  que  vous  diminuiez  ce 
qui  est  essentiel  pour  vous  soutenir  ;  mais  cette  an- 
née est  si  mauvaise,  et  nous  sommes  si  chargés  de 
pauvres,  qu'on  ne  peut  pas  ce  qu'on  veut.  J'em- 
brasse M.  Phelippeaux, 

Paris,  ce  5  janvier  1699, 


LETTRE  CCCXCVIL 

DE  L'ABBÉ  PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. 

Sur  les  derniers  écrits  de  M.  de  Cambrai. 

Permettez -MOI  de  vous  souhaiter,  dans  ce  com- 
mencement d'année,  toutes  les  bénédictions  tempo- 
relles et  spirituelles  que  votre  piété  et  votre  zèle 
méritent.  Je  viens  d'achever  la  lecture  des  quatre  li- 
vres que  M.  de  Chanterac  a  distribués,  et  qui  lui 
sont  venus  par  un  courrier  extraordinaire.  Le  pre- 
mier est  une  lettre  en  réponse  au  Schola  in  tuto, 
qui  contient  7 1  pages.  Elle  est  pitoyable  :  il  ne  ré- 
pond à  rien  de  ce  qui  est  contenu  dans  votre  livre. 


l54.  LETTRES 

Il  devoit  prouver  que  les  trente-six  axiomes  qui  en 
sont  le  fondement,  ou  sont  faux  ou  ne  sont  point 
contraires  à  sa  doctrine.  Il  rebat  tout  ce  qu  il  avoit 
de'jà  dit  sur  les  hypothèses  impossibles,  et  ne  s'ap- 
puie que  sur  une  calomnie  visible,  qui  est  que  vous 
dites  que  la  béatitude  est  la  seule.  Tunique  et  la 
totale  raison  d'aimer.  Il  me  semble  que  vous  n'avez 
point  assez  relevé  cet  article,  qui  revient  dans  tous 
ses  livres.  Le  second  est  une  réponse  à  Quœstiun- 
culaj,  contenant  55  pages;  ce  sont  des  redites. 

Le  troisième  écrit  a  pour  titre  :  Préjugés  décisifs 
pour  M.  l'archevêque  de  Cambrai  contre  M,  Vévê- 
que  de  Meaux.  Il  prétend  réduire  toute  sa  doctrine 
à  cinq  questions,  qu'il  suppose  admises  par  MM.  de 
Chartres  et  de  Paris.  Ces  questions  ne  touchent  point 
le  fond  de  la  matière.  Première  question  :  La  cha- 
rité dans  ses  actes  propres,  et  dans  son  motif  essen- 
tiel, n'est -elle  pas  indépendante   du  motif  de  la 
béatitude?  2.  N'y  a-t-il  pas  un  amour  naturel  de 
nous-mêmes,  qui  est  le  principe  de  certains  actes 
moins  parfaits  que  les  actes  surnaturels,  sans  être 
vicieux?  3.  N'y  a-t-il  pas  en  cette  vie  un  état  habi- 
tuel et  non  invariable  de  perfection,  où  cet  amour 
purement  naturel  n'agit  plus  d'ordinaire  tout  seul, 
et  où  il  ne  produit  des  actes  que  quand  la  grâce  le 
prévient,  le  forme,  le  perfectionne  et  l'élève  à  l'or- 
dre, surnaturel  ?  4.  N'y  a-t-il  pas  en  cette  vie  un  état 
habituel  et  non  invariable  de  perfection,  où  la  cha- 
rité, indépendante  du  motif  de  la  béatitude,  pré- 
vient d'ordinaire  les  actes  surnaturels  des  vertus 
inférieures,  en  sorte  qu'elle  les  commande  expres- 
sément chacun  en  particulier,  qu'elle  les  ennoblit, 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i55 

les  perfectionne,  les  relève,  en  y  ajoutant  son  propre 
motif?  5.  N'est-il  pas  vrai  que  la  passiveté,  dans  la- 
quelle les  mystiques  retranchent  l'activité',  c'est-à- 
dire,  les  actes  inquiets  et  empressés,  laisse  la  vo- 
lonté passive  dans  l'usage  de  son  libre  arbitre;  en 
sorte  qu'elle  peut  résister  à  l'attrait  de  la  grâce?  Il 
prétend  que  c'est  cela  seul  qui  compose  son  système; 
que  «  cinq  examinateurs  ont  déclaré  à  Sa  Sainteté, 
3)  que  le  texte  du  livre  pris  dans  son  tout,  ne  pou- 
5)  voit  signifier  qu'une  doctrine  très -pure;  que  ce 
5>  texte  doit  passer  pour  correct  et  pour  clair  dans 
»  le  sens  catholique,  puisque  ce  sens  concilie  sans 
»  peine  toutes  les  diverses  parties  du  texte  ».  La 
conclusion  porte  :  «  Quand  même  il  y  auroit  dans 
5)  mon  livre  des  ambiguités,  qui  n'y  sont  pas,  et  que 
5>  l'équivoque  n'en  seroit  levée  par  aucun  autre  en- 
M  droit,  M.  de  Meaux  auroit  du  m'inviter  charita- 
»  blement  à  m'expliquer  sur  ces  endroits  ».  Il  ajoute  : 
«  Que  croira-t-on  d'un  livre,  dont  les  défenses  très- 
»  correctes  sont  déjà  encore  plus  répandues  que  le 
»  livre  même  dans  toute  l'Europe?  Ces  défenses  ne 
»  peuvent  plus  être  séparées  du  livre  qu'elles  justi- 
»  fient;  elles  ne  font  plus  avec  ce  livre  qu'un  seul 
»  ouvrage,  indivisible  dans  son  tout....  Quiconque 
»  demanderoit  encore  de  nouvelles  explications  d'un 
»  livre,  déjà  tant  de  fois  expliqué,  pour  en  changer 
»  tant  soit  peu  le  texte,  paroîtroit  songer  moins  à 
»  mettre  la  pure  doctrine  en  sûreté,  qu'à  flétrir  l'au- 
»  teur  ».  Ce  libelle  n'a  que  douze  pages. 

Le  quatrième ,  intitulé  Libelli  propositiones  ah 
adversariis  impugnatœ ,  testimoniis  Sanctorum  pro- 
piignanturj  contient  62  pages  :  ce  sont  les  trente- 


l5(>  LETTRES 

huit  propositions  des  examinateurs.  Les  passages 
qu'il  apporte  pour  prouver  Tamour  pur,  sont  les 
mêmes  que  ceux^de  son  Instruction  pastorale  :  après 
chaque  proposition  il  apporte  difiérens  témoignages, 
et  quelquefois  ne  fait  qu'une  note,  plus  ou  moins 
étendue. 

Au  reste,  tout  ce  qu'il  dit  dans  tous  ces  derniers 
écrits,  n'est  que  ce  qu'ont  allégué  Alfaro  et  le  sa- 
criste  dans  le  temps  de  l'examen.  Je  doute  fort  que 
les  cardinaux  lisent  ces  derniers  ouvrages. 

Hier  il  n'y  eut  point  de  congrégation  à  cause  de 
la  chapelle  :  elle  s'est  tenue  aujourd'hui,  malgré  la 
fête.  On  dit  que  les  dernières  lettres  du  Roi  y  ont 
contribué.  Le  Pape  a  promis  de  donner  encore  la 
congrégation  qui  se  tient  le  mercredi,  ce  qui  avan- 
cera le  jugement  :  ainsi  les  cardinaux  pourront  finir 
vers  la  fin  de  janvier.  M.  l'abbé  vous  mandera  le 
détail.  On  a  aujourd'hui  commencé  le  quatrième  des 
sept  articles  qu'on  discute  dans  l'examen.  Je  suis 
avec  un  très-profond  respect,  etc. 

Rome ,  le  mardi  6  janvier  16917. 

P.  S,  M.  de  Cambrai  a  omis  dans  son  livre  la 
quatrième  proposition,  la  dixième  et  la  onzième, 
qui  se  trouvent  dans  l'extrait  des  examinateurs  :  la 
quinzième  proposition  qu'il  a  mise  dans  son  livre,  n'est 
point  parmi  les  propositions  manuscrites.  Les  propor- 
sitions  23,  24,  26,  3o,  sont  encore  omises.  Il  a  changé 
l'ordre  que  les  examinateurs  avoient  donné  aux 
propositions;  {>eut-être  Fa-t-il  fîdt  à  dessein  d^  trom- 
per. Son  livre  ne  contient  que  trente-deux  proposi- 
tions :  il  a  uni  la  trente-septième  avec  la  cinquième. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i5t 

Il  dira  peut-être  qu'on  lui  a  envoyé  un  exemplaire 
en  cette  forme.  Je  n'ai  pu  encore  avoir  le  livre  h 
moi  ;  il  est  rare. 


LETTRE  CCCXCVIIL 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  les  effels  que  produisoit  la  lettre  du  Roi  a»  cardinal  de  Bouîl* 
Ion,  les  discours  de  ce  cardinal  dans  les  congrégations  j  les 
causes  de  Tembarras  du  Pape  5  le  zèle  du  cardinal  Casanalej  ses 
dispositions  à  l'égard  de  la  France  ;  Timpression  que  la  lettre 
du  Roi  avoit  faite  sur  le  Pape  j  et  le*  matières  discutées  dans  les 
dernières  congrégations. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Paris,  le  i5  de'cembre,  paf  l'ordi- 
naire. Depuis,  c'est-à-dire  samedi,  il  est  arrivé  un 
courrier  extraordinaire  de  M.  de  Torcy  à  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon,  qui  lui  a  porté  ses  lettres  à  Fres- 
cati ,  où  ce  cardinal  étoit  allé  le  mercredi  matiri 
avec  sa  compagnie  ordinaire  ,  le  père  Charonnier 
et  un  autre  Jésuite,  et  d'où  il  comptoit  revenir  hier  5 
mais  l'arrivée  du  courrier  l'en  fit  repartir  dimanche', 
et  il  eut  audience  de  Sa  Sainteté  dès  le  jour  même. 
Il  lui  porta  une  lettre  du  Roi  au  sujet  de  l'affaire 
de  M.  de  Cambrai,  très-belle  et  très-pressante  :  je 
n'ai  pas  encore  pu  en  avoir  copie.  Je  ne  sais  l'effet 
que  produiront  ces  nouve  les  instances  ;  mais  je  ne 
doute  pas  qu'il  ne  soit  avantageux.  Ces  lettres  ser- 
viront toujours  à  réveiller  le  Pape  et  cette  Cour  : 
elles  animeront  ceux  qui  ont  de  bonnes  intentions, 
fortifieront  peut-être  les  foibles  qui  n'auroient  pas 


l58  LETTRES 

voulu  se  déclarer,  par  complaisance  pour  le  cardi- 
nal de  Bouillon,  et  feront  voir  aux  malintentionnés, 
qu  il  n'y  a  point  à  espérer  de  changement  dans  l'es- 
prit du  Roi ,  qui  connoît  ici  le  vrai  intérêt  de  l'Eglise 
et  de  son  royaume,  et  qui  ne  peut  être  surpris  par 
leurs  artifices. 

Je  ne  sais  pas  le  particulier  des  dépêches  de  Sa 
Majesté;  mais  par  ce  qu'ont  dit  le  Pape  et  le  car- 
dinal Spada,  par  l'abattement  du  cardinal  de  Bouil- 
lon et  les  mauvais  discours  qu'il  a  tenus,   je  juge 
que  ce  cardinal  est  très- mortifié,  et   qu'apparem- 
ment on  lui  aura  fait  sentir  le  juste   mécontente- 
ment qu'on  a  de  sa  conduite,  et  qu'on  est  instruit 
de  ses  artifices.  Je  vis  hier  cette  Eminence ,  et  elle 
eut  peine  à  cacher  son  dépit  :  on  ne  parla  de  rien 
qui  eût  rapport  à  M.  de  Cambrai  ;  mais  je  compris 
fort  bien  son  chagrin,  dont  je  fis  semblant  de  ne  pas 
m'apercevoir.  Je  ne  doute  pas  que  ces  nouveaux 
coups  n'aient  été  frappés  d'après  les  lettres  du  lo 
du  mois  passé,  envoyées  par  la  voie  de  Florence. 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  lettres  sont  arrivées  très-à- 
propos;  et  elles  n'auroient  pas  servi  de  beaucoup,  si 
l'on  avoit  attendu  plus  tard  :  car  il  est  principale- 
ment question  de  presser  les  opérations,  et  de  faire 
voir  à  cette  Cour  qu'il  faut  finir,  étant  moralement 
certain  que  la  fin  ne  peut  être  que  bonrie ,  puisque 
nous  avons  assurément  le  Pape  et  tous  les  cardinaux 
pour  nous.  En  effet,  je  ne  regarde  le  cardinal  de 
Bouillon  et  le  cardinal  Ottoboni  que  comme  des 
chiens  qui  aboient,  et  qui  ne  font  du  mal  que  par 
le  retardement  qu'ils  apportent,  surtout  le  cardinal 
de  Bouillon,  qui  ne  fait  que  rebattre  perpétuelle- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  iSq 

ment  les  mêmes  choses  sur  l'amour  pur,  sur  la  cha- 
rité et  les  divers  sens ,  n'osant  jamais  conclure.  On 
m'assura  encore  hier  de  bon  lieu,  que  cette  Emi- 
nence,  la  dernière  fois  qu'elle  parla,  s'étudia  dans 
son  discours,  dont  je  vous  ai  rendu  compte  par  ma 
lettre  du  29  de  décembre,  à  faire  valoir  pendant 
plus  d'une  grosse  heure  les  nouvelles  autorités  qu'il 
apporta,  des  directeurs  de  madame  de  Main  tenon, 
du  Combat  spirituel,  et  de  M.  de  Chartres  sur  l'a- 
mour pur,  et  cela  lorsqu'il  étoit  question  de  parler 
sur  les  dernières  épreuves.  On  a  raison  de  compter 
pour  temps  perdu  un  temps  si  mal  employé,  et  avec 
tant  d'affectation  de  mauvaise  volonté. 

Je  ne  sais  comment  le  cardinal  Spada  aura  écrit  au 
nonce.  Je  crains  un  peu  qu'il  ne  l'ait  fait  fort  su- 
perficiellement, et  toujours  en  excusant  le  cardinal 
de  Bouillon  ;  car  c'est  le  caractère  du  cardinal  Spada. 
Je  m'en  suis  aperçu  plus  d'une  fois  ;  et  en  dernier 
lieu  il  me  l'a  fait  assez  connoître,  lorsque,  sur  les 
plaintes  que  je  prenois  la  liberté  de  lui  faire  de  ce 
que  le  cardinal  de  Bouillon  parloit  sans  laisser  son 
vœu,  il  m'assura  que  ce  cardinal  avoit  commencé  la 
veille  à  voter  précisément  sur  les  qualifications  des 
propositions.  Et  cependant  il  est  certain  encore  à 
présent,  qu'il  n'a  laissé  jusqu'ici  de  qualification  sur 
aucune  proposition  :  j'ose  avancer  que  je  le  sais  du 
cardinal  Albani,  du  cardinal  Casanate  précisément, 
du  commissaire  du  saint  Office,  et  que  pas  un  seul 
des  autres  cardinaux  ne  m'a  dit  le  contraire,  quand 
je  le  leur  ai  demandé.  Plusieurs  même,  comme  le  car- 
dinal Panciatici  qui  est  assez  franc,  et  le  cardinal 
Carpegna,  me  l'ont  assez  fait  entendre. 


l6o  LETTRES 

Hier  le  cardinal  Gasanate  me  dit  que  tous  alloient 
bien,  excepté  le  cardinal  de  Bouillon.  Quant  au 
cardinal  Ottoboni,  il  ajouta  que  c'étoit  moins  que 
rien.  Et  sur  le  cardinal  Albani ,  il  me  fit  entendre 
qu*il  tâtonnoit,  mais  qu'à  la  fin  il  feroit  comme  les 
autres.  C'est  une  vérité  plus  que  certaine,  que  tout 
le  mal  vient  du  cardinal  de  Bouillon.  Il  fait  des 
difficultés  sur  tout  :  cela  est  cause  que  le  Pape  et  les 
cardinaux  vont  avec  plus  de  précaution  et  de  len- 
teur. Ainsi  au  lieu  de  faciliter  les  choses,  le  cardinal 
de  Bouillon  ne  cherche  qu'à  les  embarrasser  ;  et  j'ose 
dire  que  c'est  une  espèce  de  miracle  que  les  esprits 
se  soutiennent  comme  ils  font.  C'est  à  la  bonté  de  la 
cause  qu'on  doit  l'attribuer,  et  à  la  fermeté  du  Roi , 
qui  montre  véritablement  à  toute  la  terre  en  cette 
occasion,  combien  la  religion  lui  tient  au  cœur. 

J'espère  que  les  lettres  que  vous  recevrez  du  i6 
décembre,  par  le  courrier  de  M.  de  Torcy,  vous 
confirmeront  les  dispositions  de  ce  pays  -  ci.  Ces 
lettres  contiennent  une  plus  ample  explication  de 
celles  du  lo,  et  vous  pouvez  compter  que  tout  ce 
que  je  vous  ai  mandé,  est  la  pure  vérité  d'un  bout 
à  l'autre  :  il  y  a  même  plus  à  augmenter  dans  mon 
récit  qu'à  y  diminuer.  Pour  moi,  en  mon  particu- 
lier, je  me  fais  une  religion  de  ne  rien  écrire  que 
ce  dont  je  ne  puis  douter.  J'ose  dire  que  je  passe  une 
infinité  de  choses  sous  silence,  ou  parce  qu'elles  me 
paroissent  petites,  ou  parce  que  ce  ne  sont  que  des 
ouï  dire,  dont  je  n'ai  pas  la  dernière  certitude  :  il 
y  a  assez  de  faits  certains,  sans  y  en  mêler  d'autres. 

Tout  l'artifice,  en  un  mot,  de  nos  adversaires, 
tend  à  tâcher  d'établir  sur  les  propositions  de  M.  de 

Cambrai 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  l6l 

Cambrai  deux  sens,  dont  l'un  soit  excusable.  Pour 
l'amour  pur,  oii  s'efîbree  de  le  défendre  du  mieux 
qu'on  peut,  en  se  servant  de  tous  les  médians  ar- 
gumens  dont;,  ce  prélat  a  fait  usage  :  mais  tout  le 
monde  est  ferme ,  et  je  vois  qu'on  le  sera  jusqu'à  la 
fin,  de  manière  que  je  ne  doute  presque  pas  que  nos 
adversaires  ne  soient  obligés  de  céder  et  de  souscrire 
à  la  condamnation,  quoique  tout  leur  but  soit  de 
Tempêcher. 

Si  le  Roi  continue  à  parler  fortement  au  nonce  Sur 
les  cabales,  et  particulièrement  sur  le  scandale  que 
cause  la  division  des  qualificateurs,  sur  l'addition 
des  trois  derniers  dans  un  temps  où  tout  alioit  être 
fini,  sur  le  sacriste  qui  s'étoit  déclaré  partie  avant 
que  d'être  juge,  sur  l'archevêque  de  Ghieti  qui  d'a- 
bord avoit  fait  un  vœu  contre  le  livre,  et  que  le 
père  Alfaro,  aussi  bien  que  la  cabale,  ont  fait  en- 
suite changer,  en  lui  inspirant  des  vues  de  politi- 
que; si,  dis-je,  le  Roi  insiste  là-dessus,  cela  fera 
des  merveilles.  Car  enfin  le  seul  argument  des  Cam- 
brésiens  est  à  présent  la  division  des  examinateurs  : 
ils  n'ont  plus  exactement  autre  chose  à  dire,  et  le 
Pape  n'est  embarrassé  que  par  cette  seule  raison.  11 
ne  fait  que  répéter  ^  cinque  ,  cinque  ,  corne  far e  me. 
Il  n'y  a  pas  encore  long-temps  que  Sa  Sainteté  ap- 
pela le  commissaire  du  saint  Office,  et  pendant  un 
quart-d'heure  il  ne  dit  autre  chose  que  ces  mots, 
cinque  ,  cinque.  Le  commissaire  lui  représenta  que 
les  cardinaux  n'étoient  pas  ainsi  partagés;  et  ensuite, 
que  c'étoit  en  lui  que  résidoit  spécialement  le  pou- 
voir de  décider.  'Ainsi,  il  faut  de  la  part  de  la 
France  remontrer  le  peu  de  cas  qu'on  doit  faire  des 

BOSSUET.    XLH.  I  I 


iG'l  LETTRES 

cinq  examinateurs  opposés ,  dont  trois  auroient  dû 
être  exclus  selon  toutes  les  règles  divines  et  humaines; 
et  faire  voir  au  Pape  tout  doucement,  qu'il  a  com- 
mis une  faute  considérable ,  en  accordant  l'adjonc- 
tion des  nouveaux  examinateurs,  qui  ont  fait  tout 
le  mal,  et  rejeter  néanmoins  cette  faute  sur  la  cabale 
qui  Ta  trompé.  Mais  en  même  temps  il  est  nécessaire 
de  lui  faire  voir,  qu'il  ne  convient  pas  à  l'Eglise 
romaine  de  paroître  embarrassée  sur  une  matière  de 
cette  nature ,  qui  regarde  la  foi ,  qui  a  déjà  été  dé- 
cidée contre  Molinos  et  les  autres  Quiétistes  ;  ni  sur 
un  livre  condamné  unanimement  par  les  évêques  et 
les  docteurs  de  France,  dont  le  suffrage  a  bien  au 
moins  autant  de  poids  que  celui  des  cinq  qualifica- 
teurs, qui  se  sont  rendus  suspects  avec  autant  de 
fondement,  depuis  le  premier  jusqu'au  dernier,  en 
osant  excuser  la  doctrine  de  M.  de  Cambrai. 

Les  Jésuites  vantent  ici  beaucoup  l'éloquence  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  sa  facilité  à  s'énoncer 
dans  les  congrégations ,  disant  qu'il  parle  véritable- 
ment en  maître.  Ils  ne  tiendroient  pas  de  pareils 
discours,  s'ils  entendoient  ce  que  rapportent  ceux 
qui  sont  présens  aux  assemblées ,  qui  assureht  que 
ce  cardinal  ne  débite  fort  longuement  que  des  pau- 
vretés, et  ne  fait  que  des  chicanes;  qui  disent  qu'il 
joue  parmi  les  cardinaux  le  personnage  du  sacriste 
parmi  les  examinateurs.  Pour  moi  qui  sais  que  tout 
ce  qu'il  dit  est  écrit,  et  qu'il  ne  fait  que  lire  ce  que 
lui  a  préparé  le  père  Charonnier,  qui  n'écrit  pas 
mal  en  latin  ;  pour  moi  qui  n'ignore  pas  combien  ce 
Père  est  superficiel  en  tout,  et  principalement  sur 
ces  matières ,  dont  je  me  suis  entretenu  quelquefois 


SUR  l'affaihe   du  quiétisme.  i63 

avec  lui,  je  ne  trouve  plus  de  difficulté  à  admirer 
ce  qui  n'est  rien  moins  qu'admirable.  Ce  n'est  pas 
que  le  cardinal  de  Bouillon  ne  prétende   décider 
comme  un  oracle,  et  ne  soit  fort  mécontent  de  ceux 
qui  osent  le  contredire.  Mais  il  ne  laisse  pas  d'en 
trouver  ;  et  généralement  les  airs  de  hauteur  et  de 
mépris  qu'il  prend,  ne  lui  siéent  guère ,  et  ne  lui  at- 
tirent pas  des  applaudissemens.  Les  cardinaux  Ca- 
sanate  et  Nerli  sont  ceux  qui  parlent  le  plus  forte- 
ment contre  tout  ce  qu'il  dit,  sans  aucun  ménage- 
ment. Le  cardinal  Nerli  traite  hautement  d'illusion 
dangereuse  l'amour  du  cinquième  état ,  et  l'appelle 
Vaniore  Jilosojico.  Dans  toutes  les  chapelles,  ils  se 
font  remarquer  les  uns  aux  autres  toutes  les  prières 
de  l'Eglise  et  de  leur  bréviaire ,  dont  l'esprit  est  tout 
opposé  à  la  doctrine  de  M.  de  Cambrai.  Plusieurs 
cardinaux,  qui  ne  sont  pas  du  saint  Office,  m'ont 
assuré  ce  fait. 

Le  cardinal  Casanate  est,  Dieu  merci,  en  meil- 
leure santé.  Rien  n'est  capable  de  le  détourner  du 
chemin  de  la  vérité  :  c'est  l'homme  le  plus  droit  que 
je  connoisse,  qui  estime  le  plus  l'Eglise  de  France 
et  sa  doctrine,  et  qui  a  un  respect  infini  pour  le  Roi, 
Il  me  disoit  l'autre  jour,  que  sans  le  R^oi  la  religion 
couroit  grand  risque ,  que  le  saint  Siège  n  avoit  pas 
de  plus  ferme  appui ,  et  qu'il  falloit  ne  pas  aimer  la 
religion  et  le  saint  Siège  pour  n'en  pas  convenir. 
Nous  parlâmes  une  fois  de  l'affaire  de  la  régale.  Je 
crois  qu'on  pourroit  très-aisément  se  rapprocher  là- 
dessus  ;  et  je  suis  persuadé  que  si  l'on  pouvoit  faire 
entrer  dans  la  négociation  le  cardinal  Casanate,  on 
ne  trouveroit  pas  beaucoup  de  difficultés  de  la  part 


ît)4  LETTRES 

des  autres  cardinaux  et  du  Pape.  Si  ron  me  jugeoit 
capable  de  faire  quelque  chose  là-dessus ,  au  moins 
d'essayer  et  de  commencer  avant  que  l'ambassadeur 
vînt,  peut-être  serois-je  assez  heureux  pour  lui  pré- 
parer la  voie  ;  mais  il  faudroit  un  grand  secret ,  et 
que  le  cardinal  de  Bouillon  n'eût  pas  le  moindre 
vent  de  cette  affaire  j  ce  qui  seroit  très-aisé.  Au 
moins  servirois-je  avec  affection  et  fidélité,  et  peut- 
-etre  avec  plus  de  facilité  qu'un  autre ,  surtout  s'il 
Vagissoit  de  traiter  avec  le  cardinal  Casanate,  qui 
a  une  confiance  en  moi  que  je  ne  mérite  pas ,  mais 
qui  est  particulière.  J'écris  ceci  à  tout  événement , 
et  vous  en  ferez  l'usage  que  vous  jugerez  à  propos. 
Si  l'on  vouloit  commencer  cette  négociation ,  il  n'y 
auroit  pas  de  temps  à  perdre,  à  cause  des  conjonctures 
favorables  d'un  Pape  qui  veut  faire  plaisir  au  Roi , 
et  du  cardinal  Casanate  qui  se  trouvera  peut-être 
bien  disposé  par  toute  sorte  de  raisons.  Il  n'y  au- 
roit toujours  point  de  mal  de  me  donner  quelques 
instructions  sur  ce  sujet ,  dont  je  vous  réponds  que 
je  ne  ferai  pas  mauvais  usage. 

Pour  revenir  à  nos  affaires ,  je  sais  de  très -bonne 
part  que  le  Pape  a  été  très- touché  de  la  lettre  du 
Roi,  et  très-fâché  que  Sa  Majesté  crût  qu'il  avoit 
quelque  part  au  retardement.  On  prétend  qu'il  a 
parlé  fortement  là-dessus  au  cardinal  de  Bouillon, 
et  qu'il  lui  a  fait  sentir  qu'il  savoit  que  tout  le  mal 
venoit  de  lui. 

Ce  cardinal  croit  donner  au  Roi  une  grande 
marque  qu'il  accélère  le  jugement  autant  qu'il  est 
possible,  en  ayant  ïdk  mettre  au  6,  jour  des  Rois, 
la  congrégation  qui  devoit  se  tenir  lundi ,    5  de  ce 


1 


SLll    l'aFFAïUE    du    QUIÉÏISME.  r(î5 

mois,  mais  qui,  à  cause  de  la  chapelle ,  ne  pouvoit 
avoir  lieu.  Il  n'y  a  pas,  dit  ce  cardinal,  d'exemple 
qu'on  ait  jamais  fait  tenir  ce  jour-là  de  congrégation. 
II  ne  songe  pas  qu'il  auroit  été  bien  plus  naturel  de 
la  faire  renvoyer  au  jour  d'auparavant,  qui  étoit  le 
dimanche.  Mais  il  falloit  quelque  acte  apparent, 
pour  qu'il  pût  écrire  au  Roi  qu'il  avoit  obtenu  la 
chose  du  monde  la  plus  extraordinaire  ;  et  cepen- 
dant il  y  a  beaucoup  moins  de  part  que  le  Pape, 
qui  a  plus  de  désir  que  personne  qu'on  ne  perde 
point  de  temps. 

On  tint  donc  mardi,  sixième  de  ce  mois,  la 
huitième  congrégation  ;  et  hier  matin  mercredi ,  on 
s'assembla  encore  en  conséquence  de  la  promesse 
de  Sa  Sainteté,  dont  je  vous  ai  parlé  dans  ma  pré- 
cédente, du  3o  de  décembre,  et  de  ce  qu'il  avoit 
résolu  il  y  a  près  de  quinze  jours.  Ce  que  je  vous 
marque,  afin  qu'on  ne  croie  pas  que  ce  soit  la  lettre 
du  Roi  qui  ait  fait  résoudre  qu'on  traiteroit  encore 
le  mercredi  de  l'affaire  de  M.  de  Cambrai.  Mais  la 
lettre  du  Roi  servira  extrêmement  à  faire  abréger 
cette  affaire  par  une  autre  voie  ,  en  faisant  prendre 
très-certainement  au  Pape  et  aux  cardinaux  des 
mesures  pour  qu'on  ne  perde  pas  le  temps  k  tant  de 
discours  vains.  Cette  lettre  portera  ensuite  à  cher- 
cher les  moyens  les  plus  propres  à  abréger  la  rédac- 
tion de  la  bulle ,  qui  auroit  pu  tenir  des  temps  in- 
finis j  au  lieu  qu  il  y  a  lieu  d'espérer  qu'on  songera 
uniquement  à  finir  cette  affaire,  et  que  peut-être  le 
cardinal  de  Bouillon  ne  sera  plus  assez  hardi  pour 
s'opposer  aux  bonnes  intentions  des  autres. 

Je  ne  sais  pas  encore  ce  qui  s'est  passé  dans  les 


l66  LETTRES 

deux  dernières  congre'ga lions,  parce  que  je  vous 
écris  cette  lettre  par  le  courrier  de  M.  de  Torcy , 
qui  doit  partir  demain;  mais  j'espère  avant  de  la 
fermer,  savoir  quelque  chose.  Le  cardinal  Noris , 
que  je  vis  samedi,  me  dit  quil  devoit  parler  le 
mardi  suivant,  et  qu  il  vouloit  être  très-court,  afin 
de  donner  à  d'autres  cet  exemple.  Il  devoit  s'expli- 
quer sur  le  sacrifice  et  les  dernières  épreuves.  Après 
lui  les  cardinaux  Ottoboni  et  Albani  auront  parlé. 
Le  cardinal  de  Bouillon  s'attendoit  aussi  à  le  faire  : 
il  étoit  allé  pour  cela  j  au  sortir  de  chez  le  Pape,  à 
Frescati  travailler  avec  le  père  Charonnier,  qui  est 
toute  sa  consolation  et  toute  sa  ressource. 

Je  ne  puis  m'em pêcher  de  dire  que  ceux  qui  pré- 
tendent excuser  le  cardinal  de  Bouillon  sur  sa  cons- 
cience, qui,  disent-ils,  ne  lui  permet  pas  de  con- 
damner le  livre  de  M.  de  Cambrai ,  veulent  se  laisser 
éblouir  par  un  vain  prétexte. 

Il  n'est  que  trop  certain  que  c'est  un  engagement 
qu'il  a  pris  avant  que  de  venir  ici,  et  avant  que 
d'examiner  la  matière.  Il  est  encore  très-sûr  qu'il 
n'a  jamais  parle  franchement  là-dessus.  Ses  ma- 
nœuvres le  font  assez  voir,  depuis  le  commencement 
de  l'afFaire  jusqu'à  présent.  Il  a  voulu  et  cru  pou- 
voir tromper  et  amuser  le  Roi  comme  tout  le 
monde ,  et  pendant  ce  temps  former  ici  un  parti  sur 
lequel  il  comptoit  tout  rejeter.  Si  le  caractère  de 
ministre ,  et  de  cardinal  membre  de  la  congrégation , 
l'embarrassoit ,  que  nechoisissoit-il  l'un  ou  l'autre. 
Que  ne  s'est-il  expliqué  nettement  au  Roi  ?  Pour- 
quoi tant  de  détours,  tant  de  souplesse,  pour  me 
persuader  qu'il  étoit  plus  contre  M.  de  Caml>rai 


SUR   l'affaile    du   QUIÉTISME.  iG'J 

qu'on  ne  pense,  jusqu'à  me  dire  qu'il  voudroit  pou- 
voir me  montrer  son  vœu,  et  qu'il  étoit  assuré  que 
j'en   serois  content  ?    Pourquoi  n'ose-t-il  pas    sou- 
tenir hautement  la  vérité,  et  ne  défend-il  la  doc- 
trine de  M.  de  Cambrai  que  par  des  équivoques , 
par  des  doubles  sens,  et  qu'en  proposant  des  expé- 
diens,    qui,    si   on  les  approuvoit,  éterniseroient 
cette  malheureuse  affaire,  et  couvriroient  de  honte 
le  saint  Siège?  Quel  homme  de  bon  sens  pourra  ja- 
mais s'imaginer  que  ce  soit  une  délicatesse  de  cons- 
cience ,  qui  l'ait  porté  à  mettre  la  division  parmi  les 
qualificateurs ,  en  y  faisant  ajouter ,  lorsque  l'affaire 
étoit  presque  finie,  trois  examinateurs  dont  il  étoit 
assuré,  et  en  s'opposant  au  choix  du  père  Latenai , 
que  Sa  Sainteté  avoit  nommé  pour  rompre  le  par- 
tage ?  Qui  pourra  jamais  penser  sérieusement  qu'il 
«e  croie  plutôt  obligé  en  conscience  de  suivre  le  sen- 
timent du  père  Dez ,  du  père  Charonnier  et  des  Jé- 
suites, que  celui  des  évêques  de  France,  des  plus 
célèbres  docteurs  de  Paris  et  de  tout  le  royaume,  et 
j'ose  dire  de  tous  les  théologiens  de  Rome  qui  sont 
sans  passion? 

Je  ne  suis  pas  le  seul  ici  qui  porte  ce  jugement  du 
cardinal  de  Bouillon  ;  puisque  le  Pape  et  tous  les 
cardinaux  ne  peuvent  s'empêcher  de  dire,  que  cette 
Eminence  fait  à  Rome  un  personnage  bien  odieux 
contre  son  Roi  et  contre  sa  patrie ,  en  faveur  d'une 
cause  très-déplorable. 

M.  l'ablié  <ie  Chanterac  a  donné  au  Pape  ces  jours 
passés  les  quatre  nouveaux  écrits  de  M.  de  Cambrai , 
t^ue  j'espère  pouvoir  joindre  à  ce  paquet.  Il  les  a 


l68  LETTUES 

distribués  aussi  aux  cardinaux,  qui  la  plupart  oiit 
déclaré  ne  les  vouloir  pas  seulement  regarder. 

J'oubliai,  je  pense,  dans  ma  dernière  lettre,  de 
vous  parler  de  M.  Langlois,  dont  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  m'a  lu  une  lettre  qu'il  lui  écrit  de  Paris, 
je  crois  en  date  du  7  de  décembre,  par  laquelle  il 
lui  marque  tous  les  discours  qu'il  vous  a  tenus,  tous 
les  bruils  qui  courent  à  Paris  sur  ce  cardinal  ;  et  en 
particulier,  que  vous  lui  aviez  dit  savoir  fort  bien 
qu'il  est  entièrement  favorable  à  M.  de  Cambrai ,  et 
qu'il  faisoit  tous  ses  efforts ,  ainsi  que  les  Jésuites, 
pour  le  sauver.  J'ai  pris  avec  M.  le  cardinal  ce 
récit  en  badinant,  et  me  suis  rejeté  sur  le  zèle  de 
M.  Langlois  contre  les  erreurs  de  M.  de  Cambrai. 

Un  des  confidens  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  est 
ici  un  nommé  Fortin,  que  vous  avez  vu  il  y  a  dix  ans 
Feuillant ,  sous  le  nom  de  dom  Jean  de  Saint-Lau- 
rent ,  ou  le  petit  dom  Côme.  Il  est  a  présent  défro^ 
que  par  le  grand  crédit  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon, 
et  est  aussi  fort  bien  auprès  de  lui. 

Les  Jésuites  ne  vous  épargnent  en  rien,  ni  M.  l'ar- 
clievêque  de  Paris,  ni  le  Roi,  ni  madame  de  Main- 
tenon;  je  parle  des  Français  plutôt  que  des  autres. 

J'apprends  qu'on  a  fini  la  matière  des  épreuves. 
On  a  bien  avancé  le  quatrième  chapitre  sur  le  pro- 
prio  conatu  et  l'attente  de  Ja  grâce  :  on  m'a  même 
assuré  que  ce  chapitre  fut  fini  hier  ;  on  a  réduit  le 
surplus  des  propositions  à  trois  chapitres.  Il  y  a  lieu 
d'espérer  que  chaque  semaine  on  en  pourra  terminer 
un.  Le  Pape  a  déclaré  qu'il  ne  vouloit  pas  qu'on 
parlât  au  saint  Office  d'autres  affaires,  que  celle  de 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  169 

M.  de  Cambrai  ne  fût  terminée.  Ainsi  toute  la  con- 
eréeation  du  mercredi  s'emploie  à  traiter  cette  ma- 
tière ;  celle  du  lundi  de  même.  Je  sais  que  Sa  Sainteté 
a  dit  que  tout  seroit  fmi  dans  peu  de  jours  ,  c  est-à- 
dire  à  la  fm  du  mois. 

Il  sera  question  ensuite  de  la  bulle,  qui  passera 
per  manus.  Ce  seroit  un  grand  coup  si  l'on  en  char- 
geoit  le  cardinal  Casanate  :  j'ai  lieu  de  Fespérer,  et 
je  n'oublie  rien  de  ce  qui  dépend  de  moi  pour  y 
déterminer  le  Pape  j  cela  épargneroit  bien  des 
chicanes. 

Le  cardinal  Albani  ne  fait  pas  mal  à  présent,  à 
ce  qu'on  dit;  mais  je  ne  puis  lui  pardonner  ses  tours 
de  souplesse.  Le  cardinal  Carpegna  dit  à  un  de  mes 
amis,  il  y  a  huit  jours,  que  le  cardinal  Albani  avoit 
toujours  i piedi  a  due  staffe.  Pour  le  cardinal  Otto- 
boni  ,  il  semble  revenir  et  vouloir  mieux  faire.  A 
l'égard  du  cardinal  de  Bouillon ,  il  a  parlé  avec  un 
peu  plus  de  modération ,  mais  néanmoins,  à  ce  qu'on 
m'a  assuré ,  toujours  dans  les  mêmes  principes.  Il  est 
résolu,  à  ce  qu'on  prétend,  de  ne  donner  son  vœu 
qu'à  l'extrémité.  Cette  Eminence  veut  le  plus  grand 
mal  au  pauvre  Poussin,  et  l'on  croit  qu'elle  a  écrit 
fortement  à  la  Cour  contre  lui ,  pour  l'empêcher 
d'être  secrétaire  du  nouvel  ambassadeur.  Les  amis 
du  cardinal  de  Bouillon  et  de  M.  de  Cambrai  sont 
ici  ravis ,  d'être  assurés  que  Poussin  ne  restera  pas 
à  Rome.  La  vengeance  est  bien  indigne  ;  car  il  est 
très-certain  qu'il  n'y  a  que  la  chaleur  avec  laquelle 
Poussin  a  parlé  de  l'alfaiie  de  M.  de  Cambrai,  qui 
lui  a  attiré  la  disgrâce  du  cardinal  de  Bouillon. 

Les  amis  de  M.  de  Cambrai  envoient  presque  tous 


ly^  LETTRES 

les  jours  auprès  du  Pape,  ou  Fabroni,  ou  le  père 
Alfaro,  ou  le  père  Damascène,  ou  quelque  értiis- 
saire  pareil,  pour  lui  embrouiller  Tesprit.  On  re- 
marqua que  dimanche,  une  demi-heure  avant  que  le 
cardinal  de  Bouillon  parlât  au  Pape,  ce  père  Da- 
mascène avoit  été  long-temps  avec  le  saint  Père. 
L  abbé  Feydé ,  qui  me  l'a  dit ,  eut  audience  du  Pape 
après  lui ,  et  avant  le  cardinal  de  Bouillon.  Le  Pape 
liji  dit  que  ce  Père  venoit  de  lui  parler  sur  M.  de 
Cambrai. 

Comment  se  gouverne  M.  de  Beauvilliers  ?  Il  me 
semble  bien  dangereux,  pour  le  présent  et  pour  l'a- 
venir, de  le  laisser  dans  la  place  qu'il  occupe.  Je  ne 
doute  pas  qu'il  ne  soit  toujours  le  même.  Est-il  vrai 
que  M.  de  Paris  a  donné  pour  confesseur  à  madame 
Guyon  le  père  Valois  Jésuite  ?  Cela  passe  ici  pour 
certain ,  et  paroît  bien  extraordinaire. 

.  On  n'attend  plus  ici  M.  l'ambassadeur  qu'au 
mois  de  mars.  Je  vous  prie  de  lui  parler  de  mon 
induit  pour  mon  abbaye.  Si  le  Roi  ou  le  ministre  lui 
en  pouvoit  dire  un  mot ,  cela  disposeroit  la  réussite 
de  mon  affaire  à  son  arrivée ,  et  toutes  les  circons- 
tances y  concourroient.  Ayez  la  bonté  de  vous  sou- 
venir de  moi  pour  ma  subsistance,  et  de  prendre 
avec  mon  père  les  mesures  convenables  à  ce  sujet. 

Sa  Sainteté  est  en  parfaite  santé,  elle  est  sortie  cette 
après-dînée.  J'attends  mes  lettres  du  22,  pour  aller  à 
son  audience. 

J'ai  attendu  à  l'extrémité  à  fermer  mon  paquet. 
On  m'avoit  promis  de  me  donner  les  livres  de  M.  de 
Cambrai  ;  on  m'a  manqué  de  parole.  Je  vous  en 
envoie  un  des  quatre,   qui  est  le  plus  impertinent  : 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  171 

je  vous  ferai  passer  les  autres  par  le  premier  cour- 
rier. M.  Phelippeaux  vous  fait  le  détail  de  ce  qu'ils 
contiennent. 

Je  pense  que  le  dessein  des  cardinaux  est  de  ne  se 
pas  contenter  du  respective  y  dans  la  condamnation 
des  propositions  du  livre. 

Rome,  ce  8  janvier  1699. 

LETTRE   CCCXCIX. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

Sur  l'état  actuel  de  raffaire  j  la  manière  dont  le  cardinal  de  Bouil- 
lon pourroit  justifier  sa  conduite  auprès  du  Roi  5  et  les  trois 
points  sur  lesquels  les  partisans  de  M.  de  Cambrai  auroient  voulu 
faire  condamner  Bossuet. 

L'ordinaire  de  France  est  arrivé,  et  je  ne  reçois 
aucune  lettre,  ni  de  vous,  ni  de  mon  père,  ni  d'au- 
cun de  la  famille.  Cela  me  fait  craindre  qu  il  ne  soit 
arrivé  quelque  malheur  au  paquet,  et  peut-être  que 
le  cardinal  de  Bouillon,  dans  l'inquiétude  où  il  est 
de  savoir  comment  on  a  pu  être  si  tôt  averti  à  la 
Cour  de  ce  qui  se  passe,  n'ait  été  bien  aise  de  voir 
votre  paquet.  Le  maître  de  la  poste  m'a  cependant 
assuré  qu'il  n'étoit  rien  venu  pour  moi,  que  ce 
qu'il  m'avoit  envoyé.  Enfin  il  faut  attendre  quelques 
jours  pour  éclaircir  ce  fait  :  peut-être  aussi  m'aurez- 
vous  écrit  par  le  courrier  qu'on  a  redépêché  à  Flo- 
rence. Jusqu'ici  je  ne  laisse  pas  d'être  en  peine  :  on 
a  peut-être  mis  trop  tard  à  Paris  les  lettres  à  la 
poste.  Je  vous  supplie  de  faire,  à  tout  événement, 
quelque  démarche  à  Paris  auprès  des  directeurs  de 


17'-*  LETTRES 

la  poste,  afin  qu'ils  prennent  garde  et  aient  atten- 
tion aux  paquets  qui  me  seroient  adresse's.  S'ils  re- 
cevoient  Jà-dcssiis  quelque  ordre  de  celui  des  mi- 
nistres qui  a  à  présent  la  surintendance  des  postes, 
cela  assureroit  dorénavant  mes  paquets,  soit  à  Pa- 
ris, soit  à  Lyon  et  à  Rome.  Les  lettres  qui  me  man- 
quent sont  celles  du  22  décembre. 

J'ai  reçu  la  lettre  de  M.  de  Paris  de  même  date, 
par  laquelle  j'apprends  la  réception  de  mes  lettres 
du  10,  et  son  voyage  à  Versailles.  J'ai  reçu  aussi 
une  lettre  de  M.  de  Rheims,  qui  me  marque  vous 
avoir  vu  la  veille,  que  vous  lui  aviez  fait  voir  ma 
lettre  du  10,  et  que  vous  partiez  pour  Meaux. 

Je  sors  de  chez  le  cardinal  Casanate,  avec  lequel 
j'ai  été  très-long-temps.  Il  m'a  confirmé  dans  tout 
ce  que  je  vous  ai  mandé  jusqu'ici  :  le  secret  du  saint 
Office  le  rend  très-difficile  à  s'expliquer.  Je  sais  que 
l'affaire  va  bien,  et  qu'à  présent,  dans  les  deux  der- 
nières congrégations  du  6  et  du  7  de  ce  mois,  on 
a  été  à  pas  de  géant,  ce  sont  ses  propres  paroles  ; 
de  manière  qu'il  espère,  si  l'on  continué,  que  dans 
trois  semaines  ils  auront  fini  leurs  congrégations 
entre  eux.  Ils  voteront  après  devant  le  Pape  ;  mais 
ce  ne  sera  qu'en  déclarant  précisément  la  qualifica- 
tion que  chacun  donne  aux  propositions,  et  cela  sera 
très-court  :  après  quoi^il  faudra  faire  la  bulle.  Il  est 
très-vraisemblable  que  ce  sera  le  cardinal  Casanate 
qui  en  sera  chargé,  comme  il  l'a  été  de  celle  de 
Molinos  :  ce  sera  un  grand  coup  ;  elle  passera  après 
per  manus.  Il  espère  que  cela  ne  tiendra  que  peu  de 
temps  ;  mais  il  faut  toujours  s'attendre  à  quelques 
longueurs  pour  ne  se  pas  tromper. 


SUR   l'affaire   du   QUIÉTISMÉ.  1-^3 

Je  présume,  par  tout  ce  que  j'entends,  que  le 
cardinal  de  Bouillon  se  réserve  de  donner  à  la  fin 
les  qualifications  qu'il  jugera  à  propos  aux  propo- 
sitions. Cela  ne  l'empêche  pas  de  parler  toujours  en 
faveur  de  M.  de  Cambrai,  et  de  tout  excuser.  On 
ne  sait  pourquoi  ce  cardinal  retarde   de  jour  en 
jour  à  renvoyer  son  courrier.  Il  paroît  très -embar- 
rassé :  il  est  enfermé  depuis  le  matin  jusqu'au  soir 
avec  le  père  Charonnier.  Je  ne  sais  si  je  me  trompe, 
mais  je   pense  que  tout   l'artifice   du  cardinal  de 
Bouillon,  par  rapport  au  Roi,  consistera  à  repré- 
senter qu'il  veut  qu'on  coupe  entièrement  la  racine 
du  mal,  en  définissant  jusqu'aux  moindres  choses, 
et  les  choses  mêmes  indécisibles  ;  ce  qui  est  le  plus 
beau  et  le  plus  sûr  prétexte  du  monde  pour  em- 
pêcher, non-seulement  la  prompte  décision  de  cette 
affaire,  mais  qu'on  puisse  jamais  la  finir.  Pour  par- 
venir à  un  jugement,  il  est  question  de  s'arrêter 
à  l'essentiel  de  la  matière,  qui  est  la  distinction  du 
cinquième  et  du  quatrième  état,  et  l'exclusion  du 
motif  de  la  béatitude  dans  l'état  des  parfaits,  sans 
prétendre  faire  le  procès  aux  mystiques,  supposé 
qu'on  veuille  condamner  M.  de  Cambrai. 

La  chose  du  monde  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
craint  le  plus,  c'est  que  je  ne  dépêche  quelque  cour- 
rier et  n'écrive  par  les  extraordinaires.  Il  défend  à 
tous  les  courriers  de  prendre  aucun  paquet  que  les 
siens  ;  et  celui  qui  a  la  direction  des  postes  a  ordre 
de  lui ,  de  ne  «laisser  partir  aucun  courrier  français 
sans  son  commandement  exprès.  Voilà  une  grande 
précaution,  qui  sera  très -inutile  quand  je  1^  vou- 
drai ,  et  lorsqu'il  sera  nécessaire  de  dépêcher. 


1^4  LETTRES 

On  m'a  dit  que  le  cardinal  de  Bouillon  veut ,  par 
ce  courrier,  écrire  au  Roi  une  lettre  particulière  de 
sa  main,  pour  sa  justification.  Ne  faites  pas  sem- 
blant de  le  savoir  j  mais  il  seroit  bon  de  découvrir  ce 
qu'elle  contiendra. 

Le  Pape  a  demandé  ces  jours  passés,  ce  que  pré- 
tendoit  faire  le  cardinal  de  Bouillon  avec  les  Jé- 
suites et  le  père  Charonnier  ;  si  Charonnier  étoit 
un  grand  docteur  ;  et  si  le  cardinal  de  Bouillon 
croyoit  pouvoir  faire  changer  les  cardinaux  et  le 
Pape. 

Tai  sujet,  dans  toutes  les  occasions,  d'être  ici 
très -content  du  père  Cambolas.  Il  n'a  pas  tenu  à 
lui  qu'il  n'ait  prêché  devant  le  Pape  contre  l'amour 
pur  et  les  nouveaux  mystiques.  Son  sermon  étoit 
tout  fait  ;  mais  les  réviseurs  ne  le  lui  ont  pas  con- 
seillé à  cause  des  circonstances,  et  il  a  fallu  qu'il 
changeât  son  dessein. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  s'est  allé  renfermer  aux 
Chartreux,  pour  écrire  :  on  croit  qu'il  fera  partir 
demain  matin  son  courrier. 

Il  ne  tiendroit  pas  aux  amis  de  M.  de  Cambrai 
qu'on  ne  vous  condamnât  ici  sur  trois  points,  sur 
l'acte  propre  de  la  charité,  indépendant  du  motif  de 
la  béatitude,  sur  la  passiveté  et  l'enchaînement  des 
puissances,  et  sur  les  pieux  excès,  les  saintes  folies, 
dont  vous  accusez  les  plus  purs  actes  d'amour  de 
Dieu,  pratiqués  par  les  plus  grands  saints.  Voilà  ce 
que  les  Jésuites  vont  disant  partout.  0n  leur  répond 
comme  il  faut. 

V<^us  recevrez  par  la  même  voie  le  paquet  d'hier. 

Je  vais  écrire  un  mot  à  M.  de  Paris. 


SUR   l'affaire    du   QUIÉTISME.  1^5 

La  nouvelle  du  testament  du  roi  d'Espagne  (*), 
fait  ici  grand  bruit.  On  ne  sait  si  le  roi  de  France  y 
est  consentant ,  ni  ce  qui  en  peut  arriver  :  il  faut 
attendre  quelque  temps. 

Dans  le  moment  on  met  entre  mes  mains  quatre 
livrets  de  M.  de  Cambrai,  que  je  vous  envoie. 

N'oubliez  pas  de  faire  donner  des  ordres  à  la 
poste  de  Paris ,  de  Lyon  et  de  Rome  pour  mes 
lettres^ 

Les  réponses  au  Mjstici  in  tutOj  et  au  Quietismus 
redivivus,  ne  se  distribuent  pas  encore  :  celle  au 
Mjstici  est  arrivée  ;  mais  on  dit  qu'il  y  manque  quel- 
que carton. 

Rome,  ce  9  janvier  1699. 


LETTRE  CCCC. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  différens  faits  rapportés  dans  les  lettres  de  Rome  j  et  les 
nouveaux  écrits  de  M.  de  Cambrai. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  28  décembre  dernier  : 
j'y  vois  la  continuation  lente  des  congrégations ,  et 

(*)  Il  s'agit  du  testament  que  Charles  II,  qui  étoit  sans  enfans, 
et  qui  ne  pouvoit  en  espérer,  avoit  fait  à  la  fin  de  Tannée  précé- 
dente, et  par  lequel  il  instituoit  le  prince  électoral  de  Bavière 
son  héritier  universel.  Mais  le  jeune  prince  étant  mort  le  6  février 
suivant,  le  roi  d'Espagne  fit  le  2  octobre  de  la  même  année,  un 
autre  testament,  par  lequel  il  nommoit  héritier  de  tous  ses  Etats 
Philippe ,  duc  d'Anjou ,  second  fils  du  Dauphin.  Charles  mourut 
le  i.*""  novembre  suivant,  et  Louis  XIV  fit  valoir  contre  une  ligue 
puissante  les  droits  de  son  petit -fils  au  trrtne  d'Espagne,  dont 
après  bien  des  combats  il  devint  paisible  possesseur. 


170  LETTRES 

que  le  Pape  a  toujours  les  mêmes  bonnes  intentions. 
Nous  attendons  avec  impatience  la  nouvelle  de  ce 
qu'auront  produit  les  lettres  du  Roi  à  Sa  Sainteté  et 
à  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  Le  courrier  n'est  pas 
encore  de  retour. 

Toutes  les  lettres  de  Rome  parlent  de  la  nouvelle 
de  l'archevêque  de  Chieti  (*) ,  et  des  emporiemens 
sans  mesure  du  cardinal  de  Bouillon.  Le  Roi  a  vu 
vos  lettres,  et  est  étonné  de  la  conduite  de  ce  car- 
dinal. 

On  va  travailler  h.  avoir  les  signatures  d'un  grand 
nombre  de  docteurs.  L'écrit  de  M.  Phelippeaux  sera 
très-utile ,  si  l'on  continue  à  faire  fort  sur  les  deux 
sens.  Les  lettres  de  Rome  marquent  toutes,  que 
l'embarras  des  cardinaux  roule  particulièrement  sur 
les  sentimens  des  mystiques. 

M.  l'archevêque  de  Cambrai  fait  répandre  ici  un 
très-petit  écrit,  intitulé  :  Préjugés  décisifs  y  qui  avec 
beaucoup  de  hauteur,  ne  contient  que  des  redites 
et  des  affirmations  entièrement  fausses,  il  y  en  a  un 
autre ,  sur  deux  colonnes ,  dans  lequel  il  fait  le  pa- 
rallèle de  la  doctrine  des  mystiques  avec  la  sienne. 
C'est  à  celui-ci  qu'il  faut  répondre,  aussitôt  qu'on 
le  pourra  avoir.  Si  vous  l'avez,  envoyez-le,  et  ce- 
pendant que  M.  Phelippeaux  travaille;  le  Mjstici 
in  tuto  pourra  l'aider.  Si  M.  de  Cambrai  prétend 
s'appuyer  de  Blosius  (**) ,  vous  pouvez  tenir  pour 

(*)  On  a  vu  dans  les  leUres  précédentes,  que  sur  la  nouvelle  qui 
s'étoît  répandue  dans  Rome  de  la  nomlDation  d'un  archevêque  au 
cardinalat,  rarchevêque  de  Chieti  en  avoit  reçu  les  complimens. 
Mais  on  sut  bientôt  que  le  choix  du  Pape  tomboit  sur  Jacques- 
Antoine  Moriggia,  railanois,  Barnabiie,  et  archevêque  de  Florence. 

(**;  Blosius  ou  Louis  de  Blois  de  Cbàtillon,  religieux  Bénédictin, 

certain 


SUR    L  AFFAtllt    fiU    QUIÉTISME.  Ï^J 

certain  qu*on  ne  trouvera  jamais  clans  cet  auteur  le 
sacrifice  absolu  de  son  salut,  ni  les  suites  de  ce  sys- 
tème, ni  l'article  m  et  ses  annexes,  ni  la  se'para- 
tion  des  deux  parties,  poussée  au  point  où  ce  prélat 
la  porte.  D'ailleurs  on  ne  peut  prendre  pour  règle, 
ni  pour  excuse,  les  expressions  outrées  de  la  plupart 
des  mystiques  :  autrement  on  justifieroit  par  cette 
méthode  Molinos,  et  tous  les  Quiétistcs. 

J'admire  les  sentimens  du  Pape  sur  le  séjour  des 
cardinaux  à  Rome  :  il  y  a  long-temps  qu'on  devroit 
avoir  rétabli  l'ancien  usage. 

On  a  raison  de  dire  que  ce  n'est  pas  la  coutume  de 
l'Eglise  d'opiner  seulement  par  écrit.  Il  est  à  sou- 
haiter qu'on  double  les  conférences  ;  mais  cela  est 
difficile,  à  ce  qu'on  dit,  à  cause  des  autres  congré- 
gations. Le  mieux  seroit  de  bien  employer  le  temps , 
et  que  le  Pape  témoignât  efficacement  qu'on  le  fâ- 
chera ,  si  l'on  ne  retranche  les  longs  discours. 

M.  le  cardinal  de  Janson  m'a  montré  votre  lettre  .' 
il  est  plein  de  bontés  pour  nous.  M.  de  Monaco 
partira  vers  la  fin  du  mois,  ou  au  commencement  de 
l'autre  :  j'espère  qu'il  sera  instruit  de  tout. 

A  Versailles,  \i  janvier  1699. 

et  abbé  de  Liesse  en  Hainault,  étoit  un  bomme  d'une  éminente 
piété.  Ses  ouvrages  sont  estimés.  M.  de  Cambrai  voulut  justifier  sa 
doctrine  par  celle  de  ce  pieux  abbé  ]  mais  Bossu^t  en  fit  voir  la 
différence  dans  son  écrit  intitulé  :  Les  passages  ^claircis,  tom.  xxx, 
pag.  357  et  suiv. 


BOSSUET.    XLÏI.  12 


1^8  LETTIILS 


LETTRE  CCGCI. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 
A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  dlfiférens  motifs  qui  dévoient  porter  Rome  à  terminer 
l'affaire. 

J'ai  reçu,  Monsieur,  votre  lettre  du  23  :  j'y  vois 
avec  déplaisir  la  peine  que  vous  avez  toujours  à  ob- 
tenir un  jugement.  J'espère  que  la  lettre  que  le  Roi 
a  écrite  au  Pape,  et  envoyée  par  un  courrier  extraor- 
dinaire ,  obligera  de  finir.  Si  on  ne  veut  pas  accor- 
der cette  conclusion ,  attendue  depuis  si  long-temps , 
et  si  nécessaire  par  le  besoin  qu'en  a  l'Eglise  ;  on  le 
doit  du  moins  par  déférence  pour  un  grand  Roi,  qui 
la  demande  avec  instance  :  la  politique  et  la  religion 
exigent  la  même  chose  dans  cette  occasion.  C'est  ce 
que  vous  ne  pouvez  trop  souvent  représenter  :  ceux 
qui  ne  seront  pas  touchés  de  l'une,  le  seront  de 
l'autre. 

Je  ne  répondrai  point  au  détail  de  votre  lettre , 
parce  qu'il  est  tard.  J'arrive  de  Versailles,  où  j'ai  été 
demander  au  Roi  permission  de  faire  signer  nos  doc- 
teurs. Sa  Majesté  le  trouve  très-bon,  aussi  bien  que 
M.  le  nonce,  à  qui  j'en  ai  parlé;  ainsi  je  m'en  vais 
y  travailler  incessamment  :  j'espère  vous  envoyer 
par  le  premier  courrier  un  grand  nombre  de  si- 
gnatures. 

Je  viens  d'écrire  au  père  Roslet  :  il  vous  commu- 
niquera ma  lettre.  Je  ne  lui  ai  pas  mandé  que  le  Roi 


suii  l'affaire  du  quiétisme.  179 

a  fait  ôter  M.  de  Cambrai  de  dessus  l'état  de  sa 
maison  :  vous  rapprendrez,  s'il  vous  plaît,  à  ce  bon 
Père ,  et  vous  le  direz  l'un  et  l'autre  a  qui  vous  ju* 
gérez  à  propos. 

M.  de  Monaco  est  toujours  sur  le  point  de  partir  : 
j'espère  que  vous  serez  content  de  ses  manières  à 
votre  égard.  Croyez-moi  toujours,  Monsieur,  à 
vous  de  tout  mon  cœur. 

12  Janvier  idj^ 

LETTRE  CCCCII. 

DE  L'ABBË  BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

Sur  les  oljets  que  l'on  avoit  traités  dans  la  dernière  congrégation, 
et  ceux  dont  on  devoit  s'occuper  dans  la  suivante. 

Je  ne  vous  écris  qu'un  mot  par  le  courrier  or- 
dinaire, espérant  vous  écrire  plus  au  long  par  le 
courrier  de  M.  de  Torcy,  qui  arriva  ici  samedi, 
10  de  ce  mois,  peu  d'heures  avant  que  l'autre  cour- 
rier partît.  Ce  nouveau  doit  partir  après  demain, 
s'il  n'est  retardé,  comme  on  a  coutume  de  le  faire. 
Vous  avez  su  par  ma  lettre  du  9,  que  je  n'avois 
point  reçu  de  lettre,  ni  de  vous,  ni  de  mon  père, 
en  un  mot  que  le  paquet  du  22  décembre  me  man- 
quoit.  Je  n'ai  rien  reçu,  depuis,  et  j'attends  l'éclair- 
cissement de  toutes  choses  par  l'ordinaire  qui  arri- 
vera à  la  fin  de  la  semaine. 

Depuis  ma  lettre  du  9,  je  n'ai  rien  appris  de  nou- 
veau ,  et  ne  puis  vous  parler  que  de  la  congrégation 
d'hier  lundi,  qui  est  la  dixième,  et  dont  je  n'ai  en- 


l80  LETTRES 

core  aucune  nouvelle.  Je  sais  seulement  qu'on  de- 
voit  finir  le  chapitre  iv,  qui  regarde  le  propre  effort 
et  l'attente  de  la  grâce,  et  commencer  un  autre  cha- 
pitre ;  f  ignore  lequel  :  je  pense  que  ce  sera  celui 
des  vertus  et  de  l'involontaire  en  Jésus -Christ.  On 
espéroit  pouvoir  terminer  ce  cinquième  chapitre 
dans  la  congre'gation  de  demain,  au  moins  MM.  les 
cardinaux  se  préparoient  pour  cela.  Le  cardinal 
Albani,  qui  est  le  dernier,  comptoit  parler  hier  et 
encore  demain.  Avant  que  le  courrier  de  M.  de 
Torcy  parte,  j'espère  savoir  s'il  s'est  passé  quelque 
chose  de  considérable  dans  la  congrégation  d'hier, 
et  ce  qui  se  fera  dans  celle  de  demain. 

J'étois  allé  aujourd'hui  chez  le  Pape  ;  mais  il  n'a 
donné  audience  à  personne ,  si  ce  n'est  au  cardinal 
Spada.  J'étois  bien  aise  de  lui  parler  sur  les  nou- 
veaux livres  de  M.  de  Cambrai,  et  de  lui  faire  valoir 
un  peu  votre  silence.  Je  n  aurois  pas  manqué  de 
lui  dire  un  mot  sur  le  scandale  de  la  division  des 
qualificateurs,  et  de  le  faire  ressouvenir  du  pou- 
voir de  la  cabale  en  cette  occasion.  Il  faut  ici  et  en 
France  appuyer  là-dessus  ;  car  il  n'y  a  pas  un  mot 
à  répondre  sur  ces  faits  incontestables,  qui  prouvent 
tes  secrets  et  puissans  ressorts  de  la  cabale. 

Il  est  certain  qu'elle  s'est  appliquée  presque  uni- 
quement à  faire  faire  sous  main  au  Pape  quelques 
faux  pas ,  et  qu'aucun  des  cardinaux  n'a  eu  part  à 
cette  manœuvre,  excepté  le  cardinal  Albani,  que 
j'ai  toujours  soupçonné  dès  le  commencement  de 
favoriser  M.  de  Cambrai.  Le  cardinal  Spada  m'a 
avoué  encore  aujourd'hui,  que  l'adjonction  des  der- 
niers qualificateurs  lui  fut  aussi  nouvelle  qu'à  moi. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  ï8i 

Le  coup  de  partie  sera  que  la  bulle  passe  par  les 
mains  du  cardinal  Casanate  :  c'est  à  quoi  je  n'ou- 
blierai rien  ,  et  j'ai  lieu  d'espérer  que  ce  projet 
re'ussira. 

Je  vous  remets  à  la  lettre  que  je  vous  écrirai  par 
le  courrier  extraordinaire,  qui,  je  pense,  partira 
vendredi  ou  samedi ,  et  vous  la  recevrez  avant 
celle-ci. 

Je  vous  enverrai  sous  l'enveloppe  de  M.  de  Torcy 
les  livres  de  M.  de  Cambrai. 

Rome,  ce  i3  janvier  1699. 

LETTRE  CCCCIII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  ce  qui  s^étoit  passé  dans  les  dernières  congrégations  ^  un  ordre 
du  Pape  pour  obliger  les  cardinaux  à  donner  leurs  qualifica-    * 
lions  j  les  derniers  écrits  de  M.  de  Cambrai  j  et  sur  une  au- 
dience que  cet  abbé  avoit  eue  du  Pape. 

Je  vous  écris  par  le  courrier  de  M.  de  Torcy,  qui 
part  demain ,  et  qui  arriva  ici  samedi  dernier,  10  de 
ce  mois,  peu  d'heures  avant  le  départ  du  premier 
courrier.  Je  crois  qu'on  aura  fait  encore  par  ce 
dernier  quelque  nouvelle  instance  à  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  ,  relative  à  l'affaire  de  M.  de  Cambrai. 
11  alla  à  l'audience  du  Pape  dès  le  jour  même  :  apT 
paremment  il  y  avoit  d'autres  affaires  mêlées. 

Je  n'ai  point  encore  reçu  votre  dépêche  du  23  dér 
cembre  :  je  l'attends  par  le  premier  courrier  avec 
celle  du  29.  Je  ne  puis  deviner  la  cause  de  ce  retar- 
dement, qui  n'a  pas  laissé  de  me  faire  de  la  peine  î 


lS-2  ^  LETTRES 

je  voudrois  bien  en  savoir  le  sujet  avant  que  cette 
lettre  partît. 

Depuis  mes  dernières  lettres ,  du  8  et  du  9  de  ce 
mois,  il  s'est  tenu  deux  congrégations,  celle  de 
lundi  douzième  de  ce  mois,  et  celle  d'hier  mercredi. 
Dans  celle  de  lundi  on  acheva  de  discuter  le  cha- 
pitre IV  sur  le  propre  effort  et  l'attente  de  la  grâce  : 
on  commença  même  le  cinquième  chapitre  sur  l'in- 
volontaire et  les  vertus ,  lequel  ne  put  être  achevé 
hier ,  mais  il  fut  bien  avancé.  Les  cardinaux ,  à 
l'exemple  de  leur  ancien  qui  bat  bien  du  pays ,  sont 
un  peu  longs.  Ils  veulent  montrer  chacun  qu'ils  en- 
tendent la  matière,  et  résolvent  les  objections  que 
certaines  gens  font  :  de  là  vient  qu'à  chaque  congré- 
gation, il  ne  peut  guère  y  avoir  que  quatre  ou  cinq 
cardinaux  qui  parlent.  On  finira  dans  la  congréga- 
tion de  lundi  prochain  l'examen  du  cinquième  cha- 
pitre. Il  n'en  restera  plus  que  deux ,  pour  lesquels 
U  faudra  encore  cinq  ou  six  congrégations  :  ainsi 
cette  discussion  ira  jusqu'à  la  mi-février,  temps  ou 
certainement  tous  les  cardinaux  auront  parlé  sur 
chacune  des  propositions,  et  donné  leur  vœu,  ou  au 
moins  du  le  donner. 

Vous  savez  bien  ce  que  je  vous  avois  mandé  par 
une  de  mes  précédentes ,  que  j'espérois  faire  en  sorte 
auprès  du  Pape  qu'il  ordonneroit  que  les  cardinaux 
remissent  leurs  qualifications  sur  chacune  des  pro- 
positions discutées  jusqu'à  présent,  afin  qu'on  pût 
commencer  à  savoir  à  quoi  s'en  tenir,  et  même 
travailler  à  la  réduction.  J'ai  appris  ce  matin  que 
Sa  Sainteté  l'avoit  ainsi  ordonné,  ce  qui  avoit  bien 
fâché  certaines  gens  j  et  je  sais  de  science  certaine 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i83 

que  tous  ont  exécuté  cet  ordre,  de  manière  que  le 
cardinal  de  Bouillon  a  envoyé  au  saint  Off  ce  sur 
ces  propositions  trois  ou  quatre  feuilles  de  papier  , 
écrites  de  la  main  de  Certes.  Il  ne  seroit  pas  impos- 
sible que  je  ne  susse  dans  quatre  ou  cinq  jours  le  con- 
tenu de  son  écrit  :  mais  donnez-vous  bien  de  garc'e  de 
le  dire  à  d'autre  qu'à  madame  de  Maintenon  et  au 
Eoi.  On  seroit  bien  étonné  si  je  parvenois  à  en  en- 
voyer copie,  ainsi  que  le  journal  de  tout  ce  qui 
s'est  passé  :  je  ne  désespère  pas  de  le  pouvoir  faire. 

Je  puis  assurer  que  dans  la  première  congréga- 
tion, le  cardinal  de  Bouillon  évitant  de  voter,  a 
été  marqué  par  ce  mot  abstinuiu  Depuis ,  il  a  com- 
mencé à  distinguer  dans  les  propositions  un  bon  et 
un  mauvais  sens,  et  a  toujours  continué  ainsi,  sans 
donner  de  vœu  précis.  Pour  dire  ce  qui  s'est  passé 
depuis  deux  jours,  il  faut  attendre  encore,  afin  de 
parler  juste  :  c'est  ce  que  je  tâche  de  faire  ,  ne 
voulant  rien  hasarder  sur  des  objets  aussi  importans 
et  aussi  difficiles  à  pénétrer. 

Outre  les  livres  que  je  vous  ai  déjà  envoyés ,  il  y 
a  encore  trois  autres  livrets ,  que  M.  de  Ghanterac 
distribue  depuis  deux  jours  :  l'un  est  la  réponse  au 
Mysiici  in  tuto  ;  et  l'autre ,  les  principales  Propo^^ 
sitions  du  livre  des  Maximes  justifiées  :  je  vous  en- 
voie ces  deux  livrets.  Le  troisième  est  une  espèce  de 
justification  des  propositions  en  latin  :  je  l'ai  vu 
entre  les  mains  d'un  cardinal ,  et  n'ai  pu  examiner 
si  ce  dernier  écrit  est  une  traduction  du  précédent. 

M.  de  Ghanterac  distribue  avec  cela  une  thèse, 
soutenue  à  Douai  par  les  Carmes  déchaussés  ,  que 
j'ai  encore  vue  entre  les  mains  de  ce  cardinal,  et 


l84  LETTRES 

que  je  n*ai  pu  avoir  à  ma  disposition.  Voilà  bien 
des  livres  distribués  depuis  quinze  jours ,  et  bien 
dos  choses  inutiles  et  redites  cent  et  cent  fois. 

J'ai  cru  devoir  aller  rendre  visite  au  Pape  à  Toc- 
casion  de  tous  ces  livrets,  sous  prétexte  de  savoir  de 
lui  comment  il  souhaitoit  que  vous  en  usassiez,  et 
prendre  de  là  occasion  de  lui  parler  sur  les  exami- 
nateurs, sur  la  rédaction  de  la  bulle,  etc. 

J'y  allai  mardi  l'après  -  dînée  ;  mais  le  Pape  ne 
donna  audience  qu'à  M.  le  cardinal  Spada. 

J'ai  été  plus  heureux  aujourd'hui  :  le  saint  Père  a 
eu  la  bonté  de  me  faire  entrer  après  M.  le  cardinal 
Spada  ;  voici  sur  quoi  a  roulé  tout  notre  entretien, 
i.o  Je  l'ai  remercié  de  la  diligence  avec  laquelle  on 
travaille  à  expédier;  de  ce  qu'outre  la  congrégation 
du  lundi,  il  avoit  encore  destiné  celle  du  mercredi 
à  l'examen  de  cette  affaire,  avant  même  qu'il  eût 
reçu  la  dernière  lettre  de  Sa  Majesté ,  dont  il  avoit 
prévenu  les  sollicitations.  Je  lui  dis  qu'il  ne  s'agissoit 
plus  que  de  couronner  l'œuvre  par  une  fin  digne 
du  saint  Siège,  et  une  décision  honorable  pour  sa 
personne,  qui  le  combleroit  de  gloire. 

Sa  Sainteté  m'a  fait  sur  cela  toutes  les  protesta- 
tions imaginables  de  ses  bonnes  intentions,  m'assu- 
rant  de  la  résolution  où  elle  étoit  de  finir  prompte- 
ment.  Elle  m'a  pris  à  témoin  de  toutes  les  affaires 
importantes  du  saint  Office,  qu'on  avoit  abandon- 
nées pour  terminer  celle  de  Cambrai.  On  ne  parle 
plus,  m'a-t-elle  ajouté,  que  de  Cambrai,  Cambrai, 
Cambrai  :  nous  voulons  conclure  absolument  cette 
affaire.  J'ai  vu  le  bon  effet  des  instances  du  Roi  et 
dç  sa  lettre  j  car  dans  mon  audience  d'auparavant. 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  i85 

le  ton  du  Pape  n'étoit  pas  si  affirmatif  à  beaucoup 
près. 

2/  Je  lui  ai  témoigné  qu'il  devoit  peu  se  mettre 
en  peine  de  la  division  des  qualificateurs,  qui  étoit 
à  présent  le  seul  fort  de  M.  de  Cambrai  ;  puisque 
le  caractère  des  qualificateurs  favorables  au  livre, 
qui  tous  ont  eu  leur  engagement  précédent,  ne  mé- 
rite pas  une  grande  considération.  J'ai  commencé 
par  le  Jésuite  espagnol  Alfaro,  et  rien  n'a  été  ou- 
blié sur  ce  sujet.  Sa  Sainteté  elle-même  m'a  avoué, 
que  c'étoit  une  grande  faute  à  la  société  d'avoir  pris 
un  pareil  parti  dans  cette  affaire,  où  le  Roi  et  le 
clergé  de  France  s'intéressent  si  sensiblement.  Ga- 
brieli,  quoique  je  me  sois  tu  sur  Sfondrate,  a  été 
dépeint  avec  ses  couleurs  naturelles.  J'ai  vu  que  Sa 
Sainteté  prenoit  plaisir  k  ce  que  je  disois,  et  je  me 
suis  aperçu  quelle  n'est  pas  fâchée  d'entendre  un 
peu  dire  du  mal  de  certaines  gens.  M.  Rodolovic, 
archevêque  de  Chieti,  a  été  caractérisé  assez  bien  : 
ses  changemens,  ses  incertitudes,  son  abandon  aux 
Jésuites  ont  formé  les  différens  traits  de  son  tableau. 
Pour  le  sacriste,  sa  partialité  connue  dès  le  vivant 
du  cardinal  Denhoff,  et  attestée  par  plusieurs  car- 
dinaux, rendoit  son  jugement  entièrement  récusable 
dans  cette  affaire. 

J'ai  passé  ensuite  à  la  manière  dont  ces  exami- 
nateurs justifient  M.  de  Cambrai,  qui  est  toute  op- 
posée à  celle  dont  il  se  défend  lui-même.  J'ai  fait 
faire  réflexion  au  saint  Père,  mais  légèrement,  pour 
ne  le  pas  chagriner,  sur  les  circonstances  de  cette 
adjonction,  qui  avoit  eu  lieu  dans  le  temps  où  tout 
alloit  finir.  Il  a  répondu  à  cela  par  un  soupir.  Je 


l86  LETTRES 

lui  ai  ajouté  qu'il  se  trouveroit  consolé  par  l'una- 
nimité des  cardinaux;  et  qu'enfin  on  devoit  espérer 
que  le  Saint-Esprit  l'éclaireroit  de  ses  lumières, 
pour  prononcer  un  jugement  qui  terminât  toutes 
les  contestations. 

3.0  Je  me  suis  fort  étendu  sur  le  procédé  peu 
loyal  de  M.  de  Cambrai,  qui  cachoit  la  plupart  de 
ses  livres  en  France ,  et  surtout  la  Réponse  aux  Re- 
marques, sur  la  multitude  des  écrits  dont  il  acca- 
bloit  à  présent  messieurs  les  cardinaux  et  Sa  Sain- 
teté. Je  puis  vous  assurer  que  le  Pape  en  est  indigné, 
rien  ne  le  fâchant  davantage  que  de  voir  des  livres 
nouveaux  bons  ou  mauvais  :  tous  le  mécontentent 
également.  Je  vois  bien  que  les  amis  de  M.  de  Cam- 
brai lui  font  confondre  l'innocent  avec  les  cou- 
pables ;  en  sorte  que  son  indignation  contre  les 
livres  pour  ou  contre  la  vérité ,  est  exactement  la 
même.  Je  m'en  suis  aperçu,  et  n'ai  pu  m'empêcher, 
avec  tout  le  respect  et  toute  la  modération  pos- 
sible,  de  lui  parler  très-fortement  sur  ce  sujet;  lui 
faisant  voir ,  et  de  manière  qu'il  en  est  convenu , 
la  nécessité  de  défendre  la  vérité ,  de  combattre 
l'erreur,  et  la  différence  qu'un  Pape  doit  mettre 
entre  ceux  qui  attaquent  les  vérités  les  plus  essen- 
tielles de  la  religion,  d'avec  ceux  qui  emploient 
tous  leurs  efforts  pour  les  soutenir.  Les  exemples 
des  saints  évêques  ne  m'ont  pas  manqué ,  ainsi  que 
ceux  des  Papes  qui  ont  loué  et  exalté  le  zèle  de 
ces  généreux  défenseurs  de  la  bonne  cause;  et  j'ai 
conclu  que  j'espérois  de  Sa  Sainteté  la  même  justice 
que  j'osois  lui  dire  être  due  à  ceux  qui  soutenôient 
dans  cette  occasion  le  parti  de  la  vérité.  J'ai  pris  la 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  187 

liberté  de  lui  demander  là-dessus,  si  en  conscience 
vous  n'étiez  pas  obligé  de  répondre  à  l'accusation 
atroce  que  M.  de  Cambrai  formoit  contre  vous,  en 
vous  imputant  d'avoir  révélé  sa  confession,  et  d'a- 
voir manqué  à  tous  les  devoirs  de  l'amitié  et  de  la 
religion. 

Je  n'ai  pu  m'empêcher  à  ce  sujet  de  lui  rappeler 
vos  travaux  pour  l'Eglise  contre  les  hérétiques  , 
dont  les  brefs  d'Innocent  XI  lui  étoient  de  bons  ga- 
rans  ;  et  je  lui  ai  fait  sentir  que  la  conservation  de 
votre  réputation  n'étoit  pas  indifférente  à  l'Eglise. 
Il  faut  avouer  que  Sa  Sainteté  m'a  écouté  avec  une 
patience  admirable,  et  il  m'a  paru  que  ce  que  je  lui 
ai  représenté  là-dessus  lui  a  fait  impression. 

J'ai  fini  cet  article  en  lui  assurant  que  vous  sa- 
crifieriez vos  propres  intérêts  à  la  satisfaction  par- 
ticulière de  Sa  Sainteté,  pour  qui  vous  aviez  un 
respect  et  une  déférence  extraordinaire;  et  que  je 
ne  doutois  pas  que  vous  n'attendissiez  en  paix  la 
décision  du  saint  Siège ,  qui  vous  serviroit  seule 
d'une  apologie  complète.  J'ai  ajouté,  qu'au  surplus 
il  n'étoit  question  que  du  livre  des  Maximes, 
et  que  tout  ce  qu'on  avoit  écrit,  n'étoit  pas  ab- 
solument nécessaire  à  Rome,  mais  bien  en  France, 
où  le  mal  prenoit  tous  les  jours  de  nouvelles  racines. 
En  quatrième  lieu ,  sachant  que  le  cardinal  Al- 
bani  insinuoit  de  faire  un  bref  au  lieu  d'une  bulle, 
je  lui  ai  expliqué  les  raisons  essentielles  qui  dé- 
voient l'engager  à  donner  une  bulle.  Je  l'ai  fait 
ressouvenir  de  la  promesse  qu'il  en  avoit  faite  ;  et 
je  lui  ai  représenté  qu'il  n'y  avoit  qu'un  décret, 
publié   dans   cette   forme ,  qui  pût  être   reçu  en 


l88  LETTRES  \ 

France  selon  les  lois  du  royaume.  Sa  Sainteté  a 
eu  la  bonté'  de  me  renouveler  sa  promesse  à  cet 
e'gard. 

Je  lui  ai  parlé  clairement  sur  la  chicane  quon 
faisoit  touchant  la  distinction  des  sens,  qui  suffi- 
rmt  pour  rendre  inutile  et  impossible  dorénavant 
aucune  condamnation  d'erreur.  Le  Pape  m'a  paru 
rejeter  bien  loin  cette  misérable  défaite. 

Cette  audience  a  duré  près  d'une  heure.  Au  sor- 
tir de  là ,  j'ai  été  chez  le  cardinal  Casanate ,  à  qui 
j'ai  rendu  compte  de  tout,  et  il  a  fort  approuvé  ce 
que  j'avois  dit  au  Pape.  J'espère  plus  que  jamais 
que  ce  sera  ce  cardinal  qui  sera  chargé  de  dresser  la 
bulle.  Je  n'en  ai  pas  voulu  parler  au  Pape  ;  mais 
je  sais  que  Sa  Sainteté  l'a  résolu  ainsi,  et  quelle 
s'en  est  déclarée  :  il  n'y  a  pas  à  craindre  qu  elle  va- 
rie ,  à  moins  que  le  cardinal  de  Bouillon  ne  la  fasse 
changer. 

Je  suis  informé  que  ce  cardinal  a  prié  Iç  Pape  et 
le  cardinal  Spada,  d'assurer  le  Roi  qu'il  n'y  avoit 
ici  aucune  cabale  pour  M.  de  Cambrai ,  et  qu'il 
pressoit  plus  qu'un  autre  le  jugement.  Je  ne  sais  si 
le  Pape  et  le  cardinal  Spada  auront  été  assez  simples 
pour  entrer  dans  ses  vues.  Mais  cela  ne  peut  pas 
empêcher  que  tout  ce  que  j'ai  mandé  ne  soit  très- 
véritable,  et  que  les  faits  ne  soient  ici  constans  et 
presque  de  notoriété  publique.  Ils  sont  sûrement 
incontestables,  à  moins  qu'on  ne  dise  que  tous  les 
cardinaux  et  le  commissaire  s'accordent  pour  men- 
tir j  ce  qui  est  impossible. 

Je  sais  que  le  cardinal  de  Bouillon  a  voulu  inté- 
resser le  Pape  dans  sa  querelle ,  en  lui  disant  qu'on 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  189 

ecrivoit  en  France  qu'il  se  laissoit  prévenir  par  la 
cabale,  et  que  cette  cabale  étoit  une  chimère  k 
Rome  comme  à  Paris,  etc.  Mais  elle  n'est  que  trop 
re'ellej  et  qui  en  douteroit,  voudroit  clouter  qu'il  fait 
jour  en  plein  midi. 

J'ai  appris  aujourd'hui  chez  le  Pape,  par  quelques- 
uns  de  ses  confidens  les  plus  intimes,  que  Sa  Sain- 
teté e'toit  très-fâchée  ce  matin  contre  le  cardinal  de 
Bouillon,  parce  qu'elle  a  su  que  ce  cardinal  eut 
hier  chez  lui  une  conférence  de  trois  heures  avec 
l'ambassadeur  de  l'Empereur ,  contre  lequel  le  Pape 
est  très-indisposé.  Sa  Sainteté  est  persuadée,  il  y  a 
long-temps ,  qu'il  y  a  une  liaison  entre  cet  ambas- 
sadeur et  le  cardinal  de  Bouillon. 

En  vérité,  il  ne  faut  pas  abandonner  le  sieur 
Poussin  :  il  ne  perd  aucune  occasion  de  faire  bien 
connoître  les  intentions  du  Roi.  Il  m'a  dit  avoir  pris 
occasion  de  porter  aux  cardinaux  du  saint  Office  le 
factum  de  M.  l'archevêque  de  Rouen,  pour  avoir 
celle  de  leur  parler  sur  M.  de  Cambrai ,  et  de  leur 
lire  plus  à  loisir  la  lettre  du  Roi. 

M.  de  Ghanterac  a  été  ce  matin,  au  sortir  des 
congrégations,  enfermé  deux  heures  avec  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon.  Cela  ne  laisse  pas  de  surprendre 
tout  le  monde.  Le  père  Charonnier  est  mieux  que 
jamais  avec  cette  Eminence. 

Dans  ce  moment  le  courrier  de  France  arrive,  et 
je  reçois  vos  deux  paquets,  l'un  du  22  décembre, 
de  Paria,  et  l'autre  du  28,  de  Meaux.  J'ai  bien  jugé 
par  l'arrivée  de  la  lettre  du  Roi  et  les  dépêches  au 
cardinal  de  Bouillon,  que  l'avis  que  j'avois  donné 
n'avoit  pas  été  jugé  inutile  ni  négligé.  La  personne 


IQO  LETTRÉS 

du  monde  qui  aime  moins  à  se  faire  de  fête,  c'est 
moi  :  j'ai  cru  la  diligence  nécessaire  pour  le  bien  de 
Taffaire,  afin  que  le  remède  vînt  à  temps,  et  quon 
connût  les  mauvaises  intentions  du  cardinal  de 
Bouillon,  qui  sera  le  même  jusqu'à  la  fin.  Vous  le 
pouvez  tenir  pour  certain ,  quelque  chose  qui  puisse 
jamais  arriver  :  les  Jésuites  et  le  cardinal  de  Bouillon 
nous  haïront  vous  et  moi  tant  que  nous  vivrons. 

Apparemment  M.  de  Monaco  ne  sera  pas  ici  avant 
Pàque.  Il  sera  débarrassé  d'un  grand  fardeau  dans 
cette  Cour,  si  notre  affaire  est  finie,  comme  il  y  a 
lieu  de  l'espérere 

Le  manège  de  M.  l'archevêque  de  Paris  ne  me 
revient  pas  :  il  croit  être  un  grand  personnage. 

Je  m'informerai  s'il  y  auroit  lieu  à  Florence 
d'imprimer  la  traduction  italienne  de  y  os  Remarques; 
mais  cela  nous  conduira  trop  loin.  En  vérité, 
Anisson  me  paroît  bien  intéressé,  surtout  après  les 
gros  gains  qu'il  fait  d'ailleurs  avec  vous.  On  fera 
tout  ce  qu'on  pourra  pour  ôter  à  M.  de  Cambrai 
toute  occasion  de  chicaner.  Il  me  semble  que  de 
condamner  les  propositions  du  livre  de  M.  de  Cam- 
brai, en  les  prenant  dans  toute  la  suite  du  texte  et 
in  sensu  ob^^io  et  naturali  _,  c'est  ne  laisser  aucun 
prétexte  pour  l'excuser.  On  fera  réflexion  à  tout. 

Le  cardinal  de  Bouillon  ne  sait  pas  encore  d'où 

lui  vient  le  coup  :  je  ne  me  mets  guère  en  peine  qu'il 

le  sache  ;  il  peut  en  accuser  tout  B.ome  comme  moi. 

Je  croyois  franchement  que  M.  le  grand  duc  vous 

feroit  la  galanterie  toute  entière  pour  le  courrier, 

Rome,  ce  i5  janvier  1699, 


un  l'affaire  du  quiétisme.  191 

LETTRE   CCCCIV. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  la  manière  dont  il  parle  à  M.  de  Paris  de  certains  pointa  5  le 
zèle  de  la  princesse  des  Ursins  pour  la  bonne  cause,  et  les  dispo- 
sitions de  la  Cour  de  Rome  et  de  celles  dllalie  sur  la  succession 
de  TEs pagne. 

J'ajoute  à  ma  lettre  de  cette  nuit,  que  je  n'ai 
garde  de  mander  à  M.  l'archevêque  de  Paris  ce  que 
je  vous  e'cris,  que  le  Pape  désapprouve  si  fort  les 
livres  bons  ou  mauvais  sans  distinction  :  je  me  borne 
à  lui  parler  des  mauvais.  Je  sais  bien  l'avantage  qu'il 
tireroit  de  mon  récit,  si  je  lui  disois  tout.  Je  lui 
marque  même  ,  que  le  Pape  m'a  assuré  que  vous  ne 
pouviez  vous  dispenser  devons  justifier  des  accusa- 
tions atroces  de  M.  de  Cambrai  ;  ce  qui  est  la  vérité. 

Je  vous  supplie  d'aller  voir  mademoiselle  de  Lanti  : 
cela  fera  plaisir  à  madame  la  princesse  des  Ursins , 
qui  assurément  fait  son  devoir  par  rapport  à  vous 
et  à  M.  de  Cambrai ,  et  qui  n'a  pas  peu  nui  à  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  dans  l'esprit  de  madame  de 
Maintenon ,  par  le  moyen  de  madame  de  Noailles. 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  en  use  avec  elle  indi- 
gnement. 

Je  mande  à  M.  de  Paris,  pour  en  faire  l'usage 
qu'il  jugera  à  propos,  que  dans  les  entretiens  que 
j'ai  eus  depuis  huit  jours  avec  quelques  principaux 
cardinaux,  et  quelques  ministres  qui  ne  me  veulent 
point  de  mal,  et  qui  ont  assez  de  confiance  en  moi, 
j'ai  reconnu  très-distinctement,  et  j'ose  dire  très- 


IQi  LETTRES 

sûrement,  que  cette  Cour,  comme  toutes  les  autres 
d'Italie,  est  très-favorable  à  la  Bavière,  et  qu'elles 
s'uniront  e'galement  sur  la  succession  d'Espagne , 
contre  la  France  et  TEmpereur.  Je  ne  doute  pas  que 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  nen  soit  informé  mieux 
que  je  ne  puis  l'étrek 
Rome)  16  janvier  1699. 


LETTRE  CCCCV. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  mécontentement  que  le  Roi  avoit  des  retardemens  ;  la  con< 
duite  du  cardinal  de  Bouillon  ;  une  Rrponse  à  M.  de  Cambrai 
qu'il  avoit  faite  pour  M.  de  Chartres;  les  raisons  qui  le  portent 
à  ne  laisser  rien  sans  réplique  j  et  sur  les  nouveaux  écrits  de 
M.  de  Cambrai. 

Votre  lettre ,  du  3o décembre,  ne  me  fut  rendue 
qu'hier  au  soir. 

L'ordre  de  doubler  les  congrégations,  fait  voir 
dans  le  Pape  un  vrai  dessein  de  finir  ;  puisqu'enfin  , 
si  cette  affaire  traînoit  long-temps,  toutes  les  autres 
demeureroient  en  suspens. 

J'attends  toujours  que  vous  m'appreniez  l'effet 
qu'ont  produit  les  lettres  du  Roi.  Je  voudrois  savoir 
encore  si  vous  avez  obtenu  cette  accélération  sans 
ce  secours  (*)j  car  dans  ce  cas,  que  ne  doit  point 

(*)  On  voit,  par  les  lettres  de  Tabbé  Bossuet,  que  ce  fut  le  23  dé- 
cembre que  le  Pape  lui  promit  d'ajouter  à  la  congrégation  qui  s'oc- 
cupoit  déjà  de  cette  affaire,  celle  du  mercredi,  afin  d'en  accélérer 
davantage  la  conclusion.  Or,  la  lettre  du  Roi  ne  lui  avoit  sûrement 
pas  encore  été  présentée,  puisqu'elle  est  du  23  décembre  1698,  et 
que  le  courrier  qui  la  porta,  n'arriva  à  Rome  que  le  3  janvier  suivant. 

opérer 


Sun  l'affaire  du  quiétismê.  ig^ 

opérer  une  telle  instance?  d'autant  plus  que  le  R.oi, 
tout  sage  qu'il  est,  paroît,  à  ceux  qui  rapprochent, 
très-irrité  des  retardemens,  et  de  la  cause  qui  les 
produit.  On  attribue  même  à  ce  secret  méconten- 
tement la  résolution  prise  de  rayer  M.  de  Cambrai 
sur  letat  de  cette  année,  et  de  donner  son  loge- 
ment ;  ce  qui  fut  exécuté  la  semaine  passée.  Sa  Ma- 
jesté attendoit  apparemment  la  décision  ;  mais  la 
conjoncture  de  ce  qui  se  passe  à  Rome,  a  fait  hâter 
l'exécution  du  projet.  Ce  n'est  pas  qu'on  puisse  rien 
imputer  ni  au  Pape  ni  aux  cardinaux  :  l'on  voit  bien 
ici  que  tout  l'obstacle  vient  d'un  cardinal  fran- 
çais (*),  qui  devoit  plus  que  tous  les  autres,  et  par 
les  bienfaits  dont  il  est  comblé,  et  par  sa  charge, 
seconder  les  pieuses  intentions  de  son  maître. 

Quand  on  entend  dire  ici  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  cite  le  Combat  spirituel  et  les  autres  livres 
mystiques,  et  qu'il  se  rend  le  défenseur  et  le  docteur 
du  pur  amour,  je  tranche  le  mot,  tout  le  monde  a 
envie  de  rire;  et  l'on  auroit  peine  à  le  croire,  si 
toutes  les  lettres  de  Rome  ne  le  portoient  pas.  J'a- 
voue pour  moi  que  je  m'y  perds  ;  et  si  je  crains 
beaucoup  pour  l'Eglise,  je  crains  aussi  de  fâcheuses 
suites  pour  ce  cardinal.  Je  parle  sur  cela  le  moins 
que  je  puis;  mais  voyant  tout  le  monde  instruit  du 
manège,  je  ne  puis  pas  faire  un  mystère  de  ce  qui 
est  trop  public. 

On  vous  enverra  cent  ou  cent  vingt  signatures  de 
docteurs,  et  peut-être  plus.  Tout  le  monde  signe 
avec  ardeur,  et  avec  indignation  contre  le  livre.  Il 

C*)  Le  cardinal  de  Bouillon. 

BOSSUET.    XLIT.  I  3 


194  LETTRES 

y  a  quelques  politiques,  en  très- petit  nombre,  aux- 
quels on  n'a  point  parlé,  pour  ne  les  pas  mettre 
dans  reml)arras.  Mais  je  puis  vous  assurer  que  si  l'af- 
-faire  avoit  été  mise  en  délibération  dans  la  Faculté, 
la  censure  auroit  été  unanime. 

Vous  serez  content  de  l'ambassadeur. 

M.  de  Chartres  est  assurément  de  même  avis  que 
moi ,  puisqu'il  a  approuvé  mon  livre  des  Etats  d'O^ 
raison,  où  j'ai  tout  dit;  et  entre  autres  choses, 
qu'on  ne  pouvoit  en  aucun  acte  raisonnable  s'arra- 
cher le  motif  de  la  béatitude.  Il  convient,  avec  toute 
TFlcole,  qu'on  fait  pour  le  motif  de  la  béatitude 
comme  pour  la  dernière  fin,  implicitement  ou  ex- 
plicitement. Quand  ce  n'est  pas  explicitement,  c'est 
alors  que  les  motifs  sont  sé^divés  permentem ,  comme 
vous  le  dites ,  mais  jamais  véritablement  ni  autre- 
ment que  par  abstraction  ;  ce  qui  est  au  fond  tout 
ce  que  je  dis.  Mais  M.  de  Chartres  n'est  pas  entré 
aussi  avant  que  moi  dans  l'explication  et  dans  les 
suites  de  ces  beaux  principes.  Vous  verrez  bientôt 
une  réponse  pour  lui ,  sous  le  nom  d'un  théologien 
qu'il  a  mis  en  œuvre,  n'ayant  pas  le  loisir  de  tra- 
vailler lui-même.  Je  l'ai  faite  (*).  Nous  croyons  ici, 
qu'autant  qu'il  se  pourra,  il  ne  faut  rien  laisser  sans 
réponse,  à  cause  de  l'insolente  affirmation  de  l'au- 
teur, qui  en  vérité  perd  toute  honte,  et  qui  séduit 
le  peuple.  Cependant  tout  l'épiscopat  et  tout  le  doc- 
torat est  contre  lui ,  tellement  magno  numéro,  que 
le  reste  ne  paroît  rien. 

(*)  Elle  a  été  imprimée  sous  ce  litre  :  Réponse  d'un  Théologien  A 
la  première  lettre  de  M.  l'archef^éc/ue  de  Cambrai  à  M.  tévêque  de 
Chartres.  On  la  trouvera  ci-dessus,  tom,  xxx,  pag,  aa3,  et  suiv. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  Î95 

Les  livres  que  M.  de  Cambrai  a  fait  porter  à  Rome 
par  un  courrier  extraordinaire ,  sont  la  réponse  au 
Mystici  et  au  Schola  in  tulo  _,  ad  Quœstiunculfijn  ; 
et  en  latin,  les  Propositions  de  son  livre,  compa- 
re'es  à  celles  des  saints  qu'il  allègue.  J'ai  tout  cela» 
Ce  n'est  rien  du  tout  que  fécondité  de  paroles  et 
tours  d'esprit.  Je  n'ai  que  par  emprunt  le  parallèle 
en  français,  et  personne  ne  l'a  en  latin.  Mauvaise 
et  petite  finesse ,  de  cacher  ici  ce  qu'on  donne  à 
Rome  :  c'est  une  preuve  que  l'on  veut  surprendre. 
Mais  si  la  finesse  convient  au  caractère  et  aux  des* 
seins  de  l'auteur,  il  nous  convient  à  nous  d'aller 
franchement  et  nettement.  On  n'a  qu'à  nous  envoyer 
une  bonne  bulle  ,  nous  saurons  bien  l'exécuter  et  la 
soutenir.  En  attendant,  nos  écrits  y  prépareront  les 
esprits,  et  empêcheront  l'éblouissement  des  ignorans 
et  des  faux  savans. 

On  m'a  fait  voir  une  lettre,  oii  l'on  raconte  une 
historiette ,  qui  feroit  paroître  que  le  cardinal  Ot- 
toboni  n'estime  pas  trop  M.  de  Camljrai.  Il  s'agit  de 
vers  faits  par  ce  cardinal ,  dans  lesquels  le  livre  de 
M.  de  Cambrai  est  mis  au  rang  des  livres  hérétiques. 
Le  cardinal  del  Giudice  le  fit  remarquer  au  cardinal 
de  Bouillon!*). 

Je  suis  très  en  peine  de  l'incommodité  de  M.  le 
cardinal  Casanate.  La  force  de  son  génie  et  de  ses 
discours  est  bien  nécessaire  à  la  bonne  cause.  Ce  së- 
roit  une  de  mes  joies  de  voir  ce  grand  homme  \  et 
si  j'étois  libre....* 

J'attends  M.  Tiberge,  qui  doit  m'expliquer  ce 

(*}  L'abbé  Phelippeaux  rapporte  ce  fait  dans  sa  Hdation,  IL  part., 
pag.  1G8. 


IC)6  LETTRES 

qu'on  lui  objecte  sur  Foraison  funèbre.  Cela  fait 
voir  qu'il  faut  former  le  langage  par  une  bonne  dé- 
cision. 

Ne  soyez  point  inquiet  pour  l'argent  que  vous 
demandez.  Vous  recevrez  des  lettres  de  crédit  pour 
quatre  mille  livres  ;  on  fera  le  reste  le  plus  tôt  qu'on 
pourra.  On  n'entend  pas  ici  mot  des  bruits  qu'on 
répand  à  Rome  sur  le  père  de  Valois  :  on  le  croit 
mort.  Nous  parlons  souvent  où  il  faut  des  grands 
services  de  Toscane,  et  on  n'oublie  pas  M.  l'abbé 
Feydé. 

Vous  devez  prendre  garde  à  ne  point  parler  avec 
affectation  de  mon  portrait. 

AParis,  19  janvier  1699. 


LETTRE  CCCCVI. 

DE  MM.  TIBERGE  ET  DE  BRISACIER  A  BOSSUET. 

Sur  une  proposition  qui  leur  ëtoit  altribuée  par  le  cardinal 
de  Bouillon. 

Nous  avons  fait,  M.  l'abbé  de  Brisacier  et  moi, 
Monseigneur,  chacun  une  oraison  funèbre  de  made- 
moiselle de  Bouillon  ;  mais  nous  ne  nous  souvenons 
point  ni  l'un  ni  l'autre  d'avoir  rien  dit  qui  approche 
de  la  proposition  que  vous  nous  marquez ,  «  qu'elle 
»  ne  faisoit  plus  d'actes  d'espérance,  tant  son  orai- 
»  son  étoit  haute  (*)  ».  On  en  a  fait  quelques  édi- 

(*)  Cétoit  la  proposition  que  le  cardinal  de  Bouillon  avoit  citée 
dans  une  des  congrégations,  où  il  parloit  en  faveur  de  M.  de 
Cambrai. 


SUR    L*AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  IQn 

tions  en  Hollande,  que  nous  n'avons  pas  lues,  et  qui 
ne  sont  pas  entre  nos  mains  ;  nous  ne  savons  pas  si 
on  les  auroit  alte're'es.  Mais  quoi  qu'il  en  soit,  nous 
n'avons  jamais  cru,  et  ne  croirons  jamais,  que  les 
âmes,  même  les  plus  parfaites,  puissent  être  dis- 
pense'es  en  cette  vie  de  faire  des  actes  d'espérance. 
Nous  n'avons  pas  la  présomption  de  croire  que  notre 
sentiment  puisse  être  de  quelque  poids  ;  mais  s'il 
pouvoit  être  de  quelque  utilité  pour  la  cause  de 
l'Eglise  de  le  donner  en  forme ,  nous  le  donnerions 
très -volontiers.  Nous  sommes  avec  un  profond  res- 
pect ,  etc. 


LETTRE  CCCCVII. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  râugmentation  des  congrégations;  un  écrit  secret  de  M.  de 
Cambrai,  et  la  sage  conduite  des  examinateurs  contraires  au  livre. 

Nous  avons  reçu  vos  lettres  du  3o ,  Monsieur  :  j'y 
apprends  avec  grand  plaisir  qu'enfin  les  conférences 
vont  être  doublées.  Si  ce  changement  s'est  fait  avant 
l'arrivée  du  courrier  extraordinaire ,  on  peut  espérer 
que  les  lettres  qu'il  a  portées,  en  feront  encore  un 
plus  grand.  J'attends  avec  impatience  des  nouvelles 
de  ce  qu'elles  auront  produit. 

Tous  les  raisonnemens  du  cardinal  de  Bouillon 
sont  pitoyables  ;  mais  celui  qu'il  a  fait  sur  Toraison 
funèbre  de  M.  Tiberge ,  est  ridicule  à  Texcès  :  je  ne 
crois  pas  qu'on  ait  pu  le  trouver  autrement.  La  dif- 


iqB^  lettres 

ficiitte  sur  l'acte  et  sur  Thabitude  du  pur  amour  a 
^té  tellement  éclaiçcie ,  qu'elle  ne  doit  toucher  per- 
sonne de  bon  sens  :  pour  le  Combat  spirituel  y  je  n'y 
ai  jamais  rien  trouvé  qui  approchât  de  la  doctrine 
du  livre. 

Je  seroîs  bien  fâché  que  l'incommodité  du  cardinal 
Casanate  durât,  car  nous  en  avons  grand  besoin^ 
Sa  présence  et  sa  parole  soutiendront  bien  des  gens , 
et  en  retiendront  d'autres  j  mais  c'est  quelque  chose 
qu'il  envoie  son  vœu. 

Sur  ce  que  vous  me  mandez,  nous  n'avons  à 
craindre  que  les  cardinaux  Ottoboni  et  Albani  ; 
leur  procédé  ne  paroît  pas  net  j  mais  il  faut  attendre 
la  fin  pour  en  juger  plus  sûrement. 

Il  seroit  bon  d'^avoir  cet  écrit  de  M.  de  Cambrai, 
qui  n'est  que  pour  les  cardinaux  :  puisqu'on  le  tient 
si  secret ,  on  craint  la  réponse,  et  cela  la  rend  plus 
nécessaire* 

On  ne  doute  plus  du  déchaînement  des  Jésuites  : 
il  faut  s'attendre  à  en  avoir  toujours  de  nouvelles 
preuves  jusqu'au  jugement.  Je  trouve  la  conduite 
des  examinateurs  contraires  au  livre ,  bien  plus 
louable  que  celle  des  autres  :  tout  le  monde  doit  être 
édifié  de  la  modestie  des  premiers ,  et  blâmer  la 
chaleur  des  derniers.^ 

Vous  avez  très-bien  fait  de  prévenir  le  cardinal 
Morigia,  cela  ne  peut  faire  qu'un  bon  effet.  M.  de 
Monaco  va  partir  dans  peu  de  jours. 

J'envoie  environ  six  vingts  signatures  au  père 
Boslet;  et  j'espère  en  envoyer  encore  la  semaine 
prochaine ,  quelque  soin  qu'on  prenne  de  retenir 
nos  docteurs.  Croyez-moi  touj.ours,  je  vous  con*- 


Sun  l'affaire  du  quiéttsme.  199 

jure,  Monsieur,  tout  à  vous.  Je  me  trompe  sur  les 
signatures  :  nous  en  avons  cent  quarante  et  une, 
qui  font,  avec  les  soixante  que  vous  avez  déjà,  plus 
de  deux  cents. 

19  Janvier  169g. 


LETTRE  CCCCVIII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  ce  qui  s^étoit  passe  dans  les  congrégations,  et  la  manière  dont 
chaque  cardinal  avoit  parlé. 

Vous  avez  reçu  il  y  a  de'jà  long-temps  les  lettres 
du  1 5  et  16  de  ce  mois,  par  lesquelles  je  vous  accu- 
sois  la  re'ception  de  vos  paquets  du  21  décembre  et 
du  28,  et  auxquels  je  vous  répondois.  Depuis,  nous 
n'avons  eu  que  la  congrégation  d'hier  lundi ,  1 9  de 
ce  mois,  et  je  ne  puis  encore  vous  dire  ce  qui  s'y  est 
passé.  Les  cardinaux,  à  commencer  parle  cardinal 
Casanate ,  auront  continué  à  voter  sur  les  proposi- 
tions 3i ,  32 ,  33,  34^  35^  36  et  38.  Je  ne  sais  pas 
combien  de  ces  Eminences  auront  pu  parler,  mais 
vous  voyez  que  l'on  avance  l'examen.  Ces  proposi- 
tions finies,  on  reprendra  depuis  la  18  jusqu'à  la  2^  : 
on  divisera  ces  propositions  en  deux  chapitres,  et 
tout  sera  fait. 

Je  vous  envoie  une  partie  de  ce  que  je  vous  ai 
promis  par  ma  dernière  dépêche.  Voilà,  jour  par 
jour ,  ce  qui  s'est  fait  jusqu'à  mercredi  dernier  inclu- 
sivement, et  le  nombre  des  cardinaux  qui  ont  parlé, 
et  la  distribution  des  proposition»  :  cela  est  tiré 


^OO  LETTRES 

exactement  du  Journal  de  la  congre'gation  (*).  Il  a 
e'té  impossible  jusqu'à  présent  d'avoir  les  qualifica- 
tions données  par  chaque  cardinal  aux  propositions  : 
la  personne  qui  m'a  procuré  ce  que  je  vous  envoie, 
n'a  pu  faire  davantage  ;  mais  elle  a  vu  et  tenu  les 
qualifications  de  tous  les  cardinaux.  Elle  n'entend 
rien  à  la  matière ,  ce  qui  fait  qu  elle  n'a  pas  retenu 
le  précis  des  vœux.  Ce  que  je  sais  en  général ,  c'est 
que  tous  les  cardinaux  ont  envoyé,  il  y  a  huit  jours, 
leurs  vœux,  qui  sont  très-courts,  et  qui  contiennent 
seulement  la  censure  de  chaque  proposition. 

Ceux  des  cardinaux  Casanate,  Noris,  Nerli, 
Carpegna,  Panciatici,  Ferrari,  Marescotti  et  Spada 
sont  compris  chacun  en  très-peu  de  paroles ,  et  ont 
pour  objet  différens  chapitres  qui  renferment  un 
certain  nombre  de  propositions. 

Ceux  des  cardinaux  Albani  et  Ottoboni  sont  un 
peu  plus  longs,  et  contiennent  des  distinctions. 
Pour  celui  du  cardinal  de  Bouillon,  il  porte  sur 
chaque  proposition  en  particulier ,  et  la  qualifica- 
tion qu'il  donne  à  chacune  peut  bien  avoir  huit  ou 
neuf  lignes  d'écriture.  Encore  une  fois  cet  ami  n'en- 
tend rien  à  la  matière ,  mais  d'ailleurs  est  homme 
d'esprit  ;  et  sur  les  instructions  que  je  lui  ai  procu- 
tées ,  il  s'informera  de  tout ,  mieux  qu'il  n'a  fait 
encore.  Je  l'attends  avant  que  de  fermer  cette  lettre  : 
il  lui  a  paru  dans  le  vœu  du  cardinal  de  Bouillon 
qu'il  distinguoit  des  sens, 

J'avoue  que  ce  Journal  m'a  fait  plaisir  :  j'y  vois 
lesprit  du  cardinal  de  Bouillon  et  ses  manèges.  Que 
dites-vous  du  cardinal  Spada ,  qui  suit  l'exemple 

(*)  L'çiitrîût  de  ce  journal  u'est  point  parvenu  jusqu'à  nous. 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  201 

du  cardinal  de  Bouillon?  D'abord  ne  voit-on  pas 
dans  cette  Eminence  un  dessein  d'entrer  dans  ses 
vues,  et  d'avoir  de  la  complaisance  pour  un  mi- 
nistre? 

J'avois  toujours  bien  remarqué,  comme  je  vous 
l'ai  e'ciit  plus  pre'cisément  depuis  quelque  temps , 
dans  le  cardinal  Spada  un  esprit  très-porté  à  excuser 
le  cardinal  de  Bouillon.  Le  naturel  de  ce  cardinal 
l'incline  à  ces  ménagemens  ;  et  peut-être  qu'il  n'y 
est  pas  peu  déterminé  par  les  importunités  du  car- 
dinal de  Bouillon,  qui  veut  ne  pas  être  seul  cou- 
pable d'une  manœuvre  si  déshonorante  et  aussi  affec- 
tée. C'est  ici  en  effet  une  terrible  tentation  que  les 
sollicitations  d'un  cardinal  ministre  :  aussi  je  m'é- 
tonne de  la  fermeté  de  certaines  gens,  et  surtout  du 
cardinal  Casanate ,  que  le  cardinal  de  Bouillon  à  la 
lettre  ne  peut  plus  souffrir. 

Vous  remarquerez  encore ,  que  quand  le  tour  du 

cardinal  Ottoboni  et  du  cardinal  Albani  vient  pour 

parler,  ils  prennent  ordinairement  plus  de  temps 

que  les  autres  dans  les  congrégations  pour  le  faire. 

Le  cardinal  de  Bouillon   recommence   ensuite  de 

longs  discours  qui  ne  finissent  point ,  et  remet  à  la 

prochaine  congrégation  pour  les  continuer.  Ainsi 

il  discourt  souvent  deux  fois  au  lieu  d'une  :  ce  que 

je  sais  d'ailleurs  de  science  certaine.  Vous  observerez 

aussi  que  le  cardinal  Carpegna  a  une  fois  renvoyé 

la  suite  de  son  discours  à  une  autre  congrégation, 

et  cela  pour  plaire  au  cardinal  de  Bouillon ,  par  le 

même  motif  qui  dirige  le  cardinal  Spada.  Ils  croient 

ne  pouvoir  faire  moins  pour  cette  Eminence,  que 

d'alonger  ainsi  leurs  discours.  Je  sais  que  le  cardi- 


20îi  LETTRES 

nal  de  Bouillon  fait  faire  auprès  du  cardinal  Car- 
pegna  tous  les  manèges  imaginables.  Une  femme  du 
même  nom,  qui  est  la  meilleure  amie  que  le  car- 
dinal de  Bouillon  ait  ici,  et  qui  assurément,  sans 
lui  faire  tort,  n'est  pas  la  plus  estimable  de  toutes 
les  Françaises  qui  sont  à  Rome,  ne  s'épargne  pas  à 
cet  égard.  ' 

Voilà  mon  ami  qui  entre,  voici  bien  des  nou- 
velles qu'il  m'apprend.  Il  a  vu  tous  les  vœux  des 
cardinaux ,  et  le  commissaire  lui  a  parlé  à  cœur 
ouvert. 

Le  cardinal  de  Bouillon  est  tel  que  je  vous  l'ai  re- 
présenté, soutenant  hautement  le  livre,  distinguant 
les  sens,  et  condamnant  les  propositions  dans  le  sens 
qu'il  prétend  que  M.  de  Cambrai  les  condamne  lui- 
même  dans  son  livre. 

Après  le  cardinal  de  Bouillon ,  qui  est  le  phénix,, 
le  plus  grand  partisan  de  M.  de  Cambrai  est  le 
cardinal  Albani ,  qui  paroît  très-porté  à  l'excuser  : 
il  distingue  aussi  les  sens. 

Le  cardinal  Ottoboni  vient  ensuite.  Il  avoit  d'a- 
bord fait  assez  mal ,  mais  depuis  il  s'est  un  peu 
ravisé.  Il  est  moins  favorable  à  M.  de  Cambrai  que 
le  cardinal  Albani ,  et  condamne  plus  précisément 
les  principales  propositions  ;  mais  cela  n'est  pas  en- 
core net  :  je  ne  m'y  serois  jamais  attendu. 

Le  cardinal  Carpegna ,  je  ne  l'aurois  jamais  cru , 
biaise  quelquefois  un  peu  en  certaines  choses  : 
néanmoins  en  gros  il  va  assez  bien.  Le  cardinal 
de  Bouillon  inspire  de  la  terreur ,  par  les  in- 
fluences qu'il  doit  avoir  dans  l'élection  d'un  nou- 
veau Pape. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  2o3 

Pour  le  cardinal  Nerli ,  voici  comment  il  s'y  est 
pris.  Avant  que  de  voter  il  a  fait  sa  déclaration , 
dont  il  a  demande  acte ,  qui  porte  qu'il  ne  préten- 
doit  pas  jusqu'à  présent  que  le  décret  dût  entrer 
dans  le  particulier  de  la  doctrine  des  propositions, 
mais  que  c'étoit  dans  l'intention  seulement  d'une 
simple  prohibition  du  livre  qu'il  s'expliquoit  sur  le 
fond  de  la  doctrine.  Après  cette  protestation,  il 
qualifie  les  propositions  en  particulier  aussi  forte- 
ment et  aussi  précisément  qu'aucun  des  plus  dé- 
cidés, les  condamnant  comme  erronées,  téméraires, 
tendantes  à  l'hérésie,  etc.  Voilà  un  plaisant  mezzo 
termine.  Ce  cardinal  a  cru  satisfaire  à  sa  conscience 
en  parlant  vigoureusement  contre  la  doctrine  du 
livre  ;  mais  cependant  il  a  voulu  ménager  le  car- 
dinal de  Bouillon,  et  les  Jésuites  dont  il  est  ami, 
en  protestant  comme  vous  voyez.  Je  ne  l'aurois  ja- 
mais cru,  et  toute  la  congrégation  a  été  trompée. 
Il  s'exprime,  à  ce  qu'on  m'a  assuré,  aussi  fortement 
que  les  bien  intentionnés,  et  censure  aussi  vigou- 
reusement ,  et  tout  cela  dans  la  vue  de  prohiber 
simplement  le  livre.  Je  suis  bien  surpris  s'il  pense 
ce  qu'il  dit.  Il  croit  par -là  contenter  un  peu  le 
cardinal  de  Bouillon;  mais  au  fond  il  proscrit  toutes 
les  erreurs.  Ainsi  la  résolution  du  Pape  étant  de 
s'expliquer  sur  le  particulier  de  la  doctrine,  le  Roi 
et  les  évéques  le  demandant ,  la  protestation  du  car- 
dinal Nerli  n'est  qu'une  chanson.  Cela  fait  seule- 
ment voir  les  ménagemens  qu'on  veut  avoir. 

Tous  les  autres  vont  rondement,  et  qualifient 
précisément,  sans  restriction,  sans  distinction  de 
sens.  Le  cardinal  Casanate  agit  et  parle,  sans  au- 


2o4  LETTRES 

cune  considération  humaine,  en  faveur  de  la  vérité, 
comme  on  pouvoit  lattendre  d'un  aussi  digne  per- 
sonnage. Outre  les  qualifications  particulières ,  il  a 
conclu  à  ce  qu'on  mît  encore  dans  le  décret ,  qu'en 
général  toute  la  doctrine  du  livre ,  dans  toute  sa 
suite ,  étoit  erronée ,  tendante  à  faire  illusion ,  et 
renouvelant  clairement  le  Quiétisme.  Noris  et  Fer- 
rari font  bien,  ainsi  que  tous  les  autres. 

J'ajoute  au  Journal  ceux  qui  ont  parlé  hier, 
lundi  19.  Vous  jugez,  par  tout  ce  détail  particulier, 
qu'à  peu  de  cardinaux  près  tout  va  bien  :  vous  voyez 
en  même  temps  par  des  faits  constans  les  efforts  de 
la  cabale,  et  combien  les  nouvelles  instances  du  Roi 
étoient  nécessaires. 

Vous  pouvez  compter  que  ce  que  je  vous  marque 
dans  cette  lettre,  est  très-sûr.  Le  secret,  qu'on  peut 
dire  impénétrable  dans  le  saint  Office ,  est  cause 
qu'on  se  trompe  quelquefois  sur  les  discours  en  Vair 
qu'on  entend.  Néanmoins  vous  voyez  que.  Dieu 
merci,  j'ai  toujours  écrit  assez  juste  :  si  je  me  suis 
trompé  en  quelque  chose ,  je  rectifie  mon  erreur  à 
présent  que  je  suis  instruit  par  pièces.  Mais  cer- 
tainement je  ne  me  suis  pas  trompé  sur  le  cardinal 
de  Bouillon  ,  ni  guère  sur  Albani  et  Ottoboni.  Je 
ne  puis  assez  mépriser  le  cardinal  Alliani,  qui  use 
d'un  procédé  honteux  par  rapport  au  père  Roslet , 
à  qui  il  ne  cesse  de  dire  tout  le  pis  qu'il  peut  du  car- 
dinal de  Bouillon,  pour  tromper  ce  bon  Père. 

Il  faut ,  s'il  vous  plaît ,  un  grand  secret  sur  tous 
ces  détails,  et  ne  se  fier  à  personne  là-dessus  :  il  n'est 
d'aucune  utilité  en  France  de  faire  connoître  ces 
particularités  à  des  amis.  Quant  au  Roi  et  à  ma- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  ao5 

dame  de  Main  tenon,  il  n'y  a  pas  de  secret  pour  eux 
ni  pour  M.  de  Paris  ;  mais  ce  dernier  doit  le  garder 
scrupuleusement.  Je  n'ai  communiqué  à  personne 
ce  que  je  vous  écris  aujourd'hui ,  pas  même  à  M.  Phe- 
lippeaux  ni  au  père  Roslet ,  ni  à  qui  que  ce  soit  ;  et 
personne  ne  le  saura  jamais  que  mon  ami  et  moi.  Si 
on  pouvoit  découvrir  ici  que  je  suis  si  bien  informé 
de  ce  qui  se  passe  au  saint  Office ,  je  ne  serois  pas 
en  sûreté.  Faites  bien  comprendre  à  M.  de  Paris 
de  quelle  conséquence  le  secret  est  pour  moi  et 
pour  l'affaire.  On  n'a  déjà  que  trop  parlé  en  France 
des  faits  particuliers  que  nous  écrivons.  Tout  revient 
ici  au  bout  de  cinq  semaines  comme  nous  l'avons 
mandé,  et  cela  peut  attirer  des  affaires  à  nos  amis 
de  Rome.  Il  faut  se  défier  de  M.  le  cardinal  d'Es- 
trées  et  de  M.  le  cardinal  de  Janson,  qui  ont  tous 
deux  leurs  vues  politiques  :  les  Jésuites  de  France 
bavent  faire  jouer  bien  des  ressorts. 

L'ami  qui  me  sert  à  présent ,  n'est  connu  de  moi 
que  depuis  trois  semaines.  J'espère  dorénavant  savoir 
par  son  canal  tout  ce  qui  se  dira  dans  les  congréga- 
tions, comme  si  j'y  étois  présent. 

Le  Pape,  lorsque  les  congrégations  auront  achevé 
de  discuter  la  matière,  a  résolu  d'entendre  chaque 
cardinal  seul  à  seul.  Le  point  essentiel  est  de  finir  ; 
car,  malgré  les  puissans  efforts  d'une  cabale  pleine  de 
rage,  la  vérité  triomphera. 

Je  vous  supplie  de  communiquer  toute  ma  lettre  à 
M.  de  Paris ,  à  qui  je  ne  puis  écrire  qu'un  mot.  Je  le 
renvoie  à  vous ,  et  je  ne  puis  trop  vous  recomman- 
der à  l'un  et  à  l'autre  le  secret. 

Le  cardinal  de  Bouillon  a  prétendu  animer  le  Pape 


2o6  LETTRES 

et  les  cardinaux  contre  moi,  en  disant  que  j'étois 
la  cause  du  mécontentement  du  Roi ,  et  que  j'avois 
envoyé  un  courrier  porter  des  dépêches  contre  lui. 
Je  ne  sais  si  cela  ne  lui  est  pas  aussi  revenu  par  le 
nonce.  On  ne  sauroit  faire  qu'on  ignore  ce  qui  est 
une  fois  connu  ;  mais  il  eût  été  à  souhaiter  qu'on 
eût  pu  se  dispenser  de  publier  ces  circonstances  : 
personne  jusqu'ici  ne  s'étoil  douté  du  fait.  Au  reste, 
je  ne  crains  rien ,  n'ayant  donné  des  avis  que  dans 
la  nécessité,  et  n'ayant  jamais  rien  dit  que  de 
très -vrai. 

La  liaison  entre  le  cardinal  de  Bouillon ,  le  père 
Charonnier,  l'abbé  de  Chanterac  et  les  Jésuites,  est 
plus  grande  que  jamais.  Je  suis  informé  de  tout  ce 
qu'ils  font;  mais  le  détail  en  seroit  trop  long. 

Le  cardinal  de  Bouillon  fit  hier  tenir  la  congré- 
gation une  heure  plus  tard  qu'à  l'ordinaire.  On  dit 
qu'il  commence  à  être  plus  court  et  plus  modeste  :  il 
garde  encore  des  mesures  avec  moi. 

Je  n'ai  pu  avoir  la  thèse  de  Douai  :  en  voilà  deux 
de  Louvain,  Tune  un  peu  favorable  à  M.  de  Cam- 
brai, et  l'autre  contre  lui.  Mais  tout  cela  ne  si- 
gnifie rien. 

Rome,  ce  20  janvier  1699^ 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  207 


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LETTRE  CCCCIX. 

DE   BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  la  peine  qu'il  a  de  voir  le  cardinal  de  Bouillon  engagé  dans  une 
si  mauvaise  cause  3  et  sur  le  naéconlenlemeut  que  le  Roi  avoit  de 
sa  condt^ite. 

J'ai  reçu  vos  lettres  du  8  et  du  9 ,  avec  celle  du  6 
de  ce  mois.  Je  ne  sais  rien  des  dispositions  de  la  Cour 
sur  les  réponses  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon. 
M.  l'abbé  Langlois  m'a  montré  la  lettre ,  où  cette 
Eminence  lui  écrit  ce  qu'elle  vous  avoit  dit  au  sujet 
de  ma  conversation  avec  ce  M.  l'abbé  Langlois.  Cela 
ne  méritoit  pas  d'être  relevé.  On  ne  peut  pas  ignorer 
que  toutes  les  lettres  de  Rome  et  d'Italie  parlent  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  comme  d'un  défenseur 
ardent  et  sans  mesure  de  M.  de  Cambrai.  On  mar- 
quoit  même  dans  les  lettres  des  ordinaires  précédens , 
qu  à  un  festin  solennel ,  donné  par  cette  Eminence 
le  jour  de  sainte  Luce,  tout  le  monde  avoit  été  in- 
vité selon  la  coutume,  excepté  vous.  Ce  petit  fait 
m'est  revenu  de  tous  côtés,  et  je  n'ai  pu  répondre 
autre  chose,  sinon  que  ni  vous,  ni  M.  Phelippeaux, 
n'en  aviez  rien  mandé  ici. 

Au  surplus ,  sans  faire  valoir  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  les  sentimens  que  j'ai  pour  lui,  je  ne  puis 
m'empêcher  d'être  fâché  de  voir  son  nom  dans  une 
cause  si  mauvaise ,  et  si  déshonorante  pour  ceux 
qui  s'en  mêlent  :  je  ne  parle  point  des  autres  incon- 
véoiens.  Oa  croit  le  Roi  irrité  contre  cette  Emi- 


208  LETTRES 

nence,  à  cause  du  retardement  d'une  aflfaire  que  le 
bien  de  la  chrétienté  de  voit  faire  aller  plus  vite. 

Je  suis  en  repos,  quand  je  songe  que  j'ai  fait  ce 
que  j'ai  pu  pour  prendre  des  tempéramens  conve- 
nables, et  ensuite  pour  la  défense  de  la  vérité;  ce 
que  je  continuerai  jusqu'au  dernier  soupir,  Dieu 
aidant.  Je  crois  que  cette  lettre  partira  par  un 
extraordinaire  qu'on  m'a  indiqué. 

A  Paris 4  ai  janvier  1699. 


LETTRE  CCCGX. 

DE  M.  DE  NO  AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  motifs  qu'on  avoit  d'espérer  plus  de  célérité ,  et  sur  le  pe« 
de  cas  qu  ou  deyoit  faire  de  Tayis  des  examinateurs  favorables 
au  livre. 

Je  réponds  par  celle-ci ,  Monsieur ,  à  vos  deux 
lettres  du  8  et  du  9  :  le  courrier  extraordinaire  les 
a  apportées  l'une  et  l'autre.  J'ai  bien  de  la  joie  du 
bon  effet  de  celle  qui  l'avoit  fait  aller  à  Rome.  Si 
l'on  ne  fait  pas  diligence  après  cela ,  rien  ne  la  fera 
faire.  Il  y  a  un  grand  sujet  d'espérer ,  les  congréga- 
tions du  mercredi  étant  rétablies,  et  le  Pape  en 
ayant  fait  tenir  une  le  jour  des  Rois ,  qu'on  ira  plus 
vite.  Attendez-vous  toujours  néanmoins  aux  alon- 
gemens  qu'on  pourra  inventer  ;  et  ne  vous  lassez 
point  de  les  combattre. 

Ce  seroit  un  coup  de  partie,  que  le  cardinal  Ca-» 
sanate  fût  chargé  de  dresser  la  bulle  j  la  rédaction 

en 


StJR    L*  A  FF  AIRE    DU    QUIÉTISME.  aOQ 

en  serôit  plus  courte  dans  ses  mains.  Comme  il  en  a 
de'jà  fait  une  sur  pareille  matière ,  il  est  plus  en 
droit  et  plus  en  ëtat  qu'un  autre  de  faire  cette  fonc- 
tion. Agissez,  s'il  vous  plait,  de  votre  mieux  pour 
qu  elle  tombe  sur  lui* 

Il  faut  bien  combattre  la  peine  du  Pape  sur  le 
partage  des  examinateurs,  en  lui  représentant  qu'il 
ne  les  faut  regarder  que  comme  de  simples  consul" 
teurs ,  et  point  comme  juges.  D'ailleurs,  n'y  en  a^ 
t-il  pas  un  de  ceux  qui  ont  été'  favorables  au  livre  ^ 
qui  a  changé  d'avis ,  et  qui  a  perdu  le  chapeau  pour 
ne  l'avoir  pas  fait  plus  tôt?  N'a-t-on  pas  fait  ajouter 
les  trois  derniers,  parce  qu'on  les  avoit  gagnés?  Leur 
autorité  ne  doit  donc  pas  être  d'un  grand  poids. 
Je  ne  vous  dis  rien  des  quatre  derniers  ouvrages 
de  M.  de  Cambrai ,  car  je  ne  hs  ai  pas  encore  vus.  Je 
me  remets  à  M.  de  Meaux,  qui  en  a  vu  du  moins 
une  partie  :  il  vous  dira  aussi  tout  ce  que  le  temps  ne 
me  permet  pas  de  vous  marquer;  car  il  est  tard,  et 
j'arrive  de  Versailles.  Je  suis  toujours  à  vous,  Mon- 
ieur,  comme  ^ 

26  Janvier  169g. 


LETTRE  GCCCXI. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU* 

Suruneniretien  du  prélat  touchant  le  cardinal  de  Bouillon;  quelques 
écrits  contre  M.  de  Cambrai,  et  hs  motifs  qui  les  faisoient  publier. 

Nous  n'avons  point  de  lettres  de  vous  par  le  der- 
nier courrier  ;  mais  nous  avons  reçu  par  le  courrier 

BosSUET.    XLII.  i4 


3tia  LETTRES 

extraordinaire,  parti  depuis,  celles  du  8  et  du  9. 
Je  vous  en  ai  accusé  la  réception  par  un  courrier 
extraordinaire  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  dont 
on  m'avoit  donné  avis. 

Je  vous  parle  dans  ma  lettre  de  ce  que  vous  a  dit 
M.  le  cardinal  de  mon  entretien  avec  M.  Langlois , 
que  ce  docteur  lui  avoit  écrit.  Il  m'en  a  fait  voir  la 
réponse,  qui  est  enjouée,  et  telle  quil  convenoit 
à  ce  personnage.  Je  lui  dis ,  il  est  vrai ,  que  nous  ne 
pouvions  pas  n'être  point  attentifs  à  ce  que  portent 
toutes  les  lettres  de  Rome ,  sur  le  dévouement 
presque  sans  mesure  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
aux  intérêts  de  M.  de  Cambrai  ;  mais  en  même 
temps  je  lui  témoignai  ma  douleur,  à  cause  de  l'in- 
térêt que  je  prends  à  la  gloire  de  ce  cardinal,  sans 
entrer  dans  les  autres  inconvéniens.  Cette  Eminence 
disoit  dans  sa  lettre  à  M.  Langlois,  que  si  je  pouvois. 
savoir  son  vœu ,  j'en  serois  content.  J'oserois  lui 
dire  que  cela  ne  me  paroît  guère  possible ,  attendu 
l'excessive  prévention  qu'il  a  témoignée  jusqu'à 
présent. 

Toutes  les  lettres  portent  aussi  l'étonnement  ovt 
l'on  étoit,  de  ce  qu'au  festin  de  sainte  Luce  tout  le 
monde  avoit  été  invité,  excepté  vous  ;  ce  qui  pa- 
roissoit  bien  affecté.  Quand  on  m'en  parle,  je  ne 
puis  répondre  autre  chose,  sinon  que  vous  et 
M.  Phelippeaux  ne  nous  en  avez  rien  écrit ,  et  que 
je  vous  trouvois  de  bon  goût  d'avoir  fait  si  peu  d'at- 
tention à  de  si  petites  choses.  Vous  direz  à  M.  le 
cardinal  ce  que  vous  jugerez  à  propos  de  tout  cela  : 
continuez-lui  vos  respects  et  les  assurances  des 
miens. 


1 


SUR   l'affaire   du    QUIÉTISME.  2H 

Vous  recevrez  par  cet  ordinaire  la  Réponse  d'un 
théologien  pour  M.  de  Chartres ,  et  la  mienne  très- 
courte  aux  Préjugés  (*)  de  M.  de  Cambrai.  Faites 
avec  prudence  la  distribution  de  ces  écrits ,  en  re- 
pre'sentant  que  ces  re'ponses  sont  nécessaires  pour 
empêcher  le  triomphe  du  parti  de  M.  de  Cambrai , 
et  la  séduction  des  peuples,  que  peut  causer  le 
nombre  infini  de  petits  écrits  qu'il  répand. 

La  cabale  est  plus  violente  que  jamais  ;  mais  il  n'y 
entre  ni  évêques  ni  docteurs,  Dieu  merci.  Vous 
aurez  des  signatures  de  docteurs  en  très  -  grand 
nombre  :  si  nous  en  avions  voulu  encore  cinquante, 
nous  les  aurions.  M.  le  nonce  m'a  montré  une  lettre 
de  M.  de  Cambrai,  où  il  se  plaint  qu'on  a  extorque 
ces  signatures  :  jamais  rien  ne  fut  plus  volontaire.  Il 
écrit  d'un  ton  victorieux,  et  l'on  diroit  que  c'est  moi 
dont  on  examine  les  Hvres.  J'en  ai  beaucoup  de  prêts, 
et  je  suis  du  sentiment  que  jusqu'à  la  décision  il  faut 
écrire  sur  le  même  ton. 

M.  l'envoyé  de  Toscane  m'est  venu  dire,  de  la 
part  de  son  maître ,  que  M.  de  Madot  (**)  pouvoit 
aller  à  Florence,  et  qu'on  verroit  ce  qu'on  pourroit 
faire  pour  lui.  Je  tire  bon  augure  de  cette  réponse  • 

C*)  Elle  est  imprimée  au  tom.  xxx,  pag.  a85  et  suw. 

(**)  Cétoit  un  gentilhomme  français,  de  la  Marche.  II  avoit  étd 
attaché  au  maréchal  de  la  Feuillade,  qui  l'avoit  connu  avantageu- 
sement dans  le  service  :  mais  ayant  eu  le  malheur  de  se  battre  ea 
4uel,  il  fut  obligé  de  quitter  la  France,  et  se  retira  en  Italie,  où 
Vabbé  Bossuet  eut  occasion  de  le  conuoître.  Il  se  lia  d'amitié  avec 
lui,  et  le  recommanda  à  son  oncle.  Le  prélat,  dans  la  vue  de  lui 
procurer  quelque  emploi  en  pays  étranger,  s'intéressa  en  sa  faveur 
auprès  du  grand  duc,  qui  honoroit  beaucoup  le  mérite  de  Tillustre 
évéque  de  Meaux. 


21  a  LETTRES 

qui  me  paroît  être  de  la  main  du  prince,  et  j'en  al 
fait  part  aussitôt  à  M.  l'abbé  de  Madot. 

Paris,  27  janvier  1699. 


LETTRE  CCCCXII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  ce  qui  s'éloit  passé  dans  les  dernières  congrégations  ;  la  con- 
duite et  les  dispositions  des  différens  cardinaux  j  une  lettre  de 
M.  de  Cambrai  au  Pape  j  et  les  incouvéniens  d'une  clause  qu'on 
vouloit  insérer  dans  le  décret. 

J'ai  reçu  parle  dernier  courrier  vos  deux  paquets, 
l'un  de  Versailles,  du  3o  décembre,  qui  arriva  trop 
tard;  l'autre  du  5  janvier,  de  Paris. 

Je  n  ai  pas  manqué  aux  bonnes  fêtes  de  voir  nos 
amis ,  et  de  remplir  mon  devoir  à  votre  égard.  Je 
crois  vous  avoir  mandé  ce  que  j'ai  dit  de  votre  part 
à  Sa  Sainteté,  et  la  manière  paternelle  et  obligeante 
dont  elle  l'a  reçu. 

Mercredi,  21  de  ce  mois,  il  n'y  a  eu  que  les  trois 
derniers  cardinaux ,  Noris ,  Ottoboni  et  Albani  qui 
aient  parlé  sur  le  v*'  chapitre.  Hier,  lundi  26,  on 
tint  la  congrégation  ordinaire ,  et  sept  cardinaux, 
savoir  les  cardinaux  de  Bouillon,  Carpegnà,  Nerli, 
Casanate,  Marescotti,  Spada,  Panciatici,  parlèrent 
sur  le  vi«  chapitre ,  qui  contient  les  xviii'' ,  xix^ , 
xx^  et  XXI*  propositions.  Les  quatre  qui  restent , 
parleront  apparemment  demain;  et  dès  la  première 
congrégation ,  après  celle  de  demain ,  on  commen- 
cera à  entamer  le  dernier  chapitre ,  qui  est  sur  la 
matière  de  la  contemplation.  Je  ne  sais  si  la  congre- 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  24l3 

galion  de  lundi  prochain,  qui  est  le  jour  de  la  Puri- 
fication, ne  sera  pas  remise  au  jour  de  devant  ou  au 
jour  d'après  :  je  ne  crois  pas  qu'on  veuille  perdre  ce 
jour.  Peut-être  la  tiendra-t-on  le  lundi  même,  n'y 
ayant  point  de  chapelle  l'après-dînée. 

Je  n'entrerai  point  aujourd'hui  dans  un  aussi 
grand  détail  que  dans  ma  dernière  lettre.  Les  choses 
sont  dans  les  mêmes  dispositions  :  on  peut  compter 
que  tout  va  bien  et  assez  vite,  comme  vous  voyez, 
dans  des  circonstances  qu'on  ne  peut  changer.  Le 
petit  expédient  qu'a  pris  le  cardinal  Nerli,  pour  ne 
pas  déplaire  si  ouvertement  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  et  aux  Jésuites ,  peut-être  même  à  l'arche- 
vêque de  Chieti  qui  est  son  ami  intime,  ne  diminue 
en  rien  la  force  de  san  vœu  :  il  est  un  des  plus  forts , 
et  le  cardinal  Casanate  en  parle  ainsi.  Ce  cardinal 
me  disoit  avant-hier ,  qu'il  avoit  toujours  appréhendé 
que  le  cardinal  Nerli  n'allât  pas  si  bien ,  mais  qu'il 
alloit  à  merveille.  Il  méprise  cette  petite  exception  , 
qui  ne  signifie  rien  qu'une  petite  condescendance , 
pour  ne  pas  paroître  aller  tête  baissée  contre  le  car- 
dinal de  Bouillon  et  ses  sentimens.  Je  n'ai  pas  laissé 
de  faire  avertir  tout  doucement  le  cardinal  Nerli  du 
tort  que  pourroit  causer  en  cette  circonstance  à  sa 
réputation  la  moindre  foiblesse ,  qu'elle  pourroit  lui 
faire  perdre  tout  le  mérite  qu'il  avoit  d'ailleurs.  Il 
faut  traiter  les  affaires  de  ce  genre  avec  une  grande 
délicatesse  ;  il  n'est  pas  si  aisé  qu'on  le  croiroit  bien, 
de  faire  faire  ce  que  l'on  veut  aux  gens  de  ce  pays. 

Généralement  parlant  le  cardinal  Carpegna  fait 
bien.  Le  cardinal  Ottoboni  à  présent  ne  va  pas  si 
mal,  et  l'on  m'a  assuré  que  dans  la  congrégation  de 


3l4  LETTRES 

mercredi,  le  cardinal  Albani  parla  assez  bien  contre 
M.  de  Cambrai.  Le  cardinal  de  Bouillon  est  le  même  : 
il  condamne  la  plupart  des  propositions,  mais  dans 
un  certain  sens.  Je  fais  ce  que  je  puis  pour  parvenir 
à  avoir  précisément  ses  qualifications,  au  moins  sur 
l'amour  pur;  cela  n'est  pas  si  aisé.  On  m'a  néanmoins 
fait  espérer  qu'on  me  procurer  oit  copie  du  vœu  de 
cette  Eminence  ;  le  succès  ne  dépend  que  de  la 
conjoncture. 

Le  père  Roslet  m'a  dit  avoir  eu  une  grande  expli- 
cation avec  le  cardinal  Albani.  Cette  Eminence  l'as- 
sure toujours  qu'elle  fait  des  merveilles,  mais  qu'elle 
a  beaucoup  d'ennemis  qui  ne  disent  pas  la  vérité  sur 
son  sujet.  Le  bon,  c'est  qu'il  dit  toujours  au  père 
lloslet  toute  sorte  de  mal  du  cardinal  de  Bouillon. 
11  l'a  engagé  à  marquer  à  M.  de  Paris  que  l'affaire 
ne  pouvoit  aller  mieux  ;  qu'elle  tournoit  au  gré  du 
Roi  et  des  évêques ,  qu'on  auroit  une  décision  telle 
qu'on  la  souhaite ,  et  qu'avant  le  Carême  tout  seroit 
iîni.  Pour  moi,  j'avoue  que  je  ne  puis  me  lier  à  ce 
cardinal  :  je  le  regarde  comme  le  plus  grand  ami  des 
Jésuites.  Depuis  le  premier  jour  de  cette  affaire,  il 
s'est  engagé  avec  le  cardinal  de  Bouillon  !  il  veut 
tromper  également  les  deux  partis.  Dès  le  commen- 
cement il  nous  a  fait  bien  du  mal  auprès  du  Pape  : 
il  faut  cependant  en  tirer  ce  qu'on  peut. 

Le  cardinal  Casanate  m'a  assuré  que  les  cardinaux 
Spada  et  Panciatici  alloient  bien  et  rondement.  On 
ne  peut  trop  dire  combien  le  cardinal  Casanate  est 
pénétré  de  la  matière,  et  avec  quelle  force  il  parle. 
Le  cardinal  de  Bouillon  ne  peut  le  souffrir  ni  l'en- 
tendre, On  remarqua  fort  bien,  il  y  a  huit  jours. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  siS 

que  le  cardinal  de  Bouillon  qui  a  coutume  d'arriver 
toujours  le  premier,  ne  voulut  pas  se  trouver  au 
commencement  de  la  congrégation,  parce  que  le 
cardinal  Casanate  devoit  parler.  Ce  cardinal  me  dit 
avant-hier  que  le  cardinal  de  Bouillon  étoit  vif  quel- 
quefois ;  mais  ajouta-t-il ,  ha  trowato  ancora  il  ter- 
reno  vwo  j  voulant  dire  qu'il  avoit  trouve  à  qui 
parler. 

Je  tiens  du  cardinal  Casanate  que  plus  il  lit  la 
censure  de  nos  docteurs,  plus  il  la  trouve  foible  et 
peu  digne  de  la  Sorbonne  ;  ce  sont  ses  propres  pa- 
roles. J'ai  dit  tout  ce  que  j'ai  cru  propre  aies  excuser, 
et  en  même  temps  j'ai  voulu  exciter  à  faire  mieux , 
tout  l'univers  attendant  de  l'Eglise  romaine  une  dé- 
cision plus  pre'cise  et  plus  forte.  Il  faut  ici  les  pi- 
quer d'honneur.  Je  pense  que  l'envie  de  faire  mieux 
que  nos  docteurs  ne  nuira  pas  à  la  bonne  cause ,  ni 
à  la  vérité  ;  Dieu  se  sert  de  tout. 

Je  regarde  comme  certain  que  le  cardinal  Al- 
bani  (*)  ne  sera  point  chargé  de  rédiger  la  bulle.  Si 
cela  est,  on  ne  confiera  cet  ouvrage  qu'aux  cardi- 
naux Noris ,  Ferrari  et  Casanate  :  il  ne  seroit  pas 
mauvais  que  les  deux  premiers  concourussent  avec 
le  dernier. 

Je  ne  vois  pas  que  la  thèse  de  Douai  fasse  ici  im- 
pression. Le  cardinal  Casanate  m'a  demandé  si  la 
Sorbonne  ne  la  censureroit  pas  :  je  lui  ai  répondu 
qu'elle  n'en  valoit  pas  la  peine.  Il  en  est  convenu 
avec  moi. 

Je  ne  saurois  trop  vous  recommander  et  à  M.  de 

(*)  On  verra  que  l'abbé  Bossue t  u'éloit  pas  aussi  bien  assuré  du 
fait  qu'il  le  croyoit. 


(il  6  LETTRES 

Paris  le  secret  sur  tout  ce  que  je  vous  mande  de  cir- 
constances particulières,  et  sur  ce  qui  concerne  nos 
amis  et  nos  ennemis  :  j'excepte  ne'anmoins  le  Roi  et 
madame  de  Maintenon.  Si  Ton  parloit,  ce  seroit  le 
moyen  de  m'ôter  toute  la  confiance  qu'on  peut  avoir 
en  moi.  Vous  n'ignorez  pas  que  le  nonce  mande  ici 
tout  ce  qu'il  peut  savoir. 

Je  fus  averti  avant  allier  qu'il  y  avoit  une  lettre 
de  M.  de  Cambrai  au  Pape(*),  datée  du  i3  décembre, 
très -longue,  et  à  peu  près  de  vingt  pages,  grand 
papier.  Je  me  mis  aux  champs ,  et  je  sus  que  M.  de 
Chanterac  la  présenta  à  Sa  Sainteté  il  y  a  environ 
quinze  jours,  la  priant  de  vouloir  bien  la  commu- 
niquer à  MM,  les  cardinaux.  Le  Pape  n'en  fit  pas 
grand  cas,  et  ne  donna  aucun  ordre  à  ce  sujet. 
M.  de  Chanterac  en  alla  faire  quelque  espèce  de 
plainte  à  M.  l'assesseur ,  qui  mercredi  dernier  en 
parla  à  Sa  Sainteté  à  son  audience.  Le  Pape  la  lui 
remit  pour  l'envoyer  à  MM.  les  cardinaux.  On  en 
fit  deux  copies  :  l'une  fut  adressée  à  M.  le  cardinal 
de  Bouillon ,  pour  la  faire  passer  ensuite  de  main 
en  main  au  cardinal  Carpegna  jusqu'au  cardinal 
Spada  ;  l'autre  fut  envoyée  en  même  temps  au  car- 
dinal Panciatici,  pour  en  faire  part  aux  autres  car- 
dinaux. M.  le  cardinal  de  Bouillon  reçut  la  sienne 
samedi  matin  :  le  cardinal  Carpegna  l'avoit  hier.  Si 
je  puis  en  avoir  copie,  je  vous  l'enverrai  :  je  ne  sais 
.si  on  pourra  la  tirer  de  quelqu'un.  Cette  lettre 
n'est  qu'une  répétition  en  abrégé  de  ce  qu'il  a  dit 
et  redit  cent  et  cent  fois  ;  il  fait  de  nouvelles  pro-i 

(*)  Elle  est  rapportée  dans  la  Relation  de  fabbé  Phelippeaux, 
II.  psMTt;.  pag.  169  et  suiy. 


r 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUTÉTISME.  9.1'] 

testations  de  soumission  et  de  catholicité  ;  il  assure 
qu'il  n  a  fait  que  se  servir  des  expressions  des  mys- 
tiques les  plus  approuvés  ;  qu'on  ne  peut  le  con- 
damner sans  les  condamner  en  même  temps.  Au 
reste,  pas  un  mot  de  rétractation,  à  ce  qu'on  m'a 
assuré  :  il  a  toujours  raison  j  il  est  persécuté  par  ses 
implacables  ennemis  ,  par  leur  puissance  et  leur 
cabale  ;  ils  ^e  tiennent  dans  l'oppression,  etc.  Ainsi 
rien  de  considérable ,  rien  de  nouveau;  mais  il  pré- 
tend toujours  par-là  embarrasser.  Tout  son  but  et 
celui  de  ses  amis  tend  à  présent  a  faire  peur  et  pitié. 
On  veut  faire  appréhender  un  puissant  parti  parmi 
les  évêques  et  les  docteurs ,  que  l'autorité  seule  du 
Roi  empêche  de  s'élever  et  de  parler  :  on  rappelle 
à  ce  sujet  les  procédés  violens  dont  on  a  usé  dans 
le  temps  de  l'assemblée  de  1682,  à  l'occasion  de  la 
Régale.  C'est  généralement  de  quoi  on  remplit  tout 
Rome  actuellement ,  depuis  la  lettre  du  Roi  plus 
que  jamais,  et,  je  l'ose  dire,  avec  une  insolence 
sans  égale.  On  veut  faire  pitié ,  en  représentant  un 
saint  archevêque  persécuté,  et  éprouvant  les  traite- 
mens  les  plus  odieux.  Ce  sont  les  derniers  efforts  d'un 
parti  le  plus  envenimé  qui  fut  jamais.  Vouloir  en 
douter,  c'est  vouloir  douter  qu'il  fait  jour  en  plein 
midi  ;  on  n'épargne  personne. 

On  débite  ici  une  nouvelle  comme  venant  de  chez 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  :  c'est  la  mort  de  ma- 
dame Guyon  à  la  Bastille,  avec  mille  circonstances. 
Puisque  vous  ne  m'en  mandez  rien ,  je  prends  la  li- 
berté d'en  suspecter  la  vérité. 

Jeudi,  au  sortir  de  la  congrégation  du  saint  Of- 
fice ,  M.  le  cardinal  de  Bouillon  alla  à  Frescati,  étu- 


3l8  LETTRES 

dier  avec  le  pèrQ  Charonnier  :  il  n'en  revint  qu'hier 
matin ,  et  ne  se  trouva  pas  à  la  procession  ordonnée 
par  Sa  Sainteté,  où  tous  les  cardinaux  et  prélats 
assistèrent.  C'étoit  l'ouverture  d'un  jubilé,  que  le 
Pape  a  donné  en  particulier  pour  implorer  le  se- 
cours du  ciel  eu  faveur  des  Catholiques  d'Angle- 
terre ;  et  en  effet  la  première  station  étoit  dimanche 
à  l'église  des  Anglais,  puis  à  Saint-Jean  de  Latran, 
à  Saint -Pierre  ,  etc.  L'absence  de  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  fut  très -remarquée,  et  n'a  point  été  ap- 
prouvée dans  une  occasion  aussi  frappante ,  où  les 
cardinaux  même  goutteux  se  sont  fait  traîner.  On  a 
songé  à  propos  de  cela  au  prince  d'Orange,  qui 
est  son  parent ,  et  qu'il  propose  dans  toutes  les  oc- 
casions comme  le  modèle  des  grands  hommes. 

Le  commissaire  du  saint  Office  et  le  cardinal  Ca- 
sanate  m'ont  assuré  que  tout  alloit  très-bien. 

Le  cardinal  de  Bouillon  qualifia  hier  la  proposition 
de  l'involontaire  ut  simpliciter  hœretica.  Je  suppose 
que  c'est  parce  que  M.  de  Cambrai  la  rejette,  comme 
n'étant  pas  de  lui  :  cela  mérite  confirmation  quant 
aux  deux  parties. 

L'abbé  de  Chanterac  a  dépêché  ces  jours -ci  un 
courrier  à  M.  de  Cambrai.  Il  y  a  bien  lieu  de  croire 
par  les  allées  et  venues  de  M.  Certes ,  et  par 
d'autres  circonstances  dont  nous  sommes  instruits, 
que  c'est  de  concert  avec  M.  le  cardinal  de  Bouil- 
lon :  assurément  c'est  sans  jugement  téméraire. 

J'ai  reçu  une  lettre  de  M.  le  nonce,  la  plus  obli- 
geante du  monde,  en  réponse  à  celle  que  je  lui  avois 
écrite.  Je  vous  prie  de  lui  bien  témoigner  ma  re- 
connoissance ,  et  de  l'assurer  de  mon  respect  :  je 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  219 

compte  le  remercier  par  le  premier  ordinaire.  Je 
vous  supplie  aussi  de  lui  parler  de  temps  en  temps 
du  bien  que  je  vous  écris  de  son  ami  le  prince 
Vaïni.  EiFectivement  il  na  rien  oublié,  et  n'oublie 
rien  de  tout  ce  qui  est  en  son  pouvoir  et  de  sa 
sphère,  soit  sur  notre  affaire ,  soit  sur  les  intérêts  de 
la  nation.  Dernièrement  il  rendit  visite  au  Pape,  et 
lui  parla  comme  il  faut. 

Ne  manquez  pas ,  s'il  vous  plaît ,  de  nous  en- 
voyer les  lettres  de  D.  Francesco  de  Vasquez,  am- 
bassadeur d'Espagne  au  concile  de  Trente,  qu'on 
imprime  à  Londres.  La  préface,  à  ce  que  l'on  dit, 
parle  de  l'affaire  de  Cambrai  d'une  manière  à  faire 
impression  ici ,  et  à  prouver  le  déshonneur  et  le 
mal  réel  du  délai  d'un  jugement  tel  qu'il  convient. 

Il  se  présente  une  occasion  de  servir  le  R.  P.  pro- 
cureur-général des  Augustins,  l'un  de  nos  meilleurs 
qualificateurs  :  je  vous  prie  de  ne  vous  pas  oublier  ; 
je  demande  à  M.  de  Paris  la  même  grâce.  On  tient 
après  Pâque  à  Bologne  le  chapitre  pour  l'élection 
d'un  général  :  ordinairement  on  choisit  le  procu- 
reur-général ,  quand  c'est  un  homme  de  mérite  ; 
et  celui-ci  joint  à  une  grande  piété  une  grande  sa- 
gesse, une  grande  connoissance  des  affaires  de  son 
ordre ,  un  grand  savoir.  Le  cardinal  Casanate  et 
le  cardinal  Noris,  dont  il  a  été  écolier,  ont  pour 
lui  une  amitié  particulière.  Le  Pape  l'estime  fort  ; 
et  il  s'est  fait  beaucoup  d'honneur  dans  l'affaire  de 
M.  de  Cambrai ,  dans  laquelle  on  a  surtout  re- 
connu en  lui  une  droiture  et  une  probité  à  toute 
épreuve.  C'est  justement  à  cause  de  cela  et  du 
crime  qu'il  a  commis  en  ne  favorisant  pas  M.  de 
Cambrai,  que  l'assistant  de  Fiance,  frère  du  prin- 


220  tEÏTRES 

cipal  du  collège  de  Bourgogne  à  Rome ,  s'opposé 
vivement  à  son  élection,  et  forme  une  forte  cabale 
contre  lui.  Cet  assistant  est  la  créature  du  père  de  la 
Chaise.  Il  seroit  question  de  faire  connoître  au  Roi 
le  mérite  du  sujet  et  ses  adversaires,  pour  l'enga- 
ger à  donner  des  ordres  qui  tendissent  à  déconcerter 
les  projets  formés  contre  lui  ;  cela  produiroit  ici  un 
bon  effet  par  rapport  aux  autres  personnes  qui  ont 
soutenu  le  parti  de  la  vérité. 

Ne  manquez  pas,  je  vous  prie,  de  me  mander 
comment  il  faut  que  je  traite  Tambassadeur. 

J'insinue  ici,  le  mieux  qu'il  m'est  possible,  tout 
ce  que  vous  pensez  sur  l'expression  du  sensus  ohvius. 
Le  cardinal  Casanate  s*est  rendu  à  mes  représenta- 
tions ,  et  j'espère  qu'on  ne  fera  pas  autrement.  Il  est 
certain  qu'il  va  sans  dire  que  les  propositions  ne 
sont  censurées  que  dans  ce  sens ,  et  que  l'exprimer 
c'est  affoiblir  la  décision.  Toutes  les  condamnations 
prononcées  par  l'Eglise  ont  toujours  été  faites  sui- 
vant cette  méthode. 

Rome,  27  janvier  1699. 


LETTRE  CGCCXII. 

DE   BOSSUET  A    SON    NEVEU. 

Sur  la  nécessité  de  répondre  aux  nouveaux  écrits  de  M.  de  Cam- 
brai; qu'il  faut  éviter  de  compromettre  le  nonce,  et  communi- 
quer avec  précauUou  les  nouvelles  signatures  des  docteurs  dé 
Paris. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  i3*,  celle  du  16,  qui  est 
venue  par  le  courrier  extraordinaire,  avoit  prévenu 
toutes  les  nouvelles. 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  221 

Vous  devez  avoir  h  présent  la  Réponse  d'un  Tliéo- 
logien  pour  M.  de  Chartres,  qui  est  fort  estime'e,  et 
ma  petite  Réponse  aux  Préjugés. 

J'ai  vu  M.  le  nonce  sur  ce  petit  écrit.  Je  lui  ai 
représenté  la  nécessité  de  détruire  ici  le  mauvais 
effet  que  produit  dans  le  peuple  le  nombre  infini 
d'écrits  de  M.  de  Cambrai,  et  la  nécessité  de  nous 
y  opposer  ;  sans  quoi  les  émissaires  de  ce  prélat  ti- 
reroient  avantage  de  notre  silence,  et  l'imputeroient 
à  impuissance  de  répondre  et  à  la  foiblesse  de  la 
cause.  J'ai  conclu  qu'il  falloit  répondre,  surtout  au 
traité  des  principales  Propositions  (*),  qui  n'est  rien 
en  soi ,  mais  qui  pourtant,  selon  M.  le  nonce  même, 
éblouit  beaucoup  de  monde.  Il  a  ajouté  que  je  ferois 
bien  d'y  répondre.  Il  m'a  même  promis  d'écrire  à 
Rome  à  M.  le  cardinal  Spada  que  je  ferois  bien  et 
qu  il  me  le  conseilloit.  Il  faut  user  sobrement  de  ce 
dernier  mot. 

Il  est  vrai  au  surplus  que  si  Ton  n'écrit  pas  de 
notre  côté,  tout  le  monde  nous  croira  battus,  et 
dira  que  nous  n'avons  pour  nous  que  l'autorité,  qui, 
destituée  de  raisons,  nous  abandonneroit  bientôt. 

Dans  votre  audience  vous  avez  bien  touché  toutes 
ces  choses,  et  elle  est  venue  fort  à  propos,  quoique 
le  Pape  vous  y  ait  montré  plus  de  patience  que 
d  approbation  pour  les  écrits.  Il  faudra  les  faire 
courts,  et  ne  les  présenter  à  Rome  qu'à  ceux  que 
vous  choisirez. 

(*)  L'écrit  de  M.  de  Cambrai ,  dont  il  s'agit  ici ,  avoit  pour  titre  : 
Les  principales  propositions  du  livre  des  Maximes  des  Saints ,  justi- 
fiées par  des  expressions  plus  for/es  des  saints  auteurs.  Bossuet  le 
réfuta  par  son  écrit  intitulé  :  Les  Passages  éclaircis,  inséré  au 
tom.  XXX,  pag.  325  etsuiy. 


222  LETTRES 

Prenez  bien  garde  aussi  aux  signatures  des  doc- 
teurs, dont  M.  le  nonce  m'a  parlé  plus  douteuse- 
naent  que  la  première  fois.  Il  m'a  montré  deux  lettres 
de  M.  de  Cambrai -sur  ce  sujet.  Il  se  plaint,  nommé- 
ment dans  la  dernière,  qu'on  a  dit  à  ceux  dont  on  a 
demandé  les  signatures,  que  lui  nonce  l'avoit  ap- 
prouvé ;  ce  qui  lui  a  fait  de  la  peine.  Ainsi  usez  en 
tout  de  ménagement,  et  donnez  à  propos  ces  nou- 
velles signatures,  avec  autant  de  précaution  et  même 
plus  que  vous  n'en  avez  eu  en  donnant  les  premières 
souscriptions. 

Les  nouvelles  qu'on  voit  de  Rome,  font  entendre 
que  les  délibérations  des  cardinaux  dureront  encore 
tout  le  mois  de  février  :  quelques  personnes  croient 
qu'elles  pourroient  aller  jusqu'au  commencement  du 
Carême.  Ne  vous  relâchez  pas  j  mais  redoublez  vos 
soins  sur  la  fin. 

A  Paris,  2  février  1699. 


MÉMOIRE 

Sur  la  Récrimination, 

Vous  me  marquez  dans  une  de  vos  dernières 
lettres,  que  la  récrimination  se  réduit  à  trois  chefs, 
que  je  vois  aussi  marqués  dans  d'autres  lettres ,  de 
même  que  dans  les  écrits  de  M.  de  Cambrai.  Le  pre- 
mier est  sur  la  charité  inséparable  du  désir  de  la 
béatitude;  le  second,  sur  la  suspension  des  puis- 
sances et  du  libre-arbitre  ;  le  troisième,  sur  les  pieux 
excès  et  les  amoureuses  extravagances. 

Je  suppose  qu'on  n'admettra  pas  une  récrimina- 


SUll   l'affaire    du    QUIÉTISME.  223 

tion  dans  les  formes,  et  qu'on  ne  songe  en  manière 
quelconque  à  me  donner  des  examinateurs  ;  ce  seroit 
une  illusion  trop  manifeste  :  à  toutes  fins  je  vous 
marquerai  ici  les  endroits  où  j'ai  traité  ces  matières. 
Le  premier  point  a  été  traité  dans  les  Etats  d'o- 
raison ,  liv.  X,  n.  29,  p.  4^7?  4^^?  4^9?  4^<^?  6tc. 
463,  4^4?  4^^  ^')?  ^^  il  f^^t  remarquer  sur  la  fin 
de  ia  page  ce  terme,  du  moins  subordonné  y  et  le 
reste  jusqu'à  la  fin  du  livre. 

La  même  doctrine  est  expliquée  dans  les  additions^ 
surtout  à  la  page  47^,  etc.  4^i>  4^^?  4^^?  4^^  5 
très  -  expressément  4^7?  4^8?  49^,  et  enfin  499 
et  5oo  (2). 

Il  faut  voir  aussi,  p.  296  et  297  (3)^  la  réprocité 
^  de  l'amour. 

La  page  82  (4),  etc.  donnera  aussi  un  grand 
éclaircissement  à  la  vérité.  Je  ne  parle  point  du 
Summa  doctrinœ.  Le  second  Ecrit  depuis  le  n.  v  jus- 
qu'au XI,  et  depuis  le  n.  xv  jusqu'au  xxiii  (5).  Le 
quatrième  Ecrit,  i"  part.  W.  Le  cinquième  y  prin- 
cipalement n.  XI  (7).  Préface  y  sect.  iv ,  n.  xxxii, 
XXXVII,  XXXVIII,  XXXIX,  xLvi,  sect.  vu  efviii  (8). 

Dans  la  Réponse  aux  quatre  lettres ,  ceci  est  très- 
expressément  enseigné  p.  97  (9)  ;  et  il  y  est  porté 
en  termes  formels,  que  la  béatitude  est  la  fin  der- 
nière, voulue  implicitement  ou  explicitement,  du 
commun  consentement  de  toute  l'Ecole. 

(0  Voyez  tom.  xxvii ,  pag.  4^0  et  suiv.  —  («)  Ibid,  pag.  467 ,  etc. 
471  et  suiv.  477»  47^,  k^o,  488.  —  (3)  IbiJ.  pag.  3j4  et  suiv.  — 

—  {^)  Ibid.  pag.  12^,  etc. —  (5)  Tora.  xxviii,  pag    4*^  à  4'9î  4^3 
à  43i.  —  (^)  IbiJ.  pag.  471  et  suiv.  —   1)  Ibid.  pag.  5i3,  5i4.  — 

—  (8;  Ibid.  pag.  556  à  56a j  5705  6o5  à  63o.  —  (9)  Tom.  xxix,  p.  54- 
{^EdiU  de  Fers.) 


2  24  LETTRES 

La  même  chose  est  expliquée  Scholâ  in  tuto,  q.  i , 
par  trente -six  propositions,  notamment  par  la 
sixième  ;  n.  4-  ^«  n,  n,  33 ,  ^»  m ,  iv ,  v ,  vi  (0. 

Pour  la  seconde  re'crimination  qui  regarde  la 
suspension  des  puissances,  tout  est  dit  dans  Mys- 
tici  in  tulo  ,  p.  i ,  art,  i ,  tout  du  long  (2}, 

Quant  aux  pieux  excès ,  ils  de'pendent  de  deux 
principes  :  l'un  est ,  que  quiconque  dévoue  son 
salut,  le  fait  en  présupposant  la  chose  impossible  : 
d'où  suit  le  second  principe  :  Securus  hoc  fecit;  et 
la  conclusion  est,  que  celui  qui  sacrifie  ainsi  son 
salut,  sachant  bien  qu'il  n'en  sera  ni  plus  ni  moins, 
ne  le  peut  faire  que  par  un  excès  et  par  un  trans- 
port amoureux.  Tout  cela  est  expliqué  à  fond 
Scholâ  in  tuto  ,  q.  xii,  art.  11,  n,  194  et  seq.  (5). 
La  sécurité  est  traitée  dans  cet  article  second ,  et 
encore  Quietismus  redivis^us,  p.  899  (4);  et  les  folies 
amoureuses,  Scholâ  in  tuto,  q.  xvi ,  art.  xxi , 
p.  3o6  (5).  Il  faut  voir  Scholâ  in  tuto  ,  q.  xiii,  de. 
fine  ultimo ,  où  le  principe  est  expliqué  (6). 


LETTRE    CCCCXIV. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU  (*). 

Sur  la  mort  de  son  père,  frère  du  prélat. 

Dieu  est  le  maître.  Je  croyois  mon  frère  entière- 
ment délivré  de  ce  fâcheux  accident  de  goutte  ,  qui 

(0  Tom.  XXX,  pag.  aog,  aïo  j  aSo,  282  à  2^4-  —  ^*'  ^^'■^'  P^a*  9^ 
à  147.  —  (3)  Ibid.  pag.  3i  I,  3 12.  —  (4)  IbUl  et  pag.  453.  —  (5)  Ibid. 
pag.  3^5.  —  (6)  Ibid.  pag.  334.  (  Edit.  de  Vers.) 

\^)  Celle  lettre  est  de  même  date  que  la  précédente,  parce  que 

lui 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  225 

lui  avoit  si  vivement  serré  les  mamelles  et  attaqué 
la  poitrine.  Il  s'étoit  levé,  et  avoit  fait  ses  dévotions 
à  la  paroisse,  comme  un  homme  qui,  sans  dire 
mot ,  et  ne  voulant  point  nous  attrister ,  songeoit 
à  sa  dernière  heure,  J'étois  à  Versailles,  pensant  à 
toute  autre  chose ,  et  fort  réjoui  de  recevoir  de  lui 
une  longue  lettre  écrite ,  le  mercredi  matin ,  d'une 
main  très-ferme,  et  pleine  de  ses  manières  ordi- 
naires. 

Que  sert  de  prolonger  le  discours?  Il  en  faut  venir 
à  vous  dire  que  la  nuit  suivante,  il  appela  sur  les 
trois  heures  par  un  coup  de  cloche ,  qui  ne  fit  que 
faire  venir  d'inutiles  témoins  de  son  passage.  On  me 
manda  seulement  à  Versailles  qu'il  étoit  à  l'extré- 
mité. Je  me  vis  séparé  d'un  frère,  d'un  ami,  d'un 
tout  pour  moi  dans  la  vie. 

Baissons  la  tête,  et  humilions-nous.  Consolez- 
vous,  en  servant  l'Eglise  dans  une  affaire  d'une  si 
haute  importance,  où  il  vous  a  rendu  nécessaire. 
Ne  soyez  en  peine  de  rien  :  votre  présence  sera  sup- 
pléée par  moi,  par  M.  Chasot,  par  votre  frère 
même.  Faites  les  affaires  de  Dieu,  Dieu  fera  les 
vôtres.  Le  Roi  s'attend  que  vous  n'abandonnerez 
pas  ;  car  encore  qu'on  n'eût  pas  prévu  cette  affli- 
geante mort,  il  en  a  su  les  dispositions.  Ce  me  se- 
roit  la  plus  grande ,  et  presque  la  seule  sensible  con- 
solation ,  de  vous  avoir  auprès  de  moi  ;  mais  offrons 
vous  et  moi  ce  sacrifice  que  Dieu  demande  de  nous. 
Dieu  est  tout,  faites  tout  pour  lui. 

M.  Chasot  vous  instruira  du  détail.  Je  me  suis 

M.  de  MeauXy  quand  il  écrivit  la  première ,  iguoroit  encore  la  mort 
de  son  frère. 

BOSSUET.    XLII.  l5 


aaÔ  LETTRES 

rendu  très-attentif  à  toutes  les  circonstances,  n*en 
doutez  pas  ;  mais  je  veux  tâcher  de  m'e'pargner  un 
récit  trop  affligeant,  que  vous  pouvez  recevoir 
d'ailleurs.  On  tiendra  les  affaires  très-secrètes  :  c'est 
la  vraie  sagesse  dans  ces  tristes  accidens.  Elles  sont 
bonnes.  Dieu  merci. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur.  Ne  vous 
embarrassez  point  de  votre  dépense  :  allez  toujours 
votre  train,  avec  votre  retenue  et  votre  prudence 
ordinaires.  Ma  santé  est  meilleure  que  ma  douleur 
ne  le  devroit  permettre.  Je  me  conserverai  le  mieux 
qu'il  me  sera  possible  pour  le  reste  de  la  famille , 
qui  a  perdu  sa  consolation  et  son  soutien  sur  la 
terre.  Nous  avons  bien  de  l'obligation  à  M.  Chasot  : 
il  a  beaucoup  soulagé  feu  mon  frère  dans  ces  derniers 
accidens.  Ma  sœur  est,  comme  vous  pouvez  juger , 
plongée  dans  la  douleur.  Bon  soir,  mon  cher  neveu  ; 
fortifiez-vous  en  notre  Seigneur. 

A  Paris,  i  février  1699. 


LETTRE  CCCCXV. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS^ 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  la  mort  de  son  père. 

J'ai  bien  du  déplaisir.  Monsieur,  detre  obligé  de 
commencer  cette  lettre  par  un  triste  compliment 
sur  la  mort  de  M.  votre  père.  Je  prends  beaucoup 
de  part  à  la  juste  douleur  que  vous  aurez  de  cette 
perte,  et  vous  prie  d'être  persuadé  que  je  serai  tou^ 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  227 

jours  fort  sensible  à  tout  ce  qui  pourra  vous  arriver. 
L'âge  et  l'infirmité'  de  M.  Bossuet  pouvoient  vous 
préparer  à  le  perdre  ;  mais  je  sais  que ,  quelque  pré- 
paré que  l'on  soit  à  ces  sortes  de  malheurs,  on  ne 
laisse  pas  de  les  sentir  bien  vivement. 

Je  ne  vous  parlerai  point  d'affaires  aujourd'hui  : 
je  vous  dirai  seulement  que  j'ai  reçu  votre  lettre 
du  i5,  par  le  dernier  courrier  extraordinaire,  et 
que  j'y  vois  avec  plaisir  le  bon  effet  de  la  lettre  du 
Roi  et  de  vos  soins  continuels.  Cependant  nous  ne 
sommes  point  encore  hors  d'affaire ,  et  nous  n'y  se- 
rons qu'à  force  d'instances  et  de  sollicitations.  Mais 
en  voilà  plus  que  je  ne  voulois  vous  en  dire  :  je  finis 
en  vous  assurant,  Monsieur,  que  je  suis  toujours  à 
vous  aussi  sincèrement  qu'on  y  puisse  être. 

a  Février  1699. 


LETTRE  CCCCXVI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

Sur  les  difficultés  quon  avoit  eues  à  surmonter  dans  cette  afFairej 
les  obligations  qu'on  avoit  au  Roij  Fétat  des  congrégations  5  et 
une  scène  qui  s'^étoit  passée  entre  le  cardinal  de  Bouillon  et  le 
cardinal  Panciatici. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Versailles ,  du  12  janvier.  Vous  au- 
rez appris  par  mes  précédentes  l'état  des  choses, 
et  les  motifs  d'espérer  de  voir  bientôt  la  fin  d  une 
affaire,  qui  naturellement  n'en  devoit  point  avoir, 
en  considérant  le  génie  de  cette  Cour,  la  délica- 
tesse de  la  matière,  la  puissante  protection  qu'a 


Çti8  LETTRES 

trouvée  ici  M.  de  Cambrai ,  et  surtout  la  foiblesse 
du  Pape. 

J'avoue  franchement  que  si  Ton  m'avoit  dit,  il  y 
a  quatorze  mois ,  les  embarras  qu'on  metlroit  dans 
cette  aftaire  ,  les  injustices  qu'on  feroit  en  faveur 
de  M.  de  Cambrai  dans  la  proce'dure ,  les  différens 
examens  qu'on  seroit  obligé  d'essuyer  sur  la  même 
matière  de  la  part  des  qualificateurs  ,  soit  entre 
eux  ,  soit  en  présence   des  cardinaux  Ferrari   e%^ 
Noris,  puis  en  présence  de  tous  les  cardinaux  du 
saint  Office ,  enfin  devant  Sa  Sainteté  ;  qu'on  m'eût 
ajouté  que  cette  discussion  s'étendroit  à  trente-huit 
propositions,  sur  lesquelles  dix   qualificateurs  au- 
roient  à  parler,  et  des  qualificateurs  très -divisés, 
très-animés ,  et   très  -  longs  ;   qu'après  cela  douze 
cardinaux  commenceroient  à  voter,  le  feroient  de 
la  manière  que  nous  avons  vue,  et  avec  toutes  les 
oppositions  qui  se  sont  rencontrées  dans  leurs  dé- 
libérations :  si ,  dis-je ,  je  m'étois  pu  figurer  ce  qui 
s'est  passé ,  je  n'aurois  jamais  cru  qu'il  fût  possible 
de  vaincre  tant  d'obstacles  en  moins  de  dix  ans, 
surtout  ayant  affaire  à  de  pareilles  gens.  Mais  par 
bonheur  on  n'a  pu  envisager  les  difficultés  que  les 
unes  après  les  autres,  et  j'ai  toujours  vu  jour  à  les 
pouvoir  surmonter  avec  un  peu  de  patience  ;  ce 
qui  m'a  entretenu  dans  l'espérance  de  parvenir  à 
une  heureuse  conclusion.  Enfin  l'affaire  en  est  ve- 
nue à  un  point,  qu'il  m'a  paru  qu'il  falloit  tout 
ou  rien,  tant  pour  l'honneur  du  saint  Siège,  que 
pour  le  repos  de  l'Eglise.  Je  n'ai  cessé  d'avoir  con- 
fiance en  la  vérité,  et  en  celui  qui  a  soin  de  son 
Eglise  5  et  j'ai  toujours  été  persuadé  que ,  pourvu 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  a^g 

qu'on  réussît  à  faire  voter  les  cardinaux  sur  le 
particulier  de  la  doctrine ,  la  décision  ne  pour- 
roi  t  être  que  bonne  :  ce  qu'il  y  a  lieu  d'espérer  plus 
que  jamais. 

Je  puis  dire  avec  vérité  que  c'est  le  zèle  et  la  fer- 
meté du  Roi,  qui  ont  amené  les  choses  au  point 
oii  elles  sont  aujourd'hui  ;  et  tous  ceux  qui  ont  ici 
défendu  la  bonne  cause,  n'ont  été  que  de  très-foibles 
instrumens.  En  mon  particulier,  je  confesse  que 
tout  le  service  que  j'ai  pu  rendre ,  a  été  de  m'in- 
former  le  mieux  qu'il  m'a  été  possible  de  ce  qui  se 
passoit ,  de  connoître  les  dispositions  des  diflerens 
personnages ,  et  d'en  instruire  sans  aucune  pas- 
sion, ayant  eu  soin  de  ne  mander  que  ce  dont  j'é- 
tois  assuré.  J'avoue  que  ce  qui  m'a  le  plus  coûté, 
a  été  d'être  obligé  de  démêler  les  artifices  du  car- 
dinal de  Bouillon ,  et  d'avoir  à  écrire  sur  son  sujet 
ce  que  j'ai  été  contraint  de  marquer  ;  afm  que  la 
vérité  ne  fût  pas  en  péril ,  et  qu'on  pût  remédier 
à  temps  au  mal  qu'il  vouloit  faire.  J'ai  fait  ici  de 
mon  côté  tout  ce  qui  m'a  été  possible  pour  le  rendre 
favorable  à  la  bonne  cause ,  pour  l'engager  à  chan- 
ger de  sentimens  et  de  conduite,  employant  pour 
l'y  déterminer  tous  les  motifs  que  je  croyois  les 
plus  propres  à  celte  fin  :  mais  tous  mes  efforts  ont 
été  inutiles. 

Au  reste ,  je  sais  de  bonne  part  qu'il  voudroit 
bien  faire  croire  en  France  quil  n'est  pas  si  dévoué 
qu'on  se  l'imagine  à  M.  de  Cambrai  ;  mais  les  faits 
parlent  et  les  actions.  Si  ses  protestations  étoient 
vraies ,  il  seroit  bien  malheureux  ;  car  il  n'y  a  per- 
sonne ici  de  ceux  qui  le  voient  ou  qui  l'entendent , 


23o  LKTTRES 

personne  de  ses  amis  ou  de  ses  ennemis ,  qui  ne  le 
croie,  comme  il  est  en  effet,  très-décidé  pour  M.  de 
Cambrai ,  et  très-ardent  à  soutenir  ses  intérêts.  Ve- 
nons à  ce  qui  se  passe. 

Il  étoit  plus  que  vraisemblable  qu'on  finiroit  le 
mercredi,  28  janvier,  Texaraen  du  sixième  chapitre; 
car  il  n'y  avoit  plus  que  les  quatre  derniers  cardi- 
naux qui  dussent  parler  sur  cette  matière ,  les  sept 
premiers  ayant  fini  dans  la  congrégation  du  lundi  26* 
Mais  je  ne  sais  comment  il  arriva  qu'il  n'y  eut  que 
le  cardinal  Ferrari  qui  vota  le  28.  On  dit  que  ce 
qui  empêcha  qu'on  avançât  davantage,  fut  que  les 
cardinaux  du  palais  arrivèrent  fort  tard ,  et  sur- 
tout le  cardinal  Albani,  qui  devoit  parler  ce  jour- 
là.  Cela  a  fait  quliier,  lundi  2  février,  on  ne  put 
commencer  le  septième  chapitre ,  qui  est  le  dernier, 
et  qui  traite  de  la  méditation  et  contemplation. 
Au  moins  je  m'imagine  qu'on  ne  l'aura  pas  en- 
tamé j  car  je  n'ai  pu  rien  savoir  aujourd'hui  de  pré- 
cis et  de  certain  sur  ce  qui  s'est  passé  dans  la  con- 
grégation ,  qui  fut  tenue  hier  lundi.  Ce  que  je  sais, 
c'est  qu  elle  dura  fort  tard,  et  que  pour  la  première 
fois  on  se  servit  de  flambeaux.  Il  ne  seroit  pas  im- 
possible que  M.  le  cardinal  de  Bauillon  eut  com- 
mencé à  parler.  Mais  quoi  qu'il  en  soit ,  il  paroît 
assuré  que  les  cardinaux  auront  fini  de  voter  et  de 
parler,  ou  lundi  prochain,  ou  de  demain  en  huit, 
qui  sera  le  1 1  de  ce  mois  :  ainsi  il  ne  doit  plus  y 
avoir  que  trois  congrégations  au  plus. 

Il  s'est  passé  une  scène  entre  le  cardinal  Pan- 
ciatici  et  le  cardinal  de  Bouillon,  qui  est  assez 
remarquable.  Panciatici  a  toujours  été  rondement 


\ 


'sur  l'affaire  du  quiétisme.  23i 

et  fortement  contre  M.  de  Cambrai ,  et  en  particu- 
lier dans  la  congrégation  du  lundi  de  la  semaine 
passe'e,  où  il  parla  le  dernier,  et  battit  en  ruine  les 
mauvaises  excuses  que  le  cardinal  de  Bouillon  avoit 
apportées ,  pour  persuader  que  ce  n'étoit  pas  M.  de 
Cambrai,  qui  avoit  mis  le  mot  d'involontaire  en 
parlant  des  troubles  de  Jésus  -  Christ.  Le  cardinal 
de  Bouillon  n'a  pas  cru  pouvoir  s'en  mieux  venger, 
qu'à  l'occasion  d'une  grâce  qu'il  demandoit  au  Pape 
en  faveur  des  Jésuites,  pour  laquelle  le  Roi  a  écrit, 
et  sur  laquelle  le  cardinal  Panciatici  fait  de  grandes 
difficultés.  C'est  assez  son  ordinaire,  et  son  devoir 
l'oblige  aussi  souvent  de  s'opposer  dans  ces  sortes 
de  demandes  à  la  facilité  du  Pape  ;  car  il  veut  que 
les  choses  aillent  selon  les  règles ,  et  avec  les  for- 
malités prescrites.  Mais  dans  l'affaire  dont  il  s'agit, 
le  cardinal  de  Bouillon  prétendoit  qu'il  falloit  pas- 
ser par-dessus  toutes  les  lois.  Jeudi  donc ,  au  sortir 
de  la  congrégation  tenue  en  présence  du  Pape,  le 
cardinal  de  Bouillon  alla  à  son  ordinaire  parler  à 
Sa  Sainteté,  lui  renouvelant  ses  instances  pour  cette 
grâce.  Le  Pape  dit  qu'il  avoit  ordonné  qu'on  l'ac- 
cordât; et  le  cardinal  exigea  du  Pape  qu'il  fît  venir 
sur  l'heure  le  cardinal  Panciatici ,  pour  savoir  les 
raisons  du  délai.  Le  cardinal  Panciatici  entra,  et 
il  y  eut  une  très-vive  conversation  entre  le  cardinal 
de  Bouillon  et  lui.  Il  sentit  fort  bien  toute  l'aigreur 
du  ton  que  prenoit  avec  lui  le  cardinal  de  Bouillon  ; 
et  il  répondit  avec  fermeté  au  Pape ,  qu'il  quitteroit 
plutôt  sa  charge  que  de  faire  une  chose  contre  les 
règles ,  soutenant  que  cette  affaire  n'étoit  pas  à 
présent  en  état  de  passer.  Cette  mortification  q^uQ 


a3a  LETTRES 

le  cardinal  Panciatici  a  reçue  ,  d'être  obligé  de  se  jus- 
tifier devant  le  cardinal  de  Bouillon,  lui  a  été  très- 
sensible  ;  et  efîectivement  elle  est  très  -  injurieuse 
pour  un  ministre  comme  lui.  On  y  a  bien  reconnu 
la  foible  vengeance  que  prenoit  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  :  il  joue  de  son  reste.  M.  le  cardinal  de  Jan- 
son  n'avoit  garde  d'avoir  de  ces  hauteurs ,  qui  sont 
ordinairement  très -préjudiciables  aux  intérêts  du 
maître. 

A  propos  du  cardinal  de  Janson ,  je  crois  qu'il  ne 
trouvera  pas  mauvais  que  je  me  sois  prévalu  de  Tes- 
time  que  le  cardinal  Sacripanti  a  pour  lui ,  et  de 
son  nom,  pour  rendre  ce  cardinal  favorable  à  la 
bonne  cause ,  et  le  porter ,  pour  ce  qui  reste  à  faire 
au  sujet  de  la  bulle,  à  agir  auprès  du  Pape,  sur  qui 
ce  cardinal  a  beaucoup  de  pouvoir ,  comme  M.  le 
cardinal  de  Janson  le  sait  bien.  Je  crois  que  cette 
aide  ne  nuira  pas.  On  a  ici,  depuis  le  plus  grand 
jusqu'au  plus  petit ,  une  vénération  et  amitié  parti- 
culières pour  le  cardinal  de  Janson ,  et  son  absence 
n'a  rien  diminué  de  ces  sentimens.  Le  cardinal  de 
Bouillon  a  eu  beau  chercher  à  le  décrier  :  ce  qu'il 
a  fait  là-dessus  a  fort  servi  à  le  décrier  lui-même. 
Je  ne  sais  pourquoi,  mais  il  est  très-certain  que  le 
cardinal  de  Bouillon  le  hait  plus  encore  qu'il  ne  fait 
le  cardinal  d'Estrées,  ce  qui  est  beaucoup;  au  moins 
en  dit-il  ouvertement  plus  de  mal. 

Je  crois  savoir  sûrement  que  le  cardinal  Albani 
n'aura  point  de  part  à  la  rédaction  de  la  bulle.  J'ai 
quelque  avis  que  le  Pape  en  a  déjà  parlé  au  car- 
dinal Noris,  qui  commence  à  s'en  occuper  :  appa- 
remment on  fera  aussi  travailler  le  cardinal  Ferrari. 


SUR    l'aFFAIHE    du    QUIÉTISME.  233 

J'ignore  s'ils  travailleront  conjointement  ou  séparé- 
ment ;  je  pense  qu'ils  le  feront  chacun  en  particu- 
lier, et  qu'ils  se  communiqueront  leur  travail.  Au 
moins  je  souhaite  que  cela  se  passe  ainsi,  et  que  le 
cardinal  Casanate  ait  part  à  cette  besogne.  Le  car- 
dinal Spada  me  dit  hier  qu'il  n'y  avoit  rien  de  dé- 
terminé là-dessus  :  je  lui  fis  voir,  du  mieux  qu'il  me 
fut  possible,   de  quelle   importance  il  étoit   pour 
l'honneur  du  saint  Siège  que  ce  travail,  qui  devoit 
couronner  l'œuvre,  tombât  en  de  bonnes  mains.  Ce 
seroit  un  grand  point  que  le  cardinal  Albani  fût 
exclus  de  cette  opération,  et  il  me  paroît  assuré 
qu'il  n'en  sera  pas  chargé.  Le  père  Roslet  est  con- 
venu avec  moi  qu'il  étoit  important,  quelque  as- 
surance que  lui  ait  donnée  le  cardinal  Albani,  qu'il 
ne  fut  pas  le  rédacteur  :  il  a  bien  compris  qu'il  fal- 
loit  aller  au  plus  certain. 

Il  est  avéré  que  le  courrier  que  M.  de  Chanterac 
a  dépêché  le  25  du  mois  passé  en  Flandre ,  l'a  été 
par  un  nommé  Pressiat,  banquier  et  créature  du 
cardinal  de  Bouillon,  et  à  la  suite  des  conférences 
tenues  entre  cette  Eminence,  le  père  Charonnier 
et  M.  de  Chanterac.  Il  y  en  eut  une  mémorable 
et  publique ,  samedi  dernier  à  midi ,  chez  le  car- 
dinal ,  où  se  trouvèrent  l'abbé  de  Chanterac,  le  père 
Charonnier  et  M.  Certes  ;  elle  dura  près  de  deux 
heures.  On  va,  comme  vous  voyez,  la  tête  levée.  On 
croit,  à  présent  plus  que  jamais,  devoir  faire  vanité 
de  cette  union,  quelque  déplaisir  qu'on  sache  qu'elle 
fasse  au  Roi ,  que  le  cardinal  de  Bouillon  n'aimera 
jamais  assurément  ;  tant  il  est  ingrat ,  et  tant  il  a 
l'esprit  de  travers. 


2^4  LETTRES 

Je  n  ai  pu  avoir  encore  la  dernière  lettre  de  M.  dtr 
Cambrai  au  Pape  ;  mais  je  sais  qu'elle  ne  contient 
que  des  re'pe'titions.  Elle  porte  seulement  deux: 
choses  plus  particulières  ;  par  l'une  il  demande  à 
nêtre  pas  obligé  de  condamner  les  intentions  de 
M.""^  Guyon,  ni  son  sens  intérieur:  dans  l'autre  il 
déclare  qu'il  est  prêt  à  corriger  dans  son  livre  les 
expressions  qui  paroîtront  trop  fortes,  et  qu'il  ne 
pouvoit  pas  supposer  qu'on  dût  désapprouver,  puis- 
qu'elles se  trouvent  toutes  dans  les  meilleurs  mys- 
tiques. Il  ajoute  que  le  saint  Siège  n'a  qu'à  lui  don- 
ner des  règles  sur  cette  matière,  qu'il  les  suivra 
exactement.  Je  ne  crois  pas  que  cette  lettre  lui  ait 
fait  grand  honneur ,  et  sûrement  il  n'en  tirera  pas^ 
grand  profit.  On  m'apprit  hier  qu'on  distribuoit 
un  manuscrit  en  faveur  de  M.  de  Cambrait  :  je  ne 
sais  encore  ce  que  c'est. 

Vous  devez  avoir,  il  y  a  déjà  long-temps,  tous  les 
nouveaux  écrits  imprimés  de  M.  de  Cambrai, que  je 
vous  ai  envoyés.  Je  fais  un  bon  usage  de  tout  ce 
que  vous  m'écrivez,  et  je  ne  laisse  perdre  aucune 
de  vos  réflexions. 

Les  passages  des  mystiques,  que  M.  de  Cambrai 
a  mis  en  parallèle  avec  les  siens,  sont  en  effet  tout 
contraires  à  ce  qu'il  s'est  imaginé.  On  voit  par-là, 
non-seulement  combien  le  langage  des  mystiques  est 
peu  exact,  et  même  outré,  et  de  quelle  nécessité  il 
est  de  n'en  pas  faire  la  règle  de  la  foi  j  mais  encore , 
que  M.  de  Cambrai  a  surpassé  les  mystiques  les 
plus  outrés,  je  parle  des  anciens,  lui  qui  devoit  ré- 
duire leur  langage  à  des  expressions  simples,  exactes,, 
théologiques,  etc. 


SUR  l'affàihe  du  quiêtisme.  ^35 

Le  cardinal  Ottoboni  a  dit  à  un  de  mes  amis, 
qu'il  falloit  que  je  le  crusse  un  grand  minchione^ 
pour  m'imaginer  qu'il  ne  seroit  pas  contre  M.  de 
Cambrai  :  avec  cela  je  ne  me  repens  ni  ne  me  ré- 
tracte de  ce  que  j'ai  cru  de  lui. 

On  ne  peut  trop  engager  nos  docteurs  à  se  décla- 
rer :  leur  avis,  et  pour  ce  pays-ci,  et  pour  celui  où 
ils  sont,  ne  peut  faire  que  du  bien. 

Vous  croyez  bien  qu'on  crie  ici  persécution  sur 
tout  ce  qui  arrive  de  peu  avantageux  en  France  à 
M.  de  Cambrai  ;  mais  il  faut  laisser  crier  des  gens 
qui  mettent  toutes  leurs  ressources  dans  des  impos- 
tures dont  on  commence  à  découvrir  l'artifice. 

Je  vous  envoie  un  exemplaire  de  la  bulle  pour 
le  dernier  jubilé  :  cette  pièce  commence  ici  à  être 
rare,  et  n'en  a  pas  qui  veut.  J'en  ai  eu  deux  exem- 
plaires par  une  faveur  singulière.  On  en  fait  ici  un 
mystère  depuis  quelques  jours,  et  il  n'en  a  couru 
qu'un  très-petit  nombre  d'exemplaires.  On  prétend 
que  des  amis  du  prince  d'Orange  ont  représenté  ici, 
qu'il  ne  falloit  pas  le  traiter  de  persécuteur,  ni  taxer 
de  persécution  les  rigueurs  qu'on  exerce  contre  les 
Catholiques  en  Angleterre  et  en  Irlande.  Le  car- 
dinal Carpegna ,  qui  veut  être  Pape ,  ménage  ce 
prince  par  considération  pour  le  cardinal  Ottoboni 
et  le  cardinal  de  Bouillon,  qui  ont  ici  grande  liai- 
son avec  des  Anglais  protestans.  On  assure  que  ces 
cardinaux  empêcheront  le  Pape  d^envoyer  ce  der- 
nier jubilé  dans  les  pays  étrangers;  mais  je  doute 
qu'ils  y  réussissent.  Il  seroit  vraiment  curieux  que 
le  parti  du  prince  d'Orange  fût  assez  fort  à  Rome, 
pour  arrêter  la  publication  du  jubilé,  et  empêcher 


^36  LETTRES 

qu'on  ne  priât  Dieu  par  toute  la  chrétienté  pour 
faire  cesser  de  si  cruelles  persécutions. 

Mon  père  me  mande,  et  fai  vu  dans  les  lettres 
écrites  de  France  de  bon  lieu  ,  qu'on  avoit  écrit 
d'ici  que  moi,  seul  de  Français,  n'avois  pas  été  in- 
vité par  le  cardinal  de  Bouillon  à  la  fêle  de  sainte 
Luce,  et  que  cela  avoit  ici  un  peu  surpris  tout  le 
monde.  Vous  savez,  mon  père  et  vous,  que  je  ne 
vous  en  ai  pas  dit  un  seul  mot  dans  mes  lettres, 
n'ayant  pas  cru  que  cette  bagatelle  valut  la  peine 
d'être  mandée,  et  n'ayant  pas  jugé  devoir  attribuer 
au  maître  le  compliment  ambigu  que  me  fit  M.  Cer- 
tes, son  espèce  de  maître  de  chambre,  d'après  le- 
quel je  pris  le  parti  d'aller  dîner  chez  moi  a^ec 
quelques-uns  de  mes  amis,  de  peur  d'incommoder 
à  un  somptueux  dîner,  où  l'on  étoit  très-pressé. 

Je  n'ai  reçu  aucun  ordre  précis  pour  l'argent , 
dont  vous  avez  la  bonté  de  me  parler  dans  votre 
lettre  du  5  :  mon  père  me  mande  seulement  que 
vous  avez  eu  la  bonté  de  tomber  d'accord  de  tout; 
que  M.  Souin  lui  vient  de  dire  que  le  correspon- 
dant de  M.  Ghaberé  a  ordre  de  me  faire  toucher 
3000  liv.  Mon  père  ajoute ,  que  si  j'ai  besoin  de 
toute  la  somme ,  je  puis  tirer  sur  lui,  qu'il  en  paiera 
sa  part  selon  que  vous  en  êtes  convenus  :  je  serai 
obligé  de  le  faire  par  le  premier  courrier. 

J'écris  à  M.  de  Paris  qu'il  est  nécessaire  que  le 
Roi  parle  à  M.  le  nonce  sur  le  décret  qui  doit  sui- 
vre la  bulle,  et  par  lequel  il  est  à  propos  de  prohi- 
ber les  livres  faits  pour  la  défense  de  celui  des 
Maximes.  J'en  ai  déjà  parlé  au  cardinal  Casanate, 
qui  a  pleinement  approuvé  ce  projet,  et  qui  m'a 


SUR   l'affaire    du    QUIÉTISME.  23^ 

promis  de  m  appuyer  ici  fortement  pour  rexe'cution. 
Unissez- vous  avec  M.  de  Paris  auprès  du  Roi,  pour 
l'engager  à  agir  à  cet  e'gard ,  et  ne  perdez  pas  de 
temps,  s'il  vous  plaît. 

Il  y  a  ici  une  nouvelle  Lettre  de  M.  de  Cambrai 
a  M.  de  Meaux  sur  la  charité^  qu'on  n'a  pas  en- 
core vue.  M.  de  Chanterac  a  commencé  à  la  distri- 
buer aux  cardinaux  :  je  n'ai  pu  l'avoir  pour  ce  cour- 
rier. Que  peut-il  dire  de  nouveau? 

Rome,  ce  3  février  1699. 


LETTRE  CCCCXVII. 

DE   BOSSUET  A  SON   NEVEU. 

Sur  la  mort  de  son  père  j  les  lettres  de  M.  de  Cambrai  au  îionce , 
et  la  réponse  qu'il  devoit  faire  à  la  Censure  des  docteurs  j  dif- 
férens  faits  louchant  la  Lettre  du  Théologien  de  M.  de  Chartres  5 
et  sur  deux  libelles,  Tun  contre  M.  de  Noailles,  Tautre  contre 
rédition  de  saint  Augustin. 

Vous  avez  bien  besoin  que  Dieu  vous  soutienne 
dans  le  coup  que  vous  venez  de  recevoir  :  c'est  lui 
qui  frappe ,  c'est  lui  qui  console.  Vous  êtes  seul ,  et 
ce  nous  seroit  une  espèce  de  consolation  mutuelle  de 
pleurer  ensemble  le  plus  honnête  homme,  le  plus 
ferme ,  le  plus  agréable ,  le  plus  tendre  qui  fut  ja- 
mais. C'en  est  fait  ;  et  il  n'y  a  qu'à  baisser  la  tête ,  et 
à  se  consoler  en  servant  Dieu.  Vous  en  avez  une 
grande  occasion  ;  et  Dieu  vous  a  mis  en  tête  une 
cabale  si  puissante ,  si  artificieuse ,  si  dangereuse , 
qu'il  y  va  de  tout  pour  l'Eglise.   Ainsi   rappelez 
toutes  vos  forces,  et  songez  qu'il  faut  qu'il  en  coûte 


238  LETTRES 

quand  on  est  appelé  de  Dieu  pour  défendre  la  vé- 
rité, et  s'exposer  seul  pour  elle  à  la  fureur  de  ses 
ennemis. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  20,  et  le  journal.  M.  de 
Paris  a  tout  vu.  On  a  fait  un  extrait  pour  la  Cour, 
qui  sera  rendu  à  madame  de  Maintenon.  Aucune 
autre  personne  n'en  a  eu  communication.  Le  journal 
est  si  bien  fait,  qu'on  croit  être  témoin  oculaire  de 
tout  ce  qui  y  est  rapporté. 

M.  de  Cambrai  a  écrit  au  nonce  trois  superbes 
lettres  sur  les  signatures  des  docteurs.  Il  dit  qu'il  ré- 
pondra, et  en  demande  la  permission  à  M.  le  nonce, 
qui  ne  répliquera  rien.  Il  se  plaint  que  ces  signatures 
sont  extorquées  ,  tronquées ,  etc. 

Nous  attendons  un  écrit  de  ce  prélat  sur  les  qua- 
lifications des  docteurs.  Il  est  ravi  d'avoir  occasion 
d'écrire  par  anticipation  contre  les  qualifications 
qu'il  craint  de  Rome. 

Le  père  Dez  et  le  père  Gaillard  sortent  d'ici  :  ils 
m'ont  dit  que  le  père  Charonnier  leur  avoit  écrit, 
qu'il  croyoit  que  le  décret  de  censure  du  livre  arri- 
veroit  aussitôt  que  sa  lettre. 

La  lettre  du  Roi  (*)  est  admirable,  et  digne  d'un 
Constantin  et  d'un  Charlemagne.  Tout  y  est  de  sen- 
timent :  il  faut  être  Roi  pour  écrire  ainsi.  Le  secret 
sur  le  journal  et  les  vœux  des  cardinaux  est  bien  re- 
commandé. 

La  lettre  du  Théologien  de  M.  de  Chartres  fait 
ici  un  effet  prodigieux  :  on  ne  devine  point  quel  en 
est  l'auteur.  M.  de  Chartres  y  a  mis  de  sa  main  beau- 
coup dlexcellentes  choses.  Remarquez  bien  ce  qu'on 
(*)  Elle  est  ci-dessus,  pag.  i35. 


SUR    L  AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  ^89 

dit  dans  cette  lettre  sur  les  prières  que  M.  de 
Cambrai  avoit  compose'es  avant  ces  disputes  ;  c'est 
vers  la  fin. 

M.  le  nonce  a  bien  remarqué  que  M.  de  Cam- 
brai s'engageroit  terriblement,  s'il  s'avise  d'écrire, 
comme  il  en  menace,  sur  les  qualifications  des 
docteurs. 

Je^suis  bien  en  peine  de  la  manière  dont  la  triste 
nouvelle  de  la  mort  de  votre  père  vous  sera  venue. 
Je  crains  les  lettres  étrangères,  et  les  contre -temps 
qui  les  accompagnent.  Je  n  aurai  point  de  repos  que 
je  n'aie  votre  réponse. 

Ce  seroit  un  grand  malheur  que  le  cardinal  Al- 
bani  fît  la  bulle  :  il  faut  toucher  cette  corde  délica- 
tement. Je  suppose  que,  malgré  les  mauvais  offices, 
Dieu  vous  donnera  les  moyens  de  vous  maintenir 
dans  la  bienveillance  du  Pape. 

M.  le  Prince  (*)  nous  fait  mille  amitiés  au  sujet  de 
notre  malheur.  Je  lui  ai  demandé  sa  protection  pour 
la  famille ,  sans  rien  articuler  ;  et  il  l'a  promise  de 
l'air  le  plus  sincère  du  monde. 

Je  crains  d'avoir  oublié  de  vous  parler  d'un  libelle 
contre  M.  de  Paris  (**),  qui  a  été  brûlé  par  la  main 

(*)  De  Bourbon-Condé. 

("^J  II  étoit  intitulé  :  Problème  ecclésiastique  proposé  à  M.  Vahhé 
Boileau  de  V archevêché,  etc.  h  L'auteur  alors  inconnu  de  ce  li- 
j>  belle  satirique,  dit  M.  d'Aguesseau,  opposoit  Louis- Antoine  de 
}>  Noailles,  évêque  de  Châlons,  à  Louis-Antoine  deNoailles,  ar- 
0  chevêque  de  Paris  \  et  demandoit  malignement  lequel  des  deux 
»  on  devoit  croire,  ou  l'approbateur  des  Réflexions  du  père  Ques- 
V  nel  sur  le  nouveau  Testament,  ou  le  censeur  du  livre  de  VJEx- 
h  position  de  la  Foi.  Il  se  jouoit  avec  assez  d'esprit,  dans  cet 
ii  ouvrage,  sur  la  contradiction  qu'il  croyoit   trouver  entre  l'é- 


It^O  LETTRES 

du  bourreau,  le  lo  janvier  dernier.  Ce  prélat  y  est 
accusé  d'être  le  chef  des  Jansénistes,  et  d'en  avoir 
donné  la  profession  de  foi  dans  la  seconde  partie 
de  son  Instruction  pastorale  sur  cette  matière  (*).  Son 
Jansénisme  est  attaché  principalement  à  l'approba- 
tion du  livre  du  père  Quesnel  sur  le  nouveau  Testa- 
ment. On  s'en  avise  bien  tard ,  après  que  ce  livre 
a  passé  sans  atteinte  durant  feu  M.  de  Paris,  et 
après  cinq  ans  d'approbation  de  celui-ci  comme 
évêque  de  Châlons. 

On  s'avise  aussi ,  après  dix  ans ,  d'accuser  de  Jan- 
sénisme ,  par  un  libelle  ,  l'édition  bénédictine  de 
saint  Augustin  (**},  à  cause  des  notes,  des  lettres 

u  vêque  et  l'ardievêque,...  C'est  ainsi  que  fut  donné  comme  le 
»  premier  signal  de  cette  guerre  fatale,  que  le  livre  du  père  Ques- 
»  nel  a  depuis  allumée  dans  l'Eglise.  Le  soupçon  tomba  d'abord 
}>  sur  les  Jésuites  j  mais  le  véritable  auteur  de  ce  fameux  ouvrage 
p  fut  enfin  démasqué  quelques  années  après.  D.  Thierry ,  Béné- 
»>  dictin  de  la  congrégation  de  Saint- Vannes,  et  Janséniste  des 
»  plus  outrés,  qui  fut  mis  à  la  Bastille  par  ordre  du  Roi,  avoua 
})  dans  la  suite  que  c'étoit  lui  qui  avoit  composé  le  Problème  ». 
(Voyez  Mdm.  sur  les  affaires  de  l'Eglise  de  France,  depuis  1697 
jusqu'en  1710,  par  le  chancelier  d'Aguesseau  5  tom.  xiii  de  ses 
OEuvres,  p.  iqS  )•  Ou  persuada  néanmoins  à  M.  de  Noailles  que  les 
Jésuites  étoient  les  auteurs  du  Problème ,  et  il  en  conçut  contre  eux 
le  plus  vif  ressentiment.  Ce  fut  pour  le  satisfaire  que  le  Parle- 
ment de  Paris  ordonna,  par  un  arrêt  du  10  janvier  1699,  que  cet 
écrit  seroit  brûlé;  ce  qui  fut  exécuté  le  i5,  suivant  d'Avrigny, 
devant  la  porte  de  Notre-Dame.  [Edit.  de  f^ers.) 

C*)  Cette  seconde  partie  de  V Instruction  pastorale  de  M.  d« 
Noailles,  du  20  août  1696,  avoit  pour  auteur  Bossuet,  coTime  il 
l'avoua  à  l'abbé  Ledieu.  Nous  avons  donné  cette  Instruction  à  la 
fin  du  tome  vu.  [Edit.  de  Vers.) 

C**)  Peut-être  Bossuet  veut-il  parler  ici  de  la  Lettre  de  Vabl4 
de  ***  aux  RjR.  PP.  Bénédictins   de  la  congrégation  de   Saint- 

majuscules, 


s  un  i/affaire  du  quiétisme.  24 1 

majuscules,  et  des  renvois.  Certaines  gens  voudroient 
bien  faire  une  diversion  au  Quiétisme,  en  réveillant 
la  querelle  du  Jansénisme  j  mais  on  ne  prendra  pas 
le  change. 

Paris ,  9  février  1 69g. 


LETTRE  CCCCXVIIL 

DE  UABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  discours  des  partisans  de  M.  de  Cambrai  à  l'égard  de  la 
Censure  des  soixante  docteurs  j  la  manière  dont  le  cardinal  Ca- 
sanate  devoit  présenter  dans  son  vœu  le  plan  de  la  bulle  j  et  les 
causes  de  l'embarras  qu'on  pouvoit  trouver  dans  la  rédaction. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Paris,  du  19  janvier.  Le  père  Roslet 
a  reçu  en  même  temps  la  signature  de  plus  de  cent 
quarante  docteurs,  que  M.  de  Paris  lui  a  adressée. 
Voilà  un  consentement  bien  unanime  de  nos  doc- 
teurs ;  et  je  ne  sais  pas  ce  que  les  amis  de  M.  de 
Cambrai  pourront  dire,  après  avoir  assuré  si  hau- 
tement qu  on  n'avoit  pu  trouver  que  les  soixante 
premiers  qui  eussent  voulu  condamner  M.  de  Cam- 

Maur,  sur  le  dernier  tome  de  leur  édition  de  saint  uiugustin ,  impri- 
mée à  Rome  en  1698.  On  disoit  quelle  étoit  d'un  abbé  allemand, 
et  Dupin  l'attribue  au  père  Lallemant,  Jésuite.  Elle  fut  mise  à 
X Index  à  Rome,  par  décret  du  1  juin  1700,  ainsi  que  deux  autres 
lettres  contre  la  même  édition  5  l'une  sous  le  nom  d'u/i  abbé  corn- 
mandataire  y  et  l'autre  sous  celui  à! un  Bénédictin  non  réformé.  Il 
seroit  malaisé  de  décider  de  laquelle  de  ces  trois  lettres  il  est  ici 
question.  Au  reste,  le  général  des  Bénédictins  et  le  provincial  des 
Jésuites  se  réunirent ,  d'après  le  désir  du  Roi ,  pour  imposer  à  cet 
égard  im  silence  réciproque  à  leurs  religieux.  {^JEdit.  de  f^ers.) 
BoSSUET      XLII,  16 


îj'^  LETTRES 

brai,  et  qui  encore  la  plupart  ne  l'avoient  fait  que 
par  force.  Mais  il  ne  faut  pas  s'étonner  de  la  har- 
diesse qu'ils  ont  à  mentir,  leur  chef  leur  en  donnant 
un  si  bel  exemple.  Leurs  impostures  font  toujours 
un  petit  effet  pendant  quelque  temps  ;  et  cela  leur 
sert  au  moins  à  quelque  chose.  Ce  n'est  pas  que, 
dans  l'esprit  des  honnêtes  gens,  cette  conduite  ne 
leur  soit  très-préjudiciable.  Je  sais  que  le  Pape  a  été 
prévenu  heureusement  parles  lettres  du  nonce,  dès 
le  précédent  ordinaire,  sur  les  nouvelles  signatures, 
et  qu'il  les  a  approuvées,  ainsi  que  les  cardinaux,  à 
l'exception  de  celui  que  vous  pouvez  deviner,  à  qui 
cet  accord  de  la  Faculté  de  Paris  contre  son  ami  n'a 
pas  fait  grand  plaisir. 

Dieu  merci,  le  cardinal  Casanate  jouit  depuis  un 
mois  d'une  bonne  santé.  Je  le  vis  il  y  a  trois  jours , 
et  il  me  dit  que  puisque  Dieu  lui  donnoit  de  la 
santé,  il  vouloit  l'employer  bien.  Il  ne  sait  pas  en- 
core si  le  Pape  le  chargera  de  la  rédaction  de  la 
bulle;  mais  nous  sommes  convenus  qu'il  disposera 
les  choses  de  cette  manière.  Il  remettra  son  vœu  au 
Pape  sur  les  trente-huit  propositions  ;  puis  il  dira 
comment  il  est  d'avis  qu'on  les  arrange  pour  les 
condamner.  Il  réduira  toute  la  matière  sous  sept 
chapitres,  selon  qu'elle  l'a  été  dans  l'examen;  puis 
il  rassemblera  sur  chaque  point  les  propositions 
principales,  qu'il  représentera  de  la  manière  qu'elles 
doivent  être  conçues  pour  être  le  plus  nettement 
condamnées ,  en  suivant  toujours  les  propres  paroles 
de  l'auteur,  et  retranchant  seulement  des  propo- 
sitions des  qualificateurs  ce  qui  est  inutile,  et  qui 
ne  serviroit  qu'à  embrouiller  le  fond.  En  un  mot. 


s  tu     l' AFFAIRE    DU    QUI  ET  I  S  ME.  ^43 

il  réduira  toute  la  matière  dans  son  vœu  par  écrit ^ 
comme  il  croit  quelle  doit  être  exposée  dans  la 
bulle.  C'est  à  présent  le  plus  grand  service  qu'il 
puisse  rendre ,  et  qui  peut  abréger  beaucoup  si  le 
Pape  a  bonne  intention.  J'ai  bien  de  la  peine  à 
croire  qu'on  puisse  l'empécLer  de  lui  donner  une 
particulière  autorité  dans  la  rédaction  de  la  bulle. 
Il  est  vraisemblable  que  le  Pape  en  chargera  ses 
deux  créatures,  les  cardinaux  Ferrari  et  Noris,  avec 
le  cardinal  Casanate  ;  mais  il  n'y  a  rien  encore  de 
déterminé  là- dessus.  Je  vous  envoie  la  lettre  que 
m'écrivit  hier  monseigneur  Giori  :  il  parle  par  con- 
jecture, mais  il  n'y  a  rien  de  certain  à  cet  égard. 
Je  crois  seulement  la  chose  très -vraisemblable,  et 
c'est  ce  qu'on  doit  faire.  Si  l'on  ne  le  fait  pas,  ce 
ne  sera  pas  faute  d'instruction  ;  car  le  Pape  sait  tout. 
Il  y  a  plus  de  deux  mois  que  je  vois  l'importance 
de  ce  choix ,  et  qu'on  travaille  efficacement  à  le 
faire  tomber  sur  un  cardinal  bien  intentionné  et 
capable.  Le  cardinal  de  Bouillon,  le  cardinal  Al- 
bani,  Fabroni  et  les  Jésuites  font  tout  leur  possible 
pour  empêcher  que  ce  ne  soit  le  cardinal  Casanate, 
et  pour  faire  donner  la  commission  au  cardinal  Al- 
bani  :  mais  je  crois  qu'en  cela  ils  ne  réussiront  pas, 
au  moins  sur  le  dernier  article;  quoique,  à  dire 
vrai,  on  ne  peut  répondre  de  rien  avec  un  Pape  si 
foible  et  si  facile  à  se  laisser  surprendre. 

Je  vous  envoie  la  lettre  de  M.  de  Cambrai  au 
Pape  :  elle  donne  ce  me  semble  beau  jeu  contre  lui. 
Quelque  superficielle  qu'elle  soit,  on  fait  ici  tout 
remarquer  à  mesure  que  l'occasion  s'en  présente. 
Je  ne  vous  envoie  pas  la  nouvelle  lettre  de  ce  prélat 


^44  LETTRES 

sur  la  charité,  parce  que  je  n'ai  encore  pu  Tavoir. 
Je  ne  connois  que  les  cardinaux  du  saint  Office  qui 
l'aient. 

L'ouvrage  du  théologien  qui  défend  M.  de  Char- 
tres, ne  sauroit  venir  trop  tôt. 

C'est  bien  fait ,  selon  moi ,  de  ne  rien  laisser  sans 
réponse  :  il  faut  parler  fortement  et  avec  autorité, 
comme  vous  avez  toujours  fait,  supposant  toujours 
la  décision  du  saint  Siège  telle  qu  elle  doit  être.  Le 
Roi  ne  pouvoit  rien  faire  de  mieux  dans  la  cir- 
constance, que  de  déclarer,  en  retranchant  M.  de 
Cambrai  des  états  de  la  maison  des  princes,  qu'il 
ne  croyoit  plus  devoir  user  de  ménagement  à  l'égard 
de  ce  prélat. 

Toutes  les  raisonnettes  de  M.  le  cardinal  de  Bouil- 
lon ont  fait  très-peu  d'impression. 

S'il  y  a  quelque  embarras  par  rapport  au  fond  de 
la  matière,  et  pour  la  confection  de  la  bulle,  il 
vient  uniquement  de  la  confusion  des  propositions 
extraites,  qu'il  faudra  nécessairement  qu'on  déve- 
loppe, si  l'on  veut  faire  quelque  chose  de  bien  et 
d'honorable  pour  le  saint  Siège. 

Demain,  ii  février,  on  finira.  Les  trois  derniers 
cardinaux  sont  les  seuls  qui  restent  à  voter,  comme 
vous  le  verrez  par  ce  que  je  vous  envoie. 

La  manière  de  procéder  pour  ce  qui  suit,  n'est 
J)as  encore  déterminée.  Je  crois  que  le  Pape  voudra 
entendre  les  cardinaux  en  public  et  en  particulier  : 
cela  doit  être,  et  sera  apparemment  très -court; 
puis  on  chargera  quelqu'un  de  dresser  la  bulle,  qui, 
après  avoir  passé  per  manus,  doit  être  signée  par  le 
Pape.  Dieu  le  veuille,  et  bientôt. 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  24^ 

On  parlera  apparemment,  jeudi  12,  devant  le 
Pape  de  modo  tenendi  dans  le  reste  de  Taffaire  : 
peut-être  même  tiendra-t-on  une  congrégation  lundi 
prochain,  où  les  cardinaux  discuteront  entre  eux  ce 
qu'il  y  a  à  faire.  Le  cardinal  de  Bouillon  y  sera,  et 
n'épargnera  rien  assurément  pour  embrouiller.  Mais 
on  est  résolu  de  lui  tenir  tête  :  le  cardinal  Casa- 
nate  surtout,  qui  est  le  chef,  et  qui  est  persuadé 
qu'il  y  va  du  bien  de  l'Eglise,  de  l'honneur  du  saint 
Siège,  et  du  repos  de  la  France,  s'opposera  ferme- 
ment aux  désirs  du  cardinal  de  Bouillon,  car  il  ne 
craint  rien ,  Dieu  merci.  Je  n'ose  pas  dire  la  même 
chose  d.es  autres,  dont  plusieurs  sont  assez  foibles, 
et  ne  veulent  pas  si  franchenient  rompre  en  visière 
au  cardinal  de  Bouillon.  Ce  n'est  pas  que  tous  ne 
condamnent  le  livre,  mais  tous  ne  le  font  pas  de  la 
même  manière  et  avec  la  même  force.  On  ne  doit 
pourtant  pas  appréhender  que  la  doctrine  du  livre 
ne  soit  pas  condamnée,  au  moins   persanne  n'en 
doute  à  présent  quant  au  fond;  mais  les  amis  de 
M.  de  Cambrai  soutiennent  qu'il  faut  ménager  en 
quelque  chose  ce  prélat ,  qui  ne  mérite  assurément 
que  d'éprouver  une  juste   sévérité.    Au   reste,   on 
n'oubliera  aucune  des   représentations  qu'on  doit 
faire,  pour  obtenir  qu'on  rende   à  la  vérité  une 
pleine  justice.  Imaginez -vous  quelle  facilité  on  au- 
roit  trouvée,  si  le  cardinal  de  Bouillon  avoit  fait 
un  autre  personnage  ?  Il  est  vrai  qu'il  y  a  bien  de 
quoi  rire,  de  voir  ce  cardinal  devenu  docteur  et 
défenseur  de  l'amour  pur. 

Il  est  certain  que  le  cardinal  de  Bouillon  vouloit 
absolument  qu'on  ne  condamnât  pas  la  propositioa 


2!\6  LETÏllES 

du  trouble  involontaire  en  Je'sus  -  Christ ,  comme 
étant  de  M.  de  Cambrai.  Il  prétendoit  qu'on  l'en 
crût  sur  sa  parole,  disant  qu'il  étoit  à  Paris  lorsque 
le  livre  parut  ;  que  M.  de  Cambrai  protesta  d'abord 
que  cette  proposition  n'e'toit  pas  de  lui,  que  M.  de 
Chevreuse  lui  avoit  avoué  la  vérité,  etc.  Il  sup- 
porta impatiemment  la  résistance  qu'il  trouva  dans 
les  cardinaux  pour  épargner  en  cela  son  ami  ;  et 
malgré  lui  la  proposition  fut  déclarée  être  du  livre, 
et  condamnée  comme  les  autres.  On  n'hésita  pas 
même  à  la  qualifier  d'hérétique. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  alla  jeudi  à  Frescati  : 
il  avoit  achevé  de  parler  la  veille  sur  le  dernier  cha- 
pitre. Il  y  mena  sa  compagnie  ordinaire ,  le  père 
Charonnier  ;  et  il  y  ajouta  M.  de  Barrières,  qui 
l'accompagna  pour  la  première  fois.  Il  en  revint 
dimanche  au  soir,  pour  assister  à  la  congrégation 
d'hier. 

Il  est  arrivé  ici  une  affaire  qui  intrigue  fort  le 
cardinal  de  Bouillon  et  cette  Cour,  qui  peut  même 
avoir  quelque  suite,  et  dont  il  est  bon  que  vous 
soyez  instruit.  Voici  le  fait. 

Il  y  a  environ  un  mois  qu'on  attaqua  l'écuyer  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon.  C'étoit  à  la  vérité  la 
nuit,  mais  par  un  si  beau  clair  de  lune,  et  lui  étant 
si  à  découvert,  que  personne  n'a  cru  que  ce  fût  une 
méprise.  On  a  soupçonné  quelques  personnes  :  le 
gouverneur  a  fait  des  diligences  pour  découvrir 
l'auteur  de  l'attentat,  et  néanmoins  on  n'a  vu  au- 
cun effet  de  ses  riecherches.  L'affront  étoit  sensible 
pour  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et  le  devoit  être  : 
cependant  on  n'a  pas  vu  qu'il  fit  aucune  démarche 


SUR  l'affaihe  du   quiétisme.  247 

pour  en  tirer  raison.  Il  s'est  contenté  de  faire  con- 
duire, il  y  a  environ  quinze  jours,  dans  sa  maison 
un  cocher  de  madame  la  princesse  Carpegna,  qui 
s'e'toit  retire  dans  une  église  trois  jours  auparavant, 
et  l'a  tenu  chez  lui  dans  une  étroite  prison.  Le  Pape 
n'en  a  rien  su,  ou  a  fait  semblant  de  l'ignorer  quelque 
temps.  Enfin,  averti  de  cette  entreprise  faite  contre 
son  autorité,  qui  le  Llessoit  d'autant  plus,  qu'une 
se^iblable  action ,  commise  par  l'ambassadeur  de 
l'Empereur,  étoit  la  cause  des  brouilleries  de  ce  mi- 
nistre et  de  son  maître  avec  cette  Cour;  le  Pape, 
dis- je,  informé  du  fait,  et  sachant  que  M.  le  cardi- 
nal de  Bouillon  étoit  à  Frescati,  envoya  chercher  en 
diligence  le  sieur  Poussin,  son  secrétaire,  pour  se 
plaindre  de  cet  attentat,  et  le  fit  avec  beaucoup  de 
véhémence.  M.  Poussin  trouva  le  secret  de  l'appai- 
ser,  en  lui  disant  que  le  prisonnier  étoit  déjà  sorti  ; 
et  en  même  temps  il  sut  mettre  l'honneur  du  mi- 
nistre à  couvert,  autant  qu'il  étoit  en  son  pouvoir. 
Le  Pape  fut  satisfait,  et  l'on  assure  qu'il  traita  très^ 
bien  ce  petit  ministre,  et  parut  très-content  de  lui. 
Je  sais  d'une  personne,  qui  eut  audience  de  Sa  Sain- 
teté un  moment  après,  que  Sa  Sainteté  en  dit  mille 
biens. 

Le  bruit  de  cette  affaire  se  répandit  aussitôt  dans 
Rome.  Elle  ne  fait  pas  honneur  au  ministre,  d'au- 
tant plus  qu'on  assure  que  le  prisonnier  n'étoit  sorti  , 
que  le  soir.  Pour  moi ,  je  puis  dire  sûrement  qu'il 
fut  conduit  hors  de  Rome,  et  qu'on  Fa  fait  embar- 
quer pour  qu'on  n'en  entendît  jamais  parler.  Gela 
occasionne  toute  sorte  de  mauvais  raisonnemens» 
Ce  qui  est  de  fâcheux,  c'est  que  Sa  Sainteté  s'ima- 


248  LETTRES 

gine  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  étoit  de  concert 
avec  l'ambassadeur  de  l'Empereur,  afin  de  rendre 
son  aflfaire  commune,  et  que  c'est  par  l'adresse  de  ce 
ministre  que  notre  cardinal  a  fait  ce  faux  pas.  Je  ne 
crois  rien  de  tout  cela  ;  mais  cette  Cour  en  est  per- 
suade'e,  et  on  le  dit  hautement.  On  prétend  même 
que  le  Pape  s'en  plaindra  au  Roi.  Vous  en  enten- 
drez parler  apparemment;  et  il  est  impossible  qu'une 
chose  qui  fait  ici  tant  de  bruit,  n'aille  pas  jusqu'à  la 
Cour.  On  dit  ici  mille  et  mille  choses  sur  cela,  que 
je  laisserai  rapporter  à  d'autres.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  que  le  cardinal  de  Bouillon  est  foible,  sans  pru- 
dence ni  cervelle. 

J'ai  vu  les  vers  du  cardinal  Ottoboni,  qui  me  les 
envoya  des  premiers,  et  m'invita  a  sa  musique.  Il 
voulut  par-là  me  donner  une  grande  preuve  qu'il 
étoit  contraire  à  M.  de  Cambrai  :  mais  cela  n'avoit 
rien  de  commun  avec  ce  qui  se  passoit  au  saint 
Office,  et  je  savois  ce  qui  en  étoit.  Aussi  je  pris  la 
liberté  de  lui  dire  que  je  ne  doutois  pas  que  son 
vœu  ne  fût  encore  plus  précis,  et  que  c'étoit  là  la 
pierre  de  touche.  Ce  fut  une  malice  de  la  part  du 
cardinal  del  Giudice,  de  faire  remarquer  au  cardi- 
nal de  Bouillon  le  sens  de  ces  vers  :  ce  cardinal  me 
l'avoua  au  sortir  de  cette  musique. 

M.  de  Bru,  correspondant  ici  de  M.  Chaberé,  m'a 
dit  encore  ce  matin  n'avoir  ordre  de  me  donner  que 
aooo  liv.  que  j'ai  prises  de  lui,  en  même  temps 
quatre  autres  mille  livres  d'une  autre  personne,  et 
j'ai  tiré  une  lettre  de  change  de  4ooo  livres  sur 
M.  Souin,  payable  à  quinze  jours  de  vue  :  de  ces 
quatre  mille  livres  mon  père  en  paiera  deux,  comme 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  ^49 

vous  en  êtes  convenus  ensemble.  J'ai  cru  cette  voie 
plus  courte  et  plus  commode  pour  le  paiement, 
puisque  par  là  vous  aurez  jusqu'à  la  fin  du  mois 
pour  rembourser  la  somme,  et  que  moi  de  mon 
côté  je  suis  pressé  de  payer  ce  que  je  dois.  M.  de 
Bru  m'a  donné  aussi  les  2000  liv.  Vous  ne  croiriez 
pas  que  pour  ces  6000  liv.  j'ai  payé  quatorze  cents 
livres  ou  environ  de  change,  et  n'ai  touché  que 
4600  livres,  le  change  étant  à  près  de  sS  pour  cent. 
C'est  vraiment  une  opération  ruineuse. 

Borne,  ce  10  février  1699. 


LETTRE  CCCCXIX. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  les  disposilîons  du  prince  de  Monaco  5  la  manière  dont  le  Roi 
lui  avoit  parlé  touchant  l'affairé  de  M.  de  Cambrai  j  et  sur  le 
projet  d'une  rétractation  de  Fénélon,  négociée  par  le  cardinal 
de  Bouillon. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  27  janvier,  et  je  viens  de 
la  lire  à  M.  l'archevêque  de  Paris,  qui  avoit  reçu  de 
vous  les  mêmes  détails, 

M,  le  prince  de  Monaco  a  pris  son  dernier  congé, 
et  doit  partir  mercredi  ou  jeudi.  J'eus  avec  lui  sa- 
medi une  longue  conversation,  où  il  témoigna  toute 
sorte  d'amitié  et  de  confiance  pour  vous.  Madame 
de  Maintenon  lui  a  parlé  avec  la  dernière  force.  Le 
Roi  lui  dit  dans  le  dernier  adieu,  qu'il  avoit  de 
grandes  affaires  à  Rome  ;  mais  qu'il  devoit  assurer 
le  Pape ,  qu'il  n'en  avoit  point  qui  lui  tînt  tant  au 
cœur  que  celle  de  l'archevêque  de  Cambrai  j  qu'il 


:>.5o  LETTRES 

lie  pouvoit  trop  inculquer  que  le  bien  de  l'Eglise  et 
de  son  royaume,  et  la  gloire  de  Sa  Sainteté,  de- 
mandoient  une  décision  prompte,  nette,  précise, 
sans  ambiguité,  sans  retour,  et  qui  coupât  la  racine 
du  mal.  Il  me  dit  qu'il  vous  écriroit,  et  qu'il  pourroit 
recevoir  encore  de  vos  lettres  à  Monaco,  oii  le  Roi 
lui  permet  d'être  quinze  jours. 

Votre  jugement  sur  le  cardinal  Albani  est  très- 
juste.  Vous  faites  bien  de  n'être  pas  la  dupe  de  ses 
beaux  discours  ;  mais  vous  avez  raison  de  dire  qu'il 
faut  en  tirer  le  meilleur  parti  qu'on  pourra. 

La  censure  de  nos  docteurs  est  assurément  trop 
foible.  Au  reste  ,  ce  ne  sera  pas  un  si  grand  mal , 
si  l'on  fait  mieux  à  Rome,  comme  vous  me  donnez 
lieu  de  l'espérer. 

Il  y  a  trois  nouvelles  lettres  de  M.  de  Cambrai 
qui  me  sont  adressées  :  deux  roulent  sur  la  Censure 
des  Docteurs,  avec  ce  titre  :  Lettre  I et  II  h  M.  TeVe- 
que  de  Meaux ,  sur  douze  propositions  qu'il  veut 
faire  censurer  par  les  docteurs  de  Paris  (*). 

La  première  commence  ainsi  :  «  Je  ne  puis  vous 
3)  regarder  autrement  que  comme  la  source  de  tous 
3)  les  desseins  qu'on  a  formés  contre  moi ,  et  je  prends 
5)  l'Eglise  à  témoin  de  celui  qui  vient  d'éclater,  etc.  » 
Partout  il  me  dit  :  vou^  tronquez ,  vous  altérez _,  etc. 
comme  si  j'étois  l'auteur  de  la  censure  ;  au  lieu  qu'il 
est  vrai  que  je  n'ai  eu  aucune  part,  ni  au  conseil  ni 
à  l'exécution,  et  je  n'ai  rien  su,  ni  des  qualifications 
ni  des  signatures  :  je  dis  rien ,  qu'après  que  tout  a 

(*)  Bossuet  répondit  à  ces  trois  lettres  dans  X Avertissement  sur 
les  signatures  des  docteurs ^  qu'il  a  placé  à  la  tête  des  Passages 
€fclaircis.  Voyez  tona.  xxx,  pag.  3of).  [Edie.  de  Fers.) 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  aSi 

été  fait.  M.  le  nonce  Fa  su  dès  l'origine,  et  je  le  priai 
même,  lorsque  j'en  fus  informe',  de  le  mander  à 
]\ome;  ce  qu'il  m'a  dit  avoir  fait. 

Outre  ces  deux  lettres,  il  y  en  a  une  troisième  sur 
la  Charité,  qui  m'est  aussi  adressée  :  c'est  une  nou- 
velle répétition.  L'acharnement  de  M.  de  Cambrai  à 
me  mettre  toi.t  sur  le  dos,  a  pour  principe,  outre  la 
haine  qu'il  me  porte ,  le  dessein  de  faire  voir  que  je 
suis  sa  partie  formelle,  et  de  me  rendre  en  cette 
cause,  non-seulement  suspect,  mais  encore  odieux. 

Si  j'avois  eu  la  moindre  part  à  la  Censure,  elle 
seroit  plus  juste,  par  conséquent  plus  forte,  et  l'on 
n'auroit  pas  omis  des  propositions  capitales. 

M.  l'archevêque  de  Paris  m'a  dit  que  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  négocioit  avec  l'abljé  de  Chantera c 
une  rétractation  de  M.  de  Cambrai  ;  le  tout  afin 
d'arrêter  la  décision,  puis  de  gagner  du  temps  pen- 
dant qu'on  nous  la  communiquera.  Il  faut  s'attendre 
à  tous  les  artifices.  Vous  aurez  à  veiller,  si  cela 
arrive,  aux  tentatives  que  fera  M.  de  Cambrai  pour 
me  faire  exclure ,  comme  son  ennemi.  C'est  ce  qui 
ne  se  fit  jamais.  Saint  Cyrille  ,  qui  s'étoit  déclaré  dé- 
nonciateur de  Nestorius  auprès  du  Pape,  loin  d'être 
exclus  du  jugement,  y  présida.  Cela  est  capital,  et 
donneroit  lieu  à  tout  éluder.  D'ailleurs,  j'ai  seul  la 
clef  de  cette  affaire  :  c'est  où  il  faut  être  attentif  plus 
qu'à  tout  le  reste.  Le  courrier  de  l'abbé  de  Chanterac 
est  chargé  de  l'instruction  qu'on  envoie  à  M.  de  Cam- 
brai pour  cette  rétractation. 

Le  livre  de  Vargas  (*)  n'est  composé  que  de  lettres 

(*j  Les  Lettres  et  Mémoires  de  François  Vargas^  jurisconsulte  es- 
pagnol, concernant  le  concile  de  Trente ,  dont  l'abbé  Bossuet  de- 


25îi  LETTRES 

atroces  contre  le  concile  de  Trente,  avec  une  pre'~ 
face  de  le  Vassor  Tapostat,  qui  soutient  Molinos 
contre  le  zèle  de  l'Eglise  romaine,  et  qui  prétend 
qu'il  ne  falloit  pas  crier  à  l'hërétique  contre  M.  de 
Cambrai,  auteur  d'une  spiritualité  raffinée,  dont  le 
nouveau  Testament  ne  dit  mot,  parce  que,  quelque 
inconnue  qu'elle  ait  été  aux  apôtres,  elle  ne  fait 
aucun  mal  ;  et  que  si  elle  est  hérétique,  il  y  a  long- 
temps que  cette  hérésie  a  cours  dans  l'Eglise  romaine. 
Le  Vassor  ajoute  que  M.  de  Paris  et  M.  de  Meaux 
ont  dérogé  aux  libertés  gallicanes,  en  permettant 
que  cette  affaire  fut  portée  à  Rome,  et  que  le  Roi 
s'est  laissé  trop  engager  à  cette  poursuite.  Cet  igno- 
rant malicieux  abuse  du  nom  de  libertés  gallicanes. 
Je  vous  donne  ce  petit  extrait  en  attendant  le  livre, 
dont  je  vous  enverrai  un  exemplaire  aussitôt  que  je 
le  pourrai. 

Il  est  certain  que  les  Anglais  ont  traduit  le  livre 
des  Maximes  avec  de  grands  éloges ,  et  que  les  Hol- 
landais impriment  un  recueil  des  ouvrages  des  deux 
partis ,  avec  une  Préface  en  faveur  de  M.  de  Cam- 
brai. 

On  agira  efficacement  pour  le  procureur-général 
des  Augustins  (*).  Le  principal  du  collège  de  Bour- 

mandoit  un  exemplaire  à  son  oncle,  mis  en  français,  et  publiés  à 
Amsterdam  avec  plusieurs  autres  lettres  et  mémoires  de  Pierre  Mal- 
venda,  et  de  quelques  autres  évêques  espagnols,  au  commencement 
de  1699,  par  Michel  le  Vassor,  d'abord  prêtre  de  l'Oratoire,  et 
depuis  ministre  anglican,  connu  principalement  par  sa  mauvaise 
histoire  de  Louis  XIII. 

(*)  Il  se  nommoit  Nicolas  Serrani,  et  avoit  été  un  des  examina- 
teurs du  livre  des  Maximes.,  contre  lequel  il  s'étoit  fortement  dc- 
elaré. 


SUR  l'affaire   du   quiétisme.  ^53 

gogne,  Colombet,  frère  de  l'assistant,  est  celui  à 
qui  la  tête  a  tourné  pour  avoir  trop  travaillé  pour 
M.  de  Cambrai. 

Vous  jugez  bien  de  l'impatience  que  j'ai  d'avoir  de 
vos  nouvelles.  Consolez -vous,  et  songez  que  vous 
servez  Dieu  et  son  Eglise.  Ne  vous  laissez  point  abattre 
par  la  douleur,  quoiqu'elle  soit  juste. 

J'embrasse  M.  Plielippeaux  de  tout  mon  cœur. 

Tout  le  diocèse  se  signale  envers  nous  à  Toccasion 
de  notre  malheur.  On  n'en  revient  pas  ,  et  nous 
trouvons  à  tout  moment  que  mon  frère  nous  manque. 
Dieu,  Dieu,  et  c'est  tout. 

A  Versailles ,   1 6  février  1 69g. 


LETTRE  GCCCXX. 

DE  M.  DE  NO  AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  Fespérance  d'une  prochaine  conclusion  j  la  leUre  de  M.  de 
Cambrai  au  Pape  ;  la  Censure  des  docteurs  de  Sorbonne ,  et  le 
mécontentement  qu  en  témoignoit  M.  de  Cambrai. 

Je  reçus  hier.  Monsieur,  votre  lettre  du  27.  Je 
suis  surpris  et  même  fâché  de  ce  que  j'y  vois  que  vous 
n'en  aviez  point  reçu  de  moi,  non  plus  que  le  père 
Roslet.  Je  n'ai  pas  manqué  un  seul  courrier  de  vous 
écrire  à  l'un  ou  à  l'autre  ;  ainsi  il  faut  que  mes  lettres 
aient  été  retenues.  Tâchez  de  savoir  ce  qui  en  est, 
afm  que  nous  prenions  des  mesures  pour  empêcher 
que  cela  n'arrive  davantage. 

J'ai  conféré  ce  matin  à  Versailles  la  lettre  que 


a54  LETTULS 

VOUS  m'avez  éciite,  avec  celle  qu'a  reçue  M.  de 
Meaux  :  nous  y  avons  trouvé  à  peu  près  les  mêmes 
choses,  par  conséquent  que  Taflaire  va  bien,  et 
quelle  finira  heureusement  dans  ce  mois.  Cette 
«spérance  me  fait  grand  plaisir;  cependant  il  ne 
faut  s'assurer  de  rien,  que  le  jugement  ne  soit  pro- 
nonce'. Continuez  vos  sollicitalions  avec  la  même 
attention  et  la  même  vigueur  :  surtout  prenez  garde 
qu'on  ne  soit  attendri  de  cette  nouvelle  lettre  de 
M.  de  Cambrai.  Vous  savez  combien  il  est  adroit  et 
pathétique . 

Le  père  Roslet  me  mande  sa  conversation  avec  le 
cardinal  Albani  :  je  lui  réponds  de  ne  s'y  pas  fier,  à 
moins  qu'il  ne  rende  ses  actions  conformes  à  ses 
discours. 

Le  cardinal  Casanate  fera  mieux  la  bulle  qu'aucun 
autre  ;  mais  il  n'y  aura  pas  d'inconvénient  qu'on 
lui  donne  les  cardinaux  Noris  et  Ferrari  pour  y  tra- 
vailler avec  lui  :  pourvu  que  le  cardinal  Albani  n'en 
soit  pas,   nous  serons  bien. 

La  négligence  du  cardinal  de  Bouillon  à  assister 
à  la  cérémonie  de  ce  nouveau  jubilé,  n'est  pas  excu- 
sable :  il  est  étonnant  qu'il  garde  si  peu  de  mesures. 

Je  ne  manquerai  pas  de  dire  au  Roi  ce  que  vous 
me  mandez  de  M.  le  prince  Vaïni,  et  de  faire  de 
mon  mieux  pour  le  père  procureur-général  des 
Augustins  :  j'en  parlerai  fortement. 

Je  crains  que  les  paquets  que  je  vous  ai  envoyés, 
et  que  vous  n'avez  pas  reçus,  ne  scient  ceux  qui  con- 
tenoient  cent  quarante-six  signatures  de  docteurs 
tout  à  la  fois  :  il  seroit  fâcheux  qu'elles  fussent  sup- 
primées j  il  y  auroit  pourtant  remède.  Si  la  censure 


SUR    l'  A  F  F  A  I  II  E    DU     Q  U  I  É  T  I  S  M  E.  2  55 

ne  paroît  pas  assez  forte,  dites,  s'il  vous  plaît,  que 
c'est  par  modestie  et  par  respect  pour  le  saint  Siège 
qu'on  ne  Ta  pas  chargée  davantage.  M.  de  Cambrai 
ne  la  trouve  pas  trop  foible  ;  car  il  n'a  jamais  crie'  si 
haut  qu'il  fait  depuis  cette  censure.  Croyez-moi 
toujours,   Monsieur,  à  vous  autant  que  j'y  suis. 

Il  n'est  point  vrai  que  madame  Guyon  soit  morte  ; 
elle  se  porte  au  contraire  très-bien  :  c'est  une  femme 
qui  la  servoit,  qui  mourut  il  y  a  cinq  ou  six  semaines. 
M.  de  Monaco  part  demain. 

Comptez  sur  un  aussi  grand  secret  de  ma  part 
que  vous  pouvez  le  de'sirer. 

16  Février  161)9. 


LETTRE  CCCCXXI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE.     ^ 

Sur  rinutilité  des  nouvelles  tentatives  du  cardinal  de  Bouillon  pour 
sauver  M.  de  Cambrai  ;  le  résultat  des  dernières  congrégations; 
la  manière  dont  les  qualifications  pourroient  être  prononcées 
dans  la  bulle;  et  sur  une  audience  que  cet  abbé  avoit  eue  du 
Pape. 

J'ai  reçu  en  même  temps,  par  le  courrier  ordi- 
naire ,  les  deux  lettres  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrirej  l'une  du  27  janvier,  et  l'autre  du  22, 
que  vous  croyiez  qui  devoit  arriver  par  un  extraor- 
dinaire qui  n'est  pas  parti,  mais  qui  m'a  e'té  rendue 
sûrement.  J'ai  reçti  en  même  temps  le  paquet  de  la 
Piéponse  aux  préjugés  y  que  j'ai  distribuée  aussitôt 
aux  cardinaux  et  dans  Rome.  Cet  e'crit  est  venu 
fort  à  propos,  et  a  été  bien  reçu,  étant  fort  court, 


256  LETTRES 

et  paroissant  dans  une  circonstance  où  la  quantité 
des  libelles  de  M.  de  Cambrai  >  remplis  d'une  har- 
diesse et  d'une  effronterie  étonnante,  d'un  ton  de 
hauteur  insupportable,  a  fait  sentir  ici  le  caractère 
de  l'auteur ,  et  la  nécessité  qu'il  y  a  de  lui  tenir  tête. 
La  disposition  est  d'autant  meilleure,  que  MM.  les 
cardinaux  connoissent  à  présent  par  eux-mêmes  la 
pernicieuse  doctrine  du  livre  des  Maximes ^  et  ne 
peuvent  quêtre  bien  aises  qu'on  instruise  le  public, 
qu'on  lui  dévoile  de  plus  en  plus  l'esprit  dangereux 
de  M.  de  Cambrai.  Je  n'ai  pas  jugé  à  propos  de  pré- 
senter votre  écrit  au  Pape ,  quoique  j'aie  eu  aujour- 
d'hui de  lui  une  audience  dont  je  vous  rendrai 
compte. 

J'ai  dit  partout  que  ce  petit  ouvrage  n'étoit  fait  que 
pour  la  France,  et  avoit  pour  but  d'empêcher  que 
les  peuples  ne  fussent  séduits  par  le  nombre  des 
libelles  que  M.  de  Cambrai  répand  de  tous  côtés,  et 
que  son  parti  ne  triomphât  du  silence  qu'on  garde- 
roit  dans  ces  circonstances. 

Nous  n'avons  point  encore  reçu  ici  l'écrit  du 
Théologien  de  M.  de  Chartres ,  que  Ton  distribuera 
sans  dire  que  c'est  vous  qui  en  êtes  l'auteur  :  cela 
fera  bien  mieux. 

Venons  aux  affaires  essentielles.  Je  vous  dirai  donc 
que  ma  première  pensée  ces  jours-ci  étoit  de  dépê- 
cher un  courrier,  pour  informer  de  tout  ce  qui  s'est 
passé  dans  la  dernière  congrégation  et  depuis  ;  mais 
ayant  fait  réflexion  qu'il  falloit  un  remède  présent , 
et  qu'il  ne  pouvoit  venir  que  de  ce  pays-ci ,  j'ai  cru 
que  cette  dépêche  n'étoit  pas  absolument  nécessaire , 
et  qu'il  n'importoit  pas  qu'on  sût  huit  jours  plus  tôt 

ou 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  357 

ou  plus  tard  les  nouveaux  et  extraordinaires  efforts 
qu'on  a  faits  pour  sauver  M.  de  Cambrai,  en  désho- 
norant la  France  et  le  saint  Siège.  Les  auteurs  de 
ce  complot  n'ont  pas  réussi ,  Die  i  merci  :  la  vigueur 
de  nos  amis  a  soutenu  le  bon  parti,  et  Ta  emporta. 
Voici  ce  qui  s'est  passé  mercredi ^  11  de  ce  mois. 

Les  trois  derniers  cardinaux  parlèrent  sur  le  der- 
nier chapitre.  Après  qu'ils  eurent  fini ,  le  cardinal 
de  Bouillon  fit  une  harangue,  dans  laquelle  il  ras- 
sembla tout  ce  qui  pouvoit  le  plus  contribuer  à  faire 
épargner  M.  de  Cambrai,  relevant  sa  piété,  son 
savoir,  etc.  Il  joignit  à  cela  des  considérations  poli- 
tiques^ exagéra  ce  qu'il  y  avoit  à  craindre  d'un 
homme  innocent,  éloquent,  appuyé,  et  qu'on 
poussoit  à  bout.. Il  voulut  aussi  intéresser  le  saint 
Siège  pour  un  évêque  prêt  à  se  sacrifier  pour  son 
autorité,  ses  maximes,  etc.  Enfin,  il  conclut  en 
disant  qu'il  n'y  avoit  que  le  seul  intérêt  de  la  vé- 
rité qui  le  faisoit  parler,  puisqu'on  savoit  que  la 
Cour  n'étoit  pas  favorable  à  M.  de  Cambrai. 

On  le  laissa  dire  tout  ce  qu'il  voulut  sur  toutes 
ces  considérations  et  sur  les  propositions  du  livre, 
qu'il  soutenoit  qu'on  pouvoit  entendre  dans  un  boa 
sens,  conforme  à  celui  de  sainte  Thérèse,  de  saint 
François  de  Sales,  etc.,  prétendant  qu'il  étoit  de 
la  dernière  conséquence,  et  de  l'honneur  du  saint 
Siège,  de  déclarer  les  différens  sens  des  proposi- 
tions, pour  ne  pas  confondre  les  bons  mystiques 
avec  les  mauvais.  Après  quoi  MM.  les  cardinaux 
résolurent,  avant  que  de  parler  devant  le  Pape,  de 
tenir  les  congrégations  nécessaires  et  préliminaires 
pour  convenir  de  modo  tenendi.  Et  pressés  par  Sa 
BossuET.  xLii.  17 


Îi58  LETTRES 

Sainteté,  qui  veut  absolument  finir,  ils  arrêtèrent 
de  s'assembler  le  vendredi  suivant,  1 3  de  ce  mois, 
hier  lundi  i6,  et  demain  mercredi  i8  du  mois,  afin 
de  pouvoir  commencer  à  parler  devant  le  Pape  dès 
jeudi  prochain. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  prétend  avoir  obtenu 
comme  par  force  la  congrégation  du  vendredi,  et 
croit  qu'on  doit  lui  en  avoir  une  obligation  éter- 
nelle :  il  m'en  a  parlé  à  peu  près  dans  ces  termes. 
On  sait  bien  à  quoi  s'en  tenir.  Si  l'on  veut  l'en 
croire ,  on  lui  sera  redevable  de  tout ,  et  personne 
n'aura  frappé  plus  fortement  que  lui  M.  de  Cam- 
brai. Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que,  comme  l'ont 
dit  les  cardinaux  Panciatici,  Carpegna  et  Casanate, 
il  fait  beaucoup  de  bruit  et  très-peu  d'effet. 

La  matière  qui  devoit  se  traiter  dans  les  dernières 
congrégations  des  cardinaux,  était  de  la  dernière 
conséquence.  Les  partisans  de  M.  de  Cambrai,  qui 
sont  en  très-petit  nombre  parmi  les  cardinaux,  pré- 
tendoient  le  sauver,  au  moins  en  partie,  par  la  dif- 
ficulté qu'on  trouveroit  dans  l'exécution  de  ce  qu'il 
y  avoit  à  faire.  D'abord  les  propositions  sont  trop 
longues,  et  ont  été  extraites  à  l'avantage  de  M.  de 
Cambrai  ;  néanmoins  ce  sont  celles  qu'on  a  exami- 
nées et  qualifiées.  Si  on  les  refait,  si  on  les  change, 
c'est  un  nouveau  travail,  sujet  à  mille  chicanes  :  ce 
ne  sont  plus,  diront  les  fauteurs  de  M.  de  Cambrai, 
les  mêmes  propositions  qualifiées.  Les  qualifier  de 
nouveau,  c'est  recommencer  tout  l'ouvrage.  Vous 
vous  imaginez  aisément  tous,  les  tours  artificieux 
et  plausibles  qu'on  peut  donner  à  ces  difficultés, 
dans  la  vue  d'embrouiller  l'afïkire.  De  plus,  on  al- 


SUR   l'affaiue    du    QUTÉTISME.  25() 

lègue  que,  quant  aux  qualifications  de  ces  proposi- 
tions, cliaque  cardinal  a,  il  est  vrai,  donné  les 
siennes  ;  mais  que  tous  ne  conviennent  pas  dans 
les  mêmes  qualifications,  et  que  par  exemple  le  plus 
grand  nombre  ne  s'accorde  pas  à  taxer  d'he'rélique 
ou  d'erronée  telle  proposition.  Voilà  un  nouvel  em- 
barras, et  qui  augmente  encore  par  les  instances 
qu'ils  font  pour  qu'on  distingue  les  sens  des  propo- 
sitions, prétendant  trouver  l'exemple  et  le  fonde- 
ment de  cette  distinction  dans  la  Censure  des  doc- 
teurs de  Sorbonne.  Tous  ces  incidens  leur  faisoient 
espérer  qu'ils  rendroient  l'aifaire  interminable,  ou 
qu'au  moins  ils  gagneroient  quelque  cliose,  et  obtiea- 
droient  des  modifications. 

Je  fus  heureusement ,   dès  le  mercredi  matin , 
averti  de  tout  ce  qui  se  passoit.  Je  sus  que  le  car- 
dinal Casanate  étoit  un  peu  inquiet  :  il  m'avoit  f  it 
dire  que  ce  moment  étoit  tempus  tenebrarum  ;  qu'on 
s'assembleroit  le  vendredi,  et  qu'il  n'y  avoit  pas  de 
temps  à  perdre  pour  soutenir  et  confirmer  les  es- 
prits. Je  me  mis  aussitôt  en  marche  pour  aller  visi- 
ter les  principaux  cardinaux  ;  et  les  premiers  qui 
voulurent  bien  me  parler,  s'ouvrirent  franchement 
à  moi  sur  le  fond  de  tout  ce  que  je  viens  de  vous 
exposer.  J'entrai  avec  eux  dans  tout  le  particulier 
des  difficultés  :  je  levai  celles  qui  les  embarrassoient, 
et  je  les  laissai  fermement  résolus  de  n'épargner  en 
rien  M.  de  Cambrai.  Mais  aucun  ne  me  marqua  une 
plus  forte  détermination  que  le  cardinal  Carpegna , 
qui  devoit  prendre  la  parole  après  le  cardinal  de 
Bouillon,  et  qui  me  dit  franchement  qu'il  s'agissoit 
ici  de  l'honneur  du  saint  Siège,  à  quoi  il  falloit  sa- 


a6o  LETTRES 

crifier  toute  considération  humaine,  voulant  parler 
de  l'amitié  du  cardinal  de  Bouillon.  Assuré  de  lui 
et  de  son  théologien ,  je  vis  le  cardinal  Nerli ,  que 
je  trouvai  tout  tremblant,  qui  me  demanda  s'il  n'y 
avoit  rien  à  craindre  du  parti  de  M.  de  Cambrai  y 
quon  disoit  puissant.  Je  fis  mon  possible  pour  le 
rassurer,  et  il  me  parut  revenu  de  ses  craintes  \  mais 
vous  savez  ce  qui  me  le  fait  un  peu  appréhender. 
Je  fis  parler  comme  il  falloit  au  cardinal  Marescotti 
par  le  commissaire  du  saint  Office.  Je  vis  le  cardi- 
nal Spada ,  que  j'avois  disposé  avec  douceur  à  suivre 
le  cardinal  Casanate.  Pour  le  cardinal  Panciatici,  je 
fus  bien  vite  assuré  de  ses  bonnes  dispositions.  A 
l'égard  des  théologiens,  je  sus  qu'ils  étoient  déter- 
minés à  bien  faire.  Je  fis  avertir  le  cardinal  Casa- 
nate du  succès  de  toutes  mes  démarches. 

On  tint  le  vendredi  la  congrégation  qui  devoit 
examiner  les  différens  chefs  dont  je  viens  de  vous 
parler,  et  ce  qui  restoit  à  faire.  Le  cardinal  de 
Bouillon  recommença  avec  plus  de  force  que  jamais 
ses  débats ,  insista  fortement  sur  la  distinction  des 
sens,  comme  sur  une  chose  absolument  nécessaire  et 
de  justice,  en  cas  qu'on  voulût  qualifier  les  proposi- 
tions, soit  respectivement,  soit  privativement.  Il 
ajouta  qu'à  la  vérité  cela  ne  pouvoit  se  faire  si  vite , 
■dans  l'état  où  étoient  les  propositions,  mais  qu'il 
falloit  s'occuper  de  ce  travail  ;  insinuant  que  si  l'on 
ne  le  vouloit  pas,  on  pouvoit  se  tirer  de  cet  embarras 
en  condamnant  le  livre  en  général ,  comme  conte- 
nant des  propositions  équivoques,  ambiguës,  dan- 
gereuses, et  qui  en  un  certain  sens  étoient  erro- 
nées, etc.  Voilà  où  il  espéroit  en  venir,  mais  il  trouva 


SUR  lVffaire  du  quiétisme.         261 
à  qui  parler;  et  en  un  mot,  dans  la  congre'gation  de 
vendredi,  qui  dura  cinq  grosses  heures,  et  dans  celle 
d'hier,  il  a  eu  le  chagrin  de  voir  Favis  des  cardinaux 
bien  intentionnés  prévaloir  au  sien.  On  rejeta  donc 
la  distinction  des  sens;  on  résolut  de  condamner  et 
qualifier  les  propositions  de  M.  de  Cambrai,  comme 
on  a  toujours  condamné  et  qualifié  les  propositions 
erronées,  hérétiques  et  mauvaises,  sans  entrer  dans 
aucune  modification  qui  pût  donner  lieu  à  l'auteur 
de  dire  qu'on  ne  les  avoit  pas  condamnées  dans  son 
sens.  On  a  arrêté  de  réduire  ks  propositions  comme 
elles  doivent  l'être,  pour  en  faire  voir  tout  le  vice  et 
le  venin,  et  on  y  appliquera  les  qualifications  déjà 
prononcées.  Sans  perdre  de  temps  on  parlera  en 
bref  devant  le  Pape ,  qui  après  fera  dresser  la  bulle 
en  conformité,  et  chargera  qui  il  jugera  à  propos  âe 
tout  ce  qui  restera  à  faire. 

Je  sus  hier  du  cardinal  Gasanate  que  tout  alloit 
bien;  mais  il  ajouta  ces  propres  paroles  :  Qu'on  avoit 
fait  le  diable,  et  qu'on  avoit  même  poussé  jusqu'à 
manquer  d'honnêteté,  jusqu'à  dire  des  choses  dures; 
qu'on  vouloit  faire  la  loi  ;  mais  qu'on  avoit  tenu 
ferme,  et  qu'avec  un  peu  de  patience  la  vérité  triom- 
pheroit  pleinement,  et  dans  peu.  Tout  ce  que  je  vous 
dis  là  va  être  bientôt  public. 

Le  cardinal  de  Bouillon  a  dit  à  M.  l'abbé  de  la 
Trémouille,  et  à  bien  des  gens,  que  son  avis  étoit  et 
seroit  toujours,  de  distinguer  dans  les  propositions 
le  bon  sens  d'avec  le  mauvais  ;  que  la  Sorbonne  en 
avoit  donné  l'exemple  par  son  çuatenuSj  quiindiquoit 
qu'il  pouvoit  y  avoir  un  autre  sens.  Je  savois  la  dif- 
ficulté il  y  a  long -temps;  et  dans  les  conférences 


2()2  LKTTllES 

que  fai  eues  avec  les  cardinaux,  je  les  ai  fait  conve- 
nir  qu'il  falloit  faire  une  qualification  plus  précise, 
en  disant  :  Hœc  propositio ^  quœ  excluait,  etc.,  ou 
quia,  ou  le  participe  excludens ,  ce  qui  détermine- 
roit  précisément  que  le  sens  de  la  proposition  est  le 
sens  du  livre.  La  plupart  avoient  pensé  à  mettre 
tanq'iam;  mais  je  leur  ai  fait  voir  que  cela  n'étoit 
pas  si  précis,  et  il  m'a  paru  qu'ils  se  sont  rendus.  Ce 
qui  est  de  certain,  c'est  qu'ils  ont  exclu  le  quatenus , 
comme  n'étant  pas  assez  expressif.  Il  me  semble  que 
c'est  tout  ce  qu'on  peut  demander. 

Je  ne  vois  pas  encore  qu'on  soit  déterminé  si 
Ton  se  contentera  dans  le  décret  d'un  respective,  en 
mettant  toutes  les  qualifications  in  gïobo.  Les  cardi- 
naux Casanate,  Noris  et  Ferrari,  tenteront  autre 
chose  :  mais  peut-être  que  l'application  des  qualifi- 
cations à  chacune  des  propositions  en  particulier 
alongeroit  beaucoup;  parce  que,  comme  je  l'ai  dit 
ci-devant,  les  cardinaux  ne  s'accordent  pas  précisé- 
ment jusqu'à  cette  heure  dans  leurs  voeux,  sur  cette 
attribution  spéciale  des  qualifications  différentes. 
Néanmoins,  j'espère  que  la  diversité  de  leur  juge- 
ment à  cet  égard  ne  se  trouvera  pas  si  grande,  qu'ils 
ne  puissent  se  rapporter.  Cela  dépend  d'un  détail 
que  je  ne  puis  savoir  encore  assez  précisément  :  aussi 
je  ne  dis  rien  de  positif  à  ce  sujet.  Les  qualifications 
particulières  seroient  à  souhaiter,  si  elles  sont  fortes 
et  nettes»:  pour  peu  qu'il  dût  y  avoir  d'affoiblisse- 
ment,  le  respective  seroit  peut-être  meilleur,  plus 
court,  et  laisseroit  les  évêques  maîtres  de  l'applica- 
tion. M.  de  Cambrai  ne  pourroit  pas  même  s'en 
plaindre,  puisqu'on  le  traiteroit  comme  Molinos. 


SUll    L   AFFAIRE    DU    Q  U  I  É  T  I  S  31  E.  26J 

Le  Pape  n'ignore  rien  de  tout  ce  qui  se  passe,  et 
parle  très-mal,  à  beaucoup  de  gens,  du  cardinal  de 
Bouillon.  Je  ne  sais  s'il  n'a  pas  eu  le  courage  d'en 
mander  quelque  chose  au  nonce,  cela  seroit  bien  à 
souhaiter  :  mais  le  cardinal  Spada,  par  qui  tout 
passe,  aura  eu  de  la  peine  à  laisser  éclater  en  France 
le  ressentiment  du  Pape  à  l'égard  du  cardinal  de 
Bouillon.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  mécontentement  du 
saint  Père  est  tel  que  je  vous  le  marque. 

J'ai  cru  devoir  me  présenter  devant  le  Pape  dans 
ces  conjonctures,  pour  savoir  plus  précisément  par 
moi-même  ses  dispositions.  Je  l'ai  vu  aujourd'hui,  et 
il  aparu  aussi  bien  aise  de  me  voir.  Je  ne  vous  rappor- 
terai pas  tout  ce  que  je  lui  ai  dit  :  toute  ma  conver- 
sation a  eu  pour  fin  de  lui  faire  comprendre  la  né- 
cessité d'une  décision  qui  fît  honneur  au  saint  Siège. 
Je  lui  ai  fait  observer  que  c'étoit  là  ce  que  le  Pvoi 
avoit  en  vue,  aussi  bien  que  les  évêques  j  ce  que  de- 
mandoit  le  bien  de  l'Eglise,  et  la  réputation  par- 
ticulière de  Sa  Sainteté.  J'ai  ajouté  ce  que  j'ai  cru  de 
plus  propre  à  l'animer.  Il  m'a  répondu  sur  tout  avec 
sa  bonté  ordinaire,  m'a  assuré  qu'on  verroit  bientôt 
par  des  effets  les  sentimens  qu'il  avoit  dans  le  cœur, 
qu'il  pressoit  les  cardinaux,  que  tout  avançoit,  et 
qu'il  étoit  résolu  de  les  entendre  cette  semaine, 
quatre  à  quatre,  jeudi,  vendredi  et  samedi  prochains. 
Je  ne  l'aurois  pas  cru,  si  je  ne  Pavois  entendu  moi- 
même  :  il  me  Ta  répété  deux  fois,  me  voyant  surpris, 
mais  très-agréablement.  Il  paroît  content  des  cardi- 
naux qu'il  appelle  barbons  :  il  dit  qu'ils  ont  bien 
fait  voir  qu'ils  en  savent  plus  que  les  autres  qualifi- 
cateurs, et  mille  choses  pareilles.  J'ai  tâché  enfia; 


^64  LETTRES 

de  lui  faire  comprendre  de  quelle  nécessite  il  étoit 
d'abattre  l'orgueil  de  M.  de  Cambrai,  qui  triomphe- 
roit  pour  peu  qu'on  l'épargnât  :  il  m'a  re'pondu  que 
je  devois  là-dessus  avoir  l'esprit  en  repos  ;  et  sur  sa 
parole  j'en  dormirai  mieux  cette  nuit. 

Comme  je  commence  à  voir  le  champ  de  bataille 
un  peu  plus  libre  et  plus  assuré,  j'ai  cru  qu'il  n'étoit 
pas  hors  de  propos  d'insinuer  au  cardinal  Casanate, 
au  cardinal  Carpegna  et  aux  théologiens,  qu'il  se- 
roit  de  l'honneur  du  saint  Siège  et  de  son  autorité , 
d'exiger  de  M.  de  Cambrai  une  soumission  pure  et 
simple  à  la  buUe  et  à  la  condamnation  des  proposi- 
tions, avec  une  rétractation  des  erreurs  proscrites 
dans  la  bulle.  Ce  point  ne  plaira  pas  à  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  j  mais  j'espère  qu'on  pourra  ordonner 
quelque  chose  de  semblable,  et  en  même  temps  on 
prendra  garde  de  ne  blesser  en  rien  nos  évêques.  Jç 
vous  en  parlerai  plus  précisément  dans  huit  jours  : 
j'espère ,  Dieu  aidant ,  qu'on  fera  tout  ce  qui  con-» 
viendra. 

Le  parti  cambrésien  est  bien  consterné.  Le  père 
Charonnier  est  enfermé  tous  les  jours  des  six  heures 
entières  avec  le  cardinal  de  Bouillon  :  il  est  plus  que 
sûr  qu'ils  travaillent  ensemble  sur  tout  cela.  Les  Jé- 
suites disent  tout  publiquement,  que  M.  de  Cam- 
brai est  sacrifié  à  la  passion  de  madame  de  Main- 
tenon. 

L'abbé  de  Chanterac  répond  que  M,  de  Cambrai  a 
reçu  plusieurs  lettres  des  docteurs  de  Paris,  qui  gé- 
missent sous  l'oppression. 

Tous  les  discours  du  cardinal  de  Bouillon  et  des 
Jésuites  tendent  à  présent  à  faire  peur  du  crédit  du 


ï 


Sun  l'affaire  du  quiétisme.  263 

parti  de  M.  de  Cambrai ,  et  de  son  esprit.  Le  car- 
dinal de  Bouillon  disoit  l'antre  jour,  qu'on  auroit 
beau  faire,  qu'on  liroit  toujours  les  livres  de  ce 
prélat. 

Je  vous  envoie  cet  écrit  latin  contre  les  quatre 
propositions  que  M.  de  Cambrai  avoit  envoyées  à 
Louvain,  et  qui  est  fait  par  M.  Navens,  licencié  en 
théologie  de  la  Faculté  de  Louvain,  habile  homme, 
grand  directeur  de  religieuses ,  et  qui  a  connu  par 
expérience  le  mal  de  la  doctrine  de  l'amour  pur.  Ce 
théologien  est  chanoine  de  Saint-Paul  à  Liège.  L'écrit 
me  paroît  très-bon. 

Je  crois  que  vous  serez  content  de  ma  réponse  sur 
sainte  Luce.  Je  méprise  bien  d'autres  choses,  et  vais 
toujours  mon  chemin. 

Je  vous  envoie  une  lettre  de  M.  Phelippeaux,  que 
j'ai  ouverte,  pour  voir  si  je  n'apprendrois  rien  de 
nouveau.  Eiïectivement  j'y  ai  découvert  une  chose 
qui  m'a  paru  très-nouvelle,  qui  est  qu'il  a  un  com- 
merce réglé  de  lettres  avec  M.  de  Paris.  Ce  qui  me 
surprend  le  plus,  c'est  qu'il  me  l'a  toujours  caché 
avec  un  extrême  soin,  m'ayant  souvent  dit  qu'il 
n'écrivoit  à  personne,  qu'à  vous  quelquefois,  et 
qu'il  sait  que  j'informe  assurément  M.  de  Paris  plus 
exactement  de  tout  qu'il  ne  peut  jamais  faire,  puis- 
que tout  passe  par  mes  mains.  Je  remarque  depuis 
long-temps  qu'il  ne  va  pas  assez  rondement  avec 
moi  (*).  L'ambition  et  un  peu  de  vanité  lui  occupent 
la  cervelle.  Je  vois  par  sa  lettre,  qu'il  ne  vous  avoit 

C*)  Ces  petites  brouillçries ,  quel  quen  fut  le  motif,  n'erapê- 
clîoient  pas  que  Fabbé  Phelippeaux  ne  fût  un  homme  de  mérite  et 
a  un  vrai  savoir,  comme  Bossuet  le  témoigne  assez  dans  ses  lettres. 


266  LETTKES 

pas  mieux  averti  que  moi  de  son  attention  à  instruire 
M.  rie  Paris.  II  s'excuse  comme  il  peut  auprès  de 
vous  :  quant  à  moi,  il  n'osera  jamais  me  le  dire.  Je 
n'aurois  eu  garde  de  ne  pas  trouver  très- bon  qu'il 
écrivît  tant  qu'il  voudroit,  et  surtout  à  M.  de  Paris  ; 
mais  il  me  semble  qu'il  le  devoit  faire  de  concert 
avec  moi  et  avec  vous  ;  avec  moi  surtout,  pour 
prendre  garde  de  ne  rien  mander  que  de  conforme 
à  ce  que  je  pouvois  savoir  et  écrire.  Je  crois  que 
vous  ferez  bien  de  lui  mander  sur  cet  article ,  que 
vous  êtes  bien  éloigné  de  désapprouver  qu'il  écrive  à 
M.  de  Paris,  devant  présumer  par  toutes  sortes  de 
raisons,  qu'il  ne  le  fait  que  d'intelligence  avec  moi. 
Ne  soyez  au  reste  point  en  peine  de  mon  procédé  à 
son  égard  :  j'ose  dire  qu'il  est  plein  de  prudence  et 
de  modération,  sans  que  personne  puisse  s'aperce- 
voir qu'il  manque  quelquefois  à  ce  qu'il  vous  doit  et 
à  moi.  Vous  savez  que  je  ne  vous  ai  jamais  rien  té- 
moigné à  ce  sujet;  mais  ce  que  je  trouve  dans  cette 
lettre ,  me  fait  voir  un  peu  plus  clair ,  et  me  donne 
lieu  de  connoître  ce  dont  je  doutois  seulement.  Ne 
témoignez  rien  à  M.  de  Paris  ;  car  notre  homme  s'en 
feroit  immanquablement  un  mérite  auprès  de  lui. 
Vous  me  croirez,  si  vous  voulez  ;  mais  j'ai  eu  besoin 
ici  d'un  flegme  et  d'une  fermeté,  dont  je  ne  me 
croyois  pas  capable  :  je  ne  prétends  pas  me  louer. 

Voilà  la  plus  insolente  lettre  que  M.  de  Cambrai 
ait  jamais  écrite  :  je  l'ai  bien  fait  remarquer  aux  car- 
dinaux. Voyez  un  peu  comme  il  parle  du  tribunal 
du  saint  Office,  où  le  crédit,  à  l'entendre,  empê- 
chera que  vous  ne  soyez  censuré. 

Je  finis,  parce  que  la  poste  part.  Je  n'ai  le  temps 


SUR  l'affaire   du  quiétisme.  '26"] 

que  d'écrire  deux  lignes  à  M.  de  Paris  :  je  vous  prie 
de  lui  faire  part  de  ma  lettre.  Je  doute  qu'on  l'ait 
informe  si  exactement  de  tout. 

Rome,  17  février  1699. 


LETTRE  CCCCXXII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  quatre  propositions  présentées  par  M.  de  Cambrai  àruniversité 
de  Louvain  j  et  sur  deux  nouvelles  lettres  de  ce  prélat. 

Votre  lettre  du  3,  fait  si  bien  voir  la  suite  de 
l'afTaire  et  le  doigt  de  Dieu  dans  cette  conduite,  que 
j'ai  cru  devoir  en  donner  copie  pour  la  Cour,  oii  je 
suis  assuré  qu'elle  sera  lue,  comme  j'en  ai  prié. 

Vous  voilà  presque  au  bout  de  cette  épineuse 
carrièt  e ,  où  il  y  a  eu  de  si  surprenantes  aventures. 
Je  me  console  beaucoup ,  quand  je  sens  approcher 
le  temps  de  votre  retour.  Mais  il  faut  voir  la  bulle 
faite  et  publiée ,  et  l'eflet  que  produira  la  réception 
qu'on  en  fera  dans  le  royaume.  Car  ce  sera  un  pas 
assez  délicat,  quoique,  si  j'y  puis  quelque  chose,  il 
n'y  aura  aucune  difficulté. 

Les  propositions  présentées  à  Louvain  par  M.  de 
Cambrai  {*) ,  sont  captieuses  :  mais  ce  qu'il  y  a  de 
plus  surprenant ,  c'est  que  ce  prélat ,  qui  prend  pour 

(*)  Ces  Propositions  étoient  au  nombre  de  quatre.  L'auteur,  pour 
capter  l'approbation  des  docteurs,  avoit  eu  soin  de  déguiser  le 
fond  du  système.  Mais  il  ne  put  réussir  dans  son  projet,  aucun 
docteur  n'ayant  voulu  répondre  à  sa  consultation.  On  trouve  ces 
quatre  propositions  dans  la  Relation  du  Quiéiiume,  de  l'abbé  Phe- 
lippeaux,  part.  II,  pag.  i56,  iS;. 


2^8  lettp.es 

un  si  étrange  attentat  contre  Rome  les  signatures 

d'ici,  trouve  très-bon  d'en  recliercber  à  Louvain. 

On  m'a  rendu  deux  lettres  de  M.  de  Cambrai, 
qui  me  sont  adressées,  dans  lesquelles  il  m'impute 
les  signatures,  qui  pourtant  ont  été  faites  sans  que 
j'y  aie  eu  aucune  part  ;  et  une  troisième  sur  la  Cha- 
rité,  où  il  ne  fait  que  recommencer,  avec  une  nou- 
velle aigreur,  ce  qu'il  m'a  déjà  reproclié  si  injuste- 
ment. Nous  attendons  la  suite  du  Jubilé  au  sujet  de 
la  persécution  d'Angleterre. 

Il  faut  bien  prier  Dieu  que  la  bulle  soit  mise  en 
bonnes  mains,  et  ^ue  l'on  coupe  la  racine  d'un  si 
grand  mal. 

J'ai  oublié  de  vous  dire  dans  mes  lettres  précé- 
dentes ,  que  madame  Guyon  n'est  rien  moins  que 
morte  (*). 

J'embrasse  M.  Phelippeaux, 

A  Versaillçs,  23  février  1699. 


LETTRE  GCCCXXIIL 

DE  BOSSUET  A  ^.  DE  LA  BROUE. 

Sur  la  mort  de  son  frère  ;  l'état  de  TafFaire  ;  et  les  dernières  lettres 
de  M.  de  Cambrai. 

Vous  savez  mieux  que  personne,  Monseigneur, 
ce  que  j'ai  perdu.  Quel  frère  !  quel  ami  !  quelle  dou- 
ceur !  quel  conseil  !  quelle  probité  !  tout  y  étoit. 
Dieu  a  tout  ôté  ;  et  je  me  trouve  si  seul ,  qu'à  peine 

(*)  On  a  vu  que  le  bruit  avoit  couru  à  Rome  qu'elle  étoit  déccdée , 
et  que  l'abbé  Bossuet  ayoil  prié  son  oncle  de  Tinstruire  sur  ce  fait. 


SUR  l'affaiïie  du  quiétismè.  269 

me  puis-je  soutenir.  A  cela  il  n'y  a  qu'à  dire,  Dieu 
est  maître  et  un  bon  maître  ;  et  Jésus-Christ,  selon 
sa  parole,  nous  tient  lieu  de  tout. 

Je  crois  bien  qu'à  présent,  et  dès  le  mercredi  11^ 
les  délibérations  sont  achevées,  et  la  condamnation 
du  livre  résolue  ;  c'est  tout  ce  qu'on  peut  savoir.  Je 
souffre  du  délai  de  votre  arrivée  ;  mais  j'entends  bien 
que  les  mal  convertis  vous  demandent  vos  soins.  Je 
suis  ce  que  vous  savez. 

Il  est  vrai  qu'il  est  bien  étrange  que  M.  de  Cam- 
brai parle  si  hautement,  à  la  veille  d'une  rétracta- 
tion ;  et  le  changement  sera  bien  grand  et  bien  sou- 
dain. Il  m'écrit  trois  dernières  lettres,  dont  l'une 
n'est  qu'une  répétition  sur  la  charité;  les  deux  au- 
tres me  reprochent  les  signatures  des  docteurs,  aux- 
quelles tout  le  monde  sait  que  j'ai  aussi  peu  de  part 
que  vous  qui  en  êtes  à  cent  lieues.  Je  n'étois  pas  si 
loin ,  étant  à  Meaux  ;  mais  je  n  y  pensois  en  nulle 
manière. 

A  Versailles,  a4  février  169g. 


LETTRE  CGCCXXIV. 

DU  CARDINAL  DE  BOUILLON  A  BOSSUET. 

Sur  la  mort  de  son  frère. 

Je  prends  trop  de  part,  Monsieur,  à  ce  qui  vous 
touche,  pour  ne  pas  ressentir  avec  beaucoup  de  dé- 
plaisir la  perte  que  vous  venez  de  faire.  Les  senti- 
mens  de  vénération,  d'estime  et  d'amitié  pour  vous, 
Monsieur,  sont  gravés  trop  avant  dans  mon  cœur, 


ÎI-'O  LETTRES 

et  depuis  trop  long-temps,  pour  qu'il  puisse  y  arri- 
ver aucun  changement ,  quelque  peu  de  justice  que 
vous  me  puissiez  rendre.  Comptez  que ,  sans  jamais 
être  ma  dupe  sur  rien,  vous  devez  être  persuadé 
qu'on  ne  peut  vous  honorer  plus  que  je  fais  et  que 
j'ai  toujours  fait,  vous  demandant  la  continuation 
de  votre  amitié  comme  une  des  choses  du  monde 
que  j'ai  toujours  désirée  avec  plus  d'ardeur. 

Rome,  24  fȔvrier  1699. 


LETTRE  CCCCXXV. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A   SON   ONCLE. 

Sur  la  grande  perte  que  cet  abbé  avoit  faite  par  la  mort  de  sou 
père  ;  le  résultat  de  la  dernière  congrégation  j  et  trois  autres 
congrégations  tenues  devant  le  Pape. 

Après  Dieu,  en  qui  je  mets  toute  ma  confiance, 
aux  ordi-es  duquel  je  me  soumets,  et  de  qui  j'attends 
toute  grâce  et  toute  consolation,  vous  êtes  le  seul, 
mon  cher  oncle,  sur  la  terre,  de  qui  je  puisse  rece- 
voir la  consolation  dont  j'ai  besoin  dans  mon  amère 
douleur.  En  perdant  un  si  bon  père,  j'ai  fait  une 
perte  irréparable,  et  que  je  ressens  telle  qu'elle  est. 
Nous  n'avons  plus,  mon  frère  et  moi,  que  vous, 
mon  cher  oncle,  qui  nous  puissiez  tenir  lieu  de 
père.  En  mon  particulier,  je  vous  ai  toujours  re- 
gardé comme  tel  ;  et  je  reconnois  plus  que  jamais 
que  vous  en  avez  toutes  les  quahtés  à  mon  égai^d, 
par  les  véritables  bontés  et  la  tendre  amitié  que  vous 
voulez  bien  me  témoigner  en  cetle  occasion;  c'est 


SUR    LAFFAIllE     DU    QUIÉïISME.  2^1 

mon  unique  consolation.  Aussi  puis-je  vous  assurer 
que  je  ne  me  propose  de  joie  le  reste  de  ma  vie,  que 
celle  de  pouvoir  vous  plaire  et  vous  contenter  de 
plus  en  plus.  En  cela  je  satisferai  à  mon  inclination, 
à  mon  devoir,  et  aux  sentimens  d'un  père  qui  ne 
souhaitoit  rien  de  plus  ardemment  au  monde.  Ce 
coup,  je  l'avoue,  m'est  aussi  sensible  et  aussi  doulou- 
reux qu'il  le  doit  être  ;  mais  Dieu  ne  m'a  pas  aban- 
donne. Votre  lettre  et  les  sentimens  tendres,  nobles 
et  chrétiens,  dont  elle  est  remplie,  m'ont  donné  la 
force  nécessaire  pour  me  soutenir  ;  et  après  deux 
jours  de  larmes,  que  je  n'ai  pu  refuser  à  la  nature, 
je  me  suis  trouvé  en  état  d'agir  à  mon  ordinaire 
dans  une  affaire  ou  je  ne  suis  nullement  nécessaire, 
où  tout  autre  que  moi  auroit  mieux  réussi  en  toutes 
manières  ;  mais  dans  laquelle  la  bonne  volonté,  l'at- 
tention que  j'ai  eue  à  suivre  vos  ordres ,  et  la  con- 
fiance que  quelques  amis  ont  en  moi,  m'ont  rendu 
moins  inutile.  Vous  pouvez  être  assuré  que  je  ne 
pense  à  rien  que  par  rapport  à  cette  affaire,  dont 
je  reconnois  de  plus  en  plus  l'importance,   et  de 
quelle  conséquence  il  est  pour  le  repos  de  l'Eglise 
en  général,  et  en  particulier  de  la  France,  qu'elle 
finisse  bien.  Les  ennemis  de  la  paix  de  l'une  et  de 
l'autre  mettent  tout  en  œuvre  pour  les  troubler, 
comme  je  continuerai  à  vous  en  rendre  compte  un 
peu  plus  bas. 

Pour  ce  qui  regarde  mes  affaires  particulières, 
j'en  écris  plus  au  long  à  mon  frère  et  à  M.  Cbasot , 
et  ils  vous  feront  part  de  ce  que  je  leur  marque.  Je 
ne  laisserai  pas  de  vous  dire  que  je  ne  trouve  rien  de 
plus  sage  et  de  plus  à  propos ,  que  la  résolution  que 


27-^  LETTRES 

VOUS  avez  prise  avec  mon  frère.  J'approuverai  tou- 
jours tout  ce  que  vous  réglerez,  et  le  tiendrai  pour 
bien  fait.  Je  me  (ie  entièrement  à  mon  frère  ;  je  con- 
nois  sa  probité ,  son  amitié  pour  moi  :  il  sait  bien 
que  tout  ce  que  f aurai,  sera  toujours  plus  à  lui  qu'à 
moi.  J'aurois  bien  souhaité  que  mon  pauvre  père  eût 
eu  la  consolation  de  le  voir  marié  avant  que  de 
mourir.  Gela  vous  est  réservé,  mon  cher  oncle;  et 
je  crois  qu'on  n'y  doit  point  perdre  de  temps.  Je 
n'entrerai  pas  pour  aujourd'hui  dans  un  plus  grand 
détail  là-dessus  avec  vous  ;  mais  vous  me  permettrez 
de  le  faire  dans  la  suite.  Je  regarde  M.  Chasot  comme 
un  second  frère ,  à  qui  nous  devons  tous  nous  con- 
fier :  je  lui  adresse  une  procuration  en  blanc,  telle 
qu'il  me  la  demande.  Je  m'en  rapporte  à  vous  pour 
l'usage  qu'on  en  fera ,  et  vous  êtes  maître  de  la  faire 
remplir  du  nom  de  qui  vous  jugerez  à  propos. 

Tous  mes  amis  m'ont  donné  en  cette  triste  occa- 
sion toutes  les  marques  possibles  d'amitié.  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  en  particulier  m'a  fait  l'hon- 
neur de  me  venir  voir  dès  le  lendemain ,  et  m'a  té- 
moigné toute  sorte  de  bontés,  et  par  rapport  à  vous, 
et  par  rapport  à  moi.  Apparemment  il  vous  écrira, 
et  vous  ne  sauriez  trop  le  remercier.  La  première 
chose  que  je  fis  avant-hier ,  fut  de  lui  aller  rendre 
mes  respects. 

J'ai  les  dernières  obligations  à  M.  de  la  Trémouille 
et  à  madame  la  princesse  des  Ursins .  Il  ne  tint  pas 
au  premier  de  prévenir  les  nouvelles  fâcheuses. qui 
pouvoient  me  venir  d'ailleurs ,  et  me  surprendre  ; 
mais  il  n'en  fut  pas  le  maître.  Cette  mort  étoit 
marquée  tout  du  long  dans  les  avis  de  France, 

qu'on 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  2^3 

quon  reçut  par  le  courrier  de  Venise,  qui  arriva 
quelques  heures  avant  celui  de  France.  Je  reçus 
votre  paquet  dès  le  soir  du  jeudi  ;  et  n'y  voyant  rien 
de  la  triste  nouvelle  que  je  savois,  je  me  doutai  que 
vous  vous  seriez  adressé  à  quelque  ami  pour  m'y 
faire  préparer  ;  ce  qui  étoit  effectivement  ainsi. 

Après  un  si  fâcheux  événement,  vous  croyez  bien 
que  j'ai  quelque  impatience  de  me  voir  réuni  à  vous, 
et  au  reste  de  ma  famille.  Mais  cette  juste  impatience 
ne  me  fera  rien  faire  ni  contre  mon  devoir,  ni  contre 
le  bien  de  l'alFaire  qui  me  retient  ici.  Selon  toutes 
les  apparences ,  il  est  impossible  qu'elle  ne  soit  pas 
finie  entièrement  dans  le  mois  prochain  ;  et  je  crois 
pouvoir  assurer  que  dans  ce  temps  la  bulle  sera 
faite  et  parfaite.  S'il  est  nécessaire,  comme  il  le 
peut  être ,  que  j'attende  ici  les  nouvelles  de  sa  récep- 
tion en  France,  je  le  ferai  ;  afin  que  s'il  y  a  quelque 
difficulté,  on  puisse  travailler  ici  à  les  lever.  Il  ne 
sera  pas  moins  important  de  veiller  dans  ces  pre- 
miers momens ,  à  ce  que  les  amis  de  M.  de  Cambrai 
ne  forment  quelques  tentatives,  pour  faire  passer 
des  soumissions  ambiguës;  ou  ne  cherchent  à  faire 
écrire  au  Pape  quelque  bref,  dont  M.  de  Cambrai 
puisse  se  prévaloir.  J'attendrai  à  cet  égard  vos  ordres 
avec  patience,  trop  heureux  de  pouvoir  n'être  pas 
inutile  le  reste  du  temps  que  je  pourrai  être  ici ,  et 
qui  ne  sauroit,  ce  me  semble,  s'étendre  bien  loin. 

J'ai  pris  le  deuil  dans  toutes  les  formes  ;  des  gens 
sages  et  prudens  me  l'ont  conseillé,  et  je  m'y  suis 
déterminé  d'autant  plus  vite ,  qu'on  commençoit  à 
dire  que  je  n'attendrois  pas  la  fin  de  cette  affaire 
pour  partir.    Ces    discours  ne   faisoient  déjà  pas 

BOSSUET.    XLTI.  ï8 


2^4  LETTRES 

plaisir  à  plusieurs  de  mes  amis  de  ce  pays-ci ,  ainsi 
qu'à  des  cardinaux  qui  craignent  le  cardinal  de 
Bouillon  à  Tarrivée  de  l'ambassadeur ,  et  à  qui  ce 
cardinal  tâche  de  faire  peur  autant  qu'il  lui  est 
possible.  En  vingt-quatre  heures  mon  deuil  a  été 
préparé,  et  dimanche  je  fis  en  cet  état  quelques 
visites  nécessaires.  J'assure  à  tout  le  monde  que  je 
resterai  ici  autant  qu'il  le  faudra,  non-seulement 
jusqu'à  la  publication  de  la  bulle,  mais  encore  jus- 
qu'à ce  qu'on  en  sache  l'effet. 

J'ai  su  que  l'abbé  de  Chanterac  ne  compte  pas 
partir  si  tôt.  Je  vais  à  présent  vous  rendre  compte  de 
ce  qui  s'est  passé  depuis  ma  dernière  lettre. 

Mardi ,    1 8   de   ce  mois ,  il  y  eut  congrégation 
entre  MM.  les  cardinaux,   de  modo  procedendi ;  et 
le  cardinal  de  Bouillon  renouvela  ses  instances  avec 
la  même  vivacité,  pour  la  distinction  des  sens,  qu'il 
appelle  détermination  du  sens,  par  un  quatenus  ,  à 
l'exemple,  dit-il,  de  la  Censure  des  docteurs,  qui 
puisse  laisser  en  son  entier  un   certain  sens  qu'il 
attribue  à  l'auteur.  Mais  les  cardinaux  continuent 
leur  opposition  avec  vigueur.  Ce  débat  est  allé  si 
loin,  et  a  été  si  vif  de  la  part  de  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,   dans  ces  dernières  congrégations,   que 
cette  Eminence  a  dit  des  choses  très-dures  au  car- 
dinal Casanate,  qu'il  prit  à  partie  .comme  l'ennemi 
personnel  de  M.  de  Cambrai  ;  ce  sont  ses  propres 
termes.   Je  n'aurois  pas  cru  que  cela  eût  pu  être, 
quoique  gens  dignes  de  foi  me  l'eussent  assuré  ven- 
dredi dernier ,  si  je  ne  l'avois  ouï  de  la  bouche  même 
du  cardinal  Casanate.  Avant-hier,  dimanche,  quand 
je  l'allai  voir ,  il  en  étoit  encore  tout  ému.  Il  me  dit 


SUR   l'affaiue    du    QUIÉTISME.  2*^5 

qu'il  y  avoit  à  soulTrir,  quand  on  avoit  en  tête  un 
pareil  homme  ;  mais  que  nulle  conside'ration ,  nulle 
crainte  ne  le  feroit  jamais  départir  de  la  vérité',  et 
de  ce  qu'il  croyoit  convenir  à  l'honneur  du  saint 
Siège  et  au  bien  de  l'Eglise.  Il  m'assura  en  termes 
formels  tout  ce  que  je  viens  de  vous  rendre  :  ahhiamo 
sofferLo  délie  scornate  y  qui  veut  dire  qu'il  avoit 
essuyé  bien  des  affronts.  Je  ne  pus  m'empécher  de 
lui  répondre  que  ces  affronts  retomboient,  et  re- 
tomberoient  infaiUiblement  sur  ceux  qui  préten- 
doient  les  faire.  Il  m'avoua  qu'il  voyoit  bien,  de- 
puis quelque  temps  principalement,  que  le  dessein 
des  amis  de  M.  de  Cambrai  étoit  de  faire  peur  aux 
cardinaux,  et  par  rapport  à  leur  intérêt  particu- 
lier, et  par  rapport  à  la  personne  de  M.  de  Cam- 
brai lui-même,  qu'on  rend  ici  plus  formidable  qu'il 
ne  l'est  en  effet ,  en  insinuant  qu'on  doit  appré- 
hender de  pousser  à  bout  un  grand  archevêque  ,  etc. 
et  proposant  dans  cette  vue  des  remèdes  plus  doux, 
mais  qui,  semblables  aux  palliatifs,  ne  guérissent 
pas  le  mal ,  et  l'augmentent  bien  plutôt.  Au  reste , 
on  tient  ferme. 

Cependant  tous  ces  procédés  sont  toujours  très- 
fâcheux;  car  on  y  voit  un  dessein  arrêté  d'obtenir 
quelque  chose  en  faveur  de  M.  de  Cambrai.  Ce 
dessein  durera  jusqu'au  bout;  et  qui  sait  ce  qu'on 
pourra  faire  faire  au  Pape  dans  la  conclusion?  Je 
suis  persuadé  qu'on  ne  peut  plus  rien  effectuer  d'es- 
sentiellement préjudiciable  à  la  bonne  cause  ;  mais  il 
ne  faut  rien  à  M.  de  Cambrai ,  pour  lui  donner  pré- 
texte de  brouiller  et  de  recommencer  les  disputes. 
C'est  un  grand  malheur  que  le  cardinal  de  Bouillon 


276  LETTRES 

soit  opiniâtre  au  point  où  il  Test  :  en  vérité,  sans  le 
brave  cardinal  Gasanate,  qui  a  tenu  ferme  sur  tout, 
le  cardinal  de  Bouillon  auroit  emporté  quelque 
chose;  et  malgré  l'état  oii  en  est  l'affaire,  il  faut 
veiller  et  être  en  garde  pour  éviter  les  surprises. 

Le  cardinal  de  Bouillon  prétend  se  mettre  à  cou- 
vert auprès  du  Roi ,  en  disant  qu'il  presse  une  dé- 
termination précise  des  sens,  et  une  conclusion 
comme  le  Roi  la  souhaite  :  voilà  de  quelle  manière 
il  presse  le  jugement.  Je  puis  vous  assurer  que  le 
Pape  est  plus  envieux  de  finir  que  lui. 
.  Il  y  a  eu,  comme  le  Pape  m'avoit  fait  l'honneur 
de  me  le  dire ,  trois  congrégations  des  cardinaux , 
qui  ont  été  tenues  jeudi,  vendredi  et  samedi  dernier 
€n  présence  de  Sa  Sainteté  :  tous  y  aSvSistèrent,  et 
quatre  parlèrent  à  chaque  congrégation.  Les  cardi- 
naux de  Bouillon,  Carpegna,  Nerli  et  Gasanate  par- 
lèrent le  jeudi;  Marescotti,  Spada,  Panciatici  et 
Ferrari,  le  vendredi;  samedi,  Noris,  Ottoboni  et 
Albani.  Ils  parlèrent  par  ordre  du  Pape  sur  toutes 
les  propositions,  et  les  qualifièrent.  Ces  congréga- 
tions ont  été  tenues  ad  honores;  car  le  Pape  n'entend 
rien  à  ces  discussions.  Il  est  vrai  qu'en  récompense 
il  a  une  grande  confiance  au  Saint-Esprit* 

11  est  à  présent  question  de  réduire  les  proposi- 
tions, et  de  les  disposer  comme  elles  doivent  être 
mises  dans  la  bulle.  Il  se  tint  hier  matin  à  la  Mi- 
nerve une  congrégation  entre  les  cardinaux  sur  cet 
objet,  et  sur  la  manière  de  former  le  décret  :  on  chi- 
canera peut-être  encore  là-dessus.  Je  ne  sais,  au 
reste,  ce  qui  s'est  passé.  Le  commissaire,  que  je  vis 
hier  un  moment,  me  dit  seulement  que  je  serois 


strii  l'affaire  du  quiétisme.  277 

content.  C'est  quelque  chose  qu'on  ne  gâte  rien  :  mais 
jusqu'ici  tout  va  bien  parmi  le  gros  des  cardinaux , 
et  je  puis  dire  presque  tous  ;  car  les  cardinaux  Otto- 
boni  et  Albani  ne  battent  plus  que  d'une  aile.  Ils 
voudroient  adoucir  les  qualifications ,  principale- 
ment le  cardinal  Albani,  quoiqu'ils  ne  sachent  près* 
que  comment  s'y  prendre;  et  l'on  prétend  qu'ils  ne 
sont  point  d'accord  avec  le  cardinal  de  Bouillon. 
Toutefois  il  fut  résolu  dans  cette  congrégation,  qu'on 
condamneroit  et  qualifieroit  les  principales  proposi- 
tions, ou  par  des  qualifications  particulières,  comme 
les  cardinaux  l'ont  pratiqué  dans  leurs  vœux,  ou  par 
un  respective  y  comme  l'ont  été  celles  de  Molinos.  On 
ne  distinguera  aucun  sens,  le  quatenus  est  exclus.  La 
bulle  sera  dressée  dans  une  forme  prDpre  à  ne  causer 
aucune  opposition,  car  on  veut  qu'elle  soit  reçue  ea 
France  :  voilà,  ce  me  semble,  l'essentiel.  Sur  tous  les 
autres  points  moins  importans,  on  ne  s'oublie  pas. 
J'ai  repassé  tout  ce  que  vous  m'avez  écrit  de  temps 
à  autre,  j'en  ai  fait  des  mémoires,  dont  je  me  sers 
pour  insinuer  ces  choses  là  où  il  est  le  plus  à  propos. 
Ce  qu'il  y  a  d'assuré,  c'est  qu'on  veut  finir.  Depuis 
quinze  jours  le  travail  va  même  si  vite,  que  quel- 
ques cardinaux  ont  dit  qu'ils  avoient  peur  qu'on  ne 
cherchât  à  étrangler  l'affaire  ;  mais  qu'il  étoit  trop 
tard,  et  que  le  mal  étoit  trop  connu. 

On  m'a  assuré  un  fait  qui  est  assez  singulier,  s'il 
est  vrai,  comme  je  le  crois.  Le  cardinal  de  Bouillon 
dans  une  congrégation  allégua,  contre  ce  qu'avoit 
dit  le  cardinal  Noris  sur  la  distinction  des  sens,  une 
autorité,  tirée  d'un  ouvrage  de  ce  cardinal  même, 
en  faveur  des  propositions  susceptibles  de  plusieurs 


2^8  LETTIIES 

sens,  et  d'un  auteur  vivant  qui  s'expliquoit.  Le  car* 
dinal  Noris  se  récria  sur-le-champ  ;  et  à  la  congré- 
gation suivante  il  apporta  un  écrit,  où  il  faisoit  voir 
le  peu  de  rapport  qu'il  y  avoit  entre  ce  qu'avoit  ob- 
jecté le  cardinal  de  Bouillon,  et  la  thèse  qu'il  soute- 
noit.  Cela  a  fait  une  scène  assez  curieuse.  Je  vis  le 
cardinal  Noris  avant-hier  un  moment,  qui  m'en  a 
assez  dit  pour  m'assurer  qu'il  est  ferme ,  et  que  tout 
ira  bien.  J'avoue  que  je  ne  laisse  pas  d'appréhender 
à  tous  les  instans.  Le  cardinal  Nerli  est  un  trembleur 
qui  raisonne  fort  bien ,  mais  qui ,  au  moment  de 
prendre  une  résolution ,  craint  trop  d'engager  le  saint 
Siège.  Je  ne  perds  aucune  occasion  de  le  raffermir. 
Le  cardinal  Carpegna  m'a  tenu  parole,  et  s'est  fait 
honneur  dans  les  dernières  congrégations  ;  c'est  le 
premier  qui  parle  après  le  cardinal  de  Bouillon. 

On  a  fait  ces  jours  passés  courir  à  Rome  un  bruit 
sur  M.  de  Paris,  auquel  je  ne  croyois  pas  que  qui  que 
ce  soit  pût  ajouter  foi;  mais  néanmoins  il  s'est  si  fort 
répandu,  que  plusieurs  personnes  très-sensées  m'en 
ont  parlé,  et  qu'elles  ne  savoient  qu'en  penser.  On 
vouloit  absolument  que  M.  de  Paris  eût  retranché 
du  Sal^e  le  mater  misericordiœ y  comme  injurieux  à 
Dieu  et  à  notre  Seigneur  Jésus-Christ.  Vous  jugez 
bien  ce  que  j'ai  répondu  là-dessus.  On  veut  rendre 
ici  odieux  les  é\  êques  de  France ,  principalement 
M.  de  Paris  et  vous  :  leurs  ennemis  sont  déchaînés. 
On  répand  ces  sortes  de  bruits,  surtout  parmi  les 
femmes;  et  la  moitié  de  Rome  s'y  laisse  prendre,  n'y 
ayant  personne  qui  ait  intérêt  de  s'en  éclaircir.  Ce 
discours  impertinent  s'est  débité  jusque  chez  des  car- 
dinaux. 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  279 

Ma  santé  est  bonne,  Dieu  merci.  Conservez  long- 
temps la  vôtre  pour  le  bien  de  son  Eglise,  a  qui  vous 
êtes  si  utile  dans  ce  temps  de  division  et  de  trouble, 
oii  le  démon  suscite  de  tous  les  côtés  des  ennemis 
contre  la  vérité.  Par  rapport  à  nous,  vous  êtes  la 
seule  personne  chère  et  nécessaire  qui  nous  reste  au 
monde. 

Vous  aurez  apparemment  l'écrit  que  je  vous  en- 
voie de  M.  de  Cambrai  contre  la  Censure  des  doc- 
teurs :  je  vous  l'adresse  à  tout  événement.  Il  est  rempli 
d'insolence  et  de  mauvaise  foi  :  on  le  distribue  ici 
partout.  Encore  un  coup,  on  veut  faire  peur.  M.  de 
Cambrai  s'en  prend  à  vous  surtout,  pour  pouvoir 
parler  plus  librement  :  au  reste,  cela  vous  fait  hon- 
neur. Il  parlera  bientôt  contre  le  Pape  et  les  cardi- 
naux, si  l'on  ne  réprime  sa  témérité. 

Je  me  recommande  à  vous,  mon  cher  oncle.  J'ai 
bien  des  occasions  ici  de  me  dissiper,  mais  guère  de 
me  consoler  de  notre  perte  commune.  Mon  pauvre 
père  n'a  besoin  que  de  prières,  et  pour  nous  sa  perte 
exige  de  fortes  consolations;  mais  il  faut  se  sou- 
mettre ,  et  vouloir  ce  que  Dieu  veut  en  adorant  ses 
jugemens. 

L'affectation  de  M.  de  Cambrai,  de  marquer  que 
la  Censure  des  docteurs  lui  est  venue  de  Paris  ^  fait 
voir  la  fausseté  de  ses  discours.  Je  suis  sûr  que  cette 
pièce  lui  a  été  envoyée  de  Rome  ;  et  cela  étant,  il  faut 
qu'il  l'ait  reçue  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qui 
seul  des  cardinaux  de  la  congrégation  a  pu  la  lui 
faire  tenir.  Personne  ici,  outre  quelques  cardinaux, 
n'a  eu  copie  de  la  Censure  :  le  fait  est  sûr.  A  Paris 
on  aura  encore  été  aussi  secret  :  il  est  donc  clair  que 


aSo  LETTRES 

M.  de  Cambrai  n'a  pu  avoir  communication  de  la 
pièce  que  de  Rome ,  et  par  le  canal  du  cardinal  de 
Bouillon  ;  mais  n'importe. 

M.  Tabbe'  Pirot  m'a  e'crit,  dans  la  conjoncture  de 
la  mort  de  mon  père,  une  lettre  qui  m'a  également 
touché  et  consolé.  Je  tâcherai  de  lui  écrire  aujour- 
d'hui; mais  si  je  ne  le  pouvois  pas,  étant  accablé, 
ce  sera  pour  le  premier  ordinaire  ;  et  je  vous  prie  par 
avance,  d'avoir  la  bonté  de  lui  témoigner  la  recon- 
noissance  iiifinie  que  je  ressens  de  son  amitié  et  de 
ses  bontés. 

Le  Pape  a  appris  ce  matin  au  cardinal  de  Bouil- 
lon la  mort  du  Prince  électoral  de  Bavière,  et  le 
cardinal  n'a  pu  retenir  ses  larmes.  Tout  le  monde 
en  a  été  témoin ,  il  n'a  pas  cherché  à  cacher  sa  dou- 
leur :  cette  Eminence  a  sa  sœur  mariée  au  frère  du 
père  de  ce  prince. 

Je  viens  de  recevoir  dans  le  moment  un  billet  de 
main  sûre  :  je  vous  en  envoie  copie,  sans  y  ajouter 
ni  diminuer. 

«  Tout  ce  qui  fut  arrêté  hier.  Monsieur,  c'est  que 
»  quelques  cardinaux  disant  qu'il  ne  faudroit  pas 
»  condamner  par  le  décret  chaque  proposition  en 
»  particulier,  mais  en  général,  ou  du  moins  respec- 
»  tive  ;  et  les  autres  cardinaux  soutenant  qu'il  fal- 
»  loit  les  condamner  chacune  selon  qu'elles  le  mé~ 
»  ritoient,  ce  conflit  fit  qu'on  résolut  qu'il  falloit 
»  s'en  remettre  à  ce  que  diroit  le  Pape  :  on  le  saura 
»  jeudi  prochain.  Espérez  que  les  choses  iront 
»  bien ,   etc.  » 

Je  serai  demain  matin  plus  instruit  :  suivant  ce 
que  j'apprendrai,  et  s'il  est  nécessaire,  j'irai  aux 


sur.  l'affadie  du  quiétismi?.  281 

pieds  de  Sa  Sainteté',  je  n'oublierai  rien  assurément. 

Il  y  a  apparence  que  le  dessein  du  cardinal  de 
Bouillon,  en  attaquant  publiquement,  comme  il  Ta 
fait,  le  cardinal  Casanate,  a  été  de  le  rendre  sus- 
pect de  partialité ,  et  d'empêcher  qu'il  ne  soit 
chargé  de  faire  la  bulle.  Je  tiens  cela  comme  cer- 
tain ,  quoique  je  ne  le  sache  pas  positivement. 

La  récrimination  n'est  pas  à  craindre  ;  et  je  puis 
vous  répondre  que  qui  que  ce  soit  n'osera  la  pro- 
poser sérieusement,  surtout  à  présent. 

Rome,  ce  24  février  1699. 


LETTRE   CCCCXXVI. 

DE  L'ABBÉ  PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. 

Sur  la  perte  que  le  prélat  venoît  de  faire  par  la  mort  de  son  frère  j 
et  sur  l'état  de  l'affaire. 

J'ai  pris  toute  la  part  que  je  devois  à  l'affliction 
qui  vous  est  arrivée.  J'ai  été  .sensiblement  touché  de 
cette  perte,  et  j'ai  pleuré  le  défunt  comme  mon  pro- 
pre père.  Je  sais  les  bontés  qu'il  avoit  pour  moi,  et 
j'en  conserverai  toujours  un  tendre  souvenir.  Il  est 
difficile  de  trouver  un  homme  qui  ait  le  cœur  aussi 
bon,  aussi  généreux  et  aussi  bienfaisant  qu'il  l'avoit. 
J'espère  qu'ayant  été  toute  sa  vie  si  plein  de  ten- 
dresse pour  les  autres,  il  aura  trouvé  miséricorde 
auprès  du  Seigneur.  Quoique  sa  mort  ait  été  pré- 
cipitée, elle  n'a  pas  été  imprévue  pour  lui  :  je  sais 
qu'il  s'y  préparoit  depuis  long-temps,  et  Dieu  voulant 
récompenser  sfes  bonnes  œuvres,  l'a  retiré  prompte- 


^82  LETTRES 

ment  à  lui,  sans  lui  faire  souifrir  ou  sentir  les  ap- 
proches amères  de  la  mort.  Il  y  a  long-temps  qu'il 
souflfroit  avec  patience,  avec  une  foi  vive  et  une 
ferme  attente  d'une  meilleure  vie.  Vous  avez  plus 
perdu,  Monseigneur,  que  personne,  en  perdant  un 
frère  qui  vous  aimoit  si  tendrement,  et  avec  qui 
vous  viviez  dans  une  si  douce  intelligence.  Votre 
douleur  est  juste;  mais  comme  personne  n'est  mieux 
instruit  des  grandes  ve'rités  de  la  religion,  personne 
n'est  plus  en  état  d'en  tirer  les  consolations  qui  vous 
sont  nécessaires.  La  foi  et  l'espérance  des  biens  éter- 
nels que  vous  défendez  avec  tant  de  zèle,  seront 
votre   consolation ,  et  arrêteront  le  cours  de  vos 
larmes.  A  votre  exemple,  M.  l'abbé,  après  avoir 
donné  à  la  nature  ce  qu'elle  exigeoit  dans  une  con- 
joncture si  affligeante,  n'a  pas  abandonné  les  inté- 
rêts de  l'Eglise,  qu'il  a  tâché  de  défendre  ici  le  plus 
vivement  qu'il  a  pu.  La  perte  qu'il  a  faite  ne  ralen- 
tira pas  son  zèle,  et  vous  pouvez.  Monseigneur, 
vous  tenir  sur  cela  en  repos.  J'espère  que  dans  peu 
il  sera  consolé  par  le  succès  que  nous  attendons. 

Les  cardinaux  votèrent  jeudi,  vendredi  et  samedi 
derniers  devant  le  Pape,  qui,  malgré  son  âge,  a 
donné  ces  trois  audiences  consécutives,  dans  l'ar- 
deur qu'il  a  de  terminer  cette  affaire.  Hier  il  y  eut 
congrégation  à  la  Minerve,  où  Ton  traita  de  modo 
extrahendi  Propositiones  et  decreti  conficiendi.  Il 
n'y  aura  plus  de  congrégation  extraordinaire.  Il  ne 
reste  plus  à  attendre  que  le  décret  du  saint  Office 
et  la  bulle  du  Pape.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  est 
demeuré  dans  ses  senti  mens  jusqu'à  la  fin. 

On  vous  envoie  deux  lettres  contre  la  Censure  de 


SUR  l'affaire   du   QUIÉTISME.  Îl83 

Paris ,  très-injurieuses  aux  docteurs,  où  Fauteur  fait 
paroître  plus  que  jamais  sa  passion  contre  votre 
personne.  Je  souhaiterois  que  les  docteurs  fissent 
connoître  par  quelque  réponse,  qu'ils  n'ont  été  ni 
pre'venus  ni  séduits.  M.  l'abbé  vous  mandera  l'état 
où  Ton  est.  Je  suis  avec  un  profond  respect,  etc. 

A  Rome,  ce  24  février  1699. 

Je  rouvre  mon  paquet,  pour  vous  donner  avis 
d'un  fait  que  j'ai  toujours  oublié  de  vous  mander. 
M.  le  cardinal  de  Bouillon,  faisant  à  Noël  la  visite 
de  grâce  au  saint  Office  avec  les  autres  cardinaux, 
y  trouva  un  Français  enfermé  depuis  trois  ou  qua- 
tre ans.  C'est  un  clerc  de  Saint- Sulpice,  enfermé 
pour  le  Quiétisme  ;  je  n'en  sais  point  le  nom  :  c'est 
M.  le  cardinal  lui-même  qui  l'a  dit  aux  pères  Cam- 
bolas  et  Latenai,  de  qui  je  l'ai  appris.  Il  seroit  bon 
d'approfondir  ce  fait.  Peut-être  seroit-ce  quelque 
disciple  de  M.  de  Cambrai,  qu'on  auroit  envoyé  à 
Rome.  M.  de  Paris  peut  en  faire  les  perquisitions.  Il 
sera  difficile  ici  de  savoir  son  nom,  car  le  secret  est 
impénétrable  :  je  ferai  cependant  mes  diligences. 
M.  Ledieu  me  mande  que  Saint-Sulpice  refuse  de 
signer  la  Censure  de  Sorbonne  ;  je  n'en  suis  pas  sur- 
pris. Ne  négligez  pas,  je  vous  prie,  cet  éclaircis- 
sement. 


LETTRES 


LETTRE  CCGCXXVII. 

DE  UABBÉ   BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  les  congrégations  tenues  devant  le  Pape  ;  les  efforts  du  cardi- 
nal de  Bouillon  pour  porter  les  cardinaux  à  épargner  M.  de  Cam- 
brai; les  mesures  prises  par  l'abbé  Bossuet  pour  engager  le  Pape 
à  unir  le  cardinal  Casanate  aux  cardinaux  rédacteurs  de  la  bulle. 

.  Cette  lettre  vous  sera  rendue  par  M.  de  Paris  : 
elle  va  par  un  courrier  extraordinaire  qui  arriva  ici 
hier  pour  un  bénéfice,  et  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  doit  redépêcher  ce  soir  pour  prévenir  la 
Cour  sur  tout  ce  qui  se  passe  de  considérable.  Ce 
courrier  se  veut  bien  charger  en  secret  d'un  paquet 
pour  M.  de  Paris. 

J'ai  reçu  le  coup  de  la  nouvelle  de  la  mort  de  mon 
père  avec  la  douleur  que  vous  pouvez  vous  imaginer, 
mais  aussi  avec  toute  la  résignation  que  je  dois  à  la 
volonté  de  Dieu.  Je  vous  écrivis  mardi  dernier, 
24  de  février,  sur  ce  sujet  :  je  ne  veux  pas  renou- 
veler notre  douleur.  J'ai  perdu  tout  ce  qu'on  pou- 
voit  perdre,  et  je  ressentirai  ce  malheur  toute  ma 
vie ,  ayant  perdu  un  père  très-aimable  et  qui  m'ai- 
moit  tendrement.  Mais  Dieu  m'a  fait  la  grâce  de  me 
soutenir,  et  ma  douleur  m'a  permis  d'agir  à  mon 
ordinaire  dans  les  circonstances  critiques  dont  je 
vais  vous  rendre  compte. 

Je  reprendrai  en  peu  de  mots,  ce  que  je  vous 
mandois  touchant  l'afïkire  par  ma  dernière  lettre. 

Vous  aurez  vu  par  celle  du  17  de  février ,  la  ré- 
solution du  Pape ,  de  tenir  trois  congrégations  trois 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTTSME.  285 

jours  de  suite  pour  entendre  MM.  les  cardinaux, 
qui  avoient  ordre  de  parler  devant  lui,  quatre 
chaque  jour,  sur  les  trente-huit  propositions.  Sa 
Sainteté  eut  la  bonté  de  m'en  instruire  ce  jour-là 
même;  ce  qui  fut  ainsi  exécuté.  Samedi,  21  de  fé- 
vrier^ les  trois  derniers  cardinaux,  Noris,  Ottoboni 
et  Albani  parlèrent.  Le  saint  Père  les  a  écoutés  avec 
une  attention  et  une  patience  admirables ,  quelque 
longues  que  fussent  les  congrégations,  et  quelque 
fatigue  que  cela  lui  causât.  Comme  il  restoit  quel- 
ques difficultés  relatives  aux  propositions,  sur  les- 
quelles les  cardinaux  n'étoient  pas  d'aceord  ;  on 
arrêta  que  ces  Eminences  tiendroient  entre  elles  le 
lundi  suivant  une  congrégation  sur  la  rédaction  des 
propositions,  c'est-à-dire,  pour  convenir  quelles 
propositions  on  pourroit  retrancher  dans  les  trente- 
huit  ,  dans  le  cas  où  il  s'en  trouveroit  de  moins  im- 
portantes ,  ou  qui  pourroient  être  contenues  dans 
les  autres.  On  devoit  aussi  aviser  dans  cette  congré- 
gation si  l'on  ne  réformeroit  pas  certaines  proposi- 
tions, auxquelles  les  qualificateurs  favorables  à  M,  de 
Cambrai  avoient  fait  ajouter  par  force  au  commence- 
ment certaines  paroles  qui  sembloient  excuser  M.  de 
Cambrai ,  et  faire  un  sens  contradictoire.  Les  autres 
qualificateurs  avoient  bien  voulu  souffrir  cette  espèce 
d'altération  par  amour  de  la  paix,  et  pour  ôter  tout 
prétexte  aux  longueurs  qu'on  cherchoit  à  occasionner 
dans  ce  temps-là.  Telle  fut  la  matière  de  la  congré- 
gation qui  se  tint  lundi ,  23  de  février. 

Avant  de  passer  plus  avant ,  il  est  bon  que  vous  sa- 
chiez ce  que  vous  verrez  plus  au  long  dans  ma  lettre 
de  mardi  dernier,  24  février,  qui  est  que  dans  les 


286  LETTRES 

congrégations  du  vendredi  i3  feVrier  et  du  lundi  i6, 
préparatoires  à  celles  qui  se  dévoient  tenir  en  pré- 
sence du  Pape ,  le  cardinal  de  Bouillon ,  sans  exa- 
gérer, avoit  parlé  avec  une  hauteur  et  une  force 
incroyables  en  faveur  de  M.  de  Cambrai.  Il  em- 
ploya pour  le  faire  épargner ,  toutes  les  considéra- 
tions qu'il  crut  plus  capables  de  frapper  les  esprits 
dans  les  circonstances  présentes.  Il  alla  jusqu'à  faire 
remarquer  à  quoi  il  s'exposoit  par  rapport  au  Roi , 
qu'on  savoit  peu  favorable  à  M.  de  Cambrai  :  mais  il 
ajouta  que  la  vérité  seule  le  faisoit  parler  et  agir;  qu'il 
voyoit  mieux  qu'aucun  Italien  les  suites  fâcheuses 
qui  en  résulteroient  pour  l'Eglise  et  pour  le  saint 
Siège,  si  l'on  poussoit  à  bout  un  grand  et  saint 
archevêque,  qui,  désespéré  et  vif  comme  il  étoit,  se- 
roit  peut-être  capable  de  se  porter  à  de  grandes 
extrémités  ;  qu'il  falloit  songer  à  faire  une  décision 
qui,  mettant  la  vérité  à  couvert,  ne  flétrît  pas  sa 
personne;  que  rien  n'étoit  mieux  pour  cela,  que  de 
déterminer  par  un  quatenus  le  sens  dans  lequel  on 
condamnoit  la  mauvaise  doctrine  des  propositions  ; 
que  par  cette  conduite  le  saint  Siège  ne  s'exposoit  à 
aucune  contradiction,  ni  de  la  part  desévêques,  ni 
de  la  part  de  M.  de  Cambrai  qui  convenoit  de  ce 
sens  ;  que  les  disputes  sur  le  sens  d'un  auteur  ne 
peuvent  intéresser  que  les  parties  acharnées  les  unes 
contre  les  autres;  que  l'Eglise  romaine  ne  devoit  se 
montrer  partiale  à  l'égard  de  personne,  et  qu'il  étoit 
de  sa  sagesse  de  laisser  de  côté  les  disputes  inu- 
tiles, etc.  Tous  ces  beaux  discours  furent  sans 
succès  ;  et  le  cardinal  de  Bouillon  voyant  les  car- 
dinaux résolus  à  ne  faire   aucune   distinction  de 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  287 

sens,  et  à  vouloir  condamner  les  propositions  pure- 
ment et  simplement,  s'emporta  terriblement,  jusqu'à 
interrompre  et  prendre  à  partie  en   particulier  le 
cardinal  Casanate,   auquel  il  dit  des  choses  très- 
dures.  Je  ne  l'aurois  jamais  cru,  si  ce  cardinal,  que 
je  vis  dimanche  dernier,  ne  meTavoit  avoué,  et  ne 
m'avoit  dit  en   termes  exprès  qu'il  avoit  reçu  des 
affronts,  mais  que  tout  cela  ne  l'empêcheroit  pas 
d'aller  son  chemin  dans  une  chose  aussi  impoi  tante 
pour  l'Eglise  et  l'honneur  du  saint  Siège.  Il  m'ajouta 
que  le  cardinal  de  Bouillon  lui  avoit  reproché  d'être 
l'ennemi  personnel  de   M.  de   Cambrai;   sur  quoi 
celui-ci  fut   obligé  de  répondre  comme  il  devoit. 
Tous  les  cardinaux  furent  très-scandalisés  ;  et  ces 
manières  hautaines  ne  les  ont  rendus  que  plus  fermes 
à  s'opposer  aux  efforts  impérieux  du  cardinal  de 
Bouillon.  Us  sont  surtout  choqués  de  l'air  de  doc- 
teur et  de  maître  qu'il  prend  sur  tous  les  points  de 
doctrine,   et  du  ton  impérieux  avec  lequel  il  exige 
qu'on  suive  son  opinion.  Aussitôt  que  je  sus  le  fait  re- 
latif au  cardinal  Casanate,  je  ne  doutai  point  que  le 
cardinal  de  Bouillon  ne  se  fût  porté  à  cet  éclat  pour 
rendre  le  cardinal  Casanate  suspect,  et  parvenir  à 
donner  de  lui  au  Pape  des  impressions  désavanta- 
geuses ,  afin  qu'il  ne  fût  pas  chargé  de  la  rédaction 
de  la  bulle;    ce   qui   n'a    pas    manqué   d'arriver, 
comme  vous  le  verrez  dans  la  suite. 

Revenons  à  la  congrégation  du  lundi  23  de  février, 
tenue  principalement  sur  la  manière  de  réduire  les 
propositions.  Quand  il  fut  question  de  ce  point,  le 
cardinal  de  Bouillon  se  signala  de  nouveau,  s'oppo- 
sant  formellement  à  ce  qu'on  retouchât  aux  propo- 


288  LETTRES 

sitions,  et  insistant  pour  qu'on  y  laissât  tout  ce  qui 
pouvoit  contribuer  à  excuser  M.  de  Cambrai,  et 
rendre  les  qualifications  plus  douces.  On  ne  tint  pas 
grand  compte  de  ce  qu'il  dit ,  et  il  s'aigrit  de  nou- 
veau ,  mais  avec  aussi  peu  de  succès.  Les  cardinaux 
Carpegna,  Casanate,  Marescotti  et  Panciatici  prin- 
cipalement ,  parlèrent  sans  aucune  considération 
humaine,  comme  le  demandoient  l'iionneur  du  saint 
Siège  et  le  triomphe  de  la  vérité'  :  ils  conclurent  à 
la  réforme  des  propositions,  aussi  bien  que  presque 
tous  les  autres,  les  uns  avec  plus  de  ménagement 
pour  le  cardinal  de  Bouillon  que  les  autres.  On  remit 
pourtant  la  décision  de  tout  au  Pape.  Le  cardinal 
Nerli  proposa ,  pour  accorder  les  différentes  vues , 
un  moyen  plus  court,  qui  étoit  de  ne  point  publier 
de  propositions,  mais  de  faire  une  condamnation 
générale  du  livre ,  comme  contenant  une  doctrine 
erronée,  hérétique,  etc.  ce  qui  revient  au  projet 
de  ce  cardinal  dont  je  vous  ai  déjà  instruit,  et  qui 
répond  à  la  timidité  de  son  caractère  :  il  n'y  eut  que 
lui  de  ce  sentiment.  On  parla  aussi  de  la  condamna- 
tion in  globoy  avec  le  respective  ^  et  l'attribution 
des  qualifications  différentes  à  chaque  proposition. 
On  remit  le  tout  à  la  décision  du  Pape. 

Sa  Sainteté  fut  informée  dès  le  lundi  même ,  par 
M.  l'assesseur,  de  ce  qui  s'étoit  passé.  Le  mardi 
matin,  M.  le  cardinal  de  Bouillon  eut  audience  du 
saint  Père,  avant  qu'il  eût  déclaré  quels  cardinaux 
il  vouloit  députer  pour  la  réforme  des  propositions 
et  pour  faire  le  décret.  On  ne  douta  pas,  quand  on 
vit  l'événement ,  que  ce  ne  fut  dans  cette  audience 
qu'il  cLit  obtenu  du  Pape,  qu'on  ne  députeroit  pour 

cet 


SUR    l'aFFATHE    t)U    QUIÉTISME.  289 

cet  effet  que  le  cardinal  Albani  avec  les  deux  cardi- 
naux théologiens,  Noris  et  Ferrari,  et  que  le  car- 
dinal Casanate  seroit  exclus.  Car  aussitôt  après 
l'audience,  le  Pape  envoya  quérir  Albani  et  Ferrari, 
et  leur  ordonna  de  s'assembler  chez  Noris ,  pour  ré- 
former les  propositions  et  pour  dresser  le  décret  ;  ce 
qu'ils  commencèrent  dès  le  même  jour,  et  ont  con- 
tinué toutes  les  après-dînées.  Je  n'en  savois  encore 
rien  le  mardi  au  soir  24?  loi'sque  je  vous  écrivis. 

L'exclusion  du  cardinal  Casanate  a  paru  d'autant 
plus  certainement  un  coup  du  cardinal  de  Bouillon, 
que  le  cardinal  Spada  avoit  dit  le  lundi  au  cardinal 
Casanate  que  le  Pape  le  destinoità  ce  travail  :  le  car- 
dinal Albani  m'avoit  assuré  la  même  chose.  Le  Pape 
s'en  étoit  ouvert  au  père  Pera  :  il  ne  l'avoit  pas  en- 
core déclaré  publiquement,  mais  la  i^ésolution  pa- 
roissoit  iixek 

Vous  jugez  bien  de  ma  douleur,  cfuand  j'appris 
cette  belle  affaire  le  mercredi.  Je  crus  ne  devoir  pas 
perdre  de  temps  ;  et  avant  que  les  congrégations 
fussent  plus  avancées,  je  me  déterminai  à  représenter 
moi-même  au  Pape  les  inconvéniens  d'une  pareille 
disposition ,  le  tort  qu'il  se  faisoit  de  ne  pas  appeler 
dans  une  affaire  de  cette  conséquence,  un  ancien 
cardinal,  le  seul  par  les  mains  de  qui  toutes  les  affai- 
res importantes  du  saint  Siège  avoient  passé,  et  en 
particulier  celle  de  Molinos,  celle  de  Flandre  tout 
nouvellement,  etc.  un  cardinal  en  un  mot,  en  qui 
tout  le  sacré  Collège  et  toute  la  congrégation  du  saint 
Office  avoient  une  entière  confiance,  etc. 

Je  me  présentai  donc  chez  le  Pape.  Je  vis  le  cardi- 
nal Spada  qui  en  sortoit,  et  qui  me  dit  que  Sa  Sain- 
BossuET.  xLii.  19 


ggo  LETTRES 

teté  alloit  me  faire  appeler  :  mais  elle  changea  d  avis  ; 
et  apparemment  pour  ne  pas  m'entendre,  elle  fit 
renvoyer  tous  ceux  qui  attendoient  audience,  par 
son  maître-de-cliambre.  Je  n'en  fus  pas  fâché  dans  le 
fond,  ayant  peur  que  le  Pape  n'eût  encore  suspecté 
davantage  le  cardinal  Casanate,  s'il  m'avoit  ouï  lui 
en  parler.  Je  ne  l'aurois  pourtant  fait  que  de  l'avis 
de  gens  sages.  Mais  enfin  je  changeai  de  batterie.  Je 
vis  le  cardinal  Albani,  je  vis  l'abbé  Feydé,  je  vis  deux 
autres  personnes.  Le  père  Roslet  ne  s'endormit  pas 
non  plus.  On  a  parlé  au  Pape  de  tous  les  côtés.  Et 
quoiqu'il  eût  répondu  aux  premiers  qui  lui  firent  des 
remontrances  sur  le  peu  d'estime  qu'il  témoignoit 
pour  le  cardinal  Casanate  :  Oh  per  questo  non  lo  vo- 
gliamo;  néanmoins  hier  matin  il  se  rendit,  et  dès  ce 
jour  les  trois  cardinaux  s'assemblèrent  chez  cette 
Eminence,  et  ils  continueront  de  le  faire  jusqu'à  la 
fin.  Le  cardinal  de  Bouillon  est  au  désespoir  de  ce 
changement. 

Le  père  Roslet  et  moi  avons  déclaré  au  cardinal 
Albani,  que  si  l'on  montroit  le  moindre  affoiblisse- 
ment,  si  l'on  mettoit  un  seul  mot  qui  fût  favorable  à 
M.  de  Cambrai,  tout  retomberoit  sur  lui. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  commençoit  déjà  à 
s'égayer  :  vendredi  il  resta  trois  heures  avec  le  cardi- 
nal Albani,  et  hier  matin  deux  avec  le  cardinal  Noris. 
Je  ne  crois  pas  qu'il  s'amuse  si  fort  désormais  avec  le 
cardinal  Casanate. 

Je  vous  envoie  copie  du  billet  que  l'assesseur  a 
écrit  avant-hier  au  soir  à  chaque  cardinal,  qui  vous 
instruira  de  l'état  de  l'affaire. 

3  e  suis  à  présent  en  repos,  depuis  que  je  sais  que 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  291 

le  cardinal  Casanate  est  à  la  tête  des  rédacteurs.  Tout 
ëtoit  à  craindre  autrement.  Je  n  ai  pas  dormi  depuis 
quatre  jours,  ni  le  père  Roslet  non  plus.  Je  n'ai  pas  le 
temps  d'écrire  à  M.  de  Paris. 

J'embrasse  mon  pauvre  frère  de  tout  mon  cœur, 
et  ma  tante.  Je  me  fie  à  mon  frère  comme  à  moi- 
même,  et  il  doit  compter  que  tout  ce  que  j'ai  au 
monde  est  plus  à  lui  qu'à  moi. 

La  rage  du  cardinal  de  Bouillon  et  des  Jésuites 
augmente  ;  mais  le  Pape  est  résolu  de  finir  prompte- 
ment.  Le  cardinal  de  Bouillon  fait  semblant  de 
presser  ;  mais  le  Pape  a  plus  envie  que  personne  de 
voir  l'affaire  terminer. 

Rome,  i.^'mars  1699. 


LETTRE  CCCCXXVIII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Siir  les  différens  écrits  de  M.  de  Cambrai  publiés  nouvellement  '^ 
une  réponse  qu'il  y  ayoit  faite  j  et  sur  les  dispositions  du  cardi- 
nal Casanate. 

Je  reçus  hier  votre  lettre  du  10  février  :  j'attends 
avec  impatience  de  vos  nouvelles  sur  notre  malheur. 
J'espère  que  Dieu  vous  aura  donné  la  force  de  sacri- 
fier, autant  qu'il  sera  possible,  votre  juste  douleur 
à  son  Eglise. 

Nous  ne  verrons  bien  clair  que  par  vos  lettres  de 
l'ordinaire  prochain.  Peut-être  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  donnera  des  nouvelles  de  la  conclusion  par 
un  extraordinaire.  La  lettre  de  M.  de  Cambrai  au 


agîi  LETTRES 

Pape,  n*est  qu'une  ennuyeuse  répétition  de  ce  qu'il 
avoit  déjà  dit.  Il  ne  peut  oublier  madame  Guyon.  Je 
ne  crois  pas  que  ce  soin,  non  plus  que  le  reste  de  sa 
lettre,  lui  fasse  honneur. 

Vous  avez  vu  par  mes  précédentes,  que  fai  deux 
lettres  de  ce  prélat  contre  noi  au  sujet  des  signatures 
des  docteurs,  une  troisième  sur  la  Charité ,  et  une 
quatrième  en  réponse  à  ma  Réponse  sur  les  Préjugés, 
On  parle  encore  d'un  supplément  à  sa  Tradition^ 
que  je  n'ai  pas.  Vous  recevrez  ma  réponse  sur  Les 
principales  Propositions  j,  sous  le  titre  de  Passages 
éclairais  (*).  On  a  jugé  cette  réponse  absolument  né- 
cessaire, pour  empêcher  la  séduction  dans  un  certain 
étage  du  peuple,  qui  se  laisseroit  gagner  si  l'on  se 
taisoit.  Faites  valoir  cette  raison,  que  M',  le  nonce  a 
approuvée,  et  dont  il  a  connu  la  vérité  par  expé- 
rience. Au  surplus.  Dieu  merci,  les  docteurs  ne  se 
laissent  pas  entamer,  et  encore  moins  les  évêques. 
M.  de  Cambrai  affecte  toujours  de  répondre,  et  met 
la  victoire  dans  la  facilité  à  répéter  éternellement  les 
mêmes  choses,  dans  l'artifice  et  dans  la  hauteur.  Si 
Rome  le  ménage,  on  perdra  tout  :  Et  erunt  noyissima 
pejora  prioribus. 

Je  suis  ravi  de  la  bonne  disposition  de  M.  le  cardi- 
nal Casanate.  C'est  lui  qui  est  appelé  à  sauver  l'Eglise. 
Nous  faisons  bien  connoître  le  service  qu'il  lui  rend, 
ainsi  qu'au  clergé  et  à  la  France. 

Les  derniers  écrits  de  M.  de  Cambrai  sont  excessi- 
vement outrés.  Vous  dites  la  messe,  me  dit-il,  et 
vous  écrivez  cela  !  Il  s'agit  de  la  contrariété  qu'il  pré- 
tend trouver  entre  M.  de  Chartres  et  moi.  Il  ne  ré- 

l*)  Voyçz  (on*,  xxx ,  })ag,  325  et  suiv. 


1 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  293 

pond  cependant  pas  à  Tappiobalion  donnée  par  ce 
piëlat  au  livre  des  Etats  j,  où  j'ai  avancé  sur  la  fin  la 
proposition  qu'il  m'impute  à  erreur.  M.  de  Char- 
tres, dans  son  Instruction  pastorale  y  dit,  il  est  vrai, 
qu'il  a  soutenu  comme  une  opinion  d'école  l'indé- 
pendance du  motif  de  la  charité  de  tout  motif  par 
rapport  à  nous.  Mais  il  explique  expressément  qu'il 
entend  parler  du  motif  spécificatif.  Or  je  n'ai  jamais 
nié  l'indépendance  du  motif  de  la  charité  en  ce  sens; 
et  je  l'ai  d'autant  moins  nié,  que  ce  prélat  inculque 
en  même  temps  que  les  motifs  secondaires  sont  aug- 
mentatifs et  excitatifs;  ce  qui  suffit  pour  mon  inten- 
tion contre  M.  de  Cambrai.  Au  reste,  il  est  bien  cer- 
tain que  j'ai  expliqué  cette  vérité  avec  plus  de  soin 
que  M.  de  Chartres  ;  mais  il  eût  fallu  un  trop  long 
discours  pour  développer  tout  cela. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  parler  du  décret  prohi- 
bitif des  livres  faits  pour  expliquer  et  défendre  celui 
des  Maximes  y  que  l'on  ne  voie  la  délibération  conclue. 
Souvenez -vous  de  l'union  de  tous  les  motifs  in 
■praxij  et  de  l'abus  qu'on  fait  des  mystiques. 

Dans  un  Mémoire  in-4^  sur  les  signatures  des 
docteurs,  imprimé  à  Cambrai  et  qui  nous  est  venu 
de  là,  on  lit  ces  mots  sur  la  fin  :  «  Rome  a  un  ex- 
»  trême  intérêt ,  qui  est  tout  fondé  sur  sa  réputation , 
»  de  montrer  qu'on  ne  gagne  rien  avec  elle  en  vou- 
»  lant  lui  faire  la  loi  a.  Sur  sa  réputation!  Kst-ce 
donc  là  cette  pierre  sur  laquelle  Jésus-Christ  a  fondé 
TEglise  romaine?  et  n'est-ce  pas  là  un  discours  poli» 
tique,  et  non  théologique? 
J'embrasse  M.  Phelippeaux. 

A  Paris,  2  mars  1699. 


294  LETTRES 

LETTRE   CCCCXXIX. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  longueurs  que  Ton  pouvoit  apporter  à  la  conclusion  de 
raffaire  ^  et  la  conduite  du  cardinal  de  Bouillon. 

Je  réponds  par  celle-ci,  Monsieur,  aux  deux  vô- 
tres du  3  et  du  lo  de  février.  Je  ne  le  ferai  pas 
aussi  amplement  que  je  voudrois,  à  cause  que  je 
suis  revenu  tard  de  Versailles.  De  plus,  je  n  aurois 
rien  à  vous  dire  aujourd'hui,  sinon  qu'il  faut  vous 
attendre  toujours  à  de  nouveaux  efforts  de  la  cabale 
pour  empêcher  ou  alToihlir  le  jugement.  Elle  de- 
vroit  bien  être  confondue  par  le  démenti  honteux 
que  le  grand  nombre  de  signatures  des  docteurs  lui 
donne  :  mais  on  a  beau  l'abattre,  elle  se  relève  tou- 
jours. Ainsi  il  n'y  a  rien  à  espérer  que  de  la  con- 
clusion :  pressez-la  tant  que  vous  pourrez.  On  peut 
encore  amuser  dans  l'extension  de  la  bulle,  si  l'on 
n'a  pas  véritablement  intention  de  finir.  Si  le  cardi- 
nal Casanate  y  travaille  avec  les  cardinaux  Noiis  et 
Ferrari,  les  choses  iront  bien,  et  diligemment.  La 
conduite  du  cardinal  de  Bouillon  est  toujours  pi- 
toyable; mais  je  ne  suis  plus  surpris  de  rien,  il  faut 
s'attendre  à  tout  de  sa  part. 

Voilà  la  lettre  que  vous  désirez  pour  le  père  pro- 
cureur-général des  Augustins  :  assurez-le,  s'il  vous 
plaît,  que  je  voudrois  pouvoir  faire  davantage  pour 
son  service,  et  qu'en  toute  occasion  je  soutiendrai 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  ^9^ 

avec  plaisir  ses  intérêts.  Je  finis  pour  ne  pas  perdre 
le  courrier,  et  suis  toujours  à  vous,  Monsieur,  de 
tout  mon  cœur. 

3  Mars  169g. 


»  w*/»>«''*'m>«'«>^«^*^«>«^b>»i  ^ 


LETTRE  CCCCXXX. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

Sur  l'objet  d'une  nouvelle  congrégation  j  la  manière  dont  on  pré- 
sumoit  que  le  décrel  seroit  tourné  ^  et  le  mécontentement  des 
cardinaux  touchant  l'exclusion  du  cardinal  Casanate. 

Je  ne  vous  re'péterai  pas  ce  que  je  vous  ai  marqué 
dans  ma  lettre  d  avant-hier,  sur  la  manière  dont  le 
cardinal  Casanate  avoit  été  exclus  et  rétabli.  Je  vous 
dirai  seulement  que  le  cardinal  de  Bouillon  n'a  pu 
se  contenir  là-dessus  :  on  dit  qu'il  prend  cela  comme 
un  affront  qu'on  lui  a  fait.  Il  alla  hier  matin  chez 
le  Pape,  et  en  sortit  très  -  enflammé  ;  voilà  tout  ce 
que  j'en  sais.  Comme  il  avoit  été  voir  les  jours  pré- 
cédens   les   trois  cardinaux  députés,  en  politique 
adroit  il  rendit  hier  au  cardinal  Casanate  une  vi- 
site, mais  très -courte.  Il  veut  pouvoir  écrire  qu'il 
n'oublie  rien  pour  presser  le  jugement,  et  que  l'on 
lui  doit  tout  si  Ton  fait  quelque  cliose  de  bien.  A 
cela  près,  je  souhaite  que  l'on  fasse  bien;  et  il  im- 
porte peu  qu'on  croie  que  le  cardinal  de  Bouillon 
ou  d'autres  y  ont  contribué  :  l'essentiel  est  qu'on 
fasse  bien.  On  m'assura  hier,  mais  je  n'en  crois  rien , 
que  le  cardinal  de  Bouillon  avoit  demandé  au  Pape 
qu'on  le  joignît  aux  quatre  autres  pour  la  rédaction 


de  la  bulle  :  ce  que  je  sais,  c'est  qu'hier  au  soir  le 
commissaire  et  l'assesseur  allèrent  chez  le  cardinal 
de  Bouillon. 

Ce  matin  il  y  a  eu  une  congrégation  à  la  Minerve 
de  tous  les  cardinaux,  apparemment  en  conséquence 
de  la  lettre  dont  vous  recevrez  copie  dans  mon  pa- 
quet d'avant-hier  ;  le  but  de  cette  congrégation  a 
dii  être  de  régler  ce  qui  regarde  les  vingt-trois  pro- 
positions rajustées  par  les  députés.  J*ai  appris  que 
ces  députés  ont  ajouté,  après  les  vingt-trois  propo- 
sitions, qu'il  y  en  avoit  beaucoup  d'autres  à  cen- 
surer; mais  quelles  se  réduisoient  à  ces  vingt- trois 
principales,  et  que  la  censure  des  vingt- trois  est 
bonne.  Je  ne  sais  pas  encore  précisément  si  l'on  met-^ 
tra  le  respectwe.  S'ils  le  font ,  ce  ne  sera  pas  pour 
s'épargner  la  fatigue  d'un  travail  qui  est  tout  fait, 
mais  ce  sera  pour  ne  pas  s'engager  ;  car  vous  Savez 
qu'on  tremble  toujours  ici.  Au  reste,  M.  de  Cam- 
brai ne  se  trouvera  guère  soulagé  de  se  voir  traité 
comme  Ta  été  Molinos. 

Présentement  je  sais  que  les  députés  travaillent  à 
la  Préface  de  la  bulle.  Je  crois  qu'on  prendra  le  parti 
de  faire  un  narré  de  tout  ce  qui  s'est  passé  de  consi- 
dérable dans  cette  affaire,  de  marquer  comment  elle 
a  été  portée  à  Pvome,  les  instances  du  Roi  pour  en 
procurer  le  jugement ,  la  Déclaration  des  eVe- 
queSj,  etc.  Je  ne  crois  pas  après  cela  qu'il  soit  ques- 
tion d'épargner  M.  de  Cambrai,  et  de  ne  le  pas 
nommer.  Je  dors  en  repos  depuis  que  je  sais  que  le 
cardinal  Casanate  est  à  la  tête.  Soyez  assuré  que  ce 
n'a  pas  été  sans  un  terrible  effort,  qu'on  a  fait  ré^ 
tablir  ce  cardinal  dans  ses  anciennes  fonctions.  Le 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  297 

cardinal  Albani  y  a  contribue  autant  que  qui  que 
ce  soit.  M.  Daurat  a  parle'  et  fait  parler  fortement. 
En  un  mot,  le  Pape  a  vu  tout  le  sacré  CoUe'ge  scan- 
dalisé à  la  lettre  du  traitement  fait  au  cardinal  Ga- 
sanate.  Si  son  exclusion  avoit  duré,  les  congréga- 
tions ne  se  seroient  pas  passées  sans  quelque  tumulte  : 
les  anciens  cardinaux  se  seroient  ligués  pour  contre- 
dire les  trois  députés  sur  le  moindre  mot.  Ç'auroit 
été  un  beau  charivari  :  le  cardinal  de  Bouillon  au- 
roit  profité  de  la  dissention  pour  brouiller  encore 
davantage  les  esprits,  et  reculer  le  jugement.  On  a 
représenté  le  tout  au  Pape,  qui  a  bien  vu  quil  y 
alloit  de  sa  réputation  que  les  choses  se  passassent 
pacifiquement.  Le  cardinal  Panciatici  a  parlé  en 
cette  occasion  au  Pape  comme  il  convenoit  :  on  lui 
a  de  grandes  obligations.  Il  a  toujours  été  le  même, 
et  s'est  attiré  par-là  la  disgrâce  du  cardinal  de  Bouil- 
lon ,  d'e  qui  il  fait  très-peu  de  cas.  Je  sais  en  parti- 
culier que  jeudi  dernier,  26  de  février,  le  cardinal 
Panciatici  et  le  cardinal  Casanate  furent  obligés,  en 
présence  de  Sa  Sainteté,  de  se  défendre  ouvertement 
contre  le  cardinal  de  Bouillon  qui  les  attaquoit,  et 
il  y  eut  des  paroles  fortes  dites  de  part  et  d'autre. 
Je  sais  le  fait  très-certainement.  Il  seroit  ensuite  as- 
sez plaisant  que  le  cardinal  de  Bouillon  voulût  per- 
suader, que  de  pareils  procédés  ont  pour  but  de 
procurer  la  condamnation  de  M.  de  Cambrai.  Ce 
seroit  assurément  vouloir  persuader  qu'il  fait  nuit 
en  plein  midi. 

Tout  va.  Dieu  merci,  fort  bien;  et  ce  n'est  plus 
un  secret  que  M.  de  Cambrai  doive  être  condamné 
vigoureusement. 


298  LETTRES 

On  aura  Tceil  à  tout.  Je  n'aurois  pas  cru  que  les 
affaires  eussent  dû  aller  si  vivement  qu'on  les  mène 
depuis  quinze  jours. 

Le  cardinal  Casanate  a  fait  témoigner  au  père 
Roslet  et  à  moi  sa  reconnoissance  de  toutes  les  dé- 
marches qu'il  sait  que  nous  avons  faites,  pour  sou- 
tenir riionneur  dû  à  sa  personne  et  à  son  mérite  :  il 
a  eu  un  singulier  plaisir  de  tout  ce  qui  s'est  passé. 
Les  Jésuites  attachés  au  parti  cambrésien  triom- 
phoient,  et  se  seroient  vantés  d'avoir  donné  l'exclu- 
sion au  cardinal.  Vous  ne  pouvez  vous  imaginer 
quel  parti  ils  ont  autour  du  Pape  :  j'ose  vous  dire 
que  Sa  Sainteté  en  est  obsédée;  mais  Dieu  et  la  vé- 
rité seront  plus  forts  que  tous  les  complots  des 
hommes. 

Vous  voyez  combien  le  secret  est  nécessaire  sur 
tout.  Le  cardinal  Garpegna  m'a  bien  tenu  parole  ; 
il  a  été  ferme  dans  le  bon  parti ,  malgré  toutes  les 
intrigues  dont  on  s'est  servi  auprès  de  lui,  pour  le 
porter  à  favoriser  M.  de  Cambrai.  Le  cardinal  Al- 
bani  est  un  politique  qui  ne  veut  pas  manquer  en 
tout  au  cardinal  de  Bouillon  ;  mais  il  sera  forcé  de 
suivre  les  autres.  Il  en  faut  tirer  ce  qu'on  peut. 
Jusqu'ici  je  ne  me  suis  pas  brouillé  avec  lui  ;  ce 
n'est  pas  peu,  car  je  lui  ai  parlé  bien  fortement. 
Je  lui  ai  donné  des  louanges  sur  ce  qu'il  vient  de 
faire  en  faveur  du  cardinal  Casanate,  et  je  lui  ai  in- 
sinué qu'il  avoit  en  quelque  sorte  réparé  par-là  les 
ménagemens  dont  il  avoit  usé  à  l'égard  de  M.  de 
Cambrai. 

Comme  vous  recevrez  cette  lettre  peut-être  avant 
celle  de  mardi  dernier,  je  vous  adresse  l'écrit  de 


Sun  l'affaire  du  quiétisme.  299 

M.  de  Cambrai  contre  vous  et  nos  docteurs.  Il  n  y  a 
point  de  doute  qu'il  n'ait  voulu  fronder  les  cen- 
sures, avant  que  celle  de  Rome  qu'il  craint  ne  fut 
publiée.  Son  parti  est  bien  centriste,  et  n'en  est  pas 
moins  anime'  :  les  Jésuites  disent  hautement  que 
Rome  se  perd. 

Le  père  Charonnier  est  un  plaisant  homme,  de 
faire  l'ignorant  à  l'égard  des  manœuvres  du  cardi- 
nal de  Bouillon.  C'est  lui  qui  règle  en  tout  cette 
Eminence,  et  qui  l'excite  à  se  conduire  comme  elle 
fait.  Il  sait  mieux  qu'elle  tout  ce  qui  se  passe  au 
saint  Office ,  et  il  est  enfermé  tous  les  jours  des 
quatre  heures  avec  ce  cardinal. 

Vous  me  mandez  par  vos  précédentes,  que  je  dois 
recevoir  des  lettres  d'un  théologien  pour  M.  de 
Chartres  :  je  n'en  ai  reçu  que  deux  exemplaires, 
adressés  par  M.  Ledieu  à  M.  Phelippeaux,  que  j'en- 
voyai sur-le-champ  aux  cardinaux  Noris  et  Ferrari , 
qui  parloient  le  lendemain  devant  Sa  Sainteté  :  il 
n'y  a  à  Rome  que  ces  deux  exemplaires.  Il  n'en  est 
venu  aucun  pour  moi,  sous  quelque  enveloppe  que 
ce  soit,  et  je  ne  connois  personne  qui  en  ait  reçu. 
Je  ne  sais  pourquoi  les  trois  courriers  qui  sont  ar- 
rivés depuis,  n'en  ont  point  apporté  :  j'en  suis  très- 
fâché.  J'ai  lu  les  pièces  qui  sont  à  la  fin,  et  je  les  ai 
fait  remarquer  à  ces  deux  cardinaux. 

Nous  avons  su  ici  toute  l'affaire  du  libelle  contre 
M.  de  Paris.  J'ai  montré  à  plusieurs  cardinaux  le 
plaidoyer  de  M.  d'Aguesseau et  l'arrêt  du  parlement: 
cela  a  produit  ici  un  bon  effet  pour  M.  de  Paris.  Je 
ne  lui  ai  rien  écrit  sur  ce  sujet,  l'ayant  toujours 
oublié,  et  ne  pensant  dans  mes  lettres  qu'à  notre 


30O  LETTRES 

affaire.  Faites-lui  mes  excuses,  je  vous  prie;  je  ne 
crois  pas  avoir  le  temps  de  lui  écrire  par  ce  courrier, 
qui  me  presse.  Le  père  Roslet  lui  marque  tout,  et 
vous  avez  la  bonté  de  lui  montrer  ce  que  je  vous 
écris. 

M.  de  Cambrai  doit  envoyer  encore  incessam- 
ment un  écrit  latin  sur  les  propositions  des  docteurs 
et  celles  du  saint  Office  :  on  ne  Ta  pas  reçu  icij  ce 
sera  après  la  mort  le  médecin» 

Vous  ferez  bien  d'écrire  toujours. 

Je  suis  persuadé  que  ce  qui  porte  cette  Cour  à 
vouloir  bientôt  conclure,  ce  sont  les  écrits  continuels 
de  M.  de  Cambrai. 

3e  finis  en  vous  assurant  que  ma  santé  est  bonne  , 
et  que  Dieu  m'a  donné  des  forces  pour  ne  pas  me 
laisser  abattre. 

Rome,  3  mars  1699. 


LETTRE  CCCCXXXI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  changemens  faits  au  décret,  dans  l'intervalle  du  lemps  où 
le  cardinal  Casanate  s'étoit  trouvé  exclus;  une  visite  que  le  car 
dinal  de  Bouillon  avoit  inutilement  rendue  à  cette  iÇlminence 
pour  la  gagner;  et  sur  une  démarche  peu  convenable  q_u'on  ayoit 
fait  faire  au  Pape. 

Le  courrier  qui  devoit  porter  les  deux  lettres  que 
je  vous  ai  écrites,  dimanche  i^'^  mars,  et  cette  après- 
dînée,  ne  part  plus.  Apparemment  lé  cardinal  de 
Bouillon  a  soupçonné  qu'il  pouvoit  nous  avoir  aver- 
tis ,  et  qu'il  étoit  attaché  à  la  maison  de  M.  l'arche- 


SUR  l'affaire  du  quiêtisme.  3oi 

véque  de  Paris.  Il  ne  laissera  pas  à  son  retour  de 
porter  le  paquet  jusqu'à  Lyon,  aussi  vite  que  le 
courrier  ordinaire ,  et  plus  sûrement. 

Depuis  ma  lettre  de  cette  après-dînée,  j'ai  appris 
de  lieu  très-sûr  les  choses  importantes  que  je  vais 
vous  marquer,  et  dont  quelques-unes  ne  paroîtroient 
pas  vraisemblables.  Je  ne  les  croirois  pas  moi-même, 
si  je  ne  les  savois  aussi  certainement  que  si  je  les 
avois  vues. 

Premièrement,  il  faut  que  vous  sachiez  que  le 
cardinal  de  Bouillon  a  été  soigneux  de  profiter  de 
l'exclusion  du  cardinal  Casanate ,  pendant  les  quatre 
jours  qu'il  n'a  pas  e'té  appelé  avec  les  trois  autres  , 
Noris,  Albani  et  Ferrari.  Il  s'est  donné  tous  les 
mouvemens  convenables  à  la  circonstance  ;  et  dans 
les  conférences  qu'il  a  eues,  ou  par  lui-même,  ou 
par  ses  émissaires,  avec  les  trois  cardinaux,  il  a 
obtenu  qu'on  changeroit,  pour  favoriser  M.  de 
Cambrai ,  quelque  chose  aux  résolutions  prises  dans 
les  congrégations  entre  les  cardinaux,  relativement 
aux  propositions  qu'on  devoit  retrancher  ou  aug- 
menter. Il  avoitde  plus  fait  consentir  qu'on  mît,  sur 
la  proposition  de  l'involontaire  en  Jésus-Christ,  que 
l'auteur  l'avoit  rejetée  comme  n'étant  pas  de  lui. 
J'oubliois  aussi  qu'un  des  points  déjà  convenus  entre 
ces  trois  personnages,  étoit  qu'on  ne  nommeroit  pas 
l'auteur  5  et  leur  intention  étoit  de  l'épargner  le 
plus  qu'il  leur  seroit  possible.  Le  cardinal  Casanate, 
aussitôt  qu  il  fut  joint  aux  trois  autres,  c'est-à-dire 
samedi  dernier,  28  février,  s'opposa  vigoureuse- 
ment à  ces  changemens;  soutint  qu'il  n'étoit  pas 
permis  de  rien  changer  aux  délibérations  prises  et 


302  LETTRES 

arrêtées  par  la  congrégation  ;  répéta  les  raisons  pé- 
remptoires  qui  ol)ligeoient  à  mettre  la  proposition 
de  l'involontaire  comme  étant  de  l'auteur,  aussi  bien 
que  les  autres  de  son  livre.  Il  fit  encore  voir  que  ce 
seroit  se  moquer ,  que  de  ne  pas  nommer  l'auteur , 
puisqu'il  falloit  nécessairement  mettre  le  titre  du 
livre  tout  entier ,  avec  l'année  de  l'impression ,  etc. 
Et  sur  ce  que  quelqu'un  d'entre  eux  inclinoit  à  la 
douceur ,  et  vouloit'  excuser  M.  de  Cambrai  sur  les 
déclarations  postérieures  à  son  livre  ;    le  cardinal 
Casanate  dit  qu'il  falloit  en  référer  à  la  congrégation. 
Le  cardinal  de  Bouillon,  qui  avoit  été  voir  ces 
derniers  jours  les  cardinaux  Albani  et  Noris,  et  qui 
avoit  eu  des  conférences  de  trois  heures  avec  eux, 
avoit  de  même  visité  le  cardinal  Ferrari.  En  consé- 
quence il  ne  crut  pas  pouvoir  se  dispenser  de  rendre 
le  même  devoir  au  cardinal  Casanate,  et  voulut  tâ- 
cher d'en  gagner  quelque  chose.  Il  fut  donc  hier 
chez  lui,  et  ne  le  persuada  point  du  tout  sur  les 
chefs  précédens.  Il  lui  parla  aussi  de  la  Préface  du 
décret  ;  et  comme  les  cardinaux   avoient   d'abord 
pensé  qu'il  ne  seroit  pas  mal  de  faire  un  narré  de 
la  manière  dont  l'affaire  étoit  venue  à  Rome,  le 
cardinal  de  Bouillon  insista  fortement  pour  qu'on 
n'en  fît  rien,  et  montra  des  lettres  du  Roi  qui  lui 
ordonnoit  d'empêcher  qu'on  le  nommât,  ainsi  que 
les  évêques  de  France.  Le  cardinal  Casanate  se  ren- 
dit, et  l'assura  qu'on  suivroit  les  intentions  du  Roi, 
et  que  cela  n'en  seroit  que  mieux.  Quoique  le  car- 
dinal de  Bouillon  se  modérât  dans  cette  conférence, 
il  ne  laissoit  pas  d'être  très- échauffé,  et  de  repré- 
senter de  quelle  importance  il  étoit  pour  le  repos  du 


SUR  l'affaîre  du  quiétisme.  3o3 

saint  Siège,  qu'on  ne  poussât  pas  à  rextre'mité  un 
aussi  grand  homme  que  M.  de  Cambrai. 

Ce  matin  la  congrégation  des  cardinaux  s'est  te- 
nue sur  les  chefs  qui  divisoient  les  commissaires,  et 
c'est  là  où,  sans  vouloir  exagérer,  le  cardinal  de 
Bouillon  a  joué  de  son  reste.  Il  a  parlé  avec  une 
folie  inouie  ;  ce  sont  les  propres  termes  d'une  per- 
sonne présente  :  il  n'y  a  rien  qu'il  n'ait  dit  en  faveur 
de  M.  de  Cambrai  ;  il  s'est  même  emporté  contre  la 
rage,  ainsi  s'est- il  exprimé,  de  M.  de  Meaux  et  de 
M.  de  Paris.  Il  a  fait  paroître  la  France  toute  en 
feu,  si  l'on  poussoit  à  bout  un  homme  terrible.  Il  a 
de  nouveau  proposé  l'explication  des  sens,  et  enfin 
a  dit  que  si  l'on  changeoit  les  propositions  des  qua- 
lificateurs, il  falloit  recommencer  les  délibérations, 
puisque  ce  n'étoit  plus  les  mêmes.  Il  a  pris  à  té- 
moins le  ciel  et  la  terre,  etc.  Très -heureusement 
pour  l'honneur  du  saint  Siège,  les  cardinaux  ont 
tenu  ferme  :  le  cardinal  Carpegna  a  parlé  avec  une 
vigueur  sans  égale.  Pour  le  cardinal  Nerli,  plus  ti- 
mide qu'un  lièvre,  il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  se 
trouver  à  l'assemblée,  prévoyant  les  fureurs  du  car- 
dinal de  Bouillon  ;  il  s'est  excusé  sur  sa  santé.  Le 
cardinal  Casanate  a  représenté  avec  sagesse  et  avec 
force  les  inconvéniens  de  s'arrêter  aux  raisons,  plus 
spécieuses  que  fondées,  du  cardinal  de  Bouillon,  et 
a  détruit  tous  ses  beaux  argumens.  Les  autres  ont 
suivi  presque  tout  d'une  voix.  Le  cardinal  Pancia- 
tici  n'a  pas  manqué  son  coup,  non  plus  que  Ma- 
rescotti.  Les  plus  foibles  ont  été  les  derniers  à  se 
décider.  Le  cardinal  Ottoboni  a  mieux  fait  que  ses 
premiers  avis  n'avoient  fait  espérer  :  enfin  la  con- 


3o4  LETTRES 

gregation  a  tenu  ferme  à  suivre  les  règles,  en  s'ar- 
rétant  aux  articles  de'libe'rés,  et  elle  a  passé  outre 
aux  oppositions  formées.  On  doit  rendre  compte  du 
tout  jeudi  devant  le  Pape. 

Le  cardinal  de  Bouillon ,  et  le  parti  qui  entrevoit 
depuis  long-temps  la  fermeté  de  la  congrégation,  n'a 
rien  oublié  pour  ébranler  le  Pape.  La  même  cabale 
dont  il  est  environné,  et  qui  a  obtenu  de  lui,  je  l'ose 
dire,  depuis  le  commencement  de  Taffaire  beaucoup 
plus  qu'on  ne  devoit  accorder  à  M.  de  Cambrai,  étoit 
donc  parvenue  depuis  huit  jours  à  faire  exclure  le 
cardinal  Casanate ,  et  à  lui  substituer  le  cardinal 
Albani.  Il  a  fallu  tous  les  efforts  imaginables  pour 
remettre  les  choses  en  règle.  Cette  même  cabale  vient 
de  faire  faire  au  Pape  une  démarche ,  que  jamais  Pape 
n'a  faite.  Sa  Sainteté  envoya  hier  l'assesseur  et  le 
commissaire  à  tous  les  cardinaux,  pour  leur  recom- 
mander de  traiter  avec  douceur  la  personne  de  M.  de 
Cambrai ,  et  de  l'épargner  en  tout  ce  qui  n'est  pas 
essentiel.  Le  Pape  s'est  expliqué  de  manière  à  leur 
donner  à  entendre  qu'on  lui  feroit  plaisir  de  ménager 
ce  prélat  autant  qu'il  seroit  possible.  Faites  là-dessus 
toutes  les  réflexions  que  vous  voudrez  j  le  fait  est 
constant,  et  un  cardinal  l'a  trouvé  si  étrange,  qu'il  a 
cru  devoir  me  faire  avertir.  Je  n'attends  que  la  pointe 
du  jour  pour  aller  faire  mes  plaintes  respectueuses 
au  Pape.  Je  lui  dirai  que  je  ne  puis  croire  un  bruit 
répandu  dans  Rome ,  etc.  Je  verrai  ce  qu'il  dira ,  et 
là-dessus  je  parlerai  comme  il  convient,  avec  tout  le 
respect  que  je  dois,  auquel  je  n'ai  jamais  manqué  et 
ne  manquerai  jamais,  s'il  plaît  à  Dieu.  Il  est  de  con- 
séquence de  ne  pas  perdre  de  temps  j  car  jeudi  on 

doit 


suii   l'affaihe    du    QUIÉTISME.  ?)o5 

doit  déterminer  devant  lui  bien  des  choses.  C'est  un 
coup  du  ciel,  et  un  effet  visible  de  Tassistance  di- 
vine, que  quelque  cardinal  n'ait  pas  molli  ce  matin, 
après  des  avances  si  imposantes.  Cest  là,  je  l'ose  dire, 
un  signe  sûr  que  Dieu  veut  que  la  vérité  triomphe. 
Avec  cela  tout  est  à  craindre  du  Pape,  et  nous 
n'avons  rien  à  appréhender  que  de  sa  foiblesse.  Voyez 
où  nous  en  sommes  réduits.  Ce  n'est  pas  qu'il  ne  lui 
fut  bien  difficile,  quand  il  le  voudroit,  d'aller  contre 
les  vœux  de  la  congrégation  ;  mais  ce  mal  est  souvent 
bientôt  fait ,  et  se  trouve  ensuite  irréparable.  Je 
n'oublierai  rien  demain  pour  parler  efficacement  au 
Pape,  et  je  lui  ferai  encore  parler. 

Je  puis  dire  avec  vérité  que  Ton  doit  tout  au  car- 
dinal Casanate  ;  sa  fermeté ,  sa  fidélité ,  sa  religion 
sont  admirables.  Il  a  soutenu  tous  les  autres,  qui  ont 
pris  courage  à  son  exemple  pour  lutter  contre  le 
cardinal  de  Bouillon.  On  a  encore  beaucoup  d'obli- 
gation au  cardinal  Garpegna ,  qui  le  premier  a  tou- 
jours paré  les  coups  du  cardinal  de  Bouillon,  aussi 
bien  que  le  cardinal  Panciatici ,  comme  vous  l'avez 
vu  par  mes  précédentes* 

Mais  qu'il  est  étrange  et  affligeant  de  voir  ici  un 
ambassadeur  du  Roi  solliciter  publiquement,  et  avec 
une  fureur  inconcevable,  en  faveur  d'un  prélat  cou- 
pable de  tant  d'erreurs;  qui  s'est  constamment  refusé 
à  tous  les  efforts  de  charité  qu'on  n'a  cessé  de  faire 
pour  le  ramener  ;  qui  a  soutenu  devant  le  saint  Siège 
jusqu'à  ce  moment  ses  erreurs ,  avec  une  opiniâtreté 
et  une  hauteur  prodigieuse;  qui  a  employé  dans  ses 
écrits  les  moyens  les  plus  odieux,  le  parjure,  les 
mensonges,  les  faussetés  de  toute  espèce,  pour  se 
BossuET.  xLii.  20 


3o6  LETTRES 

justifier  et  décrier  ses  adversaires  :  qu'il  est,  dis^je, 
étonnant  de  voir  dans  de  pareilles  circonstances  le 
ministre  de  Sa  Majesté  se  consumer  en  manœuvres, 
pour  sauver  un  pareil  homme,  contre  les  intentions 
de  son  prince,  malgré  les  dispositions  de  la  France, 
les  vœux  des  cardinaux,  Topinion  de  Rome  entière! 
C'est  un  spectacle  inoui,  et  auquel  personne  ne  de- 
voit  jamais  s'attendre. 

Il  est  bon  de  remarquer  qu'autant  on  s'est  peu 
pressé  au  commencement  pour  accélérer  cette  affaire, 
autant  depuis  quinze  jours  on  presse  les  délibérations 
les  plus  importantes,  d'une  manière  inusitée  à  Rome. 
Je  ne  doute  pas  que  le  principal  but  du  cardinal  de 
Bouillon  et  de  la  cabale  ne  soit  de  tâcher,  dans  la 
précipitation,  d'emporter  quelque  chose,   ou  des 
cardinaux  ou  du  Pape.  C'est  ce  qu'a  pensé  le  car- 
dinal Carpegna,  qui  me  le  dit  il  y  a  quinze  jours, 
ainsi  que  le  cardinal  Casanate.  Mais  Dieu  n'a  pas 
encore  permis  qu'ils  réussissent  dans  leur  dessein 
jusqu'à  présent.  Le  cardinal  de  Bouillon  prétend  se 
faire  un  grand  mérite  de  cette  diligence,  et  croit  sous 
ce  voile  couvrir  toutes  ses  malversations.  L'engage- 
ment de  ce  cardinal  et  des  Jésuites  est  terrible,  et 
signifie  beaucoup.  Ni  le  Roi,  ni  leur  devoir,  ni  la 
religion  ne  saur  oient  les  contenir.  Ils  veulent  perdre 
leurs  ennemis,  ou  ceux  qu'ils  se  figurent  tels,  et  ils 
espèrent  être  soutenus  en  France  ;  car  sans  cela  ils 
ne«e  conduiroient  pas  comme  ils  font. 

Le  général  des  Jésuites  a  été  depuis  trois  semaines 
crier  partout  miséricorde ,  et  il  a  répété  ses  lamen- 
tations ou  ses  déclamations  chez  tous  les  cardinaux. 
A  l'en  croire,  tout  est  perdu  si  l'on  condamne  M.  de 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  3o^ 

Cambrai.  H  ne  seroit  pas  impossible  que,  selon  ce  qui 
se  passera  jeudi  prochain,  qui  est  après- demain ,  je 
ne  de'péchasse  un  courrier;  non  pour  chercher  quel- 
que remède  aux  nouveaux  embarras  qui  pourroient 
survenir,  parce  que  selon  les  apparences  il  viendroit 
trop  tard,  mais  pour  instruire  des  dernières  résolu- 
tions qui  doivent  se  prendre  ce  jour -là.  Le  cardinal 
de  Bouillon  médite  d'envoyer  un  courrier  à  l'insu  de 
tout  le  monde  :  il  veut  tromper,  et  n'a  jamais  voulu 
autre  chose. 

Je  n'écris  qu'un  mot  à  M.  Tarchevêque  de  Paris , 
et  le  renvoie  aux  lettres  que  je  vous  ai  écrites,  et 
qui  arriveront  probablement  en  même  temps.  Je 
croyois  pouvoir  répondre  à  M.  l'abbé  Pirot  par  cet 
ordinaire;  mais  je  n'ai  pu  disposer  d'un  moment 
pour  le  faire.  La  manière  dont  il  m'a  écrit  sur  la 
mort  de  mon  père,  m'a  donné  une  consolation  par- 
ticulière, et  j'en  aurai  une  reconnoissance  éternelle. 

Le  pauvre  chevalier  de  la  Grotte  (*)  se  recom- 
mande à  vous  auprès  de  M.  le  duc  du  Maine  :  il  y 
aura  trois  ans  vers  la  fin  de  ce  mois  qu'il  est  hors  de 
France  ;  on  ne  lui  a  fait  toucher  que  deux  ans  de  sa 
pension  :  il  sera  réduit  à  demander  l'aumône,  si  l'on 
n'a  la  charité  de  l'aider;  c'en  est  une  grande.  Il  s'est 
rendu  aux  instances  que  je  lui  ai  faites,  pour  qu'il 
restât  en  pays  connu  ;  mais  j'espérois  qu'on  conti- 
nueroit  de  lui  fournir  les  moyens  de  subsister.  Quand 
M.  de  Monaco  sera  venu,  nous  tâcherons  de  faire 
quelque  chose  pour  lui.  On  lui  rendroit  un  bon  ser- 
vice, si  l'on  pouvoit  lui  procurer  de  France  quelque 

(*;  C'est  le  chevalier  Tartare ,  dont  il  a  été  plusieurs  fois  question 
dans  cette  correspondance.  Y  oyez,  tom.  xxxviii,  j»tf^.  354  ^'  ^"*^* 


3o8  LETTRES 

recommandation  un  peu  importante  auprès  de  cet 
ambassadeur. 

Il  s'en  est  peu  manqué  que  le  cardinal  de  Bouillon 
n'ait  traité  tous  les  cardinaux  d'ânes  :  il  a  au  moins 
dit  quelque  chose  d'approchant.  On  ne  peut  rien  de 
plus  imprudent  que  ses  procédés  :  aussi  ses  manières 
lui  ont-elles  mal  réussi. 

L'agent  de  Florence  m'aide  en  tout  ce  qui  dépend 
de  lui,  et  est  un  bon  acteur.  L'archiprêtre  (*)  est  ex- 
cellent. Poussin  ne  s'oublie  pas,  et  le  cardinal  de 
Bouillon  lui  veut  tout  le  mal  possible. 


LETTRE  CCCCXXXII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  Tétat  de  sa  santé,  et  une  audience  qu'il  avoît  eue  du  Pape. 

M.  de  Paris  aura  la  bonté  de  vous  communiquer 
la  dépêche  importante  que  je  lui  adresse,  sur  ce  qui 
se  passe  ici  de  surprenant  (**).  Je  ne  vous  en  dis  pas 
un  mot,  n'ayant  pas  un  moment  de  temps  à  perdre. 

Vous  aurez  la  bonté  de  satisfaire  le  courrier  qui 
retourne  :  c'est  Lantivaux,  qui  vous  dira  tout,  et 
qui  est  un  galant  homme. 

C*)  M.  Daurat,  ancien  archiprêtre  de  Pamiers,  qui  «voit  quitté 
ce  diocèse  à  cause  des  affaires  de  la.  Régale,  et  s'étoit  réfugié  à 
Rome. 

(**)  La  lettre  que  Pabbé  Bûssuet  éerivoit  à  M.  de  Paris,  et  à  la- 
quelle il  renvoie  ici  sou  oncle,  a  été  perdue.  Les  lettres  suivantes  y 
suppléeront.  On  peut  voir  aussi,  sur  le  projet  des  Canons,  dont  il 
sera  beaucoup  question  par  la  suite,  la  Relation  de  Fabbé  Phclip' 
peaux,  part.  II,  pag.  21a  «l  21 3. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  3o9 

J  ai  reçu  votre  lettre  du  i6,  de  Versailles;  j'en  ai 
fait  bon  usage. 

Ma  santé  est  meilleure,  Dieu  merci,  que  ma  juste 
douleur  et  Finquiétude  où  je  suis  perpétuellement 
ne  le  devroient  permettre.  Je  me  sens  plus  de  force 
que  je  ne  croyois. 

Permettez-moi,  mon  cher  oncle,  de  vous  embras- 
ser de  tout  mon  cœur. 

Je  vis  hier  Sa  Sainteté,  qui  vous  a  comblé  d'ami- 
tiés et  de  bénédictions. 

J'embrasse  toute  la  famille  de  tout  mon  cœur. 
Vous  verrez  par  ma  lettre  à  M.  de  Paris,  qu'il  n'y 
a  pas  un  moment  de  temps  à  perdre. 


LETTRE  CCCCXXXIII. 

DE  M.  DE  NO  AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  le  déchaînement  du  cardinal  de  Bouillon  j  et  Fattenlion  à 
empêcher  les  longueurs. 

Je  reçus  hier.  Monsieur,  votre  lettre  du  17,  et 
M.  de  Meaux  me  communiqua  sur  -  le  -  champ  la 
sienne,  qu'on  lui  apporta  chez  moi  où  il  avoit  dîné. 
Je  ne  suis  point  surpris  de  ce  que  vous  lui  mandez, 
car  je  me  suis  toujours  bien  attendu  au  déchaîne- 
ment du  cardinal  de  Bouillon.  Il  faut  s'en  défendre, 
et  nous  y  opposer  de  toutes  nos  forces  :  j'espère 
que  vous  le  ferez  jusqu'au  bout,  avec  le  même  cou- 
rage et  là  même  appHcation  que  vous  l'avez  fait 
jusqu'à  présent.  Nous  ferons  en  ce  pays  tout  ce  qui 


3  I  O  L  i:  T  T  R  E  s 

se  pourra  pour  vous  appuyer.  Pressez  toujours  la 
conclusion,  et  empêchez  les  longueurs  dans  la  ré- 
daction de  la  bulle,  où  elles  ne  manqueront  pas,  si 
Ton  ne  presse.  Je  remets  le  reste  à  M.  de  Meaux. 
Nous  conférâmes  hier  long-temps  sur  votre  lettre  : 
il  vous  écrira  amplement  aujourd'hui,  et  cest  assez 
qu'il  le  fasse.  Je  finis  donc  en  vous  assurant  que  je 
suis  toujours  à  vous.  Monsieur,  très-sincèrement. 

9  Mars  1699. 


LETTRE  CCCCXXXIV. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Il  Texhorte  à  ne  pas  se  laisser  accabler,  et  lui  annonce  une  nouveUe 
Réponse  à  M.  de  Cambrai. 

J'ai  vu  ,  par  votre  lettre  du  1 7  février,  les  effroya- 
bles mouvemens  que  s'est  donnée  la  cabale  et  son 
chef,  dans  les  trois  dernières  assemblées  depuis  celle 
du  mercredi  1 1 .  La  première  nouvelle  qui  m'en  est 
venue,  est  rabrégé_que  vous  en  donniez  à  M.  de 
Rheims,  et  qu'il  reçut  vendredi  6.  Nos  lettres  n'é- 
tant arrivées  que  dimanche  9,  j'ai  tout  communi- 
qué à  M.  de  Paris,  à  qui  j'ai  envoyé  l'extrait  de  votre 
lettre.  M.  Chasot  part  pour  le  porter  aujourd'hui  à 
la  Cour,  où  je  ne  puis  aller  à  cause  d'un  rhume. 

Votre  audience  fait  voir  que  tout  se  dispose  à  une 
prompte  et  vigoureuse  décision  :  Dieu  en  soit  béni, 
et  du  repos  qu'il  vous  a  donné,  dont  vous  aviez  un 
grand  besoin  pour  vous  soutenir  dans  le  malheur 
que  vous  deviez  apprendre  sitôt  après. 


SÛR  i/aftaire  du  quiétisme.  3ii 

J'attends  avec  impatience  et  tremblement  vos 
lettres  prochaines,  par  lesquelles  je  saurai  comment 
vous  aurez  appris  la  triste  nouvelle  de  la  mort  de 
mon  frère.  J'espère  que  Dieu  vous  aura  donné  de  la 
force,  et  que  vous  ne  vous  serez  pas  laissé  abattre, 
surtout  dans  une  ciiconstance  où  vous  avez  à  sou- 
tenir la  cause  de  l'Eglise,  pour  laquelle  il  est  vi- 
sible que  la  Sagesse  éternelle  a  arrêté  et  préparé 
votre  voyage.  J'ai  pris  ce  moment,  comme  le  plus 
favorable,  pour  aller  faire  à  Meaux  un  voyage  de 
trois  jours. 

Au  pied  de  la  lettre,  j'ai  été  aussi  surpris  que 
vous  du  commerce  que  vous  me  mandez  de  M.  Phe- 
lippeaux  avec  M.  de  Paris.  J'en  ai  porté  le  même 
jugement  que  vous,  et  pour  la  même  raison  j'ai  cru 
qu'il  le  falloit  dissimuler  très-profondément. 

Je  crois  que  M.  le  nonce  enverra  à  Rome,  par 
l'ordinaire  de  ce  jour,  la  réponse  aux  Propositions  (*) 
que  vous  devez  avoir  reçues.  Vous  n'avez  à  Rome 
qu'à  en  user  comme  vous  avez  fait  de  la  Réponse 
aux  Préjugés,  Vous  avez  bien  raison  de  dire  que 
ces  réponses  étoient  tout-à-fait  nécessaires.  Je  ne 
ferai  plus  rien  du  tout,  puisque  les  choses  sont  si 
disposées  à  une  bonne  décision  j  j'ai  satisfait  au  prin- 
cipal. Les  amis  de  M.  de  Cambrai  sont  ici  fort  cons- 
ternés. On  vous  enverra  peut-être  dans  ce  paquet 
une  addition  d'un  seul  feuillet. 

Paris ,  9  mars  169g. 

t*)  Cet  ouvrage  a  pour  litre  ;  Les  Passages  éclaircis.  II  est  pré- 
cédé d'un  divertissement  y  dans  lequel  Bossuet  répond  à  ce  que 
M.  de  Cambrai  lui  imputoit  au  sujet  de  la  Censure  des  docteurs  de 
Paris.  F  oyez  tom.  xxx,  pag.  309  et  suiv.  {Edit.  de  Vers.  ) 


3l2 


LETÏ  fi£S 


LETTRE  CCCCXXXV. 

DE  M.  ***  A  BOSSUET. 

Sur  les  manœuvres  des  partisans  de  M.  de  Cambrai ,  et  la  préten- 
due rétracLalion  d'un  des  docteurs  qui  avoient  signé  la  censure 
de  son  livre. 

Ayant  été  obligé  de  revenir  chez  moi  sans  pou- 
voir passer  chez  vous,  Monseigneur,  j'ai  cru  vous 
devoir  mander  ce  que  vouloit  dire  M.  Giori  au  père 
Roslet,  en  cas  que  vous  ne  le  sachiez  pas.  C'est  qu'il 
avoit  découvert  que  M.  Fabroni,  qui  est  entière- 
ment dévoué  aux  partisans  de  M.  de  Cambrai,  a  été 
faire  une  retraite  de  huit  jours  (*)  au  Giésu.  Le  pré- 
texte étoit  les  exercices  spirituels,  et  le  vrai  motif 
un  conciliabule  où  se  sont  trouvés  les  principaux 
Jjésuites  et  le  père  Charonnier,  et  où  Ton  a  délibéré 
sur  les  moyens  de  faire  naître  de  nouvelles  lon- 
gueurs, surtout  pour  tâcher  de  porter  le  Pape  à 
écrire  un  bref  exhortatoire  à  M.  de  Cambrai ,  pour 
lui  dire  de  mieux  expliquer  sa  doctrine.  Voilà  le 
fait,  dont  vous  voyez  les  conséquences.  M.  de  Paris 
a  l'extrait,  et  Fa  porté  à  Versailles.  Je  lui  ai  dit  ce 
soir  tout  ce  que  j'ai  cru  de  meilleur  sur  cela.  Je  vous 
salue,  Monseigneur,  avec  tout  le  respect  possible. 

Bossuet  ajoute  à  cette  lettre  les  paroles  suivantes  : 

C'est  l'explication  d'un  billet   de  M.  Giori  au 
père  Boslet,  que  nous  lûmes  hier  à  l'archevêché  : 

(*)  On  verra  par  les  lettres  suivantes  quel  étoit  l'objet  précis  de 
ceUe  retraite. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  3x3 

on  Ta  reçu  par  le  cardinal  d'Estrées  j  ignorez  les 
noms. 

On  pourra  porter  à  Rome  le  bruit  répandu  ici 
depuis  quelques  jours,  que  le  père  Roline,  Augustin 
estimé,  s'est  repenti  en  mourant  d'avoir  signé  avec 
les  docteurs.  Cela  est  très-faux  ;  et  M.  le  syndic  a  en 
main  une  attestation  contraire,  signée  du  prieur  et 
des  autres  docteurs  de  la  Faculté. 


9  Mars  1699, 


k*'»'%<'V»'»««.«/*i»/»<^<»/«/*i'*'»».*/»  'W*^^'».»»^/»» 


LETTRE  CCCCXXXVI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

Sur  ce  qui  s'étoit  passé  au  sujet  du  projet  des  Canons  j  l'audience 
que  le  saint  Père  lui  avoit  donnée ,  et  sur  ce  qu'il  savoit  du  con- 
tenu du  décret,  qui  étoit  soumis  à  Fexamen  des  cardinaux. 

Je  crois  que  vous  attendez  avec  impatience  les 
nouvelles  de  ce  pays-ci  dans  les  conjonctures  pré- 
sentes. Après  avoir  su  par  ma  lettre  du  6,  adressée 
à  M.  de  Paris ,  les  brouilleries  que  la  cabale  avoit 
non-seulement  voulu  mettre,  et  avoit  effectivement 
mises  dans  notre  affaire,  vous  ne  serez  pas  fâché 
d'apprendre  par  celle-ci  que  Dieu  y  a  pourvu  ;  que 
le  Pape  paroît  revenu  des  impressions  qu'on  lui 
avoit  données  ,  et  qui  étoient  profondément  gravées 
dans  son  esprit,  qu'enfin  on  a  lieu  d'espérer  dans 
peu  de  jours  une  décision  bonne  et  honorable  au 
saint  Siège.  Malgré  cela  je  n'ose  rien  assurer;  et 
après  ce  qui  vient  d'arriver ,  on  ne  doit  répondre 
de  rien  que  la  chose  ne  soit  faite  et  parfaite. 


014  LÊTTUtlS 

Vous  aurez  su  le  projet  nouveau ,  et  tout  ce  qui 
s'est  passé  jusqu'au  samedi,   7  de  ce  mois,  que  j'é- 
crivis encore  un  mot  à  M.  de  Paris.  En  voici  la  suite. 
Selon  ce  que  je  ra'étois  proposé,  je  fis  parvenir 
jusqu'aux  oreilles  du  Pape ,   que  j'étois  informé  de 
tous  les  eflbrts  de  la  cabale  auprès  de  sa  personne , 
des  desseins  que  l'on  méditoit ,  des  ordres  que  Sa 
Sainteté  avoit  donnés  touchant  le  nouveau  projet. 
J'ajoutois  que  cet  événement  avoit  fait  une  telle  im- 
pression sur  mon  esprit,  et  me  donnoit  une  si  grande 
appréhension  qu'on  ne  prît  quelque  résolution  con- 
traire à  l'honneur  du  saint  Siège  et  au  bien  de  la 
France^  que  j'en  étois  tout  troublé  ;  et  dans  la  sup- 
position   où   je    ne  verrois  point    de    changement 
prompt  dans  les  dispositions  de  Sa  Sainteté,  j'hé^i- 
tois  si  je  ne  devois  pas  aller  promptement  informer 
moi-même  Sa  Majesté  de  ce  qui  se  passoit,   afin 
qu'elle  pût  prendre  là-dessus  les  résolutions  conve- 
nables au  bien  de  son  royaume ,  que  ses  ennemis  ne 
clierchoient  qu'à  troubler;  mais  qu'avant  tout,  je 
ne  négliger  ois  rien  pour  faire  connoître  à  Sa  Sain- 
teté le  déshonneur  dont  on  vouloit  couvrir  sa  per- 
sonne et  son  pontificat. 

Le  père  Roslet  alla  tout  bonnement  déclarer  mes 
intentions  au  cardinal  Albani,  lequel  vint  aussitôt 
en  rendre  compte  au  Pape.  Je  ne  sais  si  ce  fut  l'im- 
pression que  fit  ce  discours  sur  Sa  Sainteté,  ou 
l'impatience  qui  lui  est  naturelle,  qui  la  détermina 
le  samedi  à  midi,  à  faire  assembler  les  cardinaux  le 
dimanche  pour  dire  leur  sentiment  sur  le  projet  des 
Canons.  Les  cardinaux  ne  surent  cette  congrégation 
qu'à  la  nuit.  J'en  fus  averti  en  même  temps,  et  que 


sxjii  l'affaihe  du  quiétisme.  3i5 

le  cardinal  de  Bouillon  avoit  été  fort  étonné  de  cet 
ordre,  auquel  il  est  vraisemblable  qu'il  n'avoit  au- 
cune part.  J'avois  commencé  à  porter  à  quelques 
cardinaux  le   Mémoire   italien  (*)  que  vous  auiez 
reçu,  et  dès   le  soir  même  tous  les  cardinaux  en 
eurent  copie.  Cette  congrégation  inopinément  assem- 
blée,  et   dans,  un   jour   extraordinaire,  me  donna 
d'abord  de  l'appréhension;  je  craignis  quelque  nou- 
veau tour  de  la  cabale.  Je  sus  l'épouvantable  ma- 
chine que  le  Carme  (**),  le  sacriste,  Fabroni  et  les 
Jésuites  faisoient  remuer,  qu'il  n'y  avoit  rien  qu'ils 
n'eussent  tenté  auprès  des  cardinaux.   Je   compris 
bien    que  la   chose  dont  la  cabale  se   soucioit  le 
moins,  étoit  qu'on  fît  des  canons,  et  qu'ils  avoient 
pour  unique  but  d'anéantir  les  délibérations  prises 
par  les  cardinaux,  d'empêcher  la  publication  des 
propositions  condamnées  sans  distinction  de  sens , 
et  sans  qu'on  eût  égard  aux  explications  de  l'auteur  ; 
qu'ils  vouloient  faire  en  sorte  qu'on  se  contentât  de 
condamner  le  livre  et  la  doctrine  en  général  ;  et  que 
pour  y  parvenir  ils   avoient   bien  vu  qu'il  falloit 
donner  atteinte  aux  arrêtés  de  la  congrégation,  et 
bouleverser  ainsi  tout  le  plan  du  décret.  C'est  à  quoi 
en    effet  tendoit  le   nouveau  projet  qu'ils  avoient 
conçu ,  et  déjà  il  étoit  à  craindre  que  la  cabale  ne 
gagnât  quelques   cardinaux.   Chieti  s'étoit  promis 
d'attirer  le  cardinal  Nerli ,  qui  penchoit  déjà  à  une 

(*;  C'est  celui  que  composa  l'abbé  Phelippeaux  le  jour  même, 
pour  montrer  rinsuffisance  et  le  danger  de  ces  Canons.  Voyez  sa 
JRelation,  part.  ÎI,  pag.  218  et  suiv. 

(**)  Le  père  Philippe,  Fun  des  examinateurs,  dont  il  a  sourent  été 
parlé. 


»^IO  LETTRES 

condamnation  générale.  Le  cardinal  de  Bouillon 
étoit  prêt  h  tout  pour  sauver  son  ami  ;  le  cardinal 
Albani  le  suivoit  infailliblement.  Les  Jésuites  comp- 
toient  engager  de  nouveau  Ottoboni  dans  leur  parti. 
Mais  le  plus  fâcheux,  et  ce  qui  m'étonna,  je  Ta- 
voue ,  c'est  que  le  cardinal  Ferrari ,  gagné  il  y  a 
long-temps  par  le  Carme,  étoit  entré  plus  avant 
qu'aucun  dans  cette  conspiration  :  c'étoit  lui  qui 
avoit  proposé  les  canons  au  Pape,  et  qui  l'avoit  en- 
gagé dans  toutes  les  démarches  qu'il  avoit  faites. 
On  n'avoit  pas  de  temps  à  perdre  ;  et  dans  la  soirée 
du  samedi  et  la  matinée  du  dimanche  on  fit  repré- 
senter aux  cardinaux  Nerli ,  Ottoboni ,  Albani  et 
Ferrari  tout  ce  qu'on  put  pour  les  ramener  au  bon 
parti.  Le  dimanche  je  vis  l'assesseur  et  le  commis- 
saire. L'assesseur,  quoique  assurément  un  des  plus 
ardens  pour  épargner  M.  de  Cambrai ,  et  intime 
ami  des  Jésuites  et  de  Fabroni,  fut  obligé  de  con- 
venir de  l'inutilité  du  projet,  et  de  l'impossibilité  de 
son  exécution.  Pour  le  commissaire ,  il  en  étoit  bien 
persuadé.  L'après-dînée  j'allai  aux  pieds  de  Sa  Sain- 
teté :  cette  audience  fut  assurément  très-curieuse  j  je 
vais  vous  en  faire  un  détail  le  plus  brièvement  qu'il 
me  sera  possible. 

Le  cardinal  Spada  sortoit  d'avec  le  Pape  ;  le  car- 
dinal Albani  y  avoit  été  le  matin ,  et  je  n'ai  pas  lieu 
de  douter  qu'ils  ne  lui  eussent  parlé  tous  deux  d'un 
Mémoire  italien  qu'ils  avoient  reçu  de  ma  part.  Le 
Pape  se  mit  à  rire  aussitôt  qu'il  me  vit.  A  la  pre- 
mière génuflexion  que  je  fis,  il  me  demanda  ce  que 
je  voulois  de  lui.  Je  lui  dis  que  je  ne  pouvois  m'em- 
pêcher  de  lui  avouer,  que  cette  fois-ci  je  venois  en 


sun   l'affaire    du    QUIÉTISME.  Sl'J 

tremblant  à  ses  pieds.  Et   pourquoi ,   me   dit  -  il  ? 
Parce  que,  lui  dis-je  ,  saint  Père ,   Rome  retentit 
d'une  nouveauté.  Il  ne  me  laissa  pas  achever,  il  me 
dit  d'un  ton   fort  affirmatif  ;  Sono   ciarle ,    sono 
chiacchiere ,    chiacchiere  ;    et  me  répéta  dix  fois  de 
suite  ce  terme,  qui  veut  dire,  ce  sont  des  contes , 
des  bruits  ridicules.  Quand  je  vins  au  détail  de  ces 
bruits  relatifs  au  nouveau  projet,  il  trouva  à  propos 
de  me  dire  que  ce  n'avoit  jamais  été  son  intention  ; 
que    j'étois   mal   informé;    qu'il    vouloit  finir,    et 
qu'absolument  il  me  promettoit  que  tout  seroit  dé- 
terminé dans  cette  semaine.   Cela  étant,  lui  dis-je, 
saint  Père,  on  ne  doit  point  craindre  les  Canons  et 
toute  la  canonade  qu'on  nous  avoit  fait  appréhender, 
étant  sûr   qu'en  huit  jours  on  ne  pouvoit  dresser 
cette  batterie,  puisque  peut-être  des  années  ne  se- 
roient  pas  trop  longues  pour  un  pareil  dessein.  Je 
pris  occasion  de  là  de  lui  faire  voir  la  difficulté  qu'il 
y  avoit  de  former  des  Canons ,  dans  lesquels  il  fal- 
loit  tant  de  précision,  de  clarté,  et  une  exactitude 
qui   obligeoit    de    peser    jusqu'aux    moindres   syl- 
labes, etc.  Et  pour  revenir  au  fait,  j'ajoutai  qu'il 
n'étoit  pas  question  ici  d'un  pareil  travail ,  puisqu'il 
s'agissoit  de  décider  sur  la  doctrine  bonne  ou  mau- 
vaise des  propositions  tirées  du  livre  de  M.  de  Cam- 
brai; que  c'étoit  ces  propositions  qu'on  discutoit  ici 
depuis  deux  ans,   que  MM.  les  cardinaux  avoient 
qualifiées  et  censurées  en  sa  présence. 

A  ces  discours ,  je  vis  Sa  Sainteté  prête  à  me  nier 
tout,  jusqu'à  vouloir  me  faire  douter  qu'il  y  eût 
jamais  eu  des  propositions  extraites.  Je  pris  la  li- 
berté de  lui  rappeler  la  notoriété  de  ce  fait,  dont 


3l8  LETTRES 

tout  Tuiiivers  etoit  instruit.  Je  connus  de  là  sûre- 
ment que  les  impressions  qu'on  lui  avoit  données, 
tendoient  à  lui  faire  redouter  la  publication  de  la 
censure  de  ces  propositions.  J  insistai  fort  là-dessus, 
le  faisant  souvenir  de  ce  qu'il  m'avoit  dit  le  jeudi 
d'auparavant ,  que  le  livre  de  M.  de  Caml)rai  e'toit 
plein  d'erreurs.  Je  lui  représentai  que  cela  ne  pou- 
voit  être,  si  ces  erreurs  n'étoient  contenues  dans 
quelques    propositions    qu'on    pût  produire  ;    que 
c'étoit  précisément  de  ce  point  dont  il  avoit   été 
tant  question  parmi  les  qualificateurs  et  les  cardi- 
naux,  et  qu'enfin  c'étoient  ces  propositions  que  les 
cardinaux  avoient  qualifiées  et  censurées.  Sur  ces 
mots  il  me  dit  :  Que  veut  dire  cela ,   censurées  par 
les  cardinaux?   Tocca  a  noi ,  tocca  à  noi ,    siamo 
padroni.  Je  lui  accordai  aisément  que  c'étoit  sans 
doute  à  lui  à  faire  la  bulle,   qu'on  devoit  espérer 
que  l'assistance  du  Saint-Esprit  ne  lui  manqueroit 
pas  quand  il  en  seroit  question  ;  mais  je  le  fis  con- 
venir néanmoins  qu'il  falloit  que  cela  se  fît  consilio 
fratrum  ;   que  les  cardinaux  choisis  par  Sa  Sainteté 
à  cet  effet,   étoient  ses   frères,   ses  véritables  con- 
seillers, qui  formoient  le  sénat  de  l'Eglise  romaine, 
et  appelés  in  partem  sollicimdinis  pastoralis.  J'ap- 
puyai beaucoup  là  -  dessus,    m'apercevant  que  Fa- 
broni  et  la  cabale  lui  avoient  mis  dans  la  tête  qu'il 
falloit  compter  les  vœux  des  cardinaux  pour  rien  , 
que  le  Pape  seul  devoit  tout  faire  ;   et  sous  ce  pré- 
texte lui  avoient  persuadé  de  ne  suivre  en  rien  leurs 
avis  ;  à  quoi  il  est  très-incliné  naturellement.  Je  lui 
fis  voir  avec  respect,   qu'il  y  alloit  du  repos  de  sa 
conscience  de  s'en  rapporter  aux  cardinaux  commis 


I 


suii  l'affaire  du  quiétisme.  3ig 

pour  juger  de  la  foi ,  et  non  à  ce  que  des  brouillons, 
ennemis  particuliers  de  la  France ,  des  évêques  et 
du  Roi,  pouvoient  lui  inspirer.  J'insistai  sur  la  cen- 
sure des  propositions  qu'il  étoit  ne'cessaire  de  pu- 
blier, sans  quoi  il  ne  satisferoit  point,  ni  à  la  de- 
mande du  Roi  et  des  ëvéques,  ni  à  celle  de  M.  de 
Cambrai,  ni  à  ses  promesses.  Il  m'assura  qu'il  étoit 
dans  la  disposition  de  faire  ce  qui  seroit  de  mieux , 
et  me  dit  qu'on  ne  devoit  pas  douter  de  ses  bonnes 
intentions.  Assurément  je  n'eus  pas  de  peine  à  en 
convenir  avec  lui  ;  et  effectivement  il  veut  le  bien  ; 
mais  sa  foiblesse  et  sa  facilité  lui  font  faire  quelque- 
fois de  terribles  faux  pas.  Enfin  je  finis;  et  en  pre- 
nant sa  bénédiction ,  je  crus  lui  devoir  répéter  que 
pour  contenter  le  Roi  et  les  évéques ,  et  pour  l'hon- 
neur du  saint  Siège,  il  falloit  une  censure  de  la  doc- 
trine et  des  propositions. 

Je  remarquai  en  général  dans  ses  discours  une 
grande  honte  d'avoir  donné  dans  ce  beau  projet  des 
Canons;  néanmoins  une  forte  opposition  à  mettre 
au  jour  la  censure  des  propositions,  une  grande 
envie  de  sauver  la  réputation  de  M.  de  Cambrai , 
beaucoup  de  crainte  de  s'engager  trop ,  et  surtout 
le  génie  napolitain  au  souverain  degré. 

La  congrégation  se  tenoit  pendant  ce  temps-là, 
pour  délibérer  sur  le  projet  des  Canons  ;  et  bientôt 
nous  apprîmes  qu'à  l'exception  du  cardinal  de 
Bouillon  qui  parla  le  premier ,  et  ne  croyoit  pas  être 
abandonné,  tous,  même  le  cardinal  Albani  et  le 
cardinal  Ferrari,  s'étoient  accordés,  unanimi  con- 
sensu ,  à  rejeter  le  projet ,  et  avoient  conclu  stare 
in  decretis,  La  congrégation  finit  à  la  nuit.  M^  le 


oCtO  LETTRES 

cardinal  de  Bouillon,  qui  déjà  ne  se  portoit  pas 
bien ,  se  trouva  si  foible,  qu'il  ne  pouvoit  se  sou- 
tenir :  il  fit  pitié  à  tous  les  cardinaux  ,  il  se  fit  porter 
dans  son  carrosse,  et  étant  arrivé  chez  lui,  il  ne 
put  monter  les  degrés  ;  on  fut  obligé  de  le  monter 
en  chaise.  Ce  que  je  vous  dis-là  est  vrai  à  la  lettre. 

L'assesseur  alla  au  sortir  de  là  apprendre  à  Sa 
Sainteté  la  délibération  de  la  congrégation  ;  et  je 
sais  que  l'assesseur  a  dit,  que  lePapeavoit  témoigné 
quelque  peine  de  voir  rejeter  aussi  unanimement 
un  projet ,  dont  on  lui  avoit  donné  une  si  belle  idée. 

Hier  le  saint  Père  appela  le  cardinal  Ferrari  ;  ce 
qui  a  fait  croire  qu'il  l'avoit  chargé  de  nouveau  de 
réformer  le  décret  arrêté.  Comme  on  savoit  que  le 
Pape  vouloit  finir  incessamment,  et  que  dans  ce 
cas  la  congrégation  de  demain  et  celle  de  jeudi  se- 
roient  les  dernières ,  ces  allées  et  venues  du  cardinal 
Ferrari  chez  le  Pape  faisoient  appréhender  aux  gens 
bien  intentionnés,  qu'on  ne  machinât  quelque  mau- 
vais dessein.  Les  cardinaux  Casanate  et  Nerli  m'ont 
fait  avertir  ce  soir  de  ce  qui  se  passoit,  et  j'ai  un 
peu  craint ,  sachant  que  les  efforts  des  partisans  de 
M.  de  Cambrai  ne  tendent  à  présent,  qu'à  faire 
ajouter  au  décret  quelque  chose  d'ambigu  sur  les 
explications  postérieures  de  ce  prélat,  en  insinuant 
que  dans  la  condamnation  des  propositions  on  ne 
les  prétendoit  pas  comprendre,  ou  au  moins  en 
marquant  qu'on  ne  les  avoit  pas  examinées.  Mais  je 
viens  d'apprendre  dans  le  moment  l'état  de  TafFaire , 
et  je  tiens  le  fait  d'une  personne  par  qui  la  minute 
du  décret  a  passé  depuis  une  heure. 

Le  Pape  a  envoyé  quérir  l'assesseur  cette  après- 

dînée 


SUR  l'affaire   du   QUIÉTISME.  3^1 

dînee,  et  cela  je  l'ai  vu  de  mes  yeux,  étant  alors  à 
parler  à  M.  le  cardinal  Spada  chez  Sa  Sainteté,  pour 
le  prier  de  la  faire  souvenir  de  la  promesse  qu'elle 
avoit  bien  voulu  me  faire  de  finir  cette  semaine. 
L'assesseur  a  eu  ordre  d'envoyer  ce  soir  le  décret 
minuté  à  MM.  les  cardinaux,  pour  le  revoir  demain 
matin  entre  eux,  et  puis  terminer  jeudi,  le  tout  en 
sa  présence. 

Ce  décret  mïtiuté  n'a  été  porté  au  saint  Office 
pour  en  faire  des  copies  qu'à  une  demi-heure  de 
nuit  ;  et  les  copies  n'ont  pu  être  faites  et  envoyées 
chez  les  cardinaux  que  depuis  deux  heures  ;  c'est-à- 
dire  vers  les  dix  heures  de  France.  La  plupart  au- 
ront été  déjà  endormis,  lorsque  la  pièce  leur  sera 
parvenue.  Cela  est  un  peu  précipité;  mais  j'espère 
que  s'il  y  a  quelque  chose  d'ajouté  contre  la  déter- 
mination des  cardinaux ,  l'addition  sera  rejetée  avec 
force  :  le  corps  du  décret  est  intact,  et  bien  nous  en 
a  pris  d'y  veiller. 

Je  n'ai  pu  avoir  copie  de  ce  décret ,  à  cause  de  la 
grande  précipitation  avec  laquelle  il  a  été  rédigé  ; 
mais  on  m'a  assuré  que  les  vingt-trois  propositions 
y  sont  rapportées  tout  du  long,  et  les  qualifications 
mises  respective.  Je  me  suis  toujours  bien  douté 
qu'on  ne  trouveroit  pas  lieu  de  faire  davantage,  à 
cause  de  la  difficulté  de  s'accorder  sur  chaque  quali- 
fication particulière ,  et  jDarce  que  les  cardinaux  de 
Bouillon  et  autres,  comme  Albani,  chicanent  sur 
tout.  On  m'assure  que  le  titre  du  livre  y  est  décrit 
dans  son  entier ,  et  on  n'a  rien  remarqué  qui  tendît 
à  excuser  les  explications  de  M.  de  Cambrai  :  on  n'y 
parle  que  du  livre.  Le  décret  ne  contiendra  sans 

BOSSUET.    XLII.  21 


#322  LETTRES 

doute  que  ce  qui  a  été  résolu  avec  les  cardinaux. 
Au  reste,  il  est  mis  dans  cette  minute  qu'elle  est 
rédige'e  par  le  cardinal  Albani,  qui  n'aura  jamais 
osé  altérer  ce  que  les  cardinaux  ont  arrêté ,  ou  tous 
ensemble,  ou  par  leurs  députés.  Il  n'y  a  pas  même 
d'apparence  que  le  cardinal  Ferrari  ait  eu  la  direc- 
tion du  décret ,  le  cardinal  Albani  étant  très- jaloux 
de  ne  pas  céder  ses  droits  à  un  autre. 

Demain ,  au  sortir  de  la  congrégation ,  nous  en 
saurons  davantage ,  et  plus  encore  jeudi.  On  m'a  dit 
une  chose  qui  me  fâcheroit,  qui  est  qu'on  n'avoit 
pas  remarqué  que  la  qualification  d'hérétique  fût 
mise  parmi  les  autres,  et  j'en  ai  peur;  mais  ce  sera 
toujours  beaucoup ,  si  après  cela  nous  avons  dans 
les  circonstances  présentes  un  décret  net  sur  les  pro- 
positions du  livre,  et  qu'elles  y  soient  notées  de 
toutes  les  autres  qualifications  les  plus  expressives. 

Vous  pensez  bien  que  si  j'avois  pu  être  assuré  que 
les  cardinaux  rejetassent  si  fortement  le  nouveau 
projet,  que  Sa  Sainteté  eût  suivi  leur  avis  et  eût 
voulu  finir  si  promptement ,  et  qu'on  eût  témoigné 
tant  de  mépris  pour  le  cardinal  de  Bouillon ,  j'aurois 
pu  ne  pas  dépêcher  le  courrier  extraordinaire.  Mais , 
en  vérité,  dans  le  doute  où  j'étois  avec  raison,  dans 
la  peine  où  je  voyois  le  cardinal  Casanate  et  nos 
amis  sur  l'entêtement  effroyable  que  le  Pape  té- 
moignoit ,  et  sur  les  manœuvres  du  cardinal  de 
Bouillon,  des  Jésuites,  des  cinq  qualificateurs  et 
de  toute  la  cabale  ;  si  les  choses  eussent  mal  tour- 
nées, j'aurois  cru  avoir  à  me  reprocher  toute  ma 
vie  de  n'avoir  pas  eu  recours  aux  derniers  moyens 
qui  me  restoient.  Car  enfin  je  sais  que  ce  qui  arrê- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  3-13 

toit  le  plus  le  Pape ,  c  étoit  l'assurance  que  le  car- 
dinal de  Bouillon  lui  donn(5it  qu'on  contenteroit  le 
Roi ,  en  me'nageant  le  plus  qu'on  pourroit  la  per- 
sonne et  les  explications  de  M.  de  Cambrai.  Ainsi 
il  étoit  nécessaire  que  le  Roi  s'expliquât  là-dessus  ; 
et  quand  le  décret  sur  le  livre  passeroit  jeudi ,  il 
sera  toujours  bon  que  cette  Cour  connoisse  au  vrai 
les  intentions  de  Sa  Majesté.  Rien  ne  pourra  contri- 
buer davantage  à  faire  condamner  dans  la  suite  les 
livres  publiés  par  M.  de  Oambrai  pour  la  défense 
de  ses  Maximes.  Il  est  certain  qu'on  ne  devroit  pas 
hésiter  un  moment  à  prononcer  cette  condamna- 
tion ;  mais  le  cardinal  de  Bouillon  l'empêchera  ap- 
paremment tant  qu'il  sera  à  Rome.  Cette  Eminence 
est  dans  le  dernier  abattement,  et  paroît  comme  au 
désespoir;  sa  santé  est  très-languissante.  Il  dit  au 
sortir  de  la  congrégation,  que  l'on  ne  pouvoit  pas 
lui  reprocher  d'avoir  voulu  retarder,  mais  seule- 
ment d'avoir  tout  hasardé  pour  servir  ses  amis  ; 
croyant  se  donner  par-là  une  grande  louange ,  et  ne 
songeant  pas  que  pour  ses  amis  prétendus ,  il  a  trahi 
la  vérité  ,  la  religion  et  son  Roi. 

Le  cardinal  Casanate  me  lit  dire,  le  lendemain  du 
départ  du  courrier,  qu'il  serôit  bon  que  la  Cour 
prît  des  mesures  auprès  du  Pape,  en  cas  qu'il  restât 
obstiné,  et  qu'on  ne  pouvoit  avertir  trop  tôt  le  Roi, 
Il  ajouta  qu'en  attendant,  s'il  y  avoit  quelque  pé- 
ril, il  trouveroit  bien  le  moyen  d'enclouer  l'affaire 
pour  quelques  semaines.  C'étoit  tout  ce  qu'on  pou- 
voit désirer  dans  la  circonstance.  On  ne  sauroit  as- 
sez faire  sentir  combien  on  est  redevable  à  cette 
Eminence. 


324  LETTRES 

Le  général  des  Je'suites  fut  encore  hier  chez  le 
Pape.  La  conduite  qu'ils  tiennent  dans  cette  affaire, 
est  assure'ment  un  engagement  du  corps.  Le  père 
Roslet  eut  dimanche  matin  audience  de  Sa  Sainteté, 
qui  lui  nia  tout,  comme  à  moi. 

La  cabale  ne  croyoit  jamais  qu'on  pût  venir  à 
bout  de  faire  condamner  les  propositions,  le  car- 
dinal de  Bouillon  agissant  si  puissamment  pour  l'em- 
pêcher, étant  assuré  d'Albani,  et  ayant  gagné  Fer- 
rari. Ce  dernier  a  trompé  tout  le  monde  ;  car  il  at 
d'abord  censuré  les  propositions,  puis  il  a  tourné 
tout  d'un  coup  par  foiblesse,  se  laissant  aller  aux 
sollicitations  du  Carme,  le  père  Philippe  :  j'ai  tou- 
jours appréhendé  ses  liaisons  avec  cette  Eminence. 
Zeccadoro  a  été  le  négociateur  entre  le  cardinal  de 
Bouillon  et  le  cardinal  Ferrari. 

U  faut  attendre  à  jeudi  pour  parler  sûrement  des 
suites,  mais  il  y  a  lieu  de  bien  espérer.  Je  ne  crains 
que  Fabroni  auprès  de  Sa  Sainteté.  Cet  homme  lui-», 
a  fait  voir  les  enfers  ouverts,  si  elle  consentoit  à  la 
censure  des  propositions,  dont  les  semblables,  lui 
a-t-il  dit,  se  trouvent  dans  tous  les  mystiques.  Il 
n'a  pas  aussi  manqué  de  lui  bien  faire  valoir  la 
sainteté  personnelle  de  M.  de  Cambrai. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  i6  février.  Nous  atten- 
dons M.  de  Monaco  à  la  fin  de  ce  mois.  La  rétrac- 
tation de  M.  de  Cambrai  viendra  tard,  si  elle  arrive. 
J'en  doute,  et  le  courrier  sera  parti  pour  l'avertir 
seulement  de  ce  qui  se  passe. 

Je  n'ai  pas  eu  un  moment  de  repos  tous  ces  jours- 
ci ,  et  à  peine  ai-je  pu  rester  quatre  heures  dans  mon 
lit;  mais  ma  santé  ne  laisse  pas  d'être  bonne,  Dieu 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  82^ 

merci  ;  j'aurai  le  temps  de  me  reposer,  l'afTaire  finie. 

Je  ne  crois  pas  que  je  me  puisse  jamais  consoler 
de  la  perte  que  nous  avons  faite,  je  la  sentirai  toute 
ma  vie. 

Je  n'écris  qu'un  mot  à  M.  de  Paris,  je  le  renvoie 
cette  fois-ci  à  vous,  la  poste  allant  partir. 

Il  est  nécessaire  que  vous  répondiez  au  parallèle 
de  M.  de  Cambrai  (*). 

Rome,  10  mars  1699. 

LETTRE   CCCCXXXVIL 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  le  contenu  du  bref  contre  le  livre  des  Maximes  y  et  la  manière 
dont  les  choses  s'étoient  passées  à  la  conclusion. 

Dieu  est  plus  fort  que  les  hommes  :  la  vérité  en- 
fin a  triomphé.  Hier  le  décret  fut  arrêté  en  présence 
du  Pape,  qui  le  signa.  La  bulle  est  déjà  faite  en 
conformité ,  et  on  l'imprime  à  l'heure  qu'il  est  :  elle 
sera  affichée  et  publiée  demain.  Dieu  soit  loué.. 

Avant  que  de  vous  rapporter  tout  ce  qui  s'est 
passé  depuis  huit  jours,  de  quelle  manière  on  a  re- 
médié au  mal  qu'on  vouloit  faire,  et  comment  on 
a  dissipé  les  efforts  de  l'enfer  déchaîné,  je  vous  dirai 
d'abord  en  substance  ce  que  contient  de  principal 
et  d'important  la  Constitution,  dont  Je  doute  que 
je  puisse  avoir  un  exemplaire  avant  le  départ  de  ce 

(*)  Cesl  l'ouvrage  intitulé  :  Les  principales  Propositions  du  Hure 
des  Maximes  justifiées ,  etc.  auquel  Bossuet  a  répondu  par  celui 
qui  a  pour  titre  :  Les  Passages  éclaircis,  etc.  Voyez  tora.  xsx  > 
pag.  SaS  et  suiv.  {^Edil,  de  Vers.) 


326  LETTRES 

courrier,  quoique  je  n'oublie  rien  pour  y  parvenir. 
Je  sais  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  veut  l'avoir 
seul  ce  soir  :  il  empêchera  peut-être  que  le  père  Ros- 
let  et  moi  nous  ne  l'ayons. 

On  m'a  assuré  que  c'étoit  une  bulle  (*)  dans  toutes 
les  formes,  dans  laquelle  l'on  ne  parle  point  de  l'In- 
quisition :  on  y  met  motuproprio,  mais  on  y  ajoute, 
ex  consilio  Tlieologorum  _,  Cardinalium  _,  etc.  deli- 
beratione  maturd  et  diligenti  examine  habito.  Le 
cardinal  de  Bouillon  ne  s'est  mis  en  peine  de  rien 
sur  cela.  Il  auroit  même  laissé  parler  de  Y  Inquisi- 
tion sans  mot  dire.  Pour  peu  qu'il  eût  voulu,  on 
n'auroit  pas  mis  l'expression  motu  proprio.  J'en  ai 
parlé,  mais  le  cardinal  Albani  et  le  cardinal  Casa- 
nate  aussi  m'ont  assuré  que  cette  clause  étoit  reçue 
en  France,  de  la  manière  dont  elle  étoit  tournée 
dans  le  décret.  Le  cardinal  Casanate  en  a  fait  ôter 
tout  ce  qui  regardoit  l'Inquisition;  et  le  Pape,  sur 
les  représentations  qui  lui  ont  été  faites,  y  a  con- 
senti aisément. 

On  ne  parle,  dans  ce  décret,  ni  du  Roi  ni  des 
évêques.  Le  titre  du  livre  des  Maximes  et  le  nom  de 
l'auteur  y  sont  insérés  sans  déguisement. 

Il  renferme  vingt-trois  propositions  principales, 
qui  sont  rapportées  dans  leur  entier,  et  qu'on  con- 
damne si^e  in  sensu  obvio,  sit^e  in  contextu  senten^ 
tiarum  et  libri ,  tanquam  respective  erronças,  teme- 
varias^  scandalosas _,  piarum  aurium  offensivas, 
inducentes  in  errores  ab  apostolicd  Sede  damnatas, 
avec  quelques  autres  qualifications  également  fortes. 

C)  On  verra,  par  la  suite  de  ceUe  lettre,  que  Tabbé  Bossuet  n'é- 
loit  pas  exactement  iulorraé  de  ce  fait. 


SUR   l'affaire  du  quiétisme.  327 

La  qualification  d'héiëtique  ne  s'y  trouve  pas,  quoi- 
que la  proposition  de  Tinvolon taire  en  Jésus-Christ 
soit  du  nombre  des  vingt-trois,  et  qu'on  l'ait  trans- 
crite sans  restriction  ni  modification,  comme  étant 
du  livre,  et  par  conséquent  de  l'auteur.  Je  vous  di- 
rai dans  la  suite  de  quelle  manière  le  tout  s'est  fait. 
On  ne  condamne   pas  seulement   telle  édition  du 
livre  ;  on  en  condamne  toutes  les  éditions  et  toutes 
les  traductions.  Les  différentes  clauses,  usitées  dans 
les  bulles  en  pareil  cas  n'y  sont  pas  oubliées.  On  a 
ôté  seulement  celle  de  igné  comburantiir ,  qui  n'est 
pas  essentielle.  Il  n'est  pas  dit  un  mot  qui  tende  à 
excuser  le  sens  de  l'auteur,  ni  ses  explications.  Ces 
paroles,  swe  in  sensu  ob\^io,  siue  ex  coniextu  lihri  et 
senieniiarum ,  destinées  à  caractériser  l'intention  du 
décret,  paroissent  aller  au-devant  des  chicanes  qu'on 
auroit  pu  faire  sur  le  sens  de  J'auteur  et  de  ses  expli- 
cations. On  ne  sauroit  désormais  les  alléguer,  puis- 
qu'il est  manifeste  que  ces  explications,  contraires 
au  sens  condamné,  ohvio ,  ne  sont  ni  bonnes  ni 
recevables,  vu  qu'elles  seroient  encore  contraires  au 
texte  du  livre  et  à  toute  la  suite  de  son  exposé,  et 
n'y  conviennent  pas. 

Les  propositions  en  particulier  se  verront  dans 
la  bulle  :  je  n'en  puis  savoir  le  détail  au  juste  ;  mais 
vous  voyez,  par  ce  que  je  viens  de  vous  marquer, 
que  l'essentiel  se  trouve  dans  le  décret.  La  doctrine 
du  livre  de  M.  de  Cambrai,  expressément  condam- 
née, est  flétrie  sans  ressource  pour  ne  laisser  rien 
à  désirer.  Je  conviens  qu'il  auroit  fallu  qu'on  eiit 
ajouté  la  qualification  d'hérétique,  et  l'on  auroit  dû 
qualifier  chaque  proposition  en  particulier  -,  mais 


SaS  LETTRES 

sans  entrer  ici  dans  les  raisons  qui  ont  contraint 
de  ne  pas  insister  plus  long -temps  sur  ces  deux 
points,  je  m'imagine  que  vous  les  pénétrez  bien. 

Il  a  paru  ici  trop  difficile  de  donner  exactement 
à  chaque  proposition  ses  qualifications  propres, 
d'autant  plus  qu'il  n'étoit  pas  aisé  de  faire  convenir 
les  cardinaux.  A  chaque  proposition  il  auroit  fallu 
livrer  autant  de  batailles  contre  les  amis  de  M.  de 
Cambrai  ;  et  c'étoit  ce  qu'ils  demandoient,  uni- 
quement pour  embrouiller  et  pour  éterniser  cette 
affaire ,  sous  prétexte  de  rendre  la  décision  plus 
exacte  :  toutefois  on  en  seroit  venu  à  bout ,  si  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  n'avoit  pas  été  dans  les  con- 
grégations ;  mais  les  personnes  les  mieux  disposées , 
et  qui  souhaitoient  le  plus  qu'on  appliquât  les  qua- 
lifications, ont  jugé  la  chose  trop  embarrassante,  trop 
hasardeuse,  pour  oser  insister.  Ainsi  elles  ont  cru, 
dans  des  circonstances  si  malheureuses  pour  l'Eglise 
et  pour  la  France,  qu'il  falloit  se  contenter  des  qua- 
lifications générales,  dont  la  plupart  convenoient 
avec  le  respective.  Et  de  plus,  c'est  assez  le  style 
des  bulles  ;  outre  que  cette  manière  de  qualifier  est 
moins  sujette  à  être  contredite,  et  laisse  la  liberté 
d'appliquer  aux  propositions  les  qualifications  qu'on 
juge  les  plus  convenables  parmi  les  diverses  qualifi- 
cations réunies. 

Il  n'y  a  que  celle  d'hérétique  qui  manque.  Quatre 
des  forts  cardinaux,  Panciatici,  Garpegna,  Gasanate 
et  Marescotti,  vouloient  qu'on  la  mît,  et  soutenoient 
que  c'étoit  la  qualification  que  méritoit  surtout  la 
proposition  de  l'involontaire  en  Jésus-Ghrist  ;  mais 
les  autres  cardinaux  ont  molli,  principalement  les 


suii  l'affaire  du  quiétisme.  829 

cardinaux  Noris  et  Ferrari,  qui,  joints  au  cardinal 
de  Bouillon  et  au  cardinal  Albani,  Tout  emporté.  Le 
Pape  en  est  cause  plus  que  personne  :  le  terme  d'hé- 
rétique lui  a  fait  peur.  Le  reste  relTrayoit  bien  en- 
core, mais  il  a  été  obligé  de  le  passer. 

C'est  encore  le  Pape  qui  a  demandé,  à  l'instiga- 
tion de  Fabroni,  qu'on  ne  mît  pas  igné  comburan- 
tur.  Voilà  l'idée  générale  de  la  constitution. 

Voici  ce  qui  s'est  passé  depuis  mes  dernières  let- 
tres, portées  par  le  courrier  extraordinaire.  Je  ne 
vous  rapporterai  les  choses  qu'en  abrégé,  vous  les 
ayant  mandées  déjà  très  au  long  par  ma  lettre  de 
mardi. 

Aussitôt  que  le  courrier  qui  alloit  vous  apprendre 
le  projet  des  douze  Canons,  fut  parti,  je  crus  qu'il 
n'y  auroit  pas  de  mal  de  faire  un  peu  de  bruit,  et 
de  faire  porter  jusqu'au  Pape  mes  plaintes  sur  une 
pareille  conduite.  Le  père  Roslet  alla  chez  le  car- 
dinal Albani,  et  lui  parla  fortement.  Il  lui  dit  qu'il 
m'avoit  vu  très- troublé,  et  en  doute  si  je  ne  devois 
pas  partir  en  poste  pour  venir  avertir  le  Roi  de 
tout  ce  que  tramoit  une  cabale  furieuse,  à  la  tête 
de  laquelle  on  le  mettoit,  pour  rendre  inutiles  les 
bonnes  intentions  de  Sa  Sainteté,  et  éterniser  une 
aiFaire  déjà  terminée  entre  les  cardinaux.  Ce  dis- 
cours fit  l'efTet  que  nous  pouvions  souhaiter.  Le  car- 
dinal étonné  alla  rendre  compte  de  tout  au  Pape, 
qui  poussé  par  la  précipitation  naturelle  de  son  gé- 
nie, et  les  angoisses  que  la  durée  de  cette  affaire  lui 
donne  depuis  un  mois,  se  détermina  le  samedi  7  à 
envoyer  quérir  l'assesseur,  et  à  faire  intimer  pour 
le  lendemain  dimanche  la  congrégation  des  cardi- 


33o  LETTRES 

naux,  afin  qu'ils  donnassent  leur  avis  sur  le  projet 
proposé  qui  lui  tenoit  toujours  fort  au  cœur.  Les 
cardinaux,  qui  ne  s'attendoient  guère  à  cette  con- 
vocation, en  furent  surpris,  et  plus  que  tous  le 
cardinal  de  Bouillon,  qui  ne  put  cacher  son  me'- 
contentement,  et  qui  s'enferma  aussitôt  avec  le  père 
Charonnier  jusqu'à  minuit. 

On  ne  s'endormit  pas  pendant  ce  temps-là.  J'allai 
dès  le  samedi  porter  chez  les  cardinaux  le  Me'moire 
italien  que  vous  avez  en  français ,  et  nos  amis  tra- 
vaillèrent à  disposer  les  esprits  à  une  ferme  résistance. 

Ce  qui  me  porta  à  ne  point  perdre  de  temps, 
c'est  l'avis  qu'on  me  donna  que  le  cardinal  Ferrari, 
gagné  par  le  cardinal  de  Bouillon,  et  en  particu- 
lier par  le  Carme,  son  ami  intime  et  son  compa- 
triote, dont  j'avois  toujours  appréhendé  les  insi- 
nuations ,  c'est  dis-je  que  ce  cardinal  avoit  proposé 
et  fait  goûter  à  Sa  Sainteté  le  nouveau  projet ,  en 
lui  inspirant  des  craintes  sur  tous  les  autres  plans, 
soit  par  rapport  aux  mystiques ,  soit  par  rapport  à 
la  personne  de  M.  de  Cambrai,  qui  l'exhortoit  à 
ménager,  insistant  surtout  pour  qu'on  ne  mît  point 
au  jour  les  propositions  de  son  livre. 

Je  vis  dès  le  dimanche  l'assesseur  et  le  commissaire, 
de  qui  j'appris  beaucoup  de  choses.  J'ose  dire  que  le 
dimanche  à  midi  j'étois  comme  assuré  que  le  projet 
seroit rejeté,  et  qu'on  s'en  tiendroit  aux  délibérations 
prises.  Je  vis  que  les  cardinaux  bien  intentionnés, 
étoient  disposés  à  s'unir  pour  empêcher  toute  autre 
détermination  -,  et  nous  n'avions  à  appréhender  que 
les  cardinaux  de  Bouillon ,  Ferrari  et  Albani ,  mais 
plus  que  tous  le  Pape  lui-même. 


SUR    l'affaire    tu    QUIÉTISME.  33 1 

Le  dimanche  matin  nous  convînmes  avec  le  père 
Roslet    qu'il  iioit  le  malin  chez  le  Pape,  et  moi 
l'après-dînée.  Cela  fut  ainsi  exécuté.  Le  père  Roslet 
rend  compte  exactement  de  son  audience  à  M.  de 
Paris  :  il  parla  fortement  au  Pape ,  entra  dans  un 
grand   détail  avec  lui.  Le  Pape  lui  parut  fort  em- 
barrassé, fort  irrésolu ,  fort  porté  k  épargner  M.  de 
Cambrai ,   et  très-troublé.   J'allai  donc  après  dîné 
chez  Sa  Sainteté  :  il  seroit  trop  long  de  vous  faire  le 
récit  exact  de  ce  qu'il   me  dit,   je  n'en  ai   pas  le 
temps ,  et  d'ailleurs  je  vous  ai  rapporté  fort  au  long 
les  choses  dans  ma  lettre  de  mardi  dernier,   lo  de 
ce  mois.  Je  vous  marquerai  donc  seulement  que  Sa 
Sainteté  jugea  à  propos  de  me  nier  le  nouveau  projet 
des  Canons,  me   disant  par  plusieurs  reprises  que 
c'étoient  de  faux  bruits.  Je  vis  bien  que  le  saint  Père 
commençoit  à  être  honteux  de  ce  qu'il  avoit  fait , 
mais  j'aperçus  en  même  temps  en  lui  une  grande 
disposition  pour  épargner  en  tout  M.  de  Cambrai 
et  sa  doctrine.  On  lui  avoit  fait  une  si  furieuse  peur 
de  la  publication  des  propositions,   que  Sa  Sainteté 
n'a  jamais  voulu  convenir  avec  moi  qu'il  y  eut  eu  des 
propositions  extraites  et  censurées  par  les  cardinaux* 
Je  pris  la  liberté  de  lui  rappeler  avec  assurance  ce 
que  le  public  savoit,  et  de  lui  représenter  ce  qui 
convenoit,  sur  la  fin  de  cette  affaire,  à  sa  gloire,  à 
la  paix  de  la  France,  et  au  repos  de  sa  conscience, 
qui  étoit  de  suivre  le  sentiment  de  son  conseil.  Je 
vous  remets  là-dessus  à  ma  lettre  de  mardi  qui  vous 
étonnera,  mais  qui  contient  la  pure  vérité.  J'ins-istai 
fortement  sur  la   nécessité  de  mettre  au  jour  les 
propositions  sur  lesquelles  il  étoit  question  de  pro- 


332  LETTRES 

noncer,  lui  faisant  sentir  que  sans  cela,  ni  le  Roi, 
ni  les  ëvêques,  ni  l'Europe  entière,  n'auroient  pas 
sujet  d'être  contens.  Je  lui  remontrai  qu'en  agissant 
autrement ,  on  donneroit  lieu  à  M.  de  Cambrai  et 
à  ses  adliérens  de  soutenir  qu'on  n'a  pu  condamner 
les  propositions ,  ni  juger  le  fond  de  sa  doctrine  5  ce 
qui  seroit  e'terniser  toutes  les  disputes.  Je  le  lui 
prouvai  clairement,  et  en  prenant  sa  be'ne'diction  à 
genoux  je  lui  repétai  encore  les  mêmes  discours. 

Je  n'ai  jamais  vu  une  personne  si  troublée,  si 
agitée  qu'il  l'étoit.  Il  me  promit  néanmoins ,  sur  ce 
que  je  lui  dis  que  les  amis  de  M.  de  Cambrai  triom- 
phoient,  et-  disoient  plus  hautement  que  jamais 
qu'on  ne  verroit  pas  de  décision,  et  que  le  saint 
Siège  n'oseroit  condamner  les  propositions  d'un  si 
grand  archevêque;  il  me  promit,  dis-je,  que  tout 
iîniroit  cette  semaine,  et  me  déclara  qu'il  étoit  bien 
fatigué  de  cette  affaire.  Je  lui  dis  que  si  cela  étoit ,  il 
n'y  avoit  pas  à  craindre  qu'il  voulût  faire  des  Canons, 
qui  demanderoient  une  longue  discussion  pour  ne 
rien  avancer  que  de  parfaitement  exact. 

Pendant  ce  temps,  la  congrégation  des  cardinaux 
se  tenoit  à  la  Minerve  :  elle  dura  près  de  quatre 
heures.  Toujours  pour  son  malheur,  le  cardinal  de 
Bouillon  parla  le  premier.  Il  appuya  vivement  le 
nouveau  projet,  comme  plus  digne  du  saint  Siège, 
moins  sujet  à  contradiction ,  moins  flétrissant  pour 
M.  de  Cambrai,  ce  qui  est  le  point  le  plus  intéres- 
sant pour  lui.  On  ne  le  pourroit  croire;  il  resta  seul 
de  son  avis.  Les  premiers  et  anciens  cardinaux  par- 
lèrent si  fortement  contre,  que  le  cardinal  Ferrari, 
quoique  promoteur  de  cette  nouveauté,  et  le  cardi- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  333 

nal  Albani  qui  la  secondoit,  se  virent  oblige's  d'a- 
bandonner le  cardinal  de  Bouillon  :  il  fut  ainsi  con- 
clu qu'on  rejeteroit  les  Canons  avec  tout  l'ensemble 
du  projet,  et  Ton  résolut  de  s'en  tenir  à  ce  qui  avoit 
été  décidé  dans  les  congrégations  précédentes.  Le 
cardinal  de  Bouillon  sortit  plus  mort  que  vif;  il  ne 
put  descendre  les  degrés  de  la  salle,  ni  remonter 
ceux  de  son  appartement,  qu'en  chaise  à  porteurs. 

Malgré  tout  cela,  la  cabale  ne  se  tint  pas  pour 
vaincue.  Le  Pape  toujours  prévenu ,  et  même  résolu 
à  prendre,  disoit-il,  le  parti  le  plus  doux,  envoya 
quérir  le  cardinal  Ferrari  et  le  cardinal  Albani,  et 
leur  ordonna  le  lundi  matin  de  dresser  le  décret, 
et  de  le  tenir  prêt  pour  le  mercredi  matin,  jour 
auquel  il  vouloit  que  les  cardinaux  déterminassent 
tout  jusqu'au  moindre  mot,  voulant  absolument 
finir  jeudi,  comme  il  Favoit  promis. 

Le  cardinal  Ferrari,  et  principalement  le  cardi- 
nal Albani,  gagnés  très-certainement  par  la  cabale, 
travaillèrent  à  ménager,  autant  qu'ils  pouvoient, 
M.  de  Cambrai  ;  et  ils  sont  cause  qu'on  n'a  pas 
porté  les  choses  aussi  loin  qu'on  auroit  dû,  et  qu'on 
n'a  pas  traité  ce  prélat  comme  on  convient  qu'il  le 
méritoit.  La  rédaction  ne  fut  achevé  que  le  mardi 
au  soir  à  la  nuit,  et  ne  put  être  copiée  et  envoyée 
chez  les  cardinaux  per  nianus  qu'à  près  de  minuit. 
Ils  furent  étonnés  le  lendi  main,  à  la  pointe  du  jour, 
de  trouver  chez  eux  cette  pièce,  sur  laquelle  ils 
auroient  à  parler  sur-le-champ.  Les  bien  intention- 
nés prirent  aussitôt  leur  parti,  très-résolus  de  faire 
de  leur  mieux,  et  de  s'opposer  à  tous  les  changemens 
préjudiciables  qui  auroient  été  faits  dans  le  décret. 


334  LETTllES 

Ils  montrèrent  en  efl'et  leur  zèle  et  leur  courage 
dans  rassemblée,  de  manière  qu'oïl  retrancha  bien 
de  petits  mots  glissés  par- ci  par -là,  et  qu'on  en 
ajouta  d'autres ,  supprimés  à  dessein  d'alToiblir  la 
décision.  Il  n'y  eut  pas  moyen  de  faire  mettre  la 
qualification  d'hérétique,  la  pluralité  des  voix  l'em- 
porta ;  on  crut  que  le  reste  étoit  assez  fort  et  pro- 
duiroit  le  même  effet  :  la  soumission  de  M.  de  Cam- 
brai au  saint  Siège  servit  de  motif  pour  la  refuser. 
Enfin  le  décret  passa,  comme  vous  le  voyez,  après 
des  efforts  inouis  de  la  part  du  cardinal  de  Bouil- 
lon pour  renouveler  les  disputes ,  pour  faire  parler 
des  explications  de  l'auteur,  et  rayer  cette  clause  : 
'swe  in  sensu  ob^^io^  swe  ex  connexione  sententia- 
rum.  Il  chercha  encore  à  faire  peur,  soutint  tou- 
jours que  les  tempéramens  par  lui  proposés  seroient 
du  goût  du  Roi  et  de  la  France,  et  enfin  débita 
de  nouveau  tout  ce  qu'il  avoit  déjà  répété  cent  et 
cent  fois.  Mais  on  crut  n'en  avoir  que  trop  fait,  et 
l'on  n'eut  aucun  égard  à  tous  les  propos  de  cette 
Eminence. 

Le  Pape  fut  instruit  dès  le  moment  de  la  dernière 
délibération  des  cardinaux,  et  envoya  l'assesseur 
chez  le  cardinal  Casanate,  pour  convenir  de  tout, 
afin  qu'il  n'y  eût  plus  rien  à  faire  pour  le  lendemain. 

Je  fus  averti  sur-le-champ  que  l'essentiel  étoit  fait 
et  arrêté  :  jugez  de  ma  joie;  car  la  précipitation 
avec  laquelle  on  opéroit  depuis  un  certain  temps, 
me  faisoit  tout  appréhender. 

Hier  enfin  jeudi,  en  une  demi-heure  l'affaire  fut 
consommée  devant  Sa  Sainteté,  qui  ne  permit  pas 
au  cardinal  de  Bouillon  de  se  répandre  à  son  ordi- 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  335 

naire  en  vains  discours,  comme  il  comptoit  le  faire. 
Le  Pape  commença  par  dire  qu'il  vouloit  exécuter 
ce  qui  avoit  été  déterminé  dans  la  congrégation, 
fit  lire  le  décret,  le  signa,  et  finit  cette  grande  af- 
.  faire  à  la  honte  éternelle  de  M.  de  Cambrai  et  de 
ses  protecteurs.   Après  Dieu  on  doit  tout,   je  dis 
tout  au  cardinal  Casanate.  Il  s'est  ouvert  avec  moi 
plus  que  jamais,  m'a  dit  qu'il  avoit  reçu  pour  cette 
cause  toute  sorte  d'outrages  de  la  part  du  cardinal 
de  Bouillon-,  qu'il  n'avoit  pas  été  le  seul  maltraité 
parce  ministre,  qui  a  attaqué  tous  les  cardinaux, 
excepté  un,  m'a-t-il  dit,  qui  a  fait  encore  plus  de 
mal  que  lui ,  parce  qu'il  est  plus  adroit  j  c'est  le 
cardinal  Albani. 

Du  reste,  il  m'a  confirmé  tout  ce  que  je  savois, 
et  ce  que  je  vous  ai  mandé  du  vœu  du  cardinal  de 
Bouillon.  Il  n'a  jamais  rien  laissé  par  écrit  à  la  con- 
grégation j  on  n'a  pu  tirer  de  lui  que  des  qualifica- 
tions équivoques,  comme  je  vous  l'ai  marqué,  dans 
lesquelles,  en  cherchant  à  distinguer  les  sens,  il  n'ou- 
blioit  rien  pour  excuser  l'auteur.  Il  a  embrassé  tous 
les  projets  qui  alloient  à  justifier  le  livre  et  les  in- 
tentions de  M.  ^e  Cambrai.  Il  a  tourmenté  le  Pape 
et  les  cardinaux,  à  un  point  qui  ne  se  peut  imagi- 
ner. Enfin,  après  les  délibérations  arrêtées,  il  s'est 
étudié,  en  précipitant  la  conclusion,  à  obtenir  quel- 
que chose  de  favorable  par  adresse  et  par  surprise. 
S'il  n'a  pas  réussi  comme  il  l'espéroit,  il  fera  bien 
valoir  à  ses  amis  la  note  à'hérétique  qu'il  a  empê- 
chée. Il  est  sûr  que  s'il  n'avoit  pas  assisté  aux  con- 
grégations, le  livre  sans  aucune  contradiction  auroit 
été  condamné  tout  d'une  voix,  et  flétri  de  la  ma- 


336  LETTRES 

nière  la  plus  forte.  Lui  seul  a  fait  tout  le  mal,  et 
ce  seroit  se  tromper  que  de  croire  qu'il  n'en  fera 
pas  toute  sa  vie  ;  il  est  trop  engagé. 

Je  sais  qu'il  dit  à  présent  qu'on  n'en  demeurera 
pas  là  y  que  le  saint  Siège  n'a  rien  fait  qui  vaille, 
qu'il  falloit  aller  plus  au  fond. 

Il  est  certain  qu'il  a  proposé  d'examiner  tous  les 
mystiques  avec  le  livre  de  M.  de  Cambrai,  et  de 
donner  une  décision  générale  sur  tout  l'ensemble  de 
leur  doctrine.  Il  a  traité  d'ennemis  personnels  de 
M.  de  Cambrai  ceux  qui  ont  rejeté  cette  proposi- 
tion, qui  n'étoit  que  pour  éluder  la  condamnation 
du  livre,  en  prolongeant  l'affaire.  Tout  ce  qu'il  a 
demandé  n'avoit  point  d'autre  but  ;  et  il  n'est  ici 
personne  qui  ne  soit  instruit  de  ses  intentions,  mon- 
trées trop  à  découvert  pour  qu'on  les  ignore. 

Jugez  de  la  désolation  du  parti. 

Vous  saurez  bientôt  ce  que  vous  aurez  à  faire 
sur  tout  cela  :  je  n'ai  pas  de  conseil  à  vous  don- 
ner ;  je  me  suis  d'ailleurs  assez  expliqué.  Si  l'on  n'a 
pas  fait  une  bulle,  comme  on  devoit  s'y  attendre,  . 
ce  n'est  pas  faute  d'avoir  représenté  là -dessus  au 
cardinal  de  Bouillon  ce  qu'il  convenoit.  Je  lui  en  ai 
parlé  cent  fois,  et  j'ai  cru  qu'il  avoit  des  ordres  sur 
cela.  Je  me  doute  bien  que  s'il  n'a  pas  agi  à  cet 
effet,  c'est  qu'il  désire  que  le  décret  ne  soit  pas  reçu 
en  France,  et  il  suppose  que  le  motu  proprio  pourra 
empêcher  la  réception  du  bref.  Il  falloit  en  outre 
qu'il  s'arrêtât  à  cette  forme,  pour  déterminer  le 
Pape  à  donner  au  cardinal  Albani  le  principal  soin 
de  la  rédaction,  attendu  que  c'est  lui  qui  a  la  di- 
rection des  brefs  de  cette  espèce ,  et  non  des  autres. 

Si 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  33^ 

Si  Ton  avoit  eu  le  temps  de  se  reconnoître,  je  crois 
que  j'aurois  fait  entendre  raison  aux  uns  et  aux 
autres.  Je  fis  cependant  avertir  de  to  t  cela  le  car- 
dinal Alhani,  qui  me  re'pondit  que  je  ne  me  miàse 
pas  en  peine,  que  le  de'cret  seroit  tel  qu'il  falloit 
pour  la  France.  Aujourd'hui  le  cardinal  Casanate 
m'a  dit  que  cette  sorte  de  bulle  étoit  des  plus  au- 
thentiques, et  qu'il  en  fit  hier  ôter  ce  qui  regarde 
l'Inquisition,  quoique  le  cardinal  de  Bouillon  n'eût 
fait  sur  ce  point  aucune  représentation;  mais  qu'il 
s'étoit  souvenu  de  celles  que  je  lui  avois  fartes  au- 
paravant. 

Le  cardinal  Casanate  m'a  dit  encore,  que  si  à 
présent  M.  de  Cambrai  ne  donnoit  une  rétractation 
nette  et  précise  de  ses  erreurs,  il  méritoit  qu'on 
sévît  fortement  contre  lui.  Je  verrai  et  remercierai 
demain  Sa  Sainteté,  qui  n'a  jamais  eu  assurément 
que  des  intentions  droites  et  justes,  mais  qu'une  ca- 
bale trop  puissante  troubloit  et  démontoit  à  tout 
moment. 

Le  Père  procureur  général  des  Minimes  vient  de 
voir  le  Pape,  qui  lui  a  avoué  toute  la  violence  de 
la  cabale,  lui  déclarant  qu'on  ne  l'avoit  pas  laissé 
un  instant  tranquille  ;  que  ce  qu'il  a  souffert  est 
inoui  ;  mais  il  a  ajouté  qu'enfin  il  étoit  en  repos,  et 
qu'il  souhaitoit  que  le  Roi  et  les  évéques  fussent 
contens  :  le  père  Roslet  fait  le  détail  de  cette  visite 
à  M.  de  Paris. 

J'ai  su  certainement  que  le  Pape,  le  jeudi  même 
qu'il  proposa  le  projet  des  Canons  aux  cardinaux, 
parla  durement  au  cardinal  de  Bouillon,  qui  vouloit 
le  forcer  d'ordonner  aux  cardinaux  de  l'approuver. 

BOSSUET.     XLII.  2  2 


338  LETTRES 

Vous  verrez  dans  huit  jours,  par  toutes  les  lettres 
de  Rome,  la  fureur  avec  laquelle  le  cardinal  de 
Bouillon  s'est  conduit  ;  cela  est  public ,  et  \nï  a 
attiré  le  mépris  et  l'indignation  universelle. 

Le  Pape  a  demandé  au  père  Roslet  si  je  n'enver- 
rois  pas  un  courrier,  indépendamment  de  celui  qu<; 
le  cardinal  de  Bouillon  enverroit  ;  que  cela  étoit 
nécessaire,  et  qu'il  me  le  conseilloit.  On  lui  a  ré- 
pondu que  je  faisois  actuellement  ma  dépêche,  et 
que  cela  m'erapêchoit  d'aller  à  ses  pieds  dès  aujour- 
d'hui. Dites  bien  des  choses,  je  vous  prie,  pour  moi 
à  M.  le  nonce,  afin  que  Texpression  de  mes  senti- 
mens  pour  les  services  qu'il  nous  a  rendus,  puisse 
retentir  jusqu'ici. 

Peut-être  sera-t-on  surpris  ici  dans  le  cas  où  le 
Roi,  d'après  mes  lettres  portées  par  le  dernier  cour- 
rier, se  seroit  déterminé  à  écrire  quelque  chose  de 
fort  au  Pape  9  mais  j'ai  fait  mon  devoir.  Le  cardinal 
Casanate  me  fit  dire  le  lendemain  du  départ  de  mes 
dépêches,  qu'il  me  conseilloit  de  prendre  ce  parti, 
parce  qu'on  ne  pouvoit  répondre  de  la  personne  du 
Pape  dans  le  trouble  et  la  prévention  oii  il  étoit; 
me  promettant  que  dans  l'intervalle  de  la  réponse, 
il  travailleroit  à  suspendre  le  coup,  s'il  voyoit  qu'on 
voulût  aller  en  avant.  Je  lui  ai  appris  la  manière 
dont  je  m'étois  conduit,  et  il  a  très-approuvé  ce  que 
j'avois  fait.  Je  verrai  s'il  convient  à  présent  que  je 
prévienne  là-dessus  le  cardinal  Spada.  Je  serai  tou- 
jours bien  aise  que  le  Roi  témoigne  son  opposition 
au  projet  si  vivement  soutenu  par  le  cardinal  de 
Bouillon  et  la  cabale.  Cela  confirmera  le  Pape  dans 
ce  qu'il  a  fait,  et  le  précautionnera  contre  les  soUi- 


SUR  l'affaire  du  quïétisme.  339 

citations  qu'on  ne  manquera  pas  de  lui  faire,  pour 
extorquer  de  lui  quelque  chose  en  faveur  de  M.  de 
Cambrai. 

Au  reste,  que  la  France  ne  vienne  plus  traiter  ici 
ses  affaires,  au  moins  tant  qu'il  y  aura  à  Rome  un 
cardinal  de  Bouillon;  qu'elle  fasse  tout  par  elle- 
même  ,  en  conservant  toujours  le  respect  dû  au 
saint  Sie'ge. 

Si  les  évêques  et  les  parlemens  trouvoient  la 
moindre  difficulté  à  publier  cette  constitution ,  à 
cause  de  quelques  clauses  contraires  aux  usages  du 
royaume,  je  ne  crois  pas  qu'il  faille  rien  faire  de 
nouveau,  ni  rien  accorder  qui  préjudicie  aux  Ui^ages 
de  la  France,  qu'on  ne  sauroit  trop  conserver.  Je 
suis  persuadé  qu'à  la  première  réquisition  du  Roi, 
le  Pape  fera  la  constitution  dans  une  autre  forme, 
telle  qu'on  pourra  la  désirer.  En  tout  cas,  les  évê- 
ques sont  en  droit  de  faire  ce  qui  conviendra  le 
mieux  au  bien  de  leurs  peuples,  et  d'exiger  de 
M.  de  Cambrai  ce  qu'ils  jugeront  nécessaire  à  l'af- 
fermissement du  dépôt. 

Je  crois  vous  avoir  mandé  que  le  général  des  Jé- 
suites a  été,  depuis  un  mois,  solliciter  publique- 
ment tous  les  cardinaux,  et  qu'il  a  été  traité  assez 
durement  par  quelques-uns  d'eux,  qui  lui  ont  re- 
proché, et  entre  autres  le  cardinal  Nerli,  que  sa 
compagnie  ne  soutenoit  en  toute  occasion  que  les 
mauvaises  doctrines.  Les  Carmes  ne  se  sont  pas  ou- 
bliés, et  ont  bien  intrigué  avec  la  cabale.  Mais  les 
Dominicains  ont  fait  leur  devoir,  le  général  à  leur 
tête,  quoique  avec  prudence. 

Le  père  Roslet  a  fait  au-delà  de  tout  ce  qu'on 


34o  LETTRES 

pouvoit  désirer,  et  a  Lien  suivi  les  ordres  et  les  in- 
tentions de  M.  de  Paris  :  j'ai  toute  sorte  de  sujet  de 
me  louer  de  lui. 

Je  vous  recommande,  ainsi  qu'à  M.  de  Paris,  le 
courrier,  qui  veut  bien  me  faire  Tamitië  de  porter 
cette  dépêche  :  il  a  servi  ici  en  mille  choses.  Il  a 
vu  par  lui-même  ce  qu'a  fait  le  cardinal  de  Bouil- 
lon, et  le  connoît  jusque  dans  le  fond  de  Famé.  Il 
a  été  charmé  de  rendre  ce  dernier  service  aux  évê- 
ques  et  à  son  pa3^s  :  il  fera  une  grande  diligence.  Il 
n'est  pas  fort  bien  dans  ses  affaires  :  je  vous  prie  de 
prendre  soin  de  fournir  aux  frais  de  son  retour, 
qu'il  disposera  à  loisir.  Il  est  généreux,  et  ne  vou- 
dra peut-être  pas  qu'on  le  dédommage  :  mais  comme 
il  fait  cette  course  pour  m'obliger  uniquement,  et 
pour  vous  rendre  compte  comme  à  M.  de  Paris  des 
choses,  car  il  sait  presque  tout  ce  qui  regarde  M.  le 
cardinal  de  Bouillon,  il  est  juste  de  ne  pas  abuser 
de  sa  complaisance  :  j'écris  à  mon  frère  d'entrer 
aussi  dans  sa  dépense.  Je  lui  donne,  en  partant  d'ici, 
deux  cents  écus  romains  avec  un  ordre  pour  Lyon  5 
ce  qui  lui  suffira  pour  aller.  Il  verra,  en  passant, 
M.  le  grand  duc,  et  vous  rendra  compte  de  sa  visite. 

Je  reçus  avant-hier  les  lettres  du  2  3  février  :  j'at- 
tends avec  impatience  des  nouvelles  de  la.réception 
du  jugement  de  l'affaire. 

Le  cardinal  Gasanate  m'a  dit  ce  matin  qu'il  n'a 
pas  tenu  à  lui  qu'on  n'eût  mieux  fait  et  plus  forte- 
ment; mais  qu'il  a  eu  peur,  si  l'on  retardoit  encore, 
qu'on  ne  profitât  des  délais  pour  faire  naître  de 
nouveaux  embarras,  qu'il  ne  seroit  pas  le  maître  de 
surmonter.  Il  m'a  avoué  franchement  qu'on  devoit 


SUR.  l'affaire  du  quiétisme.  341 

mettre  la  qualification  d'hérétique,  et  que  cétoit 
son  avis;  mais  que  le  Pape  avoit  conclu  in  mitio- 
rem.  IJ  ne  faut  rien  dire  de  tout  cela  qu'au  Pvoi,  à 
madame  de  Maintenon  et  à  M.  de  Paris,  et  se  con- 
tenter de  ce  qu'on  a  obtenu  avec  tant  de  peine,  qui 
au  fond  peut  suffire. 

Le  jubilé  pour  les  Catholiques  d'Angleterre,  per- 
sécutés par  le  prince  d'Orange,  n'a  eu  aucune  suite, 
et  on  n'en  a  plus  parlé. 

Les  plus  foibles  de  tous  les  examinateurs  ont  été 
les  théologiens  :  la  Scholastique  perd  tout  ici. 

Je  n'ai  osé  aller  voir  le  cardinal  de  Bouillon  de- 
puis  farrêt  prononcé.  Il  a  envoyé  quérir  le  père 
Roslet,  pour  lui  dire  les  plus  belles  choses  du  monde. 

Il  va  à  présent  s'épuiser  en  mensonges,  pour  per- 
suader à  la  Cour,  ou  qu'on  lui  doit  tout  ce  qui  s'est 
fait  de  bien,  ou  qu'il  vouloit  mieux  faire  j  mais  que 
ma  cabale  l'en  a  empêché^  ne  cherchant  qu'à  faire 
du  mal  à  M.  de  Cambrai,  pour  contenter  la  haine 
qu'il  prétend  que  vous  lui  portez.  Il  a  parlé  ici  con- 
formément à  ces  nobles  idées. 

Pour  parler  dans  l'exacte  vérité,  et  rendre  justice 
à  tout  le  monde,  je  dois  dire  que  paimi  les  Français 
qui  sont  ici,  les  seuls  qui  aient  fait  leur  devoir,  sans 
respect  humain ,  pour  servir  les  évêques ,  sont  le 
père  Roslet,  M.  Phelippeaux  et  moi,  et  les  amis  de 
M.  de  Tourreil.  Le  père  général  de  la  Minerve  a  été 
bien,  mais  avec  politique.  Je  ne  parle  pas  de  nos 
bons  qualificateurs,  ni  du  père  Latenai  et  du  père 
Cambolas,  à  qui  on  a  obligation.  Je  ne  prétends  au 
reste  faire  tort  à  personne,  c'est  seulement  pour  vous 
montrer  le  peu  de  secours  que  nous  avons  eu. 


34^  LETTRES 

M.  Madot  vous  dira  le  reste  :  il  faut  toujours  se 
rejouir  de  la  fin  d'une  pareille  affaire.  J'en  rends 
grâces  à  Dieu,  et  n'ai  de  douleur  que  de  ne  pas 
partager  cette  joie  avec  mon  pauvre  père. 

Voilà  le  bref  et  les  exemplaires  que  j'ai  pu  en 
avoir  :  j'ai  cru  le  courrier  nécessaire  pour  informer 
de  la  vérité,  qui  sera  bien  déguisée  par  M.  le  cardinal 
de  Bouillon.  Je  serois  bien  satisfait  si  la  Cour  pou- 
voit  donner  quelque  gratification  au  courrier,  qui  a 
ses  raisons  pour  n'être  pas  nommé. 

Le  cardinal  Casanate  vouloit  qu'on  n*omît  pas  la 
proposition  de  la  contemplation  négative;  mais  les 
théologiens  et  le  cardinal  Albani  ne  l'ont  pas  secondé. 

i3  Mars  1699. 


LETTRE  CCCCXXXVIIL 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  Mémoire  envoyé  à  Rome  par  le  Roi  contre  le  projet  des 
Canons,  et  la  suite  des  opérations. 

Vous  verrez  par  le  prompt  départ  de  ce  courrier, 
dépêché  extraordinairement,  comment  le  Roi  a  pris 
la  nouvelle  du  projet  des  Canons.  Je  vous  envoie  le 
Mémoire  que  nous  avons  dressé  (*),  par  oii  vous 
verrez  les  raisons  dont  ce  prince  a  été  touché.  On 
le  lui  a  donné  ce  matin.  Nous  lui  avons  parlé  M.  de 
Paris  et  moi  dans  les  mêmes  sentimens,  mais  à  di- 
verses heures,  pour  ne  point  donner  une  scène  sans 
nécessité  au  courtisan,  attentif  à  cette  affaire  plus 

C^)  Ce  Mémoire,  que  nous  donnons  après  la  lettre  de  M.  de  Paris, 
fut  composé  par  BossueL 


SUR    i/aFFAIR-E    du    QLIÉTISME.  34^ 

qu'on  ne  peut  vous  le  dire.  Le  Me'moire  est  fort  ; 
M.  de  Paris  Ta  présenté  au  monarque. 

Vous  voyez  que  fai  reçu  non-seulement  vos  lettres 
du  ^4  février  par  l'ordinaire,  mais  encore  celles  du 
premier  et  du  3  de  ce  mois,  et  celle  du  5  à  moi 
adressée,  et  que  j'ai  vu  celles  du  6  et  du  7  écrites  à 
M.  de  Paris.  J'espère  que  les  cardinaux  auront  mis 
fin  à  cet  incident,  et  auront  bien  su  empêcher  qu'on 
ne  commette,  par  de  telles  manœuvres,  l'autorité  du 
saint  Siège.  C'est  en  vérité  tout  pousser  à  bout  et  à 
toute  outrance,  et  s'égarer  au  delà  de  toute  mesure. 
Dieu  sera  le  protecteur  de  sa  cause. 

Vous  ne  devez  pas  vous  repentir  de  nous  avoir 
averti  ;  et  si  nous  pouvions  encore  avoir  ce  projet 
de  Canons,  nous  ne  plaindrions  pas  l'argent  ni  la 
peine.  J'ai  offert  de  satisfaire  Lantivaux  qui  a  fait 
une  diligence  extraordinaire,  étant  arrivé  le  i4  au 
soir  :  M.  de  Paris  a  voulu  y  pourvoir.  Nous  nous 
portons  bien,  Dieu  merci.  Le  courrier  a  ordre  de 
prendre  nos  lettres ,  de  les  rendre  à  leur  adresse ,  et 
aussi  de  nous  rapporter  les  réponses.  J'ai  peur  qu'à 
la  fin  le  cardinal  de  Bouillon  ne  se  fasse  tort  :  c'est 
à  lui  à  se  garder. 

Quand  les  choses  seront  décidées,  vous  aurez  en- 
core à  attendre  pour  savoir  les  démarches  de  M.  de 
Cambrai  et  l'effet  de  la  réception  de  la  bulle.  Il  ne 
faut  point  se  commettre  à  demander  la  prohibition 
des  livres  en  explication.  Voici  la  lettre  osten- 
sible (*)  ;  vous  en  ferez  l'usage  que  vous  voudrez. 

ji  Paris  f  16  mars  1699. 

(*)  C'est  celle  qui  suit  :  celle-ci  n'étoit  que  pour  l'abbé  Bossuet. 
\EdU.  de  Fers.) 


344  LETTRES 


H  «/«/•>«/•.■«<'«/«  V-«'»'^«/«  «/«/««/«^t 


LETTRE  CCCCXXXIX. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  projet  des  Canons  ^  les  inconvéniens  dans  lesquels  Rome 
lornberoit,  si  elle  s'arrétoit  à  ce  projet  j  et  sur  les  motifs  de 
confiance  dans  le  péril  où  la  vérité  se  trouvoil. 

Un  bruit  se  répand  ici  d'un  nouveau  projet  qu'on 
a  donne'  aux  cardinaux,  de  la  part  du  Pape  :  la 
source  en  vient  de  Cambrai.  On  publie  que  ces  Emi- 
nences  sont  partagées,  comme  l'ont  été  les  qualifi- 
cateurs. On  compte  quatorze  voix ,  y  compris 
M,  l'assesseur  et  M.  le  commissaire;  et  de  ces  qua- 
torze, on  en  donne  sept  à  M.  de  Cambrai.  Ce  bruit 
remplissoit  hier  toute  la  Cour.  On  dit  qu'il  s'agit 
de  certains  canons  sur  la  vie  spirituelle,  dressés  il  y 
a  long-temps  par  M.  de  Cambrai  lui-même,  limés 
par  le  père  Charonnier,  et  proposés  par  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  avec,  dit-on,  une  ardeur  et  une 
hauteur  inouie.  Par  ce  moyen,  plus  de  censure  pré- 
cise du  livre;  il  deviendra  une  règle  à  toute  épreuve 
après  un  si  long  examen.  On  donnera  pareille  auto- 
rité aux  explications  qui  l'auront  sauvé;  et  les  dé- 
fenseurs de  la  vérité  demeureront  accablés  par  une 
cabale  de  niystiques,  composée,  malgré  les  évêques 
et  les  docteurs,  de  fanatiques  ralliés  sous  un  non^ 
autorisé,  parmi  lesquels  les  femmes  dominent  :  voilà 
l'état  où  sera  l'Eglise,  si  ce  projet  prévaut. 

Pour  moi  je  ne  comprends  pas  les  ménagemens 
qu'on  cherche  à  avoir  pour  M.  de  Cambrai,  qu'on 
veut  trouver  si  terrible  ou  si  considérable,  qu'on 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  345 

aime  mieux  hasarder  tout  que  de  le  noter  comme  il 
le  me'rite.  Nous  voyons  son  livre  jugé  mauvais  et 
rempli  d'erreurs,  sans  qu'on  veuille  les  marquer. 
Quand  tout  est  fait,  rien  n'est  fait,  et  c'est  tou- 
jours à  recommencer.  Je  parle  ainsi,  selon  les  bruits 
qu'on  re'pand;  mais  au  reste  je  n'en  puis  rien  croire. 

On  diroit  que  M.  de  Cambrai  est  le  seul  ëvêque 
dans  l'Eglise,  dont  l'esprit  et  la  piété  doivent  être 
considérés.  Il  semble  que  l'on  compte  pour  rien  un 
archevêque  de  Paris ,  aussi  saint ,  aussi  habile,  aussi  au- 
torisé, aussi  zélé  pour  le  saint  Siège  que  celui-ci  ;  qui  a 
sous  sa  charge  plus  de  savans  hommes,  qu'il  n'y  en 
a  peut-être  dans  tout  le  reste  de  la  chrétienté.  Il 
est  vrai  qu'il  ne  veut  pas  se  faire  craindre  à  l'Eglise, 
à  Dieu  ne  plaise.  On  ne  peut  pas  lui  donner  des 
airs  menaçans,  si  contraires  à  sa  modestie  et  à  sa 
douceur  ;  mais  lui  doit-on  pour  cela  préférer  M.  de 
Cambrai  avec  son  caractère  hautain ,  qui  croit 
éblouir  le  monde  par  l'adresse  qu'il  a  pour  excuser 
tout? 

On  parle  des  grands  services  qu'il  est  capable  de 
rendre-,  et  j'en  conviens,  s'il  s'étoit  tourné  d'une 
autre  sorte,  si  jusqu'ici  on  eût  vu  son  zèle  et  ses  ta- 
lens  se  tourner  à  autre  chose  qu'à  la  défense  de  ma- 
dame Guyon  ;  et  si ,  pour  premier  ouvrage  de  ré- 
putation, il  n'avoit  pas  composé  un  livre  qu'on  met 
en  toutes  les  langues,  même  depuis  peu  en  espagnol, 
^iin  de  porter  par  tous  les  autres  pays  le  feu  qu'il  a 
mis  dans  le  sien. 

On  vante  ici  le  beau  dessein  de  donner  des  règles 
à  toute  l'Eglise  sur  la  spiritualité.  C'est  un  ouvrage 
encore  de  cinq  ou  six  mois,  et  l'on  veut  cependant 


346  LETTRES 

que  toute  la  chrétienté,  attentive  à  la  conduite  de 
Rome,  la  voie  elle-même  détruire  son  propre  tra- 
vail et  les  délibérations  de  tant  de  grands  cardinaux, 
commencées  depuis  quatre  mois,  et  se  jeter  dans 
un  abîme  de  difficultés,  dans  une  source  d'équivo- 
ques inévitables  avec  un  esprit  si  fécond  en  inter- 
prétations nouvelles,  et  qui  tâche  d'accoutumer  le 
monde  à  faire  dire  aux  paroles  tout  ce  qu'il  lui 
plaît;  et  cela  sans  nécessité,  seulement  pour  sauver 
un  livre,  du  moins  inutile,  équivoque  et  dangereux, 
quand  on  voudroit  l'exempter  des  autres  notes  plus 
graves,  dont  on  le  reconnoît  digne. 

On  est  étonné  en  France  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  ose  se  donner  cette  autorité,  de  vouloir 
faire  changer  le  premier  dessein  approuvé  du  Roi 
et  des  évêques.  Vous  savez  combien  je  suis  de  ses 
serviteurs;  mais  où  il  s'agit  de  la  foi,  tout  doit  céder. 
Ici  on  ne  s'est  pas  encore  avisé  de  le  suivre ,  du 
moins  en  matière  de  doctrine  spirituelle  ;  et  quelque 
respect  qu'on  ait  pour  le  rang  qu'il  tient  dans  le 
sacré  collège,  on  n'en  est  pas  moins  surpris  d'en- 
tendre publier  par  les  amis  de  M.  de  Cambrai,  qu'il 
maîtrise  Rome;  et  que  tant  de  gens  aiment  mieux 
le  croire  sur  ce  qu'on  veut  présumer  des  sentimens 
du  Roi,  que  le  Roi  lui-même,  qui  s'explique  si  clai- 
rement, et  avec  autant  de  respect  pour  le  saint 
Siège,  qu'aucun  Roi  ait  jamais  fait. 

Je  vous  envoie  une  douzaine  d'exemplaires  de  la 
Lettre  du  Théologien  avoué  par  M.  de  Chartres, 
qui  convainc  M.  de  Cambrai  d'avoir  altéré  mani- 
festement le  sens  du  concile  de  Trente ,  et  d'avoir 
varié  jusqu'au  point  de  changer  une  explication  qu'il 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  347 

avoit  donnée  sous  les  yeux  de  Dieu ,  comme  celle 
qu'il  avoit  eue  toujours  en  vue. 

Je  vous  envoie  aussi  ma  réponse  aux  propositions 
principales  de  M.  de  Cambrai,  avec  un  avertisse- 
ment sur  les  signatures  des  docteurs ,  que  ce  prélat 
m'attribue ,  quoiqu'il  soit  notoire  que  je  n'y  ai  au- 
cune part  :  mais  ce  prélat  m'a  toujours  imputé,  et 
veut  encore  continuer  à  m'imputer  tout  ce  qu'il 
lui  plaît. 

Après  cela,  il  n'y  a  plus  qu'à  prier  Dieu  qu'il  ins- 
pire au  vicaire  de  Jésus- Christ  une  décision  digne 
de  la  chaire  de  saint  Pierre,  et  à  mettre  sa  confiance 
en  Jésus-Christ ,  qui  ne  manquera  jamais  à  son 
Eglise  ,  quoiqu'on  tâche  de  jeter  Rome  dans  des 
adoucissemens,  je  l'ose  dire,  qui  mettroient  tout  en 
feu,  et  son  autorité  en  compromis. 

Je  vous  confirme  qu'on  remplit  tout  Paris  du 
bruit  du  nouveau  partage  de  la  congrégation.  Actuel- 
lement on  me  le  rapporte  de  tous  côtés.  Je  vous 
laisse  à  penser  ce  que  cela  donne  lieu  de  dire  sur  ce 
qui  nous  reste  à  faire,  si  Rome  ne  veut  pas  prendre 
un  bon  parti.  Ces  discours,  qu'on  ne  peut  empêcher, 
me  percent  le  cœur.  On  croit  ce  qui  vient  de  ce 
côté-là  ;  parce  qu'on  voit  M.  de  Cambrai  mieux 
averti  que  qui  que  ce  soit,  de  ce  qui  se  passe  à 
Rome.  Il  est  bien  certain  qu'on  lui  rend  compte  de 
tout,  et  il  est  vrai  que  nous  n'apprenons  la  plupart 
des  choses  que  par  les  bruits  que  répandent  ses 
partisans.  On  ne  sauroit  trop  tôt  faire  taire  une 
cabale  remuante  et  hardie,  mais  foible  au  fond, 
puisqu'elle  a  contre  elle  tout  l'épiscopat  et  tous  les 
docteurs,  appuyés  d'un  Roi  comme  le  noire,  qu'il 


^.|b  LETTRES 

semble  ici  h  tout  le  monde  qu'on  veut  amuser.  Je  ne 
dis  rien  davantage  ;  et  content  de  gémir  devant  Dieu 
du  pe'ril  de  la  chre'tienté,  j'en  reviens  à  la  confiance 
et  h  la  prière. 

Il  nous  avoit  toujours  semblé  que  M.  de  Cambrai 
recevroit  de  Rome  tout  le  bon  traitement  possible, 
si  en  excusant  sa  personne,  à  cause  de  la  soumission 
qu'il  a  témoignée ,  on  condamnoit  son  livre  selon 
ses  mérites  avec  la  doctrine  qu'il  contient;  c'est  ce 
qu'on  attend  ici,  et  l'on  n'y  peut  attendre  autre 
chose. 

A  Paris,  16  mars  1699. 


LETTRE  CCCCXL. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A-L'ABBÉ    BOSSUET. 
Sur  les  inconvénieus  du  projet  des  Canons. 

Vous  avez  très-bien  fait,  Monsieur,  de  nous 
avertir  si  promptement  du  nouveau  piège  qu'on 
vous  tend  à  Rome.  Lantivaux  a  fait  une  fort  grande 
diligence,  car  il  me  rendit  avant -hier  i4,  sur  les 
sept  heures  du  soir,  vos  lettres  du  6  et  du  7.  Nous 
n'avons  pas  perdu  de  temps  de  notre  côté,  car  je  fus 
dès  hier  coucher  à  Versailles,  et  ce  matin  j'ai  rendu 
compte  au  R.oi  de  tout  ce  que  vous  me  mandez.  Sa 
Majesté  a  compris  aisément  les  inconvéniens  de  ce 
beau  projet,  et  a  pris  sur-le-champ  le  parti  de  dé- 
pêcher un  courrier  extraordinaire ,  pour  porter  en- 
core une  lettre  de  Sa  Majesté  au  Pape,  et  des  ordres 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  349 

très-pressans,  et  durs  même,  au  cardinal  de  Bouillon. 
M.  de  Meaux  a  parlé  aussi  ce  malin  au  Roi ,  et  a 
vu  comme  moi  son  zèle  sur  cette  affaire.  Nous  vous 
écrivons  par  l'extraordinaire,  voyant  bien  qu'il  ne 
se  faut  pas  fier  à  l'ordinaire.  J'ai  fait  des  plaintes 
de  ce  qu'on  supprime  nos  paquets  ;  cela  n'est  pas 
permis. 

Rien  n'est  à  mon  avis  plus  mal  imaginé  que  le 
nouveau  projet  qu'on  propose  :  il  mettroit  un  nou- 
veau trouble  dans  l'Eglise,  au  lieu  de  lui  rendre  la 
paix;  car  chacun  raisonneroit  sur  ces  canons  sui- 
vant ses  préventions  et  son  intérêt.  L'auteur  pré- 
tendroit  y  trouver  la  justification  de  son  livre,  et 
les  mystiques  les  plus  outrés  se  croiroient  en  liberté 
de  soutenir  toutes  leurs  maximes.  Le  Roi  n'auroit 
pas  ce  qu'il  a  demandé,  et  qu  on  lui  a  promis  tant 
de  fois;  et  il  auroit  la  douleur  de  voir  augmenter 
le   mal   qu'il  a   voulu    guérir.   Il    presse ,    depuis 
près  de  deux  ans,  pour  avoir  une  décision  nette  et 
précise;  et  il  n'auroit  que  des  règles  générales,  qu'il 
est  toujours  aisé  d'éluder,  et  qui  n'attaqueroient  pas 
plus  le  livre  dont  est  question,  que  les  plus  anciens 
ouvrages  de  mysticité.  Je  trouve  d'ailleurs  que  ce 
parti  ne  convient  pas  mieux  pour  la  gloire  du  Pape 
et  l'honneur  du  saint  Siège  :   car  il  ne  peut  être 
honorable  qu  après  avoir  fait  un  examen  aussi  long 
et  aussi  solennel  d'un  livre  qui  peut  être  lu  en  trois 
heures,  il  paroisse  à  toute  l'Eglise  qu'on  n'ose  le 
juger.  Et  n'est-ce  pas  beaucoup  commettre  l'auto- 
rité, que  de  faire  des  canons  qui  ne  pourront  être 
reçus  qu'avec  beaucoup  de  peine  ^  et  seront  rejetés 
apparemment  en  plusieurs  endroits  ?  Les  magistrats 


35o  LETTRES 

pourront  même  s'y  opposer,  sous  prétexte  que  les 
formes  n'auront  pas  été  gardées  :  ainsi  en  toutes 
manières,  no^^issimus  error  pejor  erit  priore.  Vous 
ne  sauriez  par  conséquent  trop  combattre  ce  mau- 
vais parti  :  on  vous  envoie  des  forces  nouvelles  de 
ce  pays-ci  pour  vous  y  aider;  cest  pourquoi  j'espère 
que  vous  en  viendrez  à  bout  heureusement. 

Je  me  suis  toujours  attendu  en  mon  particulier  à 
tous  les  efforts  et  les  artifices  imaginables  de  la  part 
de  la  cabale  :  je  compte  qu'ils  dureront  et  augmen- 
teront même,  s'il  est  possible,  jusqu'à  la  fin  de  l'af- 
faire. Il  n'y  a  qu'un  jugement  définitif,  bien  clair  et 
bien  direct  contre  le  livre,  qui  puisse  les  arrêter 
entièrement  :  ne  cessez  donc  point  de  le  presser  ; 
nous  vous  aiderons  toujours  de  ce  côté-ci  de  notre 
mieux,  et  j'espère  que  Dieu  soutiendra  sa  cause. 

Vous  avez  fait  un  grand  coup,  d'avoir  remis  le 
cardinal  Gasanate  dans  la  députation  dont  on  l'avoit 
exclus  ;  cela  me  fait  espérer  que  ce  courrier  trouvera 
le  mal  réparé. 

M.  de  Meaux  vous  envoie  le  réponse  de  M.  de 
Chartres.  Le  courrier  va  partir,  ainsi  je  finis  au- 
jourd'hui 17,  et  je  suis  toujours,  Monsieur,  à  vous^ 
de  tout  mon  cœur. 

Il  faut  Vous  dire  encore,  que  le  retranchement 
qu'on  dit  que  j'ai  fait  aux  litanies,  est  entièrement 
faux,  il  n'y  a  pas  le  plus  petit  fondement  du  monde. 

16  Mars  1699. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  35 


MÉMOIRE 

ENVOYÉ  A  ROME  PAR  LE  ROI, 

Contre  le  -projet  des  Canons  qu'on  vouloît  substituer  à  la 
condamnation  du  livre  de  M.  de  Cambrai. 

Sa  Majesté  apprend  avec  étonnement  et  avec  dou- 
leur, qu'après  toutes  ses  instances,  et  après  tant  de 
promesses  de  Sa  Sainteté,  réitérées  par  son  nonce, 
de  couper  promptement  jusqu'à  la  racine,  par  une 
décision  précise ,  le  mal  que  fait  dans  tout  son 
royaume  le  livre  de  l'archevêque  de  Cambrai,  lors- 
que tout  sembloit  tei  miné ,  et  que  ce  livre  étoit  re- 
connu rempli  d'erreurs  par  tant  de  congrégations 
des  cardinaux,  et  par  le  Pape  lui-même,  les  par- 
tisans de  ce  livre  proposoient  un  nouveau  projet  qui 
tendoit  à  rendre  inutiles  toutes  les  délibérations,  et 
à  renouveler  toutes  les  disputes. 

Le  bruit  répandu  dans  Rome  de  ce  projet ,  le  fait 
consister  dans  un  certain  nombre  de  canons  qu'on 
donneroit  à  examiner  aux  cardinaux,  dans  lesquels 
l'on  établiroit  la  saine  doctiine  sur  la  spiritualité^ 
en  laissant  le  livre  en  son  entier. 

Cette  discussion,  plus  difficile  que  toutes  celles 
qui  ont  précédé  sur  la  censure  des  propositions,  ou 
se  feroit  précipitamment  et  sans  l'exactitude  re- 
quise dans  un  ouvrage  si  délicat,  ou  rejetteroit  cette 
affaire  dans  de  nouvelles  longueurs  dont  on  ne  sor- 
tiroit  jamais:  et  cependant  le  mal,  qui  demande  les 
remèdes  les  plus  efficaces  et  les  plus  prompts ,  iroit 


352  LETTRES 

toujours  en  augmentant,  comme  il  a  fait,  jusqu'à 
l'infini.  On  venoit  naître  tous  les  jours  de  nouvelles 
difîicultcs  et  de  nouveaux  incidens  par  les  subtiles 
interprétations  d'un  esprit  fécond  en  inventions  cap- 
tieuses, comme  il  paroît  par  tous  ses  écrits. 

Ainsi ,  loin  de  terminer  par  un  seul  coup  ,  en 
prononçau'  sur  le  livre  et  sur  sa  doctrine ,  comme  il  a 
été  tant  de  fois  promis,  les  disputes  qui  mettent  le 
feu  dans  son  royaume,  Sa  Majesté  les  verroit  croître 
sous  ses  yeux,  sans  que  le  Pape,  à  qui  il  a  eu  re- 
cours avec  une  révérence  et  confiance  filiale,  daignât 
y  apporter  le  remède. 

Ce  qui  étonne  le  plus,  c'est  qu'on  ait  ce  ména- 
gement pour  un  livi'e  reconnu  mauvais,  et  pour  un 
auteur  qui  voudroit  se  faire  craindre,  encore  qu'il 
ait  contre  lui  tous  les  évéques  du  royaume  et  la 
Sorbonne  ,  dont  deux  cent  cinquante  docteurs 
viennent  encore  d'expliquer  leurs  sentimens. 

Sa  Majesté  ne  peut  croire  que,  sous  un  pontificat 
comme  celui-ci,  on  tombe  dans  un  si  fâcheux  afFoi- 
blissement  ;  et  l'on  voit  bien  que  Sa  Majesté  ne 
pourra  recevoir  ni  autoriser  dans  son  royaume  que 
ce  qu  elle  a  demandé,  et  ce  qu'on  lui  a  promis,  sa- 
voir un  jugement  net  et  précis  sur  un  livre  qui  met 
son  royaume  en  combustion,  et  sur  une  doctrine 
qui  le  divise  :  toute  autre  décision  étant  inutile  pour 
finir  une  affaire  de  cette  importance,  et  qui  tient 
depuis  si  long-temps  toute  la  chrétienté  en  attente. 
Il  est  visible  que  ceux  qui  proposent  ce  nouveau 
projet,  à  la  fin  d'une  affaire  tant  examinée,  ne  songent 
pas  à  l'honneur  du  saint  Siège,  dont  ils  ne  craignent 
point  de  commettre  l'autorité  dans  un  abîme  de  diffi- 

/         cultes. 


SUR  l'affaire  du  qutétisme.  353 

cultes,  mais  seulement  à  sauver  un  livre  déjà  re- 
connu digne  de  censure. 

.  Il  seroit  trop  douloureux  à  Sa  Majesté  de  voir 
naître  parmi  ses  sujets  un  nouveau  schisme,  dans  le 
temps  qu'elle  s'applique  de  toutes  ses  forces  à  éteindre 
celui  de  Calvin.  Et  si  elle  voit  prolonger  par  des  raé- 
nagemens  qu'on  ne  comprend  pas,  une  affaire  qui 
paroissoit  être  à  sa  fin,  elle  saura  ce  qu'elle  aura  à 
faire,  et  prendra  des  résolutions  convenables;  espé- 
rant toujours  néanmoins  que  Sa  Sainteté  ne  voudra 
pas  la  réduire  à  de  si  fâcheuses  extrémités. 


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EPISTOLA  CCCCXLI. 

D.  FRANClSCrCAMPIONI, 

AD  EPISCOPUM  MELDÉNSEM. 

De  ejus  pro  fide  strenuis  laboribus,  et  de  Sedis  apostolicae  judicio 
Praelati  doctrinam  confirmante. 

Quos  Cyrillo ,  aliisque  christianis  heroibus   ab 

errorum  strage  revertentibus ,  olim  plausus  occi- 

nuit  Ecclesiae,  necesse  esset  in  unam  hanc  meam 

epistolam  congerere,  ut  vobiscum,  Praesul  amplis* 

sime,  gratularer  pro  exantlatis  ad  biennium  liic  in 

Urbe  laboribus,  quo  exscindet'entur  aliéna  prorsuS 

à  verâ  charitate  dogmata  in  Mysticam  invecta.  Re- 

scripta  prodierunt  ab  apostolicâ  Sede,  contra  quam 

praevalere  nunquam  poterunt  portae  inferi.  Impiuni 

est,  iniquum  est  quod  illa  rejicit  :  pium  est,  sanc- 

tum  est  quod  ilia  suscipit.  Omnem  porrô  pietatem, 

omnemque  sanctitatem  debebit  Ecclesia  per  onine 

BOSSUET.   XLII.  33 


354  LETTRES 

sœculum  vestrse  illustrissimae  Dominationi.  Vestrum 
est,  quod  deinceps  Mystica  erit  non  araplitis  para- 
logia,  sed  tlieologia  :  vestrum  est,  quod  tuti  in  pos- 
terum  figent  pedem  ascetae  :  vestrum  est,  si  non  ul- 
tra se  separabunt  à  Deo,  qui,  quia  credebant  magls 
uniri  Deo  ,  arcebant  se  à  consecutione  Dei ,  sive 
aeternâ  per  indifFerentiam  ad  beatitudinem,  sive  tem- 
porali  per  indifFerentiam  ad  virtutes,  quae  sunt  unica 
via  ad  beatitudinem. 

Quod  theologi  et  philosopbi  morales  iraperfectam 
constanter  asserant  amicitiam  utilem,  credebatur, 
ut  perfecta  esset  amicitia  hominis  ad  Deum,  exclu- 
dendam  fore  omnem  utilitatem,  etiam  quae  est  ho- 
nestas  ipsa  :  volais  doctrinâ  prœeuntibus,  Ecclesia 
Romana,  mater  et  magistra  omnium  Ecclesiarum^ 
sua  auctoritate  declaravit  non  esse  perfectiorem 
amicitiam,  quàm  si  Deus  ametur  uti  perpétué  pos- 
sidendus. 

Sanè  amoris  est,  quô  vehementior  est,  vehemen- 
tiùs  desiderare  prœsentiam  amati,  eoquefrui,  et  in 
eo  quiescere.  Dicatur  imperfecta  charitas,  ubi  liomo 
ex  desiderio  remunerationis  aeternœ,  quod  est  aclus 
S3cundarius  diaritatis,  movetur  ad  amandum  pro- 
pter  se  Deum,  qui  est  actus  priraarius;  ubi  tamen 
intentio  actûs  primarii  intendit  secundarium,  per- 
fectio  secundarii  tune  ostendit  perfectionem  prima- 
rii. In  omni  statu  vel  naturœ,  vel  gratia?,  quo  plus 
potest  forma  in  actum  primarium ,  plus  etiam  posse 
débet  in  secundarium.  Cùm  haec  indita  sint  naturis 
rerum ,  ignorabantur  tamen  vel  sub  ipso  lumine 
gratiae.  Porro  vestrum  est,  quod  hœc  veluti  lucerna 
fulgoris  illuminet  totura  corpus  Ecclesise  :  vestrum,' 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  355 

quia  vos  islic  in  Galliis,  hic  in  Urbe  curastis  aceendi 
lucernam  et  poni  super  candelabrum,  ut  luceret 
omnibus  qui  in  domo  sunt.  Fuistis  enim  et  lilc  in 
Urbe  per  vestri  omnino  similem  illustrissimum  ne- 
potem,  cujus  attentioni,  zelo,  vigilanliae  etdoctrinae 
post  vos  acceptara  Ecclesia  referet  omnem  lucem, 
quam  ab  apostolico  candeîabro  in  totam  Ecclesiam 
suâ  constitutione  sanctissimà  diiJ'udit  Pétri  successor 
Innocentius  XII,  féliciter  regnans. 

Vobis  igitur  de  tantis  in  Ecclesiam  meritis  gra- 
tulor  ;  et  spero,  quam  verœ  charitatis  notionem  apo- 
stolicâ  curastis  auctoritate  firmari,  confirmandam 
quamprimùm  vestri  de  Statibus  Orationis  libri,  à 
me  in  italicum  translati  elucubratione,  quam  pro 
suâ  prudentiâ  ante  totius  causas  terminationem  cen- 
sebat  reverendissimus  Pater  sacri  apostolici  Palatii 
magister,  non  conferre  ut  evulgaretur.  Si  tan  ta  porro 
vobis  est  seges  exultationis  et  laetitiœ  ob  rem  chris- 
tianam  viriliter  assertam ,  colligere  possim  ego  spi* 
cam  gaudii ,  quod  summum  mihi  erit  si  semper 
agnoscar  humillimus,  etc. 

Romae,  17  Mardi  1699. 


LETTRE  CCCCXLII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  les  difficultés  qu  il  a  fallu  surmoHter  pour  obtenir  le  jugement 
rendu,  et  les  circonsiances  qui  l'ont  accompagné  et  suivi. 

Plus  j'approfondis  tout  ce  qui  s'est  passé,  plus  je 
reconnois  manifestement  le  doigt  de  Dieu  dans  la 


356  LETTRES 

décision  de  TafTaire  de  M.  de  Cambrai.  Car  d'abord 
je  puis  dire,  sans  blesser  la  vérité,  que  le  cardinal 
de  Bouillon  s'étoit  fait  de  cette  affaire  son  affaire 
propre,  ou,  pour  mieux  dire,  qu  il  n'en  avoit  point 
d'autre  depuis  la  grâce  de  la  coadjutorerie  (*)  obte- 
nue 5  et  qu'il  a  employé ,  sans  ménagement  et  sans 
retenue,  en  faveur  de  M.  de  Cambrai  tout  le  crédit, 
toute  l'autorité  que  lui  donnent  ici  sa  qualité  de 
sous-doyen  du  sacré  Collège,  son  titre  de  cardinal 
du  saint  Office,  et  son  caractère  de  ministre  d'un  si 
grand  Roi.  Mais  quoiqu'un  pareil  adversaire ,  si 
puissant  et  si  animé,  fût  déjà  plus  que  suffisant  pour 
mettre  de  terribles  obstacles  à  une  heureuse  conclu- 
sion, on  avoit  encore  à  se  défendre  des  intrigues 
d'autres  protecteurs  non  moins  redoutables.  En 
elîet,  jamais  le  corps  des  Jésuites  n'a  paru  plus  uni 
avec  son  général  qu'en  cette  occasion,  ni  plus  ouver- 
tement déclaré  contre  les  évêques  de  France,  ni 
plus  ardent  à  soutenir  un  parti,  qu'il  l'a  été  à  servir 
celui  de  M.  de  Cambrai,  et  à  protéger  sa  doctrine. 
Mais  qui  peut  dire  combien  d'appuis  ils  ont  su  se 
procurer  pour  fortifier  leur  cabale?  Outre  les  cinq 
qualificateurs ,  gagnés  par  les  amis  de  M.  de  Cam- 
brai, qui  entrain  oient  avec  eux  une  infinité  de  dis- 
ciples et  de  partisans  qu'ils  trouvoient  dans  la  pré- 
lature  et  le  sacré  Collège  :  outre  nombre  de  ceux  qui 
approchent  de  plus  près  la  personne  du  Pape,  et  en 
qui  Sa  Sainteté  a  le  plus  de  confiance ,  qui  étoient 
vendus  au  cardinal  de  Bouillon  et  aux  Jésuites,  et 
par  eux  à  M.  de  Cambrai  ;  Dieu  avoit  permis  que  le 

(*^  La  coadjutorerie  de  l'abbaye  de  Cluni  dont  il  étoit  abbé ,  qu'il 
avoit  obtenue  pour  son  neveu. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  SS-J 

Pape  même,  maigre  tout  ce  qui  venoit  de  la  part  du 
Roi  et  du  nonce,  malgré  ses  bonnes  intentions,  fût 
tellement  prévenu  et  contre  les  évêques,  et  en  fa- 
veur de  M.  de  Cambrai ,  que  j'ose  dire  que  c'est  un 
miracle  qu'on  Tait  pu  résoudre  à  ce  qu'il  a  fait. 

Cette  prévention  terrible  du  Pape ,  ne  m'a  paru 
clairement,  je  l'avoue,  que  dans  les  derniers  temps  : 
mais  j'ai  reconnu  très-certainement  que  c'étoit  le 
fondement  des  espérances  du  cardinal  de  Bouillon 
et  de  M.  de  Cambrai,  et  que  l'instrument  dont  il 
s'étoit  servi  pour  lui  concilier  le  Pape,  étoit  le  car- 
dinal Albani ,  avec  lequel  celte  Eminence  avoit 
formé  une  union  très- étroite  à  son  arrivée,  qui  s'en- 
tretenoit  par  l'entremise  de  Zeccadoro  qui  a  tou- 
jours eu  le  secret  de  l'un  et  de  l'autre.  Fabroni, 
l'intime  ami  du  cardinal  Albani ,  et  à  qui  le  Pape  se 
fie  beaucoup,  confirmoit  le  soir  le  saint  Père  dans 
les  sentimens  qu' Albani  lui  insinuoit  le  matin.  Il  n'a 
pas  fallu  moins  que  les  coups  de  foudre  qui  sont 
venus  de  France,  pour  réveiller  quelqjiefois  le  Pape, 
qui,  au  bout  de  quelques  jours,  retomboit  dans  ses 
premières  préventions  et  dans  la  résolution  fixe  de 
sauver  la  réputation  de  M.  de  Cambrai  avec  sa  per- 
sonne ,  et  de  l'épargner  en  tout.  Cela  n'a  paru  que 
trop  visiblement  les  trois  dernières  semaines.  Je  vous 
ai  mandé  les  faits,  et  à  M.  de  Paris.  Tout  ce  que  je 
vous  ai  marqué  est  la  vérité  même ,  et  je  ne  vous  ai 
pas  encore  tout  dit.  Car  j'ai  su  depuis ,  par  la  bouche 
de  quatre  cardinaux,  qui  ont  voulu  s'excuser  au- 
près de  moi  de  n'avoir  pas  mis  la  qualification  d'hé- 
rétique, et  qui  me  l'ont  assuré,  que  le  Pape  leur 
avoit  fait  dire  qu'il  ne  vouloit  pas  qu'on  l'ajoutât , 


358  LETTRES 

et  qu'il  ne  la  passeroit  jamais.  Les  cardinaux  Casa- 
nate,  Màrescotli,  Carpegna  et  Noris  m'ont  déclaré 
ce  fait;  et  avant-Hier,  le  dernier  me  rapporta  que  le 
Pape  le  lui  avoit  envoyé  dire ,  et  le  lui  avoit  dit  à 
lui-même,  aussi  bien  qu'aux  cardinaux  Albani  et 
Ferrari.  Il  est  difficile  de  porter  plus  loin  les  ména- 
gemens.  Sans  cela  et  malgré  toute  la  cabale,  M.  de 
Cambrai  auroit  été  condamné  aussi  fortement  que 
Molinos,  et  avec  d'autant  plus  de  justice,  comme 
me  l'ont  dit  les  cardinaux  ci-dessus  nommés,  que  sa 
doctrine  étant  la  même  dans  le  fond,  elle  n'en  étoit 
que  plus  pernicieuse  pour  être  déguisée  et  masquée  ; 
et  lui  que  plus  inexcusable,  d'avoir  soutenu  avec 
tant  d'artifice  et  d'opiniâtreté,  de  semblables  erreurs, 
après  la  condamnation  de  Molinos.  Mais  de  plus, 
quand  le  reste  de  sa  doctrine  n'auroit  pas  mérité 
d'être  traité  d'hérétique,  la  proposition  de  l'invo- 
lontaire en  Jésus-Christ,  étant  reconnue  comme 
appartenant  réellement  à  son  livre ,  et  la  congré- 
gation ayant  jugé  ses  défenses  à  cet  égard  frivoles 
et  inadmissibles,  on  ne  pouvoit  se  dispenser  de 
joindre  aux  autres  qualifications  celle  d'hérétique. 
Le  Pape  lui-même,  quand  on  lui  en  parle,  ne  sait, 
pour  toute  excuse ,  que  répondre  que  la  Sorbonne 
ne  l'a  pas  employée.  C'est  une  défaite  du  cardinal 
Albani ,  qui  a  trouvé  moyen  de  la  faire  goûter  au 
Pape.  Les  autres  cardinaux  croyoient  au  contraire 
que  c'étoit  précisément  pour  cette  raison  qu'il  fal- 
loit  que  le  saint  Siège  apposât  cette  qualification. 
Mais,  en  un  mot,  le  Pape  a  voulu  qu'on  prît  le 
parti  le  plus  doux  ;  et  les  amis  de  la  vérité,  qui 
voy oient  tout  à  craindre  des  préventions  du  saint 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  359 

Père  et  des  artifices  de  la  cabale ,  se  sont  relâchés 
sur   cet  article,  pour  ne   pas   hasarder  Tessentiel 
qu'ils  avoient  emporté.  Il  faut  avouer  que  l'essentiel 
se   trouve  dans  le  décret,  et   que  quoique  M.   de 
Cambrai  y  soit  traité  avec  beaucoup  de  ménage- 
ment, néanmoins  la  condamnation  de  ses  erreurs  y 
est  formelle  et  décisive  :  les  principales  propositions 
sont  exprimées  clairement  et  flétries  ;  le  système  est 
renversé  de  fond  en  comble;  l'amour  pur  y  est  nommé 
et  proscrit.  Quoiqu'on  n'ait  pas  parlé  des  explica- 
tions de  l'auteur  et  des  livres  qu'il  a  faits  pour  sa 
défense ,  de  peur  de  donner  prétexte  à  quelque  nou- 
veau retardement,   en  occasionnant  d'autres  chi- 
canes ,   la  clause  swe  in  sensu  ob^^io  ^  swe  attenta 
connexione  sententiarum ,    qui  est  prise ,    comme 
vous  voyez ,  de  la  bulle  contre  Eckard ,   renverse 
toutes  les  explications,  prévient  tous  les  faux-fuyans, 
et  met  à  couvert  les  expressions  des  bons  mystiques , 
sans  approuver  leurs  exagérations.  M.  de  Cambrai 
ne  peut  plus  dire  qu'on  n'a  eu  attention  qu'à  son 
livre,  sans  rapport  aux  explications.  En  effet,  il  est 
certain  qu'on  les  a  toutes  examinées  à  fond ,  qu'on 
a  reçu   toutes  les  défenses  qu'il  a  voulu   donner , 
qu'on  les  lui  a  même  demandées,  et   qu'elles  ont 
servi  de  prétexte  pour  différer  l'examen  dans  les 
commencemens;   que  c'est  sur  le  fondement  de  ses 
explications,  que  l'on  a  inventé  tant  de  chicanes  en 
sa  faveur  pour  sauver  sa  doctrine  r  cependant  malgré 
tout   cela  l'on   condamne  ses    propositions ,    non- 
seulement  in  sensu  ohvio  ;  mais  encore  par  rapport 
à  ce  qui  précède  et  ce  qui  suit,  par  rapport  à  tout 
le  système  qui  étoit  la  seule  échappatoire  de  M.  de 


36o  LETTRES 

Cambrai ,  comme  on  le  voit  dans  toutes  ses  dé- 
fenses. 

Ainsi  on  juge  que  ses  explications  ne  sont  pas 
recevables,  ne  convenant  pas  au  texte  de  son  livre. 
A  la  ve'rité  on  ne  déclare  pas  qu'elles  soient  mau- 
vaises en  elles-mêmes,  parce  qu'on  n'est  pas  inter- 
rogé juridiquement  là-dessus  ;  mais  on  témoigne 
assez  qu  elles  sont  inadmissibles  par  rapport  au  livre  : 
c'est  une  conséquence  nécessaire  qu'on  tire  de  la 
condamnation  de  la  doctrine  in  sensu  obvio  et  at^ 
tenlâj,  etc.  De  plus  Y  interesse  propriwn  exprimé  dans 
les  propositions  condamnées,  marque  clairement 
qu'on  a  rejeté  sa  prétendue  ejçpliçation  et  de  l'amour 
pur  et  de  la  mercénarité  ;  et  toutes  les  défenses  de 
l'auteur  tombent  par  là,  J'avoue  que  c'est  ce  qui 
m'a  paru  de  mieux  dans  cette  constitution  ;  car 
cela  va  au-devant  de  l'abus  qu'on  voudroit  faire  des 
mystiques,  et  prévient  toutes  les  chicanes  de  M.  de 
Cambrai. 

On  pourra,  quand  on  voudra,  passer  sans  un 
jiouvel  examen  à  la  prohibition  de  toutes  ses  dé- 
fenses. Je  vous  dirai  les  démarches  que  j'ai  déjà 
faites  là-dessus  ;  mais  il  faut  avoir  patience  :  on  ne 
peut  guère  se  dispenser  de  prononcer  cette  prohi- 
bition ,  après  avoir  frappé  le  premier  coup  qui  doit 
entraîner  le  second, 

3e  ne  croyois  pas  avoir  le  temps  de  faire  dans 
cette  lettre  des  réflexions  sur  les  propositions  en 
particulier,  Vous  remarquerez  bien  qu'il  y  en  a 
quelques-unes  d'oubliées  ;  et  c'est  une  entreprise 
des  députés ,  avant  que  le  cardinal  Casanate  leur 
fi^t  uni,  Je  dois  vous  dire  franchement  qu'ils  avoient 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  36i 

tout  gâté  :  ils  marquoient  qu'on  n'avoit  ni  examiné 
ni  improuvé  les  explications  de  l'auteur  :  non  exa- 
minatis  nec  improbatis  explicationibus .  C'étoit  sur 
quoi  insistoit  fortement  le  cardinal  Albani,  con- 
formément à  son  vœu  et  à  celui  du  cardinal  de 
Bouillon ,  pour  donner  lieu  par^là  à  la  distinction 
des  sens.  On  ne  nommoit  pas  M.  de  Cambrai  ;  il 
paroissoit  qu'on  avoit  peur  de  lui.  Sur  sa  proposi- 
tion de  l'involontaire ,  ou  on  la  retranchoit ,  ou  on 
mettoit  par  apostille    quam    auctor    non   agnoscit 
suam  ;   en  un  mot,  on  énervoit  tout.  On  avoit  en- 
core retranché  quelques  propositions  sur  le  propre 
effort,  sur  la  contemplation,   etc.   Cela  étoit  déjà 
envoyé  per  manus  à  MM.   les   cardinaux,   dès  le 
vendredi  au  soir  27  février,  sans  la  participation 
du  cardinal  Casanate  qui  n'avoit  pas  été  appelé.  Le 
samedi,  le  Pape  croyant  la  chose  faite,   ordonna 
une  congrégation   chez    le  cardinal  Casanate    par 
complaisance,  et  ce  fut  dans  cette  congrégation  que 
tout  fut  rétabli;  au  moins  le  cardinal  Albani  céda 
sur  une  partie ,   et  sur  le  reste  on  convint  de  s'en 
rapporter  à  la  congrégation,  laquelle  le  mardi  d'a- 
près confirma  ce  que  le  cardinal  Casanate  avoit  ré- 
tabli. On  ne  voulut  pas  trop  insister  sur  les  propo- 
sitions  retranchées,   premièrement   parce  que  les 
trois  premiers  députés  insistèrent  et  firent  des  chi- 
canes :  en  second  lieu ,  parce  qu'elles  sont  virtuelle- 
ment renfermées  dans   celles  qu'on  a  laissées ,    et 
qu'à  la  fm  on  fit  ajouter  sans  approbation  des  autres 
non  exprimées  ;  ce  qui  autorise   à  rejeter  notam- 
ment les  propositions  que  les  évêques  ont  réprouvées, 
et  que  les  cardinaux  n'ont  pas  qualifiées ,  n'étant  pas 


3()2  LETTRES 

flans  le  nombre  des  trente-huit ,  et  paroissant  comme 
étrangères  au  système. 

La  qualification  à'hœresi  proxima  a  e'té  encore 
épargnée  par  expresse  volonté  du  Pape.  Le  cardinal 
Albani  qui  tortille  toujours,  a  mis  ces  paroles  am- 
biguës :  ex  cujus  lectione  et  usu ,  fidèles  sensim  in 
errores  ah  Ecclesiâ  jamdamnatos  INDVCI POSSENT. 
On  vouloit  qu'il  mît  que  les  propositions  inducunt 
in  errores;  mais  lui,  ne  cherchant  qu'à  affbiblir  le 
décret,  l'a  fait  tomber  sur  la  lecture  et  l'usage  du 
livre,  et  a  encore  mis  sensim  et  induci  passent _,  tous 
termes  qui  énervent  la  censure.  Il  a  fallu   cepen- 
dant lui  passer  ces  altérations,  pour  obtenir  l'essen- 
tiel ;  tant  il  est  fâcheux  que  le  cardinal  Casanate 
n'ait  pas  été  chargé,  comme  il  convenoit,  de  la  ré- 
daction. On  auroit  vu  de  quelle  manière  cette  cons- 
titution auroit  été  dressée;  le  cardinal  m'en  avoit 
dit  le  projet.  Il  auroit  commencé,  sans  faire  men- 
tion du  Roi  ni  des  évêques,  puisqu'on  ne  le  vouloit 
pas,  à  parler  des  maux  que  la  pernicieuse  doctrine 
du  Quiétisme  avoit  causés  dans  le  monde,  et  seroit 
venu  de  là  au  soulèvement  occasionné  par  le  livre 
de  M.  de  Cambrai  :  il  auroit  ensuite  rapporté  les 
propositions  répréhensibles,  auxquelles  il  eût  donné 
ou  les  qualifications  particulières,  ce  qui  étoit  diffi- 
cile dans  les  circonstances  présentes  ,  ou   bien  il 
auroit  réuni  les  difiérentes  qualifications  avec  le  res- 
pective,  et  défendu  du  même  trait  les  livres  faits 
en  conséquence.  Peut-être  auroit-il  pris  de  là  occa- 
sion de  faire  une  admonition,  dans  le  goût  de  celle 
que  vous  m'envoyâtes  sur  la  lecture  des  mystiques. 
Ce  n'est  pas  là  le  plan  que  les  premiers  rédacteurs 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISMl?.  363 

ont  suivi,  et  parmi  les  points  qu'ils  ont  conserve's, 
on  en  trouve  plusieurs  qui  sont  hors  de  Tordre,  et 
traite's  bien  inincement,  parce  qu'ils  ne  chcrchoient 
qu'à  dénaturer  la  censure. 

Mais  ce  qui  marque  le  plus  les  mauvaises  inten- 
tions de  la  cabale  et  son  industrie,  c'est  l'adresse 
qu'elle  a  eue  de  faire  commuer  cette  constitution  en 
un  bref,  au  lieu  de  la  bulle  que  le  Roi  avoit  de- 
mandée expressément,  et  donné  ordre  à  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  de  solliciter.  C'étoit  aussi  dans 
cette  forme  que  le  nonce  avoit  promis  à  Sa  Majesté 
de  la  part  du  Pape,  que  se  feroit  la  décision;  et  Sa 
Sainteté  m'en  avoit  assuré  vingt  fois.  Le  fait  est 
si  certain,  que  le  Pape  s'est  imaginé  avoir  donné 
une  bulle.  Et  pour  éviter  à  cet  égard  les  méprises , 
j'en  avois  parlé  souvent  au  cardinal  Alljani,  et  il  n'y 
a  pas  encore  dix  jours  que  je  lui  ai  rappelé  cet  objet. 
Mais  on  voit  bien  à  présent  les  raisons  qui  ont  dé- 
terminé à  suivre  un  autre  plan.  Pour  l'exécuter, 
on  a  toujours  fait  entendre  au  Pape  que  ce  seroit 
faire  un  affront  au  cardinal  Albani ,  que  de  ne  le  pas 
charger  de  rédiger  le  décret  ;  quoique  si  l'on  avoit 
dessein  de  donner  une  bulle ,  le  soin  de  la  dresser 
n'appartenoit  point  de  droit  au  cardinal  Albani, 
qui  par  sa  place  n'est  secrétaire  que  des  brefs.  Mais 
on  avoit  besoin  de  son  ministère,  pour  dénaturer 
le  fond  et  la  forme  du  décret.  Si  l'on  eût  fait  aper- 
cevoir au  Pape  la  différence  qu'il  y  avoit  entre  une 
bulle  et  un  bref,  et  si ,  convaincu  que  la  constitu- 
tion n'étoit  pas  nécessairement  du  ressort  du  car- 
dinal Albani,  il  l'eût  confiée  à  un  autre,  certaine- 
ment ses  bonnes  intentions  n'eussent  pas  été  frustrées, 


ob4  LETTRES 

et  nous  n'eusrions  pas  eu  autant  sujet  de  nous  re~ 
crier.  Le  motif  qui  a  porté  les  partisans  de  M.  de 
Cambrai  à  de'sirer  un  bref  plutôt  qu'une  bulle , 
n'est  pas  difficile  à  deviner.  lis  ne  sont  pas  fâciie's 
qu'on  trouve  en  France  quelque  difficulté  à  auto- 
riser cette  pièce ,  et  ils  n'ont  rien  négligé  pour 
qu'elle  fût  le  moins  authentique  qu'il  seroit  pos- 
sible. Peut-être  encore  y  entendent  -  ils  quelque 
autre  finesse  que  le  temps  découvrira.  Ce  qui  paroît 
certain,  c'est  que  cela  a  été  machiné;  et  je  ne  vois 
pas  comment.  M  r;  cardinal  de  Bouillon  peut  s'ex- 
cuser d'avoir  laii  "  mettre  le  motii  proprio ,  qui  est 
essentiel  à  la  nature  des  brefs,  et  qui  ne  manquera 
pas  assurément  de  causer  de  l'embarras  dans  la  ré- 
ception. 

Le  Roi  et  les  évêques  savent  ce  qu'ils  ont  à  faire 
en  pareil  cas.  S'il  m'est  permis  de  dire  ce  que  je 
pense,  il  me  paroît  qu'on  peut  prendre  deux  partis. 
Ou  l'on  s'en  tiendra  à  ce  bref,  et  on  ne  demandera 
ici  rien  de  plus  ;  ou  bien  on  croira  nécessaire  de  re- 
nouveler les  instances  pour  faire  changer  le  bref  en 
bulle. 

Si  Ton  prend  ce  dernier  parti,  je  puis  déjà  vous 
dire  que  je  vois  ici  les  principaux  cardinaux  disposés 
à  donner  satisfaction  là-dessus  au  Roi  et  aux  évê- 
ques. J'ai  cru  qu'il  étoit  à  propos  de  prévenir  à  ce 
sujet  les  cardinaux  Spada,  Casanate,  Noris  et  même 
le  cardinal  Albani.  Je  leur  ai  représenté  doucement 
les  difficultés,  l'étonnement  oU  \e  Roi  seroit  peut- 
être,  de  ne  voir  qu'un  bref  motu  proprio  ^  quand  il 
attendoit  une  bulle  en  forme.  Ils  ont  fort  bien  com- 
pris mes  raisons ,  m'ont  répondu  que  la  moindre 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  365 

parole  qu'eût  dite  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  on 
auroit  accordé  sans  difficulté  sa  demande.  Tout  ce 
que  je  leur  ai  observé,  leur  a  paru  nouveau,  excepté 
au  cardinal  Albani ,  à  qui  j'avois  expliqué  la  chose 
plusieurs  fois  ;  et  tous  sont  convenus  qu'aux  pre- 
mières réquisitions  du  Roi,  le  Pape  se  rendra  à  ses 
désirs,  et  qu'on  pourra  adresser  la  bulle,  pour  les 
besoins  particuliers  de  la  France,  ad  Episcopos 
Galliœ  j  avec  quelque  préambule  ;  ou  bien  qu'on 
mettra  tout  simplement  :  Innocenîius ,  servus  ser- 
porum  Dei,  et  qu'on  ôtera  l'e?.  pression  motu  pvo- 
prio.  .     ^ 

J'ai  déjà  proposé  au  cardinal  Albani  pour  modèle 
d'une  bulle  telle  quil  la  faudroit,  la  bulle  de  Be- 
noît XII  sur  la  matière  de  la  vision  de  Dieu,  qui 
renferme  nettement  la  clause  ex  consilio  fralrum 
Cardinalium.  Il  me  paroi t  qu'on  ne  fait  aucune  dif- 
ficulté d'exécuter  ce  projet. 

J'ai  cru  devoir,  sans  assurer  qu'on  fut  content  on 
non  en  France  de  la  forme  du  bref,  remontrer  les 
obstacles,  afin  qu'on  ne  fût  pas  étonné  de  ce  qu'on 
pourroit  écrire  à  ce  sujet,  et  pour  pouvoir  vous  dire 
par  avance  les  dispositions  de   cette  Cour  et  des 
cardinaux  sur  ce  point.   En  vérité  c'est  une  belle 
malice  au  cardinal  de  Bouillon  et  au  cardinal  Al- 
bani, d'avoir  ainsi  dénaturé  les  choses.  Pour  moi  je 
ne  l'ai  pu  empêcher,  à  cause  de  la  précipitation  plus 
qu'étonnante  avec  laquelle  ce  bref  a  passé  per  ma- 
nus;  les  cardinaux  ne  l'ayant  pas  eu  à  la  lettre  une 
demi-heure  avant  la  congrégation  ;  et  tout  ce  que 
j'ai  pu  faire,  a  été  d'avertir  de  tout  le  cardinal  Al- 
bani et  le  cardinal  Casanate,  qui  a  empêché  qu'on  ne 


366  LETTRES 

parlât  dans  le  bref  de  l'Inq^iisition  qui  étoit  nom- 
mée; ce  qu'il  fit  ôter  lorsque  le  cardinal  de  Bouillon 
fut  parti ,  comme  me  Ta  dit  encore  ce  matin  le  car- 
dinal Albani. 

-  Suppose'  que  Ton  juge  à  propos  de  s'en  tenir  à  ce 
bref,  ce  que  je  ne  crois  pas,  pouvant  avoir  une 
bulle,  je  suis  assuré  que  les  évêques  ne  feront  rien 
de  préjudiciable  aux  coutumes  du  royaume,  et  que, 
sans  se  départir  du  respect  dû  au  saint  Siège,  ils  se 
conduiront  avec  la  dignité  convenable  à  leur  ca- 
ractère ;  en  sorte  qu'on  n'ait  pas  à  leur  reproclier  de 
la  foiblesse  et  une  trop  grande  condescendance  pour 
cette  Cour,  qui  ne  cherche  en  tout  que  ses  avan- 
tages, et  qu'à  profiter  des  occasions  d'établir  son 
autorité  prétendue.  Je  ne  doute  pas  que  les  évêques 
ne  se  montrent  véritablement  évêques,  en  soutenant 
leur  autorité,  qui  les  rend  ici  respectables. 

Il  est  temps  de  vous  rendre  compte  de  l'audience 
que  j'eus  de  Sa  Sainteté  le  lendemain  que  je  vous 
écrivis;  ce  fut  samedi,  1 4  de  ce  mois. 

On  ne  pouvoit  me  recevoir  avec  plus  de  bonté 
que  le  Pape  la  fait.  Il  commença  par  me  dire  :  Eh 
bien!  vous  aviez  peur  que  nous  ne  fissions  pas  bien; 
mais  je  crois  que  vous  êtes  content.  Sur  quoi  je  lui 
fis  voir  que  ce  n'étoit  pas  sans  fondement  que  je 
craignois  :  je  pris  occasion  de  là,  de  lui  parler  de  la 
furieuse  cabale  qui  l'environnoit,  et  je  ne  manquai 
pas  de  lui  attribuer  tout  le  bon  succès  de  cette  af- 
faire. Je  tâchai  de  lui  insinuer  les  réflexions  conve- 
nables sur  les  surprises  qu'on  avoit  voulu  lui  faire, 
et  de  le  porter  à  convenir  qu'on  ne  l'avoit  jamais 
tant  tourmenté.  Il  m'avoua  bonnement  qu'il  ne  s'é- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  367 

toit  jamais  trouvé  en  de  pareilles  angoisses  :  Questi 
mistici ,  questi  mistici  mi  dicevano  che  non  si  poteva 
condannare  le  proposizioni  delV  Arci^esco^o,  senza 
condannare  sanla  Teresa.  Ces  mystiques  ne  ces- 
soient  de  me  re'peter  qu'on  ne  pouvoit  condamner 
les  propositions  de  cet  archevêque,  sans  condamner 
aussi  sainte  Thérèse,  etc.  Là -dessus,  je  pris  la  li- 
berté de  lui  demander  quels  étoient  ceux  qui  ser- 
voient  mieux  l'Eglise,  et  qui  faisoient  plus  d'hon- 
neur aux  Saints,  ou  ceux  qui  confondoient  sainte 
Thérèse  et  sa  doctrine  avec  celle  de  M.  de  Cambrai, 
et  qui  disoient  qu'on  ne  pouvoit  condamner  l'une 
sans  l'autre  ;  ou  bien  les  évêques,  et  vous  en  parti- 
culier, qui  souteniez  que  la  doctrine  des  saints  mys- 
tiques étoit  toute  opposée  aux  pernicieux  systèmes 
de  M.  de  Cambrai.  Il  me  répondit  que  j'avois  rai- 
son. Après  plusieurs  réflexions  pareilles,  il  me  de- 
manda si  je  croyois  que  M.  de  Cambrai  se  soumît. 
Je  lui  répondis  que  je  n'en  doutois  pas  un  seul  mo- 
ment, non-seulement  à  cause  des  protestations  qu'il 
a  faites,  mais  encore  parce  qu'il  n'y  avoit  plus  rien 
à  espérer  pour  lui  que  par  cette  voie.  Là- dessus  il 
me  dit  que  le  Roi  l'obligeroit  bien  de  faire  ce  qu'il 
falloit.  Sa  Sainteté  ajouta  qu'elle  ne  doutoit  pas 
que  les  évêques  n'agissent  avec  douceur  à  l'égard  de 
M.  de  Cambrai.  Je  lui  répondis  qu'il  me  paroissoit 
que  la  première  chose  qu'on  devoit  faire,  étoit  d'at- 
tendre ce  que  M.  de  Cambrai  feroit  ;  et  qu'au  cas 
qu'il  reconnût  avec  une  soumission  sincère  ses  er- 
reurs, et  satisfit  l'Eglise,  je  pouvois  répondre  non- 
seulement  de  la  douceur  des  évêques,  mais  encore 
de  leur  véritable  joie  et  de  celle  de  tout  le  clergé  ; 


368  LETTRES 

que  vous  en  particulier,  vous  lui  ouvririez  des  en- 
trailles de  père,  que  vous  aviez  toujours  eues  pour 
lui  ;  que  vous  n'en  aviez  jamais  voulu  qu'à  Terreur, 
et  n'étiez  entré  dans  les  détails  sur  les  faits,  qu'y 
étant  forcé  pour  vous  justifier  et  faire  connoître  la 
vérité.  Quoique  le  Pape  me  parût  assez  tranquille, 
je  ne  laissai  pas  de  remarquer  qu'on  lui  avoit  fait 
peur  de  cet  archevêque  ;  sur  quoi  je  le  rassurai.  Et 
quant  .'i  la  cruauté  avec  laquelle  les  amis  de  M.  de 
Cambrai  prétendent  qu'on  l'a  traité,  je  lui  dis  très- 
librement  qu'il  n'avoit  pas  ce  reproche  a  faire  ;  que 
jamais  aucun  errant  aussi  opiniâtre  n'avoit  été  traité 
dans  toute  la  suite  de  cette  affaire  et  à  la  fin  avec 
plus  d'égard  et  de  ménagement.  Je  le  fis  ressouvenir 
des  instances  qu'il  avoit  faites,    il  y  a  deux   ans, 
avant  que  l'affaire  vînt  à  Rome,  pour  qu  elle  se  ter- 
minât en  France  ;  lui  rappelai  ce  que  le  Pioi ,  le 
nonce,  les  évêques  avoient  fait  pour  cela  pendant 
six  mois,   employant  toutes  les  voies  de   douceur 
sans  pouvoir  rien  obtenir  de  son  oJjstination.  Le 
Pape,  fut  fort  consolé  de  ces  réflexions,  et  me  dit  : 
Il  est  vrai,  c'est  lui  qui  l'a  voulu  ;  il  a  voulu  venir 
ici,  il  a  voulu  être  condamné;  nous  avons  fait  tout 
ce  que  nous  avons  pu  pour  lui,  mais  il  est  trop  opi- 
niâtre. Le  bon  Pape  versoit  de  temps  en  temps  des 
larmes,  quand  il  se  sentoit  soulagé.  Il  seroit  trop 
long  de  vous  rapporter  tout  ce  qu'il  me  dit.  Je  tâ- 
chai de  ne  rien  oublier  de  ce  qui  pouvoit  le  confir- 
mer et  consoler. 

Je  ne  jugeai  pas  à  propos  de  lui  parler  pour  lors, 
ni  delà  qualification  d'hérétique  qui  avoit  été  omise, 
ni  de  la  conversion  de  la  bulle  promise  en  un  simple 

bref: 


sun  i-'affaike  du  quiétisme.  3^9 

bref:  cela  viendra  clans  son  temps.  De  peur  que  je 
ne  l'oublie,  je  vous  dirai  que  le  cardinal  Albani, 
pour  me  justifier  son  motaproprio,  m'a  allégué  que 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  avoit  souhaité  qu'on  ne 
mît  point  que  c'étoit  à  la  réquisition  des  évéques 
ni  du  Roi.  Cela  étant,  me  dit -il,  il  falloit  bien 
mettre  que  c'étoit  motu  proprio,  La  raison  est  pi- 
toyable. 

De  tous  les  cardinaux  ceux  qui  se  sont  le  plus 
mal  conduits  dans  cette  affaire,  ce  sont  sans  contre- 
dit le  cardinal  de  Bouillon  et  le  cardinal  Albani , 
qui  ont  toujours  agi  et  parlé  sur  les  mêmes  prin- 
cipes et  dans  les  mêmes  vues.  Après  eux  les  plus 
foibles  ont  été  les  cardinaux  Ferrari  et  Noris.  Ces 
deux-ci  ont  fort  bien  voté  sur  les  propositions,  ils 
ont  foudroyé  la  doctrine  de  Tamour  pur  et  le  sys- 
tème de  M.  de  Cambrai;  mais  le  cardinal  Ferrari, 
toujours  tremblant,  a  suivi  sur  la  fin  les  impressions 
du  Carme,  et  a  cherché  à  empêcher  qu'on  ne  rap- 
portât les  propositions,  craignant  qu'on  ne  s'enga- 
geât trop  à  cause  des  mystiques.  Four  le  cardinal 
Noris,  apparemment  afin  d'entrer  dans  l'esprit  du 
Pape,  et  de  ne  pas  déplaire  au  cardinal  de  Bouil- 
lon qui  se  déclaroit  ouvertement,  il  étoit  porté  à 
tout  adoucir,  et  parloit  de  chaque  objet  avec  indif- 
férence. Ces  deux  cardinaux  se  sont  montrés  vrais 
fraii ,  le  dernier  principalement. 

Les  anciens  cardinaux  se  sont  conduits  comme 
vous  l'avez  vu  dans  mes  lettres ,  et  ont  soutenu  la 
cause  avec  une  vigueur  incroyable  :  je  ne  parle  pas 
du  cardinal  Casanate  qui  mérite  tant  d'éloges.  Le 
cardinal  Panciatici  et  le  cardinal  Marescotti  se  sont 
BossuET.  XLii.  24 


3'JO  LETTRES 

signales  :  le  cardinal  Neiii  a  bien  fait,  mais  comme 
vous  savez.  Le  cardinal  Carpegna  a  toujours  été 
rondement,  et  il  a  l'avantage  de  s'être  toujours  mon- 
tré le  premier  opposé  au  cardinal  de  Bouillon,  après 
lequel  il  parloit.  Le  cardinal  Spada  a  agi  douce- 
ment, selon  son  humeur.  Le  cardinal  Ottoboni  a 
réparé  à  la  fin  ce  qu'il  avoit  fait  au  commencement  : 
le  petit  bruit  que  j'ai  fait  sur  son  chapitre,  l'a  ré- 
veillé ;  il  a  senti  qu'il  avoit  pris  un  mauvais  parti , 
et  la  hauteur  du  cardinal  de  Bouillon  l'a  piqué. 

Le  cardinal  Albani  s'étoit  toujours  flatté  qu'ea 
caressant  le  père  Roslet,  en  lui  faisant  de  fausses 
confidences,  en  disant  mille  maux  du  cardinal  de 
Bouillon,  il  le  persuaderoit  de  ses  bonnes  intentions 
pour  les  évéques ,  et  qu'en  même  temps  par  ce 
moyen  il  nous  prendroit  pour  dupes  l'un  et  l'autre. 
Il  faut  avouer  qu'il  a  trompé  le  père  Roslet;  mais 
pour  moi,  qui  avois  suspendu  mon  jugement  à  soa 
égard  jusqu'à  ce  que  je  le  visse  agir,  et  qui  ai  tou- 
jours eu  mes  raisons  pour  me  défier  de  lui  et  le  croire 
lié  avec  le  cardinal  de  Bouillon,  je  vous  l'ai  toujours 
dit,  il  ne  m'a  pas  abusé  long -temps.  Je  me  suis 
aperçu  de  sa  fourberie  :  j'en  ai  averti  le  père  Roslet 
qui  ne  m'a  pas  cru ,  et  ne  me  croit  pas  encore ,  quoique 
tout  le  monde  lui  dise  le  contraire,  et  qu'il  soit  plus 
que  certain  qu'il  n'a  pas  tenu  au  cardinal  Albani 
qu'on  n'ait  tout  gâté,  et  qu'en  effet  il  ait  beaucoup 
affoibli  le  bref  comme  vous  le  voyez.  Il  a  même 
poussé  l'adoucissement  jusque  sur  le  sive  in  sensu 
ob\^io  j,  sive  in  etc.  car  dans  la  bulle  de  Jean  XXII, 
il  y  a  tam  quant,  etc.  ce  qui  est  conjonctif;  et  le 
cardinal  Casanate  insistoit  pour  qu'on  mît  et  in 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  87* 

sensu  ohyio  et  attenta  connexione  senientiaruni  Mais 
il  n'y  a  pas  eu  moyen  de  le  faire  parler  nettement. 
Le  cardinal  Albani  a  usé  partout  de  finesse  j  mais 
maigre'  lui  le  swe  n'est  pas  mauvais. 

Ce  qdi  est  de  plaisant^  c'est  que  le  Pape  s'est  en-* 
tendu ,  sans  le  vouloir  ,  avec  le  cardinal  Albani 
pour  tromper  le  pauvre  père  Rosletjet  qui  ne  le 
seroit  pas  après  des  protestations  si  solennelles,  &i 
souvent  réitérées  ?  Le  cardinal  Albani  me  craint 
comme  le  feu,  et  je  ne  crains  personne,  ayant  la yé* 
rite  pour  moi. 

Au  reste,  le  cardinal  Casanate  et  les  théologiens 
de  Rome  prétendent  que  la  note  d'erronea  est  plus 
forte  que  celle  d'hœresi  proxima,  et  qu'elle  vient 
immédiatement  après  Yhœretica,  étant  précise  et  di^ 
recte,  et  Xhœresi  proxima  indirecte. 

C'est  à  présent  aux  évêques  à  voir,  s'il  faut  que  le 
B-oi  demande  qu'on  condamne  et  défende  les  livres 
faits  en  défense  du  livre  des  Maxines.  Je  suis  per- 
suadé qu'on  le  doit ,  et  qu'on  l'accordera  ici  sans 
nouvel  examen  ;  mais  il  faut  que  le  Roi  le  demande 
comme  chose  nécessaire,  sans  quoi  le  cardinal  de 
Bouillon  l'empêchera  toujours.  J'ai  déjà  fait  con- 
venir les  cardinaux  Marescotti,  Panciatici,  Noris 
et  Casanate,  que  cela  se  doit. 

Le  cardinal  de  Bouillon  a  poussé  son  acharne- 
ment à  soutenir  M.  de  Cambrai  jusqu'au  bout  ;  car 
dans  la  dernière  congrégation,  il  interrompit  trois 
fois  la  lecture  du  décret  ;  il  proposa  des  adoucisse- 
mens,  que  Sa  Sainteté  ne  comprit  pas,  sur  la  pro- 
position de  l'involontaire  ;  fit  de  nouvelles  instances 
sur  les  explications  non  examinées.  Le  Pape  ne  ré- 


3'j2  LETTRES 

pondit  autre  cliose  sinon  awanti,  ai^antlj  poursuivez , 
dit-il,  à  celui  qui  lisoit;  et  les  cardinaux  tout  d'une 
voix,  répliquèrent  par  un  oi6o  j  oibo ,  et  on  passa 
outre.  Le  cardinal  Casanate  me  le  racontoit  hier, 
et  en  rioit  encore. 

Le  cardinal  de  Bouillon  n'a  pas  jugé  à  propos  de 
me  donner  le  moindre  signe  de  vie  depuis  le  juge- 
ment. Il  a  fait  partir  son  courrier  sans  me  faire  de- 
mander si  je  voulois  écrire;  ce  qui  me  détermina, 
voyant  le  sien  parti,  à  dépêcher  le  mien  six  heures 
après.  Je  l'ai  vu  depuis  deux  fois  :  il  ne  m'a  pas 
ouvert  la  bouche  sur  M.  de  Cambrai ,  ni  sur  cette 
affaire.  Personne  n'oseroit  en  parler  devant  lui. 
Cela  paroît  extraordinaire  ;  mais  cela  est  vrai.  Ce 
qu'il  dit  présentement,  c'est  que  si  on  l'avoit  voulu 
croire,  on  auroit  mieux  fait.  Jugez  comment  on 
auroit  traité  M.  de  Cambrai,  en  suivant  ses  avis, 
et  quel  eût  été  le  décret  s'il  avoit  été  Pape. 

Tout  ce  qui  est  à  craindre  à  présent,  c'est  qu'on 
ne  fasse  faire  au  Pape  quelque  cliose  en  faveur  de 
M.  de  Cambrai,  en  l'engageant  à  lui  écrire  quelque 
bref  équivoque.  Je  ferai  mes  diligences  là-dessus.  Il 
est  bon  que  le  Roi  s'explique  à  cet  égard.  Tout  est  à 
appréhender  de  la  part  du  cardinal  de  Bouillon,  qui 
menace  toujours  qu'on  va  voir  un  schismo ,  et  le 
bon  Pape  tremble. 

Je  ne  sais  ce  qu'on  fera  de  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  mais  il  est  bien  dangereux  de  le  laisser  à 
Rome  :  il  ne  peut  plus  faire  que  du  mal.  Tout  le 
monde  en  parle  de  cette  manière,  relativement  aux 
affaires  du  Roi  et  à  celles  de  la  religion. 

M.   Charmot ,  procureur -général  des  Missions 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  373 

étrangères,  a  servi  la  bonne  cause  avec  une  fidélité 
et  une  fermeté  sans  exemple.  Je  vous  prie  d'en  bien 
rendre  témoignage  où  il  faut  ;  c'est  un  saint  prêtre, 
digne  d'estime  et  de  vénération. 

M.  Giori  mérite  un  remercîment  pour  le  zèle  et 
la  vigueur  avec  lesquels  il  a  soutenu  la  vérité.  Les 
évêques  ne  doivent  pas  prodiguer  ici  leurs  compli- 
mens  ;  très-peu  de  gens  les  méritent.  Tout  le  monde 
se  réjouit  avec  moi,  et  moi  je  me  réjouis  avec  tous, 
de  la  lin  d'une  affaire  qui  m'est  commune  avec  tout 
le  monde  chrétien.  Je  n'ai  pas  entendu  parler  des 
Jésuites  depuis  long-temps. 

La  cabale  est  dans  un  abattement  effroyable  : 
la  douleur  est  peinte  sur  le  visage  des  amis  de  M.  de 
Cambrai.  M.  de  Chanterac  alla  dès  vendredi  aux 
pieds  de  Sa  Sainteté,  et  il  pleura  à  chaudes  larmes. 
Il  promet  une  soumission  entièie  de  la  part  de 
M.  de  Cambrai  ;  il  dit  lui  avoir  écrit  ce  qu'il  falloit 
là- dessus.  Il  ne  s'attendoit  pas  à  ce  jugement,  et 
n'en  revient  pas. 

Le  cardinal  de  Bouillon  a  été  très-fâché  quant  il 
a  su  que  M.  Madot  étoit  parti  :  je  ne  sais  s'il  n'é- 
crira pas  contre  lui  à  la  Cour.  J'ai  dit  ici  qu'il  ne 
devoit  aller  que  jusqu'à  Gênes,  d'où  il  dépêcheroit 
un  courrier.  Vous  communiquerez,  s'il  vous  plaît, 
ma  lettre  à  M.  de  Paris ,  à  qui  je  n'écris  qu'un  mot, 
ne  pouvant  le  faire  plus  amplement.  Je  suppose  que 
lui  et  vous  n'aurez  pas  manqué  de  garder  toutes  mes 
lettres,  qui  sont  les  seuls  mémoires  qui  me  resteront 
de  ce  qui  s'est  passé.  Ce  sont,  je  puis  vous  en  assurer, 
des  mémoires  très-fidèles. 

On  attend  ici  avec  impatience  M.  de  Monaco,  qui 
doit  arriver  avant  ï^âque. 


3']i  Ietthes 

M.  le  prince  Vaïni  va  en  France  :  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  prétend  que  c'est  sa  cre'ature.  Je  ne  sais 
ce  qu'il  dira  de  lui  :  il  sait  la  vérité;  il  ne  la  dira 
peut-être  pas  ;  mais  je  ne  crois  pas  aussi  qu'il  ose  le 
justifier  :  il  prendra ,  s'il  fait  bien ,  le  parti  du  si- 
lence, je  le  lui  ai  conseillé.  Faites-lui  bien  des  amitiés, 
je  vous  en  prie,  et  bien  des  respects  pour  moi  h 
M.  le  nonce, 

La  petite  communauté  du  père  Estiennot  a  paru 
toujours  être  du  bon  parti,  et  lui  aussi. 

M.  Phelippeaux  est  un  peu  lionteux  de  son  pro- 
cédé. Je  ne  fais  pas  semblant  d'être  informé  de  tout 
ce  qui  le  regarde  ;  et  j'irai  toujours  mon  chemin  , 
l'aimant  assurément  plus  qu'il  ne  m'aime. 

Je  n'ai  pas  épargné  ma  peine  pour  écrire,  ayant 
cru  nécessaire  de  répéter  souvent,  pour  faire  mieux 
connoître  un  pays  éloigné,  et  n'avoir  rien  à  me  re- 
procher. 

Je  mande  à  M.  de  Rlieims  et  à  M.  le  cardinal  de 
Janson,  que  vous  les  instruirez  de  tout  le  détail  de 
Ja  tin  de  cette  affaire, 

A  Rome,  17  mars  1^99. 


LETTRE  CCCCXLTIL 

DE   BOSSUET  A  SON   NEVEU. 

Sur  le  bref  contre  M.  de  Cambrai  j  le  contentement  du  Roi,  du 
clergé  et  de  la  ville. 

C'est  vraiment  un  coup  du  ciel,  que  ce  qui  s'est 
fait.  Les  qualifications  ne  peuvent  être  ni  plus  sages, 
ni  plus  fortes,  ni  mieux  appliquées.  Le  cardinal  Ca- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  375 

sanate  et  le  cardinal  Panciatici,  sont  vraiment  des 
hommes  admirables.  Rien  ne  fera  jamais  plus  d'hon- 
neur à  la  chaire  de  saint  Pierre  que  cette  de'cision, 
ni  au  sacré  Colie'ge  que  de  posse'der  de  si  grands 
sujets.  Nous  ne  cessons  ici  d'en  faire  Teloge.  Il  n'y  a 
qu'une  seule  chose  à  désirer  ;  c'est  qu'on  eut  fait  une 
bulle  en  forme,  comme  celle  contre  Molinos.  Je  ne 
sais  s'il  se  trouvera  un  exemple  d'une  décision  de 
foi  par  un  bref  sub  annulo  Piscatoris  „  ou  qu'une 
décision  de  cette  sorte  ait  été  reçue  en  France.  Je 
ne  doute  point  que  le  cardinal  de  Bouillon  n'ait 
laissé  passer  cela  exprès.  Mais  ces  petits  défauts  de 
formalité  se  peuvent  si  aisément  réparer ,  et  sans 
aucun  intérêt  du  saint  Siège,  qu'il  faut  tâcher  de  ne 
s'en  point  embarrasser. 

Je  n'ai  point  encore  vu  le  Roi,  ni  M.  de  Paris, 
qui  l'a  vu;  mais  je  sais  qu'il  est  ravi,  et  qu'hier  il 
prenoit  plaisir  à  parler  à  tout  le  monde  de  la  bulle; 
car  il  l'appelle  toujours  ainsi.  Nous  verrons  dans  peu 
ce  que  lui  diront,  sur  la  réception  de  ce  bref,  les 
officiers  de  son  parlement.  Je  chercherai  tous  les 
exemples,  et  par  l'ordinaire  prochain  je  vous  ins- 
truirai plus  amplement  sur  ce  point.  Si  l'on  a  quel- 
que chose  à  proposer  à  Rome,  on  attendra  l'arrivée 
de  l'ambassadeur,  qui  doit  y  être  dans  peu.  On  sera 
bien  aise  aussi  de  voir  quel  parti  prendra  M.  de 
Cambrai,  qui  n'a  aucun  moyen  de  reculer. 

Je  puis  vous  assurer  que  tous  lesévêques,  toute 
la  Sorbonne  et  tout  Paris  sont  ravis.  On  donne  des 
louanges  immortelles  au  Pape,  comme  au  restaura- 
teur de  la  religion,  que  cette «ecte  artificieuse  alloit 
renverser  avec  son  faux  air  de  piété.  Le  parti  de 


3^6  LETTRES 

M.  de  Cambrai  est  mort,  et  je  ne  crois  pas  qu'il 
puisse  se  relever  de  ce  coup,  ni  qu'il  ose  seulement 
souffler.  Rendez  grâces  à  Dieu  de  vous  avoir  con- 
duit par  la  main. 

A  Paris,  ce  23  mars  1699. 


I 


kv»'%<%/%i*/%.'«/».«/»'*rfc*/»,» 


LETTRE  CCGCXLIV. 

DE  M.  DE  NOAII.LES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  rheureuse  conclivsion  de  l'affaire. 

Je  ne  ferai ,  Monsieur,  que  me  réjouir  avec  vous 
de  rheureux  succès  de  vos  travaux  :  je  suis  ravi  de 
l'avantage  que  l'Eglise  y  trouve,  et  j'ai  en  même 
temps  une  fort  grande  joie  de  l'honneur  qui  vous 
en  revient.  En  demeurera-t-on  au  bref,  n  aurons- 
nous  point  une  bulle  ?  Gela  seroit  plus  authentique 
et  plus  conforme  à  nos  usages  :  mais  nous  avons 
toujours  l'essentiel;  et  c'est  beaucoup,  attendu  les 
grands  efforts  de  la  cabale.  Je  n'ai  point  encore  vu 
M.  de  Meaux  depuis  cette  bonne  nouvelle,  parce 
que  je  fus  avant-hier  à  Versailles,  et  n'en  revins 
qu'hier  au  soir.  J'espère  le  voir  aujourd'hui ,  et  ap- 
prendre par  lui  le  détail  que  vous  lui  écrivez.  Je  ne 
vous  en  dirai  pas  davantage,  parce  que  le  courrier 
va  partir  et  que  je  n'en  sais  pas  encore  assez.  Je 
finis  en  vous  assurant.  Monsieur,  de  la  part  que  je 
prends  à  votre  joie  et  à  votre  gloire  dans  cette  affaire, 
et  vous  priant  de  me  croire  à  vous  très-sincèrement, 

A  Paris,  ce  24  ^^^^  *%9' 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  3^7 

LETTRE  CCCCLXV. 

DE  L'ABBE  PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. 

Sur  difi'érens  changemens  que  le  Pape  devoit  faire  parmi  les 
nonces. 

Voila  une  lettre  que  l'agent  de  M.  l'archevêque 
de  Séville  m'a  donnée  pour  vous  faire  tenir.  J'y 
joins  des  vers  qu'un  de  vos  diocésains ,  se  trouvant 
à  Rome,  m'a  apportés.  C'est  maintenant  de  votre 
côté  que  nous  attendons  des  nouvelles.  Je  souhaite 
que  vous  soyez  content  des  expressions  et  de  la  con^ 
damnation  portée  dans  le  bref,  afin  que  je  puisse 
vous  aller  revoir.  La  reine  de  Pologne  est  arrivée 
aujourd'hui ,  aussi  bien  que  les  cardinaux  Morigia 
et  la  Grange.  On  parle  d'une  promotion  en  faveur 
de  M.  Jacometti,  auditeur  du  Pape,  à  qui  on  don- 
nera la  charge  de  préfet  de  la  signature,  vacante 
par  la  mort  du  cardinal  Cavalerini.  On  parle  aussi 
de  rappeler  tous  les  nonces.  On  dit  que  le  Pape 
n'est  pas  content  de  Santa-Croce  qui  est  à  Vienne; 
qu'il  donnera  l'archevêché  de  Milan  à  Archinto, 
nonce  en  Espagne;  et  qu'il  a  fait  assurer  Delphino 
que  cela  ne  Tempêchera  pas  d'être  cardinal,  et  qu'à 
la  place  de  Delphino  on  enverra  Gualtieri,  vice- 
Jégat  d'Avignon,  à  qui  le  Pape  vient  de  donner  deux 
prieurés  dans  le  Comtat,  vacans  par  la  mort  de 
Cavalerini.  Mais  ces  nouvelles  ne  vous  toucheront 
guère,  non  plus  que  moi.  M.  de  Chanterac  reste  en- 
core ici  :  il  a  expédié  un  couri'ier  à  Cambrai ,  dont 


378  LETTRES 


il  attendra  la  réponse.  Je  suis  avec  un  profond  res- 
pect, etc. 

A  Rome,  ce  mardi  24  mars  i6gg. 


k.'«^»/»<W*  »/*«•, 


LETTRE  CCCCXLVI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  la  oaiise  des  adoucisseraens  du  bref  j  les  manèges  du  cardinal 
de  Bouillon  5  les  senliraens  des  savans  de  Rome  sur  le  fond  de 
celte  affaire,  et  les  discours  des  partisans  de  M.  de  Cambrai. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Paris ,  les  de  ce  mois.  Je  compte  que 
vous  aurez  vu,  à  l'heure  qu'il  est ,  le  bref  et  reçu  le 
courrier.  Je  ne  sais  si  M.  Madot  aura  passé  Gênes,  et 
sera  allé  jusqu'à  Paris  :  je  l'avois  prié  de  dépêcher  de 
Gênes  un  courrier ,  en  cas  qu'il  ne  se  portât  pas  au- 
delà.  Comme  il  est  plein  d'amitié  pour  moi,  et  de  re- 
connoissance  pour  vous,  je  ne  doute  presque  pas  qu'il 
n'ait  voulu  aller  s'aboucher  avec  vous  et  M.  de  Paris  ; 
et  je  ne  crois  pas  inutile  l'entrevue  que  vous  aurez 
avec  lui ,  et  dont  vous  pourrez  apprendre  ce  qui  se 
passe  ici  mieux  que  de  qui  que  ce  soit.  Il  est  très- 
bien  instruit  de  tout ,  il  a  tout  vu ,  il  a  de  l'esprit 
et  du  discours.  Ce  sont,  je  l'ose  dire,  ces  bonnes 
qualités,  et  la  crainte  que  le  cardinal  de  Bouillon 
a  qu'il  ne  rende  bon  compte  de  sa  conduite ,  qui 
lui  attire  à  présent  la  haine  que  cette  Eminence  té- 
moigne assez  publiquement  contre  lui,  depuis  qu'elle 
a  su  qu'il  étoit  parti.  Auparavant  il  lui  faisoit  fort 
froid  à  cause  de  l'attachement  qu'il  témoignoit  pour 


SUR    L'AFFAinE    DU    QUIÉTISME.  3'JC) 

moi,  et  de  la  liberté  avec  laquelle  il  parloit  sur  l'af- 
faire de  M.  de  Cambrai  :  néanmoins ,  par  politique, 
il  le  soufFroit  quelquefois  chez  lui ,  oii  M.  Madot  a 
des  amis.  Mais  depuis  qu'il  est  parti ,  c'est  une  fu- 
reur et  un  déchaînement  contre  lui,  que  je  n'aurois 
jamais  imaginé.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'ose  pas 
dire,  au  moins  en  public,  qu'il  trouve  mauvais  que 
j'aie  dépêché  un  courrier,  quoique  cela  le  pique 
fort;  et  tout  tombe  sur  le  pauvre  M.  Madot,  qu'on 
n'épargne  pas  :  je  crois  même  savoir  que  Ton  a  écrit 
en  Cour  contre  lui,  et  qu'on  en  dit  tout  le  mal  ima- 
ginable. On  prétend  surtout  lui  faire  un  crime  d'être 
parti  sans  prendre  congé  de  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  ;  mais  on  voit  bien  qu'il  ne  le  pouvoit  pas  , 
à  moins  de  hasarder  son  voyage;  étant  comme  cer- 
tain que  cette  Eminence  ne  lui  auroit  pas  permis 
de  partir,  soit  en  le  lui  défendant,  soit  en  empê- 
chant qu'il  trouvât  des  chevaux.  Et  puisqu'il  n'avoit 
aucune  obligation  particulière  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  il  n'étoit  pas  prudent  de  courir  les  risques, 
en  remplissant  un  simple  cérémonial,  de  manquer 
l'affaire  essentielle.  Je  vous  prie  de  bien  dire  ce  qu'il 
faut  là-dessus.  Il  n'est  question  que  du  départ  de 
Rome  :  quant  à  l'arrivée  à  Paris,  personne  n'en 
peut  et  n'en  doit  rien  savoir  ,  si  ce  n'est  vous ,  moi 
et  M.  de  Paris  ;  car  il  est  bien  certain  qu'il  ne  peut 
pas  se  montrer  :  ainsi  toute  la  peine  que  s'est  donnée 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  en  écrivant  contre  lui, 
sera  bien  injuste,  et  ne  montrera  que  sa  passion 
extrême. 

S'il  étoitvrai,  comme  on  me  l'a  assuré,  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  ait  aussi  écrit  contre  moi,  à 


380  LETTRES 

l'occasion  du  courrier  que  j'ai  de'péchd,  et  qu'il  ait 
prétendu  que  je  ne  l'aurois  pas  du ,  je  suis  persuadé 
que  je  n'ai  pas  besoin  de  me  justifier  à  cet  égard. 
Tout  le  monde  m'auroit  blâmé  de  n'avoir  pas  averti 
les  évêques,  dans  une  occasion  si  importante,  des 
particularités  du  jugement,  et  de  ne  leur  avoir  pas 
fait  part  de  tout  ce  qui  concernoil  la  conclusion  de 
cette  affaire.  Il  me  semble,  comme  il  a  paru  au  Pape, 
aux  ministres  et  à  tous  les  cardinaux ,  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  n'ayant  pas  jugé  à  propos  de 
me  donner  avis  du  courrier  qu'il  dépêchoit,  et  de 
m'offrir  de  faire  partir  mes  lettres  par  cette  voie , 
je  n'avois  d'autre  parti  à  prendre  que  de  dépêcher 
après  lui  un  courrier  pour  porter  mes  instructions. 
Quant  à  lui  en  demander  permission ,  rien  ne  m'y 
obligeoit  ;  et  tout  vouloit  que  je  ne  le  fisse  pas ,  ne 
devant  pas  douter  qn'il  ne  trouvât  le  moyen  de 
m'arrêter,  ou  par  autorité,  ou  avec  le  secours  de 
ses  ruses  ordinaires.  Pour  vous  dire  à  présent  si  le 
courrier  que  j'ai  dépêché  arrivera  plus  tôt  que  le 
sien,  je  ne  puis  le  savoir,  et  je  ne  dois  pas  le  sup- 
poser, le  courrier  de  M.  le  cardinal  ayant  huit 
heures  d'avance  sur  le  mien  :  si  après  cela  son  cour- 
rier court  mal  et  que  le  mien  coure  mieux,  c'est 
leur  affaire;  je  n'ai  point  à  en  répondre,  non  plus 
que  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  Au  reste,  je  ne 
trouverois  pas  un  trop  grand  inconvénient  quand  le 
mien  seroit  arrivé  avant  le  sien.  C'est  un  courrier 
qui  vous  est  dépêché  ou  à  M.  de  Paris;  il  n'est 
adressé  ni  aux  ministres,  ni  au  Roi;  et  lorsque  vous 
aurez  reçu  les  dépêches,  c'est  à  vous  à  juger  si  vous 
devez  avertir  ou  non  Sa  Majesté.  Je  ne  crois  pas 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  38i 
que  le  Roi  et  les  ministres  se  soucient  fort  de  cette 
formalité  ;  mais  cela  ne  me  regarde  pas.  Je  fais  seu- 
lement mon  devoir  en  vous  de'pêchant  un  courrier , 
pour  vous  instruire  de  ce  qu'il  vous  importe  de  sa- 
voir, ne  pouvant  le  faire  par  une  autre  voie.  J'étois 
d'autant  plus  obligé  de  le  faire  dans  cette  occasion , 
que  je  devois  rendre  compte  promptement  de  ce  qui 
s'étoit  passé,  surtout  après  les  obstacles  qu'on  venoit 
d'éprouver  la  semaine  d'auparavant,  qui  m'avoient 
déterminé  à  dépêcher  un  courrier. 

J'entre  dans  tous  ces  détails  pour  ma  justification , 
parce  que  je  sais  le  bruit  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  a  fait  sur  la  conduite  que  j'ai  tenue,  quoi- 
que tout  le  monde  ici  l'ait  approuvée,  excepté  les 
gens  gagés  pour  l'applaudir,  et  qui  sont  en  petit 
nombre.  Je  n'ai  eu,  en  tout  cela,  d'autre  vue  que 
celle  de  faire  mon  devoir ,  et  j'ai  toujours  été  bien 
éloigné  de  chercher  a  lui  donner  du  chagrin.  Si  en 
m'acquittant  des  obligations  de  ma  charge,  j'ai  eu  le 
malheur  d'encourir  sa  haine  et  son  indignation , 
j^-en  suis  fâché  ;  mais  j'avoue  franchement  que  je  ne 
suis  pas  dans  la  disposition ,  pour  obtenir  ses  bonnes 
grâces,  de  me  corriger  d'un  pareil  défaut. 

La  vérité  est  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  est 
dans  le  dernier  désespoir  de  la  mauvaise  réussite  de 
ses  grands  desseins.  Il  a  de  la  peine  d'être  obligé  de 
me  faire  des  honnêtetés  :  il  n'est  pas  fâché  de  trouver 
un  prétexte  pour  me  témoigner  du  froid,  et  dissi- 
muler la  cause  de  son  chagrin. 

Ces  jours  derniers  cette  Eminence  a  été  à  Frescati , 
seule  avec  le  père  Charonnier  :  j'aurois  pris  la  liberté 
de  lui  parler  sur  tout  cela,  si  j'avois  pu  l'entretenir. 


38a  LETTRES 

Je  remarquai  la  dernière  fois  que  je  la  vis  un  froid 
nouveau  ;  j'en  ai  depuis  su  la  raison ,  c'est  le  dé- 
part du  courrier;  il  s'en  faut  consoler.  Parlons 
d'autre  chose. 

J'attends  avec  grande  impatience  de  vos  nouvelles 
sur  le  bref,  quant  au  fond  et  quant  à  la  forme.  J'ap- 
prends tous  les  jours  sur  le  fond  la  confirmation  de 
ce  que  je  vous  ai  écrit  dans  mes  lettres  précédentes. 
Il  est  certain  que  la  douceur  avec  laquelle  on  a  traité 
M.  de  Cambrai ,  a  été  recommandée  par  le  Pape,  à 
qui  le  cardinal  de  Bouillon,  qui  a  mis  en  œuvre 
toutes  sortes  de  moyens,  est  parvenu,  avec  le  se- 
cours de  ses  amis,  le  cardinal  Albani  et  Fabroni,  à 
inspirer  beaucoup  de  prévention  contre  les  évêques, 
et  de  ménagemens  pour  M.  de  Cambrai.  Mais,  mal- 
gré tous  les  efforts  de  la  cabale ,  tout  ce  qu'il  a  pu 
obtenir,  c'est  qu'on  ne  qualifiât  pas  d'hérétique  une 
doctrine  qui  le  mérite  :  tout  ce  qui  est  de  foible  dans 
le  bref  vient  de  cette  source.  Ainsi  on  a  obligation 
du  bien,  je  le  dis  franchement,  au  cardinal  Casa- 
nate,  et  du  mal  au  cardinal  de  Bouillon,  qui,  pour 
son  ami,  a  trahi  la  vérité,  la  religion,  l'honneur  de 
son  pays  et  de  sa  nation ,  ce  qu'il  doit  au  Roi  et  à 
lui-même. 

Il  n'y  a  personne  qui  n'ait  admiré  la  modération 
dont  le  Roi  a  usé  jusqu'ici  à  l'égard  du  cardinal  de 
Bouillon.  Je  puis  dire  qu'il  n'y  a  personne  ici  a  pré- 
sent qui  ne  s'attende,  l'affaire  étant  conclue,  de 
voir  quelque  marque  publique  et  frappante  du  juste 
ressentiment  que  doit  avoir  le  Roi  d'une  conduite 
aussi  méprisante  envers  lui,  qui  tendoit  à  excuser 
un  livre  et  une  doctrine  aussi  pernicieuse,  dont  les 


I 


Sun  l'affaire  du  quiétisme.  383 

suites  le  pouvoient  être  encore  plus,  tant  par  rap- 
port aux  consciences,  que  par  rapport  au  repos  de 
l'Etat. 

Quant  à  la  forme  du  bref,  vous  savez  le  remède 
aisé  qu'on  peut  apporter  aux  défauts  qui  s'y  trou- 
vent. Le  cardinal  Albani  m'a  fait  proposer  par  le 
père  Roslet,  de  prévenir  par  une  bulle,  les  deman- 
des et  peut-être  les  plaintes  de  la  France  ;  mais  j'ai 
répondu  que  ce  n'étoit  pas  à  moi  à  rien  dire  là-dessus. 
Je  sais  que  le  cardinal  de  Bouillon  fait  semblant 
d'être  fâché  qu'on  n'ait  pas  donné  une  bulle  ;  mais 
c'est  qu'il  a  su  que  je  m'en  plaignois,  ainsi  que -du 
motu  proprio  :  car  dans  le  fond  il  en  est  bien  aise , 
et  croit  par  là  rendre  la  décision  moins  authentique 
en  France.  Rien  ne  lui  étoit  plus  aisé  que  de  faire 
prendre  pour  modèle  la  bulle  contre  Molinos  ;  sur- 
tout étant  averti,  il  y  a  long-temps,  qu'on  vouloit 
une  bulle,  et  une  bulle  qui  ne  blessât  point  les 
usages  du  royaume ,  qu'il  ne  lui  est  pas  permis 
d'ignorer. 

Autant  l'abbé  de  Chanterac  parle  sagement  par 
rapport  à  la  soumission  que  doit  M.  de  Cambrai, 
autant  le  cardinal  de  Bouillon  menace  et  fait  appré- 
hender un  schisme.  Le  Pape  est  très-agité  là-dessus, 
et  s'exprime  quelquefois  comme  un  homme  qui  se 
repent  d'avoir  frappé  si  rudement  M.  de  Cambrai, 
quoiqu'il  soit  traité  avec  trop  de  douceur  ;  mais  le 
cardinal  Albani  et  Fabroni  ne  cessent  de  le  lui  ré- 
péter, à  l'instigation  du  cardinal  de  Bouillon.  On  a 
même  remarqué  de  la  colère  dans  le  Pape  contre  le 
cardinal  Casanate ,  qu'il  dit  être  la  cause  de  tout  ce 
qu'il  a  fait.  La  cabale  des  Jésuites  et  du  cardinal  de 


384  LETTRES 

Bouillon  qui  hait  beaucoup  ce  cardinal,  emploie 
contre  ce  grand  homme  tous  les  artifices  imaginables 
pour  le  rendre  suspect  au  Pape;  et  cela  est  très-aisé  : 
on  veut  par-là  empêcher  le  bien  qu'il  peut  faire.  A 
quelques-uns  néanmoins  le  Pape  témoigne  être  sa- 
tisfait de  son  jugement ,  assurant  qu'on  en  sera 
très-content  en  France  :  il  dit  même  naturellement, 
deux  jours  après  la  décision,  e  ita  la  botta,  qui  veut 
dire,  le  coup  est  parti-,  mais  depuis  on  lui  brouille 
la  tête  le  plus  qu'on  peut.  On  prétend  par -là  deux 
choses;  l'une,  engager  le  Pape  d'écrire  au  Roi  en  fa- 
veur de  M.  de  Cambrai,  pour  peu  qu'il  se  soumçtte, 
afin  qu'on  oublie  le  passé  ;  l'autre ,  de  déterminer  le 
saint  Père  à  donner  quelques  marques  d'estime  à 
M.  de  Cambrai,  dont  il  puisse  se  parer.  L'on  peut 
compter  que  la  cabale  n'espère  plus  rien  que  de  ce 
pays-ci. 

J'ai  cru  être  obligé  de  parler  ces  jours  passés  au 
cardinal  Spada  sur  le  bruit  qui  couroit,  qu'on  vou- 
loit  que  le  Pape  écrivît  quelque  bref  consolant  à  M.  de 
Cambrai,  et  je  lui  ai  bien  fait  voir  les  conséquences 
d'une  pareille  démarche,  me  paroissant  indigne  du 
Pape  de  faire  des  avances  en  pareilles  circonstances. 
Il  m'assura  que  le  Pape  ne  feroit  rien  qui  pût  pré- 
judicier  à  la  sentence  prononcée,  et  à  la  dignité  du 
saint  Siège.  Il  me  donna  à  entendre  en  même  temps 
que  le  Pape,  en  envoyant  le  bref  au  Roi,  lui  avoit 
témoigné  qu'il  seroit  à  souhaiter  qu'on  finît  toutes 
les  disputes.  Je  lui  ai  répondu  que  cela  dépendoit 
uniquement  de  la  conduite  que  tiendroit  M.  de 
Cambrai  ;  et  qu'après  qu'il  se  seroit  pleinement  sou- 
mis, il  ne  resteroit  plus  aux  évêques  que  de  bien 

prêcher 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  385 

prêcher  et  de  bien  instruire  leurs  peuples  sur  la 
bonne  doctrine ,  en  les  précautionnant  contre  la 
mauvaise,  conformément  au  décret  prononcé  par 
TEglise  romaine,  et  que  ce  n'étoit  pas  là  disputer, 
mais  confirmer  ce  qu'avoit  fait  le  saint  Siège.  Il  ne 
faut  pas  manquer  de  le  faire ,  quoi  qu'on  puisse 
écrire  d'ici,  où  Ton  tremble  sur  tout.  On  doit  en 
France  songer  à  remédier  au  mal  qu'a  produit  l'ob- 
stination de  M.  de  Cambrai,  la  fureur  de  la  cabale, 
la  lenteur  et  la  foiblesse  de  cette  Cour. 

Je  puis  vous  dire,  comme  le  sachant  de  science 
certaine,  que  tous  les  gens  de  bien  et  les  savans  qui 
sont  ici,  attendent  de  la  France,  le  vrai  soutien  de 
la  religion,  que  sur  cette  matière  en  particulier, 
les  évêques  de  l'Eglise  gallicane  ne  manqueront  pas 
de  suppléer  à  ce  qu'on  n'a  pas  fait  encore  ici,  et 
qu'ils  auront  soin  de  réduire  les  mystiques  au  rang 
qu'ils  méritent.  Ils  espèrent  que  dans  les  instructions 
relatives  qu'ils  donneront,  ils  diront  à  cet  égard 
tout  ce  qu'il  faudra,  que  même  ils  parleront  là-dessus 
avec  autorité  :  il  faudra  seulement  éviter,  par  rap- 
port à  ce  pays-ci ,  <le  ne  le  pas  faire  en  forme  de  ca-»^ 
nons  et  d'articles.  Tout  le  reste  sera  ici  ttès-ap- 
prouvé,  très-bien  reçu  et  confirmé  dans  l'occasion. 
Je  sais  que  tout  le  saint  Office  est  dans  cette  disposi- 
tion ,  et  que  les  mystiques  y  sont  à  présent  craints  et 
méprisés. 

On  ne  fait  pas  difficulté  ici  de  dire  que  TEgUse 
vous  a  les  plus  grandes  obligations  d'avoir  dé- 
masqué une  doctrine  aussi  pernicieuse  et  aussi  raffi- 
née que  celle  de  l'amour  pur  :  ainsi  le  livre  que  vous 
méditez,  ne  peut  être  que  bien  reçu,  pourvu  qu'il 

BOSSUET,    XLII.  25 


386  LETTRES 

soit  court.  On  compte  ici  que  vous  avez  eu  pleine- 
ment la  victoire,  et  que  par  contre-coup  votre  doc- 
trine a  e'te'  trouvée  irréprochable  sur  tous  les  points, 
et  approuvée  en  tout.  On  n'en  a  point  parlé,  il  est 
vrai  ;  mais  vous  avez  été  examiné  avec  autant  de  ri- 
gueur que  M.  de  Cambray,  non-seulement  par  rap- 
port à  la  manière  dont  vous  le  convainquez  d'erreur, 
mais  encore  par  rapport  à  vos  principes  ;  l'un  et 
l'autre  étant  trop  liés  ensemble  pour  qu'on  n'ait  pas 
entré  dans  cette  discussion ,  et  la  cal)ale  trop  animée 
pour  manquer  de  chercher  les  moyens  de  se  venger. 

J'attends  vos  Passages  éclaircis ,  que  je  distri- 
buerai ici  sagement  :  cela  produira  un  bon  effet  re- 
lativement aux  mystiques.  Il  est  bon  de  les  expli- 
quer, de  montrer  qu'ils  sont  bien  éloignés  de  la 
doctrine  de  M.  de  Cambrai  et  des  Quiétistes  ;  mais 
il  est  aussi  nécessaire  qu'on  soit  persuadé  qu'ils  ont 
exagéré,  comme  vous  l'avez  toujours  dit,  et  comme 
M.  de  Cambrai  est  obligé  de  l'avouer  lui-même.  La 
clause,  swe  attenta  s ententiarum  connexione ,  sauve 
Jes  bons  mystiques ,  confond  M.  de  Cambrai ,  et  donne 
lieu  de  dire  tout  ce  qu'il  conviendra  sur  les  expres- 
sions particulières  des  mystiques, 

Qu'avez -vous  pensé  de  la  batterie  des  Canons, 
et  des  artifices  de  la  cabale?  J'ai  appris  que  la  même 
idée  étoit  venue  aux  protecteurs  de  Molinos  :  elle 
fut  proposée  par  le  cardinal  Azolini,  et  on  la  rejeta 
également. 

Lres  politiques  croient  que  la  Cour  romaine  s'est 
fait  tort  de  n'avoir  pas  ménagé  M.  de  Cambrai,  qui 
lui  promettoit  de  soutenir  son  autorité  contre  les 
^iutres  évêques  de  France,  et  de  protéger  les  moines. 


SUR  l'affaihe  du  quiétisme.  387 

Soyez  assuré  qu'on  a  fait  ici  envisager  tous  les  beaux 
côtés  de  M.  de  Cambrai ,  pour  lui  attirer  des  par- 
tisans; et  qu'on  n'a  pas,  au  contraire,  manqué  de 
représenter  tout  ce  qui  pouvoit  rendre  odieux  les 
évéques,  leur  doctrine  et  le  Roi.  A  présent  les  amis 
de  M.  de  Cambrai  disent  à  l'oreille,  que  ce  prélat 
reviendra  plus  triomphant  que  jamais  sous  le  fils  et 
le  petit-fils  du  Iloi,  et  qu'il  n'est  seulement  question 
que  de  le  sauver  dans  ce  moment  de  la  fureur  de  ses 
ennemis.  Ils  craignent  fort,  avec  raison,  qu'on  imite 
à  son  égard,  la  conduite  qu'on  a  tenue  envers  le 
cardinal  Petrucci,  à  qui  on  lit  quitter  son  évêché^ 
quoique  après  la  condamnation  de  Molinos  il  se  fût 
soumis  à  tout.  Le  soupçon  d'avoir  donné  dans  les 
égaremens  de  ce  fanatique ,  suffit  pour  qu'on  le  ju- 
geât incapable  de  faire  bien  dans  sa  place,  et  il  s'en 
fallut  peu  qu'on  ne  lui  ôtât  même  le  chapeau. 

C'est  à  présent  de  tous  nos  Français  à  qui  aura 
mieux  fait  paroître  son  zèle  contré  M.  de  Cambrai. 
Vous  savez  ce  que  je  vous  ai  mandé  :  M.  l'abbé  de 
la  Tremoille  et  le  général  de  la  Minerve  ont  tou- 
jours été  droit ,  mais  avec  des  ménagemens  pour 
M.  le  cardinal  de  Rouillon.  Il  est  bon  de  ne  le  pas 
témoigner  en  France,  quoique  je  Taie  dit  franche- 
ment au  premier.  Si  vous  voulez  même  m'obliger , 
vous  m'enverrez  pour  l'un  et  pour  l'autre  des  lettres 
de  remercîmens,  relatives  à  ce  que  je  vous  ai  marqué 
chaque  fois  ,  ainsi  qu'à  M.  de  Paris,  de  la  bonne  vo- 
lontéqu'ils  témoignoienten  toute  occasion*  Il  est  très- 
certain  que  le  général  des  Jacobins  s'est  toujours 
très-bien  comporté,  et  qu'il  a  surtout  parlé  aux  car- 
dinaux comme  il  convenoit.  Il  auroit  été  volontiers 


388  LETTRES 

d'avis  d'une  condamnation  générale;  mais  fai  tenu 
ferme,  et  déclaré  q^u'elle  seroit  non-seulement  insuf- 
fisante, mais  encore  pernicieuse  dans  les  circon- 
stances présentes,  après  un  examen  si  authentique, 
rose  dire  que  faî  parlé  si  haut  là-dessus,  qu'il  a 
fallu  se  rendre  à  mes  représentations.  Pour  peu 
qu'on  eût  molli,  on  n'obtenoit  rien  de  bon.  Je  suis 
même  persuadé  que  si  la  Sorbonne  avait  mis  la  qua- 
lification d'hérétique  à  la  proposition  de  l'involon- 
taire, et  à  celles  de  l'amour  pur  et  du  sacrifice  du 
salut  joint  au  désespoir,  on  n'auroiit  pu  se  dispenser 
ici  d'en  faire  autant  ;  mais  comme  ils  ont  vu  que  les 
docteurs  s'en  étoierit  abstenus,  ils  ont  cru  pouvoir 
suivre  leur  exemple  par  tempérament,  sans  s'expo- 
ser à  de  justes  reproches. 

Cependant  les  savans  de  (iette  ville  n'ont  point 
approuvé  la  manière  foiblé  aVéc  laquelle  la  consti- 
tution a  été  rédigée.-  On  sait  bien  dire  qu'on  y  recon- 
noîtroit  la  plume  et  le  génie  du  secrétaire,  le  cardinal 
Albani ,  quand  même  il  n'auroit  pas  mis  son  nom. 

Je  ne  crois  pas  que  le  saint  Siège  se  soit  jamais 
servi  de  bref  dans  les  matières  de  doctrine,  et  pour 
la  condamnation  de  propositions  spécialement  mar- 
quées. Je  vois  clairement  qu'on  a  pris  pour  modèle 
de  ce  qu'on  vient  de  faire,  le  bref  de  Clément  IX, 
de  l'an  1668,  contre  le  Rituel  d'Alet  :  Sensim  induci 
passent  in  errores  jam  damnatos ,  est  pris  de  là,  et 
tombe  dans  ce  bref  sur  les  propositions  ,  et  dans 
celui  de  M.  de  Cambrai  sur  le  livre  en  général.  Dans 
celui  de  Clément  IX  on  condamne  au  feu ,  dans  ce- 
lui-ci on  omet  cette  note.  On  a  encore  évité  de  mar- 
quer dans  celui-ci  qu'on  défend,  sous  peine  d'ex- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  389 

communication,  de  tenir  les  propositions  ;  ce  qu'on 
met  partout,  quand  elles  sont  rapportées.  Le  bref 
de  Cle'ment  IX ,  sur  le  nouveau  Testament  de  Mons , 
contient  les  mêmes  choses  ;  mais  le  motu  proprio 
n'y  est  pas. 

Au  reste,  à  moins  que  vos  ordres  ne  m'arrêtent, 
ce  que  je  ne  puis  prévoir,  je  me  dispose  à  partir 
d'ici  vers  le  commencement  du  mois  de  mai ,  pour 
pouvoir  arriver  à  Venisq  à  l'Ascension.  Je  ne  man- 
querai pas  de  passer  à  Florence,  pour  y  rendre 
mes  respects  à  M.  le  grand  duc  ,  et  y  revoir  nos 
amis.  Je  ne  doute  pas  qu'avant  ce  temps  je  ne  puisse 
avoir  terminé  ici  ce  qui  pourroit  rester  à  faire, 
lorsque  j'aurai  su  les  résolutions  de  la  Cour  et  des 
évêques ,  et  le  parti  que  M.  de  Cambrai  aura  pris. 
Au  reste,  je  m'en  rapporte  entièrement  à  vous,  et 
quelque  désir  que  j'aie  de  retourner  auprès  de  votre 
personne,  vous  serez  toujours  le  maître  de  me  faire 
faire  ce  que  vous  jugerez  le  plus  à  propos. 

Rome,  ce  24  mars  1699. 


LETTRE  CCCCXLVII. 

DE   BOSSUET  A    SON   NEVEU. 

Sur  la  satisfaction  qu'on  avoit  du  bref  contre  M.  de  Cambrai  ;  les 
avantages  de  ce  décret j  la  manière  dont  Fénélon  avoit  écrit  au 
nonce,  et  avoit  appris  sa  condamnation j  et  sur  la  spumissioa 
avec  laquelle  le  bref  étoit  reçu. 

Nous  avons  vu  par  vos  lettres  du  10,  que  vous 
aviez  préparé  et  prévu  ce  que  nous  avons  appris 
par  le  courrier  du  i3.  Dieu  soit  loué  à  jamais. 


3c)0  LETTRES 

On  attend  ici ,  pour  prendre  une  resolution  sur 
Texe'cution  de  ce  bref,  le  paquet  de  M.  le  nonce, 
qu'on  ne  pourra  recevoir  que  par  l'ordinaire  pro- 
chain. Cependant  vous  pouvez  assurer  le  Pape  et  les 
cardinaux  que  le  bref  est  estime' ,  applaudi ,  reçu 
avec  joie  par  le  Roi,  par  les  évéques,  et  par  tout 
Paris  et  toute  la  Cour.  11  y  a  long-tenips  que  l'Eglise 
romaine  n'avoit  fait  un  décret  ni  si  beau,  ni  si  pré- 
cis. On  marquera  tout  le  respect  possible  au  saint 
Siège. 

La  seule  difficulté  est,  qu'il  n'y  a  point  d'adresse 
aux  évêques.  Le  reste  n'est  rien  du  tout.  J'espère 
qu'on  trouvera  les  moyens  de  donner  à  un  bref  de 
cette  importance,  toute  l'autorité  qui  convient  à 
une  décision  aussi  formelle  et  aussi  authentique  du 
saint  Siège. 

La  précision  du  bref  consiste  principalement  en 
quatre  points.  Premièrement,  à  condamner  le  livre 
quocumqiie  idiomate  :  par  conséquent,  la  propre 
version  latine  de  M.  de  Cambrai,  que  nous  avons 
accusée  de  fausseté;  et  l'on  a  bien  remarqué  que 
dans  la  version  latine  des  propositions  condamnées 
par  le  bref,  on  ne  s'est  point  servi  de  celle  de  M.  de 
Cambrai.  Secondement,  en  ce  qu'il  est  dit  que  le 
livre  induit  ('*')  sensim  in  errores  ah  Ecclesid  catho- 
licâ  jam  damnatôs  ;  ce  qui  confirme  tout  ce  que 
nous  avons  dit  sur  ce  sujet.  Troisièmement,  en  ce 
qu'il  déclare  ces  propositions  perniciosas  in  praxi; 
ce  qui  appuie  encore  ce  que  nous  avons  dit  sur 
les  conséqufeilces.  Quatrièmement,  en  ce  que  qua- 

(*)  Le  bref  dit  sculernent/jue  les  ^xo^s^ûXx^m  pourroientinduire  ^ 
î/2£/ttc//70^5enf.  (Edit.  de  Vers.)  >  i  <.  : 


SUR    l'a  FF  AI  11  E    DU    QUIÉTISME.  89! 

lifîant  les  propositions  d'e/v-oweâ^^  ^  avec  la  clause 
sii^e  in  sensu  obv^io ,  swe  ex  connexione  senientia- 
rum  ;  il  exclut  nettement  toutes  les  explications. 
Jamais  on  n'a  fait  censure  si  docte  ni  si  profonde; 
et  je  voiis  assure,  sans  rien  exagérer,  que  nous  en 
sommes  ravis.  '.     ./i^xiri^ 

Tout  le  monde  vous  loué,  et  on  est  fort  content 
de  votre  conduite. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  e'crit  au  Roi  qu'il 
avoit  cacheté  son  avis  signé  de  lui  avant  la  décision, 
et  scellé  de  son  cachet  et  de  celui  du  père  Roslet,  par 
lequel  il  constateroit  qu'il  avoit  pris  un  sentiment 
meilleur,  et  plus  capable  de  déraciner  l'erreur  que 
tout  ce  qui  a  été  fait.  On  a  fait  voir  au  Roi ,  qu'ap- 
paremment il  avoit  dit  ce  qu'il  savoit  de  meilleur 
dans  les  congrégations,  et  que  cela,  bien  assurément, 
n'e'toit  rien  qui  vaille,  et  ne  tendoit  qu'à  tout  détruire 
et  à  élever  le  Molinosisme  sur  le  fond  du  livre. 

Il  a  écrit  à  M.  le  nonce  en  ces  termes  :  «  Voilà  le 
»  décret,  Dieu  veuille  qu'il  donne  la  paix  à  l'Eglise  ». 
Vous  verrez  bien  assurément  le  consentement  uni- 
versel de  Tépiscopat.  '> 

Par  une  lettre  écrite  du  t4  à  M.  le  nonce,  M.  de 
Cambrai  demande  d'abord  trois  choses  :  l'une,  que 
si  la  doctrine  de  son  livre  est  mauvaise,  on  la  con- 
damne nettement; l'autre,  que  si  elle  est  ambiguë,  on 
lui  déclare  nettement  le  parti  qu'il  a  à  prendre;  la 
troisième,  que  si  elle  est  bonne,  on  le  déclare  au- 
thentiquement  et  nettement,  pour  empêcher  les  avan- 
tages qu'on  pourroit  prendre  sur  lui  :  qu'au  reste, 
si  l'on  ne  parle  pas  avec  la  netteté  qu'il  demande, 


m- 


392  LETTRES 

il  ne  laissera  pas  d'être  soumis;  mais  que  d'autres 
écriront  contre  la  décision. 

Il  dit  encore,  dans  la  même  lettre,  que  M.  de 
Meaux  répand  partout ,  qu'il  n'aura  qu'une  soumis- 
sion apparente  et  extérieure  ,  et  qu'il  faut  que  lui, 
M.  de  Meaux,  rétracte  ses  erreurs,  notamment  sur 
la  charité  et  la  passiveté. 

Il  conclut  enfin  sa  lettre,  en  disant  que  le  Pape 
lui  doit  montrer  en  quoi  il  est  contraire  aux  saints 
canonisés  qu'il  a  cites.  Ainsi ,  voilà  le  Pape  obligé 
h  faire  un  livre  contre  M.  de  Cambrai.  Cette  lettre 
a  été  trouvée  fort  menaçante,  et  en  même  temps 
pleine  d'impertinence.        . .  t .  j,.  > 

Nous  avons  nouvelle  qui!  a  appris  sa  condamna- 
lion  le  aS,  deux  heures  avant  le  sermon  qu'il  devoit 
faire,  et  qu'il  a  tourné  son.  sermon,  sans  rien  spé- 
cifier, sur  la  soumission  aveugle  qui  étoit  due  aux 
supérieurs  et  aux  ordres  de  la  Providence. 

J'ai  été  chez  M,  de  Beauvilliers  me  réjouir  avec  lui 
de  sa  soumission ,  et  l'assurer  que  je  n'ai  pas  seule- 
ment songé  à  dire  ce  que  M.  de  Cambrai  m'impute 
dans  sa  lettre  à  M.  le  nonce. 

Jam,ais  décision  du  saint  Siège  n'a  été  reçue  avec 
plus  de  souraissioïi  et  de  joie.  M.  de  Beauvilliers  et 
M.  de  Chevreuse  ont  envoyé  leurs  exemplaires  du 
livre  des  Maximes  à  M.  de  Paris;  et  tout  le  monde 
les  imite,  sans  attendre  que  le  bref  soit  publié  dans 
le3  formes. 

Cette  décision  tournera  à  l'honneur  du  saint  Siège  j 
cela  s'appelle /2^5o/M^a  j  docta  et  cauta  censura.  Vous 
ne  sauriez  aller  trop  tôt  aux  pieds  du  Pape,  pour 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  398 

lui  témoigner  ma  profonde  vénération  et  ma  grande 
joie,  ni  témoigner  trop  promptement  à  ces  doctes  et 
courageux  cardinaux ,  et  surtout  au  cardinal  Gasa- 
nate,  mon  admiration. 

On  fait  dire  ici  au  cardinal  d*A  guirre  ,  Dominus 
Meldensis  vult  vincere  ^  est  justwn  :  vult  trium" 
phare j  nimis  est.  M.  de  Meaux  veut  vaincre,  cela 
est  juste;  il  veut  triompher,  c'est  trop.  Je  ne  veux 
non  plus  vaincre  que  triompher  \  et  l'un  et  l'autre 
n'appartiennent  qu'à  la  vérité  et  à  la  chaire  de  saint 
Pierre. 

Je  ne  puis  vous  dire  en  détail  ce  qu'on  fait  :  on  ne 
prendra  des  mesures ,  qu'après  avoir  vu  le  paquet 
de  M.  le  nonce.  Le  Roi  m'appela  dès  qu'il  me  vit. 
Je  lui  fis  connoître,  le  mieux  que  je  pus,  ce  qu'on 
devoit  au  Pape  et  aux  grands  cardinaux.  Tout  à 
vous. 

A  Versailles,  lundi  3o  mars  1699. 


LETTRE  CCCCXLVIII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  M.  DE  NO  AILLES, 

ARCHEVÊQUE    DE    PARIS. 

Sur  les  dernières  lettres  du  Roi  contre  le  projet  des  Canons  \  la 
bonne  conduite  du  nonce  pendant  le  cours  de  cette  afiaire  j  et 
le  mécontentement  du  Pape  de  n''avoir  pas  donné  une  bulle- 

Je  me  sers  de  l'occasion  du  courrier  extraordi- 
naire, qui  a  apporté  les.  ordres  que  vous  savez,  et 
vos  lettres  avec  celles  de  M.  de  Meaux,  pour  vous 
écrire.  Il  a  ordre  de  se  tenir  prêt  à  partir  cette 


3();î.  LETTRES 

nuit.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  s'e'toit  douté  du 
courrier  que  j  avois  envoyé  sur  le  nouveau  projet 
des  Canons  :  il  n'a  pas  laissé  d'être  très -surpris  et 
très-mortifié  d'une  réponse  si  prompte,  si  nette  et 
si  pleine  d'improbation  de  ce  projet  favori.  Le  cour- 
rier arriva  jeudi,  26  de  ce  mois,  et  le  cardinal  alla 
le  lendemain  matin  chez  le  Pape,  faisant  semblant 
de  porter  des  nouvelles  fâcheuses  d'Espagne. 

Cependant  on  n'a  pas  laissé  de  se  douter  du  vrai 
sujet  de  sa  visite,  et  on  a  su  qu'il  y  avoit  une  lettre 
du  Roi  au  Pape,  qui  contenoit  de  nouvelles  instances 
pour  le  jugement.  Quoiqu'il  semble  que  cette  dé- 
pêche soit  venue  dans  un  temps  où  l'on  n'en  avoit 
plus  besoin,  je  suis  persuadé  que,  par  rapport  aux 
circonstances  présentes,  cette  déclaration  du  Roi 
produira  un  bien,  en  faisant. connoître  pius  certai- 
nement à  cette  Cour  qu'elle  n'a  pas  sujet  de  se  re- 
pentir d'en  avoir  trop  fait,  et  qu'elle  ne  pouvoit  pas 
en  faire  moins  pour  répondre  aux  justes  et  pres- 
santes sollicitations  de  la  France  contre  un  si  mau- 
vais livre. 

Je  ne  sais  comment  M.  le  cardinal  de  Bouillon, 
aura  tourné  les  choses  au  Pape  :  sans  doute  il  aura 
bien  témoigné  ne  pas  approuver  le  zèle  de  ceux  qui 
ont  cru  devoir  faire  avertir  le  Roi  de  ce  qui  se  pas- 
^oit  ici.  Mais  j'espère  que  le  Pape  aura  bien  com- 
pris qu'ils  y  étoient  obligés  en  honneur  et  en  con- 
science :  en  tout  cas  ils  ont  voulu  n'avoir  rien  à  se 
reprocher,  et  n'ont  écrit  que  la  pure  vérité.  J'avois 
prévenu  le  cardinal  Spada,  il  y  a  huit  ou  dix  jours, 
du  compte  que  j'avois  cru  devoir  rendre  en  France 
de  ce, qui  regardait  le  projet  des  Canons,  afin  qu*il 


SUR  l'affaiïie  du  quiéttsme.  395 

ne  fut  pa5  étonne  des  lettres  un  peu  fortes  qui  pour- 
roient  venir  là-dessus.  Il  me  dit  que  j  avois  fort  bien 
fait,  et  que  le  tout  ayant  été  réparé  par  un  prompt 
jugement,  les  plaintes  que  ce  projet  occasionneroit, 
ne  serviroient  qu'à  confirmer  le  Pape  dans  le  parti 
qu'il  avoit  pris;  et  tel  est  TefTet  qui  doit  résulter 
des  lettres  du  Roi,  si  l'on  ne  prend  pas  plaisir  à 
aigrir  l'esprit  du  Pape.  Je  n'ai  pu  encore  rien  savoir 
de  positif  sur  ce  point,  ayant  été  obligé  de  garder 
la  chambre  cinq  ou  six  jours.  Je  sais  que  le  cardi- 
nal de  Bouillon  a  été  deux  heures  enfermé  avec  le 
cardinal  Spada,  pour  écrire  apparemment  de  con- 
cert en  Cour.  Je  ne  veux  pas  supposer  qu'ils  ne 
marquent  pas  la  vérité. 

Avant  l'arrivée  du  courrier  on  avoit  embrouillé 
de  nouveau  l'esprit  du  Pape,  qui  avoit  dit,  sur  la 
demande  qu'on  feroit  peut-être  d'une  bulle  en  forme 
au  lieu  d'un  bref,  qu'il  n'en  avoit  déjà  que  trop  fait. 
Mais  ces  discours  ne  doivent  pas  faire  craindre  qu'il 
refuse  à  cet  égard  ce  qui  pourroit  convenir,  quand 
on  le  lui  demandera  ;  et  je  crois  qu'on  ne  doit  pas 
hésiter  d'agir  incessamment,  si  on  ne  l'a  déjà  fait. 
On  aimera  ici  beaucoup  mieux  accorder  une  pareille 
demande,  que  de  ne  pas  voir  niettre  à  exécution  le 
décret  en  France. 

'11  est  très-certain  que  le  moiu  proprio  n'est  essen- 
tiel ni  aux  bulles,  ni  aux  brefs,  même  par  rap- 
port à  Rome.  Je  trouve  plusieurs  bulles,  oti  il  n'est 
point,  surtout  celles  qui  ont  été  publiées  en  France  : 
quand  on  met  ej:  consilio  fratrum  ,  et  audiiis  Car- 
àinalihus ,  etc.  ordinairement  on  ne  met  point  le 
niolu  proprio ,  comme  on  le  peut  voir  dans  la  bulle 


•^9^  LETTRES 

de  Molinos,  et  dans  la  bulle  que  ce  Pape-ci  a  faite 
contre  le  ne'potisme,  la  plus  authentique  qui  ait  ja- 
mais e'te'.  Pour  les  bulles  et  brefs  où  l'on  met  le  motu 
proprioj  ordinairement  on  n'y  met  pas  auditis  Cmt 
dinalibiLS.  C'est  ce  qu'on  remarque  dans  le  bref  de 
Clément  IX,  contre  le  Rituel  d'AIet,  et  dans  la 
bulle  de  ce  Pape-ci  sur  la  vénalité  des  charges  de  la 
chambre.  Quant  aux  brefs  sans  motu  proprio  ^  il  n'y 
a  qu'à  voir  le  bref  de  Clément  IX  contre  le  nouveau 
Testament  de  Mons,  où  il  est  dit  auditis  Cardina- 
libus ,  etc.  sans  le  motu  proprio;  et  celui  de  Clé- 
ment X,  de  l'an  1673,  qui  contient  la  suppression 
des  confréries ,  sous  le  nom  du  Bon  Pasteur.  Les 
deux  brefs  de  Clément  IX  sont  de  l'an  1668. 

On  peut  encore  remarquer  que  dans  les  brefs 
et  bulles  où  l'on  retranche  le  moiu  proprio,  il  n'est 
point  nécessaire  d'exprimer  qu'ils  aient  été  requis 
par  personne,  comme  me  le  soutenoit  le  cardinal 
Albani,  qui  cherchoit  par-là  à  excuser  sa  mauvaise 
tournure.  Mais  la  maxime  est  fausse ,  car  ils  font 
les  brefs  et  les  bulles  dans  la  forme  qu'il  leur  plaît, 
et  ils  doivent  les  construire  pour  les  royaumes 
étrangers  dans  celles  qui  y  sont  admises  :  ainsi ,  en 
cas  que  le  motu,  proprio ,  et  la  forme  du  bref,  fassent 
de  la  peine  en  France,  on  ne  doit  pas  bési^ter  à 
demander  ici  une  bulle  d'un  autre  style,  et  l'on 
n'hésitera  pas  ici  à  la  donner. 

M.  Giori  mérite  des  remercîmens  particuliers  du 
zèle  et  de  la  sincérité  qu'il  a  montrés  dans  cette 
affaire;  ce  qui  n'est  pas  peu  pour  un  Italien. 

Vous  aurez  bientôt  à  Paris,  M.  le  prince  Vaïni, 
qui  a  rendu  à  la  bonne  cause  tous  les  services  qu'il 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  397 

a  pu.  Le  cardinal  de  Bouillon  s'attend  qu'il  dira 
beaucoup  de  bien  de  lui  ;  mais  je  crois  qu'il  con- 
noîtra  assez  le  terrain  pour  ne  pas  exagérer,  de  peur 
de  n'être  pas  cru. 

Les  Je'suites  sont  plus  abattus  du  coup  qu'aucfun 
autre  :  il  semble  que  chacun  d'eux  a  été  condamné 
dans  la  personne  de  M.  de  Cambrai  ;  cela  est  vi- 
sible. 

Par  tout  ce  qui  m'est  revenu,  depuis  près  de 
deux  ans  que  cette  contestation  dure ,  il  me  paroît 
certain  que  M.  le  nonce  s'est  conduit ,  à  l'égard  des 
évêques,  du  Roi  et  du  Pape,  comme  il  convenoit  pour 
le  succès  de  l'affaire  et  l'honneur  du  saint  Siège. 
Cela  étoit  bien  nécessaire;  et  autrement,  il  y  avoit 
tout  à  craindre  de  la  terrible  prévention  du  Pape , 
qui ,  malgré  tant  de  recommandations ,  a  été  près  de 
faire  bien  du  mal. 

On  vient  de  m'assurer,  de  très-bonne  part,  que 
le  Pape  est  très-fâché  de  n'avoir  pas  fait  une  bulle 
en  forme,  et  d'être  obligé  d'y  revenir.  Le  cardinal 
Albani  veut  faire  retomber  la  faute  sur  le  cardinal 
Casanate,  mais  sans  fondement,  ce  dernier  ayant 
toujours  eu  dessein  de  donner  une  bulle,  dont  j'ai 
vu  le  projet;  mais  quand  il  a  senti  que  le  cardinal 
Albani  vouloit  absolument  se  rendre  maître ,  il  l'a 
laissé  faire  un  plat  de  son  métier,  c'est-à-dire,  un 
bref  au  secrétaire  des  brefs. 

La  reine  de  Pologne  et  le  cardinal  son  père,  font 
le  spectacle  de  Rome  depuis  huit  jours.  Il  y  a  eu 
ce  matin  consistoire,  et  le  Pape  a  donné  le  chapeau 
au  cardinal  Morigia,  et  au  cardinal  d'Arquien  ou 
de  la  Grange.  La  goutte  a  pris  cette  nuit  à  ce  car- 


898  LETTRES 

l^inal^  et  Fa  empêché  de  faire  le  jeune  homme  à  cette 
çére'monie. 

Pendaat  que  j'écrivois  cette  lettre,  le  révérend 
père  Cambolas  est  venu  me  voir,  et  m'a  dit  un  fait 
arrivé  ce  matin,  qui  est  assez  curieux.  Le  prieur  du 
couvent  où  il  habite,  et  qui  est  en  même  temps  curé 
de  la  paroisse,  lui  a  dit  avoir  exhorté  ce  matin  à  la 
mort  un  jeune  prêtre  de  vingt-cinq  ans,  auquel  il  a 
^entendu  faire  un  acte  d'amour  parfait,  qui  conte- 
noit  le  sacrifice  absolu  de  son  éternité,  demandant 
en  termes  formels  à  Dieu  qu'il  le  damnât ,  afin  que 
sa  justice  et  sa  gloire  en  parussent  davantage.  Ce 
bon  père  a  été  effrayé  d'une  pareille  disposition;  et 
ce  n'a  pas  été  sans  peine  qu'il  a  fait  faire  au  mou- 
rant des  actes  de  foi  et  d'espérance,  et  des  demandes 
expresses  du  salut  ;  après  quoi  il  lui  a  administré  les 
sacremens ,  et  il  est  mort.  Au  sortir  de  là  ce  reli- 
gieux a  raconté  le  tout  à  son  général,  au  père  Gam- 
bo  as,  et  à  plusieurs  autres  des  principaux  religieux. 
Le  fait  est  constant ,  et  me  confirme  dans  le  soup- 
çon que  j'ai  toujours  eu,  que  cette  pernicieuse  doc- 
trine est  plus  enracinée  dans  Rome  qu'on  ne  le 
croit.  Plût  à  Dieu  qu'elle  ne  le  soit  pas  autant  en 
France. 

Rome,  ce  3o  mars  1699, 


SUR    l'aFFAIUE    du    QUIÉTISMIÎ.  3()9 

LETTRE  CCCCXLIX. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  un  Induit  qu'il  désiioit  obtenir;  des  remercîmens  qu'il  conve- 
noit  de  faire  à  ceux  qui  avoient  servi  avec  zèle  dans  la  cause;  et 
le  sujet  pour  lequel  le  cardinal  de  Bouillon  interrompit  la  lec- 
ture du  bref. 

Un  grand  rhume,  avec  an  peu  de  fièvre,  m'em- 
pêche de  vous  écrire  longuement.  Je  vous  envoie 
copie  de  la  lettre  que  je  dictai  hier  pour  M.  de  Paris, 
par  laquelle  vous  apprendrez  tout  ce  qui  peut  vous 
intéresser. 

Je  songe  très-sérieusement  à  partir  aussitôt  que 
je  le  pourrai,  et  que  j'en  aurai  la  liberté ,  c'est-à-dire, 
après  avoir  vu  ici  ce  qu'on  jugera  à  propos  de  faire 
en  France,  et  ce  que  M.  de  Cambrai  fera.  J'espère 
le  savoir  à  peu  près  au  commencement  de  mai,  et 
pouvoir  être  ainsi  à  Venise  à  l'Ascension.  Mais  je 
serois  bien  aise  de  ne  pas  sortir  de  ce  pays-ci,  sans 
faire  les  derniers  efforts  pour  obtenir  l'Induit  pour 
les  bénéfices  de  mon  abbaye.  Les  circonstances  seront 
favorables  ;  et  si  M.  le  prince  de  Monaco  veut  bien 
m'aider  là-dedans,  je  compte  en  venir  à  bout.  Voyez, 
s'il  vous  plaît,  en  quoi  vous  pouvez  m'aider  du  côté 
du  Roi  et  du  nonce.  Si  M.  de  Monaco  pouvoit  dire 
ici  que  cela  fera  plaisir  au  Roi,  ce  seroit  un  bon 
moyen  pour  réussir.  Il  faut  toujours  que  vous  en 
écriviez  à  ce  ministre  et  à  M.  le  cardinal  Panciatici. 
Vous  ne  devez  pas  oublier  dans  votre  lettre  de  lui 
témoigner  la  satisfaction  qu'on  a  du  zèle  avez  lequel 


40O  LEtTRES 

il  s'est  porté  contre  Terreur.  Vous  ferez  bien  aussi 
d'e'crire  au  cardinal  Casanate,  relativement  à  Taffaire 
terminée,  une  lettre  de  confiance.  On  doit  tout 
attendre  de  son  amitié  pour  vous,  et  de  son  zèle 
pour  l'honneur  de  l'Eglise.  Je  m'attends  que  vous 
e'crirez  aussi  une  belle  lettre  à  M.  Giori,  sur  son 
zèle  et  les  services  qu'il  a  rendus. 

J'ai  reçu,  par  le  courrier  de  M.  de  Torcy,  une 
douzaine  d'exemplaires  des  Passages  é claire is ,  et 
de  la  Réponse  du  Théologien  de  M.  de  Chartres.  Je 
me  suis  fait  lire  le  premier  écrit,  et  je  l'ai  trouvé 
excellent  et  démonstratif;  on  l'attendoit  ici. 

J'apprends  dans  le  moment  que  Sa  Sainteté  té- 
moigne n'être  pas  fâchée  des  nouvelles  instances  du 
Roi ,  voyant  par  là  que  la  condamnation  du  livre  de 
M.  de  Cambrai  en  sera  reçue  plus  agréablement.  On 
m'a  dit  aussi  qu'il  commence  à  s'apercevoir  de  l'ar- 
tifice du  cardinal  Albani,  auteur  du  bref.  Il  est 
fâché  de  n'avoir  pas  fait  une  bulle,  au  moins  il  le 
témoigne. 

On  vient  encore  de  m'assurer,  de  plusieurs  en- 
droits ,  qu'il  paroît  de  plus  en  plus  être  bien  aise  de 
ce  quil  a  fait,  depuis  les  lettres  du  Roi  et  les  ap- 
plaudissemens  qu'a  donnés  à  son  décret  le  grand  duc, 
qui  véritablement  s'est  comporté  à  merveille  dans 
cette  affaire. 

L'obtention  de  l'Induit  que  je  désire,  est  de 
grande  conséquence  pour  moi,  et  peut  être  fort 
utile  à  d'honnêtes  gens,  à  qui  je  serai  par  là  en  état 
de  rendre  service. 

Je  ne  puis  trop  vous  recommander  M.  Madot  :  je 
vous  ai  écrit,  par  ma  lettre  du  24,  bien  des  choses 

sur 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME*  4^1 

sur  ce  chapitre.  Le  cardinal  de  Bouillon  est  furieux 
contre  lui ,   parce  qu'il  le  craint. 

Les  dépenses  extraordinaires  ont  été  ici  plus  loia 
qu  on  ne  pourroit  se  Timaginer.  Mais  j'ai  cru  ne  de- 
voir rien  épargner,  pour  réussir  dans  une  affaire 
où  il  s^agissoit  de  Tintérét  de  l'Eglise  et  du  bien 
de  l'Etat,  et  où  tout  rouloit,  j'ose  vous  le  dire, 
sur  moi. 

Je  ne  sais  si  je  Vous  ai  tharqué  précisément  à  quel 
sujet  le  cardinal  de  Bouillon  interrompit  la  lecture 
du  bref,  qui  se  faisoit  en  présence  du  Pape,  le 
lundi  12,  jour  du  jugement.  Ce  fut  pour  demander 
quon«ajoutàt  après  les  propositions,  ces  mots: 
quas  auctor  non  agnoscit  suas.  Il  se  fondoit  sur  ce 
qu'on  n'a  pas  interrogé  juridiquement  l'auteur, 
comme  l'avoit  été  Molinos ,  qui  reconnut  ses  propo- 
sitions ;  et  que  loin  d'être  autorisé  par  l'aveu  de 
M.  de  Cambrai,  il  protestoit  au  contraire  qu'on 
tronquoit  et  altéroit  ses  textes.  Mais  les  belles  re- 
présentations du  cardinal  de  Bouillon  ne  touchèrent 
personne  ;  il  fut  sifflé  par  les  cardinaux ,  et  le  Pape 
ordonna  qu'on  passât  outre  :  trois  fois  cependant  il 
interrompitja  lecture,  et  trois  fois  on  méprisa  tous 
ses  vains  discours» 

Je  vous  envoie  quelques  exemplaires  du  bref,  pour 
tous  servir,  en  cas  qu'on  ne  juge  pas  à  propos  de 
l'imprimer  en  France. 

Rome^  ce  3i  mars  1699. 


BOSSUET.    1Llu,  26 


402  LETTRES 


EPISTOLA  CCCCL. 

CAMERACENSIS  ARCHIEPISCOPI  AD  INNOCENTIUM  XII  (*). 

Pontifici  renuntiat  se  censurae  libri  siii  adhaerere,  eumque,  per 
Mandatum,  sine  ullà  restriclione  condemnaturum ,  simul  atque 
id  sibi  à  Rege  licere  resciverit. 

Sanctissime  Pater, 

AuDiTABeatitudinis  Vestrae  demeo  libello  senten- 
tiâ ,  verba  mea  dolore  plena  sunt  j  sed  animi  sub- 

(*)  Celle  lettre,  et  les  trois  pièces  que  nous  y  joignons,  quoi- 
qu'elles ne  soient  pas  tout-à-fait  de  même  date,  som  troif  impor- 
tantes pour  être  omises  dans  celle  correspondance.  Elles  sont 
d'ailleurs  nécessaires  pour  rintelligence  des  lettres  postérieures  de 
Bossuct  et  de  son  neveu.  Nous  ajoutons  ici  quelques  faits  relatifs 
à  ces  pièces,  dont  il  est  bon  que  le  lecteur  soit  instruit. 

Dès  que  le  bref  contre  le  livre  des  Maximes  eut  été  publié  à 
Rome,  Fabbé  de  Chaaterac  Texpédia  à  rarchevêque  de  Cambrai 
par  un  courrier.  Avant  de  Tavoir  reçu,  ce  prélat,  qui  avait  d'abord 
appris  par  Paris  la  condamnation  de  son  livre,  manda  à  l'abbé  de 
Chanterac  qu'il  atlendoit  la  bulle  pour  mesurer  sur  ses  paroles  celles 
de  son  mandement  d'acceptation,  qu'il  se  proposoit  défaire  le  plus 
f impie  et  le  plus  court  possible.  Il  neut  pas  plus  tôt  reçu  le  bref, 
qu'il  acheva  son  mandement,  et  écrivit  au  marquis  de  Barbezieux, 
secrétaire  d'Etat,  afin  d'avoir  l'agrément  du  Roi  pour  le  publier. 
Sans  attendre  la  réponse  du  ministre,  ne  voulant  pas  que  le  Pape 
eût  le  moindre  doute  sur  son  entière  soumission ,  il  envoya  à  l'abbé 
de  Chanterac  une  lettre  (celle  du  4  avril)  pour  être  remise  à  Sa 
Sainteté,  avec  une  copie  de  son  mandement  projeté,  qu'il  ne  vou- 
loit  pas  encore  faire  présenter  officiellement,  de  peur,  disoit-il, 
qu'on  ne  lefà  passer  pour  mauvais  Français ,  si  on  sauoit  qu'il  eût 
reconnu  un  jugement  de  Rome  sans  y  avoir  été  autorisé  par  le  Roi. 

Le  27  avril,  il  se  tint  à  Rome  une  congrégation  dans  laquelle 
on  lut  la  lettre  de  Fénélon  au  Pape,  et  celle  qu'il  avoit  écrite  à  l'é- 
vêque  d'Arras,  dont  ce  prélat  avoit  répandu  des  copies.  Tout  le 
monde  en  fut  satisfait,  et  le  Pape  chargea  le  cardinal  Albaui  de 


Sun    L'ArFAIllE    DU    QUIÉTISME.  ^o'S 

missio  et  docilitas  dolorem  supei  ant.  Non  jam  com- 
memoio  innocentiam  ,  probra,  totqne  èxplicationes 
ad  purgandam  docti  inam  scriptas.  Praeterita  omiiia 
omitto  loqui.  Jam  apparavi  Mandatum  per  totam 
hanc  diœcesim  propagandum,  quo  censurae  apo- 
stolicœ  huiuillimè  adhserens,  libellum  cum  viginti 
tribus  propositionibus  excerptis,  simpHciter,  abso- 
lutè  et  absque  ullâ  vel  restrictionis  umbrâ  condem- 
nabo,  eâdem  pœnâ  prohibens ,  ne  quis  hujus  diœcesis 
libellum  ant  légat,  aut  domi  servet.  Quod  Man- 
datum, Beatissime  Pater,  in  lucem  edere  certuni 
est,  simul  atque  id  mihi  per  Regem  licere  rescivero. 
Tum  in  me  nihil  morœ  erit,  quominus  id  intimae  et 
plenissimse  submissionis  spécimen  per  omnes  Eccle- 
sias,  necnon  et  per  gentes  haereticas  dissemilietur. 
Nunquam  enim  me  pudebit  à  Pétri  successore  cor- 
rigi,  cuifratres  confnmandi  partes  commissae  sunt. 
Adservandam  sanorum  verborum  formam,  igilur 

faire  à  l'arcbevéque  de  Cambtai;Une  réponse  honorable.  Le  bref 
éloit  dressé,  quand  Fabbé  Bossuet  en  ayant  ou  connoissance,  par- 
vint, à  force  d'intrigues,  à  le  faire  supprimer.  {^Voj  ez  ses  lettres 
des  5,  la  eï  19  mai  y  ci-après.  ) 

Dans  cet  intervalle,  Fénélon  avoit  reçu  la  réponse  du  minislfe 
pour  la  publication  de  son  mandement.  Aussitôt  il  s'empressa  do 
renvoyer  au  Pape,  avec  une  nouvelle  lettre.  (C'est  celle  du  10  avril, 
qui  paroit  ici  pour  la  première  fois.)  On  verra,  dans  les  lettres  de 
Tabbé  Bossuet,  qu'il  se  donna  bien  des  mouvemens  pour  en  avoir 
communication;  mais  inutilement.  Elle  fut  tenue  si  secrète,  qu'ex- 
cepté le  cardinal  Albani  et  probablement  le  cardinal  de  Bouil- 
lon ,  aucun  des  autres  n'en  eut  Connoissance.  Le  Pape  y  répondit 
par  son  bref  du  J2  mai.  Voyea  VHist,  de  Fénélon,  liv.  ni,  n.  77 
et  suiv.  tom.  11,  pag.  254  et  suiv.  3*  édit. 

Nous  n'insérons  pas  ici  le  mandement  de  Fénélon,  parce  qu'il 
se  trouve  dans  la  Relaiion  faite  à  FAssemMée  de  1700,  ci-dessus, 
lom.  XXX,  pag.  453  et  suiv.  {Edit.  de   Vers.) 


4o4  LETTRES 

libellus  in  perpetuum  repi  obetur.  Intra  paucissimos 
dies  id  ratunfi  faciam.  NuUa  erit  distinctionis  umbra 
levissima ,  quâ  decretum  eludi  possit ,  aut  tantula 
excusatio  unquam  adhibeatur.  Vereor  equidem , 
uti  par  est,  ne  Beatitudini  vestrae  sollicitudine  om- 
nium Ecclesiaium  occupatae  molestas  sim.  Verùm 
ubi  Mandatum  ad  illius  pedes  brevi  mittendum ,  ut 
submissionis  absolutae  signum,  bénigne  accepeiit, 
meum  erit  serumnas  omnes  silentio  perferre.  Sum- 
mâ  cum  observantiâ  et  devoto  animi  cultu  ero  in 
perpetuum,  etc. 

Franciscus,  archiep.  Cameracensis. 

Cameraci,  4  aprilis  1699. 


LETTRE  CCCCLI. 

DE  FÉNÉLON  A  L'ÉVÊQUE  D'ARRAS. 

Il  lui  annonce  sa  soumission  absolue  à  la  condamnation  de  son  livre , 
et  lu  publication  prochaine  de  son  mandement  à  ce  sujet. 

Permettez-moi  ,  Monseigueur ,  de  vous  dire  gros- 
sièrement,  que  vous  avez  été  trop  réservé  en  gardant 
le  silence.  Qui  est-ce  qui  me  parlera ,  sinon  vous , 
qui  êtes  l'ancien  de  notre  province  ?  Il  n'y  a  rien  , 
Monseigneur,  que  vous  ne  me  puissiez  dire  sans 
aucun  ménagement.  Quoique  je  sente  ce  qui  vient 
d'être  fait,  je  dois  néanmoins  vous  dire  que  je  me 
sens  plus  en  paix  que  je  n'y  étois  il  y  a  quinze  jours. 
Toute  ma  conduite  est  décidée.  Mon  supérieur,  en 
décidant,  a  déchargé  ma  conscience.  Il  ne  me  reste 
plus  qu'à  me  soumettre ,  à  me  taire  et  à  porter  la 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4o5 

croix  dans  le  silence.  Oserai-je  vous  dire  que  c'est 
un  état  qui  porte  avec  lui  la  consolation  pour  un 
homme  droit,  qui  ne  veut  regarder  que  Dieu,  et 
qui  ne  tient  point  au  moi;ide.  Mon  mandement  est 
devenu  ,  Dieu  merci ,  mon  unique  affaire ,  et  il  est 
déjà  fait.  J'ai  tâché  de  choisir  les  termes  les  plus 
courts ,  les  plus  simples  et  les  plus  absolus.  Il  seroit 
déjà  publié ,  si  je  n'attendois  les  ordres  du  Roi ,  que 
j'ai  demandés  à  M.  de  Barbezieux ,  pour  ne  blesser 
point  les  usages  du  royaume ,  par  rapport  à  la  ré- 
ception des  bulles  et  autres  actes  juridiques  de  Pvome. 
Voilà,  Monseigneur,  Tunique  raison  qui  retarde  la 
publication  de  mon  mandement.  Il  coûte,  sans 
doute,  de  s'humilier  ;  mais  la  moindre  résistance  au 
saint  Siège  coûteroit  cent  fois  davantage  à  mon 
cœur;  et  j'avoue  que  je  ne  puis  comprendre  qu'il  y 
ait  à  hésiter  en  une  telle  occasion.  On  souffre,  mais 
on  ne  délibère  pas  un  moment.  Je  serai ,  etc. 


EPISTOLA  CCCCLII. 

CAMERACENSIS  ARCHIEPISCOPI  AD  INNOCENTIUM  XII. 

Mandatum ,  quod  epislolà  praecedenti  renunliaverat ,  Pontifici  mit- 
tens  suam  Brevi  apostolico  plenissîmam  adhœsionem  itérât,  sen- 
susque  reverentiae  et  amoris  filialis  erga  Ecclesiam  matrem  atque 
optimum  Fontifîcem,  significat. 

Sajvctissime  Pater, 

Mandatum  ,  quod  jam  per  hanc  diœcesim  propa- 
latur,  ad  Beatitudinis  Vestrae  pedes  humillimè  sisto, 
ut  certior  fiat  me  apostoUco  Brevi,  quo  libellus  de 
sanctorum  Placiùsij  etc.  damnatus  est,  plenissimèj^ 


4o6  LETTRES 

simplicissimè ,  et  absque  ullà  restrictione  adhseï  ère. 
Ex  scriptis  apologeticis  per  biennium  excusis,  ni 
fallor,  innotuit  me,  in  eclendo  libelle,  illusioni 
patrocinai  i  nullatenus  voluisse  ;  imo  fuisse  infensis- 
simum.  Insuper,  ut  iisdem  scriptis  declaravi,  nihil 
certè  piguisset  ab  eo  tuendo  desistere,  ad  pacem 
componendam.  Verùm ,  sanctissime  Pater,  religio 
vetuit,  ne  alienae  sententiae,  reluctante  conscientiâ, 
bbsequerer,  ad  repudiandum  uniformem,  ut  mihi 
tum  videbatur,  totSanctorum  cujusque  aetatis  ser- 
monem ,  nisi  Sedis  apostolicae  auctoritas  accederet. 
Etenim  testis  est  mibi  cordium  scrutator  et  judex 
Deus,  id  potissimùm  mihi  cordi  fuisse,  ut  sancto- 
rum  expérimenta  et  dicta,  in  libello  simpliciter  re- 
lata, plerumque  temperarentur.  Unde  arbitrabar 
me  abunde  consuluisse,  ne  textus  unquam  trahi 
posset  ad  sensum  alienum  ab  eo,  quemin  apologe- 
ticis scriptis  ingénue  et  constanter  asserui.  Verum- 
tamen,  sanctissime  Pater,  jam  meum  est  credere 
mentem  meam  eo  in  libello  malè  esse  explicitam  , 
meque  in  cautionibus  adversùs  errorem  adhibendis 
proposito  arduo  excidisse.  Ad  hoc  fatendum  facile 
me  movet  tanta  auctoritas,  quam  suscipiens  tan- 
tulasingenii  vires  nihili  facio.  Igitur  nihil  queror, 
nihil  postulo,  sanctissime  Pater.  Hoc  unum  mihi 
solatio  erit,  scilicet  tribulationem  humili  et  obe- 
dienti  animo,  quoad  vixero,  perferre.  Eadem  prorsus 
erit  semper,  Deo  dante,  erga  Sedem  apostolicam 
reverentia  et  devotio  ;  idem  constans  erga  Ecclesiam 
matrem  et  magistram  amor  filialis.  Easdem  preces 
singulis  diebus  fundam,  ut  piissimus  Pontifex  gre- 
gem   dominicum  fructuosè,   pacificè  ac  diutissimè 


suii  l'affaire  du  quiétisme.  4^7 

pascat.  Sternum  ero  intima  cum  observantiâ,  et 
religioso  animi  cultu,  sanctissime  Pater,  etc. 

Cameraci,  lo  aprilis  1699. 

CCCCLIII. 

BREVE  INNOCENTII  XII 

AD  ARCHIEPISCOPUM  CAMERACEWSEM. 

INNOCENTIUS  PAPA  XII. 

VcNEiiAiiiLis  Frater,  Ubi  primùm  accepimus  Fra- 
ternitatis  tuœ,  mense  aprili  proximè  elapso,  ad  nos 
datas  litteras,  unaque  cum  illis  exemplar  Mandati , 
quo  apostolicae  nostrae,  libri  à  te  editi  cum  viginti 
tribus  inde  excerptis  propositionibus,  damnation! 
humiliter  adhœrens,  eam  commisso  tibi  gregi  prompto 
obsequentique  animo  edixisti  ;  summoperè  lœtati 
sumus.  Novo  siquidem  hoc  debitœ  ac  sincerae  tuae 
erga  nos  et  hanc  sanctam  Sedem  devotionis  atque 
obedientiae  argumento ,  illam  quam  de  Fraternitate 
tuâ  jampridem  anim(t  conceperamus,  opinionem 
abunde  confirmasti.  Nec  sanè  aliud  nobis  de  te  pol- 
licebamur;  qui  ejusmodi  voluntatis  tuae  propositum 
diserte  expiicasti ,  ex  quo  ab  hâc  cœterarum  matre 
et  magistrâ  Ecclesiâ  doceri  ac  corrigi  démisse  postu- 
lans,  paratas  ad  suscipiendum  verbum  veritatis 
aures  exhibuisti  ;  ut  quid  tibi  aliisque  de  libro  tuo 
praefato,  contentâque  in  eo  doctrinâ  sentiendum 
esset ,  prolato  à  nobis  judicio  statueretur.  Tuœ  ita- 
que  sollicitudinis  zelum ,  quo  pontificiae  sanctioni 
alacriter  obsecutus  fuisti ,    plurimiim  in  Domino 


4o8  LETTRES 

commendantes,  pastoralibus  laboribus  ac  votis  tuis 
adjutorem  et  protectorem  omnipotentem  Deum  ex 
animo  precamur  ;  tibique ,  venerabilis  Frater , 
apostolicam  benedictionem  peramanter  impei  timur. 
DatumRomae,  sub  annulo  Piscatoris,  die  12  Mail, 
anno  1699,  pontificatûs  nostri  octavo. 


LETTRE    CCCCLIV. 

DE   BOSSUET  A  M.  DE  NQAILLES, 

ARCHEVEQUE    DE    TARIS. 

II  lui  rend  compte  des  lettres  quil  avoit  reçues;  et  juge  peu  né- 
cessaire et  dangereux  de  dema,nder  une  bielle  à  la  place  du 
bref. 

Permettez-moi,  Monseigneur,  dans  la  petite  peine 
que  j'ai  à  écrire,  de  vous  rendre  compte,  par  une 
main  étrangère,  des  lettres  que  j'ai  reçues  de  mon 
neveu,  hier  et  aujourd'hui,  du  24  et  du  3i  mars. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  étoit  fort  fâché  contre 
M.  Madot,  et  je  crois  être  obligé  de  vous  en  avertir, 
afin  que  vous  préveniez  les  mauvais  offices,  tant 
contre  lui,  que  contre  mon  neveu.  Le  sujet  de  sa 
plainte  est,  qu'il  nous  a  avertis,  vous  et  moi,  par 
un  homme  exprès,  et  que  ce  gentilhomme  lui  a  offert 
son  ministère  pour  cela.  Mais,  outre  toutes  les  rai- 
sons pour  lesquelles  il  ne  pouvoit  pas  s'en  dispenser, 
le  Pape  lui  avoit  fait  expressément  témoigner  qu'il 
le  devoit  faire  ;  craignant  apparemment  qu'on  ne 
tournât  de  l'autre  côté  la  chose  au  désavantage  de 
Sa  Sainteté  et  des  congrégations,  surtout  des  der^ 
îiiçves  qu'elle  a  fait  tepir  devant  elle, 


SUR    L*AFFAIIIE    DU    QUIÉTISME.  4^9 

Le  cardinal  de  Bouillon  traite  mon  neveu  avec 
un  froid  inoui.  Mais  j'ose  vous  dire  qu'il  ne  s'en  tour- 
mente pas  beaucoup,  et  qu'il  continue  à  ne  man- 
quer en  rien  h  ce  quil  lui  doit.  On  apprend  tous 
les  jours,  de  plus  en  plus,  son  obstination  à  défendre 
M.  de  Cambrai  ;  et  je  ne  sais  si  vous  savez  que , 
jusqu'au  jeudi  que  le  décret  fut  donné,  il  vouloit 
qu'on  mît  après  l'énoncé  des  propositions,  que  M.  de 
Cambrai  ne  les  avouoit  pas,  quoiqu'elles  fussent  con- 
çues dans  les  propres  termes  de  son  livre  ;  ce  qui 
fut  sifflé  par  les  cardinaux,  si  on  ose  employer  ce 
terme ,  et  rejeté  par  le  Pape  avec  force. 

Il  est  bien  constant  qu'il  n'a  tenu  qu'à  lui  qu'on 
ait  fait  une  bulle  avec  tous  ses  accompagnemens , 
et  on  n'a  pris  le  parti  d'un  bref,  que  pour  mettre 
l'afFaire  entre  les  mains  du  cardinal  Albani  ;  mais 
tous  les  adoucissemens  de  ce  cardinal ,  n'empêchent 
pas  la  force  de  la  constitution.  Tous  les  gens  de  bien 
à  Rome  en  sont  ravis,  et  bénissent  Dieu  d'avoir  si 
bien  inspiré  le  Pape ,  malgré  la  cabale  dont  il  étoit 
obsédé.  Au  reste,  il  est  remarquable  que  dès  le  temps 
de  Molinos,  le  cardinal  Azolin,  qui  étoit  porté  à  le 
sauver,  proposa  de  faire  des  canons  ;  ce  qui  fut  rejeté 
alors,  comme  il  l'a  été  aujourd'hui. 

Par  la  lettre  du  3 1,  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
étoit  encore  plus  fâché  de  ce  qu'on  avoit  averti  du 
projet  des  canons.  Mais  quoique  les  lettres  du  Roi 
soient  arrivées  après  la  chose  faite,  elles  n'ont  pas 
laissé  de  réjouir  beaucoup  le  Pape,  qui  a  jugé  par-là 
que  le  Roi  seroit  content  de  sa  décision  ;  ce  que  le 
saint  Père  désiroit  beaucoup.  M.  le  grand  duc  lui  a 
fait  témoigner  unç  vraie  joie  de  sa  prononciation  ; 


4lO  L ET THES 

ce  qui  Ta  extrêmement  satisfait.  Au  surplus,  tous 
les  avis  portent,  qu'on  obtiendroit  aise'ment  de  faire 
clianger  le  bref  en  bulle  :  mais  plus  je  pense  à  cette 
affaire,  plus  je  trouve  que  la  sagesse  du  Roi  lui  fait 
prendre  le  bon  parti,  de  se  contenter  de  ce  qu'il  a, 
qui  aussi  est  pleinement  suffisant,  sans  entamer  au- 
cune nouvelle  négociation  ;  parce  qu  il  y  auroit  tou- 
jours, sinon  du  doute,  au  moins  une  longueur  et  de 
l'embarras  sans  nécessité,  avec  quelque  sorte  d'affoi- 
blissement  de  ce  qui  a  été  fait,  puisqu'on  voudroit 
le  corriger. 

Mon  neveu  m'envoie  un  billet  de  M.  Giori ,  où 
il  marque,  qu'ayant  rencontré  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  et  lui  ayant  fait  le  salut  qu'il  devoit,  ce 
cardinal  avoit  affecté  de  ne  le  pas  rendre.  Il  traite 
ainsi  tous  ceux  qu'il  n'a  pas  pu  attirer  à  ses  sen- 
limens,  et  continue  à  faire  peur  de  M.  de  Cam- 
brai. 

Nous  sommes  bien  heureux  de  trouver  un  prince, 
que  sa  grande  autorité  et  sa  grande  sagesse  mettent 
au-dessus  des  minuties.  C'est  aussi  un  avantage  que 
M.  le  premier  président  sache  si  bien  ce  que  c'est 
que  l'Eglise  et  l'épiscopat,  surtout  quand  il  s'agit 
de  la  foi,  dont  Jésus-Christ  a  mis  le  dépôt  entre  les 
mains  des  évêques.  Je  prie  Dieu  qu  il  bénisse  ce 
que  vous  aurez  à  dire  sur  ce  sujet  -  là,  pour  lever 
les  impressions  qu'on  voudroit  donner. 

M.  Phehppeaux  me  mande  que  le  prince  Vaïni 
doit  arriver  bientôt  à  la  Cour,  et  qu'on  lui  doit  sa- 
voir gré  d'avoir  si  bien  fait.  Il  m'envoie  deux  lettres 
de  M.  l'archevêque  de  Séville,  qui  marque  qu'on  ne 
connoissoit  en  Espagne,  de  ce  qui  s'est  écrit  dans 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4iï 

cette  querelle,  que  votre  seule  Instruction  pastorale 
en  latin. 

J'attends  de  jour  en  jour  la  soumission  de  M.  de 
Cambrai,  et  je  ne  doute  point  qu'elle  ne  soit  nette. 
Les  lardons  de  Hollande  continuent  à  se  déchaîner 
contre  moi,  et  à  donner  des  espérances  que,  par 
la  définition  qu'on  demandera  au  Pape  de  la  charité, 
je  serai  condamné,  quoique  avec  moins  d'éclat  que 
M.  de  Cambrai.  Je  finis  en  vous  assurant  de  ma  sin- 
cère et  perpétuelle  obéissance. 

AMeaux,  4  avril  1699. 


t. '«/«^ '«/»,'»  ^•«/««/«/^'«/«A '«/W» -«/«^  «/«.^««/«^x 


LETTRE  CCCCLV. 

DE  BOSSUET  AU  CARDINAL  D'AGUIRRE. 

Il  lui  témoigne  être  fort  jaloux  de  son  amitié,  et  se  justifie  des 
fausses  idées  qu  on  avuit  voulu  lui  donner  de  sa  personne. 

Comme  ce  n'est  que  le  seul  respect  qui  a  suspendu 
mes  lettres  à  Votre  Eminence ,  après  le  jugement 
d'une  cause,  où  j'ai  été  plus  mêlé  que  je  ne  voulois, 
je  reprends  l'ancien  exercice  de  l'amitié  cordiale  que 
vous  avez  bien  voulu  qui  fôt  entre  nous.  Elle  est ,  Mon- 
seigneur, accompagnée,  de  ma  part,  d'un  tendre  res- 
pect qui  ne  mourra  jamais  :  j'espère  toujours  du  côté 
de  Votre  Eminence  les  mêmes  bontés.  On  m'a  donné 
sur  ce  sujet-là  quelque  peine ,  en  voulant  me  per- 
suader qu'elle  avoit  un  peu  écouté  certains  discours 
contre  la  douceur  et  la  modération  de  ma  conduite. 
Ma  conscience ,  qui  est  pure  de  ce  côté-là  sous  les 
yeux  de  Dieu,  se  justifiera  aisément  envers  un  homme 


4 12  LETTRKS 

aussi  bon  et  aussi  juste  que  Votre  Eminence.  Conti- 
nuez-moi donc ,  Monseigneur ,  vos  mêmes  bontés  : 
j'ai  été  un  peu  envieux  des  marques  que  j'en  ai  vues 
en  d'autres  mains  ;  mais  ça  été  sans  me  défier  d'une 
amitié  qui  fait  ma  joie  ;  et  je  suis,  comme  j'ai' tou- 
jours été ,  avec  le  même  respect ,  etc. 

Versailles,  6  avril  1699. 


LETTRE  CCCCLVL 

DE   BOSSUET  A   SON   NEVEU. 

Sur  le  bref  contre  M,  de  Cambraij  la  soumission  de  ce  prélat;  et 
les  démarches  de  Bossuet  pour  dissiper  les  préventions  contre  lui. 

Votre  lettre  du  17  mars,  fait  voir  au  doigt  et  à 
l'œil  le  coup  visible  de  la  main  de  Dieu ,  dans  la  con- 
damnation du  livre  de  M.  l'archevêque  de  Cambrai. 
Quelques  adoucissemens  qu'on  ait  tâché  d'apporter 
à  la  censure,  elle  ne  laisse  pas  d'être  fulminante.  Ce 
qui  a  paru  ici  de  plus  étrange,  c'est  le  défaut  de 
formalités.  Elle  est  sans  bref  au  Roi  (*),  sans  aucune 
clause  aux  évêques  pour  l'exécution  5  sans  rien  noti- 
fier à  M,  de  Cambrai  lui-même,  qui,  faute  de  cela, 
pourroit  prétendre  cause  d'ignorance  du  tout.  Mais 
on  suppléera  à  tous  ces  défauts,  sans  fatiguer  da- 
vantage la  Cour  de  Rome ,  de  peur  de  s'exposer  à 
essuyer  de  nouvelles  tracasseries. 

(*)  Le  Pape  adressa  au  Roi  un  bref,  en  réponse  à  la  kttre  que 
Sa  Majesté  lui  avoit  écrite  le  i6  mars,  sur  le  projet  des  Canons.  Le 
Pape  annonce  au  Roi,  dans  ce  bref,  le  décret  qu  il  venoil  de  rendre 
contre  le  livre  des  Maximes.  Ce  bref  se  trouve  dans  la  Relation  de 
l'Assemhle'e  de  1700,  tom.  xxx,  pag.  4l9-  {JSdit.  de  Vers.)    • 


suii  l'affatue  du  quiétisme.  4i^ 

Je  ne  puis  encore  dire  précisément  ce  qu'on  fera. 
Vous  pouvez  seulement  tenir  pour  assuré  que  la 
France  signalera  son  respect  et  sa  soumission  en- 
vers le  saint  Siège ,  et  ne  laissera  pas  tomber  à  terre 
le  décret  que  le  Saint-Esprit  lui  a  inspiré,  quelque 
destitué  qu'il  soit  des  formalités  ordinaires  en   ce 
royaume.  Il  nous  a  paru  étonnant  que  M.  le  nonce 
n'ait  eu  aucun  ordre  particulier ,  ni  pour  le  Roi ,  ni 
pour  M.  de  Cambrai ,  ni  pour  les  évêques.  Il  semble 
que  Rome  ait  eu  peur  du  coup  qu'elle  a  frappé ,  et 
qu'elle  craigne  M.  de  Cambrai ,  comme  un  homme 
capable  de  former  un  grand  parti  dans  le  royaume. 
Vous  la  pouvez  rassurer  de  ce  c6té-là.  Nous  savons 
gré  à  ce  prélat  de  sa  soumission  ;  mais  je  vous  assure 
que  s'il  prenoit  un  autre  parti ,  de  quoi  il  est  fort 
éloigné,  il  ne  trouver  oit  pas  un  seul  homme  en  état 
de  se  remuer  pour  lui.  Il  se  prépare  à  la  soumis- 
sion ,  et  vous  en  verrez  la  preuve  dans  la  copie  d'une 
de  ses  lettres  à  M.  d'Arras  {*) ,  que  ce  prélat  vient 
de  m'envoyer,  et  que  je  vous  envoie. 

Nous  croyons  qu'en  réponse  à  la  lettre  qu'il  a 

écrite  à  M.  de  Rarbezieux  ,    comme  au  secrétaire 

d'Etat  de  sa  province ,  le  Roi  lui  fera  écrire  qu  il 

peut  faire  telle  soumission  qu'il  trouvera  à  propos. 

J'espère  qu'il  n'oubliera  pas  ce  qu'il  doit  dire,  pour 

Teconnoître  son  erreur  et  donner  gloire  à  la  vérité , 

et  qu'il  parlera  moins  de  croix ,  que  de  soumission 

à  une  décision  du  saint  Siège.  La  croix  doit  être 

pour  un  Chrétien  une  persécution  pour  la  justice  ; 

mais  la  condamnation  d'une  erreur  doit  être  acceptée 

par  un  autre  principe.  Dieu  lui  inspirera  les  termes 

{*)  Elle  est  imprimée  ci-dessus,  pag,  4o4' 


4l4  LETTT.ES 

propres,  el  comme  il  les  appelle,  les  plus  comts , 
les  plus  simples  et  les  plus  absolus. 

M.  le  nonce  m'a  parlé  de  ne  plus  écrire ,  et  a  lu 
au  Roi  une  grande  dépêche  de  trois  ou  quatre  pages 
pour  cela.  Je  lui  ai  répondu  fort  franchement,  que 
personne  n'avoit  ici  l'envie  d'écrire  contre  M.  de 
Cambrai,  ni  de  le  harceler  ;  mais  j'ai  ajouté  en  même 
temps ,  qu'on  ne  pouvoit  s'accommoder  d'une  dé- 
fense en  égalité  d'écrire  de  part  et  d'autre.  Peut- 
être  pourroit-on  ,  en  certains  cas  ,  faire  de  telles 
défenses,  quand  les  questions  sont  obscures  et  dou- 
teuses ,  et  les  esprits  trop  échauffés  ;  mais  je  soutiens 
qu'après  une  décision,  la  défense  d'écrire  doit  être 
faite  uniquement  à  ceux  qui  ont  combattu  la  vérité  ; 
et  que  si  on  l'étend  à  ceux  qui  l'ont  défendue,  on 
donne  lieu  à  ses  ennemis  de  triompher,  et  on  con- 
fond la  vérité  avec  Terreur. 

Il  nous  a  montré  lui-même  une  lettre ,  où  M.  de 
Cambrai  dit  nettement,  que  s'il  n'écrit  pas,  d'autres 
pourront  écrii^e.  En  ce  cas,  faudroit-il  se  taire?  La 
matière  de  l'oraison  est-elle  si  indifférente,  qu'on 
puisse  n'en  plus  parler  dans  l'Eglise.  Un  tel  ordre  y 
je  l'ose  dire  ,  feroit  peu  d'honneur  au  saint  Siège. 
Il  est  convenable ,  sans  doute ,  que  les  défenseurs  de 
la  vérité  écrivent  avec  précaution  et  sans  irriter  les 
esprits  ;  mais  il  ne  faut  pas  croire  que  nous  accep- 
tions des  défenses  en  égalité.  C'est  ce  que  je  vous 
recommande  de  bien  faire  entendre  à  Rome.- Vous 
pouvez  ajouter  en  même  temps,  que  je  suis  peut- 
être  un  de  ceux  qui  ait  le  moins  d'envie  d'écrire 
sur  cette  matière.  Mais  j'avoue  que  des  ordres  sur  ce 
sujet  ne  me  sembleroient  ni  honorables  pour  Rome, 


I 


SUR  l'affaire  du  qutéttsme.  4^^ 

ni  équitables  pour  moi ,  qui  n  ai  jamais  mis  la  main 
a  la  plume  que  pour  défendre  l'Eglise. 

M.  le  nonce  me  dit  en  même  temps,  qu'on  m'ex- 
hortoit  à  travailler  à  ramener  M.  de  Cambrai.  Je 
lui  répondis  avec  la  même  franchise,  que  je  n'étois 
pas  en  demeure  de  ce  côté-là.  En  effet,  aussitôt  que 
j'eus  nouvelle  de  la  censure,  je  fis  écrire  à  M.  de 
Cambrai  par  M.  le  duc  de  Beauvilliers ,  que  j'avoiâ 
vu  une  lettre  de  ce  prélat  (*) ,  dans  laquelle  il  m'ac- 
cusoit  de  répandre  de  tous  côtés  que  sa  soumission 
ne  seroit  qu'apparente  et  extérieure  ;  que  cela  étoit 
bien  éloigné  de  ma  pensée  ,  et  que  je  souhaitois  qu'il 
le  sut,  afin  de  prévenir  ceux  qui  tâchoient  de  Tai- 
grir  contre  moi. 

Je  n'ai  reçu  aucune  réponse  à  ce  compliment,  et 
je  demeure  en  repos ,  toujours  prêt  à  faire  tous  les 
pas  que  la  charité  la  plus  tendre  et  la  plus  sincère 
pourra  m'inspirer ,  sans  donner  aucunes  bornes  à  ces 
sentimens. 

Il  sera  temps  que  vous  songiez  au  retour,  quand 
vous  aurez  vu  l'effet  des  soumissions  de  M.  de  Cam- 
brai, et  de  celles  de  toute  la  France.  Nous  ne  dou- 
tons pas  que  ceux  qui  ont  tant  travaillé  à  adoucit' 
une  sentence  très-juste  et  très-nécessaire ,  ne  tâchent 
d'inspirer  encore  quelque  chose  qui  raffoiblisse,  en 
faisant  peur  de  M.  de  Cambrai,  qui  n'est  assurément 
à  craindre  en  rien,  que  dans  le  cas  où  l'on  entreroit 
dans  de  foibles  ménagemens,  par  une  politique  in- 
digne de  Rome. 

Tout  est  calme  et  tout  le  sera  dans  le  royaume  ; 

t'*)  Elle  étoit  écrite  au  nonce,  Bcssuet  eu  parle  dans  sa  lettre  Jii 
3o  mars,  ci-dessus,  pag.  icji.  [Edct.  de  P^ers.) 


4l6  LETTRES 

car  nous  ne  songeons  tous  tant  que  nous  sommes, 
qu'à  faire  régner  et  triompher  doucement  et  modes^ 
tement  la  vérité  et  l'autorité  du  saint  Siège,  sans  y 
mêler  la  moindre  aigreur  contre  la  personne  de  M.  de 
Cambrai. 

Nous  nous  en  allons  dans  nos  diocèses ,  et  tout 
sera  en  suspens  durant  les  solennités  pascales.  Pré- 
sentez les  bonnes  fêtes  de  ma  part  au  grand  cardinal 
Casanate ,  et  assurez  ,  dans  l'occasion ,  de  mes  res- 
pects ces  courageux  défenseurs  de  la  vérité,  qui  font 
la  gloire  de  l'Eglise  romaine,  et  qui  la  feront  res- 
pecter par  les  hérétiques. 

A  Versailles ,  6  avril  1 699. 


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LETTRE  CCCCLVII. 

DE  M.  DE  NOAILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  défauts  du  bref,  auxquels  on  travailloit  à  suppléer. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  1 7  ,  Monsieur ,  et  j'ai  lu 
celle  que  vous  avez  écrite  à  M.  de  Meaux.  Je  me 
remets  à  ce  qu'il  vous  mandera  :  nous  travaillons  à 
suppléer  aux  défauts  du  bref,  et  j'espère  que  nous  en 
viendrons  à  bout.  On  nous  donne  de  la  peine  de 
gaieté  de  cœur,  car  on  auroit  pu  fort  aisément  évi- 
ter les  fautes  qu'on  a  faites  :  on  les  a  laissé  faire  de 
propos  délibéré,  pour  nous  faire  incidenter;  mais  le 
fond  doit  emporter  la  forme  dans  une  occasion  aussi 
importante. 

Le  père  Roslet  est  fort  content  de  vous  5  je  suis 

fort 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^7 

fort  aise  que  vous  le  soyez  de  lui.  Je  lui  ai  toujours 
recommandé  de  prendre  des  mesures  avec  vous  : 
Dieu  les  a  bénites,  il  faut  l'en  louer.  Croyez-moi 
toujours,  je  vous  conjure,  Monsieur,  à  vous  de  tout 
mon  cœur. 

6  Avril  1699. 


LETTRE  CCCGLVIII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

i5ur  ses  démêlés  avec  le  cardinal  de  Bouillon,  relativement  au  cour- 
rier qu'*il  avoit  dépêché  j  «t  sur  le  retardement  de  M.  de  Monaco. 

Depuis  le  courrier  extraordinaire  qui  partit  d'ici 
il  y  a  six  jours  ,  et  qui  m'avoit  apporté  les  lettres 
^u  17  du  mois  de  mars,  sur  le  fameux  projet  des 
Canons,  je  n'ai  reçu ,  par  l'ordinaire ,  que  votre  lettre 
idu  16,  avec  vos  trois  lettres  de  complimens,  que  j'ai 
rendues.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  reçut  la  sienne, 
avec  des  protestations  extraordinaires  de  vénération 
pour  vous  ;  mais  il  accompagna  ces  belles  expressions 
de  beaucoup  de  sécheresses  pour  moi ,  qui  me  tiens 
pour  dit  ce  qu'il  faut  là*dessus.  Il  prend  pour  pré* 
texte  de  sa  mauvaise  humeur  contre  moi ,  l'envoi  dii 
courrier  que  j'ai  dépéché,  c'est-à-dire,  du  pauvre 
M.  de  Madot,  qu'il  prétend  avoir  tmité  le  sien  avec 
peu  d'égard  pour  son  altesse  et  pour  le  Rt)i  même,  à 
qui  il  l'adressoit.  On  lui  a  écrit  de  Lyon  que  M.  de 
Madot  avoit  manqué  de  parole  à  son  courrier,  qu'il 
s'étoit  chargé  de  prendre  un  billet  de  poste  pour  eux 
deux  :  et  que  cependant  il  étoit  parti  seul,  ce  qui 

BoSSUET.    XLII.  an 


4l8  LETTRES 

avoit  oblige  ce  courrier  d'en  dépêcher  un  tout  frais 
de  Lyon,  qui  attraperoit  sans  doute  M.  de  Madot, 
et  arriveroit  bien  devant  lui,  de  quoi  assurément  je 
me  soucie  fort  peu. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  prit  plaisir  de  me  lire 
cette  lettre  en  bonne  compagnie,  avec  un  certain  air 
que  je  compris  fort  bien.  Mais  j'y  répondis  en  badi- 
nant, ne  prenant  aucunement  sur  mon  compte  ce 
quil  disoit  de  M.  de  Madot,  et  ne  voulant  disputer 
aucun  fait.  Je  lui  dis  néanmoins  que  tout  ce  qu'on 
lui  mandoit  de  M.  de  Madot  me  paroissoit  peu  vrai- 
semblable et  très -outré,  surtout  ce  qu'il  ajoutoit 
que  M.  de  Madot,  par  son  argent,  avoit  fait  arrêter 
son  courrier  cinq  heures  à  Pise  :  je  lui  fis  voir  que 
cela  ne  pouvoit  être,  puisqu'il  auroit  fallu  pour  cela 
qu'il  eût  gagné  M.  le  grand-duc  même,  qui  étoit  alors 
à  Pise  en  personne.  Enfin,  sur  ce  qu'il  me  dit 
qu'il  étoit  bien  aise  de  m'apprendre  que  son  paquet 
arriveroit  avant  le  mien ,  je  l'assurai,  en  riant,  et 
d'un  ton  qui  convenoit  à  la  matière ,  que  je  n'avois 
jamais  pensé  qu'un  courrier  parti  huit  heures  après 
le  sien,  et  dépêché  à  vous,  qui  seriez  apparemment  à 
Meaux,  pût  porter  le  premier  en  Cour  cette  nou- 
velle. Du  reste,  je  soutins  que  je  n'avois  pu,  dans  les 
circonstances,  me  dispenser  de  faire  ce  que  j'avois 
fait.  Je  ne  voulus  entrer  avec  lui  dans  aucune  sorte 
de  justification ,  et  je  lui  parlai  toujours  d'un  air  res- 
pectueux, mais  très-assuré  et  très-peu  embarrassé  : 
pour  lui  il  le  fit  d'un  air  un  peu  enflammé,  mais 
néanmoins  sans  me  dire  une  parole  qui  pût  me  mar- 
quer ouvertement  qu'il  s'en  prenoit  à  moi;  et  je  fis 
semblant  de  ne  point  apercevoir  son  mécontente- 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^9 
meht.  Je  ne  Tai  pas  vu  depuis  ce  temps-là,  et  je  le 
verrai  dorénavant  très-rarement.  Il  a  peine  à  cacher 
son  chagrin  ;  il  ne  peut  revenir  de  la  condamnation 
de  son  cher  ami,  à  (jui  il  avoit  promis  un  plus  heu- 
reux sort.  J'ai  bien  remarqué  que  la  dépêche  du 
dernier  courrier  de  la  Cour  ne  Ta  pas  biep  disposé  à 
mon  égard  ;  mais  il  faut  se  consoler  et  avoir  patience. 
je  suis  bien  sûr  que  jamais  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
n^osera  avoir  aucun  éclaircissement  avec  moi  sur  ce 
qui  regarde  sa  conduite  dans  cette  affaire.  Il  n'a  ja- 
mais tenté  d'entrer  là-dessus  avec  moi  dans  quelque 
discussion;  marque  certaine  qu'il  sent  son  tort,  et 
qu'il  voit  bien  qu'il  ne  lui  seroit  pas  aisé  de  me  fair^ 
convenir  de  ce  que  je  sais  n'être  pas  vrai. 

J'ai  appris  par  M.  Anisson,  de  Lyon,  que  M.  l'in^* 
tendant  de  cette  ville,  à  qui  M.  de  Madot  avoit  laissé 
un  exemplaire  du  bref,  lui  en  avoit  fait  part,  et  qu'il 
Vavoit  fait  imprimer  aussitôt» 

Comme  je  ne  douté  pas  que  lios  courriers  ne 
soient  arrivés  à  Paris ,  au  plus  tard  le  dimanche  22  dé 
mars,  j'espère^  par  l'ordinaire  prochain,  qui  arrivera 
demain,  et  qui  apportera  les  lettres  du  23  ou  du  24 
au  matin,  savoir  ce  que  vous  aurez  jugé  du  bref^ 
quant  au  fond  et  quant  à  la  forme.  Mes  lettres,  de- 
puis quatre  semaines,  vous  auront  tout  expliqué;  et 
je  ne  vois  ici  rien  de  nouveau  dans  les  dispositions  de 
cette  Cour,  qui  est  grandement  impatiente  de  sàvoii* 
comment  la  décision  sera  reçue  en  France,  et  ce  que 
fera  M.  de  Cambrai. 

On  est  ici  bien  fâché  du  retardement  de  M.  de 
Monaco,  qui  écrit  ici  que  la  goutte  lui  a  repris  à 


420  LETTRES 

Monaco,  avec  une  fièvre  très-forte,  et  qu'elle  a  cou- 
tume, dans  ce  temps-ci,  de  lui  durer  quelque  temps. 
Si  cet  ambassadeur  n'àrrivoit  pas  ici  dans  le  courant 
du  mois,  cela  dérangeroit  beaucoup  mes  mesures. 
Tous  les  honnêtes  gens,  je  Fose  dire,  souhaitent  fort 
que  je  puisse  le  voir  à  Rome.  Le  cardinal  de  Bouillon, 
au  contraire,  désireroit  grandement  que  je  fusse  déjà 
îparti.  Il  ne  craint  ici  que  moi,  et  s'imagine  faire  en- 
tendre tout  ce  qu'il  voudra  à  Tambassadeur ,  tant 
par  rapport  à  lui,  que  par  rapport  à  moi  et  à  ceux 
dont  il  veut  se  venger.  D'ailleurs,  j'ai  besoin  de  lui 
pour  obtenir  l'Induit  pour  les  bénéfices  qui  dépen- 
dent de  mon  abbaye.  J'avoue  que  cela  m'inquiète 
fort ,  car  je  voudrois  partir  avant  les  grandes  cha- 
îeiirs,  et  pouV  cela  je  né  puis  retarder  plus  long-temps 
qu'à  la  fin  de  mai.  Mais  dans  ce  plan,  je  suppose  que 
tout  ce  qui  peut  regarder  raffaire  de  M.  de  Cambrai, 
sera  terminé  avant  ce  temps. 

On  voudroit  bien  ici,  qu'avant  de  partir,  je  fisse 
quelques  instances  au  tape  sur  TafTaire  deSfondrate, 
pour  la  faire  reprendre,  et  que  j^en  parlasse  a*ux  car- 
dînaux..  J'attendrai  là-dessus  ce  que  vous  jugerez  à 
propos  de  m'en  écrire.  Je  pourrai  faire  des  repré- 
sentations sur  cette  affaire,  quand  je  prendrai  congé 
de  Sa  Sainteté  et  des  cardinaux. 

On  commence  demain  rafïaire  des  idolâtries  chi- 
noises. Selon  toutes  les  apparences,  lés  Jésuites  se- 
ront condamnés.  Le  caràinal  de  Bouillon  et  le  car- 
dinal Albani  ne  s'oublieront  pas  pour  parer  le  coup, 
s'ils  peuvent. 

Plus  je  me  trouve 'de  repos,  plus  je  mé  sens  affligé 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^1 

et  pénétré  de  douleur,  de  la  perte  que  nous  avons 
faite  i*).  Je  n'ai  pu  encore  prendre  sur  moi  de  faire 
réponse  aux  complimens  que  j'ai  reçus  là-dessus  :  je 
remets  d'ordinaire  en  ordinaire. 

Rome,  ce  7  avril  1699. 


LETTRE  CCCCLIX. 

DE   BOSSUET  A  L'ABBÉ  RENAUDOT. 

Sur  les  bons  offices  du  nonce,  et  les  sentiooens  du  prélat  pouif 
M.  de  Cambrai. 

J'ai  reçu  ce  matin,  Monsieur,  avant  mon  départ 
pour  Issy ,  le  paquet  que  vous  m'avez  envoyé ,  et  je 
vous  en  rends  grâces  très  -  humbles.  J'aurois  bien 
voulu  conférer  un  moment  avec  vous  sur  ce  sujet-là. 
Mais  cela  se  pourra  faire  à  une  autre  fois,  puisque 
je  serai  sans  faute,  s'il  plaît  à  Dieu,  à  Paris,  le  mer- 
credi d'après  Pâque.  Je  yous  supplie,  en  attendant, 
de  vouloir  bien  témoigner  à  M.  le  nonce,  que  plus 
je  reçois  de  lettres  de  mon  neveu  et  de  mes  amis, 
plus  je  vois  sensiblement  l'obligation  extrême  que 
nous  lui  avons.  Vous  ne  sauriez  trop  lui  en  marquer 
ma  reconnoissance.  On  ne  peut  point  être  long- 
temps sans  recevoir  la  soumission  de  M.  rarchevê- 
que  de  Cambrai  :  je  ne  doute  point  qu'elle  ne  soit 
comme  il  faut,  et  j'en  prie  Dieu  de  tout  mon  cœur. 
Je  lui  ai  fait  une  avance  de  civilité,  à  laquelle  il 
n'a  point  trouvé  à  propos  de  rien  répondre.  H  me 
suffit  qu'il  fasse  bien  envers  le  public,  et  je  serai  tou-« 

{*)  Celle  de  son  père. 


4^2  LETTRES 

jours  des  plus  aisés  h.  contenter.  J*espère  qu  à  voirie 
ordinaire  vous  aurez  toujours  la  bonté'  de  m^avertir, 
et  la  justice  de  croire  que  je  suis  à  vous  comme  à 
moi-même. 

A  Meaux,  1 1  avril  1699. 


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EPISTOLA  CCCCLX. 

D.  CAMPIONI  AD  EPISCOPUxM  MELDENSEM. 

Approbationem  quam  Prjela^us  Dissertationi  de  necessitate  amoris 
divini  dederat,  extoUit. 

Utinam,  quo  vestra  illustrissima  Dominatio  fa- 
tetur  se  laborasse ,  morbi  causa ,  non  fuerit  nimis 
ïïiolesta  lectio  mei  liberculi.  Aliam  sanè  non  diceret, 
qui  mea  metiretur  ex  me  ;  verumtamen  danda  sunt 
laetiora  vestrçe  benignitati,  quâ  me  suscipitis  et  mea 
nimis  gratanter.  Antidotus  illa  est  satis  efficax,  cujus 
vim  supprimere  nec  valeat  calumnia  viridantior. 
Absit  igitur  infaustum  liocce  prognosticum.  Cogi- 
tem  fausta  quœque,  nam  omma  vestraç  benignilatis 
plenissima.  Quare  cum  illustrissima  Domjnatione 
vestra  gratulor  de  salute  restitutâ ,  sed  et  mecum 
de  attestatione  exhibitâ  dissertationi  de  necessitate 
anioris  Dei.  Sanè  argumentum  operis  non  poterat 
non  placere  Prœsuli,  qui  totus  Dei  amorem  spirat  : 
argument!  tractatio  non  poterat  displiçere  Praesuli 
in  Galliis,  quarura  ecclesiasticus  ordo  totus  est,  ut 
operibus,  verbis  et  scriptis  fîrmet  traditionem  non 
interruptam  ex  Scripturâ  et  Patribus  de  necessitate 
amoris  praedicti.  Et  si  argumenta  grandia  semper 


SUR   l^affAire    du    QUIÉTISME.  ^2^ 

tractarent  animae  grandes,  quia  tractata  pro  digni- 
tate  semper  dignioribus  placèrent;  sed  quoniam  non 
semper  tractant  fabrilia  fabri,  argumentum  grande 
perdit  plerumque  dignitatem  ex  humilitate  trac- 
tantis.  Vestrae  nihilominus  illustrissimœ  Domina- 
tionis  testimonium,  utpote  ob  doctrinam,  pietateni 
et  dignitatem  omni  exceptione  majus,  universo  no- 
tum  faciet  argumentum  adeo  grande,  si  non  digne, 
saltem  à  me  haud  indigne  tractari.  Quam  tenui,  ob 
fines  in  mea  ad  illustrissimam  vestram  Dominatio- 
nem  sub  die  3  octobris  praeteriti  expositos,  sclio- 
lastica  methodus  non  erit  ingrata  in  GalUis,  nunc 
jam  vestro  fui  ta  praesidio.  Adstat  Ecclesiœ  Galliarum 
Regina  charitas  in  vestitu  deaurato,  circumdata  va- 
rietate  multiplicium  graduum.  Ratihabitione  vestrâ, 
quae  comparatur  imperio,  misit  jam  nobilis  Regina 
ancillas,  nempe  scholasticam ,  ut  vocarent  ad  arcem 
et  ad  mœnia  civitatis.  Utinam  Catholici  omnes  in 
eam  veniant  unanimes,  uno  ore  dicentes  :  Qui  non 
amat  Dominum.  Jeswn  Christum^  anatliema  sit.  Et 
quidem  ut  omnes  radicentur  in  charitate  perfectâ, 
satagit  illustrissima  vestra  Dominatio  opère,  verbo 
et  exemplo.  Faxit  Deus  ut  saltem  imperfectioris  nc- 
cessitatem,  quam  asserui,  peccatoribus  qui  piè  vû- 
lunt  vivere  in  Ghristo  omnes  agnoscant,  et  idipsum 
sapiant. 

Dilata  est  post  festa  Paschalia  cognitio  causas 
notae  vestrae  illustrissimae  Dominationi  :  exitum  ape- 
riam  suo  tempore.  Intérim  subscribor,  etc. 

Roms,  7  aprilis  1699. 


4^4  LETTRES 

LETTRE  CCGCLXI. 

DE  BOSSUET  AU  CARDINAL  D'AGUIRRE. 

Sur  la  nécessité  de  réprimer  le  Quiétisme  ,  et  d'en  prévenir  les 
suites  funestes. 

Quand  j'eus  l'honneur  de  vous  écrire  par  le  der- 
nier ordinaire,  la  lettre  de  Votre  Eminence  ne  m'a- 
voit  pas  encore  été  rendue.  Elle  m'a  comblé  de  joie, 
par  les  marques  sensibles  qu'elle  contenoit  de  votre 
tendre  et  précieuse  amitié.  Je  sais,  Monseigneur, 
avec  quel  zèle  Votre  Eminence  a  concouru  à  la  su- 
prême décision  du  saint  Siège.  Elle  arrête  un  mal 
qui  menaçoit  la  France  et  toute  l'Eglise ,  de  suites, 
plus  dangereuses  encore  que  celles  qu'on  a  peut-^ 
être  vues  :  le  reste  s'achèvera  deçà  avec  toute  pru- 
dence et  douceur  ;  mais  la  chose ,  Monseigneur  ^ 
étoit  venue  au  point  où  il  falloit  éclater,  et  bien 
haut.  Je  me  réjouis  au  dernier  point  de  voir  recom-^ 
mencer  notre  commerce.  Mon  neveu  m'apprendra 
bientôt  de  vos  nouvelles;  et  je  supplie  Votre  Emi- 
nence de  lui  conserver  quelque  part  dans  l'honneur 
de  vos  bonnes  grâces.  Je  suis  avec  le  respect  le  plus, 
sincère ,  etc. 

A  Meaux,  le  23  avril  1699^ 


SUR  l'affaihe  du  quii^:tisme.  4^^ 

LETTRE   CCCCLXII. 

DE  BOSSUET  A  SON   NEVEU. 

Sar  le  parti  que  Ton  devoit  prendre  à  Tégard  du  bref,  et  la  lettre 
de  M.  de  Cambrai  à  M.  d'xirras. 

Je  reçus  vendredi  lo  et  samedi  ii,  en  partant 
pour  Meaux ,  vos  lettres  du  24  et  du  3 1  mars ,  avec 
la  copie  de  celle  à  M.  de  Paris,  du  3o.  Je  vous  écris 
par  une  main  étrangère,  h  cause  d'une  petite  ébul- 
lition  (*),  dont  il  ne  faut  point  du  tout  être  en  peine. 
Dieu  merci.  Je  souhaite  que  votre  rhume  se  passe  de 
même. 

Il  est  inutile  de  parler  davantage  du  bref.  On  le 
recevra  comme  il  est,  et  on  le  fera  valoir  du  mieux 
qu'il  sera  possible.  On  trouve  ce  parti  plus  conve- 
nable, que  d'entamer  de  nouvelles  négociations,  et 
de  s'exposer  à  voir  peut-être  affoiblir  encore  le  ju- 
gement, en  le  faisant  réformer.  Je  retournerai  à 
Paris,  Dieu  aidant,  le  mercredi  d'après  Pâque,  pour 
voir  de  près  ce  qui  se  fera. 

La  lettre  de  M.  de  Cambrai  à  M.  d'Arras ,  est  ici 
prise  fort  diversement.  La  cabale  l'exalte ,  et  les 
gens  désintéressés  y  trouvent  beaucoup  d'ambiguités 
et  de  faste. 

(*)  Cette  indisposition  étoit  une  écésjpèle  considérable,  occa- 
sionnée ,  selon  Fagon ,  médecin  du  prélat ,  par  la  mauvaise  nour- 
riture du  carême ,  et  par  un  rhume  négligé.  Bossuet  consentit  avec 
bien  de  la  peine ,  comme  l'exigea  Fagou ,  à  rompre  le  jeûne  et  le 
maigre,  et  à  prendre  du  repos. 


426  LET^TRES 

Je  me  rejouis  beaucoup  de  votre  prochain  retour, 
et  je  ne  vois  rien  qui  doive  vous  arrêter. 

A  Meanx,  ce  iî^  avril  1699. 


LETTRE  CCCCLXIII. 

DE  UABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  Taudience  qu'il  avoit  eue  du  Papej  la  joie  que  ce  pontife  et  les 
cardinaux  avoient  de  la  satisfaction  du  Roi  et  des  évéques  ;  l'es 
raisons  qui  pourroient  empêcher  de  convertir  le  bref  en  bulle;  et 
sur  les  questions  que  le  Pape  avoit  faites  à  cet  abbé  touchant 
madame  de  Maintenon. 

J'ai  reçu  les  lettres  du  2 5  mars,  et  celle  en  par- 
ticulier que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'ëcrire, 
qui  m'a  comblé  de  jaie.  C'est  à  présent  que  je  puis 
dire  que  je  suis  content,  puisque  vous  l'êtes,  de  la 
décision ,  et  que  le  Roi ,  avec  tous  ceux  qui  aiment 
la  religion  et  le  bien  de  l'Etat ,  sont  satisfaits.  Je 
n'ai  jamais  souhaité  autre  récompense  que  celle-là, 
des  peines  que  je  puis  avoir  prises.  C'est  dans  Rome 
une  joie  universelle,  d'apprendre  les  témoignages 
que  le  Roi  a  donnés  de  sa  satisfaction. 

Je  reçus,  jeudi  9  de  ce  mois,  les  lettres  de  M.  de 
Paris,  les  vôtres  et  celles  de  M.  de  Rheims.  Je  ne 
crus  pas  devoir  perdre  un  moment  de  temps  pour 
aller  aux  pieds  du  Pape,  que  je  savois  être  dans  une 
inquiétude  et  une  impatience  extrêmes ,  de  savoir  la 
manière  dont  sa  décision  auroit  été  accueillie  par  le 
Roi  et  par  les  évêques.  Je  me  doutai  bien  que  le 
cardinal  de  Bouillon  ne  se  presseroit  pas  de  lui  rien 
apprendre  là -dessus.  Je  vis,  un  moment  avant  le 


Sun  l'affaire  du  quiétisme.  4^7 

Pape,  le  cardinal  Spada,  à  qui  je  dis  que  je  venois 
porter  aux  pieds  du  Pape ,  les  lettres  que  j'avois  re- 
çues de  France.  Il  me  rapporta  ce  que  M.  le  nancc 
lui  écrivoit  de  la  satisfaction  toute  particulière  de 
Sa  Majesté,  et  des  témoignages  de  bonté  pour  lui, 
et  de  reconnoissance  envers  le  Pape,  qu,e  le  Roi  lui 
avoit  donnés,  dont  il  alloit  rendre  compte  au  Pape, 
ce  qu'il  fit  aussitôt  ;  et  Sa  Sainteté  ayant  su  que 
î'étois  là,  quoiqu'elle  ne  donnât  audience  à  personne, 
à  cause  de  son  rhume ,  elle  eut  la  bonté  de  me  faire 
entrer. 

Il  seroit  difficile  de  vous  exprimer  la  joie  que  le 
Pape  ressentit  de  tout  ce  que  je  lui  dis.  Il  voulut 
que  je  lui  lusse  ce  que  vous  m'écriviez  ,  ainsi  que 
M.  de  Paris  :  je  lui  lus  aussi  l'article  de  la  lettre  de 
M.  de  Rheims.  Il  me  témoigna  être  très -fâché  de  n'a^ 
voir  pas  fait  une  bulle  ;  qu'il  ne  savoit  pas  comment 
cela  étoit  arrivé;  que  si  on  lui  avoit  fait  la  moindre 
observation  là-dessus ,  il  en  auroit  donné  cent  pour 
une  ,  mais  qu'on  ne  lui  avoit  rien  représenté  à  cet 
égard,  non  plus  que  surle  molii  proprio.  Quand  il 
entendit  ce  que  vous  me  mandiez ,  que  vous  ne  sa- 
viez pas  s'il  y  avoit  quelque  exemple  d'une  décision 
de  foi ,  avec  l'expression  des  propositions  condam- 
nées, faite  par  un  bref  5w^  annulo  Piscatoris  j  il  me 
répondit  qu'on  l'avoit  assuré  qu'il  y  en  avoit  ;  et  sur 
ce  que  vous  ajoutiez,  qui  eut  été  reçue  en  France 
en  cette  forme ,  il  me  dit  encore  que  oui.  Je  crus 
devoir  lui  déclarer  que  les  difficultés  pour  la  récep- 
tion, ne  viendroient  pas  de  la  part  du  Roi  ni  des 
évéques ,  mais  seulement  de  la  part  des  parlemens, 
qui  avoient  leurs  règles  et  leurs  usages  ;,  dont  ils  ne 


4^S  LETTRES 

se  départoient  pas.  Je  vis  bien  clairement  qu'il  étoit 
fâché  de  n'avoir  pas  donné  une  bulle  en  forme;  mais 
qu'à  présent  il  voudroit  bien  qu'on  pût  se  contenter 
de  son  bref,  1^  chose  étant  faite.  Je  crus  qu'il  étoit 
à  propos  de  le  laisser  en  suspens  à  cet  égard  ;  afia 
que  si  on  avoit  quelque  chose  à  demander ,  on  pût 
le  faire  plus  aisément ,  et  qu'on  Ty  trouvât  préparé. 
Il  se  mit  à  rire,  quand  je  lui  lus  l'endroit  d'une  lettre, 
qui  marquoit  qu'on  croyoit  que  s'il  y  avoit  quelque 
chose  de  nouveau  à  solliciter,  on  feroitbien  d'attendre 
l'arrivée  de  l'ambassadeur,  qu'on  comptoit  devoir 
être  bientôt  ici. 

A  propos  de  cela ,  le  Pape  me  demanda  des  nou- 
velles de  M.  de  Monaco.  Il  me  parut  qu'il  souhai- 
toit  fort  qu'il  vînt,  et  me  dit  qu'on  faisoit  courir  le 
bruit  à  Rome  qu'il  n'arriveroit  qu'au  mois  d'octobre. 
Je  lui  lus  un  article  d'une  lettre  que  je  venois  de 
recevoir  de  M.  de  Monaco,  par  lequel  il  me  mar- 
quoit que  sans  la  goutte  qui  le  retenoit  immobile 
dans  son  lit,  il  seroit  déjà  ici,  et  qu'il  n'attendoit 
pour  partir  que  le  moment  où  il  pourroit  se  traîner  ; 
Iddio  sia  benedeito  ^  me  dit-il. 

Comme  je  le  vis  de  très -bonne  humeur  et  sans 
aucune  impatience  de  me  congédier,  je  lui  dis  que 
ce  n'étoit  pas  seulement  en  France  qu'on  lui  don- 
noit  des  louanges  et  des  bénédictions,  mais  que  de 
tous  les  royaumes  du  monde  il  viendroit  des  appro- 
bations de  sa  décision  ;  qu'en  Espagne  on  étoit  dis- 
posé à  l'égard  de  cette  pernicieuse  doctrine  de  M.  de 
Cambrai ,  comme  en  France  \  je  lui  montrai  à  ce 
sujet  la  relation  de  Salamanque,  que  je  vous  envoie. 
Il  me  répondit  d'abord  :  Qu'importe  des  Espagnols, 


I 


SUR  l'affaire  bu  quiétisme.  4^9 

pourvu  qu'on  soit  content  en  France.  Mais  après 
que  je  lui  eus  représenté  qu  en  matière  de  foi  et  de 
doctrine ,  on  ne  pouvoit  trop  désirer  le  consente- 
ment universel  de  toutes  les  parties  dfe  église,  qui 
étoit  le  vrai  témoignage  de  la  tradition ,  il  me  ré- 
pliqua que  je  disois  vrai,  et  voulut  que  je  lui  lusse 
cette  relation,  qui  lui  fît  grand  plaisir.  Il  me  répéta 
plusieurs  fois,  il  Quietismo  francese  de  la  Relation; 
et  me  dit  que  c'étoit  à  présent  au  Roi  à  acliever  ce 
qu'il  avoit  commencé  ;  qu'il  falloit  espérer  que  l'ar- 
chevêque de  Cambrai  reconnoîtroit  ses  erreurs  Ct 
s'humilieroit  ;  q*u  il  altendoit  les  nouvelles  de  ce  pays- 
là  avec  grande  impatience  :  il  donne  des  losanges 
infinies  à  M.  de  Paris  et  à  vous. 

Sur  ce  qu'il  me  dit  qu'il  âui'oit  été  à  souhaiter 
qu'on  n'eut  pas  tant  écrit,  je  le  suppliai  de  vouloir 
bien  distinguer  ceux  qui  écrîvoietit  pour  soutenii- 
Terreur,  d'^avèc  ceux  que  la  vérité  faisoit  parler  ;  et 
qu'il  devoit  cette  justice  aux  évêque's  qui  avoi'ent  été 
obligés  dé  défendre  l'ancienne  dodtrine  de  l'Eglise 
contre  des  nouveautés  aussi  p'ernicieuses.  Il  eut  la 
bonté  de  me  dire,  qu'il  me  pribit  de  croire  qu'il  reii- 
doit  là-dçssus  une  entière  justice  aux  évéqûes,  et 
qu'il  étoît  ires 'èapace  de  tout  ce' que  je  lui' âvoFs 
toujours  repVè^nté  là-dessus.  ïl  me  rapporta  ce  tjue 
M.  le  nonce  écriv oit,  du  contentement  de  Sa  Majesté, 
ajoutant  qu'il  en  avoit  une  joie  et  une  consolation 
infinie ,  comme  de  tt)ut  ce  que  je  lui  tnârqu^i^  de 
vôtre  part  et  'de  celle  de  IVf  ^  de  Pàfris.  îl  ïihi't,'  en 
m*ora6nnâht  de  venir  le  voir  toutes  lés  fois  que  je 
le  voudrois ,  et  surtout  quand  je  recevrois  des  nou- 
velles de  France,  afin  de  l'instruire  de  tout  ce  qui  se 


43o  ttetTllES 

passcroit  sur  raflfaire*  Il  m'avoit  dit  que  le  cardinal 
de  Bouillon  ne  tarderoit  pas  ce  jour-là,  ou  le  len- 
demain, de  venir  lui  témoigner  la  satisfaction  du  Roi 
et  de  toute  la  France.  Mais  il  a  été  trompé;  car  le 
cardinal  de  Bouillon  a  laissé  passer  tout  le  jeudi , 
le  vendredi  et  le  samedi,  sans  faire  là-dessus  la  moin- 
dre diligence.  Cette  Eminence  apprit  samedi  dernier, 
par  son  courrier,  que  M.  de  Madot  l'avoit  laissé 
derrière  lui  à  Lyon.  Ce  cardinal  alla  le  lendemain, 
dimanche,  chez  le  Pape,  apparemment  luifairepart 
de  ses  dépêches. 

J  ai  vu  tous  les  cardinaux  de  la  Congrégation ,  à 
qui  j!ai  appris,  comme  à  Sa  Sainteté,  le  contente- 
ment de  la  France;  ils  m'en  ont  tous  témoigné 
une  joie  sensible  :  ils  conviennent  qu'on  devoit  faire 
tme  bulle  ;  mais  ils  disent  que  c'est  la  faute  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  et  du  cardinal  Albani ,  qui 
sont  également  auteurs  du  molu  proprio.  Les  cardi- 
naux Carpegna,  Noris  et  Panciatici,  qui  ont  vu  de- 
puis jeudi  le  cardinal  de  Bouillon  ou  en  congréga- 
tion ou  en  chapelle ,  m'ont  dit  qu'il  ne  leur  avoit 
pas  ouvert  la  bouche  de  la  manière  dont  le  jugement 
avoit  été  reçu  en  France,  et  sans  moi  ils  seroient 
encore  à  le  savoir.  Jamais  consternation  n'a  été  plus 
grande  chez  le  cardinal  de  Bouillon ,  que  depuis  les 
nouvelles  arrivées  de  France.  Pour  moi ,  je  ne  con- 
çois pas  ce  que  cette  Eminence  pouvoit  s'imaginer. 

Il  y  a  déjà  quelques  jours  que  je  n'ai  pas  jugé  à 
propos  d'aller  chez  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  Je 
sais  qu'il  paroît  de  mauvaise  humeur  contre  moi ,  à 
cause  du  courrier.  Voilà  un  prétexte  bien  léger ,  et 
jpe  n'est  pas  là  assurément  ce  qui  le  touche  le  plus. 


SUR    L*AFFAIIIE    DU    QUIÉTISME.  /\.3ï 

Je  ne  manquerai  en  rien  à  ce  que  je  lui  dois  ;  mais 
avec  sa  permission ,  je  ne  me  repentirai  jamais  de  ce 
que  j'ai  fait,  n'ayant  fait  que  ce  que  je  devois.  On 
vient  de  me  dire  une  chose  de  lui ,  que  je  ne  crois 
pas,  quoiqu'elle  me  soit  rapportée  de  bonne  part; 
mais  encore  un  coup,  je  ne  le  puis  croire*  On  assure 
qu'il  a  dit  à  un  Français,  que  vous  ne  eonnoissez 
pas,  et  qui  est  un  de  ses  favoris,  qu'il  ne  garderoit 
plus  aucune  mesure  avec  moi .  Je  saurai  dans  peu  ce  qui 
en  est  ;  et  si  le  fait  se  trouve  vrai ,  je  pense  que  le 
mieux  que  je  pourrai  faire  pour  éviter  tout  inconvé- 
nient, sera  de  ne  pas  aller  chez  lui,  jusqu'à  ce  que 
j'apprenne  qu'il  soit  radouci.  Je  vous  prie  de  pré- 
venir le  Roi  là -dessus.  Je  puis  vous  assurer  que  je 
n'ai  cessé  d'avoir  pour  lui  tous  les  égards  que  je  lui 
devois.  Il  est  vrai  que  je  n'ai  rien  oublié  pour  par- 
venir à  la  condamnation  du  livre  de  M*  de  Cambrai, 
et  pour  dissiper  les  terreurs  paniques  qu'on  vouloit 
donner  à  cette  Cour  au  sujet  de  ce  prélat  :  mais  je 
ne  crois  pas  avoir  mérité  par -là  l'indignation  d'un 
cardinal  qui  aimeroit  la  religion,  et  d'un  ministre 
qui  auroit  à  cœur  les  intérêts  de  son  maître  ^  dont  je 
devois  supposer  qu'il  suivroit  en  tout  les  intentions. 
Je  sais  que  M J  le  cardinal  de  Bouillon  prétend 
s'être  justifié  à  merveille  sur  les  Canons,  et  avoir 
prouvé  qu'il  n'y  a  eu  aucune  part  ;  et  cela  par  le  té- 
moignage du  Pape  et  du  cardinal  Spada.  Il  rejette 
tout  sur  le  Carme,  qui  a,  dit-il,  un  pouvoir  infini 
sur  l'esprit  du  Pape.   Il  se  peut  faire,  et  je  n'ai  ja- 
mais dit  le  contraire,  qu'un  autre  que  le  cardinal 
de  Bouillon  eût  proposé  au  Pape  cet  expédient; 
mais  que  ce  n'ait  pas  été  de  concert  avec  lui ,  qui  fut 


43a  LETTRES 

seul  dans  les  congrégations  de  l'avis  des  Canons,  et 
qui  les  soutint  avec  tant  de  vivacité ,  il  sera  difficile 
de  se  le  pei^uader  dans  les  circonstances  présentes. 
Je  sais  fort  bien  que  ce  fut  le  cardinal  Ferrari  et  le 
j>ère  Philippe,  général  des  Carmes,  qui  firent  im- 
pression sur  le  Pape  ;  mais  qui  n'aperçoit  la  main 
secrète  qui  a  fait  jouer  tant  de  ressorts?  Au  reste , 
n'importe  :  à  présent  que  tout  est  fini ,  Dieu  merci, 
je  penserai  tout  ce  qu'on  voudra.  Je  veux  croire 
métiiè,  puisqu'on  prétend  nous  faire  douter  des  faits 
ies  plus  cdnstans,  que  les  Jésuites,  comme  ils  dé- 
•sirent  le  persuader,  ont  toujours  condamné  et  ana- 
tliématisé  le  livre  des  Maximes^  quoiqu'il  soit  aussi 
certain^  qu'il  l'est  qu'il  fait  jour  en  plein  midi  ^ 
qu'ils  en  ont  été  les  plus  ardens  défenseurs. 

Tous  les  cardinaux  que  j'ai  vus ,  me  confirment , 
les  uns  après  les  ati très,  la  partialité  étrange  du 
cardinal  de  Bouillon  :  les  uns  me  disent  une  chose, 
les  autres  une  autre ,  et  tout  se  rapporte  à  merveille. 

Le  cardinal  Noris  me  dit  encore  hier ,  que  le  ju- 
gement qu'èii  à^veit r^iidu  coiitrè  M.  de  Cambrai, 
étoit  le  plus  douic  qu'il^pût  jamais  espérer.  Il  ne 
veut  pas  que  je  crbie  qu'il  a  eu  plus  de  part  que  per- 
sonne à  ces  meiiagemens  ;  il  refétte  tout  sur  le  car- 
dinal Albani;  Ce  cardinal  m'a  montre,  dans  les  Mé- 
moires du  clergé, -un  exemple  d'un  bref  motu  pro- 
prioy  sur  lequel  le  Roï  a  donné  des  lettres-patentes. 
C'est  la  prohibition  de  la  traduction  du  Missel 
romaïti,  eh  français >  faite^ jpar  Alexandre  VÏI  (*). 

(*)  Le  bref  dont  il  s'agit  ici ,  n^a  jamais ,  çpmme  le  dit  Bossuet 
dans  sa  lettre  du  4  mal  suivant,  été  porté  au  parlement  y  ni  les  let- 
tres-patentes vues.  Et  en  effet  le  Roi  ne  donna  point  de  leltres-pa- 

Mais 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  4^^ 

Mais  la  question  est  de  savoir  si  ces  lettres-patentes 
ont  e'té  homologuées  au  parlement ,    ce  qui  n'est  pas 
marqué.  Il  est  vrai  que  le  Roi  dit  dans  ses  lettres- 
patentes  ,  que  ce  bref,   qu'il  qualifie  d'universel  ou 
général,   ne   contient  rien  qui  soit  contraire  aux 
libel'tés   de    l'Eglise   gallicane;    d'où    le    cardinal 
Noris  Conclut  que  le  motuproprio  et  la  forme  de  ce 
bref  ne  blessent  en  rien  les  usages  du  royaume.  Ce 
qu'il  y  a  de  vrai ,  c'est  qu'il  ne  s'agit  dans  ce  btef 
que  de  la  simple  prohibition  d'un  livre.  Mais  je  ne 
crois  pas  qu'on  trouve,  comme  vous  dites,  une  dé- 
cision de  foi,    avec   l'expression  des   propositions 
condamnées  par  un  hiei  s iib  annulo  Piscatoris  ,  qui 
ait  été  reçue  en  France.  La  seule  chose  qui  pourra 
empêcher  qu'on  ne  se  prête  ici  à  changer  le  bref  en 
bulle  et  à  en  ôter  le  motu  proprio ,  c'est  qu'il  Se'm- 
blera  par-là  que  le  Pape  consent  et  trouve  bon  qu'on 
ne  reçoive  ses  jugemens ,  que  quand  ils  sont  faits  en 
forme  de  bulle  et  sans  le  motuproprio.  Cette  délica- 
tesse fera  toute  la   difficulté;  néanmoins  je  périse 
qu'on  pourra  trouver,  si  on  le  veut ,  quelque  expé- 
dient pour  arranger  les  choses.  Par  les  lettres  du 
prochain  ordinaire,  je  verrai  ce  que  vous  nous  écrirez 
là-dessus. 

J'ai   oublié  de  vous  dire  que  le  Pape,  en   deux: 
endroits  de  votre  lettre,  jeta-  des  larmes  de  jpiet^i et 

.  i  "  ■     ,.•■■/  .  ^  -,    -. . .  M .  ■  '  f 

■^entes  sur  ce  bref  5  mais  le  clergé  obtînt,  le  4  avril  1661,  uii  sirhpie 

arrêt  du  conseil  pour  en  ordonner  rexécntion  :  arrêt  (jui  est  mal- 
à-propos  qualifié  de  lettres-patentes  ôaxnaAaL  Relation  des  délibéra- 
tions du  Clergé,  imprimée  en  lô;;^.  On  n'a  eu  en  France ,,ai\q}xlQ 
Bossuet,  aucun  égard  à  ce  bref;  et  l'on  fut  obligé,  pour  t  instruction 
des  nouveaux  Catholiques,  de  répandr'é  ^dei  'miïUers  d'ëithtplâtrés 
de  la  messe  en  français.  •  ;      .'     "i-'j;    ''.'.U^    ."»•!    i  '-/.■;;(|  \' > 

Bossu  ET.     XLTT.  28 


434  LETTRES 

le  bon  cardinal  Casanate  aussi.  Ce  cardinal  appelle 
le  Quiétisme  de  M.  de  Cambrai  ;  il  molinosismo 
togato  :  le  molinosisme  habillé  de  long,  c'est-à- 
dire,  comme  un  ecclésiastique,  sous  un  habit  de 
piété'. 

Le  cardinal  Spada  est  ravi  de  joie;  le  cardinal 
Panciatici  aussi.  Je  lui  ai  bien  dit  qu'on  lui  rend 
la  justice  qui  lui  est  due. 

Ce  qui  me  cause,  je  Tavoue,  un  plaisir  infini, 
c'est  de  voir  que  tous  ,  je  Tose  dire ,  me  témoignent 
une  bonté  particulière ,  et  veulent  bien  même  me 
marquer  un  peu  d'estime.  Pour  vous,  sans  flatterie, 
vous  êtes  regardé  comme  le  défenseur  de  la  religion , 
et  comme  le  premier  homme  de  l'Eglise. 

Vous  verrez ,  par  la  copie  que  je  vous  envoie  de 
la  lettre  de  M.  de  Monaco ,  que  je  Fai  instruit  de 
la  fin  de  cette  affaire.  Il  en  est  véritablement  charmé. 
Le  cardinal  de  Bouillon  a  trouvé  mauvais  que  j'aie 
pris  cette  liberté,  et  que  j'aie  tenu  la  même  conduite 
à  l'égard  du  grand-duc. 

Le  cardinal  Spada  a  dit  ce  matin  que  M.  de 
Cambrai  avoit  su  sa  condamnation,  et  qu'il  avoit 
témoigné ,  dans  un  sermon  qu'il  avoit  fait  le  jour  de 
l'Annonciation  à  son  peuple ,  sa  soumission  à  ses 
supérieurs  :  apparemment  le  cardinal  de  Bouillon 
aura  appris  cette  nouvelle  par  ses  lettres  du  3i. 
L'abbé  de  Chanterac  alla  chez  lui  peu  de  temps 
après  l'arrivée  du  courrier. 

Le  duc  de  Barwick  est  ici ,  et  se  fait  estimer  de 
tout  le  monde  ;  plusieurs  cardinaux  m'en  ont  parlé 
très-avantageusement.  Il  seroit  bien  à  souhaiter  que 
ce  pays-ci  fût  plus  touché  qu'il  ne  l'a  été ,   jusqu'à 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^^ 

cette  heure,  du  malheureux  état  des  affaires  de  la 
religion  en  Angleterre,  et  qu'on  fût  plus  sensible  à 
la  situation  d'un  Roi  (*),  qui  a  tout  quitté  pour 
Jésus-Christ. 

Je  ne  souhaite  plus  ici  que  Tavrivée  de  Tambas- 
sadeur,  pouf  tout  ce  que  vous  savez.  Je  ne  puis 
retarder  mon  départ  qu'au  plus  jusqu'à  la  fin  de 
mai  ou  au  premier  de  juin ,  temps  où  je  compte 
me  mettre  en  route,  à  moins  que  vos  ordres  ne 
m'arrêtent  ;  mais  j'espère  que  vous  serez  aussi  aise 
que  moi-même  de  mon  retour. 

J'ai  oublié  de  vous  parler ,  dans  mes  dernières 
lettres,  d'un  écrit,  qu'on  dit  avoir  été  composé  en 
faveur  de  M.  de  Paris,  contre  l'écrit  injurieux  du 
Problême  j,  qui  fut  brûlé  par  la  main  du  bourreau  il 
y  a  quelque  temps.  On  prétend  qu'on  a  arrêté  la 
publication  de  cette  réponse,  et  l'on  dit  que  c'est 
vous  qui  avez  conseillé  qu'on  ne  la  fît  pas  paroître 
encore.  Je  sais  que  les  Jésuites  font  une  espèce  de 
petit  triomphe  de  cela,  disant  que  le  Problème  est 
fondé  en  si  bonnes  raisons,  qu'on  n'ose  l'attaquer  : 
ayez  la  bonté  de  me  mander  ce  qui  en  est. 

Il  est  arrivé  ici,  je  ne  sais  par  où  ni  comment, 
peut-être  par  le  courrier  du  cardinal  de  Bouillon, 
des  exemplaires  de  la  Réponse  de  M,  de  Cambrai  à 
vos  Passages  éclairais  j  et  au  Théologien  de  M.  de 
Chartres  :  celui  qui  me  les  devoit  remettre  les  a 
donnés  au  père  Roslet ,  qui  devroit  bien  les  envoyer 
à  M.  de  Paris. 

Je  n'ai  pu  m'empêcher  d'avoir  la  curiosité  de  lire 
ce  que  tous  avoit  écrit  le  père  Augustin.  J'avoue 
(*)  Jacques  II. 


436  LE  TT  Pi  ES 

que  j'ai  été  plus  que  surpris  de  la  nouvelle  qu'il  voua 
apprend  de  Tabjuration  de  ce  seigneur  (*).  Je  le  con- 
nois  particulièrement.  Nous  avons  parlé  souvent  de 
religion  :  je  lui  ai  fait  lire  votre  Exposition.  Il  est 
très-doux  et  honnête  homme  ;  mais  je  l'ai  cru  jusqu'à 
cette  heure  très-éloigné  de  se  faire  catholique.  J'ose 
dire  que  si  je  le  voyois,  je  ne  le  croirois  pas,  sachant 
ce  que  je  sais.  Je  suis  persuadé  que  le  père  Augustin 
se  trompe  là-dessus,  comme  sur  toutes  les  particu- 
larités qu'il  vous  écrit  de  Fabroni,  etc.  Ne  parlez 
pas  de  cette  abjuration  ;  car  si  elle  est  vraie,  ce  que 
je  saurai  bientôt,  ce  seroit  un  jeune  homme  perdu 
absolument,  quant  à  sa  fortune;  c'est  le  plus  riche 
particulier  d'Angleterre.  Sa  famille  est  ennemie  jurée 
de  celle  du  roi  Jacques ,  et  a  fait  mourir  son  père. 

Remarquez  un  peu  si  on  n'ouvre  pas  mes  paquets; 
je  me  défie  de  Rouillé  de  Lyon,  qui  est  livré  au  car- 
dinal de  Bouillon. 

Je  mets  sur  une  feuille  à  part  ce  qui  s'est  passé 
entre  le  Pape  et  moi,  au  sujet  de  madame  de  Main- 
tenon  ;  vous  en  ferez  l'usage  que  vous  jugerez  à 
propos.  Le  Pape  m'a  dit  qu'il  ne  doutoit  pas  que  ma- 
dame de  Maintenon  n'eût  eu  une  grande  joie  du 
jugement.  A  ce  sujet  il  m'a  demandé  d'oti  étoit  venue 
la  grande  amitié  de  madame  de  Maintenon  pour 
M.  de  Cambrai ,  et  comment  étoit  arrivé  le  change- 
ment de  ses  dispositions  à  l'égard  de  ce  prélat.  J'ai 
bien  vu  ce  qui  l'engageoit  à  me  parler  ainsi  :  j'ai  cru 
être  obligé  de  lui  expliquer  les  raisons  pour  lesquelles 
toute  personne  pieuse  et  qui  a  de  l'esprit,  pouvoit 

(*)  ta  lelire  de  ce  religieux  nous  manque ,  et  nous  ne  saurions 
dire  quel  étoit  le  seigneur  dont  il  parloit. 


SUR  1,'affàtiie   dit   QUIÉTISME.  4'^7 

avoir  conçu  de  Testime  pour  M.  de  Cambrai ,  qui 
av  oit  trompé  tout  le  monde,  et  vous  tout  le  premier. 
Je  lui  ai  fait  remarquer  en  même  temps  la  provi- 
dence particulière  de  Dieu,  qui  n'a  pas  permis  qu'une 
personne  comme  madame  de  Maintenon  se  laissât 
entraîner,  ainsi  qu'une  infinité  d'autres,  par  l'élo- 
quence de  M.  de  Cambrai  ;  ni  que  la  confiance  qu'elle 
avoit  en  lui  et  l'estime  qu'elle  en  faisoit,  allât  jusqu'à 
se  laisser  séduire  par  ses  faux  systèmes.  J'ai  ajouté 
qu'on  ne  pouvoit  avoir  une  preuve  plus  évidente, 
non-seulement  du  discernement  de  cette  dame ,  mais 
encore  de  la  protection  de  Dieu,  qui  l'avoit  soute- 
nue ,  et  de  l'assistance  de  son  esprit  qui  l'avoit  éclairée. 
Alors  je  lui  ai  rapporté  tous  les  efforts  de  madame  de 
Maintenon  pour  ramener  M.  de  Cambrai  ;  ce  que 
vous  avez  fait  de  concert  avec  elle  ;  l'inutilité  de  tous 
les  ménagemens;  enfin  faveuglement  où  cet  homme 
est  tombé  peu  à  peu,  et  qui  en  est  venu  au  point  de 
le  conduire  à  donner  au  public,  comme  une  chose 
sainte,  des  maximes  infernales.  Je  n'ai  pas  oublie  ce 
qu'on  avoit  fait  jusqu'à  son  éloignement  de  la  Cour, 
pour  l'engager  à  rentrer  dans  la  bonne  voie  :  j'ai  fait 
connoître  son  obstination,  et,  si  je  l'ose  dire,  son 
orgueil,  qui  étoit  l'unique  cause  de  sa  perte,  sans 
compter  son  ingratitude  envers  ses  véritables  amis  et 
ses  bienfaiteurs.  Je  me  suis  aperçu  que  ces  discours 
faisoient  impression  sur  Sa  Sainteté,  et  lui  in'spi- 
roient  de  l'indignation  pour  M.  de  Cambrai  J>  en  fa- 
veur de  qui  il  étoit  prévenu  au-delà  de  toute  expres- 
sion. Il  a  loué  beaucoup  la  prudence  de  madame  de 
Maintenon ,  son  esprit  et  sa  modestie  :  il  ne  m'a  pas 
été  difficile  de  dire  sur  une  aussi  belle  matière  ce  qui 


438  LETTRES 

convenoit.  Il  est  vrai  que  quand  je  fais  attention  à  tout 
ce  que  fai  vu,  f admire  principalement  la  bonté  sin- 
gulière de  Dieu  envers  madame  de  Maintenon  :  il  Ta 
réservée,  sans  doute,  pour  protéger  dans  cette  occa- 
sion les  bons  évêques  et  la  véritable  piété. 

A  Rome,  ce  i4  avril  169g. 


CCCCLXIV. 

MÉMOIRE 

Présenté  au  Roi  le  i8  am/ 1699,  au  sujet  des  assemblées 
provinciales  projetées  par  Sa  Majesté, 

Le  concile  de  Trente,  dans  sa  session  xxiv  de 
Reformatione ,  ch,  2,  jugeant  à  propos  de  rétablir 
}'usage  des  conciles  provinciaux,  qui  avoit  été  in- 
terrompu ,  ordonna  à  tous  les  métropolitains  de 
les  convoquer  de  trois  en  trois  ans. 

En  exécution  d'un  décret  si  utile  pour  la  réfor- 
^lation  de  l'Eglise ,  M.  le  cardinal  de  Lorraine , 
archevêque  de  Rheims ,  tint  à  son  retour  de  Trente 
un  concile  de  sa  province,  en  i564,  dans  son  église 
ïnétropolitaine. 

On  en  a  tenu  depuis  un  second  à  Rheims ,  un  à 
Rouen ,  deux  à  Bordeaux ,  un  à  Tours ,  un  à  Bourges , 
un  à  Aix ,  un  à  Toulouse. 

Le  dernier  de  ces  conciles  provinciaux  est  le 
second  de  Bordeaux  ,  qui  fut  assemblé  en  1624  '•> 
tellement  qu'en  soixante  ans  on  en  a  tenu  neuf  en 
France. 

M-  le  cardinal  du  Perron ,  archevêque  de  Sens , 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^9 

assembla  à  Paris  en  1612  messieurs  les  évêques  de  sa 
province,  pour  la  condamnation  du  livre  du  doc- 
teur Richer. 

M.  Farchevêque  d'Aix  tint ,  dans  la  même  année , 
une  pareille  assemble'e  de  sa  province ,  pour  la  même 
raison. 

Ces  deux  dernières  assemblées  ,  tenues  pendant 
la  minorité  de  Louis  XIII ,  eurent  la  même  forme 
que  celles  qu'on  projette  de  convoquer  aujourd'hui. 

Aucuns  commissaires  de  nos  rois  n'ont  été  pré- 
sens aux  séances  des  conciles  provinciaux  ,  ni  des 
assemblées  dont  on  vient  de  parler. 

On  feroit  donc  une  chose  nouvelle,  si  Ton  pre- 
noit  le  parti  d'en  envoyer  dans  les  assemblées  dont 
il  s'agit  aujourd'hui. 

D'ailleurs  qu'est-ce  que  ces  commissaires  y  feroient  ? 
Ils  n'y  seroient  pas  pour  y  délibérer  avec  nous,  ni 
pour  nous  aider  de  leurs  lumières  :  ils  ne  pourroient 
donc  passer  que  pour  des  inspecteurs  envoyés  par 
le  Roi,  afin  de  nous  contenir,  pour  ainsi  dire ,  dans 
notre  devoir  ;  comme  si  Sa  Majesté  se  défiant  de  ceux 
de  notre  ordre ,  croyoit  devoir  nous  faire  tous  veiller 
par  des  laïques  ,  et  ne  pouvoir  s'assurer  de  notre 
fidélité  qu'avec  cette  précaution ,  qui  nous  désho- 
noreroit  dans  l'esprit  des  peuples ,  et  aviiiroit  notre 
ministère  dans  nos  diocèses. 

Je  dis  plus  :  car  j'ose  avancer  que  cette  nouveauté 
empêcher  oit  le  bien  que  le  Roi  veut  faire ,  et  feroit 
une  plaie  mortelle  à  nos  libertés ,  qu'il  a  pourtant 
un  véritable  intérêt  de  maintenir  contre  toutes  les 
vaines  prétentions  de  la  Cour  de  Rome. 

Sa  Majesté  croit  que  pour  étouifer  dans  ses  Etats 


44<>  LETTRES 

la  doctrine  erronée  et  pernicieuse  du  livre  de  M.  de 
Catîibrâi ,  elle  doit  procurer  la  publication  du  juge- 
ment que  le  Pape  vient  de  rendre  contre  ce  livre. 
On  èonvient  que  cette  publicatioif  est  nécessaire ,  et 
qu*elle  sera  très-utile  ;  mais  il-  faut  tabler  sur  nos 
maximes,  suivant  lesquelles  un  jugement  du  Pape, 
en  matière  de  foi  ,  ne  doit  point  être  publié  en 
France,  qu'après  une  acceptatio'n  Solennelle  de  ce 
jugement.,  faite  dans  une  foi^me  canonique,  |>arles 
archevêques  et  évêqués  dit  royaume.  Une  des  con- 
ditions essentielles  à  cettef acceptation,  est  qu'elle 
soit  entièrement  libre,  Pas^eroit-éllë  de  bonne  foi 
pour  l'être,  si  les  peuples  voyoieht  des'commissaires 
du  Roi  dans  nos  assembléeS'?-Peut-On  nier  que  leur 
présence  n'y  portât  un  air  de  contrainte,  qu'on  ne 
trianqueroit  pas  d'ialléguer  quelque  jour,  pour  don- 
ner atteinteà  tout  ce  qu'on  y  fera? 

Le  Pioi  voudroit-il, en  pareille  matière,  ordonner, 
sans  aucune  nécessite,  une  nouveauté  de  cette  con- 
séquence ,  et  si  affligeante:  piour*  le  premier  ordre  de 
son  royaume,  composé  de  prélats,,  ses  sujets ,  tous 
aussi  attachés  à  son  service  et  à  sa  personne  sacrée  y 
qu'ils  le  doivent  être  par.  leur  état  et  par  leiir  recon- 
noissance^  etidont  Sa  Majesté  a^a  jamais  eu  liè«  de 
SQUpçoiiner  la  fidélité  ?  ^q  i-jb  hic^iii  <.m>.\j  ji.  ivic." 

L'exemple  que  leKoi  donherèit-en  cetie  océàsïob; 
Seroitxi'autant  plus  dangereux ,  que  ses ' successeurs, 
niême  îes  plusl  sages  ,'xfi oir ci 6;at,pa^vbi-r<,eri'jt)0piijte 
Stti^tép  jrégler  leur  conduite  sur  tout  :ce. iqm  ilsj  ver^ 
roientiavoir  été  pratiqué  dans  le  long  et  glorieux 
règne  de  Sa  «Majesté.  Ainsi  l'Eglise  qui, est  libre, 
courrait  risque  y  par  cet  exemple,  dont  on^poUrroit 


I 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  44* 

abuser  clans  les  siècles  à  venir,  d'être  asservie  contre 
l'intention  du  prince  incomparable,  qui  lui  donne 
tous  les  jours  des  marques  si  éclatantes  et  si  effec- 
tives de  sa  protection. 


LETTRE  CCCCLXV. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  mandement  de  M.  de  Cambrai;  le  mécontentement  du  car- 
dinal de  Bouillon  à  Tégayd  de  son  neveu  ;  et  la  manière  dont  oïl 
se  proposoit  d'agir  en  France  relativement  au  bref. 

Je  n'ai  reçu  par  l'ordinaire ,  qu'une  lettre  de 
M'.  Phelippeaux ,  du  3i  mars.  Je  commencerai  celle- 
ci  par  vous  annoncer  le  mandement  latin  et  français 
de  monseigneur  l'archevêque  de  Cambrai,  que  nous 
vous  envoyons ,  et  je  vous  dirai  les  réflexions  qu'on 
a  faites  sur  cette  piède/'-'^*  -'-' 

Tout  le  monde  a  remarqué  d'abord  qu'il  ne  dit  pas 
même  que  le  livre  soit  de  lui  ;  il  s'en  est  désappro- 
prië,  et  il  a  e'crit  en  quelque  endroit,  dans  un  de  ses 
livres  imprimés,  qu'il  n'y  prenoit  point  de  part.  Ma- 
dame Guyoti  eh  a  usé  de  même.  On  est  encoie  plus 
étonné  que,  très-sensible  à  son  humiliation,  il  ne  le 
paroisse  en  aucune  sorte  à  son  erreur,  ni  au  mal- 
heur qu'il  a  eu  de  la  vouloir  répandre.  Il  dira,  quand 
il  lûî  plaira,  qu''iln*a  point  avoué  d'erieûr 3  çt  il  lui 
sera  aussi  aisé  de  s'excuser,  .qii'iJ  la  .excusé  madame 
Guyon.  Car  encore  qu'il  ne  puisse  pas  se  servir  du 
prétexte  de  l'ignorance,  il  saura  bien ,  s'il  le  veut,  en 
trouver  d'autres,  et  il  n'en  manquera  jauiais,  I^a 
clause  de  son  mandement,  où  il  veut  qu'on  ne  se  sau- 


44^  LETTRES 

vienne  de  lui  que  pour  reconnoître  sa  docilité,  supé- 
rieure à  celle  de  la  moindre  brebis  du  troupeau, 
n  est  pas  moins  extraordinaire.  Il  veut  qu'on  oublie 
tout,  excepté  ce  qui  lui  est  avantageux.  Enfin  ce 
mandement  est  trouvé  fort  sec ,  et  Ton  dit  qu'il  est 
d'un  homme  qui  n'a  songé  qu'à  se  mettre  à  couvert 
de  Rome,  sans  avoir  aucune  vue  de  l'édification  pu- 
blique. Les  rétractations  qu'on  a  dans  l'antiquité,  et, 
entre  autres ,  celle  de  Leporius  (*) ,  dictée  par  saint 
Augustin,  sont  d'un  autre  caractère. 

Malgré  tous  les  défauts  de  ce  mandement,  je  crois 
que  Rome  doit  s'en  contenter  ;  parce  qu'après  tout, 
l'essentiel  y  est  riç-à-ric ,  et  que  l'obéissance  est 
pompeusement  étalée.  Il  faut  d'ailleurs  se  rendre  fa- 
cile, pour  le  bien  de  la  paix,  à  recevoir  les  soumis- 
sions, et  à  finir  les  affaires.  Ainsi  ces  réflexions  se- 
ront pour  vous  et  pour  M.  Phelippeaux  seulement; 
mais  je  serai  bien  aise  que  tous  deux  vous  vous 
rendiez  attentifs  à  ce  que  diront  à  Rome  les  gens 
d'esprit. 

(*)  La  rétractation  de  Leporius,  moine  des  Gaules,  condamné 
parProcule,  évêque  de  Marseille ,  et  par  quelques  autres  évêques 
des  Gaules,  est  en  effet  un  modèle  digne  d'être  proposé  à  tous  ceux 
qui  auroient  eu  le  malheur  d'errer  dans  la  foi.  Les  erreurs  de  Le- 
porius rouloient  sur  le  myslère  de  Tlncarnaiion,  et  tendoient  à  in- 
troduire deux  personnes  en  Jésus-Christ,  c'esl-à-dire,  qu'il  établis- 
soit  le  nestorianisme ,  avant  même  que  Nestorius  eut  enfanté  son 
hérésie.  Instruit  par  les  leçons  de  saint  Augustin ,  auprès  duquel  il 
s'étoit  réfugié ,  et  touché  des  exhortations  de  ce  charitable  pasteur, 
il  voulut  réparer  le  scandale  qu'il  avoit  donné,  eu  confessant,  dans 
Tamcrtume  de  son  cœur,  ses  égaremens.  On  peut  voir  la  rétracta- 
tion de  Leporius  dans  Cassien,  lib.  i  de  Incarn.  Dom.  c.  iv;  dans 
les  conciles  des  Gaules  du  père  Sirmond,  tom.  i,  pag.  Sa  j  et  dans 
YHist.  ecclésiastique  de  M.  Fleury,  liv.  xxiv,  n.  49-  Voyez  aussi 
saint  Augustin,  Epist.  ccxixj  tom.  n,  col.  81 1. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  44^ 

11  est  grand  bruit  de  Téclat  de  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  contre  vous  (*).  M.  de  Paris,  en  mon  ab- 
sence, a  pris  fort  votre  parti.  Je  serai  samedi  pro- 
chain à  la  Cour,  au  retour  du  Roi  de  Marli.  Il  ne  faut 
être  en  peine  de  rien  :  vous  avez  satisfait  à  votre 
devoir  en  nous  avertissant,  le  reste  ne  roule  point 
sur  vous.  Il  est  constant ,  par  trop  d'endroits ,  que 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  se  déclaroit  avec  un  excès 
qu  on  ne  pouvoit  pas  dissimuler.  Dans  une  affaire 
de  la  nature  de  celle-ci,  comme  il  s'agissoit  de  la  foi 
et  du  tout  pour  la  religion ,  la  mollesse  ou  la  com- 
plaisance auroit  été  un  crime;  et  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  dans  son  cœur,  ne  peut  vous  savoir  mau- 
vais gré  de  n'y  être  pas  tombé.  Je  suis  persuadé  que 
vous  ne  perdrez  aucune  occasion  de  lui  rendre  vos 
respects,  et  de  Tappaiser,  s'il  se  peut,'  avant  votre 
départ.  Je  souhaite  toujours  que  ce  départ  soit  dans 
le  temps  que  vous  avez  destiné. 

Je  n'ai  pas  encore  de  réponse  de  la  Cour  sur  ce 
que  j'y  ai  mandé  touchant  votre  Induit.  Il  faut  atten- 
dre que  j'y  sois  pour  agir  moi-même.  Il  seroit  prin- 
cipalement à  propos  de  faire  agir  M.  l'ambassadeur  ; 
mais  comme  il  a  la  goutte  à  Monaco ,  on  ne  croit 
pas  que  vous  l'ayez  si  tôt  qu'on  pensoit. 

Je  souhaite  que  mes  lettres  à  MM.  les  cardinaux 
Casanate,  d'Aguirre  et  Spada,  soient  rendues,  et  que 
vous  leur  ayez  bien  fait  mes  complimens  sincères  et 
respectueux. 

C*)  Le  cardinal  de  Bouillon  faisoit  un  crime  à  Tabbé  Bossuet, 
comme  on  Fa  déjà  vu,  d'avoir  envoyé  à  Paris  M.  de  Madot,  pour 
y  porter  le  bref.  Les  lettres  postérieures  apprendront  les  suites  de 
cette  tracasserie. 


I  14  LETTIVES 

Vous  entendrez  bientôt  dire  qu'on  aura  fait  pour 
la  nouvelle  constitution  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
fort,  avec  le  respect  convenable  pour  le  saint  Sie'ge, 
et  en  conservant  tous  les  droits  de  Tépiscopat. 

On  dit,  mais  en  ternies  ge'néraux,  que  M.  le  nonce 
nous  veut  accommoder. avec  M.  de  Cambrai.  Nous 
verrons;  mais  assurément  je  ne  souffrirai  point  d'éga- 
lité, par  rapport  à  la  défense  d'écrire. 

La  paresse,  plutôt  que  l'incommodité,  me  fait 
écrire  d'une  main. étrangère.  Du  reste  j'ai  fait  tout 
l'office  tant  du  jeudi  saint  que  d'aujourd'hui,  en  mé 
dispensant  des  matines  et  de  prêcher, 
'  Ann     '      ■'  ^'■!''/.iiii,  •=   ■••      '   ••-)  nos  '.. 

AMeaux,  ce  19  avril  idq^. 

mv  t'i-'--      ;  '■■■'  ■  ■■'•  •'  ■■ 

LETTRE  CCCCLXVI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  la  satisfsictijon  qajavq^t  le. Pape  îJu,  ^09  accueil  ,<{u'on  avoit  f«it 
en  France  à  son  décret;  Iç  contentement  du  cardinal  Casanate^j 
et  le  chagrin  dn  c'arcîmaï  de  Bouillon. 

,.  J'ai  reçu  mercredi,  i5  de  ce  mois,  la  lettre  que 
vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'ecrire  de  Versailles, 
le  3o  mars;  iet  daAsIe  moment  M.  Phelippéaux  fit 
retenir  date  pQujf  léi^  pour  le  bénéfice  que  vous  dé- 
sirez lui  procurer.  Je  ne  doiite  pas  qu'il  ne  vous  en 
écrive  et  remercie  aujourd'hui.  La  chose  sera  diffi- 
cile ;  mais  je  n'y  oublierai  rien  de  mon  côté,  et 
j'emploierai  tout  ce  que  je  saurai  pour  qu'il  puisse 
profiter  de  la  grâce  que  vous  voulez  bien  lui  faire.  Il 
arriva,  le  mardi  ij,  un  courrier  extraordinaire  dé- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  44^ 

pêche  pour  bénéfice.  On  ne  peut  pas  encore  savoir 
si  quelque  religieux  aura  pris  date  par  ce  courrier. 
Votre  lettre  du  2  avril,  venue  par  le  courrier  de 
M,  le  cardinal  de  Bouillon,  qui  arriva ,  comme  vous 
l'avez  vu  par  ma  dernière  lettre,  le  samedi  11  de  ce 
mois,  ne  m'a  été  rendue  que  le  vendredi  saint,  17 
de  ce  mois  ;  M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'ayant  pas 
voulu  qu'on  portât  plus  tôt  le  paquet  adressé  au 
correspondant  de  M.  Cliabéré.  Si  cette  lettre  m'avoit 
été  rendue  à  l'arrivée  du  courrier,  la  date  de  M.  Phe- 
lippeaux  seroit  certainement  antérieure  à  toute 
autre.  On  aura  l'œil  à  tout  ce  qui  se  passera,  et  on 
fera  toutes  les  démarches  nécessaires. 

Rien  ne  manque  à  ma  joie,  puisque  le  Roi,  vous 
et  tous  les  évêques  en  France  continuez  d'être  con- 
tens  de  la  décision.  Ces  dispositions  causent  ici  une 
satisfaction  incroyable,  et  au  Pape  plus  qu'à  per- 
sonne. 

J'allai  samedi,  comme  il  me  l'avoit  ordonné,  lui 
rendre  compte  de  ce  que  vous  m'écriviez.  Je  lui  lus 
les  articles  de  votre  lettre  du   3o  ,   qui  pouvoient 
lui  faire  plaisir;  et  j'eus  avec  le  Saint  Père,  sur  le 
passé,  le  présent  et  l'avenir,  relativement  à  l'affaire 
de  M.  de  Cambrai ,  une  conversation  aussi  conso-  ^ 
lante  pour  moi  et  pour  vous  que  l'on  pût  désirer.  Le 
Pape  est  à  présent  très- persuadé  qu'il  n'y  a  que 
l'amour  de  la  vérité  et  de  la  religion,  et  la  nécessité 
de  réprimer  une  secte  naissante,  qui  vous  ait  porté 
à  vous  élever  contre  M.  de  Cambrai,  et  qui  vous  ait 
engagé  à  faire  ce  que  vous  avez  fait.  Il  vous  donna 
toutes  les  louanges  que  vous  méritez.  Il  me  dit  que 
c'étoit  M.  de  Cambrai  qui  avoit  voulu  se  perdre ,  et 


44^>  tEttHÊS 

troubler  le  repos  de  l'Eglise ,  eri  refusdnt  toutes  les 
voies  de  douceur,  et  toutes  les  confe'rences  que  vous 
lui  aviez  proposées ,  et  en  continuant  à  écrire  avec 
l'emportement  et  l'obstination  qu'il  aVoit  montrés 
jusqu'au  bout.  Il  espère  néanmoins  qu'il  obéira ,  et 
prend  pour  une  bonne  marque  ce  qu'on  sait  qu'il  dit 
à  son  peuple^  le  jour  de  l'Annonciation. 

Je  lui  ai  lu  l'article  de  votre  lettre  du  3o  et  du  2 
avril»  Il  a  grande  impatience  de  savoir  que  son  nonce 
ait  présenté  au  Roi  le  bref  en  forme.  Il  me  répéta 
qu'il  étoit  très-fâché  que  ce  ne  fût  pas  une  bulle, 
qu'il  en  auroit  donné  cent  pour  une  j  mais  qu'on  ne 
lui  en  avoit  pas  parlé,  ni  fait  faire  les  réflexions 
convenables  là-dessus.  Il  fut  très-content  de  ce  que 
je  lui  dis,  que  le  Roi  et  les  évéques  étoient  très-dis- 
posés à  autoriser  un  bref  qui  contenoit  une  décision 
si  importante  pour  l'Eglise.  Je  crus  ne  devoir  pas 
assurer  positivement  qu'on  trouveroit  les  moyens  de 
réparer  les  défauts,  et  qu'on  passeroit  par-dessus 
les  formalités ,  afin  de  laisser  la  liberté  de  déterminer 
ce  qu'on  jugera  le  plus  à  propos.  Ce  n'est  pas  une 
chose  nouvelle  qu'on  change  un  bref  en  bulle.  On 
m'a  assuré  que  la  condamnation  de  Molinos  se  fit 
d'abord  par  un  bref  ;  je  l'ai  cherché ,  mais  je  ne  l'ai 
pas  encore  trouvé.  Enfin  tout  ce  que  vous  ferez  sera 
bien  fait  ;  et  je  suppose  que  si  on  trouve  les  moyens 
d'autoriser  ce  bref,  ce  ne  sera  pas  aux  dépens  ni  de 
l'autorité  royale  et  épiscopale ,  ni  des  libertés  et 
usages  du  royaume. 

Au  reste,  on  ne  peut  pas  me  donner  plus  de  té- 
moignages de  bonté,  et  si  je  l'ose  dire,  d'amitié, 
que  le  fit  Sa  Sainteté.  J'en  fus  d'autant  plus  aise, 


1 

1 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  44? 

que  je  craignois  que  la  manière  forte  avec  laquelle 
favois  été  obligé  de  lui  parler  très- souvent ,  n'eût 
fait  quelque  mauvaise  impression  sur  son  esprit 
contre  moi  ;  mais  je  puis  assurer  à  présent  qu'il  n'en 
est  pas  ainsi.  Il  me  paroît  au  contraire  que  recon- 
noissant  de  jour  en  jour  la  vérité  de  tout  ce  que  je 
lui  disois,  et  la  fausseté  des  discours  de  nos  adver- 
saires, et  voyant  le  peu  de  fondement  qu'il  y  avoit 
aux  craintes  qu'on  vouloit  lui  donner  de  la  con- 
damnation de  M.  de  Cambrai ,  il  est  plus  content 
de  moi  et  de  mon  procédé  que  je  ne  le  mérite.  Vous 
croyez  bien  que  je  fais  mon  devoir  auprès  des  car- 
dinaux. 

Le  cardinal  Casanate  est  plus  charmé  qu'aucun, 
qu'on  soit  satisfait  en  France  de  la  décision  et  de 
sa  conduite.  Je  l'ai  vu  ce  matin  ;  il  est  fort  scan- 
dalisé et  des  derniers  livres  de  M.  de  Cambrai,  et 
de  ce  qui  lui  en  revient.  Il  appréhende  bien  que  sa 
soumission  ne  soit  qu'extérieure  et  forcée  j  et  il  m'a 
dit  franchement  ce  matin,  qu'il  étoit  bien  dange- 
reux de  laisser  ce  prélat  dans  le  poste  qu  il  occupe, 
et  qu'il  ne  doutoit  point  que  le  Roi  n'y  mît  ordre. 
Vous  pouvez  compter  qu'il  vous  estime  et  vous  aime 
véritablement. 

Le  cardinal  de  Bouillon  continue  à  paroître  peu 
content  de  ce  qu'on  a  fait  ici,  et  de  la  joie  que  cha- 
cun témoigne.  Il  dit  qu'il  croit  que  M.  de  Caml)rai 
se  soumettra  extérieurement,  mais  qu'avant  deux 
ans  on  verra  le  feu  rallumé  plus  vivement,  et  qu'on 
a  mis  un  méchant  emplâtre  à  cette  plaie.  Ce  car- 
dinal se  fait  mépriser,  et  tout  le  monde  se  moque 
de  lui.  Il  est  peu  satisfait  de  la  Gazette  de  France 


44^  LETTRES 

du  28,  sur  deux  articles.  Le  premier,  qui  regarde 
raml)assadeur  de  l'Empereur ,  où  il  est  dit  qu'il  ne 
se  trouva  que  deux  cardinaux  à  la  fête  que  ce  mi- 
nistre donna.  Il  s'imagine  que  le  gazetier  a  voulu 
le  designer,  comme  e'tant  l'un  de  ces  deux  cardi- 
naux. Le  second  article  qui  lui  déplaît,  est  ce  que 
la  gazette  dit  du  cardinal  Casanate.  Le  cardinal  de 
Bouillon  pre'tend  prouver  par  cet  article,  qu'il  sup- 
pose venir  de  mes  relations,   qu'elles  sont  fausses 
ou  peu  exactes  ;  et  il  soutient  que  jamais  le  cardinal 
Casanate  n'a  e'te  nommé  par  le  Pape,  pour  re'diger 
le  décret ,  bien  qu'il  fût  destiné  in  petto  :  et  c'est 
précisément  ce  que  j'ai  toujours  mandé,  si  vous  vous 
en  souvenez,  quoique  monseigneur  Giori  et  nombre 
de  gens  bien  informés  m'aient  toujours  assuré  que 
ce  cardinal  avoit  été  nommé  d'abord  avec  les  deux 
cardinaux  tliéologiens  Noris  et  Ferrari.  Vous  vous 
souviendrez  que  je  vous  envoyai  une  lettre  de  mon- 
seigneur Giori,    qui  le  marquoit  précisément,  et 
que  je  vous  écrivis  en  même  temps  que  je  le  croyois 
bien  destiné ,  mais  qu'il  n'y  avoit  rien  de  déclaré 
là-dessus.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  le  cardinal  Spada 
avoit  dit  au  cardinal  Casanate  que  le  Pape  l'avoit 
destiné  pour  le  travail.  Voilà  les  bagatelles  qu'on 
prétend  relever. 

J'ai  jugé  à  propos  de  faire  parler  au  cardinal  de 
Bouillon,  qui  a  aussi  trouvé  bon  de  nier  ce  qu'on 
lui  avoit  fait  dire  sur  mon  sujet.  J'ai  donc  été  chez 
lui  à  l'ordinaire,  et  il  n'a  été  question  de  rien.  Je 
suis  ])ien  aise  que  les  choses  se  passent  ainsi.  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  n'osera  jamais  avoir  aucun 
éclaircissement  avec  moi.  f 

Le 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  449 

Le  mystère  du  vœu  cacheté  (*),  est  une  autre 
petite  finesse  qui  ne  lui  re'ussira  pas  mieux  que  tant 
d'autres  qu'il  a  mises  en  œuvre.  Le  père  Roslet  ne 
m'en  avoit  rien  dit.  Je  lui  en  parlai  avant-hier, 
comme  sachant  le  fait  de  Rome.  Il  me  dit  que  le 
cardinal  de  Bouillon  lui  avoit  demandé  le  secret, 
qu'il  n'étoit  pas  vrai  qu'il  eût  mis  son  cachet  avant 
la  condamnation,  puisque  ce  fut  après  le  décret 
signé  par  le  Pape;  du  reste  qu'il  n' avoit  eu  aucune 
connoissance  de  ce  que  cet  écrit  Contenoit.  Vous  ne 
me  mandez  point  si  vous  avez  vu  cet  écrit.  Il  a  pu 
être  envoyé  au  Roi,  par  le  courrier  extraordinaire 
qui  a  porté  le  bref.  On  a  fort  bien  répondu  à  cela,  et 
suivant  la  vérité. 

Je  n'entends  pas  bien  la  difficulté  qu'on  fait  sur 
t:e  que  le  bref  n'est  pas  adressé  aux  évêques.  Né 
suffit-il  pas  qu'il  le  soit  au  Roi ,  et  que  le  Roi  l'a- 
dresse après  aux  prélats?  La  lettre  de  M.  de  Cambrai 
à  M.  le  nonce  marque  bien  le  caractère  de  l'esprit 
du  personnage. 

Ce  qu'on  fait  dire  au  cardinal  d'Aguirre,  n'est  pas 
vrai.  Il  n'a  point  tenu  le  propos  que  vous  rapportez 
dans  votre  lettre. 

Je  parie  que  le  père  Dez  voudra  persuader  à  pré- 
sent qu'il  a  toujours  condamné  le  livre  des  Maximes. 

Le  cardinal  Nerli  a  raconté  à  M.  le  cardinal  Ca- 
sanate  et  au  cardinal  Marescotti ,  la  manière  dont 
il  avoit  traité  le  général  des  Jésuites. 

Si  M.  de  Monaco  ne  venoit  pas  ici  avant  la  fin  dé 
mai,  cela  romproit  bien  mes  mesures.  Mais  quoi 

(*)  Il  en  est  parlé  dans  la  lettre  ccccxlvii,  ci-dessus,  pag.  Sgi. 
BOSSUET.    XLII.  29 


45o  LETTRES 

qu  il  puisse  arriver ,  je  prendrai   mes  re'solutîons 
d'après  ce  que  vous  me  manderez. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  voudroit  faire  récom- 
penser ici  tous  ceux  qui  se  sont  déclarés  pour  M.  de 
Cambrai,  et  il  commence  par  Zeccadoro,  pour  qui 
il  veut  absolument  obtenir  des  grâces  du  Pape ,  em- 
ployant à  cet  effet  le  nom  du  Roi.  Cela  seroit  d'un 
bien  peinicieux  exemple.  Les évêques  et  le  Roi n  ont 
pas  eu,  en  cette  occasion,  un  plus  grand  ennemi- 
Je  l'ai  trouvé  partout  dans  mon  chemin ,  et  je  puis 
rendre  un  témoignage  assuré  de  sa  mauvaise  con- 
duite. Le  cardinal  de  Bouillon  a  encore  résolu  d'em- 
pêcher le  procureur -général  des  Augustins  d'être 
général  de  son  ordre.  Il  n'y  a  rien  ici  que  l'assistant 
de  France  ne  fasse  dans  cette  vue  :  il  veut  soulever 
contre  lui  tous  les  Français  de  Rome.  L'ambassa- 
deur n'arrivera  pas  assez  à  temps  pour  leur  parler, 
avant  qu'ils  aillent  à  Boulogne  où  se  tient  le  cha- 
pitre général,  dans  le  mois  de  mai.  Il  faudroit  que 
M.  l'archevêque  et  les  ministres  envoyassent  leurs 
ordres  en  droiture  à  Boulogne  sur  cela,  au  moins 
qu'ils  parlassent  aux  supérieurs  à  Paris,  d'une  ma- 
nière à  se  faire  obéir. 

Rome,  ce  ai  avril  1699. 


SUR  l'affaihe  du  quiétisme.  4^^ 

LETTRE  CCCCLXVIL 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  la  manière  dont  on  devoit  procéder  à  l'acceptation  du  bref 
contre  le  livre  des  Maximts. 

Je  ne  vous  annoncerai  point  de  lettres  reçues.  Il 
n'est  point  venu  d'ordinaire ,  et  l'on  croit  qu'il  a 
manqué,  pour  cette  fois,  par  quelque  accident  qui 
ne  m'est  point  connu. 

Je  ne  puis  mieux  vous  instruire  de  ce  que  le  Boi 
a  résolu  pour  la  réception  delà  Constitution,  qu'en 
vous  envoyant  la  lettre  de  Sa  Majesté  à  M.  de 
Paris  (*).  Il  y  en  aura  une  pareille  à  tous  les  métro- 
politains. Celle  de  M.  de  Paris  lui  a  déjà  été  adressée, 
et  il  nous  a  convoqués  pour  le  i3  mai.  Tout  se  fera 
de  la  manière  la  plus  convenable. 

Le  tour  qu'on  prend  de  n'expédier  de  lettres-pa- 
tentes, qu'après  l'avis  des  évêques,  est  tout-à-fait 
ecclésiastique;  et  jamais  rien  n'aura  été  reçu  avec 
plus  de  solennité.  Vous  verrez,  par  la  lettre  du  Roi, 
qu'on  tient  M.  de  Cambrai  pour  bien  soumis  ;  et  on 
le  doit,  afin  de  voir  la  fin  de  cette  affaire.  Sur  ce 
fondement,  on  lui  adressera  la  Constitution,  comme 
aux  autres  métropolitains,  avec  une  très -légère 
différence. 

A  Paris,  ce  27  avril  1699. 

K*)  Cette  lettre  du  Roi  est  insérée  dans  la  Relation  de  Rassemblée 
*ie  1700,  ci-dessus j  lom.  xxx,  pag.  456.  {Edit.  de  Fers.) 


452  LETTRES 


LETTRE  CCCCLXVIII. 

DE  L'ABBË   BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  la  cause  des  défauts  du  bref;  la  conversation  de  cet  abbé  avec 
le  cardinal  Spadaj  l'audience  qu'il  avoit  eue  du  Pape  ;  les  senli- 
mcns  de  ce  pontife  pourBossuetj  la  congrégation  qu'il  avoit  in- 
diquée, relativement  au  bref,  et  ce  qu  on  y  avoit  résolu. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  Fhonneur 
de  m'e'crire  de  Versailles ,  du  6  de  ce  mois.  Vous 
aurez  vu  dans  toutes  mes  lettres  à  qui  l'on  s'en  doit 
prendre,  si  l'on  a  négligé  ici  les  moyens  qui  pou- 
voient  contribuer  à  rendre  le  succès  complet.  On  a 
voulu  tout  afFoiblir -,  et  par  la  précipitation  extrême 
avec  laquelle  l'affaire  a  été  poussée  les  derniers  jours, 
on  m'a  ôté  la  facilité  de  remédier  à  ce  qui  manque. 
Mais  il  est  inutile  de  répéter  ce  que  vous  savez  déjà. 
Venons  à  ce  qui  se  passe. 

Samedi  dernier,  après  avoir  reçu  les  lettres,  j'allai 
d'abord  chez  le  cardinal  Spada  qui  avoit  reçu  les 
dépêches  de  M.,  le  nonce  ;  ainsi  je  ne  lui  appris,  je 
pense,  rien  de  nouveau,  en  lui  lisant  les  articles 
de  votre  lettre,  qu'il  étoit  bon  qu'il  vît.  Je  lui  fis 
bien  remarquer  ce  qui  regarde  les  défenses  d'écrire. 
Il  excusa  là-dessus  M.  le  nonce,  et  les  ordres  qu'il 
avoit  reçus,  disant  qu'on  ne  prétendoit  rien  défen- 
dre ,  mais  seulement  qu'on  croyoit  que  rien  n'obli- 
geoit  encore  à  écrire,  et  qu'on  souhaitoit  la  paix, 
si  cela  étoit  possible.  Je  fis  bien  valoir  vos  sentimens 
de  douceur  et  de  charité,  auxquels  vous  ne  donne- 
riez point  de  bornes  ;  votre  intention  et  celle  des 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^^ 

bons  évéques,  étant  seulement  de  faire  régner  et 
triompher  doucement  et  modestement  la  ve'rite',  sans 
mêler  la  moindre  insulte  envers  la  personne  de  M.  de 
Cambrai.  Aussi,  loin  de  désapprouver  ici  cette  con- 
duite ,  on  ne  cessera  d  y  applaudir.  Mais  ce  qui  obli- 
gea à  faire  écrire  sur  ce  sujet  à  M.  le  nonce,  c'est 
la  terreur  qu'on  inspiroit  de  M.  de  Cambrai  et  de 
sa  puissante  cabale.  Comme  ils  voient  qu'on  leur  a 
donné  de  fausses  craintes,  ils  se  rassurent  de  jour 
en  jour,  et  c'est  à  quoi  je  tâche  de  ne  rien  oublier. 
Quant  au  bref,  on  répond  toujours  la  même  chose, 
c'est-à-dire  qu'on  n'y  a  pas  pensé,  et  qu'il  n'y  a  eu 
aucune  mauvaise  intention  à  cet  égard.  Pour  le  bref 
particulier  qu'on  auroit  dû  écrire  au  Roi,  le  car- 
dinal Spada  avoue  qu'il  eût  été  convenable  de  le 
faire;  mais  il  s'excuse  sur  l'inadvertance,  unique 
cause  de  cette  omission.  Si  Ton  n'a  pas  notifié  le 
jugement  à  M.  de  Cambrai ,  c'est  qu'on  a  cru  qu'il 
suffisoit  que  le  Pape  lui-même  en  eût  donné  con- 
noissance,  et  fait  part  à  son  agent  ici.  On  avoitbién 
pensé  à  lui  écrire  là-dessus,  mais  on  avoit  craint  de 
s'engager  par-là,  et  de  faire  quelque  chose  dont  il 
tirât  avantage,  la  circonstance  étant  délicate,  et 
moi-même  lui  ayant  témoigné  que  cette  démarche 
pouvoit  avoir  des  suites  dangereuses.  Il  est  vrai  que 
je  lui  représentai  qu'il  me  paroissoit  peu  honorable 
au  Pape,  d'écrire,  comme  les  partisans  de  M.  de 
Cambrai  le  vouloient,  à  cet  archevêque,  pour  l'exhor- 
ter à  se  soumettre.  Mais  cela  n'empêchoit  pas  de 
donner  ordre  au  nonce  en  France  de  lui  notifier  la 
décision  prononcée  sur  son  livre.  Ils  voient  bien  leur 
négligence ,  et  c'est  assez  qu'ils  la  sentent.  Comme 


''ir):'i  LETTRES 

VOUS  prétendez  suppléer  à  tout,  et  que  ni  le  Roi, 
ni  les  évêques  ne  demandent  rien  à  cette  Cour,  je 
me  suis  borné  à  faire  connoître  la  bonne  volonté  des 
évêques  et  leur  respect  pour  le  saint  Siège. 

M.  le  cardinal  Spada  alla  chez  le  Pape,  et  lui 
rendit  compte  de  ses  dépêches  et  de  ma  conversa- 
tion. Sa  Sainteté  me  fit  appeler,  sachant  que  j'at- 
tendois  sa  commodité.  Aussitôt  qu'elle  me  vit,  elle 
ne  me  laissa  pas  le  temps  de  parler,  et  commença  à 
me  demander  de  vos  nouvelles  :  comment  se  portoit 
ce  grand  évoque,  ce  défenseur  de  la  foi?  mais  dans 
les  termes  les  plus  forts  que  vous  puissiez  jamais 
vous  imaginer,  jusqu'à  me  dire  que  votre  conser- 
vation et  votre  santé  étoient  nécessaires  au  bien  de 
l'Eglise  ;  qu'il  prioit  Dieu  continuellement  pour  vous, 
et  vous  portoit  dans  son  cœur,  etc.  Après  quoi  le 
Pape  me  demanda  ce  qu'on  disoit  en  France;  si  on 
continuoit  toujours  à  être  content.  Je  lui  dis  ce  qu'il 
falloit  là-dessus,  l'assurant  du  parfait  contentement 
de  tous  les  états,  quant  au  fond.  Sur  les  formalités, 
je  lui  représentai  avec  respect  ce  qu'on  croyoit  qui 
eût  été  convenable.  Il  me  demanda  ce  qu'on  souhai- 
teroit  qu'il  fit  ;  et  je  lui  répondis  que  je  ne  savois 
pas  les  ordres  que  pouvoit  avoir  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  mais  qu'il  me  paroissoit,  par  les  lettres 
de  M.  de  Paris  et  de  vous,  qu'on  espéroit  trouver 
les  moyens  de  ne  pas  laisser  tomber  à  terre  un  dé- 
cret aussi  nécessaire,  sans  fatiguer  davantage  le  saint 
Siège.  Je  ne  laissai  pas  de  lui  représenter  de  quel 
poids  auroit  été  une  bulle.  Sa  Sainteté  me  parut 
vraiment  affligée  de  n'en  avoir  pas  fait  une  :  et  après 
m' avoir  dit  que  c'étoit  principalement  à  certaine 


I 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  455 

personne  à  l'en  avertir,  voulant  sans  doute  parler 
du  cardinal  de  Bouillon,  elle  m'ajouta,  en  riant, 
qu'elle  avoit  aussi  envie  de  s'en  prendre  à  moi  ;  qu'à 
la  moindre  instance  que  je  lui  eusse  faite  là-dessus, 
elle  l'auroit  donnée.  A  cela  je  pris  la  liberté  de  lui 
répondre,,  que  j'avois  bien  alors  à  penser  à  d'autr;Ç\i3l) 
objets  qu'à  des  formalités,  sur  lesquelles  je  ne  croyois 
pas  qu'il  y  eût  la  moindre  difficulté  ;  que  je  lui  avouois 
que,  dans  ce  moment  critique,  je  ne  m'occupois  qu'à 
sauver  l'essentiel,  en  représentant  là-dessus  à  Sa 
Sainteté  que  je  voyois  attendrie  par  la  cabale,  ce 
qui  convenoit  à  sa  gloire,  à  celle  du  saint  Siège,  à 
l'état  de  la  France,  et  aux  intentions  du  plus  grand 
Roi  du  monde.  Cependant  je  suppliai  le  saint  Pèf.Ç) 
de  se  souvenir  que  toujours  je  lui  avois  parlé  de 
bulle ,  que  lui  -  même  m'avoit  toujours  donné  à 
entendre  qu'il  ne  comptoit  pas  faire  autre  chose. 
Quant  au  détail  dans  lequel  je  n'étois  pas  entré  fort^ 
avant  avec  lui ,  je  lui  dis  que  je  m'en  étois  expliqijj^ 
très-souvent  avec  le  cardinal  Albani ,  et  que  j'avois. 
déclaré  expressément  qu'on  demandoit  une  bulle, 
et  nommément  six  jours  avant  la  conclusion  ;  que 
j'étois  sûr  que  ce  cardinal  ne  le  nieroit  pas.  Sur  quoi, 
il  me  répliqua  que  je  de  vois  le  lui  dire  à  lui-même, 
et  qu'il  faut  lui  tout  dire  ;  qu'on  ne  seroit  pas  daps, 
cette  peine,  si  je  lui  avois  parlé  clairement  là-dessuSi; 
le  lui  témoignai  en  riant  que  je  voulois  bien  prendre 
sur  moi  une  partie  de  la  faute,  mais  qu'il  devoit 
aussi,  en  bonne  justice ,^^  en  jeter  l'autre  partie  sur 
ses  ministres.  Sa  Sainteté  me  dit  :  Il  faut  m'excuser;. 
comme  vous  n'êtes  pas  obligé  de  savoir  nos  usages , 
je  ne  suis  pas  obligée  de  savoir  ceux  de  Eranee^. 


4^^  LETTRES 

mais  je  vous  prie  de  croire  qu'il  n'y  a  eu  aucune 
mauvaise  intention  de  ma  part.  Il  me  paroît  que 
les  défauts  de  son  bref  le  peinent ,  et  qu'il  auroit 
bien  voulu  trouver  quelque  expédient  pour  y  reme'- 
dier.  Je  crus  qu'il  ëtpit  bon  de  le  laisser  dans  cette 
disposition.  Après  quoi  le  Pape  agre'a  que  je  lui 
lusse  certains  endroits  de  votre  lettre ,  relatifs  à  la 
manière  de  recevoir  le  bref.  Je  passai  l'article  des 
défenses  d'e'crire,  ayant  bien  connu,  par  l'atten- 
tion qu'il  avoit  à  vous  louer,  que  M.  le  cardinal 
Spadà  lui  en  avoit  rendu  compte  5  et  cela  me  suf- 
fisoit. 

Je  lui  rapportai  ensuite  que  les  partisans  de  M.  de 
Cambrai  disoient,  qu'il  sembloit  que  Rome  eut  peur 
du  coup  qu'elle  avoit  frappé,  et  craignoit  M.  de 
Cambrai  comme  un  homme  qui  pouvoit  exciter  des 
partialités  dans  lé  royaume;  et  qu'à  présent  la  Cour 
de  Rome  ne  pensoit  qu'à  afFoiblir  ce  qu  elle  avoit  fait. 
Sa  Sainteté ,  sur  cela  ,  m'assura  qu'elle  n'avoit  agi 
qu'après  une  mûre  délibération  ;  qu'elle  étoit  bien 
résolue  de  soutenir  son  décret,  et  que  rien  ne  seroit 
capable  d'ébranler  sa  résolution.  J'ai  toujours  cru 
qu'il  étoit  de  la  dernière  importance  d'appuyer  sur 
ces  articles,  de  piquer  le  Pape  d'honneur,  aussi  bien 
que  cette  Cour,  et  de  leur  bien  faire  connoître  la 
foiblesse  du  parti  de  M.  de  Cambrai  ^  et  à  cet  égard 
on  me  croit  plus  que  jamais,  depuis  qu'on  a  su  la 
manière  dont  la  Cour,  la  ville,  le  Roi,  les  évêques 
avoient  reçu  la  condamnation  des  erreurs  de  M.  de 
Cambrai. 

Je  lus  à  Sa  Sainteté  la  lettre  de  M.  de  Cambrai 
à  M.  d'Arras,  que  vous  m'avez  envoyée.  Elle  remar- 


1 


su  11  l'affatîie  du  quiétisme.  4^7 

qua  fort  bien  l'expression  de  porter  sa  croix  ,  et  me 
dit  qu'il  pensoit  sans  doute  mieux  qu  il  ne  s'expri- 
moit.  Je  vis  bien  que  la  lettre  lui  paroissoit  sèche  ; 
et  je  ne  pus  m'empêcher  de  lui  dire ,  que  je  ne  dou- 
tois  pas  que  M.  de  Cambrai  ne  se  servît  des  termes 
de  soumission  et  d'obéissance  dans  les  mandemens 
qu'il  faisoit  pour  son  diocèse,  et  dans  les  lettres  qu'il 
écrivoit  ici  ;  mais  que  je  ne  pouvois  m'empêcher  de 
craindre  qu'il  ne  dît  pas  une  parole  qui  tendît  à 
avouer  qu'il  s'étoit  trompé,  et  qu'il  avoit  enseigné 
des  erreurs  :  ce  qui  me  paroissoit  être  essentiel,  pour 
juger  si  véritablement  son  esprit  et  son  cœur  étoient 
soumis,  s'il  étoit  véritablement  revenu  de  ses  pré- 
ventions, et  avoit  abandonné  ses  sentimens.  En  un 
mot,  j'observai  qu'il  falloit  qu'il  dît  son  Confiteor, 
s'il  vouloit  recevoir  l'absolution.  Sa  Sainteté  en  con- 
vint ;  et  je  vois  bien  qu'on  remarque  tout  ici ,  qu'on 
ne  se  laissera  pas  tromper  par  les  soumissions  appa- 
rentes que  pourra  Faire  M.  de  Cambrai  :  quodDeus 
omen  av^ertaU 

Je  trouvai  occasion  de  parler  de  M.  le  nonce,  et 
de  l'obligation  que  la  France  et  le  saint  Siège  lui 
avoient.  Je  ne  puis  vous  exprimer  la  joie  que  Sa 
Sainteté  eut  de  ce  que  je  lui  dis  là -dessus,  et  de 
quelle  manière  elle  s'expliqua  sur  ce  prélat.  Cela 
passe  tout  ce  que  j'en  puis  dire.  La  conversation 
roula  sur  lui  pendant  un  quart  d'heure,  et  ce  fut 
à  qui  en  diroit  plus  de  bien. 

J'avois  vu,  il  y  a  quinze  jours,  Sa  Sainteté  si  bien 
disposée  et  si  pleine  d'estime  pour  madame  de  Main- 
tenon,  que  je  crus  ne  lui  pas  déplaire  de  l'en  entre- 
tenir de  nouveau.  Par  la  manière  dont  elle  me  parla 


/i  5  8  L  E  T  T  11  K  s 

de  sa  vertu  et  de  son  mérite,  je  jugeai  Lien  que  je 
lui  avois  fait  plaisir.  Elle  me  dit  :  C'est  une  dame 
que  Dieu  a  re'servée  pour  le  bien  de  la  religion  et  de 
la  vraie  pie'té.  Le  Pape  est  véritablement  pénétré 
d'estime  et  d'affection  pour  elle.  Comme  je  sais  les 
impressions  que  les  ennemis  de  l'Etat  et  de  l'Eglise 
ont  voulu  donner  ici  contre  madame  de  Maintenon, 
je  crois  qu'il  est  nécessaire  de  ne  point  perdre  d'oc- 
casion, principalement  auprès  des  cardinaux,  de  leur 
faire  connoître  son  mérite ,  qui  est  le  fondement  de 
la  confiance  du  Roi.  Je  crois,  par-là,  rendre  témoi- 
gnage à  la  vérité,  et  faire  mon  devoir  de  bon  Fran- 
çais. Je  suis  aussi  bien  assuré  de  vous  faire  plaisir, 
connoissant  vos  sentimens  pour  cette  dame  ;  et  à 
cette  occasion  je  dois  vous  dire  que  madame  la  prin- 
cesse des  Ursihs ,  que  les  principaux  cardinaux  voient 
souvent,  leur  inspire  la  plus  grande  considération 
pour  madame  de  Maintenon.  Je  le  sais  d'eux-mêmes, 
plusieurs  m'ayant  assuré  plus  d'une  fois  que  tout  ce 
que  je  pouvois  leur  en  rapporter,  s'accordoit  par- 
faitement à  ce  que  madame  la  princesse  des  Ursins 
leur  en  disoit. 

Je  rends  compte  à  M.  le  cardinal  de  Janson  de  ce 
que  le  Pape  voulut  bien  me  déclarer  sur  une  affaire 
fâcheuse  arrivée  h  Malte,  entre  M.  son  neveu  et  un 
frère  bâtard  de  M.  le  duc  de  Mantoue.  On  voit  bien 
que  Sa  Sainteté  prend  un  véritable  intérêt  à  ce  qui 
peut  toucher  cette  Eminence. 

J'ai  vu  la  lettre  de  Sa  Majesté  au  Pape ,  du  6  avril , 
pour  le  remercier.  Elle  est  courte,  mais  elle  est  par- 
faitement juste  et  très-belle. 

Hier,  lundi  au  matin ,  M.  de  Chanterac  alla  chez 


SUH    l'aFFATRE    du    QUIÉTISME.  4^9 

le  Pape,  et  lui  porta  une  lettre  de  M.  de  Cambrai 
sur  sa  condamnation. 

Hier  matin  Sa  Sainteté  intima  une  congrégation 
de  cardinaux  du  saint  Office  pour  raprès-dînée.  Je 
me  doutai  qu'il  s'agissoit  de  quelque  chose  qui  pou- 
voit  regarder  les  dépêches  de  M.  le  nonce.  J'ai  couru 
ce  matin  pour  en  apprendre  des  nouvelles.  Je  n'ai 
pu  voir  le  cardinal  Casanate;  mais  il  m'a  fait  dire 
que  le  secret  étoitinviolable.J'ai  vu  le  cardinal  Spada 
qui  m'a  dit,  que  l'objet  de  la  congrégation  étoit  de 
faire  part  aux  cardinaux  de  la  lettre  du  Roi  et  de  celle 
de  M.  de  Cambrai.  Je  n'ai  pu  rien  tirer  que  par  con- 
jecture de  l'assesseur  et  du  commissaire.  Je  me  suis 
bien  aperçu  cependant  qu'il  avoit  été  question  du 
bref,  et  de  la  bulle  qu'on  eût  désirée  à  la  place.  Je 
soupçonne  que  Sa  Sainteté  a  voulu  savoir  l'avis  de 
la  congrégation  sur  cela  ,  et  si  l'on  pouvoit  faire 
une  bulle  ,  pour  donner  plus  de  satisfaction  à  la 
France.  Par  ce  que  m'a  dit  l'assesseur ,  je  suis  bien 
trompé  si  les  cardinaux  n'ont  pas  été  d'avis  de  ne 
rien  changer,  et  d'en  demeurer  au  bref.  Néanmoins 
gens  qui  pensent  être  bien  informés ,  viennent  de 
m'assurer  qu'il  avoit  passé  à  la  pluralité  des  voix , 
qu'on  pouvoit  faire  une  bulle.  Selon  les  dispositions 
des  esprits,  cela  me  paroît  difficile  à  croire.  Avant 
que  de  finir  cette  lettre,  j'espère  savoir  positivement 
ce  qui  en  est,  d'un  endroit  qui  ne  m'a  jamais  abusé, 
comme  vous  l'avez  pu  reconnoître  par  expérience. 
Le  grand  secret  qu'on  observe  là-dessus  me  fait  ju- 
ger qu'on  n'a  point  résolu  de  changer  le  bref  en 
bulle.  Si  cela  avoit  été  déterminé ,  le  cardinal  Ca- 
çanate  me  l'aurpit  fait  dire.  Je  vous  avoue  que  je 


40'o  LETTRES 

ne  laisse  pas  d'être  très-ciuieux  de  savoir  en  de'tail 
ce  qui  s'est  passe'  dans  cette  congrégation.  Tous  les 
cardinaux  y  ëtoient,  à  l'exception  des  cardinaux 
Marescotti  et  Ottoboni.  Sans  doute  le  cardinal  de 
Bouillon  instruira  le  Roi  de  la  délibération. 

Je  n'ai  pas  encore  vu  la  lettre  de  M.  de  Cambrai 
à  Sa  Sainteté.  Le  cardinal  Spada  m'a  dit  qu'elle 
étoit  belle  et  toute  soumise.  Il  m'a  pourtant  avoué 
qu'il  paroissoit  n'être  pas  content  et  souffrir,  et 
qu'il  n'y  reconnoissoit  en  aucune  façon  qu'il  s'étoit 
trompé.  Je  m'en  étois  bien  douté.  Le  cardinal  de 
Bouillon  loue  fort  cette  lettre.  L'abbé  Péquigni ,  à 
qui  M.  le  cardinal  de  Bouillon  l'a  fait  voir,  m'a  dit 
qu'elle  étoit  écrite  en  latin  flamand,  très-sèche,  et 
qu'on  sentoit  fort  bien  qu'il  ne  se  soumettoit  que 
par  force ,  plus  par  crainte  du  Roi  que  du  Pape  ; 
en  un  mot  ,  toute  dans  l'esprit  de  la  lettre  à 
M.  d'Arras.  Je  n'ai  pu  me  la  procurer  ;  mais  M.  le 
cardinal  Spada  m'a  dit  qu'il  l'envoyoit  à  M.  le  nonce  : 
ainsi  vous  la  verrez  par  son  moyen.  Il  marque,  dans 
cette  lettre,  que  son  mandement  est  tout  prêt;  que 
ce  qui  l'empêche  de  le  publier,  c'est  qu'il  attend 
là-dessus  les  ordres  du  Roi  qu'il  a  demandés. 

On  fait  bien  de  ne  rien  demander  ici  sur  le  bref*^ 
tant  que  le  cardinal  de  Bouillon  y  sera,  et  de  se 
passer  de  cette  cour  le  plus  qu'il  est  possible.  Les 
évêques  ne  peuvent-ils  pas  faire  valoir  leur  auto- 
rité ,  en  recevant  la  décision  du  saint  Siège  par 
forme  de  jugement,  et  approuvant  la  doctrine  con- 
tenue, comme  conforme  à  celle  de  l'Eglise?  après 
quoi  l'autorité  royale  viendroit  prêter  son  secours 
pour  l'exécution.  Vous  savez  mieux  ce  qu'il  y  a  à 


SUR    L^AFFAIIIE    DU    QUIÉTI3ME.  4^  i 

faire  que  nous,  et  vous  ne  manquerez  pas  de  relever 
Tautoritë  e'piscopale  d'une  manière  convenable. 

Le  motif  que  fai  pour  croire  que  les  cardinaux 
ne  voudront  rien  faire  de  nouveau  ,  c'est  que  le  car- 
dinal Casanate,  qui  étoit  d'avis  d'une  bulle,  et  qui  est 
très-fâché  qu'on  ne  l'ait  pas  faite ,  m'a  paru  trouver 
quelque  difFiculté  à  pre'sent  de  convertir  le  bref  en 
bulle.  Il  faudroit,  selon  lui,  pour  ce  changement, 
qu'il  arrivât  quelque  nouvel  accident  qui  pût  donner 
prétexte  à  former  un  autre  décret  ;  mais  il  pense 
qu'il  ne  conviendroit  pas  de  le  faire,  tant  que  la 
France  ne  le  demande  pas.  Si  l'on  n  a  pas  adressé  le 
bref,  qu'on  appelle  ici  bref  général,  par  vin  bref  par- 
ticulier au  Roi,  on  a  manqué,  il  est  vrai,  à  une  bien- 
séance essentielle;  et  le  cardinal  Casanate  avoue  que 
cela  est  mal.  G'étoit  au  cardinal  Spada  à  savoir  son 
métier;  mais  ce  défaut  ne  suffit  pas,  selon  eux,  pour 
commuer  le  décret. 

Au  reste,  Sa  Sainteté  a  eu  la  bonté  de  témoigner 
là  satisfaction  qu'elle  a  de  moi  à  plusieurs  personnes, 
et  en  des  termes  qui  me  font  honte.  Monseigneur 
Giori  et  le  père  général  de  la  Minerve  en  sont  té- 
moins :  j'avoue  que  ce  témoignage  de  sa  bienveillance 
me  donne  une  consolation  particulière. 

Rien  ne  m'arrête  ici  que  TafFaire  de  mon  Induit. 
Je  voudrois  y  voir  M.  de  Monaco,  que  je  crois  à  pré» 
sent  en  chemin.  J'espère  qu'il  sera  ici  pour  la  mi-mai , 
et  je  compte  partir  avant  le  8  de  juin;  plus  tôt  si  je 
puis.  En  un  mot ,  il  n'y  a  que  vos  ordres  précis  qui 
puissent  me  retenir  ici  cet  été.  Je  vous  obéirai  assu- 
rément; mais  ce  ne  sera  pas  sans  souffrir,  à  l'exemple 
de  M.  de  Cambrai.  Il  est  bien  fâcheux  que  je  ne 


4^2  LETTRES 

puisse  pas  partir  dans  les  premiers  jours  du  mois 
prochain ,  à  cause  des  chaleurs  ;  mais  il  faut  faire 
de  nécessité  vertu  ,  et  attendre  ce  que  feront  la 
France  et  M.  de  Cambrai. 

La  fermeté  et  la  conduite  du  cardinal  Casanate , 
dans  l'affaire  de  M.  de  Cambrai,  lui  ont  fait  ici 
tant  d'honneur,  que  la  congrégation  lui  a  envoyé 
l'examen  de  l'affaire  des  Jésuites  et  de  MM.  des  Mis- 
sions étrangères,  sur  les  idolâtries  chinoises.  Les 
cardinaux  Noris  et  Ferrari  lui  sont  joints.  Aujour- 
d'hui commence  la  première  congrégation.  Le  Pape 
a  approuvé  la  résolution  de  la  congrégation.  Il  y  a 
apparence  qu'on  fera  bonne  justice;  et  la  congréga- 
tion suivra  sans  doute  les  résolutions  que  prendront 
ces  trois  cardinaux,  dont  le  cardinal  Casanate  est  le 
maître. 

Le  père  général  de  la  Minerve  et  le  père  Mas- 
soulié  vous  prient  de  leur  accorder  votre  protection, 
pour  un  établissement  qu'ils  veulent  faire  à  Tou- 
louse d'une  chaire  de  théologie.  Ils  vous  adressent , 
aussi  bien  qu'à  M.  de  Paris,  des  mémoires  sur  cela. 

Il  semble  que  l'affaire  des  Bénédictins  et  des  Jé- 
suites veuille  s'échauffer  (*)  :  vous  ne  m'en  mandez 
rien.  On  dit  M.  de  Chartres  fort  prévenu  en  faveur 
des  Jésuites. 

J'apprends ,  dans  ce  moment ,  que  les  cardinaux 
résolurent  hier  de  ne  point  changer  le  bref  en  bulle, 
à  cause  des  raisons  que  je  vous  ai  exposées  ci-de- 
Vant,  et  que  le  cardinal  Albani  avoit  voulu  soutenir 
ce  qu'il  avoit  fait.  Apparemment  le  nonce  ne  dira 

(*)  Voyez  la  lettre  ccccxviij  et  la  note  de  la  page  "i^o.  {Edit. 
de  Fers.) 


SUR  l'affaihe  du  quiétisme.  4^3 

rien  de  cette  résolution  ;  mais  je  la  crois  certaine. 
Je  vous  envoie  les  deux  derniers  livrets  de  M.  de 
Cambrai  contre  vous  et  M.  de  Chartres.  La  disposi- 
tion étoit  belle  pour  la  soumission.  Il  a  voulu  avoir 
répondu  à  tout.  Je  ne  sais  comment  il  pourra  s'em- 
pêcher de  répondre  au  bref,  et  de  prendre  le  Pape  à 
partie.  Ne  sera-ce  pas  vous  qui  aurez  dicté  son  juge- 
ment ?  Ce  qu'il  dit  sur  le  concile  de  Trente  me  pa- 
roît  bien  hardi,  et  bien  digne  de  censure.  Pour  moi, 
je  le  crois  non-seulement  téméraire,  mais  hérétique 
formellement. 

Rome,  ce  28  avril  1699. 


LETTRE  CCCCLXIX. 

DE    BOSSUET   A  SON   NEVEU. 

Sur  la  manière  dont  on  devoit  recevoir  le  bref  du  Pape;  l'affaire 
de  Sfondratej  et  les  dispositions  du  cardinal  de  Bouillon. 

On  a  reçu  enfin,  mais  hier  au  soir  seulement, 
votre  lettre  du  7  avril.  M.  de  Madot,  qui  partira 
cette  nuit,  vous  portera  cette  réponse.  Je  lui  ai  fait 
part  de  ce  qu'on  disoit  contre  vous,  et  de  ce  que 
vous  aviez  répondu  pour  votre  défense.  Il  vous  en 
dira  lui-même  son  sentiment,  qui  se  trouve  conforme 
au  vôtre. 

Vous  verrez,  par  la  lettre  dont  je  vous  envoie 
copie  {*) ,  la  résolution  qu'on  a  prise  ici,  pour  l'exé- 
cution de  la  constitution  apostolique.  On  la  recevra 

(*)  Celte  lettre  éloit  celle  du  Roi  aux  archevêques.  Il  tn  a  été  parlé 
ci-des.sus,  lettre  cccclxvh. 


4(>4  LETTRES 

avec  tout  le  respect  dû  au  saint  Siège,  et  avec  la  plus 
grande  solennité. 

Si  les  evcques  entrent  dans  cette  affaire,  c'est 
parce  qu'il  le  faut,  conformément  à  nos  maximes, 
pour  authentiquer  la  constitution,  et  faire  exécuter 
ce  qui  y  est  porté,  après  l'avoir  reçue  canonique- 
ment,  etc. 

J'ai  rendu  compte  de  ce  qu'on  projette  à  M.  le 
nonce ,  qui  en  a  paru  assez  content ,  et  qui  le  sera 
lout-à-fait,  quand  il  aura  vu  les  lettres  du  Roi. 
M.  de  Paris  nous  a  convoqués  pour  le  i3  de  mai. 

On  adressera  une  pareille  lettre  à  tous  les  métro* 
politains,  et  à  M.  de  Cambrai  même,  avec  quelque 
légère  différence  tirée  des  circonstances  de  sa  per- 
sonne. Par  ce  moyen  tout  sera  fini ,  du  consente- 
ment de  tout  le  monde ,  et  il  n'y  aura  pas  de  ques- 
tion de  fait.  C'est  pourquoi  l'on  veut  se  contenter 
de  la  soumission  de  cet  archevêque,  quoiqu'on  voie 
bien  ce  qui  y  manque;  combien  elle  diffère  de  celle 
de  Leporius,  dictée  par  saint  Augustin,  et  se  trouve 
peu  conforme  à  ce  que  les  auteurs  du  temps  mar- 
quent de  celle  de  Gilbert  de  la  Poirée  (*). 

Je  vis  hier,  chez  le  Roi,  M.  le  prince  de  Vaïni, 

(*)  Gilbert  de  la  Poirée,  évêque  de  Poitiers,  étoit  savant,  mais 
trop  livré  aux  subtilités  de  la  philosophie  d'Aristote.  Il  voulut  juger 
des  choses  divines  par  les  faux  raisonnemens  d'une  vaine  dialec- 
tique, et  s'égara  sur  le  mystère  de  la  Trinité.  Saint  Bernard,  plein 
de  zèle  pour  la  doctrine  catholique,  attaqua  fortement  se^  erreurs, 
le  convainquit  dans  le  concile  tenu  à  Rheiros  en  t  1 48 ,  par  Eu- 
gène m,  et  dressa  une  profession  de  foi  toute  contraire,  qui  fut 
adoptée  par  le  concile.  Gilbert  se^  soumit ,  et  condamna  humble- 
ment les  fausses  opinions  (Ju'il  avoit  avancées.  Voyez  S.  Bernard,  in 
Cant.  Serm.  txxx,  tom.  i,  col.  i546j  et  Labbe,  Concil.  tom.  x. 
pag.  II 20.  ^ 

qui 


I 


SUR  l'affaihe  du  quiétisme.  4^5 

qui  me  parla  de  vous  de  la  manière  du  monde  la  plus 
obligeante.  Il  me  fît  tant  d'honnêtetés,  de  la  part  de 
Sa  Sainteté,  que  j'en  étois  tout  confus.  Il  me  témoi- 
gna qu'il  avoit  beaucoup  de  particularités  à  me  dire. 
Je  tâcherai  de  le  voir  demain  à  Paris. 

On  ne  croit  pas  que  M.  le  prince  de  Monaco 
puisse  être  sitôt  à  Rome,  la  goutte  le  retenant  à 
Monaco,  Je  vous  envoie  une  lettre  à  toutes  fins 
pour  lui,  sur  votre  induit.  Le  Roi  lui  a  fait  écrire  de 
vous  accorder  ses  bons  offices  auprès  du  Pape  et  des 
ministres. 

Vous  faites  bien  de  ne  cesser  de  rendre  tous  vos 
respects  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon  :  n'oubliez  paî; 
de  le  bien  assurer  des  miens. 

On  doute  que  vous  puissiez  voir  M.  le  prince  de 
Monaco  à  Rome.  Je  trouve  très-bon  que  vous  diffé- 
riez le  plus  que  vous  pourrez,  pour  toutes  les  rai- 
sons que  vous  me  marquez ,  et  surtout  par  rapport 
à  votre  induit ,  >çupposé  que  vous  voyiez  jour  à 
réussir.  Mais  enfin  il  faut  revenir  le  plus  tôt  qu'il  sera 
possible. 

Il  faudra  remettre  à  l'extrémité  l'affaire  de  Sfon- 
drate.  Il  sera  bien  délicat  d'en  parler  au  Pape,  et  de 
le  chagriner,  pendant  qu'il  semble  qu'il  n'y  a  qu'à 
se  réjouir  de  ce  qu'il  vient  de  faire  pour  TEglise. 
Faites  cependant  avec  bon  conseil,  ce  que  Dieu  vous 
inspirera.  Il  est  vrai  que  rien  ne  seroit  plus  glorieux 
à  ce  pontificat,  que  de  voir  ce  digne  Pape  sacrifier 
tout  à  la  vérité  et  au  bien  de  l'Eglise. 

J'ai  vu  ici  entre  les  mains  de  M.  de  Janson ,  des 
lettres  admirables  de  M.  l'abbé  Péquigni.  Témoignez- 
lui  bien  qu'on  sait  ici  avec  quel  esprit,  quel  savoir 

BOSSUET.    XLII.  3o 


^66  LETTRES 

et  quel  zèle  il  a  parlé  pour  la  bonne  cause ,  et  avec 
quelle  bonté  il  écrit  sur  mon  sujet.  Je  lui  en  ai  une 
obligation  que  vous  ne  sauriez  assez  lui  témoigner  ^ 
et  dont  il  me  paroît  que  le  témoignage  lui  sera 


agréable. 


Vous  faites  bien  de  ménager  M.  Phelippeaux  : 
c'est  un  homme  qui  nous  est  utile  ici.  Je  compte  beau- 
coup sur  le  soulagement  que  je  recevrai  de  vous; 
mais  il  nous  faut  des  seconds.  Celui  que  j'ai  dans  ce 
pays  (*),  n'est  pas  de  la  force  de  M.  Phelippeaux,  à 
beaucoup  près. 

M.  de  Torcy  entre  dans  le  moment,  et  me  rend 
une  lettre  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  à  cachet  vo- 
lant (**).  Il  est  bon  que  vous  en  voyiez  la  copie  ;  mais 
quoique  je  vous  l'envoie ,  ne  faites  pas  encore  sem- 
blant de  la  savoir.  Je  juge  à  propos  d'envoyer  une 
réponse  au  cardinal ,  par  le  même  canal.  Cepen- 
dant, comme  vous  voyez  qu'il  veut  revenir,  faites 
tous  les  pas  convenables,  et  continuez  à  ne  manquer 
en  rien  envers  lui,  comme  je  veux  faire  moi-même. 

^  Versailles  f  ce  29  avril  169g. 

C^)  Bossuet  veut  parler  de  l'abbé  de  Saint-André ,  d'abord  curé 
de  Vareddes,  et  ensuite  grand-vicaire  du  prélat. 

(**)  Elle  est  imprimée  à  la  suite  de  cette  lettre ,  avec  la  réponse 
de  Bossuet.  {Edit  de  Vers.) 


SUR,  l'affaire  Dû  quiétisme.  4^7 


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LETTRE  CCCCLXX. 

DU  CARDINAL  DE  BOUILLON  A  BOSSUET. 

Sur  les  inécontentemens  que  lui  avoient  donnés  son  neveu. 

Sans  entrer,  Monsieur,  dans  aucun  détail,  qui 
seroit  trop  long  et  trop  ennuyeux  pour  vous  et  pour 
moi  ,  je  ne  puis  résister  plus  long-temps  aux  mou- 
vemens  d'estime,  de  vénération  et  d'amitié  que  j'ai 
pour  vous  ;  sentimens  qui  sont  gravés  si  avant  dans 
mon  cœur  depuis  près  de  quarante  ans. 

Ce  sont  ces  sentimens.  Monsieur,  qui  m'obligent 
de  vous  priei"  d'être  persuadé,  que  le  peu  de  sujet 
que  j'ai  de  me  louer  de  la  conduite  de  M.  votre 
neveu,  n'est  pas  capable  de  me  faire  jamais  changer 
à  votre  égard  ;  et  de  vous  demander  en  même  tenips 
la  continuation  de  votre  amitié,  qui  m'a  toujours 
été  si  chère ,  vous  assurant  que  je  suis  très-prêt  de 
reprendre  en  votre  considération ,  à  l'égard  de 
M.  votre  neveu ,  les  sentimens  avec  lesquels  j'étois 
venu  ici,  et  qui  m'avoient  obligé  de  vous  supplier, 
aussi  bien  que  lui,  de  me  faire  l'amitié  de  prendre 
un  appartement  chez  moi,  pour  y  être  de  la  même 
manière  qu'il  auroit  été  chez  vous. 

Je  ne  vous  aurois  encore  rien  mandé,  Monsieur, 
du  peu  de  sujet  que  j'ai  eu  en  plusieurs  occasions  de 
me  louer  de  M*  votre  neveu,  si  j'avois  pu,  avec 
honneur  ,  lui  cacher  un  dernier  fait ,  devenu  trop 
public ,  peu  rempli  d'égards  pour  moi ,  et  pour  le 
poste  dont  le  Roi  m'a  bien  voulu  honorer  ici.  Mais 


468  LETTRES 

m'ëtant  "vu  obligé  de  lui  donner  au  moins  quelque 
signe  de  vie  sur  ce  fait ,  quoiqu  avec  toute  Fatten- 
lion  que  j'aurai  toute  ma  vie  pour  une  personne  qui 
vous  appartient  de  si  près ,  et  qui  vous  est  si  chère , 
j'ai  cru  que  je  devois  en  même  temps  vous  donner 
une  preuve  de  ma  confiance  et  de  la  sincérité  avec 
laquelle  je  vous  ai  toujours  honoré  et  vous  hono- 
rerai jusqu'au  tombeau  ;  me  flattant  aussi  que  cette 
malheureuse  affaire  du  livre  de  M.  de  Cambrai  étant 
finie  ici,  mettra  fin  aux  froideurs  qu'elle  a  pu  pro- 
duire dans  votre  cœur  contre  moi  (*).  C'est  la  grâce 
que  je  vous  demande,  et  de  me  croire  tout  à  vous. 

Le  card.  de  Bouillon. 

Mon  écriture  est  naturellement  si  mauvaise,  et  je 
me  trouve  tourmenté  d'une  si  grande  fluxion  dans  la 
tête ,  que  je  me  suis  servi  de  la  main  d'une  personne 
en  qui  j'ai  une  confiance  entière. 

A  Rome,  ce  7  avril  1699. 


K*|**^/»'*'%^'W».*'«'^^ 


LETTRE  CCCCLXXI. 

DE  BOSSUET  AU  MARQUIS  DE  TORCY. 

Il  lui  envoie  sa  réponse  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  pour  m- 
prendre  lecture. 

Vous  voulez  bien,  Monsieur,  que  je  prenne  la 
liberté  de  faire  passer  ma  réponse  à  M.  le  cardinal 
de  Bouillon ,  par  le  même  canal  dont  il  s'est  servi 

(*)  Le  cardinal  n'avoit  commencé  à  écrire  de  sa  main  (ju'à  ces 
mois  :  le  corps  de  la  lettre,  dit  M.  Ledieu,  secrétaire  de  Bossuet, 
ctoit  de  récriture  du  père  Charounier,  Jésuite. 


suii  l'affaike  Du  quiétisme-  4^9 

pour  faire  venir  sa  lettre  jusqu'à  moi.  Gomme  il  vous 
a  envoyé  sa  lettre  ouverte,  j'en  fais  autant  de  la 
mienne.  Comme  lui,  je  vous  supplie  de  la  lire,  et 
s'il  est  arrivé.  Monsieur,  que  le  Roi  ait  su  quelque 
chose  de  ses  plaintes  et  de  ses  honnêtetés ,  j'ose  en- 
core vous  supplier  de  vouloir  bien  donner  à  Sa 
Majesté  une  pareille  connoissance  de  mes  réponses. 
Je  vous  fais  cette  prière  avec  confiance ,  comme  je 
suis  avec  respect ,  etc. 

A  Paris,  ce  3  mai  1699. 


LETTRE  CCCCLXXIL 

DE  BOSSUET  AU  CARDmAL  DE  BOUILLON. 

Il  justifie  son  neveu  sur  Fenvoi   de   son  courrier  5  et  lui  moa^e 
réqtrité  de  sa  conduite  dans  raffaire  du  Quiétisme. 

J'ai  reçu  par  les  mains  de  M.  le  marquis  de  Torcy , 
la  lettre  de  votre  Eminence,  du  7  avril.  Elle  lïie  fut 
rendue  mercredi  dernier,  et  j'ai  cru  devoir  faire 
passer  ma  réponse  par  le  même  canal. 

Je  ne  puis  assez  me  louer  de  la  bonté  avec  laquelle" 
cette  lettre  est  écrite  ;  et  après  vous  éd  avoir  fait 
mes  très  -  humbles  remercîmens ,  j'accepte ,  au  nom 
de  mon  neveu  et  au  mien,  le  retour  que  vous  lui 
offrez  dans  l'honneur  de  vos  bonnes  grâces. 

Je  suis  d'accord ,  Monseigneur,  que  ces  choses 
se  doivent  faire,  sans  trop  entrer  dans  le  détail. 
Mais  je  ne  dois  point  omettre  qu'assurément  on  n'a 
pas  fait  un  fidèle  rapport  à  votre  Ëminence,  quand 
on  lui  a  dit  que  mon  neveu  avoit  voulu  que  le  cour- 


47*>  LETTRES 

rier  qu'il  m'a  envoyé  devançât  le  vôtre.  Il  n'a  eu 
garde  de  donner  de  pareils  ordres,  ou  d'avoir  de 
semblables  vues;  puisque  e'tant  contre  le  respect 
dû  au  caractère  de  ministre  que  porte  votre  Emi- 
nence,  ilauroit  manqué  non-seulement  contre  vous, 
mais  encore  contre  le  Roi  même  ;  de  quoi  nous 
sommes  incapables,  mon  neveu  et  moi. 

II  est  vrai  qu'il  nous  a  dépêché  un  courrier  extraor- 
dinaire, à  M.  de  Paris  et  à  moi,  aussitôt  après  le  bref 
publié.  Mais  il  ne  pouvoit  s'en  dispenser ,  puisqu'il 
étoit  nécessaire  que  nous  sussions  la  manière  dont 
les  choses  s'étoient  passées ,  parce  qu'elles  pouvoient 
beaucoup  influer  sur  la  manière  de  procéder  à  la 
réception  de  ce  bref.  Mais  pour  devancer  votre  cour- 
rier, c'étoit  chose  à  laquelle  nous  ne  pensions  pas  , 
et  qui  paroissoit  impossible,  le  vôtre  étant  parti 
onze  heures  avant  que  mon  neveu  eût  son^é  à  faire 
partir  M.  de  Madot. 

Ce  gentilhomme  m'a  assuré  positivement  qu'on 
ne  lui  avoit  pas  touché  un  seul  mot  de  ce  dessein. 
Mon  neveu  à  qui  votre  Eminence  s'est  exphquée  sur 
ce  soupçon,  m'assure  la  même  chose;  et  je  vous 
^supplie  très-humblement,  Monseigneur  ,  de  n'avoir 
aucun  égard  au  récit  contraire,  tant  envers  mon 
neveu ,  qu'envers  M.  de  Madot,  qui  doit  être  bien-' 
tôt  à  Rome. 

Quant  au  froid  que  votre  Eminence  me  reproche 
au  sujet  du  livre  de  M.  l'archevêque  de  Cambrai, 
sans  revenir  à  ces  détails ,  je  supplie  seulement  votre 
Eminence  de  se  souvenir  de  ce  que  j'eus  l'honneur 
de  lui  dire  à  l'hôtel  de  Chaulnes,  et  de  vous  bien 
persuader  que  je  n'ai  jamais  fait  mon   affaire  de 


SUR  l'affaiue  du  quiétisme.  4?! 

celle-ci,  ni  pris  d'autre  part  dans  le  succès,  que 
celui  que  devoit  y  prendre  tout  évêque  fidèle  à  son 
ministère.  Après  ce  petit  mot,  Monseigneur,  dont 
j'ai  cru  ne  pouvoir  me  dispenser ,  je  n'ai  plus  rien  à 
vous  dire,  sinon  que  je  suis  à  votre  égard  dans  mon 
état  naturel,  conforme  à  tous  les  devoirs  de  respect 
et  d'amitié ,  puisque  vous  voulez  ,  Monseigneur , 
que  je  parle  ainsi,  auxquels  je  suis  obligé  par  tous 
ces  titres,  que  je  prendrai  toujours  plaisir  de  recon- 
noître,  plus  encore  par  les  effets  dont  je  puis  être 
capable ,  que  par  les  paroles. 

Agréez  sur  ce  fondement  que  mon  neveu  ait  l'hon- 
neur de  vous  approcher  avec  toute  la  confiance  que 
mérite  le  renouvellement  de  vos  bontés,  et  qu'il 
vous  rende  tous  les  respects  que  nous  vous  devons 
l'un  et  l'autre.  Je  suis  et  serai  toujours  avec  ces  res- 
pectueux sentimens,  Monseigneur,  etc. 

A  Paris,  ce  3  mai  1699. 

LETTRE  CCCCLXXIII. 

DE  BOSSUET  A  M.  DE  LA  BROUE. 

Sur  les  difficultés  qu'il  trouve  à  la  translation  de  son  évêché  à 
Masereltes;  sur  Tafiaire  du  Quiétisme,  et  le  bref  du  Pape. 

Avant,  Monseigneur,  que  de  répondre  à  votre 
lettre  du  9  avril,  que  j'ai  reçue  à  Meaux,  j'ai  voulu 
en  communiquer,  selon  votre  ordre,  à  M.  d'A- 
guesseau ,  dont  voici  le  sentiment.  Il  ne  croit  pas 
que  le  Roi  soit  en  état  d'entrer  dans  cette  construc- 
tion. Le  mieux,  selon  lui,  que  vous  puissiez  obtenii', 


47*  LETTRES 

est  une  imposition  sur  votre  diocèse  \  encore  la  croit- 
il  prématurée,  dans  Taccablemenl  où  sont  les  peuples. 
Je  ne  crois  pas  que  l'exemple  de  Blois  nous  serve 
beaucoup.  Levécbé  de  Blois  paroît  au  Roi  plus  né- 
cessaire, qu'une  simple  translation  de  votre  évêclié 
à  Maserettes;  et  de  plus,  M.  de  Chartres,  en  faveur 
de  qui  s'est  faile  cette  érection,  est  le  prélat  du 
royaume  le  plus  favorisé,  par  les  raisons  que  vous 
savez  ^).  Quand,  après 'des  difficultés,  vous  trou- 
verez à  propos  de  tenter  la  chose,  vous  devez  dresser 
un  placct  au  Roi,  en  envoyer  une  copie  à  M.  de 
Paris,  et  une  au  père  de  la  Chaise,  auxquels  vous 
en  écrirez.  J'aiderai  auprès  de  l'un  et  de  l'autre, 
çt  dans  l'occasion ,  auprès  du  Roi  ;  tout  ce  que  je 
lerois  au-delà,  nuiroit  plutôt  qu'il  ne  serviroit  :  et 
au  reste,  vous  savez  bien  que  la  bonne  volonté  ne 
me  manque  pas^ 

Je  parlai  à  M.  d'Aguesseau  du  dessein  de  venir 
ici.  Il  me  dit  que  vous  aviez  à  y  prendre  garde,  et 
qu''on  avoit  ttiâl  t'o unie,  auprès 'îTiTTÏoi,  le  séjour 
que  vous  y  avez  fait  du  temps  de  votre  affaire.  Voilà , 
Monseigneur,  ce  qui  regarde  vos  intérêts  particu- 
liers, qui  seront,  comme  vous  savez,  toujours  les 
miens. 

Quant  à  l'ai^iiçç  générale  j  voiis  voyez  Iç  tour  qu'elle 
prend;  et  si  votre  métropolitain  ne  vous  a  pas  encore 
envoyé  copie  de  la  lettre  circulaire  que  le  Roi  écrit 
aux  archevêques,  celle  que  vous  devez  recevoir  par 
M.  l'abbé  de  Catelan  vx)us  instruira  du  tout.  Vous 
voyez  qu'on  ne  pouvoit  pas  donner  dans  cette  affaire 
un  tour  plus  avantageux  à  kl  diose,  plus  honorable 

(*J  II  éloit  directeur  de  madame  de  Maialenon. 


SUR  l'atfaire  du   quiétisme.  4^73 

à  l'Eglise,  ni  plus  canonique.  Il  faut  achever  celte 
affaire,  avant  que  de  penser  à  aucune  instruction 
pour  le  peuple.  En  écrivant  à  pre'sent,  on  sembleroit 
vouloir  harceler  M.  de  Cambrai ,  qui  joue,  quoique 
assez  sèchement,  le  personnage  d'un  homme  sou- 
mis, et  qu'on  veut  regarder  comme  tel,  afin  que 
l'affaire  paroisse  finie  de  son  consentement.  M.  l'abbé 
de  Catelan  ne  vous  a  pas  laissé  ignorer  son  mande- 
ment sur  ce  bref.  On  commence  à  répandre  de  petits 
écrits  contre  M.  de  Cambrai  :  on  fait  réimprimer, 
sous  main ,  quelques-uns  de  ses  ouvrages  contre 
moi.  Dieu,  qui  a  amené  cette  affaire  à  une  conclu- 
sion si  heureuse,  achèvera  le  reste.  Le  motu  proprio 
n'arrêtera  pas.  Le  parlement  ne  rejette  cette  clause 
que  dans  les  affaires  que  l'on  prétend,  avec  raison, 
qui  se  doivent  faire  à  l'instance  et  réquisition  du 
Roi.  Ainsi  dans  le  bref  d'érection  de  l'archevêché 
de  Paris,  cette  clause  n'empêcha  pas  l'effet  du  bref; 
mais  il  fut  dit  seulement  qu'on  n'y  auroit  point 
d'égard,  et  qu'une  autre  fois  on  exprimeroit  adChris-^ 
tianissimi  Régis  instantiam  et  reqiiisitionem  ;  ce  qui 
a  été  pratiqué  dans  les  érections  d'Albi  et  de  Blois. 
'  Je  m'en  retourne  dans  mon  diocèse,  jusqu'au  i3> 
qui  est  le  jour  de  notre  assemblée  provinciale.  On 
doit  à  la  bonté  et  à  la  iagesse  du  Roi  tout  ce  qu'on 
fait  dans  cette  aflfeire^  M.  de  Paris  y  a  servi  l'Eglise 
très-iitikment,  aussi  bien  que  M.  de  Rheims,  qui 
sera  député  <le  la  province  à  l'aSsemblée  générale 
de  ^700;  ce  qui  semble  le  désigi^Ler  président.  J'ai 
toujours  le  même  besoin  et  la  même  envie  de  vous 
voir,  et  suis,  comme  vous  savez,  etc. 

A  Paris,  ce  2  mai  1699. 


474  LETTRES  j« 


LETTRE  CCCCLXXIV. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  les  dispositions  apparentes  du  cardinal  de  Bouillon  à  l'égard  de 
Fabbé  Bossuet  j  la  prochaine  assemblée  de  la  province  de  Paris  ; 
l'opposition  de  la  Cour  romaine  pour  les  livres  relatifs  au  Quié- 
tismej  et  les  services  secrets  que  le  prélat  rendoit  à  l'Eglise. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  i4  avril.  Vous  voyez  à 
présent  qu'on  est  content  du  bref,  tel  qu'il  est ,  et 
qu'on  ne  pense  qu'à  le  publier  avec  toute  la  solen- 
nité possible. 

Vous  verrez,  par  la  lettre  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  m'a  écrite,  et  par  ma  réponse  dont  je  vous 
envoie  copie ,  que  vous  n'avez  qu'à  vous  p^senler 
chez  lui,  en  faisant  peut-être  demander  quand  il  l'aura 
pour  agréable.  Ne  craignez  rien  du  côté  de  la  Cour. 

Je  vais  à  Meaux  mercredi,  pour  revenir  lundi 
prochain,  être  mardi  à  l'archevêché,  pour  préparer 
l'assemblée,  et  la  tenir  le  lendemain.  Tout  sera  fait 
en  un  jour. 

Il  ne  faut  plus  disputer  sur  la  nature  et  reffet  du 
bref.  Celui  contre  le  Missel  de  Voisin,  donné  par 
Alexandre  VII,  n'a  jamais  été  porté  au  parlement, 
ni  les  lettres-patentes  vues.  On  n'a  eu,  en  France, 
aucun  égard  à  ce  bref;  et  l'on  fut  obligé,  pour 
l'instruction  des  nouveaux  catholiques,  de  répandre 
des  milliers  d'exemplaires  de  la  messe  en  français. 

Je  suis  très-content  de  la  lettre  que  vous  a  écrite 
M.  le  prince  de  Monaco ,  et  je  souhaite  qu'il  arrive 
bientôt, 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  47^ 

On  a  envoyé  la  lettre  de  cachet  à  M.  de  Cam- 
brai, comme  aux  autres  métropolitains,  en  le  sup- 
posant soumis.  Tâchez  de  désabuser  le  Pape  et  ses 
ministres,  de  l'opposition  qu'ils  ont  pour  les  livres 
qu'on  pourroit  publier  sur  la  matière.  Ceux  qu'on 
imprime  par  inondation  pour  l'erreur ,  perver- 
tissent tous  les  esprits ,  si  l'on  se  tait.  Malgré  les 
décisions  prononcées  dans  les  différens  temps  contre 
les  faux  dogmes,  les  Pères  ont  bien  senti  les  dangers 
que  couroient  les  peuples  :  aussi  n'ont-ils  cessé  de 
les  prémunir,  en  parlant  en  faveur  de  la  vérité  contre 
l'erreur. 

Il  n'est  pas  vrai,  comme  on  l'a  dit,  que  j'aie  fait 
supprimer  un  ouvrage  composé  contre  le  Problème, 
Je  vois  bien  ce  qu'on  veut  dire.  On  a  déguisé  une 
vieille  affaire  de  trois  ans,  et  qui  n'étoit  rien  (*).  Si 
Von  savoit  tout,  on  verroit  que  je  sers  l'Eglise  dans 
les  choses  qu'on  ne  sait  pas,  plus  que  dans  celles  qu'on 
sait.  Cela  soit  dit  entre  nous  et  pour  nous  seuls  : 
retribuetur  vobis  in  resiirrectione  justorum.  J'em- 
brasse M.  Phelippeaux. 

Soyez  un  peu  attentif  à  ce  qui  se  passe  sur  l'édi- 
tion bénédictine  de  saint  Augustin.  Ayez  soin  de 
votre  santé,  et  pensez  au  retour ,  aussitôt  après 
l'arrivée  de  M.  l'ambassadeur.  Vous  avez  bien  raison 
de  vous  affliger  :  vous  trouverez  un  grand  vide  dans 
la  maison.  Dieu  est  tout. 

A  Paris,  ce  4  mcù  1699. 

(*)  Bossuet  a  ici  en  vue  son  Av^cnissement  sur  le  lare  des  Bé-' 
flexions  morales ,  dont  il  ne  fit  point  usage  dans  le  temps  qu'il  le 
composa.  Voyez  rAvertissement  mis  en  tête  de  la  première  classe 
des  OEwresj  ci-dessus,  tom.  i,  p.  lxiy.  (£t/à.  de  Fers.) 


47^  LETTRES 


LETTRE  CCCCLXXV. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  la  délibération  de  la  dernière  congrégation,  touchant  le  chan- 
gement du  bref  en  bulle  j  les  deux  lettres  de  M.  de  Cambrai  au 
Pape  j  el  les  démarches  de  Fabbé  Bos^^uet  au  sujet  du  bref  que  le 
saint  Père  dcvoil  adresser  à  ce  prélat. 

JVi  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'e'crire  de  Meaux,  du  12  avril,  par  laquelle 
j'apprends  votre  incommodité.  Quoique  je  voie  bien 
que  ce  n'est  presque  rien  ,  je  suis  très  -fâché  du 
moindre  petit  mal  que  vous  pouvez  avoir;  et  je  ne 
serai  en  repos,  que  quand  je  saurai,  comme  je  l'es- 
père, par  l'ordinaire  prochain,  que  vous  êtes  entiè- 
rement guéri. 

Vous  avez  su ,  par  ma  lettre  du  dernier  courrier , 
la  congrégation  des  cardinaux,  convoquée  et  tenue 
le  lundi  27  avril,  sur  les  affaires  et  les  conjonctures 
présentes. 

Quoiqu'on  veuille  dire  ici  qu'o»  changera  le  bref 
en  bulle ,  je  sais  que  ce  n'est  point  à  présent  l'in- 
tention du  Pape  ni  des  cardinaux.  Si,  dans  la  con- 
grégation de  lundi,  le  cardinal  de  Bouillon  et  le  car- 
dinal Ottoboni  avoient  été  d'avis  de  ce  changement, 
on  l'auroit  fait.  Mais  ils  parlèrent,  à  ce  qu'an  m'a 
assuré,  si  fortement  pour  le  bref,  soutenant  non- 
seulement  qu'il  falloit  à  présent  se  donner  bien  de 
garde  de  faire  une  bulle,  mais  encore  qu'on  auroit 
eu  tort  d'en  donner  une  au  commencement;  ils  sou- 
tinrent, dis-je,  si  vivement  leurs  opérations,  que  le 


SUR  l'affaire  du  <5uiétisme.  477 

reste  des  cardinaux  s'accorda  aisément  à  ne  rien  faire 
de  nouveau,  pour  ne  pas  préjudicier  à  l'autorité  du 
Pape,  et  afin  qu'on  ne  puisse  pas  dire  qu'on  consent 
ici  que  les  bulles  et  les  brefs  ne  soient  pas  reçus 
en  France  dans  une  certaine  forme.  Ils  convinrent 
néanmoins  qu'il  auroit  été  mieux  de  faire  une  bulle 
d'abord,  et  qu'il  n'y  auroit  eu  aucune  difficulté,  si 
Ton  y  eût  pensé. 

Je  sais  que  le  cardinal  de  Bouillon  et  le  cardinal 
Albani  ont  dit,  que  c'étoit  moi  qui  avois  fait  naîlre 
cette  difficulté.  Le  Pape  et  les  cardinaux  savent  bien 
ce  qui  en  est,  et  ce  que  je  leur  ai  toujours  dit,  dès 
le  commencement,  sur  la  forme  du  jugement.  Ils 
voient  bien  à  présent  que  j'avois  raison  de  leur  dire 
qu'en  France  on  n'approuveroit  ni  le  bref,  ni  le 
motu  proprio,  quoiqu'on  piit  être  très-content  de  la 
substance  du  décret. 

Quant  à  la  congrégation  qui  s'est  tenue  sur  ces 
objets,  et  sur  les  lettres  du  Roi  et  de  M.  de  Cambrai , 
je  sais  que  c'est  le  Pape  seul  qui  l'a  voulue,  et  qui 
l'a  fait  convoquer  ;  apparemment  d'après  les  lettres 
de  M.  le  nonce,  qui  lui  aura  témoigné  que  le  chan- 
gement du  bref  pourroit  faire  plaisir  au  Roi ,  qui 
pourtant  ne  le  vouloit  pas  demander.  On  lut,  dans 
la  congrégation,  sa  lettre. 

Pour  moi,  loin  de  faire  jamais  instance  là-dessus^ 
ni  au  Pape,  ni  aux  cardinaux,  je  leur  ai  toujours 
déclaré  que  les  évéques  ne  demandoient  rien  de  plus, 
et  qu'on  ne  songeoit  qu'à  suppléer  au  défaut  de  for- 
malité, sans  rien  désirer  davantage.  Je  l'avois  dé- 
claré, la  veille,  au  Pape  d'une  manière  très-précise 


4;^  LETTRES 

et  très-forte  >  comme  je  vous  Tai  mande'  plus  ample- 
ment dans  ma  dernière  lettre. 

Mais  tout  cela  n'est  rien.  Le  point  essentiel  est  la 
démarche  que  les  partisans  de  M.  de  Cambrai  veulent 
faire  faire  au  Pape  en  faveur  du  coupable  >  qu'on 
voudroit  qui  fut  traité  comme  innocent. 

Je  vous  ai  déjà  mandé  qu'on  lut,  dans  la  même 
congrégation ,  et  la  lettre  du  Roi  au  Pape,  du  6  avril, 
en  remercîment,  dont  on  fut  très  -  content ,  et  la 
lettre  de  M.  de  Cambrai  qui  commence  par  Auditâ 
B.  K.  de  meo  libello  sententiâj  etc,  dont  je  vous  en-- 
voie  copie,  en  cas  que  M.  le  nonce  ne  vous  Tait  pas 
communiquée.  On  la  lut^  et  les  partisans  de  M.  de 
Cambrai  l'applaudirent  si  fort,  et  dirent  si  haute- 
ment qu'elle  méritoit  une  réponse  honorable,  que 
personne  ne  voulut  s'y  opposer.  Ils  m'ont  presque 
tous  assuré  depuis,  qu'on  ne  fit  pas  toutes  les  ré- 
flexions nécessaires.  La  soumission  sans  restriction 
dont  elle  fait  parade ,  le  respect  pour  le  saint  Siège 
qu'elle  étale ,  leur  firent  impression ,  et  par-dessus 
tout,  les  instances  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  les 
entraînèrent. 

Je  ne  sus,  que  le  mercredi,  qu'on  préparoit  un 
bref  qui  devoit  être  adressé  à  M.  de  Cambrai.  Je 
me  doutai  du  piège  qu'on  tendoit  :  je  fis  si  bien,  que 
j'eus  copie  de  la  lettre  en  question.  Je  vous  avoue, 
qu'au  lieu  d'en  être  édifié,  j'en  fus  scandalisé  au 
dernier  point.  Il  ne  me  fut  pas  difficile  d'en  décou- 
vrir tout  l'orgueil  et  tout  le  venin  ;  et  il  me  semble 
qu'il  n'y  a  qu'à  la  lire  sans  passion ,  pour  en  être 
indigné.  Bien  loin  d'y  trouver  M.  de  Cambrai,  hu- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  479 

niilié,  repentant,  et  console'  de  sortir  enfin  de  ses 
ténèbres  -,  pour  de'couvrir  la  lumière  ;  on  y  voit  un 
homme  outré  de  douleur,  qui.en  fait  gloire,  qui  se 
donne  pour  innocent,  Jam  non  commemoro  inno- 
centiam;  qui  a  la  hardiesse  de  nommer  probra,  des 
outrages,  les  justes  et  nécessaires  procédés  des  évê- 
ques,  qui  n'ont  été  que  trop  justifiés  par  la  condam- 
nation du  saint  Siège  ;  qui  enfin  ose  parler  de  ses 
explications,  comme  si  elles  mettoient  sa  doctrine 
à  couvert ,  au  lieu  qu'on  a  jugé  tout  le  contraire , 
toique  explicationes  ad  pui^gandam  doctrinam  scrip- 
ias.  Il  laisse,  dit-il,  cela  à  part,  comme  si  le  Pape 
n'y  avoit  pas  fait  assez  d'attention ,  et  que  ce  qu'il 
avance,  fût  une  chose  incontestable  ;  prœterita  om- 
nia  mitto  loqui.  En  vérité,  peut-on  rieii  de  moins 
humble  et  de  plus  hardi  que  de  pareilles  expres- 
sions, dans  la  bouche  d'un  l^mme  qui  parle  ainsi  à 
son  juge  aussitôt  après  sa  condamnation?  On  voit 
bien  par-là  ce  qu'on  doit  penser  de  sa  soumission, 
qu'il  n'est  plus  permis  de  croire  sincère,  et  qui  ne 
peut  être  que  forcée  :  voilà  franchement  ce  que  j'en 
pense. 

Comme  je  sus  en  même  temps  qu'on  préparoit  un 
bref  très-honorable  pour  M.  de  Cambrai ,  avec  une 
diligence  incroyable ,  sans  même  vouloir  attendre 
son  mandement,  je  crus  devoir  faire  faire  à  Sa  Sain- 
teté ,  et  aux  principaux  cardinaux  toutes  les  ré- 
flexions nécessaires  sur  cette  démarche ,  et  leur  en 
montrer  les  dangereuses  conséquences.  J'ai  tâché  de 
leur  faire  sentir  combien  il  importoit  de  ne  laisser 
rien  sortir  d'ici ,  dont  M.  de  Cambrai  pût  se  préva- 
loir. Je  l'ai  fait  avec  douceur,  prenant  occasion  de 


48o  LE T THE s 

leur  parler  ,  en  leur  rendant  compte  de  ce  qui  se 
passe,  et  leur  suggérant  les  re'flexions  qu'ils  n'ont 
pas  faites,  ou  qu'ils  n'ont  pas  voulu  faire,  que  je 
leur  ai  insinué  qu'on  ne  manqueroit  pas  de  faire  en 
France,  ajoutant  que  je  craignois  que  cette  superbe 
lettre  n'aclievât  de  perdre  M.  de  Cambrai  en  France, 
quand  elle  y  seroit  vue. 

Le  petit  bruit  que  j'ai  cru  devoir  faire  là-dessus, 
et  mes  remontrances  ont  produit  leur  effet.  Le  bref 
qui  étoit  préparé  et  minuté,  a  été  arrêté  au  moins 
jusqu'ici.  Il  s'est  trouvé  beureusement  que ,  depuis 
six  jours,  M.  le  cardinal  de  Bouillon  étoit  allé  en 
campagne,  à  trente  milles  d'ici,  d'où  il  ne  revint 
qu'bier.  Pendant  ce  temps,  le  mandement  de  M.  de 
Cambrai  est  arrivé.  Il  l'a  fait  porter  au  Pape  par 
M.  de  Chanterac,  avec  une  nouvelle  lettre.  Ce  man- 
dement est  imprimé  ei\  latin  et  en  français  :  je  vous 
envoie  le  latin. 

D'abord  M.  Gozzadini  avoit  été  cbargé  par  le 
Pape  de  dresser  le  bref.  Le  cardinal  Albani  en  a  été 
jaloux  ,  et  a  travaillé  à  avoir  cette  commission  , 
dans  le  dessein  apparemment  de  se  rendre  maître 
de  la  tournure,  et  de  servir  M.  de  Cambrai.  J'ai  su 
tout  le  détail  de  ce  qui  s'est  passé  là-dessus  par  Goz- 
zadini lui-même,  qui  a  été  piqué  de  se  voir  écon- 
duit,  et  qui  m'a  tout  dit. 

Je  ne  sais  si  le  cardinal  Albani  n'a  pas  été  content 
de  la  manière  dont  le  bref  étoit  disposé,  et  ne  l'a 
pas  trouvé  assez  favorable.  Quoi  qu'il  en  soit,  Goz- 
zadini m'a  dit  qu'il  voyoit  bien  des  détours  et  de  la 
politique  dans  cette  manœuvre.  J'ai  su  par  lui  qu'il 
y  avoit  une  seconde  lettre  de  M.  de  Cambrai,  qui 

accompagnoit 


I 


s  un  l'affaire  du  quiétisme.  4^ï 

accoinpagnoit  le  mandement,  et  plus  entoi  tille'e  que 
la  première.  H  la  eue  entre  les  mains ,  et  ma  déclaré 
avoir  tout  remis  au  cardinal  Albani.  Il  ne  m'a  pas 
e'té  possible  de  voir  cette  seconde  lettre ,  ni  de  sa- 
voir ce  qu'elle  contient.  Néanmoins  elle  existe  sûre- 
ment, et  le  cardinal  Albani  n'a  pas  ose  me  la  nier. 
Le  Pape  m'a  avoué  qu'il  l'avoit  reçue.  Je  vois  avec 
cela  qu'on  en  fait  un  grand  mystère.  Aucun  autre 
que  le  cardinal  Albani  ne  l'a  vue,  excepté  Gozza- 
dini ,  par  les  mains  de  qui  elle  a  d'abord  passé»  Les 
cardinaux,  à  qui  j'en  ai  touché  quelque  chose, 
m'ont  tous  dit  qu'ils  n'en  avoient  pas  entendu  parler. 
Il  n'est  pas  jusqu'au  cardinal  Spada ,  qui  m'a  juré 
ce  matin  n'en  savoir  rien.  Mais  je  l'ai  bien  assuré  de 
Texistence  de  cette  lettre ,  et  lui  ai  dit  de  plus  qu'elle 
étoit  entre  les  mains  du  cardinal  Albani.  Le  mystère 
qu'on  en  fait ,  m'est  non-seulement  très-suspect , 
mais  je  tiens  pour  certain ,  par  ce  que  m'a  dit  Goz- 
zadini ,  qu'elle  est  tournée  de  manière  a  embarrasser 
même  le  cardinal  Albani.  Je  me  doute  qu'on  y  de* 
mande  quelque  nouvelle  explication  ,  et  qu'on  y 
parle  peut-être  avec  plus  de  hauteur ,  que  dans  la 
première. 

Je  présume  encore  que  les  partisans  de  M.  de  Cam* 
brai  ont  dessein  de  faire  supprimer  cette  seconde 
lettre,  et  d'empêcher  qu'il  n'en  soit  question  dans 
la  réponse  qu'on  lui  fera. 

Je  ne  vous  dis  pas  toutes  les  réflexions  que  j'ai 
fait  faire  aux  cardinaux  là-dessus ,  en  particulier  au 
cardinal  Albani.  Je  n'ai  rien  oublié  5  et  s'ils  pèchent 
à  présent,  ce  ne  sera  pas  par  ignorance.  Il  est  fâcheux 
que. la  congrégation  ait  d'abord  consenti  à  une  ré- 

BOSSUET.    xui.  3i 


482  LETTRES 

ponse  ;  mais  ils  avouent  presque  tous  qu'ils  n'ont 
pas  fait  assez  d'attention  aux  expressions  de  la  lettre  ; 
et  je  vois  que  si  la  réponse  passe  par  leurs  mains, 
les  bons  cardinaux  sont  résolus  de  ne  laisser  rien 
insérer  que  de  juste  et  d'honorable  au  saint  Sïé^e. 

J'ai  cru  devoir  faire  connoître  au  cardinal  Albani, 
que  tout  retomberoit  sur  lui,  si  Ton  faisoit  quelque 
chose  de  mal;  et  qu'au  moins,  pour  qu'il  pût  se 
disculper,  il  falloit  que  le  tout  fût  de  nouveau  exa- 
miné par  MM.  les  cardinaux.  11  est  convenu  que 
cela  devoit  être ,  et  m'a  assuré  que  cela  seroit  aussi. 
Comme  il  étoit  question  d'arrêter  le  coup,  je  lui  ai 
fait  sentir  que  rien  ne  pressoit  pour  faire  une  ré- 
ponse. Je  lui  ai  même  insinué,  comme  aux  autres 
cardinaux ,  qu'il  n'y  avoit  pas  de  nécessité  de  ré- 
pondre à  M.  de  Cambrai  par  un  bref,  et  qu'on  avoit 
mille  autres  moyens  de  lui  faire  savoir  qu'on  rece- 
voit  sa  soumission,  telle  qu'il  la  donnoit;  que  M.  le 
nonce  étoit  suffisant  pour  cela  ;  et  qu'enfin ,  si  l'on 
vouloit  écrire ,  on  le  devoit  faire  d'une  manière  qui 
iie  tirât  point  à  conséquence,  et  que,  sans  faire 
paroître  trop  de  mécontentement,  on  pouvoit,  avec 
dignité ,  lui  montrer  ce  qui  restoit  à  faire  pour 
édifier  l'Eglise  ,  et  consoler  le  père  commun  des 
fidèles. 

Je  vois  manifestement  que  le  but  du  cardinal  Al^ 
bani ,  et  celui  du  cardinal  de  Bouillon ,  car  l'un  et 
l'autre  me  l'ont  fait  assez  connoître ,  est  de  faire  in- 
sinuer, dans  la  réponse  à  M.  de  Cambrai,  qu'on  na 
pas  prétendu  condamner  ses  intentions,  ni  toucher 
à  ses  explications  et  au  sens  de  l'auteur.  C'est  là- 
dessus  que  j'ai  parié  fortement,  en  montrant  l'illu- 


M 


SUR   l'affaip.^e    du    QUTÉTISME.  '  4^"^ 

sion  de  cette  conduite.  Ces  deux  Emiiiences  ont  e'té 
obligées  de  convenir  avec  moi,  au  moins  de  paroles, 
qu'on  avoit  condamné  le  sens  du  livre  et  des  pro- 
positions,  non -seulement  à  certains  égards,  mais 
sur  tous  les  points  de  vue,  puisqu'on  avoit  ajouté 
et  attenta  sententiarum  connexione.  J'ai  conclu  qu'il 
me  paroissoit ,  après  cela ,  ridicule  de  dire  que  le 
sens  du  livre  n'étoit  pas  le  sens  de  l'auteur,  et  d'un 
auteur  qui  avoit  su,  autant  que  personne ,  ce  qu'il 
vouloit  dire ,  assurément  bien  capable  d'expliquer 
nettement  ses  pensées,  et  qui  avouoit  aussi  que  le 
sens  obtins  et  natiiralis  étoit  le  sens  unique  de  son 
livre. 

Ils  n'ont  eu  rien  à  répondre  à  cette  démonstration , 
et  tous  les  autres  cardinaux  m'ont  avoué  que  ces  rai- 
sons étoient  péremptoires.  Cependant,  telle  est  l'in- 
tention des  cardinaux  Albani  et  Bouillon  5  et  hier 
encore,  le  cardinal  de  Bouillon  me  dit  clairement 
que  le  Pape,  en  condamnant  le  livre  de  M.  de  Cam- 
brai, n'avoit  pas  prétendu  condamner  le  sens  de  l'au- 
teur, ni  ses  explications;  et  par-là  il  prétendoit 
excuser  l'article  de  sa  lettre  au  Pape,  qui  relève  son 
innocence,  et  sauver  ses  explications.  Voyez  un  peu 
où  l'on  en  seroit ,  si  on  entroit  dans  de  pareilles 
idées.  Il  est  pourtant  très  à  craindre  qu'on  n'ai  - 
rache  ici  quelque  chose  qui  les  favorise.  Je  ferai 
tout  de  mon  mieux ,  tant  que  j'y  serai ,  pour  l'em- 
pêcher ;  mais  je  suis  bien  éloigné  de  répondre  que 
je  réussirai,  quoique  je  n'oublie  rien  à  cet  effet. 
Malheureusement ,  je  trouve  toujours  de  certains 
pas  faits ,  qui  rendent  le  succès  des  démarches  d'une 
difficulté  incroyable. 


484  LETTRES 

L'esprit  du  Pape  et  de  cette  Cour,  est  générale- 
ment de  recevoir,  pour  argent  comptant,  tout  ce 
que  fera  M.  de  Cambrai ,  et  de  lui  montrer  une 
grande  douceur.  Ils  disent,  che  bisogna  serrar  gli 
occhi  ,  ed  ahbracciarlo.  Je  fis  rire  le  Pape ,  quand 
je  lui  répondis  qu'il  falloit  donc  si  bien  l'embrasser, 
et  si  bien  le  serrer,  qu'il  ne  pût  échapper,  et  qu'on 
fît,  si  l'on  pouvoit,  crever  l'apostume  qu'il  conser- 
voit  dans  le  cœur  5  que  c'étoit  le  seul  moyen  de  le 
guérir.  Le  Pape  est  convenu  avec  moi,  qu'il  voyoit 
très-bien  qu'il  n'étoit  pas  persuadé  d'avoir  erré.  Le 
cardinal  Albani  m'a  parlé  de  même ,  et  je  puis  dire 
que  tous  les  cardinaux  pensent  ainsi.  Néanmoins 
j'aperçois  une  envie  extrême  de  le  bien  traiter.  Le 
Pape  s'imagine  qu'après  l'avoir  bien  ménagé,  son 
esprit  s'appaisera,  et  que  tout  sera  fini;  ce  qu'il 
souhaite  fort.  Mais  la  chose  n'est  pas  aussi  facile 
qu'il  le  pense,  surtout  tant  qu'on  paroîtra  appré- 
hender M.  de  Cambrai. 

Je  vis  le  Pape  dimanche,  et  lui  parlai  de  movi 
mieux,  et  avec  toute  la  modération  possible  :  je  ne 
manquai  néanmoins  pas  de  lui  faire  connoître  tout 
ce  qu'il  devoit  savoir.  Il  ne  me  parut  pas  plus  con- 
tent qu'il  ne  faut  de  M.  de  Cambrai  ;  avec  cela  je 
sentis  qu'il  étoit  porté  à  lui  tout  passer.  Je  vois  bien 
qu'il  est  très-pressé  par  la  cabale. 

Sa  Sainteté ,  en  mon  particulier,  me  donna  dé 
si  grandes  marques  de  bonté,  et  du  contentement 
qu'elle  avoit  de  ma  conduite,  qu'elle  voulut  bien 
me  dire,  en  propres  termes,  qu'elle  se  croyoit  dans 
l'obligation  de  le  faire  témoigner  au  Roi  par  M.  le 
nonce  ;  et  il  ne  sera  pas  impossible  qu'elle  ne  le 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  4^5 

fasse ,  dès  cet  ordinaire.  J'avoue  que  j'en  suis  péne'- 
tré  de  reconnoissance. 

Le  saint  Père  me  parla  avec  tant  de  confiance, 
sur  une  infinité  de  choses,  que  je  crus  pouvoir  m'in- 
former  de  lui-même  de  la  vérité  d'un  bruit  qui  court, 
, depuis  quelques  jours,  dans  Rome,  que  Sa  Sainteté 
veut  rappeler  M.  le  nonce  de  France.  Ses  amis  en  ont 
été  en  peine,  et  on  m'a  prié  de  sonder  le  Pape  là- 
dessus  ;  ce  que  je  fis  le  plus  heureusement  du  monde 
et  le  plus  naturellement.  Le  Pape  me  parla  à  cœur 
ouvert,  et  m'avoua  franchement  que  son  absence  de 
son  évêché  lui  faisoit  de  la  peine.  Il  me  dit  que, 
pour  cette  raison ,  il  rappeloit  le  nonce  d'Espagne , 
qu'il  vient  de  nommer  à  l'archevêché  de  Milan.  Je 
tâchai  de  lui  faire  comprendre  que ,  dans  certaines 
occasions ,  il  falloit  préférer  le  bien  général  à  un 
bien  particulier;  qu'on  pouvoit  suppléer  la  personne 
d'un  évéque  dans  un  diocèse  ;  mais  qu'un  nonce  aussi 
agréable  a  la  France  et  au  Roi  que  M.  Delfîni,  qui 
raaintenoit  si  bien  l'union  entre  les  deux  puissances, 
étoit  si  nécessaire  à  l'Eglise,  qu'on  pouvoit  dire  que 
ce  bien  général  devoit  l'emporter  sur  le  bien  parti:- 
culier  de  le  rendre  à  son  diocèse.  Je  lui  rapportai 
l'exemple  de  M.  le  cardinal  de  Janson.  Je  vis  bien 
que  ces  réflexions  lui  faisoient  impression,  et  il  me 
dit  que  cela  ne   seroit  pas  pour  le  moment  ;  mais 
néanmoins  je  compris  parfaitement  qu'on  ne  doit 
pas  être  sans  appréhension  là -dessus.  J'ai  cru  être 
obligé  d'avertir  M,  le  cardinal  de  Bouillon  des  dis- 
positions du  Pape  sur  ce  sujet ,  sachant  l'estime  que 
le  Roi  et  les  évêques  font  de  M.  le  nonce.  J'en  ai 
aussi  averti  un  ami  de  M.  le  nonce,  et  vous  pou- 


4^^  LETTIIES 

vez  lui  en  témoigner  ce  que  vous  jugerez  k  propos. 
Il  m'a  paru  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  e'toit  bien 
disposé  en  sa  faveur. 

Il  ny  a  pas  lieu  selon  moi  de  douter,  que  la  con- 
duite de  M.  de  Cambrai  et  ses  lettres  ne  lui  soient 
inspirées  par  le  cardinal  de  Bouillon  et  ses  adhérens, 
pour  brouiller  de  nouveau.  Voyez  la  finesse  de  la 
cabale  :  on  publie  en  France  le  mandement  de  M.  de 
Cambrai,  qui,  quoique  sec  et  sans  repentir,  ne 
laisse  pas  de  pouvoir  passer,  parce  qu  il  y  condamne 
son  livre  dans  la  même  forme  que  le  bref;  et  en 
même  temps  il  écrit  ici  des  lettres  qui  renferment 
tout  le  venin  de  son  esprit  et  de  son  cœur,  et  on 
fait  les  derniers  efibrts  pour  lui  procurer  de  Rome 
une  approbation  et  une  réponse  bonorable.  Je  suis 
bien  sûr  que ,  quand  ces  lettres  paroîtront  en  France, 
elles  n'y  plairont  pas,  et  gâteront  tout  ce  qu'il  a  pu 
faire,  dont  on  se  contentoit,  quelque  médiocre  qu  il 
soit.  On  voit  bien  qu'il  a  été  forcé  de  se  soumettre, 
de  peur  d'être  excommunié  par  le  Pape,  et  d'être 
enfermé  par  l'autorité  royale,  comme  un  hérétique 
et  un  perturbateur  du  repos  public. 

Je  vous  envoie  un  billet  de  M.  Giori  qui  est  bien 
scandalisé  de  tout  ceci ,  et  qui  parle  clair. 

On  ne  peut  exalter  davantage  la  lettre  de  M.  de 
Cambrai ,  que  l'a  exaltée  publiquement  ici  M.  le 
cardinal  de  Bouillon.  Il  fut  tout  étonné  du  commen- 
taire que  j'en  fis  à  lui-même  tête  à  tête.  La  conver- 
sation fut  douce;  mais  je  ne  lui  laissai  rien  ignorer 
sur  les  dispositions  de  la  France,  et  sur  le  tort  que 
M.  de  Cambrai  se  feroit  immanquablement  par  de 
telles  lettres,  et  sur  le  préjudice  que  l'on  causeroit 


SUR    L'ArrATRE    DU    QUIÉTISME.  4^7 

au  saint  Siège,  si  l'on  faisoit,  en  faveur  de  ce  prélat, 
quelque  chose  qui  put  lui  donner  occasion  de  re- 
muer. Il  souiTroit  un  peu,  mais  j'allai  toujours  mon 
chemin.  Je  me  plaignis  de  même  du  bref  et  du  motu 
proprio,  lui  marquant  tous  les  défauts  du  décret. 
Alors  il  fut  un  peu  plus  vif,  et  me  dit  très-natu- 
rellement que  j'étois  mal  informé,  et  qu'il  falloit 
un  bref  et  non  une  bulle.  Je  ne  laissai  pas  de  lui 
montrer  le  contraire,  par  bien  des  exemples;  sur 
quoi  il  ne  me  parut  pas  fort  au  fait.  A  l'égard  du 
moLu  proprio  ,  il  me  dit  à  la  lettre  des  pauvretés,  et 
demeura  muet  à  mes  raisons.  Au  surplus ,  nous  sor- 
tîmes les  meilleurs  amis  du  monde. 

Le  cardinal  Casanate,  qui  n'avoit  pas  voulu  s'op- 
poser seul  au  torrent,  dans  la  dernière  congrégation, 
au  sujet  de  la  réponse  à  M.  de  Cambrai ,  a  été  per- 
suadé par  mes  raisons;  et  si  l'on  remet  l'affaire  sur 
le  tapis,  j'espère  qu'il  fera  son  devoir. 

Le  cardinal  Marescotti  n'assista  pas  à  la  congréga- 
tion. Je  l'ai  vu  :  il  ne  me  paroi t  pas  être  d'avis  qu'on 
fasse  un  bref  approbatif.  Il  comprend  fort  bien  l'or- 
gueil et  la  hardiesse  du  coupable. 

Le  cardinal  Nerli  n'a  pas  assisté  à  la  congrégation, 
non  plus  que  le  cardinal  Ottoboni. 

Je  dois  vous  dire,  devant  Dieu  et  en  conscience, 
que  si  l'on  ne  trouve  pas  le  moyen  de  retirer  de  Rome 
le  cardinal  de  Bouillon,  et  bientôt,  l'Eglise  en  souf- 
frira beaucoup  ;  car  ce  cardinal  empêche  tout  le  bien 
et  soutient  tout  le  mal.  Je  le  dis  sans  passion  :  il  est 
incorrigible. 

On  n'a  pas  voulu  accorder  à  M.  Phelippeaux  la 
grâce  qu'il  demandoit  pour  le  bénéfice  que  vous  dé- 


488  LETTRES 

siiiez  lui  procurer.  11  est  ici  presque  impossible  de 
faire  passer  un  bénéfice  régulier  en  commende  ;  pour 
la  continuation  d'une  commende ,  cela  est  plus  aisé. 

On  dit  ici,  et  le  père  Roslet  me  l'a  assuré,  que  le 
parlement  ne  recevroit  jamais  le  bref.  Cela,  n'a  rieu 
de  commun  avec  l'acceptation  des  évêques.  Je  ne 
puis  m'empecher  d'approuver  la  conduite  du  parle- 
ment, si  l'on  ne  trouve  point  d'exemple  dehvef  motu 
proprio  qu'il  ait  reçu.  Mais  cette  difficulté  peut  ne 
pas  arrêter  les  évêques.  Je  ne  puis  m'empêclier  de 
dire  que  l'on  leur  fournit  une  belle  occasion  de 
montrer  leur  autorité.  Ne  pourroient-ils  pas,  dans 
leurs  délibérations ,  proscrire  avec  le  livre  tous  les 
écrits  faits  pour  le  justifier?  Le  Roi  peut  et  doit,  ce 
me  semble ,  les  défendre  comme  le  livre  ;  et  les  évê-^ 
ques ,  se  fondant  sur  la  décision  du  Pape ,  sont  ea 
droit  de  les  déclarer  contenir  une  doctrine  mauvaise 
et  dangereuse,  par  cela  seul  qu'ils  sont  faits  pour 
soutenir  un  livre  pernicieux,  etc.  On  trouvera  ici 
très-bon  tout  ce  qu'on  fera  là-dessus  :  au  moins  ne 
le  pourra-t-on  blâmer  ;  et  il  me  paroît  aljsolument 
nécessaire ,  dans  les  circonstances  présentes  de  pren-^ 
dre  ce  parti. 

PourJes  mandemens,  les  évêques  les  feront  dans 
leurs  diocèses,  comme  ils  les  jugeront  convenables.  Ils 
feront  bien ,  et  seront  ici  très-approuvés ,  d'y  com-^ 
battre  la  fausse  spiritualité,  et  d'y  donner  des  règles 
sur  les  mystiques,  qui  en  empêchent  l'abus. 

On  m'a  assuré  que  les  Jésuites,  et  en  particulier 
un  certain  père  Semeri,  Français,  ne  se  tiennent  pas 
pour  bien  battus  sur  le  livre  de  M.  de  Cambrai,  au- 
quel ils  veulent  donner  un  bon  sens. 


SUR  l'affaire  du   quiétisme.  4^9» 

J'attends  M.  de  Monaco  avec  la  dernière  impa- 
tience :  je  ne  donnerai  aucune  de  mes  lettres  sur  mon 
induit,  qu'il  ne  soit  venu,  à  moins  que  je  ne  voie 
qu'il  retarde  trop.  Pour  la  lettre  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon ,  je  n'ai  garde  de  la  lui  donner.  Je  dois  être 
comme  assuré  qu'il  me  traverseroit  de  tout  son  pou- 
voir; et  ce  ne  sera  pas  lui  qui  me  fera  réussir  ni  au- 
près du  Pape,  ni  auprès  du  cardinal  Panciatici,  de 
qui  tout  dépend.  Son  entremise,  au  contraire,  seroit 
le  vrai  moyen  de  me  faire  refuser  la  grâce  que  je 
sollicite.  Il  n'y  auroit  que  le  cas  où  le  Roi  lui  ordon- 
neroit  d'en  parler  au  Pape,  où  il  pourroit  ne  pas 
me  nuire  ;  mais  je  souliaiterois  fort  que  les  ordres 
pussent  s'adresser  à  l'ambassadeur  qu'on  attend  in- 
cessamment. 

L'affaire  de  MM.  des  Missions  contre  les  Jésuites, 
sur  les  idolâtries  chinoises,  est  enclouée.  Le  cardinal 
Casanate  a  cédé  au  cardinal  Noris  et  au  cardinal 
Ferrari ,  qui  ne  cherchent  qu'à  alônger.  Ils  ont  donné 
à  l'affaire  un  tour,  qui  doit  occasionner  des  longueurs 
infinies.  Plus  je  fais  réflexion  sur  ce  que  je  vois,  plus 
je  trouve  que  c'est  une  espèce  de  miracle  que  la  con- 
damnation de  M.  de  Cambrai.  On  m'a  dit  que  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  avoit  déclaré,  qu'il  ne  compre- 
noit  pas  comment  elle  s'étoit  consommée. 

Il  y  a  un  plaisant  article  dans  la  gazette  de  Ro- 
terdam,  contre  les  deux  cardinaux  (*),  partisans  de 
M.  de  Cambrai.  Celle  de  la  Haie  est  toujours  favo- 
rable à  M.  de  Cambrai.  Le  gazetier  entretient  ici 
correspondance  avec  le  père  Charonnier ,  et  avec 
Certes ,  valet  de  chambre  du  cardinal  de  Bouillon. 

(*)  Le  cardinal  de  Bouillon  et  le  cardinal  Albani. 


49^  LETTRES 

Le  pauvre  M.  de  Madot  n  est  pas  bien  à  la  cour  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon. 

Il  est  de  conséquence  que  vous  communiquiez  ma 
lettre  à  M.  de  Paris,  et  je  pense  à  madame  de  Main- 
tenon.  Je  dis  toujours  tout  ce  que  je  sais  au  pèfe 
Roslet,  qui  en  rend  compte  à  M.  de  Paris  ;  mais  il 
est  bon  qu'il  le  sache  encore  par  moi-même. 

Rome,  ce  5  mai  1699. 


LETTRE  CCCCLXXVI. 

DU  P.  CLOCHE,  GÉNÉRAL  DES  DOMINICAIINS, 

ABOSSUET. 

Sur  les  services  qu'il  avoit  rendus  à  la  vérité  dans  raflaire  de  M-  de 
Cambrai,  et  sur  un  écrit  contre  saint  Augustin  et  saint  Thomas. 

J'ai  une  extrême  consolation  que  les  religieux  de 
mon  ordre,  dans  une  affaire  aussi  importante  que 
celle  qu'a  occasionné  Texamen  du  livre  de  M.  l'ar- 
chevêque de  Cambrai,  aient  pu,  en  suivant  la  doc- 
trine de  saint  Thomas,  contribuer  à  en  faire  faire  la 
condamnation.  Vos  grandes  lumières,  Monseigneur, 
y  ont  eu  la  meilleure  part,  et  les  soins  infatigables 
de  M.  Tabbé  Bossuet,  qui  a  veillé  à  tout,  qui  a 
éclairci,  dans  les  occasions,  les  difficultés  qu'on  avoit, 
€t  qui  a  si  prudemment  pris  son  temps,  soit  auprès 
de  Sa  Sainteté,  soit  auprès  des  cardinaux,  qu'il  a 
sagement  évité  tous  les  détours  qu'on  eût  donnés 
peut-être,  sans  sa  vigilance,  à  cette  grande  affaire. 
J'ai  eu.  Monseigneur,  de  la  bonne  volonté  :  vous 
avez  tout  fait,  et  on  peut  dire  que  votre  Grandeur 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  49^ 

n'a  presque  rien  laissé  à  faire  aux  autres.  L'Eglise 
entière  vous  en  a  obligation  ;  et  si  la  France  voit  une 
erreur  arrêtée ,  qui  pouvoit  troubler  la  paix  que  le 
Roi  a  donnée ,  Tune  et  l'autre  doivent  avouer  que 
votre  Grandeur  a  bien  travaillé,  et  fort  heureuse- 
ment, pour  en  découvrir  le  venin. 

On  nous  donne  avis  qu'il  paroît  à  Paris  quelque 
petit  livre  qui  attaque  saint  Augustin  et  saint  Tho- 
mas :  s'il  paroît  en  cette  Cour ,  on  tâchera  de  faire 
connoître  la  témérité  de  l'auteur.  Si  on  méprise  les 
pères  et  les  docteurs  de  l'Eglise,  il  est  à  craindre 
qu'on  ne  travaille  à  ruiner  la  religion.  Tant  que 
Dieu  conservera  votre  Grandeur,  on  aura  un  grand 
défenseur.  C'est,  Monseigneur,  ce  que  je  demande 
à  Dieu  avec  tout  mon  ordre.  Je  vous  prie  d'être  per- 
suadé que  je  suis  avec  une  parfaite  soumission ,  etc. 

Fr.  Antonin  Cloche,  ministre  général  des  Frèr.  Préch. 

Rome,  ce  5  mai  169g. 


LETTRE  CCCCLXXVII. 

DU  P.  MASSOULIÉ,  DOMINICAIN,  A  BOSSUET. 

Sur  les  grands  avantages  qu'on  avoit  retirés  des  écrits  du  prélat, 
pour  soutenir  la  vérité  dans  l'atFairc  de  M.  de  Cambrai. 

L'honneur  que  votre  Grandeur  m'a  fait,  exige  de 
moi  que  je  lui  en  rende  de  très -humbles  actions  de 
grâces.  M.  l'abbé  Bossuet  m'a  témoigné  que  votre 
Grandeur  avoit  été  satisfaite  du  soin  que  j'ai  pris  de 
mon  côté  pour  défendre  la  vérité  dans  cette  grande 
affaire,  qui  a  été  traitée  en  cette  Cour.  Quand  je 


49*  LETTRES 

n  aurois  pas  eu  quelque  connoissance  cle  la  doctrine 
de  saint  Thomas,  il  ne  m'auroit  pas  été  difficile  de 
Gonnoître  cette  vérité,  en  lisant  les  incomparables 
livres  que  votre  Grandeur  a  donnés  au  public.  C'est 
h.  votre  Grandeur  que  tous  ceux  qui  ont  défendu  la 
cause  de  Dieu  et  la  véritable  piété,  doivent  les  lu^ 
uiières  dont  ils  avoient  besoin.  Je  m'estimerois  heu- 
reux, si  le  service  que  j'ai  tâché  de  rendre  dans  cette 
occasion ,  pou  voit  contribuer  quelque  chose  pour 
mériter  la  protection  de  votre-  Grandeur  dans  les 
affaires,  qui  touchent  notre  ordre  et  la  doctrine  de 
saint  Thomas  ,  qu  on  tâche  en  beaucoup  d'endroits 
de  nous  empêcher  d'enseigner.  Je  ne  manquerai  pas. 
Monseigneur,  d'offrir  à  Dieu  mes  vœux,  afin  qu'il 
conserve  long-temps  votre  Grandeur  pour,  le  bien 
de  son  Eglise  et  l'honneur  du  royaume.  Je  suis. avec 
un  profond  respect, 

F.  Antonin  Massoulié,  de  Tordre  des  Frèr.  Précli, 
Rome,  ce  5  mai  169g. 


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LETTRE  CGCCLXXVIII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  les  assemblées  provincMes,  relîtiives  a  racceptation  du  décret 
de  Rome 5  et  la  nécessité  du  prochain  départ  de  cet  abbé. 

J'arrive  de  Meaux ,  et  je  reçois  votre  lettre  du  21 
avril.  Je  suis  bien  aise  que  le  Pape  soit  content,  :  il 
le  sera  encore  davantage,  quand  il  verra  ce  qui  a 
été  fait  et  ce  qui  se  fera.  M.  de  Cambrai  a  convoqué 
son  assemblée  provinciale  pour  le  aS ,  comme  M.  de 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  49^ 

Rheims  pour  le  24  ;  la  nôtre  est  pour  meixredi. 

Ce  qu'on  appelle  l'adresse  aux  évêques,  dans  une 
bulle,  c'est  la  clause  :  mandantes  venerahilibus  fra* 
tribus  nos  tris  Patriarchis  ,  Archiepiscopis  j  etc. ,  ce 
qui  saisit  les  évêques ,  et  les  rend  exécuteurs  du  décret 
ou  de  la  bulle.  C'est  la  manière  de  procéder  la  plus 
canonique  et  la  plus  exécutoire  j  mais  elle  n'est  pas 
universelle,  c'est-à-dire,  dans  toutes  les  bulles. 

Le  père  Dez  nie  en  effet  qu'il  ait  jamais  approuvé 
le  livre  de  M.  de  Cambrai  :  il  avoue  qu'il  étoit  neutre , 
et  rien  de  plus ,  dans  cette  affaire.  Vous  avez  vu  par 
mes  précédentes  ce  que  m'a  écrit  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  et  la  réponse  que  j'ai  faite.  On  ne  parle 
point  que  M.  de  Monaco  soit  en  état  de  partir  si  tôt. 
Ainsi  s'il  n'arrive  pas  à  la  fin  du  mois ,  vous  ne  pou- 
vez vous  dispenser  de  partir,  étant  important  de  ne 
\ous  pas  arrêter  davantage  à  Rome  après  l'affaire 
conclue. 

Tout  le  monde  juge  ici ,  comme  le  cardinal  Casa- 
nate ,  que  M.  de  Cambrai  est  plus  soumis  à  l'exté- 
rieur que  persuadé.  Mais  on  veut  et  on  doit  accep- 
ter sa  soumission  telle  qu'elle  est,  afin  que  ce  soit 
une  affaire  finie. 

Je  suppose  que  vous  établirez  à  Rome,  pour  ce 
qui  regardera  votre  induit  et  autres  choses  occur- 
rentes,  une  bonne  correspondance.  N'oubliez  pas 
d'assurer  de  mes  respects  et  de  ma  vénération  le  car- 
dinal Casanate ,  et  ne  revenez  pas  sans  me  rapporter 
la  bénédiction  particulière  du  Pape,  après  avoir 
assuré  Sa  Sainteté  de  ma  dévotion  et  des  vœux  con- 
tinuels que  je  fais  pour  sa  santé. 

On  n'a  rien  vu  ici  du  vœu  du  cardinal  de  Bouillon. 


494  LETTRES 

Tout  cela  n'est  qu illusion  et  amusement,  et  on  le 
voit  bien. 

A  Paris,  ce  ii  mai  1699. 


LETTRE  CCCCLXXIX. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  la  soumission  de  M.  de  Cambrai;  le  bref  qu'on  devoit  lui  adres 
ser;  la  seconde  lettre  de  ce  prélat  au  Pape;  et  la  fidélité  avec 
laquelle  Tabbé  Bossuet  avoit  rapporté  les  faits. 

Vous  aurez  vu ,  par  mes  précédentes,  que  les  gens 
d'esprit  et  de  bien  ne  pensent  pas  autrement  à  Rome 
qu'en  France,  de  la  conduite  de  M.  de  Cambrai  et 
de  son  mandement.  Je  crois  que  la  première  lettre 
au  Pape,  que  vous  avez  reçue,  aura  confirmé  les 
gens  désintéressés,  et  qui  ne  veulent  pas  se  laisser 
éblouir,   qu'on  ne  peut  se  soumettre  avec  moins 
d'humilité  que  le  fait  cet  archevêque  ;  puisque  par 
ses  lettres  et  son  mandement,  il  fait  sentir  à  tout 
le  monde  qu'il  prétend  être  innocent,  et  qu'il  n'est 
revenu  sur  rien  de  sa  fausse  et  dangereuse  spiritua- 
lité. J'ai  eu  la  consolation  de  faire  avouer  ici  au 
Pape  et  aux  cardinaux,  qu'ils  ne  pensent  pas  que 
dans  le  cœur  il  soit  changé,  et  qu'il  croie  s'être 
trompé.  M.  le  cardinal  Albani  m'a  déclaré  être  per- 
suadé qu'il  étoit  le  même  qu'auparavant  sur  sa  doc- 
trine. Tout  cela  néanmoins  n'a  pas  empêché  qu'on 
n'ait  résolu  de  lui  répondre  par  un  bref.  Il  est  vrai 
qu'on  en   a  mesuré  toutes  les  paroles ,  à   ce   que 
m'ont  dit  le  cardinal  Spada  et  le  cardinal  Gasanate. 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  49^ 

Ils  m'ont  assuré  qu'il  étoit  fort  sec,  qu'il  n'en  pour- 
roit  tirer  aucun  avantage,  et  que  le  décret  du  saint 
Siège  n'en  souffrir  oit  aucune  atteinte.  Je  ne  sais  s'ils 
auront  suivi  ce  que  j'ai  pris  la  liberté  de  leur  insi- 
nuer, qui  étoit  de  ne  point  parler  des  lettres  écrites 
par  cet  archevêque,  mais  seulement  du  mandement 
par  lequel  il  se  soumet  et  condamne  son  livre,  et 
de  bien  appuyer  sur  la  condamnation  que  lui-même 
en  fait;  en  un  mot,  de  faire  entendre  que  le  Pape 
approuve  et  reçoit  sa  soumission,  parce  qu'il  con- 
damne ses  erreurs,  et  se  soumet  de  cœur  et  de  bouche 
à  la  censure.  J'ai  aussi  pris  la  liberté  de  représenter 
qu'il  seroit  peut-être  à  propos,  le  Pape  ne  voulant 
rien  accorder  qui  pût  déplaire  au  Roi  et  aux  évê- 
ques,  de  faire  passer  ce  bref  par  les  mains  de  M.  le 
nonce,  qui  pourroit,  avant  que  de  l'envoyer  à  M.  de 
Cambrai ,  le  faire  voir  au  Roi. 

Enfin,  j'ai  cru  ne  pouvoir  trop  insister  sur  les 
conséquences  de  la  démarche  qu'on  faisoit  faire  au 
Pape,  qui  pouvoit  avoir  des  suites  fâcheuses.  Je  ne 
saurois  répondre  de  ce  qu'on  fera  ou  de  ce  qu'on  a 
peut-être  déjà  fait.  Ce  que  je  sais,  c'est  que  le  bref  a 
été  résolu,  à  la  sollicitation  du  cardinal  de  Bouillon  ; 
mais  il  n'étoit  pas  encore  expédié  avant-hier.  Tout 
ce  que  j'ai  pu  faire  a  été  de  représenter  ce  qu'il 
convenoit  :  au  moins  ne  prétendront-ils  pas  cause 
d'ignorance;  et  Sa  Sainteté  ne  me  pourra  pas  dire 
que  je  ne  l'aie  pas  avertie  de  tout  elle-même,  aussi 
bien  que  les  cardinaux. 

La  seconde  lettre  de  M.  de  Cambrai,  c'est-à-dire, 
celle  qui  accompagne  le  mandement,  fut  lue  au 
saint  Office  dans  la  dernière  congrégation.  Mais  pas 


49^>  LETTRES 

un  cardinal  n'en  a  eu  copie;  le  seul  cardinal  Albani, 
et  peut-être  le  cardinal  de  Bouillon ,  l'ont  apparem- 
ment :  elle  n'est  pas  meilleure  que  la  j  remière.  Le 
grand  mystère  qu'on  en  fait,  ou  plutôt  Fimpe'né- 
trable  secret  qu'on  garde  sur  cette  lettre,  me  fait 
juger  qu'elle  est  pire  que  la  première.  Si  elle  e'toit 
plus  modeste,  et  telle  qu'il  faut,  on  en  verroit  bientôt 
voler  mille  copies,  et  je  vois  bien  que  ce  que  Gozza- 
dini  m'a  dit  là-dessus  est  vrai.  Je  crois  vous  l'avoir 
écrit  par  mon  autre  lettre.  Les  cardinaux  Nerli, 
Casanate  et  Carpegna,  que  favois  avertis  de  cette 
seconde  lettre ,  m'ont  dit  l'avoir  entendu  lire ,  et 
n'en  paroissoicnt  pas  trop  contens  :  ils  n'en  ont  pu 
avoir  copie  ,  et  me  l'ont  demande'e.  Mais  où  la 
prendrois-je  ?  J'ai  dit  au  cardinal  Spada ,  qu'il  me 
sembloit  qu'on  ne  pouvoit  se  dispenser  d'en  envo}'er 
copie  à  M.  le  nonce,  à  qui  on  avoit  envoyé  la  pre- 
mière ;  et  que  pour  moi  j'avois  cru  être  obligé  d'a- 
vertir de  cette  seconde  lettre,  que  j'avois  sujet  de 
croire  plus  mauvaise  que  la  première ,  et  qu'on 
devoit  juger  telle  jusqu'à  ce'  qu'on  la  vît. 

Les  cardinaux  que  je  viens  de  nommer,  m'ont 
assuré  qu'il  n'y  avoit  rien,  dans  le  bref  en  réponse, 
dont  M.  de  Cambrai  put  tirer  avantage.  Néanmoins 
je  vois  bien  qu'ils  ne  voudr oient  pas  garantir  que  le 
cardinal  Albani  n'y  ajoutât  quelque  petit  mot  du 
sien.  Ce  qui  le  leur  fait  craindre,  c'est  que  ce  bref  né 
leur  a  pas  été  envoyé  per  manus  j,  et  ils  n'en  ont  en- 
tendu qu'une  simple  lecture.  Un  mot  est  bientôt 
ajouté  ;  et  qui  osera  dire  après  quelque  chose  ?  Je 
vous  avoue,  pour  moi,  que  ^e  crains  tout  du  car- 
dinal A-lbani  et  du  cardinal  de  Bouillon  ,  et  que  je 

regarderai 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  497 

regarderai  comme  un  miracle ,  si  le  bref  ne  dit  pas 
plus  qu'il  ne  faut. 

Je  ne  sais  si  Ton  aura  pris  la  voie  de  M.  le  nonce 
pour  faire  tenir  ce  bref,  mais  je  ne  puis  me  per- 
suader quon  ne  lui  en  envoie  au  moins  copie,  pour 
le  faire  voir. 

M.  de  Cbanterac  part  incessamment,  s'il  n'est 
de'jà  parti.  On  m'a  dit  qu'il  étoit  chargé  du  bref; 
mais  je  ne  le  crois  pas,  et  je  ne  puis  m'empêclier  de 
croire  qu'on  le  fera  passer  par  les  mains  du  nonce. 

J'attends  avec  impatience  le  détail  de  ce  qu'on 
aura  fait  en  France ,  et  je  souhaiterois  en  savoir  des 
nouvelles  avant  mon  de'part,  pour  avoir  le  plaisir  et 
la  satisfaction  d'en  faire  part  au  Pape  et  aux  car- 
dinaux. 

Je  vais  prendre  incessamment  congé  de  MM,  les 
cardinaux ,  comptant  de  partir  vers  le  8  du  mois 
prochain.  Ayez  la  bonté  d'adresser  vos  lettres  doré- 
navant à  Florence,  à  M.  Dupré,  qui  sera  informé 
de  ma  route. 

Je  suis  sensiblement  obligea  M.  de  Paris  de  toutes 
ses  bontés.  Je  n'ai  rien  fait  par  passion.  Dieu  merci. 
Je  n'ai  jamais  eu  en  vue  que  la  vérité  et  le  service  de 
l'Eglise  ;  et  si  je  savois  avoir  jamais  avancé  un  mot 
contraire  à  la  vérité,  je  n'aurois  aucune  honte  d'a- 
vouer que  j'ai  été  trompé.  J'aurai  toujours  le  res- 
pect que  je  dois  pour  M.  le  cardinal  de  Bouillon  ; 
mais  je  lui  parlerai  toujours  avec  sincérité.  Il  n'a  pas 
jugé  à  propos  d'avoir  aucun  éclaircissement  avec 
moi;  et  tout  se  passe  avec  honnêteté  de  sa  part^ 
respect  et  retenue  de  la  mienne. 

Leslettres  de  M.  de  Cambrai  au  Pape  ne  paroissent 

BOSSUET,     XLII.  32 


498  LETTRES 

pas  faites  clans  la  vue  de  vouloir  s'accommoder  avec 
les  évêqués,  à  moins  que  vous  ne  vouliez  tomber 
d'accord  de  son  innocence,  convenir  des  outrages 
{probra)  dont  vous  Tavez  accablé,  et  que  ses  expli- 
cations sont  bonnes,  et  justifient  son  livre.  Si  vous 
le  faites,  il  ne  faut  pas  faire  difficulté  de  souffrir 
l'égalité. 

Je  viens  d'apprendre,  dans  le  moment,  qu'il  est 
constant  que  le  curé  de  Seurre,  condamné  à  être 
brûlé,  a  été  ici  près  de  deux  mois  sous  le  nom  de 
l'abbé  de  la  Roche,  et  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
en  a  été  averti.  Il  est  parti  ce  matin ,  et  prend  la 
route  de  Florence  :  il  repasse  en  France  ;  Dieu  l'a- 
veugle. Je  saurai  tout  ce  qui  le  regarde  dans  peu. 
Je  ne  puis  assez  m'étonner  du  silence  de  certaines 
gens  qui  Font  connu  ici,  et  qui  se  sont  contentées 
d'avertir  le  cardinal  de  Bouillon.  Si  je  l'avois  su ,  ou 
il  seroit  sorti  plus  tôt  de  Rome ,  ou  on  Tauroit  fait 
arrêter. 

J'ai  oublié  de  vous  marquer  une  circonstance  de 
la  congrégation  du  lundi  îiy  avril,  où  on  lut  la 
première  lettre  de  M.  de  Cambrai  avant  l'arrivée  du 
mandement.  Elle  fut  extrêmement  exaltée  par  le 
cardinal  de  Bouillon.  Le  cardinal  Casanate  ne  la 
trouva  pas  si  merveilleuse,  et  dit  doucement  qu'il 
croyoit,  avant  que  de  prendre  la  résolution  de  ré- 
pondre par  un  bref,  qu'il  falloit  attendre  le  man- 
dement, et  voir  comment  il  seroit  conçu.  Le  car- 
dinal de  Bouillon  reprit,  avec  un  ton  de  hauteur, 
que  si  Calvin  avoit  fiùt  une  soumission  pareille  à 
.  cette  lettre,  on  auroit  dû  le  recevoir  à  bras  ouverts, 
et  ne  pas  attendre  tant  de  formalités ,  et  s'étendit 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  499 

sur  les  louanges  de  M.  de  Cambrai.  On  ne  voulut 
pas  le  contredire  ;  on  accorda  tout  ce  qu'il  demanda, 
et  il  passa  à  la  pluralité,  qu'on  feroit  un  bref,  même 
avant  l'arrive'e  du  mandement. 

A  Rome,  ce  12  mai  i6gg. 


LETTRE  CCCCLXXX. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  jugement  qu'on  portoit  à  Rome  de  la  soumission  de  M.  de 
Cambrai  j  le  procès-verbal  de  l'assemblée  provinciale  de  Paris, 
qu'il  lui  envoyoit  j  et  sur  ce  qu'où  pensoit  du  Télémaque, 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  28  avril.  Le  Pape  a  trop 
de  bonté  pour  moi ,  et  vous  ne  sauriez  lui  marquer 
assez  ma  vive  et  profonde  reconnoissance. 

M.  le  prince  Vaïni  m'a  fait  voir  ce  matin ,  dans 
une  lettre  de  M.  l'abbé  Pequigni ,  les  sentimens  qu'il 
vous  a  fait  l'honneur  de  vous  expliquer.  Ne  partez 
pas,  je  vous  prie,  sans  me  procurer  l'amitié  d'un 
si  honnête  homme ,  si  bien  intentionné  et  si  savant. 

Je  me  doutois  bien  qu'on  sentiroit  à  Rome  la  sé- 
cheresse de  M.  de  Cambrai,  comme  on  la  sent  ici. 
Il  est  l)eau  au  Pape  d'avoir  témoigné  qu'il  croit  que 
ce  prélat  pense  mieux  qu'il  ne  s'explique,  et  nous 
voulons  le  croire  aussi  pour  le  bien  de  la  paix  ; 
mais  nous  serons  secrètement  attentifs  à  ses  dé- 
marches. 

Je  vous  envoie  à  toutes  fins  le  procès-verbal  de 
notre  assemblée,  avant  qu'on  l'imprime.  Tenez-le 
fort  caché  :  ne  le  montrez  à  qui  que  ce  soit ,  qu'à 


5oO  LETTRES 

M.  Phelippeaux,  et  qu'il  n'en  sorte  de  vos  maing 
aucune  copie.  J'espère  qu'il  fera  honneur  à  notre 
métropolitain  et  à  la  province.  Entre  nous,  on  y  a 
adouci  bien  des  choses.  Vous  trouverez  dans  ce  que 
je  vous  envoie  beaucoup  de  fautes  de  copistes.  Je 
vous  avertis  aussi  qu'on  a  changé  dans  l'original 
plusieurs  expressions,  qu'on  n'a  pas  eu  le  loisir 
d'insérer  dans  cette  copie  :  suppléez  à  tout. 

Quant  à  votre  départ,  s'il  ne  faut  attendre  que 
huit  ou  quinze  jours  pour  voir  à  Rome  M.  l'ambas- 
sadeur, j'y  consens;  sinon  je  remets  à  votre  pru- 
dence d'engager  l'afFaire  de  votre  induit,  et  d'en 
venir  attendre  ici  l'événement,  par  le  secours  de 
M.  de  Monaco.  J'ai  lu  ce  matin  toute  votre  lettre  à 
M.  de  Paris,  à  Conflans,  d'où  je  viens. 

J'avois  tant  de  choses  à  vous  écrire  la  dernière 
fois,  que  l'affaire  des  Bénédictins  (*)  m'échappa.  Elle 
feit  pourtant  grand  bruit  parmi  les  savans.  M.  de 
Chartres  a  paru  prévenu  contre  eux.  J'ai  tâché  de 
l'appaiser  un  peu. 

Votre  conversation  avec  le  Pape  sur  madame  de 
Maintenon,  est  considérable  :  il  en  sera  fait  men- 
tion. Je  vais  samedi  à  Versailles  :  on  est  à  Marly 
jusqu'à  ce  temps  là.  On  ne  peut  trop  marquer  l'o- 
bligation qu'on  a  ici  à  M.  le  nonce. 

LeTélémaque  de  M.  de  Cambrai  est,  sous  le  nom 
du  fils  d'Ulysse ,  un  roman  instructif  pour  monsei- 
gneur le  duc  de  Bourgogne.  Cet  ouvrage  partage 
les  esprits  :  la  cabale  Tadmire  ;  le  reste  du  monde 
le  trouve  peu  sérieux  et  peu  digne  d'un  prêtre. 

(*)  La  dispute,  comme  on  l'a  déjà  vu,  rouloit  sur  la  nouvelle  édi- 
tion de  saint  Augustin. 


J 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  5oi 
N'oubliez  pas,  à  Florence,  de  faire  souvenir  le 
grand  duc,  qu'il  m'a  fait  Tiionneur  de  me  promettre 
son  portrait  et  ceux  de  sa  se'rénissime  famille ,  pour 
orner  mon  cabinet  de  Gcrmigny  avec  ceux  de  mes 
maîtres. 

A  Paris,  ce  18  mai  1699. 


LETTRE  CCCGLXXXI. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  la  manière  de  procéder  des  évêques  dans  la  réception  du  bref; 
le  compte  que  cet  abbé  en  avoit  rendu  au  cardinal  Spada  et  au 
Pape  j  et  ce  qui  s'étoit  passé  à  l'occasion  du  bref  adressé  à  M.  de 
Cambrai. 

Je  vois  avec  plaisir,  par  la  lettre  de  Sa  Majesté 
à  MM.  les  archevêques ,  le  tour  qu'on  a  pris  sur  la 
réception  de  la  constitution.  Je  vous  avoue  que  rien 
ne  pouvoit  être  plus  selon  mon  goût  et  selon  mes 
idées.  Je  me  suis  toujours  bien  attendu,  qu'en  té- 
moignant pour  le  saint  Siège  le  respect  qui  lui  est 
dû ,  on  ne  laisseroit  pas  avilir  l'autorité  épiscopale  ; 
et  assurément  on  ne  pouvoit  rien  faire  de  plus  canO"«- 
nique  ni  de  plus  authentique.  La  manière  dont  le 
B-oi  parle  de  la  soumission  de  M.  de  Cambrai ,  est 
telle  que  je  souhaitois  que  le  Pape  en  parlât  dans 
son  bref  à  cet  archevêque ,  pour  l'engager  peut- 
être  plus  qu'il  ne  veut,  mais  autant  qu'il  est  né- 
cessaire. 

Aussitôt  que  j'ai  eu  reçu  ces  nouvelles ,  j'ai  cra 
qu  il  étoit  à  propos  de  voir  d'abord  M.  le  cardinal 
Spada  et  puis  Sa  Sainteté^  pour  connoître  comment 


502  LETTRES 

la  conduite  de  la  France  seroit  ici  prise,  et  avoir 
lieu  de  faire  valoir  le  zèle  dii  Roi  et  le  respect  qu'il 
témoignoit  en  cette  occasion  pour  le  saint  Siéj^e  et 
la  personne  du  Pape,  ayant  trouvé  le  moyen  de 
suppléer  à  tous  les  défauts  de  formalité  qui  man- 
quoient  à  la  constitution. 

M.  le  cardinal  Spada  étoit  déjà  informé  par  le 
nonce,  qui  ne  lui  avoit  pourtant  pas  envoyé  copie 
de  la  lettre  du  Roi ,  et  qui  souhaita  que  je  lui  en  fisse 
la  lecture.  J'arrêtai  sur  les  endroits  où  il  falloit,  et 
qui  marquent  l'obéissance  qu'on  veut  rendre  au  saint 
Siège.  Ce  ministre  m'en  parut  content,  et  me  dit 
qu'il  falloit  regarder  cette  affaire  comme  une  affaire 
fmie  ;  ce  dont  je  l'assurai.  Il  eut  la  bonté  de  me 
dire  ce  que  Sa  Sainteté  lui  avoit  ordonné  d'écrire 
à  M.  le  nonce  sur  mon  sujet ,  pour  qu'il  le  témoi- 
gnât au  Roi ,  et  j'en  suis  confus.  Il  a  exécuté  cet 
ordre  dès  l'ordinaire  dernier,  à  ce  qu'il  m'a  déclaré. 

Après  avoir  vu  M.  le  cardinal  Spada,  je  vis  le 
Pape,  qui  me  combla  de  bontés,  et  qui  me  dit  que 
je  ne  devois  pas  le  remercier  d'une  chose  à  laquelle 
il  étoit  obligé  :  après  quoi  nous  passâmes  à  ce  que 
le  Roi  venoit  de  faire ,  que  je  tâchai  de  lui  expliquer 
de  manière  qu'il  m'en  parut  content ,  aussi  bien  que 
xle  la  conduite  des  évêques.  Il  seroit  trop  long  de 
vous  rapporter  ce  qui  fut  dit  là-dessus.  Il  me  dit  que 
le  Roi  auroit  souhaité  qu'on  lui  eût  envoyé  la  cons- 
■titution2«  cartapecoruy  c'est-à-dire,  en  parchemin, 
voulant  marquer  par-là  qu'il  n'y  avoit  d'autre  diffé- 
rence entre  le  bref  et  une  bulle.  C'est  une  plaisan- 
terie du  cardinal  Albani,  qui  a  cherché  à  tourner 
en  ridicule  la   distinction   qu'on  faisoit  d'un  bref 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  5o3 

d'avec  une  bulle.  Je  fus  obligé  d'expliquer  douce- 
ment à  Sa  Sainteté'  de  quelle  importance  étoient 
certaines  formalités,  quand  il  s'agissoit  de  ne  pas 
innover  dans  un  royaume.  Il  me  parut  que  le  Pape 
entroit  dans  les  raisons  que  je  lui  exposois,  et  je 
suis  persuadé  qu'il  ne  me  parlera  plus  de  cariape- 
cora,  La  conversation  roula  un  moment  sur  M.  de 
Cambrai.  Je  vis  bien,  par  la  manière  dont  le  saint 
Père  s'expliqua  sur  son  sujet,  qu'il  n'est  pas  bien 
persuadé  que  ce  prélat  croie  encore  avoir  tort. 
Néanmoins,  comme  il  veut  finir,  il  fait  semblant 
de  penser  favorablement  de  ses  dispositions.  Le  bref 
qui  devoit  lui  être  adressé  est  expédié,  et  en  voici 
toute  l'histoire  en  peu  de  mots. 

Dès  qu'il  eut  été  résolu  dans  la  première  congré- 
gation qu'on  écriroit  un  bref  à  M.  de  Cambrai , 
M.  Gozzadini,  secrétaire  des  brefs,  fit  la  minute  de 
celui-ci.  Dans  ces  entrefaites  arriva  le  mandement 
de  M.  de  Cambrai,  avec  une  seconde  lettre  de  ce 
prélat.  Ces  deux  nouvelles  pièces,   jointes  aux  ré- 
flexions que  je  fis  faire  au  Pape  et  aux  cardinaux  sur 
la  première  lettre  de  M.  de  Cambrai ,  furent  cause 
qu'on  changea  un  peu  de  plan  :  M.  le  cardinal  Albani 
se  fit  tout  remettre  entre  les  mains ,  et  composa  un 
bref  à  sa  mode.   On  le  lut  dans  la  congrégation  du 
jeudi  7  mai ,  et  on  vouloit  que  les  cardinaux  dissent 
sur-le-champ  leurs  avis;  mais  le  cardinal  Casanate 
insista  pour  qu'on  envoyât  copie  du  bref  à  chaque 
cardinal,  afin  de  l'examiner  avec  plus  de  soin,  et 
de  donner  leur  avis  avec  plus  de  maturité,  l'affaire 
étant  très-délicate  et  très-importante,  et  dans  des 
circonstances  qui  demandoient  de  la  réflexion.  En 


5o4  LETTRES 

conséquence,  il  fut  re'solu  qu'on  enveiroit  le  bref 
per  manus  :  cela  fut  exécuté ,  et  on  en  retrancha 
plus  de  la  moitié.  Le  cardinal  Casanate  vouloit 
qu'on  prît  une  tournure  différente,  et  il  proposa 
même  un  autre  projet  du  bref  :  mais  parce  qu'il  ne 
parut  pas  assez  favorable  à  M.  de  Cambrai ,  ses  par- 
tisans s'échaulTèrent  beaucoup,  pour  empêcher  qu'il 
ne  fût  adopté.  L'amour-propre  rendit  le  cardinal 
A.lbani  encore  plus  ardent  à  soutenir  son  ouvrage  ; 
car  il  crut  que  c'étoit  lui  faire  affront ,  que  de  ne 
pas  se  servir  du  corps  de  sa  lettre.  Ainsi  on  s'en 
tint  à  son  bref,  avec  les  différentes  corrections  qui 
y  avoient  été  faites.  Le  cardinal  Casanate  m'a  avoué, 
que  dans  cet  état  même  il  ne  lui  plaisoit  pas  entière- 
ment. Néanmoins  il  m'a  assuré  qu'on  en  avoit  re- 
tranché tout  ce  qui  pouvoit  donner  lieu  à  de  nou- 
velles disputes,  observant  que  si  on  parloit  de  la 
piété  de  M.  de  Cambrai ,  cela  ne  touchoit  point  au 
fond ,  vu  que  ce  point  étoit  étranger  à  l'affaire. 

Le  projet  du  bref  du  cardinal  Casanate  étoit 
précis ,  et  ne  contenoit  rien  dont  on  pût  abuser. 
On  auroit  dit  à  M.  de  Cambrai  qu'on  n'attendoit 
pas  moins  de  lui  que  la  soumission  qu'il  témoignoit 
dans  son  mandement,  après  avoir  tant  de  fois  pro- 
testé dans  ses  défenses,  qu'il  se  rendroit  au  jugement 
du  saint  Siège  ;  qu'on  étoit  bien  aise  de  voir  l'exécu- 
tion de  ses  promesses ,  qu'on  espéroit  et  même  qu'on 
ne  doutoit  pas  qu'il  n'eût  dans  le  cœur  ce  qu'il  fai- 
soit  paroître  dans  ses  expressions;  enfin,  qu'on. 
Texhortoit  à  demeurer  ferme  dans  ses  résolutions , 
et  de  continuer  à  détester  une  doctrine  et  des  prin- 
cipes, dont  il  voyoit  résulter  dans  tout  le  monde 


4 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  5o5 

chrétien  de  si  pernicieuses  conse'quences.  Voilà  à 
peu  près  l'idée  du  bref  que  le  cardinal  Casanate 
avoit  proposé,  et  qu'il  n'a  pas  été  possible  de  faire 
approuver,  à  cause  des  amis  de  M.  de  Cambrai. 

Enfin,  il  avoit  été  comme  arrêté  par  le  Pape, 
qu'on  enverroit  le  bref  à  M.  le  nonce,  pour  le  com- 
muniquer au  Roi  et  aux  évêques,  avant  que  de 
l'adresser  à  M.  de  Cambrai.  Mais  les  amis  de  cet  ar- 
chevêque ,  ont  tant  tourmenté  le  cardinal  Spada  et 
le  Pape,  qu'on  a  donné  le  bref  à  M.  de  Chanterac, 
et  on  s'est  contenté  d'en  faire  passer  une  copie  à  M.  le 
nonce.  Le  cardinal  Albani  a  assuré  le  père  Roslet  du 
contraire,  et  l'en  a  persuadé.  Mais  ce  que  je  vous 
dis  est  vrai  :  je  l'ai  voulu  savoir  du  Pape  même,  qui 
me  l'a  confirmé  ;  et  M.  le  nonce  a  ordre  de  vous  mon- 
trer cette  copie ,  ainsi  qu'à  M.  de  Paris. 

Il  n'y  a  pas  eu  moyen,  quoi  que  j'aie  pu  faire, 
d'avoir  copie  ni  de  la  seconde  lettre  de  M.  de  Cam- 
brai ,  ni  du  bref  qu'on  lui  écrit  :  cela  me  confirme 
dans  la  pensée,  que  cette  seconde  lettre  n'est  pas 
meilleure  que  la  première.  Je  crois  être  bien  informé, 
que  dans  cette  lettre,  M.  de  Cambrai  rejette  le  mal- 
heur qu'il  a  eu  sur  la  sublimité  de  la  matière  qu'il 
avoit  entrepris  d'expliquer ,  et  sur  la  foiblesse  de  son 
génie,  qui  n'a  pu  atteindre  par  des  expressions  con- 
venables à  une  si  haute  doctrine  ;  ce  qui  a  fait  qu'il 
a  pu  se  tromper.  Vous  voyez  l'artifice  de  cette 
pensée ,  et  combien  il  est  revenu  de  sa  spiritualité. 
Mais  je  sens  bien  qu'on  ne  produira  jamais  cette 
seconde  lettre ,  quoique  ici  on  fasse  courir  le  bruit 
qu'elle  est  plus  humble  que  la  première.  Si  elle  étoit 
telle  qu'il  faut,  on  ne  manqueroit  pas  de  Ja  faire 


5o6  LETTRES 

valoir.  La  plupart  des  cardinaux  trouvent  assez 
mauvais  qu'on  ne  leur  ait  pas  envoyé  copie  du  bref, 
après  les  corrections  faites  ;  et  l'on  a  peur  que  le 
cardinal  Albani  n'y  ait  ajouté  du  sien  dans  l'expé- 
dition. 

Le  Pape  et  le  cardinal  Spada  m'ont  paru  contens 
des  résolutions  prises  en  France  :  mais  je  suis  le  plus 
trompé  du  monde,  si  cette  Cour,  dans  le  fond,  n'est 
pas  un  peu  fâchée  de  l'autorité  qu'on  donne  aux 
évêques;  cependant  on  ne  fait  pas  semblant  de  le 
sentir.  Le  cardinal  Casanate,  à  qui  j'ai  donné  copie 
de  la  lettre  du  Roi,  m'a  paru  très-content.  Je  l'ai 
prié  d'en  dire  son  sentiment  au  Pape  et  au  cardinal 
Spada  :  il  m'a  promis  de  le  faire.  M.  de  Chanterac 
partit  jeudi  dernier  avec  son  bref. 

On  ne  sait  encore  rien  de  certain  sur  l'arrivée  de 
M.  deMonaco.  Son  écuyeretson  secrétaire  sont  cepen- 
dant déjà  rendus.  D'après  les  nouvelles  que  m'appor- 
tera M.  des  Roches,  je  prendrai  ma  résolution,  pour 
demander  moi-même  la  grâce  de  mon  induit.  Je 
prépare  tout  à  cet  effet,  et  je  le  tenterai  peu  de  jours 
avant  mon  départ.  Pour  mieux  réussir,  je  compte 
toujours  partir  vers  le  8  de  juin,  sans  délai. 

Ce  que  je  vous  mandai,  par  ma  dernière  lettre, 
du  curé  de  Seurre ,  est  très-avéré.  Il  étoit  ici  depuis 
la  mi-carême  ;  il  ne  s'est  point  déguisé.  Il  eut  la 
hardiesse ,  le  jour  des  Rameaux ,  d'assister  a  la  cha- 
pelle, et  de  prendre  des  rameaux  de  la  main  du  car- 
dinal Paolucci ,  officiant.  Il  a  signé  des  quittances 
de  son  nom  propre.  Il  vouloit  demeurer  chez  le  père 
Estiennot  ;  Dieu  l'aveugloit  manifestement.  Il  a  pris 
ici  plusieurs  lettres  de  recommandation  pour  Avi- 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  5o7 

gnon.  On  croyoit  qu'il  étoit  venu  à  Rome  pour  se 
faire  absoudre  au  saint  Office  ;  mais  il  ne  s'y  est  pas 
présenté.  Il  a  été  reconnu,  quinze  jours  avant  son 
départ,  par  un  gentilhomme  Franc-Comtois,  nommé 
le  marquis  de  Broscia ,  qui  s'est  contenté  de  le  faire 
suivre.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  fut  averti  de  son 
départ  le  jour  même,  et  on  m'a  assuré  qu'il  le  faisoit 
poursuivre.  Il  lui  sera  très-aisé  de  le  faire  arrêter.  Je 
ne  prétends  rien  assurer  ;  mais  il  est  très-vraisem- 
blable que  M.  le  cardinal  a  tout  su ,  le  marquis  de 
Broscia  étant  tous  les  jours  chez  cette  Eminence. 

A  Rome,  ce  19  mai  1699. 


LETTRE  CCCCLXXXII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  la  lettre  de  M.  de  Cambrai  au  Pape  5  et  la  manière  de  procéder 
des  évêques  pour  l'acceptation  du  bref. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  5  ;  je  la  lus  hier  à  M.  de 
Paris,  qui  en  a  rendu  compte  à  la  Cour.  On  est  étonné 
de  trois  mots  de  la  lettre  de  M.  de  Cambrai  au  Pape  : 
Innocentiam ,  probra,  explicationes.  M.  de  Cambrai 
pourroit  dire  ailleurs  tout  ce  qu'il  voudroit,  sans 
que  nous  songeassions  un  moment  à  nous  en  plain- 
dre, désirant,  autant  qu'il  nous  est  possible,  de  ne 
donner  à  ce  prélat  aucune  occasion  d'exciter  de  nou- 
veaux troubles.  Mais  aujourd'hui  qu'il  nous  attaque 
devant  le  saint  Siège,  si  l'on  ne  nous  fait  pas  justice, 
nous  ne  pouvons  nous  taire  sans  nous  confesser  cou- 
pables. 


^oS  LETTRES 

Innocentiam.  Nous  n'accusons  point  ses  mœurs  ; 
à  Dieu  ne  plaise.  Il  n'en  a  pas  même  été  question , 
mais  de  sa  seule  doctrine.  Or,  si  sa  doctrine  est  in- 
nocente, que  devient  le  bref?  C'est  le  saint  Siège  et 
son  décret  qu'on  attaque,  et  non  pas  nous. 

Prohra.  Quels  outrages  avons-nous  faits  à  M.  de 
Cambrai?  Tout  ce  que  nous  avons  dit  contre  sa  doc- 
trine et  contre  son  livre,  est  de  mot  à  mot  ce  qui  est 
porté  dans  la  constitution.  Si  nous  avons  dit  que  le 
livre  étoit  plein  d'erreurs ,  portant  à  de  pernicieuses 
pratiques,  capables  d'induire  à  des  doctrines  déjà 
condamnées,  telles  que  celles  des  Begards,  de  Moli- 
nos ,  des  Quiétistes  et  de  madame  Guyon  j  la  bulle 
dit-elle  autre  chose? 

Quand  il  nous  a  forcés ,  par  ses  reproches  les  plus 
violens  et  les  plus  amers ,  à  découvrir  la  source  du 
mal,  on  a  démontré  son  attachement  insensé  pour 
une  femme  trompeuse  et  fanatique  ;  mais  seulement 
par  rapport  à  l'approbation  qu'il  donnoit  à  sa  spi- 
ritualité, à  sa  doctrine  et  à  ses  livres,  qui  ne  respi- 
roient  que  le  Quiétisme.  Peut-on  excuser  les  efforts 
qu'il  a  faits  pour  la  justifier?  Veut-on  laisser  établir 
qu'un  livre  plein  d'erreurs,  selon  toute  la  suite  de  son 
texte,  ait  été  fait  avec  une  bonne  intention  ?  C'est 
une  excuse  inouie ,  inventée  exprès  pour  mettre  à 
couvert  madame  Guyon,  et  pour  se  mettre  à  couvert 
lui-même  par  le  même  principe. 

Explicationes.  Si  elles  sont  justes,  si  elles  con- 
viennent au  livre,  le  saint  Père  a  mal  condamné  le 
livre  in  sensu  obi^io  ,  ex  connexione  sententiarum,  etc. 
Il  ne  faut  que  brûler  le  bref,  si  ces  explications  sont 
reçues. 


I 


SUR    L*AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  5o9 

Indépendamment  de  cela,  on  est  prêt  à  faire  voir 
dans  les  explications  du  pre'lat ,  autant  et  d'aussi 
grandes  erreurs  que  dans  son  livre  même. 

Cependant  si  Ton  lui  passe  toutes  ces  excuses, 
mises  par  lui-même  sous  les  yeux  du  Pape,  et  si  on 
le  loue,  c'est  les  approuver.  Tout  Tunivers  publiera 
qu'on  laisse  la  liberté  à  M.  de  Cambrai  de  se  plain- 
dre des  injustices  et  des  opprobres  qu'on  lui  a  faits, 
comme  si  nos  accusations  étoient  des  calomnies,  et 
toutes  ses  excuses  justes  et  légitimes,  puisque  le  Pape 
les  ayant  vues,  non -seulement  n'en  aura  rien  dit, 
mais  encore  aura  comblé  l'auteur  de  louanges. 

Ce  seroit  là  véritablement  no\^issimus  error  pejor 
priore.  On  espère  que  le  même  esprit  qui  a  présidé 
aux  congrégations  précédentes  ,  empêchera  qu'on 
n'afroiI)lisse  ce  qui  y  a  été  fait. 

Ajoutons  encore  œrumnas.  Est-ce  vin  si  grand 
malheur  d'être  repris  de  ses  erreurs?  M.  de  Cambrai 
ne  se  plaint  que  de  la  correction ,  en  évitant  d'avouer 
sa  faute.  Si  l'on  passe  cela  à  Rome ,  et  si  celui  qui 
avance  de  telles  choses  n'en  remporte  que  des  louan- 
ges, il  se  trouvera  non -seulement  mieux  traité  que 
les  défenseurs  de  la  vérité,  mais  encore  honoré  par 
le  saint  Siège ,  pendant  que  les  autres  demeureront 
chargés  du  reproche  d  être  des  calomniateurs. 

Dieu  détournera  ce  malheur.  On  ne  dira  rien  ici  : 
on  attendra,  dans  la  ferme  espérance,  que  Rome, 
assistée  d'en  haut,  ne  se  démentira  pas ,  et  n'affoi- 
blira  pas  son  propre  ouvrage. 

Quant  à  la  manière  dont  nous  avons  procédé  pour 
l'acceptation  du  bref,  on  trouve  dans  saint  Antonin , 
parlant  des  décrets  apostoliques,  qu'ils  ont  été,  ac- 


5lO  LETTRES 

ceptala ,  examinata  et  approhata  ;  ce  qui  est  plus 
que  nous  n'avons  voulu  dire  (*). 

On  trouve  dans  le  même  auteur,  qui  n'est  pas 
suspect  à  Rome ,  sur  le  motu  proprio,  que  c'étoit  le 
terme  dont  on  se  servoit ,  lorsque  le  Pape  parloit 
comme  docteur  particulier.  Cette  formule  est  très- 
nouvelle  :  jamais  elle  n'a  été  usitée  en  cas  pareil  ;  et 
néanmoins  nous  recevons  par  respect  un  décret  où 
cette  clause  se  trouve. 

Tenez  pour  certain  que  le  bref  d'Alexandre  VII, 
sur  la  traduction  du  Missel,  n'a  jamais  été  appuyé 
de  ce  qui  s'appelle  lettres-patentes ,  ni  porté  au  Par- 
lement. 

Au  surplus ,  il  suffit  de  voir  l'intitulation  au  nom 
du  Pape ,  et  sa  décision  faite  avec  la  pleine  autorité 
de  son  conseil,  confirmée  par  le  jugement  des  Eglises 
particulières,  pourreconnoître,  que  de  droit,  on  y 
doit  toute  obéissance.  Voilà  les  maximes  dont  la 
France  ne  se  départira  jamais. 

J'espère  demain  entretenir  ici  M.  le  nonce. 

Madame  des  Ursins  mande  des  merveilles  de 
vous. 

S'il  ne  tient  qu'à  attendre  un  peu  pourvoir  M.  l'am- 
bassadeur, je  suis  d'avis  que  vous  l'attendiez.  Je  suis 
bien  aise,  à  cela  près,  que  vous  vous  disposiez  à 
partir  le  8  de  juin.  J'embrasse  M.  Piielippeaux.  Il 
me  tarde  bien  de  vous  voir  tous  les  deux. 

Je  viens  d'écrire  à  madame  la  princesse,  pour  lui 
demander  des  lettres  pour  la  Cour  de  Modène  (*^j  ;  et 

(*)  Rome  ne  fut  pas  contente  des  clauses  mises  dans  les  procès- 
verbaux  ,  pour  maintenir  le  droit  des  évêques. 
C**)  L'abbé  Bossuet  désiroit  que  son  oncle  lui  procurât  des  lettres 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  5ii 

j'espère  que  madame  de  Hanovre,  d'elle-même,  vou- 
dra bien  se  souvenir  un  peu  de  moi,  et  des  bontés 
dont  m'iionoroit  madame  la  princesse  Palatine  sa 
mère. 
A  Versailles,  ce  aS  mai  iCgg. 


LETTRE  CCCCLXXXIIL 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  procédés  violens  du  cardinal  de  Bouillon  à  Tégard  de  M.  de 
Madot;  le  tumulte  occasionné  par  les  gens  de  ce  cardinal,  à  l'en- 
trée de  l'ambassadeur  de  Florence  à  Borne  j  et  l'approLatiou  que 
donnoient  les  cardinaux  à  la  conduite  des  évêques  de  France. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire,  du  4  niai ,  par  le  courrier  ordinaire,  et 
le  lendemain  vos  paquets  du  29  avril,  par  M.  de 
Madot,  qui  est  enfin  arrivé,  après  avoir  été  obligé 
de  rester  plus  de  huit  jours  en  chemin,  malade  :  il 
est  arrivé  en  bonne  santé.  Vous  croyez  bien  que  j'ai 
été  ravi  de  le  revoir,  et  d'apprendre  de  vive  voix  la 
confirmation  et  les  détails  de  ce  que  je  savois  déjà , 
et  la  véritable  disposition  de  la  Cour  à  l'égard  de 
M.  de  Cambrai,  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et  de 
tout  le  reste.  Je  suis  très-aise  que  vous  soyez  content 
de  ce  gentilhomme  :  pour  lui  il  est  plus  que  satisfait 
de  vous  et  de  son  voyage  ,  qui  a  déplu ,  aussi  bien 
que  son  retour,  si  fortement  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon ,  que  je  ne  doute  pas  que  vous  ne  soyez 
surpris  de  la  vivacité,  pour  ne  pas  dire  violence, 

de  recommandation  pour  les  différentes  Cours  d'Italie,  par  les- 
quelles il  devoit  passer  en  revenant  en  France. 


5l2  LETTRES 

qu'il  a  témoignée  à  ce  sujet.  Je  vais  vous  en  faire 
tout  le  détail ,  auquel  vous  croyez  bien  que  j'ai  eu 
quelque  part. 

M.  de  Madot  arriva  donc  ici  vendredi,  vers  le 
midi  :  il  descendit  chez  moi,  où  je  le  trouvai,  au 
retour  de  quelques  visites  que  j'avois  été  obligé  de 
faire.  Auprès  dîné  je  le  conduisis  très- incognito  à  la 
Trinité  du  Mont,  chez  le  père  Roslet,  évitant  toutes 
les  rues  de  passage,  et  surtout  le  palais  de  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon.  Ce  n'étoit  pas  par  crainte,  comme 
vous  le  jugez  bien ,  de  quelque  insulte  ;  mais  par 
ménagement,  et  par  égard  pour  la  colère  et  l'indi" 
gnation  qu'il  avoit  plu  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
de  témoigner  très-légèrement  contre  ce  gentilhomme, 
et  ne  voulant  pas  que  cette  Eminence  crût  qu'on  cher- 
choit  à  le  narguer.  De  la  Trinité  du  Mont,  je  le  con- 
duisis vers  la  nuit  chez  madame  la  princesse  des 
Ursins,  où  je  le  laissai.  J'eus  encore  cet  égard ,  et  si 
vous  voulez,  ce  respect  pour  M.  le  cardinal  de  Bouil- 
lon ,  de  ne  le  pas  loger  chez  moi.  Il  est  vrai  néanmoins 
que  désirant  pourvoir  à  sa  sûreté,  je  l'avois  logé  vis- 
à-vis  de  chez  moi,  où  il  étoit  tout  comme  avec  moi. 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  sut,  vers  les  deux  heures 
de  nuit,  c'est-à-dire,  vers  les  dix  heures  de  France, 
que  M.  de  Madot  étoit  arrivé.  Sa  tête  s'échauffa  si 
fort  à  cette  nouvelle,  qu'il  n'eut  pas  un  moment  de 
repos,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  cherché  partout  Rome 
M.  Poussin,  son  secrétaire,  à  qui  il  ordonna,  en 
présence  de  M.  le  duc  de  Barwick  et  de  plusieurs 
autres,  de  me  venir  dire,  de  sa  part,  ce  que  vous 
verrez  écrit  dans  le  billet  que  je  vous  envoie.  M.  Pous- 
sin ayant  ordre  de  me  trouver,  et  de  ne  pas  me  laisser 

coucher 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  5i3 

coucher  sans  me  faire  savoir  les  intentions  et  les 
conseils  de  son  Eminence,  visita  inutilement  plu- 
sieurs maisons  ,  où  il  ne  me  trouva  pas.  Enfin  il 
parla  chez  moi  à  M.  Phelippeaux,  et  lui  dicta  le  billet 
ci-inclus  (*),  écrit  de  la  main  de  M.  Phelippeaux, 
excepté  les  mots  soulignés,  qui  sont  de  la  main  du 
sieur  Poussin. 

Je  reçus  donc,  avant  que  de  me  coucher,  ce  billet 
qui,  je  vous  assure,  ne  m'empêcha  pas  de  dormir, 
d'autant  plus  que  le  criminel  de  lèse-altesse  n  étant 
pas  logé  chez  moi,  M.  le  cardinal  navoit  pas,  ce 
me  semble,  le  moindre  petit  prétexte  de  se  fâcher 
contre  moi.  J  allai  dès  le  lendemain,  samedi,  de  très- 
bonne  heure,  chez  M,  le  cardinal  de  Bouillon,  pour 
m'expliquer  avec  lui  sur  ce  sujet,  et  pour  lui  rendre 
compte  de  ma  conduite,  qui  ne  pouvoit  être,  ce  me 
semble,  plus  modérée,  ni  plus  pleine  d'égards  et  de 
considération  pour  lui.  M.  le  cardinal  voulut  d'abord 
me  parler  légèrement  et  un  pied  en  l'air  ;  mais  sur 
ce  que  je  pris  la  liberté  de  lui  demander  une  demi- 
heure  de  conversation  sérieuse,  il  eut  la  bonté  de  me 
l'accorder  ;  et  je  pris  cette  occasion ,  que  je  désirois 
il  y  a  long -temps,  pour  entrer  avec  lui  dans  des 

(*)  «  Monsieur  Poussin  est  passé  ici,  pour  vous  dire,  Monsieur, 
î>  de  la  part  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  que  comme  il  se  pour- 
»  roit  faire  que  des  gens  attachés  à  lui  se  portassent  sans  son  ordre 
»  à  quelque  extrémité  à  Tégard  de  M.  de  Madot,  qu''on  lui  a  dit 
»  loger  chez  vous,  il  vous  conseiUoit  de  l'en  faire  sortir  en  vingt- 
î>  quatre  heures  :  ce  que  je  vous  écris,  afin  que  vous  sachiez,  avant 
»  de  vous  coucher,  ce  que  M.  Poussin  m'a  dit  par  ordre  de  M.  le 
»  cardinal.  Je  l'ai  assuré  qu'il  ne  logeoit  pas  chez  vous  i). 

Phelippeaux. 
Ce  22  mai  au  soir. 

BOSSUET.   XLIl.  33 


5l4  LETTRES 

explications  convenables  sur  toute  ma  conduite  à. 
son  égard,  par  rapport  à  l'affaire  de  M.  de  Cambrai» 
Je  l'assurai,  en  termes  pleins  de  respect  et  d'égards, 
que  je  n'avois  rien  fait,  rien  dit,  ni  rien  écrit,  que 
je  ne  fusse  prêt  de  soutenir,  et  de  lui  déclarer  à  lui- 
même  ,  s'il  le  vouloit  bien  ;  qu'ayant  toujours  agi 
dans  cette  affaire,  la  tête  levée  et  en  vue  du  service 
du  Roi,  des  évêques  et  de  la  vérité,  j'aurois  été  le 
plus  coupable  et  le  dernier  des  hommes,  si  je  n'avois 
pas  averti,  en  France  et  ici,  des  pièges  qu'on  vou- 
loit tendre  pour  embrouiller  la  décision  de  cette 
affaire  ;  et  si  j'avois  manqué  d'être  attentif  à  toutes 
les  démarches  qu'on  faisoit  pour  empêcher  le  juge- 
ment ,  dans  une  cause  où  il  y  alloit  de  tout  pour  la 
religion  ;  où  Fhonneur  et  la  réputation  des  évêques, 
du  Roi  même,  étoient  intéressés;  qui,  enfin,  a  rem- 
porté la  victoire ,  qui  suit  tôt  ou  tard  la  vérité.  Je 
lui  dis  que  j'étois  prêt  a  le  satisfaire  sur  tous  les 
points,  s'il  jugcoit  à  propos  d'entrer  avec  moi  dans 
les  détails  nécessaires.  Je  vous  proteste  que  je  m'en 
serois  bien  tiré,  et  lui  fort  mal  :  aussi  ne  crut-il  pas 
devoir  accepter  mes  offres,  et  se  borna-t-il  à  me  ré- 
pondre qu'il  avoit  fait  son  devoir  sur  tout;  et  que 
s'il  étoit  à  recommencer,  il  agiroit  de  même,  ne  se 
repentant  point  de  ce  qu'il  avoit  fait;  qu'il  voyoit 
bien  qu'il  se  trouvoit  dans  des  circonstances  fâcheuses, 
et  qu'on  étoit  prévenu  faussement  contre  lui,  mais 
qu'il  étoit  au-dessus  de  tout,  etc. 

Je  vins  ensuite  à  ce  qui  regarde  M.  de  Madot,  et 
je  lui  représentai  tout  ce  que  vous  pouvez  savoir,  lui 
protestant,  de  la  part  de  M.  de  Madot,  que  tout  ce 
dont  on  l'accusoit  à  l'égard  de  son  courrier,  étoit 


SUR    L*AFFAIRE    DU    QUIÉTISME.  5l5 

un  tissu  de  faussetés.  M.  le  cardinal  de  Bouiîîon  me 
parut  très-irrite'  contre  M.  de  Mado%  ne  voulant  en 
aucune  manière  écouter  ses  justifications,  et  lui  fai- 
sant l'honneur  de  se  déclarer  son  ennemi.  Sur  ce  qui 
me  touchoit,  il  n'eut  pas  un  mot  à  répondre  à  mes 
raisons,  et  ne  put  improuver  la  conduite  que  j'avois 
tenue  à  son  égard;  et  j'ose  dire  qu'il  fut  content  de 
la  manière  dont  je  m'expliquai  avec  lui  là -dessus. 
Il  fut  si  satisfait,  qu'il  le  témoigna  dès  le  soir  même 
à  M.  le  duc  de  Barwick,  disant  qu'on  ne  pouvoit 
mieux  lui  parler  que  je  l'avois  fait.  Je  ne  laissai  pour- 
tant pas  de  l'assurer  que  je  ne  pouvois  ni  ne  devois 
abandonner  M.  de  Madot,  qui  s'étoit  bien  voulu  sa- 
crifier pour  me  rendre  service,  et  auquel  vous  et 
M.  de  Paris  vous  intéressiez;  ce  qu'il  m'a  paru  ne 
pas  trouver  mauvais.  Il  est  vrai  que  je  lui  exposai 
mes  raisons  avec  toutes  les  mesures  imaginables.  Il 
navoit  pas  encore  reçu  votre  lettre,  qui  a  passé  par 
les  mains  de  M.  de  Torcy,  et  dont  vous  m'avez  en- 
voyé la  copie.  Je  lui  en  ai  dit  la  substance,  lui  dé- 
clarant que  vous  me  la  rapportiez  dans  votre  lettre. 
Sur  M.  de  Madot,  il  m'ajouta  qu'il  avoit  su  qu'on 
vouloit  engager  M.  le  grand  duc  à  le  prendre  à  son 
service  ;  mais  qu'il  venoit  de  faire  déclarer  à  l'agent 
de  ce  prince,  qu'il  ne  doutoit  pas  qu'il  ne  le  chassât 
3e  ses  Etats  à  sa  considération,  et  qu'il  le  poursui- 
vroit  partout  où  il  se  retireroit.  Cela  me  parut  un 
peu  vio-ent,  et  tout  le  monde  en  juge  de  même. 
Que  veut-il  donc  que  devienne  ce  pauvre  malheu- 
reux gentilhomme,  qui  ne  peut  demeurer  en  France, 
qu'il  ne  sauroit  souffrir  à  Rome,  et  qu'il  prétend 
empêcher  d'entrer  au  service  d'un  prince,  ami  de 


5l6  LETTIVES 

la  France?  Où  se  réfugiei a-t-il ,  lui  qu'il  sait  n'avoir 
jamais  voulu  s'engager  au  service  d'aucune  puis- 
sance qui  pût  être  ennemie  du  Roi?  Mais  j'espère 
que  les  bons  offices  de  cette  Eminence  ne  nuiront 
pas  à  M.  de  Madot,  auprès  d'un  prince  aussi  pieux 
et  aussi  généreux  que  M.  le  grand  duc.  Sûrement 
il  préférera  de  remplir  les  engagemens  qu'il  a  pris 
avec  M.  de  Paris,  avec  vous,  avec  M.  d'Estrées  et 
M.  de  Janson,  plutôt  que  de  satisfaire  la  haine  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  qui  est  poussée  aussi 
loin  qu'elle  le  peut  être. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  encore  trouvé  très- 
mauvais,  qu'à  l'entrée  de  l'ambassadeur  du  grand 
duc,  qui  se  fit  avant-hier,  dimanche,  M.  de  Madot 
ait  été  dans  un  carrosse  de  cet  ambassadeur  ;  et  il 
a  fait  de  cette  action  une  affaire  d'Etat.  Enfin,  inca- 
pable de  garder  aucune  mesure,  son  ressentiment 
a  éclaté  avec  une  force  qui  passe  tout  ce  qu'on  peut 
dire.  Malgré  tant  de  mauvais  procédés,  M.  de  Madot 
s'est  toujours  conduit  avec  sagesse  et  circonspec- 
tion. Il  est  resté  à  Rome  publiquement  (*) ,  pour 

(*)  M.  de  Madot,  si  vivement  exposé  à  la  colère  du  cardinal  dô 
Bouillon,  ne  resta  que  deux  ou  trois  jours  à  Rome  pour  y  ter- 
miner ses  aflaires.  Il  se  rendit  de  là  à  Florence  auprès  du  grand 
duc,  qui,  à  la  recommandation  de  MM.  Bossuet,  de  Janson  et 
de  Noailles,  lui  avoit  donné  de  l'emploi  dans  ses  troupes.  Le  car- 
dinal de  Bouillon  écrivit  au  grand  duc  pour  l'engager  à  lui  relirer 
sa  faveur,  et  à  le  congédier  de  ses  Etats.  Mais  ce  prince,  ne  croyant 
pas  devoir  sacrifier  ce  gentilhomme  ,  répondit  au  cardinal  qu'il 
avoit  retenu  M.  de  Madot  à  son  service,  sur  le  bon  témoignage 
que  M.  de  Meaux  et  M-  de  Paris,  en  qui  il  avoit  une  entière  con- 
fiance, lui  en  avoient  rendu  ,  et  qu'il  ne  voyoit  aucune  raison  x>our 
ne  pas  tenir  la  parole  qu'il  leur  avoit  donnée.  Cest  ce  que  ce  prince 
fil  connoître  à  Févêque  de  Meaux ,  par  sa  lettre  du  22  mai  1699. 


SUR    L*^AFFATE.E    DU    QUIÉTISME.  ^TJ 

mettre  ordre  à  ses  affaires,  jusqu'à  ce  soir,  qu'il 
vient  de  partir  pour  Florence  ;  et  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  a  e'vaporé  en  Tair  son  injuste  colère. 

Dans  la  conversation  que  j'eus  avec  cette  Emi- 
nence,  elle  médit,  qu'en  tout  autre  temps>  on  au- 
roit  puni  exemplairement  en  France  M.  de  Madot  ; 
mais  qu'il  voyoit  bien  qu'il  seroit  au  contraire  peut- 
être  récompensé.  Il  ne  dissimule  guère  le  mécon- 
tentement qu'il  a  du  R.oi.  M.  de  Madot  vous  Vendra 
compte  de  tout ,  aussi  bien  qu'à-  M.  de  Paris. 

Vous  apprendrez,  par  les  nouvelles  publiques, 
l'éclatante  affaire  qu'a  eue  à  l'entrée  de  l'ambassa- 
deur de  Florence ,  M.  le  cardinal  de  Bouillon  avec 
l'ambassadeur  de  l'Empereur.  Le  carrosse  que  cet 
ambassadeur  avoit  envoyé  à  cette  entrée,  a,  été 
obligé  de  céder  à  celui  de  M.  le  cardinal,  et  les 
gens  de  l'ambassadeur  firent  sagement;  car  il  y  avoit 
le  long  de  la  route  des  hommes  armés  pour  soutenir 
k  carrosse  de  M.  le  cardinal,  et  qui  auroient  fait 
mal  passer  le  temps  aux  gens  de  l'ambassadeur.  Ce 
qui  fut  un  peu  fâcheux^  et  qui  doit  avoir  déplu  à 
M.  le  cardinal ,  c'est  que  quelques  Français,  s'avi- 
sèrent de  courir  avant  les  carrosses,  l'épée  nue, 
jusque  dans  Rome  même.  Le  fait  a  paru,  un  peu 
violent,  et  le  procédé  trop  public.  On  s'attendoit 
aujourd'hui  à  une  bataille  réelle ,  à  l'occasion  du 
cortège  qui  devoit  accompagner  l'ambassadeur  de 
Florence  à  Monte  Gavallo. 

L'ambassadeur  de  l'Empereur  armoit  publique- 
ment :  on  ne  s'endormoit  pas  chez  M.  le  cardinal, 
q.ui  avoit  près  de  mille  hommes  sous  les  armes.  Mais 


5l8  LETTRES 

une  lieure  avant  le  départ,  l'ambassadeur  de  Flo- 
rence a  jugea  propos  de  prétexter  une  indisposition, 
et  a  contre-mandé  tous  ses  équipages.  Il  doit  aller 
demain,  sans  cortège,  à  l'audience  de  Sa  Sainteté  : 
cela  s'est  fait  de  concert  avec  le  Pape;  et  on  est 
persuadé  que  l'ambassadeur  de  l'Empereur  n'est  pas 
fâché  d'être  sorti  dé  cet  embarras.  M.  le  cardinal 
de  Bouiilon  en  doit  être  bien  aise  aussi.  L'ambassa- 
deur de  l'Empereur ,  qui  est  haï  ici  extrêmement, 
couroit  grand  risqué.  Vous  croyez  bien  que  ces 
deux  ministres  sont  extrêmement  animés  l'un  contre 
l'autre,  et  j'en  sais  bien  la  raison  :  depuis  trois 
mois  leurs  dispositions  son  t.  changées  ;  mais  cela  se- 
roit  trop  long  à  expliquerwîmH'î 

Cette  affaire  est  prise  ici  très^diversement,  La  ma- 
nière avec  laquelle  les  choses  ont  été  conduites,  a 
eu  ses  contradicteurs  et  ses  critiques,  en  très-grand 
nombre.  La  seule  haine  qu'on  porte  à  l'ambassa- 
deiir  de  l'Empereur,  pourra  calmer  les  esprits  sur 
le  procédé  du  cardinal  de  Bouillon. 

Je  compte  toujours  partir  vers  le  8  du  mois  pro- 
chain ,  c'estràrdire ,  dans  quinze  jours,  et  je  vais 
agir  pour  mon  induit,  sans  plus  attendre  M.  de 
Monaco. 

On  sait  ici  l'affaire  des  Bénédictins- avec  les  Jé- 
suites; mais  elle. ne  fait  aucun  bruit,  et  ôft  sera 
très-favorable  aux  premiers.  «/î>b  im 

Je  n'entamerai  point  l'affaire  de  Sfondrate.  Je 
sais,  il  y  a  long-temps,  ce  qui  retient  M.  l'arche- 
vêque de  Paris  sur  cela.  Il  croit,  par  sfeâ  ménage- 
mens,  devenir  cardinal.  Le  cardinal  Albani  se  sert 


SUR    l'affaire    DU    QUIÉTISME.  5l9 

de  ce  moyen  pour  amortir  son  zèle ,  et  croit  par- 
là  pouvoir  tout  faire  impune'ment  pour  le  cardinal 
de  Bouillon  et  pour  M.  de  Cambrai. 

Je  verrai  Sa  Sainteté  incessamment.  Je  dis  ce  qu'il 
convient  sur  la  nécessité  de  défendre  les  écrits  de 
M.  de  Cambrai,  explicatifs  de  son  livre.  Il  faut 
toujours  agir  en  France,  à  cet  égard,  de  la  manière 
la  plus  avantageuse ,  et  parler  sur  la  doctrine  plus 
fortement  que  jamais  :  tout  sera  approuvé  ici. 

Au  reste ,  le  curé  de  Seurre  est  arrêté.  Le  saint 
Office  ne  s'est  pas  fié  aux  diligences  que  pouvoit 
faire  le  cardinal  de  Bouillon.  Il  a  dépêché  sur  son 
chemin ,  et  ce  malheureux  a  été  arrêté  à  Florence  : 
il  doit  être  conduit  ici  incessamment;  on  le  dit 
même  déjà  arrivé.  On  prétend  qu'il  y  a  aussi  des 
femmes  arrêtées,  qui  lui  tenoient  bonne  compagnie 
à  Rome,  et  qu'il  avoit  emmenées  de  France.  Je  ne 
sais  que  dire  du  cardinal  de  Bouillon  sur  tout  cela. 
Il  est  assez  probable  qu'il  aime  mieux  que  ces  mal- 
heureux soient  arrêtés  ici,  que  s'ils  Tavoient  été  en 
France  :  car  le  secret  des  informations  du  saint 
Office  étant  impénétrable ,  on  ne  saura  rien  de  toutes 
les  erreurs  oii  le  fanatisme  de  leurs  maximes  les  a 
précipités. 

Fabroni  et  sa  cabale  ont  fait  le  P.  Gabrieli,  l'un 
des  examinateurs  les  plus  zélés  pour  M.  de  Cambrai, 
général  de  son  ordre  (*). 

On  traverse  tant  qu'on  peut  notre  procureur- 
général  des  Augustins. 

Le  cardinal  Casanate  et  les  autres  cardinaux  que 
j'ai  vus,  trouvent  très-bon  ce  qu'on  fait  en  France 

(*)  n  fat  fait  cardinal  bientôt  après.  *^^  ^'    < 


^20  LETTÏtIS 

pour  racceptation  de  leur  de'ciet  :  ïh  sont  fort  con- 
tens  qu'on  ait  donné  le  nom  de  constitution  à  leur 
bref. 

Je  me  porte  bien,  Dieu  merci,  et  ne  respire 
qu'après  le  moment  où  je  partirai  d'ici,  et  surtout 
après  celui  où  je  vous  reverrai.. 

A  Rome,  ce  26  mai  1699, 


LETTRE  CCCCLXXXIV. 

BE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  le  bref  qu'on  devoit  adresser  à  Fénélon  ,•  les  procés-verbaux. 
des  assemblées  de  Rheims  et  de  Cambrai  j  et  sur  la  conduite 
qae  les  évéques  youloieiit  tenir  à  Fégard  die  M.  de  Cambrai. 

Nous  attendons,  avec  impatience,  le  bref  qu'on; 
doit  écrire  à  M.  de  Cambrai  ;  et  nous  osons  espérer 
que  ceux  qui  seront  chargés  de  le  dresser  ,^  auront 
égard  à  l'utilité  de  l'Eglise  et  à  la  dignité  du  saint 
Siège,  plus  qu'à  quelque  petite  complaisance  qui 
ne  feroit  qu'enorgueillir  un  esprit  superbe ,  efe 
donner  des  forces  à  un  parti  tombé. 

On  est  ici  fort  content  du  procès-verbal  de  las-i 
semblée  de  Rheims,  que  je  vous  envoie.  Mais  j'aime- 
rois  encore  mieux  vous  pouvoir  envoyer  celui  de 
Cambrai,  où  M.  de  Saint-Omer  ayant  proposé,, 
comme  Paris  et  .Rheims,  la  suppression  de  tous  les 
livres  faits  en  défense  de  celui  des  Maximes ,  M.  de 
Cambrai  s'y  est  opposé  de  toute  sa  force  par  de 
méchantes  raisons,  et  s'est  vu  contraint  de  pro- 
noncer, à  la  pluralité  des  voix,  en  énonçant  que 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  Sa* 

c'étoit  contre  son  avis,  que  le  Roi  seroit  supplié  de 
supprimer  tous  ses  livres.  On  voit  par  le  peu  de 
crédit  qu'il  a  eu  dans  sa  province,  combien  peu  il 
trouvera  de  camplaisan<:e  dans  les  autres.  Assuré- 
ment il  n'a  et  n'aura  pas  pour  lui  un  seul  évéque. 
M.  d'Arras  a  voulu,  en  quelque  sorte,  éluder  l'ac- 
ceptation ,  par  des  ménagemens  opposés  aux  senti- 
mens  de  tout  le  reste  des  évêques  :  mais  enfin  elle  a 
passé  dans  le  fond;  et  voilà  déjà  quatre  provinces, 
e'est-à-dire,  celle  de  Toulouse,  qui  a  commencé, 
celles  de  Paris ,  de  Rheims  et  de  Cambrai ,  qui  sont 
uniformes. 

M.  de  Saint-Omer  et  M.  de  Tournai  ont  fait  ex- 
pliquer M.  de  Cambrai  sur  sa  soumission,  plus  qu'il 
n  avoit  fait  encore  ;  et  quoiqu'on  eût  pu  le  pousser 
davantage  ,  on  a  mieux  aimé  pour  le  bien  de  la 
paix ,  se  contenter  de  ce  qu'il  a  dit.  Il  continue  à 
se  renfermer  et  à  travailler,  on  ne  sait  à  quoi.  Pour 
moi  je  pars  vendredi  pour  mon  diocèse.  J'y  passerai 
les  fêtes ,  avec  Foctave  du  saint  Sacrement. 

Quoi  qu'on  fasse,  nous  ne  dirons  rien  sur  ce 
qu'écrit  M.  de  Cambrai  de  son  innocence ,  des  ou- 
trages qu'il  prétend  avoir  reçus,  et  de  ses  explica- 
tions. C'est  lui  qui  nous  agace  de  gaieté  de  cœur  ; 
mais  nous  voulons  être  les  plus  sages,  et  le  traiter 
avec  toute  sorte  d'honnêteté  et  de  douceur.  On  m'as- 
sure que  sur  leproèra^  qui,  dans  le  fond,  attaque 
plus  le  bref  que  nous,  puisque  nous  n'avons  rien  dit 
de  son  livre  que  ce  que  le  saint  Siège  en  a  décidé , 
il  a  dit  qu'il  m' avoit  en  vue,  lorsqu'il  écrivoit  ce 
mot ,  parce  que  je  l'ai  nommé  le  Montan  de  la 
Friscille.  Mais  je  me  suis  assez  expliqué.  Ni  Eusèbe 


52  2  LETTRES 

de  Cesarée,  et  les  auteurs  qu'il  cite,  ni  saint  Epi- 
phane ,  ni  saint  Jérôme,  ni  saint  Augustin,  ni  Phi- 
lastrius,  n'accusent  Montan  d'autre  commerce  avec 
les  fausses  propliétesses  ,  que  de  celui  d'une  fausse 
spiritualité.  Au  surplus  ,  je  lui  ai  fait  faire  des  hon- 
nêtetés depuis  la  censure ,  auxquelles  il  n'a  pas  ré- 
pondu un  seul  mot.  D'autres  personnes  ont  voulu 
s'entremettre  entre  ses  amis  et  moi  :  j'ai  répondu 
très-honnêtement,  comme  je  ferai  toujouré. 

Le  père  de  la  Ferté  a  été  relégué  à  Blois,  avec 
défense  de  prêcher,  à  ce  qu'on  prétend,  pour  avoir 
parlé  en  chaire  très -ouvertement  contre  le  Roi  et 
madame  de  Maintenon. 

J'embrasse  M.  Phelippeaux.  Venez  vite.  Ma  santé 
est  bonne,  Dieu  merci. 

A  Paris,  ce  i.*'"iuin  1699. 


>.«/«/«  «/«/«* 


LETTRE  CCCCLXXXV. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  assemblées  tenues  pour  la  réceplion  du  décret  contre  M.  do 
Cambrai;  TafFaire  du  cardinal  de  Bouillon  avec  Tambassadeur 
de  l'Empereur  j  l'entretien  que  l'abbé  Bossuet  avoit  eu  à  ce  sujet 
avec  le  Pape. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire ,  du  1 1  mai.  Votre  assemblée  n'étoit  pas 
encore  faite  ;  mais  par  un  courrier  extraordinaire 
nous  avons  appris  ce  qui  s'y  éloit  passé,  et  les  réso- 
lutions prises,  conformes  aux  intentions  de  Sa  Ma- 
jesté, marquées  par  sa  lettre.  Les  mandemens  qu'on 
doit  donner  dans  chaque  diocèse,  produiront  leur 


s  un   l'affaire    du    QUIÉTISME.  523 

effet  et  suppléeront  à  tout.  Je  puis  vous  assurer  que 
les  cardinaux  approuvent  fort  les  mesures  qu'on  a 
prises  en  France,  pour  procurer  de  Tautlienticité  à 
la  constitution.  Cela  ne  fait  pas  ici  la  moindre  dif- 
ficulté, quoiqu'ils  aient  bien  senti  que  l'Kglise  de 
France  autorisoit  par-là  l'article  de  la  déclaration, 
nïsi  Ecclesiœ  consensus  accesserit.  Quelques-uns  me 
l'ont  dit,  et  on  commence  ici  à  ne  pas  trouver  cette 
doctrine  si  affreuse  :  il  n'y  a  que  manière  de  la  leur 
présenter. 

Le  Pape  est  disposé  de  même,  je  vous  en  réponds, 
et  il  reçoit  à  merveille  tout  ce  que  je  lui  dis  là- 
dessus. 

Quoiqu'on  attende  à  présent  M.  de  Monaco  de 
jour  en  jour ,  ayant  envoyé  quérir  les  galères  à 
Marseille  dès  le  i5  de  mai,  et  une  partie  de  ses  gens 
étant  déjà  arrivés  à  Civita-Veccliia ,  j'ai  cru  ne  de- 
voir pas  tarder  plus  long-temps  les  démarches  né- 
cessaires sur  l'affaire  de  mon  induit.  J'ai  travaillé 
depuis  trois  semaines  à  bien  disposer  en  général  le 
Pape  et  le  cardinal  Panciatici  à  me  vouloir  renvoyer 
content.  J'ai  cru  trouver  la  conjoncture  favorable, 
et  j'ai  rendu  ce  matin  votre  lettre  et  celle  de  M.  le 
cardinal  de  Janson  à  M.  le  cardinal  Panciatici ,  qui 
a  reçu  très-bien  ma  proposition ,  et  m'a  dit  de  par- 
ler au  Pape.  C'est  ce  que  j'ai  fait  aujourd'hui  ;  et  Sa. 
Sainteté  m'a  donné  des  marques  pariicUÎières  de 
bonté ,  m'assurant  qu'elle  désiroit  me  faire  plaisir 
ainsi  qu'à  vous.  Si  M.  le  cardinal  Dataire  n'empê- 
che le  succès,  je  puis  dire  que  je  suis  assuré  du  Pape. 
M.  le  cardinal  Casanate ,  à  qui  j'ai  rendu  votre 
lettre,  et  dont  je  vpus  envoie  la  réponse,  m'a  pro- 


52/f  LETTRES 


mis  de  faire  de  son  mieux  auprès  de  M.  le  cardinal 
Panciatici,  qui  est  son  grand  ami.  J'ai  rendu  aussi 
votre  lettre  au  cardinal  Spada,  qui  m'a  assuré  qu'il 
s'intéresseroit  pour  moi  auprès  de  Sa  Sainteté.  Nous 
saurons  ce  que  cela  aura  opéré.  Dans  le  cas  où  je 
verrois  que  l'on  feroit  difficulté  d'accorder  ma  de- 
m^ande,  j'aurois  recours  alors  à  M.  de  Monaco,  s'il 
étoit  arrivé  à  temps  :  mais  je  pense  que  dans  les  cir- 
constances présentes,  le  Pape  sera  bien  aise  de  me 
renvoyer  content ,  en  me  faisant  quelque  grâce. 

Je  souhaite  ardemment  voir  M.  de  Monaco  avant 
de  partir  ;  mais  j.e  ne  puis  m'arrêter  ici  au-delà  de 
la  semaine  prochaine  ;  et  je  compte  partir  le  lo  oa 
le  12,  au  plus  tard. 

Je  prends  congé  de  MM.  les  cardinaux,  tant  de- 
ceux  du  saint  Office,  que  des  autres,  et  ils  me  com- 
blent de  bontés. 

L'affaire  de  l'armement  des  ministres  (*) ,  fait  ici 
plus  de  fracas  que  jamais.  Le  Pape  témoigne  une* 
grande  indignation  contre  M.  le  cardinal  de  Bouillon, 
et  il  lui  a  refusé  audience  :  on  prétend  même  que 
le  Saint  Père  est  résolu  de  ne  le  plus  entendre.  S» 
Sainteté  envoya  quérir  avant-hier  M.  Poussin,  se- 
crétaire de  ce  cardinal ,  pour  lui  ouvrir  son  cœur. 
C'est  une  chose  publique  que  les  Autrichiens  ai- 
grissent infiniment  l'esprit  du  Pape;  et  le  Saint  Père, 
qui  craint  d'être  regardé  comme  trop  partial  pour 
la  France,  paroît  vouloir  prendre  feu  dans  cette 
occasion.  On  blâme  ici  généralement  la  manière  si 
publique  et  si  éclatante  dont  cette  affaire  a  été  con- 
duite ;  mais  on  ne  désapprouve  pas  que  M.  le  cardinal 

C*)  Celle  qui  est  rapportée  dans  la  lettre  cccclsxxiii. 


SUR  l'affaire  djj  quiétisme.  5:^5 

ait  voulu  être  le  plus  fort  en  cas  d'attaque  :  on  sou- 
haiteroit  seulement  que  les  précautions  qu'il  prenoit 
eussent  eu  moins  de  publicité'.  Ce  que  je  puis  dire, 
c'est  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'est  pas  heu- 
reux, et  qu'il  est  mal  servi. 

Sa  Sainteté  voudroit  bien  que  le  Roi  ne  se  fâ'chât 
pas  du  refus  d'audience  qu'il  fait  à  M.  le  cardi- 
nal de  Bouillon.  Elle  a  demandé  plusieurs  fois  de 
mes  nouvelles  ,  ces  jours  passés ,  à  M.  Aquaviva , 
son  maître  de  chambre,  et  à  monseigneur  Gozza- 
dini,  leur  disant  pourquoi  je  ne  l'allois  point  voir, 
et  s'informant  si  j'étois  parti  :  ils  m'en  ont  averti. 
J'ai  bien  vu  que  le  Pape  vouloit  un  peu  me  faire 
part  de  son  mécontentement.  J'ai  cru  devoir  préve- 
nir M.  le  cardinal  de  Bouillon  que  j'allois  aujour- 
d'hui aux  pieds  du  Pape  pour  recevoir  ses  ordres , 
afin  que,  d'après  ce  qu'il  me  feroit  savoir,  je  pusse 
parler  conformément  à  ses  intentions ,  et  lui  rendre 
ce  petit  service.  Il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  me  don- 
ner aucune  instruction.  J'ai  été  chez  le  Pape ,  qui 
m'a  parlé  plus  d'une  demi-heure ,  presque  les  larmes 
aux  yeux ,  sur  ce  qui  venoit  de  se  passer ,  et  avec 
des  sentiraens  dignes  d'admiration  pour  le  Roi.  Il 
m'a  fait  l'honneur  de  m'entendre;  et  sans  aflecter  la 
.justification  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  je  lui  ai 
dit  tout  ce  qui  étoit  possible ,  pour  l'empêcher  de 
prendre  un  engagement  qui  pût  déplaire  au  Roi, 
en  le  mettant  en  parallèle  avec  ses  ennemis.  J'ai 
insinué  que  le  refus  d'audience  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  comme  ministre  de  Sa  Majesté,  pourroit 
paroître  un  peu  outrageant  ;  et  j'ai  fait  connoître , 
que  dans  le  fond  M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'avoit 


526  LETTRES 

pas  eu  tort  de  se  mettre  en  état  de  défense,  pour 
que  ses  gens  ne  pussent  être  maltraités  par  ceux  de 
l'ambassadeur  de  l'Empereur,  qui  avoient  eu  l'in- 
solence de  le  faire  déjà  une  fois.  Je  puis  dire  que 
Sa  Sainteté  ne  m'a  pas  paru  si  aigrie  qu'elle  l'étoit 
au  commencement  :  elle  n'a  cessé  de  me  répéter 
qu'elle  craignoit  bien  que  le  Roi  ne  fût  pas  informé 
delà  vérité,  et  m'a  marqué  une  grande  impatience  de 
voir  M.  de  Monaco. 

Le  malheur  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  et 
dont  le  service  du  Roi  se  ressent,  c'est  qu'il  ne  mé- 
nage personne  pour  parler  au  Pape ,  tandis  que  les 
Autrichiens  ont  tous  les  jours  mille  gens  qui  le  font 
pour  eux;  et  c'est  une  espèce  de  miracle  que  le  Pape 
soit  naturellement  si  bien  disposé  en  faveur  de  la 
France.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  ne  sait  à  la  lettre 
OLi  il  en  est.  J'ai  été  lui  rendre  compte  de  ce  qui 
s'étoit  passé  entre  Sa  Sainteté  et  moi  :  il  m'a  fort  re- 
mercié. Pour  moi  je  sais  fort  bien  distinguer  le  mi- 
nistre d'avec  l'altesse.  C'est  ce  que  j'ai  pris  la  liberté 
de  dire  au  Pape,  qui  en  a  ri,  et  l'a  trouvé  fort  bon. 
Je  voudrois  que  dans  cette  occasion  il  prît  le  parti 
de  distinguer  l'un  d'avec  l'autre.  Je  vous  assure  qu'il 
n'est  pas  impossible  de  lui  faire  entendre  raison  là- 
dessus;  mais  j'ai  peur  qu'on  ne  s'y  prenne  mal.  Je 
ne  sais  pas  comment  on  agira  pour  concilier  les  es- 
prits :  je  crains  que  cette  affaire  ne  devienne  très- 
sérieuse,  si  l'on  n'y  apporte  un  prompt  remède.  Le 
cardinal  de  Bouillon  est  outré  contre  le  Pape;  et  le 
grand  motif  qui  anime  le  Pape,  c'est  le  mépris  public 
qu'on  fera  de  son  autorité  dans  Rome,  s'il  souffre  de 
pareilles  entreprises. 


SUR  l'affAthe  du  quiétisme.  527 

Sa  Sainteté  m'a  fort  parle  du  curé  de  Seurre,  et 
m'a  dit  qu'on  pourroit  découvrir  bien  des  choses  par 
lui  ;  ce  qui  m'a  donné  occasion  de  lui  parler  de  cette 
matière,  de  madame  Guyon  et  de  la  cabale  :  il  est 
à  présent  reso  capace  di  tutto. 

Dans  les  visites  de  congé  que  je  fais  aux  cardinaux , 
je  leur  insinue  qu'il  est  important  qu'on  défende  les 
explications  et  écrits  publiés  par  M.  de  Cambrai 
pour  la  justification  de  son  livre.  Je  démontre  la  né- 
cessité de  cette  prohibition,  d'une  manière  à  ne  pas 
recevoir  de  réplique  ;  et  je  fais  sentir  que  c'est  une 
conséquence  du  décret  prononcé.  Je  ne  désespère  pas 
qu'on  ne  fasse  quelque  chose  à  cet  égard,  surtout  si 
M.  le  nonce  en  parle. 

Au  reste,  vous  ne  pouvez  vous  imaginer  la  mau- 
vaise humeur,  pour  ne  rien  dire  de  plus,  que  le  car- 
dinal de  Bouillon  a  témoignée,  en  apprenant  la  ré- 
ponse de  M.  le  grand  duc  sur  M.  de  Madot.  Ce 
prince  plein  d'équité,  a  fait  savoir  à  ce  cardinal  qu'il 
vous  avoit  donné  sa  parole,  ainsi  qu'à  M.  de  Paris, 
de  prendre  à  son  service  ce  gentilhomme,  dont  on 
lui  répondoit,  et  qu'il  ne  pouvoit  honorablement  y 
manquer.  Cette  mortification,  jointe  au  refus  que 
l'ambassadeur  du  grand  duc  a  fait  de  lui  accorder  le 
titre  d'altesse,  a  grandement  aigri  l'esprit  du  cardi- 
nal de  Bouillon  contre  l'ambassadeur  et  son  maître. 
Ce  cardinal  est  résolu  de  se  venger  de  l'affront  qu'il 
prétend  lui  être  fait  en  sa  qualité  de  ministre  du  Roi. 
Il  est  bon  que  Sa  Majesté  en  soit  informée. 

Vous  ne  pouvez  vous  imaginer  l'impatience  que 
j'ai  de  partir  et  de  vous  revoir.  C'est  mon  unique 
affaire,  et  la  seule  qui  me  puisse  donner  de  la  joie. 


528  LETTRES 

M.  le  duc  de  Banvick  part  demain.  Le  Pape  a 
demandé  aux  cardinaux,  pour  les  pauvres  catholi- 
ques d'Angleterre,  quelques  secours  d argent  :  ils 
ont  accordé  le  revenu  de  six  mois  de  leurs  rétribu- 
tions. 

Rome,  ce  2  juin  169g. 


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LETTRE  CCCCLXXXVL 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  la  conduite  qu'avoit  tenue  M.  de  Cambrai  dans  rassemblée 
de  sa  province  j  et  sur  sa  soumission. 

Je  continue  à  vous  écrire  par  Florence ,  quoique 
je  pense  que  pour  avoir  l'honneur  de  voir  M.  l'am- 
bassadeur, vous  serez  à  Rome  plus  long-temps  que 
vous  ne  pensiez.  Vous  avez  vu,  par  mes  précédentes, 
le  résultat  de  l'assemblée  de  Cambrai,  où  cet  arche- 
vêque a  prononcé  à  la  pluralité  des  voix,  que  le  Roi 
seroit  supplié  de  supprimer  ses  écrits.  Il  a  voulu  spé- 
cifier qu'il  prononçoit  ainsi  contre  son  avis.  Quant 
à  sa  soumission,  il  y  auroit  beaucoup  de  choses  à 
dire;  mais  on  a  voulu  être  content,  et  ne  prendre 
pas  garde  si  les  discours  étoient  bien  suivis.  On  a  été 
étonné  de  M.  d'Arras,  qui,  seul  de  tous  les  évêques 
de  France ,  a  témoigné  ne  pas  approuver  ce  que  di- 
sent tous  les  autres  du  royaume,  quoiqu'il  soit  pris 
de  mot  à  mot  des  procès-verbaux  des  assemblées  du. 
clergé. 

Nous  vous  attendons  avec  impatience.  Je  ne  sais 
si  je  vous  ai  mandé  la  mort  funeste  de  l'abbé  de  la 

Châtre, 


SUR    l'affaire    du    QUIÉTISME.  S'iQ 

Châtre,  par  une  chute  de  carrosse.  Sa  charge  est 
donnée  à  l'abbé  de  Sourches. 

A  Meaux,  ce  7  juin  1699. 

LETTRE   CCCCLXXXVII. 

DE  BOSSUET  A  SON   NEVEU. 

Sur  le  bref  du  Pape  à  M.  de  Cambrai  j  et  la  forme  d^acceplatioû 
du  décret  contre  sou  livre. 

Je  n'ai  reçu  que  ce  malin  votre  lettre  de  Rome, 
du  19  mai.  Nous  avons  vu  le  bref  adressé  à  M.  de 
Cambrai,  le  12  mai,  en  réponse  à  la  lettre  de  ce 
prélat,  qui  accompagnoit  son  mandement.  Ainsi  il 
n'est  fait  nulle  mention  de  celle  du  4  avril ,  qui  le 
promettoit  seulement,  et  que  vous  m'avez  envoyée. 
Il  faut  qu'on  ait  jugé  que  la  seconde  lettre  étoit  plus 
digne  de  réponse,  que  celle  où  il  étoit  parlé  de  V in- 
nocence j  etc.  Le  temps,  peut-être,  nous  en  instruira 
davantage.  Le  bref,  tel  qu'il  est,  ne  dit  rien  du  tout, 
dont  M.  de  Cambrai  puisse  tirer  avantage.  Il  est  fort 
sec,  et  ne  loue  précisément  que  son  obéissance  et 
sa  soumission  à  vouloir  être  instruit,  et  recevoir  la 
parole  de  vérité  de  l'Eglise  mère  et  maîtresse. 

Si  l'on  a  quelque  jalousie  à  B-ome  de  l'autorité 
qu'on  donne  aux  évêques,  elle  pourra  augmenter, 
lorsqu'on  verra  la  manière  dont  elle  a  été  exercée  ; 
mais  enfin,  on  n'a  fait  que  répéter  ce  qui  avoit  été 
pratiqué  par  nos  prédécesseurs.  M,  le  nonce  a  paru 
content.  Il  ne  m'a  point  dit  qu'il  eût  ordre  de  parler 
en  votre  faveur  à  celte  Cour,  ni  de  témoigner  qu'oix 

BosSUET.    XLII.  3f 


53o  LETTRES 

fût  content  de  vous  en  celle  de  Rome.  Il  m'a  seule- 
ment promis  d'en  parler  dans  roccasion,  sans  me 
dire  qu'il  en  eût  ordre,  et  m'a  fait  mille  remercî- 
mens  de  Ja  manière  dont  vous  vous  étiez  exprimé  à 
son  sujet  auprès  de  Sa  Sainteté  et  de  ses  ministres. 

Je  vous  envoie  à  toute  fm  le  procès-verbal  de  Cam- 
brai :  vous  devez  avoir  reçu  le  nôtre  :  M.  de  Rheims 
vous  a  envoyé  le  sien.  Vous  y  verrez,  bien  exprimé, 
que  le  consentement  des  évêques  aux  constitutions 
apostoliques ,  est  réellement  un  acte  d'autorité  qui 
exclut  l'obéissance  aveugle ,  qui  ne  convient  à  per- 
sonne, et  encore  moins  à  ceux  qui  sont  par  leur 
caractère  docteurs  de  l'Eglise.  N'entrez  point  dans 
tout  ce  détail ,  et  assurez  seulement  en  général  que 
les  évêques  ont  intention  de  rendre  au  saint  Siège 
le  respect  qui  lui  est  dû.  On  ne  fera  pas  seulement 
semblant  ici  qu'on  craigne  d'avoir  déplu,  pour  peu 
que  ce  soit. 

A  Meaux,  ce  8  juin  169g. 


LETTRE  CGCCLXXXVIII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  le  procés-verbal  de  l'assemblée  provinciale  de  Paris  ;  et  le 
mécontentement  qu  avoit  le  Pape  du  cardinal  de  Bouillon. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  de  Paris,  le  18  mai.  Je  suis  ravi  du  bon 
succès  et  des  résolutions  de  votre  assemblée.  Je  n'ai 
communiqué  à  qui  que  ce  soit  le  procès-verbal  que 
vous  m'avez  envoyé  :  j'ose  vous  dire  que  j'en  suis 


SLR  l'affaire  du  quiétisme.  53i 

très-content.  Ce  sont  des  évêques  qui  parlent,  et  qui 
savent  ce  qu'ils  doivent  à  leur  caractère  et  au  saint 
Sie'ge.  On  sentira  bien  ici  ce  que  les  évêques  veulent 
dire;  mais  comme  ils  suivent  les  traces  de  leurs  an- 
cêtres ,  et  témoignent  beaucoup  de  respect  pour  la 
personne  du  Pape  et  pour  le  saint  Siège,  on  ne 
soufflera  pas.  M.  larchevêque  s'est  fait  un  honneur 
immortel,  et  toute  la  province  s'est  acquis  beau* 
coup  de  gloire,  par  les  délibérations  formées  dans 
son  assemblée.  Rien  n'est  plus  sage,  ni  mieux  en- 
tendu, ni  plus  ecclésiastique  et  plus  régulier.  La 
précaution  de  faire  chacun  un  mandement  simple , 
sans  s'étendre,  plaira  ici  infiniment,  et  elle  est  trè£- 
sage.  Cela  n'empêchera  pas  dans  la  suite  les  évêques 
de  donner  les  instructions  qu'ils  jugeront  nécessaires 
à  leurs  peuples  ;  mais  il  s'agit  à  présent  de  finir  cette 
affaire,  et  de  ne  point  disputer.  Vous  aurez  vu,  par 
mes  lettres  précédentes,  combien  je  souhaitois  qu'on 
défendît  les  écrits  faits  pour  la  défense  du  livre 
condamné,  et  je  suis  ravi  de  la  résolution  prise  sur 
ce  point. 

Je  suis  impatient  de  savoir  ce  que  vous  aurez  dit 
de  la  lettre  de  M.  de  Cambrai  au  Pape,  et  des  ma- 
nœuvres qu'on  a  employées  ici  pour  lui  procurer 
un  bon  succès.  L'affaire  est  finie,  il  n'en  faut  plus 
parler.  Mais  il  n'a  pas  tenu  à  la  cabale  qu'il  n'y  eût 
une  queue,  et  c'est  encore  à  quoi  tendent  toutes  ses 
intrigues  ;  mais  on  y  sera  attentif  plus  que  jamais. 

J'attendrai  encore  cette  semaine  M.  de  Monaco, 
qui  devroit  être  arrivé,  et  qu'on  espère  voir  de  jour 
en  jour.  Mais  après  ce  délai,  je  pars  sans  retard 
la  semaine  prochaine. 


532  LETTRES 

M.  le  cardinal  Panciatici  m'a  conseillé  de  voir  le 
Pape  encore  une  fois,  et  de  lui  renouveler  ma  de- 
mande de  l'induit.  Sa  Sainteté  est  fort  bien  disposée 
pour  moi  ;  mais  elle  appréhende  les  conséquences, 
parce  que  tout  le  monde  pourroit  solliciter  de  pa- 
reilles grâces,  qu'elle  a  peine  à  accorder,  et  qu'elle 
a  refusées,  non-seulement  à  M.  de  Rheims,  mais  à 
beaucoup  d'autres.  Le  cardinal  Panciatici  m'a  pour- 
tant dit  qu'il  falloit  que  je  la  pressasse,  et  qu'il  me 
serviroit  de  son  mieux  :  cela  me  fait  bien  augurer. 
Je  suis  persuadé  que  si  M.  de  Monaco  arrivoit  à 
temps,  et  que  je  fusse  encore  à  Rome,  le  Pape  ne 
feroit  aucune  difficulté  de  m'accorder  cette  grâce. 
Mais  je  veux  savoir  cette  semaine  à  quoi  m'en  tenir. 
Je  tâcherai  d'obtenir  ma  demande  sans  le  secours  de 
M.  l'ambassadeur.,  Si  je  ne  le  puis,  je  laisserai  les  choses 
dans  un  tel  état,  que  M.  de  Monaco  pourra  toujours 
faire  de  nouvelles  instances,  s'il  le  veut  bien.  Je  ne 
puis  m'empêcher  d'espérer  tout  de  la  bonté  du  Pape. 

Je  vous  prie  de  bien  remercier  M.  le  cardinal  de 
Janson,  qui  a  bien  voulu  m'envoyer  une  seconde 
lettre  pour  M.  le  cardinal  Panciatici.  C'est  à  pré- 
sent qu'on  sent,  plus  que  jamais,  la  perte  qu'on  a 
faite  ici  au  départ  de  M.  le  cardinal  de  Janson.  Le 
Pape  et  les  cardinaux  le  témoignent  hautement,  et 
avec  des  expressions,  qui  font  bien  voir  de  quelle 
estime  toute  cette  Cour  est  pénétrée  pour  cette  Emi- 
nence.  Tout  ce  que  je  pourrois  vous  en  dire,  n'ap- 
proclieroit  pas  de  l'expression  (Je  ces  sentimens.  3'ai 
reçu  une  lettre  de  M.  le  nonce,  très-honnête  et  très- 
obligeante  :  on  ne  pense  plus,  si  je  ne  me  trompe, 
a  le  rappeler. 


St'R    L'.AFFAtllE    DU    QUIÉTISME.  63^ 

Sa  Sainteté  continue  à  refuser  audience  à  M.  le 
cardinal  de  Bouillon,  et  paroît  toujours  irritée  contre 
lui  :  elle  attend  avec  plus  d'impatience  que  per- 
sonne M.  de  Monaco.  Néanmoins  on  croit  que  ce 
refus  ne  durera  pas  long- temps,  et  que  le  Pape  fera 
céder  son  ressentiment  à  Festime  et  à  Tamitié  infinie 
quïl  a  pour  le  Roi ,  et  qu'il  distinguera  le  ministre 
d'avec  la  personne,  pour  laquelle  il  a  un  mépris  sou- 
verain. C'est  le  parti  que  l'on  tâche  de  lui  insinuer. 
Entre  nous,  j'y  travaille  plus  que  personne;  et  comme 
non  suspect,  on  me  croit  un  peu.  Le  Pape  souhai- 
toit  fort  que  l'on  fût  contre  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
en  tout  :  mais  on  a  cru  devoir  prendre  un  parti  mi- 
toyen ,  qui  est  le  plus  sage  et  le  plus  convenable  ;  et 
au  lieu  d'aigrir  le  Pape ,  de  chercher  à  adoucir  son 
esprit. 

Il  faut  néanmoins  avouer  que  le  Pape  a  toutes 
sortes  de  raisons  de  se  plaindre  du  cardinal  de  Bouil- 
lon ,  qui  a  manqué  de  sens  dans  la  conduite  qu'il  a 
tenue,  et  qui  a  agi  plutôt  par  vanité  et  ostentation, 
que  par  nécessité  ;  car  il  est  certain  que  l'ambassa- 
deur de  l'Empereur  n'avoit  pas  armé.  Ainsi  le  car- 
dinal Ta  fait  sans  égard ,  sans  circonspection  et  sans 
nécessité.  Il  auroit  pu,  dans  la  crainte  de  quelque 
insulte,  être  sur  ses  gardes;  mais  la  manière  dont 
il  l'a  fait,  est  des  plus  pitoyables,  et  très-injurieuse 
pour  la  personne  et  l'autorité  du  prince.  La  preuve 
qu'on  a  que  l'ambassadeur  de  l'Empereur  n'àvoit 
point  armé,  c'est  que  le  gouverneur  de  Rome,  qui 
est  ennemi  déclaré  de  ce  ministre ,  et  qui  sait  tout 
ce  qui  se  passe  dans  Rome,  en  a  assuré  le  Pape.  Je 
le  sais  de  l'un  et  de  l'autre,  à  n'en  pouvoir  douter  : 


534  LETTRES 

par  conséquent  le  cardinal  de  Bouillon  n'avoit  au- 
cun motif  pour  faire  un  si  grand  e'clat,  et  causer 
tant  de  rumeur. 

J'espère  que  M.  Tabbé  Péquigni  sera  toujours  de 
nos  amis. 

Rome,  ce  9  juin  1699. 

MÉMOIRE 

DE  BOSSUET  A  LOUIS  XIV, 

SuP  un  ordre  envoyé  à  l'abbé  Bossuet  par  le  cardinal 
de  Bouillon, 

Là  peine  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et  des 
autres  amis  de  M.  de  Cambrai ,  à  voir  Tabbe'  Bossuet 
à  Rome  en  état  de  nous  avertir  de  ce  qui  se  passoit, 
a  paru  par  trop  d'endroits  pour  n'être  pas  remar- 
quée. On  se  servit,  pour  l'intimider  et  l'obliger  à 
sortir  de  Rome,  delà  noire  calomnie,  dont  les  in- 
venteurs ont  été  si  visiblement  confondus  par  le  té- 
moignage de  tout  Rome.  Depuis,  dans  le  temps 
qu'on  vouloit ,  non  pas  hâter ,  mais  étrangler  et 
précipiter  l'affaire,  M.  le  cardinal  de  Bouillon  a 
mandé  que  l'abbé  Bossuet  proposoit  des  retardemens, 
ce  qui  ne  s'est  pas  trouvé  véritable  ;  et  on  ne  répète 
pas  ce  qu'il  a  eu  à  essuyer  de  mauvais  offices,  pour 
les  soins  qu'il  a  eus  de  nous  avertir. 

Ce  n'étoit  pas  p^tr  curiosité  que  nous  désirions 
d'être  informés;  c'étoit  pour  en  rendre  compte  au 
Roi,  et  parce  que  ces  avis   fidèles  donnoient  le 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  535 

moyen  de  prévenir  les  difficultés,  qui  naissoient  à 
chaque  pas  dans  cette  affaire. 

Quand  le  jugement  a  paru,  il  n'étoit  pas  moins 
nécessaire  que  nous  fussions  bien  instruits  des  dispo- 
sitions de  la  Cour  de  Rome  ;  parce  qu'il  falloit  les 
savoir ,  pour  prendre  des  mesures  justes  dans  l'exé- 
cution. Ainsi  l'abbé  Bossuet  nous  dépêcha  selon  sa 
coutume  j  et  à  cette  dernière  occasion,  ce  fut  M.  de 
Madot,  un  de  ses  amis,  qui  vint  nous  apporter  la 
nouvelle. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  éclata  à  cette  fois  avec 
emportement,  et  ses  amis  répandirent  à  Rome  qu'il 
feroit  assassiner  ce  gentilhomme,  s'il  osoit  jamais  y 
retourner.  Mais  n'osant  dire  qu'il  lui  sût  si  mauvais 
gré  d'être  parti  à  la  prière  de  l'abbé  Bossuet  pour 
nous  apporter  les  nouvelles ,  il  prit  pour  prétexte 
de  son  indignation ,  que  ce  gentilhomme  avoit  pro- 
mis d'arriver  à  Paris  avant  le  courrier  que  ce  car- 
dinal dépêchoit  au  Roi  :  à  quoi  non-seulement  on 
n'avoit  point  songé,  mais  on  ne  pouvoit  même  pas 
le  faire,  puisque  M.  de  Madot  nétoit  parti  que 
quinze  ou  vingt  heures  après  ce  courrier  dépêché  au 
Roi.  Ainsi  cette  circonstance  ajoutée  au  fait ,  n'étoit 
que  le  prétexte  du  véritable  sujet  de  la  colère  de 
M.  le  cardinal ,  qui  en  effet  étoit  fâché  qu'on  nous 
avertît. 

Ce  gentilhomme  retourné  à  Rome  le  22  de  mai , 
alla  dîner  chez  l'abbé  Bossuet,  qui  le  mena  chez  le 
père  Roslet,  Minime,  à  qui  il  avoit  des  lettres  à 
rendre  de  M.  l'archevêque  de  Paris  ,  et  de  là  sur  le 
soir  chez  madame  la  princesse  des  Ursins ,  où  se 
trouvent  tous  les  Français  ,  et  dont  il  est  serviteur. 


536  LETTRES 

Cependant  M.  le  cardinal  de  Bouillon  ayant 
voulu  croire  que  l'abbë  Bossuet  le  logeoit  chez  lui  (*) , 
ce  qui  n'étoit  pas,  puisqu'il  avoit  un  autre  logis 
arrêté,  a  fait  à  cet  abbé  TafFront  de  lui  envoyer  , 
sous  le  nom  de  conseil,  Tordre  dont  on  a  joint  la 
copie  ;  et  pour  le  faire  avec  tout  l'éclat  qu'il  souhai- 
toit,  il  fit  chercher  partout  Rome  M.  Poussin,  secré- 
taire de  l'ambassade,  à  qui  il  commanda,  devant 
douze  ou  quinze  personnes ,  de  trouver  ,  à  quelque 
lieure  que  ce  fût ,  l'abbé  Bossuet ,  pour  lui  faire  sa- 
voir ce  qu'il  lui  prescrivoit  avec  tant  de  hauteur  et 
de  menaces. 

Le  lendemain  l'abbé  Bossuet  se  rendit  chez  M.  le 
cardinal ,  pour  lui  représenter ,  avec  le  respect  dont 
il  n'a  jamais  manqué  envers  lui,  qu'il  auroit  pu  lui 
épargner  l'affront  de  lui  envoyer  un  tel  ordre  avec 
tant  d'éclat,  puisqu'il  étoit  vrai  qu'il  n'avoit  jamais 
logé  M.  de  Madot ,  et  qu'il  n' avoit  point  à  en  ré- 
pondre. Voilà  pour  ce  qui  regarde  l'abbé  Bossuet. 

Pour  ce  qui  touche  M.  de  Madot ,  c'est  un  mal- 
heureux gentilhomme ,  qui ,  ayant  toujours  été 
avec  honneur  dans  le  service,  s'est  vu  contraint  de 
se  réfugier  à  Rome  depuis  trois  ou  quatre  ans ,  pour 
une  rencontre  qu'on  a  qualifiée  de  duel ,  en  atten- 
dant qu'il  pût  se  justifier  et  rentrer  dans  les  bonnes 
grâces  du  Roi. 

Il  n'a  jamais  voulu  prendre  de  parti  avec  les  en- 
nemis de  son  maître ,  et  s'est  donné  à  la  fin  à  M.  le 
grand  duc,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  le  bonheur  d'éclaircir 
sa  malheureuse  affaire.  Dans  la  peine  de  trouver 
quelqu'un  qui  se  chargeât  des  dépêches  de  l'abbé 

(*)  II  n'y  a  jamais  logé. 


SUR  l'afpaike  du  quiétisme.  537 

Bossuet,  il  avoit  été  obligé  de  le  dépêcher.  Il  est 
demeuré  sous  un  autre  nom  chez  Févêque  de  Meaux, 
et  n'a  vu  que  M.  le  cardinal  de  Janson,  qui  le  con- 
noissoit  de  Rome  comme  un  homme  de  mérite,  et 
M.  larchevêque  de  Paris,  sur  qui  l'évéque de Meaux 
s'est  reposé,  pour  dire  sur  ce  sujet  à  Sa  Majesté  ce 
qu'il  trouveroit  nécessaire. 

Il  est  demeuré  à  Rome  quatre  ou  cinq  jours  seu- 
lement, pour  quelques  affaires  dont  il  y  étoit  chargé. 
Si  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  comme  ministre  du 
Boi ,  lui  eût  ordonné  de  partir  plus  tôt,  il  l'eût  fait  ; 
car  il  a  trouvé  moyen  de  lui  faire  dire  qu'il  seroit 
parti  à  l'instant,  toujours  prêt  à  respecter  jusqu'à 
l'ombre  de  l'autorité  de  son  Roi.  Cet  ordre  lui  étant 
refusé,  il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  s'ébranler  des 
menaces  ;  et  ses  affaires  finies  dans  le  moins  de 
temps  qu'il  a  pu,  il  s'est  rendu  à  Florence,  aux 
ordres  de  M.  le  grand  duc.  M.  le  cardinal  continue 
à  le  poursuivre  dans  cette  Cour ,  et  le  menace  de 
le  perdre  auprès  de  ce  prince,  ne  voulant  laisser 
aucun  asile  à  un  malheureux,  dont  tout  le  crime  est 
de  nous  avoir  apporté  des  nouvelles ,  que  nous 
avions  raison  de  souhaiter. 

Cependant  on  peut  assurer  qu'il  est  homme  de 
cœur  et  de  service,  bien  connu  pour  tel  par  les 
plus  honnêtes  gens  de  la  Cour,  parmi  lesquels  je 
nommerai  M.  de  Chaseron,  qui  en  a  parlé  avec 
distinction. 

L'évéque  de  Meaux  espère  que  Sa  Majesté,  dai- 
gnant écouter  ces  faits,  n'improuvera  pas  la  con- 
duite de  l'abbé  Bossuet ,  et  qu'il  paroîtra  que  les 
menaces  de  M.  le  Cardinal  de  Bouillon  ne  sont  ni 


538  LETTRES 

justes  ni  généreuses  j  que  ses  hauteurs  sont  à  contre- 
temps, et,  si  on  ose  ajouter  ce  mot,  un  peu  petites. 

Ce  Mémoire  devoit  être  présenté  au  Roi.  Bossuet  Ten- 
voya  à  madame  de  Maintenon,  qu'il  pria,  par  le  billet 
suivant,  de  l'appuyer  auprès  de  Sa  Majesté. 

M.  le  marquis  de  Torcy  a  été  instruit  par  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  (*) ,  des  honnêtetés  qu'il  a  faites 
à  Tévêque  de  Meaux  sur  le  sujet  de  l'abbé  Bossuet. 
C'est  pourquoi  on  a  été  obligé  de  l'instruire  de  cette 
affaire ,  afin  qu'il  en  pût  rendre  compte  à  Sa  Majesté. 
Mais  on  a  cru  qu'on  devoit  ici  circonstancier  davan- 
tage les  choses,  afin  qu'il  vous  plût.  Madame,  pré- 
venir plus  efficacement  les  mauvais  offices. 

•}•  J.  BÉNIGNE,  évéque  de  Meaux. 

A  Meaux,  le  12  juin  1699. 

Madame  de  Maintenon  répondit  par  le  billet  suivant  : 

J'ai  fait  voir  au  Roi ,  Monsieur,  tout  ce  que  vous 
m'avez  envoyé.  Il  m'ordonne  de  vous  assurer  que 
M.  votre  neveu  n'a  à  craindre  aucun  mauvais  office. 
On  trouve  seulement  qu'il  a  eu  tort  de  se  servir 
d'un  homme  accusé  d'un  duel.  Je  suis,  Monsieur,  à 
mon  ordinaire,  votre  très-humble  et  très-obéissante 

'^^^v^"^^>  Maintenon. 

2  9 /wm  1699. 

(*)  Lettre  de  ce  cardinal  à  M.  de  Meaux,  du  7  avril  1699. 


suK  l'affaire  du  quiétisme.  539 

LETTRE  CCCCLXXXIX. 

DE  UABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  le  mécontentement  qu'on  avoit  à  Rome  des  délibérations  des 
évêques,  relatives  au  bref  du  Papej  et  l'entreiien  que  Tabbé 
Bossuet  avoit  eu  à  ce  sujet  avec  le  cardinal  Casanate. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  Fhonneur 
de  m'e'crire  de  Versailles,  du  25  mai. 

On  reçut  enfin,  samedi  i3,  nouvelle  sûre,  que 
M.  de  Monaco  e'toit  arrivé  le  10  à  Gênes  ;  cela  étant, 
on  l'attend  d'heure  en  heure.  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  et  madame  la  princesse  des  Ursins  ont 
envoyé  leurs  carrosses  au-devant  de  lui  à  Civita- 
Vecchia.  On  ne  doute  pas  qu'il  n'arrive  cette  se- 
maine, et  il  peut  paroître  à  tout  moment.  Tout 
veut  que  je  l'attende  ;  mais  aussitôt  que  je  l'aurai 
vu,   je  pars  sans  aucun  retardement. 

J'ai  reçu  trois  imprimés  des  procès-verbaux  de 
votre  assemblée ,  qui  m'ont  été  adressés  par  M.  Le- 
dieu.  Je  crois  pouvoir  vous  assurer  que  cette  Cour 
ne  sera  rien  moins  que  contente  du  personnage 
qu'y  font  les  évêques  ;  mais  je  suis  le  plus  trompé 
du  monde,  si  elle  ose  en  témoigner  de  la  peine,  au 
moins  publiquement.  Comme  j'ai  su  que  le  cardinal 
Spada  avoit  envoyé  ce  procès-verbal  de  la  part  du 
Pape  au  cardinal  Casanate,  j'allai  hier  chez  cette 
Eminence,  pour  voir  ce  qu'elle  m'en  diroit.  Elle 
l'avoit  lu  et  renvoyé  au  cardinal  Spada ,  avec  quel- 
ques notes  sur  les  endroits  qui  lui  paroissoient  les 
plus  délicats.  Généralement  cette  Cour  sent  le  coup, 


54o  LETTKES 

et  voit  réduit  en  pratique  le  nisi  Ecclesiœ  consensus 
accesseritj,  du  quatrième  article  de  l'assemblée 
de  1682. 

Le  cardinal  Casanate  me  dit  franchement  qu'il 
avoit  cru  que  les  évêques  ne  parleroient  pas  si  for- 
tement, et  che  il  negozio  anderebbe  piu  piano;  c'est- 
à-dire,  qu'on  ne  diroit  rien  qui  pût  faire  de  la  peine 
à  cette  Cour.  Je  le  fis  entrer  dans  le  particulier  des 
points  qu'il  pouvoit  trouver  repréliensibles ,  et  il  ne 
put  me  citer  que  deux  endroits  :  l'un,  où.  l'on  dit 
que  «  les  évêques  ne  doivent  point  être  réputés  sim- 
»  pies  exécuteurs  des  jugemens  des  papes  »  ;  et  l'au- 
tre, page  suivante,  où  il  est  dit  des  décrets  des 
papes,  «  qu'étant  suivis  du  consentement  de  toute 
»  l'Eglise,  ils  ont  entièrement  fini  les  questions.  Par 
»  où,  dit-il,  on  semble  rappeler  le  quatrième  article 
»  de  l'assemblée  de  1682,  nisi  Ecclesiœ  consensus 
»  accesserit  » . 

Il  ne  me  fut  pas  difficile  de  justifier  ces  deux  en- 
droits, ainsi  que  l'esprit  qui  a  dirigé  à  cet  égard  le 
procès-verbal;  et  après  avoir  établi  que  les  évêques, 
hors  des  conciles  généraux  et  dans  les  conciles  gé- 
néraux, sont  véritables  juges  des  matières  de  foi,  il 
ne  put  pas  raisonnablement  disconvenir  de  la  con- 
séquence, qu'ils  ne  dévoient  pas  être  réputés  simples 
exécuteurs,  etc.  Mais  il  n'eut  rien  à  me  répondre , 
quand  je  lui  fis  voir  qu'on  ne  recevroit  pas  avec 
plus  de  soumission  et  de  respect,  et  d'une  autre 
manière,  un  décret  d'un  concile  général  convoqué 
par  le  Pape,  où  le  Pape  auroit  présidé,  et  auquel 
l'Eglise  de  France  n'auroit  pas  assisté;  qu'en  ce  cas 
l'acceptation  de  l'Eglise  de  France  seroit  nécessaire, 


sur.  l'affaire  du  quiétisme,  54 i 

et  qu'alors  les  ëvêques  seroient  aussi  bien  juges  de  la 
foi  et  de  la  conformité  des  décrets  avec  la  tradition, 
que  s'ils  prononçoient  dans  le  concile. 

Quant  au  consentement  de  l'Eglise ,  qui ,  sans 
concile  général,  finissoit  les  affaires,  je  lui  montrai 
que  c'étoit  un  fait  appuyé  sur  des  exemples  fameux, 
comme  celui  de  la  condamnation  de  l'hérésie  de  Pe- 
lage ,  qui  avoit  fait  dire  à  saint  Augustin ,  après 
l'acquiescement  des  églises  dispersées  au  jugement 
des  évêques  d'Afrique  et  du  Pape  :  Causa  Jînita  est. 
Enfin  je  lui  représentai  que  les  évêques  de  France 
n'avoient  fait  que  suivre  pied  à  pied  la  conduite  de 
leurs  prédécesseurs. 

Il  convint  avec  moi  du  droit  des  évêques  de  juger 
en  première  instance.  Mais  ce  qui  fait  de  la  peine 
ici,  c'est  que  les  évêques  yettilîent  juger  après  la  dé- 
cision du  Pape,  ce  qui  est,  dit-on,  une  marque  de 
supériorité.  Je  lui  demandai  si  les  évêques,  dans  les 
conciles  généraux,  n'étoient  pas  de  vrais  juges, 
quoique  les  papes  eussent  prononcé  sur  la  matière 
contestée;  et  c'est  à  quoi  on  ne  sauroit  répondre 
que  du  verbiage.  Il  m'avoua  à  la  fin  que  le  tout  pou- 
voit  passer,  et  étoit  fait  avec  grande  adresse;  mais 
qu'il  savoit  qu'on  vouloit  s'alarmer  là -dessus,  et 
qu'il  l'empêcheroit  de  tout  son  possil)le.  Je  l'en  ai 
supplié,  et  il  m'a  paru  très-bien  disposé. 

Il  faut  avouer  que  dans  cette  Gour,  durus  est  hic 
sermo.  Mais  il  faut  qu'ils  le  passent,  par  la  raison 
qu'on  ne  peut  rien  faire  contre  la  vérité,  et  qu'ils 
craignent  le  clergé  de  France. 

Cette  circonstance  ne  m'est  pas  trop  favorable 
pour  la  grâce  que  je  demande. 


542  LETTRES 

Je  vis  samedi  le  Pape,  qui  m'accabla  d'honnêtete's, 
et  me  dit  les  choses  les  plus  obligeantes  pour  vous, 
mais  qui  me  parut  très-difficile  sur  le  fait  de  mon 
induit.  Il  m'a  dit  qu'il  y  penseroit  et  repenseroit. 
Franchement  je  crains  bien  de  ne  le  pouvoir  em- 
porter sans  M.  de  Monaco  ;  ce  sera  ma  dernière 
ressource.  Je  prendrai  dans  deux  jours  congé  de  Sa 
Sainteté,  et  verrai  ce  qui  en  est  et  ce  qu'on  en  peut 
attendre. 

Enfin  le  Pape  donna  audience  jeudi ,  au  sortir  du 
saint  Office,  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et  j'en  ai 
été  très-aise.  Je  sais  et  du  Pape  et  de  M.  Aquaviva , 
que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  lui  parla  un  peu 
durement.  Il  m'a  paru  que  Sa  Sainteté  avoit  été  très- 
mécontente  de  cette  Eminence  ;  mais  elle  a  bien 
foulu  user  d'indulgence,  par  amitié  pour  le  Roi, 
dont  M.  le  cardinal  de  Bouillon  est  ambassadeur. 
Quant  à  sa  personne,  on  ne  peut  pas,  je  vous  assure, 
en  être  plus  mal  satisfait  que  le  Pape  Test. 

On  m'a  averti  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
avoit  écrit  en  Cour,  que  j'avois  traversé  son  au- 
dience :  il  seroit  bien  ingrat  et  bien  méchant,  si  cela 
étoit.  Je  puis  assurer  que  j'ai  agi  tout  au  contraire, 
et  que  j'ai  pris  la  liberté  de  témoigner  au  Pape,  qu'il 
ne  pouvoit  rien  faire  de  plus  agréable  au  Roi ,  que 
de  recevoir  son  ministre.  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
m'a  fait  l'honneur  de  me  remercier  des  démarches 
qu'il  sait  que  j'ai  faites  dans  cette  affaire  ;  et  je  puis 
vous  assurer  que  ce  qui  a  le  plus  déterminé  le  Pape 
à  accorder  l'audience,  a  été  de  voir  que  tous  les 
Français,  même  ceux  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
n'aimoit  pas,  étoient  tous  réunis  à  lui  procurer  cette 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  543 

grâce,  et  tâchoient  d'engager  le  saint  Père  à  distin- 
guer le  ministre  du  cardinal. 

M.  Giori  n'oublie  aucun  bon  office  auprès  de  Sa 
Sainteté'  pour  obtenir  ma  grâce  j  mais  je  puis  vous 
assurer,  et  je  crois  m'y  connoître,  qu'elle  est  bien 
moins  disposée  pour  moi  à  présent,  qu'elle  l'étoit 
il  y  a  huit  jours.  Je  ne  fais  et  ne  ferai  point  sem- 
blant de  m'en  apercevoir. 

Rome,  ce  lôjuiu  1699. 


LETTRE    CCCCXC. 

DE  UABBË  PHELIPPEAUX  A  BOSSUET. 

Sur  le  procès  -  verbal  de  rasaemble'e  provinciale  de  Paris  j  deux 
écrits  déférés  à  l'Inquisition  j  et  Taffaire  du  curé  de  Seurre. 

Le  procès -verbal  de  rassemblée  provinciale  de 
Paris ,  est  également  plein  de  sagesse  et  de  science 
ecclésiastique  :  on  y  donne  à  Rome  tout  ce  qui  lui 
convient,  et  on  conserve  avec  force  et  avec  gravité 
l'honneur  de  l'épiscopat  et  les  libertés  fondamen- 
tales de  l'Eglise  de  France.  On  sent  bien  l'esprit 
qui  a  gouverné  cette  assemblée.  Par-là  M.  de  Cam- 
brai, aussi  bien  que  ses  adhérens,  demeurent  sans 
ressource  ;  l'erreur  est  bien  notifiée  à  tout  le  monde 
chrétien ,  et  rien  n'est  plus  éclatant  que  la  condam- 
nation de  son  livre. 

On  a  déféré  à  l'inquisition  le  Post  scriptum  (*) , 

C*)  Cet  écrit  a  pour  titre  :  Post  scriptum  de  la  seconde  Lettre 
d'un  Théologien  à  M.  Vévêque  de  Meaux ,  avec  des  remarques  sur 
le  nouveau  bref  du  Pape.  Il  est  rapporté  tout  entier  dans  la  Rela" 
tion  de  Tabbé  PhelippeauX;  IL  part.  p.  aSo. 


544  LETTRES 

contenant  des  remarques  sur  le  bref,  et  la  solution 
du  problème  ecclésiastique.  Je  ne  doute  nullement 
que  l'un  et  l'autre  ouvrage  ne  reçoivent  bientôt  la 
fle'trissure  qu'ils  méritent. 

Le  curé  de  Seurre  pourra  bien,  dans  la  suite, 
donner  un  spectacle  à  Rome  j  et  cette  Cour  demeu- 
rera persuadée  de  la  justice  du  procédé  des  trois 
évêques ,  et  de  la  nécessité  où  ils  éLoient  de  s'élever 
contre  cette  secte,  si  répandue  et  si  dangereuse. 

On  parle  diversement  de  l'audience  que  M.  le  car- 
dinal prétend  avoir  eue  du  Pape  le  jeudi  après  la 
congrégation  du  saint  Office,  tenue  devant  Sa  Sain- 
teté. On  attend  incessamment  M.  de  Monaco  :  il  est 
temps  qu'il  arrive  et  que  nous  partions.  Je  suis  avec 
un  profond  respect,  etc. 

Rome,  ce  i6  juin  1699. 

LETTRE  CCCCXCI. 

DE   BOSSUET  A   SON   NEVEU. 

Il  soubaile  qu'on  ménage  Tautorité  du  saint  Siège  j  et  approuve  la 
conduite  de  son  neveu  dans  TafFaire  du  cardinal  de  Bouillon. 

Votre  lettre  du  2  m'a  été  envoyée  ce  matin  par 
un  exprès  de  votre  frère,  par  lequel  je  réponds. 
Plus  Rome  est  raisonnable ,  plus  je  souhaite  qu'on 
la  ménage  et  qu'on  en  conserve  l'autorité,  oii  con- 
siste le  salut,  et  le  soutien  de  l'Eglise  et  de  la  ca- 
tholicité. 

J'attends  avec  impatience  le  succès  de  votre  de- 
mande pour  l'induit.  Les  lettres  que  m'ont  écrit  sur 

ce 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  545 

ce  sujet  M.  le  cardinal  Panciatici  et  M.  le  cardinal 
Gasanate,  en  réponse  aux  miennes,  sont  très-obli- 
geantes, particulièrement  celle  du  dernier. 

Je  suis  ravi  de  la  réponse  du  grand  duc ,  sur  le 
sujet  de  M.  de  Madot.  J  ai  instruit  amplement  sur 
cette  affaire,  et  j'ai  envoyé  des  mémoires  les  plus 
circonstanciés  que  j'ai  pu,  par  les  voies  les  plus 
efficaces. 

Vous  avez  bien  fait  de  parler  au  Pape  comme  vous 
avez  fait.  Je  rendrai  compte  de  tout,  et  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  doit  vous  être  fort  obligé.  Il  ne 
paroît  pas  qu'à  la  Cour  on  prenne  grande  part  à 
son  démêlé  avec  l'ambassadeur  de  l'Empereur,  dont 
on  sait  les  causes  ;  et  on  s'en  explique  presque  pu- 
bliquement. 

Meaux,  ce  20  juin  169g. 


LETTRE  CCCCXCII. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONGLE. 

Sur  le  cardinal  de  Bouillon  et  le  pHnce  de  Monaco. 

Je  n'ai  point  reçu  de  lettre  de  Paris  les  deux  der- 
niers ordinaires ,  je  suppose  que  je  trouverai  le  tout 
à  Florence,  d'où  je  vous  écrirai  la  première  fois. 

M.  Poussin  vous  dira  tout  le  particulier  de  ce  qui 
se  passe  ici.  Il  me  presse  d'écrire  sur  le  cardinal  de 
Bouillon,  et  la  dernière  affaire  qu'il  a  eue.  Je  vous 
dirai  que  ce  cardinal  a  tout  sujet  de  se  louer  de  moi; 
,mais  il  est  assez  malin  pour  ne  le  vouloir  pas  faire  : 
au  contraire,  il  n'aime  pas  les  gens  à  qui  il  peut  avoir 

BoSSUET,    XLII.  35 


546  LETTRES 

quelque  obligation.  Au  reste,  ce  que  j'ai  cru  devoir 
feôre,  je  l'ai  fait  par  un  autre  principe,  que  celui 
d'avoir  l'honneur  de  ses  bonnes  grâces. 

J'ai  commencé  ce  matin  à  entretenir  M.  le  prince 
de  Monaco.  J'en  suis  très-content  ;  il  fera  assurément 
des  merveilles.  Il  est  capable  de  tout,  veut  être  ins- 
truit, est  noble,  magnifique,  et  aime  le  Roi.  Le  Pape 
ne  peut  plus  souffrir  le  cardinal  de  Bouillon,  et  veut 
voir  le  prince  de  Monaco ,  quoiqu'il  n'ait  pas  fait 
son  entrée. 

Je  parlerai  demain  à  ce  ministre  de  la  gi^âce  que 
je  deqiande,  et  que  je  n'aurai  point  sans  son  se- 
cours. 

Rome,  ce  ^5  juin  1699. 


LETTRE  CCCCXCIIL 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  Lontés  que  le  Pape  lui  avoit  témoignées  dans  son  audience 
de  congé  j  et  la  sensation  que  faisoit  à  Rome  le  procès -verbal 
de  rassemblée  de  Cambrai. 

JevoujS  écris  un  mot  par  le  courrier  que  M.  de 
Monaco  renvoie  à  la  Cour.  Je  pars  sans  faute  de- 
main. J'ai  pris  congé  ce  matin  de  Sa  Sainteté,  dont 
j'ai  reçu  toutes  les  marques  de  bonté  imaginables 
poiu^  vous  et  pour  moi.  Je  vous  rendrai  compte  du 
particulier  de  cette  audience.  Le  Pape  m'a  prié  de 
vous  assurer,  aussi  bien  que  M.  de  Paris,  de  son 
affection ,  de  son  estime ,  et  de  tout  ce  que  vous 
pouvez  désirer.  J'ai  entendu  sa  messe  ce  matin ,  il  se 


1 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  547 

porte  fort  bien.  J'ai  su  qu'il  avoit  de  la  peine  à 
m'accorder  la  grâce  de  l'induit ,  que  je  lui  ai  de- 
mande'e  :  il  a  dit  qu'il  craignoit  l'exemple.  J'ai  cru 
ne  devoir  pas  hasarder  un  refus ,  parce  que  M.  de 
Monaco  auroit  plus  de  peine  ensuite  à  ramener  le 
Pape.  Le  ministre  a  reçu  des  ordres  de  s'employer  pour 
moi  dans  cette  affaire.  Je  lui  ai  remis  votre  lettre, 
et  il  m'a  comblé  de  bontés.  Il  veut  demander  cette 
grâce  à  Sa  Sainteté  à  sa  première  audience  :  je  lui 
ai  donné  toutes  les  instructions  nécessaires.  M.  le 
cardinal  Panciatici  m'a  encore  donné  parole  ce  ma- 
tin ,  qu'il  ne  me  seroit  pas  contraire.  M.  l'ambassa- 
deur commencera  par  lui  parler  de  cette  affaire.  J'ai 
lieu  de  tout  espérer  des  offices  de  ce  ministre,  qui 
eut  samedi  sa  première  audience  de  Sa  Sainteté, 
conduit  par  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  On  ne  peut 
être  plus  content  que  l'est  de  lui  le  Pape ,  qui  m'a 
fait  l'honneur  de  s'étendre  beaucoup  avec  moi  sur 
ce  sujet,  ce  matin. 

Je  vous  dirai  les  correspondances  que  j'ai  établies 
ici,  qui  sont  sûres,  bonnes  et  secrètes.  Comptez,  à 
coup  sûr,  que  je  pars  demain.  Je  ferai  le  moins  de 
séjour  qu  il  me  sera  possible  dans  les  lieux  où  je 
serai  obligé  de  m'arrêter.  J'ai  une  impatience  très* 
grande  de  me  voir  hors  d'ici,  et  de  pouvoir  vous  re- 
joindre. 

On  ne  fera  ici  semblant  de  rien  sur  vos  assem- 
blées j  on  sait  tout.  On  a  vu  le  procès-verbal  de  Cam- 
brai ;  on  y  reconnoît  bien  l'esprit  de  M.  de  Cambrai 
et  ses  bonnes  intentions  :  cela  ne  lui  fait  pas  hon- 
neur. 

Rome,  ce  29  juin  169g. 


548>  LETTRES 


LETTRE  CGCCXCIV. 

DE  L'ABBÉ   BOSSUET  A  SON   ONCLE. 

Sur  le  jugement  qu  on  portoit  à  Rome  de  la  conduite  de  M.  de 
Cambrai  dans  l'assemblée  de  sa  province  j  et  le  silence  politique 
de  la  Cour  de  Rome  à  l*égard  de  ces  assemblées. 

Nous  partîmes  hier  de  Rome  en  bonne  santé,  Dieu 
merci ,  et  sommes  arrivés  jusqu'ici  en  très-bon  état. 

J'ai  laissé  à  Rome  tout  tranquille  sur  ce  qui  se 
passe  en  France  dans  les  assemblées  provinciales. 
On  a  lu  le  procès -verbal  de  Cambrai  :  ils  y  voient 
manifestement  le  caractère  et  l'esprit  de  l'auteur. 
M.  le  cardinal  Casanate  m'a  dit  avant-hier,  que 
M.  Févéque  de  Saint -Omer  avoit  fait  ce  que  les 
cardinaux  du  saint  Office  dévoient  faire ,  en  ;obli- 
geant  M.  de  Cambrai  de  s'expliquer  plus  clairement  -, 
et  que  l'attache  de  cet  archevêque  à  ses  explications, 
faisoit  bien  voir  les  sentimens  qu'il  retenoit  dans  son 
cœur.  On  ne  parlera  de  rien.  Je  suis  sûr  que  la  Cour 
de  Rome  n'osera  faire  le  moindre  bruit  sur  ce  qui 
se  passe  dans  les  assemblées.  Elle  voudroit  bien 
qu'elles  fussent  toutes  finies,  pour  n'en  entendre 
plus  parler. 

M.  de  Monaco  est  bien  résolu  de  ne  rien  oublier 
pour  m'obtenir  mon  induit.  J'ai  appris  un  moment 
avant  que  de  partir  de  Rome ,  qu'un  de  mes  amis 
ayant  parlé  de  cette  affaire  au  Pape,  et  lui  ayant 
représenté  que  c'étoit  une  grâce  qu'il  pouvoit  m'ac- 
corder,  et  qu'il  paroissoit  même  un  peu  dur  de 
me  la  refuser  dans  les  circonstances  présentes.  Je 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  549 

Pape  avoit  témoigné  être  disposé  à  me  la  faire,  et 
avoit  demandé  mon  placet.  J'en  ai  fait  avertir  M.  de 
Monaco,  pour  qu'il  pût  profiter  des  dispositions 
favorables  de  Sa  Sainteté,  qui  a  la  bonté  de  témoi- 
gner à  tout  le  monde  son  contentement  à  mon  égard. 

De  Poggi-Bonzi,  à  vingt  milles  de  Florence,  3  juillet  1609. 


LETTRE  CCCCXGV. 

DE  UABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Sur  les  bontés  que  le  grand  duc  lui  avoit  témoignées  j  l'estime  et 
Tamitié  qu^il  avoit  fait  paroître  pour  le  prélat. 

J'arrivai  ici  le  lendemain  de  ma  lettre  précédente. 
J'ai  trouvé  cette  Cour  comme  je  l'avois  laissée,  et 
en  particulier  M.  le  grand  duc,  plus  honnête  et  plus 
plein  de  bonté  que  jamais  pour  vous  et  pour  moi. 
Comme  M.  l'envoyé  de  France  m'a  voulu  loger  cette 
fois  chez  lui ,  M.  le  grand  duc  s'est  contenté  de  m'en- 
voyer  un  magnifique  présent  de  toutes  sortes  de  ra- 
fraîchissemens  et  de  provisions.  J'ai  eu  l'honneur  de 
le  voir  trois  fois  dans  les  quatre  jours  que  j'ai  été 
ici,  plus  d'une  heure  chaque  fois.  Il  m'a  paru,  comme 
à  tout  le  monde ,  que  ce  prince  avoit  quelque  plaisir 
de  m'entretenir.  Nous  avons  parlé  de  bien  des  choises, 
dont  je  vous  rendrai  compte  quand  je  vous  verrai, 
et  vous  jugerez  de  la  confiance  qu'il  a  bien  voulu 
avoir  en  moi,  et  qu'il  compte  sur  vous  comme  sur  un 
ami.  Les  sentimens  qu'il  a  pour  vous,  et  les  expres- 
sions avec  lesquelles  il  les  témoigne^  sont  au-delà  de 
tout  ce  que  je  puis  vous  dire. 


550  LETTRES 

Le  premier  jour  que  j'eus  l'honneur  de  le  voir,  il 
me  dit  qu'il  m'attendoit,  pour  voir  avec  moi  ce  qu'il 
pourroit  faire  pour  M.  de  Madot;  et  puis  il  m'ajouta 
qu'il  lui  avoit  destiné  le  commandement  d'une  com* 
pagnie  de  carabiniers  à  cheval ,  de  deux  cents  maî- 
tres, qui  est  tout  ce  qu'il  a  de  meilleur,  de  plus 
honorable,  et  de  plus  utile  en  même  temps.  Vous 
jugez  combien  j'ai  été  sensible  à  ces  marques  essen- 
tielles de  bonté,  M.  de  Madot  est  plus  que  content  : 
il  vous  écrira  en  détail  et  plus  au  long  ce  que  c'est 
que  cet  emploi.  S.  A.  S.  m'a  promis  de  vous  envoyer 
son  portrait  et  ceux  de  sa  maison,  que  vous  souhai- 
tez; et  la  demande  que  je  lui  en  ai  faite,  lui  a  été 
très-agréable.  Vous  lui  ferez  assurément  plaisir  de 
lui  écrire,  pour  le  remercier  des  bontés  dont  elle 
m'a  de  nouveau  honoré,  de  ce  qu'elle  a  fait  pour 
M.  de  Madot  à  votre  seule  considération ,  et  des  por- 
traits qu'elle  m'a  promis  pour  orner  votre  salon  de 
Germigny. 

J'ai  vu  M.  le  cardinal  de  Médicis  à  sa  campagne, 
et  ici  deux  fois  M.  le  grand  prince  et  madame  la 
grande  princesse,  qui  m'ont  parfaitement  bien  reçu. 
Madame  la  grande  princesse  m'a  mené  voir,  dans  la 
chambre  où  elle  couche,  les  portraits  des  princes  ses 
neveux,  et  de  madame  la  duchesse  de  Bourgogne. 
Elle  m'a  paru  très-sensible  à  l'attention  que  la  cour 
de  France  a  eue,  de  lui  faire  le  plaisir  de  lui  envoyer 
ces  portraits. 

Vous  aurez  vu,  par  mes  précédentes,  l'esprit  de 
la  cour  de  Rome  sur  tout  ce  qui  se  passe  en  France  : 
je  n'ai  rien  appris  de  nouveau.  Je  puis  vous  dire 
qu'autant  mes  amis,  et  en  particulier  madame  la 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  55i 

princesse  des  Ûrsins,  ont  été  fâchés  de  me  voir 
partir ,  autant  M.  le  cardinal  de  Bouillon  en  a  été 
ravi  :  c'est  une  épine  à  son  pied  de  moins.  Cette 
Eminence  m'a  dit  un  adieu  très-tendre,  m'a  em- 
brassé, et  m'a  chargé  de  vous  dire  que  rien  ne  pou- 
voit  empêcher  qu'elle  ne  vous  honorât  et  ne  vous 
aimât  toute  sa  vie. 

M.  l'ambassadeur  m'a  paru  vouloir  faire  des  mer- 
veilles pour  mon  induit.  J'espère ,  plus  que  jamais , 
l'obtenir  par  son  moyen.  M.  le  grand  duc  fera  aussi 
agir  sous  main. 

Je  vous  envoie  une  lettre  de  M.  le  nonce,  que  j'ai 
reçue  à  Rome ,  par  laquelle  vous  verrez  les  ordres 
qu'il  a  reçus  du  Pape  par  M.  le  cardinal  Spada  sur 
mon  chapitre  (*),  et  que  tout  ce  que  je  vous  ai 
mandé  là-dessus  est  bien  vrai.  Ne  perdez  pas  cette 
lettre ,  je  vous  en  prie. 

Vous  avez  raison  de  toujours  supposer  que  la 
cour  de  Rome  est  contente  de  la  réception  de  son 
décret  en  France.  Ils  n'oseront  jamais ,  ou  je  serois 
bien  trompé,  faire  paroi tre  là- dessus  aucun  mécon- 
tentement. 

On  n'a  point  fait  mention,  dans  le  bref  de  Sa  Sain- 
teté à  M.  de  Cambrai,  de  la  première  lettre,  où  il 
parle  de  innocentiam ,  etc.  par  deux  raisons  :  Tune, 
pour  ne  pas  témoigner  l'approuver  en  rien  ;  et  l'au- 
tre ,  parce  qu'il  n'adressoit  pas  son  mandement  par 
cette  lettre.  On  a  parlé  de  la  seconde,  par  laquelle 

(")  On  a  vu  dans  les  leUres  précédentes,  que  le  nonce  avoit  eu 
ordre  de  Sa  Sainteté,  de  témoigner  au  Roi  la  satisfaction  qu'elle 
avoit  de  la  conduite  de  l'abbé  Bossuet  à  Rome. 


552  LETTRES 

il  envoyoit  sa  soumission,  et  qu'on  n'a  jamais  pia 
voir  ici. 
IloTence,  9  juillet  1699. 


LETTRE   CCCCXCVL 

DE  M.  DE  NO  AILLES,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS, 

A  L'ABBÉ  BOSSCET. 

Il  justifie  la  manière  dont  les  évéques  avoient  accepté  le  bref 
du  Pape. 

Il  y  a  quelque  temps  que  je  ne  vous  ai  écrit. 
Monsieur,  parce  que  je  vous  croyois  en  chemin; 
mais  apprenant  par  votre  lettre  du  16,  que  vous 
étiez  encore  à  Rome,  je  ne  veux  pas  manquer  à  vous 
remercier  de  votre  soin  à  me  mander  ce  qui  se  passe 
où  vous  êtes. 

Je  comptois  bien  qu'on  seroit  un  peu  fâché  de 
ce  que  notre  procès -verbal  porte  de  favorable  à 
l'épiscopat;  mais  j'espère  que  les  réflexions  appaise- 
ronl  ies  premiers  mouvemens  de  chagrin.  On  verra, 
par  les  autres  procès-verbaux,  que  nous  avons  été 
bien  modérés  ;  et  on  trouvera  qu'en  toute  occasion 
semblable  les  évéques  en  ont  usé  de  même,  sur- 
tout ceux  de  France.  Notre  conscience  et  notre 
honneur  ne  nous  permettoient  pas  de  faire  au- 
trement. 

Je  compte  que  vous  aurez  eu  M.  de  Monaco  peu 
de  jours  après  la  date  de  votre  lettre,  et  qu'ainsi 
vous  êtes  présentement  en  marche.  Je  vous  souhaite 


SUR  l'afi^^^ii'^e  du  quiétisme.  553 

un  heureux  voyage  et  une  prompte  arrivée  en  ce 
pays.  Je  me  fais  par  avance  un  grand  plaisir  de  vous 
y  entretenir  de  vos  peines  et  de  vos  exploits,  et  de 
vous  assurer  de  vive  voix,  Monsieur,  que  je  suis  à 
vous  avec  les  sentimens  que  vous  méritez. 

Le  6  juillet  1699. 


LETTRE  CCCCXCVII. 

DU  PRINCE  DE  MONACO  A  BOSSUET. 

Sur  le  désir  qu'il  avoit  d'obtenir  pour  son  neveu  Tindult  qu  il  solli- 
citoit,  et  les  expressions  honorables  avec  lesquelles  le  Pape  avoit 
parlé  de  ce  prélat. 

J'ai  reçu  la  lettre.  Monsieur,  dont  vous  m'avez 
honoré,  le  29  du  mois  de  mai  :  je  suis  très-sensible 
aux  expressions  obligeantes  que  vous  me  faites  de 
votre  amitié,  qui  m'est  infiniment  chère,  et  que  je 
voudrois  bien  pouvoir  mériter  par  de  véritables  ser- 
vices. 

M.  l'abbé  Bossuet  est  parti  depuis  quelques  jours  : 
j'en  ai  été  très-fâché.  Il  m'a  laissé  un  Mémoire  an 
sujet  de  l'induit  de  son  abbaye,  pour  lequel  il  avoit 
déjà  fait  quelque  tentative  inutile  auprès  du  Pape. 
Je  prendrai  mon  temps  pour  faire  de  nouvelles  ins- 
tances à  Sa  Sainteté,  en  conséquence  même  de  ce 
que  m'en  a  écrit  M.  le  marquis  de  Torcy  de  la  part 
du  Roi  ;  et  il  ne  tiendra  pas  à  mes  soins  ni  à  mes 
sollicitations,  que  vous.  Monsieur,  et  M.  votre  ne- 
veu, n'ayez  tous  deux  en  cela  un  entier  conten- 
tement. 


554  LETTRES 

Je  n'ai  encore  été  admis  qu'une  fois  à  Faudience 
du  saint  Père,  j*en  aurai  bientôt  une  autre  :  cepen- 
dant il  m'a  déjà  parlé  très-avantageusement  de  vous, 
m'ayant  dit,  en  propres  termes,  qu'il  vous  regar- 
doit  comme  un  évéque  également  doué  de  vertus, 
de  piété  et  de  doctrine.  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
étoit  présent,  et  je  lui  dois  la  justice  de  vous  dire 
qu'il  fit  sur  cela  son  devoir,  de  même  manière  que 
je  fis  le  mien.  Je  souhaite  avoir  de  fréquentes  occa- 
sions de  le  remplir  par  d'autres  endroits,  afin  de 
vous  donner  des  preuves  convaincantes  de  la  pas- 
sion sincère  avec  laquelle  je  suis  bien  certainement. 
Monsieur,  etc. 

A  Rome,  ce  7  juillet  i6gg. 


LETTRE  CCCCXCVIII. 

DE  BOSSUET  A  SON  NEVEU. 

Sur  une  lettre  du  prince  de  Monaco  et  sur  la  duchesse  de  Bourgogne. 

J'ai  reçu  vos  lettres  de  Rome,  du  27  et  du  29 
juin,  par  des  courriers  extraordinaires,  et  depuis 
par  l'ordinaire  celle  du  23.  Selon  celle  du  29,  vous 
devez  être  parti  le  lendemain.  M.  de  Monaco  n'avoit 
pas  encore  reçu  ma  lettre  que  vous  lui  avez  ren- 
due. Il  promettoit  d'agir  pour  votre  induit ,  le 
plus  efficacement  qu'il  lui  seroit  possible,  et  parloit 
très  -  obligeamment  pour  vous  à  M.  le  marquis  de 
Torcy. 

Je  me  réjouis  avec  vous  du  plaisir  que  vous  avez 
eu  d'embrasser  M.  le  comte  de  Brionne ,  qui  vous 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  555 

aura  procuré  une  bonne  réception  dans  la  cour  de 
Turin.  Je  n'en  puis  point  douter,  après  la  manière 
obligeante  dont  madame  la  duchesse  de  Bourgogne 
a  bien  voulu  écrire  de  vous  et  de  moi.  Cette 
princesse  est  toujours  la  merveille  et  les  délices  de 
la  Cour  :  elle  croît  sensiblement;  et  on  est  ravi  de 
l'avoir.  Je  pars  demain  pour  Meaux ,  où  quelques 
affaires  iç'appellent.  J'embrasse  M.  Phelippeaux. 

A  Paris,  ce  12  juillet  1699. 


i.«/«>^-«>«>%'«/«'^i 


LETTRE  CCCCXCIX. 

DE  L'ABBÉ  BOSSUET  A  SON  ONCLE. 

Il  lui  rend  compte  des  honnêtetés  qu'il  a  reçues  à  Bologne,  et 
surtout  à  la  cour  de  Modène. 

Je  partis ,  comme  vous  l'avez  vu  par  ma  lettre  du 
9  de  ce  mois,  de  Florence  la  nuit  du  même  jour  que 
je  passai  les  montagnes  très-fâcheuses  de  l'Apennin , 
qui  durent  près  de  trente  lieues  jusqu'à  Bologne, 
où  j'arrivai  le  lendemain  10  à  midi.  Je  suis  resté  le 
samedi  et  le  dimanche  à  Bologne,  où  j'ai  vu  les 
deux  cardinaux  qui  y  résident,  quaje  n'avoispas  vus 
à  Rome.  L'un  est  le  cardinal  Buoncompagno,  ar- 
chevêque, et  l'autre,  le  cardinal  Dada,  légat.  Le 
premier  est  un  très -excellent  évêque  et  très  bon 
homme;  et  l'autre,  un  très-habile  homme,  et  qui  a 
beaucoup  d'esprit,  très-informé  de  tout  ce  qui  se 
passe  partout.  Il  me  donna  le  dimanche  un  dîner 
magnifique,  et  ces  deux  cardinaux  m'ont  fait  toutes 
les  amitiés  et  les  honneurs  imaginables.  M.  le  car- 


556  LETTllES 

dinal  Buoncompagno  vouloit  absolument  me  loger 
chez  lui.  Je  me  suis  tiré  de  tous  ses  complimens,  en 
partant  de  Bologne,  hier  lundi,  à  la  pointe  du 
jour. 

Je  suis  arrivé  ici  en  trois  heures.  J'y  ai  trouvé  cette 
Cour.  J'ai  vu  Taprès-dînée  madame  la  duchesse  de 
Brunswick,  qui  m'a  fait  mille  et  mille  honnêtetés, 
et  dont  j'ai  reçu  tous  les  bons  traitemens  imaginables. 
Madame  la  princesse  avoit  eu  la  bonté  de  lui  écrire 
en  particulier  sur  mon  chapitre;  et  cette  princesse 
est  pleine  pour  vous  de  tous  les  sentimens  d'estime 
et  d'amitié  que  vous  pouvez  désirer,  aussi  bien  que 
M.  le  duc  de  Modène,  qui,  quoique  incommodé^ 
voulut  me  faire  l'honneur  de  me  voir,  et  me  dit  sur 
vous  tout  ce  que  Ton  peut  dire,  en  me  chargeant 
de  vous  assurer  des  témoignages  de  son  estime  et  de 
son  amitié. 

Je  crois  que  vous  ne  pouvez  vous  dispenser  de 
lui  écrire  sur  ce  sujet,  ou  il  faudra,  dans  la  lettre 
que  vous  écrirez  à  madame  la  duchesse  de  Bruns- 
wick, faire  un  article  particulier  sur  les  témoi- 
gnages de  bonté  de  ce  prince,  tant  envers  vous 
qu'envers  moi.  Je  ne  sais  s'il  y  auroit  quelque  diffi- 
culté sur  le  traitement  que  des  évêques  doivent  à 
madame  de  Brunswick  :  je  ne  crois  pas  qu'il  puisse 
y  en  avoir.  Le  titre  d'altesse  lui  est  dû  sans  diffi- 
culté, les  électeurs  ayant  un  rang  distingué  des 
autres  princes,  même  souverains,  jusqu'à  avoir  la 
préséance  sur  M.  le  duc  de  Savoie,  qui  leur  a  cédé. 

Je  voulois  partir  la  nuit  passée  pour  Ferrare  et 
Venise  ,  mais  mesdames  les  duchesses  de  Brunswick 
et  de  Modène  m'ont  retenu  encore  aujourd'hui,  pour 


Sun  l'affaire   du   QUIÉTÏSME.  55^ 

me  faire  voir  ]a  maison  de  campagne  de  M.  le  duc , 
qui  est  fort  belle  ;  après  quoi  je  partirai  pour  pour- 
suivre ma  route. 

Si  le  temps  reste  couvert  demain,  comme  il  lest 
aujourd'hui ,  et  qu'en  arrivant  à  la  pointe  du  jour  à 
Ferrare ,  je  puisse  voir  le  cardinal  Astalli ,  légat ,  et 
le  cardinal  Paolucci ,  archevêque ,  je  me  trouverai 
demain  au  soir  bien  près  de  Venise ,  quoiqu'il  y  ait 
plus  de  cent  milles  d'ici  ;  mais  le  chemin  est  le  plus 
beau  du  monde.  J'y  serai  après-demain  au  plus  tard. 
Je  ne  resterai  à  Venise  que  le  moins  qu'il  me  sera 
possible  ;  et  j'espère  en  pouvoir  repartir  lundi  ou 
mardi  2 1 ,  pour  m'acheminer  vers  Milan ,  par 
Padoue  ,  Ve'rone ,  Mantoue ,  Parme  ,  Plaisance  et 
Pavie.  Je  ne  m'arrêterai  partout  que  quelques 
heures,  voulant  arriver  à  Turin  avant,  s'il  est  pos- 
sible ,  que  le  duc  en  parte.  J'espère  recevoir  de  vos 
nouvelles  à  Venise,  et  je  vous  écrirai  de  là. 

Modèue,  ce  i4iiiiïlet. 


LETTRE  D. 

DU  P.  ROSLET,  MINIME,  A  L'ABBË  BOSSUET. 

Sur  le  mandement  de  M.  de  Meauxj  et  sur  le  Discours  de  M.  d'A- 
guesseau,  et  l'arrêt  du  Parlement  pour  la  réception  du  bref 
qu'on  avoit  traduit ,  et  qu'on  vouloit  faire  censurer. 

J'ai  reçu.  Monsieur,  avec  un  très-grand  plaisir  y 
vos  deux  lettres  du  28  septembre ,  qui  m'ont  appris 
le  favorable  accueil  que  vous  avez  reçu  du  Koi ,  en 


558  LETTRES 

présence  de  toute  sa  Cour.  J'en  ai  fait  part  à  vos 
amis  ,  qui  m'en  ont  tous  te'moigné  beaucoup  de  joie. 
Pour  moi,  je  souhaite  de  tout  mon  cœur  que  ce 
bon  commencement  ait  des  suites  aussi  heureuses  et 
aussi  éclatantes  que  vous  le  méritez. 

On  ne  m'a  remis  que  quatre  exemplaires  du  man- 
dement de  monseigneur  de  Meaux,  qui  a  eu  ici 
l'approbation  universelle.  Je  n'ai  pu  le  donner 
qu'aux  cardinaux  Casanate,  Panciatici  et  Albane, 
qui  vous  remercient  et  vous  honorent  parfaite- 
ment. 

Le  cardinal  Ottoboni  s'est  avisé  de  faire  traduire 
en  latin  et  en  italien ,  le  discours  de  M.  d'Aguesseau 
et  l'arrêt  du  parlement,  et  en  a  répandu  beaucoup 
de  copies,  qui  ont  excité  un  si  grand  murmure, 
qu'on  ne  parloit  de  rien  moins  que  de  faire  censu- 
rer ledit  arrêt.  Mais  il  n'en  sera  rien  ;  les  malveillans 
seront  confondus  :  car  j'ai  vu  le  Pape  et  les  cardi- 
naux, et  leur  ai  fait  connoître  que  la  protestation 
faite  par  les  cours  souveraines,  ne  tombant  que  sur 
des  formalités  contraires  aux  usages  de  France,  et 
n'ayant  pas  empêché  qu'on  n'acceptât  avec  respect 
et  avec  éloge  le  jugement  apostolique,  il  n'y  avoit 
nulle  raison  de  se  plaindre,  que  de  ceux  qui  avoient 
empêché  qu'on  ne  donnât  une  bulle,  espérant  peut- 
être  que  ce  défaut  rendroit  la  condamnation  du 
mauvais  livre  inutile.  J'ai  agi  dans  cette  petite  né- 
gociation suivant  les  ordres  de  M.  l'ambassadeur, 
qui  n'a  pas  jugé  e^  propos  de  se  plaindre  lui-même 
avant  coup,  faisant  toutes  choses  avec  une  souve- 
raine prudence. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  559 

J'ai  rendu  vos  lettres  à  dom  Louis  et  au  père  La- 
tenai.  M.  Charmot  vous  doit  écrire  le  bon  e'tat  de 
son  affaire  :  les  quesoti  sont  régle's  ;  il  en  doit  en- 
voyer copie  aujourd'hui,  ou  l'ordinaire  prochain. 
On  tient  la  condamnation  du  culte  de  Confucius 
inévitable.  Personne  ne  vous  honore  plus  parfaite- 
ment que  je  fais  et  que  je  ferai  toute  ma  vie. 

Fr.  Z.  R.OSLET,  Minime. 
Le  20  octobre  169g. 


LETTRE  DL 

DU  P.  LATENAI,  CARME,  A  L'ABBÉ  BOSSUET. 

Sur  les  dispositions  des  esprits  à  Tégard  des  procès-verbaux  des 
assemblées  des  évêques  de  France ,  et  particulièrement  à  l'égard 
du  Discours  de  M.  d'Aguesseau. 

Les  procès -verbaux  sur  le  bref,  n'ont  pas  fait 
grand  bruit  au  commencement,  comme  vous  savez  : 
on  ne  s'est  pas  même  fort  ému  tout  d'abord  du  Dis- 
cours de  M.  d'Aguesseau.  Le  Pape,  à  qui  on  en  lut 
quelques  endroits ,  parut  en  être  satisfait,  quoiqu'il 
supposât  qu'il  finiroit  par  des  protestations  contre 
le  motu  proprioj  et  en  faveur  du  droit  des  évêques, 
pour  juger  de  la  doctrine  en  première  instance.  A  la 
fm  pourtant,  il  s^est  élevé  un  grand  bruit  contre 
toutes  ces  pièces.  Un  Espagnol,  dit-on,  a  traduit  le 
Discours  avec  des  réflexions  malignes.  On  s'est  mis 
en  état  de  les  combattre  et  de  rassurer  les  esprits 
alarmés;  on  croit  même  y  avoir  réussi  :  cela  pa- 


56o  LETTRES 

roissoit  au  moins  à  l'extérieur  ;  je  doute  cependant 
que  cela  soit  tout-à-fait  ainsi,  et  autant  que  nos 
Français  le  croient.  Mon  doute  n'est  pas  sans  fonde- 
ment :  comme  ne'anmoins  l'importance  de  l'affaire 
et  la  coutume  de  cette  Cour  ne  permettent  pas  de 
croire  qu'on  précipite  rien,  quand  même  on  vou- 
droit  pousser  les  choses  à  bout  ;  un  peu  d'attention 
sur  cette  affaire  découvrira  bientôt  les  desseins  ca- 
chés, s'il  est  vrai  qu'il  y  en  ait  contre  nous.  Je  suis 
très-persuadé  que  le  Pape  est  fort  disposé  à  appaiser 
toutes  choses;  mais  vous  savez,  Monsieur,  qu'on  a 
envie  de  finquiéter,  et  que  ces  gens-là  ne  sont  pas 
de  nos  amis.  Ainsi  il  est  comme  obligé  d'agir  exté- 
rieurement contre  son  inclination ,  pour  calmer  les 
esprits. 

Je  ne  vous  dis  rien  de  l'affaire  de  la  Chine,  on 
vous  en  informera  mieux  par  ailleurs  :  on  assure 
qu'elle  est  en  fort  bon  état,  et  que  Ton  a  dressé  les 
articles  dans  des  termes  si  précis,  que  les  Jésuites 
même,  s'ils  en  étoient  les  juges,  ne  pourroient  que 
les  condamner. 

On  a  enfin  découvert  la  belle  chapelle  de  Saint- 
Ignace  :  il  y  paroît  tant  de  richesses,  qu'elles  font 
peur  à  nos  Romains  ;  ils  la  regardent  comme  une 
forteresse ,  d'où  la  Société  menace  tout  le  monde  de 
sa  puissance.  Pour  moi,  qui  fais  plus  de  réflexions 
morales  que  politiques,  je  la  considère  comme  l'ou- 
vrage et  la  merveille  de  l'opinion  probable. 

Vous  savez,  Monsieur,  la  disgrâce  du  père  Dias, 
par  la  défense  d'approcher  du  palais  du  Pape,  et  de 
parler  à  aucun  de  ses  ministres  :  vous  savez  encore 

avec 


SUE.  l'affaire  du  quiétisme.  56i 

avec  quelle  fierté  il  y  répondit,  en  prétendant  que 
cette  défense  ne  regardoit  que  l'Empereur,  son  am- 
bassadeur, le  roi  d'Espagne,  avec  le  vice  -  roi  de 
Naples,  et  non  lui.  Le  Pape  fait  agir  à  la  cour  de 
Madrid,  afin  qu'on  rappelle  ce  religieux.  Je  vous 
supplie  d'être  persuadé  qu'on  ne  peut  être  avec  plus 
de  respect  que  je  suis,  etc. 

Rome,  20  octobre  1699. 


RÉQUISITOIRE 

Pour  T enregistrement  du  Bref  contre  le  Iwre  des 
Maximes  des  Saints, 

Prononcé  par  M.  d'Aguesseau,  avocat-général,  le  14  août  1699, 

Ce  jour,  les  grand* chambre  et  tournelle  assemblées,  les 
gens  du  Roi  sont  entrés,  et  M.®  Henri-François  d'Agues- 
seau, avocat  dudit  seigneur  Roi,  portant  la  parole,  ont 
dit: 

Messieurs, 

Nous  apportons  à  la  Cour  des  lettres-patentes ,  par  les- 
quelles il  a  plu  au  Roi  d'ordonner  l'enregistrement  et  la 
publication  de  la  constitution  de  notre  saint  père  le  Pape, 
qui  condamne  le  livre  intitulé  :  Explication  des  maximes 
des  Saints  sur  la  vie  intérieure ,  composé  par  messire 
François  de  Salignac  de  Fénélon,  archevêque  de  Cambrai; 
et  nous  nous  estimons  heureux  de  pouvoir  vous  annoncer 
en  même  temps  la  conclusion  de  cette  grande  aflfaire,  qui, 
après  avoir  tenu  toute  l'Eglise  en  suspens  pendant  plus  de 
deux  années,  lui  a  donné  autant  de  joie  et  de  consolation 

BOSSUET.    XLII.  36 


56îî'  LETTRES 

dans  sa  fin,  qu'elle  lui  avoit  causé  de  douleur  et  d'inquié- 
tude dans  son  commencement. 

Ce  saint,  ce  glorieux  ouvrage,  dont  le  succès  inte'ressoit 
également  la  religion  et  l'Etat,  le  sacerdoce  et  l'Empire, 
est  le  fruit  précieux  de  leur  parfaite  intelligence.  Jamais 
les  deux  puissances  suprêmes,  que  Dieu  a  établies  pour 
gouverner  les  hommes,  n'ont  concouru  avec  tant  de  zèle, 
disons  même  avec  tant  de  bonheur ,  à  la  fin  qui  leur  est 
commune,  c'est-à-dire,  à  la  gloire  de  celui  qui  prononce 
ses  oracles  par  la  bouche  de  l'Eglise ,  et  qui  les  fait  exécuter 
par  l'autorité  des  rois. 

Des  ténèbres _,  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  em- 
pruntoient  l'apparence  et  l'éclat  de  la  plus  vive  lumière, 
commençoient  à  couvrir  la  face  de  l'Eglise.  Les  esprits  les 
plus  élevés ,  les  âmes  les  plus  célestes  ^  trompées  par  les 
fausses  lueurs  d'une  spiritualité  éblouissante,  étoient  celles 
qui  couroient  avec  le  plus  d'ardeur  après  l'ombre  d'une 
perfection  imaginaire  ;  et  si  Dieu  n' avoit  abrégé  ces  jours 
d'illusion  et  d'égarement,  les  élus  même,  s'il  est  possible, 
et  s'il  nous  est  permis  de  le  dire  après  l'Ecriture,  auroient 
été  en  danger  d'être  séduits. 

La  vérité  s'est  fait  entendre  par  la  voix  du  Pape,  et 
par  celle  des  évêques  :  elle  a  appelé  la  lumière,  et  la  lu- 
mière est  sortie  du  sein  des  ténèbres.  Il  n'a  fallu  qu'une 
parole  pour  dissiper  les  nuages  de  l'erreur  j  et  le  remèdes 
a  été  si  prompt  et  si  efficace,  qu'il  a  effacé  jusqu'au  sou- 
venir du  mal  dont  nous  étions  menacés. 

Un  des  plus  saints  pasteurs  que  Dieu,  dans  sa  miséri- 
corde, ait  jamais  donnés  à  son  Eglise,  un  Pape  digne  par 
son  éminente  piété  d'être  né  dans  ces  siècles  heureux  où 
le  ciel  met  toit  au  nombre  de  ses  saints  tous  ceux  que 
Rome  avoit  élevés  au  rang  de  ses  pontifes ,  est  celui  que 
la  Providence  a  choisi  pour  faire  ce  discernement  si  né- 
cessaire ,  mais  si  difficile,  entre  la  vraie  et  la  fausse  spiri- 
tualité. La  gloire  en  étoit  due  à  un  pontificat  si  pur ,  si 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  563 

désintéressé ,  si  pacifique;  il  semble  que  Dieu^  dont  les 
yeux  sont  toujours  ouverts  «ur  les  besoins  de  son  Eglise, 
ait  prolonge  les  jours  de  notre  saint  pontife^  qu'il  ait  ra- 
nime sa  vieillesse  comme  celle  de  Taigle,  pour  parler  eu* 
core  le  langage  de  l'Ecriture ,  et  qu'il  lui  ait  inspiré  une 
nouvelle  ardeur  à  l'extrémité  de  sa  course,  pour  le  mettre 
en  état  d'être  non-seulement  l'auteur,  mais  le  consomma- 
teur de  ce  grand  ouvrage. 

L'Eglise  gallicane,  représentée  par  les  assemblées  des 
évéques  de  ses  métropoles,  a  joint  son  suffrage  à  celui  du 
saint  Siège  :  animée  par  l'exemple  et  par  lés  doctes  écrits 
de  ces  illustres  prélats  qui  se  sont  déclarés  si  hautement 
les  zélés  défenseurs  de  la  saine  doctrine,  elle  a  rendu  uii 
témoignage  éclatant  de  la  pureté  de  sa  foi.  La  vérité  n'a 
jamais  remporté  une  victoire  si  célèbre  ni  si  complète  sur 
l'erreur;  aucune  voix  discordante  n'a  troublé  ce  saint  con- 
cert ,  cette  heureuse  harmonie  des  oracles  de  l'Eglise.  Et 
quelle  a  été  sa  joie ,  lorsqu'elle  a  vu  celui  de  ses  pasteurs 
dont  elle  auroit  pu  craindre  la  contradiction ,  si  son  cœur 
avoit  été  complice  de  son  esprit ,  plus  humble  et  plus 
docile  que  la  dernière  brebis  du  troupeau,  prévenir  le 
jugement  des  évêques,  se  hâter  de  prononcer  contre  lui- 
même  une  triste,  mais  salutaire  censure,  et  rassurer 
l'Eglise  effrayée  de  la  nouveauté  de  sa  doctrine,  par  là 
protestation  aussi  prompte  que  solennelle  d'une  soumission 
sans  réservée,  d'une  obéissance  sans  bornes,  et  d'un  ac- 
quiescement sans  ombre  de  restriction  I 

Que  restoit-il  après  cela,  si  ce  n'est  qu'un  roi  dont  le 
règne  victorieux  n'a  été  qu'un  long  triomphe,  encore  plus 
pour  la  religion  que  pour  lui-même.  Voulût  toujours  mé- 
riter le  titre  auguste  de  protecteur  de  l'Eglise  et  d'é- 
vêque  extérieur,  en  joignant  les  armes  visibles  de  la 
puissance  royale  à  la  force  invisible  de  l'autorité  ecclé- 
siastique? 

G'eât  lui,  qiii^  après  avoir  donné  aux  évêques  la  sainte 


564  LETTRES 

consolation  de  traiter  en  commun  des  affaires  de  la  foî, 
suivant  la  pureté  de  Tancienne  discipline,  met  aujour- 
d'hui le  dernier  sceau  à  leurs  délibérations ,  en  ordonnant 
que  la  constitution  du  Pape,  acceptée  par  les  Eglises  de 
son  royaume,  sera  reçue,  publiée,  et  exécutée  dans  ses 
Etats. 

Nous  avons  vu  avec  plaisir  les  évéques  renouvela  en 
faveur  de  ce  grand  prince,  ces  saintes  acclamations,  ces 
vœux  si  tendres  et  si  touclians  que  les  Pères  des  conciles 
généraux  ont  faits  autrefois  en  faveur  des  empereurs  ro- 
mains. Qu'il  nous  soit  permis  d'emprunter  aussi  leurs  élo- 
quentes expressions,  et  de  dire  après  eux  avec  encore 
plus  de  vérité  :  Grâces  immortelles  au  nouveau  David ,  au 
nouveau  Constantin ,  illustre  par  ses  conquêtes,  plus  illustre 
encore  par  son  zèle  pour  la  religion.  Vainqueur  des  enne- 
mis de  l'Etat,  il  triomphe  avec  plus  de  joie  de  ceux  de 
l'Eglise. Destructeur  de  l'hérésie,  vengeur  de  la  foi,  auteur 
cle  la  paix ,  plein  de  ce  double  esprit  qui  forme  les  grands 
rois  et  les  grands  évêques  ,  roi  et  prêtre  tout  ensemble  ; 
ce  sont  les  termes  du  concile  de  Chalcédoine  :  que  la  Pro- 
vidence ,  qui  lui  a  donné  ce  cœur  royal  et  sacerdotal ,  le 
conserve  long-temps  sur  la  terre  pour  la  gloire  de  la  reli- 
gion ,  et  pour  notre  bonheur  :  que  le  Dieu  qu'il  fait  ré- 
gner en  sa  place,  étende  le  cours  de  sa  vie  au-delà  des 
bornes  de  la  nature;  et  que  le  Roi  du  ciel  protège  toujours 
celui  de  la  terre.  Ce  sont  les  vœux  des  pasteurs,  ce  sont 
les  prières  des  Eglises  ;  et  nous  osons  dire  ,  Messieurs , 
que  ce  sont  encore  plus,  s'il  est  possible,  et  vos  souhaits  et 
les  nôtres* 

Ne  craindrons-nous  point  de  mêler  à  des  applaudisse- 
mens  si  justement  m.érités,  les  protestations  solennelles 
que  le  public  attend  de  nous  en  cette  occasion ,  contre  les 
conséquences  que  l'on  pourroit  tirer  un  jour  de  l'extérieur 
et  de  l'écorce  d'une  constitution  qui  ne  renferme  rien  dans 
sa  substance,  que  de  saint  et  de  vénérable. 


SUR  l'affaire  du  quiétisme.  565 

Maïs  sans  attester  ici  avec  nos  illustres  pre'de'cesseurs , 
la  foi  de  ce  serment  inviolable  qui  nous  a  dévoués  à  la 
défense  des  droits  sacrés  de  l'Eglise  et  de  l'Etat ,  ne  nous 
suffit -il  pas  de  pouvoir  nous  rendre  ce  témoignage  à 
nous-mêmes,  que  nous  marchons  avec  autant  de  confiance 
que  de  simplicité,  dans  la  route  que  nos  pasteurs  nous 
ont  tracée? 

Comme  eux, nous  adhérons  à  cette  doctrine  si  pure  que 
le  chef  de  l'EgHse ,  le  successeur  de  saint  Pierre ,  le  vicaire 
de  Jésus-Christ,  le  père  commun  de  tous  les  fidèles,  vient 
de  confirmer  par  sa  décision. 

Mais  comme  eux  aussi,  et  nous  devons  dire  même, 
encore  plus  qu'eux,  nous  sommes  obligés  de  conserver 
religieusement  le  dépôt  précieux  de  Tordre  public,  que 
le  Roi  veut  bien  confier  à  notre  ministère,  et  de  le  trans- 
mettre à  nos  successeurs,  aussi  pur^  aussi  entier,  aussi 
Tespectable  que  nous  Tavons  reçu  de  ceux  qui  nous  ont 
précédés. 

Après  cela,  nous  ne  nous  engagerons  point  dans  de 
longues  dissertations,  ni  sur  la  forme  générale  de  la  cons- 
titution dont  nous  venons  au  nom  du  Roi  requérir  l'enre- 
gistrement, ni  sur  les  clauses  particulières  qu'elle  ren- 
ferme. 

Nous  savons  que  le  pouvoir  des  évêques  et  l'autorité 
attachée  à  leur  caractère  d'être  juges  des  causes  qui  re- 
gardent la  foi ,  est  un  droit  aussi  ancien  que  la  religion , 
aussi  divin  que  l'institution  de  l'épiscopat,  aussi  immuable 
que  la  parole  de  Jésus-Christ  même  : 

Que  cette  doctrine  établie  par  l'Ecriture,  confirmée  par 
le  premier  usage  de  l'Eglise  naissante ,  soutenue  par 
l'exemple  de  ce  qui  s'est  passé  d'âge  en  âge  et  de  géné- 
ration en  génération  dans  les  causes  de  la  foi,  transmise 
jusqu'à  nous  par  les  Pères  et  par  les  docteurs  de  l'Eglise, 
enseignée  par  les  plus  saints  papes,  attestée  dans  tous  les 
siècles  par  la  bouche  de  ceux  qui  composent  la  chaîne  in- 


^66  LETTRES 

dissoluble  de  la  Tradition  ,  et  surtout  par  les  témoignages 
anciens  et  nouveaux  de  l'Eglise  de  France ,  n'a  pas  besoin 
du  secours  de  notre  foible  voix,  pour  e  ire  regardée  comme 
une  de  ces  vérités  capitales  que  l'on  ne  peut  attaquer  sans 
ébranler  l'édifice  de  l'Eglise  dans  ses  plus  solides  fonde - 
mens. 

Que  si  des  esprits  peu  éclairés  avoient  besoin  de  preuves 
pour  être  convaincus  de  cette  grande  maxime,  il  suffiroit 
de  les  renvoyer  aux  savans  actes  de  ces  assemblées  provin- 
ciales ,  que  la  postérité  conservera  comme  un  monument 
glorieux  des  lumières  et  de  l'érudition  de  l'Eglise  galli- 
cane. 

C'est  là  qu'ils  apprendront  beaucoup  mieux  que  dans, 
nos  paroles  quelle  multitude  de  faits  ,  quelle  nuée  de  té- 
moins s'élèvent  en  faveur  de  l'unité  de  l'épiscopat. 

C'est  là  qu'ils  reconnoîtront  que  si  la  division  des 
royaumes^  la  distance  des  lieux,  la  conjoncture  des  affaires , 
la  grandeur  du  mal ,  le  danger  d'en  difféier  le  remède  , 
ne  permettent  pas  toujours  de  suivre  l'ancien  ordre  et 
les  premiers  vœux  de  l'Eglise,  en  assemblant  les  éveques  ; 
il  faut  au  moins  qu'ils  examinent  séparément  ce  qu'ils 
n'ont  pu  décider  en  commun ,  et  que  leur  consente- 
ment, exprès  ou  tacite,  imprime  à  une  décision  véné- 
rable par  elle-même,  le  sacré  caractère  d'un  dogme  de 
la  foi. 

Et  soit  que  les  évêques  de  la  province  étouffent  l'erreur 
dans  le  lieu  qui  l'a  vu  naître,  comme  il  est  presque  tour 
jours  arrivé  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise;  soit 
qu'ils  se  contentent  d'adresser  leurs  consultations  au  sou- 
verain pontife  sur  des  questions  dont  ils  auroient  pu  être 
les  premiers  juges  comme  nous  l'avons  vu  encore  prati- 
quer dans  ce  siècle;  soit  que  les  empereurs  et  les  rois  con- 
sultent eux-mêmes  et  le  Pape  et  les  éveques,  comme 
l'Orient  et  l'Occident  en  fournissent  d'illustres  exemples; 
soit  enfin  que  le  vigilance  4^  saint  Siège  prévienne  celle 


sur.  l'affaiue  du  quiétisme.  56^ 

des  autres  Eglises,  comme  on  Ta  souvent  remarque'  dans 
ces  derniers  temps  ;  la  forme  de  la  décision  peut  être  dif- 
férente, quand  il  ne  s'agit  que  de  censurer  la  doctrine, 
et  non  pas  de  condamner  la  personne  de  son  auteur  ;  mais 
le  droit  des  éveques  demeure  inviolablement  le  même  , 
puisqu'il  est  vrai  de  dire  qu'ils  jugent  toujours  également, 
soit  que  leur  jugement  précède  ,  soit  qu'il  accompagne , 
ou  qu'il  suive  celui  du  premier  Siège. 

Ainsi ,  au  milieu  de  toutes  les  révolutions  qui  altèrent 
souvent  l'ordre  extérieur  des  jugemens,  rien  ne  peut, 
ébranler  cette  maxime  incontestable  qui  est  née  avec  l'E- 
glise, et  qui  ne  finira  qu'avec  elle  :  que  chaque  siège, 
dépositaire  de  la  foi  et  de  la  tradition  de  ses  pères,  est  en 
droit  d'en  rendre  témoignage ,  ou  séparément ,  ou  dans 
l'assemblée  des  évoques;  et  que  c'est  de  ces  rayons  parti- 
culiers que  se  forme  ce  grand  corps  de  lumière,  qui, 
jusqu'à  la  consommation  des  siècles,  fera  toujours  trem- 
bler l'erreur ,  et  triompher  la  vérité. 

Nous  sommes  même  persuadés  que  jamais  il  n'a  été 
moins  nécessaire  de  rappeler  ces  grands  principes  de 
l'ordre  hiérarchique  ,  que  sous  le  sage  pontificat  du  Pape 
qui  nous  gouverne. 

Successeur  aes  vertus  encore  plus  que  de  la  dignité  du 
grand  saint  Grégoire ,  il  croiroit ,  comme  ce  saint  Pape , 
se  faire  une  injure  à  lui-même,  s'il  donnoit  la  moindre 
atteinte  au  pouvoir  de  ses  frères  les  évêques  :  mihi  inju- 
riam  facio  y  si  fratrum  meorum  jura  perturba.  Il  sait 
comme  lui_,  que  l'honneur  de  l'Eglise  universelle  est 
son  plus  grand  honneur  ;  que  la  gloire  des  évêques  est 
sa  véritable  gloire  j  et  que  plus  on  rehausse  l'éclat  de 
leur  grandeur,  plus  on  relève  la  dignité  de  celui  que 
la  Providence  divine  a  certainement  placé  au-dessus 
d'eux. 

Il  aspire  à  être  aussi  saint  ,  mais  non  pas  plus  puissant 
dans  l'Eglise,  que  ces  fermes  colonnes  de  la  vérité  ,  saint 


568  LETTRES 

Innocent,  saint  Léon,  saint  Martin,  et  tant  d'autres  saints 
pontifes,  qui,  tous  e'galement  assis  dans  la  chaire  du 
prince  des  apôtres ,  n'ont  pas  cru  avilir  la  dignité  du  saint 
Siège,  lorsqu'ils  ont  jugé  que  le  suffrage  des  évêques  de- 
voil  affermir  irrévocablement  l'autorité  de  leur  décision^ 
et  que  c'étoit  à  ce  caractère  sensible  d'une  parfaite  union 
des  membres  avec  leurs  chefs ,  que  tous  les  Chrétiens 
étoient  obligés  de  reconnoître  la  voix  de  la  vérité  et  le 
jugement  de  Dieu  même. 

Nous  pourrions  donc  dire  avec  confiance,  qu'il  ne  se- 
roit  pas  absolument  nécessaire  de  protester  ici  en  faveur 
du  pouvoir  et  de  l'autorité  des  évéques ,  si  nous  étions 
assurés  d'obtenir  toujours  de  la  faveur  du  ciel  un  Pape 
semblable  à  celui  qu'il  laisse  encore  à  la  terre. 

Mais  comme  les  temps  ne  seront  peut  être  pas  toujours 
aussi  tranquilles ,  aussi  éclairés ,  aussi  heureux  que  ceux 
dans  lesquels  nous  vivons ,  nous  ne  pouvons  nous  dis- 
penser ,  Messieurs  ,  de  vous  supplier  ici  de  prévenir  par 
une  modification  salutaire,  les  avantages  que  l'ignorance 
ou  l'ambition  des  siècles  à  venir  pourroit  tirer  un  jour  de 
ce  qui  s'est  passé  touchant  la  constitution  du  Pape  que 
nous  avons  l'honneur  de  vous  présenter. 

Dispensateurs  d'une  portion  si  considérable  de  l'auto- 
rité du  Roi,  consacrez-la,  comme  lui,  à  la  défense  et  à 
la  gloire  de  l'Eglise  j  conciliez  par  un  sage  tempérament 
les  intérêts  du  Pape  avec  ceux  des  évêques;  recevez  son 
jugement  avec  une  profonde  vénération,  mais  sans  af- 
foiblir  l'autorité  des  autres  pasteurs.  Que  le  Pape  soit 
toujours  le  plus  auguste ,  mais  non  pas  l'unique  juge  de 
notre  foi;  que  les  évêques  soient  toujours  assis  après  lui^ 
mais  avec  lui,  pour  exercer  le  pouvoir  que  Jésus-Christ 
leur  a  donné  en  commun  d'instruire  les  nations  et  d'être 
dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  lieux  les  lumières  du 
monde. 

Après  avoir  envisagé  la  constitution  que  nous  apportons 


Sun    LAFFAIIIE    DU    QUIÉTISME.  56*1) 

à  la  Cour ,  par  rapport  à  la  forme  générale  de  la  déci- 
sion,  deux  clauses  particulières  qui  y  sont  insérées,  at- 
tirent encore  Tattenlion  de  notre  ministère. 

L'une  est  la  clause  qui  porte,  que  la  constitution  est 
ëmanée  du  propre  mouvement  de  Sa  Sainteté. 

Clause  qui  ne  s'accorde  ni  avec  l'ancien  usage  de  l'Eglise, 
suivant  lequeHes  dérisions  du  Pape  dévoient  être  for- 
mées dans  son^-concile  ,  ni  avec  la  discipline  présente, 
dans  laquelle  cet  ancien  concile  est  représenté  par  le 
collège  des  cardinaux. 

Clause  que  les  docteurs  ultramontains  ont  même  re- 
gardée comme  peu  honorable  au  saint  Siège;  puisque 
selon  eux ,  dans  sa  première  origine ,  elle  faisoit  considérer 
la  décision  du  Pape ,  plutôt  comme  l'ouvrage  d'un  doc- 
teur particulier,  que  comme  le  jugement  du  chef  de 
l'Eglise. 

Clause  enfin  contre  laquelle  nos  pères  se  sont  élevés 
en  1623  et  en  1646,  et  qui,  quoique  beaucoup  plus 
innocente  dans  la  conjoncture  de  cette  affaire ,  ne  doit 
jamais  être  approuvée  parmi  nous ,  quand  même  on 
ne  pourroit  lui  opposer  que  la  crainte  des  consé- 
quences. 

L'autre  clause  est  celle  qui  prononce  une  défense  géné- 
rale de  lire  le  livre  condamné ,  même  a  l'égard  de  ceux 
qui  ont  besoin  d!une  mention  expresse. 

Il  seroit  inutile  de  s'étendre  ici  sur  .la  nouveauté  et  sur 
les  inconvéniens  de  cette  clause.  Yous  savez.  Messieurs, 
de  quelle  importance  il  est  de  ne  se  relâcher  jamais  de 
l'observation  exacte  de  ces  grandes  maximes  que  les  papes 
eux-mêmes  nous  ont  enseignées,  lorsqu'ils  ont  reconnu 
qu'il  y  a  des  personnes  qui  ne  sont  jamais  comprises 
ni  dans  les  décrets  du  saint  Siège ,  ni  dans  les  Canons 
des  conciles  ,  quelque  générale  que  soit  leur  disposi- 
tion ,  si  elles  n'y  sont  nommément  et  expressément  dé- 
signées. 


5yO  LETTRES 

Nous  sommes  convaincus  que  l'on  n'abusera  jamais  de 
ce  style  nouveau ,  qui  semble  donner  atteinte  indirecte- 
ment à  cette  maxime  inviolable  j  et  trop  de  raisons  nous 
empêchent  de  craindre  un  pareil  abus,  pour  vouloir  en 
relever  ici  les  conse'quences. 

Mais  quelque  assurance  que  nous  ayons  sur  ce  sujet , 
nous  manquerions  à  ce  que  nous  devons  au  Roi ,  au  pu- 
blic  ,  à  nous-mêmes,  si  nous  ne  déclarions  au  moins 
que  nous  ne  pouvons  approuver  une  clause  qu'il  nous 
suffit  de  regarder  comme  nouvelle ,  pour  ne  la  pas  re- 
cevoir. 

Telles  sont ,  Messieurs ,  toutes  les  observations  que 
notre  devoir  nous  oblige  de  faire,  et  sur  la  forme  géné- 
rale ,  et  sur  les  clauses  particulières  de  la  constitution. 
Nous  n'avons  eu  qu'un  seul  but  en  vous  les  expliquant  ; 
et  tout  ce  que  notre  ministère  exige  de  nous,  après  l'ac- 
ceptation solennelle  des  Eglises  de  France ,  se  réduit  à 
vous  proposer  aujourd'hui  d'imiter  cette  simple,  mais 
utile  protestation  que  nous  trouvons  dans  les  souscriptions 
d'un  ancien  concile  d'Espague  :  Salvâ  priscorum  Canonum 
auctoritate. 

C'est  sur  ce  modèle  que  nous  avons  cru  devoir  former 
les  conclusions  que  nous  avons  prises  par  écrit  en  la  ma- 
nière accoutumée;  nous  les  déposons  entre  vos  mains, 
et  nous  les  soumettons  avec  respect  à  la  supériorité  de 
vos  lumières. 

C'est  par  vos  yeux  que  le  Pvoi  veut  examiner  l'extérieur 
et  la  forme  du  bref  que  nous  vous  apportons  ;  c'est  à  vous 
qu'il  confie  la  défense  des  droits  sacrés  de  sa  couronne, 
et  ce  qui  ne  lui  est  pas  moins  cher ,  la  conservation  des 
saintes  libertés  de  l'Eglise  gallicane  ;  persuadé  que ,  bien 
loin  d'altérer  cette  heureuse  concorde  que  nous  voyons 
régner  entre  l'Empire  et  le  sacerdoce ,  vous  l'alTermirez 
par  la  sagesse  de  vos  délibérations,  afin  que  les  vœux 
communs  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  soient  également  exaucés^ 


suii  l'affaire  du  quiétisme.  571 

et  que  ne  séparant  plus  les  ouvrages  de  deux  puissances 
qui  procèdent  du  même  principe,  et  qui  tendent  à  la 
même  fin,  nous  respections  en  même  temps,  selon  la 
pensée  d'un  ancien  auteur  ecclésiastique ,  et  la  majesté 
du  Roi  dans  les  décrets  du  souverain  Pontife  ,  et  la  sainteté 
du  souverain  Pontife  dans  les  ordonnances  du  Roi  :  Ita 
sublimes  istœ  personœ  tantâ  unanimitate  jiwganiur,  ut 
Rex  in  Romano  Ponlifice  _,  et  Romanus  Pontijex  inve- 
niatur  in  Rege, 

C'est  dans  cette  vue  que  nous  requérons  qu'il  plaise  à 
la  Cour  ordonner  que  les  lettres-patentes  du  Roi  en  forme 
de  déclaration  ,  et  la  constitution  du  Pape ,  seront  en- 
registrées ,  lues  et  publiées  en  la  manière  ordinaire , 
aux  charges  portées  par  les  conclusions  que  nous  remet- 
tons entre  ses  mains  avec  les  lettres-patentes  et  la  consti- 
tution. 


LETTRE  DU. 

DE  BOSSUET  A  M.  DE  RANGÉ 

ANCIEN     ABBE    DE     LA    TRAPPE, 


I 


Il  lui  envoie  la  Relation  sur  Tafliaire  de  Cambrai,  et  la  Censure  de 
rassemblée  du  clergé  de  France,  et  s'excuse  de  ne  pouvoir,  celle 
année,  aller  à  la  Trappe. 

Monsieur  deSéez,  votre  cher  évêque,  se  charge, 
mon  révérend  Père  ,  de  vous  envoyer  avec  cette 
lettre,  un  exemplaire  de  la  Relation  sur  l'affaire  de 
Cambrai,  et  un  de  la  Censure  de  notre  assemblée. 
Je  ne  doute  pas  que  vous  ne  rendiez  grâces  à  Dieu 


5-^2  LETTRES 

de  nous  avoir  inspiré  ces  deux  choses,  qui  seront, 
s'il  plaît  à  Dieu,  utiles  à  l'Eglise.  Il  me  resteroit  une 
chose  à  faire ,  qui  seroit  la  consolation  de  vous  aller 
voir;  mais  je  crains  d'être  privé  cette  année  de  cette 
joie,  par  le  besoin  que  j'ai  d'aller  chez  moi,  après 
quatre  moi^  d'absence,  sans  presque  avoir  eu  le 
temps  de  pourvoir  aux  affaires  de  mon  diocèse.  Ai- 
mez-moi toujours,  mon  révérend  Père,  et  soyez 
persuadé  de  mon  inviolable  attachement  à  votre 
personne  et  à  la  sainte  maison. 

A  Saint-Germain,  ce  16 septembre  1700. 


DIII. 

MANDEMENT 

DE  Mo"^  FRANÇOIS  DE  SALIGNAC  DE  LA  MOTHE  FÉNÉLON, 

ARCHEVÊQUE  DE  CAMBRAI, 

Pour  la  publication  de  la  Constitution  de  notre  saint  père 
le  Pape ,  portant  condamnation  du  livre  intitulé  : 
Explication  des  Maximes  des  Saints,  etc, 

François,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  etc.  à  tout 
le  clergé  tant  séculier  que  régulier,  et  à  tous  les 
fidèles  de  notre  diocèse,  salut  et  bénédiction  en 
notre  Seigneur. 

Quoiqu'il  ne  reste  à  aucun  devons,  mes  très- 
chers  Frères ,  rien  à  apprendre  touchant  la  Consti- 


# 


suii'l'affaire  T)u  quiétisme.  573 

lution  de  notre  saint  père  le  Pape,  en  forme  die  bref, 
dont  nous  vous  instruisîmes  par  notre  Mandement 
du  9  avril  1699  (*),  et  que  nous  fîmes  ensuite  in- 
se'rer  tout  du  long  dans  le  procès -verbal  de  notre 
assemblée  provinciale,  répandu  par  nos  soins  dans 
tous  les  Pays-Bas,  nous  voulons  bien  néanmoins, 
pour  plus  grande  précaution ,  vous  le  rapporter  ici 
traduit  en  français. 

Suit  le  Bref  tout  entier  en  langue  française. 

Vous  savez,  mes  très-chers  Frères,  que  par  notre 
premier  Mandement  nous  avons  adhéré  audit  Bref 
simplement,  absolument,  sans  ombre  de  restriction, 
condamnant  avec  les  mêmes  qualifications,  tout  ce 
qui  y  est  condamné,  et  défendant  la  lecture  du  livre 
sous  les  mêmes  peines.  C'est  pourquoi  nous  n'avons 
rien  à  ajouter  audit  Mandement  ;  et  comme  nous 
avions  déjà  fait  enregistrer  ledit  Bref  au  greffe  de 
notre  ofTicialité,  il  ne  nous  reste  qu'à  ordonner  que, 
conformément  à  la  délibération  de  notre  assemblée 
provinciale,  et  à  la  Déclaration  du  Roi  qui  l'a  suivie, 
le  présent  Mandement ,  avec  le  Bref  qui  y  est  inséré, 
sera  lu  d'un  bout  à  l'autre  dans  toutes  les  églises  de 
ce  diocèse,  et  que,  selon  notre  premier  Mandement, 
les  exemplaires  du  livre ,  s'il  y  en  avoit  encore  quel- 
qu'un dans  les  mains  des  fidèles ,  nous  seront  rap- 

(*)  On  a  déjà  vu  ce  premier  Mandement  dans  la  Relation  de  ras- 
semblée de  1700,  tom.  XXX,  p.  453,  etc.  Dom  Déforis  paroît  n'avoir 
pas  connu  celui-ci  j  du  moin;i  il  ne  Fa  point  donné.  (  Edit  de  Vers.  ) 


5^4  LETTRES    SUR    l'aFFAIIIE    DU    QUIÉTISME. 

portés  sans  aucun  retardement.  Fait  à  Lessines,  dans 
le  cours  de  nos  visites,  le  3o  septembre  1700  (*). 

Signé  François  ,  archevêque  duc  de  Cambrai. 

Par  Monseigneur, 

Des  Axges,  secrétaire. 

(*)  M.  Tarchevêque  de  Cambrai  n'a  publié  ce  second  Mande- 
ment, au  sujet  de  la  condamnation  de  son  livre,  qu'après  un 
ordre  qui  lui  fut  donné  de  la  part  du  Roi,  de  se  conformer  à 
tous  les  autres  évéques,  lesquels,  en  exécution  des  délibérations 
prises  dans  leurs  assemblées  provinciales ,  avoient  ordonné  par 
tous  les  diocèses  la  publicalioa  de  la  Gonstilutioa  dlniiocent  Xll. 
(iVote  de  Vabbé  Ledlcu) 


i 


LETTRES 

ÉCRITES  A  BOSSUEÏ 

PAR  DIVERSES  PERSONNES. 


^ 


AVERTISSEMENT. 


Les  lettres  suivantes,  qui  terminent  celte  cor- 
respondance ,  ont  été  écrites  à  Bossuet ,  soit  par 
ses  amis ,  soit  par  des  savans  qu'il  mettoit  à  con- 
tribution pour  des  recherches  sur  divers  points 
de  critique  ou  d'histoire,  par  rapport  aux  ouvrages 
dont  il  s'occupoit  pour  la  défense  de  la  religion. 
Quoique  nous  n'ayons  pas  les  réponses  qu'il  y  a 
faites,  les  détails  curieux  qu'on  trouve  dans  la 
plupart  de  ces  lettres,  feroient  regretter  leur  sup- 
pression. 

D.  Déforis  en  les  publiant ,  les  avoit  classées  par 
ordre  de  date  :  nous  avons  préféré  réunir  à  la  suite 
les  unes  des  autres  les  lettres  des  mêmes  personnes, 
parce  qu'elles  roulent  ordinairement  sur  les  mêmes 
matières. 

Nous  avons  mis  en  tête  trois  lettres  de  Bossuet 
qui  n'avoient  point  été  imprimées  jusqu'à  nos 
jours.  Elles  nous  ont  été  connues  trop  tard  pour 
les  placer  dans  les  volumes  précédens. 


LETTRES 


LETTRES 

DIVERSES. 


LETTRE   PREMIÈRE. 

DE   BOSSUET   A   M.   DE   VERNON, 

PROCUREUR  DU  ROI  AU  PRESIDIAL  DE  MEAUX   (*). 

Il  le  prie  d'empêcher  les  assemblées,  et  les  représentations  qui 
pourroient  porter  au  mal. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  important  que  d'empêcher 
les  assemblées,  et  de  châtier  ceux  qui  excitent  les 
autres  ;  ainsi  je  ne  puis  que  louer  votre  zèle,  et  vous 
remercier  de  l'avis  que  vous  me  donnez  de  ce  qui 
se  passe.  Pendant  que  vous  prenez  tant  de  soin  de 
réprimer  les  mal-convertis,  je  vous  prie  de  veiller 
aussi  à  l'édification  des  catholiques,  et  d'empêcher 
les  marionnettes,  où  les  représentations  honteuses, 
les  discours  impurs,  et  l'heure  même  des  assemblées 
porte  au  mal.  Il  m'est  bien  fâcheux,  pendant  que  je 
tâche  à  instruire  le  peuple  le  mieux  que  je  puis, 
qu'on  m'amène  de  tels  ouvriers,  qui  en  détruisent 
plus  en  un  moment ,  que  je  n'en  puis  édifier  par  un 
long  travail.  Je  suis  de  tout  mon  cœur,  comme  vous 
savez,  etc. 

A  Paris,  18  nouembrc  1686. 

(*)  L'original  de  celte  lettre  est  conservé  à  Meaux  par  un  des 
descendans  de  M.  de  Vernon,  qui  nous  en  a  donné  coramuui- 
cation.  {Edit.  de  f^ers.) 

BoSSUET.    XUI.  37 


5^8  LETTRES    DIVERSES. 

LETTRE  IL 

DE  BOSSUET  A  LA  MARQUISE  DE  LAVAL  (*). 

JI  lui  témoigne  sa  joie  de  la  nomination  de  Fénélon  à  la  place 
de  précepteur  du  duc  de  Bourgogne. 

Hier,  madame,  je  ne  fus  occupé  que  du  bonheur 
de  l'Eglise  et  de  TEtat.  Aujourd'hui  que  j'ai  eu  le 
loisir  de  réfléchir  avec  plus  d'attention  sur  votre 
joie,  elle  m'en  a  donné  une  très-sensible.  M.  votre 
père,  un  ami  de  si  grand  mérite  et  si  cordial,  m'est 
revenu  dans  Tesprit.  Je  me  suis  représenté  comme  il 
seroit  à  cette  occasion ,  et  à  un  si  grand  éclat  d'un 
mérite  qui  se  cachoit  avec  tant  de  soin.  Enfin,  Ma- 
dame, nous  ne  perdrons  pas  M.  l'abbé  de  Fénélon; 
vous  pourrez  en  jouir;  et  moi,  quoique  provincial, 
je  m'échapperai  quelquefois  pour  l'aller  embrasser, 
Recevez ,  je  vous  en  conjure ,  les  témoignages  de  ma 
joie,  et  les  assurances  du  respect  avec  lequel  je 
suis,  etc. 

A,  Germigny,  ce  i g  août  i( 


C^)  Marie-Thérèse-Françoise,  fille  du  marquis  Antoine  de  Féné- 
lon. Elle  épousa  en  premières  noces  le  marquis  de  Montmorenci- 
Laval,  et  en  secondes  noces  le  comte  de  Fénélon,  son  cousin- 
germain,  frère  de  rarchevêque  de  Cambrai.  Elle  mourut  en  1726. 
Voy.  YHist.  de  Féndorij  Pièces  justifie,  du  liv.  i,  n.  5.  {£dit.  de 
Fers.) 


LETTRES    DIVERSES.  679 

LETTRE  III. 

DE  BOSSUET  A  M.me  DE  MAINTENON. 

Il  l'instruit  de  la  soumission  de  Tabbé  Couet  (*). 

Je  crois,  Madame,  que  vous  aurez  agréable  que 
je  prenne  la  liberté  de  vous  donner  avis  que  M.  Couet 
a  présenté  ce  matin ,  signé  de  sa  main ,  à  M.  le  car- 
dinal de  Noailles,  à  M.  Farchevêque  de  Lyon,  à 
M.  de  Rouen  et  à  moi,  Tacte  que  nous  avions  minuté 
la  veille,  M. Je  cardinal  et  moi,  avec  MM.  de  Toul, 
de  Chartres  et  de  Noyon.  Cet  acte  sera  utile  à  con- 
fondre ceux  dont  la  désobéissance  a  scandalisé  l'E- 
glise. Pour  moi ,  Madame ,  je  crois  voir  de  la  doci- 
lité à  M.  Couet ,  et  c'est  par  où  j'espère  qu'il  sera 
utile  à  défendre  la  vérité.  C'est  d'ailleurs  un  homme 
qui  pourra  travailler  long-temps;  et  c'eût  été  dom- 
mage qu'il  se  fût  rendu  inutile.  Je  souhaite,  Ma- 
dame, que  tout  se  réduise  à  l'obéissance,  lu  Ordon- 
nance de  M.  le  cardinal  reçoit  beaucoup  d'honneur 
dans  l'acte  nouvellement  signé.  Je  crois  que  M.  de 
Rouen  aura  l'honneur  demain  de  le  présenter  au 

(*)  L'abbé  Couet,  grand-vicaire  de  Rouen,  étoit  soupçonné  d'être 
l'auteur  du  Cas  de  conscience  sur  le  jansénisme,  qui  fît  tant  de  bruit 
en  1703,  et  qu'on  a  attribué  depuis,  avec  plus  de  fondement,  au 
docteur  Petitpied.  Louis  XIV  ne  consentit  à  laisser  cet  abbé  à 
Rouen ,  qu'à  condition  qu  il  donneroit  une  déclaration  qui  put  dis- 
siper les  soupçons  élevés  sur  sa  doctrine;  et  il  chargea  Bossuet  de 
terminer  cette  affaire.  L'abbé  Couet  signa  la  déclaration  dressée 
par  Tévêque  de  Meaux,  qui  s'empressa  d'en  instruire  madame  de 
Maintenon  par  cette  lettre.  Voyez,  sur  ce  fait,  Vllist.  de  Bossuet ^ 
liv.  XIII,  n.  4.  {JSdit.  de  Vers.) 


58o  LETTRES    DIVERSES. 

Roi,  et  de  recevoir  les  marques  de  la  bon  le'  ordinaire 
de  Sa  Majesté.  J'espère  après  cela  retourner  bientôt 
à  Versailles,  et  me  pre'senter  à  vous. 

Paris,  9  juin  lyoS. 


LETTRE  IV. 

DE  M.  L'ABBÉ  FLEURY  A  BOSSUET. 

Sur  la  mort  de  M.  l'abbé  de  Vares,  garde  de  la  bibliothèque  du  Roi. 

J'étois  à  Villeneuve  quand  je  reçus  votre  lettre, 
qui  fut  mardi  sur  les  huit  heures  du  ^ir.  Je  n'arri- 
vai ici  hier  qu'environ  à  la  même  heure  ;  parce  que, 
n'e'tanl  pas  maître  de  ma  voiture,  je  ne  pus  partir 
aussitôt  que  j'aurois  désiré.  J'eus  encore  le  temps 
d'envoyer  chez  le  médecin ,  qui  me  manda  que 
M.  l'abbé  de  Vares  étoit  très- mal,  et  qu'il  devoit 
recevoir  ce  matin  le  viatique.  Il  Tavoit  déjà  reçu 
quand  je  suis  arrivé  chez  lui,  qui  étoit  sur  les  huit 
heures  et  demie.  On  m'a  dit  qu'il  m'avoit  demandé, 
et  il  a  témoigné  être  bien  aise  de  me  voir.  Je  lui  ai 
trouvé  la  poitrine  fort  engagée,  grande  difficulté  de 
parler  et  même  d'ouïr  j  mais  la  connoissance  entière, 
et  les  sentimens  très-chrétiens.  Je  lui  ai  dit  quelques 
paroles  de  saint  Paul ,  sachant  qu'il  le  méditoit 
continuellement,  et  quelques  versets  des  Psaumes, 
surtout  In  domum  Domini  ihimus  :  sur  quoi  il  a 
témoigné  une  grande  consolation  de  penser  à  la 
sainte  cité,  et  à  la  bonne  compagnie  que  l'on  y  trou- 
vera. J'ai  continué  à  lui  dire  quelques  paroles  de 
l'Ecriture,  de  temps  en  temps;  et  j'ai  vu  comme  il 


LETTRES    DIVERSES.  58  I 

les  goûtoit,  par  ce  qu'il  ajoutoit  de  lui-même.  Il  a 
voulu  reposer;  et  j'ai  été  aux  Filles  de  saint  Thomas, 
cil  j'ai  dit  la  messe  pour  un  malade  à  l'extrémité. 
Le  médecin  étoit  venu,  qui  n'en  attendoit  plus  rien, 
et  jugeoit  toutefois  qu'il  iroit  jusqu'au  soir.  Cepen- 
dant j'avois  envoyé  quérir  M.  Bouret,  notaire,  parce 
qu'il  vouloit  faire  son  testament.  Peu  de  temps  après, 
voyant  qu'il  s'afFoiblissoit ,  j'ai  proposé  d'envoyer 
quérir  l'extrême-onction.  Les  notaires  sont  venus, 
et  il  a  eu  encore  assez  de  liberté  d'esprit,  pour  leur 
expliquer  lui-même  ses  intentions.  Comme  ils  aclie- 
voient  d'écrire,  M.  de  Cornouaille  est  venu  avec  les 
saintes  huiles,  et  a  trouvé  le  malade  si  bas  qu'il  a 
commencé  par  les  onctions.  Il  a  toutefois  eu  encore 
le  temps  de  dire  les  prières ,  puis  tout  de  suite  celles 
des  agonisans,  pendant  lesquelles  il  a  expiré,  un 
peu  avant  midi.  Il  a  philosophé  jusqu'à  la  fin,  de- 
mandant pourquoi  la  maladie  s'appeloit  un  mal,  et 
pourquoi  tant  de  gens  s'assembloient  autour  de  lui , 
paroissant  alarmés  de  son  état.  Jusqu'à  la  fm  il  a 
témoigné  une  grande  confiance  en  Dieu ,  quoique 
mêlée  de  quelque  légère  crainte  qui  passoit  vite. 

M.  Pessole  et  M.  Clément  ont  envoyé  quérir  aussi- 
tôt, d'un  côté  M.  l'abbé  de  Saint-Luc,  et  de  l'autre 
M.  de  la  Chapelle.  Cependant  je  m'en  suis  allé  dîner 
chez  M.  l'abbé  Renaudot,  pour  ne  pas  m'éloigner 
en  cas  qu'on  eût  besoin  de  moi.  M.  l'abbé  de  Saint- 
Luc  y  est  venu,  qui  nous  a  compté  ce  qui  s'étoit 
passé,  et  comme  M.  de  la  Chapelle  s'étoit  chargé 
des  clefs,  suivant  l'ardre  qu'il  avoit  de  M.  de  Lou- 
vois  :  ainsi  n'ayant  plus  rien  à  faire  à  la  bil)lio- 
thèque,  je  n'ai  pas  cru  devoir  y  retourner.  J'espère 


^S'.i  LETTRES    DIVERSES. 

aller  demain  à  l'entei  rement ,  et  m'en  retourner 
samedi  à  Villeneuve ,  où  M.  le  contrôleur-ge'néral 
doit  être  encore  huit  jours.  Après  cela  j'espère  vous 
aller  trouver ,  si  vous  ne  m'ordonnez  le  contraire. 

M.  l'abbe'  Renaudot  se  réveille  vivement  en  cette 
occasion,  et  remue  toutes  les  machines  dont  il  se 
peut  aviser.  Vous  le  verrez  par  cette  lettre  de  M.  le 
Prince.  Je  l'ai  assuré  qu'elle  étoit  fort  inutile,  et  que 
vous  étiez  autant  bien  disposé  à  son  égard  qu'il  le 
pouvoit  souhaiter.  Toutefois  puisqu'elle  est  écrite , 
il  a  fallu  vous  l'envoyer.  M.  l'abbé  de  Saint-Luc  lui 
a  offert  très-honnêtement  ses  bons  offices  auprès  de 
M.  l'archevêque  de  Rheims,  et  lui  en  doit  écrire  dès 
aujourd'hui.  Pour  moi.  Monseigneur,  si  on  me  fai- 
soit  l'honneur  de  m'en  demander  mon  avis,  vous 
savez  ce  que  je  vous  en  ai  dit  plusieurs  fois  ;  et  que 
pour  le  bien  de  la  chose,  sans  aucun  égard  des  per- 
sonnes, je  n'en  vois  point  qui  convienne  mieux  à  cet 
emploi  que  lui.  Au  reste,  la  gazette  ne  l'occupe  pas 
autant  que  je  pensois.  Il  ne  laisse  pas  d'étudier  beau- 
coup d'ailleurs  :  ce  qu'il  écrit  en  fait  foi  ;  et  le  com- 
merce qu'il  a  avec  tous  les  savans,  dedans  et  dehors 
le  royaume,  feroit  honneur  à  ceux  qui  le  choisi- 
roient.  Je  ne  manquerai  pas  d'en  dire  ma  pensée  à 
M.  le  contrôleur-général. 

M.  l'abbé  de  Vares  a  l'avantage  d'être  regretté  de 
tout  le  monde.  M.  l'abbé  Galois  m'en  parla  avec  de 
grands  sentimens  d'estime,  la  dernière  fois  que  je  le 
vis;  et  prévoyant  ce  malheur,  il  le  regrettoit  par 
avance.  Le  pauvre  M.  Clément,  quoiqu'il  eût  eu  les 
petits  chagrins  que  vous  savez ,  ne  laisse  pas  de  le 
regretter,  craignant  de  trouver  pis.  Il  est  tout  étourdi 


LETTRES    DIVERSES.  583 

de  ces  cliangemens,  et  me'rite  que  l'on  prenne  soin 
de  le  conserver.  Le  pauvre  M.  Pessole  me  fait  grande 
compassion,  et  je  ne  sais  ce  qu'il  deviendra  ni  ce 
qu'on  pourra  faire  pour  lui.  Mais  il  est  inutile,  Mon- 
seigneur, de  vous  représenter  tout  cela  :  vous  le 
voyez  comme  moi;  et  personne  ne  pe'nètre  mieux 
que  vous  toutes  les  conse'quences  de  cette  mort.  Pour 
moi,  je  voudrois  bien  en  tirer  des  conséquences  qui 
me  fussent  utiles  ;  et  il  me  semble  que  cet  exemple 
venant  tout-à-coup  sur  celui  de  M.  d'Amboile,  de- 
vroit  bien  m'apprendre  à  mépriser  la  vie  et  tout  ce 
que  l'on  y  appelle  établissement,  pour  ne  songer  à 
en  faire  que  dans  le  ciel.  Vous  m'y  aiderez ,  Mon- 
seigneur, par  vos  bonnes  instructions  et  vos  bons 
exemples,  et  encore  plus  par  vos  prières,  que  je  vous 
demande  avec  votre  sainte  bénédiction. 

Fleury. 

A  Paris,  ce  jeudi  28  septembre  1684. 

LETTRE   V. 

DE  M.  L'ABBÉ  DE  SAINT-LUC. 

Sur  le  même  sujet. 

Vous  aurez  appris.  Monseigneur,  par  les  lettres 
de  Pessole  et  de  M.  Fleury  la  triste  nouvelle  de  la 
mort  de  notre  pauvre  ami  M.  de  Vares.  Vous  n'en 
aurez  pas  été  surpris  :  car  vous  me  marquiez  dans 
votre  dernière  lettre  que  vous  n'en  espériez  plus 
rien;  et  j'ai  vu  que  vous  en  étiez  vivement  touché. 
En  vérité.  Monseigneur,  je  ne  saurois  me  consoler 
de  cette  perte;  elle  me  paroît  irréparable  pour  tous 


584  LETTRES    DIVERSES. 

ses  amis'.  Il  est  rare  d'en  trouver  de  ce  mérite,  et 
d'une  société  si  douce  et  si  agréable.  On  n'a  pas 
assurément  d'afîliction  plus  sensible  en  cette  vie,  et 
lien  ne  doit  plus  servir  à  nous  en  détacher.  Je  l'avois 
été  voir  avant-hier,  et  j'y  menai  M.  Duchêne  qui  le 
jugea  en  grand  péril.  Je  lui  en  dis  quelque  chose 
dans  la  conversation  :  il  me  parut  qu'il  m'entendolt 
assez.  En  effet,  il  s'est  disposé  à  ce  dernier  moment 
comme  un  homme  bien  pénétré  des  vérités  de  la 
religion,  qu'il  méditoit  toujours  pendant  sa  mala- 
die, et  a  eu  le  bonheur  de  mourir  entre  les  bras  de 
M.  Fleury.  Je  suis  arrivé  un  moment  trop  tard  :  j'ai 
trouvé  le  pauvre  Pessole  fort  désolé,  et  incertain  de 
ce  qu'il  devoit  faire  des  clefs  dont  il  étoit  chargé. 
M.  de  la  Chapelle,  averti  par  Clément,  est  venu 
aussitôt,  et  a  dit  que  M.  de  Louvois  lui  avoit  donné 
ordre  en  partant  de  se  rendre  à  la  bibliothèque  dès 
qu'il  sauroit  la  mort,  de  mettre  son  cachet  h  toutes 
les  serrures,  et  de  prendre  les  clefs.  Je  lui  ai  conseillé 
de  les  remettre  avec  le  registre,  et  de  donner  avis 
de  tout  à  M.  de  Rheims.  Je  ne  doute  pas  que  vous 
n'ayez  la  bonté  de  lui  recommander  fortement  ce 
pauvre  garçon,  qui  perd  tout  son  appui  :  son  affec- 
tion et  sa  fidélité  méritent  qu'on  fasse  quelque  chose 
pour  lui ,   outre  qu'il  est  assez  inteUigent  et  fort 
exact. 

L'abbé  Renaudot  espère  aussi  que  vous  écrirez  ei). 
sa  faveur.  M.  de  Fleury  et  moi  sommes  convenus  que 
l'on  ne  pouvoit  trouver  un  meilleur  sujet  et  plus 
capable  de  cet  emploi ,  par  son  érudition  et  le  com- 
merce qu'il  a  avec  tous  les  gens  de  lettres.  La  Gazette 
ne  l'occupe  pas  assez,  pour  l'empêcher  de  s'y  donner 


LETTRES    DIVERSES.  585 

tout  entier  :  d'ailleurs  il  a  du  bien ,  et  ne  cherchera 
pas  à  faire  son  profit  aux  dépens  du  service.  Vous 
connoissez  la  disposition  où  est  M.  de  Rheims  à  son 
égard  5  et  je  crois  qu'il  vous  sera  aisé  de  faire  encore 
celui-là,  qui  en  sera  très-reconnoissant.  Je  suis,  avec 
un  attachement  inviolable,  absolument  à  vous. 

L'abbé  de  Saint-Luc, 
A  Paris,  ce  28  septembre  1684. 


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LETTRE  VI. 

DE  M.  UABBË  FLEURY. 

Sur  la  mort  de  M.  de  Cordemoy. 

Eh  bien!  Monseigneur,  il  a  plu  à  Dieu  de  frapper 
encore  ce  terrible  coup,  et  de  nous  ôter  M.  Corde- 
moy. Il  me  semble  que  je  ne  vois  plus  que  des  morts; 
et  à  peine  sais-je  si  je  suis  en  vie  moi-même  :  du  moins 
sais-jebien  que  si  j'ai  tant  soit  peu  de  raison,  je  ne 
dois  pas  me  promettre  un  moment  de  vie.  Quatre  amis 
de  cette  force  perdus  en  deux  mois  !  Mais  il  n'est 
point  question  de  lamenter;  il  faut  songer  aux  vi- 
vans,  et  avoir  soin  de  la  pauvre  famille  de  notre 
ami.  Il  m'a  passé  par  l'esprit  que  peut-être  ne  seroit- 
il  pas  impossible  de  conserver  la  charge  ou  la  pension 
pour  le  fils,  qui  est  à  Lyon,  et  de  l'engager  à  conti- 
nuer l'Histoire  (*}.  Je  crois  qu'en  un  an  ou  deux, 

{*)  VHlstoire  de  France  :  M.  de  Cordemoy  avoit  écrit  celle  des 
deux  prenuères  races,  qui  a  été  publiée  après  sa  mort,  en  deux  vo- 
lumes in-folio.  Louis  XIV,  comme  le  désiroient  les  amis  du  délunl, 
chargea  son  fils  de  continuer  celte  Histoire.  Il  avança  beaucoup 


586  LETTllES    DIVERSES. 

laborieux  comme  il  est ,  avec  un  fort  bon  esprit ,  il 
auroit  bien  autant  d'avance  que  le  père  pouvoit  en 
avoir,  vu  la  jeunesse,  la  fraîcheur  et  la  mémoire, 
et  qu'il  n'auroit  aucun  autre  soin.  Un  de  ses  jeunes 
frères  Ty  pourroit  aider  ;  et  je  crois  que  ces  deux 
jeunes  hommes  se  donnant  tout  entiers  à  cet  ou- 
vrage, ils  y  réussiroient  plutôt  que  quelqu'un  des  sa- 
vans  que  nous  connoissons  ;  ou  plutôt,  je  n'en  connois 
point  que  je  pusse  indiquer  pour  cet  ouvrage.  Je  crois 
bien  que  cela  sera  difficile  à  obtenir  ;  mais  quand  on 
n'obtiendroit  qu'une  partie  de  la  pension ,  ce  leur 
seroit  toujours  un  grand  secours.  Peut-être  cette 
affaire  mériteroit  bien  que  vous  fissiez  un  tour  à 
Fontainebleau  ;  car  elle  aura  besoin  d'être  puissam- 
ment sollicitée  :  et  vous  savez  mieux  que  moi  que  si 
ces  sortes  de  grâces  ne  s'obtiennent  sur-le-champ, 
et  par  la  compassion  d'une  mort  récente ,  il  n'y  a 
rien  à  faire  ensuite.  Je  sais  bien,  Monseigneur,  que 
je  ne  hasarde  rien  de  vous  dire  toutes  mes  pensées.  Il 
m'importe  seulement  de  savoir  votre  résolution  ;  afin 
que  si  vous  demeurez  à  Meaux,  je  me  rende  inces- 
samment auprès  de  vous.  Cependant  je  vous  de- 
mande, avec  un  profond  respect,  vos  prières  et 
votre  sainte  bénédiction  (*). 

A  Paris,  ce  1 5  octobre  i68\. 

celle  de  la  troisième  race  5  mais  son  travail  n'a  pas  été  donné  au 
public. 

(*)  Nous  aurions  placé  ici  une  lettre  du  grand  Condé  àBossuet, 
sur  la  mort  de  plusieurs  des  amis  du  prélat,  si  elle  n'eût  pas  été 
donnée  dans  Y  Histoire  de  Bossuel,  tom.  11,  pag.  346.  {^Edit.  de 
Vers.) 


l^ETTRES    DIVERSES.  58^ 

LETTRE  VIL 

DE  M.  OBRECHT, 

PRETEUR    ROYAL    AU    SENAT    DE    STRASBOURG    ^*X 

Sur  les  changemens  que  les  Lulhérieus  ont  faits  dans  la  confession 
d'Ausbourg,  et  ce  qu'ils  alléguoient  pour  s"'en  justifier. 

Je  réponds  un  peu  tard  à  celle  que  votre  Gran- 
deur m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire,  du  26  de  mars  ; 
parce  qu'elle  m'a  été  rendue  dans  un  temps  que 
j'étois  surchargé  d'affaires  plus  qu'à  l'ordinaire ,  et 
qu'ayant  changé  de  maison  ,  je  n'ai  pas  pu  si  tôt 
transporter  ma  bibliothèque,  qui  est  encore  actuel- 
lement dans  la  dernière  confusion.  Cependant  je 
m'étois  déterminé  d'abord  de  satisfaire  votre  Gran- 
deur, sur  ce  qu'elle  désire  de  savoir  touchant  la  di- 
versité des  éditions  de  la  confession  d'Ausbourg. 

C'est  une  matière  qui  a  été  bien  battue  et  rebat- 
tue en  Allemagne,  et  on  en  a  fait  des  livres  tout 
entiers,  tant  pour  accuser  cette  diversité  que  pour  la 
défendre.  Celui  qui  l'a  traitée  avec  le  plus  d'étendue 
est  Laurentius  Forerus ,  dans  plusieurs  traités  qu'il 
a  publiés  en  l'an  1628, 1629,  i63o.Mais  comme  il  a 
vu  que  ses  raisons  n'avoient  pas  tout  le  poids  qu'elles 
dévoient ,  à  cause  qu'étant  parties  de  la  plume  d'un 

(*)  Ulric  Obrecht,  savant  distingué  ,  né  à  Strasbourg  le  23  juil- 
let 1646,  avoit  été  élevé  dans  la  /religion  protestante.  Il  fit  abjura- 
tion entre  les  mains  de  Bossuet  en  i684;  et  mourut  le  6  août  1701. 
On  trouve  des  détails  intércssans  sur  sa  vie  et  ses  travaux  dans  X His- 
toire de  Bossuet  y  Pièces  justifie,  du  livre  vu,  tom.  11,  pag.  433  et 
suiy.  {Edit.  de  Vers,) 


588  LEJTllES    DIVEUSES. 

Jésuite,  les  Luthériens  eurent  moyen  de  les  faire  at- 
tribuer à  la  passion  et  à  la  haine  mortelle  qu'il  y  a 
entre  eux  et  cet  ordre,  il  îès  reproduisit  quelques 
années  après,  revêtues  d'un  nom  illustre,  dans  le 
Spéculum  veritatis  Brandenburgicœ ,  du  marquis 
Christian  -  Guillaume ,  imprimé  en  l'an  i633  :  sui- 
vant en  cela  les  traces  de  Pistorius,  qui  avoit  traité 
la  même  matière  sous  le  nom  de  Jacques ,  marquis 
de  Baden,  dans  les  motifs  de  sa  conversion,  publiés 
en  1591.  M.  le  cardinal  de  Hesse  la  fit  aussi  éplucher 
par  Thomas  Henrici,  dans  un  ouvrage  intitulé  : 
Anatomia  Augustance  Confessionis.  Et  tout  nouvel- 
lement, M.  l'évêque  de  Neustadt  a  fait  ramasser,  dans 
un  traité  qui  a  pour  titre ,  Augustana  et  Anti-Au- 
gustana  Confessio ,  tout  ce  qui  a  été  dit  autrefois  à 
ce  sujet  :  et  M.  l'électeur  de  Saxe  a  fait  répondre 
par  un  professeur  de  Leipsick  appelé  Valentinus  Al- 
berti.  L'un  et  l'autre  de  ces  deux  ouvrages  est  écrit 
en  allemand,  aussi  bien  que  la  plupart  de  ceux  qui 
les  ont  précédés. 

A  ce  que  je  me  souviens,  on  reproche  aux  Luthé- 
riens principalement  les  changemens  qui  paroissent 
dans  l'édition  qui  a  été  faite  de  la  confession  d'Aus- 
bourg  à  Wirtemberg,  en  l'an  1 54o,  et  la  diversité  qu'il 
y  a  entre  cette  édition  et  toutes  celles  qui  lui  sont 
antérieures  ,  depuis  celle  de  l'an  i53o.  En  outre  on 
leur  objecte  que  de  plusieurs  exemplaires  allemands, 
même  des  plus  authentiques,  comme  sont  ceux  qui 
sont  dans  la  bibliothèque  de  l'Empereur,  et  dans  les 
archives  de  l'empire  à  Mayence ,  il  n'y  en  a  pas  deux 
qui  se  ressemblent,  non  plus  que  l'édition  allemande 
de  l'an  i58o,  et  celle  de  1628,  dont  ils  font  le  plus 


LETTRES    DIVERSES.  SScj 

de  cas  ;  et  que  les  exemplaires  latins  en  dilïerent 
encore  davantage.  Le  nombre  des  passages  où  l'on 
leur  montre  cette  discrepance  ,  est  presque  infini , 
de  plus  grande  et  de  moindre  importance. 

Les  Luthe'riens,  dans  leurs  réponses,  commencent 
par  rejeter  entièrement  l'e'dition  de  Wirtemberg  de 
l'an  1 540.  Ils  disent  qu'elle  est  un  effet  de  la  foiblesse 
de  Mélancton,  qui  s'est  voulu  accorder  par-là  avec 
les  Suisses;  qu'elle  n'a  jamais  été  reçue  parmi  eux; 
qu'au  contraire  l'auteur  en  a  été  repris  sévèrement 
au  nom  de  l'électeur  de  Saxe  par  son  chancelier 
nommé  Pontanus,  et  qu'il  a  été  obligé  de  l'aban- 
donner entièrement,  aux  colloques  de  Worms  et 
de  Ratisbonne. 

Quant  aux  autres  éditions,  ils  disent  qu'il  y  en  a 
qui  ont  été  corrompues  par  les  imprimeurs  ;  et  qu'ils 
ne  reconnoissent  que  celles  qui  ont  été  données  par 
autorité  publique,  comme  sont  celles  de  l'an  1626, 
in  Pupillu  A,  C.  et  celle  de  i58o,  in  Formula  Con- 
cordiœ.  Ils  avouent  que  le  texte  latin  n'est  pas  tout- 
à-fait  conforme  à  l'allemand  quant  aux  paroles; 
mais  qu'il  retient  pourtant  le  même  sens  :  que  la 
Confession  a  été  traduite  de  l'allemand  en  latin,  et 
l'Apologie  du  latin  en  allemand  :  que  dans  l'vme  et 
dans  l'autre  il  faut  examiner  la  traduction  sur  l'ori- 
ginal ,  et  non  pas  combattre  l'original  par  la  traduc- 
tion :  que  dans  les  exemplaires  qui  se  trouvent  dans 
les  bibliothèques  et  dans  les  archives,  il  y  a  des 
variétés  ;  mais  qui  la  plupart  n'importent  rien ,  et 
n'altèrent  pas  le  sens  :  que  s'il  y  a  des  changemens, 
des  additions ,  des  omissions ,  c'est  pour  donner  non 


5gO  LETTllES    DIVERSES. 

pas  une  doctrine  nouvelle,  mais  plus  nette  et  plus 
claire. 

A  ces  faits  ils  ajoutent  les  réflexions  suivantes  : 
Que  dans  l'Eglise  chrétienne  il  a  toujours  été  per- 
mis de  changer  les  symboles  et  les  confessions  de 
foi  :  que  cela  a  été  remarqué  même  dans  le  symbole 
des  apôtres,  dans  celui  de  saint  Athanase,  et  prin- 
cipalement dans  celui  de  Constantinople,  où  TEglise 
latine  a  cru  avoir  la  liberté  d'ajouter  le  Filioque, 
qui  n'étoit  pas  dans  le  grec  :  que  l'Eglise  romaine 
leur  peut  d'autant  moins  reprocher  leurs  additions 
et  changemens ,  qu  elle  -  même  s'est  servie  d'une 
grande  liberté  à  changer  par  exemple  l'édition  Vul- 
gate,  selon  l'aveu  de  Clément  VIII  dans  sa  préface, 
le  canon  de  la  messe,  la  profession  de  foi,  où  ils 
soutiennent  que  la  foi  du  concile  de  Trente  est  alté- 
rée par  des  additions,  comme,  par  exemple,  de 
jurer  l'obéissance  au  Pape;  et  par  des  changemens, 
comme  doit  être  celui  de  l'article  de  l'invocation 
des  saints,  que  la  profession  veut  faire  passer  pour 
nécessaire,  quoique  le  concile  ne  Tait  proposée  que 
comme  utile  :  que  la  doctrine  du  concile  de  Cons- 
tance a  été  changée  par  celui  de  Latran,  touchant 
l'autorité  des  papes  sur  les  conciles  :  qu'il  ne  sert 
de  rien  de  dire  que  leur  confession  a  été  changée 
dans  les  diverses  éditions,  attendu  qu'ils  ont  tou- 
jours publié  hautement  qu'ils  se  tiendront  insépara- 
blement à  l'exemplaire  qu'ils  ont  présenté  à  Charles V, 
et  qu'ils  n'ont  jamais  refusé  de  laisser  juger  leur  doc- 
trine selon  cet  exemplaire-là,  sans  se  prévaloir  d'au- 
cun des  changemens  qu'on  leur  oppose. 


LETTRES    DIVERSES.  ^QI 

J'espère  que  M.  le  Correur  aura  fait  son  devoir  : 
il  y  a  déjà  du  temps  que  je  l'eu  ai  averti.  Il  demeure 
dans  la  rue  Montmartre,  vis-à-vis  de  la  Jussienne, 
chez  M.  le  commissaire  Fleury. 

J'ai  reçu  les  excellens  ouvrages  que  votre  Gran- 
deur m'a  envoyés  par  le  coche,  et  j'ai  rendu  les 
exemplaires  où  ils  ëtoient  destine's.  En  mon  par- 
ticulier je  lui  en  ai  une  obligation  infinie  ;  et  ne 
souhaite  rien  au  monde  si  passionnément,  que  d'a- 
voir l'occasion  de  témoigner  réellement  avec  com- 
bien de  vénération  et  de  respect  je  suis,  etc. 

Obrecht. 

 Strasbourg,  ce  i."  mai  1686. 


LETTRE  VIII. 

DU  MÊME. 

Sur  les  principes  des  Proleslans  touchant  la  polj-^gamie,  etPasage 
qu  ils  en  avoierit  fait  à  Tégard  du  Landgrave  de  Hesse. 

Je  réponds  un  peu  tard  à  la  lettre  que  votre  Gran- 
deur m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire  du  6  du  mois 
passé;  parce  qu'elle  m'a  été  rendue  lorsque  j'étois 
occupé  à  instruire  quelques  procès  de  conséquence 
que  la  ville  de  Strasbourg  a  au  conseil  souverain 
d'Alsace ,  et  qui  doivent  encore  être  jugés  avant  les 
vacances.  J'espérois  en  outre  de  trouver  ici  les  deux 
derniers  tomes  de  M.  Varillas,  où  il  doit  avoir  mis 
l€S  deux  pièces  sur  lesquelles  votre  Grandeur  me 
demande  quelque  éclaircissement.  Mais  comme  nos 
libraires  ne  les  ont  pas  encore  apportés,  je  n'en 
pourrai  donner  que  des  conjectures. 


592  LETTRES    DIVERSES. 

Je  présume  donc  que  ce  seront  les  mêmes  que 
celles  que  feu  M.  l'électeur  Palatin  Charles-Louis  a 
déjà  fait  publier  autrefois,  pour  couvrir  ou  autoriser 
en  quelque  façon  le  concubinage  dans  lequel  il  vi- 
voit  avec  la  dame  de  Deyenfeld.  C'est  dans  un  livre 
qu'il  fait  écrire  en  allemand  par  un  de  ses  conseillers, 
et  qu'il  envoya  lui-même  à  la  plupart  des  Cours , 
comme  aussi  aux  savans  d'Mlemagne.  Il  m'en  adressa 
aussi  un  exemplaire,  avec  un  paquet  pour  feu  M.  le 
Prince  :  mais  il  me  défendit  fortement  de  mander 
d'où  m'étoit  venu  ledit  paquet.  Cet  ouvrage  a  pour 
titre  :  Considérations  ou  Réflexions  conscientieuses 
sur  le  mariage ,  en  tant  qu'il  est  fondé  dans  le  droit 
divin  et  en  celui  de  nature  ;  a^^ec  un  éclaircissement 
des  questions  agitées  Jusqu'à  présent  touchant  l'adul- 
tère, la  séparation ,  et  particulièrement  la  poly- 
gamie. Il  a  été  publié  en  l'an  1679 ,  sous  le  nom  em- 
prunté de  Daphnœus  Arcuarius ,  sous  lequel  est 
caché  celui  de  Laurentius  Baeger  ;  parce  o^Arcus 
signifie  en  allemand  Bognu, 

Dans  la  quatrième  partie,  chapitre  i,  Fauteur 
ayant  proposé  la  question ,  si  dans  le  temps  de  la 
nouvelle  alliance  il  y  a  eu  des  docteurs  qui  aient 
permis  la  polygamie  ;  et  après  avoir  fait  dire  au  car- 
dinal Bellarmin  qu'il  s'étonnoit  de  ce  que  les  Luthé- 
riens reprochoient  au  pape  Grégoire  III  d'avoir 
permis  à  un  mari,  dont  la  femme  étoit  malade,  de 
prendre  une  seconde  femme,  puisque  Luther  avoit 
été  dans  le  même  sentiment  :  il  fait  semblant  de  vou- 
loir embrasser  la  défense  de  Luther,  et  de  le  vouloir 
purger  de  cette  doctrine  ;  mais  insensiblement  il 
tourne  la  phrase,  et  le  charge  de  preuves  si  con- 
vaincantes. 


LETTRES    DIVERSES.  5^3 

vaincante ,  qu'il  n'en  laisse  aucun  doute  au  lecteur  ; 
et  conclut,  à  la  fin  du  chapitre,  que  Luther  a  effec- 
tivement enseigné  ce  qu'on  lui  impose,  et  fait  voir 
que  c'est  à  tort  qu'on  le  veut  excuser ,  en  disant  que 
ce  n'a  été  que  vers  le  commencement  de  sa  réforme , 
<:omme  s'il  avoit  changé  de  sentiment  dans  ses  der- 
niers écrits. 

Entre  autres,  il  produit  aussi  en  allemand  et  en 
latyi  l'Avis  doctrinal  sur  le  dessein  du  Landgrave, 
aussi  bien  que  le  contrat  de  mariage  :  l'un  et  l'autre 
est  autorisé  des  mêmes  notaires  que  votre  Grandeur 
me  marque.  Mais  quant  à  l'avis  allemand  ,  que  je 
tiens  pour  l'original,  il  n'est  signé  que  de  Luther, 
de  Mélancton  et  de  Bucer  ;  et  je  crois  que  les  autres 
théologiens  n'ont  signé  le  latin  que  quelque  temps 
après.  L'allemand  est  indubitablement  du  style  de 
Mélancton  ;  mais  le  latin  me  paroît  être  sorti  de 
la  plume  de  Melander.  Arcuarius  assure  que  ces 
pièces  ont  été  tirées  des  archives  d'un  prince  d'Alle- 
magne, qu'il  ne  les  publie  que  parce  qu'il  est  pleine- 
ment convaincu  de  leur  autorité.  Il  ajoute  en  outre 
l'instruction  que  le  Landgrave  a  donnée  à  Bucer 
pour  négocier  cette  affaire  auprès  de  Luther  et  de 
Mélancton  ,  et  pour  obtenir  d'eux  un  avis  favo- 
rable. 

Votre  Grandeur  ne  me  marque  pas  si  M.  de 
Varillas  a  aussi  donné  cet  acte ,  qui  est  assurément 
la  pièce  principale,  et  qui  fait  voir  les  ressorts  que 
le  Landgrave  a  remués ,  pour  arracher  de  ces  mes- 
sieurs une  décision  telle  qu'il  la  souhaitoit.  Elle  n'est 
qu'en  allemand  :  mais  si  votre  Grandeur  la  désire, 
je  la  ferai  traduire ,  et  la  lui  enverrai  au  plus  tôt. 

BOSSUET.    XLII.  38 


5gf4  LETTRES    DIVERSES. 

Du  reste  il  ne  faut  pas  s'e'tonner  si  les  historiens 
de  ce  temps-là  ne  parlent  pas  avec  plus  de  de'tail  de 
Ce  mariage  :  car  en  conse'quence  de  l'avis,  on  avoit 
pris  de  si  belles  précautions  pour  le  cacher,  que 
personne  n'en  a  jamais  rien  su  qu'à  demi.  Il  est  vrai 
qu'on  l'a  reproché  à  Luther  aussi  bien  qu'au  Land- 
grave même ,  dans  des  écrits  publics  :  mais  l'un  et 
l'autre  dans  leurs  réponses  se  sont  tirés  d'affaire  en 
habiles  rhétoriciens  :  de  sorte  que  quand  on  a  lu  ce 
qu'ils  en  disent,  on  est  aussi  savant  qu'auparavant  ; 
c'est-à-dire,  qu'en  ne  rien  avouant,  ils  ne  nient 
néanmoins  rien. 

«  Vous  me  reprochez,  écrit  le  Landgrave  contre 
»  Henri  le  jeune,  duc  de  Brunswick,  apud  Hortle- 
»  derum  „  de  caiisis  belli  Germanici,  anno  i54o, 
»  qu'il  a  éclaté  de  moi  comme  si  j'avois  pris  une 
M  seconde  femme,  la  première  étant  encore  vivante  : 
»  sur  quoi  je  vous  déclare  que  si  vous,  ou  qui  que  ce 
j)  soit,  dit  que  j'aie  contracté  encore  un  mariage 
3)  non  chrétien,  ou  que  j'aie  fait  quelque  chose  qui 
»  ne  convienne  pas  à  un  prince  chrétien,  il  me 
»  l'impose  par  pure  calomnie.  Car  quoique  envers 
»  Dieu  je  me  reconnoisse  pour  un  pauvre  pécheur, 
>»  je  vis  pourtant  en  ma  foi  et  en  ma  conscience  de- 
»  vant  lui  d'une  telle  manière ,  que  mes  confesseurs 
3)  ne  me  tiennent  pas  pour  un  homme  non  chrétien , 
»  et  que  je  ne  donne  scandale  à  personne,  et  suis 
»  avec  la  princesse  ma  femme,  en  bonne  intelli- 
3)  gence,  amitié  et  concorde,  etc.  » 

«  On  reproche  au  Landgrave  ,  écrit  Luther, 
»  (tom.  VII,  Jenens.  German.  foL  4^^)  que  c'est 
»  un  polygame.  Je  n'en  ferai  pas  beaucoup  de  pa- 


LETTRES    DIVERSES.  5gS 

»  rôles  ici.  Le  Landgrave  est  assez  fort,  et  a  des 
»  gens  assez  savans  pour  se  défendre.  Quant  à  moi , 
»  je  connois  une  seule  princesse  ou  Landgravine  de 
»  Hesse,  qui  est  et  doit  être  nommée  la  femme  et  la 
M  mère  en  Hesse  ;  et  il  n'y  en  a  point  d'autre  qui 
»  puisse  porter  ou  engendrer  de  jeunes  Landgraves, 
))  que  la  princesse  qui  est  fille  de  George  duc  de 
»  Saxe  ».  Car  effectivement  il  étoit  assez  pourvu 
par  le  contrat  de  mariage  que  la  nouvelle  épouse 
n'auroit  pas  la  qualité  de  landgravine,  et  que  ses 
enfans  ne  seroient  point  Landgraves.  L'instruction 
donnée  à  Bucer  est  admirable  sur  ce  sujet. 

Quant  à  l'élévation  de  l'Eucliaristie ,  je  ne  crois 
pas  qu'on  puisse  trouver  la  moindre  chose  dans  les 
liturgies  des  églises  protestantes  d'Allemagne,  qui 
en  fait  de  cérémonies  sont  tout -à-fait  stériles,  outre 
que  Ton  sait  que  l'élévation  a  été  abrogée  par 
Luther  même,  en  l'an  i543;  et  cela  en  faveur  du 
même  Landgrave  y  pour  lequel  il  avoit  passé  le 
dogme  de  la  polygamie.  J'en  ai  fait  copier  l'extrait 
ci-joint  de  l'histoire  de  Peucerus,  gendre  de  Mélanc- 
ton,  qui  a  été  témoin  oculaire  des  choses  qu'il  écrit. 

Je  lis  l'oraison  funèbre  (*)  que  votre  Grandeur  m'a 
fait  la  grâce  de  m'envoyer  par  la  voie  de  M.  de 
Chamilly  :  je  vois  déjà  qu'elle  est  entièrement  pro- 
portionnée à  la  grandeur  de  son  sujet,  et  à  la  répu- 
tation de  son  auteur. 

Je  suis  avec  un  profond  respect,  etc. 

De  Strasbourg ,  ce  10  juin  1687.  ^ 

(*)  L'oraison  funèbre  de  Louis  dç  Bourbon,  prince  de  Cond«. 


Sg^  LETTRES    DIVERSES. 

LETTRE  IX. 

DU  MÊME. 

Sur  le  même  sujet. 

Ce  mot  n'est  que  pour  accompagner  rinstruction 
que  votre  Grandeur  m'a  bien  voulu  demander.  C  est 
une  pièce  bien  plate ,  et  qui  pourroit  suffira  toute 
seule  pour  dépeindre  exactement  le  génie  du  Land- 
grave. Je  Tai  fait  traduire  mot  pour  mot  ;  afin  que 
si  votre  Grandeur  a  peut-être  le  dessein  d'en  donner 
une  traduction  française,  elle  puisse  entrer  d'autant 
plus  facilement  dans  le  vrai  sens  de  l'auteur.  Je  me 
suis  souvenu ,  depuis  ma  dernière  lettre ,  que  la 
Consultation  de  Luther  est  aussi  dans  ses  ouvrages, 
tome  VII  de  l'édition  allemande  d'Altenbourg,  signée 
de  lui  seul,  mais  tellement  tronquée  ,  qu'il  est  im- 
possible d'y  rien  comprendre  :  et  à  la  regarder  au 
dehors ,  on  diroit  qu'il  a  été  d'un  sentiment  con- 
traire :  mais  en  la  considéiant  attentivement,  on 
voit  d'abord  les  endroits  où  elle  a  été  falsifiée. 

Je  suis  avec  un  très-profond  respect,  etc. 

A  Strasbourg,  ce  i4  juillet  1687. 


$■ 


LETTRES    DIVERSES.  5g'] 

LETTRE  X. 

DU  MÊME. 

Sur  le  dessein  qu^avoit  Bossuet  de  combatlre  en  particulier  le  lu- 
théranisme, la  manière  de  le  faire,  et  différens  ouvrages  propre» 
à  ce  dessein. 

Je  viens  de  recevoir  la  lettre  que  votre  Grandeur 
m'a  fait  l'honneur  de  m'adresser  par  la  voie  de  M.  le 
marquis  de  Chamilly  ,  du  22  du  mois  passé.  J'ai 
d'abord  loué  Dieu ,  et  remercié  M.  le  landgrave  de 
Hesse  dans  mon  cœur,  d'avoir  inspiré  à  votre  Gran- 
deur le  dessein  de  combattre  en  particulier  le  lu- 
théranisme; et  j'en  prévois  effectivement  trop  bien 
les  fruits  pour  ne  pas  tout  quitter,  afin  d'y  contribuer 
de  tout  ce  que  je  pourrai  avoir  acquis  de  connois- 
sance  en  cette  matière. 

M.  de  Seckendorff  a  rendu  son  travail  désagréa- 
ble, même  à  ceux  de  son  parti ,  pour  avoir  suivi 
pied  à  pied  l'histoire  du  père  Maimbourg.  Ainsi  il  est 
facile  de  deviner  le  sort  qu'auroit  quiconque  le  vou- 
droit  imiter. 

Il  m'a  toujours  paru  que  pour  tirer  de  l'Histoire 
du  Luthéranisme  l'avantage  que  nous  devons  cher- 
cher en  l'attaquant,  et  qui  ne  peut  tendre  qu'à  dé- 
tromper ceux  qui  y  sont  engagés  présentement,  il 
faudroit  se  retrancher  à  examiner  le  but  que  les  Lu- 
thériens eux-mêmes  veulent  que  les  auteurs  et  les 
premiers  protecteurs  de  leur  Réforme  se  soient  pro- 
posé, et  de  le  confronter  avec  l'état  présent  de  leur 
Eglise,  qui  en  doit  être  le  fruit.  11$  prétendent^  et 


ByS  LETTRES    DIVERSES. 

c'est  là ,  si  ma  mémoire  ne  me  trompe ,  Tunique 
dessein  du  grand  ouvrage  de  M.  de  SeckendorfT,  que 
les  uns  et  les  autres  n'ont  agi  que  par  un  pur  motif 
de  piété,  et  dans  la  vue  de  rétablir  la  pureté  primi- 
tive du  christianisme,  en  corrigeant  les  erreurs,  et 
en  retranchant  les  abus  qu'ils  attribuent  à  l'Egîise 
romaine. 

Je  n'ai  jamais  trouvé  à  propos  de  contester  avec 
eux  là-dessus  :  mais  lorsqu'ils  me  le  disent,  je  leur 
allègue  les  Soeiriiens,  les  Anabaptistes,  les  Puritains, 
otc.  et  je  leur  fais  insensiblement  avouer  que  l'on 
peut  fie  tromper  p|i  se  proposant  une  pureté  imagi- 
naire, c'estrà-dire,  !en  voulant  réformer  ce  qui  n'a 
pas  besoin  ou  qui  ne  souffre  point  de  réforme.  Et  en 
menant  ensuite  k  Tétat  présent  de  leur  Eglise,  je  leur 
demande -'  A^çfî-i-vpus  une  doctrine  plus  pure  que 
n'ei^tiCeJle  de  J'Eglise  romaine  sur  les  articles  sur 
lesquels  vous  avez  fait  schisme  ?  Etes-vous  parvenus 
a^^JC:  cuUiQ  puremeat  spirituel ,  et  détaché  de  toutes 
l^S  traditions  et^^nventjous  humaines?  Votre  disci^ 
pliïie  ÇîSt-^lle  entiè^eiï^ent  conforme  à  celle  de  l'Eglise 
primitive  ?  Avez-vous  trouvé  le  secret  de  changer  en 
or,  ou  en  quelque  matière  moins  sujette  à  la  fragi- 
lité, ksyàsçf§  de  terre ,  dans  lesquels  l'apôtre  dit  que 
portent  1?,  tr^spr  de  la  connoissance  de  Dieu  ceux 
qui  sont  constitués  pour  éclairer  les  autres?  etc. 
Cette;  méthode  peut  mener  à  e'puiser  tout  ce  qu'il  y 
a  jd-e^sentiid  4p|ns;  la  ÇiOptroyerse,  et  a  néanmoins 
Gfîl^  4f2  commode,  qu'en  la  suivant  on  sç  peut  donner 
ui;ï.^;C£|r;riiè|:e  aussi. longue  ou  aussi  courte  que  l'on 
veut;     !  T 

Si  yoXiQ  Grandeur  me  fait  la  grâce  dç  m'indiquer 


LETTRE»    DIVERSES.  !Sgi) 

le  plan  qu'elle  se  sera  forme',  je  pourrai  peut-être 
lui  fournir  des  mémoires,  que  le  public  ne  recevra 
pas  avec  moins  d'avidité  que  ceux  qui  ont  été  pro- 
duits par  M.  de  Seckendorff.  Mais  comme  ils  sont  la 
plupart  en  allemand,  je  supplie  votre  Grandeur  de 
me  mander  si  elle  a  des  personnes  à  la  main  qui  en- 
tendent assez  ladite  langue  pour  les  traduire ,  ou  si 
elle  désire  que  je  les  fasse  traduire  ici  :  auquel  cas  je 
prierai  le  révérend  père  d'Aubanton,  recteur  du 
collège  des  Jésuites  en  cette  ville,  d'y  employer 
quelques-uns  de  ses  régens  3  et  si  votre  Grandeur 
lui  en  écrivpit  aussi  un  mot,  cela  serviroit  à  avancer 
la  besogne. 

L'ouvrage  de  Hortlederus  n'est  qu'un  recueil  d'ac- 
tes publics,  aussi  en  allemand.  Ainsi  il  faudra  se 
réduire  au  même  secours  à  l'égard  des  pièces  dont 
votre  Grandeur  aura  besoin.  Les  annales  d'Abraha^ 
mus  Scultetus  ne  peuvent  servir  que  par  quelques 
extraits  de  lettres, ^  qu'il  y  çi  insérées,  et  qui  n'ont 
pas  été  publiées  ailleurs  ;  je  les  .chercherai  chezpps 
libraires ,  aussi  bien  que  îTiam  pacis  Dionysii  Ca- 
pucini.  Un  livre  dont  votre  Grandeur  pourra  diffici- 
lement se  passer,  est ,  }^ita  Melanchilionis  j  per  Ca- 
merarium.  Je  ne  doute  pas  que  votre  Grandeur  ne 
l'ait  lu  ;  mais  pour  le  pouvoir  employer  utilement  a 
l'exécution  de  son  dessein ,  il  a  besoin  de  quelques 
éclaircissemens ,  que  j'écrirai  à  la  marge  d'un  exem- 
plaire que  je  me  donnerai  l'honneur  de  lui  adresser 
par  la  première  commodité  ;  n'ayant  rien  tant  à 
cœur  que  de  témoigner  ayec  combien  de  respect  je 
suis,  etc. 

A  Strasbourg,  ce  lo  mai  iGg-a. 


600  LETTRES    DIVERSES. 


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1 


LETTRE  XL 

DU  MÊME. 

Sur  difTéreus  ouvrages  des  Frolestans ,  relatifs  aux  matières  que 
Bossuet  avoit  desseia  de  traiter. 

J'ai  été  bien  aise  d'apprendre  par  celle  que  votre 
Grandeur  m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire ,  qu'elle  a 
approuve  mon  projet ,  et  que  le  sieur  Rehra  lui  a 
remis  la  vie  de  Mélancton ,  que  je  lui  avois  confiée. 
J'avois  cru  en  trouver  un  exemplaire  chez  nos  li- 
braires ,  pour  y  ajouter  mes  remarques  :  mais  cela 
m'ayant  manqué,  j'ai  pris  le  parti  d'adresser  à  votre 
Grandeur  celui  dont  je  me  suis  servi  autrefois,  et 
auquel  j'ai  fait  écrire  alors  celles  qui  y  paroissent , 
et  qui  sont  la  plupart  tirées  des  mémoires  de  Caspar 
Cruciger,  intime  ami  de  Mélancton.  J'ai  mis  de- 
puis au  coche  de  Paris ,  qui  doit  arriver  à  Meaux 
dimanche  prochain,  l'ouvrage  de  Hulterus  contre 
Hospinien,  contenant  l'histoire  de  la  Formule  de 
concorde,  sous  ce  titre,  Concordia  concors ;  comme 
aussi  Supplementum  Bistorice  Ecclesiasticœ ,  tiré 
des  lettres  de  mes  aïeux ,  et  publié  par  le  sieur  Fecht 
mon  beau-frère ,  qui  est  présentement  le  premier 
professeur  en  théologie  à  Rostock,  et  surintendant, 
comme  ils  les  appellent,  du  duché  de  Meckel- 
bourg;  et  enfin  l'Apologie  de  la  faculté  de  théologie 
à  Wirtemberg,  contre  l'histoire  écrite  par  Peuce- 
rus,  gendre  de  MéJancton,  qu'il  me  semble  avoir 
vue  chez  votre  Grandeur  :  cependant  si  elle  ne  l'a- 
voit  point  j  je  pourrois  la  lui  fournir.  Les  Annales 


LETTRES    DIVERSES.  6o  I 

^Ahrahami  Sculteti  ne  se  trouvent  point  ici  :  mais 
j'espère  de  les  avoir  de  Baie ,  où  j'ai  écrit  pour  cet 
effet.  Quant  à  Hottingerus ,  qui  a  écrit  plusieurs 
volumes  sur  Thistoire  de  TEglise,  je  supplie  votre 
Grandeur  de  me  mander  lequel  de  ses  ouvrages 
elle  désire. 

Du  reste  j'ai  commencé  à  donner  de  l'occupation 
au  père  d'Aubanton,  en  lui  remettant  l'original  de 
l'écrit  de  Bucer ,  signé  de  sa  main  et  des  principaux 
ministres  d'ici ,  que  M.  Seckendorff  rapporte  en 
son  dernier  volume,  page  539,  ^^^  pourra  servir 
d'exemple  que  l'on  ne  doit  pas  trop  se  fier  à  ses 
extraits.  Car  en  venant  aux  chefs  de  la  doctrine, 
après  avoir  remarqué  la  distinction ,  inter  capita 
necessaria  et  non  necessaria,  il  poursuit  :  Singulatim 
porrb  disserit  de  justifie  alloue  ,  fide  et  bonis  ope- 
ribus;  insinuant  par-là  sans  doute  que  Buceï*  a 
tenu  ces  chefs  pro  necessariis  :  mais  il  ne  dit  pas 
que  tout  le  raisonnement  de  Bucer  ne  tend  qu'à 
montrer  qu'après  les  éclaircissemens  que  l'on  s'étoit 
donnés  de  part  et  d'autre,  il  ne  restoit  plus  de 
contestation  déjà  alors  entre  les  parties  sur  ces  ar- 
ticles ;  établissant  de  son  côté  tout  haut  la  nécessité 
des  bonnes  œuvres. 

Quant  au  dessein  de  votre  Grandeur,  je  ne  doute 
pas  qu'elle  n'ait  remarqué  que  pour  prouver  que 
l'on  enseignoit  et  croyoit  dans  l'Eglise  cathohque 
ce  qu'il  y  a  de  bon  dans  la  Réforme ,  les  Rituels  ou 
Agendes  des  Eglises  particulières  d'Allemagne,  dont 
on  se  servoit  en  ce  temps-là ,  sont  d'un  grand  se- 
cours. J'en  ai  vu  quelques-uns  à  Paris  dans  labibho- 
thèque  de  feu  M.  l'abbé  Dufort,  qui  ont  passé  de- 


602  LETTRES    DIVERSES. 

puis,  à  ce  qu'on  m'a  dit,  en  celle  de  M.  Tarche- 
vêque  de  Rheims.  Le  livre  de  Flaccus  Illyricus , 
qu'il  a  intitulé,  Catalogus  testium  veritatis ,  peut 
encore  être  utile  au  même  but  :  et  quant  à  la  pré- 
tendue divinité  de  l'esprit  de  Luther,  on  ne  man- 
quera pas  de  bons  mémoires  pour  la  rabattre.  Je 
m'y  emploierai  de  mon  mieux,  étant  avec  un  très- 
profond  respect ,  etc. 

A  Strasbourg,  ce  lo  juin  1692. 


LETTRE  XIL 

DE   DOM   CLAUDE  DEVERT, 

TRÉSORIER    DE    l' ABBAYE    DE    CLUNI    ^*\ 
Sur  la  communion  SOUS  une  seule  espèce. 

J'ai  reçu  ici  la  lettre  que  vous  m^avez  fait  l'hon- 
neur de  m'écrire  de  Germigny  :  mais  n'ayant  point 
ayecmoi  les  paroles  du  manuscrit  de  Corbie,  je  vous 
prie  de  vouloir  bien  attendre  jusqu'à  ce  que  je  re- 
tourne au  lieu  où  est  la  copie  que  j'en  ai  faite,  pour 
vous  l'envoyer  aussitôt.  Je  ne  pense  pas  qu'on  re- 
trouve celui  de  saint  Denis,  l'ayant  fait  chercher 
exprès  depuis  six  mois  :  mais  vous  pouvez  compter 
que  c'est  la  même  chose  que  celui  de  Corbie,  l'ayant 
vu  et  lu  moi-même  ;  et  je  suis  d'autant  plus  croyable 
sur  cela,  que  je  n'ai  recherché  tous  ces  manuscrits 

{*)  Il  est  connu  par  plusieurs  ouvrages,  mais  principaleratnl  par 
son  Explication  lillérale  et  historique  des  ceWinonies  de  l'Eglise ,  en 
4  vol.  in-S°,  dont  les  deux  derniers  n^ont  été  publiés  qu'après  sa 
mort  arrivée  le  premier  jour  de  mai  i^oS. 


LETTllES    DIVERSES.  6o3 

que  dans  la  vue  d  y  trouver  de  quoi  confirmer  l'opi- 
nion de  ceux  qui  croient  la  consécration  de  l'espèce 
du  vin  par  le  mélange  de  celle  du  pain  :  sur  quoi,  si 
vous  vouliez  bien  que  je  visse  ce  que  vous  répondez 
à  cela,  peut-être  trouveriez-vous  en  moi,  plus  que 
dans  un  Protestant  même,  des  difficultés  qui  vous 
obHgeroient  de  satisfaire  à  tout. 

J'ai  envoyé  depuis  huit  jours  à  M.  de  Cerbelle  un 
endroit  d'un  pontifical  que  j'ai  trouvé  à  Senlis,  que 
je  ne  doute  point  qu'il  ne  vous  ait  fait  tenir.  Il  est 
visible  par  ces  paroles  que  quoique  les  enfans  ne 
communiassent  que  sous  l'espèce  du  vin ,  on  croyoit 
néanmoins  qu'ils  recevoient  le  corps  et  le  sang  ; 
puisqu'on  leur  disoit  :  Corpus  cum  sanguine  Domini 
nostri  Jesu  Christi  custodiat,  etc.  mettant  même  le 
corps  in  recto ,  et  le  sang  seulement  in  obliquo. 

Je  crois  qu'il  faut  lire  dans  le  concile  de  Tolède 
in  armario  j  et  non  in  imaginario  ordine  _,  ainsi  que 
je  l'ai  lu  en  plusieurs  endroits.  Et  en  effet,  ce  fut  à 
peu  près  en  ce  temps-là  qu'on  cessa  de  réserver  dans 
les  armoires,  au  moins  en  quelques  endroits,  les 
hosties  pour  les  malades,  et  qu'on  les  exposa  sur 
l'autel  dans  des  tabernacles  suspendus,  au-dessous 
néanmoins  de  la  croix  qui  étoit  toujours  plus  élevée, 
comme  nous  le  voyons  encore  dans  quelques  cathé- 
drales; sub  crucis  titulo.  Je  suis  avec  respect,  etc. 

Devert. 

Au  prieuré  de  Saint-Pierre  d'Abbeville,  ce  30  juillet  1686. 


6o4 


LETTRES    DIVERSES. 


LETTRE  XIII. 

DU  MÊME. 

IJ  lui  envoie  l'extrait  d'un  ancien  cérémonial  de  Corbie ,  qui  prou- 
voit  qu'on  ne  communioit  le  Vendredi  saint  que  sous  une  seule 
espèce. 

Voila  la  copie  du  manuscrit  de  Corbie,  c'est-à- 
dire,  la  Rubrique  du  Vendredi  saint  :  celui  de  saint 
Denis,  qui  est  égaré,  porte  précisément  les  mêmes 
termes.  Je  crois  qu'on  vous  aura  fait  voir  ce  que  j'ai 
extrait  d'un  Pontifical  romain,  touchant  la  commu- 
nion des  enfans.  Je  suis  avec  un  profond  respect,  etc. 

Abbeville,  ce  i6  août  1686. 

«  Composite  coi-pore  Domini  in  corporali  super 
»  altare,  etincensato,  dicet  Dominus  Abbas  Confi- 
nai teor,  et  incipiet  cantare  Oremus  :  Prœceptis  salu- 
»  taribus  monitij  et  Pater  nosier,  et  Libéra  nosj 
»  (juœsiimus  j  Domine.  Fractiofiet;  et  postfractio- 
»  nem  dicet  secundo,  Peromnia  sœcula  sœculorum: 
»  Conventus  respondebit.  Amen.  Pax  Domini,  et 
»  jégnus  Deij  et  Hœc  sacrosancta  commixtio,  non 
»  dicentur;  sed  frustum  fractionis  sinet  cadere  infra 
»  calicem,  nihil  dicendo.  Domine  Jesu  Chris  te.  Cor- 
»  pus  Domini,  Quod  ore  suwpsimus,  dicenturj  sed 
»  sanguis  nonnominabitur.P/aceû^z/^/nondicetur. 
5)  Omnibus  communicatis,  capiet  quisque  de  vino 
»  per  fistulam ,  et  post  bibet,  calicibus  ante  majus 
»  altare  paratis.  De  corpore  Domini  nihil  debebit 
»  remanere.  Omnibus  communicatis,   et  Domina 


LETTRES    DIVERSES.  6o5 

»  Abbate  devestito  ,  sonabuntur   Vesperi ,   et  di- 
)ï  centur  ». 

Cette  autorité  est  précise  pour  marquer  qu  on  ne 
croyoit  pas  dans  Corbie,  il  y  a  buit  cents  ans,  non 
plus  qu'à  Saint-Remi  en  France,  que  le  vin  le  Ven- 
dredi saint  devînt  le  sang  de  notre  Seigneur  par  le 
mélange  du  pain;  puisqu'il  est  dit  expressément  que 
sanguis  non  nominabiturj  et  ensuite  que  ce  qu'ils 
prenoient  par  un  chalumeau  étoit  du  vin.  On  peut 
observer  ici  en  passant,  qu'ils  faisoient  ce  vendredi-là 
la  même  cérémonie  que  s'ils  eussent  communies  sous 
l'espèce  du  vin  ;  puisqu'ils  prenoient  ce  vin  avec  le 
chalumeau,  et  dans  des  calices  préparés  sur  l'autel, 
quoiqu'ils  crussent  pourtant  que  ce  n'étoit  que  du 
vin.  La  même  cérémonie  se  pratiquoit  aussi  à  Cluni 
au  commencement  de  ce  siècle  encore;  c'est-à-dire, 
on  prenoit  du  vin  dans  des  calices  ce  jour-là,  et  avec 
le  chalumeau,  quoique  les  Missels  de  notre  ordre 
nous  marquent  précisément  que  ce  n'étoit  que  du 
vin  :  et  par-là  on  répond  au  raisonnement  de  ceux 
qui  concluent  que  l'on  croyoit  que  c  étoit  le  sang  de 
notre  Seigneur  ;  parce  qu'extérieurement  on  donnoit 
les  mêmes  marques  de  respect,  que  si  effectivement 
ce  l'eût  été.  On  voit  encore  par-là,  que  le  vin  que 
l'on  donne  encore  aujourd'hui  à  l'ordination,  et  aux 
grands  jours  en  quelques  églises,  après  la  commu- 
nion, n'est  point,  comme  on  le  croit,  une  ablution, 
ni  pour  aider  à  avaler  les  espèces  ;  mais  une  suite  de 
l'ancienne  communion  sous  l'espèce  du  vin  ;  c'est-à- 
dire,  qu'on  a  continué  la  même  cérémonie,  quoique 
ce  ne  fut  plus  que  du  vin. 


6o6  LETTRES    DIVERSES. 

Votre  Graadeur  pourroit  en  passant  dire  un  mot 
de  la  communion  du  Vendredi  saint,  qui  étoit  com- 
mune à  tout  le  monde,  et  non  au  prêtre  seulement 
comme  elle  Test  aujourd'hui.  Elle  ne  trouvera  pas 
un  ancien  Cérémonial  ni  Missel  qui  n'en  fasse  men- 
tion :  Omnes  communicant  ;  c'est  toujours  ainsi 
qu'ils  s'expriment.  J'ai  une  dissertation  toute  prête 
là-dessus  :  mais  quand  votre  Grandeur  en  aura  dit 
un  mot,  ce  sera  encore  une  autorité  pour  moi.  Cela 
se  fait  encore  en  plusieurs  monastères  de  l'ordre  de 
Cluni,  et  on  rétablit  cette  communion  partout. 


LETTRE  XIV. 

DU  MÊME. 

Sur  la  communion  sous  une  seule  espèce ,  et  quelques  difficultés 
qui  y  ont  rapport. 

Votre  lettre  du  22  juillet  ne  fait  que  de  m'être 
rendue  5  ce  que  j'impute  à  la  fausse  adresse.  J'eus  pu 
en  ce  temps-là  me  donner  l'honneur  de  vous  aller 
joindre  ou  à  Meaux  ou  à  Paris  :  présentement  quel- 
ques commissions  importantes  de  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  me  retiennent  en  ce  pays-ci.  Cela  n'em- 
pêche point,  si  vous  le  souhaitez,  et  s'il  est  encore 
temps,  que  je  ne  vous  envoie  ce  que  je  pense,  et  ce 
que  je  sais  de  la  consécration  par  le  mélange  :  et 
comme  cette  question  me  paroît  de  la  dernière  con- 
séquence, si  vous  le  désirez,  j'en  ferai  une  manière 
de  dissertation,  où  je  tâcherai  de  faire  tout  entrer; 
et  à  laquelle,  si  vous  voulez  bien  vous  donner  la 


LETTRES    DIVERSES.  Go'J 

peine  de  re'pondre,  comme  je  sais  que  vous  le  ferez 
aise'ment,  vous  aurez  satisfait  à  tout,  et  de'truit  par 
conséquent  tout  le  livre  du  ministre ,  qui  ne  roule 
que  là-dessus. 

Je  crois  que  vous  aurez  reçu  une  seconde  fois 
l'extrait  du  manuscrit  de  Corbie,  que  j'ai  adressé,  il 
y  a  près  de  deux  mois,  à  votre  hôtel  à  Paris.  A  l'égard 
de  celui  de  Senlis,  il  me  paroît  au  contraire  qu'il 
est  à  souhaiter  qu'il  soit  moins  ancien  ;  les  Protes- 
tans,  ce  me  semblé,  ne  doutant  pas  que  les  enfans 
n'aient  autrefois  communié  sous  la  seule  espèce  du 
vinj  mais  disant,  comme  le  ministre  la  Roque,  qu'on 
n'en  sauroit  donner  de  preuves  depuis  le  douzième 
siècle.  Voici  ce  que  j'ai  lu  autrefois  dans  un  ordi- 
naire manuscrit  de  l'église  de  Soissons,  qu'ils  ap- 
pellent le  Mandatum  j  vous  verrez,  si  cela  vous  ac- 
commode encore,  Communicato  JEpiscopo ,  corn- 
municet  infantes  baptizatos  de  sanguine  sacrato  ^ 
dicens  :  Sanguis  Domini  nostri  Jesu  Chrisii  ciisto- 
diat  te  in  vitam  œternam^  amen.  Ce  manuscrit  est 
de  la  fin  du  douzième  siècle,  ou  du  commencement 
du  treizième,  qui  est  le  temps  de  la  vie  de  Philippe 
Auguste  et  d'Isabelle  sa  femme,  qui  y  sont  nommés 
dans  la  prière  Christus  vincet,  aussi  l)ien  que  l'évê^ 
que  Nivelo,  qui  vivoit  aussi  en  ce  temps-là- 

Autrefois,  dans  l'église  d'Amiens,  en  communiant 
les  enfans  nouvellement  baptisés,  le  samedi  saint, 
sous  la  seule  espèce  du  vin  ;  on  leur  disoit  :  Corpus 
et  sanguis ,  etc,  ce  qui  appuie  le  manuscrit  de 
Senlis. 

Je  suis  impatient  de  voir  votre  ouvrage,  qui  sera 
d'une  grande  utilité.  H  y  a  des  gens  que  je. sais  que 


6o8  '  LETTRES    DIVERSES. 

VOUS  estimez  beaucoup,  et  qui  ne  sont  pas  éloignés 
du  sentiment  de  la  consécration  par  le  mélange  :  ils 
méritent  bien  votre  application  pour  les  détromper^ 
Le  ministre  la  Roque  est  visiblement  de  mauvaise 
foi  en  plusieurs  endroits.  Il  ne  sait  ce  qu'il  dit  quand 
il  interprète  les  paroles  d'Innocent  I  de  la  commu- 
nion comuie  du  sacrifice  :  car  on  a  toujours  com- 
munié à  Rome  le  Vendredi  saint,  et  l'Ordre  romain 
y  est  précis.  Je  crois  comme  lui  que  Yabsque  san- 
guine Domini  ne  se  rapporte  pas  à  communicent, 
mais  à  oblatas  servandas ahsque  sanguine  Do- 
mini. Je  suis,  Monseigneur,  avec  tout  le  respect 
possible. 

Au  prieuré  de  Saint-Pierre  d'Abbeville,  ce  a6  septembre  1686. 


LETTRE  XV. 

DU  MÊME. 

Sur  un  ancien  cérémonial  de  l'abbaye  de  Saint-Denis,  conforme, 
pour  Ja  communion  du  Vendredi  saint ,  à  celui  de  Fabbaye  de 
Corbie. 

On  m'a  dit  que  votre  Grandeur  travailloit  actuel- 
lement à  répondre  au  ministre  la  Roque  sur  la  com- 
munion sous  les  deux  espèces;  et  comme  il  ma  paru 
que  je  vous  avois  fait  plaisir  de  vous  envoyer  un 
endroit  du  cérémonial  de  Corbie  sur  la  communion 
du  Vendredi  saint,  je  suis  bien  aise  aussi  de  vous 
dire  que  je  lus  l'année  passée,  mot  pour  mot,  la 
même  chose  dans  celui  de  l'abbaye  de  saint  Denis, 
qui  me  parut  de  sept  ou  huit  cents  ans.  J'ai  été  cette 

année 


LETTRES    DIVERSES.  609 

année  pour  le  revoir  ;  mais  je  ne  l'ai  plus  trouvé  y 
quoique  je  Taie  fait  chercher,  et  il  faut  que  quel- 
qu'un l'ait  enlevé.  J'en  fis  même  un  extrait ,  qui  est 
tout  pareil  à  celui  de  l'abbaye  de  Corbie,  et  oh  il 
paroît  visiblement  que  quoique  les  Moines  fissent  ce 
jour-là,  à  l'égard  du  vin,  les  mêmes  cérémonies 
qu'ils  faisoient  les  autres  jours  à  l'égard  du  sang  de 
Notre-Seigneur ,  néanmoins  ils  croyoient ,  comme 
il  est  précisément  marqué  dans  ce  cérémonial ,  que 
ce  n'étoit  que  du  vin ,  même  après  le  mélange  avec 
l'espèce  du  pain. 

Je  suis  avec  tout  le  respect  possible ,  etc. 

A  Paris,  ce  28  juin  1687. 


LETTRE  XVL 

DE    DOM   MABILLON. 

Sur  les  paroles  de  l'Ordre  romain  touchant  la  communion  du 
Vendredi  saint. 

J'ai  examiné,  suivant  vos  ordres,  nos  anciens 
cérémoniaux  romains,  touchant  la  messe  des  pré- 
sanclifiés  pour  le  Vendredi  saint.  Je  Tai  trouvée  par^ 
tout  depuis  le  dixième  siècle  ;  mais  je  n'ai  rien  trouvé 
ni  pour  ni  contre  avant  ce  temps-là.  Il  n'y  a  qu'un 
Ordre  romain  tiré  d'un  manuscrit  de  Saint-Gai,  qui 
porte  expressément  la  communion  le  Vendredi 
saint  ;  et  ce  manuscrit  me  paroît  être  au  moins  de 
huit  cents  ans  :  et  on  ne  peut  douter  de  l'antiquité 
de  cet  Ordre  ,  d'autant  qu'il  est  cité  en  propres 
termes  par  Amalaire ,  au  chapitre  xv  du  livre  pre* 

BOSSUET.    XLII.  3^ 


6ïO  LFyTTnES    DIVERSES. 

mier  des  Offices  ecclésiastiques^  dès  le  commence* 
ment  du  chapitre.  Pour  ce  qui  est  de  l'addition  ou 
interprétation  de  l'archidiacre,  qui  porte  que,  in  eâ 
statione ,  ubi  Apostolicus  salutat  crucem  ,  nemo 
communicat  :  cela  s'entend,  à  mon  avis,  du  peuple, 
et  non  pas  du  Pape  lorsqu'il  officioit  ce  jour-là  ;  en- 
core bien  que  dans  cet  Ordre  romain  de  Saint-Gai, 
il  soit  porté  expressément  que  lors  même  que  le 
Pape  officie,  communicant  omnes.  Voilà,  Monsei- 
gneur, ce  que  j'ai  pu  trouver  là-dessus  :  si  je  trouve 
quelque  chose  davantage  dans  la  suite ,  je  ne  man- 
querai pas  de  vous  en  donner  avis.  Je  n'aurois  pas 
tant  différé  à  m'acquitter  de  ce  devoir,  si  je  n'avois 
su  que  votre  Grandeur  étoit  ces  jours  passés  à  Fon- 
tainebleau. Maintenant  que  vous  êtes  de  retour, 
permettez  -  moi ,  s'il  vous  plaît.  Monseigneur,  de 
vous  remercier  de  toutes  les  bontés  que  nous  avons 
reçues  de  vous  pendant  notre  séjour  à  Germigny, 
et  de  vous  assurer  qu'on  ne  peut  être  avec  plus  de 
reconnoissance  et  de  respect  que  je  suis,  etc. 

Fr,  J.  Mabillon^  moine  Bénédictin. 
A  Paris,  ce  29  octobre  1686. 


LETTRE  XVII. 

DE  M.  L'ABBÉ  RENAUDOT. 

Sur  différens  points  de  la  liturgie  des  Grecs,  le  pontifical  de 
M.  Habert,  et  les  affaires  d'Ecosse. 

Je  viens ,  Monseigneur ,  de  recevoir  la  lettre  que 
yous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  du  8  de  ce 


LETTRES    DIVERSES.  6l  I 

mois.  Comme  la  discussion  plus  ample  des  faits  dont 
vous  voulez  être  éclairci  pouiroit  aller  à  quelques 
jours ,  et  qu  il  faut  même  que  je  la  fasse  hors  de 
chez  moi,  parce  que  je  nai  pas  tous  les  livres  dont 
j'ai  besoin  pour  cela,  je  commencerai  à  vous  rendre 
un  compte  sommaire  de  ce  que  j'en  sais. 

Les  Grecs  célèbrent  la  liturgie  parfaite  le  Jeudi 
saint,  comme  le  témoigne  Siméon  de  Thessalo- 
nique  dans  sa  réponse  lvii  :  Chm  et  in  magno  jeju- 
nio  j  Sabbato  et  Dominicd  ^  perfectam  Missani  ce- 
lebramus  ,  et  in  aliis  etiam  jejuniis  quœ  violare 
nef  as  ^  veluti  Vigilid  Christi  Natalium ,  Luminum  , 
et  magna  Feriâ  quintâ  ita  peragimus  ^  nec  in  illis 
jejunium  sohimus  ,  quod  perfecto  sacrificio  utaniur. 
Ce  passage  est  cité  par  Allatius ,  dans  sa  Disserta- 
tion de  la  liturgie  des  présanctifiés,  pages  1675  et 
1576,  au  bout  du  livre  de  perpétua  consensu.  Je 
suis  trompé  si  cette  discipline  n'est  marquée  aussi 
dans  le  Typicon  que  je  consulterai.  Il  semble  que 
Balsamon  et  Zonare ,  aussi  bien  que  les  autres  cano- 
nistes  grecs ,  n'aient  pas  excepté  le  Jeudi  saint.  Mais 
comme  Siméon  est  postérieur,  et  que  l'usage  pré- 
sent appuie  son  témoignage,  il  n'y  a  point  de  dif- 
ficulté. 

Les  autres  orientaux  célèbrent  ce  même  jour  la 
liturgie  entière ,  qtioique  la  plupart  des  églises  aient 
la  liturgie  des  présanctifiés. 

Pour  le  Samedi  saint ,  vous  savez ,  Monseigneur , 
que  la  messe  qui  se  dit  depuis  quelques  siècles  parmi 
nous,  se  disoit  autrefois  la  nuit,  et  l'oraison  le 
marque  formellement.  Les  Grecs  et  les  Orientaux 
en  ont  toujours  usé  de  même  ;  et  quoique  le  samedi 


6l'2.  LETTRES    DIVERSES. 

fût  un  jour  de  liturgie  parfaite,  même  en  carême, 
on  ne  ce'lébroit  ne'anmoins  la  liturgie  à  peu  près 
qu'à  la  même  heure.  Ainsi  on  sauvoit  en  même 
temps  deux  points  de  discipline  ;  celui  du  jeûne ,  et 
celui  de  célébrer  la  liturgie  le  samedi.  Les  Orientaux 
non  Grecs  appellent  ce  samedi  le  grand  Samedi ,  et 
le  jeudi,  la  cinquième  Férié  des  Mystères;  non- 
seulement  à  cause  de  l'institution,  mais  aussi  à 
cause  de  la  célébration  solennelle  de  l'Eucharistie, 
qui  se  faisoit  en  ce  même  jour. 

Il  est  vrai.  Monseigneur,  comme  vous  le  remar- 
quez très -bien,  que  les  Grecs  ont  brodé  souvent 
plus  que  de  raison  les  rites  :  mais  les  autres  Levantins 
n'ont  pas  moins  fait.  Ainsi  il  est  fort  difficile  de  faire 
une  critique  exacte  des  rites  grecs  par  cette  compa- 
raison. Sur  celui  qui  est  en  question,  nous  trouvons 
que  les  Orientaux  ont  la  messe  des  présanctifiés ,  et 
qu'ils  en  fondent  l'usage  sur  le  Canon  xlix  de  Lao- 
dicée  qu'ils  ont  dans  leurs  Collections.  Le  mot  de 
Panis  qui  y  est  employé,  est  ordinairement  inter- 
prêté Courbant  c'est-à-dire,  l'Eucharistie;,  ou  le 
corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  Les  Melchites  seuls, 
qui  ont  les  Canons  in  Trullo  dans  leurs  Collections, 
appuient  aussi  cette  coutume  sur  le  Canon  lu.  Mais 
je  n'ai  point  trouvé  jusqu'à  présent  ni  un  office  parti- 
culier pour  la  messe  des  présanctifiés ,  ni  aucun  dé- 
tail de  cette  discipline  parmi  les  Jacobites  cophtes 
ou  syriens ,  ni  parmi  les  Nestoriens.  Ces  derniers , 
dont  la  discipline  ecclésiastique  à  l'égard  des  rites  est 
la  plus  simple  de  toutes,  ne  m'ont  pas  encore  fourni 
de  preuves  authentiques,  d'où  on  puisse  juger  si 
cette  cérémonie  étoit  également  en  usage  parmi  eux. 


LETTRES    DIVERSES.  6l3 

Je  n'ai  point  sur  cela  de  meilleures  preuves  que  des 
faits  écartés  et  des  argumens  négatifs.  Peut-être  man- 
quons-nous de  livres  :  car  fai  découvert  bien  des 
choses  que  j'avois  ignorées  long-temps,  faute  d'avoir 
connu  un  auteur,  ou  faute  de  l'avoir  eu.  Madame  la 
chancelière.Seguier  a  dû  être  en  purgatoire,  pour 
avoir  refusé  toute  sa  vie  la  communication  d'un  théo- 
logien nestorien,  que  j'ai  trouvé  autre  part,  et  où 
j'ai  appris  mille  choses  nouvelles.  Ainsi ,  Monsei- 
gneur, je  vous  demande  un  peu  de  temps  pour  ce  fait 
particulier,  afin  de  reprendre  mes  idées,  et  tâcher 
de  découvrir  ce  que  je  n'ai  pu  sur  cela  savoir  certai- 
nement. 

J'oubliois  à  vous  dire  sur  le  jeûne  du  Samedi  saint, 
que  la  coutume  presque  générale  des  Orientaux  est 
de  ne  point  manger  depuis  le  soir  du  Jeudi  saint  jus- 
qu'au jour  de  Pâque.  Cela  se  pratique  encore  par  la 
plupart  des  Levantins.  Ainsi  on  disoit  la  liturgie 
comme  on  vouloit,  et  on  le  fait  encore,  plus  tôt  ou 
plus  tard  ;  parce  qu'on  se  fait  un  scrupule  de  manger 
tout  ce  jour-là. 

Il  y  a  peu  de  gens  versés  dans  les  écrits  des  théolo- 
giens grecs  des  temps  postérieurs ,  qui  fassent  cas  du 
pontifical  de  M.  Habert.  Cette  partie  d'érudition  lui 
manquoit,  quoique  très -nécessaire  pour  traiter  sa 
matière.  On  a  trouvé  à  redire  qu'il  n'ait  pas  mieux 
désigné  les  manuscrits.  J'ai  ouï  dire  à  des  savans  qu'il 
s'en  étoit  rapporté  à  d'autres,  et  que  les  copistes  ou 
''lui-même  s'étoient  acquittés  fort  négligemment  de 
leur  devoir.  Vous  êtes  plus  capable  que  personne  de 
juger  du  reste. 

J'espère  dans  huit  ou  dix  jours  vous  écrire  sur 


6l4  LETTRES    DIVERSES. 

tout  ceci  un  peu  moins  confusément  :  je  ne  serois  paJ 
si  long-temps,  sans  le  désordre  ordinaire  de  ma  vie, 
qui  renverse  bien  mes  études.  J'étois  aujourd'hui  po- 
litique ;  demain  je  pourrai  être  théologien  ;  après- 
demain  correcteur  d'imprimerie.  Ainsi  je  suis  quel- 
quefois huit  jours  à  faire  ce  qu'un  autre  feroit  en  un. 
M.  Pirot  tient  M.  Simon  ;  mais  votre  présence  nous 
est  nécessaire  pour  cela  et  pour  bien  d'autres  choses , 
surtout  pour  ce  qui  me  regarde.  Je  vous  assure, 
Monseigneur,  que  je  souhaiterois  bien  souvent  re- 
trouver ce  bien  que  j'avois  autrefois.  Vous  savez 
qu'en  ce  temps-là  je  me  suis  voué  à  vous,  et  que  je 
ne  puis  avoir  une  plus  grande  joie  que  de  faire  tout 
ce  que  vous  voudrez  bien  m'ordonner.  Tout  ce  que 
je  pourrois  jamais  faire  ne  remplira  jamais  mes  de- 
voirs. J'espère  que  la  bénédiction  que  vous  donnerez 
à  mes  études,  et  que  je  vous  demande,  me  les  rendra 
utiles.  Si  lorsqu'il  s'agit  de  vous  obéir  elles  ne  m'é- 
toient  pas  trop  agréables,  je  serois  assuré  d'y  trou- 
ver du  mérite. 

Les  affaires  d'Ecosse  vont  très-mal  :  le  parlement 
est  prorogé,  parce  qu'il  n'a  pas  voulu  consentir  à  un 
acte  pour  décharger  les  catholiques  du  serment  du 
test.  Le  pauvre  milord  chancelier  a  eu  des  peines  in- 
croyables, et  sans  aucun  succès.  Il  étoit  parti  pour 
venir  à  Londres,  et  j'espère.  Monseigneur,  vous  en 
mander  bientôt  des  nouvelles.  Je  suis,  avec  tout  le 

respect  possible,  etc. 

Renaudot. 
A  Paris,  ce  lo  juillet  1687. 


LETTRES    DIVERSES.  6l5 

POSTCRIPTUM. 

Sur  l'origine  de  la  prière  pour  les  morts  parmi  les  Juifs ,  et  la  nature 
de  leur  purgatoire. 

Le  passage  que  les  Protestans  citent  ordinairement 
pour  attribuer  à  l'exemple  de  Rabbi  Akiba  le  pre- 
mier usage  de  la  prière  pour  les  morts ,  se  trouve 
dans  la  Gémara  du  Talmud,  au  traité  Calla.  Voici 
les  termes  dont  l'histoire  y  est  rapportée.  «  Un  jour 
»  Rabbi  Akiba  se  promenant  rencontra  un  homme 
»  chargé  de  bois,  et  le  fardeau  étoit  si  pesant,  qu'il 
»  excédoit  la  charge  d'un  âne  ou  d'un  cheval.  Rabbi 
a)  Akiba  lui  demanda  s'il  étoit  un  homme  ou  un 
»  spectre  :  l'autre  répondit  qu'il  étoit  un  homme 
»  mort  depuis  quelque  temps,  et  qu'il  étoit  obligé 
»  de  porter  tous  les  jours  une  pareille  charge  de  bois 
»  en  purgatoire,  où  il  étoit  brûlé  à  cause  des  péchés 
>♦  qu'il  avoit  commis  en  ce  monde.  Rabbi  Akiba  lui 
1)  demanda  s'il  n'avoit  point  laissé  d'enfans,  le  nom 
i)  de  sa  femme,  de  ses  enfans ,  et  le  lieu  de  leur  de- 
»  meure.  Après  que  le  spectre  eut  répondu  à  toutes 
»  ces  questions,  Rabbi  Akiba  alla  chercher  le  fds  du 
»  défunt,  lui  apprit  la  prière  qui  commence  par  le  mot 
»  Kadisch ,  c'est-à-dire,  saint,  et  qui  se  trouve  dans 
»  les  Rituels  des  Juifs,  lui  promettant  que  son  père 
»  seroit  délivré  du  purgatoire  s'il  la  récitoit  tous  les 
»  jours.  Le  fils  ayant  appris  l'oraison  commença  à  la 
»  réciter  tous  les  jours.  Au  bout  de  quelque  temps, 
»  le  défunt  apparut  en  songe  à  Rabbi  Akiba,  le 
»  remercia,  et  lui  dit  que  par  ce  moyen  il  avoit 
»  été  délivré  du  purgatoire ,  et  qu'il  étoit  dans  le 
»  jardin  d'Eden  «;  c'est-à-dire,  dans  le  paradis  ter- 


6l6  LETTRES    DIVERSES» 

restrc,  où  les  Juifs  supposent  que  vont  les  âmes  de 
leurs  bienheureux. 

Ce  n'est  pas  sur  cette  seule  tradition  que  les  Juifs 
ont  Tusage  de  la  prière  pour  les  morts  :  elle  est  cons- 
tamment en  usage,  de  temps  immémorial,  dans 
toutes  les  synagogues.  Dans  le  Rituel  Espagnol,  qui 
est  le  plus  généralement  reçu,  et  qui  tient  à  leur 
égard  le  même  rang  que  le  Rituel  Romain  parmi 
nous,  il  y  a  une  longue  prière  qui  se  doit  dire  lors- 
qu'on porte  un  mort  en  terre.  Elle  contient  entre 
autres  choses  ces  paroles  :  «  Â.yez  pitié  de  lui,  Sei- 
»  gneur  Dieu  vivant,  maître  du  monde,  avec  lequel 
»  est  la,  source  de  la  vie  :  que  toujours  il  marche  du 
3)  côté  de  la  vie,  et  que  son  ame  repose  in  fascicula 
»  vitce-,  c'est-à-dire,  parmi  le  n'ombre  des  élus  à  la 
»  vie  éternelle.  Que  Dieu  miséi  icordieux ,  selon 
»  l'étendue  de  sa  miséricorde,  lui  pardonne  ses  ini- 
»  quités  j  que  ses  bonnes  œuvres  soient  devant  ses 
»  yeux,  et  que  devant  lui  il  soit  mis  au  nombre  des. 
3)  fidèles  ;  qu'il  marche  en  sa  présence  dans  les  terres 
»  de  vie  »  :  et  ensuite  ils  répètent  l'oraison  ci-dessus. 

«  Que  les  portes  des  cieux  vous  soient  ouvertes  : 
»  puissiez-vous  voir  la  ville  de  paix ,  et  les  taberna-* 
»  clés  de  sûreté  :  que  les  anges  de  paix  viennent  au- 
»  devant  de  vous  avec  joie  ;  que  le  grand-prêtre  vous 
»  reçoive  et  vous  conduise  :  que  votre  ame  aille  dans 
3)  la  caverne  double  d'Abraham,  et  de  là  sur  les  Ché- 
»  rubins,  et  de  là  au  jardin  d'Eden  :  que  l'ange  Michel 
»  vous  ouvre  les  portes  du  sanctuaire  ;  qu'il  offre 
3)  votre  ame  comme  une  oblation  à  Dieu  ;  que  l'ange 
»  rédempteur  vous  accompagne  jusqu'aux  portes  des 
»  lieux  agréables,  où  sont  les  Israélites,  etc.  » 


LETTRES    DIVERSES.  6l'J 

Toutes  les  autres  prières  qui  se  trouvent  dans 
Toffice  des  sépultures ,  que  les  Juifs  appellent  Seder 
uibelut^  ou  Ordre  du  deuil,  sont  remplies  de  sem- 
blables expressions.  Ces  prières  sont  la  plupart  fort 
anciennes,  et  peut-être  ne  le  sont-elles  pas  moins 
que  la  tradition  de  Rabbi  Akiba. 

Il  est  aussi  parlé  du  purgatoire  dans  le  Traité  tal- 
mudique  des  Bénédictions,  chapitre  III.  «  L'ame, 
»  disent  ces  rabbins ,  ne  va  pas  dans  le  ciel  aussitôt 
M  qu'elle  est  séparée  du  corps  ;  mais  elle  demeure 
»  errante  dans  ce  monde  durant  douze  mois,  au  bout 
j^desquels  elle  retourne  dans  le  sépulcre.  Elle  souffre 
5)  cependant  beaucoup  de  tourmens  dans  le  purga- 
»  toire  :  enfin  au  bout  de  douze  mois  elle  entre  dans 
3)  le  ciel,  où  elle  jouit  du  repos  ». 

Le  purgatoire  des  Juifs  n'est  pas  notre  purgatoire  : 
car  ils  croient  que  presque  tous  les  Israélites  y  vont  ; 
qu'ils  n'y  sont  que  durant  un  an  ;  et  qu'ensuite  les 
âmes,  et  même,  selon  l'opinion  de  quelques-uns, 
les  corps  se  rendent  par  des  canaux  souterrains  dans 
la  terre  d'Israël,  d'où  ils  vont  après  dans  le  paradis 
d'Eden.  Tous  les  Israélites^,  disoit  le  rabbi  Eliezer, 
et  dont  la  sentence  est  insérée  dans  le  Talmud,  ont 
part  au  monde  à  venir;  c'est-à-dire,  à  la  béatitude. 
Ils  n'en  excluent  que  les  excommuniés,  et  des  gens 
qui  meurent  chargés  de  crimes.  Et  comme  tous  ceux 
qui  meurent  dans  la  communion  judaïque  sont  sau^ 
vés,  aussi  presque  tous  passent  par  le  purgatoire. 
Ils  ont  une  tradition  d'une  peine  qui  arrive  après 
la  mort ,  lorsqu'un  ange  vient  au  tombeau ,  et 
qu'avec  une  chaîne  de  fer  toute  rouge  il  frappe  trois 


6l8  LETTRES    DIVERSES. 

fois  le  mort.  Ils  prient  aussi  pour  être  délivrés  de 
cette  peine. 

Rabbi  Akiba  vivoit  sous  Hadrien,  et  il  fut  un  des 
sectateurs  du  faux  messie  Bar-Cocba,  ou  Bar-Co- 
kiba  :  il  fut  exécuté  à  mort  après  la  prise  de  la  ville 
de  Bitter.  Il  est  aisé  de  voir  s'il  y  a  aucun  fondement 
à  dire  que  la  prière  pour  les  morts  est  fondée  sur 
l'histoire  de  rabbi  Akiba;  puisque  les  Juifs  marquent 
seulement  qu'il  leur  apprit  une  certaine  prière  effi- 
cace pour  la  délivrance  des  âmes,  et  qu'ils  ne  disent 
pas  qu'il  fut  auteur  de  la  coutume  de  prier  pour  les 
morts ,  qui  est  considérée  parmi  eux  comme  éta- 
blie par  toute  l'antiquité  de  leur  tradition. 


LETTRE  XVIII. 

DU  MEME. 

Sur  les  différentes  confessions  de  foi  des  Anglicans,  et  sur  Molinos. 

Comme  je  sais,  Monseigneur,  que  vous  travaillez 
actuellement  sur  l'ouvrage  (*)  que  nous  attendons 
avec  impatience,  et  que  ce  que  vous  m'avez  mar- 
qué dans  votre  lettre  y  a  quelque  rapport,  j'ai  cru 
ne  devoir  pas  différer  à  vous  donner  sur  ce  sujet  les 
éclaircissemens  nécessaires;  en  attendant  que  j'aie 
fait  une  plus  exacte  recherche  de  ce  que  je  ne  sais 
pas  :  car  je  n'ai  pas  parmi  mes  livres  cette  Confes- 
sion de  foi  que  vous  me  marquez;  et  quoique  je  la 

{*)  V Histoire  des  Variations^  dont  la  première  édition  parut 
en  1688. . 


LETTRES    DIVERSES.  6l() 

connoisse,  je  pourrois  néanmoins  me  tromper  si  je 
vous  en  parlois  affirmativement  avant  que  de  l'avoir 
trouvée.  J'irai  pour  cela  à  la  bibliothèque  du  Roi , 
remuer  tout  ce  qu'il  y  a  de  semblables  livres;  parce 
qu'il  y  a  trop  long-temps  que  je  les  ai  maniés ,  pour 
m'en  fier  à  ma  mémoire.  Voici  cependant,  Monsei- 
gneur, ce  que  j'ai  à  vous  dire  de  certain  sur  l'ori- 
ginal ,  dont  la  vôtre  doit  être  la  traduction. 

Cette  Confession  de  foi,  imprimée  à  Cambridge 
en  latin,  en  i656,  doit  être  la  même  que  celle  qui 
fut  imprimée  en  anglais  dès  l'an  i652.  Celle-ci  reçut 
sa  dernière  forme  en  1647,  ^^^^  l'assemblée  géné- 
rale des  Ecossais  rebelles,  à  Edimbourg,  et  fut  au- 
torisée par  un  acte  du  27  août  (6  septembre)  de  la 
même  année  ,  pour  servir  d'acte  d'uniformité  en 
matière  de  religion  pour  les  trois  royaumes ,  en 
conséquence  de  la  ligue  solennelle,  ou  Convenant, 
qui  avoit  été  arrêtée  dès  le  mois  de  décembre  i643. 
Les  théologiens  de  l'assemblée  de  Westminster ,  qui 
commença  en  i644?  avoient  dressé  des  articles  de  re- 
ligion ,  tous  conformes  à  la  créance  des  Calvinistes 
presbytériens.  Les  commissaires  d'Ecosse ,  tous  Pres- 
bytériens, travaillèrent  ensuite  avec  eux,  et  en  ré- 
glèrent la  plus  grande  partie. 

Cet  ouvrage,  qui  fut  d'abord  proposé  en  diverses 
manières,  toutes  plus  ridicules  les  unes  que  les  au- 
tres, ne  fut  réglé  et  réduit  à  la  forme  qui  est  dans 
les  éditions  anglaises  d'Edimbourg  et  de  Londres , 
qu'en  1647.  ^^  contient  une  Confession  de  foi  en 
trente-trois  chapitres  :  le  premier,  de  la  sainte  Ecri- 
ture; le  trente-troisième,  du  dernier  jugement  ;  le 
grand  Catéchisme ,  et  le  petit  Catéchisme  qui  fut 


6?.6  LETTRES    DIVERSES. 

fait  le  dernier;  ensuite  le  Directoire  pour  le  service 
public  de  Dieu  ,  selon  qu'il  devoit  être  pratiqué 
dans  les  trois  royaumes. 

Ce  Directoire  fut  ordonné  par  acte  du  Parlement 
rebelle ,  le  i3  (3)  janvier  i644  j  mais  il  ne  fut  mis  en 
lumière  que  long-temps  après.  Par  cet  acte,  le  Livre 
des  communes  prières,  le  Rituel  de  l'ordination,  et 
tous  autres  ayant  rapport  à  l'épiscopat,  furent  abolis  ; 
et  tous  les  actes  d'Edward  VI,  d'Elisabeth,  de  Jacques 
et  de  Charles  I.",  pour  établir  l'uniformité  de  la  re- 
ligion et  du  service ,  furent  cassés.  Cet  acte ,  le  Conve- 
nant ,  et  par  conséquent  la  Confession  de  foi ,  les  Caté- 
chismes grand  et  petit,  et  le  Directoire  furent  depuis 
cassés  par  le  grand  acte  de  la  quatorzième  année  de 
Charles  II,  1662;  par  lequel  tous  les  Anglais  sont 
obligés  à  renoncer  à  tous  ces  actes  précédons  des 
rebelles,  nommément  au  Convenant,  et  à  tout  ce  qui 
fut  fait  en  conséquence  contre  les  actes  d'uniformité, 
particulièrement  contre  ceux  d'Elisabeth. 

Le  Roi  régnant  n'a  pas  dérogé  à  ces  actes  par  un 
autre  acte  solennel,  qui  porte  avec  soi  le  consente- 
ment de  toute  la  nation  assemblée  en  Parlement. 
Mais  ayant  accordé  (*)  par  une  proclamation  et  par 
des  déclarations  particulières,  qui  sont  des  actes  du 
second  ordre,  émanés  du  pouvoir  et  prérogative 
royale  de  dispenser  des  lois,  ces  actes  de  1662  et 
ceux  d'Elisabeth  subsistent  encore,  et  ont  une  en- 
tière autorité  à  l'égard  de  l'Eglise  anglicane  établie 
par  les  lois. 

(*)  Il  manque  ici  quelques  mots  nécessaires  au  sens  de  la  phrase  : 
nous  aimons  mieux  les  laisser  suppléer  par  le  lecteur ,  que  de  rien  ' 
Iiasarden 


I 


LETTRES    DIVERSES.  62  I 

Ainsi, Monseigneur,  la  Confession  ,  etc.  imprimes 
depuis  1645  jusqu'en  1660,  à  Cambridge  et  ailleurs, 
ne  peuvent  être  considérés  que  comme  des  actes  des 
rebelles,  formés  sur  le  même  bureau  où  on  dressa 
la  sentence  de  mort  contre  Charles  I."',  et  les  sen- 
tences par  lesquelles  Tépiscopat ,  et  toute  la  forme 
de  la  religion  anglicane  fut  entièrement  renversée^ 
Cela  soit  dit  par  rapport  à  TEtat. 

Par  rapport  à  l'Eglise,  vous  avez  très-bien  jugé 
que  cette  confession  et  les  catéchismes  sont  purement 
calvinistes,  et  n'ont  aucun  rapport  à  la  véritable 
croyance  de  l'Eglise  anglicane.  Aussi  l'université 
d'Oxford,  quoique  quelques-uns  de  ses  membres 
fussent  engagés  dans  le  parti  des  parlementaires,  se 
contenta  de  céder  à  la  violence  en  se  taisant  sur  ces 
articles  :  mais  elle  ne  les  adopta  jamais  avec  les  for- 
malités solennelles,  comme  fit  celle  de  Cambridge, 
qui  étoit  toute  remplie  de  presbytériens  qui  firent 
la  traduction  que  vous  avez. 

Voici  les  confessions  de  foi  les  plus  solennelles , 
qui  ont  été  faites  en  Angleterre  par  l'autorité  légi- 
time des  rois  et  du  parlement. 

La  première  est  celle  d'Edward  VI,  faite  en  i552, 
et  publiée  en  i553,  sous  ce  titre  :  Articuli  de  qui- 
bus  in  Sjnodo  Londinensi ,  anno  Domini  i552^  ad 
tollendam  opinionum  dissensionem ,  et  consensum 
verœ  Religionis  Jirmanduîrij  inter  episcopos  et  alios 
eruditos  viros  convenerat,  regid  auctoritate  in  îuceni 
editi.  Excusum  Londini  apud  Reginaldum  TVolJium, 
Regiœ  Majestatis  in  latinis  tjpographum ,  an.  Dont. 
1 553.  Il  y  en  a  une  édition  anglaise  de  la  même  année, 
chez  Jean  Day.  Ils  contiennent  quarante-deux  articles. 


622  LETTRES    DIVERSES. 

La  deuxième  est  de  i562  :  ArUculi  de  quihus  con- 
venu  inler  archiepiscopos    et    episcopos    uiriusque 
provinciœ  et  Clerum  unwersum  in  Sjnodo  Londini^ 
anno  1 562 ,  secundiim  computationem  Ecclesiœ  An- 
glicanœ^  ad  toUendam  opinionuin  dissensionem  et 
consensum  in    vera  Relis^ione   firmandiim ,    edili 
auctoritate  Serenissimœ    Reginœ.    Londini ,    apud 
Joannem  Day,  1 67 1 .  Ils  furent  imprimés  en  1 562  , 
et  ne  furent  confirmés  que  cette  année-là ,  suivant 
CCS  paroles  qui  sont  à  la  fin  :   Hic  Liber  antedic- 
torum  articuloruni  jam  denuo  approbatus  est  par 
assensum  et  consensum  Serenissimœ  Reginœ  Elisu" 
bethœ  Dominœ  nostrœ  ,  Dei  gratid  Angliœ  ,  Fran^ 
ciœ  et  Hiberniœ  Reginœ ,  Defensoris  Fidei;  et  re^ 
tinendus  ,  et  pcr  totiim  Regnum  Angliœ  cxequendus. 
Qui  articuli  et  lectisuntj  et  denuo  confirmati  sub- 
scriptione  D.  Archiepiscopi  et  Episcoporum  supe- 
rioris  do  mus  ^   et  totius  Cleri  inferioris  domûs  _,  in 
convocatione  j,  anno  Domini  iS^i.  Il  y  a  en  tout 
quarante  articles,  en  y  comprenant  ce  dernier.  Ces 
articles,  ou  confession  de  foi,   appelés  communé- 
ment les  articles  de  i562,  sont  la  règle  certaine  de 
la  créance  de  l'Eglise  anglicane  conformiste.  On  n'y 
a  fait  aucune  innovation  que  par  la  confession  de 
foi  des  parlementaires,  qui  est  celle  que  vous  avez. 
Car  le  roi  Jacques,  à  son  avènement  à  la  couronne, 
confirma  ces  articles  d'Elisabeth  ;  et  Charles  I.""^  de 
même  :  ce  qu'ils  y  ajoutèrent  fut  quelques  points 
concernant  la  discipline  ecclésiastique  el  la  hiérar- 
chie, qui  n'ont  pas  de  rapport  à  mon  sujet. 

Le  roi  Charles  II,  à  son  rétablissement,  établit, 
par  l'acte  solennel  dont  il  a  été  parlé  ci-dessHS , 


LETTRES    DIVERSES.  623 

qu'on  feroit  une  déclaration  formelle  avec  serment 
de  renoncer  au  Convenant,  et  à  la  doctrine  de  ceux 
qui  disent  qu'on  peut  prendre  les  armes  contre  son 
roi;  qu'on  se  conformeroit  à  la  Liturgie  et  au  Rituel 
de  la  consécration  des  prêtres  et  évêques  :  et  ces 
articles  sont  devenus  articles  de  foi  pour  les  Anglais, 
comme  celui  du  test  (*) ,  par  lequel  on  renonce  à  la 
doctrine  de  la  transsubstantiation ,  qui  fut  établi 
huit  ou  dix  ans  après  ;  car  je  ne  me  souviens  pas 
précisément  de  l'année.  Depuis  ce  temps-là,  il  n'y  a 
eu  aucune  innovation. 

Il  est  à  remarquer  qu'il  y  a  une  grande  différence 
entre  les  articles  d'Edward  et  ceux  d'Elisabeth ,  en 
plusieurs  articles.  Le  docteur  Heylin,  Protestant 
très-modeste,  les  a  fait  imprimer  e  regione  dans  son 
Histoire  de  la  Réformation ,  avec  des  chiffres  qui 
étoient  faits  pour  renvoyer  à  des  notes  qu'il  avoit 
promises  ,  et  qui  furent  supprimées;  parce  qu'appa- 
remment il  ne  jugea  pas  à  propos  de  les  publier.  Je 
transcrirai  ici  l'article  xxviii  d'Elisabeth,  avec  la 
différence  de  celui  d'Edv^ard  VL 

Cœna  Domini  non  est  tantum  signiim  mutuœ  he^ 
nevoleniiœ  christianorum  inter  sese  ;  verum  potiits 
est  Sacramentum  noslrce  per  mortem  Christi  re- 
demptionis,  Edward,  idem. 

uitque  adeo  ,  rithj  digne  et  cum  jide  sumentihus , 
•panis  quem  frangimus  est  communicatio  corporis 

(*)  Test  signifie  épreuve^  et  le  serment  qu'il  impose  à  tous  ceux 
qui  doivent  exercer  en  Angleterre  quelque  office  public,  est  ainsi 
appelé,  parce  qu'il  sert  à  manifester  leurs  sentiraens  sur  la  religion. 
Le  parlement  établit  ce  serment  en  1678,  sous  Charles  II,  pour 
s'opposer  plus  efficacement  aux  vues  pacifiques  de  ce  prince,  en 
faveur  des  catholiques. 


6'24  LETTRES    DIVERSES. 

Christi;  simililer  poculum  benedictionis  est  commu- 
jiicatio  sangiUnis  Christi,  Edward,  idem. 

Partis  et  vini  transsubstanlialio  in  Eucharistia  , 
ex  sacris  Litteris  probari  non  potest;  sed  apertis 
Scripturœ  verbis  adversatur  j  Sacramenti  naturam 
es^ertity  et  multarum  superstilionum  dcdit  occasio- 
nem.  Ces  paroles,  sont  ajoutées,  et  ne  sont  point 
dans  l'article  d'Edward ,  où  suivent  ces  paroles  sup- 
primées entièrement  dans  Elisabeth. 

Ciim  naturœ  humanœ  veritas  requirat  ut  unius 
ejusdemque  hominis  corpus  in  multis  locis  simul  esse 
non  possit ,  sed  in  uno  aliquo  et  dejinito  loco  esse 
oporteat  ;  idcirco  Christi  corpus  in  multis  et  diversis 
locis  eodem  tempore  prœsens  esse  non  potest.  Et 
quoniam ,  ut  tradunt  sacrœ  Lilterœ ,  Christus  in 
cœlum  fuit  sublatus  ,  et  ibi  usque  ad  Jinem  sœculi 
est  permansurus  ,  non  débet  quisquam  Jîdelium  car- 
nis  ejus  et  sanguinis  realem  et  corporalem  ,  ut  lo^ 
quuntur,  prœsentiam  in  Eucharistia  vel  credere  vel 
projîteri. 

Elisabeth  poursuit  par  ces  paroles,  qui  ne  se  trou- 
vent point  dans  Edward. 

Corpus  Christi  datus  accipitur  et  manducatur  in 
Cœna  ,  tantum  cœlesti  et  spiritali  ratione.  Médium, 
autem  quo  corpus  Christi  accipitttr  et  manducatur 
in  Cœna ,  jides  est, 

Sacramentum  Eucharistiœ  ex  institutione  Christi 
non  serv^abatur ;  circumferebatur ,  eleuabatur ,  nec 
adorabatur.  Cet  article  est  dans  tous  les  deux. 

Impii  et  jide  vivâ  destituti ,  licet  carnaliter  et 
visibiliter ,  ut  Augustinus  loquitur,  corporis  et  san- 
guinis  Christi  Sacramentum  dentibus  premant  j  nullo 

tamen 


LETTRES    DIVERSES.  625 

tamen  modo  Chrisli  participes  efficiuntur;  sed  potiiis 
tantœ  rei  Sacramentum  seu  sjmbolum  ad  judicium 
sihi  manducant  et  hihunt.  Cet  article  manque  en- 
tièrement à  ceux  d'Edward  VI. 

Cela  vous  fera  voir,  Monseigneur,  quelle  est  Fef- 
fronterie  ou  Tignorance  de  Burnet,  qui,  dans  son 
Histoire ,  rapporte  les  paroles  latines  que  votis  avez 
lues ,  et  que  vous  trouverez  conformes  dans  le  sens 
à  cet  article  supprimé  par  celui  d'Elisabeth,  sans 
marquer  que  c'étoit  le  sens  de  celui  d'Edward  : 
d'oii  Ton  peut  juger  de  la  vérité  de  la  conséquence 
qu'il  en  tire ,  qui  est  toute  contraire  à  celle  que  tire 
Heylin  dans  sa  Préface  de  la  Vie  de  William  Laud, 
archevêque  de  Cantorbéry. 

Burnet  dit  ;  «  Cela  fait  voir  que  la  doctrine  de 
)>  l'Eglise ,  souscrite  par  toute  la  convocation  ou 
»  assemblée  du  clergé,  étoit  alors  contraire  à  la 
»  doctrine  de  la  présence  réelle  ou  corporelle  dans 
»  le  sacrement  ».  En  quoi  il  commet  une  insigne 
falsification ,  en  donnant  à  entendre  que  réelle  est 
la  même  chose  que  corporelle.  Or,  Heylin  établit 
et  prouve  que  l'Eglise  anglicane  n'exclut  que  la  pré- 
sence corporelle,  et  tient  la  présence  réelle.  H  cite 
Ridley,  qui  dit  que  dans  le  sacrement  de  l'autel  est 
le  corps  et  le  sang  naturel  de  Jésus-Christ.  Alexandre 
Nowel,  prolocuteur  de  la  convocation  de  i562,  où 
la  transsubstantiation  fut  déclarée  contraire  à  l'Ecri- 
ture ,  qui  dans  son  catéchisme  dit  :  Question.  Cce- 
lestis  pars  et  ah  omni  sensu  externo  longe  disjuncta  , 
quœnam  est?  Réponse.  Corpus  et  sanguis  Christi ^ 
quœfidelibus  in  Cœna  Dominica  prœhentur,  ab  illis 
accipiuntur,  comeduntur  et  bibuntur,  cœlesti  tantîini 

BOSSUET.    XLII.  ^o 


626  LETTRES    DIVERSES. 

et  spirituall  modo ,  vere  tamen  atque  re  ipsâ.  Il  en 
cite  encore  d'autres,  et  surtout  ce  passage  d' Andrews, 
évêque  de  Winchester,  qui ,  écrivant  contre  Bellar- 
niin  ,  dit  :  Prœscjitiam  credimus  non  minus  quhm 
vos  veram;  deinde  de  prœsentiœ  modo  nihll  temerh 
dejinimus.  Je  vous  ai  extrait  l'article  de  l'eucharis- 
tie :  si  vous  avez  besoin  de  ceux  de  la  justification . 
je  vous  les  enverrai  ;  ils  sont  aussi  purement  calvi- 
nistes. Voilà  pour  ce  qui  regarde  la  confession  de 
foi. 

PourMolinos,  je  crois,  Monseigneur,  que  vous 
avez  vu  le  décret  par  lequel  ses  propositions  sont 
censurées  au  nombre  de  soixante-huit,  qui  est  im- 
primé. Il  y  a  outre  cela  le  procès  entier,  qui  tient 
plus  d'une  main  de  papier,  que  j'ai  lu  :  mais  on  ne 
me  l'a  pas  envoyé ,  et  je  n'ai  osé  prier  mes  amis  de 
ce  pays-là  de  me  faire  une  si  longue  copie.  Mais  j'ai 
un  extrait  de  tout  ce  long  procès ,  fait  de  main  de 
maître ,  avec  diverses  lettres  ;  tout  à  votre  comman- 
dément.  Il  faut  quelques  jours  pour  copier  tout 
cela.  J'ai  aussi  le  procès  en  extrait  de  ses  deux  dis- 
ciples ,  dont  les  erreurs  étoient  encore  plus  grande^. 
J'attendrai  vos  ordres  sur  tout  cela. 

Il  est  vrai  qu'on  fait  des  affaires  à  M.  le  cardinal 
de  Grenoble  sur  sa  Lettre  pastorale,  que  le  Pape 
fait  examiner.  Toutes  ces  affaires  ont  fort  chagriné 
le  saint  Père ,  qui  de  colère  a  été  un  mois  au  lit  5  car 
il  se  porte  à  merveilles. 

Molinos  étoit  un  des  plus  grands  scélérats  qu'on 
puisse  s'imaginer.  Il  est  vrai  qu'il  dirigeoit  M.  Fa- 
voriti,  et  qu'il  l'a  assisté  à  la  mort.  Il  n'y  a  or- 
dures exécrables  qu'il  n'ait  commises  pendant  vingt- 


LETTRES    DIVERSES.  627 

deux  ans,  sans  se  confesser,  Par  le  procès,  il  paroît 
qu'il  a  avoue  toutes  ces  choses.  On  y  marque  celles 
qu'il  a  niées.  J'aurai  l'honneur  de  vous  en  mander 
plus  de  nouvelles  dans  queîqifes  jours.  Il  est  temps 
de  finir  cette  lettre  qui  n'est  que  trop  longue ,  en 
vous  assurant  toujours,  Monseigneur,  de  la  conti- 
nuation de  mes  très-humbles  respects. 

Je  remercie  M.  l'abbé  Fleury  de  son  souvenir,  et 
le  salue  avec  votre  permission. 

A  Paris,  ce  i3  octobre  1687. 


LETTRE  XIX. 

DE  M.  LE  FEUVRE,  DOCTEUR  DE  SORBONNE. 

Sur  une  conclusion  que  Ton  prétendoit  avoir  élé  faite  par  la  Faculté 
de  théologie  touchant  le  mariage  do  Henri  VIII. 

Il  y  a  trois  semaines  que  je  n'ai  point  la  liberté  de 
mon  appartement  ni  de  mes  livres  *,  c'est  ce  qui  m'a 
empêché  jusqu'ici  de  répondre  à  votre? Grandeur  sur 
ce  qu'elle  a  voulu  savoir  de  moi,  touchant  une  con- 
clusion que  l'on  dit  avoir  été  faite  par  notre  Faculté 
sur  le  mariage  de  Henri  VIII.  Je  vous  dirai ,  Mon- 
seigneur, ce  que  j'en  peux  savoir  ;  vous  avouant 
que  je  n'ai  sur  ce  sujet  que  des  conjectures,  les  re- 
gistres de  ce  temps  ne  se  trouvant  plus  dans  nos 
archives. 

Il  est  vrai  que  Burnet  rapporte  cette  conclusion 
toute  entière  dans  son  premier   livre   en  anglais 
page  62  de  son  Recueil  :  mais  la  difficulté  est  de 
savoir  si  elle  a  été  véritablement  faite   par  notre 


6^8  LETTRES    DIVERSES» 

Faculté,  telle  que  Burnet  nous  la  rapporte^  au  si 
elle  est  supposée. 

Sur  quoi  mon  sentiment  est  qu'il  est  certain  que 
notre  Faculté  a  été  consultée  sur  ce  sujet,  et  quelle 
a  répondu  à  la  consultation  qu'on  lui  avoit  faite. 
Cela  paroît  par  les  lettres  originales  du  premier 
président  Liset,  qui  étoit  chargé  de  ménager  la  Fa- 
culté sur  cette  affaire.  Ces  lettres  sont  dans  la  biblio- 
thèque du  Roi,  et  elles  marquent  que  la  Faculté  a 
donné  en  ce  temps  son  avis.  Et  M.e  Charles  du 
Moulin,  dans  ses  notes  sur  le  conseil  602  de  Decius, 
imprimées  à  Francfort  l'an  i587,  ^^  parle  de  cette 
manière  :  Hanc  quœstionem  in  magno  fervoTe  vidi 
in  Sorbona  ^  anno  1 53o  j  et  tandem  mense  junio 
steterunt  quadraginta  duo  Sorbonicipro  affirmàtiva  , 
quôd  Papa  potest,  quinque  vero  remittendum  Eccle- 
siœ  papali  :  sed  quinquaginta  très  majorem  parlem 
facientes  tenuerunt  pro  negativa  :  de  qua  parum  ou- 
randum;  quia  corrvpti  angelotis  anglicis  ita  cem- 
suerimt,  ut  vidi  per  attestationes ,  jussu  Francisci. 
Galliarum  Régis  ,  factas  per  defunctos  Dufresnet 
et  Poliot,  Parlamenti  Parisiensis  Prœsides ,  quihus 
Beda  Decanus  Sorbonce,  et  Lisetus,  tune  ejusdem 
Parlamenti  Prœses  primus,  multum  grayabantun 
Voilà  ce  qui  me  fait  croire  qu'il  y  a  eu  un  avis  de 
notre  Faculté  sur  ce  sujet.  Mais  je  crois  aussi  que 
l'avis  que  rapporte  Burnet  n'est  pas  celui  que  la 
Faculté  a  donné. 

Premièrement  le  style  de  cette  conclusion,  telle 
qu'elle  est  rapportée  par  Burnet ,  n'est  point  con- 
forme à  celui  dont  la  Faculté  se  servoit  en  ce  siècle. 
Cela  paroît  par  la  confrontation  que  l'on  en  peut 


LETTRES    DIVERSES.  629 

faire  avec  les  autres  monumens  de  notre  compagnie 
que  nous  avons  du  même  temps,  comme  les  deux 
Censures  contre  Erasme,  faites  en  i526  et  1527  ;  les 
articles  proposés  à  François  I.er^  en  i542,  et  la 
censure  contre  du  Moulin  en  i552.  Aussi  je  me  sou- 
viens que  cette  pièce  faisant  de  la  peine  à  un  de  mes 
amis,  il  demanda  à  M.  Burnet,  lorsqu'il  vint  à  Paris, 
s'il  avoit  vu  l'original  :  il  lui  avoua  franchement  qu'il 
ne  l'avoit  jamais  vu ,  mais  seulement  une  copie  dans 
un  livre  anglais  imprimé  sous  Henri  VIII. 

En  second  lieu,  la  pièce  que  rapporte  ledit  sieur 
Burnet  dit  que  l'avis  de  la  Faculté  a  été  donné,  iina" 
nîmi  consensu  ad  pluralitatem  vocum  :  ce  qui  ne 
convient  pas  avec  ce  qu'en  dit  du  Moulin,  qui  rap- 
porte que  le  sentiment  pour  Henri  VIII  ne  l'emporta 
que  de  six  suffrages. 

Troisièmement ,  les  lettres  du  président  Liset  di- 
sent que  l'avis  que  la  Faculté  donna  ne  plut  pas  au 
Roi  :  d'où  on  doit  conclure  qu'il  étoit  autre  que 
celui  que  l'on  nous  rapporte  ;  puisque  celui  que  l'on 
nous  rapporte  satisfaisant  entièrement  les  préten- 
tions de  Henri  VIII,  il  devoit  nécessairement  plaire 
à  François  I.",  qui  vouloit  pour  lors  faire  plaisir  à 
ce  Roi.  Ce  que  dit  M.  Liset  s'accorde  assez  avec  l'état 
des  temps  oii  l'on  dit  que  cet  avis  a  été  donné.  Tout 
le  monde  sait  que  François  I."  étoit  irrité  pour  lors 
contre  la  Faculté ,  qu'il  lui  fit  Talfront  de  vouloir 
que  les  ouvrages  d'Erasme  fussent  examinés  par 
toutes  les  compagnies  de  l'Université ,  conjointe- 
ment avec  celle  de  théologie ,  à  qui  il  déclara  ne 
pouvoir  se  fier  ;  qu'il  avoit  fait  emprisonner,  et  en- 
suite exiler  le  syndic  et  plusieurs  autres  docteurs. 


63o  LETTRES    DIVERSES. 

Une  compagnie  tout  récemment  maltraitée  n'est 
guère  en  état  de  satisfaire ,  sur  un  point  difficile,  aux 
désirs  d'un  prince  dont  elle  ressent  si  vivement  l'in- 
dignation. Enfin  ,  si  la  Faculté  avoit  répondu  à 
Henri  VIII  de  la  manière  que  Burnet  nous  le  rap- 
porte ,  il  n'auroit  pas  été  nécessaire  qu'Elisabeth  eût 
consulté  la  Faculté  de  droit  canon  de  Paris ,  pour 
savoir  si  le  mariage  de  son  père  étoit  légitime  ;  la 
réponse  de  la  Faculté  de  théologie  prévalant  elle 
seule  à  tout  ce  que  les  autres  Facultés  du  même  lieu 
pouvoient  décider.  Or  nous  avons  dans  la  bibliothè- 
que de  M,  Colbert,  la  réponse  en  original  de  cette 
Faculté  sur  cette  consultation. 

Quant  à  ce  que  du  Moulin  rapporte  de  la  nôtre, 
je  m'étonne  qu'il  parle  de  visu  ,  manquant  en  deux 
faits  dans  son  rapport  :  premièrement  dans  la  date 
de  la  réponse  de  la  Faculté,  qu'il  dit  avoir  été  faite 
au  mois  de  juin  ;  et  selon  la  pièce  que  produit  Bur- 
net, elle  n'a  été  faite  qu'au  mois  de  juillet  :  secon- 
dement,  en  faisant  entrer  dans  cette  affaire  Beda, 
qui  étoit  pour  lors  exilé. 

Voilà,  Monseigneur,  ce  que  je  sais  présentement 
sur  ce  sujet  :  sitôt  que  je  serai  plus  à  moi,  et  que 
j'aurai  la  liberté  entière  de  mon  appartement ,  que 
les  maçons  ont  jusqu'ici  occupé,  j'approfondirai  plus 
la  chose ,  et  ne  manquerai  pas  d'envoyer  à  votre 
Grandeur  ce  que  j'aurai  trouvé.  Je  suis  avec  tout  le 
respect  possible ,  etc. 

Le  Feu v RE,  professeur  en  théologie. 

Ce  i3  mai  1687. 


LETTRES    DIVERSES.  63  I 


LETTRE   XX. 

DE  M.  PIROT,  DOCTEUR  DE  SORBONNE. 

Sur  le  même  sujet  que  la  précédente,  et  sur  quelques  autres  faits. 

J'ai  fait  copier  la  lettre  circulaire  de  M.  le  cardinal 
le  Camus  sitôt  que  je  Tai  pu  avoir,  et  je  vous  l'envoie 
comme  vous  me  l'avez  ordonné.  J'y  aurois  joint  la 
copie  de  l'acte  qui  est  venu  de  Rome  au  sujet  des 
Quie'tistes,  si  je  l'avois  pu  :  mais  la  personne  de  qui 
je  le  voulois  emprunter,  Tavoit  donne'  à  M.  l'arche- 
vêque, qui  n'est  pas  présentement  en  état  qu'on  lui 
parle  de  cela.  Je  ne  sais  que  M.  l'official  qui  lui 
parle,  quoiqu'il  se  porte  mieux,  dont  la  médecine 
qu'on  lui  a  fait  prendre  aujourd'hui  est  une  marque. 

J'ai  fort  pensé,  depuis  que  nous  avons  parlé  de  la 
consultation  que  cite  Burnet,  à  éclaircir  ce  fait.  Il 
est  vrai  que  Fra-Paolo,  dans  son  premier  livre  de 
Y  Histoire  du  Concile,  dit  que  Henri  VIH  voulut 
consulter  sur  son  affaire  les  Universités  de  l'Europe  ; 
et  que  la  plus  grande  partie  des  théologiens  de  Paris 
favorisa  son  dessein,  en  prononçant  que  la  dispense 
qu'il  avoit  obtenue  de  Rome  pour  épouser  Cathe- 
rine, veuve  de  son  frère,  étoit  nulle  ;  mais  qu'on  veut 
que  son  avis  étoit  plus  fondé  sur  les  dons  du  roi 
d'Angleterre  que  sur  la  raison.  M.  de  Thou,  dans 
son  livre  premier,  page  28,  met  à  peu  près  la  même 
chose  en  ces  termes  :  Rex ,  qui  jam  ante  annum  , 
Calharinâ  repudiatd ,  Bolenani  duxerat,  exquisitis 
prius  diversorum  theologorum  sententiis  imprimis^ 


632  LETTRES    DIVERSES. 

(jue  Paris iejis iitm  f  qui,  uti  riimor  erat ,  pretio  COT' 
ruptiy  consilio  et  divortio  subscripserant.  Cet  his- 
torien ne  dit  pas  que  la  Faculté'  fut  consultée  ;  au 
lieu  que  le  premier,  parlant  de  la  plus  grande  par- 
tie, semble  avoir  lu  du  Moulin,  ou  du  moins  écrit 
sur  ses  Mémoires.  C'est  lui  qui  parle  le  plus  dis- 
tinctement de  la  consultation.  J'ai  eu  peine  à  trou- 
ver l'endroit  :  j'ai  pour  cela  parcouru  toutes  ses 
œuvres,  et  je  ne  l'ai  point  vu  dans  celles  qui  por- 
tent son  nom ,  qui  sont  en  trois  tomes. 

Enfin  j'ai  vu  ce  qu'il  a  fait  sur  les  conseils  de 
Decius ,  grand  jurisconsulte  milanais  du  siècle  der- 
nier ,  qui  n'est  pas  imprimé  sous  son  nom  ;  mais 
qu'on  sait  assez  être  de  lui.  Ce  sont  des  notes  sur 
l'ouvrage  de  cet  Italien,  imprimées  en  marge,  dont 
l'auteur  n'est  point  nommé  au  titre,  mais  seulement 
marqué  par  la  qualité  d'un  grand  jurisconsulte ,  cé- 
lèbre en  Allemagne  et  en  France.  Il  se  fait  lui-même 
assez  connoître  de  temps  en  temps  dans  ses  obser- 
vations, en  citant  ses  ouvrages.  Il  parle  de  la  ques- 
tion du  mariage  de  Henri  VIII,  sur  le  conseil  602 
de  Decius,  à  l'occasion  de  ce  qu'en  dit  Decius  lui- 
même  ,  qui  avoit  été  consulté  par  ce  Roi ,  et  qui  y 
répond  dans  ce  conseil,  posant  pour  principe  que 
le  pape  Jules  II  avoit  pu  donner  la  dispense,  et  que 
le  cas  de  faire  épouser  une  même  personne  à  deux 
frères,  l'un  d'eux  l'épousant  après  la  mort  de  l'autre, 
n'excède  pas  le  pouvoir  du  Pape  ;  mais  dans  l'appli- 
cation trouvant  nullité  dans  la  bulle,  qu'il  prétend 
subreptice  pour  deux  raisons  :  la  première  et  la 
principale,  fondée  sur  ce  qu'elle  est  accordée  pour 
le  bien  de  la  paix  ;  comme  s'il  y  avoit  eu  guerre  qui 


LETTRES    DIVERSES.  633 

dût  cesser  par  cette  alliance,  quoique  tout  fût  en 
paix  pour  lors ,  et  qu'il  n'y  eût  nul  trouble  à  crain- 
dre, ainsi  que  le  cas  l'exposoit  :  l'autre,  qu'on  n'eût 
pas  marqué  au  saint  Siège  dans  la  supplique  de  la 
dispense  qu'on  avoit  demandée  pour  le  mariage  de 
Henri  VIII  avec  Catherine,  veuve  de  son  frère  Artus, 
qu'il  étoit  seulement  dans  sa  douzième  ou  treizième 
année ,  ainsi  encore  incapable  de  contracter,  n'ayant 
pas  l'âge  de  puberté;  ce  qui  pouvoit  rendre  la  grâce 
plus  difficile,  et  dont  par  conséquent  la  réticence 
donnoit  atteinte  à  la  bulle.  C'est  le  biais  que  prend 
cet  auteur  pour  satisfaire  en  même  temps,  dit  celui 
qui  a  fait  les  notes,  à  son  Pape,  c'est  son  terme, 
à  qui  il  faisoit  profession  de  devoir  bien  de  la  re- 
çonnoissance,  et  au  Roi  :  ut  eâdem  fide  Papœ  suo 
et  Régi  satisfaceret. 

Je  souliaiterois  que  vous  lussiez  vous-même  Decius 
dans  ce  conseil  602,  vous  y  auriez  du  plaisir;  et  je 
suis  sûr  que  vous  voudriez  voir  encore  le  troisième, 
où  il  renvoie,  quand  il  dit  que  s'il  se  trouvoit  en 
cette  question ,  sur  le  pouvoir  du  Pape  pour  la  dis- 
pense du  mariage,  partage  entre  les  théologiens  et 
les  docteurs  de  droit  canon ,  il  faudroit  s'attacher 
aux  derniers,  et  quitter  les  autres  :  ce  qu'il  avoit 
déjà  avancé  au  sujet  de  l'usure ,  demeurant  d'accord 
que  dans  l'interprétation  de  l'Ecriture  sur  les  actions 
de  Jésus -Christ,  les  théologiens  doivent  être  suivis 
préférablement  aux  canonistes  ;  mais  qu'il  en  est  tout 
au  contraire  sur  la  morale  et  sur  la  pratique,  comme 
sur  le  baptême,  sur  le  mariage,  sur  le  vœu,  sur  la 
simonie,  sur  l'usure,  etc.  et  que  dans  ces  matières, 
il  se  faut  peu  mettre  en  peine  de  ce  que  tiennent 


C)S^  LETTRES    DIVERSES. 

les  théologiens  contre  les  de'crétistes.  C'est  en  cet 
endroit  que  du  Moulin  dit  dans  une  note,  au  con- 
seil 602,  que  Decius,  dans  sa  pre'tention  de  main- 
tenir le  droit  canon,  a  raison  de  n'avoir  aucun  égard 
à  la  théologie  ;  parce  que,  dit-il,  on  pourroit  crain- 
dre, en  consultant  la  parole  de  Dieu,  de  renverser 
le  droit  canon  :  et  merito  ne  verbo  Dei  inspecta 
ey^ertatiir. 

Mais  pour  me  renfermer  en  ce  que  cet  auteur, 
qui ,  comme  vous  voyez,  ménage  peu  le  droit  canon, 
et  cite  son  Traité  contre  les  petites  dates  qui  le  fait 
assez  découvrir,  dit  de  raffaire  d'Angleterre;  il  fait 
combattre  d'abord  les  théologiens  entre  eux,  pour 
décider  si  le  Pape  peut  donner  la  dispense  dont  il 
étoit  question  ;  et  rapporte  sur  cela  Richard  et  Scot 
qui  le  nient,  saint  Thomas  qui  tient  l'affirmative,  et 
Paludanus  qui  ne  sait  à  quoi  s'en  tenir.  Il  dit  en- 
suite qu'il  a  vu  en  i53o  cette  question  agitée  avec 
beaucoup  de  chaleur  en  Sorbonne  ;  qife  quarante- 
deux  docteurs  avoient  cru  que  la  dispense  avoit  pu 
être  accordée  à  Henri,  et  que  son  mariage  étoit  bon  ; 
cinq  avoient  renvoyé  la  chose  à  examiner  à  l'Eglise 
qu'il  appelle  l'Eglise  papale,  ne  cherchant  pas  à  mar- 
quer un  grand  respect  pour  Pvome  ;  et  cinquante- 
trois  avoient  dit  que  la  dispense  étoit  nulle,  et  que 
le  raifriage  n'étoit  pas  valable;  qu'on  ne  devoit  avoir 
aucun  égard  pour  ce  dernier  sentiment,  quoiqu'il 
l'emportât  ;  parce  que  ceux  qui  y  étoient  entrés 
avoient  été  gagnés  par  des  angelots  d'Angleterre, 
comme  il  l'avoit  reconnu  dans  des  informations  faites 
par  ordre  de  François  L",  par  deux  présidens  du 
parlement,  Dufresnet  et  Poliot,  et  qui  avoient  fort 


LETTRES    DIVERSES.  635 

déplu  au  premier  pre'sident ,  qui  e'toit  pour  lors 
M.  Liset,  et  à  Bède,  doyen  de  la  Faculté',  (il  dcvoit 
dire  syndic.  )  Voici  les  mots  latins  de  du  Moulin  : 
Hanc  quœstionem  in  magno  fervore  vidi  in  Sor- 
bona  _,  anno  i53o;  et  tandem  mense  junio  steterunt 
{juadragijita  duo  Sorbonici  pro  affirniativâ ,  quod 
Papa  potest;  qidnque  uerb  remiltendum  Ecclesiœ 
papali;  sed  quinquaginta  treSj,  majorem  partent  fa- 
cienles,  tenueriint  pro  ne^ali^a  :  de  qua  parum  cu- 
randum  ;  quia  corrupti  angeïotis  anglicis  ila  cen- 
suerunt,  ut  vidi  per  atlestationes ,  jussu  Francise! 
Franciœ  régis  ^  factas  per  defunctos  Dufresnet  et 
Poliol  parlamenti  Parisiensis  prœsides,  quibus  Beda 
decanus  Sorbonœ ,  et  Lisetiis  tune  ejusdem  parla- 
menti prœses  primus  multum  gras'abantur.  De  qffir- 
math'â  quoque ,  quœ  erat  una  senlentia  Sorhonœ, 
paruni  curandum;  quia  fundatur  in  eo  quod  censent 
nihil  de  toto  veteri  Testamento  remancre  de  jure 
di^ino,  prœter  Decalogwn  j  etc. 

Il  cite  ensuite  Tostat ,  qu'il  prétend  avoir  cru  que 
Fempêchement  au  premier  degré  n'est  plus  que  de 
droit  humain  ;  mais  il  ne  prend  pas  son  sens.  Vous 
savez  l'éloignement  qu'il  avoit  des  théologiens  catho- 
liques, et  surtout  de  la  Faculté  de  Paris,  dont  il  se 
plaint  si  fort  à  la  fin  de  la  glose  qu'il  a  faite  sur 
Fédit  de  Charles  VI  en  i4o6,  au  sujet  des  annates, 
qu'il  a  mis  à  la  fin  de  ce  qu'il  a  écrit  contre  les 
petites  dates,  en  commentant  l'édit  de  Henri  II 
de  i55o.  Il  accuse  les  théologiens  de  l'avoir  per- 
sécuté, et  de  lui  avoir  attiré  une  si  grande  haine, 
qu'il  avoit  été  obligé  de  se  retirer  en  Allemagne. 

Ce  qu'il  dit  de  la  consultation  qui  y  fut  faite  sur 


636  LETTRES    DIVERSES. 

le  mariage  de  Henri  avec  Catherine,  ne  peut  pas 
beaucoup  servir  à  justifier  ce  prince.  Il  nomme  les 
parties  dans  sa  glose,  et  il  y  parle  ouvertement  de 
la  chose  ;  au  lieu  que  Decius  prend  des  noms  sup- 
posés, quoiqu'il  dise  que  c'est  une  question  propose'e 
par  des  princes  et  venue  d'Angleterre,  de'signant 
Henri  par  le  nom  à' Olimbardus  ,  et  Catherine  par 
celui  de  Barbara, 

Quand  les  choses  se  seroient  passées  comme  il  les 
raconte ,  cela  ne  feroit  pas  en  faveur  de  Henri  : 
ce  seroit  une  confusion  pour  les  docteurs  de  Paris, 
mais  qui  ne  déchargeroit  pas  ce  prince  ;  au  con- 
traire ,  leur  lâcheté  ne  feroit  que  le  charger.  Aussi 
du  Moulin  ne  regarde-t-il  pas  cet  avis,  qui  favori- 
soit  la  passion  du  Roi ,  comme  le  vrai  sentiment  de 
la  Faculté,  il  dit  au  contraire  que  ce  vrai  sentiment 
étoit  conire,  et  que  ce  ne  fut  que  par  corruption 
que  la  pluralité  alla  à  déclarer  la  dispense  nulle.  H 
n'est  point  marqué  dans  du  Moulin  que  la  chose  se 
fit  dans  une  assemblée  :  mais  il  semble  qu'il  le  sup- 
pose ,  quand  il  dit  que  les  cinquante-trois  faisoient 
la  plus  grande  partie,  et  que  cela  avoit  été  examiné 
avec  grande  contention  :  quœstionem  in  magno 
ferifore. 

Burnet  n'apporte  la  prétendue  conclusion  de  la 
Faculté  que  pour  faire  voir  que  ce  Roi  avoit  été  de 
bonne  foi,  et  n'avoit  rien  fait  qu'après  avoir  pris 
conseil.  Le  témoignage  de  ce  jurisconsulte  est  bien 
éloigné  de  cela.  Je  n'ai  pas  vu  l'acte  que  rapporte 
Burnet  dans  son  troisième  volume,  qui  n'est  pas 
encore  public  en  France  :  je  l'ai  seulement  vu  cité 
dans  le  premier.  Mais  sur  ce  que  vous  m'avez  fait 


LETTRES    DIVERSES»  687 

rtontieuT  de  me  dire  qu'il  est  daté  des  Mathurins 
en  i53i,  je  puis  assurer  qu'il  est  très-suspect,  et 
qu'il  n')'^  a  guère  de  caractère  de  fausseté  plus  sur 
que  celui-là.  Je  ne  le  prends  pas  simplement  pour 
Tannée ,  qui  ne  convient  pas  à  celle  que  du  Moulin 
marque  un  an  auparavant  :  je  joins  l'année  et  le 
lieu  de  la  scène  ;  cela  ne  peut  se  rapporter. 

Je  vois  dans  nos  censures,  dont  nous  avons  un 
livre  en  yélin  jusqu'à  i523,  que  depuis  la  censure  de 
Luther,  qui  fut  faite  en  Sarbonne  le  i5  avril  i52ï, 
et  que  je  vois  la  première  de  toutes  datée  de  ce  lieu, 
il  n'y  en  a  eu  qu'une  faite  aux  Mathurins  deux  mois 
après,  le  19  juin  iSai,  sur  six  propositions  présen- 
tées par  l'évéque  de  Séez  à  examiner.  La  même  an- 
née, au  i"  décembre,  celle  qui  fut  portée  contre 
le  sentiment  de  Faber  s^ur  les  trois  Madeleines,  est 
en  Sorbonnej  et  toutes  les  autres  contre  Melancton 
et  autres,  données  les  années  suivantes,  sont  du 
même  lieu.  Ainsi  on  peut  assurer  que  la  censure  de 
Luther  est  le  commencement  des  assemblées  en 
Sorbonne  :  depuis  quoi  nous  ne  voyons  qu'une  cen- 
sure faite  deux  mois  après  aux  Mathurins  ;  mais  que 
toute  la  suite  est  en  Sorbonne ,  et  q«e  plus  de  huit 
ans  avant  la  date  de  la  consultation  citée  par  Burnet, 
les  assemblées  s'étoient  établies  en  Sorbonne ,  où 
elles  se  sont  depuis  toujours  tenues  :  ce  qui  fait  con- 
noître  la  supposition  de  celle  de  i53o  ou  i53i, 
qu  on  date  des  Mathurins. 

On  vous  avoit  parlé  de  la  censure  d'Erasme  :  je 
vous  dis,  quand  vous  m'en  parlâtes,  qu'assurément 
elle  étoit  depuis  celle  de  Luther,  et  qu'elle  avoit 
été  faite  en  Sorbonne.  Il  n'y  a  qu'à  voir  l'acte  dans 


63}^  LETTRES    DIVERSES. 

Erasme  même,  au  tome  de  son  Apologie,  qui  est  le 
plus  gros  de  ses  ouvrages,  d'où  on  l'a  restitué  dans 
nos  registres  ;  ceux  de  ce  temps-là  nous  ayant  e'té 
enleve's  du  temps  que  Bède   fut  relégué  au  Mont 
Saint-Michel,  où  il  mourut.  Vous  trouverez  que  la 
Faculté  a  fait  deux  censures  de  cet  auteur  :  l'une , 
de  ses  colloques,  dont  elle  a  tiré  beaucoup  de  pro- 
positions qu'elle  qualifie  d'erronées,  de  scandaleuses 
et  d'impies;  elle  est  du   i6  mai  iSafi  :  l'autre,   qui 
est  la  grande ,    partagée  en  trente-deux  chefs   ou 
titres  de  propositions,  tirées  de  ses  paraphrases  sur 
le  nouveau  Testament  et  de  ses  autres  livres,  datée 
du  17  décembre  1527  ,  qui  avoit  été  proposée  dès 
la  fin  de  juillet  en  162.6.  Ces  deux  censures  et  toutes 
les  assemblées  nécessaires  pour  les  porter,  ont  été 
faites  en  Sorbonne  :  in  collegio  Sorbonœ ,  porte  la 
première  ;  et  la  seconde  :  apud  collegium  Sorbonœ, 
Je  ne  dis  rien  du  style,   qu'on  m'a  dit  être  fort 
différent  de  celui  dant  la  Faculté  se  servoit  en  ces 
occasions,  ni  de  la  forme  qui  paroît  avoir  été  ob- 
servée pour  la  conduite  de  l'affaire  et  qui  y  est  dé- 
duite, qui  paroît  aussi,  à  ceux  qui  l'ont  lu,  peu 
convenable  aux  usages  de  la  Faculté.  Je  ne  l'ai  pas, 
lu,  et  je  n'en  puis  juger  par  moi-même. 

Le  père  Lami  (*)  me  fit  l'honneur  de  me  venir 
voir  avant-hier.  Il  n'entre  pas  fort  dans  votre  avis 
sur  le  latin  de  son  ouvrage,  qui  m'a  paru  bon.  Il 
dit  qu'il  vous  a  exposé  qu'il  avoit  deux  livres  à  y 
joindre,  de  l'immortalité  de  l'ame  et  de  la  possibilité 
de  l'Incarnation ,  qui  doivent  être  pour  tout  le 
monde.  Il  m'a  cependant  dit  qu'il  feroit  ce  qu'on 

(*  Dom  François  Lami,  Bénédictin. 


LETTRES    DIVERSES.  63() 

voudroit  ;  et  je  crois  qu'il  mettra  son  français  en 
latin.  Je  le  trouve  un  fort  honnête  homme  ,  d'une 
grande  since'rité,  fort  sage,  d'un  entier  de'sintéres- 
sement ,  également  humble  et  éclaire'. 

Ce  n'est  pas  là  tout-à-fait  le  caractère  du  cri- 
tique (*)  de  l'Ecriture,  qui  a  eu  l'honnêteté  de 
donner  une  lettre  au  public  adressée  à  moi ,  et  que 
je  n'ai  jamais  vue  :  elle  est,  à  ce  qu'on  m'a  dit,  sur 
l'inspiration  des  auteurs  sacrés.  Bien  des  gens  l'ont 
lue,  la  République  des  Lettres  en  parle;  mais  je 
n'en  ai  rien  vu  ;  et  le  mois  de  la  République  où  il  en 
est  parlé,  n'est  pas  encore  venu  jusqu'à  moi.  Je  ne 
crois  pas  que  l'auteur  prétende  à  l'avenir  avoir  au- 
cun commerce  d'approbation  avec  moi,  en  en  usant 
ainsi.  Il  dit  qu'il  n'a  pas  mis  mon  nom  :  mais  il  a 
mis  tant  de  lettres  initiales  du  nom  et  de  l'emploi , 
que  tous  ceux  qui  en  ont  vu  le  titre  m'ont  deviné. 
Je  me  mets  fort  peu  en  peine  de  cela  ,  et  je  n'ai  pas 
fait  de  grandes  diligences  pour  le  voir;  mais  il  me 
paroît  assez  extraordinaire  qu'on  tienne  cette  con- 
duite. 

Je  ne  vous  donnois  pas  les  autres  années  les  sujets 
des  conférences  de  Paris  :  mais  comme  j'achève  ma 
lettre  celles  de  cette  année  se  présentent  à  moi;  et 
parce  qu'elles  sont  sur  une  nouvelle  matière , 
M.  l'archevêque  ayant  souhaité  qu'après  les  sacre- 
mens  qu'on  a  expliqués  on  prît  l'Evangile,  je  les 
mets  en  mon  paquet.  Je  vous  supplie  seulement  que 
personne  ne  les  voie  si  tôt  :  elles  n'ont  été  encore 
vues  que  par  l'auteur  et  par  l'imprimeur.  M.  l'ar- 
chevêque et  M.  l'ofTicial  n'en  ont  rien  vu ,   et  ils  se 

C*;  Richard  Simon. 


G^O  LETTRES    DIVERSES. 

sont  fiés  de  tout  à  celui  qui  en  étoit  cliargé.  M.  l'of- 
licial  les  devoit  demain  porter  aux  Calendes;  mais 
cela  est  diffe'ié  à  cause  de  la  maladie.  Je  ne  vous 
les  envoie  que  par  respect  :  j'en  ai  pour  vous  plus 
que  personne ,  et  je  suis ,  avec  le  plus  de  dévoue- 
ment et  de  fidélité ,  etc.  t^ 

'  riROT. 

Eu  Sorbonne,  ce  7  juin  1687. 


LETTRE  XXL 

DE  DOM  BERNARD  DE  MONTFAUCON. 

Sur  les  livres  Deutcrocanouiques. 

J'envoie  à  votre  Grandeur  quelques  passages  qui 
prouvent  Fauth-enticité  des  livres  qu'on  nomme  Deu- 
térocanoniques.  Parmi  ceux-là,  il  y  en  a  deux  qui 
me  paroissent  convaincans  :  l'un  est  d'Origène,  qui 
dit  clairement  que  ces  livres  aussi  bien  que  les  autres 
sont  la  parole  de  Dieu ,  verbum  Dei  :  il  les  met  au 
nombre  des  livres  divins,  dwinorum  voluminum  ;  et 
dans  la  suite  il  fait  entendre  que  l'Eglise  les  regar- 
doit  comme  Ecriture  sainte,  aussi  bien  que  les  Evan- 
giles. Il  spécifie  au  même  endroit  les  livres  de  Tobie, 
Judith  et  la  Sagesse.  Les  témoignages  de  saint  Atha- 
nase  me  paroissent  encore  plus  forts  :  non-seulement 
il  les  cite,  mais  il  s'en  sert  fort  souvent  pour  établir 
des  dogmes  de  foi ,  et  en  particulier  du  livre  de  la 
Sagesse.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable ,  est  qu'il 
s'en  sert  contre  les  hérétiques ,  et  que  pas  un  n'en  a 
jamais  récusé  l'autorité  ;  ce  qui  fait  voir  qu'on  les 
regardoit  partout  comme  des  livres  divins,  dont  on 

pôuvoit 


LETTRES    DIVERSES.  64-1 

pouvoit  se  servir  en  matière  de  foi.  On  pourroit 
grossir  le  petit  recueil  que  j'envoie  à  voire  Grandeur  ; 
mais  cela  demande  du  temps.  Je  n'ai  pris  que  ce  que 
j'ai  trouvé  sur  mes  mémoires  :  si  je  trouve  quelque 
autre  chose  en  chemin  faisant,  je  ne  manquerai  pas 
d'en  donner  avis  à  votre  Grandeur.  Je  suis  avec  un 
profond  respect,  etc. 

Fr.  Bernard  de  Montfaùcon,  M.  B. 


i 


LETTRE  XXII. 

DE  M.  L'ABBË  DE  LANGERON. 

Sur  son  Commentaire  de  l'Apocaljpse,  et  en  particulier  sur  Paul 
de  Saraosate,  que  Bossuet  croyoit  voir  dans  fétoile  qui  tomboit 
du  ciel. 

J'ai  lu,  Monseigneur,  toutes  les  notes  sur  l'Apo- 
calypse ,  et  je  vous  avoue  que  j'ai  été  frappé  comme 
un  homme  qui  verroit  naître  tout  d'un  coup  une 
grande  lumière  dans  un  lieu  fort  obscur.  J'ai  exa- 
miné le  Commentaire,  le  texte  à  la  main  :  le  gros 
du  dessein  est  merveilleux,  et  je  mettrois  ma  maia 
au  feu  que  saint  Jean  n'a  pu  en  avoir  d'autre.  Le 
détail  surprend  encore  plus  ;  et  la  facilité  avec  la- 
quelle on  dénoue  les  endroits  qui  paroissoient  les 
plus  impénétrables ,  comme  le  nom  de  la  bête ,  les 
666  trouvés  dans  Diodes  Augustus,  la  béte  qui  est 
la  huitième,  qui  n'est  plus,  qui  étoit  des  sept,  les 
deux  bêtes  et  le  reste  ;  il  faudroit  citer  le  livre  en- 
tier. Je  trouve.  Monseigneur,  dans  le  récit  et  les 
notes  un  style  un  peu  trop  magnifique  :  ces  deux 
Bossuet.  xni.  ^i 


(S,|îi  LETTRES    DIVERSES, 

genres  demandent  une  grande  simplicité ,  et  vous 
êtes  plein  de  fentes  par  où  le  sublime  échappe  de 
tous  côtés.  La  principale  difficulté  est  sur  Paul  de 
Samosate  :  l'abbé  de  Fénélon  vous  a  envoyé  son 
docte  Commentaire.  Vous  donnez  permission  à  tous 
les  philosophes,  Monseigneur,  de  raisonner  sur  vos 
ouvrages  ;  je  m'en  vais  donc  raisonner  aussi ,  et  à 
perte  de  vue. 

Après  avoir  lu  exactement  et  plusieurs  fois  votre 
explication  et  celle  de  l'abbé  de  Fénélon,  fai  trouvé 
qu'en  général,  et  à  facilité  égale  de  faire  quadrer 
le  texte  aux  deux  sens ,  celui  des  Barbares  occiden- 
taux étoit  préférable  à  celui  de  Paul  de  Samosate  ; 
parce  qu'il  entre  immédiatement  dans  le  plan  du 
livre,  qui  est  de  représenter  l'Empire  persécutant 
l'Eglise ,  et  puni.  Paul  de  Samosate  n'entre  point  dans 
ce  dessein.  L'Empire  ne  s'en  sert  point  pour  affliger 
l'Eglise  :  il  n'est  point  contre  cet  Empire  un  instru- 
ment de  la  vengeance  divine  :  il  sort  manifestement 
du  système  général;  et  c'est  par -là  que  je  me  suis 
répandu  à  une  raison  que  je  vous  ai  entendu  dire  à 
l'abbé  de  Fénélon,  et  qui  me  frappoit.  Saint  Jean, 
disiez-vous,  auroit  manqué  au  but  de  la  prophétie, 
qui  est  de  préparer  l'Eglise  contre  les  maux  qui  dé- 
voient la  tenter,  s'il  n'eût  pas  parlé  des  hérésies ,  qui 
dévoient  être  la  plu?  dangereuse  des  tentations.  La 
réponse  est  fjicije  :  saint  Jean  ne  prédit  qu'un  ordre 
de  maux ,  savoir  :  -jeux  que  l'Empire  romain  devoit 
faire  ressentir  à  l'Eglise  ;  donc  il  ne  devoit  point  par- 
ler de  Paul  de  Samosate,  qui  est  hors  de  cet  ordre. 
D'ailleurs  saint  Paul  avoit  averti  l'Eglise  de  la  néces- 
sité des  hérésies  :  Nam  et  oporlet  hœreses  esse  :  il 


LETTRES    DIVERSES.  64^ 

avoit  découvert  les  desseins  de  Dieu ,  quand  il  les 
permet,  qui  sont  de  manifester  ceux  qui  ont  une 
vertu  éprouvée  ;  ut  qui  prohati  suni  manifesti  fiant  : 
un  second  avis  n'étoit  point  nécessaire. 

L'étoile  tombée  du  ciel  me  paroissoit  heureuse- 
ment expliquée  par  la  chute  d'un   grand  docteur 
d'un  des  premiers  sièges  :  la  convenance  des  hym- 
nes (*)  rapportés  par  Eusèbe  me  frappoit.  Mais  j'ai 
trouvé  que  comme  dans  le  Chapitre  vi,  verset  i3, 
vous  expliquez  la  chute  de  toutes  les  étoiles ,  des 
calamités  en  général  qui  vont  fondre  sur  l'Empire  ; 
rien  n'est  plus  naturel  lorsque  saint  Jean  vient  dans 
le  détail,  que  de  représenter  une  calamité  particu- 
lière par  la  chute  d'une  seule  étoile.  Ainsi  entendant 
par  cette  étoile  tombante  les  Goths  qui  rompent  les 
digues  de  l'Empire ,  vous  êtes  autorisé  par  le  style 
même  de  l'Apocalypse,  qui  peint  les  plaies  de  l'Em- 
pire sous  la  ligure  des  astres  qui  tombent  en  terre. 

Ce  qui  m'a  fait  tenir  le  plus  long-temps  pour  Paul 
de  Samosate,  c'est  le  puits  de  l'abîme  ouvert,  la 
fumée  qui  s'élève,  les  sauterelles  qui  sortent  de  cette 
fumée  :  je  trouvois  qu'il  étoit  plus  naturel  d'enten- 
dre par-là  les  hérétiques  envoyés  par  la  puissance 
infernale,  qu'une  armée  d'ennemis  qui  n'attaquent 
que  la  vie  présente  ;  surtout  l'Ecriture  ne  faisant 
jamais  sortir  les  Babyloniens,  ni  les  Assyriens,  ni 
les  autres  du  puits  de  l'abîme,  c'est-à-dire,  de  l'enfer. 
Sur  cela  je  ne  répète  point  les  raisons  de  l'abbé  de 
Fénélon  :  premièrement  que  le  démon  sous  la  figure 
d'exterminateur  est  à  la  tête  des  Barbares,  et  qu'ainsi 

(*)  Les  hymnes  que  les  disciples  de  Paul  de  Samosate  avoieut  faits 
eu  son  honneur. 


644  LETTRES    DIVERSES» 

ii  ne  faut  pas  s'étonner  qu'ils  sortent  de  son  royaume  : 
secondement,  que  ces  peuples  n'avoient  aucuns  pays 
ni  connus,  ni  fixes,  et  qu'ils  paroissoient  tout  d'un 
coup  comme  si  la  terre  les  eût  enfantés. 

Je  vous  marque  seulement  une  réflexion  que  j'ai 
faite  en  lisant  le  chapitre  xx  :  le  caractère  du  démon, 
à  la  tête  des  hérétiques,  n'est  pas  celui  de  l'ange 
exterminateur,  mais  de  l'esprit  de  séduction;  ou  du 
moins  le  second  lui  est  bien  plus  naturel.  D'où  vient 
que  saint  Jean,  qui  dans  le  chapitre  xx  lui  donne  le 
nom  de  Satan,  et  le  peint  comme  séducteur ,  ne  le 
représente  pas  avec  les  mêmes  traits  dans  le  cha- 
pitre IX ,  mais  avec  tous  ceux  d'un  destructeur,  sinon 
parce  que  dans  ce  chapitre  ix  il  ne  trompe  point  les 
hommes,  mais  qu'il  commence  par  l'inondation  des 
Barbares  la  ruine  de  l'Empire  romain. 

Enfin,  Monseigneur,  pour  vous  prendre  par  quel- 
que chose  de  plus  fort  encore,  je  vous  donnerai 
quatre  millions,  si  vous  ôtez  Paul  de  Samosate  : 
voyez  de  combien  je  surpasse  votre  libéralité,  qui 
ne  va  jamais  qu'à  cent  mille  écus.  Je  profiterai  de 
l'avis  sur  le  temps  de  Germigny ,  et  je  pourrai  bien 
y  arriver  le  même  jour  que  vous,  Monseigneur.  Je 
souhaite  de  n'y  point  trouver  Paul  de  Samosate; 
mais  plutôt  les  Goths,  les  Alains,  les  Francs,  les 
Hérules,  etc.  Je  suis,  Monseigneur,  avec  un  pro- 
fond respect,  etc. 

I7abbé  de  Langer  on. 

Le  Samedi  saint  i68S. 


tETTltES    DIVERSES.  645 

RÉFLEXIONS 

DE  M.   L'ABBÉ   DE   FËNÉLON, 

Sur  te  chapitre  ix  de  l' apocalypse  (*). 

I.  «  Le  cinquième  ange  sonna  de  la  trompette, 
»  et  je  vis  une  étoile  qui  tomboit  du  ciel  sur  la  terre  j 
ï)  et  la.  clef  du  puits  de  Tabîme  lui  fut  donnée  ». 

Voici  de  nouvelles  calamités  annoncées  par  la 
trompette  :  ce  n'est  plus  le  peuple  Juif;  mais  l'Empire 
idolâtre  et  persécuteur  qui  est  menacé.  Voyez  verset 
20  de  ce  chapitre.  On  ne  doit  s'attendre  de  trouver 
ici  aucune  calamité  de  l'Eglise;  au  contraire,  elle 
est  consolée  par  les  plaies  de  ses  persécuteurs.  Ces 
plaies  sont  sensibles,  éclatantes,  et  elles  regardent 
les  biens  temporels.  U  ne  s'agit  pas  de  peines  invi- 
sibles et  spirituelles. 

Paul  de  Samosate  ne  peut  être  l'étoile,  puisque 
sa  chute  ne  fait  aucune  désolation  dans  l'Empire.  Il 
n'a  pas  même  mérité  une  si  grande  place  dans  les  vi- 
sions de  saint  Jean.  Il  n'est  point  le  premier  qui  a 
nié  la  divinité  de  Jésus-Christ  ;  Cérinthe  l'avoit  fait 
avec  beaucoup  plus  d'éclat.  La  secte  de  Paul  ne  fut 
jamais  nombreuse.  La  chaire  d'Antioche  qu'il  oc- 
cupa ne  paroît  avoir  donné  aucune  autorité  à  ses 
erreurs.  Les  Ai'iens  qui  ont  été  les  seuls  considé- 
rables ennemis  de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  n'ont 

C*)  Ces  réflexions. étant  citées  dans  la  lettre  précédente ,  et  s'étant 
trouvées  [ointes  à  celte  lettre,  nous  ayons  cru  devoir  les  rapporter 
ici,  d'autant  plus  quelles  sont  courtes. 


64C  LETTllES    DIVERSES» 

point  été  les  disciples  de  Paul.  Ses  disciples,  qui  di- 
soient dans  un  hymne  qu'il  étoit  descendu  du  ciel , 
ne  lui  donnoient  par-là  qu'une  louange  assez  vul- 
gaire ,  surtout  dans  la  poésie.  Il  n'y  a  aucun  rap- 
port entre  descendre  du  ciel  et  en  tomber.  Un  homme 
qui  descend  du  ciel  est  lin  homme  que  le  ciel  donne 
pour  le  bonheur  de  la  terre  :  une  étoile  qui  en  tombe 
représente  un  accident  funeste. 

Cette  étoile  qui  tombe  est  donc  la  vengeance  qui 
vient  d'en  haut.  Dans  les  prophètes ,  les  astres  ob- 
scurcis ou  éteints  sont  une  affreuse  désolation.  L'E- 
vangile représente  à  la  chute  de  Jérusalem  les  étoiles 
qui  tombent,  etc.  Saint  Jean  lui-même  peint  les 
maux  de  l'Empire  par  la  chute  des  étoiles,  cha- 
pitre VI,  verset  i3.  Cette  vengeance,  qui  vient 
d'en  haut,  ouvre  l'abîme  pour  en  faire  sortir  les 
maux  :  c'est  là  que  Dieu  tient  en  réserve  les  trésors  de 
colère ,  et  le  ciel  les  en  tire  pour  frapper  la  terre. 

II.  «  Et  elle  ouvrit  le  puits  de  l'abîme  ;  et  il  s'é- 
»  leva  du  puits  une  fumée,  comme  la  fumée  d'une 
»  grande  fournaise;  et  le  ciel  et  l'air  furent  obscurcis 
5)  par  la  fumée  du  puits  ». 

Voici  quelque  chose  de  bien  plus  étendu  que  l'é- 
vénement de  Paul  de  Samosate.  Il  s'agit  de  la  terre 
entière  qui  est  en  feu  par  la  chute  d'un  astre.  C'est 
sans  doute  l'Empire  embrasé.  La  fumée  marque  la 
guerre  :  le  ciel  et  l'air  obscurcis  montrent  un  temps 
d'aveuglement,  de  tristesse  mortelle,  et  de  confusion 
générale.  C'est  un  tourbillon  infernal,  d'oii  les  ca- 
lamités vont  sortir. 

III.  tt  De  la  fumée  du  puits  sortirent  sur  la  terre 


LETTRES    DIVERSES.  6^'^ 

»  des  sauterelles  ;  et  il  leur  fut  donné  une  puissaace 
»  comme  celle  qu'ont  les  scorpions  de  la  terre  ». 

Les  biens  viennent  toujours  d'en  haut,  et  les  maux 
de  l'enfer.  C'est  le  prince  des  ténèbres ,  l'ancien  en- 
nemi du  genre  humain ,  qui  préside  à  toutes  les  ca- 
lamités. L'enfer  animoit  les  peuples  barbares  qui 
commencèrent  à  inonder  l'Empire  sous  Valérien. 
Outre  l'idolâtrie,  qui  faisoit  régner  sur  eux  le  dé- 
mon, ils  étoient  possédés  d'une  cruauté  infernale. 
Ils  sortent  comme  de  l'abîme  ;  car  les  terres  sep- 
tentrionales, où  Dieu  les  avoit  tenus  en  réserve  pour 
frapper  Rome,  étoient  inconnues.  Cette  origine 
étoit  obscure  et  affreuse,  surtout  à  des  peuples  mé- 
ridionaux, à  qui  saint  Jean  parle.  Les  Barbares 
sont  représentés  par  des  sauterelles.  Comme  ces  in- 
sectes, ils  étoient  innombrables,  sautant  de  terre  en 
terre,  errans  et  vagabonds  de  pays  en  pays,  rava- 
geant tout  par  leurs  incursions  :  semblables  à  des 
scorpions ,  ils  sont  pleins  de  venin  ;  ils  n'inondent 
la  terre  que  pour  faire  du  mal, 

IV.  «  Et  il  leur  fut  commandé  de  ne  blesser  point 
»  l'herbe  de  la  terre,  ni  tout  ce  qui  est  verd,  ni  tous 
»  les  arbres  ;  mais  seulement  les  hommes  qui  n'ont 
»  point  le  signe  de  Dieu  sur  leurs  fronts  ». 

Ces  insectes  ne  sont  pas  comme  les  insectes  ordi- 
naires :  ils  ravageront  par  l'ordre  de  Dieu ,  non  les 
fruits  de  la  campagne,  mais  les  peuples  des  villes  qu'ils 
démoliront.  Ne  voyons-nous  pas  que  les  Goths  et 
les  autres  Barbares  épargnèrent  les  Chrétiens,  pen- 
dant que  les  Païens  furent  l'objet  de  leur  fureur  ? 


648  LETTRES    DIVERSES. 

c'est  proprement  l'Empire  qu'ils  attaquent.  Quoique 
cette  circonstance  ne  soit  arrivée  que  dans  la  suite, 
saint  Jean  la  montre  par  avance,  pour  marquer  le 
caractère  de  ces  peuples. 

Ici  je  ne  reconnois  point  les  hérétiques  :  car  on 
ne  sauroit  dire  d'eux  qu'épargnant  les  autres  hommes, 
ils  ont  été  cruels  contre  les  païens.  Voilà  une  cala- 
mité qui  tombe  directement  sur  l'Empire  idolâtre. 
Ces  barbares  n'attaquent  pas  comme  les  sauterelles 
communes  les  fruits  de  la  terre  :  au  contraire,  ils 
n^attaquent  que  les  hommes,  pour  se  mettre  en  leur 
place  j  car  ils  ne  demandoient  que  des  tenes  à  cul- 
tiver sous  un  ciel  plus  doux  que  le  leur. 


.  %<%/«%/«'%^-^ 


LETTRE  XXIII. 

DE  M.  DES  MAHIS,  CHANOmE  D'ORLÉANS  {*), 

II  lui  parle  des  Pères  qui  ont  vu  Rome  dans  la  Babylone  de  TApo- 
calypse ,  et  lui  marque  pourquoi  les  plus  anciens  ne  Tont  pas 
déclaré  clairement. 

Je  me  donne  l'honneur  de  vous  envoyer  les  pas- 
sages qui  m'ont  persuadé  que  plusieurs  des  anciens 
ont  expliqué  de   la   désolation   de  Rome,   ce   que 

C*  Marin  Grosteste,  seigneur  des  Mahis,  né  à  Paris  le  22  décem- 
bre r649,  fut  d'abord  élevé  dans  la  religion  protestante,  dont  ses 
parens  faisoient  profession.  Ses  connoissances,  son  zèle  et  ses  ta- 
lens  le  firent  choisir  dans  la  suite  pour  ministre  de  Bionne,  où  léa 
Calvinistes  d'Orléans  tenoient  leurs  assemblées.  Mais  bientôt  la 
grâce  lui  ouvrit  les  yeux,  et  lui  fit  apercevoir  les  égaremens  de 
sa  secte.  Il  fît  son  abjuration  à  Paris,  entre  les  mains  de  M.  de. 
Coislin,  évêque  d'Orléans,  le  jour  de  l'Ascension,  27  mai  1681. 
Quelques  années  après,  il  embrassa  Tétat  ecclésiastique,  fit  ensuite 


LETTRES    DIVERSES*  649 

TApocalypse  dit  de  Babylone.  Saint  Jérôme  n  e'toit 
pas  tout  seul  de  ce  sentiment  j  puisqu'il  dit ,  sur  le 
chapitre  xlvii  d'Isaïe  :  Quidam  non  ipsam  Babjlo- 
nem  ^  sed  Romanam  urhem  interpretantur  j  quœ  in 
Apocalypsi  Joannis  et  in  Epistolâ  Pétri  Babjlon 
specialiter  appellatur  ;  et  cuncta  quœ  nunc  ad  Ba- 
hjlonem  dicuntur ,  illius  ruinœ  conuenire  testantur. 
Il  marque,  dans  son  e'pître  à  Algasie ,  pourquoi 
noire  Seigneur  a  jugé  à  propos  d'envelopper,  sous 
l'obscurité  des  visions,  ce  qu'il  a  voulu  faire  prédire 
de  la  ruine  de  Rome  :  «  Si  les  Apôtres,  dit-il,  en 
»  avoient  parlé  clairement,  ils  auroient  pu  donner 
»  lieu  à  la  persécution  contre  l'Eglise  naissante  »  : 
Justa  causa  persecutionis  in  orientem  tune  Eccle- 
siani  consurgerevidehatur  (0.  II  est  évident  que  cette 
même  raison  a  dû  obliger  les  Pères  ,  qui  voy oient  ce 
sens  dans  l'Apocalypse ,  de  ne  le  mettre  pas  dans 
leurs  écrits,  et  même  d'en  entretenir  peu  les  peuples, 
que  leurs  discours  imprudens  sur  ces  matières,  selon 
le  rapport  de  Lucien  dans  son  P hilopatrios,  faiisoient 
regarder  comme  des  ennemis  de  l'Empire  romain. 
Quand  la  proximité  du  temps  de  l'accomplisse- 
ment fit  regarder  la  publication  de  ce  sens  comme 
une  chose  utile,  ceux  qui,  nonobstant  le  silence  af- 
fecté de  la  tradition  sur  ce  sujet ,  reconnurent  cette 
vérité  par  la  lecture  même  de  la  parole  de  Dieu,  la 

plusieurs  missions  par  ordre  du.  Roi  dans  le  Poitou,  et  notamment 
àLuçon,  qui  eurent  beaucoup  de  succès,  et  il  fut  pourvu  d'un  ca- 
nonicat  par  M.  de  Coislin ,  qui  s'empressa  de  l'attacher  à  son  église. 
Ce  respectable  ecclésiastique  mourut  dans  la  vigueur  de  Tâge,  le 
16  octobre  1694,  n'ayant  atteint  que  sa  quarante^cinquième  année» 

(0  Tom.  IV,  p.  309. 


()0O  LETTIIES    DIVERSES. 

proposèrent  avec  une  grande  assurance.  Saint  Jé- 
rôme, dans  son  épître  à  Marcelle,  en  fait  un  fon- 
dement de  son  exhortation  pour  laisser  Rome,  et 
venir  dans  la  Terre-Sainte.  Il  y  a  peu  de  lieu  de 
douter  que  ce  ne  fût  aussi  là  une  des  raisons  de  Mé- 
lanie,  quand  elle  obligeoit  ses  parens  de  renoncer  à 
tous  leurs  biens  ,  et  quelle  leur  disoit  :  Filii ^  plus- 
çuam  quadringentis   ah    hinc   annis  scriptum  est  : 
Ultima  hora  est  :  quid  ergo  îubenter  ac  volenies  im- 
inoraminiin  vanitatevitœ?  ne  forte  veniant  dies  An- 
tichristi,  et  nonpossitis  Jieri  compotes  vestris  opihus. 
Je  n'ai  pas  présentement,  Monseigneur,  les  ou- 
vrages dont  f  ai  tiré  les  extraits  que  j'ai  l'honneur  de 
vous  envoyer;  mais  je  crois  les  avoir  copiés  avec 
exactitude.  Vous  verrez ,  dans  les  auteurs  mêmes , 
s'ils  peuvent  servir,  comme  je  l'avois  pensé,  à  prou- 
ver que  ce  n'est  point  un  sens  inconnu  à  l'antiquité, 
que  celui  qui  applique  à  la  ruine  de  Rome  par  les 
Barbares ,  ce  que  dit  l'Apocalypse  touchant  la  chute 
de  Babylone.  Ce  rae  sera  une  très-grande  joie ,  Mon- 
seigneur ,  de  me  déterminer  tout-à-fait  sur  cette  ma- 
tière par  le  parti  que  vous  choisirez.  Je  bénis  Dieu  de 
ce  qu'il  vous  a  mis  au  cœur  de  la  traiter  :  c'est  là  un 
grand  secours  pour  les  nouveaux  catholiques  ;   et 
ils  en  profiteront  d'autant  plus ,    qu'il  leur  viendra 
dans  un  temps  où  leur  nouveau  prophète  a  eu  la 
hardiesse  de  fixer  positivement  un  commencement 
éclatant  de  l'accomplissement  de  ses  imaginations 
sur  ce  sujet,  et  où  par  conséquent  leur  fausseté 
prouvée  par  une  expérience  sensible,  disposera  plu- 
sieurs esprits  à    goûter  une  explication  solide  des 
oracles  de  l'Apocalypse. 


LETTRES    DIVERvSES.  65l 

Je  n'ai  pu  trouver,  Monseigneur,  le  premier  ou» 
vrage  de  M.  Jurieu ,  qui  est  son  livre  contre  le  sieur 
Dhuisseau  de  Saumur ,  sur  le  livre  intitulé  :  la  Réii-r 
nion  du  Christianisme.  Voici  le  traite'  de  la  Puis- 
sance de  r Eglise,  quil  a  fait  contre  Louis  du 
Moulin  son  oncle,  me'decin  à  Londres,  et  célèbre 
indépendant,  dont  la  folie  étoit  l'entreprise  de 
ruiner  la  puissance  de  Vexcommunication. 

Je  vous  prie  très-humblement ,  Monseigneur ,  de 
m'accorder  le  secours  de  votre  bénédiction  pour  un 
voyage  dans  le  diocèse  de  Luçon,  oîi  je  vais  dans 
deux  jours;  et  d'être  persuadé  de  mes  vœux  ardens 
pour  votre  conservation ,  comme  une  grâce  très-pré- 
cieuse à  l'Eglise,  et  de  ma  plus  profonde  vénération 
pour  votre  personne.  C'est  avec  ces  sentimens  que 
je  serai  toute  ma  vie,  etc.  j^^^  ^^^^^ 

A  Orléans,  ce  5  mai  1688. 


LETTRE  XXIV. 

DU  MÊME. 

Sur  les  aUeintes  portées  à  la  morale  par  les  Sociniens^ 

Je  n'ai  pu  faire  un  examen  aussi  exact  que  je  l'eusse 
voulu  des  passages  dans  lesquels  les  Sociniens  défi- 
gurent la  morale  :  j'en  ai  seulement  marqué  quel- 
ques-uns de  Socin,  de  Wolzogenius  et  de  Crellius, 
sur  la  compatibilité  des  actes  les  plus  mauvais  avec 
le  salut,  quand  ils  n'ont  pas  encore  formé  une  habi- 
tude; sur  la  guerre,  sur  le  serment  et  contre  la  ma- 
gistrature. Socin  et  Wolzogenius  trouvent  cette  ma- 


653  LETTUES    DIVERSES. 

gistrature  incompatible  avec  le  salut;  parce  qu'on  y 
a  attaché  l'obligation  de  condamner  les  criminels  à  la 
mort.  On  pourroit ,  Monseigneur ,  si  vous  le  souhaitez , 
consulter  sur  ces  matières  les  autres  Sociniens,  qui  ne 
sont  pas  dans  la  Bibliothèque  des  Frères  polonais, 
comme  Brenius,  Ostorodus,  Smalciiis,  Volkelius. 
J'aurois  feuilleté  les  trois  volumes  de  Hoornbeek  contre 
les  Sociniens,  si  je  les  eusse  eus,  afin  de  choisir  quel- 
ques-unes des  déclara tionsles  plus  for  tes  de  ces  héréti- 
ques contre  les  vérités  de  la  morale.  Le  Summa  contro^ 
versiarum   du  même  auteur  pourroit  aussi  fournir 
divers  exemples  des  entreprises  qui  ont  été  faites  par 
d'autres  novateurs  de  ces  derniers  temps  contre  la  mo  - 
raie,  dans  les  petites  listes  des  propositions  contro- 
versées, qui  sont  à  la  fin  de  chacune  de  ses  dissertations 
contre  les  hérétiques.  On   pourroit  là  trouver  de 
nouveaux  exemples  du  peu  de  sûreté  de  la  morale 
entre  ceux  qui  ont  abandonné  la  voie  de  Tautorité. 
C'est  là ,  ce  me  semble ,  une  des  vérités  qu'il  est  fe 
plus  à  propos  de  faire  sentir  y  parce  que  le  discours 
ordinaire  de  ceux  qui  penchent  vers  la  tolérance,  est 
qu'il  suffit  de  s'attacher  à  la  sanctification ,  et  que  les 
devoirs  de  la  morale  chrétienne  sont  clairs  dans  la 
sainte  Ecriture,  et  non  controversés. 

Si  M.  de  la  Bruyère  n'a  pas  encore  rendu  YAi^is 
aiue  réfugiés  (*),  ayez  la  bonté.  Monseigneur,  de  le 
faire  revenir  :  divers  nouveaux  Catholiques  l'ont  de- 
mandé. Je  vous  prie  aussi  très-humblement  de  penser 
à  l'afîaire  de  M.  de  Lanbouinière  ;  afin  que  ce  gentil- 
le) Ecrit  attribué  à  Bayle ,  et  qui  lui  attira,  de  la  part  du  ministre 
Jurieu,  une  violente  persécution;  parce  que  l'auteur,  au  jugement 
de  ce  fanatique,  faisoit  paroître  trop  de  modération  dans  son  ouvrago> 


LETTTRES    DIVERSES.  653 

homme  passe  de  sa  galère  dans  quelque  commu- 
nauté', où  il  y  ait  plus  lieu  d'espérer  quelque  effet  des 
efforts  que  madame  des  Coulandres  sa  sœur,  qui  est 
si  bien  convertie,  feroit  pour  sa  conversion.  Le  temps 
de  mon  retour  n'est  pas  encore-  bien  de'terminé.  Je 
suis  avec  le  plus  profond  respect,  etc- 

A  Paris,  ce  27  juillet  1691. 


LETTRE  XXV. 

DE  M.  L'ABBÉ  DE  FÉNÉLON. 

Sur  le  Mémoire  de  Bossuet  contre  le  docteur  Dupin  (*). 

J'ai  lu ,  Monseigneur,  votre  Mémoire  sur  les  ou- 
vrages de  M.  Dupin,  et  je  n'oserois  vous  dire  tout  le 
plaisir  qu'il  m'a  fait  :  il  y  a  seulement  un  petit  en- 
droit oii  MM.  de  Court,  de  Langeron,  de  Fleury  et 
moi  nous  trouvons  tous  que  vous  allez  un  peu  au- 
delà  des  paroles  de  l'auteur,  dans  la  censure  que  vous 
en  faites.  Puisque  vous  serez  ici  environ  huit  jours 
après  Pâque,  il  faut  attendre  à  examiner  cet  endroit 
avec  vous.  Cependant  je  n'enverrai  point  le  Mémoire 
à  M.  Pirot  :  pour  M.  Racine,  je  lui  montrerai  votre 
lettre  dès  que  je  le  verrai.  J'ai  été  ravi  de  voir  la  vi- 
gueur mesurée  du  vieux  docteur  et  du  vieux  évêque. 
Je  m'imaginois  vous  voir  en  calotte  à  oreilles,  tenant 
M.  Dupin  comme  un  aigle  tient  dans  ses  serres  un 
foible  épervier. 

A  Versailles,  ce  3  mars  1692. 

(*)  Ce  Mémoire  a  été  donné  ci-dessus,  tom.  xxx,  pag.  47^  et  suiv- 
{Edit.  du  Vers.) 


654-  LETTRES    DIVERSES. 

LETTRE   XXVI. 

DU  MÊME. 

Sur  les  erreurs  de  M.  Dupin ,  et  les  ménagemens  dont  il  désiroit 
qu'on  usât  pour  le  porter  à  les  réparer. 

M.  Racine  est  venu  me  parler  de  M.  Dupin ,  qui 
sa  plaint ,  Monseigneur,  de  ressentir  votre  indigna- 
tion sans  l'avoir  méritée.  Vous  l'avez  traité  en 
pleine  Sorbonne ,  dit-il,  comme  un  Socinien  :  vous 
l'avez  dénoncé  à  M.  l'archevêque  de  Paris  et  à  M.  le 
chancelier.  Pour  M.  l'archevêque,  il  assure  que  ce 
prélat  lui  a  témoigné  une  bonté  paternelle.  M.  Ra- 
cine ,  qui  est  son  très  -  proche  parent ,  n'a  point 
voulu  néanmoins  entrer  dans  ses  intérêts,  suppo- 
sant qu'il  n'étoit  pas  à  soutenir,  puisque  vous  le 
condamniez.  M.  Racine  se  borne  à  désirer  de  lui 
faire  connoître  son  tort,  et  de  travailler  à  le  ra- 
mener dans  le  bon  chemin ,  quand  vous  aurez  eu  la 
charité  de  lui  expliquer  les  égaremens  de  son  parent. 

Il  me  paroît,  Monseigneur,  que  M.  Racine  dans 
toute  cette  affaire  est  aussi  touché  qu'il  le  doit  être 
du  respect  qui  vous  est  dû,  et  des  motifs  de  zèle 
pour  la  religion  qui  vous  animent.  Je  lui  ai  con- 
seillé de  disposer  son  parent  à  écouter  de  bons  con- 
seils, et  à  ne  craindie  point  de  réparer  ses  fautes. 
Il  m'a  promis  d'y  travailler,  et  de  tâcher  de  l'em- 
pêcher d'aller  chez  M.  l'archevêque  de  Paris,  qui  lui 
avoit  promis  quatre  docteurs  pour  examiner  son 
livre,  et  pour  l'approuver  par  son  autorité,  s'il  n'a 


LETTRES    DIVERSES.  655 

point  de  venin.  Quand  vous  viendrez  ici  après 
Pâque,  M.  Racine  vous  suppliera  de  nous  expli- 
quer tout  ce  que  vous  connoissez  de  rëpréhensible 
dans  les  ouvrages  de  M.  Dupin  ;  après  quoi  il  fera 
ses  efforts  pour  lui  faire  réparer  le  passé,  et  pour 
lui  faire  prendre  d  autres  maximes  par  rapport  à 
Favenir.  Je  crois,  Monseigneur,  que  vous  serez 
content ,  si  M.  Dupin  répond  aux  bons  desseins  de 
M.  Racine;  puisque  vous  ne  prenez  d'autre  intérêt 
que  celui  de  la  religion  dans  cette  affaire. 

A  Versailles,  ce  23  mars  1692.  -  » 


LETTRE  XXVII. 

DU  MÊME. 

Sur  le  Mémoire  de  Bossuet,  contre  les  erreurs  de  M.  Dupin ,  et  le 
procès  du  prélat  avec  l'abbesse  de  Jouarre. 

Vous  ne  VOUS  trompez  point.  Monseigneur,  quand 
vous  croyez  m'avoir  mandé  d'envoyer  votre  Mémoire 
à  M.  Pirot.  Mais  je  vous  avois  ensuite  représenté  ' 
qu'un  endroit  me  paroissoit  avoir  besoin  d'un  peu 
de  révision.  Vous  me  répondîtes  que  vous  l'examine- 
riez avec  le  petit  concile  de  Versailles.  Je  comptois 
donc  qu'il  falloit  garder  le  Mémoire  jusqu'à  votre 
retour  :  on  me  disoit  qu'il  étoit  si  prochain ,  que  je 
ne  faisois  aucun  scrupule  de  l'attendre.  Je  ne  com- 
prenois  pas  même  sur  votre  lettre  que  la  chose  fut  si 
pressée;  mais  puisqu'elle  l'est,  je  l'envoie  sans  plus 
grand  retardement  à  M.  Pirot.  Je  voudrois  que  les 
chemins  vous  fussent  aussi  libres  qu'au  Mémoire  : 


656  LETTRES    DIVERSES. 

mais  je  vois  bien  que  l'evêque  et  Tabbesse  (*)  se  sont 
bloqués  Tun  l'autre  :  il  me  tarde  d'apprendre  qu'un 
bon  arrêt  ait  levé  le  blocus.  Je  ne  veux  point  que 
vous  perdiez  ce  blé  :  l'honneur  du  cardinal  romain 
y  est  trop  intéressé;  et  je  ne  consens  point  qu'il  soit 
déclaré  simoniaque.  Quand  vous  reviendrez ,  vous 
nous  raconterez  les  merveilles  du  printemps  de  Ger- 
migny.  Le  nôtre  commence  à  être  beau  :  si  vous  ne 
voulez  pas  le  croire ,  Monseigneur ,  venez  le  voir, 

A  Versailles,  ce  25  avril  1692. 


LETTRE  XXVI  IL 

DU  MÊME. 

Sur  son  Mémoire  contre  les  erreurs  de  M.  Dupin,  et  le  désir  qu'il 
avoit  de  le  voir  à  Versailles. 

Il  m'est  impossible,  Monseigneur,  de  vous  expli- 
quer ce  que  nous  avions  remarqué  dans  un  endroit 
de  votre  Mémoire.  Je  l'ai  envoyé  à  M.  Pirot  ;  et  vous 
savez  qu'il  faut  avoir  les  termes  devant  les  yeux  pour 
pouvoir  entrer  dans  cette  discussion  :  je  crois  même 
que  de  telles  choses  ne  se  font  bien  que  de  vive 
voix.  Après  tout,  l'endroit  n'est  pas  essentiel;  et 

(*)  L'abbesse  de  Jouarre,  avec  laquelle  Bossuet  avoit  un  procès 
touchant  l'exemption  de  cette  abbaye.  Elle  payoit  aux  évêques  de 
Meaux  une  redevance  annuelle  de  plusieurs  muids  de  blé,  que  Tab- 
besse  prétendoit  avoir  élé  contractée  envers  eux,  à  cause  de  celle 
exemption  :  et  Bossuet  Tayant  attaquée  et  frtit  supprimer,  l'abbesse 
à  sot  tour  demanda  d'être  déchargée  de  la  redevance  ,  ce  qui  oc- 
casionna le  procès  dont  il  est  ici  question.  On  en  a  vu  les  pièces, 
tom.  vil,  pag.  37  et  suiv.  {EdU.  dt  Vers.) 

VOUS 


LETTRES    DIVERSES,  65'] 

VOUS  avez  tant  de  choses  inexcusables  à  reprocher  à 
M.  Dupin ,  qu'il  ne  peut  manquer  d'être  confondu  : 
Dieu  veuille  qu'il  soit  aussi  corrigé.  Si  vous  étiez 
venu  ici  avant  le  départ  de  la  Cour,  on  auroit  pu  rai- 
sonner avec  M.  Racine,  et  engager  par  lui  M.  Dupin 
à  venir  ici  pour  recevoir  vos  leçons  :  mais  madame  de 
Jouarre  vous  tient  en  prison.  Quand  même  vous 
viendriez  maintenant,  ce  seroit  trop  tard  j  car  M.  Ra- 
cine n'y  sera  plus. 

Je  ne  vous  parle  ni  de  Germigny,  ni  du  prin- 
temps ,  ni  des  doux  zéphirs.  Les  vents  les  plus  fu- 
rieux qui  sortirent  du  sac  donné  par  Eole  à  Ulysse, 
semblent  déchaînés  pour  ramener  l'hiver  et  pour  trou- 
bler l'Océan.  Il  faut  espérer  que  ce  mauvais  temps  sera 
fini  avant  que  le  prince  d'Orange  puisse  être  prêt. 
On  dit  qu'il  y  a  en  Angleterre  beaucoup  de  gens  qui 
seront  ravis  de  se  défaire  de  lui.  Pour  vous,  Mon- 
seigne^ir,  nous  courons  risque  de  n'avoir  pas  si  tôt 
l'honneur  de  vous  voir ,  car  le  pauvre  Versailles  ne 
vous  sera  plus  rien  en  Tabsence  du  Roi  :  ce  sera  une 
raison  ajoutée  à  tant  d'autres  pour  souhaiter  son 
prompt  retour.  M.  l'abbé  de  Maulevrier  assure  que 
M.  l'abbé  Bossuet  se  porte  bien,  et  travaille  à  ses 
affaires  ;  n'en  soyez  pas  en  peine, 

A  Versailles,  ce  4  mai  1692. 


BoSSUET.    XLII.  4^ 


658  LETTRES    DIVERSES. 

LETTRE  XXIX. 

DU  MÊME. 

Sur  les  changemens  que  Bossuet  dcsiroit  faire  dans  certains  usages 
de  Fabbaye  de  Jouarre. 

J'ai  reçu,  Monseigneur,  la  réponse  de  madame 
de  Soubise  (*)  :  elle  me  mande  qu'elle  me  fera  une 
réponse  précise  après  que  madame  sa  fille  aura  vu 
ma  lettre.  J'ai  oublié  devons  dire  qu'elle vouloit  fort 
deux  ans  au  lieu  d^un  5  et  je  ne  doute  pas  qu'elle 
ne  le  demande  plus  que  jamais^  si  elle  vous  donne 
une  sûreté  par  écrit.  C'est  à  vous,  Monseigneur ,^ 
à  examiner  si  vous  pourriez  user  de  cette  condes- 
cendance ,  ayant  cette  sûreté  par  écrit.  Réponse 
précise,  s'il  vous  plaît,  là-dessus. 

Il  me  paroît  qu'elle  voudroit  fort ,  avant  que  de 
conclure  sur  les  fèves,  savoir  quelle  sera  la  fin  de 
votre  visite  commencée  à  Jouarre.  Elle  craint  que 
vous  n  ayez  d'autres  choses  à  demander,  qui  tirent 

(*)  Cette  lettre  regarde  rétablissement  du  scrutin  dans  l'abbaye 
de  Jouarre,  pour  toutes  les  délibérations  capitulaires,  et  principa- 
lement pour  les  réceptions  des  filles.  Madame  de  Soubise  craignant 
que  cette  voie  secrète  ne  diminuât  Tautorité  de  madame  Fabbesse 
de  Jouarre  sa  fille ,  chercha  tous  les  moyens  de  l'empêcher,  et  em- 
ploya tous  les  amis  de  M.  Tévêque  de  Meaux,  pour  tirer  cette  affaire 
en  longueur,  en  la  mettant  en  négociation.  Voilà  pourquoi  M.  l'abbé 
de  Fénélon  en  entendit  parler.  Mais  cela  n'empêcha  aucunement 
le  dessein  de  M.  Tévêque  de  Meaux,  et  le  scrutin  fut  établi  à  Jouarre 
sans  aucune  opposition,  en  l'année  iCgS,  au  mois  de  janvier,  à  la 
réception  de  madame  de  Soubise,  sœur  de  madame  Tabbesse.  Note 
de  l'abbé  Ledicu  y  secrétaire  de  Éossuet.Yoyez  la  lettre  de  Bossuet  à 
l'abbesse  de  Jouarre,  tom.  xxxix,  pag.  492  et  suiv.  [Edit.  de  Vers.) 


LETTRES    DIVERSES.  6^9 

à  conséquence  contre  madame  l'abbesse  :  elle  me 
presse  de  vous  demander  instamment  que  vous  vous 
déclariez  là -dessus;  afin  qu'elle  sache  à  quoi  s'en 
tenir  pour  le  tout,  et  qu'on  ne  soit  point  à  recom- 
mencer sur  d'autres  articles,  après  avoir  passé  celui  des 
fèves.  Examinez  donc,  s'il  vous  plaît,  Monseigneur, 
si  vous  pouvez  vous  expliquer  sur  toutes  les  choses 
que  vous  croyez  avoir  à  régler  pour  faire  la  clôture 
de  votre  visite,  et  pour  être  content  de  la  discipline 
entière  de  la  maison.  Cet  article  demande,  aussi  bien 
que  l'autre ,  une  réponse  prompte  et  décisive  :  erl 
tout  cela  je  ne  veux  que  vous  témoigner  mon  zèle  et 
mon  respect,  etc. 

A  Versailles,  ce  16  décembre  1694. 


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LETTRE  XXX. 

DE  M.  GERBAIS,  DOCTEUR  DE  SORBONNE  (*). 

Il  le  sollicite  en  faveur.de  M.  Dupiu. 

Je  vous  cherchai  deux  fois  la  semaine  iderniere  %. 
Paris;  mais  sans  avoir  le  bonheur  de  vous  rencon- 
trer :  c*étoit,  Monseigneur,  pour  pouvoir  vous  en- 
tretenir au  sujet  de  M.  Dupin  notre  confrère,  qui  est 
désolé  d'avoir  eu  le  malheur  de  vous-jdéplaire  en  ce 

(*)  Jean  Gerbais,  docteur  de  Sorbonné,  professeur  d'éloquence 
au  collège  royal,  et  principal  du  collège  de  Rbeims,  étoit  un  savant 
distingué.  Il  a  publié  plusieurs  ouviagta  sur  les  matières  ecclésias- 
tiques. Celui  qui  a  pour  titre  :  De  Causis  M-joriùus ,  fut  condamné 
à  Rome  en  1680.  Il  mourut  en  1699,  âgé  de  soixante-dix  ans.  [Edit. 
de  Vers  ) 


66o  LETTRES    DIVERSES. 

qu'il  a  écrit  du  sentiment,  ou  plutôt  des  manières  de 
parler  de  certains  Pères  des  premiers  siècles,  sur  la 
matière  du  pèche'  originel.  Il  prétendoit.  Monsei- 
gneur ,  en  faisant  la  critique  de  ces  Pères,  avoir  suffi- 
samment mis  à  couvert  le  dogme,  ayant  dit  que 
c'étoit  cependant  le  sentiment  et  la  doctrine  com- 
mune de  l'Eglise  ,~que  les  enfans  naissoient  coupa- 
bles. Mais  si  vous  jugez  que  cela  ne  suffise  pas ,  et 
qu'on  puisse  faire  un  mauvais  usage  de  ses  critiques, 
nonobstant  cette  précaution,  il  se  soumet  à  réparer 
et  à  réformer  ce  qui  pourroit  être  pris  contre  ses 
intentions,  et  à  donner  des  éclaircissemens  dont  vous 
serez  vous-même  l'arbitre. 

Il  m'a  prié,  Monseigneur,  de  vous  faire  connoître 
sa  disposition  ;  et  je  le  fais  d'autant  plus  volontiers, 
que  je  suis  persuadé  qu'il  est  bon  de  calmer  cette 
petite  tempête,  pour  ne  pas  donner  occasion  à  nos 
frères  errans  d-e  dire ,  que  les  habiles  gens  parmi  les 
catholiques  ne  sont  pas  d'accord  sur  le  péché  origi- 
nel. D'ailleurs,  M.  Dupin,  qui  consacre  sa  vie  au 
travail,  et  qui  peut  être  utile  à  l'Eglise,  mérite  bien 
d'être  un  peu  ménagé  ;  et  ce  seroit  dommage  de  le 
flétrir  ou  de  le  barrer  dans  sa  course ,  en  montrant 
surtout  tant  de  docilité.  J'espère,  Monseigneur,  que 
vous  y  aurez  quelque  égard  ;  et  que  si  le  zèle  que  vous 
avez  pour  la  vérité  est  grand,  votre  charité  ne  sera 
pas  moindre.  Si  vous  ne  rejetez  pas  tout-à-fait  la 
proposition  que  je  vous  fais,  nous  aurons  l'honneur, 
M.  Dupin  et  moi ,  de  vous  voir  au  premier  voyage 
que  vous  ferez  à  Paris,  pour  prendre  les  mesurés  que 
vous  jugerez  les  plus  convenables ,  et  recevoir  vos 
ordres,  que  j'exécuterai,  en  ce  qui  sera  de  moi,  avec 


I 


LETTRES    DIVERSES.  66l 

une  fidélité  parfaite ,  comme  je  suis  avec  un  respect 

très-parfait,  etc. 

Gerbais,  docteur  de  Sorbonne. 

A  Paris,  ce  18  mars  1691. 


LETTRE  XXXI. 

DE  M.  PIROT,  DOCTEUR  DE  SORBONNE. 

Sur  un  ecclésiastique  proposé  pour  une  cure  du  diocèse  de  Meaux , 
et  sur  M.  Dupin. 

J*Ai  examiné,  comme  vousPaviez  souhaité,  l'homme 
que  madame  la  chancelière  vous  a  recommandé  pour 
une  cure.  Il  me  fut  amené  lundi  par  un  ecclésiastique 
qui  demeure  chez  elle.  Je  l'interrogeai  en  sa  pré- 
sence, pour  le  faire  lui-même  juge  du  témoignage 
que  j'en  pourrois  rendre ,  comme  je  savois  qu'il  étoit 
capable  d'en  juger  :  cela  fut  de  cinq  quarts-d'heure 
sans  interruption  ;  et  je  me  trouve  très-embarrassé, 
pour  vous  dire  décisivement  ce  que  j'en  pense.  Je  ne 
le  tins  si  long-temps  que  pour  le  promener  sur  bien 
des  matières,  et  voir  si  je  trouverois  à  lui  faire  plaisir 
en  sauvant  le  bien  de  l'Eglise  qu'on  lui  veut  confier, 
et  mettant  par-là  ma  conscience  à  couvert  sur  la 
commission.  Je  ne  lui  demandai  du  dogme  qu'autant 
qu'il  en  faut  pour  catéchiser,  et  ne  lui  proposai  sur 
les  sacremens  et  les  autres  usages  de  pratique ,  que 
des  questions  générales  pour  des  cas  qui  peuvent  à 
tout  moment  se  présenter  à  un  curé.  Il  me  répondit 
mal  sur  quelques-unes,  et  fort  médiocrement  sur  les 
autres.  Je  fis  ce  que  je  pus  pour  le  disposer  à  passer 
encore  quelques  mois  dans  saint  Nicolas  où  il  est, 


662  LETTRES    DIVERSES. 

quoique  peut-être  il  n'en  devînt  pas  beaucoup  plus 
habile;  ne  paroissant  point  avoir  sur  cela  grande 
ouverture.  Je  dis  à  M.  Lempereur,  qui  est  Teccle'sias- 
tique  de  madame  la  cliancelière  qui  me  l'amena  , 
J'embarras  où  j'e'tois,  et  que  j'aurois  l'honneur  de 
vous  voir  ;  ou ,  si  vous  partiez  trop  tôt  pour  cela,  de 
vous  écrire  naïvement  comme  cela  s'e'toit  passé,  sans 
rien  déterminer.  Il  m'est  revenu  voir  ce  matin ,  et 
m'a  pressé  encore  de  vous  rendre  compte.  Je  lui  ai 
encore  témoigné  ma  peine  sur  cela ,  et  lui  ai  promis 
d'avoir  l'honneur  de  vous  écrire  dès  aujourd'hui ,  et 
je  lui  ai  même  dit  en  propres  termes  ce  que  por- 
tcroit  ma  lettre.  Je  lui  tiens  parole  sur  tous  ces  deux 
chefs. 

Je  crois  que  vous  devez  essayer  de  faire  agréer  à 
madame  la  chancelière  que  ce  bon  prêtre,  dont  on 
dit  beaucoup  de  bien  pour  la  probité  et  pour  l'appli- 
cation à  ses  fonctions ,  continue  à  servir  l'Eglise  en 
second  en  quelque  vicariat;  puisqu'on  ne  manque 
pas  de  sujets  pour  remplir  le  poste  dont  il  s'agit , 
quoiqu'on  le  dise  d'un  revenu  fort  mince.  C'est  une 
dame  d'une  si  éminente  piété,  et  si  équitable  en 
toutes  choses ,  que  j'espère  qu'elle  déférera  en  cela 
à  vos  prières.  Si,  prévenue  de  la  capacité  de  l'homme, 
elle  persiste;  comme  vous  ne  choisissez  pas,  et  que 
vous  n'êtes  pas  obligé  de  chercher  le  plus  digne,  mais 
d'examiner  si  celui  qu'ort  vous  offre  est  indigne  ou 
non,  je  crois  qu'après  avoir  inutilement  fait  tout  ce 
que  vous  aurez  pu  pour  faire  qu'on  vous  en  nomme 
un  autre;  à  considérer  que  la  paroisse  est  petite, 
qu'elle  est  très-voisine  de  Jully,  qui  peut  bien  être 
une  décharge  en  quelques  occasions  pour  le  curé, 


LETTRES    DIVERSES.  663 

que  riiomme  est  connu  dans  le  lieu,  qu'il  a  vicarié 
dans  le  quartier  approuvé  de  vous ,  qu'il  cate'chise , 
comme  il  dit  qu'il  le  fait  même  à  saint  Nicolas,  qu'il 
n'est  pas  tout-à-fait  ignorant  ;  puisque  après  tout 
indépendamment  de  toute  recommandation ,  je  ne 
voudrois  pas  prononcer  absolument  qu'il  fût  inca- 
pable de  tenir  ce  bénéfice,  et  me  contenterois  de  le 
remettre  encore  à  quatre  ou  cinq  mois  de  séminaire, 
après  quoi  on  le  pourroit  encore  interroger  :  tout 
cela  pesé,  je  crois  que  vous  pouvez,  (avec  la  pré- 
caution que  j'ai  marquée,  de  faire  trouver  bon  à 
madame  la  chancelière  que  pour  le  mieux  il  serve 
en  qualité  de  vicaire  en  quelque  paroisse  de  votre 
diocèse,  et  qu'elle  vous  nomme  un  autre  curé)  si 
elle  n'entre  pas  en  cette  proposition,  le  recevoir,  sans 
engager  votre  conscience,  curé  dans  cette  petite 
cure,  et  lui  donner  votre  visa.  Voilà  comme  j'en 
userois,  Monseigneur,  si  vous  m'ordonnez  de  vous  le 
dire.  J'ai  dit  que  j'aurois  l'honneur  de  vous  écrire  en 
ce  sens  pour  ne  pas  tromper. 

Je  n'ai  rien  ouï  dire  sur  le  Mémoire  (*)  que  vous 
avez  donné;  peut-être  est-il  passé  des  mains  du  sei- 
gneur à  l'auteur  :  il  faut  laisser  tout  venir  sur  cela. 
Je  ne  puis  croire  qu'on  néglige  l'avis  :  mais  je  suis 
surpris  que  celui  qui  y  est  le  premier  intéressé  ne 
me  soit  pas  venu  chercher,  depuis  le  premier  du 
mois  que  je  lui  fis  voir  le  grand  intérêt  qu'il  avoit  de 
prévenir  sur  cela  ce  qui  pourroit  arriver,  et  de  sa- 
tisfaire l'Eglise  ;  et  qu'il  me  promit  de  sa  part  qu'il 
en  viendroit  conférer  avec  moi ,  et  qu'il  feroit  ce 
qu'on  voudroit  :  j'attendrai  encore  quelques  jours. 

(*)  Le  Mémoire  sur  M.  Dupin ,  remis  à  M.  le  chancelier. 


664  LETTRES    DIVERSES. 

Mais  faites  savoir,  je  vous  prie,  Monseigneur,  la  re- 
solution que  vous  prenez  pour  la  cure  à  madame  la 
cliancelière  :  elle  attend  cela  au  premier  jour.  Je  l'ai 
promis  à  M.  Lempereur,  et  je  m'en  vais  lui  mander 
que  j'ai  eu  l'honneur  àe  vous  en  écrire.  Je  suis  avec 
plus  de  respect  que  personne,  etc. 

En  Sorbonne,  ce  i3  mars  169X 


I 


>  »/»^^*'»/»*/»/*  *-»«». 


LETTRE  XXXIL 

DU  MÊME. 

Sur  un  entretien  qu'il  avoit  eu  avec  M.  Dupin ,  et  une  visite  qu'il» 
aYoient  rendue  ensemble  à  M.  rarcbevêque  de  Paris. 

Comme  j'étois  sur  le  point  de  vaus  rendre  compte 
de  ce  que  f  ai  fait  sur  rafFaire  de  M.  Dupin  ,  je  reçois 
la  lettre  que  vous  me  fîtes  Thonneur  de  m'écrira 
hier,  où  vous  me  marquez  avoir  eu  quelque  avis  que 
monseigneur  Tarchevêque  avoit  mande  M.  Dupin  ^ 
et  qu'il  lui  avoit  dit  que  vous  lui  aviez  mis  en  main 
un  Mémoire.  Il  n'y  a  dans  la  nouvelle  que  vous  en 
avez  apprise  qu'une  partie  de  vraie;  et  il  faut  vous 
en  faire  un  petit  détail.  Sur  votre  première  lettre ,  je 
vis  M.  l'archevêque ,  comme  nous  en  étions  conve- 
nus :  je  lui  lus,  par  le  même  ordre  que  vous  m'aviez 
donné,  votre  lettre  faite  pour  cela;  et  il  en  fut  très- 
<X)ntent  pour  o^  qui  l'y  regardoit.  Ce  fut  lundi  der- 
nier que  cela  se  passa  :  \e  n'avois  pu  avoir  audience 
de  lui  plus  tôt  ;  il  fut  un  peu  indisposé  la  semaine  der- 
nière. Il  me  dit  qu'il  avoit  été  lui-même  frappé  de  ce 
que  cet  auteur  avoit  dit  sur  les  images;  et  que  M.  le 


LETTRES    DIVERSES.  66ù 

nonce,  avant  sa  mort,  étoit  venu  à  Tar chevêche  lui 
faire  des  plaintes  de  ses  livres.  Il  m'ordonna  de  le  lui 
amener  le  lendemain  à  neuf  heures.  J'écrivis  un  billet 
à  M.  Dupin  sur  l'heure ,  et  il  me  joignit  à  l'issue  de 
ma  leçon.  Nous  eûmes  un  entretien  assez  long  sur 
tous  les  chefs  de  votre  lettre,  où  il  y  a  une  petite 
liste  des  chapitres  d'erreur.  J'avois  son  livre  à  la 
main ,  et  je  parcourus  avec  lui  tous  les  endroits,  lui 
marquant  ce  qui  m'y  paroissoit  d'outré.  Il  comprit 
assez  que  je  ne  lui  parlois  que  pour  le  servir ,  et 
que  pour  chercher  avec  lui  quelque  biais  de  sauver 
son  honneur  autant  qu'on  pourroit,  en  trouvant  a 
mettre  à  couvert  la  foi  de  l'Eglise,  et  levant  tout  ce 
qui  pourroit  faire  quelque  peine  au  public,  qui 
pourroit  en  être  offensé. 

Il  me  vint  prendre  le  lendemain  :  je  vis  un  moment 
M.  l'archevêque  avant  qu'il  fût  appelé ,  et  je  l'ins- 
truisis de  notre  conversation.  Il  le  fit  entrer,  et  lui 
parla  bien ,  avec  douceur  et  avec  force  :  il  lui  té- 
moigna les  démarches  qu'avoit  faites  feu  M.  le  nonce 
à  ce  sujet,  le  scandale  qu'il  avoit  eu  lui-même  de  la 
manière  dont  il  parle  du  culte  des  images,  et  ce  qu'il 
avoit  appris  d'un  Mémoire  qu'avoit  fait  M.  de 
Meaux.  Mais  il  étoit  bien  hors  d'état  de  lui  dire  que 
vous  le  lui  eussiez  fait  donner  :  il  ne  Ta  point  vu,  et 
il  n'en  sait  rien  que  par  moi ,  qui  ne  le  connois  que 
par  ce  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'en  dire. 
Il  lui  dit  qu'il  ne  le  vouloit  pas  pousser  ;  mais  qu'il 
falloit  satisfaire  la  religion ,  et  pour  cela  mettre  la 
chose  entre  trois  ou  quatre  docteurs  qui  ne  lui  se- 
roient  point  suspects,  mais  qui  ne  seroient  pas  aussi 
de  ses  approbateurs.  Il  voulut  bien  dire  qu'il  y  pen- 


66G  LIiTTRES    DIVERSES. 

seroit ,  qu'il  les  clioisii  oit  en  m'en  donnant  avis ,  et 
quil  m'en  met  l  roi  t. 

M.  Dapin  parut  docile,  et  promit  de  faire  tout 
ce  qu'on  souhaiter  oit.  Il  me  pria ,  en  sortant ,  de 
faire  que  M.  Gerbais  en  fût.  J'en  parlai  sur  Fheure 
à  M.  l'archevêque,  qui  n'y  entra  pas  :  je  ne  sais  s'il 
sera  plus  à  son  goût  ;  car  il  a  pris  quelque  temps 
pour  choisir  des  examinateurs.  Il  lui  faut  donner 
quelques  jours  avant  que  de  revenir  à  la  cliarge. 
M.  Dupin  me  fit  mercredi  apporter  ses  livres.  Je  n'ai 
rien  reçu  de  la  part  de  monseigneur  le  chancelier. 
Je  ne  sais  à  quoi  il  tient;  à  moins  qu'il  n'ait  donné 
le  Mémoire  à  quelqu'un ,  pour  lui  en  rendre  compte 
avant  qu'il  me  vienne.  Je  croyois  que  M.  Dupin  l'eût 
eu,  et  il  me  sembloit  que  vous  lui  aviez  dit  que  vous 
le  vouliez  bien  ;  mais  je  vois  qu'il  ne  l'a  pas  eu.  Je 
n'ai,  non  plus  que  vous,  nulle  nouvelle  de  madame 
la  chancelière  ;  et  cela  marque  apparemment  qu'elle 
ne  pense  plus  à  la  cure  pour  l'homme  qu'elle  pré- 
sentoit.  N'imputez  ,  je  vous  supplie ,  Monseigneur  , 
le  retardement  de  ma  lettre  à  aucune  raison  de 
précaution  :  il  n'y  en  a  aucune  à  votre  égard.  Je  sais 
comme  vous  usez  de  tout  :  mais  j'attendois  si  ce  Mé- 
moire me  viendroit  de  la  chancellerie.  Je  suis  avec 
un  profond  respect ,  etc. 

En  Sorbcnne,  ce  21  mars  1692. 


LE,TTRES    DIVERSES.  667 

LETTRE   XXXIII. 

DE  M.  GERBAIS,  DOCTEUR  DE  SORBONNE. 

Sur  les  dispositions  de  M.  Dupin. 

Voici  une  lettre  de  M.  Dupin ,  qu  il  m'a  prié  d'ac- 
compagner d'une  des  miennes.  Il  a  diffère'  à  vous 
écrire,  parce  qu'il  CvSpéroit    qu'on  lui   communi- 
queroit  le  Mémoire,  qui  a  été  mis  entre  les  mains 
de  M.  l'archevêque,  et  qu'il  pourroit  après  l'avoir 
lu  s'expliquer  plus  précisément.  Mais  comme  non- 
seulement  on  ne  lui  a  pas  comm  .nique  ce  Mémoire, 
mais  qu'on  ne  lui  a  même  rien  fait  dire  ni  savoir 
depuis  qu'il  fut  mandé  chez  M.  l'archevêque,  il  a 
cru  ne  pouvoir  être  plus  long-temps  sans  vous  mar- 
quer ses  sentimens  et  sa  disposition  ,   de  laquelle  je 
suis  persuadé  que  vous  serez  content.  Si  M.  l'arche- 
vêque n'étoit  pas  saisi  de  ralTaire,  je  suis  sûr  que 
nous  l'aurions  terminée  chez  vous  en  moins  d'une 
matinée,  et  cela  sans  bruit  et  sans  éclat.  M.  le  chan- 
celier, à  qui  je  rendis  compte  ii  y  a  quelques  jours 
d'une  commission  dont  il  m'avoit  chargé,  m'avoit 
promis  de  m'envoyer  le  mémoire  que  vous  lui  aviez 
laissé  sur  le  sujet  de  M.  Dupin  :  mais  apparemment 
il  l'a  oubhé,  ou  il  a  changé  de  sentiment;  car  il 
ne  m'a  pas  été  remis.  Et  ainsi  ne  sachant  ce  qu'il 
contient,  il  ne  m'a  pas  été  possible  de  conférer  avec 
M.  Dupin ,  ni  de  prendre  avec  lui  les  mesures  con- 
venables pour  vous  satisfaire,  et  pour  éviter  les  mau- 
vaises interprétations  que  l'on  pourroit  donner  aux 


668  LETTRES    DIVERSES. 

choses  qu'il  a  écrites.  Si  vous  désirez  m'ordonner 
quelque  chose  là -dessus,  j'obéirai  avec  plaisir, 
et  avec  la  même  soumission  avec  laquelle  je  serai 
toujours,  etCc 

A  Paris,  ce  12  avril  1692. 

Je  viens  d'apprendre.  Monseigneur,  depuis  ma 
lettre  écrite,  que  M.  l'archevêque  de  Paris  a  envoyé 
quérir  M.  Dupin,  qu'il  lui  a  fait  voir  un  mémoire 
que  M.  Pirot  lui  avoit  rendu  de  votre  part  ;  et  que 
là-dessus  M.  Dupin  avoit  témoigné  à  M.  l'arche- 
vêque, quil  étoit  prêt  de  donner  telle  satisfaction 
et  tels  éclaircissemens  qu'il  plairoit  à  sa  Grandeur  de 
lui  prescrire.  J'aurois  mieux  aimé,  Monseigneur, 
que  cela  se  fût  terminé  avec  vous. 


LETTRE   XXXIV. 

DE  M.  DUPIN. 

Sur  les  erreurs  dont  il  étoit  accusé. 

Jamais  je  n'ai  été  plus  désolé  que  quand  j'ai  appris 
que  j'avois  le  malheur  d'avoir  avancé ,  dans  mes  ou- 
vrages ,  des  choses  que  vous  jugiez  dignes  de  cen- 
sure. Je  me  serois  donné  l'honneur  de  vous  aller 
voir  pour  tâcher  de  me  justifier  auprès  de  vous,  et 
vous  assurer  en  même  temps  de  mon  attachement 
sincère  à  la  doctrine  de  l'Eglise ,  et  de  la  soumission 
que  j'avois  pour  tout  ce  que  vous  souhaiteriez  de 
moi.  Mais  n'ayant  pas  osé  prendre  cette  liberté, 
sans  que  vous  m'eussiez  fait  témoigner  que  vous  le 


LETTRES    DIVERSES.  66^ 

souhaitiez,  je  me  contentai  de  le  dire  à  des  per- 
sonnes qui  m'en  parlèrent  de  votre  part,  par  les- 
quelles je  croyois  que  vous  apprendriez  la  disposition 
où  j'étois.  Ayant  bien  compris,  par  la  suite,  qu'on 
n'en  avoit  point  informe'  votre  Grandeur,  j'ai  pris 
la  liberté  de  vous  en  faire  écrire  par  M.  Gerbais, 
qui  m'a  fait  la  grâce  de  me  montrer  votre  réponse , 
par  laquelle  j'ai  reconnu  avec  joie  que  vous  aviez 
encore  quelque  bonté  pour  moi.  Je  vous  prie, 
Monseigneur,  de  me  la  vouloir  continuer,  et 
d'être  persuadé  que  j'aurai  toujours  pour  vous  tout 
le  respect  et  la  soumission  que  je  vous  dois ,  étant 
avec  un  profond  respect ,  -p 

A  Paris,  ce  12  avril  1692. 


LETTRE  XXXV. 

DE  M.  ARNAULD,  DOCTEUR  DE  SORBOISNE. 

Il  le  félicite  du  dessein  qu'il  avoit  d'écrire  pour  la  défense  de  saint 
Augustin  contre  Richard  Simon;  et  lui  demande  son  jugement 
sur  divers  écrits. 

J'ai  appris  avec  bien  de  la  joie  ce  que  l'on  nous 
mande,  que  vous  vous  sentez  porté  par  un  mouve- 
ment de  l'esprit  de  Dieu ,  à  écrire  pour  la  défense  de 
la  grâce  chrétienne,  et  de  l'autorité  de  saint  Augus- 
tin, contre  la  prétention  téméraire  du  faux  cri- 
tique (*).  Rien  n'est  plus  digne  d'un  évêque,  à  qui 
Dieu  a  donné  de  si  grands  talens  pour  écrire  et  pour 
parler,  que  de  les  eiiiployer  pour  une  si  bonne  cause 

C*)  Richard  Simon. 


670  LETTRES    DIVERSES. 

La  grâce  que  vous  soutiendrez ,  Monseigneur ,  sera 
aussi  votre  soutien;  et  le  saint  dont  vous  maintien- 
drez l'autorité,  contre  la  censure  indiscrète  d'un 
e'crivain  sans  jugement,  vous  obtiendra  de  Dieu  les 
mêmes  lumières  et  le  même  zèle  dont  il  a  été  rempli 
pour  éclaircir  la  doctrine  de  TEglise  contre  une  des 
plus  dangereuses  de  toutes  les  hérésies. 

A  l'égard  du  critique,  je  crois  ,  Monseigneur,  que 
vous  aurez  remarqué  que  dans  le  jugement  qu'il  porte 
des  commentateurs  du  nouveau  Testament,  il  re- 
garde comme  un  défaut,  dans  ceux  mêmes  qui  sont 
le  plus  estimés,  de  s'être  attachés  à  la  doctrine  des 
saints  Pères,  et  principalement  de  saint  Augustin , 
touchant  la  grâce  et  la  prédestination.  C'est  ce  qu'on 
peut  voir  dans  ce  qu'il  dit  de  Salsbout,  d'Estius  et 
de  Jansénius  d'Ipres.  Ainsi,  selon  ce  critique,  on  ne 
doit  suivre  que  les  règles  de  la  grammaire,  et  non 
pas  la  théologie  et  la  tradition  ,  pour  bien  expliquer 
le  nouveau  Testament.  Si  Ton  fait  autrement,  ce 
n'est  pas  le  sens  de  saint  Paul  que  l'on  donne  :  c'est 
celui  que  Ton  s'est  formé  sur  ses  propres  préjugés. 
Rien  ne  peut  être,  à  mon  avis,  plus  favorable  aux 
Sociniens  ;  et  je  me  souviens  d'avoir  lu  autrefois, 
dans  une  Vie  de  Fauste  Socin ,  que  n'ayant  point 
étudié ,  il  étoit  plus  propre  que  personne  à  trouver 
le  vrai  sens  de  l'Ecriture. 

Je  reviens  au  sujet  qui  me  fait  écrire  cette  lettre. 
Vous  voulez  bien,  Monseigneur,  que  je  prenne  cette 
occasion  pour  vous  exposer  quelques  pensées  que  j'ai 
eues  sur  la  grâce,  et  les  soumettre  à  votre  jugement. 
Et  ce  qui  me  fait  espérer  par  avance  que  vous  ne  les 
désapprouverez  pas,  c'est  ce  que  l'on  m'a  mandé, 


LETTRES    DIVERSES.  -  ()^  I 

que  la  neuvième  partie  des  Difficultés  sur  le  sieur 
Steyaerl,  ne  vous  avoit  pas  déplu  :  car  il  y  a  beau- 
coup de  ces  pensées  qui  y  sont  marquées,  quoi- 
qu'elles n'y  soient  pas  traitées  à  fond.  Je  ne  prétends 
pas  non  plus  les  traiter  ici;  mais  vous  marquer  seu- 
lement, Monseigneur,  quelques  écrits  que  je  serois 
bien  aise  que  vous  vissiez ,  afin  que  vous  m'en  disiez 
votre  avis. 

Le  premier  est  un  petit  écrit  latin,  de  Liber- 
tate  {*}.  Ce  qui  me  le  fit  faire  est  un  engagement  où 
je  me  trouvai,  d'examiner  quel  est  le  vrai  sentiment 
de  saint  Thomas  touchant  le  libre-arbitre.  M'étant 
aperçu  que  ce  que  saint  Thomas  a  écrit  sur  cette 
matière  dans  ses  premiers  ouvrages,  ne  s'accorde  pas 
avec  ce  qu'il  en  a  écrit  dans  le  dernier,  qui  est  sa 
Somme ,  je  crus  que  c'étoit  à  sa  Somme  qu'il  se  fal- 
loit  uniquement  arrêter.  J'en  ramassai  tous  les  pas- 
sages', et  il  me  parut  évidemment  : 

Premièrement,  que  l'amour  béatifique  n'étoit  point 
libre,  selon  ce  saint. 

Secondement ,  que  le  désir  d'être  heureux  ne  Té- 
toit  point  non  plus. 

Troisièmement ,  que  hors  ces  deux  cas  toute  vo- 
lonté délibérée  étoit  libre ,  et  que  ce  que  dit  saint 
Bernard  est  très-vrai  :   U6i  voluntaSy  ibi  libertas. 

Quatrièmement,  que  la  meilleure  et  la  plus  courte 
notion  qu'on  puisse  avoir  du  libre-arbitre,  est  de 

^)  Il  est  imprimé  dans  le  tome  premier  du  Recueil  des  Traités  de 
M,  Arnauld,  sur  la  grâce  générale,  dans  la  Justification  de  ce  doc- 
teur, publiée  par  le  père  Quesuel,  et  dans  le  recueil  qui  a  pour 
litre  :  Causa  Arnaldina. 


6'^2  LETTRES    DIVERSES. 

dire ,  comme  saint  Thomas ,  que  c'est  poteslas  ou 
facullas  ad  opposita. 

Cinquièmement ,  que  quoique  cela  semble  signi- 
fier la  même  chose  que  rindiffe'rence ,  il  est  néan- 
moins plus  avantageux  de  se  servir  du  premier  que 
de  ce  dernier.  Car  le  mot  ^indifférence  semble  mar- 
quer un  équilibre,  qui  n'est  nullement  ne'cessaire  au 
libre-arbitre ,  et  semble  opposé  aux  déterminations 
infaillibles,  qui  ne  sont  point  du  tout  contraires  à 
la  liberté  :  au  lieu  qu'on  ne  trouve  point  ces  deux 
inconvéniens  dans  ces  mots ,  facullas  ad  opposita  , 
comme  on  le  comprendra  mieux  par  un  exemple.  On 
offre  des  présens  à  un  bon  juge  pour  le  corrompre. 
Quoiqu'il  se  trouve  absolument  déterminé  à  ne  les 
point  accepter,  il  est  certain  néanmoins  que  c'est 
librement  qu'il  les  refuse.  On  demeure  d'accord  de 
la  chose  ;  il  ne  s'agit  quje  de  l'expression.  Ne  sem- 
ble-t-il  pas ,  Monseigneur ,  que  ce  seroit  faire  tort 
à  la  vertu  de  ce  juge  incorruptible,  si,  pour  mar- 
quer qu'il  a  fait  cela  librement,  on  disoit  qu'il  a  été 
dans  l'indifférence  d'accepter  ou  de  refuser  ces  pré- 
sens? Car  cela  pourroit  marquer  la  disposition  d'un 
homme  médiocrement  vertueux ,  qui  auroit  hésité 
s'il  les  accepteroit  ou  s'il  les  refuseroit.  Mais  on  ne 
donne  pas  cette  i'iée,  quand  on  dit  seulement  qu'il 
a  eu  le  pouvoir  d'accepter  ou  de  refuser  ces  présens; 
puisque  l'on  conçoit  facilement  que  de  deux  choses 
opposées,  qui  dépendent  de  notre  libre -arbitre, 
quelque  déterminé  que  l'on  soit  de  faire  l'une,  on 
pourroit  faire  l'autre  si  on  le  vouloit.  Et  c'est  la 
raison  pourquoi  on  n'est  pas  libre  à  l'égard  du  bon- 
heur 


LETTRES    DIVERSES.  673 

lieur  en  général ,  parce  qu  on  est  tellement  déter- 
miné par  une  nécessité  naturelle  à  vouloir  être  heu- 
reux, que  nous  ne  pouvons  pas  dire  :  Si  je  pouvois, 
si  je  voulois  ne  pas  vouloir  être  heureux. 

Un  autre  écrit  que  je  serois  bien  aise ,  Monsei- 
gneur, que  vous  voulussiez  prendre  la  peine  d^exa- 
miner,  est  d'une  autre  nature.  C'est  un  écrit  polé- 
mique sur  une  dispute  entre  deux  amis  (*),  qui  sont 
toujours  demeurés  dans  une  union  parfaite  de  charité 
et  d'amitié,  quoiqu'ils  se  trouvent  présentement  divi- 
sés sur  un  point  sur  lequel  ils  ont  été  long-temps  par- 
faitement d'accord.  Ce  n'est  pas  qu'ils  ne  le  soient 
sur  le  capital  de  la  doctrine  :  mais  il  y  a  des  questions 
incidentes  dont  ils  n'ont  pu  convenir,  et  je  souliaite- 
rois.  Monseigneur,  que  vous  en  voulussiez  être  le  juge. 
On  examine  dans  ce  second  écrit  i"^*)  cette  nouvelle 
pensée  :  Que  tous  les  hommes  seroient  dans  une 
impuissance  physique  de  faire  le  bien  salutaire  , 
laquelle  rendroit  excusables  ceux  qui  manqueroient 
de  le  faire,  s'ils  n'en  étoient  déhvrés  par  une  grâce 
générale,  actuelle,  intérieure  et  surnaturelle,  non- 
seulement  préparée  et  offerte,  mais  actuellement 
donnée  à  tous  et  à  chacun  en  particulier.  C'est  le 
sujet  du  différend. 

Le  troisième  écrit  est  plus  court ,  et  d'une  forme 
extraordinaire  ;  car  on  y  a  suivi  la  méthode  des 
géomètres  (***).  Il  est  différent  du  précédent,  en  ce 

(*)  Cette  dispute  étoit  entre  M.  Arnauld  lui-même ,  et  M.  Nicole  j 
et  la  suite  de  la  lettre  en  marquera  l'objet. 

(**)  Il  a  pour  titre  :  Du  Pouvoir  physique.  Cet  écrit  elles  suivans 
«ont  imprimes  dans  le  Recueil  déjà  cité, 

^**)  Il  est  intitulé  :  Ecrit  géométrique  de  la  Grâce  générale.     '' 
BOSSUET.    XLIÏ.  4'^ 


674  LETTRES   DIVERSES. 

que  dans  le  précédent  on  combat  un  système  de  doc- 
trine dont  on  n'a  pu  convenir  ,  en  renversant  le 
principe  sur  lequel  on  Tavoit  établi  ;  au  lieu  que 
dans  celui-ci  on  le  combat  parles  suppositions  qu'il 
enferme,  dont  on  fait  voir,  ce  me  semble,  démons- 
trativement  la  fausseté. 

Il  y  a  encore  deux  autres  écrits  ;  l'un  latin ,  qui  a 
pour  titre  :  Dissertatio  bipartita,  an  veritas  pro- 
positionum  quœ  necessarib  et  immutabiliter  aperce 
suntj  videantur  à  nobis  in  prima  et  increatâ  veritaie 
quœ  Deus  est  :  etAn^  quiamat  castitatem  Del  quam- 
libet  aliam  virtutem  moralem ,  eo  ipso  amet  œter- 
nam,  quœ  in  Deo  est,  rationem  castitatis  (*). 

Et  l'autre  français  (**),  sur  le  même  sujet,  pour 
répondre  à  ce  qu'un  savant  religieux,  à  qui  vous  avez. 
Monseigneur,  fait  l'honneur  de  témoigner  de  l'afFec- 
tion ,  avoit  opposé  à  la  dissertation  latine.  Ce  der- 
nier écrit  contient  diverses  choses  qui  peuvent  beau- 
coup servir  à  éclaircir  ce  qui  est  traité  dans  le  troi- 
sième écrit. 

Souffrez,  Monseigneur,  que  je  prenne  la  liberté 
de  vous  dire  encore  qu'il  y  a  une  chose  qui  me  pa- 
roît  importante  dans  la  matière  de  la  grâce.  Je  n'en 
ai  rien  écrit  en  particulier  ;  mais  je  crois  l'avoir  bien 
expliquée  dans  ma  dissertation  théologique  touchant 
la  proposition  censurée,  partie  m,  article  11  et  ar- 
ticle IV.  On  y  marque  les  différentes  opinions  des 

(*)  Dans  cette  Dissertation ,  Tauteur  combattoit  en  particulier  le 
sentiment  du  célèbre  Huygens,  docteur  de  Louvain. 

(**)  Cet  écrit  a  pour  titre,  Règles  du  bon  sens,  etc.  et  est  dirigé 
contre  dora  François  Lami,  qui  avoit  entrepris  de  réfuter  la  Dis- 
serta lion  de  M.  Arnauld. 


LETTRES    DIVERSES.  6^5 

théologiens  touchant  la  grâce  actuelle,  qui  est  le 
principe  de  la  bonne  volonté;  les  uns  la  mettant  in 
misericordid  Dei  et  forma  inliœrente ,  et  les  autres, 
in  solâ  misericordid  Dei,  quœ  interius  motum  mentis 
operatur.  Or  je  suis  persuadé  que   cette  dernière 
opinion  est  celle  de  saint  Augustin  et  de  saint  Tho- 
mas ,  et  la  plus  conforme  à  la  raison  ;  et  qu'en  la 
suivant  il  est  bien  plus  aisé  d'expliquer  l'efficace  de  la 
grâce,  et  de  concilier  cette  efficace  avec  la  liberté, 
lors  surtout  que  Ton  définit  le  Xihre-divhïive ,  facultas 
ad  oppositaj  comme  a  fait  saint  Thomas.  Car,  selon 
les  principes  de  ce  saint,  je  veux  librement  tout  ce 
que  je  veux,  n'étant  point  déterminé  à  le  vouloir  par 
une  nécessité  naturelle,  qui  m'ôteroit  le  pouvoir  de 
vouloir  le  contraire.  Ainsi  Jésus-Christ  a  voulu  très- 
librement  souffrir  la  mort  ensuite  du  commande- 
ment qu'il  en  avoit  reçu  de  son  Père,  queîï[ue  dé- 
terminé qu'il  y  ait  été;  parce  que  c'est  son  amour  qui 
l'y  a  déterminé,  ^t  non  une  nécessité  naturelle  qui 
l'auroit  nécessairement  attaché  à  vouloir  mourir. 

De  combien  d'autres  choses  souhaiterois-je.  Mon- 
seigneur, vous  pouvoir  entretenir?  Mais  ce  n'en  est 
pas  encore  le  temps  ;  et  je  ne  sais  si ,  à  l'âgé  où  je 
suis,  je  dois  me  flatter  que  ce  temps  vienne  jamais 
pour  moi.  Je  vous  avoue ,  Monseigneur,  que  s'il  y  a 
quelque  chose  qui  me  touche  dans  Tétat  où  Dieu 
veut  que   je  sois,  ce  sont  ces  sortes  de  privations. 
Il  m'a  fait  la  grâce  de  les  porter  avec  beaucoup  de 
paix  et  de  tranquillité  :  j'espère  qu'il  me  soutiendra 
par  sa  miséricorde  jusqu'à  la  fin  ,  et  qu'il  mè  rendra 
fidèle  à  suivre  la  voie  par  laquelle  il  veut  que  j*aille 
h.  lui.  Vos  prières  j  Monseigneur,  et  votre  bénédic- 


Sn6  LETTRES    DIVERSES. 

tion  peuvent  beaucoup  contribuer  à  m'en  obtenir  la 
grâce.  C'est  avec  une  grande  confiance  que  je  vous 
demande  Tun  et  l'autre,  comme  c'est  avec  un  pro- 
fond respect  que  je  serai  toujours,  etc. 

Antoine  Arnauld  ,  doct.  de  Sorb. 
Juillet  1693. 

LETTRE  XXXVI. 

DE  M.  PIROT,  DOCTEUR  DE  SORBONNE. 

Il  lui  rapporte  difFérens  textes  des  Pères ,  qui  ont  pris  le  mot  de 
personne  pour  celui  de  nature. 

Il  est  aisé  de  vous  satisfaire  sur  la  curiosité  que 
vous  avez  de  savoir  si  le  mot  de  personne  ,  soit  en 
grec,  soit  en  latin,  a  été  pris  pour  celui  de  nature ^ 
et  si  saint  Atlianase  et  saint  Ambroise  ont  parlé 
quelque  part  comme  s'ils  eussent  reconnu  deux  per- 
sonnes en  Jésus-Christ.  Je  suis  très-persuadé  que  pas 
un  des  deux  n'a  mis  en  Jésus-Christ  deux  personnes , 
à  prendre  le  mot  de  personne  dans  un  sens  propre; 
et  vous  remarquez  fort  bien.  Monseigneur,  que  le 
prerpier,  au  contraire,  dit  positivement  h  npôduTtov, 
Il  le  dit  plus  d'une  fois  dans  le  seul  petit  traité  qu'il 
a  fait,  de  Incarnaùone  Verhi  /^ei"^  contre  Paul  de 
Samosate,  qui  est  son  ouvrage,  quoique  M.  Du- 
pin  s'imagine  sans  raison  qu'il  n'est  pas  de  lui  :  il  le 
dit  de  même  ailleurs.  Mais  Facundus  Hermianensis, 
dans  son  livre  xi,  chapitre  11,  cite  un  endroit  de 
saint  Athanase  comme  tiré  d'une  épître  ad  Antio- 
clienos ,  où  ce  Père  dit   formellement  :  Duas  per- 


LETTRES    DIVERSES.  677 

sonas  de  Domino  inveniens  ,  unam  quiclem  circa 
hominem,  aller am  autem  circa  Verhum.  Il  est  vrai 
que  cette  ëpître  ne  se  trouve  pas  dans  saint  Atha- 
nase  ;  et  c  est  de  ces  Œuvres  que  l'injure  des  temps 
nous  a  enlevées.  Nous  en  avons  une  qui  porte  ce 
titre ,  et  où  cela  n'est  point  :  mais  il  n'y  a  pas  d'ap- 
parence d'accuser  Facundus  de  citer  faux.  Le  père 
Sirmond,  dans  ses  notes,  dit  que  c'est  une  autre 
épître  que  celle  que  nous  avons  ;  remarquant  au 
reste  que  saint  Athanase  n'a  pu  mettre  en  Jésus- 
Christ  deux  personnes,  mais  seulement  deux  na- 
tures parfaites. 

Saint  Ambroise ,  au  livre  ii,  de  Fide,  chapitre  iv 
des  anciennes  éditions  ,  qui  dans  la  dernière  est 
le  viii,  numéro  60,  parle  ainsi  de  Jésus-Christ  : 
Minor  in  natura  hominis;  et  miraris  si  ex  persona 
hominis  Patreni  dixit  majorem  ,  qui  in  persona 
ïiominis  se  vermern  dixit  esse  j  non  hominem.  Les 
Pères  de  Saint-Maur  mettent  cette  note  :  Pauîb  du- 
rior  videtiir  ea  locutio,  quippe  quœ  hominis  naturam 
personamque  saltem  voce  tenus  confundat.  Et  ils 
font  encore  une  autre  note  semblable  au  livre  iv , 
ancienne  édition,  chapitre  m,  et  nouvelle  chap.  vi, 
numéro  69.  Quams^is  ex  personœ  hominis  incarnati 
susceptione  loqueretur  ;  ce  sont  lés  paroles  de  saint 
Ambroise  en  cet  endroit,  et  voici  ce  qu'y  disent  les 
Scholiastes  :  Jam  monuimusvocem  personœ  non  sem- 
per  stricte  etscholastico  rigore  sumptam  ab  Ambrosio. 
Et  sane  hoc  loco  nihil  aliud  sonat ,  nisi  in  quantum 
homo.  Qu'on  fasse  sur  cela  toute  la  glose  qu'on  vou- 
dra :  si  on  dit  qu'il  est  visible  que  saint  Ambroise  ne 
prend  là  le  mot  de  personne  qu'a^a^iVè  pour  une 


678  LETTRES    DIVERSES. 

qualité  de  nature ,  je  l'avoue  ;  mais  il  est  toujours 
vrai  qu'il  l'a  ainsi  pris ,  quoique  ailleurs  il  ne  laisse 
nul  lieu  de  douter  de  sa  foi.  Le  père  Petau,  au 
livre  IV  de  la  Trinité,  chapitres  i,  11,  m  et  iv,  mais 
particulièrement  en  ce  dernier,  et  au  livre  v  de  l'In- 
carnation, chapitre  VII,  numéros  7,  8,  10  et  autres, 
est  à  lire  sur  les  différentes  notions  des  termes  à'usie, 
d^hjpostase ^  de  nature^  àe  personne  ^  etc.  :  mais. 
Monseigneur,  vous  saurez  mieux  trouver  tout  cela, 
que  je  ne  pourrois  vous  l'indiquer.  Pardon  de  ma 
liberté  :  je  suis  avec  un  très-profond  respect ,  etc. 

En  Sorbonne,  ce  9  septembre  lô^S. 

P.  S.  J'aurois  pu  apporter  encore,  outre  l'au- 
torité de  saint  Athanase  tirée  de  Facundus ,  celle 
d'Eustathe  d'Antioclie,  que  Facundus  cite  au  même 
livre  XI,  chapitre  i,  pour  prouver  qu'il  a  mis  aussi 
deux  personnes  en  Jésus-Christ  :  mais  comme  cela 
me  paroît  moins  formel ,  je  ne  l'ai  pas  marqué. 


LETTRE  XXXVIL 

pu  MÊME. 

Sur  la  doctrine  de  Gerspn,  touchant  les  décisions  des  évéques,  et 
sur  les  propositions  cjui  dévoient  être  censiirées  par  l'assemblée 
du  clergé  de  1700. 

Il  me  semble  qu'il  y  a  bien  du  temps  que  je  n'ai 
eu  de  vos  nouvelles  ;  pardonnez-moi  si  je  débute  si 
familièrement  :  la  bonté  dont  vous  voulez  bien  me 
faire  l'honneur  d'en  user  avec  moi ,  m'a  accoutumé 
à  vous  parler  avec  cette  liberté.  Depuis  le  jour  que 


LETTRES    DIVERSES.  (^79 

VOUS  me  marquâtes  que  «vous  me  donneriez  vos  or- 
dres (  je  crois  qu'il  y  a  plus  de  trois  semaines  ) ,  je 
n'en  ai  reçu  aucun  de  vous.  Vous  m'aviez  ordonné 
de  regarder  l'autorité  des  évêques  dans  Gerson ,  sur 
le  sujet  des  décisions  dans  la  censure  qu'ils  ont  droit 
de  faire  ,  dont  je  vous  avois  entretenu  autrefois  :  je 
m'engageai  à  revoir  ce  qu'il  en  avoit  dit  dans  son 
traité ,  de  Examinatione  Doctrinarum.  Je  le  fis  aussi, 
et  j'étois  tout  prêt  à  vous  en  rendre  compte  sur  le 
premier  ordre  :  apparemment  vous  aurez  vous-même 
voulu  examiner  la  chose.  Si  cela  n'étoit  pas,  j'y 
suppléerai  aisément  quand  il  vous  plaira  :  en  atten- 
dant vous  pourrez  à  loisir  voir  ce  que  dit  cet  auteur, 
particulièrement  dans  deux  endroits  où  il  traite 
cette  matière,  ex  professa .  Le  premier  est  dans  la 
première  partie  de  ses  ouvrages ,  dans  son  traité  de 
Examinatione  Doctrinarum ,  partie  première,  con- 
sidération III ,  où  il  marque  le  pouvoir  des  évêques 
de  faire  dans  leurs  diocèses  un  article  de  foi,  en 
usant  de  leur  droit  avec  les  précautions  convenables  : 
l'autre  est  dans  la  quatrième  partie  de  ses  Œuvres, 
page  223,  où  en  un  feuillet  il  établit  sa  doctrine  de 
Propos itionibus  ah  Episcopo  hœreticandis  ;  et  mar- 
que en  quelle  occasion  un  évêque  doit  user  du  pou- 
voir qu'il  a  de  déclarer  une  proposition  hérétique. 

Si  grand  qu'on  dit  que  soit  le  secret  que  les  pré- 
lats se  sont  promis  sur  la  liste  des  propositions  à 
condamner,  tout  le  monde  ne  laisse  pas  d'en  parler 
ici.  On  dit  qu'il  y  a  un  cahier  imprimé,  de  160  pag., 
et  qu'il  fut  donné  à  toute  l'assemblée  lundi  dernier. 
Je  croyois  que  vous  m'eussiez  dit  que  vous  me  don- 
neriez des  ordres  sur  cela  ;  cependant  je  n'en  ai  rien 


68o  LETTRES    DIVERSES. 

SU,  et  jusqu'à  présent  je  n'ai  point  vu  rimprimé,  et 
ne  sais  de  quoi  il  s'agit.  Vous  savez ,  Monseigneur , 
que  je  ne  me  mêJe  de  rien,  si  on  ne  m'y  fait  entrer; 
et  avec  un  autre  même  je  n'en  parlerois  pas  :  ce  n'est 
que  l'attachement  que  j'ai  à  votre  personne ,  et  que 
j'aurai  toujours  inviolablement,  qui  me  fit  vous  offrir 
tout  ce  qui  seroit  à  ma  portée.  Je  ne  doute  pas  que 
vous  ne  soyez  l'ame  de  tout  ce  qui  se  fait ,  et  que 
tout  ne  se  décide  uniquement  par  vos  conseils.  Vous 
savez  qu'en  quelque  temps  que  ce  soit ,  et  pour  quel- 
que affaire  qui  puisse  être  de  mon  ressort,  personne 
n'est  si  absolument  en  votre  main  que  moi.  Pardon 
de  toutes  mes  libertés  ;  je  n'en  suis  pas  avec  un  res- 
pect moins  profond,  etc. 

En  Sorbonne,  ce  21  juillet  1700. 


>•'%/«/«■ '»'«/W*v«/%>1b'«i^«'^V« 


LETTRE  XXXVIII. 

DU  P.  DE  LA  RUE,  JÉSUITE. 

Sur  la  conduite  de  M.  Téveque  d'AIais  à  l'égard  des  Réunis  de  son 
diocèse  ;  et  combien  il  seroit  nécessaire  que  tous  les  évêques 
prissent  sur  ce  sujet  une  résolution  uniforme. 

Ujv  commencement  de  siècle  si  heureux  doit  faire 
souhaiter  que  les  personnes,  qui,  comme  vous,  ont 
fait  l'honneur  du  siècle  passé,  le  soient  encore  long- 
temps de  celui-ci.  Vous  avez  part  à  ce  souhait,  Mon- 
seigneur, plus  qu aucun  prélat  du  monde;  et  c'est 
avec  ces  vœux  que  j'ose  vous  présenter  mes  respects 
au  commencement  de  cette  année. 

H  vous  a  plu,  Monseigneur,  de  me  demander, 


LETTRES    DIVERSES.  68  I 

lorsque  je  partis  de  Paris ,  il  y  a  un  ati,  un  compte 
fidèle  de  ce  que  je  remarquerois  en  ce  pays  sur  les 
affaires  de  la  religion.  J'eus  l'honneur  de  vous  man- 
der après  Pâque  ce  qui  se  passoit  à  Montauban  ;  je 
vais  vous  parler  des  Cévènes  et  du  diocèse  d'Alais, 
où  je  travaille  depuis  quatl-e  mois. 

L'ouvrage  y  est  plus  avancé  qu'ailleurs,  pour  deux 
raisons  :  l'une,  est  qu'on  ne  l'a  point  interrompu 
dans  le  temps  même  de  la  guerre  ;  et  l'autre ,  est  la 
conduite  particulière  que  monseigneur  l'évêque 
d'Alais  a  jugé  a  propos  d'y  observer. 

Cette  conduite  est  différente  des  autres,  en  ce  qu'il 
ne  s'est  pas  contenté  de  porter  ses  diocésains  au  seul 
devoir  de  la  messe  et  des  sermons  ;  mais  en  général  à 
tous  les  exercices  de  la  religion  catholique. 

Il  s'est  fondé  sur  ce  que  les  anciennes  lois  pénales, 
portées  par  les  empereurs  et  les  rois,  et  souvent  de- 
mandées par  l'Eglise  contre  les  hérétiques  de  toutes 
sectes,  n'ont  jamais  fait  cette  distinction  de  la  messe 
et  de  l'instruction ,  d'avec  les  sacremens  et  les  autres 
exercices. 

Il  s'appuie  encore  sur  ce  que  les  édits  du  Roi,  qui 
obligent  tous  ses  sujets  à  mourir  catholiques ,  sous 
peine  de  confiscation  de  leurs  biens,  les  engagent 
conséquemment  à  vivre  entièrement  catholiques. 

Sur  ces  principes,  il  ne  reconnoît  pour  catholi- 
ques, que  ceux  qui  en  accomplissent  tous  les  devoirs. 
Il  n'accorde  les  grâces  ,  les  attestations  pour  rece- 
voir les  pensions,  les  autres  marques  de  distinction, 
la  délivrance  des  enfans  qui  avoient  été  ôtés  aux 
pères  ef  auxparens,  qu'à  ceux  dont  non-seulement 
la  personne,  mais  la  maison  entière  jusqu'aux  do- 


682  LETTRES    DIVERSES. 

mestiques,  s'acquitte  entièrement  et  habituellement, 
au  moins  depuis  un  an ,  de  tous  les  exercices  catho- 
liques. 

D'un  autre  côte,  pour  prévenir  les  mauvais  effets 
de  l'hypocrisie  ,  il  défend  très  -  expressément  aux 
curés  et  aux  confesseurs,  de  recevoir  à  la  participa- 
tion des  sacremens  aucun  de  ceux  dont  la  foi  leur 
paroît  en  quelque  façon  suspecte  :  il  en  a  même 
exclus  certains  en  particulier,  dont  il  sait  la  mau- 
vaise foi  par  la  connoissance  qu'il  a  de  leur  conduite 
ou  de  leurs  discours. 

Ces  deux  pratiques  unies  ensemble ,  et  toujours 
observées  avec  la  même  vigilance  et  la  même  fermeté  ; 
l'une,  d'exhorter  à  tous  les  devoirs;  l'autre,  de  n'ad- 
mettre au  devoir  des  sacremens  que  ceux  qui  en  pa- 
roissent  vraiment  dignes,  ont  mis  l'ouvrage  delà  con- 
version au  point  où  on  le  voit  dans  les  Cévènes.  Il 
semble  en  effet  que  ce  soit  le  seul  moyen  de  préserver 
les  lois  du  prince  du  péril  et  de  l'inutilité,  et  de 
mettre  les  pasteurs  à  couvert  du  reproche  d'indiffé- 
rence et  de  néghgence  sur  ce  sujet.  Avec  ces  précau- 
tions on  ne  peut  imputer  l'hypocrisie  qu'à  celui  qui 
la  commet  ;  puisque  toutes  les  puissances  font  pré- 
cisément, pour  l'empêcher,  ce  qu'il  leur  convient  de 
faire. 

Que  n'est -il  possible.  Monseigneur,  que  l'on 
prenne  partout  là-dessus  une  résolution  uniforme, 
ou  selon  ces  mesures ,  ou  selon  d'autres  que  l'on  ju- 
gera meilleures,  et  qui  le  seront  en  effet,  pourvu 
qu'elles  soient  encore  plus  efficaces  :  car  toutes  celles 
qui  tendent  à  rendre  les  lois  inutiles ,  et  S:  laisser 
croupir  les  Réunis  dans  l'irréligion ,  ne  peuvent  être 


LETTRES    DIVERSES.  683 

conformes  au  zèle  et  à  la  piété  de  Sa  Majesté,  ni  à 
la  prudence  de  ses  ministres.  Il  arrive  cependant  que 
la  diversité  de  conduite  et  de  maximes  nuit  autant 
au  progrès  de  la  conversion,  que  le  pourroit  faire 
Tabandonnement  entier  de  cet  important  ouvrage. 
Nousl'éprouvons  ainsi  parl'endurcissement  des  jeunes 
gens ,  que  l'inexercice  de  la  religion  a  rendus  depuis 
quinze  ans  plus  intraitables  que  leurs  pères  :  ce  qui 
doit  faire  trembler  pour  l'avenir,  si  l'on  ne  convient 
promptement  du  vrai  moyen  de  les  engager  à  l'exer- 
cice. Au  nom  de  Dieu,  qui  vous  a  donné,  Monsei- 
gneur ,  la  force  de  commencer  cette  sainte  révolution , 
employez  toute  la  lumière,  l'ardeur  et  le  crédit  que 
vous  avez ,  pour  voir  de  vos  propres  yeux  la  fin  et  la 
perfection  de  votre  ouvrage.  On  ne  peut  s'imaginer 
parmi  les  nouveaux  convertis  que  le  Roi  la  veuille 
efficacement,  tandis  que  Ton  remarque  tant  de  di- 
versité ,  et  même  d'opposition ,  dans  le  procédé  de 
ceux  qui  font  exécuter  ses  ordres  dans  les  provinces. 
Pardonnez -moi,  Monseigneur,  cette  expression  de 
ma  franchise  et  de  ma  sincérité,  et  me  faites  l'honneur 
de  croire  que  je  suis  avec  une  profonde  vénération  et 
un  parfait  dévouement,  etc. 

C.  DE  LA  Rue,  J. 
A  Nimes,  ce  17  janvier  1701. 

Je  vais  prêcher  le  carême  à  Nîmes ,  et  retournerai 
ensuite  travailler  dans  les  Cévènes. 


684  LETTRES    DIVERSES. 


LETTRE  XXXIX. 

DE  M.  VUITASSE,  PROFESSEUR  DE  SORBONNE. 

Sur  ce  qu'on  l'a  accusé  injustement  de  penser  comme  M.  Cailly 
sur  la  Transsubstantiation. 

Etajvt  allé  après  dîné  chez  M.  Tabbé  Pirot,  il  m'a 
montre  une  lettre  que  votre  Grandeur  lui  a  fait  l'hon- 
neur de  lui  écrire,  dans  laquelle  elle  lui  marque  qu'on 
lui  a  mandé  que  je  suis  du  sentiment  de  M.  Cailly; 
ce  qu'elle  ne  peut  croire.  Je  ne  saurois,  Monseigneur, 
assez  remercier  votre  Grandeur  de  cet  avis  qu'elle 
m'a  fait  donner,  et  de  l'affection  qu'elle  me  témoigne 
en  cette  occasion.  Ce  sont  de  nouvelles  marques  de 
votre  bonté  qui  me  touchent  infiniment  :  mais  j'ose 
néanmoins  ajouter,  Monseigneur,  qu'en  ce  que  vous 
pensez  de  moi  sur  cet  article,  ce  n'est  pas  seulement 
une  grâce  que  votre  Grandeur  me  fait,  mais  encore 
une  justice  qu'elle  me  rend  ;  puisque  la  vérité  est  que 
je  suis  et  ai  toujours  été  très-éloigné  de  la  nouvelle 
explication  dont  il  s'agit. 

Je  n'ai  pas  lu,  Monseigneur,  le  livre  de  M.  Cailly  : 
mais  par  ce  que  j'en  ai  pu  appr/îndre  ,  il  me  semble 
que  ce  n'est  pas  tant  l'opinion  de  Durand  qu'il  suit , 
que  le  premier  sentiment  de  M.  Descartes,  que  rap- 
porte M.  Baillet  dans  la  vie  de  ce  philosophe  ;  ce  qui 
est  assez  différent. 

Durand,  imbu  des  idées  ordinaires  de  la  philoso- 
phie péripatéticienne,  mettoit,  selon  toutes  les  ap- 
parences, une  distinction  réelle  entre  la  matière  et 


LETTRES    DIVERSES.  <685 

la  forme  substantielle  du  pain,  et  disoit  que  dans 
FEuchai  istie  la  forme  étoit  détruite  et  changée  ;  mais 
que  la  matière  demeuroit  et  passoit  sous  la  forme  du 
corps  de  notre  seigneur  Jésus-Christ,  à  peu  près 
comme  la  matière  des  alimens  passe  sous  la  forme 
du  corps  de  Thomme  qui  s'en  nourrit. 

Descartes  au  contraire  prétendoit  que  rien  ne  se 
détruisoit  dans  le  pain ,  ni  matière  ni  forme  ;  mais 
que  le  pain,  sans  aucun  changement  physique,  réel 
et  effectif,  de  corps  inanimé  qu'il  étoit  auparavant, 
devenoit  le  corps  de  Jésus-Christ,  par  la  consécra- 
tion et  par  l'union  qu'il  plaisoit  alors  à  Dieu  de 
mettre  entre  Famé  de  Jésus-Christ  et  ce  quis'appeloit 
pain  auparavant. 

Bien  loin.  Monseigneur,  de  donner  dans  cessen- 
timens,  je  les  ai  réfutés  si  expressément  et  si  for- 
mellement ,  que  je  suis  étrangement  surpris  qu'on 
ait  pu  mêles  imputer.  J'ai  été  aussitôt  chercher  mes 
cahiers,  que  j'ai  montrés  à  M.  l'abbé  Pirot,  et  qui, 
je  crois ,  en  a  été  satisfait. 

C'est,  Monseigneur,  dans  l'article  m  de  la  ii^  ques- 
tion de  mon  traité  de  l'Eucharistie,  que  j'examine 
la  manière  dont  se  fait  la  transsubstantiation  :  De 
modo  quo  fit  transsiihstantiatio.  Là,  après  avoir 
marqué  les  différentes  opinions  des  philosophes  sur 
la  composition  des  corps  et  la  distinction  des  acci- 
dens,  je  dis  que  le  sentiment  de  presque  tous  les 
théologiens  est  que  non-seulement  toute  la  substance 
du  pain  est  changée  en  la  substance  du  corps  de 
Jésus-Christ,  mais  que  la  quantité  même  demeure 
comme  le  sujet  de  tous  les  autres  accidens  qui  pa- 
roissent  :  sentiment  dont  j'avertis  qu'il  ne  seroit  pas 


686  LETTRES    DIVERSES. 

trop  sur  de  s'écarter  :  Neque  forte  tutum  fuerit  aliam 
opinionein  aniplecti  aut  defendere. 

Je  ne  laisse  pas  cependant^  Monseigneur,  d'ex- 
poser ensuite  d'une  manière  historique  les  autres 
façons  d'expliquer  ce  mystère;  et  voici  comment 
j'en  parle  :  Quocirca  quorumdani ,  qui  audaciores 
ah  eo  discedere  non  dubitaruntj  varia  placita,  his- 
toriée tanlunt  et  eruditionis  causa  ,   memorabimus . 

Je  commence  par  celle  de  Durand  ;  et  après  avoir 
rapporté  en  quoi  elle  consiste,  et  quels  sont  ses  fon- 
demens ,  j'ajoute  :  Videant  autem  quihus  illa  opinio 
non  displicet ,  quâ  via  eam  concilient  cum  iîlo  Con- 
cilii  Tridentini  canone  ^  quo  sancitur  fieri  totius 
substanliœ  panis  in  corpus  Christi  conversionem. 
Etsi  enim  mutationes  universœ ,  quœ  passim  con- 
tinguntj  dicantur  à  philosophis  Peripateticis  con- 
i^ersiones  totius  in  totum ,  et  forte  cogitari  posset 
Sjnodi  fulmen  in  eos  solummodo  cadere ,  qui 
partent  tantiim  liostiœ  aliquando  consecrari  existi- 
marunt  ^  expendant  an  non  saltem  perstringantur 
eo  quod  additur.  Statim  enim  Sjnodus  declarans 
quidnam  h  pane  post  consecrationem  super sit,  sub- 
jicit  manere  duntaxat  species  panis  et  vini. 

De  là  je  passe,  Monseigneur,  à  l'explication  de 
M.  Descartes,  que  j'ai  vue  développée  avec  plus  d'é- 
tendue dans  un  manuscrit  attribué  à  un  K.  P.  Béné- 
dictin, nommé  des  Gabets  {^).   J'observe  d'abord 

(*)  Dom  Robert  des  Gabets ,  religieux  Bénédictin  de  la  congré- 
gation de  Saint- Vannes ,  très-distingué  dans  son  corps  par  son  éru- 
dition, son  application  à  l'élude,  et  son  zèle  pour  en  inspirer  l'a- 
mour à  ses  confrères.  Son  trop  grand  dévouement  aux  principes  de 
la  philosophie  de  Descaries,  l'engagea  dans  des  opinions  nouvelles 


LETTRES    DIVERSES.  687 

qu  elle  est  dure ,  et  que  ceux  qui  s'y  attachent  font 
tout  ce  qu'ils  peuvent  pour  l'adoucir  :  Cujus  pro- 
nuntiati  acerbitatem  ut  emolUant.  Je  l'expose  en- 
suite 5   après  quoi  je  la  réfute  en  ces  termes  : 

At  miilla  opponi  possunt ,  eaque  clarissima  ,  ex 
decretis  Ecclesiœ ,  ipsisque  adeo  Scripturis  petita. 

Primum  ,  quod  in  Eucharistia  non  tanlîirn  debeat 
esse  corpus  ChristijSedetiam  caro  etsanguis  Christi: 
panis  autem  posset  forte  dici  corpus  Christi  ,  at  non 
ver  a  ipsius  caro ,  etc, 

Secundum  ,  quod  corpus  Christi  eucharisticum  sit 
illud  idem,  quod  pro  nobis  traditum  est  et  cruci- 
Jîxum  :  id  autem  de  pane  dici  non  potest. 

Tertium ,  quod  oporteat  idem  esse  corpus  j,  quod 
ex  Maria  Vir^ine  nalum  est  :  at  neque  id  de  pane 
dici  unquam  potest. 

Quartum,  quod  ibi  admittendum  sit  corpus  Christi 
omnibus  organis  instructum  ad  functiones  animœ 
necessariis  j  qualc  in  hominibus  est  :  atin  pane  ,  etc. 
Quintum ,  quod  fiât  transsubstantiatio ,  id  est 
conversio  totius  substaniiœ  panis  et  vini.  Ergo  non 
manet  eadem  materia  eademque  forma ,  quaa 
ante,  etc. 

Sextum  ,  quod  si  maneant  tantum  species  panis , 
ut  définit  Synodus ,  ergo  panis  destruitur. 

Septimum ,  quod  corpus  Christi  ibi  non  di^idatur, 

et  dangereuses  sur  la  manière  dont  Jésus-Christ  est  dans  FEucha- 
ristie.  On  en  fut  justement  alarmé,  et  on  l'obligea  de  s'expliquer; 
ce  qu'il  fit,  par  une  déclaration  qui  marquoit  sa  soumission  à  la 
doctrine  de  l'Eglise.  Nicole,  en  deux  de  ses  lettres,  la  Lxxxiii"  et 
la  txxxiv",  a  très-solidement  réfuté  le  sentiment  de  dom  des  Gabets, 
et  très-bien  montré  la  vanité  de  toutes  ces  opinions,  quune  cu- 
riosité trop  inquiète  ne  «esse  d'enfanter. 


688  LETTRES    DIVERSES. 

dum  species  frangunlur  :  divideretur  autein  si  çst 
partis. 

Octa^fum ,  quod  suh  specie  panis  corpus  Christi 
ianthm  sit  vi  verborum ,  sans;uis  autein  vi  conco- 
mitaniiœ  et  connexionis  naturalis,  t^ud partes  Christi 
Domini  j  qui  jam  à  mortuis  resurrexit  non  amplius 
moriturus  j   inter  se  copulantur  :  at ,   etc. 

Enfin  voici,  Monseigneur,  comme  je  conclus: 
Kerum  ista  sufjiciant  de  illd  quorumdam  recentio- 
mm  opinione ,  quœ  à  Catholicis  et  cathoLico  sane 
animo  profecta ,  nimiiim  meo  quidem  judicio  de- 
torta  estj  nec  salis  cum  fidei  nostrœ  placitis  cohœ- 
rere  videlur.  Lubrica  certe  est,  eoque  solo  nomine 
à  Theologis  non  facile  admitlcnda  :  de  quâ  ne 
verbum  quidem  fecissemus  ,  nisijam  édita  in  lucem  , 
nos  ,  ut  eam  silentio  non  transiremus  ,  admonuisset. 

Il  me  semble,  Monseigneur,  que  j'en  dis  là  autant 
que  je  devois  par  rapport  à  mon  dessein  :  car  quoi- 
que je  ne  fasse  qu'indiquer  les  dogmes  auxquels  il 
paroît  que  cette  explication  donne  atteinte,  c'en  est 
assez  pour  en  donner  un  extrême  éloignement.  Je 
parle  avec  la  modestie  qui  convient  à  un  tlie'ologien, 
et  à  moi  plus  qu'à  tout  autre ,  en  me  servant  du  mot 
videtur.  C'est  aux  évêques  à  décider  ce  qui  en  est 
et  ce  qu'on  en  doit  croire,  et  particulièrement  à 
vous,  Monseigneur,  que  nous  considérons  comme 
une  des  brillantes  lumières  de  l'Eglise.  J'insinue  assez 
ouvertement  que  ce  système  tend  par  lui-même  à 
détruire  ce  que  la  tradition  et  le  concile  enseignent 
touchant  la  transsubstantiation  :  mais  j'attendois  que 
l'Eglise  prononçât  (*).  J'adhère  à  ce  que  votre  Crân- 
es) 11  paroît  que  Vuiiasse  a  voulu  éviter  de  donner  dans  la  suite 

deur 


lette.es  diverses.  689 

deur  en  a  jugé,  et  prends  la  liberté  de  la  remercier 
encore  une  fois  de  ses  bontés  à  mon  égard.  Dès  que 
je  saurai  qu'elle  sera  à  Paris,  je  ne  manquerai  pas 
d'aller  me  présenter  à  sa  porte,  pour  le  faire  de  vive 
voix.  Dans  l'espérance  d'avoir  cet  honneur,  je  suis 
et  serai  toute  ma  vie  avec  le  profond  respect  que  je 
dois,  etc.  Vttt^   . 

'  VUITASSE, 

En  Sorbonne,  ce  6  avril  1701. 


k-W^"»/»/» 


LETTRE  XL. 

DE  M.  CAPPERONNIER ,  LICENCIÉ  EN  THÉOLOGIE. 

Sur  le  danger  des  écrits  de  Richard  Simon,  et  sur  la  signification 
de  quelques  expressions  grecques  du  nouveau  Testament. 

J'ai  appris  avec  joie  que  votre  dessein  étoit  d'écrire 
non-seulement  contre  la  traduction  du  nouveau  Tes- 
tament, imprimée  à  Trévoux  ;  mais  encore  contre  les 
autres  livres  de  M.  Simon ,  c'est-à-dire ,  contre  la 
critique  qu'il  a  faite  des  livres  sacrés  :  car  cette  cri- 
tique est  une  pierre  de  scandale  pour  les  théolo- 
giens, et  elle  peut  être  cause  que  les  libertins  blasphè- 
ment contre  la  majesté  des  saints  livres.  Sous  la  belle 
apparence  d'érudition  grecque  et  hébraïque  ,  elle 
cache  un  secret  poison,  qu'on  peut  avaler  d'autant 
plus  aisément  qu'on  s'en  aperçoit  moins  d'abord.  On 
peut  dire  en  ce  sens,  que  la  traduction  du  nouveau 

occasion  aux  reproches  qui  lui  avoient  été  faits  ;  car  on  ne  retrouve 
point  dans  son  Traité  de  l'Eucharistie,  imprimé  en  1720,  les  diHé- 
rens  morceaux  qu  il  rapporte  ici  de  ses  cahiers  :  nçiais  il  se  contente 
de  rejeter  en  deux  mots  les  opinions  qu'il  expose  dans  cette  lettre. 
BOSSUET.     XLÏI.  44 


690  LETTRES    DIVERSES. 

Testament  n'est  pas  le  plus  méchant  livre  que  M.  Si- 
mon ait  fait  :  sa  Critique  sur  l'ancien  et  le  nouveau 
Testament  est  beaucoup  plus  dangereuse.  Il  falloit 
aller  à  la  source  du  mal,  comme  je  vois  que  vous 
en  avez  le  dessein. 

Je  ne  doute  pas,  Monseigneur,  qu'en  écrivant 
contre  M.  Simon,  vous  n'observiez  une  règle  qu'il 
a  donnée  lui-même  à  ceux  qui  veulent  écrire  contre 
les  Sociniens  et  autres  errans.  C'est,  dit  M.  Simon, 
qu'il  ne  faut  rien  proposer  de  foible  contre  eux  ;  car 
cela  ne  serviroit  qu'à  les  entretenir  dans  leurs  er- 
reurs. 

Comme  M.  Simon  veut  triompher  en  fait  de  grec 
et  d'hébreu  ;  comme  c'est  par  cet  endroit  qu'il  jette 
de  la  poudre  aux  yeux  des  lecteurs  ignorans,  et  qu'il 
attire  plusieurs  personnes  dans  son  parti,  il  faut 
apporter  une  grande  exactitude  h  examiner  toutes 
les  difficultés  qui  dépendent  du  grec  et  de  l'hébreu  : 
car  si  on  lui  donne  la  moindre  prise  de  ce  côté-là,  il 
ne  manquera  pas  de  s'en  prévaloir  auprès  des  igno- 
rans et  des  foibles,  qui  croiront  qu'en  attaquant 
M.  Simon  on  en  veut  à  l'érudition  grecque  et  hé- 
braïque. 

Encore  un  coup,  Monseigneur,  je  suis  persuadé 
que  vous  observerez  qette  règle  en  écrivant  contre 
M.  Simon ,  et  surtout  contre  sa  téméraire  critique 
des  livres  sacrés.  Cependant  l'importance  qu'il  y  a 
d'observer  cette  règle  m'oblige  de  représenter  à  votre 
Grandeur,  avec  tout  le  respect  que  je  lui  dois,  que 
dans  le  premier  écrit  qui  vient  de  paroître  de  votre 
part,  cette  importante  règle  n'a  point  été  observée 
partout.  Je  n'ai  à  la  vérité  qu'un  seul  endroit  à 


I 


LETTRES    DIVERSES.  69I 

produire,  où  elle  n  a  point  été  observée  ;  mais  cet  en- 
droit me  paroît  d'une  assez  grande  conséquence  pour 
être  représenté  à  votre  Grandeur,  avec  tout  le  respect 
qu'un  diacre  et  licencié  de  Sorbonne  doit  à  un  grand 
docteur,  et  à  un  grand  évêque  de  notre  France. 

Vous  dites.  Monseigneur,  dans  la  page  n5  de 
votre  première  Instruction  sur  le  noui^eau  Testament 
imprimé  à  Trévoux  ,  que 

revscr^at  ne  signifie  naître  ou  être  né  dans  aucun 
endroit   de  l'Evangile.   C'est   partout  uniquement 

ysvvâff^-ai;  il  faut   corriger  ainsi,  7evvàff.9^ae. 

Cependant  j'ai  trouvé  dans  le  nouveau  Testament 
plusieurs  endroits  où  le  verbe  72v£(7.^at  signifie  naître  : 
les  voici. 

Notre  Seigneur  dit  au  figuier,  qu'il  avoit  trouvé 
sans  fruit,  les  paroles  que  Fauteur  delà  Vulgate  tra- 
duit ainsi  (0  :  Nunquam  ex  te  fructus  nascatur  in 
sempiternum  ,  yiv/îTai. 

Rom.  I,  3.  De  Jîlio  suo  qui  natus  («)  est ,  tow 
ysvo^svou,  ex  semine  David  secundiim  carnem. 

Galat.  IV,  4-  Misit  Deus  Filium  suum  natum  (*)  ex 
muliere  j  ysvô/xsvov  èz  ytivcct/.ôç, 

I,  Petr.  III ,  6.  Sara  cujus  natœ  estis  filiœ  ,  li 
èysvh^nrs  TîV.va. 

Voilà,  Monseigneur,  quatre  passages  où  le  verbe 
yevéa^^ai  semble  signifier  naître  ,  sans  que  j'aie  trouvé 
aucune  variété  dans  les  éditions  du  nouveau  Testa*» 
ment  que  j'ai  consultées. 

(0  Malt.  XXI.  19. 

(<»}  Bossuet,  dans  les  remarques  qu'il  a  faites  sur  cette  lettre,  ob- 
serve que  la  Vulgate  traduit, /<acf «5.  —  (^)  Bossuet  observe  que  la 
Yulgate  traduit,  y^cf «m. 


692  LETTRES    DIVERSES. 

En  voici  quatre  autres  où  le  verbe  yîvso-^ae  signifie 
aussi  naître  :  mais  ils  ne  me  paroissent  pas  si  dé- 
cisifs ;  parce  qu'on  ne  les  lit  pas  de  la  même  manière 
dans  toutes  les  éditions. 

Notre  Seigneur  dit  de  Judas  (0  :  Bonum  erat 
ci  si  natus  non  esset,  à  où/,  èyevhâr,,  homo  ille.  Dans 
quelques   éditions,    on   lit   syewh^ri  (a),   du   verbe 

Il  est  dit  de  Jacob  et  Esaii  i"^)  :  Cîim  nondum  nali 
esseni,  y-^t^^  ycx.p  yevvj^évTwv.  Dans  quelques   éditions 

on  lit,  ysvvyjôsvTwv   (*). 

Il  est  ditdesenfans  d'Abraham  (3)  :  Ex  uno  nati  ip) 
sunt,  àtfi^ ivoç  sysvriQYi(rxv.  Dans  d'autres  éditions,  il  y  a, 

Il  est  dit  des  débauchés  (4)  :  Isti  verb  tanquamirra- 
tionalia  animalia ,  quœ  solâ  naturâ  duce  ducuntur^, 
nata  ad,  etc.  7£y£v»j//sva.  Dans  d'autres  éditions,  on 

lit  yeysvvyjptg'va  (e),  du  Verbe  7evvà(T0a«. 

Comme  il  ne  s'agit  que  du  nouveau  Testament, 
il  n'est  pas  nécessaire  de  remarquer  que  dans  les 
auteurs  profanes,  yîy-JtoBa.t  ou  yivsffBcctj  aussi  bien  que 
ystvsff^at,  signifient  souvent  naître.  Par  exemple, 
dans  Homère  (^)  :  La  maison  où  je  suis  né,  o^itt^wtov 

yevô/xyjv. 

(0  Matt.  XXVI.  24.  —  W  Hom.  ix.  1 1.  —  (3)  Hebr.  xi.  12.  —  (4)  //. 
Petr.  II.  12.  —  C^)  Homer.  Odjrss. 

(°)  Bossuet  observe  que  dans  rédition  de  Mons ,  à  trois  colonnes, 
on  lit,  eysvvviôii.  —  C'')  Bossuet  observe  que  dans  l'édition  à  trois  co- 
lonnes, on  lit,  ysv'ifiùévTuv.  — ('')  Bossuet  observe  que  la  Vulgate  tra- 
duit ,  orti.  —  (<^}  Bossuet  observe  que  dans  Fédition  à  trois  colonnes, 
on  lit,  syew^&iia-xv.  —  W  Bossuet  observe  qu'on  lit  ainsi  dans  rédi- 
tion à  trois  colonnes. 


LETTRES    DIVERSES.  €g3 

Dans  Isocrate ,  «  Ne  pas  laisser  d'autres  héritiers 
»  que  ceux  à  qui  nous  avons  donné  naissance  » , 

TT^yjv  roiiç  è^  ri^SiV  ygyovoraç  ('). 

Platon  dit  aussi  :  Non  nohis  solum  nati  sumus , 
comme  traduit  Cicéron  ,  où;^  aùrù  fjtovw  yg'yovev  (2). 

Et  encore  dans  le  Timée,  ytyvôpsvov  xaè  àîroXXwfAsvov , 
Quod  gignitur  et  interit ,  comme  traduit  encore 
Cicéron. 

On  trouve  dans  Démosthène,  veysvïîff^at  xa^w;,  /20- 
nesto  loco  esse  natum  i}). 

Aristote  dit  :  E  quihus  nascitur,  èÇwv  y^yverae,  ab 
lis  augetur  (4). 

On  lit  dans  Plutarque  ces  mots  :  «  Croyez-vous 
»  qu'il  y  ait  de  la  différence  entre  n'être  point  né, 
3)  et  mourir  après  être  né  »  ?  yj  [^h  ysvé<TOa.i,  y)  ysvôiievov 

«Troyevsc^ae  (5). 

Cela  nous  montre  quelle  précaution  il  faut  ap- 
porter, pour  bien  juger  de  la  signification  des  mots 
grecs,  surtout  dans  le  nouveau  Testament.  Il  n'y  a 
pas  long-temps  que  l'homme  de  Paris  qui  sache  mieux 
le  grec,  prétendoit  avoir  trouvé  une  nouvelle  preuve 
de  la  divinité  de  Jésus -Christ  dans  ces  paroles  du 
démon  :  bpzîÇw  as  rèv  0£Ôv  (6)j  qu'il  traduisoit  :  adjura 
te  Deum  ^  te  qui  Deus  es, 

J'étois  d'abord  ravi  de  cette  découverte  ;  afin  de 
joindre  ce  passage  à  plusieurs  autres  du  nouveau 
Testament,  où  Jésus -Christ  est  appelé  Dieu.  Mais 
après  l'avoir  examiné  de  plus  près ,  je  trouvai  qu'il 

(0  Isocrates  ad  Philipp,  —  («)  Plato,  ep.  ix.  —  (3)  yirist.  Ethic.  II. 
—  (4)  Demosth.  Epilaph.  —  \^)  Plutarq.  Consolât,  ad  Jpoll.  — 
C^)  Marc.  V.  7. 


6c)4  LETTRES    DIVERSES. 

falioit  bien  se  donner  de  garde  de  s'en  servir  ;  de 
crainte,  comme  dit  quelque  part  saint  Thomas,  que 
les  liére'tiques  ne  s'imaginent  que  nous  fondions 
notre  foi  sur  de  foibles  principes.  Voici  les  raisons 
que  favois  d'entrer  dans  ce  sentiment. 

Premièrement ,  Fauteur  de  la  Vulgate  a  traduit  : 
Adjuro  te  per  Deum, 

Secondement,  il  y  a  d'autres  endroits  où  o^vl^u-» 
•ii^ci.  signifie  conjurer  de  la  part,  ou  bien  au  nom  de 
quelqu'un.  En  voici  des  exemples. 

O/îxtÇopev  u/xàç  tov  lyjdoûv  :  id  est  j  Adjuramus  vos 
per  Jesum,  comme  on  lit  dans  la  Vulgate  (»^ 

Ô/sxt'Çw  v/xàç  TOV  Kû/)«ov  :  id  est ,  Adjuro  vos  per  Do- 
minum  ,  comme  on  lit  dans  la  Vulgate  (»). 

M.  Simon  lui-même,  qui  se  pique  tant  de  gré- 
cisme ,  a  très-mal  traduit  ces  paroles  d'Euthyme  sur 

saint  Jean  :  ô    Trar/îp  èy(yô)cyj<7ev  ha.  vrâvTwv  b  yjCta;  èÇov(Tiâ(7)i 

§ik  T«ç  Tréç-swç.  Voici  la  traduction  de  M.  Simon  (3)  : 
«  Il  a  plu  au  Père  que  le  Fils  donnât  le  pouvoir  à  tous 
»  parla  foi».  Voilà  une  insigne  falsification.  E^oufftaÇgtv 
ne  signifie  pas  donner  le  pouvoir;  mais  dominer, 
avoir  pouvoir,  exercer  son  pouvoir.  Euthyme  veut 
dire  que  l'intention  du  Père  céleste  a  été'  que  le  Fils 
dominât  sur  tous  les  hommes  par  la  foi.  Et  en  effet , 
disoit  Jésus-Christ  lui-même  :  Data  est  mihi  omnis 
potestas  (4)  :  Dcdisti  ei  potestatem  omnis  carnis  (5). 
Cela  suffit  pour  que  nous  nous  défiions  de  M.  Simon, 
même  pour  ce  qui  regarde  le  grec.  Je  crois  avoir 

(0  Act.  XIX,  1 3.  —  (»)  /  Thessal.  v.  27.  —  (3)  ffist.  critiq.  des  Corn- 
mentat.  du  nouv.  Testant,  chap,  xxiZf  pag.  421.  —>  (4)  Matt.  xxviii. 
ifi.  —  {S)  Joan.  XVII.  i. 


I 


LETTRES    DIVERSES.  6gS 

encore  quelques  passages  grecs  qu'il  a  mal  traduits 
dans  ses  critiques.  Je  suis,  Monseigneur,  avec  un 
très-profond  respect,  etc. 

C.  Capperonnier  ,  diacre ,  licencié  en  the'ologie. 
A  Paris,  1702. 


«.^>^'%/*>«>«^>«/IW«— >«/V^'«^'«^>'»^^ 


LETTRE   XLI. 

DU  MÊME. 

Il  lui  communique  plusieurs  textes  de  Platon ,  qui  montrent  que  ce 
philosophe  a  donné  au  mot  substance  une  signification  fort 
étendue. 

La  manière  douce  et  honnête  dont  votre  Grandeur 
me  reçut,  la  première  fois  que  j'eus  l'honneur  de  lui 
faire  la  révérence ,  me  fait  prendre  la  liberté  de  vous 
communiquer  quelques  remarques  que  j'ai  faites  sur 
Platon.  Elles  me  paroissent  importantes  pour  défen- 
dre le  dogme  catholique  de  la  transsubstantiation; 
parce  qu'elles  font  voir  que  ce  divin  philosophe  a 
donné  le  nom  de  oùala.  à  tout  ce  qui  est  réel,  soit  sub- 
stance soit  accident,  soit  être  physique  soit  être 
moral.  Votre  Grandeur  en  jugera  elle-même. 

Premier  passage  de  Platon ,  dans  le  Cratyle  ^  p^g^  4"^^ 
de  V édition  de  Serranus, 

SocRÀTE.  «  Ne  vous  semble-t-il  pas  que  la  couleur, 
j)  par  exemple,  et  les  autres  choses  dont  nous  parlions 
5)  présentement,  ont  leur  substance?  où /.«i  ovGla$ov.ït 
»  ffot  elvat  i/.â^w.  Quoi ,  la  couleur  et  la  voix  n'ont-elles 
»  pas  une  certaine  substance,  aussi  bien  que  toutes 
»  les  autres   choses  auxquelles  on  donne  le  nom 

»  d'êtres?  oOx  Ïçim  qùgLt.  tlç  é/taTs'pw  avrcûv  ». 


696  LETTRES    DIVERSES. 

Hermogène.  «  Pour  moi  je  crois  que  cela  est 
»  vrai  ». 

SocRATE.  «  Hé  bien ,  si  quelqu'un  vouloit  repré- 
»  senter  la  substance  de  chaque  chose  par  des  lettres 
»  et  par  des  syllabes ,  ne  vous  marqueroit-il  pas  par- 
»  là  ce  que  chaque  chose  est  ou  n'est  pas  »  ? 

Second  passage  de  Platon,  dans  le  Charmidej  page  168, 
parlant  de  la  voix,  de  la  couleur,  etc. 

Il  dit  :  «  Ce  qui  est  capable  d'agir  sur  soi-même 
»  ne  doit  il  pas  avoir  la  chose  sur  quoi  son  pouvoir 

»  s'étend?  où   xaî  èxetvïjv  Ifsi  rrjv   oùo-tav  Ttfoq  ^v   h  iùva^tç 

»  aÙToû  >3v.  ».  «  Par  exemple,  si  on  s'entend  soi-même, 
»  on  doit  avoir  du  son;  si  on  se  voit,  on  doit  avoir 
»  de  la  couleur  en  soi-même  ».  Voilà  donc  le  son  et 
la  couleur  qualifiés  du  nom  d'oùaia. 

Troisième  passage  de  Platon ,  dans  le  The'éte'le ,  page  1 55. 

Il  dit  :  «  Ils  ne  mettent  pas  au  rang  des  êtres  réels 
»  les  actions,  les  productions,  et  toutes  les  autres 

»  choses  invisibles  :  où/  à.7toâ;)(^ôiisvot  wç  sv  oùfji'aç  iiépei  ». 

Platon  donne  ici  le  nom  d'oùaîa  aux  actions  et  aux 
autres  êtres  moraux  qui  sont  comme  des  accidens. 

Quatrième  passage  de  Platon  j  dans  le  The'e'te'te,  page  i36 
de  V édition  de  Marsile  Ficin. 

«  Notre  ame  se  mouvant  elle-même,  et  comparant 
»  ces  choses  entre  elles,  nous  fait  juger  de  la  sub- 
»  stance  de  ces  deux  êtres  et  de  leur  contrariété  ;  elle 
»  nous  fait  même  juger  de  la  substance  de  cette  con- 
»  trariété,  -t^tt  tïîv  ohnix^  «ut^ç  èyavT«oT>3Toç  ».  On  voit 
que  Platon  donne  le  nom  de  substance  oùffîa  à  la  con- 


LETTRES    DIVERSES.  6g'j 

trariété  des  êtres.  Or  cette  contrariété  n'est  qu'une 
simple  qualité,  et  un  pur  accident. 

Que  les  Calvinistes  viennent  après  cela  nous  ob- 
jecter certains  passages  des  Pères,  où  ces  saints  doc- 
teurs donnent  le  nom  d'oùdta ,  de  substance,  aux 
symboles  eucharistiques  après  la  consécration.  Ne 
sommes-nous  pas  en  droit  de  leur  répondre  que  les 
Pères,  après  le  divin  philosophe,  ont  pu  appeler 
oùdt'av  de  simples  accidens  et  qualités  corporelles , 
comme  sont  la  couleur,  la  figure  et  le  son,  qui  sont 
les  exemples  mêmes  dont  Platon  se  sert  dans  les  pas- 
sages que  nous  venons  de  citer. 

C'est  à  vous,  Monseigneur,  comme  au  premier 
théologien  du  clergé  de  France,  que  j'ai  voulu  com- 
muniquer ces  remarques.  Si  vous  les  approuvez,  je 
croirai  avoir  fait  une  bonne  découverte.  Je  me  re- 
commande toujours  à  l'honneur  de  votre  protection. 
Si  j'osois,  je  vous  la  demanderois  présentement  au 
sujet  d'une  chaire  de  philosophie,  qui  vaque  actuel- 
lement au  collège  royal  par  la  démission  de  M.  Dupin. 
Il  me  semble  que  ces  chaires  sont  fondées  pour  ensei- 
gner la  philosophie  grecque  et  latine.  Si  par  votre 
protection  et  par  votre  crédit  je  pouvois  obtenir  celle 
qui  vaque ,  je  tâcherois  d'y  faire  des  leçons  de  phi- 
losophie grecque,  et  surtout  de  la  platonicienne, 
que  votre  Grandeur  sait  avoir  été  fort  estimée  des 
Pères  grecs  et  latins.  Je  suis  avec  un  très-profond 
respect,  etc. 

1703. 


698  LETTRES    DIVERSES. 


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LETTRE  XLIL 

DE  M.  UÉVÉQUE  D'ARRAS  (*). 

II  lui  demande  ses  bons  offices,  pour  rétablir  la  paix  et  le  bon 
ordre  dans  TUniversité  de  Douai. 

J'apprends,  Monseigneur,  avec  bien  du  plaisir, 
que  Sa  Majesté  vous  a  nommé  pour  commissaire ,  au 
sujet  de  la  plainte  qui  lui  a  été  portée  de  l'état  dé- 
plorable oîi  se  trouve  à  présent  l'Université  de  Douai, 
et  particulièrement  la  Faculté  de  théologie ,  qui  est 
réduite ,  si  j'ose  me  servir  de  ce  terme ,  à  rien ,  et 
que  j'ai  vue  autrefois  si  florissante.  J'y  dois  prendre 
un  intérêt  particulier  comme  évêque  diocésain  ;  et  il 
y  a  long-temps  que  je  gémis  sur  les  mauvais  choix 
que  l'on  a  faits  pour  y  remplir  les  chaires  de  théolo- 
gie, quand  elles  ont  vaqué,  et  sur  les  mauvais  su- 
jets que  l'on  a  proposés  pour  cela  au  Roi.  Comme 
il  est  à  propos,  Monseigneur,  que  vous  soyez  ins- 
truit de  l'état  des  choses ,  j'ai  cru  que  vous  ne  pou- 
viez mieux  l'être  que  par  le  recteur  même  de  cette 
Université,  homme  droit,  de  beaucoup  de  mérite, 
et  à  qui  vous  pouvez  prendre  confiance,  qui  s'est 
chargé  de  vous  envoyer  un  mémoire  sur  ce  sujet. 
C'est  un  grand  bien  que  vous  ferez,  si  vous  voulez 
bien  honorer  cette  Université  de  votre  protection 
dans  cette  occasion  si  considérable,  pour  la  remettre 

(*)  Guy  de  Sève  de  Rochechouart,  un  des  cinq  évêques  qui  écri- 
virent à  Innocent  XII,  pour  demander  la  condamnation  du  livre 
du  cardinal  Sfondrate,  sur  la  Prédestination. 


LJITTRES    DIVERSES.  699 

dans  son  premier  lustre.  Je  vous  la  demande  pour 

elle;  et  pour  moi,  la  grâce  d'être  bien  persuadé 

du   respect  sincère  avec  lequel,  Monseigneur,  je 

suis,  etc. 

GuY_,  e'véque  d'Arras. 

A  Douai,  ce  25  juillet  1702. 


LETTRE  XLÎII. 

DE  M.   MONNIER  DE  RICHARDIN, 

RECTEUR    DE    l'uNIVERSITÉ   DE   DOUAI. 

Il  se  félicite  de  ce  que  le  prélat  a  été  nommé  par  Sa  Majesté  com- 
missaire, pour  travailler  à  rendre  à  cette  Université  sa  première 
splendeur. 

Nous  avons  appris  avec  une  joie  extrême  qu'il  a 
plu  au  Roi  de  nommer  des  commissaires,  pour  tra- 
vailler au  rétablissement  de  l'Université  de  Douai , 
et  que  Sa  Majesté  a  jeté  les  yeux  sur  votre  Gran- 
deur. Cet  ouvrage  est  digne  de  vous ,  Monseigneur. 
Vous  savez  quelle  a  été  autrefois  la  réputation  de 
notre  compagnie,  tant  par  rapport  à  la  profonde 
doctrine  qu'à  la  solide  piété  ;  et  toutes  choses  se 
trouvent  maintenant  disposées  à  rendre  à  ce  corps 
célèbre  son  ancienne  splendeur.  Je  prends  la  liberté 
de  joindre  ici  un  mémoire  succinct  de  l'état  auquel 
rUniversité  est  réduite,  et  d'autres  pièces  qui  y  ont 
rapport.  Je  suis  avec  un  profond  respect,  etc. 

MoNNiER  DE  RicnARDiN ,  rcct.  dc  TUniv.  de  Douai. 

ADoaai,  ce  38  juillet  1702. 


700  LETTRES    DIVERSES. 


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MÉMOIRE 

POUR  UUNIVERSIÏË  DE  DOUII. 

Il  n'y  a  pas  plus  de  quinze  ans  que  les  abus  et  les 
désordres,  qui  se  trouvent  à  présent  dans  l'Université  de 
Douai,  s*y  sont  introduits.  Avant  ce  temps  elle  florissoit 
encore,  et  elle  s'est  vue  depuis  tomber  peu  à  peu  dans 
le  triste  état  où  elle  est  aujourd'hui.  Ne  pouvant  se  rele- 
ver par  elle-même,  elle  a  eu  recours  aux  bontés  du  Roi, 
persuadée  que  sous  un  règne  aussi  juste  et  aussi  glorieux 
que  le  sien,  on  ne  verroit  pas  périr  des  études  si  fa- 
meuses et  si  utiles  à  l'Eglise  que  celles  de  Douai.  Le  prin- 
cipal secours  qu'elle  attend  des  commissaires  qu'il  a  plu 
au  Roi  de  nommer,  n'est  pas  de  juger  des  contestations 
entre  des  particuliers.  L'Université  n'a  point  d'autre  par- 
tie qu'elle-même  :  il  s'agit  de  bien  connoître  ses  besoins 
et  ses  maux ,  et  d'y  apporter  les  remèdes  nécessaires. 

En  attendant  que  nosseigneurs  les  commissaires  puissent 
être  informés  en  détail  de  tous  les  désordres  auxquels  il 
faut  remédier,  il  a  paru  nécessaire  de  leur  en  donner  une 
idée  générale,  mais  suffisante  pour  qu'ils  puissent  con- 
noître la  nécessité  d'en  être  instruits  plus  à  fond. 

Les  principaux  articles  dont  ils  devront  être  informés, 
sont  : 

L  L'état  de  chaque  faculté,  dont  l'Université  est  com- 
posée. 

U.  Les  études  des  collèges. 

in.  Le  gouvernement  des  séminaires. 

IV.  Les  fondations  et  leur  exécution. 

V.  La  discipline  pour  les  mœurs  des  écoliers, 

VI.  Le  temporel  de  l'Université. 

On  ne  donne  dans  ce  premier  Mémoire  qu'une  teinture 
des  choses  les  plus  pressées  dans  chacun  de  ces  articles. 


J 


LETTRES    DIVERSES.  '}OI 

LES  FACULTÉS. 

CELLE    DE    THÉOLOGIE. 

Il  n'y  a  pas  fort  long-temps  que  la  Faculté  de  théologie 
étoit  encore  florissante.  Il  y  avoit  dans  cette  Faculté  des 
professeurs  d'un  mérite  distingué  :  on  les  consultoit  de 
toutes  parts;  leurs  leçons  étoient  fréquentées,  et  les 
écoles  se  soutenoient  avec  réputation  et  avec  éclat.  Le 
Roi  y  a  mis  depuis  les  professeurs  d'Espalunghe  et  Tour- 
néli,  docteurs  de  Sorbonne,  qui  s'y  sont  acquis  aussi 
beaucoup  de  réputation  et  d'estime  :  mais  l'un  étant 
mort,  et  l'autre  devenu  professeur  de  Sorbonne,  cette 
Faculté  est  tombée  dans  une  entière  décadence  ;  en  sorte 
qu'on  peut  dire  sans  exagérer,  qu'il  ne  lui  en  reste  plus 
que  le  nom. 

Ceux  qui  la  composent  à  présent  sont  le  sieur  de  laVer 
dure,  très-distingué  autrefois  par  son  mérite;  mais  ac- 
tuellement hors  d'état  de  professer  et  d'aucun  travail,  à 
cause  de  ses  infirmités;  le  sieur  de  Cerf,  qui  est  d'un  grand 
âge,  et  qui  n'a  jamais  eu  de  réputation;  le  sieur  Del- 
court,  dont  M.  l'évéque  d'Arras  a  été  obligé  de  censurer 
publiquement  la  doctrine,  et  de  la  lui  faire  désavouer 
par  un  acte  public,  et  dans  une  matière  qui  n'alloit  à 
rien  moins  qu'à  saper  les  fondemens  de  la  foi  ;  enfin  le 
sieur  Amand ,  que  de  curé  de  village  on  a  fait  choisir  il 
y  a  quelque  temps  pour  professeur  de  catéchisme ,  pour 
le  mettre  en  état,  comme  on  vient  de  faire,  de  l'élever 
plus  haut  sans  concours  et  sans  examen ,  qu'on  croit  qu'il 
auroit  peine  à  soutenir.  Les  autres  docteurs  n'étant  pas 
de  la  Faculté  étroite,  sont  sans  fonction.  Le  nombre  en 
est  petit  ;  celui  des  licenciés  est  plus  grand  :  mais  toute 
cette  Faculté  diminue.  Il  se  trouve  cependant  parmi  ses 
gradués,  qui  demeurent  dans  l'obscurité,  des  hommes 
d'un  mérite  reconnu,  et  capables  de  remphr  les  pre- 
mières places. 


rjOOt  LETTRES    DIVERSES. 

Le  peu  de  capacité  des  proferseurs  rend  les  écoles  pu- 
bliques de'sertes.  De  près  de  six  cents  tliéologiens  qui  étu- 
dient à  Douai,  il  n'y  a  que  trente  ou  trente-cinq  écoliers 
sous  le  sieur  Pierrard,  qui  professe  pour  le  sieur  de  la 
Verdure  :  cependant  il  est  habile  homme,  et  vient  d'en 
donner  des  marques  dans  le  concours  qui  est  ouvert  ,•  mais 
comme  il  n'est  dans  cette  chaire  qu'en  passant ,  et  comme 
par  emprunt ,  les  écoliers  ne  s'y  attachent  pas.  Il  n'y  a 
que  quinze  écoliers  sous  le  sieur  de  Cerf,  environ  trente 
sous  le  sieur  Delcourt,  et  huit  ou  dix  sous  le  sieur  Amand  : 
encore  n'en  auroient-ils  pas  tous  ce  nombre ,  si  les  écoliers 
qui  demeurent  comme  pensionnaires  ou  comme  boursiers 
dans  les  séminaires  dont  ils  sont  présidens,  ne  se  trouv oient 
dans  une  espèce  de  nécessité  de  prendre  leurs  cahiers  : 
et  l'on  peut  dire  que  si  les  religieux  de  saint  Vaast, 
d'Arras ,  qui  ont  un  collège  à  Douai  où  ils  enseignent  la 
théologie  ,  mais  dont  les  écoles  ne  sont  pas  académiques , 
et  les  pères  Jésuites  qui  y  enseignent  aussi ,  n'y  attiroient 
des  écoliers,  il  n'en  resteroit  presque  aucun;  et  les  évéques 
des  provinces  voisines  seroient  privés  du  secours  qu'ils 
tirent  des  théologiens  qui  étudient  à  Douai. 

Le  peu  d'assiduité  et  la  négligence  avec  laquelle  quel- 
ques-uns de  ces  professeurs  font  leurs  classes ,  achèvent  de 
les  décréditer ,  surtout  le  sieur  Delcourt ,  dont  les  ab- 
sences sont  très-fréquentes,  et  qui  lorsqu'il  professe  par 
lui-même,  n'arrive  souvent  qu'après  son  heure;  se  con- 
tente de  dicter  un  quart-d'heure,  et  d'expliquer  un  autre 
quart-d'heure ,  puis  se  retire. 

Le  sieur  de  la  Verdure  n'étant  plus  en  état  de  travailler, 
le  sieur  Delcourt  se  trouve  le  seul  censeur  des  thèses ,  sur 
lesquelles  il  se  donne  une  autorité  despotique  en  refusant 
de  les  signer,  et  les  arrêtant  par-là  tant  qu'il  lui  plaît, 
lorsque  ceux  qui  les  soutiennent  ne  se  trouvent  pas  de 
son  sentiment.  La  plupart  des  présidens  de  séminaires , 
et  des  professeurs  en  théologie  des  ordres  religieux,  et 
d'autres  personnes  distinguées,  en  ont  porté  leurs  plaintes 


LETTRES    DIVERSES.  •Jfo3 

à  M.  l'ëvéque  d'Arras  par  une  requête  en  forme,  signée 
d'eux.  On  joint  ici  une  copie  de  cette  requête  et  du  mé- 
moire qui  y  étoit  joint. 

On  informera  nosseigneurs  les  commissaires ,  dans  un 
me'moire  séparé  de  celui-ci ,  des  plaintes  particulières  qui 
regardent  le  sieur  Amand,  qui  a  cru  être  en  droit  de 
monter  sans  concours  et  sans  examen  à  une  chaire  de 
théologie,  contre  le  droit  et  Tusage  de  cette  Université. 
Il  suffit  quant  à  présent  que  nosseigneurs  les  commissaires 
soient  informés  de  deux  choses. 

Premièrement,  que  sans  parler  du  défaut  de  talens 
extérieurs  dans  le  sieur  Amand,  sa  seule  incapacité  le 
rend  absolument  inhabile  à  l'emploi  qu'il  occupe  ,  et  en- 
core plus  à  celui  auquel  il  a  cru  être  en  droit  de  s'élever  : 
c'est  un  fait  aisé  à  vérifier ,  en  faisant  examiner  ledit  sieur 
Amand  par  des  théologiens,  qu'il  plaira  à  nosdits  sei- 
gneurs de  nommer  à  cet  effet. 

Secondement^  qu'à  la  mort  du  feu  sieur  Estier,  doc- 
teur de  Sorbonne ,  et  professeur  en  théologie  ,  homme  de 
mérite ,  les  proviseurs  de  l'Université  supplièrent  Sa  Ma- 
jesté de  vouloir  rétablir  le  concours ,  pour  conférer  aux 
plus  dignes  les  chaires  des  professeurs ,  conformément  à 
l'ancien  usage  de  ladite  Université,  et  à  l'arrêt  du  con- 
seil du  3o  avril  1681.  Le  sieur  Armand,  professeur  du 
catéchisme,  contre  cet  usage  et  la  teneur  de  cet  arrêt, 
a  prétendu  monter  de  plein  droit  à  la  quatrième  chaire 
de  théologie ,  et  s'en  est  fait  pourvoir ,  laissant  sa  chaire 
de  catéchisme  au  concours.  Les  proviseurs  de  l'Université 
qui  virent  un  brevet  de  Sa  Majesté  en  faveur  dudit  sieur 
Amand,  n'eurent  d'autre  parti  à  prendre  que  celui  de  s*y 
soumettre  par  provision,  sauf  à  eux  de  se  pourvoir  par-de- 
vant les  commissaires  qu'ils  demandoienl  au  Roi  pour  con- 
noître  spécialement  de  cette  affaire ,  et  ont  mis  la  chaire 
du  sieur  Amand  au  concours.  Le  jour  indiqué  pour  l'ou- 
verture de  ce  concours,  cinq  des concourans  présentèrent 
une  requête  au  recteur  et  aux  proviseurs  de  l'Université , 


■^04  LETTRES    DIVERSES. 

tendante  à  récuser  pour  juge  le  sieur  Delcourt ,  pour  les 
raisons  reprises  dans  ladite  requête.  Les  proviseurs  ont 
fait  part  de  celte  requête  à  M.  de  Bagnols,  intendant  de 
Flandre  j  et  le  sieur  de  Bagnols  Ta  renvoyée  auxdits  pro- 
viseurs pour  en  connoître.  Us  l'ont  communiquée  au  sieur 
Delcourt ,  ont  déclaré  les  causes  de  récusation  recevables  , 
et  en  conséquence  ont  nommé  un  autre  docteur  en  sa 
place  ;  et  attendu  les  infirmités  du  sieur  de  la  Verdure  et 
du  sieur  de  Cerf,  ils  ont  encore  nommé  deux  autres  doc- 
teurs pour  remplir  leurs  places,  ainsi  qu'il  se  peut  voir 
par  la  sentence  jointe  à  ce  Mémoire-  Le  sieur  Delcourt  a 
voulu  se  pourvoir  contre  cette  sentence  au  parlement  de 
Tournai  :  mais  ce  tribunal  s'est  abstenu  de  juger,  a  déclaré 
son  incompétence,  et  a  renvoyé  les  parties  par-devant 
Sa  Majesté;  ordonnant  cependant  que  le  concours,  dont 
il  avoit  d'abord  suspendu  la  suite ,  se  continueroit  :  et  de 
fait  le  concours  s'est  continué  en  public  avec  les  solennités 
ordinaires ,  et  se  continue  encore  actuellement  par-devant 
les  docteurs,  juges  délégués  à  cet  effet  par  lesdits  provi- 
seurs, tant  à  cause  de  leur  droit  d'y  pourvoir  au  défaut 
des  autres,  qu'en  conséquence  du  renvoi  de  M.  l'inten- 
dant, et  de  l'arrêt  du  parlement  de  Tournai. 

Il  est  évident ,  par  l'état  où  se  trouve  cette  Faculté , 
qu'elle  périt  et  se  détruit  entièrement  par  le  mépris  dans 
lequel  l'a  fait  tomber  le  peu  de  mérite  des  personnes  qui 
la  remplissent.  Le  concours  qui  est  ouvert  donnera  lieu 
d'y  mettre  d'excellens  sujets  qui  s'y  présentent,  non- 
seulement  pour  remplir  la  chaire  vacante  par  le  décès  du 
sieur  Estier,  mais  pour  donner  des  coadjuteurs  à  ceux  des 
professeurs  que  leurs  infirmités  ou  leur  grand  âge  mettent 
hors  d'état  de  professer  absolument,  ou  de  le  faire  avec 
l'assiduité  nécessaire ,  ainsi  qu'il  s'est  pratiqué  en  pareil 
cas  dans  cette  même  Université. 

LES  FACULTÉS  DES  DROITS. 

Les  deux  Facultés  de  droit  canon  et  civil  sont  les  moins 

endommagées  : 


I.ETTRES    DIVERSES.  7o3 

endommagées  :  les  ordonnances  du  Roi  pour  les  études  du 
droit  dans  son  royaume,  s'y  exécutent  exactement.  Les 
chaires  des  professeurs  ne  s*y  confèrent  que  jDar  le  con- 
cours :  on  ne  laisse  pas  cependant ,  contre  le  sentiment  de 
quelques-uns  des  professeurs,  de  recevoir  de  temps  en 
temps  aux  degrés  des  écoliers  qui  n'ont  pas  toutes  les 
qualités  qu'exige  l'édit  du  Roi  de  1679;  et  c'est  le  seul 
abus  à  réformer. 

LA  FACULTÉ   DE   MEDECINE. 

Cette  Faculté  est  presque  entièrement  tombée,  sans 
qu'on  puisse  accuser  les  professeurs  de  sa  chute.  Après 
avoir  été  pi)uvus  de  leurs  chaires  par  le  concours,  ils 
trouvèrent  la  discipline  des  écqles  en  mauvais  état  ;  les 
leçons  étoient  négligées,  les  quatre  thèses  que  les  écoliers 
dévoient  faire  pour  parvenir  au  degré  de  licence,  étoient 
réduites  à  deux,  et  on  passoit  facilement  sans  que  les 
examens  fussent  fort  rigoureux. 

Les  professeurs  modernes  travaillèrent  à  remédier  à  ces 
maux  :  ils  se  rendirent  assidus  à  leurs  leçons ,  obligèrent 
les  écoliers  à  les  fréquenter ,  choisirent  les  matières  les 
plus  utiles  et  les  plus  curieuses,  établirent  un  théâtre 
anatomique  et  un  jardin  des  simples,  obligèrent  les  éco- 
liers aux  quatre  thèses  et  à  deux  examens,  et  se  tinrent 
fermes  à  refuser  les  degrés  à  ceux  qu'ils  en  jugeroient  in- 
dignes. 

Cette  exactitude ,  bien  loin  de  repeupler  les  écoles ,  les 
a  rendues  presque  désertes.  Les  écohers  ]  pour  éviter  une 
rigueur  qui  leur  paroi t  dure ,  mais  qui  cependant  est  né- 
cessaire, vont  à  quelque  Université  peu  fameuse  en 
France,  où  dès  le  jour  même  de  leur  arrivée ,  et,  s'ils  le 
veulent,  sans  sortir  de  l'hôtellerie,  ils  obtiennent  des 
lettres  de  licencié  et  de  docteur  en  médecine ,  en  vertu 
desquelles  ils  viennent  exercer  la  médecine  dans  les  pays 
conquis.  Il  y  va  de  la  santé  et  de  la  vie  des  hommes  de 
remédier  à  cet  abus,  dans  lequel  on  supplie  nosseigneurs 
BossuET.    XLir.  4'^ 


706  LETTRES    DIVEUSES. 

les  commissaires  de  vouloir  entrer.  On  pourra  lorsqu'ils  en 
auront  pris  une  parfaite  connoissance ,  leur  suggérer  quel- 
ques moyens,  auxquels  on  a  pensé,  pour  remédier  à  cet 
inconvénient. 

LA  FACULTÉ  DES  ARTS. 

Il  seroit  à  souhaiter  que  les  honoraires  des  professeurs 
des  langues  grecque  et  hébraïque ,  et  de  l'histoire,  pussent 
leur  fournir  une  honnête  subsistance.  Ces  places  si  néces- 
saires dans  une  Université,  deviendroient  plus  utiles  à  celle 
de  Douai  :  mais  ces  trois  professeurs  n'ont  actuellement 
que  cent  florins  d'appointement ,  encore  n'en  sont-ils  pas 
payés  :  on  n'ose  pour  cette  raison  se  plaindre  *de  la  négli- 
gence de  quelques-uns  d'eux. 

LES  COLLÈGES. 

Le  collège  du  Roi  est  le  premier  et  le  plus  ancien  col- 
lège de  l'Université  :  c'est  une  maison  de  fondation 
royale  ,  située  sur  les  ruines  de  l'ancien  château  de  Douai. 
Marguerite  d'Autriche,  gouvernante  des  Pays-Bas,  en  fit 
don  à  l'Université,  au  nom  du  Roi  catholique  son  fonda- 
teur. Ce  collège  est  le  plus  pauvre  de  l'Université  :  il  ne 
laisse  pas  néanmoins  de  se  soutenir  par  le  soin  que  quel- 
ques particuliers  en  ont  pris.  On  y  a  rétabli  les  humanités^ 
qui  avoient  été  interrompues  plus  de  trente  années  :  mais 
si  on  pouvoit  'y  mettre  le  nombre  de  professeurs  néces- 
saires, ces  humanités  fleuriroient  parfaitement,  et  fe- 
roient  une  émulation  utile  aux  belles-lettres.  La  ville  de 
Douai  demande  qu'on  ne  laisse  pas  tomber  ces  humanités , 
à  cause  des  secours  qu'elle  en  tirej  et  il  y  va  constamment 
du  bien  public  de  les  soutenir  :  il  ne  sera  pas  difficile  d'en 
trouver  les  moyens. 

LES  SÉMINAIRES. 

On  ne  reconnoît  plus  le  séminaire  du  Roi  depuis  la  mort 
du  sieur  d'Espalunghe,  docteur  deSorbonne ,  qui  en  étoit 


LETTRES    DIVERSES.  'JO'j 

président  :  il  est  absolument  déchu  depuis  que  le  sieur 
Delcourt  lui  a  succède'.  Ce  pre'sident  est  presque  toujours 
absent  de  son  séminaire  j  et  lorsqu'il  y  est,  il  s'y  applique 
très-peu:  de  là  vient  le  désordre  dans  l'économie  du  tem- 
porel ,  et  dans  la  discipline  des  mœurs  :  aussi  le  nombre 
d'ecclésiastiques  dont  le  séminaire  étoit  autrefois  rempli, 
est-il  très-considérablement  diminué.  Depuis  huit  ans  que 
le  sieur  Delcourt  est  président ,  il  n'a  rendu  aucuns 
comptes.  Le  sieur  de  la  Verdure ,  proviseur  de  ce  sémi- 
naire ,  n'est  pas  à  la  vérité  en  état  de  les  entendre,  mais 
il  est  facile  de  commettre  quelqu'un  qui  les  entende  à  son 
défaut ,  et  cela  est  absolument  nécessaire. 

Le  séminaire  de  la  Motte  avoit  été  employé  à  usage  de 
casernes ,  contre  le  consentement  de  l'Université  :  on  veut 
encore  le  destiner  à  usage  de  manufacture.  L'Université 
fait  tous  ses  eftbrts  pour  l'empêcher,  parce  qu'elle  voit 
avec  peine  perdre  un  de  ses  plus  beaux  séminaires ,  et 
dans  lequel  on  peut  entretenir  sans  peine  vingt  boursiers 
et  un  président.  La  contestation  entre  l'Université  et 
l'entrepreneur  de  la  nouvelle  manufacture,  étoit  par-de- 
vant M.  zimelot,  conseiller  d'état,  avant  la  nomination 
des  commissaires  j  et  si  cette  affaire,  qui  regarde  l'Univer- 
sité, revenoit  à  leur  bureau,  ils  pourroient  la  juger  avec 
toutes  les  autres. 

LES  FONDATIONS. 

Il  y  a  grand  nombre  de  bourses  annexées  à  des  collèges 
particuliers^  on  ne  sait  par  qui  elles  sont  remplies,  ni  si  on 
en  acquitte  les  charges.  Il  y  a  peu  d'Université  qui  ait 
plus  de  fondations  pieuses  que  celle  de  Douai ,  et  il  y  en 
a  peu  où  elles  soient  plus  mal  exécutées  :  elles  ont  besoin 
d'un  sérieux  examen. 

LA  DISCIPLINE. 

Il  résulte  des  désordres  ci- dessus,  que  les  écoliers  se 
dérangent  .-leur  temps  se  perd,  leur  études  souffrent, 


i 


no8  LETTRES    tHVERSES. 

leurs  mœurs  se  dérèglent^  et  il  est  diflicile  de  retenir  des 
jeunes  gens  en  particulier ,  quand  ils  ne  sont  pas  retenus 
dans  les  coUëgcs  et  dans  les  séminaires.  Il  s'ensuit  de  là  que 
la  juridiction  de  l'Université'  reçoit  de  rudes  atteintes,  et 
que  les  autres  juridictions  voisines  s'en  prévalent  à  son 
préjudice  j  et  qu'empiétant  sur  son  autorité  ,  les  suppôts 
de  l'Université  la  méprisent,  et  s'écartent  de  l'obéissance 
qu'ils  doivent ,  et  deviennent  quelquefois  incorrigibles. 

LE   TEMPOREL. 

Si  rûniv^rsité  jouissoit  de  ses  revenus,  son  temporel 
Lien  réglé  aideroit  à  la  soutenir  :  mais  elle  n'en  est  pas 
payée;  et  elle  a  encore  besoin  de  l'autorité  du  Roi  pour 
recouvrer  la  subsistance  nécessaire  à  ses  professeurs  ,  qui 
n'ont  rien  touclié  de  leurs  gages  depuis  liuit  ans. 

CONCLUSION. 

Pour  connoître  à  fond  et  plus  en  détail  tous  ces  maux^ 
et  y  apporter  les  remèdes  nécessaires,  il  seroit  à  sou- 
haiter que  nosseigneurs  les  commissaires  pussent  en 
prendre  t:onnoissance  par  eux-mémès ,  ou  que  du  moins 
quelqu'un  d'eux  put  venir  sur  les  lieux  faire  la  visite  de 
cette  Université.  Mais  comme  il  n'est  pas  à  présumer  que 
des  personnes  de  la  dignité  de  nosdits  seigneurs ,  et  aussi 
employées  qu'elles  sont  auprès  du  Roi,  puissent  se  trans- 
porter à  Douai  ;  ladite  Université  demande  avant  tout 
comme  une  chose  essentiellement  nécessaire ,  qu'il  plaise 
à  nosseigneurs  les  commissaires  de  déléguer  sur  les  lieux 
une  ou  plusieurs  personnes ,  que  leur  dignité ,  leur  carac- 
tère et  leur  mérite  puissent  tendre  dignes  de  leur  con- 
fiance; auxquelles  on  donne  pouvoir  conjointement  ou 
séparément  de  faire  les  visites _,  d'examiner  les  fonda- 
tions, faire  rendre  les  comptes,  recevoir  les  plaintes,  et 
généralement  prendre  connoissance  du  tout;  pour  leurs 
procès-verbaux  être  renvoyés  à  nosdits  seigneurs,  çt  être 
par  eux  ordonné  ce  que  de  raison. 


CÉTTRES    DIVERS Eir»  709 

LETTRE  XLIV.      ' 

DE  M.  DE  FLEURY,  ÉVÊQUE  DE  FRÉJUS  (*). 

Sur  riuslruction  de  Bossuet,  contre  Richard  Simon. 

Le  sieur  Anisson ,  Monseigneur ,  m'a  retardé 
long-temps  le  plaisir  de  lire  votre  dernier  livre  ;  car 
je  ne  l'ai  reçu  que  depuis  deux  jours,  et  je  n'ai  pu 
le  quitter  sans  Tachever.  Vous  êtes  en  vérité  le  dé- 
fenseur de  l'Eglise  ;  et  je  crois  qu'on  dira  de  vous 
comme  de  saint  Jacques,  que  les  hérétiques  n'ose- 
iont  paroître  à  découvert  tant  que  vous  vivrez.  II 
n'y  a  quà  souhaiter  que  ce  soit  bien  long-temps; 
puisque  vous  ne  perdez  non-seulement  rien  de  votre 
force  et  de  votre  vivacité;  mais  qu'il  semble  au 
contraire  que  Dieu  vous  la  renouvelle.  Vous  faites 
Lien  paroître  ce  misérable  Simon,  tel  qu'il  est;  et 
avec  tout  son  orgueil  et  sa  présomption  ,  je 
doute  qu'il  ose  reparoître.  Votre  livre  te  terrasse, 
et  le  fait  voir,  aussi  bien  que  ses  approbateurs 
et  protecteurs,  infiniment  méprisable.  Vous  ne  dites 
qu'un  mot  de  ces  derniers  ;  mais  il  y  en  a  assez 
pour  les  faire  rougir  de  honte.  Vous  serez  peut- 
être  cause,  quoique  sans  le  vouloir,  que  ce  mal- 
heureux Socinien  caché  lèvera  le  masque  ;  car 
quel  crédit  peut-il  avoir  présentement  parmi  les 
catholiques?   Vos  instructions,  Monseigneur,   ont 

(*)  André-Hercule  de  Fleurjr,  depuis  précepteur  de  Louis  XV, 
cardinal,  et  premier  ministre. 


710  LETTRES    DIVERSES. 

cela  de  bon,  qu'outre  Tutilité,  elles  attachent  et 
font  plaisir.  Je  ne  serois  pas  étonné  qu'elles  fissent 
cet  effet. sur  moi,  par  la  prévention  que  fai  pour 
tout  ce  qui  vient  de  vous;  mais  j'apprends  qu'elles 
ont  fait  la  même  impression  sur  tout  le  monde. 
Quand  vous  ferez  quelque  nouvel  ouvrage ,  je  don- 
nerai des  ordres  pour  l'avoir  plus  promptement,  et 
je  prendrai  la  liberté  de  vous  donner  une  autre 
adresse.  On  m'avoit  alarmé  sur  votre  santé,  et  sur 
quelque  menace  d'un  mal  bien  fâcheux;  mais  j'es- 
père qu'elle  n'est  point  fondée.  Vous  savez,  Mon- 
seigneur, à  quel  point  je  m'y  intéresse,  et  le  res- 
pectueux et  inviolable  attachement  que  je  conser- 
verai toute  ma  vie  pour  vous, 

AFrcjus,  ce  3o  mai  1703. 


LETTRE  XLV.   , 

DE  M.  DE  BISSY,   ÉVÊQUE  DE  TOUL  (*). 
Sur  un  mandement  qu'il  avoit  donné  contre  l'usure. 

Je  suis  ravi  d'apprendre ,  par  la  lettre  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire ,  que  vous  ap- 
prouvez mon  mandement  sur  l'usure.  Puisque  vous 
me  témoignez  désirer  d'en  savoir  les  suites ,  je  vous 
envoie  la  défense  que  la  cour  de  Lorraine  a  fait  de 
le  publier,  et  en  même  temps  je  vous  demande 
votre  avis ,  comme  au  Père  des  évêques  de  France , 

C*)  Henri  de  Thiard  de  Bissy ,  qui  succéda  Tannée  suivante  à  Bos- 
suet  dans  le  siège  de  Meau3(. 


LETTRES    DIVERSES.  nu 

pour  savoir  ce  que  je  dois  faire  pour  une  matière  de 
cette  importance.  En  ai-je  assez  fait  en  envoyant 
mon  mandement  à  tous  mes  doyens  ruraux  et  aux 
chefs  des  communautés,  pour  m'opposer,  autant 
que  je  le  dois ,  au^  erreurs  contenues  dans  le  libelle 
que  j'ai  condamné  ?  ou  dois- je  encore  faire  davan- 
tage ,  après  la  défense  du  Souverain  de  publier  mon 
ordonnance  ?  et  en  ce  cas-là ,  que  dois-je  faire  ?  Il 
ne  s'agit  pas  ici  d'un  point  de  discipline  ou  de  juri- 
diction ;  mais  d'une  matière  de  foi ,  de  doctrine  et  de 
mœurs.  C'est  un  usage  commun  en  Lorraine ,  de 
prêter  sur  de  simples  obligations,  et  d'en  tirer  du 
profit.  Je  suivrai  vos  avis,  Monseigneur,  sachant 
qu'ils  sont  pleins  de  lumière  et  de  sagesse.  Je  prie 
Dieu  de  tout  mon  cœur  qu'il  vous  rende  une  santé 
parfaite.  Je  suis  avec  tout  l'attachement  et  le  respect 
possible,  etc. 

AToul,  ce  1  novembre  iroS. 


«««/%'«/«/%'*-«^>»/«/%-«/«.'«-«/*>^^ 


LETTRE  XLVI. 

DE   M.   PUSSYRAN   (*). 

Il  menace  Bossuet  d'écrire  contre  lui,  s'il  ne  se  déclare  pas 
ouvertement  contre  le  Silence  respectueux. 

On  a  appris  que  votre  Grandeur  travailloit  contre 
le  Silence  respectueux.  On  en  seroit  édifié,   si  on 

(*)  Nous  n'avons  pu  rien  découvrir  sur  ce  M.  Pussyran.  Sa  lettre, 
qui  est  sans  date,  paroît  avoir  été  écrite  en  1703,  à  l'occasion  du 
fameux  Cas  de  conscience.  Le  Censeur  de  l'édition  de  dom  Déforis 
dissuadoit  ce  religieux  de   l'imprimer j  celui-ci  n'y  voulut  point 


■^12  LETTRES    DIVERSES. 

n'avoit  su  depuis,  que  vous  supposez  dans  cet  ou- 
vrage que  l'Eglise  n'est  pas  infaillible  sur  les  faits 
doctrinaux,  et  que  vous  n'exigez  des  fidèles  qu'un 
simple  pre'jugé  en  faveur  des  décisions  de  l'Eglise.  Si 
vous  prévariquez  jusqu'à  ce  point ,  vous  devez  vous 
attendre  que  les  docteurs  catholiques  fondront  sur 
vous;  et  qu'en  vous  relevant  sur  cet  article,  ils  ne 
vous  épargneront  pas  sur  les  autres  fautes  de  vos  ou- 
vrages. J'en  ai  en  mon  particulier  un  recueil  assez 
ample  pour  vous  donner  du  chagrin  le  reste  de  votre 
vie,  dût-elle  être  bien  plus  longue  qu'on  n'a  lieu  de 
l'espérer.  Eh  !  Monseigneur ,  si  vous  voulez  avoir 
l'honneur  de  défendre  l'Eglise,  défendez-la  sans  la 
trahir;  et  ne  contirmez  pas  le  juste  soupçon  qu'on 
a  eu  que  vous  ne  faisiez  pas,  à  l'égard  des  nou- 
velles hérésies ,  ce  qu'on  devoit  attendre  d'un  prélat 
de  votre  distinction.  Il  faut  même  que  je  vous  avoue 
qu'il  y  a  déjà  sur  votre  chapitre  un  petit  volume 
tout  prêt,  sous  ce  titre  :  Rétractation  de  messire 
Bénigne  Bossuet  j,  évêque  de  Meaux.  H  est  plein 
d'onction  ,  et  de  vérité;  l'auteur  écrit  d'une  manière 
à  se  faire  lire.  Vous  ne  pouvez  vous  épargner  cette 

consentir.  Mais  il  se^arda  bien,  en  la  publiant,  de  dire  que  Tauleur 
ëtoit  mal  informé  des  sentimens  de  Bossuet  sur  ce  qui  fait  le  sujet 
de  sa  lettre.  G'étoit  alors,  en  effet,  que  l'évéque  de  Meaux  compo- 
soit,  swv  V  auto  rite  des  Jugemens  ecclésiastiques,  un  ouvrage,  dont 
le  but  étoit  de  montrer  «  par  des  faits  constans,  des  actes  autben- 
»  tiques  et  des  exemples  certains,  le  droit  perpétuel  de  TEglise, 
»  et  qu'elle  a  toujours  exercé,  d'exiger  des  fidèles  leur  consente - 
»  ment  et  leur  approbation  expresse  à  ses  jugemens,  avec  une  per- 
1i  suasion  entière  et  absolue  dans  F  intérieur  ».  On  peut  voir  ce  qui 
reste  de  cet  écrit  de  Bossuel,  ci-dessus,  tom.  xxxvii ,  pag.  166  et 
5uiv.  {^Edit,  de  f^ers.^ 


LETTRES    DIVERSES-  ^l3 

critique  publique,  qu'en  vous  déclarant  sans  me'na- 
gement  contre  les  fauteurs  du  Silence  respectueux. 
Au  reste,  monseigneur,  quand  vous  expliquerez  la 
grâce  efficace  par  elle-même,  appliquez-vous  bien  à 
la  distinguer  de  celle  de  Calvin ,  premier  auteur  de 
cette  expression.  Je  suis,  etc. 

J.    B.    P  USSYRAN,    D. 


FIN    DU   TOME    QUARANTE-DEUXIEME. 


TABLE 

DU  TOME  QUARANTE-DEUXIÈME. 


LETTRES  SUR  L'AFFAIRE  DU  QUIÉTISME. 

Lettre  CCCLXI.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  sa  Réponse  à  M.  de 
Cambrai j  la  censure  des  docteurs;  une  bulle  de  Jean  XXIIj  les 
précautions  à  prendre,  et  les  aveux  de  Fénélon.  Page  3 

CCCLXII.  De  M.  de  lYoailles,  archevêque  de  Paris,  à  V abbé  Bos- 
suet. Sur  les  notes  que  le  prélat  lui  avoit  envoyées  5  les  défiances 
que  cet  abbé  déçoit  avoir;  et  le  soin  qu'on  auroit  en  France 
d'appuyer  ses  efforts.  7 

CCCLXIII.  De  V abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  Réponse  de  Bossuet 
à  M.  de  Cambrai;  ce  qui  avoit  empêché  de  parler  de  l'affaire 
dans  la  dernière  congrégation  des  cardinaux  ;  et  les  retards  af- 
fectés du  sacriste.  8 

CCCLXIV.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  deux  lettres  du  cardinal 
Spada  que  le  nonce  avoit  communiquées  au  Roi  ;  les  vues  qu'il 
devoit  présenter  à  ce  cardinal  sur  la  décision  qu'il  promettoit  ; 
et  le  danger  des  ménagemens  dont  on  vouloit  user.  i3 

CCCLXV.  De  l'abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  deux  entretiens  qu'il 
avoit  eus  avec  le  Pape  ;  le  mécontentement  du  saint  Père  à  l'é- 
gard de  M.  de  Cambrai  ;  le  refus  qu'il  avoit  fait  de  lui  accorder 
les  délais  qu'il  demandoit;  et  les  dispositions  des  cardinaux.    19 

CCCLXVI.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  une  réponse  qu'il  désiroit 
faire  à  deux  lettres  de  M.  de  Cambrai  ;  et  sur  quelques  endroits 
de  ses  ouvrages ,  pour  aider  à  une  exposition  doctrinale  qu'on 
médiloit  à  Rome.  27 

CCCLXVII.  Du  P.  Mauduit,  de  V Oratoire ,  à  Bossuet.  Il  lui 
adresse  un  ouvrage  qu'il  avoit  composé  contre  les  erreurs  des 
Quiétisles.  28 

CCCLXVIII.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  la  Censure  des  soixante , 
et  celui  qui  l'a  dressée  ;  et  sur  les  bonnes  dispositions  du  Roi 
et  de  M.  le  nonce.  3o 

CCCLXIX.  De  l'abbé  Phelippeaux  à  Bossuet.  Sur  les  Remarques  du 
prélat;  les  nouvelles  leltres  de  M.  de  Cambrai;  le  refus  que  le 


T.\BLE.  ^l5 

Pape  avoit  fait  de  lui  accorder  un  délai;  les  congrégations  des 
cardinaux;  et  la  Censure  des  docteurs  de  Paris.  Page  '6i 

CCCLXX.  De  Vahhé  Bossuet  à  son  onclç.  Sur  les  impressions  défa- 
vorables qu'on  avoit  voulu  donner  à  Piome  de  la  Censure  des 
soixante  docteurs;  les  avantages  de  cette  Censure;  l'inutilité  des 
efforts  de  M.  de  Cambrai  pour  obtenir  des  Universités  étrangères 
quelques  témoignages  en  sa  faveur;  sur  les  assemblées  des  cardi- 
naux, et  la  forme  dans  laquelle  ils  dévoient  procéder.  34 
CCCLXXI.  De  Vahhé  de  Gondi  à  Pab'é  Bossuet.  Sur  la  traduction 
italienne  de  la  Btlation  sur  le  Quiétisine,-  et  les  dispositions  du 
grand  duc  pour  seconder  à  Rome  les  évéques  de  France  dans 
cette  affaire.                                                                                        44 
CCCLXXII.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  les  raisons  qui  empé- 
choient  l'impression  de  la  viTsion  italienne  de  ses  Remarques  ; 
les  interrogatoires  que  subissoit  madame  Gujon  ;  et  sur  un  mé- 
moire qu'il  lui  avoit  envoyé.                                                            4^ 
CCCLXXIII.  De  M.  de  JYoailleSj  archeuéque  de  Paris,  à  Vabbé 
Bossuet.  II  lui  annonce  le  départ  prochain  de  M.  de  Monaco,  et 
lai  demande  d'instruire  exactement  les  prélats  de  ce  qui  se  pas- 
sera.                                                                                                      4^ 
CCCLXXI V.  Du  P.  Brian,  religieux  Carme,  à  Bossuet.  Sur  des 
remarques  qu'il  avoit  faites  pour  le  prélat,  et  une  réfutation  suivie 
du  livre  de  M.  de  Cambrai,  qu'il  avoit  composée.                       49 
CCCLXXV.  De  Vabhë  Phelippeaux  à  Bossuet.  Sur  Teffet  que  pro- 
duisoit  à  Rome  la  Censure  des  docteurs  de  Paris;  une  réponse  de 
M  de  Cambrai  aux  Remarques ,  et  le  caractère  des  examinateurs 
qui  s'étoient  déclarés  pour  lui.                                                         5i 
CCCLXXVI.  De  Vahbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  rétonnanle  célé- 
rité avec  laquelle  M.  de  Cambrai  venoit  de  publier  sa  Réponse 
aux  Remarques  de  M.  de  Meaux;   la  nécessité  de  le  réfuter; 
Fétat  de  l'affaire;  et  la  manière  dont  les  cardinaux  avoient  parlé 
dans  les  congrégations  qui  s'étoient  tenues.                                  54 
CCCLXXVII.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Il  lui  témoigne  la  satisfac- 
tion qu'il  avoit  de  sa  conduite  ;  lui  demande  les  actes  du  pro- 
cès de  ISloIinos;  et  lui  donne  quelques  avis.                               64 
CCCLXXVIII.  De  M.  de  JSfoailles,  archevêque  de  Paris ,  à  Vabbé 
Bossuet.  Sur  les  lenteurs  de  la  Cour  de  Rome;   la  Censure  des 
docteurs  de  Paris,  et  les  dispositions  du  nouvel  ambassadeur.  QQ 
CCCLXXIX.  De  Vabbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  reconnoissance 
qu'il  avoit  témoignée  envers  le  nonce ,  le  désir  qu'il  avoit  que 
ce  prélat  en  fui  instruit  ;  ses  soins  pour  le  succès  de  l'affaire;  les 


7l6  'TABLE, 

discours  des  cardinaux  dans  les  congrégations  ;  et  Tabjuration 
d'un  Augustin,  convaincu  de  Quiétisme.  -P^r^c  6S 

CCGLXXX.  Du  marquis  d* H arcourt  f  ambassadeur  en  Espagne  y  à 
Bossuet.  Il  loue  les  écrits  et  le  zèle  de  Bossuet  contre  le  Quié- 
tisme ,  et  le  rassure  touchant  les  Universités  d'Espagne ,  qu'on 
disoit  être  favorables  à  M.  de  Cambrai.  n6 

CCCLXXXI.  De  Bossuet  à  M.  de  la  Broue.  Il  l'instruit  de  l'état 
de  Taffaire  de  M.  de  Cambrai,  et  lui  apprend  le  succès  qu'avoit 
eu  sa  Réponse  à  ce  prélat.  ^7 

CCCLXXXII.  De  Bossuet  à  son  nei^eu.  Sur  les  précautions  que 
l'on  prenoit  pour  empêcher  les  effets  de  la  mauvaise  volonté  du 
cardinal  de  Bouillon  j  le  plan  d'un  ouvrage  sur  l'Oraison  ,  qu'il 
vouloit  donner  après  la  conclusion  de  l'affaire  j  la  Censure  des 
docteurs  de  Paris  5  et  sur  les  reproches  qu'on  lui  faisoit  d'avoir 
traité  M.  de  Cambrai  avec  aigreur.  78 

CCCLXXXIII.  De  M.  de  Noailles,  archevêque  de  Paris,  à  Vabhë 
Bossuet.  Sur  le  bon  effet  de  l'avis  des  docteurs  j  et  les  craintes 
que  le  prélat  avoit  du  retardement.  Sa 

CCCLXXXI V.  De  Vahhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  ce  qui  s'éloit 
passé  dans  les  précédentes  congrégations  des  cardinaux^  les  ma- 
nœuvres du  cardinal  de  Bouillon  j  les  ordres  que  la  Cour  avoit 
donnés  à  ce  cardinal,  pour  empêcher  qu'on  ne  glissât  rien  dans 
la  Bulle  de  contraire  à  nos  maximes  j  et  l'audience  que  le  Pape 
avoii  donnée  à  cet  abbé.  84 

CCCLXXXV-  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  le  jugement  qu'on  por- 
toit  de  la  dernière  Réponse  de  M.  de  Cambrai ,  et  sa  disposition 
à  cet  égard  5  l'opposition  de  M.  de  Paris  à  de  nouveaux  écrits  j 
et  sur  les  faits  qu'on  apprenoit  par  les  interrogatoires  de  ma- 
dame Guyon.  98 

CCCLXXXVI.  De  M.  de  Nouilles,  archevêque  de  Paris,  à  l'abbé 
Bossuet.  Sur  les  espérances  que  lui  donnoit  cet  abbé  d'un  prorapt 
succès  ;  le  départ  prochain  de  M.  de  Monaco  ;  et  le  dernier 
écrit  de  M.  de  Cambrai.  100 

CCCLXXXVII.  De  l'abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  ordres  don- 
nés par  le  Pape  pour  accélérer  j  les  manœuvres  du  cardinal  de 
Bouillon  pour  alongerj  et  la  manière  dont  s'étoient  passées  le» 
dernières  congrégations.  101 

CCCLXXXVIII.  Du  P.  Laienai  à  Bossuet.  Il  loue  les  soins  de 
l'abbé  Bossuet,  et  le  zèle  du  prélat  pour  procurer  le  triomphe 
de  la  vérité.  118 

CCCLXXXIX.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  le  compte  que  M.  de 


TABlt:,  717 

Paris  devoit  rendre  au  Roi  des  manœuvres-^du  cardinal  de  Bouil- 
lon j  sur  une  conversation  qu'il  avoit  eue  avec  le  prince  de  Mo- 
naco, et  sur  une  clause  qu'il  falloit  éviter  dans  la  bulle.  Page  1 19 
CCCXC.  De  M.  de  NoailleSf  archei'éque  de  Paris,  à  Vahhé  Bossuet. 
Sur  les  obstacles  apportés  à  la  conclusion  5  le  compte  qu'il  en 
avoit  rendu  au  Roij  et  la  liberté  avec  laquelle  la  Censure  des 
docteurs  avoit  été  signée.  122 

CCCXCI.  De  Pabhé Bossuet  à  son  oncle.  Sur  ks  retards  de  TafFairej 
les  dernières  congrégations  5  la  conversation  que  cet  abbé  avoit 
eue  avec  les  cardinaux  Oltoboni  et  Albani  ^  Faudience  qu'il 
avoit  eue  du  Papej  et  sur  une  thèse  de  Louvain,  relative  au 
Quiétisme.  124 

CCCXCII.  De  Louis  XIV  à  Innocent  XII.  Il  se  plaint  des  retards 
qu'on  apportoit  dans  la  décision  de  cette  affaire,  et  presse  le 
Pape  de  donner  son  jugement.  i35 

CCCXCIII.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  les  nouvelles  instances  du 
Roi.  i36 

CCCXGIV.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  des  lettres  que  le  Roi 
avoit  écrites  pour  contenir  le  cardinal  de  Bouillon.  llid. 

CCCXCV.  De  Vahhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  le  nouvel  ambassa- 
deur, et  les  difficultés  qu'il  auroit  à  surmonter  j  la  dernière  Ré- 
ponse de  M.  de  Cambrai,  Tordre  donné  par  le  Pape  pour  dou- 
bler les  congrégations  ^  les  dispositions  des  cardinaux  5  les 
longueurs  qui  éloient  à  appréhender.  i38 

CCCXCVI.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  une  thèse  soutenue  à  Douai 
par  les  Carmes  déchaussés  en  faveur  des  Maximes  de  M.  de 
Cambrai  5  sur  un  nouveau  livre  que  préparoit  M.  de  Cambrai  ;^et 
sur  la  manière  d'entendre  les  mystiques.  l49 

CCCXCVII.  De  rahbé  Phelippeaux  à  Bossuet,  Sur  les  derniers  écrits 
de  M.  de  Cambrai.  i53 

CCCXCVIII.  De  Vahhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  effets  que  pro- 
duisoit  la  lettre  du  Roi  au  cardinal  de  Bouillon ,  les  discours  de 
ce  cardinal  dans  les  congrégations  ;  les  causes  de  l'embarras  du 
Pape;  le  zèle  du  cardinal  Casanate;  ses  dispositions  à  l'égard  de 
la  France  ;  l'impression  que  la  lettre  du  Roi  avoit  faite  sur  le  Pape  j 
et  les  matières  discutées  dans  les  dernières  congrégations.  1 57 
CCCXCIX.  De  Vahhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  l'état  actuel  de  l'af- 
faire; la  manière  dont  le  cardinal  de  Bouillon  pourroit  justifier 
sa  conduite  auprès  du  Roi;  et  les  trois  points  sur  lesquels  les 
partisans  de  M.  de  Cambrai  auroient  voulu  faire  condamner  Bos- 
suet» 171 


^l8  TABLE. 

CCCC.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  diRercns  faits  rapportés  dans 
les  lettres  de  Roaie  j  et  les  nouveaux  écrits  de  M.  de  Cambrai. 

Page  175 
CCCCI.  De  M.  de  Noailles ,  archei'êcjue  de  Paris  ^  à  Vahhé  Bossuet. 
Sur  les  difierens  motifs  qui  dévoient  porter  Rome  à  terminer 
FalFaire.  178 

CCCCII.  De  Vubbé Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  o^jets  que  Ton  avoit 
traités  dans  la  dernière  congrégation,  et  ceux  dont  on  devoit 
s'occuper  dans  la  suivante.  17^ 

CCCCIII.  De  Vahbë  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  ce  qui  s'étoit  passé 
dans  les  dernières  congrégations}  un  ordre  du  Pape  pour  obliger 
les  cardinaux  à  donner  leurs  qualifications  j  les  derniers  écrits 
de  M.  de  Cambrai j  et  sur  une  audience  que  cet  abbé  avoit 
eue  du  Pape.  181 

CCCCIV.  De  tahhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  manière  dont  il 
parle  à  M.  de  Paris  de  certains  points  j  le  zèle  de  la  princesse 
dcsUrsins  pour  la  bonne  cause,  et  les  dispositions  dé  la  Cour  de 
Rome  ei  de  celles  d'Italie  sur  la  succession  de  l'Espagne.  191 
CCCCV.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  le  mécontentement  que  le 
Roi  avo't  des  retardemens;  la  conduite  du  cardinal  de  Bouillon  j 
une  Réponse  à  M.  de  Cambrai  qu'il  avoit  faite  pour  M.  de  Char- 
tres ;  les  raisons  qui  le  portent  à  ne  laisser  rien  sans  réplique } 
et  sur  les  nouveaux  écrits  de  M.  de  Cambrai.  192 

CCCGVI.  De  MM.  Tiherge  et  de  Bdsucier  à  Bossuet.  Sur  une  pro- 
position qui  leur  étoit  attribuée  par  le  cardinal  de  Bouillon.  19G 
CCCC VII.  De  M.  de  JVoailleSj  archevêque  de  Paris ,  à  L'abbé  Bos- 
suet. Sur  l'augmentation  des  congrégations  ;  un  écrit  secret  de 
M.  de  Cambrai,  et  la  sage  conduite  des  examinateurs  contraires 
au  livre.  197 

CCCCVIII.  De  V abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  ce  qui  s'étoit  passé 
dans  lés  congrégations,  et  la  manière  dont  chaque  cardinal  avoit 
parlé.  109 

CGCCIX.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  la  peine  qu'il  a  de  voir  le 
cardinal  de  Bouillou  engagé  dans  une  si  mauvaise  cause  j  et  sur 
le  mécontentement  que  le  Roi  avoit  de  sa  conduite.  207 

CCCCX    De  M.  de  Noailles ,  archevêque  de  Paris,  à  l'abbé  Bos- 
suet. Sur  les  motifs  qu'on  avot  d'espérer  plus  de  célérité,  et  sur 
le  peu  de  cas  qu'on  devoit  faire  de  l'avis- des  examinateurs  fa- 
vorables au  livre.  208 
CCCGXÏ.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  un  entretien  du  prélat  tou- 


TABLE.  719 

chant  le  cardinal  de  Bouillon;  quelques  écrits  contre  M.  de  Cam- 
brai ,  et  les  motifs  qui  les  faisoient  publier.  Page  209 
CCCCXII.  De  Vabbd  JSossuet  à  son  oncle.  Sur  ce  qui  s'étoit  passé 
dans  les  dernières  congrégations;  la  conduite  et  les  dispositions 
des  différens  cardinaux;  une  lettre  de  M.  de  Cambrai  au  Papej 
et  les  inconvéniens  d'une  clause  qu'on  vovdoit  insérer  dans  le  dé- 
cret. 212 
CCCCXIII.j  De  Bossuet  à  son  nei^en.  Sur  la  nécessité  de  répondre 
aux  nouveaux  écrits  de  M.  de  Cambrai;  qu'il  faut  éviter  de  com- 
promettre le  nonce,  et  communiquer  avec  précaution  les  nou- 
velles signatures  des  docteurs  dé  Paris.  220 
MÉMOIRE  sur  la  Récrimination.  aa-a 
CCCCXIV.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  la  mort  de  son  père,. frère 
du  prélat.  224 
CCCCXV.  De  M.  de  Nouilles,  archet^éque  de  Paris,  à  Vahh^ Bos- 
suet. Sur  la  mort  de  son  père.                                                       226 
CCCCXYI.  De  Vahhë  Bossuet  â  son  oncle.  Sur  les  difficultés  qu  on 
avoit  eues  à  surmonter  dans  cette  affaire  ;  les  obligations  qu'on 
avoit  au  Roi;  l'état  des  congrégations;  et  une  scéue  qui  s'étoit 
passée  entre  le  cardinal  de  Bouillon  et  le  cardinal  Pancialici.  227 
CCCGXYII.  De  Bossuet  à  son  nei^eu.  Sur  la  mort  de  son  père;  les 
lettres  de  M.  de  Cambrai  au  nonce ,  et  la  réponse  qu'il  devoit  faire 
à  la  Censure  des  docteurs;  ditféiens  faits  touchant  la  Lettre  du 
Théologien  àe  M.  de  Chartres;  et  sur  deux  libelles,  Pun  contre 
M.  de  Noailles ,  l'autre  contre  l'édition  de  saint  Augustin.     287 
CCCCXTIII.  De  Vabhë  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  discours  des 
partisans  de  M.  de  Cambrai  à  l'égad  de  la  Censure  des  soixante 
docteurs  ;  la  manière  dont  le  cardinal  Casanate  devoit  présenter 
dans  son  vœu  le  plan  de  la  bulle  ;  et  les  causes  de  Pembarras 
qu'on  pouvoit  trouver  dans  la  rédaction.  24* 
CCCCXIX   De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  les  dispositions  du  prince 
de  Monaco;  la  manière  dont  le  Roi  lui  avoit  parlé  touchant  l'af- 
faii:e  de  M.  de  Cambrai;  et  sur  le  projet  d'une  rétractation  de 
Fénélon ,  négociée  par  le  cardinal  de  Bouillon.  249 
CCCCXX.  De  M.  de  Nouilles,  archevêque  de  Paris,  à  VabbéBos- 
suet.  Sur  l'espérance  d'une  prochaine  conclusion;  la  lettre  de 
M.  de  Cambrai  au  Pape;  la  Censure  des  docteurs  de  Sorbonne, 
et  le  mécontentement  qu'en  témoignoit  M.  de  Cambrai.       253 
CCCCXXI.  De  r abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  l'inutilité  des  nou- 
velles tentatives  du  cardinal  de  Bouillon  pour  sauver  M.  de  Cam-» 
brai}  le  résultat  des  dernières  congrégations  ;  la  manière  dont 


720  TAULE. 

les  qualifications  pourroient  être  prononcée»  dans  la  bulle  5  et 
sur  une  audience  que  cet  abbé  avoit  eue  du  Pape.  Page  255 
CCCCXXIJ  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  quatre  propositions  pré- 
sentées  par  M.  de  Cambrai  à  l'Université  de  Louvaiu  j  et  sur  deux 
nouvelles  lettres  de  ce  prélat.  26» 

CCCCXXIII.  De  Bossuet  à  M.  de  la  Broue.  Sur  la  mort  de  son 
frère  j  l'état  de  FatTairej  et  les  dernières  lettres  de  M.  de  Cam- 
brai. 268 
CGCCXXIV.  "Du  cardinal  de  Bouillon  à  Bossuet.  Sur  la  mort  de 
son  frère.  269 
CCCCXXV.  De  Vahbd  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  grande  perle  que 
cet  abbé  avoit  faite  par  la  mort  de  son  père  5  le  résultat  de  la 
dernière  congrégation  j  et  trois  autres  congrégations  tenues  de- 
vant le  Pape.                                                                                   2^/0 
CCCCXXVI.  De  Vabhé Phelippeaux  à  Bossuet.  Sur  la  perte  que  le 
prélat  venoit  de  faire  par  la  mort  de  son  frère  j  et  sur  l'état  de 
l'affaire.                                                                                            281 
CCCCXXVII.  De  Vabhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  congrégations 
tenues  devant  le  Pape  ;  les  efforts  du  cardinal  de  Bouillon  pour 
porter  les  cardinaux  à  épargner  M.  de  Cambrai  j  lès  mesures  prises 
par  l'abbé  Bossuet  pour  engager  le  Pape  à  unir  le  cardinal  Casa- 
nate  aux  cardinaux  rédacteurs  de  la  bulle.                                    284 
CCCCXXVIII.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  les  différens  écrits  de 
M.  de  Cambrai  publiés  nouvellement  j  une  réponse  qu'il  y  avoit 
faite;  et  sur  les  dispositions  du  cardinal  Casanate.                   agi 
CCCCXXIX.  De  M.  de  Nouilles^  archevêque  de  Paris,  à  Vabhe! 
Bossuet.  Sur  les  longueurs  que  Ton  pouvoit  apporter  à  la  con- 
clusion de  l'affaire;  et  la  conduite  du  cardinal  de  Bouillon.    294 
ÇCGCXXX.  De  Vabhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  Tobjet  d'une  nou- 
velle congrégation;  la  manière  dont  on  présumoit  que  le  décret 
seroit  tourné  ;   ec  le  mécontentement  des  cardinaux   touchant 
l'exclusion  du  cardinal  Casanate.                                                 agS 
CCCCXXXI.  De  Vahbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  changemens 
faits  au  décret,  dans  l'intervalle  du  temps  où  le  cardinal  Casa- 
nate s'étoit  trouvé  exclus  ;  une  visite  que  le  cardinal  de  Bouilloa 
avoit  inutilement  rendue  à  cette  Emiuence  pour  la  gagner  ;  et  sur 
une  démarche  peu  convenable  qu'on  ayoit  fait  faire  au  Pape.  3o» 
CCCCXXXII.  De  Vabhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  Tétat  de  sa  santé, 
et  une  audience  qu'il  avoit  eue  du  Pape.                                   3o5 
CCCCXXXIII.  De  M.  de  Nouilles ,  archevêque  de  Paris,  à  Vabhé 

Bossuet. 


TABLE.  ^21 

Sossuet.  Sur  le  déchaînement  du  cardinal  de  Bouillon  ;  et  Tat- 
teniion  à  empêcher  les  longueurs.  Page  Sog 

CCCCXXXIV.  De  Bossuet  à  son  nei^eu.  Il  l'exhorte  à  ne  pas  se 
laisser  accabler,  et  lui  annonce  une  nouvelle  Réponse  à  M.  do 
Cambrai.  3io 

CCCCXXXV.  De  M.  ***  à  Bossuet.  Sur  les  manœuvres  des  parti- 
sans de  M.  de  Cambrai,  et  la  prétendue  rétractation  d'un  des 
docteurs  qui  avoient  signé  la  censure  de  son  livre.  3i2 

CCCCXXXVI.  De  Vabbë  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  ce  qui  s'étoit 
passé  au  sujet  du  projet  des  Canonsj  Taudience  que  le  saint  Père 
lui  avoit  donnée,  et  sur  ce  qu'il  savoit  du  contenu  du  décret,  qui 
étoit  soumis  à  l'examen  des  cardinaux.  3i3 

CCCCXXXVII.  De  Vabbd  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  le  contenu  du 
bref  contre  le  livre  des  Maximes,  et  la  manière  dont  les  choses 
s'étoient  passées  à  la  conclusion.  325 

CCCGXXXVIII.  De  Bossuet  à  son  nei^eu.  Sur  le  Mémoire  envoyé 
à  Rome  par  le  Roi  contre  le  projet  des  Canons,  et  la  suite  des 
opérations.  34  a 

CCCCXXXIX.  De  Bossuet  à  son  neueu.  Sur  le  projet  des  Ca- 
nons ^j  les  inconvéniens  dans  lesquels  Rome  tomberoit,  si  elle 
s'arrêtoit  à  ce  projet  •  et  sur  les  motifs  de  confiance  dans  le 
péril  où  la  vérité  se  trouvoit.  344 

CCCCXL.  De  M.  de  NoaiUcs,  archevêque  de  Paris  ^  à  l'abbé  Bos- 
suet. Sur  les  inconvéûîeus  du  projet  des  Canons.  348 

MÉMOIRE  envoyé  à  Rome  par  le  Roi ,  contre  le  projet  des  Canons 
qu'on  vouloit  substituer  à  la  condamnation  du  livre  de  M.  de 
Cambrai.  35 1 

GCCCXLI.  Du  B.  P.  François  Campioni  à  Bossuet.  Sur  les  travaux 
du  prélat  pour  la  défense  de  la  foi,  et  le  jugement  du  saint  Siège 
en  faveur  de  sa  doctrine.  353 

CCCCXLII.  De  F abbe'  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  difficultés  qu'il  a 
fallu  surmonter  pour  obtenir  le  jugement  rendu,  et  les  circon- 
stances qui  l'ont  accompagné  et  suivi.  355 

CCCCXLIIL  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  le  bref  contre  M.  de 
Cambrai  ;  le  contentement  du  Roi,  du  clergé  et  de  la  ville.      3^4 

CCCCXLIV.  De  M.  de  Nouilles ,  arche^'êque  de  Paris  ^  à  U abbé  Bos- 
suet. Sur  l'heureuse  conclusion  de  TafFaire.  3^6 

CCCCXLV.  De  Vabbé  Phelippeaux  à  Bossuet.  Sur  difï'érens  chan- 
gemens  que  le  Pape  devoit  faire  parmi  les  nonces.  377 

CCCXLVÏ.  De  l'abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  cause  des  adoucis- 
BOSSUET.     XLII.  4^ 


^22  TABLE, 

«eraens  dii  bref^  les  manèges  du  cardind  de  Bowiîlonj  les  seiili- 
mens  des  savans  de  Rome  sur  le  fond  de  cette  affaire ,  et  les 
discours  des  partisans  de  M.  de  Cambrai.  P^ge  5/8 

CCCCX.LVII.  De  Bossuet  d  scm  neveu.  Sur  la  salisfaclion  qu'on 
avoit  du  bref  contre  M.  de  Cambrai  f  les  avantages  de  ce  décret; 
la  manière  dont  Fénélon  avoit  écrit  au  nonce ,  et  avoit  appris  sa 
condamnation;  et  sur  la  soumission  mec  laquelle  le  bref  étoit 
rc  eu.  389 

CCCGXLVÎIï.  De  t abbé  Bossuet  à  M,  de  Noaittes ,  archevêque  de 
Paris.  Sur  les  dernières  lettres  du  Roi  contre  le  projet  des  Ca- 
nons ;  la  bonne  eouduite  du  nonce  pendant  le  cours  ùe  celte 
«IFatrc  ;  et  le  mécontentement  du  Pape  de  n  avoir  pas  donoé  uae 
bulle.  393 

CCCCXLIX.  De  Vahlé Bossuet  à  son  onde.  Sur  tin  induit  qu^il  dé- 
siroit  obtenir;  des  remercimens  qu'il  eonvenoit  de  faire  à  ceux 
qui  avoienl  servi  avec  zèle  dans  la  cause;  et  le  sujet  pour  lequel 
le  cardinal  de  Bouillon  interrompit  la  lecture  du  bref.         399 

CCCCL.  De  Fénélon  au  pape  Innocent  XII,  Il  lui  proteste  de  sa 
soumission  à  la  censure  de  son  livre  ,  et  lui  annonce  qu'il  j  adhé« 
rera  sans  restriction,  par  un  Mandement  qu'il  publiera  aussitôt 
qu'il  aura  Tagrémenl  du  Roi.  4^2 

CCCCLI.  Du  même  à  M.  îévêque  d*Arras.  Il  lui  annonce  sa  soumis- 
sion absolue  à  la  condamnation  de  son  livre,  et  la  publication 
prochaine  de  son  Mandement  à  ce  sujet.  4^4 

CCCCLÏI.  Du  même  au  pape  Innocent  XII.  En  lui  envoyant  son 
Mandement,  il  renouvelle  sa  soumission  entière  au  bref  aposto- 
lique, et  exprime  les  scnttmens  de  son  respect  et  de  son  amour 
filial  envers  l'Eglise  romaine,   et  envers  le  souverain  Pontife. 

4o5 

tlCCCLIII.  Bref  d'Innocent  XII  à  Parchevcque  de  Cambrai.       i\o'j 

CCCCLIV.  De  Bossuel  à  M.  de  Nouilles,  archevêque  de  Paris.  I| 
lui  rend  compte  des  lettres  qu'il  avoit  reçues  ;  et  juge  peu  né- 
cessaire et  dangereux  de  demander  une  bulle  à  la  place  au 
bref.  4o8 

CCCCLV.  De  Bossuet  au  cardinal  d'Aguirre.  Il  lui  témoigne  être 

.  fort  Jaloux  de  son  amitié,  et  se  justifie  des  fausses  idées  qu'où 

avoit  voulu  lui  donner  de  sa  personne-  4^  ' 

CCCCLVI.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  le  bref  contre  M.  de  Cam- 
brai; la  soumission  de  ce  prélat;  et  les  démarches  de  Bossuet 
pour  dissiper  ses  préventions  contre  lui.  4'  * 

CCCGLYII.  De  M.  de  Noailks,  archevêque  de  Paris  ^  à  Vabké 


TABLE.  728 

Bossuet.  Sur  les  défauts  du  bref,  auxquels  on  Iravailloit  à  sup- 
pléer. ^"8^  4*^ 

CCCCLVIII.  De  Vabhé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  ses  démêlés  avec  le 
cardinal  de  Bouillon,  relativement  au  courrier  qu  il  avoit  dépê- 
ché 5  et  sur  le  retardement  de  M.  de  Monaco.  4 '7 

CCCCLIX.  De  Bossuet  à  Vahh€  Renaudot.  Sur  les  bons  offices  du 
nonce,  et  les  sentimens  du  prélat  pour  M.  de  Cambrai.       ^"ii 

CCCCLX.  Du  R.  P.  Campioni  à  Bossuet.  "Sur  l'approbation  que  le 
prélat  avoit  donnée  à  sa  Dissertation  de  la  nécessité  de  l'amour 
de  Dieu.  4^-^ 

CCCCLXI.  De  Bossuet  au  cardinal  d'Aguirre.  Sur  la  nécessilé  de 
réprimer  le  Quiétisme ,  et  d'en  prévenir  les  suites  funestes.     4^4 

CCCCLXII.  De  Bossuet  à  son  ncweu.  Sur  le  parti  que  Ton  devoit 
prendre  à  Tégard  du  bref,  et  la  lettre  de  M.  de  Cambrai  à 
M.  d'Arras.  4^5 

CCCCLXIII.  De  Vahbé Bossuet  à  son  oncle.  Sur  l'audience  qu'il  avoit 
eue  du  Pape  5  la  joie  que  ce  pontife  et  les  cardinaux  avoient  de 
la  satisfaction  du  Roi  et  des  évêques  ;  les  raisons  qui  pourroient 
empêcher  de  convertir  le  bref  en  bulle j  et  sur  les  questions  que 
le  Pape  avoit  faites  à  cet  abbé  touchant  madame  de  Mainlenon. 

426 

CCCCLXIV.  MÉMOIRE  présenté  au  Roi  le  18  avril  1699,  ^^  ^^]^^  ^^^ 
assemblées  provinciales  projetées  par  Sa  Majesté.  4^8 

CCCCLXV.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  le  Mandement  de  M.  de 
Cambrai;  le  mécontentement  du  cardinal  de  Bouillon  à  Tégard  de 
son  neveu  ;  et  la  manière  dont  on  se  proposoit  d'agir  en  France 
relativement  au  bref.  44 ^ 

CCCCLXYI.  De  Vahbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  satisfaction 
qu'avoit  le  Pape  du  bon  accueil  qu'on  avoit  fait  en  France  à  son 
décret;  le  contentement  du  cardinal  Casanate;  et  le  chagrin  du 
cardinal  de  Bouillon.  444 

CCCCLXYII.  De  Bossuet  à  son  net^eu.  Sur  la  manière  dont  on 
devoit  procéder  à  Facceplation  du  bref  contre  le  livre  des  Maxi- 
mes. /\5i 

CCCCLXTIII.  De  l'abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  cause  des  dé- 
fauts du  bref  j  la  conversation  de  cet  abbé  avec  le  cardinal  Spada  ; 
l'audience  quil  avoit  eue  du  Pape;  les  sentimens  de  ce  pontife 
pour  Bossuet;  la  congrégation  qu'il  avoit  indiquée  relativement 
au  bref,  et  ce  quW  y  avoit  résolu.  4^^ 

CCCCLXIX.   De  Bossuet  à  son  neveu.   Sur  la  manière  dont  on 


•J2^  TABLE* 

devoit  recevoir  le  bref  du  Pape;  l'âfFaire  de  Sfondratê;  et  les  dis- 
positions du  cardinal  de  Bouillon.  Page  463 
CGCCLXX.  Du  cardinal  de  Bouillon  à  Bossuet.  Sur  les  méconten- 
temens  que  lui  avoient  donnés  son  neveu.  4^7 
CCCGLXXI.   De  Bossuet  au  marquis  de  Torcy.  Il  lui  envoie  sa  ré- 
ponse à  M.  le  cardinal  de  Bouillon ,  pour  en  prendre  lecture.  4^8 
CCCCLXXII.  De  Bossuet  au  cardinal  de  Bouillon,  Il  justifie  son 
neveu  sur  Fenvoi  de  son  courrier  ;  et  lui  montre  Féquité  de  sa 
conduite  dans  l'affaire  du  Quiétisme.  4^) 
CCCCLXXIIÏ.  De  Bossuet  à  M.  de  la  Broue.  Sur  les  difficultés  qu'il 
trouve  à  la  translation  de  son  évéché  à  Maserettes  j  sur  rafiaire 
du  Quiétisme,  ei  le  bref  du  Pape.                                                ^"ji 
CCCCLXXIV.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  les  dispositions  appa- 
rentes du  cardinal  de  Bouillon  à  Fégard  de  Tabbé  Bossuet;  la 
prochaine  assemblée  de  la  province  de  Paris  ;  l'opposition  de  la 
Cour  romaine  pour  les  livres  relatifs  au  Quiétisme;  et  les  services 
secrets  que  le  prélat  rendoit  à  FEglise.  474 
CGCCLXX  V".   De  Vabbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  délibération 
de  la  dernière  congrégation,  touchant  le  changement  du  bref  en 
bulle  ;  les  deux  lettres  de  M.  de  Cambrai  au  Pape;  et  les  démar- 
ches de  Fabbé  Bossuet  au  sujet  du  bref  que  le  saint  Père  devoit 
adresser  à  ce  prélat.                                                                       4  76 
CCCCLXXVI.  Du  P.  Cloche,  général  des  Dominicains^  à  Bossuet. 
Sur  les  services  qu'il  avoit  rendus  à  la  vérité  dans  l'affaire  de 
M.  de  Cambrai,  et  sur  un  écrit  contre  saint  Augustin  et  saint 
Thomas.                                                                                           49** 
CCCCLXXVII.  Du  P.  MassouUéy  Dominicain ,  à  Bossuet.  Sur  les 
grands  avantages  qu'on  avoit  retirés  des  écrits  du  prélat,  pour 
soutenir  la  vérité  dans  l'affaire  de  M.  de  Cambrai.                    49 1 
CCCGLXXVIII.  De  Bossuet  à  son  nev>eu.  Sur  les  assemblées  pro- 
vinciales, relatives  à  Facceptation  du  décret  de  Rome;  et  la  né- 
cessité du  prochain  départ  de  cet  abbé.                                     49* 
CCCCLXXIX.  De  l'abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  la  soumission  de 
M.  de  Cambrai  ;  le  bref  qu'on  devoit  lui  adresser  ;  la  seconde  lettre 
de  ce  prélat  au  Pape;  et  la  fidélité  avec  laquelle  Fabbé  Bossuet 
avoit  rapporté  les  faits.                                                                 494 
CCCCLXXX.  De  Bossuet  à  son  neifeu.  Sur  le  jugement  qu'on  por- 
toit  à  Rome  de  la  soumission  de  M.  <4e  Cambrai;  le  procès-verbal 
Ae  Fasserablée  provinciale  de  Paria,  qu'il  lui  envoyoit;  et  sur  ce 
qu'on  pensoit  du  Télémaque.  499 
CCCCLXXXI.  De  Vabbé  Bossuet  a  son  oncle.  Sur  la  manière  de 


TABLE.  7^5 

procéder  des  évêques  dans  la  réception  du  bref;  le  compte  que 
cet  abbé  en  avoit  rendu  au  cardinal  Spada  et  au  Pape;  et  ce  qui 
s'étoit  passé  à  l'occasion   du  bref  adressé    à  M.   de  Cambrai. 

Page  5oi 

CCCCLXXXII.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  la  lettre  de  M.  de 
Cambrai  au  Pape  ;  et  la  manière  de  procéder  des  évêques  pour 
l'acceptation  du  bref.  607 

CCCCLXXXIII.  De  Vàbhë  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  procédés 
violens  du  cardinal  de  Bouillon  à  l'égard  de  M.  de  Madot;  le  tu- 
multe occasionné  par  les  gens  de  ce  cardinal,  à  l'entrée  de  l'am- 
bassadeur de  Florence  à  Bome  ;  et  l'approbation  que  donnoient 
les  cardinaux  à  la  conduite  des  évêques  de  France.  5ii 

CCCCLXXXIV.  De  Bossuet  à  son  ne^'eu.  Sur  le  bref  qu'on  devoit 
adresser  à  Fénélon;  les  procès-verbaux  des  assemblées  de  Rbeims 
et  de  Cambrai;  et  sur  la  conduite  que  les  évêques  vouloient  tenir 
à  l'égard  de  M.  de  Cambrai.  Sac 

CCCCLXXXV.  De  V abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  assemblées 
tenues  pour  la  réception  du  décret  contre  M.  de  Cambrai  ;  l'afFaire 
du  cardinal  de  Bouillon  avec  Tambassadeiir  de  l'Empereur  j  l'en- 
tretien que  l'abbé  Bossuet  avoit  eu  à  ce  sujet  avec  le  Pape.        522 

CCCCLXXXVI.  De  Bossuet  à  son  îieveu.  Sur  la  conduite  qu'avoit 
tenue  M.  de  Cambrai  dans  l'assemblée  de  sa  province;  et  sur 
sa  soumission.  523 

CCCCLXXXVII.  De  Bossuet  à  son  ne^^eu.  Sur  le  bref  du  Pape  à 
M.  de  Cambrai;  et  la  forme  d'acceptation  du  décret  contre  sou 
livre.  529 

CCCCLXXXVIII.  De  Vabbe' Bossuet  à  son  oncle.  Sur  le  procès-verbal 
de  l'assemblée  provinciale  de  Paris  ;  et  le  mécontentement  qu'a- 
voit le  Pape  du  cardinal  de  Bouillon.  53o 

MÉMOIRE  de  Bossuet  à  Louis  XIV,  sur  un  ordre  envoyé  à  l'abbé  Bos- 
suet par  le  cardinal  de  Bouillon.  534 

CCCCLXXXIX.  De  l'abbé  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  le  méconten- 
tement qu'on  avoit  à  Rome  des  délibérations  des  évêques,  rela- 
tives au  bref  du  Pape  ;  et  l'entretien  que  l'abbé  Bossuet  avoit 
eu  à  ce  sujet  avec  le  cardinal  Casanate.  SSq. 

CCCCXC.  De  t abbé Phelipp eaux  à  Bossuet.  Sur  le  procès-verbal  de 
l'assemblée  provinciale  de  Paris  ;  deux  écrits  déférés  à  l'Inquisi- 
tion; et  l'affaire  du  curé  de  Seurre.  543 

CCCCXCI.  De  Bossuet  à  son  nei^eu.  Il  souhaite  qu'on  ménage  l'au- 
torité du  saint  Siège;  et  approuve  la  conduite  de  son  neveu  dans 
Taffaire  du  cardinal  de  Bouillon.  5^4 


"^26  TABLE. 

CGCCXCII.  De  VabhéBossuei  à  son  oncle.  Sur  le  cardinal  de  Bouil-' 
Ion  et  le  prince  de  Monaco.  Page  545 

CCCCXCIII.  De  Vabbë  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  boutés  que  le 
Pape  lui  avoit  témoignées  dans  son  audience  de  congé  j  et  la  sen- 
sation que  faisoil  à  Rome  le  procès -verbal  de  l'assemblée  de 
Cambrai.  54^ 

CCCCXCIV.  De  Vabbe' Bossuet  à  son  oncle.  Sur  le  jugement  qu  on 
j>ortoit  à  Rome  de  la  conduite  de  M.  de  Cambrai  dans  l'assem- 
blée de  sa  province;  et  le  silence  politique  de  la  Cour  de  Rome 
à  Pégard  de  ces  assemblées.  548 

CCCCXCV.  De  Vabhë  Bossuet  à  son  oncle.  Sur  les  bontés  que  le 
Grand-Duc  lui  avoit  témoignées;  l'estime  et  l'amitié  qu'il  avoit 
fait  paroître  pour  le  prélat.  549 

CCCCXCVI.  De  M.  de  Noailles,  archevêque  de  Paris  ^  à  Vabbë 
Bossuet.  Il  justifie  la  manière  dont  les  évêques  avoient  accepté 
le  bref  du  Pape.  552 

CCCCXCVII.  Du  prince  de  Monaco  à  Bossuet.  Sur  le  désir  qu'il 
avoit  d'obtenir  pour  son  neveu  l'induit  qu'il  sollicitoit,  et  les  ex- 
pressions honorables  avec  lesquelles  le  Pape  avoit  parlé  de  ce 
prélat.  553 

CCCCXCVni.  De  Bossuet  à  son  neveu.  Sur  une  lettre  du  prince  de 
Monaco,  eX  sur  la  duchesse  de  Bourgogne.  554 

CCCCXCÎX.  De  VaJbë Bossuet  à  son  oncle.  Il  lui  rend  compte  des 
honnêtetés  qu'il  a  reçues  à  Bologne,  et  surtout  à  la  cour  de  Mo- 
dène.  555 

D.  Du  P.  Roslet,  Minime,  à  Vabbë  Bossuet.  Sur  le  Mandement  de 
M.  de  Meaux;  et  sur  le  Discours  de  M.  d'Aguesseau ,  et  l'arrêt  du 
Parlement  pour  la  réception  du  bref,  qu'on  avoit  traduit,  et 
qu'on  vouloit  faire  censurer.  557 

DI.  Du  P.  Latenai,  Carme,  à  Vabbë  Bossuet.  Sur  les  dispositions 
des  esprits  à  l'égard  des  procès-verbaux  des  assemblées  des  évêques 
de  France ,  et  particulièrement  à  l'égard  du  Discours  de  M.  d'A- 
guesseau. 559 

RÉQUISITOIRE  de  M.  d'Aguesseau  pour  l'enregistrement  du  bref 
contre  le  livre  des  Maximes  des  Saints.  56 1 

DÏI.  De  Bossuet  à  M.  de  Bancë,  ancien  abbë  de  la  Trappe.  Il  lui 
envoie  la  Relation  sur  l'affaire  de  Cambrai,  et  la  Censure  de  l'as- 
semblée du  clergé  de  France,  et  s'excuse  de  ne  pouvoir,  cette 
année,  aller  à  la  Trappe.  571 

DllI.  Mandement  de  M.  François  de  Salignac  de  la  Mothe  Féné- 
lon,  archevêque  de  Cambrai,  pour  la  publication  de  la  Consli- 


TABLE.  727 

tution  de  notre  saint  père  le  Pape ,  portant  condamnation  du  livre 
intitulé  :  Explication  des  Maximes  des  Saints,  etc.         Page  572 

LETTRES  DIVERSES. 

Avertissement.  ^76 

Lettre  première.  De  Bossuet  à  M.  de  F'ernon,  procureur  du  Roi 

au  présidial  de  Meaux.  Il  le  prie  d'empêcher  les  assemblées,  et 

les  représentations  qui  pourroient  porter  au  mal.  677 

II.  De  Bossuet  à  la  marquise  de  Laval.  Il  lui  témoigne  sa  joie  de  la 
nomination  de  Fénélon  à  la  place  de  précepteur  du  duc  de 
Bourgogne.  ^7" 

III.  De  Bossuet  à  madame  de  Maintenon.  Il  l'instruit  de  la  soumis- 
sion de  Fabbé  Couet.  ^10 

IV.  De  M.  Vahhë  Fleury  à  Bossuet.  Sur  la  mort  de  M.  Tabbé  de 
Tares,  garde  de  la  bibliothèque  du  Roi.  58o 

V.  De  M.  ïahhéde  Saint-Luc.  Sur  le  même  sujet.  583 

VI.  De  M.  Vahhë  Fleury.  Sur  la  mort  de  M.  de  Cordemoy.        585 

VII.  De  M.  Obrecht,  préteur  royal  nu  sénat  de  Strasbourg.  Sur  les 
'  changemens  que  les  Luthériens  ont  faits  dans  la  confession  d'Aus- 

bourg,  et  ce  qu'ils  alléguoient  pour  s'en  justifier.  587 

VIII.  Du  même.  Sur  les  principes  des  Protestans  louchant  la  poly- 
gamie, et  l'usage  qu'ils  en  avoient  fait  à  l'éîjard  du  Landgrave  de 
Hesse.  Sgi 

ÏX.  Du  même.  Sur  le  même  sujet.  596 

X.  Du  même.  Sur  le  dessein  qu'avoit  Bossuet  de  combattre  en 
particulier  le  luthéranisme,  la  manière  de  le  faire,  et  difFérens 
ouvrages  propres  à  ce  dessein.  597 

XI.  Du  même.  Sur  difFérens  ouvrages  des  Protestans,  relatifs  aux 
matières  que  Bossuet  avoit  dessein  de  traiter.  600 

XII.  De  dom  Claude  Deverl.,  trésorier  de  l'abbaye  de  Cluni.  Sur  la 
communion  sous  une  seule  espèce.  602 

XIII.  Du  même.  Il  lui  envoie  Fextrait  d'un  ancien  cérémonial  de 
Corbie,  qui  prouvoit  qu'on  ne  communioit  le  Vendredi  saint  que 
sous  une  seule  espèce.  60 1 

XIV.  Du  même.  Sur  la  communion  sous  une  seule  espèce ,  et  quel- 
ques difficultés  qui  y  ont  rapport.  606 

XV.  Du  même.  Sur  un  ancien  cérémonial  de  Fabbaye  de  Sainl- 
Denis,  conforme,  pour  la  communion  du  Vendredi  saint,  a  ce- 
lui de  Fabbaye  de  Corbie.  60S 


7^^8  TABLE. 

XVI.  De  dom  Mahillon.  Sur  les  paroles  de  l'Ordre  romain  touchant 
la  communion  du  Vendredi  saint.  Page  609 

XVII.  De  M.  tabhë  Renaudol.  Sur  différens  points  de  la  liturgie  des 
Grecs,  le  Pontifical  de  M.  Habert,  et  les  affaires  d'Ecosse.      610 

XVIII.  Du  même.  Sur  les  différentes  confessions  de  foi  des  Angli- 
cans, et  sur  Molinos.  618 

XIX.  De  M.le  Feuvre,  docteur  de  Sorhonne.  Sur  une  conclusion 
que  Ton  prétendoit  avoir  été  faite  par  la  Faculté  de  théologie, 
touchant  le  mariage  de  Henri  VIII.  627 

XX  De  M.  Pirot,  docteur  de  Sorbonne.  Sur  le  même  sujet  que  la 
précédente,  et  sur  quelques  autres  faits.  63 1 

XXI.  De  dom  Bernard  de  Montfaucon.  Sur  les  livres  Deutérocano- 
niques.  64o 

XXII.  De  M.  Vahhé  de  Longeron.  Sur  son  Commentaire  de  l'Apo- 
calypse, et  en  particulier  sur  Paul  de  Saraosate,  que  Bossuet 
croyoit  voir  dans  Téioile  qui  tomboit  du  ciel.  64 1 

RÉFLEXIONS  de  M.  l'abbé  dePénélon,  sur  le  chapitre  ix  de  l'Apo- 
calypse. 645 

XXIII.  De  M.  desMahis^  chanoine  <?'0//èa«J.  Il  lui  parle  des  Pères 
qui  ont  vu  Rome  dans  la  Babylone  de  l'Apocalypse,  et  lui  marque 
pourquoi  les  plus  anciens  ne  Tont  pas  déclaré  clairement.    648 

XXIV.  Du  même.  Sur  les  atteintes  portées  à  la  morale  par  les  Soci- 
niens.  651 

XXV.  De  M.  Vahhé  de  Fénélon.  Sur  le  Mémoire  de  Bossuet  contre 
le  docteur  Dupin.  653 

XX  VF.  Du  même.  Sur  les  erreurs  de  M.  Dupin ,  et  les  ménagemens 
dom  il  désiroit  qu'on  usât  pour  le  porter  à  les  réparer.      65^ 

XXVII.  Du  même.  Sur  le  Mémoire  de  Bossuet,  contre  les  erreurs 
de  M.  Dupin,  et  le  procès  du  prélat  avec  l'abbesse  de  Jouarre- 

655 

XXVIII.  Du  même.  Sur  son  Mémoire  contre  les  erreurs  de  M.  Du- 
pin, et  le  désir  qu'il  avoit  de  le  voir  à  Versailles.  656 

XXIX.  Du  même.  Sur  les  changemens  que  Bossuet  désiroit  faire 
dans  certains  usages  de  Tabbaye  de  Jouarre.  658 

XXX.  De  M.  Gerbais,  docteur  de  Sorbonne.  Il  le  sollicite  en  faveur 
de  M.  Dupin.  659 

XXXI.  De  M.  Pirot  j  docteur  de  Sorbonne.  Sur  un  ecclésiastique 
proposé  pour  une  cure  du  diocèse  de  Meaux,  et  sur  M.  Dupin. 

661 

XXXII.  Du  même.  Sur  un  entretien  qu'il  avoit  eu  avec  M.  Dupin , 


TAULE.  'jog 

et  une  visite  qu  ils  avoient  rendue  ensemLle  à   M.  rarclievéque 
de  Paris.  Page  664 

XXXIII.  De  M,  GerhaiSj  docteur  de  Sorhonne.  Sur  les  dispositions 
de  M.  Dupin.  66'j 

XXXIV.  De  M.  Dupin.  Sur  les  erreurs  dont  il  étoit  accusé.       668 

XXXV.  De  M.  ^rnauld,  docteur  de  Sorhonne,  Il  le  félicite  du 
dessein  qu'il  avoit  d'écrire  pour  la  défense  de  saint  Augustin 
contre  Richard  Simon  j  et  lui  demande  son  jugement  sur  divers 
écrits.  '  669 

XXXVI.  De  M.  Pirot,  docteur  de  Sorhonne.  Il  lui  rapporte  diffé- 
rens  textes  des  Pères,  qui  ont  pris  le  mot  de  personne  pour  celui 
de  nature,  Q'jQ 

XXXVII.  Du  même.  Sur  la  doctrine  de  Gerson ,  touchant  les  déci- 
sions des  évéques,  et  sur  les  propositions  qui  dévoient  être  cen- 
surées par  l'assemblée  du  clergé  de  1 700.  Q'j^ 

XXXVIÏl.  Du  P.  de  la  Rue,  Jésuite.  Sur  la  conduite  de  M.  l'évéque 
d'Alais  à  l'égard  des  Réunis  de  son  diocèse  j  et  combien  il  sc- 
roit  nécessaire  que  tous  les  évêques  prissent  sur  ce  sujet  une  ré- 
solution uniforme.  680 

XXXIX.  De  M.  T^uitasse,  professeur  de  Sorhonne.  Sur  ce  qu'on  l'a 
accusé  injustement  de  penser  comme  M.  Cailly  sur  la  Trans- 
substantiation. 684 

XL.  De  M.  Capperonnier^  licencié  en  théologie.  Sur  le  danger  des 
écrits  de  Richar4  Simon,  et  sur  la  signification  de  quelques  ex- 
pressions grecques  du  nouveau  Testament.  689 

XLI.  Du  même.  Il  lui  communique  plusieurs  textes  de  Platon ,  qui 
montrent  que  ce  philosophe  a  donné  au  mot  substance  une  signi- 
fication fort  étendue.  695 

XLII.  De  M.  Vévêque  d'Arras.  Il  lui  demande  ses  bons  offices, 
pour  rétablir  la  paix  et  le  bon  ordre  dans  FUniversité  de  Douai. 

698 

XLIII.  De  M.  Monnier  de  Richardin,  recteur  de  l'Université  de 
Douai.  Il  se  félicite  de  ce  que  le  prélat  a  été  nommé  par  Sa 
Majesté  commissaire,  pour  travailler  à  rendre  à  cette  Univer- 
sité sa  première  splendeur.  699 

MÉMOIRE  pour  l'Université  de  Douai.  '  700 

XLIV.  De  M.  de  Fleury,  évêque  de  Fréjus.  Sur  Tlnstruction  de 
Bossuet,  contre  Richard  Simon.  709 

XLV.  De  M.  de  Bissf,  évêque  de  Toul.  Sur  un  mandement  qu'il 
avoit  donné  contre  l'Usure.  -nio 


•^30  TABLE. 

XL VI.  De  M.  Pussyran.  Il  menace  Bossuet  d'écrire  contre  lui, 
s'il  ne  se  déclare  pas  ouvertement  contre  le  Silence  respec- 
tueux. Page  7 1 1 


FIN    DE    LA    TAr.LE    DU    TOME    QUARANTE-DEUXIEME. 


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Bossuet,  Jacques  Bénigne 

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1725 

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1815 

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